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TRAITÉ
DU DOL
ET
DE LA FRAUDE
EN MATIÈRE CIVILE ET COMMERCIALE
PAR
AVOCAT
A
LA
S.
COUR
BÉDARBIUll,
D’ AP P E L
D’ AIX ,
ANCIEN
BATO NNIER.
PARIS ,
COUltCIÉR , LIB R A IR ER U E IIAUTEFEUILLE , 9 ;
DURAND, LIBRAIRE, RUE DES GRÈS ;
VEUVE THOREL, LIBRAIRE , PLACE DU PANTHÉON.
AIX,
AUBIN, LIBRAIRE-ÉDITEUR,
■UIl LE CO U R8, 1.
1831.
.J.ÛJ©o 31s<2jO
��TRAITÉ
DU DDL ET DE LA FRAUDE
EN MATIERE CIVILE ET COMMERCIALE.
OBSERVATIONS PRELIMINAIRES.
SOMMAIRE.
1. Nécessité de la bonne foi dans les conventions.
2. Rôle du dol et de la fraude dans les causes viciant les
engagements.
3. Causes de leur développement.
4. Motifs de la sévérité mise par le législateur à leur
admission.
5. Pourquoi il a exigé que les faits invoqués fussent gra
ves, précis et concordants.
6. Difficultés de la mission confiée aux tribunaux.
7. Utilité de se bien pénétrer de l’esprit de la loi.
8. La faveur due au titre ne saurait faire repousser, sans
instruction, les reproches adressés à sa sincérité.
9. L’admissibilité de la preuve orale était une véritable
nécessité.
�2
TRAITÉ
10. Inapplicabilité de la maxime odia restringenda à la de
mande en nullité pour dol ou fraude.
11. Eléments d’appréciation pour l’admissibilité de la
preuve.
12. Différences entre le dol et la fraude.
13. Division.
1. — Les engagements divers que contractent les
citoyens doivent, pour être justes, provenir d’une vo
lonté spontanée et libre; la loi, chargée d’en assurer
l’exécution, devait donc veiller à la pureté de leur ori
gine, non moins qu’à la sincérité de cette exécution
elle-même.
Il était en effet facile de prévoir que, dans bien de
cas, l’acte, sous une apparence irréprochable, ne serait
qu’une odieuse tentative de spoliation. De là les con
ditions exigées pour la validité du contrat, conditions
dont l’accomplissement devient la garantie et la preuve
de la bonne foi réciproque des parties.
2. — Le dol et la fraude occupent un rang distingué
dans les causes pouvant vicier la convention. Les ténè
bres, dans lesquelles ils s’enveloppent, augmentent leurs
chances de succès, les mille détours, à travers lesquels
ils se jouent, parviennent souvent à triompher de la
volonté expresse de la loi, et à tromper la sagacité de
la justice, réduite à les soupçonner sans pouvoir les
atteindre.
Un pareil résultat ne pouvait échapper aux regards
avides de la mauvaise foi, et ce qui prouve qu’elle ne
l’a pas négligé, c’est le développement considérable
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
3
que des litiges journaliers signalent dans les faits de dol
et de fraude.
3. — Nous laisserons au moraliste à apprécier les
causes de ce développement. Peut-être conviendrait-il
de les attribuer à ce culte qu’on a, de nos jours, érigé
à l’intérêt matériel; à cet agiotage funeste, attaquant
chaque jour les sources du crédit public et frappant au
cœur la morale elle-même; à la tolérance pour ces pré
tendues opérations industrielles dont les actions, se
mant partout la misère et la ruine, excitent une avidité
effrénée qu’on s’efforcerait en vain de retenir dans les
bornes de la raison et de la justice.
Quoi qu’il en soit, un semblable état de choses ap
pelle un prompt remède, et ce remède est heureu
sement dans les mains de la justice.
4. — Sans doute la loi pourrait être plus sévère,
mais on ne doit pas perdre de vue la position délicate
dans laquelle se trouvait le législateur. La prudence qu’il
conseille dans l’appréciation du dol et de la fraude est
une conséquence de cette position. Croire facilement au
dol et à la fraude, accueillir favorablement la plainte,
l’admettre avec la même facilité, eût été peut-être un
moyen de les décourager, d’en arrêter le dévelop
pement et, dans tous les cas, d’en assurer la répression
en la rendant plus fréquente. Mais, d’autre part, à com
bien d’inconvénients ne s’exposait-on pas ! A combien
de dangers n’abandonnait-on pas les droits les plus lé
gitimes, les plus sacrés! S’il est vrai qu’il n’existe que
�-A
TRAITÉ
trop de gens disposés à recourir à des moyens illégi
times et à se créer des ressources aux dépens de leurs
dupes, n’est-il pas également certain qu’il en est en aussi
grand nombre qui crieraient au doî et h la fraude, dès
qu’on voudrait les contraindre à exécuter un enga
gement ne leur offrant plus l’avantage qu’ils s’en étaient
promis. D’autre part, s’il existe des créanciers peu scru
puleux , il n’est pas rare non plus de trouver des dé
biteurs de mauvaise foi, tâchant de se soustraire à une
obligation régulièrement consentie et librement con
tractée.
Or, s’il importe de veiller à l’intérêt de ceux que la
déloyauté opprime, il convient de protéger également
les droits honorablement acquis et injustement déniés,
en un mot, il ne fallait pas, pour empêcher la fraude
des créanciers contre les débiteurs, encourager et fa
voriser celle des débiteurs contre les créanciers.
5. — C’était le moyen de concilier ces divers in
térêts qu’il convenait d’adopter. Or, ce moyen les faits
accomplis l’indiquaient naturellement ; l’acte écrit fait
supposer un consentement régulier, c’était là une pré
somption légale qu’on ne pouvait mettre de côté. En
conséquence, l’acte devait faire foi de ce qu’il ren
ferme et être exécuté, tant que le vice dont on le pré
tend souillé n’est pas établi. L’allégation de l’existence
de ce vice impose à son auteur le devoir d’en fournir la
preuve, cette preuve résultera de titres écrits ou de dé
positions orales , mais elle ne sera recevable que si les
faits cotés sont graves, précis et concordants. Elle sera
�DU DOL ET DE t A FRAUDE.
même inutile si des présomptions, ayant ce triple ca
ractère, peuvent dès à présent former la conviction du
juge.1
Voilà ce que le législateur a cru devoir faire ; voilà
la ligne de conduite qu’il a trouvée toute tracée dans
les législations précédentes. Sans doute la difficulté de
la preuve assurera, comme ses incertitudes, la réus
site du dol et de la fraude dans quelques hypothèses.
Mais le mal serait-il moindre, si, pour atteindre plus
facilement le dol, on se fût exposé à condamner quel
quefois la bonne foi elle-même? Le choix fait par le lé
gislateur, entre ces deux dangers, ne saurait donc lui
mériter le reproche de faiblesse ou d’indulgence.
C’est aux magistrats à féconder, dans l’application, le
germe de répression renfermé dans la loi. L’appré
ciation laissée à leur prudence et à leurs lumières, la
recevabilité de la preuve testimoniale, l’admissibilité
de celle par présomptions, sont autant de moyens pro
pres à atteindre ce but si désirable, si intéressant pour
l’ordre public lui-même.
6. — Nous ne nous dissimulons pas le caractère de
la mission confiée aux tribunaux. Les procès en dol ou
fraude offrent, non une question de droit, mais une pure
question de fait. Les circonstances dont on se plaint
existent-elles? Sont-elles prouvées? Caractérisent-elles
le dol ou la fraude? Tels sont les points uniques que ces
* Dolum ex indiciis perspicuis probari convertit, L. 6, Cod. de Dolo
�6
TRAITÉ
procès donneront à résoudre. Dons une difficulté de
cette nature, le magistrat n’a de guide assuré que sa
conscience, d’autre élément dedéçision que son opinion
elle-même. Dès-lors, vouloir offrir des règles à leur ap
préciation, c’est paraître tenter une entreprise sans uti
lité et sans but. Cependant, il est des notions que le
juge ne doit pas négliger, alors même qu’il obéit aux
inspirations de sa conscience. Il ne suffit pas qu’une
cause soit équitable, il faut qu’elle soit, de plus, avouée
par le droit. Or, éclairer les principes, les poser net
tement, en déduire les conséquences, c’est encore se
rendre utile en offrant des bases légales à cette appré
ciation souveraine.
C’est ce que nous venons faire en traitant une ma
tière trop négligée de nos jours. Le Traité de M. Char
don a quelque peu vieilli, et nul autre que lui n’a traité
le dol et la fraude d’une manière spéciale. Puissent nos
elforls contribuer à leur répression !
7. — Pour atteindre à cette répression, il faut que
les magistrats se pénètrent bien de l’esprit de la loi.
Dans les procès de ce genre, le défendeur à la nullité
fait les plus pressants appels à l’autorité du titre, sur
tout lorsque ce titre est authentique ; à l’entendre, il ne
faut, sans mettre en péril les choses les plus sacrées, lui
porter aucune atteinte ou en amoindrir la puissance.
8. — Oui, il importe que le titre soit respecté. Une
convention légitime ne doit pas rester un vain mot.
Mais tout cela ne peut et ne doit faire repousser, sans
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
7
instruction, les reproches d’illégitimité adressés au con
trat. La faveur accordée au titre par le législateur, n’est
que la conséquence de la présomption que ce litre est
loyalement intervenu et que l’obligation qu’il crée est
légalement contractée. C’est donc vouloir en mécon
naître le caractère que de prétendre la convertir en
une arme porteetrice du dol ou de la fraude.
Le législateur y a si peu songé, qu’il n’hésite pas à
anéantir le titre, lorsque le reproche est justifié, et c’est
à la preuve testimoniale qu’il demande les fondements
de ce reproche. L’admissibilité de la preuve orale, con
tre un titre écrit, indique bien le prix qu’il attache à la
répression de tout ce qui altère la pureté et la loyauté
du contrat.
9. — Au reste, l’admissibilité de la preuve orale
était une véritable nécessité. Le dol et la fraude se gar
dent bien délaisser après eux des traces écrites. Vouloir
des titres écrits ou seulement un commencement de preu
ves, c’était renoncer à l’espérance de toute répression.
Cette considération avait paru si décisive à nos anciens
jurisconsultes, qu’elle les avait même porté à se mon
trer peu exigeants sur les résultats de la preuve orale.
La fraude, dit Dumoulin, éloigne les témoins au lieu
de les appeler, quare non itn exacte probationes de jure
exiguunlur....... Aiioquin Jacillissime esset sopliislicalione verborum, seu per verbales actus, quotidie élu
dere consuetudinem. 1
1 Ancienne coutume de Paris, § 23, n° 62.
�8
TBAITÉ
Simulationem probari ex indiciis et conjecturis, probationesque imperfcelas, nimisque intégras admitli. 1
Ce qui était vrai à cette époque,n’a pas cessé de l’être,
ou mieux l’est devenu plus encore aujourd’hui. Tout a
progressé depuis lors, et le dol et la fraude ne sont cer
tes pas restés en arrière. On pourrait donc enseigner
encore aujourd’hui qu’on doit non-seulement admettre
la preuve testimoniale, ce qui ne fait pas douté, mais
encore qu’on ne doit pas trop se montrer sévère sur
ses résultats.
10. — Cependant, nous avons entendu souvent sou
tenir le contraire. Les nullités, a-t-on dit, sont odieuses,
il faut donc se garder de les encourager, Odia reslringenda. Il n’y a de nullités odieuses que celles s’adres
sant à la forme, sans pouvoir atteindre le fonds du droit.
Qu’importe, en effet, comme le dit un jurisconsulte mo
derne, 2 dans le for intérieur, l’irrégularité d’une de
mande dans la forme, si celte demande est juste au
fonds?
Mais la nullité d’un acte couvrant sous sa perfection
apparente un traité injuste, arraché par le dol ou sug
géré par la fraude, n’est qu’une légitime satisfaction à
la bonne foi indignement abusée ; loin d’offrir quelque
chose d’odieux, ce résultat n’a rien que de très moral
et de très juste.
Ce qui serait véritablement odieux, ce serait d’en1 Leferon, sur l’art. 1Î5, Coutume de Bordeaux, titre Au retrait
lignager.
8 Solon, des Nxdlilês, introduction, p. vi.
�&
tourer d’une sollicitude quelconque l’auteur présumé
d’une fraude coupable, de contribuer, par une sévérité
intempestive, à rendre la découverte dudol impossible,
et d’assurer ainsi le triomphe d’une spoliation auda
cieusement exécutée.
L’esprit de la loi repousse et devait repousser un pa
reil résultat. Les efforts des magistrats tendront sans
cesse à en empêcher la réalisation. Ce n’est pas par des
considérations pareilles que la demande en preuve doit
être repoussée. Les invoquer, c’est se placer dans une
contradiction flagrante avec la loi, avec la morale, avec
la vérité.
DU DOL ET DE LA FRAUDE.
11. — C’est dans les faits du procès, dans les cir
constances ayant précédé, accompagné et suivi le con
trat; c’est dans la position des parties, dans la nature
de la convention, dans les faits dont on demande la
preuve, que se puiseront les éléments d’appréciation de
son admissibilité. Ce que les magistrats ne doivent
jamais perdre de vue, c’est que le dol et la fraude
sont difficiles à justifier; c’est que si la condamnation
injuste est à jamais regrettable, il importe peu que
celte condamnation doive méconnaître des droits lé
gitimes ou consacrer une prétention déloyale. C’est
donc à concilier tous les intérêts qu’ils doivent tendre
sans cesse. Ils y aboutiront en portant dans l’examen
des difficultés qu’ils auront à résoudre les saines no
tions de l’équité et dudroit.
12. — Les mots dol et fraude sont souvent réunis et
�10
TRAITÉ
confondus dans les œuvres de nos jurisconsultes. Cette
confusion, qui n’existait pas dans le droit romain, est
inadmissible. Sans doute, le dolet la fraude ont des ca
ractères communs, subissent dans leur recherche l’em
pire de principes analogues, produisent des effets iden
tiques. Mais il y a entre eux des différences notables
dans leur nature, dans leur origine, souvent même dans
leurs résultats.
Ainsi, le dol ne peut exister sans l’emploi de ma
nœuvres, imputables à l’une des parties, ou exécutées
dans son intérêt par un tiers.
La fraude, au contraire, ne réside le plus souvent que
dans l’exécution d’une convention licite et juste, elle
n’exige aucune manœuvre; elle est, dans certain cas,
concertée entre toutes les parties contractantes.
Le dol vicie essentiellement le contrat.
La fraude, même convenue, n’a souvent aucune in
fluence sur la validité et, conséquemment, sur l’exé
cution à donner à la convention.
Aussi, verrons-nous que la plainte en fraude n’est pas
toujours permise, tandis que celle en dol ne saurait,
dans aucun cas, être refusée à la partie lésée.
13. — Ces différences tracent naturellement notre
division. Nous devons d’abord examiner le dol, sa dé
finition, ses caractères, la preuve de son existence, scs
effets. Nous traiterons ensuite de la fraude, selon qu’elle
a eu pour objet ou de tromper la partie, ou de nuire à
des tiers, ou d’éluder la loi, ce qui comprend le vaste
champ des simulations.
�Dü DOL ET DE LA FRAUDE.
CHAPITRE I” .
D É F IN IT I O N DD DO !.
SOMMAIRE..
14. Comment Servius avait défini le dol, vices de cette
définition.
15. Définition donnée par Labeon, admise par les juriscon
sultes.
16. A passé dans notre droit.
17. Cas dans lesquels le dol dégénère en délit.
18. Différence de l’action en répression du délit d’avec celle
en réparation du dol.
19. La décision au correctionnel ne crée aucune fin de nonrecevoir contre l’action ultérieure pour dol.
14. — Le jurisconsulte Servius avait défini le dol
en ces termes : Macliinationem quamdam, allerius decipiendi causa, cum aliud simulalur et aliud agilur.
�12
t r a it é
Les principes du droit romain sur la matière , ren
daient cette définition inacceptable par sa trop grande
généralité. Nous verrons en effet, tout à l’heure, que
le dol n’était pas toujours pris dans la même acception,
malgré que dans tous les cas on pût relever les carac
tères exigés par Servius.
C’est par cette observation que Labeon contestait la
justesse de la définition donnée par Servius. On peut,
disait-il, tromper sans dissimulation; d’autre part, une
dissimulation certaine n’est pas toujours et nécessai
rement répréhensible, dans le cas, par exemple, où elle
n’a pour but que de protéger son intérêt légitime ou
celui d’un tiers : Posse sine dissimulatione ici agi, ut qui*
circumvenialur ; posse et sine dolo mata aliuil agi, aliud
simulari, sicuti faciunt qui per ejus modi dissimulalionem deserviant et luentiir vel sua, vel aliéna.
15. — Il fallait donc pour le dol une désignation qui
ne s’appliquât qu’à lui et qui le caractérisât d’une ma
nière précise et non équivoque. En conséquence, La
beon le définissait : Omnis callidilas, fallcicia, macliinalio, ad circumveniendum, jallendum, decipiendum
allerum adhibila. '
Celte définition fut admise par les jurisconsultes ro
mains , elle répondait parfaitement à l’idée qu’on peut
se faire du dol et des caractères le constituant. En effet,
le concours de manœuvres déloyales et d’un préjudice
pour la partie contractante, détermine nettement la na1 L. 1, Dig., § 2, de dolo malo.
�DU DOD ET DE LA FRA UDE.
13
ture du dol et son objet, indique le double fondement
de l’action ouverte à celui qui en a été victime, action
qu’Ulpien explique en ces termes : Ne vel Mis malilia
sua sit lucrosa, vel islis simplicilas clamnosa.
16- — Notre droit a recueilli sur ce point les erre
ments du droit romain. Aujourd’hui donc, comme à
cette époque, on doit considérer comme dol punis
sable toute espèce de manœuvres, de finesses, d’ar
tifices, employés pour entretenir une personne dans
l’erreur qui la détermine à une convention préjudi
ciable à ses intérêts, ou qui la détourne de faire une
chose utile. 1
17. — Le dol dégénère en véritable délit, lorsque
les manœuvres qui le constituent atteignent une gra
vité telle, que l’ordre public exige autre chose que l’an
nulation du contrat, avec dommages-intérêts. En consé
quence, le préjudice provoqué, soit par l’emploi de faux
noms ou de fausses qualités, soit par des manœuvres
ayant eu pour objet de persuader l’existence de fausses
entreprises, d’un pouvoir ou d’un crédit imaginaire, de
faire naître l’espérance ou la crainte d’un succès, d’un
accident ou de tout autre événement chimérique, est
une véritable escroquerie entraînant l’application d’une
peine corporelle.2
18. — Notre sujet se restreignant au dol en matière
1 Toullier, tom. vi, n° 87.
* Art. 405, Cod. pén.
�14
traité
civile, nous n’avions à indiquer ce qui précède que pour
en déduire celte conséquence. La loi distingue formel
lement l’escroquerie du simple dol, dès-lors, le fait
insuffisant pour constituer le délit puni par l’article
4()o du Code pénal, peut créer une action en nullité de
la convention et en dommages-intérêts. Celle action
peut être intentée soit principalement, soit accessoire
ment à l’instance correctionnelle. Mais quelle que soit
la décision de celle-ci, aucune fin de non-recevoir ne
saurait être opposée à l’exercice de la première.
En matière de délits, comme en matière de crimes,
l’intention est seule constitutive de la culpabilité. Les
juges correctionnels décident donc plutôt une question
intentionnelle qu’une question de fait. Aussi, l’acquit
tement prononcé ne prouve qu’une seule chose : l’ab
sence de criminalité. Reste donc le fait matériel, dont
les conséquences, plus ou moins nuisibles, peuvent être
déférées à une autre juridiction.Si ce fait est imputable
au prévenu, s’il est le produit de la ruse et du mensonge,
ce prévenu, déchargé de la peine d’un délit non dé
montré, resterait passible de la réparation du préjudice
naissant du fait qu’il aurait commis.
Ainsi la loi civile atteindra comme dol ce que la loi
criminelle n’a pu atteindre comme escroquerie. Mais
ce qu’il importe de remarquer, c’est que la compétence
des tribunaux correctionnels est nécessairement subor
donnée à la constatation du délit.; qu’elle disparaît avec
celui-ci. Dès-lors, en cas d’acquittement, les juges cor
rectionnels ne peuvent statuer sur les prétentions de la
partie civile, ni lui adjuger aucuns dommages-intérêts.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
15
Ils doivent donc la déclarer non-recevable et la con
damner aux dépens.
19. — Mais cette décision ne fait nul obstacle à
l’introduction d’une action en nullité, ou en dommagesintérêts devant les tribunaux ordinaires. L’action civile
pour dol diffère essentiellement de l’action civile pour
escroquerie : chacune de ses actions a ses caractères
spéciaux, obéit à des principes particuliers, reconnaît
une compétence distincte. Conséquemment, la chose
jugée sur la dernière n’est jamais opposable à l’action
postérieure en dol. Elle ne produit d’autre effet que de
rendre à tout jamais impossible, une poursuite en es
croquerie.
Mais le fait motivant celle-ci est de nature à consti
tuer un dol. Il peut donc donner naissance à l’action ou
à l’exception que le dol crée. On pourrait d’autant
moins invoquer la maxime non bis in idem, que le juge
correctionnel non-seulement n’a pas connu du dol, mais
qu’il ne pouvait en connaître.
Sans doute, c’est le même fait qu’il a eu à apprécier,
mais son appréciation n’a dû et pu porter que sur le
caractère de délit attribué à ce fait. N’oublions pas que
l’article 560 du Code d’instruction criminelle appelle
fait, l’accusation elle-même, le crime ou le délit qu’elle
qualifie, et non l’acte matériel à raison duquel elle est
intervenue. 1 La décision crée la chose jugée sur celte
1 Legraverend, t. i,pag. 339,400;—Mangin, de VAction publique.
Jt. it, pag. 344.
�S6
TRAITE
criminalité, laquelle disparaissant fait place à un fait
purement civil, sur les conséquences légales duquel
rien n’a été statué, parce qu’elles n’ont jamais été en
question. 1
SECTION I". — CARACTÈRES DU DOL.
SOMMAIRE.
20. Pourquoi le législateur n’a pas considéré comme moyens
de nullité tout ce qui s’écarte de la stricte bonne foi.
21. A quelles conditions devra-t-on reconnaître le dol?
22. Première condition, il faut que les manœuvres ou ar
tifices aient été de nature à faire illusion.
23. Conséquence. Tout mensonge, toute ruse n’équivaut
pas au dol.
24. Opinion de Pothier à cet égard.
25. C’est donc sur la nature et la gravité des moyens em
ployés que devra se porter l’attention du juge.
26. Faut-il que, comme la violence, le dol ait dû faire im
pression sur un esprit raisonnable ?
27. L’état moral delà partie exercera toujours une grande
influence.
1 Cass., 3 juillet 4844, D. P. 44, 4,64.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
28. Quid si elle était dans un état presque habituel d’insa
nité d’esprit?
29. De la dépendance dans laquelle une des parties serait
à l’égard de l’autre ?
30. L’appréciation du juge est souveraine.
31. Seconde condition. Le dol doit avoir déterminé le con
trat.
32. La préexistence de l’intention de contracter exclut donc
l’action en nullité, mais laisse subsister celle en
dommages-intérêts.
33. Troisième condition. Le dol doit être le fait de la partie.
— Conséquence.
34. Droits de la partie lésée contre l’auteur du dol.
35. Exceptions à la règle du maintien de l'acte : 1° lors
que les avantages produits par le dol ne résultent
pas d’une obligation.
36. 2° Lorsque la partie étrangère au dol en a connu l’existencê au moment du contrat.
37. Quatrième condition. Le dol doit avoir occasioné un
préjudice.
38. Exigences du droit romain : ConsUium fraudls cventus
damni.
39. En quoi ces exigences ont perdu de leur importance
en droit français.
40. Cependant, si le préjudice est dénié, c’est au plai
gnant à en justifier l’existence
41. L'existence d’un préjudice moral ferait-elle annuler
le contrat ?
20. — L’équité et la morale exigent que les parties
contractantes agissent, l’une envers l’autre, avec la plus
entière bonne foi. De là cette conséquence, que les
traités faits au mépris de cette prescription devraient
être considérés comme incapables de produire un lien
légal.
Mais il est, en législation, des nécessités invincibles.
i
2
�•18
TRAITÉ
On ne pouvait proscrire tout ce que l’exacte probité
réprouve, sans exiger des hommes une perfection n’exis
tant nulle part, sans tomber dans les plus grands in
convénients, sans s’exposer à jeter la plus grande per
turbation dans les transactions de la vie sociale.
Aussi n’a-t-on pas lait dépendre le sort des contrats
de l’existence avérée de toute ruse, de tout mensonge.
Le dol seul les annulle, et, par dol, le législateur entend
les manœuvres et artifices ayant créé l’erreur préjudi
ciable à l’une des parties.
21. — Pour tomber sous le coup de la loi, ces arti
fices et manœuvres doivent offrir dans leur conception,
dans leur emploi, une gravité facilement appréciable.
C’est ainsi que la doctrine et la jurisprudence l’ont
depuis longtemps consacré. Cette gravité résultera de
certaines conditions sur lesquelles le juge devra tout
d’abord porter son investigation.
22. — La première de ces conditions est que les
manœuvres et artifices aient été de nature à faire il
lusion à la personne trompée. La peine édictée contre
le dol a surtout pour objet la juste réparation due à celui
qui en a été victime. C’est à titre de dédommagement,
que la loi accorde la nullité de l’acte, et, suivant les cas,
une allocation de dommages-intérêts. Or, un dédom
magement quelconque n’est dû qu’à celui qu’une force
majeure a seule entraîné, qui n’a succombé que par l’ef
fet d’une violence morale qu’il ne pouvait ni prévoir,
ni empêcher.
�DP DOL ET DE LA FRAUDE.
19
Dans le cas contraire, celui qui se plaint a lui-même
à se reprocher la légèreté de sa conduite, la foi qu’il a
imprudemment accordée,lorsque des investigations,que
son intérêt lui prescrivait, l’auraient mis à même de dé
couvrir la ruse dont il a été victime. Conséquemment,
lui accorder une réparation, serait récompenser son im
prudence. Or, la loi doit bien protéger celui qui n’a pu
se défendre, mais elle n’a aucune obligation envers celui
qui,pouvant se protéger lui-même efficacement,a né
gligé ou dédaigné de le faire.
25- — C’est en ce sens, que nous disions tout à
l’heure, que tout mensonge, que toute ruse ne donne
pas ouverture à l’action en dol, cependant, le résultat
de l’un peut être identique à celui que l’autre produirait;
c’est-à-dire qu’un préjudice grave a pu être réellement
causé par la ruse ou le mensonge. Mais l’un et l’autre, se
produisant simplement, pouvaient être reconnus. L’im
prudence de la partie leur a seule donné l’effet qu’ils ont
produit, il n’y a donc plus qu’une dissimulation que la
loi et la morale réprouvent, mais qui ne peut consti
tuer le dol puni par l’article 1116 du Code civil.
24. — « Dans le for intérieur, dit Pothier, on doit
regarder, comme contraire à la bonne foi, tout ce qui
s’écarte tant soit peu de la sincérité la plus exacte, la
plus scrupuleuse; la seule dissimulation sur ce qui con
cerne la chose faisant l’objet du marché, et que la partie
avec qui je contracte aurait intérêt de savoir, est con
traire à la bonne foi.
:- '
�20
TRAITÉ
« Dans le for extérieur, une partie ne serait pas
écoutée à se plaindre de ces légères atteintes que celui,
avec qui elle a contracté, a données à la bonne foi, autre
ment il y aurait un trop grand nombre de conventions
qui seraient dans le cas d’être rescindées. Il n’y a que
ce qui blesse ouvertement la bonne foi qui soit, dans ce
for, regardé comme un vrai dol, tel que toutes les mau
vaises manœuvres et tous les mauvais artifices qu’une
partie aurait employés pour engager l’autre à con
tracter. 1 »
Vainement donc prouverait-on qu’on a été entraîné
par la ruse, déterminé par le mensonge. Si les pré
cautions ordinaires pouvaient déjouer la ruse, démas
quer le mensonge, l’acte doit être maintenu. Il n'y a
dol punissable que lorsque l’erreur inférée s’est, pro
duite par des moyens de nature à convaincre de la vé
rité de la fausse allégation, à endormir la vigilance et
à rendre vaines toutes investigations.
25. — Il résulte de là que c’est surtout sur la na
ture des moyens employés, sur leur gravité, que le
plaignant doit appeler l’attention de la justice. C’est
cette appréciation qui fournira la solution du litige.
Dès-lors, la question soulevée par la poursuite du dol est
plutôt une question de fait, qu’une difficulté de droit.
Les manœuvres et artifices signalés existent-ils? Ontils la gravité indispensable pour faire résoudre le
1 Des Oblig., n” 30.
�DU DOD ET DE LA FRAUDE.
21
contrat? Telles seront, en dernière analyse, les seules,
les véritables difficultés.
Ce caractère du litige laisse une grande part à l’arbi
trage souverain du juge. Il est cependant quelques prin
cipes de nature sinon à commander, du moins à diriger
l’exercice de ce pouvoir. En voici notamment qu’on ne
doit pas négliger.
26. — L’article 1112 du Code civil, qui punit la
violence, exige pour l’atteindre qu’elle ait été de nature
à faire impression sur un esprit raisonnable ; doit-on
exiger ce caractère en matière de dol?
Il y a entre la violence et le dol cette différence : que
la première, s’annonçant par des actes matériels, sera
parfaitement appréciable dans ses divers degrés. Elle
procédera d’ailleurs, et presque toujours, par les mêmes
moyens, et l’on comprend que, pour en juger les effets,
on ait exigé que les actes la caractérisant aient pu faire
une grave impression, au moins sur une intelligence
éclairée, sur une raison ordinaire.
Le dol, au contraire, confond la raison et se joue de
l’intelligence. Insaisissable dans la pensée qui le conçoit,
protégé par la fraude présidant à son exécution, il sait
faire illusion au plus habile. Chaque espèce devra donc
se résoudre par les moyens qui lui seront propres. On
- ne se demandera pas si un esprit raisonnable aurait ou
non succombé, la question posée sera uniquement cel
le-ci : le demandeur a-t-il cédé et dû céder aux ma
nœuvres déployées pour pervertir sa volonté et égarer
son consentement ?
�22
TRAITÉ
27. — Mais l’état moral de la partie exercera tou
jours une puissante influence sur la décision. La loi
protège plus efficacement le mineur, parce qu’elle le
suppose plus accessible aux suggestions de la mauvaise
foi. Mais il est des majeurs dont la volonté, inerte et
faible, est plus facilement entraînée que ne le serait, dans
la môme occurrence, celle de certains mineurs. La pro
tection due à ceux-ci doit donc les entourer dans de
certaines limites. Le dol sera d’autant plus à supposer
à leur égard, qu’ils étaient pour lui une proie plus facile
et plus sûre.
28. — Par une supériorité de raisons, le dol serait
plus facilement admis, s’il était argué que la victime
se trouvait dans un état habituel d’insanité d’esprit.
Dans une pareille hypothèse, on ne s’appesantirait pas
trop sur la gravité ordinairement exigée pour les ma
nœuvres constituant le dol. La simple obsession pour
rait suffire, c’est ce qui a été admis pour la captation.
On sait que, pour anuuller une libéralité imputée à
la captation, on exige de celle-ci un caractère frau
duleux et dolosif. Il faut conséquemment qu’elle ait été
accompagnée de manœuvres tendant à fausser la volonté
du donateur ou du testateur. Mais de simples démar
ches, fréquemment répétées, afin d’obtenir une libé
ralité, lorsqu’elles s’adressent à un individu dans un
état d’imbécillité ou de démence presque habituel,
ont été jugées constituer le dol punissable. C’est no
tamment ce que la Cour d’Aix a décidé, le 3 juin 1845,
par la confirmation d’un jugement du Tribunal de
�DU DOL ET DE LA Eli AUDE.
23
Toulon , annulant une libéralité faite par la dame
Pourriac à une de ses nièces.
29. — Nous n’hésitons pas non plus à considérer,
comme un élément essentiel d’appréciation, la dépen
dance dans laquelle seraient respectivement les parties
au moment de l’acte, même sous le rapport de l’intérêt
pécuniaire. Des poursuites rigoureuses, exercées par un
créancier contre les biens ou contre la personne de son
débiteur, peuvent placer celui-ci dans une position dont
il a été facile d’abuser, en lui arrachant le sacrifice
d’une partie plus ou moins forte de sa fortune. Un acte
ainsi obtenu n’est-il pas réellement le produit d’une
véritable violence, et ne devra-t-on pas l’apprécier sé
vèrement sur la plainte de la partie intéressée ?
Sans doute les poursuites du créancier sontl’exercice
d’un droit. Mais si elles n’ont pour objet que de forcer
la main au débiteur, si le sacrifice consommé par
l’acte attaqué n’a aucun motif sérieux , s’il est dé
montré qu’il n’est uniquement que le résultat re
cherché de, et par, la poursuite, faudra-t-il laisser le
créancier possesseur paisible de ce qu’il aura ainsi frau
duleusement obtenu?. Nous ne le pensons pas : Nemini
sua fraus palrocinari debet.
30. — N’oublions pas, au reste, qu’en cette ma
tière les tribunaux prononcent comme le fairait un
jury. Il suffit qu’ils soient convaincus de la gravité du
dol, pour qu’ils soient autorisés à en anéantir le pro
duit. Cette gravité est relative ; elle se détermine tantôt
par la finesse de l’artifice, tantôt par l’âge, le sexe, la
�rRAITIi
condition des parties. Conséquemment tels et tels faits
qui ne sauraient constituer le dol à l’endroit de l’un, le
constitueront pour l’autre. Nous le répétons, la loi s’en
rapporte entièrement à la prudence des tribunaux, et,
sans leur demander compte des éléments de leur con
viction, elle l’accepte comme l ’arbitre souverain du
litige
31. - La seconde condition, pour que le dol annulle le contrat, est que sans son emploi, il n’eût pas
existé de convention. Qu’il ait été, dès-lors, la cause
unique et déterminante du consentement, clans causam
contractai.
La nullité résultant du dol est une peine en même
temps qu’une réparation. Cette dernière doit s’étendre
à toutes les conséquences nuisibles, et ce résultat n’est
nullement inconciliable avec l’existence de l’acte at
taqué.
Or, pourquoi anéantir celui-ci lorsque la volonté
de le consentir existait chez toutes les parties. Malgré
que la volonté de l’une d’elles ait été plus tard per
vertie par des manoeuvres coupables, l’acte n’en est pas
moins intervenu librement. Il suffît donc, dans cette
hypothèse, que le préjudice résultant du dol exercé
dans l’exécution de celle pensée soit entièrement ré
paré, à moins que la circonstance sur laquelle on a
été trompé soit de telle nature que sa connaissance eût
fait abandonner toute idée de traiter.
p
1 Cass., 27 août 1836; — 5 décembre 1838, J. D. P., tom. i, 1839,
263.
*-
�mmm.
DU DOL ET DE LA FRAUDE.
25
32. — Ainsi, la certitude de la volonté de con
tracter avant et indépendamment de toute manœuvre,
est exclusive de toute poursuite en nullité de l’acte. Le
traité renferme un lien légal qu’il faut respecter, tout
en ramenant son exécution dans les limites légitimes,
que la convention devait avoir dans la pensée com
mune des parties.
Mais le maintien de l’acte ne serait ni équitable ni lo
gique, lorsque, sans intention de contracter, la partie
poursuivante n’a été déterminée à le faire que par les
manœuvres dolosives dont elle se plaint. Il importe que
le dol soit poursuivi et atteint dans tous les effets qu'il
a produit , or, dans l’espèce, l’existence de l’acte n’est
elle-même qu’un de ces effets, dès-lors elle doit être
condamnée et proscrite.
Il n’y a donc, en général, de nullité forcée que lors
que le contrat a été inspiré par le dol. S’il est certain
que la partie était décidée à traiter, de telle manière
qu’elle l’eût fait, alors même qu’il n’y aurait eu aucun
dol, l’acte est maintenu. Mais on ne doit respecter que
ce qui est indépendant du dol.1 Conséquemment, tout
ce qui n’est qu’une conséquence directe de celui-ci doit
être corrigé. On doit donc , tout en maintenant l’acte,
soit annuler les clauses dues aux manœuvres repro
chées, soit allouer des dommages-intérêts suffisant pour
réparer intégralement tout préjudice.
La troisième condition pour que le dol soit
1 Cass., 19 janv. 1841.
V5&
�2<)
TB Al T É
punissable, c’est qu’il ait été commis par celui avec qui
on a contracté. Nul ne peut répondre que de son pro
pre fait, que de sa faute. En conséquence, si la partie
attaquée n’a réellement ni connu le dol, ni coopéré
aux manœuvres qui le constituent, sa bonne foi rend le
contrat inattaquable, et en assure l’exécution.
34. — Mais cette conséquence ne fait nul obstacle à
ce que la partie lésée poursuive et obtienne la répara
tion du préjudice qu’elle éprouve. L’auteur du dol, quel
qu’il soit, est tenu de cette réparation, alors même
qu’il ne dût retirer aucun avantage personnel du traité
déterminé par ses manœuvres.
35. — Cette règle reçoit cependant des exceptions,
et la partie étrangère au dol perd tous les avantages
qu’il en avait retiré :
1° Lorsque ces avantages, ne résultant pas d’une
obligation contractée en sa faveur, ne lui sont acquis
que par sa qualité, ou par une disposition formelle de
la loi. Ainsi la renonciation, annulée comme produite
par le dol, serait censée n’avoir jamais existé, et l’héri
tier appelé au profit de cette renonciation perdrait tous
ses droits. Il serait en conséquence tenu de restituer
l’hérédité qu’il aurait déjà appréhendée, alors même
qu’il eût ignoré l’existence du dol ;
36- — 2° Lorsque la partie contractante, sans être
lui-même l’auteur du dol, en a connu l’existence au
moment du contrat. Connaître un fait réprouvable aux
yeux de la justice, et vouloir en recueillir les fruits,
�DU DOL ET D15 EA FRAUDE.
27
c’est se rendre complice de ce fait, à la consommation
duquel on se prête sciemment. Tl est donc juste de pri
ver le complice, tout au moins, des gains illicites de
vant lesquels il n’a pas reculé.
37. — Enfin, la quatrième condition pour l’imputa
bilité du dol, c’est qu’un préjudice ait été causé. Le dol,
avons-nous dit, nécessite une peine et une réparation. Il
n’existe donc que lorsqu’il y a fait illicite chez l’un,
préjudice chez l’autre. L’absence de tout préjudice en
lèverait à la répression du dol son objet le plus essen
tiel, et en rendrait la poursuite évidemment frustratoire. L’intérêt étant la mesure de l’action, et l’intérêt
n’existant qu’autant qu’on est lésé, l’impossibilité de
justifier de l’existence d’un préjudice quelconque, ren
drait la partie plaignante non-recevable dans son action.
38. — Ainsi se retrouve dans notre droit ce double
caractère que le droit romain exigeait pour le dol, à sa
voir : Consilium fraudis, evenlus damni. Mais, sous l’em
pire de cette législation, cette prescription avait une
portée bien autre que celle qu’elle conserve aujour
d’hui. Le droit romain reconnaissait un dol licite, dolus bonus, une fraude nuisible dans ses résultats, mais
n’exigeant pas un concert préalable, fraus non in consitio sed in evenlu. Et tout cela devait être soigneuse
ment distingué puisque l’action en dol était infamante.
59. — Cela n’existe plus en droit français. Sans
doute nous reconnaissons des simulations licites, mais
ces simulations ne sauraient être qualifiées dol, par la
�28
TRAITÉ
raison toute simple qu’elles sont ordinairement concer
tées par les deux parties. L’action en dol n’est plus que
ce qu’est l’action en fraude, et n’atteint jamais d’autres
résultats que celle-ci.
Donc, chez nous, le dol n’a qu’un acception impli
quant nécessairement l’existence d’un préjudice. Ce ne
sera jamais dans un but innocent ou inoffensif qu’on
se livrera à des manœuvres, à des artifices destinés à
entretenir une personne dans l’erreur qui la détermine à
une convention préjudiciable à ses intérêts, ou qui la
détourne de jaire une chose utile.
D’autre part, comment admettre qu’une partie se
plaigne d’un acte ne lui causant aucun grief. On no
plaide pas pour le plaisir de plaider, surtout lorsque,
sans espoir de rien gagner, on sait qu’on y perdra tou
jours quelque chose.
49. — Quoi qu’il en soit, le dol n’existe que lors
qu’il y a réellement préjudice. Conséquemment, si le
défendeur soutient qu’il n’en a causé aucun, le deman
deur aura l’obligation de prouver celui dont il se plaint.
Mais on ne devra pas exiger que cejpréjudice soit né
et actuel; il suffira qu’il y ait crainte fondée pour l’ave
nir, probabilité môme d’une chance, pour que l’auteur
du dol soit condamné, soit à faire cesser l’état des cho
ses que ses artifices ont déterminé, soit à fournir tou
tes les assurances éventuelles qui lui seront réclamées.
41. — L’existence d’un préjudice moral légitime
rait l’action du poursuivant. Celui qui a été déterminé,
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
29
par artifices, à vendre une propriété qu’il affectionnait,
et dont il ne se serait pas défait sans le dol employé,
sera recevable à demander la nullité de la vente. Vaine
ment le prix reçu serait-il proportionné à la valeur de
la chose vendue; il n’en serait pas moins certain que la
volonté du vendeur a été violentée; et si les manœu
vres dont il se plaint ont réellement existé, son consen
tement, surpris par ce moyen, manque d’une deses qua
lités essentielles, et n’est par conséquent pas susceptible
de créer un lien légal. Il n’y aura dans celte espèce
qu’un préjudice moral; mais cet intérêt est aussi sacré
qu’un intérêt matériel. Le dol ne peut pas plus léser
l’un, que l’autre.
Il résulte de ce qui précède que le dol n’agit pas tou
jours d’une manière uniforme. Conséquemment nous
avons à le distinguer dans les diverses parties de la con
vention qu’il est dans les cas de vicier. Après en avoir
recherché la nature, nous en fuirons ressortir les effets.
mM
SECTION II. — DES DIVERSES ESPÈCES DE DOL.
1m u
e h B éi
SOMMAIRE
42. Le droit romain distinguait le dol en bon ou mauvais.
43. Exemple d’un dol bon, dotus bonus!
.
/
�TRAITE
44. Cette distinction n’existe plus sous l'empire du Code.
45. Elle a été cependant en quelque sorte conservée pour
ce qui concerne la fraude.
46. Le dol ne peut être que personnel. En était-il de même
en droit romain ?
47. Opinion de Merlin et de Toullier sur le dol réel.
48. Examen de la doctrine d’Ulpien, ce jurisconsulte a-t-il
admis un dol réel?
49. En combien d’espèces se divise le dol ?
42. — Le droit romain appelait dol toute simula
tion, tout artifice à l’aide duquel un acte perdait son
véritable caractère, pour en revêtir un ne lui apparte
nant réellement pas. De là la nécessité de distinguer le
dol en bon et mauvais. Ce qui constituait le premier,
était non-seulement l’absence de toute intention frau
duleuse, mais encore, et surtout, le défaut de préju
dice. C’est ce qui se déduit de l’observation de Labeon,
rappelée par Ulpien : Posse et sine dolo malo aliud agi,
aliud simulari, sicuti faciunt qui per ejusmodi dissimulalionem deserviant et luenlur vel sua, vel aliéna. 1
Ulpien nous enseigne de plus que le dol licite pou
vait exister dans plusieurs circonstances, et que c’est
pour enlever tout doute que l’epithète de mauvais avait
été ajouté au mot dol : ISon fuit prætor contentus dolurn
dicere, sed adjicit malum, quoniam veteres dolum etiam
bonum dicebanl et pro solertia hoc nomen accipiebant
maxime si adversus hoslem latronemve quis machinetur. '
�DU DUL ET 1)È LÀ FRAUDE.
31
Dans ces limites, la qualification de bon, donnée au
dol, est irréprochable. Les artifices employés contre les
ennemis ou les voleurs ne pouvaient certes faire encou
rir le moindre blâme. Les uns et les autres auraient eu
assez mauvaise grâce à se plaindre de ce qu’on avait dé
joué leurs projets. Mais il n’en était pas de même x’elativement à certains actes auxquels on étendait les effets
de cette dénomination. Ainsi, on considéra d’abord com
me licite, le dol exercé sur le prix de vente des cho
ses mobilières ou immobilières : In prclio emptionis
et Dendilioms, disait Pomponius, naturaliler licel contrahentibus se circumvenireK. Mais cette maxime parut
bientôt ce qu’elle était: par trop compromettante; aussi
ne tarda-t-on pas à la réduire, dans la pratique, à une
portée plus restreinte. On admit que cette faculté n’al
lait jamais jusqu’à autoriser une lésion énorme; qu’elle
ne devait s’entendre que du droit de vendre un peu
plus cher ou d’acheter à un prix moindre que ne va
lait la chose, en d’autres termes qu’il était loisible à
chacun de rechercher un honnête avantage, condilionem suam facere meliorem.
43. — Un exemple ayant le mérite de caractériser
le dolus bonus et de bien tracer en quoi il diffère du dol
mauvais, est l’espèce citée par le jurisconsulte Paul,
dans le § 3 de la loi 19, Dig. de negolüs gestis.
« Chargé de faire mes affaires pendant mon absence,
vous avez acquis une propriété que vous ne saviez pas
1 L. 16, § 4, Dig., de minoribus xxv annis.
�32
TRAITÉ
m’appartenir : vous l’avez depuis prescrite. Je ne puis
en obtenir la restitution par l’action negotiorum geslorum.
« Mais si après l’achat, et avant l’accomplissement
de la prescription, vous découvrez que la propriété m’ap
partient, vous devez interposer quelqu’un qui vous en
faira la demande en mon nom, et qui, par ce moyen,
vous fournira celui de conserver mon bien, et de veiller
à vos propres intérêts par l’exercice de l’action en ga
rantie que vous avez contre votre vendeur.
« Cette supposition de personne est ordinairement
une fraude. Mais, dans l’espèce, elle n’aura rien de ré
préhensible : iVcc videris ilolum malum fctccre in hac
subjeelione, idco cnim Iwc fciccre elebes ne aclione negotiorum geslorum lenearis. »
11 y a évidemment dans cette hypothèse défaut de ré
solution frauduleuse, absence de tout préjudice. En
effet, l’action n’est intentée que pour se soustraire à la
fraude du vendeur de la chose d’autrui.Le résultat de cet
te action sera de faire sortir à effet une garantie imposée
par la loi elle-même. L’interposition de personne, dans
ce double but, est donc on ne peut pas plus légitime.
Nous avons vu ce qu’était le dolus malus, nous avons
déjà dit que ce qui le caractérisait en droit romain c’était
surtout le consilium fraudis et Veventus damni.
44. — Au reste, cette distinction en bon et mauvais
était complètement inutile sous l’empire de notre légis
lation. Le mot dol a reçu dans notre langue une accep
tion qui en fixe désormais la nature. Il se prend toujours
I â./
�33
en mauvaise part. Les ruses contre l’ennemi ou contre
les voleurs sont non-seulement un droit, mais encore
un devoir, imposé par la légitime défense de sa personne
ou de ses biens. D’autre part, les artifices employés pour
déterminer l’exécution d’une obligation parfaite sont
également exempts de tout reproche et ne sauraient
motiver une action quelconque.
Il y a plus, le Code distingue le dol, non-seulement
de la fraude, mais encore de la surprise, de la super
cherie. Ainsi l’article 1255 permet de revenir contre
l’imputation faite par surprise, et l’article 1967 autorise
à répéter la dette de jeu acquittée par suite de super
cherie.
DD DOD ET DE LA ERAUDE.
45- — Mais ce qui n’a plus aucune portée pour le
dol, en a conservé une véritable en matière de fraudes.
Celles-ci ne sont pas nécessairement illicites. Il en est
dont le législateur assure le maintien et l’exécution. La
distinction en bonnes ou mauvaises pourrait donc leur
convenir, si depuis longtemps on ne les avait qualifiées
de licites ou d’illicites, épithètes que le génie de notre
langue rend préférables.
46- — Le dol ne peut être que personnel, puisqu’il
ne résulte que de manœuvres donnant naissance à l’er
reur et au préjudice. Mais est-il vrai que, par opposition
audol personnel, les Romains eussent admis un dol réel?
Merlin et après lui Toullier, et d’autres jurisconsultes
recommandables ont admis l’affirmative. Ils la fondent
i
3
�:u
TRAITE
sur ces paroles d’Ulpien : Et si nul lus dolus inlervenit
■stipulaii tis, sed res ipsa in se dolum kabet
47. — Cette distinction est fortement contestée par
ces mêmes jurisconsultes: « Le dol, dit notamment
Merlin, vient delà mauvaise foi, et conséquemment tou
jours de la personnne ; à la vérité, les choses elles-mê
mes peuvent tromper, ou, pour mieux dire, on peut
être trompé à l’occasion des choses ; mais cette erreur
est seulement l’effet de l’ignorance, ou, si c’est l’effet
du dol, ce dol ne se trouve pas dans les choses, mais
dans la mauvaise foi de celui qui les présente à l’effet de
tromper. 2
48. — L’évidente justesse de ces considérations
rend de la plus complète invraisemblance qu’elles
aient échappé à la sagacité du célèbre jurisconsulte ro
main. On ne peut pas surtout admettre qu’elles lui aient
échappé au point qu’il ait pu enseigner l’existence d’un
dol réel. Ulpien n’a-t-il pas dit que ce qui constitue le
dol c’est l’emploi, dans le dessein de nuire, de la ruse,
de la finesse, de l’artifice? Comment aurait-il donc sup
posé qu’une chose pût jamais réaliser cet emploi, et
concevoir cette volonté de tromper, consilium fraudis,
élément essentiel du dol?
A notre avis donc, Ulpien n’a pas dit autre chose que
ce que Merlin dit lui-même, à savoir : qu’on peut être
trompé par les choses, mais que, dans ce cas encore, le
1 L. 56, Dig. de verb. obligat.
* Rép., v° dol, § I ; — voy. Toullier, 6, n° 89.
u
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
35
dol n’est et ne peut être que personnel. Ce qui le prouve,
c’est qu’après les mots que nous venons de rapporter ,
Ulpien ajoute immédiatement : Cum enim quis pelai ex
ea stipulatione hoc ipse clolo facit quod petit. Ce qui le
prouve mieux encore, c’est ce que ce jurisconsulte nous
a déjà dit : Et quidemillud annotandum est quod specialiter exprirnendum est de citjus dolo quis quœralur, non
in rem, si in ea re dolo malo factum est, sed si in ea
re nihil dolo malo actoris factum est, docere iqitur debel is quiobjicil exceplionem dolo malo actoris factum,
nec sufficit ei oslendere in re esse dolnm. 1
Ainsi, il ne suffit pas que la chose soit défectueuse
pour que le dol existe, il faut qu’il y ait un acte reprochableà celui qui alivréla chose, ou qui veut sciemment
abuser de cette défectuosité. Conséquemment, aux yeux
d’Uipien, le dol est toujours personnel, puisqu’il n’existe
que par le fait d’une des parties, soit que ce fait vicie
le contrat dans son origine, soit qu’il ait pour but de
contraindre à une exécution déloyale et injuste : Cum
enim quis pelât ex ea stipulatione hoc ipse dolo facit
quod petit.
Interpréter ainsi la conduite du poursuivant, était
facile en droit romain. L’obtention du jugement était
nécessairement précédée de la litiscontestatio qui en
devenait la base. Or celle-ci opérait une véritable nova
tion, en substituant au droit primitif le droit résultant
de la formule.2 Dès l’instant que le créancier poursui1 L. 2, § 1 , Dig. de doli mali et melus exceplione.
2 Etienne, des Actions, n" cxx.
�36
TRAITÉ
vait déloyalement l’obtention de celle-ci, il commettait
un dol, et le droit était censé vicié dans son origine ,
puisque le dol était en principe la cause de cette obten
tion.
C’est au reste ce que le § 3 de la loi 2, Dig. de doli
mali et metus exceptione, explique fort bien : Si quis
sine causa ab aliquo fuerit stipulants, deinde ex ea slipulatione experiatur, exceptio ulique doii mali ei nocebit. Licet enim eo tempore quo stipulabalur nihil dolo
malo admiserit, tamen discendum est eum cum litem
contestatur , dolo facere qui persévérât ex ea slipulalione petere.
49. — Le dol ne peut donc être que personnel, nous
l’avons déjà dit. Mais il ne procède pas toujours de la
même manière et, conséquemment, ne produit pas tou
jours les mêmes effets. Il est substantiel, lorsqu’il atta
que l’acte dans son essence ; accidentel, lorsqu’il ne vi
cie qu’une des clauses du contrat. Substantiel ou acci
dentel , le dol est direct ou indirect, positif ou négatif.
Examinons-le sous ces divers points de vue.
§ !" • — DOL SUBSTANTIEL OU ACCIDENTEL.
.SOMMAIRE.
50. Quand le dol est-il substantiel?
5 1 . Effet du dol substantiel.
�1)U DDL EX DE LA FRAUDE.
37
52. Obligations de celui qui en allègue l’existence.
53. Dol dans le consentement, quand existera-t-il ?
54. Premier exemple.
55. Second exemple.
56. Troisième exemple.
57. Dol sur la capacité de la partie.
58. Effet de l'incapacité, si le capable l’a connue.
59. Quid si elle a été ignorée ?
60. Quand cette ignorance pourra-t-elle être utilement in
voquée.
61. Dol sur la matière du contrat.
62. Ce dol peut être négatif. Exemple.
63. Autre exemple du dol sur la matière du contrat.
64. Dol sur la cause du contrat. Fréquence probable de ce
dol, le but qu’il se proposera.
65. Dans toutes les hypothèses , c’est en définitive le con
sentement qui sera vicié.
66. Dol accidentel. Ses caractères.
67. Premier exemple.
68. Second exemple.
69. Ce dol, quant aux qualités de la chose, ne saurait en
général être constitué que par des manœuvres.
70. Il en est de même lorsqu’il affecte le prix.
71. La vilité du prix ne fait donc pas supposer nécessai
rement le dol.
72. Nécessité de la distinction entre la lésion et le dol,
pour les ventes mobilières.
73. Le dol exercé sur le prix n’annulera pas la convention.
74. Il en est autrement du dol sur les qualités de la
chose.
75. Exemple du dol sur les qualités motivant l’annulation.
76. Autre exemple.
77. Effets du dol sur la qualité dans la vente de choses
mobilières et dans les ventes commerciales.
50. — Le dol est substantiel lorsqu’il a pour objet
de tromper sur l’une des conditions essentielles du con-
�38
TRAITÉ
trat, de créer une erreur sans laquelle il est évident que
la partie n’aurait pas traité.1
51. — L’article 1108énumère ces conditions. C’est
d’abord le consentement de la partie qui s’oblige, sa
capacité de contracter, un objet certain qui forme la ma
tière de l’engagement, une cause licite dans l’obligation.
Les manœuvres à l’aide desquelles on est parvenu à éga
rer le consentement, à déguiser l’incapacité de la partie,
l’absence de tout objet formant la matière du contrat ou
celle d’une cause licite, constituent doncledol substan
tiel. L’acte ne renferme plus de lien obligatoire : Colo
rera habet, substantiam vero nullam. '
Mais quelque vicieuse que soit au fonds une conven
tion ainsi obtenue, la régularité du titre qui la constate
en fait présumer la légalité, en commande même l’exé
cution, tant que la partie lésée garde le silence. « Un
consentement extorqué n’en est pas moins un consen
tement, et, tant qu’il n’est point attaqué, l’obligation
subsiste.3 »
52. — C’est donc à celui qui prétend en être affran
chi éprouver devant la justice le vice qu’il lui reproche;
à lui, à indiquer en quoi et comment il a été surpris,
à justifier les moyens à l’aide desquels on a trompé
sa volonté, égaré sa vigilance et créé une erreur sans
laquelle il n’eût pas contracté.
1 Art. 1116 C. civ.
2 D’Argenlré, art. 269, u° 4.
3 Pothier, Oblig. , n° 29.
�DU DOL E l' DE LA FRAUDE.
1° —
39
DOL DANS LE CONSENTEM ENT.
55- — Pour être utilement et valablement donné, le
consentement doit procéder d’une volonté éclairée et
libre, c’est ce qu’enseigne l’article 1109. Cette liberté
d’action et de réflexion n’est jamais appréciée que rela
tivement au contrat attaqué et aux circonstances au
milieu desquelles ce contrat s’est réalisé.
Or, si la volonté de traiter a été inspirée par des ma
nœuvres, si ces manœuvres ont le caractère de gravité
que nous indiquions tout à l’heure, on devra reconnaî
tre que le consentement n’a pas d’autres motifs que le
dol, il n’est pas susceptible dès-lors de créer un lien
quelconque.
54. — Un exemple de ce dol, cité par la doctrine,
est celui-ci : Je possède une maison qui est à votre con
venance et que j’ai refusé de vous céder; pour me déter
miner à le faire, vous me persuadez qu’un alignement
projeté va la faire disparaître en partie. A l’appui de
cette allégation, vous mettez sous mes yeux un plan de
ce prétendu alignement, dont, dites-vous, votre crédit
vous a fait avoir la communication.
La vente que cette communication aura déterminée
sera parfaitement régulière, sous le rapport de la capa
cité des parties; elle aura un objet certain, une cause
licite dans ^'obligation. Mais il est évident que le con
sentement a été vicié dans son essence. Ce qui l’a ins
piré, c’est ta] crainte que la communication du plan ,
�40
TRAITÉ
faussement attribué à l’autorité , a fait naître , c’est la
fausse supposition de la démolition partielle que ce plan
indiquait; sans cette ruse, j’aurais persisté dans le refus
que j’avais jusque là opposé à vos propositions.1
55. — Il en est de même dans l’hypothèse suivante :
nous avons un procès pendant devant un tribunal éloigné,
vous me montrez une lettre d’un de vos amis, annon
çant que vous avez gagné, tandis qu’il n’en est rien.
Feignant ensuite de vouloir éviter les chances d’un
appel, vous me proposez de transiger, et vous obtenez
ainsi de moi des sacrifices que je n’aurais pas faits sans
la fausse persuasion que vous m’avez inspirée.
Dans l’un comme dans l’autre cas, il y aurait injus
tice à maintenir l’acte, car l’intention de traiter n’a pas
été spontanée et libre. Conséquence de l’artifice et du
ménsonge , le consentement doit perdre tous ses effets
par la preuve acquise de l’un et de l’autre.
56. — Ces manœuvres employées pour persuader
l’existence d’un danger chimérique, dans le but de se
présenter comme en ayant préservé celui qui en était
menacé, et obtenir de lui la rémunération de ce pré
tendu service, constitueraient un dol dans le consente
ment. L’acte de rémunération n’aurait donc aucune va
leur légale, et devrait être anéanti sur la demande du
souscripteur.
En résumé, il y a dol sur le consentement toutes les
fois que la volonté de traiter n’a pas précédé le contrat;
* Rolland de Villarges, v° dol, n° 27.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
41
qu’elle n’est née qu’au moment même du contrat et à
son occasion; qu’elle n’est que la conséquence de l’er
reur, résultant des manœuvres frauduleuses employées
pour la faire naître.
2° — DOL SUR LA CAPACITÉ DE LA PARTIE.
57. — Il importe à chacun de ne contracter qu’avec
des personnes capables. L’avenir du contrat, les devoirs
et les obligations qui en naissent réciproquement tien
nent à cette condition, l’incapacité de la partie devant
amener nécessairement la nullité, en ce qui la concerne.
58- — Ainsi les mineurs, les interdits, les femmes
mariées ne peuvent valablement s’engager; ils seront
déliés du traité qu’ils ont souscrit, alors même que ce
traité aurait déjà reçu son exécution dans la partie qui
leur est avantageuse.
Qu’il puisse en être ainsi pour celui qui a connu l’in
capacité de celui avec qui il contracte, on le comprend,
Volenli non fil injuria. L’incapacité donnait à l’acte un
caractère aléatoire qu’il a plu au créancier de braver.
De quoi se plaindrait-il si, la chance de mauvaise foi se
réalisant, l’incapable faisait prononcer la nullité de son
engagement? C’est dans ce sens que l’article 1125
prohibe aux parties capables le droit d’opposer l’incapa
cité de celle avec laquelle ils ont contracté.
59. — Mais la solution doit être tout autre, lorsque
la capacité de la partie a été supposée, et que cette sup
position n’est que la conséquence des manœuvres pra-
�tiquées par elle. Mais il 11e suffirait pas, clans ce cas, que
la partie eût dissimulé son état civil, ou qu’elle se fût
bornée à alléguer sa prétendue capacité. Chacun doit
s’assurer de la condition de celui avec qui il traite, et
ce devoir est complètement négligé par celui qui, se
contentant d’une déclaration, ne se met nullement en
peine d’en vérifier la sincérité et l’exactitude.
Dans cette hypothèse , il faudrait dire avec Pothier
que : dans le for extérieur, on ne peut être admis à se
plaindre de ces légères atteintes données à la bonne foi,
il y aurait un trop grand nombre de conventions qui se
raient dans le cas d’être rescindées. D’ailleurs, ici le pré
judice est autant imputable à l’incurie du créancier
qu’au mensonge du débiteur. La loi, voulant protéger
celui qui est trompé, ne devait aucune faveur à celui
qui se trompe lui-même.
60. — Pour que la dissimulation de l’incapacité soit
utilement invoquée, il faut donc que l’ignorance de celui
qui se plaint soit le résultat d’un véritable dol, c’està-dire de manœuvres ne permettant pas de rechercher
et de découvrir la vérité. C’est ce qui se réaliserait si
l’allégation de la capacité avait été appuyée de docu
ments faux ou altérés, de renseignements supposés, de
pièces fabriquées, sans que celui qui les a acceptées ait
pu soupçonner leur inexactitude.
3° — DOL SUR l ’o b je t
f a is a n t la m a t iè r e du c o n t r a t .
61. — Tout contrat a pour objet une chose qu’une
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
43
partie s’oblige à donner, à faire ou à ne pas faire.1C’est
en échange de cette obligation, que l’autre partie s’en
gage de son côté à payer ou à donner l’équivalent de
ce qui lui est promis.
Le dol, exercé sur l’objet de la convention, est
donc substantiel, il fait disparaître toute validité. Com
ment, en effet, exécuter un acte sans équivalent réel de
la part d’une des parties?
62. — Ajoutons , qu’à cet égard, le dol peut être
négatif et ne consister que dans la dissimulation frau
duleuse du vice dont la chose est atteinte. Ainsi, un
marchand possède un animal infecté d’un vice rédhibi
toire, il le sait atteint d’une maladie contagieuse, cepen
dant il le présente à la vente, et il le vend comme s’il
était sain. Cette conduite est un véritable dol, parce
que la dissimulation de la maladie constitue la vio
lation d’un devoir formellement imposé par la loi, qui la
punit d’une peine correctionnelle. 2
63. — Il V aurait dol sur la matière du contrat, et
ce dol résulterait de manœuvres dans l’hypothèse sui
vante : un propriétaire d’une maison en ruine y fait
faire de ces réparations superficielles qui, sans porter
remède au mal, empêchent de l’apercevoir. Il la vend
ensuite sans avertir l’acquéreur de l’état réel, et, pour
un prix égal à celui qu’elle eût produit, si elle eût été
1 Art. 1126 C. uiv.
2 Ai t 459 C. pén.
�44
TRAITE
en bon état. Il profite donc de l’illusion qu’il a su créer,
Car, en réalité, il n’offre pas l’équivalent de ce qu’il
reçoit. L’acquéreur' est trompé par l’exécution des ré
parations, véritables manœuvres constituant un dol
dommageable.
D’autres fois,les manoeuvres ont pour objet de trom
per sur l’existence même de la chose promise, de per
suader de la vérité et de la certitude d’un fait n’ayant
jamais rien eu de réel, ou ayant cessé d’exister au mo
ment même où il est affirmé. Dans ce cas, comme dans
les précédents,le dol sera substantiel, puisqu’il privera
le contrat d’une des conditions indispensables à sa va
lidité.
4 ° — DOL SUR LA CAUSE DU CONTRAT.
64. — Un contrat ne saurait exister sans cause,
aussi l’article 1lo i dispose-t-il que l’obligation sans
cause, ou sur une cause fausse, ou sur une cause illicite,
ne peut avoir aucun effet.
C’est surtout sur la cause du contrat, que s’exercera
le dol. On ne comprendrait guère, en effet, qu’il fallût
recourir à la ruse et au mensonge, si le traité obtenu
avait une cause légitime.
Le but que se proposera le dol, sera donc ou de
tromper sur la cause même, ou de déguiser la fausseté
ou l’illégalité de celle sur laquelle repose le contrat.
Mais la preuve de son existence produira, dans l’un et
l’autre cas, un résultat analogue.
�I)U DOT. ET DE LA FRAUDE.
45
65- — Au reste, il est facile de se convaincre que,
dans chacune des hypothèses que nous venons de par
courir, c’est en définitive le consentement que le dol
affecte. En effet, que ce consentement ait été lui-même
surpris et arraché, qu’il ait été donné dans l’ignorance
de l’incapacité de la partie, ou dans la croyance inférée
d’une juste cause, ou dans la fausse persuasion de l’exis
tence d’un légitime équivalent, il n’y a pas de consen
tement tel que le désire la loi. Il est certain que, dans
tous ces cas, la vérité connue eût mis obstacle au traité,
la justice en exigeait donc la nullité , et celte nullité,
édictée par l’article 1116 du Code civil, sera, dans
tous les cas, la conséquence du dol substantiel.
66. — Le dol accidentel est celui qui s’exerce sur
une des conditions accessoires du contrat, c’est-à-dire
sur la qualité delà chose ou sur le prix. Ce dol n’exclut
pas chez la partie la volonté de traiter, au contraire, il
suppose nécessairement cette pensée, puisqu’il ne se
réalise que dans l’exécution qu’elle reçoit. Il est donc
certain que le traité eût été consenti indépendamment
du dol. Seulement, sans ce dol, il eût été plus avan
tageux. 1
67. — « Supposez, qu’en me vendant votre maison,
vous m’ayez vendu nommément le puits en dépendant,
sans me dire que ce puits était commun à la maison
voisine. Si je découvre ensuite que j’ai été trompé sur
1 Toullier, t. vi, n° 91.
�46
traite
cet article, ceci n’empêchera pas que la vente de la
maison ne tienne. Je comptais bien, à la vérité, que le
puits ainsi que la maison m’appartiendraient en entier,
mais je ne peux pas dire que la connaissance qu’on m’eût
donnée du droit, qu’avait le propriétaire de la maison
voisine, de se servir de ce puits, m’eût empêché d’ache
ter la maison. 1 »
68. — Dans le premier exemple de dol substantiel
que nous avons donné, il n’y aurait plus qu’un dol ac
cidentel , si vous proposant moi - même d’acheter ma
maison, vous n’aviez parlé de l’alignement prétendu,
que pour l’obtenir à un prix inférieur à sa valeur réelle.
69. — C’est surtout pour le dol accidentel qu’il con
vient de se rappeler que le dol n’existe qu’autant qu’il a
été pratiqué des manœuvres dans l’intention détromper.
Les défectuosités de la chose, ayant fait la matière du
contrat, ne donnent pas, par elles-mêmes, ouverture à
l’action en dol, si celui qui l’a transmise les a ignorées,
ou s’il n’a rien fait pour les dissimuler. Si le réception
naire en éprouve un préjudice, il doit obtenir une juste
réparation. Mais les limites dans lesquelles cette répa
ration devra se restreindre seront d’autant plus étroites,
que la bonne foi de celui qui la doit sera d’autant plus
certaine,
70. — Il en est de même, si le dol a porté sur le
prix. La vilité du prix n’est constitutive du dol que si
1 Merlin, Rép., v° dol, ri0 5.
�elle est le produit de manœuvres reprochables à l’ac
quéreur, et tendant à abuser le vendeur sur la véritable
valeur de ce qu’il vend. Hors de là, il peut exister une
lésionplus ou moins forte, et par conséquent application
possible de l’article 1674 du Code civil, mais toute
action pour dol serait inadmissible.
Cela serait vrai, alors même que l’acheteur eût affirmé
que la chose ne valait pas plus que ce qu’il en a donné.
C’est, pour des affirmations de cette nature, qu’on peut
dire : Licel contrahentibus se circumvenire, car le mal a
son remède à côté de lui. En effet, la prudence fait un
devoir au vendeur de se méfier des allégations intéres
sées de l’acheteur, de ne les apprécier que ce qu’elles
valent, ce qu’il peut faire avec d’autant plus de facilité,
qu’il doit connaître la valeur réelle de la chose qu’il pos
sède. L’erreur dans laquelle il serait volontairement
tombé ne saurait lui donner le droit de se plaindre.
Cette erreur ne serait dolosive que si elle s’était produite
par des moyens devant nécessairement l’entraîner.
Conséquemment , si tout se borne à une prétention
qu’on a pu et dû discuter, la vente ne saurait recevoir
aucune atteinte, sauf l’application de l’article 1674, si
la lésion avait atteint les proportions requises.
C’est ainsi que le décidait le droit romain, comme
nous l’apprennent ces paroles d’Ulpien : Si quis adfirmaverit minimam esse hœreditalem, el ita eam ah hœredeemit, non est de do/o actio cum ex vendilo sufficial,
si autem mihi persuaseris ut repudiem hœredilatem
quasi minus solvendo sit, vel ut optem servum quasi
�48
TRAITÉ
melior eo in familia non sit, dico de dolo dandam actionem si callide hoc feceris. 1
71. — Ainsi, la vilité du prix n’est pas une con
séquence nécessaire du dol, et ne le fait pas supposer.
Son existence doit donc être considérée sous un double
rapport. Dans l’un, elle donne naissance à l’action en
lésion, si elle est le produit d’une simple erreur; dans
l’autre, elle autorise l’action en dol, si l’erreur a été dé
terminée par des manœuvres ou artifices. Cette dernière
action est plus avantageuse que la première, car celleci exige un préjudice considérable, tandis que celle-là
peut se fonder sur la lésion la plus minime. Cette diffé
rence dans les résultats s’explique par la nature distincte
de chacune de ces actions qu’on ne saurait confondre
sans injustice.
72. — Si la distinction entre la lésion et le dol est
essentielle en matière de vente immobilière, elle l’est
à bien plus forte raison pour les choses mobilières.
Pour ce qui concerne celles-ci, l’action en rescision
pour lésion n’étant pas admise, le préjudice, quel qu’il
soit, restera pour le compte du vendeur, à moins qu’il
ne justifie qu’il est victime d’un dol. Les caractères
constitutifs de celui-ci acquièrent donc, en cette ma
tière, une portée d’une plus haute importance.
73. — Le dol exercé sur le prix n’ayant nullement
1 !,. 0, Dig. de dolo malo.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
49
pesé sur la volonté de traiter, ses effets n’iront jamais
jusqu’à faire prononcer la nullité de l’acte. Le but que
doit se proposer le demandeur, c’est la réparation du
préjudice qu’il éprouve,c’est ce qu’il obtiendra par une
détermination plus juste, du prix.Cette réparation remet
chaque partie à sa place naturelle, tout en laissant sub
sister ce qu’il a été dans leur intention formelle d’ac
complir.
74. — Il n’en est pas de même du dol accidente
sur la qualité de la chose. Ce dol peut avoir des pro
portions telles qu’on doive l’assimiler au dol subs
tantiel, en ce sens que, sans son emploi, le traité n’au
rait pas eu lieu.
I
75. — « Vous me vendez une maison que je croyais
acheter comme étant une maison sûre, commode, bien
éclairée, pour le genre de commerce dont je fais pro
fession. Point de tout ; après la vente consommée, un
voisin me fait signifier que vous lui avez tout récem
ment accordé un droit de passage par l’un de vos appar
tements, la faculté d’ouvrir des vues sur votre maison,
le masquer vos jours, etc... Dans ce cas, il est visible
que je suis fondé, non pas simplement à prétendre une
indemnité pour toutes ces servitudes, mais à demander
, eue le contrat soit rescindé dans sa totalité ; qu’en con
séquence, vous soyez contraint à me restituer le prix de
la vente que je puis vous avoir payé ; que je sois dé
chargé de celui que je vous dois encore; et, de plus,
eue vous soyez condamné à des dommages-intérêts,
i
4
�50
T
r a it é
résultant du tort que vous m’avez causé pour m’avoir
induit en erreur. Car, eu achetant votre maison, je
comptais avoir une maison sûre, libre, telle que je l’a
percevais et telle qu’il me la fallait pour mon com
merce, et non pas une maison chargée de servitudes
et notamment d’un passage. »
76. — « 11 en serait de même si vous m’aviez vendu
cette maison dans sa totalité, tandis que vous n’étiez
propriétaire que d’une partie. C’était la maison entière
que je voulais acheter et non simplement ce qui vous
en appartenait. 1 »
Évidemment, dans ces deux espèces, le dol est acci
dentel par son objet, mais sa gravité est telle, qu’il est
certain que la partie, quelle que fût d’ailleurs son in
tention, n’aurait pas donné suite à son projet , si elle
avait connu la vérité. Il est donc juste de lui permettre
de revenir contre son engagement et de briser un acte
qui n’est plus en relation avec ses intentions.
77. — Dans la vente des choses mobilières, le dol
sur la qualité équivaut au dol substantiel et en produit
les effets. Dans les affaires commerciales surtout, c’est
la qualité de la denrée qui forme le plus ordinairement
la matière de la vente , dès-lors le dol, portant sur la
matière même du contrat, aurait pour conséquence son
annulation.
Si la chose achetée était un objet certain, accepté
Merlin, H<:p., v° dol, n° '■ >.
�DD DOL ET DE LA FRAUDE.
51
après avoir été examiné et choisi, l’infériorité de la
qualité, déguisée à l’aide de manœuvres ou artifices, ne
constituerait plus qu’un dol accidentel.
Il résulte, de ce qui précède, qu’il n’v a vérita
blement dol accidentel qu’aux deux conditions sui
vantes : 1° que l’erreur créée par les manœuvres frau
duleuses ait porté sur une des qualités de la chose ou
sur le prix ; 2° que la qualité dissimulée ne soit pas
d’une nature telle que sa connaissance eût infailli
blement empêché le contrat. La première de ces con
ditions est facilement appréciable; la seconde est aban
donnée à l’arbitrage des tribunaux.
S H. — DOL DIRECT OU INDIRECT.
SOMMAIRE.
*78. Le dol direct est celui imputable à la partie elle-même.
79. Dans quelle catégorie doit-on placer le dol du manda
taire ?
80. Doctrine du droit romain sur le mandataire institué
ou légal.
81. Sous l’empire du Code, le mandant répond même des
dommages-intérêts dus au plaignant.
82. Il n’en est pas de même du mineur et autres incapa
bles , pour eux tout se borne à la restitution du béné
fi.ce illégitime.
83. Arrêt de la Cour de Grenoble contre un mineur.
84. Caractères du dol indirect. Exemples.
85. La parenté entre l’auteur du dol et la partie en profitant
�IRAITE
ne change pas la nature du dol. Mais elle peut influer
sur la question de complicité par connaissance.
86. Effets de la complicité, quelle qu’elle soit.
87. Arrêt notable de la Cour d’Agen.
88. Caractère juridique de cet arrêt.
78. — Le dol est direct toutes les fois qu’il est im
putable à la partie contractante, c’est celui que prévoit
l’article 1116 du Code civil. C’est ce dol que les Ro
mains appelaient personnel, qualification depuis con
sacrée par une doctrine constante.
Mais le dol, quoique non imputable à la partie per
sonnellement, est quelquefois susceptible de produire
les effets du dol direct. C’est ce qui se réalise lorsque
cette partie, non présente à l’acte, y a stipulé par le
ministère d’un tiers.
79. — On connaît la maxime qui mandat ipse fecisse
videtur; de là cette conséquence que le dol consommé
par le mandataire est présumé l’œuvre du mandant ,
avec d’autant plus de raison que ce dernier profilera
seul des avantages en provenant. Admettre qu’il pût,
dans un cas quelconque, retenir ces avantages, serait
encourager la fraude et donner naissance aux plus gra
ves abus. La décision contraire , plus conforme d’ail
leurs à la morale et à la justice, doit être accueillie
sans hésitation.
80. — C’est ce qu’avait fait la législation romaine :
Si is procurator sit, cui omnium bonorum administratio
concessa de omni dolo ejus excipi posse. Ainsi le dol du
représentant rejaillissait contre ^représenté. Il en était
- jmwam a
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
53
de même de celui de l’esclave contre son maître, de
celui des personnes placées sous sa dépendance contre
celui dont elles dépendaient.1
La rigueur du principe atteignait même le mineur
qu’on déclarait responsable du dol de son tuteur : Dicendum sive quis emerit à Inlore rem pupilli, sive contractum sil cum eo in rem pupilli, sive clolo quid lutor
fecerit, el ex eo pupillus locupletior factus est, pupillo
nocere debet. 2
81. — Nos lois actuelles ne pouvaient déroger à de
tels principes. Aussi doit-on encore admettre que le dol,
non-seulement du mandataire général, mais encore du
mandataire particulier, dans ce qui a fait l’objet du man
dat, ne saurait profiter au mandant. Dès-lors on sera
recevable à poursuivre contre celui-ci la réparation due
à celui qui a été trompé.
Cette réparation comprend, outre la nullité de l’acte,
les dommages-intérêts couvrant le préjudice souffert.
On arrive à cette décision , non pas seulement par les
principes relatifs à la responsabilité du mandant, mais
encore par application de l’article 1382. Le dol est ici
la conséquence directe du mandat, or, il y a faute de la
part de celui qui a donné ses pouvoirs à quelqu’un ca
pable de recourir au dol, et cette faute ayant occasioné
un préjudice, l’auteur en doit la réparation, sauf son
recours contre le mandataire.
1T . 4, §§17 et 18, Dig. de doit muli et metus exeept.
* Ibid., § 23.
�5-i
Traite
82. — Quant aux mineurs, aux interdits, aux fem
mes mariées, ils ne peuvent non plus profiter du dol
commis par leur représentant légal. Mais, par rapport
à eux, tout doit se réduire à la restitution du bénéfice
acquis illégitimement, sans qu’ils puissent être jamais
passibles d’aucuns dommages-intérêts. La raison en est
que, par rapport à eux, il s’agit d’un mandat purement
légal dont ils doivent subir les effets, et qu’ils ne peu
vent ni rétracter ni empêcher. Or, s’il est juste de leur
prohiber de s’enrichir par la mauvaise foi de leur repré
sentant, il ne le serait à aucun titre de permettre que
leur patrimoine personnel eût à souffrir des conséquen
ces de cette mauvaise foi.
83. — La Cour d’appel de Grenoble a eu à faire l’ap
plication au mineur des principes ci-dessus, dans l’es
pèce que voici :
Un sieur Perrin avait donné un immeuble à son petitfils. La donation avait été acceptée, pour celui-ci, par
son père, fils du donateur.
Plus de dix ans après la transcription, le donataire
poursuit la radiation des inscriptions grevant l’immeu
ble donné du chef de son aïeul. Cette demande était
fondée sur l’article 2265 du Code civil.
Le créancier contesté soutient que la donation a été
faite en fraude de sep droits, il en demande en consé
quence la nullité. Le mineur répond qu’il était, lui, in
capable de mauvaise foi au moment de la donation, et
que conséquemment rien ne s’est opposé à la prescrip
tion décennale.
�BU BOL E t BE II A FllA U BE.
(
55
Mais la Cour, convaincue que la donation n’avait eu,
delà part de Perrin,, donateur, et de Perrin, père du
donataire, d’autre objet que celui de se soustraire au
paiement d’une dette légitime, a annulé la donation et
maintenu l’hypothèque attaquée.
« Attendu, porte l’arrêt, que l’article 2265 du Code
civil n’introduit le bénéfice de la prescription de dix ans
d’un immeuble, en faveur du propriétaire, que lorsqu’il
a été acquis de bonne foi et par juste titre... ; que toutes
les circonstances donnent lieu de suspecter la bonne foi
du grand-père, donateur, et de son fils, acceptant pour
le petit-fils mineur, d’où l’on peut tirer la conséquence
que cet acte de donation à cette époque paraît avoir eu
pour but, de la part du grand-père Perrin et de son fils,
de se soustraire au paiement de leurs dettes, et que par
suite la prescription de dix ans n’a pu profiter à Perrin,
petit-fils, au préjudice d’un légitime créancier.1 »
Ainsi, il y a dol direct toutes les fois que les ma
nœuvres sont imputables à la partie, soit qu’elle les
ait exécutées personnellement, soit que représentée par
un mandataire , celui-ci les ait employées dans l’intérêt
du mandant.
84. — Le dol est indirect lorsque la partie appelée
à en profiter est restée étrangère à sa perpétration. Il se
réalise toutes les fois que, sans contracter avec une per
sonne, on la détermine, par des artifices ou réticences
frauduleuses, à faire une chose contraire à ses intérêts. *
1 2 mars 1825, D. P ., 25, 2, 191.
1 Touiller, tom. tx, nos 165, 192.
�56
TRAITÉ
Ainsi, si vous m’avez persuadé faussement, et par de
mauvaises voies, qu’une succession était insolvable et
que vous m’ayez déterminé à y renoncer.
Ou bien si, sachant que la fortune d’un autre était dé
rangée, vous m’ayez fait croire le contraire, en em
ployant les mêmes voies, dans l’intention de me trom
per. 1
83. — Le dol ne cesse pas d’être indirect dès qu’il
n’a pas été employé par la partie ou par son représen
tant , quel que soit d’ailleurs le degré de parenté ou d’al
liance entre cette partie et l’auteur du dol. On comprend,
au reste, que ce degré de parenté ou d’alliance ne sera
pas sans influence sur l’appréciation de la complicité
reprochée à celui qui profite du dol.
Il importe, en effet, de remarquer qu’il ne suffit pas
à la partie de prouver qu’elle n’a matériellement co
opéré en rien aux manœuvres constituant le dol. Il faut
encore qu’elle n’en ait eu aucune connaissance. Cette
connaissance, au moment du contrat, la rendrait com
plice et convertirait le dol du tiers en dol direct. Or,
cette connaissance sera bien plus facilement présumée
entre proches parents qu’entre personnes étrangères les
unes aux autres.
86- — La complicité résultant, soit d’une co-opé
ration active, soit d’une collusion, soit de la connais
sance du dol au moment du contrat, étant prouvée, le
1 Rolland de Villargues, v° Dol, nM10 et 11.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
57
dol devient direct et produit tous les effets attachés à
celui-ci. Ainsi, et suivant l’espèce, la convention est ré
siliée ou maintenue avec dommages-intérêts.
87. — A l’appui de cette doctrine, nous citerons un
arrêt de la Cour d’Agen, qui nous paraît s’être exac
tement conformé à l’esprit du législateur.
En 1827, Vendrias vend, par acte public, un moulin
à Mercié. Quand celui-ci veut se mettre en possession,
Cassaigne, qui possédait déjà ce moulin comme l’ayant
acheté, exhibe un acte sous seing-privé portant une
date antérieure, mais enregistré seulement depuis la
vente faite à Mercié. Il ajoute qu’il n’est que le renou
vellement d’un acte antérieur de plusieurs années ;
qu’ainsi, la propriété réside sur sa tête.
Mercié répond que, vis-à-vis de lui, l’acte n’a date
certaine que du jour de l’enregistrement, et que le con
trat public doit l’emporter.
Cassaigne réplique que cette présomption d’anté
riorité cesse en cas de dol; que Mercié connaissait la
vente sous seing-privé; qu’il s’est rendu complice d’un
fait de stellionat; qu’il ne peut, dès-lors, se dire un
tiers dans une œuvre de fraude qui lui est propre et qui,
bien que non réprimée par la loi pénale, constitue un
délit moral susceptible de preuve ; et qu’il offre de
prouver, ainsi que la vente sous seing-privé, sa posses
sion et les réparations par lui faites.
Mercié invoque l’article 1328 du Code civil. II sou
tient qu’on n’est pas admissible à proposer des preuves
contre la présomption légale de cet article ; que, dès-
�58
T ÏIA IÎÈ
lors, toutes les preuves offertes, même celle tendant
à établir sa connaissance personnelle de l’acte sous
seing-privé, doivent être rejetées.
Mais la Cour, ne s’arrêtant pas à cette fin de non-re
cevoir, admit la preuve par les motifs suivants :
« Attendu que le dol et la fraude font exception à
toutes les règles; que s’il était justifié, que lors de la
vente consentie par Vendrias à Mereié, celui-ci avait
une connaissance parfaite d’une vente antérieure faite
par Vendrias à Cassaigne, il aurait existé alors un con
cert frauduleux entre Vendrias et Mereié pour porter
préjudice aux droits acquis par Cassaigne ; que les faits
articulés par celui-ci sont tous de nature à fournir cette
preuve; qu’étant concluants, ils doivent être admis. 1 »
88. — Sous le rapport juridique, cet arrêt nous pa
raît inattaquable. Les principes sur le dol et la fraude
sont bien tels que la Cour les vise, et leur application
au fait est naturelle et légale. Qu’importe qu’il s’agisse
du dol d’un tiers, si la partie, s’associant à ce dol, en
a assumé sur sa tête la complicité.
Ajoutons qu’il y a une égale déloyauté à créer soimême le dol ou à se prêter à la consommation de celui
imaginé par un tiers. Dès-lors, celui qui, dans un in
térêt personnel, a aidé à celle-ci, est passible de la
même responsabilité que le tiers lui-même et doit être
puni comme lui.
1 12 mai 1850
�DU DOL UT DK LA FRAUDE.
§ H I .— DOL POSITIF OU NÉGATIF.
SOMMAIRE.
89.
90.
91.
92.
93.
94.
95.
96.
97.
98.
99.
100.
Caractères du dol positif.
Il se produit par paroles ou par actions.
Difficulté de l’apprécier dans le premier cas.
Ce qui atténue cette difficulté, c’est que le plus souvent
le mensonge est appuyé sur des manœuvres. Exem
ple tiré d’un dol substantiel.
Appréciation et conséquence du mensonge employé.
Caractères du dol négatif. Exemple.'
Ces caractères avaient été relevés par le droit romain
et par notre droit ancien.
Si le principe est certain, son application est fort dé
licate.
Exemple fourni par un arrêt de la Cour de Rennes,
confirmé par la Cour de cassation.
Autre exemple fort remarquable jugé par la Cour de
Poitiers et par la Cour de cassation.
Conséquences à déduire de cette jurisprudence.
Espèces de dol négatif consacrées par l’article 348 du
Code de commerce.
89- — Le dol est positif lorsqu’à l’aide d’une simu
lation active on persuade l’existence de faits chiméri
ques, à l’effet de déterminer un consentement qui, sans
l’emploi de ce moyen, eût été refusé, ou de parvenir à
faire illusion sur la condition des personnes ou sur les
qualités de la chose.
90. — Le dol positif se produit par paroles ou par
actions. Dans le premier cas, il est caractérisé par le
�t r a it e
mensonge; dans le second, par les manoeuvres, machi
nations , artifices, déguisements employés pour trom
per, induire ou entretenir dans l’erreur celui qu’on veut
circonvenir.
91. — La première espèce est ordinairement d’une
appréciation fort délicate. Nous avons déjà dit que les
seuls mensonges qui puissent être assimilés au dol, sont
ceux qui s’écartent ouvertement de la bonne foi et qui
en blessent trop évidemment les principes. A quelles
conditions reconnaîtra-t-on ces caractères? Lorsqu’il
s’agit de l’allégation d’un fait faux, la partie trompée a
pu, quelque grave qu’ait été le mensonge, en vérifier
l’existence, on demander la preuve. Si elle a failli à ce
devoir, elle s’est constituée eu état flagrant d’impru
dence, et, on le sait, l’imprudence exclut la possibilité
de se plaindre du dol.
92. — Mais ce qui atténué la difficulté que nous
signalons, c’est que le dol dont nous nous occupons se
produit rarement à l’état de simple et pure allégation;
presque toujours, en effet, cette allégation s’appuie sur
des documents qui en rendent l’existence vraisembla
ble.8
Ainsi, dans l’exemple que nous avons donné du dol
sur le consentement, 8 il est question d’un dol positif
par paroles, c’est l’annonce d’un alignement prochain
* Toullier, tom. ix, n° 170.
8 V. Cass.., 7 août 1837, D. P . , 3 7 , 1 , 158.
3 Voy. supra, n° 54.
�61
qui détermine la vente. Il y a donc véritablement men
songe, cet alignement n’existant pas môme en état de
projet.
On comprend cependant que, quelque blâmable que
soit un pareil moyen, il ne saurait par lui-même consti
tuer un dol punissable. On objecterait avec raison, à
celui qui s’en plaindrait, qu’il devait, avant de s’enga
ger, s’enquérir de la réalité du péril qu’on lui faisait
entrevoir.
Mais lorsqu’à ce mensonge l’acquéreur à joint la pro
duction d’un plan justifiant l’alignement projeté, plan
qu’il disait être l’œuvre de l’autorité et dont celle-ci
avait bien voulu lui donner communication, il n’y a
plus à hésiter, car le vendeur a pu croire toute vérifica
tion ultérieure inutile. Il a été fondé à admettre que leur
résultat n’aboutirait qu’à celui qui lui était annoncé. On
ne saurait donc lui reprocher de s’en être abstenu.
On ne saurait, en effet, pousser à l’excès l’obligation
pour une partie de vérifier les faits sur lesquels s’appuye l’autre partie. Celui qui traite de bonne foi peut
et doit admettre chez les autres la même bonne foi. Si
l’on croyait toujours au dol et à la fraude, les transac
tions deviendraient extrêmement difficiles.
C'est dans ces idées qu’il faut apprécier la conduite
de celui qui se prétend victime d’un dol ; et, s’il est vrai
que sa volonté n’a été entraînée que par le mensonge
et la ruse, on ne saurait méconnaître ses droits à une
juste réparation.
On voit par cet exemple ce qui caractérise le dol po
sitif par paroles. C’est la réunion du mensonge, rendu
DU DDL ET DE LA FRAUDE.
�02
tra ite
probable par les documents qui l’appuient et le corro
borent. C’est dans ces termes qu’il se produira le plus
souvent.
93- — Au reste, si le mensonge seul est rarement
dans le cas de constituer le dol, la preuve acquise de son
existence, sa gravité, ses conséquences nécessaires pour
raient, dans certains cas, constituer l’erreur prévue par
la loi, donnant matière à la résiliation du contrat.
94. — H y a dol négatif ou par réticence lorsqu’on
tait ou qu’on dissimule un fait dont la connaissance im
porte à l’autre partie et eût empêché la confection du
contrat.
Celui qui vend un animal atteint d’un vice rédhibi
toire, dont il connaît l’existence, sans la déclarer, com
met un véritable dol négatif. Il en est de même de celui
qui vend un immeuble dont il sait que la démolition est
ordonnée par l’autorité, et qui le laisse ignorer à l’ac
quéreur.
95- — Ce dol était parfaitement admis en droit ro
main : Dolum malum a se abesse vendilor debet, qui non
tantum, in eo est, qui fallendi causa obscure loquitur,
sed eliam qui insidiose dissimulât. 1
Notre droit ancien avait admis la même doctrine, on
la trouve exposée avec soin dans les ouvrages de l’illus
tre Pothier.2
1 L. 45, Dig. de conlr. empl.
5 Vid. notamment Traité de la vente, n0‘ 234 et suiv.
�DU DUL ET DE EA EKAUDE.
63
96- — Aujourd’hui le principe en lui-même ne saurait
souffrir la moindre difficulté, il n’en est pas de même
dans son application. La question de savoir à quels ca
ractères on reconnaîtra la réticence frauduleuse, surtout
lorsqu’il s’agira des qualités de la chose, peut présenter
des doutes sérieux. Il est, en effet, des éclaircissements
qu’aucune loi n’oblige de donner. C’est à celui qui y a
intérêt à se les procurer, soit par lui-même , soit par
l’entremise des gens experts dont il doit invoquer et
employer les connaissances.
C’est sans doute pour concilier toutes choses que la
loi a constitué les magistrats appréciateurs souverains
de la nature, de la gravité et des conséquences de la ré
ticence signalée à leur justice. Quelle qu’elle soit, leur
décision sur ce point échappe à toute censure.
97. — C’est ce qui résulte d’un arrêt de la Cour
de cassation, du 5 décembre 1858, rejetant le pourvoi
formé contre un arrêt de la Cour d’appel de Rennes, du
29 août 1837.
Or cet arrêt décidait que le silence gardé par un créan
cier connaissant le mauvais état des affaires d’une suc
cession, lorsqu’en sa présence on annonçait aux héritiers
que la succession offrait un actif important, déclaration
qui a déterminé ceux-ci à accepter purement et simple
ment , a pu constituer un dol au moins par réticence ,
lequel donne aux héritiers le droit de se faire restituer
contre leur acceptation.1
1 D. P . , 39, l , -io.
�64
tra ite
98. — Déjà la Cour de cassation avait, par un arrêt
précédent, considéré comme dol négatif la conduite
d’un plaideur qui, par les qualités qu’il prend et le mode
de défense qu’il adopte, entretient à dessein son adver
saire dans une erreur qui finit par être funeste, en opé
rant une prescription ; qu’on devait en conséquence
déclarer ce plaideur coupable d’un véritable dol et pas
sible des dommages-intérêts résultant de l’erreur qu’il
a entretenue, et dont il a profité.
Voici l’espèce sur laquelle est intervenue cette re
marquable décision :
« En 1762, décès de l’abbé Masson. Il lègue à la
dame Pivert, sa gouvernante, les domaines de la Birolière et de la Gailloiière. Le testament reste inconnu.
Ses héritiers naturels s’emparent de la succession ; cè
dent, rétrocèdent; bref, en 1785, il se tait un partage
par lequel le domaine de la Birotière échoit à un sieur
Masson, et celui de la Gaillolière à un sieur Chessé.
« Le 14 juillet 1791, les époux Gilbert, représentants
de la dame Pivert, ayant connu le testament, assignè
rent au tribunal du district des Sables-d’Olonne, les deux
frères Masson, qui seuls paraissaient en possession de
toute l’hérédité :
t 1° Pour voir dire et ordonner que la donation faite
à la dame Pivert sera entérinée aux charges de droit;
« 2° Pour se voir condamner à délivrer aux requé
rants les choses à eux léguées.
« Le sieur Louis Masson répondit qu’il n’était pas
seul héritier. Pressé de faire connaître ses cohéritiers,
il en indiqua un grand nombre.
�DU DOl. ET DE LA FRAUDE.
65
« Les Gilbert, par exploits des 18, 20 et 23 juin 1792,
citent en conciliation quinze héritiers qu’on leur avait
indiqués. Les assignés répondent qu’ils ont cédé leurs
droits successifs au sieur Louis Masson , lequel, au
moyen de cette cession, est resté possesseur des domai
nes dépendant de la succession, et s’est obligé formel
lement, envers les comparants et autres cohéritiers, à
les garantir de tous événements qui pourraient résulter
de cette succession.
« Traduits devant le tribunal, tous font défaut, à la
réserve néanmoins d’un sieur Masson du Gert et d’une
dame Thérèse Masson, qui, de concert avec Louis Mas
son, et quoique sans intérêt, puisqu’ils avaient cédé leurs
droits successifs, répondirent qu’ils ne pouvaient s’ex
pliquer, tant sur la forme qu’au fonds, sans que tous les
héritiers,dont ils donnent une liste nombreuse,aient été
mis en cause, attendu que leur défense était commune.
« Après cela, Louis Masson prétendit que le testateur
n’avait pas la propriété des choses léguées.
« Le sieur Gilbert, après de dispendieuses recherches
des titres, donna satisfaction sur ce point.
« Masson prétendit encore que le testament était nul;
enfin lui et son frère, dont il a depuis hérité, furent
condamnés par forclusion, le 19 avril 1794, à exécuter
le testament et à délivrer aux mariés Gilbert les mêlairies de la Birotière et de la Gaillotière.
« Appel. — 25 prairial an , arrêt de la Cour d’ap
pel de Poitiers qui entérine le testament, ordonne que
Louis Masson, pour la partie qui le concerne, fera déi
5
x ii
�66
TRAITÉ
livrante aux Gilbert des métairies de la Birolière et de
la Gaillolière, avec restitution des fruits.
« Sur l’exécution de cet arrêt, nouvelles difficultés
de Louis Masson. L’incident est porté devant la Cour
d’appel. Enfin Masson signifie, le 7 frimaire an xiv, un
acte authentique du 1er juin 1785, jusque là tenu secret,
duquel il résulte que Chessé, par suite d’achat de la
portion de quelques-uns des héritiers, était en posses
sion du domaine de la Gaillolière.
« Après le règlement de cet incident, Masson restitue
la Birolière. Alors Chessé forme tierce-opposition à
l’arrêt de l’an xn, au chef qui ordonnait la restitution de
la Gaillolière, il appelle devant la Cour tant les Gilbert
que Louis Masson.
« La tierce-opposition de Chessé était fondée sur la
prescription décennale. L’acquisition de cette prescrip
tion n’était due qu’au silence gardé, pendant l’instance,
par Masson, et aux manœuvres auxquelles il avait eu
recours dans sa défense. Aussi les Gilbert, après avoir
repoussé le moyen invoqué par Chessé, demandaientils subsidiairement que Masson fût déclaré coupable de
dol à leur égard et, comme tel, tenu de les indemniser
du préjudice qu’ils éprouvaient.
« La tierce-opposition de Chessé ayant été accueillie,
voici en quels termes la Cour de Poitiers statua et ad
mit les conclusions subsidiaires des Gilbert :
« Considérant que le sieur Masson a seul soutenu le
procès jugé par l’arrêt du 23 prairial an x ii , et où la
contestation portait sur le domaine de la Gaillolière, en
s’annonçant comme ayant seul, et par cession, les droits
�DIT DOL ET DE LA FIIAÜDE.
t>7
de tous les héritiers, et en ne démentant pas l’assertion
faite par ses cohéritiers qu’il était leur cessionnaire; qu’il
s’est fait considérer comme seul détenteur de la Gailtô
lière; qu’il a ainsi induiten erreur Gilbert; qu’il en résulte
undol quile rend responsable envers celui-ci de l’impossi
bilité où il estaujourd’hui défaire délaisser ledit domaine.
« Considérant au surplus que, dans le cas où Gilbert
aurait formé en temps utile une action contre Chessé ,
celui-ci eût eu une garantie à exercer contre Masson,
résultant de l’éviction dudit domaine ; et que le sieur
Masson profitant de la prescription acquise par le sieur
Chessé, il se trouverait gagner le plus, contre la maxi
me : JSemini sua fraus patrocinari debel. »
C’est avec raison que la Cour de Poitiers relevait ce
caractère dansledol qu’elle punissait. L’intérêt person
nel que Masson avait à ce que Chessé fût couvert par la
prescription enlevait à sa conduite toute idée de bonne
foi et établissait ainsi le consilium frauclis, dont la dé
chéance de Gilbert était Yevenlus damni. La réunion
de cette double condition constituait donc le dol pu
nissable et légitimait la répression qui en était faite.
Vainement aussi le sieur Masson se pourvut-il en cas
sation; vainement excipa-t-il des termes dans lesquels
la loi romaine définit le dol, pour soutenir qu’on ne pou
vait trouver dans sa conduite les manœuvres, les ruses,
les tromperies exigées pour le caractériser ; vainement
enfin faisait-il observer que dans l’instruction du procès
il n’avait fait qu’user d’un droit, la Cour de cassation
n’en rejeta pas moins son pourvoi par arrêt du 5 fé
vrier 1812, qui dispose en ces termes :
�68
tr a ite
« Considérant que la Cour d’appel a déclaré constant,
non-seulement que Masson n’avait pas donné aux héri
tiers Gilbert des éclaircissements que la loi ne l’obligeait
peut-être pas rigoureusement à fournir à ses adversaires,
mais qu’à cette réticence plus ou moins excusable ,
joignant l’astuce et la finesse dans la manière dont il
avait procédé , dans les qualités qu’il a prises et dans le
genre de défense qu’il a adopté, il est parvenu à donner
aux héritiers Gilbert le change sur les poursuites qu’ils
avaient à faire pour recouvrer la propriété de la métairie
de la Gaillotière, et à laisser ainsi à Chessé le temps
d’acquérir la prescription décennale, dont il devait pro
fiter lui-même, en s’affranchissant du recours en garan
tie que Chessé aurait exercé contre lui en cas d’éviction;
que, d’après ces faits déclarés constants, la Cour d’ap
pel a pu, comme elle l’a fait, appliquera Masson les lois
qui définissent le dol : Omnis calliditaa et fallacia ad
decipiendam allerum adhibita. 1
99. — Il résulte de ce monument de jurisprudence
que tous moyens employés pour entretenir une erreur
peuvent devenirun dol, alors que leur emploi est accom
pagné d’une réticence à l’appui de laquelle cet emploi
est réalisé. Sans doute celui qui, dans une instance, use
des voies dilatoires autorisées par la loi, jouitd’un droit,
mais l’exercice d’un droit ne peut jamais faire tolérer
le préjudice que sciemment on a l’intention de causer.
Cela est surtout vrai lorsqu’on a soi-même un intérêt à
agir ainsi.
1 Sirey, 12, 1 , 153.
�DU D D L E T D E L A F R A U D E .
69
Il en résulte encore que les tribunaux sont souverains
dans l’appréciation des circonstances qui constituent le
dol, et que la constatation de l’existence de ces circons
tances et de leur nature ne saurait donner ouverture à
cassation.
100. — L’article 548 du Code de commerce contient,
en matière d’assurances, un exemple formel de dol né
gatif: « Toute réticence, toute fausse déclaration, toute
différence entre le contrat d’assurance et le connaisse
ment, qui diminueraient l’opinion du risque ou en chan
geraient le sujet, annulent l’assurance. »
L’économie de cette disposition fournit à notre avis
un moyen sûr d’apprécier le dol négatif. Ainsi on décla
rera tel tout mensonge, toute dissimulation dont l’objet
a été de mettre une partie dans l’impossibilité de défen
dre suffisamment ses intérêts, ou de calculer l’étendue
de son obligation relativement à l’équivalent qu’elle doit
recevoir ; c’est ainsi que le droit romain punissait celui
qui non solum obscure loquilur, sed qui imidiose dissi
mulât.
§ IV. — DOL P O S T É R I E U R AU C O N T R A T .
SOMMAIRE.
101.
102.
103.
104.
Origine et nature de ce dol.
Ses caractères.
Peut naître à la suite d'une simulation licite.
Exemple emprunté à Toullier.
�70
TllAITIi
101. — Dans les cas les plus ordinaires , le dol pré
cède le contrat, qui en devient la consommation. C’est
pourquoi la convention n’ayant pas d’autre base, sa va
lidité est dans le cas d’être contestée, soit au fonds, soit
relativement à quelques-unes de ses conditions.
C’est là évidemment le dol dont parle l’article 1116
du Code civil.
Il arrive cependant qu’un contrat pur de toute ma
nœuvre, consenti et proposé librement, se trouve vicié
dans son exécution. L’une des parties, abusant de la
confiance qui lui a été témoignée, cherche à en profiter
pour s’enrichir aux dépens de celui qui a traité avec elle.
Cette prétention constitue le dol postérieur au contrat,
c’est-à-dire commis à l’occasion et par suite du contrat
même. C’est ce qui se réalise le plus souvent à la suite
d’actes simulés, ayant pour objet de tromper des tiers
ou d’éluder une disposition prohibitive de la loi.
Ainsi un débiteur, pressé par ses engagements et dans
l’intention d’en éviter les conséquences, aliène ses biens
au moins d’une manière ostensible, vend ses immeubles,
dépose ses meubles en mains tierces, concède quittance
à ses propres débiteurs, et cela sans avoir touché ni le
prix, ni la valeur.
g S’il existe une déclaration de la part des prétendus
acquéreurs ou dépositaires, si les quittances ont été sui
vies de contre-lettres en déterminant la nature et le ca
ractère, l’auteur de ces actes n’a rien à craindre. Tout
ce qu’il a à redouter, c’est que ses créanciers, connais
sant la véritable signification des traités qu’il a consentis,
�DU D O D E T D E LA F R A U D E .
74
n’obtiennent leur paiement ou le poursuivent sur ses
biens, même entre les mains des détenteurs actuels.
Mais il n’en est pas de même lorsque celui qui a re
cours à la fraude, suivant la foi de ses complices, n’a pas
cru devoir exiger d’eux des contre-lettres. Celui qui a
été assez peu délicat pour se prêter à une pareille com
plicité, peut être tenté de faire tourner la fraude à son
bénéfice. C’est ainsi qu’on a vu des individus, qui étaient
devenus acquéreurs ou créanciers de complaisance ,
soutenir, soit contre l’auteur des actes, soit contre ses
héritiers, que les ventes sont réelles et les obligations
sincères.
Dans d’autres circonstances, des personnes instituées
pour transmettre à des individus déclarés incapables par
la loi, ont prétendu retenir personnellement ce qu’elles
n’ont reçu qu’à la charge de rendre, dénaturer ainsi la
volonté de l’instituant, et frustrer les objets de son af
fection d’un avantage dont il a voulu les gratifier.
102. — Des actes de cette nature constituent nonseulement un dol, mais encore, comme Toullier le fait
remarquer, un vol véritable, en prenant ce mot dans
son acception la plus étendue. Il y a là, en effet, la ma
chination frauduleuse en même temps qu’un abus de
confiance et une rétention illicite du bien d’autrui.
Mais évidemment ce dol n’a pas même pu être prévu
au moment du contrat. Dans tous les cas, il est resté sans
influence sur son acceptation. L’engagement a été vo
lontairement souscrit. Le dol ne rentre donc plus ni dans
les dispositions de l’article 1116, ni dans la catégorie
�72
TRAITÉ
du dol accidentel. Cette différence de caractère indique
et justifie une différence dans les conséquences et dans
l’application des principes qui régissent la preuve du
dol en général.1
105- — Le dol postérieur au contrat peut naître
à la suite d’une simulation licite. Ainsi, sur le point
de contracter mariage, deux personnes font rédiger ,
pardevant notaire, leurs conventions matrimoniales. Le
futur reconnaît recevoir à l’instant même la dot de la
future, quoique, dans le fait, cette dot n’ait pas été
comptée, soit qu’on l’ait simplement promise, soit que
la reconnaissance d’une dot ne contienne qu’une véri
table libéralité, en vue du mariage, faite à la future par
le futur. Mais il arrive que le mariage ne s’accomplit
pas, soit par le refus, soit par la mort de l’un des futurs.
Cependant la future ou ses héritiers, armés de la clause
du contrat, demandent la restitution de la dot qu’ils sa
vent bien n’avoir jamais été comptée.
104. — M. Toullier cite un second exemple de dol,
né d’une simulation licite. Paul, célibataire, donne à
Pierre le fonds cornélien, sous la forme d’un contrat de
vente, dont le prix, fixé à 30,000 fr. est dit payé comp
tant; il se marie ensuite, et il a des enfants. Il notifie
leur naissance à Pierre, et demande la révocation du
contrat, en soutenant qu’il est simulé; que c’est une
donation déguisée sous la formé d’un contrat de vente,
1 Vid, Infrà, n° 241.
�DU D O L E T D E L A F R A U D E .
73
et qui est de plein droit révoquée par la survenance
d’enfants. Mais Pierre a la mauvaise foi de nier ce ca
ractère de l’acte, et soutient que la vente est réelle; que
le prix en a été sérieusement payé.
Dans cet exemple, comme dans ceux qui précèdent,
l’acte attaqué a été, sans contredit, le produit spontané
de la volonté éclairée et libre des deux parties. Le dol
ne naît qu’au moment où, faussant cette intention, l’une
d’elles veut faire produire à l’acte des effets qu’il n’a
jamais été dans la pensée commune de lui donner. Cette
espèce de dol peut donc d’autant moins être confondue
avec celles qui précèdent, que celles-ci vicient l’acte,
en totalité, ou en partie, dans son origine, tandis que le
dol postérieur au contrat suppose la préexistence d’une
convention loyalement souscrite.
Ainsi caractérisé, ce dol se reconnaît parfaitement
dans ces paroles d’UIpien : Cum enim quis petal ex ea
slipulaiione, ipse dolo hoc facit, quod petit.
�TRAITE
CHAPITRE II.
D E L A P R E U V E D U DOL.
SOMMAIRE.
105. L’autorité due au titre ne s’efface que devant la preuve
de son illégitimité.
106. Cette preuve résultera de celle établissant le dol.
107. Le dol ne se présume jamais.
108. Exceptions à cette règle et division du chapitre.
105. — Nous avons déjà dit que le titre régulier,
émané de la partie à qui on l’oppose, est présumé ren
fermer l’exprèssion exacte de ses volontés. Cette pré
somption suffit pour en assurer l’exécution, tant qu’une
preuve contraire ne viendra pas l’anéantir et la dé
truire.
�D U D O L E T D E LA F R A U D E .
75
106. — Cette preuve contraire résultera de la justi
fication du dol. Son existence, eu effet, annulera l’acte,
aux termes de l’article 1116 du Code civil.
Pour la matière qui nous occupe, la loi fait donc dé
pendre la validité de l’acte de l’existence certaine des
manoeuvres dont il est la conséquence. Aucun doute ne
saurait s’élever sur ce point ; la seule difficulté qui
puisse surgir porte uniquement sur les conditions aux
quelles on devra reconnaître cette existence.
107. — A cet égard, l’article 1116 nous apprend
lui-même que le dol ne se présume pas, qu’il doit être
prouvé. Cette prescription que nous trouvons dans tou
tes les législations, est avouée par la raison et l’équité.
Un consentement écrit suppose une intention conforme,
et ce n’est pas légèrement que l’on doit renverser les
témoignages qui régissent les transactions. C’est donc
à celui qui prétend n’avoir pas donné un consentement
libre à justifier que celui dont il demande à être relevé
lui a été arraché par des voies déloyales et illigitimes.
108. ■— Cette obligation de prouver le dol existet-elle dans toutes les circonstances et pour toutes les
personnes? La solution affirmative s’induirait des ter
mes de l’article 1116, que nous venons de rappeler;
mais il importe de reconnaître que, généi’aliser ces ter
mes d’une manière trop absolue,serait s’exposer à com
mettre une erreur de droit, la vérité étant au contraire
qu’ils souffrent exception dans plusieurs cas.
Ainsi, il est des circonstances où le dol est présumé,
�76
TRAITE
quelquefois même jusqu’à exclure la preuve du con
traire, il suffit donc alors de prouver le fait auquel cette
présomption est attachée ; ce fait est tantôt la qualité
de la partie, tantôt la nature de l’acte, tantôt enfin son
caractère et les circonstances dans lesquelles il s’est
accompli.
Nous allons d’abord nous occuper des exceptions ;
nous rechercherons ensuite quel est, dans tous les au
tres cas, le mode de preuve admissible en matière de
dol.
SECTION Ire. — DI) DOL PRÉSUMÉ.
SOMMAIRE.
109. La convention souscrite par un incapable est présumée
dolosive en sa faveur.
110. Personnes incapables de contracter.
111. Les incapacités de l’article 1124, tenant à des principes
divers, produisent des effets différents.
112. Principe de l’incapacité pour les condamnés.
113. Pour les mineurs, interdits, les femmes mariées.114. Application de la règle restituitur minor non tanquam minor, sed tanquam lœsus.
115. Opinion de l’orateur du gouvernement.
�DU D O L
D E LA F R A U D E .
77
116. Opinion de l’orateur du tribunat.
117. Les mineurs français sont donc tous classés dans la ca
tégorie des pubères romains.
118. La nullité de leurs engagements réside donc dans la
lésion présumée.
119. Légitimité de cette présomption.
120. Elle résultait du caractère même de l’engagement.
121. Arrêt conforme de la Cour de cassation.
122. Cet arrêt condamne la doctrine de MM. Toullier et
Troplong, sur les engagements souscrits par les mi
neurs, hors la présence du tuteur.
123. Avantages de la doctrine de l’arrêt.
124. Il en résulte que les actes faits par le mineur, assisté
de son tuteur , ne peuvent être attaqués que comme
le seraient ceux faits par le majeur.
125. Le mineur ne peut être relevé de son dol.
126. Le dol du mineur contre le majeur n’estjamaisprésumé.
127. Le mineur autorisé à faire le commerce est assimilé au
majeur, pour tous les actes de ce commerce seule
ment.
128. L’interdit, est assimilé au mineur.
129. Mais les actes postérieurs au jugement d’interdiction
ne peuvent jamais être validés.
130. La nullité de ces actes est purement relative.
131. Les actes antérieurs au jugement d’interdiction sont
présumés valables.
132. Dans quel cas admettait-on la présomption contraire?
133. Les engagements, souscrits par la femme, sans l’auto
risation de son mari, sont présumés frauduleux.
134. Tout traité intervenu entre le tuteur et le mineur de
venu majeur est nul, comme dolosif, si les forma
lités de l’article 472 n’ont pas été remplies.
135. Motifs du législateur.
136. Nature des obligations du tuteur.
137. Leur accomplissement doit être prouvé par écrit.
138. La présomptien de dol résultant de leur inaccomplisse
ment est juris et de jure.
139. Le récépissé à donner par le mineur peut être fourni
�78
140.
1 * 1
141.
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143.
144.
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148.
e
149.
150.
151.
152.
153.
154.
155.
TRAITE
au bas du compte, ou par acte séparé. Le délai ne
court que du jour où il a acquis date certaine.
L'article 472 proscrit-il toute: espèce de traité ? S’appli
que-t-il seulement aux traités intervenus sur la ges
tion tutelaire?
L’affirmative, dans le premier sens, est enseignée par
Merlin.
Réfutation.
Le mineur qui attaque le traité n’aura donc qu’à justifier
de l’inaccomplissement des formalités édictées par
l’article 472.
La présomption de dol admet-elle la preuve contraire ?
Arrêt de la Cour de Toulouse qui le décide.
Dissentiment et réfutation.
Arrêt contraire, de la Cour d’Aix, bien préférable.
Solution de la question sur la nature delà présomption.
Celle de savoir si la reddition a été complète, doit rece
voir une tout autre solution. Arrêts en ce sens.
La nullité du traité n’étant pas susceptible de ratifica
tion , n’est pas couverte par l’exécution.
Arrêt de la Cour de cassation, mal à propos indiqué
comme jugeant le sens contraire.
Conséquences du caractère purement personnel de la
présomption.
L’action qu’elle autorise passe-t-elle à l’héritier du mi
neur ?
Utilité du principe de la personnalité de l’action relati
vement aux donations entre vifs ou testamentaires,
faites par le mineur à son tuteur.
Le testament du mineur, fait contrairement aux dispo
sitions de l’article 907, est attaquable par ses héri
tiers. Les donations entre vifs le sont par le mineur
lui-même.
Recevabilité de, l’action des héritiers, suivant que la
libéralité a précédé la reddition du compte, ou suivi
la reddition irrégulière.
La mort du mineur, sans qu’il eût querellé le compte
irrégulier ou la prescription de l’action en nullité ,
assurerait le sort de la libéralité.
�DU D O L E T D E L A F R A U D E .
79
157. Arrêt conforme de la Cour d’Aix.
158. Mal fondé du reproche que M. Dalloz fait à cet arrêt,
qu’il déclare être en contradiction avec un autre ar
rêt de la Cour de cassation.
159. Différence entre ces deux espèces.
160. Conclusion.
161. Le dol est encore présumé dans les libéralités dont se
préoccupe l’article 909 du Code civil.
162. Motifs de cette présomption et de la nullité en résultant.
163. Conditions donnant naissance à l’action.
164. Devoir de celui qui l’intente.
165. L’incapacité se déduit plutôt du fait du traitement que
de la qualité de la personne. Conséquences pour les
personnes qui se sont immiscées dans l’art de gué
rir, sans aucun titre pour le faire.
166. Arrêts divers sur la matière.
167. L’incapacité de l’article 909 atteint-elle les sagefemmes ?
168. Quid des garde-malades?
169. Le traitement motivant l’incapacité, comment devra-t-il
être constaté ?
170. L’incapacité des médecins, chirurgiens, etc., est éten
due par la loi aux ministres du culte. Sagesse de
cette disposition.
171. Nature de cette incapacité. Quelles en sont les condi
tions.
172. Arrêt de Toulouse pour un prêtre qui n’avait pas con
fessé le malade pendant sa dernière maladie.
173. Faut-il dès-lors admettre, comme l’a fait la Cour de
Grenoble, que la confession seule crée l’incapacité ?
174. Conséquences et danger de cette doctrine.
175. Ce qu’il faut seulement en conclure, c’est que l’appré
ciation de la conduite du prêtre, comme des méde
cins , est laissée à l’arbitrage du juge
176. La présomption de dol, créée par l’article 909 est juris
et de jure. La disposition est donc nulle, sauf les ex
ceptions prévues par la loi, caractères de celles-ci.
177. Une institution générale n’est jamais considérée comme
un acte rémuneratoire.
�80
TRAIT K
178. Mode d'appréciation de l'institution particulière.
179. L’institution universelle, faite à un parent au quatrième
degré est valable.
180. Les dispositions de l'article 909 sont irritantes. Elles
ne reçoivent donc que les exceptions formellement
prévues.
181. Doit-on appliquer ces principes aux personnes qui, sans
caractère légal, ont traité le testateur lors de sa
dernière maladie ?
182. Arrêt de la Cour de cassation. Conséquences.
183. Esprit de la disposition exigeant que la libéralité ait eu
lieu pendant la dernière maladie.
184. La libéralité proscrite par l’article 909, déguisée sous
la forme d’un contrat onéreux, n’en est pas moins
nulle. Conséquences.
185. Dol présumé dans la disposition de l’article 1965. Diffé
rence entre la dette du jeu et la dette dolosive.
186. Dol présumé en matière d’assurances maritimes.
187. Motifs de la sévérité de la législation.
188. A proprement parler, l’article 348 n’a fait que convertir
en loi des inductions que la pratique avait tirée de
l’ordonnance de 1681.
189. Conséquences du silence gardé par celle-ci sur les ré
ticences ou fausses déclarations. Controverse entre
les auteurs,
190. Opinion de Yalier, d’Emérigon, de Pothier.
191. Le Code de commerce a tranché toute difficulté, en pré
sumant le dol et en annulant l’assurance dans les
cas qu’il prévoit.
192. Motifs de cette dérogation au droit commun, en matière
de dol.
193. Le Code de commerce n’exige même pas que l’assuré
ait agi dans l’intention de frauder. Il suffit que le fait
reproché ait influé sur le risque.
194. Décision du tribunal de commerce de Marseille non at
taquée en appel.
195. L’application de l’article 348 ne peut offrir de difficultés
que sur la certitude du fait imputé, et sur son in
fluence sur le risque. Pouvoirs du juge à cet égard.
�DU DDL ET DE LA FRAUDE.
81
196. Mais il est des faits dont l’omissio-n a forcément influé
sur ce risque.
197. L’omission du nom et du domicile de l’assuré n’entre
pas dans cette catégorie.
198. Opinion contraire de M. Bernard, réfutation.
199. En général, l'omission de la qualité de propriétaire ou
de commissionnaire est de peu d’importance.
200. Lorsque la connaissance du véritable propriétaire pou
vait influer sur le risque, les assureurs sont toujours
admis à agiter la question de propriété, malgré les
énonciations de la police.
201. L’assurance faite par un créancier est-elle valable ?
202. Utilité de la déclaration qu’on agit comme mandataire.
203. Cas dans lequel l’omission du nom du mandant consti
tuerait une réticence dolosive.
204. La connaissance du navire chargé du risque est un des
éléments essentiels de l’assurance.
206. Quel est l’effet dé l’omission du nom et de la désigna
tion ?
206. Quid de la fausse déclaration ?
207. Quelle doit être l’importance de l’inexactitude ou de
l’erreur ?
208. Que faut-il entendre par la désignation du navire.
209. Le nom et la désignation du navire ne sont pas requis
dans le cas de l’article 337 du Code de commerce.
210. La désignation du nom du capitaine peut influer sur le
risque.
211. Différence entre l’omission et la fausse déclaration.
212. Effet du remplacement du capitaine désigné.
213. La clause ou tout autre pour lui détruit-elle l’effet de la
fausse déclaration ?
214 Cas dans lesquels l’omission du lieu où les marchandises
ont été ou doivent être chargées n’annulle pas l’as
surance.
215. Effet de la fausse déclaration ou de l’inexactitude à cet
égard.
216. Tout ce qui touche à la navigation du navire, le port
d’où il doit partir, les ports ou rades dans lesquels
i
6
�82
TRAITÉ
il doit charger, décharger, entrer, est essentiel à la
validité de l’assurance.
217 Si le navire est en cours de voyage, et que le fait n’ait
pas été déclaré, il y a réticence dolosive.
218. Arrêt conforme de la Cour d’Aix.
219. — de la Cour de Bordeaux.
220. Conclusion.
221. Nécessité de la déclaration des ports et rades dans les
quels le navire doit entrer, charger ou décharger.
222. Exceptions à cette obligation.
223. Effets de l’omission de la désignation du moment où
le risque commence et où il finit.
224. Obligation pour les assurés de déclarer, sous peine de
réticence dolosive, toutes les circonstances de la na
vigation.
225. La présomption de dol admise par l’article 348 est jum
et de jure.
226. Elle est exclusivement introduite pour les assureurs.
227. Résumé.
228. La preuve de la réticense est à la charge de l’assureur
qui en excipe. Mode de preuve admissible.
229. Comment l’assuré, pourra-t-il prouver qu'il a fait con
naître le fait qu’on l’accuse d’avoir caché.
230. La police d’assurance n’admet pas la preuve testimo
niale outre son contenu. Jurisprudence conforme.
109. — La convention souscrite par un incapable,
est présumée dolosive en sa faveur.
110. — L'article 1124 (Cod. eiv.) déclare incapa
bles de contracter les mineurs, les interdits, les femmes
mariées, tous ceux à qui la loi interdit certains con
trats. Dans cette catégorie se rangent les personnes
pourvues d’un conseil judiciaire, celles frappées d’inca
pacité par suite de jugements ou arrêts criminels.
�DU D O L E T D E L A F R A U D E »
88
111. — Ces incapacités rangées sur une même li
gne par l’article 1124, ne procédant pas toutes de la
même cause, produisent des effets différents, selon
qu’elles sont plus ou moins absolues.
En thèse générale, les mineurs non émancipés et les
interdits sont absolument incapables ; les femmes ma
riées, les personnes placées sous l’assistance d’un con
seil judiciaire ne sont incapables qu’au regard de cer
tains actes déterminés par la loi. Les incapacités ré
sultant de condamnations criminelles, notamment de la
mort civile, sont générales et absolues.
De là cette conséquence que les actes souscrits par
les mineurs, les interdits, les condamnés, et ceux éma
nés des femmes et des personnes soumises à un conseil
judiciaire, hors les cas où elles sont autorisées à agir,
sont susceptibles d’être annulés sur leur réclamation.
112. — Quel est le principe dé cette nullité? Pour
les condamnés, c’est évidemment l’absence de toute
capacité, et ce qui le prouve, c’est que la nullité est
absolue, qu’elle profite même aux personnes majeures
et capables ; qu’il suffit d’avoir été partie en l’acte, pour
être recevable à la demander.
113- — Pour les autres incapables, ce qui déter
mine la nullité de leur engagement, c’est bien plutôt le
dol présumé que l’incapacité dont ils sont atteints.C’est
ce dont il est facile de se convaincre par le texte et l’es
prit de la loi.
�84
TRAITE
114. — Le droit romain faisait résider le principe
de la restitution du mineur, non dans la minorité, mais
dans une lésion prétendue : Restilnitur minor non tanquam minor, sed tanquam, icesus. Mais cela n’était vrai
que pour les mineurs devenus pubères et qui n’avaient
pas atteint leur vingt-cinquième année. Cette maxime
restait donc inapplicable aux mineurs de 12 et de
14 ans ; elle n’avait même été introduite par le droit
prétorien que parce que, parvenu à cet âge, le mineur
avait acquis la capacité civile, et qu’il était à craindre
qu’on en abusât contre lui, mal protégé encore par l’in
expérience et la faiblesse de son âge.
Sans doute la distinction entre les pubères et les im
pubères n’existe plus dans notre droit français. La loi
qui nous régit ne reconnaît plus que le mineur dans la
personne âgée de moins de 21 ans. Est-ce à dire pour
cela qu’elle a opté pour l’incapacité absolue des impu
bères, de préférence à la condition plus mitigée qui
était faite aux pubères?
Laissons la loi elle-même nous expliquer le choix
qu’elle a fait entre ces divers modes, et nous instruire
des raisons qui l’ont déterminée.
115. — « Il faudrait, disait M. Bigot de Préameneu,
dans l’exposé des motifs de l’article 1124, si on voulait
prononcer, à raison de l’âge, une incapacité absolue de
contracter, fixer une époque de la vie, et comment dis
cerner celle où on devrait présumer un défaut total
d’intelligence. Ne faudrait-il point distinguer les classes
de la société où il y a le moins d’instruction?Le résultat
�D û D O L E T DK L A F R A U D E .
85
d’une opération aussi compliquée, aussi arbitraire, ne
serait-il pas de compromettre l’intérêt des impubères
au lieu de le protéger? Dans leur qualité de mineurs, la
moindre lésion suffit pour qu’ils se fassent restituer : ils
n’ont pas besoin de recevoir de la loi d’autres secours.
« Supposera-t-on qu’une personne, ayant la capacité
de s’obliger, contracte avec un enfant qui n’ait point
encore l’usage de la raison, lorsqu’elle ne pourra en
tirer aucun avantage? On n’a point à prévoir dans la
loi ce qui est contre l’ordre naturel, et presque sans
exemple. »
Ailleurs, et sous l’article 1305, le même orateur
ajoutait : « Il résulte de l’incapacité du mineur non
émancipé, qu’il suffit qu’il éprouve une lésion pour
que son action en rescision soit fondée ; s’il n’était pas
lésé, il n’aurait pas intérêt à se pourvoir ; et la loi lui
serait même préjudiciable, si, sous prétexte de l’in
capacité, un contrat qui lui est avantageux pouvait
être annulé. Le résultat de son incapacité est de ne
pouvoir être lésé, et non de ne pouvoir contracter: Bestituilur tanquam læsus, non lanquam minor. »
116. — Enfin, dans son rapport au tribunat, M.Jaubert se livrait à des observations analogues : « Il est
bien vrai, disait-il, qu’en règle générale un mineur est
déclaré incapable de contracter ; mais un mineur peut
être capable de discernement : le lien de l’équité natu
relle peut se trouver dans un contrat passé par un mi
neur.
« Voilà pourquoi la loi a dû distinguer.
�86
TRAITE
« S’il s’agit d’un mineur non émancipé, la simple
lésion donne lieu à la rescision en sa faveur.
« Il ne sera pas restitué comme mineur, il pourra
l’être comme lésé, »
117. — Ces considérations, qui ont présidé à l’a
doption de la loi, sont décisives; on a donc rangé tous
les mineurs dans la catégorie des pubères romains,
l’article 1125 en fournit d’ailleurs une autre preuve
incontestable.
Si la nullité résultant de la minorité était la consé
quence du défaut de capacité, l’acte que le mineur au
rait souscrit manquerait de sanction et de lien obliga
toire. L’article 1154 ne donne aux conventions force de
loi, à l’égard des parties, que lorsque ces conventions
sont légalement formées. Or, celles auxquelles des mi
neurs auraient concouru seraient évidemment privées
de ce caractère.
En effet, l’article 1108du Code civil fait de la capacité
des parties une des conditions substantielles du contrat.
Si cette condition ne se rencontre pas, le contrat est
atteint dans son essence et n’existe réellement pas.
De là, pour toutes les parties, la faculté et le droit
de le faire dissoudre. C’est ce qui se réalise, nous le di
sions tout à l’heure, dans l’hypothèse d’une convention
contractée avec ou par une personne morte civilement.
Ce n’est là d’ailleurs que l’application d’une maxime
incontestable : Quod nullum est, nullum producit ef-
�DU D O L E T D E L A Fi l A U D E .
87
118. — Pourquoi donc l’article 1125 prive-t-il les
parties majeures du pouvoir de demander la nullité de
l’acte souscrit par un incapable? Evidemment si le mo
tif de cette nullité était le même dans les deux cas,
on n’eût pas admis une différence si notoire dans les ré
sultats, il faut donc, de ce que cette différence existe,
conclure qu’ainsi que nous le disent les orateurs du
gouvernement l’invalidité de l’engagement du mineur
est due non pas tant à son incapacité qu’à une pensée
de dommage résultant de cet engagement.
119. — Cela est d’autant plus juste qu’il y a lésion
pour le mineur là où il n’en saurait exister aucune pour
le majeur. L’usage même que le mineur est dans le cas
de faire des sommes qu’il reçoit en minorité est de na
ture à constituer une lésion. C’est ainsi que l’article
1512 du Code civil dispose que : lorsque les incapables
sont admis à se faire restituer contre leurs engage
ments, le remboursement de ce qui aurait été, en con
séquence de ces engagements, payé pendant la mino
rité, l’interdiction ou le mariage, ne peut être exigé, à
moins qu’il ne soit prouvé que ce qui a été pavé a
tourné à leur profit.
Le législateur suppose donc que le mineur a pu rece
voir, sans avantage aucun, l’équivalent de l’engagement
qu’il a souscrit; qu’il a pu le dissiper follement et sans
fruit; que par conséquent cet engagement n’a d’autre
résultat que d’empirer sa position en l’obligeant de res
tituer ce qu’il a consommé sans profit réel. Le majeur
qui détermine un pareil état de choses, commet quel-
�88
tr a ite
quefois plus qu’un dol. C’est ce qu’enseigne l’article
406 du Code pénal, en prononçant une peine corporelle
contre celui qui abuse sciemment de la faiblesse, des
besoins ou des passions du mineur.
120- — Ainsi, aux yeux du législateur, les obliga
tions du mineur ont ce double caractère. En ce qui le
concerne personnellement, elles sont censées un acte de
dissipation; à l’égard du majeur qui les a acceptées, un
acte de spéculation. M. Bigot de Préameneu, nous le
disait lui-même : On ne traite pas avec un mineur
lorsqu’on n’a pas avantage à le faire, les chances de
pertes que l’on peut entrevoir sont nécessairement
compensées par le bénéfice stipulé. C’est cette considé
ration d’abandon d’une part, d’indélicatesse de l’autre,
qui justifie la présomption de dol, sous le coup de la
quelle ces obligations sont placées.
Cette présomption existe : pour les mineurs non
émancipés, pour tous les actes auxquels ils se sont li
vrés; pour les mineurs émancipés, seulement pour les
actes qui sont faits en dehors de la capacité que la loi
leur reconnaît. Elle est simplement juris pour les actes
d’administration, mais elle devient juris el de jure
pour ceux que la loi a environnés de formes habilitan
tes. La nullité qui résulte de la violation de ces formes
n’a pas d’autres motifs que le danger que cette violation
fait courir au mineur et le préjudice qu’il est présumé
en avoir éprouvé.
121. — C’est ainsi que vient de le juger la Cour de
�DU D O L E T D E LA F ï l A U D E .
89
cassation, dans une espèce où un mineur avait passé,
avec une compagnie de remplacements militaires, un
contrat par lequel celle-ci s’obligeait à le garantir con
tre les chances du tirage, moyennant une somme de
650francs, payable un mois après la décision du conseil
de révision qui déclarerait, pour une cause quelcon
que, le sieur Ravel (le mineur) libéré du service mili
taire. Ravel obtint un bon numéro, et le 15 septembre
1839 intervint la décision qui prononçait sa libération.
Poursuivi en paiement de la somme promise, Ravel
soutint la nullité de son engagement comme ayant été
souscrit en minorité; on répondait qu’en droit le mi
neur n’était restituable qu’en cas de lésion, qu’en fait,
il n’en existait aucune; que la valeur de l’engagement
se trouvant parfaitement en rapport avec la position de
l’obligé, devait être maintenue nonobstant l’état de mi- »
norité de ce dernier.
Ravel, condamné par le tribunal de Saint-Dié, se
pourvut en cassation. Son pourvoi, admis par la cham
bre des requêtes, fut rejeté par la chambre civile, après
une solennelle discussion et un mûr délibéré dans la
chambre du conseil ; voici l’arrêt intervenu et qui,
comme décision doctrinale, a une grave importance :
« Attendu que si le mineur a été mis, par l’article
1124 du Gode civil, au rang des personnes déclarées
incapables de contracter, l’article 1125 porte qu’il ne
peut attaquer, pour cause d’incapacité, ses engage
ments que dans les cas prévus par la loi ;
« Attendu que l’article 1505, placé au titre de l’ac
tion en nullité ou en rescision des conventions, déclare
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que la simple lésion donne lieu à la rescision en faveur
du mineur non émancipé contre toutes sortes de con
ventions ;
« Attendu que les dispositions de cet article sont ap
plicables aux actes souscrits par le mineur non éman
cipé, sans l’intervention de son tuteur, et à l’égard des
quels des formes spéciales n’ont pas été déterminées
par la loi ;
« Attendu, en effet, que cela résulte, indépendam
ment du sens naturel et clair que présentent les expres
sions dans lesquelles cette première partie de l’article
est conçue, soit de son rapprochement avec la seconde
qui, accordant la même faveur au mineur émancipé
contre toutes les conventions qui excèdent sa capacité,
n’est évidemment relative qu’au cas où ce dernier au
rait traité contrairement aux prescriptions de la loi,
sans être assisté de son curateur; soit de la combinai
son de cette première partie avec les articles qui sui
vent, notamment avec l’article 1507, qui veut que la
simple déclaration de majorité, faite par le mineur, ne
fasse point obstacle à sa restitution, ce qui ne peut
s’entendre que d’une déclaration de majorité, faite en
l’absence du tuteur;
« Attendu que l’ensemble de la législation, sur la ca
pacité du mineur non émancipé, n’est point en oppo
sition avec cette interprétation de l’article 1505 du Code
civil, que tout ce que la loi a voulu dans les dispositions
où elle s’occupe des intérêts du mineur, c’est non pas
qu’il ne pût jamais contracter seul, mais qu’il ne fût pas
lésé en contractant;
�DÜ D O L E T DE LA F R A U D E .
91
a Attendu que s’il en était autrement, si la qualité
de mineur suffisait pour faire annuler, sans distinction,
toutes les conventions dans lesquelles le tuteur ne serait
pas intervenu, les dispositions par lesquelles la loi a
cherché à le protéger lui deviendraient préjudiciables,
en interdisant aux tiers la faculté de passer avec lui les
traités mêmes dont il pourrait tirer le plus d’avantages;
qu’en lui conservant, dans tous les cas, le droit de se
faire restituer pour la simple lésion, dont l’appréciation
est abandonnée à la sagesse des tribunaux, la loi a suf
fisamment pourvu à son intérêt. 1 »
122. — Cet arrêt condamne le système soutenu par
MM. Toullier et Troplong, à savoir : que l’article 1124
est applicable aux engagements souscrits par le mineur
seul, et qui sont dès-lors rescindables indépendamment
de toute lésion ; et que l’article 1505 régit les engage
ments souscrits par le mineur assisté de son tuteur. Ce
système, combattu par M. Duranton, n’a pas été admis
par la Cour de cassation, nous osons dire qu’il ne devait
pas l’être, celui de M. Duranton, consacré par l’arrêt
qui précède, est beaucoup plus conforme non-seulement
au texte, mais encore h l’esprit de la loi et à l’intérêt
véritable du mineur.
125. — Dans celui-ci, en effet, comme le remarque
M. Dalloz, la tutelle n’apparaît plus que comme une ins
titution qui prête au mineur un généreux secours, et
\ 8 juin 4844, D. P. 44, 1, 225.
�92
TRAITÉ
fournit aux tiers un moyen de contracter avec plus de
sécurité.Sans doute, le tuteur représente le mineur dans
les actes de la vie civile, et administre la personne et les
biens de ce dernier, voilà la régie; mais l’exception est
aussi admise. Si le mineur trouve l’occasion de faire des
contrats utiles, la confiance et la bonne foi de ceux qui
auront traité avec lui, dans certaines limites, ne doit pas
être trompée. Le contrôle de la justice sanctionnera le
contrat, si, dans son appréciation souveraine, elle re
connaît que la convention présente le caractère d’une
convention sage, loyale et surtout non onéreuse au
mineur. Cette doctrine, ajoute M. Dalloz, relève le
mineur et n’altère pas les principes de 'a tutelle ; les
droits du tuteur restent intacts , son initiative est tou
jours respectée. Seulement dans les cas particuliers, où
le mineur aura personnellement traité, le contrat sera
valable, sauf, s’il y a lieu, l’épreuve de l’action en res
cision. 1
124. — Des principes qui précèdent, il résulte que
les actes faits par le mineur assisté de son tuteur, et qui
rentrent dans la catégorie de ceux prévus par l’article
450 du Code civil, sont réguliers en la forme, valables
au fonds. En conséquence, ils échappent à la pré
somption de dol. Le mineur ne peut en être relevé, visà-vis des tiers, que dans les cas et aux conditions tracés
pour les majeurs.
1 Vid. Toullier, l. vi, nos 103 et suiv. ; — Troplong, de la Vente,
n°" 166 et suiv., Hipoth., n03 448 et suiv.; — Liuranton, t. x, nos 278
et suiv.
�DU D O L E T D E LA F K A U D E .
93
125. — Le mineur peut-il être relevé de son dol?
L’affirmative ne saurait être admise. Le mineur a une
véritable capacité, quant aux conséquences des délits et
quasi-délits dont il se rend coupable; or le dol, tel qu’il
est déterminé par la loi, rentre évidemment dans la ca
tégorie de ces derniers, il oblige par conséquent le
mineur.
Toutefois, il ne suffirait pas d’un mensonge plus ou
moins adroit, d’une réticence plus ou moins insidieuse,
pour constituer le mineur en état de dol. En principe,
la déclaration de la majorité ne fait point obstacle à ce
que le mineur, de qui elle émane, soit restitué. 1 II n’y
aurait donc aucun dol véritable, si, à cette déclaration,
le mineur n’avait pas ajouté des manoeuvres, des arti
fices de nature à en persuader la certitude.
Le caractère, l’appréciation des circonstances qui
peuvent constituer ces manœuvres, sont laissés à l’arbi
trage souverain du juge. C’est ainsi qu’il a été jugé que
le mineur qui, conjointement avec ses frères majeurs,
a produit dans un ordre, en se qualifiant de majeur, et
qui, après avoir été isolément colloqué, a touché le
montant de son bordereau, ne peut, après la majorité, se
faire payer une seconde fois par l’acquéreur, sous pré
texte qu’il était incapable de recevoir lors du premier
paiement.2
126
Au reste, le dol du mineur contre le majeur
1 Art. 1307 Cod. civ.
5 Journal du Palais, Colmar, 22 avril 1836
�TRAITE
94
n’est jamais présumé, c’est donc à celui qui en exciperait, pour faire maintenir l’acte attaqué par le premier,
qu’incomberait la preuve de son existence.
127. — Le mineur autorisé, conformément à la loi,
à se livrer à l’exercice du commerce, est réputé majeur
pour tous les actes ressortissant de cette profession,
il ne saurait en conséquence être relevé de ses engage
ments que comme le majeur pourrait l’être lui-même.
Mais le mineur ne saurait trouver dans cet exercice
un moyen d’éluder la loi, qui pourrait être exploité
contre lui. Aussi est-il de doctrine certaine : 1° que cet
exercice est restreint aux actes qui concernent son né
goce, qu’il ne peut s’étendre à d’autres qui y seraient
étrangers, et par lesquels le mineur s’engagerait pour
autrui ; 1
2° Que la cause commerciale ne se présume pas dans
les engagements du mineur commerçant, comme dans
ceux du majeur. 2
Pour tous les actes qui ne rentreraient pas dans
l’exercice de son commerce, ouquiseraientreconnusen
excéder les limites , le mineur se trouverait placé sous
l’empire des principes que nous venons de développer.
128. — L’interdit est assimilé aux mineurs, soumis
aux mêmes règles, participant aux mêmes avantages;
ce que nous avons dit de celui-ci, relativement à la pré1 Jousse, sur l’art. 8 de l’ordon. de 1693 ; — Pardessus, n° 61.
5 ld., n° 62.
�DU l-'U
DOUiJ 1.
E TI UD Et'j IJL A-"A Fl ' RI»A.’l UU D17EC...
17
l/tl
somption de do], s’applique donc, par une parité de
raisons incontestable, aux actes faits par l’interdit.
129. — Cependant il faut remarquer qu’il y a entre
eux cette différence essentielle, à savoir : que le mineur
est dans certains cas susceptible de donner un consen
tement éclairé et obligatoire, tandis que l’interdit, lé
galement convaincu d’être dans un état habituel d’im
bécillité, de démence ou de fureur, en est réputé à tout
jamais incapable.
De là la disposition de l’article 502, qui considère
comme nuis de droit tous les actes passés postérieure
ment au jugement prononçant l’interdiction.
150. — Aux termes de l’article 1125 du Code civil,
cette nullité, quoique de droit, est purement relative.
Les nullités, on le sait, sont des remèdes, remedium
juris, que le législateur donne à celui à qui la convention
peut causer un préjudice. Il s’ensuit que lui seul peut
en réclamer le bénéfice. La prohibition contre les actes
passés depuis l’interdiction étant toute en faveur de l’in
terdit, personne autre que lui ne pourrait s’en pré
valoir, même les parties capables qui auraient contracté
avec lui. En effet, en traitant avec un interdit, on s’ex
pose à une chance aléatoire, dont la réalisation dépend
de sa volonté, dont l’événement a été prévu ou a dû
l’être au moment du contrat.
Vainement se plaindrait-on d’avoir ignoré l’inter
diction, cette circonstance n’aurait aucune influence,
aucune portée, car on ne saurait être relevé de sa faute.
�Or, chacun devant s’assurer de la condition de celui
avec qui il traite, celui qui n’a pas pris les renseigne
ments suffisants, qui ne s’est pas livré à toutes les in
vestigations qui devaient l’éclairer, a commis une im
prudence dont il ne saurait être admis à récuser les
conséquences.
Ainsi, la présomption de dol vicie, dans leur subs
tance, les actes postérieurs à l’interdiction.Il suffit donc,
pour en déterminer la nullité, de prouver cette posté
riorité ; cette preuve faite, la présomption est juris et
de jure, c’est-à-dire qu’on ne saurait être admis à pré
tendre ou à justifier que l’acte a été fait dans un instant
lucide, ni à demander qu’il soit maintenu sous prétexte
qu’il n’a occasionné aucun préjudice.
lo i. — Le jugement qui prononce l’interdiction
place donc celui qui en a été l’objet sous la présomption
d’insanité d’esprit et le fait considérer comme inca
pable de donner un consentement réfléchi et libre.
Mais tant que ce jugement n’a été ni provoqué ni rendu,
c’est la présomption contraire qui est légalement ac
quise. En conséquence, les actes faits dans cette pé
riode sont réputés valables.
152. — Mais cette présomption de validité fait place
à celle de dol : 1° si les causes qui ont motivé l’interdic
tion existaient réellement au moment de l’acte; 2° si elles
existaient notoirement. La preuve de cette existence,
de sa notoriété, est à la charge de celui qui attaque
l’acte. Si elle est produite, l’acte pourra être annulé,
�DU D O L E T D E L A F R A U D E .
c’est-à-dire que le défendeur pourra justifier que l’acte
a été fait dans un intervelle lucide; qu’il ne renferme
et ne peut renfermer aucun préjudice pour le démandeur. En d’autres termes, la présomption de dol qui
naît de l’existence et de la notoriété de la demence, de
l’imbécillité ou de la fureur, est une présomption juris,
admettant la preuve contraire.
133. — La femme mariée ne peut contracter sans
l’autorisation de son mari. Les engagements qu’elle
prendrait au mépris de cette prescription sont, pour ce
qui la concerne, frappés de nullité.
Le principe de cette nullité est le même que celui qui
fait annuler les actes des mineurs, accomplis en dehors
des formes habilitantes dont la loi les a entourés. En
conséquence, les effets en sont les mêmes, la nullité ré
sulte ipso faclo et sans qu’il soit besoin d’examiner s’il
y a ou non préjudice. Ce point, aussi certain en doc
trine qu’en jurisprudence, nous conduit à cette consé
quence : que les actes faits par la femme, hors la pré
sence et sans l’autorisation de son mari, sont présumés
frauduleux ; que cette présomption est juris et de jure.
134. — L’article 472 du Code civil nous fournit un
remarquable exemple de dol présumé, en prononçant
la nullité de tout traité qui pourra intervenir entre le
tuteur et le mineur devenu majeur, s’il n’a été précédé
de la reddition d’un compte détaillé et de la remise des
pièces justificatives, le tout constaté par un récépissé
de l’oyant-compte, dix jours au moins avant le traité,
i
7
�98
t r a it e
155. — Cette disposition a, avec juste raison, prévu
un des plus graves dangers que pût courir le mineur
devenu majeur. La crainte, la reconnaissance, l’affec
tion, l’impatience de disposer en liberté d’une fortune
qu’il a à peine entrevue jusque là, pouvait le livrer sans
défense aux ruses d’un tuteur habile, dont l’ascendant
aurait facilement obtenu de son ignorance une dé
charge complète de sa gestion, avant même qu’il eût
été mis dans le cas de l’apprécier.
Il fallait donc faire un devoir au tuteur, comptable
de la gestion, d’exposer fidèlement au mineur toutes les
circonstances dont la connaissance devait le fixer sur
sa position, sur la nature de ses ressources, sur le mode
d’administration suivi jusqu’à ce jour, de là, l’obliga
tion de rendre compte.
Mais vainement cette obligation eût-elle été inscrite
dans la loi, si le défaut de sanction pénale eût laissé sa
transgression impunie. C’est surtout pour les tuteurs de
mauvaise foi que la loi a pris les précautions qu’elle or
donne; et l’on comprend que plus le tuteur aurait prévariqué, plus il chercherait à déguiser sa conduite, à
tromper l’oyant-compte, à l’effet d’en obtenir sa libé
ration.
Ces considérations ont dicté la disposition de l’ar
ticle 472, qui complète et garantit l’exécution des obli
gations faites au tuteur par les articles 469 et suivants.
Ainsi, le tuteur est obligé de rendre compte de sa ges
tion, de déposer ce compte et les pièces justificatives
entre les mains du mineur devenu majeur; ce n’est que
dix jours après cette remise qu’un traité peut inter-
�DU D O I. E T D E L A F R A U D E .
venir, et que le tuteur peut obtenir décharge. Tout
traité, fait sans avoir été précédé de la remise des piè
ces ou avant l’expiration du délai de dix jours, est pré
sumé dolosif, et, comme tel, annulé.
136- — Les obligations imposées au tuteur doivent
être prises au sérieux. La bonne foi, qui doit présider à
toute transaction, doit être plus sévèrement exigée dans
un acte, où l’une des parties peut porter l’influence jus
qu’à déguiser l’état, réel des choses, et priver ainsi l’au
tre partie de la connaissance précise de ce qui fait la
matière du contrat. En conséquence, le compte du tu
teur ne doit pas être rédigé en termes généraux, ni
s’arrêter aux résultats, c’est un détail, autant que faire
se peut, et articles par articles que le mineur doit y ren
contrer. Les pièces probantes sont celles qui établissent
les revenus et justifient de la dépense, pour les chefs du
moins où cette dépense a pu laisser des traces écrites.
137. — Le compte et les pièces remis au mineur
devenu majeur, celui-ci examine et vérifie. La remise
est donc véritablement capitale, car ce n’est qu’après
qu’elle a été réalisée que les investigations sont possi
bles; et ce n’est que par ces investigations elles-mêmes
que l’oyant-compte pourra donner un consentement va
lable ; on comprend, dès-lors, que le législateur en ait
exigé une preuve certaine et positive.
Or, il résulte de l’article 472 que cette preuve doit
être littérale; elle s’induit du récépissé délivré par
l’oyant-compte. Nous croyons que ces termes sont res-
�100
traité
trictifs; que l’absence de ce récépissé ne saurait être
remplacée par tout autre genre de preuve, et notam
ment par la preuve testimoniale. 1
138. — La présomption de dol, qui naît de la violation
de ces formalités, est une présomption juris et de jure, si
le compte n’a pas été rendu, s’il n’a pas été accompagné
de la remise des pièces. Or, si cette remise ayant été
faite, elle n’est pas constatée par un récépissé, le traité
intervenu entre l’ancien mineur et son tuteur est frappé
d’une nullité substantielle; il en serait de même de
celui intervenu moins de dix jours de la date du récé
pissé.
139. — Ce récépissé peut être fait par acte séparé
ou être mis au bas du compte lui-même. On ne saurait,
dans le silence de la loi, créer une nullité contre la for
me de l’acte; cette forme, n’étant nullement réglée par
la loi, doit être laissée à la volonté des parties. Mais il
en est autrement de la date, elle doit être certaine pour
prévenir tout moyen d’éluder la loi. Le récépissé sous
seing-privé doit donc être enregistré, le délai de dix
jours court du moment de l’enregistrement.
«
140. — Les termes de l’article 472 ont donné nais
sance à une grave difficulté : tout traité, porte cet ar
ticle, sera annulé. Faut-il entendre par-là les traités qui
1 Journal du Palais, Toulouse, 6 lévrier 1835 ;— Aix, 10 août 1809;
— D. A ., lom. xu, p. 764.
�DU D O L E T D E L A F R A U D E .
101
interviendraient sur la gestion, ou bien ranger dans une
égale catégorie, môme les traités étrangers à cette
gestion ?
141. — Cette dernière opinion a trouvé des par
tisans dans les sommités de la doctrine; elle est no
tamment enseignée par Merlin, qui combat l’opinion
contraire, comme tendant à établir une exception re
poussée par la généralité des termes de l’article 472.
La loi, dit-il, ne fait aucune exception ; elle annulle
tout traité non précédé d’un compte de tutelle ; or, qui
dit tout, n’excepte rien.1
142. — Cette interprétation, fondée sur la lettre du
texte, en fait-elle une juste, une exacte appréciation ?
Nous ne saurions l’admettre. Il nous semble que, par
la place qu’elle occupe dans la loi, cette disposition
est nécessairement limitée à ce qui concerne la gestion
du tuteur, et que, l’expliquer comme le fait Merlin,
c’est lui donner une extension que le texte ne comporte
pas, que son esprit repousse d’une manière invincible.
La protection dont la loi entoure le mineur n’est
que la conséquence des dangers auxquels son inexpé
rience et la faiblesse de son âge l’exposent : Cum
intra omnes conslet, fragile esse et infirmum hujus
modi œtatum consilium, et multis captionibus suppositum, multorum insidiis exposition, auxilium eis prœtor pollicitus. 2
1 Questions de droit, § 3, n° d.
s L. 1, Dig. de minoribus.
�m
traite
Le mineur devenu majeur n’est plus censé avoir
besoin de cette protection spéciale, il n’a plus aucun
droit à la réclamer. Il est, par rapporta tous, en état
de défendre ses intérêts, de prendre toutes les mesures
que sa position nécessite, et cela est vrai même à l’é
gard de son ancien tuteur, sauf sur un seul point, celui
relatif à la gestion que ce tuteur a eue de ses biens.
Cette exception résulte naturellement de l’état anté
rieur des choses, elle était commandée par cet état
même. Des deux parties en présence, l’une, l’ancien
mineur est dans une ignorance absolue sur le chiffre
de sa fortune, sur l’étendue de ses ressources, sur la
manière dont elles ont été administrées ; l’autre, l’an
cien tuteur, connaît parfaitement toutes choses. Auto
riser en cet état d’inégalité un traité entre elles, c’était
permettre au tuteur d’abuser de rignorance légitime
dans son origine, mais que son intérêt le déterminerait
à prolonger. On pouvait donc prévoir que, dans une
pareille transaction, tout l’avantage resterait au tuteur
qui, selon l’observation deLouet,loin de rendre compte,
mettrait sa partie en ténèbres et en lieu où lui seul
verrait clair.
C’est ce que la loi suppose du tuteur qui n’a pas ren
du compte. La nullité du traité, intervenu avant la red
dition, est donc la conséquence plutôt de la conduite
frauduleuse du tuteur que de l’incapacité de l’ancien
mineur. Cette prescription ne lait pour celui-ci que ce
que les principes généraux font pour tous les majeurs,
elle a pour but unique de donner à son consentement
�DU D O L E T D lî L A F R A U D E .
103
ce degré de réflexion el de liberté sans lequel il n’y a
pas de consentement; valable.
Il est un autre motif qui étaye la prohibition de l’ar
ticle 472. L’équité exige que chacune des parties ait
une connaissance exacte de ce qui fait la matière de
la convention, sa perfectibilité est à ce prix. Or, cette
connaissance, le mineur devenu majeur ne l’acquiert
que par la reddition des comptes, il ne l’a donc pas tant
que cette reddition n’a pas été réalisée. Il est consé
quemment privé d’un des éléments essentiels au con
trat. 11 en est privé par la faute du tuteur qui viole les
devoirs que la loi lui impose. On comprend dès-lors
que la loi ait refusé sa sanction à un acte qu’elle ne
pouvait consacrer qu’en autorisant le tuteur à exploiter
sa position, et à profiter de sa faute et même de sou dol.
Ces considérations sont justes et décisives, lorsqu’il
s’agit d’un traité relatif aux comptes de la gestion. Sa
nullité n’en est qu’une conséquence rationnelle et légi
time ; mais peuvent-elles s’appliquer au traité fait sur
tout autre objet et abstraction faite de la position res
pective des parties relativement à la gestion tutélaire?
Par exemple, le mineur devenu majeur est appelé à
recueillir une succession qui s’est ouverte depuis sa
majorité. Son ancien tuteur se trouve créancier ou dé
biteur de cette succession, il paie ce qu’il devait, ou
retire ce qui lui était dû. Il traite avec l’ancien mineur
d’un objet mobilier ou immobilier appartenant à cette
succession, il transige sur un procès qu’il avait avec
celui qui l’a délaissée. Faudra-t-il annuler tous ces actes,
parce que le compte de sa gestion n’aura pas encore été
�104
T R A ITE
rendu? Mais qu’elle influence pouvait exercer à leur
endroit la reddition des comptes? Le mineur pouvait-il
recevoir de cette formalité des notions plus complètes,
plus étendues que celles qu’il possédait au moment du
contrat? Evidemment non. Conséquemment annuler
des actes de cette nature, et sous un pareil prétexte, ce
serait agir d’une manière injuste, illogique, et anéantir
sans nécessité des conventions parfaitement légitimes.
Il est donc impossible d’admettre que l’article 472
du Code civil ait voulu parler d’autres traités que de
ceux faits sur la gestion du tuteur. Ce qui le prouve,
c’est la place que cet article occupe dans le Code, sous
la section intitulée, des Comptes de tutelle, précédé et
suivi d’autres dispositions se rapportant exclusivement
au mode de reddition, d’appurement et de règlement
de ces mêmes comptes.
Ce qui le prouve encore, c’est que l’article 907 pro
hibe au mineur devenu majeur de disposer en faveur de
son tuteur, non-seulement par testament, ce qui pour
rait ne pas paraître un traité, mais encore par dona
tions entre vifs, tant que les comptes de tutelle n’ont
pas été régulièrement rendus. Si les termes de l’article
472 n’exceptent rien, pourquoi a-t-on cru nécessaire
de prohiber spécialement les donations ? Pouvait-on
croire que quelqu’un serait jamais tenté de contester
l’application aux actes à titre gratuit, des principes ré
gissant les actes à titre onéreux?
Ce qui Je prouve enfin, c’est la disposition de l’ar
ticle 2045 du Code civil qui permet au mineur devenu
majeur, de transiger sur toutes les matières, excepté
�DU D O L E T D E E A F R A U D E .
105
sur la gestion du tuteur, avant la reddition des comptes
de celui-ci. Comment expliquerait-on la faculté de tran
siger là où l’article 472 proscrirait un simple traité?
La transaction n’est-elle pas un traité important? On
sait qu’elle comporte, de la part des parties, des sacrifi
ces mutuels. Elle est donc, sous ce rapport, bien plus
dangereuse pour l’ancien mineur qu’un traité ordinaire.
En conséquence, quel aurait pu être le motif qui aurait
déterminé le législateur à prohiber celui-ci et à autori
ser l’autre?
Le motif, dit M. Merlin, c’est qu’en général, et aux
termes de l’article 2052, les transactions ont entre les
parties l’autorité de la chose jugée; et que, par consé
quent, il en doit être, d’un transaction passée entre le
mineur devenu majeur et son tuteur, comme d’un ju
gement qui aurait été rendu entre eux.
Mais cette réponse laisse subsister l’objection qui a
d’autant plus de force que la nature de l’acte est plus
exceptionnelle. Après, comme avant cette réponse, on
se demande comment un traité qui n’acquiert jamais
l’autorité de la chose jugée, qui est rescindable pour
cause de lésion, soit interdit au mineur et qu’on lui per
mette de consentir une transaction qui est à l’abri de
ces attaques? Quelle garantie avait-on de plus pour
celle-ci? N’est-il pas évident au contraire que si l’ab
sence de reddition des comptes de tutelle doit influer
sur un acte quelconque, c’est surtout sur une transac
tion? Celle-ci suppose un droit litigieux, contestable.
Les titres qui établissent celui du mineur seront le plus
souvent entre les mains du tuteur, et c’est par celui-ci
�106
T R A ITE
que le premier apprendra leur caractère et leur portée.
Eu vérité, permettre en cet état au mineur de transiger,
modifier la prohibition prétendue générale de l’article
472, c’est diminuer les garanties données au mineur
devenu majeur, au moment même où il en a le plus
pressant besoin.
Nous ne saurions donc admettre la distinction que
fait Merlin, pas plus que l’assimilation de la transaction
au jugement. Les magistrats qui rendent le jugement
sont chargés d’exécuter la loi, de la faire respecter,
alors même que les parties seraient d’accord pour l’é
luder; à cette première garantie s’en réunit une autre,
la présence du ministère public , dont la sollicitude
éveillée par la qualité des parties, saura bien faire
valoir les droits de chacun, défendre le mineur devenu
majeur, contre son ignorance ou sa faiblesse. La tran
saction présente-t-elle quelque chose d’analogue? Qui
protégera le mineur contre les suggestions intéressées
de son ancien tuteur? Il n’y a donc réellement aucune
assimilation possible entre ces deux actes.
Mais, ajoute Merlin, pourquoi, si l’article 472 ne si
gnifie pas plus que l’article 2045, n’a-t-on pas mis dans
le premier, les mots sur les comptes de tutelle, qu’on a
insérés dans le dernier.
Nous avons déjà dit que cette indication résulte, pour
l’article 472, de la place qu’il occupe dans le Code, des
dispositions qui le précèdent et le suivent. Cela suffirait
pour lui donner un caractère de spécialité incontestable.
Il est même certain qu’alors même que l’article 2045
n’aurait pas existé, la transaction sur les comptes de
�DU D O U E T D E L A F R A U D E .
107
tutelle se serait trouvée atteinte par cette spécialité et
proscrite par l’article 472. - Mais le législateur a pu
craindre qu’on ne voulût abuser de la nature et du ca
ractère de la transaction, pour soutenir qu’elle ne pou
vait être comprise dans les traités dont cet article
s’occupe. Dès-lors, il a cru devoir s’en expliquer for
mellement pour bannir toute équivoque. Cette ré
solution prise, s’exécutant sous le titre spécial de la
transaction, il fallait nettement s’expliquer. Là, en effet,
rien ne spécialisait plus la disposition, ni la rubrique
de la section, ni les dispositions antécédentes et sub
séquentes, de telle sorte que se borner à prohiber la
transaction entre le tuteur et le mineur devenu majeur,
c’était la proscrire d’une manière absolue et générale.
C’est donc pour préciser sa pensée qu’on a nomina
lement restreint cette prohibition à la transaction in
tervenue sur les comptes de tutelle, ce qui était revenir
à la règle tracée par l’article 472.
Voilà l’explication de la différence de rédaction si
gnalée entre les articles 472 et 2045, elle est naturelle
et simple, elle n’a rien d’extraordinaire, ni de choquant,
tandis qu’avec le système de Merlin, il faut admettre
que la loi a interdit le moins et autorisé le plus, ce qui
est invraissemblable, et conséquemment inadmissible.
Faut-il maintenant rendre raison de ces termes de
l’article 472, fout traité? N’est-il pas désormais certain
que l’intention du législateur n’a été d’atteindre que
ceux intervenus sur la gestion du tuteur; et, dans ce
sens, la locution qu’il a employée n’est pas même vi
cieuse. S’il n’v a qu’une manière d’appurer un compte,
�108
T R A ITE
il y on a cent pour arriver à ce résultat. Le tuteur
pouvait avoir la pensée, de fractionner le compte de sa
gestion, d’en débattre séparément les diverses parties,
et d’obtenir une décharge pour chacune d’elles , op
poser ces décharges partielles déjà obtenues aux dif
ficultés qu’une autre examen ferait naître. Voilà réel
lement ce que proscrit l’article 472, voilà ce qu’il a eu
en vue, lorsqu’il a annullé tout traité intervenu avant
la reddition des comptes. Tout ce qui en résulte, est
donc cette proposition qui ressort de l’esprit de sa dis
position; que ce n’est qu’après avoir été édifié sur l’en
semble des opérations du tuteur, que le mineur devenu
majeur peut traiter avec celui-ci, lui donner décharge
totale ou partielle ; et que tout ce qui aurait été fait à
cet égard, avant l’examen de cet ensemble, devrait être
annulé.
Pour nous résumer sur ce point, nous dirons que
l’article 472 n’atteint que les traités exclusivement in
tervenus sur la gestion tutélaire, quel qu’en soit le mode
et sous quelque forme qu’on les ait déguisés. Ceux-là
donc qui sont étrangers à cette gestion, sur lesquels par
conséquent la reddition du compte serait sans influence,
sont valablement contractés; on ne pourrait consé
quemment les annuler que dans les cas et qu’aux
conditions qui rendent ceux souscrits par les majeurs
ordinaires rescindables ou annulables. 1
143. — H résulte de ce qui précède, que l’ancien
’ Vid.,en ce sens, Chardon, t. î, pag. Ho, n° 72 ;— Domat, Lois
�DU D O L E T D E L A F R A U D E .
409
mineur, qui attaquera un traité intervenu entre son
tuteur et lui, n’aura à justifier que de ces deux circons
tances, à savoir : 1° que ce traité a pour objet direct ou
indirect la gestion du tuteur ; 2° qu’il a été fait contrai
rement aux dispositions de l’article 472, soit qu’il n’y
ait pas eu reddition de compte, remise de pièces; soit
qu’il ne se fût pas écoulé un délai de dix jours de cette
remise à la date du traité. Cette preuve faite imprime
au traité une présomption de fraude susceptible d’en
entraîner l’annulation.
144. — Quelle est la nature de cette présomption?
Admet-elle la preuve contraire ? Le tuteur pourra-t-il
établir que l’ancien mineur n’a éprouvé aucun préju
dice, et faire dès-lors maintenir le traité?
L’affirmative a été jugée par la Cour de Toulouse, le
27 novembre 1841. 1 Son arrêt décide : Que quoique,
en principe, le traité intervenu contrairement à l’article
472 du Code civil soit rigoureusement nul, cependant
il peut être maintenu, si les parties ont traité de bonne
foi, et s’il n’a été causé aucun préjudice au mineur.
145. — Cette décision nous paraît s’écarter des vé
ritables principes. Faisons d’abord remarquer la singu
larité de sa conclusion. La Cour reconnaît que le traité
civiles, liv. n, lit. 1, sect. S, n° 4.; — Nîmes, 18 mars 1816 :— Cass.,
14 octobre 1818 ; — et Paris, S janvier 1820; — voy. aussi Dalloz jeune,
Dicl. de Jurisprudence, v° Tutelle, n° 581 ;— et Sirey, t. x, pag. 380;
—Cass., 10avril 1849, D. 49,1,103.
1 Journal du Palais, t. I, 1842; pag. 448.
�T R A ITE
110
dépourvu des formalités prescrites par l’article 472,
est rigoureusement nul ; et ces prémisses posées elle ar
rive à cette conséquence qu’il faut maintenir le traité,
cela ne paraît guère logique.
Vainement fait-on, pour arriver à ce résultat, appel
à la bonne foi des parties au moment du traité. La loi
ne s’est pas le moins du monde préoccupée de cette cir
constance, elle ne permet donc pas de la prendre en
considération. En effet, l’article 472 ne dit pas que le
traité fait au mépris de sa disposition pourra être an
nulé.Une locution de ce genre eût appelé l’appréciation,
l’examen, et laissé le magistrat maître de maintenir ou
d’invalider. L’exclusion de ce pouvoir résulte des ter
mes de l’article : Tout traité sera nul, ce qui implique,
de la part du législateur, la volonté impérative d’anéantir
l’acte fait contrairement à ce qu’il a prescrit. En consé
quence, maintenir ce même acte, c’est se mettre en con
tradiction avec cette même volonté ; le maintenir sous
prétexte de la bonne foi des parties, c’est méconnaître
l’esprit qui l’a dictée, qui n’est pas autre chose qu’une
présomption de mauvaise foi, par cela seul qu’on n’a
pas exécuté à la lettre les prescriptions de l’article 472.
Nous avons déjà dit que cette présomption n’admettait
pas la preuve contraire.
La Cour de Toulouse ajoute que le mineur devenu
majeur n’a éprouvé aucun préjudice dans l’espèce. Cette
considération n’est pas plus puissante que celle de la
bonne foi. En effet l’article 472 ne demande pas s’il y
a ou non préjudice dans sa violation, c’est cette vio
lation elle-même qui détermine la nullité de l’acte qui
�DU DO L E T D E L A F R A U D E .
Ml
la renferme. Ajoutons qu’en se décidant par ce motif
la Cour a méconnu les dispositions qui règlent le mode
de reddition des comptes de tutelle. En effet, pour ar
river à constater l’absence de tout préjudice, elle a été
dans la nécessité de procéder à l’examen et à l’appurement de la gestion du tuteur. Or ces formalités, dont
la loi a prescrit la forme spéciale, échappaient à ses at
tributions.
146. — C’est ainsi que l’avait pensé la Cour d’Aix,
dans un arrêt du 10 août 1809. Cet arrêt, rendu en au
dience solennelle, consacre l’opinion diamétralement
opposée à celle adoptée par la Cour de Toulouse, ses
motifs nous paraissant renfermer une saine appréciation
de la matièi’e, nous croyons devoir les transcrire.
« Considérant que l’article 472 du Code civil frappe
de nullité tout traité qui pourra intervenir entre le tu
teur et le mineur devenu majeur, s’il n’a été précédé
d’un compte détaillé et de la remise des pièces justifi
catives, le tout constaté par un récépissé de l’oyanteompte, daté de dix jours avant le traité; que ces for
malités ont été ordonnées pour garantir le mineur
devenu majeur de toute surprise, parce que la loi
suppose, comme le fait observer Pothier, que l’autorité
morale du tuteur durant encore, il aura pu en abuser,
ou que le pupille peu expérimenté et brûlant du désir
de jouir enfin de ses droits, se sera décidé trop facile
ment à des sacrifices immodérés.
n Considérant que le tempérament proposé par le
tuteur, de subordonner la demande en nullité du traité,
�112
TR A ITE
au jugement du compte que ce traité renferme, tendrait
à faire dépendre des débats que ce compte entraînerait
la validité d’un acte frappé de nullité par la loi, et à
donner effeL à un contrat que la présomption légale pré
sente comme le fruit du dol et de la fraude. ’ »
Ainsi, la Cour d’Aix ne croit pas non-seulement pou
voir examiner elle-même la régularité du compte, et
conséquemment s’il y a ou non préjudice, mais même
surseoir h prononcer sur la nullité jusqu’après la reddi
tion régulière offerte par le tuteur. Ce mode de pro
céder est seul véritablement juridique, puisque, en
effet, un traité n’est régulier que s’il a été précédé de
la reddition de compte et de la remise des pièces de
puis au moins dix jours. Quelle influence peut avoir sur
un traité antérieur une reddition faite postérieurement,
soit en justice, soit par la voie amiable?
En annulant donc le traité attaqué, la Cour d’Aix a
mieux compris et plus sainement appliqué la loi que la
Cour d’appel de Toulouse.
147. — On peut donc résoudre les questions que
nous nous étions posées, en ce sens : que l’omission des
formalités voulues par l’article 472 du Code civil en
traîne inévitablement la nullité du traité ; qu’il naît de
cette omission une présomption de dol, laquelle a la
force des présomptions juris el de jure ; qu’en consé
quence, il n’est pas facultatif au juge d’admettre la vaDalloz, A., loin, xu, p. 764.
�H3
DU DOL E T DE LA FR A U D E .
lidité du traité ou de la faire dépendre soit de la bonne
foi des parties, soit de l’absence de tout préjudice.
148. — Il en serait autrement si, l’article472 ayant
été exécuté, le litige s’engageait sur la nature de cette
exécution. La question de savoir si elle a été complète
ou suffisante rentre alors dans l’appréciation des tri
bunaux et est laissée à l’arbitrage du juge.
Ainsi il a été jugé en jurisprudence et admis en doc
trine : qu’il appartient aux Cours de décider si la remise
des pièces constatée soit par un récépissé sans date cer
taine, soit par une clause expresse du traité, a été
réellement faite en temps utile ;
Si le mode dé reddition de compte est tel que le pres
crit la loi; s’il est suffisamment détaillé pour que le mi
neur devenu majeur ait pu le discuter d’ùne manière
utile ;
Si les pièces dont la remise est constatée étaient ou
non suffisantes pour appuyer valablement le compte et
éclairer l’oyant-compte sur la nature de ses droits. 1
149. — La présomption de dol est-elle couverte
par l'exécution donnée au traité? Cette question est
toute résolue si l’exécution s’est prolongée assez pour
laisser la prescription s’accomplir. Le doute ne peut
donc naître que si avant l’acquisition de la prescrip
tion, mais après exécution, le mineur demande la nul
lité du contrat.
1 Journal, du Palais, Cass., 8 avril 1854.
i
8
�\\k
TKA1TÉ
A notre avis, la solution de cette question dépend de
la réponse à faire à celle-ci : Le mineur devenu majeur
peut-il ratifier expressément le traité irrégulièrement
intervenu sur les comptes de tutelle?
Or, la négative ne nous paraît pas pouvoir être con
testée en présence du texte des articles 472 et 2045 du
Code civil. En effet, l’acte de ratification expresse cons
tituerait ou un traité nouveau ou une transaction.
Dans le premier cas,il serait atteint parla disposition
prohibitive de l’article 472, s’il n’avait pas été précédé
des formalités qui y sont prescrites. Si ces formalités
avaient au contraire été exécutées, le mineur devenu
majeur serait lié non pas par le premier traité, mais par
le second, qui, loin de n’être que la ratification de l’au
tre, deviendrait le seul titre que pût invoquer le tuteur.
Dans le second cas, le caractère de transaction ferait
tomber l’acte sous le coup de la disposition de l’article
2045, à moins qu’il n’eût été précédé d’une reddition
régulière. Et, dans cette hypothèse, le tuteur ne serait
libéré que par la transaction elle-même et nullement
par le traité sur lequel elle serait intervenue.
Ainsi, il n’y a pas, à proprement parler, de ratifica
tion expresse possible. Il fallait d’autant plus l’admettre
ainsi, que le système contraire rendait purement illu
soires les précautions prises par le législateur. Le tu
teur, qui a eu assez d’ascendant pour obtenir du mineur
devenu majeur un traité sur la gestion, avant d’en avoir
rendu compte, trouvera dans ce même ascendant la fa
culté d’obtenir aussi un acte de ratification, si le suc
cès, si le bénéfice de l’irrégularité de sa conduite lui
�DU D O L E T DE L A F R A U D E .
115
est acquis à ce prix. D’autre part, l’ancien mineur qui,
par faiblesse, par ignorance, par attachement, aura con
senti le traité, n’apportera pas moins de facilité à en
donner la ratification, et bientôt la nullité écrite dans la
loi ne sera plus qu’une vaine menace, qu’une lettre
morte.
Le traité fait en violation de l’article 472 ne peut
donc être ratifié tant qu’il n’a pas été purgé du vice
qui l’infecte. Si cela est vrai, juste, légitime pour la ra
tification expresse, pourrait-on décider autrement pour
celle résultant de l’exécution? Ce serait faire produire
à la ratification présumée un effet que la ratification
expresse n’est pas susceptible de produire. On com
prendrait le contraire, car celle-ci ne saurait être dou
teuse, elle résulte d’un fait certain, elle est le produit
d’une volonté clairement manifestée, tandis que la pre
mière n’est que la conséquence d’une intention pré
sumée, d’une appréciation dont les bases peuvent être
contraires à la réalité des choses.
Il est donc impossible d’admettre une ratification ta
cite là où il ne saurait exister une ratification expresse;
on ne peut faire indirectement ce qu’il est prohibé de
faire directement. Cette considération, vraie sous toutes
les législations, justifie notre opinion.
Au reste, cette opinion est celle adoptée par la juris
prudence. C’est ce qu’attestent des monuments nom
breux et décisifs.1
1 Vid. notamment Lyon, 51 décembre 1852; — Grenoble, 15 no
vembre 1857;— Journal du Palais, années 1852 et 1859, tom. n,
page 288.
�116
TR A ITE
150. — II est vrai que les Dictionnaires et les Re
cueils d’arrêts indiquent, comme consacrant l’opinion
contraire, un arrêt rendu par la Cour de cassation le
27 avril 1836- Mais c’est là une de ces indications er
ronées qui se glissent quelquefois au milieu de tant d’u
tiles recherches. Il ne faut, en effet, que lire cet arrêt
pour être convaincu qu’il n’a nullement la signification
qu’on lui prête. Dans l’espèce qui s’y agitait, la Cour
d’appel avait reconnu que l’exécution s’était prolongée
pendant plus de dix ans après la majorité. Elle avait,
en conséquence, rejeté l’action de l’ancien mineur sous
le double rapport de la ratification et de la prescription.
Il est évident que celle-ci emportait nécessairement
l’autre, et que son existence enlevait, à la question des
conséquences légales de l’exécution, toute son impor
tance, sous le point de vue que nous examinons.
C’est, en effet, ce que pensa la Cour de cassation,
qui ne s’en occupe même pas dans son arrêt. Voici en
quels termes le pourvoi fut rejeté :
« Sur le deuxième moyen pris de la violation de l’ar
ticle 472 du Code civil et de la fausse application de
l’article 1558, attendu qu’indépendamment de la rati
fication résultant de l’exécution volontaire, l’arrêt atta
qué a opposé le moyen de la prescription à la demande
en nullité du traité intervenu entre les frères puînés
Falize et leur frère aîné ;
« Qu’il a reconnu que, depuis la date des traités res
pectifs, il s’était écoulé plus de dix années;
« Qu’à la vérité il y a eu à examiner, à l’égard de
Léonard Falize jeune, si le partage opéré en 1828, avant
�DU D O L E T DE L A F l t A U D E .
117
l’expiration des dix années, à partir de son contrat de
mariage, a pu empêcher le cours de la prescription,
mais que ce partage, annulé comme frauduleux, ne
peut être d’aucune considération dans l’instance. 1 »
Voilà tout ce que dit l’arrêt de la Cour de cassation.
Un voit que les magistrats qui l’ont rendu se bornent à
signaler l’existence du moyen tiré de la ratification, et
que rencontrant celui plus péremptoire de la prescrip
tion, c’est à celui-ci qu’ils s’attachent exclusivement.
Qu’aurait fait la Cour si la question de ratification lui
eût été soumise indépendamment de tout autre moyen?
C’est ce que son arrêt ne laisse pas même soupçonner.
C’est donc à tort qu’on voudrait y puiser un argument
en faveur du système que nous combattons.
151. — La présomption de dol, résultant de l’inob
servation de l’article 472 du Code civil, est uniquement
dans l’intérêt du mineur. En conséquence, les droits
dont cette présomption est l’origine sont attachés à la
personne de celui-ci ; leur exercice lui est exclusive
ment réservé.
Il suit de là :
1° Que l’ancien tuteur qui prétendrait s’être cons
titué à tort reliquataire, ne pourrait demander la nul
lité du traité irrégulièrement intervenu ; 2
2° Que le traité intervenu entre le tuteur et l’héritier
1 Journal du Palais, année 1836.
2 Montpellier, 20 janvier 1830, D. P. 30, 2, 124.
�418
TR A ITÉ
du mineur, n’est pas soumis aux formalités prescrites
par l’article 472 du Code civil ; 1
5° Que l’action ouverte au mineur ne saurait être
exercée par ses créanciers.
152. — Cette action passe-t-elle à l’héritier du mi
neur ? On pourrait, pour l’affirmative, se fonder sur le
droit de l’héritier à exercer toutes les actions utiles de
son auteur ; invoquer même l’article 907 du Code
civil, qui prohibe toute libéralité du mineur au tuteur
jusqu’après l’apurement du compte, et soutenir que le
silence gardé par le mineur pendant sa vie et après sa
majorité renferme une donation déguisée e t, consé
quemment, la violation de cette diposition.
Cependant, l’arrêt de Bourges du 7 avril 1850, que
nous venons d’indiquer, paraît admettre que l’action
que l’article 472 donne au mineur devenu majeur lui
est exclusivement personnelle, qu’elle ne passe pas à
ses héritiers. Nous serions disposés à partager cette opi
nion et à trouver la preuve de la régularité de la reddi
tion des comptes du tuteur dans l’exécution donnée par
l’oyant au traité qui en a été le résultat. Il convient, en
effet, de remarquer que, quoique non légalement ex
primée, l’observation des formalités prescrites par l’ar
ticle 472 peut s’être réalisée. C’est cette présomption
qui doit naturellement s’induire de l’inaction du prin
cipal intéressé, du mineur qui, depuis sa majorité, a
1 Bourges, 7 avril 1850, D. P. 30, 2, 138.
�DU D O L E T D E LA F R A U D E .
119
traité avec son tuteur, et qui, pendant qu’il a vécu, n’a
jamais réclamé.
Ainsi, le droit conféré par l’article 472 du Code civil
est purement personnel ; il ne peut être exercé par au
cun des représentants ou ayants-cause du mineur de
venu majeur. Ce que la Cour de Bourges a décidé pour
les premiers, la Cour de Paris l’a admis pour les se
conds, en jugeant que les créanciers ne pouvaient atta
quer le traité fait par leur débiteur sans l’observation
des règles tracées par ce même article 472. 1
155. — Ces principes sont importants, surtout pour
l’application de l’article 907 du Code civil, qui nous
fournit de nouveaux exemples de dol présumé.
Ainsi le mineur, quoique parvenu à Cage de 16 ans,
ne pourra, même par testament, disposer au profit de
son tuteur; il ne pourra, après sa majorité, disposer soit
par donation entre vifs, soit par testament au profit de
celui qui aura été son tuteur, si le compte définitif de
la tutelle n’a été préalablement rendu et apuré. Dans
chacune de ces hypothèses, la libéralité est présumée le
produit des manœuvres du tuteur, le résultat d’une in
fluence illégitime, d’une erreur abusivement entre
tenue, en un mot, d’un véritable dol.
154. — Le testament d’un mineur de plus de 16 ans
ne peut, on le comprend, être attaqué que par ses hé
ritiers. Il suffit, pour le faire annuler, de prouver : d’un
1 Journal du Palais, 15 décembre 1850.
�420
T R A ITÉ
côté, la minorité du testateur; de l’autre, la qualité de
tuteur de l’institué.
Le droit d’attaquer la donation entre vifs, faite con
trairement à l’article907, appartient incontestablement
au mineur lui-même.Le fait seul qu’elle a été consentie
avant la reddition du compte tutélaire en entraîne im
médiatement l’invalidité, alors même que cette reddi
tion se fût réalisée plus tard. Mais si avant la donation
le mineur devenu majeur avait fait avec son tuteur un
traité de la nature de ceux proscrits par l’article 472, la
nullité de la donation ne pourrait être obtenue qu’après
que celle du traité aurait été prononcée. Il est certain
que si ce traité, contenant décharge, n’était pas atta
qué ou que s’il était maintenu, le tuteur aurait, en fait,
rendu compte de sa gestion. Conséquemment, la do
nation, ultérieurement consentie, serait régulièrement
intervenue.
155. — C’est par ces considération que l’on doit
régir le sort de l’action en nullité soit de la donation,
soit du testament, intentée par les héritiers de l’auteur
de la libéralité contre l’ancien tuteur. On doit donc dis
tinguer le cas où la libéralité aura été faite avant toute
reddition de compte de celui où cette reddition a été
opérée, mais sans les formalités exigées par l’article
472 du Code civil.
Dans le premier cas, l’action est recevable. L’inca
pacité du légataire ou du donataire est absolue. Tous
ceux qui ont intérêt à le faire peuvent en poursuivre le
bénéfice.
�'
D ü DOL E T D E LA FR A U D E .
121
Dans le second cas, au contraire, le tuteur a rendu
compte, irrégulièrement sans doute, mais effective
ment. Son incapacité n’est plus qu’éventuelle ; elle re
paraîtra si le traité qu’il a fait souscrire, en violation de
l’article 472 du Code civil, succombe dans une action
intentée par celui qui a qualité pour la poursuivre. Tant
que cette condition ne se réalise pas, la présomption est
que le compte a été régulièrement rendu. Il est jugé tel
par la partie qui aurait intérêt à faire juger le contraire.
156- — Sans doute cette présomption s’efface pour
faire place à celle de dol, si la nullité du traité est pour
suivie. Mais nous venons de voir que cette poursuite,
toujours loisible pour le mineur (sauf le cas de pres
cription), ne peut appartenir à ses héritiers. Consé
quemment , si le mineur meurt avant de l’avoir in
tentée, tout est consommé; le traité est désormais
inattaquable.
Permettre, en cet état, aux héritiers de faire révoquer
les libéralités faites à l’ancien tuteur, serait atteindre à
ce résultat vicieux que le traité sur la gestion tutélaire
serait exécutoire et valable ; que partant le tuteur se
rait censé s’être acquitté des devoirs que la loi lui im
pose; et que cependant, et par rapport à la libéralité, il
continuerait d’être considéré comme ne les ayant pas
remplies. En d’autres termes, l’incapacité subsisterait
lorsque la cause qui la motive aurait cessé d’exister.
157. — C’est cette conséquence illogique dont la
Cour d’Aix était frappée et qu’elle faisait clairement
�422
T R A ITÉ
ressortir, lorsque, dans son arrêt du 2 févrir 1841, elle
maintenait les libéralités testamentaires que les héri
tiers de l’ancien mineur contestaient au tuteur, par les
motifs que le compte de la tutelle, quoique irrégulier,
était devenu inattaquable ; qu’on ne pouvait plus l’an
nuler; qu’en cet état il y aurait inconséquence flagrante
à anéantir le testament dont l’invalidité ne pourrait être
prononcée qu’autant que celle de la reddition des com
ptes l’aurait été.1
158- — Vainement M. Dalloz , en rapportant cet
arrêt, fait-il observer que la Cour d’Aix se met en con
tradiction avec un arrêt de la Cour de cassation du 14
décembre 1818, jugeant que l’article 907 n’est qu’une
application de l’article 472, et par conséquent que
l’inobservation du délai fixé par la remise préalable des
pièces entraînait l’incapacité du tuteur. Cette contra
diction n’existe réellement pas. Il n’y a, pour en être
convaincu , qu’à lire ces deux arrêts.
Celui de la Cour d’Aix est intervenu sur la demande
en nullité d’une disposition testamentaire faite après
une reddition de compte, irrégulière il est vrai en ce
que les pièces justificatives n’avaient pas été remises
dix jours à l’avance, mais dont la validité n’avait jamais
été contestée par l’ancien mineur , et ne l’était pas
même devant la Cour.
Faut-il conclure, comme le fait le sommaii’e de l’ar
rêt, qu’en maintenant le traité intervenu sur cette reddi-
�DU D O L E T IDE L A F R A U D E .
123
tion, la Cour d’Aixa jugé que la disposition de l'article
472, qui prescrit la remise des pièces dix jours au moins
avant le traité, rient pas exigée sous peine de nullité, en
sorte que le même jour, le tuteur a pu rendre compte et
recevoir sa décharge.de la part de l’oyanl ? Mais l’arrêt,
dans son esprit et dans sa lettre, répugne à celte con
clusion. S’il maintient la reddition, c’est que l’action
ouverte par l’article 472 était éteinte par la prescription
au moment où elle aurait pu être exercée; que d’ail
leurs cette action n’était pas même exercée; et qu’en
cet état, quelle qu’elle fût, la reddition devait produire
tous ses effets. « Attendu, dit la Cour, que la demande
resse serait non-recevable à revenir sur l’acte ren
fermant reddition du compte de tutelle pour en faire
prononcer la nullité ; que cette nullité d’ailleurs n’a pas
été demandée ; et que les juges ne pourraient prendre
en considération le plus ou moins d’irrégularité dont
cet acte serait entâché, sans outre-passer leurs pou
voirs. »
Est-ce là, nous le demandons, décider que la dispo
sition de l’article 472 n’est pas prescrite à peine de
nullité ? Dire qu’une partie n’est pas recevable à faire
valoir une nullité quelconque, est-ce déclarer que cette
nullité n’existe pas ?
159. — Dès-lors, la Cour d’Aix, ne décidant rien en
doctrine, n’a pu se mettre en contradiction avec la Cour
de cassation qui, dans son arrêt du 14 décembre 1818,
ne juge qu’une seule chose, à savoir : que la cession
qu’un enfant fait à son père, son tuteur, de tous ses
�124
T R A ITÉ
droits maternels en masse, sans réserve ni exception,
comprend les meubles et autres objets qui doivent
entrer dans le compte de tutelle dû par le cessionnaire,
qu’en conséquence cette cession est nulle, si elle n’a été
précédée du compte de tutelle. 1
Or, dans cette espèce, il n’y avait eu aucune reddition
de compte; c’était le mineur lui-même qui demandait
la nullité. Aussi la seule difficulté qui était soulevée
était celle de savoir si la cession constituait ou non un
traité sur la gestion tutélaire tombant sous l’application
de l’article 472 du Code civil.
Il n’y avait donc entre cette espèce et celle jugée
par la Cour d’Aix, aucune similitude. Il ne pouvait y
avoir, dès-lors, contradiction dans la décision. L’une et.
l’autre aussi se concilient parfaitement. Dans tous les
cas, celle rendue par la Cour d’Aix fait une application
tellement saine des véritables principes, que si elle eût
été déférée à la Cour suprême, elle en aurait reçu une
éclatante sanction.
160- — Il résulte de ce qui précède, qu’il n’y a réel
lement nullité dans la seconde hypothèse de l’article
907, que lorsque la libéralité par acte entre vifs ou par
testament a été faite avant toute reddition de compte.
De quelque manière que la gestion ait été apurée, si
elle l’a été, on ne peut parvenir à faire invalider la libé
ralité qu’en demandant d’abord la nullité du traité in
tervenu entre le mineur devenu majeur et son tuteur.
1 Journal du Valais, année 1818.
�DU D O L E T D E L A F R A U D E .
125
Tant que ce traité existe légalement, il y a eu en réalité
reddition de compte. La condition, exigée par l’article
907, s’est accomplie, et partant l’incapacité du tuteur
disparaît.
Nous avons dit de plus que l’action, pour faire pro
noncer la nullité du traité irrégulier, est toute person
nelle au mineur, qu’elle ne passe pas même à ses hé
ritiers. D’où la conséquence que le droit, que l’article
907 ouvre à ceux-ci, ne saurait être exercé que lors
qu’il y a absence complète de reddition du compte
tutélaire. Il est vrai que la Cour d’Aix ne s’est pas
expliquée sur la personnalité de l’action. Mais on com
prend que cette question n’ait pas été agitée dans une
espèce où la prescription était acquise et aurait re
poussé le mineur lui-même. Le caractère de l’action
aurait sans doute été agité, si cette circonstance ne s’é
tait pas réalisée. Nous sommes certains que ce que la
prescription a fait admettre serait également résulté du
défaut,d’action. Car, comme la prescription elle-même,
l’absence de réclamations de la part de l’oyant- compte
est une preuve de la régularité de la reddition, efface
toute présomption de fraude et laisse le traité sortir à
effet. Les comptes sont dès-lors rendus et apurés, et
l’incapacité édictée par l’article 907 contre l’ancien
tuteur,[n’ayanfvplus de cause, s’efface et disparaît.
Au reste, ce n’est pas seulement contre les libéralités
entre mineurs et tuteurs que la loi a cru devoir se pré
cautionner. Elle en agit de même toutes les fois qu’elle
peut craindre que la disposition ne soit en définitive
�426
TRAITÉ
autre chose que le résultat d’une affection légitime,
d’une volonté ferme, éclairée et libre.
161. — L’article 909 du Code civil nous en offre un
remarquable exemple. Aux termes de sa disposition,
les docteurs en médecine ou en chirurgie, les officiers
de santé et les pharmaciens qui auront traité une per
sonne de la maladie dont elle meurt, ne pourront pro
fiter des dispositions entre vifs et testamentaires qu’elle
avait faites pendant le cours de sa maladie.
162. — Le motif de cette prohibition est facile à
saisir. La libéralité peut n’avoir été dictée au malade
que par le désir d’être agréable à celui qui est en quelque
sorte l’arbitre de sa santé et même de sa vie; que dans
l’objet de l’intéresser par la l’econnaissance et d’obtenir
ainsi un redoublement de soins et de zèle. Elle peut
aussi avoir été suggérée par le médecin lui-même, dont
l’empire sur l’esprit du malade est d’autant plus fort
que le danger est plus imminent, et que les promesses
de rétablissement sont plus précises. Dans un cas comme
dans l’autre, la disposition n’a aucune cause avouable,
c’est la maladie qui en est l’occasion, c’est la qualité du
donataire qui la détermine , c’est la guérison espérée
qui en est en quelque sorte la condition. C’est surtout
à ce dernier titre qu’elle était énergiquement proscrite
par la loi romaine : Quos eliam ea patimur accipere,
quæ satis ajjerunl pro obsequiis, non ea quœ péricli
tantes pro salulem promillunt. 1
1 L. 9, Cod. de Proffessoribus et Medicis.
�DU D O L E T D E L A F R A U D E .
127
Partant du même point de vue, la loi française a dû
arriver à un résultat identique, elle a donc considéré
les libéralités de ce genre comme les produits d’une vio
lence morale qu’il eût été fâcheux d’encourager. Cette
détermination est avouée par le bon sens et la justice,
en effet, si la spontanéité de volonté, si l’existence d’une
cause légitime est désirable dans les actes à titre
onéreux, elle l’est bien plus encore dans les dispositions
à titre gratuit. Ces dernières dépouillent le disposant
lui-même, une famille appelée par la loi, sans équi
valent aucun, au profit de tiers qui n’ont d’autres droits
que l’élection môme dont ils sont l’objet. Il convenait
donc d’empêcher que l’élection lût, dans son principe,
entâchée d’un vice quelconque, et conséquemment, on
devait lui refuser tous ses effets, lorsqu’elle pouvait
n’être que le résultat de l’entraînement ou le produit de
l’obsession.
Or, n’est-ce pas ce qui se réalise dans les libéralités
donc s’occnpe l’article 909? N’ayant le plus souvent
d’autre cause que la maladie elle-même, faites à un do
nataire dont le seul titre est d’être médecin, c’est-à-dire
présumé capable de déterminer par ses prescriptions ce
retour à la santé si vivement désiré? Certes, la coinci
dence de cette double condition était de nature à faire
naître le soupçon, à armer la sévérité du législateur, à
le décider enfin à adopter une mesure qui, toute pré
ventive, a le mérite incontestable de retenir dans les
bornes de la probité, celui qui, appelé au chevet d’un
malade, oserait vouloir abuser de son caractère et de
son influence.
�T R A ITE
128
105. — La véritable pensée du législateur a donc
été de se prémunir contre la faiblesse de l’un, contre
l’abus de l’empire que l’autre doit à sa qualité. Ce qui le
prouve, c’est que la présomption de dol n’est acquise
que par la réunion des circonstances que nous signa
lions, à savoir : 1° que le malade donateur ait été traité
par le médecin donataire, pendant la maladie dont il
est décédé; 2° que la libéralité ait été faite pendant le
cours de la maladie. Le défaut d’existence de l’une ou
l’autre de ces conditions laisserait la libéralité sous
l’empire des principes ordinaires.C’est ce qui a été sou
verainement jugé le 9 avril 1835, par la Cour de cas
sation. 1
On ne pourrait, au reste, décider le contraire sans se
mettre en contradiction avec l’esprit de la loi. La dis
position proscrite par l’article 909 n’est traitée avec
cette sévérité que parce qu’elle est envisagée comme
un pacte sur la guérison future. 11 faut donc de toute
nécessité, pour que ce pacte existe, que ses divers élé
ments se réalisent simultanément. Si donc la libéralité
avait été consentie avant la maladie, soit pendant le
cours d’une maladie précédente, soit pendant que le
disposant jouissait d’une santé parfaite, on ne pourrait
la considérer comme la condition de soins qui n’é
taient ni nécessaires ni requis. Rien n’empêcherait donc
qu’elle sortît à effet.
164. — Ainsi, celui qui attaque une libéralité au
1 Journal du Palais, année 1855.
�129
point de vue de l’article 909, doit nécessairement prou
ver l’existence de la double condition que nous venons
de signaler. Mais il n’y a que cela à prouver, car la réu
nion de ces conditions imprime à la disposition un tel
caractère que son annulation en est une conséquence
forcée.
Or, la plupart des circonstances sur lesquelles ces
conditions reposent sont de nature à être matérielle
ment constatées. Le commencement de la maladie rap
prochée de la date de la disposition, le fait du décès du
disposant, les soins donnés par l’institué, sont des
points sur lesquels il sera facile d’asseoir une opinion.
La date de la donation apprendra par elle-même si
elle est contemporaine de l’état de maladie, surtout s’il
s’agit d’une disposition entre vifs constatée par acte au
thentique. Mais il peut y avoir plus de difficultés s’il
s’agit d’un testament olographe. On sait que ce testa
ment fait foi de sa date. En réalité cependant rien n’est
plus facile que de l’antidater, et c’est ce que l’on fera
sans doute lorsqu’il s’agira d’éluder la disposition de
l’article 909.
C’est dans ce cas surtout que se décèle l’importance
de la prescription sur la simultanéité des conditions
que nous venons d’indiquer. La date seule du testament
faisant évanouir l’une d’elles, la libéralité est à l’abri
de toute atteinte, alors même qu’il y a lieu de soup
çonner l’antidate. Cependant, comme cette antidate
constitue une simulation contre une disposition prohi
bitive de la loi, les héritiers pourront l’attaquer; mais
leur action se trouvera, dans ce cas, régie par les prini
9
DU D O L E T D E L A F R A U D E .
�I
cipes ordinaires, aux termes desquels la fraude ne se
présume jamais. Ils seront donc obligés d’en fournir
la preuve.
Quant à la qualité du donataire, ne perdons pas de
vue qu’elle n’est pas par elle seule un indice de dol. Il
faut en outre qu’elle coïncide avec le traitement de la
maladie. C’est donc l’existence de ce traitement qu’il
convient d’abord d’établir.
Ainsi, par exemple, l’article 909 place les pharma
ciens au nombre des personnes suspectes. Mais il est
certain que la prohibition ne peut les atteindre que
lorsque, prenant la place du médecin, ils en ont rempli
les devoirs durant le cours de la maladie. Ainsi si, se
renfermant dans leur ministère, les pharmaciens se
sont bornés à préparer et à fournir les remèdes pres
crits, la libéralité dont ils seront l’objet n’a rien d’illi
cite ni de suspect.
430
TR A ITE
165- — Ce point, constant en doctrine et en juris
prudence, en confirmant ce que nous disions, que l’in
capacité est bien plutôt une conséquence du traitement
que de la qualité de la personne, doit servir à résoudre
une difficulté qui s’est quelquefois présentée sur l’appli
cation de l’article 909, aux personnes qui, sans être re
vêtues d’un caractère légal, ont cependant réellement
traité le malade donateur.
Contre cette application, on a dit qu’en matière de
déchéances ou d’incapacités, la loi doit être entendue
dans un sens restrictif; qué l’article 909 ne pouvait
donc être invoqué que contre les personnes qui y sont
�m
nominalement désignées, que l’étendre à d’autres, c’est
le violer et faire une assimilation qu’il ne saurait com
porter.
A ces objections il a été répondu que la présomption
créée par l’article 909 est fondée sur l’empire que l’on
doit reconnaître au donataire sur l’esprit du donateur;
que cet empire s’acquiert non pas parce qu’on est
médecin, chirurgien, officier de santé ou pharmacien,
mais bien parce que, appelé auprès du malade, on en
remplit les fonctions en prescrivant le traitement qui
doit lui faire recouvrer la santé; que si, sous l’empire
de ces idées, la loi a nominativement désigné certaines
professions, c’est que ceux qui les exercent légalement
sont le plus ordinairement choisis ; qu’elle n’a pas dû
supposer qu’un autre pût usurper leurs fonctions et se
constituer ainsi en délit; qu’elle a dû, en tout état des
choses, s’abstenir d’une désignation qui, fondée sur
cette possibilité, aurait pu paraître un encouragement;
que dans tous les cas il serait singulier qu’un individu,
agissant comme médecin et ne l’étant pas, fût traité plus
favorablement que le médecin légalement institué.
D’ailleurs, il est évident que celui qui s’ingère dans
l’art de guérir, qui en exerce les fonctions, devient, en
fait, le médecin de celui qui lui a confié la direction de
sa santé. Il rentre donc, comme tel, dans la catégorie
des personnes nommées dans l’article 909- Il y a même,
pour leur faire partager l’incapacité de celles-ci, une
supériorité de raisons incontestables. Les charlatans,
les empiriques sont loin de présenter les garanties de
moralité et de délicatesse que l’on trouve chez les perDU D O L E T D E L A F R A U D E .
�T R A ITE
sonnes vouées à l’exercice des diverses branches de
l’art de guérir. Était-ce donc au moment où la fraude
acquiert plus de vraisemblance que le législateur se se
rait départi des précautions qu’il a jugées indispen
sables dans tous les cas?
•
Non, il ne pouvait ni 11e devait le faire. Il ne l’a pas
fait, en réalité, car il les a, sinon explicitement, du
moins implicitement désignés dans sa disposition. C’est
ce qu’enseignent les débats et les explications qui ont
eu lieu dans le sein du conseil d’État et à la tribune de
nos chambres législatives. Rappelons-nous ce passage
du rapport que M. Jaubert faisait au tribunat : 11 serait
superflu de faire remarquer que la loi atteindra, par
voie de conséquence nécessaire, tous ceux qui, dé
pourvus d’un litre légal, oseraient s’ingérer dans les
fonctions de l'art cle guérir. 1
Ce n’est donc pas ajouter à l’article 909, que de le
rendre commun à ceux qui, sans aucun titre, auront
traité un malade et usurpé la qualité de médecin ; c’est
au contraire lui donner sa véritable signification. C’est
ainsi que l’enseignent Merlin, Toullier, Duranton; c’est
aussi ce qui a été consacré par la jurisprudence.
166- — En effet, la Cour d’appel de Paris a annulé,
le 9 mai 1820, le legs fait à un individu qui exerçait la
profession de médecin sans titre et qui avait reçu chez
lui le testateur, comme pensionnaire, quelques années
avant son décès. *
1 Locré, tom. 11, p. 442, n" 17.
J Dalloz, A., tom. v, p. 282.
�DD D O L E T D E L A F R A U D E .
133
De son côté, la Cour de Grenoble a jugé, le 9 mai
1830, qu’une femme qui exerce habituellement l’art de
guérir, se trouve comprise dans la prohibition de l’ar
ticle 909; qu’en conséquence elle ne peut profiter des
dispositions testamentaires faites en sa faveur par la per
sonne qu’elle a traitée pendant sa dernière maladie. 1
167. — Cette doctrine nous paraît tellement con
forme à l’esprit véritable de la loi, que nous l’appli
quons, sans hésiter, au don ou legs fait en faveur d’une
sage-femme. En effet, de deux choses l’une, ou la sagefemme a été appelée pour un accouchement, ou elle l’a
été pour une maladie ordinaire.
Dans le premier cas, elle a légalement capacité pour
suivre l’accouchement dans toutes ses phases, pour en
prescrire et en suivre le traitement. Elle est donc, quant
à ce, le véritable chirurgien, l’arbitre de la santé et mê
me de la vie de la malade. Par voie de conséquence, on
doit lui supposer toute l’influence que le médecin pour
rait avoir lui-même.
Dans le second cas, la mission que la sage-femme ac
cepte est en dehors de ses pouvoirs, elle constitue
même le délit d’exercice illégal de la médecine. Mais
nous venons de voir que l’article 909 n’est, pas impuis
sant devant une usurpation de ce genre. Dès-lors, la
sage-femme, rentrant dans la classe de médecins sans
titre, serait atteinte par la prohibition qui leur est com
mune avec les véritables médecins.
1 Journal du Palais, minée 1830,
�i3A
T R A ITÉ
168. — On s’est, de plus, demandé si cette prohi
bition doit s’étendre aux garde-malades qui ont soigné
la personne qui a disposé en leur faveur. Cette question
peut avoir de l’importance, en ce qui concerne les reli
gieuses qui se sont vouées à cette profession. Leur édu
cation et leur position les mettent à même d’exercer et
d’acquérir une influence à laquelle des garde-malades,
prises dans les rangs infimes delà société, ne pourraient
que très difficilement atteindre.
Quoi qu’il en soit, la négative qui a été généralement
admise nous paraît résoudre la question dans un sens
aussi raisonnable que légal. Une garde-malade est une
domestique qu’on peut renvoyer. Il n’y a entre les ser
vices qu’on attend d’elle et ceux que le médecin peut
rendre ni assimilation ni analogie. C’est donc aux in
téressés à mettre un terme aux obsessions dont le ma
lade peut être l’objet de sa part; à eux encore à pour
suivre, mais par application des principes ordinaires, la
nullité des avantages que ces obsessions auraient dé
terminés.
169. — En résumé, l’application de l’article 909 se
détermine bien plutôt par la conduite du donataire à
l’égard du donateur, que par la qualité dont le premier
se trouve revêtu. Médecin ou non, celui qui a présidé
aux soins reçus par le malade, dicté le traitement, doit
être privé des libéralités qu’il aurait obtenues pendant
la durée de ce traitement et de ces soins. Nous aurons,
cependant, à faire remarquer une différence, quant aux
exceptions autorisées par l’article 909, entre les per-
�DU D O L E T D E L A E l l AUDE.
1 35
sonnes que cet article désigne nommément et celles
qui leur ont emprunté leur qualité. 1Mais, quant à l’ap
plication du principe général, nous le répétons, ce qui
est essentiel à constater, c’est le fait du traitement.
A quels caractères devra-t-on en reconnaître l’exis
tence ? C’est là une question dont l’appréciation ne
pouvait être ni précisée ni limitée. C’est donc aux ma
gistrats qu’il appartient de la résoudre souverainement
et selon les inspirations de leur conscience. C’est ce que
la Cour de cassation a consacré par son arrêt du 9 avril
1855, en décidant : que le traitement présente, par l’en
semble des circonstances, la qualité des remèdes et la
nature des soins, un fait complexe dont l’appréciation
est confiée aux lumières et à la conscience des juges.
Ce qui est certain, toutefois, c’est qu’on ne saurait
voir un traitement, tel que l’entend la loi, dans le fait
d’avoir rendu quelques visites, donné accidentellement
quelques soins ou indiqué quelques-uns de ces remèdes
inoffensifs qui se trouvent dans la bouche de tout le
monde. Ainsi, le médecin appelé en consultation, la
personne qui se serait bornée à indiquer un traitement
sans le suivre, celle qui, se trouvant quelquefois auprès
du malade, aurait aidé à le panser, ne pourrait être con
sidérée comme incapable de recueillir la libéralité dont
elle aurait été l’objet. L’idée que suggère l’exigence d’un
traitement emporte avec elle celle de soins constants,
d’une surveillance assidue, d’une direction exclusive et
journalière des soins à donner au malade. On ne saurait
�136
TRAITE
donc le confondre, soit avec l’appel et le secours acci
dentel d’un habile praticien qui, étranger au traitement
du malade avant la consultation, redevient après celleci ce qu’il était auparavant; soit avec les marques d’in
térêt que les amis du malade seraient dans le cas de lui
prodiguer.
170. — L’incapacité édictée contre les médecins,
chirurgiens, officiers de santé et pharmaciens est éten
due par l’article 909 aux ministres du culte. Leux-ci ne
peuvent donc recevoir aucune libéralité, sous quelques
formes que ce soit, du malade dont ils ont dirigé la
conscience. Cette disposition est conforme aux prin
cipes de notre jurisprudence ancienne. Le Code pou
vait d’autant moins hésiter à la consacrer, qu’au point
de vue où se plaçait le législateur cette consécration de
venait une nécessité impérieuse.
En effet, s’il est vrai que le médecin soit dans le cas
de se créer, par l’exercice de ses fonctions, une influence
grave sur l’esprit de son malade, il convient, néan
moins, de reconnaître que cette influence ne sera ja
mais aussi facile, aussi puissante que celle que le prê
tre trouvera dans l’exercice de son ministère. Ministre
de la religion, dispensateur de ses grâces, son empire
sur l’esprit faible et timoré du mourant sera sans bor
nes. La foi religieuse, qui a le plus longtemps som
meillé, se réveille quelquefois plus ardente et plus vive
en présence du terrible problème qui va se résoudre.
Est-il, dans une pareille circonstance, un sacrifice ca
pable d’arrêter celui qui, placé sur le seuil de l’éternité
�DU D D L E T DE L A ERAUDE.
137
et dans une pensée de salut, croira devoir se concilier la
religion et obtenir le pardon que le prêtre est autorisé à
faire descendre sur sa couche de douleurs et d’agonie?
L’abus est donc bien plus à.craindre du médecin de
l’âme que du médecin du corps. Il y a entre la mission
de l’un et de l’autre toute la distance qui sépare les pro
fondeurs de la croyance religieuse, de la foi que peu
vent inspirer les promesses si incertaines de la science
humaine. En conséquence, excepter l’une des précau
tions ordonnées contre l’autre, c’était se condamner à
rester désarmé en présence d’un danger plus immi
nent et plus réel.
Sans doute si les ministres du culte étaient tous ce
qu’ils devraient être, ces précautions eussent été inu
tiles. Mais de quoi n’a-t-on pas abusé? L’histoire de no
tre justice, tant civile que criminelle, est l'a pour nous
apprendre que partout où il y a des hommes, les pas
sions, même les plus honteuses, savent se frayer une
large et déplorable voie.
Retenir dans le devoir ceux qui seraient tentés de
s’cn écarter, telle doit être la pensée de toute légis
lation. À ce titre, la disposition dont nous nous occu-,
pons est éminemment morale et juste.
Les libéralités faites aux ministres du culte sont
donc, comme celles au profit des médecins et chi
rurgiens, frappées d’une présomption de dol. Les unes
et les autres ne sont, aux yeux de la loi, que le produit
de sentiments suggérés, que le résultat d’une influence
illégitime.
�138
T R A ITE
171. — Mais on donnerait à l’article 909 mie inter
prétation abusive, si l’on voulait en faire ressortir une
incapacité absolue, en ce qui concerne les ministres du
culte. En les plaçant sur la même ligne que les méde
cins, cet article leur rend communes non-seulement la
prohibition elle-même, mais encore les conditions aux
quelles elle est encourue. En d’autres termes, la nullité
de la disposition ayant pour cause unique la présom
ption d’une influence illégitime, elle ne saurait être ni
demandée ni ordonnée, lorsque les circonstances prou
vent que celte influence n’a pu se réaliser.
Ainsi, pour que le ministre du culte soit atteint de
l’incapacité édictée par la loi, il faut qu’il ait usé de son
caractère pendant le cours de la maladie, prodigué au
malade les soins spirituels et dirigé sa conscience. A ces
conditions, il ne pourra profiter de la libéralité dont il
aura été l’objet. Par voie de conséquence, si, en fait, ces
conditions ne se sont pas réalisées, ou si sa conduite
auprès du malade est exclusive de toute idée d’in
fluence, la libéralité légalement obvenue devra sortir à
effet.
172, — II a été jugé que le prêtre qui n’a pas con
fessé le malade pendant sa dernière maladie, mais qui,
postérieurement au testament, lui a donné, au moment
où il allait expirer, l’extrême-onction, n’est pas frappé
de l’incapacité de recevoir exprimée dans le dernier ali
néa de l’article 909. 1
Toulouse, 20 novembre 1835. — Journal du Palais, année 1835.
�DU D O L E T D E LA F R A U D E .
139
173. — Il semblerait résulter de cette doctrine que
la confession seule établit l’incapacité. Cette opinion ,
qui était celle que l’ancienne jurisprudence avait con
sacrée, doit-elle encore être suivie sous l’empire du
Code?
La Cour de Grenoble l’a tellement pensé ainsi, qu’elle
a décidé, le 14 avril 1806, que le prêtre qui est conti
nuellement resté auprès d’une personne pendant la ma
ladie dans laquelle elle a fait son testament, et dont
elle est morte, qui lui a donné l’extrême-onction, sans
l’avoir cependant confessée, n’est pas incapable de re
cueillir les dispositions faites à son profit dans ce
testamentl.
174. — Si cette solution devait recevoir la consécra
tion d’un principe , on arriverait, par une conséquence
directe, à éluder facilement les prescriptions de l’ar
ticle 909, dans les cas précisément où leur application
serait le plus nécessaire. Qu’un prêtre puisse, par sa
présence continuelle, acquérir sur le malade cet ascen
dant que la loi redoute ; que le malade obéisse, dans
ses dispositions de dernière volonté, aux suggestions
dont cet ascendant peut être suivi, c’est ce qui est na
turel d’admettre. O r, c’est précisément contre une hy
pothèse de ce genre que la loi s’est armée de sévérité.
Si donc il suffisait au prêtre, qui par ses assiduités ,
par des entretiens fréquents, par ses visites journalières
a solidement établi son empire sur le malade , de s’abs1 Dalloz , A.., I. v , p. 292.
�440
T R A ITE
tenir de le confesser pour être capable de recevoir les
libéralités dont il serait l’objet, l’article .909 ne serait
plus qu’une menace vaine dont on pourrait impuné
ment se jouer.
Aussi apparaît-il, de l’arrêt lui-même , que la Cour
de Grenoble, frappée de ces considérations, n’en a point
méconnu la gravité; qu’elle a voulu rendre un arrêt
d’espèce plutôt qu’un arrêt de principe. C’est ainsi
qu’elle constate d’abord que la libéralité attaquée doit,
par son peu d’importance, être considérée comme un
acte de rémunération; que les faits allégués n’étaient
pas prouvés; qu’ils étaient même de toute invraisem
blance, d’après les opinions que le testateur avait ma
nifestées par écrit. On peut dès-lors, dit avec raison
M. Dalloz jeune, croire que la Cour eût décidé autre
ment, si les assiduités du prêtre, même sans confession,
avaient été de nature à captiver l’esprit du malade, par
l’influence de son caractère sacerdotal.1
C’est encore ce caractère spécial de l’arrêt qui a dé
terminé le rejet du pourvoi dont il avait été frappé.
« Attendu, dit en effet la Cour suprême, que l’incapa
cité résultant de l’article 909, en ce qui concerne les
ministres du culte, n’est point absolue, et qu’elle ne
s’applique qu’à ceux de ces ministres qui ont rempli les
fonctions de leur culte auprès du testateur ; attendu que
l’arrêt attaqué décide en fait que l’abbé Geneys n’a
rempli aucune fonction de cette espèce auprès du sieur
1 Dict, de jurisp. , vis disp, entre vifs, n° 219.
�U\
Montlouvier^; d’où il suit qu’il était capable de recevoir
de celui-ci toute espèce de legs. »
DU D O L E T O E LA F R A U D E .
175. — Il résulte, selon nous, de cette jurispru
dence , une seule chose, à savoir : que , de même que
le traitement par le médecin, l’assistance du prêtre est,
par sa nature, par ses circonstances, un fait complexe
dont l’appréciation souveraine est laissée à la prudence
et aux lumières du juge ; que si elle se décèle forcément
par la confession, elle peut aussi exister en l’absence
de celle-ci ; qu’il y a donc incapacité toutes les fois que
les faits relevés tendent à faire considérer la donation
ou le legs comme le produit de l’influence acquise au
donataire ou légataire.
Cette conclusion nous paraît d’autant plus ration
nelle que s’il fallait admettre la confession comme la
cause unique de l’incapacité édictée par la loi, il fau
drait, comme le fait Toullier, arriver, par voie de con
séquence , à décider que l’article 909 est inapplicable
aux ministres des religions qui n’admettent pas la con
fession. Cependant la volonté du législateur, d’atteindre
les ministres de tous les cultes, ne sauraient être dou
teuse. Elle résulte invinciblement de l’esprit et des mo
tifs de la loi.
176. — La présomption de dol, créée par l’article
909, est une présomption juris et de jure. L’institué
contre lequel on aura fait la preuve exigée par la loi, ne
pourra faire maintenir la disposition attaquée qu’en jus-
�142
TR A ITE
tifiant qu’il se trouve dans un des cas d’exception auto
risés par ce même article.
Ces exceptions se rapportent à la nature de la dispo
sition, à la qualité de la personne appelée à en profiter.
Il était naturel, en effet, de restreindre l’article 909 dans
des limites raisonnables, de ne pas le rendre un obsta
cle invincible à tout témoignage d’une reconnaissance
méritée ou d’une affection légitime. Agir autrement,
c’était éloigner du malade les soins de ses parents, de
ses amis les plus affectueux , les plus dévoués.
<r On n’a pas voulu, disait l’orateur du gouvernement
dans l’exposé des motifs , que le malade fût privé de
donner à ses médecins quelque marque de sa recon
naissance, eu égard à sa fortune et aux soins qui lui
auraient été rendus; il eût été aussi injuste d’interdire
les dispositions, celles-mêmes qui seraient universelles,
faites par le malade, au profit de ceux qui le traite
raient et qui seraient de ses parents. S’il y avait des hé
ritiers en ligne directe, du nombre desquels ils ne se
raient pas, la présomption, qui est la cause de leur in
capacité, reprendrait toute sa force. 1 »
Ces considérations enlèvent à l’application de la loi
toute difficulté sérieuse. On sait ce que peut, ce que
doit être un acte de gratitude. Récompenser quelqu’un,
ce n’est pas ordinairement lui donner tout son bien, au
détriment des droits que les relations de famille, que les
liens de parenté supposent et créent.
177. — De là cette conséquence qu’une institution
1 Locré, t. ii, p. 364, n° 8.
�443
universelle ne saurait jamais constituer un simple acte
de rémunération.C’est pourquoi la loi commande l’annu
lation dans tous les cas, alors même que le disposant, ne
laissant que des collatéraux éloignés, l’eût qualifiée de
rémunération. On ne verrait dans cette qualification
qu’une fraude à l’effet d’éluder la prohibition de la loi.
Ajoutons que la nullité d’une institution de ce genre
est générale et absolue. Elle est également présumée le
produit d’une suggestion illégitime ; et dès-lors il est im
possible de l’attribuer en tout ou en partie à la volonté
libre de son auteur. Les tribunaux ne pourraient donc ,
procédant par voie de retranchement, la réduire aux
proportions d’un acte rémunéraloire. Ce serait valider
en partie une volonté que la loi proclame sans effet.
DU D O L E T D E L A F R A U D E .
178. — Il n’en est pas de même de l’institution parti
culière. La loi qui l’autorise ne peut pas admettre qu’elle
soit excessive, car l’abus qu’elle a voulu proscrire dans
l’institution universelle se reproduirait bientôt sous la
forme d’une disposition à titre rémunératoire. Le testa
teur pourrait s’exagérer la portée des soins qu’il reçoit.
On pourrait même lui en suggérer la pensée.C’est pour
éviter que le mal ne fût ainsi déplacé que le législateur a
tracé les éléments qui doivent servir à l’appréciation de
la libéralité. Ces éléments sont : d’un côté la fortune du
disposant, de l’autre la nature des soins qu’il a reçus.Les
tribunaux doivent donc se renfermer dans ces limites
et réduire la disposition qui paraîtrait s’en écarter.
Le maintien d’une institution rémunératoire peut être
réclamée dans tous les cas et par tous les ayants-droit.
�MA
TRAITÉ
Peu importerait que cette institution n’eût pas été faite
expressément à ce titre. Il suffirait qu’au fonds elle fût
bien réellement un témoignage de reconnaissance pour
qu’elle dût recevoir sa pleine et entière exécution.
179. — L’institution universelle est autorisée lors
que celui qui en a été l’objet, quoique appartenant à la
catégorie des personnes désignées par l’article 909, est
parent du testateur au quatrième degré inclusivement,
si celui-ci ne laisse aucun héritier en ligne directe. S’il
existe des héritiers directs, et que l’appelé ne soit pas
du nombre, l’institution universelle doit être annulée.
180. — Ces prescriptions de l’article 909 sont irri
tantes et absolues. Les médecins, chirurgiens, officiers
de santé et pharmaciens ne pourraient, en dehors de
ces conditions, exciper de l’affection du testateur pour
faire maintenir la libéralité. Il y a plus encore. La loi
ne s’expliquant pas sur l’alliance, l’existence de celleci, même à un degré très rapproché, ne ferait pas dis
paraître l’incapacité. Dans ces matières, la prohibition
forme le droit commun. Elle ne comporte donc d’autres
exceptions que celles qui sont formellement autorisées.
Le législateur n’ayant pas mis l’alliance sur la même
ligne que la parenté, a, par cela seul, excepté la prer
mière de la règle tracée pour celle-ci.
181. — Doit-on appliquer les mêmes principes aux
personnes qui, sans caractère légal, ont traité le tes
tateur pendant sa dernière maladie ?
�.
DU D O L E T D E L A F R A U D E
145
Nous avons vu que ces personnes sont assimilées ,
quant à la prohibition, aux médecins, chirurgiens et
pharmaciens , nommément désignés par la loi. On de
vrait donc conclure qu’il est naturel d’exiger pour elles
ce qu’on exige pour ceux-ci.
Mais ne perdons pas de vue que leur incapacité résulte
d’une analogie dont on ne saurait contester la justesse.
Or, c’est cette analogie qu’il s’agit d’établir, et cette re
cherche présente aux juges une appréciation de fait li
vrée à leur conscience, mais qui, dans tous les cas ,
doit, pour se placer sous le coup de l’article 909, cons
tituer véritablement l’abus que cet article a voulu ré
primer. Ainsi l’analogie sera complète, lorsque les soins
donnés sont dus à l’usurpation des fonctions, lorsqu’ils
sont une conséquence des connaissances médicales sup
posées , et que c’est à ce titre unique que l’institué a
été appelé.
Mais il n’y a plus aucune analogie lorsque celui qui
a traité le malade, sans être médecin , n’a agi que sous
l’influence de la pensée d’un devoir. Lorsque d’un côté
les soins, de l’autre l’affection sont justifiés par des re
lations antérieures, non équivoques, dont la continua
tion ne saurait être blâmée sans condamner les plus no
bles des sentiments, l’affection et la reconnaissance.
Dans ce cas, la loi ne se trouve plus en présence d’une
présomption d’abus de la faiblesse d’un moribond; elle
doit dès-lors respecte]- les volontés manifestées par
ce! ni-ci.
182. — C’est ainsi que la Cour de cassation a jugé,
i
10
�TR A ITE
146
le 24 juillet 1832, que la prohibition de l’article 909
ne s’applique pas à celui qui, sans titre légal, a exercé
ja médecine, la chirurgie ou la pharmacie à l’égard du
malade qui a testé en sa faveur, lorsqu’il a été traité
par lui, sa vie durant, comme son fils.1
Dans cette espèce, le légataire avait été recueilli à
l’âge de deux ans par le testateur, qui l’avait élevé et
envoyé en dernier lieu étudier la médecine à Paris. A
la nouvelle du péril de son bienfaiteur, l’élève, abandonnant ses études, était accouru à son chevet, lui
consacrer les connaissances médicales qu’il devait à ses
bienfaits. On comprend dès-lors que les magistrats, ap
préciant sa conduite, les motifs qui la lui dictaient ,
aient refusé d’y voir une assimilation quelconque avec
les actes que l’article 909 prohibe. C’était là une dé
cision morale et juste que la Cour suprême ne pouvait
blâmer. C’est surtout pour des pareilles hypothèses
qu’on doit mettre en pratique cette maxime de la
raison écrite : Laudandus potius quant exhæredandus
heres.
Il est vrai que les mêmes considérations militeraient
pour le médecin titulaire qui aurait traité un malade
dans une semblable hypothèse. Cependant l’arrêt de la
Cour de cassation semble indiquer qu’on devrait, pour
celui-ci, maintenir la prohibition de l’article 909. Mais
si le magistrat, usant du pouvoir souverain d’appré
ciation que la loi lui confère, est libre, lorsqu’il s’agit
de rechercher si l’acte qui lui est dénoncé tombe ou
Journal du Palais , année 4832.
�DU D O L E T D E L À F R A U D E .
147
non sous le coup de la prohibition, de n’écouter que
les inspirations de sa conscience ; cette liberté, il né
l’a plus lorsque la loi s’est nettement et formellement
expliquée. Or, c’est ce qui se réalise à l’égard des per
sonnes nommément désignées par l’article 909. Pour
elles, il n’y a que deux exceptions, à savoir : celle tirée
de la parenté au quatrième degré, celle tirée du ca
ractère rémunératoire de la disposition. On ne pourrait
donc en ajouter d’autres, sans violer la volonté formelle
du législateur, sans affaiblir la règle générale qu’il a
tracée, sans changer complètement la nature et le ca
ractère de sa disposition.
185- —- La seconde condition, indispensable pour
qu’on présume le dol, c’est, nous l’avons déjà dit, que
la libéralité en faveur des personnes suspectes ait été
faite pendant le cours de la maladie dont le testateur est
mort. Puisque la sévérité de la loi n’est que la consé
quence de la crainte que la disposition ne soit due en
réalité qu’à l’entraînement et. à la faiblesse, il était de
rigueur que les circonstances qui ont pu les déterminer,
l’un et l’autre, se fussent continuées, sans interruption,
du jour de l’acte à celui où il doit sortir à effet. Si, dans
l’intervalle, le disposant a pu détruire, modifier ou
changer les volontés d’abord exprimées, et qu’il se soit
abstenu de le faire, on doit avec raison considérer sa
conduite comme la preuve que c’est avec pleine liberté
d’esprit et de son propre gré qu’il a pris sa détermi
nation.
Vainement donc prouverait-on qu’une institution a
�148
T R A ITE
été faite par un malade, pendant le cours de sa maladie,
en faveur du médecin qui l’a traité, ou du prêtre qui a
dirigé sa conscience. Si le malade, revenu à la santé, a
laissé subsister son institution, rien ne s’opposerait à
son exécution, alors même que, dans la maladie nou
velle à laquelle il a succombé, le médecin et le prêtre
eussent continué à exercer auprès de lui l’exercice de
leur ministère.
Il en serait de même si le testament ou la donation
avait été faite en état de santé et avant toute atteinte du
mal dont le testateur ou le donataire est devenu la vic
time.
18-4. — Nous avons déjà plusieurs fois rappelé qu’on
ne peut accomplir indirectement ce que la loi pro
hibe de faire d’une manière directe. Par application de
ce principe à la matière qui nous occupe, on ne devrait
pas hésiter à annuler la libéralité que l’on aurait dé
guisée sous les apparences d’un acte à titre onéreux.
L’acte, dans cette hypothèse, réunirait la fraude au dol.
L’application de l’article 909 n’en serait que plus ur
gente, que mieux justifiée.
Doit-on, dans ce cas, présumer la simulation ? Quel
est le mode de preuves admissibles? C’est ce que nous
aurons à rechercher dans la seconde partie de cet ou
vrage, dans laquelle nous aurons à nous occuper de la
fraude d’une manière spéciale.1
185. — La disposition de l’article 1965 du Code cit Vid. infra, de la fraude, chap. 1er, sect 1re.
�DU D D L E T DK LA E U A U D E .
149
vil pourrait nous fournir uu nouvel exemple de dol pré
sumé. Le refus de toute action pour dettes de jeu n’est,
en principe, fondé que sur l’illégitimité des moyens
qui les ont constituées.
Cependant, il y a entre la dette de jeu et la dette pro
duite par le dol cette différence essentielle : que la pre
mière crée une obligation naturelle reconnue par la loi.
Ainsi l’article 1969 déclare non sujet à répétition tout
ce qui a été volontairement payé par le perdant. La se
conde, au contraire, n’oblige ni civilement ni naturel
lement. Dès-lors, et par application de l’article 1235 du
Code civil, tout ce qui aurait été payé parle débiteur
doit lui être remboursé.
Nous aurons, d’ailleurs, à nous occuper plus spécia
lement de l’article 1965 dans nos observations sur la
fraude. Il est certain, en effet, que, par le concours
obligé des deux parties, le jeu constitue plutôt une
fraude qu’un dol véritable. Notons, cependant, qu’en
matière d’exécution donnée par les joueurs, le législa
teur a considéré la simple supercherie comme un véri
table dol. Comme celui-ci, en effet, elle annule le paie
ment qu’elle aurait seule déterminé.
186. — Le Code de commerce, à son tour, présente
de nombreux exemples de fraude et de dol présumés.
C’est de ces derniers que nous avons à nous occuper ex
clusivement dans cette partie de notre travail.
Il n’est dans le commerce aucune industrie exposée à
plus de chances et de dangers que l’assurance maritime.
Son utilité n’est plus cependant une question, chacun
�comprend et repète depuis longtemps qu’il n’est aucune
institution qui ait rendu de si grands services, qui ait
plus efficacement concouru au développement du com
merce, cette source de prospérités pour l’état. Les as
surances maritimes, disait M. Corvetto dans l’exposé
des motifs du Code, ont rapproché les quatre parties
du monde.
187. — Les écueils à travers lesquels le contrat
d’assurance, ce noble produit du génie, ce premier ga
rant du commerce maritime, 1 est condamné à se frayer
une route, son immense et éclatante utilité traçaient au
législateur un visible devoir. Une protection de tous les
instants, une faveur exceptionnelle était indispensable
pour contre-balancer l’imminence d’une fraude d’autant
plus à redouter qu’elle s’anéantit avec le navire qui la
recèle dans les abîmes de la mer, et prévenir ainsi la
ruine et le découragement de ceux que l’application du
droit commun ne pouvait suffisamment défendre.
Ce devoir a été compris de tous les temps, à toutes
les époques. Ëmérigon, l’illustre commentateur, nous
indique dans sa Préface les précautions que les diffé
rents peuples commerciaux avaient prises dans l’in
térêt de leur navigation, sous l’empire desquelles vivait
encore la France jusqu’au moment où l’immortelle or
donnance de 1681 vint leur assurer une efficacité en
même temps qu’une autorité imposante et décisive.
Cette ordonnance, résumé d’une pratique éclairée
1 Corvetto, Exposé des motifs.
�151
par l’expérience, d’une doctrine enseignée par des ju
risconsultes célèbres, par des publicistes tels que Gro
tius, Puffendorf, Casaregis, Ausaldus, etc., est un des
plus beaux fleurons du siècle immortel de Louis xiv ;
elle est le Code le plus complet, le plus précis de la ma
tière. Et, si nous avions besoin de le prouver, nous rap
pellerions qu’en 1807, alors que deux siècles environ
s’étaient écoulés, le législateur n’a eu, pour la plus
grande partie de son oeuvre, qu’à répéter les disposi
tions de son prédécesseur.
DU D O L ET D E L A F R A U D E .
188. -r- A proprement parler, le Code de commercé
n’a eu qu’à convertir en principes quelques inductions
que la pratique avait tirées de l’ordonnance de 1681.
Le fonds des choses n’a pas changé, les dispositions es
sentielles sont reproduites et prises dans cette ordon
nance.
C’est d’une de ces additions que nous avons à nous
occuper, celle qui résulte de l’article 5-48.
« Toute réticence, porte cet article, toute fausse dé
claration de la part de l’assuré, toute différence entre le
contrat d’assurance et le connaissement, qui diminue
raient l’opinion du risque ou en changeraient le sujet,
annulent l’assurance. »
Contrairement au droit commun, le dol est présumé
dans ces divers cas. Nous verrons bientôt l’effet de cette
présomption. Disons auparavant ce qui a fait introduire
dans la loi cette disposition.
189. — Il n’en existe aucune analogue dans l’or-
�TR A ITE
donnance de 1681. Cette absence était d’autant plus fâ
cheuse, que le principe qui en fait l’objet était enseigné
par les jurisconsultes, qui en comprenaient la nécessité
et en poursuivaient les conséquences. De là était née
une divergeance d’opinion qui ne pouvait qu’embar
rasser les tribunaux.
190. -- En effet, Valin, sous l’article 7, enseignait
que la déclaration de l’assuré doit être conforme à la
vérité, sous peine de la nullité des assurances, suivant
les circonstances.
A cette première hésitation, née du silence de la loi,
Valin ajoutait un tempérament qui lui paraissait équi
table. Le moins qu’il en arriverait, dit-il, s’il n’y avait
pas lieu de faire déclarer l’assurance nulle absolument,
à raison de la surprise faite à l’assureur, ce serait d’as
sujettir l’assuré à une augmentation déprimé propor
tionnée aux risques qu’il aurait fait courir de plus à l’as
sureur en lui diminuant l’objet par la fausse déclara
tion.
Mais Émérigon, qui ne partageait pas l’hésitation de
Valin, combattait vivement ce tempérament. « C’est
ordinairement le sinistre, disait-il, qui donne lieu à pa
reilles plaintes. Ce serait donc un triste présent qu’on
fairait aux assureurs, si en les condamnant à payer la
perte, on leur accordait une augmentation de prime.
« Le juge peut, selon les circonstances du fait, pro
noncer la nullité de l’assurance; mais il rendrait une
sentence évidemment nulle et injuste si, laissant sub
sister le contrat reconnu vicieux, il se bornait à y ap-
�B U D O L E T B E LA F R A U D E .
153
pliquer une modification aussi contraire au pacte sti
pulé qu’impuissante à remplir l’intérêt légitime de la
partie lésée, s
Émérigon conclut donc en ces termes: « Si avant le
départ du navire, ou pendant le cours du voyage, l’assu
reur demandait que l’assurance fût résiliée, sur le fou
dément qu’on lui a dissimulé quelque circonstance es
sentielle, on ne pourrait s’empêcher de faire droit à
sa demande. Ce serait tyrannie que. de le forcer à se con
tenter d’une augmentation de prime. La chose ne reçoit
point de milieu, il faut ou anéantir le contrat ou le lais
ser subsister.
a Si le navire périt et que les assureurs prouvent
qu’on leur a dissimulé une circonstance essentielle, le
contrat doit être cassé. Il n’est plus temps après le
temp du risque et que la perte est arrivée de leur offrir
le prix du risque.1 »
Enfin, Pothier distinguait la réticence de la fausse
déclaration. La première, à son avis, ne concernait que
le for de la conscience; la seconde devait entraîner la
nullité des assurances. 2
Comme on le voit, la doctrine n’était pas d’accord
sur l’effet de la réticence, sur les conséquences de la
fausse déclaration. C’est l’opinion d’Émérigon qui a, à
bon droit, prévalu. Mais ce choix, ainsi réalisé, ne pou
vait être indiqué que par une disposition expresse. De
là l’introduction dans notre Code de l’article 548.
1 Tom. i, j). 67, chap. 3, sect. 3.
2 N° 196.
�154
T R A ITÉ
191. — Toute controverse est donc impossible à
l’avenir. La réticence est placée, quant à ses effets, sur
la même ligne que la fausse déclaration, dont rien ne la
distingue dans les résultats. Et, comme en définitive,
c’est l’opinion qu’on s’est créée du risque qui déter
mine l’assurance, la différence entre la police et le con
naissement, qui aurait, pour objet de dénaturer le ris
que, produit les mêmes effets que la réticence, que la
fausse déclaration.
L’identité des conséquences a produit l’uniformité
de législation. Du texte de notre article, il résulte donc
qu’il y a dol présumé : 1° lorsque l’assuré a commis
une réticence ; 2° lorsqu’il a fait une fausse déclaration ;
3° lorsqu’il existe une différence entre le contrat d’as
surance et le connaissement.
Pourvu, toutefois, que la réticence, la fausse décla
ration ou la différence ait eu pour effet de diminuer le
risque ou d’en changer le sujet.
192. — C’est là déroger, d’une manière sensible,
aux principes ordinaires en matière de dol. Nous disions
plus haut que ce qui constitue le dol, c’est l’emploi de
manœuvres artificieuses dans le dessein de tromper;
qu’ainsi on ne saurait le rencontrer dans le mensonge
isolé, dans une simple ruse. Le contraire se réalise dans
les assurances. Il y a dol, par cela seul que l’un des
faits indiqués par l’article 54-8 s’est réalisé dans les
conditions tracées.
Cette première modification au droit commun s’ex
plique par la nature même des choses. Le contrat d’as-
�DU D O D E T D E D A F R A U D E .
155
surance est un acte exceptionnel pour l’exécution du
quel on ne pouvait recourir aux obligations imposées
aux parties dans tous les autres contrats. On ne pou
vait notamment exiger de l’assureur qu’il se livrât à des
investigations, plus ou moins minutieuses, à l’effet de
contrôler les déclarations qu’il reçoit, de découvrir les
circonstances qu’on lui tait. Le temps qu’une pareille
recherché eût consommé aurait, dans bien des cas,
rendu l’assurance impossible, en amenant l’échéance
du risque qui devait en faire le sujet.
On obéissait donc à une nécessité réelle en l’autori
sant à accepter, comme sincère, la déclaration de l’as
suré. Comme contre-poids à cette confiance obligée, il
était indispensable de placer celui-ci entre la nécessité
de dire la vérité et toute la vérité, et la perte du béné
fice qu’il aurait voulu se procurer par un mensonge ou
par une réticence.
195. — De là, la présomption de dol, par cela seul
que la vérité a été déguisée ou tue, alors même qu’au
cune manœuvre, dans le sens attaché à ce mot, ne pour
rait être imputée à l’assuré.
L’article 548 va plus loin encore; il n’exige même
pas que la rélicence, que la fausse déclaration, que la
différence entre le connaissement et sa police aient été
réalisées dans l’intention de tromper. Le dol existe sans
le consilium fraudis, indispensable dans les cas ordi
naires.
Il suffit, en effet, que le fait dissimulé ou faussement
déclaré, que la différence signalée, ait été de nature à
�TRAITE
151)
influer sur l'opinion du risque, pour que le contrat soit
frappé d’une nullité absolue. Vainement donc l’assuré
prétendrait-il que c’est de bonne loi qu’il a caché un fait
qu’il croyait indifférent ; que sa déclaration n’est fausse
que parce qu’il a été lui-même trompé; que la diffé
rence entre la police et le connaissement s’est réalisée
à son insu. Il n’en subirait pas moins la rigueur de l’ar
ticle 348.
Cette solution était imposée autant par la faveur spé
ciale que l’on voulait conférer aux assurances que par
une exacte appréciation de leur nature. Il est, en effet,
de l’essence de ce contrat qu’il existe un risque certain,
déterminé, sur l’importance duquel se basent les pré
visions des assureurs et leurs exigences relativement à la
prime. Or, si les circonstances de ce risque, lui sont dissi
mulées ou inexactement rapportées; si les marchandises
mentionnées dans le contrat ne sont pas celles portées
sur le connaissement, son adhésion à ce contrat est le
résultat d’une erreur, et ce vice dans le consentement
enlève à la convention l’une de ses qualités essentielles.
En cet état, qu’importe que l’assuré ait été de bonne
foi. L’erreur existe matériellement, et sa certitude
entraîne la nullité de l’acte. Aussi la loi ne s’est-elle
nullement préoccupée de la réalisation d’un dom
mage, la validité du contrat ne dépend pas delà nocuité
de la circonstance dissimulée ou faussement déclarée.
Eût-elle été sans influence sur la perte de l’objet as
suré, la convention n’en est pas moins annulable. C’est
la disposition expresse de l’article 348.
Ainsi, en matière d’assurances, la loi modifie com
�plètement les principes généraux. Ce n’est plus le consilium fraudis et Vevenlus darnni qui constituent le dol,
c’est le mensonge, c’est la réticence, quels qu’en aient
été le motif et la cause. Cette réticence, ce mensonge
a-t-il influé sur l’opinion du risque. C’est tout ce que la
loi exige pour prononcer la nullité de l’acte.
194 — Ces principes sont nettement consacrés par
la décision suivante, rendue le 15 juin 1822 par le
tribunal de commerce de Marseille, et acquiescée par
la partie condamnée.
Le 12 juin 1821, les sieurs Argent! et Compagnie
firent assurer, pour le compte de Rodocanachi, de Li
vourne, la somme de 5000 fi'., valeur de 2000 florinsd’Auguste , prêtés à la grosse par leur maison de Cons
tantinople, avec affectation sur le corps du navire le
Véridique, capitaine Radoconich, autrichien. Cette as
surance fut faite sur les risques d’un voyage de Cons
tantinople à Trieste, à la prime de deux pour cent.
Lors de la signature de la police, le navire était déjà
parti de Constantinople depuis quelque temps; il avait
relâché à Scio pour cause de fortune de mer; là il avait
été réparé, et le capitaine avait été obligé d’emprunter
à la grosse ; enfin il avait fait une autre relâche à Corfou,
d’où il était reparti le 30 mai.
Les circonstances du départ de Constantinople et de
la relâche à Scio, bien que connues des assurés, n’a
vaient pas été déclarées aux assureurs.
Le 25 juin 1821, le navire le Véridique fit naufïrage
dans l’Adriatique, à la suite d’une voie d’eau considé-
�J58
T HAIT K
ble. Le 28, Argenti et Compagnie firent abandon aux
assureurs, et les citèrent en paiement de la perte.
Mais les assureurs demandèrent la nullité de l’assu
rance, pour cause de réticence , fondée sur le silence
gardé sur le départ du navire et la relâche à Scio. Ces
circonstances, disaient-ils, quela lettre d’ordre prouve
avoir été connues des assurés donnaient au risque pro
posé un caractère de gravité et une étendue plus consi
dérable. C’est donc sciemment que les assurés avaient
voulu faire courir les risques à compter du départ de
Constantinople et faire peser sur les assureurs le résultat
d’événements an térieurs à l’assurance, événements con
nus, qui leur inspiraient des craintes, et qui pouvaient
avoir des suites fâcheuses; enfin ces faits étaient de
nature à augmenter l’opinion du risque et à détourner
les assureurs de s’en charger.
Les assurés répondaient entre autres, que la relâche
à Scio était indifférente, puisque les assureurs étaient
francs d’avaries; que le silence gardé sur le départ
de Constantinople n’avait pu aggraver les risques qui
étaient en réalité diminués ; qu’enfin la perte était sur
venue postérieurement aux relâches, et que ces relâches
n’avaient nullement influé sur la perte; qu’ainsi on ne
saurait se plaindre d’aucune réticence et d’aucune dis
simulation sur des faits pouvant aggraver le risque.
Mais le tribunal pensa le contraire et déclara par con
séquent la nullité de l’assurance. Après avoir établi la
réalité des faits dont les assureurs se plaignaient ; après
en avoir déterminé le caractère, le jugement repousse
en ces termes l’exception des assurés :
�DU DOL ET DE LA Fil AUDE.
159
« Attendu que vainement les assurés ont-ils excipé
de ce que les faits dissimulés n’ont pas amené direc
tement le sinistre, et de ce que le prêt à la grosse, qui
constituait l’aliment de l’assurance dont il ;s’agit était
affranchi de toute avarie;
« Que ces raisons ne sauraient aucunement atténuer
la faute des assurés, puisque la loi prononce la nullité
de l’assurance dans le cas même où la réticence n’aurait
pas influé sur le dommage ou la perte de l’objet assuré;
qu’il suffît qu’elle ait diminué l’opinion du risque, pour
être de nature à annuler le contrat ;
« Attendu qu’il est de l’essence du contrat d’assu
rance que les assureurs soient instruits de tout ce que
les assurés savent, pour être véritablement mis à leur
lieu et place ; que ces derniers, en leur cachant des cir
constances graves du risque, n’obtiennent d’eux qu’un
consentement erronné, et par conséquent nul.1 »
195- — De ce qui précède, il résulte que, pour l’ap
plication de l’article 548 et pour la présomption de dol,
la matérialité du fait est décisive. Y a-t-il rélicence,
fausse déclaration ou différence? L’objet de l’une ou
de l’autre a-t-il eu pour effet d’influer sur l’opinion du
risque, la police est présumée le résultat du dol, et
par conséquent nulle. Cette présomption est de celles
qui n’admettent pas même la preuve contraire. Ainsi
le jugement qui, après avoir consacré l’existence du fait
1 Clariorid, Journal de jurisprudence , année 1822, pag. 115.
�dt)0
TRAITE
et son caractère, maintiendrait le contrat, violerait ex
pressément le texte et l’esprit de la loi.
Mais l’existence de la réticence, de la fausse déclara
tion de la différence ; ses conséquences par rapport à
l’opinion du risque, pourront souvent présenter des dif
ficultés plus ou moins sérieuses. A cet égard, et comme
pour toutes les questions de fait, la loi s’en remet entiè
rement aux lumières et à la prudence des magistrats.1
196. — Toutefois, il est des faits dont l’omission ou
l’inexactitude entraîne avec elle une décision affirma
tive sur la question de savoir si le risque a été diminué
ou changé. Nous voulons parler de ceux dont la décla
ration est exigée par l’article 332 du Code de commerce.
Cependant nous devons faire remarquer que la doctrine
et la jurisprudence ont admis entre eux des nuances
qu’il est indispensable de signaler. Tous ne produisent
plus aujourd’hui le même résultat. Nous verrons, en les
parcourant, que ce n’est pas sans raison qu’on a ainsi
modifié la disposition de l’article 332.
L’assuré, aux termes de cette disposition, doit décla
rer :
1° SON NOM ET SON DOM ICILE.
197. — Il est de l’essence de tous les contrats que
les parties qui y figurent soient clairement désignées.
Dans l’assurance, le nom de l’assureur est toujours
Cass., 25 mars 1835; —Journal, du Palais, année 1835.
�DU D O L ET DE LA FRAUDE.
161
connu. Il est donc naturel que celui qui contracte avec
lui soit nommé dans l’acte, c’est là un corrélatif qui
paraît commandé par la nature des choses.
L’omission de cette formalité devrait-elle être consi
dérée comme ayant influé sur l’opinion du risque et en
traîner conséquemment la nullité de l’assurance? Une
réponse affirmative eût été bien sévère, d’autant que si
la police est faite sous seing-privé, elle portera sur le
double original la signature de l’assuré; et que cette
signature peut être considérée comme l’équivalent de
la mention du nom dans le corps de l’acte. On a donc
dû se prononcer pour la négative. Telle est l’opinion de
M. Pardessus.
198. — Cette opinion, consacrée par la jurispru
dence, a trouvé cependant des contradicteurs. La dé
signation du nom de l’assuré, a dit M. Bernard, est
d’ordre public; permettre qu’elle soit omise, c’est se
priver du moyen de constater si l’assurance n’est pas
une gageure, puisqu’on ne pourrait vérifier si l’assuré
est, ou s’il représente le véritable propriétaire des choses
assurées. Telle est aussi l’opinion de M. Boulay-Paly.1
Nous croyons que ces honorables jurisconsultes exa
gèrent les inconvénients que le défaut de mention du
nom de l’assuré peut offrir. Il est évident, comme nous
venons de le dire, que le défaut de mention ne peut s’en
tendre que d’une omission dans le corps de l’acte. Car,
s’il était absolu au point de comprendre l’absence même
1 Tom. m , pag. 296.
I
41
�162
tr aité
de la signature, il y aurait évidemment nullité en la
forme, il n’aurait jamais existé de contrat. Mais l’iden
tité du signataire n’est susceptible d’aucune difficulté.
Celui-là connu, on pourra toujours exiger de lui la
preuve qu’il est propriétaire, ou qu’il représente le pro
priétaire de l’objet assuré.
Si de ces considérations on passe à l’esprit de la loi,
on se confirme bien plus dans la solution que nous in
diquons. Pourquoi, dans l’hypothèse de l’article 348 ,
la loi place-t-elle l’assurance sous la présomption d’er
reur d’un côté, sous la présomption de dol de l’autre ?
C’est qu’elle suppose qu’au moment du contrat l’assu
reur n’a eu ni raison de douter delà véracité de l’assuré,
ni moyen de connaître ce qu’on lui taisait. En est-il de
môme pour ce qui concerne le nom de l’assuré. Ne pou
vait-il pas, ne devait-il pas le demander? La faute ré
sultant de son omission n’est donc pas exclusivement
imputable à l’assuré; et l’assureur trouverait une récom
pense de sa propre négligence dans la faculté qu’on lui
reconnaîtrait de puiser, dans cette négligence même, le
prétexte de se délier de ses obligations. Ce n’est pas
évidemment pour une pareille hypothèse que l’article
348 a été sanctionné. Nous aurons occasion de le dire
souvent, la loi n’a voulu que rendre justice aux assu
reurs, sans prétendre leur sacrifier les droits légitimes
des assurés.
Ce qui est vrai pour l’indication du nom est, à plus
forte raison , vrai pour celle du domicile. Il est un cas
cependant où l’omission de celle-ci entraînerait la nul
lité de l’assurance. Comme si l’assuré était domicilié dans
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
163
un pays en état de guerre avec un autre. La confiscation
de la propriété de leurs ennemis respectifs est un droit
pour les nations belligérantes. Appartenir à l’une d’elles,
par son domicile, serait donc une circonstance qui ag
graverait singulièrement le risque. Toute réticence à cet
égard rentrerait sous l’application de l’article 348.1
2°
SA QUALITÉ DR PR O PR IÉT A IR E OU DE COMMISSIONNAIRE.
199. — En thèse ordinaire, l’accomplissement de
cette formalité n’est pas d’un grand intérêt pour les as
sureurs. En effet, que le souscripteur de la police soit
propriétaire ou commissionnaire, il n’en est pas moins
personnellement tenu du paiement de la prime. D’autre
part, il suffit, comme l’enseigne Emérigon, que l’ali
ment du risque soit réel, et que le connaissement soit
conforme à la police, pour que l’assurance doive sortir
à effet.
■ 200. — Cependant il est des hypothèses où l’ommission et l’inexactitude de la déclaration à cet égard
peuvent entraîner la nullité. Aussi devons-nous faire re
marquer que, malgré les énonciations de la police, les
assureurs sont toujours admis à agiter la question de
propriété,lorsque la connaissance du véritable proprié
taire peut influer sur le sort du contrat.!
201 — L’assurance réalisée par un créancier pri1 Valin, sur l’art. 5 ; — Emérigon, tom. i, pag. 55.
* Aix , 7 janv. 1825. — Journal du Palais , année -1823.
�164
TRAITÉ
vilégié ou non, sur les effets de son débiteur, est-elle
valable?
M. Pardessus enseigne l’affirmative. Il pense que
dans ce cas le créancier est présumé le mandataire du
propriétaire, son débiteur.
Nous ne saurions admettre cette doctrine. En droit,
il est de principe que le mandataire oblige son man
dant pour tout ce qu’il a fait dans la limite de ses pou
voirs. Or, cet effet pourrait-il se produire dans l’espèce?
Les assureurs pourraient-ils faire condamner le pro
priétaire de l’objet assuré au paiement de la prime
stipulée par son créancier? Celui-ci aura-t-il le droit de
la répéter après l’avoir payée?
Notre première question n’est pas de pure hypothèse.
Le créancier qui a fait assurer peut, avant le paiement
de la prime, tomber en déconfiture, devenir insolvable.
Comment, dans ce cas, les assureurs obtiendront-ils leur
paiement?
Diront-ils que le propriétaire a donné un mandat
tacite? Mais celui-ci répondra avec succès, que s’il n’a
pas lui-même fait assurer, c’est qu’il n’a pas cru qu’une
assurance fût nécessaire, ou qu’il a considéré comme
plus avantageux de courjr pour son propre compte les
chances de la navigation, et de gagner ainsi lui-même
la prime plus ou moins considérable qu’il aurait fallu
payer aux assureurs. En présence d’une pareille dé
claration, d’une volonté de ce genre suivie d’exécution
conforme, comment présumer un mandat contraire.
Qu’on y prenne garde d’ailleurs. L’admission du
mandat tacite, en matière d’assurances, deviendrait
�DU D O L E T D E LA F R A U D E .
465
bientôt un arme terrible contre les assureurs eux-mê
mes, on sait, par exemple, que le propriétaire qui fait
assurer, doit au moment de l’assurance faire connaître
toutes les circonstances de nature à influer sur le
risque; que cette obligation existe alors même que l’as
surance, ayant été contractée par mandataire, n’exige
pas le concours personnel de l’assuré; que, dans ce der
nier cas, la dissimulation d’un fait essentiel, connu de
celui-ci, constitue la réticence dolosive, alors même que
le mandataire ne l’a pas lui-même connu. Or, dans le
système du mandat tacite, à quelle date en placera-t-on
l’origine, comment reconnaîtra-t-on s’il est antérieur
ou postérieur à l’accomplissement et à la connaissance
du fait constituant la réticence? Et ce qui est possible
lorsqu’il existe une lettre d’ordre, pourra-t-on le faire
dans un cas de mandat tacite?
La réponse est facile. Il est clair en effet que bien
souvent on exciperait de la qualité de créancier et con
séquemment du mandat tacite, ne fût-ce que pour se
dispenser de produire la lettre d’ordre, surtout lorsque
par sa date, par son contenu, cette lettre serait de na
ture à prouver une réticence et à déterminer ainsi la
nullité de l’assurance.
Le système du mandat présumé ou tacite ouvrirait
donc une large porte à la fraude. On doit dès-lors
se hâter de le proscrire, dans l’intérêt des assureurs
eux-mêmes.
En droit, ce système est insoutenable, soit qu’on l’en
visage sous l’influence du droit commun, soit qu’on le
rapproche des principes spéciaux de la matière.
\
�TRAITE
160
Invoquerait-on en droit commun la disposition de
l’article 1166, en faisant remarquer l’intérêt qu’avait
le créancier à ce que l’assurance préservât de tout péril
le gage de sa créance? Mais ce serait méconnaître le
véritable caractère de cette disposition et vouloir lui
donner une extension dont elle n’est pas susceptible.
Il est de principe, en effet, qu’il est des actes ex
clusivement réservés au débiteur, des droits qui sont
tellement inhérents à sa personne, qu’ils ne peuvent
être exercés que par lui seul. Dans le nombre, se place
incontestablement le droit d’administrer sa fortune
dont l’exercice n’a et ne peut avoir d’autre juge que luimême. Aucun majeur ne peut être privé de ce droit, si
ce n’est dans les cas prévus par la loi, et notamment
dans ceux d’interdiction pour cause de démence ou
pas suite de condamnation criminelle, ou de faillite.
Or, contracter ou non une assurance, n’est-ce pas
administrer sa fortune? La chance aléatoire qui en fait
la base, permet-elle de juger a priori si le débiteur
a bien ou mal fait de s’en abstenir? Il est sans doute
prudent de prévoir un sinistre et de chercher à se met
tre à couvert de ses conséquences. Mais si le voyage
réussit, le défaut d’assurance aura été avantageux au
débiteur, en l’affranchissant du paiement d’une prime
quelconque. L’article 1166 n’a donc pas été admis pour
régir une matière pareille. Ne pas faire assurer cons
titue tout au plus une imprévoyance, et la loi qui défend
une inaction évidemment nuisible aux créanciers, n’a
pu songer à les autoriser à suppléer à l’imprévoyance
�DU D O L E T DE L A F R A U D E .
407
que leur débiteur commet dans l’administration de ses
biens.
Essayerait-on de l’article 1167, voudrait-on faire
considérer l’inaction du débiteur comme une fraude
contre ses créanciers? Ce système serait insoutenable.
Courir soi-même les chances d’un voyage maritime ne
peut jamais caractériser une fraude, car c’est là une
faculté que la loi n’a jamais interdit à personne. Or,
on ne saurait commettre une fraude lorsqu’on ne fait
qu’user d’un droit qu’il vous est loisible d’exercer.
De quoi d’ailleurs pourrait justement se plaindre un
créancier, fût-il privilégié sur la marchandise à assu
rer? De deux choses l’une: ou il a connu au moment
de la vente ou du prêt la destination de l’objet affecté
à sa créance, et, s’il le jugeait utile, il devait stipuler
l’obligation pour son débiteur de faire l’assurance ou,
mieux encore,'obtenir le mandat exprès de la contrac
ter lui-même; ou il a ignoré cette destination, et, dans
ce cas, comme en négligeant dans le premier la pré
caution dont nous venons de parler, il a volontaire
ment suivi la foi de son débiteur, et couru les chances
du mode d’administration qu’il plairait à celui-ci de
choisir.
Que si des principes ordinaires nous passons à ceux
régissant spécialement les assurances, nous acquérons
de plus fort la conviction que l’assurance par le cré
ancier des facultés appartenant à son débiteur, ne sau
rait constituer un de ces actes dont l’article 1166
confère la faculté aux créanciers d’un individu. L’assu
rance, en effet, affecte la chose qui en fait l’objet. Le
�468
T R A IT E
paiement de la prime est privilégié sur les effets assu
rés. 1 Consentir la promesse de ce paiement, c’est
donc aliéner une portion de la chose elle-même. Com
ment concilier un tel pouvoir avec l’absence de toute
idée de propriété. Pour accueillir le système que nous
combattons, il faudrait donc admettre que, par la dis
position de l’article 1166, la loi a permis au créancier
de disposer des biens de son débiteur, sans son con
cours et sans l’intervention de la justice.
Il y a plus encore. En cas de sinistre dépassant le
règlement d’avarie, le paiement de l’assurance ne peut
être poursuivi qu’après le délaissement des effets
échappés au naufrage. Il est de l’essence de ce délais
sement de transférer la propriété de ces effets aux as
sureurs en échange du prix qu’ils ont reçus dans le
contrat. Les qualités requises pour consentir ce dé
laissement sont donc, chez celui qui est appelé à le
faire, d’abord qu’il ait été partie en l’assurance, ensuite
qu’il ait la propriété de ce qui en a fait l’objet pour pou
voir la transmettre.
Or, dans l’espèce donnée, sera-ce le créancier qui
consentira le délaissement? Mais il n’a aucun droit
d’aliéner ce qui n’est pas sa propriété. Le transfert qu’il
en aurait fait serait frappé d’une nullité radicale, comme
constituant la vente du fonds d’autrui. Sera-ce le dé
biteur? Mais à quel titre? Etranger à l’assurance, se
rait-il recevable à exiger des assureurs ce que ceux-ci
n’ont jamais été obligé de lui donner? On le voit donc,
1 Rouen, 5 décembre 1807. — D. A., tom. u, pag. 58.
�DU DOD E T D E LA F R A U D E .
169
le délaissement serait impossible et conséquemment
l’assurance ne pourrait jamais sortir à effet. Elle est
donc nulle.
Nous pensons avoir démontré que l’opinion de M.
Pardessus est inadmissible. Il faut donc conclure des
termes de l’article 348 que, pour contracter valable
ment une assurance il faut être ou le propriétaire, ou
le mandataire du propriétaire des objets assurés.
202. — Il importe de remarquer que la déclaration
que l’on agit comme mandataire peut avoir son utilité
dans le cas surtout où il s’agit de prouver, par la date
de la lettre d’ordre, que le mandant connaissait avant
l’assurance une circonstance importante qui aurait été
tue aux assureurs. Nous avons dit que cela suffirait
pour constituer le dol présumé, alors même que le
mandataire eût été dans l’ignorance la plus complète et
que conséquemment la réticence ne pût lui être im
putée. C’est à bon droit cependant qu’on n’a pas fait
de cette déclaration une condition essentielle à la vali
dité de l’acte. Les assureurs ayant la faculté d’agiter la
question de propriété, même dans le cas où l’assurance
est contractée pour le compte de qui il appartiendra, *
arriveront facilement à apprécier la qualité en laquelle
a agi le souscripteur de la police; et s’il n’a joué que le
rôle de commissionnaire, la nécessité de communiquer
la lettre d’ordre, s’il en existe de spéciale, leur assure
l’exercice de leurs droits contre le réclamant.
Aix, 7 janvier 1S23.
�TRAITE
205. — L article o48 ne fait pas un devoir au com
missionnaire de faire connaître le nom de son mandant.
Il est cependant un cas où le silence gardé sur ce point
constitue une réticence dolosive. Ainsi si le propriétaire
de qui l’ordre d’assurer émane appartenait à une na
tion belligérante, l’assurance dans laquelle il ne serait
pas indiqué serait frappée de nullité, comme entachée
d’une réticence dolosive. 1
3" —
LE NOM ET LA DÉSIGNATION D ü NAVIRE.
204. — La connaissance du navire qui doit être
l’objet ou le lieu du risque est un des éléments essen
tiels de l’assurance. C’est par elle que les assureurs
apprécieront les chances de l’opération par le plus ou
moins de dangers qu’offrent les qualités du navire, sa
construction, son âge. Conséquemment, si l’assuré a
inexactement signalé le nom du navire, l’assurance qui
a été consentie sur le corps de ce même navire est
évidemment nulle. La fausseté de la déclaration, son
inexactitude même, crée une présomption de dol. Dans
la même hypothèse, l’omission du nom enlèverait tout
aliment au risque et annulerait par conséquent l’assu
rance.
205. — Quel est l’effet de l’omission du nom et de
la désignation du navire, lorsque l’assurance a pour
1 Bordeaux, 18 fév. 1823;—Aix, 26 juin 1826;—D. A. , t. n, p. 67,
et Journal du Palais , année 1826; — Orléans, 7 janvier 1843; —
Journal du Palais, tom. i, 1843, p. 171.
�objet des effets ou marchandises? La première ne doit
pas, au sentiment de M. Pardessus, entraîner la nullité
de l’assurance. L’assureur, dit-il, qui accepte la po
lice en l’état de cette omission, est censé s’en être
rapporté à l’assuré sur le choix du navire, 1il devrait
en être de même du défaut de désignation.
Cette solution nous paraît renfermer une exacte ap
préciation de l’esprit de la loi. Il n’y a de réticence
présumée dolosive, que celle qui s’exerce sur un fait
ignoré ou qui a dû nécessairement l’être de l’assureur.
Si la réticence est l’œuvre commune des parties, il y
aurait rigueur extrême à n’en punir qu’une seule.
L’assureur ne doit pas être récompensé de sa propre
négligence. Or, il s’en convaincrait lui-même, si, ayant
intérêt à connaître le nom et la désignation du navire,
il a accepté une police sans exiger cette double indi
cation.
206. — Mais on ne saurait décider de même si sans
omettre le nom du navire, on avait fait à cet égard
une fausse déclaration ou commis une inexactitude.
L’indication entachée de ce vice constituerait une nul
lité radicale sous un double rapport : 1° pour réticence
dolosive, en vertu de l’article 348 ; 2° en ce que l’as
suré n’ayant aucun risque à bord du navire déclaré,
l’assurance n’aurait jamais eu d’aliment réel.
207. — Toutefois on doit remarquer que si l’erreur
1 N°806. — Yoy. Boulay-Paty, tom. m, p. 320.
*
C
m
•>-
�172
TRAITÉ
ou l’inexactitude ne consistait que dans l’omission d’un
des noms du navire, et qu’il fût possible par les cir
constances ou les énonciations de la police d’en établir
l’identité, il n’ÿ aurait pas lieu d’annuler l’assurance.
Il ne faut pas, dit Yalin, 1 pointiller sur le nom du na
vire; ainsi l’assurance faite sur le Brigantin, le LionHeureux, désignée dans la police souslenom seulement
du Brigantin l’Heureux, a été déclarée valable par
arrêt d’Aix, du 2 mai 1750. Telle est aussi l’opinion
de Casaregis : Error tamen alicujus nominis navis, non
allendilur quando aliis conjecluris constat de identilale navis. 2
208. — La force du navire, son âge, ses qualités sont
toutautant de circonstances essentielles de la navigation.
Toute fausse déclaration à cet égard influérait donc sur
l’opinion du risque et annulerait l’assurance. Ainsi dé
signer le navire comme un trois mâts, dire qu’il est nou
vellement sorti des chantiers, lorsqu’en réalité il s’agit
d’un brick ou d’un tout autre navire qui navigue depuis
longtemps, c’est placer l’assurance sous le coup de la
disposition de l’article 548. 3
Plus un navire a un tonnage supérieur, plus l’équi
page est nombreux et capable par conséquent, par la
promptitude de la manœuvre, de parer à un besoin
urgent. On comprend de même qu’un navire, déjà
fatigué par une longue navigation, opposera une résis1 Sous l'article 3.
* Diseurs. I, n° )59.
5 Yalin, sous l’art. 3.
�DU D O L E T DE I.A F R A U D E .
173
tance moins vive que celui qui est encore intact. La
prime exigée ou à exiger se calculera sur ces données,
et, si celles fournies à l’assureur ne sont pas exactes,
celui-ci aura été placé vis-à-vis de l’assuré dans une po
sition défavorable, et nous avons vu qu’il ne doit ja
mais en être ainsi.
De ces considérations résulte cette conséquence, que
si l’erreur, dans la désignation, est en sens inverse de
celui que nous venons d’indiquer : si, par exemple, un
trois mâts avait été qualifié de brick, si un vaisseau, sorti
actuellement du chantier, avait été indiqué comme na
viguant depuis un temps plus ou moins long, on pour
rait ne pas voir là la fausse déclaration punie par l’arti
cle 548, et décider que l’inexactitude de la désignation
n’a ni diminué, ni changé le risque.
L’obligation de désigner le navire comprend celle de
déclarer s’il est armé en course. Cette déclaration a
pour but d’éclairer les assureurs sur le degré du risque
à assurer. Loin de fuir le danger, un navire armé en
course le recherche, les chances de sinistre sont ainsi
plus nombreuses, taire cette circontanee serait donc
commettre une réticence dans le sens de l’article 548Une désignation non moins importante est celle du
pavillon et de la nationalité du navire. Une fausse énon
ciation à ce sujet pourrait entraîner la nullité de l’as
surance. Si même un navire étranger, acheté par un
Français, n’avait encore obtenu qu’une francisation pro
visoire de la part du consul français du lieu où l’achat
a été fait, cette circonstance devrait être déclarée. Ce
navire pouvant, dit M. Dageville, éprouver des avaries
�ilA
TRAITE
dont un navire français serait à l’abri.1L’assureur serait
fondé à s’affranchir des suites de pareils accidents, si
le navire lui avait été désigné purement et simplement
comme français.
209. — L’obligation de déclarer le nom et la dési
gnation du navire cesse, lorsqu’il a été impossible à
l’assuré de le connaître. Telle est l’hypothèse prévue
par l’article 357 d’un chargement fait aux Échelles du
Levant, aux côtes d’Afrique et autres parties du monde,
pour l’Europe. Comme on peut dans ce cas ignorer
quel sera le navire sur lequel le chargement s’opérera,
l’assurance peut être stipulée in qnovis, ce mot, dit
Emérigon, est une espèce de désignation implicite du
navire, laquelle suffit, attendu la nécessité des circons
tances. 2L’article 557 n’en exige pas d’autre.
4 ° — I.E NOM BU CAPITAINE.
210. — L’indication du nom du capitaine est utile
sous un double rapport. En premier lieu, elle complète
la désignation du navire, elle peut, en second lieu, in
fluer sur l’opinion du risque par l’idée favorable que
le commerce a pu concevoir de l’habileté, des talents et
du mérite de celui qui commandera le navire.
211. — Comme pour les désignations qui pré
cèdent, il faut distinguer, pour ce qui concerne le capi1 T. ni, n° 59.
5 T. î, chap. 2, sect. 7, pag. 54.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
laine, l’omission de la fausse indication. La première ne
fait pas présumer le dol, elle est d’ailleurs imputable à
l’assureur comme à l’assuré. Aussi la doctrine et la ju
risprudence ont-elles consacré le principe enseigné par
les anciens jurisconsultes, à savoir : que l’assureur, qui
aurait accepté une police dans laquelle le nom du capi
taine serait omis, ne pourrait plus tard en demander la
nullité à cause de cette omission. 1
Mais il en serait autrement pour l’inexactitnde ou la
fausseté de l’indication. Par cela seul, qu’une plus
grande confiance peut s’attacher à tel ou tel nom, l’as
sureur se trouverait réellement trompé si, au lieu d’être
commandé par le capitaine désigné, le navire l’était
réellement par un autre. La preuve de l’erreur ou de la
fausseté donnerait donc naissance à la présomption
de dol.
212. — H y a plus encore, si le capitaine désigné
commandait réellement le navire et qu’il eût été rem
placé après l’assurance, l’assuré ne pourrait se soustraire
à la demande en annulation. Mais ce principe reçoit
exception : 1° dans le cas où le changement est le fait
des armateurs étrangers à la police d’assurance ; 2° si la
cause du changement provient d’une force majeure,
comme la démission, la maladie, lé décès ou l’empri
sonnement du capitaine; 3° si la police renferme la
clause ou tout autre pour lui.
La loi n’a pu vouloir l’impossible, il suffît que l’asPothiôr, n° 106. Observations de la Cour de Cass.
�176
TRAITE
suré réponde de son fait. Aller au-delà, c’était exiger
une iniquité. Les deux premières exceptions sont donc
parfaitement rationnelles. La troisième n’est pas moins
juste, elle n’est que la conséquence de la latitude que
l’assureur lui-même a reconnu à l’assuré.
Toutefois, cette latitude doit se renfermer dans des
limites équitables et naturelles. Elle ne va pas, par
exemple, jusqu’à autoriser le choix d’un capitaine,
auquel on n’aurait eu que peu ou point de confiance, s’il
avait été connu. Spécialement le remplacement d’un
capitaine français par un étranger pourrait motiver l’an
nulation de l’assurance.1
La clause ou loul autre pour lui ferait-elle disparaître
l’effet de la fausse déclaration?
On pourrait dire pour la négative que la faculté de
remplacer le capitaine n’a été considérée que comme
une précaution dont l’assureur a pu croire qu’on
s’abstiendrait; que conséquemment on l’a trompé, en
lui laissant entrevoir une chose impossible, le capitaine
indiqué ne pouvant continuer de diriger pendant un
temps quelconque un navire qu’il ne commandait pas,
qu’il n’a peut-être jamais commandé. Mais l’idée, que
la connaissance du capitaine a pu influer sur l’opinion
du risque, n’est qu’une présomption devant, comme
toutes les présomptions, s’évanouir en présence de la
preuve contraire. Or il est vrai, que l’admission de la
clause ou tout autre pour lui, indique, de la part de l’as
sureur, une complète indifférence sur celui aux mains
! Casaregis, Disc. 65, n° 6 ; — Valin, sur l’article 52.
�DU D û t ET DE LA FRAUDE.
177
de qui le navire sera confié. Il ne pourrait donc soutenir
avec quelque fondement, que la fausse déclaration qui
lui en a été faite a altéré ou changé le risque.
Le remplacement du capitaine, hors des cas excep
tionnels ci - dessus indiqué , constituerait une pré
somption de dol déterminant la nullité de l’assurance.
Toutefois cela n’est absolument vrai que dans l’hypo
thèse où le changement a été effectué subrepticement
et à l’insu des assureurs. Aussi doit-on distinguer entre
celui qui a été effectué après le départ du navire, de
celui qui a eu lieu avant. Le premier n'est sans influence
sur l’assurance qu’en cas de nécessité constatée. Le
second, au contraire, serait de nul effet sur la validité
du contrat si, l’ayant su et connu, les assureurs n’a
vaient pas réclamé avant le départ du navire.
L’impossibilité de connaître le navire à bord duquel
se trouvera le risque, dans le cas prévu par l’article 337
du Code de commerce, entraîne celle de connaître le
capitaine. L’assurance faite in quovis est valable, malgré
l’absence de déclaration à cet égard.
- LE LIEU OU LES MARCHANDISES ONT ÉTÉ OU DOIVENT ÊTRE
CHARGÉES.
214. — L’omission de cette indication serait de nul
effet si le temps du risque était fixé dans la police.
Il est certain alors que tout le chargement doit être
opéré au moment où ce risque commence. En d’autres
termes , si les obligations des assureurs partent à la
sortie d’un port déterminé, il est évident que ce port a
l
12
m M
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Ti!ïî'!fî
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vm
■
�178
TRAITE
dû être le lieu du chargement, et que tout ce qui aurait
été chargé postérieurement à la sortie du navire ne
pourrait être compris dans l’assurance.
215- — Il n’en serait pas de même si l’assuré avait
inexactement déclaré le lieu du chargement. Cette
inexactitude pourrait, si elle était de nature à influer
sur l’opinion du risque, constituer la présomption de
dol pour fausse déclaration.
Ainsi, l’assurance prise sur les facultés chargées ou à
charger à bord d’un navire de sortie d’un port désigné,
tandis que le chargement avait été embarqué antérieu
rement sur le même navire dans un autre port plus éloi
gné, est nulle à l’égard des assureurs, soit pour défaut
d’identité, soit pour fausse déclaration ou réticence de
la part de l’assuré.1
Il y a, en effet, dans cette hypothèse, plus qu’une
omission sur le lieu du chargement; il y a, en outre, le
silence gardé sur un fait accompli, connu de l’assuré, et
qui devait conséquemment être connu des assureurs. Il
n’y a égalité parfaite entre les parties que lorsque toutes
les circonstances, se rapportant à la matière du contrat,
ont pu réciproquement être appréciées.
Ainsi si, au lieu d’omettre seulement le lieu où les
marchandises ont été ou doivent être chargées, on le dé
signe inexactement ou faussement, il y a nullité pour
fausse déclaration ; il y a plus encore, en réalité, il n’y
a jamais eu d’assurance. On ne pourrait pas plus, dit
1 Aix, 22 mai 1856;— Clariond, t. 16, |, 102.
�DU DOD ET DE LA FRAUDE.
479
M. Dailoz jeune, appliquer à des cotons, par exemple,
chargés en un lieu, l’assurance faite sur des cotons
chargés en un autre lieu, qu’on ne pourrait appliquer à
des balles de coton marquées A. B. une assurance faite
sur des balles marquées M. C. '
6° — LE PORT d ’ou Llï n a v ir e a du p a r t ir ;
LES PORTS o u ra d es dans l e sq u e ls il d o it c h a r g er ou DÉCHARGER ;
CEUX DANS LESQUELS IL DOIT ENTRER ;
LES TEMPS AUXQUELS LES RISQUES DOIVENT COMMENCER ET FINIR.
216. — Ces diverses indications sont essentielles à
la validité de l’assurance. Elles se rapportent, en effet,
à la navigation du navire, c’est-à-dire au point culmi
nant pour l’appréciation de la prime que les assureurs
doivent exiger.
La déclaration du port d’où le navire a dû partir ne
serait pas indispensable si, au moment de l’assurance, le
navire était ancré dans un port déterminé et que le
temps du risque dût commencer à son départ. Mais sou
vent l’assurance est contractée lorsque le navire est
déjà en cours de voyage, et la désignation du port d’où
il a dû sortir acquiert un degré d’importance incontes
table. Toute omission à cet égard constituerait une ré
ticence dolosive entraînant la nullité de l’assurance.
217. — On ne doit pas entendre, par la déclaration
exigée à cet égard par la loi, l’accomplissement d’un
fait matériel, la désignation du port d’où le navire est
1 Dictionnaire général, Assurances, n° 88.
:V i
bN
�TRAITÉ
180
réellement sorti. L’obligation imposée à l’assuré com
prend virtuellement celle de faire connaître le jour du
départ et toutes les circonstances qui ont depuis signalé
la navigation du navire. C’est ce qu’a décidé le tribunal
de Marseille dans l’affaire Argenti, et c’est aussi ce que
consacre la jurisprudence des cours souveraines.
218- — Dans une espèce jugée par la Cour d’Aix,
une assurance sur bonnes ou mauvaises nouvelles avait
été contractée sur le corps du navire danois la Rosalie
pour un voyage de Lisbonne à Trieste. Le risque était
mis à la charge des assureurs à partir des jour et heure
auxquels le navire a ou aura pris charge, ou soit du
moment de son départ de Lisbonne.
Il résultait de la lettre d’ordre, produite après délais
sement, qu’au moment de l’assurance les assurés sa
vaient que le navire était parti de Lisbonne depuis deux
mois et demi ; que le capitaine n’avait plus donné de
puis lors de ses nouvelles. Les assureurs, considérant
le silence gardé sur ces deux points comme une réti
cence dolosive, demandent la nullité de l’assurance.
Cette demande, que les assurés repoussaient par des
moyens de fait et de droit, notamment en se fondant sur
la clause sur bonnes ou mauvaises nouvelles, et sur ce
que le taux de la primé avait été fort élevé, fut accueillie
par la Cour dans les termes suivants :
« Considérant que la réticence prévue par l’article
348 a été commise, puisque les polices d’assurance pré
sentent le risque à partir des jour et heure auxquels le
navire A ou
pris charge, ce qui a laissé les assua u ra
�181
reurs dans l’incertitude si le navire était ou non parti,
tandis que Cazalis et Tutein,qui ont fait assurer,avaient
connaissance, par la lettre d’ordre datée de Hambourg
le 16 août, que le navire était parti depuis le 22 mai et
que le capitaine n’avait donné depuis lors aucun signe
de vie; ce qui ne permet pas de douter que l’opinion du
risque a été réellement déguisée aux assureurs............
a Considérant que la clause sur bonnes ou mauvaises
nouvelles ne couvre pas la réticence qui a été com
mise; que le contrat d’assurance n’est valable qu’autant
qu’il y aurait de part et d’autre ignorance de toutes les
circonstances sur l’opinion du risque. 1 »
Deux arrêts postérieurs de la même Cour sont venus
consacrer les mêmes principes en décidant, le 14 jan
vier 1826, que l’assurance est nulle pour cause de ré
ticence si, connaissant l’époque du départ du navire au
temps du contrat, l’assuré ne l’a pas déclarée; 2 en ju
geant, le 17 juillet 1829, qu’il y a réticence, et consé
quemment nullité du contrat de réassurance, lorsque
les réassurés laissent ignorer aux réassureurs que le na
vire, objet de la convention, comptait, à l’époque du
premier contrat, quatre-vingt-trois jours de naviga
tion. 3
1>U DOL ET DE LA FRAUDE.
219- — Même jurisprudence de la part de la Cour
de Bordeaux qui a annulé l’assurance contractée dans
•l’espèce suivante :
1 Dalloz A ., l. il, p. 61.
1 Journal du Palais, année 1826.
* Dalloz, p. 29, 2, 221.
�482
TRAITE
Le 21 ventôse an vi, Roi et Laguigneux font assurer
la barque le Cerf. Le courtier d’assurance déclare que
cette barque n’a descendu la rivière que depuis quatre
à cinq jours.
Le 23 ventôse, c’est-à-dire deux jours après, les as
surés signifient le délaissement de cette barque, cap
turée par les Anglais dès le 11 du même mois. Mais les
assureurs contestent le délaissement pour réticence et
fausse déclaration sur le jour du départ, fis concluent,
en conséquence, à la nullité de l’assurance.
C’est, en définitive, ce qui fut consacré, par arrêt du
4 fructidor an vm, par les motifs suivants :
« Considérant que l’assurance n’a été faite que le 21
ventôse; que le bâtiment était en mer depuis le 10; que
non-seulement les assureurs n’ont pas été instruits de
cette circonstance déterminante qu’on leur avait dissi
mulée, mais qu’on leur a affirmé que ce bâtiment n’é
tait descendu que depuis quatre à cinq jours.1
Enfin, la même Cour vient de juger qu’il va véritable
réticence de la part de l’assuré qui se borne à déclarer
simplement que le navire, objet de l’assurance, est de
relâche dans un port, sans annoncer que la relâche est
forcée par les événements de mer et que le navire, en
core hors du port, se trouve dans une situation péril
leuse. 2
220. — On voit, par ce qui précède, de quelle ma' D. P., 23, 2, 142.
’ 7 avril 1855; — Journal du Palais, année 1835.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
183
nière il faut comprendre l’obligation de déclarer le port
d’où le navire a dû partir. Une désignation pure et sim
ple suffit si le navire n’était pas encore parti au moment
de l’ordre ou à l’époque de l’assurance. Mais si celle-ci
est contractée pour un navire en cours de voyage, c’est
le récit exact de sa navigation, le moment de son dé
part et les diverses contrariétés qu’il a éprouvées.
Ici l’omission pure et simple équivaut à la réticence
prévue par l’article 348. On ne saurait, en effet, l’im
puter aux assureurs que la loi n’oblige à connaître que
ce qui leur est déclaré et qui peuvent être de très bonne
foi dans l’ignorance absolue concernant le navire qu’ils
assurent.
221. — La seconde obligation imposée à l’assuré
par le paragraphe actuel, est de déclarer les ports ou
rades dans lesquels il doit charger ou décharger, ceux
dans lesquels il doit entrer.
L’entrée dans les ports ou rades présente toujours
plus ou moins de périls pour les navires. La sortie ellemême n’est pas toujours sans inconvénients; le séjour
au milieu d’une foule d’autres navires peut quelquefois
déterminer une catastrophe. Ces chances, pour être
plus ou moins éloignées, plus ou moins probables, ne
laissent pas d’exister. Elles entrent, comme éléments
essentiels, dans l’appréciation à faire par l’assureur.
C’est à l’assuré à lui fournir ces éléments. Lui seul,
en effet, connaît le secret de ses opérations et l’itiné
raire que doivent suivre ses marchandises ou son navire.
Il doit d’ailleurs, et lorsque le navire ne lui appartient
�4 8 -4
T r a it é
pas, s’informer exactement de la destination qu’il a re
çue.
Conséquemment, s’il déclare assurer pour un voyage
de tel port à tel autre, l’assurance ne sera valable que si
Je navire se dirige directement de l’un sur l’autre. S’il
aborde un ou plusieurs ports intermédiaires, s’il dé
passe le point d’arrivée, s’il rétrograde, le silence gardé
à cet égard dans la police constitue une réticence pré
vue et réprimée par l’article 348.
222. — Ce principe reçoit exception :
1° Si l’entrée dans les ports intermédiaires, si l’obli
gation de dépasser le point d’arrivée ou de rétrograder
n’est que la conséquence d’une fortune de mer. Il y a
alors force majeure que personne ne pouvait prévoir,
que l’assuré ne pouvait, dès-lors, être tenu de déclarer.
Mais on comprend que l’assuré qui exciperait de cette
force majeure pour repousser la nullité fondée sur la
réticence, serait obligé d’en rapporter la preuve.
2° Si l'assurance est contractée pour un temps fixe
et pour tel voyage qu’il plaira à l’assuré d’entreprendre.
L’assureur qui a accepté ces conditions ne pourrait se
plaindre d’une réticence, car puisque à l’époque où
l’asurance est contractée, l’assuré n’est pas lui-même
fixé sur les voyages à entreprendre, on ne saurait rai
sonnablement exiger de lui ni le nom du port dont
le navire a dû sortir, ni ceux où il chargera ou déchar
gera, ni, enfin, ceux où il doit entrer.
Cependant si, au moment du contrat, le navire qui
en fait l’objet était en cours de voyage, i assuré doit in-
�185
cliquer le port d’où il est sorti. La connaissance de ce
fait peut être essentielle à l’appréciation du risque. C’est
là, d’ailleurs, un fait accompli dont l’assuré a une con
naissance parfaite. Il peut donc, et il doit le communi
quer à l’assureur, ainsi que toutes les circonstances se
rattachant à la navigation depuis le départ jusqu’à
l’époque de l’assurance. L’omission de cette formalité
constituerait la réticence présumée dolosive.
5° Si l’assuré s’est réservé la faculté de faire échel
les. La conséquence de cette clause de la police est de
permettre de toucher aux ports situés entre le point du
départ et celui d’arrivée. Mais cette faculté ne com
prend pas celle de rétrograder ni de dépasser celui-ci.
Le sinistre survenu en exécutant l’un ou l’autre de ces
mouvements resterait pour le compte de l’assuré. Il
en serait de même si le navire s’écartait de la ligne di
recte et entrait dans un port que celle-ci devait lui faire
éviter.
DU DOI. ET DE LA FRAUDE.
225. — Enfin le moment, à partir duquel le risque
doit être à la charge des assureurs, doit être fixé ,
ainsi que le moment où le risque doit finir.Mais ces dé
signations ne sont pas de rigueur. La loi elle-même a
pourvu à leur omission dans les articles 341 et 328 du
Code de commerce. Ainsi, à l’égard du navire, des
agrès, apparaux, armement et victuailles, le risque
court du jour que le navire a fait voile, jusqu’au jour où
il est ancré et amarré au port ou lieu de sa destination.
À l’égard des marchandises, le temps des risques court
du jour qu’elles ont été chargées dans le navire ou dans
�186
TRAITÉ
les gabarres pour les y porter, jusqu’au jour où elles se
ront délivrées à ferre.
22-4. — Cette disposition ne modifie en rien les obli
gations imposées aux assurés. Ils n’en sont pas moins
tenus, sous peine de réticence, de déclarer tout ce qu’ils
ont appris de l’état du navire, depuis le jour de son dé
part jusqu’au moment où ils contractent l’assurance.
Rappelions-nous, en effet, que l’esprit de la loi ne
saurait être plus évident. Pour que l’assurance soit va
lable, il faut, que les deux parties soient dans une égalité
parfaite de position, relativement au risque qui en fait
l’objet. Toutes les fois donc que cet équilibre n’existera
pas, la convention sera présumée le résultat du dol et,
comme telle, frappée de stérilité et d’impuissance.
Aussi la jurisprudence n’a-t-elle jamais varié dans
l’application et l’interprétation des articles 532 et 348
du Code de commerce. Que la loi ait ou non expressé
ment exigé la déclaration d’un fait, il suffit que ce fait
soit de nature à influer sur l’opinion du risque, pour
que l’assuré doive le déclarer, sous peine de nullité de
l’assurance. De nombreux exemples prouvent l’exacti
tude de cette proposition.
Ainsi il a été admis et jugé :
1° Que le réassuré qui n’a pas fait connaître aux réas
sureurs les bruits, même vagues, qui couraient sur la
perte du navire assuré à l’époque du contrat, et dont il
avait connaissance, commet une réticence de nature à
entraîner la nullité de l’assurance ; 1
1 Àix, 8 octobre 1813, D. A, 2, 63.
�DD DOL ET DE EA FKAÜDE.
187
2° Que l’assuré qui sait au moment de l’assurance
que deux navires, partis quatre jours après le sien du
lieu désigné dans la police, sont arrivés depuis deux
jours au môme lieu de destination , commet une réti
cence dolosive, s’il ne déclare pas ce fait aux assureurs,
lorsque d’ailleurs un court trajet sépare le lien du départ
du lieu de la destination;1
3° Que la seule dissimulation des inquiétudes que
peut avoir, lors du contrat d’assurance, le consignataire
d’un navire qui connaît le jour du départ, et qui sait
que la durée ordinaire de la traversée est de beaucoup
dépassée sans que le navire soit arrivé à sa destination ,
constitue une réticence qui doit faire annuler l’assurance
commise par le consignataire, et faite par son manda
taire ; '
4° Que l’assuré qui sait que ses marchandises ont été
placées sur le tillac commet une réticence, dans le sens
de l’article 348, s’il omet de le déclarer aux assureurs.
Ce fait exposant les marchandises à un plus grand dan
ger, soit par rapport aux intempéries des saisons, soit
par rapport au jet à la mer, est de nature à influer sur
l’opinion du risque,3
Nous pourrions multiplier les hypothèses, car la doc
trine et la jurisprudence sont unanimes sur le point que
nous indiquions toutà l’heure, à savoir : que l’assuré est
obligé de déclarer tout ce qu’il sait sur ce qui concerne
la navigation du navire, objet ou porteur du risque ;
1 Àix, 9 février 1830, D. P. 30, 2, 232.
* Rennes, 24 janv, 1844. — Journal du Palais , 1844, t. i , p. 409.
3 Pardessus, n° 814; — Boulay-Paty, tom. nr, p. 511.
�188
TH A tTE
que sa déclaration doit renfermer l’exacte vérité. N’ou
blions pas en effet que la fausse déclaration est placée
sur la même ligne que la réticence, et que l’on ne doit
pas témoigner moins de sévérité pour l’une que pour
l’autre.
Il est évident, en effet, que le résultat pour les assu
reurs est le même, soit que l’erreur dans laquelle on les
a jetés provienne de l’omission, soit qu’elle provienne
d’une fausse déclaration. Us ont donc le droit de faire
prononcer la nullité du contrat, dans l’une comme dans
l’autre hypothèse.
C’est ce qui est prescrit par l’article 348, d’où la doc
trine a tiré cette conséquence que l’obligation de faire
une déclaration exacte est absolue; qu’elle s’étend
même au cas où cette déclaration.porterait sur un fait
que l’assuré n’était pas obligé de déclarer. Ainsi il n’est
pas d’usage, dans les polices d’assurance, de faire men
tion du nombre d’hommes et des canons d’un navire,
cependant l’assuré qui croirait devoir déclarer l’une et
l’autre, verrait annuler l’assurance, s’il l’avait fait inexac
tement.1
Nous avons parcouru les obligations imposées par la
loi aux assurés, et dont l’exécution est garantie par une
véritable peine, la présomption de dol, et conséquem
ment la nullité de l’assurance. 11 nous reste à examiner
la nature de cette présomption; par qui elle peut être
invoquée.
1 Delvincourl, loin, u, pag. 394 ; — Pardessus, n” 550;— BoulayPaty, tom. n i, pag. 510 et 514.
�489
225. — La présomption de dol résultant des cir
constances prévues par l’article 548 estjuris et de jure,
c’est-à-dire qu’elle produit tout son effet par cela seul
que la réticence, la fausse déclaration ou la différence
entre la police et le connaissement existe, elle est donc
indépendante de la bonne ou de la mauvaise foi de l’as
suré. Vainement donc celui-ci se prévaudrait-il de la
pureté de son intention, vainement offrirait-il la preuve
qu’il a été lui-même trompé. Cette preuve devrait être
écartée, car l’erreur constatée, la bonne foi certaine
n’empêcherait point la nullité de l’acte. Sans cette
rigueur, l’article 548 ne serait plus qu’une source de
procès difficiles et ruineux.
DD DOL ET Dli LA FRAUDE.
226. — De plus, cette présomption est exclusive
ment en faveur des assureurs. Eux seuls peuvent donc
l’invoquer. L’assuré ne pourrait, après le voyage opéré,
exciper de sa réticence, de sa fausse déclaration, de la
différence entre le connaissement et la police, soit pour
se soustraire au paiement de la prime, soit pour en
poursuivre le remboursement. S’il en était autrement,
combien d’assurés qui recourraient à ce moyen, dont la
découverte n’est pas toujours facile, pour rendre la po
sition des assureurs plus intolérable encore.
Ilestun seul cas où la nullité de l’assurance peut être
indifféremment demandée par l’assureur ou par l’assuré.
C’est lorsque l’assurance est faite après la perte ou l’ar
rivée à bon port du navire, au lieu de sa destination. Si
l’assuré connaît la perte, si l’assureur connaît l’arrivée,
il n’y a plus d’aliment sérieux au contrat. Son accepta-
�190
TRAITÉ
lion, comme sa proposition n’est plus qu’un acte de dé
loyauté et de mauvaise foi qu’on ne saurait tolérer et
moins encore consacrer.1
2217. — En résumé l’assurance, étant un contrat
exceptionnel, ne pouvait se comprendre et se pratiquer
que par le principe de la bonne foi la plus rigoureuse.
Laisser son appréciation sous l’empire du droit com
mun, c’était livrer les assureurs aux fraudes et à la dé
loyauté des assurés. Ce résultat, tendant à rendre cette
branche d’industrie impossible, était un malheur social
par la restriction forcée qu’il amenait dans les expédi
tions maritimes. On a donc sagement agi en adoptant
un système spécial que l’on peutréduire aux quatre ob
servations que nous empruntons à M. Dalloz aîné : 2
1° L’assuré est toujours dans son tort, toutes les fois
qu’il n’a pas fait connaître quelque circonstance essen
tielle qu’il ne pouvait pas ignorer, que ce soit par fraude,
oubli ou simple négligence;
2° Lors même que la réticence ou la fausse déclara
tion porterait sur des choses que l’assuré n’était pas
obligé de déclarer, il en serait responsable si ces choses
devaient influer sur l’opinion du risque;
3° C’est à l’assureur seul qu’appartient le droit de
demander la nullité du contrat pour cause de réticence
ou de fausse déclaration, et, seul aussi, il est chargé
d’administrer la preuve des circonstances qu’il allègue;
�DU DOL ET DE LA Fit AUDE.
191
4° Enfin, c’est aux juges à apprécier si les circons
tances non déclarées ont, ou non, influé sur l’opinion
du risque.
228. — La preuve de la réticence est à la charge de
l’assureur qui s’en prévaut. Ce principe ne pouvait souf
frir aucune contradiction, il est en effet certain que, soit
que la réticence soit opposée comme exception à
l’action en délaissement, soit qu’elle devienne le fonde
ment d’une demande principale en nullité de l’assu
rance, l’assureur qui en excipe est réellement, quant à
ce, demandeur, et qu’en cette qualité il doit justifier sa
prétention.
Cette justification peut être écrite ou orale. En effet,
la preuve testimoniale est dans ce cas complètement
admissible, même en vertu des principes ordinaires. II
est certain que l’assureur n’a pu se procurer une preuve
littérale, il est donc placé dans l’une des exceptions au
torisées à la règle tracée par l’article 1341.
229. — Il n’en est pas de même de l’assuré qui pré
tendrait avoir dénoncé le fait constituant la réticence.
L’article 1341, qui prohibe la preuve par témoins outre
et contre le contenu de l’acte, ou de ce qui aurait été dit
avant, pendant ou après, est parfaitement applicable.
Car il est incontestable que l’assuré a eu le moyen de se
procurer une preuve écrite, qu’il ne se trouve par con
séquent dans aucun des cas d’exception, qu’on ne
pourrait dès-lors le récompenser d’avoir failli à un de
voir qui lui était rigoureusement imposé par la loi.
�192
TRAITE
Il est vrai qu’en matière commerciale, l’admissibilité
de la preuve orale est de droit commun. Mais on doit
excepter de cette règle les actes pour lesquels la loi
exige la forme littérale. Ainsi l’existence d’une société
commerciale ne pourrait être faite entre associés par la
preuve testimoniale, or ce que la loi exige pour les so
ciétés, elle le prescrit pour les assurances, les unes
comme les autres doivent être constatées par écrit.
230. — De là cette conséquence que la police d’as
surance , comme l’acte de société, fait, contre et en
faveur des parties, foi pleine et entière. L’omission,
dans la police de la mention du fait constituant la réti
cence, établit donc la preuve certaine de la non-décla
ration. En présence de cette preuve, en présence surtout
de la nécessité d’une déclaration écrite, toute préten
tion de prouver le fait par témoins serait inadmissible.
C’est ce qui résulte de la jurisprudence. Les arrêts
sont unanimes sur les divers points suivants, à sa
voir : que l’intention des parties ne peut prévaloir sur
la lettre ou l’énonciation écrite de la police; que, dans
le doute même , la convention doit être interprétée
contre l’assuré dans tout ce qui concerne les obligations
qui lui sont imposées; qu’il est impossible dès-lors
d’autoriser la preuve testimoniale.
Cette dernière proposition a été notamment formel
lement consacrée par l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix,
du 14 avril 1818, que nous avons transcrit plus haut.
Dans l’espèce, les assurés soutenaient que les assureurs
n’avaient ignoré aucune des circonstances essentielles ;
�193
DD DOD E T D E L A F R A U D E .
ils rapportaient une déclaration du notaire ayant reçu la
police, portant que les assureurs avaient été instruits de
l’époque du départ du navire et de la lettre d’ordre écrite
aux assurés; comme preuve de cette connaissance, ils
excipaient du taux élevé de la prime ; subsidiairement
ils demandaient l’admission de la preuve par témoins.
Mais la Cour, après avoir écarté la déclaration du
notaire et repoussé les autres considérations, refuse la
preuve demandée, considérant que cette preuve était
contraire au contenu des polices, et par cela même
inadmissible.
Ainsi la police devient la loi suprême des parties. En
conséquence, l’assuré qui aura exactement accompli
ses obligations devra mentionner dans cette police la
relation des faits qu’il a réellement dénoncés aux as
sureurs. Toute négligence sur ce point le rendrait sans
recours possible contre la dénégation, même de mau
vaise foi, des assureurs, et la nullité de l’assurance de
viendrait forcée par la présomption de dol, résultant de
la réticence apparente, si non réelle.
SECTION I I — DOC NON PDÉSUMK, MODES DE PREUVE.
SOMMAIRE.
231. Le titre étant présumé sérieux et sincère , c’est, à celui
qui l’attaque à en prouver l’illégitimité.
i
f3
�TRAITE
Il est vrai qu’en matière commerciale, l’admissibilité
de la preuve orale est de droit commun. Mais on doit
excepter de cette règle les actes pour lesquels la loi
exige la forme littérale. Ainsi l’existence d’une société
commerciale ne pourrait être faite entre associés par la
preuve testimoniale, or ce que la loi exige pour les so
ciétés, elle le prescrit pour les assurances, les unes
comme les autres doivent être constatées par écrit.
— De là cette conséquence qiie la police d’as
surance , comme l’acte de société, fait, contre et en
faveur des parties, foi pleine et entière. L’omission,
dans la police de la mention du fait constituant la réti
cence, établit donc la preuve certaine de la non-décla
ration. En présence de cette preuve, en présence surtout
de la nécessité d’une déclaration écrite, toute préten
tion de prouver le fait par témoins serait inadmissible.
C’est ce qui résulte de la jurisprudence. Les arrêts
sont unanimes sur les divers points suivants , à sa
voir : que l’intention des parties ne peut prévaloir sur
la lettre ou l’énonciation écrite de la police; que, dans
le doute même , la convention doit être interprétée
contre l’assuré dans tout ce qui concerne les obligations
qui lui sont imposées; qu’il est impossible dès-lors
d’autoriser la preuve testimoniale.
Cette dernière proposition a été notamment formel
lement consacrée par l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix,
du 14 avril 1818, que nous avons transcrit plus haut.
Dans l’espèce, les assurés soutenaient que les assureurs
n’avaient ignoré aucune des circonstances essentielles ;
�DU D O L E T D E L A F R A U D E .
193
ils rapportaient une déclaration du notaire ayant reçu la
police, portant que les assureurs avaient été instruits de
l’époque du départ du navire et de la lettre d’ordre écrite
aux assurés; comme preuve de cette connaissance, ils
excipaient du taux élevé de la prime ; subsidiairement
ils demandaient l’admission de la preuve par témoins.
Mais la Cour, après avoir écarté la déclaration du
notaire et repoussé les autres considérations, refuse la
preuve demandée, considérant que cette preuve était
contraire au contenu des polices, et par cela même
inadmissible.
Ainsi la police devient la loi suprême des parties. En
conséquence, l’assuré qui aura exactement accompli
ses obligations devra mentionner dans cette police la
relation des faits qu’il a réellement dénoncés aux as
sureurs. Toute négligence sur ce point le rendrait sans
recours possible contre la dénégation, même de mau
vaise foi, des assureurs, et la nullité de l’assurance de
viendrait forcée par la présomption de dol, résultant de
la réticence apparente, si non réelle.
SECTION II — DOL NON PRÉSUMÉ, MODES DE PREUVE.
SOMMAIRE.
231. Le titre étant présumé sérieux et sincère , c’est, à celui
qui l’attaque à en prouver l’illégitimité.
13
�232. Doutes sur le point de savoir s’il fallait admettre la
preuve testimoniale.
233. Origine de cette preuve.
234. Respect qu’elle inspira aux Grecs et aux Romains.
235. Notre ancienne jurisprudence suivit les errements du
droit romain, jusqu’à l’ordonnance de 1566.
236. Motifs de cette ordonnance.
237. Son appréciation par les jurisconsultes de l’époque.
238. Extension qu’elle a successivement reçue par l’ordon
nance de 1669, et enfin par l’article 1341 du Code
civil.
239. Caractère de la prohibition, non applicable au dol.
240. Cette exception se justifie par les principes.
241. Est-elle applicable au dol postérieur au contrat.
242. Arrêt de la Cour de cassation établissant la négative.
243. Il en serait autrement s’il existait un commencement
de preuve par écrit.
244. Quid si le porteur du titre querellé, avouant la simulation
de la cause, en indique un autre légitime ?
245. Arrêt d’Aix validant le titre en vertu, du principe de l’in
divisibilité de l’aveu.
246. Réfutation.
247. Arrêt contraire de la Cour de cassation.
248. Conditions pour l’admissibilité de la preuve orale.
249. Première condition. Articulation précise des faits.
250. Deuxième condition. Pertinence des faits, comment elle
s’apprécie.
251. Appréciation de l’enquête.
252. Système du droit romain et de notre ancien droit sur le
nombre des témoins et la qualité de la preuve.
253. Système du Code.
254. La preuve par présomption est recevable dans tous les
cas admettant la preuve testimoniale.
255. Exigence de notre ancien droit sur le nombre des pré
somptions.
256. Opinion de Dumoulin et de Domat, du cardinal de
Lucca.
227. Le Code n’exige rien autre que la gravité, la pertinence
�DU D O L E T D E L A F R A U D E .
195
et la concordance des présomptions. Appréciation
de ces caractères.
258. Pourrait-on se décider pour la nullité, s’il n’existait
qu’une seule présomption?
259 La preuve par présomptions sera plus ou moins con
cluante, selon que les .faits dont on les induit seront
plus ou moins certains.
260. C’est par l’ensemble des présomptions que le juge doit
se décider.
231. — Nous venons de dire qu’eu principe l’acte
écrit, signé par les parties, est présumé sérieux et sin
cère; qu’il est censé renfermer leurs véritables inten
tions. La preuve du contraire enlève au titre ce triple
caractère, c’est ce qui se réalise notamment lorsqu’il
est justifié que le concours de l’une des parties con
tractantes est le résultat du dol commis par l’autre.
De là cette conséquence que le porteur du titre n’a
rien à justifier, et que c'est uniquement à celui qui pré
tend le faire anéantir, à fournir la preuve du vice dont
il le prétend atteint. La difficulté ne peut jamais naître
sur le principe, mais sur son exécution. Et c’est ainsi
qu’on s’est posé en législation la question de savoir si
l’on devait admettre, pour prouver le dol, la preuve tes
timoniale ; en doctrine et en jurisprudence, celle de
savoir si cette preuve avait été admise.
232. — La raison de douter se puisait dans la dis
position de l’article 1341 qui, dans l’hypothèse donnée,
prohibe la preuve testimoniale, même lorsqu’il s’agit
d’une somme moindre de cent cinquante francs. Mais
le rapprochement de cette disposition des motifs qui
�196
TRAITÉ
Font déterminée, devait amener la loi, la doctrine
et la jurisprudence à résoudre la question par l’affir
mative.
Pour juger de l’opportunité de cette décision, il con
vient de jeter un coup d’œil rapide sur les législations
antérieures. Leur connaissance, les modifications qu’el
les ont dû successivement introduire dans l’étendue de
la preuve orale, justifieront le principe sur lequel l’ar
ticle 1341 est fondé, en même temps qu’elles indique
ront le véritable caractère de l’exception introduite pour
le dol.
23o. — L’écriture, c’est-à-dire l’art de peindre la
parole et de parler aux yeux, n’a été connue qu’assez
tard; 1et si des signes matériels, tels que l’érection
d’un autel, d’un monceau de pierres, la plantation
d’un bois, un nom relatif à des faits intéressants donné
au lieu qui les avait vus s’accomplir, suffisaient pour
transmettre la mémoire des événements importants et
constituer les fastes d’une nation, 2 il ne pouvait en être
ainsi pour les conventions particulières d’individus à
individus. C’était donc presque toujours la présence de
témoins qui solennisait ces conventions. Nous en trou
vons de nombreux exemples dans l’histoire des anciens
peuples, et notamment dans l’écriture sainte.3
La découverte de l’écriture ne pouvait, dès le prin
cipe, exercer une bien grande influence sur cet usage.
1 Goguet, de l'Origine des lois, chap. 6, pag. 189.
5 Id. , Ibid.
* Genèse, chap. 20, vers. 3 et suiv.
�DU DOL E T D E L A F R A U D E .
197
Indépendamment du préjugé né d’une longue expé
rience, les difficultés que durent rencontrer la pratique
et la connaissance de cet art expliquent comment, pen
dant longtemps encore, on dut recourir à un mode uni
versellement admis. La preuve testimoniale resta donc,
même après cette découverte, l’arbitre le plus usuel, le
plus fréquent des transactions particulières.
234. — Les législations grecque et romaine portent
l’empreinte du respect profond que cette institution,
d’abord si utile, avait inspiré. Parvenus à l’époque de
leur gloire, les Romains regardaient (a preuve testimo
niale comme indispensable. Teslimoniorum usas, necessarius est, disait le Digeste et Justinien n’hésitait
pas à lui accorder une autorité égale à sa rivale, la
preuve écrite : In exercendis litibus, eamdem vim oblinenl tam fidem inslrumenlorum qaam depositiones testium.2
Il est vrai qu’à coté de cette prescription s’en ren
contre une autre qui semble rejeter la preuve testimo
niale en présence d’un titre écrit : Contra testimonium
scriptum, testimonium non scriptum non ferlur. 3Mais,
ainsi que le fait remarquer M. l’avocat-général de
Corberon, dans une espèce rapportée par Merlin, si
cette loi se trouve dans un des livres du Code , c’est
qu’elle y a été introduite après la compilation qui en a
été faite par ordre de Justinien. On ne sait, en effet, à
,
1 L . i , de test.
2 L. 15, Cod. de fide insl.
s L. 1 , Cod. de tcstibus.
1
�198
TRAITE
quel empereur l’attribuer. Cujas, qui l’a tirée des Basi
liques, pense qu’elle est de l’empereur Àntonin. Mais,
en l’admettant ainsi, ne faudrait-il pas en conclure
qu’elle n’a jamais eu le caractère de loi dans l’empire
d’Oçcident? En effet les Basiliques, recueil des lois des
empereurs d’Orient n’étaient, au témoignage de Gode
froy, souvent pas obligatoires pour l’Orient même, à
plus forte raison ne pouvaient-elles être considérées
comme telles pour l’empire d’Occident.
Ce qui le démontre, à notre avis, c’est d’abord la loi
que nous avons citée et qui a accordé à la preuve testi
moniale la même autorité qu’à la preuve écrite.
C’est en outre la loi 18, au Code cle teslibus, qui est
décisive. Elle nous apprend, en effet, que, préoccupé
des inconvénients des témoignages complaisants, per
quos mulla veritalis contraria perpetrantur, le législa
teur ne trouve pas d’autre remède que d’exiger un plus
grand nombre de témoins. Ainsi les débiteurs ne pour
raient se prétendre libérés, nisi quinque testes idonei et
summæ alque intégra: opinionis presto fuerint solulioni
celebratæ, hique cum sacramenti religione deposuerint
sub prœsenlia sua debitum esse solulum.
C’est enfin la décision de Justinien sur la préférence
que l’on doit accorder à la preuve testimoniale sur le
titre même, 1préférence fondée sur ce que celui-ci est
1 Si vero taie aliud quale in Armenia factum est, ut aliud qui rem
facial collatio litterarum, aliud vero testimonia, tune nos existimavimus ea quæ viva voce dicuntur et cum jurejurando, hæc digniora fide,
quam scripturam ipsam secundurn te subsistere. (Noveüa const. , 75,
chap. 5.)
�DU D O L E T D E LA F R A U D E .
499
muet, tandis que les témoins parlent et répondent : Iiuc
polissimum ralioneducli, quod instrumenlorum leslatio
sit muta, ei quæ interroqata non respondeat. Teslium
vero probatio semper loquatur, ratiocinetur et sœpius
interroqata respondeat.'
Il n’est donc pas permis de douter de la haute consi
dération que les Romains ont professé de tout temps
pour la preuve testimoniale. Elle était en toute matière
complètement recevable, sauf la modification que nous
venons d’indiquer.
255- — Il en a été longtemps de même en France.
La ISovelle de Justinien y avait généralement formé le
droit commun. On connaît cette maxime de notre vieille
jurisprudence : Témoins passent lettres.
Mais cet état des choses fut gravement modifié par
l’ordonnance de 1566- Ce que Justinien avait cru im
possible, Charles xx et son immortel chancelier n’hési
tèrent pas à l’exécuter. Dès ce jour, la preuve testimo
niale reçut une atteinte profonde, sous le coup de la
quelle elle est encore aujourd’hui.
256. — Or il n’est pas sans intérêt, puisque le Code
s’est attribué le principe de cette célèbre ordonnance ,
de rappeler les motifs qui déterminèrent celle-ci. Nous
jugerons par là de ce que le nouveau législateur a réel
lement voulu. Ces motifs se trouvent ainsi consignés
dans l’article 54 :
1 Boiceau, sur l’art. Si de l'ordonnance de Moulins.
�20U
TRAITÉ
« Voulant obvier à multiplication de faits que l’on a
vu ci-devant estre mis en avant en jugements, sujets
à preuve de témoins et reproches d’iceux dont adviennent plusieurs inconvénients et involution de procès. »
Voilà donc l’objet dans lequel il est ordonné que
« Doresnavant de toutes choses excédant la somme ou
valeur de cent livres une fois payer, seront passez
contrat pardevant notaires et témoins, par lesquels
contrats seulement sera faite et reçue toute preuve esdites matières, sans recevoir aucune preuve par témoins
outre le contenu aux actes, né sur ce qui serait allégué
avoir esté dit et convenu avant icelui, lors et depuis. *
257. — Ces prescriptions rompaient tellement avec
les habitudes des masses, qu’au dire de Boiceau elles
furent considérées par elles comme dures, odieuses,
contraires au droit civil. Mais telle ne fut pas l’appré
ciation des célèbres jurisconsultes de cette époque. Ils
n’hésitèrent pas à sanctionner de leur autorité des dis
positions qu’ils jugèrent les plus recommandables de
toutes celles que ce siècle avait vu naître : Niilia, loto
hoc seculo, constitutio aut lex regia, sanctior ac prohatior visa fuit. '
258. — Une longue pratique est venue démontrer
la profondeur de ce jugement et sa remarquable jus
tesse. Loin de revenir sur la décision qui le motivait,
les législateurs qui se sont succédés en ont corroboré
Boiceau, sur l’ordonnance de 1566.
�DU D O L E T Dli LA F R A U D E .
‘204
le principe. C’est ainsi que l’ordonnance de 1667 place
sous son empire les obligations et la constitution des
dépôts ; et que l’article 1341 du Code civil l’a mis au
rang des dispositions légales qui nous régissent.
259. — De cet historique de la législation sur la
preuve testimoniale, il résulte qu’on ne saurait équivoquer sur le caractère de la prohibition qui forme aujour
d’hui notre droit commun. Ce qu’on a voulu prévenir,
c’est la multiplicité des procès sur la nature des accords
prétendus par chaque partie, sur la détermination exacte
de l’intention des parties contractantes ; ce qu’on a re
cherché, c’est la fixité des conventions, épargnant aux
magistrats la perplexité dans laquelle les jetent des ex
plications contradictoires. Évidemment aucune de ces
considérations n’est dans le cas d’exercer la moindre
influence sur les actions fondées sur le dol. Là, en effet,
il ne s’agit plus de rechercher quelle a été l’intention
des parties ; c’est l’absence de tout consentement légal,
c’est l’existence d’un quasi-délit qu’il s’agit d’établir ,
et, sous ce double rapport, la prohibition de la preuve
testimoniale serait irrationnelle. En effet, s’il est bon de
prévenir les procès, il est juste d’accorder une exacte
réparation à celui qui est indignement trompé, et c’est
ce qu’on avait parfaitement admis sous l’ordonnance
de 1667.1
Au reste, ce qui n’etait à cette époque qu’une dé
duction logique a acquis aujourd’hui un caractère dé1 Jousse, sous l’arl. 4, n° S.
�202
TRAITE
finitif et légal. Ainsi l’article 1348 du Code civil ad
met la preuve orale contre l’assertion du titre toutes
les fois que la partie qui la demande a été dans l’impos
sibilité de se procurer une preuve écrite. Cette dispo
sition assigne à celle de l’article 1341 un caractère évi
dent et certain. L’acte ne fait foi entière de son contenu
que parce qu’il a été loisible à chacun de ceux qui y
ont concouru, de faire constater dans l’acte même sa
volonté et l’intention qui l’a réellement animé. Il y
a donc négligence et imprudence à ne pas l’avoir fait.
A quel titre demanderait-on à la loi d’être relevé des
conséquences de l’une ou de l’autre?
Que si au contraire celui qui se plaint n’a été ni im
prévoyant ni téméraire, si l’absence d’une preuve écrite
n’est due qu’à des circonstances qu’il ne lui était pas
donné de prévoir, et moins encore d’empêcher, on ne
pouvait sans iniquité lui enlever les moyens de se sous
traire aux conséquences d’une convention onéreuse au
tant qu’injuste.
Or, c’est précisément ce qui se réalise lorsque le
contrat est le produit du dol. La victime, si elle eût
soupçonné les manœuvres dont elle a été l’objet, n’au
rait certes pas contracté. Elle les a donc forcément
ignorées ; elle n’a pu conséquemment s’en procurer une
preuve écrite.
240. — L’exception à la prohibition de la preuve
testimoniale, en faveur de l’action en dol, se justifie
donc par les principes ordinaires. Elle est écrite dans
l’article 1348 d’abord, dans l’article 1353 ensuite. Et
�DU D O L E T D E L A F R A U D E .
203
l’on ne comprend pas que la doctrine ait pu un ins
tant équivoquer sur la pensée si loyale, si évidente de la
loi.
241, — Ainsi le dol antérieur ou contemporain de
la convention, qu’il soit substantiel ou accidentel, di
rect ou indirect, positif ou négatif, peut toujours être
prouvé par témoins. En est-il de même pour le dol pos
térieur au contrat ?
La question ne serait pas douteuse, s’il fallait la ré
soudre sous l’influence du droit romain. Les textes
d’Ulpien, que nous avons déjà cités, la trancheraient
d’une manière fort nette. L’acte de celui qui poursui
vait l’exécution d’une convention sans cause était un
véritable dol : Nam quis petit ex ea slipulalione, ip.se
dolo facit quod petit... Exceplio utique dolimali, ei
nocebit. '
Cette doctrine était au reste une conséquence des
idées des Romains sur la preuve testimoniale et sur la
nature des exceptions. Produits du droit prétorien, les
exceptions n’avaient été imaginées que pour protéger ce
qui était équitable contre les rigueurs du droit civil :
Quod jure civili debebal, jure prœtorio non debebat, id
est exceptio. D’ailleurs le porteur du titre devait en de
mander l’exécution, et, dans cette instance, le défen
deur pouvait obtenir Vadjectio formulée, laquelle, in
sérée entre Vinlenlio ou la condemnalio, avertit le juge
de ne pas condamner, même si paret, pourvu que le dé1 Vid. supra, cliap. 1 , sect. 2, § 4.
�204
TRAITE
fendeur fusse la preuve de son allégation.1L’effet de l’ex
ception n’était donc pas de détruire le droit exercé. Il
se bornait à en paralyser l’exercice, lorsque la condam
nation du défendeur eût été contraire à l’équité. 2
Notre loi a repoussé toutes ces formalités, toutes ces
formules. Il n’y a plus qu’un seul droit commun à tous
les citoyens, et ce que ce droit ne prohibe pas est
parfaitement légal, alors même que l’équité ne saurait
pleinement l’avouer. D’autre part, la preuve testimo
niale s’est effacée devant le respect commandé pour le
titre écrit et la nécessité d’obtenir une preuve littérale.
Ce double principe ne fléchit que lorsque l’existence du
titre est attaquée dans son principe même, à cause du
vice imputé au consentement.
En conséquence, si dans son origine le contrat a été
le résultat de la volonté libre et réfléchie des parties ,
1’engagement existe , le lien légal a toute sa force, et la
présomption est qu’il n’a été créé que pour recevoir son
entière exécution.
Vainement le demandeur en nullité prétendrait-il
qu’il n’a signé l’acte que parce qu’il était convenu qu’il
ne serait jamais exécuté ; et verrait-il un dol dans la
conduite de son adversaire. Pour que ces prétentions
fussent accueillies, il faudrait que la première résultat
du titre ou de tout autre acte séparé. Car c’est pour les
cas de ce genre surtout que l’article 1541 prescrit la
preuve littérale. En l’absence de cette preuve, on ré1 Etienne, Théorie des actions , chap. 2, § 12, pag. 275.
5 Id. , ibid.
�DU DOU E T 1)E LA F R A U D E .
205
pondrait à celui qui se plaint : la loi vous faisait un de
voir rigoureux de vous procurer la preuve écrite des
faits dont vous excipez; cette preuve, vous étiez en pos
session de l’obtenir ; si vous ne l’avez point, c’est que
vous avez préféré suivre aveuglement la foi de celui qui
est aujourd’hui votre adversaire ; subissez donc les ef
fets de cette confiance; il ne nous appartient même pas
de rechercher si elle est ou non trahie.
Ce langage est sévère, il peut même paraître odieux
et injuste. Mais, si l’on réfléchit aux inconvénients nom
breux que le système contraire entraînerait, on se re
concilie avec la pensée du législateur. N’est-il pas évi
dent, en effet, qu’autoriser la preuve testimoniale du
dol postérieur au contrat, c’était ouvrir une large porte
à l’invasion de la mauvaise foi, multiplier les procès ,
compromettre les droits les plus légitimes, en les sou
mettant aux éventualités toujours si incertaines de la
preuve orale? Que d’accusations mal fondées ne se se
raient-elles pas produites, ne fût-ce que pour arrêter
momentanément l’exécution d’un contrat réel?
C’était là rétrograder au-delà des ordonnances de 1566
et 1667, et revenir aux abus que ces deux législations
avaient si heureusement réprimés.
Que, dans ses conséquences, l’application rigoureuse
de l’article 15-41 puisse quelquefois consacrer une in
justice et une fraude, c’est là une malheureuse vérité.
Tel u’est-il pas d’ailleurs le sort de toutes les institutions
humaines ! Mais, entre ces malheurs partiels et l’intérêt
général, il n’y a pas à hésiter. C’est ce que le législateur
a sagement pensé. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était
�206
TRAITE
de prévenir avant de frapper, et certes la disposition
de l’article 1541 prouve qu’il n’a pas failli à cette
mission.
Ainsi le dol postérieur au contrat ne saurait être
prouvé autrement que par écrit. Quelque odieuse que
soit la conduite de celui qui, après avoir concouru à un
acte simulé, en poursuit l’exécution, comme le pré
judice qui en résultera a pu être prévu au moment du
contrat et conjuré par le contrat même ou partout autre
acte séparé, la loi a dû se reposer sur l’intérêt des par
ties. Elle ne peut protéger celle d’entr’elles qui s’est im
prudemment abandonnée, plus efficacement qu’elle ne
l’a fait elle-même, ni la récompenser de la violation
expresse de sa disposition.
242. — Nous trouvons une remarquable application
de ces principes dans un arrêt de la Cour de cassation,
sur l’espèce suivante :
Le 1 1 germinal an x i i i , le sieur Chiorando, receveur
particulier des contributions directes à Alexandrie ,
délivra à Visconti, sur Gaudry, percepteur des contri
butions dans la même ville, un bon de 7,000 fi'., por
tant la mention qu’il en sera tenu compte à ce dernier
sur son premier versement. Ce bon a été acquitté. Le
18 du même mois, Chiorando reconnut avoir reçu pu
rement et simplement de Gaudry 7,000 fr. Celui-ci était
resté tout à la fois porteur du bon et de la quittance.
Chiorando l’a assigné pour le faire condamner à lui res
tituer le bon ou à lui en donner quittance, prétendant
que celle du 18 germinal s’y appliquait. Gaudry prétend
�DU DOL E T D E L A F R A U D E .
207
que le bon et la quittance font deux titres bien dis
tincts, qui ont pour objet : le premier, d’établir une
créance en sa faveur; et le second, de constater le ver
sement par lui fait d’une somme de 7,000, indépen
damment de celle énoncée dans le bon.
Chiorando demande alors à prouver par témoins :
1° que le 18 germinal an xm, il délivra une quittance
de 7,000 fr. et qu’il l’envoya par un de ses commis au
bureau du sieur Gaudry, pour la remettre à celui-ci et
retirer en même temps le bon de pareille somme, déli
vré le 11 du même mois au sieur Visconti ; 2° que la
personne chargée de cette quittance, ne trouvant pas le
sieur Gaudry chez lui, s’adressa à un de ses commis
qui, ayant déclaré qu’il était instruit de la chose, avait
tâché de retrouver le bon dans le bureau ; 3° qu’après
avoir cherché dans plusieurs endroits sans avoir pu le
retrouver, ce commis dit à celui du sieur Chiorando de
laisser la quittance, en l’assurant que, dans la journée,
il lui rapporterait-lui-même le bon, en remplacement
duquel la quittance devait être donnée ; 4° enfin, que la
personne chargée de la quittance la laissa effectivement
entre les mains du commis de Gaudry, mais que ce der
nier n’apporta pas le bon.
Gaudry soutient que la preuve testimoniale n’est pas
admissible, mais cette prétention est repoussée d’abord
par le tribunal d’Alexandrie, et, sur l’appel, par la Cour
de Gênes.
Sur le pourvoi de Gaudry, l’arrêt de celle-ci fut cassé
par décision du 29 octobre 1810, en ces termes :
« Attendu que l’article 1341 défend d’admettre au-
�TRAITE
208
cune preuve par témoins outre et contre le contenu aux
actes, ni sur ce qui aurait été dit avant, lors ou depuis,
encore qu’il s’agisse d’une somme ou valeur moindre
de 150 fr. ; que cet article ne reçoit exception, aux
termes des articles 1347 et 1348, que lorsqu’il n’a pas
été possible de se procurer une preuve écrite, ou lors
qu’il existe un commencement de preuve par écrit ; at
tendu que les parties ne se trouvaient ni dans l’une ni
dans l’autre de ces exceptions, puisque l’arrêt dénoncé
n’a pas déclaré qu’il existât un commencement de
preuve par écrit ; et qu’il avait été possible au défendeur
de rapporter une preuve écrite des faits par lui arti
culés. 1 »
Or, c’est précisément cette possibilité qui existe pour
le dol postérieur au contrat. Dès-lors la doctrine de cet
arrêt devrait régir et faire repousser la demande de la
preuve testimoniale.
243. — Mais cette preuve deviendrait admissible ,
s’il existait un commencement de preuve par écrit.
Nous aurons occasion, en traitant de la frande, de re
chercher les caractères constituant ce commencement
de preuve. Nous nous contenterons de remarquer ici
que la doctrine et la jurisprudence ont singulièrement
étendu la disposition de l’article 1347, dans l’interpré
tation de laquelle les magistrats n’obéissent à d’autres
règles qu’à celles d’un arbitrage souverain.
L’un des éléments les plus usuels, les plus utiles à
1 Dalloz A., lom. x , v° oblig. , chap. 6, sect. 2 , art. 2.
�cet arbitrage, est sans contredit l’interrogatoire sur faits
et articles. Il n’est pas rare, en effet, de trouver dans les
réponses fournies des indications rendant le fait vrai
semblable et constituant par conséquent le commence
ment de preuve. Le cas se réalisant, aucune difficulté
sérieuse ne s’opposerait à l’admission de la preuve orale.
244. — Il est une hypothèse qui peut faire surgir
une difficulté grave, c’est lorsque le porteur du titre
querellé de dol postérieur avoue la simulation de la
cause énoncée et en indique une autre qui serait légiti
me. Faut-il dans cette espèce recourir à la preuve tes
timoniale, l’aveu de la simulation créant un commence
ment de preuve, ou bien faut-il accepter cet aveu dans
les deux parties et repousser toute preuve orale?
245- — Dans ce dernier sens on a dit que l’acte qui
exprime une cause fausse n’en est pas moins valable ,
s’il en existe une réelle et légitime ; que l’aveu que l’on
ne peut scinder, faisant foi de la fausseté de la cause
exprimée , doit faire foi de celle qui est substituée;
qu’admettre le contraire, ce serait violer le principe de
l’indivisibilité de l’aveu ; qu’on doit donc accepter la
déclaration dans son entier, alors même que des pré
somptions graves, précises et concordantes indique
raient que la seconde partie n’est pas conforme à la vé
rité. C’est dans ce sens et dans ces termes que la Cour
d’Aix l’a jugé dans l’affaire Jourdan contre Bizot.
246- — Ce système, à notre avis, ne saurait être
!
U
�210
TRAITE
accueilli. Ii n’est que le résultat d’uue appréciation
exagérée de l’article 1356; il s’écarte, de plus, des prin
cipes consacrés par l’article 1131.
L’arrêt considère d’abord que l’acte produit par le
créancier est inattaquable par la preuve testimoniale
aux termes de l’article 1541. Cela est rigoureusement
exact. Aussi, tant que le créancier, s’en référant au ti
tre, l’oppose aux allégations du débiteur, ces alléga
tions, ne pouvant établir qu’un dol postérieur au con
trat, ne peuvent ni prévaloir sur le titre, ni devenir
l’objet d’une preuve testimoniale en l’absence d’un com
mencement de preuve par écrit.
Mais dès que le créancier, désertant le titre, en re
connaît la simulation, l’article 1341 devient inappli
cable sous un double rapport :
1° L’article 1134 ne déclare obligatoii'es que les con
ventions /également formées. Pour que ce caractère soit
acquis, il faut que l’obligation ait une cause; c’est là
une des conditions requises par l’article 1108. Comme
conséquence, l’article 1131 déclare nulle et de nul effet
l’obligation sans cause, ou sur une cause fausse ou illi
cite. Or, l’obligation, dont la cause exprimée est recon
nue inexacte, est réellement une obligation sans cause.
Tout au moins le titre exprime-t-il une cause fausse et,
jusqu’à preuve contraire, la cause véritable peut être
présumée illicite. Dès-lors, ce ne serait plus seulement
une simulation ordinaire, il s’agirait, dans cette hypo
thèse, d’une fraude tentée pour éluder l’article 1131. Or,
la fraude à la loi peut toujours être prouvée par témoins.
Vainement prétendrait-on que le débiteur, ayant co-
�211
opéré à cette fraude, ne saurait être admis à s’en pré
valoir. II est vrai que cette conclusion a pour point d’ap
pui la maxime nemo audilur turpitudinem suam allegans. Mais le droit romain avait-il voulu autoriser le
créancier à profiter de sa déloyauté? N’enseignait-il pas
au contraire que nemini fraus.sua patrocinari debet ?
Si donc il n’y avait en présence que le débiteur et le
créancier, les raisons d’admettre ou de rejeter leurs pré
tentions se balanceraient avec une égale autorité; mais
au-dessus de l’une et de l’autre se trouve engagée la loi
elle-même, dont on a voulu méconnaître la volonté,
éluder les dispositions ; et la nécessité de rétablir l’une
et de faire exécuter les autres est une réponse plus que
péremptoire au brocard de droit que l’on voudrait in
voquer.
Aussi la doctrine est-elle d’accord pour reconnaître
qu’ériger en pricipe absolu la maxime nemo audilur
etc..., ce serait consacrer la fraude et ôter aux lois toute
leur force. Dès-lors, disent Teulet et Dauvilliers, dans
le résumé de celte doctrine, on doit déclarer que si
cette fin de non-recevoir peut être quelquefois admise,
c’est lorsque l’influence des faits est telle, qu’en effet
elle offre le moyen de rendre une décision plutôt équi
table que juridique ; mais, en principe, il faut recon
naître que toute partie doit être admise à attaquer com
me nulle toute obligation qu’il soutiendra avoir sous
crite sans cause ou sur une fausse cause, et que pour ar
river à ce résultat elle sera autorisée à fournir tous les
modes de preuves. 1
DU DOL E T DE LA F llA U D E .
1 Cod. civ. annoté, art. 1131, n0814, 15 et 16.
�Cette doctrine est loin de violer l’article 1341 ; on
peut même dire que dans l’hypothèse où nous raisonnons, il n’y a pas lieu de l’invoquer. Dès l’instant que
la simulation de la cause énoncée dans le titre est re
connue, le titre disparaît. Il n’y a plus qu’une allégation
contre celle du débiteur. D’ailleurs, lorsqu’il y a réel
lement une cause fausse, ne peut-on pas dire que le dé
biteur, protégé par l’article 1131, n’a pas dû se mettre
fort en peine de se procurer une preuve qu’il était d’ail
leurs impossible qu’il se procurât? Lorsqu'il s’agit de
faire ce que la loi défend, lorsqu’on a reeours à la simu
lation, il est certain qu’on n’ira pas par une déclaration
écrite s’enlever tout le bénéfice de cette simulation. S’il
s’agit, par exemple, de déguiser une dette de jeu, en
lui donnant la forme d’un prêt ordinaire, le perdant qui
se résigne à souscrire l’acte, songera-t-il à exiger une
contre-lettre, le gagnant la souscrira-t-il? Autant vau
drait ne pas rédiger de titre écrit que de l’annuler d’a
vance par cette précaution.
Et cependant si le système que nous combattons était
admis, il en résulterait qu’il suffirait au porteur du titre
d’en reconnaître la simulation, mais d’en indiquer une
cause autre que celle exprimée pour assurer l’exécution
qu’il en sollicite; le perdant, lié par cette déclaration,
ne pourrait plus prouver par témoins le véritable ca
ractère de l’acte. C’est pourtant le contraire qui est en
seigné par la doctrine et la jurisprudence.1
1 Merlin , H ep . , v° je u , n° 4 ;— Favard , C on trai a lé a to ire , tom. i,
pag. 629 ; — Toullier, tom. 6, n° 381 ; — Chardon, du V o l, n08 560 ,
861 ; — Jour, du P a la is , Cass., 21 nov. 1814; ■— Lyon, 21 déc. 1822;
—Grénoble, 6 déc. 1825; — Angers, 15 août 1851;—Paris, 5 sept. 1854.
�Dira-t-on qu’il s’agit pour les dettes de jeu d’une obli
gation illicite? Nous répondrons que l’obligation est si
peu illicite, qu’elle lie naturellement le perdant; qu’on
ne peut répéter ce qui a été volontairement payé, tandis
qu’on est recevable à se faire restituer ce qu’on a payé
sans cause; que fallût-il d’ailleurs reconnaître ce ca
ractère illicite à la dette de jeu, l’article 1131 ne faisant
aucune distinction entre la cause illicite et le défaut de
cause ou la cause fausse, la preuve testimoniale admise
pour l’une doit l’être également pour les autres.
2° Sous un autre rapport, et en supposant que la faus
seté de la cause ne pût devenir l’objet d’une preuve
orale sans qu’il existât un commencement de preuve
par écrit, on doit considérer comme tel l’aveu de la si
mulation delà cause indiquée par le titre. Cet aveu , en
effet, altère profondément l’acte, lui enlève son carac
tère et constitue une véritable preuve contre lui. Or le
commencement de preuve n’est-ce pas tout fait émané
du créancier qui rend le système du débiteur vraisem
blable? Eh bien! en convenant d’une fraude en sa fa
veur, le premier ne rend-il pas vraisemblable celle dont
se plaint le second?
Mais, dit-on, l’acte n’est pas nul par cela que l’on re
connaît que la cause est simulée. Il peut être maintenu,
s’il est prouvé qu’il en existe une autre légitime et sé
rieuse.
Cette objection, loin d’affaiblir notre système, ne tend
qu’à le renforcer. Dans l’hypothèse donnée, l’acte écrit
ne se suffit plus à lui-même. Il a besoin d’un secours
extérieur, celui de la preuve qu’il existe une cause. Cette
�214
T R A IT E
preuve, c’est le créancier qui est obligé de la fournir.
Dès l’instant qu’il y a lieu de recourir à une preuve, le
droit de fournir la preuve contraire naît incontestable
ment. Sans ce droit, il y aurait une atteinte flagrante à
la libre défense de celui qui est attaqué, et l’on admet
trait que, si le créancier, au lieu de cette preuve obli
gée se borne à une allégation, le débiteur ne pourra
prouver la fausseté de cette allégation, lui qui aurait la
faculté de discuter la preuve elle-même, de l’anéantir
par la preuve contraire.
Après un pareil système, il n’y a plus qu’à déchirer
l’article 1131 et laisser la fraude se parer insolemment
des dépouilles de ses victimes. Dans quel cas sera-t-il
possible d’appliquer la prohibition des obligations sur
cause fausse? Le porteur assez indélicat pour poursuivre
par un véritable dol l’exécution d’une obligation simu
lée, aura toujours la déloyauté, tout en convenant de la
fausseté de la cause exprimée, d’en désigner une autre
telle quelle. Dans la supposition d’une dette de jeu
que nous faisions tout à l’heure, il suffira au gagnant de
dire : oui, la somme indiquée reçue au moment de l’o
bligation n’a été en réalité ni reçue ni livrée, mais une
somme égale m’était déjà due en vertu d’avances anté
rieures par moi faites.
Et cet homme sera cru ! et la justice, alors que le
débiteur n’aura pas un commencement de preuve par
écrit de la fausseté de cette allégation, devra abdiquer
tout droit d’examen, condamner impitoyablement ce
débiteur, alors même que des présomptions graves ,
précises et concordantes se réuniront pour faire suspec-,
�215
ter la véracité de l’allégation! Une pareille jurisprudence
serait un malheur social.
DU DOT. E T DE LA F R A U D E .
247. — Ainsi l’a pensé la Cour de cassation, car elle
a admis le contraire en jugeant, le 8 avril 1855, que
lorsque toutes les parties reconnaissent que la cause ex
primée dans un acte obligatoire est simulée, les tribu
naux peuvent rechercher, par la preuve testimoniale et
par des présomptions, qu’elle est la véritable cause, et
décider, d’après les circonstances, que l’obligation est
sans cause et par suite nulle. Il est important de rap
porter l’espèce dans laquelle cet arrêt est intervenu.
En 1825,1e sieur Jacques Pascal, souscrivit un billet
de 1600 fr. en faveur de son frère, qui le céda bientôt
après au sieur Razaud, gendre de Pascal. À l’échéance,
Razaud demande paiement à son beau-père, qui soutient
que l’obligation était sans cause, et qui, postérieure
ment, offrit de la payer par l’abandon d’un immeuble.
Cet offre n’ayant pas été acceptée, la cause fut déférée
à la justice, voici littéralement le système du créancier.
La cause exprimée dans l’obligation n’est pas vraie,
mais ce qui lui a donné naissance, c’est que mon père
avait autrefois avancé une somme de 1600 fr. au sieur
Jacques Pascal. Celui - ci ne s’en étant pas reconnu
débiteur, lors de mon mariage avec sa fille, a imaginé
de reparer cet oubli en s’obligeant pour pareille somme
envers son frère, et en lui donnant mandat de me céder
ensuite l’obligation.
Jacques Pascal demande à prouver par témoins la
fausseté de cette assertion. La Cour de Grenoble admet
�21 6
tr ai té
cette preuve par un premier a rrê t, et annule, par un se
cond, l’obligation comme étant sans cause.
Pourvoi en cassation de R azaü d , pour, entre autres,
violation des articles 1519,1341 et 1347 du Code civil,
en ce que la Cour s’était déterminée par de simples pré
somptions, pour annuler l’obligation, quoiqu’il ne fût
articulé ni dol ni fraude, et que les allégations de Pascal
ne fussent soutenues d’aucun commencement de preuve
par écrit.
A ce système , qui est celui consacré par la Cour
d’appel d’Aix, voici la réponse de la Cour de cassation :
« Attendu quel’arrêt a constaté en fait dans son pre
mier motif, qu’il a été convenu par toutes les parties
que l’obligation, dont Razaud entendait se prévaloir,
était un acte simulé; qu’en partant de ce fait ainsi re
connu, il n’y a plus eu pour les juges qu’à rechercher
les causes qui avaient pu donner naissance à cet acte,
et si ces causes avaient pu engendrer une obligation lé
gitime et valable ; que le même arrêt déclare par ap
préciation des enquêtes que Razaud n’ayant pas fait la
preuve des faits par lui articulés, il suit de là et des
autres circonstances de la cause que l’obligation du
27 novembre 1823 n’a point eu pour objet la reconnais
sance d’une dette légitime; qu’en jugeant ainsi, l’arrêt
attaqué, loin d’avoir violé aucune loi, a, au contraire ,
sainement appliqué l’article 1131, qui prononce, en
termes exprès, la nullité de l’obligation sans cause, ou
sur une fausse cause, ou sur une cause illicite. 1 »
' Journal du Palais, année t85S.
�bL' b O U E T DE I.A F R A U D E .
217
Il résulte bien de cet arrêt que lorsque le créancier
reconnaît la simulation de la cause exprimée au litre ,
il est obligé non pas seulement d’indiquer, mais encore
de prouver qu’il en existe une autre valable; que le dé
biteur peut prouver le contraire; que les tribunaux peu
vent se décider même par des présomptions, et annuler
l’acte, même en l’absence de tout commencement de
preuve par écrit.
En d’autres termes, le titre reconnu simulé par toutes
les parties n’existe plus. On ne peut plus revendiquer
pour lui l’autorité que les articles 1134 et 1341 confè
rent aux actes réguliers. Il n’y a plus en présence de la
justice que deux allégations contradictoires, dont la
plus probable doit être adoptée. Dans l’espèce jugée par
la Cour d’appel d’Aix,des présomptions graves, précises
et concordantes venant faire suspecter le dire du créan
cier, l’obligation eût dû être annulée.
Vainement dit-on que rejeter la seconde partie de
l’allégation ce serait porter atteinte à l’indivisibilité de
l’aveu. On vient de voir que la Cour de Grenoble et la
Cour de cassation ne se laissent nullement préoccuper
par cette considération, dans une espèce cependant où
l’offre faite par le débiteur de payer la dette, au moyen
de la désemparation d’un immeuble, rendait l’existence
de la dette vraisemblable. Ce n’était là, au reste, qu’une
exacte application des véritables principes de la matière.
En effet, il faut bien se garder de donner au principe
de l’article 1356 une extension qu’il ne saurait compor
ter. En l’acceptant d’une manière absolue, on arriverait
bientôt à cette conséquence que la justice serait en-
�218
TRAITÉ
chaînée à consacrer l’aveu en entier, alors même qu’une
partie de cet aveu lui serait démontrée impossible, in
vraisemblable, mensongère, ce qui serait absurde. Or,
dit Merlin, non-seulement on ne doit pas supposer
qu’une loi, quelque générale qu’elle soit, n’excepte pas
de sa disposition les cas où elle dégénérerait en ab
surdité, mais ce serait même la violer que de les y com
prendre. 1
Aussi a-t-il été de tous temps admis que l’indivisibi
lité de l’aveu comportait de nombreuses exceptions,
dont les plus usuelles sont rappelées en ces termes par
Merlin et Toullier :
1° Lorsque la seconde partie de l’aveu est d’une in
vraisemblance choquante , ou qui dégénère en absur
dité ;
2° Lorsqu’elle est prouvée fausse ou infectée de quel
que mensonge qui en rend la vérité suspecte ;
3° Lorsqu’elle est combattue par un commencement
de preuve par écrit;
4° Enfin, lorsque l’aveu porte sur des faits qui, bien
que connexes, ne se réfèrent pas à une seule et même
époque, et ne forment pas ce que les jurisconsultes ap
pellent un acte continu. !
Ces principes, que nous a légués l’ancienne doctrine,
avaient été, avant et depuis le Code, consacrés par la
jurisprudence. Ainsi la Cour de Paris décidait, le 6 avril
1829, que l’article 1556, d’après lequel l’aveu judi1 Q u estions de d r o it , v° con fessio n , § 2.
* Merlin , ib id , ; — Toullier , t. x , nos 336 et suiv.
�DU D OL E T DE LA F R A U D E .
219
ciaire ne peut être divisé, reçoit exception dans le cas
où il résulte des
que celui
qui l’a fait n’a pas été de bonne foi dans ses déclara
tions. 1 De son côté, la Cour de cassation jugeait, le
6 février 1838, que l’aveu n’est indivisible que lorsqu’il
porte sur un même fait, passé dans une circonstance
unique, et qui ne peut être attribué qu’à celui qui a lait
cet aveu.2
L’arrêt de la Cour d’Aix n’admet qu’une seule excep
tion à l’indivisibilité de l’aveu, à savoir : lorsqu’il existe
un commencement de preuve par écrit. Cet arrêt se
trouve donc en contradiction avec la doctrine ancienne,
avec celle enseignée par Merlin etToullier, avec celle
consacrée par la Cour de cassation et par les Cours de
Grenoble et de Paris. A-t-il fait une plus sage applica
tion de la loi? On ne peut l’admettre, en présence de la
conclusion qui se tire logiquement de sa doctrine et qui
se résume en ces termes : En l’absence d’un commen
cement de preuve par écrit de la fausseté d’une partie
de l’aveu, les magistrats seront obligés de l’accepter en
entier, alors même qu’ils seraient certains de cette faus
seté, alors même que le fait allégué serait invraisembla
ble, impossible, absurde. Une pareille conclusion ne
blesse-t-elle pas le bon sens et la raison?
Tenons donc pour certain que là ne saurait se trouver
la vérité, et admettons avec la doctrine ancienne, avec
la jurisprudence, que l’aveu ne doit être accepté intéc ir c o n st a n c e s d e l a c a u s e
1 Jou rn al du
P a la is ,
année 1829.
! Ibid., t. x, 1838, p. 526,
�220
TRAITÉ
gralement que lorsque les faits et circonstances ne lui
ont pas d’avance infligé un démenti éclatant ; que la re
connaissance de la simulation d’un acte, rendant indis
pensable la recherche de la cause véritable de l’obliga
tion , met à la charge du créancier la preuve de son
existence; que son allégation ne saurait jamais rempla
cer la justification qu’il doit fournir, ni redonner à l’acte
l'autorité que l’aveu de la dissimulation lui a fait per
dre; que cette allégation, comme la preuve elle-même,
peut être discutée parle débiteur et renversée par la
preuve contraire; enfin que si les présomptions graves,
précises et concordantes en font suspecter la véracité ,
en l’entachant d’invraisemblance, la justice non-seule
ment peut, mais encore doit la rejeter, sans violer le
texte et l’esprit de l’article 1556.
248. — Du principe que la preuve testimoniale est
admissible en matière de dol, il ne s’ensuit pas que les
juges soient obligés de l’admettre dans tous les cas. Il
ne suffit pas, en effet, qu’une preuve soit recevable, il
faut en outre que les faits qu’elle a pour objet d’établir
soient tels, que leur démonstration ait une influence
nécessaire sur le sort de l’acte.
Il faut donc, pour que les magistrats puissent appré
cier, que le demandeur en preuve expose avec précision
et clarté les diverses circonstances desquelles il veut
faire résulter le dol qu’il articule. Celui qui se bornerait
à soutenir que l’acte est dolosif et qui demanderait à en
faire la preuve, devrait être éconduit. La preuve ne peut
être accordée qu’à celui qui expose nettement les faits,
�DU D O L UST D E L A F R A U D E
221
qui spécialise les manœuvres dont il se prétend victime,
qui indique dans quelles circonstances les uns et les au
tres se sont réalisés, et la part que son adversaire a à
s’attribuer dans leur exécution.
Ces obligations étaient imposées en droit romain à
celui qui opposait le dol. La loi avait même réglé l’ar
ticulation qui était à sa charge : Illud enim annotandum est, quod specialiler exprimendum est de cvjus dolo
quis quœratur ; non in rem si in ea re dolo malo factum
est, sed sic, in ea re nihil dolo malo actoris factum est.
Docere igitur debel is qui objicil exceptionem dolo malo
actoris factum, nec sufficil ei ostendere in re esse dolum, aul si alterius dicat dolo factum, eorum personas
specialiler debebil ennumerare dummodo lue sint quarum
dolus noceat. 1
Il en était de même pour celui qui agissait comme
demandeur en nullité, pour cause de dol : Item exiqit
prælor ut comprehendalur quid dolo malo factum sit,
scire enim débet actor in qua re circumscriptus sit, nec
in tanto crimine vaqari. 2
Il est vrai que ces exigences trouvaient en droit ro
main un motif plausible dans la nature de l’action en
dol. Nous avons déjà dit qu’elle était considérée comme
infamante, et l’on comprend dès-lors les précautions
dont on en avait entouré l’exercice. Aujourd’hui l’action
en dol a perdu ce caractère. La tache qui en résulte est
purement morale. Et cependant on n’a pas dû se dé* L. 2, § 1, Dig. de doit mali et metus except.
* L. 19, Digeste de dolo malo.
�222
TRAITÉ
partir de la sévérité déployée dans l’admissibilité de la
preuve. Le respect dû au titre écrit légitime aujour
d’hui ce qui était autrefois la conséquence de la nature
de l’action.
On 11e saurait au reste taxer de rigueur ces prescrip
tions légales. Il est, il sera éternellement vrai que celui
qui se prétend trompé doit savoir en quoi, comment et
par qui il l’a été. Il est donc naturel quela justice, avant
de lui accorder la réparation qu’il sollicite, lui demande
compte de ses griefs, pour en apprécier l’importance.
En conséquence, s’il se tait ou s’il se renferme dans des
généralités vagues et sans portée, on présumera facile
ment que ses allégations ne sont qu’un prétexte pour
échapper aux conséquences d’une obligation légitime ,
ou pour en retarder l’exécution.
249. — La première condition, pour être admis à
la preuve testimoniale, est donc l’articulation précise
des faits qui doivent en faire l’objet. Ces faits énoncés,
le juge examine les conséquences qu’ils doivent entraî
ner, l’influence qu’ils sont dans le cas d’exercer sur ce
qui fait la matière du litige. Il en ordonne la preuve
s’ils sont pertinents, c’est-à-dire si, prouvés qu’ils
soient, ils doivent démontrer l’existence du dol imputé.
250. — C’est là, en effet, le seul mode rationnel et
décisif d’apprécier la pertinence des faits allégués. On
les suppose prouvés et l’on recherche quel sera, dans
celte supposition, l’effet qu’ils devront produire. Si
de leur existence on peut induire, nous ne dirons pas
�DU D O L E T D B L A Fi l A U D E .
223
certitude, pourra-t-on jamais en acquérir une par la
preuve testimoniale ! mais une probabilité, forte, puis
santé et grave de la vérité de l’accusation, la preuve doit
en être ordonnée. N’arrivera-t-on, au contraire, qu’à
des présomptions sans significations bien précises, ou
balancées par des présomptions contraires? La preuve
pourra paraître superflue, et, puisqu’en définitive elle
ne devra produire aucun résultat utile à celui qui l’in
voque, on devra économiser les lenteurs et les frais
qu’elle occasionnerait : Frustra probalur, quocl probatum non relevât.
Dans tous les cas, et pour ce qui concerne cette ap
préciation , la loi n’a pu que s’en remettre entièrement
à l’arbitrage du juge. Elle ne pouvait dicter une règle
quelconque, lorsqu’il ne s’agit pour le magistrat que
d’obéir à des impressions qui doivent se modifier dans
chaque espèce, suivant la position particulière des
parties, la nature de l’acte et les circonstances dans
lesquelles il s’est réalisé. Ainsi ce qui ne constituerait
ici qu’un doute léger, peut devenir là une véritable
démonstration. C’est donc au juge à puiser dans les
éléments de la cause la conviction qui lui dictera la dé
cision à laquelle il doit s’arrêter. C’est à sa conscience
seule à décider de la pertinence des faits.
251- — H en est ainsi pour l’appréciation de la
preuve rapportée. Les enquêtes versées au procès, la
discussion s’établit sur la question de savoir si la preuve
est ou non acquise. On comprend que pour la solution
d’une question pareille, c’est la conscience du juge et
�m
TRAITE
ses impressions personnelles auxquelles on a dû exclu
sivement se rapporter. Il est cependant quelques obser
vations légales qu’il ne faut point négliger.
252. — Jusqu’à la promulgation du Code, on tenait
à peu près pour certain que la déposition d’un seul té
moin ne dcvaitpas faire foi en justice. Ce principe, sanc
tionné par le Pentateuque,1 avait passé dans le droit ro
main. Justinien ne s’était pas contenté d’exiger deux
témoins dans tous les cas où la loi ne déterminait pas
un autre nombre. Il avait en outre expressément dé
fendu aux juges d’admettre un témoignage unique,
fût-il émané d’un membre du sénat romain : Etiarn si
præclarœ curiæ honore fulgeal. 2
Ce sont ces erréments que notre ancien droit avait
suivi. De là divers systèmes sur les obligations du juge
relativement à la preuve orale. Les anciens interprètes
avaient notamment distingué la preuve complète, de la
demi-preuve, de la preuve légère. Considérant ces deux
dernières comme des fractions de la première, ils éta
blissaient combien il fallait de demi-preuves ou de preu
ves légères pour constituer une preuve entière. Mais ,
comme l’enseigne Merlin, ces subtilités avaient été re
poussées par les jurisconsultes les plus éminents. Cujas,
entre autres, y répondait par ces belles paroles : Ut ve
ritas ila probatio scindi non polesl ; quœ non est plena
1 Exode, cliap. 25, v. 50; — Deutéronome, chap. 17, v. 6 , et
chap, 19, v. 15.
1 L. 12, Dig., et L. 9, § 1, God. de teslibut.
�225
DU D O L U T D E LA F R A U D E .
veritas est plena Jalsilas, quœ non est plena probatio,
plene nulla probatio est.
253. — Aujourd’hui et sous l’empire de la loi qui
nous régit, le demandeur n’a rempli son obligation que
lorsqu’il a rapporté une preuve satisfaisante des faits
interloqués. Si les témoins entendus ne sont ni précis
ni décisifs ; si leur déposition laisse subsister des doutes
sur la vérité des reproches dirigés contre l’acte, l’acte
est maintenu : In dubio standum est instrumenta.
Mais les magistrats sont libres de trouver la preuve
complète dans les éléments qui leur sont soumis, d’as
seoir leur décision sur la déposition d’un seul témoin
comme sur celle de plusieurs. La loi ne leur fixe plus
aucune limite. C’est comme jurés qu’elle les appelle à
prononcer. II suffît donc qu’ils soient convaincus pour
qu’ils aient le droit et le devoir de prononcer conformé
ment à cette conviction.
254. — Dans tous les cas où la preuve testimoniale
est admissible, la preuve par présomptions l’est égale
ment. L’utilité de cette dernière, dans la matière qui
nous occupe, se justifie d’elle-même. Il est certain que
sans son secours le dol sortirait presque toujours triom
phant des luttes dont il serait l’objet. La preuve testi
moniale n’est pas toujours possible, car il n’est ni dans
l’intérêt ni dans les habitudes de ceux qui demandent
au dol des moyens de s’enrichir d’agir de telle sorte
qu’on puisse divulguer leur conduite à l’aide de témoins.
255- — La preuve par présomptions était donc com1
15
�22
(>
TRAITE
mandée par la nécessite de réprimer la mauvaise foi et
de sauvegarder l’intérêt des parties contractantes, celui
des tiers. Aussi son admission n’a-t-elle, en aucun
temps, rencontré le moindre obstacle. Il n’y a eu dis
sentiment que sur la nature et le nombre des présomp
tions qu’il convient d’exiger pour prouver la nullité des
actes.
Sur le premier point, les présomptions remplaçant
la preuve testimoniale, on soutenait qu’elles devaient
réunir les qualités qui étaient requises dans les déposi
tions des témoins. C’est ce qu’enseignait Danty dans son
Traité de la preuve par témoins. Puisque, disait cet
auteur, on n’est obligé de s’en rapporter à des présomp
tions que lorsque la preuve par témoins et la preuve par
écrit manquent, il s’en suit que la loi considère les
présomptions comme des lémoins, car c’est sur la foi
de ces présomptions qu’elle se détermine, ce qui, par
conséquent, indique qu’elles doivent avoir les mêmes
qualités que celles que la loi requiert dans la déposition
des témoins, pour y ajouter une créance entière.
256- — Mais la loi permettant aux juges de se dé
cider sur la déposition de deux témoins, admettait-elle
la même faculté s’il n’existait que deux présomptions?
Dumoulin enseignait l’affirmative et pensait que dans
certains cas deux présomptions devaient paraître suffi
santes.1 Coquille, portait le nombre à trois pourvu
qu’elles fussent conformes entre elles et essentielles au
1 Traité des Fièfs, t;t.: 1, § 55, glos. 2.
�DU D O L U T D E L A F R A U D E .
227
fait qu’on voulait établir. 1 Mais Danty concluait, du
silence que la loi avait gardé sur le nombre des pré
somptions, que, n’ayant fixé aucun chiffre, elle s’en
était rapportée entièrement à la prudence du juge.
Telle était aussi l’opinion de Domat. Ce célèbre ju
risconsulte, après avoir expliqué ce qu’on doit enten
dre par présomptions, et exposé leurs caractères, con
clut en ces termes : « Sur quoi il ne peut exister de
règle précise; mais, en chaque cas, il est de la prudence
du juge de discerner si la présomption se trouve bien
fondée, et quel effet elle peut avoir pour servir à la
preuve.5 j>
La justesse de cette conclusion peut d’autant moins
être contestée qu’elle ressort forcément de la nature
des choses. Ce que nous disions tout à l’heure pour la
pertinence des faits, est parfaitement applicable aux
présomptions. Leur véritable signification se juge par
la condition des parties, la nature de l’acte, les circons
tances de fait qui sont relevées ; et il est certain que les
mêmes présomptions qui auront été jugées insuffisantes
dans tel cas, entraîneront, dans tel autre, la conviction
du juge. C’est surtout ce caractère relevant qui, de
l’avis des auteurs les plus célèbres, empêchait d’établir
une règle quelconque en pareille matière. Aux opinions
de Domat et de Danty, nous pouvons ajouter celle du
cardinal de Lucca, en tout conforme : « Conflictus erat
in prœsumptionibus super quibus certa, délenninataque
1 Coutum e
du N iv e rn a is,
s Lois civ., lit. 6,
seci. 4.
art. 40.
�228
TRAITE
régula jaris clari non potest, cum in conjecturalibus
totum pendent a prudentis judicis arbitrio ex individuorum casuumcircumstantiis insimul unitis regulando
dum ut fréquenter habetur, sœpe contigit ut, eadem ac
minoris conjectura} ob personarum, locorum vel temporum circumslanlias in uno casu abundent, et in altero
eadem ac majores non sufficiant.' »
257. — Notre législateur moderne a complètement
partagé ces idées. Il a pensé qu’on ne pouvait, en ma
tière de présomptions, préciser une règle, un mode uni
voque d’appréciation, sans s’exposer à porter atteinte à
cette indépendance d’examen dans laquelle le magis
trat puise les éléments d’une bonne et exacte justice.
En conséquence, l’article 1555 abandonne les présomp
tions aux lumières et à la prudence du juge. Le seul
devoir qui lui soit imposé à cet égard, c’est de ne les
admettre que lorsqu’il les reconnaît graves, précises et
concordantes.
La doctrine a depuis longtemps déterminé ce que
ces termes signifient. Les présomptions sont graves et
précises lorsqu’elles reposent sur des faits qui ont une
connexité certaine avec ceux dont la preuve est recher
chée ; elles sont concordantes, lorsque sans se démentir
elles se lient les unes aux autres et qu’elles tendent
toutes à un même but. A. ces conditions, les présomp
tions constituent une véritable preuve.
258. — La loi qui nous régit, admettant la dépo' De dote , dise., 24, n° 4.
�DU D G L E T D E L A F R A U D E .
229
sition d’un seul témoin, autorise-t-elle le juge à pro
noncer, lorsqu’il n’existe qu’une seule présomption?
L’article 1555 nous paraît proscrire l’affirmative. Ses
exigences sur la nature des présomptions font néces
sairement supposer qu’il doit en exister un certain
nombre.
D’ailleurs , quoique remplaçant la preuve testimo
niale, la preuve par présomptions n’en diffère pas moins
d’une manière essentielle. Les présomptions, dit l’ar
ticle 1349, sont des conséquences que la loi ou le ma
gistrat tire d’un fait connu à un fait inconnu; c’est donc
par induction qu’on conclut dans cette hypothèse, tan
dis que la preuve testimoniale porte directement sur
le fait inconnu que l’on recherche. On comprend dèslors que, si ce fait est attesté par un témoin honorable
et désintéressé qui en affirme l’existence, le juge puisse
l’admettre avec quelque sécurité. Au contraire, une in
duction isolée, quelque grave qu’elle soit, laisse tou
jours quelques nuages sur le fait qu’il s’agit d’éclaircir.
Elle peut donc inspirer le plus souvent un doute sé
rieux, la conviction jamais.
259- — De ce que la preuve par présomptions est
une preuve par induction, il suit qu’elle sera plus ou
moins concluante, selon que le fait dont on argumente
sera plus ou moins certain, et les conséquences qu’on
en tire plus ou moins justes. C’est donc en discutant
chaque présomption qu’on parviendra à en déterminer
le caractère et la gravité.
�230
TRAITÉ
260. — Mais à cet égard, il y a une observation es
sentielle qu’on ne saurait perdre de vue. La loi n’exige
pas que chaque présomption ait un caractère égal de
gravité et de précision, c’est dans leur ensemble, c’est
par leur faisceau qu’il convient de les apprécier. Si
de leur masse résulte la. condition que l’article 1355
exige, c’est-à-dire un caractère grave, précis et con
cordant, on ne doit pas hésiter à les accueillir, encore
bien que chacune d’elles, prise séparément, n’aurait pas
une signification bien précise. On sait en effet que des
faits peu importants, isolés les uns des autres, peuvent,
par leur réunion, devenir décisifs, c’est ce qui a tou
jours été admis en droit : Quod licel quæ non prosunt
singula multa juvanl, ita e contra quce non nocent sincjula multa nocent.
C’est ainsi d’ailleurs que l’ont toujours admis les ju
risconsultes les plus éminents. Pothier nous dit luimême que les présomptions qui ne forment pas par
elles-mêmes une preuve, peuvent, par leur réunion,
créer cette preuve, et, à l’appui de ses paroles, Pothier
rappelle l’exemple donné par Papinien dans la loi 26,
Dig.-rfe probat. Une sœur était chargée envers son frère
de la restitution d’un fidéieômmis. Après la mort de
ce frère, il s’agissait de savoir si ce fidéieômmis était
encore dû par la sœur à la succession du frère. Papinien
décida qu’on devait présumer que le frère en avait fait
remise à sa sœur, il tire cette présomption de trois
circonstances : 1° de l’union entre le frère et la sœur ;
2° de ce que le frère avait vécu longtemps sans deman
der ce fidéieômmis ; 3° de ce qu’on rapportait un très
�n u DOI. E T DE L A F R A U D E .
2d1
grand nombre de comptes faits entre le frère et la
sœur, sur les affaires respectives qu’ils avaient en
semble, dans aucun desquels il n’y en avait pas la
moindre mention. Chacune de ces circonstances, ajoute
Pothier, prise séparément n’aurait fourni qu’une pré
somption simple, insuffisante pour faire décider que le
défunt avait remis la dette, mais leur réunion a paru à
Papinien former une preuve suffisante de cette remise.1
On ne serait donc pas fondé à conclure au rejet des
présomptions de ce que, à leur examen particulier, cha
cune d’elles n’a pas une gravité bien déterminée. L’ar
ticle 1355 n’exige pas que chaque présomption soit
grave, précise et concordante. Il suffit que dans leur
ensemble elles présentent ce caractère pour que les
juges, se fondant sur leur existence, déclarent que le
dol reproché a eu effectivement lieu et annulent par
conséquent l’obligation.
Rappelons en terminant que la preuve par présomp
tions n’étant admissible que lorsque la preuve testimo
niale le serait elle-même, les tribunaux ne pourraient y
recourir lorsqu’ils ne pourraient ordonner celle-ci. Il
suit de là que le dol postérieur au contrat, sauf le cas
où la simulation est convenue, ne pourrait être établi
par présomptions.
1 Des Obligations, n° 850.
�23 2
TRAITE
CHAPITRE III.
D E S E F F E T S D U DOL.
SOMMAIRE.
261. Division.
261. — Le dol peut se glisser dans tous les actes de
la vie humaine, soit qu’il ait pour objet de tromper celui
avec qui on traite, soit qu’il ait pour but de pervertir la
volonté d’un mourant et de lui arracher ainsi une spo
liation injuste, soit enfin que, s’attachant aux choses les
plus sacrées, il se soit proposé de corrompre le juge ou
de lui soustraire les pièces essentielles qui doivent l’é
clairer, ou de l’égarer par de faux documents.
Mais quelles qu’aient été les manœuvres et leurs ré
sultats, la loi ne laisse nulle part le dol impuni. Elle
�233
donne les moyens de l’atteindre partout où il a osé se
glisser. Mais ces moyens diffèrent selon la nature de
l’acte et le préjudice qui en est résulté.
Nous allons, pour procéder avec méthode , recher
cher quels sont ces moyens dans les cas les plus usuels,
les plus ordinaires, c’est-à-dire lorsqu’il s’agit de dol
dans les traités. Nous examinerons ensuite, dans autant
de sections séparées, les effets du dol dans les mariages,
dans les testaments, dans les transactions, dans les ju
gements.
DU D O L E T D E LA F R A U D E .
SECTION 1" — DOL DANS LES TRAITÉS. SES EFFETS.
SOMMAIRE.
262. Matière de la section.
263. L’acte entaché de dol est nul si le dol réunit les condi
tions de la loi.
264. Quid lorsque le dol n'est qu’accidentel ?
265. Effet du dol substantiel indirect.
266. Ainsi le dol dans les traités produit ou l’action en res
cision ou celle en dommages-intérêts.
262. — Nous comprenons sous le nom générique
de traités tous les actes établissant entre parties contrac-
�234
THA1TIÏ
tantes des obligations et des droits. Les observations
qui vont suivre s’appliquent donc aux ventes, échanges,
louages, prêts, dépôts, cessions de droits corporels ou
incorporels. L’effet du dol, dans chacun de ces contrats,
est identique. Nous n’avions donc pas à examiner cha
cun d’eux dans sa spécialité, nous devions nous borner
à constater le principe général qui les domine tous, et
dont l’application sera facilement faite à chaque espèce
particulière.
“263- — L’acte entaché de do! ne saurait recevoir
aucune exécution. Il est nul aux termes de l’article 1116
du Code civil à la double condition édictée par cet arcle, à savoir : 1° si les manœuvres ont été pratiquées
par l’une des parties; '“î0 si elles ont été telles que, sans
ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté.
La réunion de ces deux circonstances constituant le
dol substantiel et direct, l’acte qui en a été la consé
quence n’a aucune autorité légitime. De quelque ma
nière qu’il se soit produit, qu’il ait été positif ou néga
tif, ce dol atteint la convention dans son essence, lui
fait perdre une de ses conditions indispensables et donne
ouverture à une action tendant à l’infirmer. La victime
a dès-lors la faculté d’obtenir de la justice d’être relevée
de ses engagements.
La rescision de l’acte est ici d’autant plus indispen
sable que le dol a été la cause unique du contrat. La
justice veut donc que les parties soient remises au même
état qu’avant cet acte qui, comme conséquence inévi
table, doit dès lors disparaître.
�DU DOL ET DE LA FltAUDE.
235
264. — Telle n’est pas la position respective des
parties lorsque le dol n’a atteint qu’une des circonstan
ces accidentelles du contrat. Il est certain, dans cette
hypothèse, que la pensée du traité ne peut être attri
buée au dol. L’une des parties voulait accepter ce que
l’autre lui proposait. L’une des deux conditions exigées
par l’article 1116 manque donc réellement.
De là cette conséquence que la loi ne considère plus
l’acte comme nul, non pas certes qu’il faille en induire
que le législateur s’est montré indifférent à l’existence
du dol accidentel. Le triomphe de manœuvres déloyales
eût été immoral, une réparation est due. Mais on a voulu
concilier ce que la partie lésée pouvait réclamer avec
le maintien de l’acte. En conséquence, et tout en res
pectant celui-ci, une allocation de dommages-intérêts
rétablira l’équilibre déloyalement rompu.
Ainsi, règle générale, le dol substantiel crée l’action
en nullité ou rescision de l’acte ; le dol accidentel, celle
en dommages-intérêts. Mais cette règle n’est pas telle
ment absolue qu’on ne puisse jamais l’intervertir. Nous
verrons au contraire que, dans certains cas de dol subs
tantiel, l’action en dommages-intérêts est poursuivie ac
cessoirement et cumulativement avec celle en rescision;
que, dans d’autres, elle forme l’objet principal de la
demande, soit que celui qui a à se plaindre du dol juge
cette réparation suffisante, soit enfin parce que la res
cision de l’acte n’est plus possible, ou qu’elle ne puisse
être prononcée sans de grands inconvénients; que,
dans certaines espèces de dol accidentel, on peut de
mander la rescision de l’acte, comme si la qualité sur
�236
TïtAITlS
laquelle le dol a été exercé est telle qu’on puisse présu
mer que la connaissance de la vérité sur ce point eût
empêché l’existence du contrat. Une différence essen
tielle entre ces exceptions à la règle générale que nous
venons d’indiquer, c’est que, lorsqu’il s’agit d’un dol
substantiel, les tribunaux ne pourraient pas rejeter la
■ demande de dommages-intérêts qui serait faite et res
cinder d’office l’acte dont l’annulation ne serait pas ré
clamée, tandis que, lorsqu’il s’agit du dol accidentel ,
ils peuvent toujours repousser la nullité proposée et
réparer le préjudice par une allocation de dommagesintérêts.
265- — Le dol indirect, substantiel ou accidentel,
ne donne ordinairement lieu qu’à l’action en dommagesintérêts contre son auteur. Personne, en droit, n’est tenu
du fait d’autrui. Dès-lors, celui qui m’a été substitué
dans une opération dont j’ai été écarté par le dol, ne
peut ni être privé du bénéfice de l’opération, ni sup
porter le paiement d’une indemnité quelconque, sauf,
bien entendu, le cas de complicité, dont la preuve est
toujours à la charge du demandeur.
Il y a cependant une exception importante qu’il con
vient de rappeler. Le dol substantiel indirect détermine
la rescision de l’acte, même contre le tiers, si celui-ci
a traité à titre gratuit. Par exemple, vous me persuadez,
par le moyen du dol, qu’une succession à laquelle je
suis appelé est onéreuse, et vous parvenez, par vos ma
nœuvres, à obtenir ma renonciation. En prouvant le
dol, cause de ma détermination, je dois obtenir la nul-
�DU DOL ET DE EA FRAUDE.
‘237
1ité de cette renonciation, et cette nullité aura un effet
direct contre l’héritier appelé à mon défaut, lequel sera
tenu de me restituer l’hérédité et tous les fruits qu’il en
aurait perçu. 11 ne serait pas juste, en effet, qu’un autre
profitât, même innocemment de ce qui m’a été déloya
lement extorqué et s’enrichît des dépouilles qui n’ont
jamais dû lui appartenir. Ce grand principe d’équité
était écrit dans la loi romaine : Jure nalurœ œquum
est, neminem cum allerius detrimento et injuria, locupkliorem fieri.1
266- — Ainsi le dol produit ou l’action en nullité
ou rescision, ou l’action en dommages-intérêts. Quelle
est l’étendue de l’une et de l’autre? C’est ce que nous
allons examiner dans les paragraphes suivants.
§ I " — DE L’ACTION EN N U L L IT É OU RESCISION.
SOMMAIRE.
267. Distinction entre la nullité de plein droit et la nullité
par voie d’action. Différence entre elles.
268. Différence dans leurs effets.
269. L’acte entaché de dol n’est pas nul de plein droit. Il
donne seulement lieu à l’action en nullité ou res
cision.
1 !.. 306, Dig. de reg. ju r is .
�270. Conséquences quant au maintien de l’acte et à son exé
cution provisoire.
271. A qui appartient l’action en nullité ou rescision.
272. Principe de l’action. Conséquence dans le cas où l’acte
dolosif préjudicie à l’auteur du dol.
273. L’action en nullité appartient aux héritiers et même
aux créanciers de la partie autorisée à l’exercer.
274. Pourrait-on exciper contre les créanciers de la ratifi
cation tacite du débiteur ?
275. La preuve du dol donne au poursuivant le droit exclusif
de faire prononcer la résolution ou le maintien avec
dommages-intérêts.
276. Cas dans lequel la rescision est impossible.
277. Effets de la rescision par rapport aux tiers-déten
teur s.
278. La revendication, justifiée dans son principe, produit
des effets différents, selon qu’il s’agit d’un immeuble
ou d’une chose mobilière.
279. La bonne foi du possesseur du premier lui fait acquérir
les fruits et revenus jusqu’au jour de la demande.
280. Exception pour le possesseur à titre gratuit par suite
d’un dol indirect.
281. Droit du possesseur de bonne foi à la restitution des
dépenses faites pour la conservation de la chose, et
du prix des améliorations et dépenses utiles.
282 Prescription qu’il peut invoquer.
283. La revendication de choses mobilières présente plus de
difficultés.
284. Controverses soulevées par la disposition de l’arti
cle 2279 : En fait de meubles la possession vaut titre.
285. Doctrine du droit romain et de notre ancien droit sur la
matière.
286. Innovation faite par le Code civil.
287. La prescription de trois ans, dont parle l’article 2279,
n’est applicable qu’aux choses volées ou perdues.
288. L’article 2279 n’a donc rien d’équivoque. La revendica
tion n’est admissible que pour les choses volées ou
- perdues.
�DU DOL E T DE LA F R A U D E .
239
289. L’assimilation du dol au vol n’a pas été admise. Arrêt
de la Cour de Paris.
290. Critique que M. Chardon fait de cet arrêt.
291. Justification du système que cet arrêt consacre.
292. La Cour de cassation a même prescrit la revendication
dans le cas d’escroquerie.
293. Cet arrêt, contraire à l’opinion de M. Troplong, nous
paraît parfaitement juridique.
294. Le droit de revendiquer la chose mobilière contre le
détenteur pourrait être exercé, s’il était prouvé que
celui-ci a agi de mauvaise foi et par fraude.
295. Cette preuve naîtrait de la connaissance que le tiers
aurait eue du dol.
296. La revendication des meubles ou droits, incorporels
n'est pas régie par l’article 2279.
297. Conséquence.
298. Exceptions au droit de revendication.
299. Contre qui l’action en nullité ou rescision doit être in
tentée.
267. — Dans son acception la plus usuelle, la nullité
s’entend d’un vice radical qui atteint l’acte dans son
essence, le frappe dans toutes ses dispositions et l’em
pêche de produire aucun effet.
Dans le langage du droit, on a toujours distingué la
nullité de plein droit, c’est-à-dire celle que la loi a ex
pressément prononcée et qui résulte d’un vice apparent
et réel ayant empêché l’acte de se former, de la nullité
par voie d’action, c’est-à-dire celle que la loi autorise
le magistrat à prononcer vérification faite des circons
tances dont on prétend la faire résulter. Cette dernière
était appelée : en droit romain, restitution en entier-,
dans notre ancien droit, rescision.
Différentes dans leurs causes, ces nullités étaient.
�240
traite
sous l’une et l’autre de ces deux législations, soumises
à un mode de poursuite bien distinct. En droit romain,
la nullité de plein droit n’avait pas même besoin d’être
prononcée , les parties pouvaient considérer l’acte
comme n’ayant jamais existé, et revendiquer ce qu’elles
avaient volontairement payé. La restitution en entier
ne pouvait être poursuivie que sur une autorisation
préalable du préteur.
Dans notre ancien droit, on avait consacré le principe
que nul ne pouvait se faire justice à soi-même; en con
séquence la nullité de plein droit devait être prononcée
par les tribunaux, mais chacun était libre de la provo
quer directement, tandis qu’on ne pouvait se pourvoir
en rescision qu’après l’obtention préalable de lettres de
chancellerie.
Cet usage n’a été aboli que par la loi du 7 septembre
1790, qui décida que l’action en rescision serait intentée
comme l’action en nullité. L’article 1504 du Code civil
a maintenu cette disposition, tout en élevant à dix ans
les délais de la prescription pour l’une comme pour
l’autre.
268- — Mais si elles ne diffèrent plus, quant à la for
me et à la durée, ces deux actions n’ont pas cessé, à
cause de la divergence de leur origine, de produire des
effets bien distincts.
Ainsi l’acte radicalement nul n’a jamais pu se for
mer, il n’a pas même l’apparence d’un contrat, n’est
susceptible d’aucune exécution, alors même qu’il serait
l’expression la plus sincère de la volonté des parties.
�DU DOL E T DE LA F R A U D E .
L’acte, simplement sujet à rescision, a toutes les ap
parences d’un contrat régulier, il est présumé sérieux
et sincère jusqu’à la preuve du vice qui doit l’anéantir.
De là, ces conséquences : 1° la démonstration maté
rielle de la nullité radicale, ou soit de la violation d’une
disposition de loi, soit quant à la forme, soit quant au
fonds , entraîne inévitablement la chute de l’acte. Le
juge n’a nullement à se préoccuper du plus ou moins
de justice ou de convenance de ses dispositions. Il ne
peut les maintenir, alors même qu’il les reconnaîtrait et
qu’elles seraient réellement avantageuses à la partie
poursuivant la nullité.
Au contraire, l’acte sujet à rescision est toujours sou
mis à l’appréciation des magistrats, et sa nullité peut
être refusée, car on doit, en pareille matière, considérer
moins le vice en lui-même que ses conséquences par
rapport à l’intérêt des parties, et si, en définitive, le vice
démontré certain ne doit causer aucun préjudice réel à
celui qui se plaint, l’acte doit être maintenu.
2° L’acte radicalement nul ne doit point être exécuté
provisoirement, ce principe est d’une haute importance
toutes les fois qu’il s’agit de statuer sur la possession
des objets en litige pendant la durée du procès.
Les législations précédentes nous offrent sur ce point
de doctrine une unanimité parfaite. Le droit romain ne
reconnaissait aucun caractère à l’acte contre les dis
positions duquel la violation de la loi protestait sans
cesse, et décidait nettement qu’on ne devait, dans
aucun cas, lui accorder une exécution quelconque : Ea
quœ lege fieri prohibenlur, si facta fuerinl, non solum
i6
ï
i ;
{ 1
- i*
USJ;
■■M Êi
'
�inutilia sed pro injeclis eliam habeantur__Certum est
nec slipulationem hujus modi tenere, nec mandalum ulliusesse momenti, nec sacramentum admitti. *
Par application de ces principes, nos anciens juris
consultes enseignaient que l’acte radicalement nul ne
pouvait être considéré que comme un fait incapable de
créer aucun droit, aucune action. C’est ainsi que d'Argentré le qualifie : Actas meri jacli, sine ullo jaris efjectu, ne nomine quidem contractus digni. De là cette
règle qu’il valait mieux ne produire aucun titre que
d’en montrer un de ce genre : Melius est non ostendere
titulum quam ostendere vitiosum.
Il n’en est pas de même de l’acte sujet à rescision,
sa légalité apparente en commande le respect. L’équité
et la justice exigent qu’il produise son effet, tant qu’on
n’a pas justifié le vice dont on le prétend infecté. Il doit
donc être provisoirement exécuté. Lui refuser cette exé
cution pendant procès, ce serait s’exposer à blesser des
droits légitimes que la décision judiciaire consacrera
peut-être ; ce serait, en tous les cas , créer un préjugé
dangereux que rien ne justifie.
C’est au reste ce que la doctrine et la jurisprudence
ont de tous temps admis. « Tout acte qui n’est pas radi« calement nul, suivant les lois du royaume, c’est-à« dire dont la nullité n’est pas prononcée par les lois,
subsiste, nonobstant l’action rescisoire, jusqu’à ce
qu’elle soit jugée définitivement et sans appel. La
« provision est pour le titre, il doit avoir son exécution
�DD D OL E T D E DA F R A U D E .
« jusqu’après la sentence définitive. L’équité et le
« point de droit se réunissent au maintien de cette
« vente. *
2269- — Notre sujet se restreignant à la nullité
édictée par l’article 1116 du Code civil, nous n’avons
pas à pénétrer plus avant dans la théorie des nullités.
Nous devions cependant rappeler les principes généraux
qui précèdent pour apprécier plus sûrement la nature
et les effets immédiats de l’action en rescision pour dol.
La nullité, qui en est le mobile et l’objet, ne pouvait
être rangée dans la catégorie des nullités radicales.
Pothier nous l’a dit lui-même : un consentement, quoi
que surpris, ne laisse pas d’être un consentement. D’au
tre part, l’acte est régulier en la forme, et cette double
apparence indiquait quel devait être l’effet de l’attaque
dirigée contre ses dispositions.
On ne pouvait donc qu’attendre le résultat de cette
attaque et l’issue du débat contradictoire qu’elle allait
soulever. La loi défend sans doute le dol, mais elle ne
le prohibe que lorsqu’il lui est démontré qu’il existe
réellement, on ne pouvait donc argumenter de l’article
1116, pour prétendre à la nullité radicale de l’acte.
Au reste, le législateur n’a voulu laisser aucun doute,
et l’article 1117 dispose que la convention contractée
par dol n’est point nulle de plein droit, elle donne seu
lement lieu à une action en nullité ou rescision.
1 Duparc-Poullain, Principes du Droit, t. vin, p. 7 5 ;— V. aussi
d’Argentré, sur l’art. 385, ancienne coutume do Bretagne ; — Loisel,
Inst, coût., loi 3, litre 5, n° 9.
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�244
T R A IT E
270- — En réalité donc, la nullité résultant du dol
se place dans les rangs des nullités par voie d’action,
dès-lors, et en vertu des principes que nous rappelions
tout à l’heure, il faut conclure :
1° Que les tribunaux peuvent maintenir l’acte, alors
même qu’ils reconnaîtraient le dol comme certain, si
d’ailleurs celui qui se plaint ne peut en éprouver aucun
préjudice. En conséquence, celui qui veut obtenir la
nullité devra prouver autre chose que le dol lui-même,
consilium fraudis, il lui faudra en outre justifier la réa
lité du préjudice, eventus dcimni;
2° Que l’acte attaqué doit être provisoirement exé
cuté sans caution, s’il est authentique; avec ou sans
caution, s’il est sous seing-privé. Dans ce dernier cas
même, on doit être fort sobre de l’obligation du caution
nement et ne l’ordonner que dans de très rares circons
tances. Les magistrats ne doivent jamais perdre de
vue que le titre se suffit à lui-même, et que tant que
l’allégation qui lui est opposée n’est pas justifiée, elle
ne saurait ni prévaloir sur l’apparence du titre, ni infir
mer la foi qui lui est due.
Cette solution est surtout bonne à retenir lorsqu’un
testament étant argué de captation, il y a lieu de régler
à qui, du légataire universel ou des héritiers du sang, on
doit confier l’administration des biens meubles ou im
meubles composant la succession. Les principes que
nous venons d’exposer suffisent pour indiquer que leur
possession, et conséquemment leur administration, ap
partient évidemment au légataire, tant que la preuve de
la captation dolosive n’est pas établie.
�1)U DOL ET Dli LA FRAUDE.
245
271. - L’action en nullité est ouverte en faveur de
celui qui se plaint d’un dol substantiel. La certitude
que, sans la perpétration du dol, le contrat n’eût pas
existé, entraîne la nécessité d’annuler Je contrat, afin
que chaque partie soit remise au même état qu’avant
le dol.
En général, le respect dû à l’acte volontairement
souscrit fait refuser l’action de nullité à celui qui n’a
éprouvé qu’un dol accidentel. Mais si la qualité de la
chose sur laquelle le dol s’est exercé a dû paraître à
celui qui se plaint tellement essentielle qu’on puisse
supposer qu’en son absence il n’eût pas contracté, il
serait par trop rigoureux de lui refuser cette action. Il
est évident, en effet, comme nous l’avons déjà dit,4que,
dans cette hypothèse, il s’agit d’un dol ayant déterminé
le contrat, car il est vrai que sans son emploi ce contrat
n’eût pas existé.
272. — Le principe de l’action en nullité ou resci
sion est, d’une part, la réparation de l’atteinte que ce
lui qui en a été l’objet a éprouvée dans sa fortune; de
l’autre, la peine due à celui qui s’est livré à un acte im
moral et inique. Il suit de ce double caractère que l’ac"
tion n’appartient qu’à celui qui a un préjudice à éprou
ver ou à craindre, et contre qui les manoeuvres ont été
dirigées.
Dès-lors, si par des circonstances fortuites et im
prévues l’acte entaché de dol, l’acte qui devait,par con' Chap. lor, sect. n, § 1er, ii°s74 et suiv.
�246
traité
séquent, être nuisible, devient avantageux à la partie
restée étrangère au dol et eause à l’auteur de ce dol un
préjudice grave, celui-ci ne pourrait en demander la
rescision. Cette solution reçoit la double consécration
des’principes du droit et de la morale.
En droit, les nullités relatives ne peuvent être invovoquées que par ceux en faveur de qui elles ont été
créées. Or, celle de l’article 1116 est évidemment dans
cette catégorie, car elle n’a pour objet que la répa
ration du préjudice souffert par l’une des parties sans
qu’elle ait pu soupçonner les manœuvres ni s’en dé
fendre.
Que si la partie, dans cette position et après la con
naissance du dol refuse de s’en prévaloir, l’acte devient,
la loi irrévocable pour tous. L’exécution accordée par
celui qui pouvait l’attaquer, ce que nul ne peut le con
traindre à faire, purge à tout jamais la convention du
vice dont elle était entachée.
Aux yeux de la morale, l’idée d’un préjudice souffert
par l’acte qui devait, qui était destiné à en causer un à
autrui, n’a rien de répugnant. Tout l’intérêt, en pareille
matière, est pour celui qui, déloyalement trompé, a
souscrit un acte des conséquences fâcheuses duquel on
doit le garantir. Mais on ne pouvait songer à protéger
celui qui, ayant cherché dans le dol des ressources cou
pables, a vu tourner contre lui-même le mal qu’il vou
lait faire. Pour lui, d’ailleurs, l’acte a été spontané et
libre, il doit donc l’exécuter tel qu’il l’a voulu, tel qu’il
l’a fait. Sa plainte, fondée sur sa propre turpitude, ne
mérite pas même d’être écoutée.
�DU D O L E T D E LA F R A U D E .
247
275. — Ainsi , l’action en rescision n’appartient
qu’à celle des parties qui a été ou dû être circonvenue
par le dol. Mais elle ne lui est pas tellement personnelle
qu’un autre que lui ne puisse en son nom l’exercer et la
faire valoir. Elle passe, en conséquence, à ses héritiers
dans le cas de l’utiliser dans les délais de l’article 1504.
La demande de ces héritiers ne pourrait être écartée,
par le silence gardé par leur auteur, que dans le cas où
on aurait pu l’opposer à cet auteur lui-même, c’est-àdire si ce silence avait été accompagné de faits et cir
constances de nature à constituer la ratification tacite
ou expresse, telle qu’elle est déterminée par l’article
1528 du Code civil.
Du vivant même de la partie, l’action peut être in
tentée par ses créanciers sous un double rapport : d’a
bord comme exerçant les actions de leur débiteur, aux
termes de l’article 1166 du Code civil, ensuite en vertu
du principe consacré par l’article 1167. L’inaction du
débiteur, en présence d’un dol certain, pourrait fort bien
n’être que le résultat d’une collusion frauduleuse pour
grever les créanciers des conséquences d’un acte oné
reux et contraire à leurs intérêts.
274. — Pourrait-on exciper contre les créanciers
des actes d’exécution ou de la ratification tacite du dé
biteur? Il est certain que si les créanciers agissent dans
le cas prévu par l’article 1167, les actes d’exécution ou
la ratification ne pourraient leur être opposés. On ne
verrait dans ces divers actes que l’exécution d’une
fraude concertée et dont l’existence a précisément
�248
TRAITE
donné ouverture à l’action. En effet, que la fraude ré
sulte de l’acte dolosif, qu’elle résulte du silence gardé
par le débiteur, tout ce qui a été fait pour le maintien
de l’acte n’a et ne peut avoir pour objet que de le faire
sortir à effet ; et ce qu’on ne peut faire directement ne
saurait être fait d’une manière indirecte.
Si l’action des créanciers est celle autorisée par l’ar
ticle 1166, il est bien évident qu’ils seront passibles des
exceptions qu’on pourrait opposer au débiteur lui-mê
me. En conséquence, la ratification qui lierait celui-ci
les lierait eux-mêmes, à moins qu’ils n’attaquent de leur
chef cette ratification comme faite en fraude de leurs
droits. Mais dans ce cas, comme dans le précédent, la
preuve de la fraude est à leur charge, et faute par eux
de la fournir, tout comme si l’acte constituant la ratifi
cation s’était réalisé de bonne foi et en temps non sus
pect, l’acte attaqué devrait être maintenu.
275. — Quel que soit le poursuivant, si la preuve
des faits articulés étaient rapportée et si ces faits éta
blissaient le dol, la demande devrait être accueillie. La
justice aurait donc soit à rescinder l’acte ou à accorder
les dommages-intérêts réclamés.
Remarquons, en effet, que, même pour le dol subs
tantiel, la partie plaignante est libre de s’en tenir à
l’acte et de réclamer une réparation pécuniaire. Le dé
fendeur ne serait recevable ni à contester celle-ci, ni à
s’en exonérer en demandant de son chef la rescision de
l’acte. La partie lésée ayant seule action est, sans con
tredit, le meilleur juge du mode de réparation le plus
�1)U DOL E T D E LA F K A U D E .
249
convenable à ses intérêts. Elle peut donc choisir celui
des deux auquel elle croit devoir s’arrêter, et ce choix est
obligatoire pour la justice comme pour son adversaire.
Permettre à celui-ci d’imposer de son chef la resci
sion de l’acte, lorsqu’on lui demande des dommages-in
térêts, c’était, dans biens des cas, s’exposer à rendre
toute réparation impossible. La rescision peut être im
praticable dans telle hypothèse, nuisible dans telle au
tre. Or, ce sera précisément dans les unes et les autres
que le défendeur insistera plus vivement sur une res
cision qui serait pour lui le gain du procès.
Par exemple, des matériaux ont été employés, des
substances ont été mélangées avec d’autres; on s’aper
çoit ensuite de leur mauvaise qualité., et l’on découvre la
ruse en faveur de laquelle le marchand a su fasciner les
yeux de l’acheteur. Cependant, celui-ci ne pouvant les
représenter en nature, la vente qui lui en a été faite ne
pourrait être résiliée. 1
Ou bien, supposez un individu ayant acquis une pro
priété qu’il est venu habiter avec sa famille. Il s’aper
çoit ensuite qu’il a été trompé et découvre comment il
l’a été. Il regrette d’avoir fait une acquisition qu’il
n’eût certainement pas faite s’il avait connu la vérité.
Mais il a quitté son ancienne résidence, pris de nou
velles habitudes, et, pour payer le prix, fait dans sa for
tune des revirements sur lesquels il ne peut revenir. 5
Évidemment, dans l’un et l’autre cas, la rescision de
1 Chardon, du Dol, tom. i, n° 24, p. 4t.
5 Id., ibid., n” 25.
�2 50
RA1TE
l’acte ajouterait un préjudice grave à celui que le dol
a fait éprouver. Il est donc certain qu’on préférera s’en
tenir à une allocation de dommages-intérêts. On com
prend, dès-lors, pourquoi la loi a ouvert une double ac
tion et comment elle a cru devoir refuser au débiteur
la faculté d’offrir l’une lorsqu’il se trouve sous le coup
de l’autre.
Le débiteur serait-il fondé à se plaindre de cette dé
termination ? Quel grief réel lui cause-t-on en lui im
posant le mode de réparation poursuivi par celui qu’il
a trompé? C’est par son fait personnel qu’est née la né
cessité d’une réparation quelconque, et l’on ne saurait
hésiter entre celui qui a trompé et celui qui souffre.
Sans doute la rescision est le remède le plus héroïque,
mais encore faut-il qu’elle entre dans les convenances
de celui qui a le droit de s’en prévaloir; et si, sur l’opi
nion du contraire il se borne à demander une répara
tion pécuniaire, l’intérêt opposé de celui qui est tenu de
la fournir n’est, aux yeux de la morale et de la justice,
ni une considération, ni un motif de refus. C’est à ce
lui qui craint ce résultat h s’abstenir de se livrer à des
actes pouvant le déterminer.
276. — Il est une hypothèse où la rescision est lé
galement impossible, lorsqu’il s’est agi, par exemple,
d’un transfert de rentes sur l’état. La rescision pro
noncée par justice serait insuffisante pour opérer la res
titution et faire rentrer ces rentes dans la possession du
propriétaire qui en a été spolié. Le décret du 8 nivôse
an vi déclarant irrécevable toute opposition au paie-
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
251
ment du créancier titulaire, la rétrocession ordonnée
par justice ne pourrait produire aucun effet, à moins
d’être volontairement consentie et réalisée par ce titu
laire même. On devrait donc l’y contraindre par une
condamnation pécuniaire, engageant sa fortune, sa li
berté même.
277. — Dans les cas ordinaires, l’effet de la resci
sion du contrat est de faire rentrer celui qui l’a obte
nue dans la propriété et la possession de tous les objets
aliénés par ce contrat. Meubles et immeubles, créan
ces, droits incorporels lui font retour, et ce retour s’o
père immédiatement si ces objets se trouvent encore
dans les mains de l’auteur du dol. Dans le cas contraire,
il a le droit de les revendiquer contre le tiers-détenteur;
mais ce droit est soumis à des restrictions, suivant la
nature de la chose qui doit en motiver l’exercice.
En principe, la faculté de revendiquer repose sur
cette vérité incontestable : que nul ne peut être dé
pouillé de sa propriété que de son libre consentement.
Le respect pour la propriété est une des colonnes de
l’ordre social, et l’on ne saurait en méconnaître l’im
portance sans tomber dans de graves dangers. Celui-là
donc qui, par un dol, a subi une atteinte dans sa pro
priété, doit voir cette atteinte effacée et sa fortune ré
tablie dans le même état qu'auparavant. La rescision
n’a pas d’autre but : Restitulio ita jacienda est, ut unusquisque integrum suum jus recipiat.'
L. 24, Dig. de minoribut.
�Or, cet expédient d’équité et de justice serait sou
vent impraticable, si l’auteur du dol ayant transmis à
un tiers l’objet qu’il a extorqué, la partie lésée ne pou
vait le réclamer contre ce tiers. Il est facile de prévoir
en effet que celui qui n’a, à la propriété d’une chose,
que les droits acquis par le dol, s’empressera de la réa
liser pour échappe]1à la nécessité de la rendre, laissant
ainsi le véritable propriétaire en présence d’une insol
vabilité certaine, et d’un tiers ne pouvant être attaqué.
Le préjudice causé par le dol eût donc été définitive
ment consommé. L’instance même que sa découverte
nécessite eût produit pour résultat unique une aggra
vation de préjudice. L’admission de la revendication
pouvait seule remédier à d’aussi injustes éventualités.
C’est là sans doute un devoir rigoureux contre le
tiers obligé de restituer une chose qu’il a acquise et
payée. Mais il est facile de se convaincre qu’on n’a fait
dans cette circonstance qu’appliquer des principes élé
mentaires, et notamment celui qui régit la vente de la
chose d’autrui.
En effet, que celui qui a perdu sa propriété par un
dol véritable, ait été injustement dépouillé, c’est ce qui
ne peut être ni contestable, ni contesté ; c’est ce qui
résulte d’ailleurs invinciblement du jugement qui cons
tate le dol et le réprime. Ce jugement purge le deman
deur du reproche d’imprudence. Nous l’avons déjà dit,
le dol ne saurait exister si sa réussite est imputable à
l’imprudence de celui qui s’en plaint. La constation ju
diciaire de l’une est exclusive de l’existence de l’autre.
Les droits du possesseur intermédiaire reposent donc
�sur une coupable usurpation, d’où la conséquence
qu’en les transmettant, il ne peut les purger du vice
qui les entache. Le tiers qui les a reçus, ne peut les pos
séder que comme son auteur les possédait lui-même.
En réalité donc, il n’y a chez l’un et chez l’autre ni ti
tre sérieux, ni droit légitime..
Malgré son titre apparent, l’auteur du dol vend donc
la chose qui ne lui appartient pas, qu’il sait ne pas lui
appartenir. Celui qui acquiert de lui achète réellement
à non domino. Or, aux termes de l’article 1599 du Code
civil, une pareille acquisition est incapable de produire
aucun effet.
Cet article, d’ailleurs, n’est pas le seul qui proteste
contre les tiers, en faveur des droits afférants à celui
qui a été injustement dépouillé de sa propriété. L’arti
cle 2125 du Code civil, dispose que ceux qui n’ont sur
l’immeuble qu’un droit suspendu par une condition, ou
résoluble à certains cas, ou sujet à rescision, ne peuvent
consentir qu’une hypothèque soumise aux mêmes con
ditions ou à la même rescision ; à plus forte raison ne
peuvent-ils aliéner sans que la vente par eux consentie
soit soumise aux mêmes éventualités. Le tiers qui
achète ne peut donc se plaindre d’avoir ignoré le péril
auquel il succombe. Le dol, en effet, est une cause de
rescision contre tous les contrats, et lorsque par appli
cation de cette règle, la propriété qu’il avait acquise et
payée lui échappe, il peut bien regretter de n’avoir pas
assez vérifié l’origine des droits de son vendeur, mais
il doit en définitive subir la rigueur d’un principe écrit
dans la loi, et conséquemment obligatoire pour tous,
�254
TRAITE
car il est en faveur de tous : Spotiatus, ante omnio restituendus.
278. — Ainsi, dans son principe, le droit de reven
dication se justifie parfaitement. Dans ses effets, il
convient de distinguer la nature de l’objet revendiqué.
Ils sont en effet très différents, selon qu’il s’agit d’un
immeuble ou d’un meuble.
279. — Aucune difficulté ne saurait exister pour ce
qui concerne les immeubles. Le jugement qui ordonne
la rescision est commun, exécutoire contre tous les
tiers détenteurs, obligés dès-lor-s à restituer, alors
même qu’ils auraient agi de très bonne foi.
Toutefois, cette bonne foi n’est pas stérile en leur fa
veur. Elle jproduit des conséquences importantes poul
ies fruits et revenus de l’immeuble. L’obligation de les
rendre ne s’applique qu’à ceux perçus depuis la de
mande en rescision. Pour ceux qui l’ont été précédem
ment, tel est l’effet de la bonne foi, que le vice du 'titre
disparaît, et que le possesseur est censé les avoir légi
timement recueillis : Bona fides tamtumdem prœslat
possidenti quamlum veritas.' Ce principe est reproduit
et consacré par l’article 549 de notre Code.
280. — Ce principe reçoit exception dans le cas
où, par suite d’un dol indirect, un individu à recueilli,
à titre gratuit, le bénéfice d’une disposition légale ou
1 L. 136, Dig. de reg. juris.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
255
conventionnelle. Dans ce cas, comme il n’est pas per
mis de s’enrichir ex delrimenlo el injuria alterius, l’o
bligation de restituer comprend tout ce qui a réelle
ment profité à celui que le dol avait appelé.
281. — Dans tous les cas, le possesseur de bonne
foi a le droit de réclamer, contre le revendiquant, tou
tes les dépenses faites pour la conservation de la chose,
et le prix des améliorations et dépenses utiles. Il doit
obtenir contre son vendeur, auteur du dol, le rembour
sement des dépenses voluptuaires et d’agrément. Ce
principe, édicté par l’article 1655 du Code civil contre
celui qui vend sciemment la chose d’autrui, s’applique
évidemment au vendeur de la chose obtenue par le dol.
282. —- Enfin, le possesseur de bonne foi prescrit
contre le véritable propriétaire par le délai de dix ans,
du moment de son acquisition. Conséquemment, si le
dol n’est découvert que postérieurement à ces dix ans,
ou si ce laps de temps est accompli au moment de la
mise en cause du tiers possesseur, toute revendication
est impossible.
283- — La revendication des choses mobilières pré
sente beaucoup plus de difficultés. Le possesseur d’un
meuble corporel n’est pas tenu d’en justifier la pro
priété, ni de rechercher à quel titre son vendeur en a
la possession. L’article 2279 du Code civil voit dans
cette possession un titre légitime. L’acquéreur peut
donc se prévaloir de cette disposition, non-seulement
�256
IRAI TE
en ce qui le concerne, mais encore pour soutenir que
celui qui lui a vendu l’objet revendiqué en était bien
le propriétaire.
284. — L’article 2279 paraît ne renfermer que des
dispositions fort simples. En réalité, cependant, il est
peu de textes qui aient donné lieu à plus de controver
ses. Mais, sans entrer dans un examen minutieux des
diverses opinions qui se sont produites, il nous paraît
facile de déterminer comment on doit l’appliquer à la
matière qui nous occupe.
285. — Ii est certain que le droit romain distinguait
la propriété des meubles corporels de leur possession.
L’une n’étaitacquisitive de l’autre quesi elle s’était con
tinuée pendant un délai d’un an d’abord, et que Justinien
porta ensuite à trois ans.1Le possesseur troublé pou
vait intenter l’action possessoire. C’est ce que décidait
l’interdit ulrubi.
Notre ancien droit, tout en refusant l’action posses
soire, s’était conformé au droit romain sur la possession
en matière de meubles. En Provence, ainsi que dans un
grand nombre de pays coutumiers, le détenteur d’un
objet mobilier n’en avait acquis la propriété que s’il
l’avait possédé paisiblement et publiquement pendant
l’espace de trois ans.
286. — Or, en rapprochant de ces principes la dis1 Insl., liv. 5, lit. 6, de usucap.
�position de l’article 2279, il est impossible de se dissi
muler la différence énorme que celle-ci a introduite
dans cette partie de notre législation. A l’avenir la sim
ple possession, au moment où le meuble est livré, cons
titue pour son détenteur un titre légitime-de propriété.
Celui-là donc qui l’a reçu de ce possesseur est censé
l’avoir reçu du seul et véritable propriétaire. Cette pré
somption n’est nullement affaiblie par cette circons
tance que le vendeur ne l’aurait possédé que depuis un
temps plus ou moins long. L’importance de ce carac
tère a disparu avec la législation qui en faisait dépendre
la propriété. C’est ce qui nous est notamment enseigné
par l’exposé des motifs de l’article 2279287. — Il est vrai qu’il est question dans cet article
d’une prescription de trois ans. Mais cette prescription
s’applique uniquement à la revendication des choses
volées ou perdues , à l’égard desquelles on admet une
exception à la règle qu’en fait de meubles la possession
vaut titre, et cette prescription de l’action est elle-même
une innovation à la précédente législation. Sous son
empire, en effet, ainsi que l’atteste Pothier, la chose vo
lée ou perdue, res furliva, pouvait toujours être reven
diquée. Ce droit était considéré comme imprescripti
ble. 1
288. — On ne saurait donc équivoquer sur le sens
de l’article 2279. En fait de meubles corporels la pos' Vid. Troplong, des Prcscripl. , art. 2279.
17
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�258
TRAITE
session prouve la propriété, et cette présomption, si
elle peut être modifiée du possesseur actuel à celui qui
lui a remis la chose, par le titre qui justifie le véritable
caractère de cette remise, reste, par rapport aux tiers,
une présomption juris et dejure, n’admettant la preuve
contraire que dans l’une des deux hypothèses, de perle
ou de vol.
N’était-ce pas là d’ailleurs ce que la raison et la jus
tice exigeaient? Le transfert des meubles corporels s’o
père sans que la négociation laisse la moindre trace.
Dans la plupart des cas, l’acquéreur reçoit et paie, et,
lorsqu’il revendra à son tour, nul n’aura l’idée de lui
demander l’exhibition de son titre de propriété. Sans
doute que pour les meubles, comme pour les immeubles,
celui qui a été dépouillé par le dol est injustement dé
possédé, et que lui refuser pour les uns ce qu’on lui
accorde pour les autres, c’était s’exposer à être taxé
d’inconséquence. Mais l’intérêt public ne permettait pas
d’agir autrement. On ne pouvait, en effet, laisser, pen
dant un temps plus ou moins long, la propriété des
meubles en suspens, sans s’exposera jeter le plus grand
trouble dans les transactions les plus usuelles, sans re
venir sur une foule d’opérations, enfin sans encourager,
comme le disait l’orateur du gouvernement, ces procé
dures sans nombre et qui le plus souvent excéderaient
la valeur des objets en litige.
Ainsi la revendication d’un meuble corporel ne peut
être exercée que dans les deux cas exceptionnels prévus
par l’article 2279, à savoir : celui de perte, celui de
vol.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
259
289. — On a voulu cependant soutenir qu’où devait
l’autoriser en cas de dol, en assimilant celui-ci au vol.
Mais ce système d’assimilation, que l’on appliquait à
l’abus de confiance, à la violation du dépôt, n’a pas été
consacré par la jurisprudence. Ainsi la Cour d’appel de
Paris a jugé, le 5 avril 1813, que le propriétaire d’ob
jets vendus par un dépositaire infidèle n’avait pas le
droit de les revendiquer contre un tiers-acquéreur.
290. — M. Chardon critique cet arrêt. « Ainsi, ditil, une chose ne pourrait être revendiquée qu’autant
qu’elle aurait été dérobée par un vol qualifié tel par le
Code pénal; et toutes celles soustraites à leurs maîtres
par de simples larcins, filouteries, escroqueries, abus
de confiance et manœuvres frauduleuses seraient irré
vocablement perdues pour eux! Cela est inadmissible ,
les rédacteurs du Code, n’envisageant le vol que dans
l’intérêt des personnes qui l’éprouvent, ont dû se borner
à un terme générique qui comprend toutes les espèces.
Il suffit donc que la chose qui a été vendue soit arrivée
entre les mains du vendeur par un moyen illégitime,
pour qu’il y ait vente de la chose d’autrui, conséquem
ment vente nulle, et droit de revendiquer.1 »
291. — Cette opinion de M. Chardon estplulôt équi
table que juridique. Elle a d’ailleurs le tort de mécon
naître le motif qui a fait autoriser la revendication pour
les choses volées ou perdues. Ce qui, dans l’une et dans
1 Du Dol, tora. i, n° 41, pag. 60.
�260
TRAITE
l’autre de ces hypothèses, a préoccupé le législateur,
c’est que, dans chacune d’elles, la chose est sortie de
la possession du propriétaire, non-seulement sans son
consentement, mais encore à son insu et par une véri
table force majeure qu’il ne lui a été donné ni de prévoir
ni d’empêcher.
Sans doute, il ne faut pas que ce fait soit le résultat
d’un vol qualifié. De quelque manière qu’il se soit réa
lisé, il suffit qu’il présente le caractère que nous venons
d’indiquer pour que la revendication puisse être exer
cée. Le larcin, la filouterie, quoique différents quant à
la pénalité du vol qualifié, ne sont pas moins de vérita
bles vols. L’un et l’autre renferment la conlrectatio
fraudulosa de la chose d’autrui, et, à ce titre, ils ren
trent dans le terme générique employé par l’article 2279Mais, peut-on assimiler aux larcins, à la filouterie,
l’abus de confiance, la violation d’un dépôt, l’escroque
rie, le dol? Non évidemment, car dans les deux premiers
il y a eu remise spontanée et libre des objets entre les
mains de celui qui a abusé de la confiance, violé le dé
pôt. Il y a donc faute ou tout au moins imprudence de
la part de celui qui a fait un choix aussi déplorable,
aussi mal justifié.
Il est évident cependant que sans cette imprudente
confiance les objets qui en ont été la matière ne seraient
pas arrivés entre les mains de celui qui les a vendus. Si
donc quelqu’un doit supporter les conséquences de l’a
bus de confiance ou de la violation du dépôt, c’est celui
qui a mal choisi ses représentants, et nullement le tiersacquéreur, ayant traité sous la foi d’une possession cer-
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
261
laine et dont la loi ne l’obligeait pas de rechercher la
cause ou l’origine. Tout ce qu’il savait, c’est que la pos
session vaut titre, et, s’il a agi de bonne foi et sans
fraude, il ne pourrait sans injustice être dépouillé de la
chose qu’il a acquise et payée.
Le fait de la remise des objets par le propriétaire ,
entre les mains du vendeur, est donc capital. Or, c’est
ce qui se réalise dans le cas d’escroquerie ou de dol.
Sans doute, dans ces cas, la volonté du propriétaire est
viciée par des manœuvres coupables, mais le fait maté
riel existe, et cette matérialité devait suffire en regard
des tiers. Supposez, en effet, qu’à l’aide d’une véritable
escroquerie un individu soit parvenu à se faire délivrer
une partie de marchandises. Cette délivrance est cons
tatée par une facture régulière. Quel tort pourrait-on
inférer à celui qui, sur le vu de cette facture , aurait à
son tour acheté celte marchandise? N’est-ce pas là
l’histoire du commerce? Et l’on voudrait cependant l’o
bliger à restituer alors que, postérieurement à son achat,
le premier propriétaire aurait fait judiciairement cons
tater l’escroquerie? Nous n’hésitons pas à le dire, il n’y
aurait dans ce système ni équité ni justice.
292. — C’est ce que la Cour suprême a aussi pensé.
Dans une espèce où l’escroquerie avait été prouvée, la
revendication contre le tiers avait été consacrée par ar
rêt de la Cour d’appel de Paris, du 13 janvier 1834.
Mais cet arrêt étant devenu l’objet d’un pourvoi, la Cour
de cassation ne crut pas devoir le maintenir. La cassa
tion en fut donc prononcée par les motifs suivants :
�262
TRAITE
« Attendu que l’article 2279, après avoir établi qu’en
fait de meubles la possession vaut titre, ajoute seule
ment que dans le cas où la chose aura été perdue ou
volée, il y aura lieu à revendication ;
« Attendu que les exceptions sont de droit strict et
que leur application doit être renfermée dans le sens ri
goureux des termes employés par le législateur;
« Attendu que le vol ne peut être confondu avec l’es
croquerie, vu qu’en fait d’escroquerie l’individu a suivi
la foi de celui qui l’a trompé, et qu’il lui a donné, par
la vente qu’il lui a faite, un titre indépendamment de la
possession; qu’il n’cn est pas de même de la chose vo
lée à l’égard de laquelle il n’y a eu ni vente, ni remise
volontaire, et qui, au contraire, a été prise par une voie
de fait quelconque.1 »
295. — Cet arrêt, contraire à l’opinion de M. Troplong, 2 nous paraît irréprochable en doctrine et ren
fermer une exacte appréciation des motifs qui ont in
troduit l’article2279 dans notre législation. D’une part,
la revendication des meubles était contraire à l’intérêt
public, car elle pouvait entraîner dans les transactions
commerciales une immense confusion ; de l’autre, on
ne pouvait, sans crainte d’encourager le vol, consacrer
la spoliation qui en a été la conséquence.
Placé entre deux dangers de ce genre, le législateur
1 Journal du Palais ; — Cass., 20 mai 1855.
Par une erreur singulière, le sommaire précédant cet arrêt
indique une solution diamétralement contraire à celle de l’arrêt.
5 Des Prescriptions, tom. tr, n° 1069.
nota.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
263
devait s’arrêter à un moyen terme conciliant les in
térêts divers qu’il s’agissait de régler. Or, ce moyen
terme, signalé par le texte même, est bien celui relevé
par la Cour de cassation. S’agit-il d’une chose enlevée
par une véritable voie de fait, sans la participation et le
concours du propriétaire, on pourra la revendiquer; au
contraire l’enlèvement dont on se plaint s’est-il réalisé
au vu et au su du propriétaire, avec son autorisation,
toute revendication est impossible , quelque vicieux
qu’ait été le consentement donné.
Ce consentement, en effet, dont le tiers n’a pas eu à
vérifier les caractères, deviendrait cependant la cause
du préjudice que la revendication lui ferait éprouver.
Cela suffit pour que l’auteur de ce consentement soit
non recevable ,à faire supporter les conséquences de sa
faute, de son imprudence, de son malheur même, à ce
lui qui reste irréprochable à son endroit.
D’ailleurs il est impossible, en matière d’exceptions,
de raisonner par analogie, par assimilation. Dans l’es
pèce où s’arrêterait-on? Après l’escroquerie viendrait le
dol, après le dol, la fraude, car si dans l’escroquerie il
n’y a pas eu consentement sérieux, il n’y en a pas eu
davantage dans le dol et la fraude. Ainsi, d’assimilation
en assimilation, la règle prescrite par l’article 2279,
qu’en fait de meubles la possession vaut titre, succom
berait infailliblement sous de nombreuses exceptions.
294. — Ainsi, le droit de revendiquer ne naît point
de l’escroquerie. A plus forte raison en est-il ainsi pour
le dol, qui n’est qu’une espèce d’escroquerie moins
�264
TRAITE
grave. Celui qui en a été victime n’a donc action que
contre celui qui l’a trompé pour la restitution de la
chose enlevée, si elle existe encore dans ses mains ;
pour le faire condamner, si elle est revendue, à lui en
payer la valeur. Il ne pourrait mettre en cause le tiers
que s’il prétendait que la revente a été acceptée par ce
lui-ci de mauvaise foi et par fraude. Mais la charge de
prouver l’une et l’autre lui serait dans tous les cas im
posée.
295. — Cette preuve pourrait résulter de la con
naissance que le tiers aurait eue de la manière dont la
chose était parvenue aux mains de son vendeur. Une
pareille connaissance serait exclusive de toute bonne
foi, et permettrait de ne voir dans la vente ainsi ac
ceptée qu’un concert pour consommer le dol et pour
mettre son auteur à l’abri de la réparation à laquelle il
est tenu.
C’est dans ce sens, et très légalement à notre avis,
que l’a admis la Cour d’Agen en matière de vente d’ob
jets immobiliers. Elle a, en effet, jugé, le 12 mai 1830,
que la connaissance d’un acte sous seing-privé qui a
déjà dépouillé le vendeur de la propriété de l’objet
qu’on acquiert de lui, même par acte authentique,
constitue, de la part de celui qui a cette connaissance,
un fait de dol et de fraude.1
Cette décision est parfaitement applicable à notre es
pèce. Qu’importe, en effet, que l’on sache que le ven1 Dalloz, p, 52, 2, 204 ; — Voir supra, n° 9^.
�DU DOL ET DE LA Fit AUDE.
265
deur n’est pas propriétaire de ia chose qu’il vend, ou
seulement qu’il en est propriétaire à un titre illégi
time ? L’acquisition faite nonobstant cette connais
sance blesse également dans les deux cas les senti
ments de la probité et de la délicatesse. Elle doit donc
être régie par les mêmes principes.
296. — Il nous reste à examiner la revendication
des meubles incorporels. Cette matière n’est plus régie
par1l’article 2279 du Code civil. Il est, en effet, depuis
longtemps admis en doctrine et en jurisprudence, que
la maxime, en fait de meubles la possession vaut titre,
ne s’applique qu'aux meubles susceptibles d’une tradi
tion manuelle. Les droits incorporels, les titres de
créance, les actions n’étant pas évidemment dans cette
classe, échappent aux conséquences que cette maxime
autorise et crée.1
Il est certain, en effet, que pour les objets de cette
nature, la possession matérielle du titre constitutif ne
saurait constitue]1une preuve de propriété. Les articles
1689 et suivants règlent les formalités à observer lors
qu’il s’agit de leur transfert. La délivrance du titre doit
être accompagnée, pour que le cessionnaire soit saisi
à l’égard des tiers, d’un transport signifié au débiteur
ou accepté par lui. Or, les effets de ce transport dépen
dent nécessairement de la validité 'du titre en vertu
duquel il a été consenti. Si ce titre argué de dol est
1 Troplong, Prescrip., t. n, n°1065;—Vazeilles, p. 280 ; — Cass.,
12 mai 1824, A mai 1836, 11 mai 1859, A août 1840; — Journal du
Palais, 1.1 , 1859, p. 265; t. u, 1840, p. 229.
�266
TRAITE
rescindé par la justice, cette rescision place la cession
dans la catégorie des actes faits à non domino. Le cé
dant dépouillé de ses droits n’a pu en transmettre au
cuns. Ici reviennent les maximes nemo plus juris ad
alium transferre polest, quant, ipse habel...... resolulo
jure danlis, resotvilur et jus accipientis.
297. — Il résulte de là : 1° que le possesseur dé
pouillé par le dol d’un meuble ou droit incorporel,
qui a fait prononcer la résolution de l’aliénation qu’il en
avait consentie, a le droit de suivre la chose et de la
revendiquer dans quelques mains qu’il la trouve.
2° Que celui qui a traité avec l’auteur du dol est tenu
de restituer le titre qu’il en a reçu, encore bien qu’il
en eût payé la valeur, sauf ses droits contre son ven
deur. Il ne pourrait obtenir contre le revendiquant que
le remboursement des dépenses faites pour la conser
vation de la chose.
3° Que, si la créance cédée était exigible, ou qu’é
tant venue à échéance, elle ait été remboursée, le tiers
est obligé de restituer ce qu’il a reçu, avec intérêt, à
partir de la demande en restitution. Les arrérages per
çus de bonne foi jusqu’à cette époque lui appartiennent
en vertu du pricipe consacré par l’article 5^7 du Code
civil.
298. — La faculté de revendiquer les meubles ou
droits incorporels reçoit exception :
1° Lorsqu’il s’agit de billets ou bons payables au
porteur. Les titres de ce genre sont transmissibles de la
�DD DOL ET DE LA FRAUDE.
207
main à la main et sans aucune formalité. Leur posses
sion fait donc considérer le porteur comme le seul pro
priétaire. Ils ne peuvent, dès-lors, être revendiqués que
si l’on prouve qu’ils ont été volés ou perdus,1 ou que le
porteur actuel ne les a reçus qu’à un titre précaire.
2° Lorsqu’il s’agit de traites ou effets commerciaux
négociables. L’endossement de ces titres en confère la
propriété. Le porteur, à l’ordre duquel cet endossement
a été régulièrement transcrit, est, aux yeux de la loi,
l’unique propriétaire de la traite. La transmission de
ces titres est d’une trop réelle importance pour qu’on
ait pu avoir la pensée d’apporter aucun obstacle à leur
libre circulation. Le tiers porteur de bonne foi est donc
à l’abri de toutes recherches du chef de son cédant ou
de tous autres précédents propriétaires.
299. — L’action en rescision doit être poursuivie
directement contre les auteurs du dol, alors même que
la chose qui en est l’objet serait passée en d’autres
mains. D’ailleurs la revendication n’est possible qu’après que les droits de celui qui l’a tranférée au tiers ont
été infirmés, on comprend dès-lors qu’une instance à
laquelle il ne serait pas présent ou appelé manquerait
d’un de ses éléments essentiels. Seul, en effet, le défen
deur principal en dol peut discuter utilement les allé
gations dirigées contre l’acte, seul il peut fournir, sur
les faits et circonstances du procès, toutes les notions
1 Cass., 2 nivôse an xn ; — Journal du Palais, tom. n i, pag. 547^
�268
TRAITE
pouvant éclairer la conscience du juge et contribuer à
rendre sa décision équitable.
Le tiers-détenteur n’est pas moins intéressé dans le
procès de rescision intenté contre son auteur. Le juge
ment qui interviendra contre celui-ci refluera néces
sairement jusqu’à lui. On ne peut dès lors le faire con
damner sans l’avoir mis à même de se défendre. Il doit
donc être appelé dans l’instance pour y faire valoir ses
droits, ceux de son cédant lui-même, si ce dernier, colludant avec le demandeur, les désertait pour lui porter
préjudice.
Au reste, l’appel en cause du tiers-détenteur n’est
pas seulement dans son intérêt. Il importe également
au poursuivant de le réaliser, car la prescription n’est
interrompue à son égard que par la poursuite directe
dont il est l’objet. Le temps consacré à l’instance, ex
clusivement dirigée contre l’auteur du dol, pourrait
donc, dans plusieurs cas, permettre à la prescription
de s’accomplir, et créer ainsi un obtacle invincible à
toute revendication ultérieure.
Le tiers-détenteur qui ne serait pas appelé dans l’ins
tance, soit parce que le poursuivant ignore la trans
mission qui lui a été consentie, soit que la connaissant
il néglige de le mettre en cause, a toujours le droit
d’intervenir, s’il craint que ses intérêts soient compro
mis. L’intérêt est la mesure de l’action. Or, le tiers en
a un puissant à assister aux débats sur la rescision ; il
peut enfin former tierce-opposition au jugement rendu
en son absence.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
269
§ l i . — DE L ’ACTION EX DOM M A GES-IN TÉRÊTS.
SOMMAIRE.
300. Objet de l’allocation de dommages-intérêts. A qui ap
partient l’action.
301. L’étendue et le chiffre de la condamnation sont laissés
à la prudence du juge. Règle à suivre.
302. Maximum tracé par la loi romaine.
303. Principes à consulter sous le Code.
304. Différence dans l’allocation, selonqu’il s'agitd’une faute,
d’un fait de mauvaise foi ou d’un dol.
305. En quoi consistent les dommages-intérêts dans le cas
de faute.
306. Dans le cas de mauvaise foi.
307. Dans le cas de dol.
308. Comment faut-il entendre ces mots de l’article 1151 :
Ce qui est une suite immédiate et directe du dol.
309. Opinion de Dumoulin
310. Exemple emprunté de Pothier.
311. Distinction faite par ce jurisconsulte pour le préjudice
résultant des conséquences éloignées du dol.
312. Conclusion.
313. Dommages-intérêts déterminés par la loi elle-même.
Intérêts moratoires.
314. Exceptions que reçoit l’article 1153.
315. Quid si le retard provenait d’un dol?
316. La saisie-arrêt faite main anima et dans l’intention de
nuire donnerait lieu à des dommages-intérêts, indé
pendamment des intérêts moratoires.
317. Influence du dol sur le point de départ de ces intérêts.
318. Différence entre les intérêts compensatoires et les in
térêts moratoires. Conséquence.
319. Les dommages-intérêts dus au plaideur injustement
attaqué sont les dépens de l’instance.
�270
TRAITÉ
320. Ne pourraient-on pas, dans le cas d’une mauvaise foi
ou d’un dol flagrant, accorder de dommages-intérêts
outre les dépens.
321. Remarquable exemple tiré d’un arrêt de la Cour d’Aix.
322. Contre qui doit être poursuivie l’action en dommagesintérêts.
323. Conséquences de l'action en matière de ventes d’objets
mobiliers.
324. La réparation pécuniaire du dol est prononcée solidai
rement contre tous ceux qui y sont tenus comme au
teurs ou complices.
325. L’indivisibilité du fait amène forcément la solidarité.
326. C’est en effet par ce principe que la solidarité a été ad
mise en matière de quasi-délit.
327. Coup d’œil historique sur la contrainte par corps, en
matière civile, sous les législations précédentes.
328. Dispositions du Code civil.
329. Faculté conférée par l’article 126 du Code de procédure
civile de la prononcer pour les dommages-intérêts
.excédant 300 fr.
330. Modifications que cet article consacre à l’ordonnance
de 1667.
331. La contrainte par corps n’étant autorisée que pour les
dommages-intérêts, peut-on la décerner pour la res
titution de la valeur de la chose ayant fait l’objet du
contrat annulé.
332. Importance de la solidarité pour l’application de l’arti
cle 126 du Code de procédure civile.
333. Exception à la faculté de décerner la contrainte.
334. L’héritier de l’auteur du dol n’est jamais contraignable
par corps.
335. Durée de la contrainte déterminée par la loi de 1832.
500- — L’allocation de dommages-intérêts a pour
objet d’indemniser la partie lésée du préjudice qu’elle
a souffert matériellement ou moralement.
L’existence d’un préjudice autorisé donc l’action qui
�1)U DOL ET DE LA FRAUDE.
271
doit en amener la réparation. A ee titre, et, par appli
cation à notre matière, l’action en dommages-intérêts
est ouverte à celui que le dol a égaré, dans les hypo
thèses suivantes :
1° Lorsqu’il s’agit d’un dol accidentel. Ce dol, s’exer
çant sur une des conditions de la chose qui fait la
matière du contrat, n’est pas en général un motif suf
fisant pour faire prononcer la résiliation de l’acte. L’er
reur en résultant, soit sur la qualité de la chose, soit sur
le prix, soit sur l’existence d’une servitude, trouve une
réparation juste et naturelle dans l’attribution d’une
somme de dommages-intérêts, proportionnée à la na
ture du préjudice ;
2° Lorsque s’agissant d’un dol substantiel, la res
cision n’est pas demandée, soit parce qu’elle est impos
sible, soit parce qu’elle nuirait à la partie lésée. Le
défaut de poursuite en rescision n’amnistie pas le dol,
le préjudice qu’il a causé n’en doit pas moins être ré
paré, et cette réparation consiste dans l’allocation d’une
indemnité pécuniaire ;
5° Lorsque s’agissant d’un dol substantiel, la res
cision demandée ne suffirait pas pour réparer le pré
judice souffert. La justice veut en effet que celui qui a
été victime du dol soit intégralement restitué de tout le
dommage qui lui a été occasionné. La rescision pour
rait laisser subsister une partie de ce dommage, qu’une
condamnation pécuniaire, accessoirement requise, fait
disparaître ;
4° Enfin lorsqu’il s’agit d’un dol indirect. L’auteur de
ce dol est responsable des conséquences de son fait. Il
�est juste qu’il soit tenu d’indemniser la partie lésée,
alors même que, s’agissant d’une disposition à titre
gratuit, celui qui l’a recueillie doive être dépossédé au
profit de cette partie.
301. — Dans tous les cas, l’étendue et le chiffre de
la condamnation sont laissés à l’arbitrage des juges. Ce
qu’il importe cependant de ne pas perdre de vue, c’est
qu’il est dans l’esprit de la loi de concilier les justes
droits du poursuivant avec l’équité, qui ne permet pas
de pousser jusqu’à des limites trop extrêmes la respon
sabilité encourue par l’auteur du dol.
Sans doute la conduite de celui qui a manqué aux
lois de la probité, de la délicatesse, doit exciter une
vive et énergique réprobation; mais il est une mesure
à garder, même dans les sentiments les plus honorables.
Plus le mobile qui fait agir est respectable, et plus on
doit craindre de s’égarer. N’oublions pas les célèbres
paroles delà raison écrite : Summum jus, summa injuria.
Il faut donc, lorsqu’il s’agit d’une réparation pécuniaire,
peser mûrement la gravité des torts reprochés, l’étendue
des conséquences qui en sont résultées, et modérer à
ces conséquences mêmes l’indemnité à accorder.
302. — C’est sans doute par des considérations de
cette nature, que Justinien avait cru devoir fixer un
maximum que l’adjudication de dommages-intérêts ne
pouvait franchir. Avant lui, les magistrats avaient toute
latitude dans leur appréciation, c’est cette latitude que
Justinien trouve dangereuse, et à laquelle il croit devoir
�273
DU DGL ET DE LA FRAUDE:
assigner des bornes : Melius est hujus modi prolixilalem
prout possibile est in ancjuslum coarclare. 1En consé
quence, et dans aucun cas, les dommages-intérêts ne
pourront dépasser une valeur double de la chose ayant
fait la matière du contrat.
303. — Le Code qui nous régit n’a tracé aucune li
mite à l’appréciation des magistrats, mais on se trom
perait étrangement, si l’on considérait le silence qu’il a
gardé sur ce point comme la condamnation de la règle
consacrée par la législation romaine. En parcourant le
système que notre législation a adopté en matière de
dommages-intérêts, on arrive facilement à cette con
clusion que l’intention de se tenir sans cesse dans un
milieu raisonnable et juste a été le but qu’elle s’est
proposée.
304. — En principe, les dommages-intérêts sont
de la perte qu’on a faite et du gain dont on a été privé.
Certes, rien de plus élastique qu’un pareil principe,
mais la manière dont la loi prend soin d’en régler l’ap
plication fait disparaître toute espèce de dangers.
Les dommages-intérêts sont réclamés ordinairement
pour une faute, pour un acte de mauvaise foi, pour
un dol.
305. — Lorsque l’inexécution de la convention
donnant lieu à l’action provient d’une simple faute ,
1 L. unie. Cod. de sent, quœ pro eo quoi interest.
i
S8
�l2 1 â
TRAITÉ
c’est-à-dire parce que le débiteur se sera téméraire
ment engagé a ce qu’il ne pouvait accomplir, ou parce
qu’il s’est mis depuis dans l’impossibilité de remplir
son obligation, les dommages-intérêts sont réglés par
l’article 1150. Ils comprennent alors la perte éprouvée
et le gain dont on a été privé, tels qu’ils ont été pré
vus, ou qu’on a pu les prévoir lors du contrat.
On suppose donc que les dommages-intérêts sont pu
rement conventionnels. Or, les obligations créées par
les contrats ne pouvant se former que par le consen
tement et la volonté des parties, le débiteur, en s’obli
geant aux dommages-intérêts résultant de l’inexécution
de son obligation, est censé n’avoir entendu et voulu
s’obliger que jusqu’à la somme à laquelle il a pu vrai
semblablement prévoir qu’ils pourraient s’élever.
« Ordinairement, dit Pothier, les parties sont censées
a n’avoir prévu quelles dommages - intérêts que le
a créancier, par l’inexécution de l’obligation, pourrait
k souffrir par rapport à la chose même qui en a été
« l’objet, et non ceux que l’inexécution lui a causé
« d’ailleurs sur ses autres biens. C’est pourquoi, dans
« ce cas, le débiteur n’est pas tenu de ceux-ci, mais
« seulement de ceux soufferts par rapport à la chose
a qui a fait l’objet de l’obligation : Damni et intéressé
a propter ipsam rem non habilam.
a Par exemple, si j’ai donné à loyer pour dix-huit
a ans une maison que je croyais m’appartenir, et
« qu’après dix ou douze ans, mon locataire en ait été
a évincé par le propriétaire, je serai tenu des doma mages-intérêts de mon locataire, résultant des frais
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
275
« qu’il aura été obligé de faire pour son délogement,
a comme aussi de ceux résultant de ce que le prix des
a loyers étant augmenté depuis le bail, il aura été
a obligé de louer une maison plus cher pendant le
« temps qui restait à courir, car ces dommages-in
et térêts ont un rapport direct et prochain à la jouis« sauce qui a fait l’objet de mon obligation et sont
a soufferts par le locataire propter rem ipsam non
a habitam.
a Mais si le locataire a depuis le bail établi* un coma merce dans la maison que je lui ai louée, et que son
a délogement lui ait fait perdre des pratiques et causé
a un tort dans son commerce, je ne serai pas tenu de
a ce dommage qui est étranger, et qui n’a pas été prévu
« lors du contrat.
« A plus forte raison, si dans le délogement quelques
a meubles précieux de mon locataire ont été brisés, je
« ne serai pas tenu de ce dommage, car c’est l’impéritie
a des gens dont il s’est servi qui en est la cause, et non
a l’éviction qu’il a soufferte, elle n’en est que l’oc» casion. 1 »
Cette doctrine a le mérite incontestable de préciser
nettement la portée de l’article 1150. II est évident que
dans l’exemple cité, les dommages-intérêts ont pu et
dû entrer dans les prévisions des parties; qu’ils ne
constituent qu’une indemnité raisonnable et telle qu’il
serait injuste de la refuser. La bonne foi du bailleur lui
est utile en ce sens qu’elle détermine une modération
1 Des Oblig., n° 161.
�•276
TRAITE
dans la peine qui lui est appliquée. Or, on ne saurait
aller jusqu’à prétendre que cette bonne foi pût l’exo
nérer de l’obligation de réparer le préjudice qui en a été
la conséquence.
306. — Par une juste déduction, l’absence de la
bonne foi aggrave les obligations du débiteur. Dans ce
cas, les dommages-intérêts se calculent sur une autre
base. La réparation à sa charge comprend alors nonseulement le préjudice résultant de la privation de la
chose, mais encore celui dont cette chose a été l’oc
casion. Nous en trouvons un exemple décisif dans le
rapprochement des articles 1634 et 1635 du Code civil.
Ainsi, celui qui a vendu de bonne foi la chose d’au
trui doit rembourser à l’acquéreur évincé toutes les
réparations et améliorations utiles faites au fonds. Les
dépenses voluptuaires et d’agrément, n’étant jamais
considérées comme utiles, restent donc à la charge de
l’acquéreur. C’est là une application exacte du principe
posé par l’article 1150. Le vendeur, en effet, a pu pré
voir les dépenses utiles, il a dû penser qu’en bon père
de famille, l’acquéreur se livrerait immédiatement à
tous les frais que la conservation et l’entretien de la
chose exigeraient. Mais on ne peut admettre une sem
blable prévision pour tout ce qui ne constitue qu’un pur
agrément. Il ne serait donc pas juste de l’obliger à rem
bourser des frais quelquefois en dehors de toute pro
portion avec la valeur même de la chose.
Mais il n’en est plus ainsi pour le vendeur de mau
vaise foi. Celui qui aliène une chose qu’il sait ne pas
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
277
lui appartenir s’expose à réparer tout le préjudice que
l’acquéreur est dans le cas de souffrir. L’acte qu’il s’est
permis ne comporte ni excuse, ni atténuation, aussi
l’article 1035 met-il à sa charge les dépenses voluptuaires et d’agrément. Sa mauvaise foi fait présumer la
volonté de réparer toutes les pertes qu’elle sera dans le
cas d’occasionner. 1
On continue donc, dans le cas de mauvaise foi, de
considérer les dommages-intérêts comme convention
nels, seulement on fait porter les prévisions des parties
au-delà de ce qu’elles restent, lorsqu’on a à prononcer
contre un débiteur de bonne foi.
307. — Ce n’est plus par le même principe que se
règlent les dommages-intérêts dérivant du dol. Il n’y a
plus lieu dans cette hypothèse à rechercher qu’elle a été
ou pu être la commune intention des parties, si le pré
judice à réparer a été ou non dans leur prévision. L’au
teur du dol s’oblige, velit nolit, à la réparation de tout
le tort qu’il a causé.
Dans ce cas même, aux termes de l’article 1151, les
dommages-intérêts ne doivent comprendre, à l’égard de
la perte éprouvée par le créancier et du gain dont il a
été privé, que ce qui est une suite immédiate et directe
du dol. Mais, dans ces limites mêmes, la détermination
du chiffre n’est pas toujours chose facile.
308. — L’exposé des motifs de l’article 1151 est
1 Domat, liv. 5, tit. 3, seul. 2, n° 8.
�278
TRAITÉ
loin de résoudre cette difficulté. « Dans le cas même de
dol, disait l’orateur du gouvernement, les dommagesintérêts n’en ont pas moins leur cause dans l’inexé
cution de la convention. Il ne serait donc pas juste de
les étendre à des pertes ou à des gains qui ne seraient
pas une suite immédiate et directe de cette inexécution.
Ainsi on ne doit avoir égard qu’au dommage souffert
par rapport à la chose ou au fait qui était l’objet de l’o
bligation, et non à ceux que l’inexécution de cette obli
gation aurait d’ailleurs occasionné au créancier dans
ses autres affaires ou dans ses autres biens. »
Ces considérations nous paraissent inadmissibles.
Elles ramèneraient, en effet, la règle en matière de dol
aux proportions que nous avons vues devoir régir la
bonne foi; à ces dommages-intérêts pi'opler rem ipsam
non liabitam, prévus par l’article 1150- Or, il est impos
sible que l’article 1151, en appliquant les dommagesintérêts au préjudice causé par les conséquences immé
diates et directes du dol, n’ait voulu que reproduire le
principe déjà écrit dans l’article précédent.
Par la suite immédiate et directe du dol, le législa
teur a donc eu forcément en vue le dommage souffert
par le créancier dans ses autres biens, seulement il l’a
réduit au préjudice dont le dol a été l’occasion directe
et immédiate, et non à celui qu’on pouvait rattacher au
dol d’une manière éloignée, lequel est, d’après les pa
roles de Dumoulin, sans aucune considération.
309. — Ce jurisconsulte, recherchant le préjudice
que doit réparer le locataire qui, par malice, incendie
�DU D û t ET DE LA FRAUDE.
279
la maison du propriétaire, décide qu’on doit mettre à sa
charge la perte de la maison, la valeur de tout ce qui y
était renfermé et l’indemnité de la privation de jouis
sance. Non autem, ajoute-t-il, damnum postea succé
dons ex novo cctsu, etiam occasione dictæ combustionis,
sine qua non contigisset; quia istud est damnum remo
tum, quod non est in considérâtione.
310. — Un exemple que nous empruntons au ju
dicieux Pothier précisera mieux encore la différence
d’appréciation résultant des articles 1150 et 1151, et
comment on doit déterminer ce qui doit être considéré
comme une suite immédiate et directe du dol.
Un marchand vend une vache infectée d’une maladie
contagieuse. Mais il ignorait lui-même cette maladie.
Les dommages-intérêts dus à l’acquéreur se compose
ront uniquement du prix de la vache et des dépenses
occasionnées pour la remplacer, alors même que la
contagion, s’étant, communiquée, aurait fait périr ses
autres bestiaux. C’est là le dommage propler ipsam rem
non habitam que doit exclusivement supporter celui
qui a agi avec bonne foi.
Au contraire, la maladie de la vache était connue du
marchand, qui en a dissimulé l’existence. Cette dissi
mulation est un véritable dol qui l’oblige à réparer le
préjudice qui en a été la suite immédiate et directe.
Évidemment la contagion, qui a fait périr les autres
bestiaux, n’a pas eu d’autre cause déterminante que le
dol. Le coupable doit donc indemniser l’acquéreur nonseulement du prix de la vache et de la dépense néces-
�280
traité
sitée par son remplacement, mais encore de la valeur de
tout le bétail mort des suites de la contagion et les frais
exposés pour le remplacer.
Mais la perte de ses bestiaux peut avoir pour l’ac
quéreur des conséquences plus fâcheuses encore. Ainsi,
il peut soutenir qu’il a été placé par là dans l’impos
sibilité de cultiver ses terres et privé ainsi de toute ré
colte; que cette privation l’a mis dans le cas de ne pou
voir satisfaire à ses engagements, et qu’il s’est vu con
traint délaisser exproprier ses biens. Pourrait-il obtenir
contre le marchand la réparation de tout ce préjudice?
Il est certain que, dans le fonds, la prétention tendant
à faire décider l’affirmative n’est pas sans motifs plau
sibles. On comprend, en effet, que la mort des bestiaux
d’une ferme, arrivée pendant une certaine saison, peut
exercer une influence fâcheuse sur la position du pro
priétaire et entraîner même la saisie de ses biens. Mais
on répondra, avec raison, que le défaut de culture et le
non paiement des créanciers n’ont qu’une relation in
directe et éloignée avec le fait imputable au marchand,
ils n’en étaient même pas les suites nécessaires. Il est
positif, en effet, que le propriétaire pouvait cultiver en
achetant ou en louant d’autres bestiaux, et qu’ayant eu
le tort de ne pas le faire, il a commis personnellement
une faute dont il est responsable. En un mot, on peut
dire de ces dommages ce que Dumoulin disait pour l’in
cendiaire, ils peuvent bien être attribués à la mort des
bestiaux, sans laquelle ils ne se seraient pas réalisés,
mais ils sont réellement nés ex novo casu, et consé
quemment on ne peut qu’adopter la conclusion de ce
�DU DOD ET DE LA FRAUDE.
281
jurisconsulte : Istud est damnum remotum, quocl non
est in consideratione.
311. — Cependant Pothier distingue, fort juste
ment selon nous, entre le dommage résultant du défaut
de culture et celui déterminé par la saisie des pro
priétés. Celui-ci, dit-il, ne saurait être en tout ou en
partie à la charge du marchand, il n’est qu’une suite
très éloignée et très indirecte du dol. Il n’y a pas même
une relation nécessaire, car, quoique la perte des bes
tiaux ait influé sur le dérangement de la fortune de
l’acquéreur, ce dérangement peut avoir eu d’autres
causes.
L’autre, au contraire, paraît être une suite moins
éloignée du dol, mais il n’en est pas une conséquence
absolument nécessaire. L’acheteur pouvait obvier au pré
judice résultant de la perte de ses bestiaux, en faisant cul
tiver ses terres par d’autres bestiaux qu’il devait ache
ter ou louer, ou en affermant ses terres, s’il n’avait pas
le moyen de les faire valoir lui-même. Néanmoins, com
me en recourant à ces expédients il n’aurait pas retiré de
ses terres autant de profit que s’il les avait fait valoir
lui-même avec les bestiaux qu’il a perdus par le dol du
marchand, il estjuste que celui-ci l’indemnise, en partie
au moins, du préjudice causé par le défaut de cul
tures. 1
312. — Cette doctrine nous paraît déterminer la
véritable signification de l’article 1151 du Code civil.
1 Des O blig ation s, n° -167.
�282
TRAITE
C’est dans les principes enseignés par Dumoulin, Domat, Pothier, que nous rencontrons l’étendue et la por
tée de cette disposition. C’est là que la pensée du légis
lateur se décèle avec la plus parfaite précision. Nous
pouvons donc avec confiance proposer ces principes
comme les éléments indispensables de toute apprécia
tion en matière de dommages-intérêts.
Nous n’ajouterons qu’une seule observation, qui nous
paraît commandée par l’équité. Si le préjudice éloigné
ne doit pas être mis à la charge de l’auteur du dol, tout
au moins convient-il de le prendre en considération
lorsqu’il s’agit de déterminer le chiffre de celui qu’il
doit réparer. On ne saurait, en effet, se dissimuler,
d’un côté, que le dol n’a pas été sans influence sur la
réalisation de ce préjudice; de l’autre, que l’acte de ce
lui qui s’est permis des manœuvres coupables ne soit
extrêmement blâmable. Cette double considération est
donc de nature à empêcher toute modération dans les
dommages-intérêts que la loi impose aux débiteurs. Ils
doivent couvrir, dans la mesure qui vient d’être indi
quée, l’intégralité du préjudice souffert.
313. — Il est des cas où les dommages-intérêts sont
fixés par la loi elle-même. L’article 1153 nous en offre
un exemple. Dans les obligations, porte cet article, qui
se bornent au paiement d’une certaine somme, les dom
mages-intérêts ne consistent jamais que dans la con
damnation aux intérêts fixés par la loi. Cette disposition
est fondée sur la présomption que la perte essuyée par
le créancier et le bénéfice dont il est privé sont intégra-
�DU DOD ET DE DA FRAUDE.
283
lement compensés par les intérêts tels que les tribu
naux les adjugent conformément à la loi. 1
314. — La règle tracée par cet article reçoit excep
tion :
1° Pour les matières commerciales. Ainsi, le débi
teur d’une lettre de change protestée faute de paiement
doit non-seulement les intérêts du jour du protêt, mais
encore le remboursement des frais de rechange. De
même le débiteur en compte-courant d’un banquier est
obligé de payer, en sus des intérêts, le droit de com
mission déterminé par l’usage.
2° Pour le cautionnement civil. Ainsi, d’après l’ar
ticle 2028, la caution qui a payé a son recours contre
le débiteur non-seulement pour le capital et les in
térêts, mais encore pour le remboursement de tous les
frais qu’elle a exposés.
Ces deux exceptions, formellement prévues par l’ar
ticle 1155, sont fondées : la première, sur l’intérêt du
commerce dont les usages acquièrent force de loi; la
seconde, sur l’appréciation exacte de l’obligation du dé
biteur principal vis à vis de la caution. Cette obligation
n’est pas, à proprement parler, celle de lui payer telle
ou telle somme, mais bien celle de l’indemniser de tout
le préjudice que le cautionnement lui a occasionné.
Dans tous les autres cas, le retard dans le paiement
d’une somme d’argent ne donne lieu qu’à l’adjudica
tion des intérêts légaux, alors même que ce retard se1 Bigot de Préameneu, exposé des motifs.
�‘284
TRAITÉ
rait imputable au dol du débiteur. La stipulation du
contrat qui déterminerait de plus grands dommagesintérêts serait censée non écrite, et, dans tous les cas,
annulée comme T'enfermant une usure déguisée.
515- — Il n’en serait pas de même si le retard pro
venait du fait ou du dol d’une tierce personne. Par rap
port à elle, les principes ordinaires reprendraient leur
empire, et l’obligation de réparer le préjudice lui se
rait imposée. Par application de cette règle, la Cour
de Bastia a jugé, le 9 juillet 1853, que celui qui se
croyant propriétaire d’une créance, qu’il pense à tort
lui avoir été cédée, en touche le montant, cause par ce
fait, au véritable propriétaire, un préjudice dont il est
responsable vis à vis de lui et qu’il peut être condamné
à réparer en lui restituant à la fois le montant de la
somme perçue, les intérêts à compter du jour de la
perception et les faux frais par lui faits pour obtenir
paiement.
Vainement cet arrêt fut-il déféré à la Cour de cassa
tion comme violant l’article 1153, la Cour suprême
n’hésita pas à rejeter le pourvoi,1 pensant avec raison
qu’il ne s’agissait pas pour le tiers d’un retard dans le
paiement d’une somme d’argent ; qu’il y avait, dans
l’acte qu’il s’était permis, un fait nuisible dans l’accep
tion de l’article 1382, obligeant son auteur à réparer
le préjudice qui en est résulté. A plus forte raison de1 Journal du Palau, t. n, T837, p 391.
�vrait-on le déclarer ainsi si l’acte reprochable consti
tuait un dol.
516. — On doit donc décider que celui qui malo
animo, et sans aucun droit réel, a fait saisir, arrêter,
entre les mains de mon débiteur, une somme m’appar
tenant, et l’a ainsi empêché de se libérer, devrait être
condamné à réparer le préjudice que ce retard m’aurait
occasionné. Il ne saurait même dans ce cas s’agir de
l’application de la règle posée par l’article 1155, car si
de mon débiteur à moi il n’y a qu’un retard dans le
paiement d’une certaine somme, il y a autre chose dans
la conduite du saisissant à mon égard, il y a un fait nui
sible, un véritable dol. Dès-lors il doit réparer le préju
dice qui en est la conséquence, et non-seulement le
préjudice matériel, mais encore le préjudice moral ré
sultant de son inique poursuite. Or, ce dernier pourrait
être important s’il s’agissait surtout d’un commerçant
dont la position et le crédit ont tant à souffrir de ce qui
paraît incriminer sa solvabilité.
517. — Au reste, si du créancier au débiteur le dol
est sans influence sur la nature des dommages-intérêts
pour le retard dans le paiement d’une somme quelcon
que, il n’en est pas de même quant à l’époque à partir
de laquelle les intérêts sont censés courir. La règle tra
cée par l’article 1155, qui fixe cette époque au jour de
la demande, n’est obligatoire que pour les intérêts mo
ratoires, elle ne [s’applique donc pas aux intérêts com
pensatoires.
i ",
ÆI
�286
TRAITE
Le motif qui a fait adopter, pour les premiers, ce
point de départ est facile à saisir. Les intérêts ne cou
rent de plein droit que dans les cas et en faveur des
personnes spécialement désignées par la loi. Dans tou
tes les autres hypothèses, le législateur exige la mise
en demeure de la part du créancier ; il suppose que le
silence gardé par celui-ci est le résultat d’une conven
tion avec le débiteur. La demande de paiement réalisée,
cette présomption s’évanouit, et il n’existe plus aucune
raison pour refuser ce qui représente le jouissance de
la somme qui par le contrat devrait se retrouver aux
mains du créancier.
Mais si le silence gardé par celui-ci est la consé
quence d’un dol pratiqué à son encontre, il est évident
qu’on ne saurait lui en imposer la responsabilité. On ne
verrait dans un silence de cette nature qu’un acte im
posé par une véritable violence morale, et l’on présu
merait naturellement que le créancier eût fait valoir
son droit, s’il avait été libre de le faire. C’est par appli
cation de cette présomption que la Cour suprême a
jugé, le 5 août 1823, que les juges peuvent faire cou
rir les intérêts à partir d’une époque antérieure à la de
mande, s’il est constaté que le créancier a été mis dans
l’impossibilité, par le fait de son débiteur, de réclamer
plus tôt le paiement de la somme due.1
318. — Les intérêts compensatoires diffèrent des
intérêts moratoires, en ce que ces derniers ne sont que
1 Journal du Palais, t. xvm, p. 93.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
287
la conséquence d’une convention et de la peine son dé
faut d’exécution, tandis que les premiers sont deman
dés et accordés à titre de réparation d’un fait domma
geable ou d’un dol. On ne saurait donc les ranger sous
la meme règle et leur appliquer indistinctement la dis
position de l’article 1155. Les intérêts compensatoires
sont dus du jour où l’acte qui en motive l’adjudication
s’est réalisé. Les juges peuvent donc les faire partir de
cette époque. C’est un principe consacré par la juris
prudence.
Ainsi il a été jugé :
1° Que lorsque les intérêts sont accordés pour répation d’un fait dommageable, notamment pour inexécu
tion d’un mandat, ils peuvent être accordés à partir
d’une époque antérieure à la demande formée par le
mandant contre le mandataire ; 1
2° Que celui qui fait illégalement procéder à la vente
d’objets possédés'par un tiers peut être condamné, à
titre de dommages-intérêts, aux intérêts du prix de la
vente, à partir du jour même de cette vente.2
Mais la différencô que nous venons de signaler, mo
tivant une exception à la règle de l’article 1155, en
entraîne une importante dans l’application. Ainsi, les
intérêts moratoires courent de plein droit du jour de la
demande et sont indépendants de la preuve d’un pré
judice quelconque. Les intérêts compensatoires, au
contraire, n’étant qu’une indemnité du préjudice souf1 Journal du Palais, Cass., 30 janvier 1826.
5 Journal du Palais, Cass., 31 juillel 1832.
�‘288
TRAITE
fert, c’est à celui qui les réclame à prouver préalable
ment ce préjudice, faute par lui de remplir cette obli
gation, il ne saurait lui en être alloués aucuns.
519. — L’article 150 du Code de procédure civile
nous offre un nouvel exemple de dommages-intérêts
déterminés par la loi. En effet, cet article,en disposant
que la partie qui succombe supportera les dépens, sem
ble borner à leur paiement la peine du téméraire plai
deur, quel qu’ait été d’ailleurs le mobile de son action.
520. — Cependant la jurisprudence paraît se dé
partir de ce que cette règle pourrait avoir d’absolu. Il
est, ont le sait, des procès d’une nature si odieuse,
d’une iniquité si flagrante, qu’on ne peut voir dans leur
poursuite qu’une spéculation sur le scandale d’une in
juste diffamation. Les dépens sont une réparation bien
minime en présence du tort grave que l’issue même
favorable n’empêche pas le défendeur de subir. Est-ce
donc là l’unique satisfaction qu’on doive lui accorder?
Nous considérerions l’affirmative comme un malheur
et un danger. La peine infligée par la loi au plaideur
qui de bonne foi s’est trompé sur l’étendue de ses droits,
est insuffisante pour celui qui sciemment, et dans l’in
tention de nuire, a soutenu un procès sans autre but
que d’obéir à des passions mauvaises. C’est donc à dé
mêler l’intention du demandeur, que la justice doit ap
pliquer sa prudente sagacité, et si cette intention, si les
moyens employés sont vexatoires et odieux, elle doit
appliquer une peine plus forte que les dépens de l’ins-
�2X 9
DU I>OL ET DE LA Lit AUDE.
tance.1 C’est en usant de cette faculté avec un sévère
discernement qu’on arrivera à prévenir ces contesta
tions qui affligent et blessent la justice.
321. — La Cour d’Aix vient d’en faire une remar
quable application. Le comte de Castellanne s’était em
paré des mines de houille que les hoirs Coulomb soute
naient être leur propriété. De là un procès dans lequel
le comte de Castellanne avait employé les moyens les
plus rigoureux et suscité toute espèce de difficultés.
Nous en trouvons le résumé dans l’arrêt qui, recon
naissant la propriété des hoirs Coulomb et l’injustice
des prétentions de leur adversaire, condamne ce der
nier à restituer les mines et à 50,000 francs de dom
mages-intérêts.
« Considérant, dit la Cour, qu’il est irrévocablement
jugé que le comte de Castellanne a usurpé la propriété
des hoirs Coulomb, et qu’il doit une indemnité à raison
de cette usurpation, qu’il est constant que l’indue jouis
sance du comte de Castelfanne a duré 34 ans, de 1809
à 1843;
« Que pour se maintenir dans son usurpation et se
soustraire à la réparation due à ceux qu’il a dépouillés,
il les a poursuivis sans relâche devant toutes les juri
dictions, de telle sorte qu’en y comprenant le présent
arrêt, il est intervenu entre eux et lui quarante déci
sions, tant administratives que judiciaires ;
1 Journal du Palais ; —Cass., I l janv. 1837 ; — V. arrêt conforme
du 1er juin 1844, rapporté par le Droit, 3 juin 1844, n° 151.
i
19
�290
TRAITE
« Qu’au nombre de ces décisions, il existe onze ju
gements et arrêts rendus en matière correctionnelle ;
« Que sur la dénonciation expresse du comte de
Castellanne, quatre des hoirs Coulomb furent poursuivis
criminellement, comme inculpés de vol à main armée ;
que Joseph Coulomb, l’un d’eux, fut renvoyé par la
chambre du conseil ; mais que trois autres : Marie Deieuil, veuve de Jean-Joseph Coulomb, Lazare Coulomb
et Joseph Brun furent mis en prévention par ordonnance
du 14 février 1855, qui fut réformée par arrêtdu 29 mars
suivant; que Joseph Brun fut arrêté le 4 janvier 1855,
en vertu d’un mandat d’amener décerné contre lui, et
qu’il fut détenu à Marseille pendant trois mois, n’ayant
été mis en liberté qu’en exécution de l’arrêt d’Aix, en
date du 29 mars ; que pendant le même délai, la veuve
Deleuil et Lazare Coulomb, qui avaient pris la fuite,
furent obligés de se tenir cachés pour se soustraire à
l’exécution de semblables mandats décernés contre eux ;
« Considérant qu’en présence de déclarations aussi
explicites, il est impossible d’admettre que c’est de
bonne foi que Castellanne a pris possession des mines
existantes dans les propriétés des hoirs Coulomb, que
c’est de bonne foi qu’il s’est maintenu durant 54 ans
dans cette indue jouissance, qu’il résiste depuis 56 ans
aux justes réclamations des hoirs Coulomb, et qu’à
l’appui de sa résistance, il n’a pas craint d’invoquer
contre eux le concours et l’assistance de l’autorité, de
les poursuivre par les voies correctionnelles et crimi
nelles, de leur faire subir une longue prisoif préventive,
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
291
de les traîner soit devant les tribunaux civils, soit de
vant les tribunaux administratifs, dans des luttes inces
santes et dispendieuses, qui ont été pour eux une source
de ruine et de misère ;
a Qu’une usurpation si flagrante, si longtemps pro
longée, soutenue par de si coupables manœuvres, et
dont les fastes judiciaires n’offrent peut-être pas d’exem
ple, impose aux magistrats le devoir de déployer une
juste sévérité dans l’adjudication des dommages-intérêts
réclamés de ce chef. »
522. — L’action en dommages-intérêts ne peut être
intentée et poursuivie que contre l’auteur du dol. Elle
ne saurait, dans aucun cas, atteindre celui qui se se
rait substitué dans la possession de la chose ayant fait la
matière du contrat primitif, si ce dernier a traité avec
bonne foi.
Conséquemment, et alors même qu’il s’agirait d’un
objet soumis à revendication, et que le tiers-acquéreur
serait cité en commune exécution du jugement à inter
venir, cette commune exécution ne saurait être requise
au chef qui condamnerait l’auteur du dol à une répara
tion pécuniaire. Il en serait autrement si le tiers-déten
teur s’était rendu complice du dol. Nous avons déjà dit
que cette complicité résulterait non-seulement de la si
mulation du titre qui lui a transmis l’objet revendiqué,
mais encore de la simple connaissance de l’origine des
droits de son cédant. La preuve de l’une de ces circons
tances obligerait le tiers à restituer la chose revendi-
�TRAITE
quée, et en outre à payer les dommages-intérêts aux
quels il pourrait être conjointement condamné.
523. — En matière de vente d’objets mobiliers, l’au
teur du dol peut ne pas être connu. C’est ce qui peut se
réaliser lorsqu’un acquéreur trompé revend lui-même
de bonne foi à un tiers la chose qui lui a été transmise
par dol.
Le possesseur ne connaît que celui qui lui a transmis
la chose, il ne peut donc poursuivre la réparation qui
lui est due que contre ce dernier.
Mais cette réparation sera ordonnée d’une manière
bien différente, selon qu’elle est requise contre l’auteur
du dol ou contre le vendeur immédiat. La bonne foi de
celui-ci ne laisse à sa charge que les dommages-intérêts
résultant de la privation de la chose elle-même : Propler rem ipsam non habilam, tandis que l’auteur du dol
serait tenu intégralement du préjudice occasionné direc
tement par son fait.
Il importe donc au possesseur de le connaître. Son in
térêt lui en fait même un devoir. Il a donc le droit
d’exiger de son vendeur qu’il lui déclare le nom de
celui de qui il tenait lui-même la chose, qu’il lui in
dique les circonstances pouvant établir ou faire présu
mer le dol ; en cas de refus, il a le droit de soutenir et
de prouver que ce refus n’est pas sincère, qu’il n’a été
dicté que par une connivence coupable avec l’auteur du
dol. Celte preuve peut être orale, car dissimuler sciem
ment en pareille matière, c’est se rendre complice du
dol ; car cette dissimulation ne peut avoir d’autre objet
�DU DOD E T D E LA F R A U D E .
293
que d’assurer l’impunité au coupable et de concourir
ainsi à la consommation du dol.
Si le vendeur interpellé donne les renseignements de
mandés, le tiers-acquéreur pourra actionner directe
ment le premier possesseur, sans mettre en cause celui
de qui il tient lui-même la chose. Que le premier ven
deur soit tenu envers le tiers, c’est ce qui ne saurait être
contesté. Il suffit qu’un dol ait été commis, pour que ce
lui qui en a été victime ait le droit de poursuivre, con
tre son auteur, la réparation du préjudice qu’il éprouve.
Qu’importe que celui qui a traité avec l’auteur du dol
ait évité lui-même tout dommage en revendant la chose
qu’il avait achetée. Celui-ci, comme l’enseignent Du
moulin et Pothier, ne saurait trouver dans cette revente
un moyen de s’exonérer de la responsabilité qui pèse
sur lui. D’autre part, celui qui a revendu a cédé, avec
la chose elle-même, stous les droits qu’il aurait pu faire
valoir à son endroit. Le cessionnaire peut donc les uti
liser comme son cédant aurait pu le faire lui-même.
Mais l’action intentée contre l’auteur du dol libère le
possesseur intermédiaire de toutes les conséquences de
la revente, même de l’obligation de restituer le prix qu’il
a reçu. Sans doute celui quia souffert du dol a une dou
ble action à exercer : l’une contre son vendeur immé
diat, l’autre contre l’auteur du dol. Mais ces deux actions
s’excluent l’une l’autre, et la poursuite de la dernière
épuise les droits du demandeur. Que pourrait-il deman
der contre celui qui, de bonne foi, a traité avec lui? La
restitution du prix, les dépenses faites pour opérer le
remplacement de la chose qui a péri. Or, tout cela, il
�294
tra ité
peut l’exiger et doit l’obtenir de celui qu’il a préféré
attaquer. En effet, alors même que celui-ci justifierait
de sa bonne foi, il ne serait pas moins tenu du dommage
propter rem ipsam non .habitant, et, nous l’avons dit,
ce dommage comprend les deux articles que nous ve
nons de rappeler.1
Ainsi le plaignant peut, à son choix, exercer l’une ou
l’autre des deux actions qui lui sont ouvertes. Mais, ce
choix fait, il ne serait plus recevable à revenir contre
celui qu’il aurait d’abord négligé, excepté qu’il s’agît de
l’auteur du dol. A plus forte raison en serait-il ainsi dans
le cas où l’auteur du dol n’était pas connu au moment où
le procès contre le vendeur intermédiaire a été poursuivi.
Sa découvertepostérieure donnerait contrelui une action
en paiement du solde des dommages que la bonne foi du
défendeur aurait empêché d’allouer au poursuivant.
324. — De la nature du fait motivant la condamna
tion en matière de dol, il résulte :
1° Que l’adj udication des dommages-intérêts doit être
solidairement prononcée contre tous ceux qui sont te
nus comme auteurs ou complices;
2° Que son paiement peut être placé sous la garantie
de la contrainte par corps contre chacun de ceux qui
y sont obligés.
325. — La solidarité est ici la conséquence de l’in1 Dumoulin, de eo quod inlerest, n° 53 ; — Pothier, de la Vente,
nos 216, 2t7.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
295
divisibilité de la cause de l’obligation. Il n’y a, en effet,
dans le principe de l’obligation qu’un fait unique, à
savoir : le dol, c’est-à-dire un ensemble de manœuvres
exécutées dans le dessein de nuire, et ayant occasionné
un préjudice. Il est donc impossible, soit matérielle
ment, soit intentionnellement, de décomposer ce fait et
de déterminer les proportions dans lesquelles il sera im
putable à chacun de ceux qui y ont concouru. Telle
manœuvre, reprochée à l’un et à l’autre, n’aurait pas
suffi pour caractériser le dol. Ce qui le constitue, c’esl
la réunion de toutes celles qui ont été pratiquées. Le
fait de tous devient donc le fait de chacun, et le fait de
chacun celui de tous. Conséquemment la réparation est
due par tous et par chacun, per tolmn et tolaliter.
Ce caractère créait donc inévitablement la solidarité
qui, du reste, n’a jamais été contestée par personne.
Dumoulin en prend texte pour distinguer le dol de la
simple faute, qui n’oblige ceux qui l’ont commise qu’à
concurrence de la part qui leur estreprochable. Pothier
se contente de l’énoncer comme un principe incontes
table.
326- — La question n’a jamais été débattue sous
l’empire du Code civil. Mais dans les débats qui ont
surgi sur celle de savoir si les quasi-délits obligeaient
solidairement, on a excipé précisément de la doctrine
que nous venons d’établir, pour conclure à l’affirmative
lorsque le quasi-délit a une cause indivisible.
Par suite, la Cour d’Aix a jugé, le 1er mars 1826, que
lorsque la cause du dommage occasionné à une proj
�296
TRAITE
priété est indivisible, il y a lieu de prononcer la solida
rité contre les auteurs du dommage; qu’ainsi dans le
cas où, par la réunion et l’agglomération des vapeurs ou
gaz émanés de plusieurs fabriques, il est causé un dom
mage à la propriété d’un voisin, il peut être prononcé,
pour les dommages-intérêts adjugés à ce dernier, une
condamnation solidaire contre les propriétaires des fa
briques, et cela encore bien qu’on puisse reconnaître
dans quelle proportion exacte chacun des fabricants a
contribué à l’agglomération des vapeurs.
La Cour ayant vu dans le fait imputé aux fabricants
un quasi - délit, sa décision était attaquée en cassation
sous un double rapport. L’acte reproché, disait-on,
était un quasi-contrat et non un quasi-délit. On ne pou
vait donc lui appliquer les principes qui régissent ces
derniers; dans tous les cas, ajoutait-on, la cause du
préjudice étant parfaitement divisible, puisque chacun
des fabricants agissait séparément et isolément, la con
damnation solidaire ne pouvait se justifier, d’autant plus
qu’il était facile de vérifier l’importance relative de la
masse des vapeurs provenant de chaque fabrique.
Mais le pourvoi fut rejeté au rapport de M. Lasagni,
qui rappelait les principes devant préparer la solution
delà difficulté. «Il ne faut pas confondre, disait cet
éminent magistrat, la simultanéité avec l’indivisibilité
du fait; si le fait individuel de chaque fabricant n’était
pas nuisible, la simultanéité de ces faits devenait la cause
du dommage. Or ce ne sont pas les faits individuels et
isolés de chaque obligé, mais la cause elle-même qui
rend indivisible l’obligation.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
l
« De ce que, dans l’espèce, l’obligation résulte d’un
quasi-délit, s’ensuit-il que les juges pouvaient prononcer
une condamnation solidaire? Cette question serait fort
douteuse. La jurisprudence l’a admise en cas de dol et
de fraude, il ne s’agit ici que de faute, et elle n’est as
similée au dol que lorsqu’elle est lourde. Aussi, en cas
de quasi-délit, ne prononçait-on la solidarité que lorsque
le fait imputé était de sa nature indivisible. »
La Cour de cassation reconnut l’indivisibilité qu’elle
fit résulter, en droit, de ce fait qu’à raison des rapports
entre le créancier et. le débiteur, la dette n’est point
susceptible d’une répartition proportionnelle et d’une
prestation particulière. 1
Ce caractère est surtout propre au dol, il ne faut donc
pas s’étonner que de tous les temps et sous toutes les
législations, on ait admis en principe que l’obligation
qui en résulte est indivisible dans la cause, et que dèslors l’exécution doit en être solidairement prononcée
contre tous ceux qui en sont tenus. 8
327. — La contrainte par corps, en matière civile,
est loin d’être aujourd’hui ce qu’elle a été sous les pré
cédentes législations.
Ainsi le droit romain avait laissé les citoyens libres
de la stipuler et de s’y soumettre pour toute sorte d’en
gagements. Elle était de plein droit encourue pour
cause de stellionat et de dol; elle était de plus con-
�298
TRAITÉ
sidérée comme une voie ordinaire d’exécution des ju
gements. Le débiteur condamné, qui n’avait pas satisfait
au jugement, pouvait, après discussion de ses biens,
être contraint par corps, il n’était libéré de cette con
trainte que par la cession des biens. 1
Cet état des choses avait formé pendant longtemps le
droit commun de la France. La seule modification qu’il
eût subi, fut celle introduite par l’article 48 de l’ordon
nance de Moulins, en vertu de laquelle le jugement de
condamnation ne dut plus ordonner la contrainte par
corps, mais i! était loisible au créancier de la faire pro
noncer par un second, si après quatre mois révolus le
débiteur n’avait pas satisfait au premier.
L’ordonnance de 1687 ouvrît une ère nouvelle ,
l’article 4 du trente-quatrième titre abroge formelle
ment l’article 48 de la précédente, et fait disparaître
la faculté d’obtenir la contrainte après quatre mois du
jugement de condamnation. Ce droit est seulement con
servé : 1° contre les tuteurs pour le reliquat de leur
compte tutélaire ; 2° contre tous autres pour les dépens
adjugés, s’ils montent à 200 livres et au-dessus; pour
les restitutions des fruits et pour les dommages-intérêts
au-delà de 200 livres.
Puis l’article 6 fait défense à tous de passer à l’avenir,
aucuns jugements, obligations ou autres conventions
portant contrainte par corps, à tous greffiers, notaires
et tabellions, de les recevoir, et n tous huissiers et
sergents de les exécuter. Encore que ces actes aient été
1 L. 1, Cod. quis bonis rc.derc possunl.
�DU DOL ET DE EA FRAUDE.
299
passés hors du royaume, à peine de tous dépens, dom
mages-intérêts.
Dès cette époque, la règle générale devint l’ex
clusion de la contrainte par corps en matière civile.
Elle ne put être convenue ou prononcée que dans des
cas exceptionnels, formellement prévus par la loi. Les
articles 4, 5 et 7 de l’ordonnance établissent et énu
mèrent ces exceptions.
Ainsi disparut cette arme si puissante que l’avidité
savait si largement exploiter. La liberté individuelle fut
garantie contre la faiblesse des uns et les exigences im
modérées des autres. One règle salutaire et juste fut
substituée à l’arbitraire de tous.
328. — Le Code civil a, sur tous les points, con
sacré le système de l’ordonnance de 1667. Ainsi au
jourd’hui, comme alors, la contrainte par corps n’a lieu,
en matière civile, que dans les cas qui sont ou qui seront
prévus par une loi formelle. En l’absence d’une dispo
sition de ce genre, l’article 2063 fait défense à tous juges
de la prononcer, à tous notaires et greffiers de recevoir
des actes dans lesquels elle serait stipulée, et à tous
Français de consentir de pareils actes, encore qu’ils
eussent été passés en pays étrangers, le tout à peine de
nullité, dépens et dommages-intérêts.
L’article 2065 va plus loin encore ; même dans les
cas prévus par la loi, la contrainte par corps ne peut
être prononcée que pour une somme s’élevant à plus
de 300 francs.
�300
traite
329. — Remarquons que l’article 2059 , qui com
mande la contrainte par corps pour le stellionat, se tait
sur les autres espèces de dol. Ce silence aurait suffi, en
l’état de la disposition de l’article 2065, pour faire re
fuser la contrainte. Mais il a été rompu par l’article 126
du Code de procédure civile, qui permet au juge de
l’ordonner, lorsque les dommages-intérêts dépassent la
somme de 500 francs.
530. — Cet article modifie sous un triple rapport
l’article 2 du titre 54 de l’ordonnance de 1667. D’a
bord, quant à la sanction de la contrainte par corps,
le jugement de condamnation doit aujourd’hui la pro
noncer, tandis que l’ordonnance obligeait le créancier
à la requérir quatre mois après le jugement accordant
les dommages-intérêts, dans les cas prévus.
Ensuite, quant au chiffre de la condamnation, qui
de 200 livres a été porté à 500 francs.
Enfin, quant aux causes motivant la contrainte, l’or
donnance mettait sur la même ligne les dommages-in
térêts et les dépens. La loi actuelle garde sur ceux-ci le
plus complet silence, d’où il faut conclure, en vertu du
principe que la contrainte par corps ne saurait exister
que dans les cas formellement prévus par la loi, qu’on
ne saurait la prononcer en matière de dépens, à quel
que chiffre qu’ils s’élèvent d’ailleurs. C’est dans ce sens
que la jurisprudence s’est constamment prononcée.1
1 V. notamment Cass., 17 janvier 1852 et 50 juillet 1835 ; — I). P .,
52. 1. 79 et 55. 1. 550.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
301
La Cour de Toulouse a même jugé, le 20février 1852,
que la prohibition ne cesse pas de subsister alors même
que les dépens auraient été adjugés à titre de dom
mages-intérêts. L’arrêt considère que les dépens pronon
cés par la loi contre la partie qui succombe ont un carac
tère spécial qu’on ne peut confondre avec les dommagesintérêts; que conséquemment la faculté accordée en ce
qui concerne les dommages ne saurait être appliquée
aux dépens , surtout en matière intéressant la liberté
individuelle; qu'enfin ce serait violer la disposition
prohibitive de la loi, si l’on autorisait la contrainte ,
parce qu’on aurait qualifié de dommages-intérêts une
adjudication que la loi commande comme indemnité
des frais exposés pour la poursuite d’une action recon
nue fondée, et qu’elle désigne elle-même sous le nom
de dépens.1
331. — La contrainte pas corps n’est donc autorisée
que pour les dommages-intérêts proprement dits, ou soit
pour les sommes allouées pour la réparation du préjudice
éprouvé. Doit-on comprendre sous cette désignation la
valeur de la chose dont la restitution est ordonnée?
On a soutenu la négative sur le motif que l’expression
de dommages-intérêts se prend dans l’acception restric
tive et spéciale de ce qui est accordé indépendamment
du principal. C’est, dit-on, ce qu’enseigne l’article 1630
du Code civil, qui distingue formellement, dans les cas
d’éviction, la restitution du prix des dommages-intérêts
1 D. P., 52, 2, 159.
�302
TRAITE
que l’acquéreur évincé ale droit d’obtenir; de là, ajoutet-on, cette conséquence qu’on ne peut confondre ce que
la loi elle-même n’a pas confondu, et que la contrainte
par corps, ne pouvant être appliquée qu’au paiement des
dommages-intérêts, ne saurait être prononcée pour ce
qui concerne la restitution du prix.
Cette opinion, dont la base unique est la disposition
de l’article 1650, ne nous paraît pas devoir être adoptée.
Elle donne à cette disposition une signification que l’es
prit du législateur repousse. Il est vrai qu’il y est fait
mention séparément des dommages-intérêts et de la
restitution du prix. Mais cet état des choses n’a pas
d’autre but que de déterminer l’étendue de la condam
nation, en fixant d’une manière certaine les éléments
qu’elle doit comprendre.
Cet article, d’ailleurs spécial au cas d’éviction, n’est
en quelque sorte qu’une reproduction de l’article 1149,
avec lequel on doit le combiner. Il ne dit en effet, mais
en d’autres termes, que ce que ce dernier a prononcé
sur les dommages-intérêts en général.
Or, aux termes de sa disposition, les dommages-in
térêts comprennent non-seulement le gain dont on a été
privé, mais encore la perlequ’on a pu faire. Quelle peut
être la perte que peut supporter l’acquéreur, soit qu’un
tiers l’évince, soit qu’il obtienne lui-même la rescision
pour cause de dol? Évidemment, et en première ligne,
le prix qu’il a payé et dont il doit obtenir la restitution,
et si cette restitution n’est pas effectuée , il n’aura pas
réellement reçu la juste indemnité qui lui est due.
Dès-lors, pourquoi distinguerait-on entre cette perte
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
303
et les pertes accessoires que peut entraîner l’inexécu
tion du contrat dolosif? N’a-t-elle pas une cause iden
tique? Pourquoi donc admettre un mode différent de
réparation? C’est cependant ce que l’on consacrerait
dans l’opinion que nous combattons, ce qui aboutirait
à un résultat aussi inique que regrettable. En effet,
les pertes occasionnées par l’inexécution du contrat
atteindront rarement le degré d’importance de celle qui
naîtrait du défaut de restitution du prix. C’est cepen
dant pour les premières seules que le législateur au
rait déployé toute sa sollicitude. Il serait allé jusqu’à
autoriser la contrainte par corps, tandis qu’il aurait li
vré la restitution du prix à toutes les chances que la
mauvaise foi pourra multiplier, et cela au moment
même où cette mauvaise foi est prise en flagrant délit !
Cela ne serait ni juste ni rationnel. L’article 1630 ne
peut donc le prescrire. Aussi remarquons que cet ar
ticle ne dit pas à quel titre la restitution du prix doit
être ordonnée. Or, il suffit qu’elle le soit à titre de dom
mages-intérêts pour que la faculté créée par l’article
126 du Code de procédure civile soit ouverte aux ma
gistrats.
Cette interprétation trouve une grave consécration
dans les législations et la doctrine anciennes. Le droit ro
main, comme le droit français, a toujours admis la con
trainte par corps pour la restitution du prix, ainsi que
pour les autres pertes résultant de l’inexécution. Cela
pouvait tenir, sous l’empire du premier, aux idées qu’on
s’était créées sur cette voie d’exécution ; mais en France,
depuis comme avant l’ordonnance de 1667, on n’a ja-
�204
TRAITE
mais cessé d’enseigner et de pratiquer la même règle ;
et ce qui aux yeux des célèbres jurisconsultes de cette
époque devait le faire admettre ainsi, c’est que : Pre
tium rei, et quod interest, idem sunt.
Si le Code civil a voulu s’écarter de cette règle, il
s’en sera naturellement expliqué quelque part. Or, nous
venons de le voir, non-seulement l’article 1630 ne fait
rien présumer de semblable, mais encore c’est l’intention
contraire qui résulte de l’article 1149. Ce que celui-ci
exige, c’est que les parties soient, après la rescision du
contrat, remises au même état où elles étaient avant; c’est
que la personne trompée soit indemnisée intégralement
de toutes les atteintes que le dol a pu porter à sa for
tune. Or, si c’est là le véritable esprit du législateur, il
n’y a plus à hésiter. Il n’est plus possible, en effet, de
diviser les éléments de cette indemnité qui comprend
virtuellement la restitution de tout ce qui a été payé;
et puisque l’indemnité dans son ensemble est accordée
à titre de dommages-intérêts, la contrainte par corps,
autorisée par l’article 126, peut être demandée et or
donnée.
Il est donc encore vrai que pretium rei et quod interest, idem sunt, peu importe que dans la pratique on
établisse une division en réclamant séparément la resti
tution du prix et des dommages-intérêts. Ce mode vi
cieux d’opérer, que nos anciens auteurs reprochaient
aux praticiens de leur temps, ne saurait exercer au
cune influence sur les véritables principes de la ma
tière. Nous les résumons dans cette proposition déjà
consacrée par la jurisprudence : l’existence constatée
�305
DU DDL ET DE LA FRAUDE.
du dol entraîne la nécessité d’une réparation, dont l'exé
cution peut être assurée par la contrainte par corps ;
cette réparation serait incomplète si elle ne comprenait
tout ce que le créancier a déjà payé. Le remboursement
du prix est donc un de ses éléments essentiels et doit
forcément concourir à déterminer le chiffre des dom
mages-intérêts dont il fait essentiellement partie.1
332. — Nous avons déjà vu que l’obligation résul
tant du dol, étant indivisible dans sa cause, emporte
l’exécution solidaire entre tous les débiteurs. Mais cette
solidarité n’est pas de plein droit. Il faut que le créan
cier la réclame, que le juge l’ordonne. Si elle n’a été ni
demandée, ni prononcée, le paiement de la somme,
adjugée à titre de dommages-intérêts, tombe sous l’ap
plication des principes ordinaires, c’est-à-dire que, s’a
gissant d’une somme déterminée, l’obligation se divise
par portions égales entre tous les débiteurs.
Cette observation est importante pour l’application à
faire de l’article 126 du Code de procédure civile. En
effet, la contrainte facultative qu’il autorise est subor
donnée à une condition essentielle, à savoir : que les
dommages-intérêts atteignent le chiffre de 500 francs.
Or, dans le cas où le jugement ne prononcerait pas la
solidarité, il ne suffirait pas que ce chiffre fût dépassé
pour que la contrainte par corps pût être décernée con
tre chacun des débiteurs; elle ne saurait l’être que si la
division de la somme allouée et sa répartition entre les
.
1 Colmar, 7 avril 1821 ; — Sirey, 21,2, 239.
20
�308
TRAITE
debiteurs mettaient au moins 300 francs à la charge de
chacun d’eux. C’est ce qui ressort de la jurisprudence
de la Cour de cassation. Un arrêt du 3 décembre 1827
décide, en termes formels, que le jugement qui con
damne deux individus à 400 francs de dommages-in
térêts, sans leur imposer la solidarité, ne peut prononcer
la contrainte par corps, puisque les dommages-intérêts,
divisibles entre les condamnés par moitié, ne s’élèvent
pas pour chacun d’eux à 300 francs. 1
Remarquons, dans tous les cas, que la contrainte par
corps, autorisée par l’article 126 du Code de procédure
civile, n’est jamais un devoir pour le magistrat. La loi
lui accorde la faculté, et ne lui impose pas l’obligation
de la prononcer. C’est ce qui distingue cette hypothèse
des cas prévus par les articles 2059 et 2060, pour les
quels la contrainte est rigoureusement prescrite.
333. — Au surplus, la faculté créée par l’article 126
n’est pas tellement absolue, qu’elle ne comporte aucune
exception. Il est des cas où cette faculté cesse et où, par
conséquent, la contrainte par corps ne saurait être pro
noncée. Ces exceptions sont déterminées par l’âge,
l’état, la qualité du débiteur :
1° Age. — Les mineurs, avons-nous dit, ne sont
pas relevés de leur dol. Ils doivent donc réparer le pré
judice qui en est résulté. Cependant le législateur n’a
pas cru que cette réparation dût aller jusqu’à compro1 Journal du Palais, année 1827.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
307
mettre leur liberté. Il a cru que, même dans leurs écarts,
on devait tenir compte aux mineurs de la faiblesse
de leur âge, de leur inexpérience et de l’irréflexion qui
n’est que trop souvent le mobile de leur conduite. II les
a, en conséquence, exempté de la contrainte par corps,
môme dans le cas de stellionat.
De la disposition de l’article 2064 du Code civil, on a
conclu que puisque le mineur était affranchi de la con
trainte obligatoire, il devait l’être, à plus forte raison,
de la contrainte facultative. En réalité donc, même en
engageant valablement ses biens, le mineur demeure
absolument incapable d’engager sa personne. Ce prin
cipe est tellement certain en jurisprudence, qu’on a été
jusqu’à décider que la ratification faite par un individu
devenu majeur d’une condamnation avec contrainte par
corps, prononcée contre lui en minorité, est radicale
ment nulle quanta la contrainte.1
Ce que la raison commandait de faire pour les mi
neurs, l’humanité exigeait qu’on le fît pour les vieil
lards. La loi a donc assimilé les septuagénaires aux mi
neurs. Les dommages-intérêts prononcés contre eux ne
donneront lieu à la contrainte par corps que s’ils sont
motivés sur un stellionat.
2° É tat. — Des raisons à peu près analogues à
celles qui militent pour les mineurs, ont fait assigner
aux femmes et aux filles une position spéciale à l’en
droit de la contrainte par corps.
1 Rouen, 15 novembre 1825, D. P., 26,2,73.
�308
TRAITE
Comme pour les septuagénaires, elles ne peuvent y
être soumises que dans le eas de stellionat. Cette limite,
nettement tracée par l’article 2066,exclut la possibilité
de prononcer contre elles cette voie rigoureuse dans au
cun autre cas, et notamment dans celui prévu par l’ar
ticle 126 du Code de procédure civile.
Cependant, cet article étant postérieur à l’article
2066, on s’est demandé s’il n’avait pas introduit un
droit nouveau applicable aux femmes et aux filles. Mais
on a reconnu que le législateur ayant, dans celui-ci,
procédé par voie d’exclusion, avait, par cela même,
exempté les femmes et les filles de la contrainte par
corps non-seulement dans tous les cas actuellement
prévus, mais encore dans tous ceux à prévoir par une
loi future, à moins que cette loi ne les y soumit for
mellement. I/article 126 gardant à cet égard le plus
complet silence, sa disposition ne saurait être appliquée
aux femmes et aux filles que dans les limites de l’article
2066 lui-même.
3° Qualité. — Il est des principes tellement in
diqués par la morale publique qu’on ne peut s’em
pêcher de les observer, alors même que par un oubli
fâcheux le législateur ne les a pas formellement con
sacrés. L’idée, par exemple, d’accorder au père la fa
culté de faire emprisonner son fils, au fils ou au frère
d’exécuter la contrainte contre son père ou son frère,
répugnait à toutes les convenances sociales. Aussi,
malgré le silence que les lois régulatrices de la con
trainte par corps, y compris le Code civil, avaient
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
309
gardé sur ce point, la tendance de la jurisprudence
vers une exception aussi juste n’avait - elle jamais
manqué de se manifester.
La loi du 17 avril 1832 a sanctionné cette exception
et comblé la regrettable lacune que laissaient les pré
cédentes législations. L’article 19 défend à l’avenir de
prononcer la contrainte par corps contre le débiteur:
1° au profit de son mari ou de sa femme ; 2° de ses as
cendants , descendants, frères ou sœurs ou alliés au
même degré.
Cette prohibition est générale, elle comprend les cas
ide contrainte obligatoire , comme ceux de contrainte
facultative, elle s’applique même aux matières com
merciales.
334. — L’héritier de l’auteur du dol, tenu du
paiement des dommages-intérêts, ne saurait être contraignable par corps , personne ne peut aliéner sa li
berté que par un acte ou un fait émané de sa volonté.
La responsabilité de l’héritier ne va jamais jusqu’à en
courir la peine que son auteur avait méritée. Or la con
trainte par corps, en matière de dol, est une véritable
peine. L’héritier ne peut pas sans doute profiter du dol
de celui qu’il représente, mais, étranger à la faute, il
doit rester étranger à toute autre peine qu’à la simple
restitution par les voies ordinaires.
335. — Avant la loi de 1832, la durée de la con
trainte par corps, en matière civile, était illimitée. Ainsi
tandis que le débiteur commercial était libéré par un
�310
TRAITÉ
emprisonnement de cinq ans, le débiteur d’une dette
ordinaire était obligé d’attendre dans les prisons sa
soixante-dixième année, s’il n’obtenait avant sa liberté
par un des moyens prévus par l’article 800 du Code de
procédure civile.
Cette anomalie étrange, cette sévérité outrée a fait
place à un régime plus humain et plus juste. L’article
7 de la loi du 15 avril veut que la durée de la contrainte
civile soit fixée par le jugement qui la prononce. Cette
durée varie d’un à dixanspour la contrainte obligatoire,
d’un an à cinq ans pour la contrainte facultative, ou
lorsqu’il s’agit de fermage des biens ruraux, aux cas
prévus par l’article 2062 du Code civil.
SECTION II. — DOL DANS LE MARIAGE.
SOMMAIRE.
336. L’importance et la grandeur du mariage expliquent la
protection spéciale dont la loi l’a entouré.
337. Dol nombreux dont il est l’occasion.
338. Que pouvait, que devait faire le législateur?
339. Exceptions au principe de l’indissolubilité du mariage.
�340. Age des parties contractantes. Consentement des pa
rents.
341. Les précautions prises à cet égard et la sanction pénale
qu’elles ont reçues ne pouvaient s’étendre au dol des
époux ou de leur famille.
342. Exemple d’un mariage simulé pour acquérir des avan
tages conventionnels ou testamentaires. Questions
qui en naissent.
343. Solutions qu’elles ont reçues dans un arrêt fort remar
quable de la Cour d’Aix.
344. Remarques et observations du directeur du Journal du
Palais.
345. Elles n’infirment en rien l’autorité de l’arrêt et l'appli
cabilité de la doctrine.
346. En ce qui concerne les époux, il n’y a pas de mariage
lorsqu’il n’y a pas eu de consentement spontané et
libre.
347. Faut-il appliquer à ce consentement les règles pres
crites par larticle 1109 ?
348. Disposition de l’article 180; n’a-t-il eu en vue que l’er
reur sur la personne physique.
349. Arrêts ayant admis des analogies.
350. Opinion conforme de Toullier.
351. Réfutation.
352. Le dol ayant déterminé le mariage ne peut le.faire an
nuler, mais il pourrait motiver la séparation de corps.
353. La séparation ne saurait être refusée au conjoint ayant
épousé par erreur une personne condamnée à une
peine afflictive et infamante.
354. Quid si la peine a entraîné la mort civile ?
355. Délai de l’action en séparation.
356. Le dol exercé sur les conventions matrimoniales produit
les mêmes effets que dans les contrats ordinaires.
357. Impuissance. Différence entre l’Eglise romaine et
. française, quant à ses effets.
358. A dater du douzième siècle, l’Eglise romaine elle-même
admit la. nullité en principe. Mais difficulté sur le
mode de preuve.
». ; ;( h ;
�312
TRAIT®
359. Utilité de ce coup d’œil historique.
360. Justice de la nullité du mariage célébré par l’impuis
sant.
361. Motifs qui la firent repousser par les auteurs du Code.
362/ En est-il de même pour l’impuissance accidentelle ?
363. Opinion affirmative de Toullier.
364. Réfutation.
365. Résumé de la matière.
556- — Le mariage est un des actes les plus im
portants, les plus solennels de la vie. Son but est net
tement tracé dans les paroles du célèbre Portalis le dé
finissant : La société de l’homme et de la femme qui
s’unissent pour perpétuer leur espèce, pour s’aider par
des secours mutuels à porter le poids de la vie, et pour
partager leur commune destinée.
La grandeur de ce but explique et justifie suffisam
ment la protection spéciale dont le mariage a été l’objet
de la part des diverses législations qui se sont succédées,
les formes imposantes qui l’ont sans cesse entouré. Mais,
il faut le dire avec regret, elle n’a pu le défendre contre
les manœuvres déloyales qui servent quelquefois à le
préparer.
537. — Il n’est, en effet, aucune matière où le dol
puisse être, et soit plus largement exploité. Ici la sain
teté du lien n’a pu empêcher qu’il ne devînt l’instrument
d’une vile, d’une odieuse spéculation ; là les promesses
les plus séduisantes , les manœuvres les plus hardies
pour donner le change sur l’état de fortune des futurs ;
on a même vu des personnes qui, pour persuader de
leurs ressources , obtiennent et produisent des baux
�fictifs à l’aide desquels des immeubles, en réalité peu
importants, paraissent produire des revenus considé
rables.
D’autre part, que d’efforts, que de mensonges pour
déguiser la véritable condition des parties contrac
tantes. C’est sous les dehors de la plus austère piété,
de la vertu la plus sévère, que se cachent la débauche
et l’inconduite. Des forçats, portant sur leur épaule le
signe indélébile de leur honte, ont osé souiller de leur
contact des familles honorables, au sein desquelles les
ont introduits les plus infâmes artifices.
Eh puis! le mariage célébré, le voile tombe, la for
tune s’évanouit; cette parole, dont le doute eût paru
une injure pour la famille dans laquelle on va entrer,
n’a été qu’un piège ; les qualités recherchées ont dis
paru. Restent la confusion, les regrets, et quelquefois
la honte d’un lien qu’on ne cessera de maudire, heureux
encore si un mariage, sortable sous plus d’un rapport,
n’a pas enchaîné la force et la santé à la maladie ou à
l’impuissance; le vivant au cadavre.
558. — Quel parti devait prendre le législateur
contre de pareilles éventualités? S’il eût pu obéir aux
inspirations qu’elles font naître, il n’eût pas hésité à
dissoudre les liens ainsi formés. Mais la matière était
trop grave pour pouvoir permettre d’obéir à ce senti
ment équitable et juste. L’importance du mariage, la
position des époux, les conséquences naissant pour cha
cun d’eux de sa célébration, tout commandait une salu
taire, une extrême prudence.
�MA
TRAITE
Le mariage touche, en effet, aux intérêts sociaux les
plus élevés. Il est la source des familles qui, suivant
l’expression de M. Portalis, sont la pépinière de l’État.
Sa célébration, solennisée par la loi civile, est consa
crée par la religion elle-même. C’est sous la double
égide des préceptes humains et sacrés que se place la
nécessité de sa stabilité; laisser celle-ci floter au gré des
passions et des événements produits par la mauvaise
foi, c’était autorise]- une atteinte à tout ce que l’homme
doit respecter et honorer.
D’ailleurs, que, dans les transactions ordinaires, la
loi prononce la nullité du contrat, il lui est facile de re
mettre les parties au même état qu’auparavant. Pouvaitil en être ainsi pour le mariage? La cohabitation, qui en
a été une conséquence immédiate, n’aura-t-elle pas pour
l’un des époux les effets les plus déplorables? L’épouse
trouvera-t-elle un autre établissement , à peine sortie des
bras de celui qui l’a délaissée? C’est donc un avenir
plein de douleurs et de regrets que lui préparait l’an
nulation de son mariage. Et puis, si cette cohabitation
a laissé des traces, quelle sera la position des enfants à
naître de ce funeste lien? Seront-ils condamnés à gémir
d’une faute qui leur a été étrangère, eux, orphelins
avant leur naissance, quoique conçus sous l’égide d’un
lien autorisé par la loi et béni par la religion?
Eh ! ce serait souvent pour un intérêt pécuniaire
qu’on irait braver tant et de si graves inconvénients,
alors même que le conjoint serait fort innocent de la
déloyauté de sa famille ! Évidemment ce qui aurait été
juste pour l’un des époux, serait devenu pour l’autre
�DU DOU ET DE LA EUAUDE.
315
une cruauté injustifiable. Aussi a-t-on préféré, et l’on
devait le faire, s’arrêter au principe de l’indissolubilité
du mariage, se reposant, d’un côté, sur les précautions
que l’intérêt de chacun commande de prendre avant de
le conclure, et de l’autre sur l’amour du père de famille.
Personne, en effet, ne peut se le dissimuler, déterminer
un mariage, à l’aide d’un des moyens que nous avons
indiqué, c’est jouer le sort de son enfant sur un coup de
dé. Le désapointement qui naît de la découverte du dol,
le ressentiment que souvent on en éprouve, compromet
le bonheur des époux et trouble la tranquillité du mé
nage. Peut-être est-ce là qu’il faut trouver la cause d’un
si grand nombre de mariages malheureux.
539. — Cependant le principe de l’indissolubilité du
mariage a reçu quelques exceptions. Malgré les con
sidérations qui précèdent, le législateur s’est, dans
certains cas, prononcé pour l’annulation du lien. Mais,
en examinant chacune de ces hypothèses, on peut se
convaincre qu’un intérêt général et public exigeait une
pareille détermination. Il n’y a, en effet, nullité que
lorsque le mariage a été contracté contrairement aux
prescriptions relatives à l’âge des parties, à la publicité
de sa célébration, aux consentements requis, aux em
pêchements de consanguinité. Or le maintien de ces
prescriptions est incontestablement d’ordre public.
540. — L’État ne saurait voir avec indifférence tout
ce qui tient à la reproduction de sa population. Il lui
appartenait donc de régler l’âge auquel on pourra con-
�316
TRAITE
sentir un mariage sans préjudice pour lui, sans danger
pour les époux eux-mêmes. Les formes qui entourent le
mariage deviennent le plus sûr garant de l’exécution de
la volonté du législateur, il ne pouvait donc en laisser
l’observation au gré des caprices des parties. Enfin, son
devoir le plus impérieux était de veiller à ce que des
unions contractées contre le vœu du père de famille ne
vinssent point fouler au pied les droits de la puissance
paternelle et d’empêcher celles que la nature reprouve
et que la morale condamne.
Or, comment obtenir ce résultat autrement que par
une sanction pénale énergique contre ceux qui auraient
contrevenu aux dispositions prises à cet effet? La nullité
du mariage a donc été sanctionnée. Mais que de pré
cautions pour rendre en quelque sorte impossible eette
pénalité! Qu’on jette un coup d’œil sur les devoirs im
posés à l’officier public, sur les justifications qu’il doit
exiger avant de procéder à la célébration, et dont la vio
lation ou l’oubli est de nature à être puni d’une peine
corporelle. En faisant de ce fonctionnaire le complice
obligé des contraventions commises par les époux, la
loi a, par cela même, rendu ces contraventions fort dif
ficiles. Aussi voyons-nous que si les tribunaux ont eu
quelquefois à les réprimer, c’est qu’il s’agissait de ma
riages célébrés à l’étranger et souvent dans l’unique but
de se soustraire aux exigences de la loi française.
La loi a donc été conséquente au but que nous avons
indiqué, à savoir : de laisser au mariage ce caractère
d’indissolubilité et de stabilité qui en est l’essence. Si
des raisons graves l’ont déterminée à admettre quelques
�DO DOL ET DE I.À FUAUÜE.
317
exceptions, elle ne l’a fait qa’après avoir confié à ses
agents la faculté et le devoir de prévenir la réalisation
des faits qui les constituent, et rendu ainsi sinon tout
à fait impossibles, du moins extrêmement rares les oc
casions d’appliquer la peine réservée à ces exceptions.
341. — Mais contre le dol des époux, de leur fa
mille, la loi ne pouvait prendre aucune précaution.
Aussi n’a-t-elîe voulu le punir que dans des limites ex
trêmement bornées. C’est ce dont nous allons nous con
vaincre en parcourant les diverses hypothèses dans les
quelles ce dol peut se réaliser.
342. — Avant d’entrer dans l’examen des effets du
dol dans la préparation et dans la célébration du ma
riage, nous devons parler d’un cas dans lequel le ma
riage n’est qu’un moyen dolosif pour acquérir des avan
tages conventionnels ou testamentaires dépendants de
son existence.
Exemple : Paul a légué à Pierre une somme plus ou
moins importante, à condition qu’il se mariera. Pierre,
désireux de cumuler les douceurs du célibat et les profits
du legs, contracte un mariage. Ce mariage a toutes les
formes extérieures requises. Cependant, au fonds, il n’a
rien de réel. Concerté entre les deux prétendus époux,
il est aussitôt rompu que formé et ne reçoit aucune exé
cution. Cependant Pierre, prétendant avoir rempli la
condition exigée, demande la délivrance de son legs.
Cette demande doit-elle être accueillie?
Cette hypothèse, qui paraît purement imaginaire,
s’est cependant présentée, ainsi que nous allons le voir.
Elle offre à décider la question de savoir si des tiers
�peuvent quereller de simulation un mariage non atta
qué parles ayant-droit et si, en supposant l’affirmative,
les tiers sont dans l’obligation d’en faire prononcer la
nullité pour se refuser à remplir la convention subor
donnée à son existence.
a
m
»
« I
543. — La solution de ces deux questions se trouve
consacrée dans l’espèce suivante, jugée par la Cour
d’Aix, le 4 mars 1813 :
« En 1753, testament de Nicolas-Thomas Ardizzoni,
avocat à Taggio, en Ligurie, par lequel il lègue l’usu
fruit de ses biens à sa femme, en la chargeant de cons
tituer à ses filles, non encore mariées, une dot conve
nable et, au surplus, institue pour son héritier Jean
Ardizzoni, son fils, médecin.
« 11 faut observer que, suivant les lois liguriennes, la
dot, constituée aux filles par testament, ne leur était
acquise que par leur mariage ; à défaut de mariage, elles
n’en avaient que l’usufruit et le fonds demeurait propre
aux mâles.
« En 1765, la veuve Ardizzoni fit aussi son testa
ment, par lequel elle institua pour son héritier le même
Jean Ardizzoni, son fils; et, en vertu des pouvoirs à elle
donnés par son mari, elle constitua à chacune de ses
fdles, Jeanne et Brigitte, non encore mariées, une dot
de 5,000 francs, argent de Gênes hors banque, dont, au
cas où elles ne se marieraient pas, elle leur interdit la
disposition au profit de tout autre que leur frère ou ses
héritiers, sauf une somme de 200 francs pour le salut
�DU D OL IiT DE LA F R A U D E .
319
de leur âme. Cette disposition fut approuvée le même
jour par Jean Ardizzoni, héritier institué.
« Celui-ci fit aussi son testament en 1768.11 légua
l’usufrui t de ses biens à sa femme et à Brigitte, sa sœur,
institua ses trois (ils ses héritiers, ordonna que sa fem
me et sa sœur demeureraient avec ses enfants, à peine
de déchéance de l’usufruit légué, et, en cas de mariage
de l’une ou de l’autre, ou de leur séparation d’une ma
nière quelconque d’avec ses enfants, il les réduisit à leur
dot respective.
« Jean Ardizzoni a survécu longtemps à son testa
ment. En 1791, il souscrivit une obligation sous seing
privé d’une somme de 500 francs au profit de Jeanne,
sa sœur, alors veuve d’un sieur Boëri, et celle-ci est
morte après avoir fait un testament par lequel elle
avait institué pour son héritière Brigitte, sa sœur.
« Jean Ardizzoni n’est décédé qu’en 1795- Deux ans
après, Brigitte a quitté ses neveux, au moyen de quoi
elle a perdu la portion de l’usufruit qui lui était léguée
et s’est trouvée réduite aux seuls intérêts de la dot, car,
n’étant pas mariée, elle ne pouvait en exiger le fonds.
« Pour vaincre cet obstacle, voici à quel moyen elle
eut .recours.
« Le 29 octobre 1798, il fut célébré ou il parut se
célébrer un mariage entre Brigitte et un nommé Luc
Admirant!, mendiant de profession. Cet homme était
alors malade dans un hôpital. Il fut représenté à la célé
bration par un sieur Carli, prêtre, en vertu d’une pro
curation portant, outre ce pouvoir, une cession de droit
ainsi conçue : « E t comme ledit Admiranti ne veut pas
�320
t k a it é
se mêler du recouvrement de la dot, drois dotaux et
legs pieux qui compétent à la future, il cède et trans
porte audit sieur Carli, présent et acceptant, tous les
droits, raisons et actions qui lui compétent ou peuvent
lui compéter, soit à l’égarcl de ladite dot, soit à l’égarcl
desdits droits dotaux et legs pieux, en le subrogeant à sa
place en ses droits et en le constituant, par procuration,
son procureur ad votim et cum libeua tanqeam et
alter ego, en sorte qu’on ne puisse lui opposer le défaut
d’aucun pouvoir. »
« Il paraît constant que Brigitte n’a jamais vu son
prétendu mari, qui a continué son métier de mendiant
et qui est mort en 1800.
« Les choses sont restées en cet état jusqu’en 1807,
époque à laquelle Brigitte, se disant veuve Àmiranti,
fait assigner ses neveux au tribunal de première ins
tance de San-Bemo pour se voir condamner à lui payer :
1° la somme de 5,000 francs, monnaie de Gênes, avec
intérêts; un trousseau ou sa valeur; 2° la portion de
l’usufruit à elle léguée par son frère depuis le 7 mars
1795 jusqu’au jour de son mariage ; 5° 1,600 francs qui
restaient dus sur la dot de sa sœur Jeanne, dont elle était
héritière instituée; 4° les 500 fr. à elle dus suivant le
billet souscrit à son profit par le défunt Jean Ardizzoni.
« Ses neveux l’ont soutenue non recevable sur tous
les chefs. Ils ont surtout révoqué en doute le mariage;
mais elle a rapporté l’acte de sa célébration, ils l’ont
alors querellé de simulation et de fraude. Condamnés en
première instance, ils émirent appel et reproduisaient
devant la Cour les moyens repoussés par le tribunal.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
321
« Au système de simulation et de fraude dans le ma
riage, l’intimée répondait : On ne peut contester un
mariage célébré dans les formes prescrites par les lois
du pays où il a été contracté; le soutenir simulé sans
l’arguer de nullité, c’est une contradiction... La coha
bitation des époux n’est pas essentielle au mariage;
c’est un contrat qui se forme par le seul consentement,
et le défaut par les parties d’accomplir les obligations
qu’il impose n’annulle ni n’altère le lien qui n’en existe
pas moins. En dernière analyse, le mariage est un acte
de l’état civil qui ne peut être simulé ni querellé comme
tel. Il suffit qu’il existe et qu’il soit prouvé' par écrit,
pour réaliser la condition des libéralités faites dans le
cas où il y aurait mariage. »
i Ces prétentions, combattues par l’éloquent Manuel,
furent rejetées par la Cour. L’arrêt qui intervint décida,
contrairement à ce qu’avait admis le premier juge,
qu’un mariage peut, sans être annulé, être déclaré frau
duleux et simulé, et, comme tel, incapable de donner
ouverture aux avantages testamentaires ou convention
nels dont il a été la condition. Voici, en droit, les motifs
de cet arrêt :
« Considérant que dans le statut ligurien les dots
des filles leur tenaient lieu de tous les droits et pou
vaient être grevées de toutes chages par le constituant;
que celle réclamée par la veuve Amiranti devenait pro
pre à ses neveux dans le cas où elle garderait le célibat,
sauf la réserve de deux cents francs pour le salut de son
âme ; que la partie de l’usufruit léguée à ladite veuve
par son frère, et qui devait cesser dans le cas où elle
21
i
�322
TRAITE
quitterait ses neveux ou se marierait, ne l’a point af
franchie de la condition qui lui était imposée par la
mère commune, ni pu lui donner la propriété de sa dot,
assurée à ses neveux dans le cas où elle ne se marie
rait pas ; qu’il reste donc à examiner si cette condition
a été remplie.
« Considérant qu’il faut distinguer la validité du
contrat et son efficacité ; que les appelants seraient non
recevables à contester la validité du mariage de leur
tante dès l’instant qu’il est régulier; mais ils peuvent
avec succès lui refuser l’efficacité quant à la condition
pour laquelle il était nécessaire, lorqu’on en excipe
contre eux ; que c’est un principe de droit commun qui
était en vigueur dans la ci-devant Ligurie, que conIrcictus imaginarii juris vinculum non oblinent, surtout
à l’égard des tiers dont ces contrats simulés blessent
les intérêts; que bien loin que cette règle soit étran
gère aux mariages et aux divorces, elle est au con
traire appuyée sur divers textes des lois romaines. La
loi 30, Dig. de rit. nupt., a dit : Simulalæ nuptiœ nullius suntmomenti ; la loi si filius, Dig. de divorliis, porte
aussi : Imaginaria répudia et simulata nullius sunl mo
ment!; la raison en est donnée par la loi 5, Dig. de divortiis, c’est qu’il n’y a pas intention de réaliser une
séparation éternelle, tout comme il n’y a pas réellement
mariage, là où les deux époux n’ont pas eu l’intention
de s’unir pour toujours.1 »
1 Journal du Palais, t. n, p. 179.
�DD DOD ET DE LA FRAUDE.
323
344. — M. Ledru-Rolliu se demande, à la suite de
cet arrêt, pourquoi, sous la législation qui nous régit,
un mariage ne pourrait pas, comme tout autre acte,
être déclaré dolosif ou frauduleux, si les circonstances
prouvent que les parties n’ont pas eu réellement l’in
tention de s’unir et de vivre ensemble dans la société
conjugale ; si elles établissent que les formes et les cé
rémonies n’ont véritablement été qu’une comédie,
qu’une feinte employée pour faire arriver ostensible
ment la condition d’un legs, d’une donation? N’est-il
pas clair, poursuit ce jurisconsulte, que dans ce cas
l’intention du testateur ou du donateur n’a point été
remplie; que le fait prévu n’est pas réellement arrivé
et qu’on n’a eu d’autre but que de profiter de la libéra
lité, en trompant, en éludant la condition? Pourquoi
alors, sans déclarer le mariage nul, ne pourrait-on pas
le priver de l’effet qu’on a voulu lui faire produire par
fraude?
D’un autre côté, continue M. Ledru-Rollin, comment
ne pas être effrayé des dangers que peut présenter l’in
vestigation nécessaire à laquelle les juges devront se li
vrer de la vie intime des deux époux, des causes qui
auront pu donner naissance au mariage et motiver en
suite une séparation? N’est-il pas à craindre qu’à l’in
tention présumée des contractants, les juges ne subs
tituent leurs propres passions et même leur opinion?
345- -- Quelques puissantes que soient ces derniè
res considérations, elles ne nous paraissent pas de na
ture à faire résoudre la difficulté dans le sens contraire
�324
TRAITÉ
à celui de l’arrêt que nous venons de transcrire. Chacun
a le droit de se mettre à couvert du dol de quelque ma
nière qu’il se manifeste, fût-ce même par un mariage, et
de là naît, pour le magistrat, le devoir et l’obligation de
le réprimer partout où il le découvre. Dans toutes les
hypothèses, en effet, le préjudice est le même pour ce
lui qui doit en souffrir. Lui refuser, dans tel ou tel cas,
la réparation qui lui est due, ce serait le punir de l’ex
cès de précaution déployé par son adversaire et con
sacrer une injustice flagrante.
Qu’on veuille bien le remarquer d’ailleurs, les con
sidérations qui militent en faveur de l’indissolubilité du
mariage, ne peuvent, dans ce cas, subir aucune atteinte.
Il est, en effet, entendu que non-seulement le mariage
ne sera pas annulé, mais encore que toute attaque con
tre sa validité serait irrecevable. Celui-là donc qui au
rait contracté un lien honteux pour acquérir par des
voies illégitimes un avantage quelconque, resterait à
tout jamais sous le joug qu’il se serait forgé. Il suffit aux
tiers intéressés de faire prononcer que cet acte sera sans
effet contre eux pour conserver la possession des biens
qu’on voulait leur arracher.
Le juge ne doit donc pas hésiter, lorsque, à l’aide des
moyens que la loi lui donne, il a acquis la conviction
de la simulation du mariage, à protester énergiquement
contre ce dol; et, tout en respectant le mariage, à le
priver de l’effet qu’on a voulu lui faire produire. Telle
est aussi l’opinion de M. Ledru-Rollin, et, ce qui le
prouve, c’est l’adhésion entière qu’il donne à l’arrêt de
la Cour d’appel d’Aix; il ne l’approuverait certes pas
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
325
s’il croyait qu’il renferme une violation de la loi qui
nous régit.
Il est vrai que les magistrats qui l’ont rendu invo
quent soit le statut ligurien, soit les textes de la loi ro
maine, mais ils ne cherchent dans le premier que les
principes sous l’influence desquels on devait ranger les
droits de la demanderesse sur sa dot, droits qui s’é
taient ouverts avant la promulgation du Code civil, et
dans un pays alors étranger; ils ne demandent au se
cond qu’une règle d’interprétalion de la volonté de
notre législateur, lequel, ayant virtuellement consacré
le principe que les contrats simulés ne peuvent pro
duire aucun effet contre les tiers, s’est par cela même,
et quant aux conséquences de ce principe, approprié
les dispositions du droit romain relativement au ma
riage.
Nous conviendrons sans peine que, dans l’applica
tion, le système consacré par l’arrêt offrira beaucoup de
difficultés. Indépendamment de celles que présente
toujours un procès en nullité pour dol, on en rencon
trera bien d’autres lorsqu’il s’agira d’apprécier si un
mariage est ou non simulé, mais la prudence des ma
gistrats saura dans tous les cas faire bonne et exacte
justice. Ils ne perdront jamais de vue que la preuve
même de la simulation ne saurait être admise que lors
que son existence est rendue vraisemblable par un en
semble de faits significatifs comme l’étaient ceux de
l’espèce jugée par la Cour d’Aix. Il ne suffirait donc pas
que le mariage eût été suivi d’une séparation immé
diate des deux époux, il faudrait en outre que les anté-
�326
t r a it é
cédents, que la position des parties vinssent indiquer
le véritable caractère de cette séparation, et prouver
ainsi le concert des deux époux et conséquemment la
simulation du mariage.
346. — En ce qui concerne les époux eux-mêmes,
il n’y a de mariage valable que celui qui est librement
consenti par chacun d’eux. L’article 146 du Code civil
assigne au mariage le caractère que lui reconnaissait
la loi romaine : Nuptias non concubitus, sed consensus
facitd
Il n’y a donc pas réellement de mariage s’il n’y a pas,
de la part de chacune des parties, un consentement
éclairé, spontané et libre.
347. — Faut-il appliquer au mariage la disposition
de l’article 1109 et décider la nullité lorsque le consen
tement n’a été donné que par erreur, ou lorsqu’il a été
surpris par dol, ou extorqué par violence?
En droit commun, le consentement vicié par une de
ces circonstances est jugé incapable de créer un lien
obligatoire. Si donc il fallait examiner l’article 146, sous
l’influence de ce droit, la question que nous avons po
sée devrait se résoudre par l’affirmative.
Mais ici se présentaient les considérations que nous
avons déjà rappelées et qui plaçaient le mariage dans
une catégorie spéciale et exceptionnelle. Nous n’avons
pas à nous occuper de la violence dont l’effet est pour le
1 Loi 30, Dig. de rey.juris.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
327
mariage le même que pour tous les autres contrats. Mais
pour ce qui concerne l’erreur, soit accidentelle, soit
produite par le dol, nous trouvons l’exception parfaite
ment établie par l’article 180 du Code civil. Cet article,
en effet, amène à cette conséquence que le mariage ne
peut être annulé pour cause d’erreur que lorsqu’il y a
eu erreur dans la personne.
La valeur de ces expressions n’était pas douteuse sous
le droit ancien. L’erreur dans la personne ne s’entendait
que de l’erreur sur la personne physique. Il n’y avait
donc nullité que lorsque celle qu’on avait épousée n’é
tait pas celle que l’on voulait épouser.
Toute autre erreur sur les qualités civiles du conjoint
ne produisait aucun effet. C’est ainsi que des mariages
contractés avec des individus morts civilement avaient
été validés par les parlements. 1
3-48. — L’article 180 a-t-il voulu consacrer la mê
me doctrine? Le doute naît de la discussion que l’ar
ticle 146 subit au conseil d’État. Dans le projet primi
tivement présenté, cet article était ainsi conçu : « Il n’y
a pas de mariage sans consentement ; il n’y a pas de
consentement s’il y a eu violence, s’il y a eu erreur dans
la personne que l’une des parties avait eu l’intention d’é
pouser. » Cette rédaction ayant été rejetée, on a voulu
en conclure que l’article 146 se référait explicitement à
l’article 1109. On concluait surtout à une dérogation aux
anciens principes, de cette circonstance que la Cour de
* Pothier, n°‘ 504, 313.
�328
TRAITE
cassation, trouvant l’expression personne beaucoup trop
vague, avait demandé qu’on y substituât celle d’in
dividu. Or, cette substitution, qui réellement inspirait
la pensée d’une erreur physique, ayant été rejetée, il
s’en suivrait, a-t-on dit, que le législateur n’a pas voulu
borner à celle-ci la nullité du mariage.
Mais les mots retranchés dans l’article 146 se retrou
vent dans l’article 180 ; et, malgré que l’amendement de
la Cour de cassation n’ait pas été consacré, cet article
a été interprété, par l’orateur du gouvernement, dans
le sens des anciens principes.
« L’erreur dans le mariage, disait Portalis, ne s’en
tend pas d’une simple erreur sur les qualités, la for
tune ou la condition de la personne à laquelle on s’u
nit, mais d’une erreur qui aurait pour objet la personne
même. Mon intention déclarée était d’épouser une telle
personne; on me trompe, ou je suis trompé par un sin
gulier concours de circonstances, et j’en épouse une
autre qui lui est substituée à mon insu et contre mon
gré; le mariage est nul.1 ®
Il résulte évidemment de ces explications, que sous
l’empire de l’article 180, toutes les fois que la personne
que l’on a épousée est bien celle que l’on a cru et vou
lu épouser, le mariage est inattaquable, alors même que
cette volonté eût été déterminée par une erreur née des
circonstances ou inspirée par le dol sur la véritable
condition, sur les mœurs, la fortune, la qualité de cette
personne. Ainsi celui qui, croyant s’unir à une femme
1 Exposé des motifs.
�DU DOL ET DE I.A EK AUDE.
329
vertueuse, a épousé une infâme prostituée; celle qui,
croyant se donner à un homme honorable , aurait
épousé un forçat, ne saurait faire prononcer la nullité
du mariage. '
349. — Telle est, positivement, la rigueur du prin
cipe. Cependant quelques Cours d’appel s’en sont écar
tées. Ainsi, celle de Colmar a jugé, le 6 décembre 1811,
qu’on pouvait considérer qu’il y a erreur dans la per
sonne capable d’emporter la nullité du mariage, lors
qu’une catholique a épousé un ci-devant moine profès
dont la qualité lui a été céîée. De son côté, la Cour
de Bourges a décidé, le 6 août 1827, qu’un mariage
peut être déclaré nul, lorsque l’un des contractants,
par suite de faux ou de manœuvres frauduleuses, a pris
un nom de famille ou des qualités qui ne lui apparte
naient pas, si d’ailleurs cette double circonstance a été
pour l’autre époux la cause déterminante du mariage.*
Le premier de ces arrêts applique au mariage les
principes généraux en matière de consentement ; le se
cond excipe du rejet de la substitution du mot individus
celui de personne pour en induire que la loi laisse à l’ap
préciation du magistrat les circonstances constituant
l’erreur sur la personne ; il admet que cette erreur exis
te lorsque les manœuvres qui l’ont déterminée ont été
la cause efficace du mariage; en d’autres termes, la
Cour de Colmar se décide par l’article 1109, celle de
1 Ainsi jugé en 1838 par le tribunal civil de la Seine.
* Journal du Palais, années 1811, 1827.
�330
TRAITE
Bourges par l’article 1116, l’une et l’autre ne voient
ainsi dans le mariage qu’un contrat soumis au droit
commun en matière de consentement et de dol.
350. — C’est là, à notre avis, une violation mani
feste de l’article 180. Cependant ces arrêts ont ren
contré des approbateurs. Un de nos plus éminents ju
risconsultes, M. Toullier, a même érigé leur système en
doctrine. Prouvons que cette doctrine ne saurait être
admise et nous justifierons par là même les reproches
que nous faisons à ces deux arrêts.
351. — M. Toullier refuse à l’article 1801e sens que
lui donnait M. Portalis lui-même ; il n’y a pas d’exem
ple, dit-il, d’un mariage contracté par erreur sur l’indi
vidu ou sur la personne physique, car, lorsqu’on se pré
sente devant l’officier de l’état civil pour se marier, on
agrée la personne physique qu’on a devant les yeux.
Conséquemment, réduire la règle à l’erreur sur la per
sonne physique ou sur l’individu, ce serait l’anéantir
presque totalement. L’erreur ne peut guère tomber que
sur la personne morale ou sociale, c’est-à-dire sur les
qualités qui la constituent.
Cependant M. Toullier reconnaît que l’erreur sur la
condition ou le rang qu’une personne tient dans la so
ciété, sa fortune, ses mœurs, son caractère, enfin, sur
son état civil, sa patrie, son nom, sa famille, alors mê
me qu’elle serait le résultat du dol personnel de l’é
poux, n’annulerait pas le mariage, car, dit-il, il n’est
�DU DOL ET DE LA FkAUDE.
331
pas présumable que les époux aient fait de ces qualités
une condition irritante du mariage.
« Mais, continue M. Toullier, l’erreur sur la qualité,
sur le nom, sur la famille, peut quelquefois dégénérer
en erreur sur la personne ou, comme disent les auteurs,
renfermer l’erreur sur la personne; elle peut aussi être
produite par le dol personnel de l’un des conjoints et
être telle qu’il est évident que sans ces manœuvres le
mariage n’eût point été contracté.
« Ainsi, l’erreur sur la qualité renferme erreur sur la
personne lorsqu’il paraît par les circonstances que c’est
la qualité seule qui a déterminé la volonté de l’autre
époux; que cette qualité était une condition tacite, sans
laquelle le mariage n’eût pas été contracté, ce qui ne
peut guère arriver qu’à l’égard d’une personne inconnue
de l’autre époux avant le temps de la célébration du ma
riage. »
Ces derniers mots de M. Toullier renferment la réfu
tation de son système, car ils indiquent nettement que
ce qu’il appelle erreur sur la qualité n’est pas autre
chose que l’erreur sur la personne, ainsi que nous al
lons le prouver. S’il fallait l’entendre autrement, on
devrait arriver à une conclusion contraire à celle que
M. Toullier a tirée.
Le vice de cette dernière est de substituer à la règle
invariable, que la loi a tracée dans l’article 180, l’ap
préciation nécessairement variable du magistrat ; c’-est
ensuite de donner à cette appréciation les éléments que
l’article 1116 impose pour le cas de dol aux contrats or
dinaires.
�332
TRAITE
Or, nous l’avons déjà dit, s’il fallait examiner le ma
riage sous l’empire absolu de cette disposition, on arri
verait à la nullité dans presque tous les cas d’erreur. Il
est difficile, en effet, que dans cette matière l’erreur
n’ait pas été produite par le dol. Comment persuader
que l’on est riche sans invoquer des titres justificatifs,
sans les produire? Comment s’attribuer un nom qui ne
vous appartient pas, une position sociale à laquelle on
n’a aucun droit, si des pièces fabriquées ne venaient pas
ostensiblement justifier cette usurpation? C’est donc par
le faux qu’on arrivera à tromper; n’y eût-il qu’un men
songe, qu’on se trouverait encore en présence de cir
constances telles, que le dol serait incontestable. Le dol
n’existe-t-il pas lorsqu’on dissimule, dans le dessein de
tromper? Qui insidiose dissimulai.
Si donc il fallait s’en référer aux principes généraux,
l’erreur n’étant, dans toutes ces hypothèses, que le ré
sultat du dol, le consentement qu’elle aurait déterminé
serait frappé d’incapacité, et le mariage qui en aurait
été la conséquence devrait être annulé. Le contraire est
cependant enseigné par M. Toullier lui-même. Ne nous
apprend-il pas, en effet, que le lien est indissoluble,
quoiqu’on ait épousé une roturière la croyant noble,
une fille pauvre la croyant riche, une prostituée qu’on
croyait vertueuse? Quoiqu’on ait été trompé, par un dol
personnel, sur le nom, la famille, la patrie du conjoint
qu’on s’est donné ?
Quelle sera donc la qualité sur laquelle l’erreur de
viendra erreur sur la personne? Les diverses hypothè
ses qui viennent d’être rappelées les comprennent tou-
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
333
tes. Aussi M. Toullier admet-il que ce soit l’une d’elles,
mais à condition que la qualité sur laquelle elle a porté
soit telle que la supposition ait été la cause déterminante
du mariage.
Mais cette condition se rencontre précisément dans
les cas pour lesquels M. Toullier admet l’indissolubilité
du lien. Certes l’époux qui demande la nullité du ma
riage pour cause d’erreur, et à qui l’on reprocherait de
n’avoir pas fait, de l’existence de la qualité supposée,
une clause irritante du mariage, répondrait avec raison
que la preuve du contraire se trouve dans sa demande
même ; que la qualité alléguée l’a tellement déterminé
à conclure, que son absence lui fait demander la rup
ture du lien qu’il a formé dans la fausse persuasion de
son existence. Comment, ajouterait-il, puis-je vous
convaincre, que la connaissance de la vérité m’eût em
pêché de traiter, d’une manière plus énergique qu’en
réclamant d’être exonéré de l’engagement né de l’er
reur dans laquelle on m’a jeté?
Au fonds, cette prétention ne serait pas aussi futile
qu’on pourrait le croire. Il est sans doute des cas où la
vérité, connue avant le mariage, n’aurait peut-être pas
empêché sa célébration. Ainsi on peut admettre que
celui qui a épousé une roturière la croyant noble, une
veuve la croyant fille, n’aurait pas renoncé aux autres
avantages que son union lui promet, s’il eût connu la
vérité sur la qualité de sa future. Mais il est d’autres hy
pothèses où les plaintes de l’époux auront toute la force
d’une démonstration.
Une personne se donne un nom et se présente comme
�334
t r a it e
appartenant à une famille très honorable et occupant
une position élevée. Déterminé par les avantages que
je dois trouver dans les relations que le mariage va ame
ner entre cette famille et moi, je préfère cette personne
à d’autres partis plus avantageux sous plusieurs autres
rapports. Dira-t-on que, si j’avais su que mon conjoint
était étranger à cette famille, je n’en eusse pas moins
contracté ce mariage?
Si le mariage n’a été que la conséquence delà fortune
prétendue de l’un des conjoints, devra-t-on présumer
que celui des deux qui a été trompé ne l’aurait pas moins
contracté, alors que, peu fortuné lui-même, il serait
dans l’impossibilité de faire face aux charges que ce
mariage entraîne?
Enfin la présomption que l’on n’a pas ait de la qua
lité une condition irritante du mariage, ne sera-t-elle
pas une injuste et amère dérision pour cet époux hono
rable qui s’est uni à une prostituée impure, lorsqu’il
croyait épouser une femme vertueuse? Pour l’épouse
qui, dans la persuasion d’unir son sort à celui d’un hon
nête homme, se sera associée à l’infamie d’un homme
flétri par la justice et à peine sorti ou échappé du bagne
où l’avaient conduit ses crimes? Peut-il exister, pour
une famille vertueuse, pour un homme d’honneur,
une plus cruelle déception? N’est-il pas mille fois cer
tain que la connaissance de la vérité eût apporté au
mariage l’obstacle le plus invincible? Yoilà donc au
moins une hypothèse qui réalise la condition exigée par
M. Toullier, et cependant lui-même enseigne que dans
ce cas le mariage est indissoluble.
�DU DOI, ET DE LA FEAUDE.
335
Il y a donc, dans le système que nous combattons,
une véritable contradiction qui en prouve le peu de
justesse. Oui, le dol qui a été la cause déterminante du
contrat est une cause de nullité dans les actes ordinaires
de la vie. Mais ce principe reçoit une exception for
melle pour le mariage, et, ce qui motive cette excep
tion, c’est la nature exceptionnelle de ce contrat, son
importance ; c’est que son indissolubilité est comman
dée par l’ordre public, l’intérêt de l’état, par la morale
et la religion.
Eh puis ! ce qui devait encourager le législateur à
l’admettre ainsi, c’estque, dans le cas d’erreur dont nous
nous occupons, s’il y a dol d’un côté, il y a de l’autre
une imprévoyance marquée, une légèreté blâmable.
Pourquoi a-t-on ajouté une confiance aveugle à des allé
gations intéressées? N’est-ce pas au moment de s’enchaî
ner pour toujours qu’il convient de pousser jusqu’à ses
dernières limites cette prudence dont la loi fait dans
tous les cas un devoir? Or, bien souvent, si on avait pris
avant le mariage toutes les peines qu’on se donne après
pour parvenir à le faire annuler, on se serait mis dans
le cas de n’avoir pas à recourir à ce moyen extrême.
Prenons, pour exemple de la vérité de nos paroles ,
l’espèce jugée par la Coui1 de Bourges. Il s’agissait là
d’un aventurier qui prenait la qualité de baron, qui se
disait issu d’une famille honorable et qui avait été agréé,
sur la production des pièces fausses justifiant ses allé
gations. Après le mariage, il disparaît. Alors on va aux
renseignements, et l'arrêt nous apprend lui-même le
résultat qu’ils avaient amenés.
�336
t r a it e
« Considérant : 1° que l’acte de naissance et celui de
notoriété, desquels le prétendu Joseph Ferry était por
teur, le disaient né à Capoue et fils du baron François
Ferry et dame Marie Pozzi, mais qu’aucune famille de
ce nom n’a existé et n’existe encore dans cette ville;
qu’il y est dit baptisé le 10 juin 1785 à Sainte-MarieMajeure de Capoue , mais que les registres baptismaux
de cette paroisse font foi qu’il ne s’y trouve nulle nais
sance de ce nom et de cette origine ; que cet acte de
naissance, délivré le 5 septembre 1810, est signé par
un sieur Bozetti, dit curé de Sainte-Marie-Majeure, mais
qu’il n’y a jamais eu de curé de ce nom, tous lesquels
faits sont attestés par les autorités du lieu dans les for
mes légales, etc...... »
N’est-il pas évident que si les démarches tentées pour
faire prononcer la nullité du mariage avaient été accom
plies avant sa célébration, elles eussent abouti au même
résultat, et que l’aventurier démasqué aurait été hon
teusement chassé? Il y avait donc, dans la confiance
aveugle qui avait accueilli ses paroles et ses titres, une
imprudence, une légèreté véritablement remarquable.
Elle eût été de nature à empêcher d’être relevé d’un dol
ordinaire, h plus forte raison ne devait-elle pas produire
la nullité du mariage. Celui qui avait été épousé était
bien celui qu’on avait eu l’intention et la volonté d’é
pouser. L’erreur et le dol qui avaient déterminé cette
volonté ne rentraient pas sous la disposition de l’arti
cle 180.
Ainsi il ne suffit pas que l’erreur ait été la cause dé
terminante du contrat. Cette circonstance se réalise dans
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
337
bien de cas, et si elle devait entraîner la nullité du ma
riage, les précautions prises par le législateur, pour en
assurer l’indissolubilité, seraient impuissantes et vaines.
Il eût été dès-lors inutile, en l’état de l’article 146 con
sacrant en principe la nécessité du libre consentement,
d’édicter l’article !80 et de restreindre l’erreur qui vicie
ce consentement à l’erreur dans la personne.
Vainement M. Toullier prétend-il que borner cette
disposition à l’erreur sur la personne physique, c’est
tracer une règle inapplicable. Nous répondrons d’abord
que le peu de fréquence de son application est précisé
ment ce que le législateur a recherché. La stabilité du
mariage intéresse la famille, l’état tout entier. On a donc
voulu, avant tout, lui assurer ce caractère, et si l’on ,
s’est départi de cette règle, ce n’a été que dans le cas où
tous les efforts de la prudence humaine ne pouvaient
empêcher l’un des conjoints de devenir victime d’une
coupable substitution. Or c’est ce qui se réalise dans
l’hypothèse d’une erreur sur la personne physique.
Nous répondrons ensuite que cette erreur est surtout
possible lorsque les époux étaient inconnus l’un de
l’autre avant la célébration du mariage. Peu importe
que devant l’officier de l’état civil les époux se soient
vus, si d’ailleurs la substitution a été opérée à l’insu de
l’un d’eux. Ainsi j’accepte pour épouse Jeanne, après
avoir recherché et obtenu la main de Marie. Il y a er
reur dans la personne. Sans doute j’ai vu Jeanne de
vant l’officier de l’état civil, mais, dans celle qui se pré
sentait ainsi à moi, je ne pouvais voir que Marie, celle
que je devais et que je voulais épouser. C’est donc celle22
i
�338
t r a it e
ci seule que j’ai épousée sous une autre individualité, et
c’est ce qui rend mon mariage nul.
Mais si, connaissant Marie, j’avais épousé Jeanne qui
m’était présentée, le mariage serait valable. J’ai pu, en
effet, connaître et apprécier la substitution et, en con
sentant à m’unir à celle qui était en ma présence de
vant l’officier public, j’ai acquiescé moi-même à la
substitution. Je serais dès-lors non recevable à m’en
plaindre.
Au reste, il est facile de se convaincre que c’est à ces
termes mêmes que se résume M. Toullier. En effet, les
exemples qu’il donne de l’erreur sur la qualité ne sont,
à notre avis, que des espèces d’erreur sur la personne.
Les voici :
« Un prince demande la fille aînée d’un autre prince,
héritière de sa principauté. Les parents envoient la fille
cadette et le prince l’épouse, croyant épouser l’aînée.
« Titius, mon ancien ami et mon parent, établi à
Bayonne, a un fils unique que je ne connais point, et
j’ai une fille. Nous formons le projet de les unir, et ce
projet est arrêté. Mais, sur le point de venir à Rennes
pour terminer, mon ami meurt, et cet événement re
tarde le mariage. Six mois après, arrive un jeune homme
qui se dit le fils de mon ami et qui vient pour célébrer
le mariage arrêté. Il est muni des papiers nécessaires,
le mariage est célébré. L’arrivée du fils de mon ami, de
celui à qui ma fille était promise, découvre l’erreur. Il
se trouve que le premier venu est un fils naturel, né
avant mariage et d’une autre femme. Il a, pour nous
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
tromper, falsifié son état de naissance, en y substituant
les mots fils légitime à ceux de fils naturel.1 »
Évidemment, dans le premier cas, ce n’est pas l’er
reur sur la qualité d’héritière qui motive la nullité du
mariage. Ce qui la détermine c’est que le prince n’a
voulu épouser que l’aînée; qu’en épousant la cadette, il
a cru épouser l’autre, qu’il est donc victime d’une subs
titution de personne. On renverserait l’hypothèse que
le mariage n’en serait pas moins nul, si le prince ayant
demandé la main de la cadette, on lui faisait épouser
l’aînée.
Il n’y aurait réellement qu’erreur sur la qualité si le
prince connaissant celle qu’il épouse, l’avait recher
chée dans la fausse persuasion qu’elle était l’héritière de
la principauté de son père. Mais, dans ce cas, la décou
verte ultérieure de son erreur sur ce point n’amenerait
point, de l’avis de M. Toullier, la nullité du mariage.
C’est aussi une véritable substitution de personne qui
se réalise dans le second exemple. Promise à une per
sonne qu’elle a agréée, la future n’accepte la personne
qui se présente à elle que dans la persuasion qu’elle est
véritablement celle qu’elle devait épouser. C’est donc,
mais sous une autre individualité, cette dernière seule
envers laquelle elle a entendu et voulu s’engager; et
c’est pourquoi il y a réellement erreur sur la personne,
et conséquemment nullité du mariage. Le résultat serait
le môme si celui qui a pris une individualité qui ne lui
appartenait pas avait été réellement fils légitime. Il suf' Droit civil, lom. ! , nos 514 el suiv.
ÉÊ»
>RI
�340
TRAITE
tirait qu’il se présentât, non en son propre, mais comme
étant celui à qui la future était promise, pour qu’il y
eût substitution. Ce n’est donc pas la qualité d’enfant
naturel qui fera prononcer la nullité du mariage, mais
bien le fait de la substitution elle-même.
Ainsi, au fonds, ce que M. Toullier qualifie erreur
sur la qualité, n’est que l’erreur sur la personne. Celleci seule est dans le cas de faire dissoudre le mariage.
L’article 180 du Code civil s’est donc conformé aux an
ciens principes.
Ce n’est pas sérieusement que M. Toullier ajoute
qu’en donnant à l’époux trompé le délai de six mois
pour demander la nullité du mariage, le Code paraît
supposer qu’il s’agît d’une erreur sur la personne civile,
l’erreur sur la personne physique ou sur l’individu ne
peut durer aussi longtemps. Mais M. Toullier ne fait pas
attention que ce délai de six mois ne court que de la
découverte de l’erreur. Ce n’est donc pas une limite que
la loi ait cru devoir tracer à cette découverte. Ce délai
n’a été accordé que dans l’espérance que, la réflexion
dissipant l’humeur inséparable d’une découverte de ce
genre, l’époux pardonne à celui qui l’a trompé, ét que
le mariage devienne dès-lors irrévocable.
II résulte de ce qui précède, que l’arrêt de Bourges et
celui de Colmar ont méconnu les véritables principes et
appliqué inexactement la disposition de l’article 180Nous ne nous dissimulons pas tout ce qu’avait de
grave le motif invoqué par le dernier. La liberté de
conscience est un bien précieux et sacré, mais nous ne
croyons pas que le respect qui lui est dû puisse jamais
�DU D O L E T D E LA F R A U D E .
341
aller jusqu’à ajouter à la loi, surtout dans une matière
aussi importante que le mariage.
352. — Ainsi le dol de quelque nature qu’il soit,
alors même qu’il est devenu la cause déterminante du
mariage, reste sans influence sur la validité du lien, sur
son indissolubilité. Mais il n’en est pas de même, quant
aux conséquences du mariage.
L’une de ces dernières, et la plus immédiate, est la
cohabitation des époux. But du mariage, cette cohabi
tation ne doit cesser que par la dissolution ou par la
séparation de corps judiciairement prononcée. Le dol
exercé sur les qualités du conjoint autorise-t-il cette
séparation?
Une distinction nous paraît indispensable pour arriver
à une solution exacte de cette question. Le dol a étéexercé sur la fortune, sur la position sociale de l’époux,
son nom et son rang, ou bien il a eu pour objet de trom
per sur les qualités morales. Dans le premier cas, nous
répondrions par la négative absolue; dans le second,
nous ferions dépendre sa solution de la nature de l’erreur.
Ainsi, on m’a promis une épouse douce, bonne, bien
élevée, intelligente. Le mariageaccompli fait disparaître
toutes ces qualités. La vérité qui m’est alors connue ne
saurait m’autoriser à demander la séparation. La vie
commune, quoique plus ou moins difficile, ne doit point
cesser. D’ailleurs l’habitude de cette vie, les relations,
les devoirs qui naissent du mariage, peuvent modifier le
caractère des époux et inspirer à chacun d’eux la con
duite indispensable à leur bonheur commun.
�342
T R A IT E
Mais si l’erreur, source du mariage, est tellement
grave que l’époux qui en a profité doive être pour
l’autre un objet éternel de répugnance et de mépris; si
l’habitation commune doit offrir à ce dernier de con
tinuels tourments, en le plaçant sans cesse entre ses
devoirs, ses préjugés moraux et sa conscience, la lo1
doit prendre en pitié celui qu’elle ne peut autrement
protéger, et lui accorder le relâchement du lien qu’elle
se refuse de briser.
Ainsi, dans l’espèce jugée par la Cour de Colmar,
l’époux avait caché sa qualité d’ancien religieux. La dé
couverte de cette qualité avait alarmé la conscience de
l’épouse qui ne voyait plus, dans la consommation du
mariage, qu’un sacrilège ; dans le mariage même, qu’une
profanation. On comprend dès-lors que la vie commune
devait lui paraître insupportable; la lui imposer, c’eût
été la soumettre à une violence morale, vexatoire et
inique. On ne devait pas, nous l’avons dit, annuler le
mariage, mais la séparation de corps devenait le moyen
naturel de concilier sa position avec la rigueur des prin
cipes.
353. — La séparation de corps ne saurait être
refusée à l’époux qui, par erreur, aurait uni son sort à
celui d’un forçat libéré ou évadé. Le préjugé de la con
sidération et de l’honneur ne parlant pas moins haut
que la liberté de conscience, on doit s’arrêter à une dé
cision égale dans les deux cas.
On a voulu cependant contester cette faculté dans
l’hypothèse qui nous occupe. L’article 232 du Code
�DU D O L E T D E L A F R A U D E .
343
civil, a-t-on dit, n’autorise le divorce, et conséquem
ment la séparation de corps, que dans le cas de con
damnation de l’un des deux époux à une peine in
famante ; d’où il paraît résulter que la loi n’a eu en vue
que la condamnation prononcée depuis et pendant le
mariage. On ne saurait donc, sans fausser sa pensée,
appliquer sa disposition à celui qui a été condamné
avant le mariage.
A notre avis, cette interprétation est repoussée par
le texte et par l’esprit de la loi. Évidemment le mot
époux, dont se sert l’article 252, est pris dans le sens
générique et comprend toutes les hypothèses dans les
quelles une condamnation infamante a pu intervenir.
Qu’a voulu d’ailleurs l’article 252? Ne pas enchaîner
l’époux honorable à la vie de celui que les lois ont flétri
d’une peine infamante. Un tel lien devait paraître insup
portable, avec d’autant plus de raison que la honte en
rejaillit sur celui qui l’accepte comme sur celui qui l’a
mérité. Il est donc juste que l’époux demeuré honnête
homme repousse cette honte, en se séparant publique
ment de celui qui peut la lui faire encourir.
Les mêmes motifs n’existent-ils pas lorsque la con
damnation a précédé le mariage? Évidemment oui, ils
ont même acquis un caractère de gravité plus décisif,
car, à la honte d’une condamnation, se réunit l’infamie
d’une dissimulation sans laquelle le mariage n’eût pas
été consommé. Admettre le système que nous combat
tons serait donc récompenser le dol le plus lâche, le plus
odieux. L’immoralité d’un pareil résultat suffit pour le
faire rejeter.
�3U
T R A IT E
Ainsi l’application de l’article 232 à notre hypothèse
se justifie par une supériorité de raisons incontestables.
Fallût-il admettre le contraire, l’admission de la sépa
ration de corps se justifierait par les considérations que
lions invoquions tout à l’heure pour la liberté de cons
cience. Les prescriptions de l’honneur ne sont ni moins
respectables, ni moins sacrées que celles de la religion.
Et, s’il y a une violence morale dans la détermination
qui enchaînerait deux époux au mépris des sentiments
religieux de l’un d’eux, ne la rencontrerait-on pas éga
lement lorsque l’un des époux ne pourrait subir la vie
commune sans outrager, à chaque instant, les inspi
rations de l’honneur et de la délicatesse.
534. — Si la peine, encourue par l’époux condamné
avant le mariage, avait entraîné la mort civile, pourraiton se borner à faire prononcer la séparation de corps?
Ce qui a fait naître quelques doutes à cet égard, c’est
qu’aux termes de l’article 25 du Code civil, le mort ci
vilement est incapable de contracter un mariage valable;
que, conséquemment, l’époux ayant action pour de
mander la nullité du lien n’a pas intérêt à poursuivre
son relâchement.
Mais l’existence d’une action plus utile n’a jamais pu
créer une fin de non-recevoir contre la recherche d’un
droit que la loi reconnaît et assure. C’est à celui qui a
deux actions à exercer, à choisir et à prendre celle qu’il
juge la plus utile, la plus convenable à ses intérêts. Le
mariage n’est pas seulement un lien civil, la religion y
intervient d’une manière solennelle, et souvent ce qui
�DU D O L E T D E LA F R A U D E .
345
est suceptible d’être rescindé aux yeux de la loi civile,
reste pour elle indissoluble. Or, si l’époux trompé croit
à cette indissolubilité, si le mariage a eu d’ailleurs des
conséquences telles que la nullité pût devenir un em
barras et entraîner des inconvénients, rien ne s’oppose
à ce que la séparation de corps demandée soit, accordée.
Cette action est indépendante de celle en nullité, on
peut donc se réduire à l’exercer de préférence.
La séparation de cops devrait-elle être accordée à
l’époux qui, croyant s’unir à une femme vertueuse ,
aurait accepté la main d’une prostituée? Évidemment les
sentiments d’un homme honorable ne seront pas moins
froissés dans cette hypothèse que dans la précédente.
Nous ne pensons pas cependant que la solution de la
question puisse être donnée d’une manière absolue et
abstractivement des faits et circonstances. C’est donc à
l’arbitrage souverain du magistrat que cette solution
doit être laissée. Son appréciation, basée sur la position
des époux, celle de leur famille, leurs antécédents, leur
moralité, conciliera ce qui est dû à l’indissolubilité du
mariage avec les justes convenances d’une honorable
susceptibilité.
355- -- Dans tous les cas où l’action en séparation
est admissible, elle doit être introduite dans les six mois
qui ont suivi la découverte de l’erreur, c’est là une né
cessité qu’une analogie incontestable doit faire admettre.
La nullité du mariage doit être demandée dans ce délai.
La loi considère une cohabitation prolongée de plus de
six mois, comme le pardon des torts de l’un des époux
�346
T R A IT E
et comme la ratification du mariage lui-même. La même
présomption devrait, dans les mêmes circonstances,
faire rejeter la poursuite en séparation de corps. Celui
qui aurait vécu pendant plus de six mois dans l’atmos
phère de honte ou de contrainte dont il se plaindrait,
serait-il bien venu à parler de sa tardive susceptibilité?
Pour que la loi admette cette susceptibilité, il faut
qu’elle se soit décélée par une prompte et éclatante ma
nifestation. L’accueillir après une cohabitation de plus
de six mois après la découverte de la vérité serait donc
s’exposer à favoriser un caprice et non le légitime effet
de l’honneur outragé. La demande serait donc non re
cevable.
556- — Le dol exercé à l’occasion des conventions
matrimoniales produit un effet analogue à celui qui en
résulte pour tous les contrats. La partie intéressée pourra
donc faire annuler les avantages qu’il n’aurait consenti
que sous l’influence de ce vice.
S’il est d’ordre public que le mariage reste inatta
quable, il n’en est pas de même pour tout ce qui ne
touche qu’à l’intérêt particulier des époux. Les princi
pes ordinaires reprennent ici leur empire, et consé
quemment toutes les conventions dont le dol a été la
cause déterminante doivent ne produire aucun effet.
Peu importerait même que l’époux contre lequel on
en demanderait la nullité fût resté lui-même étranger
aux manœuvres ayant constitué le dol. Il n’en subirait
pas moins les conséquences, et cela par un double mo
tif : 10 le dol imputable au père de l’époux serait assi-
�DU D O L E T D E L A F R A U D E .
347
mile au dol du tuteur ou du mandataire ; 2° tous ceux
qui, sans avoir participé au dol, en ont reçu un avantage
à titre purement gratuit et lucratif, doivent restituer ce
bénéfice illégitime : Nemo debet ex danmo allerius lucrari. 1
357. — Nous ne nous sommes occupés jusqu’à pré
sent que du dol qui a eu pour effet de tromper sur les
qualités civiles ou morales du conjoint. Mais il est une
autre déception pouvant résulter d’une dissimulation
coupable, et dont les conséquences sont de nature à en
traîner les plus graves inconvénients. Nous voulons
parler du défaut de capacité pour la consommation du
mariage, de l’impuissance de l’un des époux.
Ce vice ne devait pas occuper les législations ayant
admis la rupture du mariage au moyen du divorce. Là,
en effet, le remède était à côté du mal, et le divorce par
consentement mutuel terminait une union mal assortie,
en sauvant à l’époux malheureux ou coupable la honte
qu’une accusation d’impuissance entraîne toujours avec
elle.
La religion chrétienne abolit le divorce, acceptant
dans la rigueur de son acception cette maxime de l’Évan
gile : Quos Deus conjunxit, homo non separet. On dut
dès-lors prévoir les cas d’impuissance, et régler le sort
des mariages ainsi contractés.
Pendant longtemps il exista à ce sujet une grande
différence entre l’église romaine et l’église gallicane.
1
pour les fraudes commises dans les contrats de mariage,
cliap. 2, sect. l rc.
Vid.
infra,
�348
TRAITÉ
La première ne considérait pas l’impuissance comme
un motif suffisant pour légitimer une atteinte à l’indis
solubilité du lien, et malgré qu’on reconnût qu’il ne
pouvait exister de sacrement légitime là où l’un des
époux était impropre à sa consommation, on préférait
laisser subsister les mariages de cette nature plutôt que
de s’exposer à en dissoudre de réels : Toleraùilius est
aliquos contra slalula hominum climitlere copulatos,
quam conjunctor légitimé contra staluta domini separare; et cette décision d’innocent ni a, pendant dix siè
cles, formé le droit commun des tribunaux romains. Le
corollaire qu’un autre pontife tirait de cette disposition
était : que ceux qui ne pouvaient vivre comme époux
devaient vivre comme frère et sœur : Romand ecclesia
consuevil judicare ut quus lamquam uxores habere non
possunt, habeanl ut sorores.
L’église gallicane obéissait à d’autres principes. Les
conciles de Verberie et de Compïègne, tenus dans le
huitième siècle, considéraient l’impuissance comme un
moyen de nullité du mariage, mais ils n’admettaient
d’autre preuve de cette impuissance que le serment du
mari, ce qui, comme le faisait observer Merlin, attei
gnait à peu près au même résultat que celui consacré
par l’église romaine, c’est-à-dire le maintien du ma
riage. Juge et partie dans sa prope cause, le mari avait
toujours le moyen de rendre illusoire la pénalité qu’il
ne lui convenait pas de subir.
358. — Vers le douzième siècle, l’église romaine
dut se départir de sa rigueur. La femme qui jusques là
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
349
avait par ferveur religieuse supporté, comme un sacri
fice agréable à Dieu, les privations que lui imposait l’im
puissance de son mari, avait à cette époque changé de
sentiments et de langage : Volo esse mater, disait-elle,
volo procreare liberos, et ideo marilum accepi ; secl vir
quem accepi frigidæ naturœ est et non polesl facere ilia
propter quas ilium accepi.
A dater de ce moment, la nullité du mariage pour
cause d’impuissance fut admise en principe. Mais le
mode de preuve à consacrer devint un obstacle difficile
à franchir. On emprunta d’abord à l’église gallicane le
serment du mari. On eut ensuite recours à la conforma
tion de celui-ci, puis à la visite de la femme. Mais toutes
ces preuves furent bientôt appréciées à leur juste valeur
et successivement abandonnées par l’une et l’autre
église.
Restait donc un principe à peu près inapplicable par
l’extrême difficulté d’arriver à constater le fait qui l’a
vait provoqué. Notons cependant, entre les deux égli
ses, cette autre différence : que l’église romaine refu
sait au jugement de rupture tout effet définitif. Ainsi, si
les époux séparés, ayant formé d’autres nœuds, avaient
des preuves de leur capacité, ces nœuds étaient annulés
et le premier mariage reprenait son autorité. L’église
Gallicane, au contraire, considérait le jugement comme
irrévocable, dès qu’il avait acquis l’aulorité de la chose
jugée.
359. — Cet aperçu historique n’était pas inutile
pour l’appréciation des dispositions de notre Code civil
�350
traité
et pour l’intelligence des questions qui peuvent encore
s’élever sur cette matière. Ce qui frappe, en l’exami
nant, c’est l’existence des efforts tentés pour atteindre
un résultat juste au fonds, mais insaisissable dans sa
cause déterminante.
560. — Nous disons que la nullité du mariage était
juste au fonds, et cela tant sous le rapport religieux que
sous le rapport civil. Evidemment, en effet, concourir
à un sacrement avec la certitude de ne pouvoir le con
sommer, c’est commettre une profanation et un sacri
lège. L’église l’avait ainsi jugé, en prononçant que, pour
l’impuissant, il n’y avait qu’un simulacre de mariage
dont elle n’avait pu éterniser les vœux, et en déclarant
ce mariage nul.
Sous le rapport de la loi civile, le maintien du ma
riage, lorsqu’il y a impuissance de l’un des époux, est
contraire à la justice, dangereux pour lamorale, funeste
à l’intérêt de l’état. En effet, dit éloquemment Merlin,
on cherche dans le mariage la consolation de la vie et
la sauvegarde de la vertu ; il est destiné à donner des
citoyens à la patrie, et l’impuissance de l’un des époux
fait, pour tous les deux, le plus grand tourment de la
vie de ce qui devait en être le charme ; les désirs de la
nature, irrités vainement par ce qui était destiné à les
satisfaire, deviennent, par l’impuissance, l’attrait le plus
terrible du vice et le danger le plus imminent pour la
vertu; et la patrie perd à la fois, par l’impuissance de
l’un, tous les fruits de la fécondité de l’autre.1
1 Rep. , v° impuissance, n° 1.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
351
361. -- Ces considérations, aussi puissantes que
vraies, ne pouvaient être méconnues par les éminents
rédacteurs du Code. Mais la sanction des conséquences
logiques qui en naissaient eût placé la loi nouvelle en
présence des embarras les plus impraticables. Fallait-il,
comme la législation précédente, parcourir l’échelle
honteuse des preuves tour à tour indiquées? Descendre
enfin jusqu’au hideux congrès condamné par la morale
et l’honneur avant de l’être par la raison et la justice?
Et si rien n’était capable d’éclaircir un mystère im
pénétrable, n’était-il pas rationnel de proscrire le retour
de ces accusations qui ne pouvaient que produire un
scandale inutile. Les auteurs du Code ont été unanimes
pour l’affirmative, et l’impuissance ne figure plus dans
les causes de nullité du mariage.
II est vrai qu’elle n’en a pas été nommément bannie,
et ce silence a suffi pour qu’on ait été tenté de jeter
quelques doutes sur la pensée du législateur. Il y a plus,
a-t-on dit, en discutant le titre du divorce, le premier
consul faisait remarquer qu’il était convenu que lors
qu’il y a impuissance la matière du mariage manque, à
quoi Portalis ajoutait que l’impuissance, cette cause
honteuse et difficile à prouver, avait toujours été un
principe de nullité du mariage.1Donc le Code n’a nul
lement innové aux principes anciens sur cette matière.
Mais c’est ailleurs qu’on doit rechercher qu’elle a été
la véritable pensée du législateur. Or cette pensée se
décèle avec netteté et précision dans la discussion du
1 Procès-verbal du 16 vendémiaire an x.
�352
TRAITÉ
titre de la paternité et de la filiation. On n’a pas fait de
l’impuissance, dit M. Tronchet, l’objet d’une action en
nullité de mariage, et ce silence est fondé en raison ,
car il n’y a pas moyen de reconnaître avec exactitude
l’impuissance. En général, il était dans l’esprit du pro
jet d’anéantir cette cause sous tous les rapports.1
Il est donc certain que sous l’empire du Code l’im
puissance n’est plus un motif pour attaquer le mariage.
Conséquemment l’époux qui aurait été trompé par des
manœuvres dolosives sur la capacité de son conjoint,
ne pourrait trouver, dans l’existence prouvée du dol, le
moyen d’être relevé de son engagement.
362. — Mais cette décision s’applique-t-elle à tous
les cas d’impuissance naturelle ou accidentelle? Doiton, au contraire, décider que le mariage doit être an
nulé toutes les fois que l’impuissance alléguée sera ap
parente et facile à constater?
Cette question importante a divisé la doctrine et la
jurisprudence. Elle mérite dès-lors un examen particu
lier. De plus, elle intéresse à un puissant degré la ma
tière que nous traitons, car l’erreur sur la capacité de
l’époux pourra n’être que la conséquence d’un dol vé
ritable.
Qu’en est-il donc dans l’hypothèse d’une impuissance
accidentelle?
Nous pouvons, pour résoudre cette question, consul
ter avec fruit les législations précédentes. Or, nous l’a1 Procès-verbaux du 14 thermidor an x.
�DU DOL E T DE LA FRAUDE.
353
vons vu, sous leur empire la nullité du mariage , pour
cause d’impuissance, avait paru nécessaire et juste. La
loi naturelle, comme la loi civile, n’avait pas hésité à le
consacrer.
La cause unique des hésitations qui signalèrent les
premiers pas du législateur, c’est la difficulté d’applica
tion devant laquelle on se trouvait, difficulté telle, que
la constatation du fait déterminant la nullité, était à
peu près impossible. Mais la légitimité du principe n’en
était nullement altérée, et ce qui le prouve, c’est la
multiplicité des efforts tentés pour écarter l’obstacle
qui s’opposait à sa consécration.
Ce n’est donc pas ce principe que le nouveau légis
lateur pouvait et devait condamner. Nous avons vu qu’il
en avait au contraire formellement reconnu l’autorité et
la justice. Mais ce qui l’a déterminé à l’exclure de ses
dispositions, c’est la conviction puisée dans l’expérience
de ses prédécesseurs de l’inutilité de toute recherche,
de l’inefficacité des moyens tour-à-tour employés pour
pénétrer un mystère demeuré impénétrable ; c’est le
scandale des épreuves immorales auxquelles il fallait
recourir pour arriver, en définitive, à ce résultat : que
des hommes jugés impuissants et dont le mariage avait
été dissous, obtenaient d’un autre mariage une nom
breuse postérité. L’opinion de M. Tronchet, comme
celle de plusieurs autres orateurs du corps législatif, ne
laisse aucun doute à cet égard.
Ainsi, si l’impuissance ne figure plus au nombre des
causes de nullité du mariage, c’est que son existence
est insaisissable ; qu’il était donc inutile d’en admettre
i
23
F
1
■lift
�35 i
TRAITE
la recherche, alors que toute l’habileté de la science ne
pouvait promettre le moindre résultat. Cette conviction
acquise, il était complètement illusoire de recourir à ses
lumières.
Mais ne faut-il pas conclure de ces considérations
que, placée dans une hypothèse contraire, la loi eût
sanctionné une décision différente? Cessante causa,
cessât effeclus. Or, le motif de la prohibition n’étant
que celui que nous venons d’indiquer, on ne saurait rai
sonnablement étendre cette prohibition lorsque l’im
puissance produite par un accident doit, en quelque
sorte, être prise sur le fait; lorsque visible pour les
gens de l’art, il est permis d’en fixer la cause, d’en dé
terminer les effets. Il faut, dans ce cas, revenir aux prin
cipes généraux du droit et annuler le contrat pour ab
sence d’une de ses conditions essentielles, la capacité
de la partie.
Cette conclusion, attribuant à l’impuissance acci
dentelle un effet qu’on refuse avec raison à l’impuis
sance naturelle, se justifie très bien par les considéra
tions qui précèdent. Elle trouve, de plus, un fondement
légal dans la disposition des articles 312 et 313 du Code
civil.
Aux termes de ce dernier, le mari ne peut, sous pré
texte de son impuissance naturelle, désavouer l’enfant
né du mariage. Cette règle découlait logiquement de
celle admise pour le mariage lui-même. Le même motif
qui empêche d’en prononcer la dissolution était un obs
tacle à ce que la paternité pût être mise en doute. Celui
à qui l’on ne saurait arracher la qualité de mari, ne
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
355
pourra jamais exciper d’une prétendue impuissance
pour répudier celle de père.
Il y a donc entre l’action en désaveu et celle en nul
lité du mariage une corrélation nécessaire et juste. On
peut, dès-lors, conclure de ce que l’une étant refusée,
l’autre l’est également; que l’admission de celle-ci
doit, par voie de conséquence, rendre celle-là égale
ment admissible. Or, le désaveu de l’enfant pour im
puissance accidentelle, est formellement autorisé par
l’article 512. La loi n’exige même pas que cette im
puissance ait été postérieure au mariage, il suffit qu’elle
soit réelle. Serait-il donc juste d’imposer perpétuelle
ment comme époux celui qui pourrait à son gré aliéner
la qualité de père?
Dira-t-on que la loi qui s’est expliquée pour le désa
veu, n’aurait pas manqué de le faire pour le mariage, si
elle eût entendu les ranger tous les deux sur la même
ligne? Mais cette objection tombe devant la nature de
ces deux actes. Le désaveu, matière toute exception
nelle, ne pouvait emprunter ses conditions et ses for
mes que dans des dispositions spéciales qu’il convenait
de formuler le plus nettement possible. Le mariage, au
contraire, quoique revêtu d’une plus grande solennité,
n’en a pas moins tous les caractères des contrats ordi
naires. La loi pouvait donc, en s’en occupant, s’en réfé
rer aux principes généraux applicables aux obligations.
Or, la capacité des parties, relativement à l’objet du
contrat, est une condition rigoureusement requise. Son
absence certaine pour le cas de mariage devait, par ap
plication de ces principes, en faire prononcer la nullité.
�350
t r a it e
Il est vrai que cette absence se réalise dans l’hypo
thèse d’une impuissance naturelle et que le mariage
n’en subsiste pas moins. Mais ce résultat, nous l’avons
dit, est dû bien plutôt à l’impossibilité de reconnaître
cette absence et de la constater qu’à une exception à la
disposition de l’article 1108. D’ailleurs, si le mariage
est maintenu, la paternité à son tour reste à tout jamais
imposée. Et c’est précisément de l’anomalie qu’on crée
rait, en maintenant l’un et en effaçant l’autre, que nous
tirons cette conséquence qu’on ne saurait séparer la
nullité du mariage de l’action en désaveu; et que l’ad
mission de celle-ci pour impuissance accidentelle doit,
si cette impuissance a préexisté au mariage, autoriser
sa dissolution.
C’est, au reste, ce que la doctrine a universellement
admis. Ainsi, M. Toullier, notamment, n’hésite pas à
enseigner qu’on doit annuler le mariage frauduleuse
ment contracté par un eunuque.
De cette solution et des considérations qui la légiti
ment, il semblerait résulter qu’on devrait admettre la
nullité du mariage dans le cas d’une impuissance na
turelle mais apparente. Il est évident, en effet, qu’il n’y
a entre cette hypothèse et celle d’une impuissance ac
cidentelle aucune différence, puisque dans l’une com
me dans l’autre l’infirmité est facilement appréciable
dans sa cause et dans ses effets.
365- — Telle n’est pas cependant l’opinion de M.
Toullier. Aussi critique-t-il vivement un arrêt que la
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
357
Cour de Trêves a été appelée à rendre le 1er juillet 1808
dans l’espèce suivante :
« Un individu fait assigner sa femme en nullité du
mariage qu’ils avaient contracté, sur le motif qu’elle
est, par un vice naturel de conformation, incapable de
remplir le but du mariage.
« La femme ne nie pas le vice de sa conformation.
Elle prétend seulement qu’il n’existait pas avant le
mariage, et qu’il provient du fait de son mari; elle
ajoute qu’il n’y a dans le Code civil aucune disposition
d’après laquelle on puisse fonder une action en nullité
du mariage sur les défectuosités corporelles de l’un des
époux; que la demande de son mari ne tend à rien
moins qu’à la faire visiter, c’est-à-dire à ressusciter les
procès scandaleux sur l’impuissance que le législateur
a voulu écarter pour jamais; et qu’au surplus, la de
mande du mari est non recevable, par cela seul qu’elle
n’a été intentée qu’après neuf mois de cohabitation.
« Ce système est accueilli par le tribunal de Cousel,
qui décide que le défaut de consentement, tiré de l’i
gnorance de l’infirmité d’une des parties, ne rentre pas
dans les cas prévus par l’article 146; que l’erreur qui
résulte de cette ignorance n’est pas celle régie par l’ar
ticle 180 , que dans tous les cas la demande serait non
recevable pour avoir été formée plus de six mois après
la découverte de l’erreur.
« Sur l’appel de ce jugement, un premier arrêt inter
vient le 27 janvier 1807, par lequel la Cour, attendu
que les causes physiques et le défaut de conformation
qui s’opposent au but naturel du mariage, sont des em-
�■Mi* 3 5 8
t r a it e
pêchements qui l’annulent de plein droit, et que l’ac
tion qui en naît n’est pas susceptible d’être prescrite par
le laps de six mois, ordonne, avant dire droit, que l’in
timée sera visitée par des gens de l’art.
« Le rapport de celle visite ayant été versé au pro
cès, arrêt définitif qui annule le mariage. 1 »
364. — La critique que M. Toullier fait de ces deux
arrêts nous surprend sous un double rapport :
1° M. Toullier enseigne que le mariage frauduleuse
ment contracté par un eunuque doit être annulé. Nous
comprenons très bien la différence qui existe entre l’im
puissance accidentelle et celle que rien n’annonce. Mais
entre une mutilation opérée par la main de l’homme et
l’infirmité de ces êtres incomplets, difformes, dans la
production desquels la nature semble s’être jouée de
ses propres lois, nous ne saurions en établir aucune. Le
vice des uns est-il moins appréciable, moins certain
que celui des autres? Pourrait-on, dès-lors, sans incon
séquence, ne pas les confondre dans une règle unique,
quant à la nullité du mariage par eux contracté ?
2° M. Toullier soutenait tout à l’heure que Terreur
sur la qualité équivaut à l’erreur sur la personne, si
cette qualité était tellement irritante que les époux
en aient fait une condition sans laquelle ils n’auraient
pas consenti leur union. Or, dans quelle circonstance
cette condition se réalisera-t-elle mieux que dans celle
qui nous occupe?
1 Journal du Palais, tonie vi, page 467.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
,
359
L’impuissance du conjoint enlève, en effet, au ma
riage son caractère, en dénature les rapports, en rend
le but impossible. Conséquemment, l’époux qui sou
tiendra que la connaissance de cette incapacité l’eût
empêché de contracter, dira une chose aussi juste que
certaine, à moins qu’on admette qu’il aurait consenti
à vivre comme frère ou sœur avec celui qu’il ne peut
avoir comme époux.
M. Toullier se met donc doublement en contradiction
avec sa propre doctrine, et ce qui détermine ce ré
sultat, c’est qu’il confond l’impuissance naturelle ap
parente avec celle qui demeure éternellement cachée.
Ainsi, l’un des griefs qu’il reproche à l’arrêt de Trêves,
c’est de renouveler ces procès scandaleux, ces visites
indécentes qui blessent la pudeur, que réprouve la mo
rale. 1
Les visites corporelles n’ont ce double caractère que
lorsqu’il est d’avance certain qu’elles ne produiront au
cun résultat utile. C’est ce que M. Toullier rappelle en
indiquant que le législateur a dû les proscrire parce
qu’elles ne pouvaient journir aux gens de l’art que des
conjectures trompeuses, souvent démenties par le J ait.
Qu’on ne les permette donc plus lorsque le demandeur,
excipant de l’incapacité de son conjoint, est dans l’im
possibilité d’en assigner la cause, c’est ce que tout le
monde admet ; mais les défendre lorsque la cause de
l’incapacité est visible, saisissable, c’est se jeter dans
l’injustice sans raison plausible, à moins qu’on ne prouDroit civil, il0 525 et la note.
Mf
«
"p;
MJ t:
m
�360
T II A I I'K
ve que le législateur a entendu se priver d’une manière
absolue de cette voie d’instruction.
Or, le contraire résulte et de la faculté de désavouer
l’enfant, sur le motif d’une impuissance accidentelle, et
de la décision prise contre le mariage contracté en cet
état. C’est, en effet, par une visite que la prétention du
père sera vérifiée ; c’est aussi par ce moyen qu’on re
cherchera si l’époux est bien réellement l’être dégradé
qu’on indique. Dès-lors, et.puisque la loi autorise la vi
site corporelle toutes les fois qu’elle doit produire un
résultat utile, il suffit de faire remarquer, pour la jus
tification de la doctrine de l’arrêt de Trêves, que dans
l’espèce l’objet de la visite étant parfaitement déter
miné, on était certain d’arriver à une constatation ma
térielle et décisive pour la justice.
C’est ce qui se réalisera toutes les fois que l’impuis
sance résulte d’une difformité, d’un vice de conforma
tion apparent. Comme une pareille hypothèse ne diffère
en rien de celle d’une impuissance accidentelle, nous
ne voyons aucun inconvénient à ce qu’on arrive par les
mêmes voies à un résultat non contesté pour cette der
nière, c’est-à-dire à la nullité du mariage.
« Mais, ajoute M. Toullier, si l’époux refuse la visite,
ne s’exposera-t-on pas à casser un mariage sur un con
cert entre les époux qui auront pris ce moyen pour se
débarrasser d’un lien qui les gêne? » Merlin, qui est,
sur le fond, d’une opinion contraire à celle de M. Toul
lier, s’arrête à cette objection, et croit que si l’époux re
fusait la visite, on ne pourrait passer outre et pronon
cer la nullité du mariage. J’en demande pardon à ces
�DU DDL ET DE LA FRAUDE.
361
illustres maîtres, leur solution ne me paraît ni logique
ni légale. Si la nullité du mariage est admise en prin
cipe, on ne saurait reconnaître à l'un des époux la fa
culté et le droit d’en rendre l’application impossible ;
ce serait sacrifier la loi elle-même à une obstination ir
rationnelle et injuste. Bientôt l’eunuque frauduleuse
ment marié refuserait à son tour la visite ordonnée
pour constater son état, et l’épouse, au secours de la
quelle le législateur doit, dé l’avis de tous, accourir, vic
time de cette nouvelle fraude, se verrait pour toujours
enchaînée au sort de celui qui l’a indignement trompée.
Cela, évidemment, ne pourrait se réaliser sans blesser
l’équité, sans introduire dans la loi une véritable anar
chie. Nous pensons donc qu’en l’état du refus que l’é
poux fairait de subir la visite ordonnée, le fait allégué
devrait être tenu pour certain et produire toutes ses
conséquences légales.
Que cette solution puisse dans un cas donné favo
riser une fraude, cela est possible, mais peu probable.
On ne consentira pas facilement à passer aux yeux de
ses concitoyens pour un être incomplet ou dégradé ; à
subir les humiliations et les avanies qu’une idée pareille
est dans le cas d’attirer ; car des procès de ce genre au
ront du retentissement, et longtemps encore la mali
gnité publique s’exercera aux dépens de celui qu’on lui
a signalé. Ce qui doit, au reste, rassurer contre la frau
de que craint M. Toullier, c’est le peu de fréquence
des contestations de ce genre. Cette fraude n’est donc
venue à l’esprit de personne, même depuis l’arrêt de
Trêves. Cependant, de 1808 jusqu’à nous, que de mé-
�362
t r a it e
nages désunis ! Que de mariages pour lesquels la lune
de miel n’a pas été sans tempêtes !
Dans tous les cas, le danger de favoriser une fraude
fût-il sérieux, le mal n’égalerait jamais celui qu’éprou
verait l’ordre social de l’atteinte que la volonté d’un
particulier occasionnerait à la loi. On encouragerait la
résistance en la récompensant, et l’on affaiblirait ainsi
ce respect pour la justice, qui est la première garantie et
le lien le plus puissant de toute société. Dans cette ma
tière, comme dans toute autre, les magistrats concilie
ront les convenances avec les lois de la pudeur la plus
délicate. Celui qui prétendra se soustraire à leur déci
sion n’aura donc aucun motif avouable. On pourra et
l’on devra dès-lors considérer sa conduite comme l’a
veu de l’existence de l’infirmité qu’on lui reproche et,
conséquemment, annuler son mariage.
Ainsi, l’impuissance apparente, accidentelle ou na
turelle vicie le mariage. Le contrat n’a jamais pu vala
blement exister, car le consentement n’a été que le ré
sultat d’un dol ayant eu pour effet de tromper sur la
capacité de la partie. Cette absence de capacité pou
vant être établie, la constatation fait disparaître la ma
tière même du contrat et, conséquemment, toute pos
sibilité d’un lien obligatoire et légal.1
365. — En résumé, le dol, même lorsqu’il a été la
1 Merlin, v° im pu issan ce ; — Vazeilles, du
— Chardon, du üol ; — Contra, Toullier,
v° M a ria g e.
M a ria q e ,
tom. i, n° 92;
— Fayard ,
loco cilato ;
�363
cause déterminante du mariage, n’influe en rien sur sa
validité. Mais cette règle reçoit exception : 1° lorsque
le dol a produit l’erreur sur la personne par la substitu
tion de celle qu’on a épousée à celle que l’on voulait et
que l’on croyait épouser; 2° lorsque le dol a été pra
tiqué sur la matière meme du contrat que l’un des
époux est dans l’incapacité de consommer. Cette der
nière exception est elle-même soumise à cette condi
tion, que l’impuissance qui en fait la base soit appa
rente et matériellement appréciable. L’impuissance
réelle, mais cachée, ne saurait, dans aucun cas, auto
riser l’action en nullité.
Le mariage lui-même peut n’être qu’une simulation
dans l’objet de rendre exigibles des avantages subor
donnés à sa célébration. Un pareil mariage reste indis
soluble entre les époux; seulement il ne produit contre
les tiers aucun des effets qu’on s’en était promis.
Le dol qui ne suffit pas pour rompre le lien, peut en
amener quelquefois le relâchement ; mais seulement
lorsque l’erreur qu’il a déterminée est telle que la co
habitation blesserait la conscience ou violerait les sen
timents d’honneur et la délicatesse de l’un des époux.
Enfin, le dol exercé à l’occasion des stipulations ma
trimoniales tombe sous l’empire des principes ordi
naires. Il entraîne donc la nullité de la convention, s’il
réunit les caractères exigés par l’article 1116 du Code
civil. Celte nullité atteint l’époux qui profiterait du dol,
alors même qu’il y serait demeuré personnellement
étranger, et cela, par application des principes régissant
le dol indirect.
DU DOL liT DIS LA FBAUDE.
�SECTION III.— DOL DANS LES LIBÉRALITÉS.
SOMMAIRE.
*
366. Importance de la faculté de disposer de ses biens.
367. Nullité des libéralités entachées de dol.
368. Cette nullité est de plein droit dans le cas de dol pré
sumé.
369. Dans le cas où la libéralité serait faite par interposition
de personnes.
370. Nullité pour insanité d’esprit chez le donateur ou tes
tateur.
371. Fondements de l’article 901 du Code civil.
372. Comment doit-on entendre l’insanité d’esprit à l'endroit
des libéralités?
373. Arrêt de la Cour de cassation.
374. Anciennes législations conformes aux principes actuels.
375. L’insanité d’esprit fait présumer la suggestion.
376. Peut être prouvée par témoins.
377. Ce n’est pas là déroger à l’article 1341.
378. A quelles conditions admettra-t-on cette preuve.
379. Nécessité de l’articulation des faits. Son utilité sous un
double rapport.
380. Comment s’apprécie la pertinence des faits.
381. Législation ancienne sur les intervalles lucides.
382. Législation actuelle. Dissentiment avec Toullier et
Grenier sur l’application de l’article 502.
383. Opinion de Merlin.
384. Arrêt de la Cour de cassation préjugeant dans le sens
de celle-ci.
385. Conséquences de cette doctrine, quant aux obligations
du légataire.
�La preuve de la raison du testateur sera assez difficile
dans certains cas. Ses éléments.
Résumé.
Effet de la captation non présumée.
Doutes, sur ce qui la concerne, soulevés par le silence
du Code.
390 Peut toujours être prouvée par témoins.
391 Caractère de cette preuve.
392 Comment distinguera-t-on la captation licite de celle
qui ne l’est pas.
Le concubinage annule-t-il les libéralités comme fai
sant présumer la captation ?
394. Comment on apprécie la gravité des faits.
395. L’allégation de faits graves ne fera pas toujours ad
mettre la preuve.
Première condition pour l’admissibilité.'—Les faits doi
vent tendre à établir que la captation dolosive a été
la cause déterminante de la libéralité.
397 Espèce jugée par la Cour'de Dijon.
398 Deuxième condition. Contrariété entre la volonté expri
mée et celle précédemment manifestée.
399 Opinion de Merlin sur la pertinence.
400. La preuve ordonnée et faite détermine l’annulation du
testament ou de la donation, mais on ne peut ni la
modifier ni la réduire.
Mais la nullité n’a d’effet que sur la disposition atta
quée , elle ne peut atteindre l’ensemble des dispo
sitions.
402. Le dol indirect produit le même effet que le dol direct.
403. La plainte en captation est-elle recevable contre la do
nation entre vifs ?
404. Etat des législations anciennes sur l’empêchement de
. tester.
405. Conséquences du système adopté par le Code.
406. Dissentiment avec M. Chardon, quant aux effets à l’en
droit de l’héritier testamentaire,
407. Nature de l’action réservée à celui qui est victime de
l’empêchement de tester.
iI.
�366
I RAITE
408. Caractère de ce dol. Pertinence des faits tendant h
l’établir.
409. Qui est tenu des dommages-intérêts ?
410. Qui peut en réclamer ?
411. Suppression de testament, caractères.
412. Admissibilité de la preuve testimoniale.
413. Effet de la suppression sur l’exécution du testament et
la régularité de ses formes.
414. Arrêt de la Cour de cassation.
415. Quid par rapport à la partie profitant du dol sans y avoir
participé.
416. Action, dans ce cas, de l’héritier contre l’auteur du dol.
417. Effet de la suppression par rapport à l’hérédité.
418. Droit des tiers.
366. — La faculté pour l’homme de disposer de ses
biens, soit par donations entre vifs, soit par testament,
est une des plus précieuses prérogatives du droit de
propriété. Elle est née avec ce droit lui-même; elle a
toujours été accueillie par les diverses législations avec
la même faveur.
« Cet assentiment commun des peuples, dit M. Favard, est fondé sur ce que l’intérêt public exige que le
propriétaire puisse, à sa volonté, disposer de tout ou de
partie de son patrimoine, pour reconnaître le zèle et le
dévoûment. de l’amitié, encourager ceux de ses héritiers
qui se portent au bien, donner des consolations à ceux
qui éprouvent les disgrâces de la nature ou les revers
de la fortune, récompenser les soins d’un serviteur
fidèle, punir l’abandon ou l’indifférence de parents
ingrats.1 »
1 Rép., v° Testament.
�1)U
DOL E T DE LA FRAUDE.
367
L’importance sociale d’une pareille mission était cer
tes de nature à en faire accueillir le développement
avec la plus haute faveur. Qui mieux que le père de fa
mille lui-même pouvait prétendre exercer dans de plus
justes proportions ce droit de récompenser et de punir?
367. — L’expression de sa volonté devait donc pré
valoir et a, en effet, prévalu. La loi ne règle l’ordre des
successions que dans le cas où le défunt a négligé ou
répudié la faculté qu’on lui en accorde. Mais le respect
du législateur ne serait plus qu’un véritable abus si la
loi testamentaire avait été surprise par dol ou arrachée
à une pensée inintelligente. La nécessité d’une volonté
éclairée et libre, base essentielle de tous les contrats, se
fait plus particulièrement sentir en matière de libéra
lités. Ces actes, en effet, soulevant tant de désirs, peu
vent déterminer une infinité de manœuvres dont la
réussite présente de grandes facilités; car, ainsi qu’on
le faisait remarquer, ces actes se réalisent souvent dans
des circonstances tellement antiques pour l’intelligence et
la volonté de leur auteur, qu’il serait impossible de res
ter convaincu qu’il avait l’entière liberté de son esprit.1
« Le législateur, dit M. Grenier, n’a pas dû consi
dérer les dispositions gratuites du même œil que les au
tres actes. La loi redouble de précautions pour pré
munir l’homme contre les pièges de la cupidité, qui
peut épier un instant de faiblesse ou le provoquer afin
d’extorquer une libéralité. 2 »
1 Jauliert, R a p p o rt au T rib u n a l.
1 Des D on ation s, tom. I, n° 102.
�368
TUAITE
Cette prévoyance de la loi se décèle par les soins
qu’elle apporte à proscrire toutes les dispositions qui
ne seraient pas l’expression d’unevolonté indépendante
et spontanée. Telle est, en effet, l’économie de notre lé
gislation, que la libéralité qui puiserait son origine dans
l’emploi d’une influence illégitime, ne saurait sortir à
effet.
"68. — La loi a fait plus encore : elle admet de
plein droit la nullité de la disposition, selon que son
auteur a pu plus facilement être entraîné, selon que
ceux en faveur de qui elle est prise se sont trouvés en
position de l’obtenir plus aisément. C’est ce qui a dé
terminé les incapacités créées par les articles 909 et
suivants du Code civil.
Ainsi sont nulles et de nul effet les libéralités faites :
1° Par un mineur à son tuteur, soit pendant la mino
rité, soit depuis la majorité, mais avant l’appurement
du compte tutélaire ;
2° Par un malade, pendantle cours delà maladie, aux
médecins, chirurgiens, officiers de santé ou pharma
ciens qui lui ont donné leurs soins ; au ministre du
culte qui a dirigé sa conscience.
Évidemment ces prescriptions n’ont pas d’antres mo
tifs que la qualité même des personnes, objets de la li
béralité. Il est certain que dans beaucoup de cas cette
qualité a pu être sans influence sur la détermination du
disposant. Mais, en fait, on ne saurait disconvenir de la
facilité que rencontrerait le résultat contraire. On con
naît, notamment, l’empire que le médecin du corps,
�DU DOL E T DE LA F R A U D E .
309
l’autorité plus dangereuse encore que le médecin de
l’âme, peut acquérir sur la volonté de celui qui voit
dans l’un l’arbitre de sa santé, dans l’autre l’arbitre de
son salut. L’abus est donc facile, et l’utilité de la pré
caution prise pour le prévenir n’est que trop prouvée
par les nombreuses répressions que la justice a eu à
consacrer.
Nous n’avons pas à revenir autrement sur les condi
tions et les effets de ces incapacités, nous les avons ex
posés en traitant du dol présumé. Quant aux fraudes
que le désir d’éluder la loi peut déterminer, nous au
rons à les examiner lorsque nous nous occuperons de la
fraude. Bornons-nous à faire remarquer que la pré
somption de dol résultant de l’incapacité est générale
et absolue; qu’aux termes de l’article 911, elle annulle
les libéralités faites à l’incapable, soit qu’on les ait dé
guisées sous la forme d’un contrat onéreux, soit qu’elles
aient été faites sous le nom d’une personne interposée.
369. -- Prohiber d’atteindre indirectement au ré
sultat qu’on ne peut obtenir parla voie directe, était
une mesure indispensable au succès de la prohibition. Il
était facile de prévoir que celui qui ne recule pas devant
l’emploi de moyens illégitimes pour obtenir une libé
ralité, n’hésiterait pas à tenter toutes les fraudes pou
vant faire réussir sa spéculation. Or, en tête de ces
fraudes, figuraient la simulation du titre et l’interposi
tion de personnes.
L’une et l’autre conduisent à un résultat identique,
la nullité de l’acte. Il y a cependant entre elles cette
i
24
�370
t r a it e
différence que l’interposition n’a pas besoin, dans cer
tains cas, d’être prouvée. Ainsi elle est de plein droit
présumée lorsque la libéralité est faite en faveur des
père et mère, des enfants ou descendants, de l’époux de
l’incapable. Dans tous les autres cas, elle doit, comme
la simulation, être prouvée par celui qui l’allègue.
Remarquons, en effet, que la qualité ne détermine
l’incapacité que relativement aux actes à titre gratuit,
et qu’on ne saurait s’en prévaloir lorsqu’il s’agit d’un
acte à litre onéreux. L’on revient pour ceux-ci aux prin
cipes ordinaires, c’est-à-dire que l’acte fait foi de ce
qu’il contient, et que si la confiance qui lui est due
peut être altérée, ce n’est que par la preuve du vice
dont on le prétend entaché. L’incapacité de recevoir
une libéralité ne fait pas même présumer la simulation,
car ledol et la fraude ne se présument pas. L’article 911
ne déroge à ce principe qu’à l’endroit de l’interposi
tion de personnes, lorsque celui qui a traité appartient
à l’une des catégories qui y sont énumérées.
C’est donc au demandeur à prouver la simulation dont
il se prévaut pour faire annuler l’acte. Il peut puiser
cette preuve dans les circonstances qui lui paraîtront
graves et précises, recourir môme à la preuve orale.
Mais si cette justification n’est pas fournie, l’acte à titre
onéreux, passé avec l’un de ceux que la loi déclare in
capables de recevoir, n’en sortira pas moins son effet.1
370. — Les personnes contre lesquelles nous venons
1 Montpellier, 19 mai 1813; —Duranton, tom. vin, n° 267; — Proudhon, de VUsufruil, tom. îv, n° 2363.
�D U D O L E T D 1Ï L A F R A U D E .
371
de voir le législateur se prémunir ne sont pas malheu
reusement les seules dont on ait à se méfier. Il en est
que l’avidité seule introduit dans le sein d’une famille,
et qui, dans l’objet de s’enrichir, abusent de la démence
elle-même pour obtenir ce qu’ils n’auraient pas osé de
mander à l’affection.
Contre de pareils attentats, il n’existait aucun remède
spécial. Le seul qu’il fût permis de sanctionner est celui
qui résulte de la disposition de l’article 901, suivant
laquelle, pour faire une libéralité quelconque, il faut
être sain d’esprit.
La nullité que l’absence de cette condition entraîne
ne procède pas seulement des inspirations réglant le
consentement en matière ordinaire. Elle est une déduc
tion essentielle de la pensée que la loi manifeste dans la
création des incapacités que nous venons de rappeler.
Celui qui n’a pas la plénitude de sa raison est, à l’égard
de ceux qui l’approchent, dans une position pire encore
que celle du malade envers son médecin ou son confes
seur. Celui-ci peut résister et se soustraire à l’influence
dont on veut user, l’autre est, par son infirmité même,
dévouéà toutes les inspirations intéressées qui viendront
l’assaillir. Un le déterminera facilement à prendre une
résolution contre laquelle son cœur et sa raison eussent
également protesté s’il avait pu l’apprécier sainement.
La certitude de ce danger devait donc, comme pour
les incapacités , faire admettre la présomption d’une
suggestion dolosive. Nous arrivons ainsi à nous expli
quer d’une manière rationnelle la disposition de l’arti
cle 901 du Code civil.
�372
TRAITÉ
371. — En effet, si cet article n’avait eu en vue que
l’incapacité du donateur ou testateur, sa disposition était
complètement inutile. En les rangeant sur la même ligne
que les contrats ordinaires, la donation et le testament
en subissaient tous les principes. A quoi bon, dès-lors,
exiger, spécialement pour ce qui les concerne, lasanité
d’esprit? Mais est-ce que, pourconsentir un contrat quel
conque, il ne faut pas être sain d’esprit? Est-ce que la
capacité des parties n’est pas une des conditions essen
tielles à la validité des engagements? Il y a donc, dans
l’article 901, autre chose que ce qui a motivé les articles
1108 et suivants du Code civil, et cette autre chose
n’est que la présomption de suggestion que nous re
levions tout à l’heure.
Ce qui le prouve c’est que, dans le cas de l’article 901,
l’infirmation des libéralités n’est plus soumise aux rè
gles tracées pour celle des contrats ordinaires. On sait
qu’en droit commun l’insanité d’esprit ne peut résulter
que du jugement qui prononce l’interdiction. Ce n’est
qu’à partir de ce jugement que l’incapacité est légale
ment acquise. Les actes de celui qui est mort inleqri
status, sans que son interdiction ait été prononcée ou
provoquée, ne peuvent être attaqués pour cause de dé
mence que si la preuve de la démence résulte de l’acte
même qui est attaqué.1
Quant aux actes antérieurs à l’interdiction, l’arti
cle 503 donne bien la faculté de les annuler, mais dans
1 Art. S04 du Cod. civ.
�D U D O L E T D E UA F I 1A U D E .
3Ï ?
le cas seulement où la cause de l’interdiction aurait no
toirement existé au moment de l’acte.
Mais l’interdiction ne peut être prononcée que si celui
qui doit en être frappé est dans un état habituel d’im
bécillité, de démence ou de fureur. Conséquemment
celui qui n’offrira pas cet état habituel, sera légalement
capable de contracter, alors même qu’il éprouvera des
absences d’esprit plus ou moins longues, à des inter
valles plus ou moins rapprochés. L’acte qu’il aura sous
crit dans une de ces absences n’en produira pas moins
tous ses effets, s’il ne décèle l’état de démence de son
auteur.
Qui ne voit dès-lors que l’application de ces règles
aux donations et testaments ouvrait la plus large issue
à de graves inconvénients et multipliait les chances de
réussite en faveur du dol et de la fraude. C’est précisé
ment un de ces moments de faiblesse que l’avidité met
tra à profit, qu’elle s’évertuera à provoquer, afin d’ex
torquer des libéralités qu’une saine intelligence n’aurait
pas consentie.
L’absence d’un jugement d’interdiction plaçait ces
libéralités hors de toute atteinte. Le seul recours pos
sible était celui autorisé par l’article 504, dans le cas
qu’il prévoit. Mais ce cas est-il facile à se réaliser? Une
donation, un testament authentique sont le fait du no
taire, du moins quant à leur rédaction. D’avance l’on
peut être assuré qu’avant de recourir à son ministère
toutes les précautions seront prises pour parvenir à lui
faire illusion sur l’état mental de celui qui consent l’un
ou l’autre. Le testament olographe lui-même ne sera
�que d’un mince secours quant à la preuve de la démence,
à moins de supposer un état tel que son auteur ne puisse
machinalement écrire ce qu’on lui dictera.
S’en référer pour ces deux actes importants aux prin
cipes généraux sur la capacité, c’était donc consentir à
valider des dispositions n’ayant qu’une apparence de
raison, c’était encourager ces rapines honteuses que la
cupidité ne multiplie que trop, et sacrifier à un vain
scrupule l’intérêt des familles, le repos et la tranquillité
de leur chef. La transmission des biens, pour être équi
table et juste, doit être dirigée par une volonté éclairée
et libre. Or l’homme le plus intelligent, le plus habi
tuellement raisonnable, peut subir, par l’effet de la ma
ladie à laquelle il est en proie, une atteinte grave dans
ses facultés mentales. L’espérance d’une guérison em
pêchera toujours la poursuite d’une interdiction que le
caractère accidentel de la démence, son peu de durée
rendraient d’ailleurs impossible à obtenir. Faudra-t-il
cependant maintenir les libéralités que le malade aura
pu faire en cet état?
C’est ce que l’article 901 n’a pas voulu consacrer. En
faisant de la sanité d’esprit une condition essentielle, la
loi a permis d’attaquer les donations et les testaments
pour cause de démence, sans se préoccuper si l’inter
diction a été ou non prononcée, si la cause en existait
notoirement ou non, si l’acte offre ou n’offre pas la
preuve de la démence. En effet, si l’acte pouvait être
maintenu sous le rapport de la capacité de son auteur,
il devrait être annulé sous le rapport de la suggestion
présumée.
�DU D O L E T DK L A F R A U D E .
375
372. — Ainsi les exigences de la loi ayant pour
motifs autant la conduite de l’institué que l’incapacité
du disposant, l’insanité d’esprit ne s’entend plus, à l’en
droit des libéralités, d’un état habituel d’imbécillité, de
démence ou de fureur. Elle subsiste toutes les fois qu’il y
a privation même momentanée de la raison ; 1 toutes les
fois qu’au moment de la confection de l’acte le disposant
était en proie à une passion violente qui trouble son ju
gement à l’égard des objets qui ont rapport à cette pas
sion;2 toutes les fois, en un mot, que la suggestion a
pu facilement faire triompher Ses prétentions et inspirer
sa volonté.
373. — Le caractère véritable de l’article 901, tel
que nous venons de le définir, 11’est plus aujourd’hui
contesté. Dans l’origine, on avait soutenu que la sanité
d’esprit qu’il exige devait être régie par les principes
ordinaires et subir l’application des articles 503 et 504.
Mais la Cour de cassation, sur le réquisitoire de Merlin,
proscrivit ce système qui, depuis, a été généralement
abandonné. L’arrêt est ainsi motivé :
« Considérant que l’article 504 du Code civil n’est
point applicable aux donations entre vifs ni aux testa
ments, lesquels sont spécialement régis par l’article 901
du même Code, qui a été définitivement adopté et pro
mulgué en ces termes : Pour faire une donation entre
vifs ou un testament, il faut être sain d’esprit; qu’il
1 Jaubert, loco citalo5 Pandectes françaises, art. 901.
�.3 7 6
traite
résulte delà généralité de ces expressions que, nonobs
tant les artieles 1541, 1347, 1352 et 1353 dudit Code,
il est permis aux parties d’articuler, et aux tribunaux
de les admettre à prouver, tous les faits qui sont de na
ture à établir que l’auteur d’une donation entre vifs ou
d’un testament n’était pas sain d’esprit au moment de
la confection de ces actes, sans distinguer si ces faits
ont ou n’ont pas constitué un état, permanent de dé
mence. 1 »
Aucun doute donc ne saurait s’élever sur le sens et le
caractère de l’article 901. La donation, comme le testa
ment, exige dans son auteur une appréciation raisonnée
et intelligente. Cette condition manque si, au moment
de l’acte, le souscripteur n’est pas sain d’esprit. Cet
état, ne fût-il qu’accidentel ou momentané, n’en entraîne
pas moins la nullité de l’acte. Il suffit qu’il ait existé
pour que la disposition soit viscéralement atteinte. Celui
qui n’est pas sain d’esprit ne peut manifester une vo
lonté, il n’a ni la faculté, ni les moyens de le faire. En
réalité, il ne peut concevoir une pensée ni l’exprimer.
Les dispositions qu’on lui attribue sont présumées lui
avoir été suggérées et être le fait de celui qui est appelé
à en profiter.
Eh! ce qui devait surtout le faire décider ainsi, c’est
que l’homme ne dispose le plus souvent de sa fortune
que dans ses derniers moments. La donation elle-même,
consentie quelques minutes avant la mort, n’en con1 Cass., 22 novembre 4810; — vid. nombreux arrêts conformes ; —
Dalloz, Dict. qén. , vis disp, entre vifs, n°8 8 et suiv.
�nu
DOL E T DE LA FRA U D E .
377
serve pas moins le caractère qui lui est propre, Alors,
cependant, que de dangers pour le malade! Que de
sollicitations! Que d’embûches de la part de ceux qui
l’entourent ! En vérité, on ne pouvait faire moins, pour
conjurer ces périls, que d’exiger, comme condition
essentielle de la validité de l’acte, la sanité d’esprit, et
d’annuler, en conséquence, les dispositions arrachées à
une imagination malade, à une raison obscurcie.
374. — Ajoutons que cette conclusion trouvait un
point d’appui dans les législations précédentes. Le droit
romain, entre autres, soumettait le sort des libéralités
à la capacité de fait au moment où elles étaient con
senties.1 D’où Pothier enseignait avec raison : Que ce
n’est pas tant l’interdiction que la démence même qui
rend incapable de tester.
375. — La preuve de l’insanité d’esprit du disposant
est donc péremptoire, elle dispense de celle de la sug
gestion, celle-ci résulte forcément de la première avec
laquelle elle se confond d’une manière indivisible. Or,
nous avons vu la Cour de cassation décider, dans son
arrêt du 22 novembre 1810, que cette preuve est dans
tous les cas recevable, alors même qu’il faut recourir à
des dépositions orales. Cette décision, dictée par la
raison, se justifie en outre très bien sous le rapport des
principes régissant la preuve testimoniale.
Considérée comme créant une présomption légale de
* Inst. , liv. 2, lit. 12-
if
rtl
ip i
�378
T R A I’1'6
captation, l’insanité d’esprit entraîne contre celui qui
en a profité la conviction d’un dol pratiqué non pas seu
lement contre le disposant, mais encore contre ses hé
ritiers naturels, or le dol constitue un véritable quasidélit dont la preuve orale est toujours admissible.
D’autre part, on ne saurait sans injustice exiger, de
celui qui se plaint, une preuve littérale. Celui qui ex
ploite à son profit l’infirmité d’un malade, se garde bien
d’afficher par écrit ses prétentions. La famille qu’il a spo
liée se trouve donc, à son égard, dans la position du
créancier qui n’a pu se procurer la preuve écrite de l’o
bligation, elle trouverait donc, si on pouvait lui opposer
l’article 1541, le moyen d’en éluder l’application en in
voquant la disposition précise de l’article 1348576- —- Mais, en réalité, l’article 1341 est inappli
cable aux actions fondées sur l’insanité d’esprit. Ces
actions n’ont nullement pour objet de porter atteinte à
la foi due à l’acte, à la véracité de ses énonciations; ce
qu’elles tendent à établir, c’est l’existence d’un vice af
fectant l’acte dans son essence, lui faisant perdre toute
légalité. Ce n’est pas là, dès-lors, prouver outre et hors
le contenu en l’acte, car il faut distinguer l’intérieur de
la disposition de la capacité de celui qui l’a faite. Sans
doute, lorsqu’il ne s’agit que de l’acte, de la vérité de
ce qu’il contient, des formes dont il est revêtu, il est de
règle générale qu’on n’admet pas la preuve par témoins
contre ce qui est écrit, parce qu’il prouve lui-même, et
d’une manière authentique, tout ce qu’on a besoin de
savoir à cet égard. Mais quand il est question de la ca-
�DU DOL ET DE LA F1ÏAUDE.
379
pacité des parties, l’acte môme authentique ne la prouve
pas, il la supppose.1Ce n’est point ici un fait matériel se
réalisant sons les yeux du notaire, et qu’il a mission de
constater, c’est une appréciation que les recherches que
la loi prescrit à cet officier public, à l’effet de s’assurer
de la capacité des parties, lui ont inspiré. Cette appré
ciation peut bien créer une présomption conforme à
l’opinion du notaire, mais il suffit qu’il ait pu se tromper
ou être trompé pour1que cette opinion ne participe en
rien à l’authenticité que ses fonctions assurent aux
autres énonciations de l’acte.
De là cette conséquence que, si ces énonciations ne
peuvent être détruites que par une inscription de faux,
l’erreur, dans l'appréciation de la capacité, peut tou
jours faire l’objet d’une preuve testimoniale. Ainsi, et
malgré la déclaration du notaire que le disposant lui a
paru, ou a été sain d’esprit, le contraire peut être établi
sans la voie de l’inscription de faux, c’est ce que la doc
trine et la jurisprudence admettent, c’est ce que décide
formellement l’arrêt de cassation déjà cité, du 22 no
vembre 1810.
577. — L’admissibilité de la preuve orale pour l’in
sanité d’esprit n’est donc pas une dérogation à l’arti
cle 1341. Alléguer la démence, ce n’est pas contester la
matérialité de l’acte, la vérité de ses allégations, la ré
gularité de ses formes ; c’est soutenir qu’il ne pouvait
exister de convention régulière, de consentement va1 Merlin, «cp., v° lest., sect. 1, § I, art. î.
�380
t r a it é
labié. Le respect dû à l’acte écrit intéresse trop l’ordre
public, il est trop profondément implanté dans notre lé
gislation pour qu’on ait voulu le faire céder même
devant l’intérêt des familles ; ce qui le prouve, c’est
que nous allons le retrouver avec toutes ses exigences
dans le développement du principe de la recevabilité de
la preuve testimoniale, en matière d’insanité d’esprit.
378- — Cette preuve, en effet, ne doit être admise
qu’autant que les faits articulés se renfermeraient dans
la violation de l’article 901 et auraient pour objet la
justification de l’état d’imbécillité ou de démence. Les
faits qui seraient de nature à contredire les allégations
essentielles de l’acte, ou qui renfermeraient la déné
gation des circonstances que le notaire a mission de
constater, devraient être rejetés. La preuve n’en pour
rait être reçue qu’après le préalable de l’inscription de
faux.
Ainsi on pourra, sans recourir à cette voie, prouver
par témoins qu’avant, pendant et après l’acte, le déposant
n’a pas eu la libre jouissance de ses facultés intellec
tuelles ; que même, en présence du notaire, cet état
s’est manifesté par de signes plus ou moins caractéris
tiques, par des propos extravagants, par des actions
insensées. Mais on ne saurait, sans s’inscrire en faux,
prétendre prouver que l’acte a été reçu dans un lieu
autre que celui qui y est indiqué, ou qu’au moment de
la réception, le disposant était dans un tel état de pros
tration physique ou morale qu’il n’a pu ni écrire, ni
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
381
parler, alors que l’acte porte qu’il a dicté et signé ses
dispositions. 1
379. — Cette règle, dont les tribunaux ne sauraient
s’écarter , détermine, comme conséquence forcée , la
nécessité d’articuler d’une manière nette et précise les
faits dont on prétend faire résulter l’insanité d’esprit.
C’est, en effet, le moyen unique d’apprécier le caractère
et la portée de chacun d’eux, et de reconnaître ceux
qu’il faut admettre, ceux qu’il faut rejeter.
Sous un autre rapport, l’articulation des faits n’est
pas moins indispensable. Il ne suffît pas qu’une preuve
soit recevable pour qu’elle doive être admise. La con
dition essentielle de l’admission est que la plainte soit
dès à présent vraisemblable, ce qu’on apprécie par les
circonstances et les faits du procès. Ainsi le demandeur
en nullité, qui se contenterait d’offrir la preuve de l’in
sanité d’esprit au moment de l’acte, verrait sa demande
rejetée purement et simplement.2
On doit d’autant plus le décider ainsi que, loin de se
relâcher de la sévérité ordinaire à l’endroit de la preuve
testimoniale, la loi conseille une plus grande circons
pection lorsqu’il s’agit, par son secours, d’annuler les
actes de dernière volonté, dont l’exécution religieuse est
le premier de ses vœux. Cette nullité dès-lors ne doit
être accueillie que si le juge est moralement et légale1 Cass. 3 décembre 1807,17 juillet 1817 ; — Grenoble, 3 août!829 ;
— D. P. 7, 1, 181, 17, 418. 30, 2, 2S1.
s Rouen, 3 mai 1816; •— Colmar, 17 juin 1812 ; — Besançon, 19 dé
cembre 1810 ; — Aix, 14 février 1808 ;— V. Journal du Palais.
�382
tra ite
ment convaincu de sa nécessité et de sa justice. Les faits
à prouver doivent donc promettre ce double caractère.
Or, comment l’apprécier, si ces faits ne sont pas même
articulés ?
L’articulation des faits est doue, sous tous les rapports,
un devoir rigoureux dont l’omission entraîne le rejet de
la preuve.
380. — Il résulte de plus de ce qui précède, que la
pertinence des faits se mesure sur leur plus ou moins de
signification, relativement au point interloqué, à savoir:
l’insanité d’esprit au moment de la confection de l’acte
attaqué. A. cet égard, ils doivent tendre à l’établir d’une
manière claire, précise et sans équivoque. Ainsi, ceux
qui se rapporteraient à des époques antérieures ou pos
térieures devraient être rejetés comme inconcluants, à
moins qu’on ne prétendît justifier d’un état habituel de
démence, d’imbécillité ou de fureur. Dansltous les cas,
les faits doivent être décisifs, la preuve de quelque bi
zarrerie dans les idées ou dans le caractère, de quelques
actes déraisonnables soit avant, soit après la libéralité,
serait insuffisante pour la faire infirmer.1On ne saurait,
en effet, rien en conclure contre la validité de l’acte,
dont la nullité ne saurait jamais être prononcée par
voie de conséquence. « Les demandes d’annullation,
dit M. Grenier, doivent être appuyées sur des faits
précis, nettement articulés. Les tribunaux ne procèdent
jamais par induction, parce qu’il s’agit d’une incapacité.
1 Paris, 26 mai 1825.
�DU DDL LT DE L a Fit AUDE.
383
Ainsi le grand âge du testateur, l’oubli de sa famille,
l’importance des dispositions qu’il ferait en faveur de
ses domestiques, toutes ces circonstances seraient par
elles-mêmes insuffisantes pour constater la démence1. »
Si la démence était certaine avant et après l’époque
qui a vu la libéralité s’accomplir, devrait-on considérer
cette libéralité comme le résultat de l’insanité d’esprit?
La solution de cette question est laissée à la prudence
des juges, elle dépend de l’appréciation des circons
tances, pouvant établir chez le disposant un état ha
bituel d’imbécillité, de démence ou de fureur.
N’oublions pas cependant que la validité de l’acte
n’est pas inconciliable soit avec un état de démence
antérieure et postérieure, soit avec l’étal habituel luimême. Dans la première hypothèse, l’absence de toute
interdiction, le défaut de poursuites, fait supposer la ca
pacité; dans la seconde, cette présomption est rem
placée par celle de l’existence d’un intervalle lucide.
Protégé par l’une ou par l’autre, l’acte doit être main
tenu si la preuve rapportée n’est, pas de nature à jus
tifier l’incapacité et à démontrer l’absence de tout
intervalle lucide.
381. — La possibilité légale de ces intermissions,
dans l’état de folie, était admise par notre ancien droit.
On en trouve la preuve dans la doctrine si clairement
résumée dans le plaidoyer de d’Aguesseau, sur le tes
tament de l’abbé d’Orléans.
1 Des Donat., t. i, n°103;—Conf. Cass., 18 oct. 1809; — Rouen,
3 mai 1816.
�Il est vrai que cet illustre magistrat semblait n’ad
mettre l’existence des intervalles lucides que chez le
furieux. Mais cette opinion n’était pas généralement
suivie, le testament de l’insensé, celui de l’imbécille
était susceptible d’être validé, comme ayant été fait
dans un intervalle lucide. 1
L’absence de toute interdiction faisait même pré
sumer l’existence de l’intervalle lucide, mais pouvaiton en exciper lorsque l’interdiction avait été pro
noncée ?
Cette question, qui avait soulevé de graves difficultés,
paraît avoir été décidée pour la négative. Ainsi, sous ce
rapport, nos anciens jurisconsultes s’étaient écartés de
la solution qu’offrait, sur ce point, le droit romain.
Nous avons déjà fait observer que Justinien ne faisait
dépendre le sort des libéralités que d’une seule con
dition, à savoir : la capacité de fait au moment de l’acte,
in eo qui teslatur ejus temporis quo testamentum facil,
integrilas mentis, non corporis sanilas exigencla est. Or
cette capacité de fait résultant de l’intervalle lucide, le
testament fait pendant la durée de celui-ci était validé
sans contestation : Furiosi autem si perid tempus fecerint
testamentum, quo furor eorum intermissus est, jure testassi esse videntur 2.
Or l’interdit., comme celui qui ne l’était pas, quoique
méritant de l’être, était dans le cas d’éprouver un de ces
moments heureux pendant lesquels, dominant le mal
1 Furgole, des Test., chap. 4, sect. 2, n° 208.
5 Inst., liv. 2, lom. x i i , loi 20, dig ; — loi 9, Cod. qui test, facere pos-
�D ü DDL ET DE LA FRAUDE.
385
qui l’accablait, son esprit reprenait son empire, re
couvrait sa lucidité et son intelligence. On ne pouvait
contester à l’un ce qu’on admettait pour l’autre, sans
attachera l’interdiction, judiciairement prononcée, ce
singulier effet de renverser les règles de la nature, et de
rendre impossible des phénomènes dont elle admet
l’existence, il faudrait, dans ce cas, renverser la pro
position que Pothier nous enseigne et dire : que ce n’est
■ pas tant la démence que l’interdiction même qui rend
incapable de tester.
■
.4\
382. — Quoi qu’il en soit, quelle est de ces deux
solutions celle que le Code actuel a sanctionnée ? Quel
serait aujourd’hui le sort d’un testament fait par l’in
terdit postérieurement à son interdiction ?
Ces questions seraient toutes tranchées, s’il fallait les
résoudre sous l’influence de l’article 502. Tous les actes
passés après l’interdiction sont nuis de plein droit, porte
cet article. D’où MM. Touiller et Grenier concluent que
le testament intervenu dans les mêmes circonstances ne
saurait sortir à effet.
Celte conclusion renferme-t-elle une saine appré
ciation de l’esprit de notre législation, en matière de
testaments ? Nous hésitons d’autant plus à le croire
qu’elle suppose a priori l’application de l’article 502 à
ces actes, tandis que le contraire nous paraît démontré.
Remarquons d’abord que le Code s’est exactement
approprié la pensée de la loi romaine. Comme celle-ci
en effet, et presque dans les mêmes termes, il n’exige,
<
25
�386
t r a it é ;
pour condition des libéralités, que la capacité de fait au
moment de l’acte.
Il est donc certain, aujourd’hui, que ce qui confère la
capacité de tester, c’est non corporis sanitas, mais inlc_
grilas mentis. On saitla conséquence que le droit romain
en avait tirée. Peut-on dès-lors raisonnablement ad
mettre que le Code ait adopté le même point de départ
pour arrivera une déduction diamétralement opposée?
Ce système, à notre avis, blesse évidemment la lo
gique, mais nous allons plus loin encore, car nous
trouverons qu’il ne choque pas moins la raison. L’arti
cle 991, exigeant la sanité d’esprit, est complètement
satisfait lorsque cette condition se réalise, et c’est ce qui
arrive lorsque l’interdit a réellement joui d’une inter
valle lucide, pendant lequel il a disposé. Or, l’opinion
que nous combattons tend à déclarer l’existence de ces
intervalles impossible après l’interdiction, comme si la
décision judiciaire qui la prononce pouvait avoir pour
effet de proscrire ce que la nature autorise, ce qu’on
admet sans difficulté pour celui qui n’a pas été interdit,
quoique étant réellement dans le cas de l’être.
Nous n’avons pas besoin d’insister sur l’énormité de
cet effet attaché au jugement d’interdiction; elle est
telle à notre avis, qu’elle n’a pu venir à la pensée du
législateur.
La preuve nous en est fournie par l’article 901, qui
crée pour les libéralités un système spécial, dérogatoire
au droit commun en matière de capacité. C’est ainsi
qu’il est admis que les articles 503 et 504 n’ont aucune
application aux donations entre vifs et aux testaments.
�DU DDL ET DE LA FRAUDE.
387
Or, ce qu’on décide pour ceux-ci, on doit le consacrer
pour l’article 502. En effet, recourir à celui-ci lorsqu’il
y a eu interdiction et repousser l’article 504 lorsque le
disposant est mort inlegristatus, ce serait admettre que
le législateur a prétendu favoriser tout ce qui tend à in
firmer les testaments, réservant toute sa sévérité pour
ce qui est dans le cas d’en assurer le maintien. Or, nous
l’avons déjà dit, l’esprit de la loi a été de consacrer pré
cisément le contraire.
Dès-lors, si le tesfament de celui dont tous les actes
sont inattaquables peut être attaqué pour cause de dé
mence, il faut, par réciprocité, admettre que là où tous
les actes ordinaires seraient nuis de droit, le testament
pourra être maintenu si la condition exigée par l’arti
cle 901 s’est réalisée. Sans doute l’interdiction judiciai
rement prononcée crée une présomption de démence,
mais son absence fait présumer la sanité d’esprit. Puis
que dans ce cas cette présomption n’exclut pas la preu
ve de la démence, il faut, pour être rationnel, conclure
que dans le premier cas la présomption de la démence
ne peut s’opposer à la preuve de la sanité d’esprit.
583. — En d’autres termes, l’article 901 dérogeant
aux articles 503 et 504, déroge également, et par parité
de raison, à l’article 502. C’est d’ailleurs ce qu’ensei
gne Merlin :
« Dès que pour déclarer un furieux ou un homme en
démence incapable de tester, n’importe qu’il soit inter
dit ou non, on est obligé de recourir à l’article 901, il
faut bien aussi que l’on s’y tienne pour déterminer les
�388
TRAITÉ
limites de cette incapacité. Or, d’une part, cet article ne
fait dépendre la capacité de tester que de la santé de
l’esprit, et de l’autre, il est bien sensible que l’interdic
tion ne peut empêcher que l’individu qu’elle frappe
n’ait des intervalles lucides, ni, par conséquent, qu’il
soit sain d’esprit pendant ces intervalles. Elle ne peut
donc pas l’empêcher de tester. Eh ! que ferait-on en ju
geant le contraire? On ajouterait à l’article 901 une ex
ception qu’il ne contient pas et l’on appliquerait aux
testaments l’articleS02, qui y est évidemment étranger,
c’est-à-dire qu’on violerait doublement la loi. 1 »
384. — Nous ne connaissons aucun monument de
jurisprudence qui ait eu à résoudre la question qui nous
occupe; mais un arrêt récent de la Cour de cassation
crée un très fort préjugé contre la doctrine de MM.
Toullier et Grenier. La Cour suprême a, en effet, jugé,
le 12 novembre 1844, que l’article 502 n’était pas ap
plicable au mariage et à la légitimation des enfants na
turels, qu’en conséquence l’interdit avait pu valable
ment, après son interdiction, se marier, reconnaître et
légitimer les enfants nés avant ce mariage. Certes, ces
actes exigent, de la part de ceux qui les contractent, un
consentement libre et éclairé. Ce n’est donc que par la
supposition d’un intervalle lucide qu’on a pu recon
naître à l’interdit la faculté d’v procéder. Hésiterait-on
à admettre pour la donation et le testament ce qu’on a
admis pour le mariage et la légitimation? Il suffit de ré1 Rép.,y° test., sect. 4, § 4, art. 1, n“ 6.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
389
fléchir aux effets nécessaires des uns et des autres pour
être certain du contraire.
385. — Retenons donc que le testament postérieur
au jugement d’interdiction n’est pas nul de plein droit ;
qu’il doit, au contraire, sortir à effet et être maintenu,
si le légataire institué prouve qu’il a été commencé et
fini pendant la durée d’un intervalle lucide.
Nous disons : pourvu que le légataire prouve l’inter
valle lucide. Remarquons, en effet, que l’interdiction,
quoique ne s’opposant nullement à la réalisation d’un
de ces intervalles, établit la présomption légale d’insa
nité d’esprit; que dès-lors c’est à celui qui y a intérêt à
prouver la vérité contraire. L’interdiction produit donc
dans cette matière un effet certain ; elle déplace la pré
somption qui s’attache à l’acte et change les obligations
respectives des légataires et des héritiers naturels. Si le
testateur est décédé integri status, le testament est ac
cepté, jusqu’à preuve contraire, comme l’expression
d’une pensée saine; si l’interdiction a été prononcée,
le testament est présumé l’ouvrage de la démence.
Dans le premier cas, la preuve de l’insanité d’esprit
est à la charge des héritiers naturels ; dans le se
cond, c’est l’héritier institué qui doit fournir celle de
la raison.
386- — Cette dernière preuve sera assez difficile
dans bien des cas. Dans tous, l’acte lui-même, la nature
de ses dispositions, leur étendue, la justesse d’esprit qui
s’y fera remarquer en seront des éléments essentiels.
�A cet égard, cependant, la valeur de ces indications
sera nécessairement relative. L’acte authentique appar
tient, quant à la rédaction, bien plutôt au notaire qu’au
disposant lui-même. Il est donc évident que la lucidité,
que la sagesse de cette rédaction ne fournira qu’un in
dice peu grave de la sanité d’esprit du disposant.
Il n’en est pas ainsi du testament olographe; celui-ci
est l’œuvre exclusive du testateur. Il fairait donc faci
lement admettre son état de raison si, par son étendue
et la clarté de ses dispositions, il paraît repousser toute
idée de démence.
Toutefois, le testament peut avoir été machinalement
copié sur un projet fourni ou dicté au testateur par les
personnes intéressées. Ce n’est pas tout d’écrire des
dispositions, il faut en outre être en état d’en compren
dre la nature, d’en apprécier la portée. La preuve do
l’une des circonstances que nous indiquons altérerait
donc gravement la foi due à la sagesse de l’acte.
Au reste, c’est à la prudence du juge à établir le vé
ritable caractère de l'acte attaqué ; c’est par l’examen
attentif des circonstances et des faits que la justice dis
tinguera celui qu’il faut maintenir et celui qu’il con
vient de rejeter.
387. — En résumé, le respect que son caractère de
haute utilité assurait à la libre disposition des biens,
dictait au législateur le devoir d’en assurer la sincérité.
Les influences que la cupidité fait s’agiter autour d’un
mourant offraient un véritable danger, car elles pou
vaient lui inspirer une volonté contraire à ses propres
�intentions et s’enrichir ainsi par une voie illégithhe.
C’était donc ces influences qu’il fallait d’abord pros
crire ; de là, l’incapacité des tuteurs, médecins, phar
maciens, ministres des cultes. La crainte d’une sugges
tion dolosive était bien mieux fondée lorsque le testa
teur, privé de sa raison, se présentait comme une proie
facile à toutes les manœuvres. Les motifs étant iden
tiques, on devait sanctionner un principe commun, et
de là la présomption de suggestion qui, indépendam
ment de l’incapacité du disposant, annulle les libéra
lités arrachées à une pensée inerte et faible, incapable
d’apprécier et de comprendre.
Le besoin d’assurer sur ces deux points la volonté
du législateur commandait de proclamer la recevabilité
de la preuve testimoniale, dont l’admissibilité est aban
donnée aux lumières et à la prudence des magistrats.
388. — Nous arrivons à la captation ordinaire, qui
se concilie très bien avec la sanité d’esprit la plus com
plète. La captation, en effet, est de toutes les fraudes la
plus déliée, la plus subtile ; elle s’insinue d’abord dans
les bonnes grâces de celui qu’elle veut égarer; exploite
à son profit ses goûts, son intérêt, ses passions; elle
abuse bientôt de l’ascendant que ses manœuvres ont
su lui conquérir, et parvient même à triompher de la
volonté la mieux arrêtée.
Son existence, comme dans les cas précédents, vicie
donc l’acte qui en est entaché. La seule différence c’est
que, présumée pour ceux-ci, elle doit, dans l’hypothèse
qui nous occupe, êlrç„..prouvée par celui qui l’allègue.
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�392
t r a it e
589. — Dès-lors, l’offre de fournir cette preuve est
toujours recevable. Un instant le silence gardé par le
Code, sur cette cause de nullité des libéralités, avait fait
contester ce résultat. On avait, en effet, interprété ce
silence comme une abrogation de l’article 47 de l’or
donnance de 1735, d’où l’on concluait que la recher
che de la captation était interdite. Mais cette interpré
tation, que la discussion législative n’autorisait d’au
cune manière, a été depuis longtemps repoussée par la
doctrine et la jurisprudence.
La captation ou suggestion est donc encore une cau
se de nullité des libéralités. Mais en conservant le prin
cipe, l’on n’en a point diminué et encore moins fait dis
paraître les difficultés d’application. Les procès de
captation soulèvent ordinairement, et souvent sans in
térêt réalisable, les plus scandaleux, les plus affligeants
débats. « Qui ne soit, disait naguère devant la Cour de
cassation M. l’avocat-général Delangle ; qui ne sait que
le plus souvent les procès de ce genre sont imaginés par
ceux qui n’ont pas d’autres moyens d’attaquer un tes
tament. Sur cent procès, c’est à peine si un réussit;
aussi, quoi de plus scandaleux! Sous les prétextes les
plus frivoles et dans un misérable intérêt d’argent, on
exhume le testateur et l’on dirige contre sa mémoire
d’insultantes accusations. Sa vie privée, ses moeurs,
ses pensées, ses habitudes les plus intimes, rien n’est
respecté ; tout, au contraire, revêt, au gré d’une po
lémique ardente, les plus odieuses couleurs. »
Ces inconvénients, réellement déplorables, avaient
déjà tellement frappé les auteurs du Code, que le pre-
�DD DOD E T DE LA FEADDE.
393
mier projet avait formellement rayé la captation du
nombre des causes de nullité des donations et testa
ments. La discussion l’a fit cependant maintenir. Fautil le regretter? Il faut convenir qu’on n’a pas le courage
de le faire en présence des motifs qui ont déterminé le
législateur.
« La loi, dit M. Bigot de Préameneu, a gardé le si
lence sur le défaut de liberté qui peut résulter de la cap
tation et sur le vice d’une volonté déterminée par la co
lère ou par la haine. Ceux qui ont entrepris de faire an
nuler des dispositions par de semblables motifs, n’ont
presque jamais réussi à trouver de preuves suffisantes
pour faire rejeter des titres positifs, et peut-être vau
drait-il mieux, dans l’intérêt général, que cette source
de procès ruineux et scandaleux fût tarie, en déclarant
que ces causes de nullité ne seraient pas admises. Mais
alors la fraude et les passions auraient cru voir dans la
loi même un titre d’impunité. Les circonstances peu
vent être telles, que la volonté de celui qui a disposé
n’ait pas été libre ou qu’elle ait été entièrement déter
minée par une passion injuste. C’est la sagesse des tri
bunaux qui pourra seule apprécier les faits et tenir la
balance entre la foi due à l’acte et l’intérêt des familles;
ils empêcheront qu’elles ne soient dépouillées par les
gens avides qui subjuguent les mourants, ou par l’effet
d’une haine que la nature ou la raison condamne. »
Ainsi si, dans l’origine du Code, les procès en cap
tation ont pu présenter une question de droit, ils ne
s’auraient plus aujourd’hui constituer qu’une pure
question de fait, que la conscience du juge apprécie
�394
TBAÏTE
souverainement. Mais, dans l’intérêt même de cette ap
préciation, faisons remarquer que ce n’est, en quelque
sorte, qu’à regret que la captation et ses effets ont été
maintenus dans la législation. Cette considération indi
que suffisamment avec quelle prudente réserve doivent
agir les tribunaux dans leur admission.
590. — Il en est de la captation ordinaire comme
de la captation présumée, c’est-à-dire que la preuve
testimoniale est toujours recevable. Le système que
cette recevabilité devait être subordonnée à l’existence
d’un commencement de preuve par écrit, un instant
soutenu, a été abandonné par tout le monde. Consé
quemment, son admissibilité dépend essentiellement
de la gravité et de la pertinence des faits articulés.
391. — Or les faits n’ont de la gravité que s’ils ten
dent à établir un ensemble de manœuvres frauduleuses
et dolosives. En effet, la seule captation que la loi a
voulu reprimer, est celle qui, par une espèce de violence
morale, est parvenue à substituer à la volonté spontanée
du disposant une volonté qu’elle a su faire naître et
qu’elle a entretenue par ses artifices : Quod falsœ et
dolosœ suggestiones adhibitœ sint , comme dit la loi
romaine.
« Ainsi, ditFurgole, les présents, les affections vraies
ou simulées, les services, les complaisances, les ca
resses, les prières, dans la vue d’attirer les libéralités,
n’ont pas, à la vérité, toute la pureté d’intention et ne
sont pas louables à cause du motif d’intérêt sordide qui
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
395
en est le mobile, mais ces voies ne sont pas pourtant
déclarées illicites, parce qu’elles n’ont pas une liaison
nécessaire avec le dol et la fraude. Ce sera tout au plus
ce qu’on appelle do lus bonus, qui ne doit point nuire à
celui qui le met en usage.1»
Il est évident, en effet, qu’on ne pouvait réduire le
sort de la captation à un fait intentionnel dont la re
cherche ne saurait dans aucun cas offrir la moindre sé
curité, la plus légère certitude. Les tribunaux n’ont pas
la mission.de lire dans les cœurs, parce qu’ils n’en ont
pas le pouvoir. C’est par des faits certains qu’ils peuvent
arriver à des conséquences plus ou moins logiques. Et
si, nonobstant ces éléments, l’erreur se glisse quelque
fois dans leurs décisions, il en serait bien plus ainsi si
ces décisions étaient réduites à interpréter le véritable
caractère des pensées intimes des parties confondantes.
Qu’importe d’ailleurs que le disposant ait été la dupe
d’une affection simulée, qu’il ait cru à la sincérité de
l’attachement qu’on lui témoignait. De sa part, au moins,
cet attachement était sincère, et si la libéralité n’a été
que la conséquence de ce sentiment, il y a bien réelle
ment volonté certaine, et conséquemment impossibilité
de s’y soustraire : Caplalorias institutiones non eus sé
nat us improbavit, quœmuluis affectionibus jndicia provocciverunl. 2
De là il suit que si les faits articulés ne tendaient à
établir que des circonstances de la nature» de celles
1 Des J'esl., chap. S , sect. 3.
2 L. 70, Dig. do h w red. insL
�-----------------------
396
t r a it é
relevées par Furgole, la preuve en serait inadmissible.
En effet, prouvées qu’elles fussent, supposé même qu’on
pût en démontrer le défaut de sincérité, ces circons
tances ne pourraient empêcher l’acte de produire son
plein et entier effet.
592. — Mais à quelles conditions reconnaîtra-t-on
qu’il s’agit d’une captation prohibée? Évidemment lors
que les faits allégués, s’ils étaient certains, rendraient
la libéralité involontaire, en démontrant l’illégitimité
des moyens à l’aide desquels on est parvenu à égarer
son auteur. Bien qu’en pareille matière il ne puisse
exister ni règles absolues, ni précédents obligatoires,
il est cependant admis en doctrine et en jurisprudence
qu’il est des faits ayant à cet égard une grave et impor
tante signification.
Ainsi un homme a toujours bien vécuavec sa famille.
Survient un tiers qui se substitue à celle-ci dans son
affection. Pour assurer son empire, il répand le venin
de la calomnie sur les membres de la famille, les dépeint
comme les ennemis particuliers de celui qu’il trompe,
et parvient enfin à les faire déshériter.
Dans la même hypothèse, le tiers ne se contente pas
de semer la haine et la discorde entre le testateur et
ses héritiers naturels. Se méfiant encore des sentiments
du premier, il l’éloigne de tous ses amis, de tous ses
parents, auxquels il interdit tout accès.
Évidemment des actes de cette nature ont une portée
énorme. Ils prouvent que la libéralité n’a pas été l’effet
de l’affection. Le testateur, en effet, aurait préféré ses
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
397
parents, s’il n’avait été abusé par les calomnies odieu
ses dont ils ont été l’objet, calomnies dont la séquestra
tion devait assurer le triomphe, en apportant un obsta
cle invincible à toute explication.
D’autre part, quel peut être le motif de la séquestra
tion, si ce n’est d’isoler celui qui la subit et de triom
pher ainsi plus facilement de sa volonté. On peut même
dire que l’auteur de cette mesure illégale a, par cela
seul, témoigné combien était faible l’affection dont il se
prévaudra plus tard. C’est, parce qu’il a craint que ce
sentiment ne s’effaçât devant la présence seule des pa
rents qu’il les a soigneusement écartés.
Dès-lors l’offre de prouver, soit un système de ca
lomnie contre la famille, soit la séquestration du dispo
sant, contient des faits d’une nature grave. Ce sont là
des moyens dolosifs reprouvés par la morale et par la
loi. Leur preuve est non-seulement recevable, mais en
core admissible, si d’ailleurs on lui reconnaît les ca
ractères de pertinence dont nous parlerons bientôt.
395. - Le concubinage était autrefois une cause de
nullité des donations ou testaments. Son existence fai
sait présumer la captation dolosive. La preuve en était
donc recevable et admissible.1
Il faut convenir que la prohibition de l’ordonnance,
dont la rigueur avait d’ailleurs été modifiée dans la pra
tique, s’étayait, au point de vue juridique et moral, sur
des puissantes considérations. On connaît l’empire que
1 Ordonnance de janvier 1629, art. 152.
�398
TRAITE
des relations illégitimes créent, surtout sur des vieil
lards, et la certitude de cet empire pouvait facilement
déterminer la conviction que les libéralités obtenues
n’avaient pas d’autre cause. L’histoire du concubinage
est, dans une autre signification, le martyrologe de bien
de familles qui l’ont vu audacieusement exploiter la
discorde et la haine qu’il avait semées dans leur sein.
Cependant le Code civil a nettement répudié sur ce
point les errements du législateur de 1629. Non pas,
certes, qu’on se soit dissimulé la réalité du danger que
celui-ci avait prévenu, mais on a considéré qu’il y au
rait un péril plus grave encore, pour la morale publi
que, dans la manifestation des désordres et des passions
du testateur; dans le scandale d’actions dirigées quel
quefois sans fondement contre la personne instituée.
Quoi qu’il en soif, il est bien certain qu’aujourd’hui le
concubinage ne détermine aucune incapacité, qu’il ne
peut même être invoqué comme prouvant la captation.
Celui-là donc qui demanderait à le prouver, comme
moyen unique d’établir celle-ci, devrait être repoussé.
La preuve offerte serait ni recevable, ni admissible.1
Mais le concubinage rend la captation vraisemblable.
A ce titre, il devient un élément essentiel du dol, un
moyen d’apprécier la gravité des faits signalés. Lors
donc qu’on l’articule à l’effet d’étayer divers autres ma
nœuvres et artifices, la preuve peut et doit en être or
donnée.2
1 Pau, 20 mars 1822; — Grenoble, 15juin 1822;—Paris, 17 jnil. 1826.
5 Cass., 51 janv. 1814; — Aix, 17 avril 1844 (succession Gastain).
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
399
594. — Au reste, une considération qui domine
nécessairement toute notre matière, c’est que la gravité
des faits, au point de vue des résultats à obtenir, est
purement relative. On doit l’apprécier dans chaque es
pèce, non-seulement par l’ensemble des circonstances,
mais encore par la position respective du disposant, de
sa famille, de l’institué, par leurs antécédents à tous.
C’est à la prudence du juge à consacrer la solution la
plus rationnelle. Nous l’avons déjà dit, son appréciation
est souveraine. Cependant la loi nous paraît avoir tracé
le mode à suivre dans la création des incapacités. Plus
une personne aura été dans le cas d’influencer la vo
lonté du disposant, plus on croira à l’exercice de cette
influence. En conséquence tel fait qui, par rapport à
l’un, manquerait de gravité, en acquerrait une positive
par rapport à l’autre. La preuve qui serait repoussée
pour celui-là pourra donc être admise pour celui-ci.
595. — La gravité des faits détermine généralement
leur pertinence. Il est rare, en effet, qu’un fait grave soit
jugé non pertinent. Cependant cela peut se réaliser,
lorsqu’il s’agit d’un procès en captation ou suggestion.
On doit, dans ce cas, se montrer beaucoup plus sévère
que lorsqu’il s’agit d’une simple obligation. C’est ce qui
s’induit des principes que nous avons déjà rappelés.
L’exécution littérale des dispositions réglant la trans
mission des biens est le premier vœu du législateur,
parce qu’elle est une nécessité sociale. Or, soumettre
au gré d’un héritier désappointé et, dans tous les cas,
cette exécution aux chances de témoignages complai-
m
II
�400
TRAITÉ
sants ou corrompus, c’est non-seulement aller contre
l’esprit de la loi, mais encore altérer la foi due aux di
vers modes de transmission autorisés.
Que, dans le but d’en assurer la sincérité, on ait per
mis de recourir à la preuve testimoniale, c’est là une
exception dictée par l’intérêt bien entendu des familles,
et non une arme abusive qu’on ait voulu leur confier.
Il convient donc de la renfermer dans les limites d’une
nécessité démontrée. Or, s’il suffisait d’articuler des
faits graves pour obtenir de faire entendre des témoins,
l’exception deviendrait bientôt le droit commun.
En effet, le demandeur en preuve saura bien articuler
des faits assez graves pour que sa demande ne puisse
être refusée. 11 parlera de calomnies répandues contre
les parents, de la séquestration de l’auteur de la libéra
lité, et, suivant qu’il sera possible de le faire, du con
cubinage même. Il sait très bien lui-même qu’il est dans
l’impossibilité de prouver ce qu’il avance, mais l’intérêt
du moment est d’obtenir l’interlocutoire, cela prolonge
d’abord le litige, puis la preuve testimoniale a tant de
chances ! Il peut se faire même que l’adversaire, effrayé
de ses incertitudes, compose en abandonnant une partie
de ses droits.
Ce calcul n’est pas toujours une pure hypothèse. Sa
possibilité avait tellement frappé des esprits judicieux
qu’elle les avait déterminé à subordonner la recevabilité
de la preuve orale de la captation à l’existence d’un
commencement de preuve par écrit. On a, avec raison,
condamné ce système qui, pour éviter un inconvénient,
tombait à plein dans l’inconvénient opposé. Mais l’exis-
�DU DOL ET DE
LA FRAUDE.
401
tence du danger signalé exigeait qu’on s’occupât de le
prévenir. Le moyen qui s’offrait le plus naturellement
était de se montrer exigeant sur ce qui constitue la per
tinence des faits.
On ne reconnaîtra donc ce caractère qu’aux faits qui
tendent à prouver :
596. — 1° Que la captation dolosive a été la cause
déterminante de la libéralité.
Cette condition n’est qu’une application exacte de
l’article 1116 du Code civil. Aux termes de sa dis
position, le dol n’annulle le contrat que si les ma
nœuvres de l’une des parties ont été telles que, sans ces
manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté. En
d’autres termes, la captation dont on se plaint doit cons
tituer un dol substantiel, car il n'apparaît en rien que
le législateur ait entendu déroger, pour les actes à titre
gratuit, à la règle commune à tous les contrats.
De là cette conséquence que si le défendeur prouvait
que la libéralité a une cause naturelle et légitime, in
dépendante du dol, s’il établissait, par exemple, par des
précédents certains, qu’il a été l’objet d’une affection
constante de sa part, les faits à l’aide desquels on entend
prouver la captation se trouveraient ou infirmés, ou
condamnés d’avance à ne produire aucun résultat posi
tif. Sans doute leur existence démontrée ferait pré
sumer le dol, mais la certitude de l’affection du dis
posant pour l’institué créerait la présomption con
traire. On ne saurait, dès-lors, se prononcer pour l’une
ou pour l’autre sans s’exposer à s’écarter de la vérité.
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t r a it é
Il y aurait, tout au moins, doute sur le mobile qui a
fait agir le disposant,et, dans le doute, on doit se pro
noncer pour le maintien de l’acte.
397. — La Cour de Dijon a fait une remarquable
application de ce principe dans l’espèce suivante :
i L’abbé Yolfîus, ancien évêque de Dijon, meurt en
l’état d’un testament par lequel il lègue une maison
valant 6000 fr. à la demoiselle Édme-Rose Guedeney,
sœur de Marie, sa domestique, et institue celle-ci et le
sieur Silvestre pour ses héritiers universels, chacun par
moitié. Ce testament avait été précédé de donations
entre vifs en faveur des memes individus.
« Les héritiers du sang poursuivent la nullité de ces
donations et testament pour cause de captation et sug
gestion. Après enquête et contre-enquête, arrêt défini
tif qui prononce la nullité à l’encontre des deux filles
Guedeney, et maintient les dispositions faites en faveur
de Silvestre. Ce maintien se fonde sur le motif suivant :
« Considérant qu’il ne résulte pas de l’enquête de
preuves positives que Silvestre ait concouru d’une ma
nière active à la captation ou suggestion artificieuse
employée par Marie Guedeney sur l’abbé Volfius;
« Que si des présomptions graves résultaient contre
lui : de l’époque à laquelle la donation a eu lieu à son
profit; de ce qu’elle aurait eu lieu au même instant que
celle des filles Guedeney ; des circonstances qui l’ont
suivies, telles que le désistement d’usufruit, la vente
des objets donnés, le non remplacement ostensible de
leur valeur ; d’avoir empêché quelques-uns des témoins
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
403
do parler h M. Volfius ; de la circonstance que les faits
de captation ont eu lieu depuis son établissement avec
l’abbé Volfius ; du fait enfin de la spoliation de la suc
cession de la demoiselle Volfius, et de celui d’avoir di
rigé les soupçons sur des personnes étrangères que l’on
voulait éloigner de la maison ; cependant ces présomp
tions sont combattues par d’autres, notamment par celle
résultant de l’affection que lui témoignait M. Volfius,
des soins qu’il avait donné à son éducation, de la né
cessité où était en quelque sorte M. Volfius de lui faire
des avantages pécuniaires, après l’avoir tiré de la posi
tion peu fortunée dans laquelle il était; de l’intention
manifestée par le testateur de lui laisser une partie de
sa fortune; de ce qu’enfin la portion qui lui est attri
buée , qui est une moitié, peut ne pas paraître excessive
dans la situation où était M. Volfius à son égard.
« Que de là il suit qu’il est plus juste et plus naturel
d’accorder la préférence aux présomptions qui sont en
faveur de l’existence des actes, et que dès-lors il n’y a
pas lieu d’accorder la nullité demandée par rapport aux
actes faits au profit de Silvestre.1 »
Certes , les faits dont Silvestre était convaincu
étaient graves et concluants. Ils auraient nécessaire
ment amené l’annulation des libéralités qui lui avaient
été faites, s’il ne s’était trouvé dans une position toute
particulière vis-à-vis de leur auteur. En l'état de cette
position, pouvait-on considérer ces faits comme la cause
déterminante du contrat? Certes le doute était permis,
1 Sirey, 26, 1, 10,
�404
t r a it é
et dès-lors la captation manquant d’un de ses éléments
essentiels, l’acte devait être maintenu. En le décidant
ainsi, la Cour de Dijon a sainement appliqué les vérita
bles principes. Aussi son arrêt reçut-il la sanction de la
Cour de cassation.
Or il est évident que ce qui, dans l’espèce, résultait
des enquêtes, peut, dans d’autres circonstances, être
établi avant ou au moment de l’interlocutoire. Ainsi, il
peut dès-lors être certain que l’institué a toujours été
dans l’intimité du disposant; qu’indépendamment des
rélations les plus affectueuses,'il en a reçu, avant la
dernière disposition, des libéralités, soit par actes entre
vifs, soit par des testaments précédents. Les preuves
qui résulteraient de ces derniers seraient même d’une
extrême importance si, de leur date à la mort de leur
auteur, il s’était écoulé un long intervalle de temps.
Celui qui a longtemps vécu en l'état de dispositions
qu’il pouvait rétracter, qui ne les a changées que pour
les rendre plus favorables encore, celui-là, disons-nous,
a témoigné d’une continuité d’affection laissant bien
peu de place à une accusation de captation.
L’invraisemblance de cette captation enlèverait donc
toute pertinence aux faits interloqués. La seule preuve
recevable, en présence de pareils antécédents, serait
celle qui tendrait à prouver que la haine avait succédé
à l’affection, et que le dol seul avait empêché la pre
mière de se manifester. Les faits cotés à l’appui, s’ils
étaient graves, seraient en outre pertinents, car ils
auraient pour but d’établir que le dol a été la cause
unique et déterminante de la libéralité,
�DU D O L E T D E L A F R A U D E .
405
598. — 2° Que la volonté écrite du testateur est
contraire à celle qu’il aurait exprimée, s’il eût été livré
à ses propres inspirations.
La captation n’annullant les libéralités que parce
qu’elle est censée substituer une volonté suggérée à
celle que le testament aurait spontanément conçue et
exprimée, l’existence de celle-ci est indispensable pour
qu’on puisse admettre la captation. Demandera justifier
cette existence, c’est donc offrir une preuve utile dans
l’intérêt de celui qui l’invoque. Les laits tendant à l’é
tablir reçoivent de la nature même des choses un ca
ractère de pertinence incontestable.
Il n’est pas naturel que, sans motifs suffisants, un
homme rompe tout à coup avec les antécédents les
mieux établis, abandonne subitement une intention dès
longtemps conçue et déshérite ceux qu’il a jusque-là
considéré et traité comme ses successeurs. La preuve
de ce changement subit fait donc supposer autre chose
qu’un effet de la mobilité ordinaire du cœur humain, et
ce premier doute, s’il est corroboré par la preuve de
manœuvres frauduleuses, imputées à celui qui profite
du changement, est de nature à se convertir en cer
titude. C’est la cupidité qui a déterminé la conduite du
testateur. Cette conduite devient un des éléments de la
captation dont le but et la nécessité ainsi démontrés
rendent, a priori, l’existence probable.
On conçoit en effet que, pour arriver à arracher de
l’esprit du testateur une résolution depuis longtemps
arrêtée, il ait fallu des efforts persévérants et nombreux.
L’intérêt cupide qui a entrepris cette tâche aura-t-il re-
�406
t r a it é
culé devant l’emploi du dol et de la fraude? Ne faut-il
pas admettre, au contraire, qu’à la déloyauté de l’in
tention s’est réuni l’odieux des moyens? Ce sont là des
questions dont la solution, si elle peut être douteuse ,
n’en appelle pas moins une exacte et sévère investigation.
L’indication d’une volonté contraire à celle du testa
ment attaqué est donc indispensable pour la pertinence
des faits articulés. La Cour de Grenoble a même décidé
que son absence devait faire rejeter la preuve de la cap
tation. Elle a en effet jugé, le 16 avril 1806, que cette
preuve n’est admissible que lorsque les faits articulés
tendent à établir l’intention du testateur de manifester
une volonté contraire à celle qui est exprimée dans le
testament,1 et l’on doit convenir que l’esprit de la loi
étant, comme nous l’avons fait remarquer, de croire à
la réalité de la captation, par et suivant son plus ou
moins de vraisemblance, justifie la détermination prise
par la Cour de Grenoble.
Toutefois, il faut se garder d’outrer les conséquences
du devoir imposé au demandeur en nullité, pour cause
de captation. Ainsi on admettra le' changement de vo
lonté alors même que rien, dans la conduite du testa
teur, indiquerait qu’il eût pris aucune disposition rela
tivement à son hérédité, s’il était articulé qu’il avait
l’intention de décéder ab intestat. On sait les répu
gnances que certaines personnes éprouvent à l’endroit
de leur testament. On parviendrait souvent plus faci
lement à triompher de l’affection du testateur que de
* D. A. , loin, v, pag. 292.
�DU DDL E T DE LA F R A U D E .
407
lui faire vaincre un préjugé fondé sur l’égoïsme et la
crainte. La captation n’aura donc pas été moins puis
sante dans ce cas que dans l’autre.
Elle peut donc également se rencontrer dans tous les
deux. Elle présentera dans chacun les memes circons
tances, c’est-à-dire l’abandon d’une volonté préconçue,
peu importe que cette volonté ait été ce que nous ap
pellerons positive ou négative. Il suffit que le testateur
ait réellement fait le contraire de ce qu’il voulait faire,
ce qu’il aurait fait s’il eût été libre, pour que les faits
tendant à le prouver soient pertinents et admissibles.
L’intention de mourir sans testament peut même ré
sulter des antécédents de celui à qui on l’attribue. Ainsi
un vieillard, parvenu à un âge avancé sans avoir pris
aucune disposition, semble tout à coup possédé de la
manie contraire. II multiplie, il entasse les actes de der
nière volonté , et, dans chacun d’eux, c’est la même
personne qui reçoit successivement des avantages plus
importants. Si cette personne est un domestique, si
depuis quelque temps elle entoure le testateur, ne
pourra-t-on trouver dans son intérêt, dans son désir de
s’enrichir, la cause de la conduite nouvelle du testateur?
Y aurait-il de la témérité à voir, dans l’ensemble de
ces circonstances, la preuve d’une grande faiblesse d’un
côté, et de l’autre l’abus d’une influence illégitime et
frauduleuse?
Ajoutons que, dans l’appréciation de la volonté du
testateur, la qualité du réclamant exercera toujours
une juste, une nécessaire influence, l a transmission des
biens est ordinairement réglée par l’affection ; celle-ci,
�408
TRAITÉ
à son tour, se mesure sur les liens de la parenté. C’est
clans ces proportions que la loi a trouvé la base de ses
propres dispositions.
Dès-lors, on supposera plus facilement une intention
contraire à celle du testament, lorsque celui qui se
plaint est l’enfant ou le descendant du testateur, que
lorsqu’il s’agit d’un collatéral plus ou moins éloigné.
On sera donc pour ces derniers beaucoup plus exigeant
qu’on ne le serait avec les premiers.
Sans doute le collatéral, comme l’enfant, étant ap
pelé par la loi, à défaut de testament, a un titre légitime
des effets duquel il ne peut être dépouillé que par des
moyens avoués par la loi et la justice. Cela est vrai,
même d’une manière absolue. Aussi ne lui conteste-t
on pas la faculté d’attaquer le testament pour cause de
captation. Mais l’intérêt déçu se fait facilement illusion,
et l’amour-propre, blessé par l’idée de l’indifférence du
testateur, a volontiers recours au prétexte de la capta
tion. Il est évident que la justice ne saurait partager une
préoccupation de ce genre. Avant donc d’annuler pour
cause de captation, elle exigera la preuve de son exis
tence. Cette preuve elle-même ne sera autorisée que si
les faits rendent le reproche vraisemblable. Or, com
ment atteindre ce caractère, si le demandeur ne justifie
ou n’offre de justifier que le testateur éprouvait pour
lui une affection telle qu’il l’eût nécessairement ins
titué son héritier si le dol et la fraude n’avaient en
chaîné sa pensée, perverti sa volonté? Or, c’est là pré
cisément ce que la loi présume en faveur des enfants ou
descendants.
�4Ô9
399. — En résumé, on ne saurait agir avec trop de
circonspection lorsqu’il s’agit de statuer sur des actes
de dernière volonté. La libre disposition des biens tou
che intimement à l’ordre public, et ce serait risquer de
l’altérer que de prétendre la réglémenter au moyen de
témoignages le plus souvent complaisants ou corrom
pus. On ne doit donc recourir à la preuve testimoniale
que dans le cas où, en la supposant rapportée, on ar
riverait nécessairement à l’infirmation des dispositions
attaquées.
« Or, les faits articulés, dit Merlin, doivent, pour
opérer la nullité des testaments, être d’une nature telle,
qu’il en résulte que la volonté écrite du testateur est
contraire à sa propre raison ; qu’il n’a fait telle disposi
tion que parce qu’il y a été entraîné par l’obsession
d’autrui, par une faiblesse marquée et dont les preuves
ont éclaté au-dehors; que cette obsession a été l’unique
cause de ses dispositions ; que si elle n’avait pas eu lieu,
il en aurait fait de toutes contraires; en un mot, il faut
que la volonté exprimée par le testament soit entière
ment opposée à celle que le testateur avait dans le cœur
et que l’une n’ait été substituée à l’autre que par l’effet
du dol, de la fraude, de l’artifice. 1 »
Si la preuve doit offrir ce caractère, il n’y aura réel
lement de faits pertinents et graves que ceux qui réu
niront les conditions que nous venons de rappeler. On
doit donc rejeter, comme inadmissibles, tous ceux qui
ne seraient pas dans ce cas.
t>U DOL ET DE LA FRAUDE.
1 Rép., v" suggestion, § ]. n° 2.
i
20
�410
t r a it é
400. -— Si la preuve des faits interloqués est rap
portée, si elle est jugée concluante, l’acte démontré
être le produit du dol doit être annulé. Cette nullité
affecte la disposition dans son entier, car la faculté d’a
néantir la libéralité ne contient pas celle de la modifier
ou de la réduire. C’est ce qui résulte d’un arrêt de la
Cour de cassation du 22 janvier 1810.
Dans l’espèce jugée par cet arrêt, la Cour de Rennes,
admettant que la captation avait eu pour effet d’arra
cher des libéralités exagérées, avait cru devoir réduire
celles que renfermait le testament attaqué. Mais cette
décision fut considérée comme renfermant un excès de
pouvoir et censurée par la Cour de cassation.
Il n’y a donc pas de milieu dans la matière qui nous
occupe; la captation existe ou n’existe pas, et l’acte doit
être annulé ou maintenu, selon que les reproches dont
il est l’objet sont ou non justifiés.
401. — D’autre part, la Cour de Grenoble a jugé, le
21 mai 1824, que l’annulation pour cause de captation
ne porte pas seulement sur la disposition faite en faveur
de la personne qui s’est rendue coupable de suggestion
et de captation, qu’elle doit frapper le testament tout
entier. Ainsi généralisée, cette proposition nous paraît
peu admissible.
En effet, subordonner l’ensemble d’un testament à
l’invalidité de l’une de ses dispositions, c’est établir en
tre les diverses parties du testament une corrélation et
une indivisibilité qui répugnent à la nature de cet acte.
Le testament, régulier en la forme,renferme, à propre-
�DU DOU ET DE LA FRAUDE.
411
ment parler, autant de testaments qu’il y a de disposi
tions distinctes. Chacune de ces dispositions est indé
pendante de celle qui la précède ou la suit. Elle se suf
fit à elle-même, de telle sorte qu’existât-elle seule, elle
n’en sortirait pas moins à effet, si elle est d’ailleurs l’ex
pression d’une volonté intelligente et libre.
Qu’importe donc qu’à côté d’elle existent d’autres
dispositions introduites par une volonté étrangère au
testateur. Ne suffit-il pas qu’elle n’ait point participé
au vice infirmant celles-ci pour qu’elle ne puisse être
atteinte par l’annulation qui leur est réservée? L’effet
de cette annulation sera d’ailleurs de faire considérer
les dispositions qui en sont l’objet comme non écrites.
Or, supposez qu’elles ne l’eussent jamais été, cela em
pêcherait-il celles qui le sont légalement de sortir à
effet ?
Cela se concevrait si la loi qui nous régit défendait
encore le cumul des successions testamentaires et ab
intestat, mais les inspirations du droit romain sur ce
point ont été abandonnées. La nullité de l’institution,
comme l’absence complète de toute institution, n’a
plus aucune influence sur les legs valablement faits. Dé
cider le contraire, ce serait méconnaître et violer la loi.
La solution consacrée par la Cour de Grenoble, c’està-dire l’annulation du testament en entier, n’est possi
ble que dans un seul cas, à savoir, lorsque toutes ses dis
positions sont le produit de la captation et de la sug
gestion. Ce fait admis, il importe peu que les légataires
aient ou non participé aux manœuvres employées,
qu’ils en aient ou non connu l’existence. Le testament,
�412
TRAITE
même en ce qui les concerne, n’est plus l’œuvre de la
volonté libre de son auteur. Il manque donc de ta con
dition la plus essentielle à sa validité. Il ne peut, dèslors, créer aucun droit en faveur de qui que ce soit.
402. — Nous avons déjà rappelé qu’en principe le
dol indirect est une cause de nullité pour les disposi
tions à titre purement gratuit. Ce principe, fondé sur la
maxime qu’il n’est pas juste qu’on puisse s’enrichir au
détriment d’un tiers, reçoit surtout une application
exacte lorsqu’il s’agit d’une libéralité par acte entre vifs
ou testamentaire.
C’est ce que la Cour de Dijon avait formellement
consacré dans l'affaire Wol fius, à l’encontre de la sœur
de celle qui avait capté, la fille Guedeney. Cette dispo
sition fut déférée à la Cour de cassation. Mais le pourvoi
fut rejeté, « attendu que la libéralité, étant reconnue le
produit de la captation, a dû être annulée, soit que les
moyens frauduleux aient été employés directement par
la demanderesse, soit par l’entremise d’un tiers. »
Cette doctrine est d’autant plus irréprochable, que
souvent l’institution d’un tiers étranger à la captation
n’est qu’un calcul, qu’un moyen adroit de placer les li
béralités arrachées par la fraude, sous l’égide d’une dis
position irréprochable sous le rapport de la personne
qui en est l’objet. On ne pouvait donc, sans autoriser la
plus énorme injustice, laisser au dol une pareille chan
ce de succès.
Conséquemment, que la captation ait été directe ou
indirecte, il suffit que le testament en soit infecté pour
�DD DOL ET DE LA FRAUDE.
qu’on se refuse à lui accorder la moindre exécution.
Or, que la volonté ait été forcée dans l’intérêt de l’au
teur du dol ou dans celui de toute autre personne, le ré
sultat est le même. Il n’y a pas de disposition valable,
car il n’y a ni spontanéité, ni liberté dans l’expression
de cette volonté.
405. — On a longtemps agité la question de savoir
si la plainte en captation était recevable contre une do
nation entre vifs. La négative était fondée sur cette con
sidération que l’influence de la captation, vraisemblable
sur un testateur, cesse de l’être sur un donateur qui se
dépouille lui-même. Mais cette opinion ne pouvait pré
valoir. Le motif h l’appui ne peut produire d’autre effet
que de rendre plus sévère dans l’appréciation du repro
che ; mais prétendre y trouver une fin de non-recevoir
absolue contre son admission, ce serait amnistier le dol,
parce qu’il a su se proposer et accomplir une tâche plus
difficile et plus périlleuse.
Les héritiers du donateur pourront donc attaquer la
donation et démontrer qu’elle n’est que le produit de la
captation. L’action est également ouverte en faveur du
donateur lui-même. Son concours à l’acte ne saurait la
lui faire refuser, le dol faisant exception à tous les prin
cipes.
404. — L’empêchement de tester a toujours été
considéré comme un dol donnant ouverture à une ac
tion en faveur de celui qui en a souffert. Les diverses
•>»
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iff;
LH i!i:l
�législations qui se sont succédées ont seulement varié
sur les effets qu’il devait produire.
Le droit romain voyait l’empêchement de tester dans
le fait de s’être opposé à ce que l’officier public appelé
par le mourant pût parvenir jusqu’à lui ou d’avoir, par
de manoeuvres frauduleuses, détourné les témoins re
quis. Cet acte était considéré comme un crime rendant
l’héritier, soit direct, soit institué par un précédent tes
tament, indigne de recueillir la succession, laquelle
était dévolue au fisc.1
En France, le principe de l’indignité avait été admis
universellement. Mais, par une appréciation plus juste
de ses effets, la succession passait au parent du degré ie
plus rapproché après l’indigne, ou aux héritiers du sang,
selon qu’il s’agissait d’un héritier naturel ou testamen
taire. Dans les coutumes qui admettaient une réserve en
faveur de certains héritiers, l’indignité n’enlevait ja
mais que la portion excédant la réserve légale.
En droit romain, comme en droit français, la perte
de la succession n’exonerait pas l’auteur de l’empêche
ment de l’obligation d’indemniser celui qui en avait été
victime. La question de savoir si celui-ci pouvait re
vendiquer la succession ne pouvait même naître sous
l’empire du premier. La dévolution de cette succession
au fisc faisait assez connaître l’intention du législateur.
L’abrogation de cette disposition avait naturellement
1 L. 1, § 1, 1. 2 et 3, Digeste, 1.2, Cod. si quis aliquem teslari prohibuü. L. 19, Digeste quœ ut indignis■. L. 5, §. dernier,. Digeste ad!
sénat.-cons. Trcbellianum.
�DU DDL ET DE LA FliAÜDE.
415
appelé l’attention des jurisconsultes sur cette question.
Sa solution, au témoignage deFurgole, avait été con
forme à celle qui résultait de la loi romaine. On refusait
assez généralement la possession de l’hérédité à celui
qui n’avait d’autre titre que la volonté non réalisée du
testateur.
« Cela, dit Furgole, ne se pratique point dans les
pays de droit écrit et ne paraît pas même pouvoir être
observé dans les pays coutumiers, parce que l’article
1er de l’ordonnance de 1755 y fait obstacle ; car ce se
rait faire valoir une disposition verbale, non constatée
par un acte revêtu des formalités prescrites, et admet
tre la preuve testimoniale d’une telle disposition contre
la prohibition expresse de cette ordonnance.
« Lorsqu’un testateur se propose de faire des libéra
lités dans un testament qu’il ne fait pas, à cause qu’il
en est empêché, la volonté demeure dans les tenues
d’un simple projet qui ne peut opérer aucun effet, et
les legs, fidéicommis, ou autres dispositions, ne sont
valables qu’autant qu’ils sont faits par un testament
ou un codicille revêtu de toutes les formalités de
droit. 1 ï
Il est donc certain qu’avant le Code civil, celui qui
souffrait de l’empêchement de tester, n’avait qu’une
seule action, à savoir : celle tendant à obtenir la répa
ration du préjudice qui lui avait été causé. Cette répa
ration consistait dans une allocation pécuniaire à la
charge de l’auteur de l’empêchement. La succession
1 Des Testaments, n° 121;
�était dans tous les cas dévolue ab intestat aux parents
appelés par la loi.
405. -- Le Code civil s’est écarté, quant aux elfets
de l’empêchement de tester, des inspirations des légis
lations précédentes. L’article 727, qui énumère les
causes d’indignité, est complètement muet sur l’empê
chement de tester. Ce silence équivaut au rejet absolu
de cette incapacité jusque là admise.
De là cette conséquence que l’héritier, frustré de la
succession que le testateur lui destinait, pourrait moins
encore aujourd’hui réclamer la délivrance en nature do
ce que le défunt voulait lui laisser. A l’autorité des
motifs indiqués par Furgole, se réunit cette circonstance
que l’empêchement de tester ne produisant plus l’indi
gnité, les biens de la succession ne cessent pas d’appar
tenir à celui qui les a recueillis, fût-il même l’auteur
de l’empêchement.
406. — Ce principe admis par M. Chardon, lors
qu’il s’agit d’un héritier légitime, est contesté par ce
jurisconsulte à l’égard de l’héritier testamentaire. L’in
dignité, dit-il, prononcée par le droit romain et par no
tre ancienne législation, reste, par rapport à ce dernier,
dans toute sa force. La preuve que le testateur a été
empêché de changer de volonté ferait réputer son tes
tament révoqué, et rendre aux héritiers ab intestat la
succession entière. 1
1 Du Dot, t, i, n° 179, pag. 558,
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
M7
Cette doctrine nous paraît formellement repoussée
d’abord par l’article 727 du Code civil. L’indignité est
une peine puisqu’elle est une véritable exhérédation.
Or, il est de principe fondamental en droit que les peines
ne peuvent être prononcées que dans les cas expres
sément déterminés par la loi, sans qu’on puisse étendre
'es dispositions pénales d’un cas à un autre, même pour
cause d’analogie.
Il suffirait donc du silence gardé par l’article 727 sur
l’empêchement de tester pour qu’on ne pût, dans aucun
cas, en faire résulter une cause d’indignité. Le système
contraire tendraità constituer les tribunaux les arbitres
discrétionnaires des causes d’indignité. Or, c’est préci
sément pour abolir cet abus delà jurisprudenceancienne,
que le Code a voulu expressément les indiquer dans
l’article 727.1
Mais dit M. Chardon, l’article 727 ne concerne que
les héritiers légitimes et non ceux qui ne reçoivent cette
qualité que de la volonté de l’homme. Certes M: Chardon
n’a pas envisagé les conséquences réelles de la distinc
tion qu’il admet. Elles seraient en effet telles qu’elles
conduiraient au résultat le plus monstrueux.
Les articles 906 et suivants règlent bien la capacité
requise pour recevoir par testament, mais ce chapitre
ne contient aucune disposition sur l’indignité. Dès-lors,
puisque l’indignité est une peine, puisque les peines ne
peuvent être appliquées que dans les cas expressément
prévus, il est certain, si l’article 727 ne s’applique qu’aux
‘ Exposé des Motifs par Treilhard.
�418
TRAITE
héritiers légitimes, que l’héritier testamentaire n’en-,
courra jamais l’indignité, eût-il volontairement donné
la mort au testateur.
La morale et la justice protestent hautement contre
un pareil résultat, et c’est sur son énormité même qu’on
s’est appuyé pour enseigner l’application de l’article
727 à l’héritier testamentaire.
Car cette application a été contestée, mais dans le
sens contraire à celui indiqué par M. Chardon. Ainsi
l’on a soutenu que l’héritier testamentaire ne peut,
dans aucun cas, encourir l’indignité.
Le contraire, dit Merlin, était incontestable en droit
romain, aujourd’hui la question souffrirait quelques dif
ficultés. Cependant la morale et l’identité de raisons
semblent nécessiter l’extension des articles 727, qui ne
parle que des héritiers légitimes, aux légataires et aux
héritiers institués. 1
Or, s’il est même douteux que l’héritier testamen
taire soit frappé d’indignité dans les cas prévus par
l’article 727, comment serait-il possible de les dé
clarer tels, lorsque l’héritier légitime ne pourrait l’être?
L’opinion de M. Chardon méconnaît en outre la dis
position de l’article 1035 du Code civil, aux termes de
laquelle les testaments ne peuvent être révoqués que
par un testament postérieur, ou par un acte devant
notaire, portant déclaration de changement de volonté.
Ainsi l’écriture est de l’essence de la révocation des
t Rép.,\° indignité, il0 2.
�• DU DOL ET Dli LA I"Il A l'DE .
testaments. En trouvant cette révocation dans l'empê
chement de tester, M. Chardon ne tient aucun compte
de cette condition exigée par le législateur, Que le tes
tateur ait eu la pensée de révoquer ses précédentes dis
positions, c’est ce qui peut facilement s’induire du désir
qu’il a manifesté de faire un nouveau testament. Mais,
nous dirons avec Furgole, que tant que ce désir n’a pas
été réalisé, parce que le testateur en a été empêché, la
volonté n’a été et n’a pu être qu’un simple projet qui ne
peut opérer aucun effet, par cela seul qu’on ne saurait
admettre légalement l’existence d’une révocation ver
bale, en présence du texte formel de la loi.
407. — L’absence de révocation valable laisse donc
la succession aux mains de l’héritier testamentaire,
comme le défaut de testament la fait déférer aux hé
ritiers du sang. La seule action, eompétant à celui qui
souffre de l'empêchement de tester, est celle en dom
mages-intérêts contre l’auteur de l’empêchement, cette
action est fondée sur le principe général de l’article 1582
du Code civil.
408. — Toutefois, cette action n’est recevable que
si les moyens employés pour empêcher le testament
constituent un dol, c’est-à-dire s’ils présentent un en
semble de manœuvres et de machinations frauduleuses,
ayant eu pour résultat d’égarer la volonté de celui qui
en a été l’objet. Ce caractère seul peut entraîner l’ad
missibilité de la preuve testimoniale et conséquemment
le succès de la demande en réparation.
■.Isa
: v*;
1' *
T' «I
«ÿêp
: lit
�420
t r a it e
De là, l’obligation pour le poursuivant d’articuler les
faits dont il veut faire résulter l’empêchement de tester
qu’il allègue. De là en outre,pour les tribunaux, l’indi
cation du mode à suivre pour apprécier sa gravité et la
pertinence des faits cotés.
En effet, pour l’empêchement de tester, comme pour
la captation elle-même, ce n’est pas tant le fait matériel
que les moyens à l’aide desquels il se produit, que la loi
a voulu punir. Ainsi, empêcher quelqu’un de tester,
en lui prodiguant des soins, des caresses, des prières,
conjurer l’intention certaine de révoquer un précédent
testament, en regagnant l’affection du testateur par des
prévenances empressées, c’est commettre un acte qui
n’aura pas toute la pureté d’intention, et ne sera pas
louable à cause du motif d’intérêt sordide qui en est le
mobile. Mais il suffit que le testateur s’en soit rendu
complice, en ajoutant foi aux unes et aux autres pour
qu’on ne puisse y voir un dol reprochablc.
C’est ce que le droit romain avait admis, c’est ce que
notre ancienne législation avait consacré, c’est enfin ce
que la Cour de cassation a expressément enseigné sous
l'empire du Code.
La Cour de Turin avait jugé qu’il y avait empêche
ment dolosif de tester, par cela seul qu’un héritier pré
somptif dit à un mourant qui se dispose à faire un tes
tament que cela est inutile, et qu’il s’engage à remplir
ses dernières volontés comme si elles étaient écrites
dans la forme légale. Le pourvoi formé dans l’intérêt
des parties dut être déclaré non recevable, mais la Cour,
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
424
sur le réquisitoire de Merlin, prononça la cassation de
l’arrêt, dans l’intérêt de la loi.1
Personne, en effet, n’est présumé ignorer la loi. Con
séquemment celui qui, s’en référant à la parole de son
héritier, a négligé de donner à ses volontés la forme que
la loi exige, doit être considéré comme n’ayant voulu
faire qu’un testament verbal dont l’exécution était su
bordonnée à la volonté de cet héritier. Le refus que ce
lui-ci fait plus tard, en violation de ses promesses,
constitue un acte de déloyauté et d’indélicatesse, mais
il est impossible d’y voir un dol caractérisé.
De là il résulte que si les faits articulés ne tendaient
à établir qu’un acte de cette nature, la preuve devrait
en être refusée, parce qu’elle ne serait pas concluante.
Mais si l’on demandait à prouver que le défunt a été
violemment empêché de faire un testament olographe ,
si l’on soutenait que le notaire ou les témoins ont été
sciemment écartés ou détournés, si l’on articulait enfin
que l’on a faussement persuadé au défunt que celui qu’il
voulait instituer était mort, les faits seraient pertinents
et graves, car ils constitueraient en réalité des artifices,
des manœuvres frauduleuses caractérisant le dol et don
nant naissance à l’obligation de réparer le préjudice
souffert.
409. — Cette obligation n’incombe jamais qu a l’au
teur du dol et à ses complices. La question de savoir si
l’acte d’un légataire pouvait ou non nuire à ses coléga1 lSljanvier 1815.
�taires ne peut même s’offrir. L’article 1582 tranche
toute difficulté, et, sous son empire, le principe fralris
factum, fratrinon nocel, est surtout vrai. Conséquem
ment tous ceux qui sont demeurés étrangers au dol sont
forcément placés en dehors de toute atteinte.
L’étendue de la réparation due à celui qui prouve
l’empêchement de tester à son préjudice, se mesure sur
les intentions manifestées par le défunt. L’allocation pé
cuniaire doit égaler l’avantage qu’il aurait recueilli dans
la. succession. Elle doit donc être d’une valeur égale à
celle-ci, si l’institution projetée était une institution
universelle.
Il faut cependant remarquer que si le défunt laisse
des héritiers à réserve, les dommages-intérêts de
vraient être réglés sur la quotité disponible seulement.
C’est en effet cette quotité seule dont le testateur pou
vait disposer qui serait obvenue au légataire.
410. — L’action en dommages-intérêts appartient à
celui qui a souffert de l’empêchement. Elle appartient
en outre aux héritiers légitimes, lorsque le testateur a
été empêché de révoquer un testament précédent. Il y
a même, dans ces deux cas, cette différence très facile à
comprendre que celui qui prétend avoir été victime
d’un dol de la nature de celui qui nous occupe, doit
d’abord prouver que le défunt voulait l’instituer son
héritier. Les héritiers du sang, au contraire, qui ar
guent de la révocation d’un précédent testament , n’ont à
justifier que l’empêchement apporté à ce que cette ré
vocation s’accomplît. En effet, leur titre à l’hérédité
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
423
est écrit dans la loi qui la leur défère à défaut de testa
ment. Ils ont donc qualité pour prouver que le testament
qui les dépouille n’a été maintenu que par dol, et que
l’on doit les indemniser du préjudice que ce dol leur a
occasionné.
411. — L’ouverture d’une successiou peut voir
s’accomplir un fait plus grave encore que ceux dont
nous venons de nous occuper. Ce fait que le droit ro
main, que notre ancienne législation réprimait comme
un crime, que le Code pénal actuel punit comme un
délit, c’est la suppression d’un testament.
La pensée qui préside à cet acte est tellement carac
térisée par l’acte lui-même, par les conséquences qu’il
doit entraîner, qu’il eût été absurde d’exiger, pour y re
connaître un dol punissable, l’existence de manœuvres
quelconques. De quelque manière qu’il se réalise, le
fait matériel indique et prouve une intention essentiel
lement frauduleuse, de même qu’il produit nécessaire
ment un grave préjudice. Il est donc sans justification
comme sans excuse, alors surtout que son auteur est
appelé à en recueillir personnellement le bénéfice.
412. — Le fait est donc éminemment dolosif, et ce
caractère incontestable entraîne forcément la receva
bilité de la preuve testimoniale. Mais son admissibilité
est nécessairement subordonnée aux faits qu’on prétend
établir. Ces faits doivent être extrêmement pertinents et
graves, car il importe de ne pas encourager ces accusa
tions de fraude qu’un vaniteux amour-propre inspire,
�tra ite
m
et dans lesquelles on aime à voir l’explication de la bles
sure que l’intérêt, éprouve. C’est à la prudente circons
pection des tribunaux à concilier les droits de tous.
413. — En général, la preuve de l’existence d’un
testament, perdu par un événement fortuit ou de force
majeure, n’est pas suffisante pour en faire ordonner
l’exécution. Ce n’est pas tout, en effet, que d’avoir un
testament, il faut en outre que ce testament soit régulier
et légal. Conséquemment celui qui prétend à une suc
cession doit justifier que le titre, qui la lui conférait, a
été revêtu de toutes les formalités exigées. La faculté
de prouver par témoins l’existence et la perte du testa
ment ne peut faire présumer l’accomplissement de ces
formalités, elle ne produit pas d’autre effet que de per
mettre de l’établir par la preuve testimoniale.
Mais cette doctrine souverainement juste, lorsque la
perte du testament est le résultat du hasard ou de la
force majeure, serait inique lorsque la perle est impu
table au fait personnel de la partie qui excipe du défaut
de formes. La preuve du contraire est souvent très dif
ficile, à quel titre admettrait-on à profiter d’un tel état
de chose celui qui seul l’a déterminé?
414. — Aussi la Cour de cassation a-t-elle décidé
que lorsque l’existence d’un testament est prouvée, et
qu’il est établi qu’il a été lacéré et brûlé par le propre
fait des parties intéressées à son anéantissement, cellesci ne sont pas recevables à exiger la preuve de la léga
lité des formes du testament détruit ; il y a dans ce cas
�DU DOL ET DE LA FIIAUDE.
425
présomption de droit que ce testament était revêtu de
toutes les formes nécessaires à sa validité. 1
Cette présomption se justifie non-seulement par le
principe que ledol ne peut se créer un titre à lui-même,
mais encore par les plus simples notions de la raison et
du bon sens. Le testament manquant d’une seule des
formalités prescrites est radicalement nul, son infir
mation est donc certaine. Comprendrait-on dès-lors que
celui qui pouvait obtenir cette infirmation par les voies
légales, ait préféré recourir à un acte sévèrement qua
lifié par la loi?
On n’anéantit pas un acte ne renfermant qu’une me
nace vaine, on ne supprime pas un testament pour le
seul plaisir de le faire disparaître. Conséquemment, en
voyant dans cette suppression l’aveu le plus explicite
de la légalité du testament, on ne fait qu’une appré
ciation rationnelle et logique d’un acte que la sup
position contraire rend inexplicable.
Ce qu’on décide dans le cas où le testament a été
lacéré et détruit, doit être consacré si, dans le cas de
suppression, le testament existait encore dans les mains
de celui qui s’en est rendu coupable. Â une identité par
faite de raison, se joint la présomption tirée de la dé
tention de la pièce, dont la production lèverait tous les
doutes sur l’invalidité prétendue pour défaut de formes.
Le refus, l’absence de cette production ne sauraient
être attribuées qu’à la certitude du mal fondé du re
proche. Il est permis, en effet, de croire qu’on ne con1 Cass. 1er septembre 1813.
�426
TKA1TÉ
tinue à céler le testament que parce qu’il n’est que trop
régulier. Il serait d’ailleurs dérisoire d’admettre un in
dividu à exiger la preuve d’un fait sur lequel il est luimême parfaitement en mesure d’édifier la religion des
magistrats.
415. — Ainsi et par exception au principe général,
l’accomplissement des formalités requises pour la vali
dité des testaments est présumé lorsque le testament
a été soustrait ou détruit. Mais cette exception 11e con
cerne que Fauteur de la soustraction.
Remarquons, en effet, que la Cour de cassation n’ad
met la présomption qu’elle consacre que dans le cas où
la suppression du testament est le propre jait des parties
intéressées à son anéantissement, c’est-à-dire dans l’hy
pothèse d’un dol direct. Les conséquences de cette res
triction sont évidemment que la partie qui profiterait
de la suppression sans y avoir participé, sans l’avoir
connue ou autorisée, serait recevable à exiger la preuve
de la légalité des formes du testament. De lui au récla
mant, il 11e peut y avoir qu’un fait de force majeure,
qu’il n’a été donné ni à l’un ni à l’autre de prévenir ou
d’empêcher. Il y aurait donc lieu de revenir à ce qui se
pratique dons cette hypothèse.
416. — Mais par application des règles du dol in
direct, l’héritier dépouillé conserverait un recours utile
contre l’auteur de la suppression, et, s’il ne pouvait ob
tenir la possession de l’hérédité, il conserverait le droit
de se faire indemniser du préjudice qu’il éprouverait.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
427
II n’y a dans cette décision nulle contradiction avec
la maxime que nous avons rappelée, à savoir que per
sonne ne doit s’enrichir par le résultat du dol d’autrui.
En effet, si le tiers doit perdre ce qu’il a acquis à titre
gratuit par le résultat du dol, cela ne peut se réaliser
que si le réclamant a un titre régulier. Il doit donc jus
tifier de cette régularité lorsque ce litre a été perdu, et
cette justification faite, et alors seulement, la maxime
devient applicable et doit être appliquée.
417. — La suppression de testaments a pour effet
de les faire considérer comme existants. Conséquem
ment celui qui prouve avoir été l’objet d’une libéralité
quelconque de la part du testateur, doit être réellement
mis en possession de ce qui lui était assigné. Cette dif
férence entre la suppression d’un testament et l’empê
chement de tester s’explique par cette circonstance
qu’on ne peut, pour celle-ci, dire que la volonté du tes
tateur soit demeurée à l’état de simple projet. Ce projet
a reçu sa pleine et entière exécution. Il ne peut dèslors dépendre de qui que ce soit d’en rendre l’effet im
possible. La loi testamentaire existe, elle est régulière,
et dès-lors obligatoire pour tous.
Dès-lors celui qui, à la faveur de la suppression du
testament, s’est emparé de la succession, doit être con
damné à la restituer à l’héritier institué qui prouve la
suppression de son institution; aux héritiers du sang,
si le testament supprimé révoquait un précédent testa
ment ; ceux-ci n’auront à prouver que le fait de la ré
vocation, car il suffit que le testament qui les dépouil-
�428
TRAITÉ
lait ait été légalement anéanti, pour qu’ils recueillent
la succession que leur qualité leur donne le droit d’ap
préhender.
A notre avis, la preuve de la nature révocatoire doit
résulter, contre l’auteur du dol, de la suppression du
testament. Nous le disions tout à l’heure, un acte pareil
ne s’accomplit qu’en vue d’un intérêt pressant. Or, quel
intérêt peut avoir le légataire institué par un testament
à supprimer un testament ultérieur, si celui-ci n’était
pas destiné à annuler le premier?
Sans doute, il peut se faire qu’il ne s’agisse dans ce
second testament que de la réduction plus ou moins
considérable des avantages déjà conférés ; mais, dans
cette hypothèse même, la perte entière de ces avan
tages n’est que le juste châtiment d’une action coupa
ble. Celui qui a voulu frauduleusement frustrer les tiers
de legs qui leur étaient légitimement acquis, ne sau
rait raisonnablement se plaindre si, la fraude se tour
nant contre lui-même, il en devient la première victime.
Serait-il recevable à trouver mauvais, pour ce qui le
concerne, ce qu’il trouvait excellent pour les autres?
La morale, l’équité et la justice recommandent la
solution que nous adoptons et dont la consécration ne
saurait avoir d’autre résultat que d’inspirer le respect
des droits de tous et la mise en pratique de cette vérité
éternelle : que nul ne doit faire à autrui ce qu’il ne
voudrait qu’on lui fit à lui-même.
Par rapport aux légataires restés étrangers à la sup
pression du second testament, ils ne peuvent souffrir
du fait de leur colégataires. Ainsi, tandis que celui-ci
�DU DDL ET DE LA FRAUDE.
429
sera privé de son legs présumé révoqué, eux devront
recueillir le bénéfice du testament en ce qui les con
cerne, à moins qu’on ne prouve contre eux et la révocation et la légalité de l’acte qui la renferme.
418. — Les tiers, auxquels le testament supprimé
conférait des droits sur les biens du défunt, peuvent les
faire valoir soit contre l’auteur de la suppression du
testament, soit contre les héritiers légitimes qui lui au
raient été substitués. Leur exercice serait poursuivi
dans la mesure que nous avons établie, indépendam
ment de l’action en réparation du préjudice qu’ils souf
frent, contre celui à qui la suppression est imputable
et qui en serait convaincu.
SECTION IV. — DOL DANS LES JUGEMENTS.
SOMMAIRE.
419. Caractère de l’autorité attachée à la chose jugée.
420. Conséquences quant à l'erreur commise en jugement.
421. Le dol crée une exception aux principes sur la chose
jugée. Conséquences.
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�430
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419. — L’immutabilité des jugements a toujours été
considérée comme une nécessité sociale. De là le res
pect qui s’attache à la chose jugée, qui en fait prohiber
la révision, alors même qu’il est permis de croire à une
erreur matérielle du juge.
Aux yeux de la loi, le jugement définitif est la décla
ration de ce qui est juste et vrai sur les points contes
tés. Elle l’impose donc aux parties comme la loi unique
qu’elles doivent suivre sans pouvoir en empêcher ou en
suspendre l’exécution.
Cet effet se produit non pas seulement parce que le
juge qui a prononcé est l’organe de l’autorité publique,
mais encore et essentiellement en force de la conven
tion présumée existant entre les parties. Lorsque cellesci comparaissent devant le juge, ce ne peut être que
dans l’intention d’obtenir de lui la justice qui leur est
due; elles sont donc censées, par ce seul fait, s’engager
d’avance à exécuter l’acte judiciaire par lequel il fixera
les droits et les obligations de l’une envers l’autre. D’où
M. Poucet conclut, avec raison, que la source première
d’où découle l’action résultant du jugement, se trouve
dans l’engagement que les parties ont contracté, non
par une convention expresse, mais par la convention
présumée naissant de leur comparution en justice,
c’est-à-dire dans le quasi-contrat de comparution.1
Mais cette convention doit se renfermer dans des
limites naturelles et justes. Aussi, à la différence des
quasi-contrats ordinaires qui produisent leurs effets
1 Des J u g em en ts , tom. i, n°9,
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DU D O L E T D E
hX
F llA U D E .
43\
légaux sans condition, et d’une manière absolue, le
quasi-contrat de comparution n’opère son effet contre
les parties, qu’à la condition de se pourvoir s’il y échet,
et ainsi que de droit contre le jugement qui intervien
dra. Les tribunaux ne sont pas infaillibles et les parties,
en s’engageant à recevoir comme règle la décision du
juge, n’ont évidemment entendu se soumettre qu’à une
règle de justice.
420. — Cela posé, l’on doit conclure que le principe
de l’immutabilité des jugements n’est équitable, en cas
d’erreur, que lorsque l’erreur provient uniquement de
l’incertitude et de la faiblesse de l’appréciation humai
ne. Le juge a rempli tous ses devoirs envers la société,
envers les parties elles-mêmes lorsque, interprétant le
fait ou le droit, il a prononcé dans le sens que sa cons
cience lui a indiqué comme le plus probable. La purêté
de ses intentions, l’indépendance de son caractère sont
les seules garanties que la loi pouvait promettre aux
justiciables.
Mais si l’erreur a été inspirée par des manœuvres cou
pables, si la ruse et le mensonge l’ont rendue inévitable,
sous quel prétexte invoquerait-on encore le principe de
l’immutabilité des jugements? Des jugements! il n’en
existe aucun, car, même en se plaçant au point de vue
du magistrat dont elle émane, la décision n’est plus la
déclaration de ce qui est juste et vrai, elle est le pro
duit d’une surprise d’autant plus odieuse qu’elle s’est
réalisée dans le sanctuaire de la justice dont elle outrage
�432
TRAITE
la dignité, en même temps qu’elle foule aux pieds la
convention présumée des parties.
La morale et l’équité ne pouvaient tolérer qu’une pa
reille atteinte aux droits les plus sacrés demeurât im
punie. Le dol qui annulle les contrats exprès devait agir
dans le même sens sur le quasi-contrat judiciaire. Déslors son existence a été considérée comme altérant le
jugement dans son essence et autorisant par suite sa
rétractation.
421. — Le dol crée donc une exception à la règle
de l’immutabilité des jugements, mais ses conséquences
ne sont pas toujours les mêmes. Elles varient, par rap
port au jugement, selon que le dol est imputable h la
partie ou qu’il provient du fait du juge. Le premier au
torise la requête civile, le second la prise à partie. Nous
allons rechercher les caractères et les effets de ces deux
modes de recours.
§ Ier — DE LA REQUÊTE CIVILE.
SOMMAIRE.
422. Définition de la requête civile.
423. Premier cas d’application à notre madère Dol person
nel. Ce qui le constitue.
424. Tort de la doctrine exigeant que l’affirmation menson
gère soit accompagnée de manœuvres.
�nu u o l e t d e l a f r a u d e .
425. Doctrine contraire du droit romain.
426. Admise par notre ancienne jurisprudence.
427. Le Code de procédure n’a point dérogé à ces principes.
428. Opinion des auteurs qui ont écrit sur la procédure.
429. Jurisprudence.
430. Conditions à la recevabilité de la requête civile dans ce
cas. Fausseté de l’allégation acquise.
431. Le dol doit être le fait personnel de l'auteur de l’allé
gation.
432. Le dol doit avoir influé sur la décision.
433. Dissentiment avec M. Chauveau.
434. Faits pouvant caractériser le dol personnel.
435. Subornation des témoins. Mode de preuves. Effets.
436. Corruption des experts. Son caractère. Ses effets. .
437. Faux serment.
438. Différence dans les effets, selon qu’il s'agit d’un ser
ment déféré ou référé par la partie, ou d’un serment
ordonné d’office par le juge.
439. Deuxième cas d’application. S’il a été jugé sur pièces
depuis reconnues ou déclarées fausses.
440. Applicabilité à l’usage de pièces fausses fait de bonne
foi.
441. Difficulté réelle du litige fondé sur cette disposition.
Existence préalable du faux. N’était pas exigée dans
notre ancien droit.
442. Doctrine contraire admise par le Code de procédure.
443. La reconnaissance dont parle l’article ne peut s’enten
dre que de l’aveu de la partie.
444. Résumé. Opinion arbitraire de Pigeau.
445. Troisième cas d’application. Découverte, après le juge
ment, de pièces décisives. Conditions exigées.
446. La rétention faite de bonne foi autorise-t-elle la requête
civile?
447. Effet de la requête civile quant à l’exécution du juge
ment.
422 _ La requête civile est une voie extraordi-*
,
27
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11 01*1
. /
�TRAITE
AZi
naire pour attaquer les jugements ou arrêts ayant acquis
l’autorité de la chose jugée. Elle est autorisée dans les
cas expressément prévus par l’article 480 du Code de
procédure civile.
Les seuls cas qui se rapportent à notre matière sont
ceux indiqués par les numéros 1, 9 et 10. C’est à leur
examen que nous devons nous borner.
La voie de la requête civile est ouverte : 1° s’il y a
eu dol personnel; 2° s’il a été jugé sur pièces reconnues
ou déclarées fausses après le jugement ; 3° si depuis le
jugement il a été recouvré des pièces décisives qui
avaient été retenues par le fait de la partie.
425. -- 1° Dol personnel. Le mot dol s’applique à
toutes les fraudes et surprises mises en usage pour
tromper. En matière ordinaire, la simple attestation
d’un fait faux ne serait point considérée comme carac
térisant suffisamment le dol. Doit-on le décider ainsi
pour les jugements susceptibles d’être attaqués par la
requête civile?
L’affirmative a été enseignée, et cette opinion a puisé
son principal argument dans le numéro 10 de l’arti
cle 480. Dans l’espèce qui y est prévue, a-t-on dit, la
loi ne s’est, pas contentée de l’allégation d’un fait faux,
elle a exigé de plus la dissimulation des pièces qui pou
vaient faire découvrir le faux. Cette disposition doit dèslors fixer le sens du principe général posé par le nu
méro 1erdont elle est le développement. Il n’y aura donc
réellement dol personnel que lorsque l’attestation fausse
aura été précédée, accompagnée ou suivie de manœu-
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
435
vres tendant à en persuader la véracité, et à empêcher la
découverte de son véritable caractère.
Cette doctrine a été consacrée par un arrêt de la Cour
de Besançon, du 10 décembre 1810. Cet arrêt se fonde
précisément sur les termes du numéro 10 de l’article 480,
pour en induire que la législation, en exigeant dans cette
disposition la simultanéité d’une allégation mensongère
et d’un acte imputable à la partie, n’a pas voulu, dans
le paragraphe 1er du même article, que cette même
allégation constituât seule une ouverture à la requête
civile1. Il décide en conséquence que le dol personnel
n’existe qu’autant qu’il y a eu fausse attestation accom
pagnée de manœuvres frauduleuses ayant placé la partie
adverse dans l’impossibilité d’éclairer le juge sur le
point contesté.1
424. — Cette doctrine a , à notre avis, le tort de
placer sur une même ligne les jugements et les contrats
ordinaires, sans tenir compte de la différence de la po
sition des parties dans chacun de ces actes.
Sans doute la simple allégation d’un fait faux ne cons
titue pas pour les contrats ordinaires un dol punissable.
Il faut en outre que, par des moyens préparés et com
binés à l’appui de cette allégation, la partie lésée ait été
placée dans l’impossibilité de découvrir la vérité qu’elle
avait tant d’intérêt à connaître.
Mais cela tient surtout à cette circonstance que la
partie qui va contracter est toujours en position de se
' Journal du palais.
�438
TRAITE
rit quœ, lile pendente, neque adversario, neque judici
innotuerat, sic uli religio judicis per hnjus modi falsitalem circumventa jueril, petila ad id per modum
querelæ vet accusationis restitutione ad integrum , ut
senlentia per restitutionem enervala, perdat deinceps
omnem rei judicatæ auctorilatem, ac causa ex integro
examinelur perinde ac si judicatam non esset. 1
On n’exigeait donc aucune manœuvre autre que la
fausseté de l’allégation par laquelle la religion du juge
avait été surprise ; et la découverte de cette fausseté
opérait tous les effets du dol, puisqu’elle déterminait la
rétractation de la sentence.
426. — Au témoignage de Jousse, cette doctrineavait
été consacrée par l’ordonnance de 1667. Le dol per
sonnel, mis au nombre des causes autorisant la requête
civile, était donc constitué, par la fausse attestation „
isolément de toute autre manœuvre, et cela, dit Rodier,
parce que la raison naturelle ne permet pas que l’on
tire avantage de son dol.
Remarquons qu’à côté du dol personnel, l’ordon
nance plaçait la rétention de pièces décisives comme
autorisant la requête civile. Jamais cependant les com
mentateurs de cette ordonnance n’ont vu dans cette dis
position une restriction à celle relative au dol per
sonnel. Celui-ci était considéré comme un moyen très
étendu et fournissant de bien nombreuses occasions de
se pourvoir contre les arrêts. 11 n’est pas possible, dit
�PU DOL ET DE LA FRAUDE.
439
Rodier, de désigner en détail les cas où l’on peut se ser
vir de ce moyen, parce que le dol peut se commettre
d’une infinité de manières. Cela dépend du fait et des
circonstances du procédé qui contiennent le dol et la
surprise pratiquée. '
-427. — Notre Code de procédure a-t-il dérogé à
cette doctrine ? L’exposé des motifs de l’article que
nous examinons répond péremptoirement à cette ques
tion. « Il restera positivement établi, disait l’orateur du
gouvernement, qu’un jugement surpris à la justice par
des attestations fausses et mensongères, est considéré
comme le produit de ce dol qui met toute décision ju
diciaire en opposition avec ce qui est juste et vrai, et,
par conséquent, autorise contre elle la requête civile. »
Ainsi, l’allégation fausse et mensongère est assimilée
au dol, elle en produit les effets. Notre droit s’est donc
Conformé aux législations qui l’ont précédé. Il était
même impossible qu’il en fût autrement. Les temps
peuvent changer, mais la morale ne change pas. Elle
est immuable comme les principes d’équité et de jus
tice qui en sont la base. Or, pourrait-on concevoir quel
que chose de plus antipathique à ses inspirations que
l’impunité assurée à celui qui, se jouant de la justice
elle-même, l’a détournée de ses voies en surprenant,
par le plus audacieux mensonge, une décision favorable
à ses inté. êts ?
Il n’est donc pas possible d’admettre que le men1 Questions sur l'ordonance. Vid. Pothier, Traité de la procédure,
éhap. 3, sect. 5, § 2.
�440
TRAITE
songe ne suffit pas, que le dol personnel exige en outre
l’existence de manœuvres quelconques. Le paragra
phe 10de l’article 480 n’est donc pas l’explication du pa
ragraphe 1er. Il ne fait que prévoir un cas spécial, dans
lequel, dit Pigeau, le dol ne sera suffisamment carac
térisé qu’autant que les circonstances prévues se trou
veront réunies, ce qui n’empêche pas que la partie qui
s’est rendue coupable d’un véritable dol, par d’autres
moyens qu’en retenant les pièces, ne puisse être tou
jours attaquée en vertu du numéro Ier de l’article 480.
428. — C’est par ces considérations que les auteurs
sont à peu près unanimes pour critiquer l’arrêt de la
Cour de Besançon. C’est ce que font notamment Dalloz
jeune, Favard , Thomines, Boitard, Carré, Adolphe
Chauveau.
a Sans doute, dit ce dernier, il appartient au juge de
déclarer si dans telle espèce le dol existe, s’il résulte
suffisamment des faits imputés à la partie qu’on prétend
s’en être rendue coupable. Pour cette appréciation la
loi s’en rapporte uniquement à sa conscience. Ainsi que
la Cour de Besançon eût déclaré, d’après les circons
tances de la cause, que la dénégation du fait, depuis re
connu vrai, ne constituait pas, de la part de Fauteur de
cette dénégation, un dol personnel, rien de mieux, elle
en avait évidemment le droit; mais s’autoriser du para
graphe 10 de l’article 480 pour dire que la simple allé
gation d’un fait, depuis prouvé faux, ne peut jamais cons
tituer un dol, si elle n’est accompagnée de manœuvres
ayant réduit la partie adverse et le juge à l’impossibilité
�Ml
-de discerner la vérité, c’est resserrer dans des limites
trop étroites l’application du paragraphe 1er, c’est im
poser arbitrairement des conditions qu’il n’a point pres
crites. »
DU DOL ET DE LA EUAÜDE.
-429. — Cette interprétation de l’article 480 a pré
valu , et devait effectivement prévaloir en jurispru
dence. Ainsi il a été jugé :
1° Que la requête civile peut être prise contre un ju
gement basé sur un fait que la partie savait être faux,
mais que les juges ont cru vrai parce qu’il était affirmé
par le défenseur de la partie ; 1
2° Que la simple dissimulation d’une pièce décisive,
par une partie, peut prendre le caractère d’un dol per
sonnel et donner lieu à requête civile; qu’ainsi lorsque
une partie a attaqué un jugement par voie de cassation;
qu’il y a eu rejet par la section des requêtes; que la
même partie a attaqué ensuite le même jugement par
voie d’opposition ou de tierce-opposition, sans révéler
l’existence de l’arrêt, de rejet inconnu à l’adversaire,
arrêt qui cependant eût été une pièce décisive contre
l’une et l’autre espèce de recours, il y a ouverture à re
quête civile contre le jugement qui admet soit l’oppo
sition, soit la tierce-opposition; 2
3° Qu’il y a dol personnel de l’une des parties et par
suite ouverture à requête civile, lorsqu’il résulte, des
pièces découvertes après jugement, que le défendeur à
' Bruxelles, 25 juillet 1810, Journal du Palais.
8 Cass., 49 février 1825, Journal du Palais.
•v «
!: !'•
�442
TRAITÉ
la requête civile n’avait, obtenu gain de cause qu’au
moyen de la dénégation mensongère de faits allégués
par son adversaire. 1
Tenons donc pour certain que le paragraphe 10 de
l’article 480 n’est ni une dérogation, ni une restriction
au paragraphe 1er; qu’en conséquence le dol personnel
peut, indépendamment de toutes manœuvres, résulter
de l’attestation mensongère sur laquelle le jugement
s’est fondé; que la preuve du mensonge donne dès-lors
ouverture à la requête civile.
450. — Mais l’exercice de ce recours n’est rece
vable que dans les circonstances suivantes :
1° La preuve de la fausseté de l’attestation doit être
acquise.
Le législateur, en autorisant la requête civile, n’a nul
lement entendu fournir l’occasion d’ébranler ou d’al
térer la foi due aux arrêts par des attaques se réduisant
à offrir la preuve du dol allégué. Le Code, disait l’ora
teur du gouvernement, a maintenu les précautions pri
ses par les anciennes lois, pour que, sous le titre de
requête civile, l’on ne présentât pas des moyens nonrecevables ou que l’on mettrait en avant sans être en
état d’en faire la preuve.
Ainsi le recours en requête civile suppose à priori
l’existence certaine et démontrée du fait dont on veut
faire résulter le dol. La loi le veut tellement ainsi, que
1 Colmar, 18 mai 1820; — Nîmes, 24 décembre 1839, Journal du
Palais, l. i, 1840, p. 460.
�bu
DDL ET DE LA Eli AUDE.
443
l’article 488 ne fait courir les délais de trois mois pen
dant lequel la demande doit être intentée que du jour
de la découverte du dol et exige que la preuve de cette
découverte soit constatée par écrit et non autrement.
Ce qui indique forcément la préexistence de la recon
naissance du dol sur toutes les démarches judiciaires
que ce dol est dans le cas de motiver.
Il faut donc, pour que la requête civile soit admis
sible, qu’au moment où elle est formulée, on ait acquis
la preuve du fait qui lui sert de fondement; que ce fait
constitue un dol, La demande qui se bornerait à alléguer
le dol et à en offrir la preuve serait non-recevable et in
capable de produire aucun effet. 1
431. — 2° L’acte qualifié dol doit être personnelle
ment imputable à la partie qui a obtenu le jugement at
taqué. C’est ce qu’indique formellement l’article 480,
qui n’autorise la requête civile que dans l’hypothèse
d’un dol personnel. Conséquemment, le mensonge et la
ruse qu’un tiers se serait permis, sans connivence, sans
complicité de la partie, resterait sans effet sur le juge
ment et ne pourrait motiver la reqüête civile.
Mais on ne doit pas ranger dans la catégorie des tiers
l’avocat ou l’avoué de la partie. Choisis par elle, l’un et
l’autre sont, dans l’exercice de leur mission, ses véri
tables mandataires chargés de la représenter. A ce titre,
ce qu’ils font est censé fait par la partie elle-même.
Or, en principe, le dol du mandataire ne saurait
* Paris, 51 mars 1836, Journal du Palais.
�444
T R A IT E
nuire, ni moins encore profiter au mandant. 1 Ce prin
cipe reçoit une application d’autant plus incontestable
à notre espèce, que l’avocat ou l’avoué n’agit que sous
l’inspiration immédiate du client, et que celui-ci, en re
vendiquant le bénéfice du jugement obtenu par le dol
de l’un ou de l’autre, ratifie tout ce qu’ils ont fait en
son nom et s’approprie ainsi le dol lui-même. Il est donc
de toute justice qu’il subisse toutes les conséquences
d’un acte dont il a voulu recueillir les avantages.
Ainsi, le dol de l’avocat ou de l’avoué est considéré
comme le dol personnel de la partie. Sa découverte et
sa reconnaissance autorise donc contre elle la voie de
la requête civile. !
452 — 5° Que le dol reproché ait influé sur le ju
gement dont on poursuit la rétractation. Le dol n’est
punissable qu’autant qu’il oecasione un préjudice. Ce
préjudice existe incontestablement lorsque le dol a été
la cause déterminante du contrat. Ainsi, celui qui de
mande à être relevé de son engagement, doit, aux
termes de l’article 1116, justifier qu’il ne l’aurait pas
contracté sans les manoeuvres par lesquelles il a été cir
convenu.
Nous ne saurions comprendre qu’il pût en être au
trement dans le cas d’une requête civile, à moins de je
ter les parties dans des frais frustratoires et inutiles. Si
la fausse attestation n’a pas déterminé la solution, si le
1 Vide supra, ehap. l,se c t. 2, § 2.
a Poucet, des jugements, tom. n , lit. 2, chap. 3, n° 460 — Pigeau
Carré, Chauveau ; — vid. arrêt de Bruxelles du 23 juillet 1810,
�DU DDL ET DE LA FRAUDE.
445
jugement, tel qu’il a été rendu, a son fondement réel dans
les autres documents du procès, qu’importe que dans
les moyens soumis au juge il s’en trouve un constituant
un mensonge? Faites-le disparaître, et la partie qui s’en
plaint n’en aurait pas moins perdu son procès. A quoi
bon, dès-lors, accueillir sa demande au rescindant, puis
qu’elle doit succomber au rescisoire.
455. — Cette opinion est combattue, en quelque
sorte, par M. Chauveau, qui enseigne que la requête
civile, fondée sur un des moyens prévus par la loi, ne
peut être écartée sous prétexte du défaut d’intérêt. Mais
cette doctrine, vraie sous un certain rapport, ne saurait
recevoir aucune application au cas de dol personnel.
Ainsi, la requête civile fondée sur ce que les forma
lités prescrites à peine de nullité ont été violées, ou sur
le défaut de communication au ministère public, dans
les cas où cette communication est rigoureusement or
donnée, ne pourrait être rejetée sur le motif que le de
mandeur n’y aurait aucun intérêt. Dans l’un et dans
l’autre cas, le droit naît du fait matériel lui-même, abs
traction faite des effets qu’il a pu produire sur le juge
ment. Dès-lors, le tribunal qui, par l’appréciation de ces
effets, refuserait la rétractation du jugement, violerait
expressément la loi et s’exposerait à la censure de l’au
torité judiciaire supérieure.
Mais, dans le cas de dol personnel, la mission du juge
est bien différente. Elle consiste alors, et c’est M. Chau
veau qui nous l’explique, à rechercher si dans telle
espèce le dol existe, s’il résulte suffisamment des faits
�446
TRAITE
allégués. Or, comment cette recherche pourrait-elle
s’opérer sans avoir égard à l’existence d’un préjudice?
Le dol n’est-il pas comilium frmidis et eventus damni ?
Dès-lors, comment déclarer le dol certain si l’on n’éta
blit pas a priori l’existence de l’un de ses éléments es
sentiels, la certitude d’un préjudice? Il est donc évident
que le juge, non-seulement peut, mais doit vérifier d’a
bord le préjudice souffert par le demandeur en requête
civile, et, s’il pense qu’il n’en existe aucun, il déclarera
qu’il n’v a pas dol, et conséquemment que la requête
civile est non-recevable.
Au reste, M. Chauveau n’a pas suffisamment examiné
l’arrêt de la Cour de cassation du 16 août 1808, sur
lequel il fonde sa doctrine. Cet arrêt casse une décision
de la Cour de Besançon, non pas parce que celle-ci
avait déclaré non-recevable, pour défaut d’intérêts, la
requête civile des demoiselles Thouverey. Ce qui déter
mine la Cour suprême, c’est que bien à tort l’on avait
déclaré celles-ci sans intérêt, tandis qu’il était évident
quelles en avaient un réel à attaquer les dispositions
qu’elles voulaient faire rétracter, qui pouvaient com
promettre le sort de leur créance, et qu’elles ne pou
vaient les attaquer que par la requête civile.1
Y aurait-il eu également cassation si le défaut d’intérêt,
allégué par la Cour d’appel, eût réellement existé? Ce
qui fait supposer le contraire, c’est le soin que met la
Cour régulatrice à établir la proposition contraire. Sa
décision tient donc uniquement à l’erreur commise à
1 Journal du Palais.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE#
447
cet égard par la Cour de Besançon, et dans ces limites
cet arrêt ne saurait prêter aucune autorité au système
de M. Chauveau.
Ainsi, si Je jugement attaqué par requête civile, sur
le motif de dol personnel, n’en eût pas moins été rendu
tel qu’il l’a été en l’absence du fait caractérisé dol, si
le juge n’a puisé sa conviction que dans les autres élé
ments du procès, la requête civile doit être écartée.
Admettre le contraire, ce serait vouloir perpétuer le li
tige, encourager la chicane et exposer des frais évi
demment inutiles.
La question de savoir jusqu’à quel point le dol a in
flué sur le jugement, sera facile à apprécier, puisque la
requête civile doit être soumise au juge qui a rendu la
décision quérellée. Personne, en effet, ne pouvait mieux
que lui rendre compte de ses impressions au moment
de cette décision, et expliquer les motifs qui l’ont dé
terminé.
Aux conditions qui précèdent, la requête civile est
parfaitement admissible. Reste le bien fondé de la de
mande que le tribunal investi doit prononcer sur l’exis
tence du dol, sa gravité, ses conséquences. A cet égard
son indépendance est absolue et son appréciation sou
veraine, sa décision, quelle qu’elle soit, ne saurait être
annulée par la Cour de cassation.1
434. — Au nombre des actes pouvant caractériser
1 ÇassM '12 janvier 1841 ; — D. P.,
4-1.
1, 180.
�tra ite
le dol personnel, se placent la subornation des té
moins, la corruption des experts, le faux serments
435. — La subornation des témoins est plus qu’un
dol. La loi la considère comme un crime qu’elle punit
d’une peine afflictive et infamante. Il n’y a donc aucun
doute à concevoir; le jugement obtenu par l’effet de
cette subornation ne saurait survivre à la certitude de
son existence.
Mais cette certitude ne saurait être acquise que par
la preuve résultant d’un jugement de condamnation au
criminel. L’absence de ce jugement rendrait la requête
civile non-recevable, alors même que le demandeur
offrirait la preuve par documents ou par témoins.
En conséquence, celui qui se prétend victime de
faux témoignages déterminés par la subornation, doit
d’abord recourir à la voie criminelle. L’instance jugée
et le suborneur convaincu, la requête civile ne pourrait
manquer d’être accueillie et de produire tous ses effets.
Si le prétendu suborneur est acquitté, la requête
civile devient rigoureusement impossible, alors même
que les témoins sur la foi desquels le jugement a été
rendu seraient reconnus et punis comme faux témoins.
Le faux témoignage est sans doute un dol extrêmement
grave, mais il n’est pas personnel à la partie sans le
concours de laquelle il s’est produit. Or, en vertu de
l’article 480, il n’y a que le dol personnel qui donne
ouverture à la requête civile.
La partie lésée par le faux témoignage n’aurait donc
qu’une action, à savoir ; celle en dommages-intérêts
�440
contre les auteurs du faux témoignage, pour les con
traindre à réparer le préjudice qui en est résulté.
DÛ DOL ET DE LA FRAUDE.
436. — La corruption des experts peut être sans
difficulté assimilée à la subornation des témoins. Elle
est même plus dangereuse et plus grave, car, indépen
damment de son caractère qui l’a fait accepter par la
partie et par le juge, l’expert est appelé le plus souvent
à constater des faits dont la matérialité est sous ses
yeux et doit être facilement reproduite. On ajoutera
donc d’autant plus de confiance à sa déclaration, d’ail
leurs garantie par serment, qu’une erreur est beaucoup
moins présumable chez lui que chez un témoin dépo
sant d’après des impressions et des souvenirs plus ou
moins fidèles.
L’acte qui a pour objet d’amener l’expert à trahir son
serment et à tromper la confiance que la justice lui a
témoignée est donc un acte qu’on ne saurait trop vive
ment flétrir, il peut ne pas rentrer dans la catégorie de
ceux que punit l’article 179 du Code pénal, mais de
toute certitude on ne saurait ne pas y rencontrer un
véritable dol.
L’auteur de cette corruption ne pourrait donc se
soustraire aux effets de la requête civile, ni la soutenir
non-recevable, à moins qu’il ne fût certain que le rap
port de l’expert corrompu n’a exercé aucune influence
sur la décision qui l’a suivie.
Cette hypothèse peut ne pas être impossible. En effet,
l’avis de l’expert n’est jamais obligatoire. Les juges peu
vent,, à leur gré et suivant leur conviction, le modifier,,
�le mettre même complètement de côté. Ce dernier cas
se réalisant, la preuve que l’expert a été corrompu se
rait sans effet, puisque ce serait ailleurs que dans son
rapport que les juges auraient puisé les motifs de leur
décision.
Au reste, des difficultés de ce genre sont évidemment
en dehors de toute discussion, le tribunal qui a rendu
le jugement attaqué étant seul compétent pour les ap
précier et les résoudre d’une manière convenable.
La subornation des témoins et la corruption des ex
perts peuvent avoir été pratiquées par argent, par une
récompense quelconque, par des promesses même. Quel
que soit leur mobile, l’effet en est le même par rapport
au jugement qu’elles ont déterminé. Nous faisons cette
observation pour prévenir un doute que le droit romain
pourrait faire naître. En effet, le rescrit d’Adrien ne
considère la corruption comme cause de la rétractation
des jugements qu’autant qu’elle a été pratiquée à prix
d’argent.1
437. — Nous venons de voir qu’une allégation men
songère et fausse constituait, suivant les circonstances,
un dol donnant ouverture à requête civile ; par une su
périorité de raisons incontestable devrait-on admettre
cette doctrine pour ce qui concerne le faux serment qui
réunit le sacrilège au mensonge.
La requête civile serait donc ouverte envers le juge
ment rendu conformément au serment prêté. Ici l’in1 L. 33, Dig. de re judicala.
�DU DOD E T DE EA FRAUDE.
fluence du serment sur la décision n’est pas douteuse,
le vice qui entacherait le serment, entacherait donc la
décision elle-même.
458. —• On doit cependant distinguer, par rapport
à la requête civile, le serment déféré ou référé par la
partie, du serment ordonné d’office par le juge.
De tout temps le serment décisoire a été considéré
comme terminant à tout jamais le litige. Ce serment,
disait le jurisconsulte Paul, renferme une véritable tran
saction, et a conséquemment une autorité plus grande
que celle de la chose jugée. Ajoutons qu’il a aussi une
autorité plus grande que la transaction elle-même, car
le dol, qui relève de celle-ci, ne saurait influer sur ses
effets : Adversus exceplionem jurisjurandi replicatio
doli midi non debet dari, cum prcetor ici acjere debet, ne
de jurejurando ijuœralur. 1
L’article 1563 du Code civil a consacré ce principe.
Le serment décisoire crée, sous son empire, une pré
somption contre laquelle la preuve du contraire n’est
pas admissible ; et cela, disait l’orateur du gouverne
ment , parce que le serment déféré ou référé par les
parties doit terminer définitivement toute contestation.
C’est la condition sous laquelle la loi donne le droit de
l’exiger. Ainsi, de l’exercice de ce droit, résulte le con
sentement de se soumettre à la condition ; et dès-lors,
celui qui a déféré le serment ou qui l’a référé n’est plus
recevable, lorsqu’il a été fait, à en prouver la fausseté.2
" L. 15, Dig., de excep.
Locré, Procès-verbaux du conseil d’État, séance du 5 pluviôsean x ii , t. x i i , p " '
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�452
TRAITE
De tout cela, il résulte évidemment que la voie de la
requête civile est absolument interdite contre les juge
ments rendus à la suite du serment décisoire, alors
même que la preuve de la fausseté serait matériellement
acquise.
Mais aucun des caractères constitutifs du serment dé
cisoire ne s’applique au serment ordonné d’office par le
juge. On ne peut pas dire, en effet, que la partie ait
voulu s’en remettre à la conscience de son adversaire,
puisque, d’une part, elle n’a pas cru prudent de lui
déférer le serment, et qu’elle a, en outre, résisté autant
que possible à ce que le juge le lui déférât. On ne peut,
dès-lors, considérer ce serment comme une transaction.
Il n’est plus qu’un moyen de décision invoqué par le
juge, et contre lequel la partie qui a succombé conserve
le libre exercice de tous ses droits, et notamment le
recours à la requête civile, dès qu’elle aura acquis la
preuve du parjure. C’est au reste ce qui a toujours été
considéré comme une règle incontestable. 1
439. — 2° La requête civile est admissible s’il a été
jugé sur pièces depuis reconnues ou déclarées fausses.
Cette hypothèse touche, sous un rapport, à celle que
nous venons de parcourir. L’usage.sciemment fait d’une
pièce fausse constitue un dol au suprême degré, puis
qu’il est considéré et puni comme un crime ; le droit à
se pourvoir par requête civile se puiserait donc suffisam
ment dans le numéro 1er de l’article 480.
1 V. 1. 31, Dig., de jurejurando;— Despeisse, tit. 12, section 2;
« Domat; 2e p., liv. -i, tit. 9 ; — Pothier, liv. 12, tit. 2, n° 31.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
453
440. — Mais une disposition spéciale devenait né
cessaire, dès l’instant que le législateur n’exigeait pas
que la fausseté des pièces eût été connue par la partie
qui les a invoquées. La question de dol est donc fort in
différente. La bonne foi admise, la requête civile n’en
serait pas moins recevable, pourvu : 1° que les pièces
produites soient reconnues ou déclarées fausses ; 2°
qu’elles aient servi de bases au jugement attaqué. Telles
sont les conditions uniques exigées par le numéro 9 de
l’article 480.
441. — La seule difficulté que cette disposition fait
naître est relative au sens qu’il convient d’attacher à ces
termes : Reconnues ou déclarées fausses. De la solution
de cette difficulté dépend la question de savoir si le
juge investi de la connaissance de la requête civile peut,
par un même jugement, admettre la fausseté des pièces
et statuer ensuite sur le mérite de la requête civile.
L’affirmative a été soutenue depuis le Code de pro
cédure, « l’article 480, a-t-on dit, n’a voulu qu’une
seule chose, à savoir : que la fausseté des pièces qu’on
aurait connue avant le jugement, en négligeant alors de
l’invoquer, ne pût servir plus tard d’ouverture à re
quête civile, c’est dans ce sens qu’il exige que cette
fausseté ait été déclarée ou reconnue depuis le juge
ment , il suffit donc que cette condition soit remplie
pour qu’on doive admettre la requête civile.
« Aucune difficulté ne peut s’élever quant à la décla
ration du faux, mais la reconnaissance, indiquée par le
législateur, ne saurait être l’aveu émané de la partie
�confessant ainsi sa propre turpitude. On doit donc en
tendre par là la découverte du faux par le demandeur
en requête civile. Or, rien dans l’article 480 n’autorise à
penser que l’une ou l’autre doive précéder l’instance en
rétrataction du jugement; exiger cette reconnaissance
ou cette déclaration préalable, c’est donc ajouter à la
loi. Dès-lors la preuve du faux peut être valablement
faite devant le tribunal investi de la demande en requête
civile, qui peut conséquemment prononcer simultané
ment sur le faux et sur la requête civile elle-même. »
Tout cela était vrai sous l’empire de l’ordonnance de
1667, c’est ce qu’atteste notammentun arrêt de la Cour
de cassation du 22 pluviôse an ix. Mais la doctrine de
l’ordonnance a été abandonnée par le Code de procé
dure, cela résulte du texte et de l’esprit du Code.
L’article 34, titre 35, de l’ordonnance autorisait la
requête civile, s’il avait été jugé sur pièces fausses. La
généralité de ces termes ne répugnait nullement au sens
qu’on leur avait reconnu. Évidemment ie législateur
n’avait rien prévu ni quant à l’existence préalable du
faux, ni quant au mode de sa constatation.
Dès cette époque, cependant, une controverse s’était
établie sur l’un et l’autre point, et cette controverse
n’avait pas laissé que de créer des difficultés assez gra
ves. Un jugement définitif doit, disait-on, devenir la loi
immuable des parties. Ouvrir contre lui un recours trop
facile, c’est s’exposer à en diminuer la juste autorité,
c’est encourager la mauvaise foi et la chicane intéressées
à se soustraire par tous les moyens à une condamnation
juste et méritée. L’intérêt général exige donc qu’il n’y
�DU DDL ET DE LA FRAUDE.
455
ait rien d’arbitraire dans les modes d’attaque dont un
jugement peut être l’objet, et, si cette attaque est fon
dée sur la fausseté des pièces produites, il convient que
cette fausseté soit prouvée avant qu’on puisse en pour
suivre les effets. Procéder autrement, c’est livrer les
parties à des débats interminables, car la prétention de
la découverte d’un faux qui n’a réellement jamais existé,
et qu’on ne pourra prouver, ammenera de fréquents
procès.
442. — C’est en présence de ces difficultés que se
trouvaient les auteurs du Code de procédure, et le rap
prochement des termes qu’ils ont employés, de la dis
position de l’ordonnance, indique de quelle manière ils
ont entendu les trancher. La requête civile n’est admis
sible que si les pièces ont été reconnues ou déclarées
fausses, elle n’est donc possible qu’à partir du moment
de l’une ou de l’autre; dès-lors, comment admettre que
l’exercice d’un droit puisse précéder l’ouverture du droit
lui-même?
Le Code a donc déserté le système suivi par l’or
donnance de 1667, et s’il est vrai que sous l’empire de
celle-ci le faux n’avait pas besoin d’être préalablement
prouvé, il est certain que, depuis la promulgation du
premier, cette constatation préalable est devenue la
condition indispensable de la faculté de se pourvoir par
requête civile. D’où la conséquence que le juge investi
de cette requête ne peut rechercher d’abord le faux et
prononcer ensuite sur la requête civile.
�456
tr a ité
445. — Quant au sens qu’il faut attacher h la re
connaissance prescrite par notre article, il ne saurait
être douteux, il ne peut s’entendre que de l’aveu fait par
l’auteur du faux ou par celui qui a fait usage des pièces
fausses, aveu tout à fait indépendant de la découverte
faite par le demandeur en requête civile et qui ne peut
jamais être suppléé par elle.
Cela s’induit du rapprochement des articles 448,
488, 480, du texte même de ce dernier.
Ainsi, l’article 448 proroge les délais de l’appel du
jugement obtenu sur pièces fausses, en ne les faisant
courir que du jour où le faux a été reconnu ou juridi
quement constaté. On convient généralement que dans
cette hypothèse la reconnaissance dont parle la loi, c’est
l’aveu de la partie, et ce qui le prouve, c’est que cet ar
ticle, exigeant une preuve par écrit de la découverte
des pièces décisives, n’aurait pas manqué de la pres
crire pour la découverte du faux, sans quoi les délais
d’appel n’eussent jamais couru. Or, rien n’indiquant
unei intention contraire, il faut conclure, de l’identité
des termes employés par l’article 480, à une solution
conforme à celle donnée dans le cas de l’article 448.
Ainsi encore, l’article 488, qui fait courir les délais
de la requête civile du jour où soit le faux, soit le dol,
aura été reconnu ou les pièces décisives découvertes,
ajoute : pourvu que dans ces deux derniers cas il y ait
preuve par écrit du jour et non autrement. Le motif qui
a fait restreindre la nécessité de la preuve écrite au dol
et à la découverte des pièces décisives, c’est que le faux
ne pouvant résulter que d’une reconnaissance ou d’un
�jugement, la preuve du jour de l’une ou de l’autre ré
sultera invinciblement de l’acte qui constate l’une ou
l’autre. La loi n’a donc pas voulu parler de la simple
découverte du faux, car elle eût fait pour celle-ci ce
qu’elle a fait pour celle du dol, pour celle de pièces
décisives, à moins qu’on n’admît que, pour le faux, là
loi n’a voulu tracer aucune limite à la faculté de se pour
voir par requête civile. Or, une pareille intention est
d’autant moins présumable que l’intérêt public prescri
vait de laisser le moins possible dans l’incertitude l’au
torité des jugements ou arrêts.
Enfin, admettre que la reconnaissance exigée par
l’article 480 signifie seulement la découverte du faux
par le demandeur en requête civile, c’est supposer au
législateur deux volontés contradictoires dans deux dis
positions rapprochées à dessein, à cause de leur coïn
cidence. Ainsi, tandis qu’il aurait exigé d’une part la
constatation juridique du faux pour donner ouverture à
la requête civile, de l’autre il se serait contenté qu’il
fût seulement découvert. Une telle contradiction n’est
ni présumable ni admissible.
444. — En conséquence il n’y a pas à hésiter. Celui
qui veut se pourvoir en requête civile, pour fausseté
des pièces produites, doit se procurer l’aveu de son ad
versaire, et, à défaut, faire constater juridiquement le
faux. Cette reconnaissance ou ce jugement obtenu, la
requête civile devient recevable et peut dès-lors être
intentée. De là résulte évidemment que le même tribu
nal ne saurait être simultanément investi de la connais*1
i
28
�458'
TRAITÉ
sance du faux et de la requête civile, ni prononcer sur
le tout par un même jugement.
C’est au reste dans ce sens que s’est généralement
prononcée la jurisprudence. De nombreux et graves
monuments l’attestent. *
Tout en admettant ce principe, Pigeau en restreint
l’application au cas où la pièce arguée est authentique.
Si la pièce est privée, dit-il, les juges peuvent, après
l’avoir examinée et reconnue fausse, la déclarer nulle et
admettre la requête civile par le même jugement.
Mais cette opinion a le tort de distinguer là où la loi
ne distingue pas. De plus, elle transfère au juge le pou
voir de reconnaître la fausseté de la pièce et de com
mettre ainsi une équivoque sur la valeur de ce terme
que la loi a considéré comme l’équivalent de l’aveu de
la partie. Elle est donc inadmissible. Ainsi, que la pièce
soit privée, qu’elle soit authentique, la nécessité d’une
reconnaissance ou d’un jugement préalable n’en existe
pas moins, pour que le droit de se pourvoir par requête
civile soit ouvert.
445. — 3° Enfin la requête civile est autorisée si
depuis le jugement il a été recouvré des pièces décisives
et qui avaient été retenues par le fait de la partie.
Trois conditions sont donc indispensables pour cons
tituer cette ouverture spéciale de requête civile.
La première, c’est que les pièces aient été découver1 Vid. an Journal du Palais : Grenoble, 29 mai 1834; Paris, 11 mai
1836; Cass., 2 mai 1857 el 13 février 1838; Aix, 8 février 1859 ?
tom. i, 1857, pag. 332 ; lom. i, 1838, pag. 268; tom. i, 1839, pag. 408.
�DU DO U ET DE UA FRAUDE.
459
tes depuis le jugement. Conséquemment, si leur exis
tence avait été connue avant, la partie qui aurait né
gligé de les produire ou de s’en prévaloir ne serait plus
admise à se pourvoir contre le jugement. Ce jugement
serait maintenu tel qu’il a été prononcé, alors meme
que la décision qu’il consacre eût dû être différente, si
les pièces non représentées eussent été vérifiées par les
juges. La requête civile n’a nullement été imaginée
pour venir en aide à l’imprudent qui n’a pas su se dé
fendre comme le voulait son intérêt.
La détermination de l’époque de la découverte pré
cise des pièces était de nature à soulever de graves dif- fîcultés. C’est pour les prévenir que la loi exige que la
preuve écrite de cette découverte soit produite par le
demandeur en requête civile. Aux termes de l’arti
cle 488, l’absence de cette formalité ne permettrait pas
d’accueillir la demande.
La seconde condition, c’est que les pièces soient dé
cisives. L’exigence de ce caractère implique pour le
juge la nécessité de jeter un coup d’œil sur le fond du
procès. Aussi cette faculté, que l’ordonnance de 1667
refusait, a-t-elle été explicitement admise lors de la
discussion législative du Code de procédure ci vile. Elle
est d’ailleurs indispensable, car comment juger si la
pièce est ou non décisive, autrement qu’en recherchant
quelle est l’influence qu’elle doit exercer sur les préten
tions des parties.
Le juge examinera donc le fond, et s’il résulte de cet
examen, dit Pigeau, que la cause eût été perdue quand
même la partie eût plus tôt produit la pièce, on n’aura
�460
TRAITE
pas à s’occuper de la requête civile, qui devra dès-lors
être rejetée.
Il suit de là qu’il n’y a de pièces décisives, dans le
sens de la loi, que celles dont les énonciations devaient
amener une solution opposée à celle que le jugement con
sacre. Telle n’est pas cependant l’opinion de M. Berriat
Saint-Prix. Cet auteur pense que le caractère des pièces
doit être apprécié par rapport au rescindant seulement ;
conséquemment il établit comme règle générale que ,
quoique la pièce retenue ou recouvrée doive, en défini
tive, faire rendre un jugement semblable au premier ,
quant à ses résultats, il n’en faut pas moins rétracter
celui-ci.
Cette doctrine s’écarte du véritable esprit de la loi ;
elle ne tend qu’à perpétuer les procès, qu’à multiplier
les frais. Elle devait donc être rejetée. Elle l’a effecti
vement été par les auteurs et par la jurisprudence. La
Cour de Bruxelles, notamment, a décidé, par arrêt du
9 juillet 1825, que, si la pièce n’est pas décisive aufond,
on ne peut prétendre qu’il y ait dissimulation dolosive,
et partant ouverture à requête civile.
La troisième condition, c’est que les pièces aient été
retenues par le fait de la partie.
Cette rétention est surtout le fait principal dont le
paragraphe 10 a voulu s’occuper. Nous verrons bientôt
que son existence est constitutive d’une présomption de
dol suffisante pour autoriser la requête civile. A ce titre,
on ne pouvait faire autrement que d’exiger1qu’elle fût
directejnent imputable à la partie, le dol, formel ou pré-
�m
sumé, devant être personnel pour créer une ouverture à
requête civile.
De là cette conséquence que, si les pièces avaient été
retenues par un tiers ou si le défaut de leur production
n’était imputable qu’à la négligence de la partie qui avait
intérêt à les représenter, le jugement rendu en leur ab
sence demeurerait inattaquable pour toutes les parties.
On doit, dans cette circonstance, appliquer les prin
cipes que nous avons déjà exposés sur le dol direct ou
indirect. Ainsi si la rétention matériellement opérée
par un tiers n’était due qu’aux inspirations de l’une
des parties, si la conduite de ce tiers était le résultat
d’une collusion frauduleuse, la complicité de la partie
la rendrait directement responsable des conséquences
de la rétention et autoriserait la requête civile. C’est ce
qui se réaliserait dans le cas où la partie, dans l’inten
tion d’éluder la loi, aurait, avant le procès, remis les
pièces entre les mains d’un tiers, en le chargeant de les
céler ; ou si, connaissant le dépositaire de ces pièces ,
elle était parvenue, par dons, promesses ou violences,
à le déterminer à ne pas les produire.
D’autre part, la possession d’une pièce et le silence
gardé sur son existence ne constitueraient pas la ré
tention prévue par la loi, si la minute de cette pièce
étant déposée dans des registres publics ou chez un no
taire, les parties ont pu en requérir une expédition ou
une copie; si la pièce étant commune aux deux parties
ou si, son existence étant acquise, on a pu forcer le dé
positaire à la communiquer. Ainsi il a été jugé qu’il
n’y avait pas véritable rétention dans le fait de l’associé
PU DOf. ET PE LA FRAUDE.
�462
TRAITE
qui, constitué gardien d’un document social, ne l’avait
pas produit, tous les associés pouvant le réclamer et
le consulter en tout temps;1que la partie qui n’a pas
usé de la faculté autorisée par l’article 188 du Code de
procédure civile, d'exiger la communication des pièces
invoquées par son adversaire, ou qu’il sait être en sa
possession, ne peut être admise à se pourvoir par re
quête civile, sous prétexte que celui-ci les aurait rete
nues.2
On le déciderait de même dans toutes les hypothèses
où le demandeur en requête civile aurait négligé de faire
valoir les moyens que la loi lui donne de s’éclairer sur
son droit. Il est certain que, en pareille occurrence, il
a commis une faute qui n’a pas peu contribué au préju
dice dont il se plaint. Or, en principe, le dol n’oblige à
la restitution que lorsque celui qui la réclame n’est pas
lui-même coupable d’imprudence, de légèreté ou de
négligence. Alors, en effet, et alors seulement, le dol
peut être considéré comme la cause déterminante du
contrat.
446- — Au reste, les circonstances pouvant ou non
constituer la rétention dans le sens légal ne présentent
que des appréciations de fait que la loi abandonne à la
prudence et aux lumières du juge. Mais une pure ques
tion de droit est celle de savoir si la requête civile est
admissible lorsque celui qui a retenu les pièces a agi de1 Paris, 28 novembre 1810.
2 Cass., 20 novembre 1832.
�I)U DOL ET DE LA FRAUDE.
4G3
bonne foi et dans l’ignorance de leur existence entre ses
mains.
Pigeau enseigne l’affirmative. Mais cette solution est
fortement combattue par M. Ad. Chauveau. « Le para
graphe 10, dit ce dernier, prévoit un cas de dol aussi
bien que le paragraphe 1er, et, s’il diffère de celui-ci
par une précision spéciale, comme lui, du moins, il
pose, à titre de condition essentielle, qu’il faut que le
dol provienne du fait de la partie.
a Or il n’v a pas de dol dans l’hypothèse, car le dol
suppose l’intention de nuire, il n’existe meme qu’à ce
titre; et ici le contraire est établi.
« Encore moins peut-on dire qu’il se révèle par une
manœuvre coupable de la partie, puisque celle qui, par
pure ignorance, a retenu des pièces qu’elle ne savait
pas en sa possession, n’a pas même encouru le reproche
de négligence; ce n’était pas à elle, en effet, de cher
cher des armes à son adversaire. Il suffit qu’elle n’ait
pas sciemment mis obstacle aux recherches que celui-ci
aurait pu effectuer, pour qu’elle soit exempte de tout
blâme. »
Ainsi des deux hypothèses que l’article 480 semble
prévoir dans le paragraphe 10, à savoir : celle d’une ré
tention intentionnelle, et celle d’une rétention prove
nant de l’ignorance, M. Chauveau n’admet que la pre
mière comme donnant ouverture à la requête civile.
Nous pensons, au contraire, que c’est uniquement en
vue de la seconde que le paragraphe 10 a été inscrit
dans la loi.
Aucun doute, en effet, ne pouvait s’élever dans le
�464
traite
cas de dol. Le paragraphe 1er les prévoit tous, et la ré
tention d'une pièce décisive, opérée sciemment, étant
un véritable dol personnel, tombait virtuellement sous
le coup de cette disposition.
Il n’en était pas de même de la rétention de bonne
foi. On pouvait précisément invoquer ce caractère pour
combattre la recevabilité de la requête civile. Il était
donc urgent de tracer à cet égard une règle précise, si
l’intention du législateur était de consacrer la requête
civile dans ce cas.
Or nous croyons que cette intention a été celle de la
loi; et c’est pour l’exprimer que le paragraphe 10 a été
adopté. Ce paragraphe s’appliquerait donc précisément
à l’hypothèse que M. Chauveau prétend exclure.
Remarquons d’abord que la loi n’exige qu’une seule
chose, à savoir : que les pièces aient été retenues par le
fait de la partie. C’est donc à la matérialité des choses
qu’il convient de se référer. L’absence de toute indica
tion relative à l’intention en fait un devoir d’autant plus
impérieux que cette absence n’est qu’une conséquence
d’une appréciation exacte des difficultés graves que les
questions d’intention pouvaient soulever.
L’ignorance de l’existence d’une pièce qu’on a en sa
possession est un fait tellement intime, qu’on ne pour-,
rait rendre la prétention contraire l’objet d’une preuve
quelconque. Cependant le fait de cette possession a
causé un grave préjudice, puisqu’une partie, qui ne de
vait pas l’être, a été condamnée. Or, comment conce-y
voir l’impossibilité absolue de toute réparation dans la
quelle cette partie serait placée, par l’impuissance où
�DU DOL ET DE LA FllAUDE.
die serait d’établir que la bonne foi de son adversaire
n’est qu’un vain prétexte?
A côté de cet inconvénient déplorable, s’en trouvait
un autre non moins grave. On ouvrait une large porte à
l’arbitraire, en constituant les tribunaux juges nécessai
res de cette intention. C’était, en effet, les placer en
présence de deux allégations dépouillées de tout secours
extérieur et les exposer ainsi à consacrer dans plusieurs
cas le contraire de la vérité.
Il n’y avait qu’un seul moyen qui pût faire heureuse
ment franchir ce double écueil, et ce moyen est celui
que la loi a pris. Le fait de la possession des pièces et
leur rétention est déterminant. Il crée une présomption
légale de dol, suffisante pour donner ouverture à la re
quête civile.
La loi ne pouvait pas hésiter à se décider ainsi, car
le résultat qu’elle atteint est le seul juste, le seul équita
ble. Ainsi la partie qui ne doit rien se trouve exonérée
d’une condamnation imméritée. Son adversaire perd le
bénéfice d’un jugement qui n’a été qu’une surprise à la
religion des juges, et dont l’annulation ne fait que lui
rendre la position dans laquelle il était réellement placé.
Le système contraire a des conséquences iniques et
grève d’une responsabilité désastreuse la partie qui n’a
absolument rien à se reprocher. En effet, si elle n’a pas
produit les pièces dont son intérêt exigeait la représen
tation, c’est par l’excellente raison qu’elles étaient dans
les mains de son adversaire. On ne saurait donc lui re
procher ni faute, ni imprudence, ni légèreté.
Il n’en est pas de même de ce dernier, s’il pouvait
�466
TRAITÉ
échapper au reproche d’avoir commis une faute grave,
il se trouverait au moins convaincu de négligence. Il a,
en effet, le tort de ne s’être pas assez assuré de l’exis
tence du droit qu’il allait exercer. Cependant c’est lui
qu’on récompenserait de cette heureuse négligence,
c’est lui qu’on enrichirait des dépouilles injustement
arrachées à son adversaire !
Est-il vrai cependant qu’il doive en être ainsi et que
la loi n’ait autorisé la requête civile que lorsqu’il s’agit
d’un dol caractérisé?
La négative s’induit des motifs et du texte de l’arti
cle 480. La requête civile n’est qu’un moyen de corri
ger l’erreur dans laquelle le juge devait fatalement tom
ber par le fait ou par la fraude de l’une des parties. C’est
ce que prouve invinciblement le paragraphe 9 de cet
article 480.
L’usage des pièces fausses peut caractériser un dol.
Il peut aussi n’être que le résultat de la bonne foi et de
l’ignorance. A-t-on hésité, dans cette dernière hypo
thèse, à autoriser la requête civile? Cependant la bonne
foi de la partie est exclusive de toute intention fraudu
leuse, et si la loi exigeait cette intention, il faudrait
décider, pour l’usage des pièces fausses, ce que
M. Chauveau enseigne pour la rétention des pièces. Le
contraire cependant n’a jamais été contesté par per
sonne.
Mais, si la bonne foi n’est point une excuse pour l’u
sage des pièces fausses, pourquoi lui reconnaîtrait-on
ce caractère, lorsqu’il s’agit de rétention de pièces dé
cisives? Évidemment il y a dans les motifs de décision,
�bu
DOL ET DE LA FRAUDE..
467
dans l’un et dans l’autre cas, une telle identité qu’on ne
saurait justifier ni concevoir une pareille divergean.ee
dans les résultats.
Concluons donc que le sens du paragraphe 10, dé
terminé par les motifs qui ont fait admettre la requête
civile, justifié par l’énormité des conséquences que le
système de M. Chauveau entraînerait, est invariablement
fixé par son rapprochement avec le paragraphe 9. Le
dol est présumé dans le fait de rétention, au même titre
que dans le fait de l’usage des pièces fausses. L’un et
l’autre se réalisant, le jugement est essentiellement al
téré dans son principal caractère, et la requête civile
est ouverte, quelles qu’aient été les causes déterminan
tes de l’un ou de l’autre. La preuve que le paragraphe 10
n’a pas d’autre but que le paragraphe 9, c’est que déjà
le paragraphe 1er punissait Je dol personnel, et qu’il est
impossible d’admettre que le législateur ait cru devoir
consacrer deux fois, dans le même article, la même dis
position.
Enfin la justesse de notre conclusion est prouvée par
la jurisprudence que nous avons déjà rappelée. Si, dans
la supposition de mauvaise foi admise par M. Chauveau,
la loi exige la dissimulation et la rétention, la consé
quence nécessaire de sa disposition sera que le dol
n’existera que par la réunion de ces deux circonstances,
et que la simple dissimulation, fût-elle le produit de la
fraude la plus insigne, ne saurait, dans aucun cas, au
toriser la requête civile.
Le contraire a été cependant formellement jugé par
la Cour de cassation. Son arrêt, du 19 février 1825,
�468
traite
décide, en effet, que la dissimulation d’une pièce, sans
qu’il y ait eu rétention, pouvait constituer un dol don
nant ouverture à requête civile. Dans le système de
M. Chauveau, cet arrêt serait une violation flagrante de
la loi, puisqu’il ferait produire à une seule des circons
tances prévues les effets que la loi n’a voulu donner
qu’à la réalisation simultanée de l’une et de l’autre. S’il
faut qu’il y ait mauvaise foi, dissimulation et rétention,
il est évident que la mauvaise foi qui n’aura produit que
la dissimulation ne pourrait être atteinte, sans mécon
naître la volonté expresse du législateur.
La Cour de cassation n’a pas hésité pourtant, et
M. Chauveau approuve formellement son arrêt. Donc
la Cour a admis expressément que le texte du paragra
phe 10 de l’article 480 a un sens tout spécial, à savoir :
que la réunion des circonstances qui y sont énumérées
crée une présomption légale de dol, rendant inutile et
superflue l’examen de l’intention qui les a déterminées.
Cet examen devient, au contraire, indispensable lors
que les parties se trouvant en présence d’une simple
dissimulation, il y a lieu de rechercher si cette dissi
mulation ne constitue pas un véritable dol, et s’il con
vient d’appliquer le paragraphe 1er. La bonne ou mau
vaise foi, indifférente dans la première hypothèse, est
donc décisive et conséquemment nécessaire à établir
dans la seconde.
447. — Nous aurions maintenant à rechercher quels
sont les jugements qui peuvent être attaqués par la voie
de la requête civile; quels sont les effets de l’introduction
�•46»
de l’instance, ceux de son admission. Mais les difficultés
que ces divers points peuvent entraîner appartiennent
à une autre matière que celle qui nous occupe. Nous
devons donc renvoyer aux auteurs qui ont écrit sur
cette partie de notre droit. Rappelons seulement que
l’exécution du jugement attaqué ne saurait être ni sus
pendue ni arrêtée jusqu’au moment où, par la consé
cration de la requête civile, ce jugement se trouve ré
tracté et les parties remises au même état qu’avant sa
prononciation.
I>U DOL ET DE LA FRAUDE.
§ 11. — D E L A P R IS E A P A R T IE .
SOMMAIRE.
448. Motifs de la prise à partie.
449. Inconvénients de l’admission de cette voie. Dangers
pouvant résulter de sa prohibition.
450. Coup d’œil historique.
451. Abrogation de l’ancienne législation par la loi du 3 bru
maire an iv et plus tard par le Code de procédure.
452. Cas donnant ouverture à l’action.
453. Différence en cette matière entre le dol et la fraude.
454. Différence dans leur origine. Conséquences.
455. Différence dans les faits à prouver.
456. Leurs effets.
457. La concussion se place sur la même ligne que le dol.
458. Conduite que le magistrat doit tenir envers les plaideurs.
459. Admissibilité de la preuve testimoniale.
460. Caractère du déni de justice.
�461. Mode de Sa constatation.
462. L’article 505 du Code de procédure civile est essentiel
lement limitatif.
463. Difficulté relativement à la faute lourde.
464. Sa solution.
465. Regret de M. Chauveau sur la doctrine de la Cour de
cassation.
466. Réponse.
467. Examen de l’opinion de Toullier.
468. Contre qui peut être dirigée la prise à partie.
469. Est-elle recevable contre les arbitres ?
470. Position que fait au juge l’admission de la requête*
Conséquences.
471. Influence de cette admission sur la décision attaquée.
472. Effets de l’arrêt admettant la prise à partie par rapport:
1° au juge ; 2° à la décision.
473. Qaid si la partie a coopéré au dol du juge ?
474. La condamnation contre le juge peut entraîner la con
trainte par corps.
448. — Si dans le Code, disait l’orateur du gouver
nement, on avait pu se décider par les sentiments de
respect qu’inspirent en France, plus que partout ail
leurs, l’impartialité, l’exactitude et l’extrême délica
tesse des magistrats, onn’y aurait pas même prévu qu’il
pût s’en trouver dans le cas d’être pris à partie. Mais
ne suffit-il pas que des exemples, quelques rares qu’ils
soient, puissent se présenter, pour que la magistrature
entière doive être satisfaite qu’il y ait une loi sévère,
sous l’égide de laquelle les parties lésées peuvent obte
nir la réparation qui leur est due.
449. ■— Évidemment l’écueil, en cette matière, ré
sidait dans un parti extrême, soit qu’on abandonnât la
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
471
prise à partie au gré des plaideurs malheureux, soit
qu’on la prohibât d’une manière absolue.
Le premier système offrait de graves, de nombreux
inconvénients. Rien de plus dangereux, pour l’ordre
social lui-même, que de livrer le juge aux passions hai
neuses de ceux qu’il a dû condamner. Dès cet instant,
disait un avocat général au parlement de Grenoble ,
avili par l’opinion même de la loi, le magistrat serait
dégradé dans ses fonctions ; son autorité, liée à la dignité
de son caractère, s’affaiblirait comme elle, et lorsque
le juge serait sans considération, la loi serait sans force.
La proscription absolue de tout recours n’offrait pas
de moindres périls, quoique dans un autre ordre d’idées.
Dégagé de toute crainte, le magistrat aurait pu se livrer
à ses passions, sous le voile de l’accomplissement d’un
devoir. Or, ajoutait le même magistrat, le plus grand
crime des administrateurs delà justice serait de la trahir
quand ils paraissent la rendre. Établir comme une règle
que dès qu’ün homme est décoré du titre dé jugé, il est
inaccessible à la prévarication, ce serait mal connaître
la faible humanité, ouvrir la barrière à d’odieux abus et
consacrer quelquefois la plus révoltante iniquité.
450. — Le besoin de répression contre les magis->
trats prévaricateurs était donc impérieusement indiqué.
Cette nécessité a été sentie par tous les peuples. L’his
toire est là pour nous montrer que les peines corporelles
les plus cruelles ont puni de pareils forfaits. Il est donc
vrai de dire que la prise à partie se retrouve dans les plus
anciennes législations, sous des formes empreintes dans
�472
tr a ite
chacune du caractère du génie et des mœurs de la na
tion. Les Romains l’avaient formellement consacrée.1
En France , la partie qui avait succombé pouvait,
dans les premiers temps, appeler le juge à défendre,
l’épée à la main, le bien jugé de sa sentence; plus tard,
et lorsque la faculté d’appel fut reconnue , le juge qui
avait prononcé devenait l’intimé principal et devait
plaider à l’appui de son jugement. Cet état de choses
soulevant de plaintes unanimes, une ordonnance de
François Ier le fît cesser, en déclarant que l’appel de
vait être dirigé contre la partie. Mais le juge ne dut pas
moins être intimé. De partie principale, il devint partie
jointe, mais nécessaire.
Le premier édit qui restreignit la faculté illimitée
d’actionner le juge est l’ordonnance de 1540. Cette or
donnance, relative à l’administration de la justice en
Normandie , défend de prendre le juge à partie, sinon
que l’on maintienne par relief qu’il y aitdol ou fraude,
ou concussion, ou erreur évidente en fait ou en droit. 8
L’ordonnance de Blois, de 1579, rendit caprincipe
commun aux autres provinces, celle de 1667 le con
firma. La seule modification que cette dernière intro
duisit fut de multiplier les cas légaux de prise à partie.
451. — Ces ordonnances formèrent le droit com
mun de la France jusqu’à la loi du 3 brumaire an iv.
Plus tard, le Code de procédure est venu définitivement
régler le principe et les formes de la prise à partie.
1 L. 15, § 1, et 40, § 1, Dig. de ju d id is.
x i i , pag
3 V. Collection d’Isantbert, lom.
709.
�DU D O L E T D E LA F R A U D E .
473
452. — Aux termes de l’article 505, cette voie d’at
taque contre les juges n’est ouverte que dans l’une des
quatre hypothèses suivantes : 1° s’il y a dol, fraude ou
concussion, qu’on prétendrait avoir été commis soit
dans le cours de l’instruction, soit lors du jugement ;
2° si la prise à partie est expressément prononcée par la
loi; 3° si la loi déclare le juge personnellement respon
sable, à peine de dommages-intérêts; 4° s’il y a déni de
justice.
De ces quatre hypothèses, deux appartiennent plus
particulièrement à la matière que nous examinons, à
savoir : la première et la quatrième. C’est aussi d’elles
seules que nous nous occuperons.
453. — Le dol et la fraude, que la pratique confond
assez habituellement, ont ici une acception spéciale
qu’il ne faut pas perdre de vue. Identiques dans leurs
effets, ils diffèrent dans les caractères qui les constituent.
Ainsi et par rapport à la prise à partie, le dol consistera
dans les machinations ou les artifices qu’un juge se sera
permis à l’encontre d’une partie. Il y aura fraude lors
que, volontairement et dans le dessein de nuire, le juge
aura ouvertement violé la loi qu’il était chargé d’ap
pliquer.
454. — Le dol peut se réaliser soit dans le cours de
l’instruction, soit au moment du jugement; lafraude ne
résulte que du jugement lui-même. Ce n’est qu’alors ,,
en effet, que le préjudice qu’elle a pour but d’occasion^
net se manifeste.
�474
t r a it é
De là 'cette conséquence que le fait qualifié fraude ,
et sur l’existence duquel il ne saurait y avoir doute ,
peut n’être que le résultat d’une erreur involontaire. Il
est même présumé tel jusqu’à preuve contraire. Le dol,
au contraire, emporte par lui-même l’idée d’une inten
tion évidemment mauvaise.
En effet, les manœuvres, les artifices qui le caracté
risent ne permettent guère d’équivoquer sur l’esprit qui
a dicté les unes ou les autres. Comment le juge pourrat-il intentionnellement se justifier d’avoir, par des
moyens fallacieux, amené la partie à des aveux ou à
des concessions qu’elle ne devait pas? D’avoir ajouté ou
retranché à la déposition des témoins qu’il a entendus?
Comment le rapporteur d’un procès innocentera-t-il le
fait d’avoir soustrait d’un dossier, ou dissimulé dans
son rapport, une pièce décisive pour la partie? D’avoir
présenté comme certains des faits qu’il sait être faux?
Comment enfin le président, qui après la prononciation
du jugement en altère la rédaction en y ajoutant ou di
minuant, pourra-t-il persuader de sa bonne foi? Chacun
de ces faits est trop contraire à la loyauté qu’exigent les
fonctions de magistrat, pour qu’on puisse se méprendre
sur l’intention qui les a dictés^
455. — Mais, à la différence de la fraude, le dol ne
résultera jamais du jugement * en ce sens que les faits
qui le constituent ne ressortiront jamais du rapproche
ment de celui-ci avec le texte de la loi. Dès-lors, s’il est
vrai que la fraude, comme le dol, doit être prouvée, il
n’est pas moins certain qu’il y aura dans la preuve of-
�DU DOL E T DE LA F R A U D E .
475
ferte cette distinction importante que celle de la fraude
devra porter sur l’intention du juge, et celle du dol sur
l’existence des faits dont on veut le faire résulter.
456. — L’une ou l’autre de ces preuves admise et
rapportée, la prise à partie doit réussir, sans que la ju
ridiction saisie ait à s’enquérir du mobile qui a poussé
le juge. Il importe peu qu’il ait obéi à ses propres ins
pirations ou suivi l’impulsion d’une volonté étrangère.
Il a, dans tous les cas, manqué à ses devoirs, et dès-lors
justement encouru la peine prononcée par la loi.
457. — La concussion est placée sur la même ligne
que le dol et la fraude. Cela était d’autant plus ration
nel que ceux-ci ne sont souvent que la conséquence im
médiate de l’autre. Aussi cette dernière est-elle appré
ciée beaucoup plus sévèrement par la loi qui la consi
dère et la punit comme un crime.
Dès-lors la preuve de la concussion donnerait lieu
non-seulement à la pénalité édictée par la loi criminelle,
mais encore à la prise à partie, dont les effets entraîne
raient l’obligation, pour le juge, de réparer le préjudice
qu’il aurait causé.
458. — La corruption tentée contre les juges n’agit
pas toujours ouvertement, elle sait revêtir des formes
tellement adroites, elle se produit par des moyens en
apparence si innocents, que le juge se trouve enlacé
sans s’en douter, et comme malgré lui, dans les filetn
dont elle a su l’envelopper. Le magistrat jaloux de sa-
�476
tr a it e
considération ne saurait donc se montrer trop suscep
tible contre l’audace de certains plaideurs. L’objet de
la plus minime valeur, le cadeau le plus indifférent, le
service le plus faible doit être impitoyablement refusé.
La magistrature est à l’instar de la femme de César :
elle ne doit pas même être soupçonnée.
459. — Le dol, la fraude, la concussion peuvent,
dans le sens que nous venons d’indiquer, devenir, en
cas de dénégation, l’objet d’une preuve testimoniale. 11
est facile de comprendre que les faire dépendre d’une
preuve, ou même d’un commencement de preuve par
écrit, c’était en rendre la répression impossible. C’est
dans cette prévision que la loi n’exige l’annexe des
pièces justificatives que s’il en existe. Mais, à défaut ,
la requête doit contenir l’articulation précise des faits de
dol, de fraude ou de concussion. Si ces faits sont graves
et pertinents, la preuve ne saurait en être refusée.
460- -- Le déni de justice constitue une véritable
forfaiture. Institué pour rendre la justice, le magistrat
la doit à tous sans faveur, sans préférence. Il manque
donc au premier de ses devoirs lorsqu’il refuse de se
prêter aux réclamations de ceux qui recourent, à son
ministère.
Le déni de justice, sévèrement apprécié par les légis
lations qui se sont succédées, constitue, sous l’empire
du Code de procédure, un dol présumé. Cette présomp
tion est de telle' nature qu’elle n’admet même pas la
preuve du contraire. Le législateur n’a pas pu supposer
�DU DOU E T DE LA F R A U D E .
477
la possibilité de la bonne foi chez celui qui, sourd à tou
tes les injonctions, a persisté à méconnaître les obliga
tions que son caractère, que la confiance de la loi lui
imposait.
La preuve du déni de justice entraîne donc avec elle
la nécessité d’une répression, aucune excuse ne saurait
prévaloir. On comprend dès-lors pourquoi tous les soins
du législateur se sont portés sur la détermination de ce
qui constitue cette preuve.
461. — Il était dangereux de s’en rapporter, quant
à ce, à la déposition de témoins. La dignité de la ma
gistrature courait le risque d’être altérée par les nom
breuses attaques qu’un pareil moyen aurait pu motiver.
En conséquence l’article 507 du Code de procédure a
taxativement indiqué le mode de preuve admissible.
Ce n’est donc qu’après les deux sommations faites
dans les formes et délais qui y sont indiqués, que le
refus du juge est certain et que le droit, de le prendre à
partie est ouvert. Conséquemment la requête qui signale
l’exercice de ce droit doit mentionner l’accomplissement
de cette formalité, et être accompagnée de l’original
des deux sommations, comme pièces justificatives. Le
défaut de production de ces deux actes, et à plus forte
raison l’omission qui en aurait été faite au mépris de
l’article 507, rendrait la prise à partie non-recevable.
462. — Un principe incontestable, et qui résultait
de la nature des choses, c’est que la disposition de l’ar
ticle 505 est essentiellement limitative. En conséquent
�478
TRAITE
ce, toute prise à partie fondée sur un fait autre que
ceux qui y sont formellement prévus, serait absolu
ment non-recevable.
463. — Une difficulté s’est pourtant présentée, qui,
tout en respectant ce principe, tendrait néanmoins à le
violer. On a dit : La violation involontaire de la loi peut
constituer une faute extrêmement grave. Or, aux termes
de la loi romaine, la faute lourde est assimilée au dol,
donc, la prise à partie pour une faute de ce genre rentre
parfaitement dans les termes de la disposition du para
graphe 1er de l’article 505.
Ce système, qui tend à ajouter la faute lourde au cas
de dol, de fraude ou de concussion, avait été formelle
ment consacré par un arrêt de la Cour de cassation du
23 juillet 1806- Mais un arrêt plus récent, du 17 juillet
1832, a décidé le contraire. Quel est, de ces deux mo
numents de jurisprudence , celui qui fait une plus
exacte application de la loi?
464. — Pour décider cette question, qui ne laisse
pas de présenter un grave intérêt, il convient de faire
un retour sur ce qui se pratiquait avant le Code de pro
cédure. La volonté du législateur, éclairée par la doc
trine et la pratique de ses devanciers, ressortira plus
nette et plus claire. On jugera de ce qu’il a réellement
fait par ce qu’il était en mesure de faire.
Or, l’édit de 1540 plaçait nommément au rang des
causes autorisant la prise à partie l'erreur évidente du
juge en Jail et en droit. Mais quelle que fût l’élasticité
�DU D O D E T D E DA F R A U D E .
479
de cette prescription, la pratique, cette pierre de tou
che des lois, ne tarda pas à la restreindre. C’est ce qu’at
testent les jurisconsultes de l’époque.
Ce qui est certain, c’est que la répulsion que l’exé
cution littérale inspirait était telle, que l’ordonnance
de 1579 n’osa pas la méconnaître. L’article 147 se
borne à autoriser la prise à partie, si nos Cours et tri
bunaux trouvent qu’il y ail faute manifeste du juge,
pour laquelle il doive être condamné en son nom, et
cela indépendamment du dol, de la fraude, de la con
cussion.
Ainsi, l’erreur continua d’être une cause de prise à
partie. Mais cette erreur dut constituer une faute évi
dente, jugée telle par les tribunaux, et de nature à faire
condamner le juge en son nom ; et encore ce mot faute
avait-il été accepté comme emportant l’idée d’un fait
volontaire qui empêchait de la confondre avec l’erreur
simple. C’est ainsi que de nombreux arrêts avaient jugé
que le magistrat qui avait prononcé contrairement aux
lois et règlements, mais qui l’avait fait sans dol ni
fraude, ne pouvait pas être pris à partie.
L’ordonnance de 1667, conçue cependant dans un
esprit hostile à la magistrature, que la noble voix de
Lamoignon fut impuissante à protéger, ne dispose, sur
la faute du juge, autre chose que ce que renfermait déjà
l’ordonnance de 1579. La pratique dut donc rester, et
resta en effet, la même. On n’admit comme faute, au
torisant la prise à partie, que la négligence affectée
et inexcusable. 1
1 Jousse, sur l’article 8, tit. 1.
�480
TRAITE
Voilà le droit commun qui s’offrait au législateur ait
moment de la loi de brumaire an iv. Dès-lors, les au
teurs de cette loi étaient parfaitement en mesure déju
ger de ce qu’il convenait de faire ; et si d’une part il est
certain que la prise à partie ne peut être autorisée que
dans les cas formellement prévus, ce qui a été admis
sous toutes les législations; si d’un autre côté la faute
du juge n’a plus été placée au rang des causes qui l’au
torisent, ne faut-il pas reconnaître que le nouveau lé
gislateur a formellement répudié les errements de son
prédécesseur?
Ainsi, le silence de la loi, imité plus tard par le Code
de procédure, suffît pour enlever à l’opinion que nous
combattons tout appui dans la lettre de cette loi; car ce
qui est vrai aujourd’hui, à savoir que la faute lourde est
assimilée au dol, ne l’était pas moins sous les ordon
nances. Cette assimilation n’avait pas dès-lors été jugée
suffisante, puisque le législateur avait dû inscrire dans
sa disposition la faute du magistrat.Cette même assimi
lation suffirait-elle aujourd’hui que notre Code n’a plus
reproduit cette cause de prise à partie?
On pourrait le prétendre si cette suppression n’avait
été que la conséquence de l’idée que la faute étant as
similée au dol, il était inutile de s’occuper de l’une,
l’autre se trouvant formellement prévu. Mais il s’en
faut que cette pensée ait été le mobile du législateur.
On peut juger, par les paroles que nous avons em
pruntées, en commençant, à l’exposé des motifs du
Code de procédure, que l’admission delà prise à partie
n’a été consacrée qu’avec l’espérance qu’elle resterait
�DU D O L E T D E t.A F R A U D E .
481
comme une menace vaine, en présence du caractère si
honorable de la magistrature française.
L’arrêt de la section civile du 17 juillet 1852, qui re
pousse la prise à partie pour la faute même grossière
du magistrat, à qui on ne peut reprocher ni dol ni
fraude, a donc fait une application rigoureusement
exacte du texte de l’article 505 du Code de procédure.
465. •— Cependant M. Chauveau, mettant cet arrot
en regard de celui de 1806, regrette ce changement de
jurisprudence. « Sans doute, dit-il, la faute grossière,
la faute lourde ne devra pas être légèrement admise ;
mais il peut exister des fautes tellement grossières, qu’il
soit impossible de ne pas les considérer comme un vé
ritable dol, et dès-lors une réparation devient néces
saire autant dans l’intérêt de la morale publique que
dans celui de la justice : De la morale, parce qu’au lieu
de compromettre la magistrature, cette réparation écla
tante venge son honneur en ne tombant que sur le mem
bre que son ignorance ou son improbité rend indigne
de siéger dans son sein ; cle la justice, parce que la loi
reconnaît elle-même que tout fait de l’homme qui caüse
un dommage à autrui, oblige celui par la faute duquel
il est arrivé à le réparer. 1 »
466- — M. Chauveau a tort, dans la forme, de pla
cer sur la même ligne l’improbité et l’ignorance. Le
juge qui se trompe par improbité, ne commet pas seu1 Sur Carré, art. 505, Cod. proc.
i
29
�482
traite
lement une faute lourde, il se rend coupable d'une vé
ritable prévarication. Le principe de sa conduite rési
dera dans un sentiment de faveur , d’inimitié ou d’a
vidité, et, à ce titre, la prise à partie ne constitue plus
que le juste châtiment de sa fraude.
Peut-on assimiler à ce juge le magistrat qui, n’ayant
pas cessé d’être mu par la pensée du devoir, a eu ce
pendant le malheur de se tromper? L’intelligence la
plus noble, la plus élevée n’a-t-elle pas ses moments
d’oubli, d’entraînement, d’erreur?Et l’on punira, com
me un malhonnête homme, celui qui a cédé malgré lui
à l’infirmité de la nature humaine? Nous ne craignons
pas de le dire: un pareil système serait plus qu’une ré
voltante iniquité, il serait un véritable malheur social.
Quel homme voudrait, à une pareille condition, aborder
les fonctions de la magistrature?
Nous l’avons déjà dit, le juge ne peut, ne doit ré
pondre que de la droiture de ses intentions, que de la
loyauté de sa conduite. Tant que sa volonté est de
meurée pure, il est réellement irréprochable. Son er
reur, quelque lourde qu’elle soit, n’est plus qu’un fait
malheureux, fort regrettable sans doute, mais qui ne
saurait entraîner la moindre responsabilité.
Au fond, l’appel que fait M. Chauveau à l’article 1582,
n’est pas moins inadmissible. Cet article règle les rap
ports de citoyens à citoyens, comme il réglerait ceux de
citoyens à magistrats, s’il n’existait pour ceux-ci une loi
contraire. Cr, cette loi, c’est l’article 505, qui ne sou
met le juge à réparer le préjudice qu’il a causé que dans
les cas spécialement indiqués. Par là se trouve formel-
�DU DDL ET DE LA FRAUDE.
483
lement abrogé l’article 138*2, et cette abrogation n’était
qu’un acte de justice. En effet, le citoyen qui subira
l’application du principe qu’il renferme, ne sera tenu
qu’à une réparation pécuniaire; pour le juge, au con
traire, la prise à partie compromet son état, son hon
neur même. Lui appliquer l’article 1382, ce serait donc
le placer, en regard de cette disposition, dans une po
sition bien plus défavorable que celle d’un simple ci
toyen.
Ajoutons que l’application de l’article 1382 à la prise
à partie conduirait bientôt à cette conséquence que,
toutes les fois que le juge aurait prononcé sur un pro
cès, il serait, sous prétexte de faute grave, obligé de
descendre de son siège et de plaider le mérite de sa dé
cision; et, quelque difficile qu’on fût à admettre la faute
grave, on n’empêcherait pas le mal qui naîtrait du scan
dale de la poursuite.
Or, l’esprit de la loi a été précisément de rendre ces
poursuites difficiles et rares. Car, comme le rappelle
Carré, « S’il faut que les parties aient l’assurance d’ob
tenir justice, même contre leurs propres juges, l’inté
rêt public exige aussi que les ministres de la justice ne
soient pas dépouillés de toute dignité, comme ils le se
raient si les plaideurs, au gré de leur ressentiment et de
leurs diverses passions, avaient le droit de les obliger
de descendre de leur tribunal pour se justifier de leur
conduite. Ce droit nous replacerait au temps où, par un
reste d’abus encore plus grand de l’ancien régime féo
dal, les juge étaient eux-mêmes responsables de leurs
jugements. »
�484
TRAITE
Carré ajoute : « Entre les magistrats et les plaideurs,
il n’est qu’une seule autorité qui puisse en même temps
convenir à la dignité des uns et à la sécurité des au
tres : c’est l’autorité de la loi, qui, en spécifiant les cas
dans lesquels un plaideur doit être admis à traduire en
justice son propre juge, pose la barrière que le respect
dû à la magistrature doit empêcher de franchir. »
C’est ce précepte que la Cour de cassation consacrait
en 1852. Si elle refuse la prise à partie, c’est surtout
parce que l’article 505 a spécifié les cas dans lesquels
elle doit être admise ; c’est ensuite parce qu’en pareille
matière on ne saurait raisonner par analogie; et que s’il
résulte de diverses dispositions du Code civil que celui
qui commet une faute dommageable à autrui est tenu
de la réparer et que la faute oblige en certains cas com
me le dol et la fraude, il ne s’ensuit pas que les juges
puissent être pris à partie pour avoir commis, dans
l’exercice de leurs fonctions, une faute même grossière,
mais sans dol ni fraude prouvés.
Cet arrêt ne mérite donc, sous aucun rapport, la cri
tique qu’en fait M. Chauveau. Admettons, en consé
quence, avec la Cour dont il émane, que la faute même
grossière ne donne pas ouverture à la prise à partie,
tant qu’elle n’est que le résultat d’une erreur involon
taire. Mais le juge qui s’est trompé parce qu’il a bien
voulu se tromper, ne saurait échapper aux consé
quences de sa conduite. La faute volontaire n’est pas
seulement dans le cas d’être assimilée au dol, elle est
un dol évident. Ce qui constitue celui-ci n’est-ce pas
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
-4 8 5
l’intention de nuire? Or, la volonté de se tromper ren
ferme évidemment cette intention.
467. — Nous dirons donc, avec Toullier,1 qu’une
faute de ce genre autorise la prise à partie, mais nous
ne ferons pas, comme lui, dépendre l’action de la ques
tion de savoir si la partie qui profite de la faute peut ou
non en réparer les conséquences. L’utilité du droit ne
saurait influer sur son principe. Ainsi, dans l’exemple
choisi par ce célèbre jurisconsulte, nous dirons :
Ou l’admission de la caution insolvable a été, de la
part du juge, le résultat d’une appréciation erronée sans
mauvaise foi, sans volonté de se tromper. Dans ce cas,
sa décision n’est qu’un mal jugé, insuffisant pour le
faire prendre à partie, le mal jugé ne produisant cet
effet que lorsque, comme l’enseigne Duparc Poullain,
il constitue un procédé caractérisé par la fraude, l’ava
rice ou la prévention la plus inexcusable ;
Ou le juge a fermé les yeux à l’évidence, repoussé la
preuve certaine de l’insolvabilité, foulé aux pieds la no
toriété publique qui lui a été signalée. On admettra
alors qu’il a agi gratia, inimicitia vel sorde, et la prise
à partie l’atteindra dans toutes ses conséquences, car
il aura commis sinon un dol, au moins une véritable
fraude rentrant dans les faits spécifiés par l’article 605468. —» La prise à partie peut s’adresser à un seul
juge, comme à une section d’un tribunal ou d’une
1 Tom. il, p. 250.
�486
t r a it é
Cour, comme au tribunal ou à la Cour tout entière. La
doctrine et la jurisprudence sont, à cet égard, depuis
longtemps fixées.
Quelques difficultés s’étaient d’abord élevées à l’en
droit des officiers du ministère public. L’article 505,
disait-on, autorise la prise à partie contre le juge taxativement ; or, les magistrats du parquet ne sont pas des
juges dans l’acception ordinaire du mot. Us sont donc
en dehors des atteintes de cette disposition.
On a voulu ensuite considérer ces mêmes magistrats
comme des agents du gouvernement, et, en cette qua
lité subordonner la poursuite, à leur égard, à l’obtention
préalable de l’autorisation prescrite par l’article 75 de
la Constitution de l’an vin.
Mais ces prétentions n’ont pas tardé à être universel
lement repoussées. Ainsi, il est aujourd’hui reconnu que
tous les membres de la magistrature sont compris sous
la dénomination générique de juges; que l’autorisation
du conseil d Étal ne peut concerner que les fonction
naires de l’ordre administratif; qu’elle ne saurait donc
être requise lorsqu’il s’agit d’un membre du corps judi
ciaire; qu’en conséquence la prévarication d’un officier
du ministère public autorise la prise à partie comme
s’il s’agissait de tout autre magistrat.
11 résulte, de ce que nous venons de dire, que l’inap
plicabilité de l’article 1582 du Code civil est exclusi
vement attachée à l’exercice des fonctions que la loi con
fère à la magistrature. De là cette conséquence : que
l’absence de la qualité de magistrat dans la personne,
ou le défaut d’attribution dans l’acte, rend la prise à
�n u DOL E T DE LA ERAUDE.
487
partie parfaitement inutile. On recourt , dans l’un et.
i’autre cas, aux principes ordinaires en matière de fait
dommageable.
469. — Cette observation est importante lorsqu’il
s’agit de la poursuite à exercer contre les arbitres.
En ce qui les concerne, il faut distinguer s’ils ont agi
comme arbitres forcés ou comme arbitres volontaires.
Les premiers sont institués par la loi; ils ont même
exclusivement compétence pour décider en premier
ressort les difficultés naissant entre associés. Ils sont
donc de véritables juges, malgré qu’ils soient désignés
par les parties. En effet, cette désignation ne fait que
leur conférer la faculté d’exercer les attributions qu’ils
puisent en entier dans la loi.
Les seconds, au contraire, reçoivent tout des parties,
désignation et attribution. Ils n’ont de pouvoirs que ce
qu’il plaît à celles-ci de leur conférer, et ce caractère,
essentiellement privé, enlève à leurs fonctions toute as
similation possible avec celles de magistrat.
Cette différence, dans la constitution des uns et des
autres, entraîne, comme conséquence : que les arbitres
forcés sont assimilés aux juges qu’ils remplacent, et
que, participant aux mêmes devoirs, il sont protégés
par les mêmes garanties. Dès-lors, le dol, la fraude
qu’ils auraient commis, le refus qu’ils auraient fait de
juger doit être réprimé par la prise à partie, alors même
que les parties leur auraient conféré la qualité d’amia
bles compositeurs.1Ce caractère a pour unique résultat
1
Cass., 7 niai 1817.
�488
TRAITE
de les affranchir de la rigueur des formes. Il ne leur en
lève rien de leur compétence exclusive et de la néces
sité qui a contraint les parties d’invoquer leur minis
tère.
La prévarication ou le refus de juger, de la part d’ar
bitres volontaires, ne pourrait autoriser une procédure
en prise à partie. Le préjudice souffert donnerait lieu
à la poursuite d’une réparation par les voies ordinaires
et par l’application de l’article 1582.
470- — L’effet de la prise à partie doit être ap
précié dans chacune des deux périodes qui en signa
lent la procédure, à savoir : après l’admission de la re
quête; après la décision définitive.
L’admission de la requête place le juge dans un état
de suspicion légale, du moins pour tout ce qui peut
directement ou indirectement intéresser le deman
deur en prise à partie. Cette circonstance indique
assez que cette admission doit être non une formalité
indifférente, mais la conséquence d’un examen sévère
et consciencieux. Dès-lors le jugement qui la consacre
donne au reproche un caractère de vraisemblance
qu’il était du devoir de la justice du législateur de ne
pas négliger.
De là la disposition de l’article 514, suivant laquelle
le juge pris à partie doit s’abstenir de la connaissance
du différent et de toutes les causes que la partie, ses
parents en ligne directe ou son conjoint pourront avoir
dans son tribunal, à peine de nullité du jugement.
La nature de cette prohibition a été nettement for-
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
489
mulée clans l’exposé des motifs du Code. Elle est d’or
dre public. Conséquemment, il n’est pas au pouvoir
des parties de la faire disparaître; et le jugement au
quel le juge pris à partie aurait concouru, du consentetement exprès de la partie intéressée, ne devrait pas
moins être annulé.
471. — L’admission de la requête reste sans in
fluence sur la décision à l’occasion de laquelle l’action
de prise à partie est invoquée. On ne peut donc en ar
rêter ni en suspendre l’exécution.
472. •— L’arrêt définitif qui consacre le bien fondé
de la prise à partie motive contre le juge une condam
nation pécuniaire, indépendamment des peines disci
plinaires dont il peut être atteint. L’allocation accordée
au demandeur doit être le juste équivalent du préjudice
qu’il a été dans le cas d’éprouver.
Mais quelle est l’influence que cet arrêt exerce sur
le jugement qui a motivé la prise à partie?
M. Poncet1enseigne que ce jugement non acquiescé,
ainsi que tous les actes d’instruction argués, sont an
nulés ; Pigeau veut aussi que la décision sur la prise
à partie rétroagisse sur le jugement et en infirme l’au
torité, soit parce que si la partie eût connu le dol du
juge, elle eût pu le récuser et, dans ce cas, le jugement
eût été suspendu, ou, s’il eût été rendu, elle aurait pu
l’attaquer par appel pour vice de formes, ou par reDcs jugements, loin, u, p. 402.
�490
t r a it é
quête civile pour violation des formes ; soit parce que
le juge, légalement pris à partie, doit être considéré
comme n’ayant pas pris part au jugement ou à l’arrêt
qui peut ainsi ne plus présenter le nombre de juges
exigés par la loi.
Ces solutions ne sont pas admissibles. Le délai d’ap
pel court du jour de la signification, sauf l’exception
prévue par l’article 448 du Code de procédure civile.
Or, ce délai expiré, le jugement est à l’abri de toute at
taque par les voies ordinaires. La prise à partie, réussis
sant à cette époque, ne pourrait donc donner lieu qu’à
la requête civile.
Mais nous avons vu que cette voie d’attaque n’est ou
verte dans l’hypothèse de dol que pour le dol personnel
à la partie. Ce principe admis par la loi reçoit inévita
blement son application au dol du juge qui n’est, quant
à ce, qu’un véritable tiers. Dès-lors il doit en être
comme pour le dol commis par le tiers, et la partie qui
ne répond nullement du fait de celui-ci, fût-il son pa
rent, son ami le plus intime, ne saurait être tenue du
fait de son juge.
La maxime factum judicis, factum partis n’a été faite
qu’en vue des conséquences que peut entraîner l’erreur
involontaire du juge dans l’exercice de ses fonctions.
Le dol ne rentrera jamais dans cet exercice, et la partie,
qui n’a pu le prévoir ni l’empêcher, ne saurait en subir
les atteintes.
Il est vrai qu’en définitive elle profite d’un avantage
qui ne lui était pas dû. Mais cet avantage, au moyen de
la condamnation prononcée contre le juge prévaricateur.
�m
«st pris aux dépens de celui-ci. Or, ce résultat n’a rien
de condamnable aux yeux de la justice, puisque celui
qu’il atteint se trouve la victime de sa propre turpitude.
DU DOD ET DE LA FRAUDE.
473. — Notre solution suppose que la partie qui
profite du jugement n’a aucune part dans le fait du
juge. Elle ne serait donc pas suivie, s’il était prouvé que
le dol de celui-ci a été inspiré, provoqué ou concerté.
La complicité de la partie ferait considérer le dol
comme lui étant personnel et l’obligeant, dès-lors, à en
supporter toutes les conséquences.
Mais, dans ce cas même, la nullité du jugement ne
pourrait être prononcée comme accessoire de la déci
sion consacrant la prise à partie. L’instruction de celleci n’appelle devant la justice que le demandeur et le
juge; l’autre partie ne pourrait donc être condamnée,
car elle n’a pas été ni dû être entendue. Le devoir de
celui qui a acquis la preuve de la complicité de son
adversaire dans le dol du juge, serait donc de poursuivre
l’appel s’il était encore dans les délais, ou la requête
civile. Cette poursuite, indépendante de celle de la
prise à partie, pourrait se réaliser concurremment avec
celle-ci ou après elle, les délais de la requête civile ne
courant que du jour où la preuve de la complicité a été
acquise.
Hors le cas de complicité, le jugement profiterait donc
à celui qui l’a obtenu. A l’abri de toute attaque par les
voies ordinaires et extraordinaires, rien ne peut lui
faire perdre l’autorité que le respect de la chose jugée
lui imprime.
�m
TRAITÉ
474. — Le juge condamné sur la prise à partie
peut être tenu au paiement des causes de la condamna
tion, même par la voie de la contrainte par corps. L’ar
ticle 126 du Code de procédure civile est ici parfaite
ment applicable ; et, loin de trouver dans la qualité de
juge un motif de ne pas user de la faculté qui leur est
laissée, les magistrats doivent puiser dans cette qualité
même la conviction que cette faculté devient un devoir
dans une pareille circonstance. Il importe, en effet, que
la magistrature sévisse avec la plus grande sévérité con
tre des actes qui s’attaquent à sa propre dignité et dont
il lui faut soigneusement prévenir le retour. Ajoutons
que, s’il était possible que le dol et la fraude fussent ex
cusables , ils ne le seraient jamais dans la personne
d’un magistrat institué pour les réprimer.
SECTION V. — DOL IMPUTABLE AUX OFFICIERS MINISTÉRIELS
SOMMAIRE.
475. Matière de la "section;
476 Responsabilité des notaires.
477. Son principe, son étendue.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
493
478. Faute lourde assimilée au dol.
479. Faute sans influence sur la validité de l’acte, son ca
ractère, ses effets.
480. Quiddu notaire agissant comme mandataire de la partie?
481. Faute entraînant la nullité de l’acte.
482. Est-elle constituée par l’erreur de droit?
483. Arrêt négatif de la Cour d’Orléans.
484. Caractère de cet arrêt.
485. Moralité de la responsabilité dans le cas d'erreur grave
sur le droit.
486. Dans tous les cas, l’ignorance du notaire n’est excusa
ble que si la bonne foi est démontrée.
487. Effets de la faute déterminant la nullité.
488. Arrêt de la Cour de cassation décidant que les notaires
ne sont pas de plein droit responsables de la nullité.
489. Critique de cet arrêt.
490. Quelle est la quotité des dommages-intérêts à allouer.
491. Le notaire est garant de l’individualité des parties.
492. Quid de leur capacité ?
493. La preuve que le notaire connaissait l’incapacité le
constituerait en état de dol.
494. Etendue de la responsabilité de l’avoué.
495. Principes sur lesquels elle repose.
496. Aux termes des articles 132 et 1031 du Code de procé
dure civile, l’avoué répond même de la faute légère.
497. Dans quelles circonstances devra-t-on appliquer cette
responsabilité ?
498. L’avoué répond des personnes qu’il s’associe ou qu’il
se substitue dans l’exercice de ses fonctions. Quid de
l’h uissier ?
499. Dans quelles circonstances et à quelles conditions l’a
voué peut-il être condamné à des dommages-intérêts ?
500. Répond-il des conséquences du conseil qu’il apu donner?
501 L’avoué peut-il être personnellement condamné, soit
aux frais soit aux dommages-intérêts, sans avoir été
mis en cause ?
502. L’huissier étant comme l’avoué le mandataire de la
partie, le législateur lui a rendu commune l’applica-
�494
TRAITE
tion des articles 232 et 1031 du Code de procédure
civile.
503. La condamnation de l’huissier aux frais de l’acte nul
est-elle facultative pour les juges ?
504. L’huissier n’est tenu que de son fait personnel. Impor
tance de ce principe pour les relations des huissiers
avec l’avoué.
505. Pigeau et Demiau Crouzilhac enseignent que l’huissier
ne répond pas de l’acte qu’il signifie mais que l’a
voué a rédigé. La Cour de cassation décide le com
traire.
506. Assentiment de M. Chauveau.
507. Cas divers d’application de la responsabilité de l’huis
sier.
508. Autres cas dans l’hypothèse des nullités intrinsèques.
509. L’huissier ne doit pas être condamné sans être entendu.
510. Durée du mandat de l’huissier.
511. Observations communes aux avoués et aux huissiers.
■ 475. — Nous aurions maintenant à nous occuper
du dol que l’exécution des jugements peut offrir, mais
les principes généraux qui précèdent suffisent pour
déterminer les obligations et les droits que ce dol im
poserait aux parties.
C’est aussi par les principes généraux, sur la respon
sabilité des officiers ministériels, que nous établirons
quelle serait leur position à l’égard des parties. Cette
tâche serait fort ennuyeuse si nous descendions dans
l’examen de toutes les espèces qui se sont présentées.
Nous ne recourrons donc aux spécialités que lorsque
leur secours nous paraîtra indispensable pour faire
comprendre le principe général que nous aurons à in
voquer.
�DU DOD E T D E L A F R A U D E .
495
476- — Avant de parler de ce qui concerne les
avoués et les huissiers, nous devons traiter une ques
tion que des événements à jamais déplorables rendent
plus que jamais d’un puissant intérêt. Nous voulons
parler de la responsabilité des notaires. Cette incursion,
que nous ferons hors de la matière spéciale de cette
section, nous sera d’autant plus pardonnée que, indé
pendamment du motif d’actualité, son objet tient es
sentiellement à notre matière générale. En effet, les no
taires sont les instruments les plus ordinaires des tran
sactions entre citoyens. Il n’est donc pas tout à fait hors
de propos de rechercher la part qu’ils peuvent avoir
dans les causes qui vicient ces conventions, et les con
séquences que leur nullité doit avoir pour eux.
En principe, le notaire est tenu de son dol. En con
séquence, celui qui par des moyens frauduleux aura
cherché à tromper l’une des parties ou toutes deux,
ou à favoriser l’une au détriment de l’autre, devra être
condamné à réparer le préjudice qu’il aura causé.
L’action en réparation de ce préjudice constitue
pour le notaire une véritable prise à partie ; mais la loi
qui trace les conditions et la forme de celle à diriger
contre les magistrats, se tait sur celle-ci. De ce silence,
il faut conclure qu’elle reste sous l’influence des prin
cipes et des formes ordinaires.
477. — C’est donc par application des articles 1382
et 1383 que le recours contre le notaire devra être ré
solu, et cette circonstance est importante à noter lors^
�496
TRAITÉ
que les faits imputés ne constitueront pas un dol carac
térisé.
Le dol, en effet, oblige immédiatement et directe
ment à réparer les conséquences dommageables qu’il a
entraîné. L’application de l’article 1382 ne rencontrera
donc dans ce cas aucune difficulté.
478. — Mais il n’en est pas ainsi pour l’hypothèse
que nous signalions tout à l’heure, à savoir : celle où les
faits imputés ne constitueraient pas un dol caractérisé.
L’article 1382 n’exige pas qu’il y ait dol , pas même
faute grave : il punit la faute pourvu qu’elle ait été
dommageable. Son application textuelle placerait donc
le notaire dans la position d’être poursuivi même pour
sa faute légère. Il a donc fallu tout d’abord rechercher
si cette application textuelle entrait dans les vœux du
législateur.
Or, la doctrine et la jurisprudence sont depuis long
temps fixées. La seule faute imputable au notaire est
la faute lourde, celle qui peut et doit être assimilée
au dol.
Nous retrouvons donc ici cette assimilation que nous
repoussions naguère pour la prise à partie du juge. On
trouve facilement le motif de cette différence, lorsqu’on
réfléchit qu’en ce qui concerne le juge, cette assimi
lation était une aggravation de la responsabilité que
l’article 505lui impose; tandis qu’elle agit en sens con
traire à l’égard du notaire, puisque, par rapport à lui,
elle modifie la rigueur du principe de l’article 1382.
Ainsi, le notaire ne répond que de sa faute lourde,
�DU D D L E T D E L A F R A U D E .
497
Cela admis, on comprend que c’est sur les caractères
du fait qui lui est reproché que devra se porter l’exa
men des magistrats.
Or, la faute reprochée au notaire peut porter sur un
fait indépendant de la validité de l’acte ou sur l’inaecomplissement des formalités prescrites pour cette vali
dité. Le préjudice peut donc se réaliser sans que l’acte
soit annulé, ou n’être que la conséquence de son annu
lation. La gravité de la faute repose sur des éléments
différents, selon qui s’agit de l’un et de l’autre.
479. — 1° Faute indépendante de la nullité de
l’acte.
Cette faute se réfère soit à la violation des devoirs
que la loi impose aux notaires en leur qualité, soit à la
négligence que le notaire a mise à remplir les obliga
tions qu’il a contractées envers la partie.
Ainsi, la loi fait un devoir au notaire de prêter son
ministère lorsqu’il en est légalement requis ; elle l’o
blige de retenir et de conserver la minute de ses actes,
d’en délivrer des expéditions aux parties intéressées.
Le notaire qui refuse son concours, celui qui n’a pas
retenu ou qui a égaré la minute, celui qui refuse mal
à propos une expédition commet une faute lourde,
qu’on peut assimiler au dol avec d’autant plus de
raison qu’il manque à un devoir positif. Il doit donc
être condamné à réparer le préjudice que le simple re
tard et, à plus forte raison, que son refus absolu aurait
occasionné.1
1 Riom, 28 février 1823; — Bourges, 17 juin 1829.
�—
498
TRAITÉ
Le notaire est tenu d’inscrire le nom des interdits
sur le tableau prescrit par la loi et d’exposer ce tableau
dans son étude. Le but de cette double précaution est
de mettre chacun à même de connaître l’incapacité de
celui avec qui on va contracter. L’omission des noms
sur le tableau ou l’absence de publicité donnée à ce ta
bleau constituerait également une faute lourde.
En un mot, toutes les fois que le notaire, par négli
gence, par impéritie ou par oubli, a omis d’exécuter
les obligations que la loi. lui impose, sa responsabilité
se trouve engagée, sa faute est lourde, elle est assimilée
au dol, elle en produit les conséquences.
480. — Le notaire ajoute à ses devoirs, lorsqu’il se
constitue le mandataire de la partie, soit dans le pla
cement d’une somme quelconque, soit pour la destina
tion à donner aux sommes empruntées ou provenant
d’un prix de vente. En cette qualité, il est garant de la
solvabilité de l’emprunteur, de la légitimité des droits
des créanciers qu’il désintéresse. On peut voir dans nos
recueils de jurisprudence, et notamment dans le Dic
tionnaire de M. Dalloz jeune, au mot responsabilité, les
espèces nombreuses dans lesquelles ce principe a été
appliqué.
Ce dont on pourra se convaincre, c’est que la sévé
rité des tribunaux semble s’accroître de jour en jour.
On pourra déplorer un tel état des choses ; mais ce qui
est vingt fois plus déplorable, c’est que cette sévérité ne
soit que trop méritée par des excès inouïs. Sans doute
il est encore des notaires dont la conduite commande et
�DIJ D O L E T D E L A F R A U D E -
attire la considération et le respect, mais combien
d’autres qui ravalent sans pudeur des fonctions que nos
pères vénéraient à l’égal d’un sacerdoce. Il faut faire
rendre le plus possible à la marchandise qu’on a payée
fort cher, et ce besoin, et ce désir immodéré de faire
fortune qui pousse notre siècle, fait souvent fermer l’o
reille aux conseils de la prudence. Puisse la juste ri
gueur de la magistrature prévenir les scandaleux dé
sordres qui éclatent de toute part pour le malheur des
populations indignées et rappeler le notariat dans ces
voies de probité, de délicatesse et d’honneur qui le si
gnalèrent pendant si longtemps à l’estime et à la véné
ration publiques.
481. - 2° Faute entraînant la nullité de l’acte.
La nullité d’un acte peut résulter de l’erreur commise
sur le droit des parties ou de l’omission d’une des for
malités essentielles pour sa validité. Dans le premier
cas, la nullité est intrinsèque ; elle est extrinsèque dans
le second.
482. — L’erreur sur le droit peut constituer une
faute excusable ou tellement légère qu’il ne serait pas
juste d’en rendre le notaire responsable. Elle sera évi
demment telle lorsque le notaire, appréciant la position
des parties au point de vue légal, a eu des raisons plau
sibles de croire de bonne foi à la réalité du système
qu’il a préféré.
483. — La Cour d’Orléans a été plus loin encore i
�500
T R A IT E
elle a jugé que la faute commise par ignorance et de
bonne foi ne pouvait engager la responsabilité du no
taire. Elle a, en conséquence, renvoyé d’instance un
notaire poursuivi pour avoir reçu une constitution
d’hypothèque générale sur les biens d’une femme qui
ne pouvait concéder qu’une hypothèque spéciale.1
484. — Mais nous ne saurions voir dans cette dé
cision qu’un arrêt d’espèce. Que, s’en référant aux cir
constances de la cause, la Cour d’Orléans n’ait vu dans
le fait du notaire qu’une faute légère non susceptible
d’engager sa responsabilité, c’est ce qu’elle a pu léga
lement faire, puisque la loi abandonnait souverainement
à son appréciation les caractères de la faute imputée.
Elle a pu dès-lors, usant de son pouvoir discrétion
naire, juger que l’ignorance du notaire se justifiait par
des raisons plausibles. Sous ce rapport, l’arrêt est irré
prochable.
485. — Il n’en serait pas de même si, abstraction
faite des faits, la Cour eût proclamé en principe que
l’ignorance du notaire de bonne foi ne saurait jamais
engager sa responsabilité. La justice et la raison ellemême eussent, dans bien de cas, protesté contre ce
principe.
En effet, le ministère du notaire est obligé pour les
parties contractantes, comme pour lui-même, lorsqu’il
faut imprimer à la convention un caractère d’authen1 26 janvier 1S39, D. P,, 59, 2, 86.
�ticité. Les citoyens obéissent donc à la nécessité, lors
qu’ils se présentent devant lui. En revanche, ils sont
en droit d’espérer trouver en lui un secours suffisant
pour les diriger, puisque l’institution qu’il a reçue le
leur désigne comme capable. Faudra-t-il donc qu’elles
soient exclusivement punies d’une impéritie qu’elles ne
pouvaient soupçonner et à laquelle il ne leur a pas
été donné de pouvoir se soustraire?
L’équité et la raison répugnent à un pareil résultat ;
entre le notaire et la partie, il n’y a pas à hésiter; car le
premier a au moins le tort grave d’avoir accepté des
fonctions dépassant sa capacité et son intelligence. Il
semble donc qu’on devrait admettre, avec M. Armand
Dalloz, ' qu’un notaire ne peut, sans en encourir la res
ponsabilité, agir directement contre la loi ; par exemple,
attribuer, dans une liquidation, à l’une des parties ce
qu’un texte précis, incontesté de la loi, un texte appli
cable, sans aucun doute, à l’affaire dont il s’agit, at
tribue à une autre partie. Dans de telles circonstances,
poursuit ce jurisconsulte, l’ignorance de la loi, en sup
posant qu’il n’y ait point de dol, semblerait, par ellemême, une faute assez lourde pour déterminer l’appli
cation de l’article 1582.
Il est vrai que les parties elles-mêmes sont censées
connaître la loi. Mais cette présomption a bien plus de
poids contre le notaire, dont les obligations consistent
non-seulement à la connaître, mais encore à la faire
exécuter; cela est vrai surtout lorsqu’il s’agit de per'
D ictio n n a ire ,
v" resp o n sa b ilité , n°'28t.
il
!;i '
�sonnes ignorant de fait ce qu’elles sont en droit sup
posées connaître et qui s’en sont référées au notaire
comme à l’arbitre spécial que la loi elle-même leur in
diquait.
L’ignorance assez grave pour faire adopter ce qui
était absolument proscrit par la loi, et déterminer ainsi
la nullité de son acte, est donc pour le notaire une faute
inexcusable. Mais ce caractère est suscptible de se mo
difier par les circonstances, par l’exigence des parties
que le notaire a dû subir. Dans tous les cas, c’est au no
taire attaqué à faire la preuve qu’il n’a agi que par des
motifs plausibles ou qu’il a subi une volonté à laquelle
il ne pouvait se soustraire.
486- — Au reste, dans le système même que nous
combattons, l’ignorance du notaire ne serait excusable
que s’il a agi avec bonne foi. C’est donc à lui qu’il ap
partient de justifier cette bonne foi dont il excipe. Mais
on la présumerait si la question tranchée par le notaire
n’était pas nettement fixée par un texte précis et for
mel ; si, livrée à la controverse, elle avait été diverse
ment résolue par la doctrine et par la jurisprudence. Il
est évident qu’en pareille occurence le notaire ne pou
vait qu’opter entre deux solutions, et qu’en s’arrêtant à
celle qui lui a paru la plus probable,il n’a pu commettre
une faute engageant sa responsabilité, à moins, cepen
dant, qu’il n’ait agi de mauvaise foi, ce que le deman
deur serait seul tenu de prouver. 1
'* Agen, 16 août 1856 ;— Douai, 2 janvier 1837; D. P. 58, 2, 161
�D ü D O L E T D E L A Fit A U D E *
503
487. — Les nullités extrinsèques de l’acte, c’est-àdire celles résultant de l’omission ou de l’irrégularité
des formes prescrites, engagent plus immédiatement la
responsabilité du notaire. Ici, suivant l’expression de la
Cour d’Orléans, l’impéritie lui est directement impu
table, parce qu’il a manqué à la mission spéciale que la
loi lui a confiée ; parce qu’il y a ignorance de ce que le
notaire doit savoir. D’où la Cour d’Orléans conclut que
le notaire, chargé d’accomplir les formes extrinsèques
des actes, est nécessairement responsable des erreurs
provenant de son fait, qui vicient l’acte dans sa forme
et lui ôtent la force probante qu’il devait lui donner.
488. — Cette conclusion toute logique n’est pas
consacrée par la Cour de cassation. Un arrêt qu’elle a
rendu le “27 nombre 1837 décide, en effet : qu’aux ter
mes de l’article 68 de la loi du 25 ventôse an xi, nulle
ment abrogée par les articles 1382 et 1383 du Code
civil, les notaires ne sont pas de plein droit et d’une ma
nière absolue responsables de la nullité pour les omis
sions ou irrégularités qu’ils commettent lors de la ré
daction de leurs actes; que cet article ne les assujettit
à de dommages-intérêts que s’il xj a lieu. D’où ilsuit que
la déclaration de nullité d’un acte n’entraîne pas néces
sairement la responsabilité du notaire qui a fait cette nul
lité ; qu’en cette matière, les dommages-intérêts et leur
quotité dépendent de la nature et delà gravité de l’omis
sion ou de l’irrégularité reprochée au notaire et sont
subordonnés à l’appréciation équitable des tribunaux.1
1 D. P., 37, 1, 465.
�504
TRAITE
Dans l’espèce de cet arrêt, le notaire, ayant omis de
faire approuver les renvois mis à la suite d’un testa
ment, était cité pour répondre des conséquences de
l’annulation qui en avait été prononcée. La Cour de
Lyon l’avait condamné aux dépens pour tous dom
mages-intérêts. C’est le rejet du pourvoi formé contre
cet arrêt que la chambre des requêtes prononçait sur
les motifs que nous rappelons^
489. — Quelque profond que soit notre respect
pour les hautes lumières de la Cour régulatrice, nous
ne craignons pas de le dire : son arrêt est loin de nous
paraître irréprochable soit comme principe général,
soit comme application à l’espèce particulière..
Peut-on, en effet, appliquer l’article 68 de la loi
de ventôse à toutes les irrégularités que les notaires
peuvent commettre? C’est ce que cet article lui-même
ne permet pas de décider. Tout acte, porte l’article, fait
en contravention aux dispositions contenues aux ar
ticles 6, 8, 9, 10, 14, 20, 52, 64, 65, 66 et 67, est nul
s’il n’est pas revêtu de la signature de toutes les parties;
et lorsc/ue l’acte sera revêtu de la signature de toutes les
parties contractantes, il ne vaudra que comme écrit sous
signature privée, sauf dans les deux cas, s’il y a lieu,
les dommages-intérêts contre le notaire.
Ce texte est trop clair pour donner matière à con
troverse. Aucun des articles qui y sont relatés ne pro
nonce taxativement sur le sort des actes reçus au mé
pris de leur disposition. Ce n’est donc qu’en recourant
à l’article 68 qu’on pourra faire prononcer qu’ils sont
�OU D O L E T D E L A P R A U D E .
SÜO
IjuIs ou qu’ils ne doivent être considérés que comme
écrits sous signature privée. D’où la conséquence que
toutes les fois qu’on sera obligé de faire appel à cet ar
ticle, pour anéantir ou affaiblir l’autorité de l’acte, on
se trouvera forcément régi par sa disposition, quant aux
conséquences de l’atteinte qu’il inflige au contrat.
Mais lorsque la nullité de l’acte résulte d’une dispo
sition formelle de la loi, que cette disposition n’est pas
dans la catégorie de celles que l’article 68 énumère,
n’est-ce pas uniquement par cette disposition que les
conséquences de la nullité devront être régies ? Mais
alors on ne comprendrait pas si le législateur a voulu
faire, de la disposition de l’article 68, une mesure gé
nérale et absolue ; qu’au lieu de rappeler quelque texte,
il n’ait pas dit : Dans tous les cas où les actes seront
annulés, le notaire sera condamné, s’il y a lieu, à des
dommages-intérêts.
Nous ne devons donc pas perdre de vue le carac
tère de spécialité que le législateur a imprimé à sa dis
position et qui la rend inapplicable aux cas non prévus.
Ainsi l’article 16, par exemple, défend les surcharges,
additions et interlignes, dont il prononce la nullité, in
dépendamment d’une amende de 50 fr., ainsi que des
dommages-intérêts des parties. L’article 18 prescrit l’ex
position du tableau des interdits sous peine des dom
mages-intérêts des parties; l’article 25 prohibe de don
ner expédition ou de laisser prendre connaissance des
actes à d’autres qu’aux personnes intéressées à peine
des dommages-intérêts. Aucun de ces articles n’ajoute
i
30
�506
TRAITE
s’il ij a lieu, et cependant l’article 16 est incontesta
blement relatif à la forme matérielle des actes.
L’adjudication des dommages - intérêts n’est, dans
aucun de ces cas, une pure faculté. L’absence de toute
restriction indique qu’il y a nécessité de la prononcer,
par cela seul qu’on viole l’un ou l’autre de ces articles.
L’article 68 ne serait applicable que si ces articles fi
guraient dans le nombre de ceux qu’il énumère. Pro
noncer cette application, malgré leur omission, c’est
donc méconnaître leur disposition, c’est ajouter à l’ar
ticle 68 lui-même; en d’autres termes, c’est violer dou
blement la loi.
En dernière analyse, lorsque l’acte sera annulé ou que
son autorité sera affaiblie par l’application de l’article 68,
les dommages-intérêts ne seront prononcés que si la
faute du notaire est j ugée importante et grave- Mais lors
que la nullité et les dommages-intérêts seront réclamés
en vertu d’une autre disposition, c’est uniquement sous
l’influence de celle-ci que la faute du notaire devra être
appréciée, et, si elle adjuge les dommages sans restric
tion, on conclura que la faute est de plein droit consi
dérée comme lourde ; le notaire sera nécessairement
responsable.
Or, dans l’espèce jugée par la Cour de Lyon, il ne
s’agissait de la violation d’aucun des articles rappelés
par l’article 68. Le notaire avait contrevenu à la dispo
sition de l’article 15, et avait ainsi déterminé l’annula
tion des renvois non approuvés. L’obligation du notaire
était donc régie par cet article 15 et par l’article 16. 11
semble dès lors que la Cour de cassation ne devait pas
�DD DOL ET DE LA FRAUDE.
507
appliquer l’article 68, ni convertir en faute légère ce
qui est une faute lourde aux yeux de la loi.
490- — Dans tous les cas, et alors même que la
Cour de cassation aurait sainement appliqué la loi, tout
ce qu’il faudrait en conclure, c’est que les tribunaux
ont la faculté de rechercher si, en principe, il est dû ou
non des dommages-intérêts.. Mais cette faculté com
prend-elle, l’opportunité et la nécessité d’une allocation
étant admises, celle de déterminer arbitrairement la
quotité à allouer?
Nous distinguons entre le préjudice matériel et le pré
judice moral. Celui-ci est essentiellement d’apprécia
tion et ne reconnaît d’autres éléments que l’opinion du
juge. Il est dès-lors certain que les tribunaux ont le
droit exclusif d’en déterminer la nature et de fixer la
quotité des dommages-intérêts.
Mais il ne saurait en être de même pour le préjudice
matériel, et cela par l’excellente raison que la loi s’en
est formellement expliquée. Les dommages-intérêts,
dit l’article 1149, sontdela perte quele créancier a faite
et des gains dont il a été privé. Que la quotité de celuici soit discrétionnairement fixée par le magistrat, nous
le comprenons sans peine, car le gain demeurera dans
le futur contingent, et, quelque probable qu’il soit, il
n’existe réellement pas tant qu’il n’est pas acquis.
Mais la perte éprouvée est un fait matériel, certain,
réalisé , dont la preuve résulte même quelquefois de
l’acte annulé , le legs, par exemple, d’une somme de
mille francs qui aurait été fait par un renvoi au testa-
�508
TRAITÉ
ment. L’annulation de ce renvoi, pour omission d’une
approbation valable, constitue pour le légataire une
perte bien positive de mille francs. La seule réparation
indiquée par la justice sera évidemment celle qui lui
fera récupérer cette somme.
Qu’en vertu de leur droit souverain d’appréciation
les tribunaux déclarent que le notaire est excusable,
que sa responsabilité n’est pas engagée, qu’ils n’allouent
en conséquence aucuns dommages-intérêts, on le com
prendrait. Mais qu’après avoir constaté la faute et dé
cidé que le notaire doit une réparation, on n’accorde
que les dépens de l’instance, ou même qu’une somme
moindre que celle que le demandeur a réellement per
due, c’est ce qui nous paraît inconciliable avec la dis
position de l’article 1149.1
Il est un seul cas dans lequel un pareil système pourrait
être rationnel et légal, à savoir : si la faute étant com
mune aux deux parties, le juge a dû déterminer la part
de responsabilité que chacune d’elles doit encourir. Mais
lorsque la faute n’est que d’un seul côté, comme lors
qu’il s’agit de la nullité totale ou partielle d’un testa
ment, la peine ne saurait en être partagée dans une
proportion quelconque. L’indulgence pourl’unpeut de
venir une injustice pour l’autre, et cependant, selon
l’expression d’un célèbre magistrat, il n’y a pas à hési
ter entre celui qui n’a fait même que se tromper et celui
qui souffre.
491. — Le notaire est garant de l’individualité des
1 Cass., \ er juin 1840. D. P ., 41, i, 209.
�DU.DOL ET DE LA FRAUDE.
509
parties. A défaut de connaissance personnelle suffisante,
il doit faire constater cette individualité par deux témoins
spéciaux. La négligence qu’il aurait mise à l’accomplis
sement de ce devoir constituerait une faute lourde, des
conséquences de laquelle il devrait répondre.
492. — Répond-il également de leur capacité? On
induit la négative de l’obligation dans laquelle se trouve
le notaire de prêter son ministère lorsqu’il en est léga
lement requis ; du silence gardé par la loi spéciale sur
cette capacité; de ce que,pour les interdits eux-mêmes,
ses devoirs se bornent à porter leurs noms sur le ta
bleau et a exposer ce tableau dans son étude; enfin de
ce que l’engagement pris par l’incapable est susceptible
de ratification, ce qui prouve que la loi n’a pas entendu
l’empêcher de contracter d’une manière absolue. On
a jouteque chacun doit connaître d’ailleurs la condition
de celui avec qui il traite, qu’ainsi la faute commise à
cet égard est bien plutôt imputable à la partie qu’au
notaire.
Ces considérations nous paraissent décisives. Aussi
n’hésitons-nous pas à admettre l’absence de toute res
ponsabilité toutes les fois que le capable a traité direc
tement avec l’incapable; les devoirs du notaire ne peu
vent pas être de se livrer à des recherches qu’il doit
supposer avec raison avoir été faites par la partie inté
ressée. L’assentiment de celle-ci a dû prévenir même le
soupçon.
Nous ferons cependant remarquer que la loi ne fait
pas du notaire un instrument passif; qu’à côté des de-
�—
510
TRAITÉ
voirs positifs qu’elle lui impose, il est des devoirs mo
raux qui l’assujettissent au même titre. Il manquerait
gravement à ceux-ci si, connaissant l’incapacité de l’une
des parties, il ne faisait pas à l’autre les observations
pouvant lui faire reconnaître son erreur. Ainsi le silence
qu’il aurait gardé l’obligerait à réparer le préjudice souf
fert par celle-ci, si l’on prouvait que l’incapacité de
l’autre lui était parfaitement connue, s’il n’avait pu
l’ignorer.
Il y a même plus, si le notaire acquiert ou a la con
viction qu’une partie n’est pas en état de comprendre
la portée de son engagement et de donner un consen
tement sérieux et éclairé, il doit refuser de prêter son
ministère à un acte qui ne peut réellement exister sans
ce consentement.
Ce devoir devient bien plus étroit encore lorsque l’acte'
qu’on sollicite de lui est de nature à compromettre
des tiers non présents, comme, par exemple, une pro
curation donnée par l’incapable à l’effet d’aliéner ou
d’hypothéquer ses immeubles.
Dans cette hypothèse, celui qui traite directement
avec l’incapable n’a qu’un seul intérêt, celui de déguiser
l’incapacité. Le notaire doit donc redoubler de vigilance.
Toute négligence acquerrait le caractère de faute lourde.
Le tiers, victime de la procuration, obtiendrait donc un
recours utile contre le notaire, en prouvant, par exem
ple, que celui-ci a pu facilement se convaincre de l’état
mental du constituant.
493. — La preuve que le notaire connaissait l’inca-
�DD DOD ET DE DA FRAUDE.
5H
pacité, et qu’il a cependant reçu la procuration, consti
tuerait à sa charge un dol réel et certain. L’obligation
de réparer le préjudice en résultant serait de plein droit
admise.
Cette double preuve peut être faite par témoins; elle
peut dès-lors résulter aussi d’un ensemble de présomp
tions graves, précises et concordantes. L’une et l’autre
amènerait à un résultat identique, la responsabilité du
notaire.
C’est ce que la Cour d’Aix a taxativement jugé sur
ma plaidoirie, le 23 avril 1847.1
494. — La responsabilité de l’avoué est plus large
que celle du notaire. Officier public comme celui-ci, il
est de plus, et dans tous les cas, mandataire, et manda
taire salarié 2de la partie. La permanence de ce carac
tère produit un effet analogue à celui que nous lui avons
vu produire pour le notaire, lorsque celui-ci l’accepte
incidemment.
Dès-lors, comme tout citoyen, l’avoué répond de son
dol; comme officier public, il répond de sa faute; comme
mandataire, il répond de la négligence qu’il a mise dans
l’exédution de la mission qui lui est confiée.
495. — Cette triple responsabilité résulte non pas
seulement des principes généraux du droit, mais encore
de dispositions spéciales que la loi a cru devoir consa1 Arrêt d’Aix, 23 avril 1847.
2 Vid. art. 1992 Cod. civ.
�512
t r a it é
crer. Prévoyant tous les. cas possibles, même celui où
obéissant à un sentiment d’avidité, heureusement fort
rare, l’avoué se préoccuperait beaucoup plus de ses
propres intérêts que de ceux dont il a accepté la dé
fense, elle a voulu les atteindre tous d’une manière nette
et précise.
496. — De là les articles 152 et 1051 du Code de
procédure civile. L’avoué qui a excédé les bornes de son
ministère, celui qui aura fait des actes ou une procédure
nulle ou fruslratoire, ou ayant donné lieu à l’amende,
devra en supporter personnellement les dépens. Il
pourra en outre, suivant l’exigence des cas, être pas
sible des dommages-intérêts de la partie, et même être
suspendu de ses fonctions.
Ainsi la loi n’admet plus l’excusabilité pour la faute
légère. Elle est punie par la condamnation aux frais
des actes nuis ou frustratoires. Elle laisse, pour la faute
lourde et pour le dol, une large part à l’appréciation
des magistrats, qui peuvent les punir sévèrement par
une allocation pécuniaire, par une peine de discipline.
497. — Mais plus une loi est sévère et plus on doit
se montrer jaloux d’en renfermer l’application dans ses
justes limites. Conséquemment la responsabilité delà
faute ne devra être appliquée à l’avoué qu’à la condition
que l’acte imputé ne puisse se justifier par des raisons
plausibles ; que le fait reproché émane directement de
lui.
Or la première condition n’existerait pas si l’avoué,,
�DU DDL ET DE LA FRAUDE.
513
placé entre deux opinions egalement probables, s’était
prononcé pour celle qu’il a considérée comme la plus
légitime, si cette option s’est réalisée sans dol ni fraude;
tel serait, par exemple, le cas où la nullité résulterait
de l’inobservation d’une formalité à l’égard de laquelle
la jurisprudence est incertaine et la doctrine divisée. ‘
D’autre part, l’avoué serait sans reproche si l’acte lui
avait été remis tout rédigé parla partie,2ou que la signi
fication n’en eût été faite que sur la réquisition expresse
de celle-ci;3 dans l’un comme dans l’autre cas, l’acte
n’est plus le fait direct de l’avoué, qui a dû le faire mal
gré son opinion même, car, mandataire du client, il
est forcé d’obéir à la volonté expressément manifestée
par celui-ci.
498. — L’avoué est responsable, comme de son fait
direct, des personnes qu’il s’associe ou qu’il se subs
titue dans l’exercice de ses fonctions. Mais cette res
ponsabilité cesse pour tous les actes pour lesquels,
n’ayant ni attribution ni caractère, il est forcé de s’a
dresser à d’autres qu’à lui-même. C’est ainsi que la nul
lité d’un exploit confié à un huissier ne saurait être at
tribuée à l’avoué qui l’a choisi. L’huissier, en effet, est,
pour tous les actes qu’il fait, présumé le mandataire di
rect de la partie. La faute qu’il commet lui est donc
exclusivement imputable, seul il en supporte les consé
quences. La responsabilité de l’avoué se restreint dans
1 Toulouse, 10 juin 1825.
2 Caen, 27 mars 1813.
* Montpellier, 24 juin 1826.
�514
TRAITÉ
les faits rentrant dans ses attributions et dont il est tenu»
alors même qu’il justifierait que la faute provient d’un
tiers auquel il s’en est rapporté.1Cette obligation est la
conséquence de la liberté qu’il avait de ne pas se con
fier h une personne ignorante ou incapable. Or, cette
liberté n’existe pas lorsque le ministère de l’huissier est
indispensable.
Au l’este, il est quelquefois difficile de déterminer à
qui, de l’avoué ou de l’huissier, incombe la responsa
bilité d’une faute. Nous aurons bientôt occasion de nous
livrer à cette recherche. Nous nous bornerons en ce
moment à rappeler une distinction qui domine la ma
tière : à l’avoué, la responsabilité de ce qui tient à la di
rection de la procédure; à l’huissier, la responsabilité
de ce qui concerne taxativement l’exploit ou l’exécu
tion du jugement.
499. — Pour que l’avoué puisse être condamné à
des dommages-intérêts, il faut : 1° qu’il soit convaincu
d’une faute lourde ; 2° que cette faute ait occasionné un
préjudice. C’est à celte double éventualité que s’appli
que la restriction de l’article 1031 : Suivant l'exigence
du cas. C’est donc au demandeur à prouver l’existence
de la faute, celle du préjudice.
La faute lourde peut être prouvée par l’acte qu’on
reproche à l’avoué d’avoir fait, ou de s’être abstenu de
faire. L’impéritie qui porte l’avoué à faire un acte con
traire à la loi, ou à omettre une formalité indispensable
? Carré, sur l’art. 1031.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
515
dans l’intérêt qu’il défend, est susceptible à elle seule
de constituer une faute lourde, donnant lieu à des dom
mages-intérêts.
Ainsi, la Cour d’Aix a jugé, le 17 juin 1828, qu’il
doit être prononcé des dommages-intérêts contre l’a
voué par la faute duquel un appel aurait été déclaré nul
comme prématurément réalisé, alors même que le
client lui a laissé l’acte d’appel tout rédigé, mais avec
la date en blanc, et avec l’intention que la signification
n’eût lieu qu’en temps utile, intention résultant de ce
que, quoique remis dans le mois où le jugement a été
rendu, l’acte d’appel porterait à la date de ce jugement
ces mots : rendu le... du mois dernier, expression qui
aurient été changées par l’avoué, ou son clerc, en cel
les-ci : du mois courant J
500 — On s’est demandé si, comme officier public,
l’avoué devait répondre des conséquences des conseils
qu’il a pu donner. La négative a été avec raison consa
crée, car l’avoué ne saurait être considéré, quant à ce,
que comme le serait une personne ordinaire. C’est ainsi
que la Cour de Caen a décidé, par arrêt du 16 mars
1842, qu’un conservateur des hypothèques n’a aucun
recours contre l’officier ministériel sur les observations
duquel il a mal à propos radié une inscription qui ne
devait pas l’être.
L’arrêt ajoute : lorsque ces observations ont été
faites de bonne foi, et cette condition est aussi ration1 I). P., 28, n, 190.
�Ô f6
TRAITE
nelle que juste. Il est sensible, en effet, que l’avoué
doit répondre des actes qu’il a obtenus par des moyens
que la morale réprouve. Il répond notamment des frais
d’un procès qu’il a insidieusement et de mauvaise foi
fait soutenir. Mais, dans ce cas, le jugement qui le con
damne doit, à peine de nullité, constater en fait et dé
clarer que le conseil a été donné insidieusement et de
mauvaise foi.1
501- — L’avoué peut-il être condamné soit aux
frais, soit aux dommages-intérêts, sans avoir été mis
personnellement en cause?
La négative ne saurait être contestée à l’endroit des
dommages-intérêts ; ils ne peuvent jamais être alloués
que sur la demande formée par la partie. Or, comment
supposer une demande contre une personne qui n’est
pas présente, qui n’a pas même été appelée?
Mais, en ce qui concerne les frais, la jurisprudence
de plusieurs Cours et Tribunaux consacre l’affirmative.
Dans cette pratique, ou condamne personnellement l’a
voué aux dépens, par cela seul que la procédure est an
nulée par un fait qu’on déclare émaner de lui, ou que
l’acte est reconnu frustratoire.
Nous ne saurions trop nous élever contre une pareille
manière de procéder. Les frais mis à la charge de l’a
voué sont une véritable peine, et l’équité exige qu’il
n’en soit appliqué aucune sans que celui qui en est l’ob
jet ait été mis à même de se défendre.
1 Cass., 13 juillet 1824; — Montpellier, 11 mars 18-42.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE»
517
La jurisprudence que nous signalons viole donc le
droit sacré de la défense, et cela d’autant plus mal à
propos, que celle de l’avoué peut être de nature à l’absoudre complètement du tort apparent qui lui est im
puté.
Nous avons dit, en effet, que l’avoué est excusable
lorsque sa faute avait été déterminée par des raisons
plausibles; qu’il n’avait même aucune faute à se repro
cher lorsque, mandataire, il n’a fait qu’obéir à une in
jonction formelle du mandant, et ces excuses légales,
il ne pourrait pas même les proposer !
Mais, dit-on, s’il en est aiusi, l’avoué aura un recours
utile contre son client, qu’il fera condamner à l’indem
niser. Nous convenons que l’avoué trouverait dans ce
recours le moyen de faire disparaître le préjudice ma
tériel. Mais le préjudice moral résultant d’une condam
nation publiquement prononcée, comment l’effacer? Ne
restera-t-elle pas consignée dans les minutes du greffe,
cette condamnation qui flétrit l’avoué en le déclarant
improbe ou ignare? Eloignée de la décision qui la ré
tracte, ne sera-t-elle pas exploitée par ceux qui auront
intérêt à lui donner de la publicité?
N’est-il donc pas plus juste, plus naturel d’attendre,
pour condamner un officier ministériel, de l’avoir con
tradictoirement convaincu? Sans doute il ne faut pas
que la faute de l’avoué reste impunie, mais les tribu
naux ne peuvent d’office ordonner la réparation du pré
judice, alors surtout que personne ne s’en plaint en
core. Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est de mettre la
partie intéressée à même d’obtenir la satisfaction qui lui
�518
tra ité
est due. Eh conséquence, et tout en condamnant celle-*
ci, les magistrats doivent, s’ils le jugent possible, lui
réserver son recours contre l’avoué pour tout ou partie
des dépens. Ainsi mise en demeure d’exercer son droit,
la partie aura à se pourvoir ainsi qu’elle avisera.
M. Chauveau ajoute une considération qui nous pa
raît d’une grande force. La loi a institué les deux degrés
de juridiction en faveur de tous les justiciables. Per
sonne ne peut être condamné par une Cour, si déjà la
condamnation n’a été prononcée par le tribunal infé
rieur. Cela èst vrai pour les actions fondées sur les ar
ticles 1582 et 1383 du Code civil, comme pour toutes les
autres. Or, une Cour qui condamne un avoué aux dé
pens, le prive du premier degré, car sa décision est sou
veraine et ne peut plus être attaquée autrement que par
le recours en cassation, qui n’est jamais suspensif.
Ainsi, violation du principe de la libre défense, vio
lation du principe constitutif des deux degrés de ju
ridiction, voilà le principe que nous combattons. M.
Chauveau a raison, ce système n’est admissible que si
l’on admet que, en acceptant ses fonctions, l’avoué s’est
tplacé hors de la loi commune.
502. — Comme l’avoué, l’huissier est le manda
taire de la partie pour laquelle il instrumente. Ses de
voirs prennent leur origine dans des principes iden
tiques, sa responsabilité est donc la même
Aussi, la loi les a-t-elle confondus dans la dispo
sition des articles 132 et 1031 du Code de procédure.
Mais déjà, et dans l’article 71, la responsabilité de
�DD DOL ET DE LA FRAUDE.
519
l'huissier avait été nettement formulée : L’huissier peut
être condamné aux frais de l’exploit ou de la procédure
annulée, sans préjudice des dommages-intérêts de la
partie, suivant les circonstances.
§03. — On a cru trouver dans cet article une
preuve que la condamnation de l’huissier aux frais
n’était qu’une faculté que le législateur abandonnait à
la prudence des tribunaux, d’où l’on a conclu que
l’huissier n’était obligatoirement tenu que de la faute
lourde.
A notre avis, cette opinion est erronée. L’huissier est
mandataire salarié et, au point de vue de l’article 1992
du Code civil, il doit répondre même de sa négligence.
L’article 71 n’a pu le dispenser d’une obligation im
posée sur le même motif à l’avoué. La possibilité dont
il s’v agit doit donc être interprétée dans le même sens
qu’on lui donne dans l’article 132, et, ce qui le prouve,
c’est que l’article 1031 fait un devoir de laisser à la
charge des officiers ministériels les frais des actes ou
procédures nulles ou frustratoires.
Les mots pourront des articles 71 et 132 ne peuvent,
en présence de l’article 1031, s’entendre que de la fa
culté qu’ont les parties de faire condamner l’huissier.
Ils ne peuvent signifier que la demande faite pourra être
rejetée, car, dans ce sens, ces deux articles auraient été
abrogés par le dernier, qui fait un devoir de ce dont
ceux-ci auraient fait une simple faculté.
L’huissier est donc tenu même de la faute légère,
avec cette seule différence que celle-ci ne l’expose
*
�TRAITE
520
qu’aux frais des actes nuis, tandis que le dol ou la faute
lourde lui ferait encourir l’obligation de supporter les
dommages-intérêts.
504. — Il importe de répéter ici ce que nous di
sions tout à l’heure pour l’avoué. L’huissier ne peut
être tenu que de son fait personnel. Cette considération
acquiert en ce moment une haute portée, car le minis
tère de l’huissier a de tels rapports avec celui de l’avoué
qu’il est quelquefois difficile de distinguer la part que
chacun a réellement prise au fait qualifié faute. C’est
ainsi qu’on a eu à se demander si l’huissier répond de
l’acte qu’il a signifié, mais que l’avoué lui a remis tout
rédigé ?
505. — MM. Pigeau et Demiau Crouzilhac soutien
nent la négative. Ils enseignent qu’en pareil cas c’est
l’avoué qui encourt la responsabilité. C’est ce qu’a aussi
décidé la Cour de Caen par arrêt du 27 mars 1813.
Mais la doctrine contraire ayant été consacrée par la
Cour d’appel de Metz, a reçu la sanction de la Cour de
cassation. Celle-ci a pensé que la responsabilité d’un
acte quelconque, quelle que fût la participation qu’un
tiers y eût prisei appartenait exclusivement à l’officier
ministériel dans les attributions duquel cet acte a été
placé, et dont le ministère était indispensable.1
506. — Cette solution, à laquelle se sont rangées les
1 Cass., 21 février 1821.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
5 ‘■ li
Cours de Besançon et de Grenoble, est approuvée par
M. Chauveau : « La doctrine contraire, dit ce juriscon
sulte, est inacceptable; autant vaudraitdire que le clerc
rédacteur est responsable vis à vis de la partie, et que
l’huissier et l’avoué, qui se sont confiés à lui, n’encou
rent aucune responsabilité. L’huissier est légalement
l’auteur de l’exploit, c’est lui qui doit veiller à ce qu’au
cune des formalités nécessaires n’y soit, omise; il ne peut
donc exciper de ce qu’un autre aurait tenu la plume,
ce qui ne pourrait d’ailleurs se faire que sous sa sur
veillance.1 »
L’arrêt de la Cour de cassation nous paraît important
surtout par la netteté du principe qu’il consacre, à
savoir : que la responsabilité de l’acte appartient à ce
lui qui avait seul attribution et caractère pour l’accom
plir. C’est par son application que se résoudront toutes
les difficultés que la matière doit présenter. A l’huis
sier donc de répondre de tout ce qui tient taxativement
à l’exploit ; à l’avoué la responsabilité de ce qui con
cerne la direction de la procédure. En d’autres termes,
l’on doit faire pour les actes de procédure ce que nous
faisions pour les actes notariés, distinguer entre les
nullités intrinsèques et les nullités extrinsèques. Cellesci appartiennent exclusivement à l’huissier.
507. — C’est ainsi qu’on Fa déclaré responsable de
la nullité de l’exploit parce que la copie a été remise
1 Chauveau, sur Caré, art. 71
�522
TRAITÉ
au maire sans aucune mention de la présentation à un
voisin ; 1
Parce que lu date a été omise ou non suffisamment
indiquée ; 2
Parce qu’on aurait omis l’indication du délai de l’as
signation ; 3
Parce que le parlant à a été constaté d’une manrère
irrégulière; 4
Parce qu’on aurait omis la signature5 ou l’indication
du domicile réel du demandeur ; 6
Parce que l’huissier était sans qualité ; 7
Chacune de ces nullités constitue une violation des
devoirs que la loi impose à l’huissier. Il est donc natu
rel qu’il réponde de l’impéritie ou de la négligence qui
en est le fondement. Il en serait de même pour tous les
cas où dans l’exécution d’un jugement ou d’un titre,
l’huissier n’aurait pas rigoureusement exécuté les for
mes prescrites.
Dans ce cas, la condamnation de l’huissier serait in
dépendante de la validité de l’acte. Ainsi, la saisie faite
sans que les garanties voulues par l’article 587 aient été
observées, n’en est pas moins valable, mais l’huissier qui
a ainsi procédé a commis une faute dont il doit la répara1 Rouen, 1er août 1810.
5 Colmar, 28 juillet 1812; — Metz, 18 juin 1819.
3 Bruxelles, 16 mars 1831.
4 Paris, 22 septembre 1809 ; — Grenoble, 7 août 1822.
B Poitiers, 13 août 1819.
‘ Poitiers, 21 mai 1834.
1 Grenoble, 14 avril 1818,
�523
tion à la partie saisie. C’est ce que la Cour d’Aix a jugé
sur ma plaidoirie dans l’affaire de l’huissier Roux con
tre Mademoiselle Saint-Martin.
DU DOL ET DE LA FKÀUDE.
508. — Quant aux nullités intrinsèques résultant
soit de l’insuffisance de la procédure entamée, soit des
désignations inexactes que l’huissier, sur les faux ren
seignements de l’avoué ou de la partie, a insérées dans
son exploit, elles ne sauraient, sous aucun rapport, lui
être imputées.1 La responsabilité en demeure donc ex
clusivement à la charge de l’avoué ou de la partie.
Par application de ce principe, il a été jugé :
1° Que l’huissier n’est pas responsable de la nullité
d’un appel qu’on l’a chargé de notifier soit avant l’expi
ration de la huitaine, soit après le délai de trois mois;’
2° Qu’il ne répond pas de ce que la notification à des
créanciers inscrits ne comprend pas l’universalité de
ces créanciers ; 3
3° Qu’on ne saurait lui reprocher la nullité d’un em
prisonnement résultant de ce que le créancier lui a re
mis une constitution d’avoué, au lieu d’uae élection de
domicile, à énoncer dans le procès-verbal ; 4
Ces exemples nombreux nous ont paru utiles à rap
peler, parce qu’ils déterminent la véi’itable portée du
principe que nous rappelions tout à l’heure. Ils ensei
gnent en outre à faire la part de l’avoué, de l’huissier ,
1 Cass., 28 octob. 1811,29 août 1832.
* Aix, 17 juin 1821.
3 Metz, 31 mars 1821.
'* Lyon, 9 mai 18?Si
......................{
�524
TRAI
de la partie elle-même, dans les questions de responsa
bilité qui peuvent se présenter.
509- — Nous dirons de l’huissier ce que nous disions
tout à l’heure de l’avoué, à savoir qu’il ne doit pas être
condamné sans avoir été entendu. Nous ajoutons qu’il
ne peut être même valablement poursuivi qu’après que
la nullité de l’acte a été prononcée par la justice. Toute
demande contre lui serait non-recevable, tant que cette
nullité n’est pas un fait acquis.
510- — Le mandat de l’huissier cesse avec l’acte
qu’il a notifié. Il continue cependant si l’exploit ren
ferme élection de domicile dans son cabinet. Entre
autres devoirs, celte élection lui impose l’obligation de
transmettre fidèlement et en temps opportun toutes les
significations qui sont faites pour la partie. Le retard
dans cette transmission, et à plus forte raison son omis
sion complète, obligerait l’huissier à réparer le préju
dice qui naîtrait de l’un ou de l’autre.
511 — Nous terminerons, en ce qui concerne les
officiers ministériels, par deux observations s’appliquant
aux avoués aussi bien qu’aux huissiers.
1° Le désaveu admis en justice rendrait celui qui en
a été l’objet passible de tous les frais que les actes dé
savoués auraient entraînés. Il pourrait de plus autoriser
une allocation de dommages-intérêts en faveur de la
partie qui réclamerait d’être indemnisée du préjudice
qu’elle prouverait exister.1
‘ Cass., 7 nov. 1849; — D. P., 49, 1, 285.
�DU ÜOL ET DE LA FRAUDE.
525
2° Dans l’hypothèse de faute lourde, de dol, comme
dans tous les cas où il y a lieu d’accorder des dommagesintérêts, leur allocation est subordonnée à la preuve
qu’il existe un préjudice. Les dommages-intérêts ne
peuvent jamais être que l’indemnité d’un dommage et
non l’objet d’un bénéfice pour celui qui les réclame.
C’est donc à celui-ci à prouver ce dommage. A défaut
de cette preuve, la responsabilité des officiers ministé
riels, quel que fût le motif de la prononcer, se bornerait
au paiement des frais des actes ou de la procédure an
nulée.
Ajoutons que les officiers ministériels engageant leur
responsabilité in commillendo, ne l’engagent pas moins
in omitlendo. Ainsi celui qui s’est abstenu de faire un acte
que l’intérêt de son mandant exigeait impérieusement,
et qu’il avait mission d’accomplir ou de provoquer, se
rait passible des conséquences de cette omission et tenu
dès-lors de réparer le préjudice qui en serait résulté.
�a
526
TRAITE
CHAPITRE IV,
S E S F IN S DE N O N -R E C E V O IR C O N T R E L'A C T IO N ,
SOMMAIRE.
,512. ïln e suffit pas qu’une demande soit fondée, il faut en
outre qu’elle soit recevable.
,513. Nature et distinction des fins de non-recevoir.
514. Nomenclature.
512. — L’existence d’un droit n’autorise pas tou
jours l’action destinée à le réaliser. Celui-là donc qui
prétend se pourvoir en justice doit se préoccuper nom
seulement de la légitimité, mais encore de la receva
bilité de sa demande. Peu importerait, en effet, qu’un
dol eût été pratiqué à son encontre, qu’il en eût éprouvé
jim notable préjudice, si, par négligence ou par un acte
�DU DOL ET DE LA FRAUDE*
527
émané de sa volonté, il s’était rendu non-recevable à
poursuivre la réparation qui lui est due.
515. — Les moyens tendant à faire déclarer la nonrecevabilité d’une action constituent des fins de nonrecevoir, dont la nature et les effets diffèrent essentiel
lement, suivant qu’elles s’appliquent à la forme ou au
fond.
Les premières, qu’on qualifie plus exactement de
fins de non-procéder, n’ont pour objet que la nullité de
la procédure irrégulièrement poursuivie, et que le de
mandeur est obligé de recommencer. Elles sont donc
purement dilatoires, à moins que l’intervalle consacré
à la formalité irrégulière n’ait complété la prescription
du droit. Ces fins de non-procéder n’ont donc d’avan
tages réels que sous ce dernier rapport.
Les autres, au contraire, négligent la forme pour s’at
taquer au droit lui-même, qu’elles ont pour but de faire
déclarer à tout jamais éteint. Leur consécration enlève
à l’action tout principe de vitalité et amène le déboutemeut de la demande quelque juste, quelque fondée
qu’elle puisse être. Leur existence est donc un fait ca
pital et décisif. C’est aussi d’elles, et d’elles seules, que
nous allons nous occuper.
Suivant M. Loncet, ces tins de non-recevoir consti
tuent des exceptions de pratique ou moyens non tirés du
fond, ayant pour fin , c’est-à-dire pour but, d’empêcher
que l’action ou la déjense de /’adversaire ne soit reçue
ou écoutée, quelque juste qu’elle puisse être au fond.
Comme si, par exemple, on oppose que les droits dont il
�528
T R A IT E
se prévaut sont prescrits, ou qu’un jugement passé en
force de chose jugée l’en a débouté, ou quil y a for
mellement ou tacitement renoncé. 1
51-4. — Les principales fins de non-recevoir sont
donc : la chose jugée, l’acquiescement, la prescription.
Chacune d’elles constitue une exception péremptoire,
puisque son admission entraîne forcément le rejet de
l’action contre laquelle on l’invoque. Leur importance
exige que nous en recherchions les éléments, que nous
en déterminions les conditions essentielles. Cet examen
fait la matière des trois sections suivantes.
SECTION Ire— DE LA CHOSE JUGÉE.
SOMMAIRE.
515. Caractère de cette présomption.
516. Conséquences quant aux difficultés pouvant se pré
senter.
517. Conditions exigées pour qu’il y ait chose jugée.
1 Des A d . , lit. A. chap. 2, u° 164.
�DU DOL ET DE LA ERAUDE.
520
518.
519.
520.
521.
522.
523.
524.
Quels sont les jugements, susceptibles de la créer?
Jugements provisionnels.
Jugements préparatoires ou interlocutoires.
Controverse à l’occasion de ces derniers.
Solution.
Opinion de Chauveau et jurisprudence qu’il cite.
Le jugement interlocutoire sur un point peut être défi
nitif sur un autre. Conséquences.
525. A quelle époque les jugements définitifs ont-ils acquis
l’autorité de la chose jugée ?
526. Différence entre les jugements en premier ou en der
nier ressort.
527. Le jugement en premier ressort n’acquiert l’autorité de
la chose jugée, à défaut d’appel, qu’à partir de sa
signification.
528. Effet de la réalisation de l’appel.
529. Jugements rendus en pays étrangers.
530. Le dispositif des jugements fonde seul la chose jugée.
531. Conditions de la chose jugée.
532. 1° Identité d’objet.
533. Changements survenus depuis le premier procès.
534. Il y a identité d'objet si, après avoir échoué sur le tout,
on redemande la partie.
535. Qu’en est-il dans l’hypothèse inverse ?
536. Lejugementau possessoire n’influe en rien sur l’action
pétitoire.
537. Que faut-il entendre par la partie réclamée?
538. 2° Identité de cause.
539. Il n’y a pas identité de cause lorsque le droit repose
sur des motifs différents.
540. Exemple : les nullités extrinsèques ou intrinsèques.
541. Hypothèses jugées par la jurisprudence.
542. L’identité de cause ne doit pas être appréciée par les
résultats que les deux instances doivent présenter.
543. Différence entre la cause et les moyens pouvant être
invoqués.
544. La chose jugée sur un moyen l’est pour tous les autres.
545. Arrêt conforme de la Cour de cassation.
i
31
�546. C’est surtout pour la nullité d’actes que cette distinc
tion est utile.
547. Classement à faire pour résoudre la difficulté.
548. 3° Identité des parties agissant en la même qualité.
549. Manières diverses d’être partie au procès,
550. ]° Ayant-cause. Les héritiers ou légataires à titre uni
versel sont les ayant-cause du défunt.
551. Les donataires ou légataires à titre particulier le de
viennent quant à l’objet donné ou légué.
552. Mais les héritiers, légataires ou donataires ne sont
pas les ayant-cause les uns des autres. Conséquen
ces.
553. L’acquéreur est, quanta l’objet vendu, l’ayant-cause du
vendeur.
554. Le vendeur n’est jamais l’ayant-cause de l'acquéreur.
555. Quid des créanciers ?
556. 2° Mandataires conventionnels ou légaux. Identité du
mandant et du mandataire.
557. Ce qui est jugé pour et contre le tuteur l’est contre le
mineur.
558. Il en est de même pour le mari et la femme.
559. Mais ce qui est jugé entre la femme et un tiers ne l’est
pas contre le mari, soit qu’il l’assiste et l’autorise,
soit qu’il exerce les actions de celle-ci.
560. Fondement légal de cette doctrine.
561. L’instance suivie pour ou contre les syndics d’une fail
lite lie le failli et la masse.
562. Distinction en ce qui concerne les créanciers hypothé
caires,
563. La chose jugée pour ou contre le failli, avant la faillite,
est opposable aux syndics.
561. Y a-t-il identité de personnes entre le débiteur principal
et la caution ?
565. Quid des débiteurs solidaires.
566. L'identité de personnes réside bien plutôt dans la qualité
en laquelle elles ont agi que dans les conditions phy
siques.
567. Conséquences.
�DD DOL ET DE LA FRAUDE.
568.
531
de l’instance jugée pour ou contre l’héritier appa
rent à l'endroit du véritable héritier.
569. Mode d’appréciation de la chose jugée.
Q uid
515. — De tous temps la chose jugée a été entourée
du plus profond respect et a joui de la plus grande au
torité. Considérée comme l’expression de la vérité, elle
est devenue la loi irrévocable des parties : Res judicala
pro veritale habelur.
Prise dans un sens absolu, celte présomption cons
tituerait la plus audacieuse fiction qui se puisse ima
giner. Elle proclamerait, en effet, une infaillibilité qui
n’est pas dans les attributs de la justice humaine,
qu’elle placerait ainsi au-dessus des passions qui l’as
siègent et l’égarent.
Un orgueil aussi insensé ne pouvait pas être professé
par le législateur. Il ne pouvait ignorer l’infirmité de la
nature humaine, ses faiblesses. Aussi, pouvons-nous le
dire sans crainte, la présomption de vérité, attachée à
la chose jugée, tient à des considérations d’une autre
nature, et cette pensée n’altère en rien le juste respect
qui entoure notre magistrature. Sa dignité n’avait nul
besoin qu’on la proclamât infaillible. Suffisamment dé
fendue par la loyauté de ses intentions, elle peut répu
dier un caractère qui n’appartient qu’à Dieu et recon
naître que ses lumières ne la garantiront pas toujours
d’une erreur.
C’est ce que, pour sa part, a admis le législateur; et,
la possibilité d’une erreur ainsi envisagée, la chose ju
gée n’en doit pas moins être acceptée comme l’expres-
�532
TRAITE
siou de la vérité. Un devoir puissant et sacré le pres
crivait ainsi. Sans la stabilité des jugements, il n’y avait
pas de société possible; et le jour où l’on pourrait, sous
prétexte d’erreur, remettre en question ce qui vient d’être
solennellement décidé, verrait la confusion et le chaos
se substituer à l’ordre admirable qui régit nos rapports
communs.
516- — Ces considérations, qui fixent le sens et
l’importance du principe que nous avons rappelé, nous
amènent à cette conséquence : que nul ne sera tenté de
contester le principe lui-même. On ne déniera jamais le
respect dû à la chose jugée.Devant une exception de ce
genre, tous les efforts se résumeront dans la dénégation
des caractères qui la constituent. Avant donc d’appli
quer le principe, les tribunaux auront presque toujours
à rechercher s’il est réellement applicable à l’espèce
qui leur est soumise. C’est pour les éclairer dans cette
recherche que l’article 1351 du Code civil a nettement
déterminé les éléments dont l’ensemhle constitue la
chose jugée.
517. — Aux termes de cet article, il n’y a chose
jugée que si la seconde instance porte sur le même
objet que celui qui était demandé dans la première;
que si la demande repose sur la même cause; que si
elle a lieu entre les mêmes parties. Avant d’examiner
chacune de ces conditions, examinons celle qui les do?
mine toutes, à savoir : l’existence d’un premier juge?
�Dü DOL ET DE LA FRAUDE.
533
ment susceptible d’acquérir ou ayant acquis l’autorité
de la chose jugée.
518. — Toutes les décisions judiciaires ne sont pas
de nature à fonder l’autorité de la chose jugée: Non vox
omnis judicis, judicati continet auctoritalem.1 Pour re
vêtir ce caractère, le jugement doit épuiser le litige, de
manière à ce que le même juge soit désormais sans at
tribution pour prononcer entre les parties : Res judicala
dicilur quce finem conlroversiarum pronunciatione jndicis accipit, quod vel condemnatione, tel absoiulione
contingit. 2
519. — À ce titre, les jugements qui se bornent à
statuer sur la provision ne peuvent jamais donner lieu
à l’exception de chose jugée. Cela est d’autant moins
douteux, que l’effet de ces jugements est nécessaire
ment subordonné au jugement définitif, d’après lequel
les sommes reçues à titre de provision devront, dans
quelques circonstances, être remboursées. Le pouvoir
du juge d’ordonner ce remboursement, comme de ré
tracter les autres mesures provisionnelles, n’a jamais
été ni pu être contesté. Celui-là donc qui n’aurait à exciper que d’un pareil jugement, à l’appui de son excep
tion de chose jugée, ne pourrait être écouté.
520. — Les jugements préparatoires ou interlocu* L. 7, Cod., de sent, cl inlerl
2 L. 1, Dig., de rc judicata.
�toires peuvent-ils acquérir, l’autorité de la chose jugée?
Évidemment non, si la définition que nous venons d’em
prunter au droit romain est exacte. En effet, ces juge
ments n’épuisent pas la juridiction du juge dont ils
émanent; ils mettent si peu fin au litige, que leur objet
consiste uniquement à mettre ce litige à même de re
cevoir une solution définitive.
De là il résulte que, lors même que les jugements
préparatoires ou interlocutoires n’ont pas été exécutés,
leur existence ne peut être un obstacle à ce que les par
ties puissent revenir devant le juge et lui demander une
décision sur le fond du procès. Elle;; peuvent soutenir
que l’objet de ce jugement n’était pas indispensable et
que les faits indiquent suffisamment les droits qu’elles
peuvent respectivement revendiquer. De son côté, le
juge peut déserter les errements jusqu’alors suivis et
prononcer définitivement, malgré qu’il eût refusé de le
faire d’abord.
521. — Cela n’a jamais été contesté lorsqu’il s’agit
d’un jugement préparatoire, mais le contraire a été sou
tenu dans le cas d’un interlocutoire. Il est vrai que ces
jugements diffèrent entre eux en ce sens que les pre
miers ne laissent pas même entrevoir quelle sera l’opi
nion du juge sur le fond du procès, tandis que les se
conds semblent indiquer cette opinion. On peut croire,
en effet, que si la preuve ordonnée est faite, la partie
qui l’a sollicitée gagnera son procès. Ainsi, l’interlocu
toire crée un préjugé qui ne saurait naître dans aucun
cas du jugement purement préparatoire,
�DU DDL ET DE LA FRAUDE.
535
522. —- Mais tout ce qui résulte de cette différence
nous est positivement indiqué par l’article 451 du Code
de procédure. L’appel du jugement préparatoire ne peut
être reçu qu’avec celui du jugement définitif. Ce n’est,
en effet, que par le résultat de celui-ci qu’on peut con
naître celui à qui le jugement préparatoire a été préju
diciable. L’interlocutoire, au contraire, peut être im
médiatement attaqué devant le degré supérieur par
celui qui en redouterait les conséquences ou qui ne
voudrait pas accepter le préjugé qui en résulte.
Le défaut d’appel ne peut donner au jugement un ca
ractère qu’il n’a pas. L’interlocutoire demeure donc
sans effets obligatoires sur le fond du procès. La chose
jugée peut bien résulter d’une décision formelle, mais
elle ne s’attache jamais à un préjugé, quelque certain
et positif qu’il soit. Or, l’interlocutoire ne saurait ja
mais créer qu’un préjugé.
Dès-lors, celui qui, ayant d’abord contesté l’interlo
cutoire, l’a ensuite exécuté, pourra, après cette exé
cution et lors du jugement définitif, soutenir que la
mesure ordonnée était inutile, chercher ailleurs que
dans les procès-verbaux et les enquêtes les moyens de
faire prévaloir ses prétentions. Ce qui lui est absolu
ment et uniquement interdit, c’est de plaider la nonrecevabilité de la preuve ou la non-admissibilité des
faits articulés. Sur ces deux points, il y a dans l’inter
locutoire une appréciation dont le contraire ne saurait
être légalement prononcé que par le juge supérieur.
Ce que la partie peut faire est également facultatif
pour le juge. Ainsi, le tribunal n’est pas obligé de per
�sister dans l’opinion qu’il a pu concevoir sur l’impor
tance et la nécessité de la preuve. Quelle qu’ait été cette
opinion première, il peut la déserter si, mieux éclairée,
sa conscience lui en fait un devoir. Il peut donc après
l’interlocutoire, décider contrairement au préjugé ré
sultant de sa prononciation, et cela encore bien que les
faits articulés et admis aient été complètement justifiés.
L’opinion contraire a été cependant soutenue. Mais
ce n’est pas dans son sens que penchent la doctrine et
la jurisprudence. Elle manque, en effet, de fondementsjuridiques, tandis que l’autre opinion s’étaye sur des
considérations décisives en raison et en droit. Voici
comment les résume M. Chauveau, dans son Traité de
là procédure :
523. — « Il est impossible qu’un jugement puisse
être définitif sur le droit, lorsqu’il n’est qu’interlocu
toire sur le fait; d’autant que le point de droit, n’étant
que la raison de décider et non la matière immédiate
du jugement, n’est pas susceptible d’une décision sé
parée. Aussi longtemps que l’objet en litige est en sus
pens et soumis à l’éventualité d’un avant-dire droit, le
droit lui-même demeure indécis, le juge ayant pu
adopter mentalement, décéler même une opinion ou
un principe, mais non les réduire en jugement. Ce n’est
cependant qu’à partir de ce jugement que l’autorité de
la chose jugée peut être légalement acquise ou com
mencer à courir, car ce n’est qu’alors que le juge à
rempli sa mission et qu’il est à tout jamais désinvesti
de la connaissance du litige. Mais tant que ce désiu-
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
537
vestissemont ne s’est pas réalisé, le juge n’a pas dit son
dernier mot sur le procès; il n’a pas, dès-lors, la faculté,
mais il doit encore considérer comme un devoir impé
rieux de juger en définitive suivant sa conscience et sa
conviction, rejetant, si cette conviction l’exige, le prin
cipe que d’abord il avait adopté, pour revenir aux mo
yens soit de fait, soit de droit qu’il avait primitivement
rejetés. 1 »
M. Chauveau cite un grand nombre de décisions sou
veraines qui ont consacré cette doctrine, doctrine qui,
du reste, n’est qu’une saine application de la maxime
adoptée par nos maîtres en législation : Semper judici ab
interloculorio discedere licel. Il est vrai que nos Codes
n’ont pas renouvelé textuellement ce principe. Mais
qu’ils l’aient virtuellement admis, c’est ce dont il n’est
pas possible de douter. L’orateur du gouvernement le
proposait comme règle dans l’exposé des motifs de la
loi, de crainte que les magistrats ne se méprissent sur
la nature et la partie de l’interlocutoire. L ’interlocu
toire, en effet, sans autre objet que d’éclairer la reli
gion des juges, pourrait finir par les égarer, dans la
fausse persuasion qu’ils se seraient liés eux-mêmes en le
prononçant.
Il est donc vrai, en droit français comme en droit ro
main, que le juge peut revenir de l’interlocutoire. Cela,
certes, ne saurait signifier qu’un tribunal a la faculté,
après avoir jugé la preuve recevable et les faits per
tinents et admissibles, de décider plus tard le contraire.
1 Chauveau, sur Carré, art. 451, 455.
�538
TRAITÉ
Le pouvoir de se réformer ainsi n’a jamais appartenu à
une juridiction quelconque. Prise dans ce sens, la
maxime que nous avons rappelée serait une mons
truosité en droit. Tout ce qu’on doit en induire, c’est
que malgré l’interlocutoire, qu’il ait été ou non exé
cuté, le juge peut et doit décider en sens contraire du
préjugé que cet interlocutoire fait naître, si, mieux
éclairée, sa conscience l’exige ainsi.
Concluons donc, de ce qui précède, que lorsqu’il
s’agit de juger définitivement le procès, le juge reprend
toute son indépendance, toute sa liberté d’action. II
peut donc négliger les résultats de l’interlocutoire, les
repousser même complètement et puiser les éléments
de sa décision dans les autres circonstances de la cause
et dans les faits qui lui avaient d’abord paru insuf
fisants. Il peut même prononcer au fond sans que les
mesures interlocutoires aient été remplies. Dès-lors, un
jugement de ce genre ne peut, dans aucun cas, devenir
la base d’une exception de chose jugée.
524. — Un jugement interlocutoire sur un point
peut être définitif sur un ou plusieurs chefs. C’est ce
qui arrive lorsque, avant d’aborder le fond, le juge a à
apprécier des exceptions, soit en la forme, soit inhé
rente au droit lui - même. La disposition qui écarte ces
exceptions n’a rien d’interlocutoire ; elle constitue, à
cet égard, un jugement définitif qui, s’il est acquiescé
ou exécuté, acquiert l’autorité de la chose jugée et rend
non-recevable à proposer plus tard les mêmes excep
tions.
�DU DDL ET DE LA FRAUDE.
539
525. — A quelle époque les jugements définitifs
ont-ils acquis l’autorité de la chose jugée ? L’ordon
nance de 1667 contenait, à cet égard, une disposition
expresse. L’article 5 du titre 27 disposait en ces ter
mes : Les jugements qui doivent passer en force de
chose jugée sont ceux rendus en dernier ressort et dont
il n'y a pas d’appel, ou dont l’appel ne sera pas rece
vable, soit que les parties y eussent formellement ac
quiescé, ou qu’elles n’en eussent interjeté appel dans le
temps, ou que l’appel ail été déclaré péri.
526- — L’ordonnance mettait donc sur la même li
gne les jugements rendus en dernier ressort et ceux
qui, pouvant être attaqués par l’appel, ne l’avaient pas
été. Notre Code de procédure n’a pas renouvelé cette
disposition, mais il ne dit nulle part le contraire. Cette
réserve absolue n’indique-t-elle pas qu’en cette matière
il n’a entendu rien innover, et que conséquemment c’est
par l’ordonnance elle-même qu’il faut décider la ques
tion que nous avons posée?
Or, la doctrine qu’elle consacre nous paraît juste et
rationnelle, car les considérations qui recommandaient
la disposition de l’ordonnance n’ont pas cessé d’être
vraies. Celui qui s’abstient d’attaquer un jugement con
traire à ses intérêts est présumé en reconnaître le bien
fondé et le mérite, et cette sanction donnée au juge
ment est la plus puissante de toutes. Sans doute, nul
n’est contraint d’agir tant qu’il est dans les délais pour
le faire. Aussi la présomption d’acquiescement cèderat-elle devant la manifestation d’une volonté contraire,
�Ô40
TRAITE
volonté qui sera libre de se produire au moment même
où l’on voudra exciper de la présomption d’acquiesce
ment. Mais tant que l’appel n’est pas réalisé, c’est cette
présomption qui doit prévaloir. Ainsi, la différence en
tre un jugement rendu en dernier ressort et celui sus
ceptible d’appel, c’est que le premier acquiert de plein
droit l’autorité de la chose jugée, tandis que cette au
torité n’est que momentanée pour le second, tant que les
délais de l’appel ne sont pas expirés.
527. — Mais, pour l’admettre ainsi, il faut que la
partie ait été mise en demeure d’agir par une significa
tion régulière du jugement. Un jugement non signifié
n’est qu’un titre informe, constituant tout au plus une
menace dans un avenir plus ou moins lointain, et
contre laquelle on n’est pas même tenu de se pourvoir.
Il y a plus, celui qui abandonne, qui délaisse ainsi son
titre, après l’avoir obtenu, peut être considéré comme
s’il renonçait aux avantages qui en résultent, et le si
lence de la partie adverse n’a, en cet étal, rien que de
très naturel, on ne saurait exiger qu’elle le rompe
qu’après qu’une notification est venue lui apprendre
qu’on voulait profiter du jugement.
528- — L’appel réalisé suspend de plein droit l’au
torité du jugement, alors même qu’il aurait été émis
hors les délais ou après un acquiescement. La non-rece
vabilité de l’appel, comme le mal fondé, ne peut être
déclaré que par le degré supérieur. Ce n’est donc que
�DU DOD ET DE DA FRAUDE.
541
(>ar la décision de celui-ci que le jugement reprend ou
perd à tout jamais l’autorité de la chose jugée.
Nous terminerons nos observations sur ce point en
rappelant deux faits importants et qu’on ne saurait ou
blier pour la matière qui nous occupe.
520. — 1° Rendre la justice est un acte de souve
raineté. En France, elle se rend au nom du peuple fran
çais et par des magistrats choisis et institués parle chef
du pouvoir exécutif. Cette double circonstance, offrant
toutes garanties aux citoyens, leur impose l’exécution
des jugements comme un devoir rigoureux.
Mais on ne peut exécuter en France que les juge
ments émanés des tribunaux français. Dès-lors, la
chose jugée ne saurait jamais résulter d’un jugement
rendu en pays étranger et par des juges étrangers, à
moins que son exécution n’ait été ordonnée par un tri
bunal français. Or, on sait que la faculté donnée aux
juges français, à cet égard, ne se borne pas à un enre
gistrement pur et simple. La doctrine et la jurispru
dence sont d’accord sur ce point. Le juge a le droit de
reviser le jugement étranger et de ne confirmer les ad
judications qu’il prononce que s’il les trouve néces
saires et justes. Le jugement de révision est donc ici
Je véritable jugement, et, comme il émane de l’autorité
française, il est, quant à la chose jugée, à l’instar des
autres jugements.
550. — 2° Quels que soient les termes des motifs
d’un jugement, quelle que soit la solution à laquelle
�49
tr a ite
ils puissent conduire, il n’y a chose jugée que sur ce qui
est consigné dans le dispositif. Ce n’est que là, en effet,
que la pensée réelle du juge se développe avec préci
sion et netteté ; que se trouve en quelque sorte le véri
table jugement. C’est donc aussi et uniquement là qu’il
faut chercher ce que le juge a fait, car on ne trouvera
dans les autres parties du jugement que des indications
sur ce qu’il a voulu faire. Or, la pensée du juge, tant
qu’elle ne s’est pas traduite en jugement, ne saurait
sortir à effet et moins encore donner naissance à l’au
torité de la chose jugée.
C’est ce qui a été consacré par de nombreux arrêts
de la Cour de cassation, dont un, notamment, rendu
le 9 janvier 1858 , décide que , bien qu’un arrêt ait
reconnu dans ses motifs que le terrain litigieux est vain
et vague et que la Commune en doit être réputée pro
priétaire, cependant, s’il ne prononce rien à cet égard
dans le dispositif et se borne à ordonner une expertise,
en réservant tous les droits des parties, il n’y a point
chose jugée sur la nature du terrain, ni sur la question
de propriété.1
04
•j j*
H
il
551. — Ainsi, l’exception de chose jugée ne pourra
prendre naissance que dans l’existence d’un juge
ment précédent, rendu sur le fond du droit, ayant
épuisé la juridiction du juge, et dont le dispositif offrira,
par rapport à l’instance nouvelle, les caractères pres
crits par l’article 1551, à savoir : que la chose demandée
Dalloz, p. 38, 1, 169 ; — vid. id ., 37, i , 453.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
543
soit la même ; que la demande soit fondée sur la même
cause; qu’elle s’agite entre les mêmes parties et en la
même qualité : Eaclem res, eadem ratio petendi, eadem
conditio personarum.
552. — Première condition. Identité d’objet.
Cette identité ne doit pas s’entendre en ce sens qu’il
faille que l’objet réclamé dans les deux instances soit
physiquement et matériellement le même. Il suffit, dans
ce cas, d’une affinité certaine et incontestable.
Ce principe, enseigné par Pothier, conduit à cette
double conséquence.
555. — 1° Les changements survenus dans le corps
qui a fait la matière du premier procès n’empêchent
pas qu’il ne soit le même dans le second , si c’est le
corps lui-même qui est réclamé. C’est en effet le même
objet, augmenté ou diminué, qu’on demande, et le re
fus qui en a été fait une première fois crée un obstacle
insurmontable à toute nouvelle prétention : Si petiero
gregem et victus fuero, et vel auclo vel minuto numéro
gregis iterum eumdem gregem petam, obstabil mihi
exception
554. — 2° La chose ne cesse pas d’être la même si,
après avoir échoué sur la revendication d’un corps
certain, d’une quantité ou d’un droit incorporel, on
demande plus tard une partie plus ou moins considé5 L. 21, Dig.
de c.rcep. re i ju d . ; — Rennes,
15 mars 1821.
�5U
TRAITE
rable de ces mêmes objets : Si quis cum lotum petiisset,
partent petat, exceptio rei judicalæ ei nocet, nam pars
in lotum est, eadem enirn res accipitur et si pars petatur ejus quod tolum petitum est, nec interest ulrum in
corpore hoc pelatur, an in quanlilate, vel injure. 1
Cette règle était tellement absolue en droit romain,
qu’on appliquait l’exception de chose jugée à la de
mande des fruits non encore existants au moment du
premier procès. Tout ce qui était produit par la chose
refusée était considéré comme cette chose elle-même,
et par conséquent à l’abri de toute demande ultérieure:
Sed ex ea re sunt qua pelita est, maqisque est ut isla
exceptio noceat.
Ces conséquences, admises par notre ancien droit,
n’ont nullement été abrogées par les lois qui nous régis
sent actuellement. Les décisions du droit romain sont
donc encore parfaitement applicables dans les deux cas
que nous venons de rappeler.2
535. — Si la partie est-comprise dans le tout, le
tout n’est pas compris dans la partie. Celui qui a suc
combé sur une demande partielle, pourra-t-il donc de
mander plus tard la totalité de l’objet en partie refusé ?
Les jurisconsultes romains n’étaient pas d’accord
sur ce point. La négative était pourtant généralement
admise, mais elle subissait de nombreuses exceptions.
Le droit français n’a non plus rien disposé à cet
1 b. 7, Dig. de eacccpt. r e iju d .
2 Merlin, Chose ju g é e ; — Toullier, t. x, nos 145 et suiv.; — Fav.trd,
Chose jugê.e etc,...
�DD DOL ET DE LA FRAUDE.
545
égard, mais la doctrine et la jurisprudence admettent
dans plusieurs cas l’affirmative. Ainsi, on permet,
comme en droit romain, à celui qui a succombé sur la
demande d’une servitude de passage pour gens à pied,
de réclamer plus tard le passage pour charrettes et
bêtes de somme ; 1 on décide en outre que celui qui a
échoué dans la demande de l’usufruit d’un fonds peut,
plus tard, en revendiquer la propriété ; que celui qui a
été débouté de la demande en revendication de la par
celle d’une propriété est recevable à réclamer et à se
faire adjuger plus tard la propriété tout entière.2
II est vrai, comme l’observe Toullier, que dans ce
cas il obtiendra la parcelle qui lui avait été d’abord re
fusée. Mais il esta remarquer que le jugement qui rejette
la demande particulière qui en était faite n’en attribue
point la propriété au défendeur, il rejette seulement
cette demande particulière. La parcelle m’appartient
aujourd’hui à un autre titre, comme dépendance de la
propriété qui m’est attribuée en entier contre vous.8
536. — C’est par suite d’un effet analogue qu’il est
aujourd’hui souverainement admis que le jugement sur
le possessoire reste sans influence sur l’examen et la
décision dupétitoire. Cependant celui quia été débouté
de sa demande en possession acquiert cette même pos
session, s’il gagne son procès au pétitoire. Or, il ne peut
atteindre à ce résultat que parce que le premier juge1 L. Il, Dig., § 6, de cxcepl. rei jud,
2 Cass., 14 février 1851.
3 Toro, x, n° 55,
�S46
TRAITÉ
ment île peut acquérir l’autorité de la chose jugée que
sur ce qui a fait l’objet du litige, à savoir : la possession
considérée divisement et indépendamment de la pro
priété. Réclamer et obtenir cette possession comme
l’attribut et la conséquence du droit de propriété, c’est
évidemment demander une chose sur laquelle il n’a ja
mais été statué.
537. — Toutefois on ne saurait raisonnablement
soutenir qüé la chose jugée sur la partie ne s’opposera
jamais à ce qu’on puisse revendiquer le tout. Ainsi il
serait absurde de soutenir que celui qui a vainement
demandé les dix-neuf vingtièmes d’une chose pourra
plus tard être recevable dans sa demande de la tonalité
de cette même chose. C’est donc par les circonstances
particulières à chaque espèce qu’on devra résoudre la
question que nous avons posée. Seulement, ce qu’il im
porte de ne pas perdre de vue, c’est que la chose jugée,
étant une exception rigoureuse, doit être renfermée
dans ses plus étroites limites, et que, dans le doute, la
faveur due à l’action doit Remporter.
538. — Deuxième condition. Identité de cause.
T.a cause est le principe générateur de l’action ratio
petendi. Il faut donc bien se garder de la confondre avec
l’action elle-même, car la même cause peut devenir
l’origine de plusieurs actions d’un geüre différent. Mais
la décision intervenue sur celle qui a été réalisée cons
titue la chose jugée contre toutes.
Ainsi l’existence d’un vice rédhibitoire ou d’un defaut
�_________________
DD DOL ET DE LA FRAUDE.
caché donne le droit soit de poursuivre la résiliation de
Lrvente, avec restitution du prix, soit de garder la chose
en obtenant une réduction ou une remise sur le prix.
J’ai donc ou l’action en rescision ou l’action en quanti
minoris.
Mais cette double action a une seule et même ori
gine : l’existence du vice rédhibitoire. Conséquemment,
si j’ai succombé sur l’une d’elles, je serais non-receva
ble à intenter l’autre. Toute demande à cet égard serait
repoussée par l’exception de chose jugée.
On remarquera que la différence dans l’objet que ces
deux actions se proposent est plutôt apparente que
réelle. Bans l’une et dans l’autre il s’agit, en effet, de
porter atteinte à la convention des parties. Le degré de
gravité de cette atteinte ne saurait être un motif suffisant
pour exclure l’identité de chose. Et celle-ci concourant
avec l’identité de cause, l’exception de chose jugée se
rait inévitable.
539. — L’identité de chose ne suffirait pas pour au
toriser cette exception, car, comme l’observe Pothier,
la même chose peut m’être due en vertu de plusieurs
différentes causes d’obligation, et j’ai autant de créances
différentes et autant d’actions différentes contre mon
débiteur qu’il y a de différentes causes d’obligations
d’où elles naissent; lesquelles différentes actions ren
ferment autant de questions différentes. Le jugement
qui a donné congé de ma demande sur l’une n’a rien
statué sur l’autre.1
1 Des Oblig. , n° 89H,
�Il est évident, en effet, que la cause n’étant que le
principe générateur de l’action, la décision qui statue
sur celle-ci ne fait qu’une seule chose : elle décide que
ce que je réclamais ne m’appartient pas en vertu du
droit dont j’excipais. Mais de là ne résulte pas directe
ment ou indirectement que je ne puisse obtenir l’ohjet
même que j’ai vainement réclamé, en vertu d’un droit,
c’est-à-dire d une cause différente de celle sous les ins
pirations de laquelle je m’étais primitivement placé.
540. — Par exemple, les conventions peuvent être
frappées d’impuissance pour violation des formes pres
crites par la loi ou pour absence des conditions essen
tielles à leur validité. Il y a donc incontestablement
deux droits, dont l’un se borne à attaquer l’instrument
écrit de la convention, tandis que l’autre tend à enlever
à la convention elle-même toute possibilité d’existence.
Conséquemment, et malgré que les actions naissant de
l’un et de l’autre arrivent à un résultat identique, à
savoir : la nullité de la convention, il est évident que
ce qui aurait été prononcé contre le premier n’aurait en
rien, nous ne dirons pas décidé, mais même préjugé le
second, car une convention peut être très régulièrement
conforme aux prescriptions exigées par la loi pour sa
validité intrinsèque, et cependant se trouver dans le
cas d’être annulée comme manquant d’une des condi
tions qui en forment l’essence. C’est ainsi qu’après avoir
succombé sur l’instance en nullité d’un testament pour
vice de forme, on est très recevable à le faire annuler
pour insanité d’esprit, captation ou suggestion.
�n u DOL ET PE EA FRAUDE.
541. — Les applications de cette doctrine sont fré
quentes en jurisprudence. Ainsi il a été jugé notam
ment :
1° Que l’annulation d’un acte départagé, comme con
tenant aliénation d’un fonds dotal par le mari, n’est pas
une violation de la chose jugée par un arrêt précédent
qui a maintenu ce partage sur une demande en nullité
pour cause de lésion ; 1
2° Que le jugement qui rejette une demande en nul
lité d’une vente faite à un avocat, sous prétexte que
cette vente aurait pour objet une chose litigieuse, ne
fait point obstacle à la demande subséquente en nullité
du même contrat, comme n’étant pas réellement une
vente, mais comme constituant une antichrèse;2
3° Que lorsqu’une partie, ayant succombé dans sa
demande en révocation d’une donation pour survenance
d’enfants, se pourvoit en réduction de cette même dona
tion pour fournir la réserve, on ne peut lui opposer l’ex
ception delà chose jugée, résultant de l’arrêt qui arejeté
sa première demande. On ne peut la lui opposer surtout
si, lors de cet arrêt, elle était défenderesse à la demande
en exécution de la donation, sous prétexte qu’à ce titre
elle devait faire valoir en défense à cette demande tou
tes ses exceptions, et par conséquent sa prétention de
faire réduire la donation.3
542. — Peu importe donc que le résultat quepour1 Cass., 1b juin 1857; — J. D. P., t. j, 1838, p. 160.
2 Cass., 15 juin 1821; — D. P . , 21, 1, 422.
3 Cass., b juin 1821.
1
�ront présenter les deux instances soit le même, si d’ail
leurs la cause de ces deux instances est distincte et dif
férente. On ne peut confondre la cause avec l’objet
qu’elle se propose, et de même qu’il y a chose jugée
lorsque l’action, sans déterminer une conséquence par
faitement identique, est cependant fondée sur la même
cause que la précédente, de même il faut reconnaître
que l’exception de chose jugée n’est pas proposable
lorsque la chose demandée, étant la même, procède ce
pendant dans les deux instances d’un droit complète
ment distinct et différent.
543. —• D’autre part, on doit bien se garder de con
fondre la cause, principe de l’action, avec les moyens
qui n’en sont que le développement. Les moyens ne
sont, en effet, que les raisons de fait et de droit tendant
à justifier la cause alléguée, d’où la conséquence que
celui qui prétend se faire reconnaître créancier d’un
droit quelconque, étant tenu de le justifier, doit appeler
au secours de sa prétention tous les moyens qui sont de
nature à le faire admettre. Il serait absurde, en effet,
que chaque moyen devint le motif d’un nouveau procès,
car ce serait rendre les contestations interminables.
544. — La chose jugée sur un de ees moyens est
donc jugée pour tous, et celui qui, voulant réparer l’o
mission qu’il aurait commise, renouvelerait le litige, se
verrait inévitablement repoussé par l’effet du premier
jugement.
�DU DOL ET DE LA FUAUDE.
551
545. — C’est ce que la Cour de cassation a formel
lement décidé dans l’espèce suivante :
i Erhard avait été débouté par un arrêt de la Cour
de Colmar, du 24 décembre 1814, delà demande par
lui formée en nullité d’un acte du 16 floréal an x, sur
le fondement que l’un des témoins instrumentaires n’é
tait pas majeur.
a Plus tard, Erhard investit le tribunal de Belfort
d’une demande en nullité du même acte, sur le motif
que l’un des témoins instrumentaires n’avait pas la qua
lité de Français. Son adversaire lui oppose la chose ju
gée, résultant de l’arrêt du 24 décembre 1814.
« Cette fin de non-recevoir est repoussée par le tri
bunal ; mais, sur l’appel, le jugement est infirmé et
l’exception accueillie en ces termes :
« Attendu que par un précédent arrêt, du 24 décem
bre 1814, la nullité prétendue de l’obligation a été re
jetée, qu’ainsi cette obligation est défendue par l’auto
rité de la chose jugée; que l’intimé n’a pu, sans lui por
ter atteinte, remettre en question cette même nullité,
sous prétexte d’un autre vice de forme que celui qu’il
avait d’abord objecté; que la simple proposition d’un
nouveau moyen ne constitue pas une nouvelle cause de
demande ou d’exception ; que les cas rares où une par
tie peut, par des moyens qu’elle aurait omis de pro
duire, faire rétracter les jugements ou arrêts en dernier
ressort, sont énoncés parmi les ouvertures de requête
civile, voie que l’intimé n’a tenté, ni pu tenter.
« Erhard s’étant pourvu en cassation, la Cour régu
latrice rejeta son pourvoi. A la vérité, dit l’arrêt, lors
�55 ‘2
TRAITE
du premier arrêt, Erhard fondait la nullité alléguée sur
la minorité d’un témoin, tandis que lors du second il la
fondait sur la qualité d’étranger non naturalisé d’un
autre témoin. Mais ce n’était pas là une cause différente,
c’était Seulement un moyen nouveau, d’où il suit que
l’une et l’autre action ont eu évidemment le même objet
et la même cause, qui était la nullité de l’obligation
pour vice de formes.1 »
Depuis lors, de nombreuses décisions sont venues
confirmer cette doctrine,2 fondée elle-même sur cette
maxime de droit : In judicium omne jus ileditxmc videlur.
546. — C’est surtout en matière de nullité d’actes
que la distinction de la cause et des moyens est impor
tante. Ici, en effet, l’objet est le même, et la demande
sera inévitablement admissible ou non, suivant qu’elle
procédera d’une nouvelle cause, ou qu’elle ne consti
tuera qu’un moyen nouveau.
547. — À cet égard, toute difficulté cesse devant
un classement exact des causes pouvant déterminer
cette nullité. Nous avons dit que les moyens du fond
constituent une cause différente de celle résultant des
moyens de forme. On doit donc ranger les nullités dans
une double catégorie, à savoir : celles qui naissent de
l’irrégularité de l’acte, celles procédant de son invali1 Cass., 5 février 1818.
* Vid. Dalloz jeune, Dictionnaire de jurisprudence et Supplément,
vis chose jugée, n° 135.
�jugement
aucune influence sur l’autre.
Mais il comprend virtuellement tous les moyens à
l’aide desquels les nullités de cette catégorie peuvent
être obtenues. Ainsi l’irrégularité de l’acte peut tenir à
la violation d’une formalité essentielle, à l’oubli d’une
mention exigée parla loi, à l’incapacité du notaire, à
une erreur sur l’âge, la qualité ou la capacité des té
moins. Oi'ce ne sont, pas là des nullités distinctes. L’en
semble de ces faits ne constitue qu’une seule et même
nullité. Dès-lors, si le juge, appréciant l’une de ces ex
ceptions, l’a rejetée en déclarant l’acte régulier, cet acte
est désormais à l’abri de toute attaque sous ce rapport,
En d’autres termes, il y a chose définitivement jugée
sur sa régularité.
On peut encore l’attaquer pour vice intrinsèque, à
savoir : pour cause de dol, de violence, d’erreur, d’in
sanité d’esprit, mais on déciderait pour ces moyens ce
que nous venons d’établir pour ceux de forme. Ainsi, le
jugement qui repousserait l’un d’eux créerait la chose
jugée contre tous les autres, s Dans les nullités de ce
genre, dit Toullier, 1la cause prochaine de l’action est
le défaut de consentement. Le dol, l’erreur, la violence,
l’insanité d’esprit, l’incapacité de la partie, ne sont que
des moyens de prouver que le consentement n’a pas
été ou ne pouvait pas être donné. » Conséquemment,
celui qui, pouvant exciper de plusieurs, n’en a fait va
loir qu’un seul à l’appui de sa demande, ne peut, après
1 T. x, n° 165.
I
y
: ri
�554
TRAITE
avoir succombé, renouveler le procès et exciper des
autres. Le jugement qui déclare le consentement sin
cère et régulier s’oppose à ce qu’on soutienne plus tard
le contraire.
Ainsi, il n’y a qu’une nullité en la forme, qu’une nul
lité au fond. Celui qui en excipe doit l’étayer de tous les
moyens à sa disposition, sous peine d’être non-rece
vable à exciper plus tard de ceux qu’il aurait omis.
Mais il est certain que la partie qui n’en aurait fait va
loir qu’un seul en première instance est recevable à les
proposer tous en cause d’appel, l’article 46-4 du Code
de procédure civile, qui prohibe en appel toute de
mande nouvelle, restant forcément étranger aux mo
yens nouveaux à l’appui de la même demande. Or, nous
venons de le dire, chaque grief distinct, soit en la for
me, soit au fond, ne constitue qu’un moyen et non une
cause.
548. — Troisième condition. Identité de parties,
agissant en la même qualité.
La partie qui n’a pas figuré dans une instance ne
saurait être liée par le jugement qui l’a terminée. Mais
elle ne peut à son tour l’invoquer : Res inter alios judicata, neque emolumentum his qui judicio non interfuerunl, neque præjudicimn soient irrogare. 1
La présomption de vérité résultant de la chose jugée,
alors même que l’erreur en est démontrée, est certes
assez exorbitante pour qu’on doive la restreindre dans
1 L. 2, Cod. quitus res jud. non nocet.
�DH DOL ET DE LA FRAUDE.
555
•ses bornes naturelles. Or, s’il est rationnel qu’une dé
cision souveraine règle à l’avenir les droits de ceux qui
y ont concouru, il serait injuste de l’imposer comme loi
à ceux qui n’ont pas même été appelés à user du droit
le plus imprescriptible, celui d’une légitime défense.
Ainsi, la personne demeurée étrangère au jugement
est toujours recevable à soutenir et à faire prévaloir le
contraire de ce qui a été décidé. La partie condamnée
peut, elle-même, faire admettre contre cette même per
sonne le contraire de ce qui a été admis en faveur de
celui qui a obtenu le jugement. L’équité, en effet, vou
lait que, par cela seul qu’on ne peut être atteint par un
jugement, on ne fût pas admis à en revendiquer le bé
néfice. Cette conséquence n’était que l’indispensable
corollaire de la première.
Vainement se récrierait-on contre le scandale de ces
décisions contradictoires. Ce scandale est plutôt appa
rent que réel, car ce qui peut être vrai pour l’un peut ne
pas être vrai pour l’autre. D’ailleurs, apparent ou vrai,
dit Toullier, ce scandale ne peut être une raison suffi
sante pour violer la première règle dejusticeet pour me
condamner sans m’entendre, en m’appliquant un juge
ment lors duquel je n’ai pu déduire les moyens qui eus
sent amené une décision contraire. La disposition de
l’article 1351 prouve que telle a été l’opinion du légis
lateur.
L’exigence de l’identité des parties est donc équi
table et juste. Nous allons résumer les divers cas dans
lesquels elle doit être admise.
�556
TRAITÉ
549. — On est partie dans un jugement, non-seu*
lement par soi-inême, ruais encore par les personnes
qui ont qualité et droit pour nous représenter. Tels
sont les ayant-cause, les mandataires, les administra*
leurs légaux.
550. — 1° Ayant-cause :
Les héritiers, les légataires universels sont évidem
ment les ayant-cause du défunt. Ils sont censés con
tinuer son individualité. Ils ne font avec lui qu’une
seule et môme personne. Dès-lors, si j’ai fait juger con
tre le défunt qu’une obligation que j’avais contractée
envers lui est le résultat du dol, ses héritiers ou lé
gataires ne pourraient plus m’actionner en vertu de la
meme obligation, sans être repoussés par l’exception de
chose jugée. Par réciprocité, cette exception me serait
applicable si, ayant succombé dans ma demande contre
le défunt, je voulais la renouveler contre ses héritiers
ou légataires.
551. — Le donataire, les légataires particuliers sont,
pour tout ce qui concerne l’objet donné ou légué, au
lieu et place du donateur ou du testateur. Ils agissent
réellement, quant à ce, loco hœredum. Les jugements
rendus en faveur ou contre leur auteur conservent donc,
à leur égard, l’autorité de la chose jugée, Ils créent
donc un obstacle invincible à ce qu’ils puissent ac
tionner ou être actionnés à raison du même objet et
pour la même cause.
�DU
d OL e t d e l a f r a u d e .
557
552. — Mais si l’héritier, les légataires et dona
taires sont chacun en droit soi les ayant-cause de leur
auteur, ils ne le sont nullement les uns des autres. Cha
cun d’eux agit en une qualité qui lui est propre et ne
saurait engager l’autre que s’il en a reçu le mandat
formel.
De là il résulte : 1° que la chose jugée contre un hé
ritier agissant pour la part lui obvenue dans la succes
sion, ne saurait nuire ou profiter à son cohéritier, alors
môme que celui-ci agirait en vertu du même titre de
créance ayant fait la matière du premier procès.
Ainsi, une créance de 4,000 francs est échue par moitié
au lot de Joseph et par moitié à celui de Jacques. Joseph
actionne le débiteur pour ses 2,000 fr. Celui-ci soutient
que la créance n’émane pas de lui ou qu’elle est le ré
sultat de manœuvres dolosives et frauduleuses'. Cette
prétention est accueillie et Joseph débouté de sa de
mande par un jugement qui acquiert l’autorité de la
serait chose jugée.
Plus tard, Jacques demande le paiement des 2,000fr.
qui lui sont échus.Cette demande a la même cause que
celle de Joseph, à savoir: letitre de 4,000 francs annulé
par rapport à celui-ci. Mais l’exception de chose jugée,
que le débiteur voudrait tirer du premier jugement,
inadmissible par deux raisons :
D’abord, parce qu’il n’y aurait pas dans les deux ins
tances identité des parties. Jacques n’est pas l’ayantcause de Joseph. Comme celui-ci, il agit en vertu d’un
droit propre et personnel, qui n’a jamais pu se con
fondre avec celui de Joseph, et qui, dès-lors, n’a nulle-
�558
TRAITE
ment été agité lors du premier procès. Le jugement qui
a mis fin à ce procès reste donc pour Jacques res inler
altos judicata, sans qu’on pût le lui opposer, tout com
me il ne pourrait en exciper lui-même pour empêcher
le débiteur de renouveler les exceptions dont ce juge
ment l’aurait débouté.1
De plus, il n’y a pas identité d’objets, car, comme
l’observe Pothier, et aprèsluiM.TouIlier,les2,000francs
réclamés par Jacques ne sont pas les 2,000 francs que
Joseph demandait. Ces deux sommes procèdent bien
d’une origine commune, mais elles se sont divisées en
passant sur la tête des héritiers et sont devenues deux
capitaux distincts, n’ayant rien de commun l’un avec
l’autre. Leur annulation ne saurait donc être prononcée
que contradictoirement avec chacun de leur proprié-taire.
Conséquemment, le débiteur ne pourra se soustraire
à la demande de Jacques qu’en faisant admettre contre
lui les exceptions qu’il a fait consacrer à l’égard de
Joseph.
2° La chose jugée contre le légataire universel ne
saurait être opposée aux légataires particuliers, ni leur
profiter, alors même qu’il s’agirait de la nullité de l’ins
titution. Ainsi, l’annulation du testament, pour cause
de dol, de captation ou pour vice de forme, serait sans
influence sur le sort des légataires particuliers qui se
raient demeurés étrangers à l’instance.
Le contraire était admis en droit romain. Mais cela
1 L. 22, Dig. de exccpt. rei jud.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
559
ne tenait nullement aux principes de la chose jugée; ce
résultat n’était que la conséquence de la maxime par
tira testatus, partim intestatus nemo decedere potesl.
Notre loi admettant le cumul des successions testa
mentaires et légales, la décision du droit romain ne
pourrait être suivie que si l’on admettait que le légataire
universel représente les légataires particuliers, et qu’il
y a chose jugée pour ceux-ci dans le jugement rendu
en faveur' ou contre celui-là. Or, cela ne pourrait être
consacré que s’il y avait identité de personnes entre eux,
et nous venons de voir qu’on ne saurait l’admettre.
553- — L’acquéreur est l’ayant-cause du vendeur
relativement à ce qui a fait l’objet de la vente et pour
tous les actes antérieurs au contrat. Personne ne peut
céder à autrui des droits plus étendus que ceux qu’il
possède lui-même, et la chose grevée en mes mains ne
peut être transmise par moi qu’avec les mêmes char
ges. Conséquemment, les jugements rendus contre le
vendeur, ou obtenus par lui, nuisent ou profitent à
l’acquéreur, il ne pourrait être attaqué ou attaquer luimême, pour tout ce qui en a fait la matière, sans que la
chose jugée fût opposable.
554. — Mais Je vendeur n’est dans aucun cas l’ayantcause de l’acquéreur : Julianus scribit exceptionem rei
judicatœ, a persona autoris ad emptorem transire solere, rétro aulem ab emptore ad autorem reverli non
debereS Cette décision se justifie très bien en raison et
J L. 9, Dig. de except. rei jud.
�560
TRAITE
en droit. On n’a pas à craindre, en effet, que le proprié
taire, qui ignore peut-être encore qu’il vendra sa pro
priété, veuille laisser grever cette propriété au préju
dice d’un futur acquéreur. On est donc certain qu’il fera
tous ses efforts pour empêcher la réussite de l’action
dirigée contre lui. D’ailleurs, l’acquéreur, au moment
de la vente, connaît ou doit connaître tout ce qui se rat
tache à la propriété qu’il acquiert. Il se soumet donc, en
l’acceptant, à toutes les obligations du vendeur.
On peut dès-lors, et sans injustice, le considérer
comme lié par les jugements rendus contre son ven
deur. Mais ce ne serait pas sans danger pour ses inté
rêts qu’on obligerait celui-ci à accepter comme chose
jugée ce qui aurait été décidé entre des tiers et son ac
quéreur, pendant sa possession.
L’acquéreur, en effet, peut avoir intérêt à rompre
son marché, et trouver, dans la réussite des actions des
tiers ou dans l’échec de celle qu’il a lui-même formulée,
un motif de rupture. Il est évident que, en cet état, il
n’apportera pas tous ses soins à assurer l’une et à repouser l’autre, et si la décision pouvait être définitive
ment obligatoire contre le vendeur, celui-ci se trou
verait souvent condamné sans avoir été réellement
entendu.
Yoilà le péril que le législateur a pressenti et qui lui
a commandé de disposer que la chose jugée contre l’ac
quéreur ne pouvait jamais refluer contre le vendeur :
Rétro autem ab emptore ad autorem reverti non potest.
Conséquemment, si la chose aliénée rentre,parla ré
solution de la vente, entre les mains du précédent pro-
�I)U DOL ET DE LA ERAUDE.
561
priétaire, il l’a recouvre telle qu’il l’avait lui-même
transmise. Toutes les charges que des tiers seraient
parvenus à lui imposer disparaissent, sauf à ceux qui
les ont obtenues «à en faire judiciairement ordonner le
maintien contre lui.
555. — En thèse ordinaire, les créanciers sont les
ayant-cause du débiteur. Les jugements rendus en fa
veur de ce dernier, ou contre lui, sont donc profitables
ou nuisibles aux premiers. La chose jugée contre le
débiteur, l’est contre les créanciers. Ce principe est vrai
sans exception pour tous les créanciers postérieurs à la
date du jugement.
Quant aux créanciers antérieurs, il faut distinguer
entre ceux qui sont simplement chirographaires et
ceux dont la créance est garantie par une affectation
spéciale sur les immeubles.
Les premiers ne peuvent se soustraire à l’exception
de chose jugée qu’en soutenant que leur débiteur a agi
en fraude de leurs droits. Cette faculté, que l’article
1167 leur confère, constitue un droit personnel que le
débiteur n’a jamais pu aliéner ni altérer. Mais la fraude
ne se présumant pas, la charge d’en faire la preuve pè
serait tout entière sur ceux qui l’allegueraient. A défaut
de justification, les jugements rendus contre le débiteur
acquerraient contre les créanciers l’autorité de la chose
jugée.
Les créanciers ayant une affectation spéciale sur les
immeubles du débiteur, c’est-à-dire les hypothécaires
ou les privilégiés, ne peuvent voir leurs droits altérés,
�562
TRAITÉ
modifiés ou anéantis par le fait de leur débiteur. Consé
quemment, les jugements intervenus entre celui-ci et
des tiers, relativement aux immeubles affectés, ne peu
vent jamais préjudicier aux créanciers qui n’y ont été
ni parties, ni appelés.
Sans doute, aux termes de l’article 2125 du Code civil,
ceux qui n’ont sur l’immeuble qu’un droit suspendu
par une condition, ou résoluble dans certains cas, ou
sujet à rescission, ne peuvent consentir qu’une hypo
thèque soumise aux mêmes conditions ou à la même
rescision. Aussi, la certitude de l’existence de ces con
ditions, ou du principe de la rescision, déterminerait
infailliblement la perte de tous les droits du créancier.
Mais c’est cette existence au moment de la constitution
de l’hypothèque qu’il faut établir, et cela contradictoi
rement avec le créancier. Le jugement qui a désinvesti
le débiteur prouve bien qu’il n’était pas propriétaire au
moment de la demande, mais il n’établit rien, quant au
droit qu’il pouvait avoir au moment de l’emprunt qui
peut être de beaucoup antérieur. Ce jugement ne peut
donc acquérir l’autorité de la chose jugée sur ce der
nier point. Dans tous les cas, le créancier, seul intéressé
à justifier du droit de son débiteur, est d’autant moins
représenté par celui-ci, qu’il peut arriver que ce débi
teur trouve dans sa dépossession un avantage tel que sa
résistance n’aura pas été sérieuse.1
1 L. 29, § 1, Dig. de except. rei jud.; — L. 3, princ., Dig. de
pign. et hyplh. Conforme, Pigeau, OU., n°905; Touiller, t. x, n° 199;
fid ., sur lés ayanl-cause, la discussion de Merlin,
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
556- — 2° Représentants conventionnels ou légaux.
Le mandataire, agissant en cette qualité, ne constitue
avec son mandant qu’une seule et même personne : Qui
mandat ipse fecisse videlur. Dès-lors, les jugements
rendus sur les poursuites du premier profiteront ou
nuiront au dernier, selon qu’ils auront été favorables
ou contraires. Le mandant ne pourra donc plus être
actionné ou actionner lui-même, quant à la chose ayant
fait la matière de l’instance intentée ou suivie par son
mandataire.
Toutefois , cela n’est absolument vrai qu’en tant
que le mandant avait capacité de se faire représenter
au moment où l’instance a été introduite et jugée.
Aussi la Cour de cassation a jugé, le 4 mars 1835, que
le jugement rendu contre un capitaine de marine,
comme représentant le propriétaire, mais postérieure
ment à la faillite de celui-ci, ne peut être opposé aux
syndics comme ayant acquis l’autorité de la chose ju
gée, alors qu’ils n’y ont été ni représentés ni appelés.
557. — Ce qui est jugé contre le tuteur, est jugé
contre le mineur : Factum tuloris, factum papilli. En
conséquence, les personnes que le tuteur aurait fait
condamner ne seraient plus recevables à renouveler
le procès contre le mineur devenu majeur. A son tour,
celui-ci ne pourrait se soustraire aux adjudications pro
noncées contre le tuteur, sauf le droit de se pourvoir en
requête civile dans le cas de non-suffisante défense.
�o
64
TRAITÉ
me chef de la communauté, soit, comme administrateur
de la dot, sont censées jugées contre la femme malgré
qu’elle n’ait pas figuré dans l’instance. Elle ne pourrait
donc plus revenir contre ce qui a été décidé, sans s’ex
poser à être repoussée par l’exception de chose jugée.
En effet, si elle n’a pas été personnellement en cause,
elle a été valablement représentée par son mari, auto
risé à agir pour elle et à l’engager.1Mais le mari se
rait tenu de l’indemniser des pertes que sa négligence
aurait occasionnées pour elle.
559- -- Ce qui est jugé entre la femme et un tiers
ne l’est pas entre elle et son mari, présent dans l’ins
tance pour l’assister et l’autoriser, ou comme exerçant
ses actions. C’est ce que la Cour de cassation a formel
lement consacré dans l’espèce suivante :
« Après le décès d’un sieur Rousseau, laissant des
enfants mineurs, un jugement du 18 pluviôse an vm,
avait délaissé à la veuve, en paiement de ses reprises ,
divers immeubles dépendants de la succession de son
mari. La veuve Rousseau, épousant le sieur Fresnais,
se constitua ces immeubles comme lui étant propres ,
avec stipulation expresse de remploi en cas d’aliénation.
« La terre de Varennes, un de ces immeubles, ayant
été vendue par les époux, ils ont acquis les domaines
de Douet et de Redefond, avec déclaration de l’origine
des deniers et de remploi au profit de la femme.
« Plus tard, les mineurs Rousseau, devenus majeurs,
‘ Vid. art.
1421, 1428, 1359,
1531 ei 1549 Cod. civ.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
565
ont fait annuler la liquidation de l’an viii. Cette nullité,
prononcée par un jugement de 1820, a été confirmée
par arrêt de la Cour de Rennes, du 51 mai 1821. La
restitution des immeubles a été faite aux enfants.
« En cet état, les époux Fresnais ayant fait prononcer
leur séparation de corps, il s’est agi de savoir si les do
maines de Douet et de Redefond, acquis en remplace
ment de celui de Yarennes, dont la femme a été évin
cée, devait appartenir à cette dernière, sans récom
pense, comme elle le soutenait, ou bien si, au contraire,
ces biens devaient être réputés conquêls de commu
nauté, comme le prétendait le mari, en excipant de la
chose jugée résultant de l’arrêt du 51 mai 1821.
« C’est dans ce dernier sens que se prononce le tri
bunal d’Angers, par jugement du 2 juillet 1822, con
firmé par arrêt de la Cour d’appel de la même ville, du
12 mars 1825.
« Mais, sur le pourvoi de la dame Fresnais, l’arrêt
de la Cour d’Angers est cassé par la Cour de cassation,
pour fausse application des principes relatifs à la chose
jugée.
« Attendu, dit la Cour suprême, que si, par les ju
gement et arrêt des 22 février 1820 et 51 mai 1821, la
liquidation du 18 pluviôse an vm, formant le titre de la
dame Fresnais, a été révoquée sur la réclamation de
ses enfants, tout ce qui en résulte, c’est que les droits
dont elle a longtemps joui ont été reconnus appartenir à
ces mêmes enfants, comme héritiers de leur père; qu’en
exécution de ces jugements, pouvait s’élever la ques
tion de savoir si les enfants avaient droit de revendiquer
�566
TRAITE
les biens que leur mère avait acquis à titre de remploi,
ou seulement ceux qu’elle s’était constitués propres et
qu’elle avait aliénés ; mais que cette question ne pouvait
être agitée qu’entre la mère et les enfants qui, seuls ,
avaient figuré dans ces jugements, et qui, seuls, avaient
qualité pour soutenir les débats auxquels ils pouvaient
donner lieu ; mais que le sieur Fresnais, qui n’avait paru
dans l’instance sur la liquidation de l’an vin, person
nelle à la mère, que du chef de sa femme et comme
exerçant ses droits, ne pouvait pas personnellement se
faire un titre de ces jugements de 1820 et 1821, rendus
en faveur des enfants, sans exciper, contre toute règle,
du droit d’autrui.1 »
La Cour de renvoi s’étant conformée à la doctrine de
la Cour de cassation, Fresnais se pourvut contre l’arrêt,
mais son pourvoi fut rejeté le 23 novembre 1826360. — Le fondement légal et juridique de cette
doctrine est la maxime que la chose jugée avec autrui
ne saurait profiter ou nuire : Res judicata aliis nec nocet, nec prodesl. Or, la prétention du mari de s’enrichir
par l’effet du jugement qui avait dépouillé la mère au
profit des enfants, était insoutenable. Tant que ces der
niers n’avaient pas revendiqué les biens et que leur
mère les possédait matériellement, ces biens étaient,
par rapport à l’époux, soumis à la loi du contrat de
mariage. Les en faire sortir en faveur d’un jugement ne
prononçant aucune adjudication au profit de l’époux,
�567
c’était réellement abuser du principe de la chose jugée,
ou tout au moins en faire la plus étrange application.
L’arrêt de la Cour d’Angers méritait donc la censure
dont il fut l’objet.
DU DOL ET DE LA FRAUDE.
561. -T- Les syndics d’une faillite sont les adminis
trateurs légaux des biens en dépendant. Ils représen
tent, quant à ce, le failli et les créanciers. Les jugements
rendus contre eux ou obtenus à leur requête constituent
donc la chose jugée en faveur ou contre le failli et les
créanciers; et si le premier reprend plus tard l’exercice
de ses actions, s’il est remis à la tête de ses affaires, il
n’en demeure pas moins obligé d’exécuter ces juge
ments, tout comme il serait en droit d’en recueillir le
bénéfice.
562. — Relativement aux créanciers, les syndics ne
les représentent que pour les rapports que chacun d’eux
peut avoir avec la faillite qu’ils administrent. De là cette
conséquence : que les jugements rendus contre les syn
dics n’affectent que les droits que les créanciers ont
contre la masse. C’est ce que la Cour de cassation a ex
plicitement consacré en décidant que les jugements qui
condamnent les syndics à satisfaire à une obligation par
eux prise au nom de la masse, n’ont pas l’autorité de la
chose jugée contre les créanciers personnellement; que
leur exécution ne peut être poursuivie contre ces créan
ciers que jusqu’à concurrence des forces de la faillite.!
1 Cass., 17 mars 1840; — J. D. P ., loin, i, 1840, p. ,546,
�568
traite
De là il résulte encore que les droits des créanciers
hypothécaires ou privilégiés, se trouvant placés en de
hors des éventualités de la liquidation, ne peuvent être
modifiés, altérés ou aliénés que par ces créanciers euxmêmes. Conséquemment, lesjugements obtenus contre
ou par les syndics, au préjudice de ces droits, ne pour
raient être opposés aux créanciers comme constituant
l’autorité de la chose jugée.1
563. — Dos syndics étant les continuateurs du failli,
tous les jugements antérieurs à la faillite doivent être
respectés par eux. Ils ne pourraient remettre en ques
tion ce qui en a fait l’objet sans être repoussés par
l’exception de chose jugée, sauf les cas de fraude spécia
lement prévus par les lois concernant les faillites.
564. — Il n’y a réellement aucune identité de per
sonnes entre le débiteur principal et la caution. Il sem
blerait dès-lors que la chose jugée avec l’un ne devrait
ni nuire ni profiter à l’autre. Cependant le droit romain
décidait nettement le contraire,2 et cette solution avait
été pleinement admise par notre ancienne jurispru
dence.
« La raison, dit Pothier, c’est que : la dépendance
de l’obligation d’une caution de celle du débiteur prin
cipal, à laquelle elle a accédé, fait regarder la caution
comme étant la même partie que le débiteur principal,
à l’égard de tout ce qui est jugé pour ou contre celui-ci,
1 Cass., H mars 1825.
* L. 21, §4 , Dig. de excepl.
rei jud.
�DU DOL 1!T DE LA FRAUDE.
569
C’est pourquoi si le débiteur principal a eu congé de la
demande du créancier, pourvu que ce ne soit pas sur
des moyens personnels à ce débiteur principal, la cau
tion, depuis poursuivie, peut opposer au créancier l’ex
ception rei juclicatæ.
« Le créancier ne peut, en ce cas, répliquer que c’est
res inter alios judicata. Car, étant de l’essence du cau
tionnement que l’obligation de la caution dépende de
celle du débiteur principal, qu’elle ne puisse devoir
que ce qu’il doit, qu’elle puisse opposer toutes les ex
ceptions in rem qui peuvent être par lui opposées, il
s’ensuit que tout ce qui est jugé en faveur du débiteur
principal est censé l’être en faveur de la caution, qui
doit à cet égard être censée la même personne que lui.
Vice versa, lorsque le jugement a été rèndu contre le
débiteur principal, le créancier peut l’opposer à la cau
tion et demander qu’il soit exécutoire contre elle. »
Les articles 20”6 et 2250 du Code civil prouvent que
ces règles sont passées dans le droit qui nous régit. Le
premier autorise la caution à opposer au créancier tou
tes les exceptions appartenant au débiteur principal et
qui sont inhérentes à la dette. Or, de toutes les excep
tions, celle de la chose jugée, ayant anéanti la dette, est
la plus importante, la plus décisive. Elle appartient in
contestablement au débiteur principal, on ne saurait
dès-lors la refuser à la caution sans violer l’article 2036.
Vainement dirait-on que c’est là une exception per
sonnelle au débiteur, que la loi défend à la caution d’in
voquer. Il n’y a d’autres exceptions de ce genre que
celles exclusivement attachées à la personne et résul-
�570
TRAITE
tant d’une qualité qu’elle seule peut invoquer. Ainsi
l’état de femme mariée, de mineur, d’interdit, etc......,
c’est là un motif de nullité de l’obligation, mais de nul
lité relative. La caution pourra d’autant moins s’en pré
valoir, que son engagement tient peut-être à la connais
sance de l’incapacité du débiteur principal et au désir
du créancier de se soustraire ainsi au danger qu’il re
doute. Si donc le jugement avait annulé l’obligation du
débiteur principal sur une de ces causes, la caution ne
pourrait l’invoquer. Alors, mais alors seulement, il s’a
girait d’une exception exclusivement personnelle au
premier.
D’autre part, l’article 2250 dispose que l’interpella
tion faite au débiteur principal, ou sa reconnaissance ,
interrompt la prescription contre la caution. « Il résulte
évidemment de cet article, dit Merlin,1 que dans les
poursuites exercées contre le débiteur principal, et dans
les actes qui, de sa part, tendent à les prévenir, la cau
tion est considérée par la loi comme ne formant avec
lui qu’une seule et même personne ; comme représen
tée par lui; et de là à la conséquence que le jugement
rendu contre le débiteur principal est censé rendu con
tre la caution, il n’y a qu’un pas qu’il est impossible de
ne pas franchir. » Telle est aussi l’opinion de Toullier.5
Merlin et Toullier admettent donc que ce qui a été
jugé par rapport à la dette, contre le débiteur principal,
réfléchit directement contre la caution, et de là ils con1 Q uest. de d ro it, chose ju g ée, § 18.
9 Toro- x, nos 209 et 210.
�DU DOL ET DE LA FltAUD E.
571
cluent avec raison qu’à défaut d’appel de la part de l’un,
l’autre pourra l’émettre de son chef, dans les trois mois
de la signification du jugement qui lui serait faite à
personne ou à domicile. Mais de là aussi résulte l’im
possibilité pour la caution de former tierce-opposition
au jugement. Le contraire, admis par la Cour de Lyon,
a été repoussé par la Cour de cassation.1 Toutefois, et
aux termes de la doctrine de la Cour suprême, cette
impossibilité n’existe que pour le cas où la tierce-op
position reposerait sur des moyens communs avec le
débiteur principal, déjà soumis au juge et appréciés
par lui. Si les moyens étaient purement personnels à
la caution, la tierce-opposition serait recevable.
La caution ne représente dans aucun cas le débiteur
principal. Dès-lors les jugements rendus en sa faveur ou
contre elle ne sauraient être opposables ou profiter à
celui-ci. L’identité des parties requise par l’article 1351
n’existerait pas dans les deux instances. Il ne pourrait
donc y avoir chose jugée.
Cette règle ne souffre aucune exception lorsque la
caution a été condamnée. Elle en comporte une dans
l’hypothèse contraire. En effet, si le jugement déclare
que la caution est libérée parce qu’elle a payé la dette,
le débiteur principal pourra s’en prévaloir par un dou
ble motif : 1° parce que le paiement a anéanti la dette
vis-à-vis du créancier, qui ne saurait prétendre être
payé par le débiteur, après l’avoir été par la caution;
2° parce que le jugement qui constate que celle-ci a
1 37 nov, 18J1.
jriMMT
nuimf
�572
TRAITE
payé lui donne le droit de se faire rembourser par le
débiteur. Ce jugement équivaut donc à une cession de
la part du créancier1, car il transfère, à proprement par
ler, la créance sur la tête de la caution, qui peut seule,
à l’avenir, en demander et en poursuivre le paiement.
Dans tous les autres cas, la libération obtenue par la
caution reste sans influence sur le sort du débiteur prin
cipal. Le jugement demeure pour celui-ci res inter
alios judieata, et il peut être condamné tandis que la
caution a été renvoyée de l’instance. Il n’y aurait même
là rien de contradictoire, car l’engagement de la cau
tion peut être irrégulier et nul, et la dette du débiteur
exister très légalement. Il reste donc nécessairement
obligé tant qu’un jugement ne l’a pas personnellement
et contradictoirement délié de ses obligations.
565- — Les débiteurs solidaires sont les représen
tants les uns des autres. Celui qui paye fait la chose de
tous, agit pour tous, et cette faculté il la puise dans les
principes régissant la solidarité. La dette solidaire n’est
qu’une seule et même dette, ceux qui l’ont contractée
se sont réciproquement donné le mandat d’agir un seul
pour tous. Le jugement rendu en faveur ou contre l’un
d’eux est donc censé rendu en faveur ou contre tous les
autres.
Cette conséquence nous paraît résulter expressément
de divers textes de lois. Ainsi l’article 1206 dispose que
les poursuites contre l’un des débiteurs solidaires inter
rompent la prescription à l’égard de tous les autres;
l’article 2249 ajoute que l’interpellation faite, conformé-
�573
frient aux articles ci-dessus, à l’un des débiteurs solidai
res, ou sa reconnaissance, interrompent la prescription
à l’égard de tous les autres. Enfin nous lisons dans l’ar
ticle 1365 que le serment déféré à l’un des débiteurs
solidaires profite à tous les autre®.
C’est cependant dans cet article qu’on a voulu puiser
un argument en faveur de l’opinion contraire. Le légis
lateur, a-t-on dit, se tait sur l’effet du serment déféré
par l’un des débiteurs solidaires, il n’admet donc pas
qu’il puisse lier les autres codébiteurs. D’où la consé
quence que si le débiteur solidaire peut améliorer la
position des autres débiteurs, il ne peut jamais la rendre
plus mauvaise; dès-lors, tout en profitant du jugement
favorable à leur codébiteur, les débiteurs solidaires ne
devraient pas être atteints par le jugement ayant con
damné celui-ci.
Les articles 1206 et 2249 répondent suffisamment à
ce qui fait la force principale de cette objection. L’un
et l’autre, en effet, prouvent que les actes faits avec, par
ou contre le débiteur solidaire, obligent les autres codé
biteurs. Le dernier reconnaît formellement au codébi
teur solidaire la faculté de priver ses codébiteurs du
bénéfice de la prescription et d’empirer ainsi leur posi
tion. On ne saurait donc, sous le prétexte d’un résultat
semblable, décider que le jugement rendu contre l’un
doit rester étranger à tous les autres. On fait très léga
lement, par l’intermédiaire delà justice, ce qu’il est per
mis de faire spontanément et volontairement.
Tout ce qui résulte de l’article 1365, c’est que la loi
a positivement exclu la délation du serment des actes
DU D OL E T D E LA F R A U D E .
�574
TRAITÉ
que le codébiteur solidaire peut faire au nom et dans
l’intérêt de tous les antres débiteurs. Le fondement de
cette exclusion est très rationnel, car le mandat qui
résulte de la solidarité est celui de se défendre mutuel
lement par rapport à la dette commune. Or, déférer le
serment, c’est renoncer à toute défense; c’est, en quel
que sorte, donner sans condition, 1 et, par conséquent,
agir en dehors des limites du mandat.
Ainsi, l’article 1365 considère la délation du serment
par le débiteur du même mil que la remise consentie
par l’un des créanciers solidaires ; et de même que cette
remise ne comprend que la part de ce créancier, ! de
même le serment déféré et accepté n’a d’effets qu’à l’en
contre du débiteur. Mais une exception, résultant d’ail
leurs d’un texte précis, n’a jamais eu pour effet de dé
truire la règle, elle la confirme au contraire, car sans
celle-ci l’autre était complètement inutile. Or, la règle,
en notre matière, étant que le débiteur solidaire agit
pour tous les autres codébiteurs, la conséquence à en
tirer, c’est que le jugement régulièrement obvenu con
tre l’un, produit tous ses effets contre les autres.
Bien entendu, au reste, que cela ne se produit que
pour les moyens communs et inhérents à la dette, car
les exceptions personnelles à chacun des débiteurs so
lidaires ne pouvant, aux termes de l’article 1208, être
invoquées que par lui, échappent forcément à l’autorité
du jugement, dans lequel celui qui est au cas de les faire
' Merlin, loco cilalo.
2 Art. 1198.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
575
valoir n’a pas personnellement figuré. Il serait donc tou
jours recevable à en exciper. Il pourrait même, dans
cet objet, former tierce-opposition au jugement. 4
566- — L’identité des parties exigée par la loi s’en
tend moins de leur condition physique que de la qua
lité en laquelle elles ont agi. Celui qui a figuré au procès
par le ministère d’un tiers a été réellement la seule par
tie intéressée. Il serait donc non-recevable à intenter
plus tard la même demande aussi bien que s’il avait
nommément et personnellement agi. Par une juste et
nécessaire réciprocité, celui qui n’a soutenu le litige
que comme mandataire d’un autre, pourra ultérieure
ment demander, en son nom propre, l’objet qui faisait
la matière du procès déjà jugé. Il est évident, en effet,
qu’exercer un droit au nom et dans l’intérêt exclusif
d’un tiers, ce n’est renoncer ni directement, ni indirec
tement au droit analogue qui peut vous appartenir per
sonnellement et sur lequel d’ailleurs le juge n’a pu ni
dû prononcer.
La même personne peut avoir deux droits qu’elle
n’est pas toujours obligée de cumuler lorsqu’elle pré
tend les exercer. Or, chacun de ces droits peut puiser
sa source dans une qualité différente. L’existence de ces
qualités autorise donc autant d’instances distinctes.
567. — Ainsi je revendique un immeuble en vertu
1 Conforme, Merlin, loco citalo; — Toullier, lom. x, n° 202;—~■
Pothier, n° 909.
�57(i
TRAITE
d’un droit personnel, Je suceombe. Plus tard, j’hérite
d’un tiers ayant sur cet immeuble un droit analogue à
celui que j’ai vainement réclamé. Je réalise de nouveau
l’action en revendication. Dans cette instance, comme
dans la première, la chose demandée sera la même, la
cause pourra être identique. Les parties seront physi
quement les mêmes ; cependant l’exception de chose
jugée ne sera pas recevable, parce que j’agis dans la se
conde en une qualité différente de celle que j’avais
dans la première. Le droit que j’y exerce ne m’appar
tenait pas dans l’origine, il reposait sur la tête de la
personne que j’ai été appelé à représenter. Elle pouvait
l’exercer sans craindre qu’on pût lui opposer le résultat
de la demande que j’avais intentée et à laquelle elle était
demeurée étrangère. Or, ce qu’on ne pouvait faire con
tre elle, on ne le pourrait contre moi, lorsque, appelé
à lui succéder, je fais valoir l’action qui lui appartient.
C’est par application de ce principe que l’ayantcause peut quelquefois revenir sur la chose jugée avec
sou auteur. C’est ce que la Cour de Toulouse a juste
ment admis en jugeant, le 16 juin 1856, que lorsqu’un
individu a été déclaré non-recevable à attaquer, pour
cause de simulation, un acte de vente par lui consenti,
ses enfants peuvent néanmoins, sans qu’on puisse leur
opposer l’autorité de la chose jugée sur l’action intentée
par leur auteur, attaquer ce môme acte de vente comme
contenant une donation déguisée dont ils demandent la
réduction. En effet, les enfants ont, pour tout ce qui
concerne leur réserve, un droit propre et personnel,
dont le père n’a jamais eu la disposition et qu’il n’a pu
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
57 1
ni altérer ni détruire. Us ne peuvent, dès-lors, être con
sidérés, quant à ce, comme les ayant-cause de leur
père, et, en cette qualité, liés par l’événement de l’ins
tance qu’il a soutenue.
En thèse ordinaire donc, chacun peut renouveler au
tant de fois l’action qu’il a de droits distincts, il peut,
après avoir succombé en son propre, agir comme re
présentant celui-ci, revenir ensuite comme l’ayantcause de celui-là. Il y a, en effet, autant de droits
différents qu’il y a de personnes distinctes, et chacun
de ces droits fournit une cause prochaine à l’action.
Mais nous supposons, dans cette hypothèse, que ces
divers droits ne se sont ouverts que successivement. Il
en serait autrement si, avant l’introduction de la pre
mière instance, ils reposaient tous sur la tête du pour
suivant. La confusion qui en serait résultée substitue
aux droits particuliers un droit unique, un patrimoine
exclusif, personnel à l’héritier, et à raison duquel il ne
saurait intervenir qu’un seul jugement, par la raison
qu’il ne pourrait jamais exister qu’une seule action :
Non enim pot est amplius chias separatirn movere, illte
enim actiones non surit amplius separalœ, cum in eaclem
personna concurranl. 1
La confusion de deux héritages amène donc celle des
qualités. Il n’y a plus de droit particulier an père, à la
mère dont on a hérité, et de droit personnel à l’hé
ritier. Celui-ci existe désormais seul et comprend de
plein droit tous les autres. D’où la conséquence que le
1 Pothier, Pand., Hv. 40,
i
t. 5, §
1 ; — vid.
L. 10,
Dig., de ad. cmpt.
33
N
�578
TRAITÉ
jugement intervenu sur une action intentée postérieu
rement à la confusion rend toute action ultérieure nonrecevable, alors même qu’on prétendrait l’exercer en
qualité d’héritier de tel ou tel. Le successeur, dit Toullier, doit et peut appeler au secours de son action tous
les moyens capables d’en assurer le triomphe, mais il ne
peut pas plus séparer les qualités d’héritier de son père,
de sa mère, qu’il ne pourrait séparer celles d’héritier de
son aïeul, de son aïeule, d’un oncle, d’un frère, etc...,
car si l’on admettait de pareilles séparations fictives,
quel serait le terme du procès? 1
Cet effet particulier de la confusion cesserait si celleci ne s’est pas opérée. Or, on sait que l’acceptation bé
néficiaire empêche toute confusion. Dès-lors, l’héritier
qui aurait réalisé cette acceptation serait à l’instar de ce
lui qui n’a recueilli les diverses successions que succes
sivement. Il pourrait donc exercer autant d’actions qu’il
y a de droits différents,sans qu’on pût lui opposer l’ex
ception de chose jugée sur l’une d’elles.
. — Telles sont les conditions exigées par l’ar
ticle 1 3 5 1 , conditions impérieuses et dont la réunion
peut seule constituer l’autorité de la chose jugée. Ces
conditions doivent être rigoureusement observées, car
l’action est de droit commun, et, dans le doute, c’est
en sa faveur qu’on doit se prononcer.
Cependant la jurisprudence a introduit une exception
quant à l’identité des parties. Elle a admis que Tins068
�Dû DOL ET DE LA FRAUDE.
579
tance, suivie de bonne foi et sans collusion avec l’hé
ritier apparent, créait la chose jugée en faveur et contre
l’héritier réel. Cette exception est juste en équité et en
raison. L’héritier apparent exerce valablement les ac
tions de la succession, on est obligé de s’adresser à lui,
comme de répondre à son attaque; et, puisque cette
obligation n’est que la conséquence de la négligence
de l’héritier réel, il ne serait pas rationnel de punir les
tiers en les rendant victimes de cette négligence.
La Cour d’appel de Pau a admis le principe à l’endroit
du propriétaire apparent. Elle a en effet décidé que les
jugements rendus sans collusion contre le possesseur
jouissant de tous les droits attachés à la propriété ont
l’autorité de la chose jugée contre le véritable proprié
taire qui ne s’est fait connaître qu’après la décision du
procès, qu’en conséquence celui-ci n’est pas recevable
à les attaquer par la voie de la tierce-opposition. Voici
les motifs puissants à l’aide desquels la Cour arrive à
cette solution :
i Attendu qu’il est de principe que le possesseur
est de droit réputé propriétaire de la chose possédée ;
tant que le propriétaire ne se présente pas ; que puisque
le possesseur jouit de tous les droits attachés à la pro
priété, il en résulte du moins que les actes qu’on est
contraint de faire avec lui ou contre lui, relativement à
la chose possédée, doivent être valables; qu’ainsi l’ar
ticle 1240 du Code civil, en renouvelant les dispositions
du droit romain, a déclaré que le paiement fait de bonne
foi à celui qui est en possession de la créance est vala
ble, encore que ce possesseur en soit plus tard évincé ;
�580
t r a it é
que par la môme raison ceux qui ont des droits à exer
cer, relativement à la chose possédée, doivent pouvoir
s’adresser au propriétaire apparent, tant que le véritable
propriétaire reste inconnu. Que, s’il en était autrement,
et que l’on fût obligé de recommencer avec les pro
priétaires qui étaient restés cachés , les procès jugés
contradictoirement avec les propriétaires apparents, le
litige pourrait devenir interminable au moyen de mutatations successives et secrètes ; enfin, les demandeurs
pourraient se trouver exposés à voir s’écouler, pendant
le cours des procédures vaines, un temps assez grand
pour éteindre leur action ou faire disparaître leurs
preuves; qu’un tel système, qui porterait le trouble dans
la société, est reprouvé par la justice, par la jurispru
dence et par l’opinion commune des auteurs. 1 i
Le pourvoi formé contre cet arrêt fut rejeté par la
Cour de cassation, le 7 juillet 1824. 11 est vrai que la
Cour suprême motive son arrêt plutôt sur le fait que sur
le droit. Mais, en présence de la doctrine si juridique de
la Cour de Pau, il y a lieu de croire que si son examen
eût été nécessaire, le sort du pourvoi n’eût pas changé.
569. — En résumé, la chose jugée, n’étant qu’une
exception, doit être sévèrement appréciée. Elle ne peut
être admise que dans les conditions que nous venons
d’examiner. Si ces conditions se rencontrent, toute nou
velle action est impossible, la première sentence ayant
complètement épuisé le litige et enlevé au magistrat
! 4 juilleH823.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
581
son caractère de juge : -Index postea quant semel sententiam dixit, postea judex esse desinit *. Cet effet ne se
réalise pas seulement à l’égard des juges qui ont rendu
la sentence, il régit tous les tribunaux français. Quel
que fût donc le juge investi de la connaissance du se
cond litige, il ne pourrait passer outre à l’examen et au
jugement, en présence de l’exception de chose jugée,
soulevée par une des parties.
1 Cette exception ne constitue dans tous les cas qu’un
avantage que la partie peut répudier. Le juge n’est donc
pas tenu de la consacrer d’office et de suppléer au si
lence de la partie. Il n’en est pas de même en matière
criminelle, la règle non bis in idem doit être toujours
rigoureusement appliquée. Le jugement qui l’aurait vio
lée, alors même qu’aucune des parties ne l’a invoquée,
n’échapperait pas à la censure du degré supérieur ou à
celle de la Cour de cassation.
SECTION II. — DE LA RATIFICATION.
SOMMAIRE.
570. Définition de la ratification faisant la matière de la
section.
* L. 55 et 62, de re jud.
�b
582
T R A IT É
571. Fondement juridique de cette fin-de non-recevoir.
572. Principes généraux qui la régissent.
573. 1er principe. Capacité de la partie.
574. 2me principe. Vice purement relatif à l’intérêt privé'.
575. 3me principe. Acte nul ou sujet’ à rescision.
576„ Doit-on placer dans cette catégorie l’acte non signé
par toutes les parties ? Controverse entre Merlin et
Toullier d’une part, et Zacchariæ de l’autre.
577. Jurisprudence.
578. 4me principe. Effet rétroactif de la ratification.
579. 5®e principe. Liberté dans le consentement.
580. Conditions de la validité de la ratification expresse.
581. 1° Elle doit rappeler la substance de la convention.
582. 2° L’existence du vice.
583. Conséquences de cette condition à l’endroit des vices
autres que celui mentionné. Opinion de M. Favard
de Langlade.
584. Réfutation.
585. La ratification pour lésion exclut tout reproche ultérieur
de violence.
586. Mais non pour le reproche de dol.
587. Quid, si la ratification émanait de l’h éritier de celui qui
a.été violenté ou trompé?
588. 3° Elle doit rappeler l’intention de corriger le vice.
589. L’acte de ratification n’est soumis à aucune forme dé
terminée.
590. Exception lorsque l’acte à ratifier exige la forme au
thentique.
591. La ratification imparfaite peut être complétée.
592. Mais l’acte imparfait ne peut servir de commencement:
de preuves par écrit,, ni autoriser la preuve testimo
niale.
593. La ratification résultant de l’exécution est assimilée à
la ratification expresse.
594. Caractères de cette exécution.
595. 1° Actes devant la constituer.
596. L’existence des faits d’exécution estlaissée àla prudence
du juge.
�DU DOD ET DE LA FRAUDE.
583
597. L’acte d’exécution doit être personnel.
598. Positif et non équivoque.
599. Des offres de paiement non acceptées ne contiendraient
pas ratification.
■ 600. Il en serait de même d’une mesure conservatoire réa
lisée avant la demande en nullité.
601. L’exécution partielle suffit pour qu'il y ait ratification.
602. 2° L’exécution doit être volontaire.
603. Effet de l’erreur de droit, quant à la ratification.
604. Opinion de Toullier sur la ratification obtenue sous l’in
fluence de la menace d'une contrainte ou d’un procès.
605. Vices de cette doctrine.
606. 3° Epoque à laquelle l’exécution volontaire entraîne
ratification.
607. Questions que soulèvera ordinairement le litige.
608. A qui incombe la charge de prouver que la ratification
a été utilement donnée ?
609. L’exécution volontaire, après la connaissance du vice
dont cet acte est entaché, emporte l’intention de pur
ger ce vice.
610. Quid, si l’exécution découle de la nature de l’acte ?
611. Le paiement intégral ou partiel d’une lettre de change
ou de tout autre effet négociable, entre les mains du
tiers-porteur, n’est point une ratification.
612. Les principes applicables aux obligations s’appliquent
aux libéralités.
570. — En droit, la ratification obéit à des princi
pes différents, selon qu’elle s’applique à un acte vala
blement fait au nom et dans l’intérêt d’un tiers, ou à
une convention que les parties contractantes peuvent
faire rescinder ou annuler. La première est régie par
l’article 1998 du Code civil, la seconde par l’article 1338.
C’est de cette dernière que nous nous occupons exclu
sivement.
�584
TRAITE
Dans le sens de l’article 1558» ratifier un traité, c’est
en reconnaître la légitimité ; c’est consentir à ce qu’il
soit exécuté dans un temps plus ou moins prochain.
Toute prétention ultérieure, tendant à contester l’une
ou à empêcher l’autre, serait donc essentiellement con
traire à l’acte de ratification. Celte contradiction ren
drait l’action non-recevable.
571. — Cette fin de non-recevoir a son fondement
juridique dans ce principe : qu’il est loisible à chacun
de renoncer à un droit existant à son profit. Or celui
qui, pouvant faire annuler ou rescinder une obligation,
consent à en resserrer le lien ou, mieux encore, à l’exé
cuter, ne saurait prouver plus énergiquement qu’il en
tend répudier la faculté de décliner les conséquences de
son engagement.
Aussi le législateur a-t-il placé sur la même ligne la
ratification expresse, résultant de l’acte de reconnais
sance ou de confirmation de l’obligation nulle ou res
cindable, et la ratification tacite que l’exécution entraîne
par elle-même, c’est ce que dispose textuellement l’ar
ticle 1558, en indiquant les caractères et les conditions
de chacune d’elles.
572. — Avant d’entrer dans l’examen de ces condi
tions, il n’est pas sans intérêt de rappeler quelques prin
cipes généraux qui doivent les régir, nous arriverons
ensuite aux caractères constitutifs, particuliers à chaque
espèce de ratification.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
585
573. — Premier principe. La ratification renfermant
l’aliénation d’un droit, il faut, pour être capable de ra
tifier, avoir la capacité d’aliéner. Ainsi le mineur, l’in
terdit, la femme mariée, dans les cas prévus par la loi,
ne peuvent légalement ratifier tant qu’ils sont dans les
liens de la minorité, de l’interdiction, du mariage.
374. — Deuxième principe. Le vice dont on entend
■ purger le contrat doit être uniquement relatifà l’intérêt
privé des parties. La ratification s’appliquant à une
nullité d’ordre public serait complètement inefficace.
Atteinte du même vice que l’obligation primordiale,
elle 11’échapperait pas au sort que la loi réservait h
celle-ci.
Il ne dépend pas, en effet, des parties de modifier les
dispositions sanctionnées dans un intérêt général et pu
blic. Tout ce qu’elles feraient à cet égard ne créerait
aucun lien entre elles. Il leur serait donc toujours loi
sibles d’en faire prononcer l’infirmation. L’obligation
illicite ou contraire aux bonnes mœurs, nulle en prin
cipe, ne saurait être validée par l’effet de la confirmation
émanant de la même volonté qui eût été impuissante à
la consentir ab initio. Or, ce que la volonté clairement
exprimée ne pourrait faire, la volonté présumée ne sau
rait l’accomplir. L’impossibilité de ratifier expressé
ment entraîne de plein droit celle de ratifier tacitement.
Aussi l’exécution jusque là donnée, soit à la convention
nulle aux yeux de l’ordre public, soit à des conventions
de même nature, ne pourrait empêcher la consécration
de la nullité, dès qu’elle serait demandée. Ces divers
�586
TRAITE
points de doctrine, consacrés par les auteurs, résultent
d’une jurisprudence imposante.
Ainsi il a été jugé que la ratification faite par un in
dividu devenu majeur, d’une condamnation avec con
trainte par corps, prononcée contre lui en minorité, est
radicalement nulle quant à la contrainte par corps.1
Qu’on ne peut admettre, comme une raison de vali
der un marché à terme illicite, l’exécution volontaire et
de bonne foi donnée précédemment à des conventions
de même nature.2
Que l’exécution, novation ou ratification d’actes ayant
une cause illicite, telle que l’usure, ne couvre pas la nul
lité de ces actes.3
11 est évident, en effet, que, dès que la tentative de
frauder la loi ne saurait produire aucun effet, on ne
pouvait, sans inconséquence, valider les moyens à l’aide
desquels les parties ont voulu pallier, dénaturer ou con
sommer la fraude. La prohibition de la loi qui proteste
contre la contravention, proteste aussi formellement
contre son exécution. Quelle que soit donc celle qu’elle
a reçue, et, en supposant même que ce qui aurait été
payé ne fût pas répétible, la demande en nullité pour
l’avenir ne devrait pas moins être consacrée.
Ainsi, le débiteur, ayant exécuté partiellement, sera
recevable à répudier la partie de ses engagements qui
reste encore à accomplir, à une condition cependant,
à savoir : que le motif d’ordre public déterminant la
1 Rouen, 1S novembre 1825.
2 Lyon, 51 décembre 1852.
•3 Cass., 51 décembre 1835.
�DU DOD ET DE LA FRAUDE.
587
nullité ait continué d’exister. Si ce motif n’était que
temporaire, et s’il avait cessé d’exister au moment où
la convention a été exécutée en tout ou en partie, cette
exécution pourrait constituer une ratification valable et
créer une fin de non-recevoir contre l’action en nullité
ultérieurement intentée.
La loi prohibe tout pacte sur succession future, toute
renonciation à la succession d’un homme encore vivant.
Cette prohibition est d’ordre public ; mais elle n’est
aussi que temporaire. La succession venant à s’ouvrir,
ceux qui sont appelés à la recueillir sont libres d’en dis
poser à leur volonté. Jusque là, le pacte ou la renon
ciation illicite n’a pu être ratifiée ni confirmée, mais elle
peut l’être dès ce moment, puisque le droit de l’atta
quer peut utilement être exercé. Conséquemment si,
au lieu d’user de ce droit, la partie intéressée ratifie le
pacte, confirme la renonciation; si elle exécute les obli
gations qui résultent de l’un ou de l’autre, elle ne saurait
revenir contre cette ratification. Vainement exciperaitelle du caractère primitif de l’acte. On lui répondrait,
avec raison, qu’après l’ouverture de la succession, l’or
dre public n’avait plus rien à démêler avec les stipula
tions dont cette succession pouvait être l’objet; que li
bres de traiter, les parties ont pu maintenir ce qu’elles
avaient déjà fait; qu’il suffit donc que le pacte réprouvé
dans l’origine ait été exécuté depuis le moment où la
prohibition d’ordre public s’est effacée pour qu’il doive
produire tous ses effets.1
I
�008
T R A IT E
575- — Troisième principe. On ne peut ratifier
qu’un acte nul ou sujet à rescision. La ratification sup
pose donc l’existence d’une obligation reconnue par le
droit positif. D’où Zacchariæ tire cette conséquence :
qu’on ne peut ratifier une obligation naturelle ou une
obligation inexistante.
576- — Doit-on ranger dans cette dernière caté
gorie l’obligation non revêtue de la signature de toutes
les parties? L'affirmative, soutenue par Merlin, dans un
réquisitoire du 27 août 1812,1a été consacrée par quel
ques arrêts. Elle s’étaye sur ce qu’un acte non signé par
les parties, faussement qualifié de contrat, ne crée au
cune action en justice; qu’il n’est donc pas susceptible
de ratification, car on ne peut confirmer que ce qui a
une existence réelle aux yeux de la loi, indépendam
ment du vice qu’il s’agit de faire disparaître.
La négative est vivement soutenue par Toullier.1
Pour ce jurisconsulte, l’absence de signature n’est
qu’une nullité d’intérêt privé. Or, il n’existe aucune
nullité de ce genre qui ne puisse être ratifiée. Ainsi, le
titre non signé ne fait pas preuve de l’obligation, les
parties sont présumées ne pas l’avoir consentie. Mais
cette présomption 11e disparaît-elle pas lorsque celui qui
pouvait s’en prévaloir, et obtenir l’anéantissement de
l’acte, l’a volontairement exécuté ou a consenti à ce
qu’il le fût plus tard ? C’est ce que Merlin a pensé lui-
�'
DU DOL E t DE LA FRAUlVE.
589
même en abandonnant l’opinion qu’il avait d’abofd sou
tenue pour adopter celle de Toullier. 1
L’accord de ces deux maîtres n’a pas convaincu Zacchariæ. Il ne peut, dit-il, adopter les motifs sur lesquels
ils se fondent, ni admettre que les obligations réelle
ment inexistantes soient susceptibles de ratification.
II est certain qu’en raisonnant dans l’hypothèse ad
mise par Zacchariæ, à savoir : celle où, au moment de
conclure une convention, l’une des parties refuse de si
gner l’acte qui doit en constater l’existence, il faut dire,
comme lui, que ce refus de signature équivaut à un re
fus de contracter, qu’il n’y a donc pas eu réellement de
convention.
Mais le défaut de signature à l’acte peut tenir à de
tous autres motifs ; il peut être le résultat d’une omis
sion involontaire, d’une négligence. Il est évident, dans
cette hypothèse, que l’obligation existe, malgré l’im
perfection du titre qui la constate.
Or, il est un moyen certain, positif de reconnaître
dans quelle catégorie on doit ranger l’obligation que
rellée pour défaut de signature; ce moyen, c’est la con
duite des parties qui le fournit. Évidemment, si le refus
de signature lient au refus de contracter, on peut fa
cilement prévoir qu’il ne viendra à l’esprit d’aucune
d’elles de confirmer ce qu’elle n’a pas voulu faire et
moins encore de donner à l’acte aucune exécution. Si
donc l’acte a été confirmé, s’il a été exécuté, il faudra
nécessairement admettre que, sous un titre irrégulier,
Q uest. de d ro it,
v° r a tif., n° 5.
�590
.
T R A IT E
existait une obligation Certaine, positive, conséquem
ment susceptible de ratification.
L’auteur de cette ratification essaierait donc vaine
ment d’en répudier les effets. C’est parce qu’on ne ra
tifie pas ce qui n’a jamais existé, qu’on verrait dans sa
conduite la preuve de l’existence de l’obligation ; que
le titre primordial n’eût pas de force probante, que cet
état des choses dût faire prononcer la nullité de l’obli
gation, c’est ce qui est incontestable, mais c’est ce qui
se réalise dans tous les cas de nullité. La ratification
n’a pas d’autre objet que de remédier à cet inconvé
nient. Dès-lors, celui qui, placé dans cette alternative
ou de faire annuler la convention ou de la ratifier, a
opté pour ce dernier parti, a suffisamment prouvé la
sincérité de l’obligation qu’il exécute ou qu’il consent à
exécuter.
On ne doit donc pas confondre l’obligation réelle
ment inexistante avec celle résultant d’un titre impar
fait. Il n’est plus permis surtout de s’y tromper, lors
que celui qui est seul intéressé à la ruine du titre a for
mellement ou tacitement déclaré renoncer à s’eu pré
valoir. A dater de cette renonciation, il ne lui est plus
permis de prétendre que son obligation n’existait pas.
577. — C’est dans ce sens que s’est prononcée la
jurisprudence. Ainsi, la Cour d’Amiens a jugé, le 24
prairial an xm, que la nullité, résultant de l’absence de
signature de l’une des parties, est couverte par la de
mande d’exécution de la partie signataire et que le dé
faut de signature d’un acte synallagmatique peut être
�DU DOL ET DE LA FHAUDE.
591
réparé par une accession postérieure et par le consen
tement donné avant la demande en nullité. '
Ce principe a été, plus virtuellement encore, con
sacré par la Cour de cassation dans une espèce fort
remarquable. La Cour de Poitiers avait décidé que
l’exécution donnée à une transaction non signée par les
parties renfermait une ratification valable. Cette déci
sion était déférée à la Cour de cassation, comme ayant
faussement appliqué l’article 1338 du Code civil.
Cet article, disait le demandeur en cassation, n’est
applicable que lorsque la nullité provient d’un défaut
de capacité ou de consentement et non d’un vice de
forme. En effet, si l’on admettait qu’un contrat qui,
comme la transaction, doit être nécessairement prouvé
par écrit, pût se prouver par l’exécution, quand l’acte
n’a point reçu son complément, l’obligation d’une
preuve écrite deviendrait illusoire, puisque les faits
d’exécution étant de nature à s’établir par témoins, il
serait toujours possible de suppléer la preuve écrite à
l’aide de la preuve testimoniale.
Comme on voit, la question était nettement posée
devant la Cour de cassation. Voici comment elle a été
tranchée : Attendu que l’exécution donnée par toutes
les parties à l’acte du A août 1807 s’opposait à ce qu’il
pût être proposé aucune nullité, s’il y en avait à pro
poser contre cet acte, la Cour rejette le pourvoi.’
Il est vrai que la même Cour a jugé, le 6 juillet 1836,
1 Dalloz A., t. x, p. 712.
s 19 novembre 1820.
�592
TRAITE
qu’un acte de partage radicalement nul, faute d’avoir
été signé par les parties, ne pouvait pas être ratifié par
l’exécution, parce qu’il n’avait jamais existé. Mais il est
à remarquer que dans cette espèce les parties avaient
fait constater parle notaire leur refus de signer; dèslors, l’exécution donnée aux dispositions projetées ne
pouvait être que la conséquence de la qualité des par
ties et ne constituait qu’un partage provisionel. Ajou
tons que le copartageant qui avait refusé de signer était
une femme mariée et que l’exécution faite par le mari
ne pouvait, dans aucun cas, être considérée comme une
ratification par la femme.
La Cour de cassation aurait-elle décidé de même si
le partage était intervenu entre majeurs et capables ?
Si l’acte n’eût pas constaté le refus de signer de la part
de la partie? Si l’exécution avait été strictement con
forme à ses dispositions ? Il est permis d’en douter.
L’arrêt que nous venons de rapporter prouve que ce
doute n’est pas sans fondement.
Au reste, on comprend qu’en matière de partage il
est difficile de décider si l’exécution donnée à l’acte nul
a été la conséquence de cet acte ou si elle n’est que le
résultat d’un accord tacite entre les copartageants.
Mais cette difficulté n’existe plus lorsqu’il s’agit d’obli
gations en général. Siérait-il, par exemple, à un ven
deur de contester la sincérité de l’acte non signé, si de
puis cet acte, et en lorce de ses stipulations, il avait reçu
le prix et délivré la chose ?
L’arrêt de 1856 est un arrêt d’espèce plutôt que de
principe. Il n’affaiblit donc en rien l’autorité de celui
�DU D O L E T DE LA F R A U D E .
de 1820, au principe duquel se sont rangés un grand
nombre de Cours et tribunaux. 1 La Cour d’Aix, no
tamment, a jugé, le 26 janvier 1847, sur ma plaidoirie,
que l’acte d’attermoiement exécuté par toutes les par
ties ne pouvait plus être querellé pour défaut de signa
ture, soit du débiteur, soit de quelques créanciers.
Ainsi, l’absence de signature à l’acte fait présumer
l’inexistence de l’obligation, mais elle n’en est pas une
preuve péremptoire. La ratification postérieurement
donnée justifie le contraire; elle est donc valable, car il
y a réellement dans ce cas une obligation nulle aux
yeux de la loi et, dès-lors, susceptible d’être confirmée.
On ne peut distinguer là où le législateur n’a pas dis
tingué lui-même. Conséquemment, que la nullité pro
vienne de l’incapacité de la partie, d’un vice de consen
tement ou d’un vice de forme; qu’elle altère le carac
tère essentiel de l’acte ou sa force probante, la ratifica
tion la fait également disparaître ; en d’autres termes,
l’acte existe malgré la nullité, et il n’est pas, comme
l’enseigne Toullier, de nullité fondée sur l’intérêt privé
qui ne puisse être réparée par la ratification expresse
ou tacite.
578. — Quatrième principe. La ratification a un
effet rétroactif. L’acte valablement ratifié est présumé
se suffire ab initio. Il produit donc, en faveur du créan
cier, tous les effets dont il est susceptible à partir de sa
date.
1 Pau, 17 décembre 1824;— Cass., 2 novembre 1825; — Toulouse;
18 janvier 1828 ; — Cass., 1er mars 1850.
Ui'
!
�594
TRAITE
Toutefois, les droits acquis à des tiers, dans l’inter
valle de l’acte à la ratification, ne peuvent recevoir de
celle-ci ni modification ni altération. Comme l’intérêt
public lui-même, le droit des tiers est au-dessus et en
dehors des stipulations des parties. Or, la ratification
peut bien nuire à son auteur, mais elle ne saurait rétroagir contre ceux qui ont traité avant sa réalisation.1
L’effet rétroactif de la ratification est donc purement
personnel aux parties. C’est ce qui a déterminé la Cour
de cassation à décider que la ratification du mari, sans
le concours de la femme, est impuissante pour effacer
les vices d’une obligation contractée par celle-ci, sans
son consentement et sans son autorisation. *
579. — Cinquième principe. La ratification doit
émaner d’une volonté éclairée et libre. C’est ce prin
cipe qui a dicté les conditions que l’article 1538 impose
à la ratification.
580. — Aux termes de sa disposition, l’acte de ra
tification expresse n’est valable que s’il renferme la
substance du titre primordial, la mention du motif de
l’action en rescision, l’intention de réparer le vice sur
lequel elle est fondée.
581. — 1° Substance de la convention. Tonifier
enseigne qu’il faut entendre par là la relation de ce
1 Cass.,16 janvier 1857 ; — Paris, 25 juillet 1838; — Douai, 20 juin
1838 ; — D. P., 57, i, 62,39, 2, 8, 40, 2, 33.
* 26 juin 1839 D. P,, 59, i, 249;—Conf., Cass., 12 février 1828.
�1)0 D O L E T D E L A F R A U D E .
595
qui est essentiel à l’existence de l’obligation. On n’a
donc pas besoin de transcrire l’acte en son entier, il
suffît de rappeler les clauses constitutives de l’engage
ment qu’on s’était proposé de souscrire et qu’on veut
confirmer. La substance de l’obligation est valablement
indiquée toutes les fois qu’il est impossible de se mé
prendre sur la nature de cet engagement.
582. — 2° Mention du vice autorisant l’action en
rescision. L’article 1558 s’occupe de la ratification de
la convention et non de celle de l’acte nul pour vice de
forme. Pour celle-ci, en effet, elle est plus facilement
admissible, parce qu’elle doit plus facilement se pré
sumer. Les nullités de forme sont odieuses. Aussi n’at-on pas hésité à considérer, comme entraînant l’inten
tion d’en répudier le bénéfice, le silence que la partie
garderait d’abord sur leur existence, la défense qu’elle
présenterait au fond. Cependant, ce point de doctrine
n’est pas unanimement admis, mais il est évident que
dans tous les cas la nullité extrinsèque de l’acte pour
rait être ratifiée comme l’action en rescision elle-même.
Pour le vice de rescision spécialement, la loi veut
qu’il soit clairement indiqué. L’aliénation résultant de
la ratification, portant sur un droit utile, sur une excep
tion péremptoire, ne se présume pas; elle doit clai
rement s’induire des termes de l’acte de ratification.
L’effet de cet acte se concentrera donc sur le vice qui
y est mentionné.
583. — De là cette conséquence que la renonciation
�596
TRAITÉ
à se pourvoir contre une convention pour la violence
qui lui aurait donné naissance, n’empéchera pas de
faire valoir ultérieurement la lésion qu’elle renfermerait
et sur laquelle les parties ne se sont pas expliquées.
Cette doctrine, évidemment calquée sur la lettre et l’es
prit de la loi, a cependant trouvé des contradicteurs;
pour la soutenir, dit Favard, il faut penser que la partie
qui a renoncé à l’un des moyens de rescision a pu vou
loir ne pas renoncer à l’autre; et dès-lors la ratification
n’est-elle pas un piège tendu à la bonne foi de l’autre
partie? Supposer l’intention de réserver les moyens de
faire annuler l’acte qu’on vient de confirmer, c’est sup
poser une fraude qu’on ne doit pas favoriser.
584. — Ces reproches ne prouvent qu’une seule
chose, à savoir : que M. Favard n’a pas suffisamment
tenu compte de l’esprit qui a dicté la disposition de
l’article 1538. La ratification n’pst utilement consentie
que si elle procède d’un consentement éclairé. Or, ce
caractère ne peut résulter que de la preuve que le dé
biteur connaissait, au moment où il ratifiait, le vice dont
l’acte était entaché.
A cette condition essentielle, le législateur en ajoute
une seconde ; il veut que cette preuve résulte de l’acte
de ratification. Or, cette preuve est complète, lorsque
l’acte énonce le motif de l’action en rescision.
Cette exigence du législateur est-elle injuste ? La ré
ponse est facile. La volonté de bannir toute apprécia
tion humaine dans des questions de cette nature ne
peut qu’être hautement approuvée. Permettre d’arriver,
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
597
à l’aide d’inductions, de présomptions, de la preuve
testimoniale elle-même, à constater une ratification,
c’était tomber dans les inconvénients inséparables de
ces modes de constatation et arriver souvent à con
sacrer le contraire de la vérité,
La loi a donc sagement agi en exigeant une preuve
que le consentement a été donné en connaissance de
cause, et en n’acceptant comme telle que l’indication
renfermée dans l’acte de ratification. Mais si c’est là la
pensée et le but de la loi, évidemment on ne pourra
considérer comme couvert que le vice mentionné par
les parties.
Comment dire, en présence du texte de l’article 1538,
que cette conclusion n’est qu’un piège, qu’une fraude
qu’on ne doit pas favoriser? Un piège pour le créancier?
Mais ne sait-il pas que la ratification ne lui sera utile
qu’en tant que le motif de l’action en rescision s’v trou
vera relaté? Pourquoi donc, si la convention est res
cindable par deux motifs, s’il a été dans son intention
et dans celle du débiteur de les purger l’un et l’autre,
pourquoi, disons-nous, ne les a-t-il pas mentionnés
tous les deux?Ce n’est qu’à ce prix que la loi lui promet
pleine sécurité pour l’avenir. Lui siérait-il donc de se
prétendre trompé, lui qui a commencé par dédaigner
les prescriptions de cette loi qu’il accuse?
M. Favard se préoccupe beaucoup trop des intérêts
du créancier, car, pour le défendre, il va jusqu’à com
promettre celui du débiteur. Cependant, si une fraude
était à redouter, c’est contre ce dernier qu’on pouvait
en craindre la réalisation. En effet, si le système que
�598
TRAITE
nous combattons était admis, il serait facile, en faisant
ratifier la convention sous un prétexte quelconque, de
se débarrasser de tout péril à l’endroit du vice réel
qu’elle pourrait renfermer. Cette éventualité seule suffi
rait pour prouver combien sage est la précaution dont
le législateur a usé.
De plus, on ne peut renoncer à un droit dont on
n’a aucune connaissance. Le silence que les parties
garderaient dans l’acte de ratification, sur tel ou tel
moyen de rescision, prouverait qu’elles ne l’ont pas
connu. Admettre cette connaissance, ce serait donner
à ce silence une portée bien plus significative. On ne
pourrait en effet l’interpréter que par le refus de rati
fier, car, dans le cas contraire et en présence de l’arti
cle 1538, le créancier n’aurait pas manqué de requérir
la mention indispensable pour qu’il jouît du bénéfice
de la renonciation.
Ainsi, que le silence de l’acte tienne à l’ignorance ou
au refus de ratifier, la conséquence est identique. Dans
le premier cas, il ne peut exister de ratification ; dans
le second, il n’en existe aucune. Dès-lors, repousser
sous ce prétexte la demande ultérieurement formée par
le débiteur, c’est se placer en contradiction manifeste
avec la loi, avec la justice,
En principe donc, ratifier une convention à l’endroit
d’un vice pouvant la faire rescinder, ce n’est pas renon
cer à se pourvoir contre ses dispositions pour un tout
autre motif, à moins cependant que l’existence de ce
nouveau moyen fût inconciliable avec la ratification.
Reconnaître qu’un acte n’est pas le produit de la yio.-
�DÛ DOL ET DE LA FRAUDE.
599
lence; ce n’est pas reconnaître nécessairement qu’il est
pur de toute lésion ; mais avouer que celle-ci n’existe
pas et se prohiber toute recherche à son occasion, c’est
convenir que la convention n’est pas le résultat de la
violence, car l’acte qui n’est pas lésif existe légitime
ment ; l’accepter comme tel, c’est dire qu’il a été libre
ment et volontairement souscrit, qu’il renferme un lien
quelconque, toutes choses qui sont incompatibles avec
l’idée de la violence.
Quel pourrait être, dans ce cas, le motif de la ratifi
cation? A quoi bon songer à la lésion si, le consente
ment manquant de son caractère essentiel, il n’a jamais
existé de convention? Le débiteur pourrait-il soutenir
avoir ignoré la violence dont il se prétendrait plus tard
victime? Évidemment cette ignorance ne serait même
pas proposable. Elle a, en effet, nécessairement précédé
la convention, la ratification elle-même. On ne peut
donc voir dans celle-ci, quel qu’en soit l’objet, qu’un
fait donnant d’avance le démenti le plus complet à
tout reproche s’attaquant à l’essence de l’acte.
585. — La renonciation à se pourvoir pour lésion
entraîne donc la non-recevabilité de toute action ulté
rieure fondée sur la violence. Ce n’est pas ici une induc
tion, une présomption plus ou moins probable. L’in
compatibilité profonde entre la ratification et l’existence
d’une violence dans le consentement à la convention
ratifiée, est une preuve décisive contre celle-ci. Le dé
biteur ne pourrait donc être relevé des effets de la rati-
�600
TRAITE
fication qu’en prouvant qu’elle! lui a été surprise par
dol ou arrachée par violence.
586- — Le dol agit dans le contrat de la même ma
nière que la violence. Comme celle-ci, il vicie le contrat
dans son essence, en enlevant au consentement tout ca
ractère de liberté. Il semblerait donc que le reproche
de dol, proposé après une ratification pour cause de'
lésion, devrait subir le même sort que le repro'che de
violence.
Mais il existe entre ces moyens de rescision une
nuance essentielle à retenir. La violence a nécessaire
ment précédé la ratification, tandis que le dol peut
n’être découvert qu’après. En cet état, faire de la dé
chéance un principe absolu contre le dol, ce serait con
sacrer, dans un cas donné, une injustice, et admettre
qu’on a pu renoncer à un droit dont on ne soupçonnait
même pas l’existence.
L’équité veut donc que celui qui a été victime d’un
dol, ne perde pas, sans le savoir, le droit de se faire in
demniser. Son ignorance, au temps de la ratification,
enlèverait à celle-ci toute son efficacité. Tout ce qui en
résulterait, c’est que malgré le silence de l’acte, et
contrairement à ce que la loi admet dans les cas ordi
naires, l’ignorance ne serait pas présumée. C’est donc
à celui qui l’allègue, pour se soustraire aux effets de la
ratification, à en fournir la preuve. Cette preuve pou
vant être faite par témoins, peut résulter des présomptions.
�60I
DU DOL ET DE LA FRAUDE.
587. — Si la violence ou ledol s’était exercé contre
l’auteur de celui qui ratifie à l’endroit de la lésion, les
principes ordinaires reprendraient leur empire. L’héri
tier peut ignorer des faits qui ne lui sont pas person
nels, et cette ignorance serait présumée par cela seul
que l’acte de ratification garderait le silence sur l’un ou
sur l’autre. Mais le porteur du titre ratifié pourrait
prouver soit par témoins, soit par présomptions, que le
vice ultérieurement invoqué était parfaitement connu
au moment de la ratification ; et, cette preuve faite,
l’effet de celle-ci lui serait définitivement acquis.
En général donc, et sauf le cas d’incompatibilité, la
ratification n’éteint que le vice qui s’y trouve men
tionné. C’est donc aux parties intéressées à veiller à ce
que l’acte relate exactement toute la pensée des parties
et les divers moyens dont on entend abandonner le
bénéfice.
588. — 5° Intention de réparer le vice. C’est dans
l’accomplissement de cette condition que réside la véri
table autorité de la ratification. A quoi bon, en effet,
rappeler la substance de l’actc, indiquer les motifs de
rescision, si les parties ne manifestent pas l’intention
et le dessein de renoncer à s’en prévaloir.
L’expression de cette volonté est donc de rigueur.
Mais la loi ne lui a tracé aucune formule sacramentelle.
Elle s’en réfère à la conscience et aux lumières du juge
appelé a décider si elle résulte suffisamment du titre
invoqué. Ce qui doit être observé et retenu, c’est que
cette volonté ne doit pas être facilement présumée, et
i
34
i
�que dans le doute c’est contre la fin de non-recevoir
qu’on doit se prononcer.
C’est par application de ce principe qu’il a été jugé
par la Cour de Rouen, et ensuite par la Cour de cassa
tion, que des actes contenant affectation d’hypothèque
à une obligation entachée de dol ne peuvent être con
sidérés comme une confirmation, ni comme exécution
volontaire, alors que ces actes sont muets sur l’inten
tion de ratifier.1
Que la renonciation à l’exercice de l’action en resci
sion pour cause de lésion, en matière de vente, ne peut
s’induire d’actes postérieurs intervenus entre le ven
deur et l’acquéreur qu’autant que ces actes contien
draient une stipulation expresse et une intention for
melle de renoncer à cette action.2
Mais la Cour de Poitiers a jugé, le 7 juillet 1825,
que ces seuls mots : je ratifie le présent billet, apposés
par un majeur sur un billet constatant qu’il a été sous
crit en minorité, remplissent toutes les conditions vou
lues par l’article 1538 pour la validité de la ratifica
tion. Au besoin, dit cet arrêt, l’approbation signée en
majorité constituerait un nouvel et valable engagement.
Quoi qu’il en soit, ces exemples suffisent pour déter
miner la nature de la mission que la loi confie aux ma
gistrats. D’autre part, la disposition de l’article 1358
imprime à leur appréciation une direction assurée. Les
conditions imposées à la validité de la ratification sont1 20 décem. 1852; — D, P., 53, i, 113.
- Rennes, 50 janv. 1834 ; —- D. P., 34, 2, 211.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
603
elles ou non remplies? L’intention de purger l’acte du
vice dont il est. entaché est-elle suffisamment expri
mée? Telles seront les questions qui se présenteront à
résoudre dans les limites que nous venons de retracer.
589. — L’acte de ratification n’a pas de forme spé
cialement déterminée. Il peut être fait par-devant no
taire ou sous seing-privé. Dans ce dernier cas, il n’est
pas nécessaire de le rédiger en autant d’originaux
qu’il y a de parties. La ratification pure et simple est
un contrat essentiellement unilatéral qui ne renferme
aucune obligation de la part de celui qui l’a obtenue. Il
se peut cependant que le débiteur, en échange de son
consentement, ait exigé quelques faveurs ou obtenu un
sacrifice de la part du créancier. L’engagement de ce
lui-ci pourrait être constaté soit par l’acte de ratifica
tion, soit par un écrit séparé. Mais cette circonstance
ne changerait rien à la nature de la ratification et aux
effets qu’elle doit obtenir.
La ratification n’a pas besoin d’être acceptée par le
porteur du titre vicié. Elle peut être faite hors sa pré
sence et sans son concours. Elle peut résulter d’une
lettre missive ou de tout autre écrit émanant de celui
qui a qualité pour la consentir.
590. — Cependant si l’acte qu’on veut ratifier est
du nombre de ceux qui exigent la forme authentique,
c’est dans cette forme que la ratification doit être
donnée. Telle serait par exemple la ratification d’une
constitution d’hypothèque. Bien entendu que cela n’est
�604
TRAITE
indispensable que par rapport aux effets de l’acte
contre les tiers. Du débiteur au créancier, l’obligation
11e cesserait pas d’être inattaquable, quand même la
ratification manquerait d’authenticité.
591. — L’acte de ratification imparfait, pour n’être
pas conforme aux prescriptions de l’article 1538, ne
produirait aucun effet. Mais on pourrait le compléter
à l’aide d’écrits émanés du débiteur, si, réunis h l’acte,
ces écrits fournissaient la preuve de la ratification.
C’est là une conséquence de ce que nous venons de
dire. On peut ratifier par uu acte, par un écrit quel
conque. On peut à plus forte raison suppléer, à l’aide
de ceux-ci, à ce que l’acte présenterait d’obscur ou
d’incomplet.
592. — Mais nous n’admettons pas que l’acte resté
imparfait pût servir de commencement de preuve par
écrit et autoriser l’admission de la preuve testimoniale.
La volonté d’exclure cette preuve d’une manière abso
lue, à l’endroit de la ratification, nous paraît résulter
formellement de l'article 1338. La loi n’a pas voulu
recourir à ce mode de preuve dont elle pouvait facile
ment apprécier l’insuffisance dans une question inten
tionnelle sur laquelle les témoins ne pourraient jeter un
très grand jour, à moins qu’on ne les interrogeât sui
des faits d’exécution, et alors on tomberait dans la ra
tification tacite qui nous- reste à examiner.
593. — L’article 1338 assimile à la ratification ex-
�DU DOL ET DE LA Fil AUDE.
605
presse celle résultant de l’exécution de la convention
nulle ou rescindable. On devait d’autant plus le décider
ainsi, que l’exécution est le dernier mot du débiteur;
qu’elle lui impose des sacrifices onéreux, ce que ne fait
pas ordinairement la ratification expresse ; que dès-lors
elle ne peut être considérée que comme l’expression
hautement manifestée de la légitimité et de la sincérité
de la convention.
594. — Cet effet de. l’exécution exigeait, dans la
détermination des actes qui la constituent, qu’on se
rapprochât autant que possible des conditions tracées
à. la ratification expresse. C’est ce que n’a pas'manqué
de faire le législateur. L’article 1538 n’admet la rati
fication tacite que si la convention a été exécutée; que
si cette exécution a été volontaire; que si elle s’est
réalisée après l’époque à laquelle l’acte pouvait être
valablement confirmé ou ratifié.
595. — 1° Exécution. L’article 1304 assigne une
durée de dix ans à la faculté d’intenter l’action en res
cision. Le législateur suppose donc que la convention
nulle ou rescindable peut être exécutée pendant ces
dix ans. Mais si cette exécution, que nous appelerons
passive, pouvait être considérée comme une ratification
tacite, l’article 1304 ne serait plus qu’un piège, condui
sant infailliblement à la déchéance celui qui, ayant foi
en sa disposition, n’aurait pas immédiatement réalisé
l’action en rescision.
�606
TRAITE
Le maintien de l’état des choses créé par la conven
tion rie peut donc constituer l’exécution à l’effet de
ratifier. Il n’est un obstacle à l’action en rescision que
s’il s’est prolongé au-delà de dix ans. L’article 1538 n’a
donc réellement en vue, et ne qualifie exécution, que les
actes postérieurs émanés de la partie ayant intérêt de
contester et qui décèlent l’intention d’accepter ir
révocablement l’effet de la convention, tels seraient,
par exemple, le fait d’avoir disposé de tout ou de partie
des biens reçus ou transmis par la convention nulle ou
rescindable; celui d’avoir retiré, après la majorité ou
après la découverte du dol, le prix de la vente faite en
minorité ou obtenue dolosivement.
Ainsi on ne peut considérer comme exécution, dans,
le sens de l’article 1538, que les actes destinés à con
firmer l’état des choses créé par la convention, à en
développer les conséquences. L’exécution qui ne con
sisterait que dans le silence ou le défaut de réclamation
contre cet état des choses ne saurait constituer une
ratification quelconque, à moins qu’elle ne se fût pro
longée au-delà de dix ans.
596- — L’existence des faits d’exécution est ordi
nairement laissée à l’appréciation des deux degrés de
juridiction. Leur décision échappe même à la censure
de la Cour de cassation. Mais, pour ce qui concerne la
ratification, le caractère du fait d’exécution constitue
une question de droit, et la Cour de cassation a la fa
culté et le devoir d’en apprécier souverainement les
�« ? n irr
DU DOL ET DE LA FRAUDE.
607
conséquences. C’est ce que, après quelques hésitations,
a formellement consacré la cour régulatrice. 1
Quoi qu’il en soit, ce qu’il importe de retenir de cette
jurisprudence, c'est l’assimilation rigoureuse qu’elle fait
de la ratification tacite à la ratification expresse. Iden
tiques dans les effets, ces deux modes doivent, autant
que possible , offrir dans leurs éléments constitutifs
les mêmes caractères, reposer sur les mêmes conditions.
597. — De là il suit que l’acte d’exécution doit être
personnel à celui qui pouvait ratifier. Qu’importe, en
effet, que la convention ait été exécutée par ceux qui
n’avaient aucun droit à la faire rescinder? Que cette
exécution ait été connue, tolérée même? Chacun ne
peut être lié que par son propre fait. Ce principe est
surtout rigoureux lorsqu’il s’agit de l’établissement
d’une déchéance entraînant l’aliénation d’un droit per
sonnel.
598- — Une seconde conséquence non moins juste,
c’est que les actes d’exécution doivent être positifs et
non équivoques, c’est-à-dire que, postérieurs à la dé
couverte du vice, ils doivent comporter l’intention de
renoncer à s’en prévaloir. Tout doute sérieux à cet
égard s’opposerait à ce qu’on pût en faire découler une
ratification utile.
Nous venons de voir la Cour de cassation, les Cours
de Rouen et de Rennes le décider formellement ainsi.
1 S janvier 1858, 12 juin 1839; — D. P. 38, i, 506. 59, i, 24-h
�608
TRAITE
pour la ratification expresse. Concevrait-on qu’il enfût autrement lorsque l’intention des parties, ne se dé
celant que par l’exécution prétendue, ne peut être ap
préciée que par les présomptions résultant de celle-ci.
Or, l’aliénation d’un droit n’est pas facilement présu
mée. Vrai lorsqu’il s’agit d’une ratification expresse, ce
principe ne saurait être repoussé dans l’appréciation
d’une ratification tacite. C’est au reste ce qui est con
sacré par une imposante jurisprudence.
599. — La Cour de cassation a jugé, le 8 avril 1855,
que des offres de paiement d’une obligation, qui n’ont
pas été acceptées, ne peuvent être considérées comme
une exécution qui rende celui qui les a faites non-re
cevable à demander ensuite la nullité de l’obligation.
Le même jour, la Cour de Rennes décidait que la simple
demande d’un délai pour le paiement d’une obligation
n’empêchait pas le débiteur d’en poursuivre plus tard
la rescision pour dol ou fraude.
600. — Ce qui a été admis pour les actes annon
çant l’intention d’exécuter, l’a été également pour les
mesures conservatoires prises dans l’intervalle de la
convention à la demande en nullité ou en rescision.
Ainsi l’homologation en justice d’un acte sous seingprivé, pour lequel la loi exige la forme authentique,
ne rend pas non-recevable à |en demander la nullité
la partie qui a obtenu cette homologation. 1 Ainsi en1 Turin, 26 novembre 1806.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
609
core, l’inseription prise en vertu d’un acte postérieu
re :ent jugé simulé, même en la supposant connue de
l’auteur de cet acte vicieux, n’est point par elle-même
une ratification ou confirmation. 1
Nous pourrions multiplier les exemples, car ils
abondent dans nos recueils de jurisprudence, mais
ceux que nous venons de rappeler suffisent pour fixer
la nature et la portée de notre doctrine. Elle se résume
dans ces propositions fort simples : l’article 1558 ne
considère comme efficace que les fait constituant une
exécution réelle et effective; cette exécution ne se
rencontré ni dans le silence qui ne s’est pas prolongé
au-delà de dix ans, ni dans l’intention plus ou moins
prochaine d’exécuter, ni moins encore dans les mesu
res purement conservatoires. Les actes d’administra
tion se plaçant dans la catégorie de celles-ci, il en
résulte qu’administrer plus ou moins longtemps la
chose possédée en vertu d’un titre vicié, ce n’est pas se
rendre non-recevable à faire plus tard prononcer l’an
nulation de ce titre.
601. — L’exécution n’a pas besoin d’être complète
pour servir à déterminer la ratification. L’acte d’exécu
tion partielle arriverait à ce résultat, car, comme l’exé
cution totale, il ne pourrait être attribué qu’à la recon
naissance de la sincérité et de la légitimité de l’obliga
tion. En effet, exécuter partiellement une convention,
c’est avouer qu’on n’a ni le moyen ni le droit de la faire
’ Cass., 2-4 janvier 1835'.
�610
TRAITÉ
rescinder. Un pareil aveu, quel qu’en soit le mobile,
impuissance ou abandon, n’en constitue pas moins la
ratification. Celle-ci résulte donc d’un commencement
d’exécution, pourvu qu’il se fût réalisé dans les cir
constances que nous avons à examiner.
602. — 2° Exécution volontaire. Les vices qui altè
rent le consentement lui enlèvent tout caractère de
spontanéité. L’exécution imposée par violence, ou sur
prise par dol, ne créerait donc ni ratification ni con
firmation.
Il n’v a pas non plus de consentement valable lors
que celui qui a été donné ne l’a été que par erreur.
L’erreur sur le caractère de l’acte qu’on exécute s’op
poserait donc à ce que cette exécution fût considérée
comme une ratification. Non-seulement elle ne serait
pas volontaire, mais elle ne se serait pas réalisée en
temps utile, ce qui suffirait, ainsi que nous allons le
voir, pour en anéantir les effets légaux.
605. — L’erreur sur les conséquences légales d’un
fait connu pourrait-elle être alléguée pour être relevé
de la ratification tacite? En d’autres termes, l’erreur de
droit produit-elle, quant à la ratification, les effets de
l’erreur de fait?
La doctrine et la jurisprudence deviennent chaque
jour plus affirmatives sur l’assimilation qu’il convient
de faire entre l’une et l’autre. Mais nous avouons que,
tout en adoptant le principe, nous en refuserions l’ap
plication à la matière des ratifications, et cela par les
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
611
motifs suivants : il est très difficile d’admettre une er
reur de droit en matière de rescision. Il n’est personne
qui ne sache que l’obligation imposée par la violence
ou surprise par le do! ne crée aucun lien. L’obligé ne
doit rien, n’a jamais rien dû, et il est impossible qu’il
puisse croire en cet état devoir quelque chose. Autant
nous admettons l’ignorance touchant les manœuvres
employées, autant nous nous refusons à admettre que,
leur existence une fois connue, on ait pu se tromper sur
les conséquences qu’elle doit nécessairement entraîner.
Qui pourrait se persuader que la loi oblige à exécuter
une obligation qu’on sait mieux que personne n’avoir
jamais existé?
Permettre d’attaquer une ratification sous prétexte
d’erreur de droit, c’est donc ouvrir la porte à de nom
breux procès dont la solution, dansun sens comme dans
l’autre, aura cet étrange caractère qu’elle ne reposera
que sur cette allégation impossible à vérifier, impossi
ble à débattre. Comment, en effet, le demandeur prou
vera-t-il avoir ignoré le droit? Comment le défendeur
justifiera-t-il le peu de fondement de cette ignorance?
11 faudra donc que les tribunaux refusent ou admettent
de confiance, au risque de ne consacrer souvent qu’une
véritable injustice.
La loi n’a pu vouloir placer les magistrats dans cette
cruelle perplexité. Nous en avons la preuve dans le soin
qu’elle prend de ne rien laissera l’induction, en matière
de ratification. L’impossibilité absolue de son applica
tion doit donc faire rejeter la doctrine que nous com
battons.
�61'2
TRAITE
Il est d’ailleurs un autre motif qui devrait le faire'
décider ainsi. Au dire de tous, l’erreur de droit n’annule
le contrat que lorsqu’elle en a été la cause déterminante
et exclusive. Dans la ratification tacite, l’exécution re
connaît une cause indépendante de l’erreur, à savoir :
l’intention de purger l’acte du vice qui l’entache. C’est
là, nous l’avons dit, une condition essentielle sans la
quelle il ne saurait exister de ratification.
Dès-lors, si l’exécution n’a pas ce caractère, il de
vient inutile de recourir aux principes régissant l’erreur
de droit. Il n’v a pas, il n’y a jamais eu de ratification.
Mais si le juge, appréciant l’exécution, reconnaît et
constate l’intention constitutive de la ratification , celte
exécution a dès-îors une cause naturelle et légitime.
D’erreur de droit n’en a plus été le seul mobile, on ne
pourrait plus s’en prévaloir. La prétention d’avoir erré
sur les conséquences légales d’un vice serait même in
soutenable lorsque le vice étant connu en fait, on a eu
l’intention et la volonté d’en répudier le bénéfice. Or ,
renonce-t-on à un droit qu’on ne sait même pas vous
appartenir?
La difficulté née d’une erreur de droit peut donc être
soulevée lorsqu’il s’agit de déterminer le caractère de
l’exécution. Mais on ne saurait admettre que cette dif
ficulté une fois tranchée et la ratification, c’est-à-dire
l’intention de purger l’acte, admise, on puisse s’en faire
relever sous prétexte d’erreur de droit.
604. — Toullier pense que l’exécution n’est volon
taire que si elle est entièrement dégagée de l’influence
�DU DDL KT DE LA FRAUDE.
013
que peut avoir sur l’esprit de celui qui exécute la frayeur
d’une contrainte ou d’un procès. Il admet, en consé
quence, que celle faite sous cette influence serait inef
ficace pour créer une ratification.
605- — Il nous paraît bien rigoureux d’assimiler à
la violence l’exercice d’un droit puisé dans la loi et
auquel on est contraint de recourir. Le refus du débi
teur place en effet le créancier dans la nécessité soit de
le traduire en justice,soit d’user des moyens coercitifs
que le titre lui confère. Il serait étrange, dès-lors, que
l’exécution déterminée par l’une ou par l’autre de ces
mesures dût plus tard être invalidée.
Cette doctrine encouragerait singulièrement la résis
tance des débiteurs, et, à ce titre seul, nous hésiterions
à l’admettre. Nous sommes bien plus engagé à ne pas le
faire lorsque, poussant plus loin notre examen, nous
arrivons forcément à une conclusion diamétralement
opposée à celle de Toullier. En effet, ou l’exécution
donnée devant la menace d’une contrainte ou la crainte
d’un procès a précédé la découverte du vice de l’acte ,
ou elle a suivi cette découverte. Dans le premier cas ,
elle est évidemment insuffisante pour créer une ratifica
tion, en force des principes spéciaux à celle-ci; dans le
second, elle doit d’autant plus produire ses effets que
l’action en rescision était le moyen le plus péremptoire
pour éviter le procès, pour s’affranchir de toute con
trainte, et qu’ainsi mis en demeure de la réaliser, le
débiteur, en s’abstenant de le faire, a prouvé qu’il ne
croyait pas devoir ou pouvoir utilement l’intenter. Dans
�tra ité
6U
l’une comme dans l’autre de ces hypothèses, il y a réel
lement ratification obligatoire et définitive.
Bien loin donc que les poursuites du créancier soient
un motif pour relever le débiteur de l’exécution qu’elles
ont déterminée, la vérité est que leur existence donne
à cette exécution un caractère plus grave, plus décisif.
Qu’un débiteur s’abstienne de faire valoir ses droits
contre sa dette lorsqu’il n’est ni inquiété ni poursuivi,
cela se conçoit; mais que, traduit en justice ou menacé
d’une contrainte, il continue de garder le silence; que,
mieux encore, il exécute la convention dont il connaît
le vice et qu’il dépend de lui de faire anéantir, c’est ce
qu’on ne comprend plus. Une pareille abnégation ne
peut provenir que du sentiment de la légitimité de la
poursuite, et c’est dans ce sentiment même que repose
le fondement essentiel de la ratification.
Au reste, cette règle n’est pas plus que toutes les au
tres à l’abri d’une exception. Certes, la violence morale,
qui fait quelquefois annuler une obligation, pourra,
dans tel cas donné, être invoquée contre la ratifica
tion; et si les tribunaux investis, appréciant la nature
des moyens employés pour déterminer l’exécution, l’é
tendue de la contrainte qui en est résultée, pensent
que le débiteur n’a pas joui de la plénitude de liberté
sans laquelle il n’existe pas de consentement valable,
ils décideront que l’exécution n’a pas été volontaire.
Mais une pareille éventualité ne suffit pas pour qu’on
puisse se croire autorisé à faire de la règle l’exception,
et de l’exception la règle.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
615
606. — 5° Epoque à laquelle l’exécution volontaire
est susceptible de créer la ratification. L’article 1338
fixe cette époque au moment où l’obligation pouvait
être valablement confirmée ou ratifiée. C’est là la con
séquence du principe qu’on ne peut faire indirectement
ce qu’il n’est pas permis de faire directement. Or, la ra
tification expresse suppose, chez celui qui la donne, la
capacité de contracter, la connaissance du vice dont
l’acte est entaché. Conséquemment l’exécution n’équi
vaudra à ratification que si elle réunit ce double ca
ractère.
Dès-lors les mineurs, les interdits, les femmes ma
riées ne sauraient, tant que leur état n’a point changé,
aliéner, par l’exécution, le droit de faire annuler l’enga
gement qu’ils ont souscrit. Cette faculté, ils ne l’acquiè
rent qu’après qu’ils sont sortis des liens de la minorité,
de l’interdiction, du mariage. Pouvant, à cette époque,
ratifier expressément, ils peuvent le faire tacitement
par l’exécution qu’ils donnent à l’obligation.
Mais le capable ne peut ratifier que s’il connaît le
vice de la convention. Cette connaissance est de l’es
sence de la ratification, car, ainsi que nous l’avons déjà
dit, celle-ci puise son autorité dans l’intention de re
noncer à se pourvoir contre le vice dont la convention
est entachée. Or, comment pourrait-on être présumé
avoir renoncé à un droit qu’on ne connaissait pas? Dèslors, la ratification tacite opérant les mêmes effets que
la ratification expresse, l’exécution qui la constitue doit
nécessairement être postérieure à la connaissance du
vice.
�■ 616
TRAITE
607. — Ce point de doctrine ne saurait faire aucune
difficulté; mais il en sera autrement de la détermination
du fait en lui-même. À quelle époque remonte la décou
verte du dol? Est-elle antérieure ou postérieure à l’exé
cution? Est-ce au débiteur à prouver qu’il ignorait le
vice de l’acte ou au créancier à justifier que l’exécution
a été faite en connaissance de cause? Telles seront les
questions sur lesquelles l’attention des magistrats sera
principalement appelée.
Les premières ne peuvent jamais offrir qu’une appré
ciation de fait du domaine exclusif de la conscience.
Elles sont donc laissées à l’arbitrage souverain du juge.
La dernière présente une difficulté en droit qui a par
tagé la doctrine et la jurisprudence.
608. — Zacchariæ se prononce contre le créancier.
Sans doute, dit-il, celui qui invoque une exception dont
le fondement repose sur l’erreur, doit prouver cette er
reur en vertu de la règle actoris incurribit onus probandi.
Mais telle n’est pas la position du débiteur auquel on
oppose l’exécution de l’obligation contre laquelle il se
pourvoit en nullité ou en rescision. Il n’a plus rien à
prouver une fois qu’il a justifié sa demande. C’est au
créancier qui veut tirer de l’exécution une fin de nonrecevoir contre l’action en nullité ou en rescision, à
établir, suivant la règle reus excipiendo fil actor, l’exis
tence des conditions moyennant le concours desquelles
l’exécution volontaire équipolle à confirmation, et à
démontrer, par conséquent, que l’exécution a eu lieu
en connaissance du vice dont l’obligation est entachée
�I>U DOL ET DE LA FRAUDE,
617
èt dans l’intention de l’effacer.1 Telle était aussi l’opi
nion d’abord enseignée par Merlin.
Mais il est facile de se convaincre que la position
supposée des parties, sur laquelle cette opinion s’étaie,
n’estpas réellement cellequ’elles occuperont respective
ment. Le demandeur en rescision sera arrêté in limine
lilis par la fin de non-recevoir tirée de la ratification.
11 ne pourra donc établir l’irrégularité, dei l’acte qu’après
avoir fait disparaître cette fin de non-recevoir.
Le fondement de celle-ci se trouvant dans l’exécu
tion, c’est à celui qui l’oppose à prouver cette exécu
tion. Cette preuve faite, le demandeur doit être écon
duit, à moins qu’il ne prouve à son tour que cette
exécution ne réunit pas les caractères constitutifs de
la ratification. C’est là son exception pour laquelle il
devient réellement demandeur, et qu’il est tenu de
justifier.
Vainement, objecte-t-on que l’exécution n’équivalant
à ratification qu’à certaines conditions, celui qui excipe
de l’une doit prouver qu’elle est conforme au désir de
la loi. L’exécution se suffit à elle-même. Elle est légale
ment présumée exempte de tout vice. Certes, l’exécu
tion déterminée par le dol ne produirait aucun effet. Irat-on jusqu’à prétendre que celui qui oppose la ratification
tacite sera.obligé de prouver que l’exécution dont il se
prévaut n’est pas le résultat du dol? Ce qu’on ne ferait
pas pour le dol, on ne saurait le faire pour l’erreur.
Celle-ci n’est pas plus présumée que le dol lui-même,.
> T. u, p. 435, note 20.
�618
TRAITE
et si celui qui allègue l’un est tenu de le prouver, il n’y
a aucun motif pour dispenser de la même obligation
celui qui se prévaut de l’autre.
Ajoutons avec la Cour de cassation,1que cette obli
gation doit être imposée au débiteur : 1° parce que les
faits d’où l’erreur peut résulter lui sont personnels ;
2° parce que ces faits constituent une exception établie
pour son utilité ; 5° parce qu’ils tendent à enlever au
créancier le bénéfice de la ratification. Le système con
traire n’a donc aucun fondement réel. Non-seulement
il fait abstraction complète du fait d’exécution, mais
il méconnaît en outre les conséquences légales que
cette exécution doit entraîner.
C’est la démonstration de ce double tort, clairement
établie par Toullier, qui a amené la rétractation de
Merlin. En voici les termes : « Toullier a raison de dire
que je ne m’étais pas exprimé avec mon exactitude or
dinaire. Tout bien réfléchi, je crois mes arguments plus
spécieux que solides, et en voici deux auxquels ils me
paraissent devoir céder :
i 1° On n’exécute un acte que parce qu’on le connaît
bien, car il n’y a qu’un insensé qui puisse exécuter
un acte qu’il ne connaît pas ou qu’il ne connaît qu’imparfaitement, et la démence ne se présume pas. Exé
cuter un acte, c’est agir comme si Ton en avait une
parfaite connaissance ; c’est donc avouer qu’on le con
naît dans toutes ses parties. Or, si l’aveu d’un fait ne
prive pas celui duquel il est émané du droit de le re-
�DU DOL ET DE LA l'KAUDE.
619
tracter pour cause d’erreur, il le place du moins dans
la nécessité de prouver que c’est par erreur qu’il lui
est échappé. L’article 1356 du Code civil est formel, et
il n’est point de principe plus constant dans toute la ju
risprudence ;
« “2° Sans doute l’exécution d’un acte nul ne peut
être réputée volontaire qu’autant qu’elle n’est pas le
fait de l’erreur; mais elle ne peut aussi être réputée
telle qu’autant qu’elle n’est pas l’effet de la violence et
du dol. Or, quand un acte nul a été exécuté par une
partie qui avait le droit de le faire annuler, et qu’elle
vient ensuite en demander l’annulation, lui siérait-il
bien, pour repousser la fin de non-recevoir que lui
opposerait le défendeur, de dire à celui-ci : L’exécution
dont vous excipez a été l’effet de la violence et du dol ;
elle n’a donc pas été volontaire de ma part, et comme
c’est à vous à prouver qu’elle a été l’ouvrage de ma
volonté, c’est nécessairement aussi à vous à prouver
que je n’y ai été induit ni par violence ni par dol? Non
certes, et le défendeur lui répondrait victorieusement :
Par cela seul que vous avez exécuté l’acte, vous êtes
censé l’avoir exécuté spontanément et en pleine liberté;
ni le dol, ni la violence ne se présument ; l’exécution
que vous avez donnée à l’acte sera donc réputée volon
taire tant que vous ne prouverez pas qu’elle vous a été
arrachée par violence ou surprise par dol. Eh bien !
point de différence entre l’erreur et la violence ou le
dol. L’une ne se présume pas plus que les autres. La
simple allégation de l’erreur ne peut donc pas avoir plus
d’effet que la simple allégation du dol ou de la vio-
�620
TRAITÉ
lence, elle ne peut donc pas faire retomber sur le défen
deur le fardeau de la preuve que l’exécution n’a pas été
déterminée par l’ignorance du vice de l’acte.1 »
Cette démonstration nous paraît sans réplique. Nous
admettons donc que l’exécution fait présumer par ellemême la connaissance du vice de l’obligation; que
cette présomption doit céder devant la preuve du con
traire; que cette preuve est à la charge exclusive du
débiteur prétendant se faire relever des effets de l’obli
gation.
609. — Ce caractère de l’exécution produit en outre
cette conséquence, qu’elle emporte virtuellement l’in
tention de purger le vice de l’obligation. Exécuter vo
lontairement un acte qu’on sait être nul ou rescindable,
c’est indiquer aussi positivement que possible qu’on re
nonce à l’attaquer désormais. Cela est si évident, que les
réserves qui accompagneraient l’exécution n’en atté
nueraient aucunement l’importance et n’apporteraient
aucun obstacle à la fin de non-recevoir qu’elle crée.
Cette décision est parfaitement juridique. Que peuvent
signifier des protestations, des réserves, à côté d’un fait
diamétralement contraire, volontairement accompli. La
seule protestation efficace, c’est de ne pas faire ce qu’on
sait n’être pas obligé de faire. Qu’y a-t-il de plus incon
ciliable avec la faculté de demander la nullité d’une
obligation, que l’exécution préalable de cette obligation?
Le fait a beaucoup plus de puissance que la parole. Toute
1 Q uest.
de d ro it, v° r a lif.,
il0 o.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
6‘21
manifestation d’une volonté contraire à l’acte qu’on
exécute reste sans efficacité possible.1
610. — Il en serait autrement si l’exécution était
forcée, si elle n’était que la conséquence inévitable et
nécessaire du caractère ou de la nature de l’obligation
nulle ou rescindable. Dans l’un comme dans l’autre cas,
l’exécution cesserait d'être volontaire. Elle ne suffirait
donc pas pour créer la ratification, alors même qu’on
aurait exécuté sans réserves ni protestations.
L’exécution est une conséquence de l’acte, lorsque
le fait qui la constitue découle naturellement de l’enga
gement contracté irrégulièrement. Tel est le cas rap
pelé par la loi 5, § 2, Dig. de minoribus. Un mineur a
imprudemment accepté une succession. Devenu ma
jeur, il a payé quelques dettes échues et urgentes de
cette même succession. Ce paiement ne saurait équi
valoir à ratification , parce qu’il n’est qu’une consé
quence inévitable et directe de l’acceptation. 2
611. — Le paiement intégral ou partiel d’une lettre
de change ou de tout autre effet négociable, entre les
mains d’un tiers-porteur, dans quelque hypothèse qu’il
ait été réalisé, ne saurait empêcher le souscripteur de
faire'prononcer plus tard la nullité de l’effet contre le
premier porteur1. La raison en est que la nullité du titre
n’est pas même opposable aux tiers-porteurs de bonne
11 Gass., 28 juillet 1829.
Durantotn t. siu, n° 283.
?
�622
TRAITÉ
foi, et que l’obligation de le désintéresser demeure
rait entière, quand même le débiteur aurait obtenu ju
diciairement cette nullité. Il peut donc faire avant ce
qu’il serait tenu de faire après. Un pareil paiement ne
saurait d’ailleurs jamais être considéré comme fait dans
l’intention de renoncer au recours que l’existence du
dol créerait.
Mais hors ces rares exceptions, l’exécution volontai
rement réalisée, après la découverte du vice de l’acte,
entraînerait la ratification. L’effet de celle-ci, comme
celui de la ratification expresse, assure l’existence de la
convention, la purge du vice dont elle pouvait être enta
chée, et devient une fin de non-recevoir insurmontable
contre toute recherche ultérieure.
612. — Les principes que nous venons d’exposer
pour les obligations s’appliquent aux libéralités. Re
marquons en effet que la prohibition de l’article 1339
ne concerne que les nullités de forme dont la donation
entre vifs peut être entachée. Cette restriction, person
nelle d’ailleurs au donateur, prouve suffisamment que
la donation entachée d’un vice intrinsèque peut dever
nir l’objet d’une ratification soit expresse, soit tacite,
La donation nulle en la forme, et qui serait exécutée
par les héritiers du donateur ne pourrait plus tard être
querellée de nullité par eux.
Les héritiers sont, par rapport aux donations con
senties par leur auteur, placés sur la même ligne qu’à
l’endroit des dispositions testamentaires. Conséquem
ment l’exécution sciemment donnée aux unes et aux
�■IJ
SECTION III. — DE LA PRESCRIPTION.
SOMMAIRE.
613. Justice de la prescription contre l’action en nullité. Sa
nécessité.
614. Esprit de la loi à cet égard.
615. Fondement philosophique de la prescription, d’après
M. Troplong.
616. Justesse de cette doctrine, lorsque l’acte a été exécuté.
617. Quicl, lorsque cet acte n’a reçu aucune exécution?
618. Conclusion : pour prescrire, il faut que l’acte ait été
exécuté.
619. Quels caractères doit réunir l’exécution décennale. Ca
pacité.
620. Epoque de son point de départ.
621. A la charge de qui est la preuve de la découverte du
dol.
622. Nature de la preuve admissible.
623. Les principes généraux sur l’interruption de la pres
cription régissent celle édictée par l’article 1304.
�4:
624
tf iA irii
624. En est-il de même des causes de suspension.
625. L’action en dommages-intérêts se prescrit-elle confor
mément à l’article 1304 ?
626. Toute action serait-elle éteinte après 30 ans, si la dé
couverte du dol ne s’était réalisée que depuis moins
de 10 ans.
627. Importance de l’article 1304 pour la répétition de ce qui
a été payé sans, être dû.
628. Ce n’est que l’action que l'article 1304 atteint, même'
dans le cas de non-exécution.
629. Conséquences quant à l’exception.
630. Origine de la règle quæ temporalia ad agendum perpétra
631.
632.
633.
634.
sunt ad excipiendum.
Motifs du silence gardé par l’article 1304 sur l’exception.
Application de la règle en matière de dol.
Condition de cette application.
L’exception perpétuelle n’est donc que la défense à
la demande.
635. La possession est le fait dominant du litige.
636. Conséquence dans le cas de ratification expresse ou
tacite.
637. L’exception n’est admissible que lorsqu’elle tend à con
server un état de chose depuis longtemps existant.
638. Ce caractère dicte la solution des difficultés que la
question peut faire naître. Application.639. Résumé.
#;tf$
mi
ii.
:
61o. — Si la prescription, comme moyen d’aeqiiérir, a pu paraître odieuse, c’est incontestablement
lorsque, invoquée par la mauvaise foi, elle vient au secours de la violence ou du dol. Cependant les diverses
législations qui se sont succédées n’ont pas hésité à l’ad
mettre, et cet assentiment commun que cette institution
a rencontré à toutes les époques est un témoignage ir
récusable de sa nécessité.
(
�Cette nécessité est d’ailleurs attestée par les consi
dérations sur lesquelles est fondée la prescription. Les
transactions entre citoyens sont la base la plus usuelle
du droit de propriété. Laisser ces transactions éternelle
ment en suspend, c’était atteindre la propriété elle-même
et blesser au cœur toute société. En présence d’un pareil
danger, on s’explique facilement comment, au milieu
des difficultés soulevées par son application, l’admis
sion de la prescription, comme principe, a été unanime
ment adoptée.
Le Code civil n’a donc fait qu’accepter le legs que lui
avaient fait les précédentes législations. L’article 1504
n’a introduit qu’une seule modification, à savoir : la
détermination du délai de dix ans pour la prescription
des actions en nullité comme pour celles en rescision.
De cette manière, la controverse, qui avait si vivement
jusque là préoccupé la doctrine et la jurisprudence sur
le caractère de l’action, s’est trouvée désormais com
plètement sans objet.
!" i K
§H;
m
614. — Avant d’examiner le texte de cet article, il
importe de bien préciser son esprit. Nous pourrons ainsi
déterminer la nature de la prescription qu’il consacre,
et cette détermination nous servira à résoudre quelques
difficultés sur lesquelles la doctrine n’est pas encore
définitivement fixée.
615. — Un des jurisconsultes les plus éminents de
notre époque, M. Troplong, recherchant quels sont les
fondements philosophiques de la prescription, arrive à
!|! n
■ i!
�tf-26
TRAITE
cette conclusion : que les droits, considérés dans leur
idéal, ne peuvent recevoir du temps aucune modifica
tion, que ce n’est donc pas sur lui qu’est directement
fondée la prescription, qu’elle a sa base dans la posses
sion de celui qui acquiert, et dans une présomption de
renonciation chez celui qui néglige sa propriété; et que
le temps n’y intervient que comme mesure des éléments
sur lesquels elle repose.
616. — Cette conclusion, en ce qui concerne la dé
chéance consacrée par l’article 1504, sera d’une incon
testable justesse, s’il est vrai que le principe de cette
déchéance réside dans l’exécution que l’acte nul ou
rescindable a reçue. Cette exécution, conférant à l’un
la possession , constitue l’autre en négligence et finit
par faire admettre sa renonciation si, pendant dix ans,
il n’a pas revendiqué contre un pareil état de choses.
Or, que tel soit le fondement de la prescription auto
risée par l’article 1504, c’est ce dont il n’est pas permis
de douter. La perte d’un droit quelconque, par le seul
effet du temps, n’était pas admissible en principe, car
le temps n’intervient dans la prescription que comme
mesure des éléments sur lesquels elle repose. Le légis
lateur ne pouvait consacrer une injustice aussi flagrante.
La consécration de la prescription suppose donc la pos
session d’une part, la négligence de l’autre. C’est le
froissement d’intérêt qui en résulte, c’est le préjudice
permanent, éprouvé par celui contre qui on prescrit, qui
proteste perpétuellement contre son silence. Légalement
mis en demeure de faire valoir ses droits, il consomme
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
627
lui-même la spoliation dont il se prétendrait victime, si
son inaction s’est prolongée jusqu’au terme fixé pour la
prescription. Or tout cela ne peut se réaliser que par
l’exécution dont l’acte nul ou rescindable a été l’objet.
617. — A défaut d’exécution, en effet, le1débiteur
n’éprouve aucune atteinte ni dans sa fortune, ni dans
ses droits. Il ne peut être accusé de négligence, car son
intérêt ne le sollicite pas d’agir. L’existence de l’acte
nul ou rescindable constitue tout au plus une menace
dans l’avenir, menace d’autant plus vaine, que l’inac
tion du créancier peut être considérée comme un aveu
de l’invalidité de son titre, comme une renonciation à
s’en prévaloir. Apparente ou réelle, cette présomption
excuse le silence gardé par le débiteur, qui doit d’autant
moins s’adresser à la justice qu’il ne pourrait en obtenir
que ce qu’il possède déjà.
La prescription atteignant en cet état le débiteur
serait un fait injuste, d’autant plus anormal que le
créancier aurait prescrit sans avoir possédé. Or, de tou
tes les conditions, la possession est la plus indispensa
ble pour pouvoir prescrire. Conséquemment, nul ne
peut prétendi’e avoir prescrit une action, ou, ce qui est
la même chose, s’en être libéré par le laps de temps
dans lequel son exercice est circonscrit, s’il n’en a pos
sédé l’objet pendant tout ce temps. L’exécution de
l’acte nul ou rescindable pouvant seule donner cette
possession, il faut en conclure que, dans l’esprit de la
loi, pour que la prescription de l’article 1504 soit appli
cable, il faut que l’acte ait été exécuté pendant dix ans.
�628
T R A IT E
Cette intention nous la rencontrons dans le texte
d’une manière bien plus formelle encore. Dans tons les
cas où l’action en nullité ou en rescision n’est pas limi
tée à un moindre temps, par une loi particulière, cette
action dure dix ans.
C’est donc l’action seule qui est déclarée susceptible
d’être atteinte par la prescription. Or, l’action n’étant
que le droit de poursuivre en justice ce qui nous est
dû ou ce qui nous appartient, la nécessité de l’intenter
suppose que celui à qui elle est imposée n’a pas ou n’a
plus ce qu’il devrait avoir, en d’autres termes, que la
convention nulle ou rescindable l’a privé d’une partie
de ce qu’il avait à recevoir ou l’a dépouillé d’une chose
qu’il avait toujours possédée et qu’il est en droit de
redemander.
Alors, mais alors seulement, l’inaction qu’il s’im
pose en présence d’un préjudice flagrant, parfaitement
connu, donne à sa conduite le caractère d’abandon qui,
rapproché de la possession décennale de son adver
saire, détermine et doit déterminer la prescription.
618. — Le texte de la loi est donc parfaitement
d’accord avec son esprit. La première condition, essen
tielle à l’application de l’article 130-4, est que l’acte nul
ou rescindable ait reçu son exécution ; que cette exé
cution ait duré dix ans sans réclamation. C’est l’action
résultant de cette exécution qui prescrit par le laps de
dix ans. Ce qui le prouve encore mieux, c’est la perpé
tuité de l’exception dont nous aurons à nous occuper.
La prescription de l’article 1304 n’est donc qu’un
�1)15 n o I. E T D F. f. A F R A U D E .
629
mode de ratification tacite. Seulement, l’effet que produit
dans celle-ci le fait postérieur d’exécution, est ici la
conséquence du silence obstiné du débiteur. Ce carac
tère de la prescription explique les conditions que la
loi a tracées dans le point de départ du délai qui la
constitue.
619. — L’exécution décennale n’est utilement in
voquée que lorsqu’elle émane d’une personne capable,
d’un consentement éclairé sur le vice de la convention:
Contra non valenlem agere, non currit prescriplio. Or,
la loi considère comme suffisamment empêché d’agir,
non-seulement celui qui est incapable de contracter,
mais encore celui qui ignore l’existence du droit que la
prescription doit lui ravir. C’est ce qui résulte explici
tement de l’article 1504.
« Le délai de dix ans ne court, pour les actes faits
par un interdit, que du jour de la levée de l’interdic
tion ; pour les actes faits par un mineur, que du jour
de la majorité; pour ceux faits par la femme mariée
non autorisée, que du jour de la dissolution du mariage;
dans le cas de violence, que du jour où elle a cessé ;
dans les cas d’erreur ou de dol, que du jour où ils ont
été découverts. »
On le voit, la loi présume dans la prescription l’effet
que la ratification produit, à savoir : la renonciation à
se pourvoir contre le vice de l’acte. Il fallait donc que
dans l’une comme dans l’autre, le débiteur pût vala
blement aliéner.
�030
TRAITE
020. — Or, cette faculté n’a jamais appartenu au
mineur, à l’interdit, à la femme mariée; elle ne saurait
être exercée par celui qui ignore la nature vicieuse de
l'engagement qu’il a souscrit. Cette ignorance du vice
est présumée la cause unique de l’exécution, laquelle,
se trouvant entachée d’erreur, ne saurait créer aucun
lien obligatoire. C’est ce qui se réalise pour la ratifi
cation; c’est aussi ce que la loi admet pour la pres
cription.
Dès-lors, le moment de la découverte du dol sera
d’une importance décisive dans les procès où s’agite la
question de prescription. L’action, en effet, se trouvera
éteinte ou non, suivant la détermination que recevra
ce point de départ de la prescription. A la charge de
qui doit-on imposer le fardeau de la preuve?
621. — Il semblerait résulter de l’article 1004
que c’est à celui qui excipe de la prescription qu’in
combe ce devoir. Il n’y a prescription que si l’exécution
s’est réalisée dans les conditions voulues par la loi. Ce
lui-là donc qui invoque cette exécution devrait en justi
fier le caractère, pour pouvoir utilement s’en prévaloir.
Mais les considérations que nous avons invoquées
pour la solution de cette question, à l’endroit de la rati
fication, doivent recevoir, dans cette circonstance, une
entière application et conduire à une conséquence
identique. L’exécution n’est jamais présumée le résultat
de l’erreur. C’est la présomption contraire qui est seule
admissible. La partie qui l’invoque n’a donc à prou
ver que son existence et sa durée.;
�DU DOU ET DE I.A FRAUDE*
631
Cette preuve fournie, la prescription est acquise, à
moins que le débiteur n’allègue et ne prouve que le
point de départ assigné n’est pas celui qui doit être
adopté, en d’autres termes, que la découverte du dol
ne 7-emonte pas à dix ans. Cette allégation le constitue
demandeur en exception. La preuve est donc à sa
charge, et cela par les motifs que nous avons déjà rap
pelés, à savoir : qu’elle ne peut résulter que de faits qui
lui sont personnels, que ces faits constituent une ex
ception établie pou? son utilité, qu’ils tendent à enlever
au créancier le bénéfice de la prescription.1
622. — Mais il n’en est pas de cette preuve comme
de celle de l’hypothèse prévue par l’article 448 du
Code de procédure civile, elle ne doit pas être néces
sairement une preuve écrite. C’est par les documents
du procès, par les renseignements fournis par les té
moins, c’est enfin par les présomptions qu’elle peut
être acquise.
623. — Les principes généraux du droit sur l’in
terruption de la prescription reçoivent une application
incontestée à celle édictée par l’article 1304. Tout acte
constitutif d’une interruption, soit naturelle, soit civile,
produirait donc, dans les conditions exigées par la loi,
tous les effets dont il est susceptible.
624. — Qu’en est-il des causes qui suspendent la
1 Cass., 25 juin 1825 ; — Grenoble, 1er mars 1827 ; — D. P., 25, i,
400 ; 27, 2, 95.
�632
TRAITÉ
prescription? Le délai de dix ans, qui aurait commencé
de courir contre un majeur, serait-il suspendu par la
minorité ou l’interdiction de son héritier?
L’affirmative n’était pas douteuse en droit romain.
Le mineur, comme l’enseigne Ulpien, était considéré
comme lésé, en cela même qu’il n’avait pas formé en
temps utile l’action que son auteur lui avait transmise :
Hoc enim ipso deceptus videtnr, quod cum posset restitui inlra tempus statulwn ex persona defuncti, hoc non
fecitd Ou lui accordait donc, poî>ir intenter l’action
après la majorité, le même temps qui restait au défunt
au moment de sa mort : Tempus quod liabuit is eut
hæres extilit. La prescription restait donc suspendue
depuis le décès du majeur jusqu’à la majorité de son
héritier. Ce temps d’arrêt n’était que la conséquence de
la règle contra non valentem aqere, non currit prescriptio.
Le fondement de cette doctrine, consacrée par notre
droit, a été admis par le Code civil. L’article 2252, à
la section des causes qui interrompent la prescription,
dispose que la prescription ne court pas contre les mi
neurs et les interdits. Conséquemment notre question
serait toute tranchée, si l’on déclarait cette disposition
applicable à la prescription de l’article 1504.
C’est cette applicabilité que nie Toulüer. « Le Code,
« dit cet éminent jurisconsulte, a obéi quant à ce à
« d’autres principes que le droit romain, afin de ne pas
« prolonger l’incertitude des transactions. Ce n’est qu’à
1 L. 19, Dig. de mimribus.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
633
« l’égard des actes faits par les mineurs et les interdits,
« et non à l’égard des actes faits par ceux auxquels
« ils succèdent, que l’article 1304 ordonne que le
« temps ne courra que du jour de la majorité ou de la
« levée de l’interdiction. De plus, l’article 1676 porte
a expressément que le délai donné pour la rescision de
« la vente pour lésion des sept douzièmes court contre
« les absents, les interdits et les mineurs venant du
« chef d’un majeur.1 i
Nous pourrions dire de Toullier ce que lui-même
disait tout à l’heure de Merlin : il ne s’est pas exprimé
avec son exactitude ordinaire. 11 est, en effet, facile de
reconnaître que des deux arguments qu’il invoque, le
premier est insignifiant, le second se retorque contre
son opinion d’une manière victorieuse.
L’article 1304 n’avait qu’un objet spécial: le sort de
l’acte nul pour avoir été souscrit en minorité, en état
d’interdiction, ou rescindable pour cause d’erreur ou de
dol. Dans chacun de ces cas, il détermine le point de
départ de la prescription de l’action qui en résulte.
Mais l’article 1304 ne s’explique ni sur le cas où les
personnes ; à qui appartient l’action, meurent sans
l’avoir exercée et avant que le délai, dans lequel l’exer
cice en est circonscrit, ait commencé de courir, ni sur
le cas où elles meurent pendant le cours de ce délai, ni
sur le cas où ce sont des mineurs qui leur succèdent.
Que conclure de ce silence, si non que, s’en référant aux
principes généraux en matière de prescription, le légis'1 Tom, yii, n° 615.
�634
TRAITÉ
lateur a laissé sous leur empire la solution que chacun
d’eux doit recevoir.
Ainsi dit Merlin, le législateur est censé dire que,
dans le premier cas, l’héritier entre dans tous les droits
du défunt, et que par suite il jouit, pour intenter Fac
tion en nullité ou en rescision, de tout le délai qui était
encore entier à la mort de celui-ci ; il est censé dire, par
la même raison, que, dans le second cas, l’héritier a pour
intenter l’action tout le temps qui restait encore au dé
funt; il faut donc bien aussi qu’il soit censé dire que,
dans le troisième cas, le temps qui restait au défunt ne
commencera à courir contre l’héritier que du jour où
celui-ci aura atteint sa majorité.1
Cela est d’autant plus évident, qu’on ne pourrait dé
cider le contraire sans violer formellement la disposition
de l’article 2252. Sans doute la règle qu’elle renferme
est susceptible de quelques exceptions, mais à condition
que ces exceptions soient textuellement établies par
une disposition expresse, c’est ainsi que l’exige l’article
2252 lui-même.
Or cette exception, dans le cas de l’article 1676,
n’est qu’une conséquence du principe posé par l’ar
ticle 2252. La 'prescription de l’action biennale court
contre le mineur et l’interdit parce que l’article 1676,
conformément à ce principe, le décide formellement.
Toullier ne pourrait donc invoquer l’analogie qui le dé
termine que si l’article 1304 s’expliquait comme l’ar
ticle 1676- Nous avons donc raison de dire que, loin
1 Q u estion
de d ro it, y 0, rescision ,
§ 5.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
(J35
d’être favorable à son système, cet article le repousse ;
il est évident en effet que si l’article 1676 ne s’en était
pas formellement expliqué, la prescription biennale de
l’action en rescision eût été suspendue par la minorité
et l’interdiction. Donc l’article 1304 gardant le silence,
il est impossible de ne pas admettre, dans l’hypothèse
qu’il prévoit, ce qu’on aurait admis dans le cas de l’ar
ticle 1676, si, à son tour, celui-ci s’était tu.
Mais, dit Toullier, il y a non-seulement identité de rai
son, mais une raison de plus pour appliquer la disposition
de l’article 1676 aux autres actions en rescision dont
la durée est de dix ans. Les considérations qui précè
dent repoussent suffisamment cette observation, que
les principes d’ailleurs condamnent. Lorsqu’il s’agit
d’une exception pour laquelle la loi exige un texte for
mel, l’existence de ce texte, pour un cas déterminé, ne
saurait autoriser son application à un autre cas non
spécifié. Ce qui en résulterait plutôt, c’est que ce der
nier a été formellement exclu : Qui dicit de uno, de altero negat. 11 suffit donc que l’article 1676 soit une
exception au principe général pour qu’il faille le res
treindre au cas spécial qu’il prévoit, soit on vertu du
principe que nous venons de rappeler, soit parce que
les exceptions étant de droit étroit, on ne peut les
étendre d’un cas à l’autre sous prétexte d’analogie, de
parité ou de supériorité de raison.
Nous ne croyons donc pas que l’opinion de Toullier
puisse être suivie. L’avis contraire est seul conforme
aux véritables principes, c’est ce qu’attestent la doctrine
�036
TRAITE
et la jurisprudence.1 On doit donc décider que dans le
cas de l’article 1504, comme dans la prescription en
général, le délai est suspendu par la minorité et par l’in
terdiction de l’héritier du majeur , contre lequel il a
commencé de courir.
625. — Nous avons vu plus haut que le dol engendre,
outre et indépendamment de l’action en rescision, l’ac
tion en dommages-intérêts, et que le plaignant est en
droit d’exercer celle-ci, soit qu’il ne veuille ou qu’il ne
puisse intenter l’autre. Cette action, comme celle en
rescision, est-elle atteinte par la prescription de dix ans?
La négative est enseignée par M. Chardon en ces •
termes: « Si l’action ne tendait qu’aux dommages-in« térêts résultant du dol, elle pourrait être utilement
« exercée après les dix ans de la découverte. La règle
<> générale pour les prescriptions est celle que contient
« l’article 2262 du Code civil, qui fixe à trente ans la
i durée de toutes les actions réelles ou personnelles.
« Toutes les prescriptions acquises par un laps de
« temps mois considérable ne sont que des exceptions
« à cette règle, et, comme toutes les exceptions, elles
« doivent être restreintes aux cas pour lesquels elles
« sont établies. Or l’article 1504 n’établit la prescrip« tion de dix ans qu’à l’égard de l’action en nullité.a »
Parfaitement d’accord avec M. Chardon sur le prin1 Merlin, loco c ilu lo ; — Domal, L.eiv., liv. 2, lit. delà re stitu tio n ,
sect. 1, n“ 15 ; — Solon, des N u llité s, t. n, p. 404, n" 493 ; — Limoges,
26 mai 1538 ; — D. P., 58, 2, 203,
2 T. i, p. 85, u° 54.
�DU DOL ET DE LA FRA UDE.
637
cipe, nous ne pouvons en contester la conséquence.
Mais ce que nous ne pouvons admettre, c’est l’appli
cation qu’il en fait à l’article 1304, lequel nous paraît
établir formellement une exception à l’article 2262.
Il est vrai que cet article ne parle nommément que de
l’action en nullité ou rescision , mais l’extinction ne
porte pas seulement sur l’action ; ce que la prescription
atteint, c’est principalement sa cause, or si l’action en
dommages-intérêts n’a pas d’autre cause que celle de
l’action en rescision, et si, pour ce qui concerne cette
dernière, cette cause est désormais éteinte, comment
la première pourrait-elle survivre à son principe géné
rateur?
L’identité de la cause , dans l’action en rescision
et dans celle en dommages-intérêts, ne saurait être
contestée. Le dol seul qui motive l’une, motive l’au
tre. Mais si l’acte ne peut môme plus être querellé
sous ce rapport, il est évident qu’on n’aurait aucun
fondement dans la demande en dommages-intérêts, et
que cette demande ne pourrait être justifiée.
C’est ce qui se réalise chaque jour pour la rescision,
pour vices rédhibitoires. L’existence de l’un de ces
vices engendre deux actions : l’une en rescision, l’autre
en quanti minons, c’est-à-dire en dommages-intérêts.
Celui qui ayant intenté l’une a succombé serait-il
recevable à intenter plus tard la seconde ? Évidem
ment non, car en donnant congé sur la première, le ju
gement a légalement prononcé sur toutes les deux.
Cette doctrine, que nous avons dit être celle du judi-
�838
T R A ITE
cieux Pothier,1 a conduit à cette conséquence ration
nelle , que celui, qui a laissé expirer les délais de
la rédhibition , ne peut plus recourir à l’action en
dommages-intérêts, c’est ce que la Cour d’appel d’Aix,
notamment, a jugé dans l’affaire Agard contre Gilles,
sur le motif entre autres que le recours en dommagesintérêts, après la déchéance de l’action en nullité ou
rescision de la vente, accuserait l’inutilité de cette dé
chéance en la remplaçant avantageusement par l’action
en dommages-intérêts.2
Le même effet se produirait exactement dans le cas
de l’article 1304, si l’opinion de M. Chardon pouvait
être admise. Quel serait le bénéfice de la prescription,
si son accomplissement laisse subsister : d’une part, le
droit d’obtenir une réparation intégrale; de l’autre ,
l’obligation de faire disparaître tout préjudice occasioné
parle dol? Qu’aurait donc gagné celui qui a prescrit?
Quelle serait la peine de la négligence de celui qui a
laissé prescrire? Le maintien de l’acte! Mais ce maintien
n’a plus de prix réel, lorsque l’inégalité qu’il crée doit
être rachetée à prix d’argent.
Le système de M. Chardon enlève donc toute sanc
tion réelle à l’article 1504. L’action en dommages-inté
rêts ne pourrait survivre à l’action en rescision sans
briser toute l’économie de cette disposition législative,
sans méconnaître ouvertement l’esprit qui l’a dictée.
Nous venons de le dire, la prescription n’est, à vrai
1 Vid. supra, n“ 838.
2 23 décembre 1813; — J u risp . de la Cour
d'Aix,
1844, p, 129.
�P E DOL E T DE LA F R A U D E .
639
dire, qu’un mode de ratification tacite, car elle ne ré
sulte que d’une exécution donnée en pleine connais
sance du vice dont l’obligation est entachée. Dix ans
entiers de cette exécution font consacrer qu’il a été
dans l’intention des parties de purger ce vice, lequel
se trouve dès-lors complètement effacé. Or, comment
concilier cette conséquence avec le système de M. Char
don? L’action en dommages-intérêts survivrait-elle à la
ratification expresse ou tacite? Evidemment non. Mais
alors comment pourrait-elle survivre à la ratification
légale résultant de l’exécution décennale? L’obstacle
que nous rencontrons dans le premier cas, à savoir :
l’extinction du principe générateur de l’action se rencon
tre d’une manière non moins énergique, non moins pé
remptoire. Il y a dès-lors une invincible impossibilité à
décider pour l’un le contraire de ce qu’on déciderait
pour l’autre.
En résumé, si le dol crée deux actions, ces deux ac
tions, différentes quant aux résultats, n’ont qu’une seule
cause. La prescription effaçant le dol, empêchant qu’on
puisse plus tard en alléguer l’existence, atteint égale
ment tous les droits que celui-ci est dans le cas de créer.
Permettre de demander des dommages-intérêts lors
qu’on s’est rendu non-recevable à poursuivre la rescision
de l’acte, c’est véritablement abuser de la différence
des mots et reconnaître un effet qui n’a pas de cause.
626. — Nous ne pouvons donc partager l’opinion
de M. Chardon, pas plus en ce point que lorsqu’il en
seigne qu’après trente ans, lors même que le dol n’au-
�<M0
T R A ITE
rait été découvert que récemment, toute action serait
prescrite. On ne saurait se placer plus formellement en
contradiction avec le texte de la loi, qui ne fait courir
le délai de dix ans que du jour de cette découverte.
Cette découverte est donc un des éléments constitutifs
de la prescription, elle en forme Tunique point de dé
part, à quelque époque qu’elle se réalise. Conséquem
ment, dire que l’exécution qui a précédé cette décou
verte pourra concourir dans une proportion quelconque
à l’acquisition de la prescription ou la déterminer, c’est
se placer en révolte ouverte contre la volonté expresse
du législateur, c’est consacrer une injustice en dépouil
lant celui qui n’a jamais pu agir parce qu’il a toujours
ignoré qu’il eût un droit à exercer ; c’est enfin mécon
naître cette maxime si équitable : Contra non valenlem agere, non curril prescriptio,
La prescription ne peut se justifier que par l’incon
cevable négligence apportée à la réclamation d’un droit
qu’on sait vous appartenir, qu’on est en état de reven
diquer. C’est ce que consacre l’article 1304, en n’ou
vrant le délai de la prescription qu’au moment de la
découverte du dol. Assigner un temps quelconque à
cette découverte, était une chose impossible. C’est donc
ajouter à la loi que de la circonscrire même dans le dé
lai de trente ans.
627. — La déchéance prononcée par l’article 1304
est absolue ; il est bon de ne pas le perdre de vue, en
présence des principes concernant la répétition de l’indû.
On sait qu’aux termes de l’article 1235, ce qui a été
�.
DU D O L E T D E L A F R A U D E .
641
payé sans être dû est sujet à répétition, on sait aussi
que l’action en répétition dure trente ans. Or, celui qui
a soldé une obligation pourrait prétendre avoir payé ce
qu’il ne devait pas, et conséquemment vouloir se placer
sous le patronage de la prescription trentenaire.
Il est certain que le dol n’oblige ni naturellement ni
civilement. Celui qui a payé une dette qui en est viciée
a donc réellement payé ce qu’il ne devait pas. Mais si on
pouvait, en pareille matière, invoquer les principes de
la répétition, on arriverait ;à cette singulière antinomie
qu’un droit, éteint en vertu de l’article 1304, survivrait
pendant vingt ans encore à cette extinction. Cet article
ne serait donc plus qu’une menace inutile et vaine.
Un pareil résultat est la condamnation la plus éner
gique du système qui le verrait se produire. Nous pou
vons donc, par l’effet seul, juger que le législateur n’a
pu admettre la cause. C’est au reste à quoi aboutit l’ap
préciation des véritables principes en matière de répé
tition de la chose non due.
Il n’y a paiement non dû que lorsque la dette n’exis
tait pas ou n’existait plus au moment où elle a été payée;
et que cette circonstance, ignorée au moins par le débi
teur, a seule déterminé le paiement. L’erreur sur la
qualité respective de créancier et de débiteur est telle
ment essentielle que celui qui paye, sachant qu’il ne doit
pas, se rend non-recevable à répéter : Sed si sciens se
non debere, indebitum solvit, cessât repelilio... Enim
vero indebitum solutum sciens, non recte repelit. 1
1 L., 1, Dis. et L. 9, Cod. de c o w ic t.
m d e b iti.
�Cette doctrine n’est que la conséquence de cette idée
fort juste : qu’on ne paye pas uniquement pour se pro
curer le plaisir de redemander judiciairement ce qu’on
n’était pas obligé de payer. Conséquemment, celui qui
paie sciemment une dette qu’on lui réclame, qui ne
peut en conséquence exciper d’une erreur quelconque,
prouve suffisamment que cette dette constituait au moins
pour lui une obligation naturelle, et ce motif suffit pour
rendre l’action en répétition non-recevable.
Ainsi l’exercice de la répétition suppose le paiement
par erreur d’une dette qui n’existait pas, soit que le pré
tendu débiteur ne se fût jamais engagé, soit que la dette
existant dans le principe eut déjà été payée par lui, soit
enfin qu’il ne fût pas le débiteur véritable.
Or, celui qui paie une dette, en vertu d’un engage
ment qu’il a souscrit, ne se place dans aucune de ces
hypothèses. Que la dette ait été acceptée par le résultat
de la violence, de l’erreur ou du dol, qu’elle soit sans
cause ou sur une cause fausse ou illicite, elle n’en existe
pas moins, elle n’en est pas moins le fait du débiteur,
qui demeure obligé tant qu’il n’a pas fait prononcer en
justice la nullité de son engagement. Un consentement
extorqué, dit Pothier, n’en est pas moins obligatoire
tant que le lien n’en a pas été régulièrement rompu.
Donc l’exécution de l’obligation, le paiement qu’elle a
déterminé, n’est qu’une conséquence naturelle de l’exis
tence de l’obligation elle-même. Donc la dette payée
était due aux yeux de la loi positive.
Comment donc pourrait-elle être répétée lorsque le
débiteur, pouvant la faire annuler, l’a au contraire ac-
�DU D O L E T D E LA F R A U D E .
643
ceptée et payée. Car il faut nécessairement admettre que
le paiement a été réalisé en pleine connaissance du vice
de l’obligation. En effet, si le dol n’était pas découvert
lors du paiement, il est inutile de recourir aux principes
de la répétition. L’action en nullité est ouverte du mo
ment où le dol apparaît, et cette action suffît pour dé
terminer la restitution de ce qui a été payé.
Que si le paiement a été fait avant la découverte du
vice et que, celle-ci se réalisant, le débiteur ait gardé le
silence pendant dix ans, ce silence équivaut à ratifica
tion. L’acte ainsi confirmé est désormais inattaquable.
Or, la dette existant dès-lors légalement, le paiement
qui l’a éteinte ne saurait devenir l’objet d’une action en
répétition.
Ainsi tant que l’action en nullité n’est pas prescrite,
elle sauvegarde suffisamment les intérêts du débiteur,
elle est pour lui à l’instar de la répétition, puisqu’elle
amène le remboursement de ce qu’il a injustement payé.
Après l’extinction de cette action, il existe réellement
une dette obligatoire puisant ce caractère dans la ratifi
cation dont elle a été l’objet, soit expressément, soit
tacitement, soit par l’effet de la prescription. Il ne peut
donc y avoir lieu à répétition, par la meilleure de toutes
les raisons, à savoir : ’parce que le paiement s’ap
plique à une dette due.
Les considérations qui précèdent nous paraissent de
nature à applanir les difficultés que pourrait faire naître
la distinction entre les cas où l’on pourrait être appelé
à exercer soit l’action en rescision, soit l’action en ré
pétition. Le paiement a-t-il été la conséquence de l’er-
:
V
É
I
�644
TR A ITE
reur sur l’existence actuelle de la dette, sur la qualité
respective de créancier et de débiteur? C’est l’action en
répétition qui est ouverte. Toutes les fois, au contraire,
que l’erreur a porté sur les caractères extérieurs ou es
sentiels de l’obligation, sur sa validité, l’action est dé
terminée par l’objet qu’elle se propose. Or, dans cette
hypothèse, la restitution ne sera que la conséquence de
la constatation du vice de l’obligation, de la nullité qui
en résulte. C’est donc celte nullité qu’on doit établir a
priori, et dès-lors l’action rentre nécessairement sous
l’application de l’article 1304.
628. — Nous avons raisonné jusqu’ici dans l’hypo
thèse de l’action intentée après l’exécution de l’acte, et
nous avons dit que la prescription n’était elle-même que
la conséquence de cette exécution. Il est cependant cer
tain que, même dans le cas où l’acte n’a pas été exé
cuté, l’action du débiteur se prescrirait par dix ans, en
ce sens qu’après ce délai il ne pourrait plus directement
faire prononcer la rescision de l’obligation.
629. — Mais, loin d’affaiblir notre système, ce point
de vue vient lui donner une éclatante confirmation. En
effet, le créancier, dans cette hypothèse, ne gagne à la
prescription que d’être affranchi de la nécessité de se
défendre en justice contre la demande en rescision,
ses droits, quant à la chose ayant fait l’objet de l’obli
gation demeurent ce qu’ils ont été jusque là, une me
nace d’autant plus vaine que, le jour où il voudra les
réaliser, le débiteur aura la faculté de faire prononcer
�DU DOL E T DE LA FR A U D E .
645
par voie d’exception la rescision qu’il ne peut requérir
par voie d’action. Ici, en effet, s’applique la maxime :
Quæ temporalia sunl ad agendum, sunt perpétua ad
excipiendum.
630. — Il n’est peut-être pas de règle qui soit plus
souvent invoquée au palais que celle que nous rappe
lons, il s’en faut pourtant qu’elle le soit toujours à
propos. Cette circonstance, et l’importance d’ailleurs
qu’elle a pour les droits qu’elle est dans le cas de pro
téger, nous font un devoir d’en rechercher le sens, d’en
préciser l’étendue. Nous déterminerons ainsi les cas
dans lesquels elle doit être appliquée.
Que cette règle puise son origine dans certains textes
du droit romain, c’est ce dont il est permis de douter.
A notre avis, Merlin 1 prouve le contraire avec autant
de supériorité de raison que de clarté.
Ce qui est certain, c’est qu’elle avait été consacrée en
principe par notre ancien droit. Mais, d’accord sur ce
principe, les docteurs étaient loin de s’entendre sur son
application. Quelques-uns mêmes allaient jusqu’à l’ex
clure, lorsque ce qui faisait l’objet de l’exception avait
pu être proposé par voie d’action.
Cette doctrine, comme l’observe Merlin, dénaturait
complètement le principe. La faculté d’agir perpétuel
lement par exception, lorsque l’action n’est que tempo
raire, implique forcément le concours de l’action et de
l’exception. Prohiber celle-ci, lorsque l’autre n’avait pas
? Rëperl. , v° prescription , sect. 2, §25.
�640
T R A ITÉ
été exercée, c’était donc refuser d’appliquer la règle au
cas pour lequel elle a été précisément faite et qu’elle
paraissait devoir exclusivement régir.
C’est cependant cette erreur grave que les rédacteurs
de l’ordonnance de 1539 avaient consacrée, en inscri
vant dans l’article 134 : qu après l’âge de 35 «ns parfaits
et accomplis ne se pourrait, pour le regard du privilège
ou faveur de minorité, plus déduire ou poursuivre la
cassation des contrats, en demandant ou en défendant.
Ainsi la prescription atteignait, sous l’empire de
cette ordonnance, non-seulement l’action, mais encore
l’exception. Mais cette disposition avait été, à l’endroit
de celle-ci, sévèrement appréciée par la doctrine. In
hoc iniqua est constilutio, s’écriait Dumoulin, et cette
opinion si grave avait suffi pour que dans la pratique
le texte rigoureux de l’ordonnance ne fût appliqué que
lorsque, sous le rôle apparent de défendeur, le mineur
venait, comme véritable demandeur, après dix ans de
la majorité, exciper de la lésion soufferte en minorité.
Les termes de l’article 1304, en regard de ceux de
l’ordonnance de 1539, prouvent que le législateur nou
veau a formellement proscrit le système de celle-ci.
La réprobation qui avait d’ailleurs accueilli ce système
lui en faisait un devoir. Cependant M. Duranton voit,
dans le silence gardé sur l’exception, l’intention de sui
vre aujourd’hui encore l’opinion des rédacteurs de l’or
donnance. Mais cette doctrine nous paraît insoutenable
en présence du texte, mieux encore de l’esprit de la loi.
631. — L’article 1304 n’a pas dit que l’exception
�DU D O L E T D E L A F R A U D E .
(MT
serait prescrite, parce que l’exception à l’aide de la
quelle on veut se maintenir en possession suppose,
chez celui qui en excipe, la possession actuelle et an
cienne de ce qui fait l’objet du litige. Celui qui veut le
dépouiller n’a donc pas cette possession, et, en cet état,
comment concevoir la possibilité d’une prescription?
On ne peut prescrire qu’autant qu’on a possédé, que ce
qu’on a possédé : Tantum prescriplum quamtum possessum. Il suffit donc que celui qui revendique n’ait rien
possédé, pour qu’il n’ait pas, nous ne dirons pas pres
crit, mais pu prescrire. Si quelque chose avait pu être
atteint par la prescription, ce serait le droit qu’on
cherche à faire valoir après un silence et une inaction
de plus de dix ans. Ainsi, l’absence de toute possession
ne permettait pas de placer l’exception sur la même
ligne que l’action dans l’hypothèse contraire, et voilà
pourquoi l’article 1304 se borne à soumettre celle-ci à
la prescription qu’il édicte. Le silence qu’il garde sur
l’exception 11e peut donc être interprété comme le fait
M. Duranton. On ne comprendrait pas d’ailleurs ce si
lence si le Code n’avait voulu que ce que voulait l’or
donnance. La chose méritait certes bien qu’il s’en ex
pliquât autrement.
632. — L’esprit de la loi ainsi fixé, nous arrivons à
cette conséquence que l’exception perpétuelle suppose
l’existence d’une action actuellement prescrite. C’est évi
demment ce qui se réalisera dans le cas de dol, lorsque
la prescription décennale aura fait disparaître l’action.
Dès-lors, la recevabilité de la maxime quœ tempora-
�648
T R A ITE
lia, etc... ne peut être contestée. Nous ne connaissons
guère que M. Durantou qui l’ait combattue.1 Mais il
suffit de lire ce qu’il a écrit à ce sujet pour s’étonner
qu’un jurisconsulte aussi distingué n’ait pas jugé par
l’embarras de ses développements et par la gravité des
doutes qu’il signale qu’il n’était pas dans la voie des
véritables principes.
Son opinion, indépendamment de ce qu’elle est à
peu près isolée, est combattue par une nombreuse et
imposante jurisprudence, couronnée par un arrêt de
la Cour de cassation du 1er décembre 1846.2
633. — Cet arrêt nous fournit l’occasion naturelle
de passer de ces considérations générales aux condi
tions que le juge doit exiger pour appliquer la règle
que nous examinons. Or, la première et la plus in
dispensable de ces conditions, c’est que l’obligation
nulle ou rescindable n’ait encore reçu aucune exécu
tion. Ainsi, la:Cour de cassation pose en principe que
l’exception ne peut être utilement invoquée qu’autant
que celui qui s’en prévaut est constamment resté en
possession de l’objet ayant fait la matière de cette obli
gation. Alors, en effet, le créancier n’a pu prescrire,
ainsi que nous venons de le dire, et, de son côté, le
débiteur n’ayant jamais éprouvé de préjudice, ne peut
être présumé avoir renoncé au droit que l’existence
du dol lui conférait. L’exception n’est en conséquence
1 T. x ii , n" 349.
2 Journal du Palais, t. i,'p. 16, 1847.
�649
D ü DOL ET DE LA FRAUDE.
qu’un moyen de se défendre contre une injuste spolia
tion qu’il ne dépendait pas du créancier de faire réussir
en retardant à dessein le moment de la poursuivre.
L’attaque se réalisant, la défense a le droit de se pro
duire, car, comme l’observe Merlin, rien n’est plus
conforme à l’équité que de faire durer le droit de se
défendre aussi longtemps que dure le droit d’attaquer,
et de ne jamais considérer comme trop lente la défense
qui est aussi prompte que l’attaque.
654. — L’exception perpétuelle doit donc offrir ce
caractère qu’elle n’est que la défense à la demande. Dèslors elle suppose que l’acte rescindable n’a encore reçu
aucune exécution; dans le cas contraire, le débiteur
ne possédant plus ne pourrait plus en invoquer le bé
néfice.
Ainsi, je suis induit, par dol, «à vendre tout ou partie
de ce que je possède. Découvrant le dol, je refuse de
livrer l’objet vendu que je continue déposséder. Dix
ans après, l’acquéreur me poursuit, en exécution de la
vente, j’ai le droit d’en faire prononcer la résiliation.
Vainement opposerait-on la prescription, cette pres
cription m’a enlevé la faculté de faire prononcer la res
cision par voie d’action, mais l’absence d’exécution, la
continuité de la possession, enfin ma qualité de défen
deur m’autorisent à me prévaloir de la maxime quœ
lemporalia, etc...
655. — La possession est donc réellement, le fait
dominant du litige. De là, cette conséquence que le
i
36
�650
T R A ITE
débiteur qui l’aurait perdue ou qui ne l’exercerait pas
jure sao, ne pourrait, après la pi’escription de l’action,
demander la rescision de l’acte par voie d’exception.
La possession, pour conserver, doit offrir les caractères
exigés pour celle qui fait acquérir, c’est-à-dire qu’elle
doit être paisible, publique et exercée animo domini.
Une possession matérielle, contraire à un titre régulier
ou entaché de précarité ne suffirait donc pas.
656- — Dès-lors, celui qui aurait ratifié l’obligation
rescindable, soit expressément, soit tacitement, et qui
aurait ainsi aliéné le droit de l’attaquer par action, ne
serait plus recevable à en demander l’annulation par
voie d’exception. La possession de fait dont il exciperait ne pourrait prévaloir contre le titre régulier et légi
time de son adversaire, à moins que, s’étant prolongée
au-delà de trente ans, elle fût sanctionnée par la pres
cription. La même fin de non-recevoir écarterait la pré
tention à faire rescinder l’acte par exception, lorsque
le défendeur n’a conservé les biens qu’il détient qu’à
titre de locataire ou de fermier.
637. — En dernière analyse, l’exception n’est proposable que lorsqu’elle a pour objet de maintenir un
fait existant au moyen de l’annulation d’un titre con
traire. C’est ce qui se réalise lorsque celui qui est ac
tionné en revendication excipe de sa possession cons
tante et demande la rescision du titre en vertu duquel
on veut l’en dépouiller.
Mais lorsque dépouillé, soit de fait, soit en vertu d’un
�I)ü DOL E T DE LA FR A U D E .
651
titre dont il a reconnu la validité, il veut reconquérir
ce qu’il a perdu, sa prétention ne peut plus constituer
une exception. De quelque manière qu’elle se produise,
elle n’en constituera pas moins une action tombant
sous l’application des articles 1504 et 1558. Ainsi, la
maxime quœ lemporcilia, etc— n’est applicable que
lorsqu’il s’agit de conserver ce que l’on possède. Elle
ne peut jamais être appelée au secours d’une prétention
tendant à se faire restituer ce qu’on a perdu. La posses
sion de l’objet en litige est donc une condition sans la
quelle on ne saurait même l’invoquer. Cette conclusion
de la Cour de cassation n’est que la consécration des
principes anciens sur la matière.1
658. — C’est dans ce caractère essentiel de l’ex
ception que se trouve la solution des difficultés que son
applicabilité peut créer dans certains cas. La loi 9, § 4,
Dig., de jurejurando, nous offre une hypothèse qui
peut fréquemment se présenter encore : un individu,
déchu de l’action en rescision, intente purement et
simplement l’action en revendication de l’objet qu’il
prétend lui appartenir, sans indiquer le titre qui l’en
a dépouillé. Lorsque ce titre lui est opposé, il en de
mande à son tour la rescision, répondant au reproche
de prescription par la maxime quœ lemporalia, etc...
Evidemment l’application de cette maxime est ici in
voquée par voie d’exception, mais elle n’en doit pas moins
1 Vid. L. 51, Dig. quitus causis majores etc... président Favre^
Ralionalia in pandeclas, sur la L. 9, § 4, de jurejurando.
�552
TRA ITÉ
être refusée. Son objet n’est plus de conserver, il tend
à faire acquérir un droit définitivement aliéné. Dès-lors
celui qui l’invoque n’est pas dans les conditions voulues
parla loi. Qu’importe, en effet, qu’en formulant sa de
mande première, il n’ait fait aucune mention du titre
qu’il savait exister? Ce silence ne peut changer l’état
des choses, ni surtout empêcher que la revendication
exercée ne puisse être accueillie tant que le titre restera
debout. Sa rescision est donc l’objet principal du litige,
le but réel de l’action principalement intentée, dès-lors
si, par la prescription encourue, cette rescision n’est
plus admissible, cette demande doit être rejetée.
S’il suffisait du détour que nous venons de signaler
pour échapper à l’article 1304, sa disposition ne serait
bientôt plus qu’une lettre morte sans efficacité, sans ap
plication. On évitera ce fâcheux résultat en appréciant
la prétention dont on investit la justice plutôt par ses
effets que par la circonstance dans laquelle elle se pro
duit. L’exception est-elle invoquée à l’appui et pour le
maintien d’un état des choses actuel? Elle est perpé
tuelle, la règle quœ temporalia, etc... est applicable.
A-t-elle pour objet de faire acquérir un droit perdu, la
possession d’une chose dont on s’est dépouillé? Elle
constitue une véritable demande principale régie par la
disposition de l’article 1304. L’invocation de la maxime
qutç temporalia, etc... n’est qu’un abus.
Il en est de même lorsque cette invocation est faite
pour échapper à la prescription qu’on oppose contre
une demande qui, sans être une défense contre l’action
à laquelle on défend, tend cependant à la modifier ou à
�DU DOU E T DE L A F R A U D E .
653
en atténuer les résultats. Telles sont les demandes re
conventionnelles ou en compensation.
Henrys estime que ces demandes constituent des ac
tions plutôt que des exceptions. Ce sont, dit-il, des de
mandes réciproques accumulées, et le défendeur, par
ces exceptions, tend plutôt à une compensation qu’à dé
truire la demande principale. Par exemple : Titius fait
demande à un journalier, à un laboureur, du paiement
d’une obligation, le défendeur excipe de quelques jour
nées ou labourages qu’il prétend. Cette exception n’est
pas inhérente à l’action principale, c’est plutôt une nou
velle action qu’une exception. 1
De là Henrys conclut, avec raison, que, si cette ex
ception était à son tour repoussée par celle de prescrip
tion, celui qui l’oppose ne pourrait se prétendre relevé
de celle-ci par l’action principale à laquelle il défend.
L’action, en effet, ne produit ce résultat qu’à l’endroit
de l’exception qui lui est viscérale et connexe, qui
procède, conséquemment, de l’action elle-même qu’elle
a pour but d’anéantir : Quœ perimit actionem. Or, tel
n’est pas, évidemment, le caractère de l’exception com
pensatoire ou reconventionnelle. Elle ne peut être ad
mise que si elle est fondée en fait et en droit au mo
ment où on l’oppose. Dès-lors, si elle se trouve frappée
de prescription, les conditions de la raison et de la loi
ne se rencontrent plus, et le rejet qui l’accueille n’est
qu’un devoir rigoureux pour le magistrat.
L’absence de connexité entre les deux droits les rend
J... 4, quest. 44, l. u, p. 961.
�T R A ITE
tellement indépendants l’un de l’autre, que les dili
gences faites par le créancier de l’un ne sauraient
même suspendre la prescription à l’égard de l’autre.
Ainsi, il suffirait que la prescription non accomplie au
moment de l’introduction de l’instance, le fût au mo
ment où l’exception se produit, pour que cette excep
tion dût être rejetée. C’est ce que la Cour de cassation a
formellement décidé par arrêt du 30 mars 1808.
Ainsi, la nature de la demande reconventionnelle ou
en compensation n’est nullement modifiée parce qu’au
lieu d’être introduite par action principale, elle est op
posée par exception à une instance pendante. Elle ne
peut triompher dans ce cas que si elle eût dû être ac
cueillie dans le premier. Donc, la prétention d’échapper
à la prescription qui l’eût repoussée dans celui-ci, par
application de la maxime quæ lemporalia sunt ad agendum, sunt perpétua ad excipiendum, n’est ni admissible
ni fondée; elle tend à confondre deux choses essentiel
lement distinctes et à poursuivre abusivement un avan
tage que la raison et la loi repoussent également.
639. -- En résumé, la perpétuité de l’exception est
admise par notre législation. Mais ce caractère n’ap
partient qu’à celle qui est viscérale et connexe à l’ac
tion elle-même et dont le but est d’obtenir par le rejet
de cette action le maintien et la conservation de l’état
des choses qu’elle met en question. Réclamer un droit
dont on s’est dépouillé en se ménageant la faculté de le
faire par voie d’exception, opposer à une demande une
prétention qui, sans la détruire, doit en modifier ou en
�DU DOD E T D E DA F R A U D E .
655
atténuer les effets, c’est former une demande principale
plutôt qu’opposer une exception, dans quelque circons
tance qu’on se trouve placé. Dès-lors, la prescription
qui a éteint le droit est un obstacle invincible à ce qu’il
puisse être revendiqué. Décider le contraire par appli
cation de la maxime quæ temporalia sunl ad agendum,
mnl perpétua ad excipiendum, ce serait méconnaître
son véritable caractère et lui accorder une étendue dont
elle n’est, pas susceptible.
FIN DU TOME 1.
��TABLE
D E S C H A P I T R E S D U T O M E I.
Pages.
OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES.......................................... I
CHAPITRE 1. — Définition du dol.......................................11
Section i. — Caractères du dol..................................................16
Section n. — Des diverses espèces de dol................................. 29
§ 1. — Dol substantiel ou accidentel...................................... 36
§ 2. — Dol direct ou indirect...................................................... 51
§ 3 . — Dol positif ou négatif...................................................... 59
§ 4. — Dol postérieur au contrat.................................................69
CHAPITRE II. — De la preuve du dol................................ 74
Section i. — Du dol présumé......................................................76
Section n. — Dol non présumé, modes de preuve. . . . 193
CHAPITRE III. — Des effets du dol......................................232
Section i. — Dol dans les traités, ses effets................................ 233
§ 1. — De l’action en nullité ou rescision...................................... 237
§ 2. — De l’action en dommages-intérêts......................................269
Section ii. — Dol dans le mariage.................................................311
Section ni. — Dol dans les libéralités........................................... 364
Section iv. — Dol dans les jugements........................................... 429
§ 1. — De la requête civile....................................................... 432
§ 2. —De la prise à partie............................................................469
Section v. — Dol imputable aux officiers ministériels. . . 492
c h a p i t r e IV.—Des fins de non-recevoir contre l’action. 526
Section i. — De la chose jugée................................ .....
528
Section u. — De la ratification.................................................. 581
Section m. — De la prescription................................................ 623
FIN DE LA TABLE DU TOME I.
��EXPLICATION DES ABRÉVIATIONS.
D. A. v° succesion. Dalloz aîné, Alphabétique, au mot succession.
D. Dict. général. Dalloz (Armand), Dictionnaire général de Ju ris
prudence.
D. P ., 25, 1,31. Dalloz, Périodique, année 1825, première partie ,
pag. 31.
S. 28, d, 80.
Sirey, année 1825, première partie, pag. 30.
J. D. P. ,i, 41, p. 57, Journal du Palais, tome i, de!841,pag. 37.
J. D. P. Rep.
Répertoire du Journal du Palais.
N o t a . T ous le s arrêts q u i n e so n t in d iq u és q u e par leu r date, so n t
p u isé s d a n s la d ern ière é d itio n du
Journal du Palais.
�
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/321/RES-20879_Bedarride_Traite-dol_3_.pdf
1f0ee48fd4d8dc9260af0e83555c86e8
PDF Text
Text
DU DOL
ET
DE LA FRAUDE
EN MATIÈRE CIVILE ET COMMERCIALE
PAR ~. DÉDARRIDE,
.lVOC.lT .l
L..l
COUR
o ' .lPPRt. D'A IX '
.lNC IRK e!To?umm
Tome 3
PARIS,
COURCIER, LIBRAIRE, RUE HAUTEFl!UILLE, u ;
DURAND, LIBRAIRE, RUE DES GRÈS;
VEUVE THOREL, LIBRAIRE, PLACE DU PANTHÉON.
AIX,
AUBIN, LIBRAIRE-ÉDITEUR,
ltm LB COURS,
1852.
i•
�DU DOL
ET
DE LA FRAUDE
EN MATIÈRE CIVILE ET COMMERCIALE
PAR ~. DÉDARRIDE,
.lVOC.lT .l
L..l
COUR
o ' .lPPRt. D'A IX '
.lNC IRK e!To?umm
PARIS,
COURCIER, LIBRAIRE, RUE HAUTEFl!UILLE, u ;
DURAND, LIBRAIRE, RUE DES GRÈS;
VEUVE THOREL, LIBRAIRE, PLACE DU PANTHÉON.
AIX,
AUBIN, LIBRAIRE-ÉDITEUR,
ltm LB COURS,
1852.
i•
��TRAITÉ
DU DOL ET DE LA FRAUDE
EN MATIERE CIVILE ET COMMERCIALE.
TROISIEME PARTIE.
Sb&
OBSERVATIONS GÉNÉRALES, v >•;
SOMMAIRE.
1257. Définition de la simulation. En quoi elle diffère du dol
ou de la fraude.
1258. Elle est absolue ou relative.
1259. Objets qu’elle se propose.
1257. — La simulation n’est pas autre chose qu’une
fraude. Ce ,qui la distingue de celle que nous venons
�2
TRAITE
d’examiner et du dol lui-même, c’est que ceux-ci sont
ordinairement le fait exclusif d’une des parties, exécuté
et conçu pour causer un préjudice à l’autre, tandis que
la simulation ne peut exister sans le concours et le con
sentement de toutes les parties.
Une autre différence non moins essentielle, c’est que
la fraude et le dol sont nécessairement frauduleux et
que leur effet est d’annuler infailliblement le contrat
qui en est vicié. La simulation, au contraire, n'est pas
toujours illicite, elle est même, dans certains cas, in
capable d’empêcher la convention de recevoir son exé
cution pleine et entière.
Depuis longtemps la doctrine a défini la simulation.
Elle est le déguisement de la vérité; on appelle simulé,
l’acte qui n’est pas l’expression sincère de l’intention
réelle des parties : Cnm aliud agitur, aliiul simulalur
vcl scribitur.
1258- — La simulation est absolue ou relative. Ab
solue, quand les parties n’ont pas eu l’intention de con
tracter un véritable engagement ; lorsque le contrat est
purement fictif; lorsqu’on suppose des aliénations pour
mettre ses biens à couvert contre les poursuites de la loi
ou de ses créanciers.
Elle est relative, lorsque les parties ont formé un en
gagement réel sous l’apparence d’un autre contrat, une
donation sous la forme d’une vente, une vente sous celle
d’un échange, etc...
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
1259. — Ce double caractère indique suffisamment
les divers buts que peut se proposer la simulation. C’est
le déguisement pur et simple du contrat, ou un prétexte
pour éluder la loi, ou le moyen de tromper les tiers.
Nous allons la suivre dans chacune de ses phases, et en
rechercher les effets.
�TRAITÉ
CHAPITRE Ier
S IM U L A T IO N P U R E E T S IM P L E D U C O N T R A T .
SOMMAIRE.
1260.
1261.
1262.
1263.
Caractères de la simulation licite.
Législation romaine.
Législation actuelle.
Différence entre l’acte atteint d’une simulation relative
et celui vicié par une simulation absolue.
1264. Validité de la.donation déguisée. Débats qu’elle avait
soulevés dans le sein de la Cour de cassation.
1265. Ce résultat, juridiquement inévitable, paraît contraire
à la raison.
1266. La donation déguisée, affranchie de la révocation pour
cause d’ingratitude, est-elle révoquée pour surve
nance d’enfants ?
1267. Preuve admissible pour établir le véritable caractère
de l’acte, en cas d’action en révocation pour surve
nance d’enfants.
1268. Durée de l’action.
1269. Ses conséquences à l’endroit des tiers détenteurs.
�1 *
BU DOL ET BE LA FRAUDE.
5
La vente peut être valablement consentie sous forme
d’un échange et réciproquement.
Importance du véritable caractère de l’acte pour la
plainte ert lésion.
La preuve testimoniale est-elle admissible pour éta
blir la simulation ?
Simulation dans la date de l’acte sous seing privé. Ses
effets entre les parties.
Quid, en cas de dénégation de l’écriture ou de la signa
ture?
1275 La reconnaissance de l’acte est formelle ou tacite.
1276 Pour que l’acte puisse faire foi de sa date, il faut que
le souscripteur à qui on l’oppose n’ait pas acquis
depuis peu, ou n’ait pas perdu, dans l’intervalle, la
capacité de contracter.
1277 Application de cette règle au mineur ou à l'interdit.
1278 A la femme mariée.
1279 A celui frappé d’une condamnation criminelle.
1280 Les termes de l’article 1322, ayant-cause, s’appliquentils aux successeurs a titre particulier.
1281. Opinion de Toullier.
1282. Opinion contraire dé Chardon.
1283. Examen de celle-ci.
1284. Exception à la règle de l’article 1322, en matière de
lettres de change.
1285. Motifs de cette exception.
1286. Résumé.
1260. — La simulation simple, lorsqu’elle n’a pas
pour objet de déguiser une incapacité légale ou de don
ner une apparence licite à un contrat prohibé, lorsque,
enfin, elle ne renferme aucune intention de frauder la
loi ou de nuire à des tiers, n’est prohibée en aucune ma
nière. Son existence ne pourrait donc nuire à la vali
dité de l’acte, ni occasionner la nullité du contrat, dont
il a plu aux parties d’emprunter les formes.
Wùi
I
m
�TUAITK
Ces paroles, d’un arrêt de la Cour de cassation, du
51 octobre 1809, dominent notre matière. La règle en
résultant est la validité de l’acte, ramené à l’intention
vraie des parties.
Il est certain, en effet, que dès que les parties sont
respectivement capables de contracter ; que dès que
le contrat a une cause licite et réelle, les conditions
exigées pour la validité des conventions se trouvent
réalisées, et dès - lors, quelles que soient les formes
adoptées, le contrat tombe sous l’application de l’ar
ticle 1134, donnant un lien obligatoire aux conventions
légalement intervenues.
Nous disons quelles que soient les formes adoptées.
En effet, il importe peu que les parties aient donné au
contrat une qualification et une apparence distinctes
de celles qu’il devait naturellement offrir. Dans l’appré
ciation des conventions, c’est l’intention qu’il faut re
chercher plutôt que de s’arrêter servilement aux termes
dans lesquels elle se manifeste, et si l’exécution de l’in
tention vraie ne doit rencontrer aucun obstacle ni dans
la loi, ni dans l’ordre public, ni dans les droits des tiers,
elle doit non-seulement être tolérée, mais encore or
donnée.
1261. —• Cette règle n’avait pas été méconnue par le
droit romain, qui admettait la validité de l’acte simulé :
Si quis donatio7iis causa venditionis conlractus simulatus est, emptio in sua déficit substanlia, sane in possessionem rei sub specie traditionis' causa donationis, ut
te aleret induxisti : sicut perfecta donatio facile res-
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
7
cindi non potest, ita legi,quam luis rebus donans,
dixisti,parère convertit. 1
Dans son Commentaire de cette loi,Bruneman en ré
sume ainsi la substance : Simulatam emptionem licet
non valent ilia ut emplio, valere tamen ut alium con
tractura qui révéra intenditur, quia contractas sirnulalus a licito ad licitum jure non est irritas. Godefroy,
de son côté, enseigne, à cette occasion : El itci si non
valet quod ago ut ago, valet ut valere potest, non valet
ut venditio, valet ut donatio. Inspicitur volunlas contrahenlium quitus animas fuit donare, ita ut verus con
tractas donationis prœvaleat simulatæ venditioni.
Cette doctrine, confirmée par d’autres lois,2 ne pou
vait laisser aucun doute sur le sort de l’acte, il ne pa
raît pas qu’elle ait soulevé la moindre difficulté sous
notre ancien droit.
1262. — Le Code civil ne s’est pas exprimé avec la
netteté et la précision du législateur romain, mais, en
l’absence de toute disposition contraire, la rationalité
de la solution que nous venons d’indiquer devait la faire
admettre. Toutefois il y a mieux qu’un simple silence,
et, de quelques dispositions de notre !loi, on peut tirer
cette conséquence que la doctrine du droit romain a
reçu une approbation explicite.
1263- — L’acte, atteint d’une simulation relative,
1 L. 3, Cod. de Contrah. de empl.
* L. 9, Cod. eodem titulo ; — L. ult., Dig. pro donalo.
\
�________
TRAITE
ne saurait être assimilé à celui que vicie une simulation
absolue. On a pu dire de ce dernier : Colorent habet,
subèlantiam vero nullam. Tout ce qu’on pourrait dire
du premier, c’est que colorent habet, substantiam vero
alteram. La cause énoncée n’est pas exacte, mais, au
fond, il en existe une réelle et sincère.
Ce caractère, parfaitement saisi par la loi romaine,
avait dicté ses dispositions. Eh bien! ce caractère et
ses conséquences nous les retrouvons dans le Code civil;
il est vrai que l’article 1132 assimile la fausse cause à
la cause illicite, immorale, à l’absence de toute cause,
mais l’article 1133 ajoute immédiatement que la con
vention n’est pas moins valable, quoique la cause n’en
soit pas exprimée, d’où on a conclu que l’obligation est
valable quoique la cause exprimée soit fausse, pourvu
qu’il existe réellement une cause légitime.
C’est précisément ce qui se réalise dans la simulation
relative. Ainsi l’acte qualifié vente ou échange n’est ni
une vente, ni une échange, mais il est un donation dans
le premier cas, une vente dans le second. Si la cause
énoncée est fausse, il en existe donc une réelle, et' cela
suffit pour la validité de la convention.
Ce qui n’est qu’une induction, puissante il est vrai, en
regard de l’article 1133, devient une certitude si l’on
recourt à l’article 911. Dans celui-ci, le législateur s’oc
cupe de la simulation dans le caractère du contrat et
annule la donation déguisée sous la forme d’un acte à
titre onéreux, mais le motif déterminant de cette nullité
ne se puise pas dans le déguisement de la convention,
mais uniquement dans le défaut de capacité du doua-
�DD DOL ET DE LA FRAUDE.
9
taire. D’où il résulte que là où ce défaut de capacité
n’existe pas, la libéralité est bien obvenue, quelle que
soit d’ailleurs la forme sous laquelle elle ait étéjdéguisée.
1264. — Nous arrivons donc à ce résultat que, loin
de déroger au droit romain, le Code civil en a consacré
la doctrine, et ce qui le prouve d’une manière péremp
toire, c’est l’abandon aujourd’hui consommé d’une dis
sidence que la validité de la donation déguisée avait
soulevé dans le sein delà Cour de cassation elle-même;
ainsi, tandis que l’affirmative était professée par la cham
bre civile, la chambre des requêtes se prononçait pour
la négative.
Un arrêt rendu par celle-ci, le 8 frimaire an xm,
nous paraît utile à recueillir comme une constatation
des reproches pouvant être adressés au système qui a
définitivement prévalu.
Attendu, porte cet arrêt, que les lois du 17 nivôse
an il, et 4 germinal an vin, en introduisant un droit
nouveau, relativement à la quotité des biens disponibles,
n’ont rien statué à l’égard de la forme des actes par les
quels il serait permis de disposer à titre gratuit ; d’où il
résulte que les lois antérieures à ce sujet ont dû conti
nuer de recevoir leur exécution;
Attendu, que d’après la disposition de ces lois, et
notamment de l’ordonnance de 1731, il n’existait que
deux manières de disposer à titre gratuit, savoir : par
donations entre-vifsou par testament, chacune desquel
les était assujétie à des formes particulières dont l’inob
servation entraînait la peine de nullité; d’où il suit que
�10
t r a it é
lorsqu’un acte ne contient pas la mention expresse, de
la part de l’une des parties, de disposer en faveur de
l’autre htitre gratuit, et'que, sans être revêtu des formes
particulières à ce genre de disposition, il ne contient
que la simple énonciation d’un contrat commutatifà titre
onéreux, il ne peut être regardé comme donation par
cela seul qu’il ne peut valoir comme contrat commutatif,
car autrement ce serait tromper la sage prévoyance du
législateur ;qui, en exigeant l’énonciation expresse de
l’intention de disposer à titre gratuit, et la soumettant
à l’accomplissement de certaines formalités, n’a évidem
ment eu d’autre objet que de garantir les donateurs des
surprises qu’on pourrait leur faire en déguisant, sous
l’apparence d’un contrat à titre onéreux, une véritable
libéralité qui n’était point dans leur intention, et de dis
penser par ce moyen le donataire des obligations résul
tant d’une donation expresse, telles que la nécessité de
l’insinuation, la révocation pour cause d’ingratitude, de
survenance d’enfants et autres cas semblables.
Comme on le voit, le principal argument invoqué par
la chambre des requêtes était celui-ci : Des lois spéciales
ayant ordonné des formalités obligatoires pour les do
nations, il ne saurait être qu’on pût s’en dispenser
en déguisant la libéralité sous l’apparence d’un acte
à titre onéreux, il rie peut exister de donation valable
que celle qui réunit les formalités voulues par la loi.
Nous allons trouver la réponse à cet argument dans un
arrêt de la chambre civile, rendu le 5 janvier 1814,
précédé et suivi de beaucoup d’autres, tous dans le mê
me sens.
�Il
Vu les lois 56 et 58, Digeste de contrahenda emplione; la loi 6, Digeste pro donato, et la loi 5 eodem
titulo.
Et attendu que les donations taci tes sont permises par
les lois ci-dessus citées; que le statut delpliinal et l’or
donnance de 1751 ne les ont pas formellement abro
gées; que les dispositions de ces lois, relatives aux for
mes qu’elles prescrivent, comme indispensables pour
la validité des donations, ne se rapportent qu’aux dona
tions proprement dites, et non aux libéralités tacites,
faites sous les formes d’un autre contrat, lorsqu’il y a
capacité de donner et de recevoir sans blesser le vœu
de la loi ; que la simulation n’est prohibée que lors
qu’elle a pour objet d’éluder une disposition de loi ou
de nuire aux droits des tiers; que le principe, contenu à
cet égard dans les lois romaines, se trouve reproduit et
consacré par l’article 911 du Code civil.
'Cette jurisprudence n’a plus aujourd’hui de contra
dicteur, la chambre des requêtes ayant fini par s’y ral
lier. Il en résulte qu’en droit la donation, déguisée sous
l’apparence d’une vente, doit sortir à effet lorsqu’à la
capacité des parties contractantes se joint l’absence de
toute intention de nuire aux tiers. Nous reconnaissons
même qu’en présence des dispositions du Code, il était
difficile d’arriver légalement à un autre résultat.
Dü DOL ET DE LA FRAUDE.
1265. — Mais ce résultat contraire aurait dû être
accueilli et consacré par le législateur. Nous n’hésitons
pas à le dire, la validité de la donation, déguisée sous
la forme d’un contrat à titre onéreux, est un abus qu’on
�42
T UAl TÉ
eût bien fait de proscrire. Les inconvénients signalés
par la chambre des requêtes sont graves autant qu’évi
dents, et nous ne comprenons pas que le législateur
de 1845 n’ait pas eu le courage de consacrer une mesure
qui n’était que la conséquence rigoureusement logique
de la réforme qu’il introduisait dans la législation.
La différence d’une libéralité à un acte ordinaire ne
lui avait pas pourtant échappé. L’exception consacrée
par l’article 2 de la loi du 24 juin, à l’endroit des pre
mières, le prouve péremptoirement.
Ce qui le prouve mieux encore, ce sont les motifs qui
ont fait admettre cette exception, a II est une classe
d’actes, disait le rapporteur, M. Philippe Dupin, que
les auteurs de la loi ont cru devoir soumettre à des for
mes plus rigoureuses, et pour lesquelles on nous pro
pose d’exiger le concours effectif, la présence réelle du
notaire en second et des témoins, ce sont les donations
de toute nature__
« Quelques esprits se sont étonnés de cette distinc
tion. Ils ont demandé si une vente ou un échange de
trois cent mille francs n’était pas plus important qu’une
donation de cent francs.
a Mais on n’a pas fait attention que la différence
proposée était fondée sur la nature des actes, et non sur
l’importance de l’intérêt.
a En effet, les actes ordinaires donnent presque tou
jours lieuàdes faits d’exécution immédiate ou du moins
à des faits qui s’accomplissent du vivant des parties
contractantes. Cette exécution sert de contrôle, de cer
tification, et, en cas de débats, les intéressés sont là
�13
pour expliquer leurs propres intentions, et combattre
les fraudes de toute nature. Les donations, au contraire,
presque toujours accompagnées d’une réserve d’usu
fruit, ne viennent à exécution qu’après la mort de ceux
qui les ont faites, elles sommeillent jusque là, et, lors
que le jour de l’exécution est arrivé, le donateur ne
peut plus élever la voix pour protester contre les sur
prises, et pour déjouer les fraudes.
i Autre différence plus importante encore : Les do
nations sont trop souvent arrachées à la faiblesse ou à
la maladie par des influences diverses et par des ma
nœuvres captatoires, il n’en est pas de même des autres
actes. On a donc pensé que la liberté fies donateurs doit
être plus spécialement protégée par la présence de deux
notaires, ou d’un notaire et de deux témoins. Cette pré
caution est prise, bien moins contre le notaire que contre
l’entourage du donateur, s
Ces considérations prévalurent, et les garanties pro
posées furent admises. On reconnut donc qu’il était ur
gent de protéger le donateur contre sa propre faiblesse,
contre l’avidité de son entourage. Le moyen adopté estil, peut-il être efficace, tant qu’une donation pourra va
lablement se déguiser sous la forme d’un contrat oné
reux? La loi de 1845 ne répond donc nullement à la
pensée du législateur. La garantie qu’elle exige n’est
qu’apparente, et, loin de protéger les intérêts qu’elle a
voulu couvrir, elle les compromet plutôt. En effet, plus
la volonté du donateur sera incertaine, plus il aura fallu
recourir à la surprise et à la fraude, et plus on recu
lera devant la nécessité imposée par la loi, lorsque, pour
DU DOL ET DE LA FRAUDE.
�TRAITE
l’éluder et pour faire triompher des manœuvres cou
pables, il suffira de recourir à la simulation et de ré
diger un acte de vente sous seing privé.
Le corollaire indispensable de la loi de 1845 était
donc une disposition annulant la donation déguisée
sous la forme d’un acte onéreux. A cette condition seu
lement il était possible d’empêcher la fraude qu’elle a
voulu prévenir.
Comment l’empêcheraif-elle en l’absence de cette
prohibition? Le donataire a le plus grand intérêt à si
muler un acte à titre onéreux. Cet acte a tous les avan
tages de la donation, sans aucune de ses charges ; il n’est
soumis à aucune forme, à aucune authenticité; il est
plus irrévocable encore que la donation elle-même. En
effet, l’ingratitude du donataire peut faire révoquer
celle-ci, mais elle ne révoque pas l’acte simulé. Le pré
tendu acquéreur pourra payer son bienfaiteur de la plus
noire ingratitude; le chasser,l’expulser de chez lui; lui
refuser les aliments; en un mot, le réduire à recourir à
la charité publique, et, pendant ce temps, il jouira in
solemment d’une fortune que la fraude, aidée d’une si
mulation, lui permettra de retenir.
Tout cela, dit-on, c’est le donateur qui la voulu luimême, puisque, pour mieux assurer son bienfait, il s’est
lié plus irrévocablement que par une donation franche.
Mais, peut-on raisonnablement croire que le donateur a
pu faire autrement et qu’il a parfaitement apprécié les
conséquences de l’acte qu’il souscrivait ? Il faudrait,
pour cela, admettre qu’il a préféré l’intérêt du dona
taire au sien propre. Cet intérêt exigeait qu’il se pré
�45
eautionnnât contre une ingratitude qu’il devait prévoir,
et, s’il a failli à ce qu’exigeait cette prévision, c’est qu’il
n’a pas été maître de faire autrement qu’il n’a fait.
Cela se conçoit. Le donataire a, lui, le plus grand in
térêt à se garantir contre la chance d’une révocation,
dans un hypothèse dont il s’est peut-être déjà rendu in
tentionnellement coupable. On ne hasarde donc rien en
le supposant l’auteur d’une simulation qui l’affranchit
du devoir de la reconnaissance et qui consolide plus
fortement entre ses mains cette fortune qu’il convoite,
1s fecit scelus cui prodesl, dit la raison criminelle, et
cette maxime doit, dans notre hypothèse, résoudre la
difficulté. Ajoutons que celui que l’idée d’une donation
alarmerait, n’est pas aussi effrayé de l’idée d’une fausse
vente, qu’on lui présente comme sans efficacité, sans
portée réelle, ne devant sortir à effet que s’il ne la ré
tracte pas, en un mot comme révocable au même titre
que le testament lui-même.
Notre pratique personnelle nous a convaincu de l’au
dace avec laquelle les avides coureurs d’héritage s’effor
cent de persuader et persuadent quelquefois de choses
incroyables. II est vrai qu’ils ont le soin de s’adresser à
d’autres qu’à des intelligences saines et fortes. Mais
c’est surtout la vieillesse et la décrépitude qui ont be
soin d’être protégées.
Dira-t-on que ce sont là des manœuvres frauduleuses
de nature à vicier l’acte? Mais plus l’idée suggérée est
extraordinaire, et plus on répugne à l’admettre. On ne
voit, dans la plainte, qu’un moyen de rétracter une li
béralité qu’on regrette, et comme, en définitive, il n’y
nu non e t d e l a f r a u d e .
�16
TliAlTE
a aucune preuve écrite et qu’il faudrait recourir à la
preuve testimoniale, on vous écarte parce qu’on s’est
rendu complice de la fraude alléguée : Nemo auditur
allegans propriam turpitudinem.
Nous avons donc raison de le dire, tant qu’on n’aura
pas admis la nullité de toute donation qui ne réunira
pas les formes que la loi impose pour les actes de cette
nature, on n’aura pas garanti efficacement le donateur
contre les fraudes de son entourage. Tout ce qu’on ten
tera dans ce sens ne produira d’autre résultat que d’en
courager la fraude à se réfugier dans la large voie qu’on
lui laisse.
1266- — Ainsi que nous venons de l’indiquer, la
donation déguisée n’est point soumise à la révocation
pour cause d’ingratitude. Est-elle également affranchie
de la révocation pour survenance d’enfants?
La révocation pour survenance d’enfants, quelque
équitable qu’elle soit, n’a pas toujours été admise sans
contestation. Les docteurs étaient partagés, même de
puis la loi si unquam, 1car ceux qui tenaient pour la
négative soutenaient que cette loi n’était applicable
qu’aux donations faites par un patron à son affranchi.
Cependant son application aux donations en général
avait fini par être admise.
L’ordonnance de 1731 aurait , dans tous les cas, rendu
tout litige impossible. Aux termes de l’article 39, les
donations, quelles qu’elles soient, à quelque titre qu’elles
L. 8 , Cod. de Rev. donal.
�17
aient été faites,1 de quelque valeur qu’elles puissent
être, sont révoquées par la survenance d’enfants. Les
difficultés qui s’étaient élevées sur les dons mutuels,
sur la faculté pour le donateur de s’interdire d’user de
cette révocation ou de la ratifier après la naissance des
enfants ont été également tranchées par l’ordonnance.
Le Code civil s’est approprié les dispositions du lé
gislateur de 173!. Les articles 960et suivants sont for
mels et explicites à cet égard. La survenance d’enfants
annule toute donation précédente. La loi suppose que
leur existence, au temps de la donation, l’eût empêchée
de se réaliser; elle présume, en outre, dans celle faite
par un homme sans enfants, l’existence d’une clause
tacite et implicite de révocation, en cas qu’il lui en sur
vienne.
Notons que le motif de cette révocation est plutôt
dans l’intérêt des enfants que dans celui du donateur.
On ne pouvait admettre qu’une famille dût, avant même
de naître, être dépouillée d’une fortune que sa qualité
seule devait lui assurer de préférence à tous.
Cela admis, nous n’hésitons pas à résoudre négative
ment la question que nous nous sommes posée, et à
tenir que la donation, déguisée sous la forme d’un con
trat à titre onéreux, est révoquée par la survenance
d’enfants au donateur.
Qu’on ne puisse pas la faire révoquer pour cause d’inDl) DDL ET DE LA FHAUDE.
1 Sont cependant exceptées’’: 1° les donations faites, dans le contrat
de mariage, aux conjoints par leurs ascendants celles que les con
joints se font l’un à l’autre.
�éw*' mm—^nîr i
18
TRAITÉ
i
gratitude, on le comprend. Cette révocation est dans
l’intérêt personnel et exclusif du donateur. En droit,
chacun peut déroger à une loi faite en sa faveur, or cette
dérogation à tout avantage personnel s’induit contre le
donateur. Par cela seul qu’il a dissimulé la libéralité, il
l’a rendue ainsi à tout jamais irrévocable; il n’y a donc
que justice à lui faire supporter les effets d’une irrévo
cabilité qu’il a pu et n’a pas voulu empêcher.
Mais la maxime qu’on peut déroger à une loi faite en
sa faveur n’a plus aucune portée, lorsque la révocation
est demandée pour survenance d’enfants, par deux rai
sons : 1° parce que, dans ce cas, la révocation est plutôt
dans l’intérêt des enfants que du donateur lui-même;
2° parce que, comme l’enseignent Ricard et Pothier, la
dérogation peut s’entendre avec cette limitation, pourvu
que son auteur soit dans le même état et dans la même
position qu’il se trouvera lorsqu’il aura droit de se ser
vir de la loi à laquelle il a dérogé, et non pas lorsqu’il
est encore dans l’état en considération duquel la loi a
voulu lui subvenir. Ainsi, un mineur ne peut pas re
noncer à la loi qui lui accorde la restitution, pendant
qu’il est encore en minorité. Par la même raison, la loi
pour la révocation des donations au cas de survenance
d’enfants ayant été faite pour subvenir au défaut de pré
voyance des gens qui n’ont pas d’enfants et se per
suadent trop facilement qu’ils ne changeront pas de
volonté et qu’ils n’en auront pas, il ne leur est pas per
mis, pendant qu’ils n’ont pas encore d’enfants, pendant
qu’ils sont dans l’erreur contre laquelle la loi a voulu
�19
subvenir, de renoncer au droit que la loi a établi en leur
faveur.1
Il est un autre motif plus péremptoire encore, c’est
celui qui se tire de la disposition de Tarticle965 du Code
civil. Toute clause ou convention par laquelle le dona
teur aurait renoncé à la révocation de la donation pour
survenance d’enfants; sera regardée comme nulle, et ne
pourra produire aucun effet. Ainsi la renonciation for
melle est défendue, comment dès-lors en admettre une
tacite, c’est-à-dire qu’on pourrait, par une voie indirecte,
arriver à faire ce qu’il est prohibé de faire directement.
Ce simple aperçu suffirait pour juger la question. En
admettant que la simulation de l’acte valût renonciation
à le faire révoquer pour survenance d’enfants, cette re
nonciation ne pourrait valoir plus qu’une convention
expresse, elle serait donc frappée, comme celle-ci, par
la disposition de l’article 965DU OOL ET DE LA FRAUDE.
1“267. — 11 est vrai que le donataire menacé de la
révocation pourrait vouloir soutenir la sincérité du ca
ractère onéreux donné à l’acte, mais il résulte forcément
de ce qui précède qu’on pourrait prouver le contraire.
La maxime nemo auditur__deviendrait inapplicable,
d’abord parce que les enfants, dans l’intérêt desquels
surtout a été édicté l’article 965, étant censés les prin
cipaux demandeurs, n’ont et ne peuvent avoir participé
à une fraude commise avant qu’ils fussent nés ; ensuite
parce que le père serait censé avoir voulu éluder la dis1 Ricard, des Donat., n03 575 el suiv. ;—Pothier, sect. 3, art. 2, § 1.
�20
TRAITÉ
position de l’article 965 et faire tacitement une renon
ciation formellement prohibée. Dès-lors il s’agirait d’une
fraude non-seulement à une loi prohibitive, mais encore
préjudiciable à des tiers ; dès-lors aussi la preuve testi
moniale, et, par voie de conséquence, celle par présomp
tions pourrait être invoquée par le complice, dans le
premier cas; dans l’intérêt des enfants, dans le second.
Ainsi, en cas de résistance à la (révocation de la part
du donataire, le véritable caractère de l’acte pourrait
être établi par témoins ou par présomptions. Prouvé
qu’il fût qu’il ne constitue qu’une libéralité, elle se trou
verait révoquée, alors même, dit l’article 962 du Code
civil, que le donataire serait entré en possession des
biens donnés, et qu’il y aurait été laissé par le donateur
depuis la survenance d’enfants. La révocation s’opère de
plein droit. Elle est absolue en ce sens que l’intégralité
des biens donnés fait retour au donateur ou à ses enfants,
sans que le donataire soit autorisé à retenir la quotité
disponible, lorsque la révocation est poursuivie par
ceux-ci après la mort de leur père, la réduction à concur
rence de cette quotité ne pouvant se réaliser que dans
le cas de donations faites après la naissance des enfants.
1268- — L’action en révocation pour survenance
d’enfants dure trente ans qui ne commencent à courir,
aux termes de l’article 966, que du jour de la naissance
du dernier enfant, même posthume, du donateur. Le
donataire, ses héritiers ou ayant-cause ne pourront donc
se maintenir en possession des objets donnés que s’ils
prouvent en avoir joui plus de trente ans, à partir de
�2t
cette époque. Remarquons que cette prescription est
soumise par l’article 966 à toutes les interruptions telles
que de droit. Ainsi les causes qui empêchent ou inter
rompent légalement le cours de la prescription en ma
tière ordinaire produiront dans notre hypothèse tout
leur effet. Il ne suffira donc pas d’une possession de fait
plus que trentenaire, il faudra de plus, qu’au regard de
la partie intéressée, cette possession ait pu faire acquérir
la prescription.
Cette exception est la seule opposable à la demande
en révocation. Toute reconnaissance, toute ratification
faite par le donateur après la survenance d’enfants n’au
rait aucun effet. Ce qui n’existe pas ne peut être ni re
connu, ni ratifié, or la donation se trouve de plein droit
révoquée par la survenance d’enfants, elle tombe d’une
manière, tellement absolue, que la mort postérieure des
enfants, dont la naissance l’a fait révoquer, est impuis
sante à la faire revivre. Toute donation nouvelle, qui
serait consentie après la naissance des enfants, ne serait
valable que jusqu’à concurrence de la quotité dispo
nible.
DU DOL ET DE LA FRAUDE.
1269. — L’article 966 met, quant à l’obligation de
restituer les biens, sur une même ligne le donataire, ses
héritiers ou ayant-cause et tous autres détenteurs. Il
résulte de ces termes que les tiers-acquéreurs ne pour
raient se prévaloir de la prescription décennale établie
en leur faveur par l’article 2265 du Code civil.
Ce résultat n’a rien de trop rigoureux, lorsque la li
béralité ayant été consentie sous la forme d’une dona-
�22
TRAITÉ
tion, le tiers n’a pu ignorer qu’il traitait avec un dona
taire. Il a dès-lors pu apprécier les dangers que courait
le titre de son cédant, dangers qu’il a assumés sur sa
tête, en consentant à traiter avec lui.
Mais il n’en est pas ainsi lorsque la donation se dégui
sant sous la forme d’un contrat à titre onéreux, l’acqué
reur a pu croire à l’irrévocabilité du titre de son ven
deur. Il semble en effet qu’on ne peut exiger de lui qu’il
crût à une simulation que rien ne devait et ne pouvait
lui indiquer. Sa bonne foi ne saurait donc être sus
pectée, et n’est-ce pas se montrer injuste envers lui
que de le dépouiller de ce qu’il a légitimement acquis.
Cette objection est grave et sérieuse, on ne s’en est
pas dissimulé la portée. Mais les droits des enfants ont
prévalu et devaient en effet prévaloir. On comprend le
danger que couraient ces droits, si les tiers-acquéreurs
pouvaient échapper à l’obligation de rendre par la simple
prescription décennale. Le donataire, qui, par la simu
lation de l’acte, s’est mis à couvert de la révocation
pour cause d’ingratitude, n’aurait rien de plus pressé
que d’aliéner les objets donnés pour se soustraire au
danger dont le menace celle pour survenance d’enfants.
De telle sorte que celle-ci se réalisant, le donateur et
ses enfants se trouveraient en présence d’une insolva
bilité réelle ou feinte, et dans l’impossibilité de recon
quérir cette fortune que la loi entend leur assurer.
Les inconvénients que présenterait un tel état de
choses, l’atteinte que l’intérêt général pourrait subir de
cette fatale spoliation d’une famille innocente de la fai
blesse ou de l’imprévoyance de son auteur, a paru exiger
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
23
«ne dérogation à l’intérêt particulier des tiers-acqué
reurs. La loi, voulant la fin,devait vouloir les moyens;
s’arrêter devant la bonne foi des tiers-acquéreurs, c’était
précisément, comme nous le disons, en aliéner le plus
décisif.
La loi a donc appliqué à l’hypothèse qui nous occupe
une règle sévère, mais nécessaire pour l’efficacité des
mesures qu’elle sanctionnait. Ainsi, de quelque ma
nière qu’elle se soit réalisée, la donation se trouvant
révoquée, tous les biens qui en faisaient l’objet revien
nent francs et libres entre les mains du donateur ou de
ses héritiers; les tiers-acquéreurs eux-mêmes sont sou
mis à restituer, à moins qu’ils ne puissent opposer la
prescription de trente ans.
Il suit de là que ces tiers ont un intérêt évident dans
l’instance en révocation. Ils devront donc, s’ils sont
connus, y être appelés pour surveiller leurs c.roits et
s’opposer à toute collusion entre les prétendus donateur
et donataire. Ils peuvent, s’ils n’ont pas été appelés,
intervenir; ils ont, dans tous les cas, le droit de former
tierce-opposition au jugement de révocation, lorsque, ac
tionnés en délaissement, on prétendra le leur opposer.
1270. — La vente peut être déguisée sous la forme
de l’échange, et cette simulation n’a rien que de très
licite, lorsque, d’ailleurs, l’acte en résultant offre tous
les éléments de validité exigés par la loi.
Mais cette simulation peut n’être qu’une fraude. Nous
avons vu que soit la vente, soit l’échange peut, sous des
apparences légales, pallier l’usure. Nous avons aussi
�24
TRAITE
établi les conséquences en résultant en faveur et contre
les parties.
Nous n’avons ici à nous occuper que de la simulation
licite, et à rechercher le mode par lequel on pourra
l’établir , et les effets dont elle est susceptible.
En thèse, la question de savoir si un échange dissi
mule une vente est assez indifférente. Valable dans l’un
et l’autre cas, l’acte n’en doit pas moins produire tous
ses effets.
1271. — Mais il est une hypothèse dans laquelle
cette question acquiert une haute importance, à savoir :
lorsque le contrat est querellé pour cause de lésion. On
sait, en effet, qu’une lésion de plus des sept douzièmes
fait rescinder la vente, tandis que l’échange ne com
porte pas même l’action en lésion. 11 est dès-lors certain
que, la lésion existant, le caractère réel de l’acte est
décisif, puisqu’il sera rescindé ou maintenu., selon qu’il
sera déclaré vente ou échange.
La justice se trouvera donc nécessairement en pré
sence d’allégations contradictoires des parties. Chacune
d’elle soutiendra celle qui servira le mieux son intérêt.
Que fera la justice?
Son rôle serait facile si le demandeur en rescision
pour lésion rapportait la preuve littérale de la réalité de
la vente dont elle excipe, ou si du moins il invoquait un
commencement de preuve par écrit. Mais, en l’absence
de l’un et de l’autre, on maintiendra l’acte tel qu’il se
présente, sans vouloir recourir à la preuve orale, ni s’ar-
�DU DOL ET DE LA FIIAUDE.
'rêteraux présomptions plus ou moins graves dont le
demandeur excipera.
En effet, par respect pour la liberté des conventions,
la loi accepte et doit accepter la forme dans laquelle il
a plu aux parties de les constater. Il suffit que le con
trat apparent soit revêtu des formalités exigées pour sa
validité, pour que son exécution soit ordonnée. Il est
présumé sincère par cela seul qu’il est l’œuvre com
mune des parties.
Il est vrai que la vérité doit être substituée à la fiction.
Mais encore faut-il que cette vérité apparaisse d’une
manière régulière, et cette régularité ne peut résulter
que d’une preuve écrite. Vouloir établir qu’il s’est agi
d’autre chose que de ce qui ressort de l'acte même.,
c’est vouloir prouver outre et hors le contenu en celui-ci,
c’est demander à établir ce qui aurait été dit avant, lors
on depuis, choses pour lesquelles l’article 1541 proscrit
formellement la preuve par témoins. On violerait donc
la disposition de cet article, si on admettait cette preu
ve, caria partie qui l’invoque a pu se procurer la preuve
écrite; qu’elle est, dès-lors, hors des cas d’exceptions
prévus, et qu’elle ne peut non plus exciper d’une pré
tendue fraude, puisqu’elle s’en est volontairement cons
tituée le co-auteur. Le système contraire favoriserait
les prétentions les plus déloyales, et déterminerait une
fouledeprocès injustes, inconvénients qui, nousl’avons
vu, ont fait introduire dans notre législation le principe
consacré depuis par l’article 1541.
C’est donc à celui qui, tout en consentant une sirnum
2
�26
TRAITÉ
lalion, a cependant intérêt à conserver à l’acte son vé
ritable caractère, à se procurer, à côté du titre appa
rent, une reconnaissance formelle de ses véritables in
tentions et de celles de l’autre partie. Cela lui est facile,
car il est partie au contrat qu’il peut ne consenti!' qu’à
cette condition. S’il néglige de le faire, l’absence de la
preuve écrite est son fait personnel, et il ne saurait se
faire un titre de sa propre négligence. C’est ce que la
Cour de cassation n’a pas cessé d’admettre, c’est ce
qu’elle a consacré le 4 janvier 1817, en termes formels ;
t Attendu que les parties contractantes ayant respecti
vement voulu et consenti la simulation, sont non-rece
vables à la prouver par témoins, et doivent s’imputer
de ne pas s’en être assuré la preuve écrite, comme il
était en leur pouvoir de le faire. »
Ainsi la vente déguisée sous la forme d’un échange
est régie par le principe de celui-ci. Elle est donc irré
vocable, quelle que soit la lésion soufferte. Mais la
preuve de la simulation restituant au contrat son véri
table caractère, le range sous l’empire des règles par
ticulières à la vente, et le rend conséquemment rescin
dable pour lésion de plus des sept douzièmes. Cette
preuve doit être écrite et résultera d’une contre-décla
ration expresse.
1272. — A défaut de cette contre-déclaration, la
preuve testimoniale et celle par présomptions ne seraient
recevables que s’il existait un commencement de preuve
par écrit. L’appréciation des présomptions, si elles
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
27
étaient déclarées recevables, pourrrait obéir aux règles
que nous avons déjà retracées.1
1275. — La simulation ne s’exerce pas toujours sur
le caractère de l’acte. Elle peut porter sur la date, sur
certaines conditions stipulées au contrat, sur la per
sonne des contractants, sur le prix, lorsqu’il s’agit d’une
vente, sur la libération elle-même.
La sincérité de la date ne saurait être douteuse dans
l’acte authentique. Le concours de l’officier public pré
posé par la loi donne, à celle indiquée, une certitude
telle que le contraire ne pourrait être établi que par
une inscription de faux. 11 n’en pourrait être de même
pour l’acte sous seing privé. La facilité que les parties
ont de choisir celle qui favorise le mieux leur dessein ,
devait, pour toute autre que pour elles, en faire suspecter
la foi. En ce qui les concerne, l’article 1522 assimile
l’acte sous seing privé à l’acte authentique lui-même. Il
fait conséquemment foi de sa date.
Il résulte de cette disposition que la partie qui la pré
tend simulée ne peut être admise à le prouver autre
ment que par écrit. Toute preuve testimoniale est re
poussée et par l’article 1541 et par l’article 1322 luimême. Mais l’admissibilité de la preuve littérale ren
dant applicable l’article 1547, le commencement de
preuve suppléerait à celle-ci et rendrait la preuve testi
moniale recevable.
V. supra, nos 9,92, 995,
�28
T R A ITÉ
1274. — La foi due à l’acte sous seing privé , par
les parties contractantes, est subordonnée par la loi à
la condition que l’acte sera reconnu par celui auquel
on l’oppose, ou judiciairement tenu pour tel. Il est évi
dent que la dénégation de l’écriture est une exception
des plus péremptoires, elle tend à rendre l’acte étran
ger, et conséquemment sans effet possible contre celui
qui se défend de l’avoir souscrit.
1275. -- La reconnaissance de l’acte est formelle
ou tacite.
Elle est expresse, lorsque, sur la sommation de re
connaître ou de dénier, la partie déclare avouer la pièce
et reconnaître son écriture. Cette déclaration fixe le sort
de l’acte et le rend ultérieurement inattaquable sous ce
rapport.
Elle est tacite, lorsque la partie, pouvant méconnaître
la pièce, non-seulement ne la conteste pas, mais agit de
manière à indiquer qu’il ne veut ou ne peut la contester.
C’est ce qui se réaliserait soit lorsque le débiteur ne
répond rien à la signification du titre et à la sommation
de le méconnaître, soit lorsque, appelé en justice, il
soutient au fond que la demande n’est pas fondée, ou
oppose un paiement ou une compensation.
1276. — Il faut en outre, pour que l’acte fasse pleine
foi de sa date, que celui à qui on l’aurait fait souscrire
n’ait pas acquis depuis peu, ou n’ait pas perdu, dans l’in
tervalle, la capacité de contracter. Une incapacité, sur
venue entre le moment de la date prétendue de l’acte
�DU D O L E T D E LA F R A U D E .
29
et celle de la demande, pourrait faire supposer l’anti
date; et, comme il s’agirait alors d’une fraude à une loi
d’ordre public, on pourrait prouver l’antidate par la
preuve testimoniale.
1277. — Ainsi, et par application de cette règle, le
mineur, devenu majeur, peut soutenir que l’obligation
dont on lui demande paiement remonte à une époque
où il était encore dans les liens de la minorité. Ainsi
encore le majeur pourvu, depuis la date de l’acte, d’un
conseil judiciaire, est recevable à prouver que cette
date, réellement postérieure à son interdiction, a été
reportée après coup à une époque antérieure, à l’effet
d’en éluder les effets. Dans l’un comme dans l’autre cas,
la question n’est plus de savoir si, en fait, la date appa
rente est ou non postérieure à la majorité ou antérieure
à l’interdiction, mais si réellement l’acte a été ou non
fait à la date indiquée, c’est-à-dire alors que le sous
cripteur jouissait déjà, ou encore, de la capacité de
contracter.1
Dans ces hypothèses, la présomption de l’article 1522
reçoit exception, et le débiteur ne pourrait être con
damné par cela seul que la date apparente se réfère à
un temps de capacité. 11 ne le sera que si la capacité
existait réellement. L’acte ayant été véritablement sous
crit au temps indiqué,2 la condamnation n’est donc plus
la conséquence de la foi due à l’acte, mais uniquement
1 Cass., 4 fév. 1835; — D. P ., 55, 1, 53.
’ Cass., 17 mai 1851 ; — D. P ., 55, 1, 52.
�t r a it e
celle du défaut de preuve de l’absence de sincérité al
léguée.
Ainsi l’incapacité pouvant résulter soit de la minorité,
soit de l’interdiction , arguée par la partie, amène une
exception à la règle de l’article 1522. L’acte ne fait plus
pleine foi, et sa date n’est admise que jusqu’à preuve
contraire. Cette preuve est elle-même admissible par
toutes les voies : par témoins et même par présomptions.
— Il en serait de même pour la femme ma
riée poursuivant la nullité de son obligation pour dé
faut d’autorisation maritale. II importerait peu que, par
la date apparente, cette obligation remontât à une épo
que antérieure au mariage, l’antidate alléguée par la
femme rendrait la preuve testimoniale admissible , s’a
gissant d’une fraude à une loi d’ordre public. Le titre
ne pourrait donc être validé que faute par la femme
d’avoir légalement justifié ses prétentions.
Dans tous ces cas, le but de la loi est facile à saisir.
Laisser toute sa force à laprésomptiondel’article 1522,
c’était retirer, d’une main, au mineur, à l’interdit, à la
femme mariée, cette protection qu’elle paraissait leur
accorder de l’autre; c’était leur permettre de se ruiner
infailliblement. Il est facile, en effet, de prévoir que
l’avidité de ceux qui ont le courage de les exploiter re
commanderait à leur attention le choix delà date, qu’ils
feraient toujours de manière à s’assurer le succès de
leurs ténébreuses et déloyales machinations.
1279. — Qu’en est-il de l’incapacité résultant d’une
�DU D O L E T D E E A F R A U D E .
31
condamnation au criminel? Que le condamné à une
peine afflictive et infamante soit, pendant la durée de sa
peine, incapable de contracter, c’est ce qui ne peut
faire évidemment l’objet d’un doute. L’article 29 du
Code pénal le déclare en état d’interdiction légale et
veut que ses biens soient gérés et administrés par un
curateur nommé dans les formes prescrites pour la no
mination d’un tuteur aux interdits. Or, aux termesde
l’article 1124 du Code civil, les incapables de contrac
ter sont : les mineurs, les interdits, les femmes mariées
dans les cas déterminés, et généralement tous ceux à
qui la loi a interdit certains contrats.
N’est-ce pas être interdit que d’être placé dans un
état d’interdiction légale? Et si on m’objecte qu’au lieu
d’un tuteur que reçoit le premier, le condamné n’a
qu’un curateur, je répondrais que la loi a voulu distin
guer le malheur du crime; que la protection qu’elle
assure à celui à qui une maladie funeste enlève toute
capacité, provient d’un sentiment de bienveillante pitié,
tandis que la privation de cette capacité eslvune peine
que la morale, que l’honnêteté publique exigeait. Pou
vait-il se faire, en effet, que l’être dégradé et infect, que
le bagne récèle, pût encore demeurer, pendant le cours
de sa peine, à l’instar des autres citoyens et traiter avec
eux d’égal à égal. Mais, quelque inégalité qu’on relève
dans le mode d’interdiction et dans ses conséquences ,
quant à la personne, l’incapacité est la même. Ajoutons
que, dans l’interdiction ordinaire, la loi exige un tu
teur, parce qu’elle lui confie la personne et les biens de
l’interdit; dans celle résultant d’une condamnation cri-
�32
TRAITÉ
rninelle, un curateur suffît, parce qu’il ue s’agit et ne
peut plus s’agir que des biens, la personne demeurant
sous le coup de la justice.
Si on ne veut pas considérer le condamné comme un
interdit, du moins faudra-t-il le placer dans la catégorie
de ceux auxquels la loi a interdit certains actes. La dé
fense de gérer et d’administrer leurs biens n’est-elle
pas la prohibition de tous les contrats ayant ce double
caractère?
Nous croyons donc que, sous l’un comme sous l’autre
rapport, le condamné à une peine afflictive et infamante
est réellement incapable de contracter. Celte opinion
est celle que professent des savants et profonds crimina
listes. 1MM. Chauveau Adolphe et Faustin Hélie voient
dans cette interdiction la conséquence presque néces
saire de la peine. Il ne faut pas, disent-ils, qu’un con
damné puisse disposer de ses revenus et de ses biens ,
quand il subit un châtiment sévère; il ne faut pas qu’il
ait le moyen d’acheter à prix d’or une évasion, ou que,
par des profusions scandaleuses, il fasse, d’un séjour
d’humiliation et de deuil, un théâtre de joie et de scan
dale.2
L’incapacité absolue de gérer et d’administrer ainsi
admise, il s’en suit que, comme pour les autres inca
pables, l’acte ne sera valable que s’il a été réellement
souscrit avant l’incapacité.3L’arrêt que nous annotons,
1
1 Carnot, art. 29, n° S.
2 Théorie du Code pénal, t. i, p. 166 ; — V. Cass., 25 janvier 1825 ;
-S irey , 25, i, 545.
’ Nancy, 5 juin 1828 ; — D. P. 29, 2, 114,
ttÊTi-Z êiË
-y r
•H
» ■
�DU D O L E T D E L A F R A U D E .
rendu sur les conclusions conformes de M. Troplong,
alors avocat général, semble même exiger que l’acte ait
acquis date certaine pour qu’on puisse l’exécuter. Mais,
aller jusque là, ce serait placer le condamné dans une
position plus avantageuse que le mineur, que l’interdit
ou la femme mariée. Nous ne croyons donc pas cette
exigence admissible.
Pour le condamné, comme pour tous les autres in
capables, la loi n’admet qu’une seule chose, à savoir :
la faculté de prouver que la date apparente est fausse,
et que 1acte a été consenti dans un moment d’incapacité.
A défaut de cette preuve, cette date est acceptée comme
vraie et l’acte, tenu pour sincère, doit être exécuté.1Dans
le doute même, il faudrait arriver à ce résultat : In dubio slandum est instrumenta.
1280. — L’article 1522 déclare que l’acte fait foi
non-seulement contre la partie, mais encore contre ses
héritiers et ayant-cause; faut-il appliquer ce dernier
terme aux successeurs à titre universel seulement, ou
bien l’étendre aux successeurs à titre particulier?
1281. — C’est dans ce dernier sens que Toullier in
terprète l’article 1322. Ainsi, dit-il, les donataires, les
acquéreurs sont les ayant-cause du donateur ou du ven
deur, pour ce qui concerne la chose donnée ou vendue.
Dès-lors, l’acquéreur, par acte authentique, peut être
Colmar, 30 juillet 1831; — D. P ., 32, 2, 133,
�34
TR A ITÉ
évincé par une vente sous seing privé antérieure faisant
foi contre son vendeur et, par conséquent,contre lui.*
1282. — M. Chardon proteste contre cette doc
trine, il lui reproche d’entraîner à des conséquences
iniques. Ainsi, dit-il, celui qui a donné ou vendu par
acte authentique pourra, à son gré, révoquer la dona
tion et annuler la vente. Il lui suffira de simuler une
aliénation sous seing privé et de lui donner une date
antérieure à l’acte public. 2
1285. — Ce résultat, fût-il inévitable, ne pourrait,
en aucune manière, détruire l’évidence. Or, l’évidence,
dans l’hypothèse qui nous occupe, est que celui à qui
une chose a été transmise par legs, donation, vente ou
échange, etc..., est, quant à cette chose, l’ayant-cause
du précédent propriétaire.
Cette doctrine amène-t-elle fatalement aux consé
quences qui alarment tant M. Chardon? Non, évidem
ment, et cela, par cette raison bien simple, que la trans
mission régulièrement opérée, le nouveau possesseur
n’est plus un ayant-cause, et que celui de qui il tient la
chose n’a pu, de ce moment, rien faire qui puisse l’en
gager valablement. Ainsi, ayant-cause pour le passé, le
donataire, l’acquéreur ou l’échangiste ne peuvent voir
leur propriété se modifier ou s’effacer que par un fait
qui leur soit personnel.
1 Tom. vin, n08 245 et suiv.
5 Tom. il, noa 8 cl suiv.
ns
�DU D O L E T D E L A F K A U D E .
35
Or, ce que le précédent propriétaire ne peut faire
directement, il lui est prohibé de le faire par une voie
indirecte. L’acte sous seing privé qui paraîtrait posté
rieurement à la transmission publique et qui porterait
une date antérieure, ne pourrait donc être opposé sans
que le donateur, l’acquéreur ou l’échangiste n’eût la fa
culté de le quereller comme fait en fraude de ses droits.
Nous admettons donc la doctrine de Toullier avec
cette juste restriction : que le donateur, l’acquéreur ou
l’échangiste est l’ayanl-cause de son auteur, mais à la
façon des créanciers, et pouvant, comme ceux-ci, exer
cer un droit propre et personnel dans l’hypothèse pré
vue par l’article 1167.
Dira-t-on que l’obligation de prouver la fraude et la
collusion leur sera onéreuse, difficile à remplir dans
certains cas? Mais, comme nous l’avons fait observer
ailleurs, ‘ la possession au moment de la donation ou
de la vente dont ils se prévalent jouera un rôle souvent
décisif et fournira de puissants enseignements; nous ré
pondrons ensuite que si les porteurs d’un acte authen
tique ont droit à être protégés, ce droit ne peut aller
jusqu’à destituer de toute protection celui qui s’est con
tenté de ce dont la loi lui”promettait de se contenter, à
savoir : d’un Litre sous seing privé. Pourquoi ne voir
jamais la fraude que dans celui-ci? Est-ce que l’acte au
thentique ne peut pas, dans un cas donné, n’être luimême qu’une fraude de nature à enlever des droits séVide sypra, n° 967.
�TR A ITE
rieux, légitimement acquis? C’est ce qui ne manquera
pas, d’ailleurs, d’étre allégué. Que pouvait donc faire la
loi dans la perplexité où la plaçait cette double éven
tualité? Uniquement ceci : permettre la recherche de la
vérité par toutes les voies possibles, autoriser la partie,
réduite à alléguer la fraude, à la prouver par témoins et
par présomptions, et s’en rapporter, pour l’appréciation
des uns et des autres, à la prudence et à la sagesse du
juge.
1284. — Une autre exception à la règle tracée par
l’article 1322 et sur l’inadmissibilité de la partie à prou
ver par témoins la simulation dont elle excipe, se réa
lise lorsque, par sa nature et par ses conséquences, la
simulation constituerait la violation d’une loi prohibi
tive. Ainsi, la lettre de change n’est parfaite que par la
réalisation du contrat de change, c’est-à-dire qu’elle a
pour but de faire retirer dans une place la somme reçue
dans une autre. Cette condition étant indispensable
pour que le souscripteur puisse être contraint par
corps, il arrive que ceux qui ne traitent qu’en vue d’ac
quérir cette puissante garantie, ont soin d’exiger une
lettre qu’ils rendent parfaite en simulant la remise de
place en place.
Cette simulation, la loi ne saurait la tolérer. Aussi, et
malgré la complicité qu’en a assumée le souscripteur, il
est non-seulement admis à s’en plaindre, mais encore
recevable à la prouver par témoins et par présomptions.
Des arrêts l’ont même fait résulter de ce que le tireur
�DU DOL E T D E L A F R A U D E .
37
n’est pas négociant et de ce qu’il a sou domicile ailleurs
qu’au lieu d’où la lettre a été tirée.1
Le tireur pouvant prouver, par témoins et par pré
somptions, le défaut de remise de place en place, est
également recevable à établir, par les mêmes modes,
toutes les autres suppositions dont la lettre de change
est susceptible. C’est ce qui a été maintes fois décidé
pour la supposition soit de nom, soit de domicile, soit
de qualité, soit de cause, malgré que l’article 112 du
Code commercial se taise sur celle-ci.5
1285- — Cette exception à la règle de la foi due à
l’acte et de l’inadmissibilité de la preuve orale contre
le titre écrit en faveur de la partie, tient à un double
motif :
1° En matière commerciale, la preuve orale est de
droit commun. Ce motif, qui pourrait paraître péremp
toire, ne rend pas suffisamment l’aison de l’exception
admise. En effet, on peut reconnaître qu’on puisse, de
vant la juridiction commerciale, prouver par témoins
l’existence d’une opération contestée, d’une obligation,
d’un paiement, sans qu’il doive en résulter, comme con
séquence forcée, la faculté de prouver contre le titre et
d’exciper d’uue simulation à laquelle on a soi-même
participé. Ce qui rend, en matière commerciale, la
preuve testimoniale admissible, c’est, que la rapidité,
1 Bruxelles, 28 juin 1810.
2 Cass., 25 juillet 1815,22 juin 1825, 20 juin 1810;
10 murs 1808; — Bruxelles, 5 juillet 1812.
Limoges,
�38
TR A ITÉ
indispensable dans les opérations, ne rend pas toujours possible une preuve littérale. Mais lorsque celleci existe, lorsqu’une obligation a été écrite et signée,
le souscripteur ne saurait raisonnablement prétendre
n’avoir pas eu le moyen de constater la simulation dont
il se plaint. On pourrait donc, lui opposant son propre
fait, le soutenir légalement non-recevable à prouver
contre ce qu’il a écrit et signé lui-même. La règle nemo
auditur etc... n’est pas exclue delà matière commer
ciale;
2° La lettre de change entraîne la contrainte par
corps, et personne ne peut se soumettre à cette voie
rigoureuse, hors des cas où elle est formellement au
torisée par la loi. Toute convention contraire, quelque
expresse qu’elle fût, resterait sans force et sans effets
possibles.
Or, signer une lettre de change, c’est accepter la con.
trainte ; la signer lorsqu’il n’y a pas remise de place en
place, c’est consacrer une simulation dans l’objet d’é
luder cette prohibition, que le législateur considère
comme d’ordre public. Dans ce cas, la recevabilité de
la preuve testimoniale en faveur de la partie elle-même,
n’est plus que la conséquence de cette règle : Qu’en ma
tière de fraude à une loi d’intérêt général, tout ce qui
a été fait, l’a été illégalement; et qu’une nullité absolue
peut toujours être invoquée, quelle que 'soit la part
qu’on ait prise à l’acte qui en est atteint, n’étant donné
à personne de méconnaître et de violer une prescrip
tion d’ordre public.
Ce caractère appartient essentiellement à tout ce qui
�DU D O L E T D E L A E U A U D E .
39
se rapporte à la contrainte par corps. Conséquemment,
celui qui s’y est volontairement soumis, hors des cas
prévus, peut toujours se faire relever d’un engagement
qui, ne pouvant être expressément stipulé, ne saurait
être validé, par cela seul qu’il aurait été pris par une
voie détournée.
Ainsi, et alors même que le premier motif devrait
être écarté, le second rend suffisamment raison d’une
solution n’ayant jamais souffert aucune difficulté ni en
doctrine, ni en jurisprudence.
1286- — En résumé donc, la simulation dans les
caractères de l’acte ou sur ses conditions lie irré
vocablement les parties. Le titre, tel qu’il résulte de
leur volonté simultanée, est valable et fait entre elles
la loi irrévocable qu’on ne peut détruire que par une
preuve écrite.
Mais ce principe reçoit exception lorsque, soit sous
le rapport de la capacité des parties, soit sous celui des
conséquences de l’acte même, la simulation dégénère
en une fraude contre une règle d’ordre public ou d’in
térêt général. Dans ce cas, la partie elle-même peut
poursuivre la nullité de son engagement et établir ses
prétentions par la preuve testimoniale, par les pré*
somptions même.
m
�traité
CHAPITRE IL
F R A U D E C O N C E R T É E C O N T R E I A L O I,
S O M M A IR E .
1287. Effets de la fraude contre la loi.
1288. Nature de la seule difficulté qu’elle fait surgir.
1289. Objections soulevées contre l'admission de la preuve
orale entre parties.
1290. Distinction qu’on doit suivre en cette matière.
1291. Fondée sur la différence des motifs de la prohibition.
1292. La prohibition, dans un intérêt privé, est une faveur
à laquelle la partie peut renoncer.
1293. Il n’en est pas de même de celle fondée sur l’intérêt
général.
1294. Conséquences.
1295. Importance de cette distinction pour l’assimilation
que l’article 1131 fait du défaut de cause ou de la
cause fausse avec la cause illicite ou immorale.
Conséquences.
1296. La contre - lettre établissant la preuve de la fraude à
la loi, celle notamment qui dissimule le prix réel
d’une vente, est-elle nulle entre les parties ?
�1297
1298
1299
1300
1301
1302
1303
Opinion de M. de Plasman pour l’affirmative.
Réfutation.
Etat de la jurisprudence.
Conclusion.
Contre-lettres en matière de cession d’office.
Solutions consacrées par la jurisprudence.
Critique d’un arrêt de la Cour de cassation, intervenu
entre un père et son fils,par M.Dalloz. Réfutation.
La répétition de ce qui a été payé en vertu d’une
contre-lettre était une conséquence inévitable de la
jurisprudence.
1305. Caractère juridique de cette répétition.
1306 Réponse à une objection tirée du silence de la loi de
1816.
Une autre conséquence de la nullité de la contrelettre est que le traité secret ne peut être ratifié ni
expressément ni tacitement.
L’action en nullité et celle en restitution peuvent être
exercées par la caution.
Le cessionnaire de l’office pouvant opposer la nullité
au cédant, peut-il s’en prévaloir contre les tiers
ayant payé à sa décharge, et se dispenser de le
rembourser ?
1310 Admissibilité de la preuve testimoniale pour établir
l’existence du traité secret.
1311 Par quel délai se prescrivent l’action en nullité et celle
en répétition ?
1312. Origine et effet de l’inaliénabilité de la dot.
1313. Caractère de la prohibition.
1314. Nature de la nullité résultant de sa violation.
1315. Conséquences, par rapport aux tiers-acquéreurs du
fonds dotal.
1316 Leurs droits, suivant qu’ils ont connu ou ignoré le ca
ractère de dotalité.
1317 Arrêt de 1a. Cour de cassation qui leur refuse le droit
de poursuivre la nullité, même dans le cas d’igno
rance. Dissentiment.
1318 Quid, si la vente est le résultat de manœuvres frau-
�42
TUAïTE
duleuses de la part des époux? Le silence sur le ca
ractère de la dotalité constitue-t-il une manœuvre
frauduleuse?
1319. L’article 1560 confère le droit défaire annuler la vente
du bien dotal, aumari, à la femme etàses héritiers.
1320. Pendant le mariage, et avant toute séparation, la
poursuite appartient au mari seul.
1321. Le mari, héritier de sa femme, pourra-t-il, en cette
qualité, poursuivre la nullité de la vente du fonds
dotal qu’il a consentie pendant le mariage?
1322. Distinction faite par M. Bellot, critique qu’en fait
M. Dalloz.
1323. Réfutation.
1324. La bonne ou la mauvaise foi de l’acquéreur est donc
une circonstance décisive pour la solution de notre
question.
1325. Le mari, dans le silence de l’acte, pourra-t-il prouver
que l'acquéreur a connu la dotalité ?
1326. Obligation pour le mari de restituer le prix, même
lorsqu’il n’est pas tenu d’indemniser l’acquéreur.
1327. Etendue de cette obligation pour la femme ayant
vendu seule.
1328. Exception que le mari peut invoquer contre la resti
tution du prix.
1329. Fondement de l’action en revendication conférée à la
femme.
1330. Epoque à laquelle elle est recevable à l’intenter.
1331. Le droit de la femme passe à ses héritiers.
1332. L’acquéreur évincé n’a, dans aucun cas, le droit de
rétention jusqu’après paiement.
1333. La vente du fonds dotal peut-elle devenir la matière
d’un cautionnement valable ?
1334. Opinion de Merlin. Appel erroné qu’il fait à celle de
Serres et de Duperier.
1335. Caractère juridique de l’affirmative.
1336. Réfutation des considérations invoquées par Merlin.
1337. Discussion au conseil d’Etat.
1338. Jurisprudence.
�43
1339 . La femme, peut-elle cautionner elle-même la vente du
fonds dotal ?
1340 , Arrêt notable de la Cour d’Aix.
1341. Les époux vendant, comme bien libre, le fonds dotal,
peuvent-ils être considérés comme stellionataires ?
1342. Les créanciers du mari ou de la femme peuvent-ils
poursuivre l'action en révocation appartenant à l’un
ou à l’autre ?
1343 Quid des créanciers des héritiers de la femme ?
1344 Exceptions que le droit de ceux-ci comporte.
1345 Autre exception tirée de la ratification.
1346 Caractères que doit offrir la ratification tacite.
1347. Indépendamment de la ratification émanée de la femme
elle-même, ses héritiers pourront être repoussés
par la ratification qui leur serait personnelle.
1348. Autre exception tirée de la prescription. Son point de
départ.
1349. Par quel délai est-elle acquise ?
1350. La'fraude ayant pour objet une atteinte à la liberté in
dividuelle, ou la dissimulation d’une incapacité, est
une fraude contre une loi d’ordre public.
Difficultés que pourra soulever le titre simulé. Mode
d’appréciation.
L’inexécution d’une promesse de mariage donne-t-elle
lieu à des dommages-intérêts ?
L’illégalité de cette promesse entraîne la nullité du
dédit stipulé.
Quid du dédit dissimulé sous l’apparence d’une obli
gation pure et simple.
1355. Admissibilité de la preuve testimoniale.
1356. Jurisprudence.
1357. Caractère de la'renonciation à une succession future,
dans le droit romain et sous l’ancien droit français.
Sous l’empire du Code, la prohibition est d’ordre
public.
Conséquences, quant à la nullité de la renonciation
directe ou indirecte.
La simulation sera plus ou moins facilement appréDU D O L E T D E L A F K A U D E .
�ciable, suivant qu’il s’agira d’un traité de cohéritier
à cohéritier ou d’un traité entre une personne et un
tiers, son héritier présomptif ou non.
1361. Toutefois la véritable intention des parties peut résul
ter de la nature même de la chose faisant la matière
du traité.
1362. Caractères de la vente du mobilier qu’on délaissera à
son décès.
1363. La nullité dont un pareil traité est vicié est indivisi
ble, elle s’appliquerait donc même aux immeubles
pour lesquels il y aurait eu désinvestissement actuel.
1364. Ce qui est applicable à l’universalité d’une succession
s’appliquerait soit à une quotité, soit à un corps
certain et déterminé.
1365. Le pacte sur succession future peut être ratifié après
l’ouverture de la succession.
1366. Conséquences par rapport à la prescription.
1367. Arrêt d’Aix, exigeant la prescription trentenaire. Ré
futation.
1368. Opinion de Zacchariæ, de Toullier et de Rolland de
Villargues.
1369. Position des enfants naturels, sous l’empire du droit
romain.
1370. Dispositions de l’ancien droit, abrogées par les lois
intermédiaires.
1371. Dispositions du Code civil. Droit des enfants adulté
rins ou incestueux.
1372. Prohibition de les reconnaître. Son origine, ses motifs.
1373. Défense de rechercher la maternité, lorsque le résul
tat doit être l’adultère ou l’inceste.
1374. Utilité, toutefois, de l’article 762.
1375. La reconnaissance illégalement faite confère-t-elle à
l’enfant le droit d’exiger des aliments ? Peut-on en
exciper contre lui pour faire réduire les donations
qu’il a reçues ?
1376. Opinion de Merlin pour l'affirmative.
1377. Idem de Toullier.
�45
1378. L’opinion contraire, soutenue par M. Chabot, paraît
plus conforme à la loi.
1379. Solutions, dans ce sens, de la Cour de cassation.
1380. Critique qu’en font MM. Teulet et Dauvilliers. Réfu
tation.
1381. Opinion de M. Chardon.
1382. Réponse, par MM. Marcadé et les annotateurs de
Zacchariæ, à deux objections sur lesquelles se fonde
la doctrine contraire.
1383. Conclusion.
1384. Dans le cas d’une découverte accidentelle de la qualité
d’adultérin ou d’incestueux, toutes donations faites
par le père sont essentiellement réductibles.
1385. Droits de l’enfant naturel simple.
1386. Faculté pour les parents de le reconnaître. Comment
elle peut être exercée.
1387. La femme mariée peut faire cette reconnaissance sans
l’autorisation de son mari.
1388. Précautions prises par la loi pour les reconnaissan
ces faites pendant le mariage.
1389. Exception à la règle de l’article 337.
1390. La reconnaissance régulièrement faite est irrévocable,
sauf le cas de dol, de fraude et de violence.
1391. L’enfant est libre d’en récuser le bénéfice et de la con
tester.
1392. Motifs de cette disposition.
1393. L’enfant contestant doit-il prouver la fausseté de la
déclaration.
1394. Distinction admise par un arrêt de la Cour de Mont
pellier.
1395. Caractère juridique de cette distinction.
1396. Effet de la reconnaissance définitivement acquise.
1397. Conséquences de l’incapacité de l’enfant naturel de
rien recevoir au-delà de la réserve de l’article 757.
1398. Droit des héritiers de faire prononcer la réduction de
tous avantages indirects.
1399. Le père pourra-t-il poursuivre la nullité des actes
qu’il aurait simulé pour avantager le fils naturel ?
DU D O L F T D E L A F R A U D E .
�TR A ITE
1400. Quid du légataire universel ?
1401. Comment faudrait-il résoudre ces questions, s’il s’a
gissait des incapables dont parle l’article 909 ?
1287. — La loi doit recevoir sa pleine, franche et
loyale exécution. Ce principe, qui est la première et la
plus puissante sauvegarde de toute société, n’est con
testé par personne, mais l’intérêt privé, aux prises avec
l’intérêt général, le fera souvent méconnaître et violer.
Cette violation ne sera presque jamais explicite et
formelle. L’incontestable sort qui lui est réservé amè
nera fatalement à cette conséquence : que la désobéis
sance à la loi empruntera les dehors les plus légitimes,
l’apparence la !plus inoffensive. L’essentiel, en effet,
est de paraître se conformer à la loi, tout en la violant.
Mais, quel que soit le déguisement auquel on aura
recours, quelle qu’en soit la légalité apparente, la
fraude, dépouillée des oripeaux qui la couvrent, sera
condamnée à la plus rigoureuse impuissance. La preuve
de son existence enlèvera à la convention toute force
légale, tout lien obligatoire; elle sera censée n’avoir ja
mais existé.
1288. — Cet effet incontestable de la fraude à la
loi n’a jamais pu être, n’a jamais été contesté par per
sonne; aussi, l’unique difficulté que cette matière a pu
soulever, se rapporte exclusivement au mode d’après
lequel la fraude est susceptible d’être constatée.
Cette difficulté même se concentre dans ce qui con
cerne les parties; elle n’a jamais pu sérieusement s’é-
w
âf
�D ll D O L E T D E LA F R A U D E .
47
lever à l’endroit des tiers. Ceux-ci, en effet, ont toujours
le droit d’échapper au préjudice dont ils sont menacés,
et ce droit leur confère nécessairement le pouvoir d’éta
blir et de prouver la fraude concertée à leur détriment.
Leur refuser, dans une pareille occurence, le secours de
la preuve testimoniale, c’était d’avance condamner leurs
efforts à l’impuissance la plus absolue, méconnaître, à
leur encontre, les principes d’une justice exacte, violer
expressément la loi elle-même. En effet, l’article 1548
confère la faculté de prouver par témoins à celui qui n’a
pu se procurer la preuve littérale. Or, qui mieux que les
tiers s’est jamais trouvé dans une pareille impuissance?
1289. — L’unique difficulté à cet égard ne pouvait
donc se présenter que relativement aux parties contrac
tantes. Fallait-il les admettre à prouver par témoins con
tre leur propre fait? La négative a été soutenue; on a dit
que rien ne les contraignait à souscrire à une violation
de la loi pouvant léser leurs intérêts ; qu’elles ont été à
même de se procurer la preuve écrite; qu’il n’y avait
rien d’immoral à maintenir le préjudice qu’elles se sont
volontairement occasionnées par leur désobéissance for
melle à la loi ; que ce qui était véritablement immoral,
c’était de faciliter l’accès de la justice à celui qui n’avait
d’autre titre à invoquer que sa propre turpitude.
1290- — Une pareille doctrine ne nous paraît pas
admissible dans le sens absolu et rigoureux qu’on veut
lui donner. Parfaitement juridique dans une certaine
mesure, elle serait fausse et dangereuse au-delà ; elle
�t r a it e
comporte donc un tempérament équitable, de nature à
concilier, dans de justes proportions, les sentiments
qu’excite la conduite de la partie avec le respect dû à
la loi.
Nous admettons donc la prohibition absolue, contre
la partie, de toute preuve testimoniale, dans le cas
d’une simulation dans la nature du contrat. Nous nous
sommes expliqués, à cet égard, dans la précédente sec
tion. Quant à la fraude à la loi, nous distinguons sui
vant que le but que se sont proposé les parties est pro
hibé dans un intérêt privé, ou dans un intérêt général
ou d’ordre public.
1291. — En effet, toutes les prohibitions, toutes
les prescriptions légales n’ont pas été sanctionnées au
même titre. Il en est dont l’exécution est réclamée par
l’intérêt social, parce que leur violation aurait des con
séquences funestes pour toute une classe de citoyens ou
pour tous les citoyens. Le principe qui a dicté les autres
n’est que la conséquence de la protection que, dans un
intérêt relatif, le législateur a voulu assurer, dans de
certaines limites, à tel ou tel droit privé dont il a cru
devoir surveiller l’exercice.
1292. — Ces dernières constituent une faveur à la
quelle peut renoncer celui que la loi appelle à en jouir.
Dès-lors, si la fraude est dirigée contre l’une d’elles,
la partie n’est pas recevable à la prouver par témoins.
Cette fraude n’est qu’une renonciation tacite à un béné
fice qu’on pourrait expressément répudier, et rien ne
�49
défend de faire d’une manière indirecte, ce qu’on a la
faculté de faire directement.
Ainsi, nous avons vu que l’acte onéreux, déguisant
une libéralité, était maintenu, malgré qu’il n’offre pas,
dans sa confection, les formes prescrites pour la dona
tion. Cependant, pour celle-ci, l’exécution de ces for
mes est ordonnée à peine de nullité. Mais cette nullité
est surtout dans l’intérêt privé du donateur, il a donc
pu y renoncer, et c’est ce qu’il a fait en choisissant un
autre mode de disposition. A quel titre donc prétendraitil, tardivement et après coup, revendiquer un bénéfice
qu’il a volontairement répudié? Il n’a pas voulu suivre
le conseil que la loi lui donnait, il n’a plus qu’à subir
les conséquences de ce qu’il a librement et volontaire
ment exécuté : Jnvito non datur beneficium.
DU DO L E T D E L A E U A U D E .
1293. — Mais la même indifférence n’est plus pos
sible, lorsque la prohibition éludée est d’ordre public.
Son caractère général, non moins que les conséquences
de son inexécution, protestent sans cesse contre sa vio
lation. Qu’arriverait-il si on tolérait qu’un débiteur pût
éluder la prohibition de se soumettre à la contrainte par
corps, hors des cas déterminés ; si les biens arrachés par
le médecin ou le confesseur, par des donations sous for
me de contrat à titre onéreux, devaient leur appartenir
irrévocablement, ou bien encore si, à l’aide d’un dé
guisement, le père de famille pouvait impunément et
sans retour subir les conséquences d’une spoliation
qu’il a réalisée dans un moment d’entraînement et de
colère? Il y aurait là, sans doute, des intérêts privés
ni ,
3
�..
T R A ITE
fortement compromis, mais 1interet général ne serait
pas moins froissé, et la plaie qui lui est faite doit au
toriser un recours que celle subie par les premiers ne
justifierait pas suffisamment.
1294. — Ainsi, la fraude à une loi d’intérêt privé est
obligatoire pour celui qui a concouru à sa réalisation,
Il ne pourra en être relevé que par la preuve écrite qu’il
s’en sera procurée. La fraude contre une loi d’ordre pu
blic peut toujours être prouvée par témoins, et cette
preuve, la partie elle-même peut l’invoquer.
1295. — C’est à l’aide de cette distinction que doit
se résoudre une difficulté résultant des termes de l’ar
ticle 1131 du Code civil. Cet article, a-t-on dit, met sur
la même ligne le défaut de cause, la cause fausse et la
cause illicite. Dès-lors la partie, admise à prouver par
témoins l’existence de celle-ci, doit l’être à justifier,
par le même mode, celle des deux autres.
C’est là prêter à l’article 1131 une intention qui n’a
jamais été dans la pensée du législateur. L’article 1131
ne fait qu’une seule chose, il proclame, quant au ré
sultat, une parfaite identité entre la cause illicite et la
fausse cause et l’absence de cause, c’est-à-dire que
l’obligation, nulle dans la première hypothèse, l’est
également dans les deux autres.
Mais, comment établira-t-on qu’il n’y pas de cause,
ou que la cause énoncée n’est pas vraie? La cause n’a
pas même besoin d’être exprimée, c’est ce qui résulte
de la disposition de l’article 1132. Il faut donc admettre
�/
DU D O L E T .D E L A F R A U D E .
51
que l’absence de cause dont s’occupe l’article précé
dent ne s’entend que du cas où le titre, énonçant une
cause, n’en a réellement aucune, parce que celle indi
quée est fausse et qu’il n’en existe pas d’autre comme,
par exemple, dans la simulation absolue.
Mais, dans cette hypothèse, on se trouvera en pré
sence des articles 1519 et 1522. La foi due à l’acte ne
pourra être ébranlée tant que le créancier se retran
chera derrière ses expressions. Les allégations du dé
biteur seront donc évidemment sans objet, à moins
qu’appuyées sur une preuve littérale, elles ne justifient
soit la fausseté de la cause, soit l’absence de toute cause.
Dans l’un et l’autre cas, la preuve testimoniale est inad
missible par l’application de l’article 1541. S’il en était
autrement, il faudrait admettre qu’une vente, simulée en
fraude des droits des créanciers, pourrait être déclarée
telle sur Ja demande de l’auteur principal de la simula
tion, qui pourrait la prouver par témoins. Or, le con
traire est universellement admis.
Ainsi, en principe, la nullité résultant de la fausse
cause ou du défaut de cause est toute dans l’intérêt
privé des parties. Cela admis, la simulation de la cause
rendant le contrat régulier fait disparaître le motif de la
nullité. L’auteur de cette simulation pouvait en éviter
les conséquences soit en ne pas la consentant, soit en se
faisant délivrer la preuve écrite de son existence. S’il a
manqué à ce devoir, il doit supporter les conséquences
de son imprudence et de sa légèreté. Suffisamment pré
venu de ces effets, il ne peut demander à la loi une pro-
�52
TR A ITÉ
tection que l’exécution de ses prescriptions lui aurait
assurée.
Il n’en est pas de même de la cause illicite. La loi ne
peut admettre que ce qui a pour objet d’éluder les pré
ceptes de la morale, l’exigence des bonnes mœurs ou les
dispositions d’ordre public puisse jamais produire au
cun effet. La volonté contraire des parties ne pouvait,
dans aucun de ces cas, prévaloir contre ses prohibi
tions, sur lesquelles nul n’a pu transiger. Tout ce qui a
été fait en sens contraire doit donc s’effacer et dispa
raître.
Or, comment atteindre à ce résultat si les parties
elles-mêmes ne peuvent, se prévalant de ce caractère de
la fraude, en prouver l’existence même par témoins?
Ne suffit-il pas, pour faire admettre le contraire, de
considérer que le résultat de cette doctrine conduirait
infailliblement à mettre la loi dans l’impuissance de ré
primer ce qu’elle condamne d’une manière formelle.
Ainsi, il y a identité dans les résultats, dans la cause
illicite, dans la fausse cause et dans le défaut de cause,
mais l’allégation de la première rend la preuve testimo
niale admissible pour les parties elles-mêmes. L’exis
tence des deux dernières ne peut être établie que par la
preuve écrite, sauf les droits des tiers qui n’y ont pas
concouru.
1296- — La preuve littérale résulterait, dans tous
les cas, de la contre-lettre souscrite par les parties. Mais
son existence ayant pour objet de favoriser la violation
de la loi, on a prétendu, dans certains cas, l’annuler
�D û DOL E T DE LA F R A U D E .
53
même à l’endroit des parties entre elles. C’est notam
ment ce qu’on a prétendu pour les contre-lettres éta
blissant un supplément de prix dans les cas de vente.
C’est, en effet, ce qui résultait de la loi du 22 fri
maire an vii, dont l’article 40 déclarait nulle et de nul
effet, même à l’égard des parties contractantes, toute
contre-lettre ayant pour objet une augmentation du prix
porté dans un contrat de vente. Par application de cette
disposition, la Cour de cassation décidait, par arrêt du
10 janvier 1809, que la demande en supplément de prix,
formée par le vendeur et fondée sur une contre-lettre
devait être repoussée. Ainsi, on arrivait à ce singulier
résultat que la responsabilité de la fraude retombait
tout entière sur celui qui n’y avait aucun intérêt. En
effet, la dissimulation du prix ne pouvait avoir pour ré
sultat que d’éluder le droit d’enregistrement sur la par
tie non déclarée. Or, ce droit étant à la charge de l’ac
quéreur, on peut supposer que la dissimulation était son
fait plutôt que celui du vendeur, et cependant on faisait
perdre à celui-ci une partie du juste prix, tandis que
l’acquéreur, qui y avait trouvé d’abord l’avantage de ne
payer aucun droit d’enregistrement, y trouvait encore
celui de s’exonérer de la dette légitime qu’il s’était im
posée, et obtenait ainsi la chose sans en payer le prix.
Ce résultat était inique et parut tel au rédacteur du
Code. Aussi a-t-il voulu le proscrire lorsque, s’occu
pant des contre-lettres, il a édicté l’article 1321. Aux
termes de sa disposition, les contre-lettres ne peuvent
avoir effet qu’entre les parties contractantes ; elles n’en
�54
T R A ITE
ont aucun contre les tiers, seconde règle non moins
juste, non moins équitable que la première.
1297. — Il semble qu’une disposition de ce genre
était de nature à empêcher, à l’avenir, toute contro
verse sur l’applicabilité de la loi de frimaire an vu, il
n’en a rien été cependant. L’affirmative a été soutenue
contrairement à l’opinion de MM. Delvincourt, Toullier,
Duranton et Chardon, notamment par M. de Plasman,
auteur d’un traité spécial sur les contre-lettres. 1
Cet auteur pense donc que les contre-lettres en ma
tière de vente sont encore régies par la loi de l’an vu,
que le Code civil n’a pas formellement abrogée. En
l’état du silence gardé à cet égard, cette loi spéciale,
et toute dans l’intérêt de l’État, n’a pas été atteinte.
L’article 1321 ne règle que l’effet des contre-lettres en
général, tandis que l’article 40 de la loi ne s’occupe
que des contre-lettres in specie, de celles qui ont pour
objet d’augmenter le prix contenu dans l’acte de vente.
Or, dans le concours d’une loi générale, et d’une autre
spéciale, celle-ci doit être préférée en vertu de la règle :
El illud polissimum habelur quod ad speciem direclum est.
Il est donc impossible, continue M. de Plasman, de
soutenir, en principe strict de droit, que l’article 1521
abroge une disposition avec laquelle il n’a pas un rap
port direct. Le principe qu’il consacre n’existait pas
sous l’ancienne jurisprudence. Alors, les contre-lettres
1 Partie l re.
3.
�BU DOL ET DE LA F R A U D E .
55
avaient effet, même à l’égard des tiers. Dès-lors, le lé
gislateur n’a eu pour but, dans la loi nouvelle, que de
consacrer le principe que les contre-lettres ne doivent
produire effet qu’entre les parties contractantes seule
ment, sans s’occuper, eu aucune manière, des lois
créées dans l’intérêt du fisc, sans vouloir ni les ap
prouver, ni les détruire.
1298. — En fait, comme en droit, ces raisons man
quent de justesse et de portée.
En principe, les lois nouvelles détruisent les an
ciennes, en tout ce qu’elles ont d’inconciliable et de
contraire. Ce principe admis, il faut rechercher quel
était l’état des choses au moment où le Code civil allait
être promulgué. Or, cet état des choses, M. de Plasman
nous l’indique lui-même, c’était : d’une part, la juris
prudence ancienne permettant d’opposer aux tiers
l’effet d’une contre-lettre; de l’autre, la loi de l’an vu
déclarant certaines d’elles non-seulement non oppo
sables aux tiers, mais encore sans effets entre les par
ties. Le Code a donc trouvé les contre-lettres divisées
en deux catégories bien tranchées.
Supposez qu’il n’ait pas voulu admettre cette division
et qu’entendant les ranger toutes dans une même caté
gorie, il ait entendu leur faire produire à toutes le même
effet, comment aura-t-il procédé? Évidemment pas au
trement que de les comprendre toutes, sans exception,
dans une disposition unique. Or c’est précisément ce
qu’a fait l’article 1321, peut-on dès-lors douter de ses
intentions et des effets s’y rattachant. M. de Plasman
�56
T R A ITE
avouera que sa seconde disposition, celle relative aux
tiers, s’applique aux contre-lettres en matière de vente
comme à toutes les autres. Pourquoi donc seraient-elles
exceptées de la règle tracée par la première disposition?
Où s’arrêtera d’ailleurs cette exception purement arbi
traire? Après les contre-lettres en matière de vente, vien
dront celles pour échange, pour donation, etc... Et,
d’exception en exception , la règle générale ne régira
plus rien.
Que dans le concours d’une loi générale avec une loi
spéciale, il faille recourir à celle-ci, nous l’admettons,
mais peut-on contester à la première le droit d’abroger
la seconde qui lui est antérieure. Or l’abrogation n’a pas
toujours besoin d’être formellement exprimée, elle ré
sulte énergiquement du caractère inconciliable des deux
dispositions. Or ce caractère fût-il jamais plus énergi
que qu’entre le texte du Code et celui de l’an vu.
Il suffirait donc de ce texte pour repousser l’opinion
de M. de Plasman. Que sera-ce donc lorsque, s’en ré
férant à la discussion législative, on arrivera à eé ré
sultat que c’est surtout la loi de l’an viiquel’article 1321
a voulu atteindre. On va juger si notre proposition est le
moins du monde hasardée.
Le premier projet du Code ne disait rien sur les con
tre-lettres, et ce silence avait été imité par la commis
sion. Ce qui les signala à l’attention du législateur fut
une proposition de M. Duchâtel, demandant qu’on les
proscrivit d’une manière absolue. L’usage des contrelettres, disait-il, tendant à déguiser les conventions, il
�57
en résulte des fraudes contre les particuliers, et toujours
contre le trésor public.
« M. Régnault de St-Jean d’Angely dit qu’un juge
ment vient d’annuler une contre-lettre ajoutant au prix
d’une vente.
« M. Bigot de Préamenen soutient que les contre-let
tres ne doivent être annulées que lorsqu’elles sont frau
duleuses.
<t M. Berlier dit que la proposition de M. Duchâtel
lui paraît, dans sa généralité, propre à produire un mal
plus grand que celui qu’on a voulu éviter.
< Il a été, ajoute-t-il, au titre du mariage, pourvu au
sort des contre-lettres qui pouvaient y être relatives, et
c’est en cette matière qu’il importait le plus de parer
aux abus, parce que c’est là qu’ils sont les plus fréquents,
principalement ceux qui touchent à la substance du
pacte.
a Mais, dans une foule d’autres contrats qui ont eu
lieu entre les hommes, ne serait-il pas souvent injuste
de ne considérer comme valable que l’acte authentique,
en rejetant les modifications contenues dans la contrelettre? Ne serait-ce pas dénaturer les conventions? Et le
législateur le doit-il, lors surtout qu’il peut y avoir des
contre-lettres qui n’aient point eu pour objet de dé
guiser la convention primitive, mais d’en fixer le sens,
ou d’en réparer les omissions?
« A la vérité, les contre-lettres ont souvent lieu pour
éluder ou pour affaiblir les droits dus au trésor public ;
mais c’est par des amendes, et non par la peine de nul
lité, que cette espèce de fraude peut être atteinte et puDU D O L E T D E L A F R A U D E .
�58
T R A ITE
nie, dans aucun cas, le législateur ne peut mettre sa
volonté à la place de celle des parties pour augmenter
ou diminuer les obligations respectives qu’elles se sont
imposées.
« Le consul Cambacérès dit qu’il existe déjà une
disposition législative contre l’usage des contre-lettres
(loi du 7 frimaire an vu), mais elle ne lui semble pas
juste, ces actes doivent avoir tout leur effet entre les
parties, il suffit, pour en prévenir l’abus, de les soumet
tre au droit d’enregistrement, lorsqu’ils sont produits.
« Tronchet observe qu’il faut en effet distinguer : une
contre-lettre doit être valable entre les parties, et nulle
contre les tiers. Or la régie de l’enregistrement est un
tiers par rapport à l’acte. 1 »
Après quelques observations de M. Defermon, dans
le même sens, la proposition fut renvoyée à la section
qui proposa et fit adopter l’article 1321, tel qu’il est
inscrit dans le Code.
Eh bien ! nous le demandons, peut-il exister le moin
dre doute sur la portée de ce texte et sur l’intention du
législateur. Est-il possible surtout de prétendre qu’il ait
voulu maintenir une législation que le consul Camba
cérès flétrissait comme injuste, et dont personne n’osa
prendre la défense ; nous pensons donc qu’il est inutile
d’insister, et que nous pouvons conclure avec toute cer
titude. L’article 1321 a voulu surtout abroger la loi de
frimaire an vu, et l’a formellement abrogée.
M. de Plasman trouve mauvais que M. Toullier ait
■ Procès-verbaux, séance du 2 frimaire, an n.
�59
fait ressortir énergiquement l’immoralité du résultat
consacré par une législation que Cambacérès appelait
injuste. Il reconnaît cependant qu’il est odieux qu’un
acquéreur, se jouant des promesses les plus solennelles,
puisse retenir la propriété sans en payer le prix réel et
convenu. Mais ce qui est non moins immoral, ajoutet-il, c’est de voir le vendeur et l’acquéreur s’entendre
pour tromper la loi et frauder le trésor public.
C’est donc surtout dans l’intérêt de celui-ci queM. de
Plasman se prononce pour la nullité absolue. O r,
qu’on nous permette de le dire, s’il y a un système qui
puisse préjudicier aux droits du fisc, c’est incontestable
ment celui que soutient M. de Plasman. Quelles seront,
en effet, les conséquences de la nullité absolue? Qu’on
ne fera plus de contre-lettres. C’est possible ! Mais la
fraude, qu’avec raison blâme M. de Plasman, se perpé
tuera tant que les acquéreurs auront intérêt à payer le
moindre droit d’enregistrement possible, seulement on
prendra d’autres mesures pour assurer la fraude, telle
par exemple, que le dépôt ou le paiement comptant de la
partie du prix qu’on voudra dissimuler; et, de tout cela,
il arrivera que le fisc n’entendra jamais parler de ce sup
plément et ne pourra jamais le soumettre à aucuns droits.
Combien Cambacérès entendait mieux les intérêts du
trésor public ! Valider la contre-lettre, c’est, en cas de
difficulté, en favoriser la production; c’est même for
cer cette production en cas de contestation. La connais
sance acquise par cette production, le fisc pourra se
faire payer avec usure des droits dont on a voulu le
frustrer.
DU D O L E T D E L A F R A U D E .
�60
T R A ITE
Ainsi, indépendamment de ce qu’il est contraire à la
loi, le système de M. de Plasman a le défaut de se placer
en opposition directe avec l’intérêt qu’il prétend proté
ger. Il est donc, sous l’un et l’autre rapport, complète
ment inadmissible.
1299. — Cependant il a été consacré par deux ar
rêts de la Cour de cassation, des 15 fructidor an h et
10 janvier 1809. Nous ne dirons rien du premier, car
antérieur à la promulgation de l’article 1521, il demeure
forcément sans influence sur une question qui n’a pu
naître que depuis cette promulgation.
Quant au second, rendu sous l’empire du Code, il a
jugé plutôt une question de non-rétroactivité qu’une
difficulté se référant à son influence sur la législation
précédente. Il suffit, en effet, de faire remarquer que
l’arrêt dénoncé à sa censure avait statué sur une contrelettre antérieure au Code civil, qu’il avait pourtant va
lidée par application de l’article 1521.
Aussi le pourvoi se fondait-il sur la violation de l’ar
ticle 40 de la loi de l’an vu, et pour fausse application
de l’article 1521. Il est vrai qu’à l’appui de ce dernier
moyen, le demandeur soutenait que la règle générale
de l’article 1521 n’avait pu abroger la loi spéciale à la
matière.
Mais ce second moyen n’est pas même abordé par la
Cour de cassation, elle se borne à viser dans son arrêt
l’article 40 de la loi de l’an vu, dont elle fait application.
Ce n’est que dans le sommaire de l’arrêtiste qu’on lit ces
mots: il n’a pas été dérogé à cette loi par l’article 1521,
�mais c’est là un principe que l’arrêt ne juge pas, par
l’excellente raison qu’il n’avait pas à le décider; la seule
législation applicable était la loi de l’an vu, sous l’em
pire de laquelle la contre-lettre avait été créée.
Ce que la Cour n’a pas jugé en 1809, elle l’a décidé,
mais en sens contraire, le 10 janvier 1819, et depuis
ellea persisté dans la jurisprudence dans laquelle la plu
part des Cours d’appel l’ont suivie.
Il existe encore un arrêt dont se prévaut M. de Plasman, c’est celui rendu par la cour de Metz, le 17 fé
vrier 1819. Mais cet arrêt, qui n’est peut-être dû qu’à
la fausse interprétation donnée à celui de la Cour de cas
sation, du 10 janvier 1809, ne saurait prévaloir, en
aucun cas, sur les raisons que nous avons exposées sur
la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation, sur
celle que plusieurs autres Cours ont adoptée.1
1300. — Ainsi, et en force de l’article 1321, les
contre-lettres, étant obligatoires entre les parties, de
viennent la preuve littérale et décisive delà convention.
C’est donc conformément aux clauses qu’elles renfer
ment que le traité doit recevoir son exécution. Mais
nous allons retrouver ici les principes que nous rencon
trions tout à l’h.eure. La dérogation contenue dans la
contre - lettre n’est valable qu a la condition qu’elle
n’aurait trait qu’à un intérêt particulier et privé. Dans
le cas où la contre-lettre dérogerait à une loi d’ordre
1 V. Dijon, 9 juillet 1828 ; — Aix, 21 février ! 832 ; — Cass., 15 dé
cembre 1832;—Dalloz jeûne, Diction, général, v°enregisl., n° 2229.
�public ou d’intérêt général, son inefficacité serait abso
lue, même pour les parties entre elles.
•
*
^tj
1301. — On sait que la loi de 1816 a permis aux ti
tulaires des offices de présenter un successeur à l’agré
ment de l’autorité, et de transmettre leur charge à titre
onéreux. Mais cette autorisation est subordonnée à l’ap
probation que doit recevoir le traité réglant les condi
tions et le prix de la transmission. Le but de cette
réserve, que s’est faite le gouvernement, est de veiller
à la sincérité du traité et d’empêcher, dans un intérêt
public, toute exagération légèrement consentie, dont
les suites pouvaient être funestes en grevant trop forte
ment l’avenir du nouveau titulaire.
Cette disposition, dont la haute utilité, dont la pro
fonde sagesse n’a pas besoin d’être démontrée, ne doit
pas être éludée, il importe que l’autorisation ne soit pas
une pure formalité, un vain enregistrement. Il fallait
donc prévoir les manoeuvres auxquelles elle peut don
ner lieu, et les réprimer sévèrement.
L’autorisation pouvant seule régulariser la cession ,
il n’en fallait pas douter, on se met tra à même de l’obte
nir en évaluant dans le traité, l’office vendu, à son juste
prix, peut-être même un peu en de-çà. Mais l’intérêt
privé saura bien faire sa part, et un traité secret, stipu
lant un supplément de prix, offrira tous les inconvé
nients que l’on a voulu éviter par la communication
forcée du traité.
Voilà, nous ne dirons pas ce qui pourra se réaliser,
mais ce qui s’est effectivement réalisé, ce qui se réa-
�63
lise chaque jour, et les ruines éclatantes et scandaleuses
qui se sont succédées sont venues témoigner bien hau
tement de l’incontestable utilité des précautions du lé
gislateur.
DU DOD E T DE LA F R A U D E .
1302. — En présence de ces catastrophes, la juris
prudence a compris le devoir qu’elle avait à remplir.
Ramener les parties à la vérité, en proscrivant avec
une rigoureuse sévérité tout ce qui s’en écarte, tel est
le but qu’elle s’est proposée et vers lequel elle marche
avec une louable et noble persévérance.
Ainsi elle a annulé tous les traités secrets, en se fon
dant sur ce grand principe : que les conventions par
lesquelles un supplément de prix est stipulé entre le
vendeur et l’acheteur d’un office, en dehors du traité
ostensible soumis à l’approbation du ministre, sont es
sentiellement illicites et contraires à l’ordre public,
comme ayant pour objet de faire fraude aux disposi
tions législatives réglant, dans un intérêt général, le
mode et la condition de la transmission des offices;
que, dès-lors, de telles conventions ne peuvent engen
drer aucune obligation ni civile ni naturelle.1
Ainsi, dans une cession d’office, il ne peut y avoir
d’autre prix que celui porté au traité soumis à l’appro
bation du gouvernement. De quelque manière qu’un
supplément de prix ait été stipulé, la convention est
nulle et sans effet.
Par application de cette règle, il a été jugé :
1 Cass., 10 mars 1849; — D. P ., 49, 1, 294.
�64
T R A ITE
Que la contre-lettre qui attribue les débets au ven
deur, sans diminution du prix de l’office, tandis que le
traité ostensible comprend les débets, avec ou sans
ventilation , dans le prix de l’office, est radicalement
nulle; qu’en conséquence, dans le cas où le vendeur
aurait perçu les débets, il est tenu d’en rendre compte
à l’acheteur ;1
Que la contre-lettre qui fixe au jour de la cession
l’entrée en jouissance, que le traité indique pour le jour
de la prestation du serment, est également nulle ;*
Qu’il en est de même de la convention secrète portant
que la cession d’un office faite par un père à son fils,
sous forme de démission pure et simple, a lieu, en réa
lité, à titre onéreux, moyennant un prix qui sera ulté
rieurement fixé.1
1303. M. Dalloz critique cet arrêt comme enlevant
la propriété aux pactes de famille, et accuse la Cour de
cassation d’avoir, par une sévérité outrée, dépassé le
but. Nous croyons, au contraire, que, quelque rigou
reuse qu’elle paraisse, cette décision est parfaitement
juridique, dictée qu’elle était par une déduction logique
du principe présidant à la transmission des offices. Ainsi
que le fait remarquer la Cour de cassation, la propriété
d’un office n’est pas une propriété ordinaire dont le titu
laire ait la libre disposition. La loi de 1816 ne lui con
fère que la faculté de présenter un successeur, que le
1 Cass., 8 janvier 1849 ; — D. P ., 49, 1, 12.
’ Cass., même jour.
3 Cass., 29 novembre 1848 ; — D. P ., 49, 1, 15.
�DU D D L E T D E L A F R A U D E .
65
gouvernement a toujours le droit de refuser ou d’ad
mettre. Or l’exercice rationnel de ce droit est impossi
ble si, indépendamment de ce qui est relatif à la capa
cité et à la moralité du nouveau titulaire, toutes les
conditions du traité ne sont pas fidèlement mises sous
les yeux du ministre.
La plus essentielle de toutes ces conditions, est évi
demment celle concei'nant le prix. Il importe que ce
prix soit dans de justes proportions avec la valeur réelle
de la charge; que l’obligation de le payer soit de telle
nature que le débiteur puisse la remplir et faire face aux
intérêts en résultant par les seules ressources de la
charge elle-même et par les revenus légitimes dont elle
est susceptible. Il faut, en un mot, que l’engagement
ne soit pas tellement onéreux que la ruine et la décon
fiture du nouveau titulaire puisse être entrevue dans
un temps plus ou moins prochain. Comment le gouver
nement veillera-t-il à tout cela, si le prix de la cession
n’est pas même fixé au moment où son approbation est
demandée?
Il est d’ailleurs incontestable que, dans les traités or
dinaires, la^clause que le prix sera ultérieurement fixé
ferait que l’agrément de l’autorité serait refusée, et ce
refus ne serait blâmé par personne. Pourquoi en seraitil autrement, lorsque c’est le père qui le cède à son fils?
Est-ce que, dans ce cas, la détermination du prix ne
peut pas être exagérée et hors de toute vérité? Est-ce
que, ce cas se réalisant, le titulaire ne se trouvera-t-il
pas grevé d’une charge à laquelle les revenus légaux de
l’office pourront à peine suffire? Sera-t-il moins tenté
�66
TRAITE
qu’un autre de se procurer, par des moyens extra-légaux,
les ressources dont il manquera?Est-ce qu’enfin, et sui
vant l’intérêt du moment, la détermination du prix ne
sera pas le résultat de la collusion dans le but de priver
les créanciers, que le titulaire peut avoir, d’une partie
de l’actif sur la foi duquel ils ont traité? Si tout cela est
réellement à rédouter, pourquoi se départir d’une sur
veillance nécessaire pour obvier à tous ces inconvé
nients? On ne saurait en donner une raison plausible,
et la validité d’une contre-lettre, dans ce cas, ne serait
qu’une faveur accordée au mensonge et à la ruse.
Que le père et le fils aient trompé le gouvernement,
c’est incontestable. L’apparence d’une démission pure
et simple, devant en quelque sorte être suivie de l’ap
probation, évite ainsi tout contrôle efficace. Faudrait-il
les récompenser de la simulation qu’ils se sont permise?
Le pacte de famille ne saurait être pour le gouverne
ment une raison d’aliéner sa mission d’ordre public et
d’intérêt général. En quoi, d’ailleurs, l’existence de ce
pacte répugne-t-il à la détermination actuelle d’un prix?
C’est surtout ce prix qu’il importe à la famille ellemême de connaître, et, puisqu’on doit le fixer ultérieu
rement, on ne peut expliquer le défaut de fixation ac
tuelle que par l’intention bien arrêtée de se soustraire
au contrôle de qui de droit. Favoriser cette intention,
ce ne serait pas autre chose que récompenser et encou
rager la fraude. En la proscrivant, l’arrêt de la Cour de
cassation n’a donc fait qu’un acte de morale et de jus
tice.
Ainsi toute contre-lettre, quels qu’en soient les signa-
�DU D O L E T D E LA F R A U D E .
(57
taires, fût-elle de père à fils, reste frappée d’une nullité
radicale, dès qu’elle modifie ou abroge, dans une partie
quelconque, le traité soumis d’office à la chancellerie.
Cette règle ne comporte aucune exception, mais elle
serait évidemment non applicable à la contre-lettre ex
pliquant le sens et la portée des clauses du traité public,
sans les modifier. Ainsi, il a été jugé que, lorsque les
conditions de la vente d’un office ont été arrêtées avant
que le cessionnaire eût l’âge requis, au moyen d’un traité
demeuré secret, mais qui ne diffère du traité soumis plus
tard à la chancellerie que par des clauses transitoires
devenues sans objet, ce traité est suffisant pour confé
rer au cédant le privilège du vendeur et à l’autoriser à
en transmettre le bénéfice par voie de subrogation, en
vertu de cet acte, au tiers qui l’a payé après la nomina
tion du cessionnaire.1
1304. — La jurisprudence qui proscrit toute déro
gation au traité public, jurisprudence dans laquelle la
Cour de cassation persiste avec une inflexible fermeté,
amenait, comme conséquence inévitable, à consacrer
le droit de répéter les sommes payées à titre de supplé
ment de prix, soit au moment du contrat, soit avant,
soit après. En effet, considérer ces paiements comme
légitimement acquis, c’était rendre complètement illu
soire la nullité des contre-lettres, qu’on eût dès-lors
délaissées, en prenant un moyen plus sûr pour faire
réussir les desseins que ces contre-lettres faisaient vai* Orléans,
janvier 1846; — D, P ., 47, 2, 101.
�68
T R A ITE
nement entrevoir. Ce moyen était naturellement indi
qué. On aurait exigé le paiement actuel et comptant du
supplément du prix, ou la remise de valeurs négocia
bles , jusqu’à due concurrence.
La seule {précaution efficace contre cette fraude si
facile, était déconsidérer comme nuis ces paiements ou
remises, et cette précaution était indispensable pour as
surer le but qu’on se proposait d’atteindre par la nullité
absolue des contre-lettres. En effet, chassée d’un côté,
la fraude serait largement revenue de l’autre, et les in
convénients prévus, loin de s’affaiblir, ne pouvaient
manquer de s’aggraver. C’est ce que la jurisprudence a
compris, c’est ce qu’elle a voulu prévenir par la nullité
de la contre-lettre verbale, comme de la contre-lettre
écrite, et par l’admission du droit de répétition de ce
qui a été payé en vertu de l’une ou de l’autre.
1305. — La sagesse de cette solution a été mécon
nue et son caractère juridique contesté. Mais l’une et
l’autre peuvent facilement être justifiés. Sans doute il
est des obligations que la loi permet de faire annuler ,
et qui sont cependant dans le cas de créer un lien natu
rel. Mais il faut distinguer ce que la loi permet de ce
qu’elle ordonne, parce que de la diversité de ce carac
tère découlent des conséquences bien différentes.
Ainsi les obligations annulables ou rescindables ont
une existence légale tant que leur nullité ou leur resci
sion n’a été ni demandée ni obtenue. Le droit de la faire
consacre^ est reconnu parla loi, mais elle n’en prescrit
�DU I ) O t E T D E L A F R A U D E ,
f)9
aucunement l’exercice, qu’elle laisse au libre arbitrage
de la partie lésée.
Dès-lors l’exécution à laquelle se livre cette partie, au
moment même où elle pouvait poursuivre la nullité,
est un acte spontané et libre qui non-seulement engen
dre une obligation naturelle, mais qui, pouvant consti
tuer une ratification, est susceptible de donner au con
trat le lien légal et obligatoire dont il manquait jusque là.
Il ne saurait en être de même pour l’obligation illi
cite. Sa nullité n’a pas besoin d’être ordonnée, elle existe
de plein droit, il n’y a jamais eu d’obligation, aucune
possibilité de l’exécuter, et moins encore de lui donner
aucune valeur légale par une ratification, fût-elle ex
pressément consentie. Il y a même plus, personne ne
pouvant faire ce que la loi prohibe formellement, l’exé
cution d’une obligation contractée contre cette prohibi
tion est elle-même illégale et nulle, et dès-lors incapable
de produire aucun effet.
Ainsi les pactes sur succession future, les sociétés de
délits, les contrats usuraires, les stipulations illégales
de contrainte par corps, en un mot, tout ce qui est de
nature à porter atteinte à une prohibition formelle ,
édictée dans l’intérêt des mœurs, de l’ordre public, de
la sécurité de l’État, n’a jamais eu une existence réelle,
susceptible de créer un lien moral quelconque. La vio
lation de la loi, qui proteste contre le pacte, proteste
contre son exécution qu’on ne pourrait dès-lors tolérer,
et moins encore indirectement valider, sans méconnaître
la volonté expresse du législateur.
La différence entre la nullité radicale et de plein droit
�70
TR A ITE
et celle que la loi n’a consacrée que par des considéra
tions particulières ne pouvait être méconnue. Aussi
n’est-ce pas sur celle-ci qu’on a insisté. Mais il existe
une nullité d’ordre public à laquelle la loi a attaché une
obligation naturelle : ainsi les dettes de jeu librement
et spontanément payées ne sont pas répétibles. S’em
parant de cet exemple, on s’est écrié : vous voyez donc
bien qu’une obligation naturelle peut être produite par
les nullités radicales elles-mêmes.
Mais ce qui enlève à cette objection toute force et
toute portée, c’est précisément la disposition de l’arti
cle 1967. Le législateur ne s’est pas dissimulé qu’en
principe le jeu ne pouvait engendrer même une obligagation naturelle ; qu’en conséquence le paiement de ce
qui avait été perdu ouvrait l’action en répétition. Mais,
par des considérations que nous n’avons pas à appré
cier, pour rendre hommage à nos mœurs peut-être, il
n’a pas cru devoir autoriser cette répétition. Il s’en est
donc formellement [et spécialement expliqué. Ainsi, si
la dette de jeu volontairement payée n’est pas répétible,
c’est par exception au principe général; si cette excep
tion est admise, c’est qu’elle est écrite en toutes lettres
dans la loi. Qu’on nous montre donc qu’il en est de
même pour le supplément de prix d’un office, et nous
nous avouerons immédiatement vaincu.
Ainsi l’objection tirée de l’article 1967, loin d’atté
nuer la rigueur du principe, ne fait que le confirmer.
Pour que la nullité radicale et d’ordre public crée une
obligation naturelle, il faut une exception formellement
�DU D O L E T D E LA F R A U D E .
74
prévue. Cette exception n’existant pas, leprincipe con
tinue à exercer tout son empire.
Maintenant, clans quelle catégorie faut-il placer la
nullité de la contre-lettre, en matière de cession d’of
fice? Cette questionne peut être douteuse. Cette nullité
ne reconnaît d’autre motif que l’intérêt général et public.
Elle est donc radicale, absolue; elle ne peut dès-lors
produire une obligation, même morale.
1306. — Mais , a-t-on dit, la loi de 1816 n’a nulle
part proscrit les contre-lettres, on ajoute donc à la loi
lorsque non-seulement on les annule, mais surtout lors
qu’on permet de répéter ce qui a été payé à ce titre.
Sans doute le législateur de 1816 n’a pas employé
cette locution : toute contre-lettre est défendue, mais
une pensée conforme s’induit clairement de la loi.
La cession de l’office n’est qu’une faculté qui ne peut
être exercée que sous la condition formelle de l’appro
bation du gouvernement. Cette approbation, qu’un in
térêt général a fait prescrire, ne peut être que le résul
tat d’une appréciation éclairée et loyale des conditions
du marché. Elle ne sera accordée que si le ministre est
convaincu : 1° que la charge sera honnêtement exercée;
2° que l’acheteur ne s’impose pas de charges trop lour
des; 5° que, renfermé dans son état, il y trouvera, en
en respectant les limites, en en pratiquant les devoirs,
une suffisante existence. Pour que cette conviction se
forme, il faut de toute nécessité que le traité qui en
forme les éléments essentiels soit sincère, surtout en ce
qui concerne le prix. Qu’importe, en effet, la capacité
*
�72
T R A ITE
du successeur désigné si, d’avance, l’énormité des en
gagements qu’on lui fait secrètement consentir le ré
duit à trouver un complément de ressources dans l’a
giotage, dans la spéculation, et le destine fatalement,
en quelque sorte, à finir dans l’abîme où il plongera de
nombreuses victimes.
Si le but indiqué est bien celui que s’est proposé le
législateur de 1816, est-il possible de nier qu’il ait en
tendu proscrire tout ce qui tendrait à lui enlever son
véritable caractère et son utilité. La contre-lettre dissi
mulant une partie du prix, ne peut que déterminer ce
résultat. Elle se trouve donc nécessairement atteinte
par cette proscription.
Ainsi, pour se conformer à l’intention du législateur
de 1816, la jurisprudence devaitnécessairement aboutir
à ces deux termes : d’une part, nullité radicale de toute
contre-lettre ayant pour objet de modifier ou de déro
ger aux clauses et conditions du traité public commu
niqué à la chancellerie; de l’autre, faculté de répéter
tout ce qui aurait été payé ou donné à titre de supplé
ment de prix, au moment du traité, avant ou depuis^
C’est ainsi, au reste, que les Tribunaux et Cours l’ad
mettent aujourd’hui.
1507. — De cette jurisprudence il suit : que le traité
secret ne pouvant être ratifié ni expressément ni taci
tement, l’exécution qui lui aurait été donnée ne créerait
aucune fin de non-recevoir, soit contre l’action en nul
lité, soit contre celle en restitution ou imputation des
sommes également perçues en vertu du traité secret . Il
�nu
D O L E T DE L A F R A U D E .
73
en serait de même de la transaction dont ce traité secret
aurait été l’objet, si, tout en réduisant le supplément du
prix secrètementstipulé, elle l’avait, cependant consacré
en partie. Il ne saurait y avoir de transaction valable
que celle qui ramènerait les parties à l’exécution pure
et simple du traité public. Tout ce qui irait au-delà se
rait atteint delà nullité viciant le traité secret lui-même,
et, en conséquence, resterait non-seulement sans effet,
mais ne saurait même échapper à l’action en restitution.
1308. — L’action en nullité et celle en restitution
conférée au débiteur principal appartiennent à la cau
tion. En principe, ce qui est nul comme illicite ne sau
rait devenir la matière d’un cautionnement légal et
obligatoire. Celui qui l’aurait fourni serait donc receva
ble à en taire prononcer l’invalidité.
Pourrait-il, après avoir payé, demander la restitution
ou tout au moins l’imputation jusqu’à concurrence sur
le prix du traité primitif qu’il aurait également cau
tionné? L’affirmative n’est pas douteuse et résulte du
droit de répétition reconnu au débiteur. Ce qui vicie
l’engagement de celui-ci vicie également celui de la
caution. Les conséquences de ce vice ne pourraient donc
varier dans leur application à l’un ou à l’autre.
1509. — Le cessionnaire de l’office, fondé à opposer
au cédant la nullité du traité secret, pourrait-il égale
ment l’opposer pour se dispenser de rembourser le sup
plément du prix qu’un tiers aurait payé pour lui?
Il nous semble que cette question doit se résoudre
4
m
�74
TR A ITE
par le principe admis par la Cour de cassation en ma
tière de jeu.1Si le tiers a connu le traité secret, s’il y a
coopéré comme intermédiaire ou mandataire, il a as
sumé volontairement les chances de la subrogation aux
droits du vendeur; résultant du paiement, ce droit reste
en ses mains ce qu’il était entre celles du cédant luimême. Les objections opposables à celui-ci pourront
donc lui être opposées, alors même que le titulaire de
l’office eût consenti au paiement et à la subrogation.
Si le tiers a payé de bonne foi, s’il s’est borné à prêter
son argent, le droit d’en obtenir son remboursement
ne saurait être sérieusement contesté par le débiteur,
acquéreur de l’office. La destination qu’il aurait donnée
à la somme empruntée ne saurait être opposée au prê
teur, qui n’avait pas même à s’en occuper, et encore
moins à s’en enquérir.
1510. — Une autre conséquence delà jurisprudence
que nous avons indiquée, est de rendre la preuve testi
moniale admissible pour établir soit qu’unesomme quel
conque a été payée au moment et en dehors du traité,
à titre de supplément de prix, soit que les valeurs dont
on réclame le paiement n’ont pas d’autre cause. Sans
la preuve testimoniale, la répétition autorisée ne saurait
avoir lieu, car, en l’état de ce danger, le vendeur se
gardera bien de donner une preuve écrite du paiement
et de ses causes, non plus que de celle des effets qu’il a
fait souscrire. Cette admissibilité, d’ailleurs, se justifie
1 Vid. supra, n°‘ 677 et suiv.
�DU D O L E T D E L A F R A U D E .
75
parfaitement par les principes ordinaires. Ainsi que
nous venons de le voir, la fraude contre une loi d’ordre
public peut toujours être invoquée par la partie et prou-'
vée par témoins. Or, tel est évidemment le caractère
de celle ayant pour objet de percevoir un supplément
de prix dans la vente d’un office.
1311. — L’action en nullité du traité secret et celle
en restitution ne se prescrivent que par trente ans, cela
n’a pas cependant laissé que de soulever des difficultés.
Dans un cas comme dans l’autre, a-t-on dit, l’objet prin
cipal du litige, c’est la nullité de la contre-lettre. Dèslors, et en vertu de l’article 1304, il faut admettre que
le silence prolongé pendant plus de dix ans, ayant éteint
l’action en nullité, a également anéanti la faculté de
répéter ce qui a été indûment payé.1
Cette doctrine a le tort d’appliquer aux actes nuis de
plein droit une règle seulement applicable aux contrats
annulables ou rescindables. L’article 1304 ne s’occupe
que de ces derniers, et la prescription qu’il consacre
n’est que la conséquence de leur caractère. Nous l’a
vons déjà dit, ces actes ne sont qu’infestés d’un vice
purement relatif, que la loi permet à la partie intéressée
de couvrir par une ratification expresse ou tacite. Elle
considère le silence de plus de dix ans comme consti
tuant cette dernière et ayant par conséquent donné à
l’acte toute légalité. Aussi en ordonne-t-elle l’exécution
pour l’avenir.
1 foullier, lom. vu, n° 599; — Delvincourt, tom. ii , n° 598.
�76
t r a it é
Rien, au contraire, ne peut valider l’acte nul comme
contraire à la loi, à l’ordre public, à l’intérêt général.
On n’acquiert pas le droit de violer la loi par cela seul
qu’on l’a violée plus ou moins longtemps. L’acte qui ne
peut être expressément ratifié, rte peut l’être tacite
ment, fût-ce même par un silence s’étant prolongé audelà de dix ans. La seule prescription qui puisse, non
pas en faire admettre l’exécution , mais lui acquérir le
pardon du passé, est celle qui ne permet pas de l’atta
quer, parce qu’elle anéantit toutes les actions, tant réel
les que personnelles, c’est-à-dire la prescription trentenaire.
Ce système, qui a l’adhésion d’une foule d’auteurs
graves, 1 consacré par un arrêt de Bordeaux, du 20
août 1828, a été depuis sanctionné par la Cour de
Paris, le 5 décembre 1846, et par la Cour de cassation,
le 3 janvier 1849. 8
1312. — L’inaliénabilité du fonds dotal date déjà
de fort loin. Dans l’origine, le mari, maître de la dot,
pouvait en disposer et l’aliéner, même sans le con
cours de la femme. La loi Julia de adulleris vint mettre
un terme à cette faculté ; elle défendit toute aliénation
invita uxore.
Cette prohibition, faite au mari, fut étendue à la fem
me par Justinien. Désormais le fonds dotal devint ina1 Merlin, Rép., v° ratification ; — Duranlon, lom.
, n° 523; —
Troplong, de la Vente, n° 249 ; — Mnrcadé, Éléments du droit civil,
art. 1504; — Zaccbariæ, loin, u, p. 440.
x ii
�DU D D L E T D E L A F R A U D E .
77
liénable, aucun des époux ne pouvant en disposer pen
dant le mariage, soit conjointement, soit séparément. *
Cette prohibition a-1-elle créé ce meilleur état des
choses que se promettait Justinien? Est-elle une amé
lioration ou un inconvénient? Nous ne voulons pas en
trer danc cette vieille querelle entre le droit coutumier
et le droit écrit, ce qui nous entraînerait au-delà de
notre sujet. Disons seulement que cette inaliénabilité
absolue a créé et crée encore de bien graves embarras
et de bien nombreux obstacles au développement de
la prospérité de certaines familles, et que si, sous le
point de vue personnel à la femme, elle a des avantages,
cesavautagesnesontsouventacquisque par des moyens
souverainement iniques , au point 'de vue purement
moral.
Quoi qu’il en soit, cette inaliénabilité se trouvant
consacrée par le Code civil, il nous faut l’examiner au
îegard des fraudes que la loi peut inspirer , en recher
cher le caractère, en déduire les effets par rapport aux
tiers, par rapport aux époux eux-mêmes.
1313. — Les lois réglant l’inaliénabilité du fonds
dotal constituent un statut réel. Les époux sont, pen
dant le mariage même, capables de disposer, seule
ment le fonds dotal demeure indisponible en leurs
mains. La prétention contraire a été soutenue, et ceux
qui voyaient dans ces lois un statut personnel ont in
voqué la place que Justinien a donnée à la prohibition.
C’est dans ses Instilules, et précisément sous le titre in
titulé : Quibus alienare licet, vel non, qu’il l’a placée.
�78
T R A ITÉ
Donc, la prohibition crée, elle-même, une incapacité
personnelle. C’est là une erreur que nous démontrerons
en nous occupant de la question de savoir si la vente du
fonds dotal peut être ou non valablement cautionnée.
Donc, la prohibition d’aliéner la dot s’applique aux
biens et non à la personne, et ses fondements étaient,
en droit romain, considérés comme d’intérêt général,
la conservation de la dot devant rendre un second ma
riage plus facile et contribuer ainsi à augmenter la po
pulation : Interest Reipublicœ muliérum dotes salvas
esse, c/uibus nubere possunt.
Le droit français s’est beaucoup moins préoccupé
des secondes noces que de l’intérêt de la femme et de
celui des enfants. La dot est un minimum de fortune que
la loi a voulu leur conserver malgré le naufrage au mi
lieu duquel peuvent périr toutes les autres ressources
du ménage. Mais cette manière d’entendre le droit ne
lui enlève rien de son caractère public, l’intérêt général
des familles ne cesse pas de se recommander à la faveur
de la loi.
1314. — Il importe cependant de remarquer que,
quoique d’ordre public, quoique existant ipso jure,
c’est-à-dire qu’on doive l’obtenir indépendamment de
toute obligation de prouver soit une lésion, soit un pré
judice, la nullité de l’aliénation du fonds dotal n’est pas
absolue. Cela tient à ce que l’ordre public n’y est que
subsidiairement intéressé. L’intérêt principal est celui
de la femme et des enfants : Primario spectat ulilitalem privalam, et secundario publicam. Ce sont, dit
�DU D O L E T D E L A F R A U D E ,.
79
Dunod, les particuliers qui profitent de l’interdit, et sa
prohibition produit une nullité qu’on appelle respec
tive, parce qu’elle n’est censée intéresser que celui en
faveur de qui elle est prononcée. 1
Ces observations fixent le caractère de la nullité et
les conséquences de la fraude. La nullité est légale,
c’est-à-dire qu’elle est formellement prononcée par la
loi. Mais, tout en l’admettant, le législateur ne fait pas
un devoir de la faire prononcer, il s’en rapporte à la
partie intéressée qui peut non-seulement ne pas la pour
suivre, mais encore la couvrir en ratifiant l’acte lorsque
l’empêchement qui le fait prohiber a disparu. En d’au
tres termes, la loi n’autorise pas, mais elle n’empêche
pas non plus : Non assistit nec corroborât, quod est aulem, respectu ejus in cujus favorem prohibitio facta
est ; sed non resislit absolule et semper. 2
Ce caractère spécial de la nullité de la vente du fonds
dotal était admis par l’ancien droit;3doit-on l’admettre
aujourd’hui encore?
L’affirmative nous paraît résulter de la jurisprudence,
qui repousse l’action de l’acquéreur ayant sciemment
traité avec les époux ou l’un d’eux. Cette jurisprudence
serait illogique si la nullité est absolue, car il est de
l’essence de celle-ci de pouvoir être opposée par toutes
les parties. Si, dans l’espèce, on le décide autrement, si
la demande en nullité de l’acquéreur est repoussée par
1 Des Prescriptions, p. 48.
* Dunod, ibid.
3 Dupérier, Questions notables, quest. 9,
t. i, p. 56.
�application de l’article 1125, c’est qu’on admet qu’il ne
s’agit que d’une nullité relative.
L’affirmative résulte encore de la possibilité d’une
ratification même lacite, dont l’effet est de donner à
l’acte toute la validité qu’il aurait eue s’il n’avaiteontrevenu dans l’origine à une prescription légale et d’en
assurer l’exécution dans l’avenir. Or, nous l’avons déjà
dit, la nullité absolue, contre laquelle la loi résiste sans
cesse, ne peut jamais sortir à effet, ne peut être ratifiée
ni expressément, ni tacitement ; l’action dont elle est
la source ne se prescrit que par trente ans. Conséquem
ment, s’il en est autrement pour la nullité du fonds do
tal, c’est que cette nullité, reconnaissant une autre ori
gine, obéit à des principes différents.
Nous croyons donc que la nullité est aujourd’hui ce
qu’elle était autrefois, c’est-à-dire radicale et absolue
pour ce qui concerne les époux et la famille; purement
relative quant aux tiers ayant traité avec l’un d’eux.
1515. — Il résulte de là que ces tiers ne peuvent
de leur chef l’invoquer ni la faire valoir, s’ils ont connu
la qualité de celui avec qui ils ont contracté. Nous dis
tinguerons cependant suivant qu’ils ont acheté du mari
ou de la femme.
Celui qui achette un bien déclaré appartenir à une
femme mariée, est mis immédiatement en demeure de
prendre toutes les précautions possibles pour s’assurer
si le bien qu’il achette est ou non grevé de dotalité. S’il
néglige de le faire, le contrat devient irrévocable pour
lui sans qu’il puisse prétendre avoir été dans l’igno-
�DU DO L E T D E L A F R A U D E .
81
rance sur le vice de l’objet, vendu. Nous le répétons,
ce vice, la qualité de femme mariée devait le lui faire
présumer, et s’il n’en a pas vérifié l’existence, il a com
mis une faute des conséquences de laquelle il ne saurait
être relevé.
Si la vente a été consentie par le mari seul, agissant
en son propre et privé nom, comme propriétaire de ce
qu’il vend, l’acheteur n’a pas dû se douter même de la
dotalité dont cette chose est atteinte. Sans doute, il eût
dû exiger que le mari justifiât la propriété qu’il allé
guait, mais la bonne foi, qui est de l’essence de la vente,
empêche d’attacher une importance majeure à cette
négligence, et l’acquéreur, en vertu même de cette
bonne foi, devrait être admis à poursuivre la nullité
de la vente lorsqu’il découvre la dotalité qu’il avait
complètement ignorée.
Mais il n’en serait plus ainsi si le mari avait procédé
comme tel dans la vente, s’il avait pris la qualité d’ad
ministrateur de la dot ou celle de mandataire de sa fem
me. Dans ce cas, la propriété de la femme est suffisam
ment indiquée, et cette indication suffit pour soumettre
l’acquéreur à toutes les obligations de celui qui traite
directement avec une femme mariée. Il devait donc se
faire représenter le contrat de mariage. La faute grave
qu’il a commise, en ne pas l’exigeant, le laisse sans
droits contre l’engagement qui en a été la conséquence.
A plus forte raison en serait-iil ansi si la vente avait été
faite par le mari et la femme conjointement.1
1 Duraruon, t. xv, n° 528,
�—
:Mi
T R A ITE
82
11
1516. — Ainsi l’acquéreur, qui a, au moment de
l’achat, ignoré la dotalité de l’immeuble, est recevable,
après la découverte qu’il en fait plus tard, à poursuivre
la nullité du contrat, mais il ne peut exciper de cette
ignorance toutes les fois que la propriété lui a été dé
signée comme appartenant à la femme. Cette indica
tion, de plein droit existant, lorsque c’est la femme ellemême qui a vendu, résulte suffisamment soit de la
qualité d’administrateur ou de mandataire prise par
le mari, soit du concours donné par la femme au con
trat.
i.s*
1517. — Cependant la Cour de cassation a jugé, le
11 décembre 1815, que, même lorsque le mari a traité
seul et comme propriétaire de ce qu’il aliène, l’acqué
reur ne peut être admis à poursuivre la nullité du con
trat, et cela par application de l’article 1125 du Code
civil. 1 Nous ne pouvons adopter la doctrine par trop
sévère de cet arrêt, et nous contestons la justesse de
l’application de l’article 1125. Que celui qui traite avec
un incapable ne puisse se prévaloir plus tard de cette
incapacité, cela se comprend ; mais celui qui a con
tracté avec un capable, et qui a été trompé par lui sur
la disponibilitéde la chose qu’il prétend lui appartenir,
ne s’est pas placé sous le coup de cet article, dont l’ap
plication doit lui rester étrangère. Qu’on exige la re
présentation du contrat de mariage, lorsqu’on dénonce
l’existence des droits de la femme, soit; mais lorsque
»
* «*)
Sirey, 16, i, 161.
�DU D O L E T D E L A F l t A U D E .
83
celui qui a vendu n’a pas même indiqué sa qualité
d’homme marié, l’exigence n’est plus que souveraine
ment déraisonnable. Au fond, le mari, qui vend comme
lui appartenant la chose de sa femme, abuse étrange
ment des droits qui lui sont conférés sur la dot et com
met, en quelque sorte, une véritable fraude contre l’a
cheteur. Sous tous ces rapports, la Cour de cassation
paraît s’être écartée dans son arrêt des véritables prin
cipes autant que des notions de l’équité et de la justice.
1518. — Nous ajoutons que la vente faite par la fem
me, par le mari, ou par tous les deux conjointement,
qui ne serait que le résultat des manœuvres frauduleuses
auxquelles ils se seraient livrés, serait nulle, et que cette
nullité serait opposable par l’acquéreur. Mais on ne sau
rait considérer comme manœuvre frauduleuse le défaut
de déclaration sur la dotalité du bien vendu,1 les con
séquences du silence gardé à cet égard ne pouvant, dans
aucun cas, êtreautresque celles formellement indiquées
par l’article 1560 du Code civil.
1519. — Cet article dispose que l’aliénation du fonds
dotal pourra être révoquée sur la demande de la femme
ou de ses héritiers, après la dissolution du mariage ou
la séparation de biens, et pendant la durée du mariage
sur la demande du mari lui-même. Ainsi le législateur
ne s’arrête pas à la part plus ou moins grande que les
époux ont pris à la fraude qu’il s’agit de réprimer. Le
1 Paris, 25 février 1853.
�TR A ITE
mari est recevable à l’attaquer, alors même que, traitant
en son propre et privé nom, il a aliéné, comme lui ap
partenant, le bien qu’il vient revendiquer comme dotal;
ce droit exorbitant n’est que la conséquence de ce que
l’aliénation du fonds dotal, contra legnm interdiela,
crée, au regard des époux et de la famille, une nullité
absolue que chacun d’eux peut dès-lors invoquer.
1520. — Le mari peut donc poursuivre lui-même
la révocation de l’aliénation par lui consentie. Pendant
le mariage, c’est le mari quia toutes les actions; lui seul
peut donc les exercer soit dans son intérêt propre, com
me devant percevoir les fruits de la diot, soit dans l’in
térêt que la femme et les enfants ont à la conservation
du bien dotal.
Le mariage dissous, le mari est obligé de restituer la
dot dont la propriété est transférée aux héritiers de la
femme, toute action l’intéressant ne peut donc plus ap
partenir qu’aux héritiers eux-mêmes; le mari n’aurait
conséquemment plus aucune qualité pour révoquer
l’aliénation du bien dotal que les héritiers respecteront
peut-être. La séparation de bien prononcée produit sur
la recevabilité de l’action du mari le même effet que la
dissolution. La femme recevant l’administration et la
jouissance de la dot, a désormais seule qualité pour
toutes les actions s’v référant.
1321. — Le mari, héritier de sa femme, pourra-t-il,
en cette qualité, demander, après le mariage, la révo-
�cation de l’aliénation du bien dotal qu’il a consentie
pendant sa durée?
1522. — M. Bellot1 distingue le cas où l’acquéreur
a ignoré la dotalité, et celui où il en a eu connaissance.
Il pense que, repoussée dans le premier, la demande du
mari héritier devrait être accueillie dans le second.
Cette distinction et ses conséquences sont critiquées
par M. Dalloz. La bonne ou la mauvaise foi de l’acqué
reur, dit ce jurisconsulte, doit être vérifiée pour savoir
si, en cas [de revendication, le mari doit ou non être
condamné à des dommages-intérêts, mais cette circons
tance est indifférente pour la décision de la question de
savoir si, dans l’espèce, le mari peut revendiquer. Or,
il n’a pas lui-même le droit de demander l’annulation
de la vente du fonds dotal après la dissolution du ma
riage; il est vrai que, dans l’espèce, le mari a succédé
aux droits de la femme qui aurait pu faire prononcer la
nullité ; mais cette qualité d’héritier ne peut effacer en
cas, lui appliquer la règle quemde eviclione lenet actio
eurndem agenlern repellit excep tio. 2
152o. — L’erreur de M. Dalloz se dissimule à peine
derrière l’évidente faiblesse des raisons qu’il invoque.
Sans doute le mari ne peut plus, après le mariage dis
sous, pousuivre la révocation de l’aliénation du bien do-
A
�a
OO
pi
;lI
lil
*»•I “•
TRAITE
tal, nous en avons donné le motif, c’est qu’il est désor
mais étranger à tout ce qui concerne la dot; mais de ce
qu’il ne peut agir comme mari, s’ensuit-il qu’il ne puis
se le faire en une autre qualité? Pourrait-on, par exem
ple, le déclarer non-recevable s’il poursuivait cette ré
vocation en qualité de tuteur de ses enfants, héritiers de
leur mère? Pourquoi donc ne le serait-il pas lorsque,
héritier lui-même, il exerce les droits personnels à celle
qu’il représente?
Parce que, dit M. Dalloz, la qualité d’héritier ne peut
effacer celle de vendeur. Mais est-ce que cette dernière
est un obstacle même pour le mari? Il n’y a à cet égard
qu’à lire l’article 1560pour être convaincu du contraire.
La qualité de vendeur ne suffit même pas pour qu’on
soit tenu de l’éviction; pour que cette obligation pût
être imposée au mari, il faudrait de toute nécessité que
le caractère de dotalité eût été caché à l’acquéreur.
Alors en effet, et seulement alors, le mari est passible
de dommages-intérêts, c’est ce que porte textuelle
ment l’article 1560.
Si la dotalité a été déclarée, si par la qualité des
parties au contrat elle a été connue de l’acquéreur, le
mari ne doit ni garantie, ni dommages-intérêts. Un ne
pourrait donc lui opposer, sous aucun prétexte, la maxi
me invoquée par M. Dalloz : Quem de evictione tenet
actio, eumdem agentem repellil exceptio. On ne pourrait
en exciper que si des dommages-intérêts étaient dus
par lui.
Il faut donc en revenir à la distinction conseillée par
M. Bellot : Si la dotalité a été dissimulée, le mari est
�DU D O L E T D E L A F R A U D E .
87
responsable, tenu d’indemniser l’acheteur. S’il vient, en
l’état de cette obligation, faire révoquer l’acte en qualité
d’héritier de sa femme, on lui opposera avec succès que
sa demande n’est pas recevable. L’action pouvant l’at
teindre, l’exception devient péremptoire.
Si l’acquéreur a connu la dotalité, il s’est constitué
en état de mauvaise foi, il n’a dès-lors aucune garantie
à exercer contre personne, pas même contre le mari;
comment dès-lors, privé de l’action, pourrait-il élever
une exception contre l’héritier de la femme, lorsqu’il ne
pourrait l’opposer au mari agissant personnellement en
cette qualité.
L’opinion de M. Dalloz est d’autant plus extraordi
naire que, quelques lignes plus bas, il soutient que le
cautionnement formel, donné par lejmari à l’aliénation
du fonds dotal, ne saurait produire aucun effet contre
lui, ni l’obliger à garantir.1 Comment donc peut-il ici
faire résulter cette garantie du simple concours du mari
à l’acte d’aliénation ou du fait même de la vente. Ainsi,
le mari serait tenu s’il n’a rien dit, non tenu s’il avait
expressément cautionné?Telle est cependant la contra
diction étrange à laquelle arrive M. Dalloz.
1324. — Concluons donc que la bonne ou la mau
vaise foi de l’acquéreur est une circonstance décisive,
même lorsque le mari provoquera, en qualité d’héritier
de la femme, la révocation de l’aliénation du fonds dotal,
car, recevable, dans le premier cas, à exiger du mari des
1 Ibid, n°“ 56 et 37,
�88
T R A ITE
dommages-intérêts et à lui opposer la règle quemdeevictione lenet etc..., le tiers acquéreur ne pourra, dans le
second cas, faire ni l’un ni l’autre.
1325. — La question de bonne ou de mauvaise foi
acquiert donc dans tous les cas une importance réelle.
La dernière résulte du contrat, lorsque le mari vendant
seul a déclaré le caractère de dotalité, ou lorsqu’il a agi
commme administrateur de la dot ou mandataire de la
femme, enfin lorsque la vente a été consentie par celleci soit personnellement et isolément, soit conjointement
avec son mari. En l’absence de ces circonstances, le
mari pourra-t-il prouver que la dotalité non déclarée a
été parfaitement connue par l’acquéreur?
Il importe, pour l’appréciation de cette question, de
rappeler que le projet du Code civil contenait une dis
position ainsi conçue : Le mari lui-même pourra faire
révoquer l’aliénation pendant le mariage, en demeurant
néanmoins sujet aux dommages-intérêts de l’acheteur,
pourvu que celui-ci ait ignoré le vice de l'achat.
Cette rédactien communiquée au tribunat, il fut ob
jecté : Que ces expressions donneraient lieu à des dif
ficultés, comme l’expérience l’a appris. Comment savoir
si l’acquéreur serait ou non en état d’ignorance? Cette
preuve ne pouvant se puiser ailleurs que dans l’acte
d’aCquisilion, il a paru préférable de le faire dépendre
du contrat même. C’est encore un moyen de détourner
le mari du dessein de vendre le bien dotal.
Sur cet avis du tribunat, l’article 1560 fut rédigé tel
qu’il se trouve aujourd’hui dans le Code,
�89
De là, on a conclu que la seule preuve de la mauvaise
foi de l’acquéreur admissible était celle qui se puiserait
dans le contrat lui-même, et que, dans le silence absolu
de celui-ci, le mari serait non-recevable à prétendre
lelablir autrement.1
L’induction paraît en effet plausible. Cependant on
doit la repousser, si l’on veut rester fidèle à l’esprit de
la loi.
L’acquéreur du fonds dotal n’a pas été vu d’un œil
favorable, et l’on s’est très peu montré jaloux de le fa
voriser. « Il ne mérite aucun intérêt, disait Portalis,
« c’est par sa légèreté qu’il se trouve trompé ; il doi
« s’imputer de n’avoir pas pris des renseignements sufi fisants. D’ailleurs il est difficile d’admettre qu’il n’ait
« pas profité de la nécessité ou de la prodigalité du
« mari, car celui-ci n’a pu faire qu’une mauvaise af« faire. »
Ainsi l’achat de l’immeuble dotal peut n’être, chez
celui qui le contracte, qu’une spéculation, qu’une occa
sion de conclure un excellent marché, comment donc la
loi aurait-elle consenti à s’en, rendre, en quelque sorte,
complice, en laissant l’acquéreur arbitre souverain d’en
assurer le sort ?
Il est permis, en effet, d’admettre que plus le tiers
acquéreur aura connu le danger, et plus il ambitionnera
paraître l’avoir ignoré. D’autre part, plus la détresse du
mari et la nécessité de vendre seront pressantes, plus il
OU DO L E T D E L A F R A U D E .
1 Dalloz, ibid, n° 35 ; — Tessier, île la Dot, noie 698;— Benoit,
toiDi I, n°267.
�se montrera facile pour la condition qui lui serait faite
de garder le silence dans le contrat sur la dolalité de
l’objet vendu. Il est bon sans doute de détourner le mari
de vendre le bien dotal, mais il est aussi du plus haut
intérêt d’en empêcher l’achat; arriverait-on à ce résultat
en accordant des dommages-intérêts, devant en défini
tive rejaillir contre la famille, par cela seul que le mari
aurait subi la loi du silence qu’on lui aurait imposée?
À notre avis, ce dont la loi se préoccupe, c’est du
fond et non de la forme. Si l’acte met sur la voie de la
dotalité, par l’un des moyens déjà indiqués, la preuve
de la mauvaise foi est inébranlablement acquise. Dans
le silence de l’acte, la bonne foi est présumée, mais
cette présomption n’exclut pas la preuve contraire.
Le contraire ne saurait suffisamment résulter d’une
discussion législative. Quelque respectable que soit un
pareil document, il ne saurait avoir qu’une autorité
doctrinale, comme l’observe M. Troplong, et, sous ce
rapport, elle ne supporte pas l’examen.
t Le texte, continue ce savant magistral, donnerait
lieu à une difficulté sérieuse, s’il était explicite, mais le
tribunat a heureusement traduit sa pensée par une for
mule qui n’est pas exclusive et absolument limitative.
« Elle n’est pas limitative. Comparons, en effet, l’ar
ticle 1560 à l’article 1626. Ce dernier article dit que le
vendeur est tenu de droit de garantir l’acheteur de toutes
les charges prétendues sur l’immeuble et non déclarées
lors de la vente. Notez ce mot : non déclarées; n’est-ce
pas là une formule pareille à celle de l’article 1560?
L’expression n’est-elle pas identique? Eh bien ! com-
�OIJ D O L E T D E L A F R A U D E .
ment la jurisprudence a-t-elle interprété l’article 1626?
A-t-elle repoussé la connaissance extrinsèque? A-t-elle
exigé, comme condition sine qua non de l’absence de
garantie, la déclaration du vendeur? Pas le moins du
monde. Quelle que soit la voie qui a conduit l’acheteur
à connaître, lors de la vente, le péril de la chose qu’il a
achetée, cette connaissance suffit, on n’en demande pas
d’avantage. On repousse les exigences formalistes et les
observations sacramentelles, et l’on dit avec Cicéron :
Ubi jnclicium emptoris, ibi fraus venditoris quœ potcsl
esse.
<cSi telle est la jurisprudence incontestable, quand il
s’agit de l’article 1626, pourquoi suivrait-on une autre
route quand on est en face de l’article 1560? Pourquoi
le mot déclarer serait-il plus sacramentel dans celui-ci
que dans celui-là? Pourquoi ne rentrerait-on pas dans le
vrai? Pourquoi enfin adjugerait-on des dommages-inté
rêts à un acheteur de bien dotal qui, sachant ce qu’il
faisait, n’a pas éprouvé de préjudice? Est-ce que cet
acheteur est si favorable? A-t-on oublié les paroles sé
vères de M. Portalis sur son compte? Ne se rappelle-ton pas qu’il ne mérite aucun intérêt?1
Ainsi, et maigre le silence du contrat, nous pensons
que le vendeur serait recevable à faire la preuve de la
mauvaise foi de l’acheteur, mais nous admettons, avec
M. Delvincourt, que cette preuve doit être littérale. En
effet, les principes généraux, en matière de preuve, re1 Troplong, arl. 1860, n° 5335;— Vide Delvincourt, t. m , p. 113;
—Bellot, t. iv, p. 190,
�92
TRAITE
çoivent ici leur entière application. Sans doute le titre
ne dit rien, il est simplement muet; mais ce silence,
dont la loi fait résulter la présomption de bonne, foi, est
un titre pour l’acquéreur, lequel ne saurait céder que
devant la preuve écrite du contraire. D’ailleurs, l’inté
rêt seul du litige amènerait à cette conséquence.
Mais, comme dans tous les cas et en vertu de l’arti
cle 1347, le commencement de preuve suppléerait à la
preuve écrite, en rendant la preuve testimoniale ad
missible.
1326. — De ce que le mari n’est pas tenu de ga
rantir l’acquéreur de mauvaise foi, il ne s’ensuit pas
qu’il puisse être dispensé de rendre le prix qu’il aurait
reçu. L’inaliénabilité de la dot n’a pas été imaginée pour
enrichir le mari, dont l’action n’est reçue pendant le
mariage que parce qu’on l’a supposée dirigée dans l’in
térêt de la femme et des enfants : Non in suum, sed
tantum in uxoris commodum, contra suum veniens fac
tum. 1
L’obligation pour le mari est absolue, elle résulte de
sa seule présence à l’acte. Il importe donc peu qu’il ait
vendu seul ou conjointement avec sa femme. Le fait
seul de n’avoir paru au contrat que pour autoriser sa
femme déterminerait le même résultat. On suppose,
dans ce cas, que la conduite de la femme n’a été que la
conséquence de l’autorité du mari, et que celui-ci ayant,
ut potenlior, déterminé le consentement, a réellement
Voët, 1. 6, t. i , n° 19, de Rei vendical.
�DU DOL E T DE LA EKAUDE,
93
louché le prix d’une vente uniquement faite dans son
propre intérêt : Pretium rei dotalis alienatæ præsumitur ad virum pervenisse.1 A plus forte raison en serait-il
ainsi dans l’hypothèse prévue par l’auteur, à savoir : si
le mari et la femme déclaraient avoir reçu conjointe
ment : Quamvis in instrumente) vendilionis ambo confiterentur recipere pretium.
1327. — La femme qui seule a vendu, qui seule a
reçu le prix, n’est tenue de restituer que ce dont son pa
trimoine s’est réellement augmenté. C’est ce qui résulte
très expressément de la disposition de l’article 1312 du
Code civil. C’est à celui qui allègue le profit à le prou
ver, et, à cet égard, il est bon de constater que la preuve
que le prix réclamé a été versé dans le ménage ou a
servi à payer des dettes personnelles à la femme, ne suf
firait pas pour autoriser la restitution. Dans le premier
cas, en effet, la femme n’a retiré aucun profit distinct et
appréciable; dans le second cas, on ne verrait qu’une
aliénation indirecte dè la dot pour un motif que la loi
n’a pas inscrit au nombre de ceux pour lesquels elle
l’autorise quelquefois; il faudrait, pour que la preuve
fût utile, qu’on établit que le prix est devenu l’objet d’un
f)lacerh!ènt fait au nom de la fèmme, en percevant en
core les revenus ; de l’achat d’un immeuble ou de rente
encore en sa possession. Dans l’un Comme dans l’autre
cas, la femme, ne pouvant retenir et le bien dotal et sa
valeur, serait tenue, en reprenant Celui-ci, de restituer
�celle-là, le but de la loi étant la conservation de la dot,
et non d’enrichir, même la femme, au détriment de l’é
quité et de la justice,
Il
M J
1
1328. — L’obligation pour le mari de restituer le
prix reçoit exception lorsqu’en déclarant la dotalité, ou
n’assistant au contrat que pour autoriser sa femme, le
mari a formellement stipulé qu’il est affranchi de tout
recours, de toute garantie. Mais cette exception est ellemême soumise à une condition, à savoir : que le mari
ne poursuivra pas lui-même la révocation de l’aliéna
tion. Ainsi, dit M. Delvincourt, la clause de non ga
rantie sortirait à effet, si la rescision de la vente était
poursuivie par la femme. Si le mari avait lui-même in
tenté l’action, on devrait l’obliger à restitution, comme
tenu de ses faits.1Cette distinction, on le voit, trouve
son fondement dans les articles 1628 et 1629 du Code
civil.
1329. — On connait le motif donné par Justinien à
la prohibition d’aliéner le fonds dotal : Ne seæns muliebris fragililas in perniciem subslantiœ earum converteretur. Ainsi ce que la femme accomplit pendant le
mariage est censé le résultat de l’obsession du mari, et
de sa propre faiblesse. C’est ce qui explique parfaite
ment le recours que la loi lui donne contre ses propres
actes.
La faculté de provoquer la révocation de la vente
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
95
qu’elle a faite du fonds dotal lui est nommément confé
rée par l’article 1560. Mais cette faculté, elle ne peut
l’exercer pendant le mariage. Le mari, maître de la dot,
a seul toutes les actions s’y rapportant.
1530. — La dissolution du mariage rend à la femme
toute sa liberté, et avec elle toutes les actions dont
l’exercice peut être indispensable pour assurer la resti
tution de la dot. Au nombre de ces actions, et au pre
mier rang, se place celle de la révocation de l’aliénation
du fonds dotal. La femme peut donc alors librement la
poursuivre, sauf les exceptions que nous verrons plus
tard lui être opposables.
La séparation de biens, sans dissoudre le mariage ,
met un terme à ses effets immédiats sur la dot. La fem
me en reprend la libre possession et jouissance et, dèslors, elle acquiert le droit d’exercer les actions s’y ré
férant, et de poursuivre les tiers qui en seraient les dé
tenteurs. La séparation de biens produit, quant à ce ,
un effet analogue à celui résultant de la dissolution.
1331. — Le droit de la femme passe à ses héritiers,
mais, comme la femme elle-même, ceux-ci peuvent être
déclarés déchus de la faculté de l’exercer. Les excep
tions opposables à la femme peuvent être opposées à
ses héritiers.
loSïL — Quel que soit le demandeur en révocation,
que l’acquéreur ait ou non le droit d’exiger la restitu
tion du prix, la rétention préalable de l’immeuble ne
�TRAITE
saurait être ordonnée. Le bien dotal n’est pas suscepti
ble d’être vendu, il est placé par la loi hors du com
merce pendant le mariage. J,1 suffit donc qu’il soit re
vendiqué, pour qu’il doive immédiatement rentrer dans
les mains de son propriétaire légitime. Cette volonté
expresse de la loi est inconciliable avec la faculté de le
retenir jusqu’à restitution du prix, car la conséquence
de cette faculté consacrerait, dans bien de cas, son alié
nation définitive par l’impuissance dans laquelle les
époux se trouveraient d’opérer cette restitution. De
plus, ce serait affecter le fonds dotal au paiement des
dettes soit du mari, soit de la femme, ce qui est égale
ment prohibé par la loi. Ce double motif a fait, avec
raison, refuser la faculté de retenir l’immeuble dotal ,
même jusqu’à ce que les améliorations qui doivent
être restituées aient été définitivement fixées.1
— La vente du fonds dotal peut-elle devenir
la matière d’un cautionnement valable? Cette question
a soulevé une vive controverse et profondément divisé
les auteurs.
to54. — A la tête de ceux qui soutiennent la né
gative, nous rencontrons le nom si recommandable de
Merlin, étayant son opinion sur l’autorité de Serres et
de Dupérier dans l’ancien droit. Et cette indication a
été depuis acceptée par tous, comme conforme à la vé1 Cass., 12 mai 1840 ; — Limoges, 10 février 1844 ; — I). P., 40,
1 ,22o; 4“>, 2, 150.
�97
rité. Seulement ceux qui soutiennent l’avis contraire se
sont contentés de reprocher à ces deux jurisconsultes
célèbres d’avoir manqué, dans cette circonstance, de
l’esprit judicieux qui les distingue dans toutes les oc
casions.
Mais Serres et Dupérier ne méritent pas ce reproche.
Aucun d’eux n’a soutenu l’opinion que leur prête Merlin,
ce dont il nous a été facile de nous convaincre en recou
rant à leurs œuvres.
Serres n’examine pas même notre question. Il est
vrai qu’il enseigne que le mari peut, pendant le mariage,
faire révoquer l’aliénation du bien dotal qu’il aurait luimême consentie. Mais il y a loin de cette faculté à la
nullité du cautionnement formellement donné par lui
ou partout autre, et l’existence de la première n’est cer
tainement pas inconciliable avec la validité de celui-ci.
Accorder l’une ne peut donc être considéré comme
l’exclusion de l’autre, sur laquelle d’ailleurs, nous le
répétons, Serres est complètement muet.
Il y a plus ; tout fait présumer que si Serres eût exa
miné la question, il l’eût résolue dans un sens contraire
à celui que lui prête Merlin. Serres écrivait dans le res
sort du parlement de Toulouse. Or, comme l’enseigne
Catelan, la jurisprudence de ce parlement admettait la
garantiedu mari, lorsque cette garantie avait été expres
sément stipulée.
Il n’en était pas de même du parlement d’Aix, et,
quoique un arrêt du 27 juin 1631 eût prononcé dans le
sens de la jurisprudence de Toulouse, l’opinion con
traire avait prévalu. C’est ce que Dupérier atteste luiut
5
DU DOL ET DE LA FRAUDE.
�98
TRAITE
môme. Est-ce à dire qu’il approuvât cette doctrine?
Mais, pour l’admettre ainsi, il faut fermer les yeux à
l’évidence. Il faut surtout ne pas lire le jugement qu’il
en porte lorsqu’il écrit : C’est une jurisprudence qui
m’a toujours paru fort étrange, et de laquelle on ne
peut alléguer de raison solide, quoique le sieur de SaintJean en ait dit, car il n’y a point d’exemple, dans tout
le droit, qui décharge, des dommages-intérêts de l’évic
tion, celui qui l’a promise, bien que l’acheteur sçut le
vice du contrat ; comme en la vente d’un bien substitué,
ou en celle d’un bien appartenant à autrui, ou d’un
fonds d’unpupille, quand le tuteur s’est obligé lui-même
aux dommages-intérêts en son propre nom-, il en serait
de même de l’acheteur d’une chose dérobée, encore qu’il
l’eût sçu, si le vendeur lui en avait promis les domma
ges-intérêts en cas d’éviction.1
Voilà l’opinion de Dupérier, et certes elle qualifie
assez durement la nullité du cautionnement, pour qu’il
n’y ait aucun doute sur la manière dont il l’envisageait.
C’est donc par une évidente erreur que Merlin l’a mis
au rang des adversaires de sa validité. Il ne pouvait
d’ailleurs en être ainsi sans placer ce jurisconsulte dans
une contradiction flagrante avec lui-même. Ne vient-il
pas de dire, en effet, que la prohibition d’aliéner le bien
dotal, primario spectat utililatem privatam, secundario
publicam, qu’en conséquence sa nullité était purement
respective. Or ce caractère relatif exerce sur la question
une influence décisive.
r
1 Dupérier, Maximes de droit, liv. 5, t. i , pag. 525.
�DD DOL ET DE LA FRAUDE.
99
133S- — En effet, qu’une nullité radicale, absolue,
uniquement dictée par l’intérêt public, par la morale,
par les bonnes mœurs, ne puisse devenir la matière d’un
cautionnement, cela se conçoit sans peine. En pareille
circonstance, le fait lui-même étant illicite, ne pouvant
former la matière d’un engagement principal, ne sau
rait devenir celle d’un engagement accessoire. La loi,
protestant contre le premier, ne cesse pas de protester
également contre le second , sa validité ne pouvant
amener pour résultat unique que la consécration d’un
fait prohibé par la loi. Il est donc évident que ce qui fait
proscrire l’obligation doit faire également proscrire le
cautionnement.
Il ne saurait en être de même pour la nullité relative.
Le fait qui la motive n’est pas absolument incompatible
avec l’intérêt public, avec la morale ou les bonnes
mœurs. Sa prohibition a sa principale origine dans la
position particulière d’une des parties, qui demeure
l’arbitre souverain du sort futur de la convention. Le si
lence qu’elle s’imposera est un fait licite, dès-lors aussi
la garantie qu’on promet n’est plus que l’obligation de
faire garder ce silence. Elle a donc pour objet un fait si
peu condamné par la loi, qu’elle le consacre elle-même,
en permettant que la vente du bien dotal soit ratifiée
expressément ou tacitement. Cautionner cette vente,
c’est promettre cette ratification et conséquemment
souscrire une obligation que rien ne défend.
Ces conséquences du caractère de la nullité devaient
saisir les éminents jurisconsultes qui nous ont devancé
et qui sont restés nos maîtres. Elles devaient les con
�duire à proclamer la validité du cautionnement donné à
la vente du bien dotal. Ce que la loi voulait, c’était la
conservation de la dot ; mais le principe admis, son ap
plication était laissée à l’arbitrage de la partie en faveur
de laquelle la prohibition était plus particulièrement
édictée. Le cautionnement ne faisait aucun obstacle à ce
que le bien dotal fût intégralement restitué; qu’importait
donc à l’ordre public que, le cas de restitution arrivant,
des tiers qui s’y étaient volontairement et librement
soumis fussent tenus à des dommages-intérêts? Du tiers
à l’acheteur il n’existe aucun empêchement, ni quant à
la capacité des personnes, ni quant à la disponibilité
des biens.1
1356. — Sous l’empire du Code civil, l’aliénation
du fonds dotal n’ayant pas cessé d’être, dans ses
causes et dans ses effets, ce qu’elle était sous l’ancien
droit, on ne saurait consacrer, pour ce qui concerne le
cautionnement, une doctrine différente de celle que
nous venons d’exposer. Les raisons que Merlin donne
pour établir le contraire sont loin d’être concluantes.
Merlin, en effet, les puise exclusivement dans la dis
cussion législative que l’article 1560, et notamment la
faculté pour le mari de faire révoquer lui-même la vente
du bien dotal, suscita dans le sein du conseil d’État. Il
1 V. Lebrun, de la Communauté, 1. 2 , ch. 3 , seci. 4 , n °2 9 ;—
Calelan, 1. 3, c. 7, t. n, p. 235 ;— Dupin sur Ferrou , Lel. E, n° 52 ;
-Lavignerie, v° garantie, art. 5; — deux arrêts du parlement de Bor
deaux, des années 1725 et 1727 , — du parlement de Toulouse, dp
20 mars 1776.
�DU DOD ET DE LA FRAUDE.
10i
rappelle que cette faculté fut surtout déterminée par
l’observation de M. Malleville que la vente, étant radi
calement nulle, ne pouvait être opposée à personne.
Remarquons cependant que le doute ne s’élevait pas
sur la question de savoir si cette faculté devait ou non
être conférée au mari. La principale difficulté avait
trait aux effets légaux de la révocation. Le mari devait-il
être condamné à des dommages-intérêts, dans le cas
même où l’acheteur avait connu la dotalité? Ainsi le
voulait M. Pelet, car, disait-il, le tiers peut acheter
dans la persuasion que la vente se réduirait pour lui en
des dommages-intérêts. Mais l’article 1560 nous apprend
que cette opinion fut repoussée.
11 résulte de là que la vente du fonds dotal n’entraîne
légalement aucune garantie, lorsque le contrat prouve
que l’acheteur a connu ou pu connaître le vice de la
chose. Mais, de cette absence de garantie légale, faut-il
conclure à la nullité de celle conventionnellement sti
pulée ? C’est là ce que les débats législatifs n’auto
risent pas de faire, car ils sont complètement muets
sur celle-ci.
Nous avouons cependant que cette conclusion serait
rationnelle et forcée, si la nullité de la vente était radi
cale et absolue. Mais c’est ce que nous contestons avec
la raison et la loi elle-même.
La prohibition de l’aliénation du fonds dotal est un
statut purement réel. Il résulte de là que les époux, con
sentant cette aliénation, n’excèdent pas leur capacité.
Ainsi, dit M. Troplong, considérée en soi, la femme ma
riée sous le régime dotal n’est pas plus incapable de
�TRAITE
vendre son immeuble que la femme mariée sous le ré
gime de la communauté.
Ce qui fait que l’aliénation ne vaut pas, non valet,
c’est que l’immeuble est temporairement frappé d’in
disponibilité, non pas certes en vertu du droit naturel,
mais par suite d’une loi purement arbitraire, dont le
fondement est d’abord l’intérêt de la femme et des en
fants ; l’intérêt public n’est que sur le second plan ; il
n’existe, en effet, que lorsque l’intérêt privé, passant de
l’individu à la famille, acquiert les proportions d’un in
térêt général.
Mais la faveur que la loi accorde à un point de vue gé
néral, n’en reste pas moins, au point de vue de chaque
personnalité, une faveur purement privée, à laquelle
chacun peut renoncer, au gré de ses convenances ou
de son utilité. Renfermée dans ces limites, cette renon
ciation ne met en -péril ni l’intérêt général, ni l’ordre
public. Il est vrai que, même dans ces termes, la loi ne
la consacre pas, mais elle la tolère tant qu’il plaît à la
partie intéressée de la respecter. Elle fait plus encore,
elle en impose l’exécution dans certains cas, preuve évi
dente qu’au fond même de l’aliénation du bien dotal, il
y a une obligation naturelle dont il faut tenir compte.
N’est-ce pas cette obligation naturelle qui permet à
la femme ou à ses héritiers de ratifier expressément en
temps licite? N’est-ce pas elle qui fait déduire cette ra
tification de l’exécution donnée à la vente après la dis
solution du mariage? N’est-ce pas elle, enfin,qui rend
la vente inattaquable par dix ans d’inaction et de si
lence à partir de cette dissolution?|Tout cela est-il cou-
�103
DU DOL ET T)E LA FRAUDE.
ciliable avec l’idée d’une nullité radicale et; absolue ?
Supposez une obligation illicite ou immorale, par exem
ple un contrat usuraire ou une association de délits,
est-ce qu’on pourra la ratifier expressément ou tacite
ment? Est-ce qu’elle pourra jamais acquérir un lien
obligatoire par le silence ou l’exécution plus ou moins
prolongée? Si tout cela se réalise pour la vente du bien
dotal, c’est donc que cette vente n’est ni immorale, ni
illicite, et que, dès-lors, la nullité, quoique de droit,
n’est ni radicale, ni absolue.
1537. — Notre conclusion est plutôt renforcée que
détruite par la discussion au conseil d’État. En effet,
l’article 1560 avait été primitivement rédigé en ces ter
mes : Si, hors les cas d’exception qui viennent d’être
expliqués, la femme ou le mari, ou tous les deux con
jointement aliènent le fonds dotal, l’aliénation sera ra
dicalement nulle. C’est précisément ce qui faisait dire
à M.de Mallevilie qu’une vente, ainsi qualifiée, ne pou
vait être opposée à personne, car elle n existait pas.
Mais cette rédaction communiquée au Tribunal, ce
lui-ci demanda et obtint la suppression de ces mots :
sera radicalement nulle. Il lit observer qu’ils n’ajou
taient rien à la nullité légale, et que des difficultés
pourraient naître sur son interprétation; l’effet de la
nullité est assez déterminé dans la rédaction proposée
par la faculté de révoquer l’aliénation.1
Or, il s’en faut que la faculté donnée au mari par
l’article 1560 exige que la nullité soit considérée eom1 Ffinet, tom. xm , p. 619.
Y> }
js**),
�404
traité
me radicale et absolue. A côté de la qualité de vendeur,
existe pour le mari celle d’époux, celle de père. L’ac
tion qu’on eût dû refuser à la première, était impérieu
sement commandée par les deux dernières, et c’est en
l’une d’elles que le mari est censé agir dans l’action
en revendication du bien dotal. Rappelons-nous ce que
Voët nous disait naguère à ce sujet : Non in suum, sed
tantum in uxoris commodum, contra suum veniens fac
tum.
Ainsi, la nullité est purement relative, et de là nous
tirons cette conséquence : que la vente du fonds dotal,
renfermant une obligation morale, un lien naturel, est
susceptible d’être valablement cautionnée. Ce n’est
qu’en lui donnant un caractère absolu et radical qu’on a
soutenu que la nullité de l’aliénation entraînait celle de
toutes les obligations accessoires. Zacchariæ seul ad
met cette dernière, tout en reconnaissant le caractère
relatif de l’autre,1 mais cette opinion manque évidem
ment de logique. Elle est, de plus, formellement
contredite par l’auteur lui-même, admettant, quel
ques pages plus bas, la validité du cautionnement de
la femme.2
1538. — La jurisprudence se prononce pour le cau1 Tom. ni, p. 579.
2 Voyez pour la validité du cautionnement, Duranton, tom. xv,
n° 525 ; — Duport Lavilelle, quest. D. D., tom. ni, p. 05 ; — Tessier,
tom. h , notes 659, 691 ; — Rodière et Pont, tom. n, p. 457, n08 588
et 592 ; — Troplong, Contrai de mariage, art. 1554 et 1560, ei du
Cautionnement, n° 87 ; — Ponsot, Cautionnement, n° 55; ~ Rellot,
tom. iv, p. 200.
�,
DU DOL ET DE LA FRAUDE.
105
tionnement, soit en déclarant en principe que la nul
lité est relative, soit en validant les engagements pris
à cet effet. Ainsi, un arrêt de la Cour de cassation, du
3 août 1825, a déclaré que le cautionnement, donné à
l’aliénation du bien dotal par les enfants de la venderesse, devait sortir à effet. C’est ce qu’avait jugé la Cour
de Bordeaux; c’est ce que juge la Cour suprême, en re
jetant le pourvoi.
Ce qui a été jugé dans cette espèce contre les en
fants, a été décidé contre le mari par arrêt de la Cour
de Grenoble, du 16 février 1847.1
1339. — Ce qui est admis contre le mari et les en
fants, le serait inévitablement contre les tiers. Devraitil l’être également contre la femme?
Ici encore le caractère relatif de la nullité doit exer
cer l’influence la plus décisive. La vente n’est cer
tainement annulable qu’à cause de l’indisponibilité de
l’immeuble aliéné. Supposez que cette indisponibilité
n’existât pas, la vente sortirait à effet, si d’ailleurs elle
était irréprochable sous le rapport de la capacité per
sonnelle des parties. Or, c’est ce qui arrive lorsque la
femme, dûment autorisée, traite de ses paraphernaux.
Conséquemment, si la vente du bien dotal peut être
valablement cautionnée, si les paraphernaux, pouvant
être aliénés, peuvent être engagés, on ne voit pas les
motifs qui porteraient à faire annuler le cautionnement
donné par la femme.
En effet, dit M. Duranton, si une femme dûment au1 Sirey, 48, “2, 85,
�404
TRAITE
me radicale et absolue. À côté de la qualité de vendeur,
existe pour le mari celle d’époux, celle de père. L’ac
tion qu’on eût dû refuser à la première, était impérieu
sement commandée par les deux dernières, et c’est en
l’une d’elles que le mari est censé agir dans l’action
en revendication du bien dotal. Rappelons-nous ce que
Voët nous disait naguère à ce sujet : Non in suum, sed
tantum in uxoris commodum, contra suum veniens fac
tum.
Ainsi, la nullité est purement relative, et de là nous
tirons cette conséquence : que la vente du fonds dotal,
renfermant une obligation morale, un lien naturel, est
susceptible d’être valablement cautionnée. Ce n’est
qu’en lui donnant un caractère absolu et radical qu’on a
soutenu que la nullité de l’aliénation entraînait celle de
toutes les obligations accessoires. Zaechariæ seul ad
met cette dernière, tout en reconnaissant le caractère
relatif de l’autre,1 mais cette opinion manque évidem
ment de logique. Elle est, de plus, formellement
contredite par l’auteur lui-même, admettant, quel
ques pages plus bas, la validité du cautionnement de
la femme.2
1558. — La jurisprudence se prononce pour le cau1 Tom. ni, p. 579.
2 Voyez pour la validité du cautionnement, Duranton, tom. xv,
n° 525 ; — Duport Lavilelte, quest. D. D., tom. m , p. 63 ; — Tessier,
tom. n, notes 639, 691 ; — Rodière et Pont, tom. n, p. 457, n08 588
et 592 ; — Troplong, Contrat de mariage, art. 1554 et 1560, et du
Cautionnement, n° 87 ; — Ponsot, Cautionnement, n° 55;— Rellot,
tom. iv, p. 200.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
105
tionnement, soit en déclarant en principe que la nul
lité est relative, soit en validant les engagements pris
à cet effet. Ainsi, un arrêt de la Cour de cassation, du
3 août 1825, a déclaré que le cautionnement, donné à
l’aliénation du bien dotal par les enfants de la venderesse, devait sortir à effet. C’est ce qu’avait jugé la Cour
de Bordeaux; c’est ce que juge la Cour suprême, en re
jetant le pourvoi.
Ce qui a été jugé dans cette espèce contre les en
fants, a été décidé contre le mari par arrêt de la Cour
de Grenoble, du 16 février 1847.1
1339. — Ce qui est admis contre le mari et les en
fants, le serait inévitablement contre les tiers. Devraitil l’être également contre la femme?
Ici encore le caractère relatif de la nullité doit exer
cer l’influence la plus décisive. La vente n’est cer
tainement annulable qu’à cause de l’indisponibilité de
l’immeuble aliéné. Supposez que cette indisponibilité
n’existât pas, la vente sortirait à effet, si d’ailleurs elle
était irréprochable sous le rapport de la capacité per
sonnelle des parties. Or, c’est ce qui arrive lorsque la
femme, dûment autorisée, traite de ses paraphernaux.
Conséquemment, si la vente du bien dotal peut être
valablement cautionnée, si les paraphernaux, pouvant
être aliénés, peuvent être engagés, on ne voit pas les
motifs qui porteraient à faire annuler le cautionnement
donné par la femme.
En effet, dit M. Duranton, si une femme dûment au-
�106
TRAITE
torisée s’était portée fort de faire avoir à Paul la maison
de Jean, elle serait bien tenue d’après l’article 1120, au
cas où Jean ne voudrait pas ratifier son engagement, et
cependant elle ne pouvait pas plus disposer de la chose
d’autrui que de son immeuble dotal. Nous avons vu plus
haut que la vente du fonds dotal est bien nulle sous le
rapport de l’aliénation, mais non pas en ce sens que
cette vente ne puisse être la matière d’un cautionne
ment. La loi n’avait aucune raison de le vouloir ainsi ;
pourquoi donc la femme ne pourrait-elle se cautionner
en quelque sorte elle-même à cet égard par une pro
messe de garantie? Elle n’aliènera pas,encore une fois,
son immeuble dotal ; elle s’obligera seulement sur ses
paraphernaux, et le Code ne le défend pas, loin de là.1
Cette opinion a été consacrée par la Cour de cassa
tion le 5 mai 1818, par la Cour de Grenoble le 16 jan
vier 1828. L’un et l’autre de ces arrêts constatent que
la promesse de garantie, formellement stipulée par la
femme, n’empêche pas de poursuivre la révocation de
l’aliénation du bien dotal, mais qu’elle oblige la femme
sur ses biens paraphernaux.
L’opinion contraire a cependant été, depuis, con
sacrée par un arrêt de la Cour de Limoges, du 10 fé
vrier 1844; 2 mais ce qui enlève à cet arrêt toute au
torité juridique, c’est qu’il considère, comme radicale
et absolue, la nullité de la vente du fonds dotal, et qu’il
1 Tom. xv, n" 550; — v. Kodière et Pont, tom. u, il0 492; — Toullier, tom. v, p. 555 ; — Tessier, tom. n, p. 6 et suiv.; — Zacehariæ,
tom. ni, p. 581.
? D. P., 45, 2, 150.
�DÜ BOL ET DE EA FRAUDE.
407
n’admet celle dn cautionnement que comme une con
séquence de ce caractère. Or, nous avons prouvé que
c’est là une erreur évidente qui, seule, doit faire pros
crire le système dont elle est l’unique fondement.
1340. — Nous compléterons notre démonstration
sur ce point en transcrivant un arrêt de la Cour d’Aix
encore inédit, et qui nous paraît avoir fait une saine et
remarquable appréciation des véritables principes. Cet
arrêt, rendu le 9 juillet 1849, s’exprime en ces termes :
« Considérant que, si, aux termes de l’article 1554
du Code civil, la vente du bien dotal est nulle, cette
vente n’est ni immorale, ni contraire à l’ordre public,
ni d’un objet placé hors du commerce;
« Que, d’après l’article 1560 du même Code, la fem
me a seulement la faeulté de faire révoquer cette alié
nation ; qu’elle peut, après la séparation de corps ou la
dissolution du mariage, renoncer à cette faculté, soit
expressément, en ratifiant; soit tacitement, en exécu
tant d’une manière complète le contrat;
« Que même son droit peut être atteint par la pres
cription, si elle ne réalise pas son action dans le délai
de la loi;
« Que, d’autre part, les tiers qui ont contracté avec
elle, ne peuvent invoquer la nullité de la vente ;
« D’où il suit qu’il ne s’agit là que d’une nullité rela
tive, susceptible d’être valablement garantie, exemple
l’article 2012 du Code civil;
« Qu’on peut dire qu’il y a, dans le contrat, deux
obligations distinctes : l’une principale, susceptible
�TRAITE
d’être annulée ; l’autre secondaire, parfaitement va
lable et devant sortir à effet ;
« Que ces principes ne sont plus aujourd’hui sérieu
sement contestables ; que leur conséquence immédiate
est de repousser l’application des articles 1131 et 1133
du Code civil ;
« Considérant que si la vente d’un immeuble dotal
peut être valablement garantie par des tiers, par le mari
lui-même; que si, d’autre part, la femme peut aussi va
lablement garantir, sur ses paraphernaux, l’obligation
annulable d’un tiers ou de son mari, on ne comprend
pas comment elle ne pourrait pas garantir, sur ces mê
mes biens, son obligation personnelle et naturelle ;
« Qu’il est certain que la femme mariée, même dotalement, n’est pas incapable et peut, avec l’aulorisation de son mari, contracter toute espèce d’obligation;
qu’elle a aussi la libre disposition de ses paraphernaux.
Si donc elle peut en disposer d’une manière directe et
même en abuser, il ne peut lui être prohibé d’en dis
poser d’une manière indirecte, en les soumettant à
l’exécution d’une obligation annulable, par elle con
tractée ;
Qu’aucun texte de loi ne prohibe une pareille sti
pulation ;
« Considérant que, par sa promesse de garantie, la
femme ne confirme pas, d’une manière définitive, son
aliénation ; qu’elle ne renonce pas à son droit de révo
cation ; que, par conséquent, elle ne rend pas illusoires
les dispositions des articles 1554 et 1560 du Code civil,
• ' puisque, malgré cette garantie, elle peut toujours re4
�109
prendre son bien dotal ; seulement, prévoyant le cas où
elle usera de ce droit, elle s’oblige à garantie sur ses
paraphernaux, dont elle a la libre disposition ; le prin
cipe de la conservation de la dot est donc parfaitement
respecté ;
« Considérant qu’on a soutenu à tort que l’obligation
sur les paraphernaux, pouvant réfléchir contre la dot,
devait être annulée ; car une action ne réfléchit contre
une personne ou une chose, que lorsque cette chose ou
cette personne se trouve par là obligée ; or, dans l’es
pèce, la dot n’a jamais été obligée ni engagée ; elle ren
tre, au contraire, dans les mains de la femme ou de ses
héritiers entière, franche et libre de toute charge ;
« Qu’on soutient, plus vainement encore, que la
femme qui vend son bien dotal sans en faire connaître
la nature, n’étant pas tenue de la garantie légale de
tout vendeur, ne peut, par voie de conséquence, se
soumettre à la garantie conventionnelle ;
« Ce principe, qu’on veut faire découler, par un ar
gument a contrario, du paragraphe de l’article 1560,
est fort contestable en lui-même, et la conclusion qu’on
en tire n’est ni logique, ni exacte;
« Pourquoi la garantie expresse et formelle de la
femme ne sortirait-elle pas à effet? C’est, dit-on, parce
qu’on suppose la femme subjuguée par la puissance ma
ritale; mais alors il faudrait annuler, par le même mo
tif, tous les engagements contractés par elle, même sur
ses paraphernaux, puisque, dans un cas comme dans
l’autre, il y aurait abus de pouvoir, et le consentement
DU DOL ET DE LA FRAUDE.
�110
TRAITÉ
serait vicié par défaut de liberté ; or, cela n’existe pas
au procès actuel ;
« S’il était vrai que la femme ne dût pas, de plein
droit, de dommages-intérêts à son acquéreur, ce serait
uniquement pour punir la faute de celui-ci, qui, en trai
tant avec une femme mariée de la vente d’un immeu
ble, a négligé de se faire représenter le contrat de ma
riage ou de rechercher l’origine et la nature du bien
vendu ; dans ce cas, on lui reprocherait, à bon droit
sans doute, de n’avoir pas exigé des garanties ; il doit
donc en être autrement quand la dotalité a été connue,
et qu’à cause du danger d’éviction, l’acquéreur a ré
clamé et obtenu de la femme une garantie sur ses biens
libres, s
1341. — On a agité la question de savoir si les
époux vendant, comme libres, le bien dotal, peuvent
être considérés et punis comme stellionataires. La né
gative nous paraît résulter de la disposition de l’ar
ticle 1560 du Code civil.
Cet article forme une législation spéciale, quant à la
vente du bien dotal. Il la soustrait donc aux principes
généraux en matière de vente ou d’hypothèque du bien
d’autrui, et cela avec d’autant plus de raison, qu’il y a
une antinomie parfaite entre ses dispositions et ces
mêmes principes généraux.
Ainsi, comment soutenir que la femme, ayant dis
simulé la dotalité du fonds aliéné ou hypothéqué,
pourra, comme stellionataire, être condamnée à des
dommages-intérêts, avec contrainte par corps, elle que
�DU DOL BT DE LA FRAUDE.
\\\
l’article 1560 déclare, dans ce même cas, n’être pas
sible d’aucuns dommages-intérêts ?
Sans doute il n’en est pas de même du mari ; il est
tenu à des dommages-intérêts, s’il a laissé ignorer la dotalité ; mais c’est là l’unique peine qu’il encourt. On ne
saurait donc lui en appliquer une autre, et cela avec
d’autant plus de raison, que l’acte qu’il commet, en
vendant comme sien le bien dotal, ne constitue pas, à
proprement parler, un véritable stellionat.
En effet, observe Troplong, le mari est le maître de
la dot, dominus dotis; il a, sur les biens la composant,
un droit d’administration tellement absolu, qu’on peut
l’assimiler à une copropriété. N’est-ce pas en vue de
cette copropriété qu’il est admis à revendiquer seul
pendant le mariage ? Qu’il perçoit les fruits à son
profit ? *
La disposition qu’il en fait n’est donc pas, à propre
ment parler, la disposition de la chose d’autrui, et,
quelque puissante que soit l’assimilation, il ne peut en
être admis aucune en matière de stellionat. Une peine ne
peut être encourue que dans les limites strictes, déter
minées par la loi.
D’ailleurs, prononcer la contrainte par corps en ma
tière de vente ou d’hypothèque du bien dotal, ce serait
aller contre l’intention formelle du législateur et créer
des engagements qui réfléchiraient contre la dot. En
effet, celle-ci est aliénable pour tirer l’époux de prison,
conséquemment, si son aliénation par celui-ci faisait
1 Contrat de mariage, nos 5007, 5098, 5559,
�112
TRAITÉ .
prononcer l’emprisonnement, l’exécution du jugement
nécessiterait une aliénation légale. De cette manière, la
dot se trouverait indirectement atteinte par un acte au
quel l’article 1560 a voulu refuser tout effet légal.
Ainsi, l’unique réparation due à l’acquéreur trompé
sur la nature de la chose vendue, est celle édictée par
l’article 1560. C’est ce que la Cour de Toulouse a ex
pressément décidé le 22 décembre 1834.
1342. — L’action en révocation de la vente de l’im
meuble dotal ne peut, durant le mariage, être exercée
que par le mari ; elle n’appartient à la femme que du
jour de sa dissolution ou de la séparation de biens. Les
créanciers de l’un ou de l’autre sont-ils recevables à la
faire valoir ?
Aucun doute ne peut s’élever à l’égard des créanciers
du mari. C’est comme chef de ménage qu’il est surtout
autorisé à agir, et cette qualité, éminemment person
nelle, ne peut être, dans aucun cas, revendiquée par
qui que ce soit.
Il n’en est pas de même des créanciers de la femme.
Aussi a-t-on soutenu, d’une part, qu’à défaut de pour
suites de sa part, ses créanciers sont recevables à faire
révoquer l’aliénation dans tous les cas, en tant cepen
dant que leurs droits seraient de nature à être exercés
sur la dot;1 d’autre part, on a distingué et enseigné que
la prétention des créanciers devrait être admise ou re1 Zacchariæ, tom: ut, p. 879, note 12.
�143
poussée, selon que la femme paraît ou non obligée en
conscience à respecter l’aliénation.1
S’il fallait opter entre ces deux opinions, nous n’hé
siterions pas à adopter cette dernière. Mais il en est une
autre qui nous paraît préférable, c’est celle qui refuse
aux créanciers le droit d’intenter l’action.
Il suffît, à nos yeux, que l’aliénation du bien dotal
crée une obligation naturelle,un lien moral, pour qu’on
doive reconnaître à la femme seule le droit d’en me
surer la portée et de la respecter dès qu’elle s’y croit
obligée. Ce droit nous paraît, d’ailleurs, la conséquence
directe de la faculté de ratifier, qui ne lui a jamais été
contestée.
L’obligation naturelle existe surtout lorsque la femme
a retiré un profit quelconque du prix du bien dotal. Ce
profit a pu se réaliser dans le cas de vente par le mari
seul, si le prix qu’il en a retiré, réellement versé dans
le ménage, en a défrayé les besoins et assuré le bienêtre. Sans doute ce profit n’est pas celui que la loi en
tend pour mettre la institution du prix à la charge de la
femme, mais, dans le for intérieur, la femme est obligée.
Doit-on, lorsque, obéissant à un sentiment de justice,
elle veut conformer ses actions aux inspirations de sa
conscience, lui faire un devoir d’en agir autrement?
De quoi, d’ailleurs, peuvent se plaindre les créan
ciers? S’ils ont acquis cette qualité durant le mariage,
le bien dotal ne leur a jamais été affecté ; on ne leur perDU DOL ET DE LA FRADDE,
1 Rodière et Pont, tom. u, p. 455, n° 585.
�H4
TRAITÉ
mettra pas même de l’exécuter après la dissolution. Que
leur importe donc l’inaction de la femme?
S’ils ont traité avec la femme depuis sa viduité, la
prétendue libéralité qu’ils verraient dans l’abandon de
l’action en révocation ne leur préjudicie nullement, en
ce sens qu’ils n’ont pu raisonnablement compter sur un
bien que leur débitrice ne possédait pas au moment
où elle prenait cette qualité. lisseraient, de plus, nonrecevables à prétendre qu’elle a été faite en fraude de
leurs droits. On peut donc, sans crainte, les maintenir
dans un état de choses qu’ils ont volontairement ac
cepté.
Singulière moralité d’un système qui ne permettrait
pas à une femme pieuse, dévouée à la mémoire de son
mari, de l’honorer encore après sa mort en cachant la
fraude qu’il a commise ! Qui lui ferait, au contraire, un
devoir de publier sa turpitude et de souiller sa tombe
par le scandale d’un pareil procès ! D’imposer, enfin, à
des héritiers qui peuvent être ses propres enfants, et
une flétrissure morale et la charge de restituer un prix
dont elle a partagé le bénéfice et dont, en conscience,
elle se considère comme codébitrice ! Non, la loi n’a pu
autoriser, ni moins encore commander une pareille con
duite, et voilà pourquoi, reculant devant son immora
lité, nous ne reconnaissons pas aux créanciers le droit
de la contraindre, sous peine d’intervenir eux-mêmes.
D’ailleurs, la femme qui se tait, se reconnaît liée par
un devoir de conscience. Est-ce qu’en matière pareille
elle n’est pas le juge seul compétent pour le décider?
Sa décision doit donc être acceptée par tous ; nul ne
�DU DOL ET DE LA FKAIIDE.
115
peut être autorisé à rompre le silence qu’un sentiment
d’honneur, de pitié, de justice lui fait garder.
1543. — L’action de la femme passe à ses héritiers,
et ce que nous refusons aux créanciers de la femme,
nous l’accordons aux créanciers de ceux-ci. Ils pourront
donc exercer l’action que les héritiers négligeraient
de faire valoir. Alors, en effet, il n’y a plus de biens
indisponibles au regard de certains créanciers; quels
qu’ils aient été, ces biens, arrivant entre les mains de
l’héritier, deviennent, indistinctement, le gage des
créanciers, alors même que leurs titres seraient anté
rieurs au décès de la femme. L’éventualité d’un hé
ritage profite aux créanciers qui ont pu l’entrevoir et y
compter, car c’était là une chance qui devait se réaliser
sans que l’héritier eût personnellement à la déterminer.
1544. — Cependant cette règle reçoit exception,
notamment : 1° Si les héritiers de la femme avaient
eux-mêmes acquis le bien dotal. Il est évident qu’on
ne saurait leur imposer l’obligation de se faire un pro
cès à eux-mêmes, et sui’tout qu’en ne le faisant pas, ils
ne se rendent pas coupables d’une fraude contre les
droits de leurs créanciers. Ceux-ci ne trouveraient à
étayer leur demande ni sur l’article 1166, ni sur l’ar
ticle 1167 ; ils seraient donc non-recevables à l’in
tenter ;
2° Si les héritiers de la femme étaient également les
héritiers du mari. Mais cette exception est subordonnée
a la condition que le mari serait tenu à garantie. En
�TRAITE
116
effet, l’existence de cette obligation ferait surgir contre
les héritiers l’application de la maxime : Quem de evictione tenet aclio, eumdem agentem repeilit exceplio.
Dans ce cas encore, les créanciers, ne pouvant agir que
comme les ayant-cause de leurs débiteurs, subiraient,
comme ceux-ci, l’effet de cette fin de non-recevoir pé
remptoire.
Indépendamment de ces exceptions personnelles aux
héritiers, ceux-ci ou leurs créanciers pourraient être
écartés par celles opposables à la femme elle-même.
Celles-ci sont, on le sait : la ratification et la prescrip
tion.
1345. — La ratification, pour être utilement oppo
sable, doit avoir été donnée à une époque où le fait, dé
terminant le vice de l’acte, a complètement disparu et
où, par conséquent, les parties seraient toutes libres de
contracter. Or, cette époque pour le vice de dotalité ne
peut être que celle de la dissolution du mariage ; elle
seule, en effet, fait disparaître l’indisponibilité du bien
qui en est affecté. La séparation de biens change le ré
gime matrimonial, quant à la jouissance des biens do
taux quelle confère à la femme, mais elle n’affecte en
rien le caractère des biens. Ce qui était inaliénable
avant la séparation, reste inaliénable après. Toute dis
position qui en serait faite continue donc d’être' inter
dite. A ce titre, la ratification expresse ou tacite res
terait sans effet.
La ratification, donnée en temps opportun, ne serait
susceptible d’aucune difficulté, si elle était expresse.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
117
L’article 1338, qui en détermine les conditions, en
règle les effets.
1346. — Il n’en est pas de même de la ratification
tacite : elle résulte de l’exécution donnée à l’acte, et la
nature de cette, exécution est dans le cas de soulever
des doutes sérieux. On s’est, entre autre, demandé si la
réception par la femme, depuis la dissolution du ma
riage, des intérêts échus du prix de l’aliénation, cons
tituerait une ratification valable.
Nousavonsdit ailleurs que, dans les actes constitutifs
de la ratification tacite, on devait exiger la réunion,
autant que possible, des caractères prescrits à la ratifi
cation expresse, à savoir : qu’ils impliquassent la con
naissance du vice et l’intention de le purger.1C’est par
application de cette règle que nous résoudrons la dif
ficulté proposée.
Nous distinguerons donc le cas où l’aliénation a été
consentie par la femme, soit séparément, soit conjoin
tement avec son mari, du cas où l’aliénation procède
du mari seul.
Dans le premier, la femme n’a pu ignorer ni la na
ture, ni la cause du paiement qui lui est offert. Son
droit de refuser est incontestable, puisque la dissolution
lui a conféré l’action en nullité de l’aliénation, et ce
droit, elle l’exercera si son intention est de poursuivre
cette nullité. A quoi bon, en effet, exécuter un contrat
dont elle entend se délier, qu’elle doit considérer com1 V. sup., n° 593.
�H8
TRAITE
me n’existant plus et ne devant produire aucun effet?
Si, au lieu de refuser, elle accepte, on ne peut voir là
qu’une exécution volontairement et librement donnée
à un contrat dont elle connaît parfaitement le vice,
dont cette exécution le purge suffisamment. Dirait-elle
qu’elle n’a cru recevoir que les revenus de l’immeuble?
Mais une pareille excuse ne serait pas acceptable de la
part de celle qui connaît la vente dont cet immeuble a
été l’objet et à laquelle elle a participé, si elle ne l’a
pas consentie seule.
Dans la seconde hypothèse, la femme a pu ignorer
la vente faite par le mari seul. Le fait unique d’avoir
accepté l’intérêt du prix spontanément offert par l’ac
quéreur, pourrait ne pas paraître une ratification va
lable. Les faits et circonstances au milieu desquels ce
paiement a été effectué, son époque plus ou moins rap
prochée du décès du mari, peuvent être utilement con
sultés et devenir des éléments essentiels de l’apprécia
tion que la loi laisse à la prudence et aux lumières des
juges.
Mais la ratification résulterait infailliblement des
paiements géminés, successivement reçus par la veuve.
L’erreur, possible lors d’un premier, ne saurait être
admise pour un second, pour un troisième, car l’inter
valle qui s’est écoulé entre l’un et l’autre a laissé à la
femme le temps nécessaire pour s’instruire de ce qu’est
devenue sa dot et de connaître, par conséquent, la dis
position illicite qu’en avait faite le mari. Dès-lors, aussi,
reviennent les considérations exposées dans la première
hypothèse. Le paiement accepté en connaissance du
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
H 9
vice, ne peut être considéré que comme la volonté for
melle de purger celui-ci.
Il en serait, à plus forte raison ainsi, même dans le
cas d’un paiement unique, si ce paiement n’avait été
effectué qu’à la suite de poursuites exercées pour le dé
terminer. L’existence de ces poursuites enlève toute
équivoque sur l’intention de la partie qui les a dirigées.
On mentirait à l’évidence si on ne les considérait pas
comme une exécution volontaire et formelle du titre,
et, par conséquent, comme constituant une ratification
incontestable.
1547. — Les actes de ratification, personnels à la
femme, sont opposables à ses héritiers. De plus, et com
me la femme elle-même, ceux-ci pouvant ratifier de
leur chef. Leur poursuite peut être écartée par les actes
d’exécution auxquels ils se seraient livrés depuis la
mort de leur auteur, tout comme par la ratification ex
presse qu’ils auraient consentie.
1348. — La prescription constitue une autre fin de
non-recevoir opposable à la femme et à ses héritiers,
mais elle ne peut courir pendant la durée du mariage.
Cette règle n’est pas seulement la conséquence de l’inaliénabilité du fonds dotal, elle tient surtout à cette
circonstance que, pendant que le mariage existe, la
femme est dans l’impuissance d’exercer les actions con
cernant la dot. Cette impuissance a dû lui faire appli
quer la maxime contra non valentem agere non currit
prescriptio.
�l‘20
TRAITE
Cette impuissance venant à disparaître, entraîne avec
elle l’imprescriptibilité. C’est ainsi que l’article 1561
déclare que les biens dotaux sont prescriptibles après la
séparation de biens. Par cette séparation, la femme ac
quiert l’exercice de ses actions. Elle peut donc agir,
et si elle ne le fait, elle se constitue en état de négligence
susceptible d’éteindre son action, si elle se prolonge
assez pour que la prescription soit acquise.
Toutefois l’article 1561 ne doit point être isolé de
l’article 2256- La loi n’oblige la femme à agir que lors
qu’elle le peut matériellement et moralement. Cette li
berté morale n’existe pas lorsque l’action de la femme
doit avoir pour résultat un recours contre le mari. Con
séquemment, le législateur dispense, dans ce dernier
cas, la femme d’agir, et cette dispense empêche la pres
cription de courir.
Or, aux termes de l’article 1560, le mari est tenu
des dommages-intérêts lorsque le caractère de dotalité
a été dissimulé «à l’acquéreur. Conséquemment la
femme séparée de biens n’est tenue de demander la ré
vocation qu’en tant que l’acquéreur a connu le vice du
contrat. Dans ce cas, la prescription court à partir de la
séparation; dans tous les autres cas, du jour de la dis
solution du mariage seulement.
1549. —- Ce point de départ ainsi posé, quelle est
la durée du temps requis pour prescrire? Ici encore il
faut distinguer si l’aliénation est le fait unique du mari,
ou si elle a été consentie par la femme, conjointement
ou séparément.
�La vente à laquelle la femme a participé constitue
un acte annulable. Elle est donc régie, quant à la pres
cription , par l’article 1304 du Code civil. L’action est
donc éteinte par le laps de dix ans, à partir du moment
où l’obligation d’agir a été imposée à la femme, suivant
les règles que nous venons de tracer.
La vente consentie par le mari a été faite sans droit
réel à la propriété. Il s’agit donc, pour l’acquéreur,
d’acquérir cette propriété, et, on le sait, la durée de la
préscription, à cet effet, est ordinairement de trente ans.
Donc, l’acquéreur, traitant avec le mari seul, ne pres
crira que par trente ans, en supposant, toutefois, qu’il
ait connu le vice de la chose. En effet, si le mari a vendu
l’immeuble dotal comme sien, si l’acquéreur a été de
bonne loi, l’existence de celle-ci et du juste titre per
mettra au tiers d’invoquer la prescription de dix ou de
vingt ans.
1350. — La fraude ayant pour objet de porter at
teinte h la liberté individuelle ou de dissimuler une in
térêt général; elle ne saurait, dès-lors, produire aucun
effet. Quelle que soit la cause apparente du contrat, son
annulation est une conséquence inévitable de la cons
tatation du caractère illégal ou illicite de sa .véritable
cause.
1351. — C’est là un principe qui n’est, pas contes1 Tessier, t. n, pag. HO et l i t ; — Troplong, art. 1561, n03 3583,
5584.
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�TRAITE
table; qui n’a jamais été contesté, mais son application
suscitera des difficultés. Le demandeur, s’il a été partie
en l’acte, se trouvera en présence de diverses fins de
non-recevoir. On lui opposera notamment la foi due à
l’acte régulier, la prohibition de toute preuve testimo
niale outre et contre son contenu, prohibition bien plus
étroite contre celui qui, complice de la fraude qu’il dé
nonce, vient en définitive exciper de sa propre turpitude.
Mais, nous l’avons déjà dit : ces difficultés sont de
.nature à être tranchées par le caractère de la fraude
qu’il s’agit de réprimer. Il est permis à chacun de re
noncer à un avantage personnel résultant d’une loi po
sitive, mais personne ne peut se placer au-dessus d’une
loi prohibitive, en suspendre ou en détruire les effets, ni
se soustraire à des prescriptions sanctionnées dans un
intérêt général, ou par des motifs commandés par l’ordre
public, la morale et les bonnes mœurs. Toute tentative
dans ce but est condamnée à une impuissance absolue,
et le contrat la renfermant ne contient aucun lien lésai,
même à l’endroit des parties l’ayant consenti. Nous en
avons déjà offert quelques exemples en parlant des con
trats usuraires, de ceux ayant pour objet de se soumettre
à la contrainte par corps hors des cas expressément pré
vus par la loi. Nous pourrions en citer beaucoup d’au
tres, nous nous contenterons d’en rappeler quelquesuns, parce que les hypothèses les constituant peuvent
plus souvent s’offrir à l’appréciation des tribunaux.
1352. — La promesse de mariage, en tant qu’elle a
pour objet de contraindre à sa célébration, est réprou-
�DU D O L E T D E LA F R A U D E .
423
vée par la loi d’une manière absolue. Son inexécution
pure et simple ne saurai t donc devenir la matière même
d’une action en dommages-intérêts. Cette doctrine n’est
pas universellement admise, et de nombreux arrêts ont
décidé le contraire.1Mais ces arrêts né me paraissent
pas juridiques. En principe, l’exécution d’une promesse
de mariage ne pouvant être exigée, celui qui la refuse
ne fait qu’user d’un droit que la loi lui reconnaît for
mellement. Comment donc trouver dans l’exercice d’un
droit la matière d’une adjudication de dommages-in
térêts?
Nous n’accorderions ces dommages-intérêts que lors
que la rupture de l’engagement a réellement causé un
préjudice matériel ou moral à la partie délaissée; par
exemple, s’il s’est écoulé un temps considérable dans
les préparatifs du mariage; si les fréquentations ont
amené une grossesse; si les causes delà rupture publi
quement dévoilées sont injurieuses ou diffamatoires, ou
de nature à mettre obstacle à un nouvel établissement;
si des frais en préparatifs de noces, en contrats de ma
riage, ont eu lieu. Il est évident, dans tous ces cas,
qu’une indemnité est due. Mais l’origine de cette obli
gation réside alors légalement dans le préjudice volon
tairement causé, et dont la réparation est commandée
par l’article 1582 du Code civil.
L’exception feci sed jure feci légitime bien le refus
de célébrer le mariage, mais elle ne pourrait dispenser
de l’obligation de réparer le préjudice qui eût été
1 V. Dalloz, Dict. génér., v° promesse de mariage, n05 tîi et suiv.
f'ifl
�j2 â
TRAITÉ
épargné si la volonté du refusant se fût manifestée en
temps opportun, et surtout avant que des faits graves,
comme une grossesse, pussent lui être reprochés.
1555- — L’illégalité de la promesse de mariage en
traîne de plein droit celle de toutes les clauses acces
soires, destinées à en forcer l’exécution, notamment la
clause pénale par laquelle on s’est engagé, à défaut du
mariage promis, de payer une somme d’argent plus ou
moins importante.
Les dédits, en cas de rupture, sont entachés d’immo
ralité; indépendamment du lien qui en résulterait et
qui créerait un obstacle à la liberté individuelle, ils
pourraient faciliter de honteuses spéculations contre
l’honneur ou la fortune de celui qui se laisserait aller à
les consentir. Il ne manque pas d’intrigants adroits, de
coquettes habiles qui exploiteraient une passion qu’ils
savent adroitement faire naître et entretenir, une fièvre
qu’ils excitent; et plus leur position leur paraîtrait, eu
égard à la famille de leur dupe, être un obstacle au
mariage, et plus ils songeraient à grossir la somme du
dédit.
D’autre part, n’est-il pas évident qu’on ne saurait to
lérer ces engagements que d’avance des pères de fa
mille prennent à l’égard de leurs enfants? Ce qui peut,
en effet, en résulter, c’est que, différents de goût, de
caractère, les futurs époux, e se convenant d’aucune
manière, ne soient condamnés à s’unir que pour ci
menter leur malheur commun. Il importait donc de les
prémunir contre une mutuelle antipathie.
11
�DU DOD IÏT D E L A F R A U D E .
425
Mais ce qui importait surtout, c’était d’assurer la li
berté des mariages : Libéra esse matrimonia antiquitas
plaçait, ideoque pacta ne liceret clivertere non valere. '
C’est cette antique règle que notre Code a consacrée,
qu’il ne pouvait pas ne pas consacrer sans méconnaître
la mission sociale qu’il avait à remplir. Le mariage,
source de la famille, touche immédiatement à l’État. Le
dégager de toute entrave, c’était agir dans l’intérêt de
celui-ci. Aujourd’hui donc, comme toujours, tout ce
qui porte atteinte à sa liberté illimitée est considéré
comme contraire à la morale, aux bonnes mœurs, à l’or
dre public, et, conséquemment, incapable de produire
le moindre effet.
1354. — La nullité d’un dédit de mariage n’est pas
même contestée, mais ce principe n’a pas fait disparaître
l’abus. Ceux qui persistent à vouloir en profiter ne trou
vent dans cette nullité qu’un motif de plus pour donner
à la convention une apparence de sincérité, en l’affu
blant d’une forme dont les dehors paraissent irrépro
chables. Ainsi, au lieu d’un dédit, ils se font souscrire
une obligation pure et simple, causée pour prêt d’ar
gent. Puis le mariage ne s’accomplissant pas, soit par
le refus du souscripteur, soit sur leur refus personnel,
ils poursuivent le paiement de l’obligation dont ils sont
porteurs.
Devant les tribunaux, naissent alors les diverses fins
de non-recevoir déjà indiquées, le défendeur excipe-t-il
L. 2, Cod. de Inut. slipul.
�426
TRAITE
du véritable caractère de l’acte? On ne manque pas de
lui opposer les énonciations de l’acte, l’irrecevabilité de
la preuve par témoins, tant en vertu de l’article 1541,
que de la maxime nemo auditur, etc...
Ce qui domine et doit nécessairement dominer l’ap
préciation d’un pareil litige, c’est une considération que
nous trouvons développée dans june consultation de M.
Dalloz sur un procès de cette nature. Les prohibitions
que le législateur établit dans l’intérêt des mœurs et de
l’ordre public, ne tirent leur sanction et leur efficacité
que de la difficulté de les enfreindre, et de recueillir le
fruit de leur infraction. En vain, le législateur aura dé
claré illicite toute obligation fondée sur une promesse
de mariage ; en vain, il aura frappé de réprobation tout
contrat qui aura pour objet une immoralité ou un crime.
Ses dispositions seront impuissantes s’il est permis de
déguiser le caractère du contrat, si l’on peut impuné
ment cacher la cause honteuse de la convention sous le
Voile apparent d’une stipulation légitime, ou, ce qui est
la même chose, si l’on interdit la preuve testimoniale
qui, seule, en pareil cas, peut démasquer la fraude àj'a
loi et venger l’offense à l’ordre public et à la morale.
1555. — M. Dalloz avait parfaitement raison, lors
qu’il ajoutait qu’il est des choses que la loi n’a pasbesoin d’exprimer formellement, tant elles s’induisent
de son esprit. Dans cette catégorie, se place évidem
ment l’exception à la prohibition de l’article 1541 du
Code civil, lorsqu’il s’agit, non plus d’une simulation
licite, mais de la violation formelle d’une loi d’ordre
�DU D O L E T D E L A F B A U D B .
127
public. On ne saurait soutenir le contraire sans accuser
le législateur de n’avoir pas eu le courage de son
opinion, puisque voulant la fin, il aurait proscrit les
moyens.
Quant à l’allégation invoquée, que la simulation du
contrat ne peut être prouvée testimonialement que par
les tiers, elle est vraie, lorsqu’il s’agit d’une de ces si
mulations incapables d’imprimer à l’acte un caractère
d’invalidité quelconque. Ainsi, on refusera à la partie de
prouver que le contrat, qualifié vente, est une donation.
Pourquoi ? Parce que la personne, capable de vendre
et de donner, n’a, à cette preuve, aucun intérêt réel.
En effet, la vente, n’existant plus comme vente, vaudra
comme donation, et devra, comme telle, sortir à effet.
La preuve testimoniale du véritable (caractère de l’acte
serait donc complètement inutile. Frustra probatur
quod probat,um, non relevai.
On refusera la preuve testimoniale à la partie l’invo
quant, lorsqu’à son aide, elle voudra établir que la vente
qu’elle a consentie, ou l’obligation qu’elle a souscrite,
n’a aucune cause réelle. Cette absence |de cause, elle a
pu et dû la faire constater au moment du contrat par
une contre - déclaration sans l’existence de laquelle
l’acte, n’ayant rien de contraire à la loi, est accepté par
elle comme l’espressiôn de la vérité et devient la règle
unique des parties.
Osera-t-on dire qu’il doit ’en être de même de la
preuve que l’acte déguise une illégalité, qu’il n’a été
fait que pour éluder une prohibition d’ordre public?
Est-ce que d’une part la preuve acquise ne ferait pas
�428
T R A ITÉ
immédiatement tomber l’acte? Est-ce que d’autre part,
l’absence d’une contre-déclaration n’est pas la consé
quence nécessaire, forcée du véritable but des parties?
Comment exiger que ceux qui, voulant violer la loi,
éprouvent le besoin de dissimuler, aillent précisément
donner la preuve écrite delà véritable nature du traité?
Donc, la preuve n’est plus illusoire, et comment l’ac
quérir jamais, si la partie elle-même est et doit être dé
clarée non recevable à l’administrer?
En d’autres termes, il ne faut pas confondre les simu
lations licites ou ne concernant que l’intérêt privé avec
celles dont l’unique objet est de violer une loi d’ordre
public ou d’intérêt général. Si la partie qui y a volon
tairement concouru, ne peut prouver par témoins les
deux premières, l’intérêt de la loi exige impérieuse
ment qu’on l’admette à le faire pour cette dernière; dé
cider le contraire, ce serait méconnaître l’intention du
législateur , tolérer et même encourager la violation
des prescriptions les plus sacrées.
Or, on distinguera facilement la simulation licite de
celle qui ne l’est pas. On n’a qu’à se demander si les
parties pouvaient faire directement, ce qu’elles ont tait
indirectement, si oui, la simulation est indifférente.
Tout ce qu’on eu induira, c’est qu’entre plusieurs ma
nières de faire un acte, les parties ont choisi celle qu’el
les ont jugé la plus convenable; en cela, elles ont usé
de leur droit, et n’ont fait que ce que la loi ne leur dé
fendait pas de faire.
Dans le cas contraire, la prohibition d’agir directe
ment atteint la voie indirectement choisie; l’acte est nul
�D û DOL E T DE LA FRA U D E.
aux yeux de la loi, et non-seulement la partie sera re
cevable à exciper de cette nullité, mais elle pourra en
core l’établir par témoins. C’est ce qu’on admet sans
difficulté pour la dette du jeu, pour l’usure, pourquoi
ne l’admettrait-on pas pour le dédit de mariage? La loi,
qui prohibe ce dernier, ne procède-t-elle pas de motifs
identiques à ceux qui lui font proscrire l’usure et le jeu?
Conséquemment, si la preuve testimoniale est admissi
ble dans un cas, elle doit l’être également dans l’autre,
le contraire avait cependant été admis par la Cour su
prême, Je 29 mai 1827.1
1356. — En conséquence, elle avait cassé un arrêt
de la Cour de Riom, qui avait admis le souscripteur
d’une obligation, à prouver par témoins que la cause
réelle de cette obligation était une promesse’de mariage.
La Cour de Lyon, investie par le renvoi, jugea comme
la Cour de Riom, et son arrêt devint l’objet d’un [nou
veau pourvoi soumis aux chambres réunies.
Le résultat de ce second examen fut l’abandon com
plet de la jurisprudence de 1827. En effet, l’arrêt qui
intervint consacra les deux propositions suivantes, dans
lesquelles se résume toute notre doctrine, à savoir : 1° Qu’une promesse de mariage, à laquelle celui qui
l’a faite a attaché, pour le cas d’inexécution, une clause
pénale, consistant dans l’obligation de payer une som
me d’argent, est nulle comme contraire à la liberté des
mariages et illicite, ainsi que la clause pénale qui n’en
est que l’accessoire ;
�T R A ITÉ
130
2° Que le souscripteur lui-même d’uu billet causé
pour prêt est admissible à prouver par témoins que cette
cause est simulée, et que la cause réelle est illicite com
me consistant, par exemple, en une promesse de ma
riage avec clause pénale.1
1357. — Les traités sur succession future étaient
prohibés en droit romain ; on les considérait comme
renfermant votum alicujus mortis et offensant ainsi la
morale. Une exception était cependant admise en fa
veur des traités que celui de la succession duquel il
s’agissait avait consenti et qu’il n’avait pas rétracté
avant de mourir. 2 Cette exception s’était introduite
dans la plupart des pays de droit écrit et dans un grand
nombre de coutumes.
Mais la faculté de renoncer à la succession, même
dans ces conditions, avait été restreinte au contrat de
mariage et moyennant une dot constituée à la renon
çante, ce qui ne l’empêchait pas, d’ailleurs, d’hériter si,
au décès du constituant, il n’existait pas d’autres hé
ritiers, ou si les héritiers mâles, au profit desquels la
renonciation était censée faite, prédécédaient les père et
mère. Elle conservait, dans tous les cas, le droit de ré
clamer un supplément de légitime, si la dot constituée
ne remplissait pas en entier celle lui revenant.8
1358. — Cette législation fut abrogée par les lois
1 Cass., 7 mai 1836 ; — 1). P., 36, 1, 161.
* L. 4, Cod. de Inut. slipul.; — L. 50, Dig., de Pact.
» Serres, In st., p.
2, chap. 20.
üt .
257 ;
— Ferrières, quest. 192 ; — Catelan ,
�DU DOD ET DE LA FRAUDE.
43f
intermédiaires et notamment par celle du 22 ventôse
an n et plus tard par l’article 971 du Code civil. Certes,
les termes de sa disposition sont assez clairs, assez po
sitifs, mais, pour éviter toute difficulté possible, le lé
gislateur a cru devoir, dans l’article 1150, revenir sur
le principe, en ajoutant cette fois que la nullité d’un
pacte sur succession future ne s’aurait être corrigée
par le concours et le consentement donné par celui-là
même de la succession duquel il s’est agi.
Le motif de cette prohibition est d’ordre public. Nos
mœurs ne permettaient pas de pactiser sur la succession
d’un homme vivant sans outrager les lois de la morale
et de l’honnêteté publique. On en est donc revenu à la
législation romaine sur cette matière; tout acte de ce
genre, renfermant votum alicujus morlis, a été sévère
ment et absolument proscrit.
1559. — Violer cette prohibition , c’est mécon
naître une loi d’ordre public. Conséquemment, la nul
lité encourue est absolue et radicale; l’acte qui en est
vicié n’a jamais eu que l’apparence d’un contrat inca
pable de créer un lien quelconque.
Ce caractère de la nullité amène à cette autre con
séquence : que le traité sur succession future, déguisé
sous l’apparence d’un contrat à titre onéreux, ne sau
rait, comme le traité direct, produire le moindre effet,
et que la partie elle-même est recevable à prouver la
simulation, fût-ce même par témoins. Il importe peu
que l’acte simulé soit intervenu de cohéritier à cohé
ritier, ou de cohéritier au propriétaire ; il suffit qu’il
�TRAITE
constitue un pacte sur succession future, pour que les
conséquences que nous venons d’indiquer se réalisent
immédiatement.
1560. — L’existence de la simulation sera facilement appréciable, lorsque le traité émanera de cohéri
tier à cohéritier, ou de celui-ci à un tiers. Il est, en
effet, difficile d’admettre qu’on stipule, comme actuel,
l’effet d’un contrat ne pouvant recevoir aucune exé
cution avant la mort du propriétaire de la chose qui en
fait l’objet. Peut-être même que le prétendu débiteur
stipulera ne devoir payer qu’avec et sur ce qui lui re
viendra dans la succession. C’est ce qui se réalisait
"dans une espèce jugée par la Cour de Rennes le 2 dé
cembre 1837, et dans laquelle il fut décidé qu’un acte
de cautionnement déguisait un traité sur succession
future dont la partie pouvait poursuivre la nullité.1
Mais il y aura plus de difficultés lorsque le traité
interviendra entre le propriétaire et un tiers, héritier
présomptif ou non. L’acte, en effet, peut contenir des
clauses telles, qu’il soit difficile d’en apprécier de véri
table caractère. Le propriétaire peut disposer de ses
biens comme il l’entend, et nul doute que si l’acte ren
fermait un désinvestissement actuel et irrévocable, il
devrait infailliblement sortir à effet, car, en le suppo
sant nul comme vente, il n’en vaudrait pas moins com
me donation déguisée.
156t. — Cependant, il n’est pas probable que si
�DU D O L E T D E L A F R A U D E .
433
l’intention réelle des parties a été de traiter sur succes
sion future, ce caractère de l’acte simulé ne se décèle
pas dans quelques-unes de ses clauses. En effet, cette
intention ne comporte pas un désinvestissement actuel
et irrévocable. Celui qui ne veut donner qu’à sa mort,
s’en explique plus ou moins expressément. C’est donc
dans les clauses mêmes de l’acte qu’il conviendra d’en
rechercher la portée réelle ; c’est surtout dans ce qui
se rapporte au mobilier que cette recherche a des
chances de succès.
On comprend, en effet, qu’un individu transmette
ses immeubles actuellement, même lorsque la pensée
de cette transmission se réfère à une donation pour
cause de mort. Dans ce cas, la réserve de l’usufruit ou
le paiement d’une rente viagère concilie très bien le vé
ritable caractère de l’acte avec l’apparence qui lui a été
donnée.
Mais il n’en est pas de même du mobilier. Il n’est pas
dans la nature des choses que celui qui ne veut le trans
mettre qu’à sa mort, s’en dépouille actuellement. Con
séquemment, la vente dissimulant le pacte sur suc
cession future, en réglera le sort d’une manière qui
suffira pour permettre de saisir la véritable intention
des parties contractantes.
1562. — Par exemple, vendre le mobilier qu’on
délaissera à son décès, n’est pas autre chose que dis
poser de son hérédité, et, conséquemment, se placer
en contradiction avec les principes consacrés par les
articles 971, 1150 et 1600 du Code civil. De quelque
�134
TR A ITÉ
manière donc que ce fait soit dissimulé dans le con
trat, son existence certaine ne laisserait aucun doute
sur l’objet qu’on s’est réellement proposé, et la nullité
de l’acte en serait la conséquence forcée. Or, ce fait se
réaliserait, si, en aliénant son mobilier actuel, le ven
deur se réservait la faculté d’en disposer comme bon
lui semblerait, avec stipulation que l’acquéreur, en
remplacement de ce qui aurait été aliéné par le ven
deur, prendra celui qui se trouvera dans sa succession
au jour de son décès.
Un pareil acte, on le comprend, n’est pas une vente.
La propriété du mobilier, qui paraît en faire la matière,
n’est pas transférée; elle ne cesse pas d’appartenir au
vendeur, puisque seul, il en exercera les attributs, et
que seul, il pourra ultérieurement en disposer.
On ne pourrait, par les mêmes motifs, y voir une do
nation. Donner et retenir ne vaut, et cela se réalise toutes
les fois que la condition essentielle de toute donation ,
à savoir : le désinvestissement actuel et irrévocable ne
se réalise pas. Sans doute, il importe peu que ce désin
vestissement s’applique cumulativement à la possession
et à la jouissance, ou qu’il n’ait trait qu’à l’une ou à
l’autre. Mais, dans l’espèce, il n’y en a aucun avant la réa
lisation du décès. Dès-lors aussi, la donation qu’on vou
drait rencontrer n’est, en réalité, ouverte et certaine
qu’à l’époque du décès. Elle ne porte que sur ce que le
donateur prétendu délaissera à sa mort.
Ainsi réduite, cette donation est nulle sous un dou
ble rapport ; elle constitue, en premier lieu, un pacte
sur succession future. Le propriétaire n’aliène qu’une
�D U D O L E T D E UA F R A U D E .
435
seule chose, la faculté de disposer ultérieurement de
son mobilier à titre gratuit. Elle ne saurait, dès-lors,
échapper à la prohibition légale des articles 1130 et
1600 du Code civil.
Vainement, invoquant la simulation du contrat qui
donne à la donation l’apparence d’une vente, voudraiton soutenir qu’on a pu vendre et acheter une chose fu
ture ! L’article 1600 n’a pas consenti à regarder comme
telle une hérédité non ouverte. Ce qui était de doctrine
incontestable sous l’empire du droit romain : Quum
hœredilatem aliquis vendidil, esse debet hœredilas ut
sit ernptio. ISec enim aléa emitar ul in vendilione et similibus, sed res, quæ si non est, non contrahitur emplio,
et ideo pretium condicetur. 1
Ainsi,la loi ne considère pas l’hérédité comme cons
tituant la chose future susceptible d’être achetée ou
vendue. L’hérédité existe ou non, suivant qu’elle est
ou non ouverte; et cette doctrine n’est que la consé
quence de l’immoralité et de l’indécence qu’il y a à
spéculer sur la mort de celui dont on achète à l’avance
les dépouilles.
De plus, la vente manquerait, dans tous les cas, par
l’absence d’un corps certain et déterminé, devant en
faire l’objet. En effet, vendre un mobilier tel qu’il exis
tera au décès du vendeur, c’est ne rien vendre, pas
même une chose future. Le vendeur pourra toujours
faire qu’il n’en existe aucun, et cette faculté consti
tuerait la condition potestative, susceptible à elle seule
d’annuler le contrat.
1 L. 7, Dig. de Hœred. tel act. vendita.
�»
136
TRAITÉ
En second lieu, la donation constituerait une dispoposition à cause de mort, laquelle, dénuée des formes
spécialement tracées par la loi, ne pourrait produire
aucun effet. Vainement exciperait-on de la jurispru
dence en matière de donations déguisées. Les seules
donations valables sont celles qui sont faites entre vifs,
et, d’ailleurs, tester n’est pas donner. Or, vendre ou
donner ce qu’on délaissera après son décès, c’est faire
un testament, qui est nul s’il n’est pas rédigé dans les
formes qui lui sont imposées. Remplacer le testament
par une vente ne peut donc avoir pour objet que d’en
lever au premier la révocabilité, qui est de son essence,
et enchaîner la volonté du testateur; c’est, en un mot,
faire ce que la loi ne permet pas.
Ainsi, la vente des biens qu’on délaissera à son décès
est frappée de nullité. En tant que vente, elle constitue
un pacte sur succession future; en tant que donation,
elle déguise, sous la forme d’un contrat, à titre onéreux,
une disposition à cause de mort, à laquelle la loi a dicté
une forme spéciale à peine de nullité. Cette simulation
constitue donc une fraude à la loi, et comme cette loi
est d’ordre public, la partie elle-même serait recevable
à la prouver, comme le sont les tiers et les héritiers.
C’est ce que les Cours d’Orléans et de Rennes ont for
mellement décidé. Le pourvoi formé contre l’arrêt de
celle-ci a été rejeté par la Cour de cassation le 28 no
vembre 1843. 1
1 D. P., 44, 1 ,5 8 ;— Orléans, 24 mai 1849;— Journal du palais,
tom. il, 1849, pag. 78.
�D ü DOL E T DE LA FRAUDE
Dans l’une et dans l’autre de ces espèces, on soute
nait que la prohibition de traiter sur succession future
ne concernait que les héritiers; qu’elle e pouvait évi
demment s’étendre au propriétaire lui-même, par la
raison que chacun a le droit de disposer de ses biens
comme il l’entend. Mais cette prétention a été écartée,
et devait l’être, en présence des termes formels de
l’article 1150 du Code civil.
1565- — Ces deux arrêts ont également jugé qu’en
pareille matière l’opération était indivisible ; qu’en
conséquence, et quoique, pour les immeubles, il y eût,
en réalité, désinvestissement actuel, l’existence d’un
prix unique et le véritable caractère du contrat ne per
mettaient pas d’en scinder les dispositions qui se trou
vaient, dès-lors, intégralement atteintes par la nullité
de celle relative au mobilier.
1564. — Notons, enfin, que ce qui est décidé pour
l’universalité d’une succession, doit l’être également
pour une quotité quelconque et même pour l’aliénation
d’un corps certain et déterminé. La prohibition de pac
tiser sur succession future s’applique à chaque partie,
comme à l’universalité de la succession. Il suffirait donc
que l’aliénation partielle constituât le traité sur suc
cession future ou déguisât une donation à cause de
mort, sous l’apparence d’un contrat à titre onéreux,
pour qu’elle ne pût', sous l’un ou l’autre rapport,
échapper à la nullité.1
11
1 Cass., Il novembre 1845 ; — Journal du palais, tom. 11 , 1845,
pag. 627.
R . 7 Jj
'v il
’t.'
�138
T R A IT É
1365. — La question de savoir si la convention sur
succession future peut ou non être ratifiée après l’ou
verture de la succession, est vivement controversée.
Déjà nous nous sommes expliqués sur ce point, et nous
rangeant à l’avis de Touiller et de Zacchariæ, nous avons
admis l’affirmative.1Nous avons d’autant moins hésité
à le faire, qu’il est certain que l’acte de ratification dé
clarera qu’au besoin les parties renouvellent la con
vention, ce qui constituerait un nouveau traité dont la
légalité, ne pouvant être contestée, puisqu’il serait pos
térieur à l’ouverture de la succession, commanderait
l’exécution.8
Si la ratification expresse est licite, on ne saurait
écarter la ratification tacite résultant de l’exécution.
Comment, en effet, ne pas voir une ratification, par
exemple, si le règlement de la succession, si le partage
même, s’était, du consentement de tous, opéré sur les
bases fixées dans le traité primitif?
1366. — Toutefois, et au point de vue de la pres
cription, cette doctrine est vivement contestée. Sa con
sécration ^ n effet, a, pour résultat immédiat, l’appli
cation de l’article 1304 à l’action en nullité du traité
sur succession future. Ceux-là donc, qui pensent que
cette action ne se prescrit que par 30 ans, contestent,
à priori, la faculté de ratifier même expressément.
Au nombre des partisans de la prescription trente1 Voy. supra, n° 648.
* Cass., 11 août 182S ; — Grenoble, 25 mars 1851 ; — Rouen, 30 dé
cembre 1823.
�139
naire, se range M. Troplong. *Mais ce savant juriscon
sulte n’examine la question qu’au point de vue de la
nullité absolue et radicale, et ne se préoccupe que de
l’erreur qu’il reproche, avec raison, à Toullier, ensei
gnant que cette même nullité rentre sous la règle gé
nérale de l’article 1504.
Ainsi, dit M. Troplong, s’il fallait en croire M. Toul
lier, il faudrait aller jusqu’à dire que le propriétaire,
dont la succession a été l’objet d’une vente illicite et
qui y a donné son consentement, n’a que 10 ans pour
échapper à cette convention ! Nous sommes de l’avis de
M. Troplong, et nous admettons, sans hésiter, que tant
que la nullité est absolue et radicale, c’est la prescrip
tion trentenaire qui, seule, en régit le sort. Or, elle est
évidemment telle, tant que la succession sur laquelle
on a traité, n’est pas ouverte.
Mais l’ouverture de la succession ne modifie-t-elle
pas ce caractère de la nullité? A partir de ce moment,
tout ce qui la compose devient réellement disponible,
et la capacité d’y renoncer, celle d’aliéner, par vente,
échange ou cession, est acquise à tous ceux que la loi
appelle à la recueillir. La loi ne proteste donc plus au
nom de la morale, de l’honnêteté publique, contre
l’exercice direct de ce droit. La nullité devient donc
purement relative ; et comment ceux qui peuvent alié
ner directement, seraient-ils empêchés de le faire indi
rectement par la ratification du traité nul jusque-là
d’une nullité absolue ?
DU D O L B T D B L A F R A U D E .
1 Pe la vente, n“ 246.
�T R A ITE
140
C’est cette question queM. Troplong n’a pas cru devoir
examiner , et cependant, c’est la seule qui doive être
traitée. En effet, ceux qui soutiennent l’application de
l’article 1304 à la nullité résultant du pacte sur succes
sion future, ne le font que parce que, à leur avis, cette
nullité perd son caractère absolu et radical par l’ou
verture de la succession. Le traité, nul de plein droit
jusque-là, n’est plus, à partir de cette ouverture, qu’un
acte annulable ou rescindable, et, de l’avis de M. Troplong lui-même, c’est pour les actes de ce genre que
dispose l’article 1504.
Nous avons donc raison de dire que l’imposaule au
torité de son nom ne pèse pas sur notre discussion
actuelle. Nous soutenons si peu l’application de l’arti
cle 1504 aux nullités radicales et absolues, que nous
n’admettons son applicabilité à la nullité du pacte sur
succession future, que parce que, à notre avis, l’ouver
ture et la disponibilité de la succession rendent cette
nullité purement relative pour l’avenir.
Un pareil effet est-il légalement possible? L’affirma
tive ne nous paraît pas susceptible de difficultés. Elle
résulte du caractère et de la nature de la prohibition.
En principe, toutes les nullités d’ordre public ne se
comportent pas de la même manière. Elles ne peuvent
produire des effets identiques, parce qu’elles ne procè
dent pas toutes de la même cause. Sans doute, elles in
téressent toutes l’ordre public, mais c’est à des titres
divers. Il n’y a donc que celles qui se déduisent du fait
même qui est devenu la matière du contrat, qui protes
tent éternellement et tant qu’existe ce contrat.
�« On ne peut disconvenir, dit Merlin, que, dans la
classe des nullités absolues, il s’en trouve quelquesunes qu’un particulier ne pourrait plus alléguer après
avoir consenti à l’exécution de l’acte qui en est infecté.’ »
Or, dans quelles circonstances ce caractère se rencontrera-il plus puissamment que dans la nullité résultant
d’un pacte sur succession future? La vente, la cession,
la renonciation même faisant la matière de ce pacte, n’a
en elle-même rien d’illicite ou d’illégal. Ce qui lui im
prime ce caractère, c’est uniquement le moment qui la
voit s’accomplir, la circonstance que la succession sur
laquelle elle intervient n’est pas ouverte, et qu’il serait
indécent d’autoriser la faculté de trafiquer de la suc
cession d’un homme vivant. Du moment que cet homme
a cessé de vivre, le motif n’existe plus, et cessante cau
sa, cessai ejfeclus.
A dater de ce moment, en effet, les parties intéressées
acquièrent la plus entière liberté de traiter de tout ce
qui constitue la succession. Qu’importe à la loi que
cette disposition se réalise par un nouveau traité ou par
la confirmation de l’ancien ! Elle ne répugne plus à ses
effets, elle se contente de prononcer l’annulation, si
elle est poursuivie; mais si celui que celte faveur con
cerne veut y renoncer, si, au lieu d’en poursuivre le
bénéfice, il le déserte et l’abandonne, faudra-t-il, plus
tard, anéantir l’effet de cet abandon purement spon
tané et volontaire? En vérité, l’affirmative paraît insou
tenable, car la raison et le droit s’unissent pour pro^
iilll
�442
TRAITÉ
clamer que celui qui pourrait agir directement ne sau
rait ne pas être valablement lié, parce qu’il lui a plu
d’arriver à un résultat identique par une voie indirecte.
L’héritier saisi peut aliéner. La ratification est une vé
ritable aliénation; à ce titre donc, elle devrait être main
tenue comme le serait l’aliénation elle-même.
1567- — LaCourd’Aix, dans unarrêtdu2juin 1840,1
refuse cependant de le faire. La nullité du pacte sur
succession future, dit-elle, est telle que l’ouverture
même de la succession reste sans influence sur la con
vention dont le vice originaire garde toujours la même
nature, sans qu’il puisse être couvert.
Sans influence nécessaire sur la convention ! Cepen
dant, à dater de cette ouverture, il n’y a plus de suc
cession future, et les biens délaissés deviennent sus
ceptibles de toute espèce de transactions. Sans doute,
cette ouverture pe fait pas disparaître, ipso facto, la
nullité du pacte dont la succession a été l’objet avant le
décès du propriétaire, et celui qui l’a souscrit n’est pas
obligé de l’exécuter. Il lui suffit de vouloir pour que ce
pacte soit anéanti, mais s’il vient à l’exécuter, si son
intérêt lui en fait un devoir, n’est-il pas le maître de le
faire? Oui, dit la Cour, mais par un acte nouveau, non
par une ratification, parce que cette ratification serait
une nouvelle insulte à la loi.
Vraiment, la Cour d’Aix fait la loi bien susceptible.
Pourquoi se trouverait-elle insultée? Parce que la rati1 J. D. P ., t. i i , 1840, pag. 337.
�DU D O L E T D E LA. F R A U D E .
143
fication s’appliquant à une nullité radicale et absolue,
serait-elle même atteinte par cette nullité? Mais après
le décès, cette nullité n’existe plus. S’il en était autre
ment, tout acte nouveau serait également impossible.
La validité de celui-ci entraîne forcément celle de la
ratification. Celle-ci, en effet, ne fait ni plus ni moins
que l’acte nouveau ne ferait lui-même. Conséquemment,
l’aliénation autorisée par le moyen de celui-ci, ne sau
rait être prohibée sous la forme de la ratification.
Mais, dit l’arrêt, il y a entre l’acte nouveau et la ra
tification cette différence, que le premier rend hom
mage à la loi en supposant non-seulement la nullité,
mais encore l’inexistence de l’acte précédent; et d’ail
leurs, ne recevant l’être que du jour de sa date, il porte
sur une succession ouverte; la ratification, au contraire,
se rattache à l’acte primitif qu’elle a pour objet de
maintenir aussi bien dans sa date que dans ses effets;
s’unissant et s’incorporant à cet acte, elle reçoit le vice
dont il est infecté au lieu de l’effacer; elle estenfin,avec
lui et comme lui, une stipulation sur la succession d’une
personne vivante, à moins qu’on ne veuille la considé
rer isolément, et elle n’est rien.
Ceci n’est plus seulement une contradiction, c’est la
négation absolue de la nature du pacte sur succession
future, du caractère, des effets de la ratification.
Le pacte sur succession future, en tant que vente, ces
sion, renonciation même, n’a rien d’illicite au point de
vue du droit en lui-même. Sa nullité ne résulte pas de
ce qu’on a vendu, cédé ou renoncé. Elle n’est que la
conséquence de l’indisponibilité des objets ou des droits
�TRAITE
au moment où ils sont aliénés; dès-lors, leur disponibi
lité acquise, tous ces actes deviennent licites, cela n’est
pas contesté.
L’ouverture de la succession fait donc disparaître la
prohibition et entraîne avec elle, la disparution de la
nullité en résultant. Mais cet effet ne rétroagit pas en
ce sens que l’acte souscrit avant est un acte sans lien
forcé, sans exécution possible, s’il plait à la partie de
lui refuser l’un et l’autre.
Voilà donc celle-ci capable désormais d’aliéner et
en même temps mise en demeure de se prononcer sur
le sort futur du traité qu’elle a souscrit. Quel peut être,
en cet état, l’effet de la ratification qu’il en fait?
Est-ce de faire disparaître la nullité originaire dont
le traité était atteint? Non, évidemment, car cette nullité
est un fait consommé qu’il n’est plus au pouvoir des
parties d’empêcher. L’unique but de la ratification, c’est
de purger l’acte pour l’avenir, par la confirmation qui
en est faite dans un moment de capacité absolue. L’acte
n’a donc une existence légale que du jour de la ratifi
cation, et comme ce jour-là, la succession est ouverte,
c’est se livrer à la plus incroyable de toutes les fictions,
que de dire que la ratification n’est elle-même qu’un
traité sur la succession d’un homme vivant.
Si le système de la Cour d’Àix était vrai, il faudrait
rayer la ratification de nos codes. Vainement, le majeur
aurait-il ratifié l’engagement souscrit en minorité. Vai
nement, la femme mariée, devenu veuve, aurait-elle con
firmé l’aliénation de sa dot faite pendant le mariage; on
ne manquerait pas de dire que la ratification s’unissant
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
US
et s’incorporant à la convention primitive, est comme
celle-ci censée faite pendant la minorité ou le mariage,
et qu’un acte nouveau pouvait seul la purger du vice
que la ratification partage.
Qu’on réfléchisse, d’ailleurs, aux conditions exigées
par l’article 1358. Pour être valable, l’acte de ratifica
tion doit mentionner le vice du traité originaire’, et
énoncer l’intention de le purger. Dans l’espèce donc,
les parties déclareront que l’acte par elles souscrit, était
nul comme intervenu sur succession non ouverte, mais
que leur volonté étant aujourd’hui la même qu’alors,
elles confirment leurs accords qu’elles renouvellent
même en tant que de besoin serait. Or, à cette époque,
notons-le bien , la nullité d’ordre public a cessé de
protester contre la disposition de la succession.
La ratification est donc comme l’acte nouveau un
acte d’obéissance à la loi. Elle est une véritable amende
honorable de la part de ceux qui, l’ayant transgressée,
viennent lui demander pour l’avenir le lien obligatoire
qu’elles reconnaissent avoir été dans l’impossibilité de
donner à leur contrat.
Il n’y a donc aucune raison sérieuse à objecter con
tre la validité de la ratification expresse ; il ne saurait
conséquemment en exister aucune contre la ratification
tacite résultant de l’exécution. Or, cette ratification
tacite, la loi l’a fait résulter du silence prolongé pendant
plus de dix ans. L’action introduite après ce délai se
trouverait atteinte par la prescription de l’article 1304,
à moins qu’on ne vint, à celte époque, forcer l’exécution
que l’acte n’aurait pas encore reçu. Dans ce cas, en
m
7
�146
TRAITÉ
effet, la prescription opposable à l’action ne pourrait
être opposée à l’exception, en vertu de la règle quæ
temporalia sunt ad aqendum, fiant perpétua ad excipiendum.
1388. — L’applicabilité de l’article 1304, enseignée
par Touiller, Zacchariæ et Rolland de Yillargues, a été
admise par un grand nombre de Cours d’appel, et par
la Cour de cassation elle-même, le 28 mai 1828, mais
celle-ci vient par un arrêt, du 11 novembre 1845, 1 d’a
bandonner cette jurisprudence pour adopter la pres
cription trentenaire. Ce qui fonde ce changement, c’est
le caractère de la nullité. La Cour admet donc qu'après
comme avant le décès, cette nullité est d’ordre public
et d’intérêt général, dans celte hypothèse , son arrêt
serait en tout point juridique.
Mais nous l’avons dit : la raison et le droit indiquent
que le caractère de la nullité est profondément modifié
par le décès de celui sur la succession duquel on a traité;
et cette modification nous paraît devoir faire préférer
l’arrêt de 1828 à celui de 1845- 2
1569. — La morale publique que nous venons de
voir proscrire les pactes sur succession future, était
bien plus directement intéressée à tout ce qui se rap
portait aux enfants naturels. Les législateurs de tous les
1 Journal dn Palais, tom. h , 1845, pag. 627.
a Voy. pour les arrêts, dans l’un et l’autre sens, Dalloz, Dictionnaire
general, v° Succession et Répertoire du Journal du Palais, v° Succes
sion future et Ratification.
�DU D O L E T D E L A F R A U D E .
447
temps ont mis et dû mettre une grande différence en
tre eux et les enfants issus d’un mariage légitime.
Chez les romains, la loi n’accordait aux enfants na
turels que des aliments, si leur père délaissai t des enfants
ou une épouse légitime; à leur défaut, ils ne receuillaient que le sixième de la succession dans laquelle la
mère survivante prenait encore une portion virile.
L’excédent était dévolu aux parents éloignés ou au fisc.
Toutefois, ils pouvaient recevoir par donation testamen
taire au-delà de ce que leur attribuait la loi. Ils pou
vaient être institués pour la totalité des biens, si leur
père ne laissait ni descendants, ni femme, ni ascendants
légitimes; pour la totalité, moins la légitime due à l’as
cendant, si l’ascendant se trouvait le plus proche héri
tier ; pour un douzième seulement, s’il restait des enfants
légitimes, encore ce douzième se divisait-il par tête
entre les enfants naturels et leur mère.1
Les enfants naturels ne succédaient point aux ascen
dants, si ce n’est par représentation de leur mère, mais
l’aïeul paternel ou maternel pouvait, s’il n’avait pas
d’enfants légitimes, transmettre tous ses biens au petitfils naturel.2La loi fondait, en outre, certaines distinc
tions sur la qualité de la mère. Si elle appartenait à une
famille illustre, l’enfant naturel n’avait rien à réclamer
pas même des aliments.3Si elle était une femme publi
que, l’enfant'suivait alors entièrement la condition de sa
mère, lui succédait comme les autres enfants naturels,
1 Nov. 4S, chap. 5, et 89, cliap. 12.
’ L. ult. cod. de nalur. lib.
5 L. 5, cod. ad sen. cons. orfician.
�448
TRAITÉ
mais il n’avait aucune espèce de droit h la succession
paternelle.1
1370. — Sous notre ancien droit, l’enfant naturel
n’était appelé à succéder ni à son père, ni à sa mère; il
avait seulement, et sauf quelques exceptions, une action
en aliment.
Mais cet état de choses fut bien changé par les lois
intermédiaires. Un premier décret du 4 juin 1793, ap
pela les enfants nés hors mariage à succéder à leur père
et mère, dans la forme qui fut, plus tard, déterminée par
la loi du 12 brumaire, an h .
Nous n’avons pas à suivre, dans ces effets, cette loi
devant, dans l’intention de ses auteurs, n’être que tran
sitoire. On croyait alors à la prompte promulgation du
Code civil, auquel l’article 10 se référait pour régler
les droits des enfants naturels dont les auteurs seraient
encore existants.
1371 — C’est en cet état, et sauf diverses modifica
tions qu’avait successivement subie la législation de
l’an ii, que le Code civil trouva la matière.
La classe des enfants naturels, a de tous les temps,
compris deux catégories bien distinctes : Les enfants
naturels simples ; les enfants incestueux ou adultérins.
Leur position ne pouvait être identique, aussi des lois
particulières réglaient-elles le sort de ces derniers qui
n’étaient pas compris dans celles concernant en généra!
les enfants naturels.
1 L. 8, Dig. Vnde cognai.
�14Ü
Sous l’empire du Code, les enfants adultérins ou in
cestueux sont incapables de recevoir de leur père ou
mère autre chose que des aliments. Ce principe est
textuellement écrit dans l’article 762. Son application,
quant à la quotité de ces aliments, est régie par l’arti
cle 763.
Ce principe se fonde sur un motif d’ordre public
et d’intérêt général. L’adultère et l’inceste sont plus
qu’une infraction aux préceptes de la morale, ils cons
tituent de véritables crimes sociaux. Que leurs tristes
fruits ne soient pas entièrement délaissés; qu’on ne les
condamne pas à mourir de faim, c’est ce qu’un senti
ment de pitié commandait impérieusement. Le législa
teur a cédé à ces inspirations, mais, il faut le dire, il ne
l’a fait qu’à regret, et que lorsque la connaissance du
caractère adultérin ou incestueux n’était que le résultat
d’un événement imprévu et de force majeure.
DO D O L E T D E L A F R A U D E .
1372. — C’est ce que prouve l’article 335, prohi
bant, d’une manière formelle, toute reconnaissance d’un
enfant adultérin ou incestueux. Pour bien apprécier le
caractère de cette importante disposition, pour en ap
pliquer sainement les effets, il faut nécessairement re
monter à son origine.
Le projet primitif du Code ne contenait aucune dis
position de ce genre. La Cour de Lyon, dans ses obser
vations, signala cette regrettable lacune, et demanda
qu’elle fut comblée.
s Serait-il possible, s’écriait-elle, que la loi autorisât
�150
TRAITS
la déclaration publique et authentique de l’adultère et
de l’inceste?
« Ce ne sont pas précisément les actions immorales
qui anéantissent les mœurs lorsqu’elles demeurent en
sevelies sous le voile d’un mystère impénétrable; le
mystère lui-même est un hommage aux mœurs; ce
n’est pas même leur publicité, si l’opinion publique les
flétrit, si elle voue au mépris les êtres immoraux. Mais
si l’opinion publique, si la loi elle-même les tolère, si
elle n’en proscrit pas les fruits, l’immoralité triomphe,
la vertu est dédaignée, bientôt, par une contagion fu
neste, il n’y a plus de mœurs, plus de vertu, et qu’estce qu’une nation sans vertu et sans mœurs ?
« Il est donc impossible que la loi autorise une mère,
une sœur, à consigner authentiquement dans des regis
tres public, leur turpitude incestueuse; un père, un
frère, à faire constater par l’officier de l’état-civil, qu’il
est le frère de son fils, le père de son neveu; un libertin
à publier légalement et impunément qu’il est coupable
d’adultère. La loi peut tolérer une faiblesse, elle ne peut
supposer un crime, s’il existe, elle doit le punir. »
Ces idées devinrent celles du pouvoir législatif et do
minèrent la discussion. « La reconnaissance, disait le
tribun Du Veyrier, sera impossible, l’officier public ne
la recevra pas; et, si malgré lui, l’acte contient le vice
qui l’infecte, cette reconnaissance nulle ne pourra
profiter à l’enfant. On écarte par là ces chances perni
cieuses d’infamie, ces révélations mortelles à la pudeur
sociale. On ne déchirera plus pour des passions indivi-
�15f
duelles et des intérêts particuliers, le voile épais dont
l’intérêt public couvre ces scandaleux écarts. »
DU D O L E T D E L A F R A U D E .
1573. — De plus, l’article 342 défend la recherche
même de la maternité admise en général, lorsque elle
doit avoir pour résultat d’arriver à la conviction d’un
adultère ou d’un inceste. En vérité, on dirait que la loi
s’est appropriée cette opinion du tribun Lohary , à
savoir : Que la naissance d’un enfant, fruit d’un inceste
ou d’un adultère, est une vraie calamité pour les mœurs;
que loin de conserver aucune trace de son existence, il
serait à désirer qu’on put en éteindre jusqu’au souvenir.
1374. — En présence de pareilles dispositions, on
s’est d’abord demandé si l’article 762 n’était pas une
superfétation, une véritable lettre morte. Comment ren
contrer des enfants adultérins ou incestueux auxquels
on puisse l’appliquer si leur reconnaissance est impos
sible, si celle qui serait volontairement faite ne peut
jamais imposer cette qualité, ni produire aucun effet? A
cette objection, qui se produisit au conseil d’Etat, il fut
répondu, que la qualité d’enfant incestueux ou adulté
rin pourrait résulter d’autres faits que d’une reconnais
sance spontanée du père ou de la mère. Elle peut être
acquise par la recherche de la maternité tentée dans le
but d’établir une filiation naturelle , par le résultat
d’une poursuite criminelle en adultère, ou d’une action
en désaveu, ou de l’annulation d’un mariage contracté
à un degré prohibé. Dans tous ces cas, la filiation adul
térine ou incestueuse n’est qu’une conséquence du ju-
�152
T R A ITÉ
gement, elle est dès-lors certaine, publique, notoire.
Le scandale que la loi veut éviter s’étant fatalement et
légalement produit, il devenait nécessaire de s’occuper
de ceux qui en sont les tristes victimes. Delà l’arti
cle 762.
1575. — La nullité des reconnaissances faites en
violation de l’article 535 est radicale et absolue. Son
effet en droit ne serait dès-lors pas douteux, cependant
et dans l’application, elle a donné matière à une con
troverse sur les questions de savoir : 1° Si la reconnais
sance illégalement faite confère à l’enfant le droit d’exi
ger des aliments; 2° Si on peut en exciper contre lui à
l’effet de faire réduire les donations ou legs consentis
en sa faveur par l’auteur de cette reconnaissance.
1576. — L’affirmative sur l’une et sur l’autre est
soutenue par Merlin. L’article 762, dit cet éminent ju
risconsulte, a été adopté dans cette prévision. Sans
doute les hypothèses où la reconnaissance résulte d’un
jugement, ont préoccupé le législateur. Mais on trouve
dans les débats législatifs que cette préoccupation n’a
pas été exclusive, qu’elle s’est notamment étendue aux
reconnaissances illégales.
« Ainsi, M. Siméon, parlant au nom du tribunat, disait
au corps législatif : « Quoique les enfants adultérins
« ou incestueux ne puissent être légalement recon« nus, leur existence est un fait qui peut quelquefois
« être évident. Un enfant aura été désavoué parle mari.
« il aura été le fruit de l’adultère delà femme. Le crime
�153
DU D O L E T D E L A F R A U D E .
■« de sa mère ne saurait la dispenser de lui donner des
< aliments; un homme aura signé, comme père, un
« acte de naissance, sans faire connaître qu’il est marié
< à une autre femme que la mère de l’enfant nouveau* né, ou que la mère est sa sœur; il aura voulu faire
« fraude à la loi; l’enfant, ignorant le vice de sa nais« sance, se présentera dans sa succession pour y exercer ses droits d’enfant naturel ; on le repoussera par
la preuve qu’il est né d’un père qui ne pouvait pas
l’avouer; mais l’aveu de fait, écrit dans son acte de
naissance, lui restera et lui procurera des aliments.
Celte disposition est conforme à l’ancien droit, il était
€ nécessaire de la conserver; car enfin, les enfants
adultérins ou incestueux ne sont pas moins des
hommes, et tout homme a droit à recevoir au moins
des aliments de ceux qui lui ont donné le jour »
« Ainsi encore, dans son rapport au tribunat sur ce
titre des donations et testaments, M. Jaubert disait
également : les enfants naturels ne peuvent jamais
recevoir au-delà de ce qui leur est accordé au titre
« des successions. Quant aux adultérins ou incestueux,
« dans les cas rares et extraordinaires où il pourra s’en
« trouver par suite ou delà nullité du mariage, ou d’un
« désaveu de la paternité, ou d’une reconnaissance il« lécjale, ils ne pourront recevoir que des. aliments. »
Donc, dans l’opinion de ces deux législateurs, la
nullité de la reconnaissance n’empêche pas l’enfant de
s’en prévaloir à l’effet d’obtenir des aliments. Cette
4
4
4
4
4
4
4
4
. 1
4
4
4
4
1 Séance du corps législatif, du 29 germinal, an xi.
�TRAITE
conclusion est loin d’être inconciliable avec le texte de
l’article 555 , sans doute, la reconnaissance qu’elle
proscrit sera incapable pour conférer au père la puis
sance paternelle, la faculté d’hériter de celui qu’il a
illégalement reconnu, pour imposer à celui-ci les de
voirs et les obligations d’un fils , mais elle est sus
ceptible de donner ouverture contre son auteur à une
action en aliments. La reconnaissance d’un enfant
renferme essentiellement , quoique d’une manière im
plicite, l’obligation de lui fournir des aliments, qu’elle
soit nulle sous le rapportdes droits et devoirs respectifs
de père et d’enfant, à la bonne heure. Mais cela n’em
pêche pas que l’obligation implicite qu’elle renferme de
fournir des aliments ne doive recevoir son exécu
tion.1 ®
1577.—M. Toullier s’est rangé à l’opinion de Merlin,
il enseigne, en effet: qu’en disant qu’un enfant adultérin
ou incestueux ne peut être reconnu par acte authenti
que, l’article 555 a eu pour objet d’empêcher que cette
reconnaissance ne lui confère les droits de successions
irrégulières que les articles 757 et 758 assurent aux
enfants naturels légalement reconnus, mais il n’entend
point par là dispenser ceux qui ont reconnu un enfant
de l’obligation naturelle de le nourrir. Ainsi jla recon
naissance d’un enfant adultérin on incestueux ne peut
lui conférer des droits de successions irrégulières, mais
elle peut fonder une action en aliments. ’
1 Rép.,v°, filiation, n° 22.
5 T, n, n° 968.
�DU D O L . E T DE LA FUAUDE.
155
1378. — Mais l’opinion contraire est fortement sou
tenue par un jurisconsulte, non moins recommandable,
M. Chabot, de l’Ailier.1Nous devons le dire, si l’opinion
de Merlin et de Toullier est plus humaine, celle de M.
Chabot a l’incontestable avantage d’être plus conforme
à la loi.
Ï1 faut le reconnaître, l’objet de l’article 335, quoiqu’en dise M. Toullier, n’a pas été de priver l’enfant
adultérin ou incestueux des droits de succession irré
gulière,.ce résultat était suffisamment atteint par l’arti
cle 762, le réduisant, dans tous les cas, à un simple
droit aux aliments.
L’article535a donc voulu autre chose, et cetteautre
chose nous est indiquée par les motifs qui l’ont fait ad
mettre. Rappelons-nous de quelle manière la Cour de
Lyon en légitimait la demande; les considérations sur
lesquelles elle l’appuyait. Il est vrai que le législateur
n’a pas consacré tout ce que la Cour de Lyon demandait,
notamment la peine d’emprisonnement contre les au
teurs de la reconnaissance illégale, mais si l’on consa
crait la prohibition, c’est que la naissance d’un enfant,
fruit de l’adultère et de l’inceste, était une calamité
pour les mœurs, que loin de conserver les traces de son
existence, il serait à désirer qu’on put en éteindre le
souvenir.
Voilà le but de l’article 535, éteindre le souvenir de
l’adultère ou de l’inceste, singulière manière de l’attein
dre que d’admettre que la désobéissance à la loi put
1 Des Successions, artv 762.
�156
TRAITE
fonder une action quelconque, et notamment une obli
gation naturelle que M. Toullier veut rendre légalement
exécutoire au profit de l’enfant.
Au profit de l’enfant adultérin ou incestueux! Maisl’article 555 dit positivement le contraire. Celle recon
naissance ne pourra avoir lieu au profit des enfants nés
d’un commerce incestueux ou adultérin. Or, quel est le
summum de profit que l’enfant né d’un pareil commerce
pourra jamais retirer de la constatation légale de son
état? L’article l&l a d’avance répondu. Le droit unique
d’exiger des aliments, mais si vous faitesrésulter ce droit
de la reconnaissance illégale, que devient la prohibition
de l’article 355, comment concilierez-vous la double
proposition qui surgit fatalement de votre système? La
reconnaissance ne pourra avoir lieu au profit de l’en
fant, si malgré cette prohibition, cette reconnaissance
se réalise, l’enfant en retirera tout le profit que lui pro
curerait la reconnaissance légalement faite.
Un système, conduisant à de telles contradictions,
est jugé, il est en opposition manifeste avec le texte de
la loi, il l’est, de plus, avec son esprit.
Nous venons de le dire, le législateur ne veut consa
crer aucune trace de l’adultère ou de l’inceste; il pro
hibe donc toute reconnaissance, mais il ne pouvait se
dissimuler que sa volonté, quoique clairement mani
festée, pourraitêtre transgressée et méconnue. Quel était
le remède possible? Evidemment, le seul indiqué était de
refuser toute autorité à l’acte réalisant cette prévision,
de le considérer comme n’existant pas, comme n’ayant
jamais existé. Or, dans le système que nous combattons,
�DU D O L E T D E L A F R A U D E .
157
la loi aurait bien voulu sévir contre la transgression,
mais, respectant la transgression accomplie, elle luiauraitreconnu et fait produire des effets obligatoires, c’està-dire que loin de tenir la main à l’exécution de sa vo
lonté, elle en aurait toléré, et par cela même encouragé
la violation; peut-on, nous ne dirons pas l’admettre,
mais même le supposer?
Mais, dit Merlin, vous prétendez donc que l’acte par
lequel un individu s’obligerait à fournir des aliments à
un enfant qu’il reconnaîtrait pour le sien, et qui serait,
parle fait de cette reconnaissance, adultérin ou inces
tueux, fut nul pour le tout. Nous sommes bien loin de
soutenir la nullité intégrale, nous qui soutiendrons tout
à l’heure contre M. Merlin lui-même que la donation ou
le legs, mélangé de reconnaissance adultérine ou inces
tueuse, ne saurait être réduit. Il y a dans l’acte dont
parle M. Merlin deux choses distinctes : la reconnais
sance qui doit être effacée, l’obligation qui subsiste in
dépendamment de la reconnaissance, celle-ci n’est pas
nécessairement la cause de l’obligation de fournir des
aliments. A défaut de toute autre cause apparente, l’in
tention de faire une libéralitélalégitimeraitetlarendrait
même irrévocable. Dans cette hypothèse, d’ailleurs,
l’action de l’enfant reposerait, non sur la reconnaissance,
mais sur la libéralité déguisée sous la forme d’une obli
gation.
Ce que nous soutenons, c’est qu’une reconnaissance
pure et simple ne serait qu’un acte insusceptible de
créer un droit quelconque en faveur de personne, et
que notamment l’enfant adultérin ne pourrait prétendre
�458
T R A ITÉ
y trouver l’origine d’une obligation de lui fournir des
aliments.
Ce système qui découle du texte et de l’esprit de la
loi pourrait encore s’étayer des principes sur les fraudes
a une loi d’ordre public. Tout ce qui est fait dans ce sens
est frappé d’une nullité radicale et absolue, et demeure,
par conséquent, incapable de créer aucun lien, aucun
droit. Or, la reconnaissance faite au mépris de l’ar
ticle 535 viole une loi d’ordre public, elle ne saurait
donc légalement fonder une action quelconque. Mais,
dit Merlin, l’obligation de fournir des aliments n’est pas
attachée à la reconnaissance, elle résulte de la paternité
même.. Nous admettons volontiers qu’il en est ainsi,
avant même la reconnaissance, le père est naturellement
obligé à donner des aliments à celui qu’il sait être son
fils, mais si l’obligation naturelle crée un lien dans le
for intérieur pour celui qui la doit, elle n’en crée aucune
en faveur de celui à qui elle est due. Nul ne peut être
contraint judiciairement à exécuter une obligation na
turelle tant qu’elle ne s’est pas manifestée par un fait
légal lui imprimant pour l’avenir un lien civil. Dans
notre espèce, la paternité oblige naturellement; sa ma
nifestation lui donne seule le lien civil, permettant d’en
contraindre l’exécution. Or, la loi, proscrivant celle-ci
en matière d’adultère et d’inceste, refuse absolument de
convertir l’obligation naturelle en obligation civile.
Cette obligation reste donc renfermée dans la conscience
du père et le fils ne peut même en exciper, car aux yeux
de la loi, il est censé ne pouvoir connaître cette pater
nité que la loi condamne à un secret perpétuel.
�DU D O L E T D E L A F t t A U D E .
i59
1379. — Au reste, la Cour de cassation qui, déjà
du temps que M. Chabot écrivait, s’était, dans l’affaire
Lanchère, prononcée contre le système de Merlin, a
depuis, et malgré ses observations, persisté dans cette
jurisprudence, et ses nouveaux arrêts ne présentent plus
l’équivoque et le doute que Merlin reproche à ce pre
mier arrêt. Voici en effet, comment, dans ses arrêts les
plus récents, la Cour de cassation établit le principe.
« Attendu, dit un arrêt du 8 février 1836, que, d’a
près la prohibition expresse de l’article 335, qui a pour
objet depréveniCdes révélations scandaleuses, la nullité
de la reconnaissance n’en laisse subsister aucun effet
ni contre les enfants, ni en leur faveur.
Ailleurs, et dans un arrêt du 4 décembre 1837,1la
Cour considère que la reconnaissance des enfants, nés
d’un commerce adultérin ou incestueux, est interdite,
d’une manière absolue, par l’article 335 :
« Attendu, continue-t-elle, que lorsque, au mépris
de cette prohibition d’ordre public, la reconnaissance
volontaire d’un enfant adultérin est faite par acte au
thentique ou sous seing-privé, elle est radicalement
nulle et ne peut produire aucun effet, soit contre l’en
fant pour faire réduire à de simples aliments, les dona
tions faites en sa faveur, soit à son profit pour faire con
damner l’auteur de cette reconnaissance à lui fournir
des aliments;
« Attendu que l’article 762, qui déclare que la loi
n’accorde que des aliments aux enfants adultérins, ne
1 Journal du palais, tom. n, 1857, pag. 565.
�460
T R A ITÉ
détruit pas la prohibition de l’article 335 et ne peut re
cevoir son application que lorsque la preuve de la pa
ternité est indépendante de toute reconnaissance vo
lontaire et résulte seulement d’actes de poursuites et de
jugements qui n’ont pas pour objet la recherche de
cette paternité interdite, dans tous les cas, par l’ar
ticle 342 du Code civil. *
Plus tard, la Cour de Lyon réduit une donation faite
à un enfant adultérin, par celui qui l’avait reconnu, sur
le motif que ces enfants sont incapables de succéder et
n’ont droit qu’à des aliments; que la filiation adultérine
résulte suffisamment de la reconnaissance authentique
lorsqu’elle n’est pas contredite par l’acte de naissance.
Mais cet arrêt, étant devenu l’objet d’un pourvoi, est
cassé par la Cour suprême, le 5 février 1841.
« Attendu, porte ce nouvel arrêt, que, sous l’empire
du Code civil, la recherche de la paternité est interdite;
que l’article 355 défend, en termes exprès et absolus,
la reconnaissance des enfants adultérins ou incestueux;
« Qu’il suit, de là, que l’article 762, en leur accor
dant des aliments, ne s’applique qu’aux seuls cas où la
preuve de la filiation adultérine ou incestueuse est ac
quise en justice par la force des choses et non au cas
où, comme dans l’espèce, la preuve de cette filiation ne
résulterait que d’une simple reconnaissance que la loi
prohibe expressément.1 »
Enfin, et le 18 mars 1846, * un dernier arrêt, rendu
1 Journal du palais, tom. i, 1841, pag. 569
1 D. P., 46, 1, 345.
�D ü DOL E T D E LA F R A U D E .
au rapport de M. le conseiller Mesnard, vient de pro
clamer encore les memes principes.
On le voit, la Cour de cassation n’a jamais varié dans
l’acception qu’elle donne aux articles 335 et 762. Le
motif de cette jurisprudence nous est dévoilé par le
rapporteur du dernier arrêt, le savant M. Mesnard : Du
moment où, par l’effet d’une reconnaissance effrontée
d’une paternité adultérine, un droit quelconque, au
profit ou au 'préjudice de l’enfant adultérin ou inces
tueux, pourrait être exercé, l’exercice de ce droit se
rait un scandale public. Il faut bien le reconnaître, c’est
bien là,en effet, ce que la loi a admis, ce qu’elle a voulu,
à tout prix, empêcher. Cela nous paraît si évident, que
nous n’hésitons pas à croire que les Cours qui, contrai
rement à la jurisprudence de la Cour de cassation, font
produire un effet à la reconnaissance volontaire, soit
pour réduire à de simples aliments les libéralités faites
à l’enfant par l’auteur de la reconnaissance, soit pour
permettre à l’enfant d’obtenir des aliments, s’écartent
de la loi et cèdent à une prétendue équité contre la
quelle le texte et l’esprit de notre législation ne ces
sent de protester.
Le système de M. Chabot doit donc prévaloir sur ce
lui de Merlin et Toullier. Cette pensée est celle de la
majorité des auteurs. Il en résulte que l’enfant ne sau
rait être admis à fonder une action en aliments sur la
reconnaissance volontaire des auteurs de ses jours.
Cette solution préjuge forcément celle que doit re
cevoir la seconde question. Il est certain, en effet, que
puisque la reconnaissance volontaire ne crée aucun
�162
T R A ITÉ
droit à l’enfant, elle ne saurait en créer aucun contre
lui. On ne saurait admettre que ce qui est nul en sa fa
veur pût | être valablement invoqué et produire des
effets à son préjudice. Et puisque, comme le dit la
Cour de cassation, dans son arrêt du 8 février 1836,
nonobstant la reconnaissance, l’état des enfants n’en
est pas moins resté incertain, et qu’ils sont demeurés
étrangers à son auteur, la demande en réduction des li
béralités qu’ils peuvent en avoir reçues, soit par acte
entre vifs, soit par testament, ne saurait s’appuyer sur
aucune base. Son admission violerait donc expressé
ment l’effet de la prohibition de l’article 5351380. — En rigueur des principes , disent MM.
Teulet et Dauvilliers, cela est incontestable. La re
connaissance, censée non écrite contre la demande de
l’enfant, ne peut être envisagée autrement lorsqu’il
y a une action dirigée contre ses intérêts. Mais, si l’on
passe aux conséquences, on est vraiment effrayé de ce
qui va suivre. Si l’enfant eût été simplement naturel,
s’il fût né de deux personnes entièrement libres, la re
connaissance eût été valable et les droits de l’enfant se
fussent trouvés réduits à une part déterminée dans la
succession. Au contraire, si la reconnaissance suppose
un commerce incestueux ou adultérin, elle est nulle.
Mais l’enfant, qui reste alors sans état de famille, n'est
plus restreint, soit à de simples aliments, soit à une ré
serve délimitée ; mais il acquiert la pleine et entière ca
pacité dans toute son étendue, en sorte que rien n’em
pêche qu’il soit admis en concours avec des enfants
�DU D O L B T D E LA. F R A U D E .
463
légitimes pour leur enlever la totalité de la quotité dis
ponible.
Ces auteurs ajoutent que la raison de diverses Cours
d’appel s’est révoltée contre un pareil résultat, et en
annulant la reconnaissance faite au profit de l’enfant,
elles en ont tourné contre lui les effets pour réduire
l’institution à de simples aliments. Si le premier sys
tème est plus conforme aux principes de la loi, le se
cond convient mieux au règles de la morale. 1
Il n’y a, en matière de législation, d’autre règle de
morale, pour les tribunaux surtout, que celle qui se ré
sume dans l’application stricte de la loi, dans son ob
servance religieuse. Ne pas se conformer à cette règle,
c’est se jeter dans l’arbitraire, c’est se placer au-dessus
de la loi, ce que rien ne saurait jamais justifier.
Serait-il vrai d’ailleurs, que la loi aurait méconnu la
morale, que le système de la Cour de cassation en vio
lât les règles. Nous avons d’abord laissé parler le légis
lateur, qui nous a appris que ses dispositions n’ont été
sanctionnées que par respect pour la morale. Écoutons
maintenant la Cour de cassation nous indiquer ses
motifs par l’organe d’un de ses membres les plus dis
tingués.
Lors de l’arrêt de 1846, M. le rapporteur Mesnard,
disait à la Cour : dans l’interprétation que vous avez
donné à l’article 355, et dans l’application rigoureuse
que vous faites de la nullité qu’il prononce, vous avez été
guidés pas un intérêt encore plus élevé que celui de la
* Codes annotés, art, 333, n0!l 91 et suiv.
�164
T R A ITE
famille, vous avez senti que cet article 335 contenait
une règle de haute moralité, un principe d’honnêteté
publique, qui ne devait transiger qu’avec la force ma
jeure. Vous avez compris que, du moment où, par l’ef
fet d’une reconnaissance effrontée d’une paternité adul
térine, un droit quelconque, au profit ou au préjudice
de l’enfant adultérin, pourrait être exercé, l’exercice
de ce droit serait un scandale public. Pénétrant dans
l’intention du législateur, qui avait essentiellement en
vue de mettre la sainteté du mariage à l’abri de cette
profanation, vous avez décidé qu’en aucun cas la recon
naissance d’un enfant adultérin ne pourrait produire
d’effet, soit contre l’enfant pour faire réduire à de sim
ples aliments les donations faites en sa faveur, soit à son
profit pour faire condamner l’auteur de cette reconnais
sance à lui fournir des aliments.
N’en déplaise à MM. Teulet et Dauvilliers, c’est là
aussi de la morale, et celle-ci a du moins sur l’autre
l’incontestable avantage de se conformer aux principes
et d’obéir à la loi.
Comment ces auteurs peuvent-ils approuver ce qu’ils
déclarent eux-mêmes être contraire aux principes? Ils
savent cependant que les tribunaux n’ont d’autre mis
sion que de les appliquer. S’ils leur paraissent blesser
l’équité et la morale, ils peuvent les signaler à la solli
citude du législateur, en solliciter la réforme. Mais en
attendant que le législateur ait avisé, refuser d’y sous
crire, c’est usurper un pouvoir qui n’appartient pas à la
justice, et sortir des limites dans lesquelles se restreint
sa juridiction.
�DU D O L E T D E L A F R A U D E .
165
1381- — Certes, personne ne se montre plus effrayé
de la doctidne de la Cour de cassation que M. Chardon;
nul ne la juge aussi sévèrement. Pour M. Chardon, en
effet, cette doctrine arrive à un immense scandale ; elle
doit, dans un temps prochain, amener la ruine du maria
ge, le mépris de la religion, l’anéantissement de la ci
vilisation; 1 et de tout cela que va-t-il conclure qu’il
faut désobéir à la loi, à laquelle il reconnaît que cette
doctrine se conforme? Non certes, ce qu’il se contente
de faire, c’est d’émettre le vœu d’une réforme. Cette
conclusion aurait dû être celle de tous ceux qui parta
gent ces craintes fort heureusement chimériques, celle
surtout de ceux qui ont mission d’appliquer la loi.
1382. — Quoiqu’il en soit, les auteurs de la juris
prudence que nous combattons cherchent à la justifier
à l’aide d’arguments plus ou moins spécieux. Les deux
plus importants, invoqués à cet effet, consistent à pré
tendre : 1° que la donation fondée sur une paternité
adultérine ou incestueuse, a une cause illicite et doit
être annulée par application de l’article 1151, Code civil;
2° que cette donation est indivisible de la reconnaissance
de la paternité ; que par conséquent la nullité de celle-ci
détermine forcément la nullité de l’autre.
M. Marcadé2répond au premier : que la qualité d’en
fant n’est pas la cause immédiate de la libéralité ; que
cette cause réside exclusivement dans la volonté de
1 Du Dol et de la Fraude, t. ni, p. 33 et suir.
* Éléments du Droit civil, art. 762.
�466
TR A ITÉ
donner; et qu’à l’égard du motif qui détermine la vo
lonté de donner, et qui forme ainsi la cause médiate de
la libéralité, il est et doit être sans influence sur la vali
dité de la disposition.
Les annotateurs de Zacchariæ1répondent au second :
que cetteprétendueindivisibilité n’est qu’un pur sophis
me, car il s’agit ici de deux actes juridiques, distincts
l’un de l’autre, et qui n’ont rien de commun, si ce n’est
de se trouver dans un même acte instrumentaire. Ainsi,
rien n’empêche d’écarter la reconnaissance comme en
tachée de nullité, et de maintenir la disposition dans son
intégrité, comme faite en faveur d’une personne dont
l’incapacité ne se trouve pas légalement justifiée. En
vain, essaierait-on de se soustraire à cette conséquence,
en invoquant l’article 1131, et en attaquant la disposi
tion comme étant fondée sur une cause illicite, comme
étant dépourvue de cause. En effet, la reconnaissance
une fois écartée comme illégale, il n’existe plus, aux
yeux delà loi, de preuve de la filiation. On ne peut donc
présenter la disposition comme fondée sur une cause
illicite, pour ce qui excède les aliments dont il est per
mis de disposer en faveur des enfants adultérins ou
incestueux. D’un autre côté, on ne peut l’attaquer
comme dépourvue de cause, parce que une disposition,
à titre gratuit, ne requiert d’autre cause que la volonté
de gratifier celui au profit duquel elle est faite.
1383. •— Ces réponses nous paraissent décisives
1 T. iv, p. 93, noie 7.
�DU D O L E T D E L A F R A U D E .
167
autant que péremptoires, elles dissipent les voiles dont
s’enveloppe le refus d’appliquer la loi. Nous n’hésitons
donc pas à conclure que la seule doctrine légale sur la
portée réelle des articles 535 et 762, est celle à laquelle
la Cour de cassation s’est dès-longtemps arrêtée, à sa
voir: que la prohibition consacrée par le premier est
d’ordre public, qu’en conséquence, toutereconnaissance
d’un enfant adultérin ou incestueux est frappée d’une
nullité radicale et absolue; qu’elle est censée n’avoir ja
mais existé, et ne peut dès-lors créer un droit quel
conque pour ou contre l’enfant.
Que l’article 762 n’est applicable qu’aux enfants adul
térins ou incestueux, reconnus tels par le résultat d’une
poursuite ou d’un jugement n’ayant pas eu pour objet
la recherche de l’adultère ou de l’inceste sévèrement
interdite par l’article 542.
1584. — Dans le cas où, sans l’avoir recherchée, ôn
arrive à constater une filiation adultérine ou incestueu
se, le père est absolument incapable de donner, et le
fils de recevoir au-delà des aliments dont l’article 765
règle les proportions. Conséquemment, toute donation
à l’effet d’éluder, sur ce point, l’intention formelle du
législateur, serait de plein droit réductible.
II importerait peu que celte donation se fut déguisée
sous la forme d’un contrat à titre onéreux. La simula
tion ne peut jamais servira triompher d’une prohibition
d’ordre public. Elle est nulle comme le serait l’acte
qu’elle a pour but de masquer, s’il avait été fait direc\
�168
TR A ITE
tement. Cette nullité pourrait être prouvée par témoins,
même par la partie ayant coopéré à la simulation.
1385. — La loi s’est montrée moins sévère pour les
enfants naturels simples. L’état de liberté du père et de
la mère atténue leur faute aux yeux même de la morale,
et la loi permet d’en effacer toutes les conséquences
en autorisant la légitimation par mariage subséquent.
Cette légitimation, là loi l’appelle de tous ses vœux,
mais prévoyant le cas où elle ne se réaliserait pas, le
législateur a dû s’occuper de fixer le sort des enfants
naturels.
Le respect dû au mariage, l’importance de la famille
qui en naît, ne permettait pas d’assimiler les enfants na
turels aux enfants légitimes. Les fruits d’une union con
sacrée par la loi et par la religion, devaient être large
ment préférés. Voici comment le législateur y a pourvu.
1386- — L’article 334 permet aux parents de re
connaître l’enfant naturel. Cette reconnaissance pure
ment facultative peut se réaliser alors même que son
auleurest engagé dans les liens du mariage avec un
autre que le père ou la mère de l’enfant. Il suffit qu’à
l’époque de la naissance ou de la conception de l’enfant
ainsi reconnu, il fut libre de pareils engagements.
Cette reconnaissance faite au moment de la naissance
de l’enfant, peut résulter de l’acte civil qui la constate,
à défaut, elle peut être faite par tout autre acte, pourvu
que l’acte ait été reçu en la forme authentique. Remar
quons, en effet, qu’en présence des termes exprès de
�169
l’article 534, la reconnaissance sous seing-privé, quel
que certaine qu’en fût la date, ne saurait produire le
moindre effet.
DU D O L E T D E LA F R A U D E .
1587. — Nous venons de dire que l’époux peut, pen
dant le mariage, reconnaître un enfant naturel qu’il
aurait eu, avant le mariage, d’un autre que de son con
joint. Cette faculté la femme' peut l’exercer sans avoir
besoin de l’autorisation de son mari.
1588. — Quelque grave que soit un acte de cette
nature, quelque compromettantes qu’en puissent être
les conséquences, la loi a été amenée à en suspecter la
sincérité. Elle s’est donc préoccupée du cas où la re
connaissance ne serait due qu’à une idée de vengeance
et de haine contre l’autre époux ou contre les enfants
nés du mariage, l’article 337 répond à cette prévision.
Il décide que la reconnaissance, que fait l’un des époux
pendant le mariage, ne saurait nuire ni à l’époux, ni à
l’enfant, ainsi l’enfant naturel, qui en a été l’objet, ne
pourra rien prétendre sur la succession de l’époux
même dont elle émane. La question de savoir s’il peut
au moins demander des aliments est même diverse
ment résolue. 1M. Loiseau enseigne que le père devrait
ces aliments même sur les biens de la communauté,
parce que, chef de cette communauté jusqu’à la disso
lution du mariage, il a le droit d’en aliéner ou d’hypothéqucr les biens, mais il refuse à l’enfant le droit d’en
1 Cass., 27 août 4811 ; — Toulouse, 6 mai 1826.
m
8
�170
T R A ITE
obtenir après la mort de son père, parce qu’alors, et
contrairement à l’article 337, la reconnaissance nuirait
aux enfants légitimes, s’ils pouvaient être contraints à
satisfaire aux aliments.1
1389. — La disposition de l’article 337, ayant uni
quement pour objet de prévenir une fraude, devient
inapplicable lorsque, par la manière dont elle s’est pro
duite, la reconnaissance exclut formellement toute idée
de fraude. Cette évidence est acquise lorsque la mater
nité résulte d’un jugement contradictoirement rendu
contre l’épouse à la requête du mari, de ses héritiers,
de l’enfant lui-même.
En effet, le mari peut désavouer l’enfant pour nais
sance précoce, ses héritiers peuvent en contester la lé
gitimité, pour cause de naissance tardive, la réussite
de l’une ou de l’autre de ces actions confère à l’enfant
la qualité d’enfant naturel simple, puisque, dans toutes
les deux, l’époque de la conception se place hors du
mariage, et la maternité de l’épouse est indubitable.
Toute idée de fraude disparaît également, car la filiation
imposée à l’enfant est bien loin d’être pour lui un avan
tage, elle lui enlève les droits de la légitimité et le ré
duit à la qualité d’enfant naturel.
D’autre part, la recherche de la maternité étant ad
mise, l’enfant peut, dans les formes et conditions voulues
par la loi, faire constater celle qu’il impute à une femme
mariée depuis. Il est évident, dans cette hypothèse, que
1 Des enfants naturels, p, 435.
�DU D D L E T D E L A F R A U D E .
471
l’existence du mariage ne peut être un obstacle à ce qu’il
jouisse des droits que le gain de son procès lui confère.
En conséquence , dans l’un comme dans l’autre
cas, l’article 337 reste sans application. Cet article ne
prévoit que la reconnaissance purement volontaire, et
non celle qui résulterait de la force des choses, et
comme conséquence d’un jugement contradictoirement
obvenu.1
1390. — La reconnaissance régulièrement faite est
irrévocable, son bénéfice est désormais assuré, mais
elle pourrait être annulée s’il était prétendu et prouvé
qu’elle a été le fruit de la violence, de la fraude ou du
dol.il importe, en effet, qu’un acte aussi important soit
le fruit d’une volonté spontanée et libre. Les principes
généraux, en matière de contrats, lui sont incontesta
blement applicables. Conséquemment les vices du con
sentement, annulant ceux-ci, feraient rétracter la re
connaissance. 2
1391. — Mais l’enfant n’est pas forcé de subir la
reconnaissance dont il est l’objet, il lui appartient de la
contester et de la faire repousser. Il peut, en effet, avoir
un intérêt sérieux à ne pas avoir pour père l’auteur de
cette reconnaissance, et c’est dans ce sens que le droit
romain exigeait son consentement pour la validité de
1 Toullier, t. n, n° 958; — Duranton, t. ni, n° 255; — Rouen, 29
mai 1829, et 20 mai 1809; — Rennes, 22 mars 1810; — Cass. 24 no
vembre 1850.
2 Paris, 14 décembre 1835.
�472
t k a it é
]a reconnaissance : Invili filii nalurales non rediguntur
in palriam potestàtem. 1
1592. — Endroit français, la nécessité de ce con
sentement a été appuyée sur le motif qu’en matière de
reconnaissance, la plus exacte réciprocité devrait régner
entre le père et le fils. Le premier ne pouvant jamais
être contraint à reconnaître, on ne devrait pas forcer le
second à être reconnu, avec d’autant plus de raison que
cette reconnaissance tardive peut n’être que l’effet d’un
calcul difficile à déjouer.
Cependant cette solution répugne à notre législation.
La reconnaissance peut avoir lieu dans l’acte de nais
sance même. Comment, dans ce cas, se préoccuper du
consentement de l’enfant? Comment exiger de lui un
refus ou une opposition? Renvoyer cette reconnaissance
jusqu’à l’époque où il sera capable de l’un ou de l’autre,
c’était, dans bien de cas, nuire gravement à l’enfant, et
lui enlever le bénéfice de la naturalité par le prédécès
de ses père et mère. Cependant cette mesure devenait
indispensable si on avait admis la nécessité de son con
sentement. En conséquence, la faculté de reconnaître
dans l’acte de naissance, indique que le Code n’a pas
voulu se conformer à la législation romaine.
La réciprocité, en faisant la base, quelque équitable
qu’elle paraisse, n’était pas possible en fait, car la posi
tion des parties est fort loin d’être égale. Il n’y a de
certitude possible sur le fait de la paternité que par l’a1 L. 11, Dig. De his qui sui vel alieni juris mut
�DU I)O L E T D E E A F l l A U D E .
473
veu qu’en fait son auteur. Jusqu’à cet aveu on peut se
livrer à telles ou telles conjectures, mais arriver à la
vérité sincère et réelle est à peu près impossible. Donc,
la déclaration du père est indispensable. Telle n’est pas,
à beaucoup près, la position du fils, le fait qu’il s’agit de
rechercher a nécessairement précédé sa naissance. Sur
quelles données s’appuyera-t-il donc pour l’établir ou
le contester? Cette inégalité forcée dans les moyens
devait en amener une dans le pouvoir' de constater le
fait, c’est ce qui a fait admettre d’une part la reconnais
sance du père dès qu’elle se manifeste; repousser de
l’autre toute recherche et conséquemment toute action
du fils en déclaration de la paternité. Dans l’un comme
dans l’autre cas, l’enfant ne pouvait être que l’écho de
sa mère, et l’on en revenait à cette règle odieuse et in
juste: Credilur viryini paternilatem ajferenli.
Mais, est-ce à dire par là que l’enfant est condamné à
se courber sous une reconnaissance pouvant n’êlre que
l’effet d’un calcul et non l’expression de la vérité? Non,
évidemment, l’article 559 laisse la faculté de contester
la reconnaissance à toutes les parties intéressées, et de
plein droit l’enfant se place à la tête de celles-ci. Il est
donc recevable à la discuter et à justifier que sa décla
ration est une fausseté devant disparaître,1 II le serait
surtout si, déjà en possession de la qualité d’enfant na
turel simple, la reconnaissance du père devait avoir
pour effet de lui imprimer le caractère d’enfant adul1 Rouen, 1 5 mars 1826;—Nîmes, 2 mai 1 8 5 7 Journal du Palaisy
t. n, 1857, p. 285 ; — Toullier, t. ii , n° 260.
L
�i l A
TR A ITÉ
térin ou incestueux. Dans ce cas, la reconnaissance
serait nulle de plein droit.
1395. — Mais une difficulté sérieuse, que fait surgir
l’application de cette règle, est celle de savoir si la
charge de prouver la fausseté de la déclaration incombe
à l’enfant. Toullier se prononce pour l’affirmative. Puis
que, dit-il, la reconnaissance n’exige ni le concours, ni
le consentement de l’enfant, la contestation qui en est
faite est une demande principale, ordinaire, que son au
teur est tenu de justifier. On ne peut faire fléchir ce
principe en faveur de l’enfant.
La Cour de Rouen, saisie delà question, ne l’a pas ré
solue. Un arrêt, qu’elle a rendu le 15 mars 1826, décide
seulement qu’en cas de contestation, l’acte de recon
naissance n’établit, sur la paternité, qu’une présomp
tion qui peut être détruite par d’autres présomptions de
même nature. En ce cas, la preuve de la paternité, ou
de la non-paternité ne doit pas être mise à la charge
exclusive de l’une ou de l’autre des parties, les juges
doivent se déterminer d’après les circonstances de la
cause.
1594. — Mais la Cour de Montpellier a formellement
abordé la question, et l’a nettement tranchée à l’aide
de lacdistinction suivante : Lorsque la reconnaissance
de l’enfant est contenue dans l’acte de naissance, ses
effets ne peuvent être détruits que par la preuve de sa
fausseté, et cette preuve incombe à l’enfant; il en est
autrement lorsque la reconnaissance est postérieure à
�175.
l’acte de naissance. Dans ce cas, cette reconnaissance,,
si elle est contestée, doit être appuyée de preuves ve
nant attester la sincérité du fait qu’elle contient. 1
DU D O L E T D E L A F R A U D E .
lo95. — Cette distinction nous paraît juridique et
sage. Elle se conforme à l’esprit général de notre légis
lation, en matière de fraude. En effet, nous l’avons fait
remarquer déjà , plus la fraude acquiert de facilités,
plus elle est possible, et plus la méfiance de la loi et sa
sollicitude augmentent. Or, la reconnaissance sera con
testée comme n’étant que l’effet d’un calcul odieux,
d’un intérêt sordide. Mais, de pareils reproches se con
çoivent peu , lorsque cette reconnaissance se trouve
dans l’acte de naissance. L’avenir incertain de l’enfant,
l’impossibilité de savoir si la reconnaissance sera un
bénéfice et non une charge , lui imprime un caractère
de véracité tel, qu’elle ne le perdra que par la preuve
contraire, que l’enfant est admissible à fournir.
Mais il n’en est plus de même lorsque la reconnais
sance s’éloigne du moment de la naissance. On doit se
montrer d’autant plus difficile à l’admettre, que la posi
tion de l’enfant sera plus ou moins fixée, qu’il sera plus
facile de prévoir son avenir. Alors les reproches de
calcul et de spéculation deviennent plus ou moins vrai
semblables et une juste méfiance doit remplacer la fa
veur que mérite la première hypothèse. Alors aussi, le
père prétendu a à justifier son long silence, son change
ment de conduite, à apporter, enfin, à l’appui de sa dé-
�476
T R A ITÉ
claration, des faits la corroborant et de nature à en ap
puyer la véracité. Nous le répétons donc, la solution de
la Cour de Montpellier est frappée au coin de la légalité
et de la raison.
1596. — La reconnaissance définitivement acquise
a pour effet de soumettre, dans les limites tracées par
la loi, la personne et les biens de l’enfant h la puissance
paternelle. Elle oblige le père ou la mère h fournir des
aliments, rnême après la majorité de l’enfant, s’il est
dans le besoin ; enfin, elle donne à ce dernier le droit
de se présenter à la succession et d’y recueillir la quotepart qui lui est formellement réservée.
Il suit de la détermination que la loi a faite de cette
réserve, que l’enfant naturel ne peut rien recevoir au
delà. C’est ce que, d’ailleurs, le législateur a cru devoir
rappeler expressément dans l’article 908. C’est là une
véritable incapacité que le désir de multiplier les maria
ges, en en favorisant les fruits légitimes, a dû faire con
sacrer,
1397. — Les effet! de cette incapacité ne sont pas la
nullité absolue des dispositions faites en faveur de l’en
fant naturel. Us se bornent à la réduction jusqu’à due
concurrence de la réserve à laquelle il a droit de pré
tendre.
1398. — Cet effet, quoique restreint, suffira quel
quefois pour inspirer la pensée de recourir à une simu
lation pour en éluder l’application,mais rappelons-nous
�DU D O L E T D E L A F R A U D E .
477
qu’il n’est pas permis de faire indirectement ce. que la
loi prohibe d’accomplir directement. Ainsi, la libéra
lité, déguisée sous la forme d’un contrat, à titre oné
reux , n’échappera pas à la réduction, à la nullité com
plète si , indépendamment et en dehors de cet acte ,
l’enfant naturel est couvert de sa réserve.
1599.—L’une et l’autre pourront incontestablement
être poursuivies paries héri tiers. Mais le père pourrait-il,
de son chef, demander la rétractation de l’acte simulé ?
La négative nous paraît devoir être admise, non pas
toutefois au point de vue de la complicité de la fraude,
et par application de la maxime nemo auditur etc.. En
effet, la fraudé, dans cette circonstance , aurait pour
effet de violer une loi d’ordre public, ce qui, comme
nous l’avons dit, autorise la partie à en faire prononcer
la nullité, après en avoir établi l’existence par la preuve
testimoniale.
Mais ce qui rend la demande du père irrecevable,
c’est, d’une part, que, pendant la vie, il est maître ab
solu de ses biens; qu’il peut en disposer ainsi qu’il l’en
tend, sans que ses héritiers, même légitimes et directs,
aient à s’immiscer dans le mode d’administration qu’il
lui plaît choisir, ni à redire contre les actes qu’il sous
crit. Pouvant donc donner tout à un étranger, il peut
également le donner à l’enfant naturel, sauf le droit de
ses héritiers dans l’un et l’autre cas. Dès lors le père ,
n’étant pas incapable de disposer directement, a sans
contredit valablement pu le faire par la voie indirecte.
D’autre part, l’enfant naturel n’est atteint d’aucune
�478
t r a it e
incapacité relativement aux biens de son père, tant que
celui-ci existe. Jusqu’au décès, il possède ces biens en
vertu d’une délégation régulière que le père pouvait ne
pas consentir, maisqui, l’ayant été, devient obligatoire
pour lui comme pour tous, à un titre incontestable.
Comment, en effet, du vivant du père, établir que la
libéralité excède ou non la réserve de l’enfant naturel,
et dans quelles proportions? Mais cette réserve ne sera
déterminée qu’au décès et par la qualité des héritiers
appelés à recueillir la succession. Les héritiers présomp
tifs, au moment de la simulation et de la libéralité, pour
ront prédécéder de telle sorte, que par l’absence de tous
représentants au degré voulu , l’enfant naturel verra sa
réserve se composer de l’intégralité de l’hérédité. Com
ment donc comprendre , en l’étal de cette incertitude,
que quelqu’un pût demander la réduction d’une libéra
lité que l’événement peut rendre inattaquable?
Ainsi la question de savoir s’il y a lieu ou non à ré
duction, et sur quelles bases ilfaut l’opérer, estnécessairement subordonnée au décès du père naturel et à la
qualité des héritiers existant à cette époque. Aussi la
loi ne déclare l’enfant naturel incapable qu’au respect
de cette succession. Tout ce qui est fait avant est régu
lier et valable. Le père ne pourrait donc, sous aucun
prétexte s’en faire relever.
1400- — Le légataire universel du père pourrait-il,
après la mort de celui-ci , faire réduire les libéralités
directes ou indirectes faites au fils naturel? Non, dit
�17fl
Loiseau , 1 attendu que le défunt a pu imposer à la li
béralité telle condition qu’il a trouvée convenable; que
la première obligation des légataires est de respecter
la volonté du défunt; qu’en attaquant le legs destiné à
l’enfant naturel, en en demandant la réduction , ils ou
tragent la mémoire de leur bienfaiteur ; qu’une disposi
tion de dernière volonté est une et indivisible; qu’il
faut la suivre ou la rejeter tout entière ; que le légataire
universel ne peut donc se dispenser d’acquitter la charge
et les legs dont il est grevé, s’il veut lui-même recueillir
le montant de son institution.
Ces raisons sont loin de nous paraître concluantes.
L’obligation, pour le légataire ou l’héritier institué, de
respecter la volonté du testateur, est une obligation pu
rement morale, ne créant un lien civil obligatoire que
lorsque cette volonté est elle-même conforme à la loi.
D’autre part, l’indivisibilité du testament est une fiction
inadmissible; il y a autant de testaments distincts qu’il
existe de dispositions différentes, et la validité ou la nul
lité de l’une d’elles ne saurait ni profiter, ni nuire aux
autres.
Nous sommes, cependant, de l’avis de M. Loiseau ,
parce qu’avec lui nous dirons que la prohibition de l’ar
ticle 908 n’est pas absolue ; qu’elle n’existe qu’en faveur
des héritiers du sang, parce qu’eux seuls ont à souffrir de
la disposition excessive du testateur ; qu’elle leur enlève
la succession du père naturel, qui leur était légalement
promise , tandis que la loi ne promettait rien au légaDU D O L E T D E L A F R A U D E .
1 Des enfants naturels, v. 674.
�480
TR A ITÉ
taire , tenant tout de la volonté unique du défunt. En
d’autres termes, les légataires ne succèdent qu’aux
droits et actions qui se trouvent dans la succession. Or,
celle, en réduction des avantagesfaitsà l’enfant naturel,
n’a jamais appartenu au père. Elle ne peut donc se trou
ver dans la succession. D’ailleurs, si les héritiers légi
times renoncent, la portion de l’enfant naturel augmente
à chaque degré; même, à défaut absolu d’héritiers légi
times, la disponibilité du père est de l’intégralité de la
succession. Sous tous ces rapports , les légataires uni
versels ou autres n’ont aucune réduction à rechercher,
ni aucune demande en nullité à former, quant l’héritier
du sang garde le silence.
1401. — Il n’en serait pas de même pour les incapa
bles dont parle l’article 909. Le fondement de la nullité
est tout autre. Le père naturel cherche à éluder la loi
par un sentiment d’affection que la loi condamne, non
en ce qui le concerne lui-même, mais seulement à l’en
droit de ses héritiers légitimes. La libéraliré faite aux
incapables de l’article 909, est censée le produit d’une
influence dolosive, et, si cet article prévoit la mort de
son auteur, c’est moins pour priver celui-ci du pouvoir
de réclamer que pour préciser la condition de l’exis
tence de la présomption do fraude qu’elle autorise.
Ainsi, la libéralité dolosive est, par rapport à son au
teur , ce qu’elle est à l’égard de ses héritiers. Revenu à
la santé , le premier pourra, comme ses héritiers le fe
raient, s’il venait à mourir, en poursuivre la nullité.
Nous n’avons pas à nous occuper du cas où la libé-
�""
DU D O L E T D E LA F R A U D E .
d81
ralité a été consentie sous la forme testamentaire. La
faculté de refaire le testament est exclusive de toute
obligation de s’adresser à la justice.
iMais s’il s’agit d’une donation entre vifs, directe ou
déguisée , sous la forme d’un contrat à titre onéreux ,
rien ne pourrait l’empêcher d’en poursuivre la nullité,
et il lui suffirait, pour l’obtenir, de prouver que le pré
tendu contrat onéreux n’est qu’une libéralité; que cette
libéralité a été faite pendant la maladie, et, comme telle,
légalement présumée dolosive et frauduleuse.
L’auteur de la libéralité pouvant en poursuivre la
nullité, l’action existe dans sa succession et peut être
exercée par tous légataires ou héritiers, comme par les
héritiers du sang.
�T R A ITÉ
CHAPITRE III.
F R A U D E S C O N T R E D E S T IE R S .-
SOMMAIRE.
1402. Matière du chapitre.
1403. Quelles sont les personnes désignées sous la déno
mination de tiers ?
1404. Division.
1402. — Nous avons vu jusqu’à présent la loi, mue
par des idées d’équité et de justice, venir au secours
des parties contractantes et autoriser celle que la fraude
a voulu léser, non-seulement à se faire indemniser du
préjudice qu’elle a souffert, mais encore à demander
d’être relevée de ses propres engagements.
S’occupant ensuite de l’inviolabilité des prescriptions
que l’ordre public ou l’intérêt général lui a dictées,
nous l’avons vu proscrire d’une manière absolue toutes
les simulations à l’aide desquelles on tendrait de les
�DU D OL E T DE LA F R A U D E .
183
éluder, et, pour pouvoir plus sûrement les atteindre,
permettre aux parties de lui en signaler l’existence, de
la prouver même par témoins , malgré que chacune
d’elle ait assumé sa part de responsabilité dans la vio
lation de ses volontés.
Mais ce n’était pas tout que de veiller à ce double et
puissant intérêt. Il en existait un troisième qui se re
commandait à toute sa sollicitude, parce qu’il était en
core plus incessamment menacé. Nulle part, en effet, la
fraude n’était plus facile, plus prochaine que dans l’hy
pothèse qui nous reste à examiner, nous voulons parler
de la simulation pour tromper les tiers.
1403- — Les tiers sont non-seulement les créanciers,
mais encore, et dans certaines circonstances, la femme,
les enfants, les parents successibles de l’auteur de la
fraude. Les premiers ont le droit de compter, pour le
paiement de ce qui leur est dû, sur l’universalité de la
fortune de leur débiteur que la loi a expressément af
fectée à cette destination. Cela s’entend non-seulement
des biens présents, mais encore de tous ceux que le dé
biteur sera appelé à recueillir plus tard. Tenter de di
minuer, d’altérer ce gage, refuser de l’augmenter, c’est
attenter à des intérêts légitimes et compromettre des
droits d’autant plus sacrés qu’ils n’ont été contractés
que sous la foi des garanties formelles que leur promet
tait la loi.
D’autre part, la femme a droit soit à la restitution de
ses dot et reprises, soit à une part égale dans la commu
nauté, Les enfants sont appelés à prendre dans la suc-
�184
TR A ITE
cession de leurs parents une part déterminée par la loi.
Enfin les successibles eux-mêmes sont préférés à cer
taines incapacités. En conséquence, tout ce qui tend à
léser ces divers droits est de nature à violer non-seule
ment la loi, mais encore à occasionner un grave préju
dice. C’est ce double but que se propose ordinairement
la simulation.
1404. — Comment assurer cependant l’exécution
de la loi, si les personnes menacées par la fraude ne
pouvaient de leur chef se plaindre de la simulation et la
faire annuler? Le législateur, placé en présence de cette
difficulté, ne pouvait la résoudre logiquement qu’en ac
cordant l’action que ce double but rendrait indispen
sable. C’est cette action que nous allons examiner dans
son origine, dans sa nature et dans son caractère ; dans
les conditions imposées à son exercice ; dans le mode
de preuves qu’elle exige; enfin, dans les effets suivant
le contrat qui est argué de simulation.
SECTION I™ — ORIGINE, NATURE ET CARACTÈRE
DE L’ACTION. .
SOMMAIRE.
1405. Fondement équitable de l’action.
1406. N’existait pas dans l’ancien droit romain qui affectait
�D ü DOL E T DE LA FR A Ü D E .
185
à la dette la personne plutôt que les biens du dé
biteur.
1407. Première modification introduite, faculté pour les
créanciers de soe faire mettre en possession des
biens de leur débiteur.
1408. L’insuffisance de ce palliatif amena enfin le prêteur
Paul à créer l’action révocatoire, qui a gardé son
nom.
1409. Véritable caractère de cette action, son étendue res
treinte aux actes d’aliénation.
1410. Caractère de l’action considérée par les Pandectes
comme personnelle in fa c tu m , elle est qualifiée de
réelle dans les Institutes.
1411. Délai de 4 ans substitué par Justinien au délai primi
tif de 2 ans.
1412. Cette action était'bien plus utile en droit romain qu’en
droit français. Pourquoi ?
1413. Elle fut néanmoins admise par celui-ci, qui assimila
le refus d’acquérir à l’aliénation.
1414. Motif et développement de cette modification.
1415. Le Code civil a définitivement consacré la doctrine de
notre ancien droit.
1405. — L’action des tiers, contre la fraude dont
ils sont victimes, est une conséquence de la protection
due à tous les intérêts légitimes, une émanation de ce
devoir de haute moralité et de saine justice, se résumant
dans ce sublime précepte suum cuique lribuito.El\ena,
en effet, d’autre objet que de prévenir etd’empêcher ces
entreprises odieuses qui, tout en foulant aux pieds les
prescriptions de la loi, causent à autrui un préjudice in
juste et déloyal. Qu’un débiteur ait à se plaindre d’un
créancier, sa plainte doit être déférée à la justice, et
pleine satisfaction lui sera accordée, si elle repose sur des
griefs fondés. Mais que sous ce prétexte, s’érigeant lui-
�l y •*.
W
i
l
môme en juge souverain, il réduise par des coupables
manœuvres ses créanciers à perdre tout ou une notable
partie de ce qui leur est dû; que mû, le plus souvent,
par le seul désir de ne pas payer, il se constitue dans
un état apparent d’insolvabilité, à l’aide de contrats
simulés et frauduleux, c’est ce qui ne pouvait être souf
fert sans une monstrueuse iniquité.
Pouvait-on mieux tolérer que, dans le but de s’enri
chir personnellement, un mari disposât du patrimoine
de sa femme? Qu’égaré par des sentiments de haine ou
d’affection, un père de famille fîfpasser sur une tête
étrangère ce qui doit appartenir à tous ses enfants, ou
réunît sur l’un d’eux la plus grande partie du patrimoine
commun? Qu’obéissant à une tendresse illégitime, il
outrepassât, au détriment de ses héritiers naturels, les
bornes que la loi lui a formellement assignées?
Aucune de ces questions ne pouvait être douteuse
pour le législateur, et c’est dans la solution qu’il leur
a donnée, que se trouve l’origine de l’action autorisée
aujourd’hui par l’article 1167.
1406. — Cette action n’existait pas dans le droit
romain primitif. Ce n’est pas cependant que le premier
législateur de Rome eût méconnu les notions d’équité
qui en font la base ; son silence était la conséquence
unique de la manière dont il avait considéré les effets
des obligations. Les débiteurs répondaient de leur dette,
non sur leurs biens, mais sur leur personne. De telle
sorte que l’impossibilité de rembourser les rendait
esclaves de leur créancier.
�.
.
■ -V ■
DU D O L E T D E L A F R A U D E .
187
A leur mort, leurs héritiers nécessaires étaient soumis
à la môme condition, comme smtinens personam defuncli, mais ils pouvaient obtenir du préteur la faculté
de ne pas s’immiscer dans la succession. L’hérédité se
trouvait alors déférée aux héritiers étrangers, mais ceuxci, ne voulant pas être tenus ultra vires, n’acceptaient
qu’en tant qu’une transaction par laquelle les créanciers,
voulant empêcher une répudiation qui leur eût tout en
levé, consentaient à abandonner une partie plus ou
moins forte de ce qui leur était dû.
1407. — Cet état de choses, et les réclamations qu’il
excitait, conduisirent à penser que le patrimoine ne
devait pas être séparé de la personne, et, qu’après tout,
il convenait mieux que les débiteurs payassent de leurs
biens plutôt que de leur personne. On considéra dès-lors
les premiers comme tacitement engagés. Cette impor
tante modification dans le caractère de l’obligation en
amena une dans l’exécution. A la mort du débiteur, les
créanciers eurent la faculté de se faire mettre en pos
session des biens, faculté qu’un édit du préteur Publius
Rutilius permit bientôt d’exercer du vivant même du
débiteur. Cette mise en possession prononcée, un cura
teur était nommé, qui exerçait les actions et liquidait
dans l’intérêt des créanciers.
1408. — Mais ce ne fut là qu’un palliatif insuffisant,
la mise en possession ne portait que sur les biens réelle
ment existant au moment où elle était prononcée. Tout
ce qui avait été aliéné jusque là était définitivement
�TRAITE
perdu pour les créanciers. Or, on comprend que ce
danger d’expropriation planant sans cesse sur le débi
teur, celui qui voulait frauder ses créanciers mettait le
temps à profit, et que de nombreuses et importantes
aliénations avaient singulièrement réduit le gage, lors
qu’il arrivait dans la possession des créanciers.
On voulut d’abord, dans leur intérêt, appliquer à ces
aliénations l’interdit restitutoire. Mais cet interdit ne
pouvait avoir lieu qu’en matière de vente et qu’en tant
que la mauvaise foi de l’acheteur était établie. La
marge restait donc encore assez belle pour la fraude,
et elle savait l’exploiter.
C’est alors enfin que le préteur Paul imagina l’action
qui a gardé son nom, et suivant laquelle le curateur aux
biens, ou les créanciers eux-mêmes purent attaquer
tous
les
• ’ les
• actes- faits en- •fraude de leurs droits. ’ Voici
•
termes de cet édit, tels que le Digeste nous les a trans
mis : Quœ fraudalionis causa gesta erunt, cum eo qui
fraudent non ignoraverit, de his curalori bonorum, vel
ei qui de ea re actionem dure opporlebit, intra annum
quo experiundi poteslas fuerit, actionem dabo; idque
etiam adversus ipsum qui fraudera fecit servabo. 1
i
■i
■
1409. — Ulpien explique ainsi la portée de cette
loi : Ait prœtor quœ fraudationis causa gesta erunt.
Hœc verba generalia sunt et continent in se omnem omnino in fraudem factum, vel alienationem, vel quemcumque conlraclum. Quodcumque igitur fraudis causa
L. t, Dig. Quœ in fraudem crédit.
�DU D O L E T D E L À F R A U D E .
189
factum est, videlur his verbis■ revocari quatemcumque
fuerit, nam late ipsa verba patent. Sive ergo rem alienavit,sive acceptilalionem, velpaclo, aliquem liberavil.
Il est à remarquer que cet édit ne s’appliquait qu’aux
actes d’aliénation proprement dit, ayant pour effet de
diminuer le patrimoine acquis du débiteur. Le refus
de l’augmenter, et conséquemment la répudiation d’une
succession, d’un legs, d’une légitime, etc., n’ayant pas
ce caractère, ne pouvait donner la matière d’une action :
Nec propria alienari inlelliguntur, qui dumtaxat omittunt possessionem. 1
Sans doute, dit Voët, il y a fraude contre les cré
anciers par l’omission d’acquérir. Cependant on ne
saurait assimiler le refus fait d’augmenter son patri
moine à l’aliénation qu’on en fait pour le diminuer et
le faire disparaître, et la loi ne prévoit que celle-ci. *
Ainsi, en droit romain, la fraude, donnant ouverture
à l’action Paulienne, ne consistait que dans la disposition
des biens ou droits actuellement et réellement possédés
par le débiteur. Il importait peu que cette disposition
eût été activement ou passivement soufferte. Il suffisait
que les biens et les droits eussent été volontairement
diminués ou perdus pour qu’on fût recevable à se pour
voir. En conséquence, on assimilait à une aliénation la
désertion d’une instance, soit que, défendeur, on ne se
fût pas présenté, soit que, demandeur, on eût laissé ac
quérir la péremption et la prescription de l’action ; le
1 L. 119, Dig. de Reg. juris.
’ Ad Pandeclas, 1. 42, t. vin, n° 16.
�non usage d’une servitude ou d’un usufruit, l’obligation
ou la libération d’un débiteur consentie par fraude,
l’exception accordée, ou la délation du serment litisdécisoire; en un mot, tous les actes entraînant comme
conséquence, que le débiteur n’aura plus après ce qu’il
avait avant.1
C\i;
il
f iin
f c :
m
•M
1410. — Dans les Pandectes, l’action Paulienne est
qualifiée d’action personelle et in factum. Ce qui la
produit, en effet, c’est la fraude que le débiteur a com
mise et dont les créanciers demandent la réparation. Il
est vrai qu’à ce titre on parvient à faire rentrer dans la
possession du débiteur les biens qu’il avait aliénés, et
cette conséquence a été signalée comme pouvant donner
à l’action un caractère de réalité, mais cette opinion est
énergiquement réfutée par Voët : Fallunlur quibus
placuit eam aclionibus in rem accenseri opportere, cum
non nascatur ex aliquo jure in re, longe minus ex jure
dominii. Quippe quod creditoribus fraudatis ne post missionem quidem in possessionem quœritur, sed tantum ex
aliquo facto improbo, nempe fraude non modo alienantis, sed vel prœcipue ejus, inquem alietiano facta fuit.
C’est cependant cette erreur que Justinien aurait luimême commise. Nous trouvons, en effet, dans les Ins
titues, 2 placée au nombre des actions réelles, celle
accordée aux créanciers pour faire rentrer, sous la pos
session de leur débiteur, les choses qui en sont sorties
1 L. 5 et 4, Dig. Quœ in fraud. crédit.
* De Ad., § 6.
�DU DOL E T DE LA FR A U D E ;
191
en fraude de leurs droits. C’est ce qui fait dire à Perezius que l’action, personnelle par rapport aux créan
ciers, peut être considérée comme réelle eu égard aux
droits de propriété que le débiteur avait sur les biens
aliénés et, en quelque sorte, revendiqués par les créan
ciers. 1
1411. — Quoi qu’il en soit, ce qu’il importe de re
marquer, c’est que Justinien porta à quatre années le
délai de l’action, qui n’était d’abord que d’un an.
1412. — Il n’est pas douteux, comme l’observe
Domat, 2que l’action Paulienne ne fut en droit romain
d’une bien plus haute utilité que sous l’empire du droit
français. Dans le droit romain, en effet, on contractait
souvent sans écrit, et l’hypothèque elle-même pouvait
s’acquérir par une convention verbale. 3 Les fraudes
étaient donc plus faciles et devaient être bien plus nom
breuses que sous une législation exigeant qu’il fût passé
un acte écrit pour toute obligation excédant 150 francs
et ne reconnaissant plus d’hypothèques verbales.
1413- — Néanmoins, l’action fut admise non-seu
lement dans les pays de droit écrit, mais encore dans
tous les pays coutumiers, dont la coutume n’avait rien
statué à cet égard ; et loin d’y apporter aucune restric
tion, le droit français l’étendit, en plaçant dans la caté1 In Codice, liv. 7, tit. 75, n° 2.
�gorie des actes susceptibles de l’engendrer, ceux par
lesquels le débiteur refusait d’augmenter son patri
moine.
1414. — Cette modification puisait sa source dans
ce double principe : 1° les créanciers ont du compter,
pour le remboursement de ce qu’ils. prêtent* non-seu
lement sur les biens présents du débiteur, mais encore
sur ceux qu’il serait appelé à recueillir dans l’avenir;
2° par l’effet de la saisine, les biens de l’hérédité appar
tiennent réellement à l’héritier. Conséquemment, on
considéra la renonciation de celui-ci comme dimi
nuant, en fait, son patrimoine et comme trompant les
justes prévisions de ses créanciers.
La jurisprudence n’en resta pas là, et bientôt ce
qu’elle décidait pour une succession, elle l’admit pour
la renonciation à un legs, à une légitime, à une subs
titution, à une communauté, enfin à celle à un usufruit
légal ou conventionnel, au droit d’opposer une pres
cription acquise.1
1415. — Tel était l’état de la législation lorsque
parut le Code civil. D’une part, le droit romain pros
crivant toute faculté de diminuer ou d’aliéner le patri
moine actuel par quelque moyen que ee fût; d’autre
part, le droit français s’appropriant cette, prohibition
et y ajoutant, en considérant le refus d’acquérir comme
1 Pothier, Suce., cbap. 5, sect. 5, § 2, et Comm., § 555 ; — Ord.
de 1747, art. 38 et 42 ; — Boutaric, ltv. 4, tit. 6, § 6, et liv. 2, tit. 9 ;
— Dunod, part, prem., cliap. 14, pag. 116.
�m
une véritable aliénation. Le nouveau législateur s’est
prononcé dans ce dernier sens, et a, conséquemment,
maintenu tout ce qu’avait fait son prédécesseur im
médiat. Telle est la conclusion logique à tirer des ar
ticles 1166 et 1167.
Le premier accorde aux créanciers le pouvoir de
veiller eux-mômes et de prendre toutes les mesures
nécessaires pour la conservation des droits que l’inac
tion de leur débiteur mettrait en péril. Il les autorise,
dans ce double objet, à se subroger à tous ses droits et
actions, fis peuvent même, aux termes de l’article 778
du Code de procédure civile requérir l’inscription pour
la conservation de l’hypothèque appartenant à leur dé
biteur.
•» ■
Si leur vigilance a été trompée, si la fraude à leur
préjudice a été consommée, l’article 1167 leur permet
de poursuivre la réparation du préjudice qu’ils sont
dans le cas d’en souffrir. Il importe peu qu’il s’agisse de
l’aliénation de l’actif actuel ou du refus de l’augmenter
en s’abstenant d’acquérir, l’action des créanciers est
ouverte dans l’un et l’autre cas.1
DU D O L E T D E L A F R A U D E .
1 V. art. 271, 022, 788, 882,1033,1447,1464 et2225 du Cod. civ-J
—474 et 873 du Cod. proc. civ.; — 447 et 449, Cod. comm.
�TRAITE
SECTION II. — CONDITION DE L'ACTION.
SOM M AIR E
1416. L’exercice de la faculté donnée par l’article 1166
n'exige que la qualité de créancier. Etendue de
cette faculté.
1417. La première condition pour l’exercice de l’action Pau
lienne est également la qualité de créancier.
1418. Droit du tiers attaqué de la discuter.
1419. Cette qualité doit-elle avoir été acquise avant l’acte
querellé de fraude ?
1420. Qnid, si cet acte est une obligation frauduleusement
contractée ?
1421. Arrêt de la Cour de cassation et remarquable rapport
de M. le conseiller Tripier.
1422. Conséquences quant au mode de constatation de la
créance.
1423. L’acte sous seing-privé d’une date antérieure serait-il
opposable au donataire ou l’héritier ?
1424. Droit de l’un ou de l’autre d’en établir la simulation.
1425. La seconde condition pour l’exercice de l’action est la
preuve de l’insolvabilité du débiteur.
1426. La demande serait donc repoussée soit par la justifi
cation de la solvabilité, soit par l’offre de désinté
resser le poursuivant.
1427. Exception que cette, condition comporte en faveur de
la femme séparée agissant dans l'hypothèse de
l’article 271.
1428. Troisième condition. Preuve de la fraude de la part
du débiteur.
�nu D O L E T D E LA F R A U D E .
495
1429. Serait facilement présumée pour tous les actes passés
en état d’insolvabilité complette.
1430. Distinction nécessaire entre les aliénations à titre
onéreux et celles à titre gratuit.
1431. La donation directe ou indirecte ferait présumer la
fraude, non-seulement contre le donateur, mais
encore contre le donataire.
1432. Quatrième condition. Preuve de la fraude de celui qui
a traité avec le débiteur.
1433. Fondement juridique du principe consacré par l’arti
cle 1167.
1434. Objet et nature de l’action qu’il autorise.
1435. L’action appartient à tous les créanciers sans distinc
tion entre les hypothécaires et les chirographaires.
1436. Contre qui doit-elle être intentée?
1416- — Sous l’empire du Code, nous venons de le
dire, les créanciers ont le droit de prévenir la fraude
de leur débiteur ou d’en poursuivre la répression.
L’exercice de ce droit entraîne donc, dans chacune de
ces hypothèses, l’existence d’une action.
Dans la première, la seule condition exigée est la
qualité de créancier. Cette qualité non contestée ou re
connue après contestation, le droit de celui qui se pré
sente pour exercer les droits et actions de son débiteur,
ne saurait être l’objet d’un doute.
L’unique exception que ce principe comporte, con
cerne les droits exclusivement attachés à la personne
et que nul autre qu’elle ne saurait exercer. On recon
naît comme tels, ceux qui ne passent point aux héri
tiers ou qui, étant de nature à s’éteindre avec la per
sonne, ne peuvent être, par elle, cédés de son vivant.1
1 Favard, v° nullité, §5, n° 5.
�196
T R A ITE
1417. — La condition nécessaire pour pouvoir
intenter l’action de l’article 1166 est également in
dispensable pour celle prévue et autorisée par l’ar
ticle 1167.11 faut donc, pour être recevable à l’in
tenter, que celui qui prétend l’exercer prouve d’abord
qu’il est réellement et sérieusement créancier. Cette
condition est d’autant plus rigoureuse dans cette cir
constance, que la révocation à 'laquelle cette action
aboutit pourrait n’être poursuivie que par l’effet d’une
collusion entre le prétendu créancier et son débiteur.
Celui-ci, éprouvant des regrets d’avoir consenti l’acte
auquel il a figuré comme partie, et ne pouvant, en cette
qualité, en demander la rescision, pourrait fort bien
tenter d’arriver au but de ses désirs en simulant l’exis
tence d’un créancier qui poursuivrait cette résiliation,
sous prétexte que l’acte n’a été fait qu’en frande de ses
droits.
1418- — Incontestablement, le tiers attaqué, soup
çonnant cette collusion, serait recevable à en exciper
et à la prouver. Ce n’est qu’après règlement préalable
de ce litige, que le fond pourrait être examiné. Il est
plus qu’évident que, pour qu’un contrat ait été fait en
fraude d’un droit quelconque, il faut que ce droit existe.
Dans notre hypothèse, l’examen de l’action révocatoire
serait donc subordonné à la preuve que celui qui pré
tend l’exercer est un créancier sérieux et légitime.
1419. — Toute difficulté de ce genre serait impos
sible si la créance était authentique ou si, résultant
�DU D O L E T D E L A F R A U D E .
19T
d’un titre sous seing-privé, elle avait acquis date cer
taine avant l’acte dont la révocation est poursuivieC’est aussi pourquoi on a soutenu que, pour que l’ac
tion fût recevable, il fallait que la qualité de créancier
eût nécessairement préexisté à l’acte qui la motive.
C’est ce qu’enseigne notamment M. Toullier.1
Cette opinion se fonde sur les prescriptions de la
loi 10, paragraphe 1, Digeste Quœ in fraiulem creditorum, dans laquelle Ulpien enseigne que les créanciers
postérieurs à l’acte ne. sont admis à l’attaquer que si
les deniers, par eux prêtés, ont servi à désintéresser 1er
créanciers antérieurs, auxquels ils se trouvent ainsi
subrogés.
Mais ce qu’il importe de remarquer, c’est que cette'
loi ne parle que d’une aliénation qui a été faite en fraude
des créanciers du débiteur ; si ce dernier les désinté
resse et contracte des dettes nouvelles, ces nouveaux
créanciers ne pourront intenter l’action révocatoire, à
moins qu’ils ne soient subrogés aux anciens. Par rap
port à eux, la fraude, qui revêt dans ce cas le caractère
du dol, n’offrirait pas ses deux caractères essentiels, h
savoir : Consilium et eventus.
C’est dans ce sens que Domat interprète la loi lorsqu’il
dit : a Si le 'dessein de frauder n’est pas suivi de l’évé
nement et de la perte effective des créanciers, et que,
par exemple, pendant qu’ils exercent leur action ou
qu’ils veulent l’exercer, le débiteur les satisfasse par la
vente de ses biens ou autrement, l’aliénation qui avait
’ Tom. vi, pag. 351.
�TR A ITE
m
été faite à leur préjudice aura son effet ; et si, dans la
suite, il vient à emprunter, les nouveaux créanciers ne
pourront faire révoquer cette première aliénation, qui
n’avait pas été faite à leur préjudice. Mais s’ils avaient
prêté pour payer les premiers, et que les deniers eus
sent été employés à ce paiement, ils pourraient révo
quer l’aliénation faite avant leur créance.1
Ainsi interprétée, la loi n’a rien que de très sage et
de très raisonnable. Comment, en effet, admettre un
créancier à signaler, comme faite en fraude de ses
droits, une vente réalisée bien avant que ces droits fus
sent nés? Avant même qu’on pût en prévoir l’existence?
Ce que nous disons de la vente, nous l’admettrions,
sans hésiter, pour la donation, pour la renonciation à
une succession, à un legs, etc... Ce qui, dans ces di
verses hypothèses, nous paraît déterminant, c’est que,
l’aliénation étant accomplie au moment du nouvel em
prunt, les biens qui en font l’objet n’étaient plus en la
possession de l’emprunteur. La confiance du prêteur a
été exclusivement faite aux seuls biens qu’il possédait
encore.
Vainement le prêteur prétendrait-il avoir ignoré les
aliénations qu’il attaque; chacun doit connaître la po
sition de celui avec qui il traite et surtout sa solvabilité.
Avant de prêter, on s’assure de celle-ci, et, dans notre
hypothèse, les biens aliénés n’ont pas dû figurer sur
l’état de fortune communiqué par le débiteur. Dans
tous les cas, la transcription de la vente ou de la dona»
1 Lois civiles, liv. 2, lit. 10, sect. l re, n° 6,
�DU DO L E T D E L A F R A U D E .
19&
tion, la publicité de la répudiation ont mis le prêteur
légalement à même de les connaître. On ne lui cause
donc aucun tort en le laissant en présence des seuls
biens auxquels il a pu faire foi.
1420. — Peut-on en dire autant des obligations
qu’un débiteur crée frauduleusement et sans en rece
voir la valeur? Non, évidemment, car on s’exposerait
précisément à tomber dans l’inconvénient qu’on avoulu
éviter. Quel peut être le but de la création de ces obli
gations simulées, si ce n’est de préparer et de con
sommer la fraude contre les prêteurs, auxquels on aura
recours plus tard. Cela ne résulte-t-il pas de l’absence
de tout motif de recourir à la simulation au moment où
elle se réalise?
Donc, appliquer aux obligations la règle qu’on ap
plique aux aliénations, c’est vouloir donner au men
songe la force de la vérité, créer une créance sans cause
et sans valeur fournie; arriver, en un mot, à ce singulier
résultat de reconnaître l’existence d’une action, mais
d’en refuser l’exercice au moment même où les créan
ciers ont le plus grand intérêt à en exciper.
En effet, le besoin pour les créanciers de faire pronon
cer la nullité d’une obligation comme souscrite en fraude
de leurs droits, naît précisément lorsque le porteur de
cette obligation vient réclamer sur eux le droit de prio
rité et de préférence. De quoi auraient-ils à se préoccu
per, et quel préjudice auraient-ils à souffrir d’une cré
ance qui ne pourrait jamais être payée qu’en tant et
qu’après qu’ils l’auraient été eux-mêmes? Conséquent-
�200
tra ite
ment, exiger que leur titre soit antérieur à la créance
qu’ils contestent, pour leur permettre d’agir en vertu
de l’article 1167, c’est leur donner une action qu’ils se
ront non-recevables à exercer pour défaut d’intérêt.
D’autre part, le préjudice dont peuvent se plaindre
les créanciers ne résulte pas de la création d’une obli
gation; qu’importe, en effet, cette circonstance, si le
porteur, se rendant lui-même justice, refuse d’en pour
suivre le paiement. C’est donc, au moment de la liqui
dation et lorsque ce paiement est réclamé que le préju
dice se manifeste, que la fraude se consomme, et com
ment, en cet état, imposer aux créanciers d’assister ,
impassibles, à cette consommation, et leur prohiber de
se défendre du péril qui les menace?
Une pareille doctrine serait par trop irrationnelle et
on ne saurait la consacrer sans méconnaître l’esprit de
la loi et les notions de la plus saine équité. 11 faut donc,
de toute nécessité, distinguer la nature de l’acte dont
l’annulation est poursuivie par les créanciers.
S’il s’agit d’une aliénation, à titre onéreux ou gratuit,
ceux dont le titre sera postérieur ne pourront l’attaquer.
II n’est pas possible de supposer une fraude contre des
droits qui n’existaient pas au moment où la prétendue
fraude se consommait.
(jette règle reçoit néanmoins deux exceptions. La
première nous est indiquée par le Digeste, à savoir : Si
les deniers, nouvellement empruntés, ont servi à étein
dre des créances antérieures auxquelles les prêteurs ont
été subrogés; la seconde, si l’aliénation n’est elle-même
qu’une précaution frauduleusement ménagée contre les
�DU D O L E T D E L A F R A U D E .
201
créanciers futurs : Si alienalionisubsil fraus fuluris cré
ditons' On le présumerait ainsi si le débiteur, resté
ostensiblement en possession et jouissance des objets
prétendus aliénés, avait pu ainsi tromper les prêteurs ;
ou si, loin de les instruire, il avait présenté ces objets
comme composant réellement son actif et garantissant
l’exécution de ses engagements.
S’il s’agit, au contraire , d’une obligation simulée ,
comme cette simulation ne produira son effet que lors
de la liquidation et du paiement, nous reconnaîtrons à
tous les créanciers antérieurs ou postérieurs en date ,
sans distinction entre les hypothécaires et les chirogra
phaires, le droit d’en poursuivre la nullité comme faite
en fraude de leurs droits.
1421. — C’est, au reste, ce que la Cour de Bourges
avait formellement décidé. Le pourvoi dirigé contre son
arrêt a été rejeté par la Cour de cassation, par arrêt du
20 mars 1832, rendu sur le rapport de M. le conseiller
Tripier.*
Dans son remarquable rapport, ce savant magistrat
se demande si l’article 1167 doit être limité aux actes
postérieurs, aux titres des créanciers qui se plaignent
de la fraude? Si ce n’est pas au contraire parce que ces
actes priment les titres des légitimes créanciers, que
ces derniers ont qualité et intérêt pour contester soit
l’hypothèque, soit la sincérité de ces créances ap
parentes?
1 Perezius, in Cod., liv. 7, tit. 75, n. 7.
�202
T R A ITE
Après avoir discuté l’opinion de Toullier, que les de
mandeurs en cassation invoquaient, M. Tripier conclut
en ces termes : On peut bien admettre qu’une aliénation
consommée, même à vil prix, ne sera pas considérée
comme faite en fraude des créanciers qui n’existaient
pas à l’époque de la vente. Elle ne réunira pas consilium
et eventus, mais une obligation souscrite sans valeur
fournie, qui est jugée le fruit du dol et de la simulation,
ne peut-elle pas préparer et consommer la fraude , mê
me au préjudice des créanciers qui ont accepté des ti
tres postérieurs à cette obligation simulée ?
Saisie à son tour de la question, la Cour de Bordeaux
l’a énergiquement décidée dans le même sens. Nous
croyons utile de transcrire quelques-uns des motifs qui
fondent cette décision.
« Attendu, sur la fin de non-recevoir, que l’exception
manque de solidité et doit être rejetée ; qu’en effet,
quoique la sentence arbitrale, qui déclare Lasserve cré
ancier de Boucherie, soit du 18 août 1815, et, par con
séquent postérieure au contrat par lequel Boucherie a
reconnu devoir à Clarac une somme de 5000 fr., cette
cii’constance ne s’oppose pas à l’application de l’article
1167 , article destiné à protéger tous les droits dont le
dol et la fraude chercheraient à priver des créanciers
légitimes ;
a Attendu, d’abord, que l’antériorité d’un acte simulé
et frauduleux ne saurait arrêter l’action des créanciers
sérieux et réels, parce que des contrats simulés ne sont
pas proprement des contrats; ils n’en ont que l’appa
rence, colorem habent, nullam vero substanliam; parce
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
203
que la doctrine qu’on a plaidée, tendant h donner au
meusonge la force de la vérité, blesse beaucoup trop
toutes les idées de justice pour pouvoir être admise.'
1422. — Il suit de ce qui précède qu’en matière de
vente, l’antériorité du titre de créance étant indispen
sable, il ne suffirait pas que le titre, s’il est sous seingprivé, portât une date en apparence antérieure. Il de
vrait avoir acquis une date certaine avant la vente. En
effet, si le titre sous seing-privé fait foi, ce n’est qu’entre
parties, on sait a quelles conditions l’article 1528 per
met de l’opposer aux tiers. Ces conditions sont justes et
peuvent seules prévenir l’abus si facile de l’antidate. En
conséquence, leur absence laisserait les créanciers sans
action contre l’acquéreur, en enlevant à leur litre toute
son autorité.
Mais la date apposée au sous seing-privé servirait au
besoin de commencement de preuve autorisant la rece
vabilité de la preuve orale, si cette recevabilité n’était
pas, d’ailleurs, de droit commun dans la matière qui
nous occupe. Le porteur de ce titre pourrait donc éta
blir par témoins et par présomptions la sincérité de la
date, prouver que l’acquéreur en avait connaissance
avant de traiter avec le débiteur. L’une ou l’autre de ces
circonstances étant acquise, l’action Paulienne devien
drait admissible à l’égard de toutes les parties.
1423. — L’acte sous seing-privé se suffirait à lui1 20 j uillet 18-48; — D. P. 49, 2, 148 ; — v. infra, n° 174.
�2(M
même, si l’action avait pour objet la révocation d’une
libéralité. Le donataire, en effet, n’est que l’ayant-cause
du donateur, et l’acte faisant foi contre celui-ci pro
duirait le même effet à son égard.1
Il en serait de même contre celui qui serait appelé à
recueillir la succession ou le legs répudié par le débi
teur en fraude de ses créanciers ; nous avons déjà dit.
que le tiers, non complice de la fraude dont il profite,
ne saurait en retenir le bénéfice que s’il l’a acquis par
un contrat; qu’il doit le restituer s’il ne le possède qu’en
vertu de sa qualité ou d’une disposition formelle de la
loi. 1 Ce serait là, d’ailleurs, une donation déguisée qu’il
serait injuste de maintenir, car la position des créan
ciers est bien plus intéressante que celle d’un donataire
direct ou indirect: Et licel fraudisiçjnarus fuerit, lamen
creditorum causa Javorabilior est , qui de damna dis
ceptant. 5
T R A IT E
1424. — Mais l’appelé à profiter de la succession
ou du legs, comme le donataire lui-même, peut soute
nir que la créance prétendueest antidatée,et que l’objet
de cette simulation est de révoquer, d’une manière in
directe , ce que le renonçant ou le donateur ne pourrait
directement révoquer. Tout ce qui résulte de leur qua
lité d’avant-cause, c’est que l’acte sous seing-privé fait
contre eux la même foi que contre leur auteur. Mais
cette présomption admet la preuve contraire, et, com1Cass., 50 janv. 182S; — D. P. , 28,1, lii.
* Voy. supra, n° 35.
* Perezius, loco çit., n° 6.
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
205
me le fait allégué constituerait une fraude contre les
droits légalement conférés par la répudiation ou par la
libéralité, cette preuve contraire serait incontestable
ment recevable.
1425. — La seconde condition imposée au créan
cier exerçant l’action révocatoire, est de prouver l’in
solvabilité du débiteur. Cette action est essentiellement
subsidiaire. Elle ne peut être exercée que pour amener
le paiement que les biens restants sont, par leur insuffi
sance, dans l’impossibilité d’effectuer. Il faut donc préa
lablement établir cette insuffisance.
Celte condition se justifie avec autorité par cet autre
principe que, pour intenter une action, il ne suffit pas
d’avoir qualité, qu’il faut surtout y avoir intérêt. Or,
dans celle autorisée par l’article 1167, l’intérêt des
créanciers n’existe que si le paiement qui leur est dû, ne
peut se réaliser que par la révocation poursuivie. Si ce
paiement peut être fait au moyen des ressources dont
le débiteur dispose encore, ils n’ont pas à s’immiscer
dans ce qu’il a plu à ce débiteur de faire avec des tiers.
1-426- ■—■ Conséquemment, le débiteur pourra faire
repousser l’action en justifiant qu’il est en position de
rembourser le créancier qui l’exerce. De son côté, le
tiers également attaqué opposera avec succès la solva
bilité du premier, dont il pourra exiger la discussion
préalable, sans être tenu de pourvoir aux frais ni d’in
diquer la nature et la situation des biens sur lesquels
cette discussion doit porter. L’unique exception que
�206
t r a it k
cette règle reçoive naît de l’état de faillite du débiteur
commerçant, le jugement déclaratif faisant par lui-mê
me la preuve la plus significative de l’insolvabilité.
Une offre plus péremptoire encore serait celle de dé
sintéresser le créancier poursui vant. Réalisée qu’elle fût,
cette offre le laisserait sans intérêt aucun à poursuivre
désormais un litige complètement sans objet.
1427. — La condition de prouver l’insolvabilité n’est
pas nécessaire, lorsque la femme, qui a obtenu la sépa
ration de corps, demande, par application de l’article
271 du Code civil, la nullité des obligations à la charge
de la communauté, ou des aliénations des objets qui en
dépendent, contractées par le mari postérieurement à
la date de l’ordonnance dont il est fait mention en l’ar
ticle 238. Dansce cas, les obligations et aliénations sont
suspectes de fraude, et la femme n’a à prouver qu’une
seule chose, à savoir : le préjudice qui résulterait pour
elle des unes ou des autres.
Dans tous les autres cas , et lorsqu’il s’agit d’un acte
querellé de fraude contre les droits des créanciers, l’ac
tion n’est recevable qu’aux deux conditions que nous
venons d’indiquer; 1° la preuve de la qualité de créan
cier; 2° celle de l’insolvabilité du débiteur.
1428. — Deux autres conditions sont exigées pour
que la demande puisse être accueillie. La première est
la preuve de la fraude du débiteur. En effet, tant qu’une
expropriation n’est pas venue lui enlever ses biens, le
débiteur, quelle que soit d’ailleurs son insolvabilité
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
207
réelle, en conserve l’administration et môme la dispo
sition. Une vente, par lui consentie en cet état, pour
rait n’être que l’exercice légitime de ce droit, sans qu’il
s’y mêlât aucune pensée de fraude.
1429. — Cependant tout ce que le débiteur ferait en
état d’insolvabilité réelle, quoique non encore notoire,
serait facilement présumé frauduleux, surtout si l’actif,
dont il auiait disposé, était en tout ou en partie soustrait
à ses créanciers, soit qu’une portion du prix eût été dis
simulée, soit que ce prix ne fût pas dans des proportions
justes avec la valeur de l’objet aliéné. Dans l’un ou l’au
tre cas , le préjudice occasionné aux créanciers serait
incontestable. Le dessein de nuire naîtrait de la position
du débiteur, l’obligeant à dissimuler pour s’efforcer de
sauver, à son profit, quelques débris du nauffrage. La
seule existence de celte cause de simulation , en ren
dant la fraude probable, en déterminerait facilement
l’admission : Ubi accedil causa simulandi, receplum est
ut adminiculative imperjecla probatio sufficiat. 1
Le même auteur ajoute : cessante causa simulandi
ad illam probandam requirunlur probaliones certæ et
expressæ. Or, cette cause disparaîtrait évidemment si,
l’aliénation faite, le débiteur possédait encore un actif
suffisant pour subvenir aupaiement de toutes ses dettes.
Quel serait donc le sort d’une aliénation consentie dans
de pareilles circonstances? Faudra-t-il la maintenir et
la considérer comme à l’abri de toute attaque de la part
des créanciers ?
1 Üeluca, De crcd. , discours, 77, n° 6.
�208
T R A IT E
1430. — La solution nous paraît devoir être diffé
rente, suivant que l’aliénation aura été faite à titre oné
reux ou seulement à titre gratuit.
Vendre, échanger une partie defce qu’on possède,
lorsqu’on est à la tête d’un avoir supérieur à ce qu’on
doit, n’est pas un acte assez extraordinaire pour qu’il
faille en suspecter la sincérité, alors même que le pro
duit n’en a pas servi à éteindre les dettes. Sans doute,
il eût été plus prudent et plus sage de le faire, mais des
besoins légitimes, des projets, depuis exécutés, peuvent
excuser la destination que le produit de l’aliénation a
reçu. En général, donc, on ne verra dans la conduite
du débiteur qu’un de ces actes usuels de la vie, qu’aucun
soupçon de fraude ne peut raisonnablement entacher.
Il faudrait, pour décider le contraire, ces preuves cer
taines et expresses dont parle le cardinal Deluca, et ce
serait aux créanciers, demandant la révocation, à les
établir. Toutefois , cette règle est de nature à recevoir
une profonde modification de la conduite du débiteur,
et la fraude serait facilement présumable si des actes
successifs et répétés étaient venu anéantir complète
ment le gage des créanciers. On verrait dans cet ensem
ble un calcul à l’effet de se rendre insolvable, et, remon
tant au premier anneau de cette chaîne, on n’hésiterait
pas à le briser, si l’intérêt des créanciers l’exigeait.
Mais si l’aliénation a été faite à titre gratuit, il impor
terait peu que les ressources, restant encore à l’auteur
de la libéralité fussent ou non suffisantes pour l’extinc
tion de ses dettes. Personne ne peut et ne doit donner
son bien avant de s’être libéré de ce qu’il doit. Ce n’est
�DU
DOU
ET
DE
LA
FRAUD E.
200
pas tout, en effet, d’avoir de quoi payer, il faut payer
réellement, et, à défaut de ce paiement, se bien garder
de s’exposer à ne plus pouvoir le faire, en donnant à au
trui ce qui appartient avant tout aux créanciers. Celui
qui agit autrement commet une faute tellementlourde,
que, pour les créanciers, elle équivaut au dol. Aussi, ne
se demande-t-on plus s’il y a eu ou non résolution de
les tromper, mais s’ils éprouvent oui ou non un préju
dice. La certitude de celui-ci amène et motive la révo
cation de la libéralité.
1431. — La donation directe ou indirecte fait donc
présumer la fraude non-seulement contre le donateur,
mais encore contre le donataire. Celui-ci n’a d’ailleurs,
et dans aucun cas,aucuns droits légitimes sur les biens
qu’il a gratuitement reçus et qu’il ne pourrait garder
sans occasionner un préjudice grave aux créanciers de
celui dont il les tient. Son insistance à les retenir le
rendrait, en quelque sorte, le complice de la fraude. On
pourrait justement dire de lui ce qu’Ulpien dit de celui
qui excipe d’un acte qu’il sait être sans valeur : Nam
quis petit exea stipulalione,ipse dolum facit quod petit.
Il n’y a donc pas à hésiter entre lui et les créanciers
du donateur, alors même que sa bonne foi aurait été
entière. Aux yeux de la loi, de la raison et de la justice,
les droits de celui qui veut se soustraire à une perte
sont plus précieux que les droits de celui qui cherche à
retenir un gain illégitime. Or , telle est la position res
pective des créanciers et du donataire. At ubi, dit Voët,
aller de damna vilando agit, aller vero de lucro cap-
�210
T R A IT E
tando, quod est in eo qui ex causa lucrativa, utcumque
bona jîde, rem nactus est a débitore jraudnlenter alié
nante, reclius visum fuit lucrum exlorqueri cum aliéna
factura lucrum captandi, quant in damno relinqui eum
qui frauda losa débitons alienatione injuriampassusest. 1
1432. — La seconde condition, pour le bien fondé
de l’action révocatoire, est la preuve de la fraude de
celui qui a traité avec le débiteur. Mais cette condition
n’est exigée que lorsque le tiers a traité à titre onéreux,
car, nous venons de le voir, le donataire est tenu de
restituer, quelle qu’ait été d’ailleurs son ignorance ou
sa bonne foi.
L’acquéreur à titre onéreux mérite les mêmes égards
que les créanciers eux-mêmes ; comme eux, en effet, il
a un intérêt sérieux à la contestation, et s’il la soutient,
c’est qu’il cherche à se garantir d’une perte de damno
vilando. La position étant égale, on devait en revenir
au droit commun , suivant lequel nul ne peut répondre
que de son propre fait, suivant lequel, encore, la fraude
ne se présume pas, et c’est à celui qui l’allègue à la
prouver.
Vainement donc, la fraude du débiteur serait-elle
prouvée et acquise, l’acte à titre onéreux n’en serait
pas moins maintenu si l’autre partie a été de bonne foi.
Celle-ci est présumée jusqu’à preuve contraire, mais
cette preuve peut être faite par témoins et par présomp
tions. Elle résulterait suffisamment de tout ce qui ten
drait à établir que le tiers a connu la fraude de celui
1 Ad Pandeclas, liv. 42, lit. 8, n° 5.
�2H
avec qui il a traité. Connaître une fraude et accepter
une participation dans 'l’acte destiné à la consommer ,
c’est en accepter la complicité.
Ainsi, l’action révocatoire n’est recevable que par la
double preuve de la qualité de créancier et de l’insolva
bilité du débiteur. Elle n’est fondée que par celle de la
fraudede celui-ci et des tiers quionttraité avec lui. Cette
dernière preuve n’est exigée que dans le cas d’un traité
à titre onéreux. La libéralité cède à la seule mauvaise
foi de son auteur.
Dü
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
1435. — Le principe de l’action autorisée par l’ar
ticle 1167 ne réside ni dans un droit réel accordé aux.
créanciers, ni dans l’incapacité du débiteur, ni dans un
vice quelconque de l’acte attaqué. 11 existe dans un en
gagement formé sans conventions, par lequel les tiers,
qui ont contracté avec le débiteur, sont liés envers les
créanciers de celui-ci. Les tiers, qui se sont rendus les
complices de la fraude, ont, par cela même, concouru
à la consommation du préjudice en résultant, et doi
vent, dès-lors, le réparer. L’annulation de l’acte, à
leurs risques, périls et fortune, était la réparation la
plus naturelle. Quant aux donataires, nous avons déjà
dit que leur persistance à retenir ce qui leur a été remis
au mépris de l’équité et de la justice, constituerait de
leur part un véritable dol. '
1434. — L’action révocatoire est purement person
nelle et dérive d’un quasi-délit ; sonbutest la réparation
d’un préjudice volontairement et sciemment occasion-
�212
né. Ce caractère est important à retenir pour la solution
de la question que nous aurons à examiner, à savoir :
si le tiers qui a acheté ou traité avec celui qui tenait la
chose du débiteur peut être, comme celui-ci, poursuivi
par l’action Paulienne. 1
1435. — Cette action appartient à tous les créan
ciers sans distinction des hypothécaires et des simples
chirographaires. Elle est même beaucoup plus utile à
ces derniers, car il résulte des conditions que nous venonsd’énumérer, que les créanciers hypothécaires pour
ront souvent être sans intérêt et sans droit à l’exercer.
C’est ce qui se réaliserait notamment si, par le rang de
leur inscription, ils doivent être payés sur les biens non
aliénés; ou si ceux qui l’ont été se trouvent spécialement
affectés à leur hypothèque. Dans ce dernier cas, l’action
hypothécaire, suffisant à toutes les exigences, lisseraient
sans intérêt et conséquemment sans droit pour se pour
voir par l’action révocatoire.
Mais, pour qu’il en soit ainsi, il faut de toute nécessité
que l’action hypothécaire puisse être utilement exercée.
Si son résultat devait être négatif, le créancier qui s’y
serait d’abord livré dans l’espérance du contraire, pour
rait revenir sur ses pas et demander la révocation de la
vente, qu’il prouverait avoir été le résultat de la col
lusion et de la fraude.
Il importerait peu qu’il n’eût pas surenchéri en temps
utile. Un créancier peut ne pas trouver dans sa position
financière le moyen de réaliser une surenchère exigeant
T R A IT E
à
1 V. Infra. n° 1764
�DU
DOL
FT
DE
LA
FR AU D E.
213
une somme parfois très considérable. Serait-il juste de
le punir de cette impossibilité par la perte de sa créance,
et faudrait-il que pour la conserver il se plaçât sous le
coup d’obligations devant entraîner sa ruine complette?
C’est ce qu’on a pas cru devoir exiger, et cette doc
trine , déjà consacrée par de nombreux arrêts, vient de
l’être de nouveau parla Cour de cassation. Son arrêt du
17 août 1848 décide que : le créancier inscrit, qui fait
saisie-arrêt ou requiert collocation sur le prix de l’im
meuble hypothéqué, n’est pas censé reconnaître la sin
cérité de la vente, et ne se rend pas non-recevable à
l’attaquer pour cause de dol et de fraude, et que ce dé
faut de surenchère ne le rend pas non plus non-recevable à attaquer, pour les mêmes causes, la vente consentie
à vil prix par le débiteur. 1
1436. —L’action révocatoire doit être intentée contre
ledébiteur et contre celui ou ceux qui onttraité aveclui.
L’intérêt deceux-ci,ne fussent-ils que des donataires purs
et simples, à assister à l’instance est aussi évident qu’in
contestable. La demande de révocation dont ils doivent
subir les conséquences, pouvant n’être que le résultat
d’une collusion entre celui qui l’intente et le défendeur
principal, ils doivent être mis en mesure d’empêcher
celte fraude et de veiller utilement au maintien de leurs
droits. Comment, d’ailleurs, prouver que l’acquéreur à
titre onéreuxs’est rendu complice de la fraude, si on ne
commençait pas par le mettre en cause?
�SOMMAIRE.
À||
1437. L’admission de la preuve testimoniale était la consé
quence forcée du principe admis par l’article 1167.
1438. La fraude contre les tiers est même présumée contre
le débiteur, lorsqu’il dispose de ses biens au détri
ment de ses créanciers, alors qu’il est en pleine
déconfiture.
1439. La notoriété incontestable de la déconfiture ferait faci
lement présumer la fraude contre celui qui a traité
avec le débiteur.
1440. La fraude est également présumée contre le débiteur
aliénant, à titre gratuit, ou refusant les ressources
qu’il est appelé à recueillir.
1441. Quid, des paiements faits par l’insolvable ?
1442. Actes présumés frauduleux chez le commerçant en
état de déconfiture.
1443. Effets de cette présomption.
1444. Dans tous les cas de fraude présumée, il suffit de
prouver le fait auquel s’attache la présomption.
1445. Hors ces cas, les parties rentrent dans le droit com
mun et doivent prouver la fraude, soit par témoins,
soit par présomptions.
Présomptions qui doivent exercer une puissante in
fluence sur le litige.
1° Aliénations de tous les biens. Son caractère en
droit romain.
Cette présomption acquerrait une bien plus grande
gravité si le débiteur ne justifiait pas de l’emploi
du prix.
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
215
1449. Il importe peu que l’aliénation générale se soit réa
lisée par un seul acte ou par des actes successifs
et répétés.
1450. 2° Qualité des parties fait facilement présumer la
fraude.
1451. 3° Rétention de la possession.
1452. Comment elle se réalisera le plus souvent.
1453. Dans quels cas devra-t-on l'admettre ?
1454. 4° Exécution occulte et clandestine.
1455. Suffirait-il d’une seule de ces présomptions pour faire
admettre la fraude ?
1456. Autres présomptions dont l’existence peut servir à
reconnaître la fraude ?
1457. Effet de la vilité du prix.
1458. La pertinence des présomptions est laissée à la pru
dence du juge.
1437. — La conséquence forcée du principe con
sacré par l’article 1167 était l’admission de la preuve
testimoniale en faveur des tiers qui l’invoquent, et qui
sont forcés d’en poursuivre l’exécution. L’existence
d’un acte meme authentique est bien opposable à tous,
mais il ne prouve qu’une seule chose contre ceux qui
n’y ont pas été parties, à savoir : qu’il a été passé. Il ne
peut suffire pour établir sa sincérité.
Ainsi, dénué de toute autorité, le titre ne rentre plus
dans la catégorie de ceux contre lesquels la preuve testi
moniale n’est pas admissible. D’Argentré qualifiait mê
me d’insensée l’opinion de ceux qui, se fondant sur
l’article 34 de l’ordonnance de Moulins, en soutenaient
l’application à l’action des tiers.
Sous l’empire du Code civil, la recevabilité de la
preuve testimoniale n’a jamais été contestée aux tiers
�poursuivant la révocation d’un contrat qu’ils soutien
nent avoir été fait en fraude de leurs droits. Nous n’a
vons donc pas besoin d’insister sur un principe univer
sellement admis et si conforme, d’ailleurs, aux vérita
bles notions d’une exacte justice.
1458. — La preuve n’est même pas toujours néces
saire, car,fidèle au système de se montrer d’autant plus
sévère que la fraude est plus facile et plus probable, la
loi en a présumé l’existence dans divers cas.
Ainsi, la fraude est légalement présumée contre le
débiteur lorsqu’il dispose de ses biens au détriment de
ses créanciers, dans un moment où il a lui-même la
conviction de son insolvabilité.
Il est certain que celui qui, se sachant obéré, se bâte
de faire disparaître son actif, soit par des donations, soit
par des aliénations à titre onéreux, ne peut avoir qu’un
seul but, celui de nuire à ses créanciers. Il ne saurait
donc se targuer de sa prétendue bonne foi, car la bonne
foi pour l’homme insolvable est d’abandonner la dispo
sition ultérieure de ses biens aux seuls intéressés, c’està-dire à ses créanciers; de ne rien faire sans avoir ap
pelé leur concours et leur contrôle. Celui qui n’invo
que ni l’un ni l’autre, a intérêt à les écarter, et c’est
avec juste raison que la loi présume que cet intérêt est
celui de la fraude.
Toutefois cette présomption ne concerne que le dé
biteur. Celui qui a traité avec lui peut avoir ignoré
l’état réel de ses affaires. N’ayant, d’ailleurs, aucun de
voir à remplir envers les créanciers, la connaissance
�DU
DOL
ET
DE
LA
F ll A U D E .
qu’il aurait eu qu’il en existait un ou plusieurs, ne fe
rait pas admettre sa complicité dans la fraude de celui
avec qui il a traité. 1
1459. — Mais, si l’insolvabilité était notoire, si des
actes significatifs, si des poursuites judiciaires l’avaient
signalée, la fraude du tiers, quoique non présumée de
droit, serait facilement admissible. Pour peu que cet
indice fût accompagné d’autres circonstances suspectes,
on ne devrait pas hésiter à la consacrer. C’est ce que la
Cour de cassation a décidé en jugeant, le 12 janvier
1849, que l’acte par lequel un débiteur en état d’insol
vabilité vend ou hypothèque ses immeubles à l’un de
ses créanciers qui connaissait cette insolvabilité, a pu
être annulé comme fait en fraude des autres créanciers,
s’il a été consenti durant les poursuites exercées par
ces derniers , et, par exemple, dans l’intervalle d’une
remise de cause. 5
L’arrêt, contre lequel le pourvoi était rejeté, n’avait
pas fondé la nullité de l’acte uniquement sur l’état réel
et connu du débiteur, c’eût été appliquer à la décon
fiture civile des règles spécialement réservées pour les
faillites. Mais, admettant que cette circonstance rendait
suspecte la bonne foi du tiers, il s’appuie sur elle et sur
quelques autres faits corroborant cette suspicion , il
admet la complicité de la fraude.
Ces autres faits étaient, dans l’espèce, la qualité du
1 !.. 10, Dig., § 4, Quai in fraud. crédit.
s D. P.,49, 1, 127.
ni
vV i 1 '
�Î5
TR A ITE
créancier, et la nature de la créance. C’était le propre'
iils du débiteur qui obtenait une hypothèque, la cré
ance qu’on voulait garantir était une donation contrac
tuelle faite dans le contrat de mariage de ce fils ; et l’on
comprend que tout cela se réalisant lorsque le père,
étant activement poursuivi par ses créanciers, était à la
veille de se voir exproprié de ses biens, il y avait certes,
dans un pareil ensemble, une preuve plus que suffisante
de l’intention frauduleuse de toutes les parties.
Ce qui se rencontrait là pourrait s’offrir ailleurs et
résulter des faits si non identiques, peut-être aussi si
gnificatifs. Dans tous les cas, l’insolvabilité du débiteur
reste la causa simulandi, dont les effets nous étaient
tout à l’heure enseignés par le judicieux Deluca.
Ainsi le prêt prétendu fait à un homme notoirement
insolvable paraîtrait justement suspect. Ce premier
doute acquerrait une plus forte gravité si l’acte consta
tant le prêt ne constatait pas la réelle et actuelle numé
ration des espèces, sans qu’on indiquât aucune trace
plausible de versements ni de créances antérieurs. Enfin,
la position du prétendu créancier pourrait, à son tour,
militer contre la sincérité de la créance pouvant et
devant dès-lors être considérée comme une fraude con
tre les créanciers légitimes.
Il en serait de même pour la vente faite par l’insolva
ble. L’acquéreur, connaissant cette insolvabilité pour
rait être soupçonné avoir spéculé sur cet état et s’être,
dès-lors, prêté à une fraude dont il recueillait ainsi un
bénéfice. Ce soupçon pourrait devenir une certitude si
L’acte renfermait des clauses extraordinaires et insolites,,
�I)U
DOL
ET DE LA FRAUDE.
219
^surtout si les objets, faisant la matière de la vente, lui
avaient été cédés à vil prix.
Ainsi, l’insolvabilité fait légalement présumer la frau
de contre le débiteur. Quant aux tiers qui ont traité avec
lui, la connaissance de cette insolvabilité ne suffit pas
pour les constituer en mauvaise foi. Mais elle crée une
telle prévention que l’admission de cette mauvaise foi
serait la conséquence de quelques autres circonstances
suspectes venant l’étayer et l’aggraver.
1440. — La fraude est encore légalement présumée
contre le débiteur aliénant à titre gratuit ou refusant de
réunir à son actif les ressources qu’il serait appelé à re
cueillir.
Nous l’avons déjà dit, donner ses biens sans avoir au
préalable payé ses créanciers, est un acte trop anor
mal pour ne pas lui supposer une arrière pensée. Cette
arrière pensée ne peut être que celle de nuire à ses
créanciers, si, par le fait, l’aliénation est dans le cas de
leur causer un préjudice.
Cela est plus évident encore, lorsque l’aliénation ré
sulte d’une répudiation, surtout lorsque l’objet répudié
n’offrait que des avantages sans inconvénients. Refuser
d’accepter ce que tant d’autres recherchent avec la plus
vive ardeur, ne peut être interprété dans un autre sens
que celui de la fraude. C’est qu’on se sera entendu avec
celui qu’on se substitue, et qu’au moyen d’une collusion
facile on recueillera le bénéfice sans risquer de le com
muniquer à ses créanciers.
Au reste, le refus d’accepter, fût-il pur de tout calcul
�220
T R A ITE
de ce genre, ne se serait-il réalisé qu’en haine des créan
ciers et pour ne pas accroître leur gage, que ce dessein,
suivi d’exécution, n’en constituerait pas moins la frau
de. Or, comme la répudiation ne peut avoir que l’un ou
l’autre de ces motifs, c’est avec raison que la loi la pré
sume de plein droit frauduleuse.
1411. — Les paiements faits par l’insolvable ne peu
vent être , à moins de circonstances extraordinaires ,
considérés comme frauduleux. D’une part, en effet, la
déconfiture civilelaisse le débiteur dans la plénitude de
ses droits, ne lui enlève aucune de ses actions. En cet
état, éteindre une dette échue et dont le paiement est
demandé, n’est qu’un acte d'administration. D’autre
part, payer régulièrement et en espèces n’a en lui-mê
me rien de suspect, surtout lorsque la loi n’a pas imposé
le devoir de s’en abstenir. Conséquemment, le débiteur
qui s’y est livré ne saurait , par cela même, avoir fait
une fraude.
Quant au créancier ayant reçu son paiement1, il est
évident qu’on ne pourrait lui en faire un reproche. La
loi permet à chacun de veiller à ses propres intérêts ,
d’exiger le paiement de ce qui lui est dû. Dès-lors, com
ment blâmer celui qui a vu sa vigilance et ses efforts cou
ronnés de succès. Il importe peu qu’il ait ou non connu
l’état d’insolvabilité. Dans tous les cas, il n’a reçu que
ce qu’il avait le droit de recevoir, et un pareil fait ne
saurait jamais constituer une fraude. Il y a plus, le paie
ment anticipé qu’il aurait accepté ne donnerait aux au
tres créanciers que le droit de faire rembourser les in-
�DU D O L E T DK L A F R A U D E .
221
térêts courus depuis le jour du paiement jusqu’à celui
' de l’échéance, s’ils n’avaient pas été escomptés déjà par
le débiteur 1
1442. — Mais il n’en est pas de même de la décon
fiture commerciale. Celle-ci constitue l’état de faillite
créant de nombreuses présomptions de fraude.
Ainsi, la fraude est légalement présumée contre toutes
les parties :
1° Pour les paiements faits depuis la cessation ou dans
les dix jours qui l’ont précédée, dedettes non échues ou
pour dettes échues, autrement qu’en espèces ou effets
de commerce ;
2° Pour tous les actes , même à titre onéreux, faits
dans la même période ;
3° Pour les hypothèques, droits de nantissement ou
de gage conférés pour dettes antérieurement contrac
tées;
4° Pour l’hypothèque, quoique légalement conférée,
si l’inscription n’en a été requise qu’après plus de quinze
jours de la date du titre constitutif;
5° Enfin , pour les paiements de dettes échues, faits
en espèces ou effets de commerce, si le créancier payé
connaissait l’état de faillite.
1443. — Toutes ces présomptions n’agissent pas
d’une manière identique. Les unes n’admettent pas la
preuve contraire, les autres la permettent. C’est, ce que
* L. 10, § 12; — L. 17, § 2;— L. 24, Dig. Quœ infraud. crédit.
�222
TRAITÉ
nous avons établi dans notre Commentaire sur les fail
lites, auquel nous nous bornons à renvoyer. 1
1444. — Dans tous les cas où la fraude est présu
mée par la loi, le demandeur n’a qu’à justifier le fait au
quel la présomption est attachée. Son existence suffit
pour faire admettre la fraude ou pour obliger le défen
deur à fournir la preuve contraire, suivant que cette
preuve est ou non admissible.
1445- — Partout où cette présomption ne résulte pas
d’une disposition deloi ou d’un fait, les parties rentrent
dans le droit commun. C’est à celui dont le droit se
fonde sur la fraude alléguée, à fournir la preuve de sou
existence. Nous avons dit que cette preuve peut être
faite par témoins.
Mais toutes les fois que la preuve orale est admissible,
celle par présomptions le devient également. Dans la
matière qui nous occupe, il est même évident que c’est
à cette dernière qu’on sera le plus habituellement forcé
de recourir. Le fait matériel, à savoir : l’aliénation ou
l’obligation souscrite, ne pourra jamais être contesté,
puisque c’est son existence même qui sert debaseàl’ac»
lion. La difficulté se rencontrera donc dans l’intention
respective des parties, et comment espérer éclairer cette
intention par ladéposition des témoins. Est-ce que ceux
qui se disposent à frauder sont dans l’habitude de faire
des confidences ou de publier leurs projets?
s Art. 447 et suiv.
�DU D O L E T D E L A F R A U D E .
223
Il faudra donc demander la solution du litige aux dé
ductions logiques, aux faits du procès, aux circonstan
ces ayant précédé, accompagné ou suivi le contrat, en
un mot, aux présomptions.
1446. — Les auteurs anciens ont beaucoup écrit sur
la nature, la qualité, le nombre des présomptions qu’on
devait exiger. Les plus judicieux arrivaient cependant
à cette conclusion, qu’en pareille circonstance, il ne
saurait exister de règles certaines ou absolues. Que cha
que espèce avait ses caractères particuliers, ses exi
gences spéciales , et qu’ainsi, telles ou telles présomp
tions, jugées suffisantes dans un cas, pourraient ne pas le
paraître dans un autre. Que c’était donc à la conscience
du juge à se prononcer, selon les inspirations qu’elle
puiserait dans un mûr examen de chaque cause. Ces
principes sont encore aujourd’hui les seuls vrais, les
seuls admissibles.
Mais, et sans empiéter sur les fonctions de la magis
trature, on peut reconnaître qu’il est certains faits qui
auront nécessairement une importante influence sur le
sort du litige. Dans cette catégorie se placent l’aliéna
tion de tous les biens, la qualité des parties, la réten
tion de la possession des choses prétendues aliénées, le
mystère et la clandestinité de l’opération. 1
1447, — 1° Aliénation de tous les biens.
Cette circonstance avait pris, dans le Digeste, le cas Perezius, ibid . , tit. 75, liv, 7, n° 10.
�224
TRAITE
ractère d’une présomption légale, à tel point qu’elle dis
pensait de rechercher qu’elle avait été l’intention du dé
biteur : Quamvis non proponalur consilium fraudendi
habuisse, lamen qui creditores habere se soit, et universa
bona sua alienavit, intelliqendus est fraudandorum creditorum consilium habuisse. 1
Comment, en effet, interpréter autrement une pareille
conduite? Qu’un homme puisse, par convenance, par cal
cul et quelquefois même par besoin, se défaire de quel
ques-uns de ses immeubles, on le comprend. Mais aliéner
tout ce qu’on possède, pour se trouver ensuite en présen
ce d’une masse de créanciers non payés, c’est évidem
ment n’avoir agi que pour se soustraire à des exécutions,
en dénaturant sa fortune et en la faisant disparaître.
1448. — La présomption tirée de l’aliénation de tout
ou de lapins grande partie de ce qu’on possède, ac
querrait une autorité encore plus imposante si, inter
pellé d’indiquer l’emploi des ressources en provenant,
le débiteur était dans l’impossibilité d’en rendre un
compte satisfaisant. Si l’aliénation inspire la pensée
d’une fraude, cette impossibilité én justifierait l’exis
tence; en démontrant le détournement du prix, elle as
signerait un but à la conduite du débiteur, et ce but,
n’étant que le détournement lui-même, serait la démons
tration la plus palpable de la fraude opérée contre les
créanciers.
Ceux-ci étant recevables à demandercompte de l’em1 L. 4 7, § I, Dig. Quœ in fraud. crédit.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
225
ploi du prix, sont également recevables à soutenir que
les créances prétendues payées par le débiteur n’étaient
ni sérieuses, ni sincères. La preuve de leur simulation
ne permettrait plus de concevoir un doute sur la certi
tude de la fraude reprochée.
1449. — Remarquons que la présomption, se tirant
de l’aliénation de tous les biens, peut également naître
d’une aliénation partielle plusieurs fois répétée. Ainsi,
l’ensemble de la conduite du débiteur peut donner des
indices qui ne sont pas à dédaigner. Si, après avoir vendu
un premier immeuble sans nécessité bien démontrée,
il en vendait un second, un troisième, etc., on pourrait
voir dans la fréquence et le nombre de ces aliénations,
une présomption qui, quoique moindre que celle résul
tant d’une aliénation totale, ne manquerait cependant
ni de gravité, ni de valeur.
Ajoutons que la nature des aliénations est une cir
constance décisive. Si elles avaient été réalisées à titre
gratuit, la fraude, nous l’avons déjà dit, serait de plein
droit admise en faveur des créanciers.
1450. — 2° Qualité des parties.
Cette présomption se mesure, quant à ses effets, sur
le degré de parenté ou d’alliance existant entre les par
ties contractantes. La proximité fait présumer facilement
la fraude,et ce principeldu droit romain, notre loi se
l’est appliquée lorsque, s’agissant de la simulation par
interposition de personnes, elle considère de plein droit
�TR A ITE
226
comme personne interposée l’ascendant, le descendant,
l’époux de l’incapable ou ses alliés au même degré.
C’est aussi que l’intérêt de l’un est en quelque sorte
l’intérêt de l’autre ; qu’indépendamment du lien intime
qui les unit, ils ont, en outre, la faculté de frauder, au
moyen de ces pactes de famille qui permettent toute
sorte d’abus, clandestinis et domeslicis fraudibus, quibus
quidvis facile confingi potest.1Alors, en effet, il est fa
cile de faire revivre des droits sérieux dans l’origine,
mais qui avaient été légalement éteints, de déchirer des
quittances, de dissimuler des traités. C’est ce qui se réa
lisait dans l’hypothèse de l’arrêt de la Cour de cassation
du 12 février 1849, plus haut cité. L’hypothèque an
nulée ayant été accordée au fils pour la garantie d’une
donation contractuelle que tout faisait présumer avoir
été depuis longtemps réalisée.
Or, ce que les parents les plus rapprochés sont capa
bles de faire par affection et intérêt, des parents plus
éloignés peuvent le faire par affection ou seulement par
complaisance. Le désir de venir au secours d’un parent
fait fermer les yeux sur la nature du moyen employé et
sur la gravité du préjudice qu’on va occasionner à des
intérêts légitimes.
Il est donc impossible d’accepter comme l’expres
sion de la vérité pure un acte intervenu entre de telles
parties, alors surtout que par le fait cet acte constitue
un préjudice, en dépouillant des créanciers du gage
sur lequel ils devaient compter.
2 Perezius, lococilato, n° 10.
�227
1451. — 5° Rétention de la possession par le pré
tendu vendeur.
La conséquence la plus directe, la plus immédiate de
toute aliénation est, sans contredit, le transfert de la
propriété de la chose aliénée, avec ses attributs natu
rels, et notamment la jouissance qui en est le principal.
On n’achète pas pour ne pas jouir, pas plus qu’on ne
vend pour retenir la chose ; conséquemment, d’une
part, l’abandon de cette jouissance, de l’autre la réten
tion de la possession constituent une double et inces
sante protestation contre la sincérité de l’opération.
Un pareil fait n’a qu’une signification logique. Ce
qu’on a voulu réellement c’est, par le déplacement no
minal et apparent de la propriété, en assurer le bénéfice
au prétendu vendeur en l’exonérant de toutes les char
ges. Ici encore, l’événement, à savoir : le préjudice que
les créanciers sont dans le cas d’en éprouver, vient ré
soudre avec la plus évidente certitude le doute que
l’existence de l’acte peut créer.
DU D O L E T D E L A F R A U D E .
1452. — Cela est tellement certain pour les parties
elles-mêmes, qu’elles se garderont bien de faire de
cette rétention une des conditions apparentes du con
trat , ou de l’insérer dans ses stipulations. Ce sera
tacitement, par une contre-lettre secrète, ou par une
prétendue convention de bail que cette importante mo
dification de la vente sera arrêtée.
Mais, quelle que soit la forme employée, ce qui sera
décisif, c’est le fait en lui-même : Plus valet quod agilur
quam quodsimulate concipitur. Il suffira donc de la ma-
�223
T R A ITE
térialité convenue ou prouvée, pour que l’attention de
la justice soit vivement excitée, et que l’intention réelle
des parties soit l’objet des plus sévères investigations.
1455. — La rétention de la possession se réalise,
soit que le vendeur ait continué d’exploiter les biens
vendus par lui-même ou par un fermier choisi par lui,
et agissant sous son autorité ou par ses ordres, soit que
paraissant retirer lui-même les fruits, l’acheteur en ait
lait annuellement compte à son prétendu vendeur. Cha
cun de ces faits peut être l’objet d’une preuve testimo
niale dont le recevabilité, en faveur des créanciers, ne
pourrait être contestée.
Dans plusieurs circonstances, et pour mieux colorer
la fraude, la rétention de la possession se couvrira du
prétexte d’un bail consenti par l’acheteur lui-même ou
par un intermédiaire qu’on aura interposé pour accré
diter d’autant la sincérité de l’opération. Mais le sousbail, comme le bail lui-même, est repoussé par un motif
qui, n’ayant rien de légal, est cependant fondé sur la
nature des choses. En général, on n’aime pas à se voir,
à titre de mercenaire, sur une propriété qu’on possédaità
titre de propriétaire, et dont la vue incessante aug
mente et entretient le souvenir des contrariétés et des
malheurs qui l’ont fait sortir de vos mains. La conduite
contraire indique une dose de philosophie qu’il n’est
pas donné à tout le monde de posséder.
Tout ce qui n’est pas naturel n’est pas vraisemblable.
Aussi Texistence du bail, en pareilles circonstances, le
rendra suspect de n’être que le complément nécessaire
�DU D O L E T D E L A F R A U D E .
229
de la fraude. Il est môme une hypothèse où ce soupçon
deviendrait une certitude, à savoir .-celle où le prétendu
preneur, simple propriétaire ou industriel, serait obligé,
pour exécuter le bail, de recourir à un sous-preneur.
1454. — 4° L’exécution occulte et clandestine.
Les parties qui donnent à leur convention une exé
cution occulte et clandestine prouvent, par cela même,
par leur propre témoignage, le peu de sincérité de
cette convention. Si elles se cachent, c’est qu’elles
craignent, c’est qu’elles ont.recours au mensonge et à
la ruse, c’est, enfin, qu’elles veulent tromper ceux
qu’elles prétendent laisser dans l’ignorance la plus com
plète sur un fait qu’il leur importerait de connaître. La
vérité loyale et franche n’a pas besoin de mystère, elle
peut se présenter et dédaigner toutes précautions de ce
genre. Ce n’est donc pas elle que les parties ont voulu
soustraire à tous les regards ; comment, d’ailleurs, ne
pas faire soupçonner la fraude, lorsqu’on en emprunte
les allures et la forme?
1455. — Chacune de ces présomptions générales a
par elle-même une valeur réelle et incontestable. Suffi
rait-elle pour faire admettre l’action des créanciers?
C’est là une question que la conscience du juge peut
seule résoudre, si jamais elle pouvait s’élever. En effet,
il est peu présumable que cette présomption s’offre
dans une circonstance sans qu’elle soit accompagnée
d’autres faits qui, venant à son appui, détermineront
la conviction qu’elle tend à établir.
�230
T R A ITÉ
1*456- — En effet, à côté de ces présomptions géné
rales, il en existe une foule d’autres que chaque espèce
est dans le cas de faire surgir. Ainsi, l’acte sous seingprivé, les clauses extraordinaires qu’il peut renfermer,
le défaut de mention de la réelle numération dans l’acte
public, l’insolvabilité notoire d’une des parties, la dé
confiture, la position de fortune du prétendu acquéreur
ou prêteur, enfin la vileté du prix.
1457. — Sans doute, on pourrait dire avec M. Troplong, ' que le prix conventionnel, quoique modique,
n’en est pas moins sérieux dès que l’intention de l’exi
ger est certaine, qu’ainsi,il ne suffît pas que le prix ne
soit pas en proportion avec la valeur réelle de la chose,
pour qu’on soit autorisé à conclure à la fraude.
Si cela peut être admis, c’est évidemment lorsque le
vendeur, libre de toute obligation envers des tiers, a
l’entière disposition de sa fortune. La partie du prix
qu’il consent à ne pas exiger est acquise à l’acquéreur
à titre, pour ainsi dire, de libéralité. Or, celui qui
pourrait donner tout, peut, incontestablement, donner
une part quelconque. On conçoit donc qu’il ne pourrait
obtenir la résiliation de la vente sur le prétexte de la
vileté du prix.
Mais il ne saurait en être de même dans l’hypothèse
nous occupant. Celui qui a des créanciers doit tout
d’abord les satisfaire. Si, avant de remplir ce devoir, il
distrait ou détourne une partie de son actif, il commet,
1 Ve la vente, art. i 592, n° ISO.
�DU D O L E T D E L A F R A U D E .
231
par cela seul, une fraude dont les créanciers sont auto
risés à lui demander compte.
Or, ce détournement s’opère par une vente à vil prix
comme par une soustraction matérielle. Cette vente est
considérée dès-lors comme faite en fraude de ceux-ci.
Elle doit d’autant plus l’être que cette vileté du prix
peut n’être qu’apparente, et, conséquemment, que le
résultat d’un concert entre les parties pour s’avantager
mutuellement au détriment des tiers.
Dès-lors la vente à vil prix crée une présomption
de fraude contre le débiteur. Ce qu’il a consenti à
ne pas exiger de la valeur réelle, est un abandon volon
taire, une véritable donation qu’il ne devait pas, qu’il
ne pouvait pas consentir avant de s’être libéré de ses
dettes. On doit d’autant mieux le décider ainsi, que la
vente, à l’effet de soustraire ce qui en fait l’objet aux
poursuites des créanciers, est essentiellement fraudu
leuse ; que la vileté du prix ne sera que la conséquence
de la nécessité de vendre à tout prix, pour sauver au
moins ce que l’acheteur consentira de donner.
Relativement à ce dernier, la vileté du prix qu’il
donne perdrait de son importance, si la différence en
tre le prix stipulé et la valeur réelle est de peu d’im
portance. Chacun veut acheter au plus bas prix possi
ble, et l’exercice de ce droit ne peut jamais constituer
une fraude.
Mais si«.la différence est considérable, si elle est cerîaine, visible, palpable, rien ne peut justifier l’ache
teur. S’il l’a exigée, c’est qu’il a connu la position du
�232
TR A ITÉ
vendeur, la nécessité dans laquelle il s’est trouvé de
vendre et le but qu’il s’est proposé. S’il s’est borné à
accepter l’offre que lui aurait faite ce dernier, cette
offre aurait dû alarmer sa loyauté et lui faire soupçon
ner la fraude. Il a donc volontairement consenti à pro
fiter de cette fraude, s’il ne l’a pas exploitée à son pro
fit, et, dans l’un et l’autre cas, la révocation est la juste
récompense de sa conduite.
Enfin, les antécédents et la moralité des parties four
nissent un utile contingent à l’appréciation des actes
intervenus entre elles,
Nous n’avons pas épuisé la série des présomptions
relevées par les auteurs tant anciens que modernes.
Nous avons dû nous borner à rappeler celles qui seront
le plus habituellement invoquées devant les tribunaux.
1458. — Ce que nous devons ajouter, sans revenir
autrement sur ce que nous avons déjà dit,'ic’est que la
pertinence des présomptions est souverainement appré
ciée parle juge. Appelé à prononcer comme juré, le
magistrat ne doit compte qu’à sa conscience de la con
viction qu’il puise dans l’ensemble des faits et circons
tances du procès.
1 V. s u p noi 254 etsuiv.
-------- --------------------
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
233
SECTION IV. — A QUELS ACTES S’APPLIQUE L’ACTfON.
SOMMAIRE.
1459. Tous les contrats peuvent être attaqués par l'action
Paulienne, à quelle? conditions ?
1460. Division.
1459. — Tous les contrats peuvent être attaqués
par l’action Paulienne, à ces deux conditions néan
moins : 1° qu’ils soient de nature à causer un préjudice
aux créanciers ; 2° qu’ils aient été souscrits dans cette
intention. En d’autres termes, nous retrouvons ici les
exigences requises en matière de dol : Consilium et
eventus.
Toutefois, le premier de ces caractères peut résulter
delà nature du contrat. Ainsi, les libéralités à titre gra
tuit le font admettre depleindroit.Telle était la doctrine
du droit romain 'que nous avons eu déjà l’occasion de
rappeler, telle est celle que notre droit ancien a légué à
notre Code actuel.
1460 — Pour procéder avec plus de méthode et de
clarté, nous allons, dans des articles spéciaux, traiter
des principaux contrats pouvant être attaqués par l’ac
tion Paulienne, et examiner pour chacun d’eux les
effets qu’elle est dans le cas de produire, et sa durée.
�234
TRAITÉ
§ 1" — DU M A R IA G E ,
SOMMAIRE.
1461. La loi n’a pas compris la simulation au nombre des
moyens admis pour attaquer le mariage; pourquoi?
1462. Etranges conséquences que la doctrine contraire
créerait.
1463. Mais pourra-t-on soutenir que le mariage n’a été qu'un
moyen pour acquérir frauduleusement des. avanta
ges attachés à sa célébration?
1464. Espèce dans laquelle l’affirmative a été jugée.
1465. Le mariage de la malade avec le médecin qui l’a soi
gnée dans la maladie dont elle est morte, fait-il
disparaître l’incapacité dont le médecin est frappé?
1466. La ratification expresse ou tacite de la part des héri
tiers couvrirait l’invalidité du mariage. Conséquen
ce quant à La prescription.
1467. La constitution dotale.consentie par le père peut être
attaquée par les tiers, comme faite en fraude de
leurs droits.
1468. Système du droit romain; distinction entre la fille et
le gendre, quant auxfeffêts de la fraude.
1469. Ce système devint celui de notre ancien droit.
1470. Le Code ne contient à cet égard aucune disposition
expresse. Jurisprudence jusqu’en 1847.
1471. Arrêt de la Cour de cassation du 23 juin 1847, statuant
que, pour la fdle elle-même, la constitution dotale
est faite à titre onéreux.
1472. Critique que M. Dalloz fait de cet arrêt,
�DD D O L E T D E L A F R A U D E .
235
1473. Réfutation.
1474. Persistance de la Cour de cassation dans la jurispru
dence de l’arrêt de juin 1847. 1475. Conclusion.
1476. Conditions indispensables pour que la donation soit'
considérée comme faite en vue du mariage.
1477. Les créanciers du mari peuvent-ils attaquer la recon
naissance et la quittance frauduleuse de la dot
contenue dans le contrat de mariage ?
1478. Quid, de la quittance de la dot consentie pendant la
durée du mariage ?
1479. Le droit qu’ont les créanciers peut-il être exercé par
les héritiers du mari ?
1480. Opinion des auteurs anciens.
1481. Solution que les dispositions du Code, sur les dona
tions entre époux, font consacrer.
1482. Droit des héritiers de demander la réduction en cas
d’excès.
1483. Dangers que la séparation de biens fait courir aux
créanciers,
1484. A la femme elle-même.
1485. Faculté accordée à celle-ci de prendre toutes mesures
conservatoires. Etendue de cette, faculté.
1486. Cette faculté comprend-elle le droit de faire apposer
les scellés sur les effet de la communauté ? A
quelles conditions le mari pourra-t-il en obtenir
la levée ?
1487. La gravité de ces mesures en a fait soumettre l’exé• cution à l’autorisation préalable du président du
tribunal civil.
1488. jVIais la requête aux fins de cette autorisation n’a pas
besoin d’être communiquée au mari.
1489. Caractère de l’autorisation.
1490. Toutes les mesures autorisées en cas de demande en
séparation de biens, peuvent être réalisées par la
femme demanderesse en séparation de corps.
1491. La séparation de biens, qui n’est que la conséquence
de la séparation de corps, n’est pas soumise, quant
�à la demande, à la publicité exigée pour la poursuite1
de la première.
1492 Abus qu’On a fait de'la séparation de biens.
1493. Précautions que cet abus avait suggérées au législa
teur.
194. 1° Publicité de la demande. Son objet.
1495. Le créancier intervenant a le droit de contester la de
mande et de la faire rejeter.
1496. Effet du défaut de publicité.
1497. 2° Conditions d’admissibilité de la demande. Epoque
du jugement.
1498. Le délai exigé par l’article 869 du Code de procédure
civile est prescrit à peine de nullité.
1499. Obligation pour la femme de prouver le désordre des
affaires de son mari. Sévérité que les tribunaux doi
vent apporter dans son accomplissement.
1500. Faits tendant à établir cette preuve. Preuve orale.
1501. Peut être ordonnée d’office par le juge.
1502. 3° Publicité du jugement. Son objet.
1503. Elle est prescrite à peine de nullité.
1504. 4° Exécution du jugement. Présomption résultant de
son absence. Délai dans lequel elle doit s’accomplir.
1505. Motifs pour lesquels la loi assimile la poursuite à
l’exécution.
1506. Controverse que la nécessité d’agir dans la quinzaine
a fait naître. Dans quel sens elle a été tranchée.
1507. Constatation que doit recevoir l’exécution volontaire.
1508. Si l’exécution consiste dans le paiement, ce paiement
doit être réel et intégral, au moins jusqu’à concur
rence des biens du mari.
1509. A défaut de paiement, la poursuite doit être commen
cée dans la quinzaine et continuée sans interruption.
1510. Exception que cette règle comporte.
1511. Caractère du jugement régulièrement rendu entre les
époux et entre les tiers. Faculté pour ceux-ci de
l’attaquer pendant un an.
1512. Effet du silence gardé par les créanciers pendant ce
délai.
�DU D O L E T D E U
FRAUDE.
237
1513. Les créanciers postérieurs à la séparation ne peuvent
se plaindrede l’exécution tardive qu’elle aurait re
çue, à moins que cette exécution n’eût été posté
rieure à la date de leur créance.
1514. Les créanciers qui ont laissé expirer l’année sans
réclamer sont-ils recevables à attaquer la sépara
tion comme faite en fraude de leurs droits ?
1515. Conclusion.
1516. L'effet rétroactif du jugement de séparation au jour de
la demande, est-il opposable aux tiers comme au
mari ?
1517. Distinction à l’aide de laquelle cette question doit être
résolue.
1518. La dissolution du mariage par la mort d’un des époux
peut devenir une occasion de fraude.
1519. Le détournement de l’actif est la fraude la plus re
doutable.
1520. Caractère de ce. détournement pour la femme dotale
ou commune en biens.
1521. Droits que la loi reconnaît à la femme, relativement à
la communauté.
1522. Effets produits, quant à ce, par le récélé dont elle se
rend coupable.
1523. Effets du récélé commis par le.mari ou ses heritiers.
1524. Les peines édictées par la loi doivent-elles seules être
appliquées, et devrait-on refuser les dommages-inté
rêts réclamés.
1525. La femme renonçante ne pourrait exciper de son ré
célé pour se faire restituer contre la renonciation.
1526. Lés héritiers du mari peuvent ne pas faire prononcer
la nullité de la renonciation.
1527. Mais dans tous les cas, et par rapport aux créanciers ,
la femme est commune par cela seul qu’elle a ré
célé.
1528. La femme ou ses héritiers peuvent faire annuler la
renonciation qu’ils n’auraient faite que par une con
séquence des récélés commis par le mari.
1529. Doit-on placer sur la même ligne le récélé et la fausse
�238
TRAITE
supposition de créances à la charge de la succes
sion?
1530. Droit des créanciers de la femme de faire annuler la
renonciation qu’elle aurait faite en fraude de leurs
droits.
1531. Comment s'établirait la preuve de cette fraude ?
1532. Les créanciers personnels de l’héritier de la femme
ont le même droit contre la renonciation émanée
de celui-ci.
1533. Les créanciers de la femme ou de son héritier peu
vent-ils quereller l’acceptation faite par l’un ou par
l’autre ?
1534. Effet de la révocation obtenue par les créanciers.
1535. L’action en révocation de la renonciation ou de l’accep
tation se prescrit par dix ans. Doutes sur le point
de départ de ce délai.
1536. Le détournement commis avant la dissolution du ma
riage est assimilé au récélé.
1537. Caractère que doit avoir celui-ci.
1538. L’action d’un époux, pour la répression des fraudes
commises à son préjudice par son conjoint pendant
la durée du mariage, passe à l’héritier.
1539. La femme peut-elle obtenir contre les tiers la nullité
des baux de ses biens paraphernaux consentis par
le mari ?
1461. — Le mariage était un acte trop important, trop
solennel, pour qu’on l’abandonnât aux règles tracées
par le Code pour les contrats ordinaires. Indissoluble
par essence, recevant la double sanction de la loi et de
la religion, destiné à devenir la source de la famille, il
touchait de trop près à l’intérêt social, pour qu’il ne dût
pas être rangé, quant à ses conditions et ses formes,
dans une catégorie spéciale.
C’est ce que le législateur a parfaitement compris,
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
w
aussi le voyons-nous, dans un titre particulier du Code,,
régler tout ce qui lui est relatif, circonscrire les moyens
de nullité dans un cercle très étroit, dire par qui, quand
et comment ils pourraient être opposés.
La simulation n’a nullement été placée au nombre de
ces moyens de nullité. Ce silence suffirait donc pour
faire écarter la demande à laquelle elle servirait de base.
Indépendamment de son caractère légal et juridique,
cette conclusion découlait invinciblement de la nature
des choses et de la raison la plus évidente.
En effet, on ne peut se faire une idée d’un mariage
simulé dans l’acception ordinaire de ce mot. La si
mulation suppose que l’acte que les parties ont fait en
apparence est tout autre que celui qu’elles ont voulu et
entendu faire en réalité : Cum aiiucl agilur, alindmnulatur; ilf autdone, pour qu’on puisse en admettre l’exis
tence, qu’à côté du contrat apparent puisse se placer
la possibilité d’un autre qu’on devra préférer. Or, que
pouvaient vouloir ceux qui, après l’accomplissement
des formalités spéciales, ont procédé à la célébration,
civile et religieuse de leur mariage, si non se marier?
1462. — A ce point de vue donc,, on ne compren
drait pas le reproche d’une simulation. On le comprend
bien moins encore en présence des conséquences véri
tablement étranges auxquelles la doctrine contraire ar
riverait infailliblement.
Ainsi,, et par cela seul que le mariage est célébré, ses
effets légaux se produisent en faveur et contre tous. Les
époux ne peuvent contracter un nouveau lien sans en-
�240
TRAITE
courir la peine de la bigamie; la femme est de plein
droit placée sous l’autorité maritale; les enfants nés de
ce mariage sont par cela seuls légitimes; ceux que
l’époüx aurait d’une autre personne que de son conjoint
seraient adultérins. Tout cela serait cependant un men
songe! On viendrait soutenir que le mariage est simulé;
que les parties n’ont pas eu l’intention de s’unir; qu’el
les ne se sont pas réellement et sérieusement épousées ;
que leur consentement n’a été qu’une comédie, c’està-dire qu’on aboutirait à la plus monstrueuse absurdité.
Le maintien absolu du mariage et la prohibition de
l’attaquer pour simulation sont donc justifiés par la
simple raison et commandés par le bon sens.
1465. — Mais si le mariage ne peut être querellé,
pourra-t-il l’être comme moyen de simulation ? Est-on
recevable à soutenir qu’il n’a été consenti que pour ac
quérir des avantages soumis à cette condition ou pour
éluder une incapacité légale?
1464. — Déjà nous avons cité une espèce dans la
quelle la Cour d’Aix, par arrêt du 4 mars 1813, sans
s’expliquer sur le mariage en lui-même, refusa de lui
faire produire les effets en vue desquels elle le déclara
frauduleusement consenti. 1
1465. — L’incapacité édictée par l’article 909 a
fourni de nombreux exemples de ia seconde hypothèse.
1 V. sup., n04 542 el suiv.
�I)U DOL ET DE LA FRAUDE.
241
Un médecin, voulant échapper à cette disposition et re
cueillir les biens de sa malade, l’épouse dans la durée
de la dernière maladie. Ce mariage fait-il disparaître
l’incapacité et rend-il le médecin apte à recueillir les
libéralités qu’il obtient par ce moyen?
La question ne saurait être douteuse pour les libéra
lités antérieures au mariage. En supposant même que
le mariage fit disparaître l’incapacité, cet effet ne se
réaliserait que pour l’avenir, à dater de sa célébration,
mais il ne ferait pas disparaître cette incapacité pour le
passé. Tout ce qui aurait été fait avant le mariage et
pendant la maladie serait donc frappé de nullité, si
cette maladie s’était terminée par la mort.
Mais l’annulation de tout ce qui aurait suivi le ma
riage fait naître beaucoup plus de difficultés. L’ar
ticle 909, a-t-on dit, et cela est vrai, ne concerne pas
le mari médecin donnant les 'secours de son art à sa
femme malade. C’est là non-seulement exercer un
droit, mais encore remplir un devoir que sa tendresse
d’époux autorise, que la morale sanctionne. On ne
saurait donc, sans une révoltante injustice, condamner,
comme une odieuse spéculation, ce qui n’est que la
conséquence d’une affection légitime.
Mais peut-on assimiler à ce mari le médecin qui n’est
mandé que pour donner des soins à une malade, qui,
incapable à ce titre de recevoir une libéralité quelque
peu importante, devient son mari pour pouvoir recueil
lir une fortune dont la possession a seule motivé sa
démarche en excitant sa convoitise, et qui la recueille
effectivement peu de temps après, la malade n’ayant
m
H
�24 2
TRAITE
pas survécu à la maladie? Un pareil mariage, alors sur
tout que l’homme de l’art n’a pu se dissimuler le carac
tère essentiellement mortel de la maladie et la certitude
d’une issue fatale, n’inspire-t-il pas l’idée d’pne fraude
pour échapper à l’article 909? Est-il dès-lors rationnel
et juste de tolérer une aussi odieuse, une aussi déloyale
spéculation?
C’est cependant pour l’affirmative que s’est depuis
longtemps prononcée la Gourde cassation, elle a, par
arrêt du 50 août 1808, déclaré capable, comme mari, le
médecin qui n’a épousé sa malade que pendant le cours
de sa dernière maladie.
Mais, quelque respect que nous inspire la haute science
de la Cour régulatrice, sa décision, nous osons le dire,
ne satisfait ni h la raison, ni à la justice. Ainsi elle conconsacre la possibilité d’éluder la prohibition de l’ar
ticle 909 et l’abus d’influence qui en fait le fondement,
par cet abus même poussé j usqu’à ses dernières limites.
Peut-on en effet supposer que, rongée parle mal qui la
dévore, une femme puisse dans son agonie concevoir
et exécuter spontanément un projet de mariage? C’est
à l’aide de mensonges, de promesses de guérison, dont
le mariage sera lui-même offert comme un gage de sin
cérité, qu’on l’y déterminera, et c’est à cette chiméri
que espérance qu’on devra ce consentement à une union
destinée à ne pas être consommée.
Une pareille conséquence, et elle se réalisera géné
ralement dans ce cas, est plus qu’un mensonge, c’est
une profanation, et nous dirons sans hésiter, avec
M. Duranton : Il ne faut pas que la sainteté du ma-
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
‘243
riage soit un moyen de couvrir une fraude 5 la loi. Un
homme qui ne le contracte qu’avec la mort, pour ainsi
dire, en vue de s’approprier une fortune qu’il est inca
pable de recueillir en sa qualité de médecin du dispo
sant, réunit en sa personne l’indignité et l’incapacité,
et l’une ne saurait couvrir l’autre. '
Qu’on ne touche donc pas au lien honteux qu’il a eu
le triste courage de former, mais qu’on lui arrache la
fortune en vue de laquelle il a entrepris et exécuté cette
indigne, cette odieuse comédie. Mieux vaudrait, plutôt
que de décider le contraire, effacer l’article 909 de nos
Codes. L’influence médicale y gagnerait sans doute, elle
pourrait se faire une large part des dépouilles de la per
sonne qu’elle n’a pu sauver, mais du moins on ne ver
rait plus un cadavre traîné à la mairie et à l’autel pour
y célébrer un mariage que viendra fatalement inter
rompre le glas de la mort.
Ces idées, que la plus saine morale avoue, sont des
tinées à prévaloir; déjà la Cour de cassation a introduit
dans sa jurisprudence de 1808 une modification qui en
fait présager une dernière, mais décisive, dans le sens
que nous indiquons. Elle a, le 11 janvier 1820, rejeté
un pourvoi formé contre un arrêt de la Cour de Paris
décidant que le mariage pendant la dernière maladie,
n’ayant eu pour objet que d’éluder l’article 909, n’en
faisait pas disparaître la prohibition.
Il est vrai que la Cour de cassation semble ne pas ad
mettre ce principe, et n’autoriser la nullité que lorsqu’il
�est prouvé que les libéralités, au lieu d’avoir été déter
minées par l’affection conjugale, n’ont d’autre cause
que l’empire que le médecin avait sur sa malade, et les
manoeuvres du donataire dans les derniers moments de
la vie de la donatrice.
Mais si le mariage lui-même n’a été que la consé
quence de l’empire exercé par le médecin sur l’esprit
de la malade, n’est-il pas évident que tout ce qui aura
suivi procédera de la même source et participera du
même vice. La doctrine de la Cour de Paris nous paraît
donc plus logique, lorsqu’elle va chercher la nullitéfde
l’effet dans la nullité de la cause elle-même.
C’est à cette doctrine que se range M. Marcadé, mal
gré que, sur le principe de la capacité, il pense comme
la Cour de cassation. Mais ce principe, dit-il, doit flé
chir, s’il était prouvé par les héritiers du disposant que
le mariage n’a été contracté que dans le but d’échapper
à la prohibition de l’article 909. Dans ce cas, les libé
ralités n’en seraient pas moins annulées par la mort de
la malade, car la conduite infâme d’un homme, qui n’a
formé le plus saint des contrats que comme un moyen
de réaliser ses honteux calculs, ne saurait le relever de
l’incapacité qui frappait sur lui. 1
La question réduite à ces termes, comment pourraiton prouver plus énergiquement le calcul infâme du mé
decin, autrement que par le fait du mariage lui-même?
Quel pouvait être le but de sa célébration, chez le mé
decin sachant que la malade est inévitablement vouée
�DU DDL ET DE LA FRAUDE.
245
à la mort, et pouvant, en quelque sorte, mesurer avec
certitude le peu de jours pendant lesquels elle peut sur
vivre encore? A-t-il espéré cette association intime,
cette mutualité de plaisirs et de peines qui"fait le char
me de la vie? A-t-il été bercé du doux espoir de ren
contrer, dans une heureuse paternité, des objets nou
veaux à chérir? Enfin a-t-il cédé au désir de posséder
celle qui excite ses passions? Mais aucune de ces illu
sions ne lui a été permise, pas même la dernière, car
celle qu’il épouse cependant, touchant déjà aux portes
de la mort, n’est plus peut-être qu’un objet de pitié et
de dégoût. Qu’a-t-il donc cherché dans ce mariage, si
non cette fortune si ardemment convoitée, et qui de
vait, dans sa pensée, en être le prix.
La fraude est donc prouvée par le fait seul du mariage.
Dès-lors, et au nom des sentiments exprimés par M.
Marcadé, la justice doit maintenir une prohibition si
nécessaire au repos des familles !
Nous ne saurions au reste mieux résumer les motifs
de cette opinion qu’en transcrivant un jugement du tri
bunal civil de la Seine, qui les déduit avec une remar
quable précision :
« Attendu que la prohibition prononcée par l’ar
ticle 909 a pour motif unique la présomption légale de
l’empire que celui qui pratique l’art de guérir exerce sur
l’esprit du malade auquel il administre les secours de
son art pendant la dernière maladie ; que lorsque le
motif de cette loi reçoit son application, on ne peut en
éluder les dispositions par des moyens indirects, parce
�2 46
TRAITE
qu’on ne peut faire indirectement ce que la loi défend
de faire directement ;
« Qu’un mariage contracté entre le médecin et sa
malade, pendant le cours de sa dernière maladie, lors
qu’elle est de nature à ne laisser à l’homme de l’art au
cune vraisemblance de guérison, ne présente ni avan
tage légitime pour les parties contractantes, ni intérêt
pour la société ; qu’il n’est qu’un moyen d’échapper à
l’incapacité, et une forte et nouvelle preuve de cet em
pire, véritable motif de la prohibition ;
« Que l’on doit distinguer le cas où la qualité de mé
decin est modifiée par des circonstances naturelles et
non suspectes, telles que celles prévues par l’article 909,
d’avec ceux où ces circonstances ne sont que le résultat
de calculs et l’effet de l’art employé par la personne
prohibée, qui s’est efforcée de se placer elle-même dans
un des cas d’exception. »
Ce jugement fut déféré à la Cour d’appel de Paris,
mais, par arrêt du 24 février 1817, celle-ci le confirme
sur ce chef, considérant que le mariage du médecin
avec sa malade, pendant la durée de la dernière maladie
dont elle est morte, ne couvre pas l’incapacité établie
par l’article 909.
Plus tard, la Cour de Paris a été de nouveau appelée
à se prononcer sur la question, et, son arrêt du ,26 jan
vier 1819, consacre de nouveau la solution donnée par
celui de 1817. « Considérant, en fait, que les libéralités
attaquées ont été faites durant la maladie dont la dona
trice est morte ; et que le bénéficiaire était son médecin
ordinaire; en droit, considérant que l’incapacité que
�DU DOL ET DE LA KHAUDE.
217
cette qualité lui infligeait, aux termes de l’article 909,
n’a pu être effacée par un mariage uniquement contracté
pour échapper à la prohibition de la loi. »
C’est le pourvoi formé contre cet arrêt que la Cour
de cassation rejette par sa décision du 11 janvier 1820,
dont nous avons déjà parlé. Ce qui, dès-lors, semblerait
résulter de ce rejet, en présence de la solution de la
Cour de Paris, c’est que la preuve exigée par la Cour de
cassation, que les libéralité ne sont pas l’effet de l’affec
tion conjugale, s’induit de cela seul que le mariage n’a
été lui-même qu’un calcul à l’effet d’éluder la prohibi
tion de l’article 909.
Réduite à ces termes, que nous considérons comme
très juridiques, il est évident que les héritiers poursui
vant la nullité de libéralités de ce genre n’auront, en
aucune manière, à quereller de simulation la célébra
tion du mariage, ils ne devront soutenir qu’une seule
chose, à savoir : que le mariage a été imposé par l’in
fluence que la qualité de médecin donnait au mari sur
l’esprit affaibli de sa malade, et, conséquemment le ré
sultat de manoeuvres et non de l’affection ; à notre avis,
cette preuve résulte du mariage lui-même. Ce serait
donc au mari à prouver l’affection à laquelle il attribue
rait la conduite de la malade. Au reste, comme pour tou
tes les appréciations de fait, les juges sont, dans cette hy
pothèse, les arbitres souverains de la question, dont ils
puiseront la solution dans la position des parties, leur
qualité, la nature de la maladie, son incurabilité , enfin
la distance qui a séparé le mariage de la mort.
�248
TRAITE
1466- — II convient de faire remarquer que, malgré
que l’article 909 dispose dans un motif d’intérêt géné
ral , la vérité est qu’il a surtout en vue l’avantage de la
famille déshéritée par l’abus de l’influence qu’il con
damne : Primario spécial, utilitatemprivalam, et secundario publicam. La nullité qui résulte de sa violation
n’est donc pas absolue. Elle est purement respective,
comme l’aurait appelée notre ancienne jurisprudence.
Il suit de là que l’acte fait contrairement à l’article
909 est susceptible d’être ratifié expressément ou taci
tement par la partie qui en est lésée. Le silence gardé
pendant plus de dix ans faisant présumer cette der
nière, l’action qui n’aurait pas été intentée avant l’ex
piration de ce délai, serait éteinte par la prescription.
C’est ce qu’on devrait décider sous l'empire du Code.1
1467. — Le contrat de mariage, réglant les conven
tions matrimoniales, peut devenir l’occasion de fraudes,
non-seulement de partie à partie, ainsi que nous l’avons
déjà vu, mais des parties contre les tiers. En premier
lieu, une dotplusou moins considérable peut être cons
tituée par un homme en état d’insolvabilité, et le sa
chant lui-même. Si cet homme est le père, la constitu
tion de la dot sera-t-elle attaquable par les créanciers?
Devra-t-elle être annulée par le principe applicable aux
libéralités pures et simples, et quelle que soit la bonne
foi des époux?
1468- —• Le droit romain admettait l’action des
1 Cass., 21 août 1822.
�DU D O L E T D E L A F R A U D E .
240
créanciers, mais il distinguait, quant à ses effets, entre
le gendre et la fille.
A l’égard du premier, la dot était censée reçue à titre
onéreux. Elleétait, par rapporta lui, considérée comme
la condition essentielle de l’union aux charges de la
quelle elle devait contribuer : Marili elenim inluitu
onerosis eum litulis adnumerari oportere jarisconsuUiis
asserit, quia dos dalur ad sustinenda onera malrimonii,
el probabililer marilns indolalam non fuisset duciurus.* Aussi n’était-il soumis à l’effet de l’action l'évoca
toire des créanciers que s’il s’était associé à la fraude
du constituant : Si a socero fraudalore, sciens gener
accepit dotera, tenebitnr liac actions.2
Il n’en était pas de même pour l’épouse. Malgré qu’elle
eût, depuis la loi Julia et la constitution de l’empereur
Antonin, le droit de contraindre ses parent à la doter,1
tout ce qu’elle recevait à ce titre était considéré comme
une donation. Elle était donc tenue de le restituer à la
dissolution du mariage, quelle] que fût d’ailleurs sa
bonne foi. Il suffisait aux créanciers de prouver la fraude
du père pour que leur action révocatoire dût sortir à
effet.
1469. — Cette législation et ses conséquences de
vinrent le droit commun de la France, non-seulement
pour les pays de droit écrit, mais encore pour tous ceux
dont les coutumes étaient muettes sur l’action révoca1 Voët, ad Pendectas, 1. 42, lit. 8, n° 6.
2 L. 25, Dig. Quœ in fraud. cred.
J L. 19, Dig- Deritu nupt.;— 1. unica, Cod. De dot. promis.
�250
TRAITE
toire. On continua donc d’observer la distinction entre
les gendres et les filles, ainsi que les effets en résultant.
La révocation, dit Furgole, a lieu pour toutes sortes
de choses : immeubles, meubles, droits et actions don
nés non-seulement par les donations simples, mais en
core par les constitutions de dot. Mais si le mari a reçu
la dot, on distingue s’il a connu la fraude ou non. Au
second cas, les créanciers ne peuvent agir contre lui,
parce qu’il est considéré comme créancier ou acheteur;
mais, au premier, la révocation a lieu ; que, s’il s’agit
de l’intérêt de la femme à laquelle la dot a été constituée,
on n’examine pas si elle a eu connaissance de la fraude,
parce que, ;i son égard, c’est une libéralité à titre lu
cratif. 1
1470- — Le Code civil n’a pas suivi l’exemple du
législateur romain, en ce sens qu’il ne renferme au
cune disposition sur les effets de l’action révocatoire
de la dot, soit à l’égard de la femme, soit à l’égard du
mari. Mais, en ce qui concerne ce dernier, la jurispru
dence a toujours marché sur les traces que les législa
tions précédentes avaient pratiquées, et, considérant la
dot comme reçue à titre onéreux, elle n’a admis la ré
vocation qu’en tant que la preuve qu’il s’était associé à
la fraude du constituant était administrée.
Jusqu’en 1847, la jurisprudence n’avait eu à traiter
ce qui concerne la femme que d’une façon en quelque
1 Des Test., tom. iv , pag. 230, chap. I l , sect. 1, n° 20; — voy.
Despeisses , v° dot, part. 1 , sect. 1; — Domat, Lois civ., tit. 9,
sect. 2 , n° 1.
�DD
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
251
sorte subsidiaire, et à propos des conséquences que
pouvait entraîner contre elle la solution que recevait
la demande dirigée contre le mari. C’est ainsi notam
ment que, dans son arrêt du 6 juin 1844, la Cour su
prême s’arrêtant au lait, qu’un apport, que le contrat
de mariage constatait avoir été fait par le gendre, n’a
vait pas été réalisé, en concluait que la dot, prétendue
constituée en échange, n’était qu’une pure libéralité,
tantpau rofit de la fille qu’au profit du gendre, et dèslors susceptible de révocation, par suite de la faillite
du constituant.1
Mais cetarrêt, ainsi que l’observe M. Dalloz lui-même,
se renfermant dans les limites de l’appréciation qui le
motive, ne résout qu’une espèce. Il ne décide, en droit,
ni que la dot a pris sous le Code civil, qui ne la consi
dère plus comme obligatoire pour les parents, le carac
tère d’un acte de pure libéralité, susceptible de tomber
sous l’action révocatoire des créanciers, malgré la bonne
foi de celle qui l’a reçue, ni que ce caractère de dispo
sition gratuite serait imprimé à la dot par cela seul que
les apports annoncés par le mari ne se vérifieraient pas.
Sur l’une comme sur l’autre question, l’arrêt ne lie nul
lement l’indépendance absolue de la Cour suprême.
1471. — C’est ce qu’elle a pensé elle-même. Aussi
appelée à se prononcer, et cette fois directement, sur
l’action des créanciers contre la femme, à raison de la
dot, elle a jugé, le 23 juin 1847, que la constitution de
1 r». P., 44, 1, 410.
�252
TRAITE
dot, faite par un père au profit de sa fille, a le caractère
d’un contrat à titre onéreux non-seulement vis-à-vis du
gendre, mais encore à l’égard de la fille dotée; que, par
suite, les créanciers du constituant ne peuvent deman
der la révocation de cette constitution dotale, comme
faite en fraude de leurs droits, qu’autant que l’un et
l’autre des époux ont concouru à la fraude.
1472. — M. Dalloz, en rapportant cet arrêt1 l’ac
compagne d’une critique longuement exposée. Les fon
dements de cette critique reposent sur ces idées princi
pales :
« En droit romain, aux termes de la loi Julia et de la
constitution de l’empereur Antonin, la dot était obliga
toire pour les parents. Les enfants avaient droit de l’exi
ger. Cependant, malgré ce caractère, elle ne cessait
pas de paraître une pure libéralité, que la fraude seule
du constituant permettait aux créanciers de taire révo
quer, sans égard pour la bonne foi de l’enfant doté.
« Comment pourrait-il en être autrement aujourd’hui
que l’article 204, abrogeant la loi Julia et la constitution
de l’empereur Antonin, a converti en loi cette maxime
du droit coutumier, ne dote qui ne veut ; ne faut-il pas
en conclure que le caractère de pure libéralité de la
dot ressort bien plus évident encore de ce qu’elle n’est
plus obligatoire?
« Dès-lors si la dot n’est qu’une véritable donation,
elle doit, comme celle-ci, être révoquée malgré la bonne
1 47, i , 241.
�foi du donataire, et par la seule fraude du donateur. La
Cour de cassation a donc, en décidant le maintien de la
dot, sous prétexte de la bonne foi de l’épouse, méconnu
un principe qu’elle avait elle-même sanctionné, et aban
donné sa propre jurisprudence. *
1473. — Ce dernier reproche n’aurait pu être adressé
à la Cour que si, ayant admis pour la dot le caractère
d’acte à titre gratuit, elle l’avait soustraite à l’action
révocatoire, en se fondant sur la bonne foi de la fdle
dotée. Mais, loin de là, si la dot est maintenue jusqu’à
preuve de complicité dans la fraude du constituant,
c’est que, par rapport aux époux, il est déclaré qu’elle
est reçue à litre onéreux. En conséquence, en la soumet
tant aux règles régissant ces contrats, l’arrêt n’a voulu
ni pu méconnaître les principes applicables aux libéra
lités.
Se trompe-t-il, en donnant ce caractère à la consti
tution de dot? C’est ce qu’il fallait prouver, et c’est ce
que M. Dalloz ne fait pas, lorsqu’il se borne à s’en réfé
rer d’une part au droit romain, de l’autre à l’article 204.
Le droit romain! Nous reconnaissons que l’arrêt s’en
écarte, mais cela tient à une circonstance qui mérite
d’être relevée. Il était difficile, sous l’empire de ce droit,
qu’on n’appliquât pas la règle rappelée par M. Dalloz,
et cela par cette raison fort simple, le cas avait été lé
gislativement prévu et décidé. L’action des créanciers
avait été formellement donnée contre la fille dotée, alors
même qu’elle avait ignoré la fraude de son père, la
constitution dotale étant considérée par rapport à elle
�‘254
TRAITE
comme provenant en quelque sorte d’une pure libéra
lité : Quia inlelligitur quasi ex d o n a tio n e , aliqaid ad
eam pervenire. 1
Mais notre Code ne renfermant aucune disposition de
ce genre, on peut décider le contraire sans violer aucun
texte.
Ce texte existerait-il dans l’article 204, faut-il con
clure que, par cela seul qu’il a laissé aux parents la fa
culté de donner une dot ou de la refuser, il a entendu
faire de celle-ci une pure libéralité? Une telle conclu
sion, non justifiée d’ailleurs parle texte, serait contraire
à l’esprit qui l’a fait adopter. Ce que le législateur a
voulu par l’article 204, c’est protéger plus efficacement,
c’est renforcer la puissance paternelle que la loi Julia
avait voulu énerver, parce qu’elle portait ombrage aux
empereurs; c’est rendre impossible ces inquisitions
auxquelles était livrée la fortune privée, lorsqu’il s’agis
sait de fixer la quotité de la dot réclamée; c’est enfin
d’empêcber ces mariages contractés contre la volonté
et malgré la résistance des parents, auxquels la certi
tude de recevoir, dans tous les cas, une dot, était un si
puissant encouragement.
Voilà le but élevé et moral que l’article 204 a voulu
atteindre. C’est donc le méconnaître, ou tout au moins
le rabaisser singulièrement, que de le réduire aux pro
portions d’une simple question de savoir si la dot est
constituée à titre onéreux ou à titre gratuit.
Au surplus, tout ce qui s’induit, à cet égard, de l’ar1 L. 25. § \ , Dig. Quæ in frau d. crédit.
�DU
DOL
ET
DE
LA
1
F ÏAU D E.
255
ticle 204, c’est que Ja nécessité de doter n’est plus
pour les parents une obligation civile produisant une
action pour en contraindre l’obligation. Mais cela suffirait-il pour déterminer ce caractère purement gratuit
dont parle M. Dalloz? Nous ne le pensons pas, car celui
qui accomplit en donnant une obligation naturelle,
remplit un véritable devoir et ne peut être considéré
comme uniquement libéral. Or, que pour les parents,
la constitution de dot soit une obligation naturelle, c’est
ce que tout le monde reconnaît ; M. Troplong n’hésite
pas même à enseigner que la dot tient plus de la vente
que de la donation.1
Dans tous les cas, l’article 20-4 n’arriverait jamais
qu’à cette conséquence, à savoir : que le constituant, la
dot n’étant pas obligatoire, fait en la donnant une libé
ralité; mais pour que la libéralité soit atteinte parla
fraude de son auteur exclusivement, il faut que celui
qui l’a reçue l’ait acceptée à litre purement lucratif. Si,
par rapport à celui-ci, la libéralité prend un caractère
onéreux, elle ne pourra être révoquée que par la preuve
de sa complicité dans la fraude du constituant.
Cette divisibilité d’aspect de la dot, dans ses rapports
avec les différentes parties concourant au contrat, n’est
contestée par personne. Elle a toujours été consacrée
par la législation. C’est même ce qui est aujourd’hui
encore pratiqué vis-à-vis du gendre. L’article 204, qui
l’autorise pour celui-ci, l’a-t-il prohibé à l’égard de la
fille? Telle était l’unique difficulté qui s’offrit à la Cour
1 Contrat clc mariage, ai l. !589, n“ 130.
�256
TRAITE
de cassation, et que celte Cour a résolu par la négative,
sur les motifs suivants :
« Attendu que le principe écrit dans l’article 1167,
<jui permet aux créanciers d’attaquer les actes faits en
fraude de leurs droits, ne reçoit une saine application
qu’au moyen de la distinction entre les contrats à
titre onéreux et les contrats de pure libéralité ; que
c'est ainsi que les contrats de la première espèce ne
sont nuis, pour cause de fraude, qu’à l’égard des parties
qui ont pratiqué la fraude ou qui y ont participé ; que
l’article 1540’du Code civil déclare que, quel que soit le
régime adopté par les époux, la dot a pour destination
essentielle de pourvoir aux charges de l’union conju
gale; qu’ainsi l’acte qui constitue la dot n’est pas de
pure bienfaisance, mais participe des contrats onéreux
à l’égard de chacun des époux; que, sous ce rapport, il
y a un caractère particulier qui doit même le faire dis
tinguer de tous les actes de libéralité contenant des
conditions onéreuses ; qu’en effet, le contrat de mariage
est un pacte de famille immuable de sa nature, conclu
en vue d’assurer les moyens d’existence de la famille
nouvelle et l’accomplissement de toutes les obligations
qui pèsent sur l’un et l’autre des époux. »
Pourquoi ces considérations, reconnues justes et dé
cisives lorsqu’elles sont invoquées en faveur du gendre,
n’auraient-elles pas ce caractère au vis-à-vis de la fille?
Parce que l’obligation de restituer ne sera imposée à
cette dernière qu’à la dissolution du mariage ? Mais estce que cette dissolution entraînera avec elle toutes les
charges du mariage? Est-ce que notamment la veuve ne
�DU DDL
ET
DE
LA
257
FRAUDE.
sera pas obligée de nourrir sa famille, obligation que la
mort du mari, loin de l’alléger, aggravera singulière
ment en privant le ménage des ressources que son in
dustrie lui assurait?
En vérité, rien ne justifie la différence que le droit
romain avait consacrée, et qu’on veut, sous l’égide de
ses dispositions, perpétuer dans notre législation entre
le gendre et la fille. Si la dot est reçue à titre onéreux
par l’un, il ne saurait en être autrement pour l’autre,
avec d’autant plus de raisons que les parents, en la
constituant, se rachettent de l’obligation de nourrir,
d’entretenir leur fille, de pourvoir à tous ses besoins.
\
1474.
Au reste, la Cour de cassation ne s’est pas
laissée détourner de la voie toute juridique dans la
quelle elle est entrée. Fille a persisté dans sa jurispru
dence toutes les fois que l’occasion s’en est offerte.1
Elle a de plus jugé, le 14 mars 1848, que la donation en
faveur du mariage, telle que celle que reçoit de son
père le fils qui se marie, est assimilée à la dot, et cons
titue un contrat à titre onéreux qui ne peut tomber sous
l’action des créanciers du donateur, en fraude desquels
la donation a été consentie, qu’autant que les deux
époux ont participé à cette fraude.2
Cette opinion de la Cour régulatrice, en appelant
l’attention sur une question que les auteurs ont jus
qu’ici résolue plutôt que discutée, doit amener l’aban' Cass., 2 mars 1847;— 24 mai 1848.— D. P., 47, 1, 129;—48, 1,
172.—Vid. Iliom, 27 mars 1849.—J. D. P. i, 1850, p. 586.
2 i). P., 48, 1, 66;— Vide infra, n°l476.
in
12
�258
TUAITE
don des principes que l’application de la loi romaine
avait fait généralement adopter, et dont la rigueur en
vers la fille conduit à des conséquences irrationnelles.
1475. — En résumé, la donation faite en vue du
mariage a toujours, vis-à-vis des deux époux, un ca
ractère onéreux. Elle est, par rapport à eux, indivisible
en ce sens que, pour la faire révoquer comme faite en
fraude de leurs droits, les créanciers doivent prouver
la mauvaise foi de l’un et de l’autre. La bonne foi de
l’un des deux suffit pour faire repousser la demande,
et fait irrévocablement maintenir la destination affectée
à la donation, à savoir : le support des charges du ma
riage, l’entretien des époux, celui des enfants nés et à
naître.
1476- — Mais pour que la donation soit réellement
faite en vue du mariage, il faut d’abord qu’elle résulte
du contrat même. Celle laite en dehors du contrat ne
pourrait revendiquer aucune des immunités assurées à
la première.
Ainsi, la Cour de cassation a jugé que la donation
faite en vue du mariage, mais en dehors du contrat de
mariage, et sous l’apparence d’actes à titre onéreux,
tels que des billets à ordre souscrits par le donateur,
ne peut être protégée par les principes régissant les
constitutions dotales, et, par conséquent, doit être an
nulée nonobstant la bonne foi du donataire, si elle a été
faite en fraude des droits des créanciers du donateur.1
1 Cass., 5 mars 1847 ;—D. P., 47, 1, 150.
�nu
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
259
Il faut de plus que les objets donnés l’aient été par le
donateur au moment même du mariage. S’ils avaient
été donnés ou recueillis avant le mariage, et que le do
nataire se les fût plus tard constitués en dot, la dona
tion reçue avant, à titre gratuit, ne changerait pas de
caractère, et la bonne foi du donataire ne ferait aucun
obstacle à la révocation des créanciers, en fraude des
droits desquels la donation a été réalisée.
C’est encore ce que la Cour de cassation a formelle
ment consacré en jugeant, le 6 juin 1849, que la fdle
qui aurait reçu ou recueilli des biens dans la succession
de ses père et mère, ne saurait soustraire ses biens aux
créanciers de ceux-ci, en se les constituant ultérieure
ment en dot ; qu’en conséquence, les biens ainsi donnés
ou recueillis restent soumis à l’action révocatoire.1
Le même arrêt décide cependant que la révocation
n’atteint que les biens demeurés libres entre les mains
du donataire. Quant à ceux faisant l’objet de la consti
tution de dot, comme la jouissance en a été transférée
au mari, la bonne foi de ce!ui-ci les place hors de toute
atteinte pendant toute la durée de cette jouissance.
Mais celle-ci trouvant son terme naturel dans la disso
lution du mariage, les droits des créanciers, suspendus
jusque là, reprennent à cette époque toute leur force,
et la révocation exercée sur les biens non constitués
peut atteindre désormais ceux qui l’avaient été.
1477. — A son tour le mari peut trouver dans les
�260
TRAITE
stipulations du contrat de mariage le moyen de frauder
ses propres créanciers. Ce moyen consiste soit à recon
naître à sa femme une dot qu’elle n’a pas fournie, soit à
quittancer, comme reçue, celle que l’épouse à promise,
mais qu’elle n’a pas réellement payée.
Dans l’un comme dans l’autre cas, le mari consent
une véritable libéralité. Il crée un privilège en faveur
de la femme, non pas tant contre les créanciers inscrits
au moment du mariage, que contre les créanciers chi
rographaires et ceux qui pourront plus tard s’inscrire.
Ce qui est certain, c’est que les uns et les antres pour
ront demander la révocation de la quittance, comme
faite en fraude de leurs droits.
Leur action est recevable, quelles que soient les ex
pressions du contrat de mariage, et alors même qu’il
mentionnerait la réelle numération. Le contraire peut
être prouvé par témoins et par présomptions, dont l’ef
ficacité est dans ce cas, comme dans tous les autres,
laissée à l’appréciation souveraine du juge. Il est néan
moins certain que la condition de l’épouse, sa position
de fortune, celle de ses parents, le chiffre de la dot, etc.,
seront de nature à exercer une grave influence sur la
décision du litige.
1478. — La quittance de la dot que le mari donne
pendant le mariage peut être également attaquée
comme faite en fraude des droits des tiers. Cette fraude
a même contre les créanciers un effet plus énergique
que la quittance donnée dans le contrat. L’hypothèque
de la femme, remontant à la date de celui-ci, la recon-
�m
naissance frauduleuse du paiement de la dot, ferait pré
férer cette hypothèque à toutes celles des créanciers
ayant réellement prêté dans l’intervalle du contrat au
prétendu paiement.
Ils'sont donc recevables à en poursuivre l’annulation,
et ils devront dans certains cas l’obtenir facilement. La
quittance frauduleusement donnée par le mari cons
titue une libéralité qui lui profile à lui-même, du moins
tant que dure le mariage. Pour peu donc qu’il fût obéré,
menacé ou poursuivi par les créanciers au moment où
il la concède, on serait porté à admettre son défaut de
sincérité et à la considérer comme une fraude, dans le
but de se soustraire au paiement de ce qui est dû légi
timement aux créanciers.
DU DOL ET DE LA FRAUDE.
1479. — En serait-il de même des héritiers du
mari? Pourraient-ils demander la nullité de la quit
tance de la dot sous prétexte de simulation, et s’exoné
rer ainsi de l’obligation de la restituer?
Certes, cette prétention ne manque pas de la conditérêt. Celui des héritiers poursuivis en restitution de la
dot serait incontestable. Sous ce rapport donc rien ne
s’opposerait à la recevabilité de leur exception.
Mais il en serait tout autrement sous le rapport de la
qualité. En thèse ordinaire, les héritiers sont les ayantcause de leurs auteurs, et ne peuvent intenter que les
actions que celui-ci aurait pu intenter lui-même. Or
le mari, auteur de la quittance simulée, ne pouvait
exciper de cette simulation, ni se faire relever des enga-
�262
TRAITE
gementsen résultant, ses héritiers personnels ne le pour
ront pas davantage.
1480. — Ce point de doctrine était incontestable
sous notre ancien droit. La Touloubre, sur Duperier,1
enseigne que : « Ces sortes de reconnaissance passées
« par le mari en faveur de sa femme ne peuvent être
« débattues ni par lui, ni par ses héritiers, comme l’ob« serve le président Faber, Cod. de dot, caut. non nu« merat. À l’égard des héritiers, elle doit valoir saltem
« jure donationis, morte confirmatœ. »
Dunod professe la même opinion, après avoir rappelé
que les quittances de la dot doivent être reçues par un
notaire, en présence de deux témoins, et qu’il doit en
être gardé minute, sous peine de dommages-intérêts et
d’amende arbitraire, il ajoute :
« Cette règle a été laite pour éviter les fraudes qui
« pourraient se commettre de cette manière, en sup« posant des paiements qui n’auraient pas été faits, mais
« il n’y a que les tiers intéressés qui soient en droit de
« se prévaloir de sa disposition. Des quittances sous
« signature privée prouveraient pour la femme, ses hé« ritiers, ses père et mère ou autres débiteurs de la dot,
« contre le mari qui les aurait faites et contre ses héri« tiers.2 »
1481. — Ce principe n’a pu être douteux que sous
l’empire de législations prohibant .les donations entre
1 T. iii , liv. 4, quest. 8.
5 Des P r e s c rip t., § 2, chap. 8, pag. 180.
�DU DOL ET DE LA. FRAUDE.
263
époux. Partout au contraire où ces donations étaient
admises, il fallait bien reconnaître qu’elles pouvaient
être, même indirectement, réalisées, et tel est le carac
tère qu’on ne pouvait refuser d’assigner à ces recon
naissances ou quittances de dot.
Mais la conséquence de ce caractère amenait forcé
ment une dérogation au principe que nous venons d’in
diquer, lorsqu’il était évident que le mari n’avait pas
voulu faire une libéralité. Puisque c’est comme dona
tion, non révoquée du vivant de son auteur, que la quit
tance simulée de la dot est maintenue, faut-il bien au
moins que l’intention du mari d’agir dans ce sens soit
au préalable incontestablement acquise. C’est ce qu’on
ne pourrait admettre dans le cas où la quittance, néces
sitée par des arrangements de famille, n’a été concédée
par le mari qu’à la condition que les sommes qui en
font l’objet lui seraient ultérieurement payées, sub spe
futurœ niimerationis. Il est alors certain que le mari n’a
pas entendu donner, et ses héritiers pourraient faire an
nuler la quittance, parce qu’il aurait pu le faire luimême.
Mais la preuve, dans cette hypothèse, ne peut être
faite que par écrit, et notamment par la représentation
de la contre-lettre donnant à la quittance le caractère in
diqué. L’absencede cette contre-lettre ou de toute autre
preuve écrite laissant la quittance en présence d’une
contradiction purement verbale, on ne pourrait lui faire
perdre ce caractère de libéralité s’attachant à son exis
tence même.
�264
TRAITE
1482. — Il est une autre exception plus péremptoire,
lorsque, par exemple, la reconnaissance ou la quittance
simulée de la dot constituerait une donation excédant
la quotité disponible. Jusqu’à concurrence de leur ré
serve, les héritiers légitimes ne sont plus les ayant-cause
de leur auteur, ils agissent en vertu d’un droit propre et
personnel, et l’exercice de ce droit ne saurait être mo
difié ou gêné par aucune disposition contraire.
Conséquemment, ce qu’ils pourraient faire contre les
libéralités directes ne saurait leur être refusé dans le
cas d’une libéralité indirecte. Ils seront donc recevables,
dans notre hypothèse, à prouver, même par témoins,
que la reconnaissance ou que la quittance de la dot
n’est en réalité qu’une donation déguisée.
Celte preuve rapportée, cette donation n’est pas nulle,
elle est seulement réductible à la quotité disponible ;
pour tout ce qui excède celle-ci, les réservataires n’étant
que les ayant-cause du donateur, la nullité intégrale
pourrait cependant être prononcée, si des libéralités
précédentes avaient déjà absorbé tout ce dont il était
permis de disposer, ou bien encore si les parties se
trouvaient dans le cas de l’article 1099 du Code civil.
1483. — Les fraudes que le mariage peut offrir dans
son origine ne sont rien auprès de celles que la dissolu
tion peut entraîner, soit que cette dissolution s’opère
par la séparation de biens, soit qu’elle résulte de la
mort de l’un des époux.
La séparation de biens se réalise toujours dans un
moment critique pour les tiers. Sa condition la plus es-
�DU DDL
EX
DE LA FRAUDE.
265
sentielle, c’est l’imminence de la déconfiture et de la
ruine du mari. C’est donc au moment où pressé par ses
créanciers, et ne pouvant satisfaire à ses engagements,
il peut entrevoir la misère qui l’attend, qu’il est chargé
de régler avec sa femme de la restitution de ce qui lui
est dû. Comment pourrait-on supposer que ce règlement
ne se ressentira pas de cette position, et que le débiteur
ne cherchera pas à s’avantager lui-même en favori
sant celle qui va désormais fournira leurs besoins com
muns?
Les créanciers ont donc à redouter une double fraude.
L’admission de créances et de droits imaginaires en
faveur delà femme; évaluation frauduleuse des biens
qui vont lui être donnés en paiement. Ajoutons qu’il est
une autre fraude 'pouvant également se réaliser, à sa
voir : la simulation d’une insolvabilité dans le but de
faire prononcer la séparation et de diminuer le gage
des créanciers, en transférant à la femme des biens
jusque là soumis à leurs exécutions.
1484. — D’autre fois, la séparation de biens offrira
des dangers réels pour la femme elle-même. Irrité de sa
démarche et obéissant à un esprit de vengeance et de
haine, le mari s’empressera de faire disparaître les res
sources qui lui restent, soit par des aliénations, soit par
des obligations contractées en fraude de ses droits.
L’imminence du péril, dans un sens comme dans
l’autre, a fait dans tous les cas autoriser les moyens les
plus énergiques pour prévenir la fraude ou pour la
réprimer.
�206
TRAITÉ
1485. — Ainsi, et relativement à la femme, l’ar
ticle 869 du Code de procédure civile lui permet de se
livrer à tous les actes conservatoires qu’elle juge utile à
ses intérêts. Sous cette dénomination générique, cet ar
ticle comprend toutes mesures tendant à lui conserver
les droits dont elle entrera en jouissance après le ju
gement , et qui lui sont acquis par le fait seul de la
demande. On sait effectivement que, quelle que soit
l’époque de sa prononciation, les effets du jugement
remontent de plein droit au jour de la demande ellemême.
La femme pourra donc, sans attendre cette pronon
ciation, saisir-arréter, entre les mains des débiteurs, les
sommes dues au mari ; saisir-gager les meubles gar
nissant la maison conjugale; arrêter même les effets
déjà aliénés par le mari, et dont l’acheteur ne serait pas
encore en possession.1
Ce sont là tout autant de droits dont l’exercice exige
l’exigibilité de la dette pour la sûreté de laquelle il est
poursuivi. Or la femme ne peut avoir de créance exigi
ble qu’en tant qu’elle fera prononcer la séparation de
biens. Mais, nous venons de le dire, l’effet du jugement
remonte au jour de la demande, il sera donc vrai que,
lorsque les saisies ont été faites, la femme avait qualité
pour les opérer. Il était donc juste de subordonner leur
validité à l’événement de la séparation.
Par l’effet de la séparation, la femme commune en
biens reprendra l’administration et la jouissance de ses
1 Toullier, t. xm, n°* 38 et suiv. ; — Limoges, 7 mars 1823.
�DU BOL ET DE LA FRAUDE.
267
propres, dont les revenus ont été jusque là acquis à la
communauté. Elle peut donc, pour assurer ce résultat,
saisir-arrêter les fermages avant que la séparation ait
été prononcée. Cette saisie-arrêt doit être maintenue si
elle paraît fondée sur des moyens sérieux et plausibles,
comme si le mari n’offre aucune solvabilité. Mais la
femme, même après la séparation, étant obligée de con
tribuer aux dépenses du ménage, la saisie-arrêt pourrait
n’étre maintenue que pour la quote-part excédant sa
contribution,1
I486. — Du texte de l’article 869 ainsi interprété,
il semble, dit M. Adolphe Chauveau2, qu’on doit con
clure a fortiori, que la femme a le droit de faire apposer
les scellés sur les effets de la communauté. C’est ce qui
a d’ailleurs été consacré par un arrêt de la Cour de Ren
nes, du 22 juillet 1814.
C’est aussi ce que Toullier admet, mais il ajoute que
le mari peut obtenir la levée des scellés, en consentant
à faire faire inventaire avec prisée, contradictoirement
avec sa femme, à la charge par lui de représenter les
choses inventoriées ou de répondre de leur valeur com
me gardien judiciaire.
Cette règle prescrite dans le cas de divorce, par l’ar
ticle 270 du Code civil, pouvait souvent dans cette hy
pothèse être suivie sans danger, car le divorce n’exigeait
pas l’insolvabilité du mari, et sa responsabilité se trou
vant engagée était de nature à assurer les droits de sa
1 Caen, 16 mars 1825.
! Sur Carré, art. 869, quest. 2939.
�268
TRAITE
femme. On pourrait donc la suivre encore dans le cas
de séparation de corps. Mais elle nous paraît devoir
subir une modification dans l’hypothèse d’une simple
séparation de biens. La déconfiture du mari, qui en est
la condition essentielle, ne permet pas de reconnaître
une valeur quelconque à sa responsabilité, etlui confier,
sans autre garantie, les effets de la communauté, serait
bien souvent lui permettre de les dissiper au préjudice
de sa femme.
Il nous semble donc que dans ce cas le mari devrait
être soumis à donner caution jusqu’à concurrence au
moins de la portion afférant à la femme. L’obligation
de donner caution a été, nous le savons, contestée. Le
mari, a-t-on dit, reste' pendant l’instance maître et ad
ministrateur de la communauté. Mais les motifs qui
font maintenir les saisies-arrêts ou gageries repoussent
cette objection. La séparation obtenue, le mari n’est
plus le maître de la communauté à partir de la de
mande. On peut donc, en attendant la solution défini
tive, exiger une caution pour la sûreté des droits éven
tuels de la femme. Dans tous les cas, la femme pourrait
suppléer au cautionnement qu’on lui refuserait par une
saisie conservatoire.
1487. — Tous ces droits que la femme est admise
à exercer sont, il ne faut pas se le dissimuler, des actes
extrêmement graves à l’encontre du mari pouvant en
éprouver un notable préjudice. Ils peuvent, en effet,
par la gêne qu’ils susciteront à son administration, con
vertir en ruine complette, des embarras qu’il lui eût été,
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
t>09
sans cela, possible de surmonter. Il était donc sage, en
vue de cette prévision, de ne pas s’en rapporter exclu
sivement à la femme, et de soumettre son initiative à
une autorisation préalable.
C’est au président du tribunal civil à qui cette auto
risation doit être demandée. Seul chargé d’autoriser la
poursuite en séparation de biens, il est seul chargé de
juger l’opportunité des mesures conservatoires sollici
tées par la femme. Mais il y a entre ces deux actes du
président cette différence essentielle que, ne pouvant
seul apprécier le mérite foncier de la demande en sépa
ration de biens, ce magistrat ne peut se refuser à don
ner l’autorisation d’en poursuivre l’obtention.1 Il n’en
est pas ainsi pour l’exercice des mesures conservatoi
res; il peut toujours refuser d’y faire droit; il le doit
même si l’insolvabilité du mari n’étant pas notoire et
en quelque sorte dès à présent acquise, le danger si
gnalé par la femme n’existe réellement pas.
1488. — Mais la requête de la femme, à ce sujet,
n’a pas besoin d’être communiquée au mari. Aucune
loi n’impose à la femme la nécessité de faire prononcer
sur l’urgence des mesures qu’elle réclame, contradic
toirement avec son mari.5 Le contraire eût été irra
tionnel. En effet, les actes dont parle l’article 869,
étant par leur nature même hostiles au mari, ne peu
vent avoir d’efficacité q’autanl qu’ils interviennent à
1 Lyon, 22 mars 1836.
5 Rennes, 22 juil. 1818.
�270
traite
son insu, et avant qu’il soit averti. L’obligation de les
lui dénoncer et de l’appeler pour en discuter l’utilité
ne pouvait avoir qu’un seul résultat, à savoir : de l’en
gager à mettre le temps à profit en réalisant, avant
toute décision, les fraudes que ces actes ont pour but
de prévenir.
1489. — Par une juste réciprocité, l’autorisation
du président n’a rien de définitif pour le mari. Il peut
toujours, avant le jugement de la séparation, se pour
voir devant le tribunal, à l’effet d’obtenir soit la main
levée des oppositions qui gêneraient, sans nécessité,
l’administration et la gestion de ses biens, soit leur ré
duction à concurrence des droits devant revenir à la
femme.
1490. — La séparation de corps entraîne forcément
la séparation de biens. Demander l’une c’est demander
l’autre, et dès-lors acquérir la faculté de requérir toutes
les mesures conservatoires autorisées par l’article 869
du Code de procédure civile.
On avait d’abord soutenu que la femme, demande
resse en séparation de corps, était exclusivement régie
par la disposition de l’article 270 du Code civil ; qu’elle
n’avait dès-lors que la faculté de faire apposer les scellés
sur les meubles et effets de la communauté. Mais cette
restriction a été abandonnée et devait l’être. ÏI est évi
dent, en effet, qu’on ne pouvait se relâcher des pré
cautions autorisées, au moment même où le danger
qu’elles ont pour but de prévenir est plus réel et plus
�DU DOL ET DE LA FliAUDE.
271
imminent. Or, c’est ce qui se réalise dans le cas de
poursuite en séparation de corps, très propre à susciter
l’irritation et la haine dans le cœur du mari. De ces
sentiments à l’idée d’une vengeance par l’aliénation
frauduleuse de l’actif, il n’y a pas bien loin.
C’est ce que la loi a compris lorsqu’elle déclare, dans
l’article 271 du Code civil, que toute obligation con
tractée par le mari à la charge de la communauté, toute
aliénation par lui faite des immeubles en dépendant,
postérieurement à la date de l’ordonnance dont il est
fait mention en l’article 258, sera déclarée nulle, s’il
est prouvé d’ailleurs qu’elle ait été faite ou contractée
en fraude des droits de la femme.
Ainsi, dès que la poursuite en séparation de corps a
réellement commencé, tout ce que fait le mari est sus
pect, et la fraude est présumée contre lui dès qu’il peut,
en résulter un préjudice pour la femme. Nous devons
remarquer, en effet, que si la preuve de la fraude est
exigée par l’article 241, cette exigence ne concerne que
les tiers ayant traité avec le mari. Ceux-ci pouvant être
de très bonne foi, il eût été injuste d’annuler l’acte à
leur égard. Mais, par rapport au mari, nous le répétons,
l’acte est légalement réputé frauduleux, par cela seul
qu’il est postérieur à l’ordonnance dont parle l’arti
cle 258. Cependant cette présomption n’exclut pas la
preuve contraire.
1491. — La séparation de biens n’est pas soumise,
lorsqu’elle n’est qu’un accessoire de la séparation de
corps, à la publicité rigoureusement prescrite pour la
�!îï' I l
séparation de biens pure et simple. Ce qui justifie cette
différence, c’est que l’une prête moins au soupçon de
fraude que la dernière. Elle ne peut d’ailleurs être pro
noncée que sur la preuve des sévices, injures et violen
ces, preuve que les tribunaux exigeront alors même
que le mari ne se défendrait pas. Or, il n’est pas pro
bable que ces excès aient été simulés à l’effet d’arriver
à une séparation de biens, à travers une séparation de
corps laissant toujours des traces fâcheuses contre l’un
des époux.
Mais cette différence n’existe que dans et pour la
poursuite, car le jugement rendu, prononçant la sépa
ration de biens, doit-avoir la même publicité. Néanmoins
il ne serait pas nul s’il n’avait pas été exécuté dans la
quinzaine.1
1492. — L’action de la femme en séparation de
biens, très favorable sans doute lorsque la nécessité
de sauver son patrimoine et de se conserver quelques
ressources pour elle et pour sa famille en est le seul,
le véritable motif, est une de celles dont on a le plus
abusé, et que la fraude a exploitée jusqu’au scandale.
Nous en trouvons la preuve dans les débats législatifs
qui s’élevèrent à son occasion; dans les efforts qu’on
fit pour remédier à un mal que l’expérience venait si
énergiquement signaler.
1493. — On avait d’abord songé, dans l’intérêt des
�273
DU DOL ET DE LA FRAUDE.
créanciers, à les rendre partie dans l’instance, en obli
geant la femme à les appeler tous, ou tout au moins
ceux qui s’étaient livrés à des poursuites. Le premier de
ces moyens fut repoussé non pas seulement à cause de
l’impossibilité où pouvait être la femme de connaître
tous les créanciers, mais encore par la multiplicité des
incidents qui pouvaient en naître, et des frais immenses
qu’il occasionnerait.
Le second ne remédie à rien, disait M. Treilhard.
On veut prévenir le concert des deux époux? Mais si ce
concert existe, ils ne manqueront pas d’avoir à leur
disposition quelques créanciers supposés, par lesquels
ils feront entamer des poursuites, afin que la femme en
les appelant paraisse remplir la condition imposée à la
séparation , et elle alléguera ensuite qu’elle n’a pas
connu les autres créanciers qui seront les seuls véri
tables.1
On convint donc qu’il fallait recourir à d’autres
moyens pour sauvegarder les intérêts des créanciers,
tout en les conciliant avec ce que la position de la femme
exigeait. Ce qu’il fallait, c’était une instance publique
dans toutes ses phases, dans laquelle les créanciers,
sans qu’il fût besoin de les appeler, pussent intervenir
pour la conservation de leurs droits ; indépendamment
du droit d’attaquer le jugement rendu sans leur con
cours. C’est ce résultat qu’on a voulu consacrer en
prescrivant: 1° la publicité de la demande; 2° les condi
tions pour son admission et l’époque à laquelle il pour1 Procès-verbal du 13 vendémiaire an x n ;—Locré, t. xm , p. 200.
ni
43
�274
TRAITE
rait y être statué ; 3° la publicité du jugement; 4° son
exécution dans un délai déterminé.
1494. — 1° Publicité de la demande :
La demande en séparation de biens doit être intentée
contre le mari seul. Nous venons de voir que l’obliga
tion d’y appeler les créanciers fut repoussée. Cette obli
gation n’existe que dans le cas de faillite. Mais, daus
cette hypothèse même, les syndics sont appelés plutôt
comme exerçant les actions du mari que comme les re
présentants des créanciers.
Les articles 866, 867, 868 du Code de procédure
civile règlent les formalités à suivre pour donner à la
demande le plus de notoriété possible. Cette publicité
a pour but de mettre tous les créanciers à même de
surveiller leurs droits, d’intervenir même dans l’ins
tance pour empêcher toute collusion dommageable pour
eux.
1495. — On avait eu un instant la pensée de sou_ tenir que les créanciers intervenant ne pouvaient con
tester la séparation, que leur droit se bornait à assurer
l’exactitude de la liquidation. Mais cette opinion est
universellement abandonnée. La séparation préjudicie
aux créanciers en ce sens qu’elle enlève à leurs exécu
tions la partie de l’actif qui sera transférée à la femme.
La nécessité de ce transfert résulte de l’admission de la
séparation en principe. On ne saurait donc contester
aux créanciers la faculté de s’opposer à celle-ci, dès
qu’ils ont intérêt à en récuser les conséquences.
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
275
D’ailleurs, la publicité ordonnée a surtout pour objet
la justice sur l’opportunité de la séparation
et la réalité de ses griefs. Cette séparation pourrait
n’être que le résultat d’un concert frauduleux entre les
époux ; l’insolvabilité du mari pourrait n’étre qu’une
simulation. C’est précisément contre cette éventualité
que la loi a entendu se prémunir. Réduire les créan
ciers à l’impuissance de prouver l’une et l’autre, c’était
donc méconnaître la pensée et l’intention formelle du
législateur.
Cette pensée et cette intention se manifestent d’aih
leurs nettement dans la disposition de l’article 871. Les
créanciers peuvent, jusqu’au jugement définitif, requé
rir communication de la demande en séparation et des
pièces justificatives. Les pièces justificatives de la de
mande en séparation ne peuvent être que les documents
établissant l’insolvabilité du mari. Conséquemment, si
la loi entend les soumettre à l’examen des créanciers,
c’est qu’elle leur reconnaît le droit de les débattre, d’en
contester la sincérité et d’empêcher la séparation en les
faisant rejeter du procès.
d ’ é c la ire r
1496. — Les formalités exigées par les articles 866,
867, 868, le sont à peine de nullité. Leur violation est,
aux yeux de la loi, la preuve de la collusion et de la
fraude, et cette présomption n’admet aucune preuve
contraire. Cette nullité peut être invoquée par les créan
ciers, par le mari lui-même. Il n’y a que la femme qui
ne puisse jamais s’en prévaloir.
�276
TRAITE
1497. — 2° Conditions pour l’admission de la de
mande, époque du jugement.
La publicité prescrite eût été une vaine garantie, si la
femmeavaitpu requérir jugement immédiatement après
l’accomplissement des formalités exigées. Puisqu’on
appelait en quelque sorte les créanciers à intervenir, il
fallait bien leur accorder le temps moral pour réaliser
leur intervention. C’est dans ce sens que l’article 869
dispose que le jugement sur la séparation ne pourra
être rendu qu’un mois après l’accomplissement des for
malités prescrites par les articles précédents. Mais ce
délai est uniforme pour tous les créanciers, sans avoir
égard à la distance de leur domicile respectif. Agir au
trement, c’était perpétuer l’instance et mettre la femme
dans l’impossibilité d’user utilement de son droit. Ne
connaissant pas tous les créanciers, elle n’aurait pu ap
précier avec certitude le moment où il lui serait enfin
permis de requérir jugement.
D’ailleurs les créanciers ne sont pas parties nécessai
res. Ils peuvent intervenir; et, quel que soit leur éloi
gnement, un mois est un délai suffisant, surtout après
la publicité que reçoit la demande, pour les mettre à
même de réaliser leur intervention.
1498. — Le délai exigé par l’article 869 est prescrit à
peine de nullité. Ainsi le jugement rendu avant l’expira
tion du mois est frappé d’une nullité radicale. Cet effet
est surtout dans l’intérêt des créanciers et du mari.4Eux
1 Thomine Desmazure, L, 11 , pag. 474; — Chauveau, sur Carré,
art. 869.
�■
DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
27T
seuls sont donc recevables à s’en prévaloir. La femme ne
serait pas admise à l’invoquer. Outre qu’elle exciperait
de sa propre faute, ce serait l’autoriser à se ménager le
moyen d’annuler la séparation, en enfreignant à dessein
les formes qu’elle doit religieusement observer.
1499. — Les conditions mises par la loi au juge
ment de séparation se résument toutes dans l’obligation
pour la femme de prouver que sa demande est fondée,
c’est-à-dire que sa dot est réellement en péril, et que
le désordre des affaires du mari donne lieu de craindre
que ses biens ne soient pas suffisants pour remplir les
droits et reprises de la femme.1
Cette obligation est rigoureusement prescrite, et les
tribunaux doivent veiller à ce qu’elle soit strictement
accomplie. La volonté du législateur se manifeste à cet
égard avec le plus vif éclat par l’article 870 du Code de
procédure civile, aux termes duquel, en l’absence
même de tout créancier, l’aveu du mari ne fera pas
preuve des faits allégués par la femme. Cet aveu pour
rait et devrait, dans ce cas, être considéré, soit comme
une simulation déguisant une séparation volontaire
proscrite par la loi ; soit comme une voie détournée
pour avantager la femme au préjudice des enfants ou
héritiers qu’on tenterait ainsi de dépouiller.
1500. — La femme est donc tenue, dans tous les
cas, de prouver les faits servant de fondements à la sé~
( Art. 1445 du Cod. civ.
�278
t r a it é
paration de biens. Cette preuve résulterait de celle de
l’existence de dettes considérables à la charge du mari,
des actes d’exécution mobilière ou immobilière qui en
seraient résultés ; de l’impossibilité où se trouverait le
mari de pourvoir aux besoins du ménage, comme si ses
revenus avaient été saisis, ou que des aliénations
successivement consenties en eussent tari les sources,
enfin de la preuve testimoniale que la femme est tou
jours recevable à fournir.
1501. — U ne saurait même exister aucun doute
sur le droit des tribunaux d’ordonner d’office cette der
nière, toutes les fois que les éléments soumis à leur ap
préciation ne sont pas suffisants pour former leur con
viction. Il est de la prudence et de la sagesse des ma
gistrats, avant de sanctionner une mesure définitive.,
dans un sens ou dans l’autre, d’épuiser tous les moyens
susceptibles d’éclairer leur religion et de donner à leur
décision le plus de certitude possible. Seulement le ju
gement qu’ils rendraient dans cette hypothèse devrait
coter les faits sur lesquels ils entendent faire porter
l’enquête.1
Le mois étant expiré et la preuve étant fournie, la
séparation peut et doit être prononcée.
1502. — 3° Publicité du jugement.
Les formalités parcourues jusqu’ici ont pour objet
d’amener l’intervention des créanciers. Ce droit est évi
demment perdu, dès que la demande est consacrée par
1 Nancy, 24 mai 1827.
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
279
un jugement. Reste la faculté pour les créanciers de
former tierce-opposition au jugement. Non moins jaloux
de favoriser celle-ci que l’intervention elle-même, le
législateur a voulu que l’existence du jugement fût ren
due notoire et publique de la même manière qu’il pres
crivait naguère la publicité de la demande.
1505. — Les formes de la publicité du jugement
sont réglées par l’article 872 du Code de procédure ci
vile, dont les prescriptions doivent être rigoureusement
exécutées sous peine de nullité.
Ce qui a pu rendre l’admission de cette peine dou
teuse, c’est le silence gardé à cet égard par l’article 872.
On a pu, dès-lors, dire que les nullités ne se suppléant
pas, on ne saurait accueillir, dans notre hypothèse, celle
sur laquelle le législateur garde le silence. Mais le doute
est complètement dissipé, en ce qui concerne l’ar
ticle 872, par l’article 1445 du Code civil, celui-ci
en effet dispose : Que toute séparation de biens doit
être rendue publique avant son exécution, à peine de
nullité. Il est vrai que le mode de publicité, exigé par
l’article 1445, est moins étendu que celui ordonné par
l’article 872. Mais ce mode n’a rien de limitatif, il est
purement énonciatif, et si le législateur n’a pas achevé
se pensée, c'est que, ainsi que cela résulte delà discus
sion, il a voulu se borner, dans le Code civil, à poser
les principes dont ilrenvoitles développements au Code
de procédure.
L’article 872 n’est que la conséquence et la réalisation
de cette intention. Il y a donc entre lui et l’article 1445
�la relation intime existant entre un principe et ses
déductions. Toutes ces dispositions se relient donc né
cessairement à celle de cet article, et se placent natu
rellement sous l’empire de la sanction pénale qui y çst
édictée. C’est ainsi que l’a admis la jurisprudence.1
C’est d’ailleurs ce que prouvent ces derniers mots de
l’article 872 : La femme ne pourra commencer l’exécu
tion du jugement que du jour où les formalités ci-dessus
auront été remplies. Or si, d’une part, le jugement doit
être exécuté dans la quinzaine,sous peine de nullité;si,
d’autre part, cette exécution n’est régulièrement com
mencée qu’après l’accomplissement des formalités, il
est évident que, ne pas se livrer à cet accomplissement,
c’est déterminer l’annulation du jugement.
1504. — 4° Exécution du jugement.
La séparation de biens ne doit pas être une simple
précaution, qu’on se réserve d’exécuter dans une oc
casion favorable et qu’on puisse aussi opposer ou non
aux créanciers. Si les affaires du mari, dit M. Delvincourt, sont réellement en désordre, la femme doit se
hâter de faire exécuter le jugement, autrement le dé
sordre n’est qu’apparent. *
Il importe d’ailleurs que la division d’intérêts, qui
doit en résulter, soit au plus tôt exécutée. Il ne faudrait
pas que le mari pût tromper ceux avec qui il pourra
ultérieurement traiter, par la possession et la jouissance
\
1 Y. les nombreux arrêts cités par M. Chauveau, sur Carré, an. 872,
quest. 2946 bis.
�DU
DDL
ET
DE
LA
FRAUDE.
281
d’un patrimoine qui n’auraient que l’apparence, et qu’il
pourrait, de concert avec sa femme, faire bientôt éva
nouir.
L’absence d’exécution du jugement est donc une pré
somption de collusion, entre les deux époux, de fraude
contre les tiers. A ce double titre, on ne pouvait que
tourner l’une et l’autre contre leurs auteurs, en annu
lant le jugement dont ils ont voulu ainsi abuser.
De là la disposition de l’article 1444, suivant laquelle
la séparation de biens, quoique prononcée en justice,
est nulle, si elle n’a pas été exécutée par le paiement
réel des droits et reprises de la femme, effectué par
acte authentique jusqu’à concurrence des biens du mari,
ou au moins par des poursuites commencées dans la
quinzaine qui a suivi le jugement et non interrompues
depuis.
1505. — Ainsi le délai de rigueur pour l’exécution
est de quinzaine. Dans cet intervalle, la femme doit être
payée, cependant comme la résistance du mari, ou des
circonstances nées de sa position elle-même, peuvent
rendre ce paiement impossible, la loi consent à consi
dérer comme équipollent les poursuites commencées
par la femme avant l’expiration de ce délai, à la seule
condition qu’elles n’aient pas été interrompues.
1506. — La nécessité d’agir dans la quinzaine, ainsi
que le veut l’article 1444 du Gode civil, a été d’abord
controversée. On a soutenu que l’article 872 du Code
de procédure civile avait abrogé le premier et l’on
�.
282
traite
faisait résulter cette abrogation de ces termes : Sans que
néanmoins il fût nécessaire d’attendre l’expiration du
délai d’un an. Or de cela que l’exécution peut être faite
avant la fin de l’année, il n’en résulte pas, disait-on ,
qu’elle dût avoir lieu dans tel autre délai déterminé. Il
semble au contraire qu’il faut en induire qu’on pourra
ne la réaliser qu’après son expiration.
Mais le contraire a été depuis universellement admis
parla doctrine et la jurisprudence. Cette admission rend
toute discussion oiseuse, nous nous contenterons donc
de nous en référer aux motifs des arrêts rendus par la
Cour de cassation et à l’opinion des auteurs qui ont écrit
sur le Code de procédure.1
Ainsi l’exécution par le paiement réel, ou par le com
mencement des p o u rs u ite s , doit avoir lieu dans la quin
zaine du jugement, ce délai court du jour delà pronon
ciation. Il est visible que si on l’avait fait dépendre de la
signification, la femme pourrait le prolonger à son gré,
en retardant cette signification tant qu’elle le jugerait
utile à ses intérêts et à ceux de son mari. On retombait
donc dans l’inconvénient que la prompte exécution a
pour objet de prévenir.
1507. — Par une conséquence de cette règle, on a
exigé que l’exécution, même volontaire, fût constatée
par acte authentique. Cependant cet acte pourrait être
utilement remplacé par tout autre acte ayant date cer
taine. Le but de la loi étant d’enlever toute incertitude
J Y. Chauveau, sur Carré, art. 872.
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
283
sur le moment de l’exécution, toute chance de fraude
dans la date, est aussi bien rempli parle second que par
le premier.
1508. - Si l’exécution consiste dans le paiement,
elle n’est valable que par un paiement réel et intégral.
Comme la loi ne pouvait d’ailleurs vouloir l’impossible,
elle considère comme paiement intégral celui qui, quoi
que partiel, absorberait toutes les ressources du mari.
Or, on ne considère comme tel que celui qui se réa
li sejusqu à concurrence clés biens du mari, sans distinc
tion de meubles ou d’immeubles. Ainsi, la femme qui,
sachant que le mari possède des immeubles, aurait
négligé de se faire payer, et se serait contentée de la
cession de tout le mobilier, ne serait pas censée s’être
conformée, au vœu de la loi, si ce mobilier n’éteignait
pas l’intégralité de sa créance. Le jugement de sépara
tion serait nul pour défaut d’exécution.1
f509. — A défaut de paiement réel, l’exécution
doit être poursuivie contre le mari, et la poursuite com
mencée dans le délai de quinzaine doit être poursuivie
sans interruption. Ainsi, il a été décidé que l’exécution
volontaire ou forcée commencée régulièrement, puis
renvoyée d’un commun accord à une époque ultérieure,
devait être considérée comme nulle et motiver consé
quemment l’annulation du jugement.
Au reste, il n’entre pas dans notre matière de rocher* Calmar, 30 novembre 1838.
�284
T R A IT E
cher quels sont les actes constituant l’exécution, c’est
là (Tailleurs une question que la loi confère à l’arbitrage
souverain du juge. Tout ce que nous répéterons, c’est
que cette exécution doit être accomplie ou tout au moins
commencée dans la quinzaine, et que ce délai est tel
lement rigoureux que l’exécution, donnée le seizième
jour, entraînerait la nullité du jugement.1
1510. — Cette règle ne comporte qu’une seule excep
tion, à savoir : lorsque la femme a été empêchée d’agir
par des obstacles de force majeure, indépendants de sa
volonté. Cette circonstance est laissée à l’appréciation
des juges, mais elle serait facilement admise si, après le
jugement, le mari avait été déclaré en état de faillite. Il
est évident que dans cette hypothèse le paiement réel
est impossible, qu’on ne peut en exiger aucun, si ce
n’est aux conditions et aux formes voulues; que les
poursuites contre les syndics ’aboutiraient. à aucun
résultat utile. Il serait donc frustatoire d’imposer à la
femme l’obligation d’en réaliser aucune. D’ailleurs, la
crainte de la fraude, que l’exécution a pour but de ren
dre impossible, ne peut plus exister, dès qu’il y a fail
lite déclarée. En conséquence, la remise de ses titres;
faite par la femme entre les mains des syndics, consti
tuerait une exécution valable.
11
1511. — Le jugement, précédé et suivi des fornralités que nous venons de rappeler, est parfaitement
1 Rouen, 27 avril 1816;—Cass., 11 juin 1818;—Toullier, t. xa, n° 80.
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
285
régulier, il devient définitif entre épou£, dès qu’il a été
légalement exécuté, mais il ne l’est pas encore contre
les tiers. L’article 1447 du Code civil pose en principe
que les créanciers ont la faculté de l’attaquer encore et
de le faire réformer, s’il a été rendu en fraude de leurs
droits. Cette action a été depuis limitée à la durée d’un
an par l’article 873 du Code de procédure civile.
1312. — L’expiration de l’année rendrait donc le
jugement inattaquable, à une condition cependant, à
savoir : en tant, ainsi que le prescrit l’article 873 luimême, que toutes les formalités exigées par les articles
précédents ont été remplies. L’attaque en nullité du ju
gement, pour violation de ces formalités, est do;nc lais
sée en dehors de la prescription annale. Cette consé
quence, signalée par Merlin, a été admise en doctrine
et en jurisprudence.1
Ainsi l’action en nullité, pour défaut de publicité de
la demande ou du jugement, celle fondée sur l’absence
d’exécution dans la quinzaine, ne se prescrit pas par le
silence gardé plus d’un an. Elle n’est éteinte que par la
prescription ordinaire en matière d’action. Cette règle
est absolument vraie pour les créanciers existants lors
de la poursuite en séparation. Mais elle se modifie dans
l’application qui en serait poursuivie par les créanciers
postérieurs. Il convient, par rapport à ceux-ci, de dis
tinguer la nullité fondée sur le défaut de publicité de
celle résultant d’une exécution tardive.
1 Chauveau, sur Carré, art. 873, quest. 2938.
�286
TRAITÉ
Ils peuvent exciper de la première par deux raisons ;
d’abord, parce que le défaut de publicité de la demande
les a empêchés de connaître le projet de séparation ; le
défaut de publicité du jugement a pu leur faire croire
qu’après avoir été tentée, cette séparation a été aban
donnée. Dans l’un comme dans l’autre cas, l’erreur,
dans laquelle ils ont pu être de bonne foi, leur a causé
un préjudice, car elle a été la cause unique du traité
qu’ils n’auraient pas consenti s’ils eussent connu la sé
paration. On doit donc les en relever en leur permettant
de demander la nullité de la demande ou du jugement.
La seconde raison est que le mari lui-même étant rece
vable à exciper du défaut de publicité, ses créanciers,
exerçant ses droits aux termes de l’article 1166, peuvent,
sans contredit, agir dans ce sens comme il aurait pu le
faire lui-même.
1513. — Mais les créanciers postérieurs ne peuvent
se prévaloir de la nullité fondée sur l’exécution tardive
du jugement de séparation, que si cette exécution ne
s’est elle-même réalisée que postérieurement à leurs
créances. Dans ce cas, cette exécution constituerait
une atteinte à leurs droits et ils seraient fondés à en
demander la nullité comme faite en fraude de ces droits.
Mais ils ne pourraient prétendre qu’il en fût ainsi, si
l’exécution, quoique tardive, avait cependant précédé
le traité par suite duquel ils sont devenus créanciers.
Comment pourraient-ils soutenir que leur débiteur a
agi pour nuire sciemment à des droits qui n’existaient
même pas? Ils ne pourraient donc attaquer l’exécution
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
287
que comme ayant-cause de leur débiteur et qu’en tant
que celui-ci serait recevable a le faire. Or le mari, qui a
tardivement exécuté, ne peut revenir contre son propre
fait, ni se faire relever de sa faute.
1514. — Le rapprochement des articles 1447 du
Code civil et 875 du Code de procédure civile a fait
naître une difficulté sérieuse. Le premier permet d’atta
quer la séparation faite en fraude des droits des tiers,
l’article 875 admet la tierce-opposition, par cela seul
-qu’il y a eu séparation de biens, et en limite la durée.
Le délai d’un an est-il applicable seulement à ce droit?
S’étend-il en outre à celui de fraude, alors même que la
découverte de celle-ci n’aurait eu lieu qu’après son ex
piration ?
MM. Pigeau et Favard de Langlade enseignent l’affir
mative. Ils soutiennent que le délai de l’article 875 est
fatal et s’applique à tous les cas.1Mais le contraire est
professé par MM. Demiau Crousilhac et Chauveau,
Ceux-ci pensent que la fraude faisant exception à tous
les principes, l’action des créanciers pour sa répression
doit durer dix ans , suivant le premier ; trente ans,
d’après le second.!
Nous résoudrons à notre tour la difficulté par une
distinction entre la séparation en principe, et les con
séquences qu’elle est dans le cas d’entraîner.
En principe, la séparation de biens doit être pronom
�288
T R A IT E
cée, dès que l’insolvabilité du mari met en péril les
droits de la femme. En pareille occurrence donc, la
fraude consistera dans les moyens pris pour simuler
cette insolvabilité ; pour rendre ce péril apparent, si non
réel. Or, une fraude de cette nature est dans le cas d’être
bientôt découverte, surtout lorsque les créanciers sont
nécessairement mis sur la voie par les communications
qu’ils peuvent exiger en vertu de l’article 871 du Code
de procédure civile.
Dans tous les cas, le législatur a pensé qu’un délai
d’un an suffirait pour cette découverte, et s’il a fixé un
terme aussi court, c’est que la séparation modifiant
l’état des époux et les droits d’administration du mari,
il importait de ne pas laisser ses effets indéfiniment en
suspens.
Nous estimons donc qu’après l’expiration de l’année,
sans que le jugement ait été attaqué, la séparation est
définitivement acquise en principe. Il n’appartient plus
à personne de la faire révoquer, même sous prétexte de
fraude ultérieurement découverte. II y a eu négligence
à ne pas la découvrir plus tôt. Elle est désormais irré
vocable.
Mais il n’en est pas de même quant à ses consé
quences. La plus immédiate est sans contredit la liqui
dation dans l’exécution de laquelle pourront se réaliser
les fraudes les plus.préjudiciables aux créanciers. Ces
fraudes, résultant d’actes préparés peut-être de longue
main, ne seront pas toujours faciles à découvrir, et on
ne parviendra à en démontrer l’existence que par le
bénéfice du temps et à l’aide d’événements imprévus.
�?
DU
DOL
ET
DE LA
FRAUD E.
28»
En conséquence, assigner à cette découverte le sim
ple délai d’un an, c’était la restreindre dans un cadre
évidemment trop étroit ; encourager et favoriser la
fraude; consacrer une convention inique par laquelle,
sous prétexte d’acquitter une dette, le mari donne réel
lement une portion de son patrimoine au préjudice et
en fraude des droits de ses créanciers ; c’était, en un
mot, faire courir une prescription contre ceux que le
dol a mis dans l’impossibilité d’agir, et consacrer l’ex
tinction de l’action avant qu’elle ait pu être exercée. Un
pareil résultat a-t-il pu entrer dans les prévisions du
législateur? Pourrait-on le concilier avec tant et de si
minutieuses précautions pour prévenir la fraude?
L’évidence du contraire a fait admettre par tout le
monde la distinction que nous indiquons. On a compris
qu’autre chose était la séparation, autre chose la liqui
dation, qu’on pouvait, qu’on devait même les considédérer distinctement au point de vue de la prescription.
Toutefois, on a en même temps soumis l’application de
cette règle à la manière dont la liquidation a été pro
noncée. Le délai de l’article 875, a-t-on dit, sera appli
cable à la liquidation, si le jugement statuant sur la
séparation statue en même temps sur la liquidation,
celle-ci n’est plus dans ce cas que l’accessoire de l’au
tre, et le principal devenu inattaquable, l’accessoire ne
pourrait plus l’être. Mais le contraire doit être admis si
la liquidation n’a été prononcée que par un jugement pos
térieur et distinctif. Ce qui doit le faire décider ainsi,
c’est la publicité que la liquidation acquiert dans le pre
mier cas par la publication du jugement de séparation.
�290
T R A IT É
Nous n’admettons pas un pareil systèmecari! est
dénué de tout fondement juridique. Si la liquidation
n’est qu’un accessoire lié au sort du principal,, il im
porte peu qu’il y ait été statué par le même jugement
ou par un jugement distinct. L’existence de ce dernier
ne peut lui faire perdre ce caractère. Un fait est néces
sairement indépendant du mode de sa constatation. Il
existe ou il n’existe pas ; conséquemment si la liquida
tion n’est qu’un accessoire de la séparation dans le cas
d’un seul jugement, il le demeure forcément dans celui
de deux jugements.
En fait et en droit, la liquidation est la conséquence
immédiate, et non l’accessoire de la séparation. Le
droit d’attaquer l’une ou l’autre reste distinct et obéit à
des principes différents. On doit donc le distinguer
sans cesse et dans tous les cas. Quant à l’argument tiré
de la publicité du jugement de séparation, nous n’avons
à faire remarquer que cette circonstance, à savoir : que
cette publicité ne concerne que la séparation en ellemême; que c’est à son occasion qu’elle est exclusive
ment prescrite; que dès-lors les créanciers ne peuvent
être obligés d’y voir autre chose.
Nous n’admettons pas non plus qu’on puisse sou
mettre à l’article 1504 la prescription de l’action en ré
vocation de la liquidation comme faite en fraude des
droits des créanciers. Cet article ne régit que la nullité
ou la rescision des conventions ; il ne peut donc s’ap
pliquer à la rétractation d’un jugement. La demande
de celle-ci reste soumise, quant à sa durée, au droit
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
291
commun en matière d’action, et ce droit commun n’est
pas autre chose que la prescription trentenaire.
Ainsi, il y a deux choses parfaitement distinctes dans
la poursuite en séparation : la séparation elle-même, la
liquidation. L’une et l’autre pouvant recéler la fraude,
le droit des créanciers à se pourvoir contre chacune
d’elles ne saurait être contesté. Le droit est distinct, car
il s’agit d’un fait différent, la fraude faite dans la liqui
dation n’étant pas de la même nature que celle ayant
présidé à la séparation. Dans un intérêt public, en quel
que sorte, la faculté d’attaquer la séparation a été limitée
à la durée d’un an. Rien de pareil ne militant pour la li
quidation , l’action pour la faire révoquer dure trente ans.
C’est au reste dans ce sens que la Cour de cassation
s’est enfin prononcée. Par arrêt du 4 décembre 1815,
elle avait consacré le système que nous combattons,
mais la résistance que ce système rencontrait dans la
plupart des Cours1l’a fait proscrire par la Cour suprême.
Voici dans quels termes elle a, le 11 novembre 1855,
sanctionné celui que nous venon d’indiquer :
« Considérant que l’action en séparation de biens et
l’action en liquidation des reprises de la femme sont
essentiellement distinctes ; que si elles peuvent être
formées et jugées simultanément à raison de leur con
nexité, elles ne cessent pas d’être différentes par leur
nature et leur objet; que la demande en séparation a
pour objet de modifier l’état des époux et les droits
d’administration appartenant au mari, il importe de ne
1 Y, Dalloz, Dicl. général, sép. de biens.
�292
TRAITE
pas prolonger l’incertitude sur cette demande, et de
fixer un bref délai dans lequel les créanciers du mari
sont tenus d’attaquer le jugement qui a prononcé la sé
paration ; que tel est le motif qui a déterminé la dispo
sition exceptionnelle insérée dans l’article 875 du Code
de procédure civile ;
« Considérant que ce motif ne peut être allégué à la
liquidation des reprises de la femme, qu’elle soit opérée
par le jugement même de séparation ou par un juge
ment séparé ; que dans les deux hypothèses, la dispo
sition qui statue sur la liquidation est de la même na
ture et soumise au droit commun ;
« Que le principe général accorde aux créanciers le
délai de trente ans pour former tierce-opposition aux
jugements qui préjudicient à leurs droits; que l’excep
tion à'cette règle, admise par l’article 875, est limitée
à la séparation de biens ; qu’aucune disposition n’a dé
rogé à ce principe à l’égard des condamnations pronon
cées par le jugement de séparation ;
« Qu’il résulte des articles 865 et suivants du Code
de procédure civile, 1444 et 1445 du Code civil com
binés, que les formalités prescrites par leurs disposi
tions ont pour objet et pour résultat de donner de la
publicité à la séparation, mais n’en donnent pas à la
liquidation; qu’on ne pourrait appliquer le délai d’un
an aux condamnations prononcées par le jugement,
sans exposer les créanciers du mari à perdre leur droit
de tierce-opposition avant d’avoir pu l’exercer.1 »
D. P., 35,1, 441 ; — V. 36, 1, 98 ; — Zacchariæ, t. ni, p. 474.
�DU
DDL
ET
DE
LA
FRAUD E.
293
1515. — En résumé, la loi, désireuse d’assurer la
conservation des droits des créanciers et d’empêcher,
en ce qui les concerne, les effets d’une séparation frau
duleuse, leur confère la faculté :
1° De poursuivre la nullité du jugement pour défaut
de publicité de la demande ou du jugement lui-même,
ou pour violation des formes prescrites à l’une et à
l’autre. Quelle que soit la cause de nullité, l’effet en ré
sultant est de frapper non-seulement le jugement, mais
encore la procédure qui a, été suivie, de telle sorte que
la demande en séparation ultérieurement formée de
vrait nécessairement être instruite aux formes de droit.
La faculté de faire prononcer la nullité du jugement e
se prescrit que par trente ans ;
2° De former tierce - opposition contre le jugement
de séparation régulièrement poursuivi, obtenu et exé
cuté. La séparation des biens étant toujours préjudicia
ble aux créanciers par la division d’intérêts qu’elle crée
entre le mari et la femme, il est juste de leur reconnaî
tre le droit d’en contester l’opportunité et la nécessité.
L’exercice de ce droit doit être réalisé dans l’année du
jugement, sous peine d’en être définitivement déchu ;
3° Enfin, de demander la révocation de la liquida
tion, comme faite en fraude de leurs droits. Il importe
peu que cette liquidation ait été prononcée par le juge
ment de séparation ou par un jugement distinct et sé
paré, il suffit qu’elle soit frauduleuse, injuste et men
songère pour qu’elle puisse être attaquée. L’action des
créanciers n’est éteinte que par la prescription de trente
11
�294
T R A IT É
1516- — Nous avons déjà dit que, relativement au
mari et à ses créanciers, l’effet de la séparation, quelle
que soit l’époque de la prononciation, remonte au jour
de la demande. Cet effet rétroactif est-il applicable aux
tiers qui, dans l’intervalle de l’une à l’autre, ont traité
avec le mari?
Une grande controverse s’est élevée sur ce point, et
la doctrine est fort divisée. Pigeau enseigne la négative.
Il pense qu’on ne saurait recourir contre les tiers de
bonne foi, qu’on ne pourrait .soumettre à subir l’effet
rétroactif de l’article 1-445 du Code civil qu’en tant
qu’on prouverait leur collusion et leur fraude.1
D’autres auteurs veulent au contraire que cet effet at
teigne les tiers, indépendamment de leur bonne ou mau
vaise foi, et par cela seul qu’ils ont traité avec le mari
durant l’instance en séparation. Lex non distinguit,
disent les annotateurs de Zacchariæ.s La généralité des
termes du second alinéa de l’article 1445 est d’autant
plus décisive que l’ensemble de cet article ne peut laisser
aucun doute sur le véritable esprit de la loi. En effet,
après avoir prescrit, dans l’intérêt des tiers, les forma
lités nécessaires pour donner la plus grande publicité
aux séparations de biens, le législateur s’est hâté de po
ser, dans un second alinéa, le principe de la rétroacti
vité des jugements de séparation, comme s’il avait
craint qu’on n’induisît de sa première disposition la
1 T. n , pag 541 •
1 T. ni, pag. 478, note 34 ; — C. Toullier, t. xni, nos 101 et suix. ;
— Dalloz aîné, t, x, pag. 245, n° 47.
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
295
fausse conséquence que l’effet de pareils jugements est
retardé,' à l’égard des tiers, jusqu’après l’accomplisse
ment des formalités mentionnées dans cette disposition.
D’ailleurs les articles 866 à 869 du Code de procédure
civile supposent bien évidemment le principe dont s’a
git , puisque la publication qu’ils prescrivent ne peut
avoir d’autre objet que de mettre les tiers en position de
se prémunir contre les effets delà rétroactivité du juge
ment qui prononcera la séparation de biens. Enfin, il
faut bien le reconnaître, sans cette rétroactivité, il dé
pendrait du mari de rendre absolument inefficace ou il
lusoire le remède de la séparation.
Le défaut de cette opinion est d’être absolue, et de se
placer ainsi en contradiction avec un principe aussi cer
tain qu’incontestable. Pendant procès, le mari conserve
l’administration, même des biens personnels de la fem
me. Or comment concilier ce droit d’administrer avec
la nullité complette, à l’égard des tiers eux-mêmes, de
tous les actes que cette administration nécessitera?
Il est vrai que cette administration peut devenir, de
la part du mari, la source de graves abus, mais le légis
lateur a entrevu cette éventualité et s’est bien gardé de
laisser la femme dans l’impossibilité de les prévenir.
C’est précisément contre cette éventualité que l’arti
cle 869 a été édicté. Ainsi la fertime pourra saisir-arrêter les sommes dues au mari, les fermages de ses biens
personnels, les récoltés pendantes, faire enfin apposer
les scellés sur le mobilier de la communauté. A quoi
bon toutes ces mesures conservatoires, si la demande
en séparation conserve par elle-même les droits de la
�296
tr a it e
femme, à tel point que tout ce que le mari fera après la
publication restera frappé de nullité même à l’égard des
tiers de bonne foi?
Si telle avait été la pensée du législateur, il y avait
un moyen fort simple de la réaliser, c’était de suspendre
le droit du mari pendant la litispendance. Ce moyen eût
été également plus économique pour les époux et plus
juste envers les tiers, dont les intérêts auraient été ainsi
sauvegardés. Mais laisser l’administration au mari, et
puis annuler tous ses actes, c’est sacrifier ceux-ci et leur
préférer ceux de la femme, c’est accorder le principe
en en prohibant les conséquences. 11 n’est pas possible
d’admettre que le législateur ait voulu l’une et l’autre.
En conséquence, etsaufl’obstaclequelafemmepeuty
apporter par la réalisation des mesures conservatoires
autorisées par l'article 869, le mari, continuant après la
demande d’administrer les biens, les oblige valablement
vis-à-vis des tiers. Est-ce à dire cependant qu’il pourra
profiter de cette administration et multiplier la fraude
impunément? Non évidemment, car si la séparation de
biens ne fait pas cesser l’administration du mari, elle
ne cesse pas de la modifier profondément. A partir de
la publication de la demande, pour les tiers eux-mêmes,
ce droit n’est plus en quelque sorte que provisoire, ne se
réalise plus que pour les actes urgents, indispensables
à la conservation ou à la gestion ordinaire des biens,
rien ne les empêche donc de traiter dans ces limites,
mais la fraude serait plus ou moins présumée contre
eux, selon que l’acte qu’ils ont contracté s’éloignerait
plus ou moins de ce caractère.
�1517. -- Nous croyons donc que la solution de no
tre question doit obéir à une distinction inévitable.
Ainsi le mari continuant d’administrer la communauté,
il importe, dans l’intérêt même de la femme, qu’il puisse
faire tout ce qui est indispensable pour prévenir un dé
périssement ou des non valeurs. Il pourra donc, comme
il l’a toujours fait, recueillir et vendre les récoltés, con
tinuer les baux à renouveler, retirer les capitaux échus.
D’ailleurs, on doit d’autant mieux le décider ainsi que,
par cela seul que le mari est obéré, il y a certitude que
la femme renoncera à la communauté, et que dès-lors
tout obstacle à l’administration aurait été en pure perte.
A quoi bon, dès-lors, un système tendant à rendre cette
administration impossible? A quoi bon encore, dironsnous, même dans l’hypothèse d’une acceptation, lors
que la femme a le droit de saisir-gager les fruits, d’ar
rêter les capitaux aux mains des débiteurs, de provo
quer l’apposition des scellés sur le mobilier commun?
En conséquence les tiers qui, postérieurement à la
demande en séparation, mais en l’absence de tout acte
conservatoire de la part de la femme, ont traité avec le
mari dans les limites de son administration, ne peuvent
être recherchés que s’ils ont agi de mauvaise foi; que si
l’acte qu’ils ont souscrit a été fait sciemment par eux
en fraude des droits de la femme. Leur bonne foi rend
cet acte inattaquable, car la femme, en s’abstenant de
prendre les mesures conservatoires qu’elle peut requé
rir, aurait tendu un piège dont les tiers ne peuvent être
les victimes. Sans doute la publicité de la demande en
séparation de biens les avertit du danger menaçant
m
U
�298
T R A IT E
l’administration du mari. Mais ils savent également que
pendant procès cette administration se continue; ils sa
vent aussi que la femme a la faculté de conjurer les pé
rils auxquels elle est exposée ; et si celle-ci s’est tue,
pourquoi exigerait-on de leur part une susceptibilité
plus ombrageuse que celle de la partie la plus directe
ment intéressée? Ils ont donc pu, en cet état, traiter
légalement avec le mari, et ils ne doivent être recher
chés que s’ils ont sciemment fraudé les droits de la
femme.
Il n’en serait pas de même pour les actes d’aliénation
résultant soit d’obligations, soit de ventes contractées
par le mari. Ces actes ne sont plus de pure administra
tion, et la femme ne pouvait prendre aucune mesuré
propre à les prévenir ou à les empêcher. Dès-lors aussi
la publicité donnée à la demande en séparation doit être
considérée comme suffisante pour empêcher les tiers
de consentir de pareils actes. Celui-là donc qui malgré
cet avertissement, qui, malgré la certitude de la modi
fication qu’a subi le droit ordinaire du mari, lui a prêté
de l’argent ou a acquis de lui un objet mobilier ou im
mobilier, ne peut se soustraire à l’effet rétroactif de
l’article 1445- Une pareille conduite fait présumer la
fraude et légitime l’application de la peine à laquelle
le tiers s’est bien volontairement exposé.
Cette présomption de fraude est au surplus avouée
par la raison et le bon sens. Un emprunt, une vente
doit paraître extraordinaire dès l’instant qu’il existe une
demande en séparation régulièrement publiée. On ne
prête pas, on n’achette pas de celui qu’on sait devoir
�DU
DOT.
ET
DE
LA
FRAUD E.
299
être bientôt dépouillé de la propriété des choses qu’il
affecte ou qu’il aliène. Lu tiers qui agit autrement ne
peut y être déterminé que par l’intention de faire une
bonne affaire et de s’approprier les avantages que la
position du mari lui commandera d’offrir ou d’accepter.
Cette pensée, si d’ailleurs le profit espéré s’est réalisé,
est exclusive de bonne foi. N’y eût-il d’ailleurs qu’imprudence, que le tiers ne pourrait se plaindre de ce
qu’on lui en fit supporter les conséquences, volenti non
fit injuria. Or telle est la position de celui qui prête ou
achette après avoir été mis à même de connaître l’exis
tence de la demande en séparation de biens.
Vainement prétendrait-il l’avoir ignorée. La publicité
prescrite par la loi, et régulièrement accomplie, ne
permettrait pas d’accueillir une pareille excuse. Ce
qu’il a pu personnellement ignorer, des renseignements
que la loi prescrit de prendre pour s’assurer de la con
dition de celui avec qui on va traiter le lui auraient
appris. S’il a manqué à ce devoir, il a commis une
faute. Or on ne saurait excuser une imprudence par une
imprudence plus grande encore.
Ce que nous disons de la communauté s’applique,
par une supériorité de raisons incontestables, aux biens
personnels de la femme dont le mari a l’administration.
Pour ceux-ci, il ne s’aurait s’agir d’une aliénation ou
d’une affectation par hypothèque, l’une ou l’autre ne
pouvant valablement s’accomplir sans le concours ou le
consentement de la femme, à moins que le contrat de
mariage n’ait stipulé le contraire. Si la faculté de ven
dre ou engager sans le consentement de la femme avait
�300
TRAITE
été concédée au mari, son exercice serait de plein droit
suspendu par la demande en séparation. Le tiers qui,
malgré la publicité de cette demande, aurait traité avec
le mari, serait donc régi, quanta la validité de l’acte,
par les régies que nous venons de tracer.
Mais, comme les biens de la communauté, les biens
personnels de la femme doivent être administrés pen
dant la litispendance, et cette administration ne laisse
pas d’être dévolue au mari. Conséquemment, tout çe
que les tiers feront avec lui dans les limites d’une ad
ministration intelligente et sage, sera de plein droit
exécutoire pour la femme elle-même.
C’est surtout à l’endroit de ces biens que l’adminis
tration du mari, pendant procès, doit se réduire aux
mesures que le présent rend indispensable, et ne jamais
eugager l’avenir. Ainsi qu’un bail, venant à expirer, soit
continué par la tacite reconduction, c’est ce qu’exige
l’intérêt de la femme; mais que le mari, malgré la litis
pendance, consente un bail pour un terme beaucoup
plus long, pour neuf ans surtout, c’est ce que nous ne
pourrions admettre. Nous consacrerions donc, en faveur
de la femme, la faculté d’en faire prononcer la résilia
tion. Le tiers, ayant accepté un pareil bail, ne saurait
exciper d’une bonne foi que la publicité de la demande
en séparation ne permettrait pas d’accueillir. Il suffirait
donc qu’il se fût prêté au fait que le mari accomplissait
sans nécessité réelle, et que ce fait causât un préjudice
à la femme, pour qu’il fût considéré comme complice
de la fraude, et privé du bénéfice qu’il s’en était promis.
Ainsi encore, et quelle que fût la durée du bail, le
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
tiers qui, malgré la publication de la demande en sé
paration, aurait consenti des anticipations au mari, ne
pourrait exciper contre la femme des paiements qu’il
prétendrait avoir fait, alors même que celle-ci consen
tirait à exécuter le bail. Le mari, en exigeant un paie
ment non exigible, ne fait plus un acte d’adminis
tration, alors surtout qu’il est à la veille de perdre cette
administration elle-même, il commet une véritable
fraude contre les droits de la femme qui, vu son état
d’insolvabilité, ne pourra se faire rembourser ce qui, de
puis la demande en séparation, lui appartenait exclusi
vement.
D’autre part, le tiers, connaissant cette demande, ne
pouvait ignorer l’effet que le jugement devait produire.
En consentant une anticipation, il a contribué à rendre
cet effet impossible et occasionné ainsi un préjudice à
la femme; il est donc tenu de le reparer en faisant
compte des loyers, à partir du jour de la demande, sauf
son recours contre le mari.
En dernière analyse, l’administration du mari, ne
cessant pas par la demande eu séparation de biens, doit
pouvoir s’exercer, ce qui ne serait pas si les tiers, ayant
traité de bonne foi avec lui, dans les limites de cette ad
ministration, pouvaient être recherchés et voir leurs
conventions annulées. Mais il est juste d’exiger qu’à
partir de la demande le droit du mari se restreigne aux
actes de gestion purs et simples, de nature à satisfaire
aux besoins du momentprésent, sansgréver inutilement
et abusivement l’avenir. Tout ce qui s’écarterait de ce
caractère devrait être et serait suspect. A l’égard du
�302
T R A IT E
mari, car on supposerait facilement que, profitant tleâ
derniers moments de son administration, il a voulu se
créer des ressources illégitimes au détriment de sa fem
me ; à l’égard des tiers, parce que la publicité de la de
mande les avertit suffisamment de la véritable position
du mari; s’ils se prêtent cependant aux actes de dissipa
tion que celui-là accomplit, c’est qu’ils y trouvent euxmêmes un intérêt quelconque. Cette présomption, nais
sant de l’acte lui-même, est légalement admise, et
comme elle exclut toute idée de bonne foi, sa consé
quence doit être l’annulation de l’acte attaqué.
1518. — La dissolution du mariage, par la mort
d’un des époux, offre pareillement de nombreuses oc
casions de fraude contre les héritiers ou les créanciers
du défunt, contre les créanciers du survivant.
1519. — La plus redoutable de ces fraudes est, sans
contredit, les détournements opérés par l’époux survi
vant. Ces actes, ayant pour objet la spoliation de la
succession, sont dans le cas d’occasionner aux créanciers
et aux héritiers du défunt un grave préjudice. Ils sont,
par rapport à leur auteur, essentiellement frauduleux,
car ils entraînent non-seulement un dommage certain,
mais encore, et de plein droit, l’intention de nuire.
1520. — La spoliation de la succession est possible,
quel que soit le régime sous lequel ont vécu les époux,
elle constitue, sous celui de la communauté, le recèle
nrévu nar l’article 1477.
�D ü DOL ET DE LA FRAUDE.
303
Les soustractions, que la femme dotale ou non com
mune opérerait dans la succession de son mari, ne pour
raient être punies des peines du recélé. Mais comme,
en définitive, elles ne sont pas moins dommageables
que celui-ci, les héritiers ou les créanciers ont une action
en répression pour obtenir soit la restitution des effets
détournés, soit une indemnité pécuniaire, suffisante
pour couvrir intégralement le préjudice qu’ils sont dans
le cas d’en éprouver.
1521. — La femme commune eu biens a le droit de
renoncer à la communauté. L’article 1453 frappe de
nullité toute convention dérogeant à cette faculté d’or
dre public, ou par laquelle la femme s’en interdirait
l’exercice. Par l’effet de cette renonciation, la femme
est libérée de toutes les dettes grevant la communauté,
elle a de plus le droit de reprendre les linges et hardes
à son usage ; les immeubles lui appartenant lorsqu’ils
existent en nature, ou l’immeuble acquis en remploi ; le
prix de ses immeubles aliénés, dont le remploi n’a pas
été fait et accepté conformément à la loi; enfin toutes
les indemnités qui peuvent lui être dues par la commu
nauté.
C’est là, il faut en convenir, un droit d’un immense
avantage pour la femme. Elle y trouve le moyen de ne
pas contribuer au paiement de sommes consommées
par la communauté et dont elle a conséquemment pro
fité en partie. La loi.n’a pas cependant hésité à le consa
crer, eu égard à la position de la femme, forcée de subir
l’administration du mari. Celui-ci étant le maître ab-
�304
TRAITE
solu de la communauté, il fallait, dit M. de Malleville,
donner à la femme la faculté de s’en délier pour qu’elle
ne fût pas exposée à perdre son bien, par suite de con
ventions qu’elle n’a pas pu empêcher. De là, la faculté
de renoncer et les effets qui s’y rattachent.
A ce droit, le législateur en a ajouté un autre non
moins utile. Alors même que la femme accepterait, elle
n’est, aux termes de l’article 1483, obligée aux dettes
que jusqu’à concurrence de son émolument, c’est-à-dire
que sa part dans la communauté pourra bien être ab
sorbée, mais qu’elle ne sera jamais obligée au-delà et
sur ses propres biens.
Ces dérogations au droit commun ont un caractère
spécial qu’il ne faut pas oublier. Le législateur a entendu
protéger la femme contre les abus que sa position, dans
la communauté, faisait craindre. Il n’a pas voulu lui
conférer un avantage, quoi qu’ii arrivât. Le droit des
créanciers, celui des héritiers, est aussi sacré que le
sien, on ne pouvait donc le modifier qu’à de certaines
conditions.
1522. — La première et la plus essentielle est que
la femme, qui renonce, ne puisse rien retenir des biens
de la communauté. Cette condition serait violée si ,
avant la renonciation, elle s’était emparée d’une part
quelconque de ces mêmes biens; si elle tentait de les
soustraire à la connaissance des héritiers du mari ou
des créanciers; en un mot, si elle recélait ou détournait
les effets appartenant à la communauté.
Dès-lors, la femme ne saurait revendiquer un privi-
�DU DOL ET DE LA FHAUDE.
305
lége dont sa propre fraude l’a rendue indigne, sa con
duite a donc justement préoccupé le législateur qui en
déduit les conséquences suivantes:
En premier lieu, la femme est déchue de la faculté
de renoncer, le recèle, par elle commis, est considéré
comme une acceptation formelle. L’acceptation en effet
n’a pas toujours besoin d’être expresse. Les articles 1454
et 1455 la font résulter de l’immixtion de la femme
dans les biens de la communauté, ou seulement de ce
qu’elle a pris dans un acte la qualité de commune. Com
ment donc ne pas attacher au recélé les effets de l’une
ou de l’autre ;
En deuxième lieu, elle perd le privilège de ne pas
être tenue par son acceptation au-delà de la portion
qu’elle prend dans la communauté. La loi a mis à cet
effet une condition essentielle, à savoir : que préalable
ment il ait été fait un bon et fidèle inventaire. On ne
pourrait évidemment reconnaître ce caractère à celui
qui ne ferait aucune mention des effets recélés ou dé
tournés ;
En troisième lieu enfin, elle est privée dans le partage
de la communauté de la part qui lui serait revenue dans
les valeurs recélées. Elle supporte ainsi le préjudice
qu’elle a voulu occasionner à autrui, c’est là une juste,
une équitable réparation.
1523. — Le recélé commis par le mari ou ses héri
tiers ferait encourir à son auteur la peine portée par
l’article 1477. Il est évident, en effet, que le recélé ne
perd aucun de ses caractères, quel que soit celui qui
�l’exécute, dès-lors il doit produire contre tous des effets
analogues.
1524. — La loi, qui a formellement édicté ces effets,
entend-elle borner là les conséquences du recelé? S’op
pose-t-elle à ce qu’on accorde en outre une allocation
de dommages-intérêts? Ces questions nous paraissent
devoir être négativement résolues. La réparation du pré
judice causé par le recélé pourrait demeurer imparfaite,
si elle se bornait à la restitution des objets pour lesquels
il a été possible de fournir la preuve. Mais d’autres peu
vent aussi avoir été soustraits, et des indicés graves,
quoique insuffisants pour déterminer une preuve, peu
vent exister à la charge de celui contre qui une preuve
partielle est déjà faite. Or qu’on ne puisse en cet état, et
sur ces indices prononcer une condamnation en resti
tution, on le comprend, mais comme il importe que le
préjudice soit intégralement réparé, comme il ne serait
pas juste de rendre les plaignants victimes des précau
tions prises pour les tromper, ou de l’ignorance dans
laquelle ils peuvent être de la véritable consistance des
biens de la communauté, on doit reconnaître aux juges
la latitude de compenser, par une allocation pécuniaire,
le dommage réellement démontré. Le recelé, se réali
sant sous l’inviolabilité du domicile commun, peut avoir
laissé des traces plus ou moins difficiles à saisir. Le soup
çon contre celui qui est déjà couvaincu, les considéra
tions naissant de cette conviction elle-même le signa
leraient assez énergiquement pour qu’on pût prononcer
�«
-
OD DOL ET DE LA FRAUDE.
contre lui une condamnation en dommages-intérêts, à
titre même de supplément de réparation.
Ainsi, et dans le cas où la restitution des objets,
qu’on prouverait avoir été soustraits, ne ferait pas dis
paraître tout le préjudice, les juges peuvent, suivant
les circonstances, ne pas s’arrêter aux peines édictées
par les articles 1460 et 1477, et condamner en outre
l’auteur du recélé à une indemnité que leur conscience
arbitrerait.
1525. — La femme, devenue commune, pour avoir
recélé, subit une peine véritable. La conséquence de
celte règle est facile à déduire. La femme, qui aurait
renoncé au préjudice de ses intérêts, ne pourrait exciper du recélé qu’elle aurait commis pour être exonérée
de sarenonciation et se faire déclarer commune en
biens.
1526. — Les héritiers du mari eux-mêmes ne sont
pas forcés à demander qu’elle devienne telle ; ils ont le
droit, après l’avoir convaincue de recélé, de se borner
purement et simplement à la contraindre à restitution,
et la laisser ainsi sous le poids de sa renonciation.
1527. — Mais, quelle qu’ait été sur ce point la con
duite des héritiers, elle ne pourrait influer sur le sort
des tiers. Pour ces derniers, la femme est commune,
par cela seul qu’elle a recélé. Elle est donc tenue aux
dettes non-seulement à concurrence de son émolu
ment, mais encore ultra vires. Les créanciers ne sau-
;
m
r tS aM*
�308
TRAITE
raient, en conséquence, être empêchés de poursuivre
contre elle le remboursement intégral de leur créance.
1528; — Ce que la fraude de la femme ne peut faire
est naturellement attaché à celle du mari ou de ses hé
ritiers. Ainsi la femme ou ses héritiers, qui ont re
noncé à la communauté, sont recevables à se faire re
lever des effets de leur renonciation, si le mari ou ses
héritiers sont plus tard convaincus de détournement ou
de recèle.
La faculté de renoncer est un secours donné par la
foi à la femme ou à ses héritiers contre une adminis
tration qu’ils ont dû subir. Elle ne peut donc se tourner
en sacrifice pour eux ; il importe, dès-lors, que son
exercice soit réfléchi, que l’appréciation de son oppor
tunité repose sur des éléments sincères et vrais. Voilà
pourquoi la loi exige un bon et loyal inventaire ; voilà
pourquoi elle accorde à la femme, comme à ses hé
ritiers, un délai de trois mois pour délibérer.
Si le renonçant se trompe sur ce qu’exigent sa con
venance et ses intérêts, la loi le laisse sous le coup des
engagements qu’il contracte. Mais il n’en saurait être
ainsi si l’erreur a été inférée par la fraude du mari ou
de ses héritiers, fraude dont le résultat devait amener
la renonciation, en diminuant l’actif ou en grossissant
le passif de la communauté.
Le premier but est atteint par le détournement ou
par le recélé. Ignorant l’un et l’autre, le renonçant s’est
trouvé placé en présence d’une communauté dont l’ac
ceptation n’était pour lui d’aucun avantage possible. Il
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
309
a donc renoncé, ce qu’il n’aurait certainement pas fait
si la vérité, connue par lui, lui eût permis de juger sai
nement sa position.
La perpétuité d’une renonciation, opérée dans de
telles circonstances, n’eût été qu’une iniquité contre
son auteur, qu’un encouragement à la fraude. En effet,
plus la communauté se serait trouvée dans un état pros
père, plus le mari ou ses héritiers auraient eu intérêt à
amener une renonciation. Or, comme celle-ci devait
être la conséquence d’une apparence contraire, rien
n’aurait été épargné pour la déterminer. En d’autres
termes, plus il y aurait eu de ressources, et plus les
détournements se seraient multipliés.
D’ailleurs, la fraude ne saurait, dans aucun cas, de
venir le fondement utile d’une convention quelconque.
L’erreur qu’elle inspire vicie le consentement, condition
substantielle de tous les contrats. Sa découverte doit
donc faire évanouir le titre qu’elle avait su inspirer.
1529. — Pothier met sur la même ligne le recélé
et la fausse supposition de créanciers.1 Il n’y a, en effet,
entre Ces deux actes aucune différence dans les résul
tats, car l’un et l’autre se proposent le même objet, à
savoir : tromper sur la position réelle de la commu
nauté. Dans l’un comme dans l’aUtre, le mari cherche
à s’avantager, car s’il profite réellement des objets
soustraits, il ne profitera pas moins des paiements que
les créanciers simulés ne recevront que pour les lui
1 De la Comm., n° 532.
�310
TJiAITÉ '
transmettre. Le consentement du renonçant, vicié par
l’erreur sur le recèle, ne le sera pas moins par l’igno
rance de la simulation. La nullité, conséquence de
la première, devra donc nécessairement s’induire de la
seconde.
Ainsi, et de quelque manière que la renonciation se
soit produite, la découverte de la fraude du mari ou de
ses héritiers en motive la rétractation. Son auteur re
couvre donc le droit de partager la communauté et de
se faire attribuer exclusivement tout ce qu’on a tenté
de lui enlever.
1530- — L’article 1464 prévoit une fraude à la
quelle la dissolution du mariage peut donner lieu non
plus contre les créanciers de la communauté, mais
contre les créanciers personnels de la femme ; nous
voulons parler de la renonciation frauduleuse qu’elle
ferait à la communauté.
Cette renonciation pourrait être annulée à la de
mande des créanciers. Tout ce qu’exige le législateur
à l’endroit de cette annulation, c’est que la femme ait
agi en fraude de ses créanciers. Comment et à quelles
conditions admettra-t-on ce caractère?
1551- — A notre avis, le fait est ici tout-puissant.
Car justifié que soit l’état prospère de la communauté,
la renonciation de la femme n’a plus qu’une significa
tion possible, le désir et la volonté de frauder ses créan
ciers, de leur faire perdre les ressources qu’ils devaient
�DU DOL 15T DE LA FKAUDE.
311
rencontrer dans les facultés qui seraient obvenues à
leur débitrice dans le partage de la communauté.
En effet, le refus de s’enrichir quand on le peut lé
galement est un fait tellement anormal, tellement ex
traordinaire, qu’il suppose nécessairement une arrièrepensée, laquelle est parfaitement expliquée par l’exis
tence de créanciers et par l’obligation de les désinté
resser. C’est réellement aux créanciers que les nou
velles ressources devaient profiter, c’est donc à eux
qu’on a voulu les enlever, et cette intention sera d’au
tant plus frauduleuse, que l’actif de leur débitrice sera
plus insuffisant pour leur paiement intégral.
ÏI suffira donc de prouver cette insuffisance et, con
séquemment, l’existence d’un préjudice, pour que la
fraude soit acquise et pour que la renonciation doive
être annulée. Ce résultat serait surtout acquis si, com
paraison faite de l’actif et du passif de la communauté,
aucun doute ne pouvait naître sur l’avantage que la
femme avait à accepter.
M. Delvincourt, après avoir enseigné que la fraude
est présumée toutes les fois que la femme a renoncé
à une communauté évidemment avantageuse, ajoute :
« Mais, pour peu que l’état de la communauté présentât
quelque doute lors dé la renonciation, je ne pense pas
qu’elle puisse être annulée, quand même, par l’événe
ment, elle ne se trouverait pas désavantageuse.1 ®
La seule conséquence possible de cette restriction
nous paraît devoir être de multiplier les difficultés et
�342
TRAITE
de substituer une appréciation arbitraire à celle si sim
ple naissant de la proposition contraire, à savoir : qu’il
suffit que la renonciation occasionne un préjudice aux
créanciers pour qu’ils puissent la faire annuler. Nous
nous rallions donc à celle-ci avec d’autant plus de rai
son, qu’il ne sera pas difficile de faire naître un doute
momentané sur les résultats d’une liquidation future,
qu’on serait donc exposé à consacrer la fraude parce
que, par une collusion entre les parties intéressées, on
serait parvenu à en dissimuler l’existence à l’aide d’une
autre fraude.1
Ainsi, les créanciers lésés par la renonciation à la
communauté peuvent, par cela seul qu’ils éprouvent
un préjudice, en poursuivre l’annulation comme faite
en fraude de leurs droits; ils peuvent, de plus, dans
tous les cas où la femme serait recevable à se faire re
lever de sa renonciation, exercer eux-mêmes cette ac
tion en vertu de l’article 1166, notamment dans le cas
où la renonciation de la femme n’aurait été déterminée
que par les détournements frauduleux du mari ou de
ses héritiers.
1532. — Si la renonciation à la communauté émane
de l’héritier de la femme, ses créanciers personnels au
ront, contre cette renonciation, tous les droits que nous
venons de reconnaître aux créanciers de la femme re
nonçante.
1 Dalloz, Communauté, n° 26 ; — Toullier, loin, xm, n°202; —
Bellot, tom. n, p. 341 ; — Battur, n° 670 ; — Duranlon, tora. xiy,
D“ 4Gg.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
313
1535. — Les créanciers de la femme ou de son hé
ritier peuvent-ils attaquer l’acceptation de la commu
nauté et en demander l’annulation comme faite en
fraude de leurs droits ? Il peut se faire, en effet, que
l’acceptation soit préjudiciable aux créanciers, dans
l’hypothèse suivante par exemple :
La femme a stipulé la reprise de son apport franc et
quitte. Voulant décharger les héritiers de son mari de
l’obligation d’en opérer la restitution, elle accepte la
communauté, contrairement à tous ses intérêts.
Nous ne voyons pas ce qui pourrait empêcher les
créanciers de se pourvoir contre une pareille accepta
tion. Évidemment, elle ne serait, envers les héritiers du
mari, qu’une libéralité pure, qu’une fraude palpable à
l’endroit des créanciers de la femme que la reprise de
son apport devait mettre à même de les satisfaire. Or,
une fraude ne saurait exister sans donner immédiate
ment ouverture à une action en faveur de celui à qui
elle préjudice. On doit donc décider notre question par
l’affirmative.
Mais la restriction que nous repoussions tout à l’heure,
nous l’admettons ici sans difficulté. La fraude existera
si la communauté, étant évidemment désavantageuse,
la femme l’a cependant acceptée. Si, au contraire, lors
de l’acceptation les ressources apparentes de cette com
munauté étaient telles que leur partage dût paraître plus
favorable que la reprise de l’apport, l’acceptation doit
être maintenue, à moins qu’il ne fût prouvé que l’in
ventaire a été sciemment et frauduleusement grossi. Il
ne faudrait pas, en effet, sous prétexte d’une fraude qui
�tr a it e
3U
n’existe pas, permettre à la femme de revenir, par une
voie indirecte, contre une acceptation faite dans le dé
sir de s’enrichir. L’existence certaine de celui-ci exclut
toute intention de préjudicier aux droits des créanciers.
1534. — La révocation de la renonciation ou de
l’acceptation ne peut être poursuivie par les créanciers
que dans la mesure de leurs droits. Ses effets ne peu
vent profiter qu’à eux, jamais à la femme ou à ses hé
ritiers.
Ainsi, il appartient au mari ou à ses héritiers d’em
pêcher qu’il soit donné suite à la demande en désinté
ressant les créanciers.,En supposant qu’ils ne le fassent
pas, l’admission de la révocation n’aurait, pour résultat
possible, que ce désintéressement. Tout ce qui resterait
après paiement serait acquis non à la femme ou a ses
héritiers, mais au mari ou à ses ayant-cause. En d’au
tres termes, la renonciation n’est jamais annulée que
dans l’intérêt exclusif des créanciers. Elle continue de
valoir contre la partie qui l’a réalisée, les créanciers
n’ayant ni intérêt, ni qualité à faire décider le contraire.
1535. — L’action des créanciers en révocation de
la renonciation ou de l’acceptation n’a jamais suscité
aucun doute, quant à sa durée. Elle se prescrit par dix
ans. Mais quelques difficultés se sont élevées sur la
question de savoir quel est le point de départ de ces
dix ans.
M. Battur pense que c’est du jour de la renonciation
que commence la prescription. Mais cette opinion, com-
�DU
DOL
ET
DE
LA
FR AU D E.
315
battue d’ailleurs par M. Bellot, ne nous paraît pas de
voir être suivie. Nul n’est tenu d’agir avant d’y être au
torisé par son intérêt. Ce n’est d’ailleurs que lorsque
cet intérêt se manifeste qu’il est recevable à le faire.
Conséquemment on ne comprendrait pas que, sous pré
texte de négligence, on pût perdre un droit, tant qu’on
n’est pas en demeure de l’exercer.
Or l’action révocatoire des créanciers n’est recevable,
nous l’avons déjà dit, qu’à condition que les autres biens
du débiteur se trouveront insuffisants pour le paiement
de ce qui leur est dû, et cette insuffisance ne peut être
démontrée que par la discussion préalable de ces biens.
Ce n’est donc qu’après cette discussion, et par la preuve
de l’insolvabilité en résultant, que les créanciers ver. ront s’ouvrir le droit qu’ils ont d’attaquer toute disposi
tion faite pour leur préjudicier ; qu’ils seront conséquem
ment en mesure et en demeure d’agir. Il est donc ra
tionnel et logique de placer à ce même moment le point
de départ de la prescription. Décider le contraire, c’est
admettre qu’on peut être puni comme négligent, alors
que, le voulût-on, on ne saurait être négligent et mé
connaître cette règle d’équité et de droit : Contra non
valentem agere, non currit prescriplio.
1536- — Le détournement commis avant la disso
lution du mariage produit les mêmes effets que celui
qui ne s’exécute qu’après. L’un et l’autre produisant
des conséquences identiques doivent entraîner les mê
mes résultats. Ainsi l’époux qui consent une vente si-
�'
316
TiîAÏTE
mulée d’effets mobiliers de la communauté, dans le but
de se les approprier, se rend coupable du recelé prévu
par l’article 1477 et en encourt la peine.1II en serait
de même du recélé d’une créance de la communauté.
L’époux qui en serait convaincu devrait en rapporter
le capital et les arrérages, sans pouvoir réclamer aucun
droit ni sur l’un ni sur les autres, alors même qu’il pré
tendrait que ces derniers sont prescrits.5
1557. — Mais ce qui, dans tous les cas, constitue
le détournement punissable, c’est le caractère occulte
et clandestin de l’acte. Il n’y a donc pas recélé dans le
sens de la loi, toutes les fois que la rétention reprochée
à l’époux ou à ses héritiers est patente et publique;
qu’elle s’étaye sur une prétention plus ou moins fondée.
Ainsi nous sommes loin d’approuver un arrêt rendu par
la Cour de Bordeaux, le 5 janvier 1826, déclarant que
l’époux qui, après la dissolution de la communauté a
fait volontairement des déclarations, desquelles il est
résulté qu’il présentait comme lui étant propres des
biens qui devaient être compris dans la communauté ,
pouvait être déclaré coupable de recélé.
Nous n’ignorons pas qu’en pareille matière les Cours
ontun pouvoir discrétionnaire et souverain. Mais nous
ne saurions admettre qu’elles pussent étendre ce pou
voir jusqu’à reconnaître l’existence du 'détournement
1 Cass., 5 avril 1832.
5 Cass., 10 décembre 1835.
�1)1’ DDL
e t de
LA FliAUDË.
317
et (lu recel dans des faits ne constituant évidemment ni
l’un ni l’autre.
Quel est, en effet, le préjudice pouvant résulter de
la fausse déclaration du mari? Est-ce que les héritiers
de la 'femme sont tenus de l’admettre? Est-ce qu’ils
n’ont pas le droit d’exiger la justification du fait qu’il
indique? Si cette justification n’est pas fournie, le mari
est débouté de ses prétentions qu’il a pu émettre de
bonne foi, et les biens restent dans la communauté , de
laquelle ils n’ont jamais été distraits.
Le fait donc d’avoir fait à cet égard une fausse décla
ration ne peut, dans aucun cas, constituer le recélé.
Mais si cette déclaration s’appuyait sur des titres fabri
qués à son appui, si le mari invoquait des actes simu
lés, capables de tromper les héritiers de la femme, nous
trouverions fort juste la décision qui le déclarerait cou
pable de recélé. L’intention manifestement frauduleuse
que ces actes décèlent, la confiance qu’ils peuvent ins
pirer exclut toute bonne foi, rend un préjudice immi
nent et mérite conséquemment toute la sévérité de la
justice.
Mais nous ne considérerions comme frauduleux que
les actes émanant du mari exclusivement, et fait sans le
concours de la femme. Ainsi la déclaration faite par les
époux dans un acte auquel ils ont l’un et l’autre con
couru, tendant à faire considérer comme propre à l’un
d’eux un acquêt de la communauté, ne pourrait fonder
une accusation de recel. Elle ne prouverait qu’une seule
chose, à savoir: que les époux ont voulu indirectement
s’avantager, mais elle ne pourrait constituer un préju
�dice quelconque, alors même qu’elle devrait être annu-*
lée comme illégale, puisque les héritiers pourraient tou
jours, et malgré la reconnaissance de leur auteur, exir
ger la preuve du caractère donné à l’immeuble.
ÿjiyilîr
É iîll
1558. — Nous nous sommes déjà occupés des frau
des que les époux peuvent commettre pendant mariage
au préjudice l’un de l’autre,1 Nous ne les rappelons ici
que pour constater que l’action en répression ouverte à
celui qui en a été la victime passe à ses héritiers. Mais,
dans cette hypothèse, ceux-ci, n’étant que les ayantcause de leur auteur, peuvent être écartés parles excep
tions opposables à celui-ci.
Il peut se faire cependant que la fraude exécutée pen
dant le mariage soit plutôt tentée contre les tiers que
contre le conjoint. C’est ce qui se réalise toutes les fois
qu’il s’agit de la disposition des biens dotaux ou per
sonnels à la femme.
Ainsi la vente des premiers, nous l’avons déjà d it,
peut être annulée sur la demande du mari lui-même, de
la femme, de ses héritiers. Le préjudice reste donc tout
entier contre les acheteurs, car, alors même qu’ils se
ront dans le cas d’obtenir une garantie contre le mari ,
illusoire.
1559. — L’administration des biens personnels de
la femme commune, celle des biens dotaux appartenant
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E
319
au mari, les baux qu’il en aurait consenti doivent rece
voir leur exécution dans la mesure déterminée par la
loi. L’intérêt des tiers est donc sur ce point parfaite
ment sauvegardé.
Mais il n’en est pas de même des biens paraphernaux,
leur location peut devenir une occasion de fraude con
tre les preneurs. Par exemple, le mari la consentira
sans déclarer la nature des biens. Puis, une occasion
plus favorable s’offrant, la femme, s’étayant de son
droit, demandera la nullité du bail sur la foi duquel le
preneur se sera livré à des dépenses d’appropriation plus
ou moins considérables.
Cette demande en nullité devrait-elle être accueillie?
Nous n’hésitons pas à soutenir la négative. Elle nous
paraît résulter de l’économie de notre Code civil.
Qu’en principe la femme ait l’administration et la
jouissance de ses biens paraphernaux,. c’est ce qu’il est
impossible de contester, en présence de l’article 1576
du Code civil. Qu’elle puisse vouloir exercer par ellemême l’une et l’autre, c’est ce qui est évident. L’a-t-elle
voulu? C’est ce quela loi n’admet pas facilement.
Aussi voyons-nous le législateur tracer, immédiate
ment après l’article 1576, les règles applicables à l’ad
ministration qui aurait été laissée au mari, et les consé
quences de cette administration par rapporta la femme.
Celle-ci n’acquiert les revenus que si elle a expressé
ment stipulé, dans la procuration formelle qu’elle a
donnée, que le mari serait tenu de rendre compte ; ou
bien que si le mari a administré et joui au mépris de
l’opposition formelle de la femme.
�Ainsi, aux yeux de la loi, il s’agit bien moins pour la
femme d’une administration matérielle, que du droit
aux revenus. C’est d’ailleurs au mari qu’elle devra en
demander compte exclusivement. Les tiers auxquels
l’opposition n’aurait pas été légalement dénoncée se li
béreraient valablement entre les mains du mari.
Adéfaut de mandat formel, la loi suppose et admet
le mandat tacite. Le mari, dans ce cas, a non-seulement
l’administration, mais encore la jouissance effective,
car il ne devra compte que des fruits existant au mo
ment de la dissolution, ou au jour de l’opposition par
laquelle la femme a toujours la faculté de révoquer le
mandat tacite.
Ainsi, en droit, l’administration et la jouissance des
biens paraphernaux appartiennent à la femme. En fait,
la loi présume qu’elles ont été confiées au mari, et
cette présomption ne cède qu’à la preuve certaine d’une
volonté contraire, résultant d’un mandat ou d’une op
position formelle extrajudiciairement signifiée.
C’était d’ailleurs ce que la raison indiquait. La posi
tion respective des époux rend toute naturelle la con
fiance de la femme envers son mari. Elle a pu livrer ses
biens à celui à qui elle livre sa personne, et cela avec
d’autant plus de raison qu’elle est toujours en mesure
d’empêcher l’abus, par la faculté absolue qu’elle a de
rétracter le mandat.
D’autre part, les tiers devaient être protégés contre
une collusion beaucoup trop facile, sans qu’on pût leur
reprocher de n’avoir pas assez veillé à leurs intérêts. Que
celui qui achette soit tenu de s’éclairer sur l’origine et
�324
la certitude du droit dont il obtient le transfert, on le
comprend. Mais en matière de baux, c’est la possession
qui devient l’objet du contrat. Ne suffit-il pas, dès-lors,
que cette possession appartienne et soit incontestable
ment reconnue au bailleur, pour que le preneur puisse
de bonne foi l’accepter.
C’est ce qu’avait compris le droit romain. La loi 21
du Code de Procurai, admet que le mari est le man
dataire de sa femme relativement à ses paraphernaux, et
Perezius, dans son Commentaire, nous en fait connaî
tre le motif, en assimilant, quant à l’administration, les
biens paraphernaux aux biens dotaux, et en reconnais
sant au mari le domaine civil des uns comme des autres:
Est tamen opus, hoc casu quo marilus pro uxore sine
mandata experilur, ut caveat de rato, seu rem ralam
uxorem habiluram, aut si uxore conveniatur, ut caveat
judicatum sotvi, nisi forte nomine dotis aut paraphernorum experiatur. Hoc enim casu maritus sine salisdulione admittilur, cum horum bonorum commissa ei sit
administrait, et sit dôminus civililer.1
Rien donc ne distinguait l’administration des biens
paraphernaux des biens dotaux. L’absence de tout
mandat de la part de la femme les rangeait toutes deux
sur la même ligne et permettait au mari de les exercer
au même titre. C’est aussi ce qui paraît avoir été admis
par notre ancien droit. Dans une discussion sur la ques
tion de savoir si, à défaut de contrat de mariage, les
biens de la femme étaient dotaux ou paraphernaux, on
1)0 DDL E T DE L A Fit AUDE.
1 In
C o d .,
ui
liv. 2, lit. 15, n° 16.
15
�:\‘ï i
T R A IT E
invoquait, à l’appui de la dotalité, l’administration du
mari. « Le mari, répondait Furgole, est constitué le
procureur ou administrateur des biens légitimes de la
femme, lorsqu’il n’y a point de défense expresse de sa
part.1 » Furgole avait raison. Mais pour que les parti
sans de l’opinion qu’il combattait pussent appeler à
leur secours l’administration du mari, il fallait bien que
cette administration fût conforme à celle des biens
dotaux. Comment, en effet, conclure à la dotalité, s’il
avait existé entre elles la moindre différence?
Nous soutenons que le Code civil s’est conformé à
ces principes. Il consacre le mandat tacite dans l’ar
ticle 1578, et il le présume facilement. Il est évident
que la position des époux n’ayant pas changé, les con
séquences que cette qualité entraîne doivent aujour
d’hui se produire. Or, l’une de ses conséquences est de
faire admettre que la femme abandonne le gouverne
ment de ses paraphernaux à son mari, auquel elle con
fie sa personne.'2C’est ce qui fait dire à M. ïroplong®
que le mari est le procureur né de sa femme.
Maintenant, à quel titre le mari jouit-il des biens
paraphernaux dont il a l’administration en vertu du
mandat tacite de sa femme? L’article 1578 l’indique
suffisamment en déclarant qu’il fait les fruits siens. Il
n’v a donc, quant à ce, d’autre différence avec la jouis
sance des biens dotaux, qu’en ce que celle-ci appartient
au mari irrévocablement, tant que dure le mariage,
1 Q uæ st. 25, n° 20.
! Touiller, t. xiv, n^SOt, p. 432.
s D u C o n tra t de M a ria g e , art. 1578, n° 3710.
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
323
tandis que la femme peut à volonté faire cesser celle-là,
en signifiant son opposition. Mais tant que cette opposition n’est pas réalisée, le principe que nous soutenons
est d’une irréprochable exactitude.
La loi s’en explique mieux encore dans l’article 1580.
Le mari qui jouit des biens paraphernàux est tenu de
toutes les obligations de l’usufruitier. C’est là la règle
que l’article 1569 trace expressément pour les biens
dotaux. Or, si pour les uns et les autres les obligations
sont les mômes, les droits le seront également. Il est
donc vrai de dire que le législateur a mis sur la même
ligne les biens dotaux et les biens paraphernaux, quant
à la jouissance. Usufruitier des uns, le mari est usu
fruitier des autres.1 Il peut donc faire pour ceux-ci ce
qu’il a le droit de faire pour ceux-là.
MM. Rodière et Pons ont méconnu ces principes,
lorsqu’ils ont prétendu que le mari ne pouvait pas affer
mer les biens paraphernaux de la femme sans le con
cours de celle-ci. Le contraire résulte de ce que nous
venons d’exposer et en outre de la considération d’é
quité que nous avons aussi indiquée.
Le droit des tiers n’est pas moins respectable, pas
moins digne de protection que ceux de la femme ellemême. On ne saurait donc l’abandonner au caprice
de la femme, à la collusion si facile entre elle et son
mari. Les droits de la femme sont dans tous les cas
sauvegardés, puisqu’elle peut toucher réellement ses
revenus, tandis que là nullité du bail causerait, le plus
1 Benoit, des Biens paraphernaux, n° 176, p. 509,
�324
t r a it é
souvent, un notable préjudice au preneur. Il n’y a donc
pas à hésiter, aucune faute d’ailleurs ne pouvant être
imputée à celui-ci.
La femme est donc tenue d’exécuter les baux que le
mari seul a consenti des biens paraphernaux, à moins
que ces baux soient frauduleux et faits au préjudice de
ses droits. Mais, dans ce cas même, la femme devra
prouver la mauvaise foi du preneur. On la présumerait
facilement si le bail avait été consenti à un prix sans
rapport réel, ou dans des proportions inconciliables
avec la juste valeur des choses. Il en serait de même
pour les baux faits par le mari malgré l’opposition de
la femme.
S II. — S U C C E S S IO N S .
SOMMAIRE.
1540. Intérêts que l’ouverture d’une succession met en pré
sence.
1541. Objet que se proposera la fraude.
1542. Précautions prises par la loi en faveur des cohéritiers
et des tiers.
î 543. Quel est le recélé prévu et puni par l'article 792 ?
1544. Effet du recélé vis-à-vis des créanciers de la succes
sion.
1545. — Vis-à vis des cohéritiers.
1546. Le recélé, en matière de succession, n’existe qu’avec
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
325
les'caractères exigés pour le recélé dans la com
munauté.
1547. Droit des cohéritiers et des créanciers de requérir
l’apposition des scellés, ou de s’opposer à leur levée.
1548. Le droit de former opposition à la levée peut-il être
exercé par le créancier personnel des cohéritiers ?
1549. Comment s’exerce le droit de tous créanciers d’assis
ter à l’inventaire ?
1550. Droit des créanciers personnels des successeurs d’in
tervenir au partage.
1551. L’intention de l’exercer résulte de l’opposition à la le
vée des scellés. Conséquences.
1552. A défaut d’opposition et d’intervention, les créanciers
peuvent-ils attaquer le partage consommé ?
1553. Ce qu’il faut dans tous les cas considérer comme un
véritable partage.
1554. Formes,que doit avoir l’opposition à partage.
1555. Les créanciers qui n’ont pas fait opposition ne sont
pas déchus du droit d’intervenir.
1556. Le partage fait au mépris d’une opposition et hors la
présence de l’opposant n’est annulable que si ce
créancier n’y a pas été appelé.
1557. Le créancier opposant a-t-il le droit d’attaquer une
vente par licitation à laquelle il n’a été ni présent
ni appelé ?
1558. Droits du créancier d’un usufruit d’une portion de
biens indivise entre le cohéritier et un tiers.
1559. Le droit de s’opposer et d’intervenir appartient aux
créanciers chirographaires comme aux hypothé
caires.
1560. Peut-il être exercé par les créanciers de la succession?
1561. Faculté pour les créanciers du cohéritier d’attaquer la
répudiation faite au préjudice de leurs droits et de se
faire autoriser à accepter du chef de leur débiteur.
1562. Conséquences des termes dont se sert l’article 788 au
préjudice de leurs droits.
1563. Opinion de M. Chardon sur la nécessité d’une discus
sion préalable. Réfutation.
�326
traité
1564. La faculté donnée par l’article 788. est au profit exclu
sif des créanciers personnels aux cohéritiers.
1565. Exemple d’une répudiation frauduleuse contre les
créanciers de la succession.
1566. La faculté conférée par l’article 788 ne: concerne que
les créanciers antérieurs à la répudiation.
1567. Exceptions que cette régie comporte.
1568. L’acceptation par le créancier ne relève pas le cohé
ritier des effets de sa répudiation.
1569. Première conséquence. L’offre faite par le successible
appelé par la répudiation de désintéresser le créan
cier, rendrait l’acceptation par celui-ci sans objet.
1570. 2° Quel que soit l’effet de la liquidation, tout ce qui
excède la créance et les frais appartient à ceux par
lesquels la succession aurait été appréhendée.
1571. Droits des créanciers contre les successeurs irrégu
liers, et notamment contre l’enfant naturel.
1572. Fraudes que peut faire surgir l’ouverture d’une suc
cession testamentaire.
1572 [bis). Droits des successibles de faire annuler le tes
tament, soit en la forme, soit au fond.
1573. Les nullités de formes ne procèdent pas ordinaire
ment d’une pensée de fraude.
1574. Position particulière du notaire dans le cas de nullité
pour violation de l’article 973 du Code civil.
1575. Fondement de sa disposition.
1576. Conséquences dans le cas où le testateur a déclaré ne
savoir signer, ou ne le pouvoir.
1577. Différence entre ces déclarations pour la responsabi
lité du notaire.
1578. Quels sont l'es devoirs et les droits de l’officier publie
si le testateur se borne à alléguer son impuissance,
sans en indiquer la cause ?
1579. Doctrine et jurisprudence.
1580. Le testament renfermantune substitution fidéicommis
saire ne saurait sortir à effet.
1581. Notice historique de la législation touchant les substi'tutions.
�D ü DOL E T DE LA F K A U D E .
327
1582. Disposition de l’article 896 du Code civil. Caractères
essentiels de la substitution prohibée.
1583. Fondement de la dérogation consacrée par les arti
cles 1048 et 1049. Son étendue.
1584. Loi de 1825. Sa tendance.
1585. La révolution de 1830 coupa court à tout projet ulté
rieur dans ce sens. Lois des 12 mai 1835, 7 et 27
janvier 1849, 7 et 11 mai suivant.
1586. Les héritiers naturels ont intérêt et sont dès-lors re
cevables à poursuivre la constatation d’une substi
tution prohibée.
1587. Conditions indispensables à la substitution fidéicom
missaire.
1588. Distinction entre l’obligation résultant de la substitu
tion et certaines dispositions modales. Exemple de
celles-ci.
1589. Il n’y a substitution prohibée que lorsque la restitution
doit se réaliser à la mort du grevé.
1590. Différence entre les substitutions et les dispositions
prises en conformité de l’article 1121 du Code civil.
1591. Que doit-on décider si l’époque de la restitution n’a
pas été déterminée ?
1592. Dans le doute, on doit se prononcer pour la validité
de l’acte. Exemples divers.
1593. La disposition de eo quod supererit ne constitue pas la
substitution prohibée.
1594. Le contraire était admis èn droit romain. Pourquoi ?
1595. Doit-elle sortir à effet pour les biens non aliénés?
1596. Négative soutenue par M. de Villargues ne peut être
accueillie. Par quels motifs ?
1597. Réponse de Merlin à l’objection que la disposition se
rait sous une condition potestative.
1598. Opinion de Thevenot d’Essaules.
1599. Conclusion.
1600. Il en serait de même de la disposition si quid supererit..
1601. Caractère de l’institution fiduciaire. Ses effets.
1602. La fiducie n’exclut pas la disposition en faveur du grevé
d’une partie de la succession, soit en fruits soit en
fond.
�1603. Le prédécès de l’appelé fait passer de plein droit, sur
la tête de ses héritiers, l’émolument de la fiducie.
C’est surtout cet effet qui donnait de l’importance à
la question de savoir s’il y avait fiducie ou substi
tution, lors'que celles-ci étaient permises.
1604. Quelles étaient, selon Cancerius, les circonstances
qui devaient faire admettre la fiducie.
1605. Cette opinion était fort contestable.
1606. La règle tracée par Montvalon était bien plus ration
nelle.
1607. Que doit-il en être sous l’empire du Code ?
1608. Espèce dans laquelle le caractère fiduciaire, invoqué
par les propres enfants du testateur, n’a pas été ad
mis.
1609. Importance, en cette matière, du défaut de détermina
tion de l’époque de la restitution, et de l’existence
de la faculté d’élire.
1610. Au reste , comme toutes les questions de fait, celle
de l’existence d’une fiducie ne peut reconnaître au
cune règle absolue.
1611. La simple fiducie ne peut être recueillie par l’incapable.
1612. Le désir d’échapper à cette prohibition amènera le tes
tateur à interposer une personne capable.
1613. Double forme, que peut revêtir le fidéicommis tacite.
1614. Ses effets sous l’ancienne législation.
1615. Sont restés tels sous l’empire du Code. Intérêt des
héritiers à en prouver l’existence.
1616. Preuve admissible.
1617. Faut-il, pour que la preuve soit pertinente, qu’elle jus
tifie non-seulement la volonté du testateur, mais
encore que l’institué apparent a pris l’engagement
de rendre à l’incapable. ’
1618. Controverse en droit romain et sous notre ancien droit.
1619. L’affirmative était enseignée par Cujas.
1620. Raisons invoquées par l’opinion contraire.
1621. C’est pour celle-ci que se prononce Furgole. Sur quels
motifs.
1622. Cette dernière opinion doit être suivie.
�I)U D O L E T DE LA F R A U D E .
329
1623. La preuve d'une substitution fidéicommissaire ne peut
s’établir que par écrit. Raison de cette différence.
1624. Le fidéicommis tacite est valable si le véritable ap
pelé est capable de recevoir.
1625. Dans le cas de fraude de l’intermédiaire choisi par le
testateur, l’appelé est-il recevable à prouver par té
moins et sa qualité et l’existence du fidéicommis
tacite P
1626. Espèce remarquable jugée par la Cour de Pau.
1627. Le journal du palais indique comme contraire un arrêt
de la Cour de cassation du 21 décembre 1818. Er
reur de cette indication.
1628. L’action des héritiers en nullité d’une substitution
prohibée ou d’un fidéicommis en faveur d’un inca
pable peut être exercée par leurs créanciers.
1629. Cette action est une véritable pétition d’hérédité. Ses
conséquences, quant à la restitution des fruits et à
la prescription.
1630. Effets de la renonciation à un usufruit à l’égard des
créanciers du renonçant.
1631. Différence entre cette renonciation et celle à une suc
cession ou à un legs.
1632. Ses conséquences par rapport à l’acquéreur de cet
usufruit;
1633. — Par rapport à l’antichrésiste,•
1634. — Par rapport aux créanciers postérieurs à l’ouver
ture de l’usufruit, mais antérieurs à la répudiation.
1635. Différence entre la renonciation à titre gratuit et celle
à titre onéreux. Conséquences.
1636. Résumé des principes régissant cette renonciation.
1637. La renonciation par le père à l’usufruit des biens de
ses enfants donne-t-elle lieu à l’action révocatoire?
1638. Quid. de celle résultant de l’émancipation ?
1639. Invalidité du rapport que le père ferait à ses enfants
des fruits perçus en l’absence d’une émancipation,
ou avant son accomplissement.
1640. La renonciation en faveur d’un successible ne constitue
pas un avantage soumis à rapport.
�330
TRAITÉ
1641. Renvoi pour les autres fraudes qu'un usufruit peut
engendrer.
1540. — L’ouverture d’une succession produit,
quant aux biens du défunt, un effet identique à celui
résultant pour la communauté de la dissolution du
mariage ; elle met en présence les cohéritiers, les
créanciers de l’hérédité, ceux de chaque héritiers per
sonnellement.
Chaque cohéritier est intéressé à recevoir une part
proportionnée à l’intégralité de ses droits. L’intérêt des
créanciers du défunt exige que la totalité de l’actif soit
appliqué au paiement de ce qui leur est dû. Enfin celui
des créanciers personnels des cohéritiers est surtout de
veiller à la sincérité du partage, et à ce que leur dé
biteur reçoive sa part entière des biens composant la
succession.
1541. — Ce triple aperçu résume le but que la
fraude se proposera dans la liquidation d’une succes
sion. En effet, ce qu’on pourra reprocher aux cohéri
tiers, c’est d’avoir voulu s’avantager les uns au détri
ment des autres, de tenter de se soustraire au paiement
des dettes, en dissimulant les ressources, enfin, de
concerter les opérations du partage de telle manière
que les droits des créanciers personnels, de quelquesuns d’entre eux, soient ou paraissent complètement
anéantis. C’est pour remédier à ces éventualités diver
ses que le législateur a introduit dans notre Code les
articles 788, 792, 882.
�DU
DOL
ET
DE
EA
FRAUD E.
331
1542. — L’article 792 protège les cohéritiers et les
créanciers de la succession. Aux termes de sa disposi
tion, les héritiers qui auraient diverti ou recélé des
effets d’une succession sont déchus de la faculté d’y
renoncer et demeurent héritiers purs et simples, non
obstant leur renonciation, sans pouvoir prétendre au
cune part dans les objets divertis ou recélés. Ainsi les
coupables ont voulu se soustraire au paiement des
dettes, et la loi les met à leur charge en totalité ; ils
ont cherché à s’avantager au détriment de leurs cohé
ritiers, et ce sont ceux-ci qui seuls profiteront des effets
de leur coupable action. On le voit, la peine est établie
sur les proportions de la plus exacte réciprocité.
1545. — Le divertissement ou le recélé dont s’oc
cupe l’article 792 est celui commis par un héritier. Il
faut dès-lors en conclure que les effets en résultant ne
se produisent qu’en tant que l’un ou l’autre s’est réa
lisé avant toute renonciation, c’est-à-dire dans un mo
ment où l’habile à se porter héritier n’a encore mani
festé aucune intention contraire.
Celui qui a régulièrement renoncé à une succession
ouverte est censé n’avoir jamais été héritier; il ne l’est
bien certainement pas dès l’instant de la répudiation.
S’il détourne ou recèle à une époque postérieure, on
ne pourrait plus appliquer l’article 792, car l’auteur
de l’enlèvement n’est pas héritier.
Réaliser à cette époque le détournement et le recélé
ne constitue plus que l’enlèvement frauduleux de la
chose d’autrui et, conséquemment, qu’un véritable vol
�332
T R A IT E
ordinaire. Ils deviennent donc non-seulement passibles
d’une action civile en restitution et en réparation du
préjudice, soit de la part des héritiers, soit de la part
des créanciers, mais encore susceptibles d’être crimi
nellement poursuivis et punis comme délits ou crimes,
suivant les circonstances qui les ont vu s’accomplir. Ce
qui protège, contre un pareil résultat, les détourne
ments imputables à l’héritier, c’est la copropriété qu’il
a des objets enlevés, c’est que, par les chances du par
tageais peuvent devenir sa propriété exclusive. Dès que
la renonciation est acquise, toute copropriété s’efface,
toute chance de devenir possesseur légitime est impos
sible. Rien ne saurait donc plus excuser le détourne
ment et le recélé dont il se serait depuis rendu cou
pable. Il s’emparerait évidemment et sciemment de la
chose d’autrui. Il n’est donc plus qu’un voleur.1
Cependant, comme aux termes de l’article 790, tant
que la prescription du droit d’accepter n’est pas acquise
contre l’héritier renonçant, celui-ci a la faculté d’ac
cepter encore la succession, si elle n’a pas été déjà ac
ceptée par d’autres, l’auteur du détournement ou du
recélé, criminellement poursuivi, pourrait faire tomber
l’action en acquérant, par son acceptation, la propriété
des choses qu’on l’accuse d’avoir soustrait. Mais cette
acceptation ne pourrait être que pure et simple, car le
recéleur ne pourrait, dans aucun cas, invoquer le béné
fice d’inventaire dont il est déchu, si le recélé est com1 Merlin, v° recélé, n° 2 ; — Chabot, sur l’art. 792, nos 3 et 4 ; —
Toullier, t. iv, n° 3S0; — Duranton, t. vi, ri0 482 ; —Fayard, v° renon
ciation, n° 18.
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
333
mis antérieurement à l’acceptation qu’il aurait déclaré
vouloir en faire.
Mais rien ne saurait s’opposer aux conséquences lé
gales de la poursuite criminelle si, depuis la renoncia
tion de l’héritier qui en est l’objet, la succession avait
été appréhendée soit purement et simplement, soit bénéficiairement par un autre successible.
Si le détournement ou le recélé a précédé la renon
ciation, l’article 792 devient seul applicable. C’est donc
par sa disposition que se trouve exclusivement régi
l’auteur de l’un ou de l’autre.
1544. — En conséquence, et par rapport aux tiers
créanciers de la succession, il ne peut plus exister de
renonciation valable. Celui qui s’empare d’une partie
de l’hérédité, qui se l’approprie et en dispose, fait acte
d’héritier pur et simple. Il doit donc demeurer tel à
tout jamais : Qui semel hœres, semper hœres. Les créan
ciers peuvent donc, nonobstant toute renonciation pos
térieure, lui demander le paiement intégral de ce qui
leur est dû, et en poursuivre le recouvrement même sur
ses biens personnels.1
1545- — Mais il n’en est pas de même pour les co
héritiers. Ce que la loi leur attribue principalement,
c’est la propriété exclusive, au détriment de l’auteur
du recélé, de tout ce qui en a fait la matière. En con
séquence et pour ce qui les concerne, c’est la restitu-
�334
T R A IT E
tion des objets soustraits qui est le but le plus impor-*
tant. Aussi peuvent-ils se borner à poursuivre et à obte
nir cette restitution, sans s’occuper de la renonciation
qui a suivi le détournement au maintien de laquelle ils
peuvent avoir intérêt;
Sans doute cet intérêt ne se réalisera pas dans une
succession obérée, dans laquelle l’actif sera insuffisant
ou presque insuffisant pour éteindre le passif. Mais, dans
cette hypothèse même, si quelqu’un a intérêt à faire
déclarer l’auteur des détournements héritier pur et sim
ple, ce sont les créanciers bien plutôt que les cohéri
tiers.
Ceux-ci auraient même un intérêt contraire si, toute
dette payée, la succession offrait un solde de ressources
à diviser entre les cohéritiers. Il est évident dans ce cas
que la part de chacun sera plus forte, si le nombre des
copartageants est moindre. Chacun d’eux a dès-lors un
intérêt manifeste à réduire ce nombre, et à laisser en
dehors de la succession celui d’entre eux qui s’en est
volontairement exclu par sa renonciation.
Il est vrai que celui-ci ne participerait, dans aucun
cas, au partage de tout ce qu’il avait détourné ; mais,
s’il redevient héritier, il prendra sa part des autres res
sources héréditaires. Il y aurait donc, dans cette hypo
thèse, avantage pour lui de revenir sur sa renonciation,
à reprendre cette qualité d’héritier qu’il n’avait répu
diée peut-être que pour mieux assurer la réussite de
ses frauduleux desseins ; que pour empêcher la recher
che et la découverte des détournements dont il a été
convaincu.
�DU
DOL
ET
DE
LA
F llA U D I ! .
335
Or cet avantage, il doit dépendre exclusivement de
ses cohéritiers de le lui conférer ou non. Nous ne pou
vons admettre que ceux-ci se bornant à lui demander
la restitution des objets soustraits, il fût recevable à
réclamer de son chef, et contre leur résistance, la qua
lité d’héritier. Un pareil droit serait inconciliable avec
le véritable caractère de l’article 792. La qualité d’hé
ritier n’est conférée par cet article qu’à titre de péna
lité. Dès-lors son application doit être souverainement
abandonnée à l’appréciation de ceux appelés à en pro
fiter.
Conséquemment, si les cohéritiers victimes du dé
tournement se bornent à demander, contre son auteur,
la restitution des choses sur lesquelles il a été exercé,
s’ils ne poursuivent pas l’annulation de la renonciation,
celle-ci reste valable en ce qui les concerne, et con
tinue de produire tous ses effets. L’héritier convaincu
ne pourrait s’en faire relever qu’en se fondant sur sa
propre fraude, et on le sait : Nemo audilur allegans
propriam lurpiludinem.
Ainsi, l’auteur du détournement peut être héritier
pur et simple vis-à-vis des créanciers, étranger à la suc
cession à l’endroit de ses cohéritiers. Cette double posi
tion, quelque anormale qu’elle paraisse, est la juste con
séquence de ce principe, à savoir : que chaque partie
lésée a seule qualité pour poursuivre, dans la limite de
son intérêt, la réparation qu’elle croit lui convenir. Or,
le détournement frauduleux préjudicie aux créanciers,
aux héritiers. Chacun d’eux a dès-lors qualité pour en
poursuivre la répression. L’action des uns est indépenr
�336
t r a it é
dante de l’action des autres. La même indépendance
doit se retrouver dans ses conséquences, qui ne peu
vent et ne doivent être appréciées qu’au point de vue
de l’avantage personnel de celui qui l’intente. Or, les
créanciers peuvent avoir intérêt à ce que le recéleur
soit déclaré héritier pur et simple. Ils ont le droit de
le faire reconnaître comme tel en ce qui les concerne,
Les héritiers peuvent avoir un intérêt contraire, et rien
ne les empêche dès-lors de respecter la renonciation et
de la faire maintenir.
Mais ils seront tenus de suhir toutes les conséquences
de son maintien. Ainsi, l’héritier exclu qui aurait payé
les dettes de la succession, parce que les créanciers
l’auraient fait déclarer héritier pur et simple, aurait son
recours contre les biens de la succession. Ce recours,
qui ne serait que relatif à la part et portion de chaque
cohéritier et prélèvement fait de ce qu’il aurait eu luimême à payer s’il n’avait pas renoncé, pourra être
exercé pour la totalité des sommes payées, puisque, la
renonciation devant sortir à effet, il est affranchi de
toute participation aux charges.
15-46- — Il en est du recélé en matière de succes
sion comme de celui réalisé dans la liquidation d’une
commuuauté. Ce qui le constitue essentiellement, ce
n’est pas tant la détention matérielle de l’objet que son
caractère, que l’intention à laquelle elle se rattache.
Chacun peut se tromper sur la nature de son droit et
croire avoir raison lorsqu’il' a réellement tort. Ainsi, si
la possession querellée a toujours été ostensible, pa-
�DU
DOL
ET
DE
LA
F IIA U D E .
337
tente ; si elle est fondée sur une prétention plus ou
moins plausible, il n’y a ni détournement, ni reeélé-,
alors môme que le possesseur aurait été condamné à re
combler. La loi ne punit les mauvaises chicanes que
par la condamnation aux dépens auxquels elles donnent
lieu. L’article 792 leur demeure dans tous les cas inap
plicables.
1547. — Au reste, en matière successorale, la loi
ne s’est point bornée à réprimer la fraude. Elle permet
en outre de la prévenir, par la faculté de placer tout
l’actif sous la main de la justice. C’est dans ce sens
qu’elle donne aux héritiers le droit de requérir l’appo
sition des scellés avant même l’inhumation de leur au
teur décédé.
L’intérêt des créanciers du défunt à empêcher toute
dilapidation du gage de leurs créances n’est pas moin
dre que celui des cohéritiers. L’article 820 a donc con
sacré pour eux le droit de requérir l’apposition des
scellés que les héritiers auraient négligé de faire ap
poser.
Si cetté' négligence n’a pas été commise, les créan
ciers qui désireront surveiller l’inventaire peuvent, aux
termes de l’article 821, s’opposer à la levée des scellés.
L’apposition des scellés est un fait grave par les con
séquences dont il peut grever la succession. Mais lors
qu’elle a été effectuée, l’opposition à leur levée n’ayant
pour résultat que d’appeler l’opposant à l’inventaire,
n’avait qu’une importance bien moindre. Aussi la loi,
qui exige pour l’apposition un titre authentique ou une
�338
T R A IT E
permission du juge, permet-elle l’opposition à tous
ceux qui se prétendent créanciers, quel que soit d’ail
leurs leur titre, et sans permission préalable.
1548. — Enfin, l’inventaire peut également inté
resser les créanciers personnels des héritiers. Devaientils également avoir la faculté de former opposition à la
levée des scellés ? On avait d’abord prétendu le leur
contester, sur le motif que les articles 820 et 821 ne
s’appliquaient qu'aux créanciers de la succession. Mais
la jurisprudence paraît se ranger à l’opinion contraire,
et, il faut le dire, ce n’est pas sans raison.
En droit, le législateur a prévu la réalisation de l’op
position par les créanciers personnels des héritiers.
L’article 934 du Code de procédure civile le prouve,
de la manière la plus évidente, en indiquant la position
que ces créanciers doivent occuper dans l’inventaire.
En raison, leur admission à l’exercice de ce droit est
commandée par la nécessité légitime d’éviter une involution de procédures et, conséquemment, l’expo
sition de frais inutiles. En effet, le créancier de l’héri
tier trouverait, dans les articles 1166 et 1167, le droit
qu’on lui refuserait directement. Mais pour se faire su
broger à son débiteur ou pour établir que sa conduite
est une fraude à ses propres droits, il faudrait une dé
pense de temps et d’argent qu’il est prudent d’épargner
au créancier et au débiteur.
Ainsi, les créanciers personnels de l’héritier peuvent,
comme ceux de la succession, soit requérir l’apposition
des scellés, soit s’opposer à leur levée. Les effets de
�Dü
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
339
l’une et de l’autre sont de les rendre parties nécessaires
à l’inventaire. Toutefois, l’importance d’un acte qui và
scruter toutes les affaires d’une famille, en dévoiler tous
les secrets, devait modifier, dans l’exécution, le droit
acquis par les uns et par les autres. C’est ce que règlent
les articles 932 et suivants du Code de procédure.
1549. — Les créanciers de la succession ne peu
vent assister, soit en personne, soit par un mandataire,
qu’à la première vacation. Quel que soit leur nombre,
ils ne peuvent être représentés aux vacations suivantes
que par un seul mandataire, désigné par le juge de paix,
dans le cas où ils n’auront pu arrêter eux-mêmes le
choix.
Les créanciers des successeurs qui se sont opposés,
pour la conservation des droits de leur débiteur, n’ont
pas même le droit d’assister à la première vacation, ni
celui de concourir à la nomination du mandataire qui
devra les représenter, le choix en appartient exclusi
vement au juge de paix. Ainsi se concilient l’intérêt
qu’ont les créanciers à l’exactitude et à la fidélité de
l’inventaire, et celui que peut avoir la famille à ce que
le secret de sa position ne soit que le moins possible
divulgué.
1550. — Aux termes de l’article 882, les créan
ciers personnels ont le droit d’intervenir au partage
pour en surveiller la sincérité en ce qui concerne leur
débiteur. Ils peuvent, avant d’être mis à même de réa
liser cette intervention, contraindre les copartageants à
�340
TRAITÉ
les y appeler en leur notifiant une opposition à ce qu’il
y soit procédé hors leur présence et sans leur concours.
L’intérêt des créanciers d’assister au partage ne sau
rait être douteux. Ainsi, celui à qui le successeur a
hypothéqué un immeuble de la succession verra son
hypothèque maintenue ou anéantie, selon que cet im
meuble sera ou non attribué à son débiteur. Or, indé
pendamment des chances naturelles du tirage au sort,
il peut se faire que, dans le dessein d’échapper à sa
dette, le successeur collude avec ses cohéritiers et que,
par un prétendu tirage d’avance concerté, le lot qui lui
obviendra ne comprenne que du mobilier. La présence
du créancier tendant à prévenir cette fraude, pouvant
déterminer la formation des lots de telle manière que
chacun d’eux comprenne des biens de toute nature,
avait pour lui une telle importance, qu’il n’était pas
possible de la méconnaître. Delà la faculté concédée par
l’article 882.
1551. — Ainsi, le créancier personnel du cohéri
tier peut intervenir au partage. Il peut, dès l’ouver
ture de la succession, s’opposer à ce qu’il y soit pro
cédé sans lui. Cette opposition l’y rend partie néces
saire à tel point que le partage opéré hors sa présence
et au mépris de l’opposition régulièrement formée de
vrait être annulé sur la demande qu’il en ferait.
Méconnaître l’opposition, c’est faire présumer la
fraude, et cette présomption n’admet pas la preuve
contraire. Quel autre motif que celui de frauder le
créancier opposant pourrait-on alléguer à l’appui du
�341
partage, auquel, malgré son opposition, on n’a pas
voulu l’appeler? Mais, pour qu’il en soit ainsi, il faut
que l’opposition ait été signifiée à tous les coparta
geants sans exception. Si un seul d’entre eux n’avait
pas reçu cette notification, le partage devrait être va
lidé. On n’aurait, en effet, aucun reproche à lui faire,
car il n’a pu avoir égard à une opposition qu’il ne con
naissait pas. Il a donc agi de bonne foi, et cette bonne
foi profite à ses cohéritiers. Un partage est indivisible;
il ne peut être valable pour l’un, nul pour les autres.
Conséquemment, s’il doit être maintenu à l’endroit
d’un des copartageants, il doit l’être pour tous.
DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
1552. — A défaut d’opposition et d’intervention,
les créanciers des cohéritiers pourront-ils attaquer le
partage consommé?
Cette question paraît résolue par le texte même de
l’article 882. Cependant, elle ne laisse pas que d’être
fortement agitée et de diviser même la jurisprudence.
Pour l’apprécier et la résoudre sainement, il importe
de rappeler quelques principes, d’établir quelques dis
tinctions.
En principe, les créanciers trouvent, dans les arti
cles 1166 et 1167, le germe d’une double action. Ils
peuvent, en vertu du premier, agir au nom de leur dé
biteur et faire valoir les droits qu’il pourrait faire valoir
lui-même; ils peuvent, en force du second, agir en
leur nom et attaquer directement tout ce qui a été fait
en fraude de leurs droits. Dans le premier cas, ils peu
vent être repoussés par toutes les exceptions opposa-
�342
t r a ït é
blés au débiteur lui-même ; dans le second, les moyens
péremptoires contre celui-ci ne pourraient pas même
leur être opposés.
En vue de laquelle de ces deux actions la loi a-t-elle
accordé le droit de s’opposer ou d’intervenir au par
tage ? Ce ne peut être évidemment pour celle se fon
dant sur l’article 1166- La conduite du créancier est
sans influence sur les actions et les droits personnels
au débiteur ; que le créancier intervienne ou non, le
débiteur ne saurait, dans aucun cas, être privé de
l’exercice des uns ou des autres, si d’ailleurs il est
fondé à le requérir. Ce n’est donc qu’en vue de l’action
basée sur l’article 1167 que le droit de s’opposer ou
d’intervenir a été conféré. C’est même ce qui est écrit
formellement dans l’article 882 : Les créanciers d’un
copartageant, pour éviter que le partage ne soit fait
en fraude de leurs droits, etc...
Mais la fraude, dans ce sens, peut n’être imputable
qu’au débiteur. Dans l’intention d’échapper à l’action
du créancier, il ne s’est pas suffisamment défendu, il
n’a pas demandé des rectifications qu’il devait obtenir,
il a accepté une formation de lots inégale, quant à la
nature des biens, et consenti un partage d’attribution
alors qu’il pouvait exiger le tirage au sort. Or, tout cela
peut se réaliser sans qu’il en résulte nécessairement
aucune idée de fraude chez ses copartageants.
La fraude peut, dans d’autres circonstances, avoir
été concertée et simultanément accomplie par tous les
copartageants. Cette double hypothèse ne doit pas, à
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
343
notre avis, être négligée dans l’appréciation de la so
lution que la question doit recevoir.
Ainsi l’action du créancier, attaquant le partage
après sa consommation, peut avoir un triple objet :
1° l’exercice d’un droit personnel au débiteur; 2° la
réparation de la fraude de celui-ci ; 5° celle d’une fraude
concertée et commune à tous les copartageants.
Dans la première hypothèse, il importe peu que le
créancier ait ou non fait opposition, qu’il soit ou non
intervenu; son action ne saurait être repoussée que par
les fins de non-recevoir opposables au débiteur luimême. Évidemment, si celui-ci dirigeait personnellement l’action, on ne pourrait lui opposer l’abstention
de son créancier. A quel titre l’opposerait-on au créan
cier lui-même? Est-ce que, dans cette hypothèse, ce
n’est pas le débiteur qui est seul en cause ? C’est donc
au point de vue de sa qualité qu’il faut apprécier le li
tige. Il suffit donc qu’il pût lui-même faire valoir le
droit mis en question pour que son subrogé le puisse
incontestablement.
C’est ce que Chabot enseigne expressément : « Le
créancier qui n’a formé ni opposition, ni demande en
intervention, quoique non-recevable à attaquer le par
tage de son chef, peut l’attaquer du chef de son débi
teur, en vertu de l’article 1166 du Code civil, car les
droits conférés aux créanciers par l’article 882 et ceux
conférés par l’article 1166 sont fort différents.1 »
1 ües Successions, arl. 882; — Delvincourt, lom. u , p. 378,note2;
— Duranton, loin, vu, n° 509.
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Nous trouvons dans la jurisprudence de fréquents
exemples d’application de cette doctrine. La Cour
d’Aix l’a consacrée, le oO novembre 1833, dans une
hypothèse où le partage était querellé de lésion par le
créancier de la partie lésée. On voulait repousser cette
action par application de l’article 882, le créancier
n’ayant formé ni opposition , ni intervention. Mais
cetle fin de non-recevoir fut écartée par l’arrêt. At
tendu, dit la Cour, que les actes querellés ne le sont
que sous le rapport et le fondement de la lésion qu’ils
auraient occasionnée, par l’excessive estimation des
biens de la succession d’Isnard, à Gauthier, son hé
ritier contractuel, et, par suite, aux créanciers de ce
dernier ; que ledit Gauthier aurait action pour les que
reller par ce motif, d’après la disposition de l’article 887
du Code civil ; et que la demoiselle Firminy, sa créan
cière, a pu, dès-lors, en vertu de l’article 1166, le faire
elle-même en exerçant cette action de son débiteur. 1
La même question, s’étant depuis présentée à la Cour
de Nîmes, y a reçu une solution identique, par arrêt du
5 juillet 1848.2
Ainsi, cette première hypothèse ne présente aucune
difficulté sérieuse. L’admissibilité de l’action des créan
ciers n’est d’ailleurs que la conséquence d’un principe
d’une application usuelle en droit, à savoir : qu’une per
sonne non-recevable, en une qualité, à exercer une ac
tion, déclarée même telle par un jugement définitif,
1 D. P., 38, 2, 196.
* L>. P., 48, 2, 147.
�DU DOl ET DE LA FRAUDE.
3lb
peut très bien exercer la même action en une autre et
nouvelle qualité.
La seconde hypothèse ne fait pas plus de difficultés
que la première. Le créancier, prétendant agir en force
de l’article 1167 et arguant de la fraude de son débi
teur, ne serait recevable à attaquer le partage con
sommé que s’il s’y est opposé. En l’absence de toute
opposition, de toute intervention, l’article 882 le re
pousse définitivement. Il ne peut se plaindre d’une
fraude qu’il a pu prévenir et qu’il n’a pas voulu em
pêcher, ni rendre victimes de sa négligence ceux dont
la bonne foi n’est pas même suspectée.
La troisième hypothèse, au contraire, fait naître les
plus grands doutes. Un grand nombre d’auteurs esti
ment que le défaut d’opposition ou d’intervention crée
une fin de non-recevoir insurmontable contre toute at
taque, même fondée sur la fraude concertée. 1Si l’ar
ticle 882 ne s’appliquait pas à cette fraude, disent les
annotateurs de Zacchariæ, à quel cas s’appliquerait-il
donc?
La jurisprudence s’est profondément divisée sur cette
difficulté. On peut consulter, en sens inverse, les arrêts
indiqués par M. Dalloz jeune au Dictionnaire général.
et au Supplément, v° partage, numéros 118 et sui
vants.
Il faut en convenir, ceux qui soutiennent la fin de
non-recevoir semblent se prévaloir, avec raison, des
1 Chabot, loco cilalo ; — Duranlon, idem ; — Chardon, tom. il,
n° 200 ; — Zacchariæ, loin, iv, p. 426, note 41, et les arrêts cités.
m
16
�346
TRAITÉ
textes des articles 1167 et 882. Le premier, permettant
aux créanciers d’attaquer les actes frauduleux faits par
leurs débiteurs, ajoute : Ils doivent, quant à leurs droits
énoncés au titre des Successions, se conformer aux rè
gles qui y sont prescrites. Dès-lors, cette disposition
s’interprète par l’article 882, et l’opposition au partage
est la condition de l’action en révocation pour fraude.
Le Code a donc donné aux créanciers le moyen de pré
venir la fraude plutôt que d’offrir seulement, à l’exem
ple du droit romain, le moyen d’en obtenir la répara
tion.
Ainsi la loi, si jalouse,dans tous les cas, d’atteindre
et de réprimer la fraude, l’aurait donc, dans une hypo
thèse donnée, protégée expressément. Nous l’avouons,
cette seule considération nous met en garde contre l’in
terprétation donnée à sa pensée. Faut-il, d’ailleurs,
aller jusque là pour se rendre raison de la disposition
de l’article 882? Nous ne le pensons pas.
Ce qui résulte pour nous de sa disposition, c’est que,
dans le cas d’une opposition de la part d’un créancier,
son droit d’attaquer le partage est illimité, sans con
dition autre que de justifier son intérêt. Il n’a donc pas
même besoin d’articuler et moins encore de prouver la
fraude; il lui suffit d’établir que le résultat est préjudi
ciable à ses intérêts. Ce préjudice peut être indépendant
de toute fraude, nous l’avons déjà indiqué, et, sous ce
rapport, l’article 882 est une véritable exception, en fa
veur du créancier, au principe de l’article 1167.
Il est certain en effet qu’à l’endroit de celui-ci le pré
judice que le créancier éprouverait de l’acte attaqué
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
347
«st fort indifférent à la question de sa validité, en ce
sens que, démontré qu’il soit, l’acte ne sera pas nul.
Pour atteindre à cette nullité, le créancier sera tenu de
prouver l’intention de fraude chez le débiteur, la com
plicité dans la fraude chez le tiers. A défaut de celle-ci,
la fraude du premier manifestement certaine ne pourra
déterminer Je succès de la demande en nullité ou resci
sion.
C’est ce que la loi n’a pas voulu admettre en matière
de partage. 11 est une hypothèse où l’existence seule du
préjudice entraînera la nullité malgré la bonne foi des
tiers, malgré celle du débiteur lui-même. Cette hypo
thèse se réalisera lorsque le partage aura été fait au
mépris de l’opposition que les créanciers y auraient
formée.
Conséquemment, si cette condition n’a pas été rem
plie parles créanciers, que faudra-t-il en conclure? Que
l’exception à l’article 1167 disparaîtra, et qu’il faudra re
venir au droit commun que cet article trace, c’est-à-dire
que l’existence du préjudice ne sera plus suffisante ; que
la preuve de l’intention frauduleuse du débiteur, jointe
à ce préjudice, ne fera pas annuler le partage; qu’à ce
préjudice, qu’à la fraude du débiteur, devra se réunir
la preuve de l’intention frauduleuse des tiers ayant con
couru à l’acte.
En d’autres termes, l’absence de l’opposition replace
les parties sous l’empire exclusif de l’article 1167. En
conséquence, voir dans cette absence l’exclusion de
toute application de cet article, c’est étrangement s’abu^
�348
TRAITE
ser sur la pensée du législateur, c’est convaincre la loi
d’immoralité, c’est admettre l’impossible.
Que le créancier soit puni de sa négligence, on le
comprend, mais la peine n’est-elle pas assez grave,
lorsque celui qui pouvait faire annuler le partage, en
établissant seulement le préjudice qu’il en éprouve,
sera obligé de prouver la fraude de son débiteur, la
complicité des autres parties contractantes. Cette
preuve est-elle toujours possible , est-elle dans tous
les cas si facile pour que le créancier n’ait pas à courir
des graves chances d’insuccès? Faut-il, indépendam
ment du danger qu’il a volontairement assumé, le sou
mettre à subir tous les effets d’une fraude certaine et
concertée ? Nous ne saurions l’admettre.
Comment d’ailleurs concilier ce l’ésultat avec les do
cuments législatifs. Il est vrai qu’on a reconnu qu’il ne
fallait pas, dans l’intérêt des familles, laisser trop long
temps en suspens le sort des partages. Mais de là à con
sacrer ce qui ne serait que le résultat de la fraude, il y
a encore fort loin, et ce qui prouve que le législateur n’a
pas voulu franchir cette distance, c’estM. Treilhard ex
pliquant en ces termes l’article 882 : les créanciers, qui
n’ont pas formé opposition, ne peuvent attaquer un
partage fait sans fraude. Ils pourront donc attaquer,
s’il y a fraude.
La doctrine contraire, outre qu’elle serait une vérita
ble prime pour la fraude, arriverait de plus, dans tel cas
donné, à cet inique résiliât qu’un créancier aurait irré
vocablement perdu son droit avant même d’avoir connu
qu’il était à même de l’exercer. Telle serait l’hypothèse
�DU
DOL
ET
DE L A
FRAUD E.
349
d’un partage secrètement exécuté le jour même ou le
lendemain de la mort de l’auteur. Ce serait là, dira-t-on,
une fraude ; oui sans doute, mais qu’importe, si, à défaut
d’opposition, la fraude même concertée ne peut être
un motif de revenir contre le partage.
Ainsi si, à défaut d’opposition, le partage consommé
n’est plus attaquable, ce ne peut être que lorsque les
copartageants ont été de bonne foi. Alors il importera
fort peu que le débiteur ait ou non agi en fraude des
droits de son créancier; la loyauté de la conduite des
autres contractants mettra le partage à l’abri de toute
attaque. C’est cette doctrine que la Cour de Toulouse
a consacrée par arrêt du 8 décembre 1830.
« Attendu, dit-elle, que l’article 882 n’est point une
exception à la règle de l’article 167 ; qu’il n’est applica
ble qu’au cas où le débiteur seul aurait usé de fraude,
envers ses créanciers, dans un acte de partage avec
d’autres communistes qui auraient agi de bonne foi,
qu’alors, après le partage consommé, les créanciers ne
peuvent plus le quereller.1 n
Dans ce système, le créancier est puni de sa négli
gence, sans que les complices de la fraude soient ré
compensés de leur odieuse conduite. Cela nous paraît
beaucoup plus rationel et partant plusjuridique.
Ainsi, en cas de fraude commune à tous les coparta
geants, le créancier personnel de l’un d’eux, quoiqu’il
ne se soit pas opposé au partage, est recevable à en de
mander l’annulation. Cette fraude peut être établie par
1 ï). P.. 51.2. 6G.
�350
T R A IT É
la preuve testimoniale. A cet égard, il convient de re
marquer que pour que la demande fût admise, il ne
suffirait pas d’articuler cette fraude d’une manière gé
nérale, il faudrait qu’en ce qui concerne les non-débi
teurs surtout, les faits articulés fussent graves, précis
et pertinents. Or, en pareille matière, la pertinence ne
s’apprécie pas relativement au plus ou moins de préju
dice que le partage occasionnerait aux créanciers. Les
faits ne seraient tels que si, indépendamment du préju
dice, ils établissaient nettement la connaissance de la
fraude du débiteur et l’intention de s’y associer. Tout
ce qui n’aurait pas ce double caractère ne serait ni con
cluant, inadmissible. I! importe, en effet, de bien obser
ver, avec la Cour de Montpellier, que si ces expressions,
en fraude de ses droils, de l’article 882 ne doivent pas
être entendues en ce sens que la loi prononce une dé
chéance contre le créancier non opposant, même lorsque
le partage a été fait avec fraude, cette déchéance est
formelle contre le créancier, lorsque le partage, auquel
il ne s’est pas opposé, a été fait seulement au préjudice
de ses droits. 1 Conséquemment, se borner à |offrir la
preuve de ce préjudice, ce serait demander une preuve
inutile et frustatoire, elle devrait dès-lors être repoussée.
En résumé, l’artiele 882 ne déroge à l’article 1167
qu’en ce sens que le créancier opposant, hors la présence
duquel le partage aurait cependant été consommé, peut
en obtenir la nullité, sans être obligé de prouver la frau1 Montpellier, H juin 1859; — D. P., 39,2, 253,
�DU
DDL
ET
DE
LA
F II A U D E .
351
de. Celle-ci existe contre toutes les parties par cela
seul qu’elles ont procédé au mépris de l’opposition.
A défaut d’opposition , le créancier rentre dans le
droit commun en matière de fraude. Il peut encore in
voquer l’article 11.67, mais il est tenu dans ce cas de
se conformer à ses exigences, et en conséquence obligé
de prouver que non-seulement le partage préjudicie à
ses droits, mais encore que ce préjudice est le résultat
de la fraude de son débiteur, et que cette fraude, con
nue des copartageants, a été partagée par eux. Voilà la
seule interprétation de l’article 882 qui soit ration
nelle, morale et conséquemment juridique.
1555. — Au reste, et quel que soit le système qu’on
adopte, on doit reconnaître que la fin de non-recevoir,
tirée du défaut d’opposition, n’est elle-même recevable
qu’en tant qu’il s’agit d’un partage sérieux et propre
ment dit. La loi qualifie cependant de partage tout acte
faisant cesser l’indivision. Mais il est évident que si on
attribuait à cet acte les effets que l’article 882 attache
au partage, le danger de la fraude s’aggraverait de la
simulation dont l’acte serait le résultat et le fruit.
Un partage d’ailleurs exige un temps plus ou moins
long, que le créancier peut mettre à profit pour réaliser
son intervention. L’acte faisant cesser l’indivision n’a
besoin que du consentement des deux parties et peut
être réalisé avant même que les créanciers soient ins
truits des droits que leur débiteur est appelé à recueillir.
Il était donc matériellement et moralement impossible
�352
T R A IT E
de les placer l’un et l’autre sur la même ligne et de leur
faire produire un effet égal.
Le contraire a donc prévalu et devait prévaloir. L’ar
ticle 882, dit la Cour d'Aix, dans l’arrêt de 1853 que
nous indiquions tout à l’heure, ne se rapporte qu’aux
actes de partage proprement dits, et faits et passés avec
solennités requises, et non aux simples actes qui en
tiennent lieu, quand ces actes sont empreints de dol et
de fraude, auquel cas, la disposition générale du pre
mier alinéa de l’article 1167 est seul applicable,1 cette
doctrine est celle de Zacchariæ.
Un transport de droits successifs, dit Chardon, tient
lieu de partage, mais il n’en est pas un. Pour un par
tage, il y a des formalités à remplir, des délais à obser
ver, une famille entière à réunir, ce sont autant de
garanties contre la fraude; c’est sans doute ce qui a
déterminé l’exception ; tandis que le transport des droits
successifs peut se faire au moment même de l’inven
taire de la succession par un héritier déloyal, et ce n’est
pas en s’abandonnant à une analogie très imparfaite,
que les tribunaux se décideront à ouvrir une porte de
plus à la fraude.2C’est au reste ce que la Cour de cas
sation a plusieurs fois décidé.3
Quel que soit donc l’acte faisant cesser l’indivision,
et qui, par ce motif, est qualifié partage par la loi, la si
mulation, dont cet acte serait atteint, en ferait pronon
cer l’annulation au profit de celui qui serait exposé à
1 D. P ., 58, 2,196.
* T. il, n° 262.
3 V. arrêt du 19 janvier 1841 ; — D. P ., 41, 1, 85 et la note.
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
353
en subir le préjudice. L’article 882 e se rapportant
qu’auxactes de partage proprement dits, et faits et pas
sés avec les solennités requises, il importerait peu que
le créancier, demandant cette annulation, eût ou non
formé opposition au partage. Aucune fin de non-rece
voir de ce genre ne pourrait être opposée dans l’hypo
thèse d’un partage simulé.
11
1554. — L’opposition à partage peut être faite ex
pressément par acte séparé, ou dans l’acte même d’op
position à la levée des scellés. Mais, dans un cas comme
dans l’autre, elle doit être régulièrement notifiée à tous
les cohéritiers. Nous avons déjà dit que l’omission de
cette formalité vis-à-vis d’un seul d’entre eux, le cons
tituant en état de bonne foi, rendrait le partage définitif
et inattaquable.
L’opposition peut également résulter d’actes annon
çant, de la part du créancier, l'intention formelle de ne
pas rester étranger aux opérations du partage. La saisie,
faite par le créancier du cohéritier, d’un bien apparte
nant à la succession équivaut à l’opposition à partage
de la part du créancier saisissant, il devrait donc être
tenu en cause dans les opérations de celui-ci.1
1555- — Les créanciers, qui n’ont pas fait opposi
tion ne sont pas déchus du droit d’intervenir au par
tage, ils peuvent donc réaliser cette intervention tant
que le partage n’est pas consommé. Celle-ci réalisée, ils
Toulouse, 11 juillet 1829.
�sont recevables à faire tontes réquisitions, à poursuivre
toutes modifications qu’ils croient utiles à leurs intérêts.
C’est ainsi qu’il a été jugé que bien qu’avant l’inter
vention un jugement ait fixé la quote-part afférente à
chaque cohéritier, il suffit que le partage ne soit pas
encore consommépour que les créanciers de l’un d’eux
soient recevables à former tierce-opposition à ce juge
ment, eût-il été acquiescé par leur débiteur.1
1556. — Le partage fait au mépris d’une opposition
régulièrement formée doit, nous l’avons dit, être annulé
sur la demande des créanciers opposants. Mais il faut,
pour qu’il en soit ainsi, que les cohéritiers ne les aient
pas appelés en partage. Si le contraire s’était réalisé, et
que, sur la notification des actes de la procédure, les
opposants eussent négligé de prendre qualité et laissé le
partage s’accomplir hors leur présence, toute demande
en nullité, par eux ultérieurement formée, devrait être
déclarée non-recevable.2 Cette décision est fondée en
raison et en droit; le créancier qui, ayant manifesté
l’intention de concourir au partage, et qui a été mis à
même de la réaliser, ne saurait se plaindre de ce qu’il a
dédaigné ou négligé de le faire. Les cohéritiers ne pou
vaient rester dans l’indivision, parce qu’il refusait de
venir à leur appel. Il suffit que, par la réalisation de cet
appel, ils aient eu égard à l’opposition qu’il leur avait
notifiée, pour qu’ils soient à l’abri de tout reproche.
1 Cass., 4 décembre 1854; — D. P. , 55, 1, 65.
* Cass., 23 janvier 1839 ; — I). i \ , 39, 1,159.
�DU
DDL
E T -D E
LA
FR AU D E.
355
1557. — Le créancier qui a formé opposition à ce
qu’il fût procédé au partage hors sa présence a-t-il le
droit d’attaquer une vente par licitation, même faite ju
diciairement, mais h laquelle il n’a pas été .appelé? Il
faut distinguer, dit Chabot, si la vente par licitation a
été faite en faveur de l’un ou de plusieurs des cohéri
tiers, ou si elle a eu lieu en faveur d’un étranger. Au
premier cas, la vente par licitation est un véritable par
tage et conséquemment la disposition de l’article 882
est applicable; au deuxième cas, il n’y a pas de partage ;
c’est une vente consentie par tous les héritiers conjoin
tement d’une chose qui leur était commune, etqu’ilsont
aliénée'sans la partager ; or ici l’article 882 ne peut re
cevoir d’application; mais, en ce cas, le créancier con
serve contre l’étranger, acquéreur des biens, en prenant
hypothèque ou en faisant saisie-arrêt, les droits qu’il
avait contre l’héritier son débiteur, jusqu’à concurrence
de la portion du prix revenant à cet héritier.'
C’est aussi ce que là Cour de Paris a décidé, par ar
rêt du 2 mars 1812, cela paraît parfaitement juridique.
La nullité d’un partagé, fait au mépris d’une opposition
expresse, est une conséquence du principe que le tiers
vigilant ne doit éprouver aucune atteinte à ses intérêts
qu’il a déclaré vouloir personnellement défendre. Il doit
donc être appelé au partage, à peine de nullité ; mais s’il
ne s’agit pas d’un partage, si l’acte querellé n’est qu’un
moyen d’arriver à celui-ci, et s’il n’en résulte d’ailleurs
aucune attribution en faveur des cohéritiers, il ne peut
1 Des.Successions, art.:882. ’
�en résulter pour lui aucun préjudice réel. Le seul pou
vant se réaliser, et provenant de la substitution d’une
somme liquide à un objet immobilier, est facilement
conjuré par la faculté de placer l’acheteur dans l’im
possibilité de se dessaisir des fonds qu’il a en mains, et
cette impossibilité sera la conséquence d’une inscription
hypothécaire dans la quinzaine de la transcription ou
d’une saisie-arrêt. La faculté de réaliser l’une ou l’autre
suffit donc à l’intérêt actuel du créancier.
1558- — Le créancier de l’usufruit d’une portion de
biens indivis entre les cohéritiers et un tiers est, par la
nature de son droit, nécessairement intéressé à l’acte
de partage destiné à mettre un terme à la possession
commune. Il lui importe, en effet, que le lot obvenant
au débiteur de l’usufruit ne soit pas d’une valeur moin
dre que celle qu’il doit avoir. Il a donc incontestable
ment le droit d’être partie au partage, ce droit n’a pas
même besoin d’être dénoncé par une opposition, ou
exercé par une intervention. Il n’y aurait de partage
régulier que si l’usufruitier s’abstenant d intervenir, les
parties l’avaient appelé à y prendre part.
L’usufruitier est plus qu’un créancier, il est un véri
table copropriétaire. En conséquence, le partage auquel
il n’a été ni présent ni appelé reste pour lui res inter
alios acta. Il n’est donc pas tenu de souffrir le pré
judice en résultant pour lui, quelque minime qu’il fût
d’ailleurs. Le propriétaire foncier n’a pu, par son fait,
nuire à ses droits ni les engager de quelque manière que
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
357
ce soit. Il serait donc toujours recevable à demander
un nouveau partage dans son intérêt propre. '
1559. — L’article 882 confère le droit de s’opposer
et d’intervenir aux créanciers d’un copartageant. La gé
néralité de ses termes indique que sa disposition s’ap
plique à tous les créanciers sans exception, et abstrac
tion faite de la nature du titre dont ils sont porteurs.
Les créanciers chirographaires peuvent dont l’exercer
de la même manière que les hypothécaires. Il est, en
effet, certain que, quoique n’ayant aucune affectation
spéciale sur les biens de leurs débiteurs, les créanciers
cédulaires n’en ont pas moins un intérêt très réel à sur
veiller les opérations du partage que ce débiteur est
apppelé à faire. Cet intérêt légitime l’action que nous
leur reconnaissons.
1560. — Le droit d’intervenir ou de s’opposer peut-il
être revendiqué et exercé parles créanciers de la succes
sion? La négative s’induit du texte de l’article 882. Elle
ne résulte pas moins de son esprit. Pour le créancier
du copartageant, le partage a une immense portée, car il
sera plus ou moins facilement payé, suivant que le lot
obvenu à son débiteur sera composé de meubles ou
d’immeubles. Il a donc un intérêt évident à empêcher
que, soit par collusion, soit par l’effet d’un consente
ment personnel, ce débiteur se contente de recevoir
une somme d’argent facile à soustraire et à consommer.
Proudhoii, de l’Usufruil, n° 1252.
�358
T R A IT E
Le même inconvénient ne se présente pas pour le créan
cier de la succession. Tous les biens de celle-ci répon
dent de sa créance, et s’il ne peut réclamer à chaque
cohéritier personnellement que sa part et portion, il
les a obligés hypothécairement pour le tout. Peu lui
importe donc que les immeubles passent en telles ou
telles mains, son action hypothécaire les suivant contre
le possesseur, quel qu’il soit.
Il est vrai qu’on a voulu trouver dans l’action per
sonnelle du créancier le moyen de le placer sous l’em
pire de l’article 882. Il est réellement créancier de cha
que copartageant, a-t-on dit, et dès-lors comment lui
refuser le droit qu’on accorde au créancier de l’un d’eux.
Mais cette objection n’a pas d’autre mérite que,celui de
donner à la fiction la force qui n’appartient qu’à la vé
rité. L’article 882 n’a pas voulu multiplier les procédu
res, augmenter les qualités, et par suite les frais du par
tage. S’il admet les créanciers des copartageants, c’est
qu’ils y ont un intérêt incontestable. Cet intérêt n’exislant pas pour les créanciers de la succession, rien ne
justifierait le droit qu’ils prétendraient revendiquer.1
1561. — Nous avons déjà dit que le droit romain
admettait que le débiteur pût agir en fraude de ses
créanciers, dans les aliénations qu’il consentait de son
patrimoine acquis et actuel, et non dans l’omission d’ac
quérir, ou le refus qu’il faisait d’augmenter ce patri
moine. C’est ce que le Digeste exprimait formellement :
Malpel, des Successions, n" 251.
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
359
Non fraudatur cum quiet non adquiritur a debitore, sed
cum quid de bonis diminualur. 1
Mais cette doctrine n’avait pas été suivie par notre
ancienne jurisprudence. Sous son empire, les créanciers
eurent le droit de se plaindre du refus ou de l’omission
d’acquérir, comme de l’aliénation elle-même. En consé
quence, ils étaient autorisés par un usage constant, dans
le cas d’une renonciation, à exercer les droits de leur
débiteur auquel ils se faisaient subroger. D’abord, ils
le faisaient condamner à se porter héritier, en lui don
nant caution de le garantir et indemniser si les dettes
absorbaient la succession. Dans la suite, on les subrogea
purement au lieu et place de leur débiteur, et ainsi dis
parut leur obligation de donner caution.
C’est ce dernier système que le Code a consacré.
L’article 788 porte, en effet : les créanciers de celui qui
renonce au préjudice de leurs droits peuvent se faire
autoriser par justice à accepter la succession du chef de
leur débiteur, et en son lieu et place.
Cette doctrine est plus rationnelle que celle adoptée
par le législateur romain. En effet, que le débiteur se
rende insolvable par des aliénations, ou que, l’étant déjà,
il refuse le moyen qui s’offre à lui de satisfaire ses créan
ciers, le résultat est le même à l’endroit de ceux-ci.
Victimes dans le premier cas, ils ne le sont pas moins
dans le second ; pourquoi ne pas leur accorder dans
l’un ce qu’on leur accorde dans l’autre? Une pareille
1 L. 6, § 2, De his quœ in frau d. crédit.
�360
TRAITÉ
anomalie, que rien ne justifiait d’ailleurs, a donc été
justement proscrite.1
.. .
a .,
l:
■:
1562. — Ce qui résulte de ces expressions de l’ar
ticle 788, au préjudice de leurs droits, substituées à
celles de l’article 1167, en jraude de leurs droits, c’est
que, quels que soient les motifs qui ont dirigé le débi
teur, il suffit que sa renonciation ait occasionné un pré
judice aux créanciers pour que ceux-ci soient admis à
se faire subroger à ses droits, et à accepter en son lieu
et place. La preuve de ce préjudice est donc péremp
toire, et c’est à sa production que se bornent les obli
gations des créanciers.
Or, quel peut être le préjudice dont la répudiation
d’une succession peut être l’occasion à l’endroit des
créanciers? Evidemment on ne peut en prévoir un au
tre que celui d’être exposés à perdre tout ou partie de
leurs créances. Dès-lors on est logiquement amené à
cette conséquence que, si le paiement intégral de ces
créances est assuré par les biens actuellement possédés
par le débiteur, la demande en subrogation ne serait
ni recevable ni fondée.
Sans doute le juge à qui l’autorisation est demandée,
et qui a à prononcer sur la requête qui lui est présentée
à cet effet, n’a ni le moyen ni le devoir de s’assurer si
les ressources que possède le renonçant suffisent ou
non pour l’extinction de ses dettes. Mais il en est de
son autorisation comme de toutes les décisions rendues
Vid.
in f r a ,
n08 1567 et suiv,
�DU
DOL
E ï
DE
LA
FRAUD E.
361
sur requête et sans contradictions des parties intéres
sées. Elle ne peut jamais créer contre celles-ci l’auto
rité de la chose jugée. Cette autorisation n’empêchera
donc pas l’héritier appelé à recueillir le bénéfice de la
renonciation du débiteur de contester l’opportunité de
la subrogation demandée, et d’exiger même, comme
condition essentielle à sa réalisation, la preuve de l’in
solvabilité du renonçant, et conséquemment la discus
sion préalable de ses biens personnels, indépendants
de ceux de la succession.
1563. — Cette doctrine enseignée par un grand nom
bre d’auteurs, et notamment par M. ïoullier, est cri
tiquée par M. Chardon. L’obligation d’une discussion
préalable, dit ce dernier, et celle de rapporter la preuve
de l’insolvabilité du débiteur sont des obligations qu’arbitrairement on impose aux créanciers, sans que la loi
ait un seul mot qui puisse l’autoriser.1
Nous ne pouvons admettre cette critique, qui a sur
tout le tort de méconnaître les principes généraux ré
glant l’exercice de l’action revocatoire. Que le créancier
exerce réellement celle-ci lorsqu’il veut être autorisé à
accepter une succession à laquelle son débiteur a re
noncé, c’est ce qui ne saurait être contesté, au moins à
l’endroit de celui à qui la renonciation fera déférer la
succession, et qui se trouve par là frustré de son émo
lument jusqu’à concurrence de ce qui est dû aux créan
ciers poursuivant la subrogation. Attaqué à cet effet, on
�3B2
T R A IT E
e saurait donc lui refuser le droit d’exciper de tous
moyens capables de faire repousser la demande, et no
tamment de celui si péremptoire du défaut d’intérêt.
Or ce moyen existerait évidemment si le débiteur re
nonçant était en position de désintéresser ses créan
ciers. N’est-ce donc pas à lui qu’incombe tout d’abord
le droit de payer ses dettes?
D’ailleurs l’article 788 n’autorise l’action en subro
gation des créanciers qu’en tant que la renonciation a
été faite au préjudice de leurs droits. Or, quel est le
préjudice dont ils devront se plaindre et justifier l’exis
tence si, indépendamment des biens de la succession,
le débiteur a par devers lui de quoi les satisfaire inté
gralement?
Loin donc d’être contraire à la loi, ainsi que le lui
reproche M. Chardon, la doctrine enseignée par Toui
ller est la seule juridique, la seule faisant une juste et
saine application des principes généraux de la ma
tière. On doit donc ne pas hésiter à l’accueillir fet à
admettre avec elle que la preuve de l’insolvabilité du
débiteur, et partant la discussion préalable de ses
biens, est la condition indispensable pour la recevabi
lité de la demande en subrogation, à l’effet d’accepter
la succession à laquelle il a renoncé.1
11
1564. — L’aetion de l’article 788 est exclusive
ment réservée en faveur des créanciers personnels du
1 Bourges, 19 décembre 1821 ; — Proudhon, de l'Usufruit, t. iv,
n' 2400.
�cohéritier. Les créanciers de la succession n’en ont
nul besoin. Pour ce qui les concerne, en effet, il n’ar
rivera jamais que ce que voici :
Ou l’héritier renoncera à la succession pour se débar
rasser des ennuis ou des soucis d’une liquidation plus
ou moins difficile, et cela n’empêchera pas que l’actif
héréditaire ne demeure le gage des créanciers auxquels
il se trouve affecté. Ces créanciers poursuivront donc
leur remboursement soit contre l’héritier succédant au
renonçant, soit contre le curateur qu’ils feront nommer
à la succession, si elle demeure vacante ;
Ou la renonciation aura été précédée, accompagnée
ou suivie d’actes simulés, tendant à faire parvenir, en
tre les mains des renonçants, les biens de la succession
que la renonciation aura pour effet d’affranchir de
toute contribution aux dettes. Dans ce cas, les créan
ciers feront non-seulement annuler cette renonciation,
mais encore déclarer les renonçants héritiers purs et
simples, et, comme tels, tenus du paiement intégral de
ce qui leur est dû.
1565. — L’espèce suivante va nous offrir un re
marquable exemple de cette fraude et des effets juri
diques qu’elle produit.
En l’an ix, Alvery avait vendu tous ses biens, meubles
et immeubles, à Louis Rieu, son beau-père. Il décéda
en 1809, laissant pour héritiers deux enfants mineurs,
Marie et Jean. En 1811, Rieu céda à Marie Alvery tous
les biens qu’il avait acquis en l’an ix. De son côté,
Marie, s’étant mise en possession des biens, souscrivit
�364
T R A IT E
une obligation en faveur de son frère. Puis, conjointe
ment l’un et l’autre renoncèrent à la succession de leur
père Àlvery.
En cet état, les créanciers de la succession soutien
nent que l’acte de renonciation est nul comme fraudu
leux, et que les enfants Alvery sont personnellement
tenus des dettes de leur père. La Cour de Nîmes, saisie
de la contestation , consacre ce double système. Voici
les motifs de l’arrêt :
ï Attendu que toutes les circonstances de la cause
concourent à établir que les actes des 15 nivôse et 15
ventôse an ix furent concertés entre Alvery et Louis
Rieu pour mettre les biens du premier à couvert des
répétitions des créanciers, sous le nom d’un acquéreur
simulé ; que cette vérité s’évince surtout de la date de
ces actes (suivent les présomptions de simulation) ;
<r Attendu que des cessions évidemment simulées,
de même que des ventes consenties à Louis Rieu, il
résulte que les enfants d’Alvery ont participé à la fraude
de leur père; Marie, par la cession qui lui fut faite le
17 janvier 1811, de l’utilité des ventes faites à Louis
Rieu, et par sa mise en possession des biens meubles
et immeubles délaissés par son père ; Jean, par l’obli
gation de
francs qui lui fut souscrite, le même
jour, par sa sœur, et qui ne peut avoir d’autre cause
que le partage, entre les deux enfants, de la succession
du père commun ;
« Attendu que les enfants Alvery, ainsi mis en pos
session de tous les biens meubles et immeubles délais
sés par leur père, ne sauraient exciper de la répudia2 ,0 0 0
�305
tion par eux faite de la succession, le 26 janvier 1812,
et que la fraude évidente qui a présidé à cette répudia
tion doit la faire écarter de la cause, sous le double
rapport de l’acceptation de l’hérédité par l’effet de la
prise de possession des biens et du divertissement des
effets de cette succession au moyen des actes simulés
qui ont été rappelés »
Comme on le voit, la fraude dans cette espèce datait
de loin. C’était le père qui, bien avant l’ouverture de la
succession, l’avait préparée-, en se procurant, par une
interposition de personne, le moyen de faire arriver ses
biens à ses enfants, de manière à ce qu’ils fussent exo
nérés des dettes. Mais l’adhésion donnée à cette fraude
par les enfants devenus majeurs, et, après l’ouverture
de la succession, le profit ■ qu’ils voulaient en retirer,
rendait inévitable le résultat consacré par la Cour de
Nîmes.
Ce résultat n’eût pas différé si la répudiation avait
précédé la rétrocession et la mise en possession au lieu
de les suivre. En effet, la constatation de la fraude annulle l’acte qui en est entaché dès son origine. Il est
censé n’avoir jamais existé. Dès-lors et dans l’espèce, la
simulation des ventes de l’an ix produisait ce résultat,
que la propriété et la possession prétendues n’avaient
pas cessé de reposer sur la tête d’Alvery, et son décès
arrivant, ses héritiers en avaient été légalement et
directement saisis. A dater de ce moment aussi, ils
avaient été inveslis de la qualité d’héritiers, et quelque
DU
DOL
.1
Nîmes, 9 juillet 1825.
ET
DE
LA
FRAUD E.
�T R A IT E
prolongée que fût la possession apparente de l’acqué
reur interposé, elle ne pouvait dans aucun cas amnis
tier la fraude.
Ainsi, l’article788régit exclusivement les créanciers
du cohéritier. L’action qu’il consacre est pour eux
d’une évidente utilité. En effet, la renonciation enlève
à leur débiteur toute participation aux biens de la suc
cession et les prive par là de tout espoir, de toute pos
sibilité d’appliquer au paiement de ce qui leur est dû la
portion qu’il était appelé à recueillir. Il était donc juste
de les protéger efficacement contre un refus d’accepta
tion, n’ayant peut-être d’autre motif que de leur arra
cher cette ressource.
1566.
— Ce caractère spécial de l’article 788
amène à cette conséquence que les seuls créanciers
admissibles à en invoquer le bénéfice sont ceux dont
les droits sont antérieurs à la renonciation. Cette anté
riorité exige donc que la créance résulte soit d’un titre
authentique, soit d’un titre privé ayant acquis date cer
taine avant l’époque de la répudiation. Celui qui est
appelé à profiter de celle-ci n’est, dans aucun cas,
l’ayant-cause du renonçant. On ne pourrait donc pas
prétendre que le titre fait contre lui foi de sa date,
comme il le ferait à l’endroit du débiteur.
Quant aux créanciers postérieurs à la renonciation, il
est évident qu’ils ne sauraient être admis à la quereller.
Comment pourraient-ils, en effet, prétendre qu’elle
préjudicie à leurs droits qui n’existaient pas encore?
D’ailleurs, il ne leur était pas permis d’ignorer la condi-
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
367
tion de celui avec qui ils traitaient; et par cela seul
qu’ils ont consenti à le faire en l’état de sa répudiation,
ils se sont définitivement interdit tout moyen de s’y
soustraire.
1567. — Cette règle .est cependant susceptible de
deux exceptions. La première : si la somme prêtée pos
térieurement à servi à éteindre une créance antérieure.
La subrogation qui s’opère dans ce cas a fait passer sur
la tête du nouveau créancier tous les droits que l’ancien
pouvait exercer; la seconde : si la cause de la créance
postérieurement réglée remontait à une époque anté
rieure à la répudiation.
1568. — L’acceptation des créanciers, au lieu et
place de leur débiteur, ne relève pas celui-ci des effets
de la répudiation. C’est ce qui est textuellement prévu
par le second paragraphe de l’article 788. La nullité de
la répudiation n’est admise qu’en faveur des créanciers
et jusqu’à concurrence seulement de leurs créances.
De là deux conséquences :
1569. — 1° L’offre faite par le successible appelé à
profiler de la renonciation du débiteur, et à en recueillir
les bénéfices, de payer les créanciers poursuivants ren
drait sans objet l’application de l’article788. Les créan
ciers seraient dès-lors sans intérêt à la subrogation et
privés, conséquemment, de tout moyen de l’obtenir.
Le but de cette subrogation n’étant que le paiement des
�368
dettes, elle deviendrait inutile par la réalisation immé
diate de ce paiement;
T llA I T É
1570. — 2° Quel que soit l’effet de la liquidation
opérée par suite de leur acceptation, les créanciers ne
pourraient rien retenir au-delà de ce qui leur est dû
en capital et intérêt. Tout ce qui excéderait, prélève
ment fait des frais de la liquidation, appartiendrait aux
cohéritiers du renonçant, ou au renonçant lui-même,
si aucun autre successible n’avait appréhendé la suc
cession.
1571. — Le paiement des dettes, étant une charge
naturelle de la succession, incomberait incontestable
ment aux successeurs irréguliers appelés à défaut de
parents au degré successible. Aucun doute ne s’élèvera
sur ce point, en ce qui concerne le conjoint survivant
ou l’Etat.
Mais la position exceptionnelle de l’enfant naturel
exige que nous entrions dans quelques détails, quant
aux droits que les créanciers peuvent être appelés à
exercer contre lui.
Aux termes de l’article 758, l’enfant naturel est apte
à recueillir l’intégralité des biens, si celui qui l’a léga
lement reconnu décède sans laisser des successibles.
Dans le cas contraire, l’enfant naturel ne prend dans la
succession qu’une quotité déterminée, selon les hypo
thèses établies par l’article 757.
Le paiement des dettes étant proportionné à l’émolu
ment retiré par les successeurs irréguliers; cet effet
�étant indépendant de toute déclaration régulière d’aceptation sous bénéfice d’inventaire, il était évident que
ces successeurs irréguliers pouvaient facilement spolier,
la succession, en dénaturer la consistance et la valeur
en fraude et au préjudice soit des héritiers légitimes,
s’il en existait, quoique inconnus au moment de l’ou
verture de la succession, soit des créanciers.
Ce danger, le législateur s’en est préoccupé. 11a, pour
le prévenir, édicté pour les successeurs irréguliers les
articles 769 et suivants, que l’article 773 déclare appli
cables à l’enfant naturel.
Ce dernier doit donc, comme le conjoint survivant,
comme l’Etat, faire constater la valeur réelle de la suc
cession ou de la part qu’il doit y recevoir. Il est tenu
dès-lors de requérir l’apposition des scellés, de faire
inventaire régulier dans les trois mois, dè demander
enfin la délivrance, soit aux héritiers légitimes, soit à la
justice.
Pour bien apprécier les conséquences de la violation
de ces devoirs, il faut en considérer le but. Ce qu’ils
ont pour objet de garantir et de conserver, c’est simul
tanément l’intérêt des héritiers dont la non-existence a
fait d’abord déférer la succession aux héritiers irrégu
liers; l’intérêt des créanciers, par la conservation du
gage sur lequel ils ont droit de compter jusqu’à con
currence de leurs créances.
L’exécution des formalités prescrites par la loi n’a
pas pour effet de placer les successeurs irréguliers en
dehors de toute atteinte. Ainsi, les héritiers qui se pré
senteront, les créanciers, conservent, même dans ce cas,
ni
17
�T R A IT E
i
■ Wyt.l
I
la faculté de contester la sincérité de l’inventaire, de
poursuivre la réparation du préjudice qu’ils impute
raient à des soustractions ou à des omissions fraudu
leuses. Mais, dans chacune de ces hypothèses, le suc
cesseur est présumé avoir loyalement agi par cela seul
qu’il a rempli les obligations qui lui étaient imposées,
et cette présomption ne cède qu’à la preuve contraire
que les demandeurs sont tenus de fournir.
L’omission de toutes formalités, place le successeur
dans une position contraire. Il est, dans ce cas, présumé
avoir agi frauduleusement, et obligé, jusqu’à preuve
contraire de sa part, à supporter les conséquences de sa
coupable négligence.
Au point de vue des héritiers revendiquant, ces con
séquences, indiquées par la raison, sont expressément
consacrées par la loi. Le successeur irrégulier leur
doit des dommages-intérêts. Les termes facultatifs de
l’article 772 du Code civil s’expliquent par la faculté
que le successeur a de prouver qu’il n’a réellement
causé aucun préjudice.
Quels doivent être, par rapport aux créanciers, les
effets de la violation des articles 769 et suivants? Sous
l’empire des principes généraux de la matière, cette
question ne serait pas douteuse. L’héritier qui, par son
immixtion dans la succession, confond les biens dans
son actif, devient héritier pur et simple. Comme tel, il
est tenu de l’intégralité des dettes.
Mais cet effet a été contesté par rapport surtout à
l’enfant naturel. Celui-ci, a-t-on dit, n’est jamais héri
tier. C’est la loi qui le décide formellement. Il est donc
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
371
-dispensé de toutes les formalités imposées à celui-ci.
Dès-lors on .ne saurait rencontrer, dans leur inexécu
tion , les mêmes résultats. L’enfant naturel n’est tenu
que des obligations imposées par les articles 769 et sui
vants du Code civil. Or, leur violation n’a pas même
été prévue par le législateur; la loi ne s’en occupe que
dans l’article 7721, et relativement aux héritiers qui se
représenteront. C’est donc ajouter à sa disposition que
d’en vouloir faire ressortir une peine quelconque en
faveur des créanciers.
Ces objections méconnaissent la véritable pensée du
législateur. Leur consécration arriverait à un résultat
énergiquement repoussé par la raison et la justice.
Peut-on, en effet, admettre qu’on ait voulu abandonner
le sort des créanciers à la discrétion absolue de celui
qui devient leur débiteur, alors que, dans toutes les cir
constances, leur intérêt a surtout préoccupé le législa
teur?
Un pareil résultat est impossible, il doit donc être
repoussé. Ce qui restera acquis, c’est que la loi n’a dis
pensé l’enfant, naturel de la déclaration d’acceptation
sous bénéfice d’inventaire, que parce que les formalités
qu’elle lui imposait suppléaient à cette déclaration et
établissaient bien plus efficacement la séparation des
patrimoines. Dès-lors, le successeur irrégulier ne pourra
revendiquer le bénéfice de n’être tenu que jusqu’à con
currence de son émolument, que s’il a rempli les de
voirs que les articles 369 et suivants lui imposent.
Par voie de conséquence, l’omission de ces devoirs
le rendra indéfiniment obligé envers les créanciers.
�372
T R A IT É
Cette conséquence n’a rien de sévère ou d’injuste.
Pourquoi, chargé de constater.la valeur réelle de la
succession, profiterait-il d’un fait qui ne s’explique que
par l’intention de placer les créanciers hors d’état de le
faire?
C’est, au reste, ce que les jurisconsultes les plus es
timés n’ont pas cessé d’enseigner; c’est ce que le judi
cieux Pothier notamment professe en termes formels :
« Pour que ceux qui succèdentaux biens, plutôt qu’à la
« personne, ne soient tenus des dettes que jusqu’à con« currence des biens auxquels ils ont succédé, il faut
« qu’ils en aient fait constater la quantité par un in« ventaire ou quelque acte équivalant; s’ils s’en sont
« mis en possession sans cela et qu’ils aient disposé des
« biens, ils seront tenus indéfiniment des dettes, et ils
« ne seront pas reçus, pour s’en décharger, à offrir
d’abandonner ou de tenir compte des biens, s’étant
mis, par leur faute, hors d’état d’en pouvoir constater la quantité. ’ »
Depuis le Code civil, dit M. Duranton, les successeurs irréguliers doivent inventorier; mais ils n’ont
pas besoin de formaliser au greffe l’acceptation sous
bénéfice d’inventaire, et un acte qui priverait l’hérilier légitime de la qualité de bénéficiaire n’a point
cet effet à leur égard, si toutefois cet acte n’opère pas
confusion des biens. * »
Les auteurs des Pandectes françaises sont encore
4
4
4
4
4
4
4
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4
1 Des Success., eh.'ip. 5, art. 2, § 5.
î Ton), vu, n° 15.
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
373
plus explicites. Voici de quelle manière ils interprè
tent l’article 772 : « Dans ce cas, vis-à-vis des héritiers,
« les successeurs irréguliers ne sont tenus que des
« dommages-intérêts et non des dettes, parce que ce
<t sont toujours les héritiers qui sont tenus des dettes
« en leur qualité.
i Mais vis-à-vis des créanciers de la succession,
« lorsqu’il ne se présente pas d’héritiers, ce ne sont
« plus de dommages-intérêts qui sont dus, c’est le
« paiement entier des dettes. La loi imposant à ceux à
« qui elle attribue les biens les mêmes formalités qu’à
* l’héritier bénéficiaire, ils doivent supporter, quand
«t ils y manquent, la même peine que celui-ci, quand
« il les néglige. »
Enfin, Chabot n’hésite pas, même lorsqu’au lieu de
venir seul à la succession, en vertu de l’article 758,
l’enfant naturel y est appelé en concours avec des hé
ritiers légitimes, à le déclarer tenu ultra vires s’il n’a
vait pas fait constater, par un bon et loyal inventaire,
l’état et la valeur de la succession, ou l’état et la valeur
de ce qui lui aurait été délivré par les héritiers légi
times.
La vérité est donc que la seule différence entre le
successeur et l’héritier consiste en ce que ce dernier,
pour n’être tenu des dettes qu’à concurrence de l’actif,
doit, après inventaire, déclarer au greffe, et avant toute
immixtion, qu’il n’accepte que sous bénéfice d’inven
taire, tandis que l’accomplissement seul des formalités
1
' Sur l’art. TS7, n° 1S.
�374
T R A IT É
des artieless 769 et suivants opère, de plein droit, cet
effet en faveur du premier. Mais si l’enfant naturel a
omis ces formalités, si, par conséquent, il a confondu
son patrimoine personnel avec le patrimoine du défunt,
il n’est plus admissible à vouloir en opérer la sépara
tion. Ce qui s’induit de leur confusion, c’est que son
auteur a considéré l’actif successoral comme devant
suffire pour éteindre complètement le passif ; c’est, ce
qu’on doit le condamner à faire. Il est donc tenu in
définiment des dettes.C’est ce que la Cour d’Aix vient
de juger dans l’affaire Estienne, contre les époux Colin,
par arrêt du 7 août 1851, encore inédit.
La même obligation serait, dans les mêmes circons
tances, imposées aux autres successeurs irréguliers, à
savoir : le conjoint survivant et l’État.
1572. — L’ouverture d’une succession testamen
taire donne lieu à des fraudes plus ou moins nom
breuses, soit contre les héritiers légitimes, soit contre
les héritiers institués. Déjà, nous nous sommes occupés
des attaques dont le testament peut être l’objet pour in
sanité d’esprit ou pour captation ; nous avons déter
miné les effets de l’empêchement de tester et de la sup
pression ou soustraction du testament. Nous nous bor
nons, sur tous ces points, à nous en référer à nos pré
cédentes observations.
1
1572 (bis). — Ajoutons que les lois, réglant la for1 V. sup., nos 566 et suiv.
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
375
me des actes de dernière volonté, la nature et les ca
ractères de certaines dispositions prohibitives, quoique
d’intérêt général, intéressent, à un très haut point, les
tiers successibles, auxquels la succession fait retour
par l’annulation du testament. Le législateur n’a con
senti à préférer la loi testamentaire à ses propres dis
positions, qu’en tant qu’elle se renfermerait, en la forme
et au fond, dans les limites'que l’ordre public, que la
sécurité des familles lui faisait un devoir de tracer. Le
testateur qui tenterait de les franchir ne laisserait après
lui qu’un acte frappé d’impuissance. Il mourrait réelle
ment intestat.
De In cette conséquence qu’il suffit d’être au rang des
successibles utilement appelés, pour être admis à que
reller un testament et à le faire annuler soit pour vice
de forme, soit pour illégalité de ses dispositions.
1575. — Les nullités de formes ne procèdent pas
ordinairement d’une pensée de fraude, mais imputables
au notaire recevant le testament ou l’acte de souscrip
tion, elles peuvent être de nature à engager sa respon
sabilité vis-à-vis des héritiers institués. La nullité du
testament, parce que le notaire a négligé d’accomplir
rigoureusement son devoir, donnerait à ceux-ci le droit
de poursuivre contre lui la réparation du préjudice
qu’ils seraient dans le cas d’éprouver.
1574. — Il est toutefois une nullité au regard de
laquelle la position du notaire mérite d’être nettement
définie. Nous voulons parler de celle résultant de la vio
lation de l’article 975 du Code crsdL.
�376
t r a it e
4ux termes de sa disposition, le testament doit être
signé par le testateur ; s’il déclare qu’il ne sait ou ne
peut signer, il doit être fait dans l’acte mention expresse
de sa déclaration, ainsi que de la cause qui l’empêche
de signer.
1575. —1 Le but de ces prescriptions est facile à
saisir, ce qui constitue en quelque sorte le testament,
c’est la signature de son auteur. Seule, elle prouve que
le testateur a persisté dans les volontés exprimées dans
l’acte et entendu en assurer la pleine et entière exécu
tion. Un testament non signé ne saurait être utile à
rien, tout au plus pourrait-il être considéré comme un
projet qui, volontairement délaissé par son auteur, a été
par cela même anéanti.
Mais le défaut matériel de signature ne peut se réa
liser dans les actes authentiques, en ce sens que le no
taire a qualité pour y suppléer utilement, en constatant
l’ignorance ou l’impuissance dont ce défaut est déclaré
être la conséquence. Cependant il peut en être du tes
tament authentique, comme du testament olographe.
Son auteur, même après l’avoir dicté, peut concevoir
le dessein de ne pas le faire sortir à effet, mais il peut
aussi se trouver dans une position telle que la manifes
tation de cette volonté ne soit pas sans danger pour lui.
Il fallait donc qu’il lui fut possible d’atteindre ce résul
tat d’une manière indirecte. C’est ce qu’il est légale
ment présumé avoir voulu, lorsque la mention rem
plaçant la signature est inexacte ou incomplette.
�1576. — Ainsi si le testateur a déclaré ne savoir
signer, la preuve du contraire, faite contre l’héritier
testamentaire, détermine la nullité du testament. Celui
qui déclare ne savoir signer, lorsqu’il sait le faire, lors
qu’il l’a toujours fait, n’a voulu qu’une seule chose, à
savoir : se soustraire à l’obligation de signer. Il a donc
par là suffisamment manifesté qu’il ne voulait pas sanc
tionner le testament, qui ne peut dès-lors créer aucun
droit en faveur ou contre qui que ce soit.
Que si, au lieu de prétendre qu’il ne sait signer, le
testateur a déclaré ne le pouvoir, la présomption est
la même, les effets en sont identiques. Cette présomption
ne s’efface que lorsqu’il a fait connaître la cause réelle
de l’empêchement, cause que le notaire doit exprimer
telle qu’elle lui est déclarée.
1577. — La position du notaire, malgré que dans
l’un et l’autre cas le testament soit nul, est fort diffé
rente. Si le testateur a déclaré ne savoir signer, l’acte
est complet par la mention de cette déclaration. Le no
taire n’a pas à en contrôler l’exactitude, à s’enquérir de
sa véracité. La nullité, dans ce cas, est tout entière le
xiit du testateur, qu’on prouve avoir su signer. Les hé
ritiers privés du bénéfice de l’institution ne pourraient
donc exercer aucun recours contre le notaire.
Il n’en est pas de même lorsque le testateur a déclaré
ne pouvoir signer. L’acte qui se bornerait à mentionner
cette impuissance serait incomplet, sa nullité engage
rait la responsabilité du notaire, car il n’aurait pas rem
pli toutes les obligations qui lui sont imposées à l’en-
�378
traite
droit de la validité de l’acte. Il lui appartient, en effet,
de veiller à ce que les conditions auxquelles cette validité est attachée soient scrupuleusement remplies. La
négligence qu’il apporterait dans l’exécution de ce de
voir constituerait une faute lourde etdonnerait lieu con
tre lui à une condamnation en réparation du préjudice.
1578. — Mais que doit faire le notaire en présence
d’une déclaration se bornant à alléguer l’impuissance?
Peut-il la compléter en indiquant lui-même la cause de
cette impuissance? Evidemment non. D’abord parce
qu’il ne pourrait, à cet égard, fournir qu’une apprécia
tion fondée sur l’état extérieur du malade, appréciation
qui pourrait fort bien s’écarter de la vérité. Il n’y a
qu’une seule personne capable de s’expliquer utilement
sur les motifs de l’impuissance, c’est celle qui Fallègue,
tout autre qu’elle ne peut donner qu’une conjecture plus
ou moins probable. Or ce que la loi exige, c’est la vérité
et non une supposition, quelque fondée qu’elle paraisse.
D’ailleurs, reconnaître au notaire la faculté de sup
pléer au silence du testateur, c’est méconnaître l’esprit
de la loi, c’est subordonner la validité du testament à
une autre volonté que celle dm testateur lui-même. Nous
le disions tout à l’heure, l’allégation de l’impuissance
peut n’être qu’un prétexte sous lequel le testateur dégui
sera la répugnance qu’il éprouve pour le testament qu’il
vient de dicter. Cette annulation indirecte est autorisée
par la loi. Dans quels cas cependant profitera-t-elle à
ceux que le testateur a voulu favoriser, si le notaire peut
à son gré l’empêcher, en complétant le testament.
�DU
DOD
ET
DE
DA
FRAUDE.
3 79
L’hypothèse que nous prévoyons n’est pas aussi im
possible qu’on pourrait le croire. Dans un moment d’em
portement et de colère, un homme a conçu la pensée de
déshériter sa famille. Il appelle un notaire et lui dicte
son testament. Mais la réflexion arrive. Au moment de
consommer la ruine des siens, l’affection fait entendre
sa voix, l’aspect des douleurs, des misères qu’il va
occasionner amène le repentir. Par un reste d’amour
propre, cependant, il ne veut pas avoir l’air de revenir
sur sa résolution, et, sachant l’effet de la déclaration
qu’il va faire, il se borne à dire qu’il ne peut signer.
Dans d’autres circonstances, un malade, éloigné de
sa famille, entouré de mercenaires avides, est sollicité,
pressé de faire un testament en leur faveur, les prières,
les obsessions ne suffisant pas, on va jusqu’à la violence,
on ne lui laissera aucun repos, on le menacera de le
laisser mourir sans secours et sans soins, bref, le désir
seul d’acheter sa tranquillité le décidera. Mais il vou
dra avoir l’air de céder plutôt que de céder en effet, et
le notaire appelé pour recevoir le testament ne recevra
de lui que cette réponse : qu’il ne peut signer , se mé
nageant ainsi une nullité conforme à ce qu’exigent le
désir de punir de coupables manœuvres et celui d’obéir
à ce que lui commandent ses véritables affections.
Donnez au notaire le droit de compléter le testament
en indiquant lui-même la cause de l’impuissance, et
vous décidez que tout repentir est impossible; que la
fraude et la violence triompheront insolemment, car la
famille injustement dépouillée ne pourra pas souvent
fournir la preuve del’une ou de l’autre. Un pareil résultat
�380
TRAITÉ
serait une immoralité, une iniquité. Il n’a donc pu en
trer dans la pensée du législateur.
Mais si le notaire ne peut suppléer à la déclaration,
il a le devoir et surtout l’intérêt le plus incontestable à
constater que le vice dont elle est atteinte est le fait ex
clusif du testateur, et à se mettre ainsi à couvert de tout
recours.il doit donc, lorsqu’il reçoit du testateur la dé
claration pure et simple qu’il ne peut signer, l’interpeller
d’en indiquer la cause. La mention de cette interpella
tion, celle du silence qui l’a accueillie ou de la réponse
qui lui a été faite, suffisent pour que, quel que soit le,
sort ultérieur du testament, il soit à l’abri de tout re
cours.
1579. — La doctrine que nous exposons est admise
par les auteurs et par la jurisprudence.
« Remarquons bien, dit Merlin, que, suivant l’ar
ticle 973, il faut aujourd’hui, comme il le fallait dans
l’ancienne jurisprudence, qu’il soit constaté par le tes
tament même que c’est le testateur qui a déclaré per
sonnellement son incapacité ou impossibilité de signer,
cl que la seule énonciation de la cause qui l’a empêché
de signer ne suffirait pas, parce qu’elle laisserait ignorer
si c’est le testateur qui l’a lui-même déclarée ou si c’est
le notaire qui s’en est constitué le juge.1 »
A l’appui de cette opinion, Merlin rappelle un arrêt
de la Cour de Caen, du l! décembre 1822. Dans l’es1 Rép., v° Signât., § 3, an. !2, n° 7 ; — v.
Grenier, t. i, n° 242.
Toullier, t- v, n° 437 ; —
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
381
pèce de cet arrêt, le testament renfermait l’énonciation
suivante : El le testateur ayant essayé de signer, n’a
pu le faire, à cause du tremblement de sa main. Ce tes
tament, validé en première instance, fut annulé par la
Cour, pour violation de l’article 975- Le notaire et les
témoins, dit l’arrêt, ont reconnu que si le. testateur
avait pris la plume pour signer, et s’il avait tracé quel
ques lettres sur le testament, il n’avait cependant point
fait la signature. Le jugement dont est appel a suffi
samment reconnu aussi que ces lettres ne pouvaient
former une vraie signature. En ce cas que devait faire
le notaire? Il lui incombait de recueillir la déclaration
du testateur sur la cause qui l’empêchait de signer;
cette déclaration, passée par le testateur lui-même, de
vait être mentionnée d’une manière expresse, à peine
de nullité. Mais c’est le notaire seul qui parle, et il n’est
pas fait mention d’aucune déclaration passée à cet
égard par le testateur. La loi a donc été évidemment
violée. Si on eût pris la déclaration du testateur, et
qu’il eût dit : Je ne signe pas parce que j ’ai changé de
volonté, il n’y aurait sans doute pas de testament. Le
législateur a donc eu raison d’exiger impérieusement
que la cause qui empêche le testateur de signer soit
déclarée par lui-même, et qu’il soit fait mention ex
presse de cette déclaration. Il a donc eu raison de ne
pas laisser à la disposition du notaire d’expliquer luimême, et sans la participation du testateur, le motif ou
la cause qui l’empêche de signer.1
1 V. Toulouse, 5 avril 1818; — Sirey, 23, 2, 48; — Cass., 25 avril
1825 et 15 avril 1833.
�382
TRAITE
1580. — Le testament valable en la forme doit être
annulé, si ses dispositions renferment une violation
d’une loi prohibitive. C’est ce qui se réalise notamment
lorsque le testateur a prescrit une substitution fidéi
commissaire.
1581. — Permises par le droit romain et par notre
ancienne législation, les substitutions furent d’abord
suspendues, puis prohibées par les lois des 25 août,
2 septembre, 14 et 15 novembre 1792. Cette prohi
bition reçut une consécration nouvelle de la loi du
17 nivôse an h , prescrivant le partage égal des suc
cessions.
Cette législation fut un énorme, un incontestable
progrès. Ressource précieuse pour la féodalité , les
substitutions devaient périr avec elle. L’expérience
avait prouvé en effet que, dans les familles opulentes,
cette institution n’avait pour but que d’enrichir l’un de
ses membres en dépouillant les autres, que de perpé
tuer ainsi le faste et l’éclat qui devaient accompagner
un nom qui n’était souvent qu’un lourd fardeau pour
celui qui le portait.
Mais ce qui résultait d’un pareil état de choses, c’était
un germe renaissant de discordes et de procès; c’était
de mettre les biens hors du commerce pour longues an
nées, d’occasionner un grave préjudice à l’agriculture.
Chaque grevé de substitution, n’étant qu’un simple usu
fruitier, avait un intérêt contraire à toute amélioration.
Ses efforts devaient tendre à multiplier et à anticiper
les produits des biens substitués au préjudice de ceux
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
qui étaient appelés après lui, et qui chercheraient à leur
tour une indemnité dans de nouvelles dégradations.
Enfin, ajoutait l’exposé des motifs du Codé, ceux qui
déjà étaient chargés des dépouilles de leurs familles
avaient la mauvaise foi d’abuser des substitutions pour
dépouiller aussi leurs créanciers. Une grande dépense
faisait présumer de grandes richesses. Le créancier qui
n’était pas à portée de vérifier les titres de propriété de
son débiteur, ou qui négligeait de faire cette perquisi
tion, était victime de sa confiance, et, dans les familles
auxquelles les substitutions conservaient les plus gran
des masses de fortune, chaque génération était le plus
souvent marquée par une honteuse faillite.
A ces raisons de morale, d’équité, d’intérêt général,
les rédacteurs du Code civil en ajoutaient une autre
non moins puissante. C’est que cette institution était
incompatible avec les mœurs politiques et sociales de
l’époque, avec les principes mêmes de notre législation.
1582. •— De là l’article 896, dans lequel la nouvelle
féodalité que l’empire fit naître sut se réserver sa part
en permettant la transmission héréditaire des majorats
érigés en faveur d’un chef de famille, conformément
aux décrets des 50 mars et 14 août 1806.
En dehors de cette exception, et avant qu’elle fût
introduite, toute disposition par laquelle le donataire,
l’héritier institué ou le légataire, sera chargé de con
server et de rendre à un tiers, sera nulle même à l’égard
du donataire, de l’héritier institué ou du légataire. La
seule dérogation dont cette règle est susceptible, est
i .;
�384
TRAITE
celle autorisée par les articles 104-8 et 1049 du Code,
en faveur des petits-enfants ou des neveux du testateur.
1583. — Mais cette dérogation, toute dans l’intérêt
de la famille, ne fait que confirmer la volonté du légis
lateur d’empêcher l’abus des substitutions, en ne tolé
rant que celles qu’une circonstance impérieuse rendrait
indispensables.
Or, ce qui a motivé les articles 1048 et 1049, c’est
le désir de ménager au père effrayé de la dissipation de
son enfant, au frère se méfiant de la légèreté de son
frère, le moyen de conserver intacte une partie de la suc
cession, en y appelant les petits-enfants ou les neveux.
Mais, dans ce cas même, la substitution ne peut com
prendre que les biens dont le testateur a la libre dispo
sition. Ainsi, quels que soient les dangers que puisse
offrir la conduite de l’enfant, il a un droit absolu sur
les biens de son père, jusqu’à concurrence de sa réserve
légitimaire. Il la recueille dans tous les cas sans qu’elle
puisse être affectée d’aucune charge, même au profit
de ses propres enfants.
De plus, la substitution de la quotité disponible doit
s’arrêter au premier degré. L’article 1050 ajoute qu’elle
s’étendra, à peine de nullité, à tous les enfants nés et à
naître, sans exception ni préférence d’âge ou de sexe.
Ainsi, la pensée du législateur est on ne peut pas plus
explicite. Obéissant à une pensée de sage prévoyance,
il a voulu remédier au danger que le père, que le frère
est dans le cas de redouter pour ses petits-enfants, pour
ses neveux. C’est la famille toute entière et non la posi-
�DU
noU
ET
DE
EA
FRAUDE.
385
tion particulière d’un de ses membres cpii fait l’objet
de sa sollicitude.
1584. — Tel n’était plus le caractère de la loi du
17 mai 1826- Dans un intérêt politique fort saisissable,
on avait conçu à cette époque la pensée de reconstituer
l’aristocratie terrienne. Le moyen le plus immédiat
était le rétablissement des substitutions.
On n’osait pas cependant dévoiler cette pensée; on
se contentait de demander que la quotité disponible
pût être substituée jusqu’au deuxième degré exclusi
vement. Mais, quelque timide que fût cet essai, l’opi
nion publique ne s’v trompa pas. Comment aurait-elle
pu le faire? A côté de cette demande, ou osait proposer
le rétablissement du droit d’aînesse.
Quelque dévoué que fût le pouvoir législatif d’alors,
la clameur publique l’entraîna, et le droit d’aînesse
resta sur le champ de bataille. Les substitutions dans
la mesure proposée furent de nouveau inscrites dans
nos lois.
1585- — La révolution de .Juillet 1830 vint mettre un
terme à toute tentative nouvelle et couper court à toute
velleïtéde ce genre. On sembla même vouloir entrer ré
solument dans la voie contraire. Dès le 24 août 1831,
M. jaubert proposait, à la chambre des députés, d’in
terdire, à l’avenir, toute institution de majorats et de
réduire la sbstitution de ceux existants à deux degrés,
l’institution non comprise.
Reprise eu 1833 par M. Paraut, cette proposition
lut depuis adoptée. Cette adoption fut promulguée le
�386
traité
12 mai 1835. Ce premier coup porté à celte institution
a été aggravé par 3a loi des 7-11 mai 1849.
Quant à la loi du 17 mai ,1826, elle [a été purement
et simplement abrogée par celle du 17 janvier 1849.
Nous en sommes donc revenus au principe de l’ar
ticle 896 du Code civil. Les substitutions sont pro
hibées. Ce qui les caractérise, c’est l’obligation de con
server et de rendre. Or, cette obligation ne résultant
pas de la substitution vulgaire, celle-ci est maintenue.
C’est d’ailleurs ce qui est expressément écrit dans l’ar
ticle 8981586. — La prohibition de l’article 896, ayant
pour effet d’annuler le testament et de déférer la
succession aux héritiers légitimes, intéresse donc, à
un très haut point, les successibles. Cette qualité
suffît donc pour autoriser, celui qui en justifie, à
quereller la disposition et à en provoquer l’annu
lation, en prouvant qu’elle constitue réellement une
substitution prohibée.
1587. — Nous n’avons pas à nous livrer à l’examen
des mille et une difficultés que peut offrir cette si vaste
matière ; nous devons nous borner à rappeler quelques
principes généraux de nature à justifier les conditions
auxquelles les tiers successibles seront recevables à
quereller la disposition. En fait, si la substitution exis
te, cette disposition sera annulée ; en droit, la substi
tution existera si l’institué appelé à recueillir est obligé
�DU DOL ET DE LA FKAUDE.
387
de conserver et de rendre à sa mort à une autre per
sonne également désignée par le testament.
1588. — Nous disons de rendre à la mort, c’est là,
en effet, le caractère qui distingue la substitution pro
hibée de certaines dispositions modales dont la validité
ne saurait être contestée. Ce qui constitue celles-ci,
c’est que l’institution du premier appelé est le résultat
du doute dans lequel le testateur s’est trouvé sur l’exis
tence du second et sur la possibilité qu’il puisse recueil
lir sa succession, doute qui, levé qu’il soit, doit amener
la prise de possession de celui-ci et la restitution de
l’hérédité en ses mains. C’est ce qui se réaliserait dans
les institutions du genre de celles-ci : Je donne mes
biens à Pierre, à la charge de les rendre à mon fils s’il
revient de l’armée, ou bien à la chargé de les rendre à
Paul lorsqu’il aura atteint tel âge, ou si tel navire re
vient des Indes. Il est évident, dans tous ces cas, que le
grevé n’est institué que conditionnellement, et que, la
condition se réalisant, il n’a jamais été héritier, mais
bien plutôt un dépositaire, un administrateur, ce qui
est exclusif d’une substitution.
1589. — Pour que celle-ci existe, il faut que l’obli
gation de conserver et de rendre ne doive être exécutée
qu’à la mort du grevé. Il n’est pas douteux, en effet,
que la loi n’a voulu atteindre que les substitutions se
réalisant ordine successivo, dans lesquelles le. substitué
ne recevra les biens qu’au décès du grevé. C’est là ce
que prévoit l’article 896, dans lequel l’obligation de
�388
T ltA lT E
conserver et de rendre ne peut s’entendre que de l’im
possibilité dans laquelle se trouve le grevé de trans
mettre à d’autres qu’au substitué les biens qu’il n’a
reçu qu’à cetle condition.
Ce qui démontre l’exactitude de ce sens, c’est qu’évidemment le Code a voulu prohiber ce que la législation
ancienne avait permis. Or, de l’avis de tous les juris
consultes anciens, les substitutions n’étaient réputées
faites que pour avoir lieu à la mort du grevé.
On peut, de plus, apprécier la pensée du législateur
à l’endroit des substitutions qu’il prohibe par la nature
des exceptions qu’il consacre. Comme ces exceptions
ne sont pas fondées sur une diversité d’espèces dans
les choses, mais uniquement sur les égards qu’ou a cru
devoir aux personnes en faveur desquelles on a voulu
faire fléchir la règle commune, il faut en conclure, dit
M. Proudhon, que ce qui est permis aux uns, par pri
vilège personnel, est de même nature que ce qu’on a
prohibé aux autres, et, réciproquement, que les dispo
sitions généralement prohibées sont de même nature
que celles pour lesquelles la loi se relâche de sa rigueur
envers les personnes qu’elle excepte de la règle com
mune. Or, les dispositions permises en faveur des petitsenfants ou des neveux sont certainement des substitu
tions faites dans l’ordre successoral; car, quoiqu’elles
ne puissent s’étendre au-delà du premier degré, il n’en
est pas moins incontestable qu’elles sont des substi-tutions pour l’exécution desquelles le substitué doit
survivre au grevé. Il n’y a, en effet, de degré que là où
il y a une génération succédant à l’autre.
�I)U
DOL
ET
DÉ
LA
FRAUDE
Concluons donc, continue M. Proudbon, qu’il n’y
a de prohibé que les substitutions faites dans l’ordre
successoral, par lesquelles l’un serait appelé à recueillir
après le décès de l’autre et sous la condition de survie,
et que les dispositions portant charge de rendre après
un délai déterminé et à un jour certain ne tombent pas
sous la prohibition du Code.1
1590- — On ne pourrait d’ailleurs le décider autre
ment sans méconnaître la disposition de l’article 1121,
qui permet de stipuler pour un tiers conditionnellement
à la donation qu’on fait à un autre. Or, il est évident
que cette stipulation peut consister dans l’obligation
imposée au donataire de restituer une partie des biens
à une époque déterminée et prévue. Dans ce cas, le do
nataire, en attendant le moment de cette restitution,
est obligé de conserver, comme il le sera de rendre à
l’époque où le cas prévu arrivera. Évidemment donc,
cette double obligation ne constitue pas, par elle seule,
une substitution prohibée; elle ne revet ce caractère
que lorsque son exécution doit se faire ordine successivo.
Sans cela, il n’y a plus qu’une vocation de diverses per
sonnes recueillant l’hérédité ou le don sous de simples
conditions impuissantes pour constituer le fidéicommis. C’est en ce sens que s’est prononcée la jurispru
dence. 5
Ce qui distinguera essentiellement cette vocation de
1 De VUsufruit, n° 445 ; — Voy. Merlin, (|uest., v° subst. fidéicottim.,
§ 6 ; — Toullier, lom. v, n° 22 ; — Delvincourt, tom, n, pag. 590.
* Colmar, 8 août 1819 et 25 août 1824; — Paris, 3 mars 1820.
�390
TRAITÉ
la substitution fidéicommissaire, c’est que, dans celleci, la survie de l’appelé est la condition substantielle de
son droit; s’il meurt avant le grevé, il n’en a jamais
eu aucun qu’il ait pu transmettre à ses héritiers. Celui,
au contraire, qui est appelé à recueillir, à une époque
déterminée, tout ou partie de la donation ou du legs
fait à un autre, a un droit définitivement acquis par son
acceptation ou par l’ouverture de la succession ; s’il
meurt avant l’époque où il doit recueiller, ses héritiers
seront appelés à le faire comme il l’eût fait lui-même,
à moins que le contraire n’ait été stipulé ou ne résulte
de la donation ou du testament.
1591. — Aucune difficulté sérieuse ne saurait naî
tre si l’époque de la restitution a été déterminée. Que
faut-il décider lorsqu’elle ne l’a pas été? Faut-il dire
que la restitution doit être immédiatement opérée, ou
bien qu’elle ne doit se réaliser qu’à la mort du grevé?
M. Duranton distingue. Dans les dispositions per
mises même comme substitutions, dit-il, comme celles
en faveur des petits-enfants ou des neveux, les expres
sions indéterminées : à la charge de rendre, doivent
s’entendre de la charge de rendre à la mort du grevé.
Dans le cas, au contraire, où la substitution ne serait
pas autorisée, il faut entendre la charge indéterminée
de rendre, de l’obligation de rendre tout desuite, l’en
tendre autrement, c’est anéantir la disposition. On ne
doit pas supposer que le disposant ait voulu violer la
loi, et, dans le doute, il est plus raisonnable d’entendre
une clause ambiguë de manière à lui donner un effet
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
394
utile : Actus intelligendi sunt potius ut valeant quam
ut pereant. 1
Cette doctrine, enseignée par la généralité des au
teurs, doit être suivie, mais elle peut être singulière
ment modifiée par les termes de l’acte et par l’ensemble
de ses clauses. Or, la première règle d’interprétation,
c’est de consulter les uns, de rapprocher les autres, et
si de cet examen résultait pour le juge la conviction
que la charge de rendre a été réellement subordonnée
au décès du grevé, l’invalidité de la disposition en se
rait une juste, une légitime conséquence.
1592. — Au reste, ce n’est pas seulement dans ce
cas que le doute doit se résoudre en faveur de l’acte.
Cette règle s’applique à toute la matière des substitu
tions.
Ainsi la disposition, conçue dans des termes qui
s’appliquent aussi bien au cas où le premier gratifié
viendrait à décéder avant le disposant qu’à celui où il
mourrait après lui, et qui peuvent, dès-lors, s’entendre
d’une substitution vulgaire aussi bien que d’une subs
titution fidéicommissaire, doit être admise dans le sens
de la première. C’est ainsi qu’on devrait interpréter la
clause suivante : j ’institue un tel, à qui je substitue tel
autre; ou bien encore celle-ci : J’institue Pierre et, en
cas de décès ou après sa mort, je mets Paul à sa place.
Ainsi, lorsque les termes d’une disposition, attaquée
pour cause de substitution prohibée, peuvent être en-
�392
TItAlTE
visages comme n’exprimant qu’un droit d’accroisse
ment entre colégataires, ils doivent de préférence être
admis dans ce sens, encore que dans l’espèce l’accrois
sement se fût réalisé par la seule force de la loi. On doit
plutôt admettre l’existence d’une clause superflue et
inutile que d’en consacrer une qui vicierait l’institu
tion. C’est ce que la Cour de Caen décidait le 28 jan
vier 1807, et son arrêt, déféré à la Cour de cassation,
fut déclaré conforme à la loi. 4
Ainsi encore lorsque la disposition faite au profit de
plusieurs personnes successivement, et en cas de survie
des unes aux autres, peut se résoudre en simple dispo
sition conditionnelle, on doit l’interpréter dans ce sens
plutôt que dans celui d’une substitution prohibée. Telle
serait celle par laquelle un. époux aurait fait un legs à
son conjoint pour le cas où leurs enfants mourraient
avant celui-ci, celle par laquelle on léguerait la pleine
propriété à une personne pour le cas où elle survivrait
à un tiers gratifié de l’usufruit; celle qui renfermerait
un legs en faveur d’une personne, sous la condition
qu’elle se mariera, avec la clause que si elle ne se
marie pas le legs sera recueilli par un tiers. ’
Ainsi enfin, lorsque les termes d’une disposition faite
au profit de plusieurs personnes, appelées les unes après
les autres, laissent quelque doute sur le point de savoir
si le disposant a entendu gratifier le premier légataire
de la propriété des biens légués, ou si, au contraire, il
1 Cass., 26 juillet 1808.
2 Paris, 23 juin 1823;— Colmar, 23 août 1825;— Poitiers, 29
juillet 1850 ; ^— Cass. , 20 décembre 1831 et 17 juin 1835.
�1693. — L’appel ordine successivo de plusieurs ins
titués ne constituerait pas la substitution prohibée, si
chacun d’eux n’était tenu de rendre que ce qui se trou
verait encore en ses mains à l’époque de son décès.
Une pareille disposition manquerait, de la condition
essentielle à la substitution, à savoir : l’obligation de
conserver et de rendre, le grevé étant, au contraire,
libre d’aliéner à son gré.
1594. — Il n’en était pas ainsi en droit romain. La
substitution de residuo ou de eo quod supereril était un
véritable fidéicommis tacite. L’obligation de conserver
et de rendre, non inscrite dans l’acte, était suppléée par
la loi. Ainsi le grevé ne pouvait aliéner que dans une
certaine mesure. La part dont il lui était permis de dis
poser dut d’abord être déterminée arbitrio boni viri.
Plus tard, Justinien la réduisit aux trois quarts, le quart
restant étant de plein droit acquis au substitué.s
Cette législation ayant été abrogée par l’article 7 de
la loi du 30 ventôse an ii, toutes ces restrictions ont
complètement disparu. La substitution de eo quod supereril n’a plus été depuis un obstacle à ce que le grevé
se livrât à l’aliénation intégrale des biens, de telle sorte
qu’il n’est pas tenu de conserver, pas même, en quel1 Cass., 20 novembre 1837 et 20 janvier 1840 ;— Sirey, 37, d, 968;
— 40, d, 363.
2 L. 34 et 38, § 7, Dig. ad Senalusc. Trebcll., Nov. 108, cap. d.
ni
18
�que sorte, de rendre, puisqu’il ne restituera en défini
tive que ce qu’il n’aura pas aliéné.
Aujourd’hui donc une pareille substitution ne réunit
aucune des conditions exigées par l’article 896, elle ne
saurait donc être atteinte par sa disposition, ni entraîner
l’annulation de l’institution principale.
1595- — Mais doit-elle sortir à effet pour les biens
non aliénés par le grevé? Ces biens pourront-ils être
recueillis par le substitué?
1596. — Non, dit M. Rolland de Villargùes; en
effet, pourquoi cette substitution ne doit-elle pas être
regardée comme prohibée? C’est parce qu’elle forme
une disposition non obligatoire, une disposition nulle.
Or, à quel titre le tjers substitué pourrait-il réclamer
les biens que le grevé n’aurait pas aliénés? Ce ne pour
rait être qu’en vertu de cette disposition nulle ; or ce
qui est nul e peut produire d’effets : Quod nullum est*
milium producil efjectum.' C’est dans ce sens qu’a été
rendu par la Cour de Paris un arrêt du 26 janvier 1808.
Cette conclusion est d’autant plus contestable que les
prémisses dont elle découle ne sont nullement vraies. La
disposition de eo qüod supereril ne constitue pas la subs
titution fidéicommissaire dont s’occupe l’article 896,
elle ne peut donc être atteinte par sa prohibition. Dès
l’instant que cette prohibition ne s’applique qu’à la
11
1 Traité des substitutions, n° 552.
H
�OU DOI. ET DE LA FRAUDE.
395
substitution fidéicommissaire, tout ce qui n’est pas
celle-ci reste de plein droit hors de ses atteintes.
Donc, et par cela même, l’institution de eo quod supererit n’est pas annulée par l’article 896. Où est donc
la disposition de la loi qui la déclare telle? S’il n’en
existe aucune, comment pourrait-on admettre une in
validité que rien ne prononce.
Valable à l’endroit de l’article 896, la disposition^ eo
quod supererit doit, sous un autre rapport, être recon
nue telle; elle est pour l’appelé un véritable legs condi
tionnel. Or, loin de les proscrire, la loi autorise les legs
de ce genre d’une manière formelle.
1597. — Mais, dit-on, la condition est ici purement
potestative, c’est comme si le disposant avait dit : je
vous laisse mes biens, à la charge de les rendre à un
tel, sivous le voulez. Or, les conditions de cette nature,
la loi refuse expressément de les admettre.
Merlin repousse avec raison cet argument. Ici, dit-il,
ce n’est pas la pure volonté de l’héritier institué qui
forme la condition du fidéicommis , c’est le défaut
d’exercice de la faculté d’aliéner; et ce défaut n’est pas
essentiellement l’effet direct et immédiat de la volonté
de l’héritier institué. Il peut aussi avoir pour cause soit
la minorité, soit l’interdiction de celui-ci, soit un sim
ple manque d’occasion de réaliser les aliénations qu’il
a en vue.
1598. — Cette nuance dans la condition n’était pas
échappée à Thevenot d’Essaules. « Le substituant, en-
�TRAITE
« seigne-t-il, peut permettre l’aliénation indéfinie. Une
« substitution qui contiendrait cette clause serait vala« ble, vu qu’il y aurait obligation de rendre, dans le
« cas où le grevé n’aurait pas aliéné. Si in totam aliei nationem permisiiset, dit Peregrinus, id testator abs« que dnbio facerepotuisset, et fideicommissum eo casn
i operaretur non secuta aliénatione. Autre chose serait
« si le substituant avait dit au grevé : vous vendrez les
« biens, si vous voulez, car alors il n’y aurait aucune
t obligation de vendre. Ce serait un fidéicommis laissé
« à la volonté absolue du grevé, lequel serait nul.1»
1599. — Concluons donc, avec Merlin et Tonifier,
que le fidéicommis de eo quod superevit doit avoir tout
son effet; qu’il ne constitue qu’un legs conditionnel que
rien ne défend ; qu’en conséquence, à la mort du grevé,
tous les biens non aliénés par lui seront acquis au subs
titué.2Ajoutons que pour le grevé la faculté d’aliéner
est illimitée; qu’elle s’entend non-seulement de la dis
position à titre onéreux, mais encore de celle à titre
gratuit, mais par actes entre vifs seulement. Toute dis
position testamentaire des biens grevés serait radicale
ment nulle.
1600. — Il en serait à plus forte raison ainsi de l’ins
titution si quid supererit. Celle-ci avait, en droitromain,
des effets plus énergiques que celle de eo quod supe~
1 Des Subst. fidêicoin. , chap. 48 , § 1.
Y. Zacchariæ, tom. S, p. 255, et autorités citées à la note 28.
�DD DOL ET DE LA FRAUDE.
3 97
rerit. Dans celle-ci, on effet, la faculté d’aliéner était
bornée, tandis qu’elle demeurait illimitée dans celle-là.
Aucun doute ne saurait donc raisonnablement s’élever
aujourd’hui sur sa parfaite légalité.1
. 1601. — Au reste, ce que la loi repousse dans les
substitutions, c’est plutôt l’ordre anormal des succes
sions qu’elle crée que le fidéicommis en lui-même.
Celui-ci, en effet, n’a rien d’illicite lorsque, se référant
à la mort du disposant, il se renferme dans le simple
.mandat de faire soit immédiatement, soitdans un temps
déterminé, ce que le disposant aurait pu faire lui même
d’une manière directe, et dont il a été empêché par des
raisons légitimes. Nous en avons vu un exemple en par
lant des institutions conditionnelles. Nous allons en
trouver un bien plus décisif dans l’institution fiduciaire.
Celle-ci, en effet, n’est pas même une institution.
Elle ne constitue en réalité qu’un dépôt entre les mains
du grevé; elle ne lui donne que le droit d’administrer
la succession, en attendant l’époque où il devra la res
tituer; elle ne confère aucune saisine, si ce n’est en
faveur du véritable, du seul héritier qui est l’appelé.2
De là il suit que le grevé, n’ayant aucun des émolu
ments de la succession, n’a également aucune de ses
charges. Ainsi ses frais d’administration devront lui
être remboursés, tout comme il devra lui-même resti1 Cass., 14 mars 1852.
! Montvalon, chap. 5, t. i, p. 242; — Henrys, liv. 5, quest. 22 et 23,
îiv. o, quest. 14.
�398
TRAITE
tuer les fruits qu’il a perçus, à moins qu’il n’en ait été
dispensé, en tout ou en partie, par le testament.
1602. — Remarquons, en effet, que la simple fiducie
n’exclut pas la disposition d’une partie ou d’un objet de
la succession, soit en fruits, soit en fond, en faveur du
grevé. Zacchariæ observe avec raison qu’une pareille
disposition, étant incompatible avec l’institution géné
rale, est indicative plutôt qu’exclusive de la fiducie.
C’est ce qu’enseignait également notre ancienne juris
prudence. Une forte présomption de la fiducie, dit
Montvalon, c’est quand, aprèsla fin de l’administration,
le testateur fait un legs à sa femme d’aucunes choses de
la succession.1II est évident, en effet, qu’on ne ferait
pas un legs particulier à celui qu’on aurait voulu saisir
de toute la succession.
1605. — Enfin, une des conséquences les plus impor
tantes delà simple fiducie, c’est qu’elle n’est pas éteinte
par le décès, avant l’époque de la restitution, de celui qui
est appelé à eu recueillir le bénéfice. Ce bénéfice passe
de plein droit sur la tête de ses héritiers légitimes.1
C’est surtout en vue de ce dernier effet que, sous
l’empire des législations permettant les substitutions, la
question de savoir s’il y avait simple fiducie avait une
véritable, une réelle importance. Aussi les jurisconsul
tes s’en étaient-ils vivement préoccupés, en cherchant
1 Loco citalo , p. 246; — Boniface, t. v, p. 244, n° 12.
> Y. 1,3, § 3, Dig. De u su ris-, 1. 46 et 78, A d sen atusco ns.
lianum.
Tretiel -
�DU DOL ET DE LÀ FRAUDE.
399
à déterminer à quels caractères on devait reconnaître
celle-ci.
1604. —■ Jacobus Cancerius, célèbre avocat de la pro
vince de Catalogne, qui avait, au témoignage d’Henrys,
parlé de l’héritier fiduciaire plus amplement qu’aucun
autre, exigeait, comme marque infaillible de la fiducie:
1° que celui à qui l’hérédité devait être rendue fût en
fant du testateur, auquel il soit par conséquent présumé
avoir voulu laisser ses biens plutôt qu’à la mère ou qu’à
son frère ; 2° que cet enfant fût en bas âge et tel que le
père ait voulu le laisser plutôt sous la charge d’un ami
que d’un tuteur; 5° que cet ami fût une personne proche
et capable du soin que le testateur lui déférait; 4° enfin
qu’il fût chargé de rendre et restituer toute l’hérédité ,
et que par là le testateur ait fait voir qu’il n’entendait
pas que cet héritierfiduciaire se prévalût des biens qu’il
lui commettait. '
1605. — C’était là une proposition fort contestable
et fort contestée. Que la réunion de ces circonstances
fît présumer la fiducie, c’est ce qu’on pouvait admettre
jusqu’à un certain point ; mais qu’elle dût en faire pro
noncer infailliblement l’existence, c’est ce qui n’était
pas possible d’admettre en l’état du silence gardé sur
l’époque de la restitution. En effet, l’institution fidéi
commissaire entraîne, elle aussi, l’obligation de rendre
l’entière hérédité. Aussi ne voyait-on et ne pouvait-on
‘ Henrys, liv. 3, quest. 23, n° 6.
�400
TRAirK
voir dans cette obligation nne preuve de fiducie que
lorsque , avec la restitution du capital, le grevé devait
restituer les fruits; ou lorsque l’exécution de l’obliga
tion de restituer avait été fixée à une époque déterminée.'
A défaut de l’une ou de l’autre de ces circonstances, et
lorsque cette exécution ne devait se réaliser qu’à la mort,
toute idée de fiducie disparaissait. C’est ce qu’avait ad
mis le parlement de Toulouse.
Mais ce qui était bien plus contestable encore , c’é
tait de ne reconnaître la fiducie qu’en tant, par exem
ple, qu’il s’agissait de l’enfant du disposant. Ce que
celui-ci pouvait vouloir pour ses enfants, il était dans
le cas de l’exiger pour toute autre personne qu’il jugeait
digne de son intérêt et de son affection. Ainsi les espè
ces citées par les lois 46 et 78, Digeste Ad senalusconsullum Trebellianum, et dans lesquelles il est décidé
qu’il y a fiducie, présentent précisément cette circons
tance que, dans la première, l’appelé n’avait aucune re
lation de parenté avec le testateur; que, dans la deuxiè
me, il n’était que son élève.
D’autre part, la charge résultant d’une fiducie ne
peut être confiée qu’à un homme sur la délicatesse, sur
la loyauté duquel le testateur puisse compter. Comment
donc son choix serait-il restreint à sa propre parenté,
même lorsqu’il ne la croirait pas digne de sa confiance?
1606. — II était donc impossible, en pareille ma
tière, de tracer une règle uniforme et absolue, et puis
que, suivant Henrys lui-même, ce qu’il faut considérer
dans les dispositions de cette nature, c’est plutôt l’inten-
�"/ ('
Ül! D0L ET DE LA EI1AUDE.
40Î
lion que les paroles, il faut s’en référer à la règle que
Montvallon rappelle en ces termes : « Que la fiducie
« doit se connaître par les termes du testament et la
« volonté présumée du testateur, surtout quand il pa« raît que l’institution a lieu pour conserver l’hoirie à
« un enfant, à un pupille ou à celui qui est en bas âge,
;« et que le testateur a déterminé un temps préfix
« pour la restitution de l’hoirie et le compte des fruits,
i comme, par exemple, la fin de la minorité. ‘ »
1607. — Sous l’empire du Code, la fiducie est de
meurée ce qu’elle était dans l’ancienne législation, c’està-dire un fait parfaitement légal et valable. L’article 896
ne saurait l’atteindre, parce que, eu réalité, elle ne ren
ferme pas la double institution qui a fait prohiber les
substitutions, parce que le grevé n’est qu’un dépositaire,
qu’un administrateur jusqu’au moment où, l’époque de
la restitution arrivant, il se démettra entre les mains de
l’appelé ; parce qu’enfin ce dernier, saisi par la mort de
son auteur, a seul eu depuis ce moment la propriété et
môme la jouissance, puisque les fruits perçus devront
lui être restitués, à moins d’une disposition contraire,
formellement exprimée dans le testament.
11 est évident dès-lors que les héritiers légitimes, frus
trés par le testament, auront intérêt à en faire considé
rer la disposition comme constituant une substitution
fidéicommissaire, plutôt qu’une simple fiducie. Une
pareille prétention amènera la nécessité d’interpréter le
1 Loco cilalo, p. 244.
fl
f |1$
!;
�402
TRAITÉ
testament, de rechercher si l’intention du testateur a
été de favoriser le grevé de préférence à l’appelé, ou
bien si l’institution est spécialement et particulièrement
dans l’intérêt de celui-ci. À ce point de vue, l’aperçu
rétrospectif auquel nous venons de nous livrer a une
incontestable utilité. En effet, les éléments de cette
recherche demeurent tels qu’ils étaient dans l’ancien
droit, c’est-à-dire qu’aujourd’hui comme alors les juges
auront à consulter les termes du testament et les cir
constances de fait propre à fixer d’une manière utile la
véritable intention du disposant.1
4608. — C'est par l’application de cette règle que la
jurisprudence a admis ou rejeté la fiducie dans des dis
positions que les propres enfants du testateur invo
quaient à ce titre. Une espèce jugée par la Cour de
Nîmes nous présente un notable exemple du rejet d’une
prétention de ce genre.
En 1791, décès du sieur Anglas, père de quatre fille
en bas âge, laissant un testament public à la date du
2 mai 1791, par lequel il léguait d’abord à chacune
d’elles une légitime, en les instituant ses héritières par
ticulières. Ensuite, apres avoir légué à sa femme une
pension viagère, le testateur continue : « En tous et
« chacun ses autres biens meubles, immeubles, noms,
« droits, raisons, actions et hypothèques en général,
« en quoi que le tout consiste ou puisse consister de
1 M erlin, v ,a h é r it . fi.d . , n" 5 ;
de Yillargues, n° 134.
Zacchariæ, t. v. p. 246; — Rolland
�« présent et à l’avenir, ledit testateur a fait, institué
« et de sa propre bouche nommé, pour son héritier
< universel et général, Barthélemy Anglas, son frère, à
« la charge par lui de rendre l’hérédité à telle de ses
a quatre filles qu’il jugera à propos; et dans le cas où
« ledit Anglas, sondit héritier, vienne à se marier, il
« sera tenu de faire de suite ladite éviction et nomi« nation, et, dans ce cas seulement, ledit testateur
« donne à sondit frère Barthélemy la somme de 550 fr.
i pour le dédommager des soins qu’il pourrait s’être
a donné pour travailler et entretenir ses biens; pour,
« par ledit Barthélemy Anglas, héritier, ci-dessus
« nommé, jouir, taire et disposer de ses biens et héré-
�40i
TRAITE
et absolue, quelle était la réunion des conditions né
cessaire pour convertir en simple fiducie l’institution
grevée de substitution. Toutefois, lorsque, comme dans
l’espèce, un père, ayant des enfants en bas âge, institue
un proche parent des enfants, à la charge de leur ren
dre, ou à l’un d’eux, son hérédité, la loi déclare que
dans ce cas il y a fiducie, parce que l’intention du père
n’a pas été de déshériter ses enfants; qu’il a seulement
voulu, en instituant héritier un proche parent, créer
un administrateur avec un titre honorable pour l’utilité
de ses enfants ; qu’ainsi les enfants eux-mêmes sont
alors véritablement l’objet de la disposition du testa
teur; qu’eux seuls sont saisis directement de la pro
priété comme héritiers de leur père;
En droit, tels sont incontestablement les effets de la
simple fiducie. Mais était-ce une disposition de ce genre
qu’avait fait Anglas, ou bien n’était-ce pas une substi
tution fidéicommissaire? Telle était la véritable, la seule
question que la Cour avait à résoudre, et qu’elle résout
dans le sens de cette dernière.
Tes motifs de cette solution sont puisés dans le con
texte, dans les termes du testament lui-même. L’héritier
fiduciaire, dit l’arrêt, est celui qtie le testateur a chargé
en l’instituant pour la forme d’administrer la succes
sion, et de la tenir en dépôt jusqu’au moment de la res
titution au véritable héritier ; qu’ainsi il n’est héritier
que de nom; qu’il n’est pas saisi de la succession; que
la propriété des biens du défunt n’a jamais reposé sur
sa tête.
Or, en fait, l’arrêt constate que des termes du testa-
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
405
ment, de l’institution elle-même, des charges dont l’hé
ritier se trouve grevé, des obligations qui lui sont im
posées, résulte une première impossibilité d’admettre
que le testateur n’ait entendu faire qu’une institution
fiduciaire.
Attendu d’ailleurs, continue la Cour, que dans l’es
pèce Barthélemy Anglas n’avait pas été chargé de ren
dre à une époque fixe et déterminée, et que le testateur
lui avait conféré le droit d’élection; que l’ahsence d’un
délai fixé pour la remise de l’hérédité ainsi que la
faculté d’élire étaient regardés comme des caractères
exclusifs de la fiducie, d’après la jurisprudence du par
lement de Toulouse, attestée par plusieurs auteurs re
commandables et par plusieurs arrêts, notamment par
celui du 18 avril 1731, rapporté par M. de Juin, et que
c’est ainsi que l’a jugé la Cour de cassation elle-même,
par son arrêt du 18 brumaire an v, etc.1
1609. — C’est à bon droit que l’arrêt signale celte
double circonstance : défaut de détermination de l’épo
que de la restitution, faculté d’élire. Il aurait pu ajouter
qu’à son tour l’exercice de cette faculté n’ayant pas été
limité pouvait n’être réalisé qu’à la mort du grevé, libre
dès-lors de retenir sa vie durant la jouissance de l’hé
rédité. Les conséquences que la Cour déduit de l’une et
de l’autre sont parfaitement juridiques.
En effet, la fiducie suppose que l’institution actuelle
de celui qu’on veut réellement instituer offre des incon1 Nîmes, 18 mai 1824 ;—D. P., 25, 2, 24.
�■l
406
TU/UTE
vénients contre lesquels le testateur est bien aise de se
précautionner dans l’intérêt de son héritier. Il est donc
rationnel que la mesure, qu’il prend à cet effet, soit su
bordonnée à l’existence de ces inconvénients et qu’elle
cesse avec les causes qui l’ont déterminée. La remise
par le grevé sera donc limitée h un certain temps, à une
époque fixe. C’est ainsi que, dans les espèces citées dans
les lois romaines, nous trouvons l’obligation, lorsque
l’héritier aura atteint sa quinzième, sa seizième, sa
vingtième année ou un âge déterminé, certain œtatem.
Alors, en effet, il sera vrai de dire que le terme stipulé
est en faveur de l’héritier lui-même, condition essentielle
pour qu’on puisse admettre la fiducie.
Cette condition n’existe plus dès que la faculté de
rendre est illimitée, que le grevé est libre de la proro
ger jusqu’à sa mort. Le terme est alors en sa faveur ex
clusivement, c’est lui que le testateur a préféré, même à
son héritier; il n’y a donc plus dès-lors fiducie, mais
bien une vraie substitution fidéicommissaire.
Que sera-ce, si à côté de cette circonstance, vient se
placer celle du défaut de désignation d’un héritier de la
part du testateur; si cette désignation a été laissée au
grevé, sans même qu’aucun terme ait été apporté à la
faculté d’élire? Comment, en présence de pareilles sti
pulations, concevoir la pensée d’une fiducie?Comment
osera-t-on se présenter comme héritier préféré'par le
défunt, alors qu’il n’existe même pas d’héritier. En ef
fet, tant que le grevé n’a pas exercé son droit d’élire,
les enfants mêmes du testateur sont réduits à une simple
espérance, aucun d’eux ne peut agir, parce qu’il n’a pas
�ni: DOL Î5T DE LA FRAUDE.
A01
ia certitude d’être préféré : Nec pelere priusqiiam pnterit, quamdiu alius præjerri polest. C’est [pourquoi,
ajoute Henrys, le fidéicommis est d’autant plus censé
conditionnel, qu’il dépend d’une élection future et incer
taine, qui se peut faire de diverses personnes et dans un
temps incertain ; et partant, pendant cette condition et
dans l’intervalle de l’événement, l’héritier institué et
chargé de rendre ne laisse d’être réputé, comme il l’est,
vrai propriétaire, quoique non incommutable. Car,
comme dit la loi non icleo, Digeste De rei vindicat. : non
ideo minus recte quid nostrum est vindicabimus, quod
abire a nobis dominium speralur si condilio legale ex
lit erit d
Or, si le grevé chargé d’élire est vrai propriétaire
tant qu’il n’a pas fait élection, comment concilier la
clause qui lui donne la faculté de la retarder jusqu’à sa
mort, avec l’idée d’une simple fiducie ne conférant
qu’un droit d’administration. Concluons donc qu’une
clause de ce genre constitue une disposition fidéicom
missaire et non une fiducie.
1610. — Au reste, nous le répétons, il n’y a en
cette matière aucune règle absolue. Comme toutes les
questions de pur fait, la recherche de l’intention du
testateur doit se résoudre par les impressions que le
magislrat reçoit des circonstances spéciales à chaque
litige, il est bien tels et tels éléments qu’on ne doit pas
négliger; mais, sur le tout, la loi ne pouvait que s’en ré
férer à la conscience et aux lumières des tribunaux,
�408
t r a it e
1611- — Si l’existence d’une simple fiducie est re
connue, la disposition est valable. Le testament doit
sortir à effet, en tant cependant que l’appelé ne serait
pas déclaré par la loi incapable de recueillir.
Or la question de capacité ne saurait occasionner le
moindre embarras, si l’appelé était nommément désigné
dans la disposition. La connaissance de son individua
lité décide en même temps de sa capacité.
1612. — Aussi peut-on, sans trop de témérité, pré
voir que celui qui désirera, au mépris de la loi, avanta
ger un incapable, se gardera bien de le désigner dans
le testament. C’est par une voie détournée qu’il tentera
de se soustraire à la prohibition de la loi. Le moyen le
plus communément employé sera le fidéicommis à per
sonne interposée, tacitement chargée de rendre à l’in
capable.
1615. — Si le fidéicommis est exprès, à savoir : si
le testament, contenant un legs en faveur d’une person
ne, charge expressément celle-ci de lui donner la desti
nation entendue, l’interposition de personne est plus
facilement appréciable. L’existence d’un incapable que
le testateur a dû vouloir avantager, les relations que
l’institué apparenta de tous temps entretenues avec ce
lui-ci, sont autant de présomptions pouvant devenir plus
ou moins décisives. L’interposition serait même de plein
droit admise, si l’institué était, par rapport à l’incapa
ble, dans la catégorie des personnes indiquées dans
l’article 911 du Code civil.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
409
Mais ce qui arrivera le plus ordinairement, c’est que
la disposition, en faveur de l’incapable, sera déguisée
sous les apparences d’une donation ou d’un legs pur et
simple, le testateur se taira sur l’obligation de rendre.
L’institution sera en apparence sans condition, mais
l’institué, dépositaire verbal de la volonté de l’insti
tuant, ne sera en réalité que le ministre de cette vo
lonté, en d’autres termes, le fîdéieommis sera tacite.
Celui-ci en effet n’a paseu d’autre but dans l’origine que
le moyen de donnera des personnes que la loi déclarait
incapables de recevoir, et, depuis, il n’a pas failli à cette
mission de fraude.
1614. — « Comme ceux , dit Domat,. qui veulent
« faire des dispositions défendues interposent d’autres
« personnes à qui ils donnent pour rendre à ceux à qui
« ils ne peuvent donner, on appelle fîdéieommis tacites
a ces dispositions secrètes qui, en apparence, regardent
« les personnes interposées et qui en effet, et dans le ,
« secret, sont destinées à ceux à qui la loi défend de
donner. Ces sortes de fîdéieommis sont illicites, de
« même que le serait une disposition où les personnes,
« à qui on ne peut donner, auraient été nommées.1 »
Le même auteur explique l’effet de ces dispositions
illicites, à l’égard de la personne interposée, en ces
termes : « Ceux qui prêtent leur nom à ces fîdéieommis
« tacites, soit qu’ils s’engagent par écrit ou verbale1 Lois civ., liv. 5, seet. 5, nos 5 et suiv. ; — V. Furgoie, des Test.,
cliap. 6, sect. 5.
�4-10
TRAITÉ
a ment, ou qu’en quelqu’autre manière que ce puisse
« être, ils reçoivent à dessein de rendre aux personnes
« a qui le testateur ne pouvait donner, sont considérés
« par les lois comme s’ils dérobaient ce qu’ils peuvent
« recevoir d’une telle disposition, et, loin d’être obligés
« par là de remettre ce qu’ils pourraient avoir reçu aux
« personnes que le testateur avait regardées, ils ne contractent pas d’autres engagements que de restituer
aux héritiers ce qu’ils peuvent avoir reçu à ce titre,
avec les fruits et intérêts même échus avant la demande. »
4
4
4
4
1615. — Cette solution est encore aujourd’hui in
contestable. Donc l’intérêt des héritiers à établir l’exis
tence du fidéicommis tacite est évident. Cette justifi
cation les mettra à même de contraindre la personne
interposée à leur restituer tout ce qu’elle serait appelée
à prendre dans la succession, ou tout ce qu’elle y aurait
déjà pris, mais cette justification n’est pas chose facile.
On pourrait d’autant moins se le dissimuler que si le
fidéicommis tacite peut être établi par écrit, il ne résul
tera souvent que d’une confidence purement verbale.
1616- — H faut donc, en pareil cas, recourir aux
principes généraux, en matière de fraude; à la loi, pour
la solution de la question de savoir quel est le mode de
preuve admissible. La preuve orale doit-elle être ex
clue? Or la solution, à notre avis, résulte de ces prin
cipes généraux et des motifs puissants sur lesquels ils
reposent.
�PC DOL ET
DE
LA FRAUDE.
Exiger la preuve écrite pour le fidéicommis tacite,
c’était formellement renoncer à l’atteindre et permettre
à la fraude de triompher impunément de la volonté
du législateur. Une disposition de cette nature n’exige
aucun écrit, la simple recommandation verbale la cons
titue légalement. Comment donc vouloir un écrit quel
conque , lorsqu’il n’en a été rédigé aucun? Comment
surtout ue pas admettre la preuve orale, lorsque la dis
position n’aura pas elle-même d’autre caractère ?
D’ailleurs, nous l’avons déjà dit, ce mode de preuve
est toujours admissible, lorsqu’il s’agit d’une fraude à
une loi d’ordre public. La partie complice de la fraude
peut elle-même l’invoquer. Or les lois, se référant à la
capacité de recevoir soit par actes entre vifs, soit par
testament, sont essentiellement d’ordre public, donc,
la prétention qu’elles ont étéfviolécs est susceptible
d’être établie par la preuve testimoniale.
C’est au reste ce qui a été toujours admis en doctrine
et en jurisprudence, notamment en ce qui concerne
les dispositions qui nous occupent. Les fidéicommis ta
cites, dit Domat, peuvent se prouver non-seulement
par des écrits, s’il y en avait, mais encore par les autres
sortes de preuves, et cette règle a été admise par les ju
risconsultes modernes
Plusieurs fois saisie de la question, la Cour suprême
l’a constamment décidée dans le même sens. C’est ce
qu’elle j ugeait notamment dans un arrêt du 5 août 1841.
!
il
.1
1 Domat et Furgole, loco citato. ;— V. Rolland de Yillargues, n°348;
—Toullier, t. v, n° 77 Grenier, t. i, n° 136 ;—Favard, y", fidéicom.
Incite.
1 ri
�412
t r a it é
ïl s’agissait, dans l’espèce de cet arrêt, d’un legs fait à
une personne appartenant, en qualité de supérieure, à
une communauté religieuse non autorisée, par un mem
bre de cette communauté. On attaquait ce legs comme
fait, par interposition de personne, au profit de la com
munauté elle-même, et on en demandait en conséquence
l’annulation, comme s’adressant à un être moral sans
existence légale. L’annulation ayant été prononcée par
la Cour de Nîmes, l’arrêt devint l’objet d’un pourvoi en
cassation que la Cour suprême rejeta , sur les motifs
suivants :
« Attendu que l’arrêt attaqué ayant jugé en fait, tant
d’après les actes, faits et documents de la cause, que
d’après l’interrogatoire sur faits et articles de la demoi
selle Couderc, que ce n’était pas celte dernière qui était
en réalité la véritable légataire instituée par la dame
Gallet, mais bien la communauté existant sans autori
sation à la Louvèze, cet arrêt, en tirant ensuite la con
séquence que le legs était nul et caduc, n’a fait qu’ap
pliquer les vrais principes en matière de légataire
incertain et non existant »
.1
1617. — Ainsi, l’existence d’un fidéicommis tacite,
en faveur d’un incapable, peut être établie par la preuve
testimoniale. Mais quels sont les caractères essentiels
de cette preuve? Doit-elle, pour être probante, justifier
que la personne chargée de rendre en a pris l’engage1 J. D. P., t. ii, 1841, p. 558;—V. Cass., 18 mars 1818.
�m
ment verbalement ou par écrit? Suffit-il, au contraire,
qu’elle démontre l’intention du testateur?
H'J r>OL ET DIS LA FRAUDE.
1618. — Cette question était, sous l’empire du droit
romain et de notre ancien droit, l’objet d’une contro
verse parmi les jurisconsultes. Les uns exigeaient que
l’institué eût pris l’engagement de rendre, et voici les
motifs de leur opinion.
La loi 10, Digeste De his quœ ut indig., au/er, ne
laisse aucun doute sur la nécessité de cet engage
ment : In fraudent juris fidem accomodal, quid vel id
quod reiinquùur, vel aliud, tacite promiltit restilulurum se persona, quœ legibus ex lestamento capere
prohibelur, sive chirographum eo nomine dederil, sive
nuda poUicitalione prorniseril. La même exigence se
trouve encore formellement répétée dans la loi 5, Di
geste De jure fisci.
1619. — Ainsi, dit notamment Cujas, le législa
teur ne fait résulter l’indignité du grevé que de l’enga
gement qu’il prend, soit par écrit, soit verbalement,
d’opérer la restitution en vue de laquelle le testateur
l’a institué, et cela est fort rationnel. Qu’importe, au
fond, la volonté plus ou moins certaine du disposant.
Le bénéficiaire ne peut être puni que de sa propre
fraude. Celle-ci ne saurait exister que si, connaissant
celle du testateur, il en a assumé la complicité en s’y.
associant. Comment donc prouver cette complicité, si
1
Sur la loi 5, Dig. De probat.
�414
t b a it é
on ne justifie pas que, connaissant l’intention de ce der
nier, il s’est engagé au moins verbalement à la réaliser?
1620. —• La volonté d’instituer un incapable, di
saient les partisans de l’opinion contraire, étant cer
taine et acquise, le grevé excipant du défaut d’engage
ment de sa part et prétendant retenir la disposition pour
son compte, encourrait l’indignité par un double motif :
d’abord parce qu’il n’aurait pas pour lui la volonté du
testateur, lequel n’a eu pour objet, en l’instituant, que
de favoriser l’incapable. Celte absence de volonté seule
est, en effet, un motif d’incapacité, aux termes de la
loi 12, Digeste De liis quœ ut indig. aufer. ; ensuite,
parce qu’il refuserait de remplir la charge à lui imposée
par le testateur et en considération de laquelle la libé
ralité lui a été faite, et qui était une condition ou une
cause finale qui donnerait lieu à la répétition : Condilione causa dali, causa non secuta. Et comme les fidéicommis n’ont besoin d’aucune sorte de formalité d’écri
ture, ni de témoins, il est indubitable que lorsque le
testateur s’est confié à la bonne foi de son héritier ou
de celui qu’il a chargé verbalement de rendre l’hérédité
ou un effet particulier, le fidéicommis est valable, aux
termes du paragraphe dernier aux Institutes De fideicomm. hæred. et de la loi dernière au Code De jideicom. Ainsi, les successeurs ab intestat prenant la place
du fidéicommissaire incapable, il s’ensuit qu’ils ont le
droit d’obliger le grevé à remplir le fidéicommis, mais
en leur faveur.
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
415
1621. — Ce dernier avis, dit Furgole, me paraît
plus équitable et plus conforme à nos maximes. Il n’est
pas juste, en effet, qu’un héritier ou légataire profite
d’une libéralité dont il n’est pas l’objet et dont il n’est
que le ministre ou le moyen pour la faire passer à un
autre. Il est encore moins juste qu’il tire un avantage
de sa perfidie et que, contre la volonté et l’intention du
défunt, il conserve un bien qui n’était pas destiné pour
lui.
Furgole ajoute : Malgré que depuis l’ordonnance de
1667 on ne puisse plus argumenter des lois dernières
aux Instilutes et au Code avec le même avantage qu’a
vant, on doit cependant tenir que le fidéieommis doit
être annulé par la preuve seule de la volonté du testa
teur de substituer un incapable à celui qu’il institue.
Divers arrêts l’ont ainsi jugé, notamment celui du
juillet 1708, décidant que, pour prouver un fidéicommis ou un avantage indirect entre mari et femme,
il n’est pas nécessaire qu’il y ait preuve par écrit du
fidéieommis, ni même de présomptions qu’il y ait eu
convention entre le testateur et le légataire; qu’il suffit
qu’il y ait des présomptions violentes de l’intention du
testateur.
1
2
1622. — Cette doctrine, admise sous l’empire de
l’ordonnance, ne saurait être répudiée par le Code, qui
n’a fait que consacrer les principes de celle-ci. Consé
quemment, la preuve que la personne nommée dans la
�T11AJT6
disposition n’a pas été colle que le testateur a entendu
et voulu instituer ; qu’elle n’y figure que comme un
prête-nom; qu’en qualité d’intermédiaire, chargé de
transmettre à l'incapable, ferait annuler le testament.
L’intention du lestateur clairement démontrée, à quel
titre le légataire ou l’héritier apparent demanderait-il
le maintien de la disposition?Pour la faire sortir à effet
en faveur de l’incapable. Mais c’est précisément ce que
la loi veut expressément empêcher; pour s’en appliquer
personnellement le bénéfice ? Mais il n’a été institué
que pour la forme et à la condition de restituer, et du
jour où, foulant aux pieds la condition, il tenterait de
s’v soustraire, il ajouterait le vol à la fraude et se cons
tituerait, dès-lors, doublement indigne.
Ce qui est décisif dans les testaments, c’est l’inten
tion qui les a dictés. Celle-ci, justifiée dans le sens d’un
fidéieomrnis en faveur d’un incapable, il importe peu
que l’institué ait ou non un engagement pour la faire
sortir à effet. Cet engagement est de plein droit pré
sumé, par cela seul qu’il est certain que le testateur ne
l’a appelé que comme personne interposée. Cela suffit,
en effet, pour prouver qu’il n’a aucun droit à la chose
léguée, que l’intention du disposant n’a jamais été de
lui donner personnellement.
Conséquemment, l’existence de cette intention est la
chose essentielle et décisive; elle peut et doit être prou
vée par toute sorte de preuves: par documents, par l’a
veu, par la correspondance, comme par témoins et par
présomptions.
�DU
DOL
ET
DE
LA
F K A U D IÎ.
4i l
162ô. — Il n’en est pas ainsi d’une substitution pro
hibée. La preuve de son existence ne peut résulter que
d’un écrit ayant les caractères et les formes d’un acte
de donation entre vifs ou testamentaire. A cet égard, la
doctrine est à peu près unanime. Seul, Merlin, soutient
qu’il doit en être de la substitution fidéicommissaire
prohibée comme du fidéieommis en faveur de l’incapable. Mais ce n’est pas en faveur de son opinion que se
prononce la jurisprudence.
Dans la'substitution, en effet, la première institution
est sérieuse. Son existence est indispensable, puisque
ce n’est qu’après la jouissance de celui qui en est l’ob
jet que l’hérédité doit être restituée. Le testament qui
la renferme est donc régulier; il ne saurait, dans aucun
cas, être querellé de simulation.
Que faut-il donc, si ce testament ne renferme que
cette institution, pour qu’on puisse y voir une substi
tution fidéicommissaire? Prouver qu’à côté d’elle existe
une autre institution, un autre héritier indiqué pour en
recueillir le bénéfice orcline mccessivo ; en d’autres ter
mes, justifier qu’il existe un nouvel et second testa
ment. Or, cette justification ne peut résulter que d’un
acte non-seulement écrit, mais encore revêtu de toutes
les formes exigées pour les actes de dernière volonté.
1
' Zacchariæ, tom. v, pag. 270; — De Villargues, n°s 350 et 551 ; —
Dalloz, v° substitution, pag. 216, nos 3 et 4; — Limoges, Il jan
vier 1841 ; — Cass., 16 mars 1842; — Sirey, 41, 2, 265, et 42, 1,627 ;
—Cass., 18 juin 1833, 22 décembre 1814 ; — Contra, Merlin, v° subst.
fidéicom § 14.
�418
T R A IT E
Donc, la preuve testimoniale est nécessairement impos
sible.
Dans ce cas, dira-t-on, il s’agit cependant d’une
fraude à une loi d’ordre public, ni plus ni moins que
dans le fidéicommis en faveur de l’incapable. Pourquoi
donc une différence aussi radicale dans le mode de
preuve admissible?
Pourquoi? Parce que ce que la loi prohibe dans les
substitutions fidéicommissaires, ce n’est pas, à propre
ment parler, la possibilité d’une transmission des mê
mes biens dans un ordre successif et à des personnes
désignées ou convenues d’avance ; ce qu’elle a voulu
proscrire surtout, ce sont les graves, les nombreux in
convénients qui naissent de l’indisponibilité des biens
grevés de la facilité qu’elles offrent à la fraude contre
les tiers auxquels le grevé aurait affecté les biens osten
siblement en sa possession. Or, supposez une substitu
tion non écrite dans le testament, et cependant fidèle
ment et religieusement exécutée par le grevé, est-ce
que les droits acquis par les tiers sur les biens de l’hé
rédité du chef du grevé et pendant la durée de sa jouis
sance pourront en être atteints? Non évidemment, car
le pacte en vertu duquel la substitution s’opérerait ne
pourrait pas même leur être opposé, et qu’institué par
le grevé, l’héritier de celui-ci ne serait pas même re
cevable à soutenir qu’il tient ses droits de la disposition
qui l’avait institué lui-même.
Au contraire, dans le fidéicommis au profit de l’inca
pable, l’objet de la prohibition de la loi serait constam
ment atteint, si la preuve orale n’était pas admise. D’ail-
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
419
leurs, il ne s’agit plus d’établir l’existence de deux dis
positions distinctes, ce qu’on veut prouver, c’est qu’il
n’y a pas de testament régulier, parce qu’il n’y a pas
d’héritier ou de légataire sérieux, puisque celui qui y
figure comme tel, n’y figure que pour couvrir une in
terposition frauduleuse de personne; qu’il n’est qu’un
prête-nom fictif. En d’autres termes, il s’agit, dans ce
cas, de l’annulation du testament comme irrégulier.
Dans celui de substitution arguée, on veut établir l’exis
tence d’un second testament, tout en respectant le pre
mier, dont il modifie les dispositions. On comprend,
dès-lors, que la preuve orale, admissible dans le pre
mier cas, ne puisse et ne doive pas l’être dans le se
cond. Un testament oral, fût-il certain, ne saurait créer
aucun droit, produire aucun effet.
1624. — Le fidéicommis tacite n’est plus qu’une
fiducie, si celui au bénéfice duquel il est réservé est ca
pable de le recueillir; il doit donc sortir à effet. On peut
faire indirectement ce qu’il est permis de faire d’une
manière directe. Or, des motifs de haute convenance,
l’intérêt et le repos de la famille peuvent empêcher
qu’un testateur nomme publiquement telle ou telle per
sonne qu’il croit cependant devoir avantager. Se con
fiant à un ami, à qui il dévoile ses intentions, il le
charge de les réaliser, il n’y a là rien d’illicite. La ca
pacité de la personne instituée réellement créerait un
obstacle même à toute demande en preuve de l’exis
tence du fidéicommis tacite. En effet, rapportée qu’elle
fût, cette preuve ne pourrait faire annuler la disposi
�tion, et, dès-lors, la demande en serait repoussée par
application de la maxime frustra probalur, quocl pro
bation non relevai.
1625. — Mais ce fidéicommis peut donner nais
sance à une fraude d’un autre genre. L’intermédiaire
chargé de son exécution, oublieux de ses devoirs et
trompant la confiance dont il était indigne, pourrait
vouloir profiter personnellement de la disposition faite
en sa faveur. Celui qui se prétendrait réellement appelé
à en recueillir le bénéfice serait-il recevable à prouver
cette qualité et à établir l’existence du fidéicommis,
même parla preuve orale?
Cette question peut paraître délicate surtout lorsque,
la disposition étant pure et simple, rien dans le testa?
ment ne prouve l’existence d’un fidéicommis. Cepen
dant, comme après tout il ne s’agit pas de créer une
disposition ; que la preuve offerte n’a pas d’autre objet
que d’assurer la pleine et entière exécution de l’inten
tion véritable du testateur, nous adopterions facilement
l’affirmative, par application des principes que nous
avons vu régir la preuve du fidéicommis en faveur de
l’incapable.
D’ailleurs, l’abus que le légataire ou l’héritier pré
tend faire du testament est un véritable dol. Son exis
tence rend la preuve orale admissible, soit en vertu de
l’exception que le dol crée h tous les principes, soit en
vertu de l’article 1348, qui permet d’y recourir lorsque
la partie a été dans l’impossibilité de rapporter une
preuve écrite.
�DU
DOD
ET
DE
LA
FRAUD E.
42i
Mais aucun cloute ne pourrait s’élever sur cette ad
missibilité, si l’intention de ne faire qu’un fidéicommis
était clairement manifestée par le testament. Alors, en
effet, il y a certitude que l’héritier ou le légataire ins
titué est tenu de restituer. Celui qui veut le contraindre
à l’opérer en sa faveur est-il réellement la personne in
diquée par le testateur? Telle est l’unique difficulté à
résoudre ; et comment pourrait-on le faire jamais, si on
ne pouvait recourir à la preuve testimoniale pour la
justification des faits susceptibles d’établir le droit con
testé ?
1626- — C’est par ces considérations que la Cour
de Pau a déclaré cette preuve recevable dans l’hypo
thèse suivante :
Le vicomte de T... rédige un testament renfermant
la clause qui suit : Je lègue à Roger de Vie, mon ami,
francs, payables dans dix ans du jour de mon
décès, et, en attendant le paiement, l’intérêt en sera
exigible à compter de mon décès, exempt de toute re
tenue; voulant que Roger fasse l’emploi du présent legs
tel que je lui ai indiqué et qu’il n’en soit comptable à
personne, prohibant par exprès à mes héritiers et à tous
autres toute réclamation à ce sujet; et audit cas de ré
clamation, je veux que le legs tourne au profit dudit
Roger comme étant à lui fait personnellement, et en cas
que ce dernier vînt à décéder avant l’ouverture dudit
legs, je veux qu’il soit réversible sur la tête de l’abbé
L..., aux clauses et conditions exprimées pour ce qui
concerne ledit Roger, ayant audit L..., mon autre ami,
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fait la même communication d’emploi que celle que j’ai
faite audit Roger.
En 1795 décès du testateur; à cette époque Roger
n’existait déjà plus, et l’abbé L..... était en émigration.
La veuve du testateur, soupçonnant que le legs de
20,000 francs était sans doute destiné à une fille nom
mée Désirée, que son mari, avait fait élever secrètement
chez le sieur Roger de Vie, a fait payer à cette fille une
pension égale aux intérêts du legs.
En 1806, l’abbé L......rentre en France. Il réclame,
soit contre les enfants du testateur, soit contre leur
mère, leur tutrice, le paiement, avec intérêts, du legs
secret de l’emploi duquel il est chargé. La veuve ré
pond qu’elle est prête d’en faire la délivrance, mais elle
exige que les intérêts qu’elle a payés jusque-là à la de
moiselle Désirée soient précomptés. L’abbé L..... ac
cepte cette déduction.
Cependant, et après deux ans écoulés sans qu’aucun
emploi ait été donné au legs, la demoiselle Désirée,
prétendant que c’est elle que le testateur a voulu gra
tifier, en demande le paiement à l’abbé L...... qu’elle
poursuit judiciairement.
Interrogé sur faits et articles, celui-ci répond : que la
demoiselle Désirée est étrangère au legs de 20,000 fr.;
que la mission dont l’a chargé le testateur consiste en
plusieurs emplois secrets ; que le capital de 20,000 fr.
ne lui appartient pas ; qu’il est destiné à tout autre qu’à
lui, mais qu’il n’est pas obligé de nommer la personne
indiquée.
La demoiselle Désirée offre alors la preuve de faits
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
423
tendant à justifier sa prétention, et le tribunal, sans
s’arrêter à diverses fins de non-recevoir proposées par
l’abbé L......, ordonne cette preuve. Ce jugement étant
frappé d’appel, le litige est déféré à la Cour de Pau ; il
était sur le point d’être jugé, lorsqu’une transaction
intervient, en vertu de laquelle Désirée reçoit 9,000 fr.
Par suite de cette transaction, un arrêt du 24 juillet 1811,
relaxe l’abbé L...... des demandes formées contre lui
par la domoiselle Désirée.
Huit ans après, une autre personne, Rose Hautmont,
se présente comme ayant droit à la moitié du legs de
20,000 francs. A sa requête, l’abbé L..... est de nou
veau interrogé sur faits et articles, et, à la suite de cet
interrogatoire, Rose Hautmont, cotant des faits justifi
catifs de sa demande, offre de les prouver par témoins.
L’abbé L......, qui n’avait encore fait aucun emploi
du legs, suit contre la demoiselle -Hautmont le sys
tème qu’il avait d’abord suivi contre la demoiselle
Désirée. En conséquence, il soutient que la demande
est non-recevable : 1° par application de la clause du
testament, prohibant aux héritiers et à tous autres
toute attaque contre sa disposition ; 2° par application
des ordonnances de 1667 et 1735, exigeant que les dis
positions de dernière volonté ne puissent être établies
que par écrit.
Mais le tribunal de Pau repousse ces deux fins de
non-recevoir et admet la preuve. Nous allons transcrire
quelques-uns des motifs du jugement. Après avoir
rappelé un à un tous les incidents de l’instance suivie
en 1808 par la demoiselle Désirée, le tribunal continue:
�« Attendu que ces faits doivent porter la justice à
suspecter de plus en plus la bonne foi de l’abbé L......,
si l’on se rapporte à ses réponses dans le premier inter
rogatoire, à savoir : que Désirée n’avait aucun droit aux
20,000 francs légués, et que s’il n’avait pas fait les em
plois par lui prétendus, il en avait été empêché par ellemême; que l’abbé L......est loin d’avoir répondu d’une
manière satisfaisante à des contradictions qui ne doi
vent pas être sans influence sur le rejet ou l’admission
des preuves, si, examinant sa conduite ultérieure, on
ne voit pas en lui plus de fidélité ou d’empressement à
exécuter le mandat verbal que lui donne son ami.;
Qu’il aurait déjà, en 1808, selon sa réponse, accom
pli la volonté du testateur sans la demande indiscrète
de la demoiselle Désirée; interrogé, néamoins, douze
ans après, le 12 mars 1820, s’il a fait le paiement du
résidu du legs, il répond qu’il doit rendre encore une
grande partie de la somme ; il ne dit rien des intérêts
qu’il paraît avoir tournés à son profit ; il ne prétend
point en avoir fait le paiement à qui que ce soit, pas
plus que du capital ; que la volonté du testateur n’est
donc pas encore remplie puisqu’un seul emploi n’est
pas encore fait, quoique, d’après le sieur abbé L..., la
somme léguée eût pour objet plusieurs emplois divers;
« Qu’il résulte de toutes ces circonstances et autres
faits contenus dans les interrogatoires et autres pièces
du procès, que l’abbé L......paraît avoir été infidèle à
son mandat ; qu’il paraît n’avoir nullement exécuté les
intentions ni la volonté du testateur, intention qui de
vait être d’autant plus sacrée pour lui, qu’elle fut en-
�DO DOL ET DE LA FRAUDE.
425
tièrement confiée à sa bonne foi et à son honneur ; qu’il
est donc en présomption de fraude ; et qu’il résulte assez
clairement de ce qui précède que l’exécuteur testamen
taire semble vouloir faire tourner à son profit le résidu
de la somme léguée, comme il fit précédemment tous
ses efforts pour priver la demoiselle Désirée d’une somme
que l’événement prouva lui être légitimement due;
« Attendu qu’il est de principe que personne ne
peut tirer avantage de son dol, que ces présomptions
de fraude demeurant, il faut examiner en point de droit
si les preuves offertes ne peuvent être admises sous ce
rapport ;
« Qu’il ne saurait y avoir le plus léger doute à cet
égard, parce que, toujours, la prohibition des preuves
orales èlisparaît, lorsqu’on allègue le dol et la fraude et
que des présomptions suffisantes paraissent les établir. »
Examinant ensuite l’objection tirée des termes de
l’ordonnance de 1755 et de l’article 1541 du Code
civil, le jugement déclare qu’on ne doit pas s’v arrêter,
attendu que la preuve offerte n’a pas pour objet de
prouver contre le titre ; qu’elle ne tend qu’à justifier la
destination affectée au legs par le testateur lui-même,
affectation dont la demanderesse n’avait pas été à
même de se procurer une preuve écrite, ce qui la pla
cerait dans le cas d’exception prévu par la loi.
L’abbé L...... se pourvut par appel contre ce juge
ment ; mais vainement. La Cour de Pau le confirma
avec adoption des motifs.1
�.
426
TRAITÉ
1627. — L’arrêtiste indique, comme professant une
doctrine contraire, un arrêt de la Cour de cassation du
28 décembre 1818. Mais il suffit de jeter un coup d’œit
sur l’espèce de cet arrêt pour être convaincu qu’il ne
saurait de près ni de loin infirmer celui que nous ve
nons d’indiquer. En effet, la question soumise à la
Cour suprême était celle de savoir si les contradictions
entre les dispositions testamentaires, si leur ambiguïté,
peuvent être expliquées ou dissipées par la preuve tes
timoniale. La Cour consacre la négative : Attendu que
s’il se rencontre dans le testament des dispositions soit
obscures, soit ambiguës, soit contradictoires et incon
ciliables , il appartient aux tribunaux d’interpréter les
premières ou de déclarer les dernières nulles et comme
non écrites; mais que, soit qu’il y ait lieu à interpréta
tion, soit qu’il faille déclarer nulles les dispositions qui
se détruisent respectivement, l’un ét l’autre de ces cas
sont dans les attributions exclusives des juges saisis de
la contestation; que c’est dans l’acte lui-même, d’apres
leurs lumières et leur conscience, qu’ils doivent puiser
les raisons de décider, et non dans la déposition de
témoins, même sous le prétexte d’un commencement
de preuve par écrit; qu’en effet depuis l’ordonnance
de 1735, dont les principes ont passé dans le Code civil,
la loi n’admet la preuve testimoniale ni pour créer des
dispositions qui ne sont pas écrites dans le testament,
ni pour expliquer celles qui sont obscures, ni pour ré
voquer ou modifier celles qui sont rédigées dans les
formes prescrites, ni, en un mol, pour rechercher la
volonté du testateur.
■
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
427
Or, demander à. prouver qu’on est l’objet du fidéicommis résultant du testament, ce n’est pas vouloir
créer une disposition non écrite, ni expliquer une dis
position obscure, ambiguë ou contradictoire, ni provo
quer la révocation d’aucune d’elles, ni enfin rechercher
l’intention du testateur, clairement indiquée par le tes
tament; c’est, en réalité, faire restituer à cet acte l'exé
cution légitime qu’il doit recevoir, c’est enlever à un
intermédiaire indiqué un avantage qui ne lui a jamais
été déféré, c’est vouloir justement se soustraire à une
dénégation frauduleuse et dolosive qu’un sordide, qu’un
impie intérêt ose inspirer. Conséquemment, ce qui
serait illégal serait le refus de la preuve testimoniale,
sans laquelle la mauvaise foi et la déloyauté les plus in
signes usurperaient des droits apartenant à autrui.
Rendue dans cette dernière hypothèse, la décision
de la Cour de Pau ne rencontre aucune contradic
tion dans l’arrêt de la Cour de cassation du 28 décem
bre 1818.
1628. — L’action en nullité d’une substitution pro
hibée ou d’un fidéicommis en faveur d’un incapable,
que les héritiers refuseraient ou négligeraient de pour
suivre, pourrait être exercée par leurs créanciers. Ce
refus constituerait une véritable renonciation au pré
judice de ceux-ci. Ils pourraient donc, en vertu de
l’article 1166, se faire subroger à leur débiteur et faire ce
qu’il ne voulait pas faire lui-même. Ils pourraient aussi,
en vertu de l’article 1167, attaquer en leur nom la
transaction par laquelle l’héritier abandonnerait, en
�428
TRAITE
fraude de leurs droits, tout ou partie de la succession,
soit au substitué, soit à l’incapable. Mais la nullité n’en
serait jamais prononcée que jusqu’à concurrence des
dettes.
1629.
— L’action en nullité d’une substitution
prohibée ou d’un fidéicommis en faveur d’un incapable
constitue une véritable pétition d’hérédité. De là les
deux conséquences suivantes :
1° L’obligation de rendre la chose entraîne celle de
restituer les fruits. Indépendamment de la mauvaise
foi du possesseur évincé, ce résultat a pour fondement
cette règle qu’en matière de succession surtout les
fruits s’unissent et s’incorporent à la chose et qu’ils
sont considérés comme l’hérédité elle-même : Fruclus
augeut hœreditatem ;
2° La seule prescription applicable est celle régis
sant la pétition d’hérédité, c’est-à-dire celle de trente
ans.
1630- — Nous avons déjà dit que la répudiation
d’une succession ou d’un legs, au préjudice des créan
ciers du renonçant, les autorisait à faire annuler la ré
pudiation et à accepter au lieu et place de leur débi
teur.1Ce que nous avons dit des successions et legs en
général, s’applique au cas où le droit répudié est un
simple droit d’usufruit. Rien, en effet, ne pouvait faire
qu’il n’en fût pas ainsi.
1 V. s u p n° 1561.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
429
L’usufruit constitue évidemment un droit utile nonseulement pour celui qui est appelé à en jouir, et dont
il augmente ainsi les ressources, mais encore pour les
créanciers auxquels il offre un surcroît de garanties.
Celui qui le répudie aliène donc une propriété que les
créanciers ont intérêt à conserver en sa possession. Ils
devaient donc, comme dans tous les autres cas, être
appelés à se défendre contre une injuste et préjudi
ciable spoliation. Cette faculté leur est au reste con
cédée en termes formels par l’article 622 du Code civil.
La renonciation à un usufruit se place donc sur la
même ligne que celle à une succession, à un legs quel
conque. Dès lors les règles tracées pour l’exercice du
droit des créanciers dans l’une et dans l’autre, obéis
sant aux mêmes motifs, doivent arriver à un résultat
identique et recevoir une application commune.
1631. — Il y a pourtant entre ces renonciations
une différence essentielle qu’il convient de rappeler.
Une succession, un legs, appréhendé qu’il soit, ne peut
plus être répudié. L’usufruitier, au contraire, est libre
de renoncer à son droit à quelque époque que ce soit,
après comme avant sa mise en possession effective, Pt
quelle qu’ait été d’ailleurs la durée de la jouissance.
11 suit de là que cette renonciation est dans le cas de
compromettre d’autres intérêts que ceux des créan
ciers. Il peut se faire, en effet, que des tiers aient léga
lement acquis sur l’usufruit des droits que la renon
ciation pourra plus ou moins frauduleusement com
promettre.
�1652.
Telle serait évidemment la position de
celui qui aurait acquis l’usufruit. De toute certitude, la
vente que l’usufruitier en aurait consentie le placerait
dans l’impossibilité d’y renoncer ultérieurement. Aussi
ne nous occupons-nous de cette hypothèse que pour
indiquer les précautions que l’acquéreur doit prendre
pour échapper aux effets d’une renonciation n’ayant
pas d’autre objet que de lui enlever les droits qu’il a
acquis et payés.
Ces précautions sont indiquées par la nature des
choses. L’acte d’acquisition doit être authentique ou
tout au moins avoir une date certaine avant la renon
ciation. Il faut de plus, et par rapport aux tiers, qu’il
ait été accompagné des formalités auxquelles sont sou
mises les aliénations immobilières.
A défaut d’un titre authentique ou ayant date cer
taine, la consolidation de l’usufruit sur la tête du nupropriétaire serait la conséquence inévitable de la re
nonciation de l’usufruitier. Le titre informe dont l’ac
quéreur se prévaudrait e saurait être un obstacle à ce
résultat avec d’autant plus de fondements qu’en lui ac
cordant un effet contraire, on s’exposerait à consacrer
une fraude. L’usufruitier qui aurait regret à la renon
ciation ’aurait qu’à simuler une vente qu’il daterait
d’une époque antérieure à cette renonciation, et se mé
nagerait ainsi le moyen de recouvrer ce qu’il avait défi
nitivement aliéné.
A défaut de transcription, les inscriptions prises pos
térieurement à la vente grèveraient utilement l’usu
fruit, pour dettes antérieures, si cette vente était au11
11
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
431
thentique ou si elle avait acquis date certaine; pour
dettes mêmes postérieures, si la date de l’acte n’avait ni
authenticité ni certitude.
1653. — L’usufruit pouvant être vendu, peut égale
ment être engagé. Il est également certain que, dans ce
dernier cas, les droits du créancier seraient sur la même
ligne que ceux de l’acquéreur. Toute renonciation ulté
rieure resterait sans effet et de nulle valeur tant que
l’antichrésiste n’aurait pas été intégralement remboursé
de ce qui lui est dû.
1654. — Ce qui ne peut être fait au mépris des droits
de l’acquéreur ou de l’antichrésiste ne saurait l’être au
préjudice des créanciers hypothécaires ou cédulaires ,
devenus tels dans l’intervalle qui s’est écoulé depuis
l’acceptation de l’usufruit jusqu’au moment de la renon
ciation. L’affectation résultant, dans les deux premiers
cas, de la convention des parties, résulte, dans le der
nier, de la loi elle-même, exigeant que l’intégralité de
l’actif du débiteur devienne le gage des créanciers.
Comme dans toutes les autres circonstances, l’action
Paulienne est, dans notre hypothèse, introduite surtout
dans l’intérêt des chirographaires. Ce n’est, en effet,
que par son exercice qu’ils pourront obtenir leur paie
ment, tandis que les créanciers hypothécaires sont dans
le cas de trouver dans leur qualité même le moyen de
se passer de son secours.
1635. —- Dans la poursuite de l’action révocatoire,
�il convient de s’attacher d’abord an caractère de la re
nonciation. Ses effets varient selon qu’elle a été faite à
titre gratuit ou à titre onéreux.
La première, constituant une pure libéralité, est, en
vertu des principes généraux que nous avons déjà rap
pelés, de plein droit présumée frauduleuse, non-seule
ment contre son auteur, mais encore contre le tiers ap
pelé à en recueillir le bénéfice. Elle doit donc être an
nulée, quelle que soit la bonne foi de ce dernier.
La seconde, au contraire, est une véritable vente, un
rachat de la jouissance à prix d’argent. Elle ne pourrait
donc être annulée, alors même que la preuve de la
fraude serait acquise contre le renonçant, que s’il était
établi que le bénéficiaire a connu cette fraude et s’y est
volontairement associé. Sa bonne foi ferait maintenir
l’acte, car sa condition étant égale à celle des créan
ciers, il serait injuste de le constituer lui-même en perte
pour procurer un avantage à ceux-ci.
1636. — Nous n’avons pas à revenir sur les condi
tions de la recevabilité de l’action revocatoire, sur les
objections que son exercice peut soulever. Les principes
généraux que nous avons exposés reçoivent ici leur
pleine et entière exécution. Nous les résumons seule
ment, pour la matière spéciale qui nous occupe, dans
les propositions suivantes :
1° Tant que la renonciation n’est pas convertie en
contrat, les créanciers peuvent l’empêcher en exerçant
les droits et actions de leur débiteur, et en se faisant
autoriser à accepter en son lieu et place;
�DU DOD ET DE LA FRAUDE.
433
2° La renonciation consommée par les formalités lé
gales peut être attaquée par les créanciers comme faite
au préjudice de leurs droits, et être révoquée en ce qui
les concerne ;
3° Si la renonciation a été consentie à titre gratuit, et
qu’elleait rendu le renonçant insolvable, elle est de plein
droit présumée frauduleuse à l’égard de toutes les par
ties, et, comme telle, annulée en faveur des créanciers;
4° Si elle a été faite à titre onéreux et que le nu-pro
priétaire ait racheté le droit d’usufruit, les créanciers
sont recevables à quereller l’acte de rachat, mais ils ne
peuvent Je faire annuler qu’en justifiant la collusion et
la fraude de toutes les parties;
5° Si l’usufruit a été aliéné à titre de constitution
dotale, son abandon ne saurait êlré révoqué que si les
époux avaient connu et partagé la fraude du constituant;
6° Enfin, si à l’époque de la renonciation l’usufruitier
avait, dans ses autres ressources, le moyen de satisfaire
ses créanciers, le bénéficiaire ne pourrait être privé de
l’avantage qu’il en a recueilli. L’insolvabilité du débi
teur n’étant que la conséquence d’événements subsé
quents, la renonciation conserverait son caractère, il
serait impossible de la considérer comme faite au pré
judice des créanciers, puisqu’en fait, au moment où elle
s’accomplissait, leurs droits n’en étaient nullement at
teints.
1637. — La renonciation que le père ferait à l’usu
fruit des biens de ses enfants peut-elle être attaquée par
l’action Paulienne?
�A3&
TRAITÉ
La question ne saurait être douteuse, s’il s’agissait
d’un usufruit ordinaire, soit que cet usufruit ait été ré
servé par le père vendant ou donnant à ses enfants, soit
qu’il ait été imposé comme charge d’une disposition
faite en leur faveur par un parent ou un étranger. Dans
l’un et l’autre cas, cet usufruit, ne devant s’éteindre
qu’à la mort du père, constituerait une véritable pro
priété sur laquelle les créanciers ont dû compter.
La renonciation du débiteur ayant pour but de leur
enlever toute garantie, se trouverait par cela même sou
mise à toutes les recherches que ce résultat autorise, et
notamment à l’action révocatoire ouverte par l’arti
cle 622.
Mais la question devient plus délicate lorsqu’il s’agit
de l’usufruit que la loi confère au père sur les biens de
ses enfants mineurs. Il est certain qu’il existe entre cet
usufruit et l’usufruit conventionnel des différences tel
les, qu’elles peuvent inspirer le doute.
Ainsi, quant à sa durée, l’usufruit légal ne s’attache
pas à la personne du père; il cesse dès que les entants
ont atteint leur dix-huitième année. Ainsi encore, com
me corrélative au droit du père, existe pour lui l’obli
gation de prélever, sur cet usufruit, les sommes néces
saires pour fournir aux aliments, à l’entretien et à l’é
ducation des enfants.
Conséquemment, si la renonciation enlève au père
un droit, elle l’exonère également d’une obligation.
Elle n’est donc pas consentie à titre purement gratuit.
Elle participe incontestablement de la dation in soin-
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
435
tum et peut, sous ce rapport, être assimilée à l’aliéna
tion à titre onéreux.
Ce qui doit s’induire de ces caractères, c’est non
pas que la renonciation à l’usufruit légal soit affranchie
de l’action révocatoire, les termes généraux de l’ar
ticle 622 proscrivant cette solution, mais que cette ac
tion doit être très.difficilement admise ; qu’il n’y a mê
me lieu à présumer la fraude à l’endroit du père que si,
du rapprochement du revenu qu’il abandonne et des
charges qui le grèvent, il naît une disproportion telle
ment choquante, qu’on ne puisse expliquer cet abandon
que par le désir de se soustraire aux conséquences de
sa position obérée.
Dans tous les cas, l’annulation de la renonciation ne
confère aux créanciers d’autres droits que ceux que le
père pourrait lui-même exercer. Conséquemment, en
ce qui concerne l’usufruit légal, la jouissance par les
créanciers reste soumise à l’obligation de fournir à la
nourriture, à l’entretien et à l’éducation des enfants.
En regard de ceux-ci, on devrait faire déterminer, soit
par le conseil de famille, soit par la justice elle-même,
une somme suffisante pour remplir ce triple objet et
dont le prélèvement s’opérerait sur les revenus annuels.
1658. — Nous l’avons déjà bien souvent répété, on
ne peut faire indirectement ce qui ne peut pas être fait
directement. Or, pour le père, émanciper ses enfants,
c’est renoncer à l’usufruit légal dont la cessation se
réalise par la seule force attachée à cet acte. Les créan
ciers ainsi frustrés pourront-ils quereller l’émancipa-
�436
iKiffi
;m
: *i»i
TRAITÉ
lion et en demander la révocation comme faite au pré
judice de leurs droits?
Cette question était l’objet d’une vive controverse
sous l’empire de notre ancien droit. Cependant la juris
prudence du parlement de Paris l’avait résolue néga
tivement.
Cette décision était d’autant plus remarquable, que
l’opinion contraire pouvait, à cette époque, invoquer
de graves et puissants motifs; que la fraude était plus
imminente, et que ses conséquences étaient de nature
à occasionner un préjudice très considérable. En effet,
en vertu des principes empruntés au droit romain, in
dépendamment de ce que l’usufruit légal ne cessait
qu’à la mort du père, celui-ci avait le droit d’éman
ciper ses enfants à tout âge. La cessation de l’usufruit
enlevait donc aux créanciers des ressources certaines,
dont la perte était de nature à rendre leur paiement im
possible.
Il n’en est plus ainsi aujourd’hui : d’une part, l’usu
fruit légal du père est éteint par cela sepl que les enfants
sont parvenus à leur dix-huitième année; de l’autre, il
ne peut y avoir d’émancipation que lorsqu’ils ont quinze
ans révolus, c’est-à-dire à une époque tellement rap
prochée de celle de la cessation forcée de l’usufruit, que
son abandon perd nécessairement beaucoup de son im
portance et de sa nocuité.
On doit donc, par une supériorité de raisons incon
testable, résoudre encore la question dans le sens que
le parlement de Paris avait consacré, ce qui est d’ail-
�DU DOr. ET DE LA FRAUDE.
437
conséquences anormales qu’entraînerait le système con
traire.
Le droit d’émanciper est un des attributs de la puis
sance paternelle. Celle-ci ne cesse pas d’être l’apanage
exclusif et personnel du père, sans que les créanciers
puissent jamais s’immiscer dans l’exercice qu’il jugera
à propos d’en faire, La faveur que méritaient ces der
niers s’arrête devant l’intérêt de la famille et l’inviolabi
lité du secret de sa position. Celte inviolabilité ne serait
plus qu’un vain mot, si les motifs, qui ont déterminé
l’émancipation, devaient être exposés aux créanciers et
pouvaient être discutés par eux. La liberté des enfants
serait donc enchaînée parles dettes du père qui, contrairementà la volonté expresse du législateur, ne serait
plus l’arbitre souverain et exclusif de la nécessité et de
l’opportunité de l’émancipation.
D’ailleurs la fraude ne peut résulter d’un fait que la
loi elle-même autorise. Le père émancipant ses enfants
après l’âge requis ne fait qu’user d’un droit qui lui ap
partient, sans conditions, dont l’existence connue des
créanciers a pu leur faire prévoir l’exercice. Us ne se
raient donc pas recevables à le quereller, et à préten
dre ainsi se soustraire à une chance qu’ils ont sciem
ment et volontairement courue.
1639. — Mais cet effet de l’émancipation ne pourv
rait être acquis que par la réalisation de l’acte d’éman
cipation. A son défaut, l’usufruit a profité au père,
qui ne peut, même dans le compte tutélaire, rapporter
à ses enfants les fruits qu’il avait perçus avant leur dix<-
�138
T R A IT E
huitième année. Devant un pareil acte, les créanciers
du père sont recevables h quereller le compte tutélaire,
et à faire annuler la renonciation à l’usufruit légal qui
en résulterait, alors surtout que cet acte mettrait leur
débiteur dans l’impossibilité de les paver eux-mêmes.
Il en serait de même si, après l’émancipation, le père
prétendait tenir compte à ses enfants des fruits perçus
jusque là. Cette prétention, constituant une pure libé
ralité , donnerait naissance à l’action révocatoire des
créanciers.
1640. — Ainsi, par rapport aux créanciers, la re
nonciation à l’usufruit peut devenir la matière d’une
action en révocation. Qu’en est-il à l’égard des suecesr
sibles? Pourraient-ils exiger, de celui d’entre eux qui a
profité de cette renonciation, le rapport des avantages
qu’il en a retiré?
Cette difficulté est tranchée par les principes régis
sant les rapports entre cohéritiers. Ce que chacun d’eux
est tenu de réunir à la masse, c’est le fond reçu, c’est
le capital transmis, mais jamais la jouissance réalisée
durant la vie de l’auteur commun. C’est ainsi que l’ar
ticle 856 déclare que les fruits et intérêts des choses sut
jettes à rapport ne sont dus qu’à compter du jour de
l’ouverture de la succession.
Conséquemment, si l’auteur commun abandonnait la
jouissance de tous ses biens à un de ses successibles ,
celui-ci ferait incontestablement les fruits siens tant que
la succession ne serait pas ouverte. Ce qui est licite
pour cette universalité ne saurait pas ne pas l’être pour
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
439
l’avantage restreint résultant de la renonciation à l’usufruit sur les biens du successible lui-même. C’est, au
reste, ce qui était formellement consacré par l’ancien
droit.1
1641. — Le legs ou le don d’un usufruit est de na
ture à créer des fraudes, soit contre l’usufruitier, soit
contre le nu-propriétaire, soit contre les créanciers ré
ciproques. Nous allons nous en occuper dans le para
graphe suivant. *
§ III;
— D ES D O N A T I O N S .
SOMMAIRE.
1642. Origine et caractère de la donation.
1643. Nécessité qu’elle procède d’un consentement réfléchi
et libre. Conséquences.
Incapacités qui en naissent.
1645. Liberté illimitée qu’ont les époux de se donner par
contrat de mariage. Causes qui l’ont fait admettre.
1646. Première exception à cette règle. Droit des créanciers.
1647. Deuxième exception. Droit des enfants issus d’un pré
cédent mariage. Ses fondements.
1648. Troisième exception. Droit des ascendants.
1649. Suspicion qui s’attache aux donations entre époux fai
tes pendant la durée du mariage.
1644. Motifs des restrictions apportées au droit de donner.
' L. 6, § 2, Cod. de Bonis quœ liberis.
* Infra, nos 1706 et suiv.
�MO
T R A IT E
1650. Doctrine du droit romain et de notre ancienne juris
prudence.
1651. Révocabilité absolue consacrée par le Code.
1652. Peut être exécutée par la femme, sans autorisation de
son mari ou de la justice.
1653. Sont-elles révoquées par survenance d'enfants ?
1654. Formes de l’acte revocatoire. Dissentiment avec M.
Duvergier sur l’effet de l’article 2 de la loi du 21
juin 1843.
1655. Véritable caractère de la donation entre époux faite
pendant le mariage. Doctrine et jurisprudence.
1656. Prohibition de tout don mutuel et réciproque!
1657. Y a-t-il don mutuel et réciproque lorsque les époux
vendant un immeuble de la communauté en laissent
le prix à rente viagère, qu’ils déclarent réversible ,
en tout ou en partie, sur le survivant?
1658. La donation indirecte n’est valable que si elle se ren
ferme dans les limites des articles 1094 et 1098.
Caractères de ces deux dispositions.
La vente ne peut pas être d’un grand secours pour les
éluder.
Secus de la reconnaissance d’une dot fictive ou de la
quittance de celle non reçue.
1661. De la fausse évaluation donnée au mobilier des époux.
1662, De la dissimulation du prix des propres aliénés.
1663. Il y a donation indirecte dans l’adoption du régime de
la communauté, en cas d’inégalité dans l'apport
respectif.
Effets de cette adoption soit légale soit conventionnelle, vis-à-vis des enfants d’un premier lit.
La réduction ne s’opère que sur le capital. Les revenus
tombent en communauté.
Faculté qu’ont les époux de se faire des donations dé
guisées ou par personne interposée. Cas dans les
quels cette interposition est présumée de droit.
C’est, par l’état des choses au moment de la donation
que la question.d’interposition doit être appréciée.
Les ascendants sont-ils compris dans la catégorie des
personnes présumées interposées ?
�DU
DOL
ET
DIS
LA
44{
F lt A U D E .
1669. Faculté de prouver, dans tous les cas, l’interposition
de personne.
1670. Effet de la donation résultant d'un fidéicommis tacite.
1671. Résumé.
1672. Reproche adressé à l’article 1094, à propos de la ré
serve des ascendants.
1673. La quotité disponible ne se détermine qu’à la mort du
donateur. Toute action en nullité ou en réduction
est donc irrecevable pendant sa vie.
1674. Arrêt de la Cour de Grenoble soumettant un prétendu
donataire à donner caution sur la demande des en
fants.
1675. L’époux donateur n’est pas admissible à quereller la
donation de simulation.
1676. La donation indirecte, faite au mépris de l’article 1099,
est réductible.
1677. La donation déguisée ou faite par personne interposée
est nulle. Controverse à ce sujet.
1678. Motifs donnés, à l’appui de l’opinion contraire, par
MM. Duranton, Vazeilles et autres jurisconsultes.
1679. Réponse de Merlin, Grenier, Toullier et Delvinçourt.
1680. L’opinion consacrant la nullité absolue est plus con
forme au texte et à l’esprit de la loi.
1681. Jurisprudence conforme de la Cour de cassation.
1682. Arrêts contraires des Cours de Paris et de Bourges.
1683. Conclusion.
1684. Renvoi pour ce qui concerne les incapacités édictées
par l’article 909.
1685. Origine de la réserve légale des descendants et as
cendants.
1686. Qualité de cette dernière.
1687. Comment se calcule celle des enfants. Faculté de dis
poser de l’excédant. Exception pour le mineur.
1688. L’indisponibilité de la réserve des articles 913 et 915
n’est pas moins absolue que celle des articles 1094
et 1098.
1689. Droitdes enfants d’attaquer la renonciation faite à une
communauté ou à un legs constituant une donation
ai
•
20
�indirecte. Différence dans la nature et les effets
de l’action et de celle accordée aux créanciers.
1690. Peut-on cumuler les quotités disponibles des arti
cles 913 et 1094.
1691. Conséquences de l’indisponibilité à l'endroit des dona
tions indirectes. Actes pouvant les constituer.
cessible direct à rente viagère, à fonds perdu ou
sous réserve d’usufruit.
1693. Exception que l’article 918 introduit à la règle qu’on ne
peut traiter sur succession future. Dangers qu’elle
présente-.
1694. La présomption de libéralité n'existerait pas si la vente
à fonds perdu ou sous réserve d'usufruit a été faite
à un collatéral.
1695. L’action en réduction ou en nullité appartenant aux
réservataires peut être exercée par leurs créanciers,
mais non par les légataires.
1696. Excepté pour les libéralités faites aux enfants naturels
ou incestueux.
1697. Nature du droit que les uns et les autres sont appelés
à exercer dans les successions.
1698. Fraudes dont la donation régulière, sous le rapport de
la capacité des parties, peut être l’occasion.
1699. Supposition de part. Ses conséquences.
1700. Légitimation, par mariage subséquent, de l’enfant
d'autrui.
1701.. Peut-elle être contestée? Négative soutenue par M.
Chardon. Réfutation.
1702. Arrêt de Bordeaux pour i’aflirmative.
1703. La survenance d’enfants peut être le résultat de l’adul
tère personnel de la femme ou concerté entre les
époux. Effets.
1704. La faculté d'aliéner lesbiens qu’il s’est réservé peut
devenir, pour le donateur , un moyen de diminuer
l’émolument de la donation.
1705. Droit du donataire de contester la sincérité des alié
nations.
1692. Présomption qui s’attache aux ventes faites à un suc
�DU D O L E T D E L A F R A U D E .
443
1706. Fraude résultant de l’abus de jouissance, lorsque le
donateur s’est réservé l’usufruit.
1707. La négligence mise à la conservation du fonds est as
similée aux dégradations.
1708. Caractère que cette négligence pourrait prendre à
l’endroit des créanciers de l’usufruitier. Droit de
ceux-ci d’intervenir dans les contestations. Objet
de cette intervention.
1709. Fraude ,constituée par la violation de l’article 614.
Conséquences.
1710. Le préjudice éprouvé par le nu-propriétaire motive
soit la perte absolue de l’usufruit, soit la conversion
en une prestation annuelle.
1711. C’est cette conversion qu’on devrait prononcer dans
tous les cas, lorsque l’usufruit n’a pas été constitué
à titre purement gratuit.
1712. Les règles régissant l’usufruitier s’appliquent au père
ayant l’usufruit légal des biens de ses enfants mi
neurs.
1713. L'abandon ou la destitution de la tutelle entraîne-t-il
la perte de l'usufruit légal ?
1714. Fraude résultant de l’aliénation postérieure à la do
nation.
1715. Son importance et ses effets dans les donations auto
risées par les articles 1082, 1084 et 1086 du Code
civil.
1715 (bis). Peut-on valablement déroger à l’article 1083 et
convenir que le donateur s’interdit le droit d’aliéner
à titre onéreux.
1716. Obligation pour le nu-propriétaire d’exécuter les baux
loyalement consentis par l’usufruitier.
1717. Droits des héritiers et des créanciers du donataire,
en cas de fraude du donateur.
1718. Droits de ces derniers, dans l’hypothèse d'une fraude
concertée contre eux par le donateur et le donataire.
1719. La fraude du donataire contre le donateur se résume
dans l’inexécution ou l’ingratitude. Intérêt du pre
mier à l’éviter.
�444
TRAITE
1720. Dangers en résultant pour ses créanciers.
1721. Effets, par rapport à ceux-ci, de la révocation pour
cause d’inexécution des conditions.
1722. Droit que la loi leur confère de l’empêcher, en s’obli
geant ou en garantissant l’exécution. Nature de
leur obligation.
1723. La révocation pour ingratitudè ne saurait être empê
chée par les créanciers. Effet de celle-ci. Consé
quences.
1724. Faits qui la constituent.
1725. Nécessité de la réunion de la matérialité et de la cul
pabilité.
1726. Quels sont les délits prévus par l’article 955 ?
1727. L'article 955 n’exige pas, comme l’article 727 le fait
pour l’héritier, que le donataire ait été condamné.
1728. Caractère que doivent offrir les sévices et injures.
1729. Gravité du refus d’aliments, éléments de son appré
ciation.
1730. Conséquences de la règle que la révocation n’est dans
aucun cas de plein droit acquise.
1731. Délai dans lequel l’action en révocation doit être in
tentée. Passe-t-elle aux héritiers du donateur ?
1732. Les créanciers du donateur peuvent-ils la poursuivre ?
1733. Les donations par contrat de mariage sont révocables
pour cause d’inexécution. Exception à la règle
qu’elles ne sont pas révoquées pour ingratitude.
1734. Les donations renfermant une substitution prohibée
sont nulles.
16-42. — Nous avons dit, en .parlant des testaments,
que la faculté de répartir soi-même sa fortune est un
des attributs les plus précieux du droit de propriété,
celui qui se recommande le plus hautement aux yeux
de la morale et de la justice.
Quoi de plus juste, en effet, que de punir l’ingratitude
et l’inconduite? Quoi de plus moral que de vouloir s’at-
�DU D O L E T 1)E E A E B A U D E .
445
tacher par des bienfaits celui qui n’a jamais cessé d’en
être digne, reconnaître ceux qu’on a reçus, récompen
ser les services importants qui nous ont été rendus? On
comprend que la faculté de se livrer à de pareils senti
ments ait été, de tout temps, l’objet d’une jalouse solli
citude de la part, des citoyens, d’une faveur marquée de
la part des législations qui se sont succédées.
La donation entre vifs est l’expression la plus élevée
de celte faculté. Le donateur y préfère les intérêts du
donataire à son intérêt propre, puisqu’il se dépouille
immédiatement en sa faveur. C’est surtout dans ce ré
sultat qu’il faut chercher les motifs des règles que la loi
a tracées à la donation. En effet, donner ce qu’on pos
sède est une conséquence si directe, si immédiate du
droit de propriété, qu’on ne comprendrait pas que le
législateur ait pu se croire autorisé à imposer à cette
faculté des restrictions, des conditions quelconques.
1643. — Mais le dépouillement actuel et irrévoca
ble, qui en est la conséquence, exigeait que son exer
cice fût, plus qu’aucune des transactions de la vie com
mune, le résultat d’up consentement réfléchi, éclairé
et libre. Céder à un entraînement puisé dans les meil
leurs sentiments, obéir à une pensée de générosité exa
gérée, à une affection aveugle, pouvait avoir pour le
donateur les conséquences les plus fâcheuses, celle en
tre autres de se ménager un avenir de misère, de re
grets et de remords. Prévenir autant que possible ce
douloureux résultat, était, pour le législateur, un véri
table devoir social. Ce n’était pas tout, en effet, de s’é-
�448
tr a it é
crier, avec la sagesse éternelle : Audite me magnates et
omnes populi ! jîiio, mulieri, fratri et amico, non des
potestalem super te in vita tua, et non dederis aliis possessionem tuam, ne forte pœniteat te. In die consummationis dierum vilæ hue, et in tempore exitus tui, distribue hœredilatem tuam. 1 11 fallait encore venir en
aide à celui qui n’avait oublié ce prétexte que vaincu
par une force matérielle ou morale, à laquelle il a vo
lontairement ou involontairement cédé.
De là les dispositions réglant la forme des donations
et les exigences à l’endroit de celles dans lesquelles l’in
fluence du donataire a pu avoir une trop grande part.
De là encore les restrictions que certaines autres ont dû
recevoir.
Nous n’avons, quant aux premières, qu’à renouveler
le regret déjà exprimé, que la validité de la donation,
déguisée sous la forme d’un acte à titre onéreux, annulle
à peu près l’effet que la loi s’en était promis. A quoi
bon, en effet, tracer des formes spéciales à la donation,
si, par une vente même sous seing-privé, on arrive à un
effet plus énergique encore, en rendant la libéralité irré
vocable, même dans le cas d’ingratitude !
1644. — Les restrictions, mises au droit de donner,
reconnaissent pour cause, en première ligne, l’influence
certaine du donataire, son emploi probable; l’intérêt de
la famille, qu’il importe de protéger non-seulement con
tre la haine dont elle pourrait être l’objet de la part de
1 L'Ecclésiastique, chap 33, § 3, vers. 20.
�D ü B O L E T D E LA F R A U D E .
447
son chef, mais encore contre l’affection qui le porterait
à vouloir enrichir un des enfants au préjudice des au
tres; enfin, la volonté expresse du législateur d’assurer,
dans tous les cas, les règles que l’intérêt général lui a
fait prescrire.
Cette triple éventualité résume toutes les espèces
d’incapacités, tous les cas de nullité ou de réduction
dont la donation est susceptible. Dans la première ca
tégorie se placent celles faites entre époux ou en faveur
des médecins, chirurgiens ou ministres des cultes; dans
la seconde, nous rencontrons les libéralités faites au
préjudice des réservataires, soit au profit d’un succes
sible, soit en faveur d’un étranger ou d’un parent plus
éloigné; enfin, dans la troisième, se rangent les dispo
sitions concernant les enfants adultérins, incestueux ou
naturels simples, et les donations faites en fraude des
droits des tiers.
1645. — Avant mariage, et dans le contrat ré
glant leurs conventions matrimoniales, les futurs sont
libres de se consentir réciproquement telles donations
qu’ils jugent convenables. En fait, ces donations peu
vent ne pas être entièrement libres, en ce sens que,
d’une part, le consentement est forcé parla nécessité
de la consommation du mariage; que, de l’autre, ce
consentement n’est que le résultat d’une passion adroi
tement excitée et entretenue. Cependant, la célébration
du mariage les rend irrévocables.
Ce qui a déterminé cette conséquence, c’est d’abord
l’importance sociale du mariage. Le législateur a dû
�448
tra ite
éprouver le besoin d’en favoriser l’essort dans l’intérêt
de l’État. La faculté illimitée laissée aux époux de se
donner réciproquement était, sans contredit, un des
moyens les plus énergiques pour atteindre à ce résultat.
Ses conséquences d’ailleurs ne pouvaient présenter
aucun danger sérieux. C’est surtout en faveur des des
cendants que la loi s’est préoccupée de l’excès dans les
libéralités. Or, dans l’espèce, les enfants nés du ma
riage ne sauraient éprouver le moindre préjudice des
donations consenties par le contrat de mariage, et cela,
par la double raison que voici :
1° Les enfants issus des époux héritent également
de l’un et de l’autre, fis trouveront donc dans la suc
cession du donataire ce qu’ils auraient trouvé dans celle
du donateur, si la donation n’avait pas existé ; *
2° Les donations, par contrat de mariage, irrévoca
bles sans doute, ne sont pas irréductibles. L’existence
d’enfants issus du mariage, à la mort de l’époux dona
teur, place la donation sous le coup de la disposition de
l’article 1094.
♦
Conséquemment la loi devait d’autant moins hésiter
à consacrer la faculté illimitée de se donner, qu’en ce
qui concerne les enfants, cette faculté n’est pas dans le
cas de leur occasionner le moindre préjudice. Dans tous
les cas, la légitime, qui leur est réservée, doit leur ar
river et leur arrive intacte.
1646- — Mais cette faculté n’existe plus lorsque
son exercice aurait pour conséquence de méconnaître
�l > t D O L E T DE L A F R A U D E .
449
■ ou léser des droits légalement ou conventionnellement
acquis.
Ainsi la donation finie entre époux par le contrat de
mariage devrait être annulée, si elle avait été consentie
en fraude des droits des créanciers du donateur. Tel
serait, avons-nous dit, le sort de la constitution dotale
elle-même, sur la poursuite des créanciers du cons
tituant.1 Mais il-y aurait, entre celle-ci et la donation
que les époux se feraient réciproquement, cette diffé
rence que cette dernière constituant une pure libéralité,
son annulation serait la conséquence forcée de la fraude
du donateur, il importerait peu que le donataire eût
connu ou ignoré la fraude, qu’il s’en fût rendu ou non
le complice. Dans tous les cas, la réclamation des créan
ciers triompherait, le débiteur n’a pu ni dû se montrer
généreux à leur dépens : Nemo liberalis nisi liberalus.
1647. — Ainsi encore, aux termes de l’article 1098,
l’époux qui, ayant des enfants d’un premier lit, con
tracte un second ou subséquént mariage, ne peut don
ner à son nouveau conjoint qu’une part d’enfant légi
time, le moins prenant, sans que, dans aucun cas, les
donations puissent excéder le quart des biens.
Le fondement de cette disposition est d’une évidence
extrême, il réside dans l’intérêt des enfants issus d’un
précédent mariage. Ces enfants, en effet, demeurent
légalement étrangers au nouvel époux, ils n’ont aucun
dioit à sa succession. L’acte qui ferait passer sur la tête
1 Vi(l. supra, n° 1467.
�de celui-ci une part plus ou moins notable des biens de
leur père leur occasionnerait un grave préjudice, une
perte incontestable.
La loi n’a pas voulu se prêter à cette spoliation, aussi
déroge-t-elle dans cette circonstance, non-seulement au
principe de liberté illimitée des donations contractuel
les, mais encore à l’article 1094 réglant la quotité dis
ponible entre époux. Le nouveau conjoint pourra bien
avantager celui ou celle qui s’unit à son sort, mais il ne
pourra le faire que dans une juste et équitable propor
tion, il ne pourra surtout l’enrichir des dépouilles des
enfants d’un précédent lit.
1648. — Ainsi enfin, la réserve des ascendants ne
saurait recevoir aucune atteinte des donations renfer
mées dans le contrat de mariage. C’est ce qui s’induit
non-seulement de la nature du droit quant à ce réservé
aux ascendants, mais encore du texte même de l’ar
ticle 1094. L’époux pourra, par contrat de mariage,
pour le cas où il ne laisserait point d’enfants, ni descen
dants, disposer en faveur de l’autre époux, en propriété,
de toutce dont il pourrait disposer en faveur d’un étran
ger et en outre de l’usufruit de la totalité des biens dont
la loi prohibe la disposition au préjudice des héritiers.
Or, aux termes de l’article 915, la quotité indisponible
est de la moitié ou du quart, suivant qu’il existe ou non
un ou plusieurs ascendants dans chacune des lignes pa
ternelle et maternelle. En conséquence, les.époux ne
pourraient, par contrat de mariage, violer cette indis-,
pénibilité, autrement qu’en disposant de l’usufruit,
�DU D O L E T D E L A F R A U D E .
•451
En résumé donc, les époux jouissent de la faculté de
se faire, dans leur contrat de mariage, telles donations
qu’ils jugent convenables, mais cette faculté s’arrête
devant les droits des tiers légalement établis par la loi,
ou résultant d’une obligation ou d’un contrat.
1649. — Les libéralités entre époux, réalisées pen
dant le mariage, sont à juste titre suspectes. L’autorité
du mari, les séductions de la femme, une affection ré
ciproque exagérée, la crainte de troubler par un refus
la paix et la tranquillité du ménage, pouvant avoir con
traint ou égaré le consentement du donateur.
La vérité vraie est facilement saisie par tous et à toutes
les époques. Aussi la position spéciale des époux, à l’en
droit des libéralités qu’ils se font réciproquement ou
particulièrement à l’un d’eux, pendant la durée du ma
riage, a été uniformément appréciée par les diverses
législations des peuples civilisés.
1650. — Le droit romain refusait son appui à toute
libéralité de ce genre. Morilms apuclnos, nous dit Ulpien,
reàeptum est ne inter virum et nxorem donationis vederent; hoc autem receplum est ne mulualo amore invicem
spoliarenlar, donalionibus non tempérantes sed projusa
erqa se facilitate.
Cette règle n’était pas une innovation du droit mo
derne. Suivant Ulpien, elleavail été puisée dans ce qui
s’était pratiqué jusque là : Majores nostri inter virum et
tixoremdonationesprohibuerunt, amorem honestamsolis
animis (estimantes, fanue etiam conjunclurum consu-
�i52
> TRAITÉ
lentes, ne concordia pretio conciliari viderelur, neve melior in pauperlatem incideret, delerior ditior fiai. 1
Ce qui recommandait surtout ce principe, c’est qu’en
définitive, comme nous l'enseigne Perezius, on avait à
redouter d’autant plus un défaut de liberté dans le con
sentement du donateur, que la menace d’un divorce était
de nature à le contraindre : Prœbeaturque occasio di.
vorlii, si non donat is qui possidet.i
Cependant un premier tempérament, à la rigueur de
ce principe, avait été introduit par une constitution de
Sévère et Antonin Caracalla, aux termes de laquelle la
libéralité entre époux, non révoquée par le donateur,
devait sortir à effet à la mort de celui-ci. Cette disposi
tion passa dans 1e Digeste, mais, sous son empire, il n’y
avait de valables que les donations qui avaient reçu
toute leur exécution du vivant du donateur, mort sans
les révoquer. Le conjoint n’avait aucune action contre
la succession, à l’effet de faire exécuter la donation qui
n’avait encore produit aucun effet, malgré que le dona
teur eût persisté dans sa volonté.5
Justinien abrogea cet état des choses. En effet, par la
INovelle 162, il prescrivit l’exécution des donations
entre mari et femme, quoiqu’elles n’eussent pas été
suivies de tradition, mais à condition qu’elles n’eussent
pas été révoquées. Dès ce moment, le donataire eut
action contre la succession du donateur et put obtenir
contre l’héritier l’exécution de la libéralité.
1 L. 1 et 5, Dig. De donat. inter vir. et uxor.
5 Cod., lib. 5, lit. 16, n° 16.
8 L. 20, 23 et 32, § 2, Dig. eod. lit.
�DU D O L E T D E L A F R A U D E .
453
Cette Novelle devint la règle dans les pays de droit
écrit. Ainsi, malgré que l’ordonnance de 1731 ne per
mît de disposer de ses biens que par donations entre
vifs ou par testament, malgré que la donation entre
époux ne fût pas considérée comme constituant l’un ou
l’autre, les parlements n’hésitaient pas à les valider
et à en prescrire l’exécution toutes les fois que le dona
teur, persévérant dans sa volonté, était mort sans les
révoquer.
Le droit coutumier offrait une grande diversité sur ce
point de législation. Comme l’enseigne Pothier, les cou
tumes se divisaient en quatre classes, à savoir :
1° Celles qui défendaient toute donation et tous avan
tages directs ou indirects entre mari et femme, pen
dant le mariage, les testamentaires aussi bien que celles
entre vifs ;
12° Celles qui prohibaient les donations entre vifs
sauf le don mutuel, à l’égard de certains biens et en
certains cas, mais qui permettaient les donations testa
mentaires ;
5° Celles qui avaient adopté purement et simple
ment la doctrine du droit romain, telle qu’elle était pra
tiquée dans les pays du droit écrit;
4° Enfin, celles qui permettaient à l’un des conjoints
de faire à l’autre donation entre vifs simple, au moins
en certains cas et sous certaines restrictions.1
1651. — Les motifs sur lesquels le droit romain
1 Pothier, Donal. mire époux, nos 7 et suiv.
�454
t r a it é
fondait la prohibition des libéralités entre époux, pen
dant le mariage, sollicitèrent vivement l’attention des
auteurs de notre Code. Au même titre que le législateur
romain, ils sentirent la nécessité d’empêcher que le
mariage ne dégénérât en une spéculation vénale; que
l’intérêt ne transformât en une source de discussions
une union où devaient régner la concorde et la paix ;
ils craignirent qu’un époux trompé par les apparences
d’une fausse tendresse, bientôt suivie, une fois le but
atteint, de l’abandon et du mépris, assailli d’obsessions
continuelles, effrayé par des menaces peut-être, ne se
laissât arracher un consentement qu’il serait réduit à
regretter toujours; enfin ils pensèrent qu’on ne devait
pas même tolérer que les époux, entraînés par une
affection désordonnée, se dépouillassent inconsidéré
ment.
Fallait-il, dans cette prévision , en revenir au prin
cipe rigoureux d’une prohibition absolue? Suffisait-il
d’attacher à ces libéralités un caractère de révocabilité,
tel que la faculté laissée aux époux de se donner ne pût,
dans aucun cas, offrir pour le donateur un danger
effectif et réel ?
L’article 1096 nous indique de quelle manière le lé
gislateur a résolu ces questions. La solution adoptée est
sage, et ce qui le prouve, c’est que l’expérience avait
amené le droit romain à la consacrer. Les époux pour
ront donc se donner réciproquement des témoignages
de leur affection, de leur reconnaissance. Les avantages
que l’un d’eux aura extorqués par la ruse, la fraude, la
violence, l’ingratitude dont il paierait les bienfaits de
�DU D O L E T DE LA F R A U D E .
455
son conjoint, pourront toujours être atteints par la
faculté illimitée de révocation que la loi reconnaît au
donateur.
1652. — Celte faculté dont le mari peut librement
user serait devenue illusoire pour la femme, si elle n’a
vait pu l’exercer qu’avec l’autorisation de son mari ou,
à défaut, de la justice. C’était, dans le premier cas,
demander au donataire de se dépouiller lui-même;
c’était, dans le second, rendre, dans bien de cas, la ré
vocation impossible. En effet, les causes qui ont con
traint le consentement, la violence, les menaces qui
ont arraché la donation, sont dans le cas d’exiger que
la révocation en reste essentiellement secrète. Or, la
publicité nécessaire d’une instance en autorisation ren
dait tout secret impossible, et ramenait dans le ménage
ces obsessions, ces persécutions, ces menaces dont la
femme s’est rédimée par la donation, et devant les
quelles elle s’abstiendra forcément de toute rétracta
tion ; cela était trop évident pour que la loi ne dis
pensât pas la femme de la nécessité d’une autorisation
quelconque.
1653. — La question de savoir si la donation a été
ou non révoquée, est importante pour les héritiers du
donateur, pour ses créanciers postérieurs. Ceux-ci, en
effet, ne pourront exécuter les biens donnés que si par
cette révocation ils sont rentrés en la possession de leur
débiteur. Ces intérêts faisaient un devoir au législateur
de s’expliquer sur la survenance d’enfants.
�456
TRAITE
On sait que pour les donations ordinaires, cette sur
venance les révoque de plein droit, à tel point que la
mort de l’enfant, postérieurement réalisée avant celle
du donateur, ne fait pas revivre la donation. Or, pou
vait-on dire, que les donations faites par contrat de
mariage ne soient pas révoquées pour cause de surve
nance d’enfants, rien de plus naturel et de plus légi
time. Les époux ne contractant leur union que dans le
but de se créer une famille, l’idée de donner malgré la
paternité est inséparable de l’acte réalisé par les con
joints. Aucun d’eux ne pourrait raisonnablement pré
tendre qu’il n’a donné que dans la prévision que le
mariage resterait stérile.
Mais il n’en est pas de même pour les donations faites
pendant le mariage. Alors, ce qui a pu motiver la libé
ralité c’est que, marié depuis longtemps, et n’ayant
plus le doux espoir de devenir père, le donateur a voulu
favoriser son conjoint; que si, contre son attente, des
enfants naissent après la donation, ne serait-il pas juste,
dans l’intérêt de ceux-ci, d’en anéantir les effets?
Ces objections ne peuvent soutenir l’examen, en pré
sence de la faculté donnée à l’époux de révoquer ses
libéralités tant que le mariage ne s’est pas dissous par
la mort. Il peut donc, si l’existence d’enfants l’eût em
pêché de donner à son conjoint, user de cette faculté et
révoquer ses dispositions. S’il n’use pas de cette faculté,
c’est qu’il persiste dans sa volonté première, c’est que
son abstention constitue une libéralité nouvelle contre
laquelle la fiction imaginée dans le cas de donations
irrévocables ne serait plus qu’un évident mensonge.
�DU D O L B T D E LA F R A U D E .
457
Quant aux enfants, leur intérêt est sauvegardé par la
réductibilité de la donation. Tout ce qui peut en résul
ter contre eux, c’est la disposition de la quotité dispo
nible, sur laquelle leur droit est exclusivement subor
donné à la volonté de leur père. Or, cette volonté
résultant du défaut de révocation d’une précédente
libéralité, il doit en être ce qu’il en serait de celle ex
pressément manifestée dans un acte postérieur à leur
naissance. D’ailleurs, par cela seul que la loi a admis la
réduction, elle a repoussé la révocation.
Ces considérations étaient plus que suffisantes pour
décider la question que nous examinons. Cependant,
dans le but louable d’éviter toutes contestations, toutes
difficultés, le législateur a cru devoir la trancher expres
sément par la négative dans l’article 1096.
1654. — La loi ne s’étant pas expliquée sur la
forme des actes de révocation, on en a conclu qu’il
suffit d’une révocation expresse, soit par acte authen
tique, soit par acte sous seing-privé, quand même ce
dernier ne serait pas entièrement écrit et daté de la
main du donateur.1
M.Duvergier, dans ses notes sur la loi du 21 juin 1845,
soutient que l’article 2, exigeant que les actes notariés,
contenant révocation de donation, soient, à peine de
nullité, reçus conjointement par deux notaires, ou par
un notaire en présence de deux témoins, ne permet
plus la révocation par acte sous seing-privé.
* Toullier, t. v, n° 925.
�458
TRAITfi
Cette opinion ne paraît pas admissible. Il a toujours
été admis en doctrine et en jurisprudence que la dona
tion entre époux peut non-seulement être révoquée par
une clause expresse de son testament olographe, mais
encore que l’incompatibilité des dispositions de ce tes
tament avec cette donation équivaut à révocation.1
Cet effet est d’ailleurs la conséquence directe de la
nature de la donation entre époux. La révocabilité ab
solue qui la caractérise la rend une libéralité à cause de
mort, plutôt qu’une véritable disposition entre vifs ; et
il n’est pas douteux que depuis la loi! de 18-43, comme
avant, la révocation contenue dans un testament ologra
phe, soit expressément, soit tacitement par incompati
bilité, en détruirait tous les effets.
Donner à la loi de 1843 la conséquence qu’en tire
M. Duvergier, c’est lui attribuer un caractère qu’elle ne
comporte pas. A notre avis, cette loi ne fait qu’une seule
chose, à savoir : régler la forme de la révocation nota
riée. Mais cela dit-il que cette révocation ne pourra être
faite d’aucune autre manière? Non, bien certainement,
et le texte de l’article 2 va nous en fournir la preuve ir
récusable. Ce que cet article dit de la révocation de la
donation, il le dit également pour celle du testament. Or,
pourrait-on soutenir que le testament sous seing-privé,
valable en la forme, ne peut valablement révoquer un
testament? Nous sommes convaincus que M. Duvergier
1 Amiens, 15 juil. 1822; — Paris, 17 juil. 1826; — Douai, 5 nov.
1836 ; — Lyon , 25 mai 1827 ; — Cass., 9 juin 1850 ; — Montpellier,
27 mars 1855.
�DO DOL ET DE LA FRADDE.
459
lui-même ne résoudrait pas affirmativement cette ques
tion.
La loi de 1845n’a donc rien innové sur la forme de la
révocation. Elle se borne à trancher la difficulté que la
présence effective du notaire en second avait fait naître.
Ainsi, à l’avenir, la révocation, si elle est faite par acte
notarié, ne sera valable que si l’acte a été reçu réelle
ment par deux notaires, ou par un notaire en présence
de deux témoins. Mais cette forme ne devient pas obli
gatoire. La révocation par acte sous seing-privé, re
connu, non contesté, n’en sera pas moins valable.
Nous ajoutons que l’obligation de recourir, dans tous
les cas, à un notaire, est contraire à l’esprit de la loi, en
matière de révocation de donation entre époux. Elle
compromettrait le secret que la femme surtout a un si
puissant intérêt à garder, et, dans plusieurs circons
tances, l’empêcherait de faire la révocation, assurant
ainsi le triomphe de la fraude, quelquefois même de la
violence.
1655. —- Quel est le véritable caractère de la dona
tion entre époux? Est-elle une libéralité entre vifs? Ne
constitue-t-elle qu’une disposition testamentaire?
Cette question, qui a divisé la doctrine et la jurispru
dence, nous paraît résolue par la nature même des
choses. La donation entre époux n’est, à proprement
parler, ni une donation, ni un testament, mais elle par
ticipe évidemment de l’une et de l’autre. Il faudra donc
la régir par les principes applicables à l’une et à l’autre,
�460
TRAITE
dans tous les points de contact qu’elle aura avec chacun
d’eux.
Aijisi, en la forme, nous dirons avec Toullier, Gre
nier et Marcadé que, par cela seul que les époux ont
emprunté celle de la donation entre vifs, l’acte est
soumis à l’acceptation et à la transcription ; qu’il ne
peut être fait qu’en la forme authentique et pardevant
notaire.
Nous dirons avec la Cour de cassation, que la condi
tion de révocabilité n’empêche pas le donataire d’être
saisi du jour de la donation ; qu’en conséquence il n’a
pas besoin, si la condition de non révocation s’est réa
lisée, de demander la délivrance; que, de plus, l’effet de
la donation non révoquée, remontant au jour de l’acte,
les créanciers postérieurs du donateur, quoique anté
rieurs au décès, ne pourront exercer aucune poursuite
sur les biens qui en font l’objet.1
Mais du principe que la donation entre époux est
toujours révocable, qu’elle est, sous ce rapport, assi
milée au testament, nous tirerons les conséquences
suivantes :
1° Elle est soumise aux modes de révocation tacite
autorisés pour celui-ci;2
2° Elle devient caduque par le prédécès du dona
taire, dont les héritiers sont dès-lors sans droit à en ré
clamer le bénéfice.
1 Cass., S avril 1856; 18 avril 1858; — J. I). P., t. i, 1858, p. 492.
* Amiens, 15 juillet 1822 ; — Paris, 17 juillet 1826 ; — Lyon, 25 niai
1827 ; — Cass., 9 juin 1850 ; — Montpellier, 27 mars 1855 ; — Douai,
5 novembre 1856.
�' DU DDL ET DE LA FRAUDE.
4M
Le contraire a cependant été jugé par la Cour de
Limoges, le 1er février 1840. Mais cette décision, con
traire à la doctrine, ne saurait être admise. On com
prend que tant que le donataire est apte à recueillir, la
révocation doit être expresse. Or, la faculté de la réali
ser n’est pas perdue par la mort du donataire, mais à
quoi bon dès-lors en exiger l’exercice?1
1656- -- Déjà, et en ce qui concerne les testaments,
l’article 968 avait prohibé les dispositions conjoncti
ves, réciproques ou non. Cette prohibition constitue,
non inné simple loi règlementaire des formes, mais bien
une loi de capacité testamentaire. Le législateur n’a
pas voulu admettre qu’un pareil testament puisse être
considéré comme l’expression d’une volonté certaine
et déterminée.
Or, si cela est vrai pour l’institution non réciproque à
l’égard des personnes entre l'esquelles il n’existe que des
liens de simple amitié, on ne pouvait raisonner autre
ment dans l’hypothèse d’une donation réciproque entre
époux. Pour ceux-ci, en effet, indépendamment du
motif général de l’article 968, il existe en outre celui
d’un abus d’influence que le prétexte de réciprocité
donnerait l’occasion de continuer même sous les yeux
du notaire.
D’ailleurs, et dans tous les cas, la réciprocité pourrait
devenir un obstacle à la révocation ou soumettre son
1 J. D. P., 1. i, 1840, p. 100 ; — V. Toullier, t. v, p. 918 — Del—
vincourt, l. ii, p. 14-4, note 3 ; — Duranton, n° 779 ; — Grenier, n°434 ;
—Vazeilles, nu 9 ; — et Coin-Delisle, n° 6.
�462
TRAITE
exercice à de nombreuses contestations. L’époux qui
s’en trouverait atteint n’aurait pas manqué, argumen
tant du caractère de l’acte, de soutenir que la mutua
lité lui imprimait un cachet absolu d’indivisibilité ;
qu’en conséquence aucune atteinte ne pouvait lui être
portée que du consentement de toutes les parties.
Ce qui prouve que l’article 1047 a eu surtout en vue
d’échapper à l’inconvénient que nous signalons, c’est
que sa disposition ne saurait atteindre les donations que
les époux se feraient réciproquement par actes séparés,
passés le même jour et reçus par le même notaire. Il
est vrai que ce résultat a été un ihstant contesté ; mais
il ne l’est plus depuis que la Cour de cassation, investie
d’office et dans l’intérêt de la loi, a cassé un arrêt qui
avait admis l’invalidité des deux actes.1
1657. — Y a-t-il don mutuel et réciproque par un
seul acte, lorsque les époux, vendant un immeuble de
lacommunauté, en laissent le prix à rente viagère qu’ils
déclarent réversible, en tout ou en partie, sur la tête de
l’époux survivant?
C’est surtout l’héritier de l’époux décédé qui aura
intérêt à la solution affirmative. En effet, l’époux sur
vivant profitant exclusivement de la rente viagère, cet
héritier perdra la part qu’il eût infailliblement reçu, si
l’immeuble commun, si les deniers qui ont servi à
constituer la rente s’étaient retrouvés dans la commu
nauté au moment de la dissolution.
1 22 juillet 1807.
�DU DOD ET DE LA FRAUDE,
463
Au fond, un pareil traité constitue une véritable do
nation indirecte, expressément dispensée des formalités
de la donation par la disposition de l’article 1975 du
Code civil, il ne pourrait donc être annulé que si les
époux ou l’un d’eux n’avait pas la capacité de la con
sentir ou de la recevoir.
Or, nous venons de le dire, les époux, même pendant
le mariage, ont toute capacité de donner et de recevoir,
sauf réduction en cas d’excès. D’autre part, la femme
commune a incontestablement la capacité de consentir,
conjointement avec son mari, l’aliénation de l’actif de
la communauté. La qualité de maître, que la loi confère
à celui-ci, l’autorise à se passer du concours de sa
femme, mais ne lui prohibe, dans aucun cas, de récla
mer ce concours lorsqu’il le croit utile.
Donc la validité de l’acte ne saurait être méconnue.
Régulier en la forme, il est irréprochable sous le rap
port de la capacité ordinaire. Il ne pourrait donc être
annulé que si, tombant sous le coup de l’article 1097,
on devait le considérer comme une libéralité mutuelle
et réciproque par un seul acte. Or, on ne saurait le dé
cider ainsi par deux motifs péremptoires.
Au moment de la vente, la femme n’a aucun droit
certain sur les immeubles communs que le mari peut
aliéner à son gré. Si à la dissolution la femme renonce
à la communauté, il en résultera ce que voici : c’est
qu’en admettant que la réversibilité de la rente stipulée
en sa faveur par le mari puisse être assimilée à une
libéralité, elle l’a reçue à titre purement gratuit, puisqu’en échange elle n’a pu donner, elle n’a rien donné.
�4CS4
TRAITÉ
En effet, sa renonciation rendant le mari seul proprié
taire de tous les biens ayant appartenu à la communauté,
il n’y a donc pas évidemment mutualité et réciprocité.
Si la femme prédécède et que ses héritiers acceptent
la communauté, il est incontestable que la femme aura
proportionnellement contribué de ses deniers à la cons
titution de la rente viagère. Mais, pour apprécier les
conséquences de cet acte, i! faut nécessairement se re
placer à l’époque où la vente se réalisant, la rente via
gère était créée. Or, à ce moment, chacun des époux
stipulait plutôt dans son intérêt propre que dans celui
de son conjoint. En effet, le caractère aléatoire du con
trat, l’incertitude, dans laquelle on est forcément, sur
le point de savoir en faveur de qui il sortira à effet, le
rend en quelque sorte à titre onéreux pour l’un et pour
l’autre; il devient mutuellement intéressé, puisque les
sacrifices, les avantages et les chances se balancent
parfaitement, et, par cela même, il échappe à la prohibi
tion de l’article 1097. C’est ce qu’a fort juridiquement
jugé la Cour de Paris, par arrêt du 25 mars 1844.1
1658- — Du principe que les époux peuvent se don
ner directement pendant la durée du mariage, il résulte
qu’ils peuvent le faire d’une manière, indirecte, sauf les
limites que la loi a posées dans les articles 1094 et 1098.
L’indisponibilité d’une partie des biens, que créent.
ces deux dispositions, est absolue, c’est-à-dire que les
’£J. D. P., t. i, 1844, p. 510;—V. Angers, 7 mars 1842 ;—ibid, t. h,
1842, p. 571.
�465
Dll DOL ET DE LA FRAUDE.
réservataires doivent recueillir en entier la quotité que
la loi a entendu leur assurer, que leur droit à cet égard
ne saurait être directement ou indirectement méconnu
ou violé. Cette conséquence, qui s’induisait suffisam
ment des termes de ces articles, se retrouve expressé
ment écrite dans l’article 1099.
Il était facile, en effet.de prévoir que les époux, vou
lant s’avantager au-delà de ce qui leur est permis, ne
viendraient pas se heurter de front à la prohibition de
la loi, ni la violer ouvertement. Ils auront donc recours
à des voies détournées, ils demanderont à la simulation
les moyens d’assurer les effets de la fraude. Cette pré
vision a conduit le législateur à régler le sort des dona
tions indirectes, celui des libéralités déguisées ou faites
par personnes interposées.
Le véritable caractère de l’acte intervenu entre les
époux sera donc d’un intérêt puissant pour les héritiers
agissanten vertu desarticles 1094,1098. Cet acte pour
ra être ou une donation indirecte, ou une donation
déguisée soit par la simulation dans la nature du contrat,
soit par interposition d’une tierce personne. Nous ver
rons bientôt l’utilité de distinguer la première de l’autre.
1659. — Les moyens d’éluder la loi sont nombreux
et il serait impossible de les prévoir tous. En première
ligne, s’offre la vente, mais la disposition de l’article 1595
rend celle-ci d’un mince secours , en déterminant dans
quels cas les époux pourront y recourir valablement. La
simulation, ayant pour objet de se placer dans une des
hvpothèses prévues, serait facilement prouvée et punie.
ni
21
�468
traité
1663. — L’adoption du régime de la communauté
légale, dans le cas d’inégalité dans l’apport respectif des
époux, constitue un incontestable avantage pour celui
dont l’apport est inférieur. Dès qu’ils sont tombés en
communauté, les objets personnels à chaque époux de
viennent leur propriété commune. De plus, le mari, en
ayant la libre et entière disposition, pouvant les aliéner
sans le concours et même contre la volonté de sa fem
me, peut être considéré comme en acquérant la pro*
priété intégrale.
Quelque énorme que soit ce résultat, il ne saurait en
thèse ordinaire, et vis-à-vis les héritiers légitimes de
l’époux, exister aucun doute sur sa parfaite légalité.
Tout le monde doit le subir, mais il n’en est plus ainsi
lorsque, par l’existence des enfants d’un premier lit, un
des époux se trouve placé sous le coup de la disposition
de l’article 1098.
1664'. — Quel sera dans cette hypothèse l’effet de
la soumission au régime de la communauté légale, soit
qu’elle résulte d’une convention formelle, soit qu’elle
s’induise de l’absence d’un contrat de mariage?
Sous l’empire des anciens principes, et en présence
des termes de l’édit de François ii , de juillet 1650, cette
question avait été résolue en ce sens : Que, quels que
fussent les termes du contrat, la communauté ne pou
vait légalement exister à l’encontre de l’époux déjà père
par l’effet d’un précédent mariage, que pour un apport
égal à celui du conjoint avec lequel il convolait. Tout
ce qui dépassait cet apport n’entrait pas en communauté
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
466
et demeurait propre à l’époux. Le fondement de cette
règle était : Qu'une femme, épousant un mari qui lui
était inégal en biens, n'agissait pas en mère avisée et
qui eût en considération les enfants de son premier ma
riage, lorsqu’elle ne prenait pas ses précautions pour
empêcher que son second mari rie profilât de la moitié
de ses biens, en stipulant que les deniers, qui lui appar
tenaient, lui demeureraient propres pour le tout ou en
partie, à proportion de ce que le mari a de biens de son
côté, comme ceux qui se conduisent avec prudence ne
manquent jamais de faire en pareilles occasions-, de
sorte qu’on a cru que le défaut de prévoyance de la mère
devait être en ce cas suppléé par l'autorité de l'ordon
nance.
En effet, ajoute Ricard, « Quoique nos communautés
« soient légales, il n’arrive presque jamais que les per« sonnes, qui possèdent quelques biens , contractent
« mariage sans déroger notablement à la disposition de
« nos coutumes, soit en diminuant ou ajoutant à ce
a qu’elles ont ordonné, tellement que ces sortes de
« communautés ne semblent avoir été établies que pour
a ceux dont les biens sont si modiques, qu’ils ne mé~
« ritent aucune prévoyance particulière. Ainsi, il n’y a
a pas de doute que lorsqu’une veuve, qui possède des
« effets considérables, a passé à un second mariage,
« sans veiller à la conservation de ses droits, et à as« surer ses biens à ses enfants, il est fort raisonnable
que l’édit, qui a été fait à ce sujet, supplée à son
défaut de prudence, puisque cette omission se trouve
« dégénérer en un avantage indirect dont le second
4
4
�tr ai te
« mari profiterait contre la prohibition de la loi, si le
« remède qu’elle a introduit n’était pas appliqué en
« cette rencontre.1 »
Par une parité de raisons incontestables, ce qu’on
décidait pour le mobilier tombant dans la communauté,
on l’appliquait aux immeubles qui y étaient conven
tionnellement jetés. Ainsi la femme ne pouvait ameu
blir ses immeubles que dans la proportion de l’apport
réalisé par le mari. L’excédant, quelles que fussent les
stipulations du contrat, ne tombait pas dans la commu
nauté et demeurait propre à la femme.
Il est inutile de faire remarquer que quoique l’édit
de 1560 ne disposât spécialement que pour les veuves,
on l’avait sans difficulté appliqué aux deux époux. A'insi
l’apport excessif du mari, l’ameublissement qu’il aurait
consenti au-delà des ressources de la femme étaient
considérés comme des avantages indirects au préjudice
des enfants du premier lit. Ceux-ci étaient donc rece
vables et fondés à poursuivre contre leur père tout les
droits que l’édit les eût autorisés à réclamer de leur
mère.
Telle était donc la doctrine et la règle que traçait no
tre ancien droit. Faut-il, sous l’empire du Code civil,
suivre l’une et l’autre, se demande Merlin, et avec beau
coup de raison, selon nous, il se prononce pour l’affir
mative. s La législation actuelle n’a pas, à l’endroit des
enfants du premier lit, moins de sollicitude que sa dé-1 Des Donat.,t. i. p.708, n°3 1201 et 2;—Y. Lebrun, dist. 4, n°10..
5 Ricard, ibidem, n" 1200.
3 Rép. , v° secondes noces, § 7, art. 2.
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
vancière. L’article 1098 fait aujourd’hui ce que l’édit
faisait autrefois. Les motifs qui recommandaient celui-ci
recommandent également le premier. On ne concevrait
donc pas une différence quelconque dans la solution.
fl y a plus, ce qui, sous l’empire de l’édit, n’était
qu’une déduction logique et juste, a acquis aujourd’hui
le'caractère de loi expresse. Ainsi l’article 1527, après
avoir proclamé la liberté illimitée de stipulations en
matière de communauté, ajoute : néanmoins, dans le
cas où il y aurait des enfants d’un précédent mariage,
toute convention qui tendrait, dans ses effets, à donner
à l’un des époux au-delà de la portion réglée par l’ar
ticle 1098, sera sans effets pour tout l’excédant de cette
portion.
Or il y aurait véritablement excédant, surtout lorsque
la fortune de l’époux est toute mobilière, dans la clause
qui, la faisant intégralement entrer dans la communauté,
en conférerait la moitié au conjoint. Dès-lors il y aurait
lieu à réduction, soit que le résultat que nous indi
quons ait été directement acquis, soit qu’on l’ait dissi
mulé par une des fraudes dont nous venons de parler,
et notamment par une fausse évaluation du mobilier
des deux époux.
La solution donnée dans l’hypothèse d’une commu
nauté conventionnelle doit être également consacrée
dans celle résultant de la loi, à défaut de contrat de ma
riage. S’il suffisait en effet, pour échapper aux consé
quences des articles 1098 et 1527, de se marier sans
contrat, l’existence de celui-ci, dans les seconds maria-
*î h 1 !
■4
�472
tiuit É'
ges, deviendrait: un mythe introuvable. La fraude serait
par trop facile et beaucoup trop sûre.
Conséquemment, que les époux se marient avec ou
sans contrat de mariage, le résultat est identique. L’ap
port de celui qui convole ne peut être supérieur à celui
de son conjoint. Il doit donc, sur la poursuite des en
fants du premier lit, être réduit jusqu’à concurrence ,
si cette proportion a été méconnue ou dépassée.
1665. — Dans tous les cas, la réduction ne s’opère
que sur le capital. Les revenus que ce capital aurait
produit, quelle que fût d’ailleurs l’inégalité entre les ap
ports, seraient définitivement acquis à la communauté.
Cette règle, que le droit ancien avait admis au senti
ment de Ricard et de Lebrun, est aujourd’hui consacrée
expressément par l’article 1527, et avec toute sorte de
raisons. Ce qui pouvait résulter du système contraire,
c’était que le second mari, voyant le peu d’intérêt qu’il
devait retirer de ses économies et des revenus, ne fut
tenté de les dissiper ou de les détourner, en les dissi
mulant. On aurait donc fait préjudice à la femme, et
même aux enfants, en voulant les favoriser.
1666. — Indépendamment des avantages indirects
qu’ils peuvent mutuellement se concéder, les époux
peuvent tenter d’éluder la loi par des donations dé
guisées. A cet égard, la loi place sur la même ligne la
simulation dans le caractère de l’acte et l’interposition
de personnes. C’est même à celle-ci que la fraude de
mandera le plus usuellement le moyen de sortir à effet,
�DU
DOU
ET
DE
UA
FRAUDE.
473
les transactions entre époux étant trop facilement sus
pectées pour qu’on puisse se flatter de tromper les tiers
intéressés et la justice.
Aux termes de l’article 1100, l’interposition de per
sonne est légalement admise et de plein droit présumée
lorsque la libéralité est faite aux enfants, ou à l’un des
enfants de l’époux, ou aux parents dont il est l’héritier
présomptif. Les enfants réputés personnes interposées
sont ceux que l’époux a eu d’un précédent mariage. Il
ne pouvait en être autrement. Les enfants issus du do
nateur et du donataire appartiennent à l’un comme à
l’autre; ils sont, pour l’un et pour l’autre, l’objet d’une
égale affection. En les favorisant, le donateur ne peut
pas être censé avoir voulu favoriser son conjoint plutôt
que lui-même.
Dans l’hypothèse de l’article 1100, au contraire, l’é
poux n’est pas présumé avoir une vive affection pour
des enfants qui ne lui appartiennent pas. S’il donne à
quelqu’un, c’est évidemment à son conjoint, et s’il s’a
dresse à un intermédiaire, c’est qu’il n’est pas libre d’en
agir autrement. Cette idée se présente si naturellement,
la fraude est ici tellement probable, qu’on ne pouvait
en prévenir les effets que par la présomption légale con
sacrée par l’article 11001667. — Le législateur a de plus tracé à la justice
le mode d’appréciation qu’elle a à suivre dans cette ma
tière. Pour juger la validité de la donation, il faut s’en
référer à l’état des choses existant au moment où elle
s’est réalisée.
�474
T ttA lT E
Il est certes bien évident que la donation faite à l’en
fant que le conjoint a en d’un précédent mariage ne
saurait être querellée de simulation, si ce conjoint avait
prédécédé. Mais, pour produire cet effet, le décès doit
être antérieur à la donation elle-même. Si, au moment
où elle a été réalisée, le conjoint était vivant, la dona
tion est considérée comme le concernant, et son décès
survenu plus tard, quoique avant l’ouverture de la suc
cession du donateur, ne modifie en rien cette présomp
tion. La donation doit être annulée.
Il en serait de même du second cas prévu par l’arti
cle 1100. Si au moment de la donation l’époux est l’hé
ritier présomptif du donataire, il y a présomption de
fraude définitivement acquise. La donation ne pourrait
être maintenue, alors même qu’au décès du donateur
le conjoint eût perdu la qualité d’héritier présomptif du
donataire.
1668. — L’article 911 met, au nombre des per
sonnes réputées interposées, les ascendants de l’inca
pable. En sera-t-il de même dans l’hypothèse de l’ar
ticle 1100? Merlin enseigne l’affirmative, que nous
croyons d’autant plus juridique, que la qualité d’héri
tier présomptif, exigée par l’article 1100, se réalise
entre les père et mère et les enfants. Donc, si les mots
sont omis, la chose existe, et cela justifie complète
ment l’opinion de Merlin.
Mais celui-ci va plus loin; il soutient que la donation
faite à l’aïeul de l’époux incapable, du vivant des père
et mère, doit être réputée faite à celui-ci par interpo-
�_______________
DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
475
silion de personne. A la rigueur, sans doute, la condition
exigée par l’article 1100 ne se réalise pas dans l’hypo
thèse; mais le caractère d’une donation de ce genre,
le but évident qu’elle se propose nous paraissent jus
tifier la doctrine de Merlin.
1669. — Quel que soit le donataire désigné dans
l’acte, l’interposition est possible et sa certitude déter
minerait la révocation de la donation. Elle pourra donc,
dans tous les cas, être alléguée, et cette allégation
être justifiée par toutes sortes de preuves et même par
témoins et par présomptions. Les héritiers sont, quant
à ce, de véritables tiers, et, dès-lors, on ne saurait leur
refuser le droit de faire valoir tous les moyens à l’aide
desquels ils prétendent prouver la fraude dont ils sont
les victimes. La preuve testimoniale, celle par pré
somptions sont, à cet effet, d’une utilité aussi certaine
que leur admission indispensable. Cette dernière peut
être même plus efficace que la première; en effet, l’exé
cution que la donation a reçue, la condition de la ré
serve d’usufruit, dans le cas contraire, le mode d’ad
ministration pratiqué , la part que l’époux indiqué
comme le donataire réel y aura prise sont de nature
à influer puissamment sur la solution du litige.
1670. — La donation pourrait être faite à l’époux
par un fidéicommis tacite, mais on ne peut faire, par
acte entre vifs, ce qu’il n’est, pas permis de faire par
testament. En conséquence, les principes que nous
avons exposés en nous occupant de celui-ci régiraient
�476
t r a it e
également la difficulté que cette supposition ferait naî
tre. 1
1671. — En résumé, rien ne prohibe aux époux de
se récompenser mutuellement de la bonne conduite, de
l’affection et des soins qu’ils ont eu l’un pour l’autre.
Une reconnaissance de ce genre ne méritait que des en
couragements, mais* mis en présence d’autres devoirs
de famille, ses effets devaient être restreints dans des
limites équitables et justes. Les ascendants, les descen
dants, les enfants d’un premier lit surtout devaient
d’autant plus être protégés, que la conduite du dona
taire pouvait n’être que le résultat, que l’abus d’une in
fluence trop imminente et trop prochaine pour n’être
pas redoutable. Cette prévision résume et justifie les
dispositions des articles 1094 et 1098.
1672. — En ce qui concerne les ascendants, le pre
mier ne saurait être l’objet d’aucun autre reproche que
de celui de sacrifier un peu trop leurs droits à ceux du
conjoint. La faculté de grever d’usufruit leur réserve
légale, ferait admettre que la loi leur retire d’une main
ce qu’elle leur accorde de l’autre. En effet, elle a pour
résultat, en quelque sorte forcé, de frapper cette réserve
d’indisponibilité, en la subordonnant, quant à la jouis
sance, au décès d’une personne nécessairement moins
âgée et qu’ils sont naturellement appelés à prédécéder.
De quel prix, d’ailleurs, peut être la nue-propriété elle1 V. sup,, nos 1612 et suiv.
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE
477
même, et qui voudra l’acquérir en présence d’un usu
fruitier pouvant avoir à peine atteint sa vingt-unième
année ?
C’est donc l’héritier de l’ascendant, plutôt que l’as
cendant lui-même, que la loi semble vouloir favoriser.
Cela est d’autant plus rigoureux, que son âge, que ses
infirmités, que l’insuffisance de ses ressources lui ren
draient plus indispensable et plus utile la disposition
de cette réserve dont le principal et l’unique objet de
vrait être son avantage personnel.
Nous applaudissons donc à la proposition dont l’As
semblée nationale est aujourd’hui saisie, et qui tend à
retirer à l’époux le droit de grever d’usufruit la quotité
dont il ne peut disposer. Les motifs qui militent en sa
faveur ne manqueront, sans doute, pas d’en assurer
l’adoption.
1675. — La détermination de la quotité disponible,
soit de l’article 1094, soit de l’article 1098, ne peut
avoir lieu qu’au décès du donateur. Ainsi, il impor
terait peu qu’au jour de la donation il existât des en
fants d’un premier ou d’un second mariage, des ascen
dants dans l’une ou l’autre ligne. La donation, fût-elle
universelle, n’en sortirait pas moins à effet si les uns
et les. autres avaient prédécédé le donateur, si, consé
quemment, à la mort de celui-ci, il n’existait plus ni
ascendants, ni enfants, ni descendants de ceux-ci.
De là il suit : que pendant la vie du donateur les en
fants, même d’un précédent mariage, seraient irrece-1
vables à quereller la donation soit en réduction, soit en
�475
TRAITE
nullité, l’une ou l’autre étant forcément subordonnée à
l’état des choses au moment de la mort du donateur.
1674. — Mais ce défaut d’action ne va pas jusqu’à
leur faire interdire de requérir les mesures conserva
toires dans l’hypothèse où le relâchement des liens du
mariage nécessitant la liquidation des droits de la fem
me, celle-ci est appelée à recevoir le montant de ce qui
lui aurait été frauduleusement donné. L’action des ré
servataires serait illusoire si, avant d’être exercée, la
donation recevait son entière exécution et si l’incapable
pouvait à son gré faire disparaître 'ce qu’elle craindrait
d’avoir à restituer plus tard. Les ayant-droit devraient
donc, dans ce cas, être admis à faire de la dation d’une
caution la condition de la délivrance réelle.
C’est ce que la Cour de Grenoble a consacré dans
une hypothèse où, en se remariant, un homme avait
reconnu une dot de 6,000 francs à sa seconde épouse,
lorsque déjà il avait donné à l’aîné des enfants du pre
mier lit, et par préciput, le quart de ses biens.
A la suite de l’obtention de sa séparation de corps, la
seconde femme demandait la restitution de sa dot de
6,000 francs. Les enfants du premier lit intervenant
soutinrent que la reconnaissance dans le contrat de ma
riage constituait une pure libéralité dont le cumul avec
celle faite à l’un d’eux était de nature à entamer leur
réserve légale. Ne pouvant, en l’état, la faire réduire
ou annuler, ils concluaient à ce que la femme ne fût
autorisée à la toucher qu’à la charge de donner caution
pour la garantie de leur droit éventuel.
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
479
Ce système, accueilli par la Cour de Grenoble,
s’étaie dans l’arrêt sur les motifs suivants :
« Attendu que l’intérêt est la mesure de l’action ;
que Jes intervenants, alors que leur père, avant son se
cond mariage, a déjà donné, à son fils aîné, le quart de
ses biens par préciput, et qu’ils soutiennent que la re
connaissance faite par leur père à sa seconde femme
contient une libéralité déguisée dont le montant, joint
à la donation précitée, est de nature à entamer leur ré
serve légale, ont un. intérêt évident à empêcher que la
somme, faisant l’objet de ladite reconnaissance, ne soit
remise à leur belle-mère, parce que celle-ci, en la fai
sant disparaître, paralyserait l’action que la loi leur ac
corde;
« Attendu que le seul effet de leur intervention en
l’état n’est pas d’examiner la validité ou l’invalidité de
la stipulation du contrat de mariage, mais d’empêcher
que le montant de la reconnaissance ne puisse pas être
soustrait ou occulté d’une façon quelconque ; que, dèslors, leur intervention est bien fondée, et qu’il ne peut
échoir d’examiner la demande de la femme d’être au
torisée à retirer, sans donner caution, le prétendu ap
port par elle fait dans son contrat de mariage. 1 »
1675. — Le même arrêt décide, avec raison, que
l’époux donateur est non-recevable à exciper de sa
fraude et à demander la nullité de la donation. En effet,
la prohibition n’existe que dans l’intérêt exclusif des
2 juillet 1851;— D. P„ 32, 2, 157.
�480
TRAITE
héritiers légitimes ; elle ne consiste que dans le préju
dice qu’ils seraient dans le cas d’en éprouver. C’est
donc à eux seulement que la loi devait reconnaître le
droit et confier le soin d’en poursuivre la répression.
D’ailleurs, le caractère de l’acte n’étant acquis qu’à la
mort du donateur, il est évident qu’on ne pouvait, dans
aucun cas, lui permettre de faire prononcer une nullité
que le prédécès des réservataires empêchera d’exister.
Enfin, et par rapport à lui, la disposition trouve une
cause légitime dans l’intention d’avantager son con
joint.
1676- — Quel est l’effet de la donation faite au mé
pris des prescriptions de l’article 1099?
Aucun doute ne saurait exister à l’égard de la dona
tion indirecte. Elle est valable pour toute la quotité
disponible. Elle ne peut donc devenir l’objet d’une
action autre que celle en réduction. C’est ce que l’ar
ticle 1099 décide en termes formels.
1677. — Le sort de la donation déguisée ou faite
par personne interposée a, au contraire, suscité une
vive et grave controverse. Grenier, Toullier, Delvincourt, Merlin se prononcent pour la nullité absolue;
MM. Coin Delisle, Duranton, Poujol, Malpel, Yazeilles
enseignent qu’elle est seulement réductible. Cette der
nière opinion s’étaie des motifs suivants :
1678. — « Il est certain que sous l’empire du droit
romain et aux termes de la loi hac ædiclali, comme
�DU
DOE
ET
DE
EA
FRAUDE.
m
sous l’empire de l’ordonnance de 1650, les donations
déguisées ou faites par interposition de personne n’en
couraient pas d’autre peine que la réduction à une part
d’enfant moins prenant. Or, le Code civil, moins sévère
sur un point que cette législation, peut-il être censé en
avoir aggravé la disposition pénale? On ne pourrait
évidemment l’admettre.
« Cette première considération est corroborée par
le texte même de l’article 1099. Ainsi, sa première
disposition porte que les epoux ne pourront se donner
indirectement au-delà de ce qui leur est permis par les
articles ci-dessus; donc la prohibition n’existe que pour
l’excédant; c’est là d’ailleurs une légitime déduction de
ce principe qu’on peut faire d’une manière indirecte ce
qu’il est permis de faire directement.
« Dès-lors aussi la nullité édictée par l’article 1099,
contre les donations déguisées ou faites par personne
interposée, ne peut s’entendre que relativement à la
quotité déclarée indisponible. Cette nullité n’est que la
sanction pénale de la prohibition de se donner indirec
tement au-delà de ce qui est permis. Cette seconde dis
position se lie donc intimement à la première; elle
n’est que la conséquence du principe posé dans celle-ci,
et il est de règle logique que la conséquence ne doit pas
être plus étendue que le principe.1
1679. — On répond dans l’opinion contraire :
1 Duranton, t. ix, n° 831 ;—Coin-Delisle, arl. 1099, n° 13 ;—Poujol,
des Donat., n° 5, art. 1099;—Malpel, des Suce., n° 260:—Vazeilles,
des Suce., n° S, art. 843.
�482
TRAITE
* Qu’on ne saurait avoir aucun égard à ce qui se
pratiquait sous l’empire de la loi liac œdiclali et l’or
donnance de 1650. La donation n’était pas alors an
nulée par l’excellente raison qu’aucune de leurs dispo
sitions n’autorisait où ne prononçait cette peine. On ne
pourrait donc consulter utilement cette pratique que si
le Code civil eût imité leur silence;
« Que, loin de là, le législateur avait voulu, à cet
égard, introduire un droit nouveau, et que cette inten
tion il l’avait clairement et expressément manifestée,
puisqu’en laissant les donations indirectes sous l’empire
de l’ancien droit, en les déclarant simplement réduc
tibles, l’article 1099 prononçait formellement la nullité
des donations déguisées ou faites par personnes inter
posées ;
* Que ne voir dans cette dernière disposition que
ce qui se trouve dans la première, c’est lui attribuer uiï
caractère par trop absurde, puisqu’elle ne constituerait
qu’une répétition insignifiante et inutile;
« Que la raison de l’une et de l’autre se justifie suf
fisamment par la nature de l’acte sur lequel elles dis
posent; que la donation indirecte n’exige, ni ne com
porte pas nécessairement l’idée d’une simulation ou
d’une fraude ; qu’elle peut résulter d’un fait ou d’un
titre commun aux deux époux, dont l’appréciation n’est
pas dès-lors dans le cas d’offrir de grandes difficultés;
que la donation déguisée ou faite par interposition de
personne demande au contraire à la fraude non-seule
ment le moyen de causer un préjudice, mais encore la
faculté de violer impunément la loi ; qu’indépendam-
�DU
DOL
ET
DU
LA
FRAUDE.
483
ment donc de l’intérêt des tiers, il y avait à' assurer Je
respect qu’exige celle-ci, ce qui ne pouvait être atteint
que par la sévérité de la peine édictée;
« Qu’ainsi la raison justifie le texte si formel, au
secours duquel vient encore la discussion législative.
En effet, le seul des orateurs du conseil d’Etat qui se
soit occupé de la portée réelle de l’article 1099 n’hé
site pas à proclamer que la donation déguisée sera nulle
et non pas seulement réductible.1 »
1680. — Cette dernière opinion paraît en effet plus
conforme au texte de la loi ; elle a de plus l’incontesta
ble avantage d’ôtre mieux en harmonie avec l’économie
générale de la loi en matière de fraudes. Nous l’avons
vue, en effet, dans toutes les hypothèses, s’armer d’au
tant plus de sévérité que la fraude est plus imminente,
et qu’elle trouve dans la facilité qu’elle a à se produire
plus de chance de réussite. Pourquoi donc se serait-elle
départie de ce système à l’endroit des donations entre
époux ?
Est-ce que le danger est moins redoutable que dans
les autres cas d’incapacités ? Presque toujours, au con
traire, l’époux qui se remarie cède à l’entraînement
d’une passion vive, à l’ardeur de désirs qui ne s’arrête
ront pas devant une question d’argent. Celui qui ambi
tionne une paternité nouvelle, se montrera oublieux de
son ancienne paternité. Et que sera-ce pour ces maria1 Merlin, Rep., v° secondes noces , § 7, n° 10 ; — Grenier, n° 691 ;
™ Toullier, t. v, n° 901 ; — Delvincourt, t. il, p. 447.
�■ 584
TRAITE
ges disproportionnés unissant la force à la faiblesse, la
caducité à la jeunesse, la vie à la mort?
On recourra donc au déguisement, à l'interposition
de personnes, d’abord parce que telle sera la condition
imposée, ensuite parce que la difficulté de découvrir
l’une et l’autre multiplie les chances d’échapper à toute
répression. En effet, la preuve orale, les présomptions
elles mêmes, quoique d’un utile secours, seront, dans
bien de cas, insuffisantes. Elles créeront un soupçon
plusfou moins violent, de doutes sérieux auxquels ce
pendant les juges ne croiront pas devoir s’arrêter. Un
soupçon est encore fort loin d'une certitude, et ainsi
se trouvera consommée cette spoliation que la loi tient
à empêcher.
Il importait donc pour prévenir ce danger, et comme
correctif, de se montrer très sévère pour les consé
quences de la découverte de la fraude. La crainte de
tout perdre est de nature à faire réfléchir les époux et
à les détourner de ces voies tortueuses dans lesquelles
ils pourraient être tentés de s’engager. Se borner à
réduire la donation frauduleuse, c’est-à-dire conférer
au conjoint tout ce qu’il aurait pu recevoir, tout ce
qu’il recevrait par l’emploi des moyens les plus légi
times, était un puissant encouragement pour la fraude.
Pourquoi, en effet, ne tenteraient-on pas les chances
d’une réussite puisqu’en cas d’échec on conserverait
toujours l’intégralité de la quotité disponible. En pré
sence d’un pareil résultat, l’époux, cherchant à violer
la loi, n’aurait pas manqué de se dire, qu’on nous passe
la trivialité de l’expression, si la donation déguisée, si
�du dol e t
r>E
la f r a u d e .
485
l’interposition de personne ne produit aucun bien , elle
ne peut produire aucun mal, essayons-en donc, puisque
tout ce qui peut en résulter de pire, c’est d’être' placé
dans la position que j’aurais si j’avais scrupuleusement
respecté la loi.
Le système de la nullité absolue rend cet odieux
calcul moins tentant. Quelque difficile que soit la dé
couverte de la fraude, la preuve testimoniale offre au
moins une chance d’v arriver, et dès-lors de tout per
dre. Toute légère qu’elle soit, cette chance peut donner
à penser au donataire et le porter à préférer la posses
sion légale de la quotité disponible, plutôt que de la
courir.
Dira-t-on qu’on ne recourra à la fraude qu’après s’ê
tre assuré cette quotité par une disposition directe?
Mais, dans cette hypothèse, noire question n’a plus au
cun intérêt. Qu’importe, en effet, que la donation soit
nulle ou simplement réductible. Il n’y a plus rien à re
cevoir dès l’instant que la disponibilité est épuisée. Dans
un cas comme dans l’autre, la donation resterait sans
effets possibles, et il deviendrait fort inutile de cher
cher à en déterminer le véritable caractère.
Ainsi, le système de la nullité absolue, textuellement
consacré par l’article 1099, se recommande en outre
par la haute moralité de ses conséquences. On doit donc
le consacrer. C’est du moins ce que la Cour de cassation
n’a pascessé de faire.
1681. — Saisie une première fois de la question,
elle juge, le 30 novembre 1831, que la donation dégui
�sée faite par époux, veuf, ayant des enfants d’un pre
mier lit, au profit de son nouvel époux, est frappée
d’une nullité absolue et non pas seulement réductible.
Cet arrêt, rendu après délibération en chambre de
conseil, rejette le pourvoi formé contre la décision
conforme de la Cour d’Angers,
Plus tard, la Cour de Rouen décidant le contraire,
son arrêt est déféré à la Cour suprême. Après un nou
veau délibéré en chambre de conseil, cet arrêt est cassé
le 11 novembre 1834.
Enfin, par un dernier arrêt du 27 mars 1838, la
Cour régulatrice, mise en demeure de se prononcer
une troisième fois, et persistant dans sa jurisprudence,
consacre de nouveau la nullité de la donation fraudu
leuse.
Ce dernier arrêt fixe nettement le sens et la portée
réelle de l’article 1099 dans son application aux dona
tions indirectes et à celle que la fraude à fait déguiser.
Voici, sur leur différence, la doctrine de la Cour de
cassation :
« Attendu que l’article 1098 se borne à fixer la quo
tité dont les époux peuvent disposer l’un au profit de
l’autre ;
< Que l’article 1099 a pour objet de régler entre
époux la valeur des donations indirectes et des dona
tions déguisées ou faites à personnes interposées ;
« Qu’il accorde effet aux premières jusqu’à concur
rence de la quotité fixée par l’acticle 1098, mais qu’il
déclare nulle les secondes ;
t Attendu que si la distinction établie par cet article
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE•
481
ne se retrouve plus, lorsqu’il s’agit de donations autres
que celles que les époux se font l’un à l’autre, il en
résulte seulement que, pour ce genre particulier de
donations, la loi a cru devoir introduire une règle plus
sévère, mais qu’il n’en résulte nullement que la dispo
sition spéciale et formelle de la loi ne doive pas rece
voir son exécution.1 »
1682. — Nonobstant cette persévérante jurispru
dence de la Cour de cassation, la Cour de Bourges et
celle de Paris se sont prononcées dans le sens con
traire, la première, par arrêt du 9 novembre 1856 ; la
seconde, par arrêt du 21 juin 1857.2 Mais les motifs
que nous venons d’exposer enlèvent, à notre avis, à ces
deux décisions, tout caractère juridique.
1685. - Il faut donc, avec la Cour de cassation,
arriver à cette conclusion : qu’on doit distinguer les
donations indirectes des donations déguisées ou faites
à personnes interposées ; que les premières sont réduc
tibles et valables pour toute la quotité disponible; que
les dernières sont absolument nulles. Cette peine n’a
rien de trop sévère en présence de la facilité que ren
contre la fraude qu’elle tend à prévenir, et des dangers
qu’elle fait courir à ceux qui sont exposés à en subir les
conséquences.
t.
1 J. D. P., t. r, 1858,
r. 1844. . 500.
d
p.
658, v. Limoges, 16 juillet, 1842;— Ibid.,
�488
rilA iT E
1684 — Nous nous sommes déjà occupés des inca
pacités édictées par l’article 909. Nous en avons indi
qué la nature, et les effets. Nous nous bornons donc,
pour ce qui les concerne, à nous en référer à nos pré
cédentes observations.1
1685. — Les motifs qui ont fait proscrire les avan
tages excessifs entre époux militaient pour empêcher
que les ascendants ou descendants pussent être privés
directement ou indirectement de la portion des biens
que la loi a entendu leur réserver. La transmission des
biens la plus juste, parce qu’elle est la plus naturelle,
est celle qui se règle par les liens de la nature et du
sang. C’est aussi celle que la loi admet et consacre.
Sans doute, et dans bien des cas, la volonté du pro
priétaire, donnant ce qui lui appartient, vient se substi
tuer à la loi, mais, quelque respectable que soit le droit
légitimant cette conséquence, le législateur n’a pas
hésité à lui tracer des limites qu’il ne saurait franchir.
Il importe que le père de famille ait la faculté de recon
naître la bonne conduite et le mérite des uns, de punir
l’ingratitude des autres, mais cette faculté ne saurait
aller jusqu’à l’exhérédation completle de cenx-ci au
profit de ceux-là, et moins encore au profit d’un étran
ger. De là l’indisponibilité, partielle des biens créée à
l’endroit des enfants et ascendants par les articles 915
et 915 du Code civil. Or, ce qu’il n’est pas permis de
faire par testament, ne saurait légalement résulter d’une
1 V. sùp., iiu* 104 elsuiv., 1465.
�DU DOL ET
489
de la f r a u d e .
donation entre vifs. En conséquence, la prohibition de
léguer renferme virtuellement celle de donner au-delà
de la quotité disponible.
1686. — La réserve des ascendants est, à défaut
d’enfants ou descendants, d’un quart pour la ligne pa
ternelle, d’un quart pour la ligne maternelle, sans qu’il
puisse jamais s’opérer aucune dévolution d’une ligne à
l’autre. Par rapport à eux, la quotité disponible est
donc des trois quarts ou de la moitié, selon qu’il en
existe ou non dans les deux branches. L’article 1094
permet en outre, dans le cas spécial, de grever d’usu
fruit la totalité de leur réserve.
1687. — La légitime des enfants se calcule sur le
nombre de ceux qui existeront au moment du décès de
leur auteur. Elle est de la moitié des biens, si le père ne
laisse qu’un enfant, de deux tiers s’il en laisse deux, de
trois quarts s’il en laisse trois ou un plus grand nom
bre. La quotité disponible est donc du quart au mini
mum, mais elle peut être du tiers ou de la moitié.
Cette quotité peut être donnée par le père soit à l’un
ou plusieurs de ses enfants, soit à un. étranger. Ce droit
ne subit qu’une exception, à savoir : le cas de minorité
du disposant.
Ainsi, le mineur est incapable de donner entre vifs.
11 ne peut disposer par testament qu’après avoir atteint
sa seizième année, et encore ne lui est-il permis de
donner que la moitié de ce qu’il aurait pu donner s’il
avait été majeur.
in
22
�490
traite
Le fondement de celle exception réside dans la qua
lité de mineur. La faiblesse de son âge, son inexpé
rience l’exposent à des entraînements dont il est inca
pable d’apprécier sainement les conséquences, pouvant
aller cependant jusqu’à son dépouillement complet. La
loi devait donc le protéger contre sa propre impru
dence. Aussi ne se départ-elle de toute sollicitude que
lorsque le mineur, agissant sous les yeux et avec le
concours de ses protecteurs naturels, trouve dans ce
concours une défense légitime et une protection effi
cace. C’est ce qui se réalise notamment dans l’hypo
thèse de l’article 1095, dans laquelle le mineur est,
même pour la donation, complètement assimilé au ma
jeur.
1688. — L’indisponibilité créée par les articles 915
et 915 n’est pas moins absolue que celle résultant des
articles 1094 et 1098- Conséquemment, pour l’une
comme pour l’autre, les moyens qui tendraient à la mé
connaître directement ou indirectement ne pourraient
produire le moindre effet. La donation arrivant à ce ré
sultat serait donc, de plein droit, réduite à la seule quo
tité disponible.
1689. — La donation indirecte peut résulter de
l’abstention par le père de recueillir un avantage, qui
se trouverait ainsi transmis à celui qu’il veut favoriser.
Supposez qu’un époux, ayant des enfants d’un premier
lit, renonce, après la dissolution de son second ma
riage, à la communauté évidemment avantageuse, ou
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
m
bien qu’institué par son conjoint légataire de la quotité
disponible, il renonce au legs. Dans l’une et dans l’autre
hypothèse, les enfants du second lit recevront intégra
lement un bénéfice auquel, dans le cas d’acceptation,
les enfants du premier lit auraient été nécessairement
appelés à participer. Pourront-ils, dès-lors, soutenir
que la renonciation de leur auteur est une donation in
directe, et, comme telle, la faire réduire?
L’affirmative ne nous parait pas contestable. Déjà
nous avons vu que les créanciers de celui qui v au pré
judice de leurs droits, renonce à une succession ou à
une communauté, sont recevables à faire révoquer la
répudiation. Comment pourrait-on contester ce droit
aux enfants qui éprouveraient un égal préjudice?
La seule différence possible entre les créanciers et
les enfants du premier lit se fait remarquer dans l'exer
cice du droit qui leur est commun. Pour les premiers,
cet exercice peut être actuel et suivre immédiatement
la répudiation; pour les derniers, au contraire, la rece
vabilité est nécessairement subordonnée au décès de
leur auteur. Ce n’est, en effet, qu’à cette époque que la
quotité disponible étant déterminée, ils peuvent être
admis à prétendre qu’elle a été dépassée.
Cette différence dans l’exercice du droit en signale
une autre dans les effets de l’action. Celle-ci consiste
en ce que celle des créanciers est une action en nullité,
tandis que celle des enfants ne constitue jamais qu’une
demande en réduction et en rapport.
1690. — La faculté pour l’époux de donner à son
�•192
traite
conjoint l’usufruit de la moitié ou le quart en propriété
et le quart en usufruit, a fait naître la question de savoir
si cette quotité pouvait ou non être cumulée avec celle
de l’article 915.
Cette importante et délicate question est en voie
d’être législativement résolue. L’Assemblée nationale
est investie d’une proposition tendant h autoriser le
cumul dans tous les cas. Cette solution, contraire à la
jurisprudence de la Cour de cassation, estune preuve
nouvelle du peu de fondements de cette jurisprudence.
Condamnée par tous les jurisconsultes, elle l’est encore
par nos moeurs et nos besoins sociaux.
On le sait, la question du cumul peut se présenter
dans trois hypothèses : 1° le donateur, ayant disposé,
en faveur d’un tiers, enfant ou étranger, du disponible
de l’article 915, soit d’un quart de ses biens en pleine
propriété, laisse ultérieurement, à son conjoint, soit
l’usufruit de la moitié, soit la jouissance d’un autre
quart ; 2° les deux dispositions sont renfermées dans
un seul et même acte, quel que soit l’ordre suivi pour
l’un et pour l’autre; 5° l’époux, après avoir donné, par
contrat de mariage, à son conjoint l’usufruit de ses
biens, dispose plus tard de la nue-propriété d’un quart
en faveur d’un enfant ou d’un étranger.
Le cumul est admis, sans difficultés, dans les deux
premières hypothèses. Les doutes qui s’étaient élevés
dans le cas d’un acte unique ont été définitivement
tranchés par un arrêt de la Cour de cassation du 9 no
vembre 1846-1
t L lerilleneuve, 40 , 1, 801.
�Quelle est, dans l’une et dans l’autre, la position des
réservataires?L’exécution de la double disposition leur
enlève d’abord un quart en toute propriété et un quart
en jouissance; leur légitime se trouve,dès-lors,réduite
aux trois quarts des biens, dont un reste frappé d’usu
fruit. En d’autres termes, ils sont dans la même posi
tion qu’ils auraient si la quotité la plus large de l’ar
ticle 1094 avait été épuisée en faveur de l’époux seul.
Or, un effet parfaitement identique se produit dans
la troisième hypothèse. Les réservataires y sont appelés
à recueillir exactement ce à quoi ils sont réduits dans
une des deux premières. Cependant, dans celle-ci, la
Cour de cassation refuse de sanctionner le cumul
qu’elle autorise dans les deux autres.
Quel peut être, en raison et en droit, le motif de
cette différence essentielle? A première vue, il paraît
difficile d’en imaginer de plausibles. Voici ceux que la
Cour de cassation invoque dans les arrêts qu’elle a ren
dus dans une période de douze ans, depuis 1837 jus
qu’en 1849.
L’usufruit donné précédemment à l’époux doit être
évalué. Comprenant la moitié des biens, il équivaut au
quart en pleine propriété; il atteint, dès-lors, l’inté
gralité du disponible de l’article 913. Dès-lors, cette
quotité étant épuisée, les tiers ne peuvent plus rien re
cevoir sans qu’il soit porté atteinte à la quotité indis
ponible fixée par cet article. On ne pourrait aller audelà que par application de l’article 1094 ; mais cet
article constituant un bénéfice exclusif et personnel
�49â
t r a it e
au conjoint, nul autre que lui rie saurait s’en préva
loir. 1
L’autorité du premier de ces motifs est singulière
ment atténuée par le démenti qu’il reçoit de la Cour de
cassation elle-même, dans l’hypothèse d’un acte unique
renfermant les deux dispositions. Le cumul est valable
dans tous les cas, et cependant si, par l’ordre suivi, la
disposition de la moitié de l’usufruit en laveur du con
joint est la première inscrite, l’objection faite, lorsqu’il
y a deux actes distincts, est parfaitement applicable. Cet
usufruit équivalant au quart en propriété, le disponible
de l’article 91o est épuisé, et, dès-lors, nul autre que
le conjoint ne devrait plus rien recevoir. Pourquoi, dèslors, permettre au tiers, enfant ou étranger, de recueillir
le don dont il est l’objet? Et si on le permet dans.cette
hypothèse, pourquoi le défendre dans celle de deux
actes séparés et distincts? Le résultat étant rigoureu
sement le même dans les deux cas, pourquoi une si
énorme différence dans les effets?
Ainsi, on arrive à cette singulière conséquence que
ce n’est plus par le nombre des réservataires que se
calcule la quotité disponible ; on fait de cette quotité
une question de dates dans les dispositions qu’en fait
l’auteur. Sur quelle disposition de loi pourra-t-on fon
der une pareille doctrine?
1 Cass., 21 juillet 1859, 21 novembre 1842, 22 novembre 1845,
4 août 1846, 27 décembre 1848, 7 mars 1849 ; — J o u rn a l d u pa la is,
tom. n, 1839, pag. 59; tom. i de 1845, pag. 121, et lom. ii , pag. 798;
tom. i, 1847, pag. 55; tom. r, 1849, pag. 22 et 644 ; —• Aix, 25 mas
1851, inédit.
�Dü
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
495
Cette première considération, et la contradiction in
soluble qu’elle signale, indique un vice radical dans le
système que nous combattons. On ne devrait donc l’ad
mettre que si, à côté de cet inconvénient, venaient se
placer des motifs graves de nature à en affaiblir l’effet.
Or, il faut bien le reconnaître, aucun de ceux invoqués
par la Cour de cassation n’offre ce caractère.
Est-il vrai, en effet, que le don de la moitié en usu
fruit, fait au conjoint, épuise la quotité disponible de
l’article 91 o? Pour le décider ainsi, il faut convertir cet
usufruit en propriété et fixer à la moitié la proportion
dans laquelle cette conversion doit être opérée.
Mais cette conversion est purement arbitraire ; elle
est repoussée par la nature des choses, par l’antinomie
existant eptre ces deux droits. L’usufruit est un dé
membrement de la propriété; celui qui l’exerce n’a au
cun des attributs du propriétaire ; il doit jouir en bon
père de famille, et, s’il s’écarte de cette obligation, le
propriétaire, qui seul peut user et abuser, mettra fin à
sa jouissance. En réalité, et pour nous servir des expres
sions de la loi romaine, l’usufruit non dominii pars, secl
serviludis locum oblinet.
fl n’est donc pas possible de se livrer à l’assimilation
que commande la Cour de cassation. On comprend la
conversion de l’usufruit en droit dé propriété, lorsque
l’agissement qu’il faut opérer n’a pas d’autre moyen de
se réaliser; ainsi, par exemple, lorsqu’il s’agit du droit
de mutation ou d’enregistrement, il faut, à l’un et œ
l’autre, une base certaine, et l’on s’explique, dès-lors,
que le législateur ait non-seulement fixé la conversion,
�406
traite
mais encore créé, dans un but de fiscalité, la propor
tion déterminée par la loi du 22 frimaire an vu.
Mais recourir à cette loi spéciale dans les cas ordi
naires, notamment dans notre espèce, convertir l’usu
fruit en pleine propriété, c’est faire violence à son ca
ractère distinctif, c’est le dénaturer, c’est de plus, et
dans certaines circonstances, consacrer un mensonge.
« Il n’y a, dit Proudhon, aucune disposition dans
nos lois qui fixe la valeur comparative de l’usufruit et
de la propriété, si ce n’est en ce qui concerne le droit
d’enregistrement, pour la perception duquel, en cas de
mutation, l’usufruit est considéré comme valant la moi
tié du fonds. Mais si cette estimation, qui n’est faite que
dans l’intérêt du fisc, peut être invoquée pour exemple
et comparaison, il est évident qu’elle ne peut être prise
pour règle générale dans l’intérêt des citoyens entre
eux; car si l’usufruit légué à un homme de vingt ou
trente ans peut valoir la moitié du fonds, il serait ab
surde d’en dire autant de celui qui serait légué à un
vieillard de quatre-vingt-dix ans.1 »
On pourrait même, sans trop de témérité, aller plus
loin encore. Comment donner une valeur certaine à
l’usufruit, même lorsqu’il s’agit d’un homme de 20 ou
50 ans. La chance de longévité obéit-elle toujours aux
lois de la nature," et l’événement ne viendra-t-il pas
donner le plus évident démenti aux probabilités les plus
légitimes ?
Tel est cependant le système que la Cour de cassation
’ D e l'U s u fr u it, n° 364.
�DU
DOE
ET
DE
LA
FRAUDE.
497
•consacre sans besoins, sans aucune nécessité, et dans
l’objet unique d’imputer sur la quotité de l’article 913,
ce qui devait naturellement l’être sur celle de l’ar
ticle 1094. Ne doit-on pas en effet admettre que l’époux,
disposant en faveur de son conjoint, s’en est nécessai
rement référé à ce dernier, et que, s’il n’a pas épuisé le
droit que cet article lui confère, c’est qu’il a voulu se
réserver la faculté de le compléter plus tard. En fait, le
disponible n’est pas épuisé, le quart en nue-propriété
peut encore être donné. Pourquoi ne le serait-il pas à
l’étranger ou à l’enfant, comme il pourrait l’être au con
joint ?
Nous rencontrerons ici la réponse dans le second ar
gument de la Gourde cassation. C’est, dit-elle, que, pour
autoriser cette disposition, il faut nécessairement re
courir à l’article 1094, et que nul autre que l’époux ne
saurait être admis à en revendiquer le bénéfice.
La règle est irréprochable, mais on ne peut en dire
autant de l’application que la Cour de cassation entend
en faire.
Fixons-nous bien d’abord sur le véritable caractère
de l’article 1094. Sa disposition ne crée pas une seconde
quotité disponible, elle ne fait qu’étendre la quotité or
dinaire en faveur du conjoint. De là on a tiré cette juste
conséquence que nul autre que lui ne pourra profiter
de cette extension.
Ainsi, lorsque l’époux a disposé en faveur d’un tiers,
enfant ou étranger, de la quotité ordinaire, il peut encore
disposer, en faveur de son conjoint, d’une quotité en
usufruit, mais il ne pourrait le faire au profit du tiers.
�498
TRAITÉ
Vainement celui-ci prétendrait-il que le donateur n’a
fait que ce que la loi lui permettait de faire, on lui ré
pondra avec raison que l’article 1094 concerne exclu
sivement le conjoint, qu’il est donc non-recevable et
mal fondé à se prévaloir de sa disposition.
Mais est-ce profiter de l’article 1094, lorsque, par la
combinaison adoptée par l’époux, le tiers est appelé à
concourir avec le conjoint à la répartition de l’entière
quotité disponible? Pour résoudre affirmativement cette
question, il faudrait soutenir, comme on l’a fait, que la
quotité de l’article 109-4 est indivisible, et qu’on ne
peut admettre l’extension qu’il autorise que dans le cas
où la disposition de la quotité ordinaire a été déjà faite
en faveur du conjoint.
Or, cette indivisibilité, repoussée dans l’hypothèse
d’un acte unique, et dans celle d’infériorité de la dispo
sition en faveur du conjoint, la Cour de cassation l’a
proscrite en principe, c’est ce qui résulte notamment
de son arrêt du 18 novembre 1840*
Il s’agissait dans cette espèce de la réserve des ascen
dants que l’article 1094 permet de grever d’usufruit. La
question qui s’y agitait était celle de savoir si l’époux,
décédé sans enfants, avait pu valablement, alors même
qu’il dispose en faveur d’un étranger de la quotité dis
ponible de l’article 915, léguer à son conjoint survi
vant l’usufruit de la réserve de l’ascendant?
On soutenait la négative, en se fondant sur le texte de
l’article 1094. La législation suppose, disait-on, que le
conjoint a déjà reçu ou reçoit effectivement la quotité
de l’article 915, puisqu’il permet de lui accorder en sus;
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
499
l’usufruit de la portion réservée. L’attribution de la pre
mière, en faveur d’un tiers, fait donc disparaître la con
dition essentielle, et ne permet plus la disposition ulté
rieure de cet usufruit.
C’est cette opinion que M. l’avocat général Delangle
avait adoptée et qu’il étayait des considérations sui
vantes :
C’est en faveur du mariage, c’est à cause de l’époux,
c’est en raison de sa position que le droit de l’ascendant
a été déterminé, et dès-lors n’est-il pas logique de con
clure que si Je testament appelle un tiers à recueillir une
partie des biens, le cas prévu par la loi ne se rencontre
pas ; que la réserve reprend toute sa force, l’article 915
toute son énergie, et que si l’ascendant est contraint de
s’humilier devant l’époux, ce sacrifice ne lui est plus
imposé envers un étranger.
Quelles sont, ajoutait ce magistrat, les objections que
l’on oppose?
1° En fait, que la libéralité n’embrassant que l’usu
fruit, la femme a reçu ce qu’elle pouvait recevoir ! Mais
c’est là travestir en question de fait, une question de
droit, c’est éluder la difficulté. Il s’agit d’une question
de disponibilité; qu’en soi, et considérée par abstraction,
la disposition soit valable, on le peut admettre; mais on
ne peut la séparer de la disposition faite au profit d’un
tiers, au profit d’un étranger, et c’est ce mélange, que
la loi proscrit, qui s’oppose à l’exécution complette du
testament. De ce que le mari pouvait plus, il ne s’en suit
nullement qu’en donnant moins il ait valablement dis-
�500
t r a it e
posé, car la disposition du plus était soumise à une con
dition impérieuse;
2° Que la loi n’interdit pas l’attribution à un tiers de
la quotité disponible ! Mais c’est oublier la nature de la
disposition de l’article 1094. Dès qu’elle est exception
nelle, il était inutile que le législateur s’expliquât autre
ment qu’il ne l’a fait. N’est-ce pas d’ailleurs une des né
cessités de toute loi qui déroge au droit commun de ne
pouvoir sortir de sa sphère?
M. Delangle posait donc comme certaine qf .positive
l’indivisibilité de l’article 1094; l’impossibilité pour les
tiers d’en recevoir une partie quelconque, et cela nonseulement lorsqu’il s’agit d’un réservataire ascendant,
mais encore dans celui où le réservataire serait un des
cendant. Àscendantoudescendant, s’écriait-il, ne s’agitil pas toujours de la réserve? N’est-ce pas la même dis
position, le même droit? N’est-il pas vrai qu’une seule
chose est changée, la quotité du droit?
Mais la Cour suprême, après une mûre délibération,
repousse cette doctrine, elle admet la divisibilité de la
quotité disponible de l’article 1094, et juge en consé
quence qu’elle pouvait être répartie entre le conjoint et
le tiers, pourvu que celui-ci ne reçoive rien au-delà de
la quotité ordinaire, et que le conjoint profitât exclusi
vement de l’extension autorisée par l’article 1094.1
Ce qu’il importe de relever dans cet arrêt et dans les
considérations qui y sont développées, ce sont les deux
motifs suivants :
1 D. P. il. 1 .19.
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
501
« Attendu que de la combinaison des articles 915 et
1094 il résulte que l’époux, qui décède sans enfants,
mais laissant un ou plusieurs ascendants dans une ligne,
peut disposer en faveur de l’autre époux, non-seulement
de ce dont il pourrait disposer en faveur d’étrangers,
mais encore de l’usufruit de la portion réservée aux as
cendants ; que cette extension de la faculté de disposer
donnée à un époux en faveur de l’autre époux, qui a
pour objet de resserrer les liens de l’union conjugale, est
toute personnelle à l’époux et qu’aucun étranger ne peut
en profiter ;
Attendu, toutefois, qu’on ne saurait induire de là que
l’époux, qui dispose, en faveur d’un étranger, de la quo
tité disponible déterminée par l’article 915 et de l’usu
fruit de la portion réservée aux ascendants en faveur de
l’autre époux, fait profiter l’étranger de l’extension portée
en faveur de l’époux par l’article 1094, puisque l’étran
ger ne recueille que le disponible de l’article 915. »
Ainsi, l’époux n’est pas obligé de donner à son con
joint l’intégralité du disponible de l’article 1094. Il peut,
par la combinaison de cet article avec l’article 913 ou
915, réduire l’époux à l’extension qu’en sa faveur la loi
donne au disponible ordinaire, et donner celle-ci à un
étranger. Pour ce dernier, sa position est réglée par
l’émolument qu’il est appelé à prendre. Il n’est pas, il
ne peut pas être réputé profiter de l’article 1094, si cet
émolument ne dépasse ou n’atteint pas celui qu’il pour
rait recevoir en force de l’article 915 ou 915.
Non-seulement la Cour de cassation proclame le prin
cipe, mais encore elle en fait elle-même l’application
�502
T R A IT l!
dans l’hypothèse d’une double disposition par un acte
unique. Comment donc l’existence de deux actes, qui
n’est pas un obstacle lorsque la donation à l’étranger
est antérieure à celle faite au conjoint, en créerait-elle
un invincible dans le cas d’antériorité de celle-ci? Estce que la date des actes pourra avoir pour effet de faire
admettre que le tiers profite de l’aHiele 1094, lorsque,
par le fait, il ne recevra pas même ce que l’article 915
lui permettrait de recevoir? Lorsque, d’autre part,
l’époux seul recueillera l’extension du disponible créée
en sa faveur? On peut le dire sans crainte, la raison
repousse un pareil résultat.
La loi ne se préoccupe de la date des libéralités que
dans le cas où il y a Heu à réduction, leur ensemble
dépassant la quotité disponible. Or la question de savoir
s’il y a inofficiosité ne peut naître qu’au décès du do
nateur et lorsque s’ouvre le droit des héritiers.
Or, dans notre hypothèse, l’époux, délaissant plus de
deux enfants et un conjoint, pouvait donner ou léguer
le quart en pleine propriété et le quart en usufruit. En
fait, il n’a disposé de rien au-delà, donc la querelle
d’inofficiosité ne serait pas fondée.
Le don du quart en nue-propriété, fait au tiers, enfant
ou étranger, n’a pas besoin , pour sortir à effet, de se
placer sous le patronage de l’article 1094. L’article 913
suffît pour assurer sa validité. Le tiers n’invoquera pas
le premier, il n’en profitera pas non plus, car, loin
de recevoir quelque chose au-delà du disponible ordi
naire, il ne le reçoit même pas en totalité. L’époux seul
est appelé à recueillir l’extension créée en sa faveur par
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
503
l’article 1094. A cet égard donc, toutes les exigences de
la loi se trouvent remplies, et, dès-lors, le système que
nous combattons n’a aucune base légitime.
Ainsi la Cour de cassation proclame la divisibilité de
l’article 1094 et, après l’avoir érigée en principe, il la
repousse ou l’admet, suivant la date des deux libérali
tés, ou suivant qu’elles sont ou non renfermées dans un
seul acte. Elle décide que la quotité indisponible est
atteinte, malgré que, dans l’hypothèse d’un seul acte
renfermant la môme disposition, le même résultat pour
les réservataires, elle refuse de reconnaître la moindre
atteinte à cette môme quotité ; elle fait donc dépendre
la disponibilité d’un événement complètement en de
hors des éléments sur lesquels la loi a basé toutes ses
prévisions. Elle ne peut enfin arriver à cette évidente
contradiction que par la conversion du droit d’usufruit
en droit de propriété. On a donc eu raison de reprocher
à la jurisprudence d’être fondée sur des éléments hété
rogènes , contradictoires entre eux et contradictoires
avec les règles sur la quotité disponible.
Sous un autre point de vue, cette jurisprudence s’é
carte de l’esprit de la loi. Notre Code a voulu étendre ,
pour le père de famille, la faculté de disposer d’une
partie de ses biens. C’est ce que la Cour de cassation
reconnaissait elle-même lorsque, après avoir longtemps
jugé le contraire, elle a décidé que la quotité disponible
devait être calculée sur tous les biens précédemment
donnés qui devaient être fictivement rapportés, et que
l’imputation du don fait à l’enfant renonçant devait se
�504
t r a it é
faire d’abord sur la réserve et subsidiairement sur la
quotité disponible.
Cette jurisprudence porte atteinte à la puissance pa
ternelle, en enlevant au père le plus précieux de ses
attributs, la faculté de récompenser et de punir. Elle
affaiblit son autorité, dont elle brise d’avance le plus
énergique ressort, le plus puissant mobile.
Enfin, elle compromet le mariage lui-même. Une des
conditions de sa célébration peut être la donation mu
tuelle delà moitié en usufruit des biens qu’on délaissera,
condition que ne manquera pas de repousser celui qui
ne voudra pas, pour devenir époux, abdiquer ses de
voirs ou ses droits de père.
C’est par le développement de ces considérations
diverses que les jurisconsultes ont à peu près unanime
ment critiqué la doctrine de la Cour de cassation.
Grenier, qui l’avait d’abord adoptée, Ta complètement
désertée dans sa seconde édition pour se rallier à l’avis
contraire, qu’il trouve plus juste que celui pour lequel il
avait d’abord penché.1
Touiller n’a pas hésité à se prononcer pour le cumul,
qu’il déclare conforme à la raison, à l’équité et au bon
droit. A l’époque où Tojullier écrivait, la Cour de cas
sation n’avait encore rendu que l’arrêt du 21 juillet 1813,
que ce savant jurisconsulte approuve, en se renfermant
dans l’epèce sur laquelle il a été rendu, c’est-à-dire au
cas de secondes noces, et à l’endroit du disponible fixé
par l’article 1098. Mais, contrairement à l’indication de
1 D es
D o n a l.,
t. n, pag. 584,
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
505
Farrêtiste, Toullier prouve que la doctrine de cet arrêt,
ne saurait être appliquée au cumul des quotités des ar
ticles 913 et 1094.1
La doctrine contraire invoque les noms de Durai)ton
et de Proudhon, mais c’est à tort, selon nous. L’un et
l’autre, en effet, ne disent qu’une seule chose, à savoir:
que l’extension de quotité créée par l’article 1094 ne
saurait, dans aucun cas, profiter au tiers, ce qui, dans
le sens que nous venons de lui donner, est parfaitement
juridique.®
Depuis les arrêts de 1837 et de 1839- M. Benech,
professeur à la faculté de Toulouse, a publié un traité
sur la quotité disponible entre époux. La question que
nous examinons y est traitée et résolue sous toutes ses
faces. La réfutation de la doctrine de la Cour de cassa
tion est complette et décisive.
Le compte rendu de ce traité a déterminé des adhé
sions nombreuses au système qu’il développe. Voici la
conclusion d’un article fort remarquable, dû à la plume
de M. Pont, collaborateur de M. Rodière et coauteur
d’un excellent traité sur le contrat de mariage :
i Ce qu’on peut affirmer, c’est que, s’il fallait re
garder comme une expression exacte de la loi les solu
tions que la Cour de cassation a consacrées, on devrait,
par cela même, reconnaître que le législateur a complè
tement manqué de vues arrêtées sur l’emploi de la quo
tité disponible fixée par l’article 1094. Comment con' Tom. v, n°a 870, 871 et 871 bis.
î Tom. ix, n° 796; — de l’U s u fr u it, 1.1, n° 560.
�506
TRAITE
cevoir, en effet, que le concours des deux libéralités
étant admis lorsque ces libéralités sont faites par un
même acte ou par des actes séparés, mais avec antério
rité en faveur du tiers, enfant ou étranger, ce concours
ait dû, dans la pensée du législateur, être rejeté lorsque
l’ordre inverse a été suivi? La raison même s’élève con
tre une pareille supposition ; et, la résistance des tribu
naux aidant, il est présumable que le différend sera vidé
un jour par la seule autorité des principes, et abstrac
tion faite des circonstances particulières auxquelles le
législateur ne saurait assurément avoir songé.1 »
Cette résistance* que M. Pontappelle, s’est manifestée
par de nombreux arrêts. Nous ne saurions mieux résu
mer notre discussion qu’en transcrivant les remarqua
bles motifs de celui rendu par la Cour de Paris, le 16
novembre 1846 :
« Attendu que la portion disponible n’a pas été seu
lement fixée d’après le nombre et la qualité des héri
tiers à réserve, mais aussi à raison de la qualité des
personnes à avantager; que c’est ainsi qu’après avoir
fixé, par l’article 913, la quotité disponible, eu égard
au nombre d’enfants, l’article 1094 a établi une dispo
nibilité plus étendue entre conjoints;
« Attendu qu’il est impossible de croire que le légis1 Revue de législation de M. Wolowski, tom. i, 1847, pag. 493.
Vide en outre Guilhon, Bernai., tom. i, n° 269 , pag. 266 ; — Delyincourt, tom. n, pag. 731 , n° 4 ; — Duport Lavilette, v° quot. disp .,
tom. y, n° 715 ; — Rolland de Villargues, Rép. du not. ; — Vazeilles,
des Donat. , sur l’art. 1094.
�DD DOL E T DE LA FR A U D E .
507
la teiir n’ait pas en outre porté son attention sur le cas
où le disposant serait en même temps époux et père;
« Que si la loi ne contient aucune disposition qui
permette d’user cumulativement de toute la latitude ac
cordée par ces deux articles, il n’en existe aucune qui
défende d’épuiser la plus forte quotité, en la divisant
entre le conjoint et les enfants, pourvu que ces der
niers ne reçoivent rien au-delà de la quotité fixée par
l’article 915 ;
« Attendu qu’on ajouterait à la loi, si on l’interprétait
dans un sens contraire, et qu’on se mettrait en opposi
tion avec les principes d’après lesquels a été fixée la
quotité disponible, puisqu’au lieu d’étendre la faculté
du disposant en raison de ce qu’il doit s’occuper du sort
de ses enfants, en même temps que de celui de son
époux, on la restreindrait au contraire ; qu’une inter
prétation restrictive de la loi est combattue par son texte,
lorsque la libéralité en faveur de l’époux est postérieure
au don fait à l’enfant, et qu’il n’y a pas de raison plau
sible pour l’admettre quand elle est antérieure ; qu’en
effet, ce serait faire, de l’étendue du droit de disposer,
une question de dates;
« Attendu qu’il résulte de la nature des choses que ,
si la portion disponible fixée par l’article 1094 peut
être en son entier absorbée par deux dépositions, l’une
au profit des enfants, l’autre au profit du conjoint, quand
celle-ci est la dernière en date, il doit en être de même
quand la libéralité faite à l’enfant est postérieure; qu’en
effet le législateur, en calculant la quotité disponible, a
�508
traite
considéré à la fois l’intérêt des familles et l’intérêt poli
tique attaché au droit de disposer et de tester ;
« Attendu d’ailleurs que, postérieure ou antérieure,
chaque libéralité s’impute d’abord sur celle des portions
disponibles à laquelle elle se rapporte; qu’ainsi le don
fait à l’enfant s’impute sur la quotité disponible de l’ar
ticle 913, et le don fait au conjoint sur celle déterminée
par l’article 1094, que telle est évidemment l’intention
du disposant, alors même qu’il ne l’a pas exprimée,
qu’il n’y a donc pas lieu de rechercher à quelle portion
de propriété une donation d’usufruit, faite en vertu de
l’article 1094, peut équivaloir, et d’imputer cette por
tion sur la portion déclarée disponible par l’article 913;
<r Qu’en opérant ainsi, on dénature ce don d’usufruit
et on confond en une seule deux portions disponibles
distinctes.1
1691. — La conséquence naturelle de l’indisponi
bilité d’une partie des biens, et de son affectation spé
ciale en faveur de certains héritiers, est de leur con
férer une action en revendication des libéralités em
piétant sur leur réserve. Cette action existe non pas
seulement contre les donations directes, mais encore
contre tout acte renfermant, sous une apparence si
mulée, une véritable libéralité.
Or on admettrait facilement comme telles les obliga
tions souscrites et les ventes consenties par le père en
faveur d’un des successibles. Dans l’appréciation d’actes
1 J. L). P., tom. il, 184(5, pag. 645.
�DU
DOL
F.T
DE
LA
FR AU D E.
509
de ce genre, la justice trouve des éléments précieux de
décision dans les antécédents de famille, dans la con
duite du père à l’endroit de l’enfant avec qui il a con
tracté, et, vis-à-vis de ses autres enfants, dans la posi
tion respective des contractants. Si le père a toujours
montré une vive et aveugle affection pour l’enfant figu
rant comme créancier ou comme acquéreur; si la posi
tion pécuniaire de l’un ou de l’autre plaçait le père hors
de toute nécessité d’emprunter ou de vendre, et le fils
dans l’impossibilité d’acquérir ou de prêter; enfin, s’il
est dans l’impuissance de rendre un compte satisfaisant
de l’emploi des fonds, l’acte pourra ne paraître qu’une
libéralité sujette à réduction. La qualité des parties a
d’ailleurs son importance. En effet, si elle n’établit pas
de plein droit la fraude, elle est dans le cas de la faire
facilement présumer.
1692. — Mais la présomption légale de fraude est
admise à l’égard des aliénations dont parle l’article 918,
Ainsi les ventes faites à un successible en ligne directe,
soit à rente viagère et à fonds perdu, soit sous réserve
d’usufruit, sont considérées comme de pures libéralités.
Toutefois, et par une dérogation aux effets ordinaires de
la fraude, ces ventes produisent un double effet, à sa
voir: le transfert de la propriété sur la tête du prétendu
acquéreur; le droit de retenir et de s attribuer la quotité
disponible. L’unique obligation imposée par la loi à
l’enfant acquéreur est de faire raison à la masse de tout
ce qui excède la quotité disponible.
Bien entendu que ce rapport peut être exigé et doit
�510
tuaité
être opéré dans des justes proportions avec la valeur
réelle des objets vendus. Il peut se faire que le prix, s’il
en a été stipulé un, ait été uniquement établi dans l’in
térêt de l’acheteur, que le vendeur a voulu favoriser.
Les autres enfants seraient donc admissibles à en con
tester la vérité et l’exactitude. On doit d’autant plus se
montrer sévère à cet égard, que la vente emportant l’a
liénation de la quotité disponible, tout autre avantage
résultant du défaut de sincérité du prix constituerait
une atteinte à la réserve légale des enfants.
1695. — L’article 918 est remarquable sous un au
tre rapport. Il consacre, en effet, une exception formelle
à cette règle de morale publique qu’on ne peut traiter
sur succession future. Le successible, qui s’engagerait
conventionnellement à ne pas exiger le rapport de libé
ralités excessives, traiterait évidemment sur succession
future. Or, non-seulement l’article 918 fait résulter cette
interdiction du consentement donné pendant la vie du
père, à la vente à rente viagère, ou à fonds perdu, ou
sous réserve d’usufruit, mais il en valide encore les
effets.
Ainsi le droit des enfants à exiger le rapport ne s’ou
vrira qu’au décès du père, et déjà, celui-ci se réalisant,
l’exercice de ce droit sera irrécevable. Cette fin de
non-recevoir anticipée nous paraît dangereuse, car elle
résulte d’un fait que l’enfant n’a pas pu peut-être ne pas
accomplir. En effet, le père est libre de dissiper sa for
tune, de la dénaturer, pour en priver ses enfants. Dans
le désir de favoriser l’un d’eux, ne mettra-t-il pas les
�DU
DOL
ET
DE LA
FRAUD E.
5M
autres dans la nécessité de consentir à la vente qu’il fait,
en les plaçant entre l’alternative de consentir ou (Je su
bir les effets du pouvoir que nous indiquons? Ce que
cette menace est dans le cas de faire,’ peut, dans une
autre occurence, être produit par la seule crainte révérentielle. Est-il dès-lors rationnel et juste de mainte
nir une spoliation arrachée à l’un de ces sentiments?
Quoi qu’il en soit, la loi étant formelle, il n’y a pas à
hésiter. Le consentement donné à la vente par le suc
cessible luiimprime, à son endroit, le caractère d’alié
nation à titre onéreux et dispense conséquemment l’a
cheteur de tout rapport. Mais cet effet est spécial à celui
ou à ceux qui ont consenti. Si d’autres successibles
existent et qu’ils soient demeurés étrangers à la vente,
celle-ci conserve, par rapport à eux, le caractère de li
béralité que lui affecte l’article 918, et les effets qui en
sont la conséquence.
169-4. — Il résulte encore des termes de notre arti
cle qu’il n’y a que les aliénations faites à un successible
en ligne directe qui soient considérées comme de pures
libéralités. En conséquence les ventes faites à un colla
téral, soit à rente viagère et à fonds perdu, soit sous
réserve d’usufruit, doivent sortir à effet comme actes à
titre onéreux. A plus forte raison en serait-il de même
pour celles intervenues avec un étranger. Les unes et
les autres peuvent cependant être querellées de simula
tion et déclarées réductibles, si elles sont prouvées n’étre
que des donations dépassant la quotité disponible, ou
bien s’il est soutenu et justifié que l’acheteur apparent
�512
tkaité
n’est en réalité qu’un intermédiaire chargé de rendre
les choses présumées vendues à l’un des successibles.
1695. — L’indisponibilité consacrée parla loi n’ayant
d’autre fondement que la conservation des droits des
héritiers réservataires, il en résulte qu’à ceux-ci seuls
appartient l’action en nullité ou en réduction de toute
libéralité faite au mépris de ces droits. Mais cette action
n’est pas tellement personnelle que la négligence que
l’héritier mettrait à l’intenter, ou l’abandon qu’il en fe
rait, dût en entraîner la perte absolue et définitive.'Ses
créanciers, voyant dans l’une ou dans l’autre, une fraude
à leur préjudice, pourraient eux-mêmes l’intenter, soit
en force de l’article 1166, soit par application de l’ar
ticle 1167.
Mais l’exercice delà faculté de demander la réduction
des avantages excessifs, et le rapport de l’excédant, ne
saurait être revendiqué par les légataires autres que les
héritiers légitimes. C’est ce qui est textuellement écrit
dans l’article 857, mettant sur la même ligne les léga
taires et les créanciers de la succession(
1696- — Mais il n’en serait pas ainsi des avantages
excessifs faits à l’enfant naturel et à l’enfant adultérin
ou incestueux. Ils ne sont héritiers ni l’un ni l’autre,
et la prohibition de leur donner au-delà de ce que cha
cun d’eux doit recevoir, fondée sur des raisons de mo
rale, est d’ordre public et d’intérêt général.
Il suffit donc d’avoir intérêt à la stricte observation
de cette prohibition pour être recevable à en poursuivre
�DU
DOU
ET
DE
LA
513
FRAUD E.
l’exécution. Or cet intérêt ne saurait être méconnu dans
celui qui, à défaut d’héritiers directs, est appelé à ap
préhender la succession, chez les créanciers de cette
succession.
Ils pourront donc non-seulement exiger que l’enfant
naturel, que l’enfant adultérin ou incestueux ne pren
nent dans l’hérédité que jusqu’à concurrence de la
quotité déterminée par la loi, mais encore faire imputer
sur cette quotité tout ce que l’enfant peut avoir reçu du
vivant de son père ou de sa mère, et, en cas d’excès, le
contraindre à rapport.
Il y a même plus, ils peuvent refuser à l’enfant natu
rel la réserve à laquelle l’article 757 l’autorise à pré
tendre. Ce droit, ils le puisent dans la faculté que leur
reconnaît l’article 359 de contester la reconnaissance
dont il a été l’objet, droit tellement énergique, qu’il
n’est pas même effacé par la légitimation par mariage
subséquent.1
1697. — L’effet produit par la qualité d’enfant na
turel, adultérin ou incestueux est, quant aux libérali
tés directes ou indirectes qui pourraient leur être faites,
identique à celui produit par les autres incapacités. On
doit donc le régir par les principes et lui appliquer les
règles que nous avons exposés , et auxquels nous nous
bornons à renvoyer.2
1698. — La donation régulière, sous le rapport de
1 Bordeaux, 10 avril 1845 ; -J. D. P ., t. n, 1843, p. 734.
a V. sup. n03 1369 et suiv.
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�la capacité des parties, peut, dans son exécution , don
ner naissance à la fraude, soit de la part du donateur
contre le donataire, soit de la part de celui-ci contre e
donateur, soit enfin par l’un et l’autre contre les créan
ciers du donataire. Nous allons parcourir les principales
d’entre elles.
Le donataire est, par rapport aux biens donnés,
l’ayant-cause du donateur pour tout ce qui a précédé la
donation. L’acceptation régulière de celle-ci fait cesser
cette qualité pour l’avenir. Seul propriétaire des biens
donnés, le donataire ne répond plus que de son propre
fait. Nul autre que lui ne peut désormais gérer et ad
ministrer, vendre ou affecter ces mêmes biens.
Or, rien de plus ambulatoire que la volonté humaine.
Celui qui la veille était tout affection, qui n’a pas hésité
à se dépouiller d’une partie plus ou moins considérable
de ses biens, en est aux regrets le lendemain; il ne voit
plus qu’un ennemi dans le possesseur de ses biens, et
la même ardeur qu’il apportait naguère à consentir ce
bienfait, il la mettra bientôt à en effacer ou à en amoin
drir les conséquences; et, pour y parvenir, il ira quel
quefois jusqu’à la plus honteuse indélicatesse, jusqu’au
crime.
1699. — Ainsi la survenance d’enfants est le moyen
le plus énergique pour annuler la donation. Sa révoca
tion en est la conséquence forcée, à tel point qu’elle
s’opère de plein droit et d’une manière irrévocable.
Mais cette survenance d’enfants ne dépend pas de la
volonté. Le mariage, même tenté dans cet espoir, peut
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
515
ne pas la réaliser. C’est cette incertitude et ce doute,
rendant la révocation ardemment désirée trop problé
matique, qui inspireront la pensée de recourir à la
fraude.
Or, dans l’espèce, la fraude consistera dans la sup
position départ, si, marié depuis longtemps, le dona
teur a perdu l’espoir d’une paternité légitime; dans la
légitimation de l’enfant d’autrui par un mariage subsé
quent, s’il n’a jamais été marié ou qu’il ne le soit plus
depuis la donation.
La supposition de part est un crime que la loi punit
avec une juste sévérité. Ce caractère et l’infamie résul
tant de la condamnation en rendent le danger moins re
doutable. Cependant, comme elle n’est pas sans exem
ple, nous avons dû la prévoir et en déterminer les effets.
La supposition de part peut être reprochable au do
nateur. Elle peut aussi avoir été. ignorée de lui et exé
cutée sans son concours et contre sa volonté. On com
prend, en effet, qu’une épouse, se voyant exhérédée
par une donation en faveur d’un tiers, cherche dans le
crime le moyen de se soustraire à celle conséquence ,
en simulant une fausse maternité qui non-seulement
révoquera la donation, mais qui lui conférera éventuel
lement des droits sur les biens de son époux, du chef
de son prétendu enfant. Cette simulation'peut se réaliser
du vivant du mari, ou dans les neuf mois qui suivent sa
mort. C’est cette dernière dont fut convaincue la femme
que le parlement de Paris condamnait, le 11 mars 1750,
à faire amende honorable et au bannissementperpétuel.
De quelque manière que le crime ait été commis,
�516
traite
que le donateur en ait été le complice ou qu’il l’ait
ignoré, l’effet est identique. L’intérêt du donataire se
trouvant gravement compromis, il a le droit incontes
table de quereller la paternité prétendue et d’en dé
montrer le caractère frauduleux. La preuve qu’il de
manderait à faire serait donc recevable.
Mais on comprend que son admissibilité ne serait
prononcée qu’en tant que les faits par lui cotés auraient
un caractère de haute gravité et rendraient le crime
vraisemblable. Ce n’est pas sur des soupçons vagues,
sur une probabilité plus ou moins problématique que la
justice autoriserait un litige dont l’indélébile scandale,
qu’un amer désappointement fait naître, serait de na
ture à compromettre l’avenir d’une famille innocente. 1
1700. — La légitimation de l’enfant d’autrui par
mariage subséquent n’a rien de coupable aux yeux de
la loi pénale. Ce caractère la rend beaucoup plus à re
douter pour le sort futur de la donation. On adopte bien
l’enfant d’autrui, pourquoi refuserait-on de reconnaître
mensongèrement celui qui ne nous a jamais appartenu,
lorsqu’à l’affection qui détermine le mariage avec le
père ou la mère, affection qui peut s’étendre à l’enfant,
se réunit la satisfaction de se venger du donataire qu’on
s’était choisi et de reprendre cette fortune dont on re
grette tant l’abandon?
1701, — Le droit de contester la révocation, de la
* Vide suj)., n03 891 et suiv.
�MT
taire repousser par la preuve de la fausseté de la pater
nité alléguée, non dénié dans le cas de supposition de
part, l’a été dans celui d’une légitimation mensongère.
On ne pourrait exercer ce droit, dit M. Chardon, qu’en
prouvant que l’enfant a pour père un autre individu,
et la recherche de la paternité est interdite. 1
Mais le motif allégué par cet auteur existerait dans
toutes les hypothèses où la reconnaissance d’un enfant
émanerait du père. Or, l’article 539 ne fait aucune dis
tinction lorsqu’il permet à tous les ayant-droit de con
tester cette reconnaissance.
Cette disposition nous paraît condamner la doctrine
de M. Chardon. La légitimation est, dans tous les cas,
précédée forcément de la reconnaissance. Pour qu’un
entant soit légitimé, il faut qu’il appartienne à l’auteur
de la légitimation, et cela ne peut être acquis que par
la reconnaissance qu’en fait celui-ci.
En conséquence, contester cette reconnaissance, la
faire annuler, c’est rendre toute légitimation ultérieure
impossible. Donc, à proprement parler, il ne saurait y
avoir de contestation sur la légitimité; attaquer celleci, c’est attaquer la reconnaissance, et, à cet égard,
le droit du donataire est formellement écrit dans l’ar
ticle 559.
Lui contester ce droit parce que la reconnaissance a
été suivie de la légitimation, c’est donc violer cet ar
ticle, c’est, en quelque sorte, l’effacer du Code en su
bordonnant l’exercice de la faculté qu’il confère à un
DU
'
Dol et F ra u d e, tom.
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
u, n° 504, pag. 316.
�518
T R A IT E
fait personnel à la partie intéressée, en en restreignant
l’application au cas où la légitimation est impossible
matériellement.
Il est, en effet, facile de prévoir que ce n’est pas sans
intérêt, sans motif qu’on reconnaît un enfant naturel.
Donc, les raisons qui poussent à cette reconnaissance
exigeront qu’on la mette à l’abri de toute attaque. Or,
si la légitimation suffit pour anéantir la faculté accordée
par l’article 559, on ne manquera pas d’v procéder, à
moins que le prédécès de la mère n’y apporte une in
vincible obstacle, ou qu’engagées dans les liens d’un
mariage actuel, les parties ne puissent s’unir entre
elles.
Un pareil résultat, livré à la volonté exclusive des
parties, amènerait infailliblement le triomphe de la
fraude; il n’a donc pu être consacré par le législateur.
Sans doute, la faculté de contester la légitimation n’est
nulle part écrite dans la loi, mais celle de quereller la
reconnaissance existe et elle est suffisante. C’est celleci, et non la légitimation, qu’on attaquera, et la preuve
de la fausseté de l’une entraînera la chute de l’autre,
qui, supposant a priori la certitude de la paternité, de
vient impossible dès que la certitude contraire est ac
quise.
Est-il vrai, d’ailleurs, que dans notre hypothèse il
faille, comme le dit M. Chardon, prouver qu’un autre
individu est le père de l’enfant? Évidemment non. Ce
qu’il s’agit d’établir, c’est que celui qui a reconnu et
légitimé l’enfant n’en est pas le père. Cette recherche,
abstraction faite de toute autre paternité, ne viole en
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
519
rien la maxime incontestable invoquée parM. Chardon.
Ce que la loi interdit, c’est la recherche dont il devrait
résulter qu’un individu désigné est le père de l’enfant.
C’est ainsi que toute action, ayant pour objet d’établir
que le mari de la mère est le père de l’enfant, est
sévèrement prohibée à défaut d’acte de naissance con
forme à cette prétention.
Mais vouloir prouver qu’un individu n’est pas le père
de l’enfant, ce n’est pas prouver que cette qualité ap
partient à tel autre. Conséquemment, la prohibition de
cette dernière preuve ne peut s’appliquer à la première;
ce qui le prouve, c’est que la loi qui défend la re
cherche de la paternité permet de contester la recon
naissance. Or, comment le faire, s’il n’était pas permis
de justifier que celui qui accepte la paternité n’est pas
réellement le père de l'enfant?
Ce qui le prouve encore, c’est que, dans une autre
circonstance, la loi admet formellement cette justifi
cation, elle qui prohibe la recherche de la paternité.
Ainsi, l’enfant qui prouve qu’au moment de sa con
ception sa mère était dans les liens d’un mariage légi
time, est présumé, par cela meme, l’enfant du mari :
Paler is esl, etc... Cependant, et malgré l’empire de
cette maxime célèbre, l’article 525 réserve au mari ou
à ses héritiers la preuve contraire, et il fait consister
cette preuve contraire dans tous moyens propres à éta
blir que le mari de la mère n’est pas le père de l'enjant.
Dénier la paternité de l’un, n’est pas rechercher la
paternité de l’autre. En d’autres termes, prétendre que
l’enfant n’a pas tel ou tel père, ce n’est pas se livrer à
�la recherche de la paternité. Celle-ci n’existe qu’à la
condition que la solution de la difficulté aurait pour ré
sultat nécessaire d’attribuer cette paternité à une per
sonne déterminée. Il y a fort loin de cette hypothèse à
celle d’une instance n’ayant pour objet que d’établir la
fausseté d’une déclaration intéressée.
On ne saurait donc admettre l’opinion de M. Char
don. Elle est repoussée par le texte et par l’esprit de la
loi.
1702. — Elle est également repoussée par la juris
prudence. Il est vrai que les monuments de celle-ci
sont peu nombreux. Un seul s’est offert à nos recher
ches, c’est l’arrêt de Bordeaux, du 10 avril 1843, que
nous avons déjà indiqué.
Dans cette espèce, il s’agissait de la révocation d’une
donation, par suite de la légitimation d’un enfant natu
rel par mariage subséquent.
Le donataire contestant la révocation soutenait et of
frait de prouver que cette légitimation était frauduleuse
et mensongère. A cette prétention on opposait, comme
fin de non-recevoir, les effets delà légitimation qui, as
similant celui qui en est l’objet à l’enfant né pendant
mariage, le couvrait de la faveur accordée à celui-ci
par l’article 312. Il importait peu, ajoutait-on, que la
légitimation ait dû être et ait été précédée de la recon
naissance comme enfant naturel. Les dispositions de la
loi qui permettent d’attaquer cette reconnaissance ne
sauraient être étendues d’un cas à un autre, et ne s’ap-
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
521
pliquent qu’à l’enfant naturel qui ne reçoit pas le bien
fait de la légitimation.
La Cour de Bordeaux consacra l’opinion contraire.
La réponse aux moyens que nous venons d’indiquer se
trouve dans l’arrêt dont nous transcrivons les motifs :
« Attendu que, quels que soient les droits accordés
par l’article 333 aux enfants légitimés par le mariage
subséquent, il y a cependant une différence essentielle
entre ces enfants et ceux conçus pendant le mariage,
aux termes de l’article 312; que ceux-ci sont investis de
la légitimité par le seul fait de leur conception pendant
le mariage, tandis que les premiers, jusqu’au moment
de leur légitimation, n’ont dû être considérés que comme
enfants naturels, et qu’ils ne sont devenus légitimes
que par la reconnaissance de leurs père et mère ; qu’ils
ne sont donc en réalité que des enfants naturels recon
nus, et que, sous ce rapport, les tiers peuvent se pré
valoir , contre leur reconnaissance, des droits qui leur
sont accordés par l’article 339 du Code civil ;
« Attendu que les faits articulés par les appelants sont
de la plus grande gravité; que plusieurs circonstances
de la cause les rendent vraisemblables, et que, prou
vés qu’ils fussent, il en résulterait que la reconnaissance
de l’enfant naturel d’Anne Berthea été frauduleusement
pratiquée pour parvenir à la révocation de l’acte du
28 août 1838; que, sous ce rapport, il y aurait lieu
d’admettre les appelants à la preuve des faits par eux
articulés. ' »
�522
T R A IT E
Le moyen tiré de la recherche de la paternité ne pa
raît pas avoir été soumis à la Cour. Mais l’accueil qui
lui était réservé n’est pas douteux, par l’application lo
gique que la Cour fait de l’article 539.
En résumé, il n’yanulle distinctionà faire, quant au
droit du donataire, entre le cas de supposition de part et
celui de légitimation par mariage subséquent. L’iden
tité d’intérêt dans l’un et dans l’autre doit faire consa
crer la légalité de sa résistance et sa réussite, si la
prévention alléguée est justifiée par la preuve qu’il est
recevable à fournir.
1705. — La survenance d’enfants peut avoir son
origine dans un fait non moins frauduleux, dans l’adul
tère.
Les mêmes motifs qui pousseront la femme, qui dé
termineront le mari à consentir à la supposition de part,
sont de nature à les amener, soit de concert, soit à
l’insu l’un de l’autre, à recourir à un moyen, beaucoup
moins périlleux pour eux, d’arriver à cette paternité que
la nature leur a refusée, et à atteindre ainsi avec beau
coup moins de risques à un résultat aussi décisif, aussi
utile. On comprend que contre une fraude de ce genre,
il n’y a aucun remède possible. Il n’y aurait donc qu’à en
subir toutes les conséquences, quelque graves qu’elles
fussent.
En effet, la légitimité de l’enfant conçu pendant le
mariage ne supporte d’autre contradiction possible que
celle qui résulterait du désaveu du père. Or, ce désaveu
n’est pas toujours recevable, et, en supposant qu’il fût
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
523
loisible au père de l’intenter, il ne le ferait certainement
pas si l’adultère de la femme avait été arrêté entre elle
et lui.
Toutes ces hypothèses ne sont, sans doute, que des
suppositions pouvant paraître impossibles à se réaliser;
mais nos fastes judiciaires témoignent assez énergique
ment qu’on peut, sans trop de témérité, les prévoir et
s’en occuper.
1704- — Indépendamment de ces fraudes, le dona
taire est exposé à en subir beaucoup d’autres qui, moins
criminelles aux yeux de la morale, ne laisseront pas
que d’avoir pour lui l’effet d’annuler ou d’amoindrir
considérablement ses droits. En tête de celles-ci, figure
la faculté que conserve le donateur d’aliéner et de dis
siper la fortune qu’il a conservée en-dehors de la dona
tion. En effet, l’existence d’héritiers réservataires peut
amener là réduction forcée de cette donation si, au
décès du donateur, les biens donnés sont devenus le
seul actif de la succession.
Le donateur qui a des héritiers à réserve est donc, en
réalité, le maître d’amoindrir plus ou moins le bénéfice
de la donation, en aliénant et dissipant les ressources
qu’il s’était conservées. Or, cette conduite peut être la
conséquence légitime des besoins que de circonstances
malheureuses, que de revers de fortune lui ont imposés.
Dans ce cas, la sincérité des aliénations laisserait le do
nataire sans aucun moyen d’échapper à la réduction.
1705. — Mais les aliénations peuvent n’être qu’ap
�parentes ; ce que le donateur a fait lui aura été inspiré
par le désir de revenir sur son bienfait, qu’il a voulu
diminuer, dans l’impossibilité de le révoquer intégrale
ment. Dans cette hypothèse, les droits du donataire sont
les mêmes que dans celle de la fraude; il pourra donc
quereller de simulation les obligations souscrites, les
ventes consenties, et, par la preuve qu’il est recevable
à en fournir, échapper à la réduction le menaçant.
1706. — La faculté de retenir l’usufruit de ce qu’on
donne ne saurait être contestée. Cette réserve ne change
nullement la nature de l’acte; elle restreint seulement
la libéralité à la nue-propriété, à laquelle viendra se
réunir la jouissance à une époque déterminée. L’abus
de cet usufruit peut devenir l’occasion de nombreuses
fraudes.
En général, et sauf les objets qui se consomment
ou se détériorent par l’usage, le devoir et le droit de
l’usufruitier se résument dans cette simple proposition :
Jouir et conserver. Cette dernière condition distingue
sa possession de celle du propriétaire, dont la volonté,
relativement à la disposition de sa chose, ne reconnaît
aucune limite.
La fraude, caractérisée par l’abus de la jouissance,
est facile à saisir. Ses conséquences se mesurent sur sa
gravité; c’est tantôt l’extinction complette de l’usufruit
sans indemnité, tantôt sa conversion en une prestation
annuelle, calculée sur les revenus des biens sur lesquels
il était exercé, ou résultant de baux consentis à des
tiers. L’un et l’autre parti sont avoués par la raison et
�DU DOL ET DE UA FliAUDE.
525
la justice. L’usufruit doit cesser, parce qu’on ne sau
rait permettre la continuation d’un état des choses dom
mageable pour le propriétaire; d’autre part, le préju
dice peut être tel, que la seule réparation convenable
soit la déchéance absolue du droit. Sa minimité ou son
caractère.doit laisser le droit continuer à s’exercer,
mais dans un mode différent, réservant efficacement
l’avenir. Au reste, à cet égard la loi s’en rapporte à la
prudence du juge; c’est ce qu’indiquent les termes de
l’article 618.
1707. — La négligence que l’usufruitier mettrait
dans la conservation du fonds est assimilée, par la loi,
aux dégradations dont il se serait rendu coupable. Les
résultats des unes et de l’autre étant identiques, on ne
pouvait les distinguer quant à leurs effets. Aussi l’ar
ticle 618 les met-il sur la môme ligne et en fait-il éga
lement dépendre la cessation de l’usufruit.
1708. — Mais cette négligence pouvait être une
fraude concertée entre le propriétaire et l’usufruitier, à
l’effet de nuire aux créanciers de celui-ci, en motivant
ainsi la cessation de son usufruit. La prévision de cette
fraude a déterminé le législateur à autoriser l’interven
tion de ces créanciers dans toutes les contestations pou
vant avoir pour objet la déchéance de leur débiteur.
Cette intervention peut avoir un double objet. Les
créanciers sont autorisés à demander la continuation
de l’usufruit, en offrant la réparation des dégradations
commises et des garanties pour l’avenir; dans le cas de
�526
TRAITE
conversion en une prestation annuelle, faire ordonner
que la somme arbitrée, comme condition de la mise en
possession du propriétaire, leur sera directement payée
par celui-ci ou par le fermier qui sera député par les
parties.
1709. — L’article 61-4 nous fournit un second
exemple de négligence équivalant à la fraude. L’usu
fruitier doit dénoncer au propriétaire les usurpations
ou les attentats qu’un tiers commettrait sur les biens
dont il a la jouissance. Faute de ce, ajoute l’article,
il est responsable de tout le dommage qui peut en ré
sulter pour le propriétaire, comme il le serait des dé
gradations commises par lui-même. Ces derniers mots
fixent la nature de la responsabilité imposée à l’usufruitier; puisqu’elle est la même que celle qu’il encourt
pour ses propres dégradations, elle aurait inévitable
ment pour conséquence, comme celle-ci, la déchéance
de l’usufruit ou sa conversion en une somme déterminée
et annuellement payable.
Ainsi, il y a fraude chez l’usufruitier non-seulement
lorsqu’il fait ce qu’il ne devrait pas, mais encore lors
qu’il s’abstient d’accomplir ce qu’il est tenu de faire.
De ce principe, il résulte qu’il encourt la peine pro
noncée par la loi :
1° S’il laisse acquérir, par prescription, des droits
de servitude ou autres sur les immeubles;
2° Si, possesseur des titres de créance, il en laisse
prescrire les effets faute de poursuites, ou périmer les
hypothèques en ne renouvelant pas les inscriptions ;
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
527
3° S’il n’acquitte pas les charges qui lui sont im
posées par la loi ou par le titre ;
4° Enfin, s’il change abusivement l’état des lieux;
s’il démolit tout ou partie des bâtiments; s’il enlève les
clôtures ; s’il intervertit le mode des cultures; s’il anti
cipe sur la coupe des taillis, ou s’il use des futaies au
trement que de la manière réglée par les articles 591
et 592 du Gode civil.
1710- — Il est certain que ce sont là autant de faits
illicites et dommageables ; mais leur nocuité varie né
cessairement, et cette diversité dans les conséquences
détermine une différence dans les effets, quant à la
peine. Nous venons de dire que cette peine consiste
dans la cessation absolue de l’usufruit ou dans la con
version eu une prestation annuelle, et qu’arbitres uni
ques de la réparation due au propriétaire, les tribunaux
peuvent, au gré de leur conscience, prononcer l’une ou
l’autre. Nous ajoutons que ce qui importe, en pareille
matière, c’est de faire cesser l’abus, en mettant fin à
l’usufruit; mais la perte du droit ne doit être admise
que dans les cas rares dans lesquels l'énormité du pré
judice est prouvée tenir exclusivement à une volonté
perverse.
Dans cette hypothèse, il n’y a pas à hésiter. L’usufrui
tier doit être déchu, malgré la caution qu’il aurait four
nie, malgré l’offre qu’il ferait d’en offrir une, s’il n’en
existait pas précédemment. L’existence d’une caution,
n’empêchant pas le mal de se produire, ne suffit pas
toujours pour en réparer convenablement les consé-
�528
traite
quences : Salisdatio proposition malevotum non mutai,
sed diu grassandi in re famiiiari facultatem prœstal.1
Il vaut mieux d’ailleurs prévenir que réparer, et lors
que des malversations graves, émanées d’une intention
mauvaise, viennent inspirer des craintes sérieuses, il
n’y a que la perte du droit qui puisse justement punir
le passé et assurer l’avenir.
1711. — La faculté de recourir à cette peine sévère
reçoit exception lorsque l’usufruit n’a pas été constitué
à titre purement lucratif. On peut, en effet, révoquer une
libéralité dont le bénéficiaire s’est montré indigne; mais
renverser, détruire un droit qu’on a acquis en s’impo
sant des sacrifices, ce serait punir l’injustice par une
injustice non moins flagrante. En conséquence, l’abus
de jouissance dans un usufruit, réservé dans le cas
d’une vente ou d’une donation, doit amener la fin ma
térielle de la jouissance, mais le droit doit être main
tenu par la conversion en une prestation annuelle, équi
valente à cette même jouissance.
1712. — Le père, usufruitier des biens de ses en
fants tant qu’ils n’ont pas atteint leur dix-huitième an
née, est soumis à tous les devoirs des usufruitiers or
dinaires. L’abus de jouissance, lès dégradations qu’il
commettrait volontairement ou par négligence sur les
biens le rendraient passible de l’application de l’arti
cle 618.
1 In s t., lib. 1, tii. 26, n° 12.
�DU DDL ET DE LA FRAUDE.
529
Mais l’exécution de la condamnation serait difficile à
assurer tant que le père conserverait la tutelle de ses
enfants. Quelle garantie aurait-on que, dans l’adminis
tration des biens qu’il conserverait, le tuteur ne mar
cherait pas sur les mêmes errements que l’usufruitier?
1713. — Le père peut ne pas se contenter d’abuser
de son usufruit; on aura peut-être à lui reprocher de ne
pas en remplir les charges, notamment celle de nourrir
et d’entretenir ses enfants, de veiller à leur éducation;
Ses torts mêmes peuvent acquérir un tel degré de gra
vité, qu’il mérite d’être destitué de la tutelle. Cette
hypothèse se réalisant, la perte de la tutelle entraînerat-elle celle de l’usufruit légal?
Cette question est d’autant plus délicate, que la so
lution affirmative ne peut s’étayer d’aucun texte for
mel, et c’est cependant cette solution qu’exigent incon
testablement la raison et la justice.
On comprend cependant que l’absence de toute dis
position législative, rapprochée du caractère de l’usu
fruit légal, ait porté plusieurs jurisconsultes à em
brasser l’opinion contraire. M. Toullier, entre autres,
enseigne la négative. Il lui paraît que 1’usufruit légal,
attribut de la puissance paternelle, restant indépendant
de la tutelle, la perte on l’exclusion de celle-ci ne sau
rait en déterminer la cessation.
La jurisprudence s’est divisée sur la solution à don
ner à la question. La Cour de Limoges, par arrêt des
16 juillet 1807 et 2 avril 1810, a déclaré l’usufruit
éteint par la perte de la tutelle, mais elle n’arrive à ce
�résultat qu’en assimilant à la veuve qui se remarie,
celle qui vit, hors le mariage, dans un état d’inconduite
notoire et qui donne le jour à des enfants naturels.
Le 28 décembre 1810, la CoUr de Paris a jugé le
contraire en décidant, qu’aux termes des dispositions
du Code civil, le père destitué de la tutelle de ses en
fants ne perd pas pour cela l’usufruit de leurs biens jus
qu’à l’époque fixée par la loi.
Enfin, le 30 juillet 1813, la Cour d’Aix a maintenu
un tuteur destitué dans la jouissance des biens de ses
enfants. Néanmoins, elle ordonne que le nouveau tu
teur prendra l’administration de ces biens, à charge
d’en rendre compte à l’usufruitier légal. Cet arrêt se
fonde sur ce que l’usufruit légal, indépendant de la tu
telle, est un attribut de la puissance paternelle, et que
celle-ci étant indélébile ne reçoit aucune atteinte des
faits entraînant la perte de l’autre.
La doctrine de ces deux derniers arrêts pourrait être
juridique, mais, évidemment, elle n’est pas soutenable
sous le rapport de l’équité naturelle, ainsique le remar
que fort justement M. Chardon. II répugne, en effet, à
la saine raison d’admettre que le père assez oublieux des
sentiments que ses enfants devraient trouver en lui
pour répudier la mission que leur tutelle lui impose;
que celui, plus coupable encore, qui, ayant accepté la
direction de leur personne et la défense de leurs inté
rêts, s’est montré indigne de l’une et de l’autre, puisse
conserver le droit de jouir de leurs biens et en perce
voir les revenus. La Cour d’Aix semble elle-même par
tager ce sentiment en corrigeant, par un tempérament
�DU DOL ET DK LA FRAUDE.
531
que rien d’ailleurs n’autorise, la doctrine qu’elle croit
devoir sanctionner.
Cette considération ne manque pas d’importance
réelle; en l’admettant vraie, elle préjuge quelque peu
la question. Comment présumer, en effet, que le légis
lateur ait voulu se placer en contradiction flagrante
avec l’équité naturelle?
Sous le rapport du droit, la solution des Cours d’ap
pel de Paris et d’Aix nous paraît fort contestable. Sans
doute la jouissance légale des biens des mineurs est un
attribut de la puissance paternelle; mais celle-ci ne con
siste pas seulement dans les avantages qu’elle procure,
elle crée également des obligations et des devoirs cor
rélatifs, indivisibles. A quel titre donc celui qui a mé
connu, violé ces derniers', viendrait-il revendiquer les
autres ?
A cet égard, la pensée du législateur nous est claire
ment indiquée par ses actes. La manière dont il a com
pris la puissance paternelle se développe tout entière
dans le soin qu’il met à ne parler des avantages qu’elle
doit conférer qu’après avoir soigneusement relevé toutes
les charges devant la grever. « Après avoir constitué
« la puissance paternelle, disait M. Réal, établi les
« devoirs qu’elle impose, les droits qu’elle accorde, fixé
« ses limites et sa durée; après avoir ainsi, de concert
« avec la nature, donné des aliments, des défenseurs
« à l’enfance; des soins, de l’instruction, une bonne
« éducation à la jeunesse; c’est-à-dire, après avoir
« établi quels sont les droits onéreux attachés à l’exer« cice de la puissance paternelle, le législateur a dû en
�« déterminer les droits utiles. » C’est à ce titre que
l’usufruit légal est immédiatement proposé.
Ainsi, cet usufruit n’est pas constitué à titre pure
ment lucratif. Attribut utile de la puissance paternelle,
il suppose nécessairement l’accomplissement des droits
onéreux que son exercice impose. Celui-là donc qui re
cule devant cet exercice, qui ne veut ou ne peut, com
me indigne, subir les obligations qui en découlent, ne
saurait prétendre en revendiquer les droits utiles.
L’usufruit étant donc un contrat dans lequel la loi
stipule pour les enfants, son exécution ne saurait être
divisée. La jouissance du père est soumise à la condi
tion qu’il accomplira, de son côté, les devoirs que la
nature et la loi lui imposent. S’il ne remplit pas cette
condition, il renonce au contrat, qui doit, dès-lors,
être brisé dans toutes ses parties. C’est ce que la Cour
de Paris a consacré elle-même en jugeant, le 4 fé
vrier 1832, que le père qui laisse ses enfants dans le
dénûment et qui ne pourvoit ni à leur nourriture, ni à
leur entretien, ni à leur éducation, doit être privé de
son usufruit légal.
Pourquoi ne le déciderait-on pas ainsi pour la perte
de la tutelle? Le père qui l’abandonne ou qui en est
exclu n’exerce plus une des charges de l’usufruit. La
gravité des causes ayant fait prononcer l’exclusion,
n'atteindra-t-elle pas celle qui s’attache à la violation
des autres devoirs? Qu’importe que le père nourrisse
et entretienne ses enfants; qu’il leur donne matériel
lement l’éducation, si sa conduite et ses exemples sont
de nature à pervertir leur cœur, égarer leur raison, à
�nu nou
e t de la f r a u d e .
533
les entraîner à l’inconduite et au mal. Empoisonner
moralement ses enfants n’est-ce pas pire que de leur
refuser les soins qu’exigent leur nourriture, leur en
tretien, leur éducation? La perte de l’usufruit, admise
dans ce dernier cas, ne peut être repoussée dans le pre
mier, sans la plus complette irrationnalité.
Mais, dit-on, l’article
ne met pas la perte de la
tutelle au nombre des causes faisant cesser l’usufruit;
donc prononcer cette cessation sur ce motif, c’est ajou
ter à la loi et la méconnaître.
Nous répondons qu’il est des conséquences tellement
logiques, que la loi n’a pas dû les exprimer. Dès qu’aux
yeux du législateur la jouissance du père était corré
lative à l’accomplissement de ses devoirs, il n’v avait
plus qu’à s’en référer aux principes généraux sur l’effet
de l’indivisibilité des contrats. Ainsi, la loi ne dit nulle
part que l’abus de la jouissance fera cesser l’usufruit
du père. Cependant l’affirmative est, sans contestation,
admise par tout le monde, dans les conditions de l’ar
ticle 618.
Nous répondons ensuite que l’article 586 n’a rien de
limitatif. Qu’il se borne à examiner deux cas dans les
quels un doute plus ou moins sérieux pouvait d’autant
plus naître, que dans chacun d’eux la conduite du père
ou de la mère pouvait être matériellement et morale
ment irréprochable. Ainsi, par exemple, la mère se re
mariant peut être maintenue dans la tutelle. Donc, puis
que le législateur entendait la priver de l’usufruit, il
devait s’en expliquer formellement. Mais conclure de ce
qu’il l’a fait, que la cessation de l’usufruit se restreint
0 8 6
�dans les deux hypothèses de l’artiele 386, c’est donner
à cette disposition une étendue qu’elle ne comporte pas.
L’article 386 est si peu limitatif, que la loi elle-même
prononce la suppression de l’usufruit dans des hypo
thèses autres que celles qui y sont prévues. Nous en
trouvons deux exemples notables dans les articles 1442
du Code civil et 335 du Code pénal. Le premier de ces
articles fournirait à notre opinion un a fortiori incon
testable. Quoi, le père qui néglige de faire inventaire à
la dissolution de la communauté perdra son usufruit
légal, et celui qui a été ignominieusement destitué de
de la tutelle pourra impunément le conserver?
L’article 386 n’est, donc pas limitatif. Les hypothè
ses qu’il suppose s’étendent non-seulement aux autres
cas prévus par la loi, mais encore à ceux résultant d’une
incontestable analogie. L’effet de celle-ci a été dès long
temps admis.
Ainsi l’article exige, pour que la mère perde son
usufruit légal, qu’elle ait convolé à de nouvelles noces.
Or, la conséquence immédiate du caractère restrictif
qu’on donnerait à cet article serait que la mère qui, sans
se remarier, se livrerait à la débauche la plus notoire,
devrait conserver cet usufruit. C’est cependant le con
traire qui a été bien de fois consacré. La Cour de Limo
ges, qui le jugeait ainsi en 1807 et en 1810, le décidait
de nouveau le 23 juillet 1824. C’est dans le même sens
que la Cour de Lyon se prononçait, par arrêt du 22 dé
cembre 1829.
Proudhon applaudit à ces décisions. En s’abandon
nant à la débauche, dit-il, la mère s’est rendue bien
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
535
plus répréhensible envers ses'enfants que si elle s’était
remariée, puisque, au lieu de les porter à la vertu, elle
leur donne l’exemple d’un dérèglement de mœurs ;
qu’ayant mérité de perdre la tutelle par une inconduite
notoire, et ses enfants devant cesser de lui être confiés,
il serait injuste qu’elle conservât encore la jouissance
de leurs biens, lorsqu’elle s’est rendue indigne de con
server l’administration de leur personne.1
Nous applaudissons aux décisions des Cours de Lyon
et de Limoges, nous admettons l’évidente justesse des
considérations de Proudhon. Mais il faudrait cependant
les repousser, si l’article 586 avait le caractère restrictif
qu’on lui suppose et que nous ne saurions reconnaître.
L’article 586 admet donc des analogies. La pensée du
législateur, son application comportent des développe
ments. ï! n’y a donc pas à hésiter dans toutes les hypo
thèses dans lesquelles se rencontreront des motifs dé
terminants.
Or ces motifs sont : d’une part, l’intérêt des enfants;
de l’autre, l’inexécution des obligations qu’impose la
puissance paternelle. L’usufruit légal n’a pas pour objet
aujourd’hui d’enrichir le père, il est un encouragement
à la loyale et fidèle exécution du mandat de défense et
de direction qui lui est confié; une récompense de l’af
fection qu’il témoigne à ses enfants, des peines et soins
qu’il s’impose à leur occasion; une indemnité des droits
onéreux qu’il supporte.
Celui qui méconnaît et répudie ces devoirs, celui
Usuf
. , t. i. n° 146.
�536
t r a it e
qui en est déclaré indigne, celui qui mérite de perdre
la tutelle, cet autre attribut de la puissance paternelle,
doit, bien plus encore que l’époux dont les torts moti
vent le divorce ou la séparation de corps, à bien plus
juste titre que la mère qui se remarie, perdre par cela
même tous les avantages qu’il ne doit recevoir que
comme une compensation des charges dont il est dis
pensé pour l’avenir. '
1714. — L’aliénation des biens donnés, consentie
après coup par le donateur,, constitue une autre fraude
dont celui-ci peut se rendre coupable. Cette fraude, à
l’endroit des donations entre vifs, ne peut se concevoir
qu’au moyen de la simulation dans la date de la vente.
Le caractère public de la donation ne permettrait pas
l’hésitation, si la vente résultant d’un acte public se rap
portait avec toute certitude à une époque postérieure à
la donation. La fraude dont nous parlons sera donc de
toute nécessité signalée par l’existence d’un acte sous
seing privé, dont la date remontera à une époque déter
minée et antérieure à l’acte de donation. Nous nous som
mes déjà occupés de cette hypothèse, nous n’avons donc
pas à y revenir. *
1715. — Il n’en est pas de même des donations à
cause de mort. On sait que les articles 1082 et 1084 du
Code civil permettent à toutes personnes de donner par
1 Chardon, V o l et F r a u d e , t. n, n° 328.
3 Y id . s u p .7 nus 1281 et sniv.
�DU
DO L
UT
DK
53?
LA FUAUDK.
contrat de mariage tout ou partie des biens qu’elles dé
laisseront au jour de leur décès, ou cumulativement
leurs biens présents et ceux à venir.
Cette donation, qui est la véritable institution con
tractuelle de l’ancien droit, est irrévocablement acquise
du jour du contrat, en ce sens que le donataire est hé
ritier certain et incommutable du donateur, mais ses
effets, son étendue, son émolument réel sont exclusive
ment subordonnés à la volonté du donateur et aux actes
qu’ii a pu souscrire de son vivant.
Celui-ci, en effet, n’est nullement enchaîné par l’o
bligation qu’il s’est imposée. Notre ancien droit ne lui
faisait pas même perdre le droit de disposer de ses biens
à titre gratuit. L’article 1083 respecte lui-même ce
droit, en le restreignant, avec juste raison, aux do
nations pour sommes modiques, à titre de récompense
ou autrement. Quant à celui de disposer à titre oné
reux, de vendre, d’hypothéquer, il existe dans toute sa
latitude.
Il est évident qu’il ne pouvait en être autrement. Celui
qui donne ce qu’il laissera à son décès prouve suffisam
ment par là son intention de ne s’imposer aucune gêne
dans les occasions où des besoins personnels vien
draient exiger l’aliénation partielle ou totale de sa for
tune. Il ne promet qu’une seule chose, à savoir : que,
ses propres exigences satisfaites, tout ce qu’il laissera
après lui arrivera aux mains du donataire, en d’autres
termes, il n’a fait qu’un testament renfermant excep
tionnellement une institution irrévocable.
On comprend néanmoins qujute.droit d’aliéner est
ni
s S f l V ï ) ?i> V
24
�plus que suffisant pour annuler de fait la donation. L’a
bus est bien près de l’usage. Vienne le repentir ou le
regret, qu’une autre affection remplace la première, les
immeubles disparaîtront, et leur prix, manuellement
transmis, ne laissera aucune trace.
Cet inconvénient grave est aussi certain qu’il est iné
vitable. Celui qui peut ne pas donner est sans contredit
parfaitement libre de choisir et de préférer le mode de
libéralité le plus conforme à son intérêt personnel. Son
choix arrêté, le donataire n’a plus qu’à le subir dans
toutes ses conséquences, dont il n’a pu d’ailleurs se dis
simuler la nature.
Ce qu’il a le droit d’exiger, c’est que la loi, en ce qui
le concerne, soit pleinement et loyalement exécutée ;
que le donateur ne fasse pas de son droit un instrument
de simulation et de fraude. L’article 1083, nous venons
de le voir, défend toutes libéralités, si ce n’est pour
sommes modiques, à titre de récompense ou autrement.
Les efforts tentés pour se soustraire à cette prohibition
devraient être réprimés. Le donataire serait donc rece
vable à soutenir que les aliénations prétendues dégui
sent de véritables donations, et fondé à en obtenir dèslors l’annulation. Mais il serait tenu, dans tous les cas,
de prouver la fraude dont il exciperait.
La donation des biens présents et à venir participe,
quanta ces derniers, de celle que nous venons d’exa
miner. Définitive quant aux biens présents, elle ne con
fère qu’une expectative sur ceux que le donateur pourra
plus tard acquérir.
Ce double caractère devrait-il avoir pour résultat une
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
530
division dans les effets? Devait-il être permis au dona
taire d’accepter pour les biens présents et de répudier
pour les biens à venir , alors qu’au décès du donateur
cette disposition devenait réellement onéreuse?
Le sort des créanciers, directement intéressés dans la
solution de ces questions, a dicté la conduite adoptée
par le législateur. Pour que la division soit possible, il
faut qu’un état des dettes actuellement dues soit rédigé
au moment de la donation et annexé à l’acte. Cette pré
caution déterminant les charges du présent, le donataire
pourra, en renonçant aux biens à venir, s’exonérer des
dettes postérieures.
Si l’état n’a été ni rédigé, ni annexé, il y a une con
fusion absolue de toutes les charges, comme de tous les
biens. Le donataire devra les payer toutes, à moins
qu’il renonce à la donation, tant pour les biens présents
que pour lés biens à venir.
Si le donataire accepte, son obligation de payer les
dettes ne peut s’étendre à celles qui ne seraient que le
résultat de la collusion ou de la fraude. Simuler une
dette qui n’existerait pas, c’est consentir une libéralité,
et ce droit n’appartient plus à celui qui a déjà donné
tous ses biens, alors même que l’effet de la donation est
subordonné à son décès. La preuve de cette simulation
par Je donataire ferait prononcer l’annulation de la dette
à son profit. Cette règle ne reçoit qu’une exception, à
savoir : si la donation renfermait la clause de payer in
distinctement toutes les dettes, conformément à l’arti
cle 1086.
�540
TUAI TE
1715 (bis). — Deux espèces, sur lesquelles nous
avons été consulté, ont signalé à notre attention une
grave difficulté pouvant résulter d’une institution con
tractuelle autorisée par les articles 1082 et 1085. Dans
la première, la mère avait, dans le contrat de mariage de
sa fille, fait une donation de tout ce qu’elle délaisserait,
mais, par une clause subséquente, elle s’était interdit
de vendre ses immeubles autrement qu’avec le consen
tement de son gendre.
Dans la seconde, les neveux et nièces de la donatrice
contractant mariage, celle-ci leur avait, par leur con
trat, assuré son entière succession. La même interdic
tion de vendre ou d’hypothéquer accompagnait la do
nation d’une manière absolue, seulement la donatrice
s’était réservé la faculté de disposer à tire onéreux jus
qu’à concurrence de cinq mille francs.
Dans l’une comme dans l’autre, il était formellement
stipulé que les époux ne prendraient la possession et la
jouissance des biens qu’au décès de la donatrice. Aucun
de ces actes n’avait reçu la formalité de la transcription.
Quel était le caractère de cette prohibition? Etait-elle
opposable aux tiers-acquéreurs ou prêteurs postérieurs
au contrat? Etait-elle obligatoire pour le donateur luimême?
Cette question, parfaitement neuve, nous a paru de
voir être résolue par la négative. Par rapport au dona
teur, la restriction qu’il s’est imposée est frappée d’une
nullité radicale et absolue, comme violant une loi d’or
dre public et d’intérêt général, A l’égard des tiers, une
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
544
pareille clause serait non-seulement illégale, mais en
core monstrueuse et inique dans ses résultats.
Le droit de disposer de sa chose est l’attribut le plus
essentiel, le plus direct de la propriété. Le sacrifice de
ce droit, autorisé quelquefois, devait amener à ce ré
sultat de frapper la richesse territoriale d’une indispo
nibilité funeste pour l’Etat, plus funeste encore pour le
possesseur lui-même.
Cet inconvénient grave s’était déjà réalisé sur une
vaste échelle lorsque, la révolution de 1789 arrivant,
l’abolition de la main-morte parut indispensable et fut
tout d’abord prononcée. C’est aussi cette abolition que
le Code civil a consacrée.
La prohibition de la donation à cause de mort n’a pas
d’antre origine. Il répugnait à la raison que celui qui
n’a pas voulu actuellement se dépouiller de ses biens
put continuer à les posséder, mais sous l’obligation de
ne pouvoir les consacrer à ses propres besoins.
If est vrai que le législateur a consacré une exception.
La donation pour cause de mort est permise en contrat
de mariage. Mais cette exception, commandée par la
faveur due à celui-ci, a été expressément restreinte dans
des limites déterminées à l’endroit de l’irrévocabilité.
Aux termes de l’article 1085, cette irrévocabilité se ré
duit à l’interdiction de disposer à l’avenir à titre pure
ment gratuit. La donation pour cause de mort, même
par contrat de mariage, reste donc ce quelle n’a jamais
cessé d’être, un testament. Seulement, et par une dé
rogation au droit commun, ce testament est irrévocable.
La vocation qu’il renferme assure à l’institué le droit
�d’empêcher toute libéralité ultérieure, la certitude de
recueillir, à la mort de l’instituant, tout ce qui sera dé
laissé par lui.
Ainsi, fidèle à la pensée qu’il importe de ne pas lais
ser, même momentanément, la propriété flottante et
indécise, le législateur ne s’en est pas départi, même à
l’endroit du mariage qu’il voulait favoriser. La donation
pour cause de mort n’est que le don de eo quod supercril. Jusqu’au décès , le donateur conserve le droit d’a
liéner à titre onéreux, et cela à proportion de ses be
soins, au gré même de ses caprices.
C’est cependant ce que la clause que nous examinons
a pour effet de détruire. La prohibition que se fait le
donateur de toute aliénation à titre onéreux, rend sa
donation une véritable et pure donation à cause de mort.
En effet, il s’enlève l’attribut le plus essentiel de la pro
priété. Celle-ci ne passe pas cependant sur la tête du
donataire, qui ne la recevra qu’au décès. En réalité
donc, la propriété, dans son acception ordinaire, n’ap
partient à personne, elle demeure condamnée à rester
immobile et indisponible jusqu’à la réalisation de la con
dition. En d’autres termes, ce qui s’accomplit, c’est une
nouvelle main-morte qui, pour n’être que temporaire ,
n’en offre pas moins tous les inconvénients qui ont fait
proscrire cet état des choses.
Pour valider une convention de ce genre, il faudrait
donc que la loi en eût conféré la faculté ou imposé le
devoir. Rencontrera-t-on cette disposition dans l’ar
ticle 1082? Mais, nous l’avons déjà dit, cet article n’est
qu’une exception à la règle générale qui proscrit la
�Dü
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
543
donation pour'cause de mort. Cette exception est ellemême conditionnelle. C’est donc à celui qui en invoque
Je bénéfice à prouver que ce bénéfice lui est dû. Il doit,
dans tous les cas, en accepter l’effet légal. Or cet effet
nous le rencontrons dans l’article 1085, tout ce que
la loi autorise, c’est la prohibition de disposer à titre
gratuit.
Aller au-delà , c’est sortir des termes de la loi, c’est
se placer conséquemment dans l’impossibilité de se
réfugier sous son égide. La clause que nous invalidons
fait plus eneore, elle fait revivre la donation à cause de
mort dans toute son étendue. Elle se place donc en op
position formelle avec l’ordre du législateur ; elle mé
connaît et viole sa défense formelle; elle ne peut dèslors créer aucun lien obligatoire.
La nullité étant radicale, le donateur, en vertu des
principes que nous avons exposés, est donc, quoique
partie au contrat, recevable à la poursuivre lui-même.
Les motifs légaux motivant cette solution pourraient
être, par une supériorité de raisons incontestable, in
voqués dans l’intérêt des tiers. Mais, par rapport à eux,
la nullité, en ce qui les concerne, est surtout comman
dée par la raison et la justice.
Sans doute la loi doit protéger la partie elle-même
contre tout entraînement irrationnel, contre l’exagération de ses sentiments de bienveillance. Mais ce devoir
est bien plus rigoureux lorsqu’il s’agit de tiers contre
lesquels on demande l’exécution d’un contrat auquel il
sont demeurés étrangers, alors surtout qu’on n’a à leur
reprocher ni négligence, ni imprudence.
�544
T Ù A IT E
Que celui qui traite avec un homme marié se fasse
représenter son contrat de mariage ; qu’il ne soit pas
admis à se plaindre si, ayant négligé ce devoir, le sort
de sa créance se trouve compromis par les stipulations
de ce contrat, on le comprend. Quelque rigoureuse
• qu’elle soit, cette solution n’est motivée que sur l’im
prudence et l’oubli d’un devoir consacré par la loi.
Mais qu’on fasse une obligation au créancier de con
sulter les contrats de mariage non-seulement des enfants
du débiteur, mais encore de ses neveux, cousins, et
même des étrangers auxquels il a pu faire des dona
tions, ce serait pousser la rigueur au-delà de toutes les
bornes imaginables.
Indépendamment, en effet, de l’impossibilité ma
térielle d’une pensée supposant la connaissance préala
ble des divers mariages auxquels le vendeur ou l’em
prunteur a pu assister, l’acquéreur ou le prêteur n’a pas
même à s’en préoccuper. Il sait qu’il trouvera aux hy
pothèques la trace des diverses affectations pouvant
grever la propriété qu’il achette ou sur laquelle il prête.
Lorsque le registre des transcriptions et celui des hypo
thèques sont muets, il ne doit supposer autre chose
qu’une absence de toute aliénation et de tous gages.
Or, que résultera-t-il, dans notre espèce, d’une re
cherche dans ces registres? Rien évidemment, car la
donation autorisée par l’article 1082 n’est pas soumise
à la transcription. Comment, dès-lors, connaître la
clause par laquelle le donateur a dérogé à l’artice 1085?
Eh ! on pourrait l’opposer aux créanciers ! Mais s’il s’a
gissait d’une donation actuelle et irrévocable, qui n’eût
�DU
DOL
ET
DE
EA
FKAUD E
pas été transcrite , on ne pourrait s’en prévaloir contre
eux, et l’on voudrait les rendre victimes d’une clause
qui n’était susceptible de recevoir et qui n’a effective
ment reçu aucune publicité?
Concluons donc que les tiers-créanciers ne sauraient,
moins encore que le donateur lui-même, souffrir d’une
convention dont la validité deviendrait pour eux un
moyen assuré de ruine et de fraude. Ajoutons que cette
validité porterait le coup le plus funeste au crédit pu
blic. Qui oserait acheter ou prêter, si après les plus
minutieuses précautions, si après la preuve de la pro
priété, accompagnée de la négation de toutes charges,
on pouvait être complètement dépouillés par l’effet d’un
contrat de mariage préparé dans ce dessein?
La loi n’admet que deux manières de grever la pro
priété : l’aliénation, l’hypothèque. Or la dérogation à
l’article 1083 n’est pas une aliénation, le donateur ne
perd pas, le donataire n’acquiert pas la propriété, elle
ne constitue pas une hypothèque, elle n’est donc qu’une
obligation de faire. Comme l’objet qu’elle se propose
est contraire à la foi publique, contraire à l’intérêt gé
néral, elle est insusceptible de produire un effet quel
conque.
1716. — Pendant la durée de sa jouissance, l’usu
fruitier peut consentir des baux. Dans l’ancien droit, la
durée de ces baux était subordonnée à celle de l’usufruit.
La mort de l’usufruitier amenait donc, comme consé
quence forcée, la résolution du bail qu’il avait consenti.
Le Code a, avec sagesse, dérogé à un état des choses
1!
L
�546
T R A IT E
ayant entre autres inconvénients celui d’occasionner un
grave préjudice au propriétaire lui-rnéme. Un fermier
n’améliore que lorsque, par sa durée convenue, sa jouis
sance le met à môme de profiter lui-rnéme de ces amé
liorations. On s’impose, dans un bail de neuf ans, des
obligations qu’on ne contracterait pas, s’il ne devait
durer qu’un an ou deux. Or, comment contracter à plus
ou moins long terme avec celui dont la mort, devant
faire résoudre la convention, ne peut dès-lors consentir
qu’un droit essentiellement aléatoire?
L’intérêt du nu-propriétaire, celui de la propriété
elle-même exigeait donc qu’on affranchit le fermier de
la chance que lui imposait l’ancien droit. C’est ce qu’a
fait le Code qui maintient, à la mort de l’usufruitier,
les baux qu’il a consentis pendant sa vie, aux conditions
requises par les articles 595 et 1429.
Mais l’obligation imposée au propriétaire d’exécuter
ces baux ne doit s’entendre que de ceux faits loyale
ment et sans fraude. Si, par une collusion et pour nuire
éventuellement à ses intérêts, le fermier et l’usufruitier
Vêtaient entendus pour donner au bail un prix sans pro
portion avec la valeur réelle des biens ; si le véritable
prix avait été dissimulé dans l’acte et l’excédant payé
à l’usufruitier de la main à la main, et que le fermier
prétendît ne payer à l’avenir que le prix apparent, le
propriétaire serait recevable à prouver l’un et l’autre et
à obtenir la résiliation du bail.1
? y. supra, nos 1001 el suiv.
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
547
1717. — Toutes les fraudes que nous venons d’indi
quer, et dont le donataire peut être victime, sont nonseulement dirigées contre lui, mais encore contre ses
héritiers. En conséquence, les actions qu’il peut exercer
passent à ceux-ci, ils peuvent les intenter et les pour
suivre comme il le ferait lui-même.
Ses créanciers jouiraient également de cette faculté,
soit en vertu de l’article 1166., soit par application de
l’article 1167. La certitude qu’a le donataire que les
biens donnés ne profiteront qu’à ses créanciers, peut le
rendre fort indifférent au sort futur de la donation. Dans
ce sentiment, on ne pourrait s’attendre à une bien vive
résistance de sa part contre la fraude du donateur.
1718. — Dans d’autres circonstances, ce sera pis
encore, cette même fraude sera concertée entre celui-ci
et le donataire, car elle n’aura pour objet que de lui
faire arriver d’une manière détournée et indirecte, ce
dont il sera dépouillé d’une manière apparente, et cela
uniquement pour arracher aux créanciers le gage qu’ils
rencontreraient dans les biens donnés.
Il est donc juste d’autoriser les créanciers à faire tout
ce que l’éventualité d’un pareil préjudice est dans le cas
de leur inspirer. La fraude, sans doute, dans cette hy
pothèse, ne se présume pas plus que dans les cas ordi
naires, mais le silence, que le donataire s’imposerait
en présence d’une spoliation imminente ou consommée,
créerait un grave préjugé contre sa bonne foi, et cette
circonstance coïncidant avec l’existence de nombreux
créanciers, dont le paiement doit nécessairement ab-
�548
T R A IT E
sorber l’entier émolument de la donation, on suppose
rait facilement la fraude que ceux-ci allégueraient.
1719. — Le donateur est beaucoup moins exposé.
Toutes les fraudes qu’il a à redouter de la part du dona
taire se résument dans l’une des deux circonstances
suivantes : inexécution des conditions, ingratitude.
Mais l’effet de ces fraudes étant la révocation de la
donation, il est évident que le donataire est personnel
lement plus intéressé que le donateur à ne pas s’en ren
dre coupable. Donc, de l’un à l’autre, ces fraudes sont
peu probables et surtout fort peu à redouter pour ce
dernier.
1720. - Il n’en est pas ainsi pour les créanciers du
donataire. Nous venons de le dire , la certitude que les
biens donnés seront absorbés par le paiement de ses
dettes peut engager le donataire à subir sans se plaindre
la fraude du donateur, à la concerter même. A plus forte
raison, cette conviction sera-t-elle dans le cas de l’ame
ner à rendre la révocation inévitable, en se dégageant
des liens d’une exécution devenue onéreuse , ou en
payant d’ingratitude les bienfaits qu’il a reçus.
A l’absence de tout autre intérêt que celui d’éteindre
ses dettes, chose à laquelle beaucoup de gens ne sem
blent pas tenir beaucoup, il peut s’adjoindre un autre
motif bien plus décisif. La révocation peut ne pas avoir
d’autre but que de favoriser la famille du donataire,
ainsi, cette révocation prononcée, le donateur reprendra
les biens, qu’il transmettra à celle-ci libres de toutes
�Dü
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
549
les charges qu’elle eût dû subir sans la réalisation de
eette manœuvre. On comprend la gravité du préjudice
que les créanciers, que les tiers ayant traité avec le do
nataire pourraient souffrir d’un pareil calcul.
1721. — Les premiers ne seront devenus tels que
par suite du crédit que la possession des biens donnés
a procuré au donataire, et la révocation, annulant tout
droit de propriété, leur enlève toute espérance de rem
boursement. Les tiers, ayant acheté et payé des biens
qu’ils croyaient reposer incommutablement sur la tête
du vendeur, se verront dépouillés de la chose et du prix
qu’on se gardera bien de leur restituer.
Tel est en effet le caractère que l’article 954 affecte à
la révocation pour inexécution des conditions. Elle fait
rentrer aux mains du donateur les biens donnés, libres
de toutes charges et hypothèques du chef du donataire;
elle détruit tous les droits conférés par celui-ci, et au
torise la revendication des immeubles contre les tiersdétenteurs.
C’est aussi ce moyen que la fraude exploitera de pré
férence; à la facilité qu’il offre, s’unit l’énergie des
effets, et ce sera surtout en considération de ces derniers
qu’on recourra à la fraude que nous indiquons.
1722. — Pour se défendre utilement contre ce dan
ger, les tiers-créanciers ou possesseurs devaient être
autorisés à se substituer au donataire dans l’exécution
des conditions que celui-ci n’aurait pas remplies, ou
�550
T R A IT E
refuserait de remplir à l’avenir. C’est ce que la Cour de
Bordeaux a formellement jugé le 7 décembre 1829.
La Cour de Riom a consacré ce même principe, mais
pour que la demande soit recevable, elle exige que les
créanciers prennent l’engagement personnel de remplir
les conditions portées en l’acte entre vifs, à la révocation
duquel ils s’opposent, et que cet engagement présente
pour l’avenir les garanties les plus positives. Dans l’es
pèce de cet arrêt, les biens, ayant été saisis sur la tête
du donataire, étaient revendiqués par le donateur, au
bénéfice delà demande en révocation pour cause de non
paiement d’une rente viagère qui en avait été la condi
tion. Les créanciers saisissants offraient, pour empêcher
cette révocation, de n’adjuger les biens qu’à la charge
des prestations imposées par le donateur, ou de laisser
en mains de l’adjudicataire les sommes destinées à y
faire face. Mais cette offre fut jugée insuffisante, incapa
ble de garantir le paiement à venir de ce qui était dû au
donateur et n’équivalant aucunement à l’engagement
personnel que les créanciers auraient dû contracter
pour empêcher la révocation.1
Cette décision nous paraît rationnelle. La loi empêche
la révocation lorsqu’elle acquiert la certitude que le
droit du donateur, complètement assuré pour l’avenir,
n’éprouvera plus aucun retard dans son exécution. Cette
certitude naît incontestablement de cette circonstance
qu’à la garantie offerte par les biens donnés, vient s’ad-
�DU
DOL
ET
DE
LA
PRAU DE.
551
joindre celle d’un ou de plusieurs créanciers dont la
solvabilité répond de l’engagement qu’ils contractent.
Mais cette certitude n’existe plus si les créanciers se
bornent à laisser seulement une partie des biens donnés
affectés à la dette répondue sur leur généralité. Sans
doute, la somme laissée en mains de l’adjudicataire est
destinée à faire face à la prestation annuelle, mais l’ac
cumulation possible des arrérages fait disparaître cette
garantie elle-même, puisqu’en cas d’insolvabilité de
l’adjudicataire, la somme entamée par le paiement de
ces arrérages ne donnera plus annuellement un intérêt
suffisant. Au lieu de voir ses garanties diminuer, le
donateur doit en trouver un surcroît dans l’accession
des créanciers, et ce résultat ne peut être atteint que
par l’engagement personnel qu’ils contracteront à son
égard.
A cette condition, la donation sera maintenue, et les
droits des tiers sauvegardés contre la mauvaise volonté,
contre le malheur, contre la fraude. Cette condition ellemême n’a rien que de fort juste, celui qui se dépouille
de ses biens ne peut être contraint de tenir ses enga
gements que si on respecte ceux qu’il a imposés en
échange de sa libéralité. D’autre part , ceux qui ont
traité avec le donataire, qui ont consulté son titre,
n’ont pu ignorer la nature de ses droits. La faculté
qu’on leur donne de se livrer eux-mêmes à l’exécution
des obligations que celui-ci ne veut ou ne peut remplir
et qui est pourtant la condition substantielle de ces
mêmes droits, ne saurait donc exciter leurs plaintes et
moins encore être taxée d’injustice.
�O O J.
T R A IT E
1723. — La révocation pour ingratitude ue saurait
être conjurée par les créanciers, ils ne peuvent se faire
substituer à cet égard aux obligations toutes person
nelles de leur débiteur.
Ce point de vue n’a pas échappé au législateur, il a
été au contraire pris en sérieuse considération lorsqu’il
s’est agi de caractériser l’ingratitude, d’en établir les
effets à l’encontre des tiers.
Ces effets sont réglés par l’article 958, la révocation
pour cause d’ingratitude ne préjudiciera ni aux aliéna
tions faites par le donataire, ni aux hypothèques et
autres charges réelles qu’il aura pu imposer sur l’objet
de la donation, pourvu que le tout soit antérieur à
l’inscription qui aurait été faite de l’extrait de la de
mande, en marge de la transcription prescrite par l’ar
ticle 939.
Ainsi, à la différence de la révocation pour cause
d’inexécution des conditions, rétroagissant au jour du
contrat, et effaçant tout ce qui a pu se réaliser dans l’in
tervalle, celle pour ingratitude n’a d’effet qu’à partir du
moment où se réalise l’acte la constituant. Dans ce der
nier cas, le donateur a le tort d’avoir mal placé ses bien
faits. Cette erreur est même, en ce qui le concerne, une
véritable faute dont il doit supporter les conséquences,
il serait aussi absurde qu’injuste d’en reporter la res
ponsabilité sur des tiers , que le choix du donateur
devait naturellement rassurer à cet égard.
On peut sans doute prévoir une inexécution et s’en
préoccuper, on ne peut raisonnablement en agir de
même contre une ingratitude que rien ne fait présume!'.
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
553
En conséquence, si elle se réalise, les tiers, qui ont jus
que là de bonne foi traité avec le donataire, n’ont aucune
faute à se reprocher. Leur droit doit donc être essen
tiellement respecté.
Pour qu’on pût leur reprocher une faute, il faudrait
qu’ils eussent été à même de connaître la conduite du
donataire. Cette condition se réalisant par l’inscription
de la demande en révocation, à la marge de la trans
cription , ceux qui ont traité postérieurement seront
seuls déchus des droits ainsi imprudemment acquis.
Mais la certitude de l’inévitable préjudice qu’ils sont
dans le cas de subir serait une raison suffisante pour
leur reconnaître, comme à tous les créanciers cédulaires, le droit d’intervenir dans l’instance en révocation
qui doit dans tous les cas être ordonnée par justice. Sans
doute ils ne pourront se substituer aux obligations de
leur débiteur et faire par ce moyen repousser la révoca
tion. Mais ils sont recevables à en contester le mérite,
à soutenir qu’elle n’a pas été réalisée en temps utile, ou
que les faits sur lesquels elle repose n’ont pas la gravité
requise.
1724. — L’ingratitude, en effet, est quelque peu une
abstraction dont il importait de déterminer le caractère,
relativement à la révocation qu’elle est dans Je cas d’au
toriser. Son appréciation arbitraire ouvrait une trop
large issue à la fraude, une carrière beaucoup trop vaste
à de nombreux procès.
L’article 955 répond à ce double danger et les évite
l’un et l’autre. L’ingratitude, dont le législateur a voulu
�parler et qu’il punit de la perte de la libéralité, n’existe:
1° Que si le donataire attente à la vie du donateur ;
2° Que s’il s’est rendu coupable envers lui de sévices,
délits ou injures graves ;
5° Que s’il lui refuse des aliments.
1725- — Les deux premiers faits n’ont la consé
quence signalée que si leur matérialité est accompagnée
de la culpabilité, la certitude du défaut d’intention
devrait faire maintenir la donation. Ainsi, si l’attentat
ou le délit n’avait eu lieu que dans le cas de légitime
défense; s’il était le résultat de la démence ou le pro
duit d’une imprudence ou de l’inobservation des règle
ments, la demande en révocation serait repoussée.
De là encore cette autre conséquence que le fait re
proché doit être personnellement imputable au dona
taire. L’acte imputable à l’héritier, au mari, au tuteur
n’autoriserait pas la révocation contre le père, la femme
ou le mineur.
1726. — Les délits prévus par l’article 955 doivent
être entendus non-seulement des actes contre la per
sonne, mais encore de toute atteinte dirigée contre la
fortune du donateur.1 Néammoins ces derniers ne moti
veraient la révocation que si, par leur gravité, ils ont
compromis ses moyens d’existence. Cette condition,
consacrée par notre ancienne jurisprudence, est aujour
d’hui unanimement recommandée. Tel ne serait donc
1 Paris, 17 janvier 1833.
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
555
pas évidemment un délit de chasse, par exemple. C’est
conséquemment avec juste raison que MM. Duranton et
Poujol enseignent qu’un pareil délit ne saurait devenir
la base d’une poursuite en révocation.
Les délits commis contre les ascendants ou descen
dants du donateur, contre son conjoint ou ses autres
proches parents, ne pouvant être considérés comme
commis envers lui, ne remplissent pas la condition im
périeusement exigée par l’article 955. Ils ne pourraient
donc, comme tels, devenir la matière d’une révocation,
mais ils pourraient être avec juste raison envisagés com
me injures graves envers le donateur et se ranger com
me telles dans la catégorie des causes l’autorisant.
1727. — L’article 955 n’exigeant plus que le dona
taire ait été condamné, ainsi que l’article 727 le veut
pour l’indignité de l’héritier, il en résulte que l’absence
de sa condamnation, que celle même de toute poursuite
criminelle contre le donataire, ne pourrait créer aucun
obstacle à la demande en révocation. Il suffirait pour la
faire admettre que l’attentat ou le délit fût établi dans
la poursuite dont on aurait investi le tribunal civil.
1728. — La gravité des sévices et injures est aban
donnée à l’appréciation du juge. Mais il est une obser
vation générale que nous trouvons dans M. Coin-Delisle,
et qui, empreinte d’une évidente sagesse, nous paraît
devoir être la règle constante de cette appréciation.
La loi, dit ce savant jurisconsulte, ne dépouille le do
nataire qu’autant que Je fait procède de sa volonté et
�556
T R A IT É
de l’ingratitude de son âme. Outre le fait matériel, elle
veut que le donataire s’en soit rendu coupable envers le
donateur ; d’où il suit que de simple torts, ou des faits
blâmables en eux-mêmes, mais qui trouveront leur ex
cuse dans un premier mouvement, dans des habitudes
grossières, dans une évidente provocation du donateur,
n’entraînent pas toujours la révocation.
Par application de cette doctrine, la Cour de Tou
louse a jugé qu’une donation faite par un père à son fils
ne doit pas, sur la demande du donateur, être révoquée
pour cause d’ingratitude, par cela seul que le fils a,
dans une lettre, traité le donateur de voleur ; alors
surtout que la lettre, d’ailleurs sans signature et sans
adresse, n’était destinée à aucune publicité et n’en a
reçu aucune; qu’elle a été écrite, après un grand nom
bre d’années d’une conduite irréprochable de la part
du fils envers le père, dans le cours d’une contestation
judiciaire où la résistance du père avait été reconnue
mal fondée, et en réponse à une demande réputée in
juste, et surtout encore si les parties sont des personnes
dont l’éducation ait été négligée.1
1729. — Le refus d’aliments, surtout lorsque le do
nateur en éprouve un besoin urgent et réel, est un acte
d’inhumanité et d’odieuse ingratitude envers son bien
faiteur. On ne comprend donc pas la controverse que la
question de savoir s’il devait autoriser ou non la révo
cation de la donation avait fait naître sous l’empire de
1 29 a v ril 183f>.
�DU
ri O U
ET
DE
UA
FRAUD E.
557
notre ancien droit. 1 L’article 955 l’a tranchée de la
seule manière possible et convenable.
Mais ce n’est pas refuser des aliments que de con
tester soit l’opportunité et la nécessité de la demande,
soit le chiffre auquel elle a été portée; les besoins peu
vent n’être pas réels, le chiffre peut être tellement exa
géré que, dans son ensemble, la prétention ne soit qu’un
moyen calculé pour amener une inévitable résistance,
et arriver ainsi à faire prononcer la révocation. Il suffît
donc que Je donataire ait pu de bonne foi se croire au
torisé à contester, pour que la condamnation absolue
de sa prétention ne puisse avoir d’autre conséquence
que celle de l’exécuter dans l’avenir, sous peine de ré
vocation.
fl en devrait être et il en serait autrement si la dé
tresse du donateur était notoire, si le chiffre des ali
ments qu’il réclame était d’une évidente, d’une incon
testable modération, dans sa proportion avec l’impor
tance des biens donnés. Dans cette hypothèse, la ré
sistance du donataire ne serait qu’un refus d’aliments,
déguisé sous un prétexte spécieux, qui ne devrait pas
l’affranchir des conséquences de sa mauvaise foi.
1750. — L’article 956 dispose que, dans aucun cas,
la révocation n’est de plein droit acquise. Les consé
quences de cette règle sont importantes pour les tiers ;
I
�T R A IT E
1° La révocation devant être prononcée par justice,
sa poursuite donnera lieu à une instance dont la publi
cité éveillera nécessairement la sollicitude de tous ceux
que son issue pourra intéresser. Chacun d’eux pourra,
dès-lors, se présenter dans l’instance et y intervenir
pour veiller à la défense de ses droits et les mettre à
l’abri de toute collusion et de toute fraude ;
2° La révocation, respectivement consentie, ne peut
avoir d’effets qu’entre les parties. On ne pourrait l’op
poser aux tiers sans leur conférer le droit d’en appeler
à la justice. Le débiteur peut bien disposer de ce qui
lui appartient; mais toute disposition de nature à en
lever un droit acquis à un tiers ne saurait être valable
ment faite qu’autant que celui-ci a été mis à même de
se défendre.
Ce principe est tellement absolu que, dans l’hypo
thèse d’une révocation pour cause d’inexécution des
conditions, le jugement ne serait définitif contre les
créanciers hypothécaires et les tiers-détenteurs, qu’au
tant que, appelés en cause, l’exécution commune en a
été contradictoirement prononcée contre eux. Sans
doute, le donateur n’est pas tenu de réaliser cet appel,
mais son absence laisse subsister pour les tiers la fa
culté de former tierce-opposition au jugement et de le
faire rétracter, en offrant,au besoin, l’exécution réfusée
par le donataire.
1731- — L’action du donateur en révocation pour
cause d’inexécution n’est et ne pouvait être soumise
à aucun délai. L’inexécution se renouvelle à chaque
�DU
DOD
ET
DE
LA
FRAUD E.
559
échéance de l’obligation, et ce n’est qu’en tant qu’elle
n’a jamais cessé que l’action serait recevable. Si, après
un intervalle quelconque de suspension, l’exécution
avait été reprise d’un commun accord et continuée sans
interruption nouvelle, le donateur ne pourrait plus, sous
aucun prétexte, exciper d’une inexécution précédente,
complètement effacée.
Mais l’action pour inexécution passe aux héritiers du
donateur. Par rapport à ceux-ci, l’obligation d’exécuter
ayant cessé d’exister au décès du donateur, la prescrip
tion trouve, dans ce décès, un point de départ certain.
L’absence de toute réclamation, dans les dix ans de ce
décès, éteindrait donc toute action ultérieure;
L’action en révocation pour cause d’ingratitude se
restreint entre le donateur et le donataire. Elle ne peut,
dit l’article 957, être poursuivie par le donateur contre
les héritiers du donataire, ni par les héritiers du dona
teur contre le donataire.
La personnalité de l’ingratitude et l’injustice de la
punir sur ceux qui y sont demeurés étrangers déter
mine la première règle. La présomption du pardon,
toujours facultatif pour l’offensé, a fait consacrer la se
conde. Mais cette présomption n’est acquise, aux ter
mes de notre article, que si le donateur est resté un an,
à compter du jour du délit imputé ou de celui de sa
connaissance, sans intenter l’action. Conséquemment,
si le donateur est mort avant l’expiration de ce délai.
ou si, avant de décéder, il a réalisé la poursuite, ses hé
ritiers seront recevables à l’intenter ou à la continuer
contre le donataire.
�_
560
T R A IT É
Ainsi, la révocation pour cause d’ingratitude se pres
crit par un an. Elle peut, de plus, être querellée en la
forme, sous le rapport de la personne qui l’intente au
fond, comme ne constituant pas l’un des faits prévus
par l’article 955. On comprend, dès-lors, toute l’utilité
du droit d’intervenir, de celui de former tierce-opposi
tion que nous reconnaissons aux créanciers que cette
révocation peut intéresser.
Î752. — Toutes les actions qui se transmettent aux
héritiers et qui ne sont pas, dès-lors, exclusivement
attachées à la personne peuvent être exercées par les
créanciers de l’ayanl-droit, en force de la disposition
de l’article 1166. De cette règle, il résulte que le silence
ou l’inaction du donateur fondé à poursuivre la révo
cation autorise ses créanciers à le faire en son lieu et
place.
Les fins de non-recevoir, tirées de la renonciation à
se pourvoir à l’endroit de l’inexécution, de la pres
cription annale en matière d’ingratitude, opposables
au donateur, le seraient également aux créanciers. Il y
a cependant, entre l’une et l’autre, cette différence que
la renonciation pourrait être attaquée comme contre
venant à l’article 1167, tandis que la prescription an
nale, définitivement acquise, formerait un obstacle in
vincible. au succès de leur demande.
1755. -- L’article 959 déclare les donations faites
par contrat de mariage non révocables pour cause d’in
gratitude. Elles sont donc, quant à l’inexécution des
�1)0 IlOL ET DE LA FRAUDE.
5(>f
conditions, sur la même ligne que toutes les autres. La
règle à l’endroit de l’ingratitude reçoit même exception
pour les avantages entre époux que la séparation de
corps fait révoquer. 1
1754. — Les substitutions fidéicommissaires, pro
hibées dans les libéralités testamentaires, le sont égale
ment dans les actes entre vifs. Les caractères auxquels
on doit les. reconnaître, les effets qu’elles produisent
étant identiques dans les deux cas, nous nous en réfé
rons aux règles que nous avons exposées dans le para
graphe précédent. !
5 iv.
EM PRUNTS E T VENTES.
SOMMAIRE.
1735. Facilités que ces actes donnent pour la fraude.
1736. Leurs effets en matière commerciale.
1737. Précautions prises à cet égard. A quoi a tenu leur
inefficacité.
1738. Modifications introduites par la loi de 1838.
1739. Effets de la poursuite intentée personnellement par un
' créancier.
1740. Effets et caractères de la simulation dans les emprunts
ou ventes en matière de déconfiture civile.
1 V.
, n° 839.
! Sup., ri031580 et suiv
s u jl
U!
�o(>2
T R A IT E
1741. La simulation d'une obligation peut être opposée par
un créancier postérieur.
1742. Fondement de cette doctrine.
1743. Caractère de la vente à rente viagère et à fonds perdu.
1744. Elle exige l’existence d’un risque sérieux et certain.
1745. Cette condition doit-elle être reconnue dans la vente
moyennant une rente viagère inférieure ou à peine
égale au revenu des biens ?
1746. Quid, si, indépendamment du paiement de la rente ,
l'acheteur a payé une partie quelconque du prix ?
1747. L’action en lésion est-elle recevable contre la vente à
fonds perdu?
1748. Résumé.
1749. Eléments de l’appréciation du juge pour connaître s’il
y a lieu à nullité ou à rescision.
1750. Nullité de la vente à fonds perdu, si le crédi-rentier
est mort au moment du contrat.
1751. Différence, à cet égard, entre cette vente et l’assu
rance maritime.
1752. Nullité de la vente à rente viagère constituée sur la
tête d’une personne atteinte de la maladie dont elle
est morte dans les vingt jours de l’acte.
1753. Applicabilité de l’article 1795, si le contrat est fait par
la personne malade et en sa faveur.
1754. Cette nullité est d’ordre public. Conséquences qu’en
tire M. Dalloz, quant à la renonciation que les par
ties feraient de s’en prévaloir.
1755. La vente sous seing privé fait-elle foi de sa date contre
les héritiers du vendeur agissant en vertu de l’arti
cle 1795 ?
1756. Arrêt notable de la Cour de cassation consacrant la
négative.
1757. Son caractère juridique.
1758. Conséquences de cette doctrine. Est-ce à l’acquéreur
à prouver, et peut-il prouver que l’acte a été sous
crit avant la maladie et à sa date ?
1759. Conditions exigées pour que la nullité puisse être pro
noncée.
�DU
DOE
ET
DE
EA
FRAUD E.
563
1760. L’article 1795 est-il applicable au cas où la rente a
été consentie en faveur de deux ou de plusieurs per
sonnes ?
1761. Que doit-on statuer lorsque, de plusieurs crédiren
tiers, les uns sont morts dans les vingt jours de la
maladie dont ils étaient atteints au jour de la vente,
et que les autres ont survécu ?
1762. La rente viagère constituée à titre onéreux est saisis-
sable et cessible.
1763. Effets de l’admission de l’action des créanciers contre
une vente quelconque.
1764. Peuvent-ils revendiquer l’immeuble revendu par le
complice de la fraude du débiteur ?
1765. Fraudes dont la vente de droits successifs peut deve
nir l’occasion.
1766. L’opposition à la levée des'scellés, faite avant la vente,
la rendrait sans effet contre les créanciers oppo
sants.
1767. Mais le créancier qui ne s’est pas opposé ne perd pas
le droit de l’attaquer en vertu de l’article 1167.
1768. Présomptions tirées de l’exagération du prix.
1769. Autre motif que peut avoir cette exagération. Ses conquences par rapport au retrait successoral.
1770. Par qui doit être établi le juste prix, lorsqu’il est im
possible de préciser celui qui a été réellement payé
et reçu ?
1771. Arrêt de la Cour de Paris qui en confie l’appréciation
au juge saisi de l’action en retrait. Sagesse de sa
doctrine.
1772. Conséquences de l’obligation du retrayant de resti
tuer le prix réel, à l’endroit des droits d’enregistre
ment, des frais et honoraires personnels au ces
sionnaire.
1773. La demande en retrait doit-elle être précédée ou ac
compagnée de l’offre réelle de restituer le prix ?
1774. Influence de la dénonciation de l’intention d’exercer le
retrait sur les actes ultérieurs du cédant et du ces
sionnaire.
�564
T R A IT E
1775. Le cessionnaire évincé par le retrait n’a aucune ga
rantie à exercer contre le cédant.
1776. Arrêt de la Cour de cassation qui prohibe toute stipu
lation contraire.
1777. Application des principes de la matière à la donation
dissimulant une vente.
1778. A la vente qu’on soutiendra n’être qu’une donation
déguisée.
1779. Effets de la ratification imputée au retrayant. Carac^
tères qu’elle devrait avoir.
1780. L’action en retrait est irrévocable après l’accomplis
sement du partage. Quid si le partage contradictoi
rement fait avec le cessionnaire vient à être res
cindé ?
)781. L'article 1699 fait pour les droits litigieux ce que l’ar
ticle 841 fait pour les droits successifs. Motifs du
premier.
caractères de la vente.
1783. Admis par notre article 1699.
1784. Difficulté que peut faire naître la question de savoir
1782. Système qui avait été suivi par le droit romain sur les
s’il y a vente ou donation.
1785. Droit du retrayant de soutenir que le prix indiqué n'est
pas sincère.
1786. Le droit au retrait est absolu. Il peut être exercé pour
la première fois en cause d’appel.
1787. Arrêt de la Cour de cassation restreignant cette fa
culté au débiteur, à ses représentants légaux, et la
refusant aux créanciers. Critique.
1788. La décision du procès empêche tout retrait ultérieur.
Conséquences. Nécessité d’opter. Irrecevabilité du
retrait demandé par conclusions subsidiaires et en
cas de succombance.
Exception que cette règle comporte dans l’hypothèse
où la cession a été cachée à la partie intéressée.
Caractère et motifs des exceptions que l’article 1701
consacre à la disposition de l’article 1699.
Faut-il restreindre celle relative au cohéritier aux ces-
�565
sions obtenues du cohéritier et à l’endroit des ac
tions héréditaires ?
DU
DOL
ET
DE L A
FRAUD E.
1792. Prohibitions spéciales en matière de droits litigieux
créée par l'article 1597.
1793. Effet de sa violation. Difficulté sur l’application des
règles relatives à l’interposition de personne.
1794. La nullité de la cession faite à l’incapable profite sur
tout au débiteur cédé.
1795. Aucune garantie ne peut être poursuivie contre le cé
dant.
1796. L’acquéreur d’un office qui a dissimulé le prix peut-il
être poursuivi en dommages-intérêts par les créan
ciers du vendeur, en fraude desquels cette dissimu
lation a été pratiquée ?
1797. Caractère légal et juridique de l’affirmative.
1798. Son efficacité sur la répression de l’abus qu’on veut
proscrire.
1799. L’action des créanciers ne peut tendre qu’à la répara
tion pécuniaire du préjudice.
1800. La complicité, de l’acheteur peut être établie par té
moins et par présomptions.
1801. Responsabilité de celui-ci, en cas de fausse déclara
tion sur la saisie-arrêt entre ses mains.
1802. Les paiements partiels reçus par le vendeur, et les
cessions qu’il a faites du prix, avant l’approbation
du gouvernement, sont-ils valables?
1803. Arrêts des Cours de Paris et d’Angers admettant la
négative.
1804. Arrêt, en sens contraire, de la Cour d’Aix. Est plus
juridique. Motifs sur lesquels il se fonde.
1805. A été sanctionné par la Cour de cassation.
1806. Les quittances justifiant les paiements sont-elles op
posables aux créanciers, alors même qu’étant sous
seing privé, elles n’ont pas acquis date certaine.
1735- — Les actes d’obligation et de vente sont les
agents les plus actifs, les auxiliaires les plus usuels de
�_ la fraude contre les tiers. Sans cesse à la disposition du
débiteur, ils se prêtent merveilleusement à dissimuler
l’actif qu’il a le projet de soustraire aux exécutions des
créanciers, réduits bien souvent à soupçonner la fraude
sans pouvoir la prouver. La facilité de cette fraude, ses
chances de succès expliquent le fréquent recours dont
elle est l’objet de la part des débiteurs de mauvaise foi.
1756. — C’est surtout en matière commerciale que
sa perpétration est dans le cas d’entraîner des effets dé
sastreux. Ceux qui traitent avec un commerçant consi
dèrent son crédit bien plutôt que sa fortune réelle. Les
transactions commerciales excluent, le plus souvent,
toute affectation hypothécaire, dont la forme et les len
teurs sont peu compatibles avec la rapidité qu’elles
exigent, de manière que les immeubles du débiteur de
meurent habituellement libres entre ses mains, qu’ils
peuvent être, dès-lors, aliénés sans obstacle dès que le
besoin s’en lait sentir. Or, ce qui résulte de cette alié-"
nation, c’est que la valeur la plus claire, la plus nette
de l’actif se trouve irrévocablement perdue pour les
créanciers au moment où, la faillite se réalisant, ils se
raient dans le cas d’en poursuivre la liquidation pour le
paiement de ce qui leur est dû ; c’est que cette même
valeur, si l’aliénation est simulée, se trouve à la dis
position réelle du débiteur et lui fournit le moyen de
braver ses créanciers, de leur imposer la loi.
1737. — Cet inconvénient si grave, poussé jus
qu’au scandale sous l’empire de la loi ancienne, avait
�DU
BOL
ET
DE
LA
F il AU D E .
567
éveillé la sollicitude des auteurs du Gode de commerce
et leur avait dicté les dispositions relativement aux ac
tes souscrits dans un temps contemporain ou voisin de
la faillite. Mais ce remède, quelque énergique qu’il soit,
peut être rendu inefficace par la mauvaise foi. En effet,
un commerçant, dont le crédit n’a encore subi aucune
atteinte apparente, ne peut pas ignorer sa véritable si
tuation, et elle peut être telle, qu’elle lui fasse entrevoir
une faillite plus ou moins imminente. C’est ce moment
que la fraude exploitera, car celui qui veut tromper
n’hésitera pas à le faire d’une manière utile; non-seujement il aliénera les biens qu’il veut soustraire lors
qu’il sera encore en plein crédit, mais il saura, au prix
même de quelques sacrifices, retarder sa chute pour
qu’on ne puisse atteindre les actes simulés sous le rap
port que nous indiquons.
La simulation de dettes entraîne, de son côté, un ré
sultat non moins fâcheux, non moins dangereux pour
les créanciers sincères ; elle introduit, dans la faillite,
un élément qui en dénature le caractère, qui en fausse
les opérations. Indépendamment de la nécessité d’éta
blir la répartition sur une base plus étendue, on com
prend que les créanciers de complaisance n’hésiteront
pas à accueillir les propositions du failli, et que, voté
par eux, le concordat, auquel ils auront assuré la ma
jorité requise, imposera d’énormes sacrifices aux créan
ciers sérieux, obligés d’en subir les effets.
Cette double éventualité a, de tout temps, excité les
plus vives, les plus incessantes réclamations, mais l’abus
ne s’en est pas moins perpétué. Il n’est peut-être pas de,
�568
1
T R A TK
faillite dans laquelle il ne s’exerce sur une échelle plus
ou moins large. Ilâtons-nous de le dire, cependant, le
reproche ne peut s’adresser au législateur ; ce n’est pas
la loi qui a manqué aux hommes, ce sont les hommes
qui ont manqué à loi.
En effet., le Code de 1807 s’était armé de toute sa sé
vérité contre l’un et l’autre de ces actes. Ainsi, l’ar
ticle 593 déclarait banqueroutier frauduleux celui qui
avait fait des ventes, des négociations ou donations si
mulées ; celui qui avait supposé des dettes passives et
collusoires entre lui et des créanciers fictifs, en faisant
des écritures simulées ou en se constituant débiteur,
sans cause ni valeur, par des actes publics ou par des
engagements sous signature privée.
L’article 597 punissait, comme complices de la ban
queroute frauduleuse, ceux qui s’étaient entendus avec
le failli pour recéler ou soustraire tout ou partie de ses
biens meubles ou immeubles, ou qui avaient acquis sur
lui des créances fausses et qui, à la vérification et affir
mation de leurs créances, avaient persévéré à les faire
valoir comme sincères et véritables.
La peine édictée contre la banqueroute frauduleuse
était celle des travaux forcés à temps. L’application
énergique de la loi était donc dans le cas sinon d’anéan
tir complètement l’abus, au moins de l’atténuer sensi
blement. L’étrange complaisance que le failli a tou
jours rencontrée chez ses créanciers eux-mêmes a seule
empêché ce résultat.
Malheureusement le Code de commerce laissait la
masse de la faillite tenue des frais de poursuite dans le
�DU
DOL
BT
DE
LA
FRAUD E.
569
cas de condamnation. Cette obligation onéreuse avait
entraîné cette double conséquence que non-seulement
les créanciers ne prenaient pas l’initiative des pour
suites, mais encore que lorsque le ministère public les
exerçait d’office, tous leurs efforts, conformes à leurs
vœux, à leurs intérêts, tendaient à l’acquittement de
l’accusé.
1738. — La loi de 1838 a fait disparaître ce motif
en décidant, qu’en cas de condamnation, les frais ne
pourraient être répétés contre la masse. De plus, et sous
son empire, la banqueroute frauduleuse, dont la loi an
cienne énumérait les faits constitutifs,énumération que
la doctrine et la jurisprudence considéraient comme
limitative et restrictive, existe par cela seul que le failli
a soustrait ses livres, détourné ou dissimulé une partie
de son actif, ou qu’il s’est frauduleusement reconnu dé
biteur de sommes qu’il ne devait pas, soit dans ses
écritures, soit par des actes publics ou des engage
ments sous signature privée, soit par son bilan.
Quel que soit donc le moyen employé, la culpabilité
est la conséquence immédiate de l’existence d’un des
faits indiqués. Le législateur a donc dégagé la poursuite
des obstacles qui venaient l’entraver sous l’empire du
Code. Obtiendra-t-il le résultat qu’il s’est proposé?
Il est permis, malheureusement, d’en douter. On ne
change pas facilement les habitudes invétérées, et l’in
dulgence des créanciers en matière de faillite est de na
ture h condamner la loi nouvelle à n’être que ce que
�570
T R A IT E
le Code de commerce a toujours été, une menace à peu
près vaine.
Quoi qu’il en soit, il n’est pas douteux qu’en matière
commerciale la simulation de dettes sans cause ni va
leur réelle et la vente mensongère d’un immeuble pren
nent, dans le cas de faillite, le caractère de crimes. Le
droit des parties intéressées d’en poursuivre la répres
sion par la voie civile ou criminelle ne saurait devenir
l’objet d’un doute. La preuve du véritable caractère de
l’acte ferait exclure le créancier supposé de toute ré
partition et rentrer à la masse les immeubles prétendus
aliénés. Indépendamment de la peine encourue par le
failli et son complice, ce dernier pourrait, de plus, être
condamné à des dommages-intérêts.
1739. — Ce que la masse, représentée par les syn
dics, peut faire, chaque créancier peut, personnelle
ment l’accomplir. Mais, dans l’une comme dans l’autre
hypothèse, le résultat est le même. Ainsi, la nullité de
l’obligation ou de la vente, obtenue par un créancier
seul, profite à la masse et non à ce créancier personnel
lement. Quant aux dommages-intérêts auxquels le com
plice peut être condamné, le créancier poursuivant a
droit de les obtenir. C’est là le juste équivalent des frais
auxquels il s’expose par une poursuite devant laquelle
la masse a mal à propos reculé. 1
1740.
La déconfiture civile laisse à la simula-
1 Y. noire Traite des faillites, art. 601, nos 1304 el 1503.
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
57 i
tion, ayant pour objet d’accroître le passif ou de dimi
nuer l’actif, le caractère d’une simple fraude. Elle se
trouve donc régie par les règles ordinaires de la ma
tière. Dirigée essentiellement contre les créanciers.,
chacun d’eux a, incontestablement, qualité pour en
poursuivre la répression et droit de l’obtenir en prou
vant : ou que la somme prétendue reçue par le débiteur
n’a jamais été comptée par le porteur de l’obligation, ou
que la vente n’a jamais eu de prix réel. Nous avons déjà
dit que cette preuve peut être faite tant par titres que
par témoins et par présomptions.
1741. — L’unique difficulté que puisse soulever
l’action des créanciers, est celle qui naîtraitde la date de
leurs titres. En thèse ordinaire, l’action de l’article 1167
n’est ouverte que pour les actes faits en fraude des droits
de celui qui prétend l’exercer. Dès-lors, si le titre de
celui-ci est postérieur à l’acte attaqué, le porteur de ce
dernier pourra exciper de cette circonstance comme
créant une fin de non-recevoir contre la demande.
Nous nous sommes déjà occupés de cette difficulté,
ce qui nous permet de nous en tenir à rappeler la con
clusion à laquelle nous sommes arrivés. La fin de nonrecevoir devra être accueillie, lorsque l’acte attaqué par
le créancier est une aliénation ; on la repoussera, lors
que, s’agissant d’une obligation, c’est dans la distribu
tion de l’actif du débiteur que la contestation sur sa va
lidité se trouve engagée.1
�572
TRAITE
1742. — Cette conclusion a son fondement juri
dique dans cette raison décisive que la vente, par la
publicité qu’elle reçoit, par les formalités qu’elle exige,
par le transfert effectif de la propriété qu’elle opère, ne
peut être présumée faite au préjudice ou en fraude des
créanciers futurs. Cela est surtout vrai lorsque, régu
lièrement transcrite, elle a été effectivement exécutée
par le désinvestissement matériel du vendeur. Com
ment donc les créanciers postérieurs pourraient-ils en
contester l’effet, alors même que cette vente n’aurait
aucun prix sérieux et réel? Mais, avant de devenir leur
débiteur, le propriétaire pouvait donner son bien sans
que personne y trouvât à redire; il pouvait donc faire
indirectement ce qu’il lui était permis d’accomplir di
rectement. L’acte serait inattaquable sous tout autre
rapport que celui que nous signale le droit romain :
Si alienationi subsil fraus fuluri créditons.
C’est précisément cette fraude que la loi présume
lorsqu’il s’agit d’une obligation simulée. Cette obliga
tion peut n’être, en effet, qu’une précaution contre des
revers ultérieurs de fortune et pour s’assurer une res
source, le cas de déconfiture se réalisant. Que cette pré
somption ne suffise pas pour déterminer la nullité ab
solue de l’acte, cela est juste; mais il serait par trop
rigoureux de ne pas lui donner pour effet la faculté,
pour les avant-droit, de prouver que telle a été réelle
ment l’intention des parties contractantes.
Ainsi, que la question s’agite pour une créance hypo
thécaire et dans un ordre; qu’elle naisse entre créan
ciers chirographaires dans une distribution par contri-
�DU
ROI,
ET
DE
LA
FRAUDE.
573
bution, l’intérêt évident que chaque créancier a à n’ad
mettre, dans l’un ou dans l’autre, que les porteurs
de droits sérieux et légitimes, motive légalement son
action pour faire repousser telle ou telle créance. Il
pourrait, quelle que soit la date de son titre, exciper
du paiement ayant éteint la créance qu’il conteste.
Pourquoi donc l’empêcherait-on de soutenir que celte
créance n’a jamais existé?
La recevabilité de l’action ainsi justifiée, son bien
fondé dépend de la preuve administrée par le deman
deur. Son efficacité, nous l’avons déjà dit, est exclusi
vement abandonnée à la prudence et aux lumières du
juge. Ce que nous devons rappeler, c’est qu’elle doit,
dans les aliénations à titre onéreux, démontrer nonseulement la fraude du vendeur, niais encore celle de
l’acheteur. II n’en est pas de même pour les obligations.
La complicité du bénéficiaire est une conséquence
forcée de leur simulation. Celui qui consent à paraître
créancier, sans l’être réellement, ne saurait être admis à
invoquer la bonne foi.
1743- — La vente à rente viagère et à fonds perdu
est préjudiciable aux héritiers du vendeur, en ce sens
qu’en faisant disparaître la chose, elle n’en fait pas en
trer l’équivalent dans l’actif qu’il délaissera plus tard.
La chance aléatoire qui caractérise celte vente peut
avoir pour conséquence que le paiement d’un trimestre
de la rente peut suffire pour acquérir définitivement
l’objet vendu, le décès du crédi-renlier venant tout à
coup libérer l’acheteur de toute charge ultérieure.
�.
574
TRAITÉ
D’autre part, il est évident que la vente à fonds perdu
est un avantage précieux pour le vendeur. Par sa réa
lisation, il se procure un surcroît de revenu que ses be
soins peuvent rendre indispensable. Cette seule consi
dération commandait à la loi de l’autoriser. Il est natu
rel et juste qu’une personne songea elle-même avant
de s’occuper de ses héritiers. Ce n’est pas là de l’égoïs
me, c’est de la charité bien entendue.
La vente à fonds perdu moyennant une rente viagère
est donc licite, à condition toutetois qu’elle réunisse les
qualités essentielles qui lui sont prescrites.
1744. — Au nombre et en tête de ces qualités, se
place naturellement l’existence d’un risque sérieux et
réel. Il faut de toute nécessité que l’acheteur, pouvant
acquérir le fonds dans un très court espace de temps,
soit exposé à payer plus que la valeur réelle, si la vie du
crédi-rentier se prolonge assez pour cela. S’il en était
autrement, si l’acheteur n’avait d’autre chance à courir
que celle de réaliser un bénéfice plus ou moins consi
dérable, sans aucune éventualité de perte, il n’existerait
pas de vente, point de contrat commutatif. Devrait-on
dès-lors annuler la convention?
1745. — Cette question est surtout née dans les
hypothèses où la vente avait été consentie moyennant
une rente viagère inférieure ou à peine égale aux reve
nus des biens vendus. La solution qu’elle a reçue n’a
pas été uniforme dans tous les cas. La vente, maintenue
dans un, a été annulée dans l’autre, et les divers arrêts,
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
575
successivement déférés à la Cour suprême, ont été sanc
tionnés constamment par elle.
Faut-il, à l’exemple de M. Troplong, accuser la Cour
de cassation de versatilité et lui en faire un reproche? Y
a-t-il réellement contradiction entre ces divers arrêts?
La solution ne peut être douteuse en présence des vrais
principes de la matière.
Ainsi tout le monde convient, et M. Troplong notam
ment enseigne que la vente doit avoir un prix sérieux et
certain, mais le prix, quelque vil qu’on le suppose, n’en
existe pas moins. Dès-lors on arrive à cette double con
séquence : 1° l’absence de prix enlève à l’acte tout ca
ractère commutatif, il doit donc être annulé en tant que
vente ; ° la vilité du prix ne fait pas que l’acte ne
soit une vente réelle, elle peut seulement en amener la
rescision, si la lésion en résultant atteint les proportions
indiquées par l’article 167-4 du Code civil.
Cette différence juridique explique celle que nous
signalions dans la jurisprudence. Dans chaque espèce,
les magistrats ont recherché si la vente avait ou non un
prix. Ils ont accueilli la nullité lorsqu’ils ont trouvé
qu’il n’y en avait aucun; ils l’ont repoussée dans l’hy
pothèse contraire, quelle que fût d’ailleurs la vilité reprochable à celui que les parties avaient stipulé.
Cette appréciation toute de fait liait la Cour de cassa
tion. En supposant même que l’appréciation des Cours
d’appel fût erronée, elle n’avait pas à exercer le droit
qui lui appartient dans le cas où la loi a été violée oq
méconnue.
2
�.
576
TRAITE
M. Troplongsemble en convenir lui-même puisque,
enseignant la nullité de la vente qui n’a pas de prix, il
repousse cet effet, lorsque le prix est seulement entaché
de vilité. Ce qu’il reproche à la jurisprudence, c’est de
convertir en question de fait ce qui lui paraît une pure
question de droit. La vente à rente viagère, dit-il, a réel
lement un prix dès qu’il y a une rente stipulée. Un prix
peut être plus ou moins vil, mais on ne saurait dans au
cun cas en méconnaître l’existence.
Cette objection n’a de fondement ni en droit, ni en
fait. Le prix, par rapport à l’acheteur, n’existe qu’en
tant qu’il aura à le fournir de ses propres ressources,
que lorsque son acquittement lui imposera un sacrifice
quelconque. Si je vends un immeuble 10,000 fr. et
qu’avec l’immeuble je donne une somme pareille avec
laquelle l’acheteur me paiera immédiatement ou plus
tard, dira-t-on que la vente a un prix réel et sérieux?
C’est cependant ce qui se réalise dans la vente à fonds
perdu, lorsque la rente stipulée est inférieure ou à peine
égale au revenu des choses en faisant la matière. Le
vendeur donne évidemment la chose et le prix ; l’ache
teur, loin de puiser dans ses propres ressources, trouve
dans la chose qu’il acquiert non-seulement le moyen
de s’acquitter, mais encore l’occasion de réaliser un bé
néfice. Un acte produisant un pareil résultat n’a jamais
été, n’a jamais pu être considéré comme une vente.
« Mais qu’importe, ajoute M, Troplong, que l’ache< teur ne débourse rien du sien ! Est-ce que la vente
ne transporte pas, par sa propre énergie, la propriété
sur sa tête? Dès-lors, s’il paie avec la chose acquise,
4
4
�Dü
DOI.
ET
T)E
EA
FRAUDE.
577
« il paie réellement avec sa propre chose. Supposez en
« effet l’hypothèse suivante: J’achète pour 100,000 fr.
< un immeuble qui en vaut 105,000, n’ayant pas d’ar« gent pour payer, je revends en détail et je retire
« 115,000 fr. ; ou bien j’achète une forêt 30,000 fr.,
« j’obtiens permission de la défricher, et la vente que
« je fais de la superficie me permet de payer la totalité
« de mon prix. Dans ces deux hypothèses, j’ai payé
« avec la chose acquise, faudra-t-il, à cause de cela,
« annuler l’acte qui m’en a transféré la propriété,
« comme ne renfermant aucun prix? s
On s’étonne qu’une si vaste intelligence n’ait pas été
saisie de l’énorme différence qui sépare ces hypothèses
de celle que nous examinons. Dans l’une comme dans
l’autre, l’existence d’un juste prix ne saurait même être
contestée, le vendeur qui le reçoit a donc l’équivalent
de ce qu’il donne, et il n’a nullement à s’enquérir de la
manière dont l’acheteur se l’est procuré. De son côté,
celui-ci se trouvera, après avoir liquidé son opération,
en possession du bénéfice qu’il aura pu réaliser, mais il
aura perdu la chose en totalité ou en partie.
Peut-on confondre une opération de cette nature avec
la vente à fonds perdu, moyennant une rente inférieure
au revenu des biens vendus? Ce que reçoit le vendeur
n’est pas même ce qu’il percevrait, s’il les avait retenus.
L’acheteur ne déboursera pas un centime, il conservera
la possession de ce qu’il reçoit, et il trouvera dans cette
possession non-seulement le moyen de payer le prix,
mais encore celui de réaliser annuellement un bénéfice.
�TRAITE
Il est donc impossible d’admettre l’assimilation que
fait M. Troplong.
On comprend qu’un individu vende un immeuble
qu’il convertira ainsi en une somme d’argent destinée
soit à solder ses engagements, soit à lui procurer, par
la perception de l’intérêt légal, un revenu supérieur à
celui que lui donnait l’immeuble. On comprend encore
que pour augmenter ce revenu, et le mettre en propor
tion plus juste avec ses besoins, il consente à laisser le
capital aux mains de l’acquéreur, et à se contenter
d’une rente subordonnée à son décès. Mais peut-on re
connaître l’existence d’un pareil contrat, lorsque, com
me dans l’hypothèse, le prétendu vendeur aura, après
s’être dépouillé de sa propriété, un revenu inférieur, ou
tout au moins à peine égal à celui que lui produisait
celle-ci? Où se trouve la chance aléatoire si essentielle
au contrat de vente rente viagère? Où est le danger
en contemplation duquel la loi permet à l’acheteur
d’acquérir le fonds?
Pour nous, il n’y a pas à hésiter. Ce qui nous parait
être de droit commun, c’est la proposition inverse de
celle indiquée par M. Troplong. Ainsi, la vente à fonds
perdu, moyennant une rente inférieure au revenu des
biens, doit être considérée comme n’ayant pas de prix.
Le droit d’apprécier si ce défaut n’est pas racheté par
d’autres circonstances , par d’autres prestations aux
quelles l’acheteur s’est soumis, ne saurait être contesté
aux tribunaux. Dès-lors, la nullité ou la validité de la
vente, nécessairement subordonnée au résultat de cette
appréciation, n’est plus évidemment qu’une pure ques-
�du dou e t de L a f r a u d e .
579
tion de fait. Le reproche que M. Troplong adresse à la
jurisprudence est donc inadmissible.1
1746- — Si, indépendamment de la rente viagère,
l’acheteur a réellement payé une partie quelconque du
prix stipulé, la vente se trouve avoir un prix certain,
quelque minime que soit cette somme. La demande en
nullité pour absence de prix devrait dès-lors être écar
tée, il y aurait lieu dans ce cas à appliquer la règle en
seignée par M. Troplong, à savoir : que la vilité du prix
ne peut jamais donner naissance qu’à l’action en resci
sion, autorisée par l’article 1674.
1747. — L’applicabilité de cet article à la vente à
fonds perdu et à rente viagère a été contestée. L’artrcle 1976, a-t-on dit, laissant les parties entièrement
libres à l’égard du taux de la rente, exclut par cela mê
me toute possibilité de lésion, mais le contraire a paru
plus juridique. Ainsi M. Troplong n’hésite pas à admet
tre l’action en rescision pour cause de lésion, lorsque
la rente stipulée est inférieure au revenu des biens.
Dans une espèce jugée par la Cour de Toulouse, on
demandait la rescision d’une vente à fonds perdu, sur
le motif que la rente viagère égalait à peine la moitié du
revenu des biens qui en faisaient l’objet. L’arrêt qui in
tervint repoussa la demande pour inapplicabilité de
1 Vid. Troplong, Vente, n° ISO;—Duvergier, Vente, t. xvi, n° 149;
— Cass., 2 juillet 1806, ter avril 1829, 28 décembre 1851, et 23 juin
1841 D. P. 41, 1, 294.
Y. encore Dalloz, Dicl. général, et Rép. du J. D. P., aux mots : vente
é rente viagère.
�580
TRAITE
l’article 1674. Mais, déféré à la Cour régulatrice, cet
arrêt fut cassé par décision du 22 février 1836I/arrêtiste, en rapportant cette décision, fait remar
quer qu’elle ne fut rendue qu’après un délibéré dé près
d’un mois. Cette mûre délibération et l’examen appro
fondi dont elle donne la certitude impriment à l’arrêt de
la Cour de cassation une autorité considérable. Or, le
principe qui y est enseigné est celui-ci : dès que la rente
viagère est constituée à la suite d’une aliénation d’im
meubles, les règles de celle-ci deviennent de tout point
applicables, elle ne saurait dès-lors échapper à la dispo
sition de l’article 1674.
1748. — En résumé donc, la loi n’a nullement en
tendu soustraire la vente à fonds perdu aux règles gé
nérales de la vente. Il faut en conséquence qu’elle en
réunisse la condition la plus essentielle, à savoir : un
prix sérieux et juste.
L’absence du prix annulle le contrat, sa vilité en dé
termine la rescision, lorsqu’il en résulte une lésion de
la nature de celle prévue par l’article 1674.
La rente viagère, inférieure au revenu des biens ven
dus, ne constitue pas un prix réel, mais ce défaut de
prix n’existe qu’en tant que l’acquéreur n’a aucune
autre charge à subir, et n’a surtout rien à payer sur le
prix stipulé.
1749. — En définitive, la question de savoir s’il
existe un prix, et, dans le cas de l’affirmative, si ce prix
est sérieux ou non, n’offre qu’une appréciation de fait
�DU
DOL
ET
DK
LA
FRAUDE.
581
que la loi laisse à l’arbitrage souverain des deux degrés
de juridiction. La solution peut être un mal jugé, mais
elle ne donne pas ouverture à la cassation.
Le caractère de cette appréciation l’affranchit néces
sairement de toute règle absolue. Cependant ce qu’il
importe de ne pas perdre de vue, c’est qu’elle ne saurait
être équitable et juste qu’en remontaut à la date même
du contrat et en se plaçant ainsi au point de vue qui a
dû préoccuper les parties. Ainsi l’augmentation du re
venu, résultant des réparations ou améliorations faites
par l’acquéreur, du bénéfice du temps, ou de toutes au
tres circonstances imprévues ou accidentelles, ne saurait
être d’aucune considération. Un fait qui, naguère, se
réalisait à Marseille, peut donner une idée de ce que peu
vent être celles-ci. La création de nouveaux quartiers
ayant appelé la spéculation sur les terrains à bâtir, des
propriétés qu’on n’aurait qu’à grand’peine vendue cinq
à six cents francs ont été payées jusqu’à
fr.
C’est là, on le comprend, une nouvelle chance aléa
toire dont la réalisation doit demeurer sans influence
sur la validité de la vente à fonds perdu. Exposé à subir
la moins value postérieure au contrat, l’acheteur pro
fitera exclusivement de la plus value que la propriété
acquiert dans ses mains.
1 0 0 ,0 0 0
1750. — Du principe que la vente à fonds perdu
doit offrir uti risque certain, une chance sérieuse de
gain ou de perte, découlent les deux règles suivantes :
1° Tout contrat de rente viagère, créée sur la tête
�582
TRAITE
d’une personne qui était morte au jour du contrat, ne
produit aucun effet.
Cette prescription est absolue , il importerait donc
peu que les contractants eussent agi avec la plus évi
dente bonne foi, et dans l’ignorance la plus absolue du
décès du futur crédi-rentier. Le fait matériel de ce décès
enlève tout aliment à la convention, toute cause légiti
me à l’obligation. Il n’y avait donc pas de contrat pos
sible. Fruit de l’erreur, celui qui est intervenu ne saurait
être consacré, sans violer ouvertement l’article 1109 du
Code civil.
1751. — Ce principe, comme l’observe M.Troplong,
ne reçoit qu’une seule exception. Ainsi, en matière
d’assurances maritimes, le risque, pris sur un navire
naufragé, ou arrivé à bon port avant même la signature
de la police, engage valablement les parties, si chacune
d’elles a ignoré et pu ignorer l’événement, mais cette
dérogation au droit commun s’explique par la nature
même de l’assurance maritime.
Son objet n’est pas de garantir seulement l’avenir,
mais encore le passé : Cum quia suscepla de omni periculo, etiam prœlerito, quodque forte jam conlinqil__
Maxime quando periculum quod suscipilur est diurni
lemporis et remoli itineris, 4 il ne pouvait même en être
autrement. L’assurance, devant dans plusieurs cas se
réaliser à une très grande distance du point de départ
du navire, objet ou porteur du risque, ne peut être sous
crite qu’après le départ du navire pour le lieu de sa
1 Perezius, in Cod., 1. 11, t. v, n° 23.
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
583
destination, cependant l’assurance est prise de la sortie
d’un port à l’arrivée dans tel autre. Il suffit qu’il y ait
eu réellement voyage effectué pour que le risque com
mence avec le voyage même et que l’assureur réponde
du sinistre réalisé avant la souscription du contrat, tout
comme il profiterait de l’heureuse arrivée accomplie
avant cette époque.
Il n’y a pas d’ailleurs ici d’erreur possible. Ce que
l’assuré veut, c’estd’être garanti pour tout le voyage. Ce
que l’assureur accorde, c’est cette même garantie. La
prime se calcule dans celte prévision, et le contrat ne
laisse pas que d’être aléatoire si l’événement, quoique
réalisé, est complètement ignoré des parties.
Il ne saurait en être de même en matière de vente à
rente viagère. Ce qui fait l’élément essentiel de ce con
trat, c’est la vie plus ou moins longue du crédi-rentier
désigné. Or, si à l’époque de la souscription, ce crédi
rentier n’existe plus, il n’y a plus aucune cause à la
convention. Il doit donc en être de,ce cas, comme
de celui d’une assurance contre l’incendie, pour une
maison qui aurait péri par cas fortuit , ou de celle
contractée sur marchandises non chargées, ou sur un
navire qui n’aurait jamais quitté le port. Le contrat
serait annulé pour défaut absolu d’un risque quel
conque.
1752. — 2^ Il en est de même du contrat par lequel
la rente a été créée sur la tête d’une personne atteinte
de la maladie dont elle est décédée dans les vingt jours
de l'acte constitutif.
�58-4
TRAITÉ
Devant cette prescription textuelle de l’article 1975,
toute possibilité de controverse disparaît et s’efface. Il
importe cependant d’en rappeler les motifs pour en ap
précier sainement les conséquences.
Si les contractants, disait Portalis, eussent connu
« la maladie de la personne sur la tête de laquelle on
se proposait d’acquérir la rente, l’acquisition n’eût
a pas été faite, puisqu’une rente viagère sur la tête
d’une personne mourante n’est d’aucune valeur. Or,
il n’v a point de consentement quand il y a erreur ou
sur la chose, ou sur les qualités essentielles de la
« chose qui forme la matière du contrat, u
Ainsi,-la loi présuppose l’ignorance des parties, et
cela tranche nettement la difficulté que la certitude de
cette ignorance aurait fait naître. On pouvait, en effet,
se fondant sur la bonne foi, en exciper pour assurer le
maintien de l’acte. Cette prétention est désormais im
possible. Ce qui résulte juridiquement de l’état de
maladie, terminée par la mort dans les vingt jours de
la constatation de la rente viagère, c’est l’absence d’un
objet formant la matière de l’engagement, et par suite
d’une des conditions essentielles à tout contrat. Cet
objet est pour la rente viagère un risque sérieux et cer
tain, et ce risque manque non-seulement de ce carac
tère, mais n’existe même pas lorsqu’il se réfère à un
mourant. On devait donc légalement se préoccuper fort
peu de la question de savoir si les parties, avaient ou
non ignoré cet état des choses. L’ignorance les consti
tuera en bonne foi, mais elle ne pourrait jamais faire
4
4
4
4
4
�DU
DOL
ET
DE
LA
585
FRAUDE.
que la matière du contrat existât, alors qu’en fait elle
manque absolument.1
1753. — Au reste, toute difficulté à cet égard ne
peut naître que dans l’hypothèse d’une rente viagère
constituée sur la tête d’un tiers demeuré étranger au
contrat. De là on a voulu conclure que la nullité de l’ar
ticle 1975 ne pouvait être appliquée aux parties ellesmêmes. Le malade traitant directement, a-t-on dit, n’a
pu ignorer son état, conséquemment on doit le consi
dérer comme ayant voulu, au besoin, consentir une li
béralité. Dès-lors aussi, l’acte annulé comme vente doit
être maintenu comme donation déguisée.
La doctrine et la jurisprudence ont dès longtemps
proscrit ce système. L’absence d’un risque certain en
lève au contrat son élément le plus substantiel. Et cette
règle, que nous venons de voir s’appliquer lorsque les
parties ont ignoré l’état de maladie du crédi-rentier,
doit a fortiori régir celles qui ont parfaitement connu
cet état. Celui qui traite avec un moribond consent à
jouer à coup sûr. Il exploite odieusement une inégalité
de chances sur laquelle il n’a pu se faire illusion, et en
vue de laquelle il n’hésitera pas à s’imposer les charges
tellement avantageuses pour le crédi-rentier, que la
chance d’en profiter, quelque faible qu’elle fût, peut
avoir déterminé la conduite de celui-ci.
Convertir une vente de ce genre en une donation
déguisée, c’était effacer de notre Code l’article 1975;
1 Vid. Troplong, sur l’art. 1975;—Delvincourt, t. n, p. 272, note6.
m
26
�586
t r a it e
c’était fermer les yeux à l’évidence et méconnaître la
pensée réelle du vendeur. Celui qui étant libre de donner
à charge d’une rente viagère a préféré vendre à ce titre,
a suffisamment prouvé qu’il n’a pas eu l’intention de se
montrer libéral, intention sans laquelle il ne saurait
exister de donation. N’est-ce pas d’ailleurs parce que
l’idée de donner lui répugnait, que le créancier n’a
voulu consentir qu’une vente? Et l’acheteur lui-même
ne sera-t-il pas réduit à accepter celle-ci que parce
que, malgré tous ses efforts, il n’a pas réussi à arracher
une libéralité qu’il a peut-être longtemps poursuivie?
C’est celte double éventualité que l’article 1975 a pour
but de prévenir.
Ce qu’il faut donc admettre dans notre hypothèse,
c’est que, bercé de cette espérance inséparable de notre
faiblesse, le malade s’est fait illusion sur son état ; qu’il
a cru survivre à la maladie, et que dans cet espoir, loin
de vouloir faire une libéralité, il a saisi l’occasion d’a
méliorer l’avenir qu’il se promettait. On comprend, en
effet, qu’on ne marchandera pas ses exigences, et que
ses désirs sur la quotité de la rente ne trouveront pas
un contradicteur sérieux chez celui qui a d’avance la
certitude de ne pas la supporter longtemps. Dès-lors
son consentement est vicié par l’erreur, et il serait aussi
immoral qu’injuste de permettre qu’il pût produire un
effet quelconque.
C’est ce qu’enseigne M. ïroplong. C’est ce que la
Cour de cassation a consacré dans plusieurs circons
tances, et notamment par arrêt du 16 juillet 1824.
L’espèce sur laquelle cet arrêt est intervenu offrait
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
587
cette particularité remarquable que l’aliénation à rente
viagère avait été confirmée par un testament postérieur,
dans lequel le crédi-rentier déclarait instituer au besoin
les acquéreurs ses légataires universels. Mais ce testa
ment lui-même, considéré comme la ratification d’un
acte radicalement nul aux yeux de la loi, ne parvint
pas à faire illusion à la justice et à sauver la disposition
à l’aide de laquelle le dol et la fraude l’avaient appelé.
1754. — Le même arrêt, décidant que l’article 1975
reçoit son application aux parties contractantes comme
au tiers en faveur duquel la rente viagère aurait été
stipulée, affecte à sa disposition un caractère qu’il ne
faut pas négliger. Il juge, en effet, que, conçu en termes
absolus et impératifs, il ne saurait être permis aux
parties de déroger à ses prescriptions et d’en paralyser
les effets; en d’autres termes, qu’il est d’ordre public.
La conclusion juridique qu’en tire M. Dalloz, c’est que
les parties ne pourraient renoncer à se prévaloir de la
nullité qu’il consacre.
i II y a là, dit cet éminent jurisconsulte, une pré
somption qui n’admet pas de preuve contraire, et qui
a pour objet d’empêcher qu’au moyen d’un contrat
aléatoire, dans lequel le créancier pourrait entrevoir
quelque équivalent, il ne se déterminât à une donation
qu’il n’aurait pas consentie sans cette considération.
Dans le cas le plus ordinaire où la rente est établie sur
la tête même du constituant, sa déclaration de vouloir
valider le contrat, s’il vient à mourir dans les vingt jours,
n’est pas une preuve non équivoque de sa volonté de
�588
TRAITÉ
faire une donation au lieu d’un contrat aléatoire, car,
en stipulant ainsi, le constituant n’agissait qu’avec ce
sentiment intérieur qui rattache l’homme à la vie, et
qui lui fait croire, jusqu’au dernier moment, qu’il n’ar^
rive pas encore au terme de sa carrière.1 i
Si l’existence d’une déclaration de cette nature n’im
prime pas à l’acte le caractère de libéralité pouvant le
faire maintenir comme donation déguisée, il est évi
dent que la question de ce maintien, soulevée en l’absence de toute déclaration, ne saurait être douteuse.
L’arrêt de la Cour de cassation et l’opinion de M. Dalloz
créent, en faveur de cette dernière hypothèse, un a for
tiori incontestable.
1755. •— Donc, l’article 1795 est d’ordre public et
les parties ne peuvent y déroger. L’acte qui se propo
serait ce but directement ou indirectement, doit dèslors être annulé. Or, en matière de vente à rente viagère,
la fraude est facile. En effet, elle peut être consentie par
acte sous seing privé, et rien n’est plus facile que de re«
courir à une antidate, surtout lorsque, déjà atteint de
maladie, le vendeur est exposé à décéder dans les vingt
jours. Il suffira que cette crainte puisse être conçue
pour que l’acheteur exige et donne à l’acte une date qui
le place à l’abri de la disposition de l’article 1795.
L’effet de cette fraude était d’autant plus à redouter
qu’il menaçait d’être plus efficace. La vente ne peut
être attaquée que par les héritiers du vendeur ou soit
�DU DOL E T D E LA F R A U D E .
589
ses ayant-cause. Or, l’article 1322 déclare que l’acte
sous seing privé fait foi de sa date, non-seulement, entre
les parties contractantes, mais encore contre leurs héri
tiers et ayant-cause, et l’article 1328 n’exige l’accom
plissement des conditions devant assurer la certitude
de la date qu’en ce qui concerne les tiers.
L’application de ces dispositions aux héritiers pour
suivant, aux termes de l’article 1975, la nullité de la
vente à rente viagère, créait donc contre leur demande
une fin de non-recevoir invincible. On a été dès-lors tout
naturellement amené à se demander si cette application
était juridiquement admissible.
1756. — La Cour de cassation a formellement con
sacré la négative,1 et cette solution renferme une juste
appréciation des principes généraux et de l’esprit de
l’article 1975 en particulier. Toutes les fois que la loi
confère expressément un droit, la faculté de l’exercer
est directement puisée dans la loi elle-même plutôt que
dans la qualité de la partie. Or, l’article 1975 crée la
nullité de l’acte fait dans les conditions prescrites en
faveur des héritiers du vendeur. Dès-lors, en demandant
cette nullité, ceux-ci usent d’un droit qui leur est pro
pre et personnel ; qu’ils tiennent si peu de leur auteur
qu’il n’a jamais pu l’exercer lui-même.
1757. — Subordonner l’action des héritiers au droit
qu’aurait eu son auteur, c’était donc, comme l’observe
1 19 ja n v . 1 8 1 4 ;— 15 ju ii. 1824.
�TRAITE
la Cour de cassation, rendre illusoire et sans effet la
disposition de l’article 1975, puisque la nullité qu’elle
prononce au cas prévu ne pourrait jamais être invoquée
par l’héritier.
Il fallait donc, pour ne pas condamner l’article 1975
à n'être qu’une menace vaine et sans portée réelle, re
connaître qu’en en poursuivant l’application, les héri
tiers n’agissent pas du chef de leur auteur, et que dèslors ils ne peuvent être écartés par les prescriptions de
l’article 1322; qu’à leur égard la vente à rente viagère
ne peut être valable qu’autanl qu’il est constant qu’elle
a été faite hors le temps de la maladie et plus de vingt
jours avant le décès du vendeur.
1758. — Quelle est la conséquence légale de celte
règle? M. Delvincourt enseigne que l’héritier se trou
vant dès-lors placé sous les termes de l’article 1328, la
vente n’a contre lui d’autre date que celle de l’enregis
trement ; que si cet enregistrement se place dans les
vingt jours du décès, ou si l’acte n’a pas même acquis
date certaine avant, la vente est présumée de plein
droit avoir été consentie dans la période illicite, et
doit être annulée.
Cette doctrine paraît logiquement devoir s’induire de
la règle que nous venons de rappeler, à savoir : que, par
rapport à l’héritier, il n’y a vente valable qu’autant qu’il
est prouvé que celle invoquée s’est réalisée hors des
conditions prévues par l’article 1975. Or, cette preuve
n’est pas acquise lorsque l’acte sous seing privé n’a ac-'
quis date certaine qu’à la mort du vendeur ou depuis.
�DU DOL E T D E L A F R A U D E .
591
Mais cette doctrine a paru trop rigoureuse. On a dit
que si l’héritier n’était pas dans l’hypothèse l’ayantcause, dans le sens de l’article 1522, il n’était pas non
plus un tiers dans l’acception de l’article 1528 ; que
bien qu’il exerçât un droit propre et personnel, on ne
devait pas cependant oublier que ce droit il le trouvait
dans sa qualité d’héritier; qu’enfin l’article 1975 n’annulle le contrat, dans l’hypothèse qu’il prévoit, que lors
que la preuve des conditions exigées est acquise; que
l’acte sous seing privé n’établisse pas par lui-même la
validité de la vente, cela se comprend ; mais il n’en crée
pas moins une présomption devant être acceptée jusqu’à
preuve contraire. Conséquemment, tout ce que peut
raisonnablement prétendre l’héritier, c’est d’être admis,
nonobstant les indications du titre, à justifier qu’il a
été réellement fait en temps prohibé.
Cette conséquence déjà indiquée par la Cour de cas
sation, dans l’arrêt du 15 juillet 182-1, a été expressé
ment consacrée par elle le 5 avril 1842. La Cour de
Toulouse, appliquant la doctrine de M. Delvincourt,
avait annulé une vente à rente viagère, par cela seul
qu’étant sous seing privé, elle n’avait pas été enregis
trée en temps utile. Mais son arrêt, déféré à la Cour
suprême, fut cassé comme ayant méconnu le véritable
caractère de l’article 1975-1
Ainsi, l’acte sous seing privé, même non enregistré,
est opposable à l’héritier, agissant en vertu de l’ar
ticle 1975, en ce sens que la date qui y est indiquée est
�TRAITE
présumée sincère. Mais cette présomption peut être
combattue par la preuve contraire qui peut être faite
par témoins et par présomptions.
1759. — Dans ce cas, comme dans toutes lés autres
hypothèses où la vente à fonds perdu est querellée à
l’endroit de l’article 1975, la nullité de la vente est ab
solument attachée à la réunion, à la simultanéité des
deux conditions que cet article exige. Il faut donc qu’il
soit établi que le crédi - rentier était, au moment du
contrat, atteint de maladie ; 2° que le décès survenu
avant le vingtième jour est la conséquence de cette ma
ladie. En conséquence, si le vendeur était bien portant
au moment du contrat, la mort survenue dans les vingt
jours n’exercerait aucune influence sur le sort de la
vente. Il en serait de même si la mort, dans ce même
délai, reconnaissait une autre cause que la maladie
dont ce vendeur était atteint au moment du traité.
1760. — De ce que l’article 1975 ne parle que du
contrat par lequel la rente a été créée sur la tête d’une
personne, on a voulu induire qu’il ne doit recevoir au
cune application lorsque la rente a été constituée sur
plusieurs têtes. Mais c’est là évidemment exagérer la
règle universellement adoptée : que cet article est limi
tatif et restrictif. Sans doute ce caractère est absolu
lorsqu’il s’agit d’appliquer la sanction pénale qu’il con
sacre, mais vouloir l’étendre à la modalité de sa dispo
sition, c’est se jeter dans une confusion inadmissible.
Si la loi ne parle que du contrat souscrit par une per-
�DU DOL E T DE LA F R A U D E .
593
sonne ou dans l’intérêt d’une seule personne, c’est
qu’elle a dû s’arrêter au cas le plus usuel. Quel motif
raisonnable pourrait-on d’ailleurs alléguer pour faire
maintenir l’acte, si les deux têtes sur lesquelles la rente
est établie, atteintes d’une maladie mortelle au moment
du contrat, y ont succombé l’une et l’autre avant l’ex
piration des vingt jours.
Posée dans ces termes, la question est facilement ré
solue. L’esprit de la loi ne permet même pas le doute.
La vente devrait être annulée.
1761. — Mais une difficulté plus réelle se présente
lorsque la rente étant constituée en faveur de plusieurs
personnes, l’une d’elles meurt dans les vingt jours de
la maladie dont elle était atteinte à l’époque du contrat.
Quel sera le sort de l’acte, à l’endroit des autres crédi
rentiers et des héritiers du décédé, si celui-ci se trouve
être le vendeur?
Dans cette hypothèse, il est certain que le contrat ne
laisse pas que d’être aléatoire. L’obligation du débi
teur de la rente se continue pendant la vie des crédi
rentiers survivants, et son terme ne peut être ni pré
cisé ni entrevu. Le contrat renferme donc un risque
certain et déterminé qui devrait en assurer le maintien.
C’est dans ce sens que se prononce M. Troplong, et
c’est aussi ce que la Cour de cassation a décidé le
22 février 1820.1
Ce qu’il importe de remarquer dans cet arrêt, c’est
1 Troplong, sur l’article 1975.
�594
TRAITÉ
le soin que met la Cour de cassation à faire ressortir
qu’il a été formellement convenu en fait que la rente
serait payée, en totalité et sans réduction, au dernier
survivant. Elle semble, par cela même, indiquer que,
dans le cas contraire, elle eût décidé autrement qu’elle
ne le fait.
Il est, en effet, possible que la réduction, s’opérant
parle décès d’un crédi-rentier, fît totalement disparaître
l’aléa du contrat, ou le réduisît tellement, que le risque
qui en est l’essence disparût en totalité. La conséquence
logique de l’un ou de l’autre serait donc l’annulation du
contrat.
Mais, dans cette hypothèse même, cette annulation
n’est pas de plein droit, elle se trouve nécessairement
subordonnée à l’importance de la réduction, à l’état des
choses qu’elle crée pour l’avenir. Ainsi si, cette réduc
tion opérée, l’excédant à payer par le débiteur, à titre
de rente annuelle, est encore dans des justes propor
tions avec la valeur des choses aliénées, eu égard à
l’âge du crédi-rentier survivant, un risque sérieux con
tinue d’exister, et le contrat n’a rien perdu de son ca
ractère aléatoire. I! serait donc par trop rigoureux d’en
prononcer la nullité.
Ainsi la mort d’un des crédirentiers, réalisée dans
les vingt jours du contrat, et causée par la maladie dont
il était atteint au moment de ce contrat, laisse la con
vention produire tous ses effets, si la totalité de la rente
doit continuer d’être payée au survivant. Il en serait
autrement si la rente déclarée réductible n’était plus ,
après la réduction opérée, en rapport avec les caractèf
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
595
res et les conditions d’une rente viagère à fonds perdu,
comme si, par exemple, elle devenait inférieure aux re
venus des biens. Dans tous les cas la question de
savoir si le contrat a conservé ou perdu l’élément aléa
toire en formant l’essence, est abandonnée aux lumiè
res et à la prudence des juges.
1762. — La rente viagère constituée à titre oné
reux est saisissable et cessible. La stipulation contraire
insérée au contrat ne saurait même être opposée aux
créanciers.
Cela n’est pas même discutable à l’endroit des hypo
thécaires. L’immeuble affecté à leurs créances demeu
rerait, entre les mains de l’acquéreur, grevé de leurs
inscriptions, et lui-même, soumis à toutes les obliga
tions du tiers-détenteur, serait tenu de payer ou de dé
laisser. Il pourrait même, en cette qualité, être expro
prié de l’immeuble.
Il n’en est pas de même des créanciers cédulaires.
L’aliénation des immeubles du débiteur leur enlèverait
valablement le gage que ces immeubles leur offraient
pour le paiement de ce qui leur est dû, en tant cepen
dant qu’elle ne serait pas effectuée en fraude de leurs
droits. Mais il ne pouvait dépendre de personne, moins
encore du débiteur, de leur enlever tout recours sur le
prix, fût-il une simple rente viagère. Ils pourront donc,
malgré toute stipulation contraire, saisir cette rente et
faire ordonner qu’elle leur sera directement payée par
le débiteur, jusqu’à concurrence de leurs droits.
Le taux annuel de cette rente peut même avoir été
�596
t r a it e
frauduleusement concerté à l’effet de léser d’autant les
droits des créanciers. La preuve de cette fraude devrait
entraîner la nullité de la vente, et les créanciers sont
recevables non-seulement à la proposer, mais encore à
la fournir tant par titres que par témoins et par pré
somptions. L’article 1167 ne permet pas le moindre
doute à cet égard.
De plus, et en vertu de l’article 1166, les créanciers
sont recevables à poursuivre la rescision de la vente à
fonds perdu, pour cause de lésion. Nous venons de voir
que l’article 1674 est applicable à cette vente comme à
toutes les ventes ordinaires. Dès-lors l’action, apparte
nant incontestablement au vendeur, peut être exercée
par les créanciers agissant en son nom et comme ses
ayant-cause.
1763- — Quels sont les effets de l'admission de l’ac
tion en fraude des créanciers, contre la vente consentie
par le débiteur, quel qu’en soit le caractère?
Cette question se résout facilement à l’encontre de
l’acheteur direct. L’admission de l’action Paulienne
suppose nécessairement sa complicité dans la fraude du
débiteur. La conséquence naturelle de cette complicité
est de lui faire perdre tous droits sur la chose qui a fait
la matière du contrat. Elle fait donc retour au vendeur
sur la tête duquel les créanciers pourront en poursuivre
l’expropriation ultérieure.
1764. — Mais cette question acquiert une plus
grande importance à l’endroit des tiers auxquels la chose
�DU D ü L E T D E LA F R A U D E .
597
a été revendue par l’acquéreur primitif. Ces tiers pour
ront-ils être actionnés en délaissement par les créanciers
du premier vendeur?
La solution ue peut être que négative. Bien entendu
que nous ne parlons que de l’action Paulienne exercée
par des créanciers chirographaires. S’il s’agissait, en
effet, de créanciers hypothécaires régulièrement ins
crits, leurs droits suivant l’immeuble dans quelque main
qu’il passe, leur recours contre tous tiers-détenteurs
est formellement écrit dans la loi.
Mais il n’en est pas de même des créanciers cédulaires. Ils n’ont aucun droit réel sur les immeubles qu’en
tant qu’ils les trouvent en possession de leur débiteur.
L’acheteur a donc pu régulièrement acheter, et même
payer son prix, sans se préoccuper de leur existence.
Aussi si la loi leur permet de recourir contre la vente,
ce n’est qu’à la condition qu’ils prouveront la fraude de
leur débiteur, celle de l’acheteur. La preuve de l’une
n’affecte l’acte que par la preuve de l’autre, et, celle-ci
faite, l’acquéreur n’est pas obligé comme tiers-déten
teur. Il ne l’est que comme tenu de réparer le préjudice
qu’il occasionne par son fait.
C’est cette conséquence qui avait fait repousser, en
droitromain, la qualification de réelle que Justinien avait
donnée à l’action des créanciers. C’est elle qui, sous le
droit français, lui a maintenu le caractère d’action pure
•personnelle. Sans doute elle a pour résultat de faire an
nuler la vente, mais remarquons que cette nullité ne
saurait la faire considérer comme revendicatoire. En
effet, ce n’est pas aux créanciers poursuivants que les
l
�TRAITE
biens sont restitués. Ils reviennent au débiteur sur la
tête duquel ces créanciers pourront les saisir, les faire
vendre pour s’en distribuer le prix. Or, ce ne sont pas là
les caractères de la revendication, dont la consécration
a pour conséquence inévitable de saisir le poursuivant
de la propriété des biens en faisant l’objet.
Ainsi l’action Paulienne n’a rien de réel dans son ori
gine, rien dans ses effets. Puisée dans un fait personnel,
la complicité de la fraude, elle ne peut être exercée que
lorsque ce fait existe. Si cela est vrai pour l’acquéreur
direct, comment admeltra-t-on le contraire contré celui
qui a acheté de celui-ci. La justice et la raison comman
dent de faire en faveur du dernier ce qu’on décide pour
le premier, à savoir : qu’il ne puisse être poursuivi que
si, s’associant à la fraude, il en a assumé la responsa
bilité.
C’est ce que les jurisconsultes romains admettaient
sans hésitation. Perezius, entre autres, l’enseigne for
mellement : Uncle quod dictitm, hac actione teneri eutn,
ad quem rem sunt translatez; inlellige si eas adquisiverit titulo donalionis, aut alio lucrative ; et licet fraudis ignoras fuerit, tamen creditorum causa favorabilior
est, qui de damno diseeplant. Quod si e diverso res cornparaverit, aut in solutione acceperit, cessât hœcactio,
nisi jraudem participasse accipienlem probelur. '
Et ce qui doit le faire décider ainsi, ajoute cet auteur,
c’est qu’en cette matière, si la preuve de la fraude fait
ordonner la nullité de la vente, c’est uniquement pour
�nu
DOL E T DE LA F R A U D E .
599
empêcher que l’acquéreur ne puisse se faire un titre de
son propre dol, ne dolus suus prosit, contra naluralem
æquitalem. Cette considération n’a rien perdu de sa
force sous l’empire de notre Code. Elle est encore l’ori
gine et la cause de l’action révocatoire. Elle doit en
régler encore le caractère et les effets.
En résumé donc, la restitution de l’immeuble, acquis
en fraude des droits des créanciers, n’est ordonnée qu’à
titre de dommages-intérêts pour la réparation du pré
judice résultant du quasi-délit dont l’acheteur est con
vaincu. Ce n’est pas ici une résolution dont les effets
légaux soient opposables aux tiers qui sont restés étran
gers à la fraude, c’est une peine toute personnelle dont
nul autre que lui n’a à supporter les conséquences. Le
tiers de bonne foi n’est tenu ni personnellement ni réel
lement enveréles créanciers du vendeur primitif. Ceuxci sont donc en ce qui le concerne, et d’une manière
absolue, sans actions.
Dès-lors, aussi, la restitution à titre de dommagesintérêts ne peut être ordonnée qu’en tant que les biens
sont encore dans les mains du complice de la fraude.
Dans le cas contraire, la réparation du préjudice en ré
sultant consistera dans une allocation pécuniaire qui
pourrait égaler ou dépasser même le prix de la revente,
suivant les circonstances.
Le tiers-acquéreur ne peut pas être dans une position
pire que celle de l’acquéreur primitif. La vente n’étant
nulle, à l’endroit de celui-ci que par la preuve de la com
plicité dans la fraude du débiteur, ne pourrait l’être, à
l’encontre du tiers, que par la même preuve. L’absence
�600
TRAITE
de cette preuve produirait donc pour le tiers un effet
indentique à celui qu’elle aurait pour l’acquéreur pri
mitif, à savoir : le maintien de la vente.
Ajoutons que si le tiers avait reçu l’immeuble à titre
lucratif, la preuve de la participation à la fraude devient
d’autant plus indifférente que l’ignorance dans laquelle
il serait resté sur l’existence de cette fraude ne ferait
nul obstacle à la révocation de l’acte. Or ce caractère
de libéralité peut être dissimulé précisément en prévi
sion de ce résultat. Conséquemment les créanciers sont
autorisés à prétendre et à prouver, m ême par témoins et
par présomptions, que la prétendue vente n’est qu’une
donation déguisée. La preuve faite amènerait pour con
séquence la nullité de la convention, etles biens aliénés
feraient retour sur la tête du vendeur primitif.
v
1765. — La vente de droits successifs peut devenir
une occasion de fraude contre les créanciers de l’héri
tier. En effet, celui-ci, ne pouvant se dissimuler que
le profit de l’hérédité doit être absorbé par le paiement
de ses obligations, peut concevoir la pensée de se sous
traire à la nécessité de ce paiement, et l’exécuter en
vendant ses droits soit à son cohéritier, soit à un tiers.
1766- — Cette vente serait inévitablement sans
effets, si elle était postérieure à l’opposition que les
créanciers du vendeur auraient formée à la levée des
scellés. A dater de ce moment, le débiteur ne peut iso
lément rien faire qui puisse nuire à ses créanciers. La
disposition de ses biens qu’il ferait, contrairement à
�DU D D L E T D E L A F R A U D E .
601
l’obligation d’y appeler le créancier opposant, serait
donc, à son égard, légalement présumée frauduleuse,
et dès-lors incapable de sortir à effet.
Il en serait de même vis-à-vis de celui qui aurait
traité avec le débiteur. Vainement voudrait-il exciper
de sa bonne foi et de l’ignorance de l’opposition du
créancier. Cette excuse n’est pas acceptable. Celui qui
traite de droits successifs doit s’enquérir de l’état de la
succession, de la position de celui qui demande à cé
der. Or, la moindre recherche doit lui signaler l’exis
tence de l’opposition. S’il n’en a fait aucune, s’il a aveu
glément suivi la foi de son cédant, il a commis une
grave négligence dont les conséquences ne sauraient
raisonnablement être mises à la charge du créancier.
1767. — Le créancier non-opposant ne perd pas le
droit d’attaquer, comme frauduleuse, le cession de ses
droits par son débiteur, mais il est, dans cette hypo
thèse, obligé de prouver la fraude du cédant, celle du
cessionnaire lui-même. Cette preuve, pouvant être faite
par témoins, peut également résulter de présomptions
graves, précises et concordantes. La vilité du prix, eu
égard à la valeur réelle des droits faisant la matière
du traité, serait de nature à exercer une puissante in
fluence.
1768. — Aussi cette circonstance se rencontrera-telle rarement. On exagérera le prix plutôt que de le
réduire, dans l’intention d’écarter le soupçon, ce qui
n’empêchera pas les parties de compter et de recevoir
�Ü02
TRAITE
un prix moindre que celui porté au contrat. Mais la
preuve de cette simulation serait décisive contre le ces
sionnaire lui-même. En effet, on conclurait très logi
quement de ce qu’il s’est prêté à l’exagération du prix,
qu’il a connu les motifs que le vendeur a ou d’en agir
ainsi, et cette connaissance le constitue en état flagrant
de complicité de la fraude, à la consommation de la
quelle il a prêté les mains.
1769. — L’exagération du prix de la cession peut
avoir un autre motif que le désir de frauder les créan
ciers. On sait que dans un but de morale, que par res
pect du secret qu’exigent les affaires de famille, le légis
lateur a autorisé les héritiers à écarter de la succession
l’étranger auquel un d’eux a cédé ses droits. L’exercice
de cette faculté est nécessairement subordonné au rem
boursement du prix payé par le cessionnaire.
Ainsi, menacé de voir sa spéculation échouer, l’ache
teur de di'oits successifs ne manquera pas de stipuler
dans l’acte un prix supérieur à celui qu’il compte réel
lement, la différence devant, dans tous les cas, cons
tituer un bénéfice en sa faveur.
Cette fraude était trop facile, trop imminente pour
que le législateur ne dût pas s’en préoccuper. Comme
moyen de la prévenir ou de la réprimer, il autorise le
retrayant, quels que soient les termes de l’acte, à con
tester l’exactitude du prix, à en prouver l’exagération
tant par titres que par témoins et par présomptions.
Cette faculté se justifie juridiquement sous le rapport
des principes généraux du droit. Le retrayant exerce
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
G03
un droit qui lui est propre et personnel; il n’est ni le
représentant, ni l’ayant-cause du cessionnaire. On ne
saurait donc ni lui opposer, comme obligatoire, un acte
auquel il est demeuré étranger, ni l’empêcher de jus
tifier par témoins une fraude dont il a été évidemment
dans l’impossibilité de se procurer une preuve écrite.
Dès-lors, l’acte, fût-il public et authentique, ne fait
pas foi de la sincérité du prix. Ce que le retrayant est
obligé de rembourser, c’est ce quia été réellement payé
et non ce qu’il a plu aux parties d’indiquer comme
l’ayant été.
1770- — Mais la connaissance du prix réel n’est
pas toujours facile. Le cohéritier exerçant le rachat
peut très bien être convaincu de l’exagération du prix
apparent et en faire la preuve; mais il pourra, en même
temps, se trouver dans l’impossibilité d’indiquer le prix
réel. Ce défaut d’indication doit-il avoir pour résultat
de l’obliger à restituer le prix porté dans le contrat?
Cette conséquence serait aussi anormale qu’injuste.
La preuve du mensonge de l’acte à l’endroit du prix, celle
de son exagération, infirme nécessairement le droit du
cessionnaire d’en être restitué. Comment admettre le
contraire, et consacrer la fraude par cela seul que le
mystère dont ses auteurs se sont enveloppés empêche de
saisir la vérité sur les bases adoptées par elles? Faudrat-il punir d’une fraude celui-là même qui devait en être
la victime?
1771. — La Cour de Paris ne l’a pas pensé ainsi.
�604
TRAITÉ
Elle a, en conséquence, jugé que lorsque le retrayant
est dans l’impossibilité d’indiquer le prix réel, c’est au
juge à apprécier, suivant ses lumières et sa conscience,
la somme que celui qui a voulu frauder a pu et dû don
ner, selon les circonstances où les parties se trouvent
placées.1
Le seul reproche qu’on pourrait faire à cette doctrine
est celui d’atteindre, dans certains cas, à ce résultat :
que l’appréciation du magistrat restant en de-çà de la
vérité, le cessionnaire ne sera pas remboursé de tout
ce qu’il aura payé. Mais cet inconvénient ne saurait
mériter aucune considération, car, s’il se réalise, c’est
uniquement par le fait propre et personnel de celui qui
s’en plaindrait. Que celui qui a voulu, au mépris de la
loi, frauder des tiers, soit pris dans son propre piège, le
malheur n’est pas grand ! Il faut même avouer qu’il ne
répugne nullement à la morale et à la justice, comme
tout ce qui tend à rappeler les parties et à les maintenir
dans les voies de la loyauté et de la franchise.
Il ne saurait donc prévaloir sur les conséquences
qu’entraînerait le système contraire, conséquences tel
lement monstrueuses, qu’on n’osait pas même en de
mander le bénéfice dans l’espèce jugée par la Cour de
Paris. On se bornait, en effet, à demander que, par ex
perts commis, la valeur des choses cédées fut appré
ciée, pour le résultat de cette expertise devenir le prix
à restituer.
Mais cette prétention fut repoussée par cette raison
4 14 février 1834.
�nu no U E T
DE LA l'H A U D E .
()05
décisive que le retrayant n’a pas à rembourser la va
leur réelle des objets dont il demande à rentrer en pos
session. Tout ce que l’article 841 exige de lui, c’est
qu’il paie le prix que le cessionnaire en a donné; c’est
donc ce prix et non la valeur réelle qu’il faut établir.
Une expertise est donc illusoire, car, dès qu’il y a lieu
à une appréciation de cette nature, elle ne peut résulter
que de l’examen minutieux des circonstances de la
cause, des présomptions que ces circonstances révè
lent, des interrogatoires des parties, des témoignages
fournis. Il est évident, dès-lors, que tout cela rentre
dans le domaine naturel du juge, à qui cet examen ap
partient exclusivement.
Il était conséquemment impossible de méconnaître le
caractère juridique de la doctrine de la Cour de Paris.
Aussi, sur le pourvoi dont son arrêt fut l’objet, cette
doctrine obtint-elle la haute sanction de la Cour de cas
sation. 1
1772. — Comme conséquences du principe qui en
fait la base, l’arrêt de la Cour de Paris et celui de la
Cour de cassation consacrent ces deux points impor
tants :
1° Que la restitution des droits d’enregistrement doit
être calculée sur le prix réellement payé et non sur ce
lui ostensiblement déclaré dans Pacte. Dans l’espèce, la
différence était importante, car le prix apparent était
1 l or ju ille t I83S .
�/
606
T R A IT É
de 60,000 francs, tandis que celui reconnu payé ne
s’élevait qu’à 1,950;
2° Que le retrayant n’est pas obligé de restituer les
honoraires et frais purement personnels et relatifs au
cessionnaire.
Il est évident, dans le premier cas, que les frais d’en
registrement ne sont déboursés que parce que les par
ties ont eu l’intention de frauder. Or, une intention de
cette nature ne peut jamais avoir pour résultat d’aggra
ver la position de celui à qui la fraude pouvait préju
dicier. Conséquemment, les frais auxquels cette inten
tion a donné lieu doivent nécessairement être laissés à
la charge de celui qui s’est exposé à la chance de les
débourser en pure perte.
Ce qui justifie la solution sur ce premier point, légi
time une solution identique sur le second. En effet, le
cessionnaire sait qu’il est exposé au retrait ; que celuici se réalisant, il ne peut exiger que le remboursement
de ce qu’il a payé lui-même. Dès-lors, si cette éventua
lité ne l’a pas arrêté, s’il en a volontairement couru la
chance, il n’a aucun droit de demander une indemnité
quelconque des peines et soins qu’il a pu prendre pour
la liquidation de l’hoirie.
1773. — La difficulté que nous venons de signaler
et de résoudre en tranche une autre que l’exercice du
retrait pouvait faire surgir. La demande doit-elle être
précédée ou accompagnée de l’offre réelle du prix à res
tituer?
L’article 841 garde, sur cette obligation, le plus com-
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
607
plet silence, et ce silence est une juste conséquence de
l’éventualité que nous venons d’examiner. Comment
concevoir, en effet, la nécessité d’une offre réelle, lors
que le retrayant peut ignorer la somme qu’il aura, en
définitive, à rembourser? La condition devenant irréa
lisable, on ne pouvait raisonnablement lui subordonner
l’exercice du droit de retrait.
Il suffit donc que celui qui en poursuit le bénéfice
offre, daiîs la demande même, de restituer le prix et
tous ses légitimes accessoires, tels qu’ils résulteront du
jugement à intervenir. C’est ce que la doctrine et la ju
risprudence ont, de tous temps, admis et .consacré.1
1774. — Le bénéfice du retrait est définitivement
acquis, dès que l’intention de l’exercer a été régulière
ment manifestée. Tous actes postérieurs, tendant à en
paralyser les effets, ne sauraient être invoqués contre
le retrayant. Légalement présumés faits pour éluder la
loi à cet égard, ils ne sauraient être consacrés.
Ainsi, il a été jugé que le cohéritier, qui a offert en
justice, au cessionnaire des droits successifs de son co
héritier, le remboursement du prix de la cession, a, dès
ce moment, et quoique son offre n’ait pas été acceptée,
un droit acquis à la subrogation, droit qui ne peut être
compromis par les actes faits ultérieurement entre le
cédant et le cessionnaire ; spécialement, qu’une de
mande en retrait successoral ne peut être écartée par
Chabot, tom in , art. 84!, ii° 23 ; — Dnrnnton, lom. vu, ri" 200.
Besançon, 51 janvier 1809; — Aix, 5 décembre 1809; — Pau, 10
juin 1850; — Bourges, 16 décembre 1833 ; — Bastia, 25 mars 1855.
�608
TRAITE
le motif que le cessionnaire d’une partie des droits suc
cessifs d’un des cohéritiers est, en même temps, dona
taire d’une autre partie de ces droits, lorsque l’acte qui
lui confère cette dernière qualité est postérieur à la de
mande en retrait.1
Par application du même principe, la Cour de Paris
a jugé, le 16 mai 1825, que la résolution de la cession,
intervenue entre les parties postérieurement à la de
mande en retrait, ne pouvait rendre cette demande irre
cevable ou mal fondée.
Dans l’espèce de cet arrêt, la résolution avait été
poursuivie et prononcée pour défaut de paiement du
prix. Une pareille action, alors que, par l’effet immédiat
du retrait, le prix était offert par le relrayant, n’avait
pas d’autre motif possible que l’intention concertée
entre le cédant et le cessionnaire d’empêcher l’exercice
du retrait , et d’annihiler ainsi une faculté formellement
reconnue par la loi. C’est donc avec juste raison qu’on
déclara que la rescision, étant postérieure à la déclara
tion du retrait, ne pouvait prévaloir sur le droit acquis
par cette déclaration.
1775. — Le cessionnaire, évincé par le retrait, n’a
aucune garantie à exercer contre le cédant. Cette règle
a son principal fondement dans ce principe : que l’ac
quéreur, connaissant le vice de la chose qu’il a ache
tée, ne peut se plaindre des conséquences que ce vice
entraîne. Or, celui qui accepte une cession de droits
�fiÔO
successifs doit savoir qu’il dépend des héritiers de se
faire subroger au bénéfice de son contrat, en lui en res
tituant le prix et ses légitimes accessoires. Cette resti
tution opérée, il est complètement désintéressé. Quelle
garantie peut-il donc avoir à exercer ?
DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
1776. — La Cour de cassation a même décidé que,
le retrait successoral reposant sur des motifs d’ordre
public, aucune stipulation entre le cédant et le cession
naire ne pouvait avoir pour effet d’en gêner ou d’en
compromettre l’exercice ; qu’ainsi, la promesse for
melle de garantie ne pouvait être opposée au retrayant,
alors même que, depuis la cession, celui-ci serait de
venu l’héritier du cédant.
Le contraire avait été admis par la Cour de Dijon.
Son arrêt avait, déclaré la demande en retrait non-rece
vable, attendu que le, cohéritier la poursuivant était de
venu l’héritier du cédant et, conséquemment, tenu de
la garantie promise par celui-ci; qu’il devait donc être
évincé de sa poursuite en force de la règle de droit :
Quem de eviclione lenel actio eumdem àgenlem repellit
exception Mais, sur le pourvoi dont il fut l’objet, cet ar
rêt fiit cassé par la Cour régulatrice, comme ayant faus
sement appliqué les principes relatifs à la garantie et
expressément violé l’article 841. 1
1777. —■ Ce caractère absolu du droit conféré par
l’article 841 sera dans le cas de déterminer, chez ceux
1 Cass., 15 mai 1S II ; — Journal du Palais, tom. I, 18ii, p. 756.
ii
27
�010
T R A IT E
qui désireront en éluder les effets, une fraude consistant
dans la simulation de la nature du contrat. On sait en
effet que, recevable contre tout acte à titre onéreux,
l’action en retrait n’est pas autorisée contre le dona
taire à titre gratuit. En conséquence, et malgré qu’il
s’agisse d’une cession, et que le prix en ait été payé,
les parties consentiront une donation.
Sans doute, dans cette hypothèse comme dans celle
d’un acte à titre onéreux, il se produit un effet identique.
Ainsi, un étranger viendra s’immiscer dans les secrets
de la famille, prodiguer les obstacles, semer les diffi
cultés, éterniser enfin des opérations que les liens exis
tants entre des copartageants ordinaires concilieraient
facilement.
Cependant la défense d’exercer le retrait contre un
donataire est rationnelle et juste. Celui qui dispose de sa
propriété à titre gratuit ne fait qu’user du droit incon
testable que la qualité de propriétaire lui confère. On
ne pouvait donc ni l’empêcher de céder aux sentiments
de reconnaissance et d’affection auxquels il obéit, ni lui
imposer l’obligation de préférer un de ses cohéritiers à
celui qu’il choisit lui-même. D’autre part, la donation
n’ayant aucun prix, qu’aurait-on dû rembourser à celui
qui en a été l’objet?
La différence entre le cessionnaire et le donataire était
donc une conséquence forcée delà nature des choses, et
c’est cette différence qu’on exploitera dans certains cas
pour arriver indirectement au but qu’on ne saurait at
teindre d’une manière directe.
Mais pour qu’on puisse s’en attribuer le profit, il ne
�Ï>U
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
611
suffit pas d’une vaine apparence, il faut qu’il s’agisse
d’une véritable libéralité, d’une donation sincère. L’acte
ne fait pas plus foi de son caractère que du prix qui
y est stipulé; le retrayant, qui a la faculté de contester
celui-ci, a le droit de discuter celui-là ; de prouver par
toute sorte de preuves que la qualification de donation
n’est qu’un mensonge, à l’aide duquel on a prétendu
lui arracher tout moyen d’exercer le retrait ; cette preuve
faite, l’acte tombe sous le coup de l’article 841, le pré
tendu donataire n’est plus qu’un cessionnaire ordinaire,
n’ayant plus qu’à recevoir la restitution du prix qu’il a
payé, et qui, à défaut d’indication précise, doit être,
comme nous venons de le dire, déterminé par le juge.
1778. — L’effet radical de la donation, à l’endroit
de l’exercice du retrait, indique une difficulté que la
poursuite de celui-ci peut faire surgir. Le cessionnaire,
auquel le cohéritier voudra se faire subroger, pourraitil faire repousser la demande en soutenant que la vente
qui lui a été consentie n’a rien de réel, qu’elle n’est
qu’une donation déguisée ?
L’affirmative, si elle était admise, aurait pour consé
quence inévitable d’effacer de notre loi l’article 841, en
le rendant à tout jamais inapplicable. Dans tous les cas,
en effet, où il s’agirait de retrait, le défendeur ne man
querait pas de soutenir que la cession déguise une libé
ralité, et de faire ainsi repousser l’action du retrayant.
Cette considération suffirait à elle seule pour faire re
pousser le système auquel elle servirait de base.
Mais il est d’autres motifs non moins décisifs qui com
�mandent ce rejet. Sans doute la donation, déguisée sous
la forme d’un acte à titre onéreux, ne laisse pas que
d’être valable. Mais cet effet ne se produit qu’en tant que
la simulation n’a pas pour objet de frauder la loi, soit à
l’endroit, d’une prohibition d’ordre public, soit sous le
rapport de la capacité des parties.
De plus, la partie qui a coopéré à la fraude ne peut
jamais en exciper contre les tiers, elle est, par rapport
à eux, tenue par les termes de son contrat, sans qu’elle
puisse jamais prouver contre eux outre et hors son con
tenu.
Ainsi, du vendeur à l’acquéreur, l’acte de vente dé
guisant une donation est valable. Mais ce dernier pour
rait-il, excipant de ce caractère, se dispenser de payer
le prix stipulé que les créanciers auraient saisis entre
ses mains? Non évidemment.
Ce qu’on déciderait dans cette circonstance, on doit
d’autant plus le consacrer dans notre hypothèse, qu’en
présence de l’article 841 , l’existence d’une libéralité
déguisée est d’autant plus invraisemblable. Qu’aurait-on
voulu en donnant ? Mettre le cessionnaire à l’abri du
retrait. Mais, alors, il est fort remarquable qu’au lieu
d’employer un moyen décisif d’atteindre à ce but, celui
de faire une donation pure et simple, on ait recouru à
une simulation devant rendre ce résultat désiré plus dif
ficile et plus chanceux. On comprend que, pour éluder
3a loi, on déguise une vente, en la qualifiant de donation,
ce qu’on né saurait comprendre, c’est que, voulant faire
une donation, et les parties étant réellement capables
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
613
de la consentir et de l’accepter, on l’ait déguisée sous
l’appailtice d’une vente.
Dans tous les cas, le titre étant obligatoire pour celui
qui l’a souscrit, on ne saurait l’admettre à se soustraire
à son exécution, sans violer la prohibition de l’ar
ticle 1541, sans méconnaître les droits des tiers. Con
séquemment, et pour la question qui nous occuppe, il
suffira qu’il s’agisse d’un acte de vente pour que le re
trait soit admis, nonobstant toute prétention tendant à
le faire considérer comme donation déguisée.4
1779. — Aucune fin de non-recevoir ne saurait donc
résulter ni des termes, ni du caractère de l’acte. Les
seules opposables sont celles tirées de la ratification
que le retrayant aurait donnée à l’acte, de l’expiration
du délai qui lui est imparti pour exercer son droit.
La ratification expresse ne laisserait aucun doute sur
l’extinction du droit. Il est vrai, et c’est, nous venons de
le voir, ce que la Cour de cassation a décidé, que le re
trait est d’ordre public, ce qui semblerait exclure toute
possibilité de ratification. Mais, dans cet ordre même, sa
disposition est principalement dans l’intérêt des cohéri
tiers, dès-lors, ils ne peuvent malgré eux être privés de
leur droit, mais ils peuvent vouloir s’abstenir de l’exer
cer, et la loi s’en réfère sur ce point à leur appréciation.
Cette abstention, résultant de ce qu’ils auraient ratifié
la cession, en déclarant qu’ils ne veulent pas l’attaquer,
rendrait tout retrait ultérieur impossible.
1 V. inf., nos 1785 et 1784.
�614
La possibilité d’une ratification expresse entraîne celle
d’une ratification tacite, mais ici il convient deprocéder
avec la plus extrême circonspection. On ne doit pas
présumer facilement que les ayant-droit aient voulu re
noncer à un droit de nature à les préserver des inconvé
nients que peut offrir pour la famille entière l’immixtion
d’un tiers étranger. En conséquence, pour que les actes
dont on veut induire la ratification puissent efficacement
l’établir, il faut, disent Chabot et Toullier, qu’ils soient
tels qu’ils décèlent chez leur auteur l’intention bien
marquée de reconnaître les droits du cessionnaire.
Conformément à cette doctrine, on ne devrait pas con
sidérer comme ratification les actes intervenus entre
l’héritier et le cessionnaire, et 'qui ne seraient que pré
paratoires du partage,1 ou qui tendraient à le déter
miner, tels, par exemple, qu'un jugement qui l’ordonne
sur la demande du cohéritier, qu’une sommation d’y
procéder faite à sa requête.’
La règle générale qu’on pourrait, dit M. Dalloz, poser à
cet égard, serait de ne pas considérer comme entraînant
déchéance les actes préalables au partage qui ont pour
objet de faire connaître la valeur des biens de la succes
sion et d’éclairer les héritiers sur les inconvénients de
la, présence d’un étranger.’
T R A IT E
1780. — L’objet spécial du retrait étant d’écarter
du partage l’étranger cessionnaire, il est évidentque, si
1 Cass., 13 mai 1833/
’ Paris, 26 février 1816.
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
615
le partage a été contradictoirement consommé avec lui,
il ne peut plus y avoir lieu à l’action en subrogation,
son exercice ne serait plus qu’un effet sans cause, il ne
saurait dès-lors être ni recevable, ni admissible.
Mais si le partage consommé vient à être rescindé, la
nécessité d’en poursuivre un nouveau fait-elle revivre le
droit des héritiers, rend-elle le retrait recevable?
M. Duranton résout cette question par l’affirmative.
Dès que le partage est rescindé, dit-il, il n’y a plus de
partage, les choses sont remises au même état qu’auparavant, et l’acheteur ne se trouve plus qu’un cession
naire de droits successifs.
Cette doctrine ne nous paraît pas admissible, nous
venons de voir que la cession peut être ratifiée. Chabot
et Toullier n’exigent qu’une condition, à savoir : que les
actes prétendus ratificatifs soient tels qu’ils décèlent
l’intention bien marquée de reconnaître les droits du
cessionnaire. Or, y a-t-il un acte plus significatif que
l’admission de celui-ci au partage?
Par cette admission, en effet, l’étranger a été initié à
tous les secrets de la famille, un nouveau partage ne lui
apprendra rien de nouveau. Le motif déterminant de
l’article 841 n’existe donc plus, et dès-lors il serait fort
irrationnel de faire survivre l’effet h la cause, et de re
mettre de nouveau en question des droits formellement
reconnus et ratifiés.
Ainsi, la consommation du partage avec le cession
naire consolide à tout jamais ses droits. La rescision
qui serait ultérieurement prononcée remet, quant aux
résultats obtenus jusque là, les parties dans le même
�616
T R A IT E
état qu’auparavant, mais elle ne peut influer sur leur
qualité. Toutes celles qui ont participé au premier par
tage sont deplein droit appelées à concourir au nouveau.
Notre opinion se basant sur la ratification résultant de
l’admission du cesssionnaire au partage, il suit qu’elle
ne serait appliquée que dans les cas où les héritiers ont
été à même d’exercer le retrait lors du premier partage.
Il est évident que, dans le cas contraire, rien ne s’oppo
serait à ce qu’ils pussent le réaliser après rescision.
Ainsi, supposez que, le partage consommé par les co
héritiers, l’un d’eux ait cédé les droits lui revenant à un
étranger. La rescision ultérieurement prononcée ap
pelle le cessionnaire au nouveau partage, il pourra en
être écarté par l’effet du retrait. Sa présence est un
fait nouveau, né de la rescision elle-même, il ne saurait
se réaliser sans que le droit des héritiers se réalise éga
lement. On ne saurait exciper de leur silence précédent,
car l’absence de la cession le rendait inévitable et forcé.
Il en serait de même si la rescision avait été pronon cée sur la demande d’un héritier inconnu jusqu’alors,
et n’ayant pas, par conséquent, pris part au premier
partage. Cet héritier aurait incontestablement le droit
d’exercer personnellement le retrait, sans qu’on pût lui
opposer le fait de ses cohéritiers qui n’ont pas voulu
user du droit qu’ils avaient. La ratification opposable à
ceux-ci ne pourrait être utilement invoquée à son en
droit, non-seulement il ne l’a pas donnée, mais encore
il n’a jamais été en position de la donner.1
�DU
DOD
ET
DE
DA
FRAUD E.
017
1781. — Ce que l’article 841 fait pour les droits
successifs, l’article 1699 le prescrit pour les droits liti
gieux. Celui contre lequel on a cédé un droit de cette
nature peut s’en faire tenir quitte par le cessionnaire,
en lui remboursant le prix réel de la cession avec les frais
et loyaux coûts, avec intérêts du jour du paiement par
le cessionnaire.
Les motifs de cette disposition sont frappés au coin
d’une haute moralité et d’une exacte justice. On a voulu
mettre un terme à la cupidité des acheteurs des droits
litigieux et réprimer ainsi les nombreux procès que
d’odieuses spéculations font surgir. Celui qui, pour s’en
richir, n’hésite pas à se faire souvent un titre du scan
dale qu’il va provoquer, ne saurait se plaindre si, par
le retrait de ses droits, il se trouve privé du bénéfice
qu’il s’en était promis.
La règle de l’article 1699 ne fut pas admise dans le
Code sans contestation. M. Lacuée fit observer qu’il
peut arriver qu’un homme opulent, pour obliger un
citoyen pauvre, lui achète ses droits litigieux. L’adverse
partie cependant, qui voit qu’elle va être poursuivie, se
hâte de rembourser le cessionnaire. Elle profite donc
seule du marché et se soustrait aux condamnations dont
elle était menacée.
M. Tronchet répondit que le procédé du cessionnaire
est immoral, même dans ce cas. S’il n’eût voulu qu’obli
ger le plaideur indigent, il lui eût. fait des avances. Il
est évident qu’en exigeant une cession, il a cédé à un
sentiment beaucoup moins généreux, il a voulu se mé-
�618
T R A IT E
nager un bénéfice. Cette réponse détermina l’adoption
de l’article 1699.
1782. — Sa véritable portée nous est enseignée par
le droit romain. Il ne régit que la cession à titre oné
reux. La donation d’un droit, quelque litigieux qu’il
puisse être, ne saurait être écartée par le retrait. C’est
ce que la loi per diversas avait formellement consacré.
C’était là une large porte ouverte à la preuve. Ce qui
le prouve c’est que Justinien crut devoir compléter
l’œuvre de son prédécesseur, qu’il qualifie de justissima
conslitiitio. La loi ab Anastasio prévoit donc deux
hypothèses : celle où les parties ont donné à la cession
le caractère d’une libéralité pure et simple ; celle où,
après avoir vendu jusqu’à concurrence du prix, le cé
dant déclare donner le surplus.
Justinien exige, dans la première, que la donation soit
réelle et sincère. Ainsi, la preuve que le prétendu dona
taire a payé une somme quelconque pour obtenir la
cession, imprime à l’acte le caractère d’une vente, et ne
donne au cessionnaire que le droit d’exiger la restitution
de la somme déboursée avec ses légitimes accessoires.
Dans la seconde, la clause de donation du surplus est
censée non écrite et ne saurait produire aucun effet.1
Cette doctrine découlait forcément du principe per
mettant le retrait. Bientôt, en effet, la clause de dona
tion du surplus serait devenue de style dans les cessions
de ce genre, et la faculté d’exercer le retrait n’aurait
'■ L. 22 et 25, Cod. Manil. vcl contra.
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUD E.
619
plus été qu’une prérogative nominale, qu’une lettre
morte, sans utilité possible.
1783- — Ce qui se pratiquait sous l’empire des lois
per diversas et ab Anaslasio, a été consacré par l’ar
ticle 1699 qui nous régit. C’est ce que la doctrine et la
jurisprudence n’ont pas hésité à reconnaître et à consa
crer. En conséquence, la décision de Justinien, dans la
double hypothèse qu’il prévoit, devrait être rigoureu
sement appliquée.
178-4. — Une seule difficulté a surgi à l’endroit de
la donation pure et simple. On s’est demandé si l’exis
tence de quelques charges de peu d’importance plaçait
la donation sous le coup de la loi, et devait la faire
considérer comme une vente? L’affirmative est for
mellement soutenue par M. Troplong, mais une pareille
sévérité d’appréciation nous paraît outrer le principe
dont elle prétend faire une juste application.
La question de savoir si la cession est à titre onéreux
ou gratuit est une question de fait. Elle ne comporte
donc aucune règle absolue. Tout est livré à la con
science et aux lumières des magistrats. Il est évident
dès-lors que, si par leur nature et par leur objet les
charges imposées à la donation n’en dénaturent nulle
ment les caractères, la donation doit être maintenue et
les effets appliqués. C’est aussi ce que la jurisprudence
a consacré.1
1 Toulouse, 13 déeem. 1830; — Cass., 4 juin 1834.
�620
TRAITE
1785. — Les droits (lu retrayant, à l’endroit du prix
de la cession, sont, en matière de droits litigieux, iden
tiques à ceux que nous avons dit pouvoir être exercés
dans le retrait successoral. La fraude, redoutable dans ce
dernier cas, est bien plus à craindre dans le premier. En
conséquence, quelles que soient les énonciations du
titre à cet égard, l’ayant-droit peut toujours en con
tester la sincérité, soutenir notamment que le prix n’est
pas réel et le prouver tant par témoins que par présom
ptions. II ne saurait être, dans aucun cas, tenu de res
tituer au-delà de ce qui a été réellement payé, dont, à
défaut d’éléments certains et positifs, la détermination
est laissée à l’arbitrage souverain du juge.
1786. — De même que pour le retrait successoral,
la faculté d’exercer le retrait litigieux est absolu et ne
saurait être perdue que par une renonciation formelle.
Mais il importerait peu que le procès eût été commencé
et soutenu contre le cessionnaire. Tant que le litige n’a
pas été définitivement jugé, le retrait est possible, quel
que soit l’état de la cause. Non-seulement il ne doit pas, à
peine de déchéance, être exécuté in limine litis, mais
encore la jurisprudence est unanime sur ce point, celui
qui n’a pas voulu l’exercer en première instance est
recevable à le faire en cause d’appel.1
1787. — Toutefois, comme cet exercice est un pri
vilège introduit en faveur du débiteur, la Cour de cas’ Metz, lim a i 1831; — Cass., 8 mars 1832 et 28 janvier 1856; —
Bourges, 17 février 1838; — J. D. P., t. a, 1858, p. 285.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
621
sation en a conclu que le droit de le réaliser pour la
première lois en cause d’appel n’appartient qu’«à lui
ou à ses représentants légaux. En conséquence, elle a
refusé de le reconnaître aux créanciers, par arrêt du 6
juillet 1847.'
Il résulterait de cet arrêt que, par rapport aux créan
ciers, le silence gardé en première instance par leur
débiteur est eousidéré comme une renonciation contre
laquelle ils ne sauraient revenir. Cette doctrine peut,
dans un cas donné, favoriser une fraude, ou conduire à
une injustice flagrante.
En effet, le silence du débiteur peut n’être que le
résultat d’une collusion entre lui et le cessionnaire,
dans l’intention de frauder les légitimes créanciers.
Objectera-t-on que dans ce cas ceux-ci auront l’action
de l’article 1167?Mais de quel secours sera cette action,
lorsque le droit litigieux sera fondé et que le préjudice
ne consistera que dans la différence entre sa quotité et
celle du prix payé par le cessionnaire? Comment prou
ver que l’abstention du débiteur à réclamer le bénéfice
du retrait est entachée de fraude? Il est donc vrai de
dire que le refus d’accorder aux créanciers un droit
qu’on reconnaît exister en faveur du débiteur favorise
singulièrement la fraude.
Nous ajoutons que ce refus peut, dans certains autres
cas, constituer une injustice. En effet, les créanciers ne
sont pas nécessairement parties dans les procès inté
ressant l’actif de leur débiteur, ils peuvent y intervenir
1 J. I). P.,
t. h , 1848,
p. 667.
�622
f
haité
pour la conservation de leurs droits, mais ils ne doivent
pas y être appelés. Or, supposez qu’avertis du danger
qui les menace, à une époque seulement où le procès
est devant la Cour, ils réalisent immédiatement leur
intervention, faudra-t-il les déclarer déchus d’un droit
qu’ils ont été dans l’impossibilité d’exercer jusque là?
Il nous semble qu’en présence de cette double éven
tualité, le système qui peut engendrer de pareils résul
tats ne devrait être admis qu’autant qu’il serait formel
lement prescrit par la loi. Or, loin qu’il en soit ainsi,
la doctrine de la Cour de cassation est au contraire en
opposition flagrante avec l’article 1166 notamment.
Cet article, en effet, autorise les créanciers à exercer
au nom de leur débiteur toutes les actions qu’il pour
rait exercer lui-même. Ce principe ne reçoit exception
que pour les actions exclusivement attachées à sa per
sonne et celles-là seules ont ce caractère, qui s’étei
gnent avec la personne elle-même et qui ne passent pas
même aux représentants légaux.
L’action en retrait ne peut se placer dans cette caté
gorie. La Cour de cassation reconnaît que les représen
tants légaux du débiteur peuvent, comme il le pourrait
lui-même, l’exercer pour la première fois en appel.
Comment donc la refuserait-on aux créanciers agissant
en vertu de l’article 1166? Dans cette hypothèse, ils ne
seraient pas les représentants légaux de leur débiteur !
Mais ils sont mieux que cela, ils sont le débiteur luimême.
Nous ne considérons pas la question comme défini
tivement tranchée par l’arrêt que nous rappelons. Un
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
623
nouvel examen, une appréciation plus approfondie doit,
à notre avis, amener une solution contraire à celle que
cet arrêt consacre.
1788. — Dans toutes les hypothèses où le retrait
est recevable, il faut que le droit cédé soit litigieux;
que son objet soit d’empêcher et de prévenir le procès.
Or, le droit n’est plus litigieux dès l’instant que, le
procès ayant été soutenu, il est intervenu une décision
définitive validant le droit poursuivi. Le débiteur ne
peut simultanément courir la chance de gagner le
procès ou de s’en racheter, en cas de perte, par la res
titution du prix de la cession. Il doit donc opter entre
le retrait et le soutien du procès.
La conséquence de cette règle devrait être l’inadmis
sibilité du premier, s’il n’est proposé que par des con
clusions subsidiaires en cas de condamnation sur le
fond du droit. Après cette condamnation, il n’y a plus
de droit litigieux et, dès-lors, plus de retrait possible.
Cette règle posée par Pothier, adoptée par MM.Troplong
et Duvergier, a été consacrée par la jurisprudence.1
Ainsi, il ne suffit pas, pour que le retrait puisse être '
exercé, que le droit cédé fût litigieux au moment de la
cession, il faut en outre qu’il le soit encore au moment
où le retrait est poursuivi. Mais le droit litigieux à la
première époque, ne perd son caractère que par une
décision définitive qui lereconnaîtet le consacre. L’exis1 Pothier, V en te, n° 598 ; — Troplong, V en te, n° 987, t. h ; — Duver
gier, V en te, n° 375, t. n ; — Cass., 1er juin 1831 et 8 mars 1832; —
Bordeaux, 12 avril 1852 ; — Bourges, 19 fév. 1838; — J. D. P., t. u,
1838, p. 285.
�624
tuaité
tence de eelle-ci est un obstacle invincible à tout re
trait ultérieur.
1789. — Toutefois cette règle reçoit exception dans
le cas où la cession ayant été cachée, ne se révèle
qu’après le jugement définitif. Nul ne peu perdre un
droit avant d’avoir été mis en demeure de l’exercer, il
n’y a ni renonciation, ni prescription possible contre
celui qui ne s’est abstenu d’agir que parce qu’il a ignoré
qu’il pût ou dût le faire.
De là cette conséquence que le retrait successoral
pourra être exercé après le partage, et le retrait liti
gieux après jugement définitif, si la cession n’a été
connue qu’alors. Il le fallait ainsi pour empêcher une
fraude d’autant plus à craindre que la spéculation du
cessionnaire promettant d’être avantageuse , celui-ci
aura un plus grand intérêt à éluder la loi. Or, le
moyen le plus sûr serait incontestablement celui de
stipuler que le partage ou le procès sera poursuivi au
nom du cédant, quoiqu’il n’ait plus personnellement
aucun intérêt à l’un ou à l’autre. On comprend dèslors que se préoccupant de cette fraude, le législateur
en ait réprimé les effets, en reconnaissant que les droits
consacrés par les articles 841 et 1699 peuvent être
exercés dès qu’elle se découvre, à quelque époque que
se réalise cette découverte et même après partage ou
jugement définitif.1
’ Rouen, -16 mars 1812 ; — Cass., 3 juin 1820;— Bordeaux, 6 juil.
1838; — Conf., Pothier, ibid., ri0 597; — Troplong, ibid., n° 988 ; —
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
6 25
1790. — Nous avons dit. que la disposition de l’ar
ticle 1699 a eu pour but de proscrire ces spéculations
odieuses, à l’aide desquelles on cherche à exploiter les
procès, à les faire naître animo vexandi, et pour satis
faire à une sordide cupidité. Toute cession de droits
litigieux n’a pas nécessairement ce caractère, il con
venait donc de tracer les exceptions dans lesquelles son
absence devait s’opposer à l’exercice du retrait.
Ces exceptions, admises par le droit romain, se trou
vent aujourd’hui expressément rappelées par l’arti
cle 1701- En les parcourant, on acquiert facilement la
conviction que chacune d’elles, dictée par un esprit de
sauvegarde et de conservation, reste étrangère à toute
arrière-pensée d’hostilité ou d’agression. En effet, le
cessionnaire achète rem necessariam; ce qu’il veut,
c’est l’exécution légale de son droit ou la conservation
de la chose qu’il possède déjà. Loin de chercher à faire
un procès, il agit réellement pour résoudre, dans un
légitime intérêt, des difficultés dont il pourrait luimême devenir la victime.
1791. — Ainsi que l’observe M. Troplong, l’ar
ticle 1701 ne peut créer qu’un doute sur la portée
réelle de l’exception en faveur du cohéritier. La cons
titution d’Anastase l’avait formellement spécialisée en
la réduisant entre cohéritiers et à l’endroit des actions
héréditaires : Exceptis scilicet cessionibus quas inter cohœredes, pro actionibus hæreditariis fieri conlingit.*
! L. 22, Cod. M a n d .
v e l c o n tra .
�026
TRAITE
Doit-on conclure des termes généraux de l’ar
ticle 1701 que le Code civil a voulu autre chose, et
que, sous son empire, la cession d’un droit litigieux
contre la sucession faite par un tiers est à l’abri de tout
retrait, par cela seul qu’elle a été faite en faveur du
cohéritier?
Nous ne saurions admettre l’affirmative, et cela par
deux raisons décisives :
1° Le Code civil a entendu se conformer exactement
à ce que le droit romain avait consacré, et qui avait été
admis par notre ancienne jurisprudence. C’est ce qui
résulte expressément de l’exposé des motifs de M. Por
talis. En effet, après avoir rappelé ce qui se pratiquait
chez l’un et chez l’autre, M. Portalis ajoutait : Nous
avons cru devoir conserver par le projet de loi une juris
prudence que la raison et l’humanité nous invitaient à
conserver ;
2° Le cohéritier, achetant de son cohéritier, achète
réellement rem necessariam, et pour se maintenir luimême dans un droit acquis. L’achat d’un droit litigieux
contre l’hérédité sera sans doute d’une utilité relative
au cohéritier qui l’a contracté d’un tiers, mais il peut
renfermer contre les autres cohéritiers une spéculation
de la nature de celles proscrites par l’article 1699. Il
était rationnel de parer à cette éventualité, en autorisant
ces derniers à exercer le retrait au nom et dans l’intérêt
de l’hérédité, débiteur cédé.1
i
Troplong, sur l’art. 1701 ; — Duvergier,
V en te,
t. il, n° 590.
�Dü DOL ET DE La FKAÜDE.
627
1792. — fndépendammet des règles générales qui
précèdent, l’article 1597 crée, par rapport aux droits
litigieux, une règle spéciale à l’égard des personnes qui
y sont énumérées.
Ainsi les juges, leurs suppléants, les magistrats rem
plissant les fonctions du ministère public, les greffiers,
huissiers, avoués, défenseurs officieux (aujourd’hui
avocats) et notaires, ne peuvent devenir cessionnaires
de procès, droits et actions litigieux qui sont de la com
pétence du tribunal dans le ressort duquel ils exercent
leurs fonctions, à peine de nullité et des dépens, et
dommages-intérêts.
1793. — Nous avons déjà exposé les motifs et les
effets principaux de cette disposition.1Nous nous bor
nerons donc à jeter un rapide coup d’œil sur les diffi
cultés que son application peut faire surgir.
Remarquons avant tout que les incapables dont s’oc
cupe cet article, quelle que soit leur intention de se
soustraire à ses effets, et précisément à cause de cette
intention, se garderont bien de traiter directement et
en leur nom propre et personnel. L’unique chance de
succès sur laquelle ils puissent compter, est évidem
ment dans le soin qu’ils mettront à cacher l’intérêt
qu’ils ont dans l’opération. Us auront donc recours à la
simulation et notamment à l’interposition d’un pré
tendu acheteur chargé de leur transmettre le bénéfice
de la cession. Cette nécessité a tout d’abord fait reeher1 V. Swp., n° 706.
;
t il
r
�628
T R A IT E
cher si les principes des articles 911 et 1100, sur l’in
terposition des personnes, leur étaient applicables?
La négative a été admise en ce sens qu’en pareille
matière, et quelque rapproché que soit le degré de pa
renté, la présomption légale, excluant la preuve du
contraire, conduirait souvent à une véritable injustice.
Le père, le fils d’un magistrat peut être comme tout
autre alléché par le bénéfice énorme que promet l’ac
quisition d’un procès ou d’un droit litigieux. Il peut
donc la contracter sans consulter son fils ou son père,
et quelquefois même contre son avis. La justice exigeait
qu’on tînt compte de cette circonstance, surtout lors
qu’il s’agit de flétrir un magistrat, en le déclarant con
vaincu d’avoir violé la loi qu’il est chargé d’appliquer.
Donc, il n’existe pas, dans cette matière, de pré
somption légale; mais le degré de parenté rapproché,
entre le cessionnaire et l’incapable, est un indice bien
puissant d’interposition, et il faudrait des explications
péremptoires pour dissiper le soupçon qu’il crée. Si ces
explications laissaient à désirer, la fraude devrait être
reconnue et ses effets encourus. C’est ce qu’avait con
sacré notre ancienne jurisprudence. Denizart rapporte
un arrêt du parlement d’Àix qui annula une vente de
droits litigieux faite aux deux fils de M. de Coriolis,
président à mortier de ce parlement, fit défense à ce
magistrat d’en accepter de semblables, et le condamna
en 300 livres de dommages-intérêts et aux dépens.
Ainsi, la qualité des parties fait facilement présumer
la fraude, mais n’en fournit jamais la preuve légale.
Cette présomption doit céder devant la preuve con-
�DU
DDL
ET
DE
LA
FRAUDE.
fi‘29
traire. L’admissibilité de celle-ci et son efficacité sont
laissées à l’arbitrage souverain du juge.
1794. — La cession, acceptée par un des incapa
bles indiqués dans l’article 1597, est frappée d’une nul
lité radicale et absolue. La disposition de cet article est
d’ordre public et général. Toutes les parties peuvent
l’invoquer, excepté le cessionnaire lui-même. Cette ex
ception est la juste conséquence de l’infraction à la loi
dont ce dernier s’est rendu volontairement coupable, et
dont il est rationnel qu’il ne puisse, en aucun cas, se
faire un titre.
C’est surtout au débiteur que la nullité profite. En
effet, elle atteint à ce résultat qu’elle, anéantit le droit
cédé. Le cédant qui l’a vendu, étant désintéressé, ne
peut plus l’exercer. L’illégalité de la cession plaçant le
cessionnaire dans la même impossibilité, en réalité le
droit n’existe plus. Vainement l’incapable voudrait-il le
céder lui-même. Sa possession, jugée illégale, lui en
lèverait ce droit; il ne peut valablement transmettre ce
qu’il n’a pu légalement acquérir.
1795- — Une autre conséquence de cette règle est
de placer l’incapable, contre qui la cession a été an
nulée, dans l’impossibilité de redemander au cédant le
prix qu’il a payé. Décider le contraire serait recon
naître un effet à un acte que la loi considère comme ne
devant en produire aucun, frappé qu’il est d’une nullité
radicale et absolue.
D’ailleurs, les cessions de droits litigieux se font oiv
�630
T R A IT É
dinairement à forfait et sans garantie, la chance de bé
néfice que court le cédant étant la juste compensation
du péril qu’il court de perdre le prix qu’il paie.
La garantie, eût-elle été formellement promise, la
solution que nous venons de donner n’en devrait pas
moins être admise. La loi ne peut pas autoriser des
stipulations n’ayant d’autre objet que d’éluder ses pres
criptions et de se soustraire à ses prohibitions formelles.
Or, la validité de la garantie serait un encouragement à
faire ce qu’elle défend dans un intérêt public et général.
En effet, si l’incapable ne courait aucun autre danger
que celui de ne pas réaliser le bénéfice qu’il s’était
promis de son opération ; si, la fraude constatée et punie
par la déclaration de la nullité de la cession, il pouvait
se faire rendre le prix qu’il en a donné, on ne voit pas
ce qui pourrait l’empêcher de se livrer à un acte qui,
pouvant lui procurer un bénéfice important, ne sau
rait, dans aucun cas, lui occasionner une perte.
Un recours quelconque contre le cédant violerait
donc le principe qu’un acte radicalement nul ne saurait
devenir le fondement d’une action judiciaire quelcon
que ; il deviendrait de plus un puissant encouragement
à la désobéissance à la loi. Le proscrire, même lorsqu’il
a été formellement stipulé, est donc un devoir pour les
magistrats. Ils sauront d’autant plus le remplir, que
ses résultats n’ont rien de reprochable en équité et en
raison. Il est juste que celui qui n’a pas reculé devant
une immoralité trouve dans la perte du prix une pre
mière peine de son indélicatesse.
�DU
DOL
ET
DE
LÀ
FRAUD E.
631
1796- — Nous avons eu souvent l’occasion de rap
peler que le complice de la fraude doit être solidaire
ment tenu de la‘réparation du préjudice qu’elle occa
sionne. Doit-on appliquer ce principe à l’acquéreur d’un
office qui s’est prêté, par la souscription d’un traité se
cret, à la dissimulation du prix réel?
Nous avons déjà dit que le traité secret, en matière
de cession d’office, était frappé d’une nullité radicale,
tellement absolue, que l’acheteur peut, non-seulement
se refuser à toute exécution, mais encore répéter ce
qu’il a payé en vertu de ses stipulations.
L’existence du traité secret peut avoir pour cause un
motif exclusivement relatif à la nécessité d’une autori
sation préalable. C’est ce qui se réalise lorsque le prix
n’est dissimulé que par la crainte qu’il parût trop élevé,
et que le gouvernement en exigeât la réduction.
Mais cette existence peut tenir à d’autres motifs. Ainsi
le possesseur de l’office n’ayant pas d’autres ressources
que le prix, voulant empêcher qu’il ne soit absorbé
par ses créanciers, trouvera dans un traité secret un
moyen facile d’exécuter cette volonté. L’acheteur, qui
s’associera à cette pensée et qui concourra à son exé
cution, se rend évidemment complice de la fraude du
débiteur et occasionne un pi’éjudice incontestable aux
créanciers, surtout lorsque, par la dissimulation du prix
réel, ces créanciers ne reçoivent qu’un paiement par
tiel de ce qui leur est dû.
Celte fraude est d’autant plus blâmable que, par la
nature spéciale de l’objet aliéné, les créanciers sont
privés d’une faculté que, dans les cas ordinaires, ils exer-
�632
T R A 'IT IÏ
ceraient incontestablement contre l’acquéreur lui-mê
me. Supposez, en effet, l’aliénation d’un immeuble, le
concours de l’acquéreur à la dissimulation du prix en
fraude des créanciers donnerait immédiatement ouver
ture à l’action Paulienne. Que l’effet, ordinaire de cette
action, c’est-à-dire la révocation de la vente, ne soit pas
autorisée, on se l’explique par la nature de l’objet aliéné,
mais pourquoi le préjudice étant certain et volontaire
ment occasionné dans les deux cas, l’acheteur de l’office
serait-il affranchi de l’obligation de le réparer par une
allocation pécuniaire? La loi a-t-elle donc reconnu dans
une hypothèse quelconque qu’elle doit non-seulement
tolérer, mais encore récompenser la fraude?
1797. — Mais l’article 1582 a fait du contraire le
droit commun. Tout fait quelconque occasionnant un
préjudice rend la réparation nécessaire et inévitable, et
lorsqu’au lieu d’un fait simplement dommageable, indé
pendamment même de la volonté de son auteur, on ren
contrera la fraude concertée et consommée, cette ré
paration serait refusée ! Qu’on nous permette de le dire,
une pareille solution serait impie autant qu’absurde •
elle consacrerait une exception au droit commun pré
cisément en faveur de celui qui n’a d’autres titres à in
voquer qu’une violation flagrante d’une loi dont l’ordre
public commande impérieusement l’exécution.
Dira-t-on que le traité secret étant nul aux yeux de
la loi, l’acheteur ne doit pas réellement le supplément
du prix stipulé; qu’en le soumettant à l’action des
créanciers, ce serait lui imposer la nécessité de le
�DU
DOL
ET
DE
LA
633
FRAUD E.
payer, et, conséquemment, accorder un effet à un acte
incapable d'en produire aucun !
Cette objection n’a aucun fondement rationnel, au
cune base légale. D’abord, les créanciers ne demandent
pas l’exécution du traité secret; ils n’ont aucune qua
lité pour cela, car, dans leur poursuite, ils agiront en
leur nom personnel et non comme ayant-cause de leur
débiteur.
D’autre part, l’acheteur, en signant le traité secret et
en concourant à la fraude de ce dernier, a commis, à
l’encontre des créanciers, un acte dommageable con
damné par la loi. La nécessité de réparer le préjudice
naît avec le quasi-délit..C’est là une obligation person
nelle indépendante de la convention et qui ne peut, dèslors, lui être subordonnée quant à ses effets.
Le traité secret est illégal ! Maison le conteste si peu,
que c’est dans ce caractère même que les créanciers
puiseront le droit d’obtenir la réparation du préjudice
qu’ils en éprouvent. Mais est-ce que, dans toutes les au
tres fraudes, on ne rencontre pas cette illégalité? N’estce pas parce qu’il en est ainsi que l’auteur de la fraude
et ses complices sont solidairement condamnés à ré
parer le préjudice qu’ils causent? Pourrait-on con
damner celui qui, sur la poursuite dont il est l’objet,
pourrait se placer sous l’empire de l’exception feci, sed
jure feci ?
Il n’y a donc de fraude possible que lorsque le fait
dont on veut la faire résulter est condamné par la loi.
Exeiper de ce que le traité secret est dans cette caté
gorie, pour se dispenser d’ordonner la réparation du
in
28
!■ I
I
i
1! :!
�634
T R A IT E
préjudice que les tiers en éprouvent, c’est faire résulter
l’impunité du caractère pouvant seul motiver une con
damnation.
Ainsi, du cédant au cessionnaire, le traité secret de
meure frappé d’une nullité radicale; non-seulement on
n’est pas tenu de l’exécuter, mais on peut encore revenir
sur son exécution et répéter les sommes payées. Dans
son application au cédant, à ses héritiers ou ayantcause, cette règle n’est qu’un hommage rendu au res
pect que commande la loi, qu’une juste peine contre
l’audacieux qui a osé l’enfreindre.
Mais l’appliquer aux tiers-créanciers, les condamner
en conséquence à supporter sans se plaindre le préju
dice qu’ils subissent, c’est donner à l’infraction de la
loi une extension inadmissible ; c’est préférer l’infrac
teur à ses victimes. Une peine quelconque n’est juste
qu’à condition qu’elle a été méritée. Or, quels reproches
peut-on faire aux créanciers frauduleusement trompés
par leur débiteur? Evidemment ils sont demeurés étran
gers à la fraude, ils n’ont pas dû la prévoir, ils n’ont pu
l’empêcher. Comment donc les obliger à en supporter
les conséquences?
Au point de vue légal, et sous l’empire du droit com
mun , nous arrivons donc à cette conclusion que les
créanciers, en fraude des droits desquels le prix de l’of
fice a été dissimulé, et qui ont été ainsi privés d’une
partie du gage nécessaire à leur paiement, sont receva
bles à se plaindre du quasi-délit dont ils sont les victi
mes; qu’ils peuvent en demander la réparation, soit
contre l’auteur, soit contre son complice.
�•DU
DOD
ET
DE
EA
FRAUD E.
635
1798. — Cette solution, justifiée par les principes
généraux de la solidarité entre l’auteur et le complice
d’un fait condamné par la loi, consacrée par la règle
générale de l’article 1382, nous paraît surtout se re
commander à l’endroit de la répression de l’abus que
la jurisprudence condamne avec une si juste sévérité.
Du jour où le traité secret présentera un égal danger
pour toutes les parties, on pourra se flatter de le voir,
si non disparaître, du moins perdre beaucoup de sa fré
quence.
Or, jusqu’à présent, les rigueurs ont pris une direc
tion unique, contre un seul intérêt, à savoir : celui du
vendeur. Ainsi il ne pourra pas exiger le paiement d’un
prix autre que celui porté au traité public; de quelque
nature que soient les titres souscrits pour le supplément,
la preuve de leur véritable caractère les fera annuler.
Enfin tout ce qu’il aura reçu à ce titre pourra être répété
ou devra être imputé sur le prix apparent.
Tout cela, cependant, n’a pas découragé les vendeurs,
et, ce qui le prouve, c’est la fréquence des espèces sou
mises aux tribunaux. Il ne pouvait pas en être autre
ment. L’intérêt qu’ils peuvent avoir à la fraude que nous
indiquons compense les chances que sa réalisation leur
fait courir, alors surtout qu’en exigeant le supplément
en argent comptant, et en ayant soin de n’en laisser
aucune trace, ils peuvent se flatter d’en rendre la preuve
impossible.
Mais rien, dans cette jurisprudence, n’est dans le cas
de faire reculer l’acheteur, tout, au contraire, l’engage
à souscrire le traité secret qui lui est proposé. Quel risque
�—
636
—
TRAITÉ
court-il? Ses promesses ! Il sera libre de ne pas les exé
cuter. Les titres qu’il lui faudra souscrire, les sommes
qu’il payera! Il fera annuler les uns, il obtiendra la res
titution des autres. Pourquoi donc refuserait-il de
souscrire un traité secret livrant l’autre partie à son
entière discrétion?
Du jour où ce même acheteur se trouvera placé sous
le coup de l’action des créanciers, la responsabilité in
définie qu’il sera dans le cas d’encourir, le danger qu’il
courra sera de nature à lui inspirer des justes scrupules
sur l’acte qu’on lui proposera d’accomplir, et à le rete
nir dans les limites du devoir légal que le législateur
entend lui imposer; de ce jour-là aussi, les traités se
crets seront plus difficiles à obtenir, surtoutde la part de
ceux dont la solvabilité évidente, offrant une prise cer
taine à l’action des créanciers, leur fera une loi de ne
pas s’exposer à leurs poursuites.
Notre doctrine, on je voit, peut devenir un utile re
mède contre l’abus qu’il faut extirper. C’est le second
terme de la proposition, dont le premier seul a été jus
qu’à présent l’objet de la sollicitude des tribunaux. Dé
courager le vendeur, c’est bien ; mais décourager le
vendeur et l’acheteur, est mieux encore. On doit donc
la consacrer sans hésitation, alors surtout que son ca
ractère juridique et légal ne saurait être contesté, ainsi
que nous venons de l’établir.
1799. — Les créanciers peuvent donc, lorsque la
dissimulation du prix réel a un but frauduleux à leur
endroit, poursuivre, non la révocation de la vente de
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
637
l’office, mais la réparation pécuniaire du préjudice qui
leur est occasionné. Ils le peuvent contre leur débiteur,
comme auteur de la fraude ; contre l’acheteur, comme
complice. Cette allocation pécuniaire doit être deman
dée et prononcée comme dommages-intérêts, indépen
damment de l’exécution du traité secret, qui ne peut
être ordonnée, même à ce titre. Les sommes qui y sont
portées peuvent bien devenir un élément d’appréciation
des dommages-intérêts, mais le juge n’est pas tenu
d’en adopter la quotité. Il peut la réduire si sa cons
cience lui en fait un devoir, ou l’augmenter dans le cas
contraire. On sait qu’en matière de fraude, la seule rè
gle à suivre pour la réparation est l’importance du pré
judice auquel l’auteur ou le complice est tenu , velit,
nolit.
1800. — La preuve de la complicité de l’acheteur ,
que les créanciers doivent rapporter, peut être fournie
par témoins. Elle peut résulter de présomptions, no
tamment de la certitude que l’acheteur avait de la dé
confiture de celui avec qui il traite. Consentir, dans ce
cas, à déguiser une partie du prix et la faire ainsi arri
ver. aux mains du débiteur, c’est évidemment la sous
traire aux créanciers, c’est dès-lors favoriser une fraude
manifeste et en assumer la responsabilité.
1881. — Quelle que soit la cause de la dissimula
tion du prix, l’acheteur serait tenu personnellement si,
l’ayant encore en totalité en son pouvoir, il n’avait dé
claré que le prix apparent sur la saisie-arrêt poursuivie
�638
TRAITE
avant tout paiement. La loi veut que le tiers-saisi-, dans
la déclaration et affirmation qu’elle prescrit, énonce le
montant de ce qu’il doit, indique les paiements partiels
qu’il a pu faire et fournisse les pièces justificatives. La
fausseté de la déclaration rendant le tiers-saisi débiteur
personnel, l’acheteur, dont la déclaration serait prouvée
incomplette, serait donc considéré comme tel, par ap
plication de l’article 577 du Code de procédure civile.
Vainement le tiers-saisi prétendrait-il que, n’étant, ni
naturellement ni civilement tenu au paiement du sup
plément du prix, il n’a pas dû en déclarer l’existence en
ses mains. Cette objection décisive contre le vendeur,
partie au traité secret, ne saurait avoir aucune force
contre ses créanciers. La connaissance de ce traité ou
vre à ces derniers le droit de soutenir qu’il constitue
une fraude concertée contre leurs intérêts, et en consé
quence la faculté de demander la juste réparation con
tre l’acheteur lui-même. Dès-lors l’existence du traité
doit leur être signalée, sauf au tiers déclarant de faire
en même temps connaître sa volonté d’user du bénéfice
de la loi, et de se soustraire au paiement du supplément.
Cette dernière indication mettra les créanciers à
même d’examiner s’ils peuvent agir en vertu de l’arti
cle 1167 et poursuivre la répression de la fraude qui
leur paraîtrait exister. S’ils ne peuvent prouver cette
fraude, la déclaration du tiers-saisi est obligatoire pour
eux. Us ne peuvent le contraindre à payer le supplé
ment, sauf le cas où malgré cette déclaration l’acheteur
aurait réellement et ultérieurement soldé le supplément
entre les mains de son vendeur.
�DIJ
POL
ET
DE
LA
FRAUDE.
639
1802. — On sait que la cession d’un office ne de'vient définitive que par l’approbation du gouverne
ment. De là cette conséquence forcée que le prixn’e st
dû réellement qu’à partir de l’entrée en fonctions du
titulaire, en force de cette approbation. De là la difficulté
de savoir si, avant la décision du gouvernement, ce prix
était saisissable entre les mains de l’acheteur.
1803- — Cette question a été incidemment tranchée,
lorsqu’il s’est agi de décider si la cession du prix fin te
par le vendeur au moment ou depuis le traité, mais
avant son approbation, était ou non valable contre les”
créanciers. Quelques Cours, partant de ce principe que
jusqu’à approbation le prix est incessible et insaisis-'
sable, proclamaient la nullité de la cession. Tant que le
traité, disaient-on, n’a pas été régulièrement approuvé,
il n’existe entre les parties qu’un projet ne conférant au
cun droit susceptible d être cédé. On ne doit pas même
assimiler le vendeur à un créancier conditionnel, pou
vant user de son droit, même avant la réalisation de la
condition. Il y aurait, ajoutait la Cour de Paris, les plus
graves inconvénients à permettre au titulaire de faire
disparaître à l’avance une valeur importante pouvant
être le seul gage de ses créanciers, alors que ceux-ci
n’ont aucun moyen de connaître l’état des choses. De
pareilles cessions doivent donc être prohibées dans un
intérêt public, même alors qu’aucun soupçon de fraude
ne s’élève à l’égard des cessionnaires. Cet arrêt, rendu
le 23 décembre 1845, avait été précédé d’un arrêt
�6 40
TRAITE
d’Angers, du 12 août 1810, jugeant dans le même
sens.1
1801. — Mais la Cour d’Aix a pris l’initiative dans
la consécration de l’opinion contraire, en décidant que
l’acheteur d’un office pouvait valablement payer entre
les mains du vendeur, tout ou partie du prix, même
avant l’ordonnance de nomination. D’où résultenécessairement pour les créanciers la faculté de saisir à toute
époque ce même prix.
Cet arrêt, fortement approuvé par M. Dalloz, qui le
signale comme devant entraîner l’abandon de la doc
trine opposée, fondée contrairement à notre droit sur
la présomption de fraude, distingue fort juridiquement
ce qui, dans la transmission d’un office, est d’ordre pu
blic, d’avec ce qui se rapporte exclusivement à l’intérêt
privé. Cette distinction , la Cour l’a prise dans la loi
de 1816 elle-même qui, conférant la faculté de présenter
son successeur , attribue par cela même au titulaire
celle de traiter avec celui qui sera l’objet de cette dési
gnation; elle conclut, de la combinaison de l’article 91
de cette loi avec les principes généraux du droit, seuls
applicables tant qu’une loi spéciale n’aura pas été ren
due, que la convention, intervenue entre le titulaire et
son successeur désigné, constitue une obligation sou
mise à une condition suspensive ; que cette convention
devient parfaite par l’accomplissement de la condition
et forme dès ce moment la loi des parties, qu’il n’est
D. P., 1842, 2, 23.
�DU
DOL
ET
DE
DA
FBAUD IÏ.
641
donné à personne d’annuler, si ce n’est pour les causes
que la loi autorise.1
Cette doctrine, qui nous paraît irréprochable en droit,
tranche nettement la question relativement à la validité
de la cession. Si le titulaire de l’office peut régulièrement
toucher lui-môme le prix, il peut évidemment le céder,
et le transport n’est subordonné, comme le droit luimôme, qu’à la condition de l’approbation du traité par
le gouvernement. Celle-ci se réalisant, ses effets remon
tent de plein droit au jour du traité et rendent le transfert
inattaquable, aux termes de l’article 1179.
Le prix est donc cessible avant l’approbation du gou
vernement. Ce qui résulte forcément de ce caractère,
c’est que les créanciers sont placés à son endroit dans la
position qu’ils ont à l’égard de toutes les ressources de
leur débiteur. Ils peuvent donc prendre à ce sujet toutes
mesures conservatoires et notamment saisir-arrêter en
tre les mains du successeur les sommes qu’il a à payer,
ils le peuvent dès le jour du traité de transmission.
Cette conséquence incontestable en droit atténue
singulièrement en fait l’inconvénient que nous signalait
tout à l’heure l’arrêt de Paris. Les créanciers peuvent
empêcher, par un obstacle invincible, la disparition de
cette partie plus ou moins importante de l’actif de leur
débiteur. Ils sont donc coupables de négligence, s’ils
omettent cette précaution dont la Cour de Paris consa
crait les effets, tout en contestant le droit. Ainsi que
l’observe très justement M. Dalloz, l’arrêt qui se déclare
1 8 janvier 184) ; — D. P., 41,2, 205,
�pour l’insaisissabilité valide cependant une saisie-arrêt
d’une date antérieure à l’autorisation du gouvernement.
Il est vrai que la faculté de saisir pourra dans certains
cas être impuissante, la transmission de l’office n’étant
pas toujours immédiatement connue, et la cession du
prix pouvant se réaliser le jour même de cette trans
mission et quelques heures après seulement. Mais c’est
là un inconvénient qui se réalise pour tous les autres
biens meubles du débiteur, même pour ses immeubles,
dont il peut déléguer le prix dans l’acte d’aliénation, ou
le céder sans que les créanciers chirographaires puis
sent contester l’une ou l’autre.
Contre ce danger, la loi n’avait à faire, pour Je prix
de l’office, que ce qu’elle a fait pour les autres biens, à
savoir : veiller à ce que la cession ne soit pas en fraude
des droits des créanciers. Ce devoir , elle l’a rempli,
nous venons de le dire. L’application de l’article 1167 à
la matière ne peut pas être contestée. La preuve de la
fraude, que les créanciers sont recevables à faire par
témoins et par présomptions, entraînerait la nullité de
la cession en ce qui les concerne. Nous rappelons que,
s’agissant d’un acte onéreux, cette preuve devrait établir
la complicité du cessionnaire dans la fraude du cédant.
1805. — Le motif invoqué par la Cour de Paris
n’avait donc rien de juridique, et son arrêt, en ne pas
tenant compte de la distinction signalée par la Cour
d’Aix, méconnaissait les principes généraux du droit
et violait l’article 1179. C’est ce qui en détermina la
cassation, par arrêt du 15 janvier 1845. Cet arrêt,rendq
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
643
sur les conclusions conformes de M. l’avocat général
Delangle, et après un délibéré en chambre de conseil,
donne l’adhésion la plus complette à l’arrêt de la Cour
d’Aix, que la Cour suprême avait d’ailleurs formelle
ment consacré, par arrêt du 8 novembre 1842.1
Ainsi, les créanciers du titulaire d’un office ne peu
vent quereller, dans le cas de 'transmission, ni la ces
sion de tout ou de partie du prix, ni le paiement total
ou partiel, par la raison que l’une ou l’autre s’est réa
lisé avant l’approbation du gouvernement. Du jour du
traité, le prix devient le patrimoine exclusif du vendeur,
qui peut en disposer à ses plaisirs et volonté, comme
de toute autre propriété. Mais, de ce jour aussi, les
créanciers ont la faculté de mettre le prix sous la main
de la justice et d’en empêcher la disposition, en le frap
pant de saisie-arrêt entre les mains du successeur. Le
sort de cette saisie, comme celui de la cession ou du
paiement, est nécessairement subordonné à l’ordon
nance de nomination. Cette condition se réalisant, tout
ce qui a été fait est définitif et irrévocable, à partir de
la date des actes à laquelle rétroagit l’accomplissement
de la condition. Dès-lors, les créanciers, qui n’ont agi
que postérieurement au paiement ou à la notification de
la cession au débiteur cédé, sont irrecevables à con
tester l’efficacité de l’une ou de l’autre.
1806. — Dans l’espèce jugée par la Cour d’Aix, in
dépendamment de la question de validité des paiements
1 D. P .,42, 1,412; 45, 1, 95; — C o nf., Paris, 11 janvier 1851 ;
D. P., 51,2,61.
�644
TRAITE
antérieurs à l’approbation du traité par le gouverne
ment, s’élevait celle de savoir si les quittances sous seing
privé n’ayant acquis aucune date certaine , représen
tées comme justifiant le paiement, pouvaient être oppo
sées aux créanciers? Contrairement aux prétentions de
ceux-ci, l’arrêt décide qu’ils ne sont que lesayani-cause
de leur débiteur, et qu’en conséquence les quittances
ont, par rapport à eux, la même force probante qu’elles
auraient contre le débiteur lui-même. Le caractère ju
ridique de cette décision n’échappera à personne. Il est
évident que les créanciers ne peuvent être distingués du
débiteur que lorsque, agissant en force de l’article 1167,
ils exercent une action personnelle. Lorsque la fraude
n’est pas même alléguée, ou lorsque son existence pré
tendue a été repoussée, les créanciers ne sont plus que
le débiteur lui-même, dont ils exercent les actions aux
termes de l’article 1166, dès-lors aussi, la conséquence
qu’en tirait la Cour d’Aix devenait une vérité incontes
table.
C’est ce que la Cour de cassation consacrait, lors
qu’elle motivait le rejet du pourvoi sur ce que : « Les
« demandeurs en cassation n’ayant fait autre chose,
i par leurs oppositions ou saisies-arrêts, qu’exercer les
* droits de leur débiteur, ils se trouvaient nécessaire« ruent soumis aux charges et obligations de celui-ci,
« et ne pouvaient réclamer que ce qu’il aurait pu ré« clamer lui-même ; que dès-lors ils étaient tenus de
« reconnaître la validité des paiements faits entre les
« mains du vendeur, avant toute opposition régulière
« et sans fraude, ainsi que l’a reconnu l’arrêt attaqué. »
�DU
DDL
BT
DE
I.A
FRAUDE.
6S5
CHAPITRE IV.
F IN S D E N O IÎ-H E C E V O IR C O N T R E L ’A C T IO N .
SOMMAIRE.
! 807. Quelles sont les fins de non-recevoir contre l’action
fondée sur la fraude ?
1808. Quid, pour la fraude déguisant la nature du contrat?
1809. — En matière de fraude à une loi d’intérêt privé ?
1810. L’erreur de droit doit-elle faire écarter la règle nemo
auditur turpitudinem suam allegans ?
1811. Première conséquence du caractère des lois d’ordre
public et d’intérêt général. Faculté pour la partie
de demander la nullité de ce qui a été fait contré
leurs dispositions.
1812. •Deuxième conséquence. Impossibilité de ratification.
Quid, de la chose jugée ?
1818. Troisième conséquence. Imprescriptibilité tant que
l’acte n’a pas reçu son exécution. Nature de cette
imprescriptibilité.
1814. L’exécution de l’acte fait courir la prescription contre
l’action en nullité.
1815. Point de départ, durée de la prescription.
�646
TRAITÉ
1816. Spécialité de la fraude contre les tiers. Ses conséquen
ces, quant à la chose jugée contre le débiteur.
1817. Position exceptionnelle des créanciers hypothécaires
ou privilégiés. Etendue de leur droit.
1818. Résumé.
1819. Exception tirée de la ratification soit du débiteur, soit
du créancier poursuivant. Ses effets.
1820. L'action de l’article 1167 est prescriptible. Ses effets;
1821. Cette prescription est-elle régie par l’article 1304 ?
1822. De quel jour commence-t-elle à courir?
1823. Fin de non-recvoir tirée dé la solvabilité du débiteur.
Ses effets en la forme.
1824. Son importance sur le fonds du litige.
1825. Effets du paiement du créancier poursuivant, offert et
réalisé par le tiers-défendeur.
1807. — Les fins de non-recevoir, susceptibles de
faire écarter l’action en nullité ou en dommages-intérêts pour fraude, sont, comme pour le dol : la chose
jugée, la ratification, la prescription.
Les détails dans lesquels nous sommes entrés à cet
égard nous dispensent d’insister. Les règles tracées
pour le dol, recevant, en matière de fraude, leur pleine
et entière application, c’est exclusivement par leur in
fluence que doivent se résoudre les difficultés que le
reproche de fraude peut faire surgir. 1
Cela est surtout vrai pour la fraude de persond ad
personam, c’est-à-dire celle qui, exécutée par une des
parties à l’insu et au préjudice de l’autre, est assimilée
au dol, en produit tous les effets, et doit, dès-lors, en
entraîner toutes les conséquencesi
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
647
1808. — Il n’en est pas de même pour la simula
tion. Les règles qui lui sont applicables varient selon
qu’il s’agit d’une simulation relative ou absolue, et, à
l’endroit de cette dernière, selon que la loi violée est d’in
térêt personnel et privé, ou d’ordre public et général.
La fraude, consistant à déguiser la véritable nature
du contrat sous l’apparence donnée à la convention, ne
donne, en général, ouverture à aucune action en faveur
des parties, à moins, cependant, que le contrat réelle
ment souscrit ne fût prohibé pour contravention à une
loi d’ordre public. Quelles que soient les formes sous
lesquelles les parties aient contracté, il suffît qu’elles
eussent la faculté et le droit de faire ce qu’elles ont
réellement voulu accomplir, pour que l’acte demeure
inattaquable. A quoi bon, dès-lors, une action pour
prouver une simulation? Celle-ci admise, la convention
n’en produirait pas moins tous ses effets.
Dans cette occurence, la fin de nomrecevoir, oppo
sable à l’action de la partie, est indépendante de la
chose jugée, de la ratification ou de la prescription ;
elle prend sa source dans cette règle de raison et de
droit : Frustra probalur, quod probalum non relevât.
1809. — Dans la fraude à une loi d’intérêt privé,
on arrive à un résultat identique, quoique les motifs
soient différents. Les lois de cette nature sont des avan
tages conférés à ceux qu’elles ont pour objet de pro
téger. Or, sous un premier rapport, il est certain que
chacun peut renoncer à un bénéfice personnel, pourvu
qu’il l’ait fait spontanément et sciemment.
�648
TRAITE
D’autre part, la loi ne confère une action utile qu’à
celui qui est trompé; elle n’en donne aucune à celui
qui se trompe lui-même, et moins encore à celui qui a
voulu se tromper et être trompé. Or, telle est la po
sition de celui qui s’oblige à faire ce que la loi défend.
Il ne pourrait revenir sur ses pas qu’en confessant sa
faute, qu’en s’accusant d’avoir voulu violer la loi. On
serait donc fondé à lui opposer la fin de non-recevoir
tirée de cette autre maxime :Nemo auditur, etc. La loi
ne doit absolument rien à celui qui l’a sciemment mé
connue et violée.
1810. — Mais si celui à qui cette fin de non-recevoir
est opposée justifie qu’il n’a agi que par l’ignorance la
plus complette de la loi qu’on invoque, faudra-t-il ac
cueillir l’action? En d’autres termes, l’erreur de droit
peut-elle devenir un moyen de nullité du contrat?
Cette question a été longtemps controversée. L’ar
gument principal des partisans de la négative se puisait
dans la maxime que nul nesl censé ignorer la loi. Ar
guer de cette ignorance, c’est faire valoir une excuse
qu’il n’est pas même permis d’invoquer sans contre
venir à une prescription dont l’importance sociale ne
saurait être méconnue.
Oui, la règle invoquée est salutaire et* juste, mais à
l’endroit de ce qui concerne la loi pénale, la police gé
nérale, l’intérêt public. Toute répression serait impos
sible si le crime, si le délit, si la contravention pouvait
se réfugier derrière le prétexte d’une erreur. La sécu-
�DU
DOE
ET
DE
EA
FRAUDE.
649
rite, l’ordre, la morale exigeaient le contraire, sous
peine de voir le lien social se relâcher et disparaître.
Dans ce sens, la maxime citée était d’une nécessité
tellement impérieuse, qu’on a dû fermer les yeux sur la
hardiesse de la fiction qui lui sert de base; mais aussi
elle n’a, dans ses résultats, que cette seule signification,
à savoir : repousser les efforts de ceux qui, alléguant
une erreur de droit, voudraient se soustraire à l’action
de la loi.
Or, dit M. Bressoles,1 celui qui, excipant d’une er
reur de droit, demande d’être relevé d’un engagement
qu’il n’a souscrit que parce qu’il ignorait que la loi lui
défendait de le faire, ne cherche pas à se soustraire à
l’action de la loi ; il veut bien plutôt s’y conformer, en
faisant annuler une convention qu’elle prohibe expres
sément.
La plus saine raison commandait donc de distinguer
entre les matières civiles et les matières correction
nelles, criminelles ou de police. L’intérêt public, en
gagé dans celles-ci, demeure étranger aux premières.
Pour ce qui les concerne, la fin de non-recevoir n’est
que la conséquence d’un acte volontairement accom
pli, et elle doit être accueillie pour empêcher qu’on ne
puisse contrevenir à la loi et puiser dans sa violation
un titre à en éluder les conséquences. Mais si cette vo
lonté n’a pas existé en fait ; si celui qui se plaint n’a
failli que par ignorance et erreur, la présomption doit
5 R e vu e
de lé g is la tio n , tom.
xvm, pag. 175.
�650
TRAITE
s’effacer, et la vérité, acquise et prouvée, reprendre son
empire.
C’est ce qui a prévalu en doctrine et en jurispru
dence. Avec juste raison, on a écarté non-seulement
l’empire de la règle : Nul n’est censé ignorer la loi,
mais encore l’objection fondée sur le silence que le lé
gislateur aurait gardé à l’endroit de l’erreur de droit.
Il est vrai que celle-ci n’a pas été nommément indi
quée parmi les causes viciant les conventions, mais l’ar
ticle 1109 pose, comme principe général, que l’erreur
donne ouverture à l’action en nullité ou en rescision.
La généralité de ces termes est loin d’exclure l’erreur
de droit, qui est, comme celle de fait, une erreur véri
table dont les conséquences sont de nature à produire
des effets également funestes, également injustes.
On pourrait donc dire que, par cela seul que l’arti
cle 1109 ne spécialise pas l’erreur de fait, il faut en
conclure qu’il n’a pas entendu proscrire l’erreur de
droit. Cette conséquence implicite est, d’ailleurs, con
forme à la raison. Dès l’instant qu’il est admis que l’er
reur seule a été la cause déterminante du contrat, on ne
voit pas pourquoi la loi aurait disposé d’une manière
différente, suivant qu’elle se serait produite sur le fait
ou sur le droit. N’est-il pas évident, au contraire, que,
dans les deux cas, c’est le consentement qui est altéré
et qu’il l’est au même titre?
Mais on n’en est pas même réduit à cette déduction
implicite. La loi a manifesté sa pensée dans les arti
cles 1356 et 2052, seules dispositions dans lesquelles
il soit question de l’erreur de droit. Le premier défend
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
651
de rétracter l’aveu judiciaire, et le second, d’attaquer
les transactions, sous ce prétexte. Mais si l’erreur de
droit n’était jamais opposable, à quoi bon se préoc
cuper d’elle à propos de l’aveu judiciaire et des trans
actions ? Est-ce qu’il devait entrer dans la pensée de
qui que soit de vouloir la proposer dans ces hypo
thèses ? Conséquemment, si la loi la proscrit pour
celles-ci, c’est qu’elle reconnaît qu’en droit commun
elle est proposable ; c’est qu’elle aurait pu être opposée
même en matière d’aveu et de transactions, si la vo
lonté contraire n’avait pas été expressément écrite dans
les articles 1556 et 2052.
Ainsi, l’article 1109 s’applique à l’erreur de droit
comme à l’erreur de fait. C’est là, au reste, un prin
cipe que notre législateur puisait dans le droit romain :
Juris iqnoranlia, disait la loi, non prodest adquirere
volentibus, suum vero petentibus non nocet. '
En droit donc, la nécessité de résoudre affirmative
ment la question nous paraît démontrée. En fait, cette
solution est loin d’offrir les inconvénients et les dangers
qu’on s’est plu à lui prêter. Sans doute, rien ne sera
plus facile que d’alléguer une erreur de droit ; mais,
contrairement à ce qu’on redoute, il ne suffira pas de se
livrer à cette allégation pour qu’on doive être admis à
la preuve demandée ; il faudra, de plus, que l’erreur
1 L. 7, Dig. de Jur. et fact. ignor.
V. Domat, Lois civ., tom. Ier, lit. 18, secl. 1re, §§ 7, 14 et 16 ; —
Pothier, Pand. J u s t., 1. 22, lit. 6, n° 2 ; — D’Aguesseau, tom. v, pag.
475 ; — Toullier, vi, nos 159 et suiv.; — Duranlon, x, n° 127 ; — Mer
lin, vis ignorance, erreur, § 1 ; — Zacchariæ, i, § 28, et h , § 545,
noie 10.-'
�652
TRAITE
soit vraisemblable, qu’elle ne soit pas, dès à présent,
démentie par les faits et les circonstances du procès.
L’appréciation du tout est abandonnée aux lumières
des tribunaux, dont la prudence garantit une sage et
juste application du pouvoir qui leur est déféré. Ce
qu’il importe d’ajouter, c’est que la preuve offerte doit
avoir pour résultat d’établir que l’erreur a été la seule
cause déterminante du contrat. Quelque probable, quel
que vraisemblable qu’elle fût, l’erreur de droit n’est
plus une cause de nullité dès que la convention pour
rait avoir pour motif une obligation naturelle ou im
parfaite que le débiteur aurait voulu accomplir. 1
1811. - Ijes lois d’ordre public et d’intérêt général
sont impérieusement obligatoires pour tous. La fraude,
ayant pour objet de les éluder ou violer, est donc essen
tiellement illicite. La volonté formelle du législateur
proteste, sans cesse, contre les actes qui s’en écartent,
et empêche qu’ils puissent jamais acquérir le vinculum
juris, sans lequel, .cependant, les contrats ne sauraient
être exécutés. Nous avons dit déjà que la conséquence
directe de ce principe est que l’acte, fait en fraude
d’une loi d’ordre public, est atteint d’une nullité radi
cale, absolue, que la partie elle-même est admissible à
faire prononcer.
1812. — Une autre conséquence de la même règle
est que l’acte nul n’est susceptible d’aucune ratification.
1 Toullier, vi, n° 68.
�DU DOL ET
DE
I.A FRAUDE.
Celle dont exciperait le défendeur à la nullité, fût-elle
expresse, ne saurait être accueillie et fonder une fin de
non-recevoir contre la demande. En effet, l’acte radica
lement nul n’a jamais eu d’existence légale, et on ne
peut ratifier ce qui n’existe pas, ce qui n’a jamais existé.
Comment, d’ailleurs, admettre qu’on puisse confirmer
ce qu’on n’a pas eu le pouvoir de faire? La ratification
deviendrait donc elle-même une fraude à une loi d’or
dre public, et, frappée du même vice que l’acte primor
dial, elle devrait périr comme cet acte lui-même.
Mais, ainsi que nous l’avons déjà indiqué, l’impos
sibilité de ratifier reçoit exception, à savoir : lorsque la
nullité d’ordre public se fonde sur un motif essentielle
ment temporaire; ce motif, cessant d’exister, la con
vention, jusque là prohibée, devient licite, et la faculté
de la consentir d’une manière directe comporte, évi
demment, celle d’atteindre indirectement au même ré
sultat. D’ailleurs, en pareille occurrence, le contrat
n’ayant d’existence obligatoire que du jour de la rati
fication, celle-ci est moins la confirmation de ce qui
avait été fait précédemment, que le seul et véritable
contrat. C’est ainsi que la renonciation à une succes
sion future peut être valablement ratifiée après l’ouver
ture de la succession.1
Quel que fût le vice réel de l’acte, la chose jugée en
faveur du créancier en rendrait l’exécution inévitable
et forcée, alors même qu’au fond ce vice prît son ori
gine dans une prohibition d’ordre public ou d’intérêt
Y. sup. , i i os 1565, 1366.
�654
T R A ITE
général. L’erreur du juge, l’appréciation inexacte du
fait, la fausse application de la loi qu’il aurait faite ne
laisseraient pas que de lier la partie. La seule ressource
à employer par le condamné serait l’appel dans le pre*
mier cas, le pourvoi en cassation dans le second, s’il
était encore dans les délais de l’un ou de l’autre.
1813- •— La troisième conséquence du principe que
nous avons ci-dessus rappelé est de rendre l’action fon
dée sur une fraude à une loi d’ordre public imprescrip
tible. On ne peut acquérir le droit de violer la loi par la
raison qu’on l’aurait violée plus ou moins longtemps.
Mais l’imprescriptibilité dont nous nous occupons se
restreint naturellement à l’action ayant pour objet de
contraindre à l’exécution du contrat. Quelque longue
qu’ait été l’inaction du créancier, son silence se fut-il
prolongé au-delà de trente ans depuis l’acte, dès qu’il
voudra s’en prévaloir et le faire exécuter, le droit d’exciper de la fraude dont il est entaché ne saurait être
contesté au débiteur.
Ce résultat est acquis à ce dernier en force de la
maxime quœ temporalia sunt ad agendum, sunl per
pétua ad excipiendum. Aussi sommes-nous loin de res
treindre notre doctrine au cas où il agit par voie d’ex
ception. Nous les appliquons, sans hésiter, à l’action
principale qu’il intenterait contre le créancier en nul»
lité de l’acte. On ne pourrait, en effet, repousser cette
action comme prescrite, sans accorder à l’acte une au
torité que la loi lui refuse dans tous les cas. Vainement
le créancier exciperait-il de son inaction; cette inacr
�DU DOt ET DE tA FRAUDE.
655
lion n’a pu lui faire acquérir un droit quelconque, pas
même celui de conserver un contrat qu’il reconnaîtrait
n’être en ses mains qu’une menace vaine, et que, com
me tel, le débiteur a intérêt à faire anéantir.
1814. — Mais l’exécution pleine et entière que
l’acte aurait reçue change la position des parties et doit,
par cela même, modifier le droit. Il est incontestable
que ce qui a été exécuté contre une loi d’ordre public
doit être rétracté sur la demande du débiteur. On ne
pouvait décider le contraire sans s’exposer à consacrer
une illégalité. L’exécution n’étant que le fait des par
ties, on ne comprendrait pas que celui qui est incapable
de consentir la violation de la loi pût, en définitive, la
consacrer et la rendre irrévocable.
Ainsi, le débiteur peut répéter ce qu’il a payé en
vertu d’un acte condamné par la loi; mais l’action lui
appartenant ne pouvait pas être éternelle. Tant que
l’acte n’a reçu aucune exécution, rien ne lui fait un de
voir d’agir. Il peut donc, s’en reposant d’ailleurs sur
l’exception qui lui appartiendra dès qu’il sera attaqué,
s’imposer une inaction qui ne peut, dans aucun cas, lui
devenir nuisible.
Mais l’exécution de l’acte fait cesser cet état des
choses. Elle ne peut, en effet, se réaliser sans devenir,
de la part du débiteur, une occasion de sacrifices, sans
lui imposer une privation, un abandon quelconque de
son patrimoine. Il est donc, dès-lors, en mesure et, par
conséquent, en demeure, en tant qu’il prétend user du
bénéfice que la loi lui confère, de revenir sur ce qu’il a
�656
TRAITE
accompli. Or, la prescription exige qu’il y ait un droit
compromis, que le propriétaire ait qualité pour le de
mander, qu’il y soit recevable. Tout cela existe après
l’exécution. Ce qui était avant une simple faculté de
vient, après, une obligation. Le silence, insignifiant
dans le premier cas, devient, dans le second, un indice
de renonciation. Il fallait donc fixer un moment où cette
renonciation serait de plein droit présumée, et où le
bénéfice de l’exécution serait irrévocablement acquis.
Cette nécessité légale était, de plus, indiquée par la
raison et l’équité; elle s’élevait jusqu’à la hauteur d’une
règle d’intérêt général. Tout le monde, en effet, doit
tenir et tient à ce que la propriété ne soit pas trop long
temps indécise et flottante. Permettre à celui qui a exé
cuté une obligation radicalement nulle de revenir per
pétuellement contre cette exécution, c’était mécon
naître ce besoin que, d’ailleurs, la loi a, dans tous les
cas, consacré.
1815- — L’action est donc prescriptible.. Aucun
doute ne peut s’élever sur ce principe. Les difficultés
qui peuvent en surgir ne peuvent être que des difficul
tés d’application. Par exemple, quel sera le point de
départ et la durée de la prescription?
Le point de départ ne saurait être fixé qu’au moment
où l’exécution a été complette et entière. Nous n’avons
pas à insister sur ce point. Nous l’avons justifié déjà en
parlant de l’usure,1 et ce que nous avons dit de celle-ci
1 V. Sup., uos 1201 et siiiv.
�657
I)U bOL ET DE LA FltAUDE.
nous l’appliquons, par parité de raison, à tous les con
trats faits contrairement à une loi d’ordre public.
Un pareil contrat ne renfermant aucun lien obliga
toire, ne crée ni obligation civile, ni obligation natu
relle. En conséquence, ce qui a été payé en vertu de
ses dispositions, l’a été en l’absence de tout droit d’une
part, de toute obligation de l’autre. La restitution qui
en est demandée constitue donc la répétition de l’indu
et, comme telle, cette action dure trente ans.
Sans doute ses effets, contre celui qui a indûment
reçu personnellement, sont dans le cas de réfléchir contre
les tiers-possesseurs, ce qui pourrait susciter contre
notre doctrine le reproche d’être trop sévère à leur
égard. Mais ce reproche ne serait pas fondé, car si les
tiers-possesseurs sont de bonne foi et s’ils ont possédé
pendant les délais et dans les conditions exigés par
l’article 2265, ils se placeront sous l’égide de la pres
cription spéciale de cette disposition, et n’auront rien à
redouter des recherches dont leur auteur sera juste
ment l’objet. Si, au contraire, ils n’ont ni titre juste, ni
bonne foi, leur dépossession n’est que la conséquence
du vice qui leur est personnellement imputable , et con
tre lequel la loi ne pouvait ni ne devait les protéger.
1816. — La fraude contre les tiers se plaçant dans
une catégorie spéciale, les principes ordinaires à l’en
droit des fins de non-recevoir font place à des règles
particulières qu’il importe de résumer.
En fait, les créanciers demeurent étrangers au juge
ment obtenu contre leur débiteur, cependant ce jugeih
29
�658
TRAITE
ment peut leur être opposé. Cela tient à ce principe que
les créanciers ne sont que les ayant-cause de leur débi
teur; qu’ils sont conséquemment suffisamment repré
sentés par lui dans tous les actes ayant pour objet l’ad
ministration de sa fortune.
Les créanciers ne peuvent donc faire considérer le
jugement obtenu contre leur débiteur comme res inter
alios acta, par rapport à eux. Ils ne peuvent même y
former tierce-opposition, car ce droit n’àppartient. qu’à
ceux qui n’ont pas été parties au procès et qui, devant
l’être, n’y ont pas été appelés. Or, les créanciers n’ont
jamais dû être mis en cause dans les litiges de leur dé
biteur, puisqu’ils y sont censés présents en la personne
de celui-ci.
Un pareil état de choses devait appeler l’attention du
législateur. Il met en effet les créanciers dans une posi
tion extrêmement critique, et les expose à être dé
pouillés, à leur insu et par fraude, de tous moyens
d’obtenir paiement de ce qui leur est dû.
Au premier indice d’une déconfiture prochaine , le
débiteur, qui voudra soustraire son actif aux poursuites
des ayant-droit, n’aura pas de peine à s’entendre avec un
tiers qui, en vertu de jugements en apparence discutés,
en réalité consentis, deviendra le dépositaire de cet
actif, dans le dessein de le lui conserver. Cela fait, la
déconfiture sera rendue notoire, et les créanciers se
trouveront en présence d’une insolvabilité ne leur lais
sant aucune ressource.
Une telle éventualité ne pouvait échapper aux re
gards, elle exigeait des précautions, et ces précautions
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
659
J
iious les rencontrons dans le principe général de l’ar
ticle 1167. Les créanciers, en invoquant le bénéfice, ne
sont plus les avant-cause du débiteur. Le droit qu’ils
exercent leur est personnel, et les met en conséquence
en dehors des atteintes de tout ce que le débiteur a pu
faire en sens contraire.
Ainsi les créanciers prétendant, en vertu de l’ar
ticle 1166, exercer les actions de leur débiteur, ne
peuvent récuser l’autorité des jugements prononcés
contre lui. L’exception de chose jugée, opposable à
celui-ci, les écarterait évidemment sans qu’ils pussent
être admis à former une tierce-opposition, ils ne sont
que les ayant-cause du débiteur.
Mais l’allégation de la fraude détermine un résultat tout
opposé. Toutefois , l’action autorisée par l’article 1167
ne va pas jusqu’à faire considérer le jugement comme
une chose étrangère au poursuivant. Le jugement ne
sera annullé que si la fraude prétendue est justifiée. La
loi autorise donc, dans ce cas, la tierce-opposition com
me moyen de rouvrir les débats et de donner à la
preuve de la fraude l’occasion de se produire.
1817. — Néanmoins, la règle absolue, qui rend le
créancier l’ayant-cause du débiteur, reçoit une excep
tion. Nous avons déjà parlé de cette exception, lorsque
nous avons établi que l’héritier lui-même cesse de l’être
à l’endroit de la succession et relativement à son auteur,
pour les droits qui lui sont personnels.1
La même décision doit être prise relativement aux
1 V. sup n os 1688 e t su iv ., 1755 e t suiv.
•if
8
�T R A IT E
(560
créanciers privilégiés ou hypothécaires. En thèse géné
rale, les uns et les autres sont représentés par leur dé->
biteur, mais la disposition du privilège ou du droit
d’hypothèque leur appartient personnellement et ex-*
clusivement. Le débiteur ne peut ni les modifier, ni les
altérer sans leur participation et leur concours.
De là résulte évidemment eu leur faveur le droit de
former tierce-opposition aux jugements qui leur préju
dicieraient. Ils sont recevables à le réaliser sans être te
nus d’invoquer l’article 1107 et indépendamment de
toute allégation et de toute idée de fraude. Ils n’agissent
pas en effet comme exerçant les droits ou les actions de
leur débiteur. La personnalité du droit qu’ils discutent
les rendaient parties nécessaires au procès dont ce droit
a été l’objet, La tierce-opposition se justifie dès-lors par
les principes généraux et ordinaires de la matière.
Mais, dans ce cas, le créancier ne peut attaquer le ju
gement qu’au chef qui préjudicie à son privilège ou à
son hypothèque, Toutes les autres dispositions sont
forcément à l’abri de ses atteintes, fl ne pourrait les
quereller que par application de l’article 1167.
Exemple: Un individu a conféré une hypothèque sur
un de ses immeubles, poursuivi plus tard en délaisse
ment de cet immeuble, il est condamné à l’abandonner.
Ce jugement anéantit le droit d’hypothèque, l’im
meuble, devant rentrer franc et libre aux mains du
revendiquant, et, sous ce rapport, le créancier a un in
térêt évident à prévenir cet effet. I! est donc recevable
à former tierces-opposition au jugement, s’il n’v a été
ni présent, ni appelé.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
661
Dans cette circonstance, il a la faculté de prouver
qu'il n’y avait pas lieu à dépossession, car cette preuve
aurait pour résultat immédiat le maintien de son hypo
thèque. Mais il peut également se borner à soutenir et
à justifier qu’au moment où celle-ci lui a été conférée,
son débiteur était propriétaire incommutable. La preu
ve qu’il en rapporterait, assurant son droit de suite,
laisserait intact le chef du jugement ordonnant la dépos
session pour l’avenir; le créancier a donc le choix entre
ces deux moyens.
Mais il n’en est plus ainsi dans l’hypothcse suivante:
une hypothèque a été rayée et des inscriptions ont été
réalisées pour des droits nouveaux. Plus tard, un juge
ment, déclarant celui dont l’hypothèque a été rayée
créancier légitime, ordonne la réintégration de celle-ci.
Ce jugement léserait les nouveaux inscrits en tant qu’il
en résulterait une priorité de rang en faveur de l’hypo
thèque réintégrée. C’est donc contre ce chef seulement
que ces nouveaux créanciers seraient fondés à former
tierce-opposition. Ils ne seraient donc pas recevables à
prétendre attaquer par cette voie la disposition consa
crant la qualité du créancier. Us ne pourraient le faire
qu’en faisant valoir la collusion et la fraude.
1818. — En résumé donc, les créanciers ne sont
plus les ayant-cause proprement dits de leur débiteur
toutes les fois que, par la nature de leur créance, ils ont
acquis un droit qu’il n’est plus au pouvoir de celui-ci
de modifier ou de détruire. Seuls arbitres de sa conser
vation, ils ne peuvent le voir périr ou s’altérer malgré
�662
TRAITE
leur volonté et sans leur concours. Si le jugement, qui
prononcerait autrement, n’est pas pour eux res inter
alios acta, s’ils ne peuvent par conséquence en récuser
absolument l’autorité, ils sont au moins recevables à le
frapper de tierce-opposition et à acquérir ainsi le moyen
de se défendre utilement avant d’être condamnés.
Hors cette hypothèse, et toutes les fois que la créance
n’a aucune affectation spéciale, le jugement intervenu
contre le débiteur oblige et celui-ci et ses créanciers
qu’il a valablement représentés. Ceux-ci peuvent donc,
en vertu de l’article 11.66, émettre appel ou se pourvoir
en cassation, comme aurait pu le faire le débiteur luimême. Mais ils ne sont recevables à le frapper dé
tierce-opposition que s’ils l’attaquent comme ayant été
rendu et obtenu en fraude de leurs droits.
L’obligation de prouver cette fraude est une consé-'
quence de l’action. La fraude peut consister non-seule
ment dans la collusion ayant créé un droit qui n’a ja
mais existé, mais encore dans l’omission d’un moyen
de défense péremptoire, comme si le condamné avait
négligé de se prévaloir d’une quittance ou d’un jugement
précédent ayant acquis en sa faveur l’autorité de la
chose jugée.
1819- — Il en est de la fin de non-recevoir tirée de
la ratification du débiteur, comme de celle basée sur la»
chose jugée. Ainsi, opposable aux créanciers agissant
en vertu de l’article 1166, elle pourrait être écartée par
l’exception de fraude autorisée par l’article 1167.
L’exception de ratification pourra prendre naissance
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
66'3
dans des actes ou des faits personnels au créancier
poursuivant, comme si, avant l’action, il avait expres
sément ou tacitement approuvé ou exécuté l’acte dont
il poursuit l’annulation. L’exception, dans ce cas, serait
péremptoire, et son existence admise deviendrait un
infranchissable obstacle. Ce qui est certain, c’est que
généralement la ratification qu’on imputera au créan
cier sera plutôt tacite qu’expresse. A cet égard, nous
nous en référons aux observations que nous avons déjà
présentées sur les caractères que doit offrir la première.
On doit d’autant plus les exiger à l’endroit du créancier,
que l’action révocaloire ne lui est ouverte que lorsqu’il
est certain qu’il ne peut être payé autrement. Les actes
faits pour arriver à ce paiement doivent tout d’abord
être interprétés dans ce sens qu’ils n’ont pour objet que
l’admissibilité de l’action par la constatation de l’impos
sibilité de ce paiement. Il serait injuste d’opposer, com
me exécution et ratification, des actes dont l’absence
donnerait naissance à une fin de non-recevoir. C’est
dans ce sens que la Cour de cassation a expressément
décidé que le créancier inscrit, qui n’a pas tait de su
renchère , ou qui a saisi - arrêté le prix, ou requis sa
collocation, n’est pas censé reconnaître lasincérité de
la vente, et ne se rend pas non-recevable à l’attaquer
pour cause de dol ou de fraude.1
Il est inutile d’observer que la ratification imputée au
créancier n’est jamais opposable qu’à celui dont elle
émane. Elle resterait sans effet aucun contre ceux qui,
1 V. supra, n° 1435.
�664
T ISA (TU
sans y avoir participé, viendraient en leur nom querel
ler l’acte.
11 est vrai que, sans l’invoquer précisément comme
tin de non-recevoir, le défendeur ne manquera pas de
s’en prévaloir à titre de considération, mais, à cet égard
même, nous lui contestons toute efficacité. La conduite
du créancier ratifiant peut tenir à des causes que ceux
qui les connaissent se garderont bien de divulguer.
Peut-être même la ratification dont on excipe n’est-elle
due qu’au paiement intégral de son auteur, de l’assen
timent duquel ou a pu vouloir se faire un arme contre
les autres créanciers.
Conséquemment, accorder une autorité quelconque
à un acte de ce genre, c’est en réalité s’exposer à pro
téger la fraude se couvrant d’une fraude nouvelle,
s’abandonner dans tous les cas à un guide facilement
trompeur. Les tribunaux doivent donc se tenir en garde
contre des allégations dont il ne leur est pas permis de
juger avec certitude le véritable caractère, et ne faire
aucun compte dans la recherche qui leur est confiée
des conventions que la partie intéressée n’a pu ni con
trôler, ni empêcher.
L’exception de ratification peut donc être oppo
sable aux uns , et ne pas l’être aux autres, mais un
pareil résultat est peu présumable h l’endroit de la près
cription de l’action. La déconfiture du débiteur étant
le point de départ commun du délai suffisant pour
l’acquérir, il est peu présumable que l’action ait péri
pour les uns, et qu’elle se soit conservée pour les autres.
�DU DOL ET 1)E LA FRAUDE.
665
1820. — Quoi qu’il en soit, la prescription du droit
conféré par l’article 1167 n’a rien d’odieux dans son
principe. Ce qui eût été étrange, c’est que le droit de
propriété, c’est que toutes les actions étant susceptibles
de prescription, on eûtconsacré uneexception en faveur
de celle des créanciers contre la fraude dont ils ont pu
être la victime.
Il n’est donc pas étonnant que la pensée de revendi
quer cette exception ne soit entrée dans l’esprit de
personne. Les seules difficultés, que la question de
prescription a fait naître , se réfèrent à la durée du
délai et à son point de départ.
1821. — On a prétendu, quant à la durée, qu’elle
devait être régie par l’article 1504. L’action des créan
ciers , a-t-on dit, est une action en nullité, elle doit
dès-lors être nécessairement comprise dans les termes
généraux et absolus de cette disposition.
Une pareille décision est repoussée en droit et en fait,
elle n’a pas même le mérite de définir exactement le
caractère de l’action des créanciers.
Cette action a pour effet plutôt la réparation du pré
judice résultant d’un fait illicite, que la nullité propre
ment dite de l’acte intervenu entre les parties, et la
preuve c’est que, par rapport à elles, l’acte continue
d’exister. La nullité ne s’entend que de ce qui concerne
le préjudice souffert, de telle sorte qu’après lejugement
faisant droit à la demande du créancier, le paiement de
ce qui lui serait dû empêcherait tout effet ultérieur, et
l’acte n’en continuerait pas moins de subsister entre les
�666
TUAÏTIÎ
parties, la loi n’ayant nullement entendu les relever de
leurs engagements respectifs.
Est-ce là, nous le demandons, la rescision et la nullité
dont s’occupe l’article 1304? Si peu évidemment, que
cette disposition n’est faite que dans l’intérêt des parties,
Voyez en effet les causes dont elle fait résulter soit la
nullité, soit la rescision ! C’est d’abord la minorité, l’in-»
terdiction, le mariage. Mais quelle influence pourrait
exercer sur l’acte l’une de ces qualités, si celui qui se
trouverait dans le cas de l’invoquer n’avait pas été partie
dans l’acte? Évidemment le cas prévu par l’article 1304,
de minorité, d’interdiction, de femme mariée, se res
treint à ceux et pour ceux qui, coopérant au contrat,
n’avaient pas la capacité de le consentir.
Jusqu’ici donc, la nullité de l’acte provient d’un
défaut de consentement valable, ce qui ne peut évidem
ment concerner que les parties. Il est facile de recon
naître que le même motif a présidé à la consécration des
autres causes de nullité ou de rescision. Ainsi la vio
lence, l’erreur ou le dol vicient le consentement qu’ils
empêchent d’être valable.1 L’article 1116 ajoute que le
dol n’est une cause de nullité que lorsque les manœuvres
ont été pratiquées par une des parties contre l’autre. Il
ne faut donc pas en douter, la nullité dont s’occupe
l’article 1504 est exclusivement celle fondée sur le vice
du consentement, et, par cela même, exclusivement
réservée en faveur des parties contractantes.
Ajoutons que cet article est placé sous la section 7
�DU DOU ET DE LA FltAUDE
de l’action en nullité ou en rescision des conventions.
De là cette conséquence que nous venons de voir résulter
de son texte : que, pour se placer sous l’empire de sa
disposition, il faut de toute nécessité avoir été partie au
contrat. Donc on ne saurait l’opposer aux créanciers,
pas plus qu’ils ne pourraient l’invoquer eux-mêmes. Us
n’ont pas été parties au contrat, ils n’v ont pas consenti,
ils n’ont donc pas à faire retracter leur consentement
sous prétexte d'incapacité, de violence, d’erreur ou de
dol, seules hypothèses prévues par le législateur.
Ainsi réduite à ses véritables termes, la disposition
de l’article 1504 a un caractère frappant de justice et de
raison. Se taire pendant dix ans sur l’incapacité dont
on était frappé, sur une violence ou sur un dol dont on
a été victime, sur une erreur à laquelle on a cédé, alors
surtout que ces dix ans ne courent que du jour où
l’incapacité a disparu, ou de celui de la cessation de la
violence, ou de la découverte de l’erreur , c’est évi
demment annoncer l’intention de renoncer à s’en pré
valoir jamais ; c’est manifester la volonté de couvrir
le vice de l’acte. Aussi, est-ce cette double présomption
qui fait le fondement delaprescription de l’article 1504.
L’une et l’autre peuvent-elles se supposer chez le créan
cier indignement trompé? L’affîmative arriverait à ce
résultat possible que l’action du créancier se trouverait
prescrite avant même qu’il en eût connu l'existence.
En droit donc, l’action autorisée par la loi, et dont
l’article 1504 règle la durée, n’a rien de commun avec
celle que les créanciers puisent dans l’article 1167,
celle-ci n’a pas même pour objet la nullité ou la resei-
fKl
BHK
■
�668
t r a it e
sion de l’acte, elle s’en propose uniquement la révoca
tion dans l’intérêt exclusif du poursuivant. Dès-lors elle
ne peut, quant à la prescription, être régie par le pre
mier de ces articles. Tout ce qu’on doit induire du
silence gardé sur son extinction par l’article 1167, c’est
que le législateur s’en est référé au principe général de
l’article 2262. La durée de l’action révocatoire est donc
de trente ans.1
Le reproche qu’on adresserait à cette solution, de
laisser la propriété trop longtemps en suspens, man
querait de justesse. Nous l’avons déjà dit, l’action Paulienne n’affecte les biens qu’en tant qu’ils se trouvent
encore dans les mains de celui qui a traité avec le dé
biteur. Le tiers auquel il les aurait revendus est nonseulement admissible à exciper de l’article 2265, mais
il est, en outre, inattaquable, quelle que soit la date de
son titre, s’il a agi de bonne foi et dans l’ignorance de
la fraude à laquelle son vendeur a participé. Le carac
tère personnel de l’action des créanciers, l’absence de
tout droit de suite sur les immeubles ne lui permettent
pas de faire un obstacle quelconque à la libre dispo
sition des biens. Elle n’est menaçante que pour les au
teurs et les complices de la fraude. Il n’y a donc au
cune sévérité à leur laisser la responsabilité de leur
mauvaise foi pendant les trente ans nécessaires pour
prescrire.
1822. — De quel jour ce délai commencera-t-il à
1 Paris, lt juillet 1829;—Toulouse, 43janvier 1854;—Riom, 5août
1340 ;—J. D. P., t. i, 1841, p. 339.
�DU
DDL
ET
DE
LA
FRAUDE.
609
courir? En général, la prescription ne commence à
courir que du moment où celui qui la laissée s’accom
plir, ayant capacité d’agir, a été en demeure de le faire.
Evidemment, si cette double condition se réalisait au
moment de l’acte même, c’est à sa date que se réfère
l’origine de la prescription.
Or, telle n’est pas la position du créancier en fraude
des droits duquel un acte a été consommé. En effet,
son absence forcée le mettra bien souvent dans le cas
d’ignorer l’existence de cet acte, ce que la partie ne
peut jamais alléguer.
D’ailleurs, la connaissance qu’il en aurait ne le met
pas en demeure d’agir. Toute action de sa part serait
irrecevable, si les ressources restant au débiteur étaient
suffisantes pour le désintéresser.
L’impossibilité d’agir exclut donc toute idée de né
gligence : Contra non valentem agere, non currit prescriptio. Cette règle d’équité, qu’on applique sans hé
siter au cas d’interruption ou de suspension, doit sur
tout être appliquée lorsque l’inaction reprochée n’est
due qu’à l’absence légale du droit de se plaindre. C’est
ainsi que l’avaient compris les jurisconsultes romains.
Ils ne faisaient courir le délai de la prescription de l’ac
tion Paulienne que du jour quo experiundi poleslas
fuerit.
Cette solution est celle qu’on doit suivre encore sous
l’empire du Code. L’économie de ses dispositions sur
la prescription ne permet pas d’admettre qu’il ait eu la
pensée de la faire courir lorsque l’ayant droit est, en fait
ou en droit, empêché d’agir.
�670
T ii A l l é
Il suit de là que le créancier, étant recevable à quej
relier l’acte dès que l’insolvabilité du débiteur l’a rnis
dans l’impossibilité d’être payé, se rend coupable de
négligence s’il n’agit pas. Conséquemment, c’est du
moment où la preuve de l’insolvabilité est acquise
qu’on doit faire partir le délai de la prescription.
1825. — Il résulte, de ce qui précède, qu’indépendâmment de la chose jugée, de la ratification, de la
prescription, l’action du créancier est susceptible de
rencontrer une fin de non-recevoir tirée de la solva
bilité du débiteur. Nous l’avons déjà dit, l’action l'évo
catoire n’est que subsidiaire. Si le paiement qu’elle a
pour objet d’assurer peut être fait par les ressources
que le débiteur a conservées ou qu’il a acquises depuis
l’acte, il n’est pas permis au créancier de faire révo
quer cet acte.
En conséquence, le bénéficiaire pourra donc tou
jours exciper de la réalité des unes ou des autres, et
forcer même le créancier poursuivant à les discuter.
L’exception de discussion serait un obstacle à l’action
que les tribunaux devraient consacrer, à moins que
l’état des biens, comparé à l’état hypothécaire, n’établît
d’une manière évidente et actuelle l’insolvabilité du
débiteur.1
Comme fin de non-recevoir en la forme, l’exception
de solvabilité n’est que dilatoire. Ainsi, l’action du
créancier ne serait pas repoussée, mais elle demeu1 V. supra, nus 1562 oi suiv.
�DU DOD ET DK LA FRAUDE.
671
rerait suspendue jusqu’à l’événement de la discussion.
Elle deviendrait péremptoire et absolue, si cet événe
ment amenait le paiement de celui qui poursuivait la
révocation.
1824. — Mais l’exception de solvabilité du débi
teur peut devenir une fin de non-recevoir foncière
d’une importance décisive, surtout en ce qui concerne
la complicité de celui qui a traité avec le débiteur.
Pour le débiteur lui-même, la fraude ne se présume
que suivant l’influence que l’acte qu’il consent exerce
sur sa solvabilité. Or si, indépendamment de ce qu’il
aliène, il lui reste une fortune suffisante ou au-delà
pour désintéresser tous ses créanciers, l’acte consa
crant une aliénation partielle ne pourra que très diffici
lement paraître frauduleux. La preuvequ’il ne l’était pas
s’induirait assez de ce que les biens conservés le ren
daient fort indifférent pour les créanciers. Ï1 faudrait
donc que ces derniers prouvassent, par la fréquence et
la succession des,aliénations postérieures et rappro
chées, que ce premier acte n’est que le commencement
d’exécution d’un projet dès-lors arrêté, et suivi depuis,
dans le but de devenir insolvable, en apparence du
moins.
Mais c’est surtout en faveur du tiers que l’exception
de solvabilité du débiteur est dans le cas d’exercer
l’effet décisif le plus rationnel. Pour que sa complicité
soit admise, il faut qu’il n’ait pas pu raisonnablement
ignorer la volonté de celui avec qui il traitait de se
soustraire au paiement de ses dettes, qu’il se soit prêté
�672
t r a it e
à sa consommation. Qu’on la reproche donc à celui qui
traite avec un insolvable notoire, on le comprend ; qu’on
l’admette contre celui qui, connaissant l’existence de
nombreux créanciers, paie immédiatement, et sans for
malités, le prix de son acquisition entre les mains du
débiteur ou se prête à en dissimuler une partie, c’est là
un fait qui n’a rien d’extraordinaire, rien qu’on puisse
réellement blâmer.
Mais le tiers qui a traité avec un homme solvable ou
qui, connaissant de nombreux créanciers, a, en même
temps, su ou pu savoir que l’actif restant à son débiteur
suffisait à les désintéresser, celui-là, disons-nous, ne
peut être, en aucune façon, présumé s’être prêté à une
fraude qu’il devait d’autant moins soupçonner, qu’elle
était même sans cause au moment où il traitait.
En d’autres termes, la volonté de la part du débiteur
de se rendre insolvable constitue, dans la matière, la
véritable causa simulandi. Cette cause existe lorsque
l’aliénation querellée a eu évidemment le résultat in
diqué. On peut donc plus facilement admettre la fraude.
Mais lorsque l’aliénation a été sans influence immé
diate sur la solvabilité du vendeur; lorsque celui-ci,
après la vente, est resté ce qu’il était avant, c’est-à-dire
en position d’éteindre ses dettes intégralement, cette
cause n’existe plus. Il faut donc en revenir à la doctrine
du cardinal Deluca, et dire que, dans cette hypothèse,
la fraude ne doit être admise que sur des preuves évi
dentes et certaines, probaliones cerlœ et expressœ. 1
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
673
La bonne ou la mauvaise foi des parties doit être ap
préciée au moment du contrat. Elle ne peut dépendre
des événements qui se sont plus tard réalisés et dont la
responsabilité ne pourrait, sans injustice, peser sur
l’une d’elles. La certitude des ressources restant au dé
biteur après l’acte, celle de leur suffisance à l’endroit
des créanciers sont donc une fin de non-recevoir au
fond que le tiers invoquerait utilement comme devant
faire repousser la demande en ce qui le concerne.
1825- — Dans tous les cas, ce tiers a le moyen de
déterminer ce résultat, en désintéressant le poursui
vant. L’offre qu’il en ferait, sa réalisation, serait mieux
qu’une fin de non-recevoir ; elle anéantirait toute action
en enlevant tout intérêt à sa poursuite.
FIN DU TROISIÈME ET DERNIER VOLUME.
��TABLE
SES C H A PIT R E S BU TOME III.
OBSERVATIONS GÉNÉRALES SUR LA SIMULATION . . * ’g' l
C H A P I T R E I .— Simulation pure et simple du contrat. . .
4
C H A P I T R E IL — Fraude concertée contre la loi. . . .
40
C H A P I T R E III. — Fraude contre les tiers................................. 182
Section i. — Origine, nature et caractère de Faction. . . . 184
Section n. — Condition de l’action..................................................... 194
Section iii . — De la preuve.................................................................214
Section iv. — A quels actes s’applique Faction............................. 253
§ 1. — Du mariage..................................................................................234
§ 2. — Successions................................................................................. 324
§ 3. — Des donations............................................................................ 439
§ 4. — Emprunts et ventes..................................................................561
C H A P I T R E IV.— Des fins de non-recevoir contre Faction. . 645
�\
�TABLE
GÉNÉRALE ET ALPHABÉTIQUE
DES MATIÈRES.
N. B. Les chiffres indiquent les numéros d’ordre.
A
A b s e n t . — L’héritier
présomptif de l’absent peut-il désavouer l’enfant
né pendant l’absence? Voy. D ésaveu.
A c q u ér eu r . — Fraudes qui peuvent lui être imputables, voy. V ente.
A cte sous sein g p r iv é . — Effets de la simulation de la date de l’acte
sous seing privé, 1275. — Q u id , en cas de dénégation de l’écriture
ou de la signature? 1274. — Caractère de la reconnaissance de l’acte
sous seing privé, 1275. — Pour que l’acte sous seing privé puisse
faire foi de la date entre parties, il faut que celui qui l’a souscrit
n’ait pas acquis depuis peu, ou n’ait pas perdu dans l’intervalle, la
capacité de contracter, 1276. — Application de cette règle aux divers
incapables, 1277 et suiv. — Les termes de l’article 1522, a y a n t-c a u se ,
concernent-ils les successeurs à titre particulier? 1280 et suiv.
A c t io n . — Différence entre l’action en répression des délits d’avec celle
en réparation du dol, 18.— Caractère de celle ouverte au mineur en
nullité du traité qu’il a fait avec son tuteur sans les formalités de
l’article 472 du Code civil, 151. — Utilité de ce caractère relativement
aux donations entre vifs ou testamentaires faites par le mineur à son
tuteur, 155. — A qui appartient l’action en nullité ou en restitution,
en matière de contre-lettres à une cession d’office, par quel délai se
prescrivent ces deux actions? 1511. — Fondement de l’action conférée
à la femme en révocation de l’aliénation de sa dot, 1529. — A quelle
époque celte action est-elle recevable? 1550. — Elle passe aux héri
tiers de la femme, 1551. — Q u id , des créanciers du mari, de la femme
ou de ses héritiers? 1542 et suiv. — Point de départ et délaide la
prescription, 1548 et suiv. — L’action des héritiers en nullité d’une
�678
TABLE
substitution fidéicommissaire peut être exercée par leurs créanciers,
ses caractères, 1628 et suiv.
A c t io n
A c t io n
en do m m a ges - in t é r ê t s , vo y . D o m m a g e s-in té rêts.
en n u l l it é . — L’action en nullité est exclusivement
dévolue
à celui qui a été victime du dol ou de la fraude, elle passe à ses hé
ritiers et peut même être exercée par ses créanciers, 271 et suiv.
— Contre qui l’action en nullité ou en rescision doit-elle être pour
suivie? 299. Voy. Action.
A c tio n e n r é d u c t io n . — L’action des réservataires, en réduction des
libéralités excessives, peut être exercée par leurs créanciers, 1695,
— Elle ne peut l’être par les légataires qu’à l’égard des libéralités
faites aux enfants adultérins ou incestueux, 1696.
A c t io n en r e s c is io n , voy. R esc isio n .
A c tio n r é v o c a t o ir e .' — Caractère de l’action Paulienne, 1408 et suiv.
— Son origine en droit romain, 1405 et suiv. — Modification que lui
fit subir notre ancien droit, 1412. — Doctrine du Code, 1415.—
Conditions pour pouvoir l’exercer, 1416 et suiv.— L’antériorité de
la créance n’est pas toujours requise, 1419 et suiv. - - L ’action auto
risée par l’article 1167 appartient indistinctement à tous les créan
ciers, 1435 et suiv. — Contre qui doit-elle être exercée? 1456. —
Durée de l’action des créanciers, 1555 — L’action de l’époux, en
révocation des actes frauduleusement consentis par son conjoint,
passe à l’héritier, 1538.
A d ju d ic a t a ir e s . — Personnes incapables de devenir adjudicataires ,
motifs de la prohibition, 702. — Par qui peut être invoquée la nul
lité de l’adjudication rapportée par l’incapable? 705. — L’interposi
tion de personnes obéit-elle, dans ce cas, au principe de l’article 911
du Code civil? 709.
A d u l t è r e . — Gravité de l’adultère, sévérité des anciennes législations,
855, — Est une cause de séparation de corps, différence, quant
à ce , entre l’adultère de la femme et celui du mari, 856. — Il n’est
pas nécessaire que la preuve en soit acquise au moment de la demande
en séparation de corps, 837. — L’adultère n’autorise le désaveu que
s’il est accompagné du recélé de la naissance, comment doit-on en
tendre celui-ci? 861 et suiv.
A g e n ts d e c h a n g e . — Nature de la prohibition faite par les articles 85
et 86 du Code de commerce aux agents de change et courtiers, 710.
—Peine encourue, en cas de contravention, 711.—L’opération illicite
n’est pas frappée de nullité, par quels motifs ? 712. — Dans quels cas
la nullité pourra être ordonnée? 713. — La nullité opposable à l’agent
de change peut être opposée à celui qui lui aurait été frauduleuse
ment substitué, 714. — L’agent de change qui garantit la solvahilité
�GÉNÉRALE
ET
ALPHABÉTIQ U E.
671)
de l’acheteur, moyennant un dû croire, contrevient-il aux articles 85
et 86? 715 — Par quel délai se prescrit la contravention à la prohi
bition de la loi ? 716.
A l ié n a t io n . — Caractère, en droit romain, de l’aliénation générale des
biens à l’endroit de l’aclion Paulienne, 1447. — En droit français,
elle est une présomption de fraude, 1448. — Peu importe qu’elle ait
été réalisée par un seul ou par plusieurs actes successifs, 1449.—
L’aliénation faite par le donateur, par suite de la réserve qu’il s’en
est faite dans la donation, peut être querellée par le donataire, 1704
et suiv. — Effets de l’aliénation postérieure à ^donation, son im
portance au point de vue des articles 1082, 1084 et 1086 du Code
civil, 1714 et suiv. — Peut-on déroger à l’article 1083 et convenir
que le donateur ne pourra aliéner à litre onéreux les biens qu’il
donne dans les conditions de cet article? Effet de cette clause à
l’égard des tiers, 1715 (b is ).
A ssuran ces m a r it im e s . — L’assurance faite dans les conditions de
l’article 348 du Code de commerce est présumée frauduleuse, 186.
— Nécessité et sagesse de celte disposition, 187.— Son origine, 188
et suiv. — La présomption est acquise, même en cas d’absence de
toute intention frauduleuse, par le fait de la rélicence, de la fausse
déclaration ou de la différence, 191 et suiv. — Les difficultés d’appli
cation se rapportent donc uniquement sur la réalité du fait et sur
l’influence qu’il a exercée sur le risque, 195. — Faits constituant la
réticence ou la fausse déclaration , 196 et suiv. — Différence entre
l’omission et la fausse déclaration, 211. — Effet du remplacement du
capitaine désigné, 212. — Q u id , s’il a été stipulé ou tout autre pour
lui? 215. — Cas dans lequel l’omission du lieu où les marchandises
ont été ou doivent être chargées n’annulle pas l’assurance, 214.—
— Effet delà déclaration fausse ou inexacte à cet égard, 215. — Né
cessité de déclarer tout ce que le navire fera pendant le voyage,
ainsi que toutes les circonstances de la navigation connues au mo
ment du contrat, 216etsuiv.— Effet de l'omission de l’indication du
moment où le risque commence et où il finit, 225.— La présomption
de l’article 548 du Code de commerce est ju r is et de ju r e et dans
l’intérêt exclusif de l’assureur, 225elsuiv. — C’est à ceiui-ci à prouver
le fait dont il excipe, mode de preuve admissible, 228. — Impossibilité
pour l’assuré de prouver outre et au-delà delà police d’assurance, 229.
A v e u . - - L’aveu de la partie sur la simulation du titre forme-t-il un
commencement de preuve par écrit? 244.— La cause indiquée dans
l’aveu comme réelle et légitime doit-elle être admise ou bien peuton diviser l’aveu? 245 et suiv. Yoy. C om m encem ent de p re u v e.
A v o u é . — Principe et étendue de la responsabilité des avoués, 494 et
�680
Table
suiv.—L’avoué répond même de sa faute légère, 496.—Dans quelles
circonstances doit-on appliquer cette responsabilité, 497. — L’avoué
répond des personnes qu’il s’associe ou se substitue, q u id , de l’huis
sier qu’il emploie ? 498. — Dans quelles circonstances et à quelles
conditions l’avoué peut-il être condamné à des dommages-intérêts?
499. — Répond-il des conséquences du conseil qu’il a pu donner? 500.
— L’avoué peut-il être condamné sans avoir été mis en cause? SOI.
— Q u id , en cas de désaveu ? 511. —Effet du silence qu’il garde sur
la proposition qui lui est faite de se charger d’une cause, 1211.
B
B a il . —
La femme est-elle fondée à obtenir contre les tiers la nullité
du bail de ses biens paraphernaux consenti par le mari seul? 1539.
— Le bail légalement consenti par l’usufruitier est exécutoire pour le
nu-propriétaire, 1716. Yoy. L o u a g e .
B a il l e u r . — Obligations et droiis du bailleur, voy. L o c a tio n .
B a n q u ie r . — Caractère et légalité des droits que le banquier perçoit
indépendamment de l’intérêt légal, voy. U sure.
B ie n s com m uns , voy. M a r i cl fem m e.
B ie n s d o ta u x , voy. D ot.
B o n n e f o i . — Nécessité de la bonne foi dans les conventions, 1. —
Pourquoi le législateur n’a pas considéré comme moyens de nullité
tout ce qui s’écarte de la stricte bonne foi? 20.
c
— Nécessité pour l’assuré d’indiquer le nom du capitaine,
effet de l’omission ou de la fausse déclaration à cet égard, voy. A ssura nccs m a ritim e s. — Position et responsabilité du capitaine, voy.
C a p it a in e .
M a n d a t.
C a p t a t io n . —
Effet de la captation à l’endroit des libéralités, 389. —
Doutes que le silence du Code avait fait naître, 390. — La captation
peut être prouvée par témoins, 591 et suiv. — Distinction entre la
captation licite ou illicite, 592. — Le concubinage fait-il présumer
celle-ci? 393. — Comment s’apprécie la gravité des faits, caractère
qu’ils doivent offrir pour faire ordonner la preuve, 594 et suiv. —
Effets de la preuve sur la libéralité, 400. — L’action en captation
est-elle recevable contre la donation entre-vifs? 405.
C a u tio n n em e n t . — La vente du fonds dotai peut-elle être valablement
cautionnée, notamment parla femme elle-même et sur ses biens pa-
�ruplicrnaux? 1333 el suiv — Lé cautionnement d’une dette de jeu
esi-il licite el obligatoire? Voy. Jeu.
C ho se jugée.— Caractère de l’autorité attachée à la chose jugée, 419.
— Conséquence, quant à l'erreur commise en jugement, 420. — Le
(loi crée une exception au privilège admis en celte matière, consé
quence, 421. Voy. Requête civile, Prise à partie.—Caractère de la lin
de non-recevoir tirée de la chose jugée, conséquences, 515 et suiv.—
Conditions exigées pour qu’il y ait chose jugée, 517. —Jugements
susceptibles de la créer, 518 et suiv.— Le jugement interlocutoire
sur un point peut être définitif sur un autre, conséquences, 524.— A
quelle époque les jugements définitifs ont-ils acquis l’autorité de la
chose jugée? 525 et suiv.—Jugements rendus en pays étrangers, 529.
— La chose jugée ne peut résulter que du dispositif, 530. — L’iden
tité d’objet est une condition indispensable, 55t et suiv. — L’objet
est le même si, après avoir succombé sur la demande du tout, on
réclame une partie, quid, de l’hypothèse inverse? 534 et suiv.— Le
jugement au possessoire ne crée aucun préjugé sur le péliloire, 536.
—(Jue faut-il entendre par la partie réclamée? 557.—La chose jugée
n’existe que si les deux demandes ont une cause identique, dans
quelles hypothèses reconnaîtra-t-on cette condition ? 558 et suiv. —
Différence entre la cause el les moyens, 545. — La chose jugée sur
un moyen l’est pour tous les autres, 544 et suiv. — Utilité de la dis
tinction h l'endroit de la nullité des actes, 540.— Classement à faire
pour la solution de la difficulté, 547. — La chose jugée exige que les
parties soient les mêmes el qu’elles agissent en la même qualité,
548.— Manières diverses d’être partie dans un procès, 549 et suiv.
— Quid, de l’instance jugée en faveur ou contre l’héritier apparent ?
568.— Mode d’appréciation de la chose jugée, 569.— La chose jugée
contre le débiteur est-elle opposable aux créanciers?4816. — Posi
tion exceptionnelle des créanciers hypothécaires ou privilégiés, 1817.
C om m encem ent de p r e u v e . —Le commencement de preuve rend, dans
tous les cas, la preuve orale admissible, 750.— Sa définition, 731.
— Nature de la règle posée par l’article 1347 du Code civil, excep
tions dont elle est susceptible, 732, — Droit ancien et nouveau sur
les livres et registres des marchands, 753 et suiv. — Les copies des
titres peuvent servir de commencement de preuve, 755. — Interro
gatoire des parties, 736 et suiv. — Leur aveu, ou déclarations four
nies contradictoirement à l’audience, 738 et suiv. — Peut-on diviser
les uns el les autres, lorsqu’il ne s’agit que de la vraisemblance du fait
allégué? 740 et suiv.— Refus de comparaître ou de répondre, obscu
rité calculée des réponses, 742. — Les aveux et déclarations faits en
justice de paix sont assimilés à ceux faits devant les tribunaux ordim
30
�682
TAIU.it
naires, 743.— La loi exigeant seulement que l’écrit émane de la
partie, conséquence quant à sa forme, 744. — L’écrit non reconnu
ne peut créer le commencement de preuve qu’après vérification,
745. — Catégories diverses des écrits invoqués, 746. — Les re-gistres et livres des marchands se placent dans celle des écrits ré
digés mais non signés par la partie, 747. — L’article 1350 est-il
applicable à la recherche dii commencement de preuve? 748.—
Actes sous seing privé ne réunissant pas les conditions exigées par
les articles 1325 et 1326 du Code civil, 749 et suiv. — L’acte au
thentique, nul pour incompétence de l’officier qui l’a reçu ou pourviolation des formes, peut servir de commencement de preuve,
s’il est signé par toutes les parties, 736 et suiv. — Ce commence
ment peut également résulter de lettres missives, exemple, 758. —
L’écrit émané de l’auteur de la partie est censé émaner de celle-ci,
759.— Qitid.de celui provenant du mandataire, 760.— Arrêt de
Toulouse faisant résulter le commencement de preuve des registres
d'un notaire, 761. Voy. Filiation.
C om m is - v o y a g eu rs . — Nature des pouvoir des commis-voyageurs,
effet des engagements qu’ils contractent, voy. Mandat.
C o m p l ic it é . — Caractère et effet de la complicité dans le dol ou la
fraude, arrêt notable de la Cour d’Agen, 86 et suiv.
C o n c u b in a g e . —L’existence du concubinage fait-elle présumer la cap
tation illicite? voy. Captation.
C oncussion , voy. Prise à partie.
C o n n a issem e n t . — Effet de la différence entre le connaissement et la
police d’assurance, voy. Assurances maritimes.
C o n t r a in t e pa r co rps en m a t iè r e c iv il e . —Coup d’œil historique sur
la contrainte par corps sous les législations antérieures au Code, dis
position de celui-ci, 327 et suiv. — Faculté conférée par l’article 126
du Code de procédure civile, modification créée par celte disposition
à l’ordonnance de 1667, 329 et suiv. — Peut-ellectre prononcée pour
la restitution de la valeur de la chose dont le transfert est annulé? 531.
— Exception à la faculté de décerner la contrainte, 353 et suiv. —
durée de la contrainte par corps en matière civile, 535.
C o n tr e ea ç o n . — La contrefaçon des marques de fabrique, l’usurpation
du nom du fabricant, la fausse indication du lieu de la production, est
assimilée à la tromperie sur la nature de la chose, 960.
C o n t r e - l e t t r e . — La contre-lettre dissimulant le prix d’une vente
est-elle valable? 1296 et suiv. — Q u id , des contre-lettres en ma
tière de cession d’office? 1301. — La qualité des parties influe-l-elle
sur le sort de ces contre-lettres? 1503. Voy. Action et Office. —
Contre-lettre aux conventions matrimoniales, voy. ces mots.
�GÉNÉRALE ET ALPHABETIQUE.
683
m a t r im o n ia l es . — Caractère des conventions matrimo
niales, conséquences de la fraude, 775. — Facillilé que rencontre
celle-ci, moyens de la prévenir, 776.— Irrévocabilité des stipulations
du contrat, 777. — Conditions pour la validité des modifications con
senties avant la célébration du mariage, nullité absolue de celles qui
suivraient cette célébration, 778 et suiv. — Difficultés pouvant sur
gir, comment elles doivent être appréciées? 783 et suiv. — Le Code
civil n’a pas consacré le principe du droit ancien, n’annulant les chan
gements que lorsqu’ils empiraient le sort de la dot, 786. — Mais on
doit toujours distinguer le changement prohibé de la modification
résultant de l’exécution naturelle de l’obligation, 787. — Application
de cette règle à la renonciation du père ou delà mère à un avantage
de leur contrat de mariage, en faveur de leurs enfants, à la dation
d’une hypothèque non stipulée, 788. — Les tiers parties au contrat
de mariage sont régis par les mêmes principes que les époux et leurs
parents, 789.— La demande en nullité des contre-lettres et des
changements illicites peut être intentée par la partie elle-même, 790
et suiv. — L’action est imprescriptible pendant la durée du mariage,
792. — Les conventions et les avantages obtenus par dol ou fraude
peuvent être révoqués sur la poursuite de l’époux trompé, 715.
C o n v en t io n s
C o r r u p t io n des e x p e r t s , voy. Requête civile.
C o u r t ie r s , voy. Agents de change.
C r é a n c ie r s . — Ont le droit d’attaquer les actes faits par leur
débiteur
en fraude de leurs droits, 1403 et suiv. Voy. Détournement, D ol,
Séparation de biens. — Peuvent faire annuler la renonciation de la
femme à la communauté, 1550.—Ce droit appartient aux créanciers
personnels de l’héritier de la femme, 1532. — Les uns et les autres
peuvent-ils quereller l’acceptation faite par la femme ou ses héri
tiers? 1533. Voy. Partage, Succession, Usufruit.
JS
D éc la r a t io n . — Effet de la fausse
déclaration dans le contrat d’assu
rances, voy. Assurances maritimes.
D é c o n f it u r e . — Effet de la déconfiture du commerçant à l’endroit de
la présomption de fraude en faveur des créanciers, 1442 et suiv.
D é d it . — Le dédit stipulé dans une promesse de mariage est frappé de
nullité, 1353. — Admissibilité de la preuve orale pour en prouver le
véritable caractère, s’il a été stipulé sous la forme d’une obligation
pure et simple, 1554 et suiv.
D é n i d e ju s t ic e , voy Prise à partie.
D ésa v eu . — Dans quel cas le mari peut-il désavouer l’enfant? 840 et
�TABLE
suiv. — Effet du désaveu par rapport à l’enfant, 842. — Exceptions
qu’il pourra opposer à l’action, dans l’hypothèse d’une naissance
précoce, 845 et suiv. — L’enfant qui n’est pas né viable ne peut pas
être désavoué, 849. — A quelles conditions peut-on désavouer l'en
fant conçu et né pendant le mariage? 857 et suiv. — L’action en dé
saveu est recevable avant qu’il y ait chose jugée sur l’adultère, mais
celui-ci n’est pas la conséquence du recélé de la naissance, 870 et
suiv. — Procédure que doit suivre le mari, 873, — L’action en dé
saveu lui est personnelle, 874. — Quand se transmet-elle aux héri
tiers, et quels sont ces héritiers? 873 et suiv. — L’héritier présomptif
île l’absent peul-il désavouer l’enfant né depuis l’absence? 877 et suiv.
— Q u id , du tuteur de l’interdit? 880 et suiv. — Les fins de nonrecevoir opposables au mari le sont à ses héritiers, 883. — L’héritier
qui aurait personnellement reconnu la légitimité de l’enfant n’est
plus recevable à le désavouer, 884. — Délai accordé soit au père soit
à l’héritier, point de départ, 885 et suiv. — Déchéance, si le désa
veu régulièrement intenté n’est pas suivi d’une action en justice dans
le mois de la notification, 888. — Quelles personnes sont parties dans
l’action en désaveu? 889. — Effet de la naissance tardive, voy. Conteslalion de légitimité.
Son caractère, 899 et suiv.— Différence entre te
détournement, le recélé et l’omission d’indication à l’inventaire,
901. — Caractère de la tentative de l’un ou de l’autre, 902. — Pou
voir du juge dans l’appréciation des faits constitutifs, 903.—Effet du
détournement par la femme, 904 et suiv. — La poursuite appartient
exclusivement au mari ou à ses héritiers, 908.—Le détournement
par le mari ou ses héritiers motiverait la révocation de la renoncia
tion à la communauté, 909. — L époux convaincu de détournement
perd-il les droits qu’il aurait sur les objets soustraits non-seulement
comme commun, mais encore comme donataire de son conjoint?
910. — Le détournement qui ne peut être poursuivi criminellement
contre l’époux, peut l’être contre les complices, 911. — Effets du
détournement commis par le copartageant, 925 et suiv.—Y a-t-il
détournement dans la détention d’effets portés à l’inventaire. 950 et
suiv.— Le détournement opéré du vivant de l’auteur est assimilé à
celui qui serait exécuté après sa mort, 932. — L’exagération du
passif constitue le détournement punissable, 933. — L’auteur du
détournement ou du recélé peut, indépendamment de la perle de sa
portion, être, condamné à des dommages-intérêts, 934. —Quid, s;
celui qui a détourné est encore 111016111'? 956.—Le détournement de
l’actif à la dissolution du mariage est la fraude la plus dangereuse
pour les tiers, 1518. — Son caractère et ses effets à Fendroit de la
D étournem ent. —
�••**>,
GENERALE ET ALPHABÉTIQUE.
685
femme dotale ou commune en biens, 1520 etsuiv.—Eil’els du détour
nement. commis par le mari ou ses héritiers, 1323.—Peut-on cumu
ler les peines portées par la loi et une allocation de dommages-inté
rêts? 152i.—Les héritiers du mari peuvent, en cas de détournement
par la femme, ne pas faire prononcer la nullité de la renonciation
qu'elle aurait faite à la communauté, 1526. — Mais elle n’en est pas
moins considérée comme commune à l’égard des créanciers, 1527. —
Doit-on considérer comme détournement la fausse supposition de
créances à la charge de la succession? 1529. Voy. Renonciation. —
Le détournement n’en est pas moins punissable, qu'il ait été commis
avant ou après la mort du conjoint, 1556.
D e t t e s . — Nullités des dettes contractées pendant le mariage par la
femme seule, 807. — Les dettes résultant des nécessités du ménage
se placent dans une catégorie spéciale, 808 et suiv.—L’article 1410 du
Code civil rend inutile toute antidate dans le but de faire considérer
les dettes de la femme comme antérieures an mariage, 810. — Le
mari, qui a payé des dettes non justifiées aux termes de cet. article,
ne peut, en exiger récompense, 815 et suiv.—Le paiement après con
damnation de la femme donnerait-il lieu à récompense? 815.
Do l . —Dole du dol dans les conventions, 2.—Causes de son dévelop
pement, 3.—Motifs de la sévérité que le législateur a déployée dans
sa répression, 4.—Différence entre le dol et la fraude, 12. — Défini
tion du dol eu droit romain, 14 et suiv. — Dans quels cas le dol
dégénère-t-il en délit? 17.—À quelles conditions doit-on en admettre
l’existence, 21 et. suiv. — Distinction en droit romain entre le dol
bon ou mauvais, 42 et suiv. — Celte distinction sc retrouve dans
notre droit, mais à l’endroit de la fraude, 45. — Le dol ne peut être
que personnel. 46.—Existait-il en droit romain un dol réel? 47 et suiv.
— Comment se prouve le dol? 106 et suiv. — Ses effets, 261 et suiv.
Dot. a c c id en t el . —Ses caractères, 66. — Exemples, 67 et suiv. — Le
dol accidentel n’est, constitué que par l’emploi de manœuvres, 69.
—Nécessité de la distinction entre la lésion et le dol pour les ventes
mobilières, 74.—Exemples de dol sur la qualité annulant le contrat,
75 et suiv.—Effets du dol accidentel, 264 et suiv.
Do l d ir e c t . — Le dol direct est celui qui émane personnellement de
la partie, 78. — Qmd , de celui commis par le mandataire? Voy.
Mandat.
Dot. in d ir e c t . —Caractère et exemples du dol indirect, 84.—Effets du
dol substantiel indirect dans les traités, 265.
D ol n é g a t if . — Caractère du dol négatif, 94 et suiv. — Exemples
puisés dans divers arrêts fort remarquables, 96 et suiv. — Espèces de
dol négatif consacrées par l’article 348 du Code de commerce, 100.
�686
TABLE
p o s it if . — Ses caractères, difficulté de son appréciation lorsqu’il
se produit par paroles seulement, 89 et suiv.—Appréciation et con
séquences du mensonge le constituant, 95.
Dol po sté r ie u r au c o n t r a t . — Origine, nature et caractère du dol
postérieur au contrat, 101 et suiv. — Peut naître à la suite d’une
simulation licite, 105.
D ol p r é su m é . — Diverses hypothèses dans lesquelles le do! est de
plein droit présumé, 109 et suiv. Voy. Assurances maritimes, Inca
pables.—-Le dol est toujours présumé dans les libéralités faites aux
personnes désignées dans l’article 909 du Code civil, 161. — Nature
de cette présomption, 176. — Exceptions qu’elle comporte, 177
et suiv.
Dol s u b s t a n t ie l . — Sa nature et ses effets, 50 et suiv.—Obligations de
celui qui en allègue l’existence, 52. — Exemples de dol portant sur
le consentement, 53 et’suiv. — Dol sur la capacité des parties, 57.—
Dol sur la matière du" contrat, exemples, 61 et suiv. — Dol sur la
cause de l’obligation, 6-4.
D ommages - in t é r ê t s . — Objet de l’allocation des dommages-intérêts,
qui peut la réclamer? 500.—L’étendue de la condamnation est laissée
à la prudence du juge, 501. — Maximum déterminé par le droit ro
main, principes à consulter sous l’empire du Code, 502 et suiv. —
En quoi consistent les dommages-intérêts dans le cas de faute, de
fraude ou de dol, 504 et suiv. — Intérêts moratoires, exceptions à la
règle de l’article 1155 du Code civil, 315.—Peut-on, outre les dépens
de l’instance, condamner le plaideur téméraire à une allocation pécu
niaire? 519 et suiv.—Contre qui l’action en dommages-intérêts doitelle être poursuivie?322. — Ses conséquences en matière de vente
d’objets mobiliers, 525. — La condamnation est solidairement pro
noncée contre tous eeux qui y sont tenus comme auteurs ou com
plices, 524 et suiv.— Elle peut être prononcée avec contrainte par
corps, 329.
D on m u tu el . — Le don mutuel et réciproque par un seul et même acte
est nul, 1656.— Y a-t-il don mutuel et réciproque lorsque les époux,
vendant un immeuble de la communauté, en laissent le prix à rente
viagère réversible en toutou en partie sur le survivant? 1657.
D o n a t e u r . — L’époux donateur n’est pas recevable à quereller de
simulation la donation par lui consentie, 1675. Voy. Donation.
D o n a t io n , voy. Libéralités. — Les donations autorisées par l’article
1422 peuvent-elles être valablement faites aux personnes réputées
interposées? 827.
Do n a tio n c o n tr a c tu e ll e . — Conditions indispensables pour que la
donation soit considérée comme faite en vue du mariage, 1474.—
D ol
�GÉNÉRALE
ET
ALPHABÉTIQ U E.
687
Droits des créanciers et des héritiers dans le cas de fraude de la part
du donateur, -1717.— Droits des premiers dans l’hypothèse de fraude
concertée entre le donateur et le donataire, 1718.
D on a tio n d é g u is é e . — La donation déguisée, en l’absence de toute in
capacité, est valable, 1264 et suiv. — Est-elle affranchie de la révo
cation pour survenance d’enfants? 1266. — Quelle est dans ce cas
la preuve admissible pour établir le véritable caractère de l’acte?
1267.—Durée de l’action, 1268.—Ses conséquences, à l’endroit des
tiers détenteurs, 1249. — Facilité qu’ont les époux de se faire des
donations déguisées ou par personne interposée, 1666. — Ces dona
tions sont frappées de nullité absolue, 1677 et suiv.
D o n a tio n e n tr e ép o u x . — Faculté illimitée qu’ont les époux de se
donner par contrat de mariage, 1645. — Exceptions que cette règle
comporte, 1646 et suivi — Suspicion qui s'attache aux donations
entre époux pendant le mariage, leur révocabilité absolue, 1649 et
suiv.—La femme peut les révoquer sans autorisation, 1652.— Sontelles révoquées par survenance d'enfants? 1653.—Formes de l’acte
révocatoire depuis la loi du 21 juin 1843,1654.—Véritable caractère
de la donation entre époux faite pendant la durée du mariage, 1655.
D o n a tio n in d ir e c t e . —La donation indirecte entre époux n'est valable
que dans les limites des articles 1094 et 1098 du Code civil, carac
tère de ces dispositions, 1658. — De quels actes peut résulter la
donation indirecte entre époux? 1659 et suiv.— 11 y a donation in
directe dans l’adoption de la communauté en cas d’inégalité dans
l’apport respectif, 1663. — Effet de celte adoption pour les enfants
d’un premier lit, 1664. — Comment s’opère la réduction qu’ils sont
dans le cas d’obtenir, 1665. — La donation indirecte faite au mépris
de l’article 1099 du Code civil est réductible, 1676.
D o t . — Fraudes dont la constitution de la dot est susceptible, 794.—
Obligation pour le mari de poursuivre la rentrée de la dot, sa res
ponsabilité, 795. — La quittance d’une dot non reçue constitue une
libéralité, ses effets à l’égard des réservataires et des créanciers,
796.— La quittance d’une dot non reçue peut, si le mariage n’a pas
été célébré, être annulée sur la preuve écrite de la simulation, 797.
— La quittance de la dot, sous pacte secret de se contenter d’une
moindre somme, oblige à la restitulion de la somme quittancée, 798.
— Il en est de même de la quittance donnée spe fulurœ numeralionis, 799. — La contre-lettre expliquant la quittance ne serait pas
opposable à la femme, S00. — Quid, si le mari avait reçu en paie
ment des effets du constituant? 801. — La quittance par le père de
l’époux de la dot touchée par celui-ci pourrait être attaquée comme
constituant une libéralité, 802. — Origine et effets de l’inaliénabilité
�638
TAB I.i;
de la dot. 13(12.— Son caractère, 1315.— Nature de la nullité, ses
conséquences à l’endroit de l’acquéreur du fonds dotal, lo t i et suiv.
— Droits de celui-ci suivant qu'il a connu ou non la dotalité, 1310
et suiv.— Quid, si l’aliénation a été frauduleusement concertée entre
les époux? 1318. — Qui peut poursuivre la nullité d’une aliénation
dotale? 1519 et suiv.—Le mari, héritier de sa femme, est-il recevable
à demander en celte qualité la révocation de l’aliénation qu’il a luimème consentie comme époux? 1521 et suiv.—Nature et étendue de
l’obligation de restituer le prix, 1526.—Exception que le mari peut
invoquer, 1328. Voy. Action, Cautionnement, Femme mariée, Slellionat.— La constitution de dot par le père peut être querellée par
les créanciers, comme faite en fraude de leurs droits, 1407. — Sys
tème du droit romain et de notre ancien droit sur les ell'ets de la
fraude, 1468 et suiv. — Doctrine adoptée sous le Code par la Cour
de cassation, 1470 et suiv.—Les créanciers du mari peuvent-ils atta
quer la reconnaissance ou la quittance de la dot? 1477. Quid, de
la quittance concédée pendant la durée du mariage? 1478.
D r o it s l it ig ie u x . —Personnes auxquelles il est prohibé d’acquérir des
droits litigieux , 704. — Que faut-il entendre par procès, droits
ou actions litigieux? 707.— Qui peut poursuivre la nullité de la ces
sion? 708. — En pareille matière, l’interposition de personne obéitelle aux règles de l’article 911 du Code civil? 709.
E
— L’échange est régie par les principes de la vente, 979.
— Droit que confèreà l’échangiste la découverte que la chose qui lui
a été remise n’appartenait pas au copermutant, 980 et suiv. — Effets
légaux de la rescision prononcée sur ce motif, quant à la revendi
cation de la chose donnée par le poursuivant, 985 et suiv. — La ra
tification du véritable propriétaire n’empêcherait pas la rescision,
mais elle influerait sur les dommages-intérêts, 984 et suiv. — En
quoi consistent ceux-ci ? Peuvent-ils être cumulés avec la reprise
de la chose? 976 et suiv. — En quoi consiste le dédommagement,
si le poursuivant renonce à cette reprise ? 988. — Exclusion de
l’action en lésion dans l’échange, motifs, 989. — La fraude fait
exception à cette règle, 990. — 11 en est de même si le contrat
qualifié échange n’est qu’une vente, 991. — A quels caractères se
reconnaîtra celte simulation? 992 et suiv.
E f f e t s p u b l ic s , voy. Jeu.
E m pêchem ent de t e s t e r . — Législations anciennes sur l’empêchement
de tester, conséquence du système consacré par le Code, 404 et suiv.
É ch a n g e .
�GÉNÉRAL!-;
ET
ALPHABETIQUE.
689
— Sus effets à l’endroit de l’héritier testamentaire, 406. — Nature
de l’action qui en naît, 407. — Caractère de ce dol, pertinence des
faits tendant à l’établir, 408. — Par qui et à qui sont dus les dom
mages-intérêts? 409 et suiv.
E m pr u n t s . — Facilités que les emprunts présentent pour frauder les
créanciers, 1755. — Leur effet en matières commerciales, précau
tions prises à cet égard, 1736 et suiv. — Modifications introduites
par la loi de 1858,1738. — Effets de la poursuite personnellement
intentée par un créancier, 1739. — Effets et caractère de la simu
lation dans les emprunts en matière civile, 1740. — Celte simulation
peut être opposée par les créanciers postérieurs à la date de l’em
prunt, 1741.
E n fa n t a d u l t é r in . — L’enfant adultérin ou incestueux ne peut être
reconnu, 1570 et suiv. — La recherche de la maternité est interdite
lorsqu’elle doit divulguer une naissance adultérine ou incestueuse,
1573. — La reconnaissance illégale ne peut nuire, ni profiter à
l’enfant, conséquences, 1575 et suiv. — Dans le cas de la découverte
accidentelle du vice de la naissance, tontes les donations reçues par
l’enfant doivent être réduites, 1384.— Nature des droits qu’il est
appelé à exercer dans la succession de ses père et mère, 1697.
E nfan t
E nfan t
in c estu eu x ,
n a turel. —
voy.
Enfant adultérin.
Position des enfants naturels sous l’empire des
anciennes et de la nouvelle législation, 1369 et suiv. — Leurs droits,
1585. — Peuvent être valablement reconnus, de quelle manière?
1386. — La femme mariée peut réaliser cette reconnaissance sans
avoir besoin d’autorisation. 1387 et suiv.— La reconnaissance vala
blement faite est irrévocable, 1590.— L’enfant est libre d’en ré
cuser le bénéfice, doit-il, dans ce cas, prouver la fausseté de la dé
claration? 1391 et suiv.— Effets de la reconnaissance définitivement
acquise, 1596. — L’enfant naturel reconnu ne peut rien recevoir
au-delà de ce qui lui est réservé par l'article 757 du Code civil,
1397. — Droit des héritiers de poursuivre la nullité ou la réduction
de tout avantage indirect, 1598. — Le père est-il recevable à pour
suivre la nullité des actes qu’il aurait simulés pour avantager l’en
fant naturel? 1599. — Quid, du légataire universel? 1400.
E r r e u r . — Quelle est l’erreur donnant ouverture à la nullité du ma
riage? 318 et suiv.
E rr eu r de d r o it . — Celui qui a concouru à une simulation peut-il se
prévaloir de sa turpitude, sous prétexte d’erreur de droit? 1810.
E x é c u t io n . — L’exécution occulte, donnée par le débiteur aux aliénalions qu’il consent, peut faire présumer la fraude contre ses créan
ciers, 1454. Voy. Ratification tacite.
�690
taule
E x p e r t s . — La frau d e d e s e x p e rts c h arg és de d é te rm in e r le p rix
d ’u ne v en te p e u t-e lle n u ire ou p ro fite r au x p a rtie s ? 971 e t suiv.
— A quels caractères reconnaîtra-t-on cette fraude ? 976.
F
— Les faillites admettent, dans plusieurs cas, la présomp
tion de fraude, 721. — Nature de cette présomption, suivant qu’il
s’agit d’actes antérieurs ou postérieurs au jugement déclaratif, 722.
— Distinction à faire pour ces derniers, 725. — Effets de la pré
somption, 724.
F em m e m a r ié e . — Les engagements souscrits par la femme, sans l’au
torisation de son mari, sont présumés frauduleux, 155. — Quel est
le sort des acquisitions que la femme soutient avoir réalisées pen
dant la durée du mariage?701.— Fraudes que la femme peut com
mettre, 804 et suiv. — La femme, tenue de son dol, l’est de sa
fraude, application de ce principe à la vente du fonds dotal con
certée entre les deux époux, 851. — Exceptions qu’elle peut invo
quer dans ce cas, 852 et suiv. — A quelle époque peut être exercée
l’action soit du mari, soit de la femme? 854. Voy. Détournement,
F a il l it e .
Renonciation, Séparation de biens.
t a c it e . — Le fidéicommis tacite peut avoir pour objet
de favoriser un incapable, 1612.— Double forme qu’il peut revêtir,
1615. — Ses effets avant et depuis le Code, 1614 et suiv.— Son
existence peut être prouvée par témoins, caractère que la preuve
doit offrir, 1616 et suiv. — Le fidéicommis tacite est valable si l’ap
pelé est capable de recevoir, 1624. — Dans le cas de fraude de l’in
termédiaire choisi, l'appelé est recevable à prouver oralement l’exis
tence du fidéicommis et sa destination, 1625 et suiv. — Effet de la
donation résultant du fidéicommis tacite, 1670.
F id u c ie . — Caractère de l’institution fiduciaire, ses effets, 1601. — La
fiducie n’exclut pas la disposition en faveur du grevé d’une quotité
soit en fruits, soit en fonds, 1602.— Effets du prédécès de l’appelé,
1605. — Droit ancien sur les circonstances caractérisant la fiducie,
1604 et suiv. — Que doit-il en être sous l’empire du Code? 1607 et
suiv.— La simple fiducie ne peut être recueillie par l’incapable, 1611.
F il ia t io n . — L’enfant, à qui on a enlevé sa filiation, est admis à la
réclamer s’il a une preuve littérale ou tout au moins un commence
ment de preuve, 892. — Ce qui, dans cette hypothèse, constitue ce
commencemet de preuve, 895.
F in d e n o n - r e c e v o ir . — Il ne suffit pas qu’une demande soit fondée,
il faut encore qu’elle soit recevable, 512.— Nature des fins de non-
F id é ic o m m is
�GÉNÉRALE
ET
ALPH A BETIQ U E.
091
recevoir, distinction, 513.— Nomenclature, 514.— Quelles sont les
lins de non-recevoir contre la fraude? 1807. — En matière de si
mulation ou de violation d'une loi d’intérêt privé? 1808. — L’er
reur de droit peut-elle relever de la maxime nemo audilur, etc... ?
1810. — Aucune fin de non-recevoir n’est opposable dans le cas de
fraude à une loi d’ordre public, 1811 et suiv. — L’exécution donnée
à l’acte donne ouverture à la prescription de l’action, point de dé
part et durée de cette prescription, 1815. Voy. Chose jugée, Pres
cription, Ratification.
— Nature de la fraude, ses caractères, 640 et suiv. — Di
verses espèces de fraude , 642. — Preuve admissible, objet qu’elle
doit se proposer, 643 et suiv.
F ra ude c o n tr e la l o i . — Effet de la fraude contre la loi, 1287. —
Difficulté qu’elle fait surgir, 1288. — Distinction pour juger si la
preuve orale est ou non admissible, 1289 et suiv. — Importance
de cette distinction à l’endroit des articles 1131 et 1152 du Code
civil, 1295.
F ra ude contre la p a r t ie co n tr a c ta n te . — Définition de la fraude
contre la partie, 770.— Rapports et différence entre elle et le dol,
771. — La fraude, poussée jusqu’à de cerlaines limites, constitue
des délits et des crimes, 772. — La fraude assimilée au dol est
régie par les règles tracées pour celui-ci, 775.
F raude p r é su m é e . — Nature et motif de la présomption de fraude,
645. — Divers cas de fraudes présumées, 646 et suiv. Voy. Agents
F ra u d e .
de change, Courtiers, Faillite, Incapables, Jeu, Libéralité, Mar
chandise, Société universelle, Stellionat, Succession future, Vente
entre époux.
G
— L’incapacité édictée par l’article 909 du Code civil
contre les chirurgiens, médecins, etc..., s’étend-elle à la garde-ma
lade? 168.
G a r d e - m a la d e .
H
— L’héritier du mineur peut-il poursuivre l’action en nul
lité du traité intervenu au mépris de l’article 472 du Code civil ?
151 et suiv. — L’héritier du mineur est recevable à attaquer le tes
tament fait par celui-ci, contrairement à l’arlicle 907 du Code civil,
154, — A faire annuler la libéralité consentie par le mineur dans les
mêmes circonstances, 155 et suiv.
H é r it ie r s .
�6Ü2
TA ni. u
—• L’huissier étant, comme l’avoué, le mandataire de ia
partie, la loi lui rend communes les dispositions des articles 232
et 1051 du Code de procédure civile, 502. — La condamnation de
l’huissier aux frais de l’acte nul est-elle facultative ? 503. — L’huis
sier n’est tenu que de son fait personnel, importance de cette règle
dans ses relations avec l’avoué, 504 et suiv. — Cas divers d’appli
cation de la responsabilité des huissiers, 507 et suiv. — L’huissier
ne doit pas être condamné sans avoir été entendu, 509. — Durée
du mandat de l’huissier. 510.
H u is s ie r .
1
I m pu issa n c e . — Différence
entre l’Église romaine et l’Église française
sur les effets de l’impuissance sur le mariage, 357 et suiv. — La
nullité du mariage contracté par l’impuissant serait juste, motifs qui
la firent repousser par les auteurs du Code, 560 et suiv. — Quid, de
l’impuissance accidentelle? 562 et suiv. Voy. Désaveu.
I n c a p a b l e . — Personnes incapables de contracter, 110. — Principe de
l’incapacité des tomlamnés pour crime, 112. — La convention sous
crite par un incapable est présumée frauduleuse, 109. Voy. Femme
mariée, Interdit. Médecin, Mineur, Ministre du culte, Tuteur.
— Effet de l’incapacité de la partie, si le poursuivant ca
pable l’a connue ou ignorée, 58 et suiv. — La fraude déguisant une
incapacité viole une loi d’ordre public, 1350.
I n d ic a t io n . — Effet de la fausse indication du lieu de production des
objets vendus, voy. Contrefaçon.
I n e x é c u t io n . — L’inexécution par le donataire des Conditions de la
donation peut constituer une fraude contre ses créanciers, 1719 et
suiv. — Droits de ceux-ci d’empêcher la révocation, leur obligation
dans ce cas, 1722.
I n g r a t it u d e . — La révocation delà donation pour cause d’ingratitude
ne saurait être empêchée par les créanciers du donataire, 1725. :—
Faits constituant l’ingratitude, 1724 et suiv.
I n s a n it é d’ e s p r it , voy. Libéralité, Captation.
I n t e n t io n . — La préexistence de l’intention de contracter ferait ex
clure, en cas de dol ou de fraude, l’action en nullité, mais non celle
en dommages-intérêts, 52.
I n t e r d it . — L’interdit est assimilé au mineur, 128. — Les actes qu’il
contracte après l’interdiction ne peuvent jamais être validés, 129.—
Les actes antérieurs sont présumés valables, 151. — Dans quels cas
admet-on la présomption contraire? 152.— Le tuteur de l’interdit
peut-il désavouer l’enfant né depuis l'interdiction? Voy. Desaveu.
I n t é r ê t , voy. Usure.
I n c a pa cité
�G EN ER AL E ET A L P H A B E T I Q U E .
6Ü3
I n térêts com pensatoires . — Différence entre les intérêts com pensa
toires et les intérêts moratoires, 318. Voy. Dommages-intérêts.
I ntérêts m oratoires , voy. Dommages-intérêts.
I n terpo sitio n de per so n n e . — Cas dans lesquels l’interposition de
personne est de plein droit présumée, voy. Médecin, Ministre du
culte.— Quid, pour les donations entre époux? 1660.—C’est par l’état
des choses au moment de la donalion que la question d’interposition
doit se résoudre, 1667.^— Les ascendants de l’époux sont-ils compris dans la catégorie des personnes interposées? 1668. — Faculté
de prouver dans tous les cas et par tous les modes l’interposition
alléguée, 1669.
J
JEU. — Différence entre la dette de jeu et la dette dolosive, 183. — La
dette de jeu est présumée frauduleuse, 660. — Difficulté que présente
cette présomption dans son application aux paris sur la hausse ou la
baisse des effets publics, 661. —- A quel caractère doit-on reconnaî
tre le jeu en cette matière, 662. — Avantages de l’article 422 du Code
pénal sur la législation précédente, nature et origine de celleci, 663. — Inconvénients du système actuel, 664. — L’appréciation
de la légalité de l’opération est abandonnée à la prudence du juge,
665. — Application de ces principes au jeu sur marchandises, carac
tères spéciaux à celui-ci, 666 et suiv. Il n’y a réellement opération
illicite que lorsque le jeu est concerté et consenti par toutes les par
ties, conséquences, 669. — La dette de jeu doit être annulée, sous
quelque forme qu’elle ait été déguisée, 670 et suiv. — Exceptions
consacrées par l’article 1965 du Code civil, leur caractère, 672 et
suiv. — La faculté de rejeter la demande n’emporte pas celle de la
réduire, 674. — Ce qui a été payé ne peut être répété que dans les
cas prévus par l’article 1967 du Code civil.—-Nature de cette dispo
sition, 675 et suiv.— Le tiers ayant payé la dette du perdant a-t-il
contre celui-ci l’action en remboursement?675.— Quid, si ce tiers a
�694
TABLE
d’autre motif que d’obtenir frauduleusement la révocation d’une
donation précédemment consentie, 1700. — Droits du donataire,
1701 et suiv.
L é g it im it é . — La légitimité de l’enfant né plus de 500 jours après la
dissolution du mariage peut être contestée, 850 et suiv. — A qui
appartient l’action en contestation de légitimité? 855. — Différence
entre celle action et celle en désaveu, 856.— La légitimité peut être
la conséquence de l’action de l’enfant en suppression de part, 858.
L ettr e de change . — Le souscripteur d’une lettre de change peut
prouver par témoins les simulations lui enlevant un ou plusieurs
des caractères essentiels à sa perfection, 1284 et suiv.
L ib é r a l it é . — Nullité des libéralités faites par un malade à son mé
decin, chirurgien, etc., pendant sa dernière maladie, 185. — Ces
libéralités doiventêtré annulées, encore qu'elles aient été déguisées
sous la forme d’un contrat à titre onéreux, 184. — Importance du
droit de disposer de scs biens, 566. — Mais ce droit doit être l’ex
pression d’une volonté libre, conséquences quant aux libéralités ar
rachées par le dol, 567 et suiv. — Quant à celles consenties dans un
état d’insanité d’esprit. 5 7 0 .— Fondement de l’article 901, son
application aux libéralités, 571 et suiv.— L’insanité d’esprit fait pré
sumer la suggestion, 575. — Peut être prouvée par témoins, carac
tère et conditions que la preuve demandée doit offrir, 576 et suiv. —
Législation ancienne et moderne sur les intervalles lucides, 581. —
Quid, si la libéralité est postérieure à l’interdiction? 382 et suiv.—
La libéralité faite à un incapable est présumée frauduleuse, 551.—
Simulation que cette règle suggérera, 552. — Motifs, caractère et
fondement de cette présomption, 555 et suiv.
L ib e r t é . — Les lois concernant la liberté individuelle sont d’ordre
public, conséquences quant à la fraude ayant pour objet de les élu
der ou de s’y soustraire, 1550.
L ouage . — Dut et objet du louage, fraude dont il est susceptible dans
son origine ou dans son exécution, 994 et suiv.—Obligation du bail
leur de livrer la chose, 996. — La location de la chose d’autrui est
nulle, effet que produit la menace d’éviction, 997 et suiv.—Droit du
preneur s’il a consenti des anticipations, 999. — Danger que court
le communiste louant seul la chose commune, 1000.— L’usufruitier,
le mari ou le tuteur louant les biens dont il a l’administration ou la
jouissance, doit indiquer sa qualité, effet de l’omission, 1001 et suiv.
— Effet de la fraude consistant à louer deux fois la même chose ou
dans le défaut d’indication, en cas de vente, de l’existence du bail,
1003 et suiv. — Obligation dérivant du principe que le bailleur est
tenu d’assurer la jouissance au preneur, 1005 et suiv. — A défaut de
�g é n é r a l e e t a l p h a b é t iq u e .
695
délivrance, le bail est résilié, si le preneur l’exige, sans qu’on puisse
le faire s’il en demande l’exécution, 1009 et suiv. — A la charge de
qui sont les réparations? Durée fixée pour celles que le propriétaire
doit faire, 1011 et suiv. — Effet de la responsabilité du bailleur
quant aux vices cachés, 1814 et suiv. — Etendue de la jouissance
conférée au preneur, effet de la prohibition de sous-louer, 1020 et
suiv.—Cette prohibition n’est pas violée si la sous-location n’est que
l’accessoire forcé d’une obligation légitime, 1025 et suiv. — Obliga
tion du preneur de conserver les lieux ou d’en maintenir la destina
tion, 1028 et suiv.— Il doit les exploiter jusqu’à la fin, 1050.— L’in
terdiction de changer la destination n’a pas besoin d’être exprimée,
1051 et suiv. — Le développement qu’un fait, même imprévu, im
prime à l’exploitation d’une carrière, constitue-t-il un changement
de destination? 1054. — L’ensemble de ces principes régit le louage
des biens ruraux, 1055. — Devoir du fermier pour l’administration
et la conservation de l’intégralité de la propriété, 1050 et suiv.—
Cas dans lesquels la fraude du fermier revêt le caractère d’un délit,
1040.— Conséquences de l’obligation de représenter à la lin du bail
les capitaux attachés à l’exploitation, 1041 et suiv. — Règlement des
malfaçons, 1044. — La contrainte par corps est facultative pour
assurer la restitution des capitaux, 1045. — Nécessité de garnir l’im
meuble, étendue de cette obligation quant aux biens ruraux, 1046
et suiv.
L ouage d ’in d u strie . .— Principes régissant le louage d’industrie. 1049
et suiv. — Responsabilité du locateur, difficulté sur les effets de la
réception, 1051 et suiv. — Caractère de celle-ci, 1055 et suiv.
ni
M andat . — Caractère et importance du mandat, 1205.— Facilités qu’il
offre à la fraude, conséquences, 1206 et suiv. — Obligations que
crée l’acceptation du mandat, 1209.— Formes de l’acceptation,
peut-elle résulter du silence gardé sur la proposition ? 1210.— Quid,
pour les avoués, notaires, commissionnaires ? 1211. — Obligations
mi cas de refus, conséquences de l’acceptation, 1212 et suiv. — Ex
ception à la règle que le mandat accepté doit être accompli jus
qu’à révocation, 1214 et suiv.— Le mandat doit être strictement
suivi pour les qualités, quantité et pour le prix, quid, si celui-ci est
dépassé? 1217 et suiv.— Cependant la détermination du prix n'exo
nère pas du devoir d’acheter à un prix moindre, s’il y a possibilité,
1220. — Le mandataire doit rectifier l’erreur évidente du mandant,
1221. — Il doit administrer fidèlement et en bon père de famille, 1222
�636
TABLE
et suiv.—Il doit entreprendre l’opération au moment même de l’ac
ceptation et tenir le mandant au courant de toutes ses phases,
12:25 et suiv. — Faute que le mandataire peut commettre, 1227. —
Sa responsabilité à l’égard des tiers, 1232. — Obligation de rendre
compte, son étendue, 1233 et suiv.— Obligations du mandant envers
le mandataire, 1256. — Sa position vis-à-vis des tiers, 1257 et suiv.
— Nature des pouvoirs confiés aux commis-voyageurs, effet des
obligations qu’ils contractent, 1259. — Position du mandataire ayant
excédé son mandat vis-à-vis du mandant et des tiers, 1250 et suiv.
Ma n d a ta ire . — Le dol du mandataire conventionnel ou légal est impu
table au mandant lui-même, 79. — La responsabilité de ce dernier
s’étend aux dommages-intérêls dus au plaignant, 81.— Exception pour
les mineurs, les interdits et autres incapables de droit, 82.—Obliga
tions et droits du mandataire, voy. Mandat.
Mandataire commercial . — Le mandataire commercial peut agir en
son propre et privé nom, 1240. — Exceptions dont cette règle est
susceptible, 1241 et suiv. — Les tiers peuvent-ils actionner le man
dant lorsqu’il est notoirement connu ? 1245 et suiv. — Quid, en ma
tière d’assurances maritimes? 1215 et suiv. — Etendue de la respon
sabilité réciproque du mandant et du mandataire, 1247 et suiv.—
Effet de la révélation du nom du mandant, 1249.
M archandise , voy . Jeu , Usure , Vente .
Ma r i . — Facilité pour le mari de commettre la fraude, précautions
prises dans l’intérêt de la femme, 811. — Révocation des donations
qu’il aurait obtenues, 812. — Comme chef de la communauté il ne
peut aliéner, à titre gratuit, l’universalité ou une quotité du mobilier,
818 et suiv. — Simulation pour éluder cette règle, admissibilité de
la preuve orale pour l’établir, 819.—Présomptions pouvant être invo
quées, 820 et suiv. — Le maintien de la vente attaquée donnerait
lieu à récompense en faveur de la femme, 822. — Mais la vente re
connue comme donation déguisée pourrait être annulée, 825.— Com
ment doit être entendue la faculté laissée au mari de donner à toute
personne, et à titre particulier, le mobilier de la communauté? 824
et suiv. — La réserve d’usufruit en faveur du mari ferait considérer
la donation comme faite à son profil, 826. — Fraude que le mari
peut, commettre comme administrateur des biens de la femme, 827
ei suiv.
Ma r ia g e . — Motifs de la protection spéciale accordée au mariage, 354,
— Dois nombreux dont il peut devenir l’occasion, conséquence, 357
et suiv. — Exceptions au principe de l’indissolubilité du mariage,
550 et suiv. — Exemple d’un mariage simulé pour acquérir des
avantages subordonnés à sa célébration, 342 el suiv. — 11 n’y a pas
�GENERALE
E
II.IMIA BETIOUE.
<>97
■ de mariage si le consentement, des époux n’a pas été libre, 346 et
suiv.—L’erreur sur la personne ne peut être entendue que de l’er
reur sur la personne physique, 348 et suiv. — Le dol ayant déter
miné le mariage ne peut le faire annuler, effets dont il est suscepti
ble, 352 et suiv. — Le mariage ne peut en général être attaqué par
les tiers pour cause de simulation, 1461 et suiv.— Peut-on du moins
en contester les effets, quant aux avantages qu'il ferait acquérir?
1463 et suiv.
Médecin. — Incapacité édictée contre les médecins par l’article 909 du
Code civil, 161 et suiv. — Cette incapacité se déduit plutôt du fait
du traitement que de la qualité de la personne, 165. — Comment ce
traitement devra-t-il être constaté? 169. — Quid, des personnes qui
ont traité le malade sans titre aucun? 181. — L’incapacité du méde
cin est-elle couverte par le mariage qu’il contracte avec sa malade?
1445. — La ratification de ce mariage par les héritiers le rendrait
inattaquable et lui assurerait toute efficacité, 1466.
M ensonge . — Tout mensonge ne constitue pas le dol, 23. — Opinion de
Pothier à cet égard, 24.
M ineur . — La nullité de l’engagement du mineur est la conséquence
de la lésion légalement présumée, 114 et suiv. — Légitimité de cette
présomption, 119. — Les actes faits par le mineur assisté de son
tuteur ne peuvent être attaqués que de la manière indiquée pour
ceux du majeur, 122 et suiv.— Le mineur ne peut être relevé de
son dol, 125. — Ce dol n’est jamais présumé en faveui du majeur,
126. — Le mineur autorisé à faire le commerce est. quant à ce.
assimilé au majeur, 127. — À quelles conditions le mineur peut-il
valablement traiter avec son tuteur? 134.— Les termes de l’article
472 du Code civil comprennent-ils toule sorte de traités, ne concer
ne :it-ils que ceux intervenus sur la gestion tutélaire? 140et suiv.—
La présomption faisant annuler le Iraité violant l’article 472 du Code
civil n’admet pas la preuve contraire, 144 et suiv. — Mais la ques
tion de savoir si la reddition de compte a été completle est laissée à
la prudence du juge, 148. — Le mineur est recevable à attaquer la
donation entre vifs qu’il a consentie à son tuteur contrairement à
l’article 907 du Code civil, 154. Voy. Donation, Libéralité, Tes
tament.
M in istr e du culte . — L’article 909 déclare les ministres du culte in
capables au même titre que les médecins, chirurgiens, etc..., con
dition en ce qui les concerne, 170 et suiv.
Mo y en s . — C’est sur la gravité des moyens allégués sur la poursuite
du dol que devra se porter l’appréciation du juge, 25. — Faut-il
que ces moyens aient dû faire impression sur un esprit raisonnable?
�608
TABLE
-26 et suiv. — Différence entre les moyens et la cause d’une de
mande, voy. Chose jugée.
HT
— La négligence que l’usufruitier mettrait à conserver
les biens est assimilée au* dégradations, 1707. — Caractère qu’elle
pourrait prendre à l’encontre de ses créanciers, droits de ceux-ci,
1708.
N o t a ir e . — Principe et étendue de la responsabilité des notaires,
476 et suiv. — La faute lourde est assimilée au dol, 478. — Faute
sans influence sur la validité de l’acte, son caractère, ses effets, 479.
— Quid, du notaire agissant comme mandalaire de la partie ? 480.
— Erreur de droit entraînant la nullité de l’acte, ses effets, 481 et
suiv. — Dans tous les cas, l’ignorance du notaire n’est, excusable
que si la preuve de sa bonne foi est acquise, 486. — Effet de la
faute entraînant la nullité de l’acte, 487 et suiv. — Quelle est la quo
tité de dommages-intérêts à allouer? 490. — Le notaire, garant
de l’individualité des parties, l’est-il de leur capacité? 491 et suiv.
— La preuve que le notaire connaissait l’incapacité obligerait sa res
ponsabilité, 495. — Responsabilité et devoir du notaire dans le cas
prévu par l’article 975 du Code civil, 1574 et suiv. — Le défaut de
réponse du notaire à la proposition d’un mandat conslilue-t-il l’ac
ceptation du mandat, voy. Mandat.
N u l l it é . — Caractère de la nullité des actes souscrits par l’interdit
après son interdiction, 150.— La nullité du traité fait contraire
ment à l’article 472 du Code civil, n’étant pas susceptible de ratifi
cation, ne peut être couverte par l’exécution, 149. — Distinction
entre la nullité de plein droit et celle par voie d’action, 267. — En
quoi leurs effets diffèrent, 268. — L’acte dolosif n’est pas nul de
plein droit, conséquences, 269 et suiv, — A qui appartient l’action
en nullité? 271 et suiv. — L’auteur du dol ne peut jamais l’exer
cer, 275.
N é g l ig e n c e .
o
— Tout traité secret, déguisant le prix d’une cession d’office,
est radicalement nul, 1501 et suiv.— Cette nullité peut-elle être
opposée par le cessionnaire au tiers ayant payé h sa décharge? 1509.
— L’acquéreur d’un office peut-il être poursuivi par les créanciers
du vendeur en fraude desquels il a dissimulé le prix? 1796 et suiv.
— L’action des créanciers ne peut avoir pour objet que la réparaîion du préjudice souffert, 1799.— La complicité du cédant peut
O f f ic e .
�GENERALE
ET
ALPHABETIQ UE.
élre établie par témoins, 1800. — Responsabilité de l'acheteur en
cas de fausse déclaration sur saisie-arrêt, 1801. — Les paiements
partiels reçus par le cédant, les cessions du prix, par lui consenties
avant l’approbation du gouvernement, sont-ils valables? 1802 et sujv.
— Les quittances, même sans date certaine, peuvent-elles être op
posées aux créanciers? 1800. Voy. Contre-leUre, Ratification, Ré
pétition.
— Effet, quant à l'action Paulienne, du paiement du créan
cier poursuivant, offert ou réalisé par le défendeur, 1825.
P a r e n t é . — La parenté entre l’auteur du dol indirect et la partie ap
pelée à en profiler ne change pas la nature du dol, mais elle peut
influer sur la complicité par connaissance, 85.
P a r t a g e . — L’égalité entre les copartageants est la règle la plus ab
solue des partages, atteintes qu’elle peut recevoir. 912. — La lésion
accidentelle n’est une cause de rescision que si elle va à plus du
quart, 913. — Sccus, si elle est le résultat de la fraude, 915. — Ou
si elle coïncide avec le prélèvement de la quotité disponible, 916.—
L’action en lésion ne se prescrit que par dix ans, quel est le point de
départ de ce délai? 917 et suiv. — Quid, pour le partage fait par
l’ascendant? 919 et suiv. Voy. Succession.
P o ssesseu r , voy. Revendication.
P o s s e s s io n , voy. Ibid.
P r é ju d ic e . — Son existence est indispensable pour qu’il y ail dol pu
nissable. 57. — S’il est dénié, la charge de le prouver incombe au
demandeur, 40. — Un préjudice moral ferait-il annuler le con
trat ? 41.
P r e s c r ip t io n . — Justice de la prescription contre l’action en nullité,
sa nécessité, 615 et suiv. — Son fondement philosophique suivant
M. Troplong, 615 et suiv. — Pour prescrire, il faut que l’acte ait été
exécuté, 618. — Condition que doit réunir l’exécution décennale,
son point de départ, 619 et suiv. — A la charge de qui est la preuve
du moment de la découverte du dol? 621.— Nature de cette preuve,
622. — Les principes généraux sur l’interruption régissent la pres
cription de l’article 1504, quid, des causes de la suspension? 625 et
suiv. — L’action en dommages-intérêts se prescrit-elle comme celle
en nullité ? 625. — Toute action serait-elle éteinte après trente ans
du jour de l’acte, si le dol n’avait été découvert que depuis moins
de dix ans? 626. — Importance l’article 1304 pour la répétition de
ce qui a été payé en vertu du contrat vicié, 627. — Ce n’est que
P a ie m e n t .
il!';
1
�700
TABLE
l’action que l’article 1304 régit, même en cas de non-exécution, con
séquences pour l’exception de nullité, 628. — Origine de la règle
rendant l’exception perpétuelle, 630. — Motif du silence gardé à
cet égard par le Code, 631.— Application de la règle en matière
de dol, condition de cette application, 632 et suiv.— L’exception
n’est admissible que lorsqu’elle tend à maintenir l’état actuel, con
séquences, 637 et suiv. — L’action l'évocatoire des tiers est suscep
tible de prescripiion, point de départ et délai de celle-ci, 1820 et
suiv. — Délai de la prescription de l’action en nullité du pacte sur
succession future, 1566 et suiv.
P r é s o m p t io n . — Dans tous les cas d’admissibilité de la preuve orale,
les présomptions peuvent servir à juger le litige, 254. — Exigences
du droit ancien sur le nombre des présomptions, 255 et suiv. —
Caractère que le Code exige, 257. — Pourrait-on annuler l’acte s’il
n’existait qu’une présomption ? 258. — Comment les présomptions
doivent-elles être appréciées ? 259 et suiv. — Définition de la pré
somption, conséquences, 768. — Existe-t-il, en matière de simula
tion, des faits devant plus particulièrement la faire admettre? 769.
— La fraude est présumée en faveur des tiers, lorsque le débiteur,
devenu complètement insolvable, aliène ses biens ou refuse d’ac
quérir, 1458 et suiv. — Dans les cas de fraude présumée, il suffit
de prouver le fait auquel s’attache la présomption, 1454. — Devoirs
des créanciers querellant l’acte de leur débiteur, présomptions qu’ils
peuvent invoquer, 1455 et suiv. — Dans tous les cas, la pertinence
des présomptions est laissée à la prudence du juge. 1458.
P r ê t . — Diverses espèces de prêt, leur nature, PM I cl suiv. — Prêt
à intérêt, historique, 1114 et suiv. Voy. Usure.
P reu v e l it t é r a l e . — Excellence de la preuve littérale en matière de
fraude, autorité qui lui est due, 725.
P reu v e o r a l e . — L’admission de la preuve orale était une nécessité
en matière de dol et de fraude, 9 et suiv.— Comment s’apprécie son
admissibilité? 11.— Doutes qu’elle a soulevés, 232. — Origine de
cette preuve, 235 et suiv. — Lit prohibition de l’article 1341 n’est
pas applicable au dol, 259. — La preuve orale n’est pas recevable
dans le cas de dol postérieur au contrat, 2 4 1 .— Conditions pour
qu’elle soit reçue dans les autres hypothèses de dol, 249 et suiv. —
Par quels éléments doit-on résoudre la question de sa recevabilité
en matière de fraude? 726. — Exception au principe de l’article 1541
en faveur de la partie qui a ignoré la fraude, 727 et suiv. — Il n’en
est pas ainsi de la fraude concertée, 729. — La preuve orale n’est
pas admissible lorsque la fraude cache une simulation licite, 762.
— Exception pour le cas de révocation légale ou de réduction d’une
�,
G ÉNÉRALE
ET
A LP H A B E T IQ U E .
701
donation déguisée sous l’apparence d’un acte à titre onéreux, 763.
— La preuve orale est admissible lorsque la fraude déguise une con
vention illicite, 763 et suiv. — Lorsqu’elle est exécutée contre les
tiers, 1459. — Ou lorsqu’il existe un commencement de preuve par
écrit, voy. Commencement de preuve.
P r ise a p a r t ie . — Motifs et historique de la prise à partie, 448 et suiv.
— Cas donnant ouverture à l’action, 432.— Différence, en cette
matière, entre le dol et la fraude, leurs effets, 453 et suiv. — La
concussion est assimilée au dol, 457. — La preuve orale est admis
sible, 159.— Caractère du déni de justice, mode de le constater, 460
et suiv. — L'article 503 du Code de procédure civile est essentielle
ment limitatif, 462.— Difficultés relativement à la faute lourde, 463
et suiv.— Contre qui peut être dirigée la prise à partie ? 468.— Peutelle l’être contre les arbitres. 469.— Position que fait au juge l’admis
sion de la requête, 470 — Influence de celle admission sur la déci
sion attaquée, 471. — Effet, de la consécration de la prise à partie,
472.— Quid, si la partie a coopéré au dol du juge, 475. — La con
damnation contre le juge peut entraîner la contrainte par corps, 474.
P r ix . — La vileté du prix est une présomption de fraude, mais ne la
suppose pas nécessairement, 71.
P rom esse de m a r ia g e . — L’inexécution d’une promesse de mariage
donne-t-elle lieu à des dommages-intérêts? 1352. Voy. Dédit.
9
d e s p a r t ie s . — Les parties ont autant de qualités distinctes
que de droits différents à exercer, voy. Chose jugée. — La parenté
existant entre le vendeur et l’acheteur fait facilement présumer que
l'aliénation est simulée en fraude des créanciers, 1450.
Q u o tité d is p o n ib l e . — La quotité disponible ne se détermine qu’à
ia mort du donateur ou du testateur, conséquences quant à l’action
en nullité ou en réduction, 1675. — Mais peut-on soumettre les do
nataires à fournir caution pour la restitution de l’excédant? 1674.—
Peut-on cumuler les quotités dos articles 913 et 1094 du Code civil?
1690. Voy. Donation déguisée entre époux, indirecte, et Réserve.
Q u a lit é
R
R apport. —
Le rapport que le père ferait à ses enfants des fruits par
lui perçus, en l’absence et avant toute émancipation, pourrait être
annulé sur la poursuite de ses créanciers, 1639. — La renonciation
en faveur d’un successible ne constitue pas un avantage soumis à
rapport, 1640.
�702
R a t if ic a t io n . —
TABLE
Définition rte la ratification, 570, — Fondement juri
dique de cette fin rte non-recevoir, 571.— Principes généraux la ré
gissant, 572 et suiv. — Le traité secret dissimulant le prix d’un office
ne peut être ratifié, 1507. — La ratification rte la vente du bien do
tal, consentie par la femme ou ses héritiers après' la rtissolulion du
mariage, esl opposable soit à ses héritiers, soit à ses créanciers, 1545
et suiv. — La ratification du pacte sur succession future, faite après
que la succession esl ouverte, est valable, 1365.— La ratification
expresse ou tacite du débiteur est-elle opposable aux créanciers
agissant en vertu de l’article 1167? Quid, de celle émanée de cer
tains créanciers? 1819.
R a t if ic a t io n e x pr e s s e . — Conditions pour que la ratification expresse
soit valable, 580. — Elle doit rappeler la substance de la convention
et mentionner le vice dont elle est atteinte, 581 et suiv. — Consé
quences pour les vices autres que celui indiqué, 583 et suiv.— La
ratification pour lésion exclut tout reproche ultérieur de violence ,
mais non celui de dol, 585 et suiv. — Quid, si la ratification émane
de l’héritier? 587. — La ratification doit exprimer l’intention de pur
ger le vice primordial, 588. — Formes de l’acte de ratification, 589
et suiv. — La ratification imparfaite peut être complétée, à défaut,
l’acte ne peut ni servir de commencement de preuve, ni rendre la
preuve orale admissible, 591 et suiv.
R a t if ic a t io n t a c it e . — La ratification résultant de l’exécution équi
vaut à la ratification expresse, 593. — Caractère que l’exécution doit
offrir pour opérer ratification, 594 et suiv. — Des offres de paiement
non acceptées n’emportent pas ratification, 599. — Il en serait de
même des mesures conservatoires ayant précédé la demande en
nullité, 600. — L’exécution partielle est une ratification valable, 601.
— Cette exécution doit être volontaire, 602. — Quid, si elle n’est
due qu’à une erreur de droit ou si elle n’a été obtenue qu’à l’aide
d’une contrainte ou la menace d’un procès, 605 et suiv. — Epoque
à laquelle l’exécution volontaire équivaudra à ratification, 606 et
suiv. — A qui incombe la charge de prouver l’utilité de l’exécution?
608. — L’exécution volontaire, après la connaissance du vice, em
porte l’intention de le purger, 609. — Quid, si l’exécution n’est que
la conséquence de la nature de l’acte? 610. — Le paiement intégral
ou partiel d’une lettre de change ou de tout autre effet négociable,
entre les mains du porteur, n’est point une ratification, 611. — Les
conditions exigées pour la ratification des obligations le sont pour
celle des libéralités litigieuses, 612.
R e c é l é . — Caractère que doit avoir le recélé imputé à la .femme com
mune, 1557, Voy. Détournement.
�_____________
GÉNÉRALE ET ALPHABETIQUE.
R e n o n c ia t io n . — La
703
femme qui a renoncé à la communauté ne pour
rait exciper de son dol pour se faire relever de sa renonciation, 1523.
— La femme ou ses héritiers peuvent faire annuler la renonciation
qu’ils auraient réalisée dans l’ignorance des détournements commis
par le mari ou ses héritiers, 1528. — Effet de la révocation de la re
nonciation sur la poursuite des créanciers de la femme, 1334. — Les
créanciers du cohéritier, qui a renoncé à la succession, peuvent-ils
attaquer, cette, renonciation pour fraude à leurs droits? 1561. — Ce
droit ne peut être exercé que par les créanciers antérieurs à la renon
ciation, 1566. — Exception que cette règle comporte, 1567. — Effets
de l’acceptation des créanciers, 1568 et suiv.
R e n t e . — La rente viagère constituée h litre onéreux est saisissable
et cessible, 1762.
R é p é t it io n . —^Ce qui a été payé, en vertu d’une contre-lettre à la ces
sion d’un office, est Sujet à répétition, 1504 et suiv. Voy. Nullité,
Office.— Dans quels cas peut-on répéter ce qui a été payé sur la dette
du jeu ? Voy. Jeu.
R eq u êt e c iv il e . — Définition de la requête civile, 422. — Premier cas
d’application, dol personnel, ce qui le constitue, 425 et suiv. — A
quelles conditions la requête sera-t-elle admissible dans ce cas? 430
et suiv. — Faits pouvant caractériser le dol personnel, 434 et suiv.
— Subornation de témoins, mode de preuve et effets. 435. — Cor
ruption des experts, son caractère, ses effets, 456. — Faux serment,
différence selon qu’il a été déféré par la partie ou ordonné par le juge,
437 et suiv.— Deuxième chef d’application, s’il a été jugé sur pièces,
depuis reconnues ou déclarées fausses, 459. — Solution des diffi
cultés que cette hypothèse soulève, 440 et suiv. — Troisième chef
d’application , découverte après le jugement de pièces décisives
retenues par la partie, 445 et suiv. — Effet de la requête civile,
quant, à l’exécution du jugement, 447.
R e s c is io n . —Le droit de faire prononcer la rescision du contrat dolosif
est une pure faculté, 275. — Hypothèse dans laquelle la rescision est
impossible, 276. — Effets de la rescision par rapport aux tiers-dé
tenteurs, 277. Voy. Revendication. — Contre qui doit être intentée
l’action en rescision? 299.
R é s e r v e . — Caractère de la disposition de l’article 1094 sur la réserve
des ascendants, 1672. — Origine delà réserve légale des ascendants,
sa quotité, 1684 et suiv. — L’indisponibilité de la réserve des articles
913 et 915 n’est pas moins absolue que celle de la réserve des ar
ticles 1094 et 1098 du Code civil, 1688. — L’atteinte portée à la ré
serve par une renonciation à une communauté, ou a un legs, peut
être l’objet d'une action de la part des enfants, effets de celte
<
�704
TABLE
action fl de celle des créanciers, 1689. — Conséquences de l’indis
ponibilité de la réserve à l’endroit des donations indirectes, Dît I.
R é t e n t io n d e la p r o p r ié t é . — La rétention de la propriété par le
vendeur est une présomption de fraude, 1451. — De quelle manière
elle se réalise le plus souvent, 1452. — Dans quels cas doit-on en
en admettre l’existence? 1453.
R é t ic e n c e . — Effet de la réticence dans la police d’assurance, voy. dssu rances m a ri lim es.
R e t r a it l it ig ie u x , Yoy. Vente de droits litigieux.
R e t r a it successoral , Voy. Vente de droits successifs.
R e v e n d ic a t io n . — Différence des effets de la revendication,
suivant
qu’il s’agit d’un immeuble ou d’un meuble, 278. — Droits et devoir
du possesseur de bonne foi, 279 et suiv. — Prescription qu’il peut
invoquer contre le revendiquant, 282. — Difficultés que soulève la
revendication d’un objet mobilier, 285. — Elle ne peut cire exercée,
en matière de dol ou d’escroquerie, 288 et suiv. — Exception dans
le cas de mauvaise foi ou de fraude de la part du détenteur, 294 et
suiv. — Les meubles incorporels ne sont pas régis par l’article 2279
du Code civil, 296 et suiv. — Exceplion que subit le droit de reven
dication, 298. — Les créanciers qui ont fait révoquer da vente laite
en fraude de leurs droits peuvent-ils revendiquer l’immeuble entre
les mains du second acquéreur? 1764.
R év o c a tio n . — Quelles sont les causes de révocation des donations?
Voy. D onation et D onation déguisée. — Conséquence de la règle
que les donations ne sont pas révoquées de plein droit, 1750.—
Délai dans lequel l’aclion en révocation peut être exercée par le do
nateur, cette action passe-t-elle aux héritiers? 1731,— Peut-elle
être exercée par les créanciers? 1752. — Les donations par contrat
de mariage sont-elles revocables pour inexécution des conditions ou
pour cause d’ingratitude? 1755.
s
S ag e - f e m m e . —
Les sage-femmes sont-elles atteintes de l'incapacité
édictée par l’article 909 du Code civil? 167.
S épa r a tio n de r ie n s . — Dangers que la séparation de biens fait courir
aux créanciers, à la femme elle-même, 1-483. — Etendue de la faculté
laissée à celle-ci de prendre toutes mesures conservatoires, 1485 et
suiv. — Conditions et formes de la procédure 1487 et suiv. Cette
faculté peut être exercée par la femme poursuivant la séparation de
corps, 1490. — Abus qu’on a fait de la séparation de biens, précau
tions de la loi, 1492 et suiv.— Publicité de la demande, effet de l’o-
�705
G É N É R A L E ET A L P H A B É T I Q U E .
mission, 1494 etsuiv. — Conditions d’admissibilité, époque du juge
ment, 1497 et suiv. — Obligation de la femme de prouver le désor
dre des affaires de son mari, faits tendant à l’établir, 1499 et suiv. —
La preuve testimoniale peut être ordonnée d'office, 1501. — Objet
de la publicité que le jugement doit recevoir, 1502.— Délaide l’exé
cution, caractère et forme de celle-ci, 1504 etsuiv. — Comment
doit être constatée l’exécution volontaire? 1507.— Caractère du
paiement, s’il est réalisé, 1508. — A défaut de paiement, comment
doit se faire la poursuite ? 1509 et suiv. — Caractère du jugement
prononçant la séparation de biens, durée du délai laissé aux tiers pour
l’attaquer, effet de leur inaction, 1511 etsu iv .— Les créanciers
postérieurs il la séparation peuvent-ils se plaindre de l’execution
tardive du jugement? 1513.— Les créanciers sont-ils déclins, par
l’expiration du délai d’un an, de la faculté d’attaquer le jugement
comme rendu en fraude de leurs droits? 1514.— L’effet rétroactif
du jugement est-il opposable aux tiers comme au mari? 1510.
S é p a r a t io n m c o r ps .— La séparai ion de corps doit-elle êire prononcée
dans le cas d’erreur sur les qualités morales du conjoint? 3à3 et suiv.
— La séparation, relâchant les liens du mariage, oblige l’époux qui
l’a encourue à indemniser son conjoint du préjudice qu’il peut en
recevoir, 858. — Elle entraîne la révocation des avantages faits dans
le contrat de mariage, 839.
•Se r m e n t . — Effet du serment prétendu ou reconnu faux, voy. Requête
civile.
S im u l a t io n . —
Défmilion de la simulation, en quoi elle diffère du dol
et de la fraude, 1257. — Ses caractères, 1258. — Objcls'qu’elle se
propose, 1259. — Caractère de la simulation licite, 1260 et suiv. —
Différence entre la simulation relative et la simulation absolue, 1265.
S o c ié t é . — Caractère et objet de la société, 1057 et suiv. — Effet du
consentement extorqué, conséquences de la nullité en résultant poul
ies associés et pour les tiers, 1060 et suiv. — Quid, si la signature
est le résultat d’un faux? 1065. — Conséquences du pacte donnant
à l’un la totalité des bénéfices ou l’exonérant de toute participa
tion aux pertes, 1065 et suiv. — C’est la mise matérielle que la loi
défend de soustraire aux pertes, conséquences pour l’associé indus
triel, 1069. — Autre exception à la défense d’être affranchi de la
perte, 1070. — Conditions sans lesquelles la participation du prêteur
aux bénéfices constituerait une usure déguisée, 1071 et suiv.—
L’assurance du bénéfice entre associés n’est valable que si le contrat
est sérieux et sincère, 1074. — Obligation pour chaque associé de
verser sa mise, effet du retard ou du refus, 1075 et suiv. — Obliga
tion de l’associé purement industriel, 1077 et suiv. — L’industrie
in
31
�706
TABLli
promise appartient à tous les associés du jour de la constitution de
la société, conséquences, 1079.— Chaque associé est responsable
de sa faute, nature de cette responsabilité, 1080 et suiv. — Effet de
la fraude, 1083 et suiv.— Conséquences de l’une et de l’autre, quant
à la durée de la société, 1083 et suiv.— Comment peut être pro
noncée la dissolution de la société à terme ? 1088 et suiv.— Quel est
l’effet do la renonciation frauduleuse ou inopportune ? 1090 et suiv.
— Exception de l’article 1871 du Code civil, quant à la dissolution
des sociétés à terme, 1098 et suiv.— Le refus de continuer, de la part
de l’associé industriel, devrait-il faire prononcer la dissolution mal
gré la résistance dés autres associés? 1100 et suiv.— Effets de la dis
solution soit conventionnelle, soit judiciaire, 1103. — Obligations du
gérant, 1104. — Effets de la prohibition de reviser les comptes,
caractère de l’action en redressement, 1108 etsniv.
S
. — Le défaut de publicité de l’acte de société
commerciale équivaut aune fraude, 717.— Ses effets par rapport
aux associés, 718. — Aux créanciers sociaux, 719. — Aux créanciers
personnels de chaque associé, 720.
S
. — La société universelle entre personnes inca
pables de se donner ou de recevoir est présumée frauduleuse, 653.
— Débats que l’article 1840 a soulevé dans le sein du conseil d’Etat,
conséquences de sa disposition à l’endroit de. celle de l’article 911
du Code civil, 656 et suiv.—Effet de la présomption de fraude, 658.
— La société universelle entre un père et son fils est-elle intégrale
ment nulle ou seulement réductible ? 659.
S
. — La solidarité en matière de dol résulte de l’indivisibilité
du fait, 335 et suiv. — Importance de la solidarité pour l’application
de l’article 126 du Code de procédure civile, 332.
SoLVARiLTtTÉ. — Effet de la solvabilité du débiteur au moment de
l’acte querellé do fraude sur l’appréciation de l’action, 1823 et suiv.
S
. — U y a fraude légalement présumée dans les faits cons
tituant le stellionat, 679. — Nature de la présomption dans l'hypo
thèse de la vente, ou de l’hypothèque de la chose d’autrui, 680. —
Dans celle de présenter comme libres des biens grevés, ou déclarer
des hypothèques moindres que celles existant, 681. — Le silence
gardé dans l’acte sur l’existence ou le nombre des hypothèques ne
constitue pas le stellionat, exception pour les maris et les tuteurs,
682 et suiv. — La présomption est-elle effacée par la bonne foi? Na
ture de celle-ci, 684 et suiv.—Il n’y a stellionat, dans le cas de fausse
indication, que de la part de son auteur, conséquence à l’endroit de
la femme s’étant solidairement engagée, 686. — Le stellionat n’est
punissable qu’aulant qu’il y a un préjudice possible, 687.— L’acquéo c ié t é
c o m m e r c ia le
o c ié t é
u n iv e r s e l l e
o lid a r it é
t e l l io n a t
�G ÉN ÉRA LE E T A L P H A B É T IQ U E .
707
reur de la chose d’aulrui a action contre son vendeur avant même
d’être troublé dans sa possession, 688. — Peine du stellionat, 689.
— Les époux, vendant comme libre un fonds dotal, commettent-ils
un stellionat? 1341 .
Su b o r n a t io n d e t é m o in s , voy,
Requête civile.
— La prohibition faite au tuteur de se rendre adju
dicataire des biens du mineur s’applique—t—elle au subrogé-tuteur?
703.
S
. — Historique de la législation sur les
substitutions fidéicommissaires, 1581 et suiv. — Intérêt des héritiers
naturels à faire constater le caractère réel de la disposition, 1586.—
Condilionsexigées pour qu’il y ait substitution prohibée, 1587 et suiv.
— Dans le doute on doit se prononcer pour la validité de l’acte, 1592.
— Il n’y a pas substitution si la charge de rendre n’est imposée que
pour co quod supcrerit, portée de cette disposition, 1595 et suiv. —
Il en serait de même de l’obligation de rendre si quid supcrerit,
1600.— La preuve d’une substitution fidéicommissaire ne peut être
faite que par écrit, 1623.—La donation renfermant une substitution
prohibée est nulle, 1734.
S
, voy. Suppression de part.
S
. —Droits des créanciers contre les successeurs
irréguliers et notamment contre l’enfant naturel, 1571.
S
. — Intérêts que l’ouverture d’une succession met en pré
sence, et objet que peut se proposer la fraude, 1540.— Précautions
de la loi en faveur des héritiers et des tiers, 1542.—Nature et carac
tère du recélé puni par l’article 792 du Code civil, ses effets, 1543 et
suiv. — Faculté pour les héritiers et les créanciers de requérir l’ap
position ou de s’opposer à la levée des scellés, 1547. — Cette der
nière peut être exercée par les créanciers personnels du cohéritier,
1548.—Nature et effet du droit que tout créancier a d’assister à l’in
ventaire, 1549. — Faculté des créanciers du cohéritier d’intervenir
au partage, 1550. — La volonté de l’exercer résulte de l’opposition à
la levée des scellés, 1551. — A défaut d’intervention, les créanciers
peuvent-ils attaquer le partage consommé ? 1552. — Quel est l’acte
constituant un véritable partage ? 1553. — Forme que doit avoir
l’opposition au partage, 1554. — Les créanciers qui n’ont pas fait
opposition ne sont pas déchus du droit d’intervenir, 1555. — Consé
quences de l’opposition sur la validité du partage, 1556.—Le créan
cier opposant a-t-il le droit d’attaquer une vente par licitation à la
quelle il n’a été ni présent, ni appelé? 1557. — Droit du créancier
d’un usufruit d’une partie de biens indivise avec un tiers, 1558.—
L’opposition et l’intervention sont ouvertes aux créanciers chirograSubrogé- t u t e u r .
u b s t it u t io n
u b s t it u t io n
f id é ic o m m is s a ir e
de pa r t
uccesseur ir r é g u l ie r
u c c e s s io n
�708
TABUE
phaires ou hypothécaires, 1559.— Quid, des créanciers de la suc
cession ? 1560.
S
. — La renonciation à une succession non ouverte
est nulle comme pacte sur succession future, 646.—Quelle est la loi
applicable lorsque le pacte étant antérieur au Code, la succession
ne s’est ouverte que depuis sa promulgation? 647. — Le pacte est-i!
susceptible de ratification après l’ouverture de la succession ? 648.
— La renonciation pour un seul prix à deux successions, l’une ou
verte, l’autre future, est nulle pour le tout, 649 et suiv.— La loi pro
hibitive du pacte sur succession future étant d’ordre public, la nul
lité est radicale, conséquences pour ta renonciation déguisée, 1387
et suiv.— Ce pacte résulterait de la vente du mobilier qu’on délais
sera à son décès, 1362.—Effets d’une pareille clause à l’endroit des
immeubles simultanément aliénés avec désinvestissement actuel,
1365. — La même règle serait applicable à la vente d’une quotité de
la succession, 1364.—Exception introduite par l’article 918 du Code
civil, ses dangers, 1693. Voy. Prescription, Ratification.
S
. — Fraudes que l’ouverture d’une succes
sion testamentaire peut faire surgir, 1572. — Droit des successibles
de faire annuler le testament soit en la forme, soit au fonds, 1572 bis.
Voy. Succession.
S
, voy. Suppression de part. — Peut n’être qu’un
moyen frauduleux pour faire annuler une donation, 1698.
S
. — Différence entre la suppression et la supposi
tion de part, 890 et suiv. — A qui appartient l’action dans l’une et
dans l’autre? 894 et suiv.—Par quels principes est régie l'action des
parents ou autres ayant-droit? 896.— La prohibition de toute pour
suite de la part du ministère public s’applique au cas de supposition
et de substitution, comme à celui de suppression, 897.
S
. — Caractère de la suppression du testa
ment, 411.— Peul être prouvée par témoins, 412.— Son effet, quant
à l’exécution du testament et à la régularité de ses formes, 413 et
suiv.— Quid, si celui qui profite de la suppression n’y a pas coopéré?
415 et suiv.—Effet de la suppression par rapport à l’hérédité, droits
des tiers, 417 et suiv.
S
’
. — Révoque de plein droit la donation, voy.
Donation, Donation déguisée. — Caractère frauduleux et immoral
qu’elle peut revêtir dans ce but, 1715.
u c c e s s io n
futu re
u c c e s s io n
t e s t a m e n t a ir e
u p p o s it io n
u p p r e s s io n
de
de
pa r t
part
u p p r e s s io n
de
testam ent
urvenance
d enfants
T
T estam ent.
— Le testament renfermant une substitution ftdéicommis-
�G EN ERA LE E T A L PH A B ET IQ U E
709
sa ire ne saurait sortir à effet, 1580. — Voy. Donation, Libéralité,
Sucession testamentaire, Suppression de testament.
— Quelles sont les personnes que cette qualification désigne?
1403. —Droit des tiers en cas de fraude à leurs droits, voy. Donation,
T ie r s .
Libéralité, Renonciation, Séparation de biens, Société, Succession,
Usufruit, Vente.
— La faveur due au titre ne saurait faire repousser sans exa
men les reproches de défaut de sincérité, 8. — L’autorité qui lui est
due ne s’efface que devant la preuve de son illégitimité, 105.—C’est
à celui qui le prétend tel, qu’incombe la charge de le prouver, 231.
— Preuve admissible, voy. Preuve testimoniale.
. — Effet du dol dans les traités, 262 et suiv.
, voy. Contre-lettre, Office, Ratification, Répétition:
.— L.» tromperie sur la nature de l’objet vendu est un délit,
959. — Tromperie sur la qualité, ses effets, 961 et suiv. — Effet de
celle sur la quantité, 964.
. — Difficulté de la mission qui leur est confiée en matière
de dol et de fraude, 6.
. — Nature des obligations imposées au tuteur, 136.— Leur
accomplissement doit être prouvé par écrit, 157. — La présomp
tion de dol, résultant de leur défaut, est jnris et de jure, 158.—
Le récépissé des pièces justificatives doit avoir date certaine pour
faire courir le délai de dix jours, formes de ce récépissé, 139. Voy.
T it r e .
T r a it é
T r a it é s e c r e t
T r o m p e r ie
T r ib u n a u x
T uteur
Action, Donation, Mineur, Nullité.
— Effets de la renonciation, à un usufruit à l’égard îles
créanciers du renonçant, 1630.— Différence entre cette renoncia
tion cl celle à une succession, conséquences pour les divers ayantdroit, 1631 et suiv. — Différence entre la renonciation à titre gratuit
et celle à titre onéreux, 1655. —■ Conséquences de la violation des
prescriptions de l’article 1614 du Code civil, 1709. — Effet du pré
judice éprouvé par le nu-propriétaire, 1714 et suiv.
. — La renonciation par le père à son usufruit légat
peut-elle être l’objet de l’action révocatoire? 1657. Quid, de celle
résultant de l’émancipation? 1638. — Les règles ordinaires de l’usu
fruit s’appliquent à celui que le père a des biens de ses enfants, 1712.
— L’abandon ou la destitution de la tutelle entraîne-t-il la perte de
l’usufruit légal ? 1715.
. — En quoi consiste l’usure, 1115. — Justification en principe
des droits du législateur à la réglementer, 1116 et suiv. — Réforme
U s u f r u it .
U s u fr u it l é g a l
Usure
�710
TA ITtE
dont la loi de 1807 serait susceptible, 1110. — Défaut de proportion
entre l’intérêt qu’elle consacre et le revenu foncier, 1120. — Véri
table valeur de l’argent en matière commerciale, 1121. — Abus de
l’application du taux commercial aux lettres de change souscrites
par des non-négociants et aux prêts commerciaux garantis par nan
tissement ou hypothèque, 1122 et suiv. — L’usure ne peut exister
que dans le prêt, simulations naissant de celte circonstance, carac
tère des questions qu’elles offriront à résoudre, 1125 et suiv.—
Exemple d’usure dans un contrat de mariage, 1127 et suiv. — Diffi
cultés sur les droits que les banquiers perçoivent en sus de l’intérêt
légal, 1150 et suiv. — Opinion de MM. Chardon, Duvergier, Fremery, réfutation, 1154 et suiv. — Conséquence de la facilité que ces
droits offrent à l’usure, 1138 et suiv. — Le droit de commission peutil être prélevé en l’absence d’un crédit ouvert? 1144.— Comment
se règlent les comptes courants? 1145. — Le solde peut-il être sou
mis de nouveau au droit de commission? 1146. — Condition pour
que les intérêts soient capitalisés chaque trois mois, 1147.— Le
banquier peut-il prélever la commission à chaqne renouvellement
d’effets souscrits par de non-commerçants? 1148. — La fusion des
intérêts avec le capital, ou leur prélèvement, constitue l'usure, 11411
et suiv. — Peut-on, pour un capital en espèces, stipuler un intérêt
en denrées? Quid, si le capital est lui-même en denrées? 1154 et
suiv. — La loi de 1807 est inapplicable au prêt aléatoire, application
de cette règle à la caisse hypothécaire, 1156. — Au contrat à la
grosse, exemple d’une usure palliée sous l’apparence de ce contrat,
1157. — A la cession, 1159. — Au contrat de rente viagère, exem
ple d’une usure déguisée sous cette forme, 1160 et suiv.— Com
ment faut-il apprécier la donation faite par le débiteur au créancier?
1162 et suiv. — Il y a usure dans l’exigence de services personnels
appréciables en argent, comment doit-on juger ce caractère? 1167
et suiv. — L’usure peut se déguiser sous l’apparence dH contrat de
société, d’une vente d’objets mobiliers, de marchandises par un
marchand, enfin, d’un immeuble, 1170 et suiv. — Nature de la vente
à réméré, conséquences de l'usure qu’elle déguiserait, 1174 et suiv.
— L’usure peut emprunter la forme d’un échange, 1182.— Devoir
qu’impose aux tribunaux la facilité que l’usure trouve à se dissi
muler, 1185.— L’usure ne devient un délit que par l’habitude,
mais chaque fait crée une action en faveur de l’usuré, 1184. —
Inapplicabilité de l’article 1541 à cette action, comme 5 celle du
ministère public, 1185 et suiv. — Conséquence quant à la preuve
par témoins, par présomption, par le serment supplétoire, usage que
les tribunaux doivent faire de cette dernière faculté, 1189 et suiv.—
�G ÉN ÉRA LE E T A L P H A B É T IQ U E .
711
Effet de l’usure reconnue sur l’exécution de l’acte, 1195.— L’ac
tion du débiteur passe à ses héritiers ou créanciers, mais elle ne
peut être jointe à celle du ministère public, 1194 et suiv. — Dans
quels cas l’usurier pourra-t-il opposer la chose jugée, 1197 et suiv.
L’usure ne peut être valablement ratifiée, 1200. — Prescription op
posable à l’action, son point de départ, délai requis, 1201 et suiv. —
Perpétuité de l’exception, 1204.
U s u r p a t io n d u n o m d u f a b r ic a n t , voy.
Contrefaçon.
V
Peut devenir un moyen ou une cause de fraude, 957 et suiv.
— Caractère et effets du contrat mohatra, 939 et suiv. — La vente
peut déguiser un contrat pignoratif, à quelles conditions, 944 et
suiv. — L’acte nul comme contrat pignoratif vaudra comme obliga
tion, 947 et suiv.— Fraudes dans la délivrance, leur caractère et leur
effet, 949 et suiv. — L’article 1610 ne distingue pas la fraude de la
faute, motifs du législateur et atténuations qu’il consacre à la ri
gueur de celte règle, 952 et, suiv. — La faculté de proroger le terme
de la livraison peut-elle être appliquée aux ventes commerciales?
955. — Modifications faites à la chose vendue après la vente, con
séquences quant aux meubles incorporés, aux capitaux d’exploitation,
aux recolles pendantes, 954 et suiv. — La livraison d’une chose qu’on
sait impropre à sa destination est une fraude, 965. — Vente de la
chose d’autrui, scs effets, 955. — Seconde vente de la chose déjà
vendue, 966 et suiv. — Effet du refus ou du retard de l’acquéreur à
prendre livraison, 969. — Effet du retard dans le paiement, 970. —
Toute dégradation volontaire, tant que le prix n’a pas été payé, est
une fraude, droit qu’elle confère au vendeur, 977. — Le vendeur non
payé peut attaquer, comme faite en fraude de scs droits, la vente con
sentie par son acquéreur, 578. — La vente peut être valablement
consentie sous forme d'échange, 1270. — Importance du véritable
caractère de l’acte à l’endroit de l'action en lésion, 1271.— Peut-on
l’établir par témoins ? 1272. — Présomption attachée à la vente faite
aux successibles directs à rente viagère et à fonds perdu, ou sous
réserve d’usufruit, 1692 et suiv. — Facilités que la vente offre à la
fraude contre les créanciers, 1755.— Ses effets en matière commer
ciale, précautions prises à cet égard, 1756 et suiv. — Effet de la
poursuite personnellement intentée par un créancier, 1739. — Ca
ractère et effet de la simulation de la vente, en cas de déconlîture
civile, 1740. — Effets de l’admission de l’action des créanciers contre
a vente, 1765.
Ve n t e . —
�TABLE
7 d2
Le Code a admis, sur la vente des droits
litigieux, la doctrine du droit romain, 1781 et suiv. — Difficulté que
fera naître la question de savoir s’il y a vente ou donation, 1784.—
Le reirayant peut contester la sincérité du prix, 1785. — Le droit au
retrait est absolu, il peut être exercé pour la première fois en appel,
1786. — Peut-il l’êire par les créanciers de l’ayant-droit? 1787. —
La décision définitive du procès rend tout retrait ultérieur impossi
ble, 1788 — Exception à cette règle, 1789.— Caractère des excep
tions que l’article 1701 introduit à la disposition de l’article 1699 du
Code civil, comment doit être appréciée celle faite en faveur de l’hé
ritier? 1790 et suiv. — Prohibitions spéciales en matière d’achat de
droits litigieux, effet de la violation, 1792 et suiv.
V
. — Fraudes dont cette vente est susceptible,
effet de l’opposition à la levée des scellés signifiée par les créanciers,
1765 et suiv.— Le créancier non-opposant ne perd pas le droit d’at
taquer la vente en vertu de l’article 1167 du Code civil, 1767.—Pré
somption tirée de l’exagération du prix, 1768 et suiv. — Par qui et
comment doit être établi le juste prix, lorsqu’il est impossible de pré
ciser celui qui a été réellement convenu? 1770 et suiv. — Consé
quences de l’obligation pour le relrayant de restituer le prix réel, à
l’endroit des frais accessoires, 1772. — La demande en retrait doitelle être précédée ou accompagnée de l’offre réelle de restituer le
prix? 1775. — Iniluence de la dénonciation de l’intention d’exercer
le retrait sur les actes ultérieurs du cédant et du cessionnaire, 1774.
— Le dernier évincé par le retrait a-t-il une garantie contre le
vendeur? 1775 et suiv. — Application de ces règles à la donation
déguisant une vente, ou à la vente qu’on soutiendra n’etre qu’une
donation, 1777 et suiv. — Effets de la ratification imputée au retrayant, caractères qu’elle 'doit offrir, 1779. — L’action en retrait
n’est plus recevable après le partage, quid, en cas de nouveau par
tage, par suite de la rescision du premier? 1780.
V
. — La vente entre époux est présumée fraudu
leuse, motifs, 690 et suiv.— Exceplions, leur caractère, 695 et suiv.
— Leurs conditions, 698.— La vente entre époux, faite au mépris
de la loi, est nulle à l’égard des tiers, 699. — Quid, vis-à-vis des
héritiers ? 700.
V e n t e d e d r o i t s l i t i g i e u x .—
e n t e d e d r o it s s u c c e s s if s
ente
Vente
entre
a
époux
rém éré
, voy.
U sure.
. — Caractère de la vente à fonds perdu,
conditions qu’elle exige, 1745 et suiv — Le risque sérieux existe-t-il
lorsque le taux de là rente est inférieur aux revenus des biens alié
nés ? 1745 et suiv. — Cette vente comporte-t-elle l’action en lésion ?
1747 et suiv. — La vente est nulle si au moment du contrat le crédi'
V ente a
rente
v ia g è r e
�G ENERALE
ET
A LP H A B E TIQ U E
713
rentier était mort, 1750.— Différence, sur ce point, entre la vente et
le contrat d'assurances maritimes, 1751. — La vente est nulle si la
rente a été constituée en faveur d'une personne morte dans les vingt
jours de la maladie dont elle était atteinte le jour du contrat, alors
même ([lie celte personne eût elle-même été partie à l’acte, 1752 et
suiv. — La nullité étant d’ordre public, la renonciation à s’en préva
loir ne produirait aucun effet, 1754. — La vente sans date certaine
est-elle opposable aux héritiers du vendeur ? 1755 et suiv. — Consé
quences de la négative, quant à la preuve de la sincérité de la date,
1758. — Conditions indispensables pour que la nullité puisse être
prononcée, 1759. — L’article 1795 du Code civil est applicable au
cas où il y a plusieurs crédi-rentiers, comment se règle alors le sort
de l’acte? 1760 et suiv.
V
. — Celui qui vend sciemment un animal atteint
d’un vice rédhibitoire commet un véritable dol, 62.— Caractère de
ce dol, ses conséquences quant aux dommages-intérêts, 94 et 307.
ic e
r é d h ib it o ir e
Et N DE LA TAREE GÉNÉRALE ET ALPHABÉTIQUE.
�
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/321/RES-20879_Bedarride_Traite-dol_2.pdf
370c9fa68ec2a3c02258e9ab8d878de1
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Text
TRAITÉ
DU DOL
ET
DE LA FRAUDE
EN MATIERE CIVILE ET COMMERCIALE
PA B J . B É D A B B ID E .
AVOCAT A LA
COUR D’APPEL D’AIX ,
ANCIEN BATONNIER
Tome 2
TOME SECOND.
£
N/A \
i(BIBU0T2HE)©ï
=
=
=
’
>vi A
^ -t, <r '
'• <j‘
jL
PARIS ,
COÜRCIER, LIBRAIRE , RUE HAUTEFEUILLE , 9 ;
DURAND, LIBRAIRE, RUE DES GRÈS;
Veuve i h o r e l , l ib r a ir e , place du pan th éo n .
AIX,
AUBIN, LIBRAIRE-ÉDITEUR,
SUR LE COURS, i .
1851.
�TRAITÉ
DU DOL
ET
DE LA FRAUDE
EN MATIERE CIVILE ET COMMERCIALE
PA B J . B É D A B B ID E .
AVOCAT A LA
COUR D’APPEL D’AIX ,
ANCIEN BATONNIER
TOME SECOND.
£
N/A \
i(BIBU0T2HE)©ï
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jL
PARIS ,
COÜRCIER, LIBRAIRE , RUE HAUTEFEUILLE , 9 ;
DURAND, LIBRAIRE, RUE DES GRÈS;
Veuve i h o r e l , l ib r a ir e , place du pan th éo n .
AIX,
AUBIN, LIBRAIRE-ÉDITEUR,
SUR LE COURS, i .
1851.
��TRAITÉ
DU DOL ET DE LA FRAUDE
EN MATIÈRE CIVILE ET COMMERCIALE.
DEUXIÈME
PARTIE.
OBSERVATIONS GÉNÉRALES.
somma; r e
6-10 .
.
Nature de la fraude.
611. Ses caractères.
642. Diverses espèces de fraude.
640. — La fraude, plus subtile encore que le dol,
n’en est que plus redoutable. Laissant moins de traces de
�T R A IT E
son passage, parce qu’elle exige moins de calcul dans sa
perpétration, elle n’en est que plus difficile à saisir, sans
cependant que l’intérêt s’attachant à sa répression soit
moindreauxyeuxdulégislateur, auxyeux de la morale.
C’est donc servir celle-ci que de s’occuper des mo
yens pouvant amener cette répression. Sans doute il est
impossible de suivre la fraude dans tous ses dévelop
pements, de la signaler avec certitude dans tous les
contrats qu’elle vicie. Mais en désigner les principaux
caractères, dire quelles en sont les allures ordinaires,
c’est faciliter les recherches confiées aux tribunaux ,
préparer la solution que les litiges doivent recevoir, et
concourir ainsi à rendre plus facile et plus sûre la mis
sion que le juge a à remplir.
6 # ■ — Heureusement qu’en matière de fraude la
conscience du magistrat a, dans les résultats du fait, un
auxiliaire puissant. L’existence certaine d’un préjudice
crée, indépendamment de toute fraude, le droit d’ob
tenir une réparation. La constatation do ce préjudice est
donc un grand pas dans l’appréciation de l’intention im
putée à son auteur.
Rappelons, en effet, que l’existence d’un préjudice
est le caractère essentiel de la fraude. Que ce préjudice
ait été préparé au moment du contrat, qu’il en ait été la
cause déterminante ou bien qu’il ne soit que la consé
quence d’une pensée que l’exécution du traité aura fait
surgir, peu importe. La fraude peut exister sans avoir
été préméditée ; elle se réalise par cela seul qu’il y a
préjudice : Fraus non in c;msüio,sed in eventu.
�Admettre le contraire, c’était confondre le dol et la
fraude, c’était s’exposer à rendre la répression de celleci impossible en présence même du préjudice le plus
considéiable. Rarement, en effet, trouvera-t-on la
fraude dans l’origine des contrats; c’est dans l’exé
cution qu’elle se manifestera le plus habituellement;
et le plus ordinairement aussi, c’est par le résultat
lésif qu’elle donnera à cette exécution qu’elle décèlera
son existence. Conséquemment, la saisir dans ce ré
sultat, pour lui en enlever le bénéfice, devient le contre
poids indispensable de la facilité qu’elle a à se produire.
642.
— Nos anciens jurisconsultes avaient d’abord
admis onze espèces de fraude. Bientôt une classification
plus exacte les réduisit à trois, savoir : la fraude con
sommée par une partie au détriment et à l’insu de l’au
tre partie, c’était la fraude de re ad rem; celle concertée
par les parties pour tromper les tiers étrangers à l’acte,
on l’appelait de persona ad personam; enfin, la fraude
de conlraclu in contraclam, consistant à dissimuler,
sous la forme de l’acte, le contrat réel que les parties
avaient voulu faire. 1
Cette distinction embrasse aujourd’hui toute la ma
tière. Sous l’empire de notre législation, en effet, la
fraude est restée l’art perfide de braver les lois avec
l’apparence de la soumission, de violer les traités en
paraissant les exécuter, et de tromper, par l’extérieur
des actes et des faits, sinon ceux qu’on dépouille, du
1 Dauly, de la Preuve tesl., p. 172, n° 30.
u j
�A
T R A IT E
moins les tribunaux dont ils pourraient invoquer la
puissance.1
Il y a donc trois espèces de fraude, ayant chacune ses
règles particulières, ses principes spéciaux, ses effets
distincts. Cette distinction trace la division que nous
avons à suivre. Mais avant d’examiner ce qui se rap
porte à chaque espèce, nous devons exposer ce qui con
cerne la fraude en général et le mode adopté pour so
constatation.
1 Chardon, de la Fraude,
I.
n, p. 1,
�DU DOL
ET
DE LA FR A U D E .
C H A P IT R E
K
D E X.A P R E U V E R E X A F R A U R E .
SOMMAIRE.
643. Caractère que doit avoir la preuve.
644. Comment et par quels moyens on peut la fournir.
643.
— L’existence certaine de la fraude dont on
se plaint est la première et la plus indispensable con
dition de la réparation réclamée. C’est donc à celui qui
poursuit cette réparation qu’incombe la charge de prou
ver l’existence de la fraude.
Celte preuve, pour être utile, doit tendre à établir
d’abord un préjudice certain et incontestable; en se
cond lieu, que le fait dont il résulte est un fait illégal ou
illégitime ; enfin, que ce fait émane de celui à qui on
l’impute.
Qu’importe, en effet, qu’on ait révélé l’existence d’un
�6
TRA ITÉ
fait même nuisible, si l’auteur de ce fait peut se retran
cher dans le droit qu’il avait de l’exécuter. Ce que la loi
considère comme une fraude punissable, n’a jamais été
ni pu être l’exercice d’un droit, quelque dommageable
qu’il puisse être pour des tiers. C’est uniquement le
préjudice résultant d’une pensée méchante que rien ne
saurait justifier ou faire admettre, n’ayant d’autre but
que de s’enrichir au détriment d’autrui.
Celui- là donc qui, sur le reproche d’un fait domma
geable, pourra répondre jure feci, ne saurait encourir
aucune responsabilité, ni être tenu h aucune répara
tion. Mais l’exercice d’un droit ne serait pas une excuse
suffisante pour l’abus en signalant l’exécution. Consé
quemment, le magistrat a toujours, dans l’appréciation
du droit, à rechercher si son exercice s’est ou non ren
fermé dans de justes limites.
644.
— Par quels moyens la preuve de la fraude
peut-elle être fournie? En général, il en est de la fraude
comme du dol, elle ne se présume pas. Cependant celte
règle reçoit des exceptions, il est des cas où la fraude
est tellement imminente, tellement prochaine, que la loi
l’a admise de plein droit. Il en est d’autres où la fraude
résulte invinciblement du fait lui-même. Dans toutes ces
hypothèses, pas de difficultés possibles, la fraude est
légalement prouvée.
Mais hors ces exceptions, la preuve doit être fournie
par écrit dans certains cas, par témoins dans d’autres,
ainsi que nous allons le voir, après avoir établi ce qui
concerne la présomption de fraude.
�DU D 0 I.
ET
DE
LA F R A U D E .
SECTION lre— DE LA FRAUDE PRÉSUMÉE.
So m m a i r e .
845. Caractère et motif de la présomption.
646. La renonciation à une succession non ouverte est pré
sumée frauduleuse.
647. Quelle est la législation applicable au pacte sur suc
cession future, antérieur au Code, lorsque la suc
cession ne s’esf ouverte que depuis sa promulgation?
648. Le pacte est-il susceptible de ratification après l’ouver
ture de la succession ?
649. La renonciation pour un seul prix à deux successions >
l'une ouverte et l'autre non échue, est nulle pour le
tout.
650. Examen de deux arrêts invoqués à l’appui de la divi
sibilité.
551. La libéralité faite à un incapable est présumée fraudu
leuse.
652. Moyens employés pour se soustraire à cette présomp
tion. Conséquences.
653. Motifs et fondement de la présomption.
654. Son caractère.
655. La société universelle entre personnes incapables de se
donner ou de recevoir est présumée frauduleuse.
656. Débats que l’article 1840 du Code civil a soulevés dans’
la séance du conseil d’Etat.
657. Caractère de cette disposition. Ses conséquences par
rapport aux hypothèses prévues par l’article 911.
658. Effets de la présomption de fraude.
�-
TRA ITÉ
659. La société universelle entre un père et son enfant estelle nulle intégralement ou seulement réductible ?
660. La dette de jeu est présumée frauduleuse.
661. Difficultés que présente cette présomption dans son
application aux paris sur la hausse ou la baisse des
effets publics.
662. A quels caractères doit-on reconnaître le pari illicite ?
663. Avantages de l’article 422 du Code pénal sur la législa
tion précédente. Nature et origine de celle-ci.
664. Inconvénient du système actuel.
665. L’appréciation de la légalité des jeux de bourse est
abandonnée à l’arbitrage souverain du juge.
666 . Application des principes précédents au jeu sur m ar
chandises.
667. Caractères Spéciaux devant frapper l’attention du juge.
Absence de sommation de prendre ou de livrer les
objets vendus.
6 68 . Antécédent, moralité des parties, importance des ventes.
669. Il n’y a réellement opération illicite que lorsque le jeu
a été consenti par les deux parties. Conséquences.
670. La dette de jeu doit être annulée, sous quelques formes
qu'elle ait été déguisée. Jurisprudence conforme.
671. Résumé.
672. Exceptions à la règle générale de l’article 1965 du Code
civil.
673. Caractère de ces exceptions.
674. La faculté de rejeter la demande n’emporte pas celle de'
la réduire.
675. Différence entre la dette de jeu et la dette dolosive ou
frauduleuse. Conséquences quant à la répétition de
ce qui a été payé.
676. Naturedupaiementdontparle l’article 1967 du Code civil.
677. Le tiers qui a payé la dette du perdant a-t-il contre
celui-ci l’action en répétition?
678. Quid, si le tiers a été le mandataire de la partie dans
l’opération illicite ?
679. Il y a présomption de fraude pour les actes constituant
le stellionat,
�DU n O L
ET
DE LA F R A U D E .
9
680. Nature de la présomption dans le cas de vente ou d’hy
pothèque de la chose d’autrui.
681. Dans le cas où l’on présente comme libres des immeu
bles grevés, ou qu’on déclare des hypothèques moin
dres que celles existant.
682. Le silence gardé dans l’acte sur l’existence ou la quan
tité des hypothèques ne constitue pas le stellionat.
683. Il n’en est pas de même pour les maris et les tuteurs ;
pour eux, l’omission équivaut à la fausse déclaration.
684. Peut-on, dans ce cas, prendre en considération la bonne
foi des uns ou des autres?
585. En quoi*consiste la bonne foi dans cette hypothèse?
686. Il n’y a stellionat dans le cas de fausse déclaration que
de la part de l’auteur de cette déclaration. Consé
quence à l’égard de la femme qui s’est solidairement
engagée.
687. Le stellionat n’est punissable qu’autant qu’il existe un
préjudice possible.
688. L’acquéreur de la chose d’autrui peut faire condamner
le vendeur stellionataire, avant même d’être troublé
dans sa possession.
689. Peine du stellionat.
690. La vente entre époux est présumée frauduleuse. Motifs
de cette disposition.
691. Inconvénients du système contraire. Différence entre
le droit romain et le droit coutumier.
692. C’est ce dernier droit que le Code a consacré.
693. Exceptions à la règle générale.
694. Caractère de la première exception.
695. De la seconde, son étendue.
696. De la troisième.
697. Résumé.
698. Conditions pour pouvoir se placer dans l’exception.
699. La vente entre.époux, au mépris de la loi, est nulle par
rapport aux tiers.
700. Quid vis à vis des héritiers?
701. Quel est le sort des acquisitions que la femme prétend
avoir faites pendant la durée du mariage ?
�10
T ftA lT K
701. Prohibition que l’article 1596 du Code civil fait à cer
taines personnes de se rendre adjudicataires. Ses
motifs.
703. Cette prohibition est-elle applicable au subrogé-tuteur?
704. L'article 711 du Code de procédure civile complète la
catégorie des incapables créés par l’article 1596 du
Code civil.
705. Par qui peut être invoquée la nullité de l’adjudication
rapportée contrairement à ces deux dispositions.
706. Motifs de la prohibition pour les juges, e tc ..., de se
rendre cessionnaires de procès, droits ou actions
litigieux ?
707. Que faut-il entendre par procès, droits ou actions liti
gieuses ?
708. Qui est recevable à poursuivre la nullité de la cession ?
709. L’interposition des personnes dans les deux cas précé
dents obéirait-elle à la règle tracée par l’article 911 ?
710. Nature de la prohibition faite aux courtiers ou agents
de change par les articles 85 et 86 du Code de com
merce.
711. Peine encourue par la violation.
712. La loi ne prononce pas la nullité de l'opération illicite.
Par quels motifs.
713. Mais on ne saurait, dans tous les cas, refuser de la pro
noncer sur la demande de l’autre partie. Distinction
proposée.
714. La nullité opposable au courtier peut être opposée à la
personne que celui-ci se serait frauduleusement
substituée.
715. Le courtier qui, moyennant un clû-croire, garantit la sol
vabilité de l’acheteur, contrevient-il à l’article 86 du
Code de commerce ?
716. Par quel terme se prescrit le délit ou la contravention
résultant de la violation des articles 85 et 86.
717. L’absence de publication des actes de société soumis îji
cette formalité constitue une fraude présumée.
718. Ses effets par rapport aux associés.
719. Par rapport aux créanciers sociaux.
�DU DOL E T
DE LA F R A U D E .
11
720. Par rapport aux créanciers particuliers de chaque as
socié.
721. La loi sur les faillites offre de nombreux exemples de
fraude présumée.
722. Nature de la présomption, suivant qu’il .s’agit d’actes
postérieurs ou antérieurs au jugement déclaratif.
723. Distinction pour ces derniers entre ceux qui ont précédé
de plus de dix jours la cessation réelle de paiement
et ceux qui ont été faits depuis ou dans les dix jours
la précédant.
724. Effets pour les uns et les autres de la présomption de
fraude.
645.
— Le législateur, déterminé par des idées de
morale et d’intérêt général, a dû proscrire certains
actes, admettre certaines incapacités. Ces dispositions
ne pouvaient être efficaces que par le soin qu’on met
trait à en surveiller la stricte exécution, vouloir s’y
soustraire soit directement, soit indirectement, tenter
de les éluder par l’apparence donnée au contrat, c’est se
révolter contre la loi, et, conséquemment, c’est faire un
acte insusceptible de créer aucun lien obligatoire.
Ce qu’on peut admettre, c’est qu’on se gardera bien
de se constituer en état de rébellion aux ordres du
législateur d’une manière flagrante et certaine. C’est
toujours sous des dehors licites qu’on aura soin de
dissimuler la violation de la loi. Mais le véritable ca
ractère de l’acte constaté, la loi méconnue reprendra
son empire et la convention illégale sera annulée par
les tribunaux.
La fraude à la loi est indépendante de tout préjudice
à l’endroit des parties, il suffit qu’on ait voulu accomplir
�ce que la loi défend, pour que les auteurs mêmes de la
fraude soient admis à en poursuivre la répression.
646. — L’article 791 du Code civil nous en offre un
exemple, il défend de renoncer, même par contrat de
mariage, à la succession d’un homme vivant, et d'aliéner
les droits éventuels qu’on peut avoir à celte succession.
Or, sur la poursuite de la nullité d’un pacte contraire à
cette disposition, il est bien évident qu’il ne peut s’agir
de la question d’un préjudice quelconque. Tout ce qu’il
y a h considérer, c’est la nature de l’acte; constitue-t-il
le pacte sur succession future, il n’y a pas à hésiter, son
annulation doit être prononcée, alors même que le de
mandeur devrait en recueillir un dommage certain.
Rien ne saurait légitimer ce qui blesse ouvertement
une prohibition légale.
647. — Les pactes sur succession future n’étaient
pas considérés, par notre ancien droit, comme con
traires aux mœurs, fis furent donc autorisés jusqu’au
moment où notre législation intermédiaire proclama
la règle contraire, depuis consacrée par le Code ci
vil. Celte différence de principes a soulevé une ques
tion qui ne manquait pas d’intérêt, à l’origine du Code,
à savoir : quel doit être le sort du pacte valablement
consenti, lorsque la succession qui en a fait l’objet ne
s’est ouverte que depuis la promulgation du Code?
Àp rès quelques hésitations, l’opinion que ce pacte
devait être régi par la législation nouvelle a prévalu.
Les motifs, sur lesquels cette solution se fonde, sont :
�DU DOL
ET
DE
LA F R A U D E ,
1H
que les lois des 5 brumaire et 17 nivôsean n, que celles
du 28 pluviôse an v, et l’article 791 du Code civil ont
virtuellement annulé toute renonciation n’ayant pas
encore produit son effet; que, jusqu’à leur ouverture,
les successions sont dans le domaine du législateur qui
peut, à son gré, en modifier le sort. 1
648.
— La renonciation à une succession future
est-elle susceptible de ratification après l’ouverture de
la succession ? On a dit pour la négative qu’un acte vicié
d’une nullité radicale , déclaré contraire aux bonnes
mœurs et à l’ordre public, n’a que l’apparence d’un
contrat; qu’il n’existe pas; que, conséquemment, il
n’est sujet ni à ratification, ni à rescision.
Nous avons déjà distingué les nullités d’ordre public
permanentes et éternelles, et celles dont les motifs pu
rement temporaires s’effacent avec la cause qui les
produisait. La renonciation à une succession future
se place naturellement dans cette dernière catégorie; en
effet, la succession venant à s’ouvrir, chaque appelé a
le droit incontestable d’en récuser le bénéfice, de traiter
de ses droits avec qui il lui plaît et de la manière qu’il
juge convenable. À quel titre donc lui refuserait-on de
ratifier la convention précédemment souscrite et qu’il
tient à exécuter, puisqu’il n’en poursuit pas la nullité.
Le motif d’ordre public ne saurait être invoqué depuis
l’ouverture de la succession, le sort de l’acte est entièBastia, 14 avril 1854; — Cass., 55 mai 1828.
�U
TRAITE
rement laissé à l’intérêt privé, seul apte à juger de ce
qui est dans son utilité et dans ses convenances.1
649. — Une difficulté plus sérieuse est celle de
savoir si l’acte portant pour un prix unique renoncia
tion à deux successions, l’une ouverte, l’autre à échoir,
est nul pour le tout ou seulement pour ce qui concerne
celle-ci ?
La divisibilité de l’acte serait peut-être plus équi
table, mais son indivisibilité est plus juridique. 11 est
incontestable que, dans sa détermination, le prix a subi
l’influence des droits afférents au renonçant dans les
deux successions. Mais dans quelles proportions? C’est
ce que la justice est dans l’impossibilité de décider en
l’état du silence gardé par les parties. De telle sorte
qu’une ventilation quelconque serait de nature à s’é
carter de la vérité réelle; d’ailleurs, cette ventilation
constituerait un nouveau contrat substitué à l’ancien.
Or, si les tribunaux ont le droit d’interpréter les con
trats, ils n’ont jamais celui d’en créer un nouveau.
Conséquemment, le contrat étant indivisible dans le
fait et dans l’intention des parties, la nullité l’atteindrait
dans son ensemble.
650. — On cite, comme ayant admis la divisibilité,
deux arrêts : l’un de la Cour de cassation, du 17 jan
vier 1837; l’autre de la Cour de Lyon, du 19 mai 1810-1
Mais il est facile, en les consultant, de se convaincre
1 V. supra, n° 577.
5 i. du P., t. i, 1857, p, 156, et t. n, 1841, p. 704.
�oU
15
qu’ils ne comportent pas la signification qu’on veut
leur donner. Dans l’un et dans l’autre, en effet, le dé
fendeur appliquait le prix total à la renonciation à la
succession ouverte au moment du contrat, sans enten
dre exciper de celle à la succession lors à échoir. Il ne
s’agissait donc plus de diviser le prix entre les deux
successions. La question unique était celle de savoir si
la restriction du contrat, dans des limites légales, ne
laissait pas sans intérêts une nullité que le contrat,
ainsi réduit, ne comportait plus.
Cela signifie-t-il que la Cour de cassation, que celle
de Lyon, maintenant l’acte dans de pareilles circons
tances, l’eût également maintenu s’il se fût agi de di
viser le prix , d’en affecter une partie à la succession
échue et une partie à la succession à échoir? Evidem
ment, non. Car, ce n’est qu’en considérant comme non
écrit ce qui se rapportait h la succession à échoir
qu’on a pu faire maintenir le contrat. Il semble dès-lors
que la décision eût été diamétralement contraire, si le
maintien de l’acte, quant à ce, eût été réclamé.
Ainsi, l’indivisibilité de l’acte doit prévaloir, et son
effet doit être la nullité entière, toutes les fois que le
prix unique stipulé devra se répartir entre les deux
successions. L’offre d’appliquer l’intégralité de ce prix
à la succession lors échue pourra faire maintenir le
contrat, le poursuivant n’éprouvant dès-lors aucun
dommage, puisqu’il retient tout ce qui, dans sa pensée,
était l’équivalent de ses droits dans les deux succes
sions, et, par le fait, il se trouve n’avoir traité que pour
une.
DOL
ET
DE
LA F R A U D E .
�46
TRA ITE
651. — Il est des personnes incapables de recevoir
une libéralité de la part de certaines autres. La loi
n’ayant proclamé ces incapacités que dans une pensée de
morale, que dans un but d’intérêt public, il importe que
sa disposition reçoive une pleine et entière exécution.
652. — Or, on pourra vouloir se soustraire à cette
exécution, et cette pensée amènera ou à une simulation
dans le caractère de l’acte, ou à une simulation de
parties,
La première existe lorsque la libéralité a été dégui
sée sous l’apparence d’un acte à titre onéreux. Elle ne
constitue qu’une fraude ordinaire que la loi ne pouvait
ni ne devait présumer de plein droit. Les ayant-droit
pourront donc la dénoncer et en poursuivre la répres
sion , mais ils auront la charge de la prouver. Cette
preuve sera plus facilement accueillie que dans les cas
ordinaires, la qualité des parties et l’incapacité de l’une
d’elles à l’endroit des libéralités donnant à la simu
lation une grande vraisemblance. Pour peu donc que
d’autres présomptions viennent se réunir à celle-ci, la
fraude sera considérée comme certaine.
La seconde existe lorsque la libéralité faite à l’in
capable, l’a été par une interposition de personnes.
L’existence du fidéicommis peut, dans tous les cas,
être alléguée et prouvée. Mais elle est présumée de
plein droit lorsque l’appelé est le père ou la mère, l’en
fant ou descendant, le conjoint de l’incapable.
655. — Le fondement de cette présomption est la
�n(J
DOL E T
DE LA Eli AU DE.
17
facilité de la fraude qu’elle tend à prévenir et la néces
sité d’une simulation de ce genre, en supposant la pen
sée d’éluder la loi sur les incapacités. Nous l’avons dit
bien souvent, lorsqu’on veut violer la loi, ou ne le fait
pas ouvertement et sans déguisement aucun. Il serait
trop facile d’avoir raison de cette violation, si rien ne la
cachait aux yeux investigateurs de l’intérêt privé. II
faut donc demander des chances de réussite à des
moyens capables de faire illusion et de créer l’erreur.
Or, après la simulation dans le caractère de l’acte,
s’offre l’interposition des personnes, conduisant, sous
une autre apparence, à des résultats identiques.
C’est cette imminence de la fraude qui l’a fait admet
tre de plein droit, lorsqu’à l’affection du donateur pour
l’incapable se joint la parenté entre celui-ci et le béné
ficiaire de la libéralité. Ce n’est pas le père, la mère,
l’enfant, le conjoint de l’incapable qu’on a voulu grati
fier, c’est l’incapable lui-même. Dès-lors, comme on ne
peut faire indirectement ce qu’il est prohibé de faire
directement, la libéralité doit être annulée.
654. — Le principe de la présomption en indique
le véritable caractère. Elle n’admet pas la preuve con
traire aux termes de l’article 1552 du Code civil. Dèslors le demandeur n’a qu’à établir l’incapacité d’une
part, de l’autre, la qualité de parent de l’incapable au
degré que nous venons de rappeler, pour que l’acte soit
inévitablement condamné comme fîdéicommis prohibé.1
1 Toultier, t. x, p. 6'i, n° 32 ;— Cass., lSjuil. I813ell0nov, 1834*
�TR A1TIC
655. — L’article 1840 du Code civil nous fournit
un nouvel exemple de fraude présumée. Nulle société
universelle, dit cet article, ne peut avoir lieu qu’entre
personnes respectivement capables de se donner et de
recevoir l’une de l’autre, et auxquelles il n’est pas dé
fendu de s’avantager au préjudice d’autres personnes.
Toute société universelle, contractée au mépris de cette
disposition, devrait donc être annulée. La loi la repute
de plein droit frauduleuse, et la considère comme une
libéralité déguisée en faveur de l’incapable.
656- — Cet esprit de l’article 1840 nous est nette
ment indiqué par les débats que sa disposition subit au
conseil d’État. Le projet du Code prohibait toute so
ciété de biens présents et n’admettait que celles de
gains. Les premières étaient repoussées comme des
donations déguisées qu’on ferait ainsi au mépris de la
loi contre les incapables.
657.
— Cependant, les sociétés universelles de
biens, réclamées par quelques tribunaux, furent admi
ses non, comme le dit M. Troplong, sans un sentiment
de méfiance extrêmement marqué. C’est ce sentiment
qui inspira la disposition de l’article 1840.
Il suit de là que la société étant considérée comme
une donation déguisée, les règles applicables à cellesci s’appliquent également à celles-là. Dès-lors l’asso
ciation faite par personne interposée pourra être que
rellée de simulation et de fraude, et cette interposition
sera légalement présumée dans les hypothèses pré-
�vues par l’article 911. Il suit encore que nulle preuve
contraire ne saurait prévaloir contre la présomption
admise par l’article 1840.
658.
— La nullité de la société universelle, parapplication de cette disposition, remonterait néces
sairement à l’origine de la société. Cependant cette
société, ayant existé de fait, donnerait lieu, pour le
passé, à un règlement entre les prétendus associés. Il
est évident que si ce règlement se faisait conformément
aux stipulations du pacte social, l’incapable retirerait
de la libéralité déguisée tout le profit qu’on a voulu lui
conférer. N’est-il pas, en effet, certain qu’une société
contractée pour éluder la loi sur les incapacités, offrira
pour celui-ci des avantages plus ou moins importants?
Il est facile de prévoir que sa mise sera inférieure à
celle de son associé et que, cependant, on lui assigne un
droit égal à la masse. Peut-être aura-t-on stipulé qu’il
participera par moitié dans les bénéfices, et dans une
proportion moindre pour les dettes ; peut-être même
aura-t-on convenu d’un prélèvement en sa faveur pour
les peines et soins qu’il promet de donner à la société.
Nous avons raison de le dire, un règlement opéré sili
ces bases donnerait à l’incapable l’avantage que la loi
lui refuse.
Ces bases sont donc inadmissibles. Le règlement à
faire consistera donc à déterminer l’apport, de chaque
partie; cette opération faite, les bénéfices ou les pertes
seront répartis proportionnellement à l’apport, et l’in
demnité pour peines et soins, s’il y a lieu, fixée par le
r?
�20
TRA ITE
juge arbilrio boni viri. Nous ajoutons que les termes
du pacte, quant à l’apport de l’incapable, peuvent n’être
qu’un mensonge, en ce sens que cet apport peut avoir
été fourni directement ou indirectement par celui qui a
voulu l’avantager. La loi ne présume rien à cet égard,
mais elle laisse aux ayant-droit la faculté d’exciper de
cette fraude nouvelle, et, la preuve faite, le droit de
faire annuler ce nouvel avantage prohibé.
659.
— L’article 1840 a fait naître la question de
savoir si la société universelle, contractée par le père
avec un de ses enfants, est nulle à l’égard des autres
enfants, ou si elle n’est seulement que réductible?
La nullité absolue est soutenue par MM. Delvincourt
et Duvergier. L’opinion contraire est enseignée par
M. Troplong. Nous sommes de l’avis de celui-ci. Ce qui
nous paraît décisif, c’est qu’en résultat, quelques rigou
reux que soient les termes de l’article 1840, la nullité
de la société n’est que la conséquence de l’incapacité
de donner, de recevoir ou de s’avantager. Or, comme
l’observe M. Troplong, l’existence d’héritiers à réserve
ne crée pas une incapacité, elle pose seulement à la fa
culté de donner une restriction en de-çà de laquelle le
droit de donner et de recevoir est incontestable. Con
séquemment le père pouvant directement aliéner et le
fils recevoir jusqu’à concurrence de la quotité disponi
ble, rien n’empêche d’arriver à ce résultat au moyen
d’une association universelle, c’est-à-dire d’une ma
nière indirecte. Les droits des héritiers à reserve ne
seraient méconnus que si leur légitime était atteinte.
�DU DOL E T
DE LA F R A U D E .
21
C’est ce qu’on empêchera en réduisant les avantages
conférés par l’association dans les limites de la quotité
disponible.1
660. — La dette provenant d’un jeu ou d’un pari
est aux yeux de la loi une dette frauduleuse. Cette pré
somption a déterminé le législateur à refuser toute ac
tion tendant à en obtenir paiement.
Nous n’avons pas à déterminer ce qui constitue le
jeu ou le pari, il y a peu de difficultés possibles à propos
des jeux ou paris ordinaires, d’ailleurs les questions
s’élevant à cet égard seraient facilement résolues.
661. — Il n’en est pas de même pour les paris sur
la hausse ou la baisse des effets publics ou marchandi
ses. Ces opérations ont atteint, au moment où nous par
lons, des développements immenses, signalés à chaque
instant par des catastrophes portant dans les popu
lations l’épouvante et la ruine, et menaçant, si on n’y
prend garde, de tarir le commerce jusque dans ses
sources.
Le remède à employer immédiatement, c ’est l’appli
cation intelligente et sévère de l’article 1965. Si la jus
tice parvient enfin à décourager les joueurs, en favori
sant et consacrant la résistance du perdant à payer la
différence, elle aura rendu à la société le service le plus
éclatant et le plus utile.
1 D e l v i n c o u r t , t. i it , p . 2 2 3 , n o i e s ; — D u v e r g i e r ,
— T r o p l o n g , s u r l’a r t . 1 8 4 0 , n os 5 0 7 e t s u iv .
des Sociétés, n ° 1 1!)
�•22
TKA1TB
Certes, la mission des tribunaux n’est pas toujours
facile. Le jeu ne se présente jamais à eux dans toute sa
nudité. C’est à travers les voiles épais derrière lesquels il
se cache qu’il faut aller le saisir. D’autre part, il ne faut
pas qu’un débiteur de mauvaise foi puisse se soustraire
à des obligations légitimes, en alléguant le jeu. Mais
l’existence de ce jeu prouvée, rien ne doit mitiger le
sort que la loi impose à ses conséquences.
662.
— A. quels caractères reconnaîtra-t-on cette
existence? Cette question, simple lorsqu’il s’agit d’un
jeu ou d’un pari ordinaire, est plus délicate en matière
d’effets publics ou de marchandises.
Pour les premiers, la loi pénale a indiqué des élé
ments qu’une poursuite civile peut invoquer avec suc
cès. En effet, l’article 422 du Code pénal réputé jeu de
bourse toute convention de vendre ou de livrer des ef
fets publics qui ne seront pas prouvés par le vendeur
avoir existé à sa disposition au temps de la convention
ou avoir dû s’y trouver au temps de la livraison.
Remarquons bien que le législateur n’a pas proscrit
les marchés à terme. C’eût été priver le commerce d’un
de ses éléments essentiels. Ainsi, il suffira que le ven
deur prouve qu’au moment de la livraison il était en
position de livrer tout ce qu’il a promis, pour que le
marché soit maintenu. Qu’importe, en effet, qu’au mo
ment de la vente la marchandise ne fût pas à la dis
position du vendeur, si, devant s’y trouver au terme
convenu pour la livraison, celle-ci pourra se réaliser.
Nous le répétons, la loi n’a voulu prohiber que les mar-
�DU DOE
E T DE
EA F R A U D E .
28
chés fictifs, destinés d’avance à ne recevoir d’autre
exécution que ie paiement de la différence entre le
prix convenu et celui que la chose vaut au moment
désigné comme celui de la livraison. Tel est, aux yeux
de la loi, le marché dans lequel l’objet vendu n’était
pas en la possession du vendeur au moment de la vente
et ne devait pas s’y trouver à l’époque de la livraison.
665- — L’article 422 a donc évité le grave incon
vénient qu’on reprochait avec raison à l’ancienne légis
lation, à savoir : de priver le commerce des ressources
immenses qu’il puise dans les marchés à terme. L’arrêt
du conseil, publié le 24 septembre 1724, rendait en
effet ces marchés impossibles par les conditions qu’il
imposait à la vente d’effets publics, et notamment en
exigeant la livraison effective au moment du traité. Cet
arrêt portait l’empreinte des circonstances qui l’avaient
inspiré. Le fameux système de Law venait de s’écrouler
semant après lui le discrédit, la ruine et la misère. On
voulait donc proscrire l’agiotage pour empêcher le re
tour de ces calamités, mais, ainsi que cela arrive presque
toujours, le but était dépassé. La spéculation à la baisse
était désormais impossible, mais la liberté des transac
tions avait, de son côté, subi une grave atteinte.
L’agiotage reprit bientôt ses franches allures , et des
plaintes nombreuses se firent de nouveau entendre. Un
second arrêt du conseil, du 7 août 1785, proscrivit une
seconde fois les marchés à terme et sans livraison.
Cependant on pouvait suppléer à cette livraison par le
dépôt réel des effets, constaté par acte dûment contrôlé
�______
traite
au moment même de l’engagement. Plus ta rd , et par
une disposition du 2 octobre suivant, ce dépôt put être,
à son tour, suppléé par celui fait entre les mains du
notaire, des pièces probantes établissant la libre pro
propriété des effets vendus. Enfin un dernier arrêt, du
22 septembre 1786, annule tous les marchés dans les
quels le délai de la livraison dépasserait deux mois.
Comme on le voit, cette législation ne se préoccupait
que d’une seule chose, la propriété matérielle des effets,
au moment où le traité prenait naissance. Sans doute,
on acquérait ainsi une preuve certaine de la sincérité de
la vente, mais n’était-ce pas borner le commerce dans
ses opérations, l’entraver dans ses développements, que
d’empêcher le vendeur de demander à ces développe
ments mêmes le moyen de faire face au traité par lui
souscrit?
Qu’un commerçant vende journellement ce qu’il n’a
pas en sa possession actuelle, c’est ce qui est, nous ne
dirons pas seulement dans les usages, mais encore dans
les nécessités du commerce. Otez cet aliment essentiel
de la spéculation, et, sur le champ, vous blessez profon
dément une industrie dont les entreprises hasardeuses
font la richesse de l’État. Donc, qu’un terme plus ou
moins long soit stipulé, et que, l’échéance de ce terme
se réalisant, la marchandise vendue se trouve à la dis
position du vendeur, c’est tout ce qu’on peut raisonna
blement exiger. Ce qui est rationnel pour la marchan
dise l’est au même titre pour les effets publics. Ceux-ci
ne constituent en effet qu’une marchandise livrée à la
spéculation.
�DU DOL E T
DE LA F R A U D E.
‘25
L’article 422 du Code pénal a donc fait une plus
exacte appréciation des besoins réels du commerce, il
a plus sainement agi en ne pas exigeant qu’on possédât
réellement, au moment de la vente, les effets qu’on
s’engageait à livrer, et, en admettant, comme équiva
lent, la preuve que le vendeur serait, à l’échéance du
terme, en mesure de remplir toutes ses obligations.
Aujourd’hui donc, il n’y a marché fictif qu’en tant
qu’il est justifié que le vendeur a été au moment du traité
et sera, lors de la livraison, hors d’état de remplir ses
engagements. A cette double condition, la loi ne voit
dans l’opération qu’un pari sur la hausse ou sur la baisse
devant se résoudre par le paiement d’une différence, et
dès-lors incapable de créer ni obligation, ni action.
664.
— Ce système, nous venons de le dire, est plus
rationnel que celui de l’ancienne législation, mais il n’est
pas, à son tour, exempt d’inconvénients. Il en est un sur
tout qui se recommande à toute l’attention de Injustice.
Le joueur, poursuivant l’exécution d’un marché fictif,
est dans le cas d’exciper de marchés par lui contractés
pour prétendre s’être mis en mesure de livrer à l’époque
convenue. Or ces marchés, où il figure comme acqué
reur, peuvent n’être eux-mêmes que des marchés fictifs,
et il ne faudrait pas qu’il pût trouver ainsi, dans le jeu
lui-même, la justification de celui sur lequel la justice
est appelée à statuer.
Sur ce point, la loi n’a pu que s’en référer à la pru
dence des magistrats. Il suffit de signaler l’existence de
ce danger pour que la sollicitude des tribunaux, mise en
ii
2
�26
TRA ITE
demeure, rende une prétention de ce genre l’objet des
investigations les plus minutieuses, du contrôle le plus
actif. Il n’est pas toujours difficile de distinguer l’opéra
tion fictive, de l’opération sérieuse. Le nombre et l’im
portance des traités, relativement à la position des
parties ou de l’une d’elles seulement, leurs habitudes,
leurs antécédents, sont de nature à fournir des rensei
gnements précieux et à déterminer même quelquefois
le véritable caractère du marché.
665.
— Au reste, il en est des jeux de bourses com
me de toutes les questions de fait et d’intention. Les
magistrats sont des jurés et prononcent comme tels, il
n’y a donc aucun élément pouvant forcer leur con
viction. Cette conviction, ils la puisent partout sans
qu’ils aient à en rendre compte, si ce n’est à leur propre
conscience. Satisfaite que soit celle-ci, ils n’ont plus
qu’à appliquer la loi. Les termes de l’article 1965 sont
trop clairs et trop précis pour qu’il s’élève la moindre
difficulté. En effet, depuis le fameux arrêt Perdounet
contre de Forbin Janson, la jurisprudence n’a pas un
instant varié.
Ainsi un marché sur les effets publics ne doit pas être
annulé par cela seul qu’il y a terme pour sa livraison.
Il ne le serait pas non plus par la certitude acquise qu’au
moment de la vente le vendeur n’avait pas en sa posses
sion les effets qu’il promet, mais ce vendeur est, dans
cette hypothèse, tenu de prouver qu’ils devaient se
trouver entre ses mains à l’époque fixée pour la livrai
son. En l’absence de cette preuve, comme dans l’hypo-
�thèscde la preuve contraire, l’opération n’est plus qu’un
marché fictif, tombant sous le coup de l’article 1965, et
ne donnant conséquemment aucune action.
666.
— Nous appliquons sans hésiter, à l’apprécia
tion des marchés sur marchandises, les éléments que la
loi adopte pour les effets publics. Sans doute l’article 422
du Code pénal est muet sur ce point. La cause de
ce silence n’est pas difficile à pénétrer. En 1810, le
jeu sur les marchandises n’avait pas encore appelé la
sollicitude du législateur. Il était loin et bien loin des
proportions qu’il a depuis acquis et qu’il était impos
sible de prévoir. Si les circonstances avaient été alors
ce qu’elles sont aujourd’hui, nous n’en doutons pas, le
projet présenté par le gouvernement eût été adopté, et
le marché sur marchandises eût été dès-lors inscrit au
rang des délits, comme le marché sur les effets publics.
Ce qui doit à plus juste titre étonner, c’est qu’en
1852, lors de la révision du Code pénal, on n’ait pas
songé à se précautionner contre le fléau que nous si
gnalons. Mais tel qu’il se trouve, notre Code pénal ren
ferme encore assez de lacunes, assez d’imperfections 1
pour qu’on ne trouve pas trop extraordinaire l’omission
que nous signalons.
1 Entre autres nous signalerons celle-ci, l’article 311 punit les coups
et blessures volontaires d'un emprisonnement et d’une amende, ou de
l’une de ces deux peines seulement. L’article 519 ,punit les coups et
blessures involontaires de la prison et de l’amende. Ainsi, le cumul des
deux peines est forcé, lorsque les coups sont involontaires; facultatif,
lorsqu’ils sont volontaires. N’est-ce pas le contraire qu’il fallait con
sacrer?
jpaüS(îi?:>»S»<
�28
TRAITE
Quoi qu’il en soit, le marché sur marchandises, même
dans les conditions de l’article 422, ne constituera pas
un délit punissable. Mais la nullité civilement poursui
vie est toujours indépendante de la question de délit,
même pour les marchés sur effets publics qu’on peut
annuler comme fictifs dans tous les cas. Or, pour l’ap
préciation de cette nullité, les conditions de l’article 422
sont à consulter, en ce sens : que, s’il est prouvé que le
vendeur de la marchandise n’avait pas et ne devait
jamais avoir en sa possession celle qu’il a promis de
livrer, le marché devrait forcément être considéré com
me un véritable pari.
667.
— Mais il est d’autres circonstances dans les
quelles le juge peut trouver le véritable caractère du
marché. Ainsi on pourra facilement admettre qu’il n’y
a qu’un pari sur la différence, lorsque les parties auront
fait, du paiement de cette différence, la clause pénale de
l’inexécution; lorsque, l’époque de la livraison arrivée,
il n’y a eu aucune sommation de réaliser ou de recevoir
cette livraison. On sait combien le commerce exige de
ponctualité dans les opérations sérieuses , un retard
n’est jamais toléré par l’acheteur, et cela, parce que
ce retard l’expose soit à ne recevoir qu’après une baisse,
soit à manquer lui-même aux engagements pris envers
des tiers.
D’autre part, le vendeur n’est pas moins intéressé à
livrer au temps convenu. 11 reçoit par là le paiement
du prix ou son règlement en valeurs négociables. Il
s’exonère ainsi de la responsabilité des détériorations
�DU DOL E T
DK LA F R A U D E .
2»
ou perte de la marchandise, responsabilité qui le grève
jusqu’à la livraison, ou tout au moins jusqu’à la mise
en demeure de l’acheteur.
Donc, en présence de cet intérêt réciproque, l’ab
sence de toute sommation est caractéristique, on peut
y voir la preuve du défaut de sincérité de l’opération.
Il en serait surtout ainsi, si le vendeur ou l’acheteur,
poursuivant en justice, se bornait à demander le paie
ment de la différence sans offrir d’effectuer ou d’ac
cepter la livraison.1
Il ne faudrait pas conclure de ce qui précède que
l’existence de la sommation d’effectuer ou d’accepter la
livraison dût faire nécessairement considérer le marché
comme sérieux. S’il en était ainsi, cette sommation se
rencontrerait dans toutes les circonstances , malgré
qu’on fût réellement dans l’impossibilité soit de re
cevoir, soit de livrer. Les actes apparents peuvent sans
doute être consultés, mais ils n’ont pas une influence
décisive dans les questions intentionnelles , ce n’est
donc pas par leur apparence seule que le magistrat doit
se décider. Ce dont il a surtout à tenir compte, c ’est de
leur sincérité.
668.
— Les antécédents, la moralité des parties,
leur position commerciale, l’importance des ventes, eu
égard à cette position, sont autant de circonstances
pouvant éclairer la question de sincérité. Comment ad1 Lyon, 31 décembre 1832; — Bordeaux, 16 juillet 1840; — J. Dv
P., t. ii, 1840, p. 363.
�mettrait-on, par exemple, qu’un fabricant ait pu réel
lement s’engager à livrer, le plus souvent dans quelques
mois , plus de marchandises qu’il ne pourrait en fa
briquer pendant des années entières.
Tous ces faits sont de nature à fixer la conviction du
juge, que la correspondance des parties peut aussi dé
terminer.
669.
— Le jeu n’existe réellement que lorsque l’opé
ration le constituant a été concertée entre les parties.
Celui-là donc qui allègue le jeu doit non-seulement
prouver qu’il n’a lui-même voulu faire qu’un pari sur
la différence, mais encore que cette intention et cette
volonté ont été également celles de son adversaire. Dans
le cas contraire, sa prétention devrait être repoussée.
L’opération sérieuse, d’un côté, assure à la partie le
droit de contraindre à l’exécution d’un marché qu’elle
est en mesure d’exécuter en ce qui la concerne. Il im
porte peu que l’autre partie n’ait jamais eu l’intention
de l’exécuter autrement qu’en soldant une différence,
on ne saurait punir d’une fraude celui qui n’a donné
aucun concours au fait d’où elle résulterait. Nous allons
plus loin, agir autrement serait ouvrir la plus large issue
à la mauvaise foi, dès que pour se soustraire aux consé
quences d’une spéculation offrant une perte, il suffirait
de venir devant la justice confesser impudemment sa
propre turpitude, et s’accuser d’une fraude à laquelle
on n’aurait pas songé si, au lieu d’une perte à subir,,
l’opération avait présenté un bénéfice.
�nu
DOL E T
DE L A
FRAUDE.
34
670.
— De quelque manière que se déguise la dette
de jeu, la loi a voulu l’atteindre et l’effacer. On pouvait,
dans cette matière , et en présence de l’article 1965,
prévoir qu’on irait chercher dans la simulation le moyen
de tromper et d’éluder la prohibition que cet article
contient. Mais les tribunaux ne se sont pas laissés dé
tourner du but, et partout où ils ont rencontré le jeu,
ils ont su le reprimer, quelque enveloppe qu’eussent re
vêtue ses conséquences.
Ainsi il a été jugé :
1° Qu’un billet à ordre, quelle que soit la valeur dont
il porte l’énonciation, doit être annulé, s’il a été souscrit
par le perdant après une partie de je u 1 ;
2° Que l’acte de vente qui a pour cause une dette de
jeu est nul, encore bien que l’acte remonteà une époque
antérieure au Code civil2 ;
5° Qu’on peut être admis à prouver par témoins
qu’une obligation consentie , même par acte authen
tique, a pour cause réelle une dette de jeu 8;
-4° Que les billets souscrits pour dette de jeu sont
nuis, encore bien qu’ils aient été causés valeur reçue
comptant.4
Cette jurisprudence a obtenu l’assentiment de la
doctrine. Les principes qu’elle consacre sont enseignés
par Merlin, Toullier, Troplong, Rolland de Villargues,
Chardon.
1 Grenoble, 8 octobre 1825.
1 Paris, 27 novembre 1811.
3 Limoges, 2 juin 1819 ; — Lyon, 21 décembre 1822.
4 Cass., 29 décembre 1814 ; — Angers, 13aoûtl831.
�32
T ltA ITÉ
671. — En résumé, le jeu est proscrit par la loi
d’une manière absolue, en ce sens qu’elle n’accorde
aucune action pour contraindre à l’exécution de ses
résultats, quelle que soit d’ailleurs la matière sur la
quelle il s’est exercé. Pour la vente d’effets publics, le
jeu est légalement présumé dans les cas prévus par l’ar
ticle 422, et ce jeu constitue alors un délit. Mais l’exis
tence de ce délit est indépendante de l’action civile.
Celle-ci, ayant pour objet la nullité du traité, peut tou
jours être accueillie, alors même que tout délit aurait
disparu par la réunion des caractères exigés par la loi.
Quant aux marchés sur marchandises, la loi ne le pré
sume jamais, mais, par une parité de raison incontesta
ble, l’absence des conditions de l’article 422 du Code
pénal le ferait admettre. Dans tous les cas, c’est à la
prudence des juges à se déterminer par les faits et cir
constances sur le caractère du contrat. L’existence du
jeu admise, la dette, qui en est la conséquence, n’est
pas légalement due, elle doit donc être annulée quelle
que soit la forme qu’on lui ait donnée.
672. — La règle générale de l’article 1965 ne comporte d’autres exceptions que celles exprimées par
l’article 1966. Il est des jeux que la loi n’a pas entendu
prohiber, parce qu’ils sont utiles, tels sont ceux qui
cpntribuent non-seulement à exercer et à former l’hom
me, mais encore à procurer un délassement agréable à
ses fatigues et à ses travaux. La loi place dans cette
catégorie notamment les jeux propres à exercer au fait
des armes, les courses à pied et à cheval, les courses de
�DU DOD E T
DE LA F R A U D E .
33
«hariots, le jeu de pomme, en un mot, tous les jeux
tenant à l’adresse et à l’exercice du corps.
673. — La véritable pensée du législateur, à l’en
droit de ces exceptions, nous est nettement dévoilée par
la dernière disposition de l’article 1966. La loi entend
que le jeu, même licite, soit un délassement et non un
métier. Aussi, tout en permettant de l’intéresser, elle
veut le maintenir dans des limites étroites. De là, la fa
culté laissée aux tribunaux de rejeter la demande si
elle paraît excessive.
674. — Il importe de remarquer que l’article qui
permet le rejet ne laisse pas l’alternative entre ce rejet
et la réduction. Il faut en conclure que cette réduction
est dans tous les cas impossible. Cette conclusion se
justifie par un double motif. Le jeu, sortant des limites
modérées voulues par la loi, devient un jeu prohibé,
comme tel, il ne saurait produire un effet quelconque ;
de plus, réduire l’enjeu convenu, c’est modifier la con
vention des parties, en changer les bases, faire en un
mot un nouveau traité. Or, s’il est permis au juge d’in
terpréter un contrat valable, il ne lui est jamais loisible
de suppléer au contrat nul par des dispositions valables.
675. — La fraude entachant le jeu a un caractère
spécial que l’article 1967 consacre. En général, il en
est de la dette frauduleuse comme de la dette dolosive.
Non-seulement le débiteur n’est pas tenu de la payer,
mais il peut encore la redemander après l’avoir payée
�34
TRAITÉ
et s’en faire rembourser. Cette règle reçoit exception
en matière de jeu. La loi proscrit toute répétition. Estce par respect pour ce préjugé que la dette de jeu est
une dette d’honneur? Est-ce parce que le jeu ne saurait
dans aucun cas créer une actioii en justice? C’est ce
qu’il n’est pas facile de décider. Quoi qu’il en soit, ce
qui est certain, c’est que celui qui a payé est censé avoir
soldé une obligation naturelle excluant toute possibilité
de recours.
676.
— Mais pour qu’il en soit ainsi, il faut que le
paiement ait été effectif, réel, définitif ; qu’il émane
d’une volonté spontanée et libre. Nous venons de voir
que le paiement par le règlement en valeur ne serait
pas celui que la loi exige, puisque l’acte, soit authenr
tique, soit sous seing privé, renfermant ce règlement,
devrait être annulé. Il n’y aurait donc pas paiement par
la souscription d’une valeur quelconque; il y aurait,
tout au plus, reconnaissance de la dette ou ratification,
et la loi proscrit également l’une et l’autre.
Il n’y aurait pas non plus paiement légal, si le paie
ment réellement fait est la conséquence de la super
cherie, du dol ou de l’escroquerie. L’exécution d’une
obligation naturelle, précisément parce qu’elle n’est pas
ordonnée par la loi, ne peut être que le fruit d’une vo?
lonté intelligente et libre. Si cette volonté a été per
vertie par des manœuvres, elle n’existe pas, et consé
quemment il n’y a pas eu exécution. On ne donne pas
volontairement ce qu’on n’aurait pas donné sans la ruse
et le mensonge auxquels on a cédé. Les conditions exi-
�DU DÜL E T
DE
LA F R A U D E .
35
gées par la raison et par la loi ne se rencontrant point,
les parties doivent être remises dans l’état où elles se
trouvaient avant l’emploi du dol, de la supercherie, de
l’escroquerie.
677.
— Ces notions indiquent nettement ce qu’il
faut considérer comme un paiement dans le sens de la
loi. Aussi est-il permis de croire qu’aucune difficulté
sérieuse n’arrêtera le juge, lorsqu’il aura à statuer en
tre le perdant et le gagnant. Mais il n’en est pas de
même lorsque ce dernier ayant été désintéressé par un
tiers, ce tiers actionne le perdant en remboursement de
ses avances.
Cette action tom be-1-elle sous le coup de l’article 1965 ? Ici se présente une alternative offrant à
ces deux termes un inconvénient grave; d’abord, d’une
part, celui de laisser la perte à la charge d’un tiers
étranger au jeu et ne méritant aucun reproche ; d’autre
part, celui de laisser l’article 1965 sans exécution. S’il
suffit, en effet, pour l’éluder d’introduire un tiers dans
l’exécution du traité, on ne manquera pas de le faire
dans chaque espèce.
11 faut donc se soustraire à ce double écueil et, pour
cela, ne pas s’écarter du système que la doctrine en
seigne et que plusieurs monuments de jurisprudence
ont déjà consacré. Les droits du tiers doivent‘être su
bordonnés à la preuve de sa bonne foi, Or, on juge de
celle-ci par le plus ou moins de connaissance qu’il a eu
de la nature de l’opération qu'il a soldée.
S’il a ignoré qu’il s’agissait d’une dette de jeu, le
�36
TRAITE
paiement qu’il en a fait, sur l’ordre formel du perdant,
le constitue créancier légitime de celui-ci jusqu’à con
currence des sommes qu’il a déboursées. C’est une
avance ordinaire entre commerçant, dont la destination
ne saurait, en ce qui le concerne, changer le caractère,
dont on ne saurait, conséquemment, lui refuser la res
titution.
S’il a connu la véritable origine de la dette et qu’il ne
l’ait payée que sur un ordre exprès, l’action en rem
boursement ne s’aurait lui être refusée. Une dette de
jeu peut être l’objet d’un paiement valable. Or, ce que
le perdant peut faire lui-même, il peut le faire par man
dataire. Donc, celui-ci ne fait, en prêtant son minis
tère, que coopérer à un acte autorisé par la loi, c’est le
fait d’uu ami prêtant à son ami de quoi satisfaire aux
conséquences d’un jeu dont il a pu connaître l’exis
tence, mais auquel il reste étranger. On ne saurait, dèslors, lui refuser l’action en répétition. C’est ce qui avait
été admis par l’ancienne jurisprudence, c’est ce que la
nouvelle consacre.
Mais si le tiers, connaissant le jeu, a spontanément
payé la dette, avant et sans en avoir reçu l’ordre du per
dant, celui-ci sera fondé à lui en refuser le rembour
sement. Dans cette hypothèse, le tiers ne sera plus que
le gagnant lui-même, auquel il lui a plu de se subroger,
et, comme tel, il sera passible de toutes les exceptions
opposables à celui-ci, notamment celle résultant de
l’article 1965. Sans doute le perdant pouvait payer,
mais il avait aussi la faculté de ne pas le faire, et cette
�D ü DOL B T DE LA FRAUDE *
37
faculté n’a pu lui être enlevée avant et sans qu’il eût
manifesté l’intention formelle d’y renoncer.
678.
—• A plus forte raison devrait-on éconduire
l’action en remboursement du tiers, si, mandataire du
perdant, il l’avait représenté dans le jeu et exécuté le
pari pour son compte. Le mandat doit, pour engendrer
une action contre le mandant, reposer sur une cause li
cite ; or, c’est ce qui ne se réalise pas dans le mandat
de jouer. Vainement le mandataire exciperait-il de sa
qualité, des ordres qu’il a reçus, de la faculté de payer
qui lui a été expressément conférée. Conséquence natu
relle du jeu lui-même, cette faculté participerait du vice
entachant le mandat primitif et son exécution ne crée
rait aucun droit. C’est ce que la Cour de cassation dé
cida dans l’affaire de Forbin-Janson ; c’est ce qu’elle
vient de décider plus expressément encore dans une es
pèce dans laquelle la Cour d’Aix avait admis l’action en
remboursement du mandataire.
Un sieur Coste, commissionnaire à Marseille, avait
reçu du sieur Creps, de Pertuis, l’ordre de faire diverses
spéculations sur les eaux-de-vie. La dernière opéra
tion d’achat et de revente solda par une différence de
57,000 fr., que Coste prétendit avoir réglée sur l’ordre
exprès qu’il en avait reçu et dont il poursuivit judiciai
rement le remboursement.
Devant le tribunal de commerce de Marseille, l’ex
ception invoquée par Creps, et fondée sur l’article 1965
du Code civil, fut repoussée ; mais sur l’appel, la Cour
admit que les opérations faites par Coste pour le compte
�38
TRA ITE
de Creps n’étaient qu’un jeu dont l’existence ne pouvait
être ignorée, surtout par Coste, qui l’avait seul exécuté.
Mais séduite par l’habile défense de notre honorable
confrère M' Perrin, la Cour ordonna que Creps rem
bourserait les 57,000 fr. Les motifs de cette solution
étaient que le paiement d’une dette de jeu valable,
quand il était directement opéré, pouvait valablement se
faire par mandataire; que, dans l’espèce, ce paiement
ayant été exécuté sur l’ordre exprès de Creps, celui-ci
n’était pas plus fondé à contester le remboursement,
qu’il ne le serait à répéter ce qu’il aurait payé lui-même.
Cet arrêt, ayant été déféré à la Cour suprême, a été
cassé, le 26 février 1845, sur les motifs suivants :
« Attendu que la loi n’accorde aucune action pour
le paiement d’un pari ; que tous les jeux ou paris sur la
hausse ou sur la baisse des marchandises dont les prix
sont cotés à la Bourse, sont compris dans cette prohi
bition ; que cette prohibition a pour objet, de tracer une
ligne de démarcation salutaire entre la loyale négocia
tion des fruits du travail et de l’industrie, les spécula
tions sérieuses du commerce et les marchés fictifs, ces
transaction immorales et ruineuse où sont seulement
engagées les sommes représentant la différence de va
leurs ou de capitaux imaginaires ;
« Attendu que si l’action que la loi refuse au joueur
qui gagne contre le joueur qui perd pouvait être exer
cée contre le joueur qui a perdu par le mandataire qui
lui a servi d’intermédiaire dans le jeu ou dans le pari,
que le législateur a voulu décourager; que si le man-
�DU DOL
ET
DE L A F R A U D E .
39
dataire était admis à se faire rembourser par le perdant,
en cas de chance défavorable, le montant de ses pertes,
sous le prétexte de paiements qu’il prétendrait avoir
effectués à la décharge et en l’acquit de son commet,
tant, la prohibition de la loi serait éludée ou pourrait
toujours l’être;
« Attendu que, pour apprécier justement les droits
d’un mandataire, il ne faut perdre de vue ni la nature
du mandat, ni la nature de la transaction pour laquelle
le mandat est intervenu ;
« Attendu que, dans l’espèce, il est constaté, par
l’arrêt attaqué, que le défendeur était l’agent du de
mandeur, dans les opérations auxquelles celui-ci se li
vrait alternativement sur la hausse et la baisse des mar
chandises dites 3 /6 , et qu’il était personnellement inté
ressé au jeu dont il se refuse à supporter les pertes;
d’où il suit que le mandat avait pour but une transac
tion désavouée par la loi ; qu’en l’acceptant, le défen
deur s’était associé, à ses risque, péril et fortune, aux
chances du pari ; que le mandat spécial, en vertu duquel
le paiement aurait eu lieu, est entaché du même vice
que le précédent, dont il n’était que la conséquence;
qu’il est, dès-lors, non-recevable à répéter les sommes
par lui payées ;
t Attendu que c’est vainement que le défendeur in
voque les dispositions de l’article 1967 du Code civil,
qui refuse au perdant l’action en répétition de ce qu’il
a volontairement payé, puisqu’il s’agit dans l’espèce
non d’une action de ce genre, mais, au contraire, d’une
�40
traite
action dirigée contre le perdant qui n’a point payé et
pour le contraindre à payer. 1 »
On le voit, la Cour de cassation pose nettement le
principe de la responsabilité de l’intermédiaire ayant
présidé au jeu. C’est avec toute raison que la Cour fait
observer que le principe contraire annulerait la prohi
bition de l’article 1965. On comprend, en effet, que si
le concours d’un tiers pouvait donner l’action que cet
article refuse au joueur, ce concours se réaliserait dans
toutes les espèces et deviendrait bientôt une des con
ditions de tous les traités de ce genre.
Ajoutons que dans bien de cas le pari ne se serait
pas réalisé sans la complaisance coupable du manda
taire intéressé qui a prêté son nom. Il est donc juste
^d’admettre qu’en se livrant au jeu pour le compte du
• ■ mandant, qu’en se chargeant des opérations consti
tuant la spéculation illicite, il fait plus que partager la
culpabilité des.deux joueurs, qu’il l’assume tout entière
sur sa tête; qu’il doit dès-lors en supporter seul les
conséquences. Puisse cette doctrine effrayer les tiers
et enlever au jeu cet élément qu’il puise dans leur con
cours, et qui en favorise tant les déplorables développe
ments.
Concluons donc que la doctrine de la Cour de cassa
tion est non-seulement juridique, mais qu’elle est en
core hautement avouée par la morale. Son exacte appli
cation laissant à la charge du tiers les conséquences du
jeu qu’il a favorisé et auquel peut-être il a même ex' 0. P. 45, I. 101.
�DU D 0 L
E T DE LA
FRAUDE.
41
cité, ne fait qu’appliquer une peine justement encou
rue. Celui qui voudra s’en exonérer n’aura qu’à refuser
son ministère, et le martyrologe de la bourse comptera,
nous en sommes certains, quelques noms de moins.1
679. — L’article 2059 du Code civil offre plusieurs
exemples de fraudes présumées, entraînant ou pouvant
entraîner non-seulement la nullité de l’acte, mais en
core la contrainte par corps pour le paiement des res
titutions et des dommages-intérêts adjugés. Nous vou
lons parler des actes caractérisant le stellionat.
680. — Or, il y a stellionat : 1° lorsqu’on vend ou
qu’on hypothèque la chose d’autrui. Ce stellionat ne
réside pas autant dans le fait lui-même que dans l’in
tention de son auteur. On peut, en effet, errer sur la
nature de son droit; on peut, de bonne foi, croire à
une propriété qui n’existe pas. La preuve des circons
tances pouvant justifier l’erreur alléguée serait de na
ture à affranchir le défendeur, non pas certes de la
nullité de l’acte, mais de la peine de la contrainte par
corps.
Cela s’induit naturellement des termes de la loi qui
fait résider le stellionat dans la connaissance chez le
vendeur ou l’emprunteur que la chose vendue ou hypo
théquée ne leur appartient pas, dont on sait n’être pas
propriétaire. Celui-là donc qui ne sait pas, ou qui a juste
motif de ne pas savoir qu’il n’est pas propriétaire, ne
' Conforme, Troploiig, sur l’art. 1965.
�commet pas un stellionatmêmeen vendant ou hypothé
quant la chose d’autrui.
La présomption légale de fraude attachée au stellionat ne permet pas toujours d’admettre la preuve con
traire. Dans l’hypothèse que nous examinons, la bonne
foi peut être discutée dans le sens que nous venons
d’indiquer, et pour faire disparaître le stellionat ; mais
la question de savoir si le défendeur a su ou non que la
chose hypothéquée ou vendue ne lui appartenait pas,
résolue dans le premier sens, les juges ne peuvent plus
se dispenser de prononcer la contrainte par corps, et
décider qu’il n’y a pas eu fraude chez le vendeur ou
l’emprunteur.
681.
— 2° Lorsqu’on présente comme libres des
biens hypothéqués ou qu’on déclare des hypothèques
moindres que celles dont les biens sont grevés. Remar
quons que dans ces hypothèses la loi n’exige plus
qu’on ait agi sciemment. Le fait ici emporte avec luimême la preuve de ce caractère. On peut, en effet, errer
sur l’origine, sur la nature d’un droit, mais on ne peut
jamais ignorer les hypothèques qu’on a consenties.
Il semblerait, dès-lors, que la question de bonne foi
ne saurait être ni proposée, ni admise, cependant le
contraire a été consacré quelquefois.
Ainsi la Cour de Toulouse a jugé, le 10 janvier 1829,
que bien que dans une vente un individu ait déclaré
libre un immeuble qui se trouvait grevé d’une hypo
thèque, il peut être, en raison de sa bonne foi, affranchi
des peines portées contre les stellionataires, et notam-
v
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�DU DOL
ET
DE
LA F it A U D E .
43
ment de la contrainte par corps, s’il a fourni à l’acqué
reur tous les moyens de connaître l’existence de l’hy
pothèque, et s’il résulte des circonstances que celui-ci
ne l’a pas ignorée.1
Nous ne pouvons admettre une doctrine de cette na
ture, en ce qu’elle paraîtrait mettre en question la
fraude légalement présumée par la loi. Aux termes de
l’article 1352, la présomption légale exclut la preuve
contraire. En conséquence, si la Cour de Toulouse avait
admis, non-seulement cette preuve contraire, mais en
core l’inexistence de la fraude, elle eût violé cet arti
cle 1352 et méconnu le caractère de l’article 2059.
Mais, en se référant à l’arrêt, il est facile de se con
vaincre que la Cour n’a fait réellement ni l’un, ni l’autre,
et que si elle n’a pas appliqué la peine du stellionat,
c’est que les circonstances ne lui ont pas paru consti
tuer un stellionat quelconque. Ainsi elle constate d’a
bord que la clause dont on voulait faire ressortir le
stellionat devait être considérée plutôt comme une
clause de style que comme une déclaration formelle
d’absence de toute hypothèque ; elle relève ensuite
cette circonstance que le titre constitutif de l’hypo
thèque avait été remis à l’acquéreur, et que celui-ci
pouvait d’autant moins ignorer l’existence de la dette
qu’il aurait été, avant la vente, chargé, en sa qualité de
notaire, de solder au créancier les intérêts de ce qui
lui était dû.
En réalité donc, l’arrêt est loin de dénier au stellio-
�nat ses conséquences légales, et surtout de l’excuser,,
mais usant du pouvoir d’interpréter que lui confère la
loi, la Cour arrive à conclure qu’il n’y a pas stellionat.
L’arrêt est donc un arrêt d’espèce et non un arrêt de
doctrine dont on puisse inférer une contradiction avec
l’article 2059 du Code civil. II ne faut pas sans doute
tromper l’acquéreur ou le prêteur, mais il ne faut pas
non plus que la liberté du vendeur ou de l’acquéreur
soit compromise, parce qu’il a plû au notaire d’obéir à
un protocole qui lui est habituel, sans que le prétendu
auteur de la déclaration ait pu apprécier l’importance
et les suites de ce qu’on lui fait ainsi dire. Il ne faut pas
surtout que la mauvaise foi de l’acquéreur, ayant été
à même de tout savoir, puisse trouver dans la loi le
moyen d’abuser d’une erreur n’ayant jamais existé.
Î^É Ê
■ V ;S
682.
— L’article 2059 exige, pour qu’il y ait stel
lionat, que le vendeur ou l’emprunteur ait déclaré les
biens libres ou des hypothèques moindres que celles
dont l’immeuble est grevé. De là, il résulte que si l’acte
ne renferme aucune déclaration, il ne saurait exister
de stellionat. Vainement exciperait-on , après l’acte,
de l’existence de nombreuses hypothèques. Le ven
deur ou l’emprunteur a pu les taire sans encourir au
cune responsabilité. La loi, en effet, ne lui a pas or
donné de les faire connaître, tout ce qu’elle exige de
lui c’est de se conformer à l’exacte vérité dans le cas
où il serait appelé à faire, dans l’acte, une déclaration
à cet égard.
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�DU DOL E T DE
LA FR A U D E .
45
683. — Il n’en est pas de même pour les maris et
les tuteurs. L’article 2136 du Code civil veut qu’ils
soient traités comme stellionataires lorsque, ayant
manqué de requérir l’inscription de l’hypothèque lé
gale afférente aux mineurs ou à la femme, ils ont con
senti ou laissé prendre des privilèges ou hypothèques
sur leurs immeubles, sans déclarer expressément que
ces immeubles étaient affectés à ces hypothèques lé
gales.
Ici l’obligation de déclarer existe. Elle est absolue et
ne peut comporter aucun équipollent. Cette doctrine,
enseignée par MM. Persil, Dalloz, Troplong, a été, à
diverses reprises, consacrée par la jurisprudence.1 L’o
mission est donc assimilée à la fausse déclaration et en
entraîne toutes les conséquences.
684. — Les mêmes auteurs, M. Troplong notant
ment, enseignent que la question de bonne foi doit
cependant être examinée, et peut être prise en considé
ration. Mais, et c’est là l’observation de M. Troplong, il
n’y aura bonne foi que lorsque le mari a pu croire l’im
meuble libre, et cette croyance ne pourra se présenter
comme admissible que dans des cas fort rares.
Telle est l’espèce jugée, le 21 février 1827, par la
Cour de cassation. Cet arrêt décide : que bien que le
vendeur d ’un immeuble grevé d’hypothèque légale ait
déclaré que cet immeuble était franc et quitte, il peut
être affranchi des peines du stellional, s’il résulte des
'■> V. Limoges, 18 ayrij 1828;—rD. P., 29, 2, 93.
�m
TRAITE
circonstances qui ont accompagné la vente, qu’il a été
de bonne foi dans sa déclaration, comme si, par exem
ple, la femme mineure du vendeur, du chef de laquelle
provenait l’hypothèque, a, lors de la vente, renoncé à
son hypothèque, renonciation déclarée nulle, à cause
de son état de minorité, lequel d’ailleurs a dû être
connu de l’acquéreur.1
De son côté, la Cour de Bordeaux à jugé, le 9 juil
let 1850, qu’un mari qui vend un fonds comme libre
d’hypothèque, peut, soit à raison de sa qualité de villa
geois, soit en raison de ce que sa femme était présente
à l’acte, être, malgré le principe que nul n’est censé
ignorer la loi, déclaré n’avoir point su que le fonds
vendu était grevé de l’hypothèque légale de sa femme,
et, par suite, être affranchi des peines du stellionat.8
685.
— Ainsi, la seule excuse constituant en cette
matière la bonne foi du mari, est l’ignorance de l’exis
tence de l’hypothèque légale de la femme ou la fausse
croyance qu’elle a cessé d’exister. Il importe de retenir
cette observation, car elle peut seule expliquer la con
tradiction qu’on pourrait reprocher à la jurisprudence.
En effet, la Cour de cassation a jugé le 20 novem
bre 1826, après un délibéré en la Chambre du conseil,
que par cela seul que le mari vendant l’immeuble
grevé de l’hypothèque légale non inscrite de la femme,
le déclare franc de toute hypothèque, il doit être
1 Ü. P., 27,1, 145.
5 D. P., 30, 2, 273,
�DU DOL
ET
DE LA F R A U D E .
47
réputé stellionataire, et, comme tel, contraignable
par corps, sans qu’il puisse être affranchi de cette
contrainte sous le prétexte qu’il a été de bonne foi
dans sa déclaration.1 Il est vrai que, dans cette espèce,
la Cour de Toulouse, dont l’arrêt est cassé, avait invo
qué la possibilité en fait que le vendeur eût ignoré, la
dot ayant été reçue par son père, que sa femme eût hy
pothèque sur ses propres biens. Mais, indépendamment
de ce que l’arrêt ne constatait pas en fait cette igno
rance, il invoquait d’autres circonstances et notam
ment la connaissance que l’acheteur avait de la qualité
d’homme marié du vendeur, et faisait résulter de là la
bonne foi de celui-ci.
Il y a donc, entre cet arrêt et ceux précédemment
cités, cette nuance que les premiers constatent l’igno
rance ou la fausse croyance dont nous parlions, tandis
que le dernier admet la bonne foi ordinaire puisée dans
d’autres éléments. Il n’y a donc pas entre eux l’antinomie
qu’on pourrait être tenté de leur reprocher. Tout s’expli
que par cette observation déjà faite, que la seule bonne
foi excluant le stellionat est constituée par Terreur sur
l’existence ou la continuation du droit. Erreur qu’il ne
suffit pas d’alléguer, mais qui doit être admise parle juge.
686- — Ainsi, pour tout le monde, il y a stellionat
dès qu’on a présenté comme libres des biens qui ne
l’étaient pas ou qu’on a dissimulé l’existence de quel
ques-unes des hypothèques dont ils sont grevés. Il
' D. P., 27, 1, 58.
I
�_____ ïî '
TRA ITE
existe de plus pour les tuteurs et les maris par l’omis
sion de la déclaration de l’hypothèque légale. Mais le
stellionat, dans le premier cas, n’est punissable que
lorsque le mensonge ou l’inexactitude est le fait per
sonnel et direct de celui à qui on le reproche. Nul ne
peut indirectement engager sa liberté, quelle, que soit
d’ailleurs le concours donné à l’acte. Dès-lors, la cau
tion ne saurait être tenue des conséquences du stellionat
commis par le débiteur principal.
Par suite de ce principe, la femme commune qui
s’est engagée solidairement avec son mari, n’étant cen
sée qu’une caution, ne peut être garante du stellionat
que l’acte renferme, c’est au reste ce que décide for
mellement l’article 2066 du (Iode civil.
687. — Le stellionat n’est punissable qu'autant qu’il
ôccasione un préjudice. Ainsi, si les hypothèques non
déclarées ont été plus tard éteintes ou radiées, rien ne
s’opposant à ce que les promesses de l’acte soient fidè
lement remplies, la poursuite en stellionat serait sans
utilité et conséquemment irrecevable. Mais il en serait
autrement dans les cas où la radiation des hypothèques
non déclarées serait faite après l’ouverture de l’action
en stellionat ou après la vente de l’immeuble hypothé
qué, et lorsque le créancier aurait perdu le droit d’en
chérir ou de surenchérir. Dans cette hypothèse, comme
dans la précédente, l’action en stellionat suivrait son
cours et produirai tous ses effets.1
1 Cass., 15 avril 1856 ; — D. P. 36,1, 240.
�DU DOf,
ET
DE LA
FRAUDE.
688- — L’aliénation de la chose d’autrui étant radi
calement nulle, l’acquéreur peut, même avant d’être
troublé, poursuivre le vendeur et le faire condamner
comme stellionataire. La demande, à cet effet, ne saurait
être arrêtée par la ratification du véritable propriétaire
qu’autant que l’acquéreur voudrait l’accepter. Dans le
cas contraire, l’existence certaine du stellionat l’autori
serait à faire annuler la vente et ordonner la resti
tution de ce qu’il a payé par la voie de la contrainte par
corps.
Nous verrons plus bas que la vente de la chose com
mune est assimilée à la vente de la chose d’autrui. Le
communiste, qui l’a consentie en son seul nom, a donc
commis un stellionat. S’il ne s’agit que d’un hypothè
que, et que, par le résultat du partage, la chose af
fectée tombe dans le lot du constituant, i’hypolhèque
devient valable sans que celui-ci puisse être plus tard
poursuivi comme stellionataire.
689. — La peine du stellionat est, indépendamment
de la contrainte par corps, la nullité de l’acte, s'il s’agit
d’une vente; la déchéance du terme, s’il s’agit d’une
obligation. De plus, la loi prive le stellionataire de la fa
culté d’être admis à la cession des biens; elle l’exclut,
lorsqu’il est commerçant, du bénéfice de l’excusabilité;
en cas de faillite, elle ne lui permet pas même la réha
bilitation.
690- — Le livre trois du titre six du Code civil
renferme plusieurs hypothèses pour lesquelles la loi a
�50
TR A IT É
admis la présomption de fraude. C’est d’abord l’ar
ticle 1595 prohibant la vente entre époux, sauf les ex*
eeptions indiquées.
Les motifs de cette prohibition sont clairement indi
qués par les débats au corps législatif. Sans cette pro
hibition, disait-on, rien n’eût été plus facile que d’éluder
la restriction mise par la loi au droit qu’ont les époux
de s’avantager au-delà de certaines limites ; de rendre
irrévocables des dons que la loi soumet à une condition
perpétuelle de révocabilité. D’ailleurs le m ari, maître
et administrateur de la communauté, chargé d’assister
et d’autoriser sa femme, ne pouvait concilier l’intérêt
exclusif et personnel d’un contractant avec la sage vigi
lance d’un protecteur. '
Le législateur a donc posé comme présomption lé
gale, excluant la preuve contraire, qu’entre personnes
si intimement unies, dominées par des influences mu
tuelles, la vente masque une donation ou une fraude
contre les tiers.
691. — Les inconvénients du système contraire
avaient été depuis longtemps appréciés. En effet, on
sait que le droit romain n’admettait pas la présomption
de simulation. La vente entre époux était valable en
tant qu’elle n’était pas prouvée renfermer un avantage
indirect, et, dans ce cas, on se contentait de condamner
la femme à tenir compte de ce dont elle avait été gra
tifiée seulement : Qualemts facta est locuplelior. 2 Bien
1 Portalis, Exposé des Motifs.
* L. S, Dig., § 5, de Donal. inter vir. et uxor.
�DU DOL E T DE L A F R A U D E
51
plus, les jurisconsultes romains conseillaient de ne pas
traiter trop sévèrement de pareils actes : E t sane non
amare, nec tanquam inter infestosjus prohibitœ dona
tion^ tractandum est, sed ut inter conjunclos maximo
affeclu, et solam inopiam timenles. 1
Les difficultés que soulevait l’application avaient
éclairé notre législateur. Le droit coutumier français
avait répudié les errements du droit romain et admis la
présomption de simulation. La vente entre époux n’était
considérée que comme un avantage indirect et frappée
conséquemment de nullité. C’est ce qu’enseignent les
coutumes de Normandie, de Nivernais; c’est, au témoi
gnage de Pothier, ce qui était admis par les coutumes
qui ne s’en étaient pas formellement expliquées ; c’est
enfin ce que nous apprend Dumoulin, sur l’article 256
de la coutume de Paris, et ce qu’il résume dans cette
proposition : JSullum contractum eliam reciprocum,
jacere possunt (les époux), nisi ex necessitate. Aussi,
ajoute-t-il , consulté sur la question de savoir : An
possit marilus juslo pretio vendere uxori, quod dormir
propria viri erit commuais P Respondi : Non.
— Cette doctrine est devenue celle du Code.
Aujourd’hui, la règle générale est l’incapacité réci
proque des époux pour les ventes mutuellement con
senties , et cette incapacité prend sa source dans la
présomption que ces ventes ne sont qu’un moyen
d’éluder la loi ou de frauder les tiers. Mais cette règle
L. 28, § 2, de Douai, inter vir. et uxor.
*!
�TR A IT E
reçoit exception, et cela devait être. En effet, le but du
législateur a été de proscrire toutes les ruses qu’un
mari adroit et cupide serait tenté d’employer pour
spolier sa femme ; d’empêcher que celle-ci abuse de
l’affection qu’elle a su faire naître et entretenir pour se
faire avantager outre mesure ; d’assurer enfin la sincé
rité des transactions entre époux. Or, lorsque par sa
nature l’acte n’offre plus qu’une opération légitime,
naturelle et ne permet pas même le soupçon, il eût été
irrationnel et injuste de fermer les yeux à l’évidence
et, sacrifiant la vérité à la fiction, de prononcer une nul
lité sans utilité et sans but réel.
693.
— Tel est évidemment le caractère des excep
tions consacrées par l’article 1593. La première se
réalise lorsque, après la séparation, l’un des époux cède
des biens à l’autre en paiement de ses droits ; la seconde,
lorsque la cession que le mari fait à sa femme, même
non séparée, a une cause légitime, telle que le remploi
de ses immeubles aliénés ou de deniers à elle apparte
nant , si ces immeubles ou ces deniers ne tombent pas
en communauté. La troisième exception est relative à la
cession faite par la femme au mari, en paiement d’une
somme qu’elle lui aurait promise en dot, lorsque les
époux ont exclu la communauté.
694.
— Dans le premier cas, la femme doit recevoir
sa dot et le montant de ses reprises. Le mari, obligé à
ce paiement, devant dans tous les cas le réaliser, il im
porte fort peu qu'il vende ses immeubles à un tiers pour
�DU DOL
ET
DE
I.A F R A U D E .
53
en compter le prix à sa femme, ou qu’il vende directe
ment à celle-ci. Ce dernier parti est même plus conve
nable et plus utile. Ce n’est pas, à proprement parler,
une vente, c’est une dation en paiement, que la loi
n’avait aucun motif de proscrire.
D’autre part la liquidation, et la reprise par la femme
de son immeuble dotal, peut constituer le mari créan
cier pour réparations et améliorations à l’immeuble.
Quel inconvénient y avait-il à autoriser la femme à
payer ce qu’elle doit par la désemparation d’immeubles
d’égale valeur?
Sans doute, dans l’une et l’autre hypothèse, l’acte
peut renfermer un avantage illicite, en ce sens que,
dans la première, l’immeuble donné par le mari le sera
à un prix fort au-dessous de sa valeur; que, dans la se
conde, l’immeuble de la femme sera évalué à un prix
exagéré, ou vice versa. Mais la loi a pourvu à cette
fraude, en réservant aux héritiers réservataires et aux
créanciers le droit de faire restituer à l’immeuble sa
véritable valeur.
695.
— La seconde exception emporte aussi plutôt
la dation en paiement qu’une vente. Le mari est dé
biteur envers sa femme du prix de ses propres aliénés
ainsi que des deniers qui lui sont échus pendant le ma
riage,. et cela est surtout vrai lorsque les époux sont,
sous un régime exclusif de la communauté, il a donc
intérêt à opérer le remploi du prix et, pouvant acheter
des immeubles, il doit pouvoir acheter de lui-même en
vendant à sa femme ceux qui lui appartiennent. Il en
�5i
TRA ITE
est de mémo pour les deniers perçus par lui; comme il
sera toujours obligé de les restituer, il peut devancer
cette obligation et l’exécuter par la cession de ses im
meubles. Il ne change rien ni à sa position, ni à celle
de sa femme, il ne fait qu’éteindre sa dette, la vente a
donc une cause légitime.
L’exemple cité par l’article 1595 est démonstratif et
non limitatif. Toutes les fois qu’il y aura cause légitime,
la vente entre époux pourra être maintenue. La légitimité
de la cause est abandonnée à l’appréciation du juge.
Mais il faut remarquer que le Code ne parle, dans cette
seconde exception, que des ventes faites par le mari à
la femme, faut-il en conclure que celle que la femme
consentirait au mari, se plaçant en dehors des termes
précis de l’article, devrait être annulée quelque légitime
qu’en fut la cause?
C’est ce qu’enseigne M. Troplong,1 en décidant né
gativement la question de savoir si la femme pourrait
vendre ses immeubles à son mari pour le rembourser
du paiement de ses dettes antérieures au mariage. La
cause de cette vente, dit cet éminent m agistrat, est
certes aussi légitime que dans aucune autre espèce.
Mais la loi n’établissant pas la réciprocité, on ne saurait,
sans la violer, maintenir le contrat. Mais, ainsi que l’ob
serve M. Duvergier , la discussion au conseil d’Etat ne
permet pas d’admettre que tel ait été l’esprit de la loi.
Il est vrai que, sur l’observation de Regnauld de StJean d’Angely, il avait été convenu que l’article 1595
1 Sur l’article 1595.
�DH DOL E T
DE LA F R A U D E .
55
s’expliquerait sur la réciprocité des ventes entre époux,
ce que la rédaction définitive n’a pas fait. Cette omis
sion, en présence de l’adoption certaine de la proposi
tion de M. Regnauld, adoption dont rien ne prouve la
rétractation ultérieure, peut s’expliquer ou par une né
gligence ou par la pensée que, l’ensemble de l’article
remplissant implicitement le but qu’on voulaitatteindre,
il n’était pas nécessaire de l’exprimer explicitement.
Ce qui est certain, c’est que la loi n’a voulu que défendre
la fraude, qu’empêcher la violation de la prohibition
faite aux époux de s’avantager au-delà de certaines li
mites , or payer une dette certaine, c’est ne faire ni
l’un ni l’autre. Cela, admis du mari à la femme, doit
être nécessairement vrai de la femme au mari : Ubi eadem. ratio, ibi idem jus.
696.
— Enfin le troisième cas excepté de la prohi
bition est la vente d’un immeuble en paiement de la
dot mobilière que la femme est dans l’impossibilité de
réaliser. Cette substitution ne renferme aucun avantage
pour le mari ; si l’immeuble est accepté pour sa juste
valeur, elle n’est que l’accomplissement d’une obliga
tion légitimement contractée. Toutefois, cela n’est in
contestable que sous l’empire d’un régime exclusif de
communauté, dans le cas contraire, remplacer une
somme peut-être irrécouvrable, entrée en communauté,
par un immeuble qui n’y entre pas de droit, serait con
sentir un avantage et non une vente.
697. — En résumé, la vente entre époux est présu
�30
TRA ITE
niée frauduleuse. Telle est la règle, mais cette règle
reçoit exception, lorsqu’il apparaît d’une cause légiti
me; cette cause légitime existe de plein droit dans les
trois cas spécifiés dans l’article 1595, sauf le droit des
héritiers à réserve et celui des tiers sur la simulation
du prix fixé dans l’acte; dans tous les autres cas où
l’existence d’une cause légitime serait alléguée, la loi
s’en réfère à la prudence des tribunaux qu’elle en cons
titue les arbitres souverains.
698.
— Mais , pour pouvoir utilement se placer
dans l’exception prévue, il ne suffit pas de motiver la
vente sur un des faits qui constituent cette exception,
il faut en outre que la position des parties explique et
justifie la vente. Ainsi il a été jugé que la créance que la
femme dotale a sur son mari pour sa dot n’est pas, tant
qu’elle n’a pas été rendue exigible par la séparation de
biens, une cause légitime dans le sens de l’article 1595
du Code civil, autorisant la cession des biens du m ari;
c’est là une reprise dans le sens du numéro premier de
cet article et l’on objecte en vain qu’il suffit, aux termes
du numéro deux, que la créance ne tombe pas en com
m unauté;1
^
Que sous le régime dotal, les reprises de la femme ne
pouvant être exigées qu’après la dissolution du mariage
et le mari n’étant pas soumis, sauf clauses contraires, à
faire emploi jusqu’à cette époque, l’existence de ces
�DU DOL
ET
DE LA FR A U D E .
reprises n’est point une cause légitime donnant droit
au mari de vendre à la femme un de ses immeubles;1
Enfin que la vente d’un immeuble faite par le mari
au profit de sa femme, à titre de remploi de diverses
aliénations, est nulle, non obstant l’énonciation de rem
ploi, s’il résulte de circonstances graves que cette vente
a été faite dans le but de soustraire l’immeuble à l’ac
tion des créanciers du mari. *
Il en serait de môme si la créance paraphernale, pour
le paiement de laquelle il y a eu vente entre époux,
était déclarée avoir une trop faible importance, en pro
portion des biens cédés.3
699. — Quel est le sort de la vente entre époux
tombant sous le coup de la prohibition de l’arti
cle 1595? Par rapport aux tiers intéressés, la ques
tion ne saurait être douteuse, la nullité est absolue.
Les choses rentrent dans la possession du précédent
propriétaire et restent affectées aux droits et aux exé
cutions que chacun d’eux peut prétendre ou exercer;
700. — Par rapport aux héritiers réservataires, la
vente n’est pas nulle, en ce sens qu’elle ne doive produire
aucun effet. Considérée comme un avantage indirect,
elle doit se réduire jiîsqu’à concurrence de la quotité
disponible. Cette opinion, enseignée parToullier, *nous
1 Grenoble, 10 juillet 1841 ; — D. P. 42, 2, 45.
’ Bordeaux, 15 janvier 1859 ; — D. P. 39, 2,132.
3 Cass., 24 juin 1859; — D. P. 40, 1, 15.
1 T. x i i , p. 64.
�0»
TRAITE
paraît incontestable. L’un des motifs du législateur, en
proscrivant la vente entre époux, a été d’empêcher la
disposition d’outrepasser les bornes tracées aux avan
tages qu’ils peuvent réciproquement se conférer. Donc,
renfermer dans tous les cas cette disposition dans les li
mites de la quotité disponible, c’est lui affecter un ca
ractère légal. Comment empêcherait-on de faire indi
rectement ce qu’il est permis de faire d’une manière
directe.
701.
— Il n’est certes pas défendu à la femme d’a
cheter soit des immeubles, soit des meubles pendant la
durée du mariage.Mais ces achats peuvent masquer une
fraude, soit contre les créanciers, soit contre les héri
tiers à réserve, lorsque le paiement du prix, censé fait
par la femme, l’a été réellement par le mari et de ses
propres deniers. La facilité d’exécuter cette fraude a,
de tous temps, éveillé la sollicitude du législateur. De
là, la présomption que ce qui est acheté par la femme
l’a été des deniers du mari. Mais cette présomption
n’est pas exclusive de la preuve contraire; elle oblige
seulement la femme à justifier des ressources qu’elle a
employées : Unde habitent. 1
702.
— L’article 1596 prohibe la faculté de devenir
adjudicataire :
Au tuteur des biens de ceux dont il a la tutelle ;
Aux mandataires des biens qu’ils sont chargés de
vendre ;
? L. SI, Dig. de Donat. inter vir. et uxor
�DU DOL
et
de
la
fraude
.
59
Alix administrateurs des biens des communes ou des
établissements publics confiés à leurs soins;
Aux officiers publics des biens nationaux dont les
ventes se font par leur ministère.
Les adjudications l'apportées au mépris de cette dis
position sont considérées comme frauduleuses et an
nulées de plein droit, sans qu’on puisse avoir égard à la
bonne foi alléguée.
Les raisons de sûreté et d’honnêteté publiques qui
motivent cette disposition sont, dit M. Portalis, 1 trop
évidentes pour qu’il soit nécessaire de les développer.
Chacun sent, en effet, que l’autorisation de devenir ad
judicataire amènerait bientôt les personnes désignées
à mettre, pour écarter toute concurrence, le soin que
le législateur exige de leur part pour la multiplier. C’est
aussi ce qu’avaient pensé les législations précédentes
que le Code n’a fait que copier.
703.
— En règle générale, les incapacités sont de
droit étroit sans qu’on puisse les étendre. De là, quel
ques auteurs, et notamment M. Duranton,2 ont conclu
que l’article 1596 du Code civil ne concernait pas le
subrogé-tuteur. Nous admettrons cette solution lorsque,
par la nature de la vente, le subrogé-tuteur y demeure
étranger, n’ayant aucune mission de la surveiller, com
me, par exemple, en cas d’aliénation par suite d’expro
priation. Au contraire, si la vente est volontaire,le su! Exposé des motifs, corps législatif, 27 février 1804.
�60
T R A IT É
brogé-tuteur doit, aux termes de l’article 459 du Code
civil, être présent dans l’instance, et cette présence n’a
d’autre but que de surveiller et de protéger les intérêts
du mineur. Or, cette mission est inconciliable avec la
faculté de se rendre adjudicataire,puisque, dans ce cas,
l’intérêt du subrogé-tuteur serait opposé à celui du mi
neur. fl ne faut donc pas que dans cette position ce der
nier intérêt puisse être sacrifié. Nous dirons du subrogétuteur, dans cette circonstance, ce que Portalis disait
tout à l’heure du mari : Il ne peut concilier l’intérêt ex
clusif et personnel d’un contractant avec la sage vigi
lance d’un protecteur. D’ailleurs, chargé de partager les
devoirs du tuteur, il doit subir les prohibitions faites à ce
dernier. La même distinction doit régir le curateur du
mineur non émancipé et le conseil judiciaire donné à
un prodigue.1
704.
— L’article 711 du Code de procédure civile
complète la série des incapacités en partie établies par
l’article 1596. Les membres du tribunal devant lequel
la vente se poursuit pourraient abuser de l’influence
s’attachant à leur qualité pour écarter les enchéris
seurs. La connaissance qu’un d’eux se présente comme
acquéreur suffirait seule, et indépendamment de toute
démarche personnelle, pour déterminer ce résultat. La
loi a donc sagement et prudemment agi en ne leur
permettant pas de se mettre sur les rangs des acqué
reurs.
1 Troplong, art. 1596, n° 187,
�DU DOL
ET
DE LA F R A U D E .
61
705- — La nullité de l’adjudication faite en faveur
d’un incapable peut être poursuivie par tous les ayantdroit. Il n’y a à cette règle générale qu’une exception,
à savoir : l’incapable lui-même. Autoriser celui-ci à se
soustraire aux charges résultant de l’adjudication, c’é
tait lui permettre de se prévaloir de sa propre turpi
tude. La loi ne doit aucune protection à celui qui ne
s’est mis dans le cas de l’implorer qu’en la violant ou
vertement.
708- — Les juges, leurs suppléants, les magistrats
remplissant le ministère public, les greffiers, huissiers,
avoués, défenseurs officieux et notaires, ne peuvent,
aux termes de l’article 1597, devenir cessionnaires des
procès, droits et actions litigieux qui sont de la com
pétence du tribunal dans le ressort duquel ils exercent
leurs fonctions.
Un juge, disait Portalis, dans l’Exposé- des motifs, est
établi pour terminer les contestations des parties et non
pour' en trafiquer. Il ne peut et ne doit intervenir entre
les citoyens que comme ministre des lois et non com
me l’agent des intérêts, de la haine et des passions de
l’homme. S’il descend honteusement de son tribunal,
s’il abandonne le sacerdoce auguste qu’il exerce pour
échanger sa qualité d’officier de justice contre celle d’a
cheteur d’aclidn, il avilit le caractère honorable dont il
est revêtu, il menace, par le scandale de ses procédés
hostiles, les familles qu’il ne doit que rassurer par ses
lumières et ses vertus. Il cesse d’être magistrat, il n’est
plus qu’oppresseur.
�62
TRA ITÉ
Il serait à craindre, ajoutait l’orateur du tribunat,
que les différentes personnes énumérées dans l’article
n’inquiétassent les plaideurs par leur influence ou tous
autres moyens, et qu’armés de leur titre d’acquisition,
elles ne les forçassent à faire en leur faveur des sacri
fices considérables pour se débarrasser d’adversaires
dangereux.
La loi a donc suivi, en cette circonstance, la voie que
nous avons déjà signalée en traitant du dol présumé.
Plus la fraude est prochaine et facile, plus elle redouble
de précautions et plus elle en suppose aisément l’exis
tence. Or, on pouvait prévoir, sans trop de témérité, que
les personnes dont parle l’article 1597, voulant se faire
céder des droits litigieux, feraient nécessairement va
loir leur position, leur influence, sauraient adroitement
semer des craintes sur le résultat. Consacrer de pa
reilles manœuvres, c’était encourager une fraude d’au
tant plus dangereuse, que celui qui en est l’objet a
moins de moyens de s’y soustraire. C’est pour obvier à
cet inconvénient que la loi a consacré la prohibition
absolue que nous trouvons dans l’article 1597.
707.
— Cet article place sur la même ligne les pro
cès et les droits et actions litigieux. Cette locution ne
serait qu’un pléonasme s’il fallait, dans l’occurrence,
appliquer l’article 1700 du Code civil, suivant lequel on
doit considérer comme litigieux le droit sur lequel il y a
procès ou contestation. Cette considération a amené la
doctrine à conclure que l’article 1597 n’exige pas que
le procès soit commencé. Il y a droit douteux, et partant
�DU DOL E T
DE LA
FR A U D E .
63
incessible, toutes les fois que le droit à céder est non
reconnu, incertain, sujet à contestation et de nature à
appeler les parties devant les tribunaux. 1
708.
— H en est de la nullité résultant de l’arti
cle 1597, comme de celle prononcée par l’article 1596.
Le cessionnaire seul est non-recevable à s’en prévaloir.
Le cédant le peut, quoi qu’en dise M. Duranton, car la
loi présumant la fraude le suppose trompé, admet qu’il
a cédé devant une influence irrésistible ou obéi à des
conseils intéressés et pernicieux. On se placerait donc
en contradiction flagrante avec l’esprit de la loi, si, pu
nissant le cédant de la fraude dont il est victime, on
prétendait l’empêcher d’en poursuivre la réparation
sous prétexte d’une complicité dans la violation de la
lo i.2
La partie engagée dans le litige peut avoir un grand
intérêt à se trouver en face de son véritable compétiteur.
Elle se débarrasse d’abord d’un adversaire redoutable par
sa position de fortune et son influence ; elle se ménagé,
dans tous les cas, les moyens d’obtenir de l’intéressé di
rect des déclarations et des aveux dont elle pourra se
prévaloir dans l’instance. A ce double titre, son droit de
demander la nullité de la cession est incontestable.
t
709.
— Dans chacune des hypothèses des articles
que nous venons d’examiner, la nullité des ventes, ad1 Duranton, tom. xvi, n° 145 ; — Troplong, art. 1597, n° 200
* Voy. Troplong, ibid, n° 194.
�M
i
Li
if
TR A IT É
judications ou cessions ne serait pas éludée par les pré
cautions prises pour masquer la violation de la loi, et
notamment par l’interposition d’un prétendu acquéreur,
adjudicataire ou cessionnaire. Cette interposition peut
être prouvée dans tous les cas. Serait-elle de plein droit
admise pour les personnes indiquées par l’article 911
du Code civil ?
L’identité de solution semble devoir être la consé
quence de l’identité des motifs. Il s’agit dans nos trois
articles, comme dans l’article 911, d’incapables ayant
intérêt à masquer la fraude par une simulation offrant
quelques chances de réussite. Or la loi, qui tient à ré
primer celles-ci, n’attache pas un moindre prix à la ré
pression de celles-là, pourquoi donc prendrait-elle des
moyens différents en présence de circonstances identi
ques.
Cependant l’application absolue de l’article 911 con
duirait dans l’espèce à des résultats absurdes. Il faut
donc adopter comme règle certaine que l’interposition
de personne viciant l’acte dont la nullité est réclamée,
ce moyen peut toujours être allégué et prouvé ; que
son existence légalement acquise , lorsque l’avantage
conféré à l’incapable doit lui arriver sous le couvert de
ses père, mère, enfants ou descendants, ou de son con
joint, peut être détruite dans l’espèce parla preuve
contraire.1
710. — Le Code de commerce a suivi, quant à la
1 V. infra, tom. m, chap. 3, sect. 4, § 4.
�DU DOL E T DE
LA FR A U D E .
65
fraude, les errements du Code civil; à son tour, il en
présume l’existence, dans les cas où la facilité pour la
commettre la rend imminente et prochaine.
Tel est le caractère de la prohibition que les articles
85 et 86 renferment contre les agents de change et
courtiers, de faire le commerce pour leur propre compte
ou de s’immiscer dans les opérations dont ils sont les
intermédiaires légaux. Ce caractère ressort des motifs
sur lesquels reposent ces deux dispositions.
« Il ne peut y avoir sûreté pour le commerçant, si
l’intermédiaire ne conserve pas un caractère de neutra
lité absolue entre les contractants qui l’emploient. Dès
que son intérêt peut être attaché directement ou indi
rectement à la négociation à laquelle il s’entremet, il
trompe nécessairement une des parties et peut - être
toutes deux. Un agent intermédiaire, qui fait pour son
compte des opérations de commerce, viole tous les prin
cipes qui constituent sa profession, il trahit à la fois la
confiance publique et la confiance du commerce, ce
n’est le plus souvent qu’un rival trompeur qui usurpe
des droits illégitimes en prenant un caractère qui ne lui
appartient pas ; qu’un concurrent d’autant plus dange
reux qu’il opère connaissant parfaitement les intentions
de ses commettants, trompés par son titre officiel. »
711.
— Il y a donc, dans le fait du courtier ou de
l’agent de change violant les prohibitions de la loi, un
véritable abus de confiance. C’est plus qu’une fraude,
c ’est un délit que l’article 87 du Code de commerce
punit de la destitution et d’une amende, dont le maxi-
�66
TRA ITÉ
mum est fixé à 3,000 francs. L’existence du fait est à tel
point constitutive du délit, que les tribunaux ne peuvent
apprécier la question intentionnelle, et moins encore
refuser de prononcer la peine, sous prétexte de bonne
foi. Mais le fait d’immixtion rentre dans leur examen,
en ce sens que l’acte reproché peut être déclaré ne pas
constituer le délit caractérisé par la loi, comme s’il
s’agissait de quelques opérations isolées, accidentelles,
expliquées par des motifs légitimes.1
712.
— Les articles 85 et 86 ne prononcent pas la
nullité des opérations faites au mépris de leur disposi
tion. Cette pénalité ne pouvait être édictée sans s’ex
poser à apporter un grand trouble dans les opérations
commerciales, sans affecter des droits légitimement
acquis par des tiers. En commerce, en effet, on n’achète
guère que pour revendre, on ne prend des valeurs que
pour les transmettre soit à titre de négociation, soit à
titre de paiement. La nullité de l’opération première eût
donc amené une cascade de nullités et une véritable
perturbation dans la marche naturelle du commerce. On
devait donc se taire sur la nullité laissant, à chaque
espèce particulière, à amener la décision juridique
quelle comportera.
Quelle est la conséquence de ce silence? Faut-il l’in
terpréter dans le sens de la validité absolue de l’opéra
tion? L’affirmative n’est pas douteuse quant au courtier
ou à l’agent de change lui-même. Il ne pourrait en
�DU
DOL
ET
DE
LA. F R A U D E .
67
effet tenter de se soustraire à ses engagements qu’en
excipant de son propre délit, ce qui doit lui être interdit
de la manière la plus absolue.1
713.
— La Cour de cassation a jugé, le 15 mars 1810,
que celui qui a traité avec un courtier ne peut, exci
pant de l’article 85, se refuser de faire face à ses enga
gements. La doctrine a inféré de cet arrêt que la nullité
ne pouvait, dans aucun cas, être prononcée ; nous ne
pouvons partager cette opinion; en tant qu’elle tend à
empêcher la nullité d’être prononcée dans tous les cas
et d’une manière absolue.
Nous distinguerons d’abord entre une négociation
d’effets commerciaux et une vente de marchandises.
Si l’agent de change, réalisant la première, a reçu les
valeurs et compté les espèces, il n’y a plus moyen de
prononcer la nullité. Le souscripteur des effets ou l’en
dosseur qui les a transmis à l’agent de change ne saurait
prétendre qu’on doit les lui restituer sans qu’il soit tenu
de rembourser lui-même l’argent qu’il a reçu en échan
ge. Tout ce qu’il peut prétendre, c’est la réparation du
préjudice que la déloyauté de l’agent de change lui a
occasionné, or cette réparation n’exige pas la nullité
de l’opération, elle se réalise par une allocation de
dommages-intérêts.
Dans l’espèce jugée par la Cour de cassation, le de
mandeur en nullité était le souscripteur des effets que
l’agent de change, à qui ils avaient été cédés par le por1 Bordeaux, 23 nov. 1828.
�TR AJ T R
teur, poursuivait en paiement. Or il est évident que la
nullité n’était pas même sérieusement opposable. En
effet, débiteur certain des sommes réclamées, le sous
cripteur ne pouvait se soustraire au paiement, parce
que son créancier direct avait traité avec un agent de
change. Tout ce qu’il pouvait soutenir, c’est que la né
gociation illicite n’avaitpu transférer la propriété, que,
conséquemment, l’agent, de change ne devait pas être
considéré comme tiers-porteur sérieux et de bonne foi,
et que toutes les objections opposables à son cédant
pouvaient lui être opposées. Mais prétendre ne pas payer,
parce qu’il avait plu au porteur de traiter avec un agent
de change, c’était poursuivre un but irrationnel autant
qu’inique; le proscrire était donc un devoir pour les
tribunaux.
A plus forte raison devrait-on le décider ainsi toutes
les fois qu’après avoir pris personnellement des valeurs,
l’agent de change les a endossées à des tiers qui en de
mandent paiement. Cette demande ne comporterait au
cune exception de la nature de celle que nous exami
nons, à moins qu’on ne prouvât que le porteur n’est,
qu’un prête-nom, et, dans ce cas, nous venons de le
dire, tout ce que pourrait exiger le souscripteur ce se
rait la réparation du préjudice qu’il éprouve.
On doit appliquer la même règle à l’achat de mar
chandises. Si le vendeur a livré, il ne serait pas rece
vable à redemander la marchandise, si elle est encore
entre les mains du courtier ayant traité pour son compte.
A plus forte raison, si le courtier l’avait revendue à des
�DU DOL E T D E LA F R A U D E .
69
tiers. Ce que la loi autorise dans ce cas, c’est l’action en
indemnité si un préjudice quelconque a été souffert.
Mais, s’il ne s’agit que d’une promesse de négociation
ou d’une vente à terme, nous croyons que l’agent de
change ou le courtier ne serait pas recevable à deman
der l’exécution de la promesse et la livraison effective
soit des billets, soit des marchandises. Le traité sur
lequel cette demande s’appuierait étant un délit, l’obli
gation aurait une cause illicite ne créant aucun droit et
conséquemment aucune action. D’ailleurs, pourquoi
forcerait-on l’exécution, lorsqu’on reconnaît que cette
exécution engage l’agent de change ou le courtier à ré
parer le dommage? N’est-il pas naturel deprévenir plu
tôt que de réparer, et, puisque les choses sont en l’état,
de ramener les parties au respect de la loi que l’une
d’elles a complètement oublié.
Nous croyons cette doctrine juridique. Ce qui le
prouve, c’est qu’il est admis en principe que les cour
tiers sont sans qualité pour exercer en leur propre nom
les actions en paiement ou en livraison des marchan
dises vendues par leur entremise.1Pourraient-ils, donc
faire pour leur propre compte ce qu’il leur est interdit
de faire pour le compte d’autrui ? La réponse ne saurait
être douteuse, avec d’autant plus de raison que l’esprit
de l ’arrêt que nous rappelons amène à cette conséquen
ce qu’on ne prohibe l’action pour compte du tierg que
parce que le courtier y trouverait le moyen d’éluder la
prohibition, et qu’on a craint qu’il figurât réellement
^ Cass., 2 brumaire an 13.
�70
TR A IT E
lui-même sous le manteau de celui dont il a emprunté
le nom.
Ainsi l’opération faite contrairement aux prescriptions
de la loi, et qui n’a pas reçu immédiatement son entière
exécution, peut être annulée. Mais l’agent ou le courtier
contrevenant ne peut, dans aucun cas, demander cette
nullité. Pour lui, il n’y a pas de distinction à faire, il
est, dans tous les cas, obligé d’exécuter ses engage
ments.
714. — Il suit de ce qui précède que la nullité étant
opposable à l’agent de change ou au courtier, on pour
rait également l’opposer au tiers poursuivant pour con
traindre soit à accepter, soit à effectuer la livraison, si
ce tiers n’était que le prête-nom de l’un ou de l’autre.
Mais cette simulation n’est jamais présumée. C’est à
celui qui l’allègue à en fournir la preuve. A défaut de
cette preuve, le tiers est considéré comme de bonne foi
et conséquemment maintenu dans le bénéfice de l’opé
ration. 1
715. — Quelle est la véritable portée de la défense
faite par l’article 86 aux agents de change ou courtiers,
de garantir l’exécution des marchés faits par leur entre
mise? Le courtier de commerce qui, moyennant un du
croire, garantit la solvabilité de l’acheteur qu’il pro
pose, contrevient-il à cette prohibition?
Cette question, que le texte de la loi semble résoudre
1 Cass., 18 décembre 1828.
�DÛ DOL
UT DE LA
FRAUDE.
7f
par l’affirmative, doit surtout être examinée au point de
vue de l’esprit du législateur, et cet examen doit déter
miner la solution contraire.
Ce que la loi a voulu, c’est prohiber au courtier toute
opération commerciale pour son propre compte. A cet
égard, les paroles de Portalis, déjà rappelées, ne laissent
aucune place au doute.
Cette volonté serait demeurée sans effet si la prohi
bition directe eût pu être indirectement éludée. Or, un
des moyens les plus propres à éteindre ce dernier résul
tat, eût été la garantie de l’exécution des marchés. Qui
ne voit, en effet, les conséquences possibles de cette
garantie ?
Un courtier voulant acheter ou vendreselon la chance
de la spéculation, mais ne pouvant le faire en son nom,
l’eût fait en celui du premier venu, en se rendant ga
rant de l’exécution. L’époque de fa livraison arrivée, le
prétendu traitant n’aurait pu ou voulu soit livrer la
marchandise, soit l’accepter, soit payer la différence.
En vertu de la garantie promise, le courtier eût donc
été contraint de recevoir ou d’opérer lui-même cette
livraison, ou de payer la différence et de se livrer dans
tous les cas à des opérations commerciales.
La prohibition de garantir l’exécution n’a pas d’autre
objet que de mettre le courtier dans l’impossibilité d’a
voir jamais à livrer, ou à recevoir des marchandises,
ou à payer des différences; de l’empêcher ainsi de pren
dre part à des spéculations et de tenter de réaliser un
bénéfice ou une perte sur les traités qu’il détermine par
son intermédiaire. Il faut donc reconnaître que tout ce
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1 M i l * KII 'êâtëtëSÊÊÊÈÊk
TRA ITE
qui ne sera pas de nature à amener l’un ou l’autre ne
rentrera pas dans la prohibition qui lui est faite.
Or, garantir la solvabilité de l’acheteur, c’est sans
doute s’exposer à une perte, mais sans compensation
aucune du côté des bénéfices. La perte elle-même ne
sera pas une conséquence du marché, en ce sens que
l’insolvabilité postérieure peut tenir à de toutes autres
causes , il peut se faire que le marché eu lui-mcme ait
été fort avantageux ; enfin, lorsque le paiement deyra
s’effectuer, le marché aura été exécuté depuis long
temps, l’un n’étant que la conséquence de l’autre.
Garantir la solvabilité de l’acheteur est si peu ga
rantir l’exécution du marché, que si celui-ci refuse la
livraison, le vendeur n’aura aucun recours contre le
courtier. Ses droits à contraindre l’acceptation se con
centreront contre l’acheteur, et ce n’est qu’après livrai
son effectuée et reçue que l’obligation éventuelle du
courtier aura une valeur quelconque.
Donc garantir la solvabilité, c’est faire un crédit à
l’acheteur. Aucune loi ne défend au courtier de prêter
de l’argent à ses clients. Il pourrait leur avancer les
fonds au moment de l’achat, pourquoi ne pourrait-il pas
s’engager à prêter les fonds au moment du paiement.
Vainement exciperait-on de ce que l’article 85 lui
défend de payer et de recevoir pour le compte de ses
commettants. Cette prohibition ne s’étend pas aux prêts
personnels qu’il pourrait consentir à ceux-ci. C’est ce
que la jurisprudence a admis à toutes les époques.1
1. 8
1 Paris, 9 juin cl I i nov. 185G; — D. P. 1836, 2, 127; — J. D. P,,
loin, i , 1837. p. 257.
■
�DU DOL
ET
DE LA F R A U D E .
•Ainsi, garantir la solvabilité de l’acheteur, ce n’est
pas violer la prohibition de l’article 86. Admettre le
contraire, serait consacrer que le législateur a parlé
d’une manière, agi de l’autre. Le courtier garantissant
la solvabilité conserve son caractère de neutralité, il ne
trompe ni l’une ni l’autre des parties, ni toutes deux,
fl ne trahit ni la confiance publique ni celle du com
merce ; il n’est, pour aucune des parties, ni un rival ni
un concurrent. Ilne réunit donc aucune des conditions
par la crainte desquelles on lui a interdit le commerce.
Tout ce qui peut résulter de l’acte que nous exami
nons, ce que le courtier sera d’une extrême circons
pection dans le choix de ses clients acheteurs, c’est
qu’il ne s’entremettra que pour des gens actuellement
solvables, ce qui sera un avantage signalé pour le ven
deur.
A cet avantage s’en joindra un autre dans l’intérêt du
commerce en général, du petit commerçant en parti
culier. On sait toutes les peines qu’éprouvent quelque
fois ces derniers pour se procurer un crédit qui finit
souvent par les faire arriver à un si haut degré de pros
périté. Or, ce résultat sera atteint par l’obligation éven
tuelle du courtier, et il le sera sans préjudice pour le
vendeur que cette obligation éventuelle garantit suffi
samment. Ainsi absence complète de tous inconvénients
d’un côté, avantage immense de l’autre; conclusion lo
gique : il n’est pas possible que la loi ait entendu prohi
ber un pareil état de choses.
Remarquons cependant que la garantie de la solva
bilité peut n’être qu’une simulation. Ainsi le courtier
�m
74
TR A IT É
pourrait, à l’aide de ce prétexte, faire réellement le
commerce pour son propre compte, sous le couvert
d’une personne interposée. Mais cette simulation est im
possible lorsque la garantie de la solvabilité s’applique
à une généralité d’acheteur ; la découverte de l’interpo
sition de personnes et sa preuve feraient condamner le
courtier, non pas pour avoir garanti la solvabilité de
l’acheteur, mais pour avoir réalisé lui-même indirecte
ment ce que la loi lui interdit de faire directement.
716.
— Quel est le caractère de la violation des ar
ticles 85 et 86 du Code de commerce? L’acte du cour
tier constitue-t-il une infraction disciplinaire? Est-il un
délit spécial? C’est surtout au point de vue de la pres
cription que la solution de cette difficulté est utile.
Dans une affaire portée à la chambre du conseil de
Toulon, on a prétendu que l’acte du courtier était sur
tout une infraction disciplinaire passible même des
peines de l’article 87 ; qu’en conséquence sa découverte
autorisait les poursuites, quelle que fût l’époque à la
quelle l’acte remonterait.
Cette doctrine nous paraît inadmissible. Elle est en
contradiction avec les termes de l’article 87 lui-même.
La discipline, dit le Dictionnaire général de Dalloz,
est un pouvoir de police intérieure et de surveillance,
établi pour maintenir dans les corps ou compagnies
l’exacte observation des devoirs que leur imposent les
lois de leur institution. Il y aura donc fait purement
disciplinaire toutes les fois qu’il y aura eu infraction à
mmrwnm»
�DU DOL E T
DE
LA F R A U D E .
cette police intérieure, et lorsqu’il s’agira d’une atteinte
portée à la dignité du corps ou de la compagnie.
Mais le fait disciplinaire peut revêtir des proportions
plus amples, il peut blesser les droits des tiers ou violer
des prescriptions d’ordre public. Dans ce cas, l’action
disciplinaire qui, d’après M. Dalloz, s’exerce souvent sur
des faits non définis à l’avance, mais dont l’appréciation
est laissée à un pouvoir discrétionnaire, est indépen
dante de l’action publique et de celle de la partie lésée.
Ainsi le même fait peut donner naissance à trois ac
tions : l’action disciplinaire, l’action du ministère public,
l’action civile, en réparation du dommage. Chacune de
ces actions a une juridiction qui lui est propre. En gé
néral, l’action purement disciplinaire, surtout en ce qui
concerne les officiers ministériels ou publics, est dé
férée aux tribunaux civils.
Or l’article 87 confie la répression des actes indiqués
par les deux articles précédents aux tribunaux correc
tionnels. Cette première dérogation au droit commun,
en matière disciplinaire, établit déjà qu’il s’agit d’autres
choses que d’un fait purement disciplinaire.
Ce qui le prouve mieux encore, c’est la pénalité. La
destitution est le dernier échelon des mesures discipli
naires lorsqu’elle est prononcée par le pouvoir ordinai
rement investi. Ici elle n’est plus qu’une peine, puis
qu’elle est à ce titre prononcée par les tribunaux cor
rectionnels. De plus l’amende que M. Pardessus apelle
à juste titre correctionnelle 1 et qui doit être simultané-
�76
T11AITE
ment prononcée, achève de fixer le véritable caractère
de l’acte que la compétence de la justice correctionnelle
ferait à elle seule supposer.
Ainsi la violation des articles 85 et 86 constitue un
véritable d é lit, c’est ce qu’enseigne notamment M.
Mollot, en parlant des actions pénales pour usurpation
ou contravention.
a Les unes sont dirigées, dans l’intérêt des agents de
change, contre ceux qui s’immiscent dans leurs fonc
tions ; les autres le sont contre les agents de change
eux-mêmes pour violation des lois et règlements, toutes
sont portées devant le tribunal correctionnel , parce
qu’elles ont pour objet la répression d’un délit. 1 *
Le fait ainsi qualifié, il en résulte qu’aux termes de
l ’article 657 du Code d ’instruction criminelle, la pour
suite du ministère public se prescrit par trois ans.
L’action ultérieurement intentée devrait donc être dé
clarée irrecevable,
717. — L’article 42 du Code de commerce prescrit
la publication des actes de société. L’absence de cette
formalité est considérée comme une fraude dont les ré
sultats diffèrent selon qu’il s’agit des associés entre
eux, des créanciers sociaux ou des créanciers particu
liers de chaque associé.
718. — Par rapport aux associés, l’absence de pu
blication annule la société. Cette nullité peut être der
1 Des Bourses de Commerce, chap. iv, titre 9, n° 459.
�DU DOL
ET
DE LA F R A U D E .
77
mandée à toutes les époques, mais ses effets ne concer
nent que l’avenir, les affaires traitées jusque là sont
liquidées, et la répartition des bénéfices ou pertes opé
rée dans les proportions indiquées par le pacte social,
liant les associés jusqu’au moment où la nullité est
acquise.
719.
— Par rapport aux créanciers sociaux, le dé
faut de publication ne saurait leur être opposé. La
raison en est simple, la loi ne pouvait rendre les tiers
responsables pour n’avoir pas fait ce qu’ils ont été dans
l’impuissance de faire. L’omission, justement reprochable aux parties signataires de l’acte, ne saurait, dans
aucun cas, atteindre ceux qui, demeurés étrangers à cet
acte, restaient nécessairement étrangers aux formalités
qui devaient le suivre.
Cette position des tiers amène à cette conséquence :
que les stipulations de l’acte non publié ne peuvent leur
êtreopposées. Ainsi, la solidarité étant de droit commun
entre associés en nom collectif, chaque associé serait
tenu sur tous ses biens de l’intégralité de la dette, quelles
que fussent les dérogations renfermées au pacte social.
En effet, les associés peuvent stipuler des dérogations
au droit commun, mais la loi ne consacre ces stipula
tions que lorsque les tiers ont été mis en demeure de
les connaître par la publicité qu’elles reçoivent de l’ac
complissement des formalités prescrites par l’article 42
du Code de commerce ; à défaut de cet accomplisse
ment, ces dérogations ne sont plus considérées que
�par rapport à eux.
Une seconde conséquence du défaut de publicité,
c’est de conférer aux tiers le droit de prouver, même
par témoins, l’existence de la société avec laquelle ils
ont traité. L’exigence d’une preuve écrite ne concerne
que les associés, car seuls ils sont dans le cas de se la
procurer. Dès l’instant qu’une société s’annonce au pu
blic par des actes formels, par l’emploi d’une raison so
ciale, les tiers ne sont pas même obligés d’en demander
la preuve ou de s’informer si elle a été ou non réguliè
rement établie. Ils agiraient sans doute beaucoup plus
prudemment s’ils prenaient ces informations, qui ne
sont pas, d’ailleurs, toujours faciles. Mais le seul dan
ger auquel ils s’exposent en ne les prenant pas, c’est la
chance de ne pas prouver la société. Les déclarer nonrecevables à faire cette preuve, ce serait porter une at
teinte grave à la bonne foi et à la confiance, sans les
quelles il n’y a pas de commerce possible ; donner une
prime à la cupidité et à la fraude, puisque les associés
pourraient, en célant leur acte social, se soustraire à
leurs engagements. Une pareille immoralité ne pouvait
trouver place dans la loi.
Ainsi, la position des créanciers vis-à-vis des associés
est aussi nette que possible. Il suffit que la société ait
existé de fait, pour qu’ils soient en droit d’en reven
diquer contre ces derniers les effets tels qu’ils résultent
du droit commun. Ils peuvent, de plus, en cas de dé
négation de l’existence de la société, la prouver par té-
.
�-
DU DOD E T
DE LA FU A U D E.
79
moins et, dès-lors, par des présomptions graves, pré'
cises et concordantes.
720 — Mais il n’en est pas de même des créanciers
sociaux à l’endroit des créanciers particuliers de cha
que associé. On sait que l’actif social est affecté par pri
vilège aux premiers et que les seconds ne sont payés
qu’en cas d’excédent et seulement sur la part et portion
de leur débiteur. Celui-là donc qui, débiteur actuel,
contracte une société, en nom collectif surtout, enlève
à ses créanciers le gage'de leur créance, qu’il affecte
par privilège à ceux qui traiteront plus tard avec la so
ciété.
Un pareil résultat serait une monstruosité s’il pouvait
être atteint sans que ceux qu’il tend à dépouiller eus
sent été mis à même de l’empêcher. Or, cette mise en
demeure ne peut résulter que de la publication de la so
ciété. Ainsi avertis du danger qui les menace, les créan
ciers personnels des associés futurs pourront faire pro
céder à la liquidation et prendre toutes les mesures
qu’ils croiront nécessaires à la conservation de leurs
droits.
Conséquemment, si l’acte de société n’a reçu aucune
publicité, si aucune des formalités voulues par la loi n’a
été remplie, la société est nulle comme étant faite en
fraude des créanciers, et l’effet de cette nullité est de
laisser intacts les droits que la société avait pour but de
détruire.
Cela n’a jamais été douteux des créanciers personnels
aux associés. Le défaut de publication, imputable à cha-
�80
TRA ITÉ
cun de ces associés, les rend non-recevables à en re
pousser les conséquences. Mais on s’est lait plus de
difficultés lorsque les créanciers personnels se trouvent
en présence des créanciers sociaux.
On a dit, dans l’intérêt de ceux-ci, que la nullité ne
produit pas d’effet rétroactif, qu’elle n’efface pas le
passé pendant lequel ont pu être faits des actes de
bonne foi ; que la disposition de l’article 42 du Code de
commerce a été dictée par cette considération que la
foi publique ne pouvait point être trompée et qu’on ne
pouvait point enlever aux tiers, qui s’étaient confiés
en l’apparence, les garanties qu’ils avaient espérées;
qu’admettre que si le défaut de publicité ne peut être
opposé par les associés, il le peut être par leurs créan
ciers personnels, c’est retirer d’une main ce qu’on a
donné de l’autre. C’est, contre le texte même de l’ar
ticle 42, faire prévaloir la forme sur le fond, l’écrit, et
les formalités de publication sur le contrat dont ils ne
sont que l’accessoire.
Sans doute entre associés la nullité n’affecte que l’a
venir, surtout par cette considération que l’associé, en
ne réclamant pas, a légalement consenti à tout ce qui
s’est fait. Conséquemment, et lorsque plus tard il
change d’avis et poursuit la nullité, ce changement ne
prouve pas qu’il n’ait pas volontairement accepté le
passé. Tout ce qui s’en induit, c’est qu’il ne consent
plus pour l’avenir; il est donc rationnel de ne pas con
fondre ce passé et cet avenir ; de laisser le premier pro
duire tous ses effets sous l’empire de ce consentement
dont l’existence tacite est au moins incontestable.
�DU DOL E T DE
LA F R A U D E .
81
Il y a donc eu, dans cette hypothèse, une société de
fait, dont la liquidation profite ou nuit à toutes les par
ties intéressées, surtout à celles qui ont toléré et en
couragé ce qu’elles pouvaient empêcher.
Or telle n’est pas incontestablement la position des
créanciers personnels de l’associé; étrangers à l’acte de
société, ils n’ont pu s’opposera ce qu’il fût consenti, ni
surtout veiller à leurs intérêts. Ils sont légalement pré
sumés en ignorer l’existence, ils ne peuvent être tenus
de l’attaquer qu’à l’instant où, en le leur opposant, on
prétend en profiter à leur détriment. Mais qu’elle serait
l’importance de ce droit qu’on ne leur conteste pas, si la
nullité, qu’ils ont la faculté de demander, laissait le
passé en dehors de toute atteinte , c’est-à-dire consom
mait la spoliation?
Par la force des choses mêmes, la nullité que le cré
ancier personnel fait prononcer remonte donc à l’ori
gine de l’acte de société. Ce n’est que de cette manière
que son action aura pour lui des effets utiles. Si le passé
était maintenu, si le privilège des créanciers sociaux
demeurait acquis par le fait de l’association, on arrive
rait à ce résultat que l’action du créancier, ne pouvant
être exercée qu’après la société, s’ouvrirait juste au mo
ment où le mal, qu’elle a pour objet d’empêcher, serait
consommé.
D’ailleurs entre les créanciers sociaux et les cré
anciers personnels, qui sont les uns et les autres de vé
ritables tiers, il n’y a pas à hésiter. Les premiers ont pu
vérifier la condition légale de leur débiteur, et s’ils s’en
sont fiés à l’apparence, ils ont imprudemment agi. Que
�82
TR A IT É
cette imprudence ne soit jamais un titre pour les associés
on le comprend, mais les tiers ont le droit de s’en pré
valoir. Les seconds, au contraire, sont au-dessus de tout
reproche, ils ne pouvaient en effet ni prévoir, ni empê
cher que leur débiteur contractât une société. Il est donc
juste que, par rapport à eux, cette société devant les
dépouiller soit revêtue de toutes les formes prescrites
parla loi. En effet, la publicité donnée à celle-ci eût
suffi pour éveiller leur attention et les mettre à mêmé
de parer à la spoliation les menaçant. Consommer cette
spoliation, lorsqu’ils n’ont pas même été avertis , ce
serait consacrer une iniquité et encourager la fraude.
Nul doute en effet qu’une société clandestine ne doive
être considérée comme faite en fraude des créanciers
personnels des associés. Le droit de ces créanciers à la
faire annuler se puise donc dans l’article 1167. Il n’est
donc pas exact de dire que, consacrer ce droit, c’est
retirer d’une main ce qu’on a donné de l’autre; dans son
exercice, les créanciers n’étant nullement l’ayant-cause
de son débiteur.
L’évidente justice de la solution que nous indiquons
a été consacrée par la doctrine et la jurisprudence.1
Elle est aujourd’hui hors de toute contestation.
721. — De nombreux exemples de fraude présumée
nous sont offerts par la loi sur les faillites. Événement
capital dans la vie commerciale, la faillite place le né1 Merlin, Quest. de Droit, y0 société, § 2 ; — Troplong, art. 1862,
n°* 857 et suiv. ; — Délangle, sur l’art. 42, n° 547 ; — Cass., 15 fév
1821, et autres arrêts cités par ces auteurs.
�DU
DOL
ET DE LA
FR A U D E .
gociant dans une position exceptionnelle, et l’expose à
toutes les exigences soit de son propre intérêt, soit de
celui de certains créanciers désireux de se soustraire au
naufrage.
Cette position appelait l’intervention énergique de la
loi. Il importait dans tous les cas d’assurer la déposses
sion entière du failli, l’égalité absolue entre les cré
anciers. Tout acte, tendant à éluder l’une ou l’autre,
constitue donc une fraude punissable tantôt par la voie
correctionnelle ou criminelle, tantôt par la juridiction
civile seulement.
Nous n’avons pas à nous occuper de la banqueroute,
nous nous bornerons donc à dire quelques mots de la
fraude purement civile.
C’est surtout aux approches de la faillite que cette
fraude surgit. Les actes faits depuis la cessation des paie
ments ou dans un temps voisin en fourniront quelque
fois de nombreux exemples.
722. — D’après notre Code de commerce ancien, le
désinvestissement du failli remontant de plein droit au
jour de la cessation des paiements, tous les actes faits
depuis cette cessation ou dans les dix jours qui l’avaient
précédée étaient présumés frauduleux. Mais cette pré
somption n’allaitpas jusqu’à exclure la preuve contraire.
La loi de 1838 a déserté ce système. Le désinvestisse
ment du failli ne date plus que du jour du jugement dé
claratif; jusque là donc le failli a joui de tous ses droits,
pu exercer ses actions et continué légalement l’adminis
tration de ses affaires. Mais cette capacité n’est respec-
�sr y- ' - M
84
»
TRA ITÉ
tée qu’autant que ses effets auront tourné à l’intérêt
général des ayant-droit; qu’autant surtout que le failli
n’en aura pas abusé, soit dans son intérêt ou celui de
ses proches, soit en faveur de quelques créanciers, au
détriment de la masse.
De là une première distinction. Les actes faits par le
failli seront antérieurs ou postérieurs au jugement dé
claratif. Ces derniers sont de plein droit présumés
frauduleux et comme tels annulés, quelle que soit la
bonne foi de ceux qui ont contracté avec lui.
725. — On distingue ensuite, pour les actes anté
rieurs, ceux qui ont précédé de plus de dix jours la
cessation réelle des paiements, de ceux qui ont été faits
depuis ou dans les dix jours. Les premiers sont présu
més sérieux et sincères, ils doivent, en conséquence,
produire tous leurs effets, sauf la faculté pour les créan
ciers de les attaquer comme ayant été faits en fraude de
leurs droits, ce qu’ils sont tenus de prouver en la forme
ordinaire.
724. — Les actes faits dans les dix jours de la ces
sation ou depuis sont présumés frauduleux. Mais l’effet
de cette présomption se renferme dans les hypothèses
formellement énoncées dans l’article 446 du Code de
commerce.
Ainsi sont de plein droit présumés frauduleux, tous
actes translatifs de propriété mobilière ou immobilière
à titre gratuit ;
Tous paiements, soit en espèces, soit par transport,
�DU DOL E T
DE LA F l l A U D E .
85
vente, compensation ou autrement, pour dettes non
échues; et, pour dettes échues, tous paiements faits au
trement qu’en espèces ou effets de commerce;
Toute hypothèque conventionnelle ou judiciaire, et
tous droits d’antichrèse ou de nantissement sur les biens
du débiteur, pour dettes antérieurement contractées.
La nature de ces actes en indique suffisamment le
caractère. Elle prouve chez le failli la volonté de dimi
nuer ou d’anéantir son actif au préjudice de la masse,
tout au moins le désir de blesser l’égalité devant régner
entre les créanciers ; chez ceux qui ont traité avec lu i,
la volonté de se soustraire à un danger dont ils connais
sent et apprécient l’imminence. C’est du moins ainsi
que le législateur l’a admis, puisqu’il prononce la nul
lité absolue de tous ces actes.
Il y a également fraude présumée dans le fait du
créancier qui, ayant obtenu une hypothèque valable ,
n’en a requis l’inscription que plus de quinze jours après
la date de l’acte constitutif. La discussion législative de
l’article 448 nous apprend qu’on a y ulu atteindre par
sa disposition un abus contre lequel le commerce n’a
vait pas cessé de réclamer. Un commerçant, obligé de
conférer des hypothèques sur ses biens et voulant ne
subir aucune atteinte dans son crédit, obtenait que l’hy
pothèque ne fût pas publiée, puis la déconfiture arri
vant, des inscriptions nombreuses faisaient évanouir cet
actif, sur l’apparence duquel cependant le public avait
traité. C’est ce calcul que le législateur a voulu détruire
en n’accordant qu’un délai fort court pour réaliser l’ins
cription des hypothèques valablement conférées, c’est
�86
TRA ITÉ
son existence qu’il présume dès que ce délai n’a pas
été mis à profit.
Mais cette présomption n’exclut pas la preuve con
traire. Le défaut d’inscription peut tenir à des obstacles
réels, sérieux, à une force majeure que le créancier n’a
pu ni prévoir ni empêcher. Dans chacune de ces hypo
thèses, il y aurait injustice à punir le créancier d’une
faute qui n’est pas son fait. Dès-lors la preuve acquise
de l’une d’elles ferait fléchir la rigueur de la loi. C’est
dans ce sens que l’article 448 se borne à dire que l’ins
cription prise après la quinzaine, augmentée du délai
des distances, pourra êlre annulée. 1
SECTION II. —PREUVE DE LA FRAUDE NON PRÉSUMÉE.
SOMMAIRE.
725. Excellence de la preuve littérale.
726. Par quels éléments doit-on décider la question de la
recevabilité de la preuve testimoniale.
727. Exceptions au principe de l’article 1341 du Code civil.
1 V. au surplus notre Commentaire sur. la loi des faillites, ai t. MO
et suiv.
�DU D 0 1
ET
DE LA F R A U D E .
87
728. La partie qui n’a pas connu la fraude dont elle est vic
time n’a pu se procurer une preuve écrite.
729. Il n’en est pas de même pour la preuve concertée.,Ef
fets de celle-ci à l’endroit des tiers et des parties
elles-mêmes.
730. Dans tous les cas la preuve orale devient admissible,
s’il existe un commencement de preuve par écrit.
731. Définition du commencement de preuve : par l’ancienne
doctrine; par le Code civil.
732. Nature de la règle posée par l’article 1347 du Code
civil. Exceptions dont elle est susceptible.
733. Droit ancien relativement aux livres et registres des
marchands.
734. Confirmé par le Code.
735. Les copies des titres peuvent créer un commencement
de preuve par écrit. Motif de cette exception.
736. Du principe que l’article 1347 n’est que démonstratif,
la jurisprudence a tiré de nombreuses exceptions à
la rigueur de ses termes.
■737. Première exception. Interrogatoire des parties.
738. Deuxième exception. Aveu de la partie.
739. Troisième exception. Déclarations contradictoirement
fournies à l’audience.
740. Peut-on diviser les aveux et déclarations lorsqu’il ne
s’agit que de la vraisemblance du fait allégué ?
741. Mais la règle de l’indivisibilité de l’aveu reprend son
empire lorsqu’il s’agit de dépôt excédant 150 fr.
742. Quatrième exception. Refus de comparaître ou de ré
pondre. Obscurité calculée des réponses.
743. Les aveux et déclarations faits en justice de paix pro
duisent les mêmes effets que ceux produits devant
les tribunaux ordinaires.
■744. La loi exige seulement que les écrits émanent de la
partie. Conséquences quant à la forme.
745. L’écrit non reconnu ne peut créer un commencement
de preuve qu’après sa vérification.
746. Diverses catégories dans lesquelles se placera néces
sairement l’écrit dont il sera excipé.
�OO
TRA ITE
747. Dans celle des écrits rédigés mais non signés par la
partie, se placent les livres et registres des m ar
chands.
748. La règle tracée par l’article 1330 est-elle applicable
lorsqu’il s’agit de rechercher le commencement de
preuve ?
749. Dans la seconde catégorie se placent les écrits non
conformes aux dispositions des articles 1325-et 1326
du Code civil.
750. Sévérité de l’ancienne jurisprudence à l’endroit des pre
miers. Critique et blâme dont elle avait été l’objet.
751. Décision du Code civil, son véritable caractère.
752. L’acte non fait, ou ne mentionnant pas qu’il a été fait
en autant d’originaux qu’il y a de parties intéressées,
peut créer le commencement de preuve par écrit.
753. Opinion contraire de M. Duranton. Réfutation.
754. La règle applicable dans le cas de l’article 1325 doit
être également appliquée à celui de l’article 1326.
755. Quid si l’obligation écrite par le débiteur ne porte pas sa
signature ?
756. L’acte authentique, nul pour incompétence de l’officier
qui l’a reçu ou pour violation des formes, vaut comme
sous seing privé.
757. Il peut dès-lors servir de commencement de preuve ,
s’il est signé par les parties.
758. Le commencement de preuve peut résulter d’une lettre
missive. Exemples.
759. L’écrit émané de l’auteur de là partie produit contre
elle le même effet que celui dont elle serait l’auteur.
760. L'écrit émané du mandataire oblige le mandant dont il
est censé émaner.
761. Arrêt de la Cour de Toulouse faisant résulter le com
mencement de preuve des registres d’un notaire.
762. Résumé.
763. La preuve par témoins n’est pas admissible lorsque la
fraude de contractuin contractum cache une simulation
licite.
764. Exception lorsqu’il s’agit de la révocation légale ou de
�OU DOL
765.
766.
767.
768.
769.
E T DE EA F R A U D E .
89
la réduction d’une donation sous forme d’un contrat
à titre onéreux.
La preuve orale est admissible lorsque la fraude dé
guise une convention illicite.
Exemples fournis par la jurisprudence.
L’admissibilité de la preuve par témoins rend admissi
ble la preuve par présomptions.
Définition des présomptions. Conséquences.
Existe-t-il, en matière de simulation, des faits devant
plus particulièrement en décéler l’existence ?
725. — Hors les cas exceptionnels que nous venons
de parcourir, la fraude n’est jamais présumée. Son exis
tence doit être prouvée par celui qui l’allègue.
La preuve littérale est certainement la plus efficace,
la plus décisive de toutes les preuves. Mais, il faut bien
le reconnaître, elle n’existera que dans des cas excep
tionnels et fort rares. Telle n’est pas, en effet, l’allure
habituelle de la fraude ; elle se garde bien de laisser
après elle des traces rendant sa découverte évidente et
sa répression certaine.
726- •— Le plus souvent donc c’est à la preuve testi
moniale qu’on sera obligé de demander et cette exis
tence, et celte répression. Il convient, dès-lors, de re
chercher dans quels cas et à quelles conditions ce mode
de preuve pourra et devra être admis.
Cette recherche reconnaît pour bases essentielles les
dispositions combinées des articles 1341, 1347 et 1348
du Code civil. Le premier renferme la prohibition for
melle de la preuve orale lorsqu’il s’agit d’un intérêt su
périeur à 150 francs. Nous avons déjà donné l’histo-
�90
TRA ITE
rique de cette disposition ; nous n’avons donc, quant
à ce, qu’à nous en référer à nos précédentes obser
vations. 1
727. — Mais cette prohibition reçoit exception, no
tamment lorsqu’il existe un commencement de preuve
par écrit ou lorsque le poursuivant a été dans l’impos
sibilité de se procurer une preuve écrite.
728. — Dans cette dernière catégorie se placent na
turellement ceux qui se prétendent victimes d’une frau
de accomplie contre eux sans leur participation et sans
leur concours. Une fraude de ce genre est un véritable
dol. La preuve testimoniale, toujours admissible pour
celui-ci, le sera également pour celle-là, que nous avons
déjà dit s’appeler fraude de re ad rem. 2 II est, en effet,
évident que celui qui n’a connu la fraude que par le
préjudice qu’il en éprouve, a été dans l’impossibilité de
s’en procurer une preuve écrite, et se place conséquem
ment dans l’exception consacrée par l’article 1348729. — Il n’en est pas de même de la fraude de persona ad personam, c’est-à-dire de la simulation con
certée entre les parties à l’effet de nuire et de préju
dicier aux droits des tiers. Ici il faut distinguer entre
ces tiers et les parties elles-mêmes.
L’article 1167 tranche la question à l’égard des pre1 Vid. supra, n°s239 et suiv.
* Vid. supra, n° 642.
�DU DOL
E T DE UA F R A U D E .
91
miers en les autorisant à attaquer directement l’acte
frauduleux. La conséquence de cette action directe est
l’admissibilité de la preuve testimoniale, sans laquelle
cette action ne saurait aboutir, ce qui serait absurde.
En effet, qui veut la fin veut les moyens ; refuser ceuxci serait d’autant plus injuste dans la circonstance,
qu’étrangers à l’acte, les tiers exposés à le subir ne
pouvaient même le prévoir ; qu’on ne s’aurait donc
équitablement leur reprocher l’absence d’une preuve
écrite qu’ils n’ont jamais été dans le cas de se pro
curer.
Mais telle n’est pas évidemment la position des con
tractants. Leur présence forcée à l’acte, leur concert
frauduleux les a mis à même de se procurer la preuve
écrite du véritable caractère de leurs accords. Sans
doute l’intention d’assurer le succès de la fraude est ex
clusive de l’idée d’insérer dans l’acte la constatation de
cette fraude ; mais ce qui ne pouvait s’accomplir de
cette manière, pouvait l’être par une contre-lettre sé
parée et distincte. Ce devoir, imposé par la loi, était
conseillé par la prudence. La partie qui a négligé de le
remplir a d’autant plus de tort, qu’il fui était facile de
prévoir que celui qui ne recule pas devant l’indélica
tesse de s’associer à une fraude contre un tiers, pourrait
être assez déloyal pour tenter de s’en appliquer person
nellement le bénéfice.
Donc, le complice de la fraude ne pourra invoquer
la preuve testimoniale non-seulement contre les tiers,
mais encore contre son complice. Sa prétention, à cet
égard, serait invinciblement repoussée en force de la
�TRAITE
maxime nemo audilur, etc... Mais, comme nous l'avons
déjà d it,1 cette solution n’est rationnellement admis
sible que dans l’hypothèse où le porteur du titre, se re
tranchant derrière sa teneur, en soutient la complète
sincérité. Si, désertant ses énonciations, il est obligé de
puiser les preuves de la réalité de l’obligation ailleurs
que dans le titre même, le demandeur devrait être ad
mis à discuter ces preuves et à les détruire même par la
preuve orale. L’aveu de l’insuffisance du titre, rendant
la simulation vraisemblable, serait justement invoqué
comme un commencement de preuve par écrit, cons
tituant, aux termes de l’article 1347, une exception à la
prohibition de la preuve testimoniale.
730. — De tous temps, en effet, le commencement
de preuve a produit ce résultat. C’est ce qu’avaient for
mellement reconnu les ordonnances de 1566 et 1667.11
est vrai que la première ne désignait pas nommément le
commencement de preuve, mais, à défaut du nom, elle
renfermait évidemment la chose dans cette disposition :
JS’entendant exclure les preuves des conventions parti
culières et autres qui seraient faites par les parties sous
leurs seings, sceaux et écritures privées.
731. — Aucune de ces ordonnances n’avait toute
fois défini le commencement de preuve. La doctrine,
suppléant à ce silence, le faisait résulter de tout acte ou
écrit, d’où il ressort quelque preuve, quoique non suffiSup., n" 251.
�DU DOL E T
DE
LA FR A U D E .
93
santé : E x qua nonnulla probatio elici polest. 1 L’ap
préciation de l’un et de l’autre, de leurs caractères, de
leurs conséquences, était souverainement laissée à l’ar
bitrage des juges. 2
Le Code civil a comblé la lacune de la législation
précédente. L’article 1347, en déclarant le commen
cement de preuve exception à la prohibition de la
preuve testimoniale, le définit : Tout écrit émané de la
partie à qui on l’oppose ou de celui qu’elle représente,
et qui rend vraisemblable le fait allégué. L’appréciation
des tribunaux se trouve donc circonscrite aujourd’hui
dans ces limites, en ce sens qu’après avoir déclaré que
l’écrit émane de la partie ou de son auteur, qu’il rend le
reproche vraisemblable, ils ne pourraient le récuser
comme commencement de preuve.
732. — Mais l’article 1347 ne défend pas d’admettre
tout autre document, c ’est-à-dire que la règle qu’il pose
est susceptible de recevoir des exceptions. Ces excep
tions sont consacrées les unes par la loi, les autres par
la jurisprudence.
733. — La première exception légale concerne les
registres et livres des marchands. En règle ordinaire,
ces livres ne peuvent faire foi contre les tiers; était-il
juste cependant de leur refuser toute autorité, même
celle de créer un commencement de preuve.
1 Boiceau, I. 2,chap. 1, n°8 5 et 4;— Jousse, sur l’art. 3, tit. 20; —
ïOrd. de 1667.
5 Cass., 9 février 1801, 16 août 1831.
�TR A IT E
En présence des termes formels de l’article 1347,
cette question n’en était pas une. Évidemment les livres
du marchand ne sont pas émanés de la partie à qui ce
marchand les oppose. Ils manquent donc d’une des con
ditions essentielles exigées par notre article.
Mais le commerce vit de crédit,et il n’est pas dans ses
usages, surtout pour les ventes à la consommation,
d’exiger une reconnaissance écrite, dont la souscription
d’ailleurs serait dans bien de cas impossible, tous les
consommateurs ne sachant pas lire ou écrire. La fortune
du marchand serait donc à la merci de ses pratiques,
s’il suffisait d’une dénégation pour être à tout jamais
libéré.
Ce résultat inique avait touché notre ancien droit et
l’avait déterminé à se relâcher de la rigueur du principe
suivant lequel nul ne peut se créer un titre à soi-même.
En conséquence, adoptant la règle tracée par la loi 6,
Code de probalione, à l’endroit des registres domesti
ques, nos anciens jurisconsultes, et notamment l’illustre
Dumoulin, admettaient que les livres des marchands ne
pouvaient suffire seuls pour faire condamner les tiers,
mais qu’appuyés par d’autres présomptions, ils devaient
être considérés comme un commencement de preuve,
autorisant le juge à déférer le serment supplétoire.
734.
—- Cette doctrine, recommandable sous tous les
rapports, a été consacrée par le Code. La faculté de dé
férer le serment supplétoire est formellement inscrite
dans l’article 1329. Or, aux termes de l’article 1367,
cette faculté n’existe qu’aux conditions suivantes :
�DU DOL
ET
DE
LA
FR A U D E .
95
1° que la demande ne soit pas pleinement justifiée ;
2° qu’elle ne soit pas entièrement dénuée de preuve. De
la combinaison de ces deux articles, il résulte qu’à son
tour la législation qui nous régit n’admet pas que les
livres soient considérés comme un titre suffisant et lé
gitime : Solas sufficere non posse. Mais elle voit dans
leur existence une présomption assez grave pour faire
naître le doute, créer une vraisemblance qu’il convient
de creuser, et rendre admissible la preuve testimoniale.
Notons bien, en effet, que le serment supplétoire ne
peut être ordonné que dans les cas où la preuve tes
timoniale est recevable.1 Dire qu’on peut déférer ce
lui-ci, c’est par cela même déclarer qu’on peut recourir
à celle-là. Autrement il serait vrai que,pouvant le plus,
le juge ne pourrait pas le moins.
Donc les livres des marchands peuvent créer en leur
faveur un commencement de preuve, à condition tou
tefois , comme le disait Dumoulin, que d’autres pré
somptions viendront en corroborer l’autorité. Ces autres
présomptions exigées par Dumoulin étaient en première
ligne : la moralité du marchand et la régularité de ses
livres; ensuite la modicité de la somme, la vraisem
blance de la fourniture, sa proportionnalité avec la for
tune et la dépense accoutumée du débiteur, l’habitude
de celui-ci de prendre à créd it, etc__ Ce sont là en
effet autant d’éléments qu’on ne pourrait refuser d’ap
précier.
Notons cependant que déférer le serment supplétoire
1 Cass., 2 mai 1810.
�96
TRA ITE
ou ordonner une preuve orale n’est jamais pour le juge
qu’une pure faculté, dont il peut user ou non, suivant
qu’il le juge utile ou convenable. Conséquemment le
refus, qu’il en ferait dans telle ou telle circonstance,
pourrait bien être réformé comme un mal jugé par la
juridiction du second degré, mais il ne saurait dans
aucun cas constituer une violation de la loi susceptible
d’être censurée par la Cour de cassation.
735- — Voilà donc une hypothèse où le commence
ment de preuve se puise dans un écrit n’émanant ni de
la partie, ni de son auteur. Nous allons en rencontrer
d’autres dans les articles 1555 et 1336 du Code civil.
Le premier s’occupe des copies des titres ; celles qui
ont été tirées par l’autorité des magistrats, parties pré
sentes ou dûment appelées, ou qui l’ont été en pré
sence des parties, et de leur consentement réciproque,
font foi entière de leur contenu.
Celles tirées sans l’autorité du magistrat, ou sans le
consentement des parties, sur la minute de l’acte par
le notaire qui l’a reçu ou par un de ses successeurs, ou
par officiers publics dépositaires des minutes, peuvent
faire foi quand elles sont anciennes, c’est-à-dire quan:
leur délivrance remonte au-delà de trente ans.
Si elles ont moins de trente ans, elles ne peuvent ser
vir que de commencement de preuve par écrit.
Enfin les copies tirées, sur la minute de l’acte, par
tous autres que le notaire, ses successeui’s, ou l’officier
public dépositaire de la m inute, ne pourront servir,
�DU DOU
ET
UE
LAFRAUDE.
quelle que soit leur ancienneté, que de commencement
de preuve par écrit.
D’autre part, l’article 1336 dispose que la transcrip
tion d’un acte sur les registres publics ne pourra servir
que comme un commencement de preuve par écrit,
pourvu cependant qu’elle réunisse les conditions
exigées.
En réalité, l’acte public procède plutôt de son ré
dacteur que de la partie elle-même. Cependant l’acte,
portant la signature de celle-ci ou la mention qu’elle
n’a pu ou su signer, fait pleine foi en sa faveur ou contre
elle ; or une copie rendant l’existence de l’acte probable,
malgré qu’on ne puisse plus le représenter, il n’était
pas juste de s’arrêter à l’imperfection de cette copie, et
de repousser toute investigation ultérieure. Le législa
teur a donc justement agi en refusant à la copie toute
l’autorité que le titre offrirait, mais en lui faisant toute
fois produire l’effet d’un commencement de preuve.
Dans leur exécution, les prescriptions des articles
1335 et 1336 présentent les mêmes caractères que cel
les de l’article 1329. Ainsi, en ce qui le concerne, l’in
dépendance du juge reste entière et il peut toujours, si
la vraisemblance créée par la copie lui paraît dès
maintenant détruite par des vraisemblances contraires,
refuser de prolonger un litige pouvant immédiatement
recevoir une solution définitive.
736- — Ainsi la loi assimile, dans les articles 1355
et 1336, à l’écrit émané de la partie, l’acte susceptible
de faire foi contre elle. Ce principe, fondé sur la règle
u
5
�TRA ITE
que l’article 1347 n'est que démonstratif, a reçu en jurisprudence des notables développements.
On a fait résulter le commencement de preuve par
écrit : 1° de l’interrogatoire sur faits et articles ; 2° des
aveux judiciaires ou extrajudiciaires; 3° des déclara
tions contradictoires fournies à l’audience; 4° du refus
de comparaître et de l’obscurité calculée des réponses.
$
737. — 1° Interrogatoire sur faits et articles.
En la forme, l’interrogatoire est un acte public et
authentique. Il est reçu par un magistrat, signé par la
partie ou mentionnant qu’elle n’a su, n’a pu ou n’a pas
voulu signer. Il est donc à l’instar d’un acte notarié et
il doit conséquemment faire foi de ce qu’il contient. On
n’hésiterait certes pas à le reconnaître si l’interrogé
convenait formellement du reproche allégué par son ad
versaire, pourquoi en serait-il autrement si, tout en le
contestant, le premier laisse échapper des déclarations
rendant ce reproche vraisemblable? La seule différence
possible c’est que, dans le premier cas, il y aurait lieu à
condamnation, et que, dans le second, cette condamna
tion sera subordonnée à la preuve que la vraisemblance
du reproche fera admettre.
C’est au reste dans ce sens que la doctrine et la juris
prudence paraissent se fixer. La controverse qui s’était
d’abord prononcée s’efface et disparaît devant la doc
trine définitivement admise par la Cour de cassation.
758. —• 2° Aveu de la partie.
Si l’interrogatoire sur faits et articles, si les déclara-
�DU DOL E T
DE LA F R A U D E .
99
lions faites à l’audience prennent le caractère d’un com
mencement de preuve par écrit, c’est en force des aveux
qui y sont constatés. Dès-lors on ne saurait refuser à
l’aveu émané spontanément de la partie l’effet attribué à
l’aveu provoqué par une de ces mesures.
Conséquemment, de quelque manière que l’aveu se
produise, il y aura lieu savoir : à condamnation, s’il
porte sur le fond même du droit ; à la recevabilité de la
preuve testimoniale, si, portant sur des circonstances
accessoires, il rend vraisemblable le fait allégué.
Il n’est pas même nécessaire que l’aveu se soit produit
dans l’instance engagée. On pourrait, dans l’un de ces
objets, invoquer utilement celui que le défendeur ac
tuel aurait fait dans une instance précédente.1
739.
— 3° Déclarations contradictoirement fournies
à l’audience.
Ces déclarations constituent de véritables aveux.
Comme tels, elles doivent être considérées comme cons
tituant le commencement de preuve, si elles rendent
vraisemblable le reproche allégué.2 Mais ce qu’il im
porte de retenir, c’est que ces explications, purement
verbales, pourraient être facilement déniées soit à une
audience subséquente, soit devant le degré supérieur
de juridiction; conséquemment la partie intéressée à
les invoquer plus tard doit les faire constater en requé
rant immédiatement acte des termes dans lesquels elles
4 Cass., 27 avril 1840 ; — D. P. 40, 1, 212.
* Cass., 10 juillet 1838; — D. P. 58, 1, 348,
�1Ü0
TR A ITE
se sont produites. L’absence de cette formalité ne per
mettrait pas au tribunal qui les a reçues de les admettre
comme commencement de preuve ; dans tous les cas,
l’autorité supérieure ne pourrait les accepter comme
telles, alors même que les qualités du jugement, non
frappées d’opposition, les mentionneraient par deman
des et par réponses.1
740.
— Une observation commune à tous les genres
d’aveux, de quelque manière qu’ils se soient produits,
c’est que, dans la recherche de la vraisemblance de
vant autoriser l’admissibilité de la preuve orale, l’ap
préciation du juge n’obéit à aucune loi, ne reconnaît
aucune limite.De là il suit qu’on ne saurait l’astreindre
à obéir à l’indivisibilité que la loi a, dans les cas ordi
naires, imprimée à l’aveu.2II suffit, en effet, que sa cons
cience trouve dans l’aveu la probabilité voulue par la
loi, pour qu’il ait la faculté, disons mieux, le devoir
d’en déclarer l’existence et d’en déduire les effets.
741.
— La divisibilité de l’aveu est donc livrée à la
prudence du juge. Mais cette règle reçoit une excep
tion formelle lorsqu’il s’agit de l’existence d’un dépôt
excédant 150 francs et dont il n’existe aucune preuve
écrite. Les motifs de cette exception se puisent dans
cette considération : qu’en cette matière, la loi ne se
1 Montpellier, 5 juin 1859 ; — D. P. 40, 2, 66.
* Cass., 6 avril t836;—2 juin 1857;—19 juin 1859;—18 mai 1840
f— Toulouse, 16 janvier 1841 ;—J. D. P. 1840, lom. i, pag. 500, tom. n.
pag. 594 ; — 1841, tom. i, pag. 441
�DU DOL E T
DE LA F R A U D E .
101
borne pas à s’en référer au principe général de l’indivi
sibilité de l’aveu ; l’article 192-4 en spécialise de plus
les effets en déclarant que dans ce cas le dépositaire doit
en être cru soit sur le fait du dépôt, soit sur la chose
qui en fait l’objet, soit sur le fait de la restitution. Dèslors isoler le fait du dépôt des déclarations relatives à
sa quotité ou à la restitution, et puiser dans l’aveu ainsi
isolé un commencement de preuve pour arriver à per
mettre la preuve par témoins soit de son importance,
soit du défaut de restitution, c’est violer ouvertement
les prescriptions de l’article 1924.
Il y a plus, l’aveu de n’avoir reçu que tels objets ne
rend nullement vraisemblable le fait allégué que le dé
pôt comprendiait des objets plus considérables. La Cour
de Bordeaux, dans une espèce où il s’agissait d’un dépôt
de litres, faisait, avec raison, remarquer qu’il était peu
logique de conclure qu’un officier ministériel avait reçu
dix-sept titres de créance, parce qu’il avouait de bonne
foi en avoir reçu cinq. Une pareille argumentation, dit
l’arrêt, pourrait avoir des conséquences effrayantes.
La Cour réforme donc le jugement qui avait admis le
contraire, et son arrêt, déféré à la Cour de cassation,
fut maintenu par décision du 6 novembre 1838. 1
Déjà la Cour régulatrice s’était prononcée pour l’indi
visibilité par arrêt du 26 septembre 1823. On peut donc
considérer, comme un principe désormais acquis, que
l’aveu du dépôt excédant 150 francs ne peut être isolé
et fonder un commencement de preuve autorisant la
�102
TRA ITE
preuve orale de la fausseté de la déclaration soit sur la
quotité des objets déposés, soit sur le fait de la res
titution.
742.
— 4° Refus de comparaître, refus de répondre,
obscurité volontaire des réponses.
Les ordres de la justice doivent être respectés et
obéis. Celui qui prétend ne faire ni l’un ni l’autre mé
rite toute la sévérité des tribunaux.
L’article 350 du Code de procédure édicte la peine
applicable en pareil cas. Le refus de comparaître ou ce
lui de répondre peut non-seulement être un commen
cement de preuve, mais encore faire accepter les faits
comme avérés et motiver une condamnation immé
diate. La Cour de Montpellier a fait de ce principe une
application sévère en décidant que, sur l’appel du juge
ment tenant les faits pour avérés, le second degré de
juridiction n’est pas tenu d’obtempérer à l’offre que fait
l’appelant de subir l’interrogatoire qu’il a refusé de
subir en première instance, et qu’il peut confirmer pu
rement et simplement le jugement. 1
Ce que l’article 550 dit du refus d’exécution du juge
ment ordonnant l’interrogatoire, s’applique au refus de
comparaître à l’audience. Les motifs étant les mêmes,
la solution doit être semblable.
Enfin, l’exécution voulue par la loi doit être une exé
cution franche, loyale et sincère. En conséquence, il
est admis que l’ambiguïté, que l’obscurité volontaire et
1 24 novembre 1818.
�DU DOL
ET
DE LA FK A U D U .
103
calculée dans les réponses, équivaut au refus de ré
pondre, non pas qu’on puisse tenir les faits pour avérés,
mais en ce sens que les juges peuvent en faire résulter
le commencement de preuve. 1
Il résulte de ce qui précède que, quels que soient les
termes de l’article 1347, sa disposition n’a rien de res
trictif. Le législateur a, sous le nom d’écrits, compris
tous les actes émanés de la partie et pouvant fournir
contre elle la preuve des conventions en litige, i En
effet, dit Toullier, l’article 1347 ne dit pas qu’on ne
pourra considérer comme un commencement de preuve
par écrit l’acte qui ne serait pas émané de celui à qui
on l’oppose ou de son auteur; il dit seulement que les
écrits émanés de l’un ou de l’autre sont des commen
cements de preuve, ce qui est bien différent. a »
743. — Rappelons, en terminant sur ce point, que
ce que nous avons dit des aveux et déclarations re
cueillis devant les tribunaux reçoit son application aux
instances ouvertes ou poursuivies devant les justices de
paix. Les dires constatés soit dans un jugement, soit
dans des procès-verbaux de constatations ou de recher
ches, de conciliation ou de non conciliation pourraient
être ultérieurement invoqués à titre de commence
ment de preuve.
744. — Nous passons maintenant aux écrits de la
1 Cass., Il janvier 1827,19 juin 1839; — D. P., 39, 1,287.
* Toin. ix, p. 103, n03 169 et suiv.
�10 4
TRA ITÉ
partie ou de son auteur. Ce qu’il faut d’abord retenir en
ce qui les concerne, c ’est que l’article 1347 se contente
d’exiger qu’ils soient émanés de l’une ou de l’autre.
Celte expression indique que le législateur ne s’est nul
lement préoccupé de la perfectibilité de l’acte dont on
exeipera. Il est même certain qu’il n’a en vue que ceux
ne pouvant par eux-mêmes créer un titre régulier. Dans
le cas contraire, en effet, le titre se suffisant à lui-même,
il ne pouvait s’agir de la question de savoir s’il pou
vait constituer ou non le commencement de preuve.
745- — Il faut ensuite remarquer qu’il n’y a réelle
ment d’écrits émanés de qui que ce soit, que lorsque
l’écriture ou la signature est reconnue par celui qu’on
en soutient l’auteur. En cas de dénégation, on ne saurait
rien inférer tant que la vérification demandée ou or
donnée n’aurait pas détruit cette dénégation.
746.
— L’écrit reconnu se placera nécessairement
dans une des catégories suivantes :
1° Écrits non signés par la partie ou qui n’étaient
pas destinés à l’être ;
2° Écrits irréguliers comme ne remplissant pas les
conditions exigées pour leur validité;
5° Écrits nuis pour incompétence du fonctionnaire
qui l’a reçu ou pour vices de forme;
4° Écrits ne constituant pas un titre par eux-mêmesr
mais rendant vraisemblable le fait allégué.
747. — Dans la première catégorie, se placent les
�Dü
DOL E T
DE L A F R A U D E .
105
livres des marchands, les registres ou papiers domes
tiques de la partie ou de son auteur; les uns et les au
tres sont, en effet, l’œuvre de celui qui les a tenus,
quand bien même un tiers les eût écrits sous leur di
rection, ce qui se réalise souvent pour les livres de
commerce.
La vraisemblance du fait allégué, puisée dans ces do
cuments, doit donc constituer le commencement de
preuve, tel qu’il est exigé par l’article 1347 contre leur
auteur ou ses représentants.
748.
— Ici se présente une difficulté. L’article 1330
défend de diviser les mentions des livres qu’on invoque.
Celui qui prétend en tirer avantage doit les accepter
dans leur entier, sans pouvoir répudier ce qu’ils ont de
contraire à sa prétention. Par une parité de raisons
incontestables, on doit admettre la même doctrine à
l’endroit des registres et papiers domestiques. Cette
indivisibilité devra-1-elle s’entendre d’une manière
tellement absolue, qu’elle ne permet pas, en cas d’al
légations contradictoires, de tirer des uns et des autres
un commencement de preuve par écrit?
Nous venons de voir la Cour de cassation proclamer
la divisibilité de l’aveu, malgré le texte formel de l’ar
ticle 1356. Or, l’article 1330 ne fait que répéter pour
les livres la règle que l’article 1356 appliquera plus tard
à l’aveu. Dès-lors, si celui-ci est inapplicable, lorsqu’il
s’agit de la recherche d’un commencement de preuve,
quel motif aurait-on de décider le contraire pour ce
lui-là ?
�106
TR A IT É
Nous admettons donc, à l’égard des livres, la distinct
io n que la Cour de cassation fait en matière d’aveu.
Lorsque le demandeur sera dans l’impuissance de jus
tifier sa prétention par une preuve quelconque, qu’il
n’aura recours qu’aux livres seuls de son adversaire, il
sera obligé de les accepter dans son ensemble. Si ces
livres, mentionnant l’obligation, en mentionnent égale
ment l’extinction, sa demande sera repoussée.D’abord,
parce que, tenu de la justifier, il n’a pas suffisamment
rempli son devoir dès qu’il ne peut offrir à la justice
qu’un document qui se contredit et qui laisse au moins
la vérité dans le plus grand doute; ensuite, qu’en de
mandant foi et créance pour les livres, en ce qui con
cerne les allégations qui lui sont avantageuses, il leur
confère une autorité morale rejaillissant sur l’ensemble
et qui doit nécessairement empêcher le juge de se pro
noncer pour les unes plutôt que pour les autres.
Mais lorsque, armé d’une preuve décisive, le deman
deur ne s’en réfère aux livres que pour y puiser la vrai
semblance rendant sa preuve admissible, c’est néces
sairement à d’autres idées qu’il faut recourir. Alors, en
effet, il ne faut qu’un écrit émané de la partie, et le li
vre invoqué offre évidemment ce caractère. Alors, le
juge n’a plus à prendre un parti définitif, il a seulement
à rechercher le plus ou moins de vraisemblance des
deux allégations. Or, la loi ne traçant à cette recherche
aucun mode obligatoire, ne lui imposant aucun élé
ment, le juge est parfaitement libre de se créer une
conviction dont il ne doit même aucun compte. Com
ment, au surplus, oublierait-il que l’obligation est cou-
�DU DOL E T
DE
LA F R A U D E .
107
venue par le débiteur lui-même, tandis que son extinc
tion, contestée par le créancier, ne résulte que d’un fait
personnel au débiteur et que le premier n’a jamais pu
empêcher.
La preuve testimoniale peut donc être ordonnée à
l’effet de dissiper le doute que les livres font naître.
Mais si cette preuve n’a rien de décisif, si le vague des
dépositions vient replacer le juge en présence des énon
ciations contradictoires des livres, le principe de leur
indivisibilité reprendra son empire et la demande sera
repoussée.
749. — La seconde catégorie comprend essentielle
ment les titres faits contrairement aux dispositions des
articles 1525 et 1526, c’est-à-dire l’acte non fait ou ne
mentionnant pas qu’il a été fait en autant d’originaux
qu’il y a d’intérêts distincts, et l’acte non écrit de la
main du débiteur, ou dont la signature n’est pas pré
cédée d’un bon ou approuvé écrit par lui.
750. — L’ancienne jurisprudence était fort sévère
à l’endroit des premiers. Le parlement de Paris leur re
fusait tout effet quelconque. Il considérait leur nullité
comme tellement absolue, qu’il n’hésitait pas à la con
sacrer même dans le cas où l’acte avait reçu son exé
cution.
Cette doctrine était fortement blâmée par les juris
consultes les plus éminents, comme confondant deux
choses devant rester éternellement distinctes, à savoir:
ce qui est de l’essence du contrat, ce qui forme le vin-
�108
TR A ITÉ
culwn obligalionis, et ce qui est relatif à la preuve du
contrat. « Dès l’instant, dit Merlin,1 que deux parties
ont donné leur consentement, l’obligation est formée;
et, soit que l’on puisse la prouver ou non, elle n’en a
pas moins la vertu intrinsèque de lier les contractants.
En bonne logique, le défaut de preuve d’un acte, ne
peut en emporter la nullité; il n’en peut résulter qu’un
empêchement de fait à son exécution, et si on parvient
à réparer ce défaut, à lever cet empêchement par des
preuves tirées d’ailleurs, pourquoi l’acte ne serait-il pas
pleinement exécuté? »
751. — C’était donc en présence des dispositions
sévères de la jurisprudence, et les observations graves
de la doctrine que se trouvait placé le législateur du
Code. L’article 1525 nous indique son choix. En effet,
cet article ne déclare pas l’acte nul, il se borne à le
considérer comme non valable. Or, dire qu’un acte
n’est pas valable, ce n’est pas reconnaître qu’il n’existe
aucune obligation, c’est seulement proclamer que cette
obligation n’est pas suffisamment prouvée. C’est ce
que Toullier établit d’une manière victorieuse et sans
réplique.*
752. — Donc l’acte n’est pas nul ; il est seulement
insuffisant pour faire pleine preuve, pleine foi de la
convention qu’il renferme. Cela posé, comment lui re1 liep., vis double écrit, n° 7.
4 T. vin, il08 510 et suiv.
�»1
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DU DOL E T DE
LA F R A U D E .
109
fuserait-on le caractère d’uu commencement de preuve?
Il est signé de la partie, il émane donc de celui à qui on
l’oppose ou de son auteur. Il rend l’obligation très
vraisemblable, car on ne signe pas quant on n’est obligé
à rien. Or, l’article 1347 n’exige rien autre chose pour
trouver le commencement de preuve.
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431
753. — Cependant, l’opinion que l’acte non fait
double peut constituer un commencement de preuve,
11’est pas unanimement adoptée. Quelques auteurs, et
parmi eux M. Duranton,1 soutiennent la négative. Ils
ne méconnaissent nullement les considérations que
nous venons d’exposer; mais, disent-ils, le Code exige
l’égalité de position et de moyens de preuve dans ceux
qui forment des conventions obligatoires de part et
d’autre, ce qui n’existe pas évidemment pour la partie
qui n’a pas eu d’acte, ou qui est censée n’en avoir pas
eu, si celui qui est produit par l’autre partie ne con
tient pas la mention du nombre d’originaux qui ont dû
être faits.
Cette opinion méconnaît ouvertement le texte et l’es
prit de l’article 1525, et ajoute à sa disposition une
pénalité que le législateur a formellement repoussée.
Nous venons de le dire, l’article 1325 ne dit qu’une
seule chose, à savoir : que le titre fait contrairement à
ses prescriptions n’est pas valable, c’est-à-dire qu’il ne
fait pas par lui-même pleine foi de ce qu’il renferme. Il
n’exclut donc pas la possibilité de le compléter par la
1 T.
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n° 164.
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11
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�110
TR A IT É
preuve même testimoniale, ce qui le démontre, c’est
que la nullité prononcée par l’ancienne jurisprudence
n’a pas été adoptée. C’est pourtant à cette nullité ab
solue et radicale qu’on arrive dans l’opinion que nous
combattons.
Le reproche de blesser l’égalité voulue par la loi
nous touche peu. Nul ne peut se créer un titre de sa
propre faute, et celui-là commet évidemment une faute
grave, qui, malgré la disposition de l’article 1525, traite
sans donner à la convention synallagmatique les formes
qu’elle doit recevoir. Cette faute doit d’autant plus être
prise en considération, que l’omission qui la consti
tue peut n’être que le résultat d’un calcul frauduleux.
S’il est vrai, en effet, que la partie retenant la minute
unique de l’acte a pu vouloir se ménager la faculté de
demander l’exécution de la convention ou de la refuser,
il peut se faire aussi que l’existence de cette minute
unique ou le défaut de mention du nombre des origi
naux ne soit, de la part de l’autre partie, qu’un moyen
calculé pour se soustraire à ses engagements s’ils ve
naient à être trop onéreux pour elle.
Cette perspective indique qu’il n’y a de réellement
équitable que le parti adopté par le législateur. De cette
manière chacune des parties supporte la peine de la
faute qu’elle a commise : la première, par la nécessité
où elle est placée de compléter le titre et de fournir
une preuve qui ne sera pas toujours possible, et sans la
quelle cependant le titre ne pourra sortir à effet; la se
conde, par la nécessité de subir cette preuve et de se
soumettre à ses résultats*
�DU DOL E T
DE
\\\
LA F R A U D E .
En résumé, l’acte non fait double, ou ne mentionnant
pas qu’il l’a été, réunit les conditions de l’article 1347.
11 émane de la partie à qui on l’oppose; il rend le fait
vraisemblable. D’autre part, l’article 1325 n’a pas
prononcé la nullité du titre, il n’a donc nullement
dérogé à la règle générale tracée par l’article 1347. Le
juge peut donc admettre cet acte comme un commencernent de preuve par écrit, et recevoir le porteur à
prouver par témoins, soit que, contrairement à ce qui
résulte du titre lui-même, on a réellement fait autant
d’originaux qu’il y avait d’intérêts distincts, soit l’exis
tence de l’obligation elle-même.1
754. — Ge qu’on décide dans le cas de l’arti
cle 1325 doit être décidé dans l’hypothèse de l’ar
ticle 1326. Ainsi l’obligation non écrite par le sous
cripteur, qui ne renfermera pas le bon ou approuvé en
toutes lettres de la somme ou des clauses y énoncées,
ne fera pas par elle-même titre suffisant. Mais les tri
bunaux sont autorisés à l’admettre comme un com
mencement de preuve par écrit.
Cette solution, s’induisant comme la précédente des
termes dont s’est servi le législateur, acquiert ici un
nouveau degré d’évidence par la comparaison de l’ar
ticle 1326 avec la législation précédente. On sait, en
effet, que la déclaration de 1733 frappait d’une nullité
radicale et absolue les billets qui ne seraient pas écrits
1 Merlin, Rép., double écrit, n° 8 ; — Toullier, t .
plong, de la Vente, n° 55.
JX,
n° 84 ; — Tro-
�H 2
TR A IT É
ou du moins dont la somme ne serait pas approuvée en
toutes lettres de la main de celui qui les avait souscrits,
lequel, néanmoins, était tenu d’affirmer sous serment
qu’il n’en avait pas reçu la valeur. Étaient exceptés de
cette règle les billets faits par les banquiers, négociants,
marchands, manufacturiers, artisans, fermiers, labou
reurs et autres de pareille qualité.
Cette loi admettait donc la présomption de surprise,
devenant une présomption juria et de jure par le ser
ment du débiteur Mais, comme le remarque Toullier,
elle avait entre autres inconvénients graves, celui de ne
protéger que la classe des citoyens instruits et non la
classe la plus nombreuse de la société, la plus facile à
surprendre. Aussi, et malgré la précision de ses termes,
la doctrine enseigna-t-elle qu’elle pouvait être modifiée
par les circonstances. Cette opinion fut sanctionnée par
la jurisprudence. Les parlements n’hésitaient pas à va
lider l’obligation, lorsque la présomption de surprise
leur paraissait repoussée par les faits de la cause.
Une pareille contradiction entre la loi, la doctrine et
la jurisprudence, signalait trop les vices de la première
et devenait un enseignement utile pour le nouveau lé
gislateur. Ce qui prouve qu’il en a profité, c’est que le
Code ne dit plus que l’acte, fait contrairement aux dis
positions de l’article 1326, sera nul el de nul ejfet et
valeur. Comment, dès-lors, atteindre à un résultat iden
tique à celui que prescrivait la loi de 1735?
La différence dans les termes doit en déterminer une
dans les conséquences, et cette dernière ne peut être
que celle que nous indiquons, à savoir : que sous l’em-
�DU DOL
ËT
DE L À F R A U D É .
113
pire du Code l’acte n’étant plus radicalement nul peut
servir de commencement de preuve. Ce résultat se lé
gitime parfaitement, d’abord parce que la signature,
quoique isolée, n’en émane pas moins de la partie, en
suite parce que cette signature apposée au bas d’une
obligation la rend évidemment vraisemblable.
Sans doute l’article 1326 ayant consacré une excep
tion pour les billets ou actes émanés de marchands, ar
tisans, laboureurs, vignerons, gens de journée et de ser
vice, on pourrait être tenté de lui reprocher de n’avoir
pas assez protégé la classe la plus nombreuse, la plus
facile à surprendre, celle, par conséquent, qui avait le
plus besoin de protection. Mais le législateur ne pouvait
pas méconnaître un fait évident, à savoir : que dans ces
classes il est une infinité de gens sachant à peine si
gner et pour lesquels la prétention de les soumettre aux
formalités de l’article 1326 eût, été une interdiction
absolue de contracter sous seing privé, ce qui les ex
posait, dans tous les cas, aux frais d’un acte authen
tique. Il a donc eu raison de reculer devant une pa
reille charge.
D’ailleurs, l’admission de l’acte irrégulier comme un
commencement de preuve contre tous les citoyens, at
ténuerait singulièrement l’inégalité qu’on reprochait à
la déclaration de 1733. Par ce moyen, en effet, l’acte
pourra sortir à effet, alors même que la signature non
précédée du bon ou approuvée appartiendra à une autre
catégorie qu’à une de celles nominalement rappelées
dans l’article 1326.
Ainsi, le titre ne réunissant pas les conditions vou-
�114
TRA ITE
lues par l’article 1526 pourra servir de commencement
de preuve.1 La signature apposée à une obligation en
rend l’existence et la réalité vraisemblables à un très
haut degré. Aucune difficulté sérieuse ne saurait donc
s’élever lorsque l’irrégularité du titre n’est due qu’à
l’absence du bon ou approuvé.
755- — Il n’en est pas de môme lorsque le titre ne
portant pas de signature est cependant écrit en entier
de la main de celui à qui on l’oppose. Sans doute, et en
droit, ce titre remplit la première condition exigée par
l’article 1547. Nous avons déjà dit que cet article n ’exi
ge pas que l’écrit soit signé. Il suffit qu’il soit le fait
de la partie ou de son auteur. C’est ce qui se réalise
dans le cas que nous supposons.
Mais l’existence d’un pareil écrit rend-elle l’obliga
tion vraisemblable? En logique rigoureuse, l’écrit non
signé ne prouve qu’une seule chose, à savoir : que des
négociations ont existé, qu’un projet a été préparé et
communiqué, mais que les parties n’ont pu se mettre
d’accord. On ne peut admettre, en effet, que non-seu
lement le débiteur a oublié de signer, mais encore que
le créancier ne se soit pas aperçu de cette omission, en
acceptant un pareil titre.
D’autre part, il n’est pas probable non plus que le
débiteur n’ait pas demandé la restitution du projet écrit
par lui et se soit ainsi exposé avoir le créancier en abu
ser à son détriment. Il y a donc motif de douter et, dès1 Toullier, t.
IX,
n°“ 81 et suiv.;— Duranton, t. iv, nos 1282-83.
�DU DOL E T
DE
LA FR A U D E .
ff5
lors, nécessité de procéder à une instruction qui rie
peut être que l’audition des témoins fournis de part et
d’autre. C’est ce que la Cour de cassation a consacré en
décidant que l’écrit non signé par son auteur peut servir
eontre lui de commencement de preuve. 1
756.
— L’acte authentique fait foi contre tous des
stipulations qu’il renferme. Mais un acte n’est authen
tique que si l’officier public qui l’a reçu avait qualité
pour le recevoir; que si les formes voulues par la loi
ont été remplies. L’incompétence du premier, la vio
lation des secondes frappent l’acte de nullité.
Mais il importe de remarquer que cette nullité atteint
plutôt l’instrument prouvant l’obligation que l’obliga
tion elle-même. Nous avons déjà vu, en effet, que le
lien légal, que le vinculum oblic/ationis,est indépendant
de la forme par laquelle les parties l’ont constaté ; que
l’effet de celui-ci disparaissant, celui-là n’en existe pas
moins, sauf le mode de preuve qu’il est loisible aux
contractants de produire.
L’acte authentique, nul pour incompétence de l’offi
cier qui l’a reçu ou pour violation des formes, perd l’au
thenticité devant en assurer l’exécution, mais le con
sentement des parties reste. L’acte vaut comme sous
seing privé et doit être apprécié comme tel.
757.
— Dès-lors, c ’est par les considérations que
nous avons présentées en traitant la seconde catégorie
* -1 février 1829, 6 février 1859 ; — J. D. P. 1839, loin. 1, p. 274.
�146
TR A ITÉ
qu’on doit résoudre la difficulté. Ainsi, de deux choses
l’une, ou l’acte annulé sera revêtu de la signature des
parties ou il mentionnera qu’elles n’ont su ou pu si
gner. Dans ce second cas, la nullité de l’acte entraînera
celle de la convention, car il n’y aura aucun moyen de
la prouver. En effet, l’acte valant comme sous seingprivé, n’étant ni écrit ni signé par les parties, n’émane,
évidemment, ni de l’une ni de l’autre.
Mais si chacune d’elles a signé, l’acte vaudra comme
commencement de preuve et permettra d’établir l’obli
gation par la preuve testimoniale. *
758.
— Nous nous sommes occupés jusqu’à présent
d’écrits constituant un titre dont la régularité dispense
rait de toute autre justification. Il est d’autres écrits qui,
sans constituer jamais un titre définitif, peuvent faire
présumer un engagement quelconque et autorisent à en
prouver par témoins l’existence. Dans cette catégorie
se place notamment la correspondance.
La doctrine et la jurisprudence offrent de nombreux
exemples de lettres missives jugées suffisantes pour
rendre admissible la preuve de l’obligation alléguée;
nous nous contenterons d’en citer quelques-uns.
1° Un particulier prétend avoir confié à un autre une
somme d’argent, et il n’en produit d’autre preuve qu’une
lettre dans laquelle ce dernier écrit : Je vous satisferai
sur ce que vous savez, dette mention rend vraisemblable
1 Liège, 9 juillet 1812 ;— Conf., Pothier, Toullier, Duranton, Dalloz,
Solon.
�DU DOL E T DE LA F R A U D E .
417
le fait du dépôt et la lettre forme un commencement de
preuve permettant de l’établir par témoins.
2° Vous m ’avez écrit une lettre pour me prier de
compter à votre fils, qui en est porteur, 300 francs
dont il a besoin pour ses études, j’ai compté la somme,
mais sans en prendre un reçu. La lettre que je repré
sente constitue un commencement de preuve et autorise
à établir la remise alléguée.
3° La Cour de cassation a jugé que la lettre missive
reconnaissant l’existence d’une dette, sans toutefois en
déterminer le quantum, créait un commencement de
preuve suffisant pour1 être recevable à justifier par té
moins que cette dette est supérieure à 150 francs.1Dèslors la lettre par laquelle le débiteur écrit qu’il ne peut
rembourser l’argent qil’on lui a prêté, et promet de ven
dre une partie de maison pour s’acquitter, peut être uti
lement invoquée comme constituant un commencement
de preuve, et rendre admissible la preuve testimoniale
d’une obligation de 2,400 francs, alors même que l’au
teur de la lettre prétendrait que la somme réellement
prêtée est de beaucoup inférieure.
4° Enfin la lettre, annonçant qu’on a reçu en prêt
une somme de cent..., peut servir à prouver soit l’exis
tence d’une dette de cent et une fraction, comme 120,
150, etc., soit une dette de cent écus, de cent louis, etc.
En résumé, tout ce qui tend à faire supposer une
1 29 prairial an xm ; — Pothier, n08 570 et suiv. ; — Toullier, 8,
nM522 et suiv., T. 9;—n08 108 et suiv.;—Dalloz, Dicl. alph., v‘8 preuve
testimoniale, n° 177 et suiv.
�448
TR A IT É
obligation rend vraisemblable l’allégation de son existence ; la preuve testimoniale peut dès-lors être invo
quée à l’effet de compléter une justification encore in
complète. Elle peut donc être ordonnée, si d’ailleurs
des faits reconnus constants ne créent pas une vrai
semblance contraire plus puissante et plus décisive.
759. — L’écrit émané de l’auteur de la partie a
contre cette partie la même autorité que s’il émanait
d’elle. Il ne fautpas, pour qu’il en soit ainsi, que cet au
teur soit celui auquel on se trouve avoir succédé in universum ju s , il suffit qu’on soit, à un titre quelconque,
devenu son représentant. Ainsi l’acquéreur, le donataire
ou le légataire est l’ayant-cause du vendeur, du dona
teur ou testateur. Mais cette qualité se restreignant à
l’objet faisant la matière de la vente, de la donation ou
du legs, ce n ’est que par rapport à celte chose même
que l’écrit émané de l’un pourrait être invoqué contre
l’autre.
760- — Le mandataire n’est pas l’auteur du mandant,
il est mieux encore, il est le mandant lui-même, consé
quemment l’écrit émané du premier et se référant à
l’objet de sa mission réunira les conditions exigées par
l’article 1547 du Code civil, et pourra fonder contre le
second le commencement de preuve par écrit.
C’est ce que la Cour de cassation a consacré, en ju
geant, le 7 mars 1851, que la déclaration faite et signée
au bureau de paix par le mandataire d’une partie a pu
être considérée comme un commencement de preuve
�■>Ü DOL
ET
DE
LA F R A U D E .
H 9
par écrit, suffisant pour faire admettre des présomptions
graves, précises et concordantes, et pour décider qu’un
billet de plus de 150 francs a été payé.
Ce qui a été admis pour le mandat exprès, l’a été
également pour le mandat tacite. Ainsi la Cour de Metz
a vu un commencement de preuve contre la belle-mère,
dans l’acte émané du gendre, alors qu’il est certain que
le gendre était dans l’usage de faire les affaires de celle-
761. — Enfin la Cour de Toulouse a jugé, le 25 no
vembre 1851, que le commencement de preuve de la li
bération d’un débiteur peut résulter des registres d’un
notaire, dépositaire de sommes appartenant à ce débi
teur, constatant des emplois, tels que prêts ou acqui
sitions faites par le créancier, de partie de sommes dé
posées, versées entre ses mains par le notaire, à l’acquit
du débiteur. Cet arrêt se fonde d’abord sur ce que le
dépôt étant réalisé dans l’intérêt du créancier, le no
taire devient son mandataire pour les sommes par lui
reçues; ensuite sur ce que les actes constatant l’emploi
étant signés par le créancier, l’énonciation des regis
tres se trouve ainsi confirmée par un écrit émané per
sonnellement du créancier lui-même.!
762. — En résumé, les simulations concertées par
les parties ne peuvent nuire aux tiers, ceux-ci sont tou1 22 mai 1828.
a D. P. 54, 2, 55.
�420
TR A IT E
jours recevables à en faire la preuve par témoins. Ils
sont placés, en regard de la prohibition de l’article 1341,
dans l’exception de l’article 1348, ils n’ont jamais été
en position de se procurer une preuve écrite.
Il n’en est pas ainsi des parties, chacune d’elle a pu
et dû se procurer cette preuve. L’absence de celle-ci ne
leur permet donc pas d’invoquer la preuve testimoniale,
à moins qu’il n’existe un commencement de preuve par
écrit.
L’aveu, alors même qu’il ne porte que sur la simula
tion de la cause exprimée , la déclaration judiciaire
constatée, l’écrit émané de la partie ou de son auteur,
peut fonder le commencement de preuve, s’il rend
le fait allégué vraisemblable. L’appréciation de ce ca
ractère appartient souverainement au tribunal investi.
765.
— La fraude de contractu in conlraclum con
siste, avons-nous dit, à dissimuler, sous l’apparence
d’une convention licite, l’existence d’un contrat nul
comme contraire à la loi, aux bonnes moeurs ou à l’ordre
public. Sa perpétration exige donc le concours des
parties, de là la question de savoir si l’une d’elles sera
recevable à prouver par témoins le véritable caractère
de l’acte.
La solution de cette question est sans intérêt, lorsqu’il
s’agit d’une simulation licite , c’est-à-dire lorsque les
parties, ayant réellement contracté et ayant pu le faire
valablement, ont cependant donné à leur convention
une autre forme que celle qu’elle devait recevoir. Telle
serait l’hypothèse d’une libéralité déguisée sous l’ap-
�DU
DOL
ET
DE LA
FRAUDE.
V2i
parenee d’un contrat h titre onéreux ; d’une vente dé
guisée sous la forme d’un échange, ou réciproquement.
A quoi bon en effet recourir à une preuve, si le fait à
prouver étantadmis, il n’en doit pas moins rester un droit
d’un côté, une obligation de l’autre. Or, tel sera inévita
blement le résultat de la preuve que l’acte qualifié vente
n’est qu’un échange ou qu’une libéralité, si d’ailleurs la
partie poursuivante était capable de donner ou d’échan
ger : Frustra probalur, qitocl probalum non relevât.
764. — Il est cependant une exception à l’irreceva
bilité de la preuve, à savoir : lorsque s’agissant d’une
donation déguisée sous la forme d’un contrat onéreux,
l’auteur de cette donation aurait un intérêt à en faire dé
terminer le véritable caractère. On sait que la donation
est révocable pour cause d’ingratitude ou par survenance
d’enfants. Celte double éventualité crée donc un droit
certain et d’un grand intérêt pour le donateur. 11 devrait
donc, sur sa demande, être reçu à prouver que l’acte,
quelles que soient les apparences, n’est en réalité qu’une
donation.
765. — Ainsi le véritable motif de la prohibition de
la preuve testimoniale contre ceux qui ont concouru à
une simulation licite, est l’absence de tout intérêt. La
proposition contraire, c’est-à-dire l’existence d’un inté
rêt se réalisant, cette prohibition tombe et fait place
au droit de faire restituer à l’acte son véritable caractère.
Mais au-dessus de l’intérêt personnel seplace l’intérêt
public, celui-ci ne pouvait tolérer qu’on pût impunéu
6
�I22
TR A ITE
ment violer la loi, blesser la morale ou outrager les
mœurs. Conséquemment la simulation, ayant pour objet
de masquer l’un de ces trois buts, est frappée d’une nul
lité radicale que les parties elles-mêmes peuvent in
voquer.
De là il suit qu’elles sont recevables à prouver par
témoins toutes les circonstances constitutives du fait
prohibé ou illicite. On ne saurait admettre le contraire
sans consacrer ce singulier résultat : que la loi qui veut
la fin aurait refusé les moyens.
Vainement donc voudrait-on exciper de ce brocard
(lue nous avons si souvent rappelé : JSemo auditur.
Personne ne peut offenser directement la loi, ni faire ce
qu’elle prohibe. Personne surtout n ’est autorisé à rete
nir les avantages qui n’ont d’autre origine que le mépris
d’une prescription d’ordre public.
766.
— C’est ce que la jurisprudence n’a pas cessé
de consacrer dans toutes les hypothèses. Ainsi la loi re
fusant toute action pour dette de jeu, le joueur, pour
suivi en vertu d’une obligation même authentique, est
admis, nous l’avons déjà dit, à prouver par témoins que
le titre en vertu duquel on le poursuit n’a été créé que
pour dissimuler une dette de jeu, et à se réfugier dans
le bénéfice de l’article 1965.
Ainsi encore la loi exige dans un intérêt social que
la cession d’un office ne puisse comporter un prix plus
élevé que celui indiqué dans le traité soumis à l'appro
bation du gouvernement. Le supplément de prix, con
senti au méprisdecette prohibition, quelque précaution
�DU
DOL E T
DE LA F R A U D E .
123
qu’on ait mis à le déguiser, ne peut donc être exigé, il
peut de plus être répété après paiement. Dès-lors le
souscripteur, débiteur de ce supplément, est toujours
autorisé à prouver par témoins le véritable caractère
soit du titre en vertu duquel on le poursuit, soit du
paiement dont il demande la restitution ou l’imputation
sur le prix patent.
Ainsi, enfin, l’obligation consentie en faveur de l’in
capable pourra toujours être attaquée par le sous
cripteur lui-même, et il suffira qu’il soit justifié qu’elle
n’avait pas d’autre objet que celui de violer la loi, pour
qu’elle soit frappée d’impuissance et déclarée nulle.
On ne peut donner indirectement lorsqu’on n’a pas le
droit de le faire d’une manière directe, et ce principe
deviendrait bientôt d’une application impossible si celui
qui a tenté de l’éluder ne pouvait plus tard revenir de
sa première résolution.
La fraude contre la prohibition expresse de la loi,
lorqu’elle a pour objet de méconnaître l’intérêt public,
les bonnes mœurs, peut donc toujours être prouvée
par témoins. On peut renoncer à un droit personnel, à
un intérêt privé, on ne renonce jamais à ce qui inté
resse la société toute entière. Les prohibitions fondées
sur l’ordre public ont essentiellement ce caractère.
767.
— Dans tous les cas où la preuve testimoniale
est admissible, celle par présomptions l’est également,
de telle sorte que sans recourir à la première, le magis
trat peut définitivement prononcer, si les circonstances
du procès lui paraissent le comporter.
�124
TRA ITÉ
768.
— Les présomptions sont définies par la loi :
des conséquences qui se tirent d’un fait connu à un fait
inconnu. Il suit de cette règle :
1° Que la présomption diffère de la preuve, en ce
que celle-ci fait foi directement et par elle-même d’un
fait, tandis que la présomption en fait foi par une con
séquence tirée d’une autre fa it;1
2° Que la présomption a avec la preuve une source
commune, une même origine quant à leur certitude ;
car leur force consiste dans la conséquence certaine
qu’on peut tirer de quelque vérité connue pour en con
clure la vérité dont on cherche l’existence; 2
3° Que la présomption offre plus ou moins de certi
tude, suivant que la liaison existant entre la vérité con
nue est plus ou moins nécessaire.3
Ainsi, si la conséquence tirée du fait certain est né
cessaire, s’il est impossible que, ce fait acquis, le second
soit douteux, la présomption devient preuve. J’étais,
dit Domat, à cent lieues de mon domicile le jour où l’on
prétend que j ’y ai signé un acte ; ce fait constant, il en
résulte la conséquence forcée que la date donnée à
l’acte est fausse.
S’il n ’y a pas de conséquence absolument nécessaire
entre le fait connu et celui qu’il s’agit d’établir, les pré
somptions ne sont plus que des conjectures, des proba
bilités que le juge peut repousser ou admettre selon
qu’il les juge graves, pécises et concordantes.
1 Pothier., n° 806.
2 Toullier, t. x, n° 1.
3 Id. ibid., n° 25,.
�Dü DOL ET DE LA FRAUDE.
125
769- — Nous avons déjà expliqué la valeur de ces
mots et les obligations que leur appréciation impose
au demandeur en preuve.1Nous terminerons donc no
tre sujet par la question desavoir s’il existe, en matière
de simulation, des faits devant plus particulièrement
influer sur la reconnaissance.
Résoudre cette question par une affirmative abso
lue, serait méconnaître le caractère du pouvoir confié
aux tribunaux. Tout ce que nous pouvons dire, c’est
que la doctrine a de tous temps appelé l’attention des
magistrats sur des circonstances pouvant plus facile
ment faire admettre la fraude. Telles sont, au dire de
notre savant confrère Dubreuil : « la qualité des parties,
la rétention de possession entre personnes suspectes,
la vilité du prix, le pacte de réméré, la révolation, le
défaut de moyens de l’acquéreur ou du prêteur, l’ai
sance du vendeur oü emprunteur; l’acte privé; le
défaut de réelle numération dans l’acte authentique;
le secret; le temps; le lieu; les précautions suspectes;
les actes antécédents ou subséquents, etc... »
Chacune de ces présomptions, comme l’observe
M. Dubreuil lui-même, n’a par elle-même rien de dé
cisif, mais on comprend que la réunion de plusieurs
d’entre elles peut déterminer la conviction du juge.
Nous l’avons déjà dit, c’est surtout pour les présomp
tions qu’a été dictée la règle : Quod sicut quæ non prosunt singula mulla juvant, ita e contra quæ non nocent
singula milita nocent. Il est évident que si on exigeait
1 Vid. supra, nos 255 et suiv.
�•126
t r a it é
une certitude parfaitement démontrée, il était inutile de
permettre de recourir soit à la preuve testimoniale, soit
surtout à celles par présomptions. Celles-ci ne sont que
des conjectures, des probabilités. La faculté de les ac
cueillir indique le pouvoir du juge. On ne pouvait, dans
l’exercice de ce pouvoir, que s’en référer au juge luimême qui se prononcera dans tous les cas en faveur du
parti que sa conviction lui indiquera comme le plus
probable.
�JJV
DOL
ET
DE LA FB A U Ü Ii.
-127
C H A P IT R E II.
FR A U D E C O N T R E LA P A R T IE C O N T R A C T A N T E
SOMMAIRE.
770. Définition.
771. Rapport et différence entre cette fraude et le dol.
772. La fraude poussée jusqu’àde certaines limites constitue
des délits ou des crimes atteints par la loi pénale.
773. La fraude contre la partie, étant assimilée au dol, est
régie, quant à sa poursuite, par les principes tracés
pour celui-ci.
770.
— Cette fraude dite de re ad rem est celle qui
est employée par un des contractants au détriment et à
l’insu de l’autre. Elle peut être définie toute tromperie,
toute action de mauvaise foi, exécutée dans le dessein
de se procurer un avantage illicite au préjudice et aux
dépens de celui avec qui on traite.
�428
t r a it e
771.
— Cette fraude a donc, dans ses effets, un
point de contact intime avec le dol, mais elle en diffère
essentiellement dans ses conditions constitutives. Ce
qui caractérise celui-ci, c’est, nous l’avons déjà dit, la
résolution de tromper et l’existence d’un préjudice,
consilium et evenlus. La fraude, au contraire, git tout
entière dans le résultat poursuivi et obtenu à l’aide de
moyens illégitimes, fraus non in consilio sed in eventu.
Ainsi, un acte sérieux et légitime dans son origine, un
jugement légalement poursuivi et justement prononcé,
peut devenir, par le mode de son exécution, l’occa
sion d’une fraude préjudiciable. Dès-lors celui qui en
demande la répression n’a pas à justifier d’une pensée
préexistante dont l’acte lui-même n’aurait été que l’exé
cution. 11 lui suffit de prouver le préjudice dont il se
plaint et l’illégitimité du fait dont il découle, pour qu’il
obtienne immédiatement la réparation qu’il lui est due.
772.
— La fraude poussée jusqu’à de certaines li
mites constitue des délits ou des crimes atteints par
la loi pénale. C’est ainsi que les vols, les filouteries,
l’abus de confiance, la violation du dépôt, la tromperie
sur la nature de la marchandise, ne sont que des frau
des véritables, singulièrement aggravées par les cir
constances qui les ont vu se produire. Ces matières res
tant étrangères au cadre que nous nous sommes tracés,
nous nous bornerons à faire remarquer que l’action en
répression, au point de vue de l’intérêt public, reste
sans influence sur la réparation due à la partie lésée.
Celte réparation peut être poursuivie concurremment
�DU DDL E T
DE LA F R A U D E .
129
avec l’action criminelle, ou devenir l’objet d’une de
mande particulière et indépendante. Il y a plus, le fait
qualifié crime ou délit pourrait disparaître sans que la
fraude eût par cela même cessé d’exister. La décision
du juge criminel, tant sur la poursuite du ministère
public, que sur l’action civile elle-même, ne s’appli
quant qu’à la culpabilité du prévenu, ne créerait, en
cas d’acquittement, aucune fin de non-recevoir contre
l’action en répression de la fraude.1
775. — Les règles applicables à la poursuite du dol
sont parfaitement applicables à celle de la fraude con
sommée à l’insu et au détriment de la partie. La preuve
testimoniale, admissible pour l’un, ne saurait être re
fusée pour l’autre. Cette fraude, en effet, ressemble
tellement au dol, qu’il est d’usage dans la pratique de
les réunir et de les confondre.
Comme le dol lui-même, la fraude contre la partie
est souvent présumée. C’est ce que nous venons d’éta
blir, c’est ce que nous allons plus directement démon
trer en recherchant les divers effets qu’elle entraîne,
selon le contrat dans lequel elle s’est produite.
1 Vid. supra, il0 19.
�t r a ite
130
SECTION I» —FRAUDE DANS LES MARIAGES,.
SOMMAIRE,
774. Division.
774. — Nous avons déjà parlé du dol ayant pour
objet de tromper sur la personne du conjoint, sur ses
qualités civiles ou morales, sur sa fortune, il nous faut
maintenant aborder les fraudes qui peuvent se com
mettre dans les stipulations qui précèdent le mariage,
suivre les époux dans la vie commune, assister à la
dissolution de l’union. Le mariage, en effet, détermi
nant la confusion des intérêts et des biens des époux,
offre à la mauvaise foi des occasions nombreuses et
faciles à exploiter. La fraude peut donc s’exercer au
point de départ du mariage, se continuer pendant sa
durée au préjudice de l’époux, de la famille elle-même ;
survivre même à la cause qui en a entraîné la dissolu
tion. Il faut donc l’examiner dans chacune des ces trois
périodes.
�DU DOL
ET
DE LA
FR A U D E .
131
§ I " — FRAUDE DANS LES STIPULATIONS MATRIMONIALES.
SOMMAIRE.
775. Caractère des conventions matrimoniales. Conséquen
ces de la fraude.
776. Facilité pour celle-ci de se produire. Moyen de la pré
venir.
777. Irrévocabilité des conventions matrimoniales. Elles ne
peuvent être modifiées après la célébration.
778. Conditions pour la validité des modifications consenties
avant la célébration. Authenticité de l’acte les ren
fermant.
779. Présence et consentement de toutes les parties.
780. Le consentement doit être donné dans l’acte modificatif.
Tout consentement ultérieur resterait sans effets.
781. Obligation de rédiger les modifications à la suite de la
minute de l’acte primitif. Responsabilité du notaire.
782. Après la célébration, les conventions matrimoniales ne
peuvent subir aucune modification. Nullité absolue
de celles qui auraient été consenties.
783. Les difficultés que ce droit fera naître seront donc de
pures questions de fait.
784. Mode d’appréciation.
785. Exemples de modifications ou contre-lettres déclarées
sans effets.
786. La règle d’après laquelle le droit ancien n’annulait que
les changements détériorant le sort de la dot ne peut
plus être suivie.
787. Mais on doit encore aujourd’hui distinguer la contrelettre ou le changement des modifications pouvant
résulter de l’exécution naturelle de l’obligation con
tractée.
788. Application de ce principe à l’acte par lequel le père, la
mère, ou tous les deux renoncent, au profit de leur
�TH A lT E
enfant, à un avantage résultant de leur contrat de
mariage; à la dation d’une hypothèque non stipulée.
789. Les principes régissant les époux et leurs parents s’ap
pliquent aux tiers qui ont été parties dans le contrat
de mariage.
790. La demande en nullité des changements ou contrelettres illicites peut être exercée par la partie ellemême.
791. L’exécution donnée pendant la durée du mariage ne
crée aucune fin de non-recevoir contre la demande.
792. Conséquemment l’action est imprescriptible tant que le
mariage n'a pas été dissous.
793. Les conventions et les avantages obtenus par dol ou
fraude peuvent être révoqués sur la demande de
l’époux trompé.
794. Fraudes dont la constitution de dot est susceptible.
795. Obligation pour le mari de poursuivre la rentrée de 1a.
dot. Sa responsabilité.
796. La quittance d’une dot non reçue constitue une libéra■'lité que les réservataires peuvent faire réduire; que
les créanciers peuvent faire annuler.
797. La reconnaissance d’une dot non réellement faite peut,
si le mariage n’a pas été célébré, être annulée sur la
preuve écrite de sa simulation.
798. La quittance de la dot, sous pacte secret de se contenter
d’une moindre somme, oblige à restituer la somme'
portée dans le contrat de m ariage, le pacte secret
étant une contre-lettre nulle.
799. La quittance donnée spe futurœ numerationis oblige éga
lement à restituer les sommes censées reçues.
800. La contre-lettre fixant la véritable signification de la
quittance ne pourrait être opposée à la femme.
801. Quicl si au lieu d’une contre-lettre le mari avait reçu des
effets pour le montant de la dot ?
802. La quittance, par le père de l’époux, de la dot touchée
par celui-ci pourrait être attaquée comme constituant
une libéralité.
�DU DOL E T
DE
LA FR A U D E
1 33
775. — Le contrat de mariage règle les conditions
sous l’empire desquelles la famille des époux et les
époux eux-mêmes ont entendu contracter. Les stipula
tions de ce contrat ont ce double caractère : qu’elles
sont dans l’intérêt des deux époux, dans celui des en
fants à naître du mariage ; qu’elles sont essentiellement
corélatives, en ce sens que les avantages faits à l’un ne
sont que l’équivalent de ceux rapportés par l’autre.
L’acte qui atténuerait ou anéantirait les uns serait donc
une véritable fraude nuisible même aux époux, préju
diciable aux enfants, puisqu’il diminuerait d’autant les
ressources destinées au soutien des charges du ma
riage. Il violerait de plus, et d’une manière viscérale,
le caractère de réciprocité qui faisait la loi du contrat.
Les conséquences de cette fraude pour l’avenir de
l’union, la paix du mariage ; l’inlluence funeste qu’elle
peut exercer sur les relations des époux, sur le sort des
enfants à naître du mariage, devaient appeler toute l’atlention du législateur dont les efforts devaient tendre
non-seulement à la réprimer, mais même à la prévenir.
776- — Or, les moyens à l’aide desquels cette
fraude devait se réaliser sont extrêmement faciles :
Clandestinis ac domeslicis fraudibus facile quidvis pro
negocii opporlunitale confingi potest, vel quod vere geslum esl, aboleri.1 Il n’y avait donc pas à hésiter sur la
marche à adopter. Assurer l’inviolabilité des stipulations
matrimoniales, les imposer obligatoirement aux époux,
1 L. 27, Cod. de Donat.
�134
TRAITÉ
à leurs familles, telles qu’elles avaient été stipulées,
telles étaient les mesures que la prudence conseillait et
que notre loi a sanctionnées.
777.
— En principes donc, les conventions matri
moniales sont irrévocables. Toutes dérogations sont de
plein droit présumées frauduleuses et, comme telles,
frappées d’une nullité radicale. Mais cette irrévocabi
lité n’est acquise qu’à partir de la célébration du ma
riage. La raison indiquait qu’on ne pouvait gêner la
liberté des transactions, tant que cette célébration n’est
qu’un événemeut conditionnel et futur qu’il s’agit de
préparer.
778.
— Les modifications sont donc permises avant
le mariage. Mais ces modifications ne sont valables que
sous certaines conditions. Ainsi il faut :
1° Que les changements au contrat primitif soient
constatés par acte passé dans les mêmes formes que le
contrat lui-même. Cette exigence se justifie non-seule
ment par l’intérêt des éponx, mais encore par celui des
tiers obligés de subir la loi du contrat, sans y avoir en
rien participé. Un acte sous seing privé, alors même
qu’il eût acquis date certaine par l’enregistrement,
pouvait être facilement soustrait à la connaissance des
parties intéressées. Déposé entre les mains de l’époux,
il pouvait être caché ou produit suivant les besoins.
Des difficultés nombreuses pouvaient surgir d’un pareil
état des choses, il était donc sage de les prévenir.
D’ailleurs, après les changements, il n’y a pas d’au-
�DU DOL E T
DE LA F R A U D E .
435
ire contrat de mariage que celui qui ressort des mo
difications faites au premier. L’acte qui contient ces
modifications est donc le véritable, le seul contrat, et
puisque celui-ci ne peut être qu’authentique, on ne
pouvait, sans inconséquence, dispenser de l’authenticité
les accords substitués aux conventions primitives.
779.
— 2° Que les changements soient faits en pré
sence et du consentement simultané de tous ceux qui
ont été parties au contrat. La loi ne considère pas
comme parties au contrat les nombreux parents qui
assistent les époux dans cette solennité. Elle ne recon
naît cette qualité qu’à ceux qui, parents ou étrangers,
sont intervenus activement au contrat soit en consti
tuant l’apport des époux, soit en ajoutant par des libé
ralités quelconques aux avantages concédés par la fa
mille. Ceux-là seuls doivent donc concourir aux modi
fications nouvellement convenues, et les approuver. Le
motif nous l’avons déjà indiqué. Les stipulations du
contrat de mariage sont corrélatives, tel ne donne à
l’un des époux que parce que tel autre en agit de même
envers le conjoint. Conséquemment, annuler une libé
ralité c’est enlever à l’autre le motif qui cependant l’a
déterminée et c’est ce qu’admet la loi, tant que l’auteur
de celle-ci n’a pas déclaré le contraire en souscrivant
lui-même au changement projeté.
780.
— Notons que ce consentement doit être
donné au moment même de l’acte modificatif et cons,ter de cet acte même. L’assentiment rapporté à une
�136
TR A IT E
époque postérieure ne couvrirait donc pas la nullité ra
dicale dont l’absence de la'partie intéressée a frappé les
modifications faites aux conventions premières.
Ce n’est pas seulement en faveur de ces parties que
la loi a cru devoir les appeler, cette précaution a aussi
pour but l’intérêt bien entendu des époux que l’on a
voulu protéger contre l’excès de leur affection, contre
les pièges qu’une famille adroite et intéressée peut se
mer sur leurs pas. Trop souvent, dit M. Plasman, les
fêtes de l’hymen cachent dans les époux, et surtout dans
ceux qui les entourent, des projets d’ambition ou des
sentiments de cupidité contre lesquels il était prudent
d’accumuler tous les obstacles possibles.1 Or, c’était
déserter ce devoir que de permettre aux époux de mo
difier la loi de leur contrat à leur volonté, hors la pré
sence de ceux qui, par leur qualité ou leurs bienfaits,
doivent s’intéresser à leur sort et les défendre contre
un aveugle entraînement. Leur éloignement fait donc
présumer la fraude que tout d’ailleurs favorise. Ainsi,
ajoute M. Plasman, les relations que l’approche du ma
riage autorise offriront mille prétextes à l’époux pour,
sous les apparences trompeuses d’une tendresse affectée,
déterminer une jeune fille sans expérience à changer
telles ou telles dispositions du contrat; à une belle-mère
avide, la facilité d’entraîner un jeune homme passionné
à consentir des stipulations dangereuses dans leurs
effets et dont il ne pourrait, dans son aveuglement,
prévoir à l’instant même les conséquences.
Des contre-lettres, p. 72.
�DU DOL
ET
DE
LA F R A U D E .
137
L’imminence du danger à paru telle au législateur,
qu’il n ’a pas hésité à considérer comme le résultat de
l’irréflexion et de l’entraînement les modifications ar
rêtées hors la présence et sans le consentement de tous
ceux qui ont été parties au contrat. C’est d’ailleurs dans
le même sens que s’était prononcé notre ancien droit.
Sous son empire, la clandestinité des stipulations nou
velles créait contre elles une présomption de fraude
contre laquelle nulle preuve contraire n’était admise.
« Ces modifications, dit Pothier, peuvent ne pas être
vicieuses, néanmoins, l’affectation des conjoints de ca
cher à leurs parents et au public leurs conventions, en
les faisant à part et par un acte séparé de leur contrat
de mariage, fait regarder ces conventions comme des
conventions dont les époux ont eu honte et qui doivent
pour cela être présumées avoir été dictées plutôt par la
passion que par de justes motifs. 1 »
Ainsi, d’une part, forme authentique; de l’autre, pré
sence et concours simultané de tous ceux qui ont figuré
au contrat, telles sont les conditions imposées à la va
lidité des changements apportés au contrat de mariage
avant sa célébration. L’inexécution d’une de ces con
ditions, comme la violation de toutes deux, rend l’acte
modificatif une contre-lettre vaine et sans portée, frap
pée, même à l’égard des souscripteurs, d’une nullité
radicale et absolue.
781. — A ces précautions prises dans l’intérêt des
1 Introduction à la communauté. n° 13.
�438
TR A IT E
époux et des tiers parties au contrat de mariage, la loi
en ajoute une autre en faveur des tiers absents du con
trat. En effet, l’article 1597 dispose que tous change
ments ou contre-lettres, même revêtues des formes que
nous venons de rappeler, seront sans effet à l’égard de
ceux-ci, s’ils n’ont été rédigés à la suite delà minute du
contrat de mariage. Les tiers ne peuvent subir les stipu
lations matrimoniales qu’ils n’auraient pas connues et
qu’ils ne peuvent connaître que par l’expédition du con
trat à la suite de laquelle le notaire doit, à peine des
dommages-intérêts des parties, transcrire tous les chan
gements rédigés à la suite de la minute.
782.
— Après la célébration du mariage, les con
ventions matrimoniales ne peuvent recevoir ni modifi
cations , ni changements, sous quelque forme que ce
soit. Il n’est plus au pouvoir des époux, des parents,
des tiers parties au contrat de les altérer ou de les rem
placer par d’autres. En conséquence, tout ce qui aurait
été fait contrairement à cette prohibition, alors même
que toutes les parties y auraient concouru et consenti,
est, de plein droit et d’une manière absolue, considéré
comme non avenu et nul.
Il importe, en effet, que les stipulations matrimo
niales procèdent d’un consentement indépendant et li
bre. Or, le mariage consommé, il n’y a plus, pour un
des époux du moins, ni indépendance, ni liberté. Ce
qui, avant la célébration, peut n’être que le résultat de
l’entrainement et de l’affection, pourrait n’être, après,
qu’un calcul odieux, que le produit de la menace ou de
�!)ü
DOL
BT
DE
EAFRAUDE.
139
la violence. On comprend d’ailleurs très bien que cer
taines exigences auxquelles on se fût refusé même au
prix de la rupture d’une union projetée, deviennent
forcément acceptables sous la menace de voir se dis
soudre l’union consommée. Contre une pareille éven
tualité, il n’y avait qu’un seul remède efficace, celui
édicté par les articles 1395 et 1396, à savoir : l’inva
lidité absolue, inévitable de tout ce qui aurait été fait.
La fraude était si prochaine, si facile, si dangereuse, que
le législateur l’a admise comme la cause unique de tou
tes les modifications apportées après le mariage aux sti
pulations du contrat.
En présence de dispositions si formelles, la question
de droit ne saurait souffrir ou présenter la moindre dif
ficulté. Il n’en sera pas de même de l’existence en fait
de la modification ou du changement ; on peut facile
ment ,prévoir que la fraude n’abordera jamais de front
la barrière infranchissable que la loi lui a opposée ; c’est
par des moyens détournés, c’est sous l’apparence de
l’acte le plus inoffensif qu’elle s’efforcera d’atteindre le
but qu’elle s’est proposée.
783.
— Les procès que l’application des arti
cles 1595, 1396 fera naître offriront donc exclusive
ment des questions d’appréciation du véritable carac
tère de l’acte signalé comme constituant une modifi
cation prohibée. Or, les éléments essentiels de cette
appréciation résident tout entiers dans la véritable en
tente de la pensée du législateur.
�140
TRA ITE
784.
— Cette pensée est indiquée par le texte mê
me. Le terme changement, employé par l’article 1396,
ceux de tous changements ou contre-lettres dont se sert
l’article 1397, embrassent, tant d’après leur sens na
turel que d’après l’esprit de la loi, toutes conventions ou
dispositions nouvelles, soit qu’elles modifient directe
ment ou indirectement les clauses du contrat de ma
riage, soit qu’elles ne les modifient que d’une manière
détournée en altérant ou neutralisant les effets que ces
clauses devraient produire. 1
C’est donc en scrutant la pensée des parties, le but
réel de l’acte, que les tribunaux parviendront à ré
soudre sainement le litige soumis à leur décision.
Quelle que soit l’apparence donnée à la convention, si
ses effets doivent agir sur une des clauses du contrat de
mariage; si, sous prétexte même d’interprétation, elle
donne à ses dispositions un sens incompatible avec ce
lui qu’elles offrent naturellement, l’acte doit être con
sidéré comme frauduleux et annulé sur la poursuite de
toute partie intéressée.
785.
— Par application de ces principes, il a été
jugé : 1° que l’acte par lequel le mari consent à ce que
la donation à lui faite par la femme soit réduite à l’usu
fruit de l’objet donné, est une contre-lettre qui n’a pu
valablement être consentie après la célébration du ma
riage .i
1 Cass., 31 janvier 1837; — J. D. P., toni. î, 1837, p. 636.
1 Cass., 9 novembre 1824;— Rennes, 16 mai 1825.
�DU DOL
ET
DE LA F R A U D E .
141
2° Qu’on doit annuler comme contre-lettre prohibée
la reconnaissance faite par le mari postérieurement au
mariage que, dans l’intention des parties contractantes,
la dot constituée avec terme ne devait pas produire
intérêt1;
5° Qu’il doit en être de même de la déclaration
qu’une somme, stipulée payable à une époque détermi
née, ne sera exigible qu’au décès du constituant2;
4° Que lorsqu’une rente a été constituée en dot dans
le contrat de mariage, il y a changement prohibé dans
l’acte par lequel on détermine, après le mariage, le ca
pital de cette rente, on le déclare exigible à volonté,
avec hypothèque pour la sûreté du paiement8;
786- — Cet arrêt est surtout remarquable en ce qu’il
s’écarte d’une règle admise par notre ancien droit, à
savoir : qu’il n’y avait nullité absolue que lorsque les
changements grévaient la position des époux : Quando
nempe fil delerior conditio dotis. Mais l’espèce dans
laquelle il est intervenu rendait, dans tous les cas, ce
tempérament inadmissible, puisque la nullité de l’acte
était poursuivie par les créanciers du constituant, en
force des dispositions de l’article 1167. Il ne peut dèslors être d’un grand secours, quant au principe considéré
in abslracto et eu égard aux parties contractantes ellesmêmes.
Toutefois, nous devons dire que, même dans cette
1 Pau, 9 janvier 1858; — J. D. P. tom. n, 1839, p'ag. 548.
s Aix, 7 mai 1847.
3 Dijon, 17 juillet 1816.
�142
TR A IT E
hypothèse, la doctrine de l’arrêt serait très juridique.
Le Code civil proscrit tous changements postérieurs au
mariage, sans distinguer ceux qui améliorent la position
des époux de ceux qui la rendraient pire. La nullité est
absolue, et dès-lors elle peut être invoquée même par
ceux qui ont traité avec les époux. Toute la différence
qu’il y aura donc entre ces deux cas, c’est que, dans
l’un, la nullité sera poursuivie par les époux où l’un
d’eux, et que, dans l’autre, l’action sera intentée par
l’autre partie.
Toute distinction de ce genre eût d’ailleurs offert le
grave inconvénient de substituer à une règle positive
l’appréciation incertaine des véritables conséquences
de l’acte querellé , pouvant, sous l’apparence d’un
avantage actuel, recéler un grave danger pour l’avenir
des époux. Il était donc prudent de bannir la nécessité
de cette appréciation en s’en référant au principe gé
néral consacré par la loi.
787.
— Mais ce principe ne doit pas être poussé
jusqu’à des limites trop extrêmes. On ne doit pas con
fondre l’exécution naturelle d’une obligation pouvant la
modifier, avec les changements ou contre-lettres pro
hibés. Conséquemment, si l’acte souscrit après le ma
riage n’a pour objet que d’assurer aux stipulations
matrimoniales le légitime développement qu’elles com
portent, cet acte doit être maintenu. Ainsi la Cour de
cassation a jugé, le 19 janvier 1836, que la réserve du
droit de retour autorisé par l’article 951, stipulée dans
un contrat de mariage, avait été légalement anéantie
�DU DOL E T
DE
LA
l'R A U D E.
1 43
par le partage que les ascendants ont fait plus tard de
leurs biens entre tous les enfants, partage dans lequel
chacun des enfants a rapporté soit fictivement, soit en
nature, les biens qui lui avaient été donnés. Ce partage,
dit la Cour régulatrice, loin de porter atteinte à la dona
tion faite dans le contrat de mariage, en réalise au con
traire les effets par un rapport suivi de l’attribution
définitive d’une part plus étendue dans l’hoirie ellemême. C’est donc uniquement par ce partage que se
réalise la possession ultérieure et non plus en vertu du
contrat de mariage. Dès-lors la réserve que celui-ci
renferme ne saurait continuer de subsister.
788.
— La même Cour avait décidé, le 18 avril 181*2,
que la convention par laquelle des pères ou mères re
noncent à quelqu’un des avantages résultant de leur
contrat de mariage, au profit d’un de leurs enfants, ne
peut être annulée comme contenant une dérogation au
contrat de mariage, qu’elle n’en est plutôt que la juste
exécution.
Enfin il est généralement admis en doctrine et en ju
risprudence que l’hypothèque donnée après le mariage,
à la sûreté des sommes promises dans le contrat, était
valablement consentie, quoiqu’elle n ’eut pas été primi
tivement stipulée.
On voit par ces exemples comment il faut entendre
et appliquer le principe de l’irrévocabilité des conven
tions matrimoniales. C’est par le mobile qui a dirigé les
parties qu’on doit apprécier les caractères de l’acte pré
tendu modificatif, abstraction faite de l’influence que
�\u
TR A IT E
cet acte est destiné à exercer sur le sort des époux.
L’avantage qu’ils pourraient retirer d’une véritable con
tre-lettre ne ferait pas plus maintenir celle-ci que le
préjudice, résultant pour eux de ce qui ne serait que
l’exécution du contrat, n’amenerait la nullité de l’acte
ayant cet objet. Mais la convention, destinée à agir sur
les clauses du contrat soit directement, soit indirecte
ment, soit d’une manière détournée et lointaine, est de
plein droit nulle comme présumée frauduleuse.
789.
— Les principes régissant les époux et leurs
parents s’appliquent aux tiers qui ont été parties au
contrat de mariage. Les promesses faites par eux, les
donations qu’ils ont consenties devraient être littérale
ment exécutées, nonobstant toutes déclarations ou tous
engagements contraires émanés de l’époux donataire.
Conformément à cette doctrine, il a été jugé, et selon
nous très juridiquement, que le créancier d’une rente,
qui a déclaré dans le contrat de mariage qu’il ne lui
était plus rien dû, ne pourrait ultérieurement réclamer
le paiement de la rente, en se fondant sur une contrelettre infirmant la déclaration portée au contrat. L’exis
tence de cette contre-lettre et la dissimulation consti
tuent une fraude punie par les articles 1596 et 1597,
et comme le créancier a directement et personellement
concouru à la fraude, il ne pourrait se faire un titre de
sa propre turpitude. Ce ne serait pas d’ailleurs le con
trat de mariage qui pourrait rester sans effet, ce qui,
dans un cas semblable, est frappé de nullité radicale,
c’est exclusivement et uniquement la contre-lettre.
�M&
790. — On a prétendu un instant, que l’action en
nullité de l’époux signataire de la contre-lettre devait
être déclarée non-recevable par application de la maxi
me nemo audilur, etc., mais le contraire n’a pas cessé
d’être admis par la doctrine et par la jurisprudence. La
nullité, édictée parles articles 1596 et 1597, n’est pas
seulement fondée sur l’intérêt privé des parties, elle est
aussi d’ordre public comme étant favorable aux bonnes
mœurs, à la paix des familles et des unions conjugales.
Dès-lors non-seulement l’époux signataire est recevable
à l’invoquer, mais la renonciation directe ou indirecte
à s’en prévaloir ne pourrait l’empêcher de le faire. 1
DU DUL
ET
DE
LA FR A U D E .
791. — Dès-lors, la demande ne saurait être écartée
par l’exécution que la contre-lettre aurait antérieure
ment reçue,* pourvu toutefois que cette exécution eût
été réalisée pendant la durée du mariage. Celle qui sui
vrait la dissolution constituerait une ratification ex
presse contre laquelle nul ne serait admis à recevoir. A
cette époque, en effet, le règlement respectif des intérêts
est laissé à la libre volonté des ayant-droit. L’ordre
public n’a rien à voir aux sacrifices qu’il plairait à cha
que partie de s’imposer, en tant que chacune d’elles a
la capacité pour les consentir; à ce titre, la renoncia
tion à se pourvoir contre la contre-lettre frauduleuse
pourrait valablement être stipulée. Dès-lors, aussi, elle
pourrait tacitement résulter de la conduite et des actes
de la partie.
1 Cass., 29 juillet 1818.
s Nîmes, 25 janvier 1843: — J. D. P. îom. i, 1845, uag. 297.
�146
T1ÎA1TE
792.
— Il suit de ce qui précède, que l’action en
nullité, fondée sur la violation des articles 1396, 1397,
est imprescriptible tant que dure le mariage, mais cette
imprescriptibilité cesse avec le mariage lui-même. La
dissolution se réalisant, le délai de dix ans donné par
l’article 1304 commence de courir, conséquemment le
silence, qui se serait prolongé au-delà de dix ans depuis
celte dissolution, éteindrait complètement l’action in
dépendamment de toute autre ratification expresse ou
tacite.
795.
— Nous avons dit plus haut que les conven
tions matrimoniales arrachées par le dol d’un des con
joints sont dans le cas d’être rétractées sur la poursuite
de l’autre. Il en serait de même des avantages obtenus
par la fraude. La source des uns n’est pas plus pure,
plus légitime que celle des autres. L’époux, qui aurait
eu recours à la fraude, ne saurait se plaindre de ce qu’on
lui arrache ce qu’il a tenté de s’approprier par d’aussi
odieux moyens, nemini sua fraus patrocinari débet.
794. — La constitution de la dot peut donner ma
tière à de nombreuses fraudes, soit que le constituant
ait promis plus que ce qu’il pouvait ou voulait faire, soit
que le mari ait reconnu une dot qui ne lui a pas été
comptée ou pour avantager sa femme, ou pour l’hon
neur du contrat, sous un pacte secret de se contenter
d’une somme moindre, dos venlosa, ou enfin dans l’es
pérance de recevoir bientôt les deniers, spe futurœ numerationis.
�DU
DOL E T
DE
LA F R A U D E .
U1
795- — Les obligations du constituant sont souve
rainement réglées par les termes du contrat de mariage.
Il ne peut être délié de celle de compter la somme pro
mise que par l’impuissance constatée sur les poursuites
du mari. L’effet de cette fraude, de la part du consti
tuant, n’exerce aucune influence sur le mariage; la lé
gèreté avec laquelle l’époux a cru à des promesses dont
il pouvait et devait même vérifier la sincérité le cons
titue en état d’imprudence, et ne lui laisse d’autre droit
que celui de ne pas restituer ce qu’il n’a pas reçu, si,
dans les délais voulus par la loi, il a rempli les diligences
prescrites.
796.
— La quittance que le mari donne de la dot
qu’il n’a pas reçue, dans l’intention d’avantager celle
qu’il va épouser, n’est qu’une véritable libéralité. Cette
quittance l’engage en ce sens que, le mariage consommé,
l’obligation de restituer la dot, le cas échéant, est irré
vocablement encourue. Toute prétention contraire à la
déclaration contenue au contrat, fût-elle expressément
justifiée par écrit, ne serait pas même recevable de la
part du mari.
Mais les héritiers à réserve, dont les droits se trouve
raient atteints par l’excès de la libéralité, les créanciers,
en fraude desquels cette libéralité aurait été faite, peu
vent exciper du défaut de sincérité de la déclaration
faite dans le contrat. Les uns et les autres peuvent at
taquer de simulation la quittance de la dot et prouver
cette simulation, même à l’aide de la preuve testimoniale
et des présomptions. La seule différence entre les créan-
�' \g
TRA ITÉ
ciers et les héritiers à réserve, c’est que les uns peu
vent faire annuler l’avantage concédé à la femme, tandis
que les autres ne peuvent en demander que la réduction
à concurrence de la quotité disponible.1
797.
— Ces reconnaissances de dot, pour avantager
la femme, offrent un autre danger contre lequel un
mari prudent doit se précautionner. Dans l’intention de
toutes les parties, la libéralité est essentiellement con
ditionnelle ; elle ne doit sortir à effet que si le mariage
s’accomplit. Cette condition manquant, la libéralité n’a
plus de cause et se trouve par cela même révoquée. Mais,
dans ce cas même, les termes du contrat imposeraient
l’obligation de restituer la dot déclarée reçue, sans que
l’époux ou ses héritiers fussent admis à prouver outre
et contre les énonciations de l’acte, à moins qu’ils ne
rapportassent une preuve écrite. La contre-lettre, éma
née de la future ou de ses parents qui paraîtraient avoir
constitué la dot, fournirait légalement cette preuve. La
contre-lettre, en effet, n’est annulée que par la célébration
du mariage; tant que cette célébration n’est pas réalisée,
les accords projetés restent sous l’empire du droit com
mun, il ne peut y avoir de véritable contrat de mariage,
là où il n’y a pas de mariage. Conséquemment la ré
ception prétendue de ce qui devait former la dot de
l’épouse, ne constituant plus qu’un engagement ordi
naire, peut être anéantie par la preuve écrite qu’elle n’a
jamais été qu’une simulation en vue du mariage futur
1 Y. infra , n" \ 660.
�798.
— Dans la seconde hypothèse, celle d’une dot
quittancée sous un pacte secret de se contenter d’une
moindre somme, l’obligation du mari ou de ses héri
tiers, le cas de restitution arrivant, est uniquement
réglée par les énonciations du contrat de mariage. Le
pacte secret ne saurait même être invoqué contre ces
énonciations que la loi reconnaît comme seules obliga
toires.
799.
— Enfin la charge de restituer la dot, telle
qu’elle a été reçue dans le contrat, est imposée au mari,
alors même que la quittance qu’il en aurait donnée
n’aurait été consentie que spe fuluræ numerationis.
Cette hypothèse est de nature à se réaliser plus souvent
que les précédentes. Si les parties tiennent quelquefois
à honneur de grossir le chiffre de la dot, l’une d’elles
au moins considère comme un honneur plus grand
d’obtenir dans le contrat la quittance de ce qu’il n’est
pas cependant dans ie cas de payer actuellement.
Le droit romain rendait commune au contrat de ma
riage l’exception de non numérota pecunia. 1 Le Code
civil a abrogé celte règle. La quittance définitive de la
dot donnée par le mari l’oblige à en restituer le mon
tant, alors même qu’il ne l’aurait jamais touché. Le mari
commet une insigne imprudence en faisant une fausse
déclaration dont il connaît d’avance toute la portée.
Cette imprudence suffit pour le faire déclarer non-rece1 L. 3, Cod. de Dote eaula et non numerata.
�450
t r a itïï
.
vable à se plaindre de la fraude dont il aurait été la vic
time.
800- — La contre-lettre qui fixerait la signification
réelle de la quittance et déterminerait les obligations
du constituant serait nulle à l’encontre de la femme.
C’est ainsi qu’on a décidé qu’elle ne pourrait lui être
opposée, même à concurrence de sa portion virile dans
la succession de son père.
801- — Que si, au lieu d’une contre-lettre, le mari
a reçu des obligations souscrites par le constituant, ces
obligations deviennent propres au mari qui ne peut con
traindre sa femme à les recevoir en compensation de la
dot stipulée. Mais ces obligations constituant une dette
légitime de la succession du souscripteur, la femme, hé
ritière de celui-ci, serait personnellement tenue de sa
part et portion. Le mari pourrait donc la compenser
jusqu’à due concurrence avec les sommes qu’il a à res
tituer.
802. — Enfin, la dot réellement touchée par le
mari peut avoir été quittancée par son père, qui en de
meure responsable, le cas de restitution arrivant. Cette
déclaration peut être attaquée par tous les ayant-droit,
c’est-à-dire par les créanciers, par les autres enfants. La
justification de la fraude alléguée par les créanciers,
agissant en vertu de l’article 1167, déterminerait la
nullité complète de l’avantage ainsi concédé par le
père. Les autres enfants ne pourraient que le faire ré
duire à la quotité disponible.
�DU
DOL
ET
DE LA
FR A U D E .
151
§ I I . — FRAUDES PENDANT LE MARIAGE.
SOMMAIRE.
803. La confusion d'intérêts et de biens résultant du mariage
rend la fraude facile pour les époux.
804. La femme peut la commettre par le détournement
d’effets mobiliers. Conséquences de ce détournement
pour elle et pour ses complices.
805. Par l'aliénation d’un objet quelconque sans le consen
tement et le concours de son mari.
806. Le consentement tacite suffirait. Comment et par qui
peut-il être prouvé ?
807. Par la simulation de dettes. Nullité de celles contrac
tées depuis le mariage.
808. Celles résultant des nécessités du ménage se placent
dans une catégorie spéciale. Comment elles étaient
envisagées sous le droit ancien.
809. Système actuel.
810. La disposition de l’article 1410 rend impossible toute
antidate dans l’objet de faire considérer la dette
comme antérieure au mariage.
811. La fraude est bien plus à craindre de la part du mari.
Précautions de la loi.
812. Révocabilité des donations entre époux pendant le ma
riage.
813. Refus de récompense pour prétendu paiementde dettes
antérieures au mariage.
814. Le paiement de la dette sans date certaine est présumée
frauduleux.
815. Le paiement après condamnation obtenue par le créan
cier donnerait-il lieu à récompense en faveur du mari?
816. Le mari, chef de la communauté, ne peut aliéner à titre
gratuit l’universalité ou une quotité du mobilier.
817. Motifs de cette prohibition.
�452
TK
AITT
818. Ses conséquences.
819. Simulation qu’elle peutinspirer. Admission de la preure
orale et de celle par présomptions.
820. La qualité des parties fournirait une présomption grave
de la simulation.
821. Autres circonstances pouvant conduire au même ré
sultat.
822. Le rejet de la simulation et le maintien de la vente at
taquée n’empêcheraient pas la femme de demander
et d’obtenir récompense.
823. La vente de l'universalité ou d’une quotité du m obilier,
qui ne serait qu’une donation déguisée, pourrait être
annulée sur la demande de la femme ou de ses hé
ritiers.
824. Comment doit être entendue la faculté accordée au
mari de donner à toutes personnes, et à titre parti
culier, le mobilier de la communauté.
825. Eléments à consulter pour juger du caractère de la do
nation.
826. La réserve d’usufruit en faveur du mari ferait de plein
droit présumer la fraude, quand même elle n ’eût pas
été exprimée.
827. Les donations autorisées par l’article 1422 peuvent-elles
être valablement faites aux personnes présumée»
interposées.
828. Fraudes que le mari peut commettre, en sa qualité
d’administrateur des biens de sa femme.
829. Précautions pour empêcher la dissimulation totale ou
partielle du mobilier échu à celle-ci.
830. Les avantages personnels que le mari se procurerait
dans les ventes ou échanges des biens de la femme
constituent une fraude ordinaire que celle-ci doit
prouver.
831 . La femme tenue de son dol l’est également de sa fraude.
Application de ce principe à la fraude concertée
entre les époux pour la vente du fonds dotal.
832. Exceptions lorsque l’aliénation est accordée hors des
cas prévus par la loi.
�DU DOL
ET
DE LA
FRAUDE.
15.S
Lorsque la vente n’est pas faite dans les formes voulues
par l’article 1558 du Code civil.
À quelle époque peut être exercée l’action soit du mari,
soit de la femme ?
L’adultère est, de toutes les fraudes, la plus importante
par l’influence qu’elle exerce sur le sort des époux ,
sur l’avenir de la famille.
Est une cause de séparation de corps. Différence, quant
à ce, entre l’adultère du mari et celui de la femme.
Il n’est pas nécessaire que la preuve de l’adultère
existe au moment de la demande en séparation.
La séparation de corps relâchant les liens du mariage,
l’époux qui l’a encourue serait tenu d’indemniser
l'autre des besoins nouveaux qu’il est dans le cas
d’éprouver.
La séparation de corps entraîne la révocation des avan
tages faits à l’époux dans le contrat de mariage.
Dans quels cas le mari peut-il désavouer l’enfant.
Naissance précoce. L’enfant né moins de 180 jours
depuis le mariage peut être désavoué par le mari.
Effet du désaveu par rapport à l’enfant.
Mais l’enfant peut opposer des fins de non-recevoir
contre la demande.
Gravité de la connaissance de la grossesse avant le
mariage.
Sous l’ancien droit, on admettait la fréquentation de
fait comme équipollent de laconnaissance de la gros
sesse. Le Code civil ne s’arrête qu’à celle-ci.
L’assistance du père à l’acte de naissance de l’enfant
produirait un effet analogue.
Il n’est pas nécessaire que l’acte de naissance désigne
l’enfant comme fils du mari. Il suffit que la mère y
soit désignée comme femme mariée.
En cas d’absence du mari à l'acte de naissance, pourrat-on, en justifiant de l’empêchement, prouver qu’il a
connu la naissance et avoué la légitimité de l’enfant?
La non-viabilité de l’enfant rend le désaveu non-recevable.
�850. La légitimité de l’enfant, né plus de 300 jours après la
dissolution du mariage, pourra être contestée. Caraetère de eette action.
851. Ancienne jurisprudence. Droit romain.
852. Incertitude de la science.
853. Système du Code civil.
854. Conséquence qu’il faut en tirer.
855. A qui appartient l’action en contestation de la légitimité.
856. Différence entre le désaveu et la contestation de légiti
mité par rapport à l’enfant.
857. A quelles conditions le mari peut-il désavouer l’enfant
conçu et né pendant le mariage ?
858. Caractère de l’éloignement du mari.
859. Impossibilité physique pendant le temps indiqué par
l’article 312. Caractère.
860. Faut-il prendre en considération l’impossibilité morale?
Débats que cette question a soulevés.
861. Proposition de considérer comme motif de désaveu la
séparation de corps réunie à l’adultère. Rejetée.
862. Le silence gardé parla loi de 1816, abolitive du divorce,
laisse les choses dans l’état où les avait placées le
Code civil.
863. L’adultère de la femme n’était, pas plus que la sépara
tion de corps, un motif de désaveu.
864. Il en est autrement si la femme adultère a recélé la
naissance de l’enfant.
865. Cette double circonstance rend le désaveu recevable et
autorise la preuve de son bien fondé.
866. Que faut-il entendre par le recélé de la naissance?
Faut-il que la femme ait dissimulé sa grossesse,
célé son accouchement et fait une fausse déclara
tion ? Suffit-il d'une ou de plusieurs de ces circons
tances?
867. Il ne suffirait pas, pour que le désaveu fût irrecevable,
que la femme eût fini par déclarer une grossesse
qu’elle avait d’abord dissimulée.
868. Observation de M. le conseiller-rapporteur Mesnard e;t
arrêt conforme de la Cour de cassation.
�869. Conclusion.
870. Quels que soient les termes de l’article 313 du Code
civil, la demande en désaveu est recevable avant
même qu’il y ait chose jugée sur l’adultère.
871. Mais nous ne pouvons admettre, avec un arrêt dè la
Cour de cassation, que l’adultère est la conséquence
naturelle du recélé de la naissance.
872. L'article 313 exige la preuve préalable de l’adultère,
c’est ce que prouve la discussion au conseil d’Etat.873. Procédure que doit suivre le mari.
874. L’action en désaveu est personnelle au mari.
875. L’action ne passe aux héritiers que si le mari meurt
avant l’expiration du délai accordé pour son exercice.
876. Quels sont les héritiers dont parle l’article 317?
877. Tant que le mari est vivant, nul autre que lui ne peut
désavouer l’enfant, conséquemment l’héritier pré
somptif de l’absent ne serait pas recevable àiiitenter
l’action.
878. Opinion contraire de Merlin.
879. Réfutation.
880. Quid du tuteur de l’interdit?
881. Arrêt de Colmar, refusant l’action, Cassé par la Cour
suprême.
882. Observations contre la doctrine de celle-ci.
883. Les fins de non-recevoir Opposables au mari peuvent
être opposées à ses héritiers.
884. L’héritier qui aurait personnellement reconnu la légi
timité de l’enfant ne pourrait plus le désavouer.
885. Délai accordé au père pour intenter l’action en désaveu.
886. Délai accordé à l’héritier,
887. Différence du point de départ de ce délai, selon que
l’héritier est ou n’est pas en possession de l’hérédité.
888. Déchéance encourue si lé mari ou l’héritier, après avoir
notifié le désaveu en temps utile, n ’intente pas l’ac
tion en justice dans le mois de cette notification.
889. Quelles personnes doivent être appelées dans l’action
en désaveu.
�156
TR A IT É
890. Fraudes dont la naissance d'un enfant peut être l'oc
casion.
891. Différence entre la suppression et la supposition de
part.
892. L’enfant à quion a enlevé sa filiation est admis à la
réclamer, s’il a une preuve littérale ou un commen
cement de preuve par écrit.
89:3. Que faut-il entendre par le commencement de preuve
en cette matière ?
894. A qui appartient l'action en suppression ou en suppo
sition de part.
895. Motifs qui ont fait accorder celle-ci aux parents et au
tres ayant-droit.
896. Par quels principes est régie l’action des parents et
ayant-droit, quant à la preuve ?
897. La prohibition de toute poursuite d’office par le minis
tère public s'applique au cas de suppression ou de
substitution comme à celui de supposition.
898. Conséquence possible de l’action de l’enfant..
805- — Quel que soit le régime adopté par les
époux, il naît de leur union une telle confusion d’in
térêts et de biens, que la femme, que le mari surtout,
trouve des occasions nombreuses et faciles pour se li
vrer à la fraude. La fraude existe toutes les fois que la
propriété commune est abusivement appliquée au pro
fil personnel de l’un des époux.
804.
— En tête des moyens que la femme peut em
ployer pour arriver à ce résultat, se place le détourne
ment d’effets mobiliers commis à l’insu et au préjudice
du mari. Au point de vue moral, ce détournement cons
titue un véritable vol que la loi devrait punir, mais
l’honnêteté publique répugnait à l’idée d’une femme
�DU DOL KT DE LA FRAUDE.
157
traînée sur la sellette de l’infamie à la requête de son
époux, du père de ses enfants. De là, la disposition de
l’article 380 du Gode pénal, aux termes duquel les sous
tractions des époux, au préjudice l’un de l’autre, ne
donnent lieu qu’à une action civile en réparation. Les
dommages-intérêts accordés au demandeur sur les biens
du coupable entraînaient autrefois la contrainte par
corps. La loi de 1832 est venue mettre un terme à cet
état des choses, en proscrivant cette voie rigoureuse
entre les époux.
Les complices de l’époux ne profitent ni de l’immu
nité quant à la peine, ni de la prohibition de la con
trainte par corps. Remarquons que la seule complicité
punissable de peines corporelles est celle qui se trouve
-définie par le Gode pénal et qui réunit les caractères
expressément déterminés. L’absence de ces caractères
entraînerait donc l’acquittement du prétendu complice.
Cet acquittement, enlevant au fait son caractère de
délit, mettrait donc les tribunaux correctionnels dans
l’impossibilité d’allouer des dommages - intérêts. Mais
leur décision à cet égard n’exercerait aucune influence
sur l’action en répression de la fraude dont les tribu
naux civils pourraient être investis, répression qui peut
être prononcée tant contre l’époux lui-même que con
tre les tiers qui Font assisté. L’allocation des domma
ges-intérêts pourrait être prononcée avec contrainte par
corps contre ces derniers.
805.
— La femme qui ne p eut, pendant mariage,
rien détourner, ne peut non plus disposer de rien sans
�158
TRA ITÉ
le concours et l’assistance de son mari. L’aliénation
d’un objet quelconque, même par la femme commune
en biens, constituerait donc une fraude dont le mari se
rait autorisé à poursuivre la réparation tant contre la
femme que contre le tiers acquéreur. Pour ce qui con
cerne celui-ci, la fraude est présumée par cela seul que,
connaissant la qualité de la femme, il a consenti à trai
ter avec elle sans s’être assuré de l’assentiment et du
concours du mari. Mais cette présomption n’exclut pas
la preuve contraire que le tiers, que la femme ellemême, est toujours recevable à offrir.
806.
— Les éléments de cette preuve contraire ré
sident: d’une part, dans la connaissance quele mari au
rait eu de la conduite de sa femme; de l’autre, dans
la ratification expresse ou tacite qu’il aurait donnée à
l’acte dont il se plaint; comme si, le fait connu par le
mari n’avait amené aucune réclamation de sa part, s’il
avait reçu le prix de l’objet aliéné ou si, à son vu et su,
ce prix avait été consacré au profit et à l’avantage du
ménage. Le législateur, en voulant protéger les époux
contre leurs fraudes réciproques, n’a, de près ni de loin,
entendu rendre les tiers victimes de leur collusion. Le
mari d’ailleurs pourrait très bien laisser sa femme agir
seule et prétendre ensuite avoir été spolié pour obtenir
ainsi un bénéfice injuste. Ce projet serait facilement
supposé, s’il paraissait que le mari a connu et toléré la
conduite de sa femme, qu’il l’a encouragée par son si
lence.
La femme elle-même peut en fournir la preuve et
�DU
DOL
ET
DE LA F R A U D E .
159
obtenir ainsi le rejet de l’action intentée par son mari.
Le tiers peut mieux encore, car il est exposé à n’être
poursuivi que par le résultat d’un concert frauduleux
entre les époux. On admet donc qu’alors même que la
fraude de la femme serait établie, s’il est prouvé que
ceux qui ont traité avec elle ont été de bonne foi, et
que, par la nature des relations des époux entre eux, ils
ont eu juste motif de croire à l’assentiment du m ari, le
recours de celui-ci doit être rejeté en ce qui les con
cerne. C’est à lui, en effet, plutôt qu’aux tiers à répon
dre des conséquences que sa trop grande confiance en
sa femme a pu entraîner. Il suffit que cette confiance
ait existé, qu’elle ait été notoirement connue, qu’elle
soit devenue la cause déterminante de la conduite des
tiers pour qu’ils soient à l’abri de tous reproches sé
rieux.
C’est donc sur les antécédents des époux que l’atten
tion des magistrats doit particulièrement se fixer. La
tolérance habituelle du mari, pour des actes de la na
ture de celui dont il se plaint, pourrait devenir contre
sa demande, une fin de non-recevoir péremptoire. A
défaut, sa ratification expresse ou tacite produirait le
même résultat.
8ü7. — La femme pourrait trouver une occasion de
fraude dans la facilité qu’elle a de simuler des dettes
qu’elle prétendrait faire payer par son mari. Mais,
comme dans toutes les hypothèses où la fraude est pro
chaine, la loi n’a pas manqué aux précautions que
celle-ci réclamait. Or, de deux chose l’une, ou les
�160
TRA ITE
dettes se rapporteront par leur date à une époque pos
térieure au mariage, ou elles paraîtront l’avoir précédé.
Dans le premier cas, la femme, incapable de contrac
ter sans l’assistance et l’autorisation de son mari, n’a
pu ni engager valablement celui-ci, ni s’engager ellemême. La dette réelle ou simulée est donc sans portée,
sans conséquence aucune, le tiers qui a traité avec la
femme reste personnellement tenu de la nullité que la
femme elle-même pourra lui opposer.
808.
— Il est cependant des dettes qui échappent à
la rigoureuse application de ce principe. La femme est
ordinairement chargée de pourvoir aux dépenses de
nourriture et d’entretien. Dans cet objet, elle traite avec
les fournisseurs, sans l’autorisation spéciale du mari
dont elle est, quant à ce, réputée la mandataire. Elle
pourrait donc, dans l’exécution de ce mandat et de
concert avec ces fournisseurs, exécuter la fraude. Quels
seraient, dans cette hypothèse, les droits du mari ?
Notre ancien droit avait admis, pour les dettes de
cette nature, une exception au principe de l’autorisa
tion. En conséquence, le mari ne pouvait arguer du
défaut de cette autorisation pour se dispenser de les
payer. Mais il fallait pour cela que les achats n’eussent
pas été trop fréquents et trop considérables, pour que
le fournisseur ne fût pas lui-même suspect de fraude ou
coupable d’imprudence.1
1 Parlement de Dijon, 8 j:\nv. 1693; — Nouveau Denisart, v“ aukti .
�DO DOL
ET DE LA
FR A U D E .
4154
809. — Les principes consacrés par le Code n’ont rien
qui répugne à cette solution. Ils reconnaissent, en effet,
la possibilité d’un mandat verbal, et certes on ne sau
rait jamais l’admettre plus justement qu’en faveur de
la femme pour tout ce qui concerne les besoins du
ménage. Le mari serait donc tenu de l’acquittement
des dépenses faites à cette intention, quoiqu’il ne les
eût pas actuellement et spécialement autorisées , à
moins cependant que l’abus d’un côté, la complai
sance, la fraude ou l’imprudence de l’autre, eût poussé
ces dépenses au-delà des limites naturelles et justes.
810. — Quant, aux dettes se rapportant à une épo
que antérieure au mariage, le mari a, contre la fraude
résultant de l’antidate, un remède assuré dans la dis
position de l’article 1410 du Code civil. On sait que
cet article n’adm et, comme dettes obligatoires, que
celles qui ont date certaine avant la célébration du
mariage. L’absence de cette condition faisant présu
mer la fraude, laisse le créancier entièrement désarmé
vis-à-vis du mari.
Par rapport à lui, en effet, la présomption de fraude
est absolue, n’admettant aucune preuve contraire. Le
Code a formellement dérogé sur ce point à notre ancien
droit, sous lequel le créancier était admis à faire preuve
de la sincérité de la date. Mais il en est autrement de la
part de la femme signataire. L’absence d’une date cer
taine, l’incapacité résultant du mariage a pu faire sus
pendre l’application, à son encontre, du principe que
l’acte fait foi de sa date contre la partie, mais non le
�16‘2
TRA ITE
méconnaître d’une manière définitive. En conséquence,
le créancier pourra détruire la présomption de fraude
que ces circonstances élèvent contre son titre, en prou
vant qu’il a été réellement souscrit avant le mariage.
Cette preuve acquise fera condamner la femme au paie
ment de la dette. Mais pendant la durée du mariage,
l’exécution de cette condamnation ne pourra être pour
suivie que sur la nue-propriété des immeubles person
nels à la femme.1
811. - - Nous venons de voir quelles sont les frau
des que la femme peut tenter et les précautions que la
loi a cru devoir prendre en faveur du mari. Hâtons-nous
de le dire cependant, celui des deux époux qui a le
plus besoin de protection n’est pas le m ari, car, nonseulement il a, en sa qualité, des moyens suffisants
pour se défendre efficacement, mais encore de beau
coup plus grandes facilités à consommer la fraude au
détriment de sa femme. L’autorité du sexe, l’influence
que son titre lui assure, la qualité de chef de la com
munauté, d’administrateur des biens personnels de sa
femme, tout, en un mot, lui offre les plus grandes facili
tés pour préparer et consommer la fraude, dont le
désir de réunir sur sa tête la fortune de sa femme lui
inspirera l’idée.
812. — Déjà, la crainte qu’il ne voulût arriver à
ce résultat au moyen des libéralités qu’il se ferait con1 V. infra, nos 815 et suiv.
�DE
DOL
E T DE LA
FRAUDE.
163
sentir a fait admettre le principe de la révocabilité des
donations entre époux, faites pendant la durée du
mariage. Ce n’était pas assez. On pouvait vouloir dé
guiser la libéralité sous la forme d’emprunts contractés
solidairement par la femme et le mari, et l’article 1-431
a décidé que dans ce cas l’obligation de la femme n’est
qu’un simple cautionnement à l’égard du mari qui est
tenu de la récompenser.
Nous pourrions multiplier les exemples. Nous résu
mons l’esprit de la loi à cet égard dans ces quelques
mots : La femme, pendant le mariage, est présumée,
pour tous les actes qu’elle fait en faveur de son mari,
céder à une influence qu’elle ne peut ni combattre ni
vaincre. En conséquence, elle peut toujours révoquer
les libéralités directes qu’elle a faites. Quant aux libé
ralités indirectes, quelle que soit la forme dont elles ont
été revêtues, et malgré son concours direct à l’acte,
elle est toujours recevable à quereller l’acte de simula
tion et à en établir le véritable caractère même par la
preuve testimoniale.
813.
— La loi va plus loin encore. Elle admet dans
certains cas la simulation comme une vérité démon
trée, ne permettant même pas la preuve contraire.
Nous en trouvons un exemple remarquable dans cet
article 1410 dont nous nous occupions tout à l’heure.
Les dettes antérieures au mariage ne sont obligatoi
res pour le mari que si elles ont date certaine avant la
célébration. Le mari qui, nonobstant le défaut de date,
acquitte ces dettes, n’a aucune récompense à deman-
�464
TRA ITÉ
der à raison de ce paiement. Le motif de cette pres
cription, qui peut dans certain cas consacrer une injus
tice, est facile à saisir : c’est que le mari trouvait dans la
supposition de dettes de ce genre, et dans le paiement
fictif qu’il paraîtrait en avoir fait, un moyen de s’attri
buer la fortune de sa femme en échappant à la révoca
bilité des donations. On l’encourageait ainsi à se faire
consentir des libéralités sous cette forme, ce qui était
d’une exécution facile, puisqu’on n’avait qu’à antidater
les obligations dont on simulerait l’existence.
814. — Conséquent dans la règle dont il ne s’est
jamais départi et que nous avons eu bien de fois l’occa
sion de rappeler, à savoir : que plus la fraude est facile
et plus on doit non-seulement la réprimer, mais encore
la prévenir, le législateur n’a pas hésité dans cette cir
constance. Le paiement de la dette sans date certaine
est présumé frauduleux, on ne paie pas ce qu’on sait ne
pas devoir. Conséquemment, si le mari a réellement
payé, ou il a reconnu que la dette était celle de la com
munauté, ou, la sachant personnelle à sa femme, il a
voulu faire à celle-ci une libéralité qu’il pouvait croire
méritée ; dans l’un comme dans l’autre cas, il ne lui
était dû aucune récompense; à plus forte raison si le
paiement et la dette elle-même n’étaient que le résultat
d’une simulation.
815. — S i, sur le refus du mari, le créancier de la
femme l’a poursuivie et a obtenu contre elle une con-
�DU
DOL
ET
DK LA
FR A U D E .
465
damnation, faudrait-il encore refuser toute récompense
au mari qui aurait plus tard désintéressé le créancier?
L’affirmative a été soutenue sur le fondement que la
fraude, qui a présidé dans la supposition de la dette,
pourra bien se continuer devant la justice qu’on saura
bien mettre dans l’impossibilité de ne pas condamner ;
qu’on court donc la chance de faire réussir une simula
tion par une nouvelle simulation plus audacieuse et
plus coupable encore.
Cette doctrine condamnerait le mari à ne jamais
venir au secours de sa femme, alors même que le
créancier aurait commencé l’expropriation de la nuepropriété des biens personnels à celle-ci. Ainsi, ce
qu’un tiers serait libre de faire, le mari ne pourrait
l’accomplir, alors même qu’un évident intérêt rendrait
cet acte d’un immense avantage pour la femme: d’abord,
en empêchant la vente à vil prix de ses propres, ensuite
en renvoyant à la dissolution du mariage le rembourse
ment des sommes avancées. Nous ne saurions croire
que telle ait été l’intention du législateur.
Sans doute une fraude est possible et le danger si
gnalé ne manque pas de gravité. Mais une présomption
de fraude, attachée à un jugement rendu sur les conclu
sions du ministère public, serait un fait trop anormal
pour qu’on doive l’ériger en principe. La condamnation
judiciaire de la femme fera donc supposer la dette sin
cère et le paiement légitime, sauf le droit de la femme
de justifier la simulation de l’un et de l’autre.
Ainsi, avant toute poursuite, le paiement d’une dette
supposée antérieure au mariage, mais n’ayant pas date
�166
t r a it é
certaine, reste pour le compte exclusif du mari, ou soit
de la communauté. Le paiement qui a suivi la condam
nation de la femme oblige celle-ci à en récompenser le
mari, à moins qu’elle ne prouve, soit par titres, soit par
témoins ou par présomption, que le jugement lui-même
n’a été obtenu que par un concert frauduleux qui lui a
été commandé par celui-ci.
816. -- Comme chef de la communauté, le mari a
la libre disposition des biens dont elle se compose.
L’exercice de cette faculté pouvait entraîner de graves
abus, de nombreuses fraudes contre la femme. C’est
dans cette prévision que la loi a d’abord songé à en ré
glementer l’exercice, eu égard aux libéralités que le
mari pourrait vouloir consentir.
L’article 1422 lui prohibe le droit de disposer entre
vifs et à titre gratuit des immeubles, de l’universalité ou
d’une quotité du mobilier, si ce n’est pour l’établisse
ment des enfants communs ; de retenir l’usufruit des
effets mobiliers qu’il lui est permis de donner à titre
particulier à toutes personnes.
817. — Le législateur, en assurant au mari la libre
disposition des biens communs, a entendu que l’exer
cice de cette faculté fût marqué au coin de la loyauté et
de la justice; qu’elle ne dépassât jamais les limites que
la copropriété impose aux intéressés. Tout ce qui s’é
carte de ce caractère, tout ce qui tendrait à enrichir
exclusivement le mari ou à dépouiller la femme en fa
veur de tiers par lui élus, doit être sévèrement proscrit.
�DU DOL
ET
DE LA
FkAUDE.
167
C’est, au reste, ce qui est formellement rappelé dans
l’article 1437.
818. — Les actes faits contrairement aux prescrip
tions de l’article 1422 sont présumés, de plein droit,
appartenir à l’une de ces deux hypothèses. Il sont, en
conséquence, frappés d’une nullité radicale comme faits
en fraude de droit de la femme.
819. — Ce que cette volonté ferme de la loi à cet
égard peut faire naturellement présumer, c’est que le
mari aura recours à la simulation pour déguiser la
fraude. C’est sous l’aspect d’un acte à litre onéreux
qu’il cachera les libéralités qu’il ne peut faire d’une ma
nière directe. Mais la femme est toujours recevable à
contester le caractère de l’acte, à demander, soit aux
présomptions, soit à la preuve orale, la justification de
la simulation et de la fraude.
820. — Au nombre et au premier rang des pré
somptions pouvant fournir cette preuve, se place celle
tirée de la qualité de la partie qui a traité avec le mari,
comme si elle était son héritier présomptif ou si ce
lui-ci se trouvait être le sien. L’identité d’intérêt nais
sant de cette circonstance a toujours été signalée com
me un grave indice de fraude, alors même que la lé
gislation permettait au mari de donner les immeubles
de la communauté. 1 La vente consentie à une pareille
personne était, par cela même, considérée comme une
donation faite à un incapable, c’est-à-dire au mari luimême.
1 Pothier,
de la Communauté, nos 480 et suiv.
�168
TRA ITE
Sous l’empire de notre droit actuel, il n’y a fraude
acquise que lorsque l’acte, sous l’apparence d’un titre
onéreux, est reconnu ne renfermer qu’une libéralité
pure. Il faut donc a priori établir l’existence de la
simulation. L’identité d’intérêt entre l’héritier pré
somptif d’un individu et cet individu lui-même pour
rait ne pas paraître suffisante dans telle ou telle hypo
thèse pour qu’on admît cette simulation, mais, à coup
sûr, elle serait dans toutes d’un poids très grave ; et,
pour peu qu’elle se trouvât étayée par quelques autres
circonstances, elle serait de nature à entraîner et à lier
la conviction du juge.
821.
— Les circonstances qui peuvent, indépen
damment de la qualité des parties, indiquer et prouver
la simulation sont: l’époque de la vente, si elle a été
faite pendant la maladie de l’un des époux ou depuis
l’instance en séparation ; le défaut de prix ou sa vileté;
la position de fortune du prétendu acquéreur; ses re
lations d’intimité avec le mari ; l’absence chez celui-ci
de tout besoin de vendre, ou la continuation après la
vente de l’état de gêne dans lequel il se trouvait avant;
la rétention de la propriété sous prétexte de reiocation ;
le paiement des contributions ; les réparations faites à
l’immeuble postérieurement à la vente; enfin, tous les
actes dont l’existence ne pourrait se concilier avec
l’idée d’un désinvestissement sérieux et réel ; l’aveu
échappé au mari sur le véritable caractère de la pré
tendue vente.
�DU DOL
ET
DE L A F R A U D E .
469
822.
— Le rejet de la prétention touchant la simu
lation et le maintien de la vente comme sincère ne s’op
poseraient nullement à ce que la femme demandât et
obtînt une récompense, si le mari, s’appropriant le
prix de l’aliénation, en avait frustré la communauté.
825- — Les principes applicables aux ventes d’im
meubles régissent l’aliénation de l’universalité ou d’une
quotité du mobilier. Celle qui ne serait, en réalité,
qu’une donation déguisée devrait être annulée sur la
poursuite de la femme ou de ses héritiers. Les meubles
ayant fait l’objet de cette donation pourraient même
être revendiqués contre le tiers jusqu’à concurrence de
la récompense due à la femme, si les biens restant li
bres à la communauté ne pouvaient y suffire. Les droits
du possesseur en matière de meubles méritent sans
doute la plus grande considération, mais la simulation
de la vente admise, il n’y a plus qu’une donation pro
hibée ayant pour conséquence inévitable d’anéantir le
titre en vertu duquel le tiers est en possession. On ne
saurait, dans aucun cas, préférer le donataire au créan
cier, au copropriétaire de l’objet donné sans son con
sentement et contre ses intérêts.
824. — Le mari a la faculté.de donner à toutes per
sonnes, à titre particulier, le mobilier de la commu
nauté, mais cette faculté doit être entendue et appli
quée sans abus. Bientôt, en effet, la multiplicité des
dispositions particulières, leur importance, absorbe
raient les facultés de la communauté en fraude des
h
8
�170
TR A IT É
droits de la femme et rendraient illusoire la prohibition
de l’article 1422. Il faut, en effet, reconnaître que cette
faculté prête singulièrement à l’abus et qu’il paraît
quelque peu contradictoire qu’en prohibant au mari de
donner une quotité du mobilier valant quelques cen
taines de francs, on lui permettra de donner, à titre par
ticulier, un capital ou une somme de dix, de vingt mille
francs. Cette apparente anomalie indique quelle a été la
véritable pensée du législateur, pensée dont il importe
de se bien pénétrer pour ne pas donner à son expres
sion plus d’étendue qu’elle n’en comporte.
825- —- On doit d’abord rechercher le véritable ca
ractère de la donation à titre particulier dans l’époque
qui l’a vue se produire. « Ainsi, dit M. Chardon, si le
mari, pendant une instance en séparation, avait dis
tribué gratuitement une partie importante de son mo
bilier à diverses personnes et à titre particulier, l’in
tention de nuire à la femme plutôt que de se livrer à
des actes de pure bienfaisance étant certaine, il serait
difficile de rejeter les plaintes de la femme.
< Que, prêt à succomber à une maladie grave, un
mari fasse des dons particuliers d’effets mobiliers, on
ne pourrait voir, dans ces générosités tardives, que des
infractions à l’article 1422, et, dans le mode employé,
qu’un détour frauduleux pour échapper à sa prohibi
tion. Il faudrait donc réputer ces dons testamentaires,
et, comme tels, les imputer sur la part du mari dans la
communauté.
< La même sévérité serait justement inspirée par des
�DU DOL E T
DE LA FRA U D E.
171
<lons de meubles que ferait un mari pendant la maladie
qui se terminerait par la mort de sa femme. C’est le
sentiment de Lebrun, de Pothier, de Merlin. Il serait
d’autant plus juste de le suivre, que quand même on ne
serait pas convaincu que le mari a agi dans un esprit de
fraude, au moins est-il constant qu’il a commis un abus
intolérable d’autorité en abandonnant ainsi des objets
dont il savait que bientôt il n’aurait plus le droit de dis
poser. 1 >
Dans quelques circonstances que se soit réalisée la
donation à titre particulier, si elle a été précédée ou
suivie d’autres actes de même nature, si son impor
tance est telle qu’on puisse supposer que le but prin
cipal de son auteur a été de priver sa femme de la part
que la loi lui assurait, on ne doit pas hésiter à en anéan
tir les effets à l’égard de celle-ci. Ce que la loi a voulu
en sanctionnant le droit de donner à titre particulier,
c’est que le mari ou ses héritiers ne fussent pas injus
tement tourmentés pour quelques minces largesses fai
tes de bonne foi et sans fraude. Tout ce qui s’écartera
de ce caractère essentiel devra facilement être consi
déré comme frauduleux.
826.
— La fraude est de plein droit présumée par
la réserve de l’usufruit de la chose donnée, stipulée en
faveur du donateur. Dans ce cas, en effet, le mari dé
pouille sa femme sans se dépouiller lui-même. La do
nation devient bien plutôt une disposition testamentaire
�qu’une véritable donation. Sous l’un comme sous l’au
tre aspect, il y a lieu soit d’indemniser la femme, soit
d’imputer la valeur des objets donnés sur la part du
mari dans la communauté.
La réserve d’usufruit peut n’étre pas stipulée à l’effet
d’éluder la disposition de l’article 1422, mais son exis
tence est de nature à être prouvée par témoins. Elle
peut également résulter de présomptions et d’indices
dont l’appréciation est abandonnée aux lumières et à la
prudence des juges. L’exécution, en ce sens que la do
nation aurait reçue, dispenserait de toute autre preuve.
C’est ce que le parlement de Paris décida le 7 septem
bre 1717. ‘ C’est ce qui a été depuis maintes fois con
sacré par la jurisprudence m oderne.2
Il serait impossible de prévoir tous les développe
ments que le mari peut imprimer à la fraude dans l’exé
cution du pouvoir qui lui est conféré sur les biens de
la communauté. Mais les principes qui précèdent suffi
ront, par leur application, à résoudre toutes les hypo
thèses qui se présenteront.
827.
— Nous terminons sur ce point en examinant
une difficulté que les termes de l’article 1422 ont fait
naître relativement aux donations à titre particulier.
La loi permet au mari de les faire à toutes personnes,
d’où l’on a voulu conclure qu’elle avait dérogé aux rè
gles applicables soit à l’interposition de personnes pré1 Merlin, Rép., v° indices, n° 2.
a Bruxelles, 45 août 1813; — Orléans, 29 juillet 1822.
�DU DOL
E T DE LA FR A U D E .
173
sumées, soit à celle qui doit être prouvée. Mais on a ré
pondu que s’il existe un principe certain, c’est que le
mari n’a pas le pouvoir de se donner à lui-même. Ce
principe n’avait pas besoin d’être expressément rap
pelé, il résulte de la force des choses, il ressort d’ail
leurs de la disposition de l’article 1437. Or, le mari qui
donne à une personne interposée en sa faveur se donne
réellement à lui-même, il fait donc ce qu’il ne peut pas
faire, ce qui ne saurait, dès-lors, produire le moindre
effet. L’interposition de personne serait, dès-lors, un
moyen de nullité de la donation que rien n’empêche les
parties intéressées de faire valoir. Légalement présu
mée dans les hypothèses prévues par l’article 911, elle
pourra, dans tous les autres cas, être prouvée tant par
témoins que par présomptions.
828. — Comme administrateur des biens de sa
femme, le- mari a la facilité de commettre des fraudes,
soit en dissimulant tout ou partie du mobilier échu à la
femme, soit en stipulant des avantages secrets dans les
partages, vente ou échange des immeubles personnels
à celle-ci.
829. — En prévision de la première hypothèse, la
loi oblige le mari à faire dresser inventaire des facultés
mobilières que la femme est appelée à recueillir. Faute
par lui d’y procéder, comme en cas d’infidélité dans
l’accomplissement de cette mission, la femme ou ses
héritiers seront admis à prouver la consistance de ces
facultés tant par témoins que par commune renommée.
�174
t r a it é
830. — Le second cas constitue une fraude ordi
naire, comme lorsque, chef de la communauté, le mari
crée des dettes fictives, s’applique les sommes em
pruntées ou le prix provenant de l’aliénation des biens
communs. La répression de cette fraude est donc laissée
aux règles ordinaires. C’est à la femme qui l’allègue à la
prouver par toutes les preuves autorisées par la loi. Le
mari ne serait pas recevable à contester l’admissibilité
de la preuve orale sous prétexte que la femme aurait
signé la vente, le partage ou l’échange. Le concours
qu’elle a donné à l’acte ne peut s’entendre que des sti
pulations apparentes que cet acte renferme, et jamais de
celles que le mari aurait exigées à son insu et contre ses
intérêts.
831. — La femme tenue de son dol, l’est également
de sa fraude. Conséquemment, les simulations con
certées par elle et son mari ne sauraient nuire aux tiers
qui ont contracté avec eux dans l’ignorance de ces si
mulations. Ainsi, lorsque les époux, se plaçant frau
duleusement dans un des cas prévus par l’article 1538,
ont obtenu de la justice l’autorisation de vendre le
fonds dotal, l’effet de cette vente est irrévocablement
acquis en faveur des tiers restés étrangers à l’acte des
époux et qui se sont rendus acquéreurs de bonne foi.1
Sans doute la femme peut n’avoir obéi qu’à l’in
fluence irrésistible dont nous parlions tout à l’heure.
1 Caen, 12 juin 1842;— Devitleneuve, 42, 2, 462; — Cass., 17
1847;— D. P., 47, 1,151.
mars-
�Aussi ne devrait-on pas lui refuser son recours contre
le mari. Mais ce motif n’a aucune autorité réelle contre
l’acquéreur, devant d’autant moins suspecter le carac
tère de la vente, que son opportunité avait été, après
examen, consacrée par la justice.
832,
— Mais l’aliénation du fonds dotal ne pouvant
être réalisée qu’aux formes et dans les cas nommément
prévus par la loi, il en résulte que si par fraude les
époux ont demandé l’autorisation d’aliéner hors ces
cas, la vente est nulle contre le tiers de bonne foi, alors
même qu’elle n’eût été faite qu’en vertu d’un jugement .
La justice elle-même n’a pas le pouvoir de violer la loi ;
l’erreur ou la surprise à laquelle les juges auraient obéi
ne peut donc créer un titre régulier. Personne n’est
censé ignorer la loi. L’acquéreur d’un fonds dotal doit
s’assurer d’abord si le cas pour lequel l’aliénation est
autorisée rentre dans ceux prévus par les articles 1555 et
suivants. S’il néglige ce devoir, il s’associe, autant qu’il
est en lui, à la violation de la loi, et celte imprudence
gravel’expose aurecours delà femme ou de ses héritiers.
Il n’y a, à cet égard, aucun doute à concevoir. La
prohibition d’aliéner le fonds dotal est impérative et ab
solue. Elle n ’admet d’autres exceptions que celles for
mellement prévues; à tel point qu’il est aujourd’hui
consacré que la vente pour empêcher le mari d’être
mis en prison est nulle, la loi ne la permettant que pour
l’en tirer. 1
�traite
C’est ce même principe que la Cour d’Àix vient d’ap
pliquer dans l’espèce suivante :
Les époux d’Heureux, voulant créer un établissement
de bains sur un immeuble dotal et ayant lait de nom
breuses dépenses, s’adressèrent au tribunal de Mar
seille, et, sous prétexte de l’amélioration du fonds dotal,
lui demandèrent l’autorisation de l’hypothéquer jusqu’à
concurrence des dépenses nécessaires, o l mars 1841,
jugement qui accorde cette autorisation.
En vertu de ce jugement et par actes des 16 avril et
22 mai suivants, les époux d’Heureux empruntent une
somme de 10,000 francs de la dame Thérèse Leouffre,
veuve Mottet. Il est formellement énoncé dans ces actes
que cette somme de 10,000 francs est destinée à payer
à un marchand de meubles les objets mobiliers par lui
fournis et à un chaudronnier-plombier les travaux en
chaudronnerie, plomberies et pompes par lui faits pour
l’établissement des bains. Ce double emploi est effecti
vement réalisé. Une hypothèque est consentie sur le
bien dotal et sur celui du mari solidairement.
Par acte du 26 mai 1845, la dame Leouffre, veuve
Mottet, cède sa créance à la caisse hypothécaire. Celleci ayant poursuivi l’expropriation des biens hypothé
qués, la dame d’Heureux demande la radiation de cette
saisie en tant qu’elle porte sur ses biens dotaux. Les
motifs par elle invoqués sont : 1° que la loi qui autorise
l’aliénation du bien dotal ne permet pas de l’hypothéquer ; 2° parce que, dans tous les cas, le tribunal de Mar
seille ayant autorisé l’aliénation hors des cas voulus par
�DU DOL
ET
DE LA F R A U D E .
177
la loi, tout ce qui avait été fait en vertu de cette auto
risation était radicalement nul.
Ce système est repoussé par le tribunal de Marseille.
Mais, sur l’appel, le jugement est infirmé le5 août 1850.
L’arrêt, remarquablement rédigé par l’éminent prési
dent, M. Lerouge, après avoir établi que la faculté d’a
liéner entraîne celle d’hypothéquer, considère sur la
question qui nous occupe :
i Que la femme mariée sous le régime dotal con
serve, en général, lorsqu’il ne s’agit point de sa dot, la
capacité de contracter que lui attribue le droit com
mun ; qu’elle peut ainsi vendre, hypothéquer ses biens
paraphernaux avec l’autorisation de son mari ou de la
justice;
« Que la prohibition d’aliéner, d’hypothéquer ses
biens dotaux émane uniquement de la loi qui les met
hors du commerce, par des raisons d’intérêt public,
dans une pensée d’ordre et de conservation ; que cette
loi d’inaliénabilité ne tient donc pas à l’incapacité des
personnes, mais à la faveur de certains biens, et c’est
par ce motif qu’elle est rangée dans la classe des statuts
réels ;
« Qu’il suit de là, en premier lieu, que l’interven
tion de la justice, appelée à autoriser l’aliénation ou
l’hypothèque de l’immeuble dotal, n’a pas pour objet de
relever soit le mari, soit la femme d’une incapacité per
sonnelle de contracter, mais de lever la prohibition d’a
liéner ou d’hypothéquer les immeubles dotaux dans les
cas d’exceptions déterminées par la loi ;
* En deuxième lieu, que, hors de ces cas d’excep-
�178
TR A IT É
lions, l’autorité judiciaire est impuissante à conférer
aux époux la faculté d’aliéner ou d’hypothéquer vala
blement le fonds dotal, car elle a mission d’appliquer
et de faire exécuter la loi et non la violer en créant des
exceptions à la prohibition d’ordre public qui interdit
l’aliénation ou l’hypothèque des biens dotaux en dehors
des cas déterminés par la loi. »
835. — L’article 1558 du Code civil en permettant
la vente du fonds dotal, en a en même temps prescrit la
forme. Elle doit avoir lieu aux enchères et après trois
affiches. Ce mode est de rigueur et ne peut être modifié,
Sa violation ferait présumer la fraude, ne pouvant être
expliquée que par le désir de restreindre la publicité et
d’écarter les concurrents. La femme ou ses héritiers
pourraient donc poursuivre plus tard la nullité, sans
qu’on pût, comme dans le cas précédent, tirer du juge
ment d’autorisation une fin de non-recevoir contre leur
demande.
Ces principes ne doivent point être négligés. Celui
qui se rendra acquéreur ou à qui on s’adressera pour
hypothéquer le fonds dotal, doit, avant tout, se faire re
présenter le jugement autorisant l’une ou l’autre. Il ne
devra acheter ou prêter que dans l’hypothèse où le
fait motivant l’autorisation rentre expressément dans la
classe de ceux auxquels la loi applique ce caractère.
En cas de vente, il ne devra en accepter aucune, si ce
n’est aux enchères et en se faisant justifier des trois puhlications. A ces conditions seulement, il sera à l’abri de
�DU DOL
ET
DE
I.A F R A U D E.
179
tout recours, alors même que les époux auraient frau
duleusement supposé un fait qui n ’existait pas.
834. — L’action du mari pour les fraudes de la
femme est recevable en tout temps ; celle de la femme
pour les fraudes du mari n’est admissible qu’à la dis
solution du mariage. En effet, tant que le mariage
existe, la femme n’a sur les biens de la communauté
qu’un droit d’expectative qui ne devient définitif qu’au
moment où, l’association arrivée à son terme, le par
tage de l’actif amène la liquidation de la portion qu’elle
doit recueillir. Jusque-là elle est même sans intérêt pour
agir, car elle ignore si le mari ne lui fera pas un compte
exact et ne lui attribuera pas volontairement l’indem
nité qu’elle a droit de réclamer.
Cette règle n ’est pas cependant tellement absolue
qu’elle ne puisse supporter une exception. Ainsi, la
femme qui a à faire réprimer une fraude commise dans
la disposition de ses biens personnels pourra pour
suivre cette répression avant la dissolution du mariage.
On devrait également l’admettre à le faire dans tous les
Cas, s’il y avait justes motifs de craindre la disparition
des preuves qu’elle est dans le cas d’invoquer. Il ne fau
drait pas, par un scrupule qui a son origine dans un
sentiment très respectable, exposer la femme à subir un
préjudice dont on lui aurait fait perdre les moyens de
prouver l’existence.
835. — De toutes les fraudes que le mariage peut
amener, la plus importante, sans contredit, par ses con-
�180
TR A IT E
séquences sur le mariage lui-même, sur l’état des en
fants, sur l’avenir de la famille, c’est l’adultère. Ce n’est
plus, en effet, seulement un intérêt pécuniaire mis én
péril, c’est la vie commune rendue intolérable, c’est
l’honneur des époux compromis, c’est la famille ellemême grevée d’une funeste, d’une déplorable respon
sabilité.
L’antiquité considérait l’adultère comme un crime
et le punissait du dernier supplice. Notre civilisation
moderne l’a fait descendre au rang des simples délits.
L’adultère n’a même plus aujourd’hui le caractère d’un
délit social. Toute initiative est formellement interdite
au ministère public. Seul autorisé à le dénoncer ou à le
poursuivre, le mari a de plus la faculté de faire tomber
les effets de la condamnation, que son pardon rend
comme non avenue.
La constatation , la poursuite et la répression de l’a
dultère n’appartiennent pas aux matières que nous avons
à examiner. Nous devons donc nous borner à nous en
occuper quant, aux effets qu’il produit relativement à la
personne et aux biens, à l’influence qu’il peut exercer
sur l’état de la famille. Ces effets fort graves sont :
d’une part, la séparation de corps ; de l’autre, le désaveu.
856- — L’adultère est une cause de séparation de
corps. L’époux coupable a tellement forfait à ses obli
gations, violé tous ses devoirs, qu’il n’a plus le droit de
contraindre son conjoint à remplir les engagements
qu’il avait de son côté contractés.
La loi ne distingue pas, à l’endroit de la séparatoin ,
�DU DOL
ET
DE LA FR A U D E .
181
l’adultère du mari de l’adultère de la femme. Mais la
force des choses l’amenait à une différence essentielle
dans l’application de ce principe. Les conséquences de
l’acte de la femme sont indépendantes des circonstances
de temps et de lieux qui l’ont vu s’accomplir. Le pré
judice grave qui peut en résulter pour l’époux est de
nature à se réaliser à toutes les époques, dans tous les
lieux.
L’adultère du mari, au contraire, est plutôt une in
jure pour la femme qu’une cause de préjudice réel.
L’ignorance de celle-ci, sur ce qui se passe loin de ses
yeux, enlève au fait toute son importancequi ne saurait
dans aucun cas atteindre à un certain degré de gravité.
Il était impossible d’omettre ces considérations dans
l’appréciation juridique du tort des époux. Leur in
fluence devait être et a été en effet décisive. L’adultère
de la femme autorise, par le fait seul de sa perpétration,
l’admission de la séparation de corps demandée. Peu
importe qu’il ait été commis dans ou hors le domicile
conjugal; qu’il ait été ou non actuellement connu du
mari. Il suffil que la preuve en soit administrée au mo
ment de la poursuite en séparation, pour que cette pour
suite soit recevable et fondée.
La femme ne peut obtenir sa séparation, pour cause
d’adultère du mari, que si cet adultère a été con
sommé dans la maison commune. L’introduction d’une
concubine dans le domicile conjugal dénote un tel mé
pris pour l’épouse légitime, la place dans une position
tellement délicate, qu’on ne,pouvait lui imposer la vie
�commune, rendue insupportable par le voisinage d’une
insolente, d’une odieuse rivale.
857. — Il n’est pas nécessaire que la preuve de l’a*
dultère soit acquise au moment où la séparation est
demandée, ni qu’elle résulte d’un jugement ayant con*
damné l’époux coupable. L’articulation du fait dans la
requête en séparation motive une enquête dans laquelle
l’époux demandeur aura la faculté de fournir les preu
ves sur lesquelles le tribunal investi appuiera sa décision.
858. — L’adultère était autrefois une cause de di
vorce. L’abolition de celui-ci ne permet plus aux époux
que la séparation de corps. Celle-ci ne laisse pas que
d’être pour les époux un événement capital. Car, si elle
ne brise pas les liens matrimoniaux, elle les relâche
d’une manière sensible. L’époux qui l’a encourue de
vrait être tenu d’indemniser l’autre des inconvénients
qu’il est dans le cas d’en éprouver, des besoins nouveaux
qui peuvent en surgir.
858. — On a longtemps agité la question de savoir
si la séparation de corps entraînait la révocation des
avantages consentis à l’époux dans le contrat de ma
riage. Cette question , fortement controversée en doc
trine, était devenue l’occasion d’une profonde dissidence
entre la majorité des Cours d’appel et la Cour de cas
sation.
Celle-ci tenait pour la négative, qu’elle fondait d’a
bord sur le silence gardé par le législateur. II faut, en
�DU DOL
E T DE
EA F R A U D E .
483
effet, remarquer que, pour ce qui concernait le divorce,
la loi s’était formellement expliquée dans l’article 299 ,
tandis qu’elle se tait à l’endroit de la séparation de corps.
Fallait-il appliquer à celle-ci la disposition sanctionnée
pour le divorce? Mais les choses ne sont pas égalespour
l’un et pour l’autre. Le divorce, en effet, rompt le ma
riage , rend les époux étrangers l’un à l’autre, leur
prohibe même de se réunir. La séparation de corps, au
contraire, laisse subsister le mariage dont les liens re
prennent toute leur force par la réconciliation des époux.
Cette réconciliation, que la loi appelle de ses vœux,
elle a voulu la favoriser en laissant exister entre les
époux des points de contact, des relations obligées dont
la fréquence peut triompher des sentiments qui les
avaient portés à se séparer. On ne peut donc raisonna
blement conclure du divorce à la séparation.
D’autre part, disait la Cour de cassation, l’article 959
déclare que les donations faites en faveur du mariage
ne seront pas revocables pour cause d’ingratitude. Or
les donations que les époux se font respectivement dans
leur contrat sont réellement consenties en faveur du
mariage, car elles ont pu déterminer le consentement.
L’adultère même n’est qu’une odieuse, qu’une révol
tante ingratitude; on violerait donc l’article 959 si on
lui reconnaissait pour effet de révoquer les avantages
portés au contrat, alors même qu’il a déterminé la sé
paration.
Cette doctrine de la Cour de cassation, à diverses re
prises consacrée par elle, avait ramené quelques Cours
d’appel. Mais le plus grand nombre n’avaient pas cessé
�184
TRA ITE
de professer l’opinion contraire. Cette persistance a fini
par triompher. La Cour de cassation est revenue de sa
jurisprudence et a décidé enfin que la séparation de corps
entraîne la révocation des avantages faits à l’époux
dans le contrat de mariage. Nous transcrivons les motifs
de cet arrêt parce qu’ils résument les raisons sur les
quelles s’étayaient ceux qui soutenaient l’opinion que
l’arrêt consacre.
« Attendu que dans notre ancienne législation , et
lorsque la séparation de corps était seule admise, l’é
poux qui l’obtenait avait le droit de faire prononcer la
révocation des donations qu’il avait faites à son con
joint ; que le Code civil, en instituant le divorce, en
même temps qu’il maintenait la séparation de corps ,
s’est approprié cette règle, et y a même ajouté en dé
clarant par son article 299 que l’époux contre lequel
le divorce serait prononcé perdrait de plein droit tous
les avantages que l’autre époux lui avait fait; que si
cette disposition n’a pas été répétée dans le chapitre
spécial relatif à la séparation de corps, ce chapitre fait
partie du titre du divorce et suit immédiatement le
chapitre qui règle les effets du divorce, dont les dispo
sitions, en tant qu’elles ne sont pas inconciliables avec
la séparation de corps, en doivent aussi régler les effets;
que c’est ainsi que les tribunaux appliquent journelle
ment les dispositions des articles 301, 302 et 303, dans
le cas de séparation ; que la disposition de l’article 299,
loin d’être inconciliable avec la séparation, n’est que la
réproduction, sous une autre forme, du principe con
sacré par l’ancienne législation ; que la déchéance des
�DU DOL
ET
DE
LA
FR A U D E .
185
avantages stipulés soit dans le contrat de mariage, soit
pendant le mariage, encourue par l'époux contre lequel
la séparation ou le divorce a été admis, est la consé
quence des torts de l’époux avantagé. d’où naît une cause
d’indignité qui ne peut être effacée par le choix que
l’époux a fait, entre la voie du divorce et celle de la sé
paration ; que cette cause doit produire les mêmes
effets dans l’un et l’autre cas, puisque l’article 306 dé
clare que la demande en séparation peut être formée
pour les mêmes faits qui donnent lieu à la demande en
divorce ;
« Que les dispositions de l’article 1518 ne démon
trent pas moins l’intention du législateur de faire, de la
déchéance des avantages stipulés entre époux, une
conséquence de la séparation de corps aussi bien que
du divorce, puisqu’il fait résulter également de l’une et
de l’autre la déchéance du préciput conventionnel ;
que l’assimilation légale de la séparation au divorce,
surtout depuis la loi du 8 mai 1816, résulte d’ailleurs
expressément de l’article 2 de cette loi, qui convertit
en instances en séparation de corps toutes les deman
des et instances en divorce alors pendantes devant les
tribunaux ;
« Attendu qu’en cet état de la législation, les ques
tions qui peuvent s’élever sur la déchéance des avan
tages que se sont faits les époux, soit par contrat de
mariage, soit pendant le mariage, doivent être décidées
par les dispositions contenues au titre du divorce, sans
qu’il y ait lieu de recourrir au titres des donations ; que
l’article 959 qui déclare non révocables pour cause
�186
TRAITE
d ’ingratitude les donations en faveur du mariage, ne
peut dès-lors, quelle que puisse être l’étendue de ses
termes, être invoqué lorsqu’il s’agit de déterminer l’ef
fet de la séparation de corps sur les avantages stipulés
entre époux.1 »
Ainsi, le nouveau législateur n’a voulu innover en
rien sur ce qui était admis par la législation précé
dente. Il a seulement renforcé le principe de la dé
chéance des avantages matrimoniaux, lorsque de la
séparation de corps il en a transporté l’application au
divorce. De là l’article 299 qui ne déclare qu’une seule
chose, à savoir : qu’en cas de divorce cette déchéance
s’opère de plein droit, sans qu’il soit besoin de la deman
der. Ainsi fixé, le sens de larticle 299 n’autorise nulle
ment à refuser, dans le cas de séparation, un droit que
rien n’est venu proscrireet qui, préexistant au Code civil
a dû nécessairement se continuer à défaut d’une dispo
sition contraire. Tout ce qu’on peut conclure, c’est
donc que la séparation de corps ne jouit pas d’un privi
lège exclusif au divorce : la déchéance de plein droit.
Mais l’époux qui la demandera doit l’obtenir, parce
qu’il ne serait ni moral ni juste de maintenir le bien
fait sur la tête de celui qui s’en est rendu indigne. Telle
est du moins la doctrine qui s’infère de l’arrêt que
nous venons de rapporter.
Cet arrêt rendu par les Chambres réunies, après deux
jours de délibération et contrairement aux conclusions
de M. le procureur-général Dupin, nous paraît devoir
Cass., 25 mai 1845; —J. I). P., 1.1 , 1845, p. 625.
�DU DOL
F,T DE LA
FR A U D E .
187
fixer la jurisprudence. Aura-t-il pour effet de clore la
discussion que la question a fait naître? C’est ce que
l’avenir nous apprendra. Quoi qu’il en soit, la Cour de
cassation, en réformant sa propre jurisprudence, adonné
un nouvel et éclatant témoignage de sa haute sagesse,
de sou mépris pour ce sentiment d’amour-propre qui
fait persévérer dans l’erreur qu’on a pu commettre. De
pareils exemples, venus de si haut, sont toujours bons
à proposer, car ils sont excellents à suivre.
Ainsi, l’adultère motivant la séparation de corps,
autorise la révocation des avantages faits à l’époux
convaincu. Cet effet est commun à l’adultère de la
femme et à celui que le mari a commis dans le domicile
conjugal. L’effet étant le même, la même peine était
une conséquence inévitable.
840.
— Nous arrivons à l’une des matières les plus
délicates de notre droit : le désaveu de la paternité.
L’enfant conçu pendant le mariage a pour père le mari
celui dont la naissance se rattache au mariage est égale
ment présumé appartenir aux époux. Dans l’un comme
dans l’autre cas, l’enfant a la possession d’enfant légi
time et jouit en conséquence desavantages et des pré
rogatives attachés à cette filiation.
En réalité, cependant, cette filiation peut n’être qu’un
audacieux mensonge, soit qu’abusé indignement, le
mari ait épousé une femme portant dans son sein le
triste fruit de son inconduite ; soit que, infidèle depuis
le mariage, l’épouse .ait rencontré dans des relations
�188
TRA ITE
illégitimes cette maternité qu’elle ne devait demander
qu’à son époux.
Dans ces circonstances, l’introduction de l’enfant
dans la famille légitime est un véritable vol au préju
dice de celle-ci, au préjudice du mari lui-même, au
quel on ne pouvait imposer la paternité sans blesser les
plus simples notions de l’équité et de la justice, sans
pousser le respect pour la fiction jusqu’à la plus ab
surde idolâtrie. De là la faculté de désaveu dont la con
sécration dépouille l’enfant de la femme du nom et de
la position que celle-ci n’a pas craint de lui donner.
La consécration du désaveu est donc le renverse
ment delà règle4 pater is est quem justœ nupliœ dé
mons trant. Or, le mari ou ses héritiers ne peuvent arri
ver à ce résultat qu’en prouvant : ou que l’enfant, qu’on
dit issu du mariage, n’a été conçu que depuis la disso
lution ou avant sa célébration ; ou que, conçu et né
pendant le mariage, il n’a pu avoir pour père le mari.
Le désaveu se rapportera donc nécessairement à l’une
de ces hypothèses : naissance précoce, naissance tardive,
impossibilité de cohabitation entre les époux.
841.
— L’appréciation des deux premières amenait
comme conséquence forcée la détermination d’une règle
devant en diriger l’exercice. L’intérêt public est trop
intéressé à la fixation de l’état des familles pour qu’on
pût abandonner au caprice et à l’humeur d’un époux
plus ou moins offensé l’emploi discrétionnaire d’une
arme aussi redoutable, aussi terrible dans ses résultats.
Pénétré de cette idée, le législateur, après de nom-
�DU DOL E T
DE
LA F R A U D E .
189
breuses et savantes recherches phisiologiques, après
avoir interrogé les sources de la science les plus éle
vées, les plus pures, a arrêté le délai de six mois et de
dix mois comme le terme de la plus courte et de la
plus longue gestation.
En conséquence, l’enfant né moins de 180 jours
depuis la célébration du mariage pourra être désavoué
par le mari. Remarquons les termes de la loi : pourra
être désavoué. Cependant l’enfant ainsi mis au monde
est nécessairement conçu avant le mariage et dès-lors
illégitime. Mais l’époque de sa naissance, la faveur qui
résulte du mariage, l’application, même dans ce cas, de
la maxime pater is est etc... attachent à cette naissance
une présomption de légitimité suffisante pour lui assu
rer la possession d’état d’enfant légitime, tant que le
désaveu n’est pas venu le lui arracher. Ce désaveu n’est
lui-même qu’une faculté laissée au mari, dont le silence
équivaut à la reconnaissance formelle de la paternité.
842. — Mais le désaveu fondé sur la naissance pré
coce doit nécessairemet réussir. Ce n’est plus alors
qu’une affaire de date. Si réellement conçu avant ma
riage , l’enfant ne peut réclamer le bénéfice de la
maxime pater is est qui présupose l’existence du ma
riage, il ne peut non plus prouver qu’il est le fils de
l’homme qui a épousé sa mère, car la recherche de la
paternité n’est pas autorisée. Il doit dès-lors fatalement
succomber sous la réalisation de l’instance en désaveu.
843. — Toutefois cette instance n ’est pas elle-
�190
TRA ITE
même recevable dans tous les cas, et l’enfant qui n’au
rait rien à dire au fond, peut toujours opposer des fins
de non-recevoir à l’admission de la demande. Ces fins
de non-recevoir, pour être utilement invoquées, doi
vent avoir pour objet d’établir que le désavouant avait
d’abord accepté la paternité. Cet effet, la loi le fait ré
sulter : 1° de la connaissance de la grossesse avant le
mariage ; 2° de l’assistance et de la signature à l’acte
de naissance de l’enfant.
L’importance que la loi attache à chacune de ces cir
constances n’a pas besoin d’être justifiée. S’il est vrai,
comme le disait un ancien et illustre magistrat, que ce
qui décide de la naissance de l’homme, de sa filiation,
n’est pas le degré de certitude, mais le degré de vraisem
blance ; s’il est vrai qu’en cette matière l’impossibilité
de preuves certaines, véritables et authentiques, force
de recourir à des conjectures, à des présomptions, à
des probabilités, 1 pouvait-on en appeler de plus perti
nentes, de plus décisives à l’appui du fait à prouver,
l’aveu de la paternité.
844.
— La connaissance de la grossesse de celle
qu’on épouse peut-elle être interprétée autrement que
comme la preuve qu’on en est soi-même l’auteur? Et si
cette explication se présente d’abord à l’esprit, si elle
est la seule raisonnable, la seule plausible, on ne pou
vait lui refuser les conséquences qui en découlent for
cément à l’endroit de la paternité. Le désaveu qu’en fait
1 D’Aguesseau, 34e P., t. ni, p. 120.
�DU DDL
RT DE LA
F R A U D E.
ultérieurement le mari est d’avance frappé d’invraisem
blance, on ne peut plus le considérer que comme une
odieuse, une infâme spéculation, qu’il importait d’arrê
ter dès le début.
On n’épouse pas la femme qu’on sait enceinte des
œuvres d’autrui. Conséquemment, si la connaissance
de la grossesse de la future n’a pas empêché le mariage
de s’accomplir, c’est que le futur s’est formellement
reconnu le seul auteur de cette grossesse et, par une
déduction logique, le père de l’enfant qui doit en naître.
Le bénéfice de cet aveu est définitivement acquis à ce
lui-ci, et sa légitimité est à l’abri de toute contestation
ultérieure de la part de son père.
845.
— Notre ancienne jurisprudence allait plus
loin encore. Le principal fondement de la maxime pater
is est..., disaient les docteurs, est la fréquentation lé
gale que le mariage entraîne entre les époux.,Donc, si
cette fréquentation a existé de fait avant le mariage,
elle fera présumer la paternité, et cette présomption
recevra du mariage qui a suivi un degré de force, d’évi
dence, d’autorité à laquelle il paraît presque impossible
de résister.1 On admettait donc la preuve de la fréquen
tation comme suppléant et faisant présumer celle de
la connaissance de la grossesse.
Le Code civil a repoussé cette doctrine. Le législa
teur a compris qu’une fréquentation telle que celle qui
naît des approches du mariage, que les actes de fami1 Id. , ibid.
�192
TRA ITE
Karité qui en sont les conséquences n’excluaient pas
l’ignorance d’une grossesse qu’on aurait un vif intérêt
à dissimuler. Il ne s’arrête- donc qu’au seul fait signifi
catif : la connaissance de la grossesse. Tout ce qui ten
drait à faire présumer cette connaissance, sans rétablir
d’une manière directe, serait donc inutile et frustraloire. Au reste, et comme dans toutes les appréciations
de fait, la pertinence des moyens tendant à établir la
connaissance de la grossesse est souverainement aban
donnée à la prudence du juge.
8-46. — L’assistance à l’acte de naissance de l’en
fant est un motif plus puissant encore que la connais
sance de la grossesse, pour refuser au mari la faculté
de le désavouer plus tard. Cette assistance doit résulter
de l’acte même, soit par la signature du mari, soit par
la déclaration qu’il ne sait ou ne peut signer. On ne
peut donc pas équivoquer sur ce que la loi entend par
l’assistance du mari. C’est un concours actif à l’accoïnplissement des formalités constatant la naissance.
847.
— Mais il n’est pas nécessaire que l’acte de
naissance auquel le mari a concouru le désigne comme
le père de l’enfant. Il suffit que le nom de la mère et
sa qualité de femme mariée y soient mentionnés. Le
père de l’enfant né d’une femme mariée n’est jamais
inconnu. Il est indiqué par la loi elle-même en la per
sonne du mari. Dès-lors celui qui assiste et signe l’acte
de naissance de l’enfant de sa femme assiste et signe
réellement l’acte de naissance de son propre enfant. 11
�DU
DOL
E T DE
LA FR A Ü D E .
498
en accepte la paternité et se rend à tout jamais non-re
cevable à le désavouer plus tard.
848.
— Le concours du mari à l’acte de naissance
de l’enfant peut avoir été empêché par une circons
tance fortuite et indépendante de sa volonté. Par exem
ple, une absence ou une maladie. Pourra-t-on, dans ce
cas, suppléer au défaut de comparution devant l’officier
de l’état civil par la preuve que le mari a connu la nais
sance et avoué la légitimité de l’enfant?
Proudhon 1tient pour l’affirmative et avec juste rai
son selon nous. Ce dont la loi se préoccupe dans la
conduite du mari, c’est moins l’acte qui lui est imputé,
que l’intention que cet acte décèle et comporte. De
quelque manière donc que se soit manifesté, l’aveu de
la paternité, il n’en doit pas moins produire tous ses
effets.
Supposez, en effet, que le mari se soit empressé
d’annoncer lui-même à ses parents l’accouchement de
sa femme ; ou bien qu’absent de chez lui, il ait répondu
à la nouvelle de l’accouchement par des paroles affec
tueuses pour la mère et pour l’enfant; est-ce que de
tels actes ne sont pas aussi décisifs, aussi énergiques que
le concours à l’acte de naissance? Autoriser plus tard
le désaveu, serait donc méconnaître l’intention évidente
de ces premières démarches et violer ouvertement l’es
prit de la loi.
Il est de toute équité, en effet, que le désaveu ne soit
1 De l’Etat des pers., t. ix, p. 14 .
u
9
�494
TRA ITE
reçu que lorsque son auteur n’a, dans aucune circons
tance, manifesté une opinion contraire à celle qui le
fait agir. « Pour que le désaveu du père soit admis,
disaient les orateurs du gouvernement, il faut que le
mari n’ait laissé échapper, soit au moment du mariage,
soit au moment de la naissance de l’enfant, aucun acte,
aucun signe, aucun aveu volontaire exprès ou tacite de
sa paternité. S’il avait toujours cru que l’enfant lui fût
étranger, aucun acte ne démentirait une opinion qui,
depuis la naissance de l’enfant, a dû déchirer son âme.
S’il a varié dans cette opinion, il n’est plus recevable
à refuser à l’enfant l’état qu’il ne lui a pas toujours
contesté.1 j>
Ainsi le fait capital c’est l’aveu de la paternité. Or,
cet aveu peut aussi bien résulter d’actes formels du
mari, de la correspondance que de la connaissance de
la grossesse, que du concours à l’acte de naissance. Il
n’y a donc aucune distinction à faire dans les effets
qu’il doit nécessairement déterminer.
Vainement objecterait-on qu’aux termes de l’arti
cle 534 du Code civil, l’enfant ne peut être valablement
reconnu que par un acte sous forme authentique. Cet
article ne concerne que les enfants naturels nés hors ma
riage, et auxquels il s’agit de donner une filiation que
leur acte de naissance ne leur confère pas. Telle n’est pas
la position de l’enfant né moins de 180 jours après la cé
lébration du mariage. Celui-ci, en effet, a une filiation
certaine, il est réputé appartenir aux deux époux et pré1 Voy. Exposé des motifs et rapport au tribunat.
�DU DOL E T
DE
LA FR A U D E .
495
sumé légitime tant que l’admission du désaveu ne sera pas
venu lui arracher l’un et l’autre. On ne peut donc assi
miler les moyens à l’aide desquels il prétend repousser
ce désaveu, avec ceux dont l’enfant naturel peut se pré
valoir pour établir sa filiation. Il s’agit, dans un cas, de
conserver une position assurée par la loi; dans l’autre,
d’acquérir une possession d’enfant. Cette différence
dans les effets justifie surabondamment celle que nous
admettons dans les éléments à consulter.
Ainsi, la connaissance de la grossesse, le concours
à l’acte de naissance, peut être suppléé par des actes
d’où l’on peut inférer une reconnaissance de paternité.
La fin de non-recevoir existant pour les uns existe éga
lement pour les autres, et tout désaveu est désormais
impossible. Un intérêt purement privé ne pouvait pré
valoir sur les raisons d’ordre public qui militent en fa
veur de la fixité de l’état des familles. Le père peut, sans
doute, être trompé; mais s’il s’est trompé lui-même,
s’il a pu croire un instant à la légitimité de l’enfant,
c’est que l’illégitimité est au moins douteuse, et, dans
le doute, c’est en faveur de l’enfant que la loi a souve
rainement prononcé.
849.
— La non-viabilité de l’enfant rend l’action en
désaveu non-recevable. Il y avait pour l’admettre ainsi
deux motifs décisifs. En premier lieu, l’action en désa
veu a pour effet d’empêcher l’enfant de se mêler à une
famille à laquelle il est étranger et de recueillir des
biens auxquels il n’a aucun droit. L’enfant qui n’est
pas né viable ne compte pas dans la famille. Il est ma-
�196
TRA ITE
tériellement incapable de succéder, sa naissance ne
peut donc jamais occasionner un préjudice à qui que
ce soit. Le désaveu, en cet état, ne serait plus qu’un
scandale gratuit qu’il était de la dignité du législateur
de proscrire.
En second lieu, le défaut de viabilité peut n’être
que la conséquence d’un accident ayant interrompu les
règles ordinaires de la gestation et déterminé l’accouchement avant son terme naturel. Qu’importe, dans ce
cas, que cet accouchement se soit réalisé avant le cent
quatre-vingtième jour. C’est là un événement imprévu
dont la responsabilité n’appartient à personne, car il
n’était donné à personne de le prévoir ou de le pré
venir. D’ailleurs, comment déterminer, d’une manière
précise, l’époque de la conception, lorsque le défaut de
viabilité de l’enfant n’existe que parce que l’accou
chement s’est opéré contrairement aux lois ordinaires
de la nature ?
850- — Nous avons déjà vu que le terme de la plus
longue gestation a été fixé à dix mois. De là, la consé
quence que l’enfant né le dernier jour de ces dix mois
après la dissolution du mariage est présumé avoir pour
père le mari, et qu’il ne peut être désavoué que dans les
formes et aux conditions prescrites pour le désaveu des
enfants conçus et nés pendant le mariage.
Par une conséquence contraire, on aurait du, ce sem
ble, déclarer de plein droit illégitime l’enfant né plus de
trois cents jours après la dissolution du mariage. Ce
pendant l’article 515 se borne à dire que sa légitimité
�DU DOL E T
DE LA FR A U D E .
197
pourra être contestée. Doit-on induire de ces termes,
que la contestation se réalisant, l’enfant doit nécessai
rement, et par le fait de sa naissance tardive, perdre la
qualité d’enfant légitime, ou bien que les tribunaux ont
la faculté de repousser la prétention des avant-droit et
maintenir la légitimité de l’enfant par l’appréciation des
faits et circonstances?
851. — C’est dans ce dernier sens que jugeait notre
ancienne jurisprudence. Mais il faut remarquer qu’à
cette époque la législation n’avait arrêté aucune règle
applicable à cette m atière, et que le recours au droit
romain, si souvent utile, n’offrait, à cet égard, qu’une
ressource illusoire par les contradictions dans lesquelles
ce droit s’était jeté.
En effet, la loi des Douze Tables était plus explicite
encore que ne l’a été, depuis, notre Code civil. Elle dé
clarait formellement illégitime l’enfant né plus de dix
mois après la dissolution du mariage. Mais un édit
d’Adrien avait porté à onze mois le terme de la gesta
tion, et cela d’après l’avis des médecins et des philo
sophes anciens : In lioc decreto Adrianus se statuere
dicil, requisitis veterum philosophorum et medicorum
senlenliis. 1
Justinien paraissait avoir condamné cet avis, d’abord
en n’insérant pas dans sa compilation l’édit d’Adrien,
ensuite en formulant dans le Digeste le principe con
sacré par la loi des Douze Tables.2 Mais il paraît plus
1 Aulugelle, Nuits attiques, liv. 5, chap. 16.
L. 3, § 11, De suis et legilimis hœredibus.
�198
TRA ITE
tard revenir sur ce principe. En effet, dans la NoveIle59
il déclare illégitime un enfant né dans le douzième mois
de la dissolution du mariage : Nondum enim completo
anno, undecimo mense perjecto peperit, ut non esset possibile dicere quia de defunclo Juisset partus ; neque
enim in tantum tempus conceptionis exlensum est. Ce
qui paraît indiquer que la solution eût été différente,
si la naissance se fût réalisée avant l’expiration du on
zième mois.
859. — A ces incertitudes, puisées dans le droit
romain, venaient se joindre les incertitudes bien plus
grandes encore de la science. Ainsi, un traité spécial,
publié en 1766, par un docteur, régent de la Faculté de
Paris, citait des gestations qui s’étaient naturellement
continuées treize, quatorze et même seize mois.
On comprend, dès-lors, qu’en l’absence d’une règle
législative, qu’au milieu du doute de la législation pré
cédente, des perplexités que les hommes de l’art affi
chaient, les tribunaux se laissassent aller à une appré
ciation qu’ils croyaient indispensable. Le résultat de
cette conduite avait été celui-ci. Tel enfant né dix mois
et quelques jours après la dissolution du mariage était
déclaré illégitime, tandis que tel autre, dont la nais
sance avait eu lieu treize, quatorze et même seize mois
après cette dissolution, était reconnu appartenir au mari
et, comme tel, devoir jouir des prérogatives de la légi
timité.
853. — Le Code civil nous paraît avoir voulu met-
�DD DOL
ET
DE LA F R A U D E .
199
tre un terme à cette anomalie, en déterminant une règle
fixe, invariable, applicable à tous les cas et les régissant
tous d’une manière absolue. A ce point de vue, il serait
évident que l’article 315 a fait cesser le pouvoir d’ap
préciation que les tribunaux exerçaient avant sa pro
mulgation. De là cette conséquence qu’aujourd’hui la
naissance après plus de trois cents jours du mariage
dissout, imprime à l’enfant le sceau de l’illégitimité.
Cette conséquence peut être injuste dans certains cas;
mais il faut aussi avouer que ces cas seront on ne peut
pas plus rares; et qu’en les négligeant, le législateur a
obéi à l’un de ses principaux devoirs : Quod semel aut
bis exletit prœtereunt legislatores. 1
Évidemment les termes de l’article 315 peuvent prêter
au doute, mais ce doute dispai’aît devant l’explication
qu’en donne le législateur lui-même. « Les naissances
« tardives, dit M. Duveyrier au nom du tribunat, n’exi« gent aucune disposition conditionnelle. Il est clair
« que la légitimité d’un enfant pourra être contestée, s’il
« naît dans le onzième mois après la dissolution du nia« riage ou, pour mieux dire, au moins trois cents jours
i après le mariage dissout, parce qu’il ne peut plus plai cer dans le mariage ni sa conception, ni, par consé« quent, la présomption légale de sa légitimité.
« Pourquoi n’est-il pas de droit illégitime et mis au
« nombre des enfants naturels? Parce que tout intérêt
« particulier ne peut être combattu que par un intérêt
« contraire. La loi n’est point appelée à réformer ee
' L. 6, Dig., de Legibus ; — L. 5, 4 el S, ibidem.
�200
T R A IT E
<r qu’elle ignore; et si l’état de l’enfant n’est point attai que, il reste à l’abri du silence que personne n’est
« intéressé à rompre. »
854.
— Ainsi, aux yeux du législateur, l’enfant né
plus de trois cents jours après la dissolution du mariage
est illégitime, car il ne peut placer sous l’égide du
mariage ni la conception, ni, conséquemment, la pré
somption de sa légitimité. Mais la loi a compris qu’il y
aurait une rigueur injuste à chasser de la famille celui
que la famille consentirait elle-même à recevoir, parce
qu’elle ne verrait dans l’accouchement tardif de la mère
qu’un événement accidentel sans mélange de fraude.
Elle a donc voulu consacrer un principe dont elle aban
donne la poursuite à la conscience intéressée des pa
rents. Elle accepte la décision de ce tribunal et admet
la légitimité si cette légitimité est acceptée. Mais si,
rompant le silence, la famille conteste cette légitimité,
tout est dit, les tribunaux n’ont plus qu’à appliquer la
règle comme le législateur l’a lui-même appliquée dans
certains cas.
Ainsi, nous voyons les articles 228 et 296 permettre
à la veuve de se remarier dix mois après la mort du
mari. Dans l’article 212, le législateur permet d’ac
cueillir, ordonne même de consacrer le désaveu si le
mari prouve qu’il a été, pendant les trois cents jours
qui ont précédé la naissance, dans l’impossibilité phy
sique de cohabiter avec sa femme ; toutes choses incon
ciliables avec l’idée de la légitimité de l’enfant né plus
de trois cents jours après la dissolution. En effet, si la
�DU DOL E T
DE LA
FRAUDE.
201
gestation peut se prolonger au-delà de dix mois, la con
fusion des familles n’est pas dans le premier cas évitée,
le désaveu devient un mensonge dans le second, puisque
l’impossibilité de cohabitation pendant ces trois cents
jours n’est plus un obstacle à la paternité du mari.
Ajoutons que, dans l’hypothèse de l’article 312 et
sauf les fins de non-recevoir, le désaveu est la d$nséquence forcée de la preuve de l’impossibilité de coha
bitation. Pourquoi donc l’enfant perdrait-il forcément
sa légitimité dans ce cas, et ne la perdrait-il pas égale
ment dans celui de la naissance tardive? Est-ce que
dans ce dernier la mort du mari, arrivée trois cents jours
avant la naissance, n’établit pas suffisamment cette im
possibilité de cohabitation dont parle l’article 312? Il
est évident, dès-lors, qu’on ne pourrait, sans inconsé
quence, considérer la règle des trois cents jours comme
fatale dans un cas, tandis qu’elle ne serait que faculta
tive dans l’autre.
Concluons donc que tout ce que fait l’article 315,
c’est d’abandonner le sort de l’enfant à la volonté, à la
conscience de la famille. Garde-t-elle le silence, l’en
fant conserve sa légitimité. Conteste-t-elle cette légi
timité, il n’y a plus qu’une question de date dont les
termes extrêmes sont, d’une part, l’acte de naissance ;
de l’autre, l’acte de dissolution du mariage.
Cette opinion, défendue par des auteurs graves, ' a
1 Toullier, toin. n, p. 155 ; — Duranton, tom. ni, n08 56 et suiv. ;—
Chabot, Succcss., sur l’art. 725 ; — Proudhon, Cours de droit, tom. n,
p. 28; — Zachariæ, tom. ni, p. 635; — Dalloz, Jurisprud. générale,
v° filiation, p. 55, n° 14.
�202
T R A IT E
ete sanctionnée par les Cours de Grenoble et d Aix, Il
est vrai que les arrêts de l’une et de l’autre examinent
les circonstances de fait dont il était excipé. Mais cette
appréciation surabondante n’enlève rien à la solution
du droit qui y est si nettement formulée. 1
855.
— L’action en désaveu est, comme nous le di
rons bientôt, personnelle au père ; celle en contestation
de légitimité appartient à tout ayant-droit. Les héritiers
mêmes de la mère, qui ne peuvent jamais exercer la
première, peuvent exercer l’autre. Quelque similitude
qu’il y ait dans les résultats, ces deux actions diffèrent
sur plusieurs points essentiels dont le principal est, sans
contredit, celui qui concerne la paternité. Ainsi, le dé
saveu n’a pas d’autres bases que l’absence de cette pa
ternité, dont l’acceptation parle mari assure la légitimité
à l’enfant. La contestation de légitimité fait abstraction
de cette paternité ; la reconnaissance du mari n’éteint
pas le droit, car un homme peut donner la filiation,
mais la légitimité jamais. Ainsi, le père d’un enfant
né dans les cent quatre-vingts jours qui ont suivi le ma
riage peut reconnaître l’enfant comme lui appartenant,
il peut en être réellement le père, et tout cela n’em
pêchera pas que, sur la poursuite de la partie inté
ressée, cet enfant ne soit déclaré adultérin, si le mo
ment de sa conception remonte à une époque où ses
parents, ou l’un d’eux seulement, engagés dans les liens
d’un précédent mariage, ne pouvaient procréer que des
* 12 avril 1809 ; — 8 janvier 1812
�DU DOL E T DE LA F R A U D E .
203
enfants adultérins. « Ainsi, dit Toullier, inutilement
le mari divorcé reconnaîtrait un enfant né trois cents
jours après la prononciation du divorce et lui prodi
guerait les soins d’un père : ses héritiers, ses parents,
les héritiers mêmes de la mère n’en seraient pas moins
recevables à contester la légitimité de l’enfant, parce
que le mari ne peut, par cette reconnaissance, détruire
la présomption lé^ile et reporter la conception de l’en
fant au temps du mariage pour lui donner les droits de
famille.1
856. — Les naissances précoces ou tardives peu
vent donc devenir le germe de deux actions. L’une, en
désaveu de la part du père ou de ses héritiers; l’autre,
en contestation de légitimité, de la part de tout ayantdroit. Ces deux actions, indépendantes l’une de l’autre,
obéissent à des principes différents quoique arrivant à
un résultat à peu près identique. Ajoutons que l’effet
du désaveu est absolu et décisif. L’enfant justement
désavoué perd sa légitimité envers et contre tous. Le
jugement qui statue sur la contestation de légitimité ne
lie que les parties contendantes, il reste pour tous ceux
qui n’y ont pris aucune part, res inler alios acla.
857. — L’enfant conçu et né pendant le mariage est
de plein droit légitime. Energiquement protégé par la
maxime paler is est, il ne peut perdre cette légitimité
que par le désaveu, lequel n’est lui-même recevable
que dans les cas limitativement prévus par la loi.
�204
TRAITE
L’article 312 permet le désaveu au mari, s’il prouve
que pendant le temps qui a couru depuis le trois cen
tième jusqu’au cent quatre-vingt-troisième jour avant
la naissance de l’enfant, il était, soit pour cause d’éloi
gnement, soit par l’effet de quelque accident, dans
l’impossibilité physique de cohabiter avec sa femme.
858.
— Nous n’avons nullement à insister sur les
docti'ines plus ou moins ingénieuses que la théorie de
l’éloignement a engendrées. Les jurisconsultes anciens,
imités en cela par quelques docteurs modernes, se
sont livrés à des développements que le Code ne com
porte pas ou qu’il ne comporte plus. Tout se réduit
désormais à cette idée unique : a-t-il existé une impos
sibilité physique de cohabitation ; et cette question de
fait est souverainement appréciée par le magistrat, soit
que l’impossibilité alléguée résulte d’une absence audelà des mers ou sur le continent, d’une détention dans
une prison ou dans un bagne. Il est évident qu’une pa
reille appréciation ne saurait reconnaître des limites
précises, ni obéir à des règles absolues. C’est par la
nature du fait, la position des parties et les circonstan
ces spéciales que chaque espèce devra recevoir la solu
tion qui lui convient.
859.
— A côté de l’éloignement et sur une ligne pa
rallèle, se place l’impossibilité physique résultant d’un
accident survenu à l’époux. Nous retrouvons ici l’im
puissance accidentelle dont nous nous sommes occupés
en traitant de la nullité du mariage. Elle est une cause
�DU DDL ET DE LA FRAUDE.
205
de désaveu, tandis que l’impuissance congéniale, même
visible, ne saurait l’autoriser. Nous avons déjà exposé les
motifs de cette différence. Nous nous bornons à nous en
référer à nos précédentes observations.1
Une maladie grave, à l’époque déterminée par l’ar
ticle 512, serait un motif valable de désaveu. En effet,
il ne faut pas que la puissance accidentelle se produise
d’une manière permanente et continue. Il suffît qu’elle
ait existé réellement au moment de la conception. Cette
existence peut provenir d’une maladie comme d’une
mutilation. On devrait donc décider dans un cas comme
on déciderait dans l’autre, toutefois, la nature des cho
ses indique avec quelle prudence devrait ici procéder
le magistrat. Ce qu’il ne faut jamais perdre de vue, c’est
que, dans le doute, la faveur due à la légitimité doit
l’emporter.
L’impossibilité physique de cohabitation reconnue
et admise, il y a certitude que le mari n’est pas le père
de l’enfant. Celui-ci se trouve dès-lors rejeté dans la
classe des enfants naturels, et privé de tout droit dans
la succession du désavouant. De plus, la qualité de
femme mariée, que la mère ne saurait répudier, im
prime à sa naissance le sceau de l’adultérinité et le ré
duit, quand à la succession de celle-ci, au droit d’ob
tenir des aliments.
860.
— On s’est longtemps préoccupé de la ques
tion de savoir si l’impossibilité morale de cohabitation
t Voy. I. i, chap. 5, sect. 2, nos 560 et suiv.
�206
t r a it e
ne devait pas autoriser le désaveu. Cette question paraît
résolue négativement par les articles 312 et 313 du
Code. L’impossibilité morale est une abstraction dont
le législateur n’a voulu se préoccuper que dans une
circonstance unique, celle de l’article 513. C’est ce qui
résulte d’ailleurs de l’esprit de la loi et des discussions
préparatoires qu’elle a subies.
861.
— Ainsi, on avait proposé au conseil d’Etat de
considérer comme un motif de désaveu la séparation
des époux, réunie h l’adultère de la femme. Mais cette
proposition, d’abord admise par la section de législa
tion , n’a plus figuré dans le projet définitivement
adopté. Cette prétérition prouve qu’on a en définitive
repoussé la proposition , et que la séparation de corps
laisse les époux sous l’empire du droit commun à l’en
droit des enfants nés depuis qu’elle a été prononcée.
Cela est profondément regrettable, car la séparation
faisant cesser la fréquentation légale que le mariage
produit, fait disparaître le principal fondement de la
maxime paler is est... L’adultère survenu dans ces cir
constances ajoute à l’importance de ce premier effet
et crée une forte présomption contre la paternité du
mari. Cependant celui-ci ne pourra pas même être
admis à désavouer l’enfant, si la femme a pris la pré
caution effrontée de lui annoncer la naissance, éludant
ainsi l’application de l’article 315. N’est-ce pas là s’é
crie, M. Valette,1 un résultat déraisonnable?
1 Sur Proudhon, t. u, p. 2fi
�DU DOL E T DE RA F R A U D E .
207
862. — Peut-être que si le législateur de 1804 avait
prévu l’abolition du divorce, la proposition eût-elle
rencontré plus de sympathies. Le divorce, en effet,
était un remède héroïque contre le mal que nous signa
lons, puisque, après sa prononciation, la femme, deve
nant étrangère à son mari, ne peut lui imposer la pater
nité des enfants auxquels elle donnerait le jour. Quoi
qu’il en soit, le silence gardé par la loi du 28 mai 1816,
laisse subsister l’effet de la séparation de corps tel que
le Code l’avait admis. La paternité des enfants nés après
est de plein droit imposée au mari. Il ne peut la récu
ser que s’il prouve l’impossibilité physique de cohabi
tation aux époques fixées par l’article 312.
863. — Ce qu’on décidait pour le cas de séparation
de corps, on devait le décider pour celui d’adultère.
L’adultère de la femme n’exclut pas la paternité du
mari, surtout si l’on admet la continuité ou la possibi
lité de relations entre lui et sa femme. L’enfant peut
aussi bien être le fruit de ces relations que le résultat
du crime de la mère : Cumpossit et ilia (uxor) adultéra
esse, et timpuber dejunctum patrem habuissed Or, ces
relations, la loi les présume dès qu’elles sont physique
ment possibles. Elle ne pouvait donc autoriser un désa
veu dont on ne pouvait même établir les fondements
d’une manière certaine.
864. — Mais si l’adultère est accompagné de l’aveu
i! L ii, § 9, Dig., ad Legetn Juliam de adult.
�2 08
t r a it é
tacitte de la femme sur ses conséquences, le désaveu
devient recevable. La loi trouve cet aveu dans le recèlement de la naissance de l’enfant. Ce fait, personnel à
la femme, fournit contre la paternité du mari une pré
somption d’une gravité incontestable. La naissance
d’un enfant est pour une femme vertueuse un sujet
d’orgueil et de juste fierté. Cette naissance peut, dans
certains cas, exercer une bienfaisante influence sur le
sort des époux, contribuer à resserrer le lien qui les
unit et dissiper les nuages qui obscurcissaient la vie
commune. Dès-lors, la conduite de l’épouse déjà adul
tère qui, loin de déclarer la naissance de son enfant,
l’entoure d’un profond mystère, la dérobe au regard de
son mari, ne décèle-t-elle pas les replis les plus secrets
de son cœur? N’esl-ce pas le cri d’une conscience con
vaincue et la reconnaissance formelle de l’illégitimité
de l’enfant? N’élève-t-elle pas en un mot, contre celuici, un préjugé assez fort pour balancer la présomption
fondée sur le mariage?1
865- — Mais balancer une présomption ce n’est pas
la détruire. Aussi le mari qui a prouvé l’adultère de sa
femme et le recèlement de la naissance de l’enfant, n’a
pas encore rendu le désaveu inévitable. Il y a probabi
lité, aveu tacite de la mère, si un autre motif ne vient
pas expliquer sa conduite. Or, en matière de légitimité,
ce n’est pas sur des probabilités, ce n’est pas même
Toullier, t. n, p. 126, n° 814.
�Dll
DOL E T
DE LA FR A U D E .
209
sur les déclarations de la mère qu’on décide du sort de
l’enfant.
Jusque-là donc, il y a seulement doute grave qu’il
convient d’approfondir. Le désaveu est recevable. Mais
il ne sera fondé que si le mari complète la démonstra
tion qu’il doit faire de l’illégitimité de l’enfant. Consé
quemment, et par une exception aux règles ordinaires,
la loi lui permet d’articuler et de prouver tous les faits
propres à justifier qu’il n’est pas le père de l’enfant.
En dernière analyse, pour que le désaveu d’un enfant
conçu et né pendant le mariage soit recevable, il faut
que la femme convaincue d’adultère, le soit également
d’avoir recélé la naissance; pour qu’il soit fondé, il faut
que le mari prouve qu’il n’est pas le père de l’enfant,
bien entendu qu’il ne s’agit plus ici d’une impossibilité
physique, comme tout à l’heure. L’mpossibilité morale
suffit, et l’on peut la faire résulter de tous faits, de tou
tes présomptions de nature à corroborer l’induction
tirée de l’adultère et du recèlement de la naissance.
866.
— Mais que faut-il entendre par le recélé de
la naissance? Cette naissance est un fait complexe im
pliquant le concours nécessaire de trois caractères : la
conception, la grossesse, l’accouchement. De plus, elle
ne se manifeste que par la déclaration exigée par l’ar
ticle 55 du Code civil. Cela étant, l’article 315 entend-il
que le recélé porte sur l’ensemble de ces circonstances?
En d’autres termes, faut-il que la femme ait tout à la
fois dissimulé, nous ne dirons pas la conception, l’é
poque en est nécessairement inconnue, mais sa gros-
�210
TRAITE
sesse, célé son accouchement et fait une fausse décla
ration ? Suffira-t-il, au contraire, d’une ou de deux de
ces circonstances? Quelle sera l’importance de cha
cune d’elles ?
Pour résoudre ces questions, il faut se pénétrer de
l’esprit de l’article 313, tel qu’il résulte des discus
sions dont cet article a été l’objet dans le sein du con
seil d’État
Nous l’avons déjà dit, l’intention du législateur a
été de proscrire le désaveu fondé sur l’impossibilité
purement morale. Cependant ce principe a dû fléchir
lorsque, comme le disait le consul Cambacérès, il
fallait se rendre à l’évidence des faits et ne pas placer
les juges entre un texte trop rigoureux et le cri de leur
conscience.
Mais comment arriver à cette évidence, si les pré
somptions les plus décisives ne parvenaient pas à en
autoriser la recherche? Sans doute l’état des enfants ne
pouvait être abandonné à la déclaration plus ou moins
intéressée, plus ou moins sincère de la mère. Mais ce
qu’une déclaration ne pouvait faire, le mystère dont la
femme s’enveloppe dans une circonstance telle que la
naissance d’un enfant était de nature à l’opérer. « Si la
femme adultère, disait l’orateur du gouvernement, a
caché à son mari sa grossesse, son accouchement, la
naissance de l’enfant, le sentiment qui lui a dicté ce
mystère et imposé les soins et les embarras qu’il exige,
est d’une telle prépondérance, qu’il serait injuste de ne
pas l’appeler en témoignage sur la question de la véri
table paternité. Une femme, en ce cas, ne dit rien, ne
�i)ü DOL E T
DE LA F R A U D E .
211
déclare rien ; au contraire, elle se tait, elle se cache,
c’est son cœur lui-même qui, malgré elle, développe
ses replis les plus cachés, c’est sa conscience qui laisse
échapper son plus mystérieux jugement. ®
Ainsi, le silence de la femme est l’aveu tacite le plus
énergique d'e l’illégitimité de l’enfant. Conséquemment,
que ce silence porte sur le fait matériel de la naissance,
sur l’accouchement ou sur la grossesse, il n’existe pas
moins, il n’en doit pas moins produire tous ses effets.
867.
— Cependant, le silence d’abord gardé sur la
grossesse peut être rompu avant l’accouchement, à une
époque plus ou moins rapprochée de celui-ci. La con
naissance qui en résultera pour le mari lui enlèvera-telle la faculté de désavouer l’enfant?
Admettre l’affirmative, c’est rendre la femme arbitre
souveraine du désaveu. Elle pourrait, en effet, le rendre
dans tous les cas irrecevable en décélant sa grossesse
quelques jours avant l’accouchement, après l’avoir dis
simulée pendant longtemps. Un pareil résultat serait une
iniquité avec d’autant plus déraison, que la conduite de
là femme peut n’être dictée que par esprit de bravade et
de défi pour placer son mari en dehors des conditions
prescrites par la loi pour l’exercice du droit du dé
saveu. Ainsi, le crime lèverait insolemment la tête, et
l’enfant, étranger au mari, se verrait assurer, sans re
tour, un rang, un titre, un privilège auquel il n’a jamais
eu aucun droit.
Une pareille immoralité ne pouvait entrer dans les
�242
TRA ITE
prévisions du législateur. C’est ce que la Cour de cas
sation vient de décider par son arrêt du 7 janvier 1850.
868.
— Le savant rapporteur, M. Mesnard, après
avoir examiné la légalité, présentait à la Cour suprême
les observations suivantes : « Que conclure de tout
cela? Une chose bien simple, c’est qu’il n’y a rien
d’absolu dans les termes de l’article 515 ; que tout
dépend des circonstances , et qu’en cette matière
une grande latitude est nécessairement laissée aux
tribunaux......En pareil cas, ce à quoi il faut s’atta
cher, ce n’est pas à ce que le mari a pu savoir ou
ignorer, c’est à ce que la femme a voulu cacher. La loi
ne prend pas garde à ce qui a pu venir à la connais
sance du mari sur les faits relatifs à la naissance; elle
ne s’occupe que de la conduite et de la dissimulation
de la femme ; elle n’exige pas que le mari ait ignoré la
naissance, car il doit la connaître pour pouvoir désa
vouer; elle veut seulement qu’on la lui ait cachée. Que
la femme réussisse complètement ou non dans son
œuvre de mystère, jusqu’à un certain point, il importe
peu. Les tribunaux auront à apprécier sa conduite ; ils
auront à vérifier si le secret qu’elle a fait à sou mari des
signes ou des preuves de la maternité contient ou non
cet aveu tacite et spontané que les auteurs de la loi rat
tachent au recel de la naissance. »
Sur ces observations, la Cour de cassation a consacré
les solutions suivantes :
« Attendu, en droit, que le législateur, en admettant
que la présomption consacrée par l’article 512 du Code
�DU DOL
ET
DE L A F R A U D E .
213
civil, après avoir fléchi devant l’impossibilité physique
dé cohabitation, pourrait également fléchir devant la
preuve de l’impossibilité morale de cette Cohabitation,
a entendu assujettir cette preuve à une condition qui
servît de garantie contre les appréciations variables et
arbitraires des tribunaux ; que c’est ainsi qu’il a exigé
dans l’article513, pour la recevabilité du désaveu fondé
sur la preuve de Cette impossibilité morale, que la fem
me eût caché au mari la naissance de l’enfant, trouvant
dans ce recel ou cette dissimulation, de la part de la
femme, l’aveu tacite de sa faute et un secret jugement
de sa conscience contre la légitimité de l’enfant ;
« Attendu que, devant cette pensée incontestable de
l’article 313, il est impossible d’admettre que le recel
de là grossesse soit un fait insignifiant et que le recel de
l’accouchement ait été l’objet exclusif de l’attention du
législateur ;
t Attendu que la naissance implique, tout à la fois,
la grossesse et l’accouchement, et que le recel de l’un
ou de l’autre de ces deux faits élémentaires et cons
titutifs de la naissance peut devenir, selon les cir
constances, plus ou moins significatif et tenir lieu de
cet aveu tacite que la loi fait résulter du silence de la
femme ;
a Attendu qu’en pareil cas, il y a beaucoup moins à
rechercher ce que le mari a pu savoir ou ignorer, que
ce que la femme a voulu lui cacher, puisqu’il s’agit uni
quement de déterminer la signification morale et inten
tionnelle du secret dont elle a voulu entourer sa ma
ternité;
�2 14
TRAITE
* Attendu que si la femme qui dissimule sa gros
sesse à son mari encourt le juste soupçon de la loi, en
commençant ainsi un système de recel, incompatible
avec le sentiment de ses devoirs, il ne s’ensuit pas tou
jours que cette dissimulation doive suffire pour cons
tituer le recel de la naissance ; qu’ainsi les consé
quences de cette dissimulation peuvent être écartées
lorsque la femme, par une révélation loyale et sincère
de son état, faite en temps opportun au mari, efface les
soupçons et les doutes qui s’attachaient à son silence;
mais qu’il en est autrement lorsqu’à la place d’une ré
vélation sincère et spontanée, se produit un aveu inté
ressé, calculé, déloyal, et qui, au lieu d’être une pro
testation contre le passé, devient, au contraire, la con
tinuation, la confirmation du recel de la grossesse et
met encore plus à nu la pensée coupable qui y a pré
sidé. 1
369. — Il résulte de cette doctrine que le recel de
la grossesse équivaut, quant au désaveu, au recel de la
naissance. Mais, ainsi qu’on le faisait observer dans l’es
pèce jugée par la Cour de cassation, la grossesse est,
pendant longtemps, pour la plupart des femmes, un fait
incertain et ignoré. Aussi n'admet-on pas qu’il y ait né
cessairement fraude, par cela seul qu’elle n’a pas été
déclarée. La femme sera toujours admise à expliquer,
à justifier les causes de son silence, et sa dissimulation
ne motivera le désaveu que lorsque les tribunaux seront
' Dalloz, 1850, 1, 5.
�DU DOL E T
DE
LA F R A U D E .
215
convaincus de la déloyauté qui y a présidé. Cette délo
yauté admise dans l’origine, il ne dépendra plus de la
femme d’empêcher le désaveu et de consacrer, au gré
de son caprice, la légitimité de l’enfant dont elle a d’a
bord tacitement reconnu l’illégitimité.
870. — Les termes de l’article 313 conduisant à
cette conséquence que l’articulation des faits n’est exi
gée qu’après la décision affirmative sur l’adultère suivi
du recèlement, faut-il en conclure que l’action en dé
saveu ne sera recevable qu’autant qu'il y aura à cet
égard chose jugée ?
L’affirmative absolue a été soutenue sur le motif que
la loi n ’admet la faculté de désavouer qu’en supposant
a priori l’existence de l’adultère et le recèlement de
la naissance. Cette existence est donc la condition in
dispensable de l’action en désaveu; conséquemment,
tant qu’elle n’est pas acquise, le désaveu n’est pas rece
vable. On invoque à l’appui de cette doctrine les paro
les de M. Duveyrier exprimant le vœu du tribunat : Un
ne pouvait refuser au mari, qui a d é j à , prouvé le crime
de sa femme et le mystère dont elle a enveloppé le
fruit de son crime, la faculté d’offrir à la justice les
autres preuves qui peuvent compléter la démonstration.
871. — La Cour de cassation a cependant jugé, et
selon nous avec raison, que la recevabilité du désaveu
ne saurait être subordonnée au jugement préalable de
l’adultère. Mais cet arrêt, rendu le 8 juillet 1812, va
plus loin encore, il considère l’adultère comme la con-
�216
TR A IT É
séquence naturelle du recèlement de la naissance, soit
de l'admission du désaveu. Il consacre donc que la
seule chose à prouver par le mari, c’est le recèlement
de la naissance.
Cette doctrine nous paraît inconciliable avec le texte
de l’article 313. Evidemment ce texte clair, précis et
formel ne s’occupe du recèlement de la naissance que
dans le cas d’adultère acquis, ce n’est qu’alors que
cette circonstance devient significative. En d’autres
termes, ce texte se résume dans cette proposition : pour
que le recèlement de la naissance signifie que l’enfant
est le produit d’un crime, il faut avant tout qu’on prou
ve qu’un crime a existé.
872.
— Cette interprétation découle logiquement
des discussions législatives dont l’article 313 a été
l’objet. « L’accouchement d’une femme, dit M. Rœde« rer, et l’éducation de son enfant à l’insu de son mari
« ou loin de ses yeux, ne peuvent être une preuve,
« pas même un commencement de preuve que le mari
« n’est pas le père de l’enfant. Un mari violent, qui
soupçonnera un commerce clandestin entre sa femme
« et un amant, pourra la menacer des plus redouta« blés traitements, si elle devient grosse dans le temps
o sur lequel porte ses soupçons, cependant elle est
« grosse au moment de ces menaces; son mari s’ab« sente pour services publics ou pour affaires particu« lières, elle, intimidée, cache son accouchement, le
« dérobe à la connaissance de son m ari, quoique
« l’enfant puisse être de lui comme de l’amant, ou de
�I)U DOL E T
DE
211”
LA F R A U D E .
lui seul, la jalousie seule ayant vu un amant clans
« l’homme qui n’était qu’un ami. ï
À cette supposition M. Rœderer en ajoute une se
conde, celle où le mari se croyant trompé, ou sachant
l’être, dirait à sa femme : l’enfant dont tu es enceinte
n’est pas de moi, il faut que tu te gardes de le laisser
jamais paraître à mes yeux; et, comme on s’armait de
l’autorité de Cochin pour contester une pareille suppo
sition, M. Rœderer répondait par ces paroles de d’A
guesseau : Un père peut très bien désavouer son propre
enfant, et vouloir venger sur le fils l’affront qu’il a
reçu de la mère.
Ces considérations ont-elles été sans influence sur
la rédaction de l’article 315? Il serait permis de le
croire, si les termes dans lesquels cet article est conçu
ne donnaient pas la preuve du contraire; si, après ces
discussions, on n’avait pas insisté sur la nécessité de la
preuve préalable de l’adultère. Nous avons déjà rappelé
les paroles de l’orateur du tribunat. Voici maintenant
celles de Bigot de Préameneu, exposant les motifs de la
loi : Comment repousser un mari qui, a y a n t f a i t d é
c la r e r
s a
f e m m e
a d u l t è r e , ayant ignoré quelle eût
un enfant, verrait après coup, et peut-être après la mort
de sa femme, cet enfant se présenter comme étant né de
son mariage.
Ainsi, partout la même explication, la même exi
gence : l’adultère de la femme suivi du recèlement de
la naissance. Loin donc que ce recèlement implique
comme conséquence la certitude de l’adultère, il faut
avouer qu’aux yeux du législateur cette circonstance
h
ii
dO
�218
t r a ite
tire son principal caractère de l’adultère lui-même. Ce
lui-ci prouvé, il y a entre le recèlement et lui une liai
son intime, directe, significative. On peut alors dire
avec juste raison : Posl hoc ergo propter hoc. Le recè
lement sans la preuve de l’adultère n’est plus qu’un fait
grave sans doute, mais qui n’a pas une signification
bien précise. Il peut tenir à l’une des causes indiquées
par M. Rœderer, il peut encore n’être que le produit
d’une coupable affection, qui, pour ne pas diminuer la
fortune des enfants déjà nés, n’aura pas reculé devant
une odieuse suppression de part.
Tout cela peut paraître difficile à admettre, mais il
suffisait d’une probabilité pour que le législateur dût
s’entourer des plus rassurantes précautions. Or, la pre
mière et la plus simple de toutes, était d’exiger la
preuve de l’adultère, avant d’assigner cette cause à
la paternité de l’enfant. Il n’est, pas exact de dire que la
preuve de l’adultère peut résulter et résulte même né
cessairement du recèlement de la naissance. Cette
preuve doit toujours être produite. ' Que la justice soit
moins difficile sur les éléments qui doivent la cons
tituer, alors que le recèlement de la naissance en four
nit déjà une présomption , cela se comprend , mais
proclamer toute autre preuve inutile en présence de ce
recèlement, c’est méconnaître, à notre avis, le texte et
l’esprit de la loi.
873- — Si nous nous écartons en ce point de l’arrêt
1 Merlin, v° légitimité, seet. 2, § 2, n° 5; —Touiller, t. u , n“ 812.
�DU DOL E T
DE LA F R A U D E .
210
de la Cour de cassation, nous nous réunissons entière
ment à sa doctrine, quant à l’effet de la constatation
judiciaire de l’adultère, sur la recevabilité du désaveu.
En effet, faire dépendre cette recevabilité de la chose
jugée sur l’adultère, serait ne tendre à rien moins qu’à
rendre souvent tout désaveu impossible.
Le mari peut n’être mis sur la voie de l’adultère que
par la découverte de l’enfant. Son désaveu doit être
formulé dans les deux mois de cette découverte, à peine
de déchéance. Comment donc pourrait-il échapper à
cette déchéance, s’il est obligé de faire d’abord judiciai
rement constater l’adultère? Cette constatation verra
s’écouler les deux mois que la loi lui accorde, de telle
sorte qu’au moment où il lui serait permis d’agir, il ne
pourra plus le faire. Ainsi interprétée, la loi serait évi
demment absurde et injuste.
Tout commande donc au mari qui s’y croit fondé
d’introduire l’action en désaveu immédiatement après
la découverte de l’enfant. Cette action intentée, il doit:
ou, comme le veut M. Valette, 1prouver d’abord l’a
dultère et le recèlement de la naissance, et faire ensuite
statuer sur le désaveu; ou, comme l’enseignent divers
arrêts, et notamment celui rendu par la Cour de cassa
tion le 25 janvier 1851, faire marcher de front la preuve
de l’adultère, celle du recèlement et celle des faits pro
pres à établir qu’il n’est pas le père de l’enfant. Quoi
que le mode indiqué par M. Valette nous paraisse plus
juridique, plus conforme au texte et à l’esprit de l’arti1 Sur Proudlion, tom. u, pag. 32.
�220
TRAITÉ
cle 513, nous ne voyons dans le second aucun incon
vénient de nature à en commander le rejet.
874. — L’action en désaveu est personnelle au
mari, de telle sorte que, lui vivant, personne autre n’est
recevable à rompre le silence qu’il s’imposerait luimême. Arbitre suprême de la conduite de sa femme,
l’approbation même tacite qu’il lui donne met celleci à l’abri de toute attaque : Probatam enim a merito
uxorem, et quiescens malrimonium, nemo debet alias
tarbare alque inquielare. 1 C’est dans ce sens que le
droit accordé au mari ne constitue qu’une simple faculté
dont il lui est toujours loisible de ne pas user. Seul et
unique juge des intérêts, des besoins et de l’honneur
de la famille, il prononce souverainement à l’encontre
de tous, il peut connaître la faute, mais il peut vouloir
l’ignorer et la cacher, à lui donc le droit de punir, le
droit de se venger, mais à une condition : c’est de n ’être
pas privé du droit de pardonner ; 2le pardon qu’il ac
corderait assurerait la légitimité de l’enfant.
875. — Le silence gardé par le mari suppose dans
tous les cas ce pardon. Conséquemment il éteint l’ac
tion que nul ne peut plus intenter à l’avenir, mais, pour
produire cet effet, ce silence doit s’être prolongé audelà du délai accordé par la loi pour l’exercice du dé
saveu. Tant que ce délai n’est pas expiré, le silence
1 L. 26, Dig. ad Lcgem Juliam de adu.
* Martin de Strasbourg, Mémoire pour l’affaire Hermann.
�DE
__________ _
DU DOL E T
LA F R A U D E .
peut être rompu et, si le mari meurt en cet état, l’action
en désaveu est au nombre de celles que ses héritiers
sont appelés à recueillir et qu’ils ont dès-lors qualité
pour poursuivre. C’est ce qui est textuellement édicté
par l’article 517 du Code civil.
La personnalité de l’action ne cesse donc que dans
le cas de mort avant l’épuisement du délai que la loi
donne au mari pour réaliser le désaveu. Le mari n’a
pas définitivement pardonné tant qu’il peut encore re
clamer; en cet état, ses héritièrs deviennent à leur
tour les arbitres de l’opportunité d'une action à laquelle
ils peuvent avoir un immense intérêt.
876- — Les héritiers dont parle l’article 317 sont
aussi bien les héritiers testamentaires que les héritiers
légitimes. Les uns et les autres sont également les re
présentants du défunt, jouissant des mêmes prérogati
ves, soumis aux mêmes obligations ; ils sont donc éga
lement admissibles à poursuivre le désaveu. Cette fa
culté n’étant attachée qu’à la qualité d’héritier, il est
certain que celui qui, appelé à la succession, y aurait
renoncé, ne pourrait plus prétendre à l’exercer.
Il résulte encore des termes de l’article 317 que
l’action en désaveu appartient exclusivement aux hé
ritiers du mari. En effet la femme , quelqu’intérêt
qu’elle eût d’ailleurs à le faire, ne saurait être admise
à désavouer l’enfant qu’elle aurait elle-même fraudu
leusement introduit dans la famille : ISemo auditur turpitudinem suam allegans. Ses héritiers ne pourraient
donc trouver dans sa succession une action qui n’a
É
; •I l
�222
TRAITE
jamais existé. A cette raison légale s’ajouterait un motif
d’honnêteté publique. Comment concéder à l’héritier
de la femme une faculté dont l’exercice déshono
rerait celle dont il tient ses droits et ajouterait ainsi le
scandale à l’immoralité ?
877. — Ainsi les héritiers du mari ont seuls qualité
pour désavouer l’enfant se prétendant issu du mariage
entre sa mère et leur auteur. Ce droit est subordonné
à la mort de celui-ci avant l’expiration des délais pen
dant lesquels il peut réaliser lui-même l’action. La
mort survenue après l’expiration de ces délais a éteint
l’action qui n’a pu ainsi se transmettre aux héritiers. La
légitimité de l’enfant est donc inattaquable. Tant que le
mari est vivant, nul autre que lui ne peut désavouer
l’enfant, l’action lui étant exclusivement personnelle,
puisque seul il peut en apprécier exactement l’oppor
tunité et la justice.
C’est par application de ce principe qu’on doit ré
soudre deux questions fort importantes en matière de
désaveu. L’héritier présomptif envoyé en possession
provisoire des biens de l’absent, le tuteur du mari in
terdit, pourra-t-il désavouer l’enfant qui se prétend issu
du mariage.
878. — Merlin, qui ne voit aucun doute possible sur
le droit du tuteur de l’interdit, enseigne également
l’affirmative sur la première question. Le jugement,
dit-il, qui envoie l’héritier présomptif en possession des
biens de l’absent, lui en transfère de plein droit l’admi-
�DU DOL
ET
DE LA
FRAUDE.
223
lustration ; et qu’entendent les articles 120 et 125 par
biens? Ce ne sont pas seulement les objets corporels
dont se compose la fortune de l’absent, ce sont aussi
tous les droits incorporels ; ce sont par conséquent aussi
toutes les actions qu’il pourrait exercer lui-même s’il
était présent, et, par une conséquence ultérieure, c’est
aussi l’action par laquelle, s’il était présent, il pourrait
désavouer l’enfant conçu par sa femme à une époque
où, par son éloignement, il était dans l’impossibilité
physique de cohabiter avec elle.
Qu’importe, continue Merlin, que l’envoyé en pos
session provisoire des biens de l’absent ne soit ni phy
siquement le même que lui, ni son héritier? L’absence
de cette qualité ne lui enlève aucuns des droits qui y
sont attachés (moins celui d’aliéner ou d’hypothéquer),
comme il en supporte aussi toutes les charges, comme
il est obligé, aux termes de l’article 154 du Code civil,
de défendre à toutes les actions intentées contre lui. Ce
n’est pas to u t, par cela seul qu’il est saisi de la posses
sion de tous les biens de l’absent, il a nécessairement
qualité pour repousser toutes les prétentions qui ten
draient à l’en dépouiller par une autre voie que celle
indiquée par l’article 151, c’est-à-dire par la preuve de
l’existence de l’absent.
Répondant à l’argument tiré des articles 512 et 517,
qui ne désignent comme capables de désavouer que le
mari ou ses héritiers, Merlin soutient que cela ne peut
s’entendre que de l’enfant né pendant le mariage. Or,
on ne pourrait considérer comme tel, celui qui est né
trois cents jours après la disparition ou les dernières
�T II Aï T E
nouvelles de l’absent, à moins qu’il ne prouvât l’exis
tence du mari au moment de la conception. En effet,
l’absent n’étant, lors de l’envoi en possession p ro
visoire, réputé ni mort ni vivant, c’est à ceux qui ré
clament des droits sur le fondement de son existence
à rapporter la preuve de l’une ou de l’autre.1
879.
— Malgré la juste autorité depuis longtemps
acquise au célèbre jurisconsulte dont nous venons
d’analyser l’opinion, il nous est impossible d’admettre
sa doctrine dans toute son étendue. A nos yeux, l’en
voyé en possession provisoire n’est qu’un mandataire
qui sera peut-être définitivement exclu de la succession
de l’absent. Il n’est momentanément appelé que dans
la supposition que celui-ci est réellement mort au mo
ment de la disparition ou des dernières nouvelles. Mais
cette supposition n’est pas consacrée par la loi comme
l’expression de la vérité, d’où la conséquence, en vertu
du principe même consacré par M. Merlin, que toutes
les fois que le droit que veut exercer l’envoyé en pos
session provisoire suppose la mort réelle de l’absent,
il devra justifier cette mort qui seule lui en rendra
l’exercice possible.
Jusqu’à cette preuve, la qualité de l’envoyé en pos
session provisoire reste problématique et incertaine, on
ne sait pas même s’il sera ou non héritier. Comment,
d ès-lo rs, l’autoriser à intenter l’action en désaveu
sans oublier les considérations si puissantes qui ont
Quest. de droit, v°. légitimité, § 5.
�DU DOL E T
DE LA F R A U D E .
225
fait concentrer cette action sur la tête du mari, tant
qn’il est vivant? Il est évident, en effet, que l’héritier
présomptif n’aura pas les mêmes motifs pour agir, dans
la poursuite du désaveu, avec la prudente circonspec
tion que le mari y apportera. Il sacrifiera tout à son in
térêt du moment, sans se préoccuper de l’honneur de
la femme, des droits de l’enfant, que le mari, que les
héritiers définitivement appelés n’auraient peut-être
jamais attaqués.
Il est vrai, comme le remarque Merlin, que le juge
ment qui aura admis le désaveu ne sera pas obliga
toire, en ce sens que le mari à son retour, que les héri
tiers à l’époque de son décès pourront en répudier le
bénéfice. Mais le scandale n’en aura pas moins été pro
duit, la femme et l’enfant n’en resteront pas moins
flétris aux yeux du public, et cela parce qu’un parent
avide aura été momentanément chargé de la gestion
de biens auxquels il doit, en dernier résultat, demeurer
étranger.
Il n’a donc pu être dans la pensée de la loi d’armer
le provisoire de la faculté de prendre des mesures ayant
un tel caractère de perpétuité contre les personnes. La
preuve la plus décisive, c’est qu’elle refuse tout ce qui
aurait, ce caractère à l’endroit des biens. Elle en confie
l’administration, mais à la charge de faire inventaire,
de donner caution, de rendre compte; mais elle prohibe
toute aliénation par vente ou hypothèque; enfin, et
quant aux actions actives, elle ne permet pas à l’héri
tier présomptif d’intenter les actions immobilières et
�22(5
TRA ITE
de transiger sur les actions mobilières, sans en avoir
obtenu préalablement l ’autorisation.1
Le véritable caractère d’une pareille administration
est facile à déterminer, c’est un dépôt accompagné
d’un mandat légal. Sans doute, et contrairement à ce
qui se réalise dans l’un et dans l’autre contrat, l’envoyé
en possession provisoire fait sien une partie des fruits
des biens qu’il administre. Mais cette dérogation, d’ail
leurs formellement écrite dans la lo i, est toute dans
l’intérêt de l’absent. Qui aurait osé obtenir l’envoi en
possession, si dix ans ou vingt ans après, l’absent re
paraissant, on eût été obligé de lui restituer avec le ca
pital, la totalité agglomérée des revenus consommés
année par année et quelquefois sans trop d’avantages et
de profits?
L’héritier présomptif n’a donc en réalité qu’un man
dat salarié et restreint. Il administre les biens qu’il re
çoit en dépôt, en attendant l’événement du décès de
l’absent. Il n’est donc pas cet héritier dont parle l’ar
ticle 317, et qui, à la tôte de l’hérédité, en dispose à sa
libre volonté, sans restrictions et sans contrainte. Celuici est, pour tous les droits afférant au défunt, ce qu’était
le défunt lui-même. On ne peut donc accorder au pre
mier une faculté limitativement réservée au second.
Mais, dit Merlin, l’article 317 ne concerne que l’en
fant né pendant le mariage; or, on ne pourrait considé
rer comme tel celui qui est né trois cents jours après la
1 De Plasman et Moly , des Absents. ; — Proudhon et Touiller»,
même litre.
�DU DOL E T
DE
LA
FR A U D E .
227
disparition ou les dernières nouvelles. Merlin a raison.
Mais la question qui nous occupe ne pourra jamais
naître à l’occasion d’un enfant né dans cette dernière
hypothèse.
En effet, l’article 120 appelle à la possession provi
soire des biens de l’absent l’héritier présomptif au jour
de la disparition ou des dernières nouvelles. Cela posé,
de deux choses l’une : l’acte de naissance de l’enfant
place sa conception à une époque antérieure ou posté
rieure au jour de la disparition ou des dernières nou
velles.
Dans le premier cas, l’enfant est le seul héritier pré
somptif pouvant et devant obtenir l’envoi en posses
sion. Or, comme il est reconnu qu’en cette matière les
jugements n’acquièrent jamais force de chose jugée
contre les parents plus rapprochés que celui qui les a
obtenus, il suit que, dans notre hypothèse, l’enfant ob
tiendrait l’envoi en possession sans être obligé d’atta
quer et de faire rétracter la décision déjà rendue et
conférant cette possession à un parent collatéral. Celuici ne pourrait empêcher ce résultat qu’en désavouant
l’enfant. Mais celte action de sa part suppose le décès
du père sur lequel elle est uniquement fondée. Dès-lors
il doit, pour être recevable, prouver ce décès en vertu
du principe admis par Merlin, que, lors de l’envoi en
possession provisoire, l’absent n’étant réputé ni mort ni
vivant, c’est à celui qui réclame un droit sur le fonde
ment de sa mort ou de son existence à prouver l’une ou
l’autre.
Dans le second cas, l’enfant non encore conçu au
�228
TRAIT E
jour de la disparition ou des dernières nouvelles, n’é
tait pas à cette époque l’héritier présomptif. Il ne peut
donc pas obtenir l’envoi en possession provisoire. Le
collatéral qui a requis cet envoi qui lui a été accordé, ou
qui le demande en sa qualité d’héritier présomptif, doit
être préféré à l’enfant, sans qu’il ait besoin de le désa
vouer.1 Celui-ci ne pourrait empêcher cette préférence
qu’en justifiant de l’existence de l’absent au moment de
sa conception ; et, comme sa prétention repose unique
ment sur celte existence, il serait dans la nécessité d’en
fournir la preuve préalable, en vertu du principe que
nous rappelions tout à l’heure.
Le nécessité pour le collatéral de désavouer l’enfant
ne naîtrait qu’après que cette preuve aurait été fournie.
Mais alors aussi naîtrait pour lui l’obligation de prou
ver le décès, puisque c’est par l’événement de celui-ci
que le désaveu deviendrait recevable.
Voilà les conséquences seules vraies, seules logiques,
que la règle invoquée par Merlin puisse et doive en
traîner. Ainsi appliquée, cette règle concilie parfai
tement les droits de chacun avec le caractère essen
tiellement personnel de l’action en désaveu. Dès-lors
tombent les objections que-ce jurisconsulte éminent
fait contre les conséquences de cette personnalité, et,
avec ces objections l’opinion qu’elles avaient pour ob
jet de faire prévaloir.
880. — L’envoyé en possession provisoire ne peut
4 Cass., 5 décein. 1834.
�nu
DOL
ET
DE LA F R A U D E .
229
donc pas désavouer l’enfant tant qu’il n’a pas prouvé la
mort de l’absent. Le droit que nous contestons à cet
héritier, nous le refusons également au tuteur de l’in
terdit. La doctrine contraire, admise par Merlin, sans
développements, sans discussion, nous paraît devoir,
dans son principe et dans ses conséquences, conduire à
des résultats véritablement monstrueux.
En effet, reconnaître au tuteur de l’interdit la faculté
de désavouer l’enfant né pendant le mariage de celuici, c’est étendre singulièrement les pouvoirs que la loi
lui confie, c’est méconnaître le véritable caractère de
l’action en désaveu.
Vainement, dit-on, que l’article 450 investit le tuteur
de la faculté d’exercer tous les droits que le pupille
pourrait exercer lui-même. Cela ne peut s’entendre
que des droits qui peuvent être légalement accomplis
par un représentant, et qui ne se placent pas dans la
catégorie de ceux que l’interdit pourrait seul exercer.
Ainsi personne ne s’avisera de soutenir que le tuteur
peut se marier pour le pupille, tester pour lui, faire une
donation, adopter, reconnaître un enfant naturel, ni
être tuteur ou membre d’un conseil de famille auquel
le pupille serait appelé.
Or, tout cela, celui-ci le pourrait s’il était inteqri sta
tus. Donc, il ne suffit pas que l’interdit ait le droit de
faire un acte quelconque pour que le tuteur puisse
l’exécuter en son nom. L’argument tiré de l’article 450
ne résout donc pas la question, cette disposition ne
s’appliquant, de près ni de loin, aux actes tellement
attachés à la personne, que cette personne est seule
�230
TRA ITE
capable de les exécuter. Tout ce qui tient à l’état de la
famille rentre nécessairement dans cette catégorie. Or,
le désaveu intéresse essentiellement celle-ci. Donc le
pupille peut seul l’exercer comme il pourrait seul adop
ter, reconnaître un enfant naturel, se marier, poursui
vre la séparation de corps ou le divorce.
Dans ses conséquences, le désaveu de la part du tu
teur amènerait à des résultats quelquefois iniques. Re
marquons d’aboi'd que la chose jugée contre le tuteur
ou en sa faveur, nuit ou profite au pupille, de telle sorte
que l’enfant déclaré illégitime, sur la poursuite du pre
mier, serait à tout jamais rejeté de la famille. Il ne se
rait donc pas permis au père, revenu à la raison, de
réclamer comme sien l’enfant qui lui appartiendrait
réellement, et dont il avouerait la paternité; l’enfant
qui, dans ses moments lucides, avait peut-être été sa
joie, sa consolation, et l’on ne reculerait pas devant
une pareille éventualité? Et l’on encouragerait ainsi un
intérêt sordide à se substituer à des droits légitimes en
exploitant avec habileté le mystère de la naissance de
l’enfant, rendu plus impénétrable par l’infirmité du
père? Ainsi, cette infirmité même sera un péril pour
l’enfant, car il ne pourra interroger des souvenirs et
des impressions qui, s’ils se fussent produits, auraient
été pour lui la plus utile défense.
Ce serait donc contrairement à la justice, à l’équité,
à l’intérêt même de l’interdit qu’on confierait à son
tuteur le droit de désavouer l’enfant. Le père pourrait
voir, malgré sa volonté, son propre fils injustement
dépouillé de son droit, sa fortune passer à un avide
�DU DOL
ET
DE LA F R A U D E .
231
collatéral, son honneur compromis, celui de sa femme
perdu et tout cela lorsque la loi lui confie la mission de
pouvoir se taire, le droit sacré de pardonner, lorsque
seul il est en état d’apprécier non-seulement la conve
nance et l’opportunité, mais encore la portée morale du
désaveu.
Nous n’hésitons pas, quant à nous, à refuser cette ac
tion au tuteur; nous ne pensons pas qu’on puisse subs
tituer à la juste appréciation du mari une appréciation
manquant de bases et souvent trop intéressée. La raison
légale qui nous détermine et qui vient à l’appui des con
sidérations morales qui précèdent, c’est que l’action en
désaveu est une faculté plutôt qu’un véritable droit, et
que si le tuteur peut faire valoir ceux-ci, il n’a aucune
qualité en présence d’une faculté exclusivement atta
chée à la personne du pupille.1
881. — Cette doctrine n’a pas cependant prévalu
devant la Cour de cassation. Un arrêt de la Cour de
Colmar, la consacrant, a été cassé le 2 4 juillet 1844. 1
Nous avons mûrement examiné les motifs de la Cour de
cassation et, nous osons le dire, ils ne nous paraissent
pas de nature à infirmer les hautes et puissantes consi
dérations sur lesquelles la Cour de Colmar étayait sa
décision.
882. — Ce qui semble préoccuper la Cour suprême,
c’est la disparition de la preuve dans le temps que dure
1 Colmar, 21 janvier 1841 ;— Zacchariæ, tom. ni, p. 643.
’ Journal du palais, lom. n, 1844, p. 563.
�TRAITE
232
l’interdiction. C’est là, sans doute, un inconvénient
qu’il faut bien subir, si, en définitive, la loi ne permet
pas de l’éviter. Or, cette prohibition résulte de la na
ture de l’action qui n’a été donnée au mari lui-même
qu’à regret; elle résulte de la force des choses, si la po
sition seule du mari ne lui permet pas d’agir avant la
levée de l’interdiction. Cet inconvénient a d’ailleurs
excité l’attention du législateur, c’est M. de Malleville
qui nous l’enseigne;1 et si, l’ayant aperçu, il n’a rien
fait pour y remédier, c’est évidemment qu’il ne l’a pas
jugé suffisant pour autoriser une exception à la néces
sité de rendre l’action personnelle au mari. Admettre
cette exception, c’est donc aller au-delà de sa volonté.
De quel poids d’ailleurs peut paraître cet inconvé
nient, à côté de ceux bien autrement graves qu’il y au
rait à conférer l’action en désaveu à un tiers étranger
aux détails intimes de la vie de famille? « L’époux seul,
dit la Cour de Colmar, peut faire connaître au juge
la pensée qui lui est propre, les graves et impérieux
motifs (motifs qui ne peuvent être qu’exclusivement
personnels) du juste ressentiment qui a déterminé son
action; de même aussi que c’est à lui seul que peuvent
s’adresser utilement et fructueusement, de la part de
l’épouse et de l’enfant, des appels à ses souvenirs, à sa
mémoire, à sa conscience, aussi bien qu’à des affections
ou des sentiments qui n’abandonnent jamais entière
ment le mari qui se croit outragé, alors encore qu’il
sollicite les sévérités de la justice; appels qui, s’ils
1 Analyse du Code civil, art» 216,
«i
�d u
DOi,
e t
D
e
l a
f r a u d e
.
'
233
étaient entendus, mettraient à l’instant un terme à une
lutte toujours douloureuse, tandis que, adressés à un
tiers étranger à la vie intimé des époux, à l’intérieur de
la famille, guidé souvent par des influences qui peuvent
ne pas être désintéressées, ils ne sauraient produire
aucun résultat, celui-ci ne pouvant pas même y ré
pondre. »
Ainsi, la femme sera fatalement déshonorée, l’enfant
sera inévitablement adultérin, parce qu’ils n’auront pu
faire un appel à la mémoire, au souvenir, à la cons
cience de leur époux et père ; parce qu’au lieu d’un
contradicteur pouvant reconnaître son erreur ou re
courir à l’indulgence, la loi leur aura donné pour ad
versaire un tiers qui ne pourrait, alors qu’il serait porté
à le vouloir, reconnaître l’exactitude, la sincérité des
faits au témoignage desquels ils en appelleront; et c’est
à cela qu’aboutiront, en définitive, les précautions dont
la loi a cru devoir entourer l’exercice de l’action par le
mari lui-même? Nous ne saurions l’admettre.
Mais, dit la Cour de cassation, l’action n’est pas ex
clusivement personnelle au mari, puisque ses héritiers
pourront l’exercer. Mais, pour qu’il en fût ainsi, il a fallu
que l’article 317 s’en expliquât formellement, ce qui
prouve la personnalité de l’action, puisque, si elle
n’avait pas eu ce caractère, le droit des héritiers n’au
rait pas eu besoin d’être inscrit dans la loi d’une ma
nière spéciale. Les principes généraux suffisaient. Nui
ne contestera jamais la faculté pour l’héritier d’exercer
les actions appartenant à son auteur.
L’article 317 conduit donc à cette conséquence que
�234
TRA ITÉ
le principe général étaitsans application au désaveu, et,
par là, à la reconnaissance formelle de la personnalité de
Faction. C’est par pure exception à cette personnalité
que ce même article confère, dans certains cas, aux hévitiers l’exercice de cette action, et ce caractère excep
tionnel de cette disposition suffît pour qu’on la res
treigne dans ses limites naturelles. La loi, n’appelant
que les héritiers, refuse, par cela même, cette faculté
aux représentants du mari autres que ces héritiers euxmêmes. Loin donc de voir dans l’article 517 la preuve
que le tuteur a le droit de désavouer, on doit y voir le
refus formel en ce qui le concerne : Qui dicit de uno, de
allero negat.
Nous ne pouvons donc pas considérer l’arrêt du
24 juillet comme le dernier mot de la Cour de cas
sation. La Cour de Colmar avait, elle aussi, débuté par
reconnaître le droit du tuteur qu’elle avait sanctionné
par arrêt du 17 février 1852. Mais elle est depuis re
venue de cette jurisprudence. La Cour de cassation
suivra-t-elle cet exemple? C’est une question qu’il n’ap
partient qu’à ses profondes lumières et sa haute indé
pendance de résoudre.
885- — Les fins de non-recevoir que l’enfant pour
rait opposer au mari sont opposables aux héritiers.
Ainsi, l’aveu de la paternité, la connaissance de la
grossesse avant le mariage, l’assistance à l’acte de
naissance, ferait repousser l’action des héritiers comme
celle du mari lui-même. Bien entendu que tous ces faits,
que la connaissance de la naissance de l’enfant ne sau-
�DU DOL E T
DE LA F R A U D E .
235
raient utilement être invoqués que si on pouvait les
attribuer au père. Tout ce qui ne ferait qu’indiquer im
plicitement la paternité, notamment la connaissance
de la grossesse, celle de la naissance, qu’on imputerait
à l’héritier, serait complètement indifférent.
884. — Mais il en serait autrement des circons
tances personnellement imputables à celui-ci et d’où
résulterait de sa part la reconnaissance de la qualité
d’enfant légitime. Cette reconnaissance créerait une fin
de non-recevoir contre tout désaveu ultérieur. C’est
dans ce sens que la Cour de Montpellier a repoussé l’ac
tion de collatéraux qui, ayant concouru à un conseil de
famille assemblé dans l’intérêt de l’enfant, avaient en
suite voulu le désavouer. 1
885- — L’action en désaveu par le père doit être
intentée dans le mois de la naissance, s’il est présent sur
les lieux ; dans les deux mois du retour, s’il était absent
lors de l'accouchement. Par l’absence, la loi entend ici
la non-présence du mari sur les lieux, quel qu’en ait été
le motif, tout comme le retour, faisant courir le délai de
deux mois, est la rentrée du mari aux lieux habités par
la femme et non pas la réintégration du territoire de la
France après un séjour en pays étanger. 2
C’est aussi un délai de deux mois qu’on accorde au
mari dans le cas de recèlement de la naissance, et ce
1 4 février 1824.
’ Paris, ü avril 1851.
�236
TRA ITE
délai ne commence à courir que du jour de la décou
verte de la naissance frauduleuse et de l’existence de
l’enfant. La détermination de ce point de départ n’est
que la juste conséquence de la règle contra non valenlem agere, non currit prescriplio. Quelque faveur
que mérite la fixité de l’état de famille, on ne pouvait
consacrer en faveur de l’enfant la faculté de prescrire
contre le mari un droit dont celui-ci ne pouvait même
soupçonner l’existence. Il était facile de prévoir que
dans tous les cas on s’arrangerait de manière à ce qu’il
ne le connût qu’après l’époque où il aurait pu l’exer
cer; et c’est ce qu’il importait de prévenir.
De là cette autre conséquence, que l’interdiction du
mari le plaçant dans une impossibilité légale d’agir, le
délai de deux mois ne commencera à courir contre lui
qu’à partir du jour de la levée de l’interdiction.
886- — La mort du mari avant l’expiration du délai
qui lui est accordé confère à ses héritiers le droit de dé
savouer l’enfant. Ces héritiers ne jouissent pas seule
ment du temps qui restait à courir lors de la mort de
leur auteur, ils ont un délai qui leur est propre et per
sonnel, et dont la durée est de deux mois.
887.
— Mais le point de départ de ce délai varie
selon qu’à la mort du mari l’enfant a pris ou non pos
session de l’hérédité. Dans le premier cas, les héritiers,
empêchés d’user de leur droit, sont en demeure de
le faire valoir immédiatement. Les deux mois courent
donc du jour de la mise en possession.
�D ü DOL
E T DE
LA
FRAUDE.
237
Ils courent du jour de la réclamation de l’enfant, si
les héritiers en possession de l’hérédité sont troublés
dans cette possession par cette réclamation. Le silence
qu’ils ont gardé jusqu’à ce moment peut n’être que le
résultat de l’ignorance de l’existence de l’enfant, dont
ils ne sont d’ailleurs jamais tenus de provoquer l’action.
Mais le trouble se réalisant, et l’enfant ayant manifesté
ses prétentions, le silence n’est plus permis. Il y a in
térêt et dès-lors devoir à agir. La méconnaissance de
ce devoir pendant plus de deux mois rend non-rece
vable toute action ultérieure.
Notons que par trouble à la possession, la loi entend
non une prétention verbale plus ou moins publique
ment affichée, mais tout acte sérieux par lequel l’en
fant, sans réaliser encore son action, annonce l’inten
tion formelle de l’intenter. Ainsi, le délai de deux mois
aurait un point de départ incontestable non-seulement
dans l’assignation donnée à la requête de l’enfant afin
de restitution de l’hérédité, mais encore dans l’acte
extrajudiciaire par lequel il signifie qu’il va se pour
voir. 1
888.
— Les exigences de la loi relativement au dé
lai sont pleinement satisfaites, lorsque, dans la durée de
celui qui leur est imparti, le mari ou ses héritiers ont
notifié le désaveu par acte extrajudiciaire. Mais, aux ter
mes de l’article 518, cet acte doit être suivi, à peine de
nullité et de déchéance, d’une action en justice intentée
1 Cassation, 21 mai 1817 et 31 décembre 1834; — Orléans, 6 lé
vrier 1818; — Agen, 28 mai 1821.
�238
TR A IT E
dans le mois de sa date. L’omission de cette formalité
assurerait la légitimité de l’enfant et rendrait le désaveu
comme non avenu. Toutefois, le délai accordé par l’ar
ticle 518 ne peut jamais restreindre celui accordé par
les articles précédents. Il n’est, à proprement parler,
qu’un délai supplémentaire. Conséquemment, son ex
piration n’entraîne réellement la déchéance que si elle
coïncide avec celle des délais prescrits par les arti
cles 516 et 517. Tant que ceux-ci ne sont pas écoulés,
le désaveu peut être porté en justice malgré qu’il ait
été annoncé par un acte extrajudiciaire signifié depuis
plus d’un m ois.1
889.
— L’enfant est le défendeur principal au dé
saveu; c’est donc contre lui que l’action doit être in
tentée et poursuivie. D’autre part, la mère est aussi une
partie essentielle sans la présence de laquelle il serait
impossibe de poursuivre le désaveu. Seule, elle pourra
fournir tous les renseignements tendant à fixer l’ap
préciation des magistrats. Elle doit donc être appelée
dans l’instance, où elle a d’ailleurs un intérêt précieux
à défendre, celui de sa réputation, de son honneur. La
mère, agissant en son nom personnel, n ’a pas qualité
pour représenter l’enfant, auquel, s’il est mineur, il
est donné un tuteur spécial. C’est au poursuivant qu’in
combe la charge de faire procéder à la désignation de
ce tuteur.
1 Cass., 5 avril 1837 ; — Rouan, 5 août 1841 ; ■
— J. D. P ., tom. i,
�DU DOL E T
DE LA
FRAUDE.
239
890. — La naissance d’un enfant peut devenir une
occasion de fraude contre l’enfant lui-même. C’est ce
qui se réalise dans la suppression ou la substitution de
part. Elle peut n’avoir rien de réel et couvrir une
odieuse spéculation. Telle est la fraude résultant d’une
supposition de part.
891. — L’article 545 du Code pénal considère cha
cun de ces faits comme un crime et le punit d’une peine
afflictive et infamante. La peine est donc la même, mais
il y a, dans les caractères constitutifs du crime, une
différence qu’il importe de noter par rapport aux époux.
Ainsi la substitution d’un enfant peut être opérée, à
l’insu des parents, par des tiers avides et intéressés; la
suppression de part se réalisera rarement sans la parti
cipation du père ou de la mère; la supposition implique
forcément cette participation. Celle-ci renferme de plus
la suppression d’état de l’enfant que l’on enlève à sa
famille pour l’introduire dans celle qui lui est étran
gère.
892. — L’enfant, à qui l’un de ces crimes a fait
perdre sa véritable filiation, est admissible à redemander
l’état qu’on a tenté de lui enlever. Son action, à cet
effet, était certes éminemment favorable. Cependant sa
recevabilité a été subordonnée à l’existence d’une preuve
littérale, ou tout au moins d’un commencement de
preuve par écrit. La crainte d’encourager les spécula
tions sur le scandale de pareils procès a déterminé l’a
doption de cette règle rigoureuse.
�;
V 'v -
240
TRAITÉ
893.
— A côté du principe sur le commencement
de preuve, le législateur a posé la mesure dans laquelle
il entendait le restreindre. Ainsi, ce commencement de
preuve ne peut résulter que des registres ou papiers
du père ou de la mère; des actes publics ou privés
émanés d’une partie engagée dans la contestation, ou
qui y aurait.intérêt, si elle était vivante. Les magistrats
ne sauraient donc chercher ailleurs les éléments du
commencement de preuve. Mais ils ont un pouvoir
discrétionnaire pour apprécier si le document invoqué
appartient réellement à l’une des catégories indiquées
par la loi. Ainsi, on a pu juger qu’un simple acte par
lequel un mari s’oblige à payer une somme à un enfant
peut, être regardé comme un commencement de preuve
par écrit.1
Les énonciations de l’acte de naissance de l’enfant
peuvent aussi être offertes comme remplissant cet objet.
Mais, à cet égard, la jurisprudence a toujours procédé
avec beaucoup de réserve et de circonspection.2
Au reste, la disposition de l’article 323 n’est qu’une
dérogation au principe de l’article 1348, dérogation
commandée par un pressant besoin social, mais dont
le législateur ne s’est nullement dissimulé l’extrême ri
gueur. N’est-il pas, en effet, exorbitant d’exiger d’un
enfant, à qui on a volé son état, la preuve écrite du
crime dont il est victime. Il convient donc, dans la
pratique, de concilier la rigueur du droit avec l’intérêt
1 Paris, 10 mars 1810.
* Dalloz jeune, Dictionnaire général, s* filiation, u03 182 ei suiv.
�DU DOL
E T DE
LA
F R A U D E.
241
qui naît de cette considération, et de mitiger autant
que possible la sévérité de la règle. C’est dans ce but
que la loi a permis d’admettre la preuve orale, même
en l’absence d’un commencement de preuve par écrit,
lorsque les présomptions et indices résultant des faits
dès-lors constants sont assez graves pour l’autoriser.
C’est au tribunal investi qu’appartient le droit d’appré
cier souverainement la gravité de ces indices et pré
somptions.
894. — L’action en suppression ou en substitution
de part est personnelle à l’enfant. Celle en supposition
peut être intentée par les parents et par les tiers qui y
ont intérêt : De partu supposilo soli accusant, parentes
aul hi ad quos ea res pertinent. ' L’économie de nos lois
n’a rien qui répugne à cette règle, confirmée par la con
sécration constante de cette maxime : Que l’intérêt est
la mesure de l’action.
895. — La réserve faite en faveur des parents ou des
tiers a d’ailleurs une autre signification. Malgré que le
fait soit un crime aux yeux de la loi pénale, elle exclut
la poursuite d’office de la part du ministère public.
Ainsi, en l’absence de réclamation de la part des parties
intéressées, la supposition de part, même prouvée, ne
saurait devenir la matière d’une poursuite criminelle.
Vainement a-t-on fait remarquer que cette doctrine
assurait l’impunité du coupable, puisque les parents
1L. 30, § 1, Dig. de Lege Cornclia de falsis.
il
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il
i
'
n’ayant qualité qu’au moment où s’ouvre la succession
que l’enfant supposé est appelé à recueillir, l’action
publique se trouvait nécessairement éteinte par la mort
de l’auteur de la supposition. La Cour de cassation n’en
a pas moins été inébranlable dans un principe claire
ment écrit dans le droit romain, et qui s’induit forcé
ment du texte de l’article 527.
Au reste, quant aux parents eux-mêmes, ce reproche
est loin de pouvoir être appliqué dans toutes les hypo
thèses. Il suppose en effet que l’auteur de la supposition
est celui dont la succession est ouverte, tandis qu’il
peut se faire qu’il soit resté étranger à cette supposition,
malgré qu’elle n’ait été réalisée qu’en vue de sa succes
sion. 0 est certain que, dans cette dernière hypothèse,
les coupables pourraient être encore atteints par la jus
tice, mais cela se réalisera bien plus facilement par rap
port aux tiers. Une personne se marie après avoir donné
tous ses biens, désireuse de faire rétracter cette dona
tion, et, n’ayant point d’enfant de son mariage, elle
suppose qu’il lui en est né un qu’elle fait inscrire comme
sien et poursuit ultérieurement la révocation de la do
nation. Mais le donataire prouve la supposition. Le ju
gement qui la consacre permettra au ministère public
’attein-
�DD DOD E T
DE
LA
F b AUDE.
243
un commencement de preuve par écrit. Ils ne peuvent
pas se prétendre plus étrangers à la supposition que
l’enfant à la suppression ou îi la substitution, ils ne
sauraient donc trouver mauvais qu’on les soumette à
des exigences que l’enfant doit lui-même subir.
897. — La prohibition de toute poursuite d’office,
de la part du ministère public, s’applique au cas de sup
pression ou de substitution, comme à celui de la sup
position. Dans tous les cas, les tribunaux criminels ne
peuvent être directement saisis, même par les personnes
intéressées, tant que la justice ordinaire n’a point pro
noncé sur l’existence du fait. Le motif de cette dispo
sition est facile à saisir; en matière criminelle, la preuve
testimoniale est de droit commun, et ceux qui n’au
raient pu satisfaire aux prescriptions de l’article 325
n’auraient pas manqué de recourir à la juridiction cri
minelle. Permettre cette voie, c’était donc autoriser la
violation de l’article 523, en ce qui concerne le com
mencement de preuve par écrit ; de là, l’attribution ex
clusive de compétence en faveur des tribunaux ordi
naires consacrée par l’article $27. Toutefois l’incompé
tence de la justice criminelle n’est que temporaire, elle
ne doit donc pas se désinvestir d’une manière absolue,
il suffit qu’elle surseoit à statuer jusqu’après la décision
des tribunaux civils devant lesquels elle doit renvoyer
les parties.
898- — Ajoutons que l’action de l’enfant peut avoir
pour résultat de lui donner non-seulement une filiation,
�,
■I
2U
*
TR A IT E
mais encore la qualité de fils légitime; ainsi, s’il prouve
qu’il est né d’une femme mariée, la maxime pater is
est... lui assigne en même temps pour père le mari, ce
pendant il est loisible à celui-ci, et sans qu’il doive re
courir au désaveu, de soutenir qu’il n’est pas le père, et
de demander à le prouver. La preuve peut, aux termes
de l’article 325, être faite par tous les moyens propres
à établir le fait qu’elle a pour objet de justifier.
III. — FRAUDES A LA DISSOLUTION DU MARIAGE,
SOMMAIRE.
899. Fraudes que la dissolution du mariage peut faire naître.
900. Caractère du divertissement et du recélé d’objets mo
biliers.
901. Différence entre l’un et l’autre et l’omission de décla
ration à l’inventaire.
902. Tentative de l’un ou de l’autre. Caractère.
903. Dans tous les cas, le juge est appréciateur souverain
des faits constitutifs.
904. Effets du recélé ou du divertissement.
905. Effet spécial contre la femme.
906. Peut-on appliquer la peine du recélé, si les effets dé
tournés depuis avaient été portés dans l’inventaire?
907. Autre effet spécial contre la femme.
�DU DOL ET DE LA
FRAUDE.
245
908. La poursuite de ce double effet appartient exclusive
ment au mari ou à ses héritiers.
909. La découverte du divertissement ou du recélé donne
le droit à la femme ou à ses héritiers de faire rétrac
ter la renonciation qu’ils avaient faite à la commu
nauté.
910. L’époux ayant encouru la peine du recélé perdrait-il
le droit qu’il aurait sur les effets recélés comme do
nataire de son conjoint?
911. Le divertissement ou le recélé, qui ne peut être correc
tionnellement poursuivi contre l’époux, peut l’être
contre le complice.
899.
— La dissolution du mariage, soit par le décès
d’un des époux, soit par leur séparation, amène forcé
ment la liquidation de leurs droits respectifs et le par
tage de la communauté. Alors aussi peut naître chez
l’un d’eux la pensée de s’avantager au détriment de
l’autre. L’exécution de ce dessein constitue une fraude
punissable, c’est à ce titre que la loi s’est occupée du
détournement et du recélé des effets de la communauté.
L’un et l’autre constituent un véritable vol faisant, en
droit commun, encourir à leur auteur une peiue corpo
relle; mais des considérations puissantes ne permet
taient pas qu’il en fût ainsi pour l’époux convaincu. La
décence publique, disait le tribun Duveyrier, le souve
nir du lien auguste qui vient de se rompre ou la dignité
du mariage qui, quelquefois subsiste encore, ne per
mettaient pas d’apporter ici ni l’idée, ni le nom, ni la
poursuite d’un délit.
Conséquemment, et pour l’un des époux, divertir ou
recéler les effets de la communauté, c’est commettre
�246
T R A IT E
une simple fraude. Quels en sont les caractères consti
tutifs, qu’elle est la peine qu’on doit lui appliquer? C’est
ce que nous allons exposer.
900. — Il y a divertissement des effets communs,
lorsque directement ou indirectement l’époux a dissipé
ou consommé une portion quelconque de l’actif de la
communauté ; il y a recelé, lorsque sciemment on a
omis de les faire porter à l’inventaire ou qu’on les a fait
disparaître du domicile dans lequel ils devaient se
trouver.
Dans l’un et l’autre cas, la condition essentielle c’est
l’intention de frauder le conjoint de la partlui revenant.
Ainsi le fait matériel ne constitue pas à lui seul la fraude
punissable, celle-ci n’existe qu’autant que ce fait est
dicté par la mauvaise foi et par une volonté arrêtée de
profiter exclusivement des effets détournés et reeélés.
La preuve de cette double circonstance est donc indis
pensable pour obtenir la réparation prescrite par-la loi.
901. — Toutefois, et au point de vue de la moralité
de l’action, il existe une notable différence entre la
simple omission à l’inventaire et les autres caractères
constitutifs du divertissement ou du recélé. L’époux
qui omet peut avoir agi de très bonne foi et même dans
l’ignorance la plus complète de l’existence des objets
sur lesquels porte l’omission. Mais cette bonne foi et
celte ignorance sont plus difficiles à supposer et à ad
mettre chez celui qui a dissipé, consommé ou enlevé
les effets qu’on réclame de lui. Des actes de ce genre ne
�Dü DOL ET DE LA FRAUDE.
247
peuvent raisonablernent, alors surtout que leur auteur
connaît l’origine des effets , comporter d’autre idée
que celle d’une fraude au préjudice du conjoint ou de
ses héritiers.
Quoi qu’il en soit, l’intention frauduleuse doit être
prouvée, seule elle imprime h l’acte le degré de gravité
indispensable pour sa répression.1
902.
— De là il résulte que le divertissement ou le
recélé perdant le caractère de délit, dans ses consé
quences à l’endroit de l’époux, conserve ce caractère
dans ses conditions constitutives. C’est la culpabilité de
l’acte et non la matérialité à laquelle il fout s’arrêter.
Dès-lors on a pu très juridiquement juger que l’époux
qui, après la dissolution de la communauté, a fait vo
lontairement des déclarations desquelles il est résulté
qu’il présentait comme lui étant propre des biens qui
devaient être compris dans la communauté, peut être
déclaré coupable de recel ; 2et que la tentative de diver
tissement, lorsqu’elle n’a manqué son effet que par des
circonstances fortuites et indépendantes de la volonté
de son auteur, suffît pour emporter la déchéance.2
La tentative de détournement ou de recélé est donc
punissable comme le fait lui-même, mais à la condition
que, persistant dans le projet conçu, l’auteur n’ait vu
ce projet échouer que par un fait indépendant de sa vo1 Paris, 28 août 1857; — J. D. P., 1858, t. i, pag. 660.
3 Bordeaux, 5janv. 1826, etlSjanv. 1858; — J. D. P. 1840, tom. 2>
pag. 555.
3 Bordeaux, 18 janvier 1858, lococitalo ; — Paris, 22 juin 1828.
�248
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Tr a it é
Ionté. Si l’abandon clu projet était volontaire, si même
après avoir consommé le détournement, l’époux avait
spontanément, et avant toutepoursuite, restitué ce qu’il
a enlevé ou offert d’en tenir compte à la communauté,
la peine prononcée par l’article 1477 deviendrait inap
plicable, il en serait à plus forte raison ainsi pour l’hé
ritier qui restituerait librement les objets que son au
teur aurait détourné de la communauté.1
903- — Au reste, pour le divertissement comme
pourlerecélé, les tribunaux sont les arbitres souverains
des faits pouvant les constituer. 8 La culpabilité de
l’époux poursuivi est donc laissée à leur consciencieuse
appréciation, il suffit d’ailleurs que l’acte reproché ait
été commis sciemment, qu’il doive entraîner pour ré
sultat une lésion pour le conjoint, un avantage pour son
auteur. C’est ainsi que la Cour de cassation a vu le recélé prohibé dans la vente simulée faite par le mari
d’effets mobiliers de la communauté dans le but de se
les approprier.5
904.
— Les effets du divertissement ou du recélé
des biens communs sont réglés par les articles 1460 et
1477 du Code civil. La femme, comme le mari, perd la
portion qui lui serait obvenue dans les effets divertis et
recélés. Ces effets, restitués à la communauté, n’entrent
1 Paris, 5 août 4839 ;—J. D. P. 1839, tom. n, pag. 485: —Cass.,
10 décembre 1835.
* Cass., 12 août 1828 et 18 janvier 1834.
3 5 avril 1832.
�Dü DOL ET DE LA FRAUDE.
249
plus en partage, quelque considérables qu’ils soient, ils
sont intégralement dévolus à celui des époux auquel on
a voulu les soustraire. Ainsi, dit M. Dalloz, l’époux
coupable ne partagera pas la valeur des effets contenus
dans un riche portefeuille qu’il aurait recélé, et même
les acquêts dont il aurait voulu dérober la connaissance
en soustrayant les titres. C’est, on le voit, la peine du
talion dans toute son énergie.
905.
— La peine de l’article 1477 s’applique au
mari et à la femme indifféremment. En ce qui concerne
celle-ci, le détournement produit d’autres effets non
moins importants ; ainsi, aux termes de l’article 1460,
elle doit être déclarée commune nonobstant sa renon
ciation.
La femme perd donc par le recélé l’option qui lui est
laissée d’accepter ou de renoncer à la communauté. En
recélant, elle a fait acte d’immixtion qui fixe désormais
sa position et la rend déchue de la faculté de renoncer.
Il résulterait de là cette conséquence que le recélé
prévu par l’article 1460 est celui qui se réalise avant la
renonciation.
Donc, si la femme avait d’abord renoncé et qu’elle se
fût plus tard emparée de quelques effets de la commu
nauté, on ne pourrait la faire déclarer commune. Cette
doctrine puisée dans le droit romain avait été consacrée
par notre ancienne jurisprudence. Nous pensons avec
Toullier1 qu’on doit la suivre encore. En effet, après la
1 T. xm. n08216. 219.
�250
TRAITE
renonciation de la femme, il n’y a plus de communauté,
l’actif porté à l’inventaire est devenu le patrimoine du
mari ou de ses héritiers. Les soustractions dont cet actif
est l’objet constituent donc des vols contre le ma r i ,
contre ses héritiers, dont la réparation ne pouvait être
poursuivie, en droit rom ain, que par l’action rerum
amolamm; qui donneraient aujourd’hui ouverture à une
poursuite criminelle, si les considérations que nous
avons rappelées, si l’article 580 du Code pénal permet
taient autre chose qu’une action civile en dommagesintérêts.
906.
— L’époux encourrait-il la peine du recèle, si
les effets détournés avaient été compris dans l’inven
taire ? L’affirmative enseignée par Toullier ne nous
paraît pas admissible. Evidemment, ce que la loi a voulu
prévenir et réprimer ce sont les soustractions réalisées
à l’insu des intéressés, et qui rencontrent dans cette
ignorance même des chances de réussite. Or les effets
inventoriés sont par cela même connus de tous, de
telle sorte que chacun se trouve en position d’en de
mander compte. La disposition que fait l’un des copar
tageants, de quelques-uns de ces effets, est donc plutôt
une attribution anticipée qu’une véritable soustraction.
Les cohéritiers ont d’ailleurs le moyen de prévenir tout
préjudice soit en les faisant rapporter à la masse, soit
en les imputant sur la portion de celui qui s’en est em
paré, et celte faculté, faisant disparaître toute possibilité
d’un dommage quelconque, enlève à la fraude son ca
ractère essentiel. En effet, il n’y a fraude que s’il y a
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
251
un préjudice; on ne saurait dès-lors appliquer ni l’ar
ticle 1460, ni l’article 1477.1
907. — Indépendamment delà faculté de renoncer,
le recelé fait perdre à la femme le bénéfice que lui con
fère l’article 1483 de n’ôtre tenue des dettes que jusqu’à
concurrence de son émolument. En effet, une des con
ditions essentielles de ce privilège, c’est qu’il ait été ré
digé un bon et fidèle inventaire. L’existence avérée d’un
détournement ou d’un recèle est exclusif de toute idée
d’accomplissement de cette condition. La perte du pri
vilège est donc la juste conséquence de cet état des
choses.
Ainsi, pour les époux indifféremment, avoir diverti
ou recélé les effets de la communauté, c’est avoir perdu
tout droit au partage de ces effets. Cette conséquence
est absolue. L’offre que l’époux poursuivi ferait de tenir
compie à la communauté de la valeur de ces effets, ou
même de les restituer en nature, ne pourrait suspendre
ni empêcher l’effet de la peine qu’il a encourue.2
908. —• Pour la femme spécialement, le recélé a
pour résultat de la priver du droit de renoncer, de la
faire déclarer commune, et de plus tenue ultra vires des
dettes de la communauté. Mais celte peine est toute dans
l’intérêt soit du mari ou de ses héritiers, soit des créan
ciers; dès-lors la faculté de la faire prononcer leur
1 Paris, 8 nivôse an xui.
2 Colmar, 6 avril 1815; — Sirey, 18, 2, 66.
�252
TR A ITE
appartient exclusivement; ils peuvent se borner h pour
suivre la restitution des effets détournés ou de leur
valeur, le mari ou ses héritiers surtout pouvant être in
téressés au maintien de la renonciation réalisée après le
recélé.
909. — De leur côté, la femme ou ses héritiers qui,
trompés sur la consistance de l’actif, auraient renoncé
à la communauté, peuvent, après la découverte des sous
tractions opérées par le mari, se faire relever de leur re
nonciation. La renonciation n’aurait été, dans ce cas,
que le résultat de l’erreur; et cette erreur n’étant impu
table qu’à la fraude du mari, le consentement donné par
la femme ou par ses héritiers se trouverait vicié dans
son essence et insuffisant pour créer un lien obligatoire
quelconque. On ne pourrait le décider autrement sans
admettre que le mari pût se faire un titre de sa propre
turpitude.
D’ailleurs la fraude, comme le dol, fait exception à
tous les principes ; la renonciation, qu’elle aurait seule
déterminée, ne saurait être valable. Il y a entre elle et
l’acceptation dont parle l’article 78ô du Code civil une
analogie frappante, on devrait donc appliquer à l’une
la règle tracée pour l’autre.
910. — Une question controversée en jurisprudence
est celle de savoir si l’époux survivant qui a frauduleu
sement détourné des effets dépendant de la commu
nauté est privé non-seulement de la part qui lui appar
tiendrait dans ces effets, en sa qualité de commun en
�DU DOL E T
DE
LA F R A U D E .
253
biens, mais encore de celle à laquelle il aurait droit
comme donataire de son conjoint, soit par institution
contractuelle, soit par donation entre-vifs ou par testa
ment ?
Sous l’empire de notre ancien droit, la jurisprudence
avait consacré l’affirmative. Toullier cite notamment
un arrêt du 15 mai 1656, jugeant : que, quand le sur
vivant, qui a commis le recélé ou le détournement, est
donataire en usufruit de la part du prédécédé, il doit
être privé de cet usufruit dans les choses recélées.
Toullier ajoute que cet arrêt est conforme au principe.
En effet, le droit romain assimilait le légataire à l’hé
ritier et le privait de tous droits aux choses recélées.1
Doit-il en être de même depuis la promulgation du
Code civil? La raison de douter se tire de ces termes de
l’article 1477 : Est privé de sa po ution dans lesdits
effets. D’où l’on tire la conséquence que la disposition
générale ne porte que sur la portion afférente à celui
qui a commis le recélé ; que, par cela même, on ne peut
l’étendre au droit donné ou légué sur la portion du
prédécédé ; que ce droit, résultant non de la loi mais
de la volonté du donateur ou testateur, n’est subor
donné à aucune condition ; qu’il est dès-lors indépen
dant du fait du recélé à l’égard duquel on ne peut
qu’appliquer limitativement, et non étendre la peine
prononcée par la loi.
Il est facile de répondre à ces considérations. L’époux
commun en biens, qui se trouve en même temps dona1 L. 48, Dig. ad Sen. cons. Trebellianum.
�254
t r a it e
taire ou légataire d’une quote-part de l’hérédité, ne
peut isoler ces deux qualités dans les fraudes qu’il lui
plaît de tenter. Lors donc qu’il recèle, il le fait : comme
époux, contre la communauté; comme donataire ou lé
gataire, contre la succession. Il est évident, en effet,
qu’en diminuant l’actif de la communauté, il amoindrît
l'a succession. On ne fait donc qu’un acte d’équité et de
justice en lui appliquant: comme époux, l’article 1477;
comme légataire ou donataire, l’article 792.
Il est vrai que celui-ci ne parle que des héritiers,
mais ce terme comprend évidemment le mari donataire
ou légataire d’une quote-part, comme tout autre léga
taire universel ou à titre universel. Qu’on ne voie pas
un héritier dans le légataire d’un corps certain ou d’une
somme déterminée, cela se comprend, mais le légataire,
dont la part se règle sur la consistance de l’actif de la
succession, est un véritable héritier, il en a les obliga
tions comme les droits.
Cela est surtout vrai à l’égard du conjoint survivant.
L’esprit de l’article 792 le démontre d’une manière vic
torieuse. Cet article ne parle que des héritiers, parce
que ceux-ci, ayant en général le maniement de l’héré
dité, sont par leur position à même de vouloir en déro
ber une part quelconque et en position de faire réussir
la fraude. Cette position n’cst-elle pas celle de l’époux
survivant? N’est-il pas à la tête de la communauté au
moment de la dissolution du mariage? Ne l’administrera-t-il pas au moins un moment? Il est dès-lors évident
que les fraudes exécutées par lui contre ses cohéri
tiers doivent avoir les mêmes conséquences que celles
�DU DOL E T
DE
LA F R A U D E .
255
dont ceux-ci pourraient se rendre coupables à son en
contre.
D’ailleurs le recelé tenté dans ces circonstances ne
manque pas d’affecter les ayant-droit, soit comme com
munistes, soit comme cohéritiers. Le préjudice les at
teignant de ces deux côtés, il est juste que la réparation
leur soit accordée à ce double titre. Si c’est là de la sévé
rité, il faut avouer qu’elle est très bien placée, puisque
l’époux qui voudra s’y soustraire n’aura qu’à rester
fidèle aux lois de la probité et de la délicatesse.
Il faut se garder d’encourager les recélés qu’on a tant
de facilité à commettre. Or la punition ne serait pas
suffisante pour les prévenir, si le coupable pouvait, à
un litre quelconque, participer comme propriétaire ou
usufruitier aux choses qu’il a voulu soustraire. C’est
dans ce sens que parait devoir se fixer la jurisprudence.’
911.
— Le détournement commis par l’époux ne
pouvant constituer un délit, il en résulte qu’on ne sau
rait en poursuivre la répression devant la juridiction
correctionnelle ou criminelle. Le juge civil est seul
compétent pour l’apprécier et pour prononcer soit sur
la restitution, soit sur les dommages-intérêts. Il en ré
sulte encore que l’allocation de ces dommages-intérêts
ne saurait entraîner la contrainte par corps.
1 Pour : Cass., 8 avr. 1832,16 janv. 1854, 10 déc. 1838; — Paris,
25juin 1828; — Bordeaux, 18 janv. 1838; — Bourges, lOfév. 1840;
—Riom,, 6 août 1840; — J. D. P., 1840, tom. ii , p. 585et 612, 1841,
!. i, p. 305.
Contre : Colmar, 29 mai 1823; — Postiers, 30 nov. 1830
�256
TRAITE
Mais il n’en est pas de même pour les complices. Celui
qui aurait assisté l’époux dans les détournements, ou
recélé les effets soustraits, serait passible de la peine du
vol. Il pourrait donc être criminellement poursuivi et
condamné non-seulement aux dommages-intérêts, mais
encore à une peine corporelle, sauf cependant les ex
ceptions prévues par l’article 380 du Code pénal.
SECTION U. — FRAUDE DANS LES PARTAGES.
SOMMAIRE.
912. L’égalité entre les copartageants est la règle absolue
de tout partage. Nature des atteintes que cette règle
peut recevoir.
918. La lésion accidentelle n'est une cause de rescision que
si elle est du quart.
914. Caractère de'cette exigence de la loi.
915. Elle reçoit exception lorsque la lésion est le résultat de
la fraude.
916. Ou lorsque la lésion coïncide avec le prélèvement de
la quotité disponible.
917. L’action en lésion se prescrit par 10 ans.
918. Point de départ de cette prescription pour les partages
ordinaires.
919. Il ne commence à courir, dans le partage de présuc
cession, que du jour du décès de l’ascendant.
�DU DOL
E T DE LA
FR A U D E .
257
920.
921.
922,.
923.
924.
925.
Système contraire.
Système conforme.
Appréciation.
Arrêt remarquable de la Cour d’Aix.
Arrêt conforme de la Cour de cassation.
Effets du divertissement d’objets mobiliers par les co
partageants.
926. Position du receleur dans le partage de ces objets.
927. Le divertissement ou le recèle exclut la bonne foi. Son
caractère.
928. L'absence d’une de ses conditions fait disparaître 1a,
fraude et ses conséquences.
929. Tempéramment à apporter à cette règle.
930. Dans quels cas la détention d’effets portés à l’inventaire
pourrait-elle constituer le recélé punissable.
931. L’indication spontanée d’une valeur de la succession
par l’héritier qui la détient n’est pas le recélé, à
moins que cette indication n’ait pas été faite en temps
utile.
932. Le recélé exercé du vivant de l’auteur est atteint comme
celui qui se serait réalisé après sa mort.
933. L’exagération du passif constitue un recélé punissable.
934. Peine contre le recélé, peut être autre que la privation
. d’une part quelconque sur les effets recélés.
935. Renvoi pour les effets du recélé par rapport aux tiers.
936. Quid, si l’héritier qui a recélé est encore mineur ?
912. — Nous venons de voir que la communauté
entre époux était de nature à inspirer, au moment de
la dissolution du mariage, des fraudes sur lesquelles le
législateur a dû veiller. Ce qui est à redouter dans cette
circonstance peut également se réaliser dans tous les
cas où une communion d’intérêt amène la nécessité
d’une liquidation et d’un partage ; et, par exemple, dans
une succession.
�258
TRA ITE
La condition essentielle de tout partage est l’égalité
la plus absolue entre les divers intéressés, chacun d’eux
doit recevoir l’intégralité de ce qui lui revient. Toute
atteinte à cette règle d’équité et de justice, devenant
un préjudice pour l’un, un avantage illicite pour l’autre,
constitue en résultat une fraude manifeste, si elle n’est
déterminée par l’erreur commune.
Cette atteinte peut être oecasionée par des causes
différentes. Elle se produit par une composition vi
cieuse des lots, ou par une fausse estimation des objets
à partager; par la dissimulation d’une part plus ou
moins importante de l’actif ou par l’exagération du
chiffre du passif. L’existence des premières donne ou
verture à l’action en lésion, celle des secondes î» l’ac
tion en recélé.
915- — La lésion purement accidentelle n’est, aux
termes de l’article 887 du Code civil, une cause de res
cision du partage que si le préjudice en résultant équi
vaut au quart de ce que le copartageant devait recevoir.
Conséquemment la partie poursuivante ne peut réussir
dans sa demande en annulation que s’il justifie qu’il
n’a reçu que les trois quarts de ce qui lui revenait. Cette
justification faite, le partage est annulé; mais la juris
prudence a admis qu’on peut dans ce cas se borner à
condamner les défendeurs à compléter la part du de
mandeur et à faire ainsi disparaître le préjudice souf
fert par celui-ci.
9 t 4 — L’exigence de la loi, quant à l’importance
�OU I>OL E T
DE LA F R A U D E .
250
de la lésion, pourrait paraître extraordinaire. En effet,
quelle que soit la lésion, l’égalité n’est pas moins bles
sée dès que l’un a reçu plus et l’autre moins. II semble
rait donc que la plainte devrait par cela seul être
permise.
Mais des considérations puissantes justifient la doc
trine consacrée par la loi. L’intérêt public exige pour
le droit de propriété la plus grande stabilité. Permettre
de revenir sans cesse, et pour la moindre lésion, contre
nn acte de partage, c’était méconnaître ce grand prin
cipe, c’était placer la propriété sous le coup d’une me
nace perpétuelle et en gêner la disposition pendant la
durée du temps nécessaire à la prescription de l’action ;
c’était enfin compromettre les droits que des tiers
avaient légalement acquis sur la foi d’un acte régulier
et authentique , tout cela d’ailleurs en faveur d’un
intérêt privé coupable au moins d’une évidente né
gligence.
En effet, chaque copartageant est tenu, avant de pro
céder au partage, de s’assurer de la valeur réelle des
objets à partager, et de veiller ainsi à l’égalité des lots.
Celui qui a mis de la négligence à remplir ce devoir a
commis une faute dont on pouvait justement lui laisser
la responsabilité et lui imposer les conséquences.
Ces divers motifs avaient même paru suffisants pour
faire repousser l’action en rescision, alors même que la
lésion aurait dépassé le quart. Le copartageant, disaiton au conseil d’État, doit être assimilé au vendeur.
On ne doit lui accorder la faculté de revenir que dans
�‘260
TRA ITE
le cas où cette faculté est reconnue à celui-ci, c’està-dire lorsque la lésion est de sept douzièmes.
Mais cette opinion fut repoussée parce que, disait le
rapporteur du tribunal, l’égalité qui doit être observée
dans les partages exige que la rescision soit admise
pour cause de lésion , et même pour une lésion moin
dre que celle qui est nécessaire en ventes ordinaires.
Dans ces ventes, il se fait une espèce de négoce, de trafic,
n’exigeant pas une égalité aussi rigoureuse que dans
les partages où rien n’est à commercer, ni à négocier.
La limite posée par l’article 887 fut donc adoptée,
mais comme une faveur et à titre d’indulgence pour le
copartageant. On le relève ainsi de sa trop aveugle con
fiance dans une limite ue pou vant dès lors être accusée
de sévérité. Il importait de signaler ce caractère de
l’article 887 du Code civil, les tribunaux peuvent y
trouver un mode devant les diriger dans l’application
qu’ils seront appelés à en faire.
915.
— Cette règle à suivre lorsque la lésion résulte
d’une erreur commune reçoit exception en cas de
fraude. Nous l’avons déjà dit, la fraude fait et a dû faire
une exception à tous les principes, conséquemment
si le préjudice dont le copartageant se plaint a pour
unique cause la fraude ; s’il n’est dû qu’à la déloyauté,
il devra être réparé, alors même que son importance
n’atteindrait pas au quart de la portion lui revenant, à
plus forte raison en serait-il ainsi si l’emploi de ma
nœuvres frauduleuses venait donner à l’acte dont ou
se plaint le caractère du dol.
�Dü
DOL
E T DE LA F R A Ü D E .
261
916. — Une seconde exception à l’article 887 doit
être admise dans le cas où l’existence du préjudice
coïncide avec le prélèvement de la quotité disponible.
Dans ce cas, en effet, la lésion entamerait la réserve
légale, et l’on sait qu’un pareil résultat est sévèrement
proscrit. Cette réserve doit, dans tous les cas, arriver
intacte entre les mains des ayant-droit. Il y aurait donc
lieu dans ce cas: soit d’ordonner un nouveau partage,
soit d’accorder un supplément pour faire disparaître
la lésion quelle qu’elle fût.
917. — Aucune loi spéciale ne réglant la durée de
l’action en rescision du partage, il y a lieu de recourir
au principe général de l’article 1304 du Code civil. En
conséquence le droit de l’intenter se prescrit par dix ans.
918. — Le point de départ de ces dix années ne
saurait faire la matière d’un doute pour les partages
ordinaires. C’est du jour de l’acte que la prescription
commence de courir. Néanmoins, si la lésion est le
produit du dol et de la fraude, le délai de cette prescrip
tion ne date que du jour de la découverte de l’un ou
de l’autre.
919. — Il n’en est pas ainsi pour les partages de
présuccession faits par l’ascendant. Une grave contro
verse s’est établie sur le point de savoir si le délai devait
être compté du jour de l’acte, ou seulement de celui du
décès de l’ascendant, auteur du partage.
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262
1
I
1 .
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y ,
TRA ITÉ
920.
— A l’appui de la première opinion on a dit :
sous l’empire des lois anciennes, les actes de partage
effectués par les ascendants n’étaient jamais que des
actes d’une nature mixte,participant à la fois et pres
que au même degré du testament et de la donation ; ils
ne se trouvaient régis par aucune disposition qui fixât
leurs formes et précisât leurs effets. Dans la doctrine,
comme dans la jurisprudence, il ne régnait que con
troverse et incertitude sur le caractère de ces actes.
Le législateur moderne, enseigné par l’expérience,
n’eut garde de négliger une matière si importante.
L’article 1076 porte : Les partages pourront être faits
par actes entre vifs ou testamentaires, avec les forma
lités, conditions et règles prescrites pour les donations
entre vifs et testaments. Les partages faits par actes
entre vifs ne pourront avoir pour objet que les biens
présents. Ainsi, aujourd’hui, l’acte par lequel un ascen
dant procède à un partage entre vifs est soumis à toutes
les conditions et règles prescrites pour les donations.
Or, la donation est un contrat, une convention, et à
ce titre elle tombe inévitablement sous le coup de l’ar
ticle 150-4 du Code civil, qui limite à dix ans, à partir du
jour de l’acte, la durée de l’action en rescision. La
conséquence est donc qu’un partage entre vifs, effectué
par un ascendant, ne saurait être attaqué pour cause de
lésion que dans les dix ans du jour de son acceptation.
Cette conclusion, tirée des principes généraux, se
trouve confirmée par les dispositions spéciales à la ma
tière. Les articles 1075,1076 et 1079 du Code civil gar
dent le silence le plus absolu sur l’exception qu’on
#
�DU
DOL
ET
DE LA F R A U D E .
263
prétend introduire, et qui consisterait à ne faire courir
le délai de dix ans qu’à compter du décès de l’ascen
dant. Cependant une telle exception aurait besoin d’une
consécration d’autant plus expresse, qu’elle toucherait
à la fois à la stabilité des propriétés et aux principes
qui protègent, après un laps de dix ans sans réclama
tions, les droits acquis en vertu des contrats.
Mais ce n’est pas par son silence seulement, c’est
aussi par ses termes que la loi résiste à l’idée qu’il ait
jamais été dans l’intention du législateur de ne faire
courir le délai de dix ans qu’à compter du décès de
l’ascendant, et non du jour du partage dont il est l’au
teur.
De toutes les difficultés communes aux partages après
décès, et aux partages anticipés, il n’en est pas une qui,
déjà prévue au chapitre 6 du titre des successions, ait
été on ne dira pas de nouveau et spécialement réglée,
mais simplement rappelée dans le chapitre 7 du titre
des donations et testaments. Ne faut-il pas en conclure
que les règles du partage après décès ont été manifes
tement, dans la pensée du législateur, le complément
nécessaire de celles, d’ailleurs fort insuffisantes, qu’il
a tracées au chapitre des partages d’ascendants, qui ne
renferme en tout que six articles.
Cette vérité semble ressortir de l’article 1079 du Code
civil, ainsi conçu: le partage fait par l’ascendant pourra
être attaqué pour cause de lésion de plus d’un quart.
On voit que le législateur, après avoir exprimé que
l’action en rescision sera admise, n’ajoute rien pour en
fixer la durée. N’est-ce pas dire qu’il entend s’en réfé-
�264
t r a i t e
rer à la règle générale, qui ne permet de l’exercer que
dans les dix ans du partage? Ce langage devient posi
tif si, du texte, on rapproche les motifs qu’en a donné
l’orateur du gouvernement. Des explications de M. Bigot
de Préameneu, il résulte, en effet, qu’en réservant aux
ascendants la faculté de présider à la répartition de
leurs biens, le législateur s’est proposé, d’abord, d’as
surer au père le pouvoir de régler le sort de la famille,
en fixant à jamais les droits de ses enfants, et ensuite
d’apporter un remède aux graves inconvénients cpii
naissaient, dans l’ancienne législation, de la résolution
des droits attribués par les partages anticipés. Cette
double intention resterait sans effet dans le système
contraire.
Cette doctrine, développée dans une consultation de
M. Dalloz aîné, consacrée par plusieurs Cours, a été
sanctionnée par la Cour de cassation. 1
9:21. — Le système contraire, que plusieurs Cours
ont adopté, se fonde sur les considérations suivantes :
Bien qu’il résulte implicitement de l’article 1504 du
Code civil que la prescription de toute action rescisoire commence du jour de l’acte attaqué, on ne peut
toutefois raisonnablement supposer que le législateur
ait entendu soustraire cette nature d’action aux règles
régissant la prescription en général. Il est de principe
que la prescription ne peut commencer de courir que
du jour où celui qui veut attaquer un acte est complè1 13 juillet 1836, 4 février 184-4 ; — D. P., 36,1, 297; 4 5 ,1, 49.
�DU
DO U E T
Dli
LA
FRAUDE.
265
tement fixé sur l’étendue des droits que cet acte lui con
fère; que s’il résulte, soit de l’acte lui-même, soit des
dispositions de la loi, que ces droits ne seront entière
ment déterminés que par un événement postérieur à
l’acte, il est évident que ce n’est qu’à la survenance de
cet événement que l’action en rescision peut être exer
cée, puisque jusqu’alors le droit, à raison duquel peut
naître l’action, reste indéterminé. Il suit de là que si la
part héréditaire de l’enfant ou descendant qui a con
couru à un partage anticipé ne peut être connue défi
nitivement qu’à l’époque du décès de l’ascendant au
teur du partage, ce ne sera également qu’à cette époque
qu’il faudra se pourvoir contre le partage, puisque alors
seulement il connaîtra s’il est ou non lésé.
Les enfants ou descendants ne sont aptes soit à atta
quer les dispositions prises par leur auteur, soit à re
venir sur les partages faits par lui, que dans les cas dé
terminés par la loi. Ils ne peuvent notamment réclamer
une part héréditaire plus forte que celle qui leur a été
attribuée, que lorsque celle-ci est inférieure à leur ré
serve légale.
Or, la succession d’un individu ne s’ouvre que par
sa mort naturelle ou civile. Cette succession se com
pose de l’universalité des biens, soit qu’il en possède
encore au jour de son décès, soit qu’il en ait pendant sa
vie disposé à titre gratuit. C’est par la liquidation de
cette universalité que s’établira nettement la réserve
légale afférente à chacun des enfants ou descendants.
Dès-lors, et jusqu’à cette liquidation, il ne peut exister
de lésion et conséquemment d’action en x’éparalion.
a
\2
�I5*
p;
Les articles 1075 et suivants ne dérogent en rien à
ces principes. Ils confèrent bien à l’ascendant la faculté
de faire lui-même le partage entre ses descendants, par
tage que ceux-ci pourront attaquer s’il y a lésion ou
insuffisance dans l’attribution faite à chacun d’eux. Ils
admettent que les biens non partagés, que l’ascendant
délaissera à son décès, seront divisés aux formes de
droit. Mais ils n’établissent ni expressément, ni tacite
ment que, pour évaluer la quotité disponible et la lésion,
il ne faut avoir égard qu’aux seuls biens ayant fait la
matière du partage et nullement à ceux existant en
core dans la succession. De ce silence du législateur,
il faut conclure qu’il n’a voulu porter aucune atteinte
aux principes d’après lesquels il prescrit qu’il sera pro
cédé à cette évaluation aux titres des successions et do
nations.
Il résulterait du système contraire qu’il y aurait,
pour les biens délaissés par le même individu, deux
successions distinctes et entièrement indépendantes
l’une de l’autre : la première, réglée de son vivant,
l’effet du partage anticipé; la seconde, à régler après
son décès; il existerait donc deux réserves légales,
deux quotités disponibles, conséquence bizarre et ce
pendant forcée, à laquelle on ne peut raisonnablement
supposer que le législateur ait voulu arriver . 1
Ainsi, il ne peut y avoir lésion appréciable qu’après
le décès de l’ascendant et au moment où il sera pro
cédé à la constitution générale et définitive de ia masse
�DU
DOL
ET
DE
La
FRAUDE.
267
active de la succession. Jusque-là, il ne saurait en exis
ter réellement aucune, puisque l’inégalité offerte par le
partage anticipé pourra disparaître par une attribution
spéciale sur les biens encore libres. Ce ne serait donc
que dans l’hypothèse où il n’en existerait aucun de ce
genre au décès de l’ascendant, que toute affectation
supplémentaire devenant impossible, naît la certi
tude d’une lésion et que s’ouvre conséquemment l’ac
tion en rescision. Dès ce moment aussi, l’action de
venant recevable, le délai de la prescription, suspendu
jusque-là, commence de courir.
922. — Cette doctrine nous paraît plus équitable,
plus conforme aux véritables principes. Aux considé
rations décisives qui précèdent, on peut en joindre
d’autres qui ne sont ni moins puissantes, ni moins juri
diques. Ainsi, et en première ligne, l’exercice de l’ac
tion en lésion suppose chez celui qui s’y livre le droit
de contraindre à un nouveau partage plus équitable.
Le descendant n’a pas ce droit. Il est pendant toute
la vie de son auteur sans qualité, car cette qualité est
une conséquence du droit de copropriété sur la masse
des biens à partager, droit qui ne saurait exister tant
que la succession n’est pas effectivement ouverte.
Dans l’opinion que nous combattons, on veut faire
résulter l’acquisition de ce droit en faveur du descen
dant, de la nature môme de l’acte; et c’est ainsi qu’on
soutient que le partage anticipé participe du contrat et
de la donation.
Cette qualification est une hérésie en droit; elle in-
�268
TRA ITÉ
tervertit la nature et le caractère du contrat; elle en
méconnaît la portée véritable.
L’ascendant ne s’est jamais désinvesti de la géné
ralité de ses biens. Il les divise lui-même à ses plaisir
et volonté. Le désaisissement est successif et spécial,
chaque descendant n’a jamais eu la propriété de ce qui
est entré dans le lot des autres, car les biens ne sortent
de la possession de l’ascendant que pour passer immé
diatement dans celle de chacun d’eux. Leur rôle à tous
n’est donc qu’une acceptation de la donation particu
lière qu’ils reçoivent, dont la régularité et l’existence
actuelle n’a nul besoin de leur concours, ni de leur
consentement.
En réalité donc, il n’intervient et ne peut intervenir
de contrat de descendant à descendant. Le partage an
ticipé n’est qu’une donation qui se renouvelle autant de
fois qu’il y a de parts à faire, et dont l’intérêt pour cha
cune d’elles se concentre entre celui qui reçoit et celui
qui donne. Mais les donataires entre eux n’ont jamais
été dans l’indivision que le contrat supposé aurait eu
pour objet de faire cesser.
Ce principe vient d’être formellement consacré par
la Cour de cassation. Dans une espèce qui lui était sou
mise, la Cour d’Amiens avait vu dans le partage fait par
l’ascendant, d’abord la donation créant une indivisi
bilité entre les ascendants, ensuite un contrat parti
culier à ceux-ci, ayant pour objet de faire cesser l’indi
vision.
Mais, sur le pourvoi dont il a été l’objet, l’arrêt d’A
miens a été cassé par la Cour suprême, le 4 juin 1849
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
2ü9
Attendu qu’on ne saurait voir dans cet acte, comme l’a
Jait la Cour d’Amiens, deux contracts distincts, indé
pendants, dont l’un, donation du père aux enfants, au
rait saisi immédiatement ceux-ci de la propriété indivise
des biens donnés, dont l’autre étranger au donateur,
exclusivement personnel aux donataires, attrait eu pour
objet le partage de ces biens; qu’on ne peut briser de la
sorte l’unité d’un contrat dont toutes les stipulations
concourrent au but que le père de famille déclare s’être
imposé, sans dénaturer le caractère de l’acteA
Cet arrêt est d’autant plus remarquable que, dans
l’espèce, le père de famille avait donné tous ses biens à
ses enfants qu’il avait ensuite dirigés dans le partage
consenti par eux. On ne devrait dont pas résister lors
que c’est le père lui-même qui, procédant au partage,
a formé les parts, et que les enfants ne sont intervenus
que pour accepter celle qui lui est attribuée.
Chacun des descendants n’est donc qu’un donataire.
Comment donc lui reconnaître le droit et lui faire un
devoir de se plaindre de la lésion relativement à d’au
tres donations qu’il n’a pu ni régler, ni empêcher? Dans
un moment surtout où il n’existe pas même encore une
lésion appréciable, ainsi que nous venons de l’établir.
Sous un autre rapport, la demande en rescision se
rait plus irrécevable encore. L’ascendant, tant qu’il vit,
est l’arbitre souverain de sa fortune et de la disposition
à laquelle il lui convient de recourir. Il peut donner
tout à l’un, ne donner rien à l’autre, investir même un
1 Dalloz P., 49, 1, 307.
�270
TRA ITK
étranger de l’universalité de ses biens, sans que les hé
ritiers futurs, même légitimes, puissent l’en empêcher
ni s’en plaindre. Incontestablement, la faculté de don
ner le tout implique celle de créer des portions inéga
les, saufles réclamations que la mort du donateur sou
lèvera et pourra faire consacrer, quant à ce, si cette
inégalité va jusqu’à entamer la réserve légale, ou cons
titue pour un des portionnaires un préjudice de plus
d’un quart.
Mais si d’une part, et pendant la vie de l’ascendant,
le descendant n’est que donataire; si d’autre part le
premier n’a, dans les libéralités qu’il concède, d’autre
règle à suivre que sa volonté ou ses caprices, la consé
quence rigoureuse n’est-elle pas que l’enfant ou des
cendant ne pourra être admis à se plaindre? Il pouvait
ne rien recevoir, et, parce qu’il a reçu quelque chose, on
l’admettrait à quereller la détermination du père de
famille, qu’on l’eût forcé de respecter dans le premier
cas ?
Admettez que la demande de l’enfant fût recevable,
quelle, sera la conséquence de l’action accueillie par la
justice? La rescision de l’acte et, par une déduction lo
gique, la reprise de possession par l’ascendant de la
masse partagée et le refus absolu de procéder à un nou
veau partage. Ce qui arrivera, peut-être, c’est que, pour
punir celui qui a fait annuler son œuvre, l’ascendant dé
laissera l’intégralité de sa fortune à ses autres enfants,
heureux encore s i, pour punir ce qu’il considérera
comme un acte de désobéissance et de rébellion, il ne
cherche pas à dénaturer sa fortune pour avantager, par
�DU
DOL
ET
DE LA
FRAUDE.
27 î
la fraude, celui qu’il avait voulu favoriser. Obliger l’en
fant à attaquer du vivant de l’ascendant, c’est donc le
contraindre à agir contre son propre intérêt ; c’est, l’ex
poser à perdre plus encore que ce que la réussite de son
action serait dans le cas de lui faire gagner.
L’article 1079, dit-on, fait obstacle à ce résultat. Il
consacre en effet le désinvestissement de l’ascendant
dès que le partage est par lui régulièrement consommé.
Dès cet instant cesse aussi la liberté illimitée qu’il avait
de disposer de ses biens, il n’y a plus qu’une question
d’égalité intéressant les descendants et les concernant
dès-lors exclusivement.
Erreur évidente et certaine. 11 est bien vrai que l’acte
de partage désinvestit l’ascendant, et cela par la raison
toute simple que ce partage constitue celte disposition
qu’il était libre de réaliser ou non. En conséquence,
tant que ce partage existe, le désinvestissement est in
contestable, mais la rescision qui viendrait l’atteindre
en ferait cesser tous les effets et autant en ce qui con
cerne l’ascendant, que par rapport aux descendants
eux-mêmes. Les droits du premier revivraient donc en
leur entier, avec d’autant plus de raison et de certi
tude que seul il a des droits sur la masse totale, chaque
copartage n’ayant jamais pu posséder que la part que
lui attribuait le partage.
Ne perdons donc pas de vue, d’ailleurs, que l’ascen
dant ferait justement observer que son désinvestisse
ment n’avait été par lui consenti qu’à condition que sa
volonté ne rencontrerait aucun obstacle. Or, la resci
sion, détruisant l’édifice par lui organisé, fait disparaître
�272
TR A ITE
cette condition; il reprend la propriété dont il s’était
dépouillé et il rentre dans la faculté de retenir ses biens
ou de les abandonner de nouveau.
Pour que l’article 1079 pût avoir pour effet de faire
survivre le désinvestissement de l’ascendant aux con
ditions l’ayant déterminé, il faudrait que le législateur
eût fait un devoir d’attaquer le partage de son vivant.
Mais l’article 1079 est muet à cet égard, et ce n’est que
par une induction fort hasardée qu’on prétend établir
le contraire.
En effet, dit-on, de toutes les difficultés communes
aux partages après décès et aux partages anticipés, il
n’en est pas une qui, déjà prévue au chapitre 6 du titre
des successions, ait été, on ne dira pas de nouveau et
spécialement réglée, mais simplement rappelée dans le
chapitre 7 du titre des donations et testaments; ne fautil pas en conclure que le rappel dans l’article 1079,
d’une faculté écrite dans l’article 887, est la preuve
que le législateur a voulu faire partir le délai de dix
ans du jour de l’acte?
Non certes, telle n’est pas la conclusion à tirer du
rapprochement des articles 887 et 1079. Si ce dernier
est explicite sur la faculté d’attaquer le partage anti
cipé pour cause de lésion de plus du quart, c’est que le
législateur, introduisant un droit nouveau, ne pouvait
pas ne pas s’en expliquer.
Dans notre ancien droit, en effet, l’action en lésion,
ouverte contre les partages après décès, n’était pas
admise contre le partage fait par l’ascendant lui-même,
fidèles aux inspirations du droit romain, on considérait
�DU
DOL
ET
DE L a
FRAUDE.
273
co partage comme l’exercice d’un acte de la puissance
paternelle qu’il fallait respecter, alors même qu’il por
tait atteinte à la légitime que chaque enfant aurait dû
rigoureusement recevoir.1
C’est ce droit que le législateur voulait abroger, et
cette abrogation ne pouvait résulter de l’article 887,
uniquement relatif aux partages après décès. Il fallait
donc , puisqu’on affectait une section du Code aux
partages faits par l’ascendant, y inscrire la pensée de
la nouvelle doctrine, sans quoi on n’eût pas manqué
d’induire, du silence du législateur, que ces partages
restaient inattaquables comme sous l’ancien droit. Voilà
le motif unique du rappel, dans l’article 1079, de la
faculté déjà inscrite dans l’article 887 pour les partages
après décès. Ce rappel, ainsi motivé, il est impossible
d’en conclure ni que le législateur ait voulu déroger en
rien à la faculté qu’a l’ascendant de disposer pendant
sa vie à ses plaisir et volonté, ni surtout que les en
fants ou descendants puissent, avant d’avoir acquis la
qualité d’héritier, quereller cette disposition, ni moins
encore qu’ils doivent l’attaquer pendant la vie du
donateur.
92ô. — La conséquence logique que nous tirons
de ces prémisses, c’est que la prescription du droit ne
court que du jour du décès. C’est ce que la Cour d’Aix
a jugé le 7 juillet 1842. Son arrêt, rédigé par le savant
magistrat, M. le président Lerouge, résume puissam1 Furgole, des Test., qhap. 8, sect. 1, n°s 149 et suiv.
�274
TR A IT E
ment les raisons de décider que cette opinion peut in»
voquer. A ce titre, il clorra notre discussion beaucoup
plus convenablement que ne le feraient nos propres ob»
servations.
i Considérant que l’ascendant qui fait, par un acte
entre vifs, un partage entre ses descendants, ne donne
et n’entend donner, à chacun d’eux, que les biens
compris dans le lot qu’il lui attribue individuellement ;
que dès-lors ce partage rend, il est vrai, chaque copartagé propriétaire de son lot, mais ne lui confère au
cuns droits sur les biens compris dans les lots des
autres descendants, et par conséquent ne confère aux
différents copartagés aucun droit de propriété sur la
masse des biens faisant l’objet du partage; et comme
il est d’ailleurs incontestable qu’avant le partage entre
vifs les descendants n’avaient aucun droit acquis sur
les biens de l’ascendant donateur, on doit en con
clure : qu’après, comme avant le partage entre vifs fait
par un ascendant, les descendants n’ont, durant sa vie,
aucun droit de copropriété sur la masse des biens com
pris dans le partage ;
i Considérant qu’à la mort de l’ascendant, ses des
cendants, appelés à recueillir sa succession, sont, de
plein droit, saisis de l’universalité de ses biens; que,
dès ce moment, ils ont un droit de copropriété tant sur
tous les biens existants au jour du décès, que sur ceux
qu’on y réunit fictivement pour former la masse, sur
laquelle doivent être calculées la quotité disponible et
la réserve légale ; mais qu’ils tiennent ce droit de co
propriété, non de la volonté de leur auteur, mais de
�nu
1)01.
ET
D E I,A
FRAUDE.
275
celle de la loi, en un mot, de la qualité d’héritier, qui
ne leur est acquise que du jour du décès de l’ascendant
donateur ;
« Considérant que celui qui attaque le partage entre
vifs, fait par l’ascendant, a pour but : d’obtenir un
nouveau partage des biens compris dans l’acte dont il
demande la rescision ; d’où il suit que l’action en res
cision ne peut être intentée que par celui qui aurait
qualité pour demander un nouveau partage;
a Considérant que pour former une demande en par
tage, il faut avoir un droit actuel de copropriété sur la
chose à partager, soit que ce droit dérive de la qualité
d’héritier, soit qu’il dérive d’un titre, tel que l’acquisi
tion en commun, ou la donation faite à plusieurs d’une
chose indivise ;
« Considérant que, du vivant du donateur, le coparlagé qui attaque, pour cause de lésion, le partage entre
vifs fait par l’ascendant, et qui par suite demande un
autre partage, n’a d’autre titre que le partage lui-même,
acte lui conférant seulement la propriété de son lot, et
non la copropriété de la masse des biens ayant fait
l’objet du partage; que le droit de copropriété sur la
masse ne peut dériver pour lui que de la qualité d’hé
ritier, laquelle ne lui est acquise que du jour du décès
de l’ascendant donateur; d’où la conséquence que le
copartagé n’a ni qualité, ni titre pour attaquer, durant
la vie de l’ascendant donateur, le partage entre vifs fait
par celui-ci entre ses descendants;
« Considérant qu’on objecterait vainement que le
titre du copartagé réside dans l’article 1079 du Code
�m
TR A ITE
civil, suivant lequel le partage fait par l’ascendant peut
être attaqué pour cause de lésion de plus du quart;
>1 Considérant que ni dans le passage invoqué, ni ail
leurs, il n’est dit que le copartagé pourra attaquer du
vivant de l’ascendant ; qu’on est donc obligé de sup
poser , pour un cas unique, l’existence d’une faculté
toute spéciale qui ne se trouve nulle part écrite dans la
loi et qu’il eût été nécessaire de formuler en termes ex
plicites ; qu’une telle faculté serait, ainsi qu’on l’a pré
cédemment établi, en contradiction manifeste avec ce
principe incontestable : que l’action en partage n’ap
partient qu’à celui qui a un droit actuel de copropriété
sur la chose à partager ;
« Que non-seulement l’article 1079 ne dit pas que le
copartagé aura le droit d’attaquer le partage entre vifs
durant la vie du donateur, mais qu’il suppose le con
traire. Qu’en effet cet article permet d’attaquer le par
tage dans trois cas : 1° S’il est fait par acte entre vifs ;
2° s’il est fait par acte testamentaire; o° s’il résulte du
partage et des dispositions faites par préciput que l’un
des copartagés aurait un avantage plus grand que la loi
ne le permet ;
« Que, dans les deux derniers cas, le copartagé ne
peut, évidemment, attaquer le partage que lors de l’ou
verture de la succession, c’est-à-dire après le décès de
l’ascendant donateur ; que, pour ces deux cas, l’arti
cle 1079 décide donc implicitement que le partage ne
pourra être attaqué du vivant du donateur; que, dèslors, il n’est pas permis de supposer que le législateur,
sans le dire et contrairement à tous les principes, a
�DU DOL ET DE LA FltAUDE.
277
voulu créer, pour le premier cas, un droit exorbitant
qui autoriserait le copartagé à attaquer le partage entre
vifs, non pas seulement après le décès, mais encore du
rant la vie de l’ascendant donateur;
a Considérant, sous un autre point de vue, que l’as
cendant peut, durant sa vie, disposer de sa fortune de
la manière la plus absolue, suivant sa volonté et même
ses caprices; que si, s’abandonnant à des passions mau
vaises, il avait recours à de coupables manœuvres pour
enrichir les complices de ses égarements au préjudice
des héritiers du sang, ses actes, quelque domma
geables qu’ils fussent, ne pourraient être attaqués qu’après sa mort ; qu’il en serait de même, à plus forte rai
son, si, par acte entre vifs, l’ascendant disposait de sa
fortune entière en faveur de l’un de ses descendants ;
qu’il n’est donc pas possible de comprendre comment
le législateur, qui interdit aux descendants d’attaquer,
du vivant de leur auteur, les actes par lesquels il dis
pose, à leur préjudice, de l’universalité de ses biens,
les autoriserait, par une exception toute spéciale et non
écrite, à attaquer, avant le décès de l’ascendant, un par
tage entre vifs, sous prétexte que les biens ne sont pas
également distribués entre eux; qu’en permettant à l’un
des eopartagés d’attaquer, pour cause de lésion de plus
d’un quart, le partage entre vifs fait par son auteur, la
loi a voulu non pas apporter des restrictions et des en
traves au pouvoir absolu de l’ascendant sur sa fortune
pendant sa vie, mais empêcher que, sous prétexte de
faire entre ses descendants la distribution de ses biens,
il ne blessât trop ouvertement le principe d’égalité qui
�278
Tra
ite
doit présider aux partages ou même qu’il portât atteinte
à la réserve légale de ses descendants; et comme la
qualité d’héritier peut seule donner à ceux-ci le droit
de demander le partage ou de réclamer la réserve lé
gale , il en résulte que l’exercice de l’action qui leur
compète à cet égard, aux termes de l’article 1079, se
trouve suspendu jusqu’au décès de l’ascendant, puisque
c’est à cette époque seulement que la qualité d’héritier
leur sera acquise. »
924. — Il est certes difficile de déduire avec plus de
force, avec plus de certitude, les raisons déterminantes
d’une opinion. Ces motifs, avoués par la raison et le
droit, devaient faire maintenir l’arrêt, si la partie l’avait
déféré à la Cour suprême. Celle-ci n’eût fait, d’ailleurs,
que hâter la décision qu’elle a rendue plus tard. En
effet, revenant sur sa propre jurisprudence, la Cour su
prême a adopté la doctrine qu’elle avait plusieurs fois
repoussée et cassé, en conséquence, un arrêt de Tou
louse fixant au jour de l’acte le point de départ de la
prescription. 1
On peut donc considérer la controverse comme ten
dant à s’effacer. L’avenir du système qui fait courir la
prescription du jour du décès de l’ascendant donateur
nous paraît désormais assuré.
925. — Le partage après décès sera nécessairement
inégal, si l’un des cohéritiers a diverti l’actif de la suc2 août 1848, — I). P., 48, t, 174.
�DB DOL ET DE LA FRAUDE.
279
cession ou exagéré le passif à son profit personnel. Il
importe peu, dans ce cas, que la lésion atteigne ou non
les proportions exigées par l’article 887. Il ne s’agit
plus, en effet, de faire rescinder le partage, mais de le
compléter en opérant la division des choses qu’il ne
pouvait pas comprendre. Aussi, l’article 792 qualifiet-il lui - même de demande de partage supplémentaire
le droit qu’il accorde.
926.
— Dans ce nouveau partage, la position du re
celeur est nettement dessinée par le législateur. Il ne
peut, à aucun titre, prétendre aucune part dans les ob
jets qu’il est condamné à restituer à la succession. Nous
l’avons déjà dit, en pareille matière la loi applique la
peine du talion dans toute sa rigueur. L’auteur du recélé voulait frustrer ses cohéritiers de la part leur re
venant, il sera privé de la sienne.
Les juges ne sauraient, dans la poursuite de ce but,
déployer une trop grande sévérité. Les choses, en effet,
ne sont pas égales. Les réclamants ont le devoir de
prouver la soustraction, ce qui est difficile et, ce qui
l’est bien davantage, le chiffre exact auquel elle s’élève.
Nanti frauduleusement de ce qui ne lui appartient pas,
le recéleur a pour lui d’abord la chance de n’être pas
convaincu, ensuite l’incertitude qui régnera forcément
sur le montant de ce qu’il devra restituer. De telle sorte
que, même après condamnation, il pourra lui rester
une indemnité plus que suffisante des effets de cette
condamnation. C’est à la justice des tribunaux à com
penser et à faire disparaître cette inégalité, dût sa dé
�280
t r a it e
cision aller au-delà de la vérité. L’équité n’en serait
nullement blessée. Obliger un voleur à rendre plus qu’il
n’a pris ne saurait être envisagé comme un malheur
trop regrettable, car le préjudice qui en résulterait
ne serait qu’une conséquence de son improbité même.
Il n’v a donc pas à hésiter. Le recélé étant constant,
on ne doit pas craindre d’élever le chiffre de la con
damnation autant que le permettra la plus stricte vrai
semblance.
927. — Le caractère du détournement ressort suf
fisamment du fait lui-même. Celui qui s’empare de ce
qu’il sait ne pas lui appartenir, qui s’efforce de le re
tenir à son avantage exclusif, serait mal venu à pré
tendre avoir agi de bonne foi. Sa conduite est en con
tradiction flagrante avec son allégation. On ne pourrait
donc accueillir celle-ci que si, appuyée de faits décisifs,
elle se trouvait justifiée par des considérations de na
ture à détruire la présomption que la première fait
naître.
On reconnaîtra donc le recélé punissable, à la réu
nion de ces deux conditions: 1° la possession illégitime
d’un objet appartenant à la succession réalisée à l’insu
des intéressés; 2° l’intention de s’en appliquer exclusi
vement le profit. A ce titre, le fait d’avoir détourné des
titres de créance au nom du défunt et d’en avoir obtenu
le renouvellement en son nom constituerait évidem
ment la fraude punie par l’article 792 du Code civil.
928. — L’absence d’une de ces conditions fait dis-
�DU DOI. ET DE LA FRAUDE.
‘2 8 f
paraître toute culpabilité en rendant tout préjudice im
possible. Ainsi, la possession étayée d’une prétention
même injuste ou non admissible ne caractériserait pas
la fraude. C’est par ce principe qu’on a admis que le
cohéritier, avouant la détention de la chose prétendue
commune, mais qui déclarerait l’avoir reçue en don du
défunt lui-même, n’encourrait pas la peine du recèle,
alors même que, succombant dans ses prétentions, il
serait condamné à rapporter la chose à la masse com
mune. 1
929.
— Il ne faudrait pas cependant donner à cette
solution une extension trop grande. On s’exposerait au
trement à annuler une peine dont le maintien est une
sauve garde essentielle au principe de l’égalité dans les
partages. Forcé dans ses derniers retranchements, le re
celeur ne manquerait pas de se rejeter, en désespoir de
cause, sur une excuse devenue bientôt banale en ma
tière de recélé. Il faut que cette excuse repose sur une
évidente bonne foi, et celle-ci, à son tour, doit résulter
de la conduite que le détenteur a suivie depuis le décès
de l’auteur commun. S’il n’a jamais mis dans ses ac
tions le moindre mystère, s’il n’a jamais caché la pos
session, s’il en a lui-même révélé l’existence en indi
quant le titre en faveur duquel il la détenait, on croira
à sa bonne foi, qu’une conduite contraire ferait inévita
blement repousser. Celui qui ne cache rien prouve suf
fisamment qu’il n’a rien à cacher, ce qui ne se réalise
jamais dans le cas de fraude. Dès-lors, le titre invoqué,
' Caen, 6 novembre 1827.
�282
TRAITÉ
même annulé par les tribunaux, ne laisse pas de légi
timer la possession jusqu’au moment de la sentence.
930. — Il n’y aurait pas non plus divertissement
prohibé dans la détention d’effets déjà portés dans l’in
ventaire. L’article 792 ne punit que la soustraction que
le cohéritier n’a ni connue, ni pu connaître, et rencon
trant dans cette ignorance même les plus grandes
chances de réussite. Or, la mention insérée dans l’in
ventaire dissipe toute idée d’ignorance et sauvegarde
l’intérêt commun, chaque cohéritier pouvant , dès-lors,
facilement exiger qu’il soit fait raison de ces effets.
L’omission de cette réclamation est alors considérée
plutôt comme le résultat d’un accord tacite, que celui
d’une fraude du défendeur.
Si cependant celui-ci laisse le partage s’accomplir
sans recombler les effets communs et sans tenir compte
de leur valeur, on pourrait le considérer comme ayant
véritablement recèle, surtout si l’absence de réclama
tions de la part des copartageants n’est que la consé
quence de la persuasion que les objets ont péri, fausse
ment inspirée par celui-là même qui les détient.
931. — Il résulte, en outre, de ce qui précède,
qu’on ne pourrait appliquer la peine de l’article792 au
cohéritier qui, détenant à l’insu des autres des valeurs
de la succession, en aurait, de lui-même et avant toute
réclamation des intéressés, indiqué et signalé l’exis
tence. La bonne foi d’une telle démarche ressort avec
une telle évidence, qu’elle effacerait le vice de la pos-
�nu
DOL ET DE LA FRAUDE.
‘2 83
session, alors même qu’elle n’aurait pas pour résultat
de rendre tout préjudice impossible.
Mais il importe que l’indication, pour qu’elle pro
duise cet effet, soit le fait d’une volonté spontanée et
libre de la part de celui qui la donne. Celle faite après
la demande de restitution manquerait de ce caractère;
elle ne serait plus qu’un aveu arraché par l’évidente
justice de cette demande, par la crainte d’une condam
nation dès-lors imminente et le désir d’en éluder les
effets. Elle resterait donc sans influence à l’endroit de
celte condamnation et des conséquences devant en ré
sulter. Il serait immoral de laisser indemne celui qui a
persisté dans sa déloyauté tant qu’il a pu se flatter qu’elle
resterait inaperçue, et qui , se voyant découvert, n’a
plus qu’un intérêt, à savoir : retenir sa part des objets
qu’il projetait de s’appliquer intégralement. Consé
quemment, présumée faite dans cette intention, la re
connaissance qu’il ferait resterait sans effet, à moins
que par le peu d’importance des objets recèles on ne
dût admettre que sa lardiveté est due à un oubli pré
sumable.
Ainsi, il y a recédé punissable toutes les fois qu’une
chose a été distraite de la masse frauduleusement et à
l’insu des communistes; et que l’intention d’en profiter
à leur détriment n’a pas été abandonnée spontanément
et avant toute réclamation de ceux-ci.
952. -- Dans l’application de la peine édictée par
l’article 792, on n’a pas à se préoccuper de l’époque
à laquelle remonte le divertissement reproché. Celui
�284
T R A IT É
consommé avant la mortde l’auteur commun se trouvé
atteint aussi bien que celui qui l’aurait accompagné
ou suivi. Dans le premier cas, seulement, la présomp
tion d’une libéralité acquerrait une plus ou moins
grande importance, suivant que la vie de l’auteur se
serait depuis plus ou moins prolongée.
935.
— Ce que la loi a voulu prévenir par l'arti
cle 792, c’est l’inégalité dans les parts, alors que les
droits sont égaux; c’est le préjudice résultant pour une
partie de l’atteinte à cette grande règle. Or, celte at
teinte existera soit qu’on fasse disparaître l’actif direc
tement par une soustraction, soit indirectement en exa
gérant sciemment le passif.
Conséquemment, l’héritier qui par collusion avec un
tiers ou qui, après avoir simulé des dettes, prétendra
les avoir payées et donnera ainsi lieu à des prélèvements
devant tourner à son avantage, se rendra coupable de
recélé et encourra justement la peine prononcée par
la loi. Les tiers, complices de la fraude, pourront être
solidairement poursuivis et condamnés à la restitution
du montant de ces prélèvements.
934. —• La privation de toute part sur les valeurs recélées est prononcée par la loi, comme indemnité du
préjudice éprouvé par les intéressés. Il semble dès-lors
que les parties ne pourraient demander et les juges pro
noncer d’autres dommages-intérêts. Cependant , s’il
était prouvé qu’un préjudice, autre et plus important
que Celui résultant de la privation momentanée de la
�nu
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
285
chose, a été réellement souffert par les cohéritiers ou
par l’un d’eux, les juges pourraient en ordonner la ré
paration. N’oublions pas que la fraude du recéleur est
assimilable au dol, et qu’en cette dernière matière, les
dommages-intérêts doivent s’étendre aux conséquences
immédiates et directes de l’acte.
935. — Le recélé étant de nature à léser d’autres
intérêts que ceux des cohéritiers, la loi en a réglé les
conséquences par rapport aux tiers. Nous en parlerons
en traitant des droits des créanciers contre les fraudes
de leurs débiteurs.
936. — Nous terminerons ce qui est relatif aux co
héritiers par cette observation que la minorité du re
céleur ne serait pas un obstacle à l’application de la
peine, en ce qui concerne la privation de toute part dans
les objets recélés. Que le mineur ne puisse pas être hé
ritier pur et simple, c’est un privilège que la loi a for
mellement garanti, mais, tenu de son dol, il doit l’être
de sa fraude, surtout lorsque cette fraude est, comme
nous venons de le rappeler, assimilable au dol; rien
n’empêche donc de le punir comme le serait le majeur,
c’est-à-dire qu’ayant volontairement voulu priver ses
cohéritiers d’une partie de ses droits, il est juste qu’il
perde les siens dans une proportion égale.
Bien entendu que le mineur ne peut être responsable
que de son fait personnel, ainsi, si le recélé était l’œuvre
de son tuteur, on ne saurait, sous aucun prétexte, en
exciper contre lui, seulement il serait tenu de restituer
le profit illégitime qui lui en serait revenu.
«
�286
TRAITE
SECTION HI. — FRAUDE DANS LA VENTE ET L’ÉCHANGE
SOMMAIRE.
937.
938.
939.
940.
La vente peutdevenir un moyen ou une cause de fraude.
Elle peut servir à déguiser le prêt usuraire.
Ce que c’est que le contrat mohatra.
Fraude évidente qu’il renferme, absence de l’intention
d’acheter.
941. Mais cette circonstance doit être connue de l'autre
partie.
942. Rachat par le vendeur ou par une autre personne, ex
clut l’intention sérieuse de vendre.
943. L’action en fraude de la partie elle-même ne pourrait
être repoussée.
944. Contrat pignoratif déguisé sous la forme d’une vente.
945. Appréciation de ses caractères sous l’empire du droit
ancien.
946. Appréciation sous le Code.
947. L’acte nul, comme contrat pignoratif, vaudra comme
obligation.
948. L’appréciation de la nature de l’acte est abandonnée à
la prudence du juge.
949. Fraude dans la délivrance de la chose vendue. Abus
de la jouissance.
950. Facilité de justifier cet abus, selon que la fraude a été
commise in commitiendo ou in omittendo.
951. Retard dans la livraison, comme l’absence complète de
toute livraison, peut constituer une fraude. Actions
qui en naissent.
�DU DOL E T
DE LA F R A U D E .
287
952. L’article 1610 ne distingue pas la faute de la fraude.
Motifs.
953. Faculté d’accorder un délai, atténue la rigueur de la
règle.
954. Autre atténuation dans l'allocation des dommages-in
térêts.
955. La faculté de proroger le terme de la livraison doit-elle
être appliquée aux ventes commerciales.
956. Toute modification, faite à la chose vendue depuis la
vente, constitue une fraude.
957. Conséquence quant aux meubles incorporés et aux ca
pitaux attachés à l’exploitation.
958. Quant aux récoltés pendantes par racines et aux arbres
radiques.
959. La tromperie sur la nature de l’objet vendu est un délit.
960. La contrefaçon des marques de fabrique, l’usurpation
du nom du fabricant, la fausse indication du lieu de
la production, est assimilée à la tromperie sur la
nature.
961. Caractère de la tromperie sur la qualité. Conséquences.
962. Cas dans lequel la différence de la qualité entraînerait,
même après livraison, la résiliation de la vente.
963. La livraison d’une chose qu’on sait impropre à sa des
tination est une fraude. Obligation qui en naît.
964. Nature de la tromperie sur la quantité.
965. Vente de la chose d’autrui. Ses effets diffèrent selon
que le vendeur a agi avec bonne ou mauvaise foi.
966. Effet de la fraude consistant à vendre deux fois le même
objet.
967. Le second acquéreur pourra-t-il soutenir que la pre
mière vente est simulée?
968. Distinction à faire pour la solution de cette question.
969. Fraudes de l’acquéreur. Refus ou retard de prendre li
vraison. Effets de l’un ou de l’autre.
970. Effet du retard dans le paiement.
971. La fraude des experts chargés de déterminer le prix de
la vente peut-elle nuire ou profiter aux parties ?
972. La négative était enseignée en droit romain.
�288
T raite
973. Dans notre ancien droit, Pothier enseigne la nullité de
la vente. Mais la validité en est soutenue p’ar Despeisses.
974. C’est à l’opinion de celui-ci que s'est, rangé M. Troplong.
975. Réfutation.
976. A quels caractères reconnaîtra-t-on la fraude?
977. Toutes dégradations volontaires, tant que le prix n’a
pas été payé, constituent une fraudé. Droit qu’elles
ouvriraient au vendeur.
978. Le vendeur non payé a le droit d’attaquer la revente
opérée par son vendeur, comme faite en fraude de
sesdroits.
979. Les principes applicables à la vente s’appliquent égale
ment à l’échange.
980. La découverte que la chose donnée par le copermutant ne lui appartient pas autorise l’autre à refuser
la livraison de la chose promise, si elle est encore
entre ses mains.
981. Si l’échange a reçu sa complète exécution lors de cette
découverte, l’échangiste pourra-t-il poursuivre la
résolution avant même d’être troublé dans la posses
sion de la chose par lui reçue ?
982. Quels seraient, dans ce cas, les effets légaux de la res
cision ?
983. La revendication serait-elle permise contre le tiers ac
quéreur ?
984. La ratification du propriétaire n’empêcherait pas la
rescision.
985. Mais elle influerait sur la détermination des dommagesintérêts.
986. Peut-on cumuler les dommages-intérêts et la reprise
de la chose ?
987. L’appréciation de ceux-ci obéit aux dispositions des ar
ticles 1634, 1635 et 1641 du Code civil,
988. En quoi doit consister le dédommagement, si l’échan
giste opte pour une allocation pécuniaire, de préfé^
rence à la reprise en nature ?
�DU DDL ET DE I.A FKAUDE.
289
989. Motifs qui ont fait admettre l’exclusion de l’action en
lésion contre l’échange ?
990. Cette règle reçoit exception en matière de fraude.
991. Elle en reçoit une autre dans le cas où l’échange dé
guise une vente à vil prix.
992. A quels caractères reconnaîtra-t-on qu’il y a vente et
non échange?
993. Distinction à observer dans l’appréciation de la soulte.
957.
— La vente ne peut réellement exister qu’autant qu’il y a eu chez les parties intention d’acheter et
de vendre, consentement sur la chose et sur le prix.
L’absence d’une de ces conditions ne permettrait pas
de reconnaître une vente, quelle que fût l’apparence
donnée par les parties au contrat. Alors, en effet, la
qualification que l’acte a reçue n’est qu’un mensonge
couvrant une simulation destinée à tromper des tiers
ou à éluder une loi prohibitive.
D’autrefois c’est bien une vente que les parties ont.
consentie, mais la fraude, excitée par un intérêt ulté
rieurement éveillé, se glisse dans l’exécution et en dé
nature les caractères et les conséquences.
La vente peut donc devenir un moyen ou une cause
de fraude. C’est sous ce double aperçu que nous allons
l’examiner.
958- — Comme moyen, soit de tromper les tiers,
soit d’éluder la loi, la vente constitue une pure .simula
tion. Nous aurons à l’examiner en nous occupant plus
tard de celle-ci. La fraude dont nous nous occupons ex
clusivement dans ce moment étant celle d’une partie
contre l’autre.
H
Î8
�290
t r a i t e
A ce dernier titre, la vente peut servir à déguiser
une des fraudes les plus dangereuses, le prêt usuraire.
Un prêteur avide ne pouvant stipuler des intérêts en
dehors du taux légal, paraît vendre ou acheter, soit des
objets mobiliers, soit un immeuble. Il ne fait en réalité,
dans le premier cas, que l’acte que l’ancienne juris
prudence qualifiait de contrat-mohair a; dans le second,
qu’un contrat pignoratif.
939. — Ce qui constitue le contrat mokalra, c’est
la livraison d’objets mobiliers immédiatement revendus
par l’acquéreur à un prix inférieur à celui qu’il paraît
en avoir donné, soit à son vendeur lui-même, soit à
une personne interposée. Ce qui résulte de cette opéra
tion, c’est que l’achat étant contracté à crédit, l’ache
teur reste débiteur du prix; qu’il ne reçoit cependant
que les sommes provenant de la revente au comptant ,
et qu’ai nsi, pour une valeur de ICO francs, il se trouve
avoir souscrit une obligation de 500 francs.
940- — H est évident dans ces circonstances que le
désir de se procurer quelques fonds a été le seul mobile
de l’acheteur. La simultanéité de l’achat et de la re
vente prouve suffisamment qu’il n’a jamais eu l’in
tention de se rendre sérieusement acquéreur; et, ce
qui le démontre mieux encore, c’est que souvent la
prétendue vente porte sur des objets sans valeur réelle
pour celui qui est censé les recevoir. C’est, un fils de
famille étranger au commerce à qui on vend une pa
cotille de vieilles marchandises, une batterie de cuisine,
�DU DOL E T
DE
LA F R A U D E .
291
un chameau même, car les usuriers, clans les grandes
villes, disposent un peu de tout.
Ainsi, de la part de l’acheteur, l’intention d’acquérir
n’a jamais existé. Il n’y a même le plus souvent, par
rapport h lui, aucun objet pouvant faire sérieusement
la matière du contrat. Il ne peut donc, pour lui, exister
un lien de la nature de celui qu’on a voulu lui imposer.
C’est un prêt et non une vente qu’il a évidemment
signé.
L’exécution donnée à l’acte l’indiquerait au besoin
suffisamment. On ne peut, en effet, admettre qu’il y a eu
achat sérieux, lorsqu’on voit l’acheteur revendre im
médiatement ce qu’il vient d’acquérir sans aucune né
cessité, sans nul besoin. Voilà pourquoi la revente est
de l’essence du contrat que nous examinons. Car si
l’acheteur, ayant pris livraison réelle et effective, a
gardé les objets en sa possession pendant un temps plus
ou moins long, la revente à perte qu’il en aurait réalisée
plus tard, ne se liant plus intimément à l’achat, ne
pourrait seule faire suspecter le caractère de celui-ci.
941. — Mais ce n’est pas tout que l’absence de l’in
tention d’acheter chez une des parties, il faut encore
que l’autre ait connu cette circonstance au moment où
elle traitait. Or, cette connaissance résulterait, contre
le vendeur, de ce qu’il aurait coopéré à la revente,
en rachetant lui-même ou en faisant racheter dans
son intérêt par une personne interposée. Cette conduite
ferait donc de plein droit admettre la fraude avec toutes
ses conséquences.
�292
t r a it e
942.
— Le rachat par le prétendu vendait* est sans
doute une circonstance considérable. Cependant l’ab
sence de dette condition he serait pas de nature à ex
clure toute idée de fraude de sa part, si d’ailleurs il
est démontré qu’il n’a pu ignorer que la revente était
la conséquence forcée de l’achat. S’il suffisait, en effet,
pour que le titre fût, par rapport à lui, considéré
comme légitime, qu’il fût resté étranger à cette re
vente, l’usure la plus effrénée prendrait bientôt sa place
dans un grand nombre de transactions, certaine qu’elle
serait de sortir triomphante des plaintes qu’elle pour
rait exciter.
•
.
I
Il importerait donc peu que le vendeur n ’eût pas
racheté lui-même personnellement ou par personne in
terposée. Dès que de lui au prétendu acquéreur il s’est
agi d’un prêt; que ce n’est qu’en vue de ce prêt que
des objets mobiliers ont été livrés, il n’a pu ignorer
qu’il ne pouvait s’agir de la possession de ces objets;
que ce n’est que pour les revendre à tout prix que l’a
cheteur les a acceptés ; il s’est donc, en traitant dans
ces conditions, rendu coupable d’une fraude que la pré
tendue vénté a pour objet de déguiser, la peine qü’il a
dès-lors encourue doit être appliquée sans hésitation.
L’acte doit être en conséquence ramené à ses véritables
termes. C’est Un prêt, et tout Ce qui doit être restitué,
c’est la valeur réellement reçue par l’emprunteur, aug
mentée des intérêts légaux.
Au reste, dans une appréciation de cette nature, lés
antécédents et l'a position respective des parties sont
de nature h exercer la plus grave influence. Ainsi l’ha-
�DU DOL E T
DE
LA F R A U D E .
293
bitude de l’usare d’une part, de l’autre une éducation
éloignant toute idée de trafic, étrangère à toute opéra
tion commerciale, fixerait la portée d’une vente dont la
légitimité exigerait l’usage de l’un ou de l’autre.
943. — Contre une pareille vente, le reproche de
fraude est toujours admissible même par la partie qui y
a concouru. Vainement voudrait-on exciper de la règle
nemo auditur turpitudinem suam allegans. L’usure est
prohibée par la loi. Sa répression intéresse l’ordre pu
blic. O11 ne peut donc renoncer, et moins encore se
rendre nomrecevable à s’en prévaloir. Comme consé
quence de ce principe, celui qui se plaint d’en avoir été
victime est autorisé à le prouver non-seulement par
témoins, mais encore par de simples présomptions.
L’appréciation de la pertinence de la preuve, ses
conséquences par rapport à l’acte attaqué, sont laissées
à l’arbitrage souverain des magistrats. La décision par
laquelle il est déclaré en fait qu’une vente d’effets mo
biliers constitue un prêt usuraire déguisé, échappe à la
censure de la Cour de cassation.1
944. —- La vente des choses mobilières n’a pas seule
le privilège de déguiser un contrat de prêt usuraire.
L’aliénation d’un immeuble peut 11’avoir que cet objet.
La vente prétendue n’est alors qu’un contrat pignoratif
que l’existence de l’usure peut faire annuler.2
�294
T R A IT E
Donner en gage un immeuble soit par antichrèse,
soit sous la forme d’une vente, n’a rien en soi d’illicite,
lorsque, fidèles à la pensée qui a dicté le contrat, les
parties se conforment dans l’exécution à son véritable
caractère.
Mais l’antichrèse se prête peu à déguiser l’usure. Les
loyers perçus, rapprochés des sommes à payer, indi
quent d’une manière précise le taux auquel les intérêts
ont été exigés. Il n’en est pas de même du contrat pi
gnoratif; par l’apparence du contrat, le prêteur est en
possession des immeubles, et si, le délai du réméré ex
piré, il prétend se les approprier définitivement, il peut
ainsi consommer l’usure la plus effrénée.
L’attention des magistrats ne doit donc point se lais
ser distraire par la couleur donnée à l’acte, elle doit se
porter avec soin sur la véritable intention des parties,
et saisir les véritables caractères de la convention.
945- — Les éléments de cette appréciation avaient
été déterminés par la jurisprudence ancienne, alors que
la nature réelle de l’acte avait, sur sa validité, la plus
haute, la plus décisive influence. A cette époque, en effet,
la législation civile, se conformant au précepte du droit
canonique, prohibait, d’une manière absolue, le prêt à
intérêt sans aliénation du capital, et la connaissance des
cas d’usure était abandonnée aux tribunaux ecclésiasti
ques. Cette prohibition, plus conforme au mysticisme
religieux qu’aux franches notions de l’équité et de la
justice, n’avait abouti qu’à produire des efforts succes
sivement tentés pour l’éluder. C’est à ce titre qu’on
�l) ü
DOL E T
DE LA F R A U D E .
295
avait d’abord recouru à l’antichrèse, bientôt déclarée
illégitime.
Les créanciers, n’osant plus accepter des immeubles
en gage avec pacte d’en percevoir les fruits pour leurs
intérêts, imaginèrent de les acheter avec faculté pour
les vendeurs de les reprendre dans un délai déterminé,
èt, comme aux termes du droit romain, ' la chose don
née en gage pouvait être louée par le créancier à son
débiteur, ils relouèrent à leurs vendeurs les fonds que
ceux-ci leur avaient vendus. Ces contrais furent nom
més pignoratifs, parce que la vente qui y était stipulée
n’était véritablement qu’une impignoration ou engage
ment. 2
L’effet de ce contrat ne fut pas de transférer la pro
priété sur la tête de l’acquéreur; celui-ci, à l’expiration
du délai fixé pour le rachat, prorogeait la faculté de
l’opérer et la relocation. Dans le cas contraire, il faisait
saisir et vendre les immeubles, après commandement
de payer le capital et les arrérages qualifiés de loyers.
Mais c’était là un nouveau moyen d’éluder la prohi
bition de la loi, à l’égard du prêt à intérêt, et de retirer
de son capital un profit que l’aliénation seule de ce ca
pital pouvait autoriser. En conséquence, un arrêt du
Parlement de Paris, du 29 juillet 1572,déclara ces con
trats nuis et usuraires, défendant d’en passer aucun à
l’avenir, sous peine de confiscation et d’amende.
1 L. 57, Dig. de Adqu. et amit. poss. ; — 1. 37, Dig. de Pignoralilia actione.
2 Lecamus, Traité des intérêts, p. 348.
�296
T R A IT E
Cette jurisprudence ne servit qu’à aggraver' la po
sition des débiteurs. Le contrat pignoratif ne cessa pas
d’être pratiqué, seulement, dans le but d’éviter la peine
qui les menaçait, les acquéreurs soutinrent que le
contrat renfermait une vente sérieuse et réelle, en force
de laquelle ils conservaient la possession définitive de
l’immeuble, faute par le débiteur d’avoir usé de la fa
culté de racheter dans le délai stipulé.
De là, de nombreux litiges sur le véritable caractère
de l’acte. En effet, si le créancier avait intérêt à le faire
considérer comme une vente, le débiteur n’avait pas un
intérêt moindre à le faire déclarer un contrat pignoratif,
car, maintenu dans le premier cas, il était annulé dans
le second. On s’appliqua dès-lors à la recherche des ca
ractères auxquels on devait reconnaître le contrat pig
noratif, et à préparer ainsi les éléments de la solution
que la difficulté devait recevoir. Ces caractères furent :
1° la vileté du prix ; 2° la faculté de rachat; 3° la relo
cation au vendeur.
Prise isolément, chacune de ces circonstances ne
pouvait paraître exclusive d’une vente réelle, mais leur
réunion avait été considérée comme constitutive de
l’impignoration. Cette doctrine, professée par tous les
auteurs, avait été formellement consacrée par la juris
prudence.
Le décret du 2 octobre 1798 ayant permis le prêt à
intérêt avec ou sans aliénation du capital, le contrat
pignoratif devint parfaitement licite, à la charge toute
fois de ne pas favoriser une spoliation usuraire. Cette
dernière condition cessa même de devenir un obstacle
�lorsque la loi du 11 avril 1793, proclamant l’argent
marchandise, chacun put stipuler l’intérêt qu’il lui
plaisait exiger.
II est vrai que l’effet de cette loi fut d’abord suspendu
par des lois subséquentes et plus tard anéanti par le Code
civil. Mais ce n’est que par la loi de septembre 1807
que le taux de l’intérêt, soit conventionnel soit légal, a
été fixé.
946.
— L’admission par le Code civil du prêt à in
térêt autorise aujourd’hui l’antichrèse et le contrat pig
noratif. Mais le désir d’éluder la loi de 1807 peut
rendre ce dernier un instrument d’usure; dans ce cas,
mais dans ce cas seulement, la loi a dû le proscrire. La
difficulté réside donc tout entière encore dans la déter
mination du caractère de l’acte, lorsque les parties ont
adopté la forme de la vente; ce caractère posé, la ques
tion de savoir s’il y a usure ne constitue plus qu’une
opération arithmétique.
La difficulté est donc, quoique sous un aperçu dif
férent, ce qu’elle était sous l’empire de notre ancienne
législation. La règle alors suivie devient conséquem
ment parfaitement applicable. On reconnaîtra le contrat
pignoratif si la prétendue vente renferme les trois ca
ractères ci-dessus indiqués, à savoir : la vileté du prix,
la faculté de rachat, la relocation.1
Si
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947. — L’acte déclaré contrat pignoratif sera nul
1 Vid. infra, sect. 6, nos 1174 et suiv.
‘\ \ r
�298
t r a it é
comme vente, valable comme obligation jusqu’à con?
currence du capital prété et des intérêts légaux. Toute
usure disparaîtra dès-lors au moyen de l’imputation des
sommes reçues sur ces intérêts, et subsidiairement sur
le capital, dont le solde sera ainsi parfaitement déter
miné.
948. — C’est aux tribunaux qu’il appartient d’ap
précier souverainement l’exception proposée par le dé-r
biteur et les moyens que le créancier fait valoir. Aux
éléments matériels qui précèdent, vient se joindre un
élément moral que l’ancienne jurisprudence n’avait pas
négligé, à savoir : les antécédents de ce créancier. L’ha
bitude d’usure , consueludo fœnerandi, établie contre
lui ferait facilement présumer la vérité du reproche
qui lui serait adressé dans cette circonstance.1
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949. — L’exécution d’une vente sincère et légitime
dans son principe peut devenir une occasion de fraude.
C’est ce qui se réalise, lorsqu’une des parties tente de
se soustraire aux obligations qu’elle s’est imposée soit
pour la délivrance, soit pour l’acceptation et le paie
ment du prix.
Le devoir, pour le vendeur, de délivrer la chose
vendue implique nécessairement celui de veiller jusquelà à sa conservation. Conséquemment, s’il abuse de la
jouissance qui lui a été laissée, si, loin d’y apporter les
soins et la vigilance d’un bon père de famille, il la dé-
�DU DOL
ET DE
LA
FR A U D E .
299
laisse et l’abandonne, il se rend coupable d’une fraude
l’obligeant à réparer le préjudice en résultant.
950.
— Les torts du vendeur sont facilement appré
ciables, lorsque la fraude résulte d’un fait positif, in
commiltendo. Un individu vend un cheval ou un im
meuble livrable à une époque déterminée; dans l’inter
valle de la vente à la livraison, il soumet ce cheval à un
travail forcé ou lui refuse la nourriture nécessaire, il
dégrade volontairement l’immeuble, laisse des tiers
abattre des murailles, enlève ou permet d’enlever les
portes ou les fenêtres. On n’hésitera pas à le rendre res
ponsable de tous ces faits qui pourront, suivant les cir
constances, se résoudre en des dommages-intérêts ou
même autoriser la résiliation de la vente. La preuve des
faits matériels est par elle-même démonstrative de la
fraude, et cette fraude équivalant au dol, l’étendue,des
dommages-intérêts se détermine par les règles que nous
avons exposées en traitant de celui-ci.1
Il y aurait plus de difficultés dans le cas où le re
proche de fraude est fondé sur un fait négatif, in omittenclo. L’appréciation ne porte plus alors sur les consé
quences d’un fait matériel convenu ou établi, c’est
l’existence de ce fait, c’est le degré d’imputabilité qu’il
s’agit de déterminer. A cet égard, il importe de rap
peler que les tribunaux sont appréciateurs souverains
de l’un et de l’autre. Ce qu’ils ne doivent jamais perdre
de vue, c’est que la négligence, poussée jusqu’à de cer1 Vit!. supra, nos 507 et siiiv.
�300
Tl t Al T E
laines limites, atteint aux proportions du dol, qu’el|e
en produit tous les effets, qu’elle doit aussi en produire
les conséquences : Dissoluta necjligentia prope dolum
est.
951. — Ce n’est pas tout de conserver la chose, il
faut encore la livrer au terme convenu. Le retard ou
l’impossibilité d’opérer cette livraison constitue une
fraude, si l’un ou l’autre n’est que la conséquence d’un
fait volontairement réalisé par le vendeur. Le défaut de
livraison, le retard même donne ouverture à l’action en
délivrance ou en résiliation avec dommages-intérêts,
s’il est résulté un préjudice de l’un ou de l’autre.
952. — L’article 1610 du Code civil, quant à cette
double action, ne distingue même pas entre la fraude et
la simple faute. Il suffit que l’inexécution se soit réa
lisée; qu’elle ail déterminé pour l’acheteur un préju
dice quelconque pour que le droit qu’il consacre soit
ouvert. Ou ne saurait qu’approuver le parti auquel s’est
arrêté le législateur, car toute distinction à cet égard ne
pouvait que créer une multitude de difficultés et en
traver la justice elle-même. D’ailleurs, en pareille ma
tière on peut répéter, avec le droit romain : F ram non
in consilio, sed in evenlu. Qu’importe, en effet, la bonne
foi du vendeur, si, en définitive, en ne s’exécutant pas,
il a causé à l’acheteur un préjudice exactement sem
blable à celui que la mauvaise foi aurait pu causer.
Ajoutons que la nuance qui sépare la bonne foi de
la fraude est souvent imperceptible, surtout en matière
�DU D 0 I.
ET DE
LA FR A U D E .
301
commerciale. La hausse ou la baisse survenue depuis le
marché joue trop souvent le plus grand rôle dans les
difficultés que la délivrance fait éclore. Il était donc
prudent de les prévenir en ne s’arrêtant qu’au fait ma
tériel du défaut de livraison au terme convenu.
955.
— Au reste, le législateur a fait la part de l’é
quité en permettant aux juges d’accorder un délai pour
opérer la livraison. 1 Cette faculté, ils pourront en user
lorsque la bonne foi du vendeur sera établie. Ils ne croi
ront jamais devoir y recourir lorsque la fraude aura
seule déterminé le retard. Cette latitude, laissée à leur
justice, atténue donc singulièrement la sévérité du prin
cipe de l’article 1610.
954. — Nous retrouvons une atténuation non moins
importante dans la fixation du chiffre des dommagesintérêts. Là encore la bonne foi se distingue de la
fraude, car, dans le premier cas, les seuls dommages
qu’on puisse accorder sont ceux prévus au moment du
contrat et propter rem ipsam non habitam. La fraude,
au contraire, mettrait à la charge du vendeur tout le
préjudice directement imputable à l’inexécution.
Ainsi, la distinction que la loi n’admet pas en principe
entre la simple faute et la fraude, se retrouve dans les
conséquences que chacune d’elles doit entraîner. La
faute commise de bonne foi fait ce que la fraude exclut
positivement, à savoir : proroger le délai de la livrai
son, modérer dans tous les cas les dommages-intérêts.
' Art. USA du Code civil.
�302
T R A IT E
955- —■ La doctrine et la jurisprudence ont admis
l’application de l’article 1184 du Code civil aux ventes
commerciales. Mais c’est surtout dans cette matière
qu’on doit se prescrire une extrême prudence dans
l’usage de la faculté de proroger le délai de la livrai
son. L’esprit du législateur ne nous paraît pas com
porter, quant à ce, l’ombre d’un doute. Cet usage n’est
réellement admissible que lorsque la prorogation du
délai est démontrée ne pouvoir entraîner aucun in
convénient réel pour l’acheteur.
Cela se rencontrera fréquemment dans les ventes or
dinaires de meubles destinés à être jouis par celui qui
les achète. Le retard que cette jouissance peut éprou
ver n’aura pas, à tout prendre, de bien graves incon
vénients. On comprend, dès-lors, que la bonne foi du
vendeur en retard de livrer prévale sur la rigueur du
droit.
Mais il en est autrement dans les transactions com
merciales. Celui qui n’achète que pour revendre, qui
souvent même a revendu immédiatement après avoir
acheté, a le plus grand intérêt à recevoir les marchan
dises au jour indiqué, soit pour profiter du cours avan
tageux à cette époque, soit pour livrer lui-même à son
acheteur. Tout retard peut devenir un véritable danger,
car une marchandise admirablement tenue aujourd’hui
peut subir dans les vingt-quatre heures une telle fluc
tuation, qu’au lieu du gain assuré que l’acheteur eût
réalisé, s’il eût reçu la veille, c’est une perte sur le prix
d’achat que la réception opérée le lendemain lui im
posera. Dans de pareilles circonstances, il est évident
�DU DOL E T
DE LA F R A U D E .
303
que toute faveur pour l’un deviendrait une iniquité pour
l’autre, et cela suffit et au-delà pour que les tribunaux
s’abstiennent d’user de la faculté que la loi leur laisse.
956. — C’est la chose vendue telle qu’elle existait
au moment du contrat, telle qu’elle a été promise, qui
doit être livrée. Toute modification, toute tromperie sur
la nature, la qualité ou la quantité constitue une fraude
pouvant servir de fondement à l’action de l’acheteur.
957. — Ainsi, la vente d’un immeuble comprend
virtuellement les meubles incorporés, les capitaux at
tachés à l'exploitation.. Le vendeur ne peut donc, à
moins de réserves expresses, enlever les uns ou les au
tres. Il importerait peu que cet enlèvement eût été réa
lisé avant la rédaction de l’acte, s’il l’avait été depuis
la conclusion du marché ou même depuis la visite des
lieux, l’existence de ces meubles et capitaux, connue
de l’acquéreur, entre dans les éléments sur lesquels il
établit le prix qu’il doit offrir. On ne pourrait donc, sans
altérer son appréciation, les enlever à son insu et sans
son adhésion.
Le vendeur ne pourrait, pour justifier l’enlèvement,
exciper du silence de l’acte. L’acquisition de l’immeu
ble entraîne celle de tout ce qui s’y est uni ou incor
poré. On n’a nul besoin d’énoncer un fait que le droit
commun crée et admet; on n’a à s’occuper des meubles
incorporés et des capitaux que si les parties ont voulu
les distraire de la vente.
Cette intention ne se présume jamais. Conséquent.-
�304
SH
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Fi?:
t r a it é
ment, si l’acte est muet, l’enlèvement qui l’a précédé,
accompagné ou suivi est nécessairement frauduleux.
Le vendeur serait donc contraint de les rétablir ou d’en
payer la valeur. Vainement prétendrait-il qu’il a été au
torisé à en disposer. C’est là un fait qu’il ne saurait
prouver autrement que par écrit, car il tend à affaiblir
l’autorité d’un titre contre lequel l’article 1341 proscrit
toute preuve testimoniale.
Mais si l’acquéreur se plaint de l’enlèvement, s’il de
mande et obtient de l’établir par témoins, ce qui est
toujours admissible, la preuve contraire étant de droit,
le vendeur pourra, par la même voie, justifier que, con
séquence d’une réserve formellement convenue, l’en
lèvement a été fait au vu et su de l’acquéreur et sans
opposition de sa part. Cette preuve rendrait la récla
mation ultérieure de celui-ci non-recevable et mal
fondée.
958. — Les récoltes pendantes par racines, les ar
bres radiqués sur la propriété au moment de la vente
rentrent dans la catégorie des meubles et capitaux in
corporés. Les règles applicables à ceux-ci doivent donc
les régir. L’enlèvement des unes, la coupe des autres,
soumises aux mêmes principes, produirait les mêmes
conséquences.
959. — La tromperie sur la nature de l ’objet vendu
constitue plus qu’une simple fraude, c’est un véritable
délit prévu et puni correctionnellement par la loi.
�DU DOL E T DE
LA F R A U D E .
305
Ainsi, celui qui a vendu de l’or ou de l’argent, et qui
livre du cuivre ou de l’étain est non-seulement passible
de l’action en résolution de l’acheteur, mais encore de
la.poursuite du ministère public. Il en est de même de
celui qui, vendant une marchandise d’une nature dé
terminée, en livre réellement une autre. Par exemple,
une liqueur fabriquée pour du vin, de l’huile de graine
pour de l’huile d’olive, du seigle pour du blé, etc...
960. — Aux. termes de la loi du 28 juillet. 1824, la
contrefaçon des marques de fabrique, l’usurpation du
nom du fabricant, la fausse indication du lieu de la pro
duction, est assimilée à la tromperie sur la nature de la
marchandise. La découverte par l’acheteur de la fraude
pratiquée à son encontre l’autoriserait soit à refuser la
livraison qui lui serait offerte, soit à demander,après la
livraison, la résiliation de la vente et la. restitution du
prix. Cette demande serait compétemmenl déférée au
tribunal correctionnel saisi de l’action en répression.
961. — La tromperie sur la qualité est sans doute
blâmable- aux yeux de la morale, mais elle n’est; pas
considérée communément comme un moyen de revenir
contre la vente. C’est, principalement dans la vente des
choses mobilières qu’on peut dire, avec le juriscon
sulte romain :Natur aliter licet conlrahentibus se circumvenire. Le vendeur, à l’en croire, vend toujours ce
qu’il y a demieilleur au monde, chacun sait cela. Mais on
ne doit l’admettre qu’après s’en être assuré. L’acheteur
qui ne prend aucune précaution, qui ajoute une foi; trop
�306
TR A IT É
aveugle à des allégations intéressées se trompe luimême autant qu’il est trompé. La faute étant commune,
la responsabilité ne peut en appartenir à un seul.
Cependant la tromperie sur la qualité p e u t, dans
maintes circonstances, entraîner la résiliation de la
vente avec dommages-intérêts. Nul, en effet, ne peut
être contraint d’accepter une marchandise d’une qua
lité autre que celle qu’il a entendu acheter, qu’on a en
tendu lui vendre. Ainsi, si j ’achète des amandes de l’an
née ou des grains du pays, on ne pourrait me livrer des
amandes vieilles ou des grains d’une provenance étran
gère. Le refus que je ferais de les accepter serait sanc
tionné par les tribunaux. Dès-lors, le vendeur, n’ayant
pas rempli ses obligations, devrait réparer le préjudice
résultant de l’inexécution.
Mais l’exception de non conformité doit être opposée
avant l’acceptation. La livraison réalisée, tout est con
sommé et la différence de qualité ne serait plus proposable.
962.
— Il est cependant une hypothèse où la dif
férence de la qualité entraînerait la résiliation même
après livraison, mais cela ne pourrait avoir lieu qu’aux
deux conditions suivantes :
1° La qualité, sur laquelle on a été trompé, doit
avoir été la cause déterminante du contrat, à tel point
que, sans l’engagement du vendeur à cet égard, l’achat
n’aurait point été contracté. Dans ce cas, la fraude at
taque le contrat dans son essence, vicie le consente
ment lui-même, il n’existe plus aucun lien obligatoire;
�DU DOL E T
DE LA FR A U D E .
307
2° L’acceptation par l’acquéreur de l’objet livré ne
doit avoir été déterminée que par la garantie formelle
donnée par le vendeur de l’existence de la qualité re
quise. Cette garantie est décisive, car elle a pour effet
naturel d’empêcher les investigations qu’une simple al
légation commanderait. D ès-lors, si le fait garanti
n’existe pas, l’obligation résultant de la garantie doit
sortir à effet, et cet effet ne peut être que la résiliation
de la vente, avec dommages-intérêts s’il y a lieu.
C’est surtout pour les objets d’art, dont la valeur dé
pend bien souvent du maître auquel on les attribue, que
la tromperie sur la qualité peut offrir les conditions que
nous venons d’énoncer et entraîner la résolution du
contrat. Ainsi, il a été jugé que l’erreur de l’acheteur
d’un tableau sur le nom de l’auteur, emporte la résolu
tion de la vente, lorsqu’il est établi, d’une part, que le
vendeur a surpris le consentement de l’acheteur en lui
garantissant faussement la sincérité de l’origine at
tribuée au tableau vendu, et que, d’autre part, c’est en
considération de cette origine que l’acquisition a eu
lieu.1
963- — Le vendeur, qui livre une chose qu’il sait
impropre à sa destination, commet une fraude qui
l’oblige à réparer le préjudice souffert par l’acheteur.
Nous avons déjà dit que si le vice caché était ignoré
du vendeur, sa garantie n’est engagée que pour le dom
mage éprouvé quant à la chose elle-même; s’il connais1 Douai, 27 mai 1846 ; — D. P. 46, 4, 509.
�—
308
t r a it é
sait ce vice et qu’il l’ait dissimulé, c’est le dommage
souffert par l’acheteur sur ses autres biens qu’il est tenu
de supporter. 1
964. — La tromperie sur la quantité est un délit,
lorsqu’elle résulte de l’usage de faux poids ou de fausses
mesures. Délit ou simplement erreur, l’acheteur qui
en est victime a le droit d’exiger le complément qui
lui est dû ou de ne payer que ce qu’il a réellement reçu.
965- — A l’obligation de livrer que prend le ven
deur, se joint celle de faire jouir l’acquéreur de la chose
vendue, après lui en avoir transféré la propriété. Celui
qui vend la chose d’autrui s’expose à ne pouvoir rem
plir ni l’une ni l’autre de ces obligations.
Les conséquences d’un acte de ce genre diffèrent
selon; que le vendeur a été de bonne ou de mauvaise foi.
Dans le premier cas, il n’est obligé que dans les propor
tions, déterminées par l’article 1654 du Code civil.
Mais celui qui vend sciemment la chose d’autrui
commet une fraude tant à l’égard du véritable proprié
taire, qu’à l’égard de l’acquéreur, il doit donc être tenu
de les indemniser l’un et l’autre. Cette indemnité doit,
pour le propriétaire, consister au remboursement de
tous les frais que l’acte a pu lui occasionner, celle due
à l’acquéreur est réglée par l’article 1635. Toute indul
gence, en pareille matière, serait contraire à l’esprit, de
la. loi, il faut se bien garder, en. effet, de, paraître eneou1 Vid. supra, n° 307.
�DU DOL
ET
DE
LA F R A U D E .
309
ràger- des entreprises aussi condamnables, aussi dange
reuses pour l’ordre social.
966. — Il est une fraude plus condamnable encore,
si c’est possible, c’est celle consistant à vendre deux fois
la même chose. C’est là, en effet, un véritable vol contre
l’un des deux acquéreurs, puisqu’il est impossible qu’ils
reçoivent tous les deux l’objet qui leur a été cependant
vendu.
Nous n’avons pas à rechercher les causes de préfé
rence d’une vente sur l’autre, le rang d’antériorité qui
doit leur être assigné soit qu’il s’agisse d’un meuble,
soit qu’il s’agisse d’une chose immobilière. Ces ques
tions appartiennent à une matière autre que celle dont
nous devons exclusivement nous occuper. Ce que nous
devons rechercher, c’est l’effet que la double vente
produit vis-à-vis des acquéreurs soit contre le vendeur,
soit contre chacun d’eux.
D’abord, et par rapport au vendeur, aucun doute ne
saurait jamais s’élever. L’actc qu’il s’est permis est
une fraude insigne contre les deux acquéreurs. Ils ont
donc l’un et l’autre le droit incontestable de poursuivre
la réparation du préjudice que cette fraude est dans le
cas de leur occasionner.
967. — La seconde vente n’est en général suscepti
ble de sortir à effet que si le vendeur n’avait pas anté
rieurement aliéné ce qui en fait la matière. Le second
acquéreur a le plus grand intérêt à ce qu’il en soitainsi.
Pourra-t-il dès-lors soutenir que la première vente n’est
�310
TRA ITE
qu’apparente et ne constitue qu’une simulation; que
conséquemment le vendeur ayant conservé la propriété
de la chose a pu valablement la lui transmettre?
Cette faculté a été contestée. La prétention du second
acquéreur, a-t-on dit, ne tend à rien moins qu’à faire
considérer la première vente comme faite en fraude de
ses droits. Or, pour qu’on puisse recourir au remède
prescrit par l’article 1167, il faut, de toute nécessité,
que le droit, qu’on prétend frauduleusement éludé, ait
préexisté à la consommation de la fraude. Dans l’hvpothèse, cette condition est impossible, puisque le droit
du second acquéreur n’a été acquis que postérieurement
à l’acte attaqué. Comment donc admettre que cet acte
n’ait été réalisé qu’en fraude d’un droit qui n’était pas
même né.
968.
— Nous ne pouvons admettre cette doctrine
dans le sens absolu qu’on lui prête. A notre avis, une
distinction est essentielle pour l’exacte appréciation de
la question que nous examinons.
Si le vendeur avait été laissé en possession lors de la
première vente, et que cette possession ait été transmise
au second acquéreur, celui-ci sera nécessairement dé
fendeur dans l’instance en revendication que le précé
dent acquéreur sera dans le cas d’intenter; comme tel,
il ,sera autorisé à discuter la légitimité du titre qu’on
lui oppose et qui ne pourra sortir à effet que s’il est dé
claré sérieux et sincère. Cette discussion comporte né
cessairement l’exception de simulation et de fraude avec
�uU DOL E T
DE
LA FR A U D E .
311
d’autant plus de raison que le fait lui-même vient lui as
surer un appui incontestable.
Il n’est pas, en effet, naturel que celui qui a réellement
acquis ne se mette pas en possession des choses qui lui
ont été aliénées. Ce défaut de prise de possession rend
suspect le caractère de l’acte, il constitue dans tous les
cas une faute grave, avant favorisé la fraude dont le se
cond acquéreur est victime, et facilité le piège tendu à
sa bonne foi. Il est donc équitable de permettre à celuici de prouver que l’acte qu’on lui oppose n’a rien de
réel, et que la demande à laquelle il résiste n’est ellemême qu’une fraude entée sur une simulation.
Le fait de la possession par le vendeur, au moment
de la seconde vente, est donc décisif. Mais il le serait
beaucoup moins, s’il était expliqué par la première vente
de manière à exclure toute idée de faute de la part de
l’acquéreur, par exemple, si la remise de cette posses
sion avait été fixée à un terme convenu ; si l’acte portait
relocation en faveur du vendeur. Dans l’un comme
dans l’autre cas, l’exception de fraude n’en serait pas
moins recevable, mais elle serait très difficilement ad
missible.
Si le second acquéreur est demandeur en délaisse
ment contre le premier, la position est toute différente.
Les règles à suivre ne peuvent être identiques. Assuré
par l’exécution qu’il a reçue, le titre du premier acqué
reur se suffit à lui-même, et son droit ne peut être al
téré que si ce titre vient à périr. Or le second acquéreur,
dont les droits ne sont nés que postérieurement, n’a pas
qualité pour agir directement en vertu de l’article 1167.
�312
TRAITE
Ii ne peut donc attaquer le titre qui lui esl opposé qu’en
exerçant les actions de son vendeur, et, dans les cas
seulement où celui-ci pourrait l’attaquer lui-méme. Or,
nous verrons plus bas que le complice de la simulation,
lorsqu’il a pu s’en procurer une preuve écrite, est nonrecevable à prétendre la prouver par témoins. Cette fin
de non-recevoir, écartant le vendeur, écarterait le second
acquéreur qui n’est que son avant-cause, «à moins qu’il
ne s’agît d’une simulation illicite que les parties ellesmêmes peuvent toujours prouver tant par témoins que
par présomptions.
Admettre le contraire, ce serait éluder la prohibition
de la loi et permettre au vendeur de faire indirectement
ce qu’il ne pourrait faire d’une manière directe. Celuici, en effet, n’aurait qu’à simuler une seconde vente,
puisqu’il pourrait, par ce moyen et à l’aide d’une inter
position de personne, faire admettre un genre de preuve
formellement interdit par l’article 1341.
Les facilités que cette fraude rencontrerait ont dû dé
terminer le législateur à la considérer comme certaine
lorsqu’une partie prétend avoir acheté un objet dont le
vendeur n’avait plus la possession. Cette circonstance
mérite, dans tous les cas, d’être approfondie. Elle doit,
en effet, conduire nécessairement l’acquéreur à la con
naissance d’une vente antérieure. En conséquence, ce
lui qui, sans s’en préoccuper, a contracté avec le pré
tendu propriétaire d’une chose possédée par un autre,
est au moins coupable d’imprudence. Il ne peut accuser
qui que ce soit de l’avoir trompé, puisqu’il s’est prêté à
se tromper lui-méme.
�DU DOL E T
DE LA F R A U D E .
313
On est censé connaître dès qu’on a pu connaître. Or,
pour le second acquéreur, la connaissance d’une vente
précédente le constitue tellement en mauvaise foi, qu’il
ne pourrait faire prévaloir son titre, même authentique,
sur celui du premier acquéreur n’ayant qu’un sous
seing-privé. Il y a même plus, la seconde vente n’étant
qu’une fraude au préjudice de la première, celui qui,
éclairé sur l’existence de celle-ci, a accepté le béné
fice de l’autre, s’est, par cela même, rendu complice de
la fraude. Il pourrait, dès-lors, être poursuivi et con
damné solidairement à réparer le préjudice que cette
fraude a occasionné.
969. — La vente impose à l’acquéreur l’obligation
de recevoir livraison au terme convenu. L’inexécution
de cette obligation autorise le vendeur à en poursuivre
l’accomplissement ou à demander la résolution de la
vente. Il peut, de plus, exiger dans l’un et l’autre cas
des dommages-intérêts si le retard mis à prendre li
vraison lui a causé un préjudice.
Ce retard fait d’ailleurs cesser l’obligation imposée
au vendeur de conserver la chose vendue, en ce sens
que la perte de cette chose ou les détériorations qu’elle
viendrait à subir restent à la charge de l’acquéreur lé
galement en demeure. Mais la cessation de la respon
sabilité du vendeur ne peut s’entendre de telle manière
qu’elle pût autoriser un délaissement complet de cette
chose. Tant que le vendeur est en possession, il répond
de son dol ou de sa fraude : Quum moram emptor adhi-
�3! 4
T R A IT E
bere cœperil, jam non culpam, sed dolum tantum prœstandum vendilore. 1
Aux termes de l’article 1657 du Code civil, la vente
de denrées et effets mobiliers est résiliée de plein droit
et sans sommation au profit du vendeur après l’expi
ration du terme convenu pour le retirement. Mais c’est
là une simple faculté dont le vendeur peut ou non user,
dont il n’usera que très rarement dans le cas où le dé
faut de retirement sera le résultat de la fraude. Il est
évident, en effet, que l’inexécution par l’acheteur sup
pose que le marché lui est devenu onéreux et, par cela
même, un intérêt contraire chez le vendeur, puisque la
perte à subir resterait pour son compte. Il est donc cer
tain qu’au lieu de considérer le marché comme résilié,
il préférera contraindre l’acheteur à l’exécuter en pre
nant livraison ou à l’indemniser du préjudice que le
refus de celle-ci entraînerait. Les dommages-intérêts
doivent toujours comprendre dans ce cas la différence
entre le prix actuel de l’objet vendu et celui fixé dans le
contrat.
970- — L’acquéreur est obligé de payer le prix sti
pulé. Le retard dans ce paiement entraîne des dom
mages-intérêts consistant dans tous les cas au paiement
des intérêts, mais qui peuvent, dans le cas de fraude,
comprendre le préjudice qui en serait une conséquence
directe.
971. — Les parties peuvent s’en remettre, pour la
1 L. 17, Dis. de Pericul. et comm. rei vend,
�I)U DOL E T
DE LA F R A U D E .
345
détermination du prix, à l’arbitrage d’un ou de plusieurs
experts. La fraude des experts pourra-t-elle nuire ou
profiter aux parties?
972. — La négative était enseignée sous l’empire
du droit romain par de célèbres commentateurs : Quod
si iniquum arbiter inlerposueril arbitrium, ad ipsum
bonæ fidei judicio, id est judicis ojficio secundum nctturam negotiorum bonæ fidei, ex bono et æquo corrigendum est. Cette opinion deV oet1 est aussi celle de
Cujas et des jurisconsultes de son école.
973. — Dans notre ancien droit, Pothier 11’hésite
pas à tenir qu’en pareille circonstance la vente doit être
annulée. « Si le tiers, dont les contractants sont con« venus, a fait une estimation, mais qui soit manifes« tement inique, il n’y aura pareillement point de vente,
1 et c’est la même chose que s’il n’avait point fait d’esI timation, car les contractants, en s’en rapportant à
« son estimation, ont entendu non une estimation puII rement arbitraire, mais une estimation lanquam boni
i viri, une estimation ju ste .2 »
Mais Despeisses enseigne l’opinion contraire. Se fon
dant sur ces expressions de la loi dernière au Code de
Cont. empt.: Ut si quidem ipse qui nominatus est pre
tium definirel, omni modo secundum ejus eslimationem
et pretia persolvi et vendilionem ad effeclum pervenire,
1 Ad Pand., de Conlrah. emplione, n° 25.
2 De la Vente, n° 2t.
�316
TRAITE
il refuse tout recours aux parties, même en présence
d’une estimation de l’iniquité la plus révoltante. 1
974.
— Quelques jurisconsultes modernes, notam
ment M. Troplong, se sont rangés à l’opinion de Despeisses. De l’avis du savant magistrat, le texte invoqué
est décisif. En conséquence, tout en refusant à la déci
sion de l’expert le caractère d’un jugement arbitral,
M. Troplong la considère comme inattaquable, même
pour cause de lésion de plus des sept douzièmes. 2
975.
— Quelque considérable que soit cette auto
rité, nous ne saurions l’accepter en principe. L’opinion
de Voet, de Cujas, de Pothier, nous parait préférable
non-seulement sous le rapport de l’équité, mais encore
au point de vue de la légalité.
Sans doute, en règle ordinaire, chacun doit exécuter
l’obligation qu’il a légalement et librement consentie,
dût cette exécution entraîner quelques inconvénients.
Mais, nous l’avons bien de fois répété, la fraude fait en
tout et partout exception au droit commun.
Or, une évaluation évidemment inique est une fraude
à l’encontre de celui qui doit en supporter les consé
quences. Cette proposition, incontestable lorsque l’ex
pert a ou agi malicieusement ou cédé à la corruption,
pourrait-elle être contestée lorsque, sans données po
sitives sur l’intention, on se trouve en présence d’un ré1 Tom. i, p. 2, n° 6.
2 De la Vente, tom. i, n° 158,
�DU DOL ET DE LA FRAUDE
317
sultat violant ouvertement toute idée d’équité et de jus
tice? Nous le comprendrions si la fraude ne pouvait
subsister que par le concours du fait et de l’intention,
consilium et evèntus, mais tel n’est pas son caractère.
Ce qui la constitue, c’est la certitude d’un préjudice
fraus non in consilio, sed in eventu; et ce qui fait le mé
rite de cette décision, c’est qu’il ne saurait exister un
fait nuisible sans qu’il naisse en même temps la certi
tude d’une volonté mauvaise ou d’un devoir violé. Or,
la faute, lorsqu’elle atteint à de certaines limites, l’im
prudence, la négligence même, acquiert les proportions
du dol, prope dolum est.
Dès-lors l’estimation, jusqu’à un certain point exa
gérée, pourra être acceptée comme le résultat d’une
simple faute, d’une négligence ordinaire, et ne pourra
vicier conséquemment la convention. Mais l’évaluation,
notoirement, positivement inique, suppose, à défaut
d’une volonté perverse, une faute tellement grave, une
négligence tellement lourde, qu’il serait injuste de la
tolérer. Parfaitement assimilable au dol, elle doit en
produire tous les effets, car elle en entraînerait les.
résultats.
Cela admis, la décision de Voet, de Cujas, de Pothier,
se trouve légalement justifiée, puisque le texte invoqué
à l’appui de la solution contraire ne peut recevoir au
cune application à l’hypothèse d’un dol ou d’une fraude.
Vainement dirait-on que, dans tous les cas, s’agissant
du fait d’un tiers, ce dol et cette fraude ne peuvent être
opposés à la partie. L’expert, en acceptant la mission qui
lui est confiée, devient le mandataire des parties et pro-
�TRAITE
cède en cette qualité. Dès-lors, la fraude qu’il commet
est opposable au mandant ou par le mandant, car elle ne
peut pas plus lui nuire qu’elle ne pourrait lui profiter.
Nous admettons donc en principe que l’estimation
inique ne crée aucun lien obligatoire, mais le dévelop
pement de ce principe peut créer de sérieuses difficultés.
A quelles conditions reconnaîtra-t-on l’existence de ce
caractère? Ici toute règle précise devient impossible à
formuler. Il n’y a plus qu’une appréciation de faits et
circonstances spéciaux à chaque espèce, c’est au juge
investi à rechercher dans le mode suivi par l’expert les
éléments de sa conviction.
976- — Il est évident que toute exagération ne
constituerait pas l’estimation inique. L’appréciation de
la valeur vénale d’un objet quelconque n’est pas ce
qu’on demande exclusivement à l’expert. Il est une
valeur morale, des considérations de convenance ou
d’agrément qui doivent aussi être consultées. Cette
valeur morale est susceptible d’être différemment ap
préciée. Tout dépend de l’opinion personnelle qu’on
s’en fait, du point de vue auquel on se place. Une er
reur même grave, résultant de données exagérées à cet
endroit, ne serait pas l’évaluation inique dont on pour
rait se plaindre. Il en serait autrement si, toutes choses
poussées à l’extrême, on se trouvait encore en présence
d’une estimation évidemment exagérée.
Aussi ne dirons-nous pas qu'on doit considérer com
me limite extrême une lésion même des sept dou
zièmes. Souvent, en effet, cette lésion ne subsistera que
�parce que le vendeur s’exagère à lui-même la valeur
matérielle ou morale de sa propriété , ou parce que
l’acquéreur méconnaît par trop l’une et l’autre. C’est
aux magistrats qu’il est réservé de dire droit sur chaque
espèce. Leur prudence et leurs lumières garantissent
suffisamment qu’ils sauront, sans les confondre, distin
guer l’erreur excusable de celle qui ne pourrait l’être, et
concilier ainsi ce que l’équité et le respect des conven
tions exigent réciproquement.
977. — Tant que le prix n’est pas payé, l’acquéreur
n’est, en quelque sorte, que le dépositaire de la chose
vendue, les dégradations qu’il lui ferait volontairement
subir seraient autant de fraudes tendant à diminuer la
valeur du gage au préjudice du vendeur , pouvant
perdre ainsi les garanties de ce qui lui est dû. Celui-ci
pourrait dès-lors demander soit le paiement immédiat
du prix, soit la résiliation de la vente, avec dommagesintérêts.
978. - - Le vendeur non payé a le droit d’attaquer,
pour cause de fraude et comme faite à son préjudice, la
revente opérée par l’acquéreur, alors même qu’il aurait
formé une surenchère sur le prix de cette revente.1 La
surenchère est une mesure conservatoire, ne pouvant
empêcher l’exercice ultérieur de l’action en résolution
pour fraude.
Cette fraude du second vendeur résulterait suffisam
ment de l’époque rapprochée de la seconde vente avec1 Cass., 5 juillet 1817.
tjÉjs
�320
TRAITE
Ja première, de la vilité du prix, des termes très courts
accordés pour le paiement, et de l’engagement pris par
l’acquéreur, avant la vente, de garantir son vendeur de
toutes les poursuites qui pourraient être faites contre
lui par le premier vendeur.1 L’existence d’un pareil en
gagement prouve la complicité de l’acquéreur dans la
fraude du vendeur, complicité sans laquelle, nous le
verrons plus tard, l’acte onéreux ne pourrait être annulé.
979- •—- L’échange n’est, à vrai dire, qu’une vente
mutuelle et réciproque. Le prix de la chose donnée par
l’un consiste dans la chose donnée par l’autre, chacune
des parties, étant également acquéreur et vendeur, se
trouve donc soumise aux obligations de l’un et de l’au
tre, comme elle en a les droits.
Dès-lors, ce que nous avons dit de la fraude, à l’endroit
de la vente, reçoit une application directe dans l’hy
pothèse d’un échange. Conséquemment, c’est par les
principes que nous venons d’exposer que les difficultés
offertes par ce dernier contrat devront se résoudre.
980.
— L’échange de la chose d’autrui est nul
comme le serait la vente. L’article 1704 s’occupe du
cas où la découverte du défaut de propriété du copermutant est postérieure à la réception de la chose, et
antérieure à la livraison de celle promise en contreéchange. Il autorise le refus de toute livraison ultérieure.
Cette solution est avouée par la raison et la justice,
1 Même arrêt.
�Dü DOL ET DE LA FRAUDE.
32i
Comment exécuter une convention ayant pour résultat
probable d’enlever à l’un l’équivalent de ce qu’il donne
lui-même. Tout ce qu’on peut exiger, c’est la restitution
de la chose déjà livrée, sauf les dommages-intérêts pou
vant être dus à la partie qui restitue.
981.
— Si l’échange a reçu sa complète exécution,
s’il y a eu livraison réciproque, l’échangiste ayant reçu
la chose d’autrui doit-il être admis, dès la découverte
qu’il en fait, à poursuivre la résolution du contrat?
Des difficultés ont été soulevées à cet égard, non que
la nullité de l’échange ait été révoquée en doute, mais
par la raison que l’article 1704 ne s’appliquant que
dans l’hypothèse d’un échange encore imparfait, il faut
en conclure que son exécution entière ne rend l’action
du copermutant recevable qu’au moment où le trouble
se réalise par la réclamation du véritable propriétaire.
C’est ce que la Cour de cassation a elle-même décidé
le 11 décembre 1815.
Mais on a fait remarquer, et selon nous avec raison,
que, puisque la découverte du vice suffit pour arrêter
l’exécution de l’acte, il est logique de donner à la même
circonstance l’effet de faire révoquer celle qu’il a reçue
et qui n’est que le résultat de l’erreur d’une part, de la
fraude de l’autre. C’est ce qu’on admet d’ailleurs pour
la vente, dont les règles s’appliquent à l’échange. Com
ment donc le refuser pour celui-ci? Parce que l’ar
ticle 1704 ne parle que d’un cas spécial? Mais cet arti
cle a bien plutôt voulu créer une exception à la règle
pendente lite lenet conlractus, en vertu de laquelle le
�322
TRAITÉ
‘
défendeur aurait pu demander l’exécution préalable de
l’acte, qu’à établir une exception au droit absolu de
demander la résiliation , exception qui ne saurait, dans
aucun cas, résulter suffisamment de l’argument a con
trario, tirée de l’article 1704.1
Il est vrai que l’arrêt de la Cour de cassation, du
11 décembre 1815, se fonde sur ce que l’article 1704
ne parle que du refus de livraison, sans s’occuper de la
revendication. Mais il est évident que la Cour, préoc
cupée de l’espèce sur laquelle était intervenue la déci
sion attaquée, n ’a pas dû s’appesantir beaucoup sur la
question qu’elle paraît résoudre. Il s’agissait, en effet,
de l’échange contre un bien dont la dotalité avait été
déclarée et qui était dès-lors parfaitement connue. On
opposait donc avec raison au demandeur le caractère
relatif de la nullité, et la disposition de l’article 1125 du
Code civil; c’est sans doute au silence gardé p arla
femme que les motifs de l’arrêt font allusion. Le rejet
de la réclamation était donc, dans cette espèce, com
mandé par ce même article 1125.
La Cour régulatrice aurait-elle décidé de même, s’il
se fût agi d’un échange du bien d’autrui? Nous en dou
tons avec d’autant plus de raisons qu’elle a jugé en sens
inverse, en décidant le 16 janvier 1810 :
1° Que l’article 1599, qui déclare nulle la vente du
bien d’autrui, est applicable en matière d’échange;
2° Que l’échange d’une chose indivise, entre l’échan1 Duvergier, Vente, tom. n, n° 43; — Favard, v° échange, n° 2; •
Rolland de Villargues, ibid, nos 28 et 29.
�DU DOL ET
DE
LA FRAUDE.
323
giste et un tiers, peut, sur la demande du coéchangiste
qui a ignoré cette indivision, être annulée comme étant
une aliénation de la chose d’autrui;
3° Enfin, que la nullité doit être prononcée, bien
même que l’indivision ait cessé d’exister, si d’ailleurs
la demande en nullité est antérieure à là poursuite en
partage.
Dans cette espèce, on le voit, l’échangiste était si peu
recherché, que toutes recherches étaient impossibles.
En effet, et avant la fin du litige, le coéchangiste était
devenu, par l’effet du partage, propriétaire unique de la
chose par lui donnée, cependant la Cour n’hésite pas à
admettre la demande.
Il y a donc entre ces deux décisions une anomalie
qui serait inexplicable si la différence des faits ne nous
en donnait le mot* Dans celle de 1810, l’échangiste
ignorait le vice de la chose. Il était donc victime d’une
fraude. Dans celle de 1815, cette ignorance n’existait
pas, la dotalité ayant été déclarée, dès-lors point de
fraude, point de préjudice. Aussi trouvons-nous le ré
sultat de cet arrêt très juridique et nous opposerions
hardiment la fin de non-recevoir qu’il consacre à tout
échangiste ayant sciemment accepté la chose d’au
trui. Seulement nous motiverions notre solution sur la
maxime volenli non fit injuria .*
Ainsi, la découverte que la chose reçue n ’appartenait
pas à celui qui l’a donnée, autorise la demande en rési1 V. Poitiers, 16 avril 1822.
�/
324
TRAITÉ
liation. La preuve qu’il en est ainsi là ferait inévitable
ment accueillir.
982.
— Quels seront les effets légaux de la résilia
tion?
D’abord, la faculté pour l’échangiste de revendiquer
la chose par lui livrée. Cela ne souffre aucune difficulté,
lorsque la chose se trouve encore entre les mains du
coéchangiste. N’ayant rien donné en échange, il n’a
aucun droit à la chose par lui reçue. Le continuer dans
sa possession ne saurait donc se concevoir en présence
d’une revendication formelle de la partie contractante.
98o. — La question de revendication devient plus
délicate lorsque le défendeur ayant aliéné la chose qu’il
avait reçue, c’est contre le tiers détenteur que cette
revendication doit être intentée et poursuivie.
Le droit romain la refusait positivement : Contra
emplorem quidem nullarn te habere aclionem perspicis,
cum ab eo susceperit dominium cui le tradidisse titulo
permutalionis non negas.1 Cette décission formait le
droit commun avant le Code civil, et c’est sous son
empire que la Cour de cassation a jugé, le 16 prairial
an x i i , que la revendication contre le tiers détenteur
était interdite.
Le Code civil a-t-il abrogé cette législation ? Non,
dit Favard.8 L’article 1704, en décidant que le copermutant reprendra la chose, ne s’explique pas en ce qui
1 L. 4, Cod. de Rerurn përmut.
2 Y0 échange.
�Dü DOL ET DE LA FRAUDE.
325
concerne le tiers détenteur. Donc, au regard de celui-ci,
il faut s’en tenir aux principes du droit romain et no
tamment à la solution de la loi 4 au Code de Rerum
permutalione.
Mais indépendamment de l’article 1704, le législateur
français a édicté l’article 1707, aux termes duquel toutes
les autres règles prescrites pour la vente s’appliquent à
l’échange. Or, personne ne conteste au vendeur non
payé de revendiquer contre le tiers détenteur. Cette
règle serait-elle en dehors de toutes les autres que l’ar
ticle 1707 déclare communes à l’échange?
Remarquons que l’assimilation entre l’échange et la
vente n’avait pas été méconnue par le droit romain. La
loi 4 au Code n’avait fait que l’appliquer justement en
prohibant pour l’échange ce qui était déjà prohibé pour
la vente. On sait, en effet, que le vendeur, ayant suivi la
foi de l’acquéreur, n’avait plus contre celui-ci qu’une
action personnelle en paiement du prix.
La théorie du Code n’est plus celle sur laquelle était
fondé le droit romain. N’est-il donc pas logiqne de dire
aujourd’hui que par cela seul que l’action contre le tiers
est ouverte en cas de vente, elle l’est également pour
l’échange. L’identité dans le contrat doit déterminer
l’identité des conséquences.
On cherche à expliquer la différence par ce fait que
le vendeur a un privilège que la loi le force d’inscrire,
tandis que le copermutant n’en a aucun.
Mais, dit Merlin,1 ee qui répond victorieusement à
Rcp., vu, échange, n° 2.
�326
TRAITE
cela, ce qu’il doit en être de l’aliénation par l’acheteur
qui n’a pas payé son prix,comme de l’hypothèque qu’il
aurait constituée sur le fonds dont il doit le prix à son
vendeur ; qu’aux termes de l’article 2025, l’hypothèque
prise sur l’acquéreur qui n’a point payé le prix, s’éva
nouit lorsque le vendeur, à défaut de paiement, a fait
prononcer la résolution de la vente; qu’ainsi l’aliénation
que l’acquéreur a faite avant qu'à défaut du paiement
du prix, la vente ait été résolue, doit également être
considérée comme non avenue; et qu’enfin le défaut
d’inscription du privilège du vendeur ne prive celui-ci
ni de la faculté de faire résoudre le contrat de vente, ni
du droit de faire valoir cette faculté soit contre les
créanciers hypothécaires, soit contre les aliénataires de
l’acheteur.
Merlin pense donc que l’article 1707 s’en référant
pour l’échange aux règles de la vente, le législateur a
formellement abrogé la loi 4 au Code de Rerum permutatione; qu’on doit donc tenir comme certain qu'au
jourd’hui l’échangiste évincé ou menacé de l’être peut
revendiquer la chose par lui livrée contre le tiers dé
tenteur. C’est aussi ce qu’enseignent d’autres graves
jurisconsultes.1
Ainsi, la revendication peut être utilement exercée
contre le tiers acquéreur. L’échangiste ayant perdu ou
se trouvant exposé à perdre la chose en échange de
laquelle il a livré la sienne, est, par rapport à celle-ci,
1 Vid. notamment Troplong, sur l’art. 1704; — Duranlon, t. xvi,
p. 578 et suiv.
�un véritable vendeur non payé. Conséquemment, l'a
cheteur direct du copermutant, comme tous les ache
teurs successifs, subira l’application de la règle resoluto
jure danlis, resolvitur et jus accipientis. Par un à Jortiori incontestable, les hypothèques et privilèges con
férés depuis l’échange s’effacent et disparaissent. Les
droits du copermutant étant conditionnels et résolu
bles, tout ce qui émane de lui revêt ce double carac
tère ; donc la résolution prononcée et la condition se
réalisant, la chose rentre franche et libre aux mains de
son ancien propriétaire.'
984. — Le vice résultant du défaut de propriété
chez le copermutant est radical et absolu, à tel point
que la ratification du véritable propriétaire ne saurait
couvrir la nullité qui en résulte. C’est ce qui s’induit
de l’arrêt de la Cour de cassation du 16 juin 1810,
que nous avons ci-dessus cité. On comprend assez que
le fait d’un tiers ne puisse faire maintenir un contrat
viscéralement sans effet par le défaut de capacité des
parties contractantes au moment de sa confection. C’est
la ratification qui constituerait le véritable échange, et,
dès-lors, on ne saurait l’imposer à la partie contre son
gré, si elle refusait d’y consentir.
985- — Mais si la ratification est sans résultat sur
l’existence de l’acte, elle peut exercer une grande in
fluence sur l’appréciation des dommages-intérêts récla1 Aix, 25 mai 1815 ; — D. A., I. xu, p. 959.
�328
TRAITE
més, car la résiliation crée pour la partie qui l’obtient
le droit à obtenir un dédommagement, même dans le
cas où elle réclame la restitution de ce qu’elle a donné.
986. — Il est vrai que ce droit a été contesté. L’ar
ticle 1705, a-t-on dit, autorise la reprise de la chose ou
des dommages-intérêts. En s’en tenant à cette alterna
tive le législateur a donc proscrit le cumul.
C’est là interpréter l’article 1705 d’une manière fort
inexacte et en méconnaître ouvertement le sens. Cette
disposition ne dit qu’une seule chose, à savoir : que la
reprise de la chose ne constitue, en cas de résiliation,
qu’une faculté et non une obligation. Le demandeur a
donc le choix de réclamer, en cas de résiliation, ou la
restitution de ce qu’il a donné, ou l’allocation d’une
somme en représentant la valeur. La possession de la
chose peut être onéreuse, la preuve que le propriétaire
ne voulait pas la conserver, c’est qu’il l’avait aliénée,
et le même intérêt peut exister après comme avant la
résiliation.jCes exigences que le législateur a comprises
et que les tribunaux pouvaient méconnaître, l’ont dé
cidé à ne faire de la reprise de la chose qu’une faculté
au choix de celui qui a obtenu la résiliation.
Indépendamment du droit d’obtenir ou la chose ou
son équivalent en argent, ce qui ne saurait être raison
nablement contesté, l’échangiste évincé peut essuyer
un préjudice plus ou moins considérable par la résilia
tion de l’échange. Les dépenses qu’il a réalisées sur la
chose qui lui est enlevée, la perte des avantages que la
possession lui promettait, les frais frustrés du procès
�qu’il a à soutenir, tout cela exige un dédommagement
que l’article 1705 n’a jamais eu pour objet d’empêcher.
La reprise de la chose ne laisse pas quelquefois que
d’exiger un dédommagement. La jouissance d’un co
échangiste a pu s’exercer au gré de sa volonté et même
de ses caprices. Il a pu changer les lieux, ajouter des
constructions nouvelles parfaitement inutiles au pro
priétaire réintégré, introduire un nouveau mode de cul
ture onéreux pour celui-ci, enfin dégrader la chose. Or,
si les parties, par la résiliation, doivent se retrouver au
même état qu’auparavant, n’esl-il pas juste que ce ré
sultat s’obtienne aux dépens de celui qui a occasionné
la résiliation ?
Le droit d’obtenir des dommages-intérêts, même
dans le cas de réintégration, dans la propriété de la
chose échangée, nous paraît commandé par ces consi
dérations. Il est, de plus, consacré par les principes
généraux du droit, par les principes spéciaux de la
vente.1 Nous avons déjà dit qu’on doit, en matière d’é
change, s’en référer aux uns et aux autres.
987. — Les dommages-intérêts sont donc dus dans
tous les cas. Leur appréciation est livrée à la prudence
et à la sagesse des tribunaux. Les règles prescrites par
les articles 1654,1655 et 1646 sont applicables à l’é
change et fournissent un mode de liquidation qu’il con
vient de suivre. Les dommages-intérêts résultant de la
dépossession devraient être refusés s’il dépendait du
* Y.art. 1184,-1599, 1610 et!626duCod. civ.
�330
TRAITE
demandeur d’éviter cette dépossession, dans le cas,
par exemple, où il n’aurait pas voulu accepter la ratifi
cation du véritable propriétaire.
988- — Si la partie préfère un dédommagement en
argent à la restitution en nature, ce dédommagement
doit consister dans le prix actuel de la chose. L’aug
mentation de valeur qu’elle aurait subie, même par ie
seul bénéfice du temps, devrait profiler à celui qui, dé
pouillé de la chose par lui reçue, est censé avoir tou
jours possédé celle qu’il avait donnée. Fixer la valeur
restituable à celle qu’avait la chose au moment de l’é
change, ce serait éluder la faculté laissée par l’ar
ticle 1705 et forcer à demander, dans tous les cas, la
restitution en nature.
989.
— L’article 1706 prohibe l’action en lésion
pour le contrat d’échange. Cette solution, admise dans
l’ancien droit contre l’opinion de Godefroi, Cujas, Du
moulin et Pothier, reposait sur ce fondement qu’il n’é
tait pas facile de distinguer entre les parties : Uler venditor, uler emploi'.
Dans le fait, chaque partie réunit sur sa tête la dou
ble qualité d’acheteur et de vendeur. Il était donc lo
gique de refuser à l’un et à l’autre ce que la loi dans la
vente prohibe à l’acheteur. Les motifs sont les mêmes
dans l’un et l’autre cas. La convenance, l’avantage de
l’échange pour une des parties a pu être tel qu’il aura
volontairement fermé les yeux sur l’exagération évi-
�DU DOD ET DIS LA FRAUDE.
331
dente des prétentions et du prix qu’il a sciemment ac
cepté.
Il ne saurait alors exister aucun préjudice, aucune
lésion : Volenti non fit injuria.
990. — Mais il est évident que si la valeur réelle de
l’objet échangé a été dissimulée à l’aide de manœuvres
caractérisant le dol ou la fraude, il y aura lieu à recours,
même pour lésion, en vertu du principe que nous avons
si souvent déjà rappelé : que le dol et la fraude font ex
ception à toutes les règles. C’est ce que la Cour de Col
mar a consacré dans une espèce où l’échange déguisait
une opération usuraire.1 L’article 1706 reçoit donc une
exception lorsque l’inégalité de la valeur a été le ré
sultat d’un déguisement frauduleux.
991. — Une autre exception doit être admise lors
que la forme de l’échange n’a été empruntée que pour
déguiser une vente faite à vil prix et pour priver le ven
deur d’exciper de la lésion qui lui est imposée. Le ca
ractère juridique de cette exception ne saurait être mé
connu. Toute la difficulté gît dans son application.
Eh ! d’abord la simulation étant le fait des deux par
ties, la preuve testimoniale que l’une d’elles deman
derait à produire ne serait pas reçue. On sait que la ju
risprudence s’est prononcée pour la règle nemo auditur
lurpiludinem suam allegans. Il faut donc une preuve
écrite résultant soit de documents justifiant la fraude,
1 25 mars 1825 ; — D. P., 25, 2,173.
�332
t r a it é
soit de l’acte même; et celle-ci, on le comprend, sera
dans tous les cas la plus décisive.
992.
— Mais à quel caractère reconnaîtra-t-on qu’il
y a vente et non échange? A l’existence de la soulte?
Mais cette soulte peut n’être que la conséquence légi
time de l’échange, que son exécution naturelle. Les
choses échangées ne sont pas toujours d’une valeur
égale, et le paiement d’une soulte n’est, dans ce cas, que
la voie unique d’atteindre à cette égalité qui est l’es
sence du contrat. Loin donc de dénaturer l’échange, la
soulte le constitue souvent. Son existence ne pourrait,
par elle seule, prouver la simulation.
995- — Cependant la soulte établit jusqu’à concur
rence le contrat de vente. Partant de ce principe, voici
les distinctions à l’aide desquelles nos anciens juris
consultes essayaient de résoudre la difficulté que nous
examinons.
Lorsque la soulte excède la valeur de la chose don
née en échange, dans l’hypothèse par exemple de la da
tion d’une chose de 5,000 fr. pour une de 20,000 fr.
il y aura vente. Le paiement d’une partie du prix en
nature ne saurait assigner à l’acte le caractère d’un
échange.
Lorsque la soulte est égale à la valeur de la chose.
Exemple, on échange une chose de 10,000 fr. contre
une de 5,000 fr., on doit se prononcer pour le contrat
le plus noble, c’est-à-dire pour, la vente : Vendilio dignior est guce in dubio prœferenda.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
333
Lorsque la soulte est inférieure à la valeur de la chose.
Exemple, l’échange d’une chose de 20,000 fr. contre
une de 15,000 fr., on se prononcera pour l’échange, la
soulte n’étant ici qu’un accessoire naturel et légitime.1
Ces distinctions, admises par M. Troplong, 2 parais
sent fournir une base d’appréciation raisonnable. Nous
ne pensons pas, cependant, qu’elles soient tellement ab
solues qu’on ne puisse s’en écarter. Nous dirons de leur
ensemble, ce que cet éminent magistrat dit de la se
conde, à savoir : que c’est surtout par les circonstances
de l’acte et par l’intention des parties que les juges doi
vent se prononcer.
Sans doute aussi, la dénomination donnée à l’acte
doit être prise en considération, mais ne perdons pas
de vue que cette dénomination peut n ’être que la con
séquence de la fraude. L’acheteur qui n’a pas voulu pa
raître tel pour se soustraire à une action en lésion, veil
lera à ce que la forme extrinsèque de l’acte soit con
forme à ses projets. Nous croyons donc que ce n’est
qu’en l’absence de tout reproche de dissimulation que
la dénomination de l’acte pourra être utilement con
sultée. Nous ne dirons donc pas pour la décision du
litige, ce que M. Championnière dit pour l’enregis
trement, à savoir : que la qualification donnée au con
trat est la première, la plus sûre des directions.3
1 Bruneman, sur la loi 1, Dig , nos l , 2 ei 5, de Rerum permut,
2 Sur l’art. 1702.
2 Des Droits d’enregistrement, tom. i, n° 86.
�SECTION IX. — FRAUDE DANS LE LOUAGE.
SOMMAIRE.
994. La fraude peut vicier le louage dans son origine, ou
naître dans son exécution.
995. Le but essentiel du louage est tantôt la jouissance tem
poraire d’un objet déterminé, tantôt un salaire.
996. La principale obligation du bailleur est donc de livrer
l’un ou l’autre. Conséquences.
997. La location de la chose d’autrui est nulle, comme le se
rait la vente ou l’échange.
998. La menace d'éviction produit-elle un effet également
identique ?
999. Droit du preneur de la chose d’autrui, s’il a consenti
des anticipations sur les loyers.
1000. Dangers auxquels s’expose le communiste qui loue
seul la chose commune.
1001. L’usufruitier, le mari ou le tuteur qui donnent à bail
les biens dont ils ont la jouissance ou l’administra
tion commettent une fraude s’ils cèlent leur qualité.
1002. Conséquences, suivant que le bail est consenti pour
moins ou pour plus de 9 ans.
1003. Fraude évidente du bailleur qui loue deux fois la même
chose ou qui, après avoir loué, vend sans faire de
l’entretien du bail une condition de la vente. Effet
dans le premier cas.
1004. Effet dans le second.
1005. Obligations qui naissent du devoir d’assurer la jouis
sance au preneur.
�DU DOL E T D e
LA F R A U D E .
335
1006. Obligation imposée par l’article 1720 de délivrer la
chose en bon état de réparations.
1007. Effet de la dissimulation frauduleuse<du mauvais état
de réparations.
1008. La visite préalable des lieux ne serait pas un obstacle
à la rescision.
1009. A défaut de délivrance, le bail peut être résilié, mais
cette résiliation ne peut jamais être demandée par
le bailleur.
1010. Elle ne pourrait être prononcée malgré le preneur.
1011. A la charge de qui sont les réparations d’entretien ?
1012. Quid de celles pour conserver à la chose la destination
qui lui a été affectée ?
1013. Durée fixée pour les réparations.
1014. Le propriétaire est responsable des vices cachés de la
chose louée.
1015. Effets de cette responsabilité: 1° Résiliation du bail.
1016. 2° Dommages-intérêts en faveur du locataire, si le lo
cateur connaissait le vice.
1017. 3° Réparation dans tous les cas de la perte matériel
lement éprouvée.
1018. Dissentiment avecM. Troplong sur les obligations du
locateur ayant ignoré le vice.
1019. Réfutation de sa doctrine.
1020. Etendue de la jouissance conférée au preneur.
1021. Le preneur a le droit de sous-louer, à moins d’inter
diction contraire.
1022. Quid, en cas de prohibition, du bail consenti en fraude
du contrat ?
1023. Droit du sous-locataire évincé, selon qu’il a ignoré ou
connu la clause prohibitive,
1024. Mais le preneur peut toujours se faire représenter par
des personnes de confiance et à ses gages.
1025. La clause prohibitive de sous-location n’est pas violée,
lorsque la sous-location n’est que l’accessoire d’une
obligation légitimement contractée, la vente du fond
du commerce, par exemple.
1026. Opinion contraire de M. Duvergier.
�1027. Réfutation.
1028. Obligation du preneur de conserver les lieux dans
l'état où ils se trouvaient au moment de la délivrance.
Son étendue.
1029. Impossibilité d’en changer la destination.
1030. Le locataire d’un établissement industriel doit l’exploi
ter jusqu’à la fin du bail.
1031. Faut-il, pour que la plainte en changement de desti
nation soit recevable, que l’interdiction soit expres
sément contenue dans le bail?
1032. La profession du locataire doit être prise en considé
ration pour juger les intentions des parties.
1033. La dissimulation de cette profession pourrait faire ré
silier le bail.
1034. Le développement qu’un fait même imprévu imprime
à l’exploitation d’une carrière constitue-t-il un chan
gement de destination capable de faire résilier le
bail ?
1035. La prohibition de changer la destination des lieux
s’applique aux baux des biens ruraux.
1036. L’obligation, pour le preneur d’un bien rural, d’admi
nistrer en bon père de famille est plus étroite en
core que celle du locataire ordinaire.
1037. Devoir que le premier a de veiller à la conservation
de l’intégralité de la propriété. Conséquence quant
aux usurpations qui pourraient être commises.
1038. Délai dans lequel l’avertissement doit être donné. Ses
formes.
1039. Peine attachée au défaut d’avertissement.
1040. Cas dans lesquels la fraude du fermier rèvet les ca
ractères d’un délit.
1041. Effets de l’enlèvement ou de l’absence des capitaux
morts ou vivants.
1042. Fondement de l’action en résiliation.
1043. Fondement de celle en restitution et en dommagesintérêts.
1044. L’expiration du bail amène le règlement des malfaçons
reprochables au fermier.
�DU DOL
ET
DE
LA F R A U D E .
337
1045. Faculté pour le juge de décerner la contrainte par
corps pour garantie de la restitution des capitaux.
1046. Obligation pour le preneur de payer le prix. Consé
quences.
1047. Obligation de garnir de meubles les lieux loués.
1048. Etendue de cette obligation pour le preneur d’un bien
rural.
1049. Principes régissant le louage d’œuvres et d’industrie.
1050. L’action ex conducto n’est pas admise dans cette ma
tière.
1051. Le locateur répond des vices dé construction et des
matériaux qu’il fournit.
1052. Difficultés que l’action du conducteur rencontrera si
elle est exercée après la réception et le paiement.
1053. Caractères et effets de la réception.
1054. Distinction entre les vices apparents et les vices cachés.
1055. Quid si le locateur n’a fourni que la façon ? .
1056. La réception reste sans effet à l’égard des personnes
que le Code civil déclare responsables pendant dix
ans.
994. — Le contrat de louage peut être entaché de
fraude soit dans son origine, soit dans l’exécution qui
lui est donnée* L’effet est le même dans l’un et l’autre
cas, c’est-à-dire que le contrat est résilié suivant la gra
vité du préjudice occasionné, et que des dommages-in
térêts peuvent être prononcés contre son auteur.
La fraude sera imputable soit au bailleur, soit au pre
neur, selon qu’il s’agira de la violation d’un devoir im
posé à l’un ou à l’autre. Voyons donc les obligations
qu’ils doivent réciproquement remplir. Nous indique
rons les conséquences de leur violation.
995- — Le but essentiel du louage est, de la part du
15
u
�$ l ‘is
338
if
TRAITE
preneur, de se procurer la jouissance temporaire d’un
objet certain et déterminé. Dans le louage d’ouvrages,
c’est tantôt l’industrie d’un individu qui est mise à con
tribution moyennant un salaire convenu, tantôt un ou
vrage qui doit être confectionné et livré par un entre
preneur ou ouvrier. Nous allons nous occuper d’abord
du louage des choses.
996- — Le but de ce contrat, tel que nous venons
de le déterminer, indique que la principale et la pre
mière obligation du bailleur est de faire jouir le preneur
des objets faisant la matière de la location. Tout ce qui
est de nature à empêcher ou à troubler cette jouissance
est une fraude dont il est dû réparation.
De là il suit :
1° Que la location de la chose d’autrui est de nature
à empêcher le bail de sortir à effet ;
2° Que le propriétaire qui loue successivement la
même chose à diverses personnes ,
Ou qui, après avoir loué verbalement ou par acte sans
date certaine, vend la chose louée sans faire de l’en
tretien du bail une des conditions de la vente,
Commet tout autant de fraudes engageant sa respon
sabilité et ouvrant contre lui l’action du preneur.
997.
— On ne peut pas plus louer la chose d’autrui
que la vendre ou l’échanger. Le bail à loyer n’est pas
autre chose que le transfert pour un temps plus ou
moins loin d’un des attributs de la propriété, la jouis
sance. Ceci suppose donc, chez le bailleur, la qualité de
�DU
DOL
E T DE LA F R A U D E .
339
propriétaire. Si cette qualité ne lui appartient pas, com
ment pourra-t-il assurer au preneur la jouissance pour
laquelle ils ont traité?
La nullité prononcée contre la vente ou l’échange de
la chose d’autrui doit donc être appliquée au louage. Le
preneur, évincé ou menacé de l’être par le véritable
propriétaire, aura donc le droit de demander la résilia
tion du contrat et la réparation pécuniaire du préjudice
résultant de cette résiliation.
998.
— Faut-il donner à la menace d’éviction les
mêmes effets que ceux qu’elle entraîne dans la vente
ou l’échange? La découverte que la chose louée n’appar
tient pas au bailleur, ouvrira-t-elle immédiatement l’ac
tion du preneur? Non ; à notre avis, l’action du preneur
serait irrecevable tant que le trouble à sa jouissance ne
serait pas réalisé.
Cette -solution est contraire à celle que nous avons
indiquée dans le cas de vente ou d’échange. Mais cette
contradiction s’explique naturellement par la nature
des choses et par la différence majeure existant dans
l’intérêt engagé dans ces diverses hypothèses.
Le vendeur et l’échangiste, ayant le premier payé le
prix, le second livré la chose, ont le plus grand intérêt
à agir le plus promptement possible. Les soumettre à
attendre que le véritable propriétaire rompît le silence,
c’était, dans bien de cas, les condamner à perdre, par
l’insolvabilité de la partie contractante, le recours que
l’action du propriétaire leur ouvre.
D’ailleurs, le résultat du vice, entachant la vente ou
�340
t r a it e
l’échange, étant d’enlever à l’échangiste ou à l’acqué-r
reur la chose reçue, la connaissance de ce vice les met,
l’un et l’autre, dans une position singulière. Oseront-ils
se livrer à des dépenses dont un tiers profitera? Pour
ront-ils, suivant que la nécessité de leurs affaires l’exi
gerait, aliéner ou disposer d’une chose qu’ils savent ne
pas leur appartenir et s’exposer ainsi aux dommagesintérêts qu’une résiliation imminente leur permet d’en
trevoir, et qui seront d’autant plus élevés, qu’ils au
raient sciemment disposé de la chose d’autrui? Donc,
le possesseur de la chose d’autrui par vente ou échange
n’a qu’une propriété flottante, incertaine, indisponible,
ce qu’il convient de faire cesser au plus tôt.
Le louage n’offre aucun de ces inconvénients. Dans
ce contrat, ce qui est de l’essence de la convention, est
moins le droit en lui-même que la jouissance matérielle
des lieux. Si donc ce fait se réalise sans trouble aucun,
le preneur a tout ce qu’il peut raisonnablement exiger.
Il suffit de lui réserver le droit de se plaindre dès que le
trouble viendra à s’effectuer.
Le bail, étant d’ailleurs temporaire, peut parfaite
ment s’accomplir sans que le véritable propriétaire ré
clame. Que ce silence soit spontané, qu’il ne soit que le
résultat d’un accord avec le locateur, peu importe, ce
lui-ci a rempli ses engagements en faisant jouir le pre
neur, qui n’a, dès-lors, aucune raison plausible pour de
mander à être exonéré.
De plus, le prix du bail n ’est payable qu’à des termes
ordinairement, rapprochés. Ce prix n’étant que la re
présentation de la jouissance, le paiement en serait sus-
�DU DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
341
pendu par le trouble apporté à celle-ci. Quant aux lo
yers précédemment payés, le véritable propriétaire
n’aurait pas le droit de les exiger une seconde fois, le
paiement fait de bonne foi au propriétaire apparent
ayant complètement et légalement libéré lé locataire.
Dès-lors, ce dernier ne court aucun risque sérieux.
Il ne peut donc se plaindre de ce qu’on ajourne la rece
vabilité de sa demande jusqu’à la réalisation du trouble.
999.
— Cependant, si le preneur avait en entrant
payé par anticipation tout ou partie des loyers que le
bail doit rendre exigibles, la connaissance que la chose
louée n’appartient pas au bailleur lui conférerait le droit
d’exiger de lui soit le remboursement de tout ce qui
ne serait pas actuellement échu, soit un cautionnement
pour un remboursement futur. De plus, et pour éviter
toute contestation ultérieure sur les paiements de loyer
postérieur à la connaissance du vice, il conviendrait au
preneur de ne faire ces paiements qu’après avoir mis
le véritable propriétaire en demeure de faire valoir ses
droits.
1000- — Le communiste, louant en son nom seul
la chose indivise, excède les droits lui appartenant et
s’expose à un double danger.
1° A une poursuite en résiliation de la part de ses
copropriétaires. Remarquons, toutefois, que, juste en
principe, cette prétention pourrait être repoussée dans
l’application, si le bail stipulait un prix sincère et légi
time, si le bailleur résidait sur la localité, tandis que ses
�342
t r a it e
cointéressés habitent des lieux plus ou moins éloignés,
et si de baux antérieurs, consentis de la même ma
nière, n’avaient pas été attaqués. Tout cela indiquerait
que le bailleur, agissant ne fût-ce que comme le negotiorum geslor de ses cointéressés, n’a fait qu’un acte
de sage administration auquel il était au moins tacite
ment autorisé. La demande en résiliation pourrait, dèslors, être écartée.
Mais il en serait autrement si le bailleur avait dissi
mulé le véritable prix du bail ou s’il avait stipulé secrè
tement tout autre avantage exclusivement personnel.
La fraude, évidente dans cette hypothèse, entraînerait
non-seulement la résiliation du bail, mais encore l’al
location de dommages-intérêts pouvant excéder, mais
non rester en dessous des avantages indûment perçus.
Comme dans tous les cas de fraude, la preuve incom
berait aux demandeurs.
2° A la demande en résiliation de la part du preneur.
La poursuite et les effets de cette demande seraient dé
terminés par les règles que nous venons de tracer pour
le louage de la chose d’autrui.
1001. — Les articles 595, 1429 et 1718 du Code
civil donnent à l’usufruitier, au mari, au tuteur, la fa
culté de louer les biens dont ils ont la jouissance ou
l’administration. Quelle que soit la durée des baux
qu’ils ont consenti en cette qualité, le preneur n’a au
cun droit à exercer, pas même celui de se faire cau
tionner les anticipations qu’il aurait consenties.
La dissimulation de la qualité constitue une véritable
�OU DOÏ.
ET
DE EA
FRAUDE.
343
fraude. Mais, comme elle n’est pas dans tous les cas né
cessairement préjudiciable, il y a lieu d’établir la dis
tinction suivante :
1002. — Si le bail n’a qu’une durée de neuf ans ou
au-dessous, le locataire n’a aucun motif de se plaindre,
ce qu’il a voulu, c’est la jouissance des objets loués pen
dant toute la durée de son bail. Or, cette jouissance lui
est assurée, puisque le bail n’excède pas le droit conféré
par la loi à celui qui l’a consenti. Donc, le nu-proprié
taire, la femme ou l’ancien mineur sera obligé de l’exé
cuter pour toute sa durée, à moins qu’il ne prouve que
le bail est frauduleux et lésif.
Mais on ne peut admettre l’existence d’un bail frau
duleux et lésif sans admettre, en même temps, la com
plicité du preneur. Ce n’est pas, en effet, en faveur de
celui-ci que le bailleur méconnaîtra les devoirs que sa
qualité lui impose. Conséquemment, le preneur, ayant
participé à la fraude et déterminé, par son fait, la cause
de la nullité du bail, ne saurait être ni recevable, ni
fondé à se plaindre de cette nullité.
Toutefois, si le preneur a fait des anticipations sur les
loyers à venir, l’ignorance de la qualité du bailleur lui
donnera le droit d’exiger soit le remboursement de ses
avances, soit un cautionnement.
Si le bail est consenti pour une période de plus de
neuf ans ou renouvelé contrairement à l’article 1430
du Code civil, la dissimulation de la qualité du bailleur
pourrait être pour le preneur un motif de demander la
résiliation du contrat. Il peut se faire, en effet, que la
�3
U
t r a it e
:
durée du ternie stipulé ait été la cause déterminante,
sans laquelle le preneur n’aurait pas consenti h accepter
cette qualité; que cette même durée ait été stipulée en
compensation de l’état des biens loués, des dépenses et
frais à exposer pendant les premières années. Or, cette
espérance peut ne pas se réaliser, car l’exécution com
plète de l’acte tient à une éventualité dont le preneur
peut ne pas vouloir courir les chances et dont on lui a
frauduleusement dissimulé l’existence.
1005. — La fraude du propriétaire qui loue successsivement la même chose à deux personnes, ou qui,
ayant loué verbalement ou par acte sans date certaine,
vend sans faire de l’entretien du bail une des condi
tions de la vente, n’est pas douteuse. Dans la première
hypothèse, l’un des preneurs se verra dans l’impos
sibilité de jouir de la chose. Il est évident qu’on ne sau
rait lui refuser la résiliation du bail et l’allocation de
dommages intérêts. Le juge serait d’autant plus sévère,
que cette allocation aurait pour cause la mauvaise foi la
plus évidente.
Dans la seconde hypothèse, la fraude n’existerait et
ne serait préjudiciable que si, au moment de la vente,
le bail avait encore plusieurs années à courir. Il est évi
dent que, s’il s’agissait d’un bail annuel dont l’exécu
tion a précédé la vente, l’acquéreur ne pourrait évincer
le fermier actuel qu’à la fin de l’année et conformément
aux usages de la localité.
1004. — Si la vente est réalisée avant l’entrée en
�DU DOL E T
DE LA F R A U D E .
345
jouissance du preneur, le silence gardé par le vendeur
sur l’existence du bail dispenserait l’acheteur de l’obli
gation de l’exécuter. Le refus de celui-ci anéantirait le
bail, mais laisserait à la charge de l’ancien propriétaire
les dommages-intérêts que la résiliation forcée du con
trat ferait naître. Il en serait de même si l’acquéreur
congédiait le fermier dont le bail devait [se prolonger
au-delà de l’année. Vainement le bailleur exciperait-il
de sa bonne loi. Il dépendait de lui de rendre le bail
obligatoire dans l’un et l’autre cas, en en faisant un de
voir pour l’acquéreur. Le silence gardé envers celui-ci
ne peut être que volontaire. Il est donc exclusif de toute
bonne foi.
1005. — L’obligation d’assurer au preneur la jouis
sance de la chose louée entraîne, comme conséquence,
celle de délivrer la chose au temps convenu ; celle de
l’entretenir de manière que la jouissance en soit pos
sible ; celle, enfin, de garantir les vices qui la rendraient
impropre à sa destination.
La délivrance est en matière de louage ce qu’elle est
dans la vente sous une destination différente. Consé
quemment, nous nous en référons aux règles que nous
avons exposées pour celle-ci.
1006 — L’article 1720, spécial pour le louage, fait
une obligation au bailleur de délivrer la chose en bon
état de réparations de toute espèce, ce qui comprend les
réparations locatives demeurant, après la livraison et
pendant la durée du bail, à la charge du preneur.il est
�346
t r a it e
évident, en effet, qu’on ne pouvait imposer à celui-ci
des réparations dont la cause lui est étrangère, dès que
leur nécessité a préexisté à la jouissance de la chose.
1007. — De là il résulte que si le mauvais état
d’entretien a été dissimulé à l’aide de quelques répa
rations superficielles destinées à masquer plutôt qu’à
améliorer l’état des lieux, le preneur pourrait contrain
dre à l’exécution franche et entière des prescriptions
de l’article 1720 et, à défaut, obtenir la résiliation du
bail.
Cette résiliation s’explique par l’intérêt du preneur.
Les réparations locatives non réalisées au moment de
l’entrée en jouissance seraient plus tard à sa charge.
D’ailleurs, plus la chose est en état, et moins il y aura
d’occasions de la réparer. Donc, sous ce double rap
port, l’intérêt du preneur est évident.
1008- — Vainement le bailleur, pour se soustraire
à l’article 1720, prétendrait-il que la chose ayant été
visitée avant de traiter, le preneur a accepté l’état des
choses dont il se plaint; qu’il a eu, d’ailleurs, lui-même
tort de la louer telle qu’elle se trouve. On lui répondrait,
avec raison, que la fraude ne pouvait se prévoir; que
la chose paraissait en bon état d’entretien au moment
de la visite et que cette apparence devait suffire; que le
preneur avait d’autant moins le devoir de l’approfondir,
que l’article 1720 la lui garantissait en quelque sorte ;
qu’ainsi, loin de renoncer au bénéfice de cet article, il
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
347
se l’est d’autant plus réservé, qu’il n’a traité que parce
qu’il l’a cru acquis.
Ainsi, aucune fin de non-recevoir ne saurait résulter
de la visite de la chose louée. La demande du preneur,
en exécution de l’article 1720, devrait être accueillie si
elle était fondée, à plus forte raison le serait-elle si les
réparations dolosives étaient postérieures à la visite.
En cas d’inexécution, le bail pourrait être résilié,
mais il peut se faire que cette résiliation n’entre pas
dans les convenances du preneur. Ce cas se réalisant,
celui-ci se fera autoriser h faire lui-même les répara
tions, dont la nécessité sera constatée, aux frais du bail
leur, le remboursement de la dépense pourra être im
médiatement exigible ou être compensé avec les loyers
à échoir, au gré du preneur.
1009. — Le défaut de délivrance de la chose louée
peut entraîner la résiliation du bail ; cette possibilité ne
saurait être invoquée par le bailleur. Manquant à un
devoir essentiel, celui-ci ne pourrait se soustraire à la
résiliation que le preneur demanderait.
1010- — Mais ce dernier ne saurait jamais être con
traint à subir malgré lui la résiliation. La demander est
pour lui une faculté et non une obligation; s’il croit la
délivrance de la chose possible, si elle convient mieux
à ses intérêts, il a le droit de forcer le bailleur à la réa
liser, et, le jugement obtenu, il peut se faire mettre en
possession eliant manu militari. Telle est la nature de
l’action qui lui est ouverte et que le droit romain quali-
�fiait d’actio conducti, ou ex conducto, et dont les effets
se sont continués sous l’empire du droit qui nous régit. ’
1011. — La délivrance opérée et le preneur entré
en jouissance, toutes les réparations locatives restent à
sa charge. Ces réparations sont présumées la consé
quence de la jouissance et nécessitées par sa faute ou
par celle de sa famille.2
1012. — Mais il n’en est pas de même des répara
tions nécessaires pour conserver à la chose la destina
tion qui lui a été affectée. Le propriétaire, retirant les
fruits civils de la chose, est naturellement tenu de main
tenir celle-ci en état d’être jouie par le preneur. Tout ce
qui porte atteinte à cette jouissance, tout ce qui s’op
pose à ce qu’elle s’exerce librement et d’une manière
complète, est une violation de l’obligation imposée au
bailleur. Il appartient donc uniquement à celui-ci d’v
remédier, et cela pendant toute la durée du bail.
Le propriétaire est donc tenu de faire cesser le trou
ble, dès qu’il est mis en demeure de le faire. Il est res
ponsable du refus ou du retard qu’il mettrait à faire ces
ser un état des choses préjudiciable au preneur, qui
pourrait dès-lors le faire condamner non-seulement à
faire les réparations, mais encore à des dommages-in
térêts pour le préjudice éprouvé depuis la mise en
demeure.
' Vid. Troplong, nos 171, 172, 475 et suiv.
* Pothier, n° 107.
�1015.
— Dans sa sollicitude pour les droits de cha
cun, le législateur a cru devoir régler le mode et la
durée des réparations. S’il était raisonnable que le
preneur dût souffrir la privation de jouissance résultant
de la nécessité d’une réparation plus ou moins impor
tante, il ne fallait pas que le bailleur pût, au gré de ses
caprices, prolonger la durée des travaux et aggraver
par sa négligence la position du bailleur. De là la dis
position de l’article 1724 réglant souverainement les
droits et les devoirs de chacun.
1014. — L’existence d’un vice caché, rendant la
chose impropre à sa destination, engage la responsa
bilité du bailleur tenu à la garantie. Il résulte des termes
de l’article 1721 que cette garantie ne s’entend que des
vices empêchant la jouissance. Conséquemment, si
le preneur n’excipait que d’une incommodité , l’ar
ticle 1721 serait inapplicable, il ne pourrait en invo
quer le bénéfice.
1015. - - Les effets de la garantie édictée contre le
bailleur sont :
En première ligne, la résiliation du bail ; l’ignorance
absolue et complète de l’existence du vice ne saurait,
aux termes de l’article 1721, empêcher ce résultat. Il
est évident, en effet, que dès que la chose ne peut, par
une cause quelconque, recevoir la destination que le
preneur lui affectait au vu et su du bailleur, le bail doit
cesser d’exister, on ne saurait équitablement exiger le
prix d’une jouissance ne pouvant se réaliser.
iM
�y
350
,
TRA ITÉ
1016.
— En deuxième ligne, l’allocation de dom
mages-intérêts en faveur du locataire, si le locateur a
connu avant le bail le vice dout la chose était affectée.
La dissimulation du bailleur est plus qu’une fraude,elle
constitue un dol véritable. L’appréciation de la répara
tion due au preneur se ferait donc sur les bases édic
tées par l’article 1151 du Code civil;
1017.
— En troisième ligne, et dans tous les cas,
la réparation de la perte matériellement éprouvée par
le preneur.
Cette solution, que le sens littéral des termes de l’ar
ticle 1721 renferme évidemment, nous paraît dictée par
la plus saine équité. En effet, si le propriétaire et le lo
cataire se sont trompés et qu’ils aient l’un et l’autre
ignoré le vice de la chose, il ne faut punir ni l’un ni
l’autre; mais si ce vice a occasionné un préjudice, com
ment condamnera-t-on le preneur à le subir? Où est la
faute qu’il a commise? Devait-il connaître ce que le pro
priétaire ignorait? Mais cette faute n’est-elle pas celle
de ce propriétaire? N’est-elle même pas plus grave chez
lui que chez le preneur, puisqu’en sa qualité il avait bien
d’autres moyens que celui-ci de connaître la vérité?
En l’état donc, mettre à la charge de ce propriétaire
la perte que le vice de la chose a déterminée, c’est faire
à chacun la part qui lui est due, rappelons-nous cet
adage de notre ancien droit : II n’y a pas à hésiter
entre celui qui s’est trompé, et celui qui souffre. Or,
évidemment celui qui s’est trompé dans l’espèce, c’est
le propriétaire; celui qui souffre, c’est le locataire.
�DU DOL F T
DE LA F R A U D E .
351
1018. — Telle n’est pas cependant la solution à
tirer de l’article 1721, d’après M. Troplong. Cet éminent
jurisconsulte pense que le bailleur ignorant du vice ne
doit supporter ni dommages-intérêts, ni pertes quel
conque, il enseigne que la perte doit rester pour
compte du preneur.
M. Troplong invoque d’abord le principe développé
par Ulpien, dans la loi 19, § i, Dig., de Local, conduct.
Se fondant ensuite sur l’affinité incontestable entre la
vente et le louage, il fait application à celui-ci de l’ar
ticle 1646, et il conclut que le bailleur ayant ignoré le
vice n’est tenu de restituer que ce qu’il a reçu et à sup
porter les frais de louage.
1019. — Quelque profond que soit notre respect
pour le savant auteur dont nous rappelons l’opinion,
quelque considérable que soit son autorité, nous devons
le dire, les motifs sur lesquels il fonde sa doctrine ne
nous ont pas convaincus, sa doctrine elle-même nous a
paru méconnaître l’esprit et la lettre de l’article 1721.
Nous repoussons le recours au droit romain par un
double motif : d’abord parce que la décision d’Ulpien
ne nous paraît pas aussi décisive que le soutient M.
Troplong; ensuite, parce qu’en la supposant telle, elle
devrait rester aujourd’hui sans autorité, le Code civil
ayant adopté une doctrine contraire.
Nous nous bornerons, sur le premier point, à faire re
marquer qu’Ulpien refuse d’une part les dommages-in
térêts, et de l’autre le droit d’exiger1les loyers : Aliter
Clique si saltum pascuum locasti, in qüo hérita mala nasr
�s
352
t r a it é
cebalur. Hic enim sipecora vel demorlua sunl, vet etiam
détériora facta, qtiod interesl prestabitur si s c i s t i , si
i g n o r a s t i pensionem non petes.
Ainsi, pas de doute, le preneur ne pourra exiger des
dommages-intérêts, ni le bailleur exiger le prix de la lo
cation. Cela exclut-il nécessairement la faculté pour le
premier d’exiger le remboursement de la perte qu’il g
essuyée?
On pourrait admettre le contraire. En droit romain,
les dommages-intérêts s’entendaient d’un double élé
ment : la perte éprouvée, le gain dont on était privé ,
damnum emergens, litcrum cessons. Proscrire l’en
semble, ce n’est pas exclure nécessairement le droit
d’exiger séparément l’un de ces deux éléments. Consé
quemment être placé dans l’impossibilité d’exiger des
dommages - intérêts, n’entraîne pas l’interdiction de
poursuivre la réparation de la perte.
Nous le croyons avec d’autant plus de fondements
que, pour décider le contraire, il faut admettre que
le preneur a fait faute, et c’est ce que lui reproche
M. Troplong. Le preneur, dit-il, a à s’imputer d’avoir
ignoré la nature de la chose qu’il loue. Mais un pareil
reproche peut-il être fondé lorsqu’il s’agit d’un vice tel
lement caché, que ce n’est que par la jouissance ellemême qu’il doit se décéler; que le propriétaire a pu
l’ignorer, lui qui possède la chose depuis longues années
peut-être ! lui qui doit aussi connaître la chose dont il
dispose, car si le preneur doit savoir qu’elle est la chose
qu’il reçoit, il est juste que le bailleur sache qu’elle est
1a.chose qu’il donne; si l’erreur est concevable chez l’un,
�DU DOL E T
DE LA
FRAUDE.
353
elle est concevable chez l’autre, il faut donc les placer
l’un et l’autre dans laposition qu’ils avaient avant le bail,
et dès-lors obliger le propriétaire à indemniser de la
perte, tout en imposant au locataire la privation du bé
néfice qu’il eût pu réaliser.
Quoi qu’il en soit, en droit romain, de la justesse de
cette doctrine, tout doute disparaît sous l’empire du
Code, en présence de l’article 1721 : « Il est dû garantie
au preneur pour tous les vices ou défauts de la chose
louée qui en empêchent l’usage, quand même le bailleur
ne tes aurait pas connus lors du bail. » Voilà le principe
nettement et formellement posé. Remarquons tout de
suite combien il s’éloigne de celui formulé par Ulpien :
Si iqnorasti, mercedem non paies. Il serait singulier
qu’à travers une opposition si tranchée dans les textes,
les deux législations dussent arriver au même résultat.
Donc le bailleur doit garantie, même lorsqu’il a ignoré
les vices ou defauts de la chose; quels seront les effets
de cette garantie? L’article 1721 nous l’enseigne immé
diatement : s’il résulte de ces vices ou défauts quelque
perte pour le preneur , le bailleur est tenu de l’in
demniser. Or cette disposition n’est évidemment édictée
que dans l’hypothèse de l’ignorance du bailleur, car, s’il
avait connu le vice, ce n’est pas l’indemnité de la perte
qu’il devrait. La dissimulation dont il aurait usé, cons
tituant un dol, l’obligerait à des dommages-intérêts,
c’est-à-dire à supporter la perte dans les proportions de
l’article 1151 et à tenir compte, sur les mêmes bases, du
gain dont le preneur aurait été privé.
M. Troplong reconnaît lui-même l’évidence du sens
�35 i
TR A IT E
littéral de l’article 1721, mais il soutient que l’aperçu
qui en dérive est trompeur. Pourquoi? Parce qu’il existe
une grande affinité de principes entre le louage et la
vente. Or, pour celle-ci, l’article 1646 borne l’obligation
du vendeur au remboursement du prix et des frais de la
vente. Pourquoi en serait-il autrement pour le louage,
alors que le droit romain est précis à cet égard?
Nous sommes loin de méconnaître l’affinité réelle
existant entre le louage et la vente. Mais toute la con
clusion que nous en tirons, c’est que, dans le silence du
Code, c’est par les principes applicables à la vente qu’on
doit résoudre les difficultés offertes par le louage. Dèslors, c’est à l’article 1646 que nous demanderions les
devoirs à remplir par le bailleur ignorant les vices de la
chose, si la législation spéciale au louage ne s’était pas
formellement expliquée. O rl’article 1721 fournità notre
avis cette explication, et il la donne autre que celle de
l’article 1646. Dès-lors on ne peut, sous prétexte d’af
finité, se soustraire à un texte clair, précis et positif.
Pourquoi la loi a-t-elle voulu pour le louage le con
traire de ce qu’elle a prescrit pour la vente ? Nous
n’avons pas à scruter la pensée du législateur, il suffit
que sa volonté soit expressément énoncée, pour que tout
s’empresse de courber la tête. Qu’on tente de la faire
corriger, si on la croit mauvaise, c’est un droit dont
l’exercice n’a rien que de très légitime ; quant à nous,
nous l’avons déjà dit, la prescription de l’article 1721
nous paraît dictée par les plus saines notions d’une
exacte justice. Nous croyons d’ailleurs que l’obligation
du vendeur, de s’assurer de la qualité et de la nature de
�DU DOL F.T DE
LA F R A U D E .
355
ce qu’il achète, est beaucoup plus grave que celle du lo
cataire à l’endroit de la chose qu’il loue ; que, d’autre
part, le locateur est, bien plus que le vendeur, tenu de
connaître la chose qui fait la matière de la location ou de
la vente, c’est ce que Zacchariæ exprime en ces termes :
La raison en est que celui qui loue une chose pour un
usage convenu doit savoir si elle y est propre et garantir
non-seulement cet usage, mais encore les conséquences
qui peuvent en résulter.1
Ainsi le bailleur doit garantie des vices ou défauts
cachés, quand même il les eût ignorés; cette garantie a
pour effet non pas de le soumettre à des dommages-in
térêts, mais de l’obliger à indemniser le preneur de la
perte que les vices cachés ont entraîné. L’article 1646
est sans application au louage , l’article 1721 ayant
édicté pour celui-ci une règle spéciale.
C’est ce que la Cour de cassation a formellement dé
cidé le 50 mai 1 837.2 C’est ce qu’enseignent plusieurs
auteurs recommandables.3
1020.
— Le bail confère au preneur le droit de
jouir de la chose louée pendant la durée du terme con
venu, il en retire par conséquent tous les fruits, tant na
turels qu’industriels ou civils. Il est à l’instar du pro
priétaire lui-même, il peut donc foire, à raison de cette
jouissance, tout ce qu’il trouve utile ou convenable à ses
intérêts.
1 T. in, pag. 8.
2 I). P. 57,1, 409.
* Zacchariæ, loco cilato; — Delvincourt, t. m, pag. 191, notes.
�Toutefois, cette faculté ne s’applique qu’à l’usage
commun, qu’à la jouissance accoutumée des produits
ordinaires de la chose. Tout ce qui sort de cette caté
gorie, tout ce qui ne peut être recueilli sans porter at
teinte à la substance de la chose demeure personnel au
propriétaire, qui seul a le droit d’en disposer. Ainsi les
mines et carrières existant sur la propriété, ouvertes ou
non au moment du bail, ne pourraient être exploitées
par le preneur que si la convention lui en conférait ex
pressément la faculté. L’exploitation, en l’absence d’une
clause d’autorisation, serait un abus et une fraude que
le propriétaire aurait le droit d’interdire pour l’avenir,
avec dommages-intérêts pour le passé.
jÉfl
®s
B|
1021.
— Le droit de louer est un des attributs de
la jouissance. Il passe conséquemment au preneur pou
vant toujours sous-louer, à moins que le contrat le lui
interdise.
Ce principe, consacré par l’article 1717 du Code ci
vil, a été méconnu par un arrêt de la Cour de Paris, du
28 juillet 1825, jugeant : que la concession du droit
d’exploiter une mine de plâtre ne peut, dans le silence
du contrat sur le droit de sous-louer, être valablement
transmise à un tiers par le concessionnaire.1 Les motifs
de cet arrêt se fondent sur les lois spéciales aux carriè
res et mines, sur la responsabilité qu’elles font peser
sur le propriétaire. De là on conclut que celui-ci, en
concédant la faculté d’exploiter, ne l’a fait qu’en consi11 Dalloz, 25r ii, 21 S.
�DU DOL
ET
DE
l,A F R A U D E .
357
dération de la capacité et de l’aptitude du preneur; qu’en
conséquence le bail est personnel et que la cession qui
en est faite, constituant l’abandon de l’exploitation, il
y a lieu de résilier le contrat.
Cette doctrine ne tend à rien moins qu’à créer une
distinction que la loi proscrit. Toute jouissance est
dans le cas d’être cédée, surtout lorsqu’elle est pure
ment industrielle, car, dans cette hypothèse, le preneur
a pu ne vouloir faire qu’une spéculation en sous-louant
plus cher qu’il n’a lui-même loué. D’ailleurs, l’arti
cle 1717 est général et absolu, c’est donc le violer que
.de lui refuser ce caractère. L’objection que le bailleur
n’a eu en vue que la capacité et l’aptitude du preneur,
est détruite par le contrat lui-même, car, si telle avait
été la cause déterminante du bail, on en trouverait la
preuve dans l’interdiction de sous-louer que la loi per
met de stipuler. Le sileuce des parties sur ce point ex
clut toute idée de personnalité dans le bail.
Qu’importe, d’ailleurs, la responsabilité que les lois
spéciales font peser sur le propriétaire des mines ou
carrières. En aliénant l’exploitation enfaveurd’un tiers,
ce propriétaire à assumé la responsabilité des actes de
celui-ci, mais il a contre lui un recours qui lui a paru
suffisant. Ce recours, n’est nullement affaibli par la
sous-location, puisque le preneur primitif reste garant
envers le bailleur des faits de celui qu’il s’est substitué.
Dès-lors il n ’y a rien de changé par la sous-location,
il n’y a qu’une garantie dé plus pour le propriétaire. On
ne saurait dès-lors punir le preneur qui a usé d’une
�358
t r a it e
faculté légale et résilier un bail qui n’a pas cessé d’exis
ter tel qu’il a été consenti.
Que si le mode de jouissance adopté par le sous-pre
neur est abusif et nuisible pour le propriétaire, celui-ci
a le droit soit de faire cesser les abus, soit de poursui
vre la résiliation. Vainement le preneur primitif préten
drait-il que les actes dont on se plaint ne sont pas de
son fait; on lui répondrait victorieusement qu’il est
censé avoir fait lui-même ce que son représentant a
accompli, qu’il doit, dès-lors, être condamné, sauf son
recours contre le sous-locataire.
Ainsi, en principe, la faculté de sous-louer est inhé
rente au contrat de louage. Mais la loi permet d’y déro
ger. L’absence d’une clause formelle dans l’acte de
bail, laisse dans tous les cas au preneur le droit d’user
de cette faculté.
1022. — Mais si le bail a prohibé cette faculté, le
preneur ne pourra, sous aucun prétexte, se soustraire
à la prohibition, il sera tenu d’exploiter lui-même la
chose louée, la sous-location qu’il en ferait serait con
sidérée comme un abandon illégal et frauduleux de la
jouissance, et entraînerait dès-lors la résiliation du bail
avec dommages-intérêts.
1023. — Le sous-locataire, évincé par l’effet de la
résiliation, pourrait-il exiger des dommages-intérêts de
la part de son bailleur? A cet égard une distinction nous
paraît indispensable : ou le locataire a été trompé, ou
il a été imprudent. Dans le premier cas, il lui est dû
�DU DDL
EX DE LA F R A U D E .
359
des dommages-intérêts, qui lui seraient refusé dans le
second.
Le sous - locataire a été trompé, lorsque l’existence
du bail primitif lui a été dissimulée. Nous n’entendons
pas par là qu’il faille que le sous-locateur se soit fausse
ment attribué la qualité de propriétaire, il suffirait que
tout en prenant la qualité de locataire, il eût placé la
partie avec laquelle il traite dans l’impossibilité de vé
rifier la sincérité du droit qu’il exerce, c’est ce qui se
réaliserait s’il avait caché l’existence d’un bail écrit,
prétendant qu’il était locataire verbal. On comprend
dans ce cas qu’aucun reproche fondé ne pourrait être
adressé au sous-locataire, un bail verbal est exclusif de
toute clause prohibitive d’une sous-location.
Si la sous-location a été faite par écrit, la dissimula
tion dont nous parlons sera de nature à être prouvée
par l’acte même. Il est vrai que la qualité de locataire
verbal peut avoir été prise pour éviter des droits éven
tuels d’enregistrement, mais le sous-locateur a le plus
grand intérêt à se soustraire aux conséquences de cette
dénomination. Il doit donc rapporter la preuve écrite
que le sous - locataire n’a rien ignoré. Cette preuve ré
sulterait de la remise de la convention primitive cons
tatée par un récépissé signé du sous - locataire, ou de
tout autre document écrit, émané de celui-ci.
Si la sous-loeation a été verbalement consentie, celui
qui l’a acceptée pourra toujours alléguer et prouver
qu’on lui a caché l’existence d’un bail écrit. Cette
preuve pourra être fournie oralement, puisqu’il s’agit
d’une dissimulation frauduleuse.
�360
T R A IT E
Le sous-locataire, qui a connu ou pu connaître la posi
tion réelledu sous-locateur, n’a droit à aucune allocation
en cas d’éviction. Dans le premier cas, ou il s’est rendu
complice de la fraude consommée par celui-ci, ou il a
pris sur lui de courir les chances résultant de la prohi
bition de sous-louer. Dans rime comme dans l’autre
hypothèse, il serait non-recevable à se plaindre d’une
dépossession pouvant être facilement prévue au mo
ment où il a traité.
Il en est de même si, sans avoir formellement con
naissance de la prohibition de sous-louer, il a pu faci
lement la connaître, comme si le sous-bail mentionnait
que le bailleur tenait les lieux en vertu d’un bail écrit.
Cette énonciation impose au sous-locataire le devoir de
se faire représenter le bail pour en connaître les condi
tions. S’il manque à ce devoir, il se rend coupable de
négligence et accepte imprudemment un fait dont il lui
a été donné de soupçonner au moins la sincérité.
Imprudence ou négligence, la sous-location reste à
ses périls et risques. A toutes ses réclamations, on ré
pondrait qu’il devait s’assurer de la condition de celui
avec qui il contractait, qu’en ne le faisant pas, il a com
mis une faute dont il doit subir les conséquences,
quelles qu’elles soient,
La prohibition de sous-louer est absolue et de ri
gueur, sa violation entraîne et doit faire prononcer la
résiliation du bail. Il est évident dès-lors que la con
vention a voulu conférer au preneur une jouissance
purement personnelle. La sous-location faisant cesser
�DU DOL
ET DE
LA
361
FRAUDE.
coite jouissance, étant la violation la plus formelle des
accords convenus, il y a lieu de les retracter.
Il ne dépend donc plus du locataire d’empêcher cette
résiliation, même en offrant d’indemniser, par des dom
mages-intérêts, le préjudice que la sous-location peut
occasionner. Si l’on admettait une pareille offre, on
violerait l’article 1717, on donnerait à une seule partie
le droit de faire au contrat des modifications ne pouvant
se réaliser que par l’effet d’un consentement mutuel.1
1024.
— Cependant la nécessité de l’habitation,
lorsqu’il s’agit d’une maison ou d’une ferme, n’est pas
tellement, personnelle, que le preneur ne puisse pas se
faire représenter par des personnes de confiance et à
ses gages. On possède par son préposé comme par soimême, et consentir à la prohibition de sous-iouer,n’est
pas aliéner la faculté de se choisir un représentant.2
Mais, comme la fraude est ici fort voisine du droit, le
bailleur a toujours le droit de prouver que la qualité
conférée au tiers n’est qu’une ruse à l’effet d’eluder la
prohibition.
IU25. — La clause prohibitive de sous-location
n’est pas violée lorsque cette sous-location n’est que
l’accessoire d’une obligation légitimement contractée
par le preneur. Ainsi, la vente d’un fonds de commerce
est bien souvent inséparable à la cession du bail des
1 Cass., 26 janv. 1812.
2 Bordeaux, \ \ juin 1826.
u
16
�302
TRA ITE
lieux dans lesquels ce commerce est exploité. Dans
cette hypothèse, la cession est forcée, car, sans elle, la
vente du commerce ne se réaliserait pas. Vouloir l’em
pêcher serait placer le commerçant dans l’impossibi
lité de cesser des affaires qui peuvent être fort oné
reuses pour lui et le condamner à continuer une pro
fession que ses convenances, son intérêt et sa position
lui font un devoir d’abandonner.
Induire de l’acceptation de la prohibition de souslouer la renonciation à la faculté de vendre, c’est don
ner à la clause du bail une extension que ne compor
tent ni la raison, ni la justice. Pourra-t-on jamais sup
poser, en effet, que dans l’unique but de se soustraire à
celte prohibition, le locataire ira vendre sou fonds,
abandonner son industrie et renoncer ainsi aux occu
pations de toute sa vie. Concluons donc que la vente
d’un fonds de commerce peut autoriser, malgré le bail,
la cession de la location sans laquelle la vente serait
ou impossible ou extrêmement onéreuse.
1026.
— Telle n’est pas cependant l’opinion de
M. Duvergier. Rien, dit ce jurisconsulte, ne doit faire
fléchir le principe de l'article 1717, la faculté de céder
le bail n’est pas intimement liée à celle de vendre le
fonds. Le fût-elle, on n’en devrait pas moins obéir à la
défense expresse de céder le bail, fallût-il en induire la
prohibition de vendre le fonds.1
’ Du Louage, t. i, n° 565.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
363
1027. — Quelque rigoureuse que soit la prohibi
tion de l’article 1717, elle ne nous paraît pas autoriser
une pareille conséquence. Dans l’esprit du législateur,
cette disposition n’a de portée que pour les cas ordinai
res et qui se réalisent le plus souvent. Tant que le pre
neur restera ce qu’il était au moment du bail, et qu’il
s’agira de lui substituer un tiers, ce qui lui permettrait
d’aller faire ailleurs ce qu’il faisait dans les lieux loués,
le bailleur sera fondé à s’opposer à la substitution, alors
même qu’elle lui serait avantageuse. L’article 1717
n’admet plus qu’on exige un intérêt de la part du bail
leur, il suffit que la prohibition ait été consentie pour
qu’il puisse en réclamer le bénéfice et profiter de ses
conséquences.
Conclure de là que le preneur s’est interdit la faculté
de vendre son fonds de commerce, qu’il s’est privé de
la faculté de sous-louer même dans l’éventualité de
cette vente, c’est supposer que les parties ont eu en
vue un événement fort éloigné de leur pensée actuelle
et qui n’a dû frapper ni l’une ni l’autre ; et, dans tous
les cas, si le bailleur y a songé, il eût dû s’en expliquer
formellement. Son silence à l’acte prouverait qu’il n’a
pas voulu, dans ses prévisions, aller au-delà de celles
pour lesquelles l’article 1717 a été exclusivement
édicté. C’est dans ce sens que s’est prononcée la Cour
de Paris . 1
1028. — La jouissance conférée au locataire diffère
�364
TRA ITE
de celle du propriétaire, pouvant non-seulement user,
mais encore abuser de sa chose. Elle doit, dès-lors ,
se restreindre dans des limites raisonnables et justes.
C’est ce que la loi a exigé, en exprimant que l’adminis
tration du locataire devait être celle d’un bon père de
famille.
Cette obligation entraîne, comme conséquence d’a
bord, de maintenir les lieux dans l’état où ils se trou
vaient au moment de leur délivrance.
Ce n’est pas que le preneur ne puisse jouir autre
ment que le propriétaire et opérer dans ce sens des
changements à la localité. L’obligation de rendre, à la
sortie, les lieux dans l’état qu’ils étaient à la rentrée ,
rend l’exercice de cette faculté sans inconvénients pour
le bailleur. Il ne pourrait donc réclamer, à moins d’ex
cès devant occasionner un préjudice permanent et du
rable.
1029.
— Mais la faculté de modifier les lieux ne va
pas jusqu’à permettre d’en changer la destination. Toute
substitution dans ce sens, accomplie sans l’aveu et l’au
torisation du bailleur, est une fraude donnant ouver
ture à l’action en résiliation, alors surtout que la desti
nation nouvelle est dans le cas de déprécier les lieux ,
soit sous le rapport matériel, soit sous le rapport moral.
, Ainsi on ne peut, dans une maison bourgeoise, éta
blir un café ou cercle, moins encore un cabaret ou un
lieu de prostitution. Convertir la maison en auberge ou
l ’auberge en maison, introduire une maison de jeux ,
�DU DOL ET DE LA FRAUDE,
365
appeler enfin une profession bruyante ou incommode
dans les lieux destinés à un débit de marchandises.
1 0 Ô0 . — Le locataire d’un établissement industriel
quelconque est de plus obligé de l’exploiter activement
jusqu’à la fin du bail. L'interruption occasionnée, soit
paria cessation de commerce, soit par le transfert de
ce commerce dans une autre localité, donnerait lieu à
la résiliation du bail et à des dommages-intérêts. L’al
location serait beaucoup plus sévèrement calculée dans
le second cas que dans le premier. En effet, la cessa
tion du commerce peut tenir à des circonstances n’en
tachant en rien la bonne foi du preneur. Le second, au
contraire, sera le plus souvent une spéculation sur la
c)ientelle qu’on voudra contraindre de venir dans le
nouvel établissement, la fermeture du premier les met
tant dans l’impossibilité de continuer à s’y faire servir.
On ne doit donc pas hésiter à reparer largement le pré
judice qui en sera résulté pour le propriétaire des lieux
abandonnés.
1051. — Faut-il, pour que la plainte en changement
soit recevable, que la destination des lieux ait été spé
cialement indiquée dans l’acte de bail? Nous ne le pen
sons pas. Le mode de jouissance précédemment em
ployé détermine ordinairement la destination ultérieure.
C’est donc par les antécédents que doit se résoudre la
difficulté. C’est aussi par la nature et la situation des
lieux, car dans beaucoup de circonstances elles aide-
�366
TJIAITÉ
ront puissamment à fixer la destination qu’on prétendra
avoir été changée.
1032. — La profession du locataire peut fournirun
moyen puissant d’appréciation. Celui qui a pris dans
l’acte la profession de négociant, qui a toujours exercé
son commerce dans le lieu de son habitation, sera faci
lement présumé n’avoir loué que pour continuer son
industrie. Le bailleur ne pourrait donc plus tard s’op
poser aux changements à faire aux lieux loués pour les
mettre en état de servira leur nouvelle destination. Son
silence dans l’acte de bail, en présence de la double cir
constance que nous venons d’établir, ferait admettre
qu’il a consenti à ces changements.
Mais il en serait autrement si l’industriel avait tou
jours exploité son commerce dans un lieu autre que
celui qu’il habitait; peu importerait, dans cette hypo
thèse, que le preneur eût pris dans l’acte la qualité que
son industrie lui donne. D’une part, la certitude qu’il
exploitait son commerce séparément de son habitation ;
de l’autre, la destination antérieure des lieux, constam
ment affectés à l’habitation, ferait considérer comme
un changement frauduleux l’introduction dans ces lieux
de l’exercice de sa profession,
1033. — La dissimulation par le preneur de sa vé
ritable qualité ferait résilier le bail, lorsqu’il est certain
que la connaissance de cette qualité aurait empêché le
propriétaire de le consentir. Ainsi il a été jugé que le
preneur qui s’annonce comme négociant fait une décla»
�DU DOL ET DK LA FRAUDE
367
ration mensongère devant entraîner l’annulation du bail,
s’il dissimule qu’il est cabaretier et logeur. '
1034.
— Le développement qu’un fait même im
prévu imprime à l’exploitation d’une carrière constituet-il un changement de destination devant autoriser le
bailleur à faire résilier le bail?
La négative ne saurait être douteuse. L’exploitation
n’est que la conséquence naturelle et légitime du bail.
Elle doit nécessairement se placer au niveau des besoins
du preneur. Elle suit donc la chance plus ou moins
heureuse du commerce entrepris par lui. En consé
quence elle ne saurait être gênée, alors qu’aueunelimite
n’a été stipulée dans l’acte.
C’est ce que la Cour de Grenoble a en quelque sorte
reconnu par arrêt du 5 mars 1835, repoussant le pré
tendu changement de destination allégué parle bailleur.
Mais le même arrêt condamne le preneur à des dommagesdntérêts à l’égard du bailleur, pour indemniser
celui-ci du développement quel’exploitationavait reçue.
Nous pensons avec M. Duvergier que cette solution ne
se justifie en droit par aucun motif plausible.
Dans l’espèce de cet arrêt, une carrière de pierres
moellons avait été donnée à bail. Longtemps avant le
contrat, le projet d’agrandir la ville de Grenoble et d’en
reculer les fortifications avait été conçu. Des plans
avaient été dressés et le tout était soumis à l’approbationdu gouvernement.
1 Bordeaux, 1er mars 1828.
�368
TRAITE
Postérieurement au bail, ce projet fut mis à exécu
tion, et dès-lors des fournitures considérables furent
faites par les fermiers de la carrière.
En cet état, réclamation du propriétaire. I! soutient
que la réalisation de l’agrandissement de la ville est
un fait imprévu, que l’exploitation à laquelle il donne
lieu menace d’épuiser sa mine. Il demande qu’en vertu
des articles 1769 et 1770, il soit indemnisé par les pre
neurs; que dans tous les cas, et à défaut de stipulation
expresse, ceux-ci ne devaient jouir de la carrière que
suivant la destination qu’elle a reçue ; que cette destina
tion devait être entendue des produits proportionnels au
prix du bail; qu’en conséquence, extraire des produits
plus considérables, c’était, changer cette destination ,
puisque le preneur pourrait tout à coup appauvrir, si
non épuiser une carrière ayant devant elle de longues
années d’exploitation.
On répondait que les articles 1769 et 1770 ne con
cernaient que le preneur ; que la réciprocité invoquée
n’avait aucune base légale, ce que l’arrêt semble recon
naître tout en disant que la loi n’a pas exclu toute ana
logie.
La Cour ne voit pas non plus dans les moyens invo
qués un changement de destination, mais elle y trouve
une violation flagrante des accords intentionnellement
convenus, et c’est sur cette violation qu’elle se fonde
pour accorder des dommages-intérêts. Voici ses motifs :
« Attendu que, en affermant à Arnaud et Blandin le
« droit d’exploiter leur carrière, Uel et Billioux n’ont
« prévu, ni pu prévoir l’agrandissement de la ville et la
�DU DOI.
E t
DE EA FRADDE.
369
* confection d’une nouvelle enceinte de fortifications ;
« qu’il n’ont dû voir, ainsi que les preneurs, que le dé« bit des pierres tel qu’il avait eu lieu précédemment
a et pour les besoins habituels de la population, ce qui
a est d’ailleurs démontré par le prix du bail, resté le
4 même que pour les baux antérieurs, tandis qu’il au« rait subi une augmentation considérable si l’on avait
« prévu l’événement des nouvelles fortifications ;
4 Attendu que le projet d’agrandissement de la ville,
« d’une nouvelle enceinte de remparts, bien qu’existant
« à l’époque du contrat, était encore entouré de diffi4 cultes telles, que son ajournement, qui datait de plus
« d’un siècle, ne pouvait présenter un terme assez pro4 chain pour que ce projet eût été dans les prévisions
« des parties. ®
Il est possible, comme le dit la Cour de Grenoble,
qu’il ne serait pas juste de laisser au preneur seul le bé
néfice considérable qu’un événement imprévu est venu
occasionner, mais cela signalerait tout au plus une la
cune dans la loi, puisque le législateur, s’étant expliqué
à l’égard du preneur par les articles 1769 et 1770, a
omis ou refusé de le faire à l’endroit du bailleur. Or,
cette lacune ne peut être comblée ni par le juriscon
sulte, ni par le magistrat : Dura lex, sed scripta.
L’appel, fait par l’arrêt, à des considérations d’équité
et de justice est donc sans portée réelle. Tout au plus
accuserait-il la loi d’imprévoyance, en admettant que
cet appel fût fondé dans l’espèce et qu’il s’y agît réelle
ment d’un fait pouvant être considéré comme imprévu.
En droit, nous n’admettons pas, comme le fait l’ar-
�ar ^**.-?*:
370
TRAITE
rêt, ni que l’exploitation actuelle soit le terme que les
parties contractantes aient imposé à l’administration fu
ture et surtout accepté; ni que l’importance de celle-ci
doive toujours être proportionnée au prix du bail. La
location d’une mine ou d’une carrière est une opération
purement commerciale et participe, dès-lors, essentiel
lement aux chances aléatoires, inséparables de toute
opération de ce genre. De là cette première consé
quence, que le preneur court le risque d’une diminu
tion plus ou moins considérable et qu’il doit, par réci
procité, profiter de l ’augmentation dans l’exploitation
actuelle.
Que le but du preneur soit de provoquer cette aug
mentation, c’est ce qui est positif comme l’évidence.
En conséquence, il recherchera tous les débouchés
nouveaux pour l’écoulement de ses produits, étendra
ses relations, les portera au loin, profitera dans cet ob
jet de sa position sociale, des moyens que sa fortune lui
offrira. Or, c’est précisément tout cela que la doctrine
de l’arrêt tend à lui interdire, condamnant ainsi l’in
dustrie du preneur à une immobilité qui n’est ni dans la
nature, ni dans l’essence du commerce.
Cette doctrine a, de plus, comme tout ce qui est ar
bitraire, le tort grave de ne comporter ni mode fixe
d’applications, ni limites certaines. A quel point naîtra
ou s’arrêtera l’obligation d’indemniser le propriétaire?
Gomment, d’ailleurs, calculer l’existence de l’augmen
tation dans l’exploitation; s’il est vrai que tel qui ne ve
nait pas à l’usine y vient, il peut se faire que tel autre qui
en tirait ses fournitures ait cessé d’en agir ainsi? C’est
�DU D0L EX DE LA FRAUDE.
371
donc une masse de difficultés, de chicanes plus ou moins
insolubles, substituée à la règle simple et positive tracée
par la loi.
D’ailleurs, si le preneur ne peut aller au-delà de l’ex
ploitation actuelle, ne s’en suivra-t-il pas que le bailleur
devra garantir ces limites?N’est-il pas juste que le pre
mier, s’il ne peut s’enrichir, ne puisse pas au moins
s’appauvrir. On lui permettra donc, toutes les fois que
l’exploitation sera moindre, de solliciter soit une di
minution proportionnelle sur le prix du bail, soit une in
demnité. Comme on le voit, dans le système que nous
combattons, l’aléa de l’opération commerciale retom
bera sur le locateur et non sur le locataire.
Mais, dit-on, il n’est pas rationnel de permettre au
preneur d’appauvrir, sinon d’épuiser une mine ayant
encore plusieurs années d’exploitation devant elle.
Cette objection ne serait juste que si le fait ne pouvait
être empêché par le preneur, et c’est' ce qui n’existe
pas. La loi permet au propriétaire de déterminer des
limites à l’exploitation, dont il confère le droit à un
tiers. Ainsi, l’acte de bail peut renfermer ces limites,
empêcher qu’elles puissent être dépassées ou fixer une
augmentation proportionnelle du prix du bail, augmen
tation qu’il sera facile d’établir par le cubage de la
carrière. De quoi se plaindrait donc le bailleur, s’il a
uniquement dépendu de lui d’éviter l’injustice contre
laquelle il réclame. Est-il bien juste aussi de faire perdre à
un individu une somme de 10 ,0 0 0 fr., parce qu’il a né
gligé de se procurer une preuve écrite soit du prêt, soit
du dépôt qu’il en aurait fait? Et cependant on n’hési-
�372
TRAITE
teraitpas à repousser toutes ses réclamations. Pourquoi,
lui dirait-on, ne vous êtes-vous nas procuré la seule
preuve pouvant vous faire rentrer dans vos fonds. Or,
ce qu’on objecterait avec raison au dépositant ou prê
teur, on peut, on doit l’objecter au locateur, car, comme
eux, il a dépendu de lui de créer la preuve d’une pré
tendue intention sur laquelle cependant il est resté
muet au moment du contrat.
Ainsi, l’injustice du résultat qui décide M. Troplong
à adhérer à la solution de la Cour de Grenoble, ne nous
paraît nullement démontrée. Dans tous les cas, elle est
due non à la fraude du preneur, mais à la négligence
du bailleur : Volenti non fil injuria.
Nous ajoutons que, dans l’espèce de l’arrêt de Gre
noble, il y avait d’autant plus lieu pour le preneur de
s’expliquer au moment du contrat, que l’agrandisse
ment de la ville et l’établissement de nouvelles fortifi
cations étaient connus de tous. Il est vrai que la Cour
rappelle que ce projet datait d’un siècle. Mais il s’exé
cutait en 1852, et le bail avait été consenti en 1829.
O r, les formalités indispensables à cet accomplisse
ment avaient dû, dès 1829, être poussées à un point tel
que la réalisation du projet devait paraître imminente.
Le silence du bailleur constituait donc une faute d’autant
plus lourde.
1055- — La prohibition de changer la destination
des lieux s’applique aux biens ruraux comme aux mai
sons de ville. Ainsi, le fermier ne peut, sans s’exposer
à des dommages-intérêts et même à la résiliation du
�Dü DÜL KT DE LA FRAUDE.
373
bail, dessoler les terres, les surcharger, détruire les
étangs, arracher les vignes, convertir les terres à blé ou
les prairies en vignobles, changer les vignobles en ter
res labourables, substituer, enfin, une autre culture à
celle antérieurement et usuellement pratiquée.
1036- — L’obligation pour le fermier d’administrer
en bon père de famille est plus étroite encore que celle
du locataire. Les fraudes qu’il pourrait commettre
sont, en effet, de nature à altérer, au moins temporai
rement, la propriété elle-même. Ainsi, le défaut de cul
ture, l’enlèvement des pailles ou engrais, la taille dé
fectueuse de la vigne ou autres arbres, etc., sont dans
le cas de survivre dans leurs effets au bail lui-même,
conséquemment d’occasionner un préjudice au pro
priétaire, soit en diminuant les produits s’il les perçoit
lui-même, soit en empêchant d’obtenir, d’un autre fer
mier, le prix qu’il aurait obtenu, si la propriété avait été
en bon état. Tous actes tendant à ce résultat doivent
donc être sévèrement réprimés.
1037. — Un devoir spécialement imposé au fer
mier d’un bien rural, est celui de veiller à la conser
vation de l'intégralité de la propriété confiée à ses soins;
d’empêcher tout empiètement. La possession, si pré
cieuse dans un procès, l’éloignement du propriétaire,
pouvant ne se rendre que très rarement sur son do
maine, ont fait édicter l’article 1768, d’après lequel le
fermier doit avertir le propriétaire des usurpations qui
�374
TUA IT T
peuvent être commises sur le fonds, à peine de tous dé
pends, dommages et intérêts.
1038. — Le délai dans lequel cet avertissement doit
être donné est celui des ajournements. Inutilement au
rait-on chargé le fermier d’avertir le propriétaire si on
avait laissé le délai à son choix ou à ses caprices. Bien
tôt même la négligence s’en mêlant, l’avis arriverait
après que, par l’expiration de l’année, la possession se
rait acquise à l’usurpateur, ce qui pourrait entraîner la
perte de la propriété, si le propriétaire n’avait pasde ti
tres ou s’il avait perdu ceux qu’il pourrait invoquer.
Gette conséquence fait sentir toute l’importance de l’o
bligation imposée au fermier.
La loi ne trace aucune forme à l’accomplissement de
cette obligation. L’usurpation peut être dénoncée au
propriétaire soit par acte extraordinaire, soit par lettre,
soit même oralement. Mais la prudence exige que, dans
ces deux derniers cas, le fermier se procure la preuve
écrite de sa diligence. Cette preuve résulterait de la dé
claration signée par le propriétaire et constatant l’aver
tissement reçu.
1059. — A défaut de ces précautions ou faute d’a
voir exécuté les prescriptions de l’article 1768, le fer
mier devrait être condamné à des dommages-intérêts.
Évidemment, l’allocation de ces dommages devrait
comprendre l’intégralité du préjudice occasionné par
l’usurpation. Elle serait d’ailleurs plus sévère, suivant
que le fermier aurait agi de bonne foi et par pure négli-
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
375
gence ou que son silence ne serait que le résultat de la
collusion et de la connivence avec l’usurpateur.
t040. — Les fraudes du fermier revêtent quelque
fois le caractère de délits. Ainsi, l’abbatage des arbres
sans autorisation et contre le gré du propriétaire peut
être poursuivi correctionnellement et puni des peines
portées par l’article 446 du Code pénal. 1
Le fermier qui enlèverait sur le fonds affermé des
barrières ou partie de la clôture commet le délit de bris
de clôture, s’il a agi frauduleusement ou de mauvaise
foi. Dans le cas contraire, il ne pourrait être poursuivi
criminellement, mais il pourrait l’être par la voie civile,
à la requête du propriétaire fondé à exiger des domma
ges-intérêts.
L’enlèvement des capitaux morts ou vivants cons
titue, dans l’acception ordinaire du mot, un véritable
vol, puisque l’auteur de cet enlèvement s’attribue
sciemment et volontairement une chose qu’il sait ap
partenir à autrui. Cette soustraction, au mépris des
droits du propriétaire, ne constitue pas cependant, aux
yeux de la loi, un délit quelconque, soit parce que Jes
capitaux confiés au fermier deviennent, en quelque
sorte, sa propriété sous l’obligation d’en restituer, à la
fin du bail, en même quantité, qualité et valeur; soit
parce que la disparition de certains d’entre eux peut
n’étre que le résultat d’un fait indépendant du fermier,
1 Carnot, sur l’art. 446; — Legraverend, tom. ii , p. 580, note 8;-^
Melz, 1er août 1819 ; — Cass., 10 août 1833.
�376
t r a ite
dont tout le tort consiste à ne pas avoir pourvu à leur
remplacement. Dans ce dernier cas, il n’y a, à la charge
du fermier, qu’une dette purement civile dont il ré
pond sur toutes ses facultés.
1041. — Quoi qu’il en soit, l’enlèvement ou l’ab
sence des capitaux morts ou vivants, dégarnissant la
ferme des moyens indispensables à son exploitation,
entraînq, en faveur du propriétaire contre le fermier,
d’abord, l’action en résiliation du bail; ensuite, celle
en restitution et en dommages-intérêts pour le préju
dice résultant de l’absence plus ou moins prolongée des
capitaux.
1042. — La première de ces actions a sa base dans
la violation de l’obligation imposée au fermier de tenir
la ferme garnie de tous les moyens utiles à son exploi
tation. L’enlèvement des capitaux ou l’impossibilité de
les remplacer est ordinairement le précurseur d’un
abandon de la culture. Il fait tout au moins prévoir une
exploitation insuffisante.
Cela seul suffit pour justifier la demande en résilia
tion, indépendamment du caractère odieux d’un enlè
vement. La demande du propriétaire ne saurait donc
être repoussée.
1843. — L’action en restitution et en réparation du
préjudice n ’est que la conséquence de la résiliation.
Celle-ci, entraînant la fin du bail, amène nécessaire
ment les effets que l’expiration du terme stipulé faijt
�DU DOL ET DE f-A FRAÜDE.
377
naître. Au nombre de ces effets, se place naturellement
le remboursement de tout ce qui avait été livré par le
propriétaire comme accessoire de la ferme.
1044. — La fin du bail détermine également le rè
glement de toutes les malfaçons reprochées au fermier
et la réparation du préjudice en résultant. Cette répara
tion étant accordée à titre de dommages-intérêts, la con
trainte par corps est facultative dans les limites et aux
termes de l’article 126 du Code de procédure civile.
1045. — La même faculté est accordée au juge par
l’article 2062, à l’égard de la restitution des capitaux
manquants, à moins que le fermier ou le colon partiaire
ne prouve que la perte ou le déficit ne procède point de
son fait. Cette preuve est à la charge de l’un ou de l’au
tre. Pour le propriétaire, l’absence des capitaux fait
présumer la fraude. Mais cette présomption cède devant
la preuve du contraire, et cette preuve faite, il est pro
cédé au règlement conformément aux règles tracées par
les articles 1810 et 1827. A défaut de cette preuve, la
contrainte par corps peut être prononcée, c’est-à-dire
qu’elle est une faculté et non un devoir. La loi s’en ré
fère donc à l’appréciation souveraine du juge.
1040- — La principale obligation du preneur est de
payer le prix stipulé. Nous nous en rapportons, quant à
ce paiement, aux règles que nous avons tracées en par
lant de la vente, règles parfaitement applicables au paie
ment des loyers. Nous dirons seulement que le simple
�378
TRAITE
retard d’un terme n’autorise pas l’action en résiliation.
Après beaucoup d’hésitations et de contradictions, la
doctrine et la jurisprudence se sont réunies pour exiger
que le retard soit au moins de deux termes.
1047. — Le privilège que le vendeur conserve sur
la chose, repose pour le locateur sur les facultés mobi
lières du locataire. Pour que ce privilège puisse sortir
à effet, il faut que les facultés qu’il grève se trouvent
dans les lieux loués-. De là l’obligation imposée par la
loi au locataire de garnir la maison d’une manière con
venable, proportionnée à sa fortune et à sa position.
Toute fraude pour éluder cette obligation, le défaut de
son accomplissement, motiverait la résiliation du bail.
1048. — L’exécution de cette obligation par le fer
mier d’un bien rural serait dans bien de cas insuffi
sante à couvrir l’intérêt, du propriétaire. On sait d’une
part quel est d’ordinaire le mobilier d’un cultivateur,
et de l’autre que le prix de la ferme se règle par l’éten
due de l’exploitation. Exiger que le premier pût vala
blement cautionner le second, c’eût été bien souvent
rendre tout bail impossible.
Le fermier a donc rempli son obligation en trans
férant, dans la ferme, son mobilier quelque modeste
qu’il soit. Mais là ne s’arrête pas le devoir qu’il doit
remplir. Ainsi, avec le mobilier, il doit de plus garnir
la ferme des instruments et ustensiles nécessaires à son
exploitation, il doit de plus y engranger tous les fruits
et récoltes recueillis sur la propriété.
�DU DOL ET DE LA FRAlJDE.
379
Tout cela devient le gage du propriétaire. Celui-ci
peut dont contraindre à sa réalisation, empêcher toute
fraude, sous peine de dommages-intérêts ; et, à défaut
de paiement de ceux-ci, demander et obtenir la résilia
tion du bail.
1049. — Le louage d’œuvres et d’industrie rentre
dans les obligations de faire, soumises aux règles géné
rales du droit. Conséquemment c’est par les principes
généraux que nous avons exposés que doit être appré
ciée la fraude reprochée à l’une des parties. La fraude
existe dès qu’il y a d’une part refus d’exécuter le mar
ché. Le droit d’obtenir la résiliation serait une consé
quence de ce refus.
1050. — Nous avons vu que l’action ex conducto,
ouverte en faveur du locataire, avait pour résultat de
lui permettre d’obtenir la mise en possession, etiam
manu militari. Cela ne saurait être dans le louage d’œu
vres et d’industrie. Comme la matière du contrat est un
fait purement personnel à l’ouvrier, la résolution ne
peut entraîner qu’une adjudication de dommages-inté
rêts. On connaît la maxime nemo potesl coçji ad factum.
Ces dommages-intérêts seraient dans ce cas calculés de
manière à indemniser du préjudice éprouvé par le re
tard de livraison de l’ouvrage commandé, et à mettre
la partie poursuivant la résiliation à même de se pro
cureur ailleurs ce que l’autre partie ne veut plus ac
complir.
Celle-ci devrait de plus restituer tout ce qu’elle a
�380
TRAITE
reçu en avances sur le prix des travaux qu’il se refuse
d’exécuter, ainsi que tous les matériaux qui lui au
raient été confiés. La restitution de ceux-ci peut être
exigée en nature, et, à défaut, le conducteur1 autorisé à
s’en remplacer aux frais du locateur.
1051.
— Le locateur répond des vices de construc
tion, de ceux des matériaux qu’il fournit et des malfa
çons reprochées à son œuvre. Ce principe juste en luimême ne saurait donner lieu à la moindre difficulté de
droit, la certitude du fait en amènerait l’application
immédiate.
1052. — Mais ce qui sera souvent contesté, e’est
la recevabilité de l’action du conducteur, surtout si elle
est intentée après l’acceptation et le paiment total ou
partiel; le locateur soutiendra que les ouvrages ayant
été ou pu être vérifiés avant l’acceptation, celle-ci l’a
complètement déchargé de toute responsabilité, en
plaçant l’ouvrage à la charge exclusive du conducteur.
1055- — La question de savoir quand il y a eu ré
ception, et quels en sont les effets, offre donc un vérita
ble intérêt. Il est évident que l’époque delà réception est
et doit être fixée au moment de la livraison suivie soit
du paiement, soit du règlement du prix. L’article 1791
1 Nous adoptons entièrement la solution que M. Troplong tire des
débats législatifs que la matière a subi. Nous appelons donc locateur,
l’ouvrier, et conducteur, celui qui le paie. (V. Troplong, art. 1710,
n° 64-).
�DU DOL
ET
DE L a
FRAUDE.
381
l’indique en décidant que la vérification est censée faite
lorsque l’ouvrage, fait en plusieurs pièces ou à la me
sure, peut être vérifié par parties, pour toutes les parties
payées, si le maître paie en proportion de l’ouvrage fait.
Remarquons qu’on ne doit pas confondre les à-comptes
donnés à diverses reprises avec le paiement partiel
dont parle l’article 1791. Celui-ci n’existe que lorsque
la convention le stipule, ou bien lorsque les à-comptes
payés, concordant avec une livraison partielle, repré
sentent la valeur juste et réelle des objets livrés. Cette
coïncidence serait mieux que la preuve de la conven
tion, elle en serait l’exécution.
Voilà donc les caractères déterminant l’époque de
l’acceptation. Quel est maintenant l’effet de celle-ci?
M. Troplong 1 pense qu’elle dégage l’ouvrier, nonseulement de la force majeure, mais encore de tout
recours pour malfaçons, le Code civil ayant abrogé la
prescription d’abord de trois ans, réduite plus tard à
un an, que l’ancien droit avait créée en faveur du con
ducteur.
Mais, etM. Troplong l’enseigne lui-même, ceprincipe
n’est pas et ne pouvait pas être absolu, il ne peut être
sérieusement invoqué que par l’ouvrier ayant employé
les matériaux que le conducteur a fournis. Dans l’hy
pothèse contraire, le locateur répond des matériaux
qu’il a livrés, et des vices détruisant ou dégradant la
chose livrée, même après la livraison.
C’était justice de le décider ainsi. L’ouvrage sortant
!
Du Louage, art.
1791, il08 988, 991.
�382
TR A IT E
des mains de l’ouvrier a toujours une apparence par
faite ; on a su dissimuler avec art les défauts de la ma
tière, masquer les défectuosités qu’un usage va plus ou
moins prochainement mettre à nu. Repousser les récla
mations que cette découverte suscite, ne serait pas au
tre chose que décerner une prime d ’encouragement au
dol et à la fraude.
1054. — Dès-lors on doit conclure que l’ouvrier
est déchargé par l’acceptation de la responsabilité pour
tous les vices et défauts apparents, pouvant être facile
ment reconnus et constatés. Quant aux vices cachés,
l’acceptation ne saurait influer sur les droits du con
ducteur parce qu’elle a précédé leur découverte, parce
qu’elle a été dès-lors le résultat de l’erreur ; et que cette
erreur a été inspirée par la fausse apparence que l’ou
vrier a su donner à la chose. On ne manquera pas d’ob
server cette distinction toutes les fois qu’il s’agira d’un
travail dont l’ouvrier a fourni la façon et la matière.
1055- — Si l’ouvrier n’a fourni que la façon, les
vices de la matière ne peuvent lui être imputés, et ses
conséquences restent pour le compte du conducteur.
Mais les malfaçons imputables à l’ouvrier doivent être
appréciées suivant la distinction que nous venons d’é
tablir.
1056.
— L’acceptation et le paiement ne pourraient
être une fin de non-recevoir pour les architectes, en
trepreneurs et autres ouvriers dont parlent les arti-
�DU
DOL
ET
DE LA
FR A U D E .
eles 1792 et 1799 du Code civil. Pour eux, la loi ayant
limité la durée de la garantie, leur responsabilité ne
cesse qu’avec l’expiration du délai que la loi fixe à
dix ans.
SECTION V.— ÉRAUDES DANS LES SOCIÉTÉS,
SOMMAIRE.
i 057. La société crée entre ses divers membres une espèce
de communauté.
1058. Le partage du bénéfice est le but de la société. Consé
quences.
1059. Toute infraction aux règles qui en découlent peut cons
tituer une fraude.
1060. Consentement extorqué. Ses effets.
1061. Comment se règle l'association de fait qui. a existé
jusqu’à l’annulation, à l’égard des associés.
1062. A l'égard des tiers.
1063. Quid, en cas de faux ?
1064. Peut-on assimiler au faux l’abus d’un blanc-seing ?
1065. La convention qui donnerait à l’un des associés la to
talité des bénéfices, ou qui l’affranchirait de toute
contribution aux pertes est de plein droit réputée
frauduleuse.
1066. La nullité en résultant embrasse l’acte de société et
non pas seulement la clause illicite.
M
Ÿ-
�i W
I
1078.
1079.
1080.
1081.
1082.
1083.
1084.
1085.
É
1086.
JÉ il il
p
i
-
Comment devrait s’opérer le règlement des opérations
faites jusqu’à l’annulation.
L’égalité entre associés obéit à d’autres principes que
ceux régissant les cohéritiers.
C’est la mise matérielle que la loi défend de soustrairè
a la contribution aux pertes. Conséquences pour
l’associé purement industriel.
Autre exception à la prohibition de n’être pas tenu de
sa part dans les dettes.
Dans quels cas la participation aux bénéfices, réser
vée par le créancier, constituera-t-elle une usure
déguisée.
Arrêt de la Cour de cassation.
Prétendue anomalie entre l’assurance du bénéfice
permise entre associés et prohibée aux créanciers.
Motifs de la différence.
L’assurance du bénéfice entre associé n’est valable
que si elle est sérieuse et sincère.
Obligations pour chaque associé de versér sa mise.
Effets du refus ou du retard.
Nature et étendue de l’obligation de l’associé indus
triel.
Effets du refus ou du retard.
L’industrie promise à la société devient, du jour de la
constitution de celle-ci, la chose commune. Consé
quences.
Chaque associé est tenu envers la société des dom
mages qu’il lui a causés par sa faute.
Discussion au conseil d’état sur ce qu’on doit entendre
par faute.
Conséquence à déduire de cette discussion.
Effet de la fraude. En quoi elle consiste.
Quand devra-t-on l’admettre?
La responsabilité, en cas de fraude ou de faute, s’ap
précie, non pas sur l’ensemble des opérations, mais
relativement à chacune d’elles.
Effet respectif de l’une et de l’autre sur la durée de la
société.
�DU DDL E T
de
LA F R A U D E .-
38S
1087. La faute motiverait suffisamment le retrait du mandat
conféré à son auteur.
1088. En droit, l’associé ne peut poursuivre la dissolution
de la société, avant son terme, à moins d’un vice en
déterminant la nécessité.
1089. Exception autorisée par l’article 1865, mais dans les
conditions qui y sont indiquées.
1090. 1° Il faut que l’acte social n'ait fixé aucun terme à la
durée de la société.
1091. 2° Que la renonciation soit faite de bonne foi.
1092. Comment reconnaîtra-t-on que la. renonciation n’est
pas de bonne foi?
1098. Exemple emprunté à Pothier.
1094. Cette appréciation est laissée à l’arbitrage du juge.
1095. 3“ Que la renonciation ne soit pas faite à contre-temps..
1096. Quel est l’effetde la renonciation frauduleuse ou inop
portune ?
1097. Caractère de la nullité dont elle est frappée.
1098. Dans les sociétés à terme, la dissolution ne peut être
poursuivie qu’après l’expiration du terme.
1099. Causes pouvant introduire une exception. Caractère
de l’article 1871 du Code civil.
1100. Le refus péremptoire de l’associé industriel, de ne.plus
continuer la société, devrait-il en faire prononcer la
dissolution, malgré les autres associés, sauf in
demnité ?
1101. Affirmative jugée par la Cour de Lyon.
1102. Réfutation. Moyen légal de contraindre à l’exécution.
1103. La dissolution légale ou conventionnelle fait cesser
tous rapports entre les associés. Ses effets immé
diats.
1104. Nature du compte à rendre par le gérant.
1105. Effets de la négligence dans la tenue des écritures.
1106. Obligation de remettre les livres et papiers.
1107. Effet de la soustraction totale ou partielle des livres.
1108. Les objections opposables au gérant doivent être op
posées avant le règlement.
u
M
�386
TRA ITÉ
1109. Toute action en révision est formellement prohibée
par la loi.
1110. Action en redressement. Ses caractères.
1057. — La société est définie par la loi : un con
trat par lequel deux ou plusieurs personnes convien
nent de mettre quelque chose en commun, dans la vue
de partager le bénéfice qui pourra en résulter. 1
La société crée donc, entre ses divers membres, une
véritable communauté. Ce qui la distingue des précé
dentes, c’est qu’elle résulte d’un pur consentement;
c’est qu’elle suppose une réciprocité de besoin et de
confiance; c’est qu’elle est limitée dans sa durée, et
qu’on ne peut devancer le terme de sa dissolution.
1058. — Le partage du bénéfice étant le but essen
tiel de la société, c’est à en acquérir le plus possible
que doivent tendre les efforts communs. Il en résulte
que l’administration de la chose commune doit être
marquée au coin de la plus scrupuleuse, de la plus fi
dèle exactitude, et exclure toute idée de profit exclusif
et personnel ; que dans le partage les proportions léga
lement stipulées doivent être religieusement observées.
1059. — Toute infraction à ces règles est suscepti
ble de constituer une fraude. Or, l’existence de cette
infraction peut être remarquée : à l’origine même de la
société dont elle vicie le titre; dans l’administration
5 Art. 1832, Cod. civ.
�DU DOD E T
DE LA FR A U D E .
387
iqu’on détournera de son objet essentiel à l’effet de la
rendre pour l’un la source d’un bénéfice illégitime,
pour l’autre, une cause de ruine ; enfin dans la répar
tition après dissolution.
Ces diverses éventualités tracent le cercle de nos ob
servations. Leur objet doit être de constater dans cha
cune de ces périodes les caractères constitutifs de la
fraude et ses effets.
1060. — Le contrat de société est essentiellement
consensuel. Il faut donc, pour qu’il soit valablement
souscrit, que la partie ait agi dans la plénitude de son
intelligence; que sa volonté ait été spontanée et libre.
En conséquence, si le consentement dont on se prévaut
émane d’un incapable, s’il a été surpris par le dolou la
fraude, s’il a été arraché par la violence, le contrat man
que d’une des conditions essentielles: Colorent habel,
substantiam vero nullam.
On doit donc l’annuler sur la poursuite de la partie
intéressée. Mais cette poursuite peut n’être exercée
qu’après la mise en mouvement de la société, lorsque le
vice n’aura été découvert qu’après cette époque. Dans
ce cas, la nullité peut n’être qu’un remède inefficace,
car son existence, tout en rendant la société impossible
dans l’avenir, n’empêchera pas qu’elle n’ait existé pour
le passé ; et cette société de fait déterminera inévita
blement la nécessité de procéder au règlement des opé
rations accomplies jusqu’à sa dissolution.
1061. — Relativement à l’associé, les bases de ce
�388
TRA ITÉ
règlement sont fort simples. L’auteur du dol, de la
fraude ou de la violence n’a aucun recours à exercer
contre sa victime. Par rapport h lui, toutes les affaires
lui demeurent personnelles, il doit en subir les effets,
en supporter les pertes. Pour lui, en un mot, la nullité
rétroagit jusqu’à l’origine même de la société.
Par une déduction logique de cette règle, il devrait
en outre restituer la mise de fonds versée par le de
mandeur en nullité, ou l’idemniser jusqu’à due con
currence. Il serait encore condamné à le relever et ga
rantir des recherches que les tiers seraient dans le cas
d’exercer.
1062.
— A l’endroit de ceux-ci, en effet, le deman
deur en nullité ne saurait décliner la responsabilité
résultant des traités qu’ils auraient faits avec la société
apparente. II suffît qu’une société de fait ait existé,
et qu’un engagement ait été souscrit du nom social,
pour que le porteur ait qualité et droit de recourir
contre chacun des associés désignés par le pacte social.
Rappelons-nous cette proposition de Pothier : un con
sentement, quoique surpris, n’en est pas moins un
consentement obligatoire, tant qu’il n’est pas rétracté.
Comment, en effet, exiger que les tiers fussent plus
clairvoyants que la partie et qu’ils Soupçonnassent une
fraude qu’elle a elle-même ignorée? C’est cependant
ce qu’on leur demanderait si on leur refusait de faire
valoir toutes les garanties sous la foi desquelles ils
ont traité.
Sans doute celui que le dol ou la fraude a égaie est
�DU DOL E T
DE LA F R A U D E .
389
malheureux ; mais il n’en a pas moins coopéré à don
ner à l’acte celte apparence que les tiers pouvaient et
devaient seule consulter, il a le tort de s’être laissé cir
convenir. Que, sur sa réclamation, ce tort n’apporte au
cun obstacle à la nullité de ses engagements, c’est jus
tice, mais ce qui ne serait pas juste, c’est qu’il autorisât
la perte des droits loyalement acquis par des tiers qui
y sont demeurés complètement étrangers.
1065.
— Ainsi le principe de la responsabilité, en
faveur des tiers, réside dans le concours purement ma
tériel, donné à l’acte par celui qui se prétend trompé.
De là cette conséquence que si en fait ce concours ne
s’est pas réalisé, le prétendu associé n’est tenu de rien,
même à l’égard des tiers. Telle serait la position de ce
lui dont la signature apposée à l’acte ne serait que le
produit d’un faux matériel.
•t
s06-4. — Devrait-on assimiler au faux l’abus d’un
blanc-seing, au-dessus duquel on aurait inscrit un con
trat de société? Alors surtout que le blanc-seing aurait
été confié dans un objet déterminé?
L’affirmative a été adoptée par la Cour de Paris, le
7 février 1824. Mais cet arrêt, que l’espèce sur laquelle
il est intervenu peut jusqu’à un certain point justifier,
nous paraît, en pur droit, s’écarter des véritables prin
cipes.
Pourquoi, dans l’hypothèse d’un faux matériel, re
fuse-t-on tout recours au tiers? D’abord, parce qu’en fait,
la signature n’émane «éellement pas de celui à qui on
�390
t r a it é
J’attribue; secondement,parce que la contrefaçon de la
signature est un fait de force majeure que la partie in
téressée n’a pu ni prévoir, ni surtout empêcher. Une
responsabilité quelconque serait donc, en ce qui la
concerne, un effet sans cause, c’est-à-dire une énorme
injustice.
Est-ce là la position de celui qui livre un blanc-seing?
Evidemment non, car la remise qu’il en fait est toute
volontaire de sa part, et prouve la confiance illimitée
accordée à celui qui la reçoit. Conséquemment, si ce
dernier n’en est pas digne, ou mieux s’il en abuse dé
loyalement, c’est sans doute un malheur, mais il pouvait
être prévu et empêché. Le déposant s’est donc trompé,
mais le tiers n’a pu avoir la prescience de l’abus dont
il a à se plaindre, et, s’il souffre lui-même de cet abus, il
doit être recevable à obtenir l’indemnité qui lui est
due, même de celui dont l’imprudence a seule rendu
un préjudice possible.
On connaît la belle expression d’un de nos anciens
jurisconsultes : Il n’y a pas à hésiter entre celui qui se
trompe et celui qui souffre. Or, évidemment, le dépo
sant s’est trompé, en accordant sa confiance à qui ne
la méritait pas. Le tiers, au contraire, n’a fait foi qu’à
ce qui commandait sa confiance, à la sincérité de la
signature. Comment donc repousser la réparation qu’il
solliciterait?
Il est une analogie qui nous paraît justifier notre
opinion. L’article 2279 permet de revendiquer les
meubles volés; de là la question de savoir si l’abus de
confiance, la violation de dépôt, l’escroquerie étaient,,,
�üU DOL ET DE LA FRAUDE.
391
par rapport à la revendication, assimilables au vol? La
négative a été consacrée par la Cour de cassation, dans
l’arrêt que nous avons déjà cité.1
Ce qui crée, aux yeux de la Cour suprême, une dif
férence entre le vol et ces derniers délits, c’est que,
dans le premier, il y a nécessairement soustraction
opérée à l’insu du propriétaire, tandis que, dans les au
tres, il y a remise volontaire, et que cette remise, quel
qu’en soit le titre, donne au réceptionnaire la possibi
lité de disposer ultérieurement de ce qui en fait la ma
tière. La même différence, se remarquant dans notre
hypothèse, motive la solution que nous indiquons. Le
faux n’entraîne aucune responsabilité, parce qu’il est
le produit d’une voie de fait étrangère, inconnue à ce
lui dont on a contrefait la signature ou l’écriture ; parce
qu’en fait l’altération de l’une ou de l’autre ne peut faire
que celui-ci ait jamais concouru à l’acte : l’abus de
blanc-seing oblige envers les tiers, parce que l’exis
tence apparente d’une société régulière est la consé
quence d’un acte spontané et volontaire ; parce que si
quelqu’un doit répondre des effets d’une confiance im
méritée, c’est uniquement celui qui l’a imprudemment
accordée.
1065. — La loi considère comme frauduleuse la
convention qui donnerait à l’un des associés la totalité
des bénéfices, ou qui affranchirait, de toute contribu
tion aux pertes, les sommes ou effets mis dans le fonds
! Yid. supra, n° 292.
�392
T R A IT E
de la société par un ou plusieurs associés. L’acte social,
vicié par une de ces stipulations, devrait être annulé
aux ternies de l’article 1855 du Code civil.
Une clause de ce genre ferait perdre à la société son
caractère essentiel. Une réciprocité d’obligation appelle
une réciprocité de droits. Grever l’un au bénéfice de
l’autre, c’est méconnaître les sentiments et les devoirs
imposés par l’association.1
Sans doute dans celle-ci, comme dans tous les autres
contrats, chaque partie doit, avant tout, surveiller ses
propres intérêts; mais il est juste, comme l’observe
M. Troplong, que cet intérêt ait un modérateur dans
l’égalité, faisant le principe de toute communion, et sans
laquelle la société elle-même ne serait plus qu’un mo
nopole au profit du plus fort ou du plus audacieux, et
constituerait cette combinaison que toutes les législa
tions ont flétrie du nom de pacte léonien et sévèrement
condamnée.
Il n’y a donc pas société dans le contrat renfermant
une des clauses prohibées par l’article 1855. Consé
quemment, la partie intéressée pourrait toujours en
faire prononcer la nullité.
1066.
•—■ On a agité la question de savoir si cette
nullité ne s’applique qu’à la clause illicite ou si elle at
teindrait la société elle-même. M. Delvincourt professe
le premier avis. La société, dit-il, serait valable, seu1 Cum socielas ju s quodammodo fralernitalis in se habeat, L. 6
Dig. pro Socio.
�1)IJ BOL ET DE LA FRAUDE.
393
îement, le contrai ne renfermant alors aucune stipula
tion relative au règlement des parts dans les bénéfices
et les perles, les parties devraient se conformer, à cet
égard, à l’article 1855.
Mais cette opinion nous paraît difficile à justifier en
droit. La loi pouvait suppléer au silence gardé par les
parties sur le mode de répartition des bénéfices ou per
tes, et c’est dans ce but qu’elle a édicté l’article 1855.
Mais lorsque ce mode a été déterminé, comment ad
mettre que le législateur puisse en imposer un tout
différent. De deux choses l’une : ou les parties ont lé
galement usé d’un droit, et leur convention doit être
validée, ou la convention est illégale, et viole l’essence
du contrat de société, et alors il est vrai de dire q :’il
n’y a pas de contrat. C’est ce qu’exprimait ce texte
d’Ulpien : Societalem coiri non posse, et nos consenlimus talent societalem nullam esse.4 Cette opinion est
celle la plus généralement adoptée par la doctrine. 2
1067.
— La nullité affecterait donc la société en
lui enlevant (toute existence future. Elle l’affecterait
de plus dans son passé en ce sens que les bénéfices
ou pertes déjà réalisés ne pourraient être répartis con
formément aux accords illégaux des parties. Il y au
rait donc lieu de recourir au mode prescrit par l’ar
ticle 1853. Qu’on ne dise pas que nous reconnaissons
1 L. 29, § 2, Dig. pro Socio.
5 Voy. Dalloz A., v° société, p. 92, n° 10; — Duranton, loin, xvir,
n° 422; — Duvergier, nos 403 et 277; — Troplong, tom. n, p. 139,
n“ 662.
�394
TBAITE
au législateur la faculté que nous lui contestions tout à
l’heure; il n’y a aucune similitude entre grever l’avenir
et régler le passé. Ce qui, dans cette dernière hypo
thèse, justifie l’intervention du législateur, c’est, d’une
part, la violation de sa volonté devant laquelle on n’a
pas reculé ; c’est, ensuite, qu’annuler la convention
comme illicite et en permettre l’exécution, c’eût été
tomber dans la plus absurde contradiction : Quod nullurn est, milium producit effeclum. Donc, puisque, par
le fait, il y a des opérations à régler, puisque les dis
positions arrêtées à cet effet sont illégales et nulles,
les parties sont comme si elles n’avaient rien fait à cet
égard, et l’article 1855 devient l’arbitre nécessaire de
leur intérêt respectif.
1068.
— Au reste, l’égalité que la loi exige en ma
tière de société obéit à de tout autres principes que
celle prescrite entre cohéritiers ou entre époux. Ce qui
est prohibé, c’est qu’un associé gagne ou perde tout, et
l’autre rien. Mais, hors de là, rien ne s’oppose à ce que
les bénéfices ou les pertes soient inégalement répartis.
Cette inégalité est le plus souvent une conséquence
soit de la différence de l’apport, soit du plus ou moins
d’utilité que la société doit retirer du concours per
sonnel de tel associé. Il est juste que celui qui s’expose
à perdre plus ou qui assurera à la société une plus
grande somme de bénéfices soit plus largement récom
pensé. La loi s’en réfère, sur ce point, à l’intérêt con
tradictoire des parties, elle consacre les proportions
qu’elles jugent utiles de créer, pourvu que leur règle-
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
395
ment ne soit pas le résultat du dol ou de la fraude,
pourvu surtout qu’il n’atteigne pas indirectement le but
que l’article 1855 a voulu proscrire.
1069.
— C’est la mise matérielle que la loi défend
de soustraire à la proportionalité dans les pertes. Cela
s’induit du texte formel de l’article 1855. Il résulte de
là que, sans violer cet article, l’associé, n’ayant d’autre
mise que son industrie, peut être dispensé de toute con
tribution aux pertes. L’associé de ce genre ne retire ja
mais de la société d’autre avantage que sa part des bé
néfices représentant le salaire de son industrie. Consé
quemment, les pertes qui diminuent ou absorbent ce
bénéfice sont réellement à sa charge. Il est évident que,
ne retirant rien ou qu’en ne recevant qu’une part moin
dre, il perd le fruit de son industrie en tout ou en partie.
Cette perte a paru suffire aux yeux du législateur, et
voilà pourquoi on a admis que cet associé pourrait être
dispensé de contribuer aux pertes d’une manière plus
effective. Ce résultat ne ressemble en rien à celui que
la loi annule. Il y a, en effet, une différence immense
entre celui qui perd au moins les fruits de son industrie
et l’associé, dont la mise consistant en une somme d’ar
gent, aurait stipulé la reprise intégrale de cette mise,
quelles que soient les pertes éprouvées.
Sous un autre point vue, la position de l’associé n’ap
portant que son industrie se justifie parfaitement. On
considère comme licite la clause par laquelle l’associé
bailleur de fonds stipule qu’il ne sera pas tenu des per
tes au-delà de sa mise. Or, dans l’hypothèse que nous
�396
TRAITE
examinons, l’associé pour l’industrie ne fait pas autre
chose. Sa mise n’étant que les produits de son travail,
il peut, au même titre, stipuler qu’il ne perdra jamais
au-delà de sa mise.
1070. — Il est une seconde hypothèse dans laquelle
un associé est de plein droit affranchi de toute contri
bution aux pertes. Un capitaliste avance de fonds à une
société, et, en représentation des intérêts auxquels il au
rait droit, il stipule une part quelconque dans les béné
fices. Cette clause constitue, quant à ces derniers, une
véritable société, dans laquelle l’unique chance pour le
capitaliste est de ne recevoir aucun bénéfice, s’il n’en a
pas été réalisé.
La perte excédant des opérations lui demeurerait
étrangère. La seule pour laquelle il contribuerait réel
lement serait celle des intérêts que son capital aurait
produit, s’il n’avait pas souscrit la société et stipulé une
part dans les bénéfices.
1071. — Mais une pareille stipulation peut n’être
qu’une fraude déguisée, qu’un moyen de masquer une
usure, surtout si, indépendamment d’une part dans les
bénéfices, le capitaliste avait stipulé l’intérêt de son
argent au taux légal. Il importe donc de rechercher à
quelles conditions on pourra reconnaître l’existence de
la fraude.
En principe, le bailleur de fonds peut cumuler l’in
térêt des sommes qu’il verse et une part déterminée
dans les bénéfices. C’est même là le leurre habilement
�Dü DOL ET DE LA FRAUDE.
397
offert aux capitalistes, qui devraient cependant savoir,
comme le leur conseille M.Troplong, que leurs capitaux
ne sont nullement garantis et que, bien souvent aussi,
ce sont ces mêmes capitaux qui sont frauduleusement
employés à servir les intérêts promis. 1
Quoi qu’il en soit, la légalité de ce cumul n’est pas
même contestée. Les chances auxquelles le capital est
abandonné, l’incertitude des bénéfices compensent et
excusent ce qui, dans la réception des intérêts et des
bénéfices, excéderait le taux légal des premiers.
Il faut donc de toute nécessité, quant aux bénéfices
surtout, que leur perception suive le sort des opéra
tions commerciales auxquelles le prêteur consent à
s’associer. Si la participation aux bénéfices est sous
traite à cette chance, si elle consiste dans une somme
déterminée au moment de l’acte, quels que soient les
événements ultérieurs, il n’y aurait plus qu’un simple
prêt, et le cumul des intérêts et des prétendus bénéfices
constituerait une usure frauduleuse. 3
Ainsi, la condition essentielle à fixer est le plus ou
moins de certitude, pour le prêteur, dans les bénéfices
dont il stipule une part. Cette part déterminée, si les
parties en font dépendre le chiffre des événements aléa
toires du commerce, il y a société et, conséquemment,
légalité du cumul. Si, au contraire, après avoir arrêté la
quotité du bénéfice accordée, les parties la traduisent
immédiatement en un chiffre dès-lors invariable,il y a
! Tom. îi, p. 110, n° 642.
2 Malepeyre et Jourdain, des Sociétés, ch. 5, p. 20.
�398
TRAITE
prêt et prêt usuraire. La stipulation relativement aux
bénéfices n’est plus que le moyen de se soustraire aux
prohibitions de dépasser le taux d’intérêt, voulu par la
loi.
1072.
— C’est ce mode d’appréciation auquel s’est
arrêtée la Cour de cassation. Un sieur de Massilian prê
tait, en 1825, une somme de 60,000 fr. à la société
Ardaillon, Bessy et Comp., qui devait les appliquer à
la création de hauts fourneaux. Il fut stipulé que les
intérêts au taux de six pour cent seraient payables de
six en six mois; on convint, en outre, qu’à partir du
1er janvier 1827, époque à laquelle les hauts fourneaux
pourraient être mis en activité, le prêteur aurait droit
à une portion des bénéfices sociaux, qui fut presque
aussitôt fixée à 21,600 fr., pour lesquels des billets fu
rent souscrits.
Plus tard, et sur les poursuites du créancier, la so
ciété soutint que les billets contenaient une usure dé
guisée sous le couvert d’une association. Elle en de
mande, en conséquence, la nullité.
Un arrêt de la Cour de Paris repoussa cette demande
et maintint la créance. « Considérant, dit cet arrêt,
qu’il résulte des pièces du procès, des faits et circons
tances de la cause, que les six billets de 3,600 fr. cha
cun présentaient la part accordée au créancier dans les
bénéfices que devaient procurer les hauts fourneaux,
construits avec les fonds fournis par lui, laquelle part
avait été réglée à forfait entre les parties ;
* Considérant que la stipulation librement faite de
�DU DOL ET J)E LA FRAUDE.
399
cette part des bénéfices, indépendamment de l’intérêt
légal de la somme prêtée, n’a rien que de licite, surtout
dans le commerce, et qu’on ne saurait y voir le prêt
usuraire prohibé par la loi. »
Mais cet arrêt, déféré à la Cour suprême, a été cassé
le 17 avril 1837. La Cour décide, en principe, que la
stipulation d’un règlement à forfait de la part des béné
fices ne saurait constituer une association ; que, dès
lors, se rattachant à un acte de prêt, pour lequel les in
térêts légaux sont convenus, elle ne constitue qu’une
usure déguisée, dont les tribunaux doivent annuler les
effets. 1
1073.
— On pourrait objecter que la détermination
à forfait d’une somme représentant la quotité du béné
fice allouée n’a en elle-même rien d’illicite. Elle ne
constitue, en effet, que la vente d’un gain futur et es
péré; et cette vente, que les théologiens qualifiaient
d’Assurance du bénéfice, est incontestablement permise
à l’associé.2 Pourquoi donc la prohiberait-on dans l’as
sociation bornée aux bénéfices?
La réponse à cette objection et la raison de la diffé
rence réelle qu’elle signale se puisent dans la position
respective de l’associé ordinaire et du bailleur de fonds.
Pour l’associé, le pacte n’est valable qu’en tant que
l’assurance ne porte que sur le bénéfice et laisse com
plètement en dehors le capital par lui versé dans la so1 D. P., 37,1, 303.
5 Troplong, tom. ii , pag. 105, u° 638.
�400
TRAITE
ciété. Conséquemment le contrat peut bien, en ce qui
le concerne, diminuer la perte, mais ne l’exonère jamais
en totalité de la proportion h laquelle il est tenu, puis
que son capital contribuera toujours à cette perte. La
qualité d’associé, qui se puise dans la nécessité de cette
contribution, continue donc d’exister, quel que soit le
mode convenu de sa participation au bénéfice. La vente
qu’il fait de sa part, moyennant une sommé déterminée
n’est donc qu’un contrat aléatoire , qu’un calcul des
probabilités que l’acheteur a de son côté consultées.
Elle ne viole donc aucun des principes, aucune des rè
gles essentielles de la société. On pourrait d’autant
moins la considérer comme un pacte léonien, que si le
vendeur est dans le cas de gagner, il est également ex
posé à y perdre. En effet, les opérations commerciales
peuvent produire des bénéfices tels que la somme qu’il
a stipulée soit en dessous de celle qu’il aurait réellement
touchée.
Le prêteur, au contraire, qui exige le remboursement
intégral des avances qu’il fait et le paiement annuel des
intérêts, ne se donne certes pas la qualité d’associé.
Non-seulement il ne contribuera pas aux pertes, mais
encore il retire de son capital tout le produit qu’il doit
ordinairement produire.
Cependant cette qualité d’associé il peut la prendre,
puisque, par une faveur bien entendue, on lui permet
de stipuler, outre les intérêts, une part convenue dans
les bénéfices. Mais cette qualité ne lui sera acquise que
si les droits qu’elle lui confère restent soumis aux chan
ces commerciales; qu’autant qu’il demeure tenu des
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
401
pertes, en ce sens que, celle-ci se réalisant, il ne tou
chera aucun bénéfice, ou qu’il n’aura qu’une part ré
duite.
Dés-lors, s’il ne veut pas même se soumettre à cet
aléa; si le bénéfice lui est alloué, quoi qu’il arrive, il
n’a jamais eu la qualité d’associé. Le contrat, quant à la
part dans les bénéfices, ne peut être considéré que
comme une conséquence, que comme une condition du
prêt lui-même, et, conséquemment, que comme une
usure déguisée. Dans tous les cas, il ne pourrait pro
duire aucun effet, car il constituerait tout au moins la
Société léonienne proscrite par la loi.
Au reste, en cette matière, la fraude est très facile,
et cette facilité avait longtemps fait hésiter la jurispru
dence ancienne sur la légalité de l’assurance du béné
fice. Pothier ne l’admettait qu’à la condition que le
contrat n’interviendrait pas dans un temps voisin de la
constitution de la société, afin qu’on ne pût soupçonner
qu’il était la conséquence d’un pacte secret opposé à la
convention, pour arriver au prêt à intérêt.1
Ce motif a perdu son autorité depuis que le prêt à
intérêt a trouvé place dans la législation qui nous régit.
Conséquemment l’associé peut consentir l’abonnement
à forfait de sa part du bénéfice dans l’acte social luimême. Mais cet abonnement n’est licite qu’autant qu’il
y a société, c’est-à-dire qu’autant que le capital reste
exposé aux chances de pertes. Le prêteur qui exigerait
le remboursement du capital et le paiement des intérêts
»' N° 27.
�402
TRAITE
ne pourrait donc l’obtenir sans se livrer à une usure
que les tribunaux réprimeraient.
4074. — Pour l’associé lui-même, la légitimité du
pacte que nous examinons est subordonnée à sa sincérité.
Ce que la loi autorise, c’est un contrat sérieux, offrant
aux parties une chance aléatoire qui en fait l’élément
essentiel. L’absence de cet élément vicierait donc le
contrat.
C’est ce qui se réaliserait si le vendeur, n’ayant d’au
tre but que d’éluder la prohibition de l’article 1855,
avait fait souscrire à son associé une convention lui as
surant la totalité du bénéfice; l’appréciation de cette
fraude est laissée à la prudence du juge. Mais on n’hé
siterait pas à l’admettre si la somme stipulée pour prix
de l’abonnement était telle qu’en la rapprochant de la
nature et de l’importance de la société, il serait évi
dent qu’elle comprend, ou à peu de chose près, l’uni
versalité du bénéfice que les parties ont pu raisonna
blement prévoir et espérer.
1075. — La société régulièrement constituée im
pose à chaque associé des devoirs qu’il ne pourrait en
freindre sans exposer sa responsabilité. Le premier de
ces devoirs consiste dans le versement de sa mise au
temps convenu dans le contrat.
1076- — Le refus de ce versement motiverait la
dissolution de la société, avec obligation de réparer le
préjudice pouvant en résulter. Nous rentrons ici dans
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
403
l’application des principes généraux sur l’inexécution
des contrats. Dans l’espèce, les dommages-intérêts se
raient plus ou moins importants, suivant que le refus
aurait pour cause l’impuissance ou la mauvaise foi,
c’est-à-dire la faute ou le dol.
Le retard dans le versement fait de plein droit courir
les intérêts. Cette dérogation au droit commun se jus
tifie par les principes spéciaux des sociétés. L’associé,
profitant, jusqu’à concurrence de son émolument, des
opérations faites avec les fonds versés par ses coas
sociés, ne pouvait être autorisé à retenir exclusivement
les intérêts des sommes dont il estlui-mêmedébiteur au
fonds capital et qu’il détient au mépris d’un engage
ment formel. 11 y a donc équité à le contraindre à rap
porter ces intérêts à la masse commune.
Mais là ne se borne pas la peine du retard. Le but de
la société étant de se livrer à des opérations dans l’in
térêt de tous, chaque associé s’oblige à concourir à ce
but et demeure garant du préjudice que son manque de
foi a entraîné. Conséquemment, si le retard qu’il a mis
à s’exécuter a privé la société de la possibilité de faire
une opération avantageuse, il pourra être condamné à
l’indemniser d’une perte dont il est seul l’auteur.
1077.
— L’associé qui n’a d’autre mise de fonds
que son industrie, doit consacrer cette industrie aux
affaires sociales. C’est là son apport, en échange duquel
il doit recevoir une part dans les bénéfices. Il doit donc
le réaliser au même titre que les autres associés.
�404
TRAITE
1078. — Les conséquences du refus ou du retard
qu’il mettrait à s’exécuter seraient celles que nous ve
nons d’exposer pour l’associé devant verser un capital
quelconque. Elles pourraient même être plus sévère
ment appréciées. En effet, son concours peut être telle
ment indispensable, que sans lui l’opération ne puisse
être réalisée. On peut suppléer par le crédit à un besoin
d’argent; on ne supplée jamais aux connaissances spé
ciales dont l’exploitation est devenue la matière de la
société.
Dans un cas comme dans l’autre, une réparation pé
cuniaire devrait accompagner la résolution du contrat,
à moins, toutefois, que le refus ou le retard ne pût être
imputé à la volonté de son auteur. C’est ce qui se réa
liserait dans le cas, par exemple, où l’associé n’aurait
été empêché que par un état de maladie légalement
constaté. Nul n’étant tenu de la force majeure, la réso
lution, si elle était demandée, pourrait être prononcée,
mais sans aucuns dommages-intérêts.
1079. — L’industrie promise à la société devient,
à partir de sa constitution définitive, la chose commune
à tous les associés. C’est ce qu’exprime formellement
l’article 1847, en disposant que tous les gains que cette
industrie a produits doivent être rapportés à la masse
commune.
Il résulte de là que l’associé s’est, par le fait seul de
l’association, interdit d’exploiter soit pour autrui, soit
pour son compte personnel, l’industrie qu’il s’est en
gagé de consacrer à la société. Cette prohibition n’est
�DU DOL ET DE La FK a UDE.
405
que l’effèt naturel et juste de l’association. Tant qu’elle
existe, la disposition de tout l’apport, et notamment
celle de l’industrie qui en fait l’objet, n’appartient plus
à tel on à tel associé; elle est exclusivement attribuée
au corps moral, à la société elle-même. Elle ne peut
donc plus être exploitée que dans son intérêt. L’obli
gation de lui tenir compte des gains même d’une ex
ploitation illicite assure l’effet de la prohibition, en ren
dant la première sans intérêt pour celui qui oserait se
la permettre.
Mais l’effet de cette prohibition se concentre sur l’in
dustrie promise à la société. Conséquemment, si l’as
socié en avait une seconde, il pourrait continuer de
l’exploiter pour son profit personnel. Cette faculté est
cependant subordonnée à cette condition, que son exer
cice n’occasionnerait aucune atteinte à ses devoirs so
ciaux. Il ne faudrait pas, en effet, que l’une fît oublier
ou négliger l’autre. Une conduite de ce genre consti
tuerait une fraude dont il serait dû réparation.
>f.
?H
1080.
— L’administration du fonds commun doit
être dirigée dans l’intérêt exclusif de la société. C’est
dans ce sens que l’article 1850 déclare chaque associé
tenu, envers l’être moral qui les personnifie, des dom
mages qu’il lui a causés par sa faute.
1081.
— Dans la discussion au conseil d’État, M. Lacuée fit remarquer que le mot faute était trop vague.
On pourrait, disait-il, en abuser pour rendre l’associé
: ;
�400
TRA ITÉ
responsable des événements qui auraient trompé des
combinaisons exactes dans leur principe.
MM. Treilhard et Berlier répondirent : que les tri
bunaux sauraient faire la distinction que réclame la jus
tice ; que la loi ne pouvait que s’en rapporter à eux ;
vainement elle entreprendrait de spécifier tous les cas
de responsabilité ; des spéculations raisonnables qui
tournent mal sont un malheur et non une faute ; tout
cela doit être décidé ex œquo et bono; l’expression em
ployée n’y fait pas obstacle, et il est d’ailleurs impos
sible de la remplacer par aucune autre qui ait un sens
tout à la fois plus précis et moins dangereux.1
1082.
— Il importait de rappeler cette discussion,
car elle a le mérite de bien définir la pensée du légis
lateur et de déterminer le sens précis des termes qui la
manifestent. La volonté de la loi se résume dans cette
doctrine de Pothier : Chaque associé n’est tenu que de
la faute ordinaire et non de la faute la plus légère. On
ne peut exiger de lui que le soin dont il est capable et
qu’il apporte à ses propres affaires, s’il n’a pas la même
prévoyance qu’ont, dans leurs affaires, les plus habiles
pères de famille, ses associés ne doivent pas lui imputer
ce défaut, mais plutôt s’imputer à eux-mêmes de s’être
associés avec lui. 2
Ainsi, les obligations d’un associé vis-à-vis la société
sont celles d’un bon père de famille, ce qui signifie qu’il
1 Procès-verbal du 5 janvier 4804, n° 18,
’ Contrat de société, n° 24.
�DU DÔL
E T ' DE LA
FRAUDE.
407
est responsable non pas de la faute lourde seulement,
mais encore de la faute légère. Il n’y a que la faute très
légère pour laquelle on ne saurait le rechercher. 1
1085. — En présence de ce résultat, il semblerait
inutile de se préoccuper de la fraude. Celle-ci n’est, en
effet, que la faute portée à son plus haut degré de gra
vité. Il y a donc un à fortiori incontestable pour la res
ponsabilité de celui qui est tenu de la faute légère; mais
si la fraude n’a que peu d’influence quant au principe
de l’obligation, elle en exerce une puissante sur son ap
plication. Les dommages-intérêts prononcés à son oc
casion se calculent autrement que ceux encourus pour
une simple faute. Il convient donc de rechercher ce qui
la caractérise.
La fraude, comme la faute, réside dans un fait ayant
occasionné un préjudice. Mais celle-ci peut être invo
lontaire, la fraude jamais. Sans doute elle n’exige pas
que l’intention mauvaise ait été préméditée; il suffît, il
faut même que cette intention ait existé au moment de
la consommation de l’acte préjudiciable, car si l’acte a
été accompli de bonne foi, il peut constituer une faute,
mais bien évidemment on ne pourrait y rencontrer une
fraude.
Cette distinction est utile et sert à résoudre les diffi
cultés que la qualification du fait peut faire naître. Il y
aura faute, si ce fait est involontaire; il y aura fraude,
1 Troplong, art. 1880, n° S'6.
�408
TRAITÉ
s’il n’est que le produit d’une volonté évidente et cer
taine.
1084. — Or cette volonté est légalement présumée
lorsque le fait est de telle nature qu’on ne peut lui prê
ter un autre mobile. Ainsi, qu’un administrateur ou
qu’un gérant omette de faire une opération qui eût pro
curé de grands bénéfices, ce peut être une faute assez
grave pour engager sa responsabilité, mais cette omis
sion n ’entraîne pas nécessairement l’idée de fraude. Les
motifs allégués pour la justifier peuvent même en exclure
tout soupçon.
É
3
»
!
à lfi
fi
Mais si l’administrateur, si le gérant, ne s’est pas
contenté de s’abstenir; si cette opération qu’il a omis
de faire pour le compte de la société, il l’a directement
ou indirectement réalisée à son profit, il n’y a plus seu
lement faute, il y a fraude. Le motif de l’abstention se
place alors naturellement dans une intention de s’avan
tager au préjudice de ses coassociés dont il devait,,
avant tout, protéger les intérêts. Cette intention est
précisément ce qui constitue la fraude. On présumera
donc celle-ci jusqu’à preuve contraire.
Il en serait de même du cas ou l’administrateur ou le
gérant aurait appliqué à son profit personnel les res
sources sociales ou réglé ses propres dettes par l’emploi
de la signature sociale. Des faits de cette nature, en re
gard des devoirs que sa position lui impose, sont exclu-
�DU DOL
ET
D e LA F R A U D E .
de fraude et lui faire revêtir celui d’uue faute plus ou
moins légère.
1085. - - La responsabilité, en cas de fraude ou de
faute, s’apprécie relativement à chaque opération et
non sur l’ensemble de la gestion. L’associé qui procure
un gain à la société n’accomplit qu’un devoir dont il ne
pourrait se prévaloir pour se soustraire à la juste in
demnité que sa faute ou sa fraude lui fait encourir. C’est
dans ce sens que l’article 1850 prohibe toute compen
sation entre la perte résultant de la faute et le profit
réalisé dans d’autres affaires.
1086- — Là distinction entre la faute et la fraude
est encore utile pour l’appréciation du droit de deman
der, à toutes les époques, la dissolution de la société.
La fraude confère incontestablement ce droit à tous
et à chacun de ceux qui en sont les victimes. Celui qui
a trompé ses associés, qui a cherché à s’avantager à leur
préjudice, s’est rendu indigne non-seulement du man
dat qui lui aurait été confié, mais encore de la qualité
d’associé. Il a, en effet, ouvertement violé cette frater
nité sur laquelle la société repose, substitué une juste
méfiance à cette confiance réciproque qui en fait la base.
Son passé enlève à l’avenir toutes garanties et rend
conséquemment inévitable la rupture de toutes relations.
La faute, au contraire, ne donne pas nécessairement
lieu à la dissolution. La bonne foi de celui qui l’a com
mise ne fait sans doute nul obstacle à ce qu’il soit tenu
de la réparation du préjudice, mais elle doit puissamh
18
�410
TRA ITÉ
ment influer sur la question de savoir s’il y a, ou non,
lieu de résoudre le lien social. Il n’y a aucune assimi
lation possible entre celui qui , par un défaut de pré
voyance ou de capacité, a involontairement causé un
dommage qu’il supporte d’ailleurs lui-même proportion
nellement, et celui qui, dans un but de cupidité, a dé
loyalement cherché à s’avantager au préjudice de ceux
qui lui avaient confié leurs intérêts. On ne peut donc
appliquer les règles de la fraude à la faute, à moins que,
par sa gravité, elle donne lieu de suspecter la bonne foi
de son auteur.
1087. — Mais la faute suffit pour autoriser le retrait
du mandat conféré par l’acte social. Aux termes de
l’article 1856, le pouvoir donné dans cet acte1ne peut
être révoqué pendant la durée de la société, à moins
d’une cause légitime. Or la faute reprochée à l’adminis
trateur ou au gérant constituerait cette cause légitime.
Les associés ne députent l’un d’entre eux que parce
qu’ils lui supposent l’aptitude et la capacité exigées par
les fonctions qu’ils lui confient. Sa gestion les forçant à
modifier leur opinion, il est juste de leur permettre de
revenir sur un choix que rien ne justifie plus, et à ré
voquer des fonctions qui pourraient offrir des fautes nou
velles, si elles restaient dans les mêmes mains.
1088. — En thèse ordinaire, le sort d’une société ,
valablement et légalement constituée, ne saurait dé
pendre du caprice et de la légèreté d’un associé. En
conséquence, la dissolution, uniquement fondée sur la
�DTI DOT
E T DE
r.A F K A Ü D E .
- ili
volonté de l’un d’enx, devrait être repoussée. Ï1 en se
rait autrement si la dissolution n’était, que la consé
quence d’un vice, soit intrinsèque, soit extrinsèque ,
déterminant la nullité de la société, comme s i, par
exemple, l’acte d’une société commerciale n’avait pas
reçu la publicité voulue par la loi. Chaque associé, pou
vant faire valoir cette nullité, pourrait, par une déduc
tion naturelle, faire ordonner la dissolution.
1089. — Le législateur a cependant admis une ex
ception à l’interdiction de demander isolément la disso
lution. L’article 1865 dispose, en effet, que la société
finit, par la volonté qu’un seul ou plusieurs associés ex
priment de ne plus en faire partie. Mais, cette exception
pouvant devenir un instrument redoutable de fraude,
on n’est recevable à en revendiquer le bénéfice qu’aux
conditions suivantes :
1090. — 1° Que l’acte de société n’ait fixé aucun
terme à sa durée.1Le législateur ne s’est pas dissimulé
la gravité de l’atteinte que l’article 1865 porte au
droit commun ; il n’a pas perdu de vue cette maxime
d’équité et de raison : Contractas snnl ab initio voluntatis, ex post facto necessilalis.2II ne s’est donc décidé
à la consacrer que dans des hypothèses recommandées
et légitimées par des motifs considérables.
Ces motifs, il les a trouvés dans la perpétuité de la
1 Art. 186,9.
2 L. 5, Cod. de Oblig. elact.
�4î2
TRA ITÉ
société que l’acte laisse illimitée. En effet, indépendant
ment de la répugnance, à diverses reprises manifestées
par la loi, pour les engagements enchaînant la vie en
tière, et pouvant par cela même compromettre la liberté
de celui qui les a souscrits, une pareille société serait,
dans bien de cas, destinée à survivre aux éléments qui
en formaient la base. La confiance réciproque, l’esprit
d’union et de fraternité peut ne pas se continuer per
pétuellement. Maintenir la société alors que l’une et
l’autre auraient disparu, par le seul effet du temps,
c’était rendre la société une véritable chaîne odieuse,
insupportable, contraire même aux intérêts de toutes
les parties. Le désir d’éviter un pareil écueil justifie com-:
plètement la décision sanctionnée par le législateur, dans
laquelle M. Troplong ne voit, avec raison, qu’une loi de
prudence.1 Or, puisqu’on n’a à le redouter que dans les
sociétés perpétuelles, la condition de cette perpétuité,
exigée par l’article 1869, se trouve parfaitement j ustifiée.
De cette condition résulte donc que l’exception la
plus péremptoire à la dissolution poursuivie par un des
associés, réside dans la preuve qu’un terme a été con
venu dans le pacte social. Or, à ce sujet, il n’est pas
hors de propos de rappeler que le terme n’a pas besoin
souvent d’être expressément stipulé ; qu’il est naturel
lement indiqué soit par l’objet de la société même, soit
par sa nature. C’est donc par la détermination de l’une
et de l’autre qu’on résoudra si la société est ou non
perpétuelle. L’existence d’un terme implicite ou expli?
�DU DOL E T
DE LA F R A U D E .
413
cite, faisant évanouir ce caractère, soumet la demande
en dissolution aux règles tracées par l’article 1871.
1091. — 2° Que la renonciation de l’associé soit
faite de bonne foi.
Le législateur, mu par les considérations que nous
venons d’exposer, n’a pas voulu consacrer des liens
éternels, mais il n’a pas entendu que la faculté de les
dissoudre pût, dans aucun cas, couvrir une fraude pré
judiciable. C’est donc à celui qui prétend user de cette
faculté à prouver qu’il remplît la condition que nous
examinons, c’est-à-dire qu’il agît de bonne foi, sauf la
preuve contraire, réservée de plein-droit à ses associés.
1092. — Aux termes de l’article 1870, la renoncia
tion n’est pas de bonne foi lorsque l’associé renonce
pour s’approprier à lui seul les profits que les coassociés
s’étaient proposés de retirer en commun. Cette inten
tion est de plein droit présumée lorsque, après avoir
renoncé, l’associé fait pour son compte personnel une
opération que la société devait faire avec sa participa
tion et son concours. Si societatem ineamus, dit le juris
consulte Paul, ad aliquam rem emendam, deinde solus
volueris eam einere, ideoque renunciasti societati ut so
lus emeres, tenebis quanti interest mea. 1
1095. — Pothier offre cet autre exemple d’une re
nonciation frauduleuse : Durant le cours d'une société
de tous biens que j’ai contractée avec vous, un de mes>
L. 05, § 4, Dig. pro Socio.
�414
T R A IT E
amis, étant au lit de la mort, m’avertit qu’il m’a institué
son héritier; je vais vite vous notifier que je n’entends
plus être en société avec vous. Cette renonciation étant
faite dans la vue de m’approprier la succession de mon
ami, qui aurait dû tomber dans la société, est nulle,
comme faite de mauvaise foi, et n’empêchera pas que
cette succession n’v tombe, s’il y a du bénéfice.1
109-4. — Au reste, comme toutes les questions de
fait, celle de savoir si la renonciation est ou non frau
duleuse est abandonnée à la prudence et aux lumiè
res des magistrats. La loi s’est contentée de poser le
principe constitutif de la fraude. De quelque manière
que le juge arrive à la conclusion, il lui sulfit d’établir
que, dans sa conviction, la renonciation a pour objet
l’acquisition exclusive du bénéfice devant tomber dans
3a masse commune, pour qu’il doive ne pas s’y arrêter.
1095- — 3° Que la renonciation ne soit pas faite à
contre-temps.
La loi s’expliquant elle-même sur ce caractère de la
renonciation, la déclare à contre-temps lorsqu’elle est
faite dans un moment où les choses ne sont plus en
tières, et où il importe à la société que sa dissolution
soit différée.®
Il est, en effet, des circonstances qui rendraient une
dissolution immédiate désastreuse pour tous les asso1 Des Sociétés, n° 450.
2 Arl. 1870.
�ciés. Ainsi une société de commerce a fait des achats
importants. Une baisse considérable des denrées qui en
ont fait l’objet lui imposerait une perte certaine, si la
dissolution la contraignait de revendre actuellement. Il
lui convient donc d’attendre, et cette convenance cha
que associé doit en subir les effets. Elle ferait donc re
pousser ia demande en dissolution.
Vainement l’associé renonçant voudrait-il démontrer
qu’il a, lui, un intérêt pressant à une dissolution immé
diate. Dans l’appréciation de l’à-propos d’une renoncia
tion, on doit exclusivement se placer au point de vue de
l’intérêt social, sans tenir aucun compte de l’intérêt
privé des associés. C’est ce qu’enseignait le droit ro
main : Hoc ila si socie/atis inleresl non cliremi societalem; semper enim non id quod privatim inlerest univs
ex sociis servari solet, sed quod sociétal i expedild
1096- — Quel est l’effet de la renonciation fraudu
leuse ou inopportune? C’est de lui enlever toute validité
et partant toute efficacité. Ainsi, nonobstant la renon
ciation inopportune, la société continue d’exister. L’as
socié renonçant n’en reste pas moins soumis aux obli
gations et aux devoirs que sa qualité lui impose.
La renonciation frauduleuse oblige son auteur à rap
porter à la masse, non-seulement le gain illicite qu’il se
proposait, mais encore celui qu’il n’a pu prévoir au mo
ment de sa renonciation et qu’il lui est échu depuis,
pourvu cependant qu’il dût tomber en société. En effet,
1 L. 65, § 5, Dig. pro Socio.
�416
TRA ITE
la nullité de la renonciation, à quelque époque qu’elle
soit prononcée, remonte au jour de sa date. Conséquem
ment la société n’a pas cessé d’exister et d’acquérir
tout ce qui devait lui appartenir.
De là il suit encore que les pertes éprouvées par la
société,'depuis la renonciation, ne laisseront pas que
d’être proportionnellement à la charge du renonçant
et, enfin, que la société pourra le faire condamner à ré
parer, par des dommages-intérêts, le préjudice qu’elle
a éprouvé de son défaut de concours, si ce concours,
ayant paru indispensable ou utile, avait été stipulé dans
l’acte social.
1097.
- - Au demeurant, il importe de remarquer,
avec M. Troplong, que la nullité de la renonciation est
purement relative. Tous les associés, excepté le renon
çant, sont admis à la faire valoir. De là il suit que si
l’opération, en vue de laquelle la renonciation a été no
tifiée, s’est soldée par une perte au lieu d’offrir le béné
fice espéré, cette perte peut rester étrangère à la so
ciété; que les bénéfices que la société a réalisés après la
renonciation peuvent lui être exclusivement acquis. Ce
double résultat serait la conséquence forcée de l’accep
tation que les associés feraient de la renonciation, que
seuls ils peuvent quereller.
En définitive donc, celui qui renonce frauduleuse
ment agit plutôt contre son propre intérêt que contre
celui de ses coassociés. Il s’expose, en effet, à voir ceuxci soit lui demander compte du gain qu’il a illégiti
mement recherché et le faire contribuer aux pertes
�DO DOL
ET
DE LA F R A U D E .
417
essuyées depuis la renonciation ; soit lui laisser exclu
sivement la perte faite sur l’opération frauduleuse et lui
refuser sa part dans les bénéfices par eux réalisés. On
peut donc dire de lui ce que le jurisconsulte Paul dit
de l’associé renonçant avant l’expiration du terme con
venu : Socium a se, non se a socio liberal. 1
1098. — Dans les sociétés dont le terme a été sti
pulé soit explicitement, soit implicitement, l’exécution
littérale n’offre plus l’inconvénient attaché à un enga
gement perpétuel. Le législateur revient donc purement
à la règle que nous avons déjà indiquée : Contractus
sunl ab inilio voluntalis, ex post facto nécessilatis. En
conséquence, la dissolution de la société ne peut être
demandée par un des associés, avant le terme convenu,
qu'autant qu’il y en a de justes motifs. 8 L’associé qui
renoncerait contrairement à cette disposition, ferait
donc un acte sans aucune efficacité ; il serait à l’instar
de celui qui renonce frauduleusement ou en temps in
opportun et s’exposerait aux mêmes résultats.
1099. — Les motifs pouvant légitimer la demande
en dissolution sont indiqués, mais non limités par l’ar
ticle 1871. C’est ce qui s’induit non-seulement de la
généralité de ces termes, mais encore de l’appel qu’il
fait à l’arbitrage du juge pour l’appréciation des causes
qu’il n’énumère pas spécialement. Il suffirait donc que
1 L 65, § 6, Dig. pro Socio.
* Art, 1871 duÇod. cix-
�■ 418
TRA ITÉ
celles invoquées par l’associé fussent jugées graves
pour qu’on admît la dissolution. Nous avons déjà dit
que la fraude dans l’administration ferait inévitable
ment dissoudre la société.
1100. — Si les prétentions de l’associé sont re
poussées, la société continue d’exister jusqu’à son exr
piration.Mais ici peut s’offrir une importante difficulté.
Supposez que l’associé réclamant soit précisément ce^
lui qui est le gérant indispensable de la société, celle-ci
ne consistant que dans l’exploitation de l’industrie par
lui apportée; supposez encore qu’après le jugement qui
refuse la dissolution, il persiste dans son projet de re
traite. Comment assurer l’exécution de ce jugement?
Comment refuser la dissolution, si la volonté d’aban
donner la gestion est nettement indiquée au juge avant
qu’il ait prononcé?
1101. — Placée dans une position de ce genre, la
Cour de Lyon a cru pouvoir admettre une exception à
l’article 1871. Dominée par cette pensée que les obli
gations de faire se résolvent en dommages-intérêts, elle
a pensé que la dissolution était forcée, sauf le paiement
de ces dommages, et c’est ce qu’elle ordonne par son
arrêt du 18 mai 1823.
1102.
— Cet arrêt n’a pas seulement le tort de
créer à l’article 1871 une exception que repousse la
généralité de ses termes, il viole, en outre, ce principe
écrit dans les règles générales en matière d’inexécu-
�DU
DOL
ET
Diî j , A F R A U D E .
fl 9
don : que la partie, envers laquelle l’engagement n’a
pas été exécuté, a le droit de demander le maintien de
l’obligation.
Il est vrai que si l’exécution en est impossible, on
doit la remplacer par une allocation de dommages-in
térêts, mais l’impossibilité est ici laissée à l’apprécia
tion de la partie intéressée, seule juge des moyens à
l’aide desquels elle espère la faire disparaître.
Sans doute ces moyens ne peuvent aller jusqu’à faire
appréhender le débiteur au corps pour l’obliger manu
militari à faire ce qu’il refuse de faire. C’est ce que l’ar
ticle 1142 a pour objet d’empêcher. Mais ce que la loi a
pu et dû permettre, c’est de vaincre la mauvaise volonté
du débiteur en rendant l’exécution d’un tel intérêt pour
lui, qu’il ne puisse longtemps s’y soustraire. A cet effet,
l’allocation d’une somme déterminée par chaque jour
de retard se recommande à l’attention du créancier, à
celle de la justice.
Ainsi, quelle que soit la partie qui se refuse à remplir
son engagement, elle ne saurait, se prévalant de sa pro
pre faute, obtenir la dissolution contre l’opposition de
l’autre partie. En demandant l’exécution du contrat,
celle-ci ne fait qu’user d’un droit que la loi lui donne,
et sur la conservation duquel la justice doit veiller. On
doit donc, sur ses réclamations, maintenir îe contrat,
en ordonner l’exécution sous peine de payer une somme
déterminée par chaque jour de retard. Admettre la rési
liation serait non-seulement violer la loi, mais encore
donner une prime à l’impudence. Gomment, en effet,
qualifier autrement le langage de celui qui viendrait
�TR A IT E
dire à ses juges : Je ne veux pas remplir mon obliga
tion, et cette volonté je vous défie de ne pas la prendre
en considération. Condamnez-moi à des dommages-in
térêts, mais déliez-moi de mes engagements. Un pareil
langage, s’il pouvait être efficace, décèlerait dans la
loi une bien regrettable lacune et une impuissance qui
n’existe heureusement pas.
1105. — La dissolution par l’échéance du terme de
la société ou par suite d’une décision judiciaire fait ces
ser les rapports entre associés et substitue l’intérêt
privé de chacun d’eux à l’intérêt général qui les avait
unis jusque là. Ses effets immédiats sont la liquidation
et le partage.
Ce dernier est régi par les principes que nous avons
déjà exposés. Le droit de chaque associé s’établit par
les stipulations de l’acte social. Il reçoit les bénéfices et
contribue aux pertes dans les proportions de son intérêt
social.
Un effet plus immédiat encore de la dissolution, c’est
de révéler le mode de gestion et les fautes que le gérant
a pu commettre. Jusque là, en effet, l’ensemble de l’ad
ministration est resté dans un certain vague que l’obli
gation de rendre compte doit nécessairement faire dis
paraître.
1104. — Ce compte doit être le résumé fidèle de
la gestion, il doit avoir sa base et son contrôle dans les
écritures sociales. L’irrégularité de celles-ci jette donc
sur le compte des soupçons au bout desquels se trouvent
bien souvent l’infidélité et la fraude.
�nu
DOL
lit
de
U A FR A U D É .
421
1105. *— La négligence dans la tenue des écritures
est au tnoins une faute. Elle a pour effet d’empêcher les
associés de contrôler les allégations du compte, d’en
vérifier l’exactitude, d’en prouver l’infidélité. L’intérêt,
que le gérant a incontestablement à ce triple résultat,
doit commander une extrême circonspection dans l’ap
préciation de sa conduite. Une allocation de dommagesintérêts, plus ou moins élevée, pourrait être la peine de
la négligence, à plus forte raison d’une irrégularité fla
grante.
1106. — Le gérant est obligé de restituer non-seu
lement les livres, mais encore tous les papiers sociaux.
Le défaut de livres ou leur insuffisance est une faute ex
trêmement grave. En effet, elle a nécessairement les
résultats que nous venons d’indiquer et à un degré en
core plus prononcé de nocuité pour les associés, d’avan
tage pour lui. Comment avec des écritures insuffisantes
juger sainement des opérations remontant à plusieurs
années? Comment reconnaître une omission, justifier
une élévation dans les recettes, une exagération dans la
dépense ?
L’absence ou l’insuffisance des livres substitue donc
le doute et l’obscurité à l’exactitude et à la précision si
désirables en cette matière. La fraude peut en cet état
être facilement supposée, et cette facilité, éveillant la
juste susceptibilité de la justice, ferait non-seulement
accueillir les modifications appuyées sur des présomp
tions graves, mais encore condamner l’associé chargé
des écritures à des dommages-intérêts.
�■
m
TR A ITE
1107. — La soustraction totale ou partielle des livres
ou écritures est une fraude caractérisée. L’intention
dont elle est l'exécution ne peut être douteuse, et mérite
toute la sévérité delà justice. Les associés peuvent dans
ce cas demander la production matérielle avec peine
d’une somme déterminée par chaque jour de retard, ou
se borner à réclamer des dommages-intérêts suffisants
pour les indemniser de tout le préjudice.
Dans l’un et dans l’autre cas, la demande est suscep
tible d’être différemment appréciée, selon qu’il s’agit
d’unesoustraction totale ou d’une soustraction partielle.
Rien ne saurait justifier la première, mais la seconde
peut être plus ou moins nuisible, selon le caractère des
livres en faisant la matière. Si ces livres ne sont pas in
dispensables pour arriver à un règlement équitable; si
le contrôle réservé aux associés peut utilement être
fourni par les écritures produites, l’excuse de bonne
foi pourrait être accueillie. L’intention qui a fait dispa
raître un livre auxiliaire suppléé par les livres princi
paux, n’est pas nécessairement frauduleuse, le préjudice
peut en réalité ne pas exister ou du moins n’exister que
dans des proportions minimes. Or, comme c’est surtout
pour réparer celui-ci que des dommages-intérêts sont
dus, on pourrait soit les refuser, soit les réduire dans
les mêmes proportions.
Mais si la soustraction porte sur les livres principaux,
on n’aurait pas h la distinguer de la soustraction totale.
L’effet étant le même, la peine serait identique.
1108. — Au reste, il importe aux associés d’opposer
�DU DOL E T
DE
LA FR A U D E .
423
au gérant toutes les objections leur compétant, avant le
règlement matériel du compte; après ce règlement, le
compte est définitif. Toute réclamation ultérieure vien
drait échouer devant l’article 541 du Code de procédure
civile.
1109- — Cet article prohibe toute révision des
comptes, etsonapplicahilité, en matière desociété civile
ou commerciale, ne saurait faire l’objet d’un doute
sérieux. Les motifs qui l’ont dicté ne manquent pas de
gravité, le législateur a compris que le comptable ré
gulièrement déchargé de sa gestion, par un arrêté de
compte, n’a plus le même intérêt dans la conservation
des pièces en formant les éléments; qu’en cet état, le
soumettre de nouveau à rendre son compte serait le
placer dans la nécessité de faire ce qu’il n’est plus réel
lement en position d’accomplir.
La prohibition de l’article 541 ne reçoit exception que
dans un seul cas, à savoir : lorsque l’arrêté de compte
a été surpris par dol, extorqué par fraude ou ravi par
violence. La preuve de l’un ou de l’autre entraînerait la
nullité du contrat, et ferait remettre les parties dans le
même état qu’avant. Cette exception, loin de détruire
la règle, ne fait que la confirmer, ce ne serait pas en
effet une révision du compte dont il s’agirait dans cette
hypothèse. Le règlement frauduleux ou dolosif est censé
n’avoir jamais existé, ce serait donc ce règlement qu’il
s’agirait d’accomplir.
Si l’arrêté décompté n’est pas attaqué sous ce rapport
ou si, reproché à ce point de vue, il a été maintenu,
�424
TRA ITÉ
l’article 541 reprend tout son empire, toute révision est
écartée de plein droit.
1110.
— Reste l’action en redressement pour erreurs,
omissions, faux ou doubles emplois, que l’article 541
réserve lui-même. La nature de cette demande se détermine par la disposition entière de cet article. Évidem
ment l’action en redressement est autre chose que
l’action en révision, si non il faudrait reconnaître que
le législateur a permis à la fin de l’article ce qu’il pros
crit formellement au commencement.
Ce qu’il faut en conclure, c’est que par la défense de
réviser le compte, la loi n’a pas voulu empêcher des
réclamations, dont l’existence ultérieure ne se réalise
tardivement que parce que les griefs qu’elles révèlent
n’ont été découverts qu’après l’arrêté du compte. Des
erreurs, des omissions, des faux, des doubles emplois,
ne doivent profiter ou nuire à personne, on doit les ré
parer en maintenant toutefois les effets généraux du rè
glement des comptes.
De là il suit que, pour être recevable, l’action en re
dressement doit être nettement déterminée dans son
objet. On ne doit pas se borner à prétendre en termes
généraux et vagues qu’on a à signaler des erreurs,
omissions, faux ou doubles emplois, il faut relever les
articles du compte renfermant le vice reproché, fournir
les pièces établissant l’erreur ou l’omission. Celui-là
donc qui, sans offrir ce délaisse contenterait de soute
nir qu’il est victime, qui même, sur le fondement de cer
taines pièces, se bornerait à prétendre que le reliquat du
�compte est erroné, devrait être déclaré non-recevable
et succomber dans ses prétentions.1
En d’autres termes, l’action en redressement laisse à
l’arrêté du compte toute son autorité, il y a lieu seule
ment d’ajouter ou de retrancher jusqu’à concurrence
des sommes omises ou portées en plus. Il faut donc né
cessairement signaler les articles querellés dans l’un ou
l’autre sens. Se renfermer dans des généralités, ce n’est
pas vouloir faire redresser le compte, c’est en demander
un second ou tout au moins réviser le premier, c’est,
dans l’un ou l’autre cas, exiger ce que proscrit l’ar
ticle 541.
SECTION VI. -^FRAUDES DANS LES PRÊTS.
il B
SOMMAIRE.
1111. Diverses espèces de prêt.
1112. Nature du commodat.
1113. — du prêt de consommation.
1T14. Prêt à intérêt. Historique.
1 Chauveau sur Carré, art. 541 ;—Cass., 2 mars 1831 ; — Bourges,
21 août 1831.
! I.
�1115. En quoi consiste l’usure.
1116. Critiques du droit que se réserve le législateur de dé
terminer un maximum d’intérêt. Opinion des scho
lastiques, de Turgot, de J. Bentham.
1117. Réfutation quant à l’utilité de ce droit.
1118.
—
quant à la convenance.
1119. Réformes dont la loi de 1807 serait susceptible.
1120. Défaut de proportions entre les intérêts qu’il consacre
et le revenu foncier.
1121. Véritable valeur de l’argent en matière commerciale.
1122. Abus du taux commercial appliqué aux lettres de
change souscrites par des non commerçants.
1123. Ou aux prêts commerciaux faits par nantissement ou
par crédit hypothéqué.
1124. Résumé.
1125. L’usure ne peut exister que dans le prêt. Simulations
nombreuses qui résultent de cette condition.
1126. Les questions d’usure présenteront donc plutôt des
difficultés sur l’intention des parties que des diffi
cultés de droit.
1127. Exemple d’usure dans un contrat de mariage.
1128. Erreur dans laquelle est tombée M. Dalloz sur la
portée véritable de l’arrêt de la Cour de Riom.
1129. La doctrine de cet arrêt ne pourrait être admise sous
l’empire de la loi de 1807.
1130. Difficultés sur les droits que l’usage attribue aux ban
quiers, en sus de l’intérêt légal.
1131. Nature de la commission.
1132. — de l’escompte.
1133. — du change.
1134. Légalité de ces droits contestée par plusieurs auteurs,
MM. Chardon, Duvergier, Fremery, notamment.
1135. Réfutation.
1136. L’escompte ne saurait être considéré comme un inté
rêt conventionnel. Opinion conforme de M. Troplong.
1137. Nature véritable du change.
1138. Facilité que ces divers droits donnent pour déguiser
l’usure. Conséquences.
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IjA
f r a u d e
.
427
1139. On reconnaîtra la vérité de l’escompte d’abord au taux
auquel il a été établi.
1140. A la nature réelle de l’opération. Quid, s’il s’agit d’un
billet directement souscrit par le cédant lui-même?
1141. La même difficulté peut se présenter pour le change.
Solution.
1142. Quid, s’il existe une supposition de lieu ?
1143. Jugement du Tribunal de commerce de Marseille ,
confirmé par arrêt d’Aix, dans une espèce où la sup
position de lieu n’avait pas fait obstacle à l’existence
du contrat de change.
1144. Le droit de commission peut-il être prélevé en l’ab
sence d'un crédit ouvert par le banquier ?
1145. Exception au principe admis par l’article 1154, en ma
tière d’anatocisme.
1146. La commission du banquier peut-elle être prélevée
sur le solde reporté à nouveau ?
1147. Pour que la capitalisation trimestrielle des intérêts
puisse être effectuée, il faut que le compte existe
entre négociants, et que le compte ait été réellement
airêté.
1148. Le banquier peut-il prélever une commission sur cha
que renouvellement des billets souscrits par un non
commerçant?
1149. Usure consistant à fondre les intérêts avec le capital.
1150. Première objection que la preuve testimoniale fera
surgir.
U51. Deuxième objection.
1152. La preuve de l’usure acquise, quel sera le sort de
l’acte ?
1153. La rétention des intérêts au moment de l’acte constitue
une usure.
1154. Pèut-on stipuler que les intérêts d’un capital fourni
en argent seront payés en denrées ?
1155. Quid, si le prêt a été fait en denrées?
1156. La loi de 1807 ne régit pas le prêt qui offre une chance
aléatoire. Application de cette règle à la caisse hy
pothécaire.
�428
TRA ITE
1157. Application au contrat à la grosse.
1158. Supposition de l’existence d’un contrat à la grosse pour
déguiser l’usure.
1159. Application de la règle concernant la chance aléatoire
à la cession.
1160. Au contrat de rente en viager.
1161. Exemple d’usure déguisée sous l’apparence d’une rente
viagère!
1162. — d’usure déguisée sous laforme d’une donation.
Comment elle s’apprécie.
1163. Doctrine de Pothier.
1164. Arrêt conforme de Bordeaux et de la Cour de Pau.
1165. Exception que cette doctrine comporte.
1166. QuicL, de'la donation faite après paiement ?
1167. Usure peut résulter de l’exigence de services person
nels appréciables en argent.
1168. Comment et par quel mode reconnaît-on qu’un service
est ou non appréciable en argent.
1169. Usure peut se déguiser sous le contrat de société.
1170. Elle se dissimule facilement sous l’apparence d’une
vente d’objets mobiliers.
1171. Dans quels cas peut-on quereller d’usure une vente
de marchandises faite par un commerçant ?
1172. La vente pure et simple d’un immeuble peut ne dé
guiser qu'un prêt usuraire. Espèce jugée par la
Cour dé Paris.
1173. Reproche adressé à l’arrêt.
1174. Nature de la vente à réméré. Répulsion qu’elle a ins
pirée au législateur.
1175. Raisons qui l’ont fait maintenir dans le Code.
1176. Circonstances devant la faire considérer comme un
contrat pignoratif.
1177. La réunion de ces circonstances est-elle indispensable.
1178. Nécessité de l’existence du pacte de rachat.
1179. Effet de la vilité du prix et du pacte de rachat.
1180. Effet du concours de celui-ci avec la relocation.
1181. Conséquences de la déclaration que la vente n’est
qu’un contrat pignoratif.
�DU DOL E T
D E LA
FRAUDE,
429
1182. Usure déguisée sous la forme du contrat d’échange.
1183. Devoir, que cette facilité, pour l’usure, à se déguiser,
impose aux tribunaux.
1184. L’usure ne devient un délit que par l’habitude. Mais
chaque fait spécial donne ouverture à une action en
faveur de la partie lésée
1185. Objection tirée de l’article 1341, opposée à la preuve
testimoniale du délit d’habitude d’usure repoussée
par la Cour de cassation.
1186. La même objection, appliquée à la poursuite de l’action
de la partie lésée, consacrée par la Cour de P a u ,
et admise par M. Sirey.
IIS1?. Le système contraire a triomphé en doctrine et en
jurisprudence.
1188. Consacré par le simple bon sens.
1189. Faculté pour les juges d’admettre les présomptions
graves et précises.
1190. Ou de déférer le serment supplétoire.
1191. Extrême prudence avec laquelle ils doivent procéder.
1192. Faut-il, comme l’enseigne M. Chardon, ne le déférer
qu’au débiteur P
1193. Conséquences de l’usure reconnue sur l’exécution du
contrat.
1194. L'action ouverte au débiteur passe à ses héritiers et
ayant-cause. Elle peut être exercée par ses créan
ciers.
1195. Cette actionne peutêtre jointe avec celle du ministère
public en répression du délit.
1196. Ce qui est jugé sur celle-ci ne peut influer en aucun
sens sur l’instance au civil,
1197. La fin de non-recevoir tirée de la chose jugée ne peut
résulter que du jugement consacrant définitivement
la légitimité de la créance.
1198. Mais l’exception d’usure peut être proposée pour la
première fois en appel.
1199. L’exception de chose jugée résulterait-elle d’un juge
ment validant une saisie faite en vertu du titre.
1200. L’usure ne pouvant être couverte, l’action ne saurait
�1201.
1202.
1203.
1204.
être écartée sous prétexte de ratification ou de trans
action, à moins que l’une ou l’autre se fût réalisée
après la libération.
De quel moment commence à courir la prescription ?
Par quel délai est-elle acquise pour l’usure ordinaire?
Quel est le délai pour l’usure palliée ?
Durée de l’exception.
1111. — La loi distingue trois sortes de prêts:
1° celui des choses dont on peut user sans les détruire,
c’est le prêt à usage ou commodat; 2° celui des choses
se consommant par l’usage, soit le prêt de consomma
tion; 3° enfin, le prêt h intérêt.
La gratuité, qui est de l’essence de chacun d’eux, ne
permet guère de prévoir une fraude, de la part du prê
teur surtout. Cependant, comme il en résulte pour cha
que partie des obligations et des droits, la fraude con
sommée dans l’exécution des premières, ou qui tendrait
à annihiler les autres, donnerait lieu à une adjudication
de dommages-intérêts.
1112. ■
— A vrai dire, le commodat est une véritable
cession de jouissance, une location, en quelque sorte.
Dès-lors, c’est par les règles que nous avons exposées
dans notre section iv que se résoudront les difficultés
soulevées sur l’exécution des obligations soit du bail
leur, soit du preneur.
1113. — D’autre part, le prêt de consommation
peut être assimilé à la vente. Ce qui en fait la matière,
c’est la chose prêtée, qui devient la propriété de l’em-
�prünteur et dont il peut disposer à son gré. Ce qui re
présente le prix, c’est l’obligation de restituer une
chose de même quantité et qualité. L’exécution du prêt,
c’est-à-dire la délivrance, la garantie des vices cachés,
l’obligation de restituer au terme convenu, les fraudes
que peuvent se permettre les parties, se trouvent donc
naturellement régies par les principes que nous avons
déjà exposés en parlant de la vente, et auxquels nous
nous contentons de nous référer.
1114.
— Nous arrivons au prêt à intérêt, qui se re
commande si hautement à l’attention des magistrats et
des jurisconsultes par la facilité avec laquelle il devient
un instrument de fraude. Notre ancienne législation ne
le tolérait qu’avec aliénation du capital et proscrivait
sévèrement tout profit antre que la rente au taux légal
et convenu.
Ces dispositions de la loi civile étaient conformes
aux prescriptions enseignées par la théologie. Armée
de quelques passages de l’Écriture, l’Église s’était for
mellement prononcée contre le prêt à intérêt sans alié
nation du capital.
Notre intention n’est pas de discuter la vérité de cette
prohibition, de rappeler les diverses phases du prêt à
intérêt, les attaques qu’il a subies, la défense dont il a
été l’objet; on ne saurait, sur tous ces points, dire plus
et surtout dire mieux que ne l’a fait M. Troplong dans
sa préface du Commentaire sur le prêt. Nous renvoyons
donc ceux qui voudraient être complètement édifiés sur
les vicissitudes que le prêt à intérêt a traversées, au ta-
�432
TRA ITE
bieau si complet, si lucide qu’en a tracé cet habile et
éminent magistrat.
Quant à nous, il nous suffit de trouver ce contrat ins
crit dans notre Code pour que nous ayons à l’examiner
sous le rapport de notre matière et à nous occuper des
fraudes dont il peut devenir l’occasion. La principale de
celles que le prêteur peut se permettre est, sans con
tredit, l’usure.
1115.
— En droit romain, l’usure signifiait l’intérêt
que l’argent pouvait produire; en France, et à toutes les
époques, l’usure n’a pas été prise dans cette acception,
elle a toujours désigné le gain illicite que des prêteurs
avides ont tenté de se procurer, soit par la violation ex
presse de la loi prohibitive, soit en stipulant des intérêts
au-dessus du taux légal.
Il importe, en effet, de remarquer que toutes les lé
gislations, en admettant le prêt à intérêt, se sont ré
servé le droit d’en déterminer le taux. C’est spéciale
ment ce qu’a fait leCode civil. Ainsi,après avoir permis
de stipuler des intérêts pour simple prêt soit d’argent,
soit de denrées, le législateur ajoute immédiatement :
L’intérêt est légal ou conventionnel. L’intérêt légal est
fixé par la loi ; l’intérêt conventionnel peut excéder
celui de la loi toutes les fois que la loi ne le prohibe
p a s.1
Le législateur se réserve donc la faculté de restrein
dre la volonté des parties et d’établir un maximum d’in1 Ail. 1907 du Code civ.
�DU
DOL
ET UE 1.4 FRAUDE.
433
térêt au-delà duquel la convention ne créera aucun lien
obligatoire. Ce droit du législateur semble au-dessus de
toute contestation. Il est évident, en effet, que, puisqu’il
a le pouvoir de prohiber le prêt à intérêt, il a par cela
même, en le consacrant, le droit de lui imposer telles li
mites qu’il croit indispensables à la sécurité de l’état et
à l’ordre public; Cependant ce droit à été méconnu tant
sous le rapport de son existence que sous celui de la
convenance de son exercice.
Ü 16. — Les scholastiques, d’une part, l’ont con
testé en niant a priori la faculté de permettre un intérêt
quelconque. Retirer un intérêt alors qu’on n’aliène pas
le capital, c’est, à leurs yeux, contrevenir à l’esprit de
la religion et violer le principe de la gratuité du prêt :
Mutuum date, nihil inde sperantes. Cette objection a
été repoussée par une plus saine interprétation des pas
sages sur lesquels elle se fonde; on a prouvé qu’ils ren
ferment des principes de charité sublime, plutôt que
des préceptes de justice rigoureuse. *
Turgot ne s’est pas contenté de réfuter l’opinion des
canonistes, il va plus loin, et après avoir recherché l’o
rigine et les caractères du prêt à intérêt, il soutient que
ce prêt dérive du droit naturel bien supérieur à toutes
les législations; qu’en conséquence la faculté d’exiger
un intérêt de son argent n ’étant que la conséquence du
droit de propriété, ne peut être refusée par le législa
teur; il lui conteste donc le pouvoir de la réglementer,.
; Turgot, Mémoire, sur les prêts d’argent, §§ 25 et suiv.
n
19
O
�y
434
TRAITÉ
la détermination du taux de l’intérêt devant être aban
donnée à ses éléments naturels, c’est-à-dire aux chan
ces-dû commerce lui-même.
D’autres publicistes éminents s’expriment plus éner
giquement encore. L’un d’eux ne voit dans l’usure même
que la liberté pour tes individus de faire leur condition
comme ils le jugent convenable. Il se résume, en consé
quence, dans cette proposition : Que nul homme par
venu à l’âge de raison, jouissant d’un esprit sain, agis
sant librement et en connaissance de cause, ne doit être
empêché, même par des considérations tirées de son
avantage, de faire comme il l’entend tel marché que
ce soit dans le but de se procurer de l’argent, et que,
par conséquent, personne ne peut être empêché de lui
donner ce qu’il demande aux conditions qu’il veut bien
accepter. 1
Pour Bentham, le grand critérium de la sagesse et de
la convenance des lois est leur utilité. Cette qualité s’ap
précie dans chaque disposition légale par la proportion
des plaisirs et des peines en résultant, et par la supé
riorité de ceux-ci sur celles-là. 5 Soumettant ensuite à
cette double recherche les lois répressives de l’usure,
il arrive à conclure qu’elles sont sans efficacité, sans
avantages aucuns pour ceux-mêmes qu’elles ont pour
but de protéger; qu’au contraire elles engendrent, au
point de vue commercial, des inconvénients nombreux
et graves; qu’elles corrompent les mœurs, puisqu’elles
* Jéréme Benttiam, ‘Défense de l’usure, lettre première.
9 Idem, Traité de législation.
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
435
provoquent à la délation, à la trahison, à l’ingratitude,
en offrant à l’emprunteur une récompense pour l’en
courager à violer ses engagements et à déchirer la main
secourable qui lui a été tendue ; que, dès-lors, les in
convénients dépassant de beaucoup les avantages, ces
lois ne sont ni convenables, ni sages. L’opinion con
traire, ajoute-t-il, n’est due qu’à des préjugés que le
mot usure nourrit et entretient depuis longtemps.
1117. — N’en déplaise à l’auteur, le concert de ma
lédictions et de plaintes que l’usure a, de tous temps,
soulevé, est un terrible argument contre sa thèse. L’o
pinion publique se trompe quelquefois, mais, quelle que
soit la durée de son erreur, elle n’est jamais éternelle.
La vérité finit par se faire jour et par triompher des té
nèbres en obscurcissant l’éclat. C’est ainsi qu’on a vu
et que nous voyons chaque jour des préjugés plus ou
moins enracinés s’affaiblir, s’effacer et disparaître. Il
faut donc induire, de ce que celui contre l’usure a tra
versé une succession de siècles sans avoir rien perdu
de sa force, que, au fond, ce qui l’avait fait naître n’a
rien que de très réel. Il ne faut donc pas s’étonner
qu’il ait survécu. Est-ce que les plaies de l’usure ne sont
pas aussi hideuses, aussi saignantes qu’elles l’étaient
dans les siècles précédents?
Nous le reconnaissons sans peine, au point de vue où
se placent Turgot et Bentham, leur opinion ne manque
pas d’une certaine gravité, et nous comprenons ce der
nier s’écriant : Pourquoi m’empêcheriez-vous de de
mander le dix, le vingt pour cent d’un argent qui, par
�436
TRAITE
la spéculation, va en procurer quarante ou cinquante à
mon emprunteur? Il est évident que, dans les hautes
opérations de finance, de commerce ou d’industrie l’u
sure est moins redoutable que dans les affaires ordi
naires. Sa répression peut même conduire à l’anomalie
signalée, mais le remède conduirait, lui aussi, à de sin
guliers résultats. Si on a pu, en effet, à l’origine de l’o
pération, stipuler un intérêt de dix ou de vingt pour cent,
cet intérêt sera payable, alors même que la prévision
sur laquelle il a été calculé ne se réaliserait pas et que
l’emprunteur, loin de faire un bénéfice quelconque, ne
retirerait qu’une perte même considérable. Serait- ce
là de la justice?
La liberté illimitée réclamée par Bentham n’est donc
pas dans le cas d’établir la proportion équitable entre le
prêteur et l’emprunteur. Le moyen de le faire, notre
droit l’a trouvé et admis. Nous avons vu, en traitant de
la société, que le bailleur de fonds pouvait, outre et in
dépendamment de l’intérêt légal, stipuler une part dé
terminée dans les bénéfices; et ce moyen, admis par
l’équité, est avoué par la plus stricte justice. En effet, le
prêteur ne sera pas réduit à n’avoir que le six poui! cent
là ou l’emprunteur en touchera vingt ou trente. D’autre
part, la participation au bénéfice ne se réalisera que
lorsqu’il y aura un bénéfice, et ainsi l’emprunteur ne
paiera, en cas de perte, que l’intérêt légitimement ac
quis au prêteur.
On le voit, l’anomalie signalée par Bentham s’éva
nouit et tombe sans qu’il soit nécessaire de recourir à
l’abrogation des lois prohibitives de l’usure.
�DU
DOE
ET DE LA FRAUDE.
m
Au reste, l’inconvénient fût - il réel et irréparable,
son existence pourrait-elle prévaloir contre les consé
quences de l’usure, au point de vue dont le législateur
devait surtout se préoccuper? En effet, à côté de ceux
que Bentham appelle les gens à projet eL dans l’intérêt
desquels il réclame la liberté illimitée de l’intérêt, exis
tent le modeste commerçant, les travailleurs, les petits
propriétaires. Osera-t-on soutenir, par rapport à eux,
l’innocuité de l’usure? Mais une longue et triste expé
rience est là pour démontrer que ses exactions ont pour
résultat leur ruine tellement inévitable, qu’on pourrait
prédire avec certitude le moment où elle se réalisera.
En présence d’un pareil état des choses faut-il justifier
le législateur et discuter les raisons qu’on oppose à
l’exercice du droit de déterminer un maximum d’in
térêt?
Nous ne pouvons d’abord admettre que celui qui s’a
bandonne en proie à l’usure agisse librement et en con
naissance de cause. Personne n’accepte volontairement
pour sa famille et pour lui la perspective presque as
surée de la ruine et de la misère. Celui qui en court la
chance ne. le fait donc que vaincu par une nécessité in
vincible, que dominé par des besoins urgents, qu’en
traîné par une passion funeste. Le contraire fût-il vrai,
quel motif y aurait-il pour permettre à qui que ce soit
de profiter d’une volonté évidemment pervertie? La loi
ne peut empêcher matériellement le suicide ; elle n’a
pas même cru pouvoir en consacrer la prohibition ;
mais elle n ’hésite pas à punir celui à qui on aurait eu
recours pour l’accomplir et qui se serait prêté à sa con-
�438
TB A IT E
sommation. Pourquoi donc n’aurait-elle pas fait pour le
suicide moral ce qu’elle fait pour le suicide physique?
Sans doute il n’appartenait pas au législateur d’im
poser, comme règles obligatoires, ces préceptes d’in
commensurable charité qu’enseigne la loi divine; mais
ce qu’il pouvait, ce qu’il devait faire, c’était, de punir
celui qui, voyant son prochain se jeter aveuglement au
devant du précipice, au lieu de le retenir, l’y plonge
de sa propre main pour satisfaire une odieuse, une in
fâme avidité.
La répression de l’usure est donc hautement ap
prouvée par la morale. Le droit que s’est réservé le
législateur est doue parfaitement juste. Nous ajoutons
qu’en le répudiant, il eût méconnu formellement la
mission qu’il a à remplir.
Que l’usure touche à l’état politique des peuples, c’est
Ce qui ne saurait être nié sans faillir h la vérité la plus
éclatante. L’influence qu’elle exerce sur le bien-être des
citoyens, sur le paiement des impôts, sur la tranquillité
publique, la rend une question éminemment sociale et
la recommande à l’attention spéciale de l’homme d’État.
N’est-ce pas l’usure qui fut, à Rome, la cause de ces sé
ditions qui menacèrent l’existence même de la Répu
blique naissante? N’est-elle pas également indiquée par
tous les historiens comme un des fléaux qui précipi
tèrent la ruine du Bas-Empire et le livrèrent en proie à
l’invasion des Barbares?
Oui, l’usure ne peut être considérée comme un mal
heur privé. Laissez-lui ses coudées franches, et vous fa
verrez s’attacher bientôt à tout ce qui fait la prospérité
�DU DOL E T
DE LA F R A U D E .
439
des états et en dessécher les sources. L’agriculture sera
désertée, car elle ne produira pas de quoi satisfaire aux
exigences d’un créancier avide; accablé sous un joug de
fer, le cultivateur cessera bientôt d’exploiter son mo
deste héritage, lorsque les sueurs dont il l’inonde tour
neront au profit exclusif du prêteur, qui ne tardera pas,
d’ailleurs, à l’en chasser. Le commerce lui-même, au
nom duquel on réclame la liberté illimitée, ne pourra
bientôt plus suffire à ce ver rongeur, et ne pourra que
languir et s’éteindre, et l’on contesterait au législateur
Je droit d’intervenir ! Mais comment conçoit-on la mis
sion que l’économie politique lui impose et qu’elle idée
se fait-on de l’intérêt public?
Qu’on ne traite pas nos prévisions de craintes pué
riles, d’exagérations chimériques; nous ne faisons mal
heureusement que de l’histoire, dont le langage a sou
vent toute l’autorité d’un chiffre. Sans remonter même
à des temps déjà éloignés, reportons-nous à ces temps
d’entraînements qui virent proclamer la liberté absolue
dans la stipulation des intérêts, et voici ce que nous
trouverons : « On vit porter les intérêts à un taux ex« cessif, vingt, trente, quarante, cinquante et même
« soixante pour cent. La France compta par milliers les
« ruines et les fortunes scandaleuses. L’usure, qu’aucun
« frein ne retenait plus, fit irruption dans la société,
« elle s’y implanta et y jeta des racines tellement pro
fo n d e s , que la sévérité des lois et des magistrats
« n’est pas encore parvenue à les extirper entièrement.
« L’ordre social eut tant à souffrir des ravages de l’u« sure, qu’on sentit le besoin de la proscrire de non-
�44U
TRAITE
« veau, et c’est alors que fut rendue ia loi du o sep« tembre 1807.1 »
Ainsi, dix-huitansde liberté absolue, de 1789à 1807,
avaient non-seulement rendu le mal présent dangereux
et intolérable, mais encore grevé déplorablement l’ave
nir. Où en serions-nous arrivés si, aux réclamations
incessantes des populations désolées, le législateur eût
répondu qu’il n ’avait pas le droit d’intervenir?
Ainsi l 'utilité d’une loi répressive, ce grand critérium
qu’exige Bentham est parfaitement démontrée. Vaine
ment fait-on observer que cette loi n’a pas mis fin à
l’usure. Le législateur n’a pas pu être arrêté un instant
par la pensée qu’on éluderait sa volonté. Tout ce qu’il
devait faire d’ailleurs, c ’était d’éditer une peine dans
cette prévision, et c’est un devoir auquel la loi de 1807
n ’a pas failli. Sans doute le mal n’est pas extirpé, mais
un premier effet est obtenu. L’usure ne se manifeste
plus le front haut et la démarche assurée, elle se cache,
elle s’enveloppe dans le mystère et l’ombre au milieu
desquels la sagacité de la justice sait et peut quelque
fois l’atteindre et la punir.
1118- — La question d’utilité tranche celle de la
convenance. Cependant les raisons qui ont fait con
tester cette dernière exigent un examen sérieux. Nous
avouons même qu’en pareille matière une loi fixe, im
muable n’est pas dans la nature des choses; qu’elle est
dans le cas de substituer le mensonge à la vérité, et de
Petit, Traité de l’usure, liv. \ , p. 24.
�DU DOL E T
DE LA
FR A U D E .
44 î
■se placer en contradiction avec les intérêts qu’elle a
pour objet de garantir.
Qu’est-ee, en effet, que l’intérêt? Les économistes
ont beaucoup écrit sur la matière, sans cependant pren
dre à tâche de réduire la question dans les limites les
plus nettes, dans les termes les plus simples. M. Say
voit dans l’intérêt le profit du capital ainsi que celui du
fonds de terre, et il le définit : le prix d’un service qui
n’est pas un travail humain, mais qui est néamoins un
service productif, lequel concourt à la production des
richesses, de concert avec le travail hum ain.1
A travers ces expressions, qui ne pèchent pas par un
excès de clarté, M. Say a sans doute voulu dire que le
prêt n’exige aucun travail de la part du prêteur, qui
acquiert, par la disposition qu’il fait temporairement de
son capital, le droit de participer au bénéfice que le
travail de l’emprunteur doit faire produire à ce capital.
En d’autres termes, le capital est une propriété dont la
jouissance, cédée h un tiers, est susceptible de produit
en faveur du propriétaire. Le prêt n’est donc, en défini
tive, qu’un louage dont l’intérêt est le prix. Telle est
aussi, nous l’avons dit, l’opinion de Turgot.
Cela posé, il semblerait en résulter que le taux de ce
loyer doit être abandonné à la libre disposition des par
ties, ou du moins n’obéir qu’aux fluctuations queferont
surgir les causes de nature à exercer sur son cours une
influence nécessaire.
Or ces causes sont : 1° l’abondance ou la rareté de
1 Traité d’Economie 'politique, chap, 8, 1. 2,
�TRA ITE
l’argent. Chacun convient, en effet, que c’est là un des
éléments essentiels pour la fixation de l’intérêt, dont la
détermination se règle sur la quantité des capitaux dis
ponibles et prêtables; qu’ainsi létaux est naturellement
bas dans les pays riches, élevé dans les pays pauvres.
Mais pour que l’abondance ou la rareté du numéraire
ait une influence réelle sur le cours des intérêts, il faut
que l’une ou l’autre trouve sa cause dans un fait pure
ment commercial, à savoir : la diminution ou l’augmen
tation des besoins des travailleurs. Donc l’accrois
sement des richesses, entre les mains de ceu x -ci,
devra nécessairement être considérée comme le second
terme de la proposition. En effet, le loyer de l’arg en t,
considéré comme instrument de travail, sera moindre,
suivant que l’argent sera plus offert que demandé. Or
ce résultat ne sera pas toujours la conséquence uniquer
ment de l’abondance du numéraire entre les mains des
capitalistes, il sera surtout déterminé parla diminution
des besoins chez l’emprunteur. Supposez, en effet, que
les besoins soient les mêmes, l’abondance d’argent chez
le disposeur ne sera pas pour lui un motif d’en abaisser
le prix. Elle deviendra bien plutôt l’occasion de réaliser
de plus gros bénéfices, soit en travaillant sur une plus
grande échelle, soit en ne satisfaisant que les besoins de
la place, à l’effet de maintenir un taux .favorable à ses
intérêts.
Ce qui donc influera réellement sur le prix de l’ar
gent, c’est la position et les besoins des travailleurs.
Tant que celle-ci sera précaire, tant que ceux-là seront
(Urgents, ils seront forcés de subir le joug des dispo-
�DU DOL
ET
DE
LA F R A U D E .
443
seurs, soûls en mesure de leur fournir l’instrument ca
pable de les faire vivre eux et leur famille.
Que si, au contraire, leur position s’est améliorée, si
le besoin de recourir à autrui se fait moins sentir, parce
que, dans une certaine mesure, ils ont acquis ce qui
leur est nécessaire, ils pourront à leur tour n’accepter
ce qui manque au développement de leur industrie qu’à
des conditions que celui qui le leur offre sera forcé d’ac
cepter, sous peine de garder son argent improductif,
ce à quoi les capitalistes se résignent difficilement.
Ainsi, c’est surtout dans les besoins des travailleurs
qu’il faut trouver les causes influençant le prix du loyer
de l’argent. On ne doit pas cependant en exclure l’a
bondance de celui-ci entre les mains des capitalistes.
Quelque réduits, en effet, que fussent les besoins, si les
capitaux disponibles et prêtables étaient insuffisants
pour les couvrir, toute baisse dans l’intérêt serait im
possible.
2° Le développement de la confiance générale, re
présentée dans l’industrie par le développement et l’or
ganisation du crédit. C’est encore à ce point de.vue que.
la position des travailleurs influera puissamment sur le
taux de l’intérêt. Commercialement parlant, ce taux ne
représente pas seulement la valeur réelle du prix de
l’argent, il doit de plus offrir une prime d’assurance
pour les risques que court le prêteur, soit en raison des
circonstances générales politiques ou industrielles, soit
à raison des qualités et de la situation personnelle de
l’emprunteur. C’est ainsi que les crises politiques ou
financières exercent un contre-coup inévitable sur le
�444
TRAITÉ
prix de l’argent; c’est ainsi que, dans des circonstances
égales, les maisons de premier crédit obtiendront l’ar
gent à de bien meilleures conditions que les maisons
d’un crédit moindre.
L’accroissement des richesses entre les mains des
travailleurs, en affermissant leur crédit, fera évanouir
d’autant, les chances de perte, et amènera nécessaire
ment l’affaiblissement de la prime que ces chances font
percevoir confondue dans l’intérêt.
En résumé, le taux de l’intérêt se calcule sur le plus
ou moins d’abondance de l’argent, coïncidant avec une
dimin ution ou avec une augmentation des besoins ; sur le
développement du crédit devant rendre moins forte la
prime d’assurance contre les dangers que court ou que
croit courir le prêteur. Chacun de ces éléments est es
sentiellement variable, et c’est ce caractère incontes
table qui est invoqué contre la convenance d’une loi
qui lui substitue une règle fixe et invariable. En effet,
une pareille règle ne peut que favoriser le capitaliste,
au détriment de la classe des travailleurs. Car^ de deux
choses l’une, ou la loi a été rendue dans un moment
critique ou dans une époque deprospérité commerciale.
Dans la première hypothèse, le taux de l’intérêt ad
mis par la loi se ressentira des circonstances au milieu
desquelles elle aura été promulguée, et sera nécessaire
ment dans des hautes proportions. Mais la crise cessant
pour faire place à un état prospère, le taux de l’intérêt
ne sera plus en rapport avec la vérité des choses, et il
ne cessera cependant pas d’être exigé ou adjugé par les
tribunaux.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
445
Dans la seconde hypothèse, le taux légal sera néces
sairement bas, et une crise survenant lui fera perdre
toute proportion avec le prix réel de l’argent. Mais
qu’arrivera-t-il? Ce que voici : les disposeurs ne se
contenteront pas de cet intérêt, et ils exigeront des
avantages occultes qu’on ne pourra leur refuser sans re
noncer à leurs fonds, au moment précisément où le be
soin s’en fera le plus vivement sentir.
C’est donc, dans tous les cas, les travailleurs qui se
ront lésés par l’effet d’une loi régulatrice. Cet inconvé
nient ne se produirait pas avec la liberté des transac
tions. Si cette liberté, en effet, permettait, dans la se
conde hypothèse, aux capitalistes d’exiger plus, elle
laisserait, dans la première, aux travailleurs la faculté
de donner moins. On ne pourrait plus leur dire : Je ne
vous demande que ce que la loi m’accorde.
Ces considérations incontestables accusent un mal
réel et le remède indiqué serait décisif, si le législateur
n’avait dû prendre en considération que ce qui intéresse
le commerce dans l’acception légale et probe qu’il com
porte. Oui, nous croyons que dans l’exercice honorable
de cette honorable profession, la liberté serait plus fa
vorable à l’équité et surtout plus conforme à la réalité
des choses. Mais il est dans le commerce de très fâ
cheuses exceptions, et bientôt, sous l'apparence d’une
industrie qu’on exploiterait comme pour se couvrir
d’un masque, l’usure s’ouvrirait une large voie et por
terait ses ravages dans tous les rangs de la société.
D’ailleurs, à côté du commerce assez bien placé pour
discuter les prétentions des usuriers et pour se passer
�446
TRA ITE
d’eux au besoin, existe, ainsi que nous l’avons déjà dil,
le commerce en petit, la classe des laboureurs, la petite
propriété. Pour ceux-ci, il n’y a jamais des motifs pour
la fluctuation des intérêts, car l’argent qu’on leur prête
a pour garantie un modeste patrimoine que l’usure a
bientôt englouti.Qu’i mporte à un riche négociant, à qui
l’argent emprunté produit le vingt ou le trente, de payer
dix à douze pour cent. L’opération est assez fructueuse
pour qu’il consente à s’en contenter. Mais, comment
voulez-vous appliquer une règle uniforme à ce négo
ciant et à celui à qui un travail de tous le jours suffit à
peine pour subvenir à ses besoins personnels et à ceux
de sa famille; à celui qui n’a d’autre ressource que le
revenu chétif d’un modeste patrimoine dont l’entretien
a été souvent l’unique cause de l’emprunt.
Or ceux-ci, remarquez-le bien, sont les plus nom
breux. C’était donc justice, dans l’examen de la ques
tion de convenance, de se décider pour le parti qui de
vait surtout leur profiter, et c’est ce qu’avec raison a
fait le législateur.
Maintenant, qu’on compare l’état delà France avant la
loi de 1807, avec ce qui s’est réalisé depuis. Sans doute
le mal n’est pas extirpé, mais, en définitive, il a cessé
de progresser, il a même incontestablement diminué,
sans qu’il en ait trop coûté au commerce. Quelle preuve
plus décisive de la convenance parfaite de la loi.
Ainsi, à l’utilité, la législation réunit la convenance.
Elleméritedonc l’approbation de tous. Aussi, lorsqu’on
18ÔB la chambre des députés fut saisie de la proposition
de l'abroger pour en revenir à la liberté des transactions,
�DU DOL
ET
DE
LA
FR A U D E .
447
n’hésita-t-elle pas à repousser cette proposition que
personne n ’a renouvelée depuis.
\
'
! 119. — Ce n’est pas au reste que nous considérions
la loi de 1807 comme le dernier mot sur la matière
qu’elle régit. Cette loi a pu rendre service au moment
de sa promulgation et à d’autres époques critiques
qu’elle a eu à traverser dans ses quarante années d’exis
tence, mais elle porte avec elle le cachet de son origine.
;En 1807, la France était heureusement sortie des cataclismes effrayants qu’elle venait de traverser, mais les
affaires étaient encore bien loin de la prospérité qu’elles
ont acquis depuis.
Aussi, des hommes de bonne foi, des financiers émi
nents, n’hésitent pas à considérer le taux de l’intérêt
comme actuellement trop élevé. L’un d’eux, devant qui
on parlait de l’intérêt légal, s’écriait, dites donc l’usure
légale.
1120.
-T- Quelle proportion y a-t-ii. en effet, entre
le revenu de l’argent à cinq pour cent et le revenu de la
propriété foncière? Cependant leur corrélation intime
intéresse, à un très haut degré, l’agriculture, dont la
désertion est aujourd’hui le sujet de tant de réclama^
tions, de regrets et de plaintes. Comment veut-on que
les fonds se dirigent vers elle tant que l’argent pourra
rendre ailleurs le cinq ou le six pour cent? Qui voudra
abandonner ce produit assuré, n’exigeant aucun travail,
pour chercher, après bien de dépenses, de peines et de
�448
TRA ITE
fatigues, un revenu de deux, deux et demi, trois pour
cent tout au plus.
Ajoutons que l’un des éléments que nous avons vu
concourir à la détermination du taux des intérêts, né se
rencontre pas dans les prêts civils. En général, ces prêts
se font sous toute garantie. Il n’y a donc pas lieu d’ac
corder une prime d’assurance contre un danger qui
n’existe que dans des proportions indéfinissables. Lé
cinq pour cent représente donc uniquement la valeur
de l’argent, et, comme tel, il est exagéré. Comment
est-il possible que le propriétaire puisse, avec un revenu
de trois pour cent, payer cet intérêt, auquel viennent
s’ajouter les frais d’enregistrement, ceux de tim bre,
ceux d’hypothèque, les honoraires du notaire, du cour
tier, etc...
1121.
— L’exagération que nous reprochons au cinq
pour cent en matière civile, nous la retrouvons dans le
six pour cent en matière commerciale. La preuve de cette
dernière nous est fournie parles faits se réalisant journel
lement au vu de tous. Le banquier qui ferait le six pour
cent à ses disposeurs passerait pour un homme ruiné.
Aussi ce qu’il paye c’est : en temps de crise, le cinq
pourcent; en temps ordinaire, le trois et demi ou le
quatre ; en temps de prospérité, à peine le trois. Cepen
dant, à quelque époque qu’il prête lui-même, il exige
le six.
On tenterait en vain d’expliquer cette différence par
dés raisons tirées de la position particulière des ban
quiers. Nous convenons que l’argent qu’ils reçoivent
�DU DOL
ET
DE
LA FR A U D E .
440
peut demeurer improductif dans leur caisse pendant un
temps plus ou moins long; qu’ils ont à payer des frais
considérables, des commis, des ports de lettre, une
patente, etc... Nous avouons que pour tout cela il leur
est dû une légitime indemnité. Mais, cette indemnité,
ils la reçoivent par la faculté qu’ils ont d’exiger un droit
de commission, d’escompte ou de change, de capitaliser
trimestriellement les intérêts. Ils ne peuvent donc, sans
vouloir se la faire payer deux fois, l’obtenir en outre sur
la différence de l’intérêt.
Certes nul ne peut être incriminé de ce qu’il a le
moyen de prendre au trois ou au quatre, ce qu’il donne
au six. Tout ce que nous voulons induire de notre ob
servation, c’est que la valeur réelle de l’argent n’est pas
le six pour cent. Pour avoir celle-ci, il faudrait s’arrêter
à ce que payent les maisons de premier crédit. Si elles
donnent le trois ou le quatre pour cent, c’est que l’ar
gent vaut à peine ce taux. Remarquons, en effet, que la
prime d’assurance comprise dans le six pour cent, les
maisons de premier crédit la supportent également ,
quoique sur des proportions moindres.
1122.
— Un autre reproche à faire à la loi de 1807,
nous est inspiré.par l’exécution qui lui a été donnée, à
savoir : d’autoriser la perception de l’intérêt commer
cial entre personnes non commerçantes et pour une
opération qui n’a au fond rien de commercial. Il suffît,
en effet, qu’un propriétaire, qu’un cultivateur souscrive
une lettre de change, pour qu’il doive payer le six pour
cent.
�450
TRAITE
Ce résultat est surtout remarquable en ce sens que le
prêteur, s’il portait son argent chez le banquier, rece
vrait le quatre pour cent. Mais, prêtant à un cultiva
teur, il reçoit le six. Ainsi, s’il consentait un prêt réel
lement commercial, il ne retirerait pas même l’intérêt
civil ; il fait un prêt civil, il perçoit l’intérêt commer
cial. Singulière et étrangère anomalie !
Ce qu’on objecte pour la justifier, c’est que la sous
cription d’une lettre de change est un acte commercial.
Mais cette objection a le tort de s’arrêter à la surface et
de sacrifier le fond à la forme, la réalité à la fiction. Ce
qui fait que la loi donne à l’intérêt commercial un taux
plus élevé qu’à l’intérêt civil, c’est qu’elle suppose que
la somme empruntée est immédiatement versée dans le
tourbillon des affaires.1 A cette présomption se ratta
chent deux idées qui justifient l’élévation de l’intérêt :
1° une idée d’un bénéfice considérable pour l’emprun
teur ; 2° une idée d’un danger pour le prêteur dans la
chance de perte que court le capital ainsi exposé.
Rien de pareil ne se réalise dans l’emprunt contracté
par un propriétaire ou par un cultivateur. L’un et l’autre
ne sont réduits à le faire que par des besoins qui n’ont
rien de commercial, et c’est à satisfaire exclusivement
à ces besoins que seront affectées les sommes emprun
tées. Les condamner à en supporter l’intérêt au taux
commercial, c’est aggraver leur position sans nécessité,
c’est leur imposer une charge sans qu’ils aient été jamais
dans le cas de jouir de la chance favorable dans laquelle
1 Art. 658 du Cod. de com.
�DU DOL E T
DE
LA
FRAUDE.
le commerçant peut trouver une compensation à l’obli
gation qu’il assume.
On fait donc produire à la forme de l’acte un résultat
que la loi semble avoir attaché à la qualité de la partie,
cela est d’autant plus injuste, qu’en signant une lettre
de change, le débiteur n’aura fait que céder à des exi
gences qu’il n’était pas maître de repousser. Le créancier
imposera cette forme d’abord pour avoir six au lieu
de cinq, ensuite pour obtenir la faculté d’agir par voie
de contrainte par corps, ce qui est une garantie d’autant
plus énergique que sa mise à exécution entraîne l’alié
nation du bien dotal lui-même. On conçoit dès-lors que
le créancier tienne à ce mode d’obligation, qu’il en fasse
la condition du prêt, et qu’il se procure ainsi un surcroît
d’intérêt avec un surcroît de garantie.
L’intérêt commercial est donc injuste, lorsqu’en
réalité l’argent prêté ne doit point' devenir le sujet d’o
pérations de commerce, c’est-à-dire lorsqu’il est imposde rencontrer d’une part le danger de perte, de l’autre la
chance d’un bénéfice considérable, éléments que la loi
a pris en considération dans la détermination du taux de
l’intérêt. Leur absence laisse donc l’intérêt commercial
sans aucun motif plausible et devrait en conséquence en
entraîner le refus.
1125.
—- Nous en dirons autant du cas où le prêt
fait à un commerçant est entouré de garanties telles
qu’on se met à couvert des chances de pertes, en regard
desquelles l’intérêt a été porté à un taux plus élevé. C’est
ce qui se réalise dans le prêt fait sur nantissement, et
�dans celui qui ne se consomme que sur un crédit hypo
thécaire. Il n’y a pas, dans l’un et dans l’autre cas, ces
chances aléatoires que l’idée du commerce entraîne,
quelle que soit la condition future de l’emprunteur.
Qu’elle se termine par une faillite, le prêteur rentrera
dans ses fonds, il percevra même l’intérêt au six pour
cent, il a donc un avantage sans avoir couru les dan
gers que la loi considère comme une juste compensation.
1124. — En résumé, nous avons prouvé que le lé
gislateur a le droit d’intervenir dans la détermination
du taux des intérêts ; que l’exercice de ce droit, sans
déraciner le mal, l’atténue en réalité et en ralentit les
progrès; qu’à ce double point de vue, cet exercice est
utile et conséquemment convenable; enfin que la loi de
1807 n ’est plus aujourd’hui dans des justes rapports
avec la vérité des choses, et que l’intérêt qu’elle con
sacre est trop élevé ; que, dans l’exécution qu’elle reçoit,
on arrive à des anomalies qu’il importerait de faire dis
paraître. Puisse la juste réforme que nous signalons
frapper enfin l’attention du législateur et lui suggérer
des dispositions dont l’urgence ne saurait, à notre avis,
être méconnue !
Mais, en attendant, la tâche du jurisconsulte étant
d’accepter les lois telles qu’elles existent, nous allons
nous livrer à la i;echerchede l’usure dans les nombreux
et divers déguisements dont elle a soin de s’envelopper.
1125. — L’usure consistant à s’attribuer un bénéfice
excédant le revenu légal de l’argent, il est évident qu’elle
�DU DOL E T
DE' l a
F [(AUDE.
ne saurait exister que dans le prêt. Mais cette condition
essentielle n’aboutit fatalement qu’à ce résultat, à sa
voir : que les usuriers s’efforceront de déguiser leur
opération sous l’apparence d’un autre contrat. Com
ment, en effet, se promettre un succès quelconque s’ils
contractaient un prêt pur et simple? La quotité de l’in
térêt, rapprochée du capital, trancherait immédiate
ment la question de la légalité du premier et amènerait
sûrement la répression de l’usure. Les dangers de cette
franchise en font concevoir l’impossibilité. L’usure veut
réussir, et, pouc eela^ il lui faut tout d’abord faire il
lusion sur l’acte même qui la cache.
1126. — Les questions d’usure seront donc des
questions d’interprétation de l’intention des parties, il
faudra presque toujours délaisser le texte de la con
vention pour en rechercher l’esprit. Quels seront les
éléments de cette recherche? C’est ce que nous allons
apprécier suivant la nature apparente du contrat; ce que
nous devons dire tout d’abord, c’est que l’usure, avec
une adresse infernale, sait se glisser partout, elle a
même osé s’en prendre au contrat de mariage, c’est ce
que nous apprend une espèce jugée, le 12 mars 1832,
par la Cour de Riom.
1127. — En 1806, contrat de mariage du sieur
Cheminât avec la demoiselle Mosnier. On constitue à la
future une dot de 5,000 fr. payables dans un an avec
intérêt au cinq pour cent jusqu’à cette époque, et avec
intérêt au dix pour cent passé cette époque, la dot
étant alors considérée comme un prêt d’argent.
I '! m
f
�454
TR A IT É
En 1827, commandement du sieur Cheminât au sieur
Mosnier pour avoir à payer, outre les 5,000 f., 9,250 f.
pour les intérêts courus jusqu’alors, à raison de dix pour
cent. Opposition fondée sur ce que les intérêts courus
depuis la loi de 1807 ne sont dus qu’à raison de cinq
pour cent. Jugement qui le décide ainsi.
Mais, sur l’appel, ce jugement est réformé, et les in
térêt adjugés au taux ,du contrat de mariage.1
1128.
— M. Dalloz, dans le sommaire dont il fait
précéder l’arrêt, le résume dans cette proposition : Ou
peut, sans qu’il y ait usure, stipuler dans un contrat de
mariage des intérêts au-dessus du taux légal. Dans la
note dont il l’accompagne, il lui reproche d’être, tout à
la fois, contraire à la loi, à la lettre du contrat et à
l’esprit des conventions matrimoniales.
Nous serions complètement de cet avis, si nous
pouvions admettre que la Cour de Riom a réellement
décidé en principe que la loi de 1807 doit rester sans
application aux conventions matrimoniales.
Il est vrai que son premier motif paraît tendre à ce
but, mais il est impossible d’isoler ce motif de l’espèce
sur laquelle il est intervenu, et qui en explique net
tement la portée.
Le contrat de mariage, soumis à l’examen des ma
gistrats, portait la date de 1806- Or, à cette époque, on
pouvait, dans un contrat de mariage, stipuler des in
térêts au-dessus du taux légal, par l’excellente raison
1 D. P. 32, 2, 30.
�DU
DOD
FT
DF
LA
FRAUDE.
455
qu’on le pouvait dans tout autre acte. D’une part, en
effet, la loi de 1807 n’avait pas encore été promulguée;
de l’autre, l’article 1907 du Code civil permettait à l’in
térêt conventionnel de dépasser l’intérêt légal toutes les
fois que la loi ne le défendait pas, et aucune défense
n’avait été faite avant la loi de 1807. Conséquemment
l’appréciation de la Cour, au point de vue de la légis
lation régissant le contrat, était parfaitement juridique,
une solution contraire à celle par elle adoptée eût été
infailliblement censurée par la Cour de cassation.
Donc cette décision devait non-seulement valider la
stipulation, mais encore en ordonner l’exécution non
obstant la loi de 1807. Indépendamment du principe de
la non rétroactivité des lois, le législateur de 1807 dé
clare expressément: Qu’Un est rien innové aux stipula
tions d’intérêts par contrats ou autres actes faits jusqu au
jour de la publication de la présente loi. Aussi a-t-il été
admis en jurisprudence que, quel que fût le taux de l’in
térêt, la convention des parties antérieure au 5 septem
bre 1807 devait recevoir son entier effet, après comme
avant la loi de celle époque.
La seule modification admise consiste à restreindre
la validité de la clause aux intérêts réglés par lecontrat.
A défaut de stipulation, ou si les intérêts n’ont été con
venus que jusqu’à l’échéance, les intérêts courusdepuis,
sous l’empire de la loi de 1807, ne peuvent être exigés
qu’au taux déterminé parcelle-ci.1 Or il esta remarquer
1 Poitiers, 8 février 18-25;—Ciss., 13 juillet 1829et IGjanvier 1857;
— Journal du Pa'ais, t. t, 1857, p, 506, — Bordeaux, 15 aoûl 1829.
�456
T IU I.T 1Ï
que,dans l’espèce jugée par la cour de Riom, les intérêts
avaient été stipulés jusqu’à paiement effectif, l’époque
de ce paiement étant laissée à la volonté exclusive du
débiteur, sous ce rapport encore sa décision était irré
prochable.
1129.
— Pourrait-on décider de même dans une es
pèce postérieure à la loi de 1807? Non évidemment.
La liberté des stipulations matrimoniales est l’objet d’un
profond respect de la part du législateur, mais elle a des
bornes, et ces bornes sont naturellement marquées par
les convenances de l’intérêt public et des bonnes moeurs.
A cet égard, l’article 1587 du Code civil s’en explique
de la manière la plus expresse.
Or stipuler un intérêt supérieur au taux légal, c’est
violer une loi formelle, c’est préparerles éléments d’un
délit puni correctionellement, c’est, en un mot, offenser
la morale et l’ordre publics. Une pareille stipulation se
trouverait donc dépourvue de tout lien légal et ne saurait
conséquemment produire aucun effet.
Le caractère d’illégalité ne saurait être purgé que si
la loi de 1807 eût formellement excepté le contrat de
mariage de l’application de ses dispositions. Or, nonseulement cette exception ne s’y rencontre pas, mais
elleest encore repoussée par la généralité deses termes.
De plus, une pareille exception eût été quelque chose de
monstrueux aux yeux de la morale. Conçoit-on quelque
chose de plus odieux que l’autorisation donnée à un fils
d’usurer son père et de le conduire ainsi à une ruine
complète? Remarquons en effet que la barrière levée, il
�DU DOL E T
DE
457
LA F R A U D E .
n’y a pas de raison pour qu’on ne stipule pas le vingt, le
trente, le cinquante pour cent. En effet, les mêmes mo
tifs, justifiant le chiffre le moins élevé, justifieraient le
taux, quel qu’il fût, et le cinquante pour cent, là où
l’on admettrait comme tel le sept ou le dix pour cent,
deviendrait très licite.
Eh ! tout cela de père à fils! Tandis qu’on ne saurait
exiger d’un étranger une obole de plus que le tauxlégal,
on puiserait dans les liens sacrés de la nature et du sang
la !;:culté de dévorer la substance de sa propre famille
et de ruiner son avenir! Non, une pareille monstruosité
ne pouvait être consacrée, elle ne se discute même pas.
Tenons donc pour certain que la prohibition de la loi
de 1807 concerne le contrat de mariage comme tous les
autres contrats. La stipulation d’un intérêt supérieur au
taux légal qu’il renfermerait resterait non-seulement
sans efficacité pour l’avenir, mais encore pour le passé
et pour le présent. Ce qui, dans les paiements opérés,
dépasserait le taux légal serait sujet à répétition ou à
imputation.
1130.
— Une difficulté beaucoup plus sérieuse est
née à l’occasion des droits que l’usage autorise les ban
quiers à prélever dans les négociations constituant leur
industrie. Ces droits sont :
1° La commission; 2° l’escompte; 5° le change.
1131 —■La commission est le salaire dûau banquier
pour prix de ses peines et soins, pour l’indemnité de
l’obligation dans laquelle il est d’avoir toujours en caisse
h
20
�458
TRA ITE
des sommes suffisantes pour pourvoir aux besoins même
imprévus du commerce. Le banquier n’est pas seulement
un capitaliste disposant de ses fonds, il doit se procurer
ailleurs ce qui est nécessaire pour l’exploitation de son
industrie. Il a dans cet objet un comptoir dont il doit
payer le loyer, des commis qu’il salarie, une patente à
supporter, des frais de correspondance et autres à sa
tisfaire. Tout cela, dit M. Troplong, explique la légalité
du salaire qu’il exige en sus de l’intérêt légal.1
1152.
— L’escompte est la somme prélevée par le
banquier lorsqu’il fournit de l’argent comptant contre
une créance à terme. Ce prélèvement se règle propor
tionnellement à la perte que le papier éprouve et au délai
à courir jusqu’à l’échéance du litre négocié.
1153.
— Enfin le change est l’indemnité exigée pour
l’achat au comptant d’une créance à recouvrer sur une
autre place: Empti'o venditio pecuniæ absentis, pecunia
præsenli. ’ Le taux de cette indemnité se calcule ordi
nairement sur la position de la place où la négociation
s’opère, relativement à celle où le paiement doit être
effectué.
■V -V; !
3ï$
1134.
— Les plus simples notions de l’équité, les
nécessités réelles du commerce semblent placer la léga
lité de ces droits au-dessus de tout reproche. Il est
1 Du Prêt, n.. 582.
1, Quest. 4,(1° 21
5 Scaccia,
�DU DOU
ET
DE
LA FR A U D E .
459
évident en effet que celui qui se livre au commerce de
la banque, qui en brave les périls, qui en supporte les
dépenses, doit rencontrer dans son exploitation nonseulement l’intérôt intégral de son argent, mais encore
le remboursement de ses frais, mais enfin le revenudes
peines et soins qu’il prend personnellement, et in summa, dit l’auteur italien que nous venons de citer, non
convenil ut mercator, qui dal pecuniam prœsenlem pro
pecunia absenli, ponat operam et sudorem ad aliorum
ulilitatem.
Cependant des auteurs graves, tout en admettant leur
existence, en ont contesté la légitimité, en tant que leur
taux dépasserait celui de l’intérêt légal. La commission,
l’escompte, le change, ont-ils dit, ne sont qu’un intérêt
conventionnel, ils ne peuvent donc, dans aucun cas,
atteindre à des proportions autres que celles fixées par
la loi de 1807 ; en tolérer d’âutres, c’est autoriser l’u
sure. 1
1135.
— Il ne faut pas que la haine de l’usure fasse
méconnaître ce que la justice exige. Or la définition
que nous venons de donner des droits alternativement
perçus par les banquiers, en justifiant leur légitimité,
repousse également l’objection faisant le fondement du
reproche que nous combattons. Non, la commission,
l’escompte et le change ne peuvent être assimilés à l’in
térêt. Celui-ci, nous venons de le dire, est le loyer de
1 Chardon, t. ni, n° 489; — Duvergier, n» 295 — Fremery, Etudes
sur le droit comm., p. 80.
�460
TRA ITÉ
l’argent. Il est dû par cela seul qu’il y a prêt, quels que
soient le caractère et la profession de celui qui le con
sent. C’est ainsi que le simple capitaliste, prêtant sous
la forme commerciale, retirera le taux de l’intérêt com
mercial, c’est-à-dire le six pour cent.
Mais, nous venons de le dire, le banquier n’est pas
seulement un capitaliste, il exerce en outre le commerce
dans toute l’acception de ce mot. Son industrie est
d’acheter et de vendre de l’argent ou des valeurs. Cette
industrie consomme d’abord tous ses moments, lui im
pose des frais considérables, une correspondance fort
étendue, l’expose à de nombreux sinistres.
En fait, encore, l’exercice de cette industrie est d’une
utilité incontestable pour le commerce. C’est chez lui
que toutes les branches d’industrie trouvent les res
sources nécessaires, dans tous les temps, à toutes les
époques, alors même que les capitalistes, effrayés par
les crises commerciales ou politiques , s’empressent
de retirer et de resserrer leurs fonds.
Il faut donc, pour cet auxiliaire aussi puissant qu’in
dispensable, l’éventualité d’un bénéfice de nature à l’en
courager dans l’exerciee de sa délicate profession.
Sera-ce dans l’intérêt légal qu’il la; rencontrera? Mais,
cet intérêt, il le percevra par le simple placement de
ses fonds, pour lesquels il pourra de plus exiger des
garanties que la rapidité des opérations commerciales
ne lui permet pas de demander, et, si on veut le réduire
à cet intérêt seul, il se hâtera de prendre la place qu’on
lui fait réellement.
Car, chose remarquable dans l’opinion que nous com-
�DD DOL
E T DE
LA F R A U D E .
461
battons, c’est qu’en mettant le banquier sur la même
ligne que le capitaliste, on lui fait une position pire que
celle du simple prêteur. Celui-ci, en effet, profitera in
tégralement du six pour cent qu’il est autorisé à exiger.
Le banquier, au contraire, sera obligé d’en distraire
d’abord l’indemnité de ses frais de loyer, de bureau, de
patente, de correspondance, le salaire de ses commis.
En réalité donc, il ne profitera pas de ce six pour cent
auquel on veut, dans tous les cas, le réduire.
Que résultera-t-il de cet état d’infériorité marquée?
C’est que le commerce de la banque sera déserté ; que
celui qui pourrait s’y livrer préférera demeurer simple
capitaliste et s’exonérera ainsi des tracas et du danger
des affaires, de la nécessité d’y consacrer son industrie
dont le produit augmentera l’intérêt intégral qu’il re
tirera de son argent; des chances nombreuses que pré
sente le chapitre des faillites.
Cette désertion porterait un coup funeste au com
merce et à l’industrie, et c’est pour la prévenir, autant
que pour obéir à une idée de justice, que de tous les
temps on a autorisé le banquier apercevoir une légitime
indemnité au-delà de l’intérêt légal. Ainsi, sous notre
ancienne législation, alors que le prêt à intérêt n’était
permis qu’avec l’aliénation du capital, on ne contestait
en aucune manière la commission qu’exigeaient les
banquiers. Depuis le Code, ce droit n’a cessé d’être
proclamé par la jurisprudence.
Ce qui est vrai pour la commission, ne saurait ne pas
l’être pour l’escompte et pour le change. On ne saurait
voir dans le premier un intérêt conventionnel, car, poui
�4 (rJ
T R A IT E
qu’il y ait intérêt, il faut qu’il existe un prêt. Or l’es
compte, ainsi que l’enseigne la doctrine, est plutôt un
achat qu’un prêt.
Dans le prêt ordinaire, en effet, le prêteur n’a pas
pour objet de se procurer un titre qu’il revendra luimême quelques jours après. S’il donne son argent, c’est
pour en retirer l’intérêt, c’est pour attendre l’époque de
l’exigibilité qui le fera rentrer dans la possession de son
capital. Le banquier, au contraire, n’escompte le titre
que pour le revendre, et il court la chance soit de ne
pouvoir le faire,soit d’être obligé de le faire d’une ma
nière onéreuse.
De plus, et dans la première hypothèse, qui sait si, à
l’époque du paiement, le capital qu’il recevra vaudra
pourluile capital qu’il donne au moment de l’opération?
Il peut se faire, en effet, qu’au moment du rembourse
ment, les affaires éprouvent de la stagnation; qu’il y
ait peu d’-escompte à faire et qu’il soit conséquemment
obligé de garder oisifs dans sa caisse des fonds qu’il
aurait, huit jours plus tôt, placés à des conditions avan
tageuses. Ce sont là des chances qu’un banquier pru
dent ne doit pas négliger et dont il est juste de lui tenir
compte.
1136.
— On ne peut donc voir dans l’escompte un
intérêt conventionnel. Il n’est en réalité qu’un achat du
titre, achat soumis à de telles chances aléatoires qu’il
suffiraitde ce caractère pour l’affranchir de l’application
de la loi de 1807. Ces chances consistent dans l’époque
de l’échéance encore plus ou moins éloignée, dans la
�w
DU ï>OL ET DE LA FRAUDE.
463
difficulté de la revente, dans les dangers que court l’a
cheteur; dans l’incertitude de l’état des affaires au jour
du paiement. Ainsi, observe M. Troplong, l’échéance
qui précède une foire est plus avantageuse que celle qui
arrive après que la foire est fermée. Gardons-nous donc
de méconnaître toutes les circonstances aléatoires d’où
naît une chance appréciable, distincte de l’intérêt et
susceptible de vente.1
1157.
— Le change, à son tour, n’est à proprement
parler qu’un escompte, à cette différence : que le titre
faisant l’objet de celui-ci peut être payable sur place,
tandis que le change ne peut exister qu’en tant que la
valeur négociée est payable dans un autre lieu que
celui où s’opère la négociation. Dès-lors, les motifs qui
justifient l’escompte justifient jle change dans lequel
non plus on ne saurait voir un intérêt conventionnel.
Une raison spéciale au change, c’est que le paiement
devant nécessairement s’opérer dans un lieu plus ou
moins éloigné du domicile du banquier, celui-ci doit
être autorisé à percevoir une indemnité suffisante pour
les peines et soins, pour les dépenses qu’occasionnera
l’obligation d’aller chercher ce paiement sur une autre
place, et le danger que présente le voyage que l’argent
doit faire du lieu du paiement au domicile du banquier,
quia emens monetam absentera, debet majora onera et
pericula subire, in eam conducendo.2
1 Du P r ê t , n° 575.
8 Scaccia, Q u e s i . ,' t. i, n°424.
�m
tua
Un autre élément essentiel du change est la cherté du
papier, résultant des opérations commerciales et de la
position respective de la place où s’opère la négociation
et de celle où doit s’effectuer le paiement. Supposez que
des négociants de Lyon aient à payer de fortes sommes
à Paris ou «à Marseille, le papier sur ces dernières places
sera fort recherché, car les débiteurs préféreront en
voyer des valeurs plutôt que d’expédier des espèces, ce
qui coûte beaucoup plus et offre plus de dangers. Dans
le cas contraire, si les Lyonnais ont à recevoir de Mar
seille ou de Paris, le papier sur ces deux places sera
nécessairement délaissé. Dans le premier cas, le change
sera moins élevéque dans le second, car le défaut d’em
ploi rendra celui-ci onéreux pour celui à qui on offrira
de négocier. Dans l’un et dans l’autre cas, il est évident
que l’opération n’affecte en rien les formes d’un intérêt
conventionnel.
Il est vrai que dans l’escompte comme dans le change,
le cédant reste ordinairement garant du paiement par
l’endossement qu’il souscrit en faveur du cessionnaire.
C’est le cumul de cette garantie et de celle des divers
signataires qu’on met en avant pour refuser toute in
demnité au-delà de l’intérêt légal. A cette objection de
M. Fremery, M. Troplong répond : que ces garanties
accumulées ne sauraient prévaloir sur les raisons déci
sives qui militent en faveur de l’indemnité. Les ga
ranties peuvent échapper, et l’on voit tous les jours les
meilleures signatures devenir mauvaises. Ces fréquentes
non-valeurs, auxquelles est exposé le commerce de la
banque, ne sont-elles pas une preuve qu’un doute rai-
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
■465
sonnable peut peser sur la chose jusqu’au paiement, et
que, dès-lors, le banquier a droit d’en être indemnisé?
Ajoutez que le banquier doit faire les diligences pour le
recouvrement; qu’il est responsable d’une complaisance,
d’un retard, d’une omission.1
1138. — Ainsi se trouve légalement justifiée, dans
son origine, la perception des droits de commission,
d’escompte et de change. Mais, il faut le reconnaître,
ces diverses opérations se prêtent merveilleusement
à favoriser l’usure. II convient donc que l’attention
des tribunaux, constamment excitée, ne cesse de veiller
à leur sincérité, et de proscrire avec .sévérité tout ce qui
ne ferait qu’emprunter leur forme pour déguiser une
opération usuraire.
1139. — L’appréciation d e là vérité, en matière
d’escompte, reconnaît un élément essentiel dans le taux
auquel il a été opéré. Nous venons de voir que celui du
change dépend des circonstances pouvant être vérifiées,
il en est à peu près ainsi de celui de l’escompte. L’abon
dance ou la rareté des espèces, la date plus ou moins
reculée de l’exigibilité exercent une grande influence
sur la détermination, c’est donc au cours du moment
qu’il convient de s’en référer. Celui qui n’aurait retiré
que ce que l’usage commercial lui permettait, se place
rait, à l’endroit de son opération, à un point de vue fa
vorable.
1 Du P r ê t, n° 375.
T
�•466
TRAITE
1140.
— Une seconde condition non moins essen
tielle, c’est qu’il s’agisse d’une opération réellement sus
ceptible d’escompte, c ’est-à-dire d’unecession d’un titre.
Cette condition est difficile à saisir, lorsque la valeur
escomptée émane directement de celui qui la présente
à l’escompte. Rien ne sépare plus ce contrat d’un
prêt ordinaire, et l’opération de banque n’est guère pré
sumable lorsque la partie ayant besoin d’argent va
trouver l’autre, et, en échange des sommes qu’il en re
çoit, lui remet un titre qu’elle souscrit.
Aussi, dans plusieurs circonstances, n’a-t-on vu dans
cette opération qu’un simple prêt excluant toute idée
d’un escompte sérieux, et ne pouvant, sous peine d’u
sure, produire autre chose que l’intérêt légal, et cette
appréciation a reçu la sanction de la Cour de cassation.1
Une appréciation contraire a été adoptée par la Cour
de Paris, le 18 janvier 1835, et par la Cour de cassation,
le 10 avril 1840.2Ce qui explique la contradiction entre
ce dernier arrêt et celui de 1830, c’est que les questions
de cette nature donnent lieu à des arrêts, non de doc
trine, mais d’espèces. En effet, tout s’y résout daus une
difficulté de fait, pour la solution de laquelle les Tri
bunaux et Cours ont une latitude souveraine. C’est
ce qui résulte de l’arrêt de la Cour de cassation, du
19 février 1830, rejetant le pourvoi : « Attendu qu’il
« suit des faits constatés par les juges du fond, à qui
« /’appréciation en appartenait exclusivement, qu’il a
1 d9 février 1850; — D. P. 30,1,150.
9 D. P , 4 0 ,1 , 4 1 1 .
�DU DOL
ET
DE
LA FRAUDE.
407
« été fait une juste application de la la loi du 5 sep« tembre 1807. »
Le fait présente bien moins de doute, lorsque les va
leurs négociées, étant souscrites à l’ordre de celui qui
les offre à l’escompte, sont par lui endossées au ban
quier qui les accepte. L’opération est alors certaine et
le droit d’escompte légalement prélevé. On pourrait,
dans ce cas, en obtenir la réduction s’il avait été stipulé
au-delà du taux de la place, mais jamais le faire inté
gralement supprimer sous prétexte d’usure.1
1141.
— La difficulté que nous signalons pour l’es
compte s’offre également pour le change, lorsque la
lettre de change est tirée par celui qui la négocie. Mais,
dans cette hypothèse, il se présente un élément de na
ture à exercer sur la solution une grave influence, à sa
voir : si le tiré est réellement débiteur au moment de la
création du titre. L’affirmative fixe la vérité des choses
en établissant la réalité du contrat de change. Il im
porte fort peu, en effet, pour sa perfection, que la lettre
de change soit souscrite ou non par le débiteur, il suffit
que la somme pour laquelle elle est tirée soit due et
payable dans un autre lieu que celui de la négociation.
Or, c’est ce qui se réalise lorsque le tiré est réellement
débiteur du tireur.
Si, au contraire, le tiré ne doit rien, s’il n’a jamais
rien dû, son nom ne figure que pour la perfection du ti
tre, et rien ne distingue plus cette opération d’un sim1 Cass., 8 et 26 août 1826, 16 août 1828.
�4.68
TRAITE
pie prêt sous forme d’une lettre de change. Les juges
peuvent ne voir dans la prétendue négociation qu’une
simulation employée pour couvrir une usure déguisée
et réduire, conséquemment, les droits du créancier à la
perception de l’intérêt légal. Mais ce résultat ne saurait
être obtenu que si l’absence d’un tiré sérieux avait été
connue du banquier. L’ignorance réelle dans laquelle
on l’aurait laissé à cet égard le constituerait en état de
bonne foi et légitimerait son opération.
1142.
— Ce qui constitue la lettre de change, c’est
l’existence du contrat de change consistant à rece
voir dans un lieu une somme d’argent qu’on s’engage
à payer ou à faire payer dans un autre lieu. La suppo
sition de place faisant disparaître ce caractère essentiel,
la lettre de change qui en est viciée n’est plus qu’une
obligation ordinaire, ne pouvant donner lieu au droit
de change.
Il en serait autrement si la supposition de lieu n’avait
pas empêché le contrat de change. Ainsi, un négociant
de Marseille, en relation avec un négociant de Lyon, lui
adresse des lettres payables sur Marseille même. Il est
évident que ces lettres, quoique datées de Lyon, ont été
réellement tirées de Marseille, et qu’étant payables à
Marseille même, il n’y a pas, en réalité, de contrat de
change.
Mais si les lettres de change n’ont été envoyées à
Lyon que pour y être négociées et qu’elles l’y aient été
réellement, il importe fort peu qu’elles contiennent sup
position de lieu, car l’argent aura été retiré à Lyon pour
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
469
être payé à Marseille. Le contrat de change existe donc
d’une manière certaine. Le droit de change sera, consé
quemment, acquis par leur négociation.
1143.
— C’est ce que la Cour d’Aix a jugé dans
l’espèce suivante : De 1817 à 1820, Paraize, d’Avignon,
avait fourni plusieurs lettres de change datées de Mar
seille sur Blavet, d’Avignon, et h l’ordre de Roussier,
de Marseille, à qui Paraize adressait ces effets. Lors du
règlement, Paraize prétendit que Roussier avait exigé,
pour la négociation des traites, un intérêt excédant le
six pour cent, intérêt qu’il déguisait sous le nom de
frais de change et de rechange, bien qu’il ne fût fait
aucune opération semblable, en ce que les traites ne
contenaient réellement aucune remise de place en pla
ce; qu’elles avaient été tirées d’Avignon et non de Mar
seille , et que Rlavet, tiré, n’avait servi qu’à mas
quer une opération usuraire. En conséquence, Paraize
forme une demande en répétition d’une somme de
3,335 fr., montant de ce qu’il a payé en sus de l’in
térêt légal.
21 juin 1821 , cette demande est repoussée par
le tribunal de commerce de Marseille, sur les motifs
suivants :
Considérant qu’à la vérité il y a eu supposition de
lieu dans les traites fournies par Paraize, qui les datait
de Marseille tandis qu’il demeurait à Avignon; mais que
ces effets étaient par lui envoyés à Marseille, où ils de
vaient être négociés par Roussier; qu’ainsi ces effets, à
cause de la supposition de lieu, dégénéraient en mandat
�470
TRAITE
dont la négociation donnait également lieu à la percep
tion du change; qu’il suffît, en règle générale, que la
négociation de l’effet soit faite sur place tierce et qu’il
y ait remise de place en place pour que le contrat de
change subsiste; qu’il y ait, par conséquent, lieu à
change.
Appel ayant été émis de ce jugement, la Cour d’Aix
le confirme purement et simplement, avec adoption des
motifs, par arrêt du 6 mai 1823. Cet arrêt ayant été dé
féré à la Cour suprême, le pourvoi fut rejeté par elle le
8 novembre 1825. 1
1144.
— A son tour, le droit de commission a sou
levé bien de difficultés. Nous avons dit que ce droit pui
sait ses éléments dans les peines et soins que se donnait
le banquier et dans son obligation d’avoir toujours en
caisse des fonds disponibles. De là, on avait conclu que
cette obligation n’existant réellement qu’à la suite d’un
crédit ouvert obligatoire, le droit de commission ne de
vait être accordé qu’en tant que l’avance faite n’était
que l’exécution de ce crédit; qu’on devait le refuser
conséquemment lorsqu’il s’agissait d’un prêt purement
éventuel.
Cette conclusion n’était ni exacte, ni juste. Sans doute,
l’ouverture d’un crédit justifie le droit de commission,
car, à quelque époque que la demande de fonds par le
crédité se réalise, le banquier est tenu d’y satisfaire. Il
doit, de plus, recevoir toutes les fois qu’il plaît au cré1 J. D. P., année 1825.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
4:71
ditéde rembourser, et l’on peut facilement comprendre
que, prenant lorsque l’argent est cher, le crédité s’em
pressera de rendre lorsqu’il sera bon marché, ce qui,
indépendamment de l’obligation d’être sans cesse en
mesure de satisfaire aux demandes, grève le banquier
d’une charge résultant soit d’un défaut de remploi im
médiat des fonds rendus, soit de la nécessité de les
placer à un bénéfice moindre que celui qu’il trouve
chez le crédité.
Mais, de ce que la commission est parfaitement jus
tifiée dans cette hypothèse, s’ensuit-il qu’on doive la re
fuser partout ailleurs, alors même que des raisons tout
aussi décisives viennent militer en sa faveur? Nous ne
le pensons pas, et cette opinion est celle qui a, en dé
finitive, prévalu et qui devait justement prévaloir.
Or, les raisons qui doivent, dans les cas ordinaires,
faire admettre le droit de commission sont celles que
nous avons exposées en recherchant la légalité et la lé
gitimité de ce droit. C’est la position du banquier, voué
à la vente et à l’achat de l’argent, obligé de consacrer à
cette branche du commerce tout son temps, toute son
industrie, qu’on ne saurait, sans injustice, condamner
à demeurer improductive ; ce sont ses nombreuses et
considérables dépenses, la grave responsabilité qu’il
encourt, les dangers auxquels il s’expose.
Le réduire à la position d’un simple capitaliste, c ’est,
avons-nous dit, le placer, par rapport à celui-ci, dans
un état d’infériorité marquée. Indépendamment de ce
que le capitaliste n’a ni bureaux, ni commis, ni patente,
ni correspondance obligée, les prêts qu’il consent ne
�472
TRAITE
sont que des actes plus ou moins rares, ne faisant au
cun obstacle h ce qu’il applique son industrie à d’autres
objets et qu’il profite des émoluments qui s’ajouteront
à l’intérêt intégral de ses fonds. Enfin, il peut choisir
son moment et son homme, et il est certain qu’il ne
prêtera qu’à celui qui lui offrira une incontestable sol
vabilité.
Il n’en est pas de même du banquier. Sans doute, il
n’est pas obligé de prêter à tout venant; mais ce dont il
doit se contenter, c’est de la solvabilité commerciale.
Exiger autre chose, agir avec la même circonspection,
avec la même prudence que le capitaliste, ce serait se
condamner à périr bientôt par le trop plein de caisse. Il
doit donc s’en rapporter à l’apparence, en courir les
hasards, et l’on sait combien ils sont chanceux.
En cet état donc, le réduire à ne pas trouver dans le
droit de commission une juste compensation, ne lui ac
corder que ce qu’on accorde à un capitaliste, ce n’est
pas agir avec cette rigoureuse justice qu’on doit éga
lement à tous.
On reproche aux banquiers les bénéfices que certains
d’entre eux réalisent. Mais combien d’autres que la per
ception du droitde commission, d’escompte et de chan
ge n’a pas préservés d’une ruine complette ! D’ailleurs,
il en est du banquier comme de tout autre négociant,
on ne peut exiger de lui, suivant l’expression de Scaccia : Ponal operam et sudorem ad aliorum ulilitatem.
Il ne travaille que pour son propre avantage, que pour
se procurer un honnête et légitime bénéfice.
Toutes les fois donc que le banquier fait un acte de
�n u DOL ET DE LA FRAUDE.
473
son commerce, il doit, dans de justes limites, percevoir
l’émolument dont cet acte est susceptible. Or, comme
ce commerce consiste à livrer des fonds aux emprun
teurs commerçants ou non, la commission est due par
cela seul qu’il y a eu des fonds versés par lui. 1
Nous avons dit nous-mêmes qu’en l’état de notre
législation, les charges des travailleurs obligés d’em
prunter sont trop onéreuses. Mais nous avons indiqué
la manière dont on pourrait user pour les amoindrir;
qu’on diminue l’intérêt de l’argent, on le peut, on le
doit, car cet intérêt n’est plus aujourd’hui dans des pro
portions vraies avec le prix de l’argent. Mais, puisqu’on
recule devant ce moyen, il ne nous paraît pas possible
qu’on lui en substitue un autre qui ne consacrerait,
en définitive, qu’une évidente injustice et qui compro
mettrait l’existence du commerce lui-même, en rendant
impraticable la profession de banquier.
1145.
— Les usages commerciaux ont introduit
une notable exception au principe consacré par l’ar
ticle 1154 du Code civil. Aux termes de cette disposi
tion, les intérêts ne peuvent être capitalisés qu’après
l’année révolue. Dans le commerce, cette capitalisation
résulte du règlement des comptes, et ce règlement est
tantôt semestriel, tantôt il s’opère chaque trois mois.
1 Nous ne pourrions citer tous les arrêts qui l’ont ainsi décidé et
qu’on peut d’ailleurs consulter dans les recueils de jurisprudence. On
pourra se convaincre, en les vérifiant, que c’est à notre solution que
la jurisprudence paraît se fixer.
�474
TRAITE
1146- — Les effets de l’anatocisme sont certains.
Les intérêts capitalisés produisent, à leur tour, des in
térêts, cela n’a jamais été douteux. Mais la commission,
prise sur chaque avance partielle, est-elle due pour le
reliquat du compte dont le banquier reste créditeur
et qu’il reporte à nouveau sur le compte ultérieur ?
Pour l’affirmative, on a dit: La balance du compte en
rend le reliquat immédiatement exigible, de là, pour le
banquier, le droit d’en exiger paiement, et pour le dé
biteur l’obligation de le réaliser. Or, si ce paiement était
effectué, les sommes que le banquier fournirait après, et
le jour même de ce paiement, donneraient droit à la
commission. Pourquoi donc la convention, par laquelle
ce paiement et l’avance nouvelle se réalisent fictive
ment, ferait-elle obstacle à sa perception ?
Ce qui peut résulter du refus, c’est que le créditeur
exige le paiement réel et restreigne ainsi l’existence du
compte-courant au grand détriment du commerce. Il
aura intérêt à en agir ainsi, car les sommes qu’il rece
vra, confiées à d’autres, au débiteur lui-même, lui pro
cureront cette commission que la prolongation du com
pte lui enlève.
Ainsi, le créditeur pour solde contraindra le débiteur
à le payer, ce qui pourra avoir pour celui-ci les incon
vénients les plus graves, car il peut avoir, lui, un intérêt
évident à la continuation du compte. En l’état de cet
intérêt opposé, il est facile de prévoir ce qui se réali
sera : les parties simuleront un paiement effectif, et,
quelques jours après, un nouveau compte s’ouvrira, et
la somme prétendue payée en composera les premiers
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
175
articles, non plus à titre de report, mais comme avance
nouvelle sur laquelle le prélèvement du droit de com
mission sera incontestable.
On arrivera donc, par un moyen détourné, au ré
sultat qu’on ne permet pas d’atteindre d’une manière
directe, et cela, au détriment de la vérité et de la di
gnité du commerce. En fait, cependant, celui qui n’exige
pas une dette actuellement exigible, qui en proroge l’é
chéance, consent un véritable prêt et livre la somme aux
chances éventuelles de la solvabilité du débiteur. Dèslors, la commission qu’on ne conteste pas à celui qui
livre réellement des fonds, devrait-on la contester à ce
lui qui laisse en mains de son débiteur ceux qu’il pour
rait le contraindre à lui restituer? Est-ce que le com
merçant ne trouve pas dans la prorogation le secours
qu’il demanderait à l’emprunt?
M. Pardessus paraît ne pas admettre que la question
soit douteuse. En effet, après avoir enseigné que le rè
glement du compte en capital et intérêt fait produire
au solde des intérêts nouveaux, cet éminent juriscon
sulte ajoute : On peut, outre cet intérêt, percevoir un
salaire pour commission, sans que cela soit considéré
comme intérêt usuraire. 1 Telle est aussi l’opinion de
MM. Devilleneuve et Massé. 2
Le Cour de cassation avait décidé, le 19 décem
bre 1827, conformément à cette doctrine, en validant
une commission de trois quarts pour cent portant sur
1 Cours de droit commercial, n° 475.
*' Dict. du contentieux comm., v. Compte-courant, n° 15.
�476
TRAITE
les soldes des comptes partiels. ' Un autre arrêt du
11 avril 1840 admet plus formellement encore la fa
culté de faire porter la commission sur les soldes. !
Mais le contraire a été décidé par plusieurs Cours
d’appel et notamment par celle de Grenoble, le 51 août
1859, et par celle de Douai, le 20 février 1841. L’arrêt
de la première juge que la commission ne doit être
perçue qu’une seule fois pour chaque négociation; l’ar
rêt de la seconde n’admet ce droit qu’en tant qu’il y a
eu décaissement de fonds de la part du banquier, ce
qui, dit la Cour, ne se réalise pas dans le report à nou
veau du solde du compte ou dans le renouvellement des
billets à leur échéance. 3
La Cour de cassation elle-même paraît être revenue
sur sa jurisprudence, en décidant, le 2 juillet 1845, que
le droit de commission, appliqué par les banquiers aux
avances qu’ils font, ne doit être perçu qu’une seule fois
sur chaque somme; que, par suite, il ne peut être établi
ni sur les intérêts capitalisés produits par ces avances,
ni sur chaque reliquat des comptes arrêtés trimestriel
lement, et qui serait composé des avances antérieu
rement frappées du droit de commission. 4
Notons que cet arrêt, émanant de la chambre civile,
est diamétralement opposé à ceux rendus par la cham
bre criminelle les 19 décembre 1827 et 11 avril 1840;
notons encore que ses motifs sont purement en droit.
1 L>. P., 28, 1, 64.
* D. P., 40, I, 411.
3 D. P., 40, 2, 221 ; — J. D. P., t. n, 1841, p. 497.
* D. P., 45, 1, 314.
�DU DOL E T
DE LA F R A U D E .
477
En effet, la Cour considère ; * Que l’arrêt attaqué dé« eide que le droit de commission, qui avait été relevé
* sur la somme entière faisant le reliquat du compte,
t ne doit porter ni sur les intérêts capitalisés qui ont
« été compris dans ce reliquat, ni sur les avances de
« fonds qui, déjà, avaient figuré dans un compte an« térieur, mais que ce droit, qui ne peut être perçu
« qu’une seule fois sur la même somme, ne saurait, par
« conséquent;, s’appliquer qu’aux sommes fournies de« puis le compte précédent ; que, sans la distinction
< admise par l’arrêt, il serait impossible d’atteindre
« l’usure déguisée sous l’apparence du droit de com« mission, en telle sorte qu’en matière d’avances de
« fonds ou de prêts qui seraient successivement re« portés dans plusieurs arrêtés de compte se liant les
« uns aux autres, le prix de l’argent ne recevrait d’au« très limites que celles que les parties consentiraient à
* lui donner, ce qui serait' évidemment la subversion de
« la loi du 3 septembre 1807. »
Voilà qui est clair, net et positif. Cependant, la même
chambre civile a, le 23 juillet 1849, valid’é un droit de
commission portant sur les soldes du compte, c’est-àdire et sur les capitaux précédemment fournis et sur
les intérêts capitalisés. Voici l’espèce de cet arrêt :
Des relations commerciales avaient existé, pendant
de longues années, entre la maison Crémieu, Milhaud et
Laroque, etM. Reynaud, marchand quincaillier, à Aix.
Le compte-courant, arrêté annuellement, était au six
pour cent réciproque. Une commission, convention*
�478
TRAITE
nellement stipulée en faveur de la première, avait été
fixée à un sixième sur les nombres. *
Après paiement définitif, M. Reynaud, étant décédé,
ses héritiers reviennent contre les divers règlements
et demandent la restitution de la commission perçue
sur les soldes. Un jugement du tribunal de commerce
admet cette prétention : « Attendu que le droit de com« mission ne peut être perçu qu’une seule fois sur cha« que somme, et qu’en la prenant sur le solde de chak que règlement du compte porté à nouveau, la maison
« Crémieu, Milhaud etLaroque,a non-seulement perçu
« une double commission sur le solde du compte porté
4 à nouveau, mais encore un droit de commission sur
« les commissions déjà payées. »
Appel par le maison Crémieu, et, 15 janvier 1844,
arrêt de la Cour d’Aix qui réforme par les motifs sui
vants :
4 Considérant que l’ouverture d’un crédit donne né
cessairement lieu, entre le banquier qui l’accorde et le
commerçant qui l’obtient, à de fréquentes opérations
de banque et change ; que ces opérations autorisent à
elles seules le banquier à percevoir, indépendamment
de l’intérêt légal, un droit de commission ; mais que ce
droit de commission représente encore la juste indem
nité due au banquier : 1 ° à raison des chances aux
quelles il est assujetti pour le paiement ou l’acceptation
des traites et effets qu’il acquitte à la décharge de son
débiteur ; 2 ° à raison de l’obligation à laquelle il s’est
soumis de tenir constamment des fonds à la disposition
du crédité, tant que dure le crédit;
�n u DOL ET DE UA FRAUDE.
479
i Qu’il est donc évident que le droit de commission
dérive de la nature des choses ; que c’est par ce motif
qu’il est généralement admis dans les usages du com
merce, et qu’il est, en outre, confirmé par la doctrine
des auteurs, consacré par la jurisprudence et reconnu
par les héritiers Reynaud eux-mêmes dans les écrits
qu’ils ont publiés au procès;
a Considérant que la loi de 1807, n’ayant pour objet
que de régler le taux de l’intérêt de l’argent, n’est point
applicable au droit de commission; que la quotité de ce
droit n’est déterminée par aucun texte de la loi ; qu’elle
est réglée d’après les usages et la convention des par
ties, et qu’elle ne saurait être considérée comme cons
tituant une perception usuraire, qu’autant qu’elle serait
excessive ou que les opérations qui auraient donné lieu
à la perception du droit de commission seraient fic
tives et couvriraient un intérêt excédant le taux légal ;
« Considérant que la sincérité des opérations qui,
dans la cause, ont donné lieu à la perception des droits
de commission, n’est pas contestée; qu’il s’agit donc
uniquement de rechercher si la perception elle-même
n’a rien d’exagéré et si elle représente la juste indem
nité due au banquier, sans qu’il soit besoin d’examiner
le mode de perception qui a été suivi ;
« Considérant, en fait, qu’il est établi, par les com
ptes remis chaque année au crédité, qu’indépendamment des sommes prises ou versées, une foule de re
mises et valeurs commerciales ont été respectivement
données pour être encaissées ou .reçues dans les di
verses places, ce qui constitue de véritables opérations
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» Bi'lMn te i-sy îi fit
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de banque et de change donnant lieu au droit de com
mission ;
i Que du relevé des opérations pendant les dix-sept
années de durée du compte-courant, il résulte que le
mouvement général du compte a été de 416,000 fr.,
et le chiffre total de la commission perçue, de 2,999 f.;
que ce chiffre, eu égard au mouvement moyen et an
nuel de 24,500 fr., réduit la commission perçue à une
moyenne de soixante-deux centimes pour cent francs ;
« Considérant qu’une pareille commission, en pré
sence des usages reçus, ne peut être taxée d’exagéra
tion; qu’en effet, au lieu du règlement trimestriel gé
néralement pratiqué, les comptes n’ont été balancés
qu’une fois l’an ; que, de plus, la maison de banque dé
bitait Reynaud, valeur de l’échéance des traites qu’elle
aurait pu négocier à trente jours au pair, et que, pour
les valeurs fournies sur ses correspondants, elle payait
elle-même un droit de commission sans répétition con
tre Reynaud;
« Considérant que, accueillir en l’état de ces faits les
réductions demandées par les héritiers Reynaud, ce se
rait refuser, à la maison de banque, la juste indemnité
que les usages du commerce, consacrés par une juris
prudence constante, l’autorisaient à percevoir. ' »
Certes, l’infirmation du jugement, en l’état des mo
tifs l’ayant déterminé, et que nous avons transcrits,
placent l’arrêt de la Cour d’Aix en contradiction fla
grante avec l’arrêt rendu, le 2 juillet 1845, par la Cour
1 t). P., 44, 2, 198.
�OU DOL
ET
DE
1.A
FRAUDE.
484
de cassation. Aussi, les héritiers Reynaud le frappè
rent-ils d’un pourvoi, bientôt admis par la chambre des
requêtes.
Mais, comme nous l’avons dit, et par arrêt du 25 juil
let 1849, ce pourvoi fut rejeté par la chambre civile,
qui, dès-lors, contrairement à son arrêt de 1845, admit
que le droit de commission pouvait légalement porter
sur les soldes de compte.
Comment expliquer cette contradiction? Par cette
raison unique, à savoir : qu’en pareille matière, il n’y a
pas, à proprement parler, de question de droit, tout se
réduit à une appréciation de faits, pour laquelle, ainsi
que la Cour de cassation le disait tout à l’heure, les juges
du fond ont un pouvoir souverain. La Cour suprême ,
reconnaissant cette souveraineté, y obéit elle-même. Elle
admet ou rejette les pourvois, selon que l’usure a été
ou non reconnue.
Une pareille règle est on ne peut pas plus juridique.
On doit incontestablement dire, avec la Cour d’Aix, que
la loi du 3 septembre 1807 ne régit que le taux de l’in
térêt; qu’elle n’est nullement applicable à la commis
sion reconnue licite par tout le monde. Le taux de ce
droit est donc laissé aux usages de la place ou à l’ap
préciation des parties elles-mêmes. Mais cette faculté
ne saurait comporter une liberté illimitée, et de même
que la vente, l’échange, la société, auxquelles la loi de
1807 est bien évidemment étrangère, peuvent cepen
dant être entachées d’usure et annulées, de même l’usure
peut prendre le manteau licite du droit de commission,
et, dans ce cas, on ne doit pas hésiter à la réprimer. Dès21
u
�482
TRAITE
lors, et quel qu’en soit le mode de perception, la com
mission prélevée s’est-eile renfermée dans des limites
justes et raisonnables, elle doit être confirmée; a-t-elle
été, au contraire, exagérée au-delà des usages com
merciaux, elle n’est plus qu’une usure déguisée et,
comme telle, on doit la réduire.1 Or, une pareille ap
préciation ne peut appartenir qu’aux deux premiers
degrés de juridiction.
Eu résumé, les questions relatives au droit de com
mission ne peuvent recevoir, en droit pur, une solu
tion absolue. Sa perception déguise-t-elle ou non une
usure? Telle est la véritable, la seule difficulté à appré
cier. C’est ce qui fait que le mode suivi dans telle es
pèce sera réprimé, tandis que le même mode ne le sera
pas dans telle autre. C’est ce qui rend également raison
de la divergeance que nous signalions tout à l’heure
dans la jurisprudence de la Cour de cassation elle-même.
1147.
— Nous venons de voir que, dans le com
merce, on pouvait régler le compte-courant et, consé
quemment, capitaliser les intérêts chaque trois mois.
Cette faculté a été formellement reconnue par la Cour
de cassation. 8 Mais pour qu’elle puisse être exercée, il
faut : 1° que le compte' existe de négociant à négociant.
Les relations entre un commerçant et un non commer
çant, quoique constatées par un compte-courant, ne
peuvent être considérées comme commerciales, sur1 Cass., 21 juin 1847; — 0. P., 47, 1, 312.
MO novembre 18l8.
�DU DOL E T
DE LA F R A U D E ,
483
tout à l’endroit de ce dernier. Elles restent donc régies,
quant à l’anatocisme, par la disposition de l’article 1154
du Code civil; ’ 2° que le compte ait été réellement arrêté
aux époques convenues. En l’absence du règlement tri
mestriel, on ne pourrait, lors d’un règlement ultérieur,
arrêter le compte autrement que d’année en année. En
effet, la capitalisation des intérêts n’est que la consé
quence de leur exigibilité. Celle-ci ne peut résulter que
de l’arrêté du compte aux époques convenues. Si le
compte n’a pas été arrêté, il n’y a eu aucuns intérêts
exigibles et partant susceptibles d’être capitalisés. On
ne pourrait se prévaloir que de la capitalisation se réa
lisant à chaque fin d’année par la seule force de la loi.
Rien ne peut même remplacer le règlement trimestriel,
quant à l’exception à l’article 1154. Ainsi, il impor
terait peu que les relations eussent continué sur le
même pied entre les parties, le compte deviendrait pu
rement civil depuis le dernier règlement trimestriel.
C’est ce que la Cour de cassation vient de décider en
cassant un arrêt de la Cour de Paris, qui avait jugé le
contraire. *
1148.
— Au reste, il est rare qu’un compte-courant
existe entre un banquier et un non commerçant ; dans
de pareilles relations, les avances du premier et la dette
du second sont constatées par des effets à terme fixe.
Si, à l’échéance, les parties se bornent à renouveler le
1 Bourges, 5 juin cl 18 décembre 1859; — D. P., 40, 2 ,19G.
» Cass., U mai 1880; — 0. P., 50, 1,157,
�48i
TRAITE
titre, le banquier peut-il prélever un droit de commis
sion sur ce renouvellement?
Il y a entre le renouvellement d’un billet et le règle
ment du compte une telle assimilation, que les arrêts
que nous venons de rappeler les confondent bien sou
vent. Conséquemment, il semble que, par une parité de
raison, les règles tracées pour l’arrêté du compte doivent
s’appliquer au renouvellement.
Cependant il y a, à notre avis, cette énorme différence
que le banquier, qui fait un prêt à un non négociant, ne
fait pas un acte de commerce. Que cependant, à cause
de sa profession et pour se couvrir de ses frais, on lui
alloue une commission à l’origine du prêt, on le com
prend, mais qu’on lui permette de répéter cette com
mission à chaque renouvellement, c’est placer le non
commerçant dans une position pire que le commerçant
lui-même; car le compte-courant ne peut être réglé tout
au plus que quatre fois l’an, et le solde peut en être réduit
à des proportions minimes par les sommes qui auront
été remboursées pendant le trimestre, tandis que le non
commerçant devra, à chaque renouvellement, l’intégra
lité du billet qui, pouvant être à l’échéance d’un mois,
pourra ainsi donner lieu à douze droits de commission
par année.
Cet étrange et inique résultat doit nécessairement
amener une autre appréciation que celle que nous
venons d’exposer pour les relations de commerçant à
commerçant, et nous allons voir que cette nécessité se
justifie par des raisons décisives.
Le banquier qui traite avec un non commerçant fait
�DU DDL
ET
DE EA FRAUDE.
485
plutôt Pacte d’un capitaliste que celui d’un hanquier.il
doit donc, quant à l’exécution à donner au prêt, occuper
une position analogue à celle qui est faite à celui-ci.
On nous objectera sans doute ce que nous rappelions
nous-même relativement au solde du compte-courant.
Le banquier qui renouvelle, au lieu de se faire payer à
l’échéance, consent un véritable prêt, car s’il exigeait
son argent, et qu’il le plaçai ailleurs, il retirerait de nou
veau le droit de commission. Mais cet argumentperd de
sa force lorsque, au lieu d’une dette commerciale, il
s’agit d’une dette civile. En effet, le commerce vit de
ponctualité et d’exactitude, à tel point que le moindre
retard dans les paiements constituerait un motif pour
faire déclarer la faillite. Celui-là donc qui traite avec un
commerçant a le droit de compter sur un paiement réel
et effectif au joui' et à l’heure convenus, il peut même,
dans cette prévision, avoir pris des mesures pour un
nouveau placement des sommes qu’il recevra. Mais
celte ponctualité n’est pas aussi rigoureusement exigée
dans la vie civile; celui qui prête à un non commerçan
peut facilement prévoir que les embarras qui motivent
l’emprunt pourront exister encore au moment de l’é
chéance et mettront son débiteur dans la nécessité de
demander un nouveau délai. Cette chance que le ban
quier a volontairement bravée, qui ne l’a pas empêché
de distraire de son commerce la somme qu’il a prêtée,
il doit en subir les effets.
D’ailleurs, les éléments du droit de commission ne se
concentrent pas tous dans la personne et le caractère du
banquier. Si les usages l’ont consacré, c’est également
�486
TRAITE
sous le rapport de l’avantage que le commerçant trouve
dans le crédit qui lui est fait. Le bénéfice qu’il est dans
le cas d’en retirer allège, s’il ne la fait pas disparaître,
la charge que le droit de commission lui impose. C’est
dans ce sens que Scaccia enseigne que l’argent du com
merçant vaut plus que celui du non commerçant : Plus
valet pecunia mercatoris quam pecunia non mercaloris.
Cetélément essentiel du droitdecommission manque
absolument dans le prêt fait à un non commerçant. Il
y aurait donc injustice à le placer sur la même ligne,
quant aux charges, lorsqu’il ne l’est certainement pas
quant aux avantages.
A notre avis donc, le banquier peut, en livrant des
fonds à un non négociant, prélever un droit de commis
sion outre l’intérêt légal. Mais ce prélèvement opéré, les
obligations de l’emprunteur, quant à l’échéance, se
réglant par des considérations autres qu’en matière de
créance commerciale, tout ce qui est dû, en cas de re
tard , c’est l’intérêt légal. Le créancier ne peut donc
exiger au-delà, sans se rendre coupable d’une véritable
usure.
1149.
— Dans les nombreux déguisements que re
vêt l’usure, il en est un fort difficile à saisir et, par cela
même, très redoutable, c’est celui consistant à fondre
la stipulation des intérêts avec le capital. Ainsi, un in
dividu consent à prêter un capital de 20,000 fr., mais
il exige le dix pour cent. Si une telle stipulation était
inscrite ouvertement dans le contrat, son sort ne serait
pas douteux, il faut donc la dissimuler. L’acte, en con-
�- {■
DU
D OL
ET
DE
LA F R A U D E .
487
séquence, mentionne ou que le capital prêté est de
22,000 fr. sans intérêts jusqu’à l’échéance d’une année,
ou seulement de 21,000 fr. avec intérêts. On suit la
même proportion selon que l’échéance est d’une ou de
plusieurs années.
1150. — Dans l’un comme dans l’autre cas, la
fraude est flagrante. Cependant comment la saisir sans
recourir à une preuve testimoniale? Mais la demande
qui en sera faite soulèvera immédiatement une double
exception.
On se prévaudra d’abord de la disposition de l’ar
ticle 1341, qui prohibe cette preuve outre et hors le
contenu aux actes ; on ajoutera ensuite : si l’acte est frau
duleux, la fraude étant le fait commun des deux par
ties, l’une d’elles ne peut être admise à la prouver.
Mais l’usure, constituant une fraude contre une loi
d’ordre public, déroge forcément aux principes ordi
naires, et cette dérogation entraîne cette double con
séquence : 1° l’inapplicabilité de l’article 1541; 2° celle
de la maxime nemo auditur turpitudinem suam ailepans. 1
1151. — La seconde exception peut être tirée de la
force de l’acte authentique, comme si cet acte cons
tatait la réelle numération de l’intégralité de la somme
portée dans l’acte. Cette indication de l’acte, dira-t-on,
doit être crue jusqu’à inscription de faux, et ce préli-
Vid. infra, n°* 1185 et suiv.
-m
m m tr .m -
r Irw a B i
�488
TRAITE
minaire non réalisé, la preuve testimoniale est inad
missible.
Cette exception devrait être accueillie si les faits à
prouver, coarctés par la partie, étaient inconciliables
avec les faits que le notaire aurait eompétemment cons
tatés, car l’usure elle-même ne saurait porter aucune
atteinte à la foi due à l’acte authentique. Mais si, an
contraire, les faits avancés ne contrarient nullement
les indications de l’acte, s’ils tendent à prouver une si
mulation dont le notaire lui-même a pu être la dupe, en
un mot, s’ils peuvent être vrais sans que ceux exprimés
dans le contrat soient faux, la preuve testimoniale doit
en être ordonnée, sans qu’on se soit préalablement
inscrit en faux. C’est ce que la Cour de cassation a jugé
dans une espèce où le contrat authentique, constatant
la réelle numération, le débiteur articulait n’avoir rien
emporté des sommes numérées. 1
Ainsi, c’est par la preuve orale, c’est, conséquem
ment, par les présomptions qu’on pourra, dans notre
hypothèse, prouver l’existence de l’usure. On ne serait
tenu de s’inscrire en faux contre l’acte authentique que
si on soutenait la fausseté de ses indications, par exem
ple, si on voulait prouver qu’il n’est pas vrai, comme
le notaire l’indique, que les sommes aient été déposées
sur le bureau et numérées au moment de l’acte.
1152.
— La preuve de l’usure acquise, quelle en
sera la conséquence par rapport à l’acte ? La Cour
1 Chardon, du Bol cl de la fraude, lom. m,pag. 259 et suiv.,
\
�DU DOL ET DE EA FRAUDE.
489
d’Agen, par un arrêt du 17 août 1809, avait décidé que
cet acte devait être annulé, d’abord pour violation de
l’article 1907, en ce qu’il ne portait pas le taux auquel
les intérêts avaient été stipulés, puisque ces intérêts
cumulés avec le capital ne formaient avec lui qu’un
seul tout; ensuite, comme reposant sur une cause
fausse, résultant de ce qu’il renfermait un intérêt non
exprimé et à un taux non fixé.
Mais cet arrêt a été cassé, le 29 février 1812, pour
avoir mal à propos appliqué la loi de 1807, la conven
tion étant antérieure à sa promulgation, et ne pouvant,
dès-lors, être régie, quant au taux de l’intérêt, que par
l’article 1907 du Code civil.
La Cour suprême devait s’arrêter à ce moyen pé
remptoire. Mais n’eûl-il pas existé, que l’arrêt d’Agen
n’en aurait pas moins été infailliblement cassé sous un
autre rapport. Rien, en effet, dans la loi n’autorisait la
nullité de l’acte reconnu usuraire. Tout ce qui pouvait
légalement résulter de ce vice était ou la restitution,
ou l’imputation des sommes illégalement perçues, ou
la réduction de celles irrégulièrement prétendues. Les
parties devant, dans le cas d’usure, être ramenées à la
vérité des choses, il n’y a de possible que les moyens
que nous indiquons et qui font suffisamment disparaître
le préjudice dont se plaint le débiteur. Cette solution,
appuyée par la raison, admise en doctrine et en juris
prudence, est d’ailleurs formellement écrite dans l’ar
ticle 3 de la loi du 3 septembre elle-même,
1153. — Un autre mode employé pour déguiser
�490
TUAI T K
l'usure consiste soit à retenir, au moment du prêt, les
intérêts convenus, soit à les stipuler payables en den
rées.
La retenue des intérêts, payés même au taux légal,
constitue une usure. Elle tend à conférer au créancier
un bénéfice au-delà de l’intérêt, puisqu’elle lui procure
la jouissance d’une somme qui ne peut lui appartenir
légitimement qu’au jour où l’intérêt étant échu, elle
devient sa propriété; elle porte un préjudice au débi
teur, car l’intérêt, étant le prix de la jouissance du ca
pital, n’est que la conséquence de celte jouissance de
vant porter sur ce capital intégral. Or, la retenue fait
disparaître une partie de ce capital, qui n’est pas dès-lors
réellement prêté en totalité, tandis que c’est sur cette
totalité que l’intérêt est établi. En conséquence, le
créancier perçoit un intérêt qui ne lui est pas dû, et
le débiteur paye réellement au-delà du taux légal, il y
a donc usure. 1
1154.
— L’exigence d’un intérêt en denrées re
monte au seizième siècle. La prévision que le numéraire
envoyé par le nouveau monde ne manquerait pas de
faire hausser le prix des blés, vins, huiles et autres
denrées , fît que quelques spéculateurs convertirent
leurs rentes en rente en blés, et cette prévision ne fut
pas trompée. 2Depuis, cet intérêt, que Dumoulin quali
fiait de périlleux pour les débiteurs, n’a pas manqué
1 Rolland de Villargues, Prêt
! Troplong, du Prêt, n° 593,
à intérêt, n° 20.
�DU DOU ET
DE
LA FRAUDE
49t
d’être exploité par ceux qui, voulant se procurer, malgré
la loi, un avantage illégitime, s’ingénient à s’en procu
rer les moyens.
En conséquence, on stipule une quantité déterminée
de denrées à livrer en échange du paiement des inté
rêts d’un capital quelconque. L’usurier a le soin de cal
culer cette quantité sur un prix tellement bas qu’il a
d’avance la certitude que la denrée ne descendra jamais
jusque là, et il s’assure ainsi un intérêt pouvant attein
dre à des proportions énormes par la cherté de la den
rée, au moment de l’échéance.
Ainsi la chance aléatoire, que cette opération paraît
offrir, est d’avance fixée contre le débiteur, et ses ré
sultats seraient aujourd’hui ce qu’ils furent autrefois,
c’est-à-dire tellement désastreux qu’une ordonnance de
Charles îx, de 1565, convertit à prix d’argent, et au
taux légal du denier douze, toutes les rentes en blés.
Cette ordonnance est-elle exécutoire encore en ce sens
qu’on doive aujourd’hui convertir en argent et au de
nier vingt, tous les intérêts stipulés en denrées?
L’affirmative est soutenue par M. Chardon. L’édit de
1565, dit cet auteur, avait été abrogé par le décret du
5 thermidor an iv, mais celui-ci a été à son tour abrogé
par la loi de 1807. D’autre part, les motifs qui existaient
en 1565 existent encore, il y a donc nécessité de re
venir à cette disposition. 1 Cette opinion s’étaye sur un
arrêt de la Cour de Paris du 2 mai 1823.
1 Du üol et de lu Fraude, u° 478.
�492
rnAiTÉ
Nous dirons, avec M. Troplong,1 que cette doctrine
repose sur une erreur de droit manifeste. La loi de 1807
n’exige qu’une seule chose, à savoir : que l’intérêt d’un
capital prêté en argent ne s’élève pas à plus du cinq ou
du six pour cent, selon que le prêt est civil ou com
mercial, mais elle ne prescrit aucun mode spécial pour
le service de cet intérêt. Il dépend donc des parties d’en
régler le paiement selon leur convenance, à la seule
obligation de ne pas franchir les limites de la loi ellemême. Conséquemment la stipulation que l’intérêt sera
payé en denrées n’a rien d’illicite, rien de prohibé.
Ce qui est réellement prohibé, c’est de se servir de
cette stipulation pour pallier l’usure. Mais, à cet égard,
la loi a pourvu à tous les intérêts, en permettant au dé
bite r de répéter ce qu’il a indûment payé, et son ap
préciation est facile. Les mercuriales fixant le prix des
denrées, le rapprochement de la quantité annuellement
fournie indiquera nettement si le taux légal a été dé
passé, et déterminera d’une manière précise le chiffre
des restitutions.
Ainsi la stipulation d’un intérêt en denrées est légale,
seulement on ne peut avec son secours dépasser le
taux de la loi, tout ce qui aura été payé en delà serait
répétible.
Il en est de même pour le remboursement du capi
tal, ou peut le stipuler payable en denrées. Mais la quan
tité de celles-ci ne pourrait, dans aucun cas, dépasser
1 Loco cilalc.
�DU DDL HT DE LA FRAUDE.
493
le capital, on saurait bien sans cela en exiger une telle
que le débiteur rendrait toujours plus qu’il n’a reçu.
1155- — Mais si le prêt a été fait en denrées, celui
qui l’a consenti pourra stipuler que celui à qui il donne
cent mesures lui en rendra cent dix ou cent vingt. Le
prix des denrées étant essentiellement variable, le dé
biteur profite de la chance de la diminution, comme le
créancier de celle de l’augmentation, et il peut se faire
que le prêt s’opérant dans un moment de cherté, et la
restitution dans un temps contraire, l’intégralité de ce
qui est rendu, quoique supérieur en quantité, soit en
réalité encore inférieur à la valeur de ce qui a été em
prunté. D’ailleurs la loi de 1807, ne réglant que l’intérêt
de l’argent, ne saurait avoir aucune influence sur les
prêts de denrées.
Toutefois il y a là un aliment pour la fraude et un
péril pour les emprunteurs. Les usuriers simuleront un
prêt en denrées pour éluder l’application de la loi et
assurer ainsi les exactions qu’ils commettront, mais
cette simulation, comme toutes les autres, pourra être
atteinte par les tribunaux. Réalisée pour pallier l’usure,
elle sera susceptible d’être prouvée par témoins et
même par présomptions, et les tribunaux, à qui une
pareille opération sera dénoncée, ne valideront que
celle qui a réellement offert, par son véritable carac
tère, celte chance aléatoire dont nous parlions tout à
l’heure.
jqgfl, _ Partout, en effet, où l’événement est attaché
�TRAITE
à une condition aléatoire, la loi de 1807 est inapplica
ble. C’est par application de cette règle qu’on a validé
les prétentions de la caisse hypothécaire et consacré
les intérêts et les droits qu’elle exige. Nous lisons dans
l’arrêt de la Cour de cassation, du 21 mai 18^4: « Que
» l’escompte et les primes au moyeu desquels cette
« caisse, d’après ses statuts approuvés par le gouveri nement, exécute ses opérations, impriment au traité
« qui intervient entre les parties prenantes et elle, le
« caractère d’un contrat aléatoire. » Voilà pourquoi
elle écarte l’application de la loi de 1807.
La conséquence qu’il faut en déduire, c’est que la
caisse hypothécaire ne peut jouir de l’immunité, quant
à la loi de 1807, qu’en tant qu’elle se renferme dans la
lettre de ses statuts. Toute indemnité qu’elle stipulerait
sans en trouver le droit dans ces statuts, à quelque autre
titre que ce fût, devrait lui être refusée comme un inté
rêt usuraire, c’est ce qui a été formellement décidé dans
une espèce où prévoyant le cas de l’expropriation de
l’emprunteur, avant le terme des obligations, elle s’était
fait concéder deux annuités non encore échues pour le
dédommagement de ses frais et faux frais. Le paiement
de ces deux annuités ayant été réclamé après expropria
tion, fut contesté. Un arrêt de la Cour de Grenoble le
consacra. Mais cet arrêt, dénoncé à la Cour suprême,
fut cassé pour contravention notamment à la loi du 5
septembre 1807. Voici les raisons à l’appui de cette
cassation :
« Attendu que les statuts d’une société anonyme lé
galement autorisée sont la loi des parties qui traitent
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
495
avec celte société ; que les statuts de la caisse hypothé
caire n’autorisent point à perçevoir au-delà des règles
tracées sur les conditions des emprunts qui lui sont
faits ; qu’en autorisant la perception de deux annuités
en sus de celles souscrites pour le remboursement de
l’emprunt, à titre d’indemnité du retard et des faux frais
causés par l’expropriation forcée, la Cour d’appel de
Grenoble a accordé une indemnité excédant la mesure
fixée par l’article 1153 du Code civil; qu’en outre elle
a accordé des intérêts excédant le taux légal, et qu’en
cela elle a expressément contrevenu tant audit article
1153 qu’aux propres statuts de la société, et à la loi du
3 septembre 1 807.1 »
1157. — La condition aléatoire qui a fait admettre
l’exécution des statuts de la caisse hypothécaire a fait
exclure, de l’application de la loi de 1807, le prêt à la
grosse, la cession, la rente viagère.
Dans le prêt à la grosse aventure, le prêteur est ex
posé à perdre non-seulement tout ou partie des intérêts,
mais encore le capital qu’il fournit. Vouloir, en l’état
d’une pareille chance, le soumettre à ne retirer de son
argent que l’intérêt ordinaire, c’était rendre impossible
un prêt qui fournit au commerce maritime tant et de
si précieuses ressources.
C’est ce qu’a compris le législateur, et il a sagement
évité le danger en dégageant le prêt à la grosse de toute
entrave, et en laissant à la libre convention des parties
1
1 Cass., 30 juillet 1S34.
il
�496
TRAITÉ
le profit maritime à stipuler.1 Tout ce qui, dans cet in
térêt, excède le taux légal, n’est, considéré que comme
une juste compensation du péril que brave le prêteur.
De là il suit que l’existence de ce péril est un des élé
ments essentiels de ce prêt. Le prêteur qui n’a réelle
ment couru aucune des chances d’une navigation réelle
et effective ne pourrait prétendre à un intérêt exclusi
vement attaché à ces chances.
1158.
— Supposer qu’on puisse simuler un contrat
à la grosse uniquement pour pallier l’usure, c’est paraî
tre supposer une chose impossible. Mais une espèce
rapportée par la Gazette des Tribunaux, du 9 septem
bre 1827, prouve que cette supposition n’a rien de
chimérique, et que l’ardeur insensée d’une incroyable
avidité peut aller jusque là.
Un sieur Pàoli, d’Ajaccio, faisait de nombreux prêts
usuraires. Croyant se placer à l’abri de toutes poursui
tes, il avait fait du contrat à la grosse le type exclusif
de toutes ses opérations. L’avocat, le prêtre, l’auber
giste, le propriétaire, qui recourait à lui, se transformait
immédiatement en patron de navire* était obligé de
souscrire un contrat à la grosse aventure, avec des inté
rêts non moins gros, bien entendu.
Poursuivi cependant comme coupable d’habitude
d’usure, Paoli est condamné par le tribunal correction
nel à une amende de 8000 francs. Il émet appel du ju
gement, et il soutient devant la Cour : qu’un prêt à la
1 Art. 311. Cod. comm
�DU DOL E T
DE
LA
FRAUDE.
4 ! 17
grosse ne pouvait, dans aucun cas, donner lieu à une
poursuite en usure; qu’il ignorait ou pouvait ignorer
quelle destination les emprunteurs devaient donner à
cet argent; et que les contrats qu’il avait faits ne pou
vaient changer de nature , parce que les emprunteurs
n’avaient pas voulu faire une spéculation maritime.
Il était impossible qu’une pareille défense pût réussir.
Aussi la Cour confirma-t-elle le jugement.
La morale de cet arrêt, c’est qu’il ne suffit pas de
qualifier un acte de contrat à la grosse pour acquérir
le droit de s’en faire payer les intérêts. Il n’v a lieu à
tolérer cet intérêt que Iorsqu’en fait le capital prêté a
subi les chances qui l’ont fait laisser à la libre stipula
tion des parties. Hors de là, il n’y a plus qu’une usure
déguisée sous des dehors trompeurs, et qu’il est du de
voir de la justice de réprimer sévèrement.
1159.
— Il est incontestable que la cession se prête
admirablement à déguiser l’usure et à favoriser un in
térêt excessif. Cependant si le contrat de cession est
sincère, et c’est aux tribunaux qu’il appartient de le
décider, l’usure ne saurait exister, quelque importante
que soit la prime accordée au cessionnaire.
La raison en est, que la cession est au civil ce que
l’escompte est au commerce. Les motifs qui légitiment
celui-ci justifient celle-là. L’une et l’autre constituent
plutôt un achat qu’un prêt proprement dit ; et, en ma
tière d’achat et de vente, la fixation du prix est laissée
à la libre volonté des parties.
Conséquemment, si l’acte qualifié de cession en ren-
�498
T R A IT É
ferme les éléments, si on y retrouve ces conditions
substantielles: res, pretium et consensus, il ne peut être
querellé d’usure et doit être exécuté dans toutes ses dis
positions. C’est ce que la Cour de cassation a décidé
d’une manière formelle, au rapport de M. Troplong.1
Si, au contraire, les parties n’ont pris la forme de la
cession que pour se livrer impunément à l’usure; s’il
n’y a eu qu’un prêt simulé sous les apparences d’un
autre contrat, tout ce qui excède l’intérêt légal n’est pas
dû. On peut dès-lors non-seulement ne pas le payer, mais
même le répéter, si déjà on l’a fait. Nous rappelerons à
cet égard que l’appréciation du véritable caractère de
l’acte est abandonnée à l’arbitrage souverain du juge;
et que sa décision, d’après les faits et circonstances de
la cause, d’après l’intention des parties, est à l’abri de
toute censure.
Il y a plus encore, une cession réelle peut ne pas être
pure d’usure. Tel serait le cas de la cession qu’un débi
teur ferait de ses revenus en paiement des intérêts qu’il
doit à son créancier. Il est évident qu’il y a là un trans
port sérieux, mais pour qu’il y ait juste prix, il faut que
les revenus cédés ne soient pas d’un chiffre supérieur à
celui des intérêts légaux, s’ils les dépassent, l’exécu
tion de la cession consacrerait l’usure. Le cédant serait
donc recevable à demander que l’excédant lui soit res
titué, ou tout au moins successivement imputé sur le
capital.
�DU DOU
ET
DE LA
FRA U D E .
499
1160. — Le prêt à rente viagère peut être stipulé au
taux qu’il plaît aux parties d’arrêter. Telle est la dispo
sition expresse de l’article 1976 du Code civil. La loi
de 1807 n’ayant rien statué à cet égard, elle reste sans
application à la rente viagère.
Ce silence de la loi s’explique fort bien par la nature _
essentiellement aléatoire de ce contrat. D’une part, le
capital est aliéné sans retour, et dès-lors la rente, n’é
tant plus la représentation de la jouissance temporaire
de ce capital, ne peut plus être qualifiée d’intérêt pro
prement dit; d’autre part, la mort du crédit-rentier amè
nera, ipso facto, la suppression de la rente, et cette
mort étant essentiellement incertaine, le débiteur, s’il
est exposé à payer beaucoup, peut également ne payer
que fort peu. On Je voit, le législateur ne pouvait que
s’en référer à ce qui serait convenu par les parties. Il
devait consacrer les engagements qu’une pareille éven
tualité est dans le cas de déterminer.
1161. — La nature et le caractère de ce contrat pa
raissaient devoir l’empêcher de devenir un instrument
d’usure. Il n’en a rien été, et, sous ses formes, s’est
quelquefois glissée une avide et déloyale prétention. En
voici un exemple :
En 1807, le sieur Capey se constitua débiteur envers
le sieur Havas, banquier, moyennant une somme de
10,000 francs, d’une rente viagère de 1,500 francs ,
rachelable après quatre ans. Depuis, le sieur Havas se
rend cessionnaire d’une autre rente viagère de 800 fr.
due par Capey.
V
\î
�500
TR A riï
deux rentes sont convf
1824
Plus tard
par Capev et les héritiers Havas, en une rente perpé
tuelle de 1400 francs sur un capital de 28,000 francs ,
que les héritiers Havas prétendent avoir été touché par
Capev, ainsi qu’ils se proposent de l’établir par leur
compte.
A l’échéance du premier terme, poursuites en paie
ment de la part des héritiers Havas. Os prétendent que
Capey a reçu le capital de 28,000 francs, tant par les
sommes prêtées que par les arrérages qu’il doit.
Pour arrêter ces poursuites, Capey forme lui-même
une demande tendant à faire déclarer que,depuis 1817,
il avait été convenu que la rente de 2300 francs serait
réduite à 1400 francs ; que cette convention ayant été
exactement remplie, lui, Capey, n’était redevable d’au
cuns arrérages de l’ancienne rente; que, dès-lors, il ne
devait payer la rente perpétuelle de 1400 francs qu’autant qu’on compléterait le capital de 28000 francs.
Jugement qui rejette cette prétention. Appel.
Devant la Cour, Capey soutient que non-seulement
il ne restait redevable d’aucuns intérêts arréragés, mais
que la majeure partie de ceux qu’il avait payés n’était
pas due; qu’on devait la lui restituer ou lui en tenir
compte; qu’en effet, les arrérages n’étant produits que
par un prêt déguisé sous l’apparence d’un contrat de
rente viagère, devaient être réduits au taux légal du cinq
pour cent, et que les sommes réduites devant se com
penser avec celles qu’il avait reçues, rendaient d’autant
moins fondée la prétention du service actuel de la rente
perpétuelle de 1400 francs.
�DU DOL E T
DE LA
F I!A U DE.
5 f)'f
Les intimés, voyant dans cette prétention une de
mande nouvelle, la soutinrent non-recevable en cause
d’appel. Au fond, excipant de l’article 1976, ils contes
taient le droit de quereller d’usure la rente viagère; ils
soutenaient d’ailleurs que le contrat ayant été exécuté
plus de dix ans, l’action serait éteinte par la prescrip
tion, indépendamment de ia novation qu’ils faisaient
résulter de l’acte de 1824.
Mais la Cour de Caen, sans s’arrêter à toutes ces fins
de non-recevoir, annule le prétendu contrat à rente via
gère de 1807, sur les motifs : en droit, qu’il n’était pas
permis de créer un contrat de ce genre pour masquer,
sous des apparences trompeuses, un contrat usuraire ,
et que les tribunaux sont investis dans ce cas, comme
dans tout autre, du pouvoir de réprimer la fraude; en
fait, parce que le contrat de 1807 était frauduleux et
simulé, ce que la Cour déduitdes faits et circonstances,
et notamment de la faculté au débiteur de se racheter
dans quatre ans, de la constitution de la rente sur trois
têtes, des habitudes usuraires de Havas, qui n’avait ja
mais établi des rentes de ce genre avant la loi de 1807 ,
enfin de la conversion, en 1824, de la rente viagère en
rente perpétuelle.
Cet arrêt, rendu le 26 mai 1829, fut déféré à la Cour
de cassation, et par celle-ci confirmé dans toutes ses
dispositions. Voici en quels termes la Cour régulatrice
repousse le moyen tiré de la violation de l’article 1976 :
« Attendu que l’arrêt ne porte aucune atteinte à la
liberté des stipulations sur les rentes viagères ; qu’il juge
seulement que, dans l’espèce, un contrat de prêt a été
I
�502
TRAITÉ
déguisé sous l’apparence d’un contrat de rente viagère,
dans l’objet d’éluder la loi qui prohibe toute stipulation
d’intérêt usuraire; qu’il était dans les attributions de la
Cour de rechercher ce qui s’était réellement passé entre
les parties, et qu’après avoir reconnu que leur conven
tion était un prêt à intérêt, elle devait réduire, comme
elle l’a fait, l’intérêt au taux légal.1 »
Comme on le voit, l’usure se glisse partout, essaye
toutes les chances de se dissimuler et emprunte la forme
du contrat qui lui parait le plus favorable. Tout cela
prouve la sagesse de la jurisprudence qui, par l’admis
sion de la preuve testimoniale et par celle des présomp
tions, facilite les moyens de la démasquer et de lui faire
perdre le bénéfice illégitime qu’elle s’était proposée.
1162.
— Il n’est pas de contrat que l’usure n’ait
tenté de vicier. La donation elle-même n’a pas été à
l’abri de ses efforts. Ainsi un prêt est consenti à l’intérêt
légal, mais le prêteur exige et obtient, soit avant soit
après le contrat, une donation d’une somme plus ou
moins forte, laquelle, dans l’intention des parties, n’est
pas autre chose qu’un supplément d’intérêt.
M. P e tit2 pense que, dans la question d’appréciation
de la validité d’une pareille donation, les faits et les cir
constances sont d’une grande importance, cette ques
tion ne pouvant être résolue, en droit, d’une manière
absolue. M. Petit se trompe en droit, et cela le plus ab1 31 décembre 1853; — D. P. ,54, 1, 140.
* Trailé de l’usure, p. 61,
�Dtl
DDL
ET
DK LA
EU AD DK.
503
solument possible. La donation renfermant une usure
palliée est nulle et sans effets possibles, le droit n’est
pas douteux. Ce qui peut offrir une difficulté, c’est la
question de savoir si l’usure existe ou non, et nous com
prenons que la solution de cette difficulté dépendra des
faits et circonstances, fl est cependant une considéra
tion qui domine la matière et qui semble devoir faire
admettre le caractère usuraire de l’acte, à savoir : l’exis
tence d’une donation par le débiteur au créancier. N’estil pas, en effet, extraordinaire que* d’une part, celui qui
se trouve réduit à emprunter, ou qui ne peut se libérer
de ce qu’il doit, aliène ses biens à titre gratuit en faveur
de son créancier, tout en restant grevé de la dette?
Que, d’autre part, le créancier aitdécouragé d’accepter
les dons d’un débiteur qui ne peut pas se libérer, et qu’il
nelui concède pas en échange la décharge de la dette?'
Que faut-il donc conclure de cette étrangeté? Pas
autre chose si non que la donation n’est que la condition
et la conséquence du prêt, soit qu’elle ait été consentie
pour le déterminer, soit qu’elle ait servi à obtenir une
prorogation du terme de l’exigibilité. Dans l’un comme
dans l’autre c a s, elle n’a qu’une cause illicite et ne
peut être considérée comme l’effet d’une volonté libre.
Quelques termes qu’on emploie, elle est en réalité im
posée par un homme en position de dicter la loi, ilebilor serins esl /œnerüloris. fl y manque le nullo jure
cogente, qui est de l’essence de la donation, car eyestas
excludit voluntarium. '
Chardon, Fol cl Fraude, n° 518.
* Tropiong, du Fiel, n° 367.
5
Jff' jpWI»
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il 1
�504
TRAITÉ
1165. — C’est ainsi que l’avait admis l’ancienne ju
risprudence, c’est ce qu’enseignaient notamment d’Argentré, Dumoulin et Pothier.
Pour que le présent, dit ce dernier, que le prêteur a
reçu de l’emprunteur soit réputé lui avoir été fait libre
ment, et ne soit pas en conséquence infesté du vice d’u
sure, il faut que l’emprunteur ne l’ait fait que dans le
temps qu’il a rendu la somme prêtée, ou après. S’il l’a
vait fait auparavant, il serait présumé ne l’avoir fait que
pour que le prêteur ne le pressât pas pour le paiement,
et, par conséquent, ne l’avoir pas fait avec liberté en
tière, ce qui suffit pour que ce présent, que le prêteur a
reçu, soit regardé, en quelque façon, comme exigé,
et, par conséquent, comme infesté du vice d’usure. 1
1164. — La question s’étant présentée depuis la loi
de 1807, a été résolue par la Cour de Pau conformément
à cette doctrine. Son arrêt ayant été cassé, l’affaire fut
renvoyée devant la Cour de Bordeaux qui, comme celle
de Pau, annula la donation.!
Hâtons-nous d’observer que l’arrêt de Pau, quant aux
principes , ne fut nullement improuvé par la Cour de
cassation. Ce qui détermina l’annulation de l’arrêt ne
fut que l’admission d’un moyen de forme. Aussi, et
malgré que la Cour de renvoi ait jugé plutôt en fait
qu’en droit, n’hésitons-nous pas à faire comme MM.
Chardon et Dalloz, c’est-à-dire à adopter pleinement la
doctrine enseignée par la Cour de Pau.
1 De l’Usure? n° 99,
s D. P., 2Ü, 2, 134- olt53.
�LUI DDL
1ÏT Ulî LA
FIIA U D E .
1165. >— Sans doute cetle doctrine souffre des ex
ceptions. Ainsi si la donation faite au créancier se trouve
parfaitement expliquée par les liens de parenté, d’al
liance ou de vieille affection ; si des services signalés ,
rendus depuis le prêt, et indépendamment de son exis
tence, la motivent et la justifient, il y aurait injustice à
l’anéantir. La qualité de créancier et de débiteur de
vient, dans ce cas, indifférente. Nul ne doit être privé
d’un émolument légitimement ou naturellement acquis,
par cela seul que, dans une circonstance plus ou moins
critique, il serait venu au secours d’un parent ou d’un
ami, en lui ouvrant sa bourse.
Que l’appréciation du juge soit appelée sur l’exis
tence, sur la réalité de moyens justificatifs de la dona
tion, l ien déplus équitableet de plus simple. Mais nous
persistons à croire que, lorsque le donataire en sera ré
duit à invoquer sa qualité de créancier, à ne parler que
de l’avantage, que sa condescendance à le devenir, a
procuré au débiteur, la donation doit être considérée
comme la condition du prêt; comme ne faisant avec lui
qu’un tout indivisible, inséparable, qu’on doit consé
quemment l’annuler parce qu’elle n’a jamais été, selon
l’expression de Dumoulin, liberalis el vere spontanea.
\ 166. — Il n’en est pas ainsi de la donation que le
débiteur ferait à son créancier, après l’avoir intégrale
ment remboursé. Délivré, par le paiement, de la con
trainte morale à laquelle il est censé céder avant, le dé-
�500
TKAITE
à des exigences illégitimes, et s’il donne, c’est qu’il en
a librement conçu et exécuté la pensée.
Cependant M. Troplong pense que, même dans ce
cas, le juge doit consulter et vérifier les circonstances
ayant présidé à l’accomplissement de l’acte. Elles seu
les, dit cet illustre jurisconsulte, peuvent le mettre à
même de décider si la rémunération du débiteur a été
réellement le fruit d’une pensée spontanée et libre.
1167. —- La prohibition de recevoir au-delà de l’in
térêt légal comprend non-seulement le profit que se pro
curerait le prêteur en exigeant réellement quelque chose
en sus des intérêts qu’il doit percevoir, mais encore ce
lui résultant pour lui des services personnels auxquels
l’emprunteur se serait soumis, outre les intérêts con
venus à un taux légal.
Toutefois l’usure n’existe réellement qu’en tant que
le profit exigé par le prêteur est une charge'imposée à
l’emprunteur. Conséquemment elle n’existerait dans
l’espèce que si les services personnels étaient apprécia
bles en argent.
1168- — Pour décider s’il en est ou non ainsi, il
faut non-seulement considérer la nature du service ,
mais encore son caractère relativement à la qualité et à
la profession de celui qui se l’est imposé. Souvent, en
effet, ce qui aggraverait la position de l’un, sera sans la
moindre influence sur celle de l’autre.
Par sa nature, le service sera appréciable en argent,
si celui qui doit le rendre ne peut le faire sans s’impo-
�DU DOL
ET
DE LA F R A U D E .
507
ser un sacrifice ou sans se priver d’un profit. Ainsi, dit
Pothier, si je prête à un jardinier à la charge, outre l’in
térêt légal, de me tailler mes arbres, le service sera
appréciable en argent. Ce que je donnerais à l’ouvrier
qui serait chargé de faire mon travail, ce que perd mon
débiteur en consacrant gratuitement à mon service les
journées qu’il utiliserait chez lui ou ailleurs, sont le
double élément de cette appréciation. Il y a évidemment
usure, car je réalise un profit et mon débiteur s’impose
une perte.
Mais ce qui est une charge pour le jardinier n’en est
pas une pour celui qui, instruit dans l’art de tailler les
arbres, ne fait pas de son exercice une profession, ou
n’en retire aucun profit. Si donc je prête à celui-ci à la
même condition qu’au jardinier, le service que je lui
impose n’est plus appréciable en argent. Il est vrai que,
pour moi, ce service est une économie, mais il est, de
la part du débiteur, plutôt un acte d’obligeance qu’il
n’aura pas cru, si l’on veut, pouvoir me refuser, mais
qui n’est jamais dans le cas de lui imposer un sacrifice
quelconque, ni aucune perte appréciable.
On voit, par cet exemple, comment on doit appliquer
la condition que les services'soierit appréciables en ar
gent, et dans quels cas on devrait admettre ou repousser
la demande en restitution, fondée sur des services per
sonnels, exécutés outre et indépendamment du paie
ment des intérêts.
1169.
— L’usure peut se glisser dans le contrat de
société. Ce que nous avons dit précédemment nous dis-
�508
TRA ITÉ
pense d’insister à ce sujet. Nous nous en référons 8 nos
précédentes observations. 1
1170. — La vente est favorable à la dissimulation
de l’usure. La liberté que ce contrat laisse aux parties
de fixer le prix, soit en capital, soit en intérêts, devait
fixer l’attention et exciter la convoitise de ces hommes
dont l’unique but est de se soustraire aux exigences de
la loi de 1807.
Nous avons déjà dit que la délivrance d’une certaine
quantité d’objets mobiliers était bien souvent pratiquée
par les usuriers pour ajouter encore à l’énormité des
intérêts qu’ils exigent. Nous avons dit aussi qu’il n’y
pas réellement vente dans ce cas ; qu’on ne peut voir,
dans cette délivrance, qu’un prêt, qu’une usure criarde
qu’il est du devoir des magistrats de réprimer sévèment. 2
1171. — Peut-on quereller d’usure la vente de mar
chandises faite par un commerçant? Non, évidemment,
si la vente est réelle, si le vendeur n’a fait qu’un de ces
actes dont la répétition et la fréquence constituent l’in
dustrie à laquelle il est voué. Il importerait peu que le
prix de la marchandise eût été porté à un taux plus
élevé que le cours du moment. C’est surtout en ma
tière de commerce qu’on peut dire, avec le juriscon
sulte romain : In pretio emptionis el vendilionis, nain 1 Yoy supra, il0 1071.
* Voy. supra, chap. 2, seet. 5, nos 939 el suiy.
�FUI
DDL
ET
DE
LA
FRAUDE.
5U9
raliter licel contrahentibus se circumvenire. 1 D’autre
part, la qualité de l’acheteur peut être telle, que la
cherté du prix soit dans des justes proportions avec le
danger de non paiement que court le vendeur.
Cependant cette cherté, poussée jusqu’à de certaines
limites, pourrait constituer la fraude, surtout si, par sa
position, son âge, son peu d’intelligence, l’acheteur
n’avait pas été à même de défendre suffisamment ses
intérêts, ou si elle était le résultat de manœuvres illé
gitimes.
Hors de ces hypothèses, la vente de marchandises,
quel qu’en soit le prix, ne pourra être légalement que
rellée d’usure. D’abord, parce que l’acheteur a pu dé
battre le prix; ensuite, parce qu’en matière de vente
mobilière, il n’existe pas d’action en lésion, et c’est
cette action qu’on prétendrait fee procurer par l’articu
lation d’une usure.
Mais si, sous prétexte de vendre, le commerçant
n’avait, en réalité, consenti qu’un prêt, l’action en
usure serait recevable. En effet, par cela seul qu’on est
commerçant et qu’on paraît ne faire que des actes de
commerce, on ne saurait impunément se livrer à l’u
sure. Les magistrats ont donc le devoir d’apprécier
l’opération querellée, et, s’ils sont convaincus qu’il s’est
agi non d’une vente, mais d’un prêt à un intérêt supé
rieur au taux légal, ils doivent appliquer, sans hésita
tion, la loi de 1807. *
1 L 16, Dig., § 4,
de Minoribus xxv annis.
2 Cass., 21 août 1829 ; — D. P., 29, d, 345.
' -f
�510
TR A IT É
Ainsi, la question que nous avons posée est plutôt en
fait qu’en droit. Elle est, dès-lors, livrée à l’arbitrage
souverain du juge.
1172.
— La vente d’un immeuble peut également
ne constituer qu’un prêt usuraire simulé. Une espèce
remarquable, jugée par la Cour de Paris, le 2 mai 1825,
indique les caractères auxquels on doit reconnaître
cette fraude.
« Par acte sous seing-privé, du 1er avril 1809, Baudot
vendit au sieur Cordier plusieurs immeubles moyen
nant 1,000 fr ., qu’il reconnut avoir reçus comptant.
« Par acte notarié, du 12 du même mois, Cordier re
vendit les mêmes immeubles à Baudot, moyennant une
redevance annuelle de six hectolitres deux décalitres
huit décilitres (seize bichets, ancienne mesure d’Au
vergne), de blé froment, payable le 1er avril de chaque
année et rachetable par une quantité de blé égale à
vingt prestations annuelles.
« Après la mort de Baudot, qui avait toujours exac
tement servi cette rente, ses héritiers déclarèrent vou
loir la racheter, et firent au sieur Cordier une offre réelle
de la somme de 1,000 f r ., pour éteindre et amortir la
rente créée par leur auteur.
« Cette offre ayant été refusée, les héritiers Baudot
en poursuivirent judiciairement la validité. A cet effet,
ils prétendirent que les actes d’acquisition et de re
vente des 1er et 12 avril 1809 étaient simulés; qu’ils
avaient été faits le même jour, et qu’ils n’avaient eu
pour objet que de dissimuler un prêt usuraire.
�DU DOL ET DE
LA
FRAUDE.
511
a Indépendamment d’une exception de prescription
décennale, Cordier soutenait au fond : que les actes
attaqués étaient sérieux et sincères ; qu’ils faisaient
pleine foi de leur contenu contre Baudot et ses ayantcause; qu’ainsi, la redevance avait été-stipulée non pas
pour une somme de 1,000 fr., mais pour le prix des
biens par lui vendus au sieur Baudot par le contrat du
12 avril 1809, et qu’il n’y avait rien d’usuraire dans
une pareille stipulation; qu’alors même qu’on sup
poserait, contre la teneur des actes et contre la vérité
des faits, que la rente eût été constituée moyennant un
capital de 1,000 fr., il n’y aurait encore lieu de mo
difier une convention qui ferait la loi des parties; que
la qualité et le prix des grains étant nécessairement va
riables, ce serait un pacte aléatoire, dans lequel il serait
impossible de voir le caractère de l’usure.
« Ce système échoue devant le tribunal d’Auxerre,
qui, rejetant la prescription, statue au fond par les mo
tifs suivants :
« Considérant que le sieur Cordier, entendu en per
sonne, avoue avoir acheté de l’auteur des héritiers Bau
dot, moyennant 1,000 fr., le 1er avril 1809, par acte
privé, les héritages qu’il lui a revendus le 12 dû même
mois, par acte authentique, moyennant une rente en
grains, remboursable en valeur de grains ; qu’ainsi, il
est évident que la vente du 12 avril 1809 n’est qu’une
voie indirecte imaginée par le défendeur à l’effet d’ob
tenir, à son profit, une rente en grains en ne fournissant
que de l’argent pour capital; que,par cela seul, la rente
devrait être convertie en argent ; qu’en effet, l’édit de
�TRA ITE
1565 défend de constituer une rente de grains pour un
capital en argent, à peine par les constituants d’être
poursuivis comme usuriers ; que cette prohibition est
renouvelée implicitement, il est vrai, mais nécessaire
ment par la loi de 1807, qui interdit toute autre stipu
lation d'intérêt conventionnel qu’au taux du cinq pour
cent du capital, ce qui suppose un revenu fixe et en
numéraire et inconciliable avec un intérêt consistant
en denrées, dont le prix varie sans cesse ;
« Considérant, en outre, qu’indépendamment de
cette première violation de la loi, le contrat du 12 avril
1809 a créé une énorme usure, le capital fourni par
Cordier n’étant que de 1,000 fr. et devant lui produire,
au lieu de 50 fr., seize bichets de blé à raison, en tout
temps, de 6 fr. 12 c. le bichet, indépendamment de ce
que le capital à rembourser est lui-même fixé en grains,
en sorte que il y a double usure. »
Cordier ayant émis appel de ce jugement, la Cour de
Paris le confirme purement et simplement par l’adop
tion des motifs.
1175.
— A notre avis, ces documents judiciaires ne
méritent qu’un seul reproche, à savoir : d’induire de la
loi de 1807 la confirmation implicite des principes con
sacrés par l’ordonnance de 1565 sur la stipulation d’un
intérêt en denrées. Ainsi que nous venons de le dire,
cette stipulation est aujourd’hui incontestablement li
cite, à condition que l’intérêt en denrées n’excèdera pas
le cinq pour cent, quelle que soit la quantité promise.
Au fond, et quant à la réduction, la décision du tri-
�DU DOI.
ET
DK LA F R A U D E .
bunal est non-seulement équitable,mais encore au plus
haut point juridique. Elle ressortait, invinciblement,
des circonstances du fait. Il est évident que les seize biehèts de blé n’étaient que l’intérêt des 1,000 fr. prêtés,
et que les deux ventes des 1er et 12 avril n’étaient qu’un
moyen détourné pour déguiser ce qu’un pareil intérêt
avait d’illégal. Cette simulation était tellement trans
parente, que les héritiers Baudot avaient raison lors
qu’ils l’appelaient une fiction maladroite. Elle n’était,
en effet, pas autre chose que le contrat mohalra, ap
pliqué à une vente d’immeubles.
1174. — Cette évidence, susceptible d’être acquise
dans toute autre espèce, explique pourquoi les tribu
naux seront rarement appelés à statuer sur des hypo
thèses de cette nature. Il faut à l’usure des chances plus
sûres, et la vente à réméré semble faite pour les lui
offrir.
Dans l’opinion de M. Chardon, ce contrat ne paraît
pas avoir d’autre objet que d’aider l’usure dans ses per
fides spéculations.1 Cette appréciation, la doctrine an
cienne l’avait déjà faite : Via aperta ad illicitum fæmis
exercendum, disait Dumoulin, 2en parlant de la vente
à réméré. C’est ce qui explique les répugnances qu’il
fallut vaincre lorsqu’il fut question de l’inscrire dans le
Code.
Ceux-là mêmes qui en votèrent le maintien, ne se dis1 Dol et fraude, I. m , »° 527.
s Pe Usu., Q. 56, n° 392.
I il
�514
T R A IT E
simulaient pas les graves inconvénients qu’elle est clans
le cas d’entraîner. Celui qui se réserve de reprendre ce
qu’il aliène, n’a pas, évidemment, l’intention de ven
dre, et, s’il le fait, c’est qu’il ne peut autrement pour
voir aux besoins qu’il a actuellement h satisfaire. Il
ne vendrait donc pas si son crédit pouvait lui procurer
les sommes qui lui sont indispensables.
1175. — La vente à réméré offre donc plutôt l’idée
d’un prêt que celle d’une vente. Mais, dans ces termes
mêmes, il a paru convenable de la maintenir. En effet,
le répit qu’elle offrira au débiteur peut lui fournir le
moyen de vaincre les embarras pécuniaires le forçant
à y recourir. Elle peut, dès-lors, lui conserver un pa
trimoine qu’il eût été forcé, sans son secours, d’aliéner
d’une manière définitive et à un prix inférieur à sa va
leur réelle. Il ne manque pas, en effet, de gens capables
de spéculer sur le besoin que le vendeur a de se défaire
de ses biens, besoin qu’ils exploitent, qu’ils ne deman
dent pas mieux que d’exploiter.
D’autre part, la vente à réméré n’offrira jamais un
prix proportionné à la valeur réelle, et plus l’acqué
reur aura en vue un avantage usuraire, plus il réduira
la somme pour rendre cet avantage plus considérable
en cas de non exercice du rachat. De plus, si l’im
meuble est réellement livré, l’acquéreur en retirera ies
revenus, qui d|vront excéder l’intérêt légal. Ainsi,
usure dans la perception de cet intérêt, usure sur le
remboursement du capital, si la propriété n’est pas ra-
�DU DOL
FT
DE LA F R A U D E .
515
chetée, telle est la double faee que présente ce dan
gereux contrat.
Il suit de là que la justice a le plus rigoureux devoir
à éclairer l’opération qui lui est dénoncée, à la rétablir
dans sou véritable caractère, à lui restituer ses effets
naturels. Elle empêchera ainsi la consommation d’une
fraude trop facile pour ne pas être très souvent tentée.
1176. — Nous nous sommes déjà occupés de la re
cherche des circonstances de fait pouvant donner à la
vente à réméré le caractère d’un contrat pignoratif. Ces
circonstances sont, avons-nous dit, 1° la vilité du prix;
2° le pacte du rachat; 3“ la relocation; leur réunion,
avons-nous ajouté, peut suffire pour faire admettre
l’absence d’une vente.1
1177. —- Peut-on arriver au même résultat, si ces
trois circonstances n’existaient pas simultanément? A
cet égard une distinction nous paraît indispensable.
1178. — Ce qui est surtout dans le cas de changer
la nature apparente du contrat, c’est le fait de la trans
mission conditionnelle et temporaire de la propriété de
la chose vendue. Évidemment si ce transport est fait de
manière définitive et irrévocable au moment du contrat
et par le contrat même, il serait difficile de voir dans ce
contrat autre chose qu’une véritable vente à des condi
tions plus ou moins avantageuses, mais ne pouvant, dans
aucun cas, autoriser une autre action que celle en lésion.
1Voy. sup.,
chap. 2, seel. 5, ,n“ 946.
�T R A IT E
Dès-lors la stipulation de rachat est indispensable,
son absence enlèverait tout moyen de soutenir que la
vente n’est qu’un contrat pignoratif. Vainement, en cet
état, arguérait-on de la vilité du prix et de la relocation.
La première ne serait à considérer que si elle occasion
nait une lésion atteignant les proportions établies par
l’article 1674. La seconde ne constituerait plus que
l’exercice licite d’un droit exclusivement dévolu au
propriétaire.
Mais le pacte de rachat stipulé dans l’acte, la réunion
des deux autres circonstances est en quelque sorte la
preuve qu’il s’agit d’un contrat pignoratif. L’absence de
l’une d’elles affaiblit cette preuve, mais ne la fait pas
disparaître complètement, en ce sens que la présomp
tion que l’existence de l’autre fait naître est de nature à
déterminer la conviction que les autres faits du procès
peuvent confirmer.
1179* — Ainsi la vilité du prix coïncidant avec le
pacte de rachat, confirme ce que celui-ci fait présumer,
à savoir : l’absence chez le vendeur de toute intention
de vendre. La faculté de racheter est incompatible avec
l’idée d’aliéner; que sera-ce donc si à cette faculté se
joint un prix évidemment en dessous de la juste valeur.
II n’y a plus alors qu’une seule explication admissible ,
c’est que le prétendu vendeur a accepté comme prêt la
somme qu’il n’eùt jamais acceptée comme l'équivalent
de ses biens. La prétendue aliénation qu’il en fait n’est
donc plus que la garantie de ce prêt. On ne saurait dé
cider le contraire sans se placer en contradiction avec,
�DU DOL
ET
DE
I.A l’EAU Di',.
517
la vérité, sans consacrer la spoliation que l’usure s’est
ménagée.
!VL Chardon, qui professe cette doctrine, s’étaye sur
cet exemple : Jacques, voulant emprunter 6000 francs,
vend à Jean, moyennant cette somme, un domaine af
fermé 600 francs et l’acquit des contributions, avec la
faculté de racheter ce domaine dans cinq ans, en ren
dant les 6000 francs. Qui refuserait, dit cet auteur, de
voir, dans ce traité, un prêt à dix pour cent, offrant en
outre la perspective pour le prêteur d’obtenir le double
de son capital, si l’emprunteur ne profite pas du délai
pour se libérer? Pour tolérer une pareille exaction, il
faudrait méconnaître et l’article *2088 du Code et la loi
de 1807.1
La vilité du prix, qui ne serait pas par elle seule un
indice de fraude, la fait fortement présumer lorsqu’elle
se réunit au pacte de rachat.
1180.
— La relocation ne produit pas, dans les mê
mes circonstances, un effet moins décisif. D’une part,
le pacte de rachat, disions-nous, exclut toute intention
de vendre; de l’autre, la relocation fait supposer que
l’acheteur n’a pas voulu sérieusement acheter. Celui
qui acquiert réellement une chose ne le fait que pour la
posséder et en jouir. Comment donc interpréter la con
duite de cet acquéreur, dont le premier acte est de lais
ser la jouissance et la possession aux mains du vendeur.
1
Pu Dol H de ta fraude, it° Î5!'i2.
�TRAITE
Vainement exciperail-on de l’existence d’un bail pour
justifier la précarité delà possession du vendeur, l’exis
tence de ce bail serait sans influence aucune, parce que
la réussite de la simulation dont il est argué l’amenait
forcément. Elle n’est qu’une conséquence de l’apparence
donnée à l’acte. Vouloir donc justifier celle-ci par cellelà, c’est appeler la fraude au secours de la fraude. D’ail
leurs, s’il n’y a pas vente, il y a prêt, et dès-lors néces
site de stipuler un intérêt quelconque. C’est cet intérêt
que la nécessité de la stipulation a fait qualifier prix
d’un bail, qualification qui devait tomber devant la cer
titude qui n’existe pas de vente sérieuse.
La faculté de rachat et surtout la rétention de la pos
session excluent toute idée de vendre chez le prétendu
vendeur. Le consentement donné à cette rétention ,
même par un bail formel, exclut chez l’acquéreur l’in
tention d’acheter. La coïncidence de ces deux présomp
tions doit être considérée comme établissant sans répli
que le véritable caractère de l’acte.
Ainsi donc la réunion des trois circonstances que
nous avons énumérées n’est pas nécessaire. Il suffit
qu’au pacte de rachat vienne se joindre ou la viiité du
prix ou la relocation. Si elles existaient toutes trois, la
démonstration de la fraude n’en serait que plus évidente.
Au reste, nous dirons à cet égard ce que nous avons
déjà dit et ce que nous serons amené à répéter encore :
en cette matière, comme dans toutes les appréciations
de fait, la solution est livrée à l’arbitrage souverain du
juge. Elle peut constituer un bien ou mal jugé, jamais
�DU DOL E T
DE
LA F R A U D E .
519
une violation de la loi susceptible de censure de la part
de la Cour de cassation.1
1181. — L’acte de vente déclaré contrat pignoratif
est nul comme vente, il n’a donc jamais pu en produire
les effets. Ainsi la propriété n’a pas cessé de résider sur
la tête du débiteur. Elle est donc soumise aux droits
que les créanciers de celui-ci auraient acquis avant la
résolution du contrat, comme elle est affranchie de toutes
les charges dont le prétendu acquéreur l’aurait grevée.
Par rapport à lui, l’acte ne lui confère qu’un simple
droit d’obligation l’autorisant à se faire rembourser du
capital et des intérêts légaux.
Ce résultat est indépendant d’une usure quelconque.
Le contrat pignoratif ne peut dans aucun cas, aux ter
mes de l’article 2088, transférer au créancier la pro
priété, il ne lui donne que le droit, à défaut de paiement
au terme convenu, de poursuivre l’expropriation des
biens qui lui ont été donnés en antichrèse. En consé
quence le contrat de vente, reconnu n’être qu’un contrat
pignoratif, ne saurait produire d’autres effets, alors
même qu’il ne renfermerait aucune usure.
Si l’usure existe, il est pourvu à l’intérêt du débileur
par l’imputation de ce qu’il a indûment payé, d’abord
sur les intérêts et ensuite sur le capital.
1182. — L’usure, qui a abusé du contrat de ma
riage, delà donation, du contrat à la grosse, delà vente,
1 Cass. , 3 mars 1823 ; — D. P., 25, 1, 177.
�T R A IT E
a aussi tenté de se déguiser derrière l’échange. C’est ce
que pratiquait un usurier d’Alsace, Il achetait habituel
lement de petits héritages, et lorsqu’on venait lui em
prunter de l’argent, il obligeait l’emprunteur à en pren
dre un à titre d’échange pour le prix qu’il y mettait. De
cette manière il ne figurait que comme créancier d’une
soulte et jamais comme prêteur. Il espérait ainsi jouir
impunément du fruit de ses rapines, car il s’assuraitpar
ce moyen un intérêt quelquefois de 50 et de 80 pour
cent.
Mais son attente fut déçue, un de ces prétendus
échanges avant été déféré à la justice, la Cour de Col
mar refusa de reconnaître les caractères de ce contrat,
le déclara un simple prêt usuraire et l’annula, délais
sant les parties à se régler pour ce qui avait été réelle
ment prêté, compensation faite avec ce qui était déjà
pavé.1
1183.
— Nous pourrions multiplier les exemples et,
parcourant tour à iour les autres contrats, démontrer
qu’ils peuvent aussi, quelle que soit leur spécialité, récéler l’usure sous des apparences de légalité irrépro
chable. Nous en avons dit assez pour prouver que l’u
sure est douée d’une subtilité qui ne le cède qu’à son
audace. Il faut donc, pour la combattre et la vaincre ,
une perspicacité rare, une patience à toute épreuve,
une persévérance obstinée. La loi, en conférant la ré
pression aux tribunaux, leur a conféré le pouvoir que
cette mission exigeait, en les armant du droit d’apprêt
1 25 mais 1825.; — D. P. 25, 2, 173,
�DU DOL E T
DE
LA
FRAUDE.
521
cier souverainement les faits et les actes, et de s’arrêter
plutôt à l’intention des parties qu’à la lettre, même ex
presse, de leur contrat. Que les magistrats veillent donc
avec une sévère exactitude, mais que l’horreur de l’u
sure ne les entraîne jamais à porter atteinte à des con
ventions légitimes, injustement attaquées. Impitoyables
pour la fraude, ils doivent, avec la même rigueur, pros
crire les attaques que dicterait l’imprudence ou la dé
loyauté.
1184. — L’usure ne devient un délit que par la répé
tition et la fréquence des actes qui la constituent. La loi
correctionnelle n’atteint, en effet, que l’habitude, mais
chaque fait usuraire ouvre une action à la partie lésée.
Dans l’un et dans l’autre cas, l’usure se déguisant à l’aide
de titres écrits qu’il faut anéantir, on a prétendu que
soit l’action au civil, soil celle du ministère public au
criminel, ne pouvait être admise que si elle s’étayait
d’une preuve écrite.
•
1185. — L’article 1341, a-t-on dit, proscrit toute
preuve testimoniale outre et contre le contenu de l’acte.
Par application de ce principe, on doit reconnaître que
l'habitude d’usure, quoique constituant un délit, ne
peut être établie par la preuve testimoniale. Il est, en
effet, des délits qui n’admettent pas ce genre de preuve,
telle est notamment la violation de dépôt, lorsqu’il s’a
git d’objet valant plus de 150 francs.
Mais ce système proscrit par la Cour de cassation, le
�522
TR A ITÉ
2 décembre 1815, a été depuis complètement aban
donné.
1186. — Battue sur ce terrain, l’objection s’est
rejetée sur l’action de la partie qu’elle a voulu repous
ser par la même fin de non-recevoir. Ce système,
consacré par un arrêt de la Cour de Pau, est celui qu’a
dopte M. Sirey.1
1187. — Mais le système contraire, soutenu par de
nombreux et graves auteurs, '2 a prévalu en jurispru
dence. 3 II faut bien le reconnaître, sans cette solution,
les lois répressives de l’usure n’étaient plus qu’une lettre
morte sans application possible.
On ne viole pas une loi formelle sans prendre toutes
les précautions susceptibles d’assurer la réussite du
projet ayant déterminé cette violation. Comment se
flatter de voir l’usure laisser sur son passage des traces
écrites, elle qui, pour mieux se déguiser, emprunte
toutes les formes, déploie toutes les ruses les plus sub
tiles, et sait ainsi se soustraire parfois à toute poursuite.
Mettre sa répression au prix d’une preuve écrite, autant
valait la proclamer inviolable.
Est-il vrai, d’ailleurs, que l’article 13-41 puisse régir
$
f-
1 17 mars 1821 ; — Sirey, 25, i, 45 et 46.
2 Toullier, l. ix, n° 193; — Chardon, n ° 520; — Troplong, nl,405;
— Duranton, t. xm , n° 552;—Garnier, d cl'U s., p. 110;— Zacchariæ,
t. m, § 98, note 20 ; — Duvergier, n° 507 ; — Dalloz, t. xn, p. 721.
3 Caen, 25 juillet 1827 ;—Bourges, 2 juin 1851 ;— Sirey, 50, n, 204
et 52, n, 120 ; — Cass., 28 juin 1821 et 18 février 1829; —D. P ., 29,
1,375.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
OÜSO
la matière? Cet article ne concerne que l’intérêt parti
culier, dont elle prévoit et punit la légèreté et l’impru
dence. Chaque partie peut renoncer à un avantage per
sonnel, et cette renonciation, la loi la fait résulter de l’ab
sence d’une preuve écrite. Mais nul ne peut renoncer à
une prescription d’ordre public, répudier le comman
dement d’une prohibition dans un intérêt général. Or
l’usure intéresse l’un et l’autre, et, à ce double titre,,
son inefficacité est absolue, radicale et n’admet pas
même de convention contraire. Serait-il donc possible
de faire, par un défaut de preuve littérale, ce que ne ferait'pas l’engagement le plus positif?
1188.
— M. Troplong a raison. Le simple bon sens
indique que telle n’a pas été la pensée du législateur.
Car, pour décider le contraire, il faudrait aller jusqu’à
admettre que la loi a eu pour objet d’assurer l’impunité
à l’usure qu’elle semblait proscrire, et de donner aux
usuriers une égide et un encouragement pour ne laisser
aucune trace apparente de leurs pratiques abusives ,
pour envelopper les desseins de leur cupidité sous les
couleurs trompeuses d’un acte licite.
D’ailleurs, si le délit d’usure ne résulte que de l’ha
bitude, il est certain que cette habitude n’est elle-même
que la conséquence naturelle des faits divers la consti
tuant. Dès-lors chacun de ces faits est un élément es
sentiel du délit, sans être le délit lui-même. La loi qui
réprime celui-ci ne saurait tolérer des actes,qui abou
tissent à le caractériser.
Enfin la participation du débiteur au contrat n’est
�d’aucune considération. D’abord parce qu’il n’appar
tient à personne de violer l’ordre public ou l’intérêt gé
néral. ‘ La nullité résultant de cette violation étant ab
solue, peut être invoquée par tous. Ensuite, parce qu’en
matière d’usure le débiteur est censé céder à une vio
lence morale à laquelle il ne peut résister.
1189. — La preuve testimoniale est donc admissi
ble pour le fait spécial d’usure comme pour le délit luimême. De là cette conséquence que, sans y recourir, les
juges peuvent déclarer la convention usuraire, si des
présomptions graves, précises et concordantes viennent
leur en donner la conviction.
1190. — Dans l’hypothèse même où ces présomp
tions, où la preuve testimoniale ne paraîtraient pas dé
cisives, les juges pourraient, en vertu des articles 1366
et 1367, déférer le serment supplétoire. Cette faculté,
que M. Chardon s’efforce de justifier, n’est contestée
par personne. Oui, les juges le peuvent. Le doivent-ils,
c’est ce qui est plus délicat et plus grave.
Il est peu d’exemple d’un individu reculant devant la
nécessité d’affirmer sous serment l’allégation qu’il a
judiciairement produite et souteuue. Déférer à une par
tie la décision de son procès, c’est s’exposer à ne pas
toujours consacrer la vérité.
M. Chardon, cependant, enseigne non-seulement que
* Limoges, 28 février 1859 ; — D. P., 59, 2, 267.
�DU DOI. ET DE LA FRAUDE.
les juges ne doivent pas hésiter ?i déférer le serment,
mais encore qu’il convient de le déférer au débiteur al
léguant l’usure. Mais, en pareille matière, l’absolu offre
d’inévitables dangers.
1191.
— Nous tenons donc que la plus extrême pru
dence doit diriger l’exercice de cette faculté; que le
serment ne doit être déféré que lorsque, par la gravité
des présomptions relevées, cette formalité est en réalité
une précaution pour vaincre un dernier scrupule de la
conscience. Si le juge n’est pas convaincu, si les pré
somptions ne lui paraissent pas reeevables, un serment
prêté après un tel débat rassurera-t-il et sa raison et sa
conscience?
1192. — Quant à celui à qui le serment doit être
déféré, nous ne voyons pas de moyen de le désigner sans
empiéter sur la conscience du juge. La loi l’autorise à
le déférer à l’une des parties ; c’est donc à sa sagesse et
à sa prudence qu’elle s’en rapporte. Il est d’ailleurs seul
en état d’apprécier les antécédents et la moralité des
plaideurs, et s’il est vrai qu’une précédente condamna
tion pour usure dût rendre le créancier suspect, il peut
se faire aussi que la conduite passée du débiteur ait été
telle qu’il y aurait danger à s’en rapporter à lui. Il faut
donc s’en tenir à l’avis de la loi elle-même, et laisser le
magistrat arbitre souverain d’un choix qui lui appartient
exclusivement.
1193. — L’existence de l’usure prouvée, le contrat.
�526
TRAITE
qui en est vicié doit être ramené à des proportions lé*
gales. Le débiteur est dès-lors autorisé à se faire resti
tuer, soit directement soit par imputation sur ce qui
reste dû , toutes les sommes qu’il a indûment payées.
L’action quant à ce, formellement édictée par l’article 5
de la loi du 5 septembre, n’a jamais rencontré de con
tradiction, ni soulevé de difficultés.
1194.
— Cette action est ouverte en faveur du dé
biteur, ses héritiers ou ayant-cause, y compris ses créan
ciers. Ces derniers ont un intérêt évident à tout ce qui
est de nature à grossir l’actif de leur débiteur. On ne
saurait donc les évincer de l’instance que, dans le
silence de celui-ci, ils auraient eux-mêmes introduite,
soit pour constater l’usure, soit pour en revendiquer
les conséquences. Cette instance trouverait sa receva
bilité dans la disposition des articles 1166 et 1167 du
Code civil.
1195- - - L’action en réduction ou en compensation
est toujours une action principale que le débiteur ou ses
ayant-cause doivent directement exercer. Elle ne peut
jamais être jointe à l’action en répression du délit pour
suivi par le ministère public.
Nous l’avons déjà dit : ce qui constitue le délit d’u
sure, c’est l’habitude; sans doute chaque fait spécial est
un des éléments du délit, mais n’est pas le délit luimême. Dès-lors l’action civile se poursuivant concur
remment avec l’action criminelle, ne pouvant résulter
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
527
que d’un délit, n’appartient à aucun des débiteurs lésés
par le fait spécial.
De là il suit que, quels que soient les termes de l’ar
ticle 5 de la loi du 3 septembre 1807, on ne doit con
fondre ni le principe ni les effets des deux actions qu’il
autorise. Ainsi le tribunal correctionnel, compétent pour
juger le délit d’habitude, a sans doute la faculté, pour
la détermination de l’amende, de relever et d’indiquer
nominalement les créances qu’il trouve usuraires, mais
cette indication faite épuise sa compétence, en ce sens
qu’il ne peut prononcer ni résiliation ni compensation.
L’une ou l’autre ne peuvent être que la conséquence
d’une action dont la connaissance est exclusivement
déférée aux tribunaux civils.
1196- — De plus, et en vertu du principe de la sé
paration du criminel et du civil, la chose jugée par le
tribunal correctionnel n’a aucune influence nécessaire
dans l’instance civile. Ainsi, quoique la créance, dont la
réduction fait l’objet de celle-ci, se trouve nommément
parmi celles déclarées usuraires et ait concouru à la dé
termination de l’amende, le tribunal civil peut ordonner
une instruction nouvelle et écarter la prétention d’u
sure, si son existence ne lui paraît pas suffisamment
démontrée. On comprend, en effet, que le prévenu d’ha
bitude d’usure, se débattant contre une masse de faits,
n’ait pu faire pour chacun d’eux des justifications qu’une
attaque, concentrant la difficulté sur un seul point, lui
permettra d’offrir.
Par la même raison, la créance, que le tribunal cor-
�- ~~
528
I RA IT É
rectionnel n’aurait pas rangée dans la classe des faits
usuraires , pourra être considérée comme telle par le
tribunal civil, l’instruction ordonnée sur l’action du dé
biteur étant de nature à confirmer une prétention qui ne
s’appuyait, dans la poursuite criminelle, que sur le dire
personnel du débiteur lui-même.
1197. — Ainsi l’exception péremptoire de chose
jugée ne peut résulter ni en faveur, ni au détriment du
créancier, de la décision intervenue sur la poursuite du
ministère publie. Cette exception, le jugement qui au
rait prononcé la légitimité de la créance contradictoi
rement entre le créancier et le débiteur, pourrait seul
l’établir ; ainsi le débiteur poursuivi en paiement, et
condamné définitivement, ne pourra plus soutenir que
la dette était entachée d’usure ; c’était, là une exception
de nature à mettre obstacle b la condamnation, tout au
moins à la faire modifier. Il devait donc l’opposer et
le silence qu’il a gardé avant cette condamnation, il
n’est plus recevable à le rompre après, il ne peut eu
être relevé que si le jugement peut encore être attaqué
par les voies ordinaires.
1198. — En effet, l’exception d’usure étant un mo
yeu et non une nouvelle demande, peut être proposée
pour la première fois devant la Cour d’appel, c’est ce
que la Cour de cassation a formellement consacré par
arrêt du 51 décembre 1855. ’
» I). P. U , I, 140,
�I)U DOL ET DE
LA
FRAUDE.
520
1199.
— M. Chardon pense qu’un jugement inter
venu sur l’exécution du titre, spécialement sur la vali
dité d’une saisie mobilière, ne constituerait pas la chose
jugée sur la légitimité du titre. 1 Nous ne saurions être
de son avis, surtout après avoir consulté l’espèce qu’il
emprunte à Dumoulin, et sur laquelle il étaye son opi
nion. Dans cette espèce, en effet, c’était un créancier
disputant un droit de priorité dans une instance en dis
tribution du prix d’une maison saisie. Conformément
à la loi de l’époque, tous les créanciers avaient été ad
mis à la saisie, et c’est dans cette admission purement
conservatoire que le créancier contesté voulait trouver
une fin de non-recevoir contre l’usure qui lui était re
prochée. Cette fin de non-recevoir fut repoussée, car
l’admission pouvait bien au pis aller conférer la qualité
de créancier, mais non déterminer le chiffre exact de
la créance, ni encore moins la purger du vice d’usure
qui, comme l'observe Dumoulin lui-même, n’avait pas
même été articulé: In quo de usiira non fneral dispu
ta tum.
Tout cela n’a rien de commun avec la décision ren
due sur la validité de l’exécution d’un titre entre créan
cier et débiteur. Le sort de la saisie dépend évidem
ment de celui delà créance, surtout en matière d’usure.
Son existence reconnue amène la nécessité d’un règle
ment pour établir le chiffre de la restitution ou de
l’imputation. Elle enlève donc à la créance toute liqui
dité. Or, on ne peut saisir que pour une somme liquidé
Dol et fraude, n° 551.
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TRAITE
et exigible. La validité de la saisie, reconnaissant ce'
double caractère aux sommes exigées, établit donc
explicitement la légitimité de la créance.
L’opinion de M. Chardon ne nous paraît donc pas
admissible, tout au moins faudrait-il en réduire l’ap
plication au cas où la saisie n’aurait été contestée que
sous le rapport de la forme. Dans cette hypothèse, en
effet, on ne saurait opposer au débiteur qu’une recon
naissance implicite de la validité du titre, résultant de
ce qu’il n’aurait contesté la saisie qu’en latomie. Mais,
à ce reproche, le débiteur pourrait répondre que le vice
d’usure ne pouvant être ratifié, sa reconnaissance im
plicite ne saurait sortir à effet.
1200.
— Le fondement de cette réponse est parfai
tement juridique; en effet, l’usure et sa répression inté
ressant l’ordre public, le vice que son existence crée
n’est pas susceptible d’être expressément, et moins
encore tacitement ratifié.
Le motif de cette prohibition est puisé dans la consi
dération que nous rappelions tout à l’heure, h savoir :
que le débiteur est censé céder à une violence morale.
O r, ce défaut de liberté, existant à l’endroit du titre
constitutif de l’usure, existerait également à l’endroit
de l’acte de ratification; ce qui vicie le premier, vicie
rait donc infailliblement le second.
Mais de là cette conséquence que la ratification, don
née expressément ou tacitement après la libération,
rendrait toute recherche ultérieure non-recevable. Le
débiteur qui a payé reprend toute sa liberté, il n’a plus
�_________________
DU DOD ET DE LA FRAUDE.
531
rien à redouter des exigences de son créancier. L’action
en répétition qui lui reste, est une faveur de la loi à la
quelle il lui est loisible de renoncer; cette renonciation
s’induit de la ratification ; dès-lors l’existence de celle-ci
rendrait à l’avenir toute réclamation non-recevable, à
moins que l’acte de ratification ne fût que le résultat
du dol ou de la fraude.
Il en est de la transaction comme de la ratification,
celle qui serait consentie pendant l’existence de la dette
serait sans effet et ne ferait nul obstacle à la restitu
tion intégrale du débiteur usure; au contraire, celle in
tervenue après paiement sortirait définitivement à exé
cution, et les sommes abandonnées ne pourraient plus
être répétées. Celui qui peut valablement renoncer au
tout, peut incontestablement renoncer à la partie, donc
celui qui a la faculté de ratifier purement et simple
ment, peut, à plus forte raison, transiger.
1201.
— Une autre fin de non-recevoir pourrait
être opposée par le créancier à la demande en restitu
tion, à savoir: celle tirée de la prescription. La question
de savoir si le fait usuraire est susceptible de prescrip
tion a été controversée dans l’ancien droit, elle ne l’est
plus aujourd’hui. L’affirmative, que soutenait Dumou
lin, 1 est admise en doctrine et en jurisprudence.
A quel moment convient-il de fixer le point de départ
de cette prescription? Evidemment au jour où l’opéra
tion s’étant liquidée, les parties sont devenues étran1 De Usu., Q. 17, n° 190.
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gères l’une à l’autre. En effet, tant que le débiteur ne
s’est pas libéré, l’usure se continue et se poursuit ; elle
se renouvelle à chaque perception. Conséquemment, si
pendant cette période la prescription pouvait courir, il
arriverait un moment où, par son accomplissement, la
fraude aurait acquis une existence certaine en com
mandant l’exécution , c’est-à-dire qu’on acquérait le
droit de violer la loi, par cela seul qu’on l’aurait violée
pendant un temps fort long.
D’autre part, le débiteur menacé de poursuites, ou
poursuivi à chaque nouvelle échéance, ne peut, par son
silence antérieur, avoir aliéné le droit de se défendre, et
ce droit renaît avec les prétentions qu’il a pour objet de
combattre. Il peut donc être exercé tant que le créan
cier vient par ses demandes en provoquer l’exercice,
sans avoir égard au temps plus ou moins long qui sé
pare les demandes de l’origine de la créance : Quœ
temporalia sunt ad agendum, sunt perpétua ad excipiendum. Voulût-on considérer les paiements antérieurs
comme une reconnaissance du droit, qu’on n’arriverait
à aucun résultat utile, puisque, ainsi que nous venons
de le voir, l’usure n’est pas susceptible d’être reconnue
ou ratifiée tant que le débiteur est asservi à ses liens.
La prescription ne peut donc courir contre le débi
teur qu’à partir de sa libération. Alors, en effet, le droit
de réclamer l’indemnité du préjudice est acquis, et avec
son ouverture commence contre le débiteur une véri
table mise en demeure de l’exercer. Son silence a une
signification d’autant plus expresse qu’il est en position
d’abandonner formellement l’avantage que la loi lui
�mm
DU DOI. ET DE r.A FRAUDE.
533
assure, et c’est dans le sens de cet abandon qu’il doit
être interprété. Jusque là, en effet, tout ce qu’il a fait
n’est considéré que comme le résultat de la contrainte
morale qu’il subissait, mais cette contrainte cessant,
ne pourrait plus ni expliquer ni excuser son inaction.
1202.
— Par quel laps de temps le créancier aurat-il prescrit contre le débiteur?
En thèse ordinaire, l’action pour usure ne se propose
qu’un seul but, celui de faire ordonner la restitution
de ce qui a été injustement perçu d’une part, indû
ment payé de l’autre. Elle est donc une véritable action
en répétition, et, comme telle, elle ne se prescrit que
par trente ans.
Vainement a-t-on excipé des termes de l’article 1304
pour soutenir que la prescription décennale était ap
plicable; cet article ne régit que les actions en nullité
ou en rescision. Or, l’acte entaché d’usure n’est ni nul,
ni rescindable, il est seulement réductible. Ainsi l’u
sure admise, reste un engagement licite pour tout ce
que le débiteur a réellement reçu, et dont rien ne peut
empêcher la stricte exécution dans les proportions ré
duites. C’est ce qui faisait dire à Dumoulin,1 quia condicens indebitum non dicitur venire contra pacta et
eonventa, nec petere ilia rescindi.
Si donc l’action n’est pas celle de l’article 1504, il
devient évident que sa durée ne saurait être régie par
Q'iesl. 19, n°200,
�lui. Elle reste donc soumise soit au principe général,
soit au principe spécial à la répétition de l’indu.
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1203. — Toutefois cette règle n’est applicable qu’à
l’usure ressortissant d’un acte d’obligation pur et sim
ple. L’usure palliée sous l’apparence d’un autre contrat
obéit à d’autres principes. L’action, en ce cas, prend
tous les caractères de celles dont il est question en l’ar
ticle 1304. Il ne s’agit plus, en effet, d’une action sim
ple en répétition, mais bien en nullité de la vente, de
la donation récélant l’usure. Cette nullité prononcée,
l’acte est anéanti dans tous ses effets. L’action est donc,
dans ce cas, réellement contra pacta et convenla, elle
a pour objet principal leur rescision, petit ilia rescindi,
elle doit conséquemment être intentée dans les dix
ans.
1204. — Mais, ainsi que nous l’avons fait observer
ailleurs,1 ce délai s’applique à l’action directe du débi
teur. Si l’usure palliée avait créé un contrat dont le
créancier demanderait l’exécution, la prescription lui
serait en tout temps opposable, en force de la maxime
que nous rappelions tout à l’heure: Quœ temporaliasunti
ad agendum, sunl perpétua ad excipiendum.
1 Y. supra, a03 631 et suiv.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
535
SECTION Vil. — FRAUDES DANS LES MANDATS.
SOMMAIRE.
1205.
1206.
1207.
1208.
1209.
1210.
1211.
1212.
1213.
1211.
1215.
1216.
1217.
1218.
1219.
1220.
1221.
Caractère et importance du contrat de mandat.
Facilités qu’il offre à la fraude.
Conséquences.
Le mandataire répond de sa faute.
Obligations que crée l’acceptation du mandat.
Forme de l’acceptation. Peut-elle résulter du silence
gardé sur la proposition ?
Quid pour les notaires, avoués, commissionnaires?
Obligations imposées en cas de refus.
Conséquences de l’acceptation.
Obligation d’accomplir le mandat jusqu’à révocation.
Première exception à cette règle. Devoirs du manda
taire placé dans l’impossibilité de remplir le mandat.
Seconde exception. Force majeure.
Devoir du mandataire de se conformer strictement à
son mandat, quant à la quantité et à la qualité des
choses demandées.
Quant au prix.
La chose achetée au-delà de; ce prix doit-elle rester
pour le compte du mandant, si le mandataire prend
l’excédant à sa charge ?
La limitation du prix ne fait pas disparaître l’obligation
d’acheter à un prix moindre, s’il y a possibilité.
Devoir du mandataire de rectifier l’erreur évidente du
mandant.
�1
1
Le mandataire est tenu d’administrer en bon père de
famille.
Délits caractérisés par l’infidélité du mandataire. Dif
férence entre l’abus d’un blanc-seing et les détour
nements.
Peine contre l’application, à l'usage personnel du man
dataire, des fonds provenant du mandat.
Nécessité d’entreprendre,dès l’acceptation, l’opération
faisant la matière du mandat..
De tenir le mandant au courant de l’affaire.
Administration du mandataire. Ce qu’on doit attendre
de lui.
Il commet une faute grave s’il divulgue le secret de
l’opération.
S’il accepte comme bonnes des marchandises de qua
lité inférieure ou mauvaise.
1230 S’il traite avec des individus notoirement insolvables.
1231 S’il substitue ses pouvoirs sans y être autorisé, et, en
cas d’autorisation, s’il choisit une personne inca
pable ou insolvable.
1232. Responsabilité du mandataire vis-à-vis des tiers.
1233. Obligation du mandataire de rendre compte. Étendue
de cette obligation.
1234. Elle comprend les profits, même illégitimes, réalisés à
l'occasion, mais non ceux opérés par l’abus, du
mandat.
1235. |M ais le mandataire ne peut s’attribuer au-delà du sa
laire convenu.
1236. Obligations du mandant par rapport au mandataire.
1237. Conditions exigées pour que les tiers puissent recou
rir contre le mandant.
1238. Première condition se réalise le plus ordinairement
en matière civile et dans le commerce pour les af
faires traitées par commis-voyageurs.
1239, Nature des pouvoirs de ceux-ci. Importance de sa dé
termination.
1240, Règles s’induisant de l’autorisation donnée au manda
taire commercial d’agir en son propre et privé nom.
�DIJ DOL
ET
DE
LA
FU AUDE.
537
1241. Exceptions à la première règle : 1° Lorsque le man
dataire est légalement le représentant du mandant.
1242. 2° Lorsque celui-ci, étant notoirement connu, c’est à
lui que les tiers sont présumés avoir fait confiance.
124:3. Controverse à ce sujet. Opinion de Pothier, de
MM. Delamarre et Lepoitevin, de M. Troplong.
1244. Conclusion.
1245. Exceptionà la seconde règle en matière d’assurances.
Premier motif : empêcher que l’assurance ne soit
qu’un jeu.
1246. Deuxième motif : responsabilité du mandant quant aux
prescriptions de l’article 348 du Code de commerce.
1247. Responsabilité mutuelle dum andantetdu mandataire.
1248. Celle du dernier ne s’étend pas au dol du mandant.
1249. Conséquences légales de la désignation du mandant.
1250. Deuxième condition : Que le mandataire n’ait pas ex
cédé ses pouvoirs.
1251. Effets de l’excès, relativement au mandataire.
1252. Relativement aux tiers.
1253. Exceptions à la règle qu’en cas d’excès le mandant
n'en est pas tenu. Première, obscurité ou ambiguïté
du mandat.
1254. Deuxième, excès fondé sur la procuration elle-même.
Devoirs du mandant pour la restitution de celle-ci.
1255. Troisième, modifications du mandat par acte séparé.
1256. Quatrième, ratification. Ses Caractères. Ses effets.
1205- — Le mandat est un des contrats les plus im
portants, les plus utiles, en matière commerciale surtout.
Grâce à son utile secours, chacun peut agir dans les lo
calités les plus éloignées et étendre ses relations sans
être exposé de recourir à des préposés spéciaux dont le
moindre inconvénient était la dépense considérable qu’il s
entraînaient. Aussi est-ce avec toute raison que Savary
a pu dire qu’il n’y a rien qui maintienne tant le com-
�merce que les commissionnaires ou correspondants.
Car, par leur moyen, les marchands et banquiers peu
vent négocier dans tout le monde, sans sortir de leurs
magasins ou comptoirs.
Les services que le mandat est appelé à rendre au
commerce se réalisent également, quoique dans de
moindres proportions, dans les affaires civiles. C’est en
usant de ce contrat que les citoyens peuvent agir dans
les lieux les plus éloignés de leur domicile, sans se don
ne)1 le souci, les fatigues et les dépenses d’un longvoyage.
■
ir.* •' •
1206- — Mais par cela même que ce contrat exige,
d’une part, le plus complet abandon, la plus entière
confiance; d’autre part, la bonne foi la plus loyale, son
exécution peut offrir beaucoup de dangers par la faci
lité qu’elle offre pour toute sorte de fraude. C’est cette
conviction qui faisait Savary s’écrier : Qui fait ses
affaires par commission, va à l’hôpital en personne.
Cependant, nous venons de le voir rappeler tout ce
qu’un pareil contrat a d’avantageux pour le commerce.
*1 Mais, dit-il, si un commissionnaire est très affectionné
à conserver les intérêts du commettant, il est certain
qu’il est capable de le ruiner. Il y en a un nombre in
fini d’exemples, et je puis parler comme savant, pour y
avoir été plusieurs fois trompé, et je l’ai aussi vu en
plusieurs arbitrages, dont j ’ai été sur des différents qu’il
Parfait négociant, 1. 5, chap. I ; — Des Commiss., t. i, pag. 234
�DU
DOL
15T
DU
LA FR A U D E .
539
y avait entre des commettants et des commissionnaires,
où j ’ai vu des tromperies effrayables.1 »
Le commerce n’a pas exclusivement Je triste privi
lège des hommes capables de ces effrayables trom
peries. Le mandat civil offre des chances identiques.
Nous pourrions aussi citer de nombreux exemples de
mandataires infidèles, qu’une coupable avidité a porté
à ne voir, dans le mandat, qu’une spéculation à leur
profil, et dont la fortune s’est scandaleusement créée sur
les débris de celle dont la gestion leur était confiée.
1207. — Un pareil danger, quelque grave qu’il soit,
ne pouvait pas faire disparaître de nos Codes le mandat
civil ou commercial, mais il exigeait un surcroît de
précaution; et dans l’examen de leur accomplissement,
une sévérité d’appréciation capable de déjouer et de
décourager la fraude. Plus encore que dans la vente,
l’échange ou le louage, il fallait donner le caractère
frauduleux à l’infraction d’une obligation ou d’un de
voir, abstraction faite de l’intention qui en a été le mo
bile. C’est en pareille matière surtout qu’on doit dire,
avec le législateur romain : Fraus non in eonsilio, secl
in evenlu.
1208. — Cest ce que le législateur de notre Code
a admis. En effet, l’article 1992 déclare le mandataire
responsable uon-seulement de son dol, mais encore de
sa faute, alors même que le mandat est gratuit. Dans ce
1 Ibidem, chap. 8, pag. 114.
�dernier cas, seulement, la faute est moins sévèrement
appréciée, ce qui était naturellement indiqué par la
raison et la justice.
Telle était aussi l’opinion de cette école italienne qui
a versé tant de lumières sur la matière commerciale.
Et par faute, on entendait même l’erreur échappée au
mandataire et communiquée au mandant, si cette er
reur était de nature à causer à celui-ci un dommage
quelconque : Si récipient lifteras cambii, per errorem
scripseril cas acceplalas fuisse, tenelur de omni damna
erga remiltëntemf car, error excusai errantem, qnando
agitur de evilando proprio damna, secus si agerelur de
damno allerius. 2
Ainsi, en matière de mandat, la faute même légère
équivaut à la fraude et en produit tous les effets. Cela
posé, nous avons à examiner les obligations respectives
du mandataire et du mandant, dont la violation ou
l’inexécution constitue la faute punissable.
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S209. — En principe , l’acceptation du mandat
crée, pour le mandataire, trois obligations princi
pales : 1° celle d’accomplir la mission dont il est chargé
tant que le mandat n’est pas révoqué, et même, après
révocation, de terminer ce qui ne pourrait être sus
pendu sans préjudice pour le mandant ;
2° Celle d’accompHr le mandat en bon père de fa
mille ;
5° Celle de rendre compte de la gestion.
1 jÇasavegis, de
1 Ibid., n“ 65.
Com. dise., n° 54.
�1210- — Occupons-nous d’abord de l’acceptation,
car sans elle, point de contrat et, par conséquent, point
d’obligation. Or, cette acceptation est, dans tous les
cas, au libre arbitre de celui à qui le mandat est pro
posé. Nul, en effet, ne saurait être contraint à accepter
la direction des affaires d’autrui. Le mandat qu’on offri
rait dans cet objet peut donc toujours être refusé.
L’acceptation n’a pas besoin, dans tous les cas, d’être
expresse; elle peut se réaliser tacitement.C’est ce qu’on
devrait induire de l'exécution que le mandataire aurait
donnée au mandat.
Peut-elle résulter du silence gardé sur l’offre du man
dat? En principe de droit, la négative ne saurait souffrir
de difficultés ; personne, en effet, n’étant tenu d’un
acte de ce genre, la volonté de l’accepter doit être cer
taine. Cette certitude peut bien s’induire du commen
cement d’exécution, mais on ne saurait la rencontrer
dans le silence qu’accompagne l’abstention la plus ab
solue. Dans une pareille occurence, se taire, ce n’est
pas consentir, c’est bien plutôt refuser.
1211. — Mais on admettrait le contraire si la pro
position du mandat s’adresse à un de ceux dont l’état,
comme l’observe Pothier, est de gérer les affaires d’au
trui. Tels sont les avoués, les notaires, les commission
naires commerciaux. Celui à qui on s’est adressé pour
une affaire de son ministère doit, s’il ne peut ou ne
veut s’en charger, écrire immédiatement son refus.
A défaut, il serait présumé avoir accepté le mandat, et •
il deviendrait, dès-îors, responsable de la négligence
�.'
S4 2
•1' • •
T R A IT É
qu’il aurait mise à le remplir, et tenu, par conséquent,
du préjudice que cette négligence pourrait occasionner.
La raison en est, dit M. Troplong, que l’office des uns et
des autres est acquis de droit à quiconque le leur de
mande. Ils sont censés provoquer, solliciter les clients
par leur exercice public ; accepter, par conséquent,
ceux qui se présentent ; pour faire tomber la preuve
manifeste qui ressort de cet état de choses, il faut qu’ils
s’expliquent en donnant un refus formel. 1
C’est surtout pour le commissionnaire commercial
que cette obligation est plus impérieuse et plus étroite.
Le temps est, en commerce, un élément extrêmement
précieux qu’il convient de ménager, car le moindre
retard, pouvant substituer une chance contraire à une
chance avantageuse, est dans le cas d’occasionner un
préjudice considérable. Celui-là donc qui refuse le man
dat qui lui est adressé, doit, par le retour du courrier et
sous le plus bref délai, aviser le mandant de l’impossi
bilité où il est d’accéder à ses désirs : Quinimo si ille
nullatenus posset omnia explere, leneretur sub ouere
solvendi de propio, s t a t i m nunciare mandati ejus impolentiam vel impedimenlum, ut, si velit, alterius opéra
ulalur. 2
C’est là, sans doute, une dérogation au droit com
mun, mais l’intérêt des affaires en général, celui du
commerce eu particulier, exigeait qu’il en fût ainsi.
Qu’en principe, et stricto jure, disent des auteurs mo* 1 An. 1991, n° 544.
* Casarpgis, Disc. 54, n° 51.
�DU DOD E T DE LA F R A U D E .
543
dernes, le commissionnaire ne soit lié en rien, ni tenu
à rien que par son acceptation, c’est une vérité déjà dé
montrée; mais une singularité de la commission, c’est
de pouvoir devenir, pour celui-là même qui la refuse,
l’occasion d’engagements qu’aucune loi écrite ne lui
impose et, par suite, d’une responsabilité attachée à
l’omission de certaines choses qu’il n’avait pas non plus
promis de faire. En droit commercial, cette omission
est un quasi-délit. Au premier rang de ces obligations,
se place, naturellement, celle de donner avis du refus
par le premier courrier ou par la plus prochaine occa
sion.1
Le commissionnaire commercial est donc lié par son
silence. Il est censé avoir accepté le mandat, par cela
seul qu’il n’a pas immédiatement manifesté la volonté
contraire. Conséquemment, et en ce qui le concerne,
la règle qui lacet consenlire videlur reprend son em
pire et produit tous ses effets. Nous allons bientôt voir
les conséquences de cette acceptation tacite.
1212. — Il y a plus, le refus fait par le commis
sionnaire et régulièrement dénoncé, ne le dégage pas
de toute obligation, de toute responsabilité. Ainsi, il
doit, en attendant qu’il soit pourvu à son remplace
ment, prendre toutes les mesures conservatoires que la
nature du mandat est dans le cas d’exiger. Si, par exem
ple,des marchandises lui ont été expédiées avec avis
qu’on a tiré sur lui par anticipation, il pourra bien re?
•' Delamarre et Lepoitevin, tom: u, p° 27.
�fuser l’acceptation des traites, mais non de donner à la
marchandise les soins que sa conservation ou son en
tretien réclame. Il doit donc, à sou arrivée, la retirer
dans ses magasins ou en faire ordonner le dépôt chez
un tiers consignataire, si, dans le délai suffisant, l’ex
péditeur n’a pas désigné un nouveau mandataire aux
mains de qui il puisse la remettre contre-rembourse
ment de ses avances. 1
Le négociant qui reçoit, de son correspondant, une
traite à faire protester, ne peut se dispenser de remplir
le mandat, quelque répugnance qu’il eût à le faire, si la
date de l’échéance était trop rapprochée pour qu’il eût
le temps d’avertir utilement son mandant. Si, malgré
l’ordre qu’il en a reçu ; si, malgré la proximité de l’é
poque fixée pour le protêt, il s’est abstenu, se conten
tant de faire connaître son refus, il devient responsable
des conséquences du défaut de protêt. Ce qu’il ne vou
lait pas faire lui-même, il pouvait, il devait même char
ger un tiers de le réaliser. L’inaction dans laquelle il
s’est renfermé constitue donc une faute dont il doit su
bir les effets. Il en serait de même pour tout manda
taire commercial. La non acceptation lui laisse l’obli
gation d’agir dans tous les cas où il y a lieu de prévenir
une déchéance, d’empêcher une prescription ou de pré
server le commettant de tout autre préjudice imminent.
Ce n’est là, au reste, qu’une modification à un prin
cipe que l’école italienne avait généralement admis, à
1 Id., ibid. ; — Pardessus, loin, ii, n° 008 ; — Dalloz, v“ Commiss ,
pag.742 ; — Vincent, loin. 11 , pag. 128.
�A FRAUDE.
savoir : qu’un commissionnaire ne pouvait refuser la
commission dont on le chargeait. 1 On reconnaissait
qu’une telle obligation était contraire au droit civil,
mais on pensait que toutes les lois devaient se taire de
vant l’intérêt général du commerce.
Cette conséquence rigoureuse n’avait pas été adoptée
par le droit français. La commission, comme tout autre
mandat, pouvait être refusée, maisà la condition, en cas
de refus, de veiller à la conservation des droits du com
mettant, en attendant qu’il se fût adressé ailleurs. C’est
ce qui se doit pratiquer encore aujourd’hui.
L’obligation imposée au commissionnaire est com
mune aux avoués, aux notaires, aux huissiers. Eux aussi
peuvent ne pas accepter le mandat qui leur est proposé,
mais ce refus d’acceptation ne les dégage pas de l’obli
gation de veiller à la conservation des droits du man
dant, jusqu’à ce qu’il les ait remplacés. Ils seraient
donc également responsables des déchances, des pres
criptions, du préjudice que l’inobservation de ce devoir
pourrait déterminer, comme si recevant un appel à si
gnifier, une hypothèque à renouveler, un effet à faire
protester et n’avant pas le temps de faire connaître leur
refus utilement, ils négligeaient cependant de faire l’un
ou l’autre.
Nous ne pensons pas qu’ils pussent se soustraire à
cette responsabilité, sous le prétexte que le mandant
n’aurait pas consigné les frais pour le coût de l’acte.
Ce coûtn’étant pas en générai fort important, son rem- Casarègis, Disc. 90, n° 5,
■;
c! !'■
K■
�TRAITE
546
boursement. ne doit, dans aucun cas, autoriser des
craintes tellement sérieuses qu’on dût s’arrêter à une
telle excuse. Mais il en serait autrement si l’acte devait
entraîner un déboursé considérable, par exemple, si
l’effet à protester, étant sur papier libre, devait donner
lieu à une forte amende. Il est certain alors que l’officier
ministériel, que même le négociant à qui on se serait
adressé, ne pourrait être tenu de s’en rapporter, pour
son remboursement, à un homme qu'il doit d’autantplus
supposer dans l’impossibilité de l’opérer, qu’il a négligé
de nantir son mandataire. Or le devoir de celui-ci n’est
pas de faire des avances à des insolvables, et si, dans
l’hypothèse, il y a faute de la part de quelqu’un, c’est
exclusivement chez le mandant, ayant omis de fournir
le moyen d’exécuter le mandat qu’il donnait.
» Mais hors ce cas, et lorsque tout se réduit aux dé
boursés ordinaires, le devoir de f’officer ministériel est
de conserver les droits qui lui sont confiés, sauf à récu
ser la suite du mandat qu’il ne croit pas devoir accepter.
Ainsi, dit M. Troplong, un client adresse à un avocat à
la Cour de cassation un dossier pour se pourvoir. Les
pièces n’arrivent à celui-ci que la veille de l’expiration
du délai fatal ; de telle sorte que le client ne peut être
averti en temps utile de confier sa cause à un autre. Le
devoir de cet avocat est de former le pourvoi, sauf à ré
pondre plus tard au mandant qu’il ne veut pas se char
ger de l’affaire.1
Art. 1991, n° 346.
�DU DOL ET DE LA FRAUDE.
547
1215.
— Si, au lieu de refuser, le mandataire choisi
accepte expressément ou tacitement, lé contrat est par
fait. Dès cet instant, les parties sont également liées
l’une envers l’autre, et le mandataire est en demeure de
se livrer à l’exécution de la mission qui lui est confiée.
1214. — La première de ses obligations, avons-nous
dit, est de procéder à l'accomplissement de l’opération
jusqu’à révocation; et, en cas qu’il soit révoqué, de
Continuer ses soins, jusqu’à son remplacement effectif,
à tout ce qui ne saurait être suspendu sans préjudice
pour le mandant.
Cette obligation a toujours été considérée comme une
règle de législation. Sicul aulern, disait le droit romain,
liberum est mandatum non suscipere, ita suscriptum
consummari opportet. 1
L’article 1991 du Code civil n’est pas moins explicite;
il est vrai que ses termes sont moins précis que ceux
que nous venons de rappeler, il ne déclare le manda
taire tenu d’accomplir le mandat, que tant qu’il en de
meure chargé. Mais on aurait tort de voir dans cette lo
cution autre chose qu’une allusion à la faculté que le
mandant conserve de révoquer le mandat. Il ne faudrait
pas y voir surtout une possibilité pour le mandataire de
se soustraire, en recevant à son gré le mandat, aux de
voirs et aux obligations que son acceptation lui impose.
Il ne pourrait être délié de celle-ci que par le consen
tement formel du mandant, toujours libre de ne pas le
* L. 22, Dig. mandait.
�£>48
TRAITE
donner; et si, malgré le refus qu’il ferait de sa démis
sion offerte, le mandataire s’abstenait d’exécuter le man
dat, cette abstention équivaudrait à la fraude engageant
sa responsabilité, il serait donc évidemment tenu de ré
parer le préjudice qui en serait résulté pour le mandant.
Il nefaudraitpas cependant pousser cette règle jusqu’à
l’injustice. C’est ce qui arriverait si, après l’acceptation,
on prétendait contraindre le mandataire à l’exécution
du mandat, alors même que cette exécution serait de
venue impossible, ou trop onéreuse pour lui. Une pareille
rigueur est incompatible avec la nature même du con
trat, avec les conséquences qu’il doit produire. S’il im
porte que les intérêts du mandant ne soient pas désertés,
il importe également de couvrir ceux du mandataire
d’une utile protection, surtout si le mandat est gratuit.
1215. — Notre règle reçoit donc des exceptions. La
première a lieu lorsque, après avoir accepté, le manda
taire ne tarde pas à se convaincre que l’entreprise dont
il s’est cbai'gé n’est pas en son pouvoir.1 A l’impossible
nul n’étant tenu, le mandataire devrait être relevé des
effets de son acceptation, dans l’intérêt même du man
dant, condamné à voir l’entreprise, faisant la matière
du mandai, échouer fatalement et nécessairement. Il ne
doit donc pas être privé de la faculté de la conférer à
un autre se trouvant dans le cas de la faire réussir.
Mais la conviction de l’impossibilité acquise, le man
dataire doit immédiatement en informer le mandant
1 Troplong, art. 1991, n° 358.
�DU DOL ET DE LA FKAUDE.
549
pour que sans perdre un temps, peut-être précieux, ce
lui-ci avise au mieux de ses intérêts; que si, loin d’agir
de la sorte, le mandataire laisse traîner les choses en
longueur; s’il ne donne avis de sa position qu’à une
époque trop rapprochée de celle où le mandat doit être
exécuté pour que le mandant soit dans l’impossibilité
de le remplacer; si même, l’avertissement étant donné
en temps utile, il n’a pas continué ses soins à l’opération,
en attendant qu’il fût remplacé, il sera de plein droit et
très justement tenu des conséquences d’une pareille
conduite, et obligé de réparer le préjudice qui en sera
résulté.
1216.
— La force majeure venant s’opposer à l’exé
cution du mandat, constituerait une seconde et nou
velle exception à la règle de l’article 1991. Ainsi une
maladie, un emprisonnement, serait une excuse valable
et libératoire. Empêché d’agir par une circonstance
qu’il n’était donné à personne de prévoir ou de préve
nir, le mandataire n’encourrait aucune responsabilité
de l’interruption de sa gestion.
L’intérêt du mandant à connaître l’empêchement est
aussi évident dans cette hypothèse que dans l’autre. Le
devoir de l’en instruire existe donc au même titre. Mais
l’appréciation de la manière dont il a été rempli doit
obéir à d’autres inspirations. Les préoccupations, les
suites d’un emprisonnement, les effet d’une maladie
grave feraient excuser un retard que rien ne justifierait
dans la première hypothèse, ils pourraient même faire
excuser l’absence complète de tout avertissement par
�TRAITE
550
'impossibilité, dans laquelle le mandataire aurait été
placé, d’en donner aucun. Celte impossibilité constatée,
celui-ci ne pourrait encourir aucune responsabilité, ni
être tenu de réparer le préjudice, c’est là la conséquence naturelle et l’effet légitime de la force majeure;
il en serait à plus forte raison ainsi si l’évènement de
force majeure se réalisait dans un temps tellement voi
sin de celui où devait s’exécuter le mandat, que la
nouvelle ne pouvait pas en être utilement transmise.
1217.
— L’article 1991 indique comment doit être
accompli le mandat régulièrement accepté. La faute
oblige comme le dol, comme la fraude. Il faut donc que
le mandataire s’abstienne de tout ce qui pourrait la
constituer. Pour cela il n’a qu’à suivre fidèlement les
ordres qu’il reçoit, et n’aller jamais au-delà de ce qui
lui est prescrit. N’oublions pas que le mandataire agit
pour le compte d’autrui, qu’il est par conséquent obligé
d’exécuter, en quelque sorte passivement, les volontés
de celui qui supportera les conséquences de ses actes.
Il ne peut surtout substituer son appréciation à celle du
mandant, sans exposer sa responsabilité. La prudence
lui en fait un devoir, alors même qu’il croirait par là
servir l’intérêt de ce dernier, car, comme l’observe
M. Troplong, s’il échoue, il est coupable, et s’il réussit
on lui saura peu de gré d’avoir voulu être plus sage qu’il
ne fallait. 1
Ainsi si le mandat est impératif, soit quant à l'opéraArt. 1989, n° 257.
�Dtl DOL ET t>E LA FRAUDE.
551
îion elle-même, soit quant au mode d’exécution, il n’a
qu’à s’y conformer scrupuleusement et fidèlement; il
ne doit jamais oublier cette maxime fondamentale en
cette matière: non est in facultate mandatarii addere
vel demere ordini sibi dalo. Tout ce qu’il ferait en sens
contraire constituerait une fraude, ou, tout au moins
une faute entraînant la nécessité d’une réparation.
Ainsi l’ordre ne serait pas valablement exécuté, si,
commettant une certaine quantité de marchandises,
cette quantité n’était pas atteinte ou était dépassée, le
mandant ne pourrait, dans un cas comme dans l’autre,
être contraint de prendre l’opération pour son compte.
Dans le premier, il y aurait inexécution pouvant don
ner lieu à des dommages-intérêts; dans le second, l’ex
cédant resterait pour le compte du mandataire.
Si je vous commets des blés étrangers, et que vous
achetiez des blés français; si je vous demande des den
rées d’une provenance déterminée, et que vous m’en
envoyiez d’une autre localité, il y a violation du mandat.
Vainement prétendrez-vous que ce que vous m’offrez
vaut mieux que ce que j ’avais demandé, vous ne pouvez
vous constituer juge de mes convenances. Mon mandat
n’a pas été exécuté comme je voulais qu’il le fût, et cela
suffit pour m’autoriser à ne pas en ratifier l’exécution
qu’il vous a plu de lui donner.
C’est ce que la Cour de cassation a décidé expressé
ment par arrêt du 6 avril 1831 • Dans cette espèce, le
mandant avait commissionné des trois six du marché
de Béziers ; le mandataire en ayant acheté sur un autre
marché, le refus fait par le premier de prendre livrai
�son, fondé sur la différence de provenance, fut sanc
tionné p arla Cour de Montpellier d’abord, et, sur le
pourvoi, par la Cour suprême.1
1218- — Ce mandataire, lié par les termes du man
dat à l’endroit de la quantité et de la qualité, ne l’est
pas moins quant au prix. Tout ce qu’il ferait au-delà
de celui fixé par le mandant, lui resterait propre et
personnel.
1219.
— On a agité la question de savoir si le man
dataire, supportant l’excédant du prix et se bornant à
exiger le remboursement de celui porté au mandat,
pourrait contraindre le mandant à prendre l’opération
pour son compte. M. Troplong, après avoir indiqué le
dissentiment que cette question avait fait naître entre
les Sabiniens et les Proculéiens, enseigne que l’opinion
de ces derniers, à savoir: l’affirmative, avait prévalu
comme plus humaine et plus raisonnable, mais il rap
pelle immédiatement cette observation de Donneau :
qu’il en serait autrement dans le cas où l’excès dans
l’exécution du mandat ne pourrait être réparé et cau
serait au mandant un préjudice pour le total de l’opé
ration. 2
Or, cette dernière hypothèse se réalisera le plus sou
vent en matière commerciale. Une baisse plus ou moins
forte, survenue dans l’intervalle de l’achat à la livraison
�1>U DOD ET DE DA FRAUDE.
au mandant, mettrait celui-ci dans la nécessité de subir
une perte relativement même au prix qu’il avait coté,
ce n’est même que dans cette hypothèse que des diffi
cultés pourront surgir. Quel intérêt, en effet, pourrait
avoir le mandant de refuser la marchandise qu’il a
commise, et que son mandataire lui expédierait au prix
offert, si la marchandise n’a depuis souffert aucune
variation ?
Mais l’intérêt est évident lorsqu’au moment où le
mandataire expédie, la marchandise ne peut être reven
due qu’à un prix inférieur à celui coté pour l’achat. Avec
cet intérêt, naît le droit de demander compte de l’exé
cution que le mandat a reçue, et de dire au mandataire :
si vous vous étiez renfermé dans les limites que je vous
avais tracées, vous n’auriez par acheté; la marchandise
n’est donc en votre possession que parce qu’il vous a
plu d’outre-passer le mandat, dès-lors, si quelqu’un doit
supporter les conséquences de cette violation, c’est vous,
et vous seul.
Cette objection serait d’autant plus puissante que,
pour se justifier d’avoir outre-passé ses ordres, le man
dataire soutiendrait qu’il ne lui a pas été possible d’a
cheter au prix indiqué. Mais il est évident que s’il se
fût abstenu, la circonstance devenait fort indifférente et
même heureuse pour le mandant. Le mandataire a donc
en réalité pris sur lui d’aller au-delà de ce qui lui était
ordonné, il doit en conséquence supporter seul le pré
judice qui a été directement, occasionné par son fait.
Il est un autre motif rationnel de le décider ainsi.
Supposez qu’au lieu d’une baisse, la marchandise ait
a
24
�ODÏ
TRAITE
augmenté de valeur, est-ce que le mandataire sera tenu
d’expédier celle qu’il a acquise au-delà du prix du man
dat? Non évidemment, car, pour étayer sa résistance,
il lui suffirait de dire au mandant : la preuve que cette
marchandise ne vous était pas destinée, c’est que je l’ai
payée à un prix supérieur à celui que vous m’aviez
fixé. Donc le mandant exposé à subir les effets de la
baisse ne serait jamais appelé à profiter de la hausse,
ce qui le placerait dans une position intolérable et
injuste.
Il ne peut pas être que le mandataire puisse spéculer
aux dépens de son commettant; qu’il puisse, en cas de
hausse, s’appliquer l’intégralité du bénéfice, et, en cas
de baisse, réduire sa perte à la différence entre le prix
qu’il a payé et celui qui lui était indiqué, et se déchar
ger du reste sur la personne de son mandant; admettre
le contraire, ce ne serait plus obéira ces idées d’équité
recommandant la solution des Proculéiens, ce serait
au contraire consacrer la plus flagrante, la plus odieuse
injustice.
Nous croyons donc que cette solution doit se res
treindre au cas où, les choses étant au moment du litige
ce qu’elles étaient au moment de l’achat, la difficulté
ne s’agite que sur la différence du prix. L’offre que
ferait le mandataire de rester personnellement chargé
de cette différence désintéresserait complètement le
mandant et devrait le contraindre à accepter l’achat
fait pour son compte.
Que si’, au contraire , une baisse survenue depuis
rend cet achat préjudiciable par la perle certaine que
�DU DDL ET I)E LA FRAUDE.
555
la revente occasionnera, il n’est pas juste que l’auteur
de cet achat, en faute pour avoir excédé ses pouvoirs,
puisse faire supporter à autrui les conséquences de ses
procédés irréguliers. La justice d’ailleurs exige que
celui qui devait seul profiter des bénéfices que l’opé
ration pouvait offrir, en supporte seul la perte. C’est en
ce sens que le décide Donneau, et cette décision est
approuvée par M. Troplong.
Au reste, cette solution de principe peut être mo
difiée par les circonstances de fait. Si le mandataire a
tenu son mandant au courant de l’opération; si, en l’ins
truisant de la difficulté de se remplir au prix convenu,
il lui a fait connaître l’obligation de payer quelque
chose en sus, sans que le mandant lui ait écrit de n’en
rien faire; ou si, après avoir acheté à un plus haut prix,
il en a instruit son mandant, sans que celui-ci ait ré
clamé, l’opération ne pourra plus être contestée plus
tard. La ratification qui résulterait de ces circonstances
créerait une fin de non-recevoir péremptoire contre
toutes réclamations ultérieures.
On doit d’autant plus le décider ainsi, que, dans l’hy
pothèse d’une hausse dont nous parlions tout à l’heure,
le mandataire ne pourrait plus s’appliquer personnelle
ment l’opération. Le mandant pourrait le forcer de lui
en tenir compte, et les circonstances qui l’obligeraient
envers le mandataire, obligeraient celui-ci envers lui. Il
y aurait donc cette juste et naturelle réciprocité excluant
toute possibilité de fraude.
1220. — Au reste, le mandat impératif, quant au
�556
TRAITÉ
prix, détermine une limite au-delà de laquelle le man
dataire ne saurait aller. Mais il pourrait rester en deçà,
il le devrait même si la détermination du prix était le
résulat de l’ignorance ou de l’erreur, ou si, au moment
de l’arrivée de l’ordre, elle n’était plus en rapport avec le
cours de la place. Il suffirait, donc au mandant de prou
ver que le mandataire a pu acheter meilleur marché ou
vendre plus cher pour le faire condamner à lui tenir
compte de l’avantage qu’il eût retiré dans l’un et l’au
tre cas.
Cette règle doit être sévèrement appliquée, car, par
la nécessité même des choses, le mandant est obligé de
suivre aveuglement la foi du mandataire. D’autre part,
les variations commerciales sont souventtellement brus
ques qu’un ordre expédié à de certaines distances n’est
plus, à son arrivée, ce qu’il était à son départ, à savoir ,
dans une juste proportion avec la valeur réelle des cho
ses. Son exécution littérale serait donc un abus d’autant,
plus odieux que le mandataire l’exploiterait à son béné
fice, ce qui est très facile dans le commerce. On sait,
en effet, qu’il est peu de commissionnaires qui ne se
livrent à des achats, soit dans la prévision de commis
sions futures, soit pour tenter des spéculations sur
la chance de hausse ou de baisse. Ce qui se réaliserait
dans cette circonstance, c’est que l’ordre arrivant, le
commissionnaire le remplirait immédiatement, à l’aide
de ses marchandises qu’il vendrait ainsi au-dessus du
cours. Un pareil acte n’est pas seulement une indélica
tesse, il constitue une véritable fraude, un abus de con
fiance incontestable, dont le mandant ne devrait pas
�être victime. Sur sa demande donc, et malgré les ter
mes de son ordre, il ne devrait être tenu de rembourser
que ce que les marchandises valaient réellement au mo
ment où cet ordre a été exécuté.
L’abus que cette solution tend à prévenir serait fort
voisin de celui dont la loi s’est préoccupée lorsqu’elle a
interdit aux agents de change et aux courtiers de faire
pour leur compte personnel un commerce quelconque.
Dépositaire des intentions des parties, ayant le dernier
mot de chacune d’elles, le confident trouverait trop fa
cilement l’intention de s’enrichira leur détriment. Sans
doute le commerce n’est pas interdit aux commission
naires, ils peuvent acheter pour revendre ensuite et
profiter de la hausse que le cours a naturellement ame
née, mais là s’arrêtent leurs droits. La consécration de
l’avantage qu’ils prétendraient s’arroger, en vendant
plus cher que ce cours, ne serait qu’une immoralité,
car cet avantage, ils ne le devraient qu’à une confiance
dont ils abuseraient au détriment de celui qui ne de
vait trouver auprès d’eux qu’une protection efficace.
1221.
— Il en serait de même du mandataire qui
abuserait de l’erreur évidente dans laquelle serait tombé
le mandant. Dans un pareil cas, la loyauté exige que
l’erreur soit signalée, et surtout qu’on n’en abuse pas
au préjudice de la confiance que le mandant témoigne.
Celui qui agirait autrement commettrait une fraude pu
nissable, obligeant à réparation. Un arrêt de la Cour de
Paris, du 25 septembre 1812, nous offre une remar
quable application de cette règle.
�558
TRAITÉ
La dame Busch, de Pondichéry, venue à Paris, avait
chargé un joaillier de la vente de plusieurs bijoux. Prête
à s’embarquera Marseille pour retournera Pondichéry,
elle lui adressa un collier de perles avec commission de
le vendre, et, en en fixant le prix, elle écrivit 1200 fr .,
au lieu de 12000 fr. Peu de jours après, le joaillier lui
répondit qu’il avait été assez heureux pour vendre son
collier au prix indiqué de 1200 fr. La dame Busch,
voyant la déloyauté de son mandataire, chargea une
tierce personne de l’amener à de meilleurs sentiments,
mais il se renferma dans le texte de son mandat, pré
tendant que, l’ayant rempli, on n’avait rien de plus à
lui demander.
Traduit en justice, il fut établi qu’il n’avait réel
lement vendu que quelques perles, s’étant appliqué
les autres pour monter plusieurs objets de son com
merce.
Le jugement qui intervint le condamna à payer le
prix du collier, fixé à 4800 francs, attendu que, bijou
tier exercé dans son état, il n’avait pu se méprendre sur
la valeur des perles; qu’il devait instruire la dame Busch
de l’erreur évidente qu’elle avait commise, et d’autant
plus qu’à raison des relations antérieures qu’il avait eues
avec elle, il était investi de sa confiance ; que, chargé de
vendre un collier composé d’un certain nombre de per
les, il n’a pas dû le décomposer et encore moins s’en
appliquer une partie ; en quoi il est mandataire infidèle.
Sur l’appel du joaillier, ce jugement fut confirmé par
la Cour et devait nécessairement l’être. En droit et en
�I)U DOL E T
DE
LA
FRAUDE.
559
fait, la conduite de ce joaillier était inexcusable. Elle
aurait pu motiver une condamnation plus sévère.
C’est surtout dans l’hypothèse d’un mandat facultatif
que les devoirs du mandataire sont plus étroitement,
plus impérieusement imposés. Il va, en effet, de la part
du mandant, une confiance tellement absolue, un aban
don tellement entier, que la moindre infraction revêt
le caractère du plus odieux abus.
1222.
— La seconde obligation principale du man
dataire est celle d’administrer en bon père de famille.
Cette obligation s’induit naturellement de la règle
consacrée par l’article 1992, suivant laquelle le man
dataire répond non-seulement de son dol, mais encore
de sa faute. Nous n’avons nullement à nous jeter dans
l’examen théorique des fautes, tout ce que nous devons
rappeler, s’est que, de l’avis de tous, le mandataire ré
pond de sa faute, même légère. On a été même plus loin,
on a voulu lui infliger la responsabilité de la faute très
légère, mais cette doctrine a trouvé des contradicteurs,
elle est combattue par M. Troplong notamment. Nous
ne croyons pas à Futilité d’approfondir cette difficulté
dans une matière où l’arbitrage souverain du juge est
Yultima ratio de la solution, et où l’existence certaine
d ’un préjudice semble, par elle seule, amener la néces
sité d’une réparation.
Î223. — Au premier plan des fautes reprochables
au mandataire, se place incontestablement l’infidélité
dont il se serait rendu coupable dans l’exécution du
�560
traite
mandat. Celte faute est plus qu’une fraude, elle consti
tue un délit que les articles 407 et 408 du Code pénal
punissent d’un emprisonnement et d’une amende.
II y a, entre l’abus de blanc-seing et le détourne
ment matériel, cette différence essentielle que le pre
mier est punissable, quel que soit le caractère du man
dat, tandis que le second ne-devient réellement un dé’it
que s’il a été commis par un mandataire salarié.1 Mais,
dans tous les cas, l’un et l’autre donnent incontestable
ment ouverture à l’action civile en réparation du préju
dice qui en est résulté. La poursuite et les effets de cette
action se régiraient par les principes que nous avons
exposés en matière d’escroqueries.*
1224.
— On est mandataire infidèle non-seulemeni
lorsqu’on détourne une partie quelconque des deniers
ou valeurs confiés, mais encore lorsqu’on applique à son
propre usage les fonds perçus en cette qualité. Aux ter
mes de l’article 1996, ce dernier abus oblige le man
dataire à payer l’intérêt des fonds, à dater du jour de
l’emploi.
Mais cet article n’a rien de limitatif et ne fait nul obs
tacle à ce que le mandataire soit condamné à la répa
ration intégrale du préjudice qu’il a occasionné. Or,
plusieurs hypothèses peuvent s’offrir, dans lesquelles
l’usage fait par le mandataire des fonds provenant du
mandat en aura déterminé un tel, que le paiement des
intérêts serait loin de le couvrir.
' Cass., 20 mai 48J4 ; — Sirey, 14, i, 149.
5 V. Sup., n°s 18 et 19.
�DU
DO U
F.T
DE
LA
FRAUDE.
564
Ainsi, débiteur d’une somme envers Pierre, je remets
cette somme à Paul, avec mandat d’éteindre ma dette.
Au lieu de réaliser ce paiement, Paul applique à son
usage personnel les fonds qui étaient destinés à en faire
l’aliment. Cependant Pierre, non payé de ce qui lui est
dû, dirige contre moi des poursuites, et je me vois oblige
de payer moi-même non-seulement le capital et les in
térêts, mais encore des frais plus ou moins considé
rables.
En cet état, se borner à condamner Paul à me rem
bourser le capital avec les intérêts, ne serait évidem
ment pas une indemnité suffisante pour le préjudice que
sa mauvaise foi m’a fait éprouver. La justice exige donc
qu’en pareilles circonstances une allocation de domma
ges-intérêts complète la satisfaction qui m’est due.
Ainsi encore, sachant que mon mandataire a touché
des fonds m’appartenant, je contracte de mon côté des
engagements auxquels j’espère faire face au moyen de
ces fonds. Mais il se trouve que ces fonds ont été em
ployés à l’usage personnel du mandataire, et que son
impuissance à me les rembourser me place dans l’im
possibilité de faire face à mes engagements dont on fait
prononcer la résiliation. Il ne serait pas juste que, dans
une pareille hypothèse, on me privât du droit de deman
der contre mon mandataire des dommages-intérêts dont
la liquidation devrait comprendre non-seulement les
frais que j ’ai subi, mais encore l’indemnité du gain que
la résiliation m’a fait perdre.
Vainement ie mandataire voudrait-il se prévaloir de
la disposition de l’article 1153. En réalité, son obliga-
�562
TRAITÉ
tion n’a jamais été celle de payer une somme quelcom
que, le droit du mandant ne peut donc être régi par les
principes concernant cette obligation. Tenu d’exécuter
fidèlement son mandat, le mandataire est soumis à une'
obligation de faire, dont l’inexécution entraîne la né
cessité d’un dédommagement, dans les limites tracées
par l’article 1149.
1225.
— Le mandataire civil ou commercial doit
mettre la plus active diligence dans l’exécution de la
mission qui lui est confiée. Toute infraction à ce devoir
constituerait une faute grave obligeant sa responsabilité.
Ainsi il doit, dès qu’il a accepté, entreprendre l’opé
ration confiée en ses mains. En commerce, surtout, le
temps est précieux, car le moindre retard, pouvant voir
se réaliser une variation sensible dans le cours des mar
chandises, est dans le cas de rendre l’achat plus oné
reux ou la vente moins lucrative. Tout délai dans l’exé
cution, non justifié, peut donc causer un préjudice que
le mandataire serait condamné à réparer.
1226.
— Un des devoirs les plus pressants du man
dataire est d’informer son mandant de la marche de
l’opération, des variations survenant dans les cours,
des obstacles qui s’opposent à l’accomplissement de sa
mission, enfin des chances plus ou moins favorables
qu’il est permis d’entrevoir : Mercator tenetur prias
correspondentem adverlere de eo quod inopinate evenit,
vel de impedimento ex cujus causa nequit mandalum
�exsequi in forma prœscripla, alque expectore ulleriora
mandata. '
C’est qu’en effet une affaire commerciale est de nature
à subir des phases diverses, pouvant dans bien de cas
modifier les intentions du mandant, et même le faire
changer d’avis. II faut donc qu’il puisse, avec le plus de
certitude possible, examiner ce qui lui convient; et
comment le pourrait-il, si son mandataire s’abstient de
toute communication? Un pareil silence, tendant à subs
tituer l’appréciation du mandataire à celle du mandant,
constituerait une violation du mandat et pourrait auto
riser le dernier à laisser l’opération pour compte du
premier.
Ce n’est pas seulement pendant le cours de l’opéra
tion que le mandataire doit ses conseils et ses avis, c’est
surtout à l’origine et au moment delà réception de l’or
dre qu’il est tenu de fournir les uns et les autres. Con
naissant la place où doit se traiter l’opération, il peut
juger de l’opportunité de l’ordre, de sa juste relation
avec les prix du jour, en apprécier même les consé
quences plus ou moins probables. Si, contre l’évidence,
il se prêtait à l’exécution d’un mandat onéreux pour
son auteur, il serait tenu du préjudice qu’il aurait vo
lontairement occasionné.
1227.
— Nous n’avons pas la prétention d’énumérer
une à une les nombreuses fraudes que le mandataire
peut commettre. Nous les résumons dans l’obligation
Uasarogis, Disc. 125, il1’ 22.
�564
traite
qui lui est imposée d’administrer en bon père de famille.
En conséquence, tout ce qui s’écarte des soins, du zèle,
de la vigilance qu’on rencontre dans celui-ci, est une
faute grave engageant sa responsabilité.
Ajoutons que la gestion des affaires d’autrui exige, de
la part de celui qui en est chargé, une circonspection et
une retenue qu’on n’est pas obligé d’apporter à ses pro
pres affaires. Les spéculations, les hasards qu’on peut
entreprendre et braver dans ce qui nous concerne, on
ne peut s’y livrer pour le compte d’autrui, à moins d’or
dres exprès et formels. Celui qui agirait sans attendre
ces ordres, s’exposerait à garder pour son propre com
pte les chances fâcheuses que l’opération subirait.
Enfin il en est des commissionnaires commerciaux
comme des notaires, des avoués, etc. Ils promettent à
leurs commettants peritiam cl induslriam. Il y a ,
ajoute M. Troplong, dans la pratique de la commission,
une expérience de la qualité et du cours de la mar
chandise, une connaissance des bonnes maisons, une
habileté à traiter les affaires qui font le commissionnaire
intelligent et donnent au commettant toute sécurité.1
Celui-là donc qui prend la qualité de commissionnaire,
annonce, par cela seul, posséder cette expérience de la
marchandise et du cours, cette connaissance des bon
nes maisons et cette habileté à traiter les affaires qu’on
recherche dans celui qu’on se substitue. Conséquem
ment aussi, si, au lieu de ces qualités, on ne rencontre
qu’ignorance et impéritie, comment ne seraient-on pas
1 Ait.
1992, n° 405.
�■■
DU DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
565
en droit de se faire indemniser du préjudice qu’entraîne
Tune ou l’autre?
1228. — Or il y aurait impéritie rare s i , chargé
d’une opération, le commissionnaire allait l’annoncer
publiquement, afficher le nom de son commettant et
trahir ainsi le secret de ses affaires. On l’a dit bien sou
vent, le secret est l’âme du commerce, et sa divulgation
a été de tout temps considérée comme une faute grave :
Perché Ira mercadanli, si uza questa prudenza, di tenere oculti et segretti i loro negozi, et di suoi corrispondenti.1C’est pourquoi, observe Ansaldus, le cor
respondant achette en son propre et privé nom, quoique
achetant réellement pour le compte d’autrui : inter
mercutores admillilur de stylo, quod licel mundatarius
emat ad favorem alterius, in emptione lamen id non
soteat exprimere, sed emat nomine proprio. s
1229. - Il y aurait impéritie à accepter comme
bonne une marchandise de qualité inférieure ou mau
vaise. La réception qu’en auraitfait le mandant ne crée
rait aucun obstacle à ce qu’il pût ultérieurement s’en
plaindre, et à ce qu’il la laissât pour compte du com
missionnaire. Cette solution suppose un mandat facul
tatif. En effet, lorsque l’ordre est impératif, quant à la
qualité, celui qui l’a donné doit, avant de recevoir, s’as
surer si l’ordre a été rempli comme il l’entendait qu’il
VCasaregis, Disc. 58, n°14.
s Ansaldus, de Ansaldis, dise. 50, n° 52.
�TRAITE
le fût. La réception qu’il ferait d’une marchandise non
conforme constituerait une ratification expresse de
l’opération.
1230.
- Il y aurait encore impéritie et faute grave,
si le mandataire avait vendu à des acheteurs notoire
ment insolvables. C’est ce caractère de notoriété qui
est seul constitutif de la fraude. La solvabilité com
merciale n’est pas toujours une vérité, et l’apparence
l’emporte souvent sur la réalité. Il ne saurait donc y
avoir matière à reproche si, guidé par cette apparence et
partageant l’erreur générale et commune, le mandataire
avait vendu à des personnes qu’il devait croire solvables,
malgré qu’elles ne le fussent pas. Sa faute commence
lorsque le crédit de la maison avec laquelle il traitait à
terme, notoirement ébranlé, devait lui inspirer des justes
craintes pour l’avenir. A plus forte raison, ne pourraitil être recherché si l’insolvabilité de l’acheteur n’est
survenue que postérieurement à la vente.
1231.
— La substitution que le mandataire ferait
de ses pouvoirs, sans y être autorisé, constituerait une
faute grave. Les conséquences seraient pour lui la né
cessité et l’obligation de répondre des faits de celui
qu’il s’est irrégulièrement substitué. Il en serait de
même si, autorisé à déléguer ses pouvoirs, il les avait
remis à un homme insolvable ou immoral, à moins que
ce choix ne lui eût été nominalement imposé par le
mandat.
Toutefois, la responsabilité d’une substitution non
�DU DOL E T
DE LA F R A U D E .
567
autorisée reçoit exception, lorsque, par une circons
tance imprévue, le mandataire, empêché d’agir dans un
moment où l’affaire ne pouvait plus être arrêtée ou
suspendue, charge quelqu’un de faire ce qu’il ferait luimême, s’il le pouvait. Dans une pareille circonstance,
la substitution est tout entière dans l’intérêt du man
dant; elle est dans l’esprit, si non dans la lettre du con
trat. On ne saurait, en effet, admettre que l’intention
du mandant n’a pas été de l’autoriser dans une position
aussi critique pour ses intérêts.
11 suffirait donc que l’empêchement et l’urgence exis
tant, le mandataire eût momentanément confié la direc
tion de l’affaire à un homme d’une solvabilité certaine,
d’une moralité irréprochable, pour que sa responsa
bilité fût complètement dégagée, alors même que, men
tant à ses antécédents, le mandataire substitué eût abusé
de la confiance qui lui a été témoignée. Cette solution,
admise par l’école italienne, a été consacrée par la doc
trine française. 1
1252. — A côté de la responsabilité du mandataire
vis-à-vis du mandant, existe .celle qu’il peut assumer à
l’égard des tiers. Mais cette dernière, résultant ordinai
rement des termes dans lesquels l’engagement a été
pris, sort de notre matière. Il est une seule hypothèse
où elle peut provenir de la faute, à savoir, lorsque le
mandataire a excédé les limites de son mandat.
Il faut donc, pour qu’elle se réalise, que le manda1 Delamarre et Lepoitevin, tom. ri, n08 56 et suiv. ; — Troplong,
�568
TRAITE
taire ait agi en cette qualité, et pour compte du man
dant; qu’il n’ait pas donné connaissance suffisante de
ses pouvoirs; qu’il les ait excédé : à ces conditions, et,
quels que soient les termes de l’engagement, le man
dataire a engagé sa responsabilité et répond person
nellement des obligations contractées en dehors de ses
pouvoirs.
1235. — La troisième obligation imposée au man
dataire est celle de rendre compte.
Cette obligation n’étant que la conséquence de la
qualité de comptable, est régie par les principes géné
raux applicables aux redditions de compte. Le man
dataire est soumis aux mêmes devoirs que tout autre
comptable, devoirs que nous avons retracés notamment
en traitant de l’associé gérant. Nous n’avons donc à
rappeler ici que quelques règles spéciales au mandat.
La première est celle tracée par l’article 1993 du
Code civil, à savoir : que le mandataire est tenu de
faire raison de tout ce qu’il a reçu à l’occasion du man
dat, quand même ce qu’il aurait reçu n’eût point été
dû au mandant.
Ces expressions comprenent tout ce qui a été pro
duit directement ou indirectement par le mandat. Cette
règle est puisée dans le droit romain : E x mandalo apud
eum qui mandalum suscepit nihil remanere opportel,
debere eum prœstare quamtum cum emolumenli sensit. 1La raison commandait ce résultat, tout ce qui est
1 L. 10, § ô et L. 20, Dig,, mandati.
�DU DO.L E T
DE
LA
FRAUDE.
569
produit par ia chose confiée à titre de mandat aug
mente naturellement cette chose et appartient dès-lors
à son propriétaire. Le mandataire ne peut réclamer
que le salaire convenu, toutce qu’il retiendrait au-delà,
il le garderait sans droit ni titre. La dissimulation qu’il
en ferait constituerait une infidélité engageant profondé
ment sa responsabilité.
1254. — L’obligation de tout restituer s’applique
même aux profits illégitimes que le mandataire se serait
procuré, par exemple, aux intérêts usuraires qu’il au
rait perçu. Cette doctrine, professée par nos anciens ju
risconsultes et notamment par le président Favre, doit,
de l’avis de M. ïroplong, être suivie sous l’empire du
Code. 1
Cependant son application doit se restreindre au cas
où le profit illicite a été perçu dans le développement
naturel du mandat. Ainsi, lorsque celui-ci a consisté
dans la remise d’une somme d’argent pour la faire va
loir pour le compte du mandant, quel qu’en ait été
l’emploi, il est censé fait dans l’intérêt de celui-ci et
doit conséquemment lui profiter intégralement et ex
clusivement.
Si le mandat n’assignait aucune destination aux
fonds, l’emploi que le mandataire en fait n’est qu’un
abus, et le mandant n’est pas autorisé à en revendiquer
le bénéfice. Contrairement à ses devoirs, le mandataire
a illégalement appliqué à son usage personnel les fonds
1 Art. 1993, n°9 422 et suiv.
�570
TRAITE
qu’il devait tenir à la disposition du mandant. Or, les
conséquences de cette fraude ayant été prévues par
l’article 1996, ce dernier ne saurait exiger que l’intérêt
légal de ces sommes et, suivant les cas, des dommagesintérêts pour la réparation du préjudice qu’il en a
éprouvé.
Ainsi, tous les profits réalisés, à l’occasion et par
l’exécution du mandat, appartiennent exclusivement au
mandant et doivent lui être remboursés; ceux prove
nant de l’abus ne sont pas restituables, sauf la responsa
bilité que cet abus fait peser sur le mandataire.
1255. — Ce dernier ne peut de plus rien retenir audelà du salaire convenu pour ses peines et soins, vaine
ment voudrait-il s’étayer de prétendus usages pour se
faire allouer quelque chose en sus. Un arrêt de la Cour
de Lyon, du 23 août 1831, ' a fait bonne justice de pré
tentions de ce genre. Il paraît que, sur cette place im
portante, les commissionnaires avaient pris l’habitude
de coter les prix d’achat à leurs commettants plus cher
qu’ils ne les avaient payés eux-mêmes, par cette ma
nière, ils joignaient à leurs droits de commission le bé
néfice résultant de la différence dans les prix. Actionné
en restitution de cette différence, un de ces commis
sionnaires voulait justifier son refus par l’usage qu’il
soutenait être conforme à ses prétentions. Mais l’usage,
répondit l’arrêt, ne peut, dans aucun cas, légitimer une
�D ü DDL
ET
DU LA F R A U D E .
571
fraude trop coupable pour que la justice ne s’empresse
pas de la frapper de toute sa réprobation.
Aux termes de l’article 1996, le reliquat du compte
porte intérêt du jour de la mise en demeure.
1236- — Les obligations du mandant se réfèrent
aux droits du mandataire, à ceux des tiers ayant traité
avec ce dernier.
A l’endroit du mandataire, il est juste que le mandat
ne puisse jamais devenir pour lui une occasion de perle.
Cette règle d’équité explique la disposition des articles
2000 et suivants du Code civil.
L’obligation d’indemniser le mandataire est indépen
dante de l’issue de l’opération. Celui-ci n’a, dans aucun
cas, garanti le succès de sa mission; ce à quoi il s’est
engagé, çà été de consacrer tous ses efforts, tous ses
soins à le déterminer; que s’il échoue, et qu’on n’ait à
lui reprocher ni imprudence, ni négligence, ni faute, il
a rempli la tâche qui lui était confiée et l’obligation de
le rendre indemne ne saurait être récusée.
La loi veut de plus que les avances qu’il a faites, dans
l’intérêt du mandant, produisent intérêt du jour où elles
sont régulièrement constatées. Personne ne doit et ne
peut s’enrichir au dépens d’autrui. Or, telle serait la
position du mandant si, profitant des avances faites par
le mandataire, il était dispensé de lui payer les intérêts
qu’il aurait infailliblement supporté en faveur de tout
autre prêteur. Il ne serait pas juste, d’autre part, que le
mandataire fût privé, par l’effet du mandat, du revenu
�572
TR A IT E
qu’il aurait retiré de ses fonds, s’il les eût appliqués à
ses propres affaires.
Enfin, lorsque le mandataire a fidèlement rempli sa
mission, on ne peut pas réduire le montant de ses
avances et frais, sous prétexte qu’ils auraient pu être
moindres. Chacun doit subir les conséquences de l’ad
ministration à laquelle il a spontanément recouru. Il
suffit donc que les avances et frais soient certains pour
que le mandant soit tenu de les solder intégralement,
sauf l’hypothèse d’une exagération évidente et fraudu
leuse.
1237.
— Relativement aux tiers, le mandant est
obligé d’exécuter les engagements contractés par le
mandataire, ce principe n’a jamais fait ni pu faire l’objet
d’un doute, qui mandai ipse fecisse vïdelur. Mais, pour
que cette règle puisse être invoquée par les tiers, il faut
que le mandataire ait contracté en sa qualité et pour
compte du mandant; qu’il ait agi dans la limite des
pouvoirs qui lui ont été conférés.
1238.
— La première condition se réalise assez or
dinairement dans les affaires civiles, sauf quelques rares
exceptions, le mandataire n’est pas même autorisé à
agir en son nom. Pareille chose peut également être re
marquée en matière commerciale, où cependant, le
plus souvent, le mandataire agit en son propre et privé
nom. C’est notamment ce qui est de droit commun
pour les affaires traitées par le ministère des commisvoyageurs.
�DU DOL E T
DE LA
FüAUDE.
573
1239.
— Cependant les traités ainsi souscrits sont
de nature à donner naissance à la fraude. Il n’est pas
rare, en effet, de voir une maison de commerce préten
dre que son commis-voyageur n’a la faculté de l’enga
ger que sauf ratification de sa part. Cette ratification
qu’elle donne, en cas de stagnation ou de baisse de
l’article, elle prétend la refuser dans le cas de hausse
survenue depuis le traité et avant son exécution. Ainsi
l’acheteur seul serait lié , sans qu’il pût revendiquer
aucune réciprocité de la part du vendeur.
Cette difficulté que nous signalons est d’autant plus
grave que sa solution partage la jurisprudence. Ainsi,
la Cour de Paris a jugé, le 2 janvier 1828, que le com
mis-voyageur d’un négociant est, par ce seul titre, re
vêtu aux yeux des tiers d’un mandat général d’agir au
nom de son commettant; que celui-ci ne peut donc se
refuser à exécuter les ventes faites par le commis-voya
geur, alors même que le mandat de celui-ci se trouve
rait restreint par des conventions particulières, 1
Mais le contraire résulte d’un arrêt de la Cour de
Montpellier, du 27 décembre 1826, jugeant que les
commissions données à un commis-voyageur, et ac
ceptées par lui au nom de sa maison, ne sont réputées
que de simples commandes ou propositions de vente,
si ce commis-voyageur n’a un pouvoir exprès de lier
définitivement la maison qui l’envoie. 2
1 D. P., 28, 2, 2; — v. Metz, 4 juin 1825; — Paris, 8 novembre
1856;— Douai, 29 août 1844; — Rouen, 7 janvier 1845; —.1. D. P.,
t. t, 1845, p. 27 et l. n, p. 559.
2 D. P., 27, 2, 198; — v. cass., 19 décembre 1821 ; — Rennes, 8
juillet 1859 ; — Montpellier, 24décembre 1841 ; — J. D. P., t. h, 1839,
p. 5S9, t. ii, 1842, p. 762.
�574
TRAITÉ
Cette divergeance est regrettable, car elle laisse in
décise une question que l’intérêt général du commerce
voudrait voir résoudre en termes simples et nets. Quant
à nous, nous n’hésitons pas à nous ranger au pre
mier système, qui nous paraît plus rationnel et prêter
beaucoup moins à la fraude que nous venons de signa
ler; à notre avis donc, le commis-voyageur est, par ce
seul titre, le mandataire légal de celui qui l’accrédite,
et qu’il a dès-lors la faculté d’engager, à moins qu’une
publicité formelle, ou que la correspondance directe
ment adressée aux commerçants, que le commis visi
tera, n’ait fixé en sens contraire les pouvoirs qui lui
sont confiés.
Les circonstances de fait, la position de la maison,
la nature de son commerce, seront des éléments utiles
à consulter pour la solution de notre difficulté. Ainsi
le mandat de vendre sera plus facilement présumé lors
que le commis-voyageur représentera un fabricant, un
producteur cherchant à écouler ses produits ainsi qu’il
le pratique habituellement.
Il pourrait en être autrement pour le commis-voyageur
attaché à une maison de commission. Mais comme Jes
commissionnaires ont très souvent des marchandises
leur appartenant, le commis-voyageur, député pour
prendre des commissions, l’est également pour la vente
de ces marchandises. Dans cette hypothèse, le sort du
litige devrait tenir à la nature du contrat souscrit par le
commis-voyageur et la qualification donnée à l’opé
ration, la correspondance pourrait également être con
sultée avec fruit.
�DU DOL E T
DE
LA F R A U D E .
575
Que si l’engagement pris parle voyageur porte vendu
à tel... et non commis par tel, le contrat sera une vente
et non une commission. Vainement la maison prétendrat-elle qu’elle n’avait pas donné mission de vendre, la
présomption est que le commis-voyageur exécute litté
ralement son mandat. D’ailleurs, l’abus qu’il ferait de
ses pouvoirs serait imputable au commettant, ayant dans
tous les cas le tort d’avoir investi de sa confiance une
personne qui n’en était pas digne. Il serait donc juste de
lui en laisser la responsabilité, à moins qu’il ne prouvât
que le tiers a connu le véritable caractère du mandat et
s’est associé à sa violation.
En droit commun, la connaissance du mandat est
présumée chez celui qui traite avec un mandataire, mais
les usages du commerce et la foi qui s’attache ordinai
rement aux commis-voyageurs motivent justement une
dérogation à cette règle. D’ailleurs, les pouvoirs de ces
commis résultent plus sou vent de la notoriété publique,
de la remise des cartes et échantillons que d’un mandat
écrit et formel. Aussi n’est-on pas habitué dans le com
merce à se faire exhiber les pouvoirs des commis-vo
yageurs.
1240.
— Le plus ordinairement, les mandataires
commerciaux agissent en leur propre et privé nom. C’est
là, avons-nous dit, une conséquence de l’avantage que
trouve le commerçant à dérober à ses concurrents la
connaissance des places sur lesquelles il opère. De là
cette double règle :
�576
TR A ITÉ
1° Le mandant n’ayant aucune action contre les tiers,
ne peut être actionné par eux;
2° Le commissionnaire n’est, dans aucun cas, tenu
de divulguer le nom de son commettant.
1241.
— La première règle reçoit exception : 1° lors
que le mandataire est déclaré par une disposition ex
presse de la loi la personnification du mandant. De telle
sorte que l’emploi de la qualité à laquelle cet effet se
rattache suffit pour rendre ce dernier personnellement
tenu. Ainsi le capitaine de navire est le représentant
naturel et légal de l’armateur. Conséquemment celui
qui traite avec lui, quoiqu’en son propre et privé nom,
traite réellement avec l’armateur lui-même qu’il a pour
obligé, malgré qu’il ne le connaisse pas même de nom.
Cette exception doit être renfermée dans de justes
limites, on ne l’admettra donc que dans le cas où l’en
gagement du capitaine se réfère à la navigation du navire
dont la direction lui est confiée; tout ce qu’il ferait en
dehors de cet intérêt serait étranger à son armateur,
qu’on ne pourrait dès-lors rechercher sous aucun pré
texte.
1242.
— 2J Lorsque, de notoriété publique, l’affaire
se traite pour le compte d’un mandant parfaitement
connu et au crédit duquel les tiers ont fait exclusive
ment confiance.
Cette exception est susceptible d’acquérir une grande
importance dans les pays de production et relativement
aux commerçants de la localité. Ainsi, chaque maison
�DU DOL
ET
577
DE LA F R A U D E .
de commerce a dans les villages environnants des per
sonnes habituellement chargées d'acheter pour son
compte les vins, les huiles, les amandes, les laines, les
soies, en un mot les diverses productions du pays. Ces
personnes, quoique traitant en leur nom personnel,
sont cependant notoirement connues comme les fondés
de pouvoirs de la maison qui les prépose. C’est à cette
maison que les vendeurs font foi, car assez habituelle
ment encore les mandataires n’offrent aucune solvabilité
réelle, eu égard à l’importance des achats qu’ilsréalisent.
Admettre en cet état que la maison, pour compte de
laquelle se font ces achats, est à l’abri de tous recours
de la part des vendeurs, ce serait s’exposer à consacrer
la plus abominable de toutes les fraudes, la plus odieuse
spéculation. En effet, par une collusion facile entre le
commettant etle commissionnaire, le premier profiterait
des marchandises qu’il paraîtrait avoir payées à celui-ci,
contre lequel les vendeurs seraient réduits à se pourvoir.
Recours illusoire pour eux, peu onéreux pour le com
missionnaire qui trouverait dans son insolvabilité le
moyen d’en éluder les effets.
Il est impossible que le législateur ait pu jamais
vouloir consacrer un pareil résultat, ni permettre que
la faculté pour le commissionnaire d’agir en son nom,
introduite dans l’intérêt du commerce, fût susceptible
de masquer une fraude aussi déloyale.
1243.
— C’est la pensée de Pothier, qui n’hésite pas
dès-lors à résoudre la difficulté dans le sens seul équi
table. Le mandataire, dit-il, est obligé principal, puisn
25
�578
TRA ITÉ
qu’il a donné son nom, mais il oblige conjointement avec
lui son mandant, pour l’affaire duquel il paraît que le
contrat s’est fait. Le mandant, en ce cas, est censé ac
céder à toutes les obligations que le mandataire con
tracte pour son affaire, et de cette obligation accessoire
du mandant naît une action qu’on appelle utilis instiloria, qu’ont, contre le mandant, ceux avec lesquels
le mandataire a contracté pour l’affaire du mandant : Si
quis pecuniœ fænerandœ, agro colendo, condendis vendendisque frugibus propositus est, ex eo nomine quod
cum illo contraction est, in solidum fnndi dominas obligavilur. '
L’opinion contraire est enseignée par MM. Delamarre
et Lepoitevin : ou le commerçant qui agit pour autrui,
disent-ils, fait connaître son mandat à l’autre contrac
tant, et alors il ne s’oblige pas, celui-là seul est obligé
au nom duquel il contracte; ou i! traite en son propre
nom sans exprimer son mandat, sans agir nomine alterius, et, dans ce cas, lui seul est obligé, et nullement
celui pour lequel il a entendu réellement contracter et
dont il a reçu mandat. *
Telle est en effet la doctrine de deux maîtres célèbres,
Ansaldus et Casaregis, invoqués par nos auteurs. Telle
est, ajouterons-nous, la règle ordinaire devant régir le
plus usuellement les opérations commerciales. Mais estce à dire que cette règle soit tellement inflexible qu’elle
ne comporte aucune exception? Elle serait, si cela était,
l’unique en son genre.
1 Du Mandat. n° 882 T. ii, p. SOi, n° 267.
�DU DOL
ET
DE LA F R A U D E .
Quant à nous, nous n’hésitons pas à tenir que, comme
toutes les autres, la règle est ici susceptible d’une ex
ception. Cette exception est naturellement indiquée par
l’exacte appréciation des bases sur lesquelles se fonde
la règle.
Ces bases sont : d’une part, la solvabilité du commis
sionnaire; de l’autre, le secret quele commettant a voulu
garder. Celui qui traite avec un commerçant solvable
ne peut et ne doit supposer personne derrière celui avec
qui il contracte. Il n’a compté et pu compter pour son
paiement que sur l’efficacité de la promesse personnelle
qui lui en est faite; il n’aurait certainement pas traité,
s’il eût considéré cette promesse comme insuffisante.
On ne lui fait donc aucun grief en lui refusant un cau
tionnement qu’il n’a pas même exigé. Pourrait-il d’ail
leurs raisonnablement prétendre avoir compté sur la
solvabilité du mandant demeuré dans le secret le plus
absolu, et qu’aucun indice ne désignait ni directement,
ni indirectement ?
Peut-on en dire autant de celui qui traite avec une per
sonne notoirement en-dessous de la solvabilité qu’exi
gerait l’importance de l’opération? Mais un négociant
qui agirait ainsi, le propriétaire qui userait d’une telle
confiance seraient des insensés qu’il serait urgent de
faire interdire dans leur propre intérêt.
Un fait aussi anormal suppose donc qu’on a su qu’à
côté de l’acheteur et derrière lui, existait quelqu’un
dont la solvabilité certaine commandait cette confiance
qu’on lui a indirectement faite. Il n’est donc plus possi
ble de dire avec Casaregis : Quia apparet mercatorem
Mi
�580
personam tantum contrahentis, in suo contractu comtemplasse, tmllumqtie ad personam mandanlis respectum
habuisse. Ainsi s’efface cetle première et essentielle base
t r a i t e
de la règle invoquée.
Lorsqu’à ce premier fait, vient se joindre celte autre
circonstance, à savoir : l’existence notoire et certaine
d’un mandat en faveur de celui qui a contracté; lors
que l’auteur de ce mandat est publiquement nommé ;
lorsqu’enfln lui-même a concouru à former cette noto
riété soit en transmettant publiquement des ordres à
son mandataire, soit en le désignant comme tel, soit en
faisant enlever lui-même la marchandise achetée par
lui, est-ce qu’on pourra seulement hésiter ? Qu’importe
que le mandataire aittraité en son nom personnel, n ’estil pas évident que c’est avec le mandataire de la maison
désignée qu’on a entendu contracter, qu’on a réelle
ment contracté’?U serait donc absurde de vouloir, en cet
état, appliquer une règle qui n’a plus de fondements et
qui devient dès-lors raisonnablement, équitablement
inapplicable.
M. Troplong, en traitant notre question, rapelle ce
qu’il a dit en matière de société, à savoir : lorsqu’un
associé contracte seul, en son propre et privé nom, il
n’oblige que lui ; les tiers qui ont suivi sa foi n’ont pas
d’action contre la société, et cela quand même celle-ci
auraitprofité du contrat. Mais lorsque la société n’existe
que de fait, que cette existence est notoire, et qu’il est
reconnu que les tiers en ont suivi la foi, il importe peu
que la société n’ait pas été formellement nommée dans
�DU DOL E T
DE LA
FR A U D E
581
les actes passés avec les tiers, les circonstances de fait
la font considérer comme obligée.
Pourquoi en serait-il autrement dans notre hypothèse,
se demande le profond magistrat, l’habile jurisconsulte?
Le mandataire est comme l’associé, il n’oblige son man
dant envers les tiers que lorsqu’il a pris la qualité de
son mandataire. Mais pour que cette qualité lui soit
imprimée dans ses rapports avec les tiers, il n’est pas
absolument nécessaire qu’elle ressorte des mots. Le
judaïsme n’est pas plus de mise ici que dans la société.
Le nom du mandant peut s’attachera l’acte par des cir
constances de fait, par une certaine publicité de posi
tion que les tribunaux doivent apprécier avec équité.1
M. Troplong approuve conséquemment les arrêts de
la Cour de Rennes, que MM. Delamarre et Lepoitevin
frappent de réprobation. Il les corrobore par un arrêt de
la Cour de cassation, du 20 août 1844, rendu à son rap
port.
1244.
— En définitive, la question doit se résoudre
sous l’empire de la règle tracée par Ausaldus : Ea semper persona remanel obligata, cujus intuilu ac respectu,
conlraclus reperilur celebralus.2 Cette personne est de
plein droit celle du mandant, dans le cas où le contrat
est fait sous son nom et pour son compte ; c’est celle du
mandataire, lorsque c’est sous nom propre et privé
qu’il a agi. Mais, dans ce dernier cas, le mandant peut
' Art. 1997, nos 540 et sniv.
*
Disc. 15, n° 7.
�582
TRAITÉ
également se trouver obligé, si les cireonstances établis
sent que notoirement connu, le crédit dont il jouissait
a été la cause déterminante du contrat. Il faut dire avec
M. Troplong que, s’il en était autrement, la fraude s ’em
parerait de ce moyen de droit pour tromper les tiers,
on mettrait les mots au-dessus des choses, les appa
rences concertées au-dessus de la réalité.
1245- — A son tour, le principe que le mandataire
n’est pas tenu de faire connaître son mandant, reçoit
exception en matière d’assurances, les fondements de
cette exception résident dans la nature même de ce
contrat.
L’assurance ne peut exister sans un risque certain et
déterminé. Elle ne peut jamais devenir l’objet d’un jeu
sur les chances de la navigation.
D’autre part, il n’est peut-être pas de contrat qui
exige plus l’emploi d’un intermédiaire, l’assurance se
faisant à des distances telles que l’obligation pour
l’assuré de la souscrire en personne, équivaudrait sou
vent à une interdiction absolue de la faculté d’y recourir.
Enfin, et comme dans toutes les matières commer
ciales, le secret, sur la propriété de choses assurées,
peut être indispensable au succès de l’opération. De là
un grave intérêt pour le véritable assuré à dissimuler
son nom et sa qualité.
Ces considérations ont été de tous les temps appré
ciées, elles ont déterminé l’autorisation de contracter
l’assurance par commissionnaire agissant pour compte
de qui il appartiendra, ou pour compte de qui que ce soit.
�DU DOL
ET DE LA
FK AUDE.
583
Mais si, le sinistre se réalisant, le commissionnaire
pouvait continuer de taire le nom de son commettant,
l’assurance dégénérerait bientôt en une gageure sur les
fortunes de mer. En effet, un négociant, sachant qu’un
navire part ou est parti pour un voyage déterminé, ferait
assurer pour compte de qui il appartiendra une somme
plus ou moins importante soit sur le navire lui-même,
soit sur la cargaison. Si le voyage réussissait, il en serait
quitte moyennant le paiement de la prime; si le navire
venait à se perdre, il réaliserait un bénéfice sans avoir
jamais eu un risque quelconque à son bord.
La nécessité d’empêcher cejeu, de veiller à la sincé
rité de l’assurance, exigeait donc que le sinistre se réa
lisant, et sur la première réquisition des assureurs, le
commissionnaire fût tenu de nommer la personne pour
le compte de laquelle il a agi; et comme nul ne peut
être assuré contre son gré et sans son consentement, le
commissionnaire serait tenu, en nommant l’assuré réel,
de produire soit la lettre d’ordre, soit la ratification de
l’assurance, si celle-ci était son fait spontané.
En effet, un commissionnaire, chargé d’expédier des
marchandises à un commettant quelconque, peut, dans
l’intérêt de celui-ci, les faire assurer sans en avoir reçu,
sans même en attendre l’ordre. C’est là un acte de bonne,
de prévoyante administration. Mais, en cas de sinistre,
l’assurance ne vaut qu’en tant que cetacte a été approuvé
et ratifié par le propriétaire des objets assurés, le défaut
de ratification, comme celle qui serait postérieure au
sinistre annulerait l’assurance. Il importe, en effet, pour
que la ratification puisse produire un effet utile, qu’elle
�584
TRA ITE
soit donnée à une époque où le risque étant encore en
suspens, l’aléa inséparable d’une assurance soit réelle
ment couru. C’est encore là une règle que nous a léguée
l’école italienne : E docendo la ratificazione seguire re
integra, cioe, avanli il sinislro, in tempo e stato di cose,
nel quale l’alto ratijîcatopolessevalidamente farsid Or,
après le sinistre, l’assurance est impossible, dès-lors
la ratification l’est également.
Sous ce rapport donc, la dérogation à la règle que le
commissionnaire n’est pas obligé de faire connaître son
commettant, est parfaitement justifiée. Il est une autre
considération qui ne la commandait pas moins impé
rieusement.
1246- — Aux termes de l’article 3-48 du Code de
commerce, toute réticence, toute fausse déclaration qui
diminuerait l’opinion du risque, ou qui en changerait
le sujet, annulle l’assurance. Le contrat n’est valable
qu’autant que les assureurs ont été instruits de tout ce
quel’assurésavait lui-même sur la navigation du navire,
sujet du risque ou porteur de ce risque.
Or l’obligation de tout déclarer ne s’applique pas seu
lement au commissionnaire, souscrivant la police, mais
encore et essentiellement à l’assuré dans l’intérêt de qui
cette police est souscrite. Quelle qu’ait été la bonne ou
la mauvaise foi du premier, l’assurance ne doit pas moins
succomber, si le second est convaincu de réticence ou
de fausse déclaration.
Casaregis, Disc. 173, n° 51.
�Dü
DOL
ET
585
DE LA FR A U D E .
Il importait donc aux assureurs d’obtenir la produc
tion de la lettre d’ordre et de connaître ainsi le véritable
intéressé. Carde deux choses l’une : ou le commission
naire n’a pas indiqué toutes les circonstances que l’ordre
renfermait, et l’assurance est nulle par le fait du com
missionnaire, seul responsable de sa faute envers son
commettant; ou les indications de la lettre d’ordre
auront été fidèlement exécutées, et les assureurs pour
ront toujours faire tomber le contrat, en prouvant que
l’auteur de cette lettre a volontairement omis d’y con
signer des circonstances qu’il connaissait et qui étaient
de nature à influer sur l’opinion dn risque : Scienlia domini sibi prœjudicatl licet ejus procura lor in conlrahendo, illam non habuerit. 1
C’est donc la conduite du mandant que les assureurs
auront à explorer dans le plus grand nombre des cas.
Or, comment auraient-ils pu user de ce droit d’un si
haut intérêt pour eux, si, après comme avant le sinistre,
le commissionnaire avait pu leur taire le nom du vérita
ble intéressé.
1247. —Ainsi l’assuré répond de la faute et de la fraude
du commissionnaire qu’il s’est choisi et avec lequel
il s’identifie, à plus forte raison, doit-il répondre de sa
propre faute, il ne serait pas juste de lui permettre d’en
tirer avantage, par cela seul qu’il aurait confié à un tiers
le soin de souscrire une assurance, en lui cachant des
circonstances que les assureurs avaient le plus grand in1 Casaregis, Disc. 9, n" 19.
-vi
�TRAITE
térêt à connaître. Cette évidente injustice ne pouvait
être évitée que par l’obligation faîte au mandataire de
faire connaître son mandant et de produire la lettre
d’ordre. Celui-ci connu aura à répondre de sa réticence,
de sa fausse déclaration, il aura de plus à prouver qu’il
était réellement propriétaire des choses assurées.
Nous retrouvons l’identification du mandataire et du
commettant dans les conséquences à tirer de l’ar
ticle 565 du Code de commerce. Aux termes de sa dis
position, il ne peut exister d’assurance valable si avant
la signature de la police l’assuré a pu être informé de la
perte, ou l’assureur de l’heureuse arrivée. Or, pour l’ap
plication de cette règle, il importe peu que la perte
ignorée du mandant soit connue du commissionnaire,
ou réciproquement; il suffit qu’elle le soit de l’un d’eux
pour que le contrat ne puisse sortir à effet.
Ainsi, dit Émérigon, si, lors de la signature de la po
lice , le commissionnaire , qui fait l’assurance pour
compte d’autrui, est instruit du sinistre, l’assurance est
nulle, quoique le commettant l’ait ignorée.
Elle est également nulle, si ce dernier était instruit
du sinistre, lorsqu’il a donné ordre de faire assurer,
quoique le commissionnaire ait été de bonne foi.
Il en est de même si le commettant, instruit à temps
pour révoquer l’ordre, a omis de le révoquer.1
4248- — La dissimulation, que le commettant ferait
à son commissionnaire de la connaissance du sinistre,
Des Assurances, chap. 15, sect. 8.
�DU DOL
ET
DE LA FR A U D E .
587
constituerait de sa part un véritable dol. Or, quelle que
soit l’identification que nous venons de voir se réaliser
entre eux, elle ne peut jamais aller jusqu’à rendre celuici responsable d’un dol personnel au commettant et au
quel il serait resté étranger. C’est ce que la Cour de
cassation a formellement consacré par arrêt du 8 mai
1844.1 Dès-lors, la double prime que cette dissimula
tion entraînerait, aux termes de l’article 368, ne pour
rait être mise à la charge du commissionnaire de bonne
foi.
1249.
— Ce résultat est d’ailleurs une conséquence
logique de la déclaration du nom de celui pour compte
de qui l’assurance a été prise. Cette indication n’a certes
pas pour effet d’effacer les obligations personnellement
contractées jusque là par le comissionnaire. Il fadt donc
dire avec Casaregis: Facta nominatione, slipulator non
exil e contractu, qui erat in eo radicalus ab initio, secl
persona norninata accumulaturipsi contractai. *Le com
missionnaire restera donc débiteur de la prime conve
nue, et de toutes les obligations contractées par la
police.
Mais cette nomination réalisée, les assureurs se trou
vent désormais en présence de leur véritable adver
saire. Ils peuvent scruter sa conduite, et tout ce qui
ressort de cet examen amiable ou judiciaire ne peut
plus concerner que l’assuré. Le commissionnaire n ’a
■> D. P. 44,1, 238.
2 Disc., 5, n° 26 ; — Ansaldus, Disc., 12 ; — Valin,, t. il, p. 33, 54 ;
- Troploiig, art. 1997, n° 364.
�588
TR A IT K
pas même qualité pour se prétendre intéressé au procès;
à quel titre donc lui ferait-on supporter la peine que le
dol ou la fraude de sou commettant pourra faire pro
noncer?
1250.
— La seconde condition pour que le mandant
soit tenu envers les tiers, c’est que le mandataire ait
agi dans la limite du mandat. S’il a excédé ses pouvoirs
et que les tiers les aient suffisamment connus, le man
dant n’est pas tenu : Non essendo ademptita. la forma
del mandata, non e tenuto il mandante a osservare e
ratijîcare cliio che vienfalo del mandalario. 1
1251.
— L’abus du mandat crée donc une excep
tion en faveur du mandant, mais ses effets diffèrent
suivant que cette exception est opposée au mandataire
ou aux tiers avec lesquels il a traité.
Le mandataire qui a sciemment outre-passé son man
dat, a commis une faute dont il doit répondre. Il ne
peut, conséquemment, contraindre le mandant à le re
lever des engagements qu’il a personnellement con
tractés, ni le forcer à lui rembourser les avances et
frais exposés. Cette règle a un fondement rationnel et
équitable, nul ne peut être engagé au-delà de sa vo
lonté et contre ses ordres exprès. Or, si l’étendue de
cette volonté peut quelquefois être contestable, tout
doute est impossible lorsqu’elle résulte expressément
et formellement du mandat écrit. D’ailleurs, celui qui
Casaregis, Disc., 119, n° 9.
�DU DDL ET DE LA FRAUDE.
589
ne se conforme pas aux ordres qu’il a reçus,nepeut agir,
en réalité, à titre de mandataire. C’est personnellement
qu’il contracte, c’est donc aussi lui seul qui s’oblige.
En conséquence, pour ce qui concerne le manda
taire, la règle prescrite par l’article 1998 est générale
et absolue. Le mandant n’est jamais engagé par ce qui
a été fait au-delà de ses ordres et contrairement à ses
intentions. Tout ce qui a été fait dans ce sens lui de
meure étranger, il n’a pas môme besoin d’en faire pro
noncer la nullité. Cette nullité est de plein droit et ré
sulte de l’excès du mandat.
Mais l’existence de l’abus peut être contestée, et ce
n’est qu’en tant qu’il est certain que les effets que nous
venons de rappeler se réalisent. Le doute qui s’élèverait
à ,cet égard offrirait une question d’interprétation que
les tribunaux décideraient souverainement et en fait.
Or, le doute peut naître des termes obscurs et am
bigus employés par le mandant. Mais, à cet égard, il
importe de remarquer que le mandataire, toutes les fois
qu’il se crée des doutes sur l’étendue de son mandat,
doit provoquer des explications et conformer sa con
duite à celles qui lui sont données. Il ne pourrait donc
se prévaloir de l’obscurité ou de l’ambiguïté du mandat,
s’il a eu tout le temps nécessaire pour demander et ob
tenir ces explications. Mais il ne serait pas juste de le
rendre victime de l’erreur qu’il a pu commettre de
bonne foi, si l’accomplissement du mandat devant se
réaliser dans un temps voisin de sa réception, le man
dant n’a pu être consulté, ni répondre en temps utile.
�590
TR A ITE
Dans cette hypothèse, la faute de ne s’être pas suffisam
ment expliqué devrait retomber sur lui.
1252.
— La certitude de l’excès, suffisante contre
le mandataire, ne suffit plus contre les tiers. Il faut, de
plus, que ceux-ci aient pu apprécier l’excès; qu’ils
aient, conséquemment, connu les pouvoirs de celui
avec qui ils ont contracté. Cette connaissance est, dans
tous les cas, présumée. Il est naturel, en effet, que celui
qui traite avec une personne se disant mandataire d’un
tiers, lui fasse exhiber ses pouvoirs. Mais cette pré
somption peut être détruite par la preuve contraire que
le tiers est toujours recevable à produire.1
1253- — Par rapport aux tiers, la règle que le man
dant n’est pas tenu de tout ce qui excède le mandat est
susceptible de quelques autres exceptions. Ainsi, le tiers
ne pourrait être éconduit que si la production du man
dat et sa connaissance ne lui permettaient pas de se
tromper de bonne foi sur son étendue. L’ambiguïté,
l’obscurité des termes serait donc pour lui une excuse
légitime. On ne pourrait consacrer le contraire sans
s’exposer à de graves injustices. Bientôt l’une ou l’autre
ne serait plus ;que l’effet du calcul pour se ménager,
dans tous les cas, une porte de sortie et rendre ainsi
les tiers victimes d’une fraude manifeste.
1254.
Une autre exception se réaliserait ineon-
Voy. cependant supra, il0 1259.
�DT DOL ET DE LA FRAUDE.
59 i
testablement dans l’hypothèse ou l’excès consisterait
dans l’emploi de la procuration, alors que l'objet pour
lequel elle a été consentie aurait reçu son accomplisse ■
ment. Je charge un mandataire d’emprunter pour moi
une somme de 1,000 fr. Cet emprunt est effectivement
réalisé et le mandat a produit tout son effet. Mais j ’o
mets de retirer la procuration, et celui qui en est por
teur contracte un second, un troisième emprunt. (I va
là, évidemment, un coupable excès de pouvoirs; mais le
second et le troisième prêteur ne sauraient être privés
de leur recours, que si, connaissant le premier em
prunt, ils se sont associés à l’infidélité du mandataire.
Si cette preuve n’est pas fournie, il leur suffit d’avoir
suivi la foi de la procuration pour que le mandant soit
obligé envers eux : Si quidam publicœ répugnai æquilali, civiligue commercio, quod quis sincera fide contrahens cum aliquo quœ manibus habente publicum instrumenlum mandati, debeal sub ista bona fide decipid
M. Troplong, qui approuve celte doctrine, fait très
bien remarquer que le mandant peut facilement échap
per à la possibilité de cet abus en précisant, dans le
mandat, la personne auprès de laquelle l’emprunt de
vra être contracté ou bien en retirant la procuration des
mains du mandataire, dès la réalisation de l’emprunt. ’
Le premier moyen est péremptoire autant que facile,
mais il n’en est pas de même du second. Comment, en
1 Ausnldus, Dig. 30, n° 4.
* Article 1908, n° 6 0 5 ;n° 354.
Vid. Delamarre et Lepoilevin, loin, n,
�592
TRAITE
effet, obtenir matériellement la restitution d’un titre,
lorsque le dépositaire ne voudra pas l’opérer? Ce refus
laissera-t-il le mandant pour toujours responsable des
engagements qu’il plaira au mandataire infidèle de
souscrire ?
Il n’est certes pas possible de l’admettre ainsi. La loi
eût été injuste si elle n’avait pas fourni le moyen de
conjurer un pareil danger. Dans un cas de cette nature,
le mandant ne doit pas se borner à révoquer de fait la
procuration, il doit donner à cette révocation la plus
grande, la plus éclatante publicité, soit par des circu
laires imprimées, soit par l’insertion dans les journaux
de la localité. Cette publicité, ayant pour objet de pré
venir les tiers, leur enlèverait, au besoin, toute excuse
de bonne foi et exonérerait le mandant de toute respon
sabilité des engagements qu’ils auraient pu contracter
avec l’ancien mandataire.
Adéfaut de ces précautions,comme dans tous les cas
d’infidélité ou de fraude de la part du mandataire, la
responsabilité appartient au mandant. Les tiers n’ont
nullement à se reprocher d’avoir traité avec celui qui
avait réellement la qualité qu’il prenait, tandis que le
mandaut a fait faute en investissant de sa confiance une
personne capable d’en abuser. Il n’y a donc pas à hé
siter : Unde quiclquicl sit in aliis materiis extra coinmercium, vel inter procuratorem et dominum, cerlum
undequaque videtur, quod lerlius innocens ac fidem
ipsi constituent, non debet ullo modo clandeslinos actus procuraloris defraudari eodem modo, quo si procuralor asserat récépissé pecunias in eam causam de qua
�DU DO U ET DE LA FBAUDE.
593
canlat mandatum, Masque in alios usus convertit, adhuc ipse conslituens qui credidil suo procuralori, et non
1ertins qui credidil ipsi consfil lient i dammficaiur.1
1255- — Le mandant ne saurait récuser la respon
sabilité des actes de son mandataire, si l’excès de pou
voirs dont il excipe résultait non du mandat lui-même,
mais de modifications consenties soit verbalement, soit
par acte séparé. Cependant la connaissance de ces modi
fications par les tiers les placerait sous le coup de l’ar
ticle 1998 ; mais celte connaissance n’est plus pré
sumée, comme nous le disions tout à l’heure pour celle
du mandat; celui qui l’alléguerait dans son intérêt de
vrait la prouver.
1256- — Enfin, une dernière exception, et celle-ci,
commune aux tiers et au mandataire lui-même, résul
terait de la ratification expresse ou tacite que le man
dant aurait faite de l’opération réalisée au-delà du man
dat. Lui seul, en effet, a qualité pour se plaindre de
l’excès de pouvoirs; mais il n’est pas forcé de le faire.
Rien même ne saurait l’empêcher de s’en appliquer les
effets.
C’est ce qu’il est, de plein droit, présumé faire lors
qu’il a approuvé formellement l’opération, ou lorsque,
sans donner cette approbation formelle, il s’est con
tenté de la ratifier tacitement.
Un principe incontestable en matière de mandat,
1 Ansaldus,
D isc .
30, n° S.
�594
THAÏTE
c’est que la ratification n’est plus celle exigée par l’ar
ticle 1558. On ne saurait donc exciper de l’absence,
dans l’acte de ratification, des conditions prescrites
par cet article. La ratification s’induit, définitivement,
de tout acte duquel résulterait une approbation quel
conque de l’opération après que le mandant en a eu
connaissance ; elle s’induirait également du silence
gardé par lui, comme s’il s’abstenait de répondre à la
lettre par laquelle le mandataire lui annonce la ma
nière dont il a exécuté ses ordres. A plus forte raison,
si, dans la réponse à cette lettre, il n’a fait ni protes
tation, ni réserves.
En matière commerciale, les exemples d’approba
tion, tirée du défaut de réponse à une lettre, sont nom
breux. Or, les motifs qui militaient dans ce cas justi
fiaient l’application de la règle en matière de mandat.
Il ne serait pas juste, en effet, que le mandant pût, à son
gré, s’appliquer l’opération si elle est avantageuse, la
répudier si les résultats étaient onéreux. C’est ce qui
arriverait cependant, s’il pouvait suspendre sa décision
pendant un temps plus ou moins long. Donc, libre de
l'accepter ou de la répudier, il faut qu’il s’explique dès
qu’il en connaît l’existence et les circonstances essen
tielles. Son choix estprésuméjpour l’acceptation, s’il ne
se prononce pas pour le rejet. C’est ce que décidait for
mellement l’école italienne : Mandatorem habentem
cerlam scientiam de excessu sui mundali, eique, neque
Jacto, neque verbis conlradicentem, haberi pro approbante dummodo cum scientia concurrat aliquis aclus,
�DU
DOL
ET
DE
LA
FRAUDE.
595
ut receptio litterarum et tacilurnitas ; et fortins responsio sive dissensu vel reprobatione. '
Ces principes étaient marqués au coin d’une trop
exacte équité, pour qu’ils ne fussent pas suivis sous
l’empire de notre législation. Aussi le sont-ils à peu
près sans contradiction. 8
' Casaregis, Disc. 30, n°‘ 00 et 61.
Pardessus, loin. i,n°253;—Toullier, n° 490;— Duranton, tom. xm ,
n° 265;—Troplong, art. 1998, il0 642.
5
FIN DU TOME II.
�TABLE
DES CHAPITRES DU TOME II.
Pages.
OBSERVATIONS GÉNÉRALES......................................................
]
C H A P IT R E I. — De la fraude.....................................................
Section i. — Fraude présumée........................................................
Section n. — Preuve de la fraude................................. ;
. .
7
S
36
C H A P IT R E II. — Fraudes contre la partie............................ 127
Section i. — Fraudes dans les mariages...................................... 130
§ 1 . — Fraudes dans les stipulations matrimoniales....................131
§ 2 . — Fraudes pendant le mariage............................................... 150
§ 3. — Fraudes à la dissolution du mariage................................ 244
Section u. — Fraudes dans les partages...........................
256
Section ni. — Fraudes dans la vente et l’échange......................286
Section iv .— Fraudes dans le louage............................................3 3 4
Section v. — Fraudes dans les sociétés......................................385
Section vi. — Fraudes dans les prêts........................................... 425
Section vu. — Fraudes dans le mandat...................................... 5 3 5
FIN DE LA TABLE DU. TOME H .
��
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Description
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Traité du dol et de la fraude en matière civile et commerciale
Subject
The topic of the resource
Droit commercial
Droit civil
Droit privé
Description
An account of the resource
Traité en 3 tomes sur des vices de consentement bien spécifiques en droit civil et commercial : le dol et la fraude.
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Bédarride, Jassuda (1804-1882)
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-20879/1-3
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Courcier, Durand et Veuve Thorel (Paris)
Aubin (Aix)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1851-1852
Rights
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domaine public
public domain
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A related resource
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Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
3 vol.
655, 595, 713 p.
22 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
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Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
Traité du dol et de la fraude en matière civile et commerciale. 1, Du dol
Traité du dol et de la fraude en matière civile et commerciale..2, De la fraude
Traité du dol et de la fraude en matière civile et commerciale. 3, De la simulation
Abstract
A summary of the resource.
Jassuda Bédarride, jurisconsulte provençal et avocat au barreau de la Cour d’Aix-en-Provence, a consacré un traité en trois tomes sur des vices du consentement en droit civil et commercial : le dol et la fraude.
Dans le premier tome, l’auteur traite du dol. Il aborde les questions de sa définition où il explique qu’il nécessite deux conditions afin d’exister : la résolution de tromper et l’existence d’un préjudice. La preuve du dol est ensuite abordée ainsi que ses effets et les fins de non-recevoir de l’action pour dol.
Dans le second tome, l’auteur définit la fraude et la présente dans divers contrats.
Dans le troisième tome, il traite de la simulation qu’il définit comme une fraude à laquelle toutes les parties consentent.
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Dol (droit civil) -- France
Droit commercial -- France
Fraude -- France
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/334/RES-22985_Bedarride_Traite-dol-1.pdf
7d73c5c5d32da7d785014aae14e80d4a
PDF Text
Text
TRAITÉ
3
E NT M A T I È R E
C IV IL E
«fe C O M M E R C I A L E
PAR J. BÉDARRIDE
Avocat près la Cour d’appel d’Aix, ancien Bâtonnier
Membre correspondant de l’Académie de Législation de Toulouse
Chevalier de la Légion d’Honneur
TRO|ISXÈM E É D I T I O N
revue et mise au courant de la doctrine et de la jurisprudence
TOME PREMIER
AIX
PARIS
ACHILLE MAKAIRE, LIBRAIR
L. LA R O SE , LIBRAIRE
22 , R U E SOURFIOT, 22
1876
2,
R UE PO N T -M O R E A U , 2
�TRAITÉ
DU DOL
ET
DE LA FRAUDE
EN MATIÈRE CIVILE ET COMMERCIALE
PAR
AVOCAT
A
LA
S.
COUR
BÉDARBIUll,
D’ AP P E L
D’ AIX ,
ANCIEN
BATO NNIER.
PARIS ,
COUltCIÉR , LIB R A IR ER U E IIAUTEFEUILLE , 9 ;
DURAND, LIBRAIRE, RUE DES GRÈS ;
VEUVE THOREL, LIBRAIRE , PLACE DU PANTHÉON.
AIX,
AUBIN, LIBRAIRE-ÉDITEUR,
■UIl LE CO U R8, 1.
1831.
.J.ÛJ©o 31s<2jO
��T F t^ IT É
DU DOL ET DE LA FRAUDE
EN MATIÈRE CIYILE ET COMMERCIALE
OBSERVATIONS PRELIMINAIRES
-m a
SOMMAIRE
\ . Nécessité de la bonne foi dans les conventions.
2. Rôle du dol et de la fraude dans les causes viciant les enga
gements.
3. Causes de leur développement.
4. Motifs de la sévérité mise par le législateur à leur admission.
5. Pourquoi il a exigé que les faits invoqués fussent graves,
précis et concordants.
6 Difficultés de la mission confiée aux tribunaux.
7. Utilité de se bien pénétrer de l’esprit de la loi.
8. La faveur due au titre ne saurait faire repousser , sans ins
truction, les reproches adressés à sa sincérité.
9. L’admissibilité de la preuve orale était une véritable néces
sité.
�2
TRAITÉ DU DOL
40. Inapplicabilité de la maxime odia restringenda à la deman
de en nullité pour dol ou fraude.
11. Eléments d’appréciation pour l'admissibilité de la preuve.
42. Différences entre le dol et la fraude.
4 3. Division.
1. — Les engagements divers que contractent les
citoyens doivent, pour être justes, provenir d’une volonté
spontanée et libre ; la loi; chargée d’en assurer l’exécu
tion, devait donc veiller à la pureté de leur origine, non
moins qu’à la sincérité de cette exécution elle-même.
Il était en effet facile de prévoir que, dans bien des
cas, l’acte, sous une apparence irréprochable, ne serait
qu’une odieuse tentative de spoliation. De là les condi
tions exigées pour la validité du contrat, conditions dont
l’accomplissement devient la garantie et la preuve de la
bonne foi réciproque des parties.
2. — Le dol et la fraude occupent un rang distingué
dans les causes pouvant vicier la convention. Les ténè
bres, dans lesquelles ils s’enveloppent, augmentent leurs
chances de succès , les mille détours à travers lesquels
ils se jouent, parviennent souvent à triompher de la vo
lonté expresse de la loi et à tromper la sagacité de la
justice, réduite à les soupçonner sans pouvoir les attein
dre.
Un pareil résultat ne pouvait échapper aux regards
avides de la mauvaise foi , et ce qui prouve qu’elle ne
l’a pas négligé, c’est le développement considérable que
�3
des litiges journaliers signalent dans les faits de dol et de
fraude.
5. — Nous laisserons au moraliste à apprécier les
causes de ce développement. Peut-être conviendrait-il de
les attribuer à ce culte qu’on a, de nos jours, érigé à l’in
térêt matériel ; à cet agiotage funeste, attaquant chaque
jour les sources du crédit public et frappant au cœur la
morale elle-même ; à la tolérance pour ces prétendues
opérations industrielles dont les actions, semant partout
la misère et la ruine, excitent une avidité effrénée qu’on
s’efforcerait en vain de retenir dans les bornes de la rai
son et de la justice.
Quoi qu’il en soit, un semblable état de choses appelle
un prompt remède, et ce remède est heureusement dans
les mains de %
la justice.
4. — Sans doute la loi pourrait être plus sévère,
mais on ne doit pas perdre de vue la position délicate
dans laquelle se trouvait le législateur. La prudence qu’il
conseille dans l’appréciation du dol et de la fraude est
une conséquence de cette position. Croire facilement au
dol et à la fraude , accueillir favorablement la plainte,
l’admettre avec la même facilité, eût été peut-être un
moyen de les décourager, d’en arrêter le développement
e t, dans tous les cas, d’en assurer la répression en la
rendant plus fréquente. Mais , d’autre part, à combien
d’inconvénients ne s’exposait-on pasl A combien de dan
gers n’abandonnait-on pas les droits les plus légitimes,
les plus sacrés I S’il est vrai qu’il n’existe que trop de gens
ET DE LA FRAUDE.
�4
TRAITÉ DU DOL
disposés à recourir à des moyens illégitimes et à se créer
des ressources aux dépens de leurs dupes, n’est-il pas
également certain qu’il en est en aussi grand nombre qui
crieraient au dol et à la fraude, dès qu’on voudrait les
contraindre à exécuter un engagement ne leur offrant
plus l’avantage qu’ils s’en étaient promis. D’autre part,
s’il existe des créanciers peu scrupuleux, il n’est pas rare
non plus de trouver des débiteurs de mauvaise foi, tâ
chant de se soustraire à une obligation régulièrement
consentie et librement contractée.
Or, s’il importe de veiller à l’intérêt de ceux que la
déloyauté opprime, il convient de protéger également les
droits honorablement acquis et injustement déniés; en
un mot, il ne fallait pas-, pour empêcher la fraude des
créanciers contre les débiteurs, encourager et favoriser
celle des débiteurs contre les créanciers.
5. — C’était le moyen de concilier ces divers intérêts
qu’il convenait d’adopter. Or , ce moyen , les faits ac
complis l’indiquaient naturellement ; l’acte écrit fait sup
poser un consentement régulier, c’était là une présomp
tion légale qu’on ne pouvait mettre de côté. En consé
quence, l’acte devait faire foi de ce qu’il renferme et être
exécuté, tant que le vice dont on le prétend souillé n’est
pas établi. L’allégation de l’existence de ce vice impose
à son auteur le devoir d’en fournir la preuve ; cette preu
ve résultera de titres écits ou de dépositions orales, mais
elle ne sera recevable que si les faits cotés sont graves,
précis et concordants. Elle sera même inutile si des pré-
�ET DE LA FRAUDE.
5
somptions, ayant ce triple caractère, peuvent dès à pré
sent former la conviction du juge.'1
Voilà ce que le législateur a cru devoir faire ; voilà
la ligne de conduite qu’il a trouvée toute tracée dans les
législations précédentes. Sans doute la difficulté de la
preuve assurera, comme ses incertitudes, la réussite du
dol et de la fraude dans quelques hypothèses. Mais le
mal serait-il moindre, si, pour atteindre plus facilement
le dol, on se fut exposé à condamner quelquefois la bon
ne foi elle-même ? Le choix fait par le législateur, entre
ces deux dangers, ne saurait donc lui mériter le repro
che de faiblesse ou d’indulgence.
C’est aux magistrats à féconder, dans l’application, le
germe de répression renfermé dans la loi. L’apprécia
tion laissée à leur prudence et à leurs lumières, la rece
vabilité de la preuve testimoniale, l’admissibilité de celle
par présomptions, sont autant de moyens propres à at
teindre ce but si désirable , si intéressant pour l’ordre
public lui-même.
6. — Nous ne nous dissimulons pas le caractère de
la mission confiée aux tribunaux. Les procès en dol ou
fraude offrent, non une question de droit, mais une pure
question de fait. Les circonstances dont on se plaint exis
tent-elles? sont-elles prouvées? caractérisent-elles le dol
ou la fraude ? Tels sont les points uniques que ces pro1 Dolum exindiciisperspicuisproiari convertit, L. 6, Cod. De dolo
�6
TRAITÉ DU DOL
cès donneront à résoudre. Dans une difficulté de cette
nature, le magistrat n’a de guide assuré que sa cons
cience, d’autre élément de décision que son opinion ellemême. Dès lors, vouloir offrir des règles à leur appré
ciation, c’est paraître tenter une entreprise sans utilité et
sans but. Cependant, il est des notions que le juge ne
doit pas négliger , alors même qu’il obéit aux inspira
tions de sa conscience. Il ne suffit pas qu’une cause soit
équitable , il faut qu’elle soit, de plus , avouée par le
droit. Or, éclairer les principes, les poser nettement, en
déduire les conséquences, c’est encore se rendre utile en
offrant des bases légales à cette appréciation souveraine.
C’est ce que nous venons faire en traitant une matière
trop négligée de nos jours. Le Traité de M. Chardon a
quelque peu vieilli, et nul autre que lui n’a traité le dol
et la fraude d’une manière spéciale. Puissent nos efforts
contribuer à leur répression !
7. — Pour atteindre à cette répression , il faut que
les magistrats se pénètrent bien de l’esprit de la loi. Dans
les procès de ce genre, le défendeur à la nullité fait les
plus pressants appels à l’autorité du titre, surtout lorsque
ce titre est authentique ; à l’entendre , il ne faut, sans
mettre en péril les choses les plus sacrées, lui porter au
cune atteinte ou en amoindrir la puissance.
8. — Oui, il importe que le titre soit respecté. Une
convention légitime ne doit pas rester un vain mot. Mais
tout cela ne peut et ne doit faire repousser, sans instruc-
�7
tion, les reproches d’illégitimité adressés au contrat. La
faveur accordée au titre par le législateur, n’est que la
conséquence de la présomption que ce titre est loyale
ment intervenu et que l’obligation qu’il crée est légale
ment contractée. C’est donc vouloir en méconnaître le
caractère que de prétendre la convertir en une arme pro
tectrice du dol ou de la fraude.
Le législateur y a si peu songé , qu’il n’hésite pas à
anéantir le titre, lorsque le reproche est justifié, et c’est
à la preuve testimoniale qu’il demande les fondements
de ce reproche. L’admissibilité de la preuve orale, con
tre un titre écrit, indique bien le prix qu’il attache à la
répression de tout ce qui altère la pureté et la loyauté
du contrat.
9. t— Au reste, l’admissibilité de la preuve orale était une véritable nécessité. Le dol et la fraude se gar
dent bien de laisser après eux des traces écrites. Vouloir
des titres écrits ou seulement un commencement de preu
ves, c’était renoncer à l’espérance de toute répression.
Celte considération avait paru si décisive à nos anciens
jurisconsultes, qu’elle les avait même porté à se montrer
peu exigeants sur les résultats de la preuve orale.
La fraude, dit Dumoulin, éloigne les témoins au lieu
de les appeler, quare non ila exacte probaliones de jure
exiguunlur. . . Ahoquin facillnsime esset sophislicaUone verborum , seu per verbales actus, quolidie eludere consueludinem.1
ET DE LA FRAUDE.
i
Ancienne coutume de Paris,
§ 23, n°
62 .
�8
TRAITÉ DU DOL
Simulationem probari exindiciis et conjecturis,pro~
bationesque imperfectas, nimisque intégras admitli}
Ce qui était vrai à cette époque, n’a pas cessé de l’ê
tre, ou mieux l’est devenu plus encore aujourd’hui. Tout
a progressé depuis lors, et le dol et la fraude ne sont
certes pas restés en arrière. On pourrait donc enseigner
encore aujourd’hui qu’on doit non seulement admettre
la preuve testimoniale, ce qui ne fait pas doute, mais en
core qu’on ne doit pas trop se montrer sévère sur ses
résultats.
iO. — Cependant, nous avons entendu souvent sou
tenir le contraire. Les'nullités, a-t-on dit, sont odieuses,'
il faut donc se garder de les encourager, odia restringenda. Il n’y a de nullités odieuses que celles s’adres
sant à la forme, sans pouvoir atteindre le fonds du droit.
Qu’importe, en effet, comme le dit un jurisconsulte mo
derne,2 dans le for intérieur, l’irrégularité d’une deman
de dans la forme, si cette demande est juste au fonds?
Mais la nullité d’un acte couvrant sous sa perfection
apparente un traité injuste , arraché par le dol ou sug
géré par la fraude, n’esî qu’une légitime satisfaction à la
bonne foi indignement abusée; loin d’offrir quelque
chose d’odieux, ce résultat n’a rien que de très-moral et
de très-juste.
Ce qui serait véritablement odieux, ce serait d’entou1 Leferon , sur l’art. 15 , Coutume de Bordeaux, lit. du Retrait li
gnager.
2 Solon, des, Nullités, introd. p. vi.
�9
rer d’une sollicitude quelconque l’auteur présumé d’une
fraude coupable, de contribuer, par une sévérité intem
pestive , à rendre la découverte du dol impossible , et
d’assurer ainsi le triomphe d’une spoliation audacieuse
ment exécutée.
L’esprit de la loi repousse et devait repousser un pa
reil résultat. Les efforts des magistrats tendront sans cesse
à en empêcher la réalisation. Ce n'est pas par des con
sidérations pareilles que la demande en preuve doit être
repoussée. Les invoquer, c’est se placer dans une con
tradiction flagrante avec la loi, avec la morale, avec la
vérité.
11. — C’est dans les faits du procès , dans les cir
constances ayant précédé, accompagné et suivi le contrat;
c’est dans la position des parties , dans la nature de la
convention, dans les faits dont on demande la preuve,
que se puiseront les éléments d’appréciation de son ad
missibilité. Ce que les magistrats ne doivent jamais per
dre de vue, c’est que le dol et la fraude sont difficiles à
justifler ; c’est que si la condamnation injuste est à ja
mais regrettable, il importe peu que cette condamnation
doive méconnaître des droits légitimes ou consacrer une
prétention déloyale. C’est donc à concilier tous les inté
rêts qu’ils doivent tendre sans cesse. Ils y aboutiront en
portant dans l’examen des difficultés qu’ils auront à ré
soudre les saines notions de l’équité et du droit.
ET DE LA. FRAUDE.
12. — Les mots dol et fraude sont souvent réunis
et confondus dans les œuvres de nos jurisconsultes.Cette
�40
TRAITÉ DU DOL
confusion , qui n’existait pas dans le droit romain , est
inadmissible. Sans doute, le dol et la fraude ont des ca
ractères communs, subissent dans leur recherche l’em
pire de principes analogues, produisent des effets iden
tiques. Mais il y a entre eux des différences notables dans
leur nature, dans leur origine, souvent même dons leurs
résultats.
Ainsi, le dol ne peut exister sans l’emploi de manœu
vres, imputables à l’une des parties, ou exécutées dans
son intérêt par un tiers.
La fraude, au contraire, ne réside le plus souvent que
dans l’exécution d’une convention licite et juste, elle n’e
xige aucune manœuvre; elle est, dans certain cas, con
certée entre toutes les parties contractantes.
Le dol vicie essentiellement le contrat.
La fraude, même convenue, n’a souvent aucune in
fluence sur la validité et, conséquemment, sur l’exécu
tion à donner à la convention.
Aussi , verrons-nous que la plainte en fraude n’est
pas toujours permise, tandis que celle en dol ne saurait,
dans aucun cas, être refusée à la.partie lésée.
15. — Ces différences tracent naturellement notre
division. Nous devons d’abord examiner le dol, sa défi
nition, ses caractères, la preuve de son existence, ses ef
fets. Nous traiterons ensuite de la fraude, selon qu’elle
a eu pour objet ou de tromper la partie, ou de nuire à
des tiers, ou d’éluder la loi, ce qui comprend le vaste '
champ des simulations.
�14.
-15.
16.
17.
18.
Comment Servius avait défini le dol, vices de cette définition.
Définition donnée parLabeon, admise par les jurisconsultes.
A passé dans notre droit.
Cas dans lesquels le dol dégénère en délit.
Différence de l’action en répression du délit d’avec celle en
réparation du dol.
19. La décision au correctionnel ne crée aucune fin de non-rece
voir contre l’action ultérieure pour dol.
14 . — Le jurisconsulte Servius avait défini le dol
en ces termes : Machinalionem quamdam, alterius decipiendi causa, cum aliud simulatur et aliud acjitur.
Les principes du droit romain sur la matière , ren
daient cette définition inacceptable par sa trop grande
généralité. Nous verrons en effet, tout-à-l’heure, que le
dol n’était pas toujours pris dans la même acception,
�\%
TRAITÉ DU DOL
malgré que dans tous les cas on put relever les carac
tères exigés par Servius.
C’est par celte observation que Labeon contestait la
justesse de la définition donnée par Servius. On peut, di
sait-il , tromper sans dissimulation ; d’autre part, une
dissimulation certaine n’est pas toujours et nécessaire
ment répréhensible, dans le cas, par exemple, où elle n’a
pour but que de protéger son intérêt légitime ou celui
d’un tiers : Posse sine dissimulatione id agi, ut guis
circumvenialur ; posse et sine dolo malo aliud agi, aliud simulctri, sicuti faciunt qui perejus modi dissimulationem deservianl et tuentur vel sua, vel aliéna.
15. — Il fallait donc pour le dol une désignation
qui ne s’appliquât qu’à lui et qui le caractérisât d’une
manière précise et non équivoque. En conséquence, La
beon le définissait : Omnis calliditas, fallacia, machinatio, ad circumvenïendum, fallendum, decipiendum
alterum adhibita.1
Cette définition fut admise par les jurisconsultes ro
mains ; elle répondait parfaitement à l’idée qu’on peut
se faire du dol et des caractères le constituant. En effet,
le concours de manoeuvres déloyales et d’un préjudice
pour la partie contractante , détermine nettement la na
ture du dol et son objet , indique le double fondement
de l’action ouverte à celui qui en a été victime , action
qu’Ulpien explique en ces termes : lie vel illis malitia
sua sit lucrosa, vel istis simplicitas damnosa.
i L. \, Dig., § %, De dolo malo.
�13
16. — Notre droit a recueilli sur ce point les erre
ments du droit romain. Aujourd’hui donc , comme à
cette époque , on doit considérer comme dol punissable
toute espèce de manœuvres, de finesses, d’artifices, em
ployés pour entraîner ou entretenir une personne dans
l’erreur qui la détermine à une convention préjudiciable
à ses intérêts, ou qui la détourne de faire une chose utile.1
17. •— Le dol dégénère en véritable délit, lorsque les
manœuvres qui le constituent atteignent une gravité telle,
que l’ordre public exige autre chose que l’annulation du
contrat, avec dommages-intérêts. En conséquence , le
préjudice provoqué , soit par l’emploi de faux noms ou
de fausses qualités, soit par des manœuvres ayant eu
pour objet de persuader l’existence de fausses entreprises,
d’un pouvoir ou d’un crédit imaginaire , de faire naître
l’espérance ou la crainte d’un succès , d’un accident ou
de tout autre événement chimérique , est une véritable
escroquerie entraînant l’application d’une peine corpo
relle.2
18. *— Notre sujet se restreignant au dol en matière
civile, nous n’avions à indiquer ce qui précède que pour
en déduire cette conséquence. La loi distingue formelle
ment l’escroquerie du simple dol, dès lors le fait insuffi
sant pour constituer le délit puni par l’article 405 du
ET DE LA FRAUDE.
1 Toullier, tom. vi, n° 87.
2 Art. 405, Cod. pén.
�U
TRAITÉ DU DOL
Code pénal, peut créer une action en nullité de la con
vention et en dommages-intérêts. Cette action peut être
intentée soit principalement, soit accessoirement à l’ins
tance correctionnelle. Mais quelle que soit la décision de
celle—çi, aucune fin de non-recevoir ne saurait être op
posée à l’exercice de la première.
En matière de délits, comme en matière de crimes,
l’intention est seule constitutive de la culpabilité. Les ju
ges correctionnels décident donc plutôt une question in
tentionnelle qu’une question de fait. Aussi, l’acquittement
prononcé ne prouve qu’une seule chose : l’absence de
criminalité. Reste donc le fait matériel, dont les consé
quences, plus ou moins nuisibles, peuvent être déférées
à une autre juridiction. Si ce fait est imputable au pré
venu, s’il est le produit de la ruse et du mensonge , ce
prévenu, déchargé de la peine d’un délit non démontré,
resterait passible de la réparation du préjudice naissant
du fait qu’il aurait commis.
Ainsi la loi civile atteindra comme dol ce que la loi
criminelle n’a pu atteindre comme escroquerie. Mais ce
qu’il importe de remarquer, c’est que la compétence des
tribunaux correctionnels est nécessairement subordonnée
à la constatation du délit ; qu’elle disparaît avec celui-ci.
Dès lors, en cas d’acquittement, les juges correctionnels
ne peuvent statuer sur les prétentions de la partie civile,
ni lui adjuger aucuns dommages-intérêts. Ils doivent
donc la déclarer non-recevable et la condamner aux dé
pens.
�ET DE LA. FRAUDE.
15
19. — Mais celte décision De fait nul obstacle à l’in
troduction d’une action en nullité, ou en dommages-in
térêts devant les tribunaux ordinaires. L’action civile pour
dol diffère essentiellement de l’action civile pour escro
querie: chacune de ses actions a ses caractères spéciaux,
obéit à des principes particuliers , reconnaît une com
pétence distincte. Conséquemment, la chose jugée sur la
dernière n’est jamais opposable à l’action postérieure en
dol. Elle ne produit d’autre effet que de rendre à tout
jamais impossible, une poursuite en escroquerie.
Mais le fait motivant celle-ci est de nature à consti
tuer un dol. Il peut donc donner naissance à l’action ou
à l’exception que le dol crée. On pourrait d’autant moins
invoquer la maxime non bis in idem , que le juge cor
rectionnel non seulement n’a pas connu du dol , mais
qu’il ne pouvait en connaître.
Sans doute, c’est le même fait qu’il a eu à apprécier,
mais son appréciation n’a dû et pu porter que sur le ca
ractère de délit attribué à ce fait. N’oublions pas que
l’art. 360 du Code d’instr. crimin. appelle fait, l’accu
sation elle-même , le crime ou le délit qu’elle qualifie,
et non l’acte matériel à raison duquel elle est interve
nue.1 La décision crée la chose jugée sur cette crimina
lité, laquelle disparaissant fait place à un fait purement
civil, sur les conséquences légales duquel rien n’a été
statué, parce qu’elles n’ont jamais été en question.2
1 Legraverend, t. i, pag. 339-340; — Mangin, Be l’action publique,
�16
TRAITÉ DU DOL
SECTION I".
C a ra ctères du Dol.
SOMMAI RE.
»
20. Pourquoi le législateur n’a pas considéré comme moyens de
nullité tout ce qui s’écarte de la stricte bonne foi.
21. A quelles conditions devra-t-on reconnaître le dol ?
22. Première condition : il faut que les manœuvres ou artifices
aient été de nature à faire illusion.
_ 23. Conséquence. Tout mensonge, toute ruse n’équivaut pas au
dol.
24. Opinion de Pothier à cet égard.
23. C'est donc sur la nature et la gravité des moyens employés
que devra se porter l’attention du juge.
26. Faut-il que , comme la violence , le dol ait dû faire impres
sion sur un esprit raisonnable?
* 27. L'état moral de la partie exercera toujours une grande in
fluence.
28. Quid si elle était dans un état presque habituel d’insanité
d’esprit ?
29. De la dépendance dans laquelle une des parties serait à l’é
gard de l’autre?
30. L’appréciation du juge est souveraine.
, 31. Seconde condition : le dol doit avoir déterminé le contrat.
�47
ET DE LA FRAUDE.
,3 2 . La préexistence de l’inlention de contracter exclut donc l'ac
tion en nullité, mais laisse subsister celle en dommagesintérêts.
» 33. Troisième condition : Le dol doit être le fait de la partie. —
Conséquence.
34. Droits de la partie lésée contre l’auteur du dol.
35. Exceptions à la règle du maintien de l’acte: — 1° lorsque
les avantages produits par le dol ne résultent pas d’une
obligation.
36. 2° Lorsque la partie étrangère au dol en a connu l’existence
au moment du contrat.
37. Quatrième condition : le dol doit avoir occasionné un préju
dice.
38. Exigences du droit romain : Consilium fraudis eventus
damni.
39. En quoi ces exigences ont perdu de leur importance en droit
français.
40. Cependant, si le préjudice est dénié, c’est au plaignant à en
justifier l’existence.
41. L’existence d’un préjudice moral ferait-elle annuler le con
trat ?
•
20. — L’équité et la morale exigent que les parties
contractantes agissent, l’une envers l’autre, avec la plus
entière bonne foi. De là cette conséquence, que les trai
tés faits au mépris de cette prescription devraient être
considérés comme incapables de produire un lien légal.
Mais il est, en législation , des nécessités invincibles.
On ne pouvait proscrire tout ce que l’exacte probité ré
prouve, sans exiger des hommes une perfection n’exis
tant nulle part ; sans tomber dans les plus grands in
convénients; sans s’exposer à jeter la plus grande per
turbation dans les transactions de la vie sociale.
-
2
�18
TRAITÉ DU DOL
Aussi n’a-t-on pas fait dépendre le sort des contrats
de l’existence avérée de toute ruse, de tout mensonge. Le
dol seul les annulle , e t, par dol , le législateur entend
les manœuvres et artifices ayant créé l’erreur préjudicia
ble à l’une des parties.
21. — Pour tomber sous le coup de la loi, ces arti
fices et manœuvres doivent offrir dans leur conception,
dans leur emploi, une gravité facilement appréciable.
C’est ainsi que la doctrine et la jurisprudence l’ont de
puis longtemps consacré. Cette gravité résultera de cer
taines conditions sur lesquelles le juge devra tout d’abord
porter son investigation.
22. — La première de ces conditions est que les ma
nœuvres et artifices aient été de nature à faire illusion à
la personne trompée. La peine édictée contre le dol a
surtout pour objet 1* juste réparation due à celui qui en
a été victime. C’est à titre de dédommagement, que la
loi accorde la nullité de l’acte , et , suivant les cas , une
allocation de dommages-intérêts. Or , un dédommage
ment quelconque n’est dû qu’à celui qu’une force ma
jeure a seule entraîné, qui n’a succombé que par l’effet
d’une violence morale qu’il ne pouvait ni prévoir, ni em
pêcher.
Dans le cas contraire, celui qui se plaint a lui-même
à se reprocher la légèreté de sa conduite , la foi qu’il a
imprudemment accordée, lorsque des investigations, que
son intérêt lui prescrivait, l’auraient mis à même de dé-
�19
couvrir la ruse dont il a été victime. Conséquemment,
lui accorder une réparation, serait récompenser son im
prudence. Or, la loi doit bien protéger celui qui n’a pu
se défendre, mais elle n’a aucune obligation envers celui
qui, pouvant se protéger lui-même efficacement, a né
gligé ou dédaigné de le faire.
ET DE LA. FRAUDE.
23. — C’est en ce sens, que nous disions tout à
l’heure , que tout mensonge , que toute ruse ne donne
pas ouverture à l’action en dol ; cependant, le résultat
de l’un peut être identique à celui que l’autre produirait;
c’est-à-dire qu’un préjudice grave a pu être réellement
causé par la ruse ou le mensonge. Mais l’un et l’autre,
ser produisant simplement , pouvaient être reconnus.
L’imprudence de la partie leur a seule donné l’effet qu’ils
ont produit, il n’y a donc plus qu’une dissimulation que
la loi et la morale réprouvent, mais qui ne peut cons
tituer le dol puni par l’art. 1116 du Code civil.
24. — « Dans le for intérieur, dit Pothier, on doit
regarder, comme contraire à la bonne foi , tout ce qui
s’écarte tant soit peu de la sincérité la plus exacte, la plus
scrupuleuse ; la seule dissimulation sur ce qui concerne
la chose faisant l’objet du marché, et que la partie avec
qui je contracte aurait intérêt de savoir , est contraire à
la bonne foi.
» Dans le for extérieur, une partie ne serait pas écoutée à se plaindre de ces légères atteintes que celui,
avec qui elle a contracté, a données à la bonne foi, au-
�20
TRAITÉ DU DOL
trement il y aurait un trop grand nombre de conven
tions qui seraient dans le cas d’être rescindées. Il n’y a
que ce qui blesse ouvertement la bonne foi qui soit, dans
ce for , regardé comme un vrai dol , tel que toutes les
mauvaises manœuvres et tous les mauvais artifices qu’u
ne partie aurait employés pour engager l’autre à con
tracter.1 »
Vainement donc prouverait-on qu’on a été entraîné
par la ruse, déterminé par le mensonge. Si les précau
tions ordinaires pouvaient déjouer la ruse, démasquer le
mensonge, l’acte doit être maintenu. Il n’y a dol punis
sable que lorsque l’erreur inférée s’est produite par des
moyens de nature à convaincre de la vérité de la fausse
allégation , à endormir la vigilance et à rendre vaines
toutes investigations.
25. — Il résulte de là que c’est surtout sur la natu
re des moyens employés, sur leur gravité, que le plai
gnant doit appeler l’attention de la justice. C’est cette ap
préciation qui fournira la solution du litige. Dès lors, la
question soulevée par la poursuite du dol est plutôt une
question de fait, qu’une difficulté de droit. Les manœu
vres et artifices signalés existent-ils ? Ont-ils la gravité
indispensable pour faire résoudre le contrat ? Telles se
ront, en dernière analyse, les seules, les véritables diffi
cultés.
Ce caractère du litige laisse une grande part à Larbi1 Des obligal., n° 30.
�21
trage souverain du juge. Il est cependant quelques prin
cipes de nature sinon à commander, du moins à diriger
l’exercice de ce pouvoir. En voici notamment qu’on ne
doit pas négliger.
26. — L’article 1112 du Code civil , qui punit la
violence, exige pour l’atteindre qu’elle ait été de nature à
faire impression sur un esprit raisonnable ; doit-on exi
ger ce caractère en matière de dol ?
Il y a entre la violence et le dol cette différence : que
la première, s’annonçant par des actes matériels, sera
parfaitement appréciable dans ses divers degrés. Elle pro
cédera d’ailleurs , et presque toujours , par les mêmes
moyens, et l’on comprend que, pour en juger les effets,
on ait exigé que les actes la caractérisant aient pu faire
une grave impression, au moins sur une intelligence éclairée, sur une raison ordinaire.
Le dol, au contraire, confond la raison et se joue de
l’intelligence. Insaisissable dans la pensée qui le conçoit,
protégé par la fraude présidant à son exécution, il sait
faire illusion au plus habile. Chaque espèce devra donc
se résoudre par les moyens qui lui seront propres. On
ne se demandera pas si un esprit raisonnable aurait ou
non succombé, la question posée sera uniquement celleci : le demandeur a-t-il cédé et dù céder aux manœu
vres déployées pour pervertir sa volonté et égarer son
consentement ?
27. — Mais l’état moral de la partie exercera tou
jours une puissante influence sur la décision. La loi pro-
■
ET DE LA FRAUDE.
�22
TRAITÉ DU DOL
tège plus efficacement le mineur, parce qu’elle le suppo
se plus accessible aux suggestions de la mauvaise foi.
Mais il est des majeurs dont la volonté, inerte et faible,
est plus facilement entraînée que ne le serait, dans la
môme occurrence, celle de certains mineurs. La protec
tion due à ceux-ci doit donc les entourer dans de cer
taines limites. Le dol sera d’autant plus à supposer à
leur égard , qu’ils étaient pour lui une proie plus facile
et plus sûre.
28. — Par une supériorité de raisons, le dol serait
plus facilement admis, s’il était argué que la victime se
trouvait dans un état habituel d’insanité d’esprit. Dans
une pareille hypothèse , on ne s’appesantirait pas trop
sur la gravité ordinairement exigée pour les manœuvres
constituant le dol. La simple obsession pourrait suffire,
c’est ce qui a été admis pour la captation.
On sait que , pour annuler une libéralité imputée à la
captation , on exige de celle-ci un caractère frauduleux
et dolosif. Il faut conséquemment qu’elle ait été accom
pagnée de manœuvres tendant à fausser la volonté du
donateur ou du testateur. Mais de simples, démarches,
fréquemment répétées, afin d’obtenir une libéralité, lors
qu’elles s’adressent à un individu dans un état d’imbé
cillité ou de démence presque habituel, ont été jugées
constituer le dol punissable. C’est notamment ce que la
Cour d’Àix a décidé, le 3 juin 1843, par la confirma
tion d’un jugement du Tribunal de Toulon , annulant
une libéralité faite par la dame Pourriac à une de ses
�23
29. — Nous n’hésitons pas non plus à considérer,
comme un élément essentiel d’appréciation , la dépen
dance dans laquelle seraient respectivement les parties
au moment de l’acte , même sous le rapport de l’intérêt
pécuniaire. Des poursuites rigoureuses, exercées par un
créancier contre les biens ou contre la personne de son
débiteur, peuvent placer celui-ci dans une position dont
il a été facile d’abuser, en lui arrachant le sacrifice d’u
ne partie plus ou moins forte de sa fortune. Un acte
ainsi obtenu n’est-il pas réellement le produit d’une vé
ritable violence , et ne devra-t-on pas l’apprécier sévè
rement sur la plainte de la partie intéressée ?
Sans doute les poursuites du créancier sont l’exercice
d’un droit. Mais si elles n’ont pour objet que de forcer
la main au débiteur, si le sacrifice consommé par l’acte
attaqué n’a aucun motif sérieux, s’il est démontré qu’il
n’est évidemment que le résultat recherché de , et par ,
la poursuite, faudra-t-il laisser le créancier possesseur
paisible de ce qu’il aura ainsi frauduleusement obtenu ?
Nous ne le pensons pas : Nemini sua fraus patrocinari
debet.
ET DE LA FRAUDE.
50 . — N’oublions pas, au reste, qu’en cette matière
les tribunaux prononcent comme le ferait un jury. Il
suffit qu’ils soient convaincus de la gravité du dol, pour
qu’ils soient autorisés à en anéantir le produit. Cette
gravité est relative ; elle se détermine tantôt par la finesse
de l’artifice, tantôt par l’âge , le sexe , la condition des
parties. Conséquemment tels et tels faits qui ne sauraient
�24
TRAITÉ DU DOL
constituer le dol à l’endroit de l’un , le constitueront
pour l’autre. Nous le répétons, la loi s’en rapporte en
tièrement à la prudence des tribunaux, et, sans leur de
mander compte des éléments de leur conviction , elle
l’accepte comme l’arbitre souverain du litige.1
31. — La seconde condition, pour que le dol annulle le contrat, est que sans son emploi, il n’eût pas existé
de convention. Qu’il ait été , dès lors , la cause unique
et déterminante du consentement, dans causam contractui.
La nullité résultant du dol est une peine en même
temps qu’une réparation. Celte dernière doit s’étendre à
toutes les conséquences nuisibles, et ce résultat n’est nul
lement inconciliable avec l’existence de l’acte attaqué.
Or, pourquoi anéantir celui-ci lorsque la volonté de le
consentir existait chez toutes les parties. Malgré que cette
volonté chez l’une d’elles ait été plus tard pervertie par
des manœuvres coupables, l’acte n’en est pas moins in
tervenu librement. Il suffît donc, dans cette hypothèse,
que le préjudice résultant du dol exercé dans l’exécution
de cette pensée soit entièrement réparé, à moins que la
circonstance sur laquelle on a été trompé soit de telle
nature que sa connaissance eût fait abandonner toute
idée de traiter.
l Cass., 27 août 1836 ; — 8 décembre 1838, J. D. P., tom. r, 1839,
pag. 263,
�KT DE LA. FRAUDE.
25
52. — Ainsi, la certitude de la volonté de contrac
ter avant et indépendamment de toute manœuvre , est
exclusive de toute poursuite en nullité de l’acte. Le traité
renferme un lien légal qu’il faut respecter , tout en ra
menant son exécution dans les limites légitimes, que la
convention devait avoir dans la pensée commune des
parties.
Mais le maintien de l’acte ne serait ni équitable ni lo
gique , lorsque , sans intention de contracter , la partie
poursuivante n’a été déterminée à le faire que par les
manœuvres dolosives dont elle se plaint. Il importe que
le dol soit poursuivi et atteint dans tous les effets qu’il
a produit; or, dans l’espèce, l’existence de l’acte n’est
elle-même qu’un de ces effets, dès lors elle doit être con
damnée et proscrite.
Il n’y a donc, en général, de nullité forcée que lors
que le contrat a été inspiré par le dol. S’il est certain
que la partie était décidée à traiter, de telle manière
qu’elle l’eût fait, alors même qu’il n’y aurait eu aucun
dol, l’acte est maintenu. Mais on ne doit respecter que
ce qui est indépendant du dol b Conséquemment, tout
ce qui n’est qu’une conséquence directe de celui-ci doit
être corrigé. On doit donc , tout en maintenant l’acte, soit annuler les clauses dues aux manœuvres reprochées,
soit allouer des dommages-intérêts suffisant pour répa
rer intégralement tout préjudice.
i Cass., 19 janvier 1841.
�TRAITÉ DU DOL
53. — La troisième condition pour que le dol soit
punissable, c’est qu’il ait été commis par celui avec qui
on a contracté. Nul ne peut répondre que de son propre
fait, que de sa faute. En conséquence, si la partie atta
quée n’a réellement ni connu le dol, ni coopéré aux ma
nœuvres qui le constituent, sa bonne foi rend le contrat
inattaquable, et en assure l’exécution.
54. — Mais cette conséquence ne fait nul obstacle à
ce que la partie lésée poursuive et obtienne la réparation
du préjudice qu’elle éprouve. L’auteur du dol, quel qu’il
soit, est tenu de cette réparation , alors même qu’il ne
doit retirer aucun avantage personnel du traité déterminé
par ses manœuvres.
55. — Cette règle reçoit cependant des exceptions,
et la partie étrangère au dol perd tous les avantages qu’il
en avait retiré :
1° Lorsque ces avantages, ne résultant pas d’une obligation contractée en sa faveur, ne lui sont acquis que
par sa qualité , ou par une disposition formelle de la
loi. Ainsi la renonciation, annulée comme produite par
le dol, serait censée n’avoir jamais existé, et l’héritier
appelé au profit de cette renonciation perdrait tous ses
droits. 11 serait en conséquence tenu de restituer l’héré
dité qu’il aurait déjà appréhendée, alors même qu’il eût
ignoré l’existence du dol ;
36. — 2° Lorsque la partie contractante, sans être
elle-même l’auteur du dol, en a connu l’existence au
�27
moment du contrat. Connaître un fait réprouvable aux
yeux de la justice, et vouloir en recueillir les fruits, c’est
se rendre complice de ce fait , à la consommation du
quel on se prête sciemment. Il est donc juste de priver
le complice, tout au moins, des gains illicites devant les
quels il n’a pas reculé.
ET DE LA FRAUDE.
37. — Enfin, la quatrième condition pour l’impu
tabilité du dol , c’est qu’un préjudice ait été causé. Le
dol, avons-nous dit, nécessite une peine et une répara
tion. Il n’existe donc que lorsqu’il y a fait illicite chez
l’un, préjudice chez l’autre. L’absence de tout préjudice
enlèverait à la répression du dol son objet le plus essen
tiel, et en rendrait la poursuite évidemment frustratoire.
L’intérêt étant la mesure de l’action, et l’intérêt n’exis
tant qu’autant qu’on est lésé, l’impossibilité de justifier
de l’existence d’un préjudice quelconque , rendrait la
partie plaignante non-recevable dans son action.
38. — Ainsi se retrouve dans notre droit ce double
caractère que le droit romain exigeait pour le dol, à sa
voir : Consilium fraudis, eventus damni. Mais , sous
l’empire de cette législation, cette prescription avait une
portée bien autre que celle qu’elle conserve aujourd’hui.
Le droit romain reconnaissait un dol licite , dolus bo
nus, une fraude nuisible dans ses résultats, mais n’exi
geant pas un Concert préalable, fraus non in consilio
sed in eventu. Et tout cela devait être soigneusement
distingué puisque l’action en dol était infamante.
�------------------— -
28
TRAITÉ DU DOL
59. — Cela n’exisle plus en droit français. Sans
doute nous reconnaissons des simulations licites , mais
ces simulations ne sauraient être qualifiées dol , par la
raison toute simple qu’elles sont ordinairement concer
tées par les deux parties. L’action en dol n’est plus que
ce qu’est l’action en fraude, et n’atteint jamais d’autres
résultats que celle-ci.
Donc, chez nous, le dol n’a qu’une acception impli
quant nécessairement l’existence d’un préjudice. Ce ne
sera jamais dans un but innocent ou inoffensif qu’on
se livrera à des manœuvres, à des artifices destinés à
entretenir une personne dans l'erreur qui la détermine
à une convention préjudiciable à ses intérêts, ou qui la
détourne de faire une chose utile.
D’autre part, comment admettre qu’une partie se plai
gne d’un acte ne lui causant aucun grief. On ne plaide
pas pour le plaisir de plaider, surtout lorsque, sans es
poir de rien gagner , on sait qu’on y perdra toujours
quelque chose.
40. — Quoi qu’il en soit, le dol n’existe que lors
qu’il y a réellement préjudice. Conséquemment, si le
défendeur soutient qu’il n’en a causé aucun, le deman
deur aura l’obligation de prouver celui dont il se plaint.
Mais on ne devra pas exiger que ce préjudice soit né et
actuel : il suffira qu’il y ait crainte fondée pour l’avenir,
probabilité même d’une chance , pour que l’auteur du
dol soit condamné , soit à faire cesser l’état des choses
que ses artifices ont déterminé, soit à fournir toutes les
assurances éventuelles qui lui seront réclamées.
�29
41. —• L’existence d’un préjudice moral légitimerait
l’action du poursuivant. Celui qui a été déterminé, par
artifices , à vendre une propriété qu’il affectionnait , et
dont il ne se serait pas défait sans le dol employé, sera
recevable à demander la nullité de la vente. Vainement
le prix reçu serait-il proportionné à la valeur de la cho
se vendue ; il n’en serait pas moins certain que la vo
lonté du vendeur a été violentée; et si les manœuvres
dont il se plaint ont réellement existé , son consente
ment, surpris par ce moyen, manque d’une de ses qua
lités essentielles, et n’est par conséquent pas susceptible
de créer un lien légal. Il n’y aura dans cette espèce
qu’un préjudice moral ; mais cet intérêt est aussi sacré
qu’un intérêt matériel. Le dol ne peut pas plus léser
l’un, que l’autre.
Il résulte de ce qui précède que le dol n’agit pas tou
jours d’une manière
uniforme. Conséquemment nous
»
avons à le distinguer dans les diverses parties de la
convention qu’il est dans les cas de vicier. Après en avoir recherché la nature , nous en ferons ressortir les
effets.
ET DE LA FRAUDE.
�30
TRAITÉ DU DOL
SECTION II.
Des d ive rse s espèces de Dol.
SOMMAI RE.
42.
43.
44.
43.
46.
47.
48.
49.
Le droit romain distinguait le dol en bon ou mauvais.
Exemple d’un dol bon, dolus bonus.
Cette distinction n’existe plus sous l’empire du Code.
Elle a été cependant en quelque sorte conservée pour ce qui
concerne la fraude.
Le dol ne peut être que personnel. En élait-il de même en
droit romain ?
Opinion de Merlin et de Toullier sur le dol réel.
Examen de la doctrine d’Ulpien ; ce jurisconsulte a-t-il admis
un dol réel ?
En combien d’espèces se divise le dol ?
42. — Le droit romain appelait dol toute simula
tion , tout artifice à l’aide duquel un acte perdait son
véritable caractère , pour en revêtir un ne lui apparte
nant réellement pas. De là la nécessité de distinguer le
dol en bon et mauvais. Ce qui constituait le premier, était non seulement l’absence de toute intention fraudu
leuse , mais encore, et surtout, le défaut de préjudice.
�31
C’est ce qui se déduit de l’observation de Labeon , rap
pelée par Ulpien : Fosse et sine dolo malo aliud agi, aliud simulari, sicuti faciunt qui per ejusmodi dissimulationem deserviant et luentur vel sua, vel aliéna-1
Ulpien nous enseigne de plus que le dol licite pouvait
exister dans plusieurs circonstances , et que c’est pour
enlever tout doute que l’épithète de mauvais avait été
ajouté au mot dol : Non fuit prœtor contentus dolum
dicere , sed adjicit malum , quoniarn veteres dolum etiam bonum dicebant et pro solertia hoc nomen accipiebant maxime si adversus hostem latronemve quis
machinetur. 3
Dans ces limites, la qualification de bon , donnée au
dol, est irréprochable. Les artifices employés contre les
ennemis ou les voleurs ne pouvaient certes faire encou
rir le moindre blâme. Les uns et les autres auraient eu
assez mauvaise grâce à se plaindre de ce qu’on avait dé
joué leurs projets. Mais il n’en était pas de même rela
tivement à certains actes auxquels on étendait les effets
de cette dénomination. Ainsi , on considéra d’abord
comme licite, le dol exercé sur le prix de vente des cho
ses mobilières ou immobilières : Inpretio emptionis et
venditionis, disait Pomponius, naturaliter licel contrahentibus se circumvenire 3. Mais cette maxime parut
bientôt ce qu’elle était ; par trop compromettante ; aussi
ET DE LA FRAUDE.
1 L. 1, Dig,, § 2, De dolo malo.
2 Ibid., § 3.
3 L, 16, Dig. S 4, De minoribm xxv anrns
�TRAITÉ DU DOL
32
ne tarda-t-on pas à la réduire, dans la pratique, à une
portée plus restreinte. On admit que cette faculté n’al
lait jamais- jusqu’à autoriser une lésion énorme ; qu’elle
ne devait s’entendre que du droit de vendre un peu plus
cher ou d’acheter à un prix moindre que ne valait la
chose, en d’autres termes qu’il était loisible à chacun de
rechercher un honnête avantage, condilionem suam faceremeliorem.
45. — Un exemple ayant le mérite de caractériser le
dolm bonus et de bien tracer en quoi il diffère du dol
mauvais, est l’espèce citée par le jurisconsulte Paul, dans
le § 3 de la loi 19, Dig. De negotiis gestis.
« Chargé de faire mes affaires pendant mon absen
ce , vous avez acquis une propriété que vous ne saviez
pas m’appartenir : vous l’avez depuis prescrite. Je ne
puis en obtenir la restitution par l’action negotiorum
gestorum.
» Mais si après l’achat, et avant l’accomplissement de
la prescription, vous découvrez que la propriété m’ap
partient , vous devez interposer quelqu’un qui vous en
fera la demande en mon nom , et qui , par ce moyen,,
vous fournira celui de conserver mon bien, et de veiller
à vos propres intérêts par l’exercice de l’action en ga
rantie que vous avez contre votre vendeur.
» Cette supposition de personne est ordinairement
une fraude. Mais, dans l’espèce, elle n’aura rien de ré
préhensible : Nec videris dolum malum facere in hac
subjectione, ideo enim hoc facere debes ne aclione ne
gotiorum gestorum tenearis. »
�33
Il y a évidemment dans cette hypothèse défaut de ré
solution frauduleuse, absence de tout préjudice. En ef
fet, l’action n’est intentée que pour se soustraire à la
fraude du vendeur de la chose d’autrui. Le résultat de
cette action sera de faire sortir à effet une garantie im
posée par la loi elle-même. L’interposition de personne,
dans ce double but, est donc on ne peut pas plus légi
time.
Nous avons vu ce qu’était le dolus malus, nous avons
déjà ♦dit que ce qui le caractérisait en droit romain c’était surtout le consilium fraudis et Vevenlus damai.
ET DE IA FRAUDE.
44. — Au reste, cette distinction en bon et mau
vais était complètement inutile sous l’empire de notre lé
gislation. Le mot dol a reçu dans notre langue une ac
ception qui en fixe désormais la nature. Il se prend tou
jours en mauvaise part. Les ruses contre l’ennemi ou
contre les voleurs sont non seulement un droit, mais
encore un devoir, imposé par la légitime défense de sa
personne ou de ses biens. D’autre part, les artifices em
ployés pour déterminer l’exécution d’une obligation par
faite sont également exempts de tout reproche et ne sau
raient motiver une action quelconque.
Il y a plus, le Code distingue le dol, non seulement
de la fraude , mais encore de la surprise , de la super
cherie. Ainsi l’art. 1255 permet de revenir contre l’im
putation faite par surprise, et l’art. 1967 autorise à ré
péter la dette de jeu acquittée par suite de supercherie.
3
i
�34
TRAITÉ DU DOL
45. — Mais ce qui n’a plus aucune portée pour le
dol, en a conservé une véritable en matière de fraudes.
Celles-ci ne sont pas nécessairement illicites. Il en est
dont le législateur assure le maintien et l’exécution. La
distinction en bonnes ou mauvaises pourrait donc leur
convenir, si depuis longtemps on ne les avait qualifiées
de licites ou d’illicites , épithètes que le génie de notre
langue rend préférables.
46. — Le dol ne peut être que personnel, puisqu’il
no résulte que de manœuvres donnnat naissance à l’er
reur et au préjudice. Mais est-il vrai que , par opposi
tion au dol personnel , les Romains eussent admis un
dol réel ? Merlin et après lui Toullier , et d’autres ju
risconsultes recommandables ont admis l'affirmative.
Ils la fondent sur ces paroles d’Ulpien : Et si nullus
dolus intervertit stipulants, sed res ipsa in se dolum
habet}
47. — Cette distinction est fortement contestée par
ces mêmes jurisconsultes : « Le dol , dit notamment
Merlin, vient de la mauvaise foi, et conséquemment tou
jours de la personne ; à la vérité , les choses elles-mê
mes peuvent tromper, ou, pour mieux dire, on peut être trompé à l’occasion des choses ; mais celte erreur est
seulement l’effet de l’ignorance , ou , si c’est l’effet du
dol, ce dol ne se trouve pas dans les choses, mais dans
1 L. 36, Dig. De verb. obligat.
�3S
la mauvaise foi de celui qui les présente à l’effet de
tromper.1
ET DE LA FPAUDE.
48. — L’évidente justesse de ces considérations rend
de la plus complète invraisemblance qu’elles aient échnppé à la sagacité du célèbre jurisconsulte romain.
On ne peut pas surtout admettre qu’elles lui aient échappé au point qu’il ait pu enseigner l’existence d’un
dol réel. Ulpien n’a-t-il pas dit que ce qui constitue le
dol c’est l’emploi, dans le dessein de nuire, delà ruse,
de la finesse, de l’artifice ? Comment aurait-il donc sup
posé qu’une chose pût jamais réaliser cet emploi, et
concevoir celte volonté de tromper , consilium fraudis,
élément essentiel du dol?
A notre avis donc, Ulpien n’a pas dit autre chose que
ce que Merlin dit lui-même, à savoir : qu’on peut être
trompé par les choses, mais que, dans ce cas encore, le
dol n’est et ne peut être que personnel. Ce qui le prou
ve, c’est qu’après les mots que nous venons de rappor
ter, Ulpien ajoute immédiatement : Cum enimquis pe
lât ex ea stipulatione hoc ipse dolo facit quod petit.
Ce qui le prouve mieux encore , c’est ce que ce juris
consulte nous a déjà dit : Et quidern illud annotandum
est quod specialiter exprimendum est de cujus dolo
quis quœratur, non in rem, si in ea re dolo malo fac
tum est, sed si in ea re nihil dolo malo acloris fac
tum est, docere igitur debel is qui ohjicit exceptionem
1
Rép., v° Dol, § 4 ; — voy. Toullier, 6, n° 89.
�TRAITÉ DU DOL
36
dolo malo actoris factum, nec sufjicit ei oslendere in
re esse dolum.1
Ainsi , il ne suffit pas que la chose soit défectueuse
pour que le dol existe, il faut qu’il y ait un acte reprochable à celui qui a livré la chose , ou qui veut sciem
ment abuser de cette défectuosité. Conséquemment, aux
yeux d’Ulpien , le dol est toujours personnel , puisqu’il
n’existe que parle fait d’une des parties, soit que ce fait
vicie le contrat dans son origine, soit qu’il ait pour but
de contraindre à une exécution déloyale et injuste : Cum
enim quis petat ex ea stipulatione hoc ipse dolo facit
quod petit.
Interpréter ainsi la conduite du poursuivant, était fa
cile en droit romain. L’obtention du jugement était né
cessairement précédée de la litisconteslatio qui en de
venait la base. Or celle-ci opérait une véritable novation,
en substituant au droit primitif le droit résultant de la
formule2. Dès l’instant que le créancier poursuivait dé
loyalement l’obtention de celle-ci, il commettait un dol,
et le droit était censé vicié dans son origine, puisque le
dol était en principe la cause de celle obtention.
C’est au reste ce que le § 3 de la loi 2, Dig. De doli
mali et melus exceptione , explique fort bien : Si quis
sine causa ab aliquo fuerit stipulatus,deinde ex ea sti
pulatione experiatur, exceptio utique doli mali ei no1 L. 2, S 1, Dig. De doli mali et melus exceptione
2 Etienne, des Actions, n» c m ,
�37
cebit. Licet enim eo tempore quo stipulabatur nihil dolo malo admiserit, tamen discendum est eum
dolo facere qui persévérât ex ea stipulatione petere.
ET DE LA FRAUDE.
c u m
c o n t e s t a t u r
l it e m
,
49. — Le dol ne peut donc être que personnel,
nous l’avons déjà dit. Mais il ne procède pas toujours de
la même manière e t, conséquemment, ne produit pas
toujours les mêmes effets. Il est substantiel, lorsqu’il at
taque l’acte dans son essence ; accidentel , lorsqu’il ne
vicie qu’une des clauses du contrat. Substantiel ou ac
cidentel , le dol est direct ou indirect, positif ou négatif.
Examinons-le sous ces divers points de vue.
S 1".
D o l S u b s ta n tie l ou A ccid en tel.
SOMMAIRE.
50.
51.
52.
53.
54.
55.
Quand le dol est-il substantiel ?
Effet du dol substantiel.
Obligations de celui qui en allègue l’existence.
Dol dans le consentement; quand existera-t-il ?
Premier exemple.
Deuxième exemple.
�TRAITÉ DU DOL
Troisième exemple.
Dol sur la capacité de la partie.
Effet de l'incapacité, si le capable l’a connue.
Quid si elle a été ignorée.
Quand cette ignorance pourra-t-elle être utilement invoquée.
Dol sur la matière du contrat.
Ce dol peut être négatif. — Exemple.
Autre exemple du dol sur la matière du contrat.
Dol sur la cause du contrat. — Fréquence probable de ce
dol ; le but qu’il se proposera.
Dans toutes les hypothèses, c’est en définitive le consente
ment qui sera vicié.
Dol accidentel. — Ses caractères.
Premier exemple.
Second exemple.
Ce dol, quant aux qualités de la chose, ne saurait en général
être constitué que par des manœuvres.
Il en est de même lorsqu’il affecte le prix.
La vilité du prix ne fait donc pas supposer nécessairement le
dol.
Nécessité de la distinction entre la lésion et le dol, pour les
ventes mobilières.
Le dol exercé sur le prix n’annulera pas la convention.
Il en est autrement du dol sur les qualités de la chose.
Exemple du dol sur les qualités motivant l’annulation.
Autre exemple.
Effets du dol sur la qualité dans la vente de choses mobiliè
res et dans les ventes commerciales.
50. —• Le dol est substantiel lorsqu’il a pour objet
de tromper sur l’une des conditions essentielles du con
trat, de créer une erreur sans laquelle il est évident que
la partie n’aurait pas traité,1
i Art. 'H t 6 Cod, civil,
�/
39
51. — L’article 1108 énumère ces conditions. C’est
d’abord le consentement de la partie qui s’oblige, sa ca
pacité de contracter, un objet certain qui forme la ma
tière de l’engagement, une cause licite dans l’obligation.
Les manœuvres à l’aide desquelles on est parvenu à égarer le consentement, à déguiser l’incapacité de la par
tie, l’absence de tout objet formant la matière du con
trat ou celle d’une cause licite, constituent donc le dol
substantiel. L’acte ne renferme plus de lien obligatoire :
Colorem habet, substantiam vero nullam.1
Mais quelque vicieuse que soit au fonds une conven
tion ainsi obtenue, la régularité du titre qui la constate
en fait présumer la légalité, en commande même l’exé
cution , tant que la partie lésée garde le silence. « Un
consentement extorqué n’en est pas moins un consente
ment, et, tant qu’il n’est point attaqué, l’obligation sub
siste.2 »
ET DE LA FRAUDE.
52. — C’est donc à celui qui prétend en être af
franchi à prouver devant la justice le vice qu’il lui re
proche ; à lu i, à indiquer en quoi et comment il a été
surpris, à justifier les moyens à l’aide desquels on a
trompé sa volonté, égaré sa vigilance et créé une erreur
sans laquelle il n’eût pas contracté.
1 D’Argentré, art. 269, n° 4
2 Pothier, Oblig., n° 29.
�40
TRAITÉ DU DOU
1° Dol dans le consentement.
53. — Pour être utilement et valablement donné,
le consentement doit procéder d’une volonté éclairée et
libre, c’est ce qu’enseigne l’art. 1109. Cette liberté d’ac
tion et de réflexion n’est jamais appréciée que relative
ment au contrat attaqué et aux circonstances au milieu
desquelles ce contrat s’est réalisé.
Or, si la volonté de traiter a été inspirée par des ma
nœuvres, si ces manœuvres ont le caractère de gravité
que nous indiquions tout à l’heure, on devra reconnaî
tre que le consentement n’a pas d’autres motifs que le
dol ; il n’est pas susceptible dès-lors de créer un lien
quelconque.
54. — Un exemple de ce dol , cité par la doctrine,
est celui-ci : Je possède une maison qui est à votre con
venance et que j’ai refusé de vous céder ; pour me dé
terminer à le faire , vous me persuadez qu’un aligne
ment projeté va la faire disparaître en partie. A l’appui
de cette allégation, vous mettez sous mes yeux un plan
de ce prétendu alignement, dont, dites-vous, votre cré
dit vous a fait avoir la communication.
La vente que cette communication aura déterminée
sera parfaitement régulière, sous le rapport de la capa
cité des parties; elle aura un objet certain , une cause
licite dans l’obligation. Mais il est évident que le con
sentement a été vicié dans son essence. Ce qui l’a ins-
�41
piré , c’est la crainte que la communication du plan,
faussement attribué à l’autorité , a fait naître , c’est la
fausse supposition de la démolition partielle que ce plan
indiquait ; sans celte ruse, j’aurais persisté dans le re
fus que j’avais jusque-là opposé à vos propositions.1
ET DE LA FRAUDE.
55. — Il en est de même dans l’hypothèse suivan
te : nous avons un procès pendant devant un tribunal
éloigné , vous me montrez une lettre d’un de vos amis,
annonçant que vous avez gagné , tandis qu’il n’en est
rien. Feignant ensuite de vouloir éviter les chances d’un
appel, vous me proposez de transiger , et vous obtenez
ainsi de moi des sacrifices que je n’aurais pas faits sans
la fausse persuasion que vous m’avez inspirée.
Dans l’un comme dans l’autre cas, il y aurait injus
tice à maintenir l’acte, car l’intention de traiter n’a pas
été spontanée et libre. Conséquence de l’artifice et du
mensonge , le consentement doit perdre tous ses effets
par la preuve acquise de l’un et de l’autre.
56. — Les manœuvres employées pour persuader
l’existence d’un danger chimérique , dans le but de se
présenter comme en ayant préservé celui qui en était
menacé, et obtenir de lui la rémunération de ce préten
du service, constitueraient un dol dans le consentement.
L’acte de rémunération n’aurait donc aucune valeur lé
gale , et devrait être anéanti sur la demande du sous
cripteur.
1 Rolland de Villargues, v° Dol, n° 27
�TRAITÉ DU DOL
En résumé , il y a dol sur le consentement toutes les
fois que la volonté de traiter n’a pas précédé le contrat;
qu’elle n’est née qu’au moment même du contrat et à
son occasion ; qu’elle n’est que la conséquence de l’er
reur , résultant des manœuvres frauduleuses employées
pour la faire naître.
2° Dol sur la capacité de la partie.
57. — Il importe à chacun de ne contracter qu’a
vec des personnes capables. L’avenir du contrat, les de
voirs et les obligations qui en naissent réciproquement
tiennent à cette condition, l’incapacité de la partie de
vant amener nécessairement la nullité, en ce qui la con
cerne.
58. — Ainsi les mineurs, les interdits , les femmes
mariées ne peuvent valablement s’engager ; ils seront
déliés du traité qu’ils ont souscrit; alors même que ce
traité aurait déjà reçu son exécution dans la partie qui
leur est avantageuse.
Qu’il puisse en être ainsi pour celui qui a connu l’in
capacité de celui avec qui il contracte, ou le comprend
Volenli non fit injuria. L’incapacité donnait à l’acte un
caractère aléatoire qu’il a plu au créancier de braver.
De quoi se plaindrait-il si, la chance de mauvaise foi se
réalisant, l’incapable faisait prononcer la nullité de son
engagement ? C’est dans ce sens que l’art. 1125 prohibe
aux parties capables le droit d’opposer l’incapacité de
celle avec laquelle ils ont contracté.
�43
59. — Mais la solution doit être tout autre, lorsque
la capacité de la partie a été supposée, et que cette sup
position n’est que la conséquence des manœuvres pra
tiquées par elle. Mais il ne suffirait pas , dans ce cas,
que la partie eût dissimulé son état civil, ou qu’elle se
fût bornée à alléguer sa .prétendue capacité. Chacun doit
s’assurer de la condition de celui avec qui il traite, et ce
devoir est complètement négligé par celui qui , se con
tentant d’une déclaration, ne se met nullement en peine
d’en vérifier la sincérité et l’exactitude.
Dans cette hypothèse, il faudrait dire avec Pothier
que : dans le for extérieur , on ne peut être admis à se
plaindre de ces légères atteintes données à la bonne foi,
il y aurait un trop grand nombre de conventions qui se
raient dans le cas d’être rescindées. D’ailleurs, ici le pré
judice est autant imputable à l’incurie du créancier qu’au
mensonge du débiteur. La lo i, voulant protéger celui
qui est trompé, ne devait aucune faveur à celui qui se
trompe lui-même.
ET DE LA FRAUDE.
60 . — Pour que la dissimulation de l’incapacité
soit utilement invoquée , il faut donc que l’ignorance de
celui qui se plaint soit le résultat d’un véritable dol,
c’est-à-dire de manœuvres ne permettant pas de recher
cher et de découvrir la vérité. C’est ce qui se réaliserait
si l’allégation de la capacité avait été appuyée de docu
ments faux ou altérés, de renseignements supposés, de
pièces fabriquées, sans que celui qui les a acceptées ait
pu soupçonner leur inexactitude.
�44
TRAITÉ DU DOL
3° Dol sur l’objet faisant la matière du contrat.
6 !. — Tout contrat a pour objet une chose qu’une
partie s’oblige à donner , à faire ou à ne pas faire l.
C’est en échange de cette obligation , que l’autre partie
s’engage de son côté à payer ou à donner l’équivalent
de ce qui lui est promis.
Te dol, exercé sur l’objet de la convention, est donc
substantiel , il fait disparaître toute validité. Comment,
en effet, exécuter un acte sans équivalent réel de la part
d’une des parties?
62. — Ajoutons qu’à cet égard, le dol peut être né
gatif et ne consister que dans la dissimulation fraudu
leuse du vice dont la chose est atteinte. Ainsi, un mar
chand possède un animal infecté d’un vice rédhibitoire,
il le sait atteint d’une maladie contagieuse, cependant il
le présente à la vente , et il le vend comme s’il était
sain. Cette conduite est un véritable dol, parce que la
dissimulation de la maladie constitue la violation d’un
devoir formellement imposé par la loi, qui la punit d’u
ne peine correctionnelle.2
63. — Il y aurait dol sur la matière du contrat, et
' ce dol résulterait de manœuvres dans l’hypothèse sui1 Art. 1126 Cod. civ
® Art. 459 Cod. pén.
�45
vante : un propriétaire d’une maison en ruine y fait faire
de ces réparations superficielles qui, sans porter remède
au m al, empêchent de l’apercevoir. Il la vend ensuite
sans avertir l’acquéreur de l’état réel, et, pour un prix
égal h celui qu’elle eût produit, si elle eût été en bon état. Il profite donc de l’illusion qu’il a su créer, car, en
réalité, il n’offre pas l’équivalent de ce qu’il reçoit. L’ac
quéreur est trompé par l’exécution des réparations, véri
tables manœuvres constituant un dol dommageable.
D’autres fois, les manœuvres ont pour objet de trom
per sur l’existence même de la chose promise , de per
suader de la vérité et de la certitude d’un fait n’ayant
jamais rien eu de réel, ou ayant cessé d’exister au mo
ment même où il est affirmé. Dans ce cas, comme dans
les précédents, le dol sera substantiel, puisqu’il privera
le contrat d’une des conditions indispensables à sa vali
dité.
ET DE LA FRAUDE.
4° Dol sur la cause du’contrat.
64. — Un contrat ne saurait exister sans cause ;
aussi l’art. 1131 dispose-t-il que l’obligation sans cau
se , ou sur une cause fausse, ou sur une cause illicite,
ne peut avoir aucun effet.
C’est surtout sur la cause du contrat, que s’exercera
le dol. On ne comprendrait guère , en effet, qu’il fallut
recourir à la ruse et au mensonge, si le traité obtenu avait une cause légitime.
Le but que se proposera le dol, sera donc ou de trom-
�46
TRAITÉ DU DOL
per sur la cause même , ou de déguiser la fausseté ou
l’illégalité de celle sur laquelle repose le contrat. Mais la
preuve de son existence produira , dans l’un et l’autre
cas, un résultat analogue.
65. —• Au reste, il est facile de se convaincre que,
dans chacune des hypothèses que nous venons de par
courir, c’est en définitive le consentement que le dol af
fecte. En effet, que ce consentement ait été lui-même
surpris et arraché , qu’il ait été donné dans l’ignorance
de l’incapacité de la partie, ou dans la croyance inférée
d’une juste cause, ou dans la fausse persuasion de l’exis
tence d’un légitime équivalent, il n’y a pas de consente
ment tel que le désire la loi. Il est certain que, dans tous
ces cas , la vérité connue eût mis obstacle au traité, la
justice en exigeait donc la nullité, et cette nullité, édic
tée par l’art. 1116 du Code civil , sera , dans tous les
cas, la conséquence du dol substantiel.
66. — Le dol accidentel est celui qui s’exerce sur une des conditions accessoires du contrat, c’est-à-dire sur
la qualité de la chose ou sur le prix. Ce dol n’exclut pas
chez la partie la volonté de traiter ; au contraire, il sup
pose nécessairement cette pensée, puisqu’il ne se réalise
que dans l’exécution qu’elle reçoit. Il est donc certain
que le traité eût été consenti indépendamment du dol.
Seulement, sans ce dol, il eût été plus avantageux.1
1 Toullier, t. vi, n° 91.
�47
67. — « Supposez, qu’en me vendant votre maison,
vous m’ayez vendu nommément le puits en dépendant,
sans me dire que ce puits était commun à la maison
voisine. Si je découvre ensuite que j’ai été trompé sur
cet article, ceci n’empêchera pas que la vente de la mai
son ne tienne. Je comptais bien, à la vérité, que le puits
ainsi que la maison m’appartiendraient en entier, mais
je ne peux pas dire que la connaissance qu’on m’eût
donnée du droit, qu’avait le propriétaire de la maison
voisine, de se servir de ce puits, m'eût empêché d’ache
ter la maison.1 »
ET DE LA FRAUDE.
68. — Dans le premier exemple de dol substantiel
que nous avons donné, il n’y aurait plus qu’un dol ac
cidentel , si vous proposant moi-même d’acheter ma
maison , vous n’aviez parlé de l’alignement prétendu,
que pour l’obtenir à un prix inférieur à sa valeur réelle.
69. — C’est surtout pour le dol accidentel qu’il con
vient de se rappeler que le dol n’existe qu’autant qu’il
a été pratiqué des manœuvres dans l’intention de trom
per. Les défectuosités de la chose, ayant fait la matière
du contrat, ne donnent pas, par elles-mêmes, ouverture
à l’action en dol, si celui qui l’a transmise les a igno
rées, ou s’il n’a rien fait pour les dissimuler. Si le ré
ceptionnaire en éprouve un préjudice, il doit obtenir une juste réparation. Mais les limites dans lesquelles cette
i Merlin, Rép , v° Dot, n° 3.
�48
TRAITÉ DU DOL
réparation devra se restreindre seront d’autant plus étroites, que la bonne foi de celui qui la doit sera d’au
tant plus certaine.
70. — Il en est de même , si le dol a porté sur le
prix. La vilité du prix n’est constitutive du dol que si
elle est le produit de manœuvres reprochables à l’acqué
reur, et tendant à abuser le vendeur sur la véritable va
leur de ce qu’il vend. Hors de là, il peut exister une lé
sion plus ou moins forte, et par conséquent application
possible de l’art. 1674 du Code civil, mais toute action
pour dol serait inadmissible.
Cela serait vrai, alors même que l’acheteur eût affir
mé que la chose ne valait pas plus que ce qu’il en a
donné. C’est, pour des affirmations de cette nature, qu’on
peut dire : Licet contrahenlibus se circumvenire, car le
mal a son remède à côté de lui. En effet, la prudence
fait un devoir au vendeur de se méfier des allégations
intéressées de l’acheteur, de ne les apprécier que ce
qu’elles valent, ce qu’il peut faire avec d’autant plus de
facilité, qu’il doit connaître la valeur réelle de la chose
qu’il possède. L’erreur dans laquelle il serait volontai
rement tombé ne saurait lui donner le droit de se plain
dre. Cette erreur ne serait dolosive que si elle s’était
produite par des moyens devant nécessairement l’entraî
ner. Conséquemment, si tout se borne à une prétention
qu’on a pu et dû discuter, la vente ne saurait recevoir
aucune atteinte , sauf l’application de l’art. 1674 , si la
lésion avait atteint les proportions requises.
�49
C’est ainsi que le décidait le droit romain , comme
nous l’apprennent ces paroles d’Ulpien : Si quis adfirmaverit minimam esse hœreditatem, et ita eam ab hœrede emtt, non est de dolo actio cutn ex vendito sufficiat, si aulem mihi persuaseris ut répudiera hœredita
tem quasi minus solvendo sit, vel ut oplem servum qua
si melior eo in familia non s it, dico de dolo dandam
actionem si callide hoc feceris.1
ET DE LA. FRAUDE.
7Ï. — Ainsi, la vilité du prix n’est pas une consé
quence nécessaire du dol , et ne le fait pas supposer.
Son existence doit donc être considérée sous un double
rapport. Dans l’un, elle donne naissance à l’action en
lésion, si elle est le produit d’une simple erreur ; dans
l’autre, elle autorise l’action en dol, si l’erreur a été dé
terminée par des manœuvres ou artifices. Cette dernière
action est plus avantageuse que la première, car celleci exige un préjudice considérable , tandis que celle-là
peut se fonder sur la lésion la plus minime. Cette diffé
rence dans les résultats s’explique par la nature distincte
de chacune de ces actions qu’on ne saurait confondre
sans injustice.
72. — Si la distinction entre la lésion et le dol est
essentielle en matière de vente immobilière , elle l’est à
bien plus forte raison pour les choses mobilières. Pour
ce qui concerne celles-ci, l’action en rescision pour lé-
�TRAITÉ DU DOL
50
sion n’étant pas admise , le préjudice , quel qu’il soit,
restera pour le compte du vendeur , à moins qu’il ne
justifie qu’il est victime d’un dol. Les caractères consti
tutifs de celui-ci acquièrent donc, en celte matière, une
portée d’une plus haute importance.
73. — Le dol exercé sur le prix n’ayant nullement
pesé sur la volonté de traiter , ses effets n’iront jamais
jusqu’à faire prononcer la nullité de l’acte. Le but que
doit se proposer le demandeur , c’est la réparation du
préjudice qu’il éprouve, c’est ce qu’il obtiendra par une
détermination plus juste du prix. Cette réparation remet
chaque partie à sa place naturelle, tout en laissant sub
sister ce qu’il a été dans leur intention formelle d’ac
complir.
74. — Il n’en est pas de même du dol accidentel
sur la qualité-de la chose. Ce dol peut avoir des propor
tions telles qu’on doive l’assimiler au dol substantiel,
en ce sens que, sans son emploi, le traité n’aurait pas
eu lieu.
73. — « Vous me vendez une maison que je croy
ais acheter comme étant une maison sûre , commode ,
bien éclairée , pour le genre de commerce dont je fais
profession. Point du tout; après la vente consommée,
un voisin me fait signifier que vousjui avez tout récem
ment accordé un droit de passage par l’un de vos ap
partements, la faculté d’ouvrir des vues sur votre mai-
�51
son , de masquer vos jours , etc... . Dans ce cas, il est
visible que je suis fondé, non pas simplement à pré
tendre une indemnité pour toutes ces servitudes, mais à
demander que le contrat soit rescindé dans sa totalité ;
qu’en conséquence, vous soyez contraint à me restituer
le prix de la vente que je puis vous avoir payé ; que je
sois déchargé de celui que je vous dois encore ; e t, de
plus , que vous soyez condamné à des dommages-inté
rêts, résultant du tort que vous m’avez causé pour m’a
voir induit en erreur. Car, en achetant votre maison, je
comptais avoir une maison sûre, libre, telle que je l’a
percevais et telle qu’il me la fallait pour mop commer
ce, et non pas une maison chargée de servitudes et no
tamment d’un passage.
ET DE LA FRAUDE.
76. — » Il en serait de même si vous m’aviez ven
du celte maison dans sa totalité, tandis que vous n’étiez
propriétaire que d’une partie. C’était la maison entière
que je voulais acheter et non simplement ce qui vous
en appartenait.1 »
Evidemment, dans ces deux espèces , le dol est acci
dentel par son objet, mais sa gravité est telle, qu’il est
certain que la partie , quelle que fût d’ailleurs son in
tention, n’aurait pas donné suite à son projet, si elle avait connu la vérité. Il est donc juste de lui permettre
de revenir contre son engagement et de briser un acte
qui n’est plus en relation avec ses intentions.
1 Merlin, Rép., v° Dol, n° 3.
�52
TRAITÉ DU DOL
77. — Dans la vente des choses mobilières, le dol
sur la qualité équivaut au dol substantiel et en produit
les effets. Dans les affaires commerciales surtout, c’est la
qualité de la denrée qui forme le plus ordinairement la
matière de la vente, dès lors le dol, portant sur la ma
tière même du contrat, aurait pour conséquence son
annulation.
Si la chose achetée était un objet certain , accepté après avoir été examiné et choisi, l’infériorité de la qua
lité , déguisée à l’aide de manœuvres ou artifices , ne
constituerait plus qu'un dol accidentel.
11 résulte , de ce qui précède , qu’il n’y a véritable
ment dol accidentel qu’aux deux conditions suivantes :
1° que l’erreur créée par les manœuvres frauduleuses
ait porté sur une qualité de la chose ou sur le prix ;
2° que la qualité dissimulée ne soit pas d’une nature
telle que sa connaissance eût infailliblement empêché le
contrat. La première de ces conditions est facilement ap
préciable ; la seconde est abandonnée à l’arbitrage des
tribunaux,
�ET DE LA FRAUDE.
§
Dol
D irect
53
ii.
ou
In direct.
SOMMAIRE.
78.
79.
80.
81.
82.
83.
84.
85.
86.
87.
88.
Le dol direct est celui imputable à la partie elle-même.
Dans quelle catégorie doit-on placer le dol du mandataire?
Doctrine du droit romain sur le mandataire institué ou légal.
Sous l’empire du Code, le mandant répond même des dom
mages-intérêts dus au plaignant.
Il n’en est pas de même du mineur et autres incapables ;
pour eux tout se borne à la restitution du bénéfice illé
gitime.
Arrêt de la Cour de Grenoble contre un mineur.
Caractères du dol indirect. — Exemples.
La parenté entre l’auteur du dol et la partie en profitant ne
change pas la nature du dol. — Mais elle peut influer
sur la question de complicité par connaissance.
Effets de la complicité, quelle qu'elle soit.
Arrêt notable de.la Cour d’Agen.
Caractère juridique de cet arrêt.
78. — Le dol est direct toutes les fois qu’il est im
putable à la partie contractante, c’est celui que prévoit
l’art. 1116 du Code civil. C’est ce dol que les Romains
appelaient personnel, qualification depuis consacrée par
une doctrine constante.
�54
TRAITÉ DU DOL
Mais le dol , quoique non imputable à la partie per
sonnellement, est quelquefois susceptible de produire les
effets du dol direct. C’est ce qui se réalise lorsque cette
partie, non présente à l’acte, y a stipulé par le ministère
d’un tiers.
79. — On connaît la maxime qui mandat ipse fecisse videlur ; de là celte conséquence que le dol con
sommé par le mandataire est présumé l’œuvre du man
dant, avec d’autant plus de raison que ce dernier pro
fitera seul des avantages en provenant. Admettre qu’il
pùt, dans un cas quelconque, retenir ces avantages, se
rait encourager la fraude et donner naissance aux plus
graves abus. La décision contraire, plus conforme d’ail
leurs à la morale et à la justice, doit être accueillie sans
hésitation.
11
80. — C’est ce qu’avait fait la législation romaine :
Si is procurator sit, cui omnium bonorum administratio concessa de omni dolo ejus excipi posse. Ainsi le dol
du représentant rejaillissait contre le représenté. Il en
était de même de celui de l’esclave contre son maître, de
celui des personnes placées sous sa dépendance contre
celui dont elles dépendaient.'
La rigueur du principe atteignait même le mineur
qu’on déclarait responsable du dol de son tuteur : Dicendum sive quis emeril à tutore rem pupilli, sive coni L. 4, §| <17 et 18, Dig. De doli mali et melits excepl
�55
Iractum sit cum eo in rem pupilli, sive dolo quid tutor fecerit, et ex eo pupillus locupletior factus est, pupillo nocere debet.'
ET DE LA FRAUDE.
81. — Nos lois actuelles ne pouvaient déroger à de
tels principes. Aussi doit-on encore admettre que le dol,
non seulement du mandataire général, mais encore du
mandataire particulier , dans ce qui a fait l’objet du
mandat , ne saurait protjier au mandant. Dès lors on
sera recevable à poursuivre contre celui-ci la réparation
due à celui qui a été trompé.
Cette réparation comprend, outre la nullité de l’acte,
les dommages-intérêts couvrant le préjudice souffert. On
arrive à cette décision, non pas seulement par les prin
cipes relatifs.à la responsabilité du mandant, mais en
core par application de l’art. 4382. Le dol est ici la
conséquence directe du mandat ; or, il y a faute de la
part de celui qui a donné ses pouvoirs à quelqu’un ca
pable de recourir au dol, et cette faute ayant occasionné
un préjudice , l’auteur en doit la réparation , sauf son
recours contre le mandataire.
82. Quant aux mineurs, aux interdits, aux fem
mes mariées , ils ne peuvent non plus profiter du dol
commis par leur représentant légal. Mais, par rapport à
eux, tout doit se réduire à la restitution du bénéfice ac
quis illégitimement, sans qu’ils puissent être jamais pasi L. 4, § 2% Dig. De doli mali cl melus excepl.
�56
TRAITÉ DU DDL
sibles d’aucuns dommages-intérêts. La raison en est
que, par rapport à eux, il s’agit d’un mandat purement
légal dont ils doivent subir les effets, et qu’ils ne peu
vent ni rétracter ni empêcher. Or , s’il est juste de leur
prohiber de s’enrichir par la mauvaise foi de leur repré
sentant , il ne le serait à aucun titre de permettre que
leur patrimoine personnel eût à souffrir des conséquen
ces de cette mauvaise foi.
85. — La Cour d’appel de Grenoble a eu à faire
l’application au mineur des principes ci-dessus , dans
l’espèce que voici :
Un sieur Perrin avait donné un immeuble à son pe
tit-fils. La donation avait été acceptée , pour celui-ci,
par son père, fils du donateur.
Plus de dix ans après la transcription , le donataire
poursuit la radiation des inscriptions grevant l’immeu
ble donné du chef de son aïeul. Celte demande était
fondée sur l’art. 2265 du Code civil.
Le créancier contesté soutient que la donation a été
faite en fraude de ses droits, il en demande en consé
quence la nullité. Le mineur répond qu’il était, lui, in
capable de mauvaise foi au moment de la donation, et
que conséquemment rien ne s’est opposé à la prescrip
tion décennale.
Mais la Cour, convaincue que la donation n’avait eu,
de la part de Perrin , donateur, et de Perrin , père du
donataire, d’autre objet que celui de se soustraire au
paiement d’une dette légitime , a annulé la donation et
maintenu l’hypothèque attaquée.
�57
« Attendu , porte l’arrêt, que l’art. 2265 du Code
civil n’introduit le bénéfice de' la prescription de dix ans
d’un immeuble, en faveur du propriétaire, que lorsqu’il
a été acquis de bonne foi et par juste titre... ; que tou
tes les circonstances donnent lieu de suspecter la bonne
foi du grand-père , donateur , et de son fils , acceptant
pour le petit-fils mineur, d’où l’on peut tirer la consé
quence que cet acte de donation à cette époque parait
avoir eu pour but, de la part du grand-père Perrin et
de son fils, de se soustraire au paiement de leurs det
tes, et que par suite la prescription de dix ans n’a pu
profiler à Perrin , petit-fils , au préjudice d’un légitime
créancier.1 »
Ainsi, il y a dol direct toutes les fois que les manœu
vres sont imputables à la partie, soit qu’elle les ait exé
cutées personnellement , soit que représentée par un
mandataire, celui-ci les ait employées dans l’intérêt du
mandant.
84» — Le dol est indirect lorsque la partie appelée
à en profiter est restée étrangère à sa perpétration. Il se
réalise toutes les fois que, sans contracter avec une per
sonne, on la détermine , par des artifices ou rélicences
frauduleuses, à faire une chose contraire à ses intérêts.3
Ainsi, si vous m’avez persuadé faussement, et par de
mauvaises voies, qu’une succession était insolvable et
que vous m’ayez déterminé à y renoncer.
ET DE LA FRAUDE.
1 2 mars 1825, D. P., 2b, 2, 491.
3 Toullier, tom. ix, n°s 163, 192.
�58
TRAITÉ DU DOL
Ou bien s i, sachant que la fortune d’un autre était
dérangée , vous m’ayez fait croire le contraire , en em
ployant les mêmes voies, dans l’intention de me trom
per.1
85. — Le dol ne cesse pas d’être indirect dès qu’il
n’a pas été employé par la partie ou par son représen
tant , quel que soit d’ailleurs le degré de parenté ou
d’alliance entre cette partie et l’auteur du dol. On com
prend , au reste , que ce degré de parenté ou d’alliance
ne sera pas sans influence sur l’appréciation de la com
plicité reprochée à celui qui profite du dol.
Il importe, en effet, de remarquer qu’il ne suffit pas
à la partie de prouver quelle n’a matériellement coopé
ré en rien aux manœuvres constituant le dol. 11 faut
encore qu’elle n’en ait eu aucune connaissance. Cette
connaissance, au moment du contrat, la rendrait com
plice et convertirait le dol du tiers en dol direct. Or,
cette connaissance sera bien plus facilement présumée
entre proches parents qu’entre personnes étrangères les
unes aux autres.
86. —- La complicité résultant, soit d’une coopéra
tion active, soit d’une collusion, soit de la connaissance
du dol au moment du contrat, étant prouvée , le dol
devient direct et produit tous les effets attachés à celuici. Ainsi , et suivant l’espèce , la convention est résiliée
ou maintenue avec dommages-intérêts. ■
i Rolland de Villargues, v° Dol, n°s AO et 'H.
�59
87. — A l’appui de celle doctrine, nous citerons un
arrêt de la Cour d’Agen, qui nous parait s’être exacte
ment conformé à l’esprit du législateur.
En 1827, Vendrias vend, par acte public, un moulin
à Mercié. Quand celui-ci veut se mettre en possession,
Cassaigne, qui possédait déjà ce moulin comme l’ayant
acheté, exhibe un acte sous seing privé portant une date
antérieure , mais enregistré seulement depuis la vente
faite à Mercié. il ajoute qu’il n’est que le renouvellement
d’un acte antérieur de plusieurs années ; qu’ainsi, la
propriété réside sur sa tête.
Mercié répond que , vis-à-vis de lui , l’acte n’a date
certaine que du jour de l’enregistrement, et que le con
trat public doit l’emporter.
Cassaigne réplique que cette présomption d’antério
rité cesse en cas de dol ; que Mercié connaissait la vente
sous seing privé ; qu’il s’est rendu complice d’un fait
de stellionat ; qu’il ne peut, dès lors , se dire un tiers
dans une œuvre de fraude qui lui est propre et qui,'
bien que non réprimée par la loi pénale , constitue un
délit moral susceptible de preuve ; et qu’il offre de prou
ver , ainsi que la vente sous seing privé , sa possession
et les réparations par lui faites.
Mercié invoque l’art. 1328 du Code civil. Il soutient
qu’on n’est pas admissible à proposer des preuves con
tre la présomption légale de cet article ; que , dès lors,
toutes les preuves offertes, même celle tendant à établir
sa connaissance personnelle de l’acte sous seing privé,
doivent être rejetées.
ET DE LA. FRAUDE.
�y
60
TRAITÉ OU DOL
Mais la Cour, ne s’arrêtant pas à cette fin de nonrecevoir, admit la preuve par les motifs suivants :
« Attendu que le dol et la fraude font exception à
toutes les règles ; que s’il était justifié que , lors de la
vente consentie par Vendrias à Mercié, celui-ci avait une connaissance parfaite d’une vente antérieure faite
par Vendrias à Cassaigne, il aurait existé alors un con
cert frauduleux entre Vendrias et Mercié pour porter
préjudice aux droits acquis par Cassaigne ; que les faits
articulés par celui-ci sont tous de nature à fournir celte
preuve; qu’étant concluants, ils doivent être admis.’»
88. — Sous le rapport juridique , cet arrêt nous
parait inattaquable. Les principes sur le dol et la fraude
sont bien tels que la Cour les vise , et leur application
au fait est naturelle et légale. Qu’importe qu’il s’agisse
du dol d’un tiers, si la partie, s’associant à ce dol, en a
assumé sur sa tête la complicité.
Ajoutons qu’il y a une égale déloyauté à créer soimême le dol ou à se prêter à la consommation de celui
imaginé par un tiers. Dès lors, celui qui, dans un inté
rêt personnel, a aidé à celle-ci, est passible de la même
responsabilité que le tiers lui-même et doit être puni
comme lui.
1 12 mai 1830.
�ET DE TA. FRAUDE.
61
§ III.
Dol
P o sitif
ou
N é g a tif.
SOMMAIRE.
89.
90.
.
92.
93.
9/i.
95.
96.
97.
98.
99.
100.
Caractèrés du dol posilif.
Il se produit par paroles ou par actions.
Difficulté de l’apprécier dans le premier cas.
Ce qui atténue cette difficulté , c’est que le plus souvent le
mensonge est appuyé sur des manœuvres. — Exemple
tiré d’un dol substantiel.
Appréciation et conséquence du mensonge employé.
Caractères du dol négatif. — Exemple.
Ces caractères avaient été relevés par le droit romain et par
notre droit ancien.
Si le principe est certain , son application est fort délicate.
Exemple fourni par un arrêt de la Cour de Rennes , con
firmé par la Cour de cassation.
Autre exemple fort remarquable jugé par la Cour de Poi
tiers et par la Cour de cassation.
Conséquences à déduire de cette jurisprudence.
Espèces de dol négatif consacrés par l’art. 348 du Code de
commerce.
89. — Le dol est positif lorsqu’à l’aide d’une simu
lation active on persuade l’existence de faits chiméri
ques, à l’effet de déterminer un consentement qui, sans
l’emploi de ce moyen , eût été refusé , ou de parvenir à
�62
TRAITÉ DT', DOL
faire illusion sur la condition des personnes ou sur les
qualités de la chose.
90. — Le dol positif se produit par paroles ou par
actions. Dans le premier cas, il est caractérisé par le
mensonge; dans le second, parles manœuvres, machi
nations, artifices, déguisements employés pour tromper,
induire ou entretenir dans l’erreur celui qu’on veut cir
convenir.1
91. — La première espèce est ordinairement d’une
appréciation fort délicate. Nous avons déjà dit que les
seuls mensonges qui puissent être assimilés au dol, sont
ceux qui s’écartent ouvertement de la bonne foi et qui
en blessent trop évidemment les principes. À quelles
conditions reconnaitra-t-on ces caractères? Lorsqu’il s’a
git de l’allégation d’un fait faux, la partie trompée a pu,
quelque grave qu’ait été le mensonge, en vérifier l’exis
tence , en demander la preuve. Si elle a failli à ce de
voir, elle s’est constituée en état flagrant d’imprudence,
et , on le sait , l’imprudence exclut la possibilité de se
plaindre du dol.
92. — Mais ce qui atténue la difficulté que nous si
gnalons , c’est que le dol dont nous nous occupons se
produit rarement à l'étal de simple et pure allégation ;
presque toujours, en effet , cette allégation s’appuie sur
1 Toullier, tom. ix, n° 470.
�63
des documents qui eu rendent l’existence vraisembla
ble.1
y
i ■
Ainsi, dans l’exemple que nous avons donné du dol
sur le consentement2, il est question d’un dol positif
par paroles , c’est l’annonce d’un alignement prochain
qui détermine la vente. Il y a donc véritablement men
songe, cet alignement n’existant pas même en état de
projet.
On comprend cependant que, quelque blâmable que
soit un pareil moyen, il ne saurait par lui-même cons
tituer un dol punissable. On objecterait avec raison , à
celui qui s’en plaindrait, qu’il devait, avant de s’enga
ger , s’enquérir de la réalité de celui qu’on lui faisait
entrevoir.
Mais lorsqu’à ce mensonge l’acquéreur a joint la pro
duction d’un plan justifiant l’alignement projeté, plan
qu’il disait être l’œuvre de l’autorité et dont celle-ci avait bien voulu lui donner communication, il n’y a plus
à hésiter , car le vendeur a pu croire toute vérification
ultérieure inutile. Il a été fondé à admettre que leur ré
sultat n’aboutirait qu’à celui qui lui était annoncé. On
ne saurait donc lui reprocher de s’en être abstenu.
On ne saurait, en effet, pousser à l’excès l’obligation
pour une partie de vérifier les faits sur lesquels s’appuye
l’autre partie. Celui qui traite de bonne foi peut et doit
admettre chez les autres la même bonne foi. Si l’on
ET DE LA FRAUDE.
�64
TRAITÉ DU DOL
croyait toujours au dol et à la fraude, les transactions
deviendraient extrêmement difficiles.
C’est dans ces idées qu’il faut apprécier la conduite
de celui qui se prétend victime d’un dol ; et, s’il est vrai
que sa volonté n’a été entraînée que par le mensonge et
la ruse, on ne saurait méconnaître ses droits à une juste
réparation.
On voit par cet exemple ce qui caractérise le dol po
sitif par paroles. C’est la réunion du mensonge, rendu
probable par les documents qui l’appuient et le corro
borent. C’est dans ces termes qu’il se produira le plus
souvent.
^ 3 . — Au reste , si le mensonge seul est rarement
dans le cas de constituer le dol, la preuve acquise de
son existence , sa gravité , ses conséquences nécessaires
pourraient, dans certains cas, constituer l’erreur prévue
par la loi, donnant matière à la résiliation du contrat.
9 4. —■ Il y a dol négatif ou par réticence lorsqu’on
lait ou qu’on dissimule un fait dont la connaissance im
porte à l’autre partie et eût empêché la confection du
contrat.
Celui qui vend un animal atteint d’un vice rédhibi
toire, dont il connaît l’existence, sans la déclarer, com
met un véritable dol négatif. Il en est de même de celui
qui vend un immeuble dont il sait que la démolition
est ordonnée par l’autorité , et qui le laisse ignorer à
l’acquéreur.
�V
65
95. — Ce dol est parfaitement admis en droit ro
main : Dolum malum a se abesse vemdilor debet , qui
non tantum in eo est, qui fallendi causa obscure loquitur, sed etiam qui insidiose dissimulât.'
Notre droit ancien avait admis la même doctrine; on
la trouve exposée avec soin dans les ouvrages de l’illus
tre Pothier.2
ET DE LA FRAUDE.
96. — Aujourd’hui le principe en lui-même ne sau
rait souffrir la moindre difficulté ; il n’en est pas de mê
me dans son application. La question de savoir à quels
caractères on reconnaîtra la réticence frauduleuse, sur
tout lorsqu’il s’agira des qualités de la chose, peut pré
senter des doutes sérieux. Il est, en effet, des éclaircis—
cissements qu’aucune loi n’oblige de donner. C’est à ce
lui qui y a intérêt à se les procurer, soit par lui-même,
soit par l’entremise des gens experts dont il doit invo
quer et employer les connaissances.
C’est sans doute pour concilier toutes choses que la
loi a constitué les magistrats appréciateurs souverains
de la nature, de la gravité et des conséquences de la ré
ticence signalée à leur justice. Quelle qu’elle soit, leur
décision sur ce point échappe à toute censure.
97. — C’est ce qui résulte d’un arrêt de la Cour de
cassation, du 5 décembre 1838, rejetant le pourvoi for*
1 L. 43, Dig. De contr. empl.
Voy. notamment Traité de la vente, n03, 234 et suiv.
2
I
S)
�66
TRAITÉ DU DOL
mé contre un arrêt de la Cour d’appel de Rennes, du
29 août 1837.
Or cet arrêt décidait que le silence gardé par un cré
ancier connaissant le mauvais état des affaires d’une suc
cession , lorsqu’en sa présence on annonçait aux héri
tiers que la succession offrait un actif important, décla
ration qui a déterminé ceux-ci à accepter purement et
simplement, a pu constituer un dol au moins par réti
cence, lequel donne aux héritiers le droit de se faire res
tituer contre leur acceptation.'
98. — Déjà la Cour de cassation avait, par un ar
rêt précédent, considéré comme dol négatif la conduite
d’un plaideur qui, par les qualités qu’il prend et le mo
de de défense qu’il adopte, entretient à dessein son ad
versaire dans une erreur qui finit par être funeste, en
opérant une prescription ; qu’on devait en conséquence
déclarer ce plaideur coupable d’un véritable dol et pas
sible des dommages-intérêts résultant de l’erreur qu’il a
entretenue, et dont il a profité.
Voici l’espèce sur laquelle est intervenue cette remar
quable décision :
« En 1762,décès de l’abbé Masson. Il lègue à la dame
Pivert, sa gouvernante, les domaines de la Birotière et
de la Gaillotière. Le testament reste inconnu. Ses héritiers
naturels s’emparent de la succession ; cèdent, rétrocè
dent; bref, en 1785, il se fait un partage par lequel le
1 D. P., 39, \, 40.
�67
domaine de la Birotière échoit à un sieur Masson , et
celui de la Gaillotière à un sieur Chessé.
» Le 14 juillet 1791, les époux Gilbert, représentants
de la dame Pivert, ayant connu le testament, assignè
rent au Tribunal du district des Sables-d’Olonne , les
deux frères Masson, qui seuls paraissaient en possession
de toute l’hérédité :
» 1° Pour voir dire et ordonner que la donation faite
à la dame Pivert sera entérinée aux charges de droit ;
» 2° Pour se voir condamner à délivrer aux requé
rants les choses à eux léguées.
» Le sieur Louis Masson répondit qu’il n’était pas
seul héritier. Pressé de faire connaître ses cohéritiers,
il en indiqua un grand nombre.
» Les Gilbert, par exploits des 18 , 20 et 23 juin
1792, citent en conciliation quinze héritiers qu’on leur
avait indiqués. Les assignés répondent qu’ils ont cédé
leurs droits successifs au sieur Louis Masson, lequel, au
moyen de cette cession, est resté possesseur des domai
nes dépendant de la succession, et s’est obligé formelle
ment, envers les comparants et autres cohéritiers, à les
garantir de tous événements qui pourraient résulter de
cette succession.
» Traduits devant le Tribunal, tous font défaut, à la
réserve néanmoins d’un sieur Masson du Gert et d’une
dame Thérèse Masson, qui, de concert avec Louis Mas
son, et quoique sans intérêt, puisqu’ils avaient cédé leurs
droits successifs , répondirent qu’ils ne pouvaient s’ex
pliquer , tant sur la forme qu’au fonds , sans que tous
ET DE LA FRAUDE.
�s
68
. TRAITÉ DU DOL
les héritiers, dont ils donnent une liste nombreuse, aient
été mis en cause , attendu que leur défense était com
mune.
» Après cela, Louis Masson prétendit que le testateur
n’avait pas la propriété des choses léguées.
» Le sieur Gilbert, après de dispendieuses recherches
des titres, donna satisfaction sur ce point.
» Masson prétendit encore que le testament était nul;
enfin lui et son frère, dont il a depuis hérité, furent con
damnés par forclusion, le 19 avril 1794 , à exécuter le
testament et à délivrer aux mariés Gilbert les métairies
de la Birotière et de la Gaillotière.
Appel. — 23 prairial an xii , arrêt de la Cour d’ap
pel de Poitiers qui entérine le testament, ordonne que
Louis Masson, pour la partie qui le concerne, fera dé
livrance aux Gilbert des métairies de la Birotière et de
la Gaillotière, avec restitution des fruits.
» Sur l’exécution de cet arrêt, nouvelles difficultés de
Louis Masson. L’incident est porté devant la Cour d’ap
pel. Enfin Masson signifie, le 7 frimaire an xiv, un acte
authentique du 1er juin 1783, jusque là tenu secret, du
quel il résulte que Chessé. par suite d’achat de la por
tion de quelques-uns des héritiers, était en possession
du domaine de la Gaillotière.
» Après le règlement de cet incident, Masson restitue
la Birotière. Alors Chessé forme tierce-opposition à l’ar
rêt de l’an xii, au chef qui ordonnait la restitution de
la Gaillotière, il appelle devant la Cour tant les Gilbert
que Louis Masson.
�69
» La tierce-opposition de Chessé était fondée sur la
prescription décennale. L’acquisition de cette prescrip
tion n’était due qu’au silence gardé, pendant l’instan
ce, par Masson , et aux manœuvres auxquelles il avait
eu recours dans sa défense. Aussi les Gilbert, après avoir
repoussé le moyen invoqué par Chessé, demandaient-ils
subsidiairement que Masson fût déclaré coupanle de dol
à leur égard e t, comme tel, tenu de les indemniser du
préjudice qu’ils éprouvaient.
. » La tierce-opposition de Chessé ayant été accueillie,
voici en quels termes la Cour de Poitiers statua et admit
les conclusions subsidiaires des Gilbert :
» Considérant que le sieur Masson a seul soutenu le
procès jugé par l’arrêt du 23 prairial an , et où la
contestation portait sur le domaine de la Gaillotière, en
s’annonçant comme ayant seul, et par cession, les droits
de tous les héritiers, et en ne démentant pas l’assertion
faite par ses cohéritiers qu’il était leur cessionnaire;
qu’il s’est fait considérer comme seul détenteur de la
Gaillotière ; qu’il a ainsi induit en erreur Gilbert ; qu’il
en résulte un dol qui le rend responsable envers celuici de l’impossibilité où il est aujourd’hui de faire dé
laisser ledit domaine.
» Considérant au surplus que, dans le cas où Gilbert
aurait formé en temps utile une action contre Chessé,
celui-ci eût eu une garantie à exercer contre Masson,
résultant de l’éviction dudit domaine ; et que le sieur
Masson profitant de la prescription acquise par le sieur
ET DE LA FRAUDE.
xii
�TRAITÉ DU DOL
70
Chessé, il se trouverait gagner le plus , contre la maxi
me : Nemini sua fraus patrocinari debet. »
C’est avec raison que la Cour de Poitiers relevait ce
caractère dans le dol qu’elle punissait. L’intérêt person
nel que Masson avait à ce que Chessé fût couvert par la
prescription, enlevait à sa conduite toute idée de bonne
foi et établissait ainsi le consilium fraudis, dont la dé
chéance de Gilbert était Yeventus damni. La réunion de
cette double condition constituait donc le dol punissable
et légitimait la répression qui en était faite.
Vainement aussi le sieur Masson se pourvût-il en cas
sation ; vainement excipa-t-il des termes dans lesquels
la loi romaine définit le dol, pour soutenir qu’on ne
pouvait trouver dans sa conduite les manœuvres, les ru
ses , les tromperies exigées pour le caractériser ; vaine
ment enfin faisait-il observer que dans l’instruction du
procès il n’avait fait qu’user d’un droit, la Cour de cas
sation n’en rejeta pas moins son pourvoi par arrêt du S
février 1812, qui dispose en ces termes :
« Considérant que la Cour d’appel a déclaré constant,
non seulement que Masson n’avait pas donné aux héri
tiers Gilbert des éclaircissements que la loi ne l’obligeait
peut-être pas rigoureusement à fournir à ses adversai
res, mais qu’à cette réticence plus ou moins excusable,
joignant l’astuce et la finesse dans la manière dont il avait procédé , dans les qualités qu’il a prises et dans le
genre de défense qu’il a adopté, il est parvenu à donner
aux héritiers Gilbert le change sur les poursuites qu’ils
avaient à faire pour recouvrer la propriété de la métairie
�71
de la Gaillotière, et à laisser ainsi à Chessé le temps
d’acquérir la prescription décennale, dont il devait pro
fiter lui-même, en s’affranchissant du recours en garan
tie que Chessé aurait exercé contre lui en cas d’éviction;
que, d’après ces faits déclarés constants, la Cour d’appel
a pu, comme elle l’a fait, appliquer à Masson les lois
qui définissent le dol : Omnis calliditas et fallacio, ad
decipiendum alterum adhibita.' »
ET DE LA FRAUDE.
99. —• Il résulte de ce monument de jurisprudence
que tous moyens employés pour entretenir une erreur
peuvent devenir un dol, alors que leur emploi est ac
compagné d’une réticence à l’appui de laquelle cet em
ploi est réalisé. Sans doute celui qui, dans une instance,
use des voies dilatoires autorisées par la loi, jouit d’un
droit, mais l’exercice d’un droit ne peut jamais faire to
lérer le préjudice que sciemment on a l’intention de cau
ser. Cela est surtout vrai lorsqu’on a soi-même un inté
rêt à agir ainsi.
Il en résulte encore que les tribunaux sont souverains
dans l’appréciation des circonstances qui constituent le
dol, et que la constatation de l’existence de ces circons
tances, et de leur nature ne saurait donner ouverture à
cassation.
100. — L’art. 348 du Code de commerce contient,
en matière d’assurances, un exemple formel du dol né-
�TRAITÉ DU DOL
72
gatif : « Toute réticence, toute fausse déclaration, toute
différence entre le contrat d’assurance et le connaisse
ment, qui diminueraient l’opinion du risque ou en chan
geraient le sujet, annulent l’assurance. »
L’économie de cette disposition fournit, à notre avis,
un moyen sûr d’apprécier le dol négatif. Ainsi on dé
clarera tel tout mensonge, toute dissimulation dont l’ob
jet a été de mettre une partie dans l’impossibilité de dé
fendre suffisamment ses intérêts, ou de calculer l’éten
due de son obligation relativement à Téquivalent qu’elle
doit recevoir; c’est ainsi que le droit romain punissait
celui qui non solum obscure loquitur , sed qui insidiose
dissimulât.
§ IV.
D o l P o s t é r ie u r
au
C o n tr a t.
SOM MAIRE.
101.
102.
103.
104.
Origine et nature de ce dol.
Ses caractères.
Peut naître à la suite d’une simulation licite.
Exemple emprunté à Toullier.
�73
10Ï. — Dans les cas les plus ordinaires, le dol pré
cède le contrat, qui en devient la consommation. C’est
pourquoi la convention n’ayant pas d’autre base, sa va
lidité est dans le cas d’être contestée, soit au fonds, soit
relativement à quelques-unes de ses conditions.
C’est là évidemment le dol dont parle l’art. 1116 du
Code civil.
Il arrive cependant qu’un contrat pur de toute man
œuvre , consenti et proposé librement , se trouve vicié
dans son exécution. L’une des parties , abusant de la
confiance qui lui a été témoignée, cherche à en profiter
pour s’enrichir aux dépens de celui qui a traité avec elle.
Cette prétention constitue le dol postérieur au contrat,
c’est-à-dire commis à l’occasion et par suite du contrat
même. C’est ce qui se réalise le plus souvent à la suite
d’actes simulés , ayant pour objet de tromper des tiers
ou d’éluder une disposition prohibitive de la loi.
Ainsi un débiteur, pressé par ses engagements et dans
l’intention d’en éviter les conséquences, aliène ses biens
au moins d’une manière ostensible, vend ses immeubles,
dépose ses meubles en mains tierces , concède quittance
à ses propres débiteurs, et cela sans avoir touché ni le
prix, ni la valeur.
S’il existe une déclaration de la part des prétendus ac
quéreurs ou* dépositaires, si les quittances ont été suivies
de contre-lettres en déterminant la nature et le carac
tère, l’auteur de ces actes n’a rien à craindre. Tout ce
qu’il a à redouter, c’est que ses créanciers, connaissant
la véritable signification des traités qu’il. a consentis,
ET DE LA FRAUDE.
�74
TRAITÉ DU DOL
n’obtiennent leur paiement ou le poursuivent sur ses
biens, même entre les mains des détenteurs actuels.
Mais il n’en est pas de même lorsque celui qui a re
cours à la fraude , suivant la foi de ses complices , n’a
pas cru devoir exiger d’eux des contre-lettres. Celui qui
a été assez peu délicat pour se prêter à une pareille com
plicité, peut être tenté de faire tourner la fraude à son
bénéfice. C’est ainsi qu’on a vu des individus, qui étaient
devenus acquéreurs ou créanciers de complaisance, sou
tenir, soit contre l’auteur des actes, soit contre ses héri
tiers , que les ventes sont réelles et les obligations sin
cères.
Dans d’autres circonstances, des personnes instituées
pour transmettre à des individus déclarés incapables par
la loi, ont prétendu retenir personnellement ce qu’elles
n’ont reçu qu’à la charge de rendre, dénaturer ainsi la
volonté de l’instituant, et frustrer les objets de son affec
tion d’un avantage dont il a voulu les gratifier.
102. —• Des actes de cette nature constituent non
seulement un dol, mais encore, comme Toullier le fait
remarquer, un vol véritable, en prenant ce mot dans son
acception la plus étendue. Il y a là, en effet, la machi
nation frauduleuse en même temps qu’un abus de con
fiance et une rétention illicite du bien d’autrui.
Mais évidemment ce dol n’a pas même pu être prévu
au moment du contrat. Dans tous les cas , il est resté
sans influence sur son acceptation. L’engagement a été
volontairement souscrit. Le dol ne rentre donc plus ni
�75
dans les dispositions de l’art. 4116, ni dans la catégorie
du dol accidentel. Cette différence de caractère indique
et justifie une différence dans les conséquences et dans
l’application des principes qui régissent la preuve du
dol en général.'
ET DE LA. FRAUDE.
105. — Le dol postérieur au contrat peut naître à
la suite d’une simulation licite. Ainsi , sur le point de
contracter mariage, deux personnes font rédiger, pardevant notaire, leurs conventions matrimoniales. Le fu
tur reconnaît recevoir à l’instant même la dot de la
future , quoique , dans le fait , cette dot n’ait pas été
comptée, soit qu’on l’ait simplement promise , soit que
la reconnaissance d’une dot ne contienne qu’une vérita
ble libéralité , en vue du mariage , faite à la future par
le futur. Mais il arrive que le mariage ne s’accomplit
pas , soit par le refus , soit par la mort de l’un des fu
turs. Cependant la future on ses héritiers , armés de la
clause du contrat , demandent la restitution de la dot
qu’ils savent bien n’avoir jamais été comptée.
104. — M. Toullier cite un second exemple de dol,
né d’une simulation licite. Paul , célibataire , donne à
Pierre le fonds cornélien, sous la forme d’un contrat de
vente, dont le prix, fixé à 30,000 fr., est dit payé comp
tant; il se marie ensuite , et il a des enfants. Il notifie
leur naissance à Pierre , et demande la révocation du
�76
TRAITÉ DU DOL
contrat, en soutenant qu’il est simulée; que c’est une
donation déguisée sous la forme d’un contrat de vente,
et qui est de plein droit révoquée par la survenance
d’enfants. Mais Pierre a la mauvaise foi de nier ce ca
ractère de l’acte, et soutient que la vente est réelle; que
le pris en a été sérieusement payé.
Dans cet exemple , comme dans ceux qui précèdent,
l’acte attaqué a été, sans contredit, le produit spontané
de la volonté éclairée et libre des deux parties. Le dol
ne naît qu’au moment où, faussant cette intention, l’une
d’elles veut faire produire à l’acte des effets qu’il n’a ja
mais été dans la pensée commune de. lui donner. Cette
espèce de dol peut donc d’autant moins être confondue
avec celles qui précèdent, que celles-ci vicient l’acte, en
totalité ou en partie, dans son origine, tandis que le dol
postérieur au contrat suppose la préexistence d’une con
vention loyalement souscrite.
Ainsi caractérisé, ce dol se reconnaît parfaitement dans
ces paroles d’Ulpien : Cum enim quis pelai ex ea slipulatione, ipse dolo hoc facit, quodpelit.
�ET DE IA FRAUDE.
77
CHAPITRE II.
DIS LA PHEUVE DTJ DDL.
/
SOMMAIRE.
105. L’autorité due au titre ne s’efface que devant la preuve de
son illégitimité.
106 Cette preuve résultera de celle établissant le dol.
107. Le dol ne se présume jamais.
108. Exceptions à cette règle et division du chapitre.
105. — Nous avons déjà dit que le titre régulier, émané de la partie à qui on l’oppose, est présumé ren
fermer l’expression exacte de ses volontés. Celte pré
somption suffît pour en assurer l’exécution, tant qu’une
preuve contraire ne viendra pas l’anéantir et la détruire.
�78
TRAITÉ DU DOL
106. — Cette preuve contraire résultera de la justi
fication du dol. Son existence, en effet, annulera l’acte,
aux termes de l’art. 1116 du Code civil.
Pour la matière qui nous occupe, la loi fait donc dé
pendre la validité de l’acte de l’existence certaine des
manœuvres dont il est la conséquence. Aucun doute ne
saurait s’élever sur ce point ; la seule difficulté qui puisse
surgir porte uniquement sur les conditions, auxquelles
on devra reconnaître cette existence.
107. — À cet égard, l’art. 1116 nous apprend luimême que le dol ne se présume pas, qu’il doit être prou
vé. Cette prescription que nous trouvons dans toutes les
législations, est avouée par la raison et l’équité. Un con
sentement écrit suppose une intention conforme , et ce
n’est pas légèrement que l’on doit renverser les témoi
gnages qui régissent les transactions. C’est donc à celui
qui prétend n’avoir pas donné un consentement libre, à
justifier que celui dont il demande à être relevé lui a été
arraché par des voies déloyales et illégitimes.
108. — Cette obligation de prouver le dol existe—t—
elle dans toutes les circonstances et pour toutes les per
sonnes ? La solution affirmative s’induirait des termes
de l’art. 1116, que nous venons de rappeler ; mais il
importe de reconnaître que, généraliser ces termes d’une
manière trop absolue, serait s’exposer à commettre une
erreur de droit, la vérité étant au contraire qu’ils souf
frent exception dans plusieurs cas.
�79
Ainsi, il est des circonstances où le dol est présumé,
quelquefois même jusqu’à exclure la preuve du contrai
re, il suffit donc alors de prouver le fait auquel cette pré
somption est attachée ; ce fait est tantôt la qualité de la
partie, tantôt la nature de l’acte, tantôt enfin son carac
tère et les circonstances dans lesquelles il s’est accompli.
Nous allons d’abord nous occuper des exceptions ;
nous rechercherons ensuite quel est, dans tous les autres
cas, le mode de preuve admissible en matière de dol.
ET DE LA FRAUDE.
-#æ SECTION r \
Du
Dol
p ré s u m é .
SOMMAI RE.
109. La convention souscrite par un incapable est pre'sume'e do
losive en sa faveur.
110. Personnes incapables de contracter.
111. Les incapacités del'art. 1124, tenant à des principes di
vers, produisent des effets différents.
112. Principe de l’incapacité pour les condamnés.
113. Pour les mineurs, interdits, les femmes mariées.
�80
TRAITÉ DU DOL
114. Application de la règle restituitur minor non tanquam
minor, sed tanquam lœsus.
115. Opinion de l’orateur du Gouvernement.
116. Opinion de l’orateur du Tribunat.
117. Les mineurs français sont donc tous classés dans la catégo
rie des pubères romains.
118. La nullité de leurs engagements réside donc dans la lésion
présumée.
119. Légitimité de cette présomption.
120. Elle résultait du caractère même de l’engagement.
121. Arrêt conforme de la Cour de cassation.
122. Cet arrêt condamne la doctrine de MM. Toullier et Troplong , sur les engagements souscrits par les mineurs,
hors la présence du tuteur.
123. Avantages de la doctrine de l’arrêt.
124. 11 en résulte que les actes faits par le mineur , assisté de
son tuteur, ne peuvent être attaqués que comme le se
raient ceux faits par le majeur.
125. Le mineur ne peut être relevé de son dol.
126. Le dol du mineur contre le majeur n ’est jamais présumé.
127. Le mineur autorisé à faire le commerce est assimilé au ma
jeur, pour tous les actes de ce commerce seulement.
128. L’interdit est assimilé au mineur.
129. Mais les actes postérieurs au jugement d’interdiction ne
peuvent jamais être validés.
130. La nullité de ces actes est purement relative.
131. Les actes antérieurs au jugement d’interdiction sont pré
sumés valables.
132. Dans quel cas admettait-on la présomption contraire?
133. Les engagements souscrits par la femme ,sans l’autorisa
tion de son mari, sont présumés frauduleux.
134. Tout traité intervenu entre le tuteur et le mineur devenu
majeur est nul, comme dolosif, si les formalités de l’art.
472 n’ont pas été remplies.
135. Motifs du législateur.
�ET DE IA FRAUDE.
81
136. Nature des obligations du tuteur.
137. Leur accomplissement doit être prouvé par écrit..
138. La présomption de dol résultant de leur inaccomplissement
' est juris et de jure.
139. Le récépissé à donner par le mineur peut être fourni au
bas du compte, ou par acte séparé. Le délai ne court que
du jour où il a acquis date certaine.
140. L’art. 472 proscrit-il toute espèce de traité ? — S’appliquet-il seulement aux traités intervenus sur la gestion tu
télaire ?
141. L’affirmative, dans le premier sens, est enseigné par Merlin.
142. Réfutation.
143. Le mineur qui attaque le traité n’aura donc qu’à justifier
de l’inaccomplissement des formalités édictées par l’ar
ticle 472.
144. La présomption de dol admet-elle la preuve contraire? —
Arrêt de la Cour de Toulouse qui le décide.
145. Dissentiment et réfutation.
146. Arrêt contraire, de la Cour d’Aix, bien préférable.
147. Solution de la question sur la nature de là présomption.
148. Celle de savoir si la reddition a été complète, doit recevoir
une tout autre solution. — Arrêts en ce sens.
149. La nullité du traité n’étant pas susceptible de ratification,
n’est pas couverte par l ’exécution.
150. Arrêt de la Cour de cassation, mal à propos indiqué comme
jugeant le sens contraire.
151. Conséquences du caractère pureme'nt personnel de la pré
somption.
152. L’action qu’elle autorise passe-t-elle à l’héritier du mineur?
153. Utilité du principe de la personnalité de l’action relative
ment aux donations entre vifs ou testamentaires, faites
par le mineur à son tuteur.
154. Le testament du mineur , fait contrairement aux disposi
tions de l’art. 907, est attaquable par ses héritiers.—Les
donations entre vifs le sont par le mineur lui-même,
i
6
�-1
82
TRAITÉ DU DOL
155. Recevabilité de l’action des héritiers, suivant que la libéra
lité a précédé la reddition du compte , ou suivi la reddi
tion irrégulière.
156. La mort du mineur sans qu’il eût querellé le compte irré
gulier,ou la prescription de l’action en nullité, assurerait
le sort de la libéralité.
157. Arrêt conforme de la Cour d’Aix.
158. Mal fondé du reproche que M. Dalloz fait à cet arrêt, qu’il
déclare être en contradiction avec un autre arrêt de la
Cour de Cassation.
159. Différence entre ces deux espèces.
160. Conclusion.
161. Le dol est encore présumé dans les libéralités dont se pré
occupe l’art. 909 du Code civil.
162. Motifs de cette présomption et de la nullité en résultant.
163. Conditions donnant naissance à l’action.
164. Devoir de celui qui l’intente.
165. L’incapacité se déduit plutôt du fait du traitement que de la
qualité de la personne.—Conséquences pour les person
nes qui se sont immiscées dans l’art de guérir, sans au
cun titre pour le faire.
166. Arrêts divers sur la matière.
167. L’incapacité de l’art. 909 atteint-elle les sage-femmes ?
168. Quid des garde-malades ?
169. Le traitement motivant l’incapacité comment devra-t-il être
constaté ?
170. L’incapacité des médecins, chirurgiens, etc., est étendue
par la loi aur'ministre du culte. — Sagesse de cette dis
position.
171. Nature de celte incapacité—Quelles en sont les conditions.
172. Arrêt de Toulouse pour un prêtre qui n’avait pas confessé
le malade pendant sa dernière maladie.
173. Faut-il dès lors admettre, comme l’a fait la Cour de Greno
ble, que la confession seule crée l’incapacité ?
174. Conséquences et danger de celte doctrine.
�ET DE LA. FRAUDE.
83
175. Ce qu’il faut seulement en conclure, c’est que l’apprécia
tion de la conduite du prêtre, comme des médecins, est
laissée à l’arbitrage du juge.
176. La présomption de dol, créée par l’art. 909, est juris et de
jure.—La disposition est donc nulle, sauf les exceptions
prévues par la loi. Caractères de celles-ci.
177. Une institution générale n’est jamais considérée comme un
acte rémunératoire.
178. Mode d’appréciation de l’institution particulière.
179. L’institution universelle, faite à un parent au quatrième de
gré est valable.
/
180. Les dispositions de l’art. 909 sont irritantes. — Elles ne
reçoivent donc que les exceptions formellement prévues.
181. Doit-on appliquer ces principes aux personnes qui , sans
caractère légal, ont traité le testateur lors de sa dernière
maladie?
182. Arrêt de la Cour de cassation. — Conséquences.
183. Esprit de la disposition exigeant que la libéralité.ait eu lieu
pendant la dernière maladie.
184. La libéralité proscrite par l’art. 909, déguisée sous la forme
d’un contrat onéreux, n’en est pas moins nulle. — Con
séquences.
185. Dol présumé dans la disposition de l’art. 1965.— Différence
entre la dette du jeu et la dette dolosive.
186. Dol présumé en matière d’assurances maritimes.
187. Motifs de la sévérité de la législation.
188. A proprement parler, l’art. 348 n’a fait que convertir en loi
des inductions que la pratique avait tirée de l’ordonnance
de 1681.
189. Conséquences du silence gardé par celle-ci sur les réticen
ces ou fausses déclarations — Controverse entre les au
teurs.
190. Opinion de Valin, d’Emérigon et de Polhier.
191. Le Code de commerce a tranché toute difficulté, en présu
mant le dol et en annulant l’assurance dans les cas qu’il
prévoit.
�84
TRAITÉ DU DOL
192. _ Motifs de cette dérogation au droit commun, en matière de
dol.
193. Le Gode de commerce n’exige même pas que l’assuré ait agi
dans l'intention de frauder. — Il suffit que le fait repro
ché ait influé sur le risque.
194. Décision du Tribunal de commerce de Marseille non attaquée
en appel.
195. L’application de l’art. 348 ne peut offrir de difficultés que
sur la certitude du fait imputé , et sur son influence sur
le risque.— Pouvoirs du juge à cet égard.
196. Mais il est des faits dont l’omission a forcément influé sur
ce risque.
197. L’omission du nom et du domicile de l’assuré n’entre pas
dans cette catégorie.
198. Opinion contraire de M. Bernard : réfutation.
199. En général, l’omission de la qualité de propriétaire ou de
commissionuaire est de peu d’importance.
200. Lorsque la connaissance du véritable propriétaire pouvait
influer sur le risque , les assureurs sont toujours admis
à agiter la question de propriété, malgré les énonciations
de la police.
201. L’assurance faite par un créancier est-elle valable ?
202. Utilité de la déclaration qu’on agit comme mandataire.
203. Cas dans lequel l’omission du nom du mandant constitue
rait une réticence dolosive.
204. La connaissance du navire chargé du risque est un des élé
ments essentiels de l’assurance.
205. Quel est l’effet de l’omission dtf nom et de la désignation ?
206. Quid de la fausse déclaration ?
207. Quelle doit être l’importance de l’inexactitude ou de l’er
reur?
208. Que faut-il entendre par la désignation du navire.
209. Le nom et la désignation du navire ne sont pas requis dans
le cas de l’art. 337 du Code de commerce.
210. La désignation du nom du capitaine peut influer sur le ris
que.
�ET DE LA FRAUDE.
211. Différence entre l’omission et la fausse déclaration.
85
212 Effet du remplacement du capitaine désigné.
213. La clause ou tout autre pour lui détruit-elle l’effet de la
fausse déclaration ?
214. Cas dans lesquels l’omission du lieu où les marchandises
ont été ou doivent être chargées n’annulle pas l’assu
rance.
215. Effet de la fausse déclaration ou de l’inexactitude à cet égard.
216. Tout ce qui touche à la navigation du navire, le port d’où il
doit partir, les ports ou rades dans lesquels il doit char
ger, décharger, entrer, est essentiel à la validité de l’as
surance.
217. Si le navire est en cours de voyage, et que le fait n’ait pas
été déclaré, il y a rélicence dolosive.
218. Arrêt conforme delà Cour d’Aix.
219. Arrêt de la Cour de Bordeaux.
220. Conclusion.
221. Nécessité de la déclaration des ports et rades dans lesquels
le navire doit entrer, charger ou décharger.
222 Exceptions à cette obligation.
223. Effets de l’omission de la désignation du moment où le ris
que commence et où il finit.
224. Obligation pour les assurés de déclarer, sous peine de réti
cence dolosive, toutes les circonslances de la navigation.
225. La présomption de dol admise par l’art. 348 est juris et de
.
.
jure.
226. Elle est exclusivement introduite pour les assureurs.
227. Résumé.
228. La preuve de la réticence est à la charge de l’assureur qui
en excipe. — Mode de preuve admissible.
229. Comment l’assuré pourra-t-il prouver qu’il a fait connaître
le fait qu’on l’accuse d’avoir caché.
230. La police d’assurance n’admet pas la preuve teslimoniale
outre et contre son contenu. — Jurisprudence conforme.
�86
TRAITÉ DU DOL
100. — La convention souscrite par un incapable,
est présumée dolosive en sa faveur.
ISO. — L’art. 1124 du Code civil déclare incapa
bles de contracter les mineurs, les interdits, les femmes
mariées, tous ceux à qui la loi interdit certains contrats.
Dans cette catégorie se rangent les personnes pourvues
d’un conseil judiciaire, celles frappées d’incapacité par
suite de jugements ou arrêts criminels.
S SS. — Ces incapacités rangées sur une même ligne
par l’art. 1124 , ne procédant pas toutes de la même
cause, produisent des effets différents, selon qu’elles sont
plus ou moins absolues.
En thèse générale, les mineurs non émancipés et les
interdits sont absolument incapables; les femmes ma
riées, les personnes placées sous l’assistance d’un conseil
judiciaire ne sont incapables qu’au regard de certains
actes déterminés par la loi. Les incapacités résultant de
condamnations criminelles , notamment de la mort ci
vile, sont générales et absolues.
De là cette conséquence que les actes souscrits par les
mineurs, les interdits , les condamnés , et ceux émanés
des femmes et des personnes soumises à un conseil ju
diciaire, hors les cas où elles sont autorisées à agir, sont
susceptibles d’être annulés sur leur réclamation.
112. — Quel est le principe de celte nullité? Pour
les condamnés, c’est évidemment l’absence de toute ca-
�87
parité ; et ce qui le prouve, c’est que la nullité est ab
solue , qu’elle profite même aux personnes majeures et
capables ; qu’il suffit d’avoir été partie en l’acte , pour
être recevable à la demander.
ET DE LA FRAUDE.
113. — Pour les autres incapables, ce qui détermi
ne la nullité de leur engagement, c’est bien plutôt le dol
présumé que l’incapacité dont ils sont atteints. C’est ce
dont il est facile de se convaincre par le texte et l’esprit
de la loi.
114. — Le droit romain faisait résider le principe
de la restitution du mineur, non- dans la minorité, mais
dans une lésion prétendue : Restituüur rninor non lanquam minor, sed tanquam lœsus. Mais cela n’était vrai
que pour les mineurs devenus pubères et qui n’avaient
pas atteint leur vingt-cinquième année. Cette maxime
restait donc inapplicable aux mineurs de douze et de
quatorze ans ; elle n’avait même été introduite par le
droit prétorien que parce que, parvenu à cet âge, le mi
neur avait acquis la capacité civile, et qu’il était à crain
dre qu’on en abusât contre lui, mal protégé encore par
l’inexpérience et la faiblesse de son âge.
Sans doute la distinction entre les pubères et les im
pubères n’existe plus dans notre droit français. La loi
qui nous régit ne reconnaît plus que le mineur dans la
personne âgée de moins de vingt-un ans. Est-ce à dire
pour cela qu’elle a opté pour l’incapacité absolue des
impubères, de préférence à la condition plus mitigée qui
était faite aux pubères ?
�88
TRAITÉ DU DOL
Laissons la loi elle-même nous expliquer le choix
qu’elle a fait entre ces divers modes , et nous instruire
des raisons qui l’ont déterminée.
115. — « Il faudrait, disait M. Bigot de Préame
neu, dans l’exposé des motifs de l’art. USA, si on vou
lait prononcer, à raison de l’âge, une incapacité absolue
de contracter , fixer une époque de la vie , et comment
discerner celle où on devrait présumer un défaut total
d’intelligence. Ne faudrait-il point distinguer les classes
de la société où il y a le moins d’instruction ? Le résul
tat d’une opération aussi compliquée , aussi arbitraire,
ne serait-il pas de compromettre l’intérêt des impubères
au lieu de le protéger ? Dans leur qualité de mineurs,
la moindre lésion suffit pour qu’ils se fassent restituer :
ils n’ont pas besoin de recevoir de la loi d’autres secours.
» Supposera-t-on qu’une personne, ayant la capacité
de s’obliger , contracte avec un enfant qui n’ait point
encore l’usage de la raison, lorsqu’elle ne pourra en ti
rer aucun avantage ? On n’a point à prévoir dans la loi
ce qui est contre l’ordre naturel, et presque sans exem
ple. »
Ailleurs , et sous l’art. '1305, le même orateur ajou
tait : « Il résulte de l’incapacité du mineur non éman
cipé, qu’il suffit qu’il éprouve une lésion pour que son
action en rescision soit fondée ; s’il n’était pas lésé , il
n’aurait pas intérêt à se pourvoir; et la loi lui serait
même préjudiciable, si, sous prétexte de l’incapacité, un
contrat qui lui est avantageux pouvait être annulé. Le
�89
résultat de son incapacité est de ne pouvoir être lésé, et
non de ne pouvoir contracter :Restiluitur tanquam lœms,
non tanquam minor. »
ET DE LA FRAUDE.
116. — Enfin , dans son rapport au Tribunat, M.
Jaubert se livrait à des observations analogues : « Il est
bien vrai, disait-il, qu’en règle générale un mineur est
déclaré incapable de contracter ; mais un mineur peut
être capable de discernement : le lien de l’équité natu
relle peut se trouver dans un contrat passé par un mi
neur.
» Voilà pourquoi la loi a dû distinguer.
» S’il s’agit d’un mineur non émancipé , la simple
lésion donne lieu à la rescision en sa faveur.
» Il ne sera pas restitué comme mineur , il pourra
1elre comme lésé. »
117. ~ Ces considérations , qui ont présidé à l’a
doption de la loi, sont décisives ; on a donc rangé tous
les mineurs dans la catégorie des pubères romains, l’art.
1125 en fournit d’ailleurs une autre preuve incontes
table.
Si la nullité résultant de la minorité était la consé
quence du défaut de capacité, l’acte que le mineur au
rait souscrit manquerait de sanction et dé lien obliga
toire. L’art. 1134 ne donne aux conventions force de
loi, à l’égard des parties , que lorsque ces conventions
sont légalement formées. Or, celles auxquelles des mi
neurs auraient concouru seraient évidemment privées de
ce caractère.
�90
TRAITÉ DU DDL
En effet, l’art. 1108 du Code civil fait de la capacité
des parties une des conditions substantielles du contrat.
Si cette condition ne se rencontre pas, le contrat est at
teint dans son essence et n’existe réellement pas.
De là, pour toutes les parties, la faculté et le droit de
le faire dissoudre. C’est ce qui se réalise, nous le disions
tout à l’heure , dans l’hypothèse d’une convention con
tractée avec ou par une personne morte civilement. Ce
n’est là d’ailleurs que l’application d’une maxime incon
testable : Qnod nullum est, milium producil effectum.
S i8. — Pourquoi donc l’art. 1125 prive-t-il les
parties majeures du pouvoir de demander la nullité de
l’acte souscrit par un incapable ? Evidemment si le mo
tif de cette nullité était le même dans les deux cas , on
n’eût pas admis une différence si notoire dans les résul
tats ; il faut donc, de ce que cette différence existe, con
clure qu’ainsi que nous le disent les orateurs du gou
vernement , l’invalidité de l’engagement du mineur est
due non pas tant à son incapacité qu’à une pensée de
dommage résultant de cet engagement.
Ü 9 . —- Cela est d’autant plus juste qu’il y a lésion
pour le mineur là où il n’en saurait exister aucune pour
le majeur. L’usage même que le mineur est dans le cas
de faire des sommes qu’il reçoit en minorité est de na
ture à constituer une lésion. C’est ainsi que l’art. 1312
du Code civil dispose que : lorsque les incapables sont
admis à se foire restituer contre leurs engagements , le
�f
IA FRAUDE.
91
remboursement de ce qui aurait été, en conséquence de
ces engagements, payé pendant la minorité , l’interdic
tion ou le mariage, ne peut être exigé, à moins qu'il ne
soit prouvé que ce qui a été payé a tourné à leur profit.
Le législateur suppose donc que le mineur a pu re
cevoir , sans avantage aucun , l’équivalent de l’engage
ment qu’il a souscrit ; qu’il a pu le dissiper follement et
sans fruit ; que par conséquent cet engagement n’a d’au
tre résultat que d’empirer sa position en l’obligeant de
restituer ce qu’il a consommé sans profit réel. Le ma
jeur qui détermine un pareil état de choses , commet
quelquefois plus qu’un dol. C’est ce qu’enseigne l’art.
406 du Code pénal, en prononçant une peine corporelle
contre celui qui abuse sciemment de la faiblesse , des
besoins ou des passions du mineur.
ET DE
120. — Ainsi, aux yeux du législateur, les obliga
tions du mineur ont ce double caractère. En ce qui le
concerne personnellement, elles sont censées un acte de
' dissipation ; à l’égard du majeur qui les a acceptées,
un acte de spéculation. M. Bigot de Préameneu nous le
disait lui-même : On ne traite pas avec un mineur lors
qu’on n’a pas avantage à le faire, les chances de pertes
que l’on peut entrevoir sont nécessairement compensées
par le bénéfice stipulé. C’est cette considération d’aban
don d’une part, d’indélicatesse de l’autre, qui justifie la
présomption de dol, sous le coup de laquelle ces obliga
tions sont placées.
Cette présomption existe : pour les mineurs non é-
�92
TRAITÉ DU DOL
mancipés, pour tous les actes auxquels ils se sont livrés;
pour les mineurs émancipés , seulement pour les actes
qui sont faits en dehors de la capacité que la loi leur
reconnaît. Elle est simplement juris pour les actes d’ad
ministration ; mais elle devient juris et de jure pour
ceux que la loi a environnés de formes habilitantes. La
nullité qui résulte de la violation de ces formes n’a pas
d’autres motifs que le danger que cette violation fait cou
rir au mineur et le préjudice qu’il est présumé en avoir
éprouvé.
121, — C’est ainsi que vient de le juger la Cour de
cassation, dans une espèce où un mineur avait passé, avec une compagnie de remplacements militaires, un con
trat par lequel celle-ci s’obligeait à le garantir contre
les chances du tirage, moyennant une somme de 650 fr.,
payable un mois après la décision du conseil de révi
sion qui déclarerait, pour une cause quelconque, le sieur
Havel (le mineur) libéré du service militaire. Ravel ob
tint un bon numéro , et le 15 septembre 1839 intervint
la décision qui prononçait sa libération.
Poursuivi en paiement de la somme promise , Ravel
soutint la nullité de son engagement comme ayant été
souscrit en minorité ; on répondait qu’en droit le mi
neur n’était restituable qu’en cas de lésion , qu’en fait,
il n’en existait aucune ; que la valeur de l’engagement
se trouvant parfaitement en rapport avec la position de
l’obligé, devait être maintenue nonobstant l’état de mi
norité de ce dernier.
�93
Ravel, condamné par le Tribunal de S-Dié, se pour
vut en cassation. Son pourvoi , admis par la chambre
des requêtes, fut rejeté par la chambre civile, après une
solennelle discussion et un mûr délibéré dans la cham
bre du conseil ; voici l’arrêt intervenu et qui, comme
décision doctrinale, a une grave importance :
« Attendu que si le mineur a été mis, par l’art. 1124
du Code civil, au rang des personnes déclarées incapa
bles de contracter, l’art. 1125 porte qu’il ne peut atta
quer, pour cause d’incapacité, ses engagements que dans
les cas prévus par la loi ;
» Attendu que l’art. 1305, placé au titre de l’action
en nullité ou en rescision des conventions , déclare que
la simple lésion donne lieu à la rescision en faveur du
mineur non émancipé contre toutes sortes de conven
tions ;
» Attendu que les dispositions de cet article sont ap
plicables aux actes souscrits par le mineur non éman
cipé, sans l’intervention de son tuteur, et à l’égard des
quels des formes spéciales n’ont pas été déterminées par
la loi ;
» Attendu , en effet , que cela résulte, indépendam
ment du sens naturel et clair que présentent les expres
sions dans lesquelles cette première partie de l’article est
conçue, soit de son rapprochement avec la seconde qui,
accordant la même faveur au mineur émancipé contre
toutes les conventions qui excèdent sa capacité, n’est évidemment relative qu’au cas où ce dernier aurait traité
contrairement aux prescriptions de la loi , sans être asET DE LA FRAUDE.
�________________
94
TRAITÉ DU DOL
sisté de son curateur ; soit de la combinaison de cette
première partie avec les articles qui suivent, notamment
avec l’art. 1307, qui veut que la simple déclaration de
majorité, faite par le mineur , ne fasse point obstacle à
sa restitution, ce qui ne peut s’entendre que d’une dé
claration de majorité, faite en l’absence du tuteur ;
» Attendu que l’ensemble de la législation, sur la ca
pacité du mineur non émancipé,, n’est point en opposi
tion avec celte interprétation de l’art. 1305 du Code ci
vil, que tout ce que la loi a voulu dans les dispositions
où elle s’occupe des intérêts du mineur, c’est non pas
qu’il ne pût jamais contracter seul , mais qu’il ne fût
pas lésé en contractant ;
» Attendu que s’il en était autrement, si la qualité de
mineur suffisait, pour faire annuler , sans distinction,
toutes les conventions dans lesquelles le tuteur ne serait
pas intervenu, les dispositions par lesquelles la loi a
cherché à le protéger lui deviendraient préjudiciables, en
interdisant aux tiers la faculté de passer avec lui les
traités mêmes dont il pourrait tirer le plus d’avantages;
qu’en lui conservant, dans tous les cas , le droit de se
faire restituer pour la simple lésion, dont l’appréciation
est abandonnée à la sagesse des tribunaux, la loi a suf
fisamment pourvu à son intérêt.1»
122. — Cet arrêt condamne le système soutenu par
MM. Toullier et Troplong, à savoir : que l’art. 1124 est
1 18 juin 1844, D. P,, 44, \ . 225.
�95
applicable aux engagements souscrits par le mineur seul,
et qui sont dès lors rescindables indépendamment de
toute lésion ; et que l’art. \ 305 régit les engagements
souscrits par le mineur assisté de son tuteur. Ce systè
me, combattu par M. Duranton, n’a pas été admis par
la Cour de cassation, nous osons dire qu’il ne devait pas
l’être; celui de M. Duranton , consacré par l’arrêt qui
précède, est beaucoup plus conforme non seulement au
texte, mais encore à l’esprit de la loi et à l’intérêt véri
table du mineur.
ET DE LA. FRAUDE.
J 23. — Dans celui-ci, en effet, comme le remarque
M. Dalloz, la tutelle n’apparaît plus que comme une ins
titution qui prête au mineur un généreux secours , et
fournit aux tiers un moyen de contracter avec plus de
sécurité. Sans doute, le tuteur représente le mineur dans
les actes de la vie civile , et administre la personne et
les biens de ce dernier , voilà la règle ; mais l’exception
est aussi admise. Si le mineur trouve l’occasion défaire
des contrats utiles, la confiance et la bonne foi de ceux
qui auront traité avec lui, dans certaines limites, ne doit
pas être trompée. Le contr.ôle de la justice sanction
nera le contrat, si , dans son appréciation souveraine,
elle reconnaît que la convention présente le caractère
d’une convention sage , loyale et surtout non onéreuse au mineur. Cette doctrine , ajoute M. Dalloz , relève le
mineur et n’altère pas les principes de la tutelle ; les
droits du tuteur restent intacts, son initiative est toujours
respectée. Seulement dans les cas particuliers, où le mi-
�TRAITÉ DU DOL
96
neur aura personnellement traité, le contrat sera vala
ble , sauf, s’il y a lieu , l’épreuve de l’action en resci
sion.1
124. — Des principes qui précèdent, il résulte que
les actes faits par le mineur assisté de son tuteur, et qui
rentrent dans la catégorie de ceux prévus par l’art. 450
du Code civil , sont réguliers en la forme , valables au
fonds. En conséquence, ils échappent à la présomption
de dol. Le mineur ne peut en être relévé, vis-à-vis des
tiers, que dans les cas et aux conditions tracés pour les
majeurs.
125. — Le mineur peut-il être relevé de son dol?
L’affirmative ne saurait être admise. Le mineur a une
véritable capacité, quant aux conséquences des délits et
quasi-délits dont il se rend coupable; or le dol, tel qu’il
est déterminé par la loi, rentre évidemment dans la ca
tégorie de ces derniers , il oblige par conséquent le mi
neur.
Toutefois , il ne suffirait pas d’un mensonge plus ou
moins adroit, d’une réticence'plus ou moins insidieuse,
pour constituer le mineur en état de dol. En principe, la
déclaration de la majorité ne fait point obstacle à ce que
le mineur, de qui elle émane, soit restitué2. Il n’y au1 Voy. Toullier , t. vi, n°s 103 et suiv.; — Troplong , De la vente,
n°s 166 et suiv ; Hipoth , nos 448 et suiv.; — Duranton. t. x, n»* 278
et suiv.
3 Art. 1307 Cod civ
�97
rait donc aucun dol véritable, si, à celte déclaration, le
mineur n’avait pas ajouté des manœuvres, des artifices
de nature à en persuader la certitude.
Le caractère, l’appréciation des circonstances qui peu
vent constituer ces manœuvres, sont laissés à l’arbitrage
souverain du juge. C’est ainsi qu’il a été jugé que le mi
neur qui, conjointement avec ses frères majeurs, a pro
duit dans un ordre, en se qualifiant de majeur, et qui,
après avoir été isolément colloqué, a touché le montant
de son bordereau, ne peut, après la majorité , se faire
payer une seconde fois par l’acquéreur , sous prétexte
qu’il était incapable de recevoir lors du premier paye
ment.1
ET DE LA FRAUDE.
126. — Au reste , le dol du mineur contre le ma
jeur n’est jamais présumé, c’est donc à celui qui en exciperait, pour faire maintenir l’acte attaqué par le pre
mier, qu’incomberait la preuve de son existence.
127. — Le mineur autorisé, conformément à la loi,
à se livrer à l’exercice du commerce, est réputé majeur
pour tous les actes ressortissant de cette profession. Il
ne saurait en conséquence être relevé de ses engagements
que comme le majeur pourrait l’être lui-même.
Mais le mineur ne saurait trouver dans cet exercice
un moyen d’éluder la loi, qui pourrait être exploité con
tre lui. Aussi est-il de doctrine certaine :
1 Journal du Palais, Colmar,. 22 avril 1836.
I
7
�98
TRAITÉ DU DOU
] " Que cet exercice est restreint. aux actes qui con
cernent son négoce , qu’il ne peut s’étendre à d’autres
qui y seraient étrangers, et par lesquels le mineur s’en
gagerait pour autrui ; '
2” Que la cause commerciale ne se présume pas dans
les engagements du mineur commerçant, comme dans
ceux du majeur.3
Pour tous les actes qui ne rentreraient pas dans l’exer
cice de son commerce, ou qui seraient reconnus en ex
céder les limites, le mineur se trouverait placé sous l’em
pire des principes que nous venons de développer.
128. — L’interdit est assimilé aux mineurs, soumis
aux mêmes règles, participant aux mêmes avantages ; ce
que nous avons dit de celui-ci , relativement à la pré
somption dedol, s’applique donc, par une parité de rai
sons incontestables, aux actes faits par l’interdit.
129. — Cependant il faut remarquer qu’il y a entre
eux cette différence essentielle, à savoir : que le mineur
est dans certains cas susceptible de donner un consen
tement éclairé et obligatoire ; tandis que l’interdit, léga
lement convaincu d’être dans un état habituel d’imbé
cillité, de démence ou de fureur, en est réputé à tout ja
mais incapable.
De là la disposition de l’art. 502, qui considère corni Jousse, sur l’art. 8 de t’ordonn. de 1693; — Pardessus, n° 61.
�ET DE LA FRAUDE.
99
me nuis de droit tous les actes passés postérieurement
au jugement prononçant l’interdiction.
150. — Aux termes de l’art. 1125 du Code civil,
cette nullité , quoique de droit, est purement relative.
Les nullités, on le sait, sont des remèdes, remedium juris, que le législateur donne à celui à qui la convention
peut causer un préjudice. Il s’ensuit que lui seul peut
en réclamer le bénéfice. La prohibition contre les actes
passés depuis l’interdiction étant toute en faveur de l’in
terdit, personne autre que lui ne pourrait s’en préva
loir , même les parties capables qui auraient contracté
avec lui, En effet, en traitant avec un interdit, on s’ex
pose à une chance aléatoire, dont la réalisation dépend
de sa volonté, dont l’événement a été prévu ou a dû l’ê
tre au moment du contrat.
Vainement se plaindrait-on d’avoir ignoré l’interdic
tion, cette circonstance n’aurait aucune influence, au
cune porté, car on ne saurait être relevé de sa faute. Or,
chacun devant s’assurer de la condition de. celui avec
qui il traite , celui qui n’a pas pris les renseignements
suffisants , qui ne s’est pas livré à toutes les investiga
tions qui devaient l’éclairer, a commis une imprudence
dont il ne saurait être admis à récuser les conséquences.
Ainsi, la présomption de dol vicie, dans leur substan
ce, les actes postérieurs à l’interdiction. Il suffit donc,
pour, en déterminer la nullité, de prouver cette postério
rité; cette preuve faite , la présomption est juris et de
jure, c’est-à-dire qu’on ne saurait être admis à préten-
�TRAITÉ DO DOL
100
dre ou à justifier que l’acte a été fait dans un instant
lucide, ni à demander qu’il soit, maintenu sous prétexte
qu’il n’a occasionné aucun préjudice.
131. — Le jugement qui prononce l’interdiction
place donc celui qui en a été l’objet sous la présomption
d’insanité d’esprit et le fait considérer comme incapa
ble de donner un consentement réfléchi et libre. Mais
tant que ce jugement n’a été ni provoqué ni rendu,c’est
la présomption contraire qui est légalement acquise. En
conséquence , les actes faits dans cette période sont ré
putés valables.
132. — Mais cette présomption de validité fait place
à celle de dol : 1° si les causes qui ont motivé l’inter
diction existaient réellement au moment de l’acte ; 2° si
elles existaient notoirement. La preuve de cette existen
ce, de sa notoriété, est à la charge de celui qui attaque
l’acte. Si elle est produite , l’acte pourra être annulé,
c’est-à-dire que le défendeur pourra justifier que l’acte
a été fait dans un intervalle lucide ; qu’il ne renferme et.
ne peut renfermer aucun préjudice pour le demandeur.
Én d’autres termes , la présomption de dol qui naît de
l’existence et de la notoriété de la démence , de l’imbé
cillité ou de la fureur, est une présomption ju ris, ad
mettant la preuve contraire.
133. — La femme mariée ne peut contracter sans
l’autorisation de son mari. Les engagements qu’elle pren-
�et de; la fraude .
101
drait au mépris de cette prescription sont, pour ce qui
la concerne, frappés de nullité.
Le principe de cette nullité est le même que celui qui
fait annuler les actes des mineurs, accomplis en dehors
des formes habilitantes dont la loi les a entourés. En
conséquence, les effets en sont les mêmes, la nullité ré
sulte ipso facto et sans qu’il soit besoin d’examiner s’il
y a ou non préjudice. Ce point, aussi certain en doctri
ne qu’en jurisprudence, nous conduit à cette conséquen
ce : que les actes faits par la femme, hors de la présence
et sans l’autorisation de son mari, sont présumés frau
duleux ; que cette présomption est juris et de jure.
134-. — L’art. 472 du Code civil nous fournit un
remarquable exemple de dol présumé, en prononçant la
nullité de tout traité qui pourra intervenir entre le tuteur
et le mineur devenu majeur, s’il n’a été précédé de la
reddition d’un compte détaillé et de la remise des pièces
justificatives, le tout constaté par un récépissé de l’oyantcompte, dix jours au moins avant le traité.
if
Ck.
\
U
H
133. — Cette disposition a, avec juste raison, prévu
un des plus graves dangers que pût courir le mineur
devenu majeur. La crainte , la reconnaissance , l’affec
tion, l’impatience de disposer en liberté d’une fortune
qu’il a à peine entrevue jusque là, pouvait le livrer sans
défense aux ruses d’un tuteur habile , dont l’ascendant
aurait facilement obtenu de son ignorance une décharge
complète de sa gestion , avant même qu’il eût été mis
dans le cas de l’apprécier.
"C
�102
TRAITÉ DU DOL
Il fallait donc faire un devoir au tuteur, comptable de
la gestion , d’exposer fidèlement au mineur toutes les
circonstances dont la connaissance devait le fixer sur sa
position, sur la nature de ses ressources, sur le mode
d’administration suivi jusqu’à ce jour; de là , l’obliga
tion de rendre compte.
Mais vainement celte obligation eût-elle été inscrite
dans la loi, si le défaut de sanction pénale eût laissé sa
transgression impunie. C’est surtout pour les tuteurs de
mauvaise foi que la loi a pris les précautions qu’elle or
donne ; et l’on comprend que plus le tuteur aurait prévariqué , plus il chercherait à déguiser sa conduite , à
tromper l’oyant-compte, à l’effet d’en obtenir sa libéra
tion.
Ces considérations ont dicté la disposition de l’art.
472, qui complète et garantit l’exécution des obligations
faites au tuteur par les art. 469 et suivants. Ainsi, le
tuteur est obligé de rendre compte de sa gestion, de dé
poser ce compte et les pièces justificatives entre les mains
du mineur devenu majeur ; ce n’est que dix jours après
cette remise qu’un traité peut intervenir, et que le tu
teur peut obtenir décharge. Tout traité, fait sans avoir
été précédé de la remise des pièces ou avant l’expiration
du délai de dix jours , est présumé dolosif, et, comme
tel, annulé.
136- — Les obligations imposées au tuteur doivent
être prises au sérieux. La bonne foi, qui doit présider à
toute transaction, doit être plus sévèrement exigée dans
�103
un acte, où l’une des parties peut porter l’influence jus
qu’à déguiser l’état réel des choses, et priver ainsi l’au
tre partie de la connaissance précise de ce qui fait la
matière du contrat. En conséquence, le compte du tu
teur ne doit pas être rédigé en termes généraux, ni s’ar
rêter aux résultats , c’est un détail, autant que faire se
peut, et articles par articles que le mineur doit y rencon
trer. Les pièces probantes sont celles qui établissent les
revenus et justifient de la dépense, pour les chefs du
moins où cette dépense a pu laisser des traces écrites.
ET DE LA FRAUDE.
137. — Le compte et les pièces sont remis au mi
neur devenu majeur, celui-ci examine et vérifie. La re
mise est donc véritablement capitale, car ce n’est qu’après qu’elle a été réalisée que les investigations sont
possibles ; et ce n’est que par ces investigations ellesmêmes que l’oyant-compte pourra donner un consen
tement valable ; on comprend, dès lors, que le législa
teur en ail exigé une preuve certaine et positive.
Or, il résulte de l’art. 472 que cette preuve doit être
littérale ; elle s’induit du récépissé délivré par l’oyantcompte. Nous croyons que ces termes sont restrictifs ;
que l’absence de ce récépissé ne saurait être remplacée
par tout autre genre de preuve , et notamment par la
preuve testimoniale.'
1 Journal du Palais , Toulouse , 6 février 4835 ; — Aix , 40 août
4 809 ; — D. A , tom. xii, pag. 764.
�104
TRAITÉ DU DOL
158. — La présomption de dol, qui naît de la vio
lation de ces formalités, est une présomption juris et de
jure. Si le compte n’a pas été rendu, s’il n’a pas été ac
compagné de la remise des pièces, ou, si cette remise
ayant été faite, elle n’est pas constatée par un récépissé,
le traité intervenu entre l’ancien mineur et son tuteur
est frappé d’une nullité substantielle ; il en serait de mê
me de celui intervenu moins de dix jours de la date du
récépissé.
159. — Ce récépissé peut être fait par acte séparé
ou être mis au bas du compte lui-même. On ne saurait,
dans le silence de la loi, créer une nullité contre la.for
me de l’acte ; cette forme, n’étant nullement réglée par
la loi, doit être laissée à la volonté des parties. Mais il
en est autrement de la date, elle doit être certaine pour
prévenir tout moyen d’éluder la loi. Le récépissé sous
seing privé doit donc être enregistré, le délai de dix jours
court du moment de l’enregistrement.
140. — Les termes de l’art. 472 ont donné nais
sance à une grave difficulté : tout traité, porte cet arti
cle, sera annulé. Faut-il entendre par là les traités qui
interviendraient sur la gestion, ou bien ranger dans une
égale catégorie , même les traités étrangers à cette ges
tion ?
141. — Cette dernière opinion a trouvé des parti
sans dans les sommités de la doctrine ; elle est notam
ment enseignée par Merlin,qui combat l’opinion contrai-
�105
re, comme tendant à établir une exception repoussée par
la généralité des termes de l’art. 472. La loi, dit-il, ne
fait aucune exception ; elle annule tout traité non pré
cédé d’un compte de tutelle ; or, qui dit tout, n’excepte
rien.1
142. — Cette interprétation, fondée sur la lettre du
texte , en fait-elle une juste , une exacte appréciation?
Nous ne saurions l’admettre. Il nous semble que, par la
place qu’elle occupe dans la loi, cette disposition est né
cessairement limitée à ce qui concerne la gestion du tu
teur, et que, l’expliquer comme le fait Merlin, c’est lui
donner une extension que le texte ne comporte pas, que
son esprit repousse d’une manière invincible.
La protection dont la loi entoure le mineur n’est que
la conséquence des dangers auxquels son inexpérience
et la faiblesse de son âge l’exposent : Cum intra omnes
conslel, fragile esse et infirmum hujus modi œtatum
consiliwn, et multis captionibus suppositum, multorum
insidiis expositum, auxiliwn eis prœtor pollicilùs.’
Le mineur devenu majeur n’est plus censé avoir be
soin de cette protection spéciale, il n’a plus aucun droit
à la réclamer. Il est, par rapport à tous, en étal de dé
fendre ses intérêts, de prendre toutes les mesures que sa
position nécessite, et cela est vrai même à l’égard de son
ancien tuteur, sauf sur un seul point, celui relatif à la
gestion que ce tuteur a eue de $es biens.
ET DE LA FRAUDE.
i Questions de droit, § 3, n° 1.
3 L. Dig,, De minoribus.
�106
TRAITÉ DU DOI,
Celte exception résulte naturellement de l’état anté
rieur des choses ; elle était commandée par cet état mê
me. Des deux parties en présence , l’une , l’ancien mi
neur,est dans une ignorance absolue sur le chiffre de sa
fortune, sur l’étendue de ses ressources, sur la manière
dont elles étaient administrées ; l’autre, l’ancien tuteur,
connaît parfaitement toutes choses. Autoriser en cet état
d’inégalité un traité entre elles, c’était permettre au tu
teur d’abuser de l’ignorance légitime dans son origine,
mais que son intérêt le déterminerait à prolonger. On
pouvait donc prévoir que, dans une pareille transaction,
tout l’avantage reslerait au tuteur q ui, selon l’observa
tion de Louet, loin de rendre compte , mettrait sapar, tie en ténèbres et en lieu où lui seul verrait clair.
C’est ce que la loi suppose du tuteur qui n’a pas ren
du compte. La nullité du traité, intervenu avant la red
dition , est donc la conséquence plutôt de la conduite
frauduleuse du tuteur que de l’incapacité de l’ancien mi
neur. Cette prescription ne fait pour celui-ci que ce que
les principes généraux font pour tous les majeurs, elle
a pour but de donner à son consentement ce degré de
réflexion et de liberté sans lequel il n’y a pas de consen
tement valable.
Il est un autre motif qui étaye la prohibition de l’art.
472. L’équité exige que chacune des parties ait une
connaissance exacte de ce qui fait la matière de la con
vention, sa perfectibilité est à ce prix. Or, cette connais
sance , le mineur devenu majeur ne l’acquiert que par
la reddition des comptes , il ne l’a donc pas tant que
�ET DE LA FRAUDE.
107
cette reddition n’a pas été réalisée. Il est conséquemment
privé d’un des éléments essentiels au contrat. Il en est
privé par la faute du tuteur qui viole les devoirs que la
loi lui impose. On comprend dès lors que la loi ait re
fusé sa sanction à un acte qu’elle ne pouvait consacrer
qu’en autorisant le tuteur à exploiter sa position , et à
profiter de sa faute et même de son dol.
Ces considérations sont justes et décisives , lorsqu’il
s’agit d’un traité relatif aux comptes de la gestion. Sa
nullité n’en est qu’une conséquence rationnelle et légi
time ; mais peuvent-elles s’appliquer au traité fait sur
tout autre objet et abstraction faite de la position respec
tive des parties relativement à la gestion tutélaire ?
Par exemple, le mineur devenu majeur est appelé à
recueillir une succession qui s’est ouverte depuis sa ma
jorité. Son ancien tuteur se trouve créancier ou débiteur
de cette succession , il paie ce qu’il devait, ou retire ce
qui lui était dû. Il traite avec l’ancien mineur d’un ob
jet mobilier ou immobilier appartenant à cette succes
sion, il transige sur un procès qu’il avait avec celui qui
l’a délaissée. Faudra-t-il annuler tous ces actes , parce
que le compte de sa gestion n’aura pas encore été ren
du ? Mais quelle influence pouvait exercer à leur endroit
la reddition des comptes ? Le mineur pouvait-il recevoir
de cette formalité des notions plus complètes, plus éten
dues que celles qu’il possédait au moment du contrat?
Evidemment non. Conséquemment, annuler des actes de
cette nature , et sous un pareil prétexte , ce serait agir
d’une manière injuste, illogique, et anéantir sans néces
sité des conventions parfaitement légitimes.
�TRAITÉ DU DOL
108
il est donc impossible d’admettre que l’art. 472 du
Code civil ait voulu parler d’autres traités que de ceux
faits sur la gestion du tuteur. Ce qui le prouve, c’est la
place que cet article occbpe dans le Code , sous la sec
tion intitulée Des comptes de tutelle , précédé et suivi
d’autres dispositions se rapportant exclusivement au mo
de de reddition , d’appurement et de règlement de ces
mêmes comptes.
Ce qui le prouve encore, c’est que l’art. 907 prohibe
au mineur devenu majeur de disposer en faveur de son
tuteur, non seulement par testament, ce qui pourrait ne
pas paraître un traité, mais encore par donations entre
vifs, tant que les comptes de tutelle n’ont pas été régu
lièrement rendus. Si les termes de l’art. 472 n’exceptent
rien , pourquoi a-t-on cru nécessaire de prohiber spé
cialement les donations ? Pouvait-on croire que quel
qu’un serait jamais tenté de contester l’application aux
actes à titre gratuit, des principes régissant les actes à
titre onéreux ?
Ce qui le prouve enfin , c’est la disposition de l’art.
2045 du Code civil, qui permet au mineur devenu ma
jeur de transiger sur toutes les matières , excepté sur la
gestion du tuteur, avant la reddition des comptes de ce
lui-ci. Comment expliquerait-on la faculté de transiger
là où l’art. 472 proscrirait un* simple traité ? La trans
action n’est-elle pas un traité important? On sait qu’elle
comporte, de' la part des parties, des sacrifices mutuels.
Elle est donc , sous ce rapport, bien plus dangereuse
pour l’ancien mineur qu’un traité ordinaire. En consé-
�109
quence, quel aurait pu être le motif qui aurait détermi
né le législateur à prohiber celui-ci et à autoriser l’au
tre ?
Le motif, dit M. Merlin , c’est qu’en général , et aux
termes de l’art. 2052, les transactions ont entre les par
ties l’autorité de la chose jugée; et que, par conséquent,
il en doit être, d’une transaction passée entre le mineur
devenu majeur et son tuteur, comme d’un jugement qui
aurait été rendu entre eux.
Mais cette réponse laisse subsister l’objection qui a
d’autant plus de force que la nature de l’acte est plus
exceptionnelle. Après, comme avant cette réponse, on se
demande comment un traité qui n’acquiert jamais l’au
torité de la chose jugée , qui est rescindable pour cause
de lésion , soit interdit au mineur et qu’on lui permette
de consentir une transaction qui est à l’abri de ces atta
ques? Quelle garantie avait-on de plus pour celle-ci ?
N’est-il pas évident au contraire que si l’absence de red
dition des comptes de tutelle doit influer sur un acte
quelconque, c’est surtout sur une transaction ? Celle-ci
suppose un droit litigieux, contestable. Les titres qui établissent celui du mineur seront le plus souvent entre
les mains du tuteur, et c’est par celui-ci que le premier
apprendra leur caractère et leur portée. En vérité, per
mettre en cet état au mineur de transiger , modifier la
prohibition prétendue générale de l’art. 472 , c’est di
minuer les garanties données au mineur devenu ma
jeur , au moment même où il en a le plus pressant be
soin.
ET DE LA FRAUDE.
�\ 10
TRAITÉ I)U DOL
Nous ne saurions donc admettre la distinction que
fait Merlin, pas plus que l’assimilation de la transaction
au jugement. Les magistrats qui rendent le jugement
sont chargés d’exécuter la loi, de la faire respecter, alors
même que les parties seraient d’accord pour l’éluder ; à
cette première garantie s’en réunit une autre , la pré
sence du ministère public, dont la sollicitude éveillée par
la qualité des parties, saura bien faire valoir les droits
de chacun , défendre le mineur devenu majeur , contre
son ignorance ou sa faiblesse. La transaction présentet-elle quelque chose d’analogue? Qui protégera le mineur
contre les suggestions intéressées de son ancien tuteur ?
Il n’y a donc réellement aucune assimilation possible
entre ces deux actes.
Mais, ajoute Merlin, pourquoi, si l’art. 472 ne signi
fie pas plus que l’art. 2045 , n’a-t-on pas mis dans le
premier, les mots sur les comptes de tutelle, qu’on a in
sérés dans le dernier.
Nous avons déjà dit que cette indication résulte, pour
l’art. 472 , de la place qu’il occupe dans le Code , des
dispositions qui le précèdent et le suivent. Cela suffirait
pour lui donner un caractère de spécialité incontesta
ble. Il est même certain qu’alors même que l’art. 2045
n’aurait pas existé, la transaction sur les comptes de tu
telle se serait trouvée atteinte par cette spécialité et pros
crite par l’art. 472. Mais le législateur a pu craindre
qu’on ne voulût abuser de la nature et du caractère de
la transaction , pour soutenir qu’elle ne pouvait être
comprise dans les traités dont cet article s’occupe. Dès
�ET DE LA FRAUDE.
111
lors , il a cru devoir s’en expliquer formellement pour
bannir toute équivoque. Cette résolution prise, s’exécu
tant sous le titre spécial de la transaction, il fallait net
tement s’expliquer. Là, en effet, rien ne spécialisait plus
la disposition, ni la rubrique de la section, ni les dispo
sitions antécédentes et subséquentes , de telle sorte que
se borner à prohiber la transaction entre le tuteur et le
mineur devenu majeur , c’était la proscrire d’une ma
nière absolue et générale. C’est donc pour préciser sa
pensée qu’on a nominativement restreint cette prohibi
tion à la transaction intervenue sur les comptes de tu
telle, ce qui était revenir à la règle tracée par l’art. 472.
Voilà l’explication de la différence de rédaction si
gnalée entre les art. 472 et 2045 , elle est naturelle et
simple, elle n’a rien d’extraordinairç, ni de choquant ;
tandis qu’avec le système de Merlin, il faut admettre que
la loi a interdit le moins et autorisé le plus, ce qui est
invraisemblable, et conséquemment inadmissible.
Faut-il maintenant rendre raison de ces termes de
l’art. 472, tout traité ? N’est-il pas désormais certain
que l’intention du législateur n’a été d’atteindre que ceux
intervenus sur la gestion du tuteur ; et, dans ce sens, la
locution qu’il a employée n’est pas même vicieuse. S’il
n’y a qu’une manière d’appurer un compte , il y en a
cent pour arriver à ce résultat. Le tuteur pouvait avoir
la pensée de fractionner le compte de sa gestion , d’en
débattre séparément les diverses partiès, et d’obtenir une décharge pour chacune d’elles , opposer ces déchar
ges partielles déjà obtenues aux difficultés qu’un autre
�TRAITÉ DU DOL
412
examen ferait naitre. Voilà réellement ce que proscrit
l’art. 472, voilà ce qu’il a eu en vue, lorsqu’il a annulé
tout traité intervenu avant la reddition des comptes.
Tout ce qui en résulte , est donc cette proposition qui ’
ressort de l’esprit de sa disposition ; que ce n’est qu’après avoir été édifié sur l’ensemble des opérations du tu
teur, que le mineur devenu majeur peut traiter avec ce
lui-ci , lui donner décharge totale ou partielle; et que
tout ce qui aurait été fait à cet égard , avant l’examen
de cet ensemble, devrait être annulé.
D’ailleurs et sans paraître fractionner le compte , on
pourrait consentir des actes qui ayant pour but de dis
penser le tuteur de rendre compte de la matière spéciale
sur laquelle cet acte est intervenu. Ces actes sont nom
breux et divers et il convenait de les atteindre tous.
Comme exemples nous pouvons citer des décisions
judiciaires qui expliquent et font comprendre la géné
ralité de l’expression de l’art. 472.
Ainsi il a ét‘é jugé que la cession qu’un enfant devenu
majeur, fait à son père , son tuteur , de tous ses droits
maternels sans réserve ni exception , comprenant les
meubles et autres effets qui doivent entrer dans le compte
de tutelle dû par le cessionnaire, est nulle si elle n’a été
précédée du compte tutélaire ;1
Que l’acte par lequel une fille cède, le lendemain de
sa majorité, et sans reddition de compte préalable , à
son père qui a été son tuteur , ses droits immobiliers
1 Cass., 14 décembre 4818.
�113
dans la communauté , est n u l, même lorsqu’il a pour
objet de remplir ce dernier de ses gains de survie et des
récompenses qui lui sont dues par la communauté
Que l’approbation que le pupille aurait donnée à des
bordereaux de dépenses depuis sa majorité, mais avant
la reddition de compte, tombe sous la nullité de l’arti
cle m ■;
Qu’il en est de même du traité par lequel le mineur
abandonne à son tuteur la jouissance d’un immeuble
indivis entre eux pour l’indemniser des réparations qu’il
y a faites ;3
Que la reconnaissance d’une contre-lettre qui attri
bue au tuteur la propriété d’un immeuble dépendant du
patrimoine apparent de ses pupilles , ne peut être faite
valablement par ceux-ci, depuis leur majorité, avant la
reddition des comptes de tutelle.4
Comment aurait-on pu atteindre tous ces actes , si
l’art. 472! n’eût pas dit : tout traité ?
Pour nous résumer sur ce point, nous dirons que
l’art. 472 n’atteint que les traités exclusivement interve
nus sur la gestion tutélaire, quel qu’en soit le mode et
sous quelque forme qu’on les ait déguisés.
Ce qui caractérisera ces traités , c’est qu’ils auront
EX DE LA. FRAUDE.
1 Paris, 2 août 1821 ; — Douai, 20 janvier 1844; — J. du P., 2,
1844, p. 12.
2 Paris, 19 avril 1823.
3 Bourges, 7 février 1827.
4 Cass., 1er juin 1847; — J. du P., 1. 1847, 688,
8
�414
TRAITÉ DU DOL
pour effet et pour but de soustraire le tuteur à l’obliga
tion de rendre compte de sa gestion moyennant la som
me ou la chose convenue , encore bien qu’on n’ait pas
traité spécialement sur cette gestion , et qu’il n’ait pas
été stipulé d’une manière expresse que le tuteur en de
meurerait déchargé.
Ceux-là donc qui sont étrangers à cette gestion , sur
lesquels par conséquent la reddition du compte serait
sans influence, sont valablement contractés ; on ne pour
rait conséquemment les annuler que dans les cas et
qu’aux conditions qui rendent ceux souscrits par les ma
jeurs ordinaires rescindables ou annulables.'
143. — 11 résulte de ce qui précède , que l’ancien
mineur, qui attaquera un traité intervenu entre son tu
teur et lui , n’aura à justifier que de ces deux circons
tances , à savoir : 1° que ce traité a pour objet direct
ou indirect la gestion du tuteur ; 2° qu’il a été fait con
trairement aux dispositions de l’art. 472, soit qu’il n’y
ait pas eu reddition de compte , remise de pièces ; soit
qu’il ne se fût pas écoulé un délai de dix jours de cette
remise à la date du traité. Cette preuve faite imprime au
traité une présomption de fraude susceptible d’en en
traîner l’annulation.
i Voy., en ce sens, Chardon , t. i, pag. 445, n° 72 ; — Domat, Lois
civiles, liv n , tit. i, sect. 5, n° 4; — Zachariœ, § 416, note 14; —
Demolombe ,'tom. 8, n» 92; — Nîmes, 18mars 4816; — Cass., 44
octobre 1818; — Paris, 5 janvier 1820. — Voy. aussi Dalloz jeune,
Dict. deJurispr., v° Tutelle , n° 584 ; — et Sirey , t. x, pag. 380 , —
�115
144. — Quelle est la nature de cette présomption ?
Admet-elle la preuve contraire ? Le tuteur pourra-t-il
établir que l’ancien mineur n’a éprouvé aucun préjudi
ce, et faire dès lors maintenir le traité ?
L’affirmative a été jugée par la Cour de Toulouse, le
27 novembre 1841 \ Son arrêt décide : Que quoique,
en principe, le traité intervenu contrairement à l’art. 472
du Code civil soit rigoureusement nul, cependant il peut
être maintenu, si les parties ont traité de bonne foi, et
s’il n’a été causé aucun préjudice au mineur.
ET DE LA FRAUDE.
145. — Cette décision nous paraît s’écarter des vé
ritables principes. Faisons d’abord remarquer la singu
larité de sa conclusion. La Cour reconnaît que le traité
dépourvu des formalités prescrites par l’art. 472, est ri
goureusement nul ; et ces prémisses posées elle arrive à
cette conséquence qu’il faut maintenir le traité, cela ne
paraît guère logique.
Vainement fait-on, pour arriver à ce résultat, appel
à la bonne foi des parties au moment du traité. La loi
ne s’est pas le moins du monde préoccupée de cette cir
constance , elle ne permet donc pas de la prendre en
considération. En effet, l’art. 472 ne dit pas que le traité
fait au mépris de sa disposition pourra être annulé. Une
locution de ce genre eût appelé l’appréciation, l’examen,
et laissé le magistrat maître de maintenir ou d’invali
der. L’exclusion de ce pouvoir résulte des termes de
1 Journal du palais, t 1, \ 842, pag 448.
�TRAITÉ DU DOL
416
l’article : Tout traité sera nul, ce qui implique , de la
part du législateur, la volonté impérative d’anéantir l’ac
te fait contrairement à ce qu’il a prescrit. En conséquen
ce, maintenir ce même acte , c’est se mettre en contra
diction avec cette même volonté ; le maintenir sous pré
texte de la bonne foi des parties, c’est méconnaître l’es
prit qui l’a dictée , qui n’est autre chose qu’une pré
somption de mauvaise foi , par cela seul qu’on n’a pas
exécuté à la lettre les prescriptions de l’art. 472. Nous
avons déjà dit que cette présomption n’admettait pas la
preuve contraire.
La Cour de Toulouse ajoute que le mineur devenu
majeur n’a éprouvé aucun préjudice dans l’espèce. Cette
considération n’est pas plus puissante que celle de la
bonne foi. En e ffe tl’art. 472 ne demande pas s’il y a
ou non préjudice dans sa violation , c’est cette violation
elle-même qui détermine la nullité de l’acte qui la ren
ferme. Ajoutons qu’en se décidant par ce motif, la Cour
a méconnu les dispositions qui règlent le mode de red
dition des comptes de tutelle. En effet, pour arriver à
constater l’absence de tout préjudice, elle a été dans la
nécessité de procéder à l’examen et à l’appurement de
la gestion du tuteur. Or, ces formalités , dont la loi a
prescrit la forme spéciale , échappaient à ses attribu
tions.
146. — C’est ainsi que l’avait pensé la Cour d’Aix,
dans un arrêt du 10 août 1809. Cet arrêt, rendu en au
dience solennelle, consacre l’opinion diamétralement op-
�m
posée à celle adoptée par la Cour de Toulouse; ses mo
tifs nous paraissant renfermer une saine appréciation
de la matière, nous croyons devoir les transcrire ;
« Considérant que l’art. 472 du Code civil frappe de
nullité tout traité qui pourra intervenir entre le tuteur
et le mineur devenu majeur, s’il n’a été précédé d’un
compte détaillé et de la remise des pièces justificatives,
le tout constaté par un récépissé de l’oyant-compte, daté
de dix jours avant le traité ; que ces formalités ont été
ordonnées pour garantir le mineur devenu majeur de
toute surprise, parce que la loi suppose, comme le fait
observer Pothier, que l’autorité morale du tuteur durant
encore, il aura pu en abuser, ou que le pupille peu ex
périmenté et brûlant du désir de jouir enfin de ses
droits, se sera décidé trop facilement à des sacrifices
immodérés ;
» Considérant que le tempérament proposé par le tu
teur , de subordonner la demande en nullité du traité,
au jugement du compte que ce traité renferme, tendrait
à faire dépendre des débats que ce compte entrainerait
la validité d’un acte frappé de nullité par la loi , et à
donner effet à un contrat que la présomption légale pré
sente comme le fruit du dol et de la fraude.' »
Ainsi, la Cour d’Aix ne croit pas non seulement pou
voir examiner elle-même la régularité du compte , -et
conséquemment s’il y a ou non préjudice, mais même
ET DE LA. FRAUDE.
1 Dalloz A., tom xn, pag. 764.
�118
TRAITÉ DU DOL
surseoir à prononcer sur la nullité jusqu’après la red
dition régulière offerte par le tuteur. Ce mode de pro
céder est seul véritablement juridique, puisque, en effet,
un traité n’est régulier que s’il a été précédé de la red
dition de compte et de la remise des pièces depuis au
moins dix jours. Quelle influence peut avoir sur un traité
antérieur une reddition faite postérieurement, soit en
justice, soit par la voie amiable ?
En annulant donc le traité attaqué , la Cour d’Aix a
mieux compris et plus sainement appliqué la loi que la
Cour d’appel de Toulouse.
147. — On peut donc résoudre les questions que
nous nous étions posées, en ce sens : que l’omission des
formalités voulues par l’art. 472 du Code civil entraîne
inévitablement la nullité du traité ; qu’il naît de cette
omission une présomption de dol, laquelle a la force
des présomptions juris et de jure ; qu’en conséquence,
il n’est pas facultatif au juge d’admettre la validité du
traité ou de la faire dépendre soit de la bonne foi des
parties, soit de l’absence de tout préjudice.
— Il en serait autrement s i, l’art. 472 ayant
été exécuté , le litige s’engageait sur la nature de cette
exécution. La question de savoir si elle a été complète
oü insuffisante rentre alors dans l’appréciation des tri
bunaux et est laissée à l’arbitrage du juge.
Ainsi il a été jugé en jurisprudence et admis en doc
trine : qu’il appartient aux Cours de décider si la re1-18.
�119
mise des pièces constatée soit par un récépissé sans date
certaine , soit par une clause expresse du traité , a été
réellement faite en temps utile ;
Si le mode de reddition de compte est tel que le pres
crit la loi ; S’il est suffisamment détaillé pour que le
mineur devenu majeur ait pu le discuter d’une manière
utile ;
Si les pièces dont la remise est constatée, étaient ou
non suffisantes pour appuyer valablement le compte et
éclairer l’oyant-compte sur la nature de ses droits.'
ET DE LA FRAUDE.
149. — La présomption dedol est-elle couverte par
l’exécution donnée au traité ? Cette question est toute
résolue si l’exécution s’est prolongée assez pour laisser
la prescription s’accomplir. Le doute ne peut donc naî
tre que si avant l’acquisition de la prescription, mais après exécution, le mineur demande la nullité du contrat.
A notre avis, la solution de cette question dépend de
la réponse à faire à celle-ci : Le mineur devenu majeur
peut-il ratifier expressément le traité irrégulièrement in
tervenu sur les comptes de tutelle ?
Or, la négative ne nous parait pas pouvoir être con
testée en présence du texte des art. 472 et 2045 du Code
civil. En effet, l’acte de ratification expresse constituerait
ou un traité nouveau ou une transaction.
Dans le premier cas, il serait atteint par la disposi-
�120
TRAITÉ DU DDL
tion prohibitive de l’art. 472, s'il n’avait pas été précé
dé des formalités qui y sont prescrites. Si ces formalités
avaient au contraire été exécutées , le mineur devenu
majeur serait lié non pas par le premier traité , mais
par le second, qui, loin de n’être que la ratification de
l’autre, deviendrait le seul titre que pût invoquer le tu
teur.
Dans le second cas, le caractère de transaction ferait
tomber l’acte so.us le coup de la disposition de l’article
2045, à moins qu’il n’eût été précédé d’une reddition
régulière. E t, dans cette hypothèse , le tuteur ne serait
libéré que par la transaction elle-même et nullement
par le traité sur lequel elle serait intervenue. >
Ainsi, il n’y a pas, à proprement parler, de ratifica
tion expresse possible. Il fallait d’autant plus l’admettre
ainsi , que le système contraire rendait purement illu
soires les précautions prises par le législateur. Le tuteur,
qui a eu assez d’ascendant pour obtenir du mineur de
venu majeur un traité sur la gestion , avant d’en avoir
rendu compte, trouvera dans ce même ascendant la fa
culté d’obtenir aussi un acte de ratification, si le succès,
si le bénéfice de l’irrégularité de sa conduite lui est ac
quis à ce prix. D’autre part, l’ancien mineur qui, par
faiblesse, par ignorance, par attachement, aura consenti
le traité , n’apportera, pas moins de facilité à en donner
la ratification, et bientôt la nullité écrite dans la loi ne
sera plus qu’une vaine menace, qu’une lettre morte.
Le traité fait en violation de l’art. 472 ne peut donc
être ratifié tant qu’il n’a pas été purgé du vice qui Fin-
�m
fecle. Si cela est vrai, juste, légitime pour la ratification
expresse, pourrait-on décider autrement pour celle ré
sultant de l’exécution ? Ce serait faire produire à la ra
tification présumée un effet que la ratification expresse
n’est pas susceptible de produire. On comprendrait le
contraire, car celle-ci ne saurait être douteuse , elle ré
sulte d’un fait certain , elle est le produit d’une volonté
clairement manifestée, tandis que la première n’est que
la conséquence d’une intention présumée, d’une appré
ciation dont les bases peuvent être contraires à la réa
lité des choses.
Il est donc impossible d’admettre une ratification ta
cite là où il ne saurait exister une ratification expresse ;
on ne peut faire indirectement ce qu’il est prohibe de
faire directement. Cette considération , vraie sous toutes
les législations, justifie notre opinion.
Âu reste, cette opinion est celle adoptée par la juris
prudence. C’est ce qu’attestent des monuments nombreux
et décisifs.'
ET DE LA FRAUDE.
150. — Il est vrai que les Dictionnaires et les Re
cueils d’arrêts indiquent, comme consacrant l’opinion
contraire, un arrêt rendu par la Cour de cassation le
27 avril 1836. Mais c’est là une de ces indications erro
nées qui se glissent quelquefois au milieu de tant d’uti
les recherches. Il ne faut, en effet, que lire cet arrêt pour
1 V. notamment Lyon, 31 décembre 1832; — Grenoble, 15 novembre
1837; — J. du P., années 1832 et 1839, tom, n, pag. 288,
�m
TRAITÉ DU DOL
êlre convaincu qu’il n’a nullement la signification qu’on
lui prête. Dans l’espèce qui s’y agitait, la Cour d’appel
avait reconnu que l’exécution s’était prolongée pendant
plus de dix ans après la majorité. Elle avait, en consé
quence , rejeté l’action de l’ancien mineur sous le dou
ble rapport de la ratification et de la prescription. Il est
évident que celle-ci emportait nécessairement l’autre, et
que son existence enlevait, à la question des conséquen
ces légales de l’exécution, toute son importance, sous le
point de vue que nous examinons.
C’est, en effet, ce que pensa la Cour de cassation, qui
ne s’en occupe même pas dans son arrêt. Voici en quels
termes le pourvoi fut rejeté :
« Sur le deuxième moyen pris de la violation de
l’art. 472 du Code civil et de la fausse application de
l’art. 1338 , attendu qu’indépendamment de la ratifi
cation résultant de l’exécution volontaire, l’arrêt attaqué
a opposé le moyen de la prescription à la demande en
nullité du traité intervenu entre les frères puînés Falize
et leur frère aîné ;
» Qu’il a reconnu que, depuis la date des traités res
pectifs, il s’était écoulé plus de dix années ;
» Qu’à la vérité il y a eu à examiner, à l’égard de
Léonard Falize jeune, si le partage opéré en 1828, avant l’expiration des dix années, à partir de son contrat
de mariage, a pu empêcher le cours de la prescription,
mais que ce partage, annulé comme frauduleux, ne peut
être d’aucune considération dans l’instance. ' »
i J. du P., année 1836.
�123
Voilà tout ce que dit l’arrêt de la Cour de cassation.
On voit que les magistrats qui l’ont rendu se bornent à
signaler l’existence du moyen tiré de la ratification, et
que rencontrant celui plus péremptoire de la prescrip
tion, c’est à celui-ci qu’ils s’attachent exclusivement.
Qu’aurait fait la Cour si la question de ratification lui
eût été soumise indépendamment de tout autre moyen?
C’est ce que son arrêt ne laisse pas même soupçonner.
C’est donc à tort qu’on voudrait y puiser un argument
en faveur du système que nous combattons.
ET DE LA FRAUDE.
151. —• La présomption de dol, résultant de l’in
observation de l’art. 472 du Code civil, est uniquement
dans l’intérêt du mineur. En conséquence , les droits
dont cette présomption est l’origine sont attachés à la
personne de celui-ci ; leur exercice lui est exclusivement
réservé.
Il suit de là :
»
1° Que l’ancien tuteur qui prétendrait s’être constitué
à tort reliquataire , ne pourrait demander la nullité du
traité irrégulièrement intervenu ; '
2° Que le traité intervenu entre le tuteur et l’héritier
du mineur , n’est pas soumis aux formalités prescrites
par l’art. 472 du Code civil ; 1
3° Que l’action ouverte au mineur de saurait être ex
ercée par ses créanciers.
1 Montpellier, 20 janvier 1830, D P., 30, 2. 124.
Bourges, 7 avril 1830, D. P., 30, 2, 138.
2
�m
TRAITÉ DU DOL
î 52. — Celte action passe-t-elle à l’héritier du mi
neur ? On pourrait, pour l’affirmative, se fonder sur le
droit de l’héritier à exercer toutes les actions utiles de
son auteur; invoquer même l’art. 907 du Code civil,
qui prohibe toute libéralité du mineur au tuteur jusqu’a
près l’apurement du compte , et soutenir que le silence
gardé par le mineur pendant sa vie et après sa majo
rité renferme une donation déguisée et, conséquemment
la violation de cette disposition.
Cependant, l’arrêt de Bourges du 7 avril 1830 , que
nous venons d’indiquer, parait admettre que l’action que
l’art. 472 donne au mineur devenu majeur lui est ex
clusivement personnelle, qu’elle ne passe pas à ses hé
ritiers. Nous serions disposés à partager cette opinion et
à trouver la preuve de la régularité de la reddition des
comptes du tuteur dans l’exécution donnée par l’oyant
au traité qui en a été le résultat. Il convient, en effet, de
remarquer que, quoique non légalement exprimée, l’ob
servation des formalités prescrites par l’art. 472 peut
s’être réalisée. C’est cetté présomption qui doit naturel
lement s’induire de l’inaction du principal intéressé, du
mineur qui, depuis sa majorité, a traité avec son tuteur,
et qui, pendant qu’il a vécu, n’a jamais réclamé.
Ainsi, le droit conféré par l’art. 472 du Code civil est
purement personnel ; il ne peut être exercé par aucun
des représentants ou ayants-cause du mineur devenu
majeur. Ce que la Cour de Bourges a décidé pour les
premiers , la Cour de Paris l’a admis pour les seconds,
en jugeant que les créanciers ne pouvaient attaquer le
�£T DE LA FRAUDE.
125
traité fait par leur débiteur sans l’observation des règles
tracées par ce même art. 472.'
155. — Ces principes sont importants, surtout pour
l’application de l’art. 907 du Code civil, qui nous four
nit de nouveaux exemples de dol présumé.
Ainsi le mineur , quoique parvenu à l’âge de seize
ans, ne pourra, même par testament, disposer au profit
de son tuteur ; il ne pourra, après sa majorité, dispo
ser soit par donation entre vifs , soit par testament au
profit de celui qui aura été son tuteur, si le compte dé
finitif de la tutelle n’a été préalablement rendu et apuré.
Dans chacune de ces hypothèses, la libéralité est présu
mée le produit des manœuvres du tuteur, le résultat d’u
ne influence illégitime, d’une erreur abusivement entre
tenue, en un mot, d’un véritable dol.
154. — Le testament d’un mineur de plus de seize
ans ne peut, on le comprend, être attaqué que par ses
héritiers. Il suffit, pour le faire annuler , de prouver :
d’un côté, la minorité du testateur ; de l’autre , la qua
lité de tuteur de l’institué.
Le droit d’attaquer la donation entre vifs, faite con
trairement à l’art. 907, appartient incontestablement au
mineur lui-même. Le fait seul qu’elle a été consentie avant la reddition du compte tutélaire en entraîne im
médiatement l’invalidité, alors même que cette reddition
1 J. du P., \S décembre 1830.
�426
TRAITÉ DU DOL
se fût réalisée plus tard. Mais si avant la donation le
mineur devenu majeur avait fait avec son tuteur un
traité de la nature de ceux proscrits par l’art. 472 , la
nullité de la donation ne pourrait être obtenue qu’après
que celle du traité aurait été prononcée. Il est certain
que si ce traité, contenant décharge, n’était pas attaqué
ou que s’il était maintenu, le tuteur aurait, en fait, rendu
compte de sa gestion. Conséquemment, la donation ul
térieurement consentie, serait régulièrement intervenue.
155. — C’est par ces considérations que l’on doit
régir le sort de l’action en nullité soit de la donation,
soit du testament, intentée par les héritiers de l’auteur
de la libéralité contre l’ancien tuteur. On doit donc dis
tinguer le cas où la libéralité aura été faite avant toute
reddition de compte de celui où cette reddition a été opérée, mais sans les formalités exigées par l’art. 472 du
Code civil.
Dans le premier cas, l’action est recevable. L’incapa
cité du légataire ou du donataire est absolue. Tous ceux
qui ont intérêt à le faire peuvent en poursuivre le bé
néfice.
Dans le second cas, au contraire, le tuteur a rendu
compte, irrégulièrement sans doute, mais effectivement.
Son incapacité n’est plus qu’éventuelle ; elle reparaîtra
si le traité qu’il a fait souscrire, en violation de l’article
472 du Code civil, succombe dans une action intentée
par celui qui a qualité pour la poursuivre. Tant que cette
condition ne se réalise pas , la présomption est que le
�-
ET DE LA FRAUDE.
1g7
compte a été régulièrement rendu. Il est jugé tel par la
partie qui aurait intérêt à faire juger le contraire.
156. — Sans doute cette présomption s’efface pour
faire place à celle de dol, si la nullité du traité est pour
suivie. Mais nous venons de voir que celte poursuite,
toujours loisible pour le mineur ( sauf le cas de pres
cription), ne peut appartenir à ses héritiers. Conséquem
ment, si le mineur meurt avant de l’avoir intentée, tout
est consommé; le traité est désormais inattaquable.
Permettre, en cet état, aux héritiers de faire révoquer
les libéralités faites à l’ancien tuteur , serait atteindre à
ce résultat vicieux que le traité sur la gestion tutélaire
serait exécutoire et valable; que partant le tuteur serait
censé s’être acquitté des devoirs que la loi lui impose ;
et que cependant, et par rapport à la libéralité, il conti
nuerait d’être considéré comme ne les ayant pas rem
plies. En d’autres termes, l’incapacité subsisterait lorsque
la cause qui la motive aurait cessé d’exister.
157. — C’est cette conséquence illogique dont la
Cour d’Àix était frappée et qu’elle faisait clairement res
sortir, lorsque , dans son arrêt du 2 février 1841 , elle
maintenait les libéralités testamentaires que les héritiers
de l’ancien mineur contestaient au tuteur, par les mo
tifs que le compte de la tutelle, quoique irrégulier, était
devenu inattaquable ; qu’on ne pouvait plus l’annuler;
qu’en cet état il y aurait inconséquence flagrante à anéantir le testament dont l’invalidité ne pourrait être
�TRAITÉ DU DOL
128
prononcée qu’autant que celle de la reddition des comp
tes l’aurait été.'
158.
— Vainement M. Dalloz, en rapportant cet ar
rêt, fait-il observer que la Cour d’Aix se met en contra
diction avec un arrêt de la Cour de cassation du 14 dé
cembre 1818, jugeant que l’art. 907 n’est qu’une ap
plication de l’art. 472 , et par conséquent que l’inob
servation du délai fixé par la remise préalable des piè
ces entraînait l’incapacité du tuteur. Cette contradiction
n’existe réellement pas. Il n’y a, pour en être convain
cu, qu’à lire ces deux arrêts.
Celui de la Cour d’Aix est intervenu sur la demande
en nullité d’une disposition testamentaire faite après une
reddition de compte, irrégulière il est vrai en ce que les
pièces justificatives n’avaient pas été remises dix jours à
l’avance, mais dont la validité n’avait jamais été contes
tée par l’ancien mineur, et ne l’était pas même devant
la Cour.
Faut-il conclure, comme le fait le sommaire de l’ar
rêt , qu’en maintenant le traité intervenu sur cette red
dition, la Cour d’Aix a jugé que la disposition de l'art.
472, qui prescrit la remise des pièces dix jours au
moins avant le traité, n'est pas exigée sous peine de
nullité, en sorte que le même jour, le tuteur a pu ren
dre compte et recevoir sa décharge de la part de Vo
yant ? Mais l’arrêt, dans son esprit et dans sa lettre,
�129
répugne à cette conclusion. S’il maintient la reddition,
c’est que l’action ouverte par l’art. 472 était éteinte par
la prescription au moment où elle aurait pu être exer
cée ; que d’ailleurs cette action n’était pas même exer
cée ; et qu’en cet état, quelle qu’elle fût , la reddition
devait produire tous ses effets. « Attendu,dit la Cour,que
la demanderesse serait non-recevable à revenir sur l’acte
renfermant reddition du compte de tutelle pour en faire
prononcer la nullité ; que cette nullité d’ailleurs n’a pas
été demandée; et que les juges ne pourraient prendre
en considération le plus ou moins d’irrégularité dont cet
acte serait entaché, sans outre-passer leurs pouvoirs. »
Est-ce là, nous le demandons, décider que la dispo
sition de l’art. 472 n’est pas prescrite à peine de nulli
té ? Dire qu’une partie n’est pas recevable à faire valoir
une nullité quelconque, est-ce déclarer que cette nullité
n’existe pas ?
159. — Dès lors, la Cour d’Aix , ne décidant rien
en doctrine , n’a pu se mettre en contradiction avec la
Cour de Cassation q ui, dans son arrêt du 14 décembre
1818, ne juge qu’une seule chose, à savoir : que la ces
sion qu’un enfant fait à son père, son tuteur, de tous
ses droits maternels en masse, sans réserve ni exception,
comprend les meubles et autres objets qui doivent entrer
dans le compte de tutelle dû par le cessionnaire, qu’en
conséquence cette cession est nulle , si elle n’a été pré
cédée du compte de tutelle.'
•ET DE LA FRAUDE.
i J. du P., année 1848.
�TRAITÉ DU DOL
130
Or , dans cette espèce , il n’y avait eu aucune reddi
tion de compte ; c’était le mineur lui-même qui deman
dait la nullité. Aussi la seule difficulté qui était soule
vée était celle de savoir si la cession constituait ou non
un traité sur la gestion tutélaire tombant sous l’applica
tion de l’art. 472 du Code civil.
Il n’y avait donc entre cette espèce et celle jugée par
la Cour d’Aix, aucune similitude. Il ne pouvait y avoir,
dès lors, contradiction dans la décision. L’une et l’autre
aussi se concilient parfaitement. Dans tous les cas, celle
rendue par la Cour d’Aix fait une application tellement
saine des véritables principes, que si elle eût été déférée
à la Cour suprême , elle en aurait reçu une éclatante
sanction.
160. — Il résulte de ce qui précède, qu’il n’y a ré
ellement nullité dans la seconde hypothèse de l’art. 907,
que lorsque la libéralité par acte entre vifs ou par tes
tament a été faite avant toute redditition de compte. De
quelque manière que la gestion ait été apurée, si elle l’a
été , on ne peut parvenir à faire invalider la libéralité
qu’en demandant d’abord la nullité du traité intervenu
entre le mineur devenu majeur et son tuteur. Tant que
ce traité existe légalement, il y a eu en réalité reddition
de compte. La condition, exigée par l’art. 907, s’est ac
complie, et partant l’incapacité du tuteur disparaît.
Nous avons dit de plus que l’action , pour faire pro
noncer la nullité du traité irrégulier , est toute person
nelle au mineur, qu’elle ne passe pas même à ses héri-
�131
iiers. D’où la conséquence que le droit, que l’art. 907
ouvre à ceux-ci , ne saurait être exercé que lorsqu’il y
a absence complète de reddition du compte tutélaire. Il
est vrai que la Cour d’Aix ne s’est pas expliquée sur la
personnalité de l’action. Mais on comprend que cette
question n’ait pas été agitée dans une espèce où la pres
cription était acquise et aurait repoussé le mineur luimême. Le caractère de l’action aurait sans doute été agité , si cette circonstance ne s’était pas réalisée. Nous
sommes certains que ce que la prescription a fait ad
mettre serait également résulté du défaut d’action. Car,
comme la prescription elle-même, l’absence de réclama
tions de la part de l’oyant-compte est une preuve de la
régularité de la reddition , efface toute présomption de
fraude et laisse le traité sortir à effet. Les comptes sont
dès lors rendus et apurés , et l’incapacité édictée par
l’art. 907 contre l’ancien tuteur, n’ayant plus de cause,
s’efface et disparait.
Au reste, ce n’est pas seulement contre les libéralités
entre mineurs et tuteurs que la loi a cru devoir se pré
cautionner. Elle en agit de même toutes les fois qu’elle
peut craindre que la disposition ne soit en définitive au
tre chose que le résultat d’une affection légitime , d’une
volonté ferme, éclairée et libre.
ET DE LA FRAUDE.
165. — L’art. 909 du Code civil nous en offre un
remarquable exemple. Aux termes de sa disposition, les
docteurs en médecine ou en chirurgie , les officiers de
santé et les pharmaciens qui auront traité une person/
�132
TRAITÉ DU DOL
ne de la maladie dont elle meurt, ne pourront profiter
des dispositions entre vifs et testamentaires qu’elle avait
faites pendant le cours de sa maladie.
162. — Le motif de cette prohibition est facile à
saisir. La libéralité peut n’avoir été dictée au malade que
par le désir d’être agréable à celui qui est en quelque
sorte l’arbitre de sa santé et même de sa vie ; que dans
l’objet de l’intéresser par la reconnaissance et d’obtenir
ainsi un redoublement de soins et de zèle. Elle peut
aussi avoir été suggérée par le médecin lui-même, dont
l’empire sur l’esprit du malade est d’autant plus fort que
le danger est plus imminent, et que les promesses de
rétablissement sont plus précises. Dans un cas comme
dans l’autre, la disposition n’a aucune cause avouable,
c’est la maladie qui en est l’occasion, c’est la qualité du
donataire qui la détermine, c’est la guérison espérée qui
en est en quelque sorte la condition. C’est surtout à ce
dernier titre qu’elle était énergiquement proscrite par la
loi romaine : Quos etiam eapatimur accipere, quœ sa
lis affermit pro obsequiis, non e a quœ périclitantes pro
salutem promittunt.'
Partant du même point de vue , la loi française a dû
arriver à un résultat identique, elle a donc considéré les
libéralités de ce genre comme les produits d’une violen
ce morale qu’il eût été fâcheux d’encourager. Cette dé
termination est avouée par le bon sens et la justice ; en
i L. 9, Cod.
De professoribus et m ed icis.
�133
effet , si la spontanéité de volonté , si l’existence d’une
cause légitime est désirable dans les actes à titre oné
reux, elle l’est bien plus encore dans les dispositions à
titre gratuit. Cesodernières dépouillent le disposant luimême , une famille appelée par la loi , sans équivalent
aucun , au profit de tiers qui n’ont d’autres droits que
l’élection même dont ils sont l’objet. Il convenait donc
d’empêcher que l’élection fût, dans son principe, enta
chée d’un vice quelconque, et conséquemment, on de
vait lui refuser tous ses effets , lorsqu’elle pouvait n’être
que le résultat de l’entrainement ou le produit de l’ob
session .
Or, n’est-ce pas ce qui se réalise dans les libéralités
dont s’occupe l’art. 909 ? N’ayant le plus souvent d’au
tre cause que la maladie elle-même , faites à un dona
taire dont le seul titre est d’être médecin , c’est-à-dire
présumé capable de déterminer par ses prescriptions ce
retour à la santé si vivement désiré? Certes, la coïnci
dence de cette double condition était de nature à faire
naître le soupçon, à armer la sévérité du législateur , à
le décider enfin à adopter une mesure qui , toute pré
ventive , a le mérite incontestable de retenir dans les
bornes de la probité , celui qui , appelé au chevet d’un
malade, oserait vouloir abuser de son caractère et de
son influence.
ET DE LA FRAUDE.
163. — La véritable pensée du législateur a donc
été de se prémunir contre la faiblesse de l’un , contre
l’abus de l’empire que l’autre doit à sa qualité. Ce qui
�134
TRAITÉ DU DOL
le prouve, c’est que la présomption de dol n’est acquise
que par la réunion des circonstances que nous signa
lions, à savoir : 1° que le malade donateur ait été traité
par le médecin donataire , pendant la maladie dont il
est décédé ; 2° que la libéralité ait été faite pendant le
cours de la maladie. Le défaut d’existence de l’une ou
l’autre de ces conditions laisserait la libéralité sous l’em
pire des principes ordinaires. C’est ce qui a été souve
rainement jugé le 9 avril 1836 , par la Cour de cassa
tion.'
On ne pourrait, au reste, décider le contraire sans se
mettre en contradiction avec l’esprit de la loi. La dispo
sition proscrite par l’art. 909 n’est traitée avec cette sé
vérité que parce qu’elle est envisagée comme un pacte
sur la guérison future. Il faut donc de toute nécessité,
pour que ce pacte existe, que ses divers éléments se ré
alisent simultanément. Si donc la libéralité avait été con
sentie avant la maladie, soit pendant le cours d’une ma
ladie précédente, soit pendant que le disposant jouissait
d’une santé parfaite, on ne pourrait la considérer com
me la condition de soins qui n’étaient ni nécessaires ni
requis. Rien n’empêcherait donc qu’elle sortit à effet.
164. — Ainsi , celui qui attaque une libéralité au
point de vue de l’art. 909, doit nécessairement prouver
l’existence de la double condition que nous venons de
signaler. Mais il n’y a que cela à prouver, car la réu1J- d u P -, année 1836.
�138
nion de ces conditions imprime à la disposition un tel
caractère que son annulation en est une conséquence
forcée.
Or , la plupart des circonstances sur lesquelles ces
conditions reposent sont de nature à être matériellement
constatées. Le commencement de la maladie rapprochée
de la date de la disposition , le fait du décès du dispo
sant, les soins donnés par l’institué, sont des points sur
lesquels il sera facile d’asseoir une opinion.
La date de la donation apprendra par elle-même si
elle est contemporaine de l’état de maladie , surtout s’il
s’agit d’une disposition entre vifs constatée par acte au
thentique. Mais il peut y avoir plus de difficultés s’il s’a
git d’un testament olographe. On sait que ce testament
fait foi de sa date. En réalité cependant rien n’est plus
facile que de l’antidater , et c’est ce que l’on fera sans
doute lorsqu’il s’agira d’éluder la disposition de l’arti
cle 909.
C’est dans ce cas surtout que se décèle l’importance
de la prescription sur la simultanéité des conditions que
nous venons d’indiquer. La date seule du testament
faisant évanouir l’une d’elles, la libéralité est'à l’abri de
toute atteinte, alors même qu’il y a lieu de soupçonner
l’antidate. Cependant, comme cette antidate constitue
une simulation contre une disposition prohibitive de la
loi , les héritiers pourront l’attaquer ; mais leur action
se trouvera, dans ce cas, régie par les principes ordinai
res , aux termes desquels la fraude ne se présume ja
mais. Ils seront donc obligés d’en fournir la preuve.
ET DE LA FRAUDE.
�136
TRAITÉ DU DOL
Quant à la qualité du donataire , ne perdons pas de
vue qu’elle n’est pas par elle seule un indice de dol. Il
faut en outre qu’elle coïncide avec le traitement de la
maladie. C’est donc l’existence de ce traitement qu’il con
vient d’abord d'établir.
Ainsi, par exemple, l’art. 909 place les pharmaciens
au nombre des personnes suspectes. Mais il est certain
que la prohition ne peut les atteindre que lorsque, pre
nant la place du médecin, ils en ont rempli les devoirs
durant le cours de la maladie. Ainsi si , se renfermant
dans leur ministère, les pharmaciens se sont bornés à
préparer et à fournir les remèdes prescrits , "la libéralité
dont ils seront l’objet n’a rien d’illicite ni de suspect.
S65. — Ce point, constant en doctrine et en juris
prudence, en confirmant ce que nous disions, que l’in
capacité est bien plutôt une conséquence du traitement
que de la qualité de la personne, doit servir à résoudre
une difficulté qui s’est quelquefois présentée sur l’ap
plication de l’art. 909, aux personnes qui, sans être re
vêtues d’un caractère légal , ont cependant réellement
traité le malade donateur.
Contre cette application , on a dit qu’en matière de
déchéances ou d’incapacités , la loi doit être entendue
dans un sens restrictif; que l’art. 909 ne pouvait donc
être invoqué que contre les personnes qui y sont nomi
nalement désignées , que l’étendre à d’autres , c’est le
violer et faire une assimilation qu’il ne saurait com
porter.
�137
A ces objections il a été répondu que la présomption
créée par l’art. 909 est fondée sur l’empire que l’on
doit reconnaître au donataire sur l’esprit du donateur;
que cet empire s’acquiert non pas parce qu’on est mé
decin, chirurgien, officier de santé ou pharmacien, mais
bien parce que, appelé auprès du malade , on en rem
plit les fonctions en prescrivant le traitement qui doit
lui faire recouvrer la santé ; que si, sous l’empire de ces
idées, la loi a nominativement désigné certaines profes
sions, c’est que ceux qui les exercent légalement sont le
plus ordinairement choisis ; qu’elle n’a pas dû suppose^
qu’un autre put usurper leurs fonctions et se constituer
ainsi en délit; qu’elle a dû , en tout état des choses,
s’abstenir d’une désignation qui, fondée sur cette possi
bilité, aurait pu paraître un encouragement ; que dans
tous les Cas il serait singulier qu’un individu , agissant
comme médecin et ne l’étant pas, fût traité plus favora
blement que le médecin légalement institué.
D’ailleurs, il est évident que celui qui s’ingère dans
l’art de guérir, qui en exerce les fonctions , devient, en
fait, le médecin de celui qui lui a confié la direction de
sa santé. Il rentre donc , comme tel , dans la catégorie
des personnes nommées dans l’art. 909. 11 y a même,
pour lui faire partager l’incapacité de celles - ci , une
supériorité de raisons incontestables. Les charlatans, les
empiriques sont loin de présenter les garanties de mo
ralité et de délicatesse que l’on trouve chez les person
nes vouées à l’exercice des diverses branches de l’art de
guérir. Etait-ce donc au moment où la fraude acquiert
ET DE LA FRAUDE.
�138
TRAITÉ DU DOL
plus de vraisemblance que le législateur se serait départi
des précautions qu’il a jugées indispensables dans, tous
les cas ?
Non, il ne pouvait ni ne devait le faire. Il ne l’a pas
fait, en réalité, car il les a , sinon explicitement , du
moins implicitement désignés dans sa disposition. C’est
ce qu’enseignent les débats et les explications qui ont
eu lieu dans le sein du conseil d’Etat et à la tribune de
nos chambres législatives. Rappelons-nous ce passage du
rapport que M. Jaubert faisait au Tribunat : Il serait
superflu de faire remarquer que la loi atteindra , par
voie de conséquence nécessaire, tous ceux qui, dépour
vus d'un titre légal, oseraient s'ingérer dans les fonc
tions de l'art de guérir
Ce n’est donc pas ajouter à l’art. 909, que de le ren
dre commun à ceux qui, sans aucun titre, auront traité
un malade et usurpé la qualité de médecin ; c’est au
contraire lui donner sa véritable signification. C’est ainsi
que l’enseignent Merlin, Toullier, Duranton ; c’est aussi
ce qui a été consacré par la jurisprudence,
166. — En effet, la Cour d’appel de Paris a annu
lé, le 9 mai 1820, le legs fait à un individu qui exerçait
la profession de médecin sans titre et qui avait reçu chez
lui le testateur , comme pensionnaire , quelques années
avant son décès.’
1 Locré, tom. n, pag. 442, n» 17.
2 Dalloz A., tom. v, pag. 282.
�139
De son côté , la Cour de Grenoble a jugé , le 9 mai
1830, qu’une femme qui exerce habituellement l’art de
guérir, se trouve comprise dans la prohibition de l’art.
909 ; qu’en conséquence elle ne peut profiter des dispo
sitions testamentaires faites en sa faveur par la person
ne qu’elle a traitée pendant sa dernière maladie.'
ET DE LA FHAUDE.
Î67. — Cette doctrine nous paraît tellement confor
me à l’esprit véritable de la loi, que nous l’appliquons,
sans hésiter , au don ou legs fait en faveur d’une sagefemme. En effet, de deux choses l’une, ou la sage-fem
me a été appelée pour un accouchement, ou elle l’a été
pour une maladie ordinaire.
Dans le premier cas , elle a légalement capacité pour
suivre l’accouchement dans toutes ses phases , pour en
prescrire et en suivre le traitement. Elle est donc, quant
à ce, le véritable chirurgien, l’arbitre de la santé et mê
me de la vie de la malade. Par voie de conséquence, on
doit lui supposer toute l’influence que le médecin pour
rait avoir lui-même.
Dans le second cas, la mission que la sage-femme ac
cepte est en dehors de ses pouvoirs, elle constitue mê
me le délit d’exercice illégal de la médecine. Mais nous
venons de voir que l’art. 909 n’est pas impuissant de
vant une usurpation de ce genre. Dès lors, la sage-fem
me, rentrant dans la classe de médecins sans litre, se
rait atteinte par la prohibition qui leur est commune avec les véritables médecins.
1
J. du P., année '1830.
�____________
440
TRAITÉ DU DOL
168. — On s’est, de plus, demandé si cette prohibi
tion doit s’étendre aux garde-malades qui ont soigné la
personne qui a disposé en leur faveur. Cette question
peut avoir de l’importance , en ce qui concerne les reli
gieuses qui se sont vouées à cette profession. Leur édu
cation et leur position les mettent à même d’exercer et
d’acquérir une influence à laquelle des garde-malades,
prises dans les rangs infimes de la société, ne pourraient
que très-difficilement atteindre.
Quoi qu’il en soit, la négative qui a été généralement
admise nous parait résoudre la question dans un sens
aussi raisonnable que légal. Une garde-malade est une
domestique qu’on peut renvoyer. Il n’y a entre les ser
vices qu’on attend d’elle et ceux que le médecin peut
rendre ni assimilation ni analogie. C’est donc aux inté—
xessés à mettre un terme aux obsessions dont le malade
peut être l’objet de sa part ; à eux encore à poursuivre,
mais par application des principes ordinaires, la nullité
des avantages que ces obsessions auraient déterminés.
169. — En résumé, l’application de l’art. 909 se
détermine bien plutôt par la conduite du donataire à l’é
gard du donateur, que par la qualité dont le premier se
trouve revêtu. Médecin ou non, celui qui a présidé aux
soins reçus par le malade, dicté le traitement, doit être
privé des libéralités qu’il aurait obtenues pendant la du
rée de ce traitement et de ces soins. Nous aurons , ce
pendant , à faire remarquer une différence , quant aux
exceptions autorisées par l’art. 909, entre les personnes
�141
que cet article désigne nommément et celles qui leur
ont emprunté leur qualité1. Mais, quant à l’application
du principe général, nous le répétons, ce qui est essen
tiel à constater, c’est le fait du traitement.
A quels caractères'devra-t-on en reconnaître l’exis
tence ? C’est là une question dont l’appréciation ne pou
vait être ni précisée ni limitée. C’est donc aux magis
trats qu’il appartient de la résoudre souverainement et
selon les inspirations de leur conscience. C’est ce que la
Cour de cassation a consacré par son arrêt du 9 avril
1835, en décidant : que le traitement présente, par l’en
semble des circonstances , la qualité des remèdes et la
nature des soins , un fait complexe dont l’appréciation
est confiée aux lumières et à la conscience des juges.
Ce qui est certain , toutefois , c’est qu’on ne saurait
voir un traitement, tel que l’entend la lo i, dans le fait
d’avoir rendu quelques visites , donné accidentellement
quelques soins ou indiqué quelques-uns de ces remèdes
inoffensifs qui se trouvent dans la bouche de tout le
monde. Ainsi , le médecin appelé en consultation , la
personne qui se serait bornée à indiquer un traitement
sans le suivre, celle qui, se trouvant quelquefois auprès
du malade, aurait aidé à le penser, ne pourrait être con
sidérée comme incapable de recueillir la libéralité dont
elle aurait été l’objet. L’idée que suggère l’exigence d’un
traitement emporte avec elle celle de soins constants,
d’une surveillance assidue , d’une direction exclusive et
ET DE LA FRAUDE.
�142
TRAITÉ DU DOL
journalière des soins à donner au malade. On ne saurait
donc le confondre , soit avec l’appel et le secours acci
dentel d’un habile praticien qui, étranger au traitement
du malade avant la consultation, redevient après celle-ci
ce qu’il était auparavant ; soit avec les marques d’inté
rêt que les amis du malade seraient dans le cas de lui
prodiguer.
170 . — L’incapacité édictée contre les médecins,
chirurgiens , officiers de santé et pharmaciens est éten
due par l’art. 909 aux ministres du culte. Ceux-ci ne
peuvent donc recevoir aucune libéralité , sous quelques
formes que ce soit, du malade dont ils ont dirigé la
conscience. Cette disposition est conforme aux principes
de notre jurisprudence ancienne. Le Code pouvait d’au
tant moins hésiter à la consacrer , qu’au point de vue
où se plaçait le législateur cette consécration devenait
une nécessité impérieuse.
En effet, s’il est vrai que le médecin soit dans le cas
de se créer, par l’exercice de ses fonctions, une influence
grave sur l’esprit de son malade, il convient, néanmoins,
de reconnaître que cette influence ne sera jamais aussi
facile , aussi puissante que celle que le prêtre trouvera
dans l’exercice de son ministère. Ministre de la religion,
dispensateur de ses grâces, son empire sur l’esprit faible
et timoré du mourant sera sans bornes. La foi religieu
se, qui a le plus longtemps sommeillé, se réveille quel
quefois plus ardente et plus vive en présence du terrible
problème qui va se résoudre. Est-il, dans une pareille
�143
circonstance , un sacrifice capable d’arrêler celui qui,
placé sur le seuil de l’éternité et dans une pensée de
salut, croira devoir se concilier la religion et obtenir le
pardon que le prêtre est autorisé à faire descendre sur
sa couche de douleurs et d’agonie ?
L’abus est donc bien plus à craindre du médecin de
l’âme que du médecin du corps. Il y a entre la mission
de l’un et de l’autre toute la distance qui sépare les
profondeurs de la croyance religieuse, de la foi que peu
vent inspirer les promesses si incertaines de la science
humaine. En conséquence , excepter l’une des précau
tions ordonnées contre l’autre , c’était se condamner à
rester désarmé en présence d’un danger plus imminent
et plus réel.
*
Sans doute si les ministres du culte étaient tous ce
qu’ils devraient être, ces précautions eussent été inutiles.
Mais de quoi n’a-t-on pas abusé ? L’histoire de notre
justice, tant civile que criminelle, est là pour nous ap
prendre que partout où il y a des hommes, les passions,
même les plus honteuses, savent se frayer une large et
déplorable voie.
Retenir dans le devoir ceux qui seraient tentés de s’en
écarter, telle doit être la pensée de toute législation. A
ce titre, la disposition dont nous nous occupons est émi
nemment morale et juste.
Les libéralités faites aux ministres du culte sont donc,
comme celles au profit des médecins et chirurgiens, frap
pées d’une présomption de dol. Les unes et les autres ne
sont, aux yeux de la loi, que le produit de sentiments
suggérés, que le résultat d’une influence illégitime.
ET DE LA FRAUDE.
�144
TRAITÉ DU DOL
171. — Mais on donnerait à l’art. 909 une inter
prétation abusive , si l’on voulait en faire ressortir une
incapacité absolue , en ce qui concerne les ministres du
culte. En les plaçant sur la même ligne que les méde
cins , cet article leur rend communes non seulement la
prohibition elle-même, mais encore les conditions aux
quelles elle est encourue. En d’autres termes, la nullité
de la disposition ayant pour cause unique la présomp
tion d’une influence illégitime , elle ne saurait être ni
demandée ni. ordonnée, lorsque les circonstances prou
vent que cette influence n’a pu se réaliser.
Ainsi , pour que le ministre >du culte soit atteint de
l’incapacité édictée par la loi , il faut qu’il ait usé de
son caractère pendant le cours de la maladie , prodigué
au malade les soins spirituels et dirigé sa conscience. A
ces conditions, il ne pourra profiter de la libéralité dont
il aura été l’objet. Par voie de conséquence, si, en fait,
ces conditions ne se sont pas réalisées, ou si sa conduite
auprès du malade est exclusive de toute idée d’influen
ce, la libéralité légalement obvenue devra sortir à effet.
172. — Il a été jugé que le prêtre qui n’a pas con
fessé le malade pendant sa dernière maladie, mais qui,
postérieurement au testament, lui a donné, au moment
où il allait expirer, l’extrême-onction, n’est pas frappé
de l’incapacité de recevoir exprimée dans le dernier ali
néa de l’art. 909.'
i Journal du Palais, Toulouse, 20 novembre 1835
�145
175. — Il semblerait résulter de cette doctrine que
la confession seule établit l’incapacité. Cette opinion, qui
était celle que l’ancienne jurisprudence avait consacrée,
doit-elle encore être suivie sous l’empire du Code?
La Cour de Grenoble l’a tellement pensé ainsi, qu’elle
a décidé, le 14 avril 1806, que le prêtre qui est con
tinuellement resté auprès d’une personne pendant la ma
ladie dans laquelle elle a fait son testament, et dont elle
est morte, qui lui a donné l’extrême-onction, sans l’a
voir cependant confessée, n’est pas incapable de recueil
lir les dispositions faites à son profit dans ce testament.'
ET DE LA FRAUDE.
■ 174. — Si cette solution devait recevoir la consé
cration d’un principe , on arriverait, par une consé
quence directe , à éluder facilement les prescriptions de
l’art. 909, dans les cas précisément où leur application
serait le plus nécessaire. Qu’un prêtre puisse , par sa
présence continuelle, acquérir sur le malade cet ascen
dant que la loi redoute ; que le malade obéisse , dans
ses dispositions de dernière volonté, aux suggestions dont
cet ascendant peut être suivi , c’est ce qui est naturel
d’admettre. Or, c’est précisément contre une hypothèse
de ce genre que la loi s’est armée de sévérité.
Si donc il suffisait au prêtre, qui par ses assiduités,
par des entretiens fréquents, par ses visites journalières
a solidement établi son empire sur le malade, de s’abs
tenir de le confesser pour être capable de recevoir les li1 Dalloz A., tom v, pag. 292.
I
10
�TRAITÉ DU DOL
146
béralités dont il serait l’objet, l’art. 909 ne serait plus
qu’une menace vaine dont on pourrait impunément se
jouer.
Aussi apparait-il, de l’arrêt lui-même, que la Cour de
Grenoble, frappée de ces considérations , n’en a point
méconnu la gravité ; qu’elle a voulu rendre un arrêt
d’espèce plutôt qu’un arrêt de principe. C’est ainsi qu’elle
constate d’abord que la libéralité attaquée doit, par son
peu d’importance, être considérée comme un acte de ré
munération ; que les faits allégués n’étaient pas prouvés;
qu’ils étaient même de toute invraisemblance , d’après
les opinions que le testateur avait manifestées par écrit.
On peut dès lors, dit avec raison M. Dalloz jeune, croi
re que la Cour eût décidé autrement , si les assiduités
du prêtre, même sans confession, avaient été de nature
à captiver l’esprit du malade, par l’influence de son ca
ractère sacerdotal.'
C’est encore ce caractère spécial de l’arrêt qui a dé
terminé le rejet du pourvoi dont il avait été frappé :
« Attendu, dit en effet la Cour suprême, que l’inca
pacité résultant de l’art. 909 , en ce qui concerne les
ministres du culte , n’est point absolue , et qu’elle ne
s’applique qu’à ceux de ces ministres qui ont rempli les
fonctions de leur culte auprès du testateur ; attendu que
l’arrêt attaqué décide en fait que l’abbé Geneys n’a rem
pli aucune fonction de cette espèce auprès du sieur Montlouvier ; d’où il suit qu’il était capable de recevoir de
celui-ci toute espèce de legs. »
�147
175. — Il résulte, selon nous, de cette jurispruden
ce, une seule chose, à savoir : que , de même que le
traitement par le médecin, l’assistance du prêtre est, par
sa nature, par ses circonstances, un fait complexe dont
l’appréciation souveraine est laissée à la prudence et aux
lumières du juge ; que si elle se décèle forcément par la
confession, elle peut aussi exister en l’absence de celleci ; qu’il y a donc incapacité toutes les fois que les faits
relevés tendent à faire considérer la donation ou le legs
comme le produit de l’influence acquise au donataire ou
légataire.
Cette conclusion nous parait d’autant plus rationnelle
que s’il fallait admettre la confession comme la cause
unique de l’incapacité édictée par la loi , il faudrait,
comme le fait Toullier, arriver, par voie de conséquen
ce, à décider que l’art. 909 est inapplicable aux minis
tres des religions qui n’admettent pas la confession. Ce
pendant la volonté du législateur, d’atteindre les minis
tres de tous les cultes, ne saurait être douteuse. Elle ré
sulte invinciblement de l’esprit et des motifs de la loi.
ET DE LA FRAUDE.
176. — La présomption de dol, créée par l’art. 909,
est une présomption juris et de jure. L’institué contre
lequel on aura fait la preuve exigée par la loi, ne pour
ra faire maintenir la disposition attaquée qu’en justifiant
qu’il se trouve dans un des cas d’exception autorisés par
ce même article.
Ces exceptions se rapportent à la nature de la dispo
sition, à la qualité de la personne appelée à en profiter.
�148
TRAITÉ DU DOL
Il était naturel, en effet, de restreindre l’art. 909 dans
des limites raisonnables-, de ne pas le rendre un obstacle
invincible à tout témoignage d’une reconnaissance mé
ritée ou d’une affection légitime. Agir autrement, c’était
éloigner du malade les soins de ses parents, de ses amis
les plus affectueux, les plus dévoués.
« On n’a pas voulu, disait l’orateur du gouvernement
dans l’exposé des motifs, que le malade fût privé de don
ner à ses médecins quelque marque de sa reconnais
sance , eu égard à sa fortune et aux soins qui lui au
raient été rendus ; il eût été aussi injuste d’interdire les
dispositions, celles-mêmes qui seraient universelles, fai
tes par le malade, au profit de ceux qui le traiteraient
et qui seraient de ses parents. S’il y avait des héritiers
en ligne directe, du nombre desquels ils ne seraient pas,
la présomption, qui est la cause de leur incapacité, re
prendrait toute sa force.’ »
Ces considérations enlèvent à l’application de la loi
toute difficulté sérieuse. On sait ce que peut, ce que doit
être un acte de gratitude. Récompenser quelqu’un , ce
n’est pas ordinairement lui donner tout son bien , au
détriment des droits que les relations de famille, que les
liens de parenté supposent et créent.
177. — De là cette conséquence qu’une institution
universelle ne saurait jamais constituer un simple acte
de rémunération. C’est pourquoi la loi commande l’an1 Locré, t. il, pag. 364, n° 8.
�U9
nulalion dans tous les cas, alors même que le disposant,
ne laissant que des collatéraux éloignés , l’eût qualifiée
de rémunération. On ne verrait dans cette qualification
qu’une fraude à l’effet d’éluder la prohibition de la loi.
Ajoutons que la nullité d’une institution de ce genre
est générale et absolue. Elle est également présumée le
produit d’une suggestion illégitime ; et dès lors il est im
possible de l’attribuer en tout ou en partie à la volonté
libre de son auteur. Les tribunaux ne pourraient donc,
procédant par voie de retranchement, la réduire aux
proportions d’un acte rémunératoire. Ce serait valider
en partie une volonté que la loi proclame sans effet.
ET DE LA FRAUDE.
178. - Il n’en est pas de même de l’institution par
ticulière. La loi qui l’autorise ne peut pas admettre
qu’elle soit excessive , car l’abus qu’elle a voulu pros
crire dans l’institution universelle se reproduirait bien
tôt sous la forme d’une disposition à titre rémunératoi
re. Le testateur pourrait s’exagérer la portée, des soins
qu’il reçoit. On pourrait même lui en suggérer la pen
sée. C’est pour éviter que le mal ne fût ainsi déplacé
que le législateur a tracé les éléments qui doivent servir
à l’appréciation de la libéralité. Ces éléments sont : d’un
côté la fortune du disposant, de l’autre la nature des
soins qu’il a reçus. Les1tribunaux doivent donc se ren
fermer dans ces limites et réduire la disposition qui pa
raîtrait s’en écarter.
Le maintien d’une institution rémunératoire peut être
réclamée dans tous les cas et par tous les ayants-droit.
�TRAITÉ DU DOL
150
Peu importerait que cette institution n’eût pas été faite
expressément à ce titre. Il suffirait qu’au fonds elle fût
bien réellement un témoignage de reconnaissance pour
qu’elle dût recevoir sa pleine et entière exécution.
179. — L’institution universelle est autorisée lorsque
celui qui en a été l’objet, quoique appartenant à la ca
tégorie des personnes désignées par l’art. 909 , est pa
rent du testateur au quatrième degré inclusivement, si
celui-ci ne laisse aucun héritier en ligne directe. S’il ex
iste des héritiers directs, et que l’appelé ne soit pas du
nombre, l’institution universelle doit être annulée.
180. — Ces prescriptions de l’art. 909 sont irritan
tes et absolues. Les médecins , chirurgiens , officiers de
santé et pharmaciens ne pourraient, en dehors de ces
conditions, exciper de l’affection du testateur pour faire
maintenir la libéralité. Il y a plus encore. La loi ne
s’expliquant pas sur l’alliance, l’existence de celle-ci,
même à un degré très-rapproché, ne ferait pas dispa
raître l’incapacité. Dans ces matières, la prohibition for
me le droit commun. Elle ne comporte donc d’autres ex
ceptions que celles qui sont formellement autorisées. Le
législateur n’ayant pas mis l’alliance sur la même ligne
que la parenté, a, par cela seul, excepté la première de
la règle tracée pour celle-ci.
181. — Doit-on appliquer les mêmes principes aux
personnes q ui, sans caractère légal, ont traité le testa
teur pendant sa dernière maladie ?
�151
Nous avons vu que ces personnes sont assimilées,
quant à la prohibition , aux médecins , chirurgiens et
pharmaciens , nommément désignés par la loi. On de
vrait donc conclure qu’il est naturel d’exiger pour elles
ce qu’on exige pour ceux-ci.
Mais ne perdons pas de vue que leur incapacité ré
sulte d’une analogie dont on ne saurait contester la jus
tesse. Or , c’est cette analogie qu’il s’agit d’établir , et
cette recherche présente aux juges une appréciation de
fait livrée à leur conscience, mais qui, dans tous les
cas , doit, pour se placer sous le coup de l’art. 909,
constituer véritablement l’abus que cet article a voulu
réprimer. Ainsi l’analogie sera complète , lorsque les
soins donnés sont dus à l’usurpation des fonctions, lors
qu’ils sont une conséquence des connaissances médica
les supposées, et que c’est à ce titre unique que l’insti
tué a été appelé.
Mais il n’y a plus aucune analogie lorsque celui qui
a traité le malade, sans être médecin, n’a agi que sous
l’influence de la pensée d’un devoir. Lorsque d’un côté
les soins , de l’autre l’affection sont justifiés par des re
lations antérieures , non équivoques , dont la continua
tion ne saurait être blâmée sans condamner les plus no
bles des sentiments , l’affection et la reconnaissance.
Dans ce cas, la loi ne se trouve plus en présence d’une
présomption d’abus de la faiblesse d’un moribond ;
elle doit, dès lors, respecter les volontés manifestées par
celui-ci.
ET DE LA FRAUDE.
�152
TRAITÉ DU DOL
182. — C’est ainsi que la Cour de cassation a ju
gé, le 24 juillet 1832 , que la prohibition de l’art. 909
ne s’applique pas à celui qui, sans titre légal, a exercé
la médecine , la chirurgie ou la pharmacie à l’égard du
malade qui a testé en sa faveur , lorsqu’il a été traité
par lui, sa- vie durant, comme son fils.'
Dans cette espèce, le légataire avait été recueilli à l’â
ge de deux ans par le testateur, qui l’avait élevé et en
voyé en dernier lieu étudier la médecine à Paris. A la
nouvelle du péril de son bienfaiteur, l’élève, abandon
nant ses études, était accouru à son chevet, lui consa
crer les connaissances médicales qu’il devait à ses bien
faits. On comprend dès lors que les magistrats, appré
ciant sa conduite , les motifs qui la lui dictaient, aient
refusé d’y voir une assimilation quelconque avec les ac
tes que l’art. 909 prohibe. C’était là une décision mo
rale et juste que la Cour suprême ne pouvait blâmer.
C’est surtout pour de pareilles hypothèses qu’on doit
mettre en pratique celte maxime de la raison écrite:
Laudandus potius quam exhœredandus Itérés.
Il est vrai que les mêmes considérations militeraient
pour le médecin titulaire qui aurait traité un malade
dans une semblable hypothèse. Cependant l’arrêt de la
Cour de cassation semble indiquer qu’on devrait, pour
celui-ci, maintenir la prohibition de l’art. 909. Mais si
le magistrat, usant du pouvoir souverain d’appréciation
que la loi lui confère, est libre, lorsqu’il s’agit de recher1 J. (lu P., année 1832.
�ET DE LA. FRAUDE.
153
cher si l’acte qui lui est dénoncé tombe on non sous le
coup de la prohibition, de n'écouter que les inspirations
de sa conscience ; cette liberté, il ne l’a plus lorsque la
loi s’est nettement et formellement expliquée. Or, c’est
ce qui se réalise à l’égard des personnes nommément
désignées par l’art. 909. Pour elles , il n’y a que deux
exceptions , à savoir : celle tirée de la parenté au qua
trième degré , celle tirée du caractère rémunératoire de
la disposition. On ne pourrait donc en ajouter d’autres,
sans violer la volonté formelle du législateur, sans affai
blir la règle générale qu’il a tracée, sans changer com
plètement la nature et le caractère de sa disposition.
1§J3. — La seconde condition , indispensable pour
qu’on présume le dol, c’est, nous t’avons-déjà dit, que
la libéralité en faveur des personnes suspectes ait été
faite pendant le cours dé la maladie dont le testateur est
mort. Puisque la sévérité de la loi n’est que la consé
quence de la crainte que la- disposition ne soit due en
réalité qu’à l’entrainement et à la faiblesse , il était de
rigueur que les circonstances qui ont pu les déterminer,
l’un et l’autre, se fussent continuées, sans interruption,
du jour de Pacte à celui où il doit sortir à effet. Si,
dans l’intervalle , le disposant a pu détruire, modifier
ou changer les volontés d’abord exprimées , et qu’il se
soit abstenu de le faire , on doit avec raison considérer
sa conduite comme la preuve que c’est avec pleine li
berté d’esprit et de son propre gré qu’il a pris sa déter
mination.
�154
TRAITÉ DU DOL
Vainement donc prouverait-on qu’une institution a
été faite par un malade , pendant le cours de sa mala
die, en faveur du médecin qui l’a traité , ou du prêtre
qui a dirigé sa conscience. Si le malade , revenu à la
santé , a laissé subsister son institution , rien ne s’oppo
serait à son exécution, alors même que, dans la mala
die nouvelle à laquelle il a succombé , le médecin et le
prêtre eussent cotinué à exercer auprès de lui l’exercice
de leur ministère.
Il en serait de même si le testament ou la donation avait été faite en état de santé et avant toute atteinte du
mal dont le testateur ou le donataire est devenu la vic
time.
Mais on ne saurait avoir égard , dans l’appréciation
de ces exceptions, ni à la durée de la maladie, ni à son
caractère. Il importerait peu qu’elle se fût prolongée des
années entières; qu’elle ait offert des intermittences de
santé. Si en définitive elle n’a jamais entièrement cédé,
et si née antérieurement au testament, elle a eu une is
sue funeste, l’art. 909 doit recevoir son application.
La Cour de Toulouse vient de le décider ainsi dans une fort remarquable espèce :
Le %\ novembre 1861, l’illustre père Lacordaire dé
cédait en l’état d’un testament du 17 décembre 1860,
qui instituait pour héritier le père Mourey, sous-direc
teur de l’école de Sorèze, et qui avait été dans ces der
nières années le confesseur du testateur.
L’un des frères de celui-ci attaque le testament et en
demande la nullité , non pas seulement comme conte-
�155
nant un legs déguisé en faveur d’un incapable, mais en
core comme tombant sous l’application de l’art. 909.
Cette demande est accueillie par le Tribunal de Castre.
Appel, et le 121 juin 1864 arrêt de la Cour de Tou
louse qui confirme. Nous transcrivons les motifs de cet
arrêt qui déterminent la véritable portée de l’art. 909 et
ses diverses applications :
« Attendu qu’un premier fait n’a pas été contesté,
c’est que le père Lacordaire, pendant les dernières an
nées de sa vie, a toujours eu pour confesseur le père
Mourey ;
» Qu’un second fait a été également reconnu , c’est
que la santé du Père Lacordaire s’était gravement alté
rée dès le commencement de l’année 1860 ;
» Que la seule question à résoudre est celle de savoir
si, à la date du 17 décembre 1860 , le testateur était
déjà atteint de la maladie à laquelle il a succombé onze
mois plus tard ;
» Attendu que parmi les documents dont il a été fait
usage, il faut distinguer ceux qui émanent du père La
cordaire et du père Mourey ; qu’en rapprochant ces
derniers documents des faits et circonstances de la cau
se, il est facile de se convaincre que le père Lacordaire,
pendant les deux années 1860 et 1861 , n’a eu qu’une
seule maladie, persévérante dans son cours, fatale dans
son issue, dont le point de départ certain se fixe au cou
rant de 1860, époque où le révérend père, saisi à l’au
tel même de violentes douleurs de têtes et de reins , fut
obligé de se retirer précipitamment dans sa chambre ;
ET DE LA FRAUDE.
�156
TRAITÉ DU DDL
qu’à juger cette maladie par les symptômes qui l’ont
manifestée, on conçoit que les hommes de l’art l’aient
appelé une anémie, un appauvrissement du sang affec
tant l’estomac , les entrailles et le cœur ; que du reste,
dans la maison de Sorèze, nul ne savait mieux la vérité
sur ce point que le père Mourey, et c’est lui qui a écrit
ces lignes : la science avait déclaré une anémie et pres
crit le repos ; le cœur , l'estomac , les entrailles, res
sentaient successivement les atteintes du mal ; on en
voyait les traces dans un amaigrissement successif.
» Attendu que le père Lacordaire, instruit de la na
ture de son mal, n’a pas hésité à prendre des mesures
pour alléger le fardeau que faisait peser sur lui l’admi
nistration de son ordre ; qu’il a même adressé à tous
les prieurs des circulaires par lesquelles il leur faisait
connaître l’affaiblissement progressif de ses forces , son
état de faiblesse, sa maladie de langueur ; qu’à la fin de
1860, prévoyant et non découragé, il a écrit son testa
ment du 17 décembre , en même temps qu’il préparait
son discours de réception à l’Académie française ; que
le jour où il a pris possession de son fauteuil, le grand
orateur a pu laisser croire qu’il avait recouvré la santé,
mais qu’il était perdu dès ce jour pour le Corps illustre
qui venait de l’entendre ;
» Attendu qu’au mois d’avril suivant la maladie avait
repris son cours, et, malgré sa répugnance à sortir des
maisons de son ordre, le père Lacordaire avait consenti
à aller respirer un autre air dans le département de la
Somme ; que quelque semaines plus tard , il se retrou-
�*137
vait déjà à Sorèze, entouré de ses élèves, salué par leurs
acclamations, auxquelles il répondait par la promesse
de ne plus se séparer d’eux ; mais que dans ce cas en
core, il était perdu pour ceux qui se montraient si fiers
de le posséder ; qu’on peut même dire que cette fois au
cune illusion ne lui était permise, car il arrivait de Pa
ris, où il avait interrogé le docteur Rayer , et c’est en
core le mot anémie que ce savant médecin avait écrit
dans une consultation désespérée, désespérée comme al
lait le devenir la situation du père Lacordaire, pour qui,
une existence de quelques mois ne pouvait plus être qu’un
martyre d’égale durée ;
» Attendu que ces faits suffisent pour démontrer l’u
nité d’une maladie qui, reconnue une anémie en 1860,
était encore une anémie en 1861, avec cette circonstance
qu’elle s’était compliqué d’une affection intestinale; que
c’est bien la marche continue de celte maladie que le
père Lacordaire a lui-même constatée dans sa corres
pondance avec les religieux de son ordre, lorsqu’il leur
a écrit : en mai 1860, qu'il luttait depuis trois mois
contre un ’affaiblissement progressif ; en septembre
1860, que la congrégation intermédiaire de la pro
vince réunie à Flavignie le 1 er septembre de cette an
née, avait bien voulu prendre en considération l'état
de faiblesse où il était tombé depuis plus de six mois ;
en avril 1861, que la maladie de langueur dont il était
atteint depuis une année, avait paru céder pendant
l’hiver, mais que les fatigues et l’influence de la mau
vaise saison lui avaient rendu son cours ;
ET DE 1.A FRAUDE.
�TRAITÉ DU DOL
158
» Attendu que le père Lacordaire n’existait plus quel
ques mois après avoir écrit la dernière de ces lettres où,
parlant de sa maladie à trois époques, il en faisait re
monter le cours à trois mois, à six mois, à une année ;
qu’on peut donc affirmer qu’a dater du mois de mars
1860 , il n’y a pas eu d’époque où le père Lacordaire
n’ait été atteint de la maladie dont il est mort ; que ce
jugement n’est pas plus contredit par le discours qu’il a
prononcé à l’Académie française, que par les pages élo
quentes dont il a été parlé dans les débats, et que son
génie dictait encore à l’approche de son heure suprême;
que tout ce qu’on peut induire des dernières produc
tions de son esprit, c’est que dans celte organisation
exceptionnelle, l’âme triomphait aisément des défaillan
ces du corps, et que sa grande intelligence ne s’est voi
lée que dans les angoisses de sa cruelle agonie ;
» Attendu que la prohibition écrite dans l’art. 909
du Code Napoléon est absolue, tellement absolue qu’il
ne convient pas même d’examiner si le père Lacordaire,
à raison de la supériorité de son esprit, était à l’abri de
la captation que la loi présume et qu’elle a voulu at
teindre par l’application d’une règle inflexible.1 »
Un honorable professeur à la faculté de Toulouse, M.
Bressoles tout en reconnaissant que cet arrêt est inatta
quable ; qu’il est littéralement, et même matériellement
conforme au texte de l’art. 909 ; tout en déclarant qu’il
�159
n’entend pas en faire la critique, n’hésite pas cependant
de lui reprocher de n’avoir résolu que par prétérition la
véritable question qu’un litige de celte nature offrira, à
savoir : si lorsque un testateur est mort à la suite d’une
maladie chronique, le legs fait par lui en faveur de son
confesseur, à toute époque depuis le commencement de
la maladie, est frappé de nullité en vertu de l’art. 909.'
L’auteur se prononce pour la négative, et nous avou
ons que les efforts qu’il fait pour justifier son opinion,
ne nous ont pas convaincu.
Ce que nous reprochons à cette opinion, c’est de mé
connaître le caractère de l’art. 909 , et de vouloir à la
règle absolue, inflexible qu’il trace, substituer une ap
préciation arbitraire , et l’arbitraire est fort à craindre
quelques pures que soient les mains appelées à en dis
poser.
Certes le principe que, dans les maladies chroniques,
l’art. 909 ne doit être appliqué qu'à la période où l'étal
du malade a été définitivement déclaré désespéré , et
où les progrès incessants du mal ont dû bientôt amener
la mort, est fort simple. Mais ce qui l’est beaucoup
moins, c’est son application.
Quelle règle à suivre dans cette application ? A quels
signes reconnaître la période suspecte? Exigera-t-on
que le décès ait eu lieu dans les vingt-quatre heures, ou
bien dans huit, dans quinze, dans les trente jours?
ET DE LA FRAUDE.
�TRA.ITÉ DU DOL
160
On voit quelles incertitudes soulève ce principe, et M.
Bressoles vient les compliquer encore en appelant les
magistrats à substituer leur appréciation à celle de la
science. Il reconnaît en effet que les médecins seront utiles à consulter, mais il n’admet pas que leur avis soit
souverain. De telle sorte que la Faculté disant noir , le
Tribunal ou la Cour pourra dire blanc !
Une pareille anomalie n’a pu entrer dans les prévi
sions du législateur , qui n’a même rien laissé à l’ap
préciation de qui que ce soit. Pour lui, la gravité de la
maladie résulte de son issue funeste, quel que soit l’in
tervalle qui sépare celle-ci de l’invasion de la maladie.
N'est-il pas en effet des maladies qui, une fois décla
rées, ne finissent qu’avec le malade lui-même ? Suppo
sez une phthisie pulmonaire. Qu’importe que des soins
affectueux aient prolongé lâ vie du malade; que ce ma
lade ait vécu trois mois , six mois , un an ; il n’en était
pas moins fatalement dévoué à la mort , dès le jour où
la maladie a éclaté.
Or , il n’existe que trop de ces maladies essentielle
ment mortelles , et dans lesquelles pour fixer l’époque
où le malade a été dans un état désespéré, il faut, pour
être dans le vrai, remonter au début même de la mala
die. Or, refuser dans ce cas d’appliquer l’art. 909, par
l’unique raison que celte maladie a duré plus longtemps,
c’est évidemment se placer en dehors du texte et de l’es
prit de cet article.
Comment admettre d’ailleurs que sa disposition n’ait
en vue que les maladies aiguës ? ha prohibition qu’il
�ET DE LA FRAUDE.
161
consacre n’a d’autre fondement que la supposition de
l’influence qu’exercera, sur le malade, le médecin ou le
confesseur. Or il est évident que si la maladie est aiguë
et se termine dans quelques jours, cette influence n’aura
pas eu le temps de s’établir.
v
Ce temps, la maladie chronique le ménage abondam
ment. Donc le système de M. Bressoles ne va à rien
moins qu’à convaincre le législateur de la plus flagrante
inconséquence, puisqu’il renoncerait à son système de
précautions au moment précisément où le danger plus
imminent rendait ces précautions plus indispensables.
Il n’y a donc pas à équivoquer sur le sens et la por
tée de l’art. 909 , la Cour de Toulouse l’a dit avec rai
son. Dans les litiges que son application soulèvera, l’u
nique question sera de savoir s’il y a concomitance en
tre la date du testament attaqué et l’existence de la ma
ladie mortelle.
C’est-à-dire, comme l’observe très-rationnellement le
savant doyen de la Faculté de Caen , M. Demolombe,
qu’il s’agira en réalité d’une question de fait, médicaleautant que juridique, et sur laquelle les magistrats au
ront souvent à recourir aux lumières des hommes de
l’art.
Or, nous ne saurions ni comprendre ni admettre que
lorsque ces hommes de l’art auront unanimement re
connu qu’il n’a existé qu’une maladie unique, essentiel
lement et nécessairement mortelle ; déclaré que l’état du
malade était aussi désespéré le premier jour que le der\\
i
�162
TRAITÉ DU DOL
nier, les magistrats puissent dire autre chose et refuser
d’appliquer l’art. 909.
184. — Nous avons déjà plusieurs fois rappelé
qu’on ne peut accomplir directement ce que la loi pro
hibe de faire d’une manière directe. Par application de
ce principe à la matière qui nous occupe, on ne devrait
pas hésiter à annuler la libéralité que l’on aurait dégui
sée sous les apparences d’un acte à titre onéreux. L’acte,
dans cette hypothèse, réunirait la fraude au dol. L’ap
plication de l’art. 909 n’en serait que plus urgente, que
mieux justifiée.
Doit-on, dans ce cas, présumer la simulation ? Quel
est le mode de preuves admissible ? C’est ce que nous
aurons à rechercher dans la seconde partie de cet ou
vrage , dans laquelle nous aurons à nous occuper de la
fraude d’une manière spéciale.’
185. — La disposition de l’art. 1965 du Code civil
pourrait nous fournir un nouvel exemple de dol présu
mé. Le refus de toute action pour dettes de jeu n’est, en
principe, fondé que sur l’illégitimité des moyens qui les
ont constituées.
Cependant, il y a entre la dette de jeu et la dette pro
duite par le dol cette différence essentielle : que la pre
mière crée une obligation naturelle reconnue par la loi.
Ainsi l’art. 1969 déclare non sujet à répétition tout ce
1 V infra,
De la fraude,, chap. 1,
sect. i
�163
qui a élé volontairement payé par le perdant. La secon
de , au contraire , n’oblige ni civilement ni naturelle
ment. liés lors, et par application de l’art. 1235 du
Code civil, tout ce qui aurait été payé par le débiteur
doit lui être remboursé.
Nous aurons, d’ailleurs, à nous occuper plus spécia
lement de l’art. 1965 dans nos observations sur la frau
de. Il est certain, en effet, que, par le concours obligé
des deux parties, le jeu constitue plutôt une fraude qu’un
dol véritable. Notons, cependant, qu’en matière d’exé
cution donnée par les joueurs, le législateur a considéré
la simple supercherie comme un véritable dol. Comme
celui-ci, en effet, elle annule le paiement qu’elle aurait
seule déterminé.
ET DE LA FRAUDE.
186. — Le Code de commerce , à son tour , pré
sente de nombreux exemples de fraude et de dol présu
més. C’est de ces derniers que nous avons à nous occu
per exclusivement dans cette partie de notre travail.
Il n’est dans le commerce aucune industrie exposée
à plus de chances et de dangers que l’assurance mariti
me. Son utilité n'est plus cependant une question, cha
cun comprend et répète depuis longtemps qu’il n’est au
cune institution qui ait rendu de si grands services, qui
ait plus efficacement concouru au développement du
commerce , cette source de prospérités pour l’Etat. Les
assurances maritimes , disait M. Corvetto dans l’exposé
des motifs du Code, ont rapproché les quatre parties du
monde.
�TRAITÉ DU DOL
164
187. — Les écueils à travers lesquels le contrat
d’assurance, ce noble produit du génie, ce premier ga
rant du commerce maritime \ est condamné à se frayer
une route, son immense et éclatante utilité traçaient au
législateur un visible devoir. Une protection de tous les
instants , une faveur exceptionnelle était indispensable
pour contre-balancer l’imminence d’une fraude d’au
tant plus à redouter qu’elle s’anéantit avec le navire qui
la recèle dans les abîmes de la mer, et prévenir ainsi la
ruine et le découragement de ceux que l’application du
droit commun ne pouvait suffisamment défendre.
Ce devoir a été compris de tous les temps , à toutes
les époques. Emérigon , l’illustre commentateur, nous
indique dans sa préface les précautions que les différents
peuples commerciaux avaient prises dans l’intérêt de
leur navigation , sous l’empire desquelles vivait encore
la France jusqu’au moment où l’immortelle ordonnance
de 1681 vint leur assurer une efficacité en même temps
qu’une autorité imposante et décisive.
Cette ordonnance, résumé d’une pratique éclairée par
l’expérience, d’une doctrine enseignée par des juriscon
sultes célèbres, par des publicistes tels que Grotius, Puffendorf, Casaregis, Ànsaldus, etc., est un des plus beaux
fleurons du siècle immortel de Louis XIV ; elle est le
Code le plus complet, le plus précis de la matière. Et,
si nous avions besoin de le prouver, nous rappellerions
qu’en 1807, alors que deux siècles environ s’étaient é1 Corvette, Exposé des motifs
�165
coulés, le législateur n’a eu, pour la plus grande partie
de son œuvre, qu’à répéter les dispositions de son pré
décesseur.
ET DE LA FRAUDE.
188. — A proprement parler, le Code de commer
ce n’a eu qu’à convertir en principes quelques induc
tions que la pratique avait tirées de l’ordonnance de
1681. Le fonds des choses n’a pas changé, les disposi
tions essentielles sont reproduites et prises dans cette or
donnance.
C’est d’une de ces additions que nous avons à nous
occuper, celle qui résulte de l’art. 348.
« Toute réticence, porte cet article, toute fausse dé
claration de la part de l’assuré, toute différence entre le
contrat d’assurance et le connaissement , qui diminue
raient l’opinion du risque ou en changeraient le sujet,
annulent l’assurance. »
Contrairement au droit commun , le dol est présumé
dans ces divers cas. Nous verrons bientôt l’effet de cette
présomption. Disons auparavant ce qui a fait introduire
dans la loi cette disposition.
189. — Il n’en existe aucune analogue dans l’or
donnance de 16S1. Cette absence était d’autant plus fâ
cheuse, que le principe qui en fait l’objet était enseigné
par les jurirconsultes, qui en comprenaient la nécessité
et en poursuivaient les conséquences. De là était née une divergence d’opinion qui ne pouvait qu’embarrasser
les tribunaux.
�166
TRAITÉ DU DOL
190. — En effet , Yalin , sous l’art. 7, enseignait
que la déclaration de l’assuré doit être conforme à la
vérité, sous peine de la nullité des assurances, suivant
les circonstances.
A cette première hésitation , née du silence de la loi,
Yalin ajoutait un tempérament qui lui paraissait équi
table. Le moins qu’il en arriverait, dit-il, s’il n’y avait
pas lieu de faire déclarer l’assurance nulle absolument,
à raison de la surprise faite à l’assureur, ce serait d’as
sujettir l’assuré à une augmentation de prime propor
tionnée aux risques qu’il aurait fait courir de plus à
l’assureur en lui diminuant l’objet par la fausse, décla
ration.
Mais Emérigon , qui ne partageait pas l’hésitation de
Valin, combattait vivement ce tempérament.
« C’est ordinairement le sinistre, disait-il, qui donne
lieu à pareilles plaintes. Ce serait donc un triste présent
qu’on ferait aux assureurs, si, en les condamnant à payer
la perte, on leur accordait une augmentation de prime.
» Le juge peut, selon les circonstances du fait, pro
noncer la nullité de l’assurance; mais il rendrait une
sentence évidemment nulle et injuste si, laissant subsis
ter le contrat reconnu vicieux , il se bornait à y appli
quer une modification aussi contraire au pacte stipulé
qu’impuissante à remplir l’intérêt légitime de la partie
lésée. »
Emérigon conclut donc en ces termes : « Si avant
le départ du navire, ou pendant le cours du voyage, l’as~
sureur demandait que l’assurance fût résiliée, sur le
�;
ET DE LA FRAUDE.
467
fondement qu’on lui a dissimulé quelque circonstance
essentielle , on ne pourrait s’empêcher de faire droit à
sa demande. Ce serait tyrannie que de le forcer à se
contenter d’une augmentation de prime. La chose ne
reçoit point de milieu , il faut ou anéantir le contrat ou
le laisser subsister.
» Si le navire périt et que les assureurs prouvent
qu’on leur a dissimulé une circonstance essentielle , le
contrat doit être cassé. Il n’est plus temps après le temps
du risque et que la perte est arrivée, de leur offrir le
prix du risque. 1 »
Enfin , Pothier distinguait la réticence de la fausse
déclaration. La première, à son avis, ne concernait que
le for de la conscience ; la seconde devait entraîner la
nullité des assurances.2
Comme on le voit, la doctrine n’était pas d’accord
sur l’effet de la réticence , sur les conséquences de la
fausse déclaration. C’est l’opinion d’Emérigon qui a, à
bon droit, prévalu. Mais ce choix, ainsi réalisé, ne pou
vait être indiqué que par une disposition expresse. De
là l’introduction, dans notre Code, de l’art. 348.
J 91 - — Toute controverse est donc impossible à l’a
venir. La réticence est placée, quant à ses effets, sur la
même ligne que la fausse déclaration , dont rien ne la
distingue dans les résultats. E t, comme en définitive,
1 Tom. 1, pag. 67, chap. 3, sect. 3.
2 JN° 196.
�168
TRAITÉ DU DOL
c’est l’opinion qu’on s’est créée du risque qui détermine
l’assurance , la différence entre la police et le connais
sement , qui aurait pour objet de dénaturer le risque,
produit les mêmes effets que la réticence, que la fausse
déclaration.
L’identité des conséquences a produit l’uniformité de
législation. Du texte de notre article, il résulte donc qu’il
y a dol présumé : 10 lorsque l’assuré a commis une
réticence ; 2’ lorsqu’il a fait une fausse déclaration ;
3” lorsqu’il existe une différence entre le contrat d’assu. rance et le connaissement.
Pourvu, toutefois, que la réticence, la fausse déclara
tion ou la différence ait eu pour effet de diminuer le
risque ou d’en changer le sujet.
192. — C’est là déroger , d’une manière sensible,
aux principes ordinaires en matière de dol. Nous disions
plus haut que ce qui constitue le dol , c’est l’emploi de
manœuvres artificieuses dans le dessein de tromper ;
qu’ainsi on ne saurait le rencontrer dans le mensonge
isolé, dans une simple ruse. Le contraire se réalise dans
les assurances. Il y a dol , par cela seul que l’un des
faits indiqués par l’art. 348 s’est réalisé dans les condi
tions tracées.
Cette première modification au droit commun s’expli
que par la nature même des choses. Le contrat d’assu
rance est un acte exceptionnel pour l’exécution duquel
on ne pouvait recourir aux obligations imposées aux
parties dans tous les autres contrats. On ne pouvait no-
�169
tamment exiger de l’assureur qu’il se livrât à des inves
tigations, plus ou moins minutieuses, à l’effet de contrô
ler les déclarations qu’il reçoit, de découvrir les circon
stances qu’on lui tait. Le temps qu’une pareille recher
che eût consommé aurait, dans bien des cas, rendu l’as
surance impossible , en amenant l’échéance du risque
qui devait en faire le sujet.
On obéissait donc à une nécessité réelle én l’autorisant
à accepter , comme sincère , la déclaration de l’assuré.
Comme contre-poids à cette confiance obligée, il était in
dispensable de placer celui-ci entre la nécessité de dire
la vérité et toute la vérité , et la perte du bénéfice qu’il
aurait voulu se procurer par un mensonge ou par une
réticence.
ET DE LA FRAUDE.
195. — De là, la présomption de dol, par cela seul
que la vérité a été déguisée ou tue, alors même qu’au
cune manœuvre, dans le sens attaché à ce mot, ne pour
rait être imputée à l’assuré.
L’art. 348 va plus loin encore ; il n’exige même pas
que la réticence, que la fausse déclaration, que la diffé
rence entre le connaissement et la police aient été réa
lisées dans l’intention de tromper. Le dol existe sans le
comilium fraudis, indispensable dans les cas ordinaires.
Il suffit, en effet, que le fait dissimulé ou faussement
déclaré, que la différence signalée ait été de nature à in
fluer sur l’opinion du risque , pour que le contrat soit
frappé d’une nullité absolue. Vainement donc l’assuré
prétendrait-il que c'est de bonne foi qu’il a caché un
�470
TRAITÉ DU DDL
fait qu’il croyait indifférent ; que sa déclaration n’est
fausse que parce qu’il a été lui-même trompé ; que la
différence entre la police et le connaissement s’est réali
sée à son insu. Il n’en subirait pas moins la rigueur de
l’art. 348.
Cette solution était imposée autant par la faveur spé
ciale que l’on voulait conférer aux assurances, que par
une exacte appréciation de leur nature. Il est, en effet,
de l’essence de ce contrat qu’il existe un risque certain,
déterminé, sur l’importance duquel se basent les prévi
sions des assureurs et leurs exigences relativement à la
prime. Or, si les circonstances de ce risque leur sont dis
simulées ou inexactement rapportées; si les marchandi
ses mentionnées dans le contrat ne sont pas celles por
tées sur le connaissement, leur adhésion à ce contrat est
le résultat d’une erreur, et ce vice dans le consentement
enlève à la convention l’une de ses qualités essentielles.
En cet état, qu’importe que l’assuré ait été de bonne
foi. L’erreur existe matériellement , et sa certitude en
traine la nullité de l’acte. Aussi la loi ne s’est-elle nul
lement préoccupée de la réalisation d’un dommage ; la
validité du contrat ne dépend pas de la nocuité de la cir
constance dissimulée ou faussement déclarée. Eût-elle
été sans influence sur la perle de l’objet assuré, la con
vention n’en est pas moins annulable. C’est la disposi
tion expresse de l’art. 348.
Ainsi , en matière d’assurances , la loi modifie com
plètement les principes généraux. Ce n’est plus le consiliutn fraudis et 1’eventus damni qui constituent le dol,
�171
c’est le mensonge, c’est la rélicence, quels qu’en aient
été le motif et la cause. Cette rélicence, ce mensonge, at-il influé sur l’opinion du risque. C’est tout ce que la
loi exige pour prononcer la nullité de l’acte.
ET DE LA FRAUDE.
194. — Ces principes sont nettement consacrés par
la décision suivante, rendue le 1S juin 18221 par le Tri
bunal de commerce de Marseille , et acquiescée par la
partie condamnée.
Le 12 juin 1821, les sieurs Argenti et Cic firent as
surer, pour le compte de Rodocanachi, de Livourne, la
somme de 5,000 fr., valeur de 2,000 florins d’Auguste,
prêtés à la grosse par leur maison de Constantinople, avec affectation sur le corps du navire le Véridique, ca
pitaine Radoconich, autrichien. Celte assurance fut faite
sur les risques d’un voyage de Constantinople à Trieste,
à la prime de 2 p. °|0.
Lors de la signature de la police, le navire était déjà
parti de Constantinople depuis quelque temps ; il avait
relâché à Scio pour cause de fortune de mer ; là il avait
été réparé, et le capitaine avait été obligé d’emprunter à
la grosse ; enfin il avait fait une autre relâche à Corfou,
d’où il était reparti le 30 mai.
Les circonstances du départ de Constantinople et de la
relâche à Scio, bien que connue des assurés, n’avaient
pas été déclarées aux assureurs.
Le 25 juin 1821, le navire le Véridique fit naufrage
dans l’Adriatique , à la suite d’une voie d’eau considé
rable. Le 28, Argenti et Cicfirent abandon aux assureurs,
et les citèrent en paiement de la perte,
�172
TRAITÉ DU DOL
Mais les assureurs demandèrent la nullité de l’assu
rance, pour cause de réticence, fondée sur le silence gar
dé sur le départ du navire et la relâche à Scio. Ces cir
constances, disaient-ils, que la lettre d’ordre prouve avoir été connues des assurés, donnaient au risque pro
posé un caractère de gravité et une étendue plus consi
dérable. C’est donc sciemment que les assurés avaient
voulu faire courir les risques à compter du départ de
Constantinople et faire peser sur les assureurs le résul
tat d’événements antérieurs à l’assurance , événements
connus , qui leur inspiraient des craintes , et qui pou
vaient avoir des suites fâcheuses ; enfin ces faits étaient
de nature à augmenter l’opinion du risque et à détour
ner les assureurs de s’en charger.
Les assurés répondaient entre autres , que la relâche
à Scio était indifférente , puisque les assureurs étaient
francs d’avaries ; que le silence gardé sur le départ de
Constantinople n’avait pu aggraver les risques qui étaient en réalité diminués ; qu’enfin la perle était sur
venue postérieurement aux relâches, et que ces relâches
n’avaient nullement influé sur la perte ; qu’ainsi on ne
saurait se plaindre d’aucune réticence et d’aucune dissi
mulation sur des faits pouvant aggraver le risque.
Mais le Tribunal pensa le contraire et déclara par
conséquent la nullité de l’assurance. Après avoir établi
la réalité des faits dont les assureurs se plaignaient ; après en avoir déterminé le caractère , le jugement re
pousse en ces termes l’exception des assurés :
<n Attendu que vainement les assurés ont-ils excipé de
�173
ce que les faits dissimulés n’ont pas amené directement
le sinistre , et de ce que le prêt à la grosse, qui consti
tuait l’aliment de l’assurance dont il s’agit était affran
chi de toute avarie ;
» Que ces raisons ne sauraient aucunement atténuer
la faute des assurés , puisque la loi prononce la nullité
de l’assurance dans le cas même où la réticence n’au
rait pas influé sur le dommage ou la perte de l’objet
assuré; qu’il suffit qu’elle ait diminué l’opinion du ris
que, pour être de nature à annuler le contrat ;
» Attendu qu’il est de l’essence du contrat d’assurance
que les assureurs soient instruits de tout ce que les as
surés savent, pour être véritablement mis à leur lieu et
place ; que ces derniers, en leur cachant des circonstan
ces graves du risque, n’obtiennent d’eux qu’un consen
tement erroné, et par conséquent nul. ‘ »
ET DE LA FRAUDE.
195. — De ce qui précède , il résulte que , pour
l’application de l’art. 348 et pour la présomption de
dol, la matérialité du fait est décisive. Y a-t-il réticen
ce, fausse déclaration ou différence ? L’objet de l’une ou
de l’autre a-t-il eu pour effet d’influer sur l’opinion du
risque, la police est présumée le résultat du dol, et par
conséquent nulle. Cette présomption est de celles qui
n’admettent pas même la preuve contraire. Ainsi le ju
gement qui, après avoir consacré l’existence du fait et
1 Clariond, Journal dejurisprudence, année 1822, pag. 115.
�TRAITÉ DU DOL
174
son caractère, maintiendrait le contrat, violerait expres
sément le texte et l’esprit de la loi.
Mais l’existence de la réticence, de la fausse déclara
tion de la différence ; ses conséquences par rapport à
l’opinion du risque, pourront souvent présenter des dif
ficultés plus ou moins sérieuses. A cet égard, et comme
pour toutes les questions de fait, la loi s’en remet en
tièrement aux lumières et à la prudence des magis
trats. '
196. — Toutefois , il est des faits dont l’omission
ou l’inexactitude entraîne avec elle une décision affirma
tive sur la question de savoir si le risque a été dimi
nué ou changé. Nous voulons parler de ceux dont la dé
claration est exigée par l’art. 332 du Code de commer
ce. Cependant nous devons faire remarquer que la doc
trine et la jurisprudence ont admis entre eux des nuan
ces qu’il est indispensable de signaler. Tous ne produi
sent plus aujourd’hui le même résultat. Nous verrons,
en les parcourant, que ce n’est pas sans raison qu’on a
ainsi modifié la disposition de l’art. 332.
L’assuré , aux termes de cette disposition , doit dé
clarer :
1 Cass., 25 mars 1835; — J. du P., année 1835
�ET DE LA FRAUDE.
175
1° Son Nom et son Domicile.
197. — Il est de l’essenee de tous les contrats que
les parties qui y figurent soient clairement désignées.
Dans l’assurance, le nom de l’assureur est toujours con
nu. Il est donc naturel que celui qui contracte avec lui
soit nommé dans l’acte, c’est là un corrélatif qui paraît
commandé par la nature des choses.
L’omission de cette formalité devrait-elle être consi
dérée comme ayant influé sur l’opinion du risque et en
traîner conséquemment la nullité de l’assurance ? Une
réponse affirmative eût été bien sévère, d’autant que si
la police est faite sous seing privé , elle portera sur le
double original la signature de l’assuré ; et que cette si
gnature peut être considérée comme l’équivalent de la
mention du nom dans le corps de l’acte, On a donc dû
se prononcer pour la négative. Telle est l’opinion de M.
Pardessus.
198. — Cette opinion, consacrée par la jurispru
dence, a trouvé cependant des contradicteurs. La dési
gnation du nom de l’assuré, a dit M. Bernard, est d’or
dre public ; permettre qu’elle soit omise, c’est se priver
du moyen de constater si l’assurance n’est pas une ga
geure , puisqu’on ne pouvait vérifier si l’assuré est, ou
s’il représente le véritable propriétaire des choses assu
rées. Telle est aussi l’opinion de M. Boulay-Paty.1
�TRAITÉ DU DOL
176
Nous croyons que ces honorables jurisconsultes exa
gèrent les inconvénients que le défaut de mention du
nom de l’assuré peut offrir. Il est évident, comme nous
venons de le dire , que le défaut de mention ne peut
s’entendre que d’une omission dans le corps de l’acte.
Car , s’il était absolu au point de comprendre l’absence
même de la signature, il y aurait évidemment nullité en
la forme , il n’aurait jamais existé de contrat. Mais l’i
dentité du signataire n’est susceptible d’aucune difficul
té. Celui-là connu, on pourra toujours exiger de lui la
preuve qu’il est propriétaire, ou qu’il représente le pro
priétaire de l’objet assuré.
Si de ces inconvénients on passe à l’esprit de la loi,
on se confirme bien plus dans la solution que nous in
diquons. Pourquoi, dans l’hypotbèse de l’art. 348 , la
loi place-t-elle l’assurance sous la présomption d’erreur
d’un côté, sous la présomption de dol de l’autre ? C’est
qu’elle suppose qu’au moment du contrat, l’assureur n’a
eu ni raison de douter de la véracité de l’assuré , ni
moyen de connaître ce qu’on lui taisait. En est-il de
même pour ce qui concerne le nom de l’assuré. Ne
pouvait-il pas, ne devait-il pas le demander ? La faute
résultant de son omission n’est donc pas exclusivement
imputable à l’assuré ; et l’assureur trouverait une ré
compense de sa propre négligence dans la faculté qu’on
lui reconnaîtrait de puiser, dans cette négligence même,
le prétexte de se délier de ses obligations. Ce n’est pas
évidemment pour une pareille hypothèse que l’art. 348
a été sanctionné. Nous aurons occasion de le dire sou-
�177
vent, la loi n’a voulu que rendre justice aux assureurs,
sans prétendre leur sacrifier les droits légitimes des as
surés.
Ce qui est vrai pour l’indication du nom est, à plus
forte raison , vrai pour celle du domicile. Il est un cas
cependant où l’omission de celle-ci entraînerait la nul
lité de l’assurance. Comme si l’assuré était domicilié
dans un pays en état de guerre avec un autf*e. La con
fiscation de la propriété de leurs ennemis respectifs est
un droit pour les nations belligérantes. Appartenir à l’u
ne d’elles , par son domicile , serait donc une circons
tance qui aggraverait singulièrement le risque. Toute
rélicence à cet égard rentrerait sous l’application de l’ar
ticle 348. '
ET DE LA FRAUDE.
2° Sa Qualité de Propriétaire ou de Commissionnaire.
199. — En thèse ordinaire , l’accomplissement de
celte formalité n’est pas d’un grand intérêt pour les as
sureurs. En effet, que le souscripteur de la police soit
propriétaire ou commissionnaire, il n’en est pas moins
personnellement tenu du paiement de la prime. D’autre
part, il suffit, comme l’enseigne Emérigon, que l’ali
ment du risque soit réel, et que le connaissement soit
conforme à la police , pour que l’assurance doive sortir
à effet.
1 Valin, sur l’art. 3 ; — Emérigon, tom i, pag. 53,
12
�178
TRAITÉ DU DOL
200. — Cependant il est des hypothèses où l’omis
sion et l’inexactitude de la déclaration à cet égard peu
vent entraîner la nullité. Aussi devons-nous faire re
marquer que, malgré les énonciations de la police , les
assureurs sont toujours admis à agiter la question de
propriété, lorsque la connaissance du véritable proprié
taire peut ipfluer sur le sort du contrat.1
— L’assurance réalisée par un créancier pri
vilégié ou non , sur les effets de son débiteur , est-elle
valable ?
M. Pardessus enseigne l’affirmative. Il pense que dans
ce cas le créancier est présumé le mandataire du pro
priétaire, son débiteur.
Nous ne saurions admettre cette doctrine. En droit, il
est de principe que le mandataire oblige son mandant
pour tout ce qu’il a fait dans la limite de ses pouvoirs.
Or, cet effet pourrait-il se produire dans l’espèce ? Les
assureurs pourraient-ils faire condamner le propriétaire
de l’objet assuré âu paiement de la prime stipulée par
son créancier ? Celui-ci aura-t-il le droit de la répéter
après l’avoir payée ?
Notre première question n’est pas de pure hypothè
se. Le créancier qui a fait assurer peut, avant le paie
ment de la prime , tomber en déconfiture, devenir in
solvable. Comment, dans ce cas, les assureurs obtien
dront-ils leur paiement?
201 .
i Aix, 7 janvier 1823; J. du P., année 1823.
�179
Diront-ils que le propriétaire adonné un mandat ta
cite? Mais celui-ci répondra avec succès , que s’il n’a
pas lui-même fait assurer, c’est qu’il n’a pas cru qu’u
ne assurance fût nécessaire, ou qu’il a considéré comme
plus avantageux de courir pour son propre compte les
chances de la navigation , et de gagner ainsi lui-même
la prime plus ou moins considérable qu’il aurait fallu
payer aux assureurs. En présence d’une pareille décla
ration, d’une volonté de ce genre suivie d’exécution con
forme, comment présumer un mandat contraire.
Qu’on y prenne garde d’ailleurs. L’admission du
mandat tacite, en matière d’assurances, deviendrait bien
tôt une arme terrible contre les assureurs eux-mêmes :
on sait, par exemple, que le propriétaire qui fait assu- ’
rer, doit au moment de l’assurance faire connaître tou
tes les circonstances de nature à influer sur le risque ;
que celte obligation existe alors même que l’assurance,
ayant été contractée par mandataire, n’exige pas le con
cours personnel de l’assuré; que , dans ce dernier cas,
la dissimulation d’un fait essentiel , connu de celui-ci,
constitue la rélicence dolosive, alors même que le man
dataire ne l’a pas lui-même connu. Or, dans le système
du mandat tacite , à quelle date en placera-t-on l’ori
gine , comment reconnaitra-t-on s’il est antérieur ou
postérieur à l’accomplissement et a la connaissance du
fait constituant la réticence ? Et ce qui est possible lors
qu’il existe une lettre d’ordre, pourra-t-on le faire dans
un cas de mandat tacite ?
La réponse est facile. Il est clair en effet que bien souET DE LA FRAUDE.
�f
180
TR-UTÉ DU DOL
vent on exciperait de la qualité de créancier et consé
quemment du mandat tacite, ne fût-ce que pour se dis
penser de produire la lettre d’ordre, surtout lorsque par
sa date, par son contenu , celle lettre serait de nature à
prouver une réticence et à déterminer ainsi la nullité de
l’assurance.
Le système du mandat présumé ou tacite ouvrirait
donc une large porte à la fraude. On doit dès lors se
hâter de le proscrire , dans l’intérêt des assureurs euxmêmes.
En droit, ce système est insoutenable, soit qu’on l’en
visage sous l’influence du droit commun, soit qu’on le
rapproche des principes spéciaux de la matière.
Invoquerait-on en droit commun la disposition de
l’art. 1 1 6 6 , en faisant remarquer l’intérêt qu’avait le
créancier à ce que l’assurance préservât de tout péril le
gage de sa créance? Mais ce serait méconnaître le véri
table caractère de cette disposition et vouloir lui donner
une extension dont elle n’est pas susceptible.
Il est de principe, en effet, qu’il est des actes exclusi
vement réservés au débiteur , des droits qui sont telle
ment inhérents à sa personne , qu’ils ne peuvent être
exercés que par lui seul. Dans le nombre , se place in
contestablement le droit d’administrer sa fortune dont
l’exercice n’a et ne peut avoir d’autre juge que lui-mê
me. Aucun majeur ne peut être privé de ce droit, si ce
n’est dans les cas prévus par la loi, et notamment dans
ceux d’interdiction pour cause de démence ou par suite
de condamnation criminelle, ou de faillite.
�;
' ~
181
Or , contracter ou non une assurance , n’est-ce pas
administrer sa fortune ? La chance aléatoire qui en fait
la base , permet-elle de juger a priori si le débiteur a
bien ou mal fait de s’en abstenir? Il est sans doute pru
dent de prévoir un sinistre et de chercher à se mettre à
couvert de ses conséquences. Mais si le voyage réussit,
le défaut d’assurance aura été avantageux au débiteur,
en l’affranchissant du paiement d’une prime quelcon
que. L’art. 1166 n’a donc pas été admis pour régir une matière pareille. Ne pas faire assurer, constitue tout
au plus une imprévoyance, et la loi qui défend une in
action évidemment nuisible aux créanciers, n’a pu son
ger à les autoriser à suppléer à l’imprévoyance que leur
débiteur commet dans l’administration de ses biens.
Essayerait-on de l’art. 1167, voudrait-on faire con
sidérer l’inaction du débiteur comme une-fraude contre
ses créanciers ? Ce système serait insoutenable. Courir
soi-même les chances d’un voyage maritime , ne peut
jamais caractériser une fraude , car c’est là une faculté
que la loi n’a jamais interdit à personne. Or, on ne
saurait commettre une fraude lorsqu’on ne fait qu’user
d’un droit qu’il vous est loisible d’exercer.
De quoi d’ailleurs pourrait justement se plaindre un
créancier, fût-il privilégié sur la marchandise à assurer?
De deux choses l’une : ou il a connu au moment de la
vente ou du prêt la destination de l’objet affecté à sa cré
ance, et, s’il le jugeait utile, il devait stipuler l’obliga
tion pour son débiteur de faire l’assurance ou , mieux
encore , obtenir le mandat exprès de la contracter luiET DE LA FRAUDE.
'
�TRAITÉ DU DOL
m
même; ou il a ignoré cette destination, et, dans ce cas,
comme en négligeant dans le premier la précaution dont
nous venons de parler , il a volontairement suivi la foi
de son débiteur, et couru les chances du mode d’admi
nistration qu’il plairait à celui-ci de choisir.
Que si des principes ordinaires nous passons à ceux
régissant spécialement les assurances , nous acquérons
de plus fort la conviction que l’assurance par le créan
cier des facultés appartenant à son débiteur , ne saurait
constituer un de ces actes dont l’art. 1166 confère la fa
culté aux créancier d’un individu. L’assurance,en effet,
affecte la chose qui en fait l’objet. Le paiement de la
prime est privilégié sur les effets assurés '. Consentir la
promesse de ce paiement, c’est donc aliéner une portion
de la chose elle-même. Comment concilier un tel pou
voir avec l’absence de toute idée de propriété. Pour ac
cueillir le système que nous combattons, il faudrait donc
admettre que, par la disposition de l’art. 1166 , la loi
a permis au créancier de disposer des biens de son dé
biteur , sans son concours et sans l’intervention de la
justice.
Il y a plus encore. En cas de sinistre dépassant le
règlement d’avarie, le paiement de l’assurance ne peut
être poursuivi qu’après le délaissement des effets échap
pés au naufrage. Il est de l’essence de ce délaissement
de transférer la propriété de ces effets aux assureurs en
échange du prix qu’ils ont reçus dans le contrat. Les
1 Rouen, 5 décembre 1807 ; — Dalloz A., tom. n, pag. 58.
�183
qualités requises pour consentir ce délaissement sont
donc, chez celui qui est appelé à le faire, d’abord qu’il
ait été partie en l’assurance, ensuite qu’il ait la proprié
té de ce qui en a fait l’objet pour pouvoir la transmet
tre.
Or , dans l’espèce donnée , sera-ce le créancier qui
consentira le délaissement ? Mais il n’a aucun droit d’a
liéner ce qui n’est pas sa propriété. Le transfert qu’il en
aurait fait serait frappé d’une nullité radicale , comme
constituant la vente du fonds d’autrui. Sera-ce le dé
biteur ? Mais à quel titre ? Etranger à l’assurance , se
rait-il recevable à exiger des assureurs ce que ceux-ci
n’ont jamais été obligé de lui donner? On le voit donc,
le délaissement serait impossible et conséquemment l’as
surance ne pourrait jamais sortir à effet. Elle est donc
nulle.
Nous pensons avoir démontré que l’opinion de M.
Pardessus est inadmissible. Il faut donc conclure des ter
mes de l’art. 348 que, pour contracter valablement une
assurance, il faut être ou le propriétaire ou le manda
taire du propriétaire des objets assurés.
ET DE LA FRAUDE.
202. —• Il importe de remarquer que la déclaration
que l’on agit comme mandataire peut avoir son utilité
dans le cas surtout où il s’agit de prouver, par la date
de la lettre d’ordre , que le mandant connaissait avant
l’assurance une circonstance importante qui aurait été
tue aux assureurs. Nous avons dit que cela suffirait pour
constituer le dol présumé , alors même que le manda-
�_____________ ______ -c '
184
TRAITÉ DU DOL
taire eût été dans l’ignorance la plus complète et que
conséquemment la réticence ne pût lui être imputée.
C’est à bon droit cependant qu’on n’a pas fait de celte
déclaration une condition essentielle à la validité de l’ac
te. Les assureurs ayant la faculté d’agiter la question
de propriété, même dans le cas où l’assurance est con
tractée pour le compte de qui il appartiendra arrive
ront facilement à apprécier la qualité en laquelle a agi
le souscripteur de la police ; et s’il n’a joué que le rôle
de commissionnaire , la nécessité de communiquer la
lettre d’ordre, s’il en existe de spéciale, leur assure l’e
xercice de leurs droits contre le réclamant.
"
i
205. — L’art. 348 ne fait pas un devoir au com
missionnaire de faire connaître le nom de son mandant.
Il est cependant un cas où le silence gardé sur ce point
constitue une réticence dolosive. Ainsi , si le proprié
taire de qui l’ordre d’assurer émane appartenait à une
nation belligérante, l’assurance dans laquelle il ne se
rait pas indiqué serait frappée de nullité, comme enta
chée d’une réticence dolosive.1
1 Aix, 7 janvier 1823.
Bordeaux, <18 février 1823; — Aix, 26 juin 1826; — D. A., t. n,
pag“. 67 ; et J. du P., année 1826; — Orléans , 7 janvier 184b; —
J. du P., tom. î, 1845, pag. 171.
2
�ET DE LA FRAUDE.
185
3” Le Nom et la Désignation du Navire.
204. — La connaissance du navire qui doit être
l’objet ou le lieu du risque est un des éléments essentiels
de l’assurance. C’est par elle que les assureurs appré
cieront les chances de l’opération par le plus ou moins
de dangers qu’offrent les qualités du navire , sa cons
truction, son âge. Conséquemment, si l’assuré a inexac
tement signalé le nom du navire, l’assurance qui a été
consentie sur le corps de ce navire est évidemment
nulle. La fausseté de la déclaration , son inexactitude
même , crée une présomption de dol. Dans la même
hypothsse, l’omission du nom enlèverait tout aliment au
risque et annulerait par conséquent l’assurance.
205. — Quel est l’effet de l’omission du nom et de
la désignation du navire, lorsque l’assurance a pour ob
jet des effets ou marchandises ? La première ne doit pas,
au sentiment de M. Pardessus , entraîner la nullité de
l’assurance. L’assureur, dit il, qui accepte la police en
l’état de cette omission , est censé s’en être rapporté à
l’assuré sur le choix du navire1, il devrait en être de
même du défaut de désignation.
Celte solution nous parait renfermer une exacte ap
préciation de l’esprit de la loi. 11 n’y a de réticence pré1 N° 806. — Voy. Boulay-Paty, tom. ni, pag. 320.
�186
TRAITÉ DU DOL
sumée dolosive, que celle qui s’exerce sur un fait ignoré
ou qui a dû nécessairement l’être de l’assureur. Si la
réticence est l’œuvre commune des parties , il y aurait
rigueur extrême à n’en punir qu’une seule. L’assureur
ne doit pas être récompensé de sa propre négligence.
Or , il s’en convaincrait lui-même , si , ayant intérêt à
connaître le nom et la désignation du navire , il a ac
cepté une police sans exiger cette double indication.
206. — Mais on ne saurait décider de même si,
sans omettre le nom du navire, on avait fait à cet égard
une fausse déclaration ou commis une inexactitude.
L’indication entachée de ce vice constituerait une nul
lité radicale sous un double rapport : 1° pour réticence
dolosive, en vertu de l’art. 348 ; 2° en ce que l’assuré
n’ayant aucun risque à bord du navire déclaré, l’assu
rance n’aurait jamais eu d’aliment réel.
207. — Toutefois on doit remarquer que si l’erreur
ou l’inexactitude ne consistait que dans l’omission d’un
des noms du navire, et qu’il fût possible par les circons
tances ou les énonciations de la police d’en établir l’i
dentité , il n’y aurait pas lieu d’annuler l’assurance. Il
ne faut pas, dit Yalin ', pointiller sur le nom du navi
re ; ainsi l’assurance faite sur le Brigantin , le LionHeureux . désignée dans la police sous le nom seule
ment du Brigantin l'Heureux, a été déclarée valable par
i Sous l’article 3-
�187
arrêt d’Àix , du 2 mai 1750. Telle est aussi l’opinion
de Casaregis : Error lamen alicujus nominis navis, non
atlenditur quando aliis conjecturis constat de identitate navis.'
ET DE LA FRAUDE.
208. — La force du navire , son âge , ses qualités
sont tout autant de circonstances essentielles de la navi
gation. Toute fausse déclaration à cet égard influerait
donc sur l’opinion du risque et annulerait l’assurance.
Ainsi désigner le navire comme un trois-mâts, dire qu’il
est nouvellement sorti des chantiers, lorsqu’en réalité il
s’agit d’un brick ou d’un tout autre navire qui navigue
depuis longtemps , c’est placer l’assurance sous le coup
de la disposition de l’art. SAS.”
Plus un navire a un tonnage supérieur , plus l’équi
page est nombreux et capable par conséquent, par la
promptitude de la manœuvre, de parer à un besoin ur
gent. On comprend de même qu’un navire , déjà fati
gué par une longue navigation, opposera une résistance
moins vive que celui qui est encore intact. La prime
exigée ou à exiger se calculera sur ces données , e t, si
celles fournies à l’assureur ne sont pas exactes, celui-ci
aura été placé vis-à-vis de l’assuré dans une position
défavorable, et nous avons vu qu’il ne doit jamais en
être ainsi.
De ces considérations résulte cette conséquence , que
1 Diseurs. 4, n° 459.
2 Valin, sous l’article 3,
�188
TRAITÉ DU DOL
si l’erreur, dans la désignation, est en sens inverse de
celui que nous venons d’indiquer : si, par exemple, un
trois-mâts avait été qualifié de brick; si un vaisseau,
sorti actuellement du chantier, avait été indiqué comme
naviguant depuis un temps plus ou moins long , on
pourrait ne pas voir là la fausse déclaration punie par
l’art. 348 , et décider que l’inexactitude de la désigna
tion n’a ni diminué, ni changé le risque.
L’obligation de désigner le navire comprend celle de
déclarer s’il est armé en course. Celte déclaration a pour
but d’éclairer les assureurs sur le degré du risque à as
surer. Loin de fuir le danger, un navire armé en course
le recherche, les chances de sinistre sont ainsi plus nom
breuses; taire cette circonstance serait donc commettre
une réticence dans le sens de l’art. 348.
Une désignation non moins importante est celle du
pavillon et de la nationalité du navire. Une fausse énon
ciation à ce sujet pourrait entraîner la nullité de l’assu
rance. Si même un navire étranger, acheté par un Fran
çais, n’avait encore obtenu qu’une francisation provi
soire de la part du consul français du lieu où l’achat a
été fait, cette circonstance devrait être déclarée. Ce na
vire pouvant, dit M. Dageville, éprouver des avaries dont
un navire français serait à l’abri'. L’assureur serait fon
dé à s’affranchir des suites de pareils accidents , si le
navire lui avait été désigné purement et simplement
comme français.
1 T. 3, no 59.
�ET DE LA FRAUDE.
189
209. — L’obligation de déclarer le nom et la dési
gnation du navire cesse, lorsqu’il a été impossible à l’as
suré de le connaître. Telle est l’hypothèse prévue par
l’art. 337, d’un chargement fait aux Echelles du Levant,
aux côtes d’Afrique et autres parties du monde , pour
l’Europe. Comme on peut dans ce cas ignorer quel sera
le navire sur lequel le chargement s’opérera, l’assurance
peut être stipulée in quovis ; ce mot, dit Emérigon , est
une espèce de désignation, implicite du navire , laquelle
suffit, attendu la nécessité des circonstances'. L’art. 337
n’en exige pas d’autre.
4°
L e N o m d u C a p ita in e .
2 Ï0 . — L’indication du nom du capitaine est utile
sous un double rapport. En premier lieu, elle complète
la désignation du navire; elle peut, en second lieu, in
fluer sur l’opinion du risque par l’idée favorable que le
commerce a pu concevoir de l’habileté, des talents et du
mérite de celui qui commandera le navire.
2 1 1 .-— Comme pour les désignations qui précèdent,
il faut distinguer , pour ce qui concerne le capitaine,
l’omission de la fausse indication. La première ne fait
pas présumer le dol, elle est d’ailleurs imputable à l’as1 T. i , chap. 2, sect. 7, pag. S4.
�TRAITÉ DU DOL
190
sureur comme à l’assuré. Aussi la doctrine et la juris
prudence ont-elles consacré le principe enseigné par les
anciens jurisconsultes, à savoir : que l’assureur, qui au
rait accepté une police dans laquelle le nom du capitaine
serait omis, ne pourrait plus tard en demander la nul
lité à cause de cette omission.'
Mais il en serait autrement pour l’inexactitude ou la
fausseté de l’indication. Par cela seul qu’une plus gran
de confiance peut s’attacher à tel ou tel nom, l’assureur
se trouverait réellement trompé si, au lieu d’être com
mandé par le capitaine désigné, le navire l’était réelle
ment par un autre. La preuve de l’erreur ou de la faus
seté donnerait donc naissance à la présomption de dol.
212, — Il y a plus encore , si le capitaine désigné
commandait réellement le navire et qu’il eût été rem
placé après l’assurance, l’assuré ne pourrait se soustrai
re à la demande en annulation. Mais ce principe reçoit
exception : 1° dans le cas. où le changement est le fait
des armateurs étrangers à la police d’assurance ; 2° si
la cause du changement provient d’une force majeure,
comme la démission, la maladie , le décès ou l’empri
sonnement du capitaine ; 3° si la police renferme la
clause on tout autre pour lui.
La loi n’a pu vouloir l’impossible , il suffit que l’as
suré réponde de son fait. Aller au delà , c’était exiger
i Pothier, n» 106. Observations de la Cour de cassation.
�191
une iniquité. Les deux premières exceptions sont donc
parfaitement rationnelles. La troisième n’est pas moins
juste, elle n’est que la conséquence de la latitude que
l’assureur lui-même a reconnu à l’assuré.
Toutefois, cette latitude doit se renfermer dans des li
mites équitables et naturelles. Elle ne va pas, par exem
ple, jusqu’à autoriser le choix d’un capitaine , auquel
on n’aurait eu que peu ou point de confiance, s’il avait
été connu. Spécialement le remplacement d’un capitai
ne français par un étranger pourrait motiver l’annula
tion de l’assurance.'
ET DE LA FRAUDE.
215. — La clause ou tout autre pour lui ferait-elle
disparaître l’effet de la fausse déclaration ?
On pourrait dire pour la négative que la faculté de
remplacer le capitaine n’a été considérée que comme une précaution dont l’assureur a pu croire qu’on s’abs
tiendrait ; que conséquemment on l’a trompé , en lui
laissant entrevoir une chose impossible, le capitaine in
diqué ne pouvant continuer de diriger pendant un temps
quelconque un navire qu’il ne commandait pas, qu’il
n’a peut-être jamais commandé. Mais l’idée , que la
connaissance du capitaine a pu influer sur l’opinion du
risque, n’est qu’une présomption devant, comme toutes
les présomptions, s’évanouir en présence de la preuve
contraire. Or il est vrai, que l’admission de la clause ou
tout autre pour lu i, indique, de la part de l’assureur,
1 Casaregis, Diseurs. 63, n° 6 ; — Valin, sur l’article 52.
�r
i
192
TRAITÉ DU DOL
une complète indifférence sur celui aux mains de qui le
navire sera confié. Il ne pourrait donc soutenir avec
quelque fondement que la fausse déclaration qui lui en
a été faite a altéré ou changé le risque.
Le remplacement du capitaine , hors des cas excep
tionnels ci-dessus indiqué, constituerait une présomption
de dol déterminant la nullité de l’assurance. Toutefois
cela n’est absolument vrai que dans l’hypothèse où le
changement a été effectué subrepticement et à l’insu des
assureurs. Aussi doit-on distinguer entre celui qui a été
effectué après le départ du navire, de celui qui a eu lieu
avant. Le premier n’est sans influence sur l’assurance
qu’en cas de nécessité constatée. Le second, au contrai
re, serait de nul effet sur la validité du contrat si, l’ayant
su et connu, les assureurs n’avaient pas réclamé avant
le départ du navire.
L’impossibilité de connaître le navire à bord duquel
se trouvera le risque , dans le cas prévu par l’art. 337
du Code de commerce, entraîne celle de connaître le ca
pitaine. L’assurance faite in quovis est valable, malgré
l’absence de déclaration à cet égard.
5“
L e L i e u o ù le s M a r c h a n d is e s o n t é t é o u d o iv e n t ê t r e
C h a rg ées.
214. — L’omission de cette indication serait de nul
effet si le temps du risque était fixé dans la police. Il
est certain alors que tout le chargement doit être opéré
�193
au moment où ce risque commence. En d’autres ter
mes, si les obligations des assureurs partent à la sortie
d’un port déterminé, il est évident que ce port a dû être
le lieu du chargement, et que tout ce qui aurait été char
gé postérieurement à la sortie du navire ne pourrait être
compris dans l’assurance.
ET DE LA FRAUDE.
215. — Il n’en serait pas de même si l’assuré avait
inexactement déclaré le lieu du chargement. Celte in
exactitude pourrait, si elle était de nature à influer sur
l'opinion du risque , constituer la présomption de dol
pour fausse déclaration.
Ainsi, l’assurance prise sur les facultés chargées ou
à charger à bord d’un navire de sortie d’un port dési
gné, tandis que le chargement avait été embarqué anté
rieurement sur le même navire dans un autre port plus
éloigné, est nulle à l’égard des assureurs, soit pour dé
faut d’identité, soit pour fausse déclaration ou réticence
de la part de l’assuré.1
Il y a, en effet, dans cette hypothèse, plus qu’une omission sur le lieu du chargement; il y a, en outre, le
silence gardé sur un fait accompli, connu de l’assuré, et
qui devait conséquemment être connu des assureurs. Il
n’y a égalité parfaite entre les parties que lorsque toutes
les circonstances, se rapportant à la matière du contrat,
ont pu réciproquement être appréciées.
1 Aix, 22 mai 4836; — Clariond, t. 16, 4, 402.
I
43
�TRAITÉ DU DOL
194
Ainsi s i, au lieu d’omettre seulement le lieu où les
marchandises ont été ou doivent être chargées, on le dé
signe inexactement ou faussement, il y a nullité pour
fausse déclaration ; il y a plus encore en réalité, il n’y a
jamais eu d’assurance. On ne pourrait pas plus, dit M.
Dalloz jeune, appliquer à des cotons, par exemple, char
gés en un lieu, l’assurance faite sur des cotons chargés
en un autre lieu , qu’on ne pourrait appliquer à des
balles de coton marquées A.B, une assurance faite sur
des balles marquées M.C. '
6°
L e P o r t d ’o ù le N a v i r e a d û P a r t i r ;
dans
le s q u e ls i l
d a n s le s q u e ls i l
—
L e s P o r ts ou R ades
d o it C h a r g e r o u D é c h a r g e r ;
d o it E n t r e r ;
—
—
C eux
L es T em ps a u x
q u e ls le s R is q u e s d o iv e n t C o m m e n c e r e t F i n i r .
216. — Ces diverses indications sont essentielles à
la validité de l’assurance. Elles se rapportent, en effet,
à la navigation du navire, c’est-à-dire au point culmi
nant pour l’appréciation de la prime que les assureurs
doivent exiger.
La déclaration du port d’où le navire a dû partir ne
serait pas indispensable si , au moment de l’assurance,
le navire était ancré dans un port déterminé et que le
temps du risque dût commencer à son départ. Mais sou
vent l’assurance est contraçtée lorsque le navire est déjà
i D iction n a ire g én éra l, v° A ssuran ces , n° 88.
�195
en cours de voyage, et la désignation du port d’où il a
dû sortir acquiert un degré d’importance incontestable.
Toute omission à cet égard constituerait une réticence
dolosive entraînant la nullité de l’assurance.
ET DE LA FRAUDE.
217. ~r On ne doit pas entendre, par la déclaration
exigée à cet égard par la loi , l’accomplissement d’un
fait matériel, la désignation du port d’où le navire est
réellement sorti seulement. L’obligation imposée à l’as
suré comprend virtuellement celle dé faire connaître le
jour du départ et toutes les circonstances qui ont depuis
signalé la navigation du navire. C’est ce qu’a décidé le
Tribunal de Marseille dans l’affaire Argenti, et c’est aussi
ce que consacre la jurisprudence des Cours souveraines
218. — Dans une espèce jugée par la Cour d’Aix,
une assurance sur bonnes ou mauvaises nouvelles avait
été contractée sur le corps du navire danois la Rosalie
pour un voyage de,Lisbonne à Trieste. Le risque était
mis à la charge des assureurs à partir des jour et heure
auxquels le navire a ou aura pris charge , ou soit du
moment de son départ de Lisbonne.
Il résultait de la lettre d’ordre, produite après délais
sement , qu’au moment de l’assurance les assurés sa
vaient que le navire était parti de Lisbonne depuis deux
mois et demi ; que le capitaine n’avait plus donné de
puis lors de ses nouvelles. Les assureurs, considérant le
silence gardé sur ces deux points comme une réticence
dolosive, demandent la nullité de l’assurance.
�TKAITÉ DU DOL
196
Cette demande , que les assurés repoussaient par des
moyens de fait et de droit, notamment en se fondant
sur la clause sur bonnes ou mauvaises nouvelles, et sur
ce que le taux de la prime avait été fort élevé, lut ac
cueillie par la Cour dans les termes suivants :
« Considérant que la réticence prévue par l’art. 348
a été commise , puisque les polices d’assurance présen
tent le risque à partir des jour et heure auxquels le na
vire a ou a u r a pris charge, ce qui a laissé les as
sureurs dans l’incertitude si le navire était ou non parti,
tandis que Cazalis et Tutein , qui ont fait assurer , avaient connaissance, par la lettre d’ordre datée de Ham
bourg le 16 août, que le navire était parti depuis le 22
mai et que le capitaine n’avait donné depuis lors aucun
signe de vie ; ce qui ne permet pas de douter que l’opi
nion du risque a été réellement déguisée aux assureurs
» Considérant que la clause sur bonnes ou mauvai
ses nouvelles ne couvre pas la réticence qui a été com
mise ; que le contrat d’assurance n’est valable qu’autant
qu’il y aurait de part et d’autre ignorance de toutes les
circonstances sur l’opinion du risque.'»
Deux arrêts postérieurs de la même Cour sont venus
consacrer les mêmes principes en décidant, le 14 janvier
1826, que l’assurance est nulle pour cause de réticence
si, connaissant l’époque du départ du navire au temps
i Dalloz A., tom. n, pag. 61.
�197
du contrat, l’assuré ne l’a pas déclarée 1; en jugeant,
le 17 juillet 1829 , qu’il y a réticence , et conséquem
ment nullité du contrat de réassurance, lorsque les ré
assurés laissent ignorer aux réassureurs que le navire,
objet de la convention, comptait, à l’époque du premier
contrat, quatre-vingt-trois jours de navigation.2
219. — Même jurisprudence de la part de la Cour
de Bordeaux qui a annulé l’assurance contractée dans
l’espèce suivante :
Le 21 ventôse an vi, Roi et Laguigneux font assurer
la barque le Cerf. Le courtier d’assurance déclare que
cette barque n’a descendu la rivière que depuis quatre
à cinq jours.
Le 23 ventôse, c’est-à-dire deux jours après, les as
surés signifient le délaissement de cette barque , captu
rée par les Anglais dès le 11 du même mois. Mais les
assureurs contestent le délaissement pour réticence et
fausse déclaration sur le jour du départ. Ils concluent,
en conséquence, à la nullité de l’assurance.
C’est, en définitive, ce qui fut consacré, par arrêt du
4 fructidor an v iii , par les motifs suivants :
« Considérant que l’assurance n’a été faite que le 21
ventôse; que le bâtiment était en mer depuis le 10 ;
que non seulement les assureurs n’ont pas été instruits
de cette circonstance déterminante qu’on leur avait dis—
ET DE LA FRAUDE.
1 J. du P., année 1826.
2 D. P., 29, 2, 221.
�198
TRAITÉ DU DOL
simulée, mais qu’on leur a affirmé que ce bâtiment n’é
tait descendu que depuis quatre à cinq jours.' »
Enfin, la même Cour vient de juger qu’il y a vérita
ble réticence de la part de l’assuré qui se borne à dé
clarer simplement que le navire , objet de l’assurance,
est de relâche dans un port, sans annoncer que la relâ
che est forcée par les événements de mer et que le na
vire, encore hors du port, se trouve dans une situation
périlleuse.1
220. — On voit, par ce qui précède, de quelle ma
nière il faut comprendre l’obligation de déclarer le port
d’où le navire a dû partir. Une désignation pure et sim
ple suffit si le navire n’était pas encore parti au mo
ment de l’ordre ou à l’époque de l’assurance. Mais si
celle-ci est contractée pour un navire en cours de voya
ge, c’est le récit exact de sa navigation , le moment de
son départ et les diverses contrariétés qu’il a éprouvées.
Ici l’omission pure et simple équivaut à la réticence
prévue par l’art. 348. On ne saurait, en effet, l’impu
ter aux assureurs que la loi n’oblige à connaître que ce
qui leur est déclaré et qui peuvent être de très-bonne
foi dans l’ignorance absolue concernant le navire qu’ils
assurent.
221. — La seconde obligation imposée à l’assuré
par le paragraphe actuel, est de déclarer les ports ou
1 D. P., 23, 2, 442.
s J du P., 7 avril 1838.
�199
rades dans lesquels il doit charger ou décharger , ceux
dans lesquels il doit entrer.
L’entrée dans les ports ou rades présente toujours
plus ou moins de périls pour les navires. La sortie ellemême n’est pas toujours sans inconvénients ; le séjour
au milieu d’une foule d’autres navires peut quelquefois
déterminer une catastrophe. Ces chances, pour être plus
ou moins éloignées, plus ou moins probables , ne lais
sent pas que d’exister. Elles entrent, comme éléments
essentiels, dans l’appréciation à faire par l’assureur.
C’est à l’assuré à lui fournir ces éléments. Lui seul,
en effet, connaît le secret de ses opérations et l’itiné
raire que doivent suivre ses marchandises ou son navi
re. Il doit d’ailleurs, et lorsque le navire ne lui appar
tient pas, s’informer exactement de la destination qu’il
a reçue.
Conséquemment, s’il déclare assurer pour un voyage
de tel port à tel autre, l’assurance ne sera valable que si
le navire se dirige directement de l’un sur l’autre. S’il
aborde un ou plusieurs ports intermédiaires, s’il dépas
se le poiDt d’arrivée, s’il rétrograde, le silence gardé à
cet égard dans la police constitue une réticence prévue
et réprimée par l’art. 348.
ET DE EA FRAUDE.
222. — Ce principe reçoit exception :
1° Si l’entrée dans les ports intermédiaires, si l’obli
gation de dépasser le point d’arrivée ou de rétrograder
n’est que la conséquence d’une fortune de mer. Il y a
alors force majeure que personne ne pouvait prévoir,
�200
TRAITÉ DU DOL
que l’assuré ne pouvait, dès lors, être tenu de déclarer.
Mais on comprend que l’assuré qui exciperait de cette
force majeure pour repousser la nullité fondée sur la ré
ticence, serait obligé d’en rapporter la preuve.
2" Si l’assurance est contractée pour un temps fixe
et pour tel voyage qu’il plaira à l’assuré d’entreprendre.
L’assureur qui a accepté ces conditions ne pourrait se
plaindre d’une réticence, car puisque à l’époque où l’as
surance est contractée, l’assuré n’est pas lui-même fixé
sur les voyages à entreprendre, on ne saurait raisonna
blement exiger de lui ni le nom du port dont le navire
a dû sortir, ni ceux où il chargera et déchargera , ni,
enfin, ceux où il doit entrer.
Cependant si , au moment du contrat, le navire qui
en fait l’objet était en cours de voyage, l’assuré doit in
diquer le port d’où il est sorti. La connaissance de ce
fait peut être essentielle à l’appréciation du risque. C’est
là, d’ailleurs, un fait accompli dont l’assuré a une con
naissance parfaite. Il peut donc, et il doit le communi
quer à l’assureur , ainsi que toutes les circonstances se
rattachant à la navigation depuis le départ jusqu’à l’é
poque de l’assurance. L’omission de cette formalité cons
tituerait la réticence présumée dolosive.
3° Si l’assuré s’est réservé la faculté de faire échelles.
La conséquence de cette clause de la police est de per
mettre de toucher aux ports situés entre le point du dé
part et celui d’arrivée. Mais cette faculté ne comprend
pas celle de rétrograder ni de dépasser celui-ci. Le si
nistre survenu en exécutant l’un ou l’autre de ces mou-
�ET DE LA FRAUDE.
201
vemenls resterait pour le compte de l’assuré. Il en serait
de même si le navire s’écartait de la ligne directe et en
trait dans un port que celle-ci devait lui faire éviter.
223. — Enfin, le moment à partir duquel le risque
doit être à la charge des assureurs, doit être fixé, ainsi
que le moment où le risque doit finir. Mais ces dési
gnations ne sont pas de rigueur. La loi elle-même a
pourvu à leur omission dans les art. 341 et 328 du Code
de commerce. Ainsi,[àj’égard du navire, des agrès, ap
paraux, armement et victuailles, le risque court du jour
que le navire a fait voile, jusqu’au jour où il est ancré
et amarré au port ou lieu de sa destination. A l’égard
des marchandises , le temps des risques court du jour
qu’elles ont été chargées dans le navire ou dans les gabarres pour les y porter , jusqu’au jour où elles seront
délivrées à terre.
224. — Cette disposition ne modifie en rien les obligations imposées aux assurés. Ils n’en sont pas moins
tenus, sous peine de réticence, de déclarer tout ce qu’ils
ont appris de l’état du navire, depuis le jour de son dé
part jusqu’au moment où ils contractent l’assurance.
Rappelions-nous, en effet, que l’esprit de la loi ne
saurait être plus évident. Pour que l’assurance soit va
lable, il faut que les deux parties soient dans une éga
lité parfaite de position , relativement au risque qui en
fait l’objet. Toutes les fois donc que cet équilibre n’exis
tera pas, la convention sera présumée le résultat du dol,
et, comme telle, frappée de stérilité et d’impuissance.
�TRAITÉ DU DOL
Aussi la jurisprudence n’a-t-elle jamais varié dans
l’application et l’interprétation des art. 332 et 348 du
Code de commerce. Que la loi ait ou non expressément
exigé la déclaration d’un fait, il suffit que ce fait soit.de
nature à influer sur l’opinion du risque, pour que l’as
suré doive le déclarer , sous peine de nullité de l’assu
rance. De nombreux exemples prouvent l’exactitude de
cette proposition.
Ainsi il a été admis et jugé :
1° Que le réassuré qui n’a pas fait connaître aux ré
assureurs les bruits, mêmes vagues, qui couraient sur la
perte du navire assuré à l’époque du contrat, et dont
il avait connaissance , commet une réticence de nature
à entraîner la nullité de l’assurance ; 1
2° Que l’assuré qui sait au moment de l’assurance
que deux navires , partis quatre jours après le sien du
lieu désigné dans la police, sont arrivés depuis deux jours
au même lieu de destination, commet une réticence do
losive, s’il ne déclare pas ce fait aux assureurs, lorsque
d’ailleurs un court trajet sépare le lieu du départ du lieu
de la destination ; *
3° Que la seule dissimulation des inquiétudes que
peut avoir, lors du contrat d’assurance, le consignataire
d’un navire qui connaît le jour du départ, et qui sait
que la durée ordinaire de la traversée est de beaucoup
i Aix, 8 octobre 1813 ; D. A., 2, 63.
s Aix, 9 février 1830 : D. P.. 30, 2, 232.
�203
dépassée sans que le navire soit arrivé à sa destination,
constitue une réticence qui doit faire annuler l’assurance
commise par le consignataire, et faite par son manda
taire ; 1
4° Que l’assuré qui sait que ses marchandises ont
été placées sur le tillac commet une réticence , dans le
sens de l’art. 348 , s’il omet de le déclarer aux assu
reurs. Ce fait exposant les marchandises à un plus grand
danger, soit par rapport aux intempéries des saisons,
soit par rapport au jet à la mer, est de nature à influer
sur l’opinion du risque.1
Nous pourrions multiplier les hypothèses, car la doc
trine et la jurisprudence sont unanimes sur le point que
nous indiquions tout à l’heure , à savoir : que l’assuré
est obligé de déclarer tout ce qu’il sait sur ce qui con
cerne la navigation du navire, objet ou porteur du ris
que ; que sa déclaration doit renfermer l’exacte vérité.
N’oublions pas en effet que la fausse, déclaration est pla
cée sur la même ligne que la réticence , et que l’on ne
doit pas témoigner moins de sévérité pour l’une que
pour l’autre.
Il est évident, en effet, que le résultat pour les assu
reurs est le même , soit que l’erreur dans laquelle on
les a jetés provienne de l’omission, soit qu’elle provien
ne d’une fausse déclaration. Ils ont donc le droit de
ET DE LA. FRAUDE.
1 Rennes, 24 janvier 1844; — J. du P., 44, 1, 406.
Pardessus, n° 814. — Boulay-Paty, tom. ni, pag. 511.
2
�204
TRAITÉ DU DOL
faire prononcer la nullité du contrat, dans l’une comme
dans l’autre hypothèse..
C’est ce qui est prescrit par l’art. 348 , d’où la doc
trine a tiré cette conséquence que l’obligation de faire
une déclaration exacte est absolue ; qu’elle s’étend mê
me au cas où cette déclaration porterait sur un fait que
l’assuré n’était pas obligé de déclarer. Ainsi il n’est pas
d’usage, dans les polices d’assurance, de faire mention
du nombre d’hommes et des canons d’un navire ; ce
pendant l’assuré qui croirait devoir déclarer l’une et
l’autre, verrait annuler l’assurance , s’il l’avait fait in
exactement.1
Nous avons parcouru les obligations imposées par la
loi aux assurés, et dont l’exécution est garantie par une
véritable peine , la présomption de dol, et conséquem
ment la nullité de l’assurance. 11 nous reste à examiner
la nature de cette présomption ; par qui elle peut être
invoquée.
225. — La présomption de dol résultant des cir
constances prévues par l’art. 348 est juris et de jure,
c’est-à-dire qu’elle produit tout son effet par cela seul
que la réticence , la fausse déclaration ou la différence
entre la police et le connaissement existe , elle est donc
indépendante de la bonne ou de la mauvaise foi de l’as
suré. Vainement donc celui-ci se prévaudrait-il de la
1 Delvincourt, tom. n, pag. 394 ; — Pardessus, n° 330 ; — BoulayPaty, tom. ni, pag. 510 et 511.
�205
pureté de son intention, vainement offrirait-il la preuve
qu’il a été lui-même trompé. Cette preuve devrait être
écartée, car l’erreur constatée, la bonne foi certaine n’em
pêcherait point la nullité de l’acte. Sans cette rigueur,
l’art. 348 ne serait plus qu’une source de procès diffi
ciles et ruineux.
ET DE LA FRAUDE.
226. — De plus, cette présomption est exclusive
ment en faveur des assureurs. Eux seuls peuvent donc
l’invoquer. L’assuré ne pourrait, après le voyage opéré,
exciper de sa réticence, de sa fausse déclaration, de la
différence entre le connaissement et la police, soit pour
se soustraire au paiement de la prime,soit pour en pour
suivre le remboursement. S’il en était autrement, com
bien d’assurés qui recourraient à ce moyen, dont la dé
couverte n’est pas toujours facile, pour rendre la posi
tion des assureurs plus intolérable encore.
Il est un seul cas où la nullité de l’assurance peut être indifféremment demandée par l’assureur ou par l’as
suré. C’est lorsque l’assurance est faite après la perte ou
l’arrivée à bon port du navire, au lieu de sa destina
tion. Si l’assuré connaît la perte , si l’assureur connaît
l’arrivée, il n’y a plus d’aliment sérieux au contrat. Son
acceptation, comme sa proposition, n’est plus qu’un acte
de déloyauté et de mauvaise foi qu’on ne saurait tolérer
et moins encore consacrer.1
r .
1 Art. 36S-366 Cod. de comm.
�206
TRAITÉ DU DOL
227. —• En résumé l’assurance, étant un contrat
exceptionnel, ne pouvait se comprendre et se pratiquer
que par le principe de la bonne foi la plus rigoureuse.
Laisser son appréciation sous l’empire du droit commun,
c’était livrer les assureurs aux fraudes et à la déloyauté
des assurés. Ce résultat, tendant à rendre cette branche
d’industrie impossible , était un malheur social par la
restriction forcée qu’il amenait dans les expéditions ma
ritimes. On a donc sagement agi en adoptant un systè
me spécial que l’on peut réduire aux quatre observa
tions que nous empruntons à M. Dalloz aîné : 1
4° L’assuré est toujours dans son tort, toutes les fois
qu’il n’a pas fait connaître quelque circonstance essen
tielle qu’il ne pouvait pas ignorer, que ce soit par frau
de, oubli ou simple négligence ;
2° Lors même que la réticence ou la fausse déclara
tion porterait sur des choses que l’assuré n’était pas obligé de déclarer , il en serait responsable si ces choses
devaient influer sur l’opinion du risque ;
3° C’est à l’assureur seul qu’appartient le droit de de
mander la nullité du contrat pour cause de réticence ou
de fausse déclaration, et, seul aussi, il est chargé d’ad
ministrer la preuve des circonstances qu’il allègue ;
4° Enfin , c’est aux juges à apprécier si les circons
tances non déclarées ont, ou non , influé sur l’opinion
du risque.
�207
228. — La preuve de la réticence est à la charge
de l’assureur qui s’en prévaut. Ce principe ne pouvait
souffrir aucune contradiction ; il est en effet certain que,
soit que la rélicence soit opposée comme exception à
l’action en délaissement, soit qu’elle devienne le fonde
ment d’une demande principale en nullité de l’assuran
ce, l'assureur qui en excipe est réellement, quant à ce,
demandeur, et qu’en cette qualité il doit justifier sa pré
tention.
Cette justification peut être écrite ou orale. En effet, la
preuve testimoniale est dans ce cas complètement ad
missible, même en vertu des principes ordinaires. Il est
certain que l’assureur n’a pu se procurer une preuve
littérale, il est donc placé dans l’une des exceptions au
torisées à la règle tracée par l’art. 1341.
ET DE LA FRAUDE.
229. — Il n’en est pas de même de l’assuré qui
prétendrait avoir dénoncé le fait constituant la réticence.
L’art. 1341 , qui prohibe la preuve par témoins outre
et contre le contenu de l’acte, ou de ce qui aurait été dit
avant, pendant ou après , est parfaitement applicable.
Car il est incontestable que l’assuré a eu le moyen de
se procurer une preuve écrite , qu’il ne se trouve par
conséquent dans aucun des cas d’exception , qu’on ne
pourrait dès lors le récompenser d’avoir failli à un de
voir qui lui était rigoureusement imposé par la loi.
Il est vrai qu’en matière commerciale, l’admissibilité
de la preuve orale est de droit commun. Mais on doit
excepter de celte règle les actes pour lesquels la loi exi-
j
�208
TRAITÉ DU DOL
ge la forme littérale. Ainsi l’existence d’une société com
merciale ne pourrait être faite entre associés par la preu
ve testimoniale ; or, ce que la loi exige pour les sociétés,
elle le prescrit pour les assurances, les unes comme les
autres doivent être constatées par écrit.
250. — De là cette conséquence que la police d’as
surance, comme l’acte de société , fait, contre et en fa
veur des parties, foi pleine et entière. L’omission, dans
la police, de la mention du fait constituant la réticence,
établit donc la preuve certaine de la non-déclaration.
En présence de cette preuve , en présence surtout de la
nécessité d’une déclaration écrite, toute prétention de
prouver le fait par témoins serait inadmissible.
C’est ce qui résulte de la jurisprudence. Les arrêts sont
unanimes sur les divers points suivants, à savoir : que
l’intention des parties ne peut prévaloir sur la lettre ou
l’énonciation écrite de la police ; que, dans le doute mê
me, la convention doit être interprétée contre l’assuré
dans tout ce qui concerne les obligations qui lui sont
imposées ; qu’il est impossible dès lors d’autoriser la
preuve testimoniale.
Cette dernière proposition a été notamment formelle
ment consacrée par l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix, du
1 4 avril 1818, que nous avons transcrit plus haut. Dans
l’espèce , les assurés soutenaient que les assureurs n’a
vaient ignoré aucune des circonstances essentielles ; ils
rapportaient une déclaration du notaire ayant reçu la
police, portant que les assureurs avaient été instruits de
�209
l’époque du départ du navire et de la lettre d’ordre écrite aux assurés ; comme preuve de cette connaissance,
ils excipaient du taux élevé de la prime ; subsidiaire
ment ils demandaient l’admission de la preuve par té
moins.
Mais la Cour, après avoir écarté la déclaration du no
taire et repoussé les autres considérations, refuse la preu
ve demandée , considérant que cette preuve était con
traire au contenu des polices, et par cela même inad
missible.
Ainsi la police devient la loi suprême des parties. En
conséquence, l’assuré qui aura exactement accompli ses
obligations devra mentionner dans cette police la rela
tion des faits qu’il a réellement dénoncés aux assureurs.
Toute négligence sur ce point le rendrait sans recours
possible contre la dénégation , même de mauvaise foi,
des assureurs, et la nullité de l’assurance deviendrait
forcée par la présomption de dol , résultant de la réti
cence apparente, si non réelle.
ET DE Là FRAUDE.
i
14
�TRAITÉ DU DOL
SECTION II.
Dol non p r é s u m é , m o d e s de p reu ve.
SOMMAIRE.
231. Le titre étant présumé sérieux et sincère, c’est à celui qui
l’attaque à en prouver l’illégitimité.
232. Doutes sur le point de savoir s’il fallait admettre la preuve
testimoniale.
233. Origine de celte preuve.
234. Respect qu’elle inspira aux Grecs et aux Romains.
235. Notre ancienne jurisprudence admit les errements du droit
romain, jusqu’à l’ordonnance de 1566.
236. Motifs de cette ordonnance.
237. Son appréciation par les jurisconsultes de l’époque.
238. Extension qu’elle a successivement reçue par l’ordonnance
de 1669, et enfin par l’art. 1341 du Code civil.
239. Caractère de la prohibition, non applicable au dol.
240. Cette exception se justifie par les principes.
241. Est-elle applicable au dol postérieur au contrat ?
242. Arrêt de la Cour de Cassation établissant la négative.
243. Il en serait autrement s’il existait un commencement de
preuve par écrit.
�ET DE LA FRAUDE.
211
244. Quid si le porteur du litre querellé, avouant la simulation
de la cause, en indique un autre légitime ?
245. Arrêt d’Aix validant le titre en vertu du principe de l’indi
visibilité de l’aveu.
246. Réfutation.
247. Arrêt contraire de la Cour de- Cassation.
248. Conditions pour l’admissibilité de la preuve orale.
249. Première condition. Articulation précise des faits.
250. Deuxième condition. Pertinence des faits; comment elle
s’apprécie.
251. Appréciation de l’enquête.
252. Système du droit romain et de notre ancien droit sur le
nombre des témoins et la qualité de la preuve.
253. Système du Code.
254. La preuve par présomption est recevable dans tous les cas
admettant la preuve testimoniale.
255. Exigence de notre ancien droit sur le nombre des présomp
tions.
256. Opinion de Dumoulin et de Domat, du cardinal de Lucca.
257. Le Code n’exige rien autre que la gravité, la pertinence et
la concordance des présomptions. — Appréciation de
ces caractères.
258. Pourrait-on se décider pour la nullité, s’il n’existait qu’une
seule présomption ?
259. La preuve par présomptions sera plus ou moins concluan
te , selon que les faits dont on les induit seront plus ou
moins certains.
260. C’est par l’ensemble des présomptions que le juge doit se
décider.
231. — Nous venons de dire qu’en principe l’acte
écrit, signé par les parties, est présumé sérieux et sin
cère : qu’il est censé renfermer leurs véritables inten
tions. La preuve du contraire enlève au titre ce triple
�21121
TRAITÉ DU DOL
caractère ; c’est ce qui se réalise notamment lorsqu’il est
justifié que le concours de l’une des parties contrac
tantes est le résultat du dol commis par l’autre.
De là cette conséquence que le porteur du titre n’a
rien à justifier, et que c’est uniquement à celui qui pré
tend le faire anéantir, à fournir la preuve du vice dont
il le prétend atteint. La difficulté ne peut jamais naitre
sur le principe , mais sur son exécution. Et c’est ainsi
qu’on s’est posé en législation la question de savoir si
l’on devait admettre, pour prouver le dol, la preuve tes
timoniale ; en doctrine et en jurisprudence, celle de sa
voir si cette preuve avait été admise.
232. — La raison de douter se puisait dans la dis
position de l’art. 1341 qui , dans l’hypothèse donnée,
prohibe la preuve testimoniale , même lorsqu’il s’agit
d’une somme moindre de 150 fr. Mais le rapproche
ment de cette disposition des motifs qui l’ont détermi
née, devait amener la loi, la doctrine et la jurisprudence
à résoudre la question par l’affirmative.
Pour juger de l’opportunité de cette décision, il con
vient de jeter un coup d’œil rapide sur les législations
antérieures. Leur connaissance, les modifications qu’el
les ont dû successivement introduire dans l’étendue de
la preuve orale, justifieront le principe sur lequel l’article
1341 est fondé , en même temps qu’elles indiqueront
le véritable caractère de l’exception introduite pour le
dol.
�ET DE LA FRAUDE.
213
233. — L’écriture, c’est-à-dire l’art de peindre la
parole et de parler aux yeux , n’a été connue qu’assez
tard et si des signes matériels, tels que l’érection d’un
autel, d’un monceau de pierres, la plantation d’un bois,
un nom relatif à des faits intéressants donné au lieu qui
les avait vus s’accomplir, suffisaient pour transmettre
la mémoire des événements importants et constituer les
fastes d’une nationa ; il ne pouvait en être ainsi pour
les conventions particulières d’individus à individus.
C’était donc presque toujours la présence de témoins
qui solennisait ces conventions. Nous en trouvons de
nombreux exemples dans l’histoire des anciens peuples,
et notamment dans l’Ecriture Sainte.3
La découverte de l’écriture ne pouvait, dès le princi
pe, exercer une bien grande influence sur cet usage. In
dépendamment du préjugé né d’une longue expérience,
les difficultés que durent rencontrer la pratique et la
connaissance de cel art expliquent comment , pendant
longtemps encore, on dut recourir à un mode univer
sellement admis. La preuve testimoniale resta donc ,
même après celle découverte, l’arbitre le plus usuel , le
plus fréquent des transactions particulières.
254. — Les législations grecques et romaines por
tent l’empreinte du respect profond que cette institution,
1 Goguet, De l’origine des lois, chap. 6, pag. 189.
2 ld., ibid.
3 Genèse, chap. 20, * 3 et suiv.
�TRAITÉ DU DOL
214
d’abord si utile , avait inspiré. Parvenus à l’époque de
leur gloire, les Romains regardaient la preuve testimo
niale comme indispensable. Testimoniorum usus, necessarius est, disait le Digeste ', et Justinien n’hésitait pas
à lui accorder une autorité égale à sa rivale , la preuve
écrite: In exercendis litibus, eamdem vim obtinenl lam
fidem instrumentorum quam depositiones lestiumC
Il est vrai qu’à côté de cette prescription s’en rencon
tre une autre qui semble rejeter la preuve testimoniale
en présence d’un titre écrit : Contra testimonium scriptum, testimonium non scriptum non ferlur3. Mais, ain
si que le fait remarquer M. l’avocat-général de Corberon , dans une espèce rapportée par Merlin, si cette loi
se trouve dans un des livres du Code , c’est qu’elle y a
été introduite après la compilation qui en a été faite par
ordre de Justinien. On ne sait, en effet, à quel empe
reur l’attribuer. Cujas, qui l’a tirée des Basiliques, pen
se qu’elle est de l’empereur Antonin. Mais, en l’admet
tant ainsi, ne faudrait-il pas en conclure qu’elle n’a ja
mais eu le caractère de loi dans l’empire d’Occident ?
En effet les Basiliques, recueil des lois des empereurs
d’Orient, n’étaient, au témoignage de Godefroy, souvent
pas obligatoires pour l’Orient même, à plus forte raison
ne pouvaient-elles être considérées comme telles pour
l’empire d’Occident.
1 L. 43, De test.
2 L. 9, Cod. De fide inslr.
3 L. 1, Cod., De lestibus.
�215
Ce qui le démontre, à notre avis, c’est d’abord la loi
que nous avons citée et qui a accordé à la preuve testi
moniale la même autorité qu’à la preuve écrite.
C’est en outre la loi 18, au Code De testibus, qui est
décisive. Elle nous apprend , en effet, que , préoccupé
des inconvénients des témoignages complaisants , per
quos multa veritatis contraria perpetranlur, le législa
teur ne trouve pas d’autre remède que d’exiger un plus
grand nombre de témoins. Ainsi les débiteurs ne pour
raient se prétendre libérés, nisi quinque testes idonei et
summœ atque integrœ opinionis presto fuerint solulioni celebratce, hique cum sacramenti religione deposuerint sub prœsentia sua debilum esse solutum.
C’est enfin la décision de Justinien sur la préférence
que l’on doit accorder à la preuve testimoniale sur le
titre même ', préférence fondée sur ce que celui-ci est
muet, tandis que les témoins parlent et répondent : Bac
potissimum ratione ducli, quod instrumentorum testatio sit muta , et quœ interrogata non respondeat. Testium vero probatio semper loquatur, ratiocinelur et
sœpius interrogata respondeat.*
Il n’est donc pas permis de douter de la haute con
sidération que les Romains ont professé de tout temps
ET DE LA. FRAUDE.
i Si vero taie aliud quale in Armenia factum est, ut aliud qui rem faciat collatio litterarum, aliud vero testimonia, tune nos existimavimus
ea quæ viva voce dicuntur et cum jurejurando, hæe digniora. fide, quam
scripturam ipsam secundum te subsistere. (Novclla const., 73, cap. 3).
3 Boiceau, sur l’art. 84 de l’ordonn. de Moulins,
�216
TRAITÉ DU DOL
pour la preuve testimoniale. Elle était en toute matière
complètement recevable, sauf la modification que nous
venons d’indiquer.
255. — Il en a été longtemps de même en France.
La Novelle de Justinien y avait généralement formé le
droit commun. On connaît cette maxime de notre vieille
jurisprudence : Témoins passent lettres.
Mais cet état des choses fut gravement modifié par
l’ordonnance de 1566. Ce que Justinien avait cru im
possible, Charles IX et son immortel chancelier n’hési
tèrent pas à l’exécuter. Dès ce jour , la preuve testimo
niale reçut une atteinte profonde , sous le coup de la
quelle elle est encore aujourd’hui.
256. — Or il n’est pas sans intérêt, puisque le Code
s’est attribué le principe de cette célèbre ordonnance, de
rappeler les motifs qui déterminèrent celle-ci. Nous ju
gerons par là de ce que le nouveau législateur a réelle
ment voulu. Ces motifs se trouvent ainsi consignés dans
l’art. 54 :
« Voulant obvier à multiplication de faits que l’on a
vu ci devant estre mis en avant en jugements , sujets à
preuve de témoins et reproches d’iceux dont adviennent
plusieurs inconvénients et involutiori de procès. »
Voilà donc l’objet dans lequel il est ordonné que
« doresnavant de toutes choses excédant la somme ou
valeur de cent livres une fois payer, seront passez con
trat pardevant notaires et témoins, par lesquels contrats
�2,17
seulement sera faite et reçue toute preuve esdites matiè
res , sans recevoir aucune preuve par témoins outre le
contenu aux actes , né sur ce qui serait allégué avoir
esté dit et convenu avant icelui, lors et depuis. »
ET DE LA. FRAUDE.
237. — Ces prescriptions rompaient tellement avec
les habitudes des masses , qu’au dire de Boiceau elles
furent considérées par elles comme dures, odieuses, con
traires au droit civil. Mais telle ne fut pas l’apprécia
tion des célèbres jurisconsultes de cette époque. Ils n’hé
sitèrent pas à sanctionner de leur autorité des disposi
tions qu’ils jugèrent les plus recommandables de toutes
celles que ce siècle avait vu naître : Nulla, loto hoc seculo , constitutio aut lexregia , sanclior ac probatior
visa fuit.1
238. — Une longue pratique est venue démontrer
la profondeur de ce jugement et sa remarquable justes
se. Loin de revenir sur la décision qui le motivait, les
législateurs qui se sont succédés en ont corroboré le prin
cipe. C’est ainsi que l’ordonnance de 1667 place sous
son empire les obligations et la constitution des dépôts;
et que l’art. 1341 du Code civil l’a mis au rang des dis
positions légales qui nous régissent.
239. — De cet historique de la législation sur la
preuve testimoniale, il résulte qu’on ne saurait équivo1 Boiceau, sur l’ordonnance de \ 566.
�218
TRAITÉ DU DOL
quer sur le caractère de la prohibition qui forme au
jourd’hui notre droit commun. Ce qu’on a voulu pré
venir , c’est la multiplicité des procès sur la nature des
accords prétendus par chaque partie, sur la détermina
tion exacte de l’intention des parties contractantes ; ce
qu’on a recherché, c’est la fixité des conventions, épar
gnant aux magistrats la perplexité dans laquelle les jet
tent des explications contradictoires. Evidemment aucu
ne de ces considérations n’est dans le cas d’exercer la
moindre influence sur les actions fondées sur le dol. Là,
en effet, il ne s’agit plus de rechercher quelle a été l’in
tention des parties ; c’est l’absence de tout consente
ment légal, c’est l’existence d’un quasi-délit qu’il s’agit
d’établir, et, sous ce double rapport, la prohibition de
la preuve testimoniale serait irrationnelle. En effet , s’il
est bon de prévenir les procès , il est juste d’accorder
une exacte réparation à celui qui est indignement trom
pé, et c’est ce qu’on avait parfaitement admis sous l’or
donnance de 1667.1
Au reste, ce qui n’était à cette époque qu’une déduc
tion logique a acquis aujourd’hui un caractère définitif
et légal. Ainsi l’art. 1348 du Code civil admet la preuve
orale contre l’assertion du litre toutes les fois que la
partie qui la demande a été dans l’impossibilité de se
procurer une preuve écrite. Cette disposition assigne à
celle de l’art. 1341 un caractère évident et certain. L’acte
i Jousse, sous l’art. 4, n» 5.
�219
ne fait foi entière de son contenu que parce qu’il a été
loisible à chacun de ceux qui y ont concouru , de faire
constater dans l’acte même sa volonté et l’intention qui
l’a réellement animé. Il y a donc négligence et impru
dence à ne pas l’avoir fait. À quel titre demanderait-on
à la loi d’être relevé des conséquences de l’une ou de
l’autre ?
Que si au contraire celui qui se plaint n’a été ni im
prévoyant ni téméraire, si l’absence d’une preuve écrite
n’est due qu’à des circonstances qu’il ne lui était pas
donné de prévoir, et moins encore d’empêcher, on ne
pouvait sans iniquité lui enlever les moyens de se sous
traire aux conséquences d’une convention onéreuse au
tant qu’injuste.
Or, c’est précisémet ce qui se réalise lorsque le con
trat est le produit du dol. La victime, si elle eût soup
çonné les manœuvres dont elle a été l’objet, n’aurait
certes pas contracté. Elles les a donc forcément igno
rées ; elle n’a pu conséquemment s’en procurer une
preuve écrite.
ET DE LA. FRAUDE.
240. — L’exception à la prohibition de la preuve
testimoniale, en faveur de l’action en dol, se justifie donc
par les principes ordinaires. Elle est écrite dans l’art.
1348 d’abord, dans l’art. 1363 ensuite. Et l’on ne com
prend pas que la doctrine ait pu un instant équivoquer
sur la pensée si loyale, si évidente de la loi.
241. — Ainsi le dol antérieur ou contemporain de
la convention, qu’il soit substantiel ou accidentel, direct
�220
TRAITÉ DU DOL
ou indirect, positif ou négatif, peut toujours être prouvé
par témoins. En est-il de même pour le dol postérieur
au contrat ?
La question ne serait pas douteuse, s’il fallait la ré
soudre sous l’influence du droit romain. Les textes d’UIpien, que nous avons déjà cités, la trancheraient d’une
manière fort nette. L’acte de celui qui poursuivait l’exé
cution d’une convention sans cause était un véritable
dol : Nam quia petit ex ea stipulatione , ipae dolo facil
quod petit...........Exceptio ulique doli mali , ei nocebit. 1
Cette doctrine était au reste une conséquence des idées
des Romains sur la preuve testimoniale et sur la nature
des exceptions. Produits du droit prétorien , les excep
tions n’avaient été imaginées que pour protéger ce qui
était équitable contre les rigueurs du droit civil : Quod
jure civili debebat ,jure prœlorio non debebat , id est
exceptio. D’ailleurs le porteur du titre devait en deman
der l’exécution, et, dans cette instance, le défendeur pou
vait obtenir Yadjectio formules , laquelle, insérée entre
Vintentio ou la condemnalio , avertit le juge de ne pas
condamner , même si paret, pourvu que le défendeur
fasse la preuve de son allégation \ L’effet de l’exception
n’était donc pas de détruire le droit exercé. Il se bor
nait à en paralyser l’exercice, lorsque la condamnation
du défendeur eût été contraire à l’équité.3
i V. supra cbap. 4. sect. 2, S 4
3 Etienne, Théorie des actions, chap. 2, § 12, pag. 273.
î J i , ibid.
�ET DE LA FRAUDE.
221
Notre loi a repoussé toutes ces formalités , toutes ces
formules. Il n’y à plus qu’un seul droit commun à tous
les citoyens, et ce que ce droit ne prohibe pas est par
faitement légal, alors même que l’équité ne saurait plei
nement l’avouer. D’autre part, la preuve testimoniale
s’est effacée devant le respect commandé pour le titre
écrit et la nécessité d’obtenir une preuve littérale. Ce
double principe ne fléchit que lorsque l’existence du titre
est attaquée dans son principe même , à. cause du vice
imputé au consentement.
En conséquence, si dans son origine le contrat a été
le résultat de la volonté libre et refléchie des parties,
l’engagement existe, le lien légal a toute sa force , et la
présomption est qu’il n’a été créé que pour recevoir son
entière exécution.
Vainement le demandeur en nullité prétendrait-il
qu’il n’a signé l’acte que parce qu’il était convenu qu’il
ne serait jamais exécuté ; et verrait-il un dol dans la
conduite de son adversaire. Pour que ces prétentions
fussent accueillies, il faudrait que la première résultât
du titre ou de tout autre acte séparé. Car c’est pour les
cas de ce genre surtout que l’art. 1341 prescrit la preuve
littérale. En l’absence de cette preuve , on répondrait à
celui qui se plaint : la loi vous faisait un devoir rigou
reux de vous procurer la preuve écrite des faits dont
vous excipez ; cette preuve, vous étiez en possession de
l’obtenir; si vous ne l’avez point, c’est que vous avez
préféré suivre aveuglément la foi de celui qui est aujour
d’hui votre adversaire; subissez donc les effets de cette
�222
TRAITÉ Dü DOL
confiance; il ne nous appartient même pas de recher
cher si elle est ou non trahie.
Ce langage est sévère , il peut même paraître odieux
et injuste. Mais, si l’on réfléchit-aux inconvénients nom
breux que le système contraire entraînerait, on se ré
concilie avec la pensée du législateur. N’est-il pas évi
dent, en effet, qu’autoriser la preuve testimoniale du dol
postérieur au contrat, c’était ouvrir une large porte à
l’invasion de la mauvaise foi, multiplier les procès, com
promettre les droits les plus légitimes, en les soumettant
aux éventualités toujours si incertaines de la preuve orale ? Que d’accusations mal fondées ne se seraient-elles
pas produites, ne fût-ce que pour arrêter momentané
ment l’exécution d’un contrat réel ?
C’était là rétrograder au delà des ordonnances de
1566 et 1667, et revenir aux abus que ces deux législa
tions avaient si heureusement réprimés.
Que, dans ses conséquences, l’application rigoureuse
de l’art. 1341 puisse quelquefois consacrer une injustice
et une fraude, c’est là une malheureuse vérité. Tel n’estil pas d’ailleurs le sort de toutes les institutions humai
nes ! Mais, entre ces malheurs partiels et l’intérêt géné
ral, il n’y a pas à hésiter. C’est ce que le législateur a
sagement pensé. Tout ce qu’il pouvait faire , c’élait de
prévenir avant de frapper , et certes la disposition de
l’art. 1341 prouve qu’il n’a pas failli à cette mission.
Ainsi le dol postérieur au contrat ne saurait être prou
vé autrement que par écrit. Quelque odieuse que soit la
conduite de celui q u i, après avoir concouru à un acte
�223
simulé, en poursuit l’exécution, comme le préjudice qui
en résultera a pu être prévu au moment du contrat et
conjuré par le contrat même ou par tout autre acte sé
paré, la loi a dû se reposer sur l’intérêt des parties. Elle
ne peut protéger celle d’entre elles qui s’est imprudem
ment abandonnée , plus efficacement qu’elle ne l’a fait
elle-même , ni la récompenser de la violation expresse
de sa disposition.
ET DE LA FRAUDE.
242. — Nous trouvons une remarquable application
de ces principes dans un arrêt de la Cour de cassation,
sur l’espèce suivante :
Le 11 germinal an xm, le sieur Chiorando, receveur
particulier des contributions directes à Alexandrie, déli
vra à Visconti, sur Gaudry, percepteur des contributions
dans la même ville , un bon de 7,000 fr., portant la
mention qu’il en sera tenu compte à ce dernier sur son
premier versement. Ce bon a été acquitté. Le 18 du mê
me mois , Chiorando reconnut avoir reçu purement et
simplement de Gaudry 7,000 fr. Celui-ci était resté tout
à la fois porteur du bon et de la quittance. Chiorando
l’a assigné pour le faire condamner à lui restituer le
bon ou à lui en donner quittance, prétendant que celle
du 18 germinal s’y appliquait. Gaudry prétend que le
bon et la quittance font deux titres bien distincts , qui
ont pour objet : le premier, d’établir une créance en sa
faveur ; et le second , de constater le versement par lui
fait d’une sommede 7,000 fr., indépendamment de celle
énoncée dans le bon.
�m
TR.4.ITÉ DU DOL
Chiorando demande alors à prouver par témoins :
1° que le 18 germinal an xm, il délivra une quittance
de 7,000 fr. et qu’il l’envoya par un de ses commis au
bureau du sieur Gaudry, pour la remettre à celui-ci et
retirer en même temps le bon de pareille somme, déli
vré le.11 du même mois au sieur Yisconti ; 2° que la
personne chargée de cette quittance, ne trouvant pas le
sieur Gaudry chez lu i, s’adressa à un de ses commis
qui, ayant déclaré qu’il était instruit de la chose, avait
tâché de retrouver le bon dans le bureau ; 3° qu’après
avoir cherché dans plusieurs endroits sans avoir pu le
retrouver, ce commis dit à celui du sieur Chiorando de
laisser la quittance, en l’assurant que, dans la journée,
il lui rapporterait lui-même le bon , en remplacement
duquel la quittance devait être donnée ; 4° enfin , que
la personne chargée de la quittance la laissa effective
ment entre les mains du commis de Gaudry , mais que
ce dernier n’apporta pas le bon.
Gaudry soutient que la preuve testimoniale n’est pas
admissible , mais cette prétention est repoussée d’abord
par le Tribunal d’Alexandrie, et, sur l’appel, par la Cour
de Gênes.
Sur le pourvoi de Gaudry, l’arrêt de celle-ci fut cassé
par décision du 29 octobre 1810, en ces termes :
« Attendu que l’art. 1341 défend d’admettre aucune
preuve par témoins outre et contre le contenu aux actes,
ni sur ce qui aurait été dit avant, lors ou depuis , en
core qu’il s’agisse d’une somme ou valeur moindre de
150 fr.; que cet article ne reçoit pas exception, aux ter-
�225
mes des art. 1347 et 1348 , que lorsqu’il n’a pas été
possible de se procurer une preuve par écrit ; attendu
que les parties ne se trouvaient ni dans l’une ni dans
l’autre de ces exceptions, puisque l’arrêt dénoncé n’a
pas déclaré qu’il existât un commencement de preuve
par écrit ; et qu’il avait été impossible au défendeur
de rapporter une preuve écrite des faits par lui articu
lés. 1 »
Or, c’est précisément cette possibilité qui existe pour
le dol postérieur au contrat. Dès lors la doctrine de cet
arrêt devrait régir et faire repousser la demande de la
preuve testimoniale.
ET DE LA FRAUDE.
245. — Mais cette preuve deviendrait admissible,
s’il existait un commencement de preuve par écrit. Nous
aurons occasion, en traitant de la fraude, de rechercher
les caractères constituant ce commencement de preuve.
Nous nous contenterons de remarquer ici que la doctri
ne et la jurisprudence ont singulièrement étendu la dis
position de l’art. 1347, dans l’interprétation de laquelle
les magistrats n’obéissent à d’autres règles qu’à celles
d’un arbitrage souverain.
L’un des éléments les plus usuels, les plus utiles à cet
arbitrage, est sans contredit l’interrogatoire sur faits et
articles. Il n’est pas rare, en effet, de trouver dans les
réponses fournies des indications rendant le fait vraisem1 Dalloz A., tom. x, v» Oblig., ch. 6, sect. 2, art. 2.
l
45
�TRAITÉ DU DOL
blable et constituant par conséquent le commencement
de preuve. Le cas se réalisant, aucune difficulté sérieuse
ne s’opposerait à l’admission de la preuve orale.
244. — Il est une hypothèse qui peut faire surgir
une difficulté grave, c’est lorsque le porteur du titre que
rellé de dol postérieur avoue la simulatian de la cause
énoncée et en indique une autre qui serait légitime.
Faut-il dans cette espèce recourir à la preuve testimo
niale, l’aveu de la simulation créant un commencement
de preuve , ou bien faut-il accepter cet aveu dans les
deux parties et repousser toute preuve orale ?
I
!f e
r! f o l ‘
245. — Dans ce dernier sens on a dit que l’acte
qui exprime une cause fausse n’en est pas moins vala
ble, s’il en existe une réelle et légitime ; que l’aveu que
l’on ne peut scinder, faisant foi de la fausseté de la cau
se exprimée , doit faire foi de celle qui est substituée;
qu’admettre le contraire , ce serait violer le principe de
l’indivisibilité de l’aveu ; qu’on doit donc accepter la dé
claration dans son entier, alors même que des présomp
tions graves, précises et concordantes indiqueraient que
la seconde partie n’est pas conforme à la vérité. C’est
dans ce sens et dans ces termes que la Cour d’Aix l’a,
jugé dans l’affaire Jourdan contre Bizot.
' 246. — Ce système, à notre avis, ne saurait être ac
cueilli. Il n’est que le résultat d’une appréciation exa
gérée de l’art. 1356; il s’écarte, de plus, des principes
consacrés par l’art. 1131.
�' ..........
ET DE LA FRAUDE.
L’arrêt considère d’abord que l’acte produit par le
créancier est inattaquable par la preuve testimoniale aux
termes de l’art. 1341. Cela est rigoureusement exact.
Aussi, tant que le créancier, s’en référant au titre, l’op
pose aux allégations du débiteur , ces allégations , ne
pouvant établir qu’un dol postérieur au contrat, ne peu
vent ni prévaloir sur le titre , ni devenir l’objet d’une
preuve testimoniale en l’absence d’un commencement de
preuve par écrit.
Mais dès que le créancier , désertant le titre , en re
connaît la simulation , l’art. 1341 devient inapplicable
sous un double rapport :
1° L’art. 1134 ne déclare obligatoires que les con
ventions légalement formées. Pour que ce caractère soit
acquis, il faut que l’obligation a’it une cause ; c’est là une des conditions requises par l’art. 1108. Comme con
séquence, l’art. 1131 déclare nulle et de nul effet l’obli
gation sans cause , ou sur une cause fausse ou illicite.
Or, l’obligation , dont la cause exprimée est reconnue
inexacte , est réellement une obligation sans cause. Tout
au moins le litre exprime-t-il une cause fausse et, jus
qu’à preuve contraire, la cause véritable peut être pré
sumée illicite. Dèç lors, ce ne serait plus seulement une
simulation ordinaire , il s’agirait, dans cette hypothèse,
d’une fraude tentée pour éluder l’art. 1131. Or, la frau
de à la loi peut toujours être prouvée par témoins.
Vainement prétendrait-on que le débiteur, ayant co
opéré à cette fraude, ne saurait être admis à s’en préva-
�228
TRAITÉ DU DOL
loir. Il est vrai que cette conclusion a pour point d’ap
pui la maxime nemo auditur lurpitudinem suarn allegans. Mais le droit romain avait-il voulu autoriser le
créancier à profiter de sa déloyauté? N’enseignait-il pas
au contraire que nemini fraus sua pairocinari debel ?
Si donc il n’y avait en présence que le débiteur et le
créancier, les raisons d’admettre ou de rejeter leurs pré
tentions se balanceraient avec une égale autorité ; mais
au dessus de l’une et de l’autre se trouve engagée la loi
elle-même, dont on a voulu méconnaître la volonté, éluder les dispositions ; et la nécessité de rétablir l’une
et de faire exécuter les autres est une réponse plus que
péremptoire au brocard de droit que l’on voudrait invo
quer.
Aussi la doctrine est-elle d’accord pour reconnaître
qu’ériger en principe absolu la maxime nemo auditur
etc___, ce serait consacrer la fraude et ôter aux lois
toute leur force. Dès lors, disent Teulet et Dauvilliers,
dans le résumé de cette doctrine , on doit déclarer que
si cette fin de non-recevoir peut être quelquefois admi
se, c’est lorsque l’influence des faits est telle, qu’en effet
elle offre le moyen de rendre une décision plutôt équi
table que juridique ; mais , en principe , il faut recon
naître que toute partie doit être admise à attaquer com
me nulle toute obligation qu’il soutiendra avoir sous
crite sans cause ou sur une fausse cause , et que pour
arriver à ce résultat elle sera autorisée à fournir tous les
modes dé preuves.1
/
i Cod. civ annoté, art, -1131, n°s 14, 15 et 16,
�229
Cette doctrine est loin de violer l’art. 1341 ; on peut
même dire que dans l’hypothèse où nous raisonnons, il
n’y a pas lieu de l’invoquer. Dès l’instant que la simu
lation de la cause énoncée dans le titre est reconnue, le
titre disparaît. Il n’y a plus qu’une allégation contre
celle du débiteur. D’ailleurs, lorsqu’il y a réellement une cause fausse , ne peut-on pas dire que le débiteur,
protégé par l’art. 1131 , n’a pas dû se mettre fort en
peine de se procurer une preuve qu’il était d’ailleurs
impossible qu’il se procurât ? Lorsqu’il s’agit de faire ce
que la loi défend, lorsqu’on a recours à la simulation,
il est certain qu’on n’ira pas par une déclaration écrite
s’enlever tout le bénéfice de cette simulation. S’il s’agit,
par exemple, de déguiser une dette de jeu , en lui don
nant la forme d’un prêt ordinaire, le perdant qui se ré
signe à souscrire l’acte, songera-t-il à exiger une con
tre-lettre, le gagnant la souscrira-t-il ? Autant vaudrait
ne pas rédiger de titre écrit que de l’annuler d’avance
par cette précaution.
Et cependant si le système que nous combattons était
admis, il en résulterait qu’il suffirait au porteur du titre
d’en reconnaître la simulation, mais d’en indiquer une
cause autre que celle exprimée pour assurer l’exécution
qu’il en sollicite ; le perdant, lié par cette déclaration,
ne pourrait plus prouver par témoins le véritable carac
tère de l’acte. C’est pourtant le contraire qui est ensei
gné par la doctrine et la jurisprudence. '
ET DE LA FRAUDE.
i Merlin,
Rép., v° Jeu, n° 4;
— Favard
, Contrat aléatoire, tom. 1,
�230
TRAITÉ DU DOL
Dira-t-on qu’il s’agit pour les dettes de jeu d’une obligation illicite? Nous répondrons que l’obligation est
si peu illicite, qu’elle lie naturellement le perdant; qu’on
ne peut répéter ce qui a été volontairement payé, tandis
qu’on est recevable à se faire restituer ce qu’on a payé
sans cause ; que fallût-il d’ailleurs reconnaître ce ca
ractère illicite à la dette de jeu, l’art. 1131 ne faisant
aucune distinction entre la cause illicite et le défaut de
cause ou la cause fausse, la preuve testimoniale admise
pour l’une doit l’être également pour les autres.
2° Sous un autre rapport , et en supposant que la
fausseté de la cause ne pût devenir l’objet d’une preu
ve orale sans qu’il existât un commencement de preuve
par écrit, on doit considérer comme tel l’aveu de la si
mulation de la cause indiquée par le titre. Cet aveu, en
effet, altère profondément l’acte, lui enlève son caractère
et constitue une véritable preuve contre lui. Or le com
mencement de preuve n’est-ce pas tout fait émané du
créancier qui rend le système du débiteur vraisembla
ble ? Eh bien ! en convenant d’une fraude en sa faveur,
le premier ne rend-il pas vraisemblable celle dont se
plaint le second ?
Mais , dit-on , l’acte n’est pas nul par cela que l’on
reconnaît que la cause est simulée. 11 peut être mainV
pag. 629 ; — Toullier, tom. 6, n° 381 ; — Chardon, Du dol, nos 860,
561 ; — J. du P : Cass., 21 novembre 1814; — Lyon, 21 décembre
1822; — Grenoble , 6 décembre 1823; — Angers, 13 août 1831 ; —
Paris, 5 septembre 1834.
�231
tenu , s’il est prouvé qu’il en existe une autre légitime
et sérieuse.
Celte objection, loin d’affaiblir notre système, ne tend
qu’à le renforcer. Dans l’hypothèse donnée, l’acte écrit
ne se suffit plus à lui-même. Il a besoin d’un secours
extérieur, celui de la preuve qu’il existe une cause. Cette
preuve, c’est le créancier qui est obligé de la fournir.
Dès l’instant qu’il y a lieu de recourir à une preuve, le
droit de fournir la preuve contraire naît incontestable
ment. Sans ce droit, il y aurait une atteinte flagrante à
la libre défense de celui qui est attaqué, et l’on admet
trait que, si le créancier, au lieu de celte preuve obligée
se borne à une allégation, le débiteur ne pourra prou
ver la fausseté de cette allégation, lui qui aurait la fa
culté de discuter la preuve elle-même, de l’anéantir par
la preuve contraire.
Après un pareil système , il n’y a plus qu’à déchirer
l’art. 1131 et laisser la fraude se parer insolemment des
dépouilles de ses victimes. Dans quel cas sera-t-il pos
sible d’appliquer la prohibition des obligations sur cause
fausse? Le porteur assez indélicat pour poursuivre par
un véritable dol l’exécution d’une obligation simulée,
aura toujours la déloyauté, tout en convenant de la faus
seté de la cause exprimée, d’en désigner une autre telle
quelle. Dans la supposition d’une dette de jeu que nous
faisions tout à l’heure , il suffira au gagnant de dire :
oui, la somme indiquée reçue au moment de l’obliga
tion n’a été en réalité ni reçue ni livrée, mais une som
me égale m’était déjà due en vertu d’avances antérieu
res par moi faites.
ET DE LA FRAUDE.
�TR AITÉ DU DOL
232
Et cet homme sera cru ? et la justice , alors que le
débiteur n’aura pas un commencement de preuve par
écrit de la fausseté de cette allégation , devra abdiquer
tout droit d’examen, condamner impitoyablement ce dé
biteur , alors même que des présomptions graves, pré
cises et concordantes se réuniront pour faire suspecter
la véracité de l’allégation 1 Une pareille jurisprudence
serait un malheur social.
247. — Ainsi l’a pensé la Cour de Cassation , car
elle a admis le contraire en jugeant, le 8 avril 1835,
que lorsque toutes les parties reconnaissent que la cau
se exprimée dans un acte obligatoire est simulée, les tri
bunaux peuvent rechercher, par la preuve testimoniale
et par des présomptions, quelle est la véritable cause, et
décider , d’après les circonstances , que l’obligation est
sans cause et par suite nulle. Il est important de rap
porter l’espèce dans laquelle cet arrêt est intervenu.
En 1825, le sieur Jacques Pascal, souscrivit un billet
de 1,600 fr. en faveur de son frère , qui le céda bien
tôt après au sieur Razaud, gendre de Pascal. A l’éché
ance, Razaud demande paiement à son beau-père, qui
soutient que l’obligation était sans cause, et qui, posté
rieurement, offrit de lapayerpar l'abandon d'un im
meuble. Cette offre n’ayant pas été acceptée, la cause
fut déférée à la justice, voici littéralement le système du
créancier.
La cause exprimée dans l’obligation n’est pas vraie,
mais ce qui lui a donné naissance, c’est que mon père
�avait autrefois avancé une somme de 4,600 fr. au sieur
Jacques Pascal. Celui-ci ne s’en étant pas reconnu dé
biteur, lors de mon mariage avec sa fille, a imaginé de
réparer cet oubli en s’obligeant pour pareille somme
envers son frère, et en lui donnant mandat de me céder
ensuite l’obligation.
Jacques Pascal demande à prouver par témoins la
fausseté de cette assertion. La Cour de Grenoble admet
cette preuve par un premier arrêt, et annule, par un se
cond, l’obligation comme étant sans cause.
Pourvoi en cassation par Razaud, pour, entre autres,
violation des art. 1349, 1341 et 4347 du Code civil,
en ce que la Cour s’était déterminée par de simples pré
somptions , pour annuler l’obligation , quoiqu’il ne fût
articulé ni dol ni fraude, et que les allégations de Pas
cal ne fussent soutenues d’aucun commencement de
preuve par écrit.
A ce système, qui est celui consacré par la Cour d’ap
pel d’Àix, voici la réponse de la Cour de Cassation :
« Attendu que la Cour a constaté en fait dans son
premier motif, qu’il a été convenu par toutes les parties
que l’obligation, dont Razaud entendait se prévaloir, était un acte simulé ; qu’en partant de ce fait ainsi re
connu , il n’y a plus eu pour les juges qu’à rechercher
les causes qui avaient pu donner naissance à cet acte,
et si ces causes avaient pu engendrer une obligation lé
gitime et valable ; que le même arrêt déclare, par ap
préciation des enquêtes , que Razaud n’ayant pas fait
la preuve des faits par lui articulés, il suit de là et des
�234
TRAITÉ DU DOL
autres circonstances de la cause que l’obligation du 27
novembre 1825 n’a point eu pour objet la reconnais
sance d’une dette légitime; qu’en jugeant ainsi, l’arrêt
attaqué, loin d’avoir violé aucune loi , a, au contraire,
sainement appliqué l’art. 1131, qui prononce, en ter
mes exprès, la nullité de l’obligation sans cause, ou sur
une fausse cause, ou sur une cause illicite. ' »
Il résulte bien de cet arrêt que lorsque le créancier
reconnaît la simulation de la cause exprimée au titre, il
est obligé non pas seulement d’indiquer, mais encore de
prouver qu’il en existe une autre valable ; que le débi
teur peut prouver le contraire ; que les tribunaux peu
vent se décider même par des présomptions, et annuler
l’acte , même en l’absence de tout commencement de
preuve par écrit.
En d’autres termes, le titre reconnu simulé par tou
tes les parties n’existe plus. On ne peut plus revendiquer
pour lui l’autorité que les art. 1134 et 1341 confèrent
aux actes réguliers. Il n’y a plus en présence de la jus
tice que deux allégations contradictoires , dont la plus
probable doit être adoptée. Dans l’espèce jugée par la
Cour d’appel d’Aix, des présomptions graves, précises et
concordantes venant faire suspecter le dire du créancier,
l’obligation eût dû être annulée.
Vainement dit-on que rejeter la seconde partie de l’al
légation ce serait porter atteinte à l’indivisibilité de l’a—
1J.
du P ., année 1835.
�233
veu. On vient de voir que la Cour de Grenoble et la
Cour de cassation ne se laissent nullement préoccuper
par cetle considération , dans une espèce cependant où
l’offre faite par le débiteur de payer la dette, au moyen
de la désemparalion d’un immeuble, rendait l’existence
de la dette vraisemblable. Ce n’était là, au reste, qu’u
ne exacte application des véritables principes de la ma
tière.
En effet, il faut bien se garder de donner au principe
de l’art. 1336 une extension qu’il ne saurait comporter.
En l’acceptant d’une manière absolue, on arriverait bien
tôt à cette conséquence que la justice serait enchaînée à
consacrer l’aveu en entier, alors même qu’une partie de
cet aveu lui serait démontrée impossible, invraisembla
ble, mensongère, ce qui serait absurde. Or, dit Merlin,
non seulement on ne doit pas supposer qu’une loi, quel
que générale qu’elle soit, n’excepte pas de sa disposition
les cas où elle dégénérerait en absurdité , mais ce serai
même la violer que de les y comprendre.'
Aussi a-t-il été de tous temps admis que l’indivisibi
lité de l’aveu comportait de nombreuses exceptions, dont
es plus usuelles sont rappelées en ces termes par Merlin
et Toullier :
1° f.orsque la seconde partie de l’aveu est d’une in
vraisemblance choquante, ou qui dégénère en absurdité;
2° Lorsqu’elle est prouvée fausse ou infectée de quel
que mensonge qui en rend la vérité suspecte ;
ET DE LA. FRAUDE.
i
Questions de d ro it , v° C onfession, S 2.
�236
TR A ITÉ DU DOL
3° Lorsqu’elle est combattue par un commencement
de preuve par écrit ;
4° Enfin, lorsque l’aveu porte sur des faits qui, bien
que connexes , ne se réfèrent pas à une seule et même
époque, et ne forment pas ce que les jurisconsultes ap
pellent un acte continu.'
Ces principes, que nous a légués l’ancienne doctrine,
avaient été, avant et depuis le Code , consacrés par la
jurisprudence. Ainsi la Cour de Paris décidait, le 6 avril
1829 , que l’art. 1356 , d’après lequel l’aveu judiciaire
ne peut être divisé, reçoit exception dans le cas où il
résulte des c i r c o n s t a n c e s < I o l a c a u s e
que celui qui l’a fait n’a pas été de bonne foi dans ses
déclarations1. De son côté, la Cour de Cassation jugeait,
le 6 février 1838, que l’aveu n’est indivisible que lors
qu’il porte sur un même fait, passé dans une circons
tance unique, et qui ne peut être attribué qu’à celui qui
a fait cet aveu.3
L’arrêt de la Cour d’Aix n’admet qu’une seule excep
tion à l’indivisibilité de l’aveu, à savoir : lorsqu’il existe
un commencement de preuve par écrit. Cet arrêt se trou
ve donc en contradiction avec la doctrine ancienne, avec celle enseignée par Merlin et Toullier, avec celle con
sacrée par la Cour de Cassation et par les Cours de Grei M erlin, Queutions
x , n«s 336 et suiv.
3
de d ro it, v° Confession, S 2 ; — T o u llie r , tom.
du P., année 1829.
�237
noble et de Paris. A-t-il fait une plus sage application
de la loi ? On ne peut l’admettre, en présence de la con
clusion qui se tire logiquement de sa doctrine et qui se
résume en ces termes : En l’absence d’un commencement
de preuve par écrit de la fausseté d’une partie de l'aveu,
les magistrats seront obligés de l’accepter en entier, alors
même qu’ils seraient certains de celte fausseté, alors mê
me que le fait allégué serait invraisemblable, impossible,
absurde. Une pareille conclusion ne blesse-t-elle pas le
bon sens et la raison ?
Tenons donc pour certain que là ne saurait se trou
ver la vérité , et admettons avec la doctrine ancienne,
avec la jurisprudence , que l’aveu ne doit être accepté
intégralement que lorsque les faits et circonstances ne
lui ont pas d’avance infligé un démenti éclatant; que
la reconnaissance de la simulation d’un acte , rendant
indispensable la recherche de la cause véritable de l’o
bligation, met à la charge du créancier la preuve de son
existence ; que son allégation ne saurait jamais rempla
cer la justification qu’il doit fournir, ni redonner à l’acte
l’autorité que l’aveu de la dissimulation lui a fait per
dre ; que cette allégation , comme la preuve elle-même,
peut être discutée par le débiteur et renversée par la
preuve contraire ; enfin que si les présomptions graves,
précises et concordantes en font suspecter la véracité, en
l’enta*chant d’invraisemblance, la justice non seulement
peut, mais encore doit la rejeter , sans violer le texte et
l’esprit de l’art. 1356.
ET DE LA FRAUDE.
�238
TR AITÉ DU DOL
2 58. — Du principe que la preuve testimoniale est
admissible en matière de dol, il ne s’ensuit pas que les
juges soient obligés de l’admettre dans tous les cas. Il
ne suffit pas , en effet, qu’une preuve soit recevable, il
faut en outre que les faits qu’elle a pour objet d’établir
soient tels, que leur démonstration ait une influence né
cessaire sur le sort de l’acte.
Il faut donc, pour que les magistrats puissent appré
cier, que le demandeur en preuve expose avec précision
et clarté les diverses circonstances desquelles il veut faire
résulter le dol qu’il articule. Celui qui se bornerait à
soutenir que l’acte est dolosif et qui demanderait à en
faire la preuve, devrait être éconduit. La preuve ne peut
être accordée qu’à celui qui expose nettement les faits,
qui spécialise les manœuvres dont il se prétend victime,
qui indique dans quelles circonstances les uns et les au
tres se sont réalisés, et la part que son adversaire a à
s’attribuer dans leur exécution.
Ces obligations étaient imposées en droit romain à
celui qui opposait le dol. La loi avait même réglé l’ar
ticulation qui était à sa charge : Illud enim annolandum est, quod specialiler exprimendum est de cujus do'lo quis quœratur ; non in rem si in ea re dolo malo
factum est , sed sic , in ea re nihil dolo malo actoris
factum est. Docere igilur debel is qui objicit excêptionem dolo malo actoris factum , nec sufficit ei ostendere
in re esse dolum, aut si allerius dicat dolo factum, eo-
�ET DE LA FRAUDE.
239
rum personas specialiter debcbtl ennmerare dummodo
hœ sint quarum dolus noceat.'
Il en était de meme pour celui qui agissait comme
demandeur en nullité, pour cause de dol : Item exigit
prœlor ut comprehendalur quid dolo malo factum sit,
scire enim débet actor inqua re circumscriptus sit, nec
in tanlo crimine vagari.a
Il est vrai que ces exigences trouvaient en droit ro
main un motif plausible dans la nature de l’action en
dol. Nous avons déjà dit qu’elle était considérée comme
infamante , et l’on comprend dès lors les précautions
dont on en avait entouré l’exercice. Aujourd’hui l’action
en dol a perdu ce caractère. La tache qui en résulte est
purement morale. Et cependant on n’a pas dû se dé
partir de la sévérité déployée dans l’admissibilité de la
preuve. Le respect dû au titre écrit , légitime aujour
d’hui çe qui était autrefois la conséquence de la nature
de l’action.
On ne saurait au reste (axer de rigueur ces prescrip
tions légales. II est, il sera éternellement vrai que celui
qui se prétend trompé doit savoir en quoi, comment et
par qui il l’a été. Il est donc naturel que la justice , avant de lui accorder la réparation qu’il sollicite, lui de
mande compte de ses griefs, pour en apprécier l’importance^. En conséquence , s’il se tait ou s’il se renferme
1 U. 2, 3 1, Dig. D e d o li m a li et
3 L . 19, Dig. D e d olo m a lo .
inclus o xcepl.
�TR A ITÉ DU DOL
m
dans des généralités vagues et sans portée , on présu
mera facilement que ses allégations ne sont qu’un pré
texte pour échapper aux conséquences d’une obligation
légitime, ou pour en retarder l’exécution.
249. — La première condition , pour être admis à
la preuve testimoniale , est donc l’articulation précise
des faits qui doivent en faire l’objet. Ces faits énoncés,
le juge examine les conséquences qu’ils doivent entraî
ner, l’influence qu’ils sont dans le cas d’exercer sur ce
qui fait la matière du litige. Il en ordonne la preuve
s’ils sont pertinents, c’est-à-dire si, prouvés qu’ils soient,
ils doivent démontrer l’existence du dol imputé.
'
250. —■ C’est là , en effet, le seul mode rationnel
et décisif d’apprécier la pertinence des faits allégués. On
les suppose prouvés et l’on recherche quel sera , dans
cette supposition , l’effet qu’ils devront produire. Si de
leur existence on peut induire, nous ne dirons pas cer
titude, pourra-t-on jamais en acquérir une par la preu
ve testimoniale I mais une probabilité, forte, puissante
et grave de la vérité de l’accusation , la preuve doit en
être ordonnée. N’arrivera-t-on, au contraire, qu’à des
présomptions sans significations bien précises, ou balan
cées par des présomptions contraires ? La preuve pourra
paraître superflue, et, puisqu’en définitive elle ne devra
produire aucun résultat utile à celui qui l’invoque, on
devra économiser les lenteurs et les frais qu’elle occa
sionnerait : Frustra probatur, quod probatum non re
levât.
�241
Dans tous les cas, et pour ce qui concerne celte ap
préciation, la loi n’a pu que s’en remettre entièrement à
l’arbitrage du juge. Elle ne pouvait dicter une règle quel
conque, lorsqu’il ne s’agit pour le magistrat que d’obéir
à des impressions qui doivent se modifier dans chaque
espèce , suivant la position particulière des parties, la
nature de l’acte et les circonstances dans lesquelles il
s’est réalisé. Ainsi ce qui ne constituerait ici qu’un doute
léger, peut devenir là une véritable démonstration. C’est
donc au juge à puiser dans les éléments de la cause la
conviction qui. lui dictera la décision à laquelle il doit
s’arrêter. C’est à sa conscience seule à décider de la per
tinence des faits.
ET DE LA FRAUDE.
251. — Il en est ainsi pour l’appréciation de la
preuve rapportée. Les enquêtes versées au procès, la
discussion s’établit sur la question de savoir si la preuve
est ou non acquise. On comprend que pour la solution
d’une question pareille, c’est la conscience du juge et ses
impressions personnelles auxquelles on a dû exclusive
ment se rapporter. Il est cependant quelques observa
tions légales qu’il ne faut point négliger.
252. — Jusqu’à la promulgation du Code , on te
nait à peu près pour certain que la déposition d’un seul
témoin ne devait pas faire foi en justice. Ce principe,
sanctionné par le Pentateüque', avait passé dans le droit
1 Encode, ch. 25, t 30 ; — D eutéronom e, ch. 47,
t 6, et ch. 19s ir \ 5.
�TR AITÉ DU DOL
m
romain. Justinien ne s’était pas contenté d’exiger deux
témoins dans tous les cas où la loi ne déterminait pas
un autre nombre. Il avait en outre expressément défen
du aux juges d’admettre un témoignage unique , fût-il
émané d’un membre du Sénat romain : Etiam si prceclarœ curiœ honore fulgeat.'
Ce sont ces errements que notre ancien droit avait
suivi. De là divers systèmes sur les obligations du juge
relativement à la preuve orale. Les anciens interprètes
avaient notamment distingué la preuve complète , de la
demi-preuve, de la preuve légère. Considérant ces deux
dernières comme des fractions de la première,ils établis
saient combien il fallait de demi-preuves ou de preuves
légères pour constituer une preuve entière. Mais, com
me l’enseigne Merlin , ces subtilités avaient été repous
sées par les jurisconsultes les plus éminents. Cujas, en
tre autres, y répondait par ces belles paroles : Ut veri
tas ita probatio scindi non potest ; quce non est plena
veritas est plena falsitas, quce non est plena probatio,
plene nulla probatio est.
253. — Aujourd’hui et sous l’empire de la loi qui
nous régit, le demandeur n’a rempli son obligation que
lorsqu’il a rapporté une preuve satisfaisante des faits in
terloqués. Si les témoins entendus ne sont ni précis ni
décisifs ; si leur déposition laisse subsister des doutes sur
1 L . 12, D ig ., et L . 9, §
\ , De leslib u t
�243
la vérité des reproches dirigés contre l’acte, l’acte est
maintenu : In dubio standum est instrumente).
Mais les magistrats sont libres de trouver la preuve
complète dans les éléments qui leur sont soumis, d’as
seoir leur décision sur la déposition d’un seul témoin
comme sur celle de plusieurs. La loi ne leur fixe plus
aucune limite. C’est comme jurés qu’elle les appelle à
prononcer. Il suffit donc qu’ils soient convaincus pour
qu’ils aient le droit et le devoir de prononcer confor
mément à cette conviction.
ET DE LA FRAUDE.
254. — Dans tous les cas où la preuve testimoniale
est admissible, la preuve par présomptions l’est égale
ment. L’utilité de cette dernière , dans la matière qui
nous occupe, se justifie d’elle-même. IJ est certain que
sans son secours le dol sortirait presque toujours triom
phant des luttes dont il serait l’objet. La preuve testi
moniale n’est pas toujours possible, car il n’est ni dans
l’intérêt ni dans les habitudes de ceux qui demandent
au dol des moyens de s’enrichir , d’agir de telle sorte
qu’on puisse divulguer leur conduite à l’aide de témoins.
255. — La preuve par présomptions était donc com
mandée par la nécessité de réprimer la mauvaise foi et
de sauvegarder l’intérêt des parties contractantes , celui
des tiers. Aussi son admission n’a-t-elle , en aucun
temps, rencontré le moindre obstacle. Il n’y a eu dis
sentiment que sur la natnre et le nombre des présomp
tions qu’il convient d’exiger pour prouver la nullité des
actes.
�244
TR AITÉ DU DOL
Sur le premier point, les présomptions remplaçant la
preuve testimoniale, on soutenait qu’elles devaient ré
unir les qualités qui étaient requises dans les déposi
tions des témoins. C’est ce qu’enseignait Danty dans son
Traité de la preuve par té-moins. Puisque, disait cet au
teur, on n’est obligé de s’en rapporter à des présomp
tions que lorsque la preuve par témoins et la preuve par
écrit manquent, il s’en suit que la loi considère les pré
somptions comme des témoins , car c’est sur la foi de
cas présomptions qu’elle se détermine, ce qui, par con
séquent, indique qu elles doivent avoir les mêmes qua
lités que celles que la loi requiert dans la déposition des
témoins, pour y ajouter une créance entière.
256. — Mais la loi permettant aux juges de se dé
cider sur la déposition de deux témoins, admettait-elle
la même faculté s’il n’existait que deux présomptions ?
Dumoulin enseignait l’affirmalive et pensait que dans
certains cas deux présomptions devaient paraître suffi
santes' . Coquille, portait le nombre à trois, pourvu qu’el
les fussent conformes entre elleà et essentielles au fait
qu’on voulait établir2. Mais Danty concluait, du silence
que la loi avait gardé sur le nombre des présomptions,
que, n’ayant fixé aucun chiffre, elle s’en était rapportée
entièrement à la prudence du juge.
Telle était aussi l’opinion de Domat. Ce célèbre juris1 T ra ité des fiefs, t it. I , § 38, glos. 2.
2 Coutum e du N ivern a is, art. 40.
�245
consulte , après avoirt expliqué ce qu’on doit entendre
par présomptions, et exposé leurs caractères, conclut en
ces termes : « Sur quoi il ne peut exister de règle pré
cise; mais , en chaque cas , il est de la prudence du
juge de discerner si la présomption se trouve bien fon
dée , et quel effet elle peut avoir pour servir à la preu
ve. ' »
La justesse de cette conclusion peut d’autant moins
être contestée qu’elle ressort forcement de la nature des
choses. Ce que nous disions tout à l’heure pour la per
tinence des faits , est parfaitement applicable aux pré
somptions. Leur véritable signification se juge par la
condition des parties, la nature de l’acte, les circonstan
ces de fait qui sont relevées ; et il est certain que les
mêmes présomptions qui auront été jugées insuffisantes
dans tel cas, entraîneront, dansltel autre, la conviction
du juge. C’est surtout ce caractère relevant qui, de l’avis
des auteurs les plus célèbres , empêchait d’établir une
règle quelconque en pareille matière. Aux opinions de
Domat et de Danty, nous pouvons ajouter celle du car
dinal de Lucca, en tout conforme : « conficlus erat in
præsumptionibus super quibus certa , determinalaque
régula juris dari non potest , curn in conjecturalibus
totum pendeat a prudentis judicis arbitrio ex individuorum casuum circumstantiis insimul unitis regulando dum ut fréquenter liabetur, sœpe contigit ut eadem
ac minoris conjectura) ob personarumjocornmvel tem- i
ET DE LA FRAUDE.
i
Lois c iv ile s, t it. v i, sect. 4.
�246
TR AITÉ DU DOL
porum circumstantias in uno casu abundent, et in al~
tero eadem ac majores non sufficiant. ' »
257. — Notre législateur moderne a eomplètement
partagé ces idées. Il a pensé qu’on ne pouvait, en ma
tière de présomptions, préciser une règle, un mode uni
voque d’appréciation, sans s’exposer à porter atteinte à
cette indépendance d’examen dans laquelle le magistrat
puise les éléments d’une bonne et exacte justice. En con
séquence, l’art. 1353 abandonne les présomptions aux
lumières et à la prudence du juge. Le seul devoir qui
lui soit imposé à cet égard, c’est de ne les admettre que
lorsqu’il les reconnaît graves, précises et concordantes.
La doctrine a depuis longtemps déterminé ce que ces
termes signifient. Les présomptions sont graves et pré
cises lorsqu’elles reposant sur des faits qui ont une con
nexité certaine avec ceux dont la preuve est recherchée;
elles sont concordantes, lorsque sans se démentir elles
se lient les unes aux autres et qu’elles tendent toutes à
un même but. A ces conditions, les présomptions cons
tituent une véritable preuve.
\ '
258. — La loi qui nous régit, admettant la déposi
tion d’un seul témoin, autorise-t-elle le juge à pronon
cer, lorsqu’il n’existe qu’une seule présomption ? L’arti
cle 1353 nous parait proscrire l’affirmative. Ses exigen
ces sur la nature des présomptions font nécessairement
supposer qu’il doit en exister un certain nombre.
■
�<►
247
D’ailleurs, quoique remplaçant la preuve testimonia
le, la preuve par présomptions n’en diffère pas moins
d’une manière essentielle. Les présomptions, dit l’article
1349, sont des conséquences que la loi ou le magistrat
tire d’un fait connu à un fait inconnu ; c’est donc par
induction qu’on conclut dans celte hypothèse , tandis
que la preuve testimoniale porte directement sur le fait
inconnu que l’on recherche. On comprend dès lors que,
si ce fait est attesté par un témoin honorable et désin
téressé qui en affirme l’existence , le juge puisse l’ad
mettre avec quelque sécurité. Au contraire, une induc
tion isolée , quelque grave qu’elle soit, laisse toujours
quelques nuages sur le fait qu’il s’agit d’éclaircir. Elle
peut donc inspirer le plus souvent un doute sérieux, la
conviction jamais.
ET DE LA FRAUDE.
259. — De ce que la preuve par présomptions est
une preuve par induction , il suit qu’elle sera plus ou
moins concluante , selon que le fait dont on argumente
sera plus ou moins certain , et les conséquences qu’on
en tire plus ou moins justes. C’est donc en discutant
chaque présomption qu’on, parviendra à en déterminer
le caractère et la gravité.
260. — Mais à cet égard , il y a une observation
essentielle qu’on ne saurait perdre de vue. La loi n’exi
ge pas que chaque présomption ait un caractère égal de
gravité et de précision , c’est dans leur ensemble , c’est
par leur faisceau qu’il convient de les apprécier. Si de
leur masse résulte la condition que l’art. 1353 exige,
�248
TRAITÉ DU DOL
c’est-à-dire un caractère grave, précis et concordant, on
ne doit pas hésiter à les accueillir, encore bien que cha
cune d’elles, prise séparément, n’aurait pas une signifi
cation bien précise. On sait en effet que des faits peu
importants, isolés les uns des autres, peuvent, par leur
réunion, devenir décisifs, c’est ce qui a toujours-été ad
mis en droit : Quod licet quœ non prosunt singula multajuvant, ita e contra quœ non nocent singula multa
nocent.
C’est ainsi d’ailleurs que l’ont toujours admis les ju
risconsultes les plus éminents. Pothier nous dit lui-mê
me que les présomptions qui ne forment pas par ellesmêmes une preuve , peuvent, par leur réunion , créer
cette preuve, et, à l’appui de ses paroles, Pothier rap
pelle l’exemple donné par Papinien dans la loi 26, Dig.
De probat. Une sœur était chargée envers son frère de
la restitution d’un fidéicommis. Après la mort de ce
frère, il s’agissait de savoir si ce fidéicommis était en
core dû par la sœur à la succession du frère. Papinien
décida qu’on devait présumer que le frère en avait fait
remise à sa sœur ; il tire cette présomption de trois cir
constances : \ ° de l’union entre le frère et la sœur ;
2° de ce que le frère avait vécu longtemps sans deman
der ce fidéicommis ; 2° de ce qu’on rapportait un trèsgrand nombre de comptes faits entre le frère et la sœur,
sur les affaires respectives qu’ils avaient ensemble, dans
aucun desquels il n’y en avait pas la moindre mention.
Chacune de ces circonstances, ajoute Pothier, prise sé
parément n’aurait fourni qu’une présomption simple,
�249
insuffisante pour faire décider que le défunt avait remis
la dette, mais leur réunion a paru à Papinien former
une preuve suffisante de cette remise.'
On ne serait donc pas fondé à conclure au rejet des
présomptions de ce que , à leur examen particulier,
chacune d’elles n’a pas une gravité bien déterminée.
L’art. 1353 n’exige pas que chaque présomption soit
grave, précise et concordante. Il suffit que dans leur
ensemble elles présentent ce caractère pour que les ju
ges , se fondant sur leur existence , déclarent que le dol
reproché a eu effectivement lieu et annulent par consé
quent l’obligation.
Rappelons en terminant que la preuve par présomp
tions n’étant admissible que lorsque la preuve testimo
niale le serait elle-même , les tribunaux ne pourraient
y recourir lorsqu’ils ne pourraient ordonner celle-ci. Il
suit de là que le dol postérieur au contrat, sauf le cas
où la simulation est convenue , ne pourrait être établi
par présomptions.
ET DE LA FRAUDE.
1 Des obligations, n° 880.
�250
TRAITÉ DU DOL
CHAPITRE III.
DES
EFFETS
DU
DOL.
~%l%~
SOMMAIRE.
261. Division.
2 6 1. — Le dol peut se glisser dans tous les actes
de la vie humaine, soit qu’il ait pour objet de tromper
celui avec qui on traite, soit qu’il ait pour but de per
vertir la volonté d’un mourant et de lui arracher ainsi
une spoliation injuste , soit enfin que , s’attachant aux
choses les plus sacrées, il se soit proposé de corrompre
le juge ou de lui soustraire les pièces essentielles qui
doivent l’éclairer , ou de l’égarer par de faux docu
ments.
Mais quelles qu’aient été les manœuvres et leurs ré-
�251
sultats , la loi ne laisse nulle part le dol impuni. Elle
donne les moyens de l’atteindre partout où il a osé se
glisser. Mais ces moyens diffèrent selon la nature de
l’acte et le préjudice qui en est résulté.
Nous allons, pour procéder avec méthode, rechercher
quels sont ces moyens dans les cas les plus usuels, les
plus ordinaires, c’est-à-dire lorsqu’il s’agit de dol dans
les traités. Nous examinerons ensuite , dans autant de
sections séparées , les effets du dol dans les mariages,
dans les testaments, dans les transactions, dans les ju
gements.
ET DE LA FRAUDE.
SECTION I” .
'
Dol d an s le s T ra ité s . — Se» effets.
SOMMAI RE.
262. Matière de la section.
263. L’acte entaché de dol est nul si le dol réunit les conditions
de la loi.
264. Quid lorsque le dol n’est qu’accidentel ?
�252
TRAITÉ DU DOL
265. Effet du dol substantiel indirect.
266. Ainsi le dol dans les traités produit ou l’action en rescision
ou celle en dommages-intérêts.
262. — Nous comprenons sous le nom générique
de traités tous les actes établissant entre parties contrac
tantes des obligations et des droits. Les observations qui
vont suivre s’appliquent donc aux ventes , échanges,
louages , prêts , dépôts, cessions de droits corporels ou
incorporels. L’effet du dol, dans chacun de ces contrats,
est identique; Nous n’avions donc pas à examiner cha
cun d’eux dans sa spécialité, nous devions nous borner
à constater le principe général qui les domine tous , et
dont l’application sera facilement faite à chaque espèce
particulière.
625. — L’acte entâché de dol ne saurait recevoir
aucune exécution. Il est nul aux termes de l’art. 1116
du Code civil àia double condition édictée par cet arti
cle, à savoir : 1° si les manœuvres ont été pratiquées
par l’une des parties ; 2° si elles ont été telles que, sans
ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté.
La réunion de ces deux circonstances constituant le
dol substantiel et direct, l’acte qui en a été la consé
quence n’a aucune autorité légitime. De quelque ma
nière qu’il se soit produit, qu’il ait été positif ou né
gatif, ce dol atteint la convention dans son essence, lui
fait perdre une de ses conditions indispensables et don
ne ouverture à une action tendant à l’infirmer. La vie-
�ET DE LA FRAUDE.
253
time a dès lors la faculté d’obtenir de la justice d’être
relevée de ses engagements.
La rescision de l’acte est ici d’autant plus indispen
sable que le dol a été la cause unique du contrat. La
justice veut donc que les parties soient remises au mê
me état qu’avant cet acte qui, comme conséquence iné
vitable, doit dès lors disparaître.
264. — Telle n’est pas la position respective des
parties lorsque le dol n’a atteint qu’une des circons
tances accidentelles du contrat. Il est certain, dans cette
hypothèse, que la pensée du traité ne peut être attribuée
au dol. L’une des parties voulait accepter ce que l’autre
lui proposait. L’une des deux conditions exigées par
l’art. 1116 manque donc réellement.
De là cette conséquence que la loi ne considère plus
l’acte comme nul, non pas certes qu’il faille en induire
que le législateur s’est montré indifférent à l’existence
du dol accidentel. Le triomphe de manœuvres déloyales
eût été immoral , une réparation est due. Mais on a
voulu concilier ce que la partie lésée pouvait réclamer
avec le maintien de l’acte. En conséquence, et tout en
respectant celui-ci , une allocation de dommages-inté
rêts rétablira l’équilibre déloyalement rompu.
Ainsi, règle générale, le dol substantiel crée l’action
en nullité ou rescision de l’acte ; le dol accidentel, celle
en dommages-intérêts. Mais cette règle n’est pas telle
ment absolue qu’on ne puisse jamais l’intervertir. Nous
verrons au contraire que, dans certains cas de dol subs-
�254
TRAITÉ DU DOL
tantiel, l’action en dommages-intérêts est poursuivie ac
cessoirement et cumulativement avec celle en rescision;
que, dans d’autres, elle forme l’objet principal de la de
mande, soit que celui qui a à se plaindre du dol juge
cette réparation suffisante, soit enfin parce que la res
cision de l’acte n’est plus possible, ou qu’elle ne puisse
être prononcée sans de grands inconvénients; que, dans
certaines espèces de dol accidentel , on peut demander
la rescision de l’acte, comme si la qualité sur laquelle
le dol a été exercé est telle qu’on puisse présumer que
la connaissance de la vérité sur ce point eût empêché
l’existence du contrat. Une différence essentielle entre
ces exceptions à la règle générale que nous venons d’in
diquer, c’est que, lorsqu’il s’agit d’un dol substantiel,
les tribunaux ne pourraient pas rejeter la demande de
dommages-intérêts qui serait faite et rescinder d’office
l’acte dont l’annulation ne serait pas réclamée , tandis
que, lorsqu’il s’agit du dol accidentel, ils peuvent tou
jours repousser la nullité proposée et réparer le préju
dice par une allocation de dommages-intérêts.
265. — Le dol indirect , substantiel ou accidentel,
ne donne ordinairement lieu qu’à l’action en domma
ges-intérêts contre son auteur. Personne, en droit, n’est
tenu du fait d’autrui. Dès lors, celui qui m’a été subs
titué dans une opération dont j’ai été écarté par le dol,
ne peut ni être privé du bénéfice de l’opération, ni sup
porter le paiement d’une indemnité quelconque, sauf,
bien entendu , le cas de complicité , dont la preuve est
toujours à la charge du demandeur.
�255
Il y a cependant une exception importante qu’il con
vient de rappeler. Le dol substantiel indirect détermine
la rescision de l’acte , même contre le tiers , si celui-ci
a traité à litre gratuit. Par exemple, vous me persuadez,
par le moyen du dol , qu’une succession à laquelle je
suis appelé est onéreuse, et vous parvenez, par vos ma
nœuvres, a obtenir ma renonciation. En prouvant le dol,
cause de ma détermination, je dois obtenir la nullité de
cette renonciation , et celte nullité aura un effet direct
contre l’héritier appelé à mon défaut, lequel sera tenu
de me restituer l’hérédité et tous les fruits qu’il en aurait
perçu. Il ne serait pas juste, en effet, qu’un autre pro
fitât, même innocemment de ce qui m’a été déloyale
ment extorqué et s’enrichit des dépouilles qui n’ont ja
mais dû lui appartenir. Ce grand principe d’équité était,
écrit dans la loi romaine : Jure naturœ œquwn est neminem cum alterius detrimento et injuria, locupletiorem fieri.'
ET DE LA FRAUDE.
266. — Ainsi le dol produit ou l’action en nullité
ou rescision, ou l’action en dommages-intérêts. Quelle
est l’étendue de l’une et de l’autre ? C’est ce que nous
allons examiner dans les paragraphes suivants.
�236
TRAITÉ DU DOL
S 1er.
De
l ’A c t i o n
en
N u llité
ou
R escision.
SOMMAIRE.
267. Distinction entre la nullité de plein droit et la nullité par
voie d’action. — Différence entre elles.
268. Différence dans leurs effets.
269. L’acte entaché de dol n’est pas nul de plein droit. — Il
donne seulement lieu à l’action en nullité ou rescision.
270. Conséquences quant au maintien de l’acte et à son exécu
tion provisoire.
271. A qui appartient l’action en nullité ou rescision.
272. Principe de l’action. — Conséquence dans le cas où l’acte
dolosif préjudicie à l'auteur du dol.
273. L’action en nullité appartient aux héritiers et même aux
créanciers de la partie autorisée à l’exercer.
274. Pourrait-on exciper contre les créanciers delà ratification
tacite du débiteur ?
275. La preuve du dol donne au poursuivant le droit exclusif de
faire prononcer la résolution ou le maintien avec dom
mages-intérêts.
276. Cas dans lequel la rescision est impossible.
277. Effets de la rescision par rapport aux tiers détenteurs.
�ET DE LA FRAUDE.
257
278. La revendication , justifiée dans son principe , produit des
effets différents, selon qu’il s'agit d’un immeuble ou
d'une chose mobilière.
279. La bonne foi du possesseur dü premier lui fait acquérir les
fruits et revenus jusqu'au jour de la demande.
280. Exception pour le possesseur à titre gratuit par suite d’un
dol indirect.
281. Droit du possesseur de bonne foi à la restitution des dé
penses faites pour la conservation de la chose, et du prix
des améliorations et dépenses utiles.
282. Prescription qu’il peut invoquer.
283. -La revendication de choses mobilières présente plus de dif
fic u lté s.
284. Controverses soulevées par la disposition de l'art. 2279 :
En fait de meubles la possession vaut titre.
285. Doctrine du droit romain et de notre ancien droit sur la
matière.
28G. Innovation faite par le Code civil.
287. La prescription de trois ans, dont parle l’art. 2279, n'est
applicable qu’aux choses volées ou perdues.
288. L’art. 2279 n’a donc rien d’éqflivoque. — La revendica
tion n’est admissible que pour les choses volées ou per
dues.
289. L’assimilation du dol au vol n’a pas été admise. — Arrêt
de la Cour de Paris.
290. Critique que M. Chardon fait de cet arrêt.
291. Justification du système que cet arrêt consacre.
292. LaCourde Cassation a même proscrit la revendication dans
le cas d’escroquerie.
293. Cet arrêt, contraire à l’opinion de M. Troplong, nous paraît
parfaitement juridique.
294. Le droit de revendiquer la chose mobilière contre le déten
teur pourrait être exercé , s'il était prouvé que celui-ci
a agi de mauvaise foi et par fraude.
295. Celte preuve naîtrait de la connaissance que le tiers aurait
eue du dol.
i
17
�258
TRAITÉ DU DOL
296. La revendication des meubles ou droits incorporels n’est pas
régie par l’art. 2279.
297. Conséquence.
298. Exceptions au droit de revendication.
299. Contre qui l’action en nullité ou rescision doit être intentée.
»
267. — Dans son acception la plus usuelle, la nul
lité s’entend d’un vice radical qui atteint l’acte dans son
essence, le frappe dans toutes ses dispositions et l’empèche de produire aucun effet.
Dans le langage du droit, on a toujours distingué la
nullité de plein droit, c’est-à-dire celle que la loi a ex
pressément prononcée et qui résulte d’un vice apparent
et réel ayant empêché l’acte de se former, de la nullité
par voie d’action , c’est-à-dire celle que la loi autorise
le magistrat à prononcer vérification faite des circons
tances dont on prétend la faire résulter. Celte dernière
était appelée : en droit romain, restitution en entier ;
dans notre ancien droit, rescision.
Différentes dans leurs causes, ces nullités étaient, sous
l’une et l’autre de ces deux législations, soumises à un
mode de poursuite bien distinct. En droit romain , la
nullité de plein droit n’avait pas même besoin d’être
prononcée, les parties pouvaient considérer l’acte com
me n’ayant jamais existé , et revendiquer ce qu’elles avaient volontairement payé. La restitution en entier ne
pouvait être poursuivie que sur une autorisation préa
lable du prêteur.
Dans notre ancien droit, on avait consacré le prin-
�ET DE LA FRAUDE.
259
cipe que nul ne pouvait se faire justice à lui-même ; en
conséquence la nullité de plein droit devait être pronon
cée par les tribunaux , mais chacun était libre de la
provoquer directement, tandis qu’on ne pouvait se pour
voir en rescision qu’après l’obtention préalable de lettres
de chancellerie.
Cet usage n’a été aboli que par la loi du 7 septem
bre 4790, qui décida que l’action en rescision serait in
tentée comme l’action en nullité. L’art. 1304 du Code
civil a maintenu cette disposition, tout en élevant à dix
ans les délais de la prescription pour l’une comme pour
l’autre.
268. — Mais si elles ne diffèrent plus , quant à la
forme et à la durée, ces deux actions n’ont pas cessé, à
cause de la divergence de leur origine, de produire des
effets bien distincts.
Ainsi l’acte radicalement nul n’a jamais pu se for
mer, il n’a pas même l’apparence d’un contrat, n’est
susceptible d’aucune exécution, alors même qu’il serait
l’expression la plus sincère de la volonté des parties.
L’acte, simplement sujet à rescision, a toutes les ap
parences d’un contrat régulier , il est présumé sérieux
et sincère jusqu’à la preuve du vice qui doit l’anéantir.
De là, ces conséquences :
1° La démonstration matérielle de la nullité radica
le , ou soit de la violation d’une disposition de loi, soit
quant à la forme, soit quant au fonds, entraîne inévi
tablement la chute de l’acte. Le juge n’a nullement à se
�260
TRAITÉ DU DOL
préoccuper du plus ou moins de justice ou de conve
nance de ses dispositions. 11 ne peut les maintenir, alors même qu’il les reconnaîtrait et qu’elles seraient ré
ellement avantageuses à la partie poursuivant la nullité.
.
Au contraire, l’acte sujet à rescision est toujours sou
mis à l’appréciation des magistrats , et sa nullité peut
être refusée, car on doit, en pareille matière , considé
rer moins le vice en lui-même que ses conséquences par
rapport à l’intérêt des parties, et si, en définitive, le vice
démontré certain ne doit causer aucun préjudice réel à
celui qui se plaint, l’acte doit être maintenu.
2° L’acte radicalement nul ne doit point être exécuté
provisoirement, ce principe est d’une haute importance
toutes les fois qu’il s’agit de statuer sur la possession des
objets en litige pendant la durée du procès.
Les législations précédentes nous offrent sur ce point
de doctrine une unanimité parfaite. Le droit romain ne
reconnaissait aucun caractère à l’acte contre les dispo
sitions duquel la violation de la loi protestait sans cesse,
et décidait nettement qu’on ne devait, dans aucun cas,
lui accorder une exécution quelconque : Ea quce lege '
fieri prohibentur, si facta fuerint, non solum inutilia
sedpro infectis etiam habeanlur.........Certain est' nec
stipulationem hujus modi tenere, nec mandatum ullius
esse momenti, nec sacramentum admitti. ‘
Par application de ces principes , nos anciens juris-
�ET DE LA FRAUDE.
261
consultes enseignaient que l’acte radicalement nul ne
pouvait être considéré que comme un fait incapable de
créer aucun droit, aucune action. C’est ainsi que d’Argenlré le qualifie : Actus meri facti, sine ullo juris ef
fectif,, ne nomine quidem contractus digni. De là cette
règle qu’il valait mieux ne produire aucun titre que d’en
montrer un de ce genre : Melius est non ostendere lilulum quam ostendere vitiosum.
Il n’en est pas de même de l’acte sujet à rescision,
sa légalité'apparente en commande le respect. L’équité
et la justice exigent qu’il produise son effet, tant qu’on
n’a pas justifié le vice dont on le prétend infecté. Il doit
donc être provisoirement exécuté. Lui refuser cette exe
cution pendant procès, ce serait s’exposer à blesser des
droits légitimes que la décision judiciaire consacrera
peut-être ; ce serait, dans tous les cas, créer un préjugé
dangereux que rien ne justifie.
C’est au reste ce que la doctrine et la jurisprudence
ont de tous temps admis. « Tout acte qui n’est pas ra
il dicalement nul, suivant les lois du royaume, clest-à» dire dont la nullité n’est pas prononcée par les lois,
» subsiste , nonobstant l’action rescisoire , jusqu’à ce
» qu’elle soit jugée définitivement et sans appel. La proi> vision est pour le titre , il doit avoir son exécution
i> jusqu’après la sentence définitive. L’équité et le point
» de droit se réunissent au maintien de cette vérité.1 »
1 Duparc-Poullain, Principes du droit, tom. vm , p. 75; — Voy.
aussi d’Argentré , sur l’art. 383 , Ancienne coutume de Bretagne; —
�TRAITÉ DU DOL
262
269- •— Noire sujet se restreignant à la nullité édictée par l’art. 1116 du Code Civil , nous n’avons pas
à pénétrer plus avant dans la théorie des nullités. Nous
devions cependant rappeler les principes généraux qui
précèdent pour apprécier plus sûrement la nature et les
effets immédiats de l’action en rescision pour dol.
La nullité qui en est le mobile et l’objet, ne pouvait
être rangée dans la catégorie des nullités radicales. Po
thier nous l’a dit lui-même: Un consentement, quoique
surpris , ne laisse pas d’être un consentement. D’autre
part, l’acte est régulier en la forme, et cette double ap
parence indiquait quel devait être l’effet de l’attaque di
rigée contre ses dispositions.
On ne pouvait donc qu’attendre le résultat de cette
attaque et l’issue du débat contradictoire qu’elle allait
soulever. La loi défend sans doute le dol, mais elle ne
le prohibe que lorsqu’il lui est démontré qu’il existe ré
ellement, on ne pouvait donc argumenter de l’art. 1116,
pour prétendre à la nullité radicale de l’acte.
Au reste, le législateur n’a voulu laisser aucun dou
te , et l’art. 1119 dispose que la convention contractée
par dol n’est point nulle de plein droit, elle donne seu
lement lieu à une action en nullité ou rescision.
270. — En réalité donc, la nullité résultant du dol
se place dans les rangs des nullités par voie d’action,
dès lors, et en vertu des principes que nous rappelions
tout à l’heure, il faut conclure :
1° Que les tribunaux peuvent maintenir l’acte , alors
�263
même qu’ils reconnaîtraient le dol comme certain , si
d’ailleurs celui qui se plaint ne peut en éprouver aucun
préjudice. En conséquence, celui qui veut obtenir la nul
lité devra prouver autre chose que le dol lui- même, consilivm fraudis, il lui faudra en outre justifier la réalité
du préjudice, eventus damni ;
2° Que l’acte attaqué doit être provisoirement exécuté
sans caution, s’il est authentique; avec ou sans caution,
s’il est sous seing privé. Dans ce dernier cas même, on
doit être fort sobre de l’obligation du cautionnement et
ne l’ordonner que dans de très-rares circonstances. Les
magistrats ne doivent jamais perdre de vue que le titre
se suffit à lui-même , et que tant que l’allégation qui
lui est opposée n’est pas justifiée, elle ne saurait ni pré
valoir sur l’apparence du titre, ni infirmer la foi qui lui
est due.
Cette solution est surtout bonne à retenir lorsqu’un
testament étant argué decaptction, il y a lieu de régler
à qui , du légataire universel ou des héritiers du sang,
on doit confier l’administration des biens meubles ou
immeubles composant la succession. Les principes que
nous venons d’exposer suffisent pour indiquer que leur
possession, et conséquemment leur administration, ap
partient évidemment au légataire, tant que la preuve de
la captation dolosive n’est pas établie.
ET DE LA FRAUDE.
271. — L’action en nullité est ouverte en faveur de
celui qui se plaint d’un dol substantiel. La certitude
que , sans la perpétration du dol, le contrat n’eût pas
t
�264
TRAITÉ DU DOL
existé , entraîne la nécessité d’annuler le contrat, afin
que chaque partie soit remise au même état qu’avant le
dol.
En général , le respect dû à l’acte volontairement
souscrit fait refuser l’action en nullité à celui qui n’a
éprouvé qu’un dol accidentel. Mais si la qualité de la
chose sur laquelle le dol s’est exercé a dû paraître à ce
lui qui se plaint, tellement essentielle qu’on puisse sup
poser qu’en son absence il n’eût pas contracté, il serait
par trop rigoureux de lui refuser cette action. Il est évi
dent, en effet, comme nous l’avons déjà dit', que, dans
cette hypothèse , il s’agit d’un dol ayant déterminé le
contrat, car il est vrai que sans son emploi ce contrat
n’eût pas existé.
272. — Le principe de l’action en nullité ou resci
sion est, d’une part, la réparation de l’atteinte que ce
lui qui en a été l’objet a éprouvée dans sa fortune ; de
l’autre, la peine due à celui qui s’est livré à un acte
immoral et inique. Il suit de ce double caractère que
l’action n’appartient qu’à celui qui a un préjudice à éprouver ou à craindre, et contre qui les manœuvres ont
été dirigées.
Dès lors, si par des circonstances fortuites et impré
vues l’acte entaché de dol, l’acte qui devait, par consé
quent, être nuisible, devient avantageux à la partie res
tée étrangère au dol et cause à l’auteur de ce dol un
J Çhap. i, sect, n, § i, n°s 74 et suiv.
�265
préjudice grave , celui-ci ne pourrait en demander la
rescision. Cette solution reçoit la double consécration des
principes du droit et la morale.
En droit, les nullités relatives ne peuvent être invo
quées que par ceux en faveur de qui elles ont été cré
ées. Or, celle de l’art. 1116 est évidemment dans cette
catégorie , car elle n’a pour objet que la réparation du
préjudice souffert par l’une des parties sans qu’elle ait
pu soupçonner les manœuvres ni s’en défendre.
Que si la partie , dans cette position et après la con
naissance du dol refuse, de s’en prévaloir, l’acte devient
la loi irrévecable pour tous. L’exécution accordée par
celui qui pouvait l’attaquer, ce que nul ne peut le con
traindre à faire , purge à tout jamais la convention du
vice dont elle était entachée.
Aux yeux de la morale, l’idée d’un préjudice soufferj
par l’acte qui devait, qui était destiné à en causer un à
autrui, n’a rien de répugnant. Tout l’intérêt, en pareille
matière, est pour celui qui, déloyalement trompé, a sous
crit un acte des conséquences fâcheuses duquel on doit
le garantir. Mais on ne pouvait songer à protéger celui
qui, ayant cherché dans le dol des ressources coupa
bles, a vu tourner contre lui-même le mal qu’il voulait
faire. Pour lui, d’ailleurs, l’acte a été spontané et libre,
il doit donc l’exécuter tel qu’il l’a voulu , tel qu’il l’a
fait. Sa plainte, fondée sur sa propre turpitude, ne mé
rite pas même d’être écoutée.
ET DE LA FRAUDE.
�266
TRAITÉ DU DOL
275. — Ainsi, l’action en rescision n’appartient
qu’à celle des parties qui a été ou dû être circonvenue
par le dol. Mais elle ne lui est pas téllement person
nelle qu’un autre que lui ne puisse en son nom l’exer
cer et la faire valoir. Elle passe , en conséquence , à ses
héritiers dans le cas de l’utiliser dans les délais de l’ar
ticle 1304. La demande de ces héritiers ne pourrait être
écartée, par le silence gardé par leur auteur , que dans
le cas où on aurait pu l’opposer à cet auteur lui-mê
me , c’est-à-dire si ce silence avait été accompagné de
faits et circonstances de nature à constituer la ratifica
tion tacite ou expresse , telle qu’elle est déterminée par
l’art. 1328 du Code civil.
Du vivant même de la partie, l’action peut être in
tentée par ses créanciers sous un double rapport : d’a
bord comme exerçant les actions de leur débiteur , aux
termes de l’art. 1166 du Code civil, ensuite en vertu du
principe consacré par l’art. 1167. L’inaction du débi
teur , en présence d’un dol certain , pourrait fort bien
n’être que le résultat d’une collusion frauduleuse pour
grever les créanciers des conséquences d’un acte oné
reux et contraire à leurs intérêts.
274. — Pourrait-on exciper contre les créanciers
des actes d’exécution ou de la ratification tacite du dé
biteur ? Il est certain que si les créanciers agissent dans
le cas prévu par l’art. 1167, les actes d’exécution ou la
ratification ne pourraient leur être opposés. On ne ver
rait dans ces divers actes que l’exécution d’une fraude
�267
concertée et dont l’existence a précisément donné ouver
ture à l’action. En effet, que la fraude résulte de l’acte
dolosif, qu’elle résulte du silence gardé par le débiteur,
tout ce qui a été fait pour le maintien de l’acte n’a et ne
peut avoir pour objet que de le faire sortir à effet ; et ce
qu’on ne peut faire directement ne saurait être fait d’u
ne manière indirecte.
Si l’action des créanciers est celle autorisée par l’arti
cle 1166, il est bien évident qu’ils seront passibles des
exceptions qu’on pourrait opposer au débiteur lui-mê
me. En conséquence, la ratification qui lierait celui-ci
les lierait eux-mêmes, à moins qu’ils n’attaquent de leur
chef cette ratification comme faite en fraude de leurs
droits. Mais dans ce cas, comme dans le précédent , la
preuve de la fraude est à leur charge , et faute par eux
de la fournir, tout comme si l’acte constituant la ratifi
cation s’était réalisé de bonne foi et en temps non sus
pect, l’acte attaqué devrait être maintenu.
ET DE LA FRAUDE.
275. — Quel que soit le poursuivant , si la preuve
des faits articulés était rapportée et si ces faits établis
saient le dol, la demande devrait être accueillie. La jus
tice aurait donc soit à rescinder l’acte soit à accorder les
dommages-intérêts réclamés.
Remarquons, en effet, que, même pour le dol subs
tantiel, la partie plaignante est libre de s’en tenir à l’acte
et de réclamer une réparation pécuniaire. Le défendeur
ne serait recevable ni à contester celle-ci, ni à s’en exo
nérer en demandant de son chef la rescision de l’acte.
�268
TRAITÉ DU DOL
La partie lésée ayant seule action est, sans contredit, le
meilleur juge du mode de réparation le plus convenable
à ses intérêts. Elle peut donc choisir celui des deux au
quel elle croit devoir s’arrêter, et ce choix est obligatoire
pour la justice comme pour son adversaire.
Permettre à celui-ci d’imposer de son chef la resci
sion de l’acte , lorsqu’on lui demande des dommagesintérêts , c’était, dans bien des cas , s’exposer à rendre
toute réparation impossible. La rescision peut .être im
praticable dans telle hypothèse, nuisible dans telle au
tre. Or, ce sera précisément dans les unes et les autres
que le défendeur insistera plus vivement sur une resci
sion qui serait pour lui le gain du procès.
Par exemple , des matériaux ont été employés , des
substances ont été mélangées avec d’autres ; on s’aper
çoit ensuite de leur mauvaise qualité , et l’on découvre
la ruse en faveur de laquelle le marchand a su fasciner
les yeux de l’acheteur. Cependant, celui-ci ne pouvant
les représenter en nature, la vente qui lui en a été faite
ne pourrait être résiliée.'
Ou bien, supposez un individu ayant acquis une pro
priété qu’il est venu habiter avec sa famille. Il s’aper
çoit ensuite qu’il a été trompé et découvre comment il
l’a été. Il regrette d’avoir fait une acquisition qu’il n’eût
certainement pas faite s’il avait connu la vérité. Mais il
a quitté son ancienne résidence, pris de nouvelles habi1 Chardon, Du dol, tom. i, n° 24, pag. 41
�ET DE LA FKAUDE.
269
tudes, e t, pour payer le prix , fait dans sa fortune des
revirements sur lesquels il ne peut revenir.'
Evidemment, dans l’un et l’autre cas, la rescision de
l’acte ajouterait un préjudice grave à celui que le dol a
fait éprouver. Il est donc certain qu’on préférera s’en
tenir à une allocation de dommages-intérêts. On com
prend, dès lors, pourquoi la loi a ouvert une double ac
tion et comment elle a cru devoir refuser au débiteur lafaculté d’offrir l’une lorsqu’il se trouve sous le coup de
l’autre.
Le débiteur serait-il fondé à se plaindre de cette dé
termination ? Quel grief réel lui cause-t-on en lui im
posant le mode de réparation poursuivi par celui qu’il
a trompé ? C’est par son fait personnel qu’est née la né
cessité d’une réparation quelconque , et l’on ne saurait
hésiter entre celui qui a trompé et celui qui souffre.
Sans doute la rescision est le remède le plus héroïque,
mais encore faut-il qu’elle entre dans les convenances
de celui qui a le droit de s’en prévaloir ; et si , sur l’o
pinion du contraire, il se borne à demander une répa
ration pécuniaire , l’intérêt opposé de celui qui est tenu
de la fournir n’est, aux yeux de la morale et de la jus
tice, ni une considération , ni un motif de refus. C’est à
celui qui craint ce résultat à s’abstenir de se livrer à
des actes pouvant le déterminer.
�270
TRAITÉ DU DOL
276. — Il est une hypothèse où. la rescision est lé
galement impossible , lorsqu’il s’est agi, par exemple,
d’un transfert de rentes sur l’Etat. La rescision pronon
cée par justice serait insuffisante pour opérer la resti
tution et faire rentrer ces rentes dans la possession du
propriétaire qui en a été spolié. Le décret du 8 nivôse
an vi déclarant irrecevable toute opposition au paiement
du créancier titulaire, la rétrocession ordonnée par jus
tice ne pourrait produire aucun effet, à moins d’être vo
lontairement consentie et réalisée par ce titulaire même.
On devrait donc l’y contraindre par une condamnation
pécuniaire, engageant sa fortune, sa liberté même.
277. — Dans les cas ordinaires, l’effet de la resci
sion du contrat est de faire rentrer celui qui l’a obtenue
dans la propriété et la possession de tous les objets alié
nés par ce contrat. Meubles et immeubles, créances,
droits incorporels lui font retour , et ce retour s’opère
immédiatement si ces objets se trouvent encore dans les
mains de l’auteur du dol. Dans le cas contraire, il a le
droit de les revendiquer contre le tiers-détenteur ; mais
ce droit est soumis à des restrictions , suivant la nature
de la chose qui doit en motiver l’exercice.
En principe, la faculté de revendiquer repose sur celte
vérité incontestable: que nul ne peut être dépouillé de sa
propriété que de son libre consentement. Le respect pour
la propriété est une des colonnes de l’ordre social , et
l’on ne saurait en méconnaître l’importance sans tom
ber dans de graves dangers. Celui-là donc qui, par un
�274
dol, a subi une atteinte dans sa propriété, doit voir cette
atteinte effaçée et sa fortune rétablie dans le même état
qu’auparavant. La rescision n’a pas d’autre but : llestilutio ita facienda est, ut unusquisque integrum smm
jus recipiat.'
Or, cet expédient d’équité et de justice serait souvent
impraticable, si l’auteurdu dol ayant transmis à un tiers
l’objet qu’il a extorqué, la partie lésée ne pouvait le ré
clamer contre ce tiers. Il est facile de prévoir en effet
que celui qui n’a , à la propriété d’une chose , que les
droits acquis par le dol, s’empressera de la réaliser pour
échapper à la nécessité de la rendre , laissant ainsi le
véritable propriétaire en présence d’une insolvabilité cer
taine, et d’un tiers ne pouvant être attaqué.
Le préjudice causé par le dol eût donc été définitive
ment consommé. L’instance même que sa découverte
nécessite eût produit pour résultat unique une aggrava
tion de préjudice. L’admission de la revendication pou
vait seule remédier à d’aussi injustes éventualités.
C’est là sans doute un devoir rigoureux contre le tiers
obligé de restituer une chose qu’il a acquise et payée.
Mais il est facile de se convaincre qu’on n’a fait dans
cette circonstance qu’appliquer des principes élémentai
res , et notamment celui qui régit la vente de la chose
d’autrui.
En effet, que celui qui a perdu sa propriété par un
ET DE LA. FRAUDE.
1 L. 24, Dig. De minoribus.
�TRAITÉ DU DOL
272
dol véritable, ait été injustement dépouillé , c’est ce qui
ne peut être ni contestable, ni contesté ; c’est ce qui ré
sulte d’ailleurs invinciblement du jugement qui constate
le dol et le réprime. Ce jugement purge le demandeur
du reproche d’imprudence. Nous l’avons déjà dit, le dol
ne saurait exister si sa réussite est imputable à l’impru
dence de celui qui s’en plaint. La constatation judiciaire
de l’une est exclusive de l’existence de l’autre.
Les droits du possesseur intermédiaire reposent donc
sur une coupable usurpation, d’où la conséquence qu’en
les transmettant, il ne peut les purger du vice qui les
entache. Le tiers qui les a reçus , ne peut les posséder
que comme son auteur les possédait lui-même. En réa
lité donc , il n’y a chez l’un et chez l’autre ni titre sé
rieux, ni droit légitime.
Malgré son titre apparent, l’auteur du dol vend donc
la chose qui ne lui appartient pas, qu’il sait ne pas lui
appartenir. Celui qui acquiert de lui achète réellement
à non domino. Or, aux termes de l’art. 1599 du Code
civil, une pareille acquisition est incapable de produire
aucun effet.
Cet article , d’ailleurs , n’est pas le seul qui proteste
contre les tiers, en faveur des droits afférants à celui qui
a été injustement dépouillé de sa propriété. L’art. 2125
du Code civil, dispose que ceux qui n’ont sur l’immeu
ble qu’un droit suspendu par une condition, ou résolu
ble à certains cas, ou sujet à rescision, ne peuvent con
sentir qu’une hypothèque soumise aux mêmes condi
tions ou à la même rescision ; à plus forte raison ne
�373
peuvent-ils aliéner sans que la vente par eux consentie
soit soumise aux mêmes éventualités. Le tiers qui achète
ne peut donc se plaindre d’avoir ignoré le péril auquel
il succombe; Le dol, en effet, est une cause de rescision
contre tous les contrats, et lorsque par application de
cette règle , la propriété qu’il avait acquise et payée lui
échappe, il peut bien regretter de n’avoir pas assez vé
rifié l’origine des droits de son vendeur, mais il doit en
définitive subir la rigueur d’un principe écrit dans la
loi, et conséquemment obligatoire pour tous , car il est
en faveur de tous : Spoliatus, ante omnia reslituendus.
ET DE TA FRAUDE.
278. — Ainsi, dans son principe, le droit de reven
dication se justifie parfaitement. Dans ses effets, il con
vient de distinguer la nature de l’objet revendiqué. Us
sont en effet très-différents, selon qu’il s’agit d’un im
meuble ou d’uq meuble.
279. — Aucune difficulté ne saurait exister pour ce
qui concerne les immeubles. Le jugement qui ordonne
la rescision est commun, exécutoire contre tous les tiers
détenteurs, obligés dès lors à restituer, alors même qu’ils
auraient agi de très-bonne foi.
Toutefois, cette bonne foi n’est pas stérile en leur fa
veur. Elle produit des conséquences importantes pour
les fruits et revenus de l’immeuble. L’obligation de les
rendre ne s’applique qu’à ceux perçus depuis la deman
de en rescision. Pour ceux qui l’ont été précédemment,
tel est l’effet de la bonne foi, que le vice du titre dis—
18
i
�274
TRAITÉ DU DOL
paraît, et que le possesseur est censé les avoir légitime
ment recueillis : Bona fides tantumdem prœstat possidenti quantum veritas'. Ce principe est reproduit et
consacré par l’art. 549 de notre Code.
280. — Ce principe reçoit exception dans le cas où,
par suite d’un dol indirect, un individu a recueilli , à
titre gratuit, le bénéfice'd’une disposition légale ou con
ventionnelle. Dans ce cas, comme il n’est pas permis de
s’enrichir ex detrimento et injuria alterius, l’obligation
de restituer comprend tout ce qui a réellement profité
à celui que le dol avait appelé.
281. — Dans tous les cas, le possesseur de bonnè
foi a le droit de réclamer, contre le revendiquant, toutes
les dépenses faites pour la conservation de la chose, et
le prix des améliorations et dépenses utiles. Il doit ob
tenir contre son vendeur, auteur du dol, le rembourse
ment des dépenses voluptuaires et d’agrément. Ce prin
cipe , édicté par l’art. 1635 du Code civil contre celui
qui vend sciemment la chose d’autrui , s’applique évi
demment au vendeur de la chose obtenue par le dol.
282. — Enfin , le possesseur de bonne foi prescrit
contre le véritable propriétaire par le délai de dix ans,
du moment de son acquisition. Conséquemment, si le
dol n’est découvert que postérieurement à ces dix ans,
�27S
ou si ce laps de temps est accompli au moment de la
mise en cause du tiers possesseur , toute revendication
est impossible.
ET DE EA FEAUDE.
283. — La revendication des choses mobilières pré
sente beaucoup plus de difficultés. Le possesseur d’un
meuble corporel n’est pas tenu d’en justifier la proprié
té, ni de rechercher à quel titre son vendeur en a la
possession. L’art. 2279 du Code civil voit dans celte pos
session un litre légitime. L’acquéreur peut donc se pré
valoir de cette disposition , non seulement en ce qui le
concerne, mais encore pour soutenir que celui qui lui a
vendu l’objet revendiqué en était bien le propriétaire.
284. — L’article 2279 parait ne renfermer que des
dispositions fort simples. En réalité , cependant, il est
peu de textes qui aient donné lieu à plus de controver
ses. Mais, sans entrer dans un examen minutieux des
diverses opinions qui se sont produites, il nous parait
facile de déterminer comment on doit l’appliquer à la
matière qui nous occupe.
285. — Il est certain que le droit romain distin
guait la propriété des meubles corporels de leur posses
sion. L’une n’était acquisitive de l’autre que si elle s’é
tait continuée pendant un délai d’un an d’abord, et que
Justinien porta ensuite à trois ans'. Le possesseur frou1 lnsl., lib.
'i,
tit, 6,
De usitcap.
�276
TRAITÉ DU DOL
blé pouvait intenter l’action possessoire. C’est ce que dé
cidait l’interdit utrubi.
Notre ancien droit , tout en refusant l’action posses
soire , s’était conformé au droit romain sur la posses
sion en matière de meubles. En Provence , ainsi que
dans un grand nombre de pays coutumiers , le déten
teur d’un objet mobilier n’en avait acquis la propriété
que s’il l’avait possédé paisiblement et publiquement
pendant l’espace de trois ans.
286. — Or, en rapprochant de ces principes la dis
position de l’art. 2279, il est impossible de se dissimu
ler la différence énorme que celle-ci a introduite dans
cette partie de notre législation. A l’avenir la simple
possession, au moment où le meuble est livré, constitue
pour son détenteur un titre légitime de propriété. Celuilà donc qui l’a reçu de ce possesseur est censé l’avoir
reçu du seul et véritable propriétaire. Celte présomption
n’est nullement affaiblie par celte circonstance que le
vendeur ne l’aurait possédé que depuis un temps plus
ou moins long. L’importance de ce caractère a disparu
avec la législation qui en faisait dépendre la propriété.
C’est ce qui nous est notamment enseigné par l’exposé
des motifs de l’art. 2279.
287. — Il est vrai qu’il est question dans cet article
d’une prescription de trois ans. Mais cette prescription
s’applique uniquement à la revendication des choses vo
lées ou perdues, à l’égard desquelles on admet une ex
ception à la règle qu’en fait de meubles la possession
�277
vaut titre, et cette prescription de l’action est elle-même
une innovation à la précédente législation. Sous son
empire, en effet, ainsi que l’atteste Pothier, la chose vo
lée ou perdue , res furtiva, pouvait toujours être re
vendiquée. Ce droit était considéré comme imprescrip
tible.1
ET DE LA FRAUDE.
288. — On ne saurait donc équivoquer sur le sens
de l’art. 2279. En fait de meubles corporels la posses
sion prouve la propriété , et cette présomption , si elle
peut être modifiée du possesseur actuel à celui qui lui a
remis la chose , par le titre qui justifie le véritable ca
ractère de cette remise, reste, par rapport aux tiers, une
présomption juris *et de jure, n’admettant la preuve
contraire que dans l’une des deux hypothèses, de perte
ou de vol.
N’était-ce pas là d’ailleurs ce que la raison et la jus
tice exigeaient? I.e transfert des meubles corporels s’opè
re sans que la négociation laisse la moindre trace. Dans
la plupart des cas, l’acquéreur reçoit et paie , e t, lors
qu’il revendra à son tour, nul n’aura l’idée de lui de
mander l’exhibition de son titre de propriété. Sans doute
que pour les meubles, comme pour les immeubles, ce
lui qui a été dépouillé par le dol est injustement dépos
sédé , et que lui refuser pour les uns ce qu’on lui ac
corde pour les autres, c’était s’exposer à être taxé d’in
conséquence. Mais l’intérêt public ne permettait pas d’a1 Voy. Troplong, Des Prescript., art. 2279
�278
TRAITÉ DU DOL
gir autrement. On ne pouvait, en effet, laisser, pendant
un temps plus ou moins long, la propriété des meubles
en suspens, sans s’exposer à jeter le plus grand trou
ble dans les transactions les plus usuelles, sans revenir
sur une foule d’opérations, enfin sans encourager, com
me le disait l’orateur du gouvernement, ces procédures
sans nombre et qui le plus souvent excéderaient la va
leur des objets en litige.
Ainsi la revendication d’un meuble corporel ne peut
être exercée que dans les deux cas exceptionnels prévus
par l’art. 2279, à savoir : celui de perte, celui de vol.
289. — On a voulu cependant soutenir qu’on de
vait l’autoriser en cas de dol, en assimilant celui-ci au
vol. Mais ce système d’assimilation, que l’on appliquait
à l’abus de confiance, à la violation du dépôt , n’a pas
été consacré par la jurisprudence. Ainsi la Cour d’appel
de Paris a jugé , le S avril 484 3 , que le propriétaire
d’objets vendus par un dépositaire infidèle n’avait pas
le droit de les revendiquer contre un tiers acquéreur.
290. — M. Chardon critique cet arrêt : « Ainsi,
dit-il, une chose ne pourrait être revendiquée qu’autant
qu’elle aurait été dérobée par un vol qualifié tel par le
Code pénal ; et toutes celles soustraites à leurs maîtres
par de simples larcins, filouteries, escroqueries, abus de
confiance et manœuvres frauduleuses seraient irrévoca
blement perdues pour eux 1 Cela est inadmissible , les
rédacteurs du Code n’envisageant le vol que dans l’inté
rêt des personnes qui l’éprouvent, ont dû se borner à
�m
un terme générique qui comprend toutes les espèces. 11
suffit donc que la chose qui a été vendue soit arrivée
entre les mains du vendeur par un moyen illégitime,
pour qu’il y ait vente de la chose d’autrui, conséquem
ment vente nulle, et droit de revendiquer.’ »
ET DE LA FRAUDE.
291. — Cette opinion de M. Chardon est plutôt équitable que juridique. Elle a d’ailleurs le tort de mé
connaître le motif qui a fait autoriser la revendication
pour les choses volées ou perdues. Ce q u i, dans l’une
et dans l’autre de ces hypothèses, a préoccupé le légis
lateur, c’est que, dans chacune d’elles, la chose est sor
tie de la possession du propriétaire, non seulement sans
son consentement, mais encore à son insu et par une
véritable force majeure qu’il ne lui a été donné ni de
prévoir ni d’empêcher.
Sans doute, il ne faut pas que ce fait soit le résultat
d’un vol qualifié. De quelque manière qu’il se soit réa
lisé, il suffit qu’il présente le caractère que nous venons
d’indiquer pour que la revendication puisse être exer
cée. Le larcin, la filouterie , quoique différents quant à
la pénalité du vol qualifié, ne sont pas moins de véri
tables vols. L’un et l’autre renfermant la contrectatio
fraudulosa de la chose d’autrui, et, à ce titre , ils ren
trent dans le terme générique employé par l’art. 2279.
Mais , peut-on assimiler aux larcins , à la filouterie,
l’abus de confiance, la violation d’un dépôt, l’escroque1 Du dol, tom. i, n° 41, pag. 60.
�280
TRAITÉ DU DOL
rie , le dol ? Non évidemment , car dans les deux pre
miers il y a eu remise spontanée et libre des objets en
tre les mains de celui qui a abusé de la confiance, violé
le dépôt. Il y a donc faute ou tout au moins impru
dence de la part de celui qui a fait un choix aussi dé
plorable, aussi mal justifié.
Il est évident cependant que sans cette imprudente
confiance les objets qui en ont été la matière ne se
raient pas arrivés entre les mains de celui qui les a ven
dus. Si donc quelqu’un doit supporter les conséquences
de l’abus de confiance ou de la violation du dépôt, c’est
celui qui a mal choisi ses représentants , et nullement
le tiers-acquéreur, ayant traité sous la foi d’une posses
sion certaine et dont la loi ne l’obligeait pas de recher
cher la cause ou l’origine. Tout ce qu’il savait, c’est que
la possession vaut titre , e t, s’il a agi de bonne foi et
saris fraude , il ne pourrait sans injustice être dépouillé
de la chose qu’il a acquise et payée.
Le fait de la remise des objets par le propriétaire, en
tre les mains du vendeur est donc capital. Or, c’est ce
qui se réalise dans le cas d’escroquerie ou de dol. Sans
doute, dans ces cas, la volonté du propriétaire est viciée
par des manœuvres coupables, mais le fait matériel exis
te, et cette matérialité devait suffire en regard des tiers.
Supposez, en effet, qu’à l’aide d’une véritable escroque
rie un individu soit parvenu à se faire délivrer une par
tie de marchandises. Cette délivrance est constatée par
une facture régulière. Quel tort pourrait-on inférer à ce
lui qui, sur le vu de cette facture , aurait à son tour a-
�ET DE LA FRAUDE.
281
cheté cette marchandise ? N’est-ce pas là l’histoire du
commerce? Et l’on voudrait cependant l’obliger à resti
tuer alors que, postérieurement à son achat, le premier
propriétaire aurait fait judiciairement constater l’escro
querie? Nous n’hésitoris pas à le dire, il n’y aurait dans
ce système ni équité ni justice.
292. — C’est ce que la Cour suprême a aussi pen
sé. Dans une espèce où l’escroquerie avait été prouvée,
la revendication contre le tiers avait été consacrée par
arrêt de la Cour d’appel de Paris, du 13 janvier 1834.
Mais cet arrêt étant devenu l’objet d’un pourvoi , la
Cour de Cassation ne crut pas devoir le maintenir. La
cassation en fut donc prononcée par les motifs sui
vants :
« Attendu que l’art. 2279 , après avoir établi qu’en
fait de meubles la possession vaut titre, ajoute seulement
que dans le cas où la chose aura été perdue ou volée,
il y aura lieu à revendication ;
» Attendu que les exceptions sont de droit strict et
que leur application doit être renfermée dans le sens ri
goureux des termes employés par le législateur;
» Attendu que le vol ne peut être confondu avec l’es
croquerie, vu qu’en fait d’escroquerie l’individu a suivi
la foi de celui qui l’a trompé, et qu’il lui a donné, par
la vente qu’il lui a faite , un titre indépendamment de
la possession ; qu’il n’en, est pas de même de la chose
volée à l’égard de laquelle il n’y a eu ni vente , ni re-
�TRAITÉ DU DOL
mise volontaire, et qui, au contraire, a été prise par utie voie de fait quelconque.1 »
293. — Cet arrêt, contraire à l’opinion de M. Troplong1, nous paraît irréprochable en doctrine et renfer
mer une exacte appréciation des motifs qui ont intro
duit l’art. 2279 dans notre législation. D’une p art, la
revendication des meubles était contraire à l’intérêt pu
blic , car elle pouvait entraîner dans les transactions
commerciales une immense confusion ; de l’autre , on
ne pouvait, sans crainte d’encourager le vol, consacrer
la spoliation qui en a été la conséquence.
Placé entre deux dangers de ce genre , le législateur
devait s’arrêter à un moyen terme conciliant les inté
rêts divers qu’il s’agissait de régler. Or , ce moyen ter
me, signalé par le texte même, est bien celui relevé par
la Cour de Cassation. S’agit-il d’une chose enlevée par
une véritable voie de fait , sans la participation et le
concours du propriétaire, on pourra la revendiquer ; au
contraire l’enlèvement dont on se plaint s’est-il réalisé
au vu et au su du propriétaire , avec son autorisation,
toute revendication est impossible, quelque vicieux qu’ait
été le consentement donné.
\
Ce consentement, en effet, dont le tiers n’a pas eu à
1 J. du P.; Cass., 20 mai 1835.
. Par une erreur singulière, le sommaire précédant cet arrêt in
dique une solution diamétralement contraire à celle de l’arrêt.
® Des prescriptions, tom. il, n° 1069.
nota
�283
vérifier les caractères, deviendrait cependant la cause du
préjudice que la revendication lui ferait éprouver. Cela
suffit pour que l’auteur de ce consentement soit non re
cevable à faire supporter les conséquences de sa faute,
de son imprudence, de son malheur même, à celui qui
reste irréprochable à son endroit.
D’ailleurs il est impossible , en matière d’exceptions,
de raisonner par analogie, par assimilation. Dans l’es
pèce où s’arrêterait-on ? Après l’escroquerie viendrait le
dol, après le dol la fraude, car si dans l’escroquerie il
n’y a pas eu consentement sérieux , il n’y en a pas eu
davantage dans le dol et la fraude. Ainsi , d’assimila
tion en assimilation , la règle prescrite par l'art. 2279,
qu’en fait de meubles la possession vaut titre , suc
comberait infailliblement sous de nombreuses excep
tions.
»
294. —• Ainsi, le droit de revendiquer ne naît point
de l’escroquerie. A plus forte raison en est-il ainsi pour
le dol, qui n’est qu’une espèce d’escroquerie moins
grave. Celui qui en a été victime n’a donc action que
contre celui qui l’a trompé pour la restitution de la
chose enlevée , si elle existe encore dans ses mains ;
pour le faire condamner , si elle est revendue, à lui en
payer la valeur, 11 ne pourrait mettre en cause le tiers
que s’il prétendait que la revente a été acceptée par ce
lui-ci de mauvaise foi et par fraude. Mais la charge de
prouver l’une et l’autre lui serait dans tous les cas im
posée.
ET DE LA FRAUDE.
�284
TRAITÉ DU DOL
•29S. — Cette preuve pourrait résulter de la con
naissance que le tiers aurait eu de la manière dont la
chose était parvenue aux mains de son vendeur. Une
pareille connaissance serait exclusive de toute bonne foi,
et permettrait de ne voir dans la vente ainsi acceptée
qu’un concert pour consommer le dol et pour mettre
son auteur à l’abri de la réparation à laquelle il est
tenu.
C’est dans ce sens , et très-légalement à notre avis,
que l’a admis la Cour d’Agen en matière de vente d’ob
jets immobiliers. Elle a, en effet, jugé, le 12 mai 1830,
que la connaissance d’un acte sous seing privé qui a
déjà dépouillé le vendeur de la propriété de l’objet qu’on
acquiert de lui, même par acte authentique, constitue,
de la part de celui qui a cette connaissance, un fait de
dol et de fraude.1
Cette décision est parfaitement applicable à notre espèce. Qu’importe , en effet , que l’on sache que le ven
deur n’est pas propriétaire de la chose qu’il vend , ou
seulement qu’il en est propriétaire à un titre illégitime?
L’acquisition faite nonobstant cette connaissance blesse
également dans les deux cas les sentiments de la pro
bité et de la délicatesse. Elle doit donc être régie par les
mêmes principes.
296. — Il nous reste à examiner la revendication
des meubles incorporels. Cette matière n’est plus régie
1 D. P., 32, 2, 204; — Voy. supra n° 94.
�ET DE LA FRAUDE.
285
par l’art.'2279 du Code civil. Il est, en effet, depuis
longtemps admis en doctrine et en jurisprudence, que la
maxime-, en fait de meubles la possession vaut titre, ne
s’applique qu’aux meubles susceptibles d’une tradition
manuelle. Les droits incorporels , les titres de créance,
les actions n’étant pas évidemment dans cette classe, échappent aux conséquences que cette maxime autorise et
crée.1
Il est certain , en effet, que pour les objets de cette
nature , la possession matérielle du titre constitutif ne
saurait constituer une preuve de propriété. Les arlicles
1689 et suivants règlent les formalités à observer lors
qu’il s’agit de leur transfert. La délivrance du titre doit
être accompagnée, pour que le cessionnaire soit saisi à
l’égard des tiers, d’un transport signifié au débiteur ou
accepté par lui. Or, les effets de ce transport dépendent
nécessairement de la validité du titre en vertu duque
il a été consenti. Si ce titre argué de dol est rescindé
par la justice, cette rescision place la cession dans la ca
tégorie des actes faits à non domino. Le cédant dépouillé
de ses droits n’a pu en transmettre aucuns. Ici revien
nent les maximes : nemo plus juris ad alium tram fer
re potes t , quam ipse habet.........resoluto jure danlis,
resolvitur et jus accipientis.
i Troplong, Desprescripl., tom. u, n° 1065, — Vazeilles, pag. 280.
— Cass., -12 mai 1824, 4 mai 1836, 11 mai 1839, 4 août 1840; —
J. du P., tom. i, 1839, pag. 263 ; tom. n, 1840, pag. 229.
�286
TRAITÉ DU DOL
297 . — Il résulte de là :
10 Que le possesseur dépouillé par le dol d’un meu
ble ou droit incorporel, qui a fait prononcer la résolu
tion de l’aliénation qu’il en avait consentie, a le droit
de suivre la chose et de la revendiquer dans quelques
mains qu’il la trouve.
2° Que celui qui a traité avec l’auteur du dol est te
nu de restituer le titre qu’il en a reçu, encore bien qu’il
en eût payé la valeur , sauf ses droits contre son ven
deur. Il ne pourrait obtenir contre le revendiquant que
le remboursement des dépenses faites pour la conserva
tion de la chose.
3° Que, si la créance cédée était exigible, ou qu’étant
venue à échéance , elle ait été remboursée , le tiers est
obligé de restituer ce qu’il a reçu, avec intérêt, à partir
de la demande en restitution. Les arrérages perçus de
bonne foi jusqu’à cette époque lui appartiennent en
vertu du principe consacré par l’art. 547 du Code civil.
298 . — La faculté'de revendiquer les meubles ou
droits incorporels reçoit exception :
1° Lorsqu’il s’agit de billets ou bons payables au por
teur. Les titres de ce genre sont transmissibles de la
main à la main et sans aucune formalité. Leur posses
sion fait donc considérer le porteur comme le seul pro
priétaire. Ils ne peuvent , dès lors , être revendiqués
que si l’on prouve qu’ils ont été volés ou perdus
i Cass., 2 nivôse an xn; — J. du P., tom. ni, pag. 547.
�287
ou que le porteur actuel ne les a reçus qu’à un titre
précaire.
2° Lorsqu’il s’agit de traites ou effets commerciaux
négociables. L’endossement de ces titres en confère la
propriété. Le porteur, à l’ordre duquel cet endossement
a été régulièrement transcrit , est, aux yeux de la loi,
l’unique propriétaire de la traite. La transmission de
ces titres est d’une trop réelle importance pour qu’on
ait pu avoir la pensée d’apporter aucun obstacle à leur
libre circulation. Le tiers porteur de bonne foi est donc
à l’abri de toutes recherches du chef de son cédant ou
de tous autres précédents propriétaires.
ET DE LA FRAUDE.
299 . — L’action en rescision doit être poursuivie
directement contre les auteurs du dol , alors même que
la chose qui en est l’objet serait passée en d’autres
mains. D’ailleurs la revendication n’est possible qu’après que les droits de celui qui l’a transférée au tiers
ont été infirmés, on comprend dès lors qu’une instance
à laquelle il ne serait pas présent ou appelé manquerait
d’un de ses éléments essentiels. Seul, en effet, le défen
deur principal en dol peut discuter utilement les alléga
tions dirigées contre l’acte, seul il peut fournir, sur les
faits et circonstances du procès , toutes les notions pou
vant éclairer la conscience du juge et contribuer à ren
dre sa décision équitable.
Le tiers-détenteur n’est pas moins intéressé dans le
procès en rescision intenté contre son auteur. Le juge
ment qui interviendra contre celui-ci refluera nécessai-
�rement jusqu’à lui. On ne peut dès lors le faire condam
ner sans l’avoir mis à même de se défendre. Il doit
donc être appelé dans l’instance pour y faire valoir ses
droits, ceux de son cédant lui-même, si ce dernier, colludant avec le demandeur , les désertait pour lui porter
préjudice.
Au reste, l’appel en cause du tiers détenteur n’est pas
seulement dans son intérêt. Il importe également au
poursuivant de le réaliser, car la prescription n’est in
terrompue à son égard que par la poursuite directe dont
il est l ’objet. Le temps consacré à l’instance, exclusive
ment dirigée contre l’auteur du do], pourrait donc, dans
plusieurs cas, permettre à la prescription de s’accomplir,
et créer ainsi un obstacle invincible à toute revendica
tion ultérieure.
Le tiers détenteur qui ne serait pas appelé dans l’ins
tance, soit parce que le poursuivant ignore la transmis
sion qui lui a été consentie , soit que la connaisant il
néglige de le mettre en cause, a toujours le droit d’in
tervenir , s’il craint que ses intérêts soient compromis.
L’intérêt est la mesure de l’action. Or, le tiers en a un
puissant à assister aux débats sur la rescision ; il peut
enfin former tierce-opposition au jugement rendu en
son absence.
�ET DE I,A FRAUDE.
289
S II.
De
l ’A .etio n
en
D o m m a g e s -I n t é r ê ts .
SOMMAIRE.
300. Objet de l’allocation de dommages-intérêts. — A qui ap
partient l ’action.
301. L’étendue et le chiffre de la condamnation sont laissés à la
prudence du juge. — Règle à suivre.
302. Maximum tracé par la loi romaine.
303. Principes à consulter sous le Code.
301. Différence dans l’allocation , selon qu’il s’agit d’une faute,
d’un fait de mauvaise foi ou d’un dol.
305. En quoi consistent les dommages-intérêts dans le cas de
faute.
306 Dans le cas de mauvaise foi.
307. Dans le cas de dol.
308. Comment faut-il entendre ces mots de l’art. 1151 : Ce qui
est une suite immédiate et directe du dol.
309. Opinion de Dumoulin.
310. Exemple emprunté de Pothier.
311. Distinction faite par ce jurisconsulte pour le préjudice ré
sultant des conséquences éloignées du dol.
312. Conclusion.
313. Dommages-intérêts déterminés par la loi elle-même.—In
térêts moratoires.
314. Exceptions que reçoit l’art. 1153.
19
i
�290
TRAITÉ I)U DOL
315. Quid, si le retard provenait d’un dol ?
316. La saisie-arrêt faite malo animo et dans l’intention de nui
re donnerait lieu à des dommages-intérêts, indépendam
ment des intérêts moratoires.
317. Influence du dol sur le point de départ de ces intérêts.
318. Différence entre les intérêts compensatoires et les intérêts
moratoires.— Conséquence.
319. Les dommages-intérêts dus au plaideur injustement atta
qué sont les dépens de l’instance.
320. Ne pourrait-on pas, dans le cas d’une mauvaise foi ou d’un
dol flagrant, accorder des dommages-intérêts outre les
dépens.
•.
321. Remarquable exemple tiré d’un arrêt de la Cour d'Aix.
322. Contre qui doit être poursuivie l’action en dommages-in
térêts.
323. Conséquences de l’action en matière de ventes d’objets mo
biliers.
324. La réparation pécuniaire du dol est prononcée solidaire
ment contre tous ceux qui y sont tenus comme auteurs
ou complices.
325. L’indivisibilité du fait amène forcément la solidarité.
326. C’est en effet par ce principe que la solidarité a été admise
en matière de quasi-délit.
327. Coup d’œil historique sur la contrainte par corps, en ma
tière civile, sous les législations précédentes.
328. Dispositions du Code civil.
329. Faculté conférée par l’art. 126 du Code de procédure civile
de la prononcer pour les dommages-intérêts excédant
300 francs.
330. Modifications que cet article consacre à l’ordonnance de
1667.
331. La contrainte par corps n’étant autorisée que pour les dom
mages-intérêts , peut-on la décerner pour la restitution
de la valeur de la chose ayant fait l’objet du contrat an
nulé.
�* ■
”
ET DE LA FRAUDE.
291
332. Importance de la solidarité pour l’application de l’art. 126
du Code de procédure civile.
333. Exception à la faculté de décerner la contrainte.
334. L’héritier de l’auteur du dol n’est jamais contraignable par
corps.
333. Durée de la contrainte déterminée par la loi de 1832.
500. — L’allocation de dommages-intérêts a pour
objet d’indemniser la partie lésée du préjudice qu’elle a
souffert matériellement ou moralement.
L’existence d’un préjudice autorise donc l’action qui
doit en amener la réparation. A ce titre , et par appli
cation à notre matière , l’action en dommages-intérêts
est ouverte à celui que le dol a égaré , dans les hypo
thèses suivantes :
1° Lorsqu’il s’agit d’un dol accidentel. Ce dol, s’ex
erçant sur une des conditions de la chose qui fait la
matière du contrat, n’est pas en général un motif suffi
sant pour faire prononcer la résiliation de l’acte. L’er
reur en résultant, soit sur la qualité de la chose , soit
sur le prix , soit sur l’existence d’une servitude , trouve
une réparation juste et naturelle dans l’attribution d’une
somme de dommages-intérêts, proportionnée à la nature
du préjudice ;
2° Lorsque s’agissant d’un dol substantiel , la resci
sion n’est pas demandée, soit parce qu’elle est impossi
ble, soit parce qu’elle nuirait à la partie lésée. Le dé
faut de poursuite en rescision n’amnistie pas le dol, le
préjudice qu’il a causé n’en doit pas moins être réparé,
�292
TRAITÉ DU DOL
et cette réparation consiste dans l’allocation d’une in
demnité pécuniaire ;
3° Lorsque s’agissant d’un dol substantiel, la resci
sion demandée ne suffirait pas pour réparer le préjudice
souffert. La justice veut en effet que celui qui a été vic
time du dol soit intégralement restitué de tout le dom
mage qui lui a été occasionné. La rescision pourrait
laisser subsister une partie de ce dommage , qu'une
condamnation pécuniaire , accessoirement requise , fait
disparaître.
4” Enfin lorsqu’il s’agit d’un dol indirect. L’auteur
de ce dol est responsable des conséquences de son fait.
Il est juste qu’il soit tenu d’indemniser la partie lésée,
alors même que, s’agissant d’une disposition à titre gra
tuit, celui qui l’a recueillie doive être dépossédé au pro
fit de cette partie.
305. — Dans tous les cas, l’étendue et le chiffre de
la condamnation sont laissés à l’arbitrage des juges. Ce
qu’il importe cependant de ne pas perdre de vue, c’est
qu’il est dans l’esprit de la loi de concilier les justes
droits du poursuivant avec l’équité , qui ne permet pas
de pousser jusqu’à des limites trop extrêmes la respon
sabilité encourue par l’auteur du dol.
Sans doute la conduite de celui qui a manqué aux
lois de la probité, de la délicatesse, doit exciter une vive
et énergique réprobation ; mais il est une mesure à gar
der, même dans les sentiments les plus honorables. Plus
le mobile qui fait agir est respectable , et plus on doit
�293
craindre de s’égarer. N’oublions pas les célèbres paro
les de la raison écrite : Summum jus , summa injuria.
Il faut donc, lorsqu’il s’agit d’une réparation pécuniai
re , peser mûrement la gravité des torts reprochés, l’é
tendue des conséquences qui en sont résultées , et mo
dérer à ces conséquences mêmes l’indemnité à accor
der.
ET DE LA FRAUDE.
502. — C’est sans doute par des considérations de
cette nature, que Justinien avait cru devoir fixer un ma
ximum que l’adjudication de dommages-intérêts ne
pouvait franchir. Avant lui, les magistrats avaient toute
latitude dans leur appréciation ; c’est cette latitude que
Justinien trouve dangereuse, et à laquelle il croit devoir
assigner des bornes : Melius est hujus modi prolixitatcm prout possibile est in angustum coarclare '. En
conséquence, et dans aucun cas, les dommages-intérêts
ne pourront dépasser une valeur double de la chose
ayant fait la matière du contrat.
505. — Le Code qui nous régit n’a tracé aucune
limite à l’appréciation des magistrats, mais on se trom
perait étrangement, si l’on considérait le silence qu’il a
gardé sur ce point comme la condamnation de la règle
consacrée par la législation romaine. En parcourant le
système que notre législation a adopté en matière de
dommages-intérêts, on arrive facilement à cette coriclu1 L. unie., Cod. Desenl. qxaepvo eo qtiodinlerest.
�294
TRAITÉ DU DOL
sion que l’intention de se tenir sans cesse dans un mi
lieu raisonnable et juste a été le but qu’elle s’est pro
posée.
304. -T- En principe, les dommages-intérêts sont de
la perte qu’on a faite et du gain dont on a été privé.
Certes, rien de plus élastique qu’un pareil principe, mais
la manière dont la loi prend soin d’en régler l’applica
tion fait disparaître toute espèce de dangers.
Les dommages-intérêts sont réclamés ordinairement
pour une faute, pour un acte de mauvaise foi, pour un
dol.
305. — Lorsque l’inexécution de la convention don
nant lieu à l’action provient d’une simple faute , c’està-dire parce que le débiteur se sera témérairement en
gagé à ce qu’il ne pouvait accomplir, ou parce qu’il s’est
mis depuis dans l’impossibilité de remplir son obliga
tion, les dommages-intérêts sont réglés par l’art. 1150.
Ils comprennent alors la perte éprouvée et le gain dont
on a été privé, tels qu’ils ont été prévus, ou qu’on a pu
les prévoir lors du contrat.
On suppose donc que les dommages-intérêts sont
purement conventionnels. Or, les obligations créées par
les contrats ne pouvant se former que par le consente
ment et la volonté des parties, le débiteur , en s’obli
geant aux dommages-intérêts résultant de l’inexécution
de son obligation , est censé n’avoir entendu et voulu
s’obliger que jusqu’à la somme à laquelle il a pu vrai
semblablement prévoir qu’ils pourraient s’élever.
�295
« Ordinairement, dit Pothier, les parties sont censées
» n’avoir prévu que les dommages-intérêts que le cré» ancier, par l’inexécution de l’obligation, pourrait souf» frir par rapport à la chose même qui en a été l’objet,
» et non ceux que l’inexécution lui a causé d’ailleurs
» sur ses autres biens. C’est pourquoi, dans ce cas, le
» débiteur n’est pas tenu de ceux-ci, mais seulement de
» ceux soufferts par rapport à la chose qui a fait l’ob» jet de l’obligation : Damni et interesse propter ipsarn
» rem non lxabitam.
» Par exemple , si j’ai donné à loyer pour dix-huit
» ans une maison que je croyais m’appartenir, et qu’à» près dix ou douze ans, mon locataire en ait été évin» cé par le propriétaire, je serai tenu des dommages» intérêts de mon locataire, résultant des frais qu’il au» ra été obligé de faire pour son délogement, comme
» aussi de ceux résultant de ce que le prix des loyers
» étant augmenté depuis le bail, il aura été obligé de
» louer une maison plus cher pendant le temps qui res» tait à courir, car ces dommages-intérêts ont un rap» port direct et prochain à la jouissance qui a fait l’ob» jet de mon obligation et sont soufferts par le loca» taire propter rem ipsam non liabitarn.
» Mais si le locataire a depuis le bail établi un com» merce dans la maison que je lui ai louée, et que son
» délogement lui ail fait perdre des pratiques et causé
» un tort dans son commerce, je ne serai pas tenu de
» ce dommage qui est étranger, et qui n’a pas été pré» vu lors du contrat.
ET DE LA FRAUDE.
�296
TR A ITÉ DU DOL
» A plus forte raison, si dans le délogement quelques
» meubles précieux de mon locataire ont été brisés, je
» ne serai pas tenu de ce dommage, car c’est l’impéri» tie des gens dont il s’est servi qui en est la cause, et
» non l’éviction qu’il a soufferte, elle n’en est que l’oc» casion.'»
Cette doctrine a le mérite incontestable de préciser
nettement la portée de l’art. 1150. Il est évident que
dans l’exemple cité, les dommages-intérêts ont pu et dû
entrer dans les prévisions des parties ; qu’ils ne consti
tuent qu’une indemnité raisonnable et telle qu’il serait
injuste de la refuser. La bonne foi du bailleur lui est
utile en ce sens qu’elle détermine une modération dans
la peine qui lui est appliquée. Or, on ne saurait aller
jusqu’à prétendre que cette bonne foi pût l’exonérer de
l’obligation de réparer le préjudice qui en a été la con
séquence.
506. — Par une juste déduction , l’absence de la
bonne foi aggrave les obligations du débiteur. Dans ce
cas , les dommages-intérêts se calculent sur une autre
base. La réparation à sa charge comprend alors non seu
lement le préjudice résultant de la privation de la chose,
mais encore celui dont cette chose a été l’occasion. Nous
en trouvons un exemple décisif dans le rapprochement
des art. 1634 et 1635 du Code civil.
Ainsi, celui qui a vendu de bonne foi la chose d’au1 Des obligations, n° 161.
�297
trui doit rembourser à l’acquéreur évincé toutes les ré
parations et améliorations utiles faites au fonds. I.es dé
penses voluptuaires et d’agrément, n’étant jamais con
sidérées comme utiles, restent donc à la charge de l’ac
quéreur. C’est là une application exacte du principe
posé par l’art. 1130. Le vendeur, en effet, a pu prévoir
les dépenses utiles , il a dû penser qu’en bon père de
famille , l’acquéreur se livrerait immédiatement à tous
les frais que la conservation et l’entretien de la chose
exigeraient. Mais on ne peut admettre une semblable
prévision pour tout ce qui ne constitue qu’un pur agré
ment. Il ne serait donc pas juste de l’obliger à rem
bourser des frais quelquefois en dehors de toute propor
tion avec la valeur même de la chose.
Mais il n’en est plus ainsi pour le vendeur de mau
vaise foi. Celui qui aliène une chose qu’il sait ne pas lui
appartenir s’expose à réparer tout le préjudice que l’ac
quéreur est dans le cas de souffrir. L’acte qu’il s’est
permis ne comporte ni excuse, ni atténuation, aussi l’ar
ticle 1635 met-il à sa charge les dépenses voluptuaires
et d’agrément. Sa mauvaise foi fait présumer la volonté
de réparer toutes les pertes qu’elle sera dans le cas d’oc
casionner.'
On continue donc , dans le cas de mauvaise foi, de
considérer les dommages-intérêts comme convention
nels, seulement on fait porter les prévisions des parties
ET DE LA FRAUDE.
i Domat, liv. 3, tit. 5, sect. 2, n° 8.
�298
TRAITÉ DU DOL
au delà de ce qu’elles restent, lorsqu’on a à prononcer
contre un débiteur de bonne foi.
507. — Ce n’est plus par le même principe que se
règlent les dommages-intérêts dérivant du dol. Il n’y a
plus lieu dans cette hypothèse à rechercher quelle a été
ou pu être la commune intention des parties, si le pré
judice à réparer a été ou non dans leur prévision. L’au
teur du dol s’oblige, velil nolit, à la réparation de tout
le tort qu’il a causé.
Dans ce cas même , aux termes de l’art. 4151 , les
dommages-intérêts ne doivent comprendre, à l’égard de
la perte éprouvée par le créancier et du gain dont il a
été privé , que ce qui est une suite immédiate et directe
du dol. Mais, dans ces limites mêmes, la détermination
du chiffre n’est pas toujours chose facile.
508. — L’exposé des motifs de l’art. 1151 est loin
de résoudre cette difficulté. « Dans le cas même de dol,
disait l’orateur du Gouvernement , les dommages-inté
rêts n’en ont pas moins leur cause dans l’inexécution de
la convention. Il ne serait donc pas juste de les étendre
à des perles ou à des gains qui ne seraient pas une suite
immédiate et directe de cette inexécution. Ainsi on ne
doit avoir égard qu’au dommage souffert par rapport à
la chose ou au fait qui était l’objet de l’obligation, et non
à ceux que l’inexécution de cette obligation aurait d’ail
leurs occasionné au créancier dans ses autres affaires ou
dans ses autres biens. »
Ces considérations nous paraissent inadmissibles. El-
�299
les ramèneraient, en effet, la règle en matière de dol
aux proportions que nous avons vues devoir régir la
bonne foi ; à ces dommages-intérêts propter rem ipsam
non habitam, prévus par l’art. 1150. Or, il est impos
sible que l’art. 1151, en appliquant les dommages-in
térêts au préjudice causé par les conséquences immé
diates et directes du dol , n’ait voulu que reproduire le
principe déjà écrit dans l’article précédent.
Par la suite immédiate et directe du dol, le législateur
a donc eu forcément en vue le dommage souffert par le
créancier dans ses autres biens , seulement il l’a réduit
au préjudice dont le dol a été l’occasion directe et im
médiate , et non à celui qu’on pouvait rattacher au dol
d’une manière éloignée, lequel est, d’après les paroles
de Dumoulin, sans aucune considération.
ET DE LA FRAUDE.
309. — Ce jurisconsulte , recherchant le préjudice
que doit réparer le locataire qui , par malice , incendie
la maison du propriétaire, décide qu’on doit mettre à sa
charge la perte de la maison, la valeur de tout ce qui y
était renfermé et l’indemnité de la privation de jouis
sance. Non autem , ajoute-t-il, damnumpostea succedens ex novo casu, etiam occasione dictœ combustionis,
sine qua non contigissel ; quia istud est damnum remo
tum, quod non est in consideratione.
310. — Un exemple que nous empruntons au ju
dicieux Pothier précisera mieux encore la différence
d’appréciation résultant des art. 1150 et 1151, et com-
�300
TRAITÉ DU DOL
ment on doit déterminer ce qui doit être considéré com
me une suite immédiate et directe du dol.
Un marchand vend une vache infectée d’une mala
die contagieuse. Mais il ignorait lui-même cette maladie.
Les dommages-intérêts dus à l’acquéreur se compose
ront uniquement du prix de la vache et des dépenses
occasionnées pour la remplacer, alors même que la con
tagion, s’étant communiquée, aurait fait périr ses autres
bestiaux. C’est là le dommage propter ipsam rem non
habitam que doit exclusivement supporter celui qui a
agi avec bonne foi.
Au contraire, la maladie de la vache était connue du
marchand, qui en a dissimulé l’existence. Celte dissimu
lation est un véritable dol qui l’oblige à réparer le pré
judice qui en a été la suite immédiate et directe. Evi
demment la contagion , qui a fait périr les autres bes
tiaux, n’a pas eu d’autre cause déterminante que le dol.
Le coupable doit donc indemniser l'acquéreur non seu
lement du prix de la vache et de la dépense nécessitée
par son remplacement, mais encore de la valeur de tout
le bétail mort des suites de la contagion et les frais ex
posés pour le remplacer.
Mais la perte de ses bestiaux peut avoir pour l’acqué
reur des conséquences plus fâcheuses encore. Ainsi , il
peut soutenir qu’il a été placé par là dans l’impossibi
lité de cultiver ses terres et privé ainsi de toute récolte;
que cette privation l’a mis dans le cas de ne pouvoir sa
tisfaire à ses engagements, et qu’il s’est vu contraint de
laisser exproprier ses biens. Pourrait-il obtenir contre le
marchand la réparation de tout ce préjudice ?
�301
II est certain que, dans le fonds, la prétention ten
dant à faire décider l’affirmative n’est pas sans motifs
plausibles. On comprend, en effet, que la mort des bes
tiaux d’une ferme, arrivée pendant une certaine saison,
peut exercer une influence fâcheuse sur la position du
propriétaire et entraîner même la saisie de ses biens.
Mais on répondra, avec raison, que le défaut de culture
et le non paiement des créanciers n’ont qu’une relation
indirecte et éloignée avec le fait imputable au marchand,
ils n’en étaient même pas les suites nécessaires. Il est
positif, en effet, que le propriétaire pouvait cultiver en
achetant ou en louant d’autres bestiaux, et qu’ayant eu
le tort de ne pas le faire , il a commis personnellement
une faute dont il est responsable. En un m ot, on peut
dire de ces dommages ce que Dumoulin disait pour l’in
cendiaire , ils peuvent bien être attribués à la mort des
bestiaux , sans laquelle ils ne se seraient pas réalisés,
mais ils sont réellement nés ex novo casu, et conséquem
ment on ne peut qu’adopter la conclusion de ce juris
consulte : Istud est damnum remotum , quod non est in
consideratione.
ET DE LA FRAUDE.
5! S. — Cependant Pothier distingue, fort justement
selon nous, entre le dommage résultant du défaut de
culture et celui déterminé par la saisie des propriétés.
Celui-ci, dit-il, ne saurait être en tout ou en partie à la
charge du marchand, il n’est qu’une suite très-éloignée
et très-indirecte du dol. Il n’y a pas même une relation
nécessaire, car, quoique la perte des bestiaux ait influé
�302
TRAITÉ DU DOL
sur le dérangement de la fortune de l’acquéreur, ce dé
rangement peut avoir eu d’aulres causes.
L’autre, au contraire, paraît être une suite moins éloignée du dol, mais il n’en est pas une conséquence
absolument nécessaire. L’acheteur pouvait obvier au
préjudice résultant de la perte de ses bestiaux , en fai
sant cultiver ses terres par d’autres bestiaux qu’il devait
acheter ou louer, ou en affermant ses terres, s’il n’avait
pas le moyen de les faire valoir lui-même. Néanmoins,
comme en recourant à ces expédients il n’aurait pas re
tiré de ses terres autant de profit que s’il les avait fait
valoir lui-même avec les bestiaux qu’il a perdus par le
dol du marchand, il est juste que celui-ci l’indemnise,
en partie au moins, du préjudice causé par le défaut de
cultures.'
312. — Cette doctrine nous parait déterminer la vé
ritable signification de l’art. 1151 du Code civil. C’est
dans les principes enseignés par Dumoulin, Domat, Po
thier , que nous rencontrons l’étendue et la portée de
cette disposition. C’est là que la pensée du législateur se
décèle avec la plus parfaite précision. Nous pouvons
donc avec confiance proposer ces principes comme les
éléments indispensables de toute appréciation en matière
de dommages-intérêts.
Nous n’ajouterons qu’une seule observation, qui nous
paraît commandée par l’équité. Si le préjudice éloigné
1 Des obligations, n° 167.
�303
ne doit pas être mis à la charge de l’auteur du dol, tout
au moins convient-il de le prendre en considération lors
qu’il s’agit de déterminer le chiffre de celui qu’il doit
réparer. On ne saurait, en effet, se dissimuler , d’un
coté, que le dol n’a pas été sans influence sur la réali
sation de ce préjudice; de l’autre , que l’acte de celui
qui s’est permis des manœuvres coupables ne soit extrê
mement blâmable. Celte double considération est donc
de nature à empêcher toute modération dans les dom
mages intérêts que la loi impose aux débiteurs. Ils doi
vent couvrir, dans la mesure qui vient d’être indiquée,
l’intégralité du préjudice souffert.
ET DE LA FRAUDE.
313. — Il est des cas où les dommages-intérêts sont
fixés parla loi elle-même. L’art. 1153 nous en offre
un exemple. Dans les obligations, porte cet article , qui
se bornent au paiement d’une certaine somme, les dom
mages-intérêts ne consistent jamais 'que dans la con
damnation aux intérêts fixés par la loi. Cette disposition
est fondée sur la présomption que la perte essuyée par
le créancier et le bénéfice dont il est privé sont inté
gralement compensés par les intérêts tels que les tribu
naux les adjugent conformément à la loi.'
314. — La règle tracée par cet article reçoit excep
tion :
1° Pour les matières commerciales. Ainsi, le débiteur
i Bigot de Préameneu, Exposé des motifs.
�TRAITÉ DU DOU
304
d’une lettre de change protestée faute de paiement doit
non seulement les intérêts du jour du protêt, mais en
core le remboursement des frais de rechange. De même
le débiteur en compte-courant d’un banquier est obligé
de payer , en sus des intérêts , le droit de commission
déterminé par l’usage.
2° Pour le cautionnement civil. Ainsi, d’après l’arti
cle 2028, la caution qui a payé a son recours contre le
débiteur non seulement pour le capital et les intérêts,
mais encore pour le remboursement de tous les frais
qu’elle a exposés.
Ces deux exceptions, formellement prévues par l’arti
cle 1153 , sont fondées : la première , sur l’intérêt du
commerce dont les usages acquièrent force de loi ; la
seconde, sur l’appréciation exacte de l’obligation du dé
biteur principal vis-à-vis de la caution. Cette obligation
n’est pas , à proprement parler, celle de lui payer telle
ou telle somme, mais bien celle de l’indemniser de tout
le préjudice que le cautionnement lui a occasionné.
Dans tous les autres cas, le retard dans le paiement
d’une somme d’argent ne donne lieu qu’à l’adjudication
des intérêts légaux, alors même que ce retard serait im
putable au dol du débiteur. La stipulation du contrat
qui déterminerait de plus grands dommages-intérêts se
rait censée non écrite, e t, dans tous les cas , annulée
comme renfermant une usure déguisée.
Ce principe et ses conséquences ne régissent que les
dommages-intérêts pour simple retard dans l’exécution
d’une convention expresse stipulant le remboursement
�305
ou le paiement d’une somme convenue. On ne saurait
donc les invoquer lorsque l’obligation de restituer n’a
d'autre origine qu’un acte , qu’un fait illicite , une es
croquerie, un abus de confiance, par exemple.
Il est évident que l’art. 1153 n’a ni prévu, ni enten
du régler ces hypothèses. Dans l’un comme dans l’au
tre cas, en effet, il s’agit moins de la restitution d’une
chose ou de sa valeur , que de la réparation du préju
dice résultant du délit, et rien ne saurait faire que cette
réparation ne s’étendit à toutes les conséquences de ce
lui-ci.
L’escroquerie peut avoir eu pour effet une vente d’ob
jets ou de marchandises et la création de titres en rè
glement du prix. Le porteur de ces titres en poursui
vant le paiement ne demande-t-il pas l’exécution d’une
obligation se bornant au paiement d’une somme, et ne
se place-t-il pas sous l’empire de l’art. 1153 ?
L’affirmative n’est pas douteuse si l’instance est intro
duite et poursuivie devant la juridiction civile. Pour cel
le-ci , les manœuvres qui ont déterminé le traité , ne
constituent qu’un dol , dont l’existence et les effets sont
exclusivement soumis à son appréciation ; elle peut d’au
tant moins ordonner la réparation du préjudice occa
sionné par le délit qu’elle est sans qualité pour recher
cher et constater celui-ci.
Si le procès s’agite au correctionnel, la mission spé
ciale du juge est de juger si le délit existe. En cas d’af
firmative il peut et il doit non seulement ordonner la
restitution de la chose ou de sa valeur, mais encore adET DE LA FRAUDE.
î
20
�TRAITÉ DU DOL
306
juger outre l’intérêt légal tout ce que lui paraîtra exiger
la réparation intégrale du préjudice.
Or, la partie lésée peut toujours investir la juridiction
criminelle , même après avoir demandé et obtenu du
juge civil la restitution de ce qui lui est dû en capital et
intérêt. On n’a jamais contesté cette faculté. Ce qu’on a
soutenu c’est, qu’en s’adressant d’abord à la juridiction
civile , la partie civile avait épuisé son droit quant aux
dommages-intérêts; qu’elle ne pouvait donc plus en
exiger et en obtenir d’autres que ceux que cette juridic
tion lui avait adjugé.
Cette prétention qui dans une espèce se produisait de
vant la Cour de Paris, condamnée par elle le fut éga
lement par la Cour Suprême d’abord par arrêt du 29
mars 1849.
Un second arrêt de la Cour Suprême du 8 juin de la
même année la condamne plus explicitement encore, en
jugeant que la condamnation prononcée par les tribu
naux civils aux intérêts dus pour retard dans une res
titution de sommes confiées à titre de dépôt ne met pas
obstacle à ce que la partie condamnée soit ultérieure
ment déclarée passible de dommages-intérêts sur l’ac
tion formée contre elle pour délit d’abus de confiance ;
qu’ici ne s’appliquait pas l’art. 1153.1
Il résulte bien de cet arrêt que l’action jugée par les
tribunaux civils, n’est ni un obstacle à la poursuite cor-
�307
rectionnelle ni un empêchement à ce que le juge de ré
pression alloue tous les dommages-intérêts qu’exige la
réparation intégrale du préjudice.
Plus tard et le 18 septembre 1862, la Cour de Cas
sation a eu de nouveau l’occasion d’appliquer sa doc
trine. Un mandataire infidèle condamné à 3,000 fr. de
dommages-intérêts en réparation du préjudice qu’avait
occasionné au mandant le défaut de restitution des som
mes qu’il était chargé de recevoir, s’était pourvu en cas
sation. II reprochait à l’arrêt d’avoir violé non seule
ment l’art. 1153, mais encore l’art. 1996 qui n’astreint
Je mandataire qu’à tenir cempte de l’intérêt légal des
sommes dont il est reconnu réliquataire.
Mais la Cour suprême décide que ces dispositions ohligatoires pour les tribunaux ordinaires ne lient pas le
juge criminel. En conséquence elle rejette le pourvoi, et
juge : que le mandataire infidèle ne peut prétendre au
bénéfice de n’être tenu à d’autres dommages-intérêts
qu’à l’intérêt légal des sommes à restituer ; qu’il peut
être condamné par le juge de répression à la réparation
du préjudice total que le défaut de restitution des som
mes reçues a fait éprouver à la partie lésée.'
Au reste le caractère juridique de ces décisions res
sort du texte et de l’esprit de l’art. 1153. Spécial au re
tard dans l’exécution d’une convention d’une nature dé
terminée, son caractère exceptionnel en fait nécessaire
ment restreindre l’application au cas prévu.
ET DE LA FRAUDE.
�308
TRAITÉ DU DOL
Or, dans les hypothèses que nous venons d’indiquer,
il s’agissait non d’un simple retard d’exécution , mais
d’une atteinte à la fortune d’autrui, d’autant plus odieu
se qu’elle avait sa source dans un acte de confiance
provoqué par la déloyauté , la ruse et le mensonge. On
ne peut donc qu’applaudir à l’exigence d’une réparation
entière en faveur de la partie lésée.
Faut-il conclure du caractère exceptionnel et spécial
de l’art. 1153 , qu’il est inapplicable à la demande en
dommages-intérêts fondée non sur l’inexécution d’une
convention , mais sur la violation d’une obligation de
faire, contractée à l’occasion de cette convention.
La veuve Dumont prêta au sieur Lavaysse une som
me de 85,000 fr. suivant un contrat authentique du 6
mai 1847, où il était dit : les époux Lavaysse s'obli
gent envers Mme Dumont, à faire le paiement de 88,000
fr. restant dus au sieur Layerman (pour prix d’un im
meuble vendu en 1828), avec les deniers à elle em
pruntés, et ce dans le délai de trois mois de ce jour , et
à déclarer, dans la quittance notariée qu’ils en retire
ront , l'origine des deniers , afin que Mme Dumont soit
subrogée dans les droits et privilèges du vendeur , et
dans l’inscription qui en a été prise d’office.
Lavaysse neremplit pas cet engagement et est exproprié
quelque temps après. La dame Dumont dont la créance
est perdue faute de la subrogation promise , l’actionne
alors en dommages-intérêts pour violation de cette obli
gation, et demande contre lui à ce titre 85,000 fr. avec
contrainte par corps.
�309
Cette demande est accueillie par le Tribunal. Mais sur
l’appel la Cour de Paris infirme le jugement et déboule
la dame Dumont de ses fins et conclusions.
Celle-ci se pourvoit en cassation. Elle se plaint de la
fausse application de Part. 1153, en ce que l’arrêt a ju
gé qu’une obligation de faire ne se résout en domma
ges-intérêts que dans le cas où le fait inexécuté est l’ob
jet principal et direct de l’obligation ; que cette distinc
tion est condamnée par les termes absolus de l’art. 11421
du Code Napoléon ; que le principe des dommages-in
térêts admis, leur qualité est réglée par la loi qui veut
qu’ils soient de la perte qu’on a faite' et du gain dont
on a été privé ; que dans l’espèce le défaut de subroga
tion ayant occasionné la perte de la créance , c’était le
chiffre de celle-ci que les dommages-intérêls devaient
représenter ; et qu’accordé à ce titre le paiement devait
en être garanti par la voie de la contrainte par corps.
Mais par arrêt du 9 août 1849, le pourvoi est rejeté.
Non pas cependant parce que la Cour de Paris aurait à
propos appliqué'l’art. 1153, mais parce qu’elle ne l’a
vait pas appliqué du tout.
« Attendu, dit la Cour de Cassation, que l’arrêt at
taqué ne décide pas en principe que la veuve Dumont
ne devait pas obtenir de dommages-intérêts contre La-,
vaysse, à raison de l’inexécution des obligations qu’il avait contractées envers elle, mais que sa demande ten
dait à la condamnation de Lavaysse, à titre de dom
mages-intérêts, et par corps, au paiement de la somme
de 85,000 fr. principal même de l’obligation de ce derET DE LA FRAUDE.
I
�310
TRAITÉ DU DOL
nier ; qu’il n’était pas permis à un créancier de trans
former ainsi le titre de l’obligation primitive dont il est
porteur , pour y rattacher la voie d’exécution par corps
qui n’avait pas été stipulée et qui peut-être n’aurait, pas
pu l’être ; qu’en décidant ainsi , la Cour de Paris n’a
pas violé les dispositions de loi invoquées par la de
manderesse; qu’elle en a au contraire sagement réservé
les effets dans son intérêt pour le cas où l’application
en serait réclamée par elle dans les limites de leur ap
plication légitime.' »
Ainsi si la Cour de Paris eût étayé le rejet de la de
mande en dommages-intérêts sur l’art. 1153, son arrêt
eût provoqué la censure de la Cour de Cassation. D’où
la conséquence que pour celle-ci l’art. 1153 est inap
plicable à l’inexécution des obligations de faire, et c’est
en effet ce qui résulte du texte et de l’esprit de cet ar
ticle.
L’arrêt de la Cour de Paris irréprochable sous ce rap
port, l’était-il également au point de vue du résultat au
quel il aboutit ? Je ne le pense pas.
La demande en dommages-intérêts est , en effet , re
poussée parce que, dit la Cour , l’obligation de faire ne
se résout en dommages-intérêts que lorsqu’elle fait l’ob
jet principal et direct du contrat ; qu’on ne pouvait re
connaître ce caractère à celle qui ne se rapportait qu’à
des garanties à donner pour le paiement ; que l’inexé-
�311
cution de celle-ci était régie par l’art. 1188 et se bornait
à autoriser le créancier à exiger son paiement immédiat;
que c’était là la seule action qui fût ouverte à la veuve
Dumont qui ne pouvait être recevable à l’exercer à un
autre titre, dans le seul but d’obtenir la voie de la con
trainte par corps.
La distinction entre les obligations de faire principales
ou accessoires est purement arbitraire. Loin de l’autori
ser, les termes de l’art. 1142 l’excluent en décidant d’u
ne manière générale et absolue que t o n t e obligation
de faire se résout en dommages et intérêts.
Cette distinction, fût-elle possible, ne pouvait se jus
tifier dans l’espèce. Comment en effet déclarer et admet
tre que l’obligation de faire subroger n’était qu’accessoire ? Il est évident au contraire que sa réalisation était
la condition tellement essentielle , que la prévision de
son défaut eût empêché le contrat de se former.
Dans tous les cas son inexécution tombait - elle sous
le coup de l’art. 1188 ? La lecture de cet article répond
à cette question. Ne pas donner les sûretés promises, ce
n’est pas diminuer les sûretés données. Or c’est ce der
nier cas que l’art. 1188 prévoit et régit exclusivement.
Il n’y avait donc pas lieu de recourir à sa disposi
tion et d’en faire la règle du litige, qui ayant son fon
dement unique dans l’inexécution d’une obligation de
faire, se trouvait naturellement et forcément placé sous
l’empire de l’art. 1142.
Sans doute la dame Dumont aurait pu , se fondant
sur cette inexécution, demander la déchéance du terme
ET DE LA FRAUDE.
�312
TRAITÉ DU DOL
et exiger son paiement immédiat. Mais de ce que le
droit existait, s’en suit-il qu’il dût être exercé à l’exclu
sion d’un autre également acquis. Celui qui a une dou
ble action est l’arbitre unique de celle qu’il doit suivre,
et a la faculté de ne consulter que ses convenances et
son intérêt.
Il est vrai que le chiffre des dommages-intérêts récla
més était exactement celui de la créance. Mais pouvait-il
en être autrement ? L’inexécution de l’obligation avait
occasionné une perte de 83,000 fr., et si l’auteur de
cette inexécution était responsable , c’est l’intégralité de
la perte dont il devait être , dont il était légalement
tenu.'
Nous croyons donc que la Cour de Paris avait mal
apprécié, et nous avouons ne pas nous rendre raison de
l’approbation de la Cour suprême. La condamnation à
la contrainte par corps n’étant que la conséquence de la
nature de l’action, nécessitée d’ailleurs par la position du
condamné. Àvait-il de quoi répondre sur ses biens de la
réparation à laquelle il était condamné .justement ?
N’est-ce pas cette prévision qui a motivé l’art. 126 du
Code de procédure civile ?
513. — L’art. 1153 serait sans application si le re
tard provenait du fait ou du dol d’une tierce personne.
Par rapport à elle , les principes ordinaires repren
draient leur empire, et l’obligation de réparer le préju-
�313
dice lui serait imposée. Par application de cette règle,
la Cour de Bastia a jugé , le 9 juillet 1833 , que celui
qui se croyant propriétaire d’une créance, qu’il pense à
tort lui avoir été cédée, en touche le montant, cause par
ce fait, au véritable propriétaire , un préjudice dont il
est responsable vis-à-vis de lui, et qu’il peut être con
damné à réparer en lui restituant à la fois le montant
de la somme perçue , les intérêts à compter du jour de
la perception et les faux frais par lui faits pour obtenir
paiement.
Vainement cet arrêt fut-il déféré à la Cour de Cassa
tion comme violant l’art. 1153, la Cour suprême n’hé
sita pas à rejeter le pourvoi1, pensant avec raison qu’il
ne s’agissait pas pour le tiers d’un retard dans le paie
ment d’une somme d’argent; qu’il y avait, dans l’acte
qu’il s’était permis, un fait nuisible dans l’acception de
l’art. 1382 , obligeant son auteur à réparer le préjudice
qui en est résulté. A plus forte raison devrait-on le dé
clarer ainsi si l’acte reprochable constituait un dol.
RT DE LA FRAUDE.
516. — On doit donc décider que celui qui malo
animo, et sans aucun droit réel, a fait saisir, arrêter,
entre les mains de mon débiteur , une somme m’ap
partenant, et l’a ainsi empêché de se libérer, devrait être condamné à réparer le préjudice que ce retard m’au
rait occasionné, il ne saurait même dans ce cas s’agir
de l’application de la règle posée par l’art. 1153, car si
�314
TRAITÉ DU DOL
de mon débiteur à moi il n’y a qu’un retard dans le
paiement d’une certaine somme, il y a autre chose dans
la conduite du saisissant à mon égard , il y a un fait
nuisible , un véritable dol. Dès lors il doit réparer le
préjudice qui en est la conséquence , et non seulement
le préjudice matériel , mais encore le préjudice moral
résultant de son inique poursuite. Or, ce dernier pour
rait être important s’il s’agissait surtout d’un commer
çant dont la position et le crédit ont tant à souffrir de
ce qui parait incriminer sa solvabilité.
5 ! 7. Au reste, si du créancier au débiteur le dol
est sans influence sur la nature des dommages-intérêts
pour le retard dans le paiement d’une somme quelcon
que, il n’en est pas de même quant à l’époque à partir
de laquelle les intérêts sont censés courir. La règle tra
cée par l’art. 1153, qui fixe cette époque au jour de la
demande, n’est obligatoire que pour les intérêts mora
toires, elle ne s’applique donc pas aux intérêts compen
satoires.
Le motif qui a fait adopter , pour les premiers , ce
point de départ est facile à saisir. Les intérêts ne cou
rent de plein droit que dans les cas et en faveur des
personnes spécialement désignées par la loi. Dans toutes
les autres hypothèes, le législateur exige la mise en de
meure de la part du créancier ; il suppose que le silence
gardé par celui-ci est le résultat d’une convention avec
le débiteur. La demande de paiement réalisée, cette pré
somption s’évanouit, et il n’existe plus aucune raison
�315
pour refuser ce qui représente la jouissance de la somme
qui par le contrat devrait se retrouver aux mains du
créancier.
Mais si le silence gardé par celui-ci est la conséquen
ce d’un dol pratiqué à son encontre, il est évident qu’on
ne saurait lui en imposer la responsabilité. On ne ver
rait dans un silence de cette nature qu’un acte imposé
par une véritable violence morale , et l’on présumerait
naturellement que le créancier eût fait valoir son droit,
s’il avait été libre de le faire. C’est par application de
celle présomption que la Cour suprême a jugé, le 5 août
1823 , que les juges peuvent faire courir les intérêts à
partir d’une époque antérieure à la demande , s’il est
constaté que le créancier a été mis dans l’impossibilité,
par le fait de son débiteur, de réclamer plus tôt le paie
ment de la somme due.1
ET DE LA FRAUDE.
318. — Les intérêts compensatoires diffèrent des in
térêts moratoires, en ce que ces derniers ne sont que la
conséquence d’une convention et de la peine de son dé
faut d’exécution, tandis que les premiers sont demandés
et accordés à titre de réparation d’un fait dommageable
ou d’un dol. On ne saurait donc les ranger sous la mê
me règle et leur appliquer indistinctement la disposition
de l’art. 1153. Les intérêts compensatoires sont dus du
jour où l’acte qui en motive l’adjudication s’est réalisé.
1 Journal du palais, tom. xvm, pag 93.
�316
TRAITÉ DU DOL
Les juges peuvent donc les faire partir de cette époque.
C’est un principe consacré par la jurisprudence.
Ainsi il a été jugé :
1° Que lorsque les intérêts sont accordés pour répa
ration d’un fait dommageable, notamment pour inexé
cution d’un mandat, ils peuvent être accordés à partir
d’une époque antérieure à la demande formée par le
mandant contre le mandataire ; '
2° Que celui qui fait illégalement procéder à la vente
d’objets possédés par un tiers peut être condamné, à ti
tre de dommages-intérêts , aux intérêts du prix de la
vente, à partir du jour même de cette vente."
Mais la différence que nous venons de signaler, mo
tivant une exception à la règle de l’art. 1153 , en en
traîne une importante dans l’application. Ainsi, les in
térêts moratoires courent de plein droit du jour de la
demande et sont indépendants de la preuve d’un préju
dice quelconque. Les intérêts compensatoires, au con
traire , n’étant qu’une indemnité du préjudice souffert,
c’est à celui qui les réclame a prouver préalablement ce
préjudice , faute par lui de remplir cette obligation , il
ne saurait lui en être alloués aucuns.
511). — L’art. 130 du Code de procédure civile
nous offre un nouvel exemple de dommages-intérêts dé
terminés par la loi. En effet, cet article , en disposant
1 .7. du P.; Cass., 30 janvier 1826.
2 J. du P., Cass., 31 juillet 1832.
�317
que la partie qui succombe supportera les dépens, sem
ble borner à leur paiement la peine du téméraire plai
deur, quel qu’ait été d’ailleurs le mobile de son action.
ET DE LA FRAUDE.
520. — Cependant la jurisprudence paraît se dé
partir de ce que cette règle pourrait avoir d’absolu. Il
est, on le sait, des procès d’une nature si odieuse, d’u-,
ne iniquité si flagrante , qu’on ne peut voir dans leur
poursuite qu’une spéculation sur le scandale d’une in
juste diffamation. Les dépens sont une réparation bien
minime en présence du tort grave que l’issue même fa
vorable n’empêche pas le défendeur de subir. Est-ce donc
là l’unique satisfaction qu’on doive lui accorder ?
Nous considérerions l’affirmative comme un malheur
et un danger. La peine infligée par la loi au plaideur
qui de bonne foi s’est trompé sur l’étendue de ses droits,
est insuffisante pour celui qui sciemment, et dans l’in
tention de nuire , a soutenu un procès sans autre but
que d’obéir à des passions mauvaises. C’est donc à dé
mêler l’intention du demandeur, que la justice doit ap
pliquer sa prudente sagacité, et si cette intention, si les
moyens employés sont vexatoires et odieux, elle doit ap
pliquer une peine plus forte que les dépens de l’instan
ce'. C’est en usant de cette faculté avec un sévère discer
nement qu’on arrivera à prévenir ces contestations qui
aflligent et blessent la justice.
i J. du P., Cass., I'1 janvier 1837; — Voy, arrêt conforme du 'Ier
juin -1844, rapporté par le Droit, 3 juin 1844, n° 131.
�318
TRAITÉ DU DOL
521. — La Cour d’Àix vient d’en faire une remar
quable application. Le comte de Castellanne s’était em
paré des mines de houille que les hoirs Coulomb soute
naient être leur propriété. De là un procès dans lequel
le comte de Castellanne avait employé les moyens les
plus rigoureux et suscité toute espèce de difficultés. Nous
en trouvons le résumé dans l’arrêt qui, reconnaissant la
propriété des hoirs Coulomb et l’injustice des prétentions
de leur adversaire , condamne ce dernier à restituer les
mines et à 50,000 fr. de dommages-intérêts.
« Considédant, dit la Cour, qu’il est irrévocablement
jugé que le comte de Castellanne a usurpé la propriété
des hoirs Coulomb, et qu’il doit une indemnité à raison
de celte usurpation, qu’il est constant que l’indue jouis
sance du comte de Castellanne a duré trente-quatre ans,
de 1809 à 1843;
» Que pour se maintenir dans son usurpation et se
soustraire à la réparation due à ceux qu’il a dépouillés,
il les a poursuivis sans relâche devant toutes les juri
dictions, de telle sorte sorte qu’en y comprenant le pré
sent arrêt, il est intervenu entre eux et lui quarante dé
cisions, tant administratives que judiciaires ;
» Qu’au nombre de ces décisions, il existe onze juge
ments et arrêts rendus en matière correctionnelle;
» Que sur la dénonciation expresse du comte de Cas
tellanne , quatre des hoirs Coulomb furent poursuivis
criminellement, comme inculpés de vol à main armée ;
que Joseph Coulomb , l’un d’eux , fut renvoyé par la
chambre du conseil ; mais que trois autres : Marie De*
�ET DE LA. FRAUDE.
319
leuil veuve de Jean-Joseph Coulomb , Lazare Coulomb
et Joseph Brun furent mis en prévention par ordon
nance du 14 février 1 8 3 3 , qui fut réformée par arrêt
du 2 9 mars suivant; que Joseph Brun fut arrêté le 4
janvier 1 8 3 3 , en vertu d’un mandai d’amener décerné
contre lui , et qu’il fut détenu à Marseille pendant trois
mois, n’ayant été mis en liberté qu’en exécution de l’ar
rêt d’Aix , en date du '2 9 mars; que pendant le même
délai, la veuve Deleuil et Lazare Coulomb , qui avaient
pris la fuite , furent obligés de se tenir cachés pour se
soustraire à l’exécution de semblables mandats décernés
contre eux ;
»
....................................................................................................................................
» Considérant qu’en présence de déclarations aussi
explicites, il est impossible d’admettre que c’est de bon
ne foi que Castellanne a pris possession des mines exis
tantes dans les propriétés des hoirs Coulomb, que c’est
de bonne foi qu’il s’est maintenu durant trente-quatre
ans dans cette indue jouissance , qu’il résiste depuis
trente-six ans aux justes réclamations des hoirs Cou
lomb, et qu’à l’appui de sa résistance il n’a pas craint
d’invoquer contre eux le concours et l'assistance de l’au
torité, de les poursuivre par les voies correctionnelles et
criminelles, de leur faire subir une longue prison pré
ventive, de les traîner soit devant les tribunaux civils,
soit devant les tribunaux administratifs, dans des luttes
incessantes et dispendieuses , qui ont été pour eux une
source de ruine et de misère ;
» Qu’une usurpation si flagrante, si longtemps pro.
�3â0
TRAITÉ DU DDL
longée, soutenue par de si coupables manœuvres, et dont
les fastes judiciaires n’offrent peut-être pas d’exemple,
impose aux magistrats le devoir de déployer une juste
sévérité dans l’adjudication des dommages-intérêts ré
clamés de ce chef. »
522. — L’action en dommages-intérêts ne peut être
intentée et poursuivie que contre l’auteur du dol. Elle
ne saurait, dans aucun cas, atteindre celui qui se serait
substitué dans la possession de la chose ayant fait la
matière du contrat primitif, si ce dernier a traité avec
bonne foi.
Conséquemment , et alors même qu’il s’agirait d’un
objet soumis à revendication , et que le tiers-acquéreur
serait cité en commune exécution du jugement à inter
venir , cette commune exécution ne saurait être requise
au chef qui condamnerait l’auteur du dol à une répara
tion pécuniaire. Il en serait autrement si le tiers déten
teur s’était rendu complice du dol. Nous avons déjà dit
que celte complicité résulterait non seulement de la si
mulation du titre qui lui a transmis l’objet revendiqué,
mais encore de la simple connaissance de l’origine des
droits de son cédant. La preuve de l’une de ces circon
stances obligerait le tiers à restituer la chose revendi
quée , et en outre à payer les dommages-intérêts aux
quels il pourrait-être conjointement condamné.
525. — En matière de vente d’objets mobiliers,
l’auteur du dol peut ne pas être connu, C’est ce qui peut
�ET DE LA FRAUDE.
321
se réaliser lorsqu’un acquéreur trompé revend lui-mê
me de bonne foi à un tiers la chose qui lui a été trans
mise par dol.
Le possesseur ne connaît que celui qui lui a transmis
la chose , il ne peut donc poursuivre la réparation qui
lui est due que contre ce dernier.
Mais cette réparation sera ordonnée d’une manière
bien différente , selon qu’elle est requise contre l’auteur
du dol ou contre le vendeur immédiat. La bonne foi de
celui-ci ne laisse à sa charge que les dommages-inté
rêts résultant de la privation de la chose elle-même :
Propler rem ipsam non habitam , tandis que l’auteur
du dol serait tenu intégralement du préjudice occasion
né directement par son fait.
Il importe donc au possesseur de le connaître. Son
. intérêt lui en fait même un devoir. Il a donc le droit
d’exiger de son vendeur qu’il lui déclare le nom de ce
lui de qui il tenait lui-même la chose, qu’il lui indique
les circonstances pouvant établir ou faire présumer le
dol ; en cas de refus, il a le droit de soutenir et de prou
ver que ce refus n’est pas sincère , qu’il n’a été dicté
que par une connivence coupable avec l’auteur du dol.
Cette preuve peut être orale , car dissimuler sciemment
en pareille matière , c’est se rendre complice du dol.
Cette dissimulation, en effet, ne peut avoir d’autre ob
jet que d’assurer l’impunité au coupable et de concourir
ainsi à la consommation du dol.
Si le vendeur interpellé donne les renseignements dedemandés, le tiers acquéreur pourra actionner directe—
I
21
,{ «■! [
fila
U
�TRAITÉ DU DOL
322
ment le premier possesseur, sans mettre en cause celui
de qui il tient lui-même la chose. Que le premier ven
deur soit tenu envers le tiers, c’est ce qui ne saurait être
contesté. Il suffit qu’un dol ait été commis , pour que
celui qui en a été victime ait le droit de poursuivre,
contre son auteur , la réparation du préjudice qu’il éprouve. Qu’importe que celui qui a traité avec l’auteur
du dol ait évité lui-même tout dommage en revendant
la chose qu’il avait achetée. Celui-ci , comme l’ensei
gnent Dumoulin et Pothier, ne saurait trouver dans cette
revente un moyen de s’exonérer de la responsabilité qui
pèse sur lui. D’autre part, celui qui a revendu a cédé,
avec la chose elle-même, tous les droits qu’il aurait pu
faire valoir à son endroit. Le cessionnaire peut donc les
utiliser comme son cédant aurait pu le faire lui-même.
Mais l’action intentée contre l’auteur du dol libère le
possesseur intermédiaire de toutes les conséquences de
la revente , même de l’obligation de restituer le prix
qu’il a reçu. Sans doute celui qui a souffert du dol a
une double action à exercer : l’une contre son vendeur
immédiat, l’autre contre l’auteur du dol. Mais ces deux
actions s’excluent l’une l’autre , et la poursuite de la
dernière épuise les droits du demandeur. Que pourraitil demander contre celui qui, de bonne foi, a traité avec lui ? La restitution du prix, les dépenses faites pour
opérer le remplacement de la chose qui a péri. Or, tout
cela , il peut l’exiger et doit l’obtenir de celui qu’il a
préféré attaquer. En effet, alors même que celui-ci jus
tifierait de sa bonne foi, il ne serait pas moins tenu du
�323
dommage propter rem ipsam non habitam, e t, nous
l’avons d it, ce dommage comprend les deux articles
que nous venons de rappeler.'
Ainsi le plaignant peut, à son choix, exercer l’une ou
l’autre des deux actions qui lui sont ouvertes. Mais, ce
choix fait, il ne serait plus recevable à revenir contre
celui qu’il aurait d’abord négligé, excepté qu’il s’agit de
l’auteur du dol. À plus forte raison en serait-il ainsi
dans le cas où l’auteur du dol n’était pas connu au mo
ment où le procès contre le vendeur intermédiaire a été
poursuivi. Sa découverte postérieure donnerait contre
lui une action en paiement du solde des dommages que
la bonne foi du défendeur aurait empêché d’allouer au
poursuivant.
ET DE LA FRAUDE.
324. — De la nature du fait motivant la condam
nation en matière de dol, il résulte :
1° Que l’adjudication des dommages-intérêts doit être solidairement prononcée contre tous ceux qui sont
tenus comme auteurs ou complices ;
2° Que son paiement peut être placé sous la garantie
de la contrainte par corps contre chacun de ceux qui y
sont obligés.
52S. — La solidarité est ici la conséquence de l’in
divisibilité de la cause de l’obligation. Il n’y a, en effet,
1 Dumoulin, de eo 'quod interest, n° S3 ; — Pothier, De la vente, nos
2-16, 217.
i
�TRAITÉ DU DOL
324
dans le principe de l’obligation qu’un fait unique, à sa
voir : le dol, c’est-à-dire un ensemble de manœuvres
exécutées dans le dessein de nuire , et ayant occasionné
un préjudice. Il est donc impossible, soit matériellement,
soit intentionnellement, de décomposer ce fait et de dé
terminer les proportions dans lesquelles il sera impu
table à chacun de ceux qui y ont concouru. Telle man
œuvre , reprochée à l’un et à l’autre , n’aurait pas suffi
pour caractériser le dol. Ce qui le constitue, c’est la ré
union de toutes celles qui ont été pratiquées. Le fait de
tous devient donc le fait de chacun, et le fait de chacun
delui de tous. Conséquemment la réparation est due par
tous et par chacun, per totum et totaliter.
Ce caractère créait donc inévitablement la solidarité
qui, du reste, n’a jamais été contestée par personne.
Dumoulin en prend texte pour distinguer le dol de la
simple faute, qui n’oblige ceux qui l’ont commise qu’à
concurrence de la part qui leur est reprochable. Pothier
se contente de l’énoncer comme un principe incontesta
ble.
526. — La question n’a jamais été débattue sous
l’empire du Code civil. Mais dans les débats qui ont
surgi sur celle de savoir si les quasi-délits obligeaient
solidairement, on a excipé précisément de la doctrine
que nous venons d’établir, pour conclure à l’affirmative
lorsque le quasi-délit a une cause indivisible.
Par suite , la Cour d’Aix a jugé , le I er mars 1826,
que lorsque la cause du dommage occasionné à une pro-
�325
priété est indivisible, il y a lieu de prononcer la solida
rité contre les auteurs du dommage ; qu’ainsi dans le
cas où , par la réunion et l’agglomération des vapeurs
ou gaz émanés de plusieurs fabriques , il est causé un
dommage à la propriété du voisin, il peut être pronon
cé, pour les dommages-intérêts adjugés à ce dernier,
une condamnation solidaire contre les propriétaires des
fabriques, et cela encore bien qu’on puisse reconnaître
dans quelle proportion exacte chacun des fabricants a
contribué à l’agglomération des vapeurs.
La Cour ayant vu dans le fait imputé aux fabricants
un quasi-délit, sa décision était attaquée en cassation
sous un double rapport. L’acte reproché, disait-on, était
un quasi-contrat et non un quasi-délit. On ne pouvait
donc lui appliquer les principes qui régissent ces der
niers ; dans tous les cas, ajoutait-on, la cause du pré
judice étant parfaitement divisible , puisque chacun des
fabricants agissait séparément et isolément, la condam
nation solidaire ne pouvait se justifier , d’autant plus
qu’il était facile de vérifier l’importance relative de la
masse des vapeurs provenant de chaque fabrique.
Mais le pourvoi fut rejeté au rapport de M. Lasagni,
qui rappelait les principes devant préparer la solution
de la difficulté. « Il ne faut pas confondre , disait cet
éminent magistrat, la simultanéité avec l’indivisibilité du
fait ; si le fait individuel de chaque fabricant n’était pas
nuisible, la simultanéité de ces faits devenait la cause du
dommage. Or ce ne sont pas les faits individuels et iso
lés de chaque obligé, mais la cause plie-même qui rend
indivisible l’obligation.
'
ET DE LA FRAUDE.
�326
TRAITÉ DU DOL
« De ce que, dans l’espèce, l’obligation résulte d’un
quasi-délit, s’ensuit-il que les juges pouvaient pronon
cer une condamnation solidaire ? Cette question serait
fort douteuse. La jurisprudence l’a admise en cas de
dol et de fraude, il ne s’agit ici que de faute, et elle n’est
assimilée au dol que lorsqu’elle est lourde. Aussi, en
cas de quasi-délit, ne prononçait-on la solidarité que
lorsque le fait imputé était de sa nature indivisible. »
La Cour de Cassation reconnut l’indivisibilité qu’elle
fit résulter, en droit de ce fait qu’à raison des rapports
entre le créancier et le débiteur , la dette n’est point
susceptible d’une répartition proportionnelle et d’une
prestation particulière.'
Ce caractère est surtout propre au dol, il ne faut donc
pas s’étonner que de tous les temps et sous toutes les
législations , on ait admis en principe que l’obligation
qui en résulte est indivisible dans la cause , et que dès
lors l’exécution doit en être solidairement prononcée
contre tous ceux qui en sont tenus.2
327. —• La contrainte par corps, en matière civile,
est loin d’être aujourd’hui ce qu’elle a été sous les pré
cédentes législations.
Ainsi le droit romain avait laissé les citoyens libres de
la stipuler et de s’y soumettre pour toute sorte d’enga1 3 mai 1827, D. P., 27, 1, 228.
3 Cass , 3 juillet 1817 , 21 février 1818 ; Sirey, 18, 1, 339 ; 19,1,
�327
gements. Elle était de plein droit encourue pour cause
de stellionat et de dol ; elle était de plus considérée com
me une voie ordinaire d’exécution des jugements. Le
débiteur condamné , qui n’avait pas satisfait au juge
ment, pouvait, après discussion de ses biens , être con
traint par corps, il n’était libéré de cette contrainte que
par la cession des biens.1
Cet état des choses avait formé pendant longtemps le
droit commun de la France. La seule modification qu’il
eût subi , fut celle introduite par l’art. 48 de l’ordon
nance de Moulins, en vertu de laquelle le jugement de
condamnation ne dut plus ordonner la contrainte par
corps, mais il était loisible au créancier de la faire pro
noncer par un second , si après quatre mois révolus le
débiteur n’avait pas satisfait au premier.
L’ordonnance de 1667 ouvrit une ère nouvelle, l'ar
ticle 4 du trente-quatrième titre abroge formellement
L’art. 48 de la précédente , et fait disparaître la faculté
d’obtenir la contrainte après quatre mois du jugement
de condamnation. Ce droit est seulement conservé:
1° contre les tuteurs pour le reliquat de leur compte tu
télaire ; 2° contre tous autres pour les dépens adjugés,
s’ils montent à 200 liv. et au-dessus ; pour les restitu
tions des fruits et pour les dommages-intérêts au delà
de 200 livres.
Puis l’art. 6 fait défense à tous de passer à l'avenir,
ET DE LA FRAUDE.
i L. 4, Cod. Quis bonis redere possunt.
�328
TRAITÉ DU DOD
aucuns jugements, obligations ou autres conventions
parlant contrainte par corps, à tous greffiers, notaires
et tabellions, de les recevoir, et à tous huissiers et ser
gents de les exécuter. Encore que ces actes aient été
passés hors du royaume , à peine de tous dépens , dom
mages-intérêts.
Dès cette époque, la règle générale devint l’exclusion
de la contrainte par corps en matière civile. Elle ne put
être convenue ou prononcée que dans des cas exception
nels, formellement prévus par la loi. Les art. 4, 5 et 7
de l’ordonnance établissent et énumèrent ces exceptions.
Ainsi disparut cette arme si puissante que l’avidité
savait si largement exploiter. La liberté individuelle fut
garantie contre la faiblesse des uns et les exigences im
modérées des autres. Une règle salutaire et juste fut sub
stituée à l’arbitraire de tous.
328. — Le Code civil a, sur tous les points, con
sacré le système de l’ordonnance de 1667. Ainsi aujour
d’hui, comme alors , la contrainte par corps n’a lieu,
en matière civile , que dans les cas qui sont ou seront
prévus par une loi formelle. En l’absence d’une disposi
tion de ce genre, l’art. 2063 fait défense à tous juges de
la prononcer, à tous notaires et greffiers de recevoir des
actes dans lesquels elle serait stipulée , et à tous Fran
çais de consentir de pareils actes , encore qu’ils eussent
été passés en pays étrangers, le tout à peine de nullité,
dépens et dommages-intérêts.
L’art. 2063 va plus loin encore ; même dans les cas
�329
prévus par la loi , la contrainte par corps ne peut être
prononcée que pour une somme s’élevant à plus de 300
francs.
ET DE LA FRAUDE.
529 . — Remarquons que l’art. 2059 , qui com
mande la contrainte par corps pour le stellionat, se tait
sur les autres espèces de dol. Ce silence aurait suffi, en
l’état de la disposition de l’art. 2063, pour faire refu
ser la contrainte. Mais il a été rompu par l’art. 126 du
Code de procédure civile , qui permet au juge de l’or
donner, lorsque les dommages-intérêts dépassent la som
me de 300 fr.
550 . — Cet article modifie sous un triple rapport
l’art. 2 du titre 34 de l’ordonnance de 1667. D’abord,
quant à la sanction de la contrainte par corps, le juge
ment de condamnation doit aujourd’hui la prononcer,
tandis que l’ordonnance obligeait le créancier à la re
quérir quatre mois après le jugement accordant les dom
mages-intérêts, dans les cas prévus.
Ensuite, quant au chiffre de la condamnation, qui de
200 livr. a été porté à 300 fr.
Enfin, quant aux causes motivant la contrainte. L’or
donnance mettait sur la même ligne.les dommages-in
térêts et les dépens, l a loi actuelle garde sur ceux-ci le
plus complet silence, d’où il faut conclure, en vertu du
principe que la contrainte par corps ne saurait exister
que dans les cas formellement prévus par la loi, qu’on
ne saurait la prononcer en matière de dépens, à quel-
�330
TRAITÉ DU DDL
que chiffre qu’ils s’élèvent d’ailleurs. C’est dans ce sens
que la jurisprudence s’est constamment prononcée.'
La Cour de Toulouse a même jugé , le 20 février
1832, que la prohibition ne cesse pas de subsister alors
même que les dépens auraient été adjugés à titre de
dommages-intérêts. L’arrêt considère que les dépens
prononcés par la loi contre la partie qui succombe ont
un caractère spécial qu’on ne peut confondre avec les
dommages-intérêts ; que conséquemment la faculté ac
cordée en ce qui concerne les dommages ne saurait être
appliquée aux dépens, surtout en matière intéressant la
liberté individuelle ; qu’enfm ce serait violer la disposi
tion prohibitive de la loi, si l’on autorisait la contrainte,
parce qu’on aurait qualifié de dommages-intérêts une
adjudication que la loi commande comme indemnité des
frais exposés pour la poursuite d’une action reconnue
fondée , et qu’elle désigne elle-même sous le nom de
dépens.1
331. - La contrainte par corps n’est donc autori
sée que pour les dommages-intérêts proprement dits, ou
soit pour les sommes allouées pour la réparation du
préjudice éprouvé. Doit-on comprendre sous cette dési
gnation la valeur de la chose dont la restitution est or
donnée ?
1 Voy notamment Cass., 17 janvier 1832 et 30 juillet 1833; D. P.
32, 1, 79, et 33, 1, 330.
2 D. P., 32, 2, 139.
�331
On a soutenu la négative sur le motif que l’expres
sion de dommages-intérêts se prend dans l’acception
restrictive et spéciale de ce qui est accordé indépendam
ment du principal. C’est, dit-on, ce qu’enseigne l’article
1630 du Code civil , qui distingue formellement , dans
les cas d’éviction, la restitution du prix des dommagesintérêts que l’acquéreur évincé a le droit d’obtenir ; de
là , ajoute-t-on , cette conséquence qu’on ne peut con
fondre ce que la loi elle-même n’a pas confondu , et
que la contrainte par corps, ne pouvant être appliquée
qu’au paiement des dommages-intérêts, ne saurait être
prononcée pour ce qui concerce la restitution du prix.
Cette opinion , dont la base unique est la disposition
de l’art. 1630, ne nous parait pas devoir être adoptée.
Elle donne à cette disposition une signification que l’es
prit du législateur repousse. Il est vrai qu’il y est fait
mention séparément des dommages-intérêts et de la res
titution du prix. Mais cet état des choses n’a pas d’autre
but que de déterminer l’étendue de la condamnation, en
fixant d’une manière certaine les éléments qu’elle doit
comprendre.
Cet article, d’ailleurs spécial au cas d’éviction , n’est
en quelque sorte qu’une reproduction de l’art. 1149, avec lequel on doit le combiner. Il ne dit, en effet, mais
en d’autres termes , que ce que ce dernier a prononcé
sur les dommages-intérêts en général.
Or, aux termes de sa disposition , les dommages-in
térêts comprennent non seulement le gain dont on a été
privé, mais encore la perte qu’on a pu faire. Quelle peut
ET DE LA FRAUDE.
�332
TRAITÉ DU DOL
être la perte que peut supporter l’acquéreur, soit qu’un
tiers l’évince , soit qu’il obtienne lui-même la rescision
pour cause de dol ? Evidemment, et en première ligne,
le prix qu’il a payé et dont il doit obtenir la restitution,
et si cette restitution n’est pas effectuée , il n’aura pas
réellement reçu la juste indemnité qui lui est due.
Dès lors , pourquoi distinguerait-on entre cette perte
et les pertes accessoires que peut entraîner l’inexécution
du contrat dolosif? N’a-t-elle pas une cause identique?
Pourquoi donc admettre un mode différent de répara
tion ? C’est cependant ce que l’on consacrerait dans l’o
pinion que nous combattons, ce qui aboutirait à un ré
sultat aussi inique que regrettable. En effet, les pertes
occasionnées par l’inexécution du contrat atteindront ra
rement le degré d’importance de celle qui naîtrait du
défaut de restitution du prix. C’est cependant pour les
premières seules que le législateur aurait déployé toute
sa sollicitude. Il serait allé jusqu’à autoriser la contrain
te par corps, tandis qu’il aurait livré la restitution du
prix à toutes les chances que la mauvaise foi pourra
multiplier, et cela au moment même où cette mauvaise
foi est prise en flagrant délit !
Cela ne serait ni juste ni rationnel. L’art. 1630 ne
peut donc le prescrire. Aussi remarquons que cet arti
cle ne dit pas à quel litre la restitution du prix doit être
ordonnée. Or, il suffit qu’elle le soit à titre de domma
ges-intérêts pour que la faculté créée par l’art. 126 du
Code de procédure civile soit ouverte aux magistrats.
Cette interprétation trouve une grave consécration
�333
dans les législations et la doctrine anciennes. Le droit
romain , comme le droit français , a toujours admis la
contrainte par corps pour la restitution du prix , ainsi
que pour les autres pertes résultant de l’inexécution. Cela
pouvait tenir, sous l’empire du premier, aux idées qu’on
s’était créées sur cette voie d’exécution ; mais en Fran
ce, depuis comme avant l’ordonnance de 1667, on n’a
jamais cessé d’enseigner et de pratiquer la même règle;
et ce qui aux yeux des célèbres jurisconsultes de cette
époque devait le faire admettre ainsi , c’est que : Pre
tium rei, et quod inter est, idem sunt.
Si le Code civil a voulu s’écarter de celte règle , il
s’en sera naturellement expliqué quelque part. Or, nous
venons de le voir, non seulement l’art. 1630 ne fait rien
présumer de semblable , mais encore c’est l’intention
contraire qui résulte de l’art. 1149. Ce que celui-ci exi
ge , c’est que les parties soient , après la rescision du
contrat, remises au même état où elles étaient avant ;
c’est que la personne trompée soit indemnisée intégra
lement de toutes les atteintes que le dol a pu porter à
sa fortune. Or , si c’est là le véritable esprit du législateur , il n’y a plus à hésiter. Il n’est plus possible , en
effet, de diviser les éléments de celte indemnité qui
comprend virtuellement la restitution de tout ce qui a
été payé ; et puisque l’indemnité dans son ensemble est
accordée à titre de dommages-intérêts, la contrainte par
corps, autorisée par l’art. 126 , peut être demandée et
ordonnée.
Il est donc encore vrai que pretium rei et quod inteET DE LA FRAUDE.
i
�334
TRAITÉ DU D01
res, idem sunt, peu importe que dans la pratique on établisse une division en réclamant séparément la resti
tution du prix et des dommages-intérêts. Ce mode vi
cieux d’opérer , que nos anciens auteurs reprochaient
aux praticiens de leur temps, ne saurait exercer aucune
influence sur les véritables principes de la matière. Nous
les résumons dans cette proposition déjà consacrée par
la jurisprudence : l’existence constatée du dol entraîne
la nécessité d’une réparation, dont l’exécution peut être
assurée par la contrainte par corps ; cette réparation se
rait incomplète si elle ne comprenait tout ce que le cré
ancier a déjà payé. Le remboursement du prix est donc
un de ses éléments essentiels et doit forcément concou
rir à déterminer le chiffre des dommages-intérêts dont
il fait essentiellement partie.'
352. — Nous avons déjà vu que l’obligation résul
tant du dol , étant indivisible dans sa cause , emporte
l’exécution solidaire entre tous les débiteurs. Mais cette
solidarité n’est pas de plein droit. Il faut que le créan
cier la réclame , que le juge l’ordonne. Si elle n’a été
ni demandée, ni prononcée , le paiement de la somme,
adjugée à titre de dommages-intérêts, tombe sous l’ap
plication des principes ordinaires, c’est-à-dire que, s’a
gissant d’une somme déterminée , l’obligation se divise
par portions égales entre tous les débiteurs.
Cette observation est importante pour l’application à
1 Colmar, 7 avril 1821 ; Sirey, 21, 2, 239.
�335
faire de l’art. 126 du Code de procédure civile. En effet,
la contrainte facultative qu’il autorise est subordonnée
à une condition essentielle , à savoir : que les domma
ges-intérêts atteignent le chiffre de 300 fr. Or , dans le
cas où le jugement ne prononcerait pas la solidarité, il
ne suffirait pas que ce chiffre fût dépassé pour que la
contrainte par corps pût être décernée contre chacun
des débiteurs; elle ne saurait l’être que si la division de
la somme allouée et sa répartition entre les débiteurs
mettaient au moins 300 fr. à la charge de chacun
d’eux. C’est ce qui ressort de la jurisprudence de la Cour
de Cassation. Un arrêt du 3 décembre 1827 décide, en
termes formels , que le jugement qui condamne deux
individus à 400 fr. de dommages-intérêts , sans leur
imposer la solidarité , ne peut prononcer la contrainte
par corps, puisque les dommages-intérêts, divisibles en
tre les condamnés par moitié , ne s’élèvent pas pour
chacun d’eux à 300 fr.'
Remarquons, dans tous les cas, que la contrainte par
corps , autorisée par l’art. 126 du Code de procédure
civile, n’est jamais un devoir pour le magistrat. La loi
lui accorde la faculté, et ne lui impose pas l’obligation
de la prononcer. C’est ce qui distingue cette hypothèse
des cas prévus par les art. 2059 et 2060, pour lesquels
la contrainte est rigoureusement prescrite.
ET DE LA FKAUDE.
533. — Au surplus , la faculté créée par l’art. 126
1 J. du P., année 1827.
�336
TRAITÉ DU DOL
n’est pas tellement absolue, qu’elle ne comporte aucune
exception. Il est des cas où cette faculté cesse et où, par
conséquent, la contrainte par corps ne saurait être pro
noncée. Ces exceptions sont déterminées par l’âge, l’é
tat, la qualité du débiteur :
1° A g e . — Les mineurs, avons-nous dit, ne sont
pas relevés de leur dol. Ils doivent donc réparer le pré
judice qui en est résulté. Cependant le législateur n’a
pas cru que cette réparation dût aller jusqu’à compro
mettre leur liberté. Il a cru que, même dans leurs écarts,
on devait tenir compte aux mineurs de la faiblesse de
leur âge, de leur inexpérience et de l’irréflexion qui n’est
que trop souvent le mobile de leur conduite. Il les a,
en conséquence, exempté de la contrainte par corps, mê
me dans le cas de stellionat.
De la disposition de l’art. 2064 du Code civil, on a
conclu que puisque le mineur était affranchi de la con
trainte obligatoire , il devait l’être , à plus forte raison,
de la contrainte facultative. En réalité donc , même en
engageant valablement ses biens, le mineur demeure ab
solument incapable d’engager sa personne. Ce principe
est tellement certain en jurisprudence, qu’on a été jus
qu’à décider que la ratification faite par un individu
devenu majeur d’une condamnation avec contrainte par
corps , prononcée contre lui en minorité , est radicale
ment nulle quant à la contrainte.'
i Rouen, 15 novembre 4825: D. P.. 26, 2, 73.
�337
Ce que la raison commandait de faire pour les mi
neurs, l’humanitéexigeait qu’on le fit pour les vieillards.
La loi a donc assimilé les septuagénaires aux mineurs.
Les dommages-intérêts prononcés contre eux ne don
neront lieu à la contrainte par corps que s’ils sont mo
tivés sur un stellionat.
21° E t a t . — Des raisons à peu près analogues à
celles qui militent pour les mineurs , ont fait assigner
aux femmes et aux filles une position spéciale à l’en
droit de la contrainte par corps.
Comme pour les septuagénaires , elles ne peuvent y
être soumises que dans le cas de stellionat. Cette limite,
nettement tracée par l’art. 2066, exclut la possibilité de
prononcer contre elles cette voie rigoureuse dans aucun
autre cas, et notamment dans celui prévu par l’art. 126
du Code de procédure civile.
Cependant, cet article étant postérieur à l’art. 2066,
on s’est demandé s’il n’^vait pas introduit un droit nou
veau applicable aux femmes et aux filles. Mais on a re
connu que le législateur ayant, dans celui-çi , procédé
par voie d’exclusion, avait, par cela même, exempté les
femmes et les filles de la contraite par corps non seu
lement dans tous les cas actuellement prévus, mais en
core dans tous ceux à prévoir par une loi future, à
moins que cette loi ne les y soumit formellement. L’ar
ticle 126 gardant à cet égard le plus complet silence, sa
disposition ne saurait être appliquée aux femmes et aux
filles que dans les limites de l’art. 2066 lui-même.
ET DE.LA FRAUDE.
�TRAITÉ DU DOL
338
3° Q u a l i t é . — Il est des principes tellement
indiqués par la morale publique qu’on ne peut s’em
pêcher de les observer , alors même que par un oubli
fâcheux le législateur ne les a pas formellement consa
crés. L’idée, par exemple, d’accorder au père la faculté
de faire emprisonner son fils, au fils ou au frère d’exé
cuter la contrainte contre son père ou son frère, répu
gnait à toutes les convenances sociales. Aussi, malgré le
silence que les lois régulatrices de la contrainte par
corps , y compris le Code civil , avaient gardé sur ce
point, la tendance de la jurisprudence vers une exception
aussi juste n'avait-elle jamais manqué de se mani
fester.
La loi du 17 avril 1832 a sanctionné cette exception
et comblé la regrettable lacune que laissaient les précé
dentes législations. L’art. 19 défend à l’avenir de pro
noncer la contrainte par corps contre le débiteur : 10 au
profit de son mari ou de sa femme ; 2° de ses ascen
dants , descendants, frères ou sœurs ou alliés au même
degré.
Cette prohibition est générale , elle comprend les cas
de contrainte obligatoire, comme ceux de contrainte fa
cultative , elle s’applique même aux matières commer
ciales.
334. — L’héritier de l’auteur du dol, tenu du paie
ment des dommages-intérêts, ne saurait être contraignable par corps. Personne ne peut aliéner sa liberté
que par un acte ou un fait émané de sa volonté. La res-
�339
ponsabilité de l’héritier ne va jamais jusqu’à encourir
la peine que son auteur avait méritée. Or, la contrainte
par corps , en matière de dol , est une véritable peine.
I/héritier ne peut pas sans doute profiter du dol de ce
lui qu’il représente , mais , étranger à la faute, il doit
rester étranger à toute autre peine qu’à la simple resti
tution par les voies ordinaires.
ET DE IA FRAUDE.
355. — Avant la loi de 4832, la durée de la con
trainte par corps, en matière civile, était illimitée. Ain
si, tandis que le débiteur commercial était libéré par un
emprisonnement de cinq ans , le débiteur d’une dette
ordinaire était obligé d’attendre dans les prisons sa soixante-dixième année , s’il n’obtenait avant sa liberté
par un des moyens prévus par l’art. 800 du Code de
procédure civile.
Cette anomalie étrange , cette sévérité outrée a fait
place à un régime plus humain et plus juste. L’art. 7
de la loi du 45 avril veut que la durée de la contrainte
civile soit fixée par le jugement qui la prononce. Cette
durée varie d’un à dix ans pour la contrainte obliga
toire, d’un à cinq ans pour la contrainte facultative, ou
lorsqu’il s’agit de fermage des biens ruraux , aux cas
prévus par l’art. 2069 du Code civil.
�340
TRA.ITÉ DU DOL
SECTION II.
Dol d a n s le
M ariage,
SOMMAIRE.
336. ■ L'importance et la grandeur do mariage expliquent la pro
tection spéciale dont la loi Ta entouré.
337. Dol nombreux dont il est l’occasion.
338. Que pouvait, que devait faire ls législateur ?
339. Exceptions au principe de l’indissolubilité du mariage.
340. Age des parties contractantes. — Consentement des pa
rents.
341. Les précautions prises à cet égard et la sanction pénale
qu’elles ont reçues ne pouvaient s’étendre au dol des époux ou de leur famille.
342. Exemple d’un mariage simulé pour acquérir des avantages
conventionnels ou testamentaires. — Questions qui en
naissent.
343. Solutions qu’elles ont reçues dans un arrêt fort remarqua
ble de la Cour d’Aix.
344. Remarques et observations du directeur du Journal du
P a la is .
345. Elles n’infirment en rien l’autorité de l’arrêt et l’applica
bilité de la doctrine.
�ET DE LA FRAUDE.
341
346. En ce qui concerne les époux, il n’y a pas de mariage lors
qu’il n’y a pas eu de consentement spontané et libre.
347. Faut-il appliquer à ce consentement les règles prescrites
par l’art. 1109.
348. Disposition de l’art. 180 ; n’a-t-il eu en vue que l’erreur
sur la personne physique.
349. Arrêts ayant admis des analogies.
350. Opinion conforme de Toullier.
351. Réfutation.
352. Le dol ayant déterminé le mariage ne peut le faire annuler,
mais il pourrait motiver la séparation de corps.
353. La séparation ne saurait être refusée au conjoint ayant épousé par erreur une personne condamnée à une peine
afflictive et infamante.
354. Quid si la peine a entraîné la mort civile ?
355. Délai de l’action en séparation.
356. Le dol exercé sur les conventions matrimoniales produit les
mêmes effets que dans les contrats ordinaires.
357. Impuissance. — Différence entre l’Eglise romaine et fran
çaise, quant à ses effets.
358. A dater du xnm” siècle , l’Eglise romaine elle-même admit
la nullité en principe. — Mais difficulté sur le mode de
preuve.
359. Utilité de ce coup d’œil historique.
360. Justice de la nullité du mariage célébré par l’impuissant.
361. Motifs qui la firent repousser par les auteurs du Code.
362. En est-il de même pour l’impuissance accidentelle ?
363. Opinion affirmative de Toullier.
364. Réfutation.
365. Résumé de la matière.
336. — Le mariage est un des actes les plus im
portants, les plus solennels de la vie. Son but est nette
ment tracé dans les paroles du Gélèbre Portalis le défi-
�é
342
TRAITÉ DU DOL
nissant : La société de l’homme et de la femme qui s’u
nissent pour perpétuer leur espèce, pour s’aider par des
secours mutuels à porter le poids de la vie, et pour par
tager leur commune destinée.
La grandeur de ce but explique et justifie suffisam
ment la protection spéciale dont le mariage a été l’objet
de la part des diverses législations qui se sont succé
dées, les formes imposantes qui l’ont sans cesse entou
ré. Mais , il faut le dire avec regret , elle n’a pu le dé
fendre contre les manœuvres déloyales qui servent quel
quefois à le préparer.
357. — Il n’est, en effet, aucune matière où le dol
puisse être, et soit plus largement exploité. Ici la sain
teté du lieu n’a pu empêcher qu’il ne devint l'instrument
d’une vile, d’une odieuse spéculation ; là les promesses
les plus séduisantes, les manœuvres les plus hardies pour
donner le change sur l’état de fortune des futurs ; on a
même vu des personnes qui , pour persuader de leurs
ressources, obtiennent et produisent des baux fictifs à l’ai
de desquels des immeubles, en réalité peu importants,
paraissent produire des revenus considérables.
D’autre part , que d’efforts, que de mensonges pour
déguiser la véritable condition des parties contractantes.
C’est sous les dehors de la plus austère piété, de la vertu
la plus sévère , que se cachent la débauche et l’incon
duite. Des forçats, portant sur leur épaule le signe indé
lébile de leur honte, ont osé souiller de leur contact des
familles honorables, au sein desquelles les ont introduits
les plus infâmes artifices.
�343
Eh puis ! le mariage célébré , le voile tombe, la for
tune s’évanouit ; cette parole, dont le doute eût paru une injure pour la famille dans laquelle on va entrer,
n’a été qu’un piège ; les qualités recherchées ont dispa
ru. Restent la confusion , les regrets , et quelquefois la
honte d’un lien qu’on ne cessera de maudire , heureux
encore si un mariage , sortable sous plus d’un rapport,
n’a pas enchaîné la force et la santé à la maladie ou à
l’impuissance ; le vivant au cadavre.
ET DE LA FRAUDE.
538. — Quel parti devait prendre le législateur con
tre de pareilles éventualités ? S’il eût pu obéir aux ins
pirations qu’elles font naître , il n’eût pas hésité à dis
soudre les liens ainsi formés. Mais la matière était trop
grave pour pouvoir permettre d’obéir à ce sentiment équitable et juste. L’importance du mariage, la position
des époux, les conséquences naissant pour chacun d’eux
de sa célébration, tout commandait une salutaire , une
extrême prudence.
Le mariage touche, en effet, aux intérêts sociaux les
plus élevés. 11 est la source des familles qui, suivant l’ex
pression de M. Portalis, sont la pépinière de l’Etat. Sa
célébration , solennisée par la loi civile , est consacrée
par la religion elle-même. C’est sous la double égide des
préceptes humains et sacrés que se place la nécessité de
sa stabilité ; laisser celle-ci flotter au gré des passions
et des événements produits par la mauvaise foi , c’était
autoriser une atteinte à tout ce que l’homme doit res
pecter et honorer.
�344
TRAITÉ DU DOL
D’ailleurs., que , dans les transactions ordinaires , la
loi prononce la nullité du contrat, il lui est facile de re
mettre les parties au même état qu’auparavant. Pouvaitil en être ainsi pour le mariage ? La cohabitation, qui
en a été une conséquence immédiate, n’aura-t-elle pas
pour l'un des époux les effets les plus déplorables? L’é
pouse trouvera-t-elle un autre établissement, à peine
sortie des bras de celui qui l’a délaissée ? C’est donc un
avenir plein de douleurs et de regrets que lui préparait
l’annulation de son mariage. Et puis, si cette cohabita
tion a laissé des traces , quelle sera la position des en
fants à naître de ce funeste lien ? Seront-ils condamnés
ci gémir d’une faute qui leur a été étrangère , eux, or
phelins avant leur naissance, quoique conçus sous l’é
gide d’un lien autorisé par la loi et béni par la religion?
Ehl ce serait souvent pour un intérêt pécuniaire qu’on
irait braver tant et de si graves inconvénients, alors mê
me que le conjoint serait fort innocent de la déloyauté
de sa famille ! Evidemment ce qui aurait été juste pour
l’un des époux, serait devenu pour l’autre une cruauté
injustifiable. Aussi a-t-on préféré, et l’on devait le fai
re, s’arrêter au principe de l’indissolubilité du mariage,
se reposant, d’un côté, sur les précautions que l’intérêt
de chacun commande de prendre avant de le conclure,
et de l’autre sur l’amour du père de famille. Personne,
en effet, ne peut se le dissimuler , déterminer un ma
riage, à l’aide d’un des moyens que nous avons indiqué,
c’est jouer le sort de son enfant sur un coup de dé. Le
désappointement qui naît de la découverte du dol , le
�345
ressentiment que souvent on en éprouve, compromet le
bonheur des époux et trouble la tranquillité du ména
ge. Peut-être est-ce là qu’il faut trouver la cause d’un
si grand nombre de mariages malheureux.
ET DE LA FRAUDE.
539.
Cependant le principe de l’indissolubilité
du mariage a reçu quelques exceptions. Malgré les con
sidérations qui précèdent, le législateur s’est, dans cer
tains cas, prononcé pour l’annulation du lien. Mais,
en examinant chacune de ces hypothèses , on peut se
convaincre qu’un intérêt général et public exigeait une
pareille détermination. 11 n’y a , en effet, nullité que
lorsque le mariage a été contracté contrairement aux
prescriptions relatives à l’âge des parties, à la publicité
de sa célébration, aux consentements requis , aux em
pêchements de consanguinité. Or , le maintien de ces
prescriptions est inconstestablement d’ordre public.
340. — L’Etat ne saurait voir avec indifférence tout
ce qui tient à la reproduction de sa population. Il lui
appartenait donc de régler l’âge auquel on pourra con
sentir un mariage sans préjudice pour lui, sans danger
pour les époux eux-mêmes. Les formes qui entourent
le mariage deviennent le plus sûr garant de l’exécution
de la volonté du législateur, il ne pouvait donc en lais
ser l’observation au gré des caprices des parties. Enfin,
son devoir le plus impérieux était de veiller à ce que
des unions contractées contre le vœu du père de famille
ne vinssent point fouler au pied les droits de la puis-
�346
TRAITÉ DU DOL
sance paternelle et d’empêcher celles que la nature ré
prouve et que la morale condamne.
Or , comment obtenir ce résultat autrement que par
une sanction pénale énergique contre ceux qui auraient
contrevenu aux dispositions prises à cet effet? La nultéli du mariage a donc été sanctionnée. Mais que de
précautions pour rendre en quelque sorte impossible
cette pénalité ! Qu’on jette un coup d’œil sur les de
voirs imposés à l’officier public , sur les justifications
qu’il doit exiger avant de procéder à la célébration , et
dont la violation ou l’oubli est de nature à être puni
d’une peine corporelle. En faisant de ce fonctionnaire
le complice obligé des contraventions commises par les
époux , la loi a , par cela même, rendu ces contraven
tions fort difficiles. Aussi voyons-nous que si les tribu
naux ont eu quelquefois à les réprimer, c’est qu’il s’a
gissait de mariages célébrés à l’étranger et souvent dans
l’unique but de se soustraire aux exigences de la loi
française.
La loi a donc été conséquente au but que nous avons
indiqué , à savoir : de laisser au mariage ce caractère
d’indissolubilité et de stabilité qui en est l’essence. Si
des raisons graves l’ont déterminée à admettre quelques
exceptions, elle ne l’a fait qu’après avoir confié à ses agents la faculté et le devoir de prévenir la réalisation
des faits qui les constituent, et rendu ainsi sinon tout à
fait impossibles, du moins extrêmement rares les occa
sions d’appliquer la peine réservée à ces exceptions.
�347
345. — Mais contre le dol des époux , de leur fa
mille, la loi ne pouvait prendre aucune précaution. Aussi
n’a-t-elle voulu le punir que dans des limites extrême
ment bornées. C’est ce dont nous allons nous convain
cre en parcourant les diverses hypothèses dans lesquel
les ce dol peut se réaliser.
ET DE LA FRAUDE.
342. — Avant d’entrer dans l’examen des effets du
dol dans la préparation et dans la célébration du ma
riage, nous devons parler d’un cas dans lequel le mari
age n’est qu’un moyen dolosif pour acquérir des avan
tages conventionnels ou testamentaires dépendants de
son existence.
Exemple : Paul a légué à Pierre une somme plus ou
moins importante, à condition qu’il se mariera. Pierre,
désireux de cumuler les douceurs du célibat et les pro
fits du legs, contracte un mariage. Ce mariage a toutes
les formes extérieures requises. Cependant, au fonds, il
n’a rien de réel. Concerté entre les deux prétendus époux , il est aussitôt rompu que formé et ne reçoit au
cune exécution. Cependant Pierre, prétendant' avoir rem
pli la condition exigée , demande la délivrance de son
legs. Cette demande doit-elle être accueillie ?
Cette hypothèse , qui parait purement imaginaire,
s’est cependant présentée, ainsi que nous allons le voir.
Elle offre à décider la question de savoir si des tiers
peuvent quereller de simulation un mariage non attaqué
par les ayant-droit et si, en supposant l’affirmative, les
tiers sont dans l’obligation d’en faire prononcer la nul-
�348
TRAITÉ DU D01
lité pour se refuser â remplir la convention subordon
née à son existence.
543. — La solution de ces deux questions se trou
ve consacrée dans l’espèce suivante , jugée par la Cour
d’Àix, le 4 mars 1813 :
« En 1753, testament de Nicolas-Thomas Ardizzoni,
avocat à Taggio, en Ligurie , par lequel il lègue l’usu
fruit de ses biens à sa femme, en la chargeant de con
stituer à ses filles, non encore mariées, une dot conve
nable et, au surplus, institue pour son héritier Jean Ar
dizzoni, son fils, médecin.
» 11 faut observer que , suivant les lois liguriennes,
la dot, constituée aux filles par testament, ne leur était
acquise que par leur mariage ; à défaut de mariage, el
les n’en avaient que l’usufruit et le fonds demeurait pro
pre aux mâles.
» En 1765, la veuve Ardizzoni fit aussi son testa
ment, par lequel elle institua pour son héritier le même
Jean Ardizzoni , son fils; e t, en vertu des pouvoirs à
elle donnés par son mari , elle constitua à chacune de
ses filles, Jeanne et Brigitte , non encore mariées , une
dot de 5,000 fr., argent de Gênes hors banque , dont,
au cas où elles ne se marieraient pas, elle leur interdit
la disposition au profit de tout autre que leur frère ou
ses héritiers , sauf une somme de 200 fr. pour le salut
de leur âme. Cette disposition fut approuvée le même
jour par Jean Ardizzoni, héritier institué.
» Celui-ci fit aussi son testament en 1768. Il légua
�349
l’usufruit de ses biens à sa femme et à Brigitte, sa
sœur , institua ses trois fils ses héritiers , ordonna que
sa femme et sa sœur demeureraient avec ses enfants, à
peine de déchéance de l’usufruit légué , e t, en cas de
mariage de l’une ou de l’autre, ou de leur séparation
d’une manière quelconque d’avec ses enfants, il les ré
duisit à leur dot respective.
» Jean Ardizzoni a survécu longtemps à son testa
ment. En 1791, il souscrivit une obligation sous seing
privé d’une somme de 300 fr. au profit de Jeanne , sa
sœur, alors veuve d’un sièur Boëri, et celle-ci est morte
après avoir fait un testament par lequel elle avait insti
tué pour son héritière Brigitte, sa sœur.
» Jean Ardizzoni n’est décédé qu’en 1795. Deux ans
après, Brigitte a quitté ses neveux , au moyen de quoi
elle a perdu la portion de l’usufruit qui lui était léguée
et s’est trouvée réduite aux seuls intérêts de la dot, car,
n’étant pas mariée, elle ne pouvait en exiger le fonds.
» Pour vaincre cet obstacle , voici à quel moyen elle
eut recours :
» Le 29 octobre 1798 , il fut célébré ou il parut se
célébrer un mariage entre Brigitte et un nommé LucAdmiranti, mendiant de profession. Cet homme était alors
malade dans un hôpital. Il fut représenté à la célébra
tion par un sieur Carli, prêtre , en vertu d’une procu
ration portant , outre ce pouvoir , une cession de droit'
ainsi conçue : « Et comme ledit Admiranti ne veut pas
se mêler du recouvrement de la dot, droits dotaux et
ET DE LA FRAUDE.
�TRAITÉ DU DDL
350
legs pieux qui compétent à la future, il cède et trans
porte audit sieur Carli , présent et acceptant , tous les
droits, raisons et actions qui lui compétent ou peuvent
lui compéter, soit à l'égard de ladite dot, soit à l'égard
desdits droits dotaux et legs pieux , en le subrogeant à
sa place en ses droits et en le constituant, par procura
tion, son procureur : u l \ ro t u m e t o u m l i b e r a t a n q u a m u t a l t e r e g o , en sorte
qu'on ne puisse lui opposer le défaut d’aucun pou
voir. »
» Il parait constant que Brigitte n’a jamais vu son
prétendu mari, qui a continué son métier de mendiant
et qui est mort en 1800.
» Les choses sont restées en cet état jusqu’en 1807,
époque à laquelle Brigitte , se disant veuve Admiranti,
fait assigner ses neveux au tribunal de première instan
ce de San-Remo pour se voir condamner à lui payer :
1° la somme de 5,000 fr., monnaie de Gênes, avec in
térêts ; un trousseau ou sa valeur ; 2" la portion de l’u
sufruit à elle léguée par son frère depuis le 7 mars 1795
jusqu’au jour de son mariage ; 3° 1,600 fr. qui res
taient dus sur la dot de sa sœur Jeanne, dont elle était
héritière instituée ; 4° les 300 fr. à elle dus suivant le
billet souscrit à son profit par le défunt Jean Àrdizzoni.
» Ses neveux l’ont soutenue non recevable sur tous
les chefs. Ils ont surtout révoqué en doute le mariage ;
mais elle a rapporté l’acte de sa célébration, ils l’ont alors querellé de simulation et de fraude. Condamnés en
�ET DE LA FRAUDE.
351
première instance , ils émirent appel et reproduisaient
devant la Cour les moyens repoussés par le Tribunal.
» Au système de simulation et de fraude dans le ma
riage , l’intimée répondait : On ne peut contester un
mariage célébré dans les formes prescrites par les lois
du pays où il a été contracté; le soutenir simulé sans
l’arguer de nullité, c’est une contradiction... La coha
bitation des époux n’est pas essentielle au mariage; c’est
un contrat qui se forme par le seul consentement, et le
défaut par les parties d’accomplir les obligations qu’il
impose n’annule ni n’altère le lien qui n’en existe pas
moins. En dernière analyse , le mariage est un acte de
l’état civil qui ne peut être simulé ni querellé comme
tel. Il suffit qu’il existe et qu’il soit prouvé par écrit,
pour réaliser la condition des libéralités faites dans le
cas où il y aurait mariage. »
Ces prétentions , combattues par l’éloquent Manuel,
furent rejetées par la Cour. L’arrêt qui intervint décida,
contrairement à ce qu’avait admis le premier juge,
qu’un mariage peut, sans être annulé, être déclaré frau
duleux et simulé , et, comme tel , incapable de donner
ouverture aux avantages testamentaires ou convention
nels dont il a été la condition. Voici, en droit, les mo
tifs de cet arrêt : ■
« Considérant que dans le statut ligurien les dots des
filles leur tenaient lieu de tous les droits et pouvaient
être grevées de toutes charges par le constituant ; que
celle réclamée par la veuve Àmiranti devenait propre à
�352
TRAITÉ DU DOL
ses neveux dans le cas où elle garderait le célibat, sauf
la réserve de 200 fr. pour le salut de son âme ; que la
partie de l’usufruit léguée à ladite veuve par son frère,
et qui devait cesser dans le cas où elle quitterait ses ne
veux ou se marierait, ne l’a point affranchie de la con
dition qui lui était imposée par la mère commune , ni
pu lui donner la propriété de. sa dot, assurée à ses ne
veux dans le cas où elle ne se marierait pas ; qu’il res
te donc à examiner si cette condition a été remplie.
» Considérant qu’il faut distinguer la validité du
contrat et son efficacité ; que les appelants seraient non
recevables à contester la validité du mariage de leur
tante dès l’instant qu’il est régulier ; mais ils peuvent
avec succès lui refuser l’efficacité quant à la condition
pour laquelle il était nécessaire , lorsqu’on en excipe
contre eux ; que c’est un principe de droit commun
qui était en vigueur dans la ci-devant Ligurie , que
contractus imaginarii juris vinmlum non oblinent , surtout à l’égard des tiers dont ces contrats si
mulés blessent les intérêts ; que bien loin que cette rè
gle soit étrangère aux mariages et aux divorces, elle est
au contraire appuyée sur divers textes des lois romai
nes. La loi 30 , Dig. De rit. nupt., a dit : Simulalœ
nuptice nullius sunt momenli ; la loi Si fliu s, Dig.
De divortiis , porte aussi : lmaginaria répudia et
simulata nullius sunt momenti ; la raison en est don
née par la loi 3 , Dig. De divortiis, c’est qu’il n’y a
pas intention de réaliser une séparation éternelle, tout
comme il n’y a pas réellement mariage , là où les deux
�353
époux n’ont pas eu l’intention de s’unir pour tou
jours.' »
344. — M. Ledru-Rollin se demande, à la suite de
cet arrêt, pourquoi , sous la législation qui nous régit,
un mariage ne pourrait pas, comme tout autre acte, être déclaré dolosif ou frauduleux , si les circonstances
prouvent que les parties n’ont pas eu réellement l’in
tention de s’unir et de vivre ensemble dans la société
conjugale ; si elles établissent que les formes et les cé
rémonies n’ont véritablement été qu’une comédie, qu’u
ne feinte employée pour faire arriver ostensiblement la
condition d’un legs, d’une donation ? N’est-il pas clair,
poursuit ce jurisconsulte, que dans ce cas l’intention du
testateur ou du donateur n’a point été remplie, que le
fait prévu n’est pas réellement arrivé et qu’on n’a eu
d’autre but que de profiter de la libéralité, en trompant,
en éludant la condition ? Pourquoi alors, sans déclarer
le mariage nul , ne pourrait-on pas le priver de l’effet
qu’on a voulu lui faire produire par fraude ?
D’un autre côté , continue 31. Ledru-Rollin , com
ment ne pas être effrayé des dangers que peut présen
ter l’investigation nécessaire à laquelle les juges devront
se livrer de la vie intime des deux époux , des causes
qui auront pu donner naissance au mariage et motiver
ensuite une séparation ? N’est-il pas à craindre qu’à
l’intention présumée des contractants , les juges ne
KT DE LA FRAUDE.
i Journal du palais, tom xi, pag 479.
I
23
�354
TRAITÉ DU DOL
substituent leurs propres passions et même leur opi
nion ?
345. — Quelques puissantes que soient ces derniè
res considérations, elles ne nous para ssent pas de na
ture à faire résoudre la difficulté dans le sens contraire
à celui de l’arrêt que nous venons de transcrire. Cha
cun a le droit de se mettre à couvert du dol de quel
que manière qu’il se manifeste , fût-ce même par un
mariage , et de là naît , pour le magistrat, le devoir et
l’obligation de le réprimer partout où il le découvre.
Dans toutes les hypothèses, en effet, le préjudice est le
même pour celui qui doit en souffrir. Lui refuser, dans
tel ou tel cas, la réparation qui lui est due, ce serait le
punir de l’excès de précaution déployé par son adver
saire et consacrer une injustice flagrante.
Qu’on veuille bien le remarquer d’ailleurs, les consi
dérations qui militent en faveur de l’indissolubilité du
mariage, ne peuvent, dans ce cas, subir aucune attein
te. 11 est, en effet, entendu que non seulement le ma
riage ne sera pas annulé , mais encore que toute atta
que contre sa validité serait irrecevable. Celui-là donc
qui aurait contracté un lien honteux pour acquérir par
des voies illégitimes un avantage quelconque, resterait à
tout jamais sous le joug qu’il se serait forgé. Il suffit
aux tiers intéressés de faire prononcer que cet acte sera
sans effet contre eux pour conserver la possession des
biens qu’on voulait leur arracher.
Le juge ne doit donc pas hésiter, lorsque, à l’aide des
�355
moyens que la loi lui donne, il a acquis la conviction
de la simulation du mariage, à protester énergiquement
contre ce dol ; e t, tout en respectant le mariage, à le
priver de l’effet qu’on a voulu lui faire produire. Telle
est aussi l’opinion de M. Ledru-Rollin , et , ce qui le
prouve , c’est l’adhésion entière qu’il donne à l’arrêt de
la Cour d’appel d’Aix; il ne l’approuverait certes pas s’il
croyait qu’il renferme une violation de la loi qui nous
régit.
Il est vrai que les magistrats qui l’ont rendu invo
quent soit le statut ligurien , soit les textes de la loi ro
maine , mais ils ne cherchent dans le premier que les
principes sous l’influence desquels on devait ranger les
droits de la demanderesse sur sa dot, droits qui s’étaient
ouverts avant la promulgation du Code civil , et dans
un pays alors étranger ; ils ne demandent au second
qu’une règle d’interprétation de la volonté de notre lé
gislateur, lequel, ayant virtuellement consacré le prin
cipe que les contrats simulés ne peuvent produire aucun
effet contre les tiers, s’est par cela même, et quant aux
conséquences de ce principe , approprié les dispositions
du droit romain relativement au mariage.
Nous conviendrons sans peine que , dans l’applica
tion, le système consacré par l’arrêt offrira beaucoup de
difficultés. Indépendamment de celles que présente tou
jours un procès en nullité pour dol, on en rencontrera
bien d’autres lorsqu’il s’agira d’apprécier si un mariage
est ou non simulé , mais la prudence des magistrats
saura dans tous les cas faire bonne et exacte justice. Ils
ET DE LA. FRAUDE.
�356
TRAITÉ DU DOL
ne perdront jamais de vue que la preuve même de la
simulation ne saurait être admise que lorsque son exis
tence est rendue vraisemblable par un ensemble de faits
significatifs comme l’étaient ceux de l’espèce jugée par
la Cour d’Aix. Il ne suffirait donc pas que le mariage
eût été suivi d’une séparation immédiate des deux époux , il faudrait en outre que les antécédents, que la
position des parties vinssent indiquer le véritable carac
tère de cette séparation , et prouver ainsi le concert des
deux époux et conséquemment la simulation du ma
riage.
546. — En ce qui concerne les époux eux-mêmes,
il n’y a de mariage valable que celui qui est librement
consenti par chacun d’eux. L’art. 146 du Code civil as
signe au mariage le caractère que lui reconnaissait la
loi romaine : Nuptias non concubilus, sed consensus
facit.'
Il n’y a donc réellement de mariage s’il n’y a pas,
de la part de chacune des parties, un consentement éclairé, spontané et libre.
547. — Faut-il appliquer au mariage la disposi
tion de l’art. 1109 et décider la nullité lorsque le con
sentement n’a été donné que par erreur, ou lorsqu’il a
été surpris par dol, ou extorqué par violence ?
En droit commun, le consentement vicié par une de
�357
ces circonstances est jugé incapable de créer un lien obligatoire. Si donc il fallait examiner l’art. 146 , sous
l’influence de ce droit, la question que nous avons po
sée devrait se résoudre par l'affirmative.
Mais ici se présentaient les considérations que nous
avons déjà rappelées et qui plaçaient le mariage dans
une catégorie spéciale et exceptionnelle. Nous n’avons
pas à nous occuper de la violence dont l’effet est pour
le mariage le même que pour tous les autres contrats.
Mais pour ce qui concerne l’erreur , soit accidentelle,
soit produite par le dol, nous trouvons l’exception par
faitement établie par l’art. 180 du Code civil. Cet arti
cle, en effet, amène à cette conséquence que le mariage
ne peut être annulé pour cause d’erreur que lorsqu’il
y a eu erreur dans la personne.
La valeur de ces expressions n’était pas douteuse sous
le droit ancien. L’erreur dans la personne ne s’enten
dait que de l’erreur sur la personne physique. Il n’y avait donc nullité que lorsque celle qu’on avait épousée
n’était pas celle que l’on voulait épouser.
Toute autre erreur sur les qualités civiles du conjoint
ne produisait aucun effet. C’est ainsi que des mariages
contractés avec des individus morts civilement avaient
été validés par les Parlements.'
Cette interprétation rendait exactement la pensée du
législateur. Notre ancien droit en effet ( et on lui en a
ET DE LA FRAUDE.
i Pothier, n°« 308, 313.
�358
TRAITÉ DU DOL
fait souvent le reproche) s’était, le plus possible, inspi
ré du droit canonique. Or celui-ci était, sur notre ma
tière, on ne peut plus clair et plus explicite.
Nous lisons en effet dans la compilation de Pirrhing,
lib. iv, tit. i, De sponsalibus et matrimoniis, art.C Lx:
Error circa substantiam personce, jure nalurœ reddit
irritum matrimonium, ut si quis putans se contrahere
cum Anna , contraint cum Barbara. Art. clxii : Error
circa qualitatem personce, et si det causant contractui,
et proveniat ex dolo alterius contrahentis, non irritât
per se matrimonium. Proinde cum non impediat consensum substantialern circa personam , et materiam et
substantiam contractus, non vitiat matrimonium.
5 f8 . — L’art. 180 a-t-il voulu consacrer la même
doctrine ? Le doute naît de la discussion que l’art. 146
subit au Conseil d’Etat. Dans le projet primitivement
présenté , cet article était ainsi conçu : « Il n’y a pas
de mariage sans consentement ; il n’y a pas de consen
tement s’il y a eu violence, s'il y a eu erreur dans la
personne que l'une des parties avait eu l’intention d’é
pouser. Cette rédaction ayant été rejetée, on a voulu en
conclure que l’art. 146 se référait explicitement à l’ar
ticle 1109. On concluait surtout à une dérogation aux
anciens principes, de cette circonstance que la Cour de
Cassation, trouvant l’expression personne beaucoup trop
vague , avait demandé qu’on y substituât celle d'indi
vidu. Or, celte substitution , qui réellement inspirait la
pensée d’une erreur physique, ayant été rejetée, il s’en
�359
suivrait, a-t-on d it, que le législateur n’a pas voulu
borner à celle-ci la nullité du mariage.
Mais les mots retranchés dans l’art. 146 se retrouvent
dans l’art. 180; et , malgré que l’amendement de la
Cour de cassation n’ait pas été consacré , cet article a
été interprété, par l’orateur du Gouvernement, dans
le sens des anciens principes.
« L’erreur dans le mariage, disait Portalis, ne s’en
tend pas d’une simple erreur sur les qualités, la fortune
ou la condition de la personne à laquelle on s’unit,
mais d’une erreur qui aurait pour objet la personne
même. Mon intention déclarée était d’épouser une telle
personne ; on me trompe, ou je suis trompé par un sin
gulier concours de circonstances, et j’en épouse une au
tre qui lui est substituée à mon insu et contre mon gré;
le mariage est nul.' »
Il résulte évidemment de ces explications , que sous
l’empire de l’art. 180 , toutes les fois que la personne
que l’on a épousée est bien celle que l’on a cru et voulu
épouser, le mariage est inattaquable , alors même que
cette volonté eût été déterminée par une erreur née des
circonstances ou inspirée par le dol sur la véritable con
dition , sur les mœurs , la fortune , la qualité de cette
personne. Ainsi celui qui, croyant s’unir à une femme
vertueuse , a épousé une infâme prostituée ; celle qui,
croyant se donner à un homme honorable, aurait épouET DE LA FRAUDE.
i
E xposé des m otifs.
�360
TRAITÉ DU DOL
sé un forçat, ne saurait faire prononcer la nullité du
mariage.'
349. — Telle est, positivement, la rigueur du prin
cipe. Cependant quelques Cours d’appel s’en sont écar
tées. Ainsi, celle de Colmar a jugé, le 6 décembre 1811,
qu’on pouvait considérer qu’il y a erreur dans la per-sonne capable d’emporter la nullité du mariage , lors
qu’une catholique a épousé un ci-devant moine profès
dont la qualité lui a été célée. De son côté , la Cour de
Bourges a décidé, le 6 août 1827, qu’un mariage peut
être déclaré nul, lorsque l’un des contractants, par suite
de faux ou de manœuvres frauduleuses, a pris lin nom
de famille ou des qualités qui ne lui appartenaient pas,
si d’ailleurs cette double circonstance a été pour l’autre
époux la cause déterminante du mariage."
Ce premier de ces arrêts applique au tnariage les
principes généraux en matière de consentement ; le se
cond excipe du rejet de la substitution du mot individu
à celui de personne pour en induire que la loi laisse à
l’appréciation du magistral les circonstances constituant
l’erreur sur la personne ; il admet que cette erreur existe
lorsque les manœuvres qui l’ont déterminée ont été la
cause efficace du mariage ; en d’autres termes, la Cour
de Colmar se décide par l’art. 1109 , celle de Bourges
par l’art. 1116, l’une et l’autre ne voient ainsi dans le
1 Ainsi jugé en 1838 par le Tribunal civil de la Seine.
2 J. du P., années 1811, 1827.
�361
mariage qu’un contrat soumis au droit commun en ma
tière de consentement et de dol.
ET DE LA FRAUDE.
350. — C’est là, à notre avis, une violation mani
feste de l’art. 180. Cependant ces arrêts ont rencontré
des approbateurs. Un de nos plus éminents jurisconsul
tes, M. Toullier, a même érigé leur système en doctri
ne. Prouvons que celte doctrine ne saurait être admise
et nous justifierons par là même les reproches que nous
faisons à ces deux arrêts.
351. — M. Toullier refuse à l’art. 180 le sens que
lui donnait M. Portalis lui-même; il n’y a pas d’exem
ple, dit-il, d’un mariage contracté par erreur sur l’in
dividu ou sur la personne physique , car, lorsqu’on se
présente devant l’officier de l’état civil pour se marier,
on agrée la personne physique qu’on a devant les yeux.
Conséquemment, réduire la règle à l’erreur sur la per
sonne physique ou sur l’individu , ce serait l’anéantir
presque totalement. L’erreur ne peut guère tomber que
sur la personne morale ou sociale , c’est-à-dire sur les
qualités qui la constituent.
Cependant M. Toullier reconnaît que l’erreur sur la
condition ou le rang qu’une personne tient dans la so
ciété , sa fortune , ses mœurs, son caractère, enfin, sur
son état civil, sa-patrie, son nom, sa famille, alors mê
me qu’elle serait le résultat du dol personnel de l’époux,
n’annulerait pas le mariage , car , dit-il, il n’est pas
présumable que les époux aient fait de ces qualités une
condition irritante du mariage.
�362
TRAITÉ DU DOL
« Mais, continue M. Toullier, l’erreur sur la qualité,
sur le nom, sur la famille, peut quelquefois dégénérer
en erreur sur la personne ou, comme disent les auteurs,
renfermer l’erreur sur la seconde ; elle peut aussi être
produite par le dol personnel de l’un des conjoints et
être telle qu’il est évident que sans ces manœuvres le
mariage n’eût point été contracté.
» Ainsi, l’erreur sur la qualité renferme erreur sur
la personne lorsqu’il parait par les circonstances que
c’est la qualité seule qui a déterminé la volonté de l’au
tre époux ; que cette qualité était une condition tacite,
sans laquelle le mariage n’eût pas été contracté, ce qui
nepeutguève arriver qu'à l'égard d’une personne in
connue de l'autre époux avant le temps de la célébra
tion du mariage. »
Ces derniers mots de M. Toullier renferment la réfu
tation de son système , car ils indiquent nettement que
ce qu’il appelle erreur sur la qualité n’est pas autre
chose que Terreur sur la personne , ainsi que nous al
lons le prouver. S’il fallait l’entendre autrement, on de
vrait arriver à une conclusion contraire à celle que M.
Toullier a tirée.
Le vice de cette dernière est de substituer à la règle
invariable, que la loi a tracée dans l’art. 180 , l’appré
ciation nécessairement variable du magistrat ; c’est en
suite de donner à cette appréciation les éléments que
l’art. 1116 impose pour le cas de dol aux contrats or
dinaires.
Or, nous l’avons déjà dit, s’il fallait examiner le ma-
�363
riage sous l’empire absolu de cette disposition, on arri
verait à la nullité dans presque tous les cas d’erreur. Il
est difficile, en effet, que dans cette matière l’erreur n’ait
pas été produite par le dol. Comment persuader que
l’on est riche sans invoquer des titres justificatifs , sans
les produire ? Comment s’attribuer un nom qui ne vous
appartient pas, une position sociale à laquelle on n’a
aucun droit, si des pièces fabriquées ne venaient pas
ostensiblement justifier cette usurpation ? C’est donc par
le faux qu'on arrivera à tromper ; n’y eût-il qu’un
mensonge , qu’on se trouverait encore en présence de
circonstances telles , que le dol serait incontestable. Le
dol n’existe-t il pas lorsqu’on dissimule, dans le dessein
de tromper ? Qui insidiose dissimulât.
Si donc il fallait s’en référer aux principes généraux,
l’erreur n’étant, dans toutes ces hypothèses, que le ré
sultat du dol, le consentement qu’elle aurait déterminé
serait frappé d’incapacité , et le mariage qui en aurait
été la conséquence devrait être annulé. Le contraire est
cependant enseigné par iM. Toullier lui-même. Ne nous
apprend-il pas, en effet , que le lien est indissoluble,
quoiqu’on ait épousé une roturière la croyant noble, une fille pauvre la croyant riche , une prostituée qu’on
croyait vertueuse ? Quoiqu’on ait été trompé , par un
dol personnel, sur le nom, la famille, la patrie du con
joint qu’on s’est donné ?
Quelle sera donc la qualité sur laquelle l’erreur de
viendra erreur sur la personne? Les diverses hypothèses
qui viennent d’être rappelées les comprennent toutes.
ET DE LA FRAUDE.
�364
TRAITÉ DU DOL
Aussi M. Toullier admel-il que ce soit l’une d’elles, mais
à condition que la qualité sur laquelle elle a porté soit
telle que la supposition ait été la cause déterminante du
mariage.
Mais cette condition se rencontre précisément dans
les cas pour lesquels M. Toullier admet l’indissolubilité
du lien. Certes l’époux qui demande la nullité du ma
riage pour cause d’erreur, et à qui Ton reprocherait de
n’avoir pas fait , de l’existence de la qualité supposée,
une clause irritante du mariage, répondrait avec raison
que la preuve du contraire se trouve dans sa demande
même ; que la qualité alléguée Ta tellement déterminé
à conclure , que son absence lui fait demander la rup
ture du lien qu’il a formé dans la fausse persuasion de
son existence. Comment, ajouterait-il, puis-je vous con
vaincre, que la connaissance de la vérité m’eût empêché
de traiter , d’une manière plus énergique qu’en récla
mant d’être exonéré de l’engagement né de Terreur
dans laquelle on m’a jeté ?
Au fonds, cette prétention ne serait pas aussi futile
qu’on pourrait le croire. Il est sans doute des cas où
la vérité , connue avant le mariage , n’aurait peut-être
pas empêché sa célébration. Ainsi on peut admettre que
celui qui a épousé une roturière la croyant noble, une
veuve la croyant fille , n’aurait pas renoncé aux autres
avantages que son union lui p ro m ets’il eût connu la
vérité sur la qualité de sa future. Mais il est d’autres
hypothèses où les plaintes de l’époux auront toute la
force d’une démonstration.
�ET DE Là FRAUDE.
363
Une personne se donne un nom et se présente com
me appartenant à une famille très-honorable et occu
pant une position très-élevée. Déterminé par les avan
tages que je dois trouver dans les relations que le ma
riage va amener entre cette famille et moi , je préfère
cette personne à d’autres partis plus avantageux sous
plusieurs autres rapports. Dira-t-on que , si j’avais su
que mon conjoint était étranger à cette famille, je n’en
eusse pas moins contracté ce mariage ?
Si le mariage n’a été que la conséquence de la for
tune prétendue de l’un des conjoints, devra-t-on présu
mer que celui des deux qui a été trompé ne l’aurait pas
moins contracté , alors que , peu fortuné lui-même , il
serait dans l’impossibilité de faire face aux charges que
ce mariage entraîne ?
Enfin la présomption que l’on n’a pas fait de la qua
lité une condition irritante du mariage , ne sera-t-elle
pas une injuste et amère dérision pour cet époux hono
rable qui s’est uni à une prostituée impure , lorsqu’il
croyait épouser une femme vertueuse ? Pour l’épouse
qui , dans la persuasion d’unir son sort à celui d’un
honnête homme , se sera associé à l’infamie d’un hom
me flétri par la justice et à peine sorti ou échappé du
bagne où l’avaient conduit ses crimes? Peut-il exister,
pour une famille vertueuse, pour un homme d’honneur,
une plus cruelle déception ? N’est-il pas mille fois cer
tain que la connaissance de la vérité eût apporté au ma
riage l’obstacle le plus invincible ? Voilà donc au moins
une hypothèse qui réalise la condition exigée par M.
�366
TRAITÉ DU DOL
Toullier , et cependant lui-même enseigne que dans ce
cas le mariage est indissoluble.
Il y a donc , dans le système que nous combattons,
une véritable contradiction qui en prouve le peu de
justesse. Oui, le dol qui a été la cause déterminante du
contrat est une cause de nullité dans les actes ordinai
res de la vie. Mais ce principe reçoit une exception for
melle pour le mariage, et, ce qui motive celte exception,
c’est la nature exceptionnelle de ce contrat, son impor
tance ; c’est que son indissolubilité est commandée par
l’ordre public, l’intérêt de l’état, par la morale et la re
ligion.
Eh puis ! ce qui devait encourager le législateur à
l’admettre ainsi , c’est que , dans le cas d’erreur dont
nous nous occupons , s’il y a dol d’un côté, il y a de
l’autre une imprévoyance marquée, une légèreté blâma
ble. Pourquoi a-t-on ajouté une confiance aveugle à
des allégations intéressées ? N’est-ce pas au moment de
s’enchaîner pour toujours qu’il convient de pousser jus
qu’à ses dernières -limites cette prudence dont la loi fait
dans tous les cas un devoir? Or , bien souvent, si on
avait pris avant le mariage toutes les peines qu’on se
donne après pour parvenir à le faire annuler , on se
serait mis dans le cas de n’avoir pas à recourir à çe
moyen extrême.
Prenons , pour exemple de la vérité de nos paroles,
l’espèce jugée par la Cour de Bourges. Il s’agissait là
d’un aventurier qui prenait la qualité de baron, qui se
disait issu d’une famille honorable et qui avait été a-
�367
gréé , sur la production des pièces fausses justifiant ses
allégations. Après le mariage , il disparait. Alors on va
aux renseignements , et l’arrêt nous apprend lui-même
le résultat qu’ils avaient amenés.
« Considérant : 1° que l’acte de naissance et celui
de notoriété , desquels le prétendu Joseph Ferry était
porteur, le disaient né à Capoue et fils du baron Fran
çois Ferry et dame Marie Pozzi, mais qu’aucune famille
de ce nom n’a existé et n’existe encore dans cette ville ;
qu’il y est dit baptisé le 10 juin 1785 à Ste-Marie-Majeure de Capoue , mais que les registres baptismaux de
cette paroisse font foi qu’il ne s’y trouve nulle naissan
ce de ce nom et de celte origine; que cet acte de nais
sance , délivré le 5 décembre 1810 , est signé par un
sieur Bozetli, dit curé de St8-Marie-Majeure, mais qu’il
n’y a jamais eu de curé de ce nom , tous lesquels faits
sont attestés par les autorités du lieu dans les formes
légales, etc.......... »
N’est-il pas évident que si les démarches tentée pour
faire prononcer la nullité du mariage avaient été ac
complies avant sa célébration , elles eussent abouti au
même résultat, et que l’aventurier démasqué aurait été
honteusement chassé? 11 y avait donc, dans la confian
ce aveugle qui avait accueilli ses paroles et ses litres,
une imprudence, une légèreté véritablement remarqua
ble. Elle eût été de nature à empêcher d’être relevé d’un
dol ordinaire , à plus forte raison ne devait-elle pas
produire la nullité du mariage. Celui qui avait été épousé était bien celui qu’on avait eu l’intention et la
BT DE LA FRAUDE.
�368
TRAITÉ DU DOL
volonté d’épouser. L’erreur et le dol qui avaient déter
miné cette volonté ne rentraient pas sous la disposition
de l’art. 180.
Ainsi il ne suffît pas que l’erreur ait été la cause dé
terminante du contrat. Celte circonstance se réalise dans
bien des cas. Si elle devait entraîner la nullité du ma
riage, les précautions prises par le législateur, pour en
assurer l’indissolubilité, seraient impuissantes et vaines.
Il eût été dès lors inutile, en l’état de l’art. 146 consa
crant en principe la nécessité du libre consentement,
d’édicter l’art. 180 et de restreindre l’erreur qui vicie
ce consentement à l’erreur dans la personne.
Vainement M. Toullier prétend-il que borner cette
disposition à l’erreur sur la personne physique , c’est
tracer une règle inapplicable. Nous répondrons d’abord
que le peu de fréquence de son application est précisé
ment ce que le législateur a recherché. La stabilité du
mariage intéresse la famille , l’Etat tout entier. On a
donc voulu, avant tout, lui assurer ce caractère , et si
l’on s’est départi de celte règle , ce n’a été que dans le
cas où tous les efforts de la prudence humaine ne pou
vaient empêcher l’un des conjoints de devenir victime
d’une coupable substitution. Or c’est ce qui se réalise
dans l’hypothèse d’une erreur sur la personne physi
que. •
Nous répondrons ensuite que cette erreur est surtout
possible lorsque les époux étaient inconnus l’un de l’au
tre avant la célébration du mariage. Peu importe que
devant l'officier de l’état civil les époux se soient vus, si
�369
d’ailleurs la substitution a été opérée à l’insu de l’un
d’eux. Ainsi j’accepte pour épouse Jeanne , après avoir
recherché et obtenu la main de Marie. Il y a erreur
dans la personne. Sans doute j’ai vu Jeanne devant
l’officier de l’état civil, mais, dans celle qui se présen
tait ainsi à moi, je ne pouvais voir que Marie, celle que
je devais et que je voulais épouser. C’est donc celle-ci
seule que j’ai épousée sous une autre individualité , et
c’est ce qui rend mon mariage nul.
Mais si , connaissant Marie , j’avais épousé Jeanne
qui m’était présentée, le mariage serait valable. J’ai pu,
en effet, connaître et apprécier la substitution e t, en
consentant à m’unir à celle qui était en ma présence
devant l’officier public , j’ai acquiescé moi-même à la
substitution. Je serais dès lors non recevable à m’eri
plaindre.
Au reste, il est facile de se convaincre que c’est à ces
termes mêmes que se résume M. Toullier. En effet, les
exemples qu’il donne de l’erreur sur la qualité ne sont,
à notre avis, que des espèces d’erreur sur la personne.
Les voici :
« Un prince demande la fille aînée d’un autre prin
ce, héritière de sa principauté. Les parents envoient la
fille cadette et le prince l’épouse , croyant épouser l’aî
née.
» Titius , mon ancien ami et mon parent, établi à
Bayonne , a un fils unique que je ne connais point, et
j’ai une fille. Nous formons le projet de les unir, et ce
projet est arrêté. Mais , sur le point de venir à Rennes
ET DE LA FRAUDE.
i
24
�370
TRAITÉ DU DOl,
pour terminer , mon ami m eurt, et cet événement re
tarde le mariage. Six mois après, arrive un jeune hom
me qui se dit le fils de mon ami et qui vient pour cé
lébrer le mariage arrêté. Il est muni des papiers né
cessaires , le mariage est célébré. L’arrivée du fils de
mon ami, de celui à qui ma fille était promise, décou
vre l'erreur. Il se trouve que- le premier venu est un
fils naturel, né avant mariage et d’une autre femme. Il
a, pour nous tromper, falsifié son état de naissance, en
y substituant les mots fils légitime à ceux de fils na
turel,.' »
Evidemment, dans le.premier cas, ce n’est pas l’er
reur sur la qualité d’héritière qui motive' la nullité du
mariage. Ce qui la détermine c’est que le prince n’a
voulu épouser que l’ainée ; qu’en épousant la cadette,
il a cru épouser l’autre , qu’il est donc victime d’une
substitution de personne. On renverserait l’hypothèse
que le mariage n’en serait pas moins n u l, si le prince
ayant demandé la main de la cadette , on lui faisait épouser l’ainée.
Il n’y aurait réellement qu’erreür sur la qualité si le
prince connaissant celle qu’il épouse , l’avait recherchée
dans la fausse persuasion qu’elle était l’héritière de la
principauté de son père. Mais , dans ce cas , la décou
verte ultérieure de son erreur sur ce point n’amènerait
point, de l’avis de M. Toullier, la nullité du mariage.
C’est aussi une véritable substitution de pétfsonne qui
�371
se réalise dans le second exemple. Promise à une per
sonne qu’elle a agréée , la future n’accepte la personne
qui se présente à elle que dans la persuasion qu’elle
est véritablement celle qu’elle devait épouser. C’est donc,
mais sous une autre individualité , cette dernière seule
envers laquelle elle a entendu et voulu s’engager; et
c’est pourquoi il y a réellement erreur sur la personne,
et conséquemment nullité du mariage. I.e résultat se
rait le même si celui qui a pris une individualité qui ne
lui appartenait pas avait été réellement fils légitime. Il
suffirait qu’il se présentât, non en son propre , mais
comme étant celui à qui la future était promise , pour
qu’il y eût substitution. Ce n’est donc pas la qualité
d’enfant naturel qui fera prononcer la nullité du ma
riage, mais bien le fait de la substitution elle-même.
Ainsi, au fonds , ce que M. Toullier qualifie erreur
sur la qualité, n’est que l’erreur sur la personne. Celleci seule est dans le cas de faire dissoudre le mariage.
L’art. 180 du Code civil s’est donc conformé aux an
ciens principes.
Ce n’est pas sérieusement que M. Toullier ajoute qu’en
donnant à l’époux trompé le délai de six mois pour de
mander la nullité du mariage , le Code parait supposer
qu’il s’agît d’une erreur sur la personne civile, l’erreur
sur la personne physique ou sur l’individu ne pouvant
durer aussi longtemps. Mais M.Toullier ne fait pas atten
tion que ce délai de six mois ne court que de la dé
couverte de l’erreur. Ce n’est donc pas une limite que
la loi ait cru devoir tracer à celte découverte. Ce délai
ET DE LA FRAUDE.
�TRAITÉ DU DOT
372
n’a été accordé que dans l’espérance que , la réflexion
dissipant l’humeur inséparable d’une découverte de ce
genre, l’époux pardonne à celui qui l’a trompé, et que
le mariage devienne dès lors irrévocable.
Il résulte de ce qui précède, que l’arrêt de Bourges et
celui de Colmar ont méconnu les véritables principes et
appliqué inexactement la disposition de l’art. 180.
Nous ne nous dissimulons pas tout ce qu’avait de
grave le motif invoqué par le dernier. La liberté de con
science est un bien précieux et sacré, mais nous ne cro
yons pas que le respect qui lui est du puisse jamais al
ler jusqu’à ajouter à la loi , surtout dans une matière
aussi importante que le mariage.
Notre doctrine sur la vraie signification , sur le sens
réel de l’art. 180, a, depuis comme avant, rencontré de
puissants adversaires, MM. Mareadé et Demolombe no
tamment.
Le savant doyen de la faculté de Caen, estime et en
seigne : qu’il faut reconnaître aujourd’hui, en thèse gé
nérale , que l’erreur sur les qualités peut être telle , si
grave, si essentielle, qu’elle soit considérée par les ma
gistrats comme une erreur sur la personne. Ce serait
donc, en dernier résultat, une question de fait. Je con
cevrais donc bien qu’en déclarant nul le mariage con
tracté par erreur avec un forçat libéré, les tribunaux au
raient à considérer toutes les circonstances du fait ; la
position de l’époux trompé , son caractère personnel,
toute la situation, enfin, pour décider , en fait, si cette
�373
erreur a ou n’a pas altéré d’une manière profonde et
essentielle, le consentement.'
C’est-à-dire que l’appréciation purement arbitraire
des magistrats constituerait la règle unique et souverai
ne. Ainsi le législateur n’aurait vu dans le mariage
qu’un contrat ordinaire et en aurait abandonné le sort
aux chances d’une appréciation plus ou moins réfléchie,
plus ou moins spontanée , au risque de multiplier les
attaques dont il pourrait être l’objet, par l’espoir plus
ou moins probable de les voir accueillies et consacrées.
En agissant ainsi, le législateur eût formellement mé
connu le devoir que lui imposaient l’ordre public, la sé
curité des familles. Je crois donc que le système qui a
son fondement dans une pareille supposition , est un
système impossible.
C’est ce que le Tribunal et la Cour de Paris avaient
cru et consacré. On leur demandait la nullité du ma
riage contracté avec un forçat libéré. On soutenait que
l’erreur sur la personne civile, équivalait à l’erreur pré
vue par l’art. 180, et devait comme celle-ci entraîner la
nullité du mariage.
Mais le Tribunal et la Cour refusent d’entrer dans
cette voie , et n’admettent d’autre cause de nullité que
l’erreur sur la personne physique. Ils estiment que l'ad
mission de l'erreur sur les qualités comme cause de
nullité de mariage, ouvrirait la carrière à des inter
prétations périlleuses et troublerait profondément la
ET DE LA. FRAUDE.
1 T. 3, n° 253, p. 405.
�374
TRAITÉ DU DOL
sécurité des familles ; que c’est précisément pour éviter
ce danger que la loi a déterminé d'une manière spè
ciale les causes de nullité de mariage, et n’a pas laissé
cet engagement sous l'empire des règles générales éta
blies pour les autres contrats.'
Contre toute probabilité, cet arrêt dénoncé à la Cour
suprême, encourut sa censure. Un arrêt de la chambre
civile , du 11 février 1860 , en prononce la cassation,
contrairement à l’opinion du rapporteur, et aux conclu
sions remarquables de M. l’avocat général de Raynal.
Mais la Cour d’Orléans , à laquelle la question avait
été déférée, s’étant prononcée dans le même sens que la
Cour de Paris , un nouveau pourvoi vint appeler les
chambres réunies à statuer définitivement.
M. le procureur général Dupin crut devoir, cette fois,
donner à la doctrine des arrêts de Paris et d’Orléans l’ap
pui et l’autorité de sa parole. Son réquisitoire est l’étude
la plus complète de la question , et la réfutation la plus
péremptoire de l’opinion qui veut donner à l’art. 180
une extension que ne comportent ni son texte, ni son
esprit.
M. le procureur général demande celui-ci à la dis
cussion législative qui amena l’adoption de l’art. 180, et
il établit avec évidence que le législateur de 1803 n’a
en rien innové, et que dans cette matière il a accepté et
suivi les errements de notre ancien droit. Or que celuici exigeât, pour prononcer la nullité du mariage , l’er1 4 février 1860; — J. duP., 1860, 341.
�375
reur sur la personne physique, c’est ce qui ne pouvait ■
être ni douteux ni contesté. Pothier est à ce sujet on ne
peut pas plus formel.
Donc, aujourd’hui comme autrefois,,l’erreur en- ma
tière de mariage, comme le disait Portalis , ne s’entend
pas d’une simple erreur sur les qualités, la fortune ou
la condition de la personne à laquelle on s’unit, mais
d’une erreur qui aurait pour objet la personne même.
Mon intention déclarée était d’épouser une telle per
sonne ; on me trompe , ou je suis trompé par les cir
constances , et j’en épouse une autre qui lui est substi
tuée à mon insu et contre mon gré : le mariage est
nul.
« Ici, continue M. Dupin, ma tâche devrait être ter
minée, puisque l’identité de l’époux n’est pas mise en
doute, et que le débat porte seulement sur la condition
de forçat, et les incapacités que la loi y attachées. Mais
c’est là dessus précisément que le pourvoi a entrepris
une théorie nouvelle qu’il faut maintenant aborder et
discuter.
» Il faut, dit le pourvoi, considérer deux choses : la
personne physique et la personne civile. Celle-ci se com
pose de certains droits qui la constituent, qui sont de
son essence; et quand ces droits, dans ce qu’ils ont de
substantiel, viennent à manquer, il y a là véritablement
une personne civile autre que celle qu’on a entendu épouser ; et cette erreur doit annuler le mariage comme
si elle portait sur la personne physique elle-même. Dans
l’un comme dans l’autre cas il n’y a pas d’identité.
ET DE LA FRAUDE.
%
�376
TRAITÉ DU DOL
» Cette fiction est inadmissible. Non , il n’y a pas
deux personnes dans le même individu. Les qualités ci
viles séparées de la personne physique ne font pas une
personne entière. Les qualités sont des abstractions ; el
les n’ont ni corps ni âme, elles n’ont pas de moi, elles
ne constituent pas un être , un second être. Essayez de
photographier la personne civile !.........L’homme phy
sique vit seul avec ou sans telle ou telle qualité.. . .
» En abordant le système des qualités prétendues sub
stantielles, rappelons ce qu’en dit Pothier dans son traité
des Obligations en général ; il distingue avec Cujas les
choses qui sont de l’essence des contrats, ou seulement
de leur nature, ou simplement accidentelles. Les choses
qui sont de l’essence du contrat, dit-il, sont celles sans
lesquelles le contrat ne saurait exister. Ainsi il est de
l’essence de la vente qu’il y ait une chose vendue et un
prix fixé. Et appliquant cette définition au mariage , il
est de l’essence du mariage, dit-il, qu’il y ait un hom
me et une femme qui veulent s’épouser, et il ajoute aus
sitôt , mais il n’est pas de l’essence du mariage que la
personne que je veux épouser ait telle ou telle qualité.
» Et puis quelles seraient ces qualités ? Les qualités
essentielles, dites-vous, sont celles sans lesquelles le mari
ne peut remplir sa mission. Mais alors il ne faudrait pas
seulement appliquer l’erreur aux qualités de la person
ne civile, il faudrait surtout l’appliquer aux qualités de
la personne physique ; et si, par exemple, le mari man
quait des attributs de la virilité, qui, en mariage, sont
bien autrement essentiels que l’incapacité où serait le
�377
mari de remplir une fonction publique, ou d’exercer un
droit civil , il faudrait donc ramener dans notre juris
prudence les questions d’impuissance et la scandaleuse
épreuve du congrès ? »
M. Dupin examine ensuite les autres arguments delà
thèse qu’il combat, et les réfute d’une manière victorieu
se. Il termine par ces paroles :
« On ne saurait trop le redire , les règles qui gou
vernent le mariage ont un caractère tout spécial. Dans
les contrats vulgaires, dans les contrats qui n’ont pour
objet que des intérêts purement matériels, souvent on
annule une convention par cela seul qu’un des contrac
tants a ignoré des circonstances et des désignations que
l’autre était tenu de lui faire connaître. Dans les achats
et ventes d’animaux, lorsqu’il s’agit d’un cheval ou d’un
boeuf, il y a des vices rédhibitoires. Mais il n’en est pas
ainsi en fait de mariage ; la reslilutio in integrum y
est impossible. Cela explique pourquoi, en cette matière,
le législateur s’est appliqué avec tant de soin à restrein
dre les causes de nullité , et à appuyer chacune d’elles
par une restriction ou par une fin de non recevoir à
bref délai, toujours en vue de maintenir le plus qu’il se
pourrait la validité des mariages contre les tentatives
qu’on ferait pour en demander la nullité, Si l’on prenait
pour critérium de la validité des mariages celte consi
dération : Ah ! si j’avais su cela je n’aurais pas épousé;
le caprice, n’en doutez pas, prendrait la place du droit,
et la multiplicité des demandes en nullité croissant avec
la facilité de les admettre, rendrait presque illusoire la
suppression du divorce.
ET DE LA FRAUDE.
�378
TBAITÉ DU DOL
Ce réquisitoire si plein de raison et de logique et qui
empruntait une nouvelle force à la bouche illustre qui
le prononçait, était de nature à faire impression, et pré
sageait le parti que prendrait la Cour régulatrice. Con
tre la doctrine de la chambre civile, le pourvoi est rejeté,
et le mariage maintenu.
Cet arrêt qui fixe la jurisprudence clôt toûte contro
verse sur la question. Il nous a paru dès lors utile d’en
transcrire les motifs :
« Attendu que l'erreur dans la personne dont les
art. 146 et 180 du Code Napoléon ont fait une cause de
nullité de mariage, ne s’entend sous la nouvelle comme
sous l’ancienne législation que d’une erreur portant sur
la personne elle-même ;
» Attendu que si la nullité ainsi établie ne doit pas
être restreinte au cas unique de l’erreur provenant d’u
ne substitution frauduleuse de personne au moment de
la célébration ; si elle peut également recevoir son ap
plication quand l’erreur procède de ce que l'un des époux s’est fait agréer en se présentant comme membre
d’une famille qui n’est pas la sienne, et s’est attribué les
conditions d’origine et la filiation qui appartiennent à
un autre, le texte 'et l’esprit de l’art. 180 écartent vir
tuellement de sa disposition les erreurs d’une autre na
ture, et n’admettent la nullité que pour l’erreur qui porte
sur l’identité de la personne , et par le résultat de la
quelle l’une des parties a épousé une personne autre que
celle à qui elle croyait s’unir ;
» Qu’ainsi la nullité pour erreur dans la personne
�379
reste sans extension possible aux simples erreurs sur des
conditions ou des qualités de la personne , sur des flé
trissures qu’elle aurait subies, et spécialement à l’erreur
de l’époux qui a ignoré la condamnation à des peines
afflictives ou infamantes antérieurement prononcée con
tre son conjoint, et la privation des droits civils et civi
ques qui s’en est suivie ;
» Que la déchéance établie par l’art. 34 C. pén. ne
constitue par elle-même ni un empêchement au maria
ge, ni une cause de nullité de l’union contractée ;
» Qu’elle ne touche non plus en rien à l’identité de
la personne ; qu’elle ne peut donc motiver une action en
nullité du mariage pour erreur dans la personne.' »
Le système contraire faisait du mariage un simple
contrat ordinaire exposé à toute espèce de contestations
dont la solution ne reconnaissait d’autre règle que l’ar
bitraire appréciation des juges ; et dès lors , comme le
dit la Cour de Paris, dans l’arrêt dont nous allons par
ler; il ouvrait la porte à toutes les espérances.
La Cour en avait la preuve dans l’espèce même qui
lui était soumise, et dans laquelle la nullité du mariage
était demandée :
« Attendu que le but et la condition substantielle du
mariage sont la communauté de vie la plus complète
entre les époux, et l’accomplissement des devoirs qui en
sont la conséquence ; que sans celte union des époux
dans une seule chair, le mariage n’a plus aucune raison
ET DE LA FRAUDE.
1 24 avril 1862; — J du P., 1862, 484,
'
�380
TRAITÉ DU DOL
d’élre ni d’existence réelle, et qu’il disparait avec la fa
mille dont il est la source, et qu’il doit perpétuer; que
par suite le consentement au mariage doit être , sous
peine de nullité, le consentement à la consommation du
mariage ; qu’il n’est plus sans cela qu’un acté fraudu
leux et mensonger destiné à dissimuler un mariage dont
les conditions substantielles n’existent pas et qui , par
conséquent n’a qu’une apparence sans réalité. »
Le demandeur prétend ensuite que celle qu’il a épou
sée et qui a déclaré l’accepter pour époux, n’a fait celte
déclaration qu’avec la volonté ferme et arrêtée de ne
pas accomplir l’objet du mariage ; qu’elle a exécuté celte
résolution ; qu’en effet le soir même du mariage toute
intimité lui a été refusée et que, depuis, l’épouse a op
posé une résistance obstinée à toute tentative de conci
liation.
En conséquence , le demandeur soutient que le ma
riage est nul d’abord pour défaut de consentement, l’é
pouse n’ayant jamais consenti qu’à un simulacre devant
produire à l’égard du public des effets matériels, mais
non pas un mariage dont les droits et les devoirs sont
réglés par la nature et la loi ; ensuite et relativement à
lui, pour erreur sur la personne prévue par l’art. 180
G. Nap. Qu’en effet cet article prévoit non pas le cas
d’erreur sur la personne physique où il n’y a pas de
consentement, mais celui d’erreur sur les qualités sub
stantielles de la personne; qu’il ne saurait exister de
qualités plus substantielles , quant au mariage , que la
volonté d’accomplir le devoir conjugal, puisque de cette
qualité dépendent l’objet même et la fin du mariage.
�381
Cette prétention fut successivement condamnée par le
Tribunal et la Cour de Paris , elle devait infailliblement
l’être, incapable qu’elle était de souffrir l’examen en fait
et en droit.
En fait, elle ne pouvait avoir d’autre fondement que
la non consommation du mariage. Supposez cette non
consommation niée par l’époux défendeur, comment en
vérifiera-t-on et en admettra-t-on l’existence?
En droit, il ne s’agissait plus d’étendre la disposition
de Part. 180 au cas d’erreur sur les qualités de l’un des
contractants. Comme le relève fort justement l’arrêt de
Paris, dans les termes de la demande on allait jusqu’il
l’erreur sur ses intentions , sur les dispositions de son
esprit. Etait-il possible dès lors d’admettre que le légis
lateur eût entendu subordonner à une abstraction aussi
insaisissable le sort du mariage intéressant à un si haut
degré les mœurs publiques , l’Etat et le repos des fa
milles ?
Nous croyons avec la Cour de Paris que ce procès ne
s’expliquait que par la diversité récente des décisions sur
l’interprétation de l’art. 180, que par les espérances que
faisait concevoir l’arrêt de la chambre civile du 11 fé
vrier 1861. Ce qui le prouve, c’est que le pourvoi con
tre l’arrêt de Paris n’ayant été appelé devant la Cour de
cassation qu’après l’arrêt des chambres réunies du 24
avril 1862, le demandeur n’osa plus invoquer ses pré
tendus moyens de nullité , et se borna à exciper d’un
vice de forme qui fut rejeté.'
ET DE LA FRAUDE.
i 9 février -1863, D. P., 63, -I, 426.
�382
TR A ITÉ DU DOL
352. — Ainsi le dol de quelque nature qu’il soit, alors même qu’il est devenu la cause déterminante du
mariage, reste sans influence sur la validité du lien, sur
son indissolubilité. Mais il n’en est pas de même, quant
aux conséquences du mariage.
L’une de ces dernières, et la plus immédiate , est la
cohabitation des époux. But du mariage, celte cohabita
tion ne doit cesser que par la dissolution ou par la sé
paration de corps judiciairement prononcée. Le dol ex
ercé sur les qualités du conjoint autorise-t-il cette sé
paration ?
Une distinction nous parait indispensable pour arri
ver à une solution exacte de cette question. Le dol a été
exercé sur la fortune, sur la position sociale de l’époux,
son nom et son rang , ou bien il a eu pour objet de
tromper sur les qualités morales. Dans le premier cas,
nous répondrions par la négative absolue ; dans le se
cond , nous ferions dépendre sa solution de la nature
de l’erreur.
Ainsi, on m’a promis une épouse douce, bonne, bien
élevée, intelligente. Le mariage accompli fait disparaître
toutes ces qualités. La vérité qui m’est alors connue ne
saurait m’autoriser à demander la séparation. La vie
commune, quoique plus ou moins difficile, ne doit point
cesser. D’ailleurs l’habitude de celte vie, les relations,
les devoirs qui naissent du mariage , peuvent modifier
le caractère des époux et inspirer à chacun d’eux la con
duite indispensable à leur bonheur commun.
Mais si l’erreur, source du mariage, est tellement gra-
�I
383
ve que l’époux qui en a profilé doive être pour l’autre
un objet éternel de répugnance et de mépris ; si l’habi
tation commune doit offrir à ce dernier de continuels
tourments , en le plaçant sans cesse entre ses devoirs,
ses préjugés moraux et sa conscience, la loi doit prendre
en pitié celui qu’elle ne peut autrement protéger, et lui
accorder le relâchement du lien qu’elle se refuse de bri
ser.
Ainsi, dans l’espèce jugée par la Cour de Colmar, l’é
poux avait caché sa qualité d’ancien religieux. La dé
couverte de cette qualité avait alarmé la conscience de
l’épouse qui ne voyait plus , dans la consommation du
mariage, qu’un sacrilège ; dans le mariage même, qu’u
ne profanation. On comprend dès lors que la vie com
mune devait lui paraître insupportable; la lui imposer,
c’eût été la soumettre à une violence morale , vexatoire
et inique, On ne devait pas, nous l’avons dit, annuler
le mariage, mais la séparation de corps devenait le mo
yen naturel de concilier sa position avec la rigueur des
principes.
ET DE LA FRAUDE.
553. — La séparation de corps ne saurait être re
fusée à l’époux qui, par erreur , aurait uni son sort à
celui d’un forçat libéré ou évadé. Le préjugé de la con
sidération et de l’honneur ne parlant pas moins haut que
la liberté de conscience, on doit s’arrêter à une décision
égale dans les deux cas.
On a voulu cependant contester cette faculté dans l’hy
pothèse qui nous occupe. L’art. 232 du Code civil, a-
�384
TRAITÉ DU DOL
t-on dit, n’autorise le divorce, et conséquemment la sé
paration de corps, que dans le cas de condamnation de
l’un des deux époux à une peine infamante ; d’où il pa
rait résulter que la loi n’a eu en vue que la condamna
tion prononcée depuis et pendant le mariage. On ne
saurait donc, sans fausser sa pensée, appliquer sa dis
position à celui qui a été condamné avant le mariage.
A notre avis, cette interprétation est repoussée par le
texte et par l’esprit de la loi. Evidemment le mot époux,
dont se sert l’art. 232 , est pris dans le sens générique
et comprend toutes les hypothèses dans lesquelles une
condamnation infamante a pu intervenir.
Qu’a voulu d’ailleurs l’art. 2132 ? Ne pas enchaîner
l’époux honorable à la vie de celui que les lois ont flétri
d’une peine infamante. Un tel lien devait paraître in
supportable , avec d’autant plus de raison que la honte
en rejaillit sur celui qui l’accepte comme sur celui qui l’a
méritée. Il est donc juste que l’époux demeuré honnête
homme repousse cette honte , en se séparant publique
ment de celui qui peut la lui faire encourir.
Les mêmes motifs n’existent-ils pas lorsque la con
damnation a précédé le mariage ? Evidemment oui ; ils
ont même acquis un caractère de gravité plus décisif,
car, à la honte d’une condamnation, se réunit l’infamie
d’une dissimulation sans laquelle le mariage n’eùt pas
été consommé. Admettre le système que nous combattons
serait donc récompenser le dol le plus lâche, le plus odieux. L’immoralité d’un pareil résultat suffit pour le
faire rejeter.
�385
Ainsi, l’application de l’art. 232 à notre hypothèse se
justifie par une supériorité de raisons incontestable.
Fallût-il admettre le contraire, l’admission de la sépa
ration de corps se justifierait par les considérations que
nous invoquions tout à l’heure pour la liberté de con
science. Les prescriptions de l’honneur ne sont ni moins
respectables, ni moins sacrées que celles de la religion.
Et, s’il y a une violence morale dans la détermination
qui enchaînerait deux époux au mépris des sentiments
religieux de l’un d’eux, ne la rencontrerait-on pas éga
lement lorsque l’un des époux ne pourrait subir la vie
commune sans outrager, à chaque instant, les inspira
tions de l’honneur et de la délicatesse.
ET DE LA. FRAUDE.
554. — Si la peine, encourue par l’époux condam
né avant le mariage, avait entraîné la mort civile, pour
rait-on se borner à faire prononcer la séparation de
corps ? Ce qui a fait naître quelques doutes à cet égard,
c’est qu’aux termes de l’art. 25 du Code civil, le mort
civilement est incapable de contracter un mariage vala
ble ; que , conséquemment, l’époux ayant action pour
demander la nullité du lien, n’a pas intérêt à poursuivre
son relâchement.
Mais l’existence d’une action plus utile n’a jamais pu
créer une fin de non-recevoir contre la recherche d’un
droit que la loi reconnaît et assure. C’est à celui qui a
deux actions à exercer, à choisir et à prendre celle qu’il
juge la plus utile , la plus convenable à ses intérêts. Le
mariage n’est pas seulement un lien civil, la religion y
i
2g
�386
TRAITÉ DU DOL
intervient d’une manière solennelle , et souvent ce qui
est susceptible d’être rescindé aux yeux de la loi civile,
reste pour elle indissoluble. Or, si l’époux trompé croit
à celte indissolubilité, si le mariage a eu d’ailleurs des
conséquences telles que la nullité pût devenir un em
barras et entraîner des inconvénients , rien ne s’oppose
à ce que la séparation de corps demandée soit accordée.
Cette action est indépendante de celle en nullité, on peut
donc se réduire à l’exercer de préférence.
La séparation de corps devrait-elle être accordée à
l’époux qui, croyant s’unir à une femme vertueuse, au
rait accepté la main d’une prostituée? Evidemment les
sentiments d’un homme honorable ne seront pas moins
froissés dans celte hypothèse que dans la précédente.
Nous ne pensons pas cependant que la solution de la
question puisse être donnée d’une manière absolue et
abstraclivement des faits et circonstances. C’est donc à
l’arbitrage souverain du magistrat que cette solution doit
être laissée. Son appréciation, basée sur la position des
époux, celle de leur famille, leurs antécédents, leur mo
ralité, conciliera ce qui est dû à l’indissolubilité du ma
riage avec les justes convenances d’une honorable sus
ceptibilité.
355. — Dans tous les cas où l’action en séparation
est admissible, elle doit être introduite dans les six mois
qui ont suivi la découverte de l’erreur, c’est là une né
cessité qu’une analogie incontestable doit faire admettre.
La nullité du mariage doit être demandée dans ce délai.
�387
La loi considère une cohabitation prolongée de plus de
six mois, comme le pardon des loris de l’un des époux
et comme la ratification du mariage lui-même. La mê
me présomption devrait, dans les mêmes circonstances,
faire rejeter la poursuite en séparation de corps. Celui
qui aurait vécu pendant plus de six mois dans l’atmos
phère de honte ou de contrainte dont il se plaindrait,
serait-il bien venu à parler de sa tardive susceptibilité?
Pour que la loi admette celle susceptibilité , il faut
qu’elle se soit décélée par une prompte et éclatante ma
nifestation. L’accueillir après une cohabitation de plus
de six mois après la dépouverle de la vérité serait donc
s’exposer à favoriser un caprice et non le légitime effet
de l’honneur outragé. La demande serait donc non re
cevable.
BT DE LA FRAUDE.
356. — Le dol exercé à l’occasion des conventions
matrimoniales produit un effet analogue à celui qui en
résulte pour tous les contrats. La partie intéressée pour
ra donc faire annuler les avantages qu’il n’aurait con
senti que sous l’influence de ce vice.
S’il est d’ordre public que le mariage reste inattaqua
ble, il n’en est pas de même pour tout ce qui ne louche
qu’à l’intérêt particulier des époux. Les principes ordi
naires reprennent ici leur empire , et conséquemment
toutes les conventions dont le dol a été la cause déter
minante doivent ne produire aucun effet.
Peu importerait même que l’époux contre lequel on
en demanderait la nullité fût resté lui-même étranger
�TRAITÉ DU DOL
388
aux manœuvres ayant constitué le dol. Il n’en subirait
pas moins les conséquences, et cela par un double mo
tif : 1° le dol imputable au père de l’époux serait assi
milé au dol du tuteur ou du mandataire ; %° tous ceux
qui, sans avoir participé au dol, en ont reçu un avan
tage à titre purement gratuit et lucratif, doivent restituer
ce bénéfice illégitime : TSemo debet ex damno alterius
lucrari.'
357. — Nous ne nous sommes occupés jusqu’à pré
sent que du dol qui a eu pour effet de tromper sur les
qualités civiles ou morales du conjoint. Mais il est une
autre déception pouvant résulter d’une dissimulation
coupable, et dont les conséquences sont de nature à en
traîner les plus graves inconvénients. Nous voulons par
ler du défaut de capacité pour la consommation du ma
riage, de l’impuissance de l’un des époux.
Ce vice ne devait pas occuper les législations ayant
admis la rupture du mariage au moyen du divorce. Là,
en effet, le remède était à côté du mal, et le divorce par
consentement mutuel terminait une union mal assortie,
en sauvant à l’époux malheureux ou coupable la honte
qu’une accusation d’impuissance entraîne toujours avec
elle.
La religion chrétienne abolit le divorce , acceptant
dans la rigueur de son acception cette maxime de l’E—
1 Voy. pour les fraudes commises dans les contrats de mariage, infra
chap. 2, sect. I.
�389
vangile : Quos Deus conjunxit, homo non separet. On
dut dès lors prévoir les cas d’impuissance, et régler le
sort des mariages ainsi contractés.
Pendant longtemps il exista à ce sujet une grande dif
férence entre l’Eglise romaine et l’Eglise gallicane.
La première ne considérait pas l’impuissance comme
un motif suffisant pour légitimer une atteinte à l’indis
solubilité du lien , et malgré qu’on reconnût qu’il ne
pouvait exister de sacrement légitime là où l’un des époux était impropre à sa consommation , on préférait
laisser subsister les mariages de celte nature plutôt que
de s’exposer à en dissoudre de réels : Tolerabilius est
aliquos contra staluta horninum dimiltere copulatos,
quant conjunctos légitimé contra staluta domini separare ; et celte décision d’innocent III a , pendant dix
siècles, formé le droit commun des tribunaux romains.
Le corollaire qu’un autre pontife tirait de cette disposi
tion était : que ceux qui ne pouvaient vivre comme époux devaient vivre comme frère et sœur : Ttomana eçelesia consuevit judicare ut quas tanquam mores habere non possunt, habeant ut sorores.
L’Eglise gallicane obéissait à d’autres principes. Les
conciles de Verberie et de Compiègne , tenus dans le
VIIIesiècle, considéraient l’impuissance comme un moyen
de nullité du mariage , mais ils n’admettaient d’autre
preuve de cette impuissance que le serment du mari, ce
qui, comme le faisait observer Merlin , atteignait à peu
près au même résultat que celui consacré par l’Eglise
romaine, c’est-à-dire le maintien du mariage. Juge et
ET DE LA FRAUDE.
�390
TR AITÉ DU DOL
partie dans sa propre cause , le mari avait toujours le
moyen de rendre illusoire la pénalité qu’il ne lui con
venait pas de subir.
358. — Vers le xnmc siècle, l’Eglise romaine dut se
départir de sa rigueur. La femme qui jusques là avait
par ferveur religieuse supporté , comme un sacrifice agréable à Dieu, les privations que lui imposait l’impuis
sance de son mari, avait à celte époque changé de sen
timents et de langage : Volo esse mater, disait-elle, volo
procreare libéras, et ideo maritum accepi; sed virquern
accepi frigides natures est et nonpotesl facereillapropter quas ilium accepi.
A dater de ce moment, la nullité du mariage pour
cause d’impuissance fut admise en principe. Mais le mo
de de preuve à consacrer devint un obstacle difficile à
franchir. On emprunta d’abord à l’Eglise gallicane le
serment du mari. On eut ensuite recours à la conforma
tion de celui-ci, puis à la visite de la femme. Mais tou
tes ces preuves furent bientôt appréciées à leur juste va
leur et successivement abandonnées par l’une et l’autre
Eglise.
Restait donc un principe à peu près inapplicable par
l’extrême difficulté d’arriver à constater le fait qui l’a
vait provoqué. Notons cependant, entre les deux Eglises,
celle autre différence : que l’Eglise romaine refusait au
jugement de rupture tout effet définitif. Ainsi, si les époux séparés, ayant formé d’autres nœuds, avaient des
preuves de leur capacité , ces nœuds étaient annulés et
�391
le premier mariage reprenait son autorité. L’Eglise gal
licane, au contraire, considérait le jugement comme ir
révocable , dès qu’il avait acquis l’autorité de la chose
jugée.
ET DE LA FRAUDE.
359. — Cet aperçu historique n’était pas inutile
pour l’appréciation des dispositions de notre Code civil
et pour l’intelligence des questions qui peuvent encore
s’élever sur celle matière. Ce qui frappe, en l’examinant,
c’est l’existence des efforts tentés, pour atteindre un ré
sultat juste au fonds , mais insaisissable dans sa cause
déterminante.
560. — Nous disons que la nullité du mariage était
juste au fonds, et cela tant sous le rapport religieux que
sous le rapport civil. Evidemment, en effet, concourir à
un sacrement avec la certitude de ne pouvoir le consom
mer , c’est commettre une profanation et un sacrilège.
L’Eglise l’avait ainsi jugé , en prononçant que , pour
l’impuissant, il n’y avait qu’un simulacre de mariage
dont elle n’avait pu éterniser les vœux , et en déclarant
ce mariage nul.
Sous le rapport de la loi civile, le maintien du ma
riage, lorsqu’il y a impuissance de l’un des époux , est
contraire à la justice, dangereux pour la morale, funeste
à l’intérêt de l’Etat. En effet, dit éloquemment Merlin,
on cherche dans le mariage la consolation de la vie et
la sauvegarde de la vertu ; il est destiné à donner des ci
toyens à la patrie , et l’impuissance de l’un des époux
�TRAITÉ DU DOL
392
fait, pour tous les deux, le plus grand tourment de la vie
de ce qui devait en être le charme ; les désirs de la na
ture, irrités vainement par ce qui était destiné à les sa
tisfaire, deviennent, par l’impuissance , l’attrait le plus
terrible du vice et le danger le plus imminent pour la
vertu ; et la patrie perd à la fois, par l’impuissance de
l’un, tous les fruits de la fécondité de l’autre.'
5 6 J. — Ces considérations, aussi puissantes que
vraies , ne pouvaient être méconnues par les éminents
rédacteurs du Code. Mais la sanction des conséquences
logiques qui en naissaient eût placé la loi nouvelle en
présence des embarras les plus inextricables. Fallait-il,
comme la législation précédente, parcourir l’échelle hon
teuses des preuves tour à tour indiquées ? Descendre en
fin jusqu’au hideux congrès condamné par la morale et
l’honneur avant de l’être parla raison et la justice?
Et si rien n’était capable d’éclaircir un mystère im
pénétrable, n’était-il pas rationnel de proscrire le retour
de ces accusations qui ne pouvaient que produire un
scandale inutile. Les auteurs du Code ont été unanimes
pour l’affirmative , et l’impuissance ne figure plus dans
les causes de nullité du mariage.
Il est vrai qu’elle n’en a pas été nommément bannie,
et ce silence a suffi pour qu’on ait été tenté de jeter
quelques doutes sur la pensée du législateur. 11 y a plus,
a-t-on dit, en discutant le titre du divorce , le premier
1 Rép., v° Impuissance, n° \ .
�393
consul faisait remarquer qu’il était convenu que lors
qu’il y a impuissance la matière du mariage manque, à
quoi Portalis ajoutait que l’impuissance, celte cause hon
teuse et difficile à prouver , avait toujours été un prin
cipe de nullité du mariage '. Donc le Code n’a nulle
ment innové aux principes anciens sur cette matière.
Mais c’est ailleurs qu’on doit rechercher quelle a été
la véritable pensée du législateur. Or cette pensée se dé
cèle avec netteté et précision dans la discussion du titre
delà paternité et de la filiation. On n’a pas fait de l’im
puissance, dit M. Tronchet, l’objet d’une action en nul
lité de mariage, et ce silence est fondé en raison, car il
n’y a pas moyen de reconnaître avec exactitude l’im
puissance. En général, il était dans l’esprit du projet
d’anéantir cette cause sous tous les rapports.’
Il est donc certain que sous l’empire du Code l’im
puissance n’est plus un motif pour attaquer le mariage.
Conséquemment l’époux qui aurait été trompé par des
manœuvres dolosives sur la capacité de son conjoint,
ne pourrait trouver, dans l’existence prouvée dudol, le
moyen d’être relevé de son engagement.
ET DE LA. FRAUDE.
362. — Mais cette décision s’applique-t-elle à tous
les cas d’impuissance naturelle ou accidentelle? Doit-on,
au contraire , décider que le mariage doit être annulé
toutes les fois que l’impuissance alléguée sera apparente
et facile à constater ?
1 Procès-verbal du 16 vendémiaire an x.
s ld. du 14 thermidor an x.
�394
TRAITÉ DU DOL
Cette question importante a divisé la doctrine et la
jurisprudence. Elle mérite dès lors un examen particu
lier. De plus, elle intéresse à un puissant degré la ma
tière que nous traitons , car l’erreur sur la capacité de
l’époux pourra n’êlre que la conséquence d’un dol vé
ritable.
Qu’en est-il donc dans l’hypothèse d’une impuissance
accidentelle ?
Nous pouvons, pour résoudre celle question, consul
ter avec fruit les législations précédentes. Or , nous l’a
vons vu , sous leur empire la nullité du mariage , pour
cause d’impuissance, avait paru nécessaire et juste. La
loi naturelle, comme la loi civile, n’avait pas hésité à le
consacrer.
La cause unique des hésitations qui signalèrent les
premiers pas des législateurs, c’est la difficulté d’applica
tion devant laquelle on se trouvait, difficulté telle, que
la constatation du fait déterminant la nullité, était à peu
près impossible. Mais la légitimité du principe n’en était
nullement altérée, et ce qui le prouve, c’est la multipli
cité des efforts tentés pour écarter l’obstacle qui s’oppo
sait à sa consécration.
Ce n’est donc pas ce principe que le nouveau législa
teur pouvait et devait condamner. Nous avons vu qu’il
en avait au contraire formellement reconnu l’autorité et
la justice. Mais ce qui l’a déterminé à l’exclure de ses
dispositions, c’est la conviction puisée dans l’expérience
de ses prédécesseurs de l’inutilité de toute recherche, de
d’inefficacité des moyens tour à tour employés pour pé-
�395
nétrer un mystère demeuré impénétrable; c’est le scan
dale des épreuves immorales auxquelles il fallait recou
rir pour arriver , en définitive , à ce résultat : que des
homme jugés impuissants et dont le mariage avait été
dissous, obtenaient d’un autre mariage une nombreuse
postérité. L’opinion de M. Tronchet, comme celle de plu
sieurs autres orateurs du corps législatif, ne laisse aucun
doute à cet égard.
Ainsi, si l’impuissance ne figure plus au nombre des
causes de nullité du mariage, c’est que son existence est
insaisissable; qu’il était donc inutile d’en admettre la
recherche , alors que toute l’habileté de la science ne
pouvait promettre le moindre résultat. Cette conviction
acquise, il était complètement illusoire de recourir à ses
lumières.
Mais ne faut-il pas conclure de ces considérations que,
placée dans une hypothèse contraire, la loi eût sanction
né une décision différente? Cessante causa, cessai effectus. Or, le motif de la prohibition n’étant que celui que
nous venons d’indiquer, on ne saurait raisonnablement
étendre cette prohibition lorsque l’impuissance produite
par un accident doit, en quelque sorte , être prise sur
le fait ; lorsque visible pour les gens de l’art, il est per
mis d’en fixer la cause, d’en déterminer les effets. 11 faut,
dans ce cas, revenir aux principes généraux du droit et
annuler le contrat pour absence d’une de ses conditions
essentielles, la capacité de la partie.
Celle conclusion, attribuant à l’impuissance acciden
telle un effet qu’on refuse avec raison à l’impuissance
ET DE LA. FRAUDE.
�396
TRAITÉ DU DDL
naturelle, se justifie très-bien par les considérations qui
précèdent. Elle trouve.de plus, un fondement légal dans
la disposition des art. 3 1 2 et 3 1 3 du Code civil.
Aux termes de ce dernier, le mari ne peut, sous pré
texte de son impuissance naturelle . désavouer l’enfant
né du mariage. Celte règle découlait logiquement de celle
admise pour le mariage lui-même. Le même motif qui
empêche d’en prononcer la dissolution était un obstacle
à ce que la paternité pût être mise en doute. Celui à qui
l’on ne saurait arracher la qualité de mari , ne pourra
jamais exciper d’une prétendue impuissance pour répu
dier celle de père.
Il y a donc entre l’action en désaveu et celle en nul
lité du mariage , une corrélation nécessaire et juste. On
peut, dès-lors , conclure de ce que l’une étant refusée,
l’autre l’est également ; que l’admission de celle-ci doit,
par voie de conséquence, rendre celle-là également ad
missible. Or , le désaveu de l’enfant pour impuissance
accidentelle , est formellement autorisé par l’art. 312.
La loi n’exige même pas que cette impuissance ait été
postérieure au mariage, il suffit qu’elle soit réelle. Seraitil donc juste d’imposer perpétuellement comme époux
celui qui pourrait à son gré aliéner la qualité de père ?
Dira-t-on que la loi qui s’est expliquée pour le désa
veu , n’aurait pas manqué de le faire pour le mariage,
si elle eût entendu les ranger tous les deux sur la même
ligne? Mais cette objection tombe devant la nature de
ces deux actes. Le désaveu, matière toute exceptionnelle,
ne pouvait emprunter ses conditions et ses formes que
�j
397
dans des dispositions spéciales qu’il convenait de formu
ler le plus nettement possible. Le mariage, au contraire,
quoique revêtu d’une plus grande solennité, n’en a pas
moins tous les caractères des contrats ordinaires. La loi
pouvait donc, en s’en occupant, s’en référer aux princi
pes généraux applicables aux obligations. Or , la capa
cité des parties, relativement à l’objet du contrat, est une
condition rigoureusement requise. Son absence certaine
pour le cas de mariage devait, par application de ces
principes, en faire prononcer la nullité.
Il est vrai que cette absence se réalise dans l’hypo
thèse d’une impuissance naturelle et que le mariage n’en
subsiste pas moins. Mais ce résultat, nous l’avons dit,
est dû bien plutôt à l’impossibilité de reconnaître celte
absence et de la constater, qu’à une exception à la dis
position de l’art. 1108. D’ailleurs, si le mariage est main
tenu, la paternité à son tour reste à tout jamais impo
sée. Et c’est précisément de l’anomalie qu’on créerait, en
maintenant l’un et en effaçant l’autre , que nous tirons
cette conséquence qu’on ne saurait séparer la nullité du
mariage de l’action en désaveu ; et que l’admission de
celle-ci pour impuissance accidentelle doit, si cette im
puissance a préexisté au mariage , autoriser sa dissolu
tion.
C’est, au reste , ce que la doctrine a universellement
admis. Ainsi, M.Toullier, notamment, n’hésite pas à en
seigner qu’on doit annuler le mariage frauduleusement
contracté par un eunuque.
De cette solution et des considérations qui la légitiET DE LA. FRAUDE.
�398
TRAITÉ DU DOL
m ent, il semblerait résulter qu’on devrait admettre la
nullité du mariage dans le cas d’une impuissance natu
relle mais apparente. Il est évident, en effet, qu’il n’y a
entre celte hypothèse et celle d’une impuissance acciden
telle aucune différence, puisque dans l’une comme dans
l’autre l’infirmité est facilement appréciable dans sa cause
et dans ses effets.
%
365. — Telle n’est pas cependant l’opinion de M.
Toullier. Aussi critique—t-il vivement un arrêt que la
Cour de Trêves a été appelée à rendre le I er juillet 1808
dans l’espèce suivante :
« Un individu fait assigner sa femme en nullité du
mariage qu’ils avaient contracté, sur le motif qu’elle est,
par un vice naturel de conformation, incapable de rem
plir le but du mariage.
» La femme ne nie pas le vice de sa conformation.
Elle prétend seulement qu’il n’existait pas avant le ma
riage ; et qu’il provient du fait de son mari ; elle ajoute
qu’il n’y a dans le Code civil aucune disposition d’après
laquelle on puisse fonder une action en nullité du ma
riage sur les défectuosités corporelles de l’un des époux;
que la demande de son mari ne tend à rien moins qu’à
la faire visiter, c’est-à-dire à ressusciter les procès scan
daleux sur l’impuissance que le législateur a voulu écarter pour jamais ; et qu’au surplus , la demande du
mari est non recevable, par cela seul qu’elle n’a été in
tentée qu’après neuf mois de cohabitation.
» Ce système est accueilli par le tribunal de Cousel,
�399
qui décide que le défaut de consentement, tiré de l’igno
rance de l’infirmité d’une des parties, ne rentre pas dans
les cas prévus par l'art. 14(3 ; que l’erreur qui résulte de
celle ignorance n’est pas celle régie par l’art. 180 ; que
dans tous les cas la demande serait non recevable pour
avoir été formée plus de six mois après la découverte
de l’erreur.
» Sur l’appel de ce jugement, un premier arrêt in
tervient le 27 janvier 1807, par lequel la Cour, attendu
que les causes physiques et le défaut de conformation
qui s’opposent au but naturel du mariage, sont des em
pêchements qui l’annulent de plein droit, et que l’ac
tion qui en naît n’est pas susceptible d’être prescrite par
le laps de six mois, ordonne, avant dire droit, que l’in
timée sera visitée par des gens de l’art.
» Le rapport de celle visite ayant été versé au procès,
arrêt définitif qui annule le mariage.' »
ET DE LA FRAUDE.
364. — La critique que M. Toullier fait de ces deux
arrêts nous surprend sous un double rapport :
1° M. Toullier enseigne que le mariage frauduleuse
ment contracté par un eunuque doit être annulé. Nous
comprenons très-bien la différence qui existe entre l’im
puissance accidentelle et celle que rien n’annonce. Mais
entre une mutilation opérée'par Ja main de l’homme et
l’infirmité de ces êtres incomplets , difformes , dans la
production desquels la nature semble s’être jouée de ses
1 J. du P., tom. vi, pag. 467.
�TRAITÉ DU DDL
400
propres lois, nous ne saurions en établir aucune. Le vice
des uns est-il moins appréciable, moins certain que ce
lui des autres ? Pourrait-on, dès lors, sans inconséquen
ce, ne pas les confondre dans une règle unique, quant
à la nullité du mariage par eux contracté ?
2° M. Toullier soutenait tout à l’heure que l’erreur
sur la qualité équivaut à l’erreur sur la personne, si cette
qualité était tellement irritante que les époux en. aient
fait une condition sans laquelle ils n’auraient pas con
senti leur union. Or, dans quelle circonstance cette con
dition se réalisera-t-elle mieux que dans celle qui nous
occupe ?
L’impuissance du conjoint enlève , en effet, au ma
riage son caractère, en dénature les rapports, en rend
le but impossible. Conséquemment, l’époux qui soutien
dra que la connaissance de cette incapacité l’eût empê
ché de contracter, dira une chose aussi juste que cer
taine, à moins qu’on admette qu’il aurait consenti à vi
vre comme frère ou sœur avec celui qu’il ne peut avoir
comme époux.
M. Toullier se met donc doublement en contradiction
avec sa propre doctrine, et ce qui détermine ce résultat,
c’est qu’il confond l’impuissance naturelle apparente avec celle qui demeure éternellement cachée. Ainsi, l’un
des griefs qu’il reproche à l’arrêt de Trêves, c’est de re
nouveler ces procès scandaleux, ces visites indécentes qui
blessent la pudeur, que réprouve la morale.'
�401
Les visites corporelles n’ont ce double caractère que
lorsqu’il est d’avance certain'qu’elles ne produiront au
cun résultat utile. C’est ce que M. Toullier rappelle en
indiquant que le législateur a dû les proscrire parce qu’el
les ne pouvaient fournir aux gens de l'art que des con
jectures trompeuses , souvent démenties par le fait.
Qu’on ne les permette donc plus lorsque le demandeur,
exciparit de l’incapacité de son conjoint, est dans l’im
possibilité d’en assigner la cause , c’est ce que tout le
monde admet ; mais les défendre lorsque la cause de
l’incapacité est visible , saisissable , c’est se jeter dans
l’injustice sans raison plausible, à moins qu’on ne prou
ve que le législateur a entendu se priver d’une manière
absolue de cette voie d’instruction.
Or, le contraire résulte et de la faculté de désavouer
l’enfant, sur le motif d’une impuissance accidentelle , et
de la décision prise contre le mariage contracté en cet état. C’est, en effet , par une visite que la prétention du
père sera vérifiée; c’est aussi par ce moyen qu’on re
cherchera si l’époux est bien réellement l’être dégradé
qu’on indique. Dès lors, et puisque la loi autorise la vi
site corporelle toutes les fois qu’elle doit produire un
résultat utile, il suffit de faire remarquer, pour la jus
tification de la doctrine de l’arrêt de Trêves , que dans
l’espèce l’objet de la visite étant parfaitement déterminé,
on était certain d’arriver à une constatation matérielle et
décisive pour la justice.
C’est ce qui se réalisera toutes les fois que l’impuis
sance résulte d’une difformité , d’un vice de conformaET DE LA FRAUDE.
�402
TRAITÉ DU DOL
lion apparent. Comme une pareille hypothèse ne diffère
en rien de celle d’une impuissance accidentelle, nous ne
voyons aucun inconvénient à ce qu’on arrive par les mê
mes voies à un résultat non contesté pour cette derniè
re, c’est-à-dire à la nullité du mariage.
« Mais, ajoute M. Toullier, si l’époux refuse la visite,
ne s’exposera-t-on pas à casser un mariage sur un con
cert entre les époux qui auront pris ce moyen pour se
débarrasser d’un lien qui les gêne ? •»
Merlin , qui est, sur le fond, d’une opinion contraire
à celle de M. Toullier, s’arrête à cette objection, et croit
que si l’époux refusait la visite , on ne pourrait passer
outre et prononcer la nullité du mariage. J’en demande
pardon à ces illustres maîtres, leur solution ne me pa
rait ni logique ni légale. Si la nullité du mariage est ad
mise en principe , on ne saurait reconnaître à l’un des
époux la faculté et le droit d’en rendre l’application im
possible; ce serait sacrifier la loi elle-même à une obs
tination irrationnelle et injuste. Bientôt l’eunuque frau
duleusement marié refuserait à son tour la visite ordon
née pour constater son état, et l’épouse , au secours de
laquelle le législateur doit, de l’avis de tous, accourir,
victime de cette nouvelle fraude, se verrait pour toujours
enchaînée au sort de celui qui l’a indignement trompée.
Cela , évidemment, ne pourrait se réaliser sans blesser
l’équité, sans introduire dans la loi une véritable anar
chie. Nous pensons donc qu’en l’état du refus que l’é
poux ferait de subir la visite ordonnée, le faiUallégué de-
�403
vrait être tenu pour certain et produire toutes ses con
séquences légales.
Que cette solution puisse dans un cas donné favoriser
une fraude, cela est possible, mais peu probable. On ne
consentira pas facilement à passer aux yeux de ses con
citoyens pour un être incomplet ou dégradé ; à subir les
humiliations et les avanies qu’une idée pareille est dans
le cas d’attirer ; car des procès de ce genre auront du
retentissement, et longtemps encore la malignité publi
que s’exercera aux dépens de celui qu’on lui a signalé.
Ce qui doit, au reste, rassurer contre la fraude que craint
M. Toullier , c’est le peu de fréquence des contestations
de ce genre. Cette fraude n’est donc venue à l’esprit de
personne, même depuis l’arrêt de Trêves. Cependant, de
1808 jusqu’à nous , que de ménages désunis I que de
mariages pour lesquels la lune de miel n’a pas été sans
tempêtes 1
Dans tous les cas , le danger de favoriser une fraude
fût-il sérieux, le mal n’égalerait jamais celui qu’éprou
verait l’ordre social de l’atteinte que la volonté d’un par
ticulier occasionnerait à la loi. On encouragerait la ré
sistance en la récompensant, et l’on affaiblirait ainsi ce
respect pour la justice , qui est la première garantie et
le lien le plus puissant de toute société. Dans cette ma
tière, comme dans toute autre , les magistrats concilie
ront "les convenances avec les lois de la pudeur la plus
délicate. Celui qui prétendra se soustraire à leur décision
n’aura donc aucun motif avouable. On pourra et l’on
ET DE LA FRAUDE.
�404
TRAITÉ DU DOL
devra dès lors considérer sa conduite comme l’aveu de
l’existence de l’infirmité qu’on lui reproche et, consé
quemment, annuler son mariage.
Ainsi, l’impuissance apparente, accidentelle ou natu
relle vicie le mariage. Le contrat n’a jamais pu valable
ment exister, car le, consentement n’a été que le. résultat
d’un dol ayant eu pour effet de tromper sur la capa
cité de la partie. Cette absence de capacité pouvant être
établie, la constatation fait disparaître la matière même
du contrat et , conséquemment, toute possibilité d’un
lien obligatoire et légal.'
365. — En résumé, le dol, même lorsqu’il a été la
cause déterminante du mariage, n’influe en rien sur sa
validité. Mais cette règle reçoit exception : 1° lorsque le
dol a produit l’erreur sur la personne par la substitu
tion de celle qu’on a épousée à celle que l’on voulait et
que l’on croyait épouser ; 2° lorsque le dol a été prati
qué sur la matière même du contrat que l’un des époux
est dans l’incapacité de consommer. Cette dernière ex
ception est elle-même soumise à eette condition , que
l’impuissance qui en fait la base soit apparente et ma
tériellement appréciable. L’impuissance réelle, mais ca
chée , ne saurait, dans aucun cas, autoriser l’action en
nullité.
i Merlin, v° Impuissance ; — Vazeilles, Du mariage, tom. 1, n° 92:
— Chardon, Du dol; — contra : Toullier, lococilato; — Favard.v»
Mariage.
�405
Le mariage lui-même peut n’être qu’une simulation
dans l’objet de rendre exigibles des avantages subordon
nés à sa célébration. Un pareil mariage reste indissolu
ble entre les époux ; seulement il ne produit contre les
tiers aucun des effets qu’on s’en était promis.
Le dol qui ne suffît pas pour rompre le lien, peut en
amener quelquefois le relâchement; mais seulement lors
que l’erreur qu’il a déterminée est telle que la cohabi
tation blesserait la conscience ou violerait les sentiments
d’honneur et la délicatesse de l’un des époux.
Enfin, le dol exercé à l’occasion des stipulations ma
trimoniales tombe sous l’empire des principes ordinai
res. Il entraine donc la nullité de la convention, s’il ré
unit les caractères exigés par l’art. 1116 du Code civil.
Cette nullité atteint l’époux qui profilerait du dol, alors
même qu’il y serait demeuré personnellement étranger,
et cela, par application des principes régissant le dol in
direct.
ET DE LA FRAUDE.
�406
TRAITÉ DU DOL
SECTION III.
'
tu-
Aol d ans le s L ib éralités,
SOMMAIRE.
366.
367.
368.
369.
370.
371.
372.
373.
374.
375.
376.
377.
378.
379.
380.
381.
382.
Importance de la faculté de disposer de ses biens.
Nullité des libéralités entachées de dol.
Cette nullité est de plein droit dans le cas de dol présumé.
Dans le cas où la libéralité serait faite par interposition de
personnes.
Nullité pour insanité d’esprit chez le donateur ou testateur.
Fondements de l'art. 901 du Code civil.
Comment doit-on entendre l’insanité d’esprit à l’endroit des
libéralités ?
Arrêt de la Cnur de cassation.
Anciennes législations conformes aux principes actuels.
L’insanité d’esprit fait présumer la suggestion.
Peut être prouvée par témoins.
Ce n’est pas là déroger à l’art. 1341.
A quelles conditions admettra-t-on cette preuve.
Nécessité de l’articulation des faits. — Son utilité sous un
double rapport.
Comment s’apprécie la pertinence des faits.
Législation ancienne sur les intervalles lucides.
Législation actuelle. — Dissentiment avec Toullier et Gre
nier sur l’application de l’art. 502.
�ET DE LA FRAUDE.
407
383. Opinion de Merlin.
384. Arrêt de la Cour de cassation préjugeant dans le sens de
celle-ci.
385. Conséquences de cette doctrine, quant aux obligations du
légataire.
386. La preuve de la raison du testateur sera assez difficile dans
certains cas. — Ses éléments.
387. Résumé.
388. Effet de la captation non présumée.
389. Doutes, sur ce qui la concerne , soulevés par le silence du
Code.
390. Peut toujours être prouvée par témoins.
391. Caractère de cette preuve.
392. Comment distinguera-t-on la captation licite de celle qui
ne l’est pas.
393. Le concubinage annule-t-il les libéralités comme faisant
présumer la captation ?
394. Comment on apprécie la gravité des faits.
395. L’allégation de faits graves ne fera pas toujours admettre la
preuve.
396. Première condition pour l’admissibilité. — Les faits doivent
tendre à établir que la captation dolosive a été la cause
déterminante de la libéralité.
397. Espèce jugée par la Cour de Dijon.
398. Deuxième condition. — Contrariété entre la volonté expri
mée et celle précédemment manifestée.
399. Opinion de Merlin sur la pertinence.
400. La preuve ordonnée et faite détermine l'annulation du tes
tament ou de la donation, mais on ne peut ni la modifier
ni la réduire.
401. Mais la nullité n’a d’effet que sur la disposition attaquée;
elle ne peut atteindre l’ensemble des dispositions.
402. Le dol indirect produit le même effet que le dol direct.
403. La plainte en captation est-elle recevable contre la donation
entre vifs ?
�408
TRAITÉ DU DOL
404. Etat des législations anciennes sur l'empêchement de tester.
405. Conséquences du système adopté par le Code.
406. Dissentiment avec M. Chardon, quant aux effets à l’endroit
de l’héritier testamentaire.
407. Nature de l’action réservée à celui qui est victime de l ’em
pêchement de tester.
408. Caractère de ce dol. — Pertinence des faits tendant à l’é
tablir.
409. Qui est tenu des dommages-intérêts ?
410. Qui peut en réclamer ?
411. Suppression de testament ; caractères.
412. Admissibilité de la preuve testimoniale.
413. Effet de la suppression sur l’exécution du testament et la
régularité de ses formes.
414. Arrêt de la Cour de'Cassation.
415. Quid, par rapport à la partie profitant du dol sans y avoir
participé.
416. Action, dans ce cas, de l’héritier contre l’auteur du dol.
417. Effet de la suppression par rapport à l’hérédité.
418. Droit des tiers.
366. — La faculté pour l’homme de disposer de ses
biens, soit par donations entre vifs , soit par testament,
est une des plus précieuses prérogatives du droit de pro
priété. Elle est née avec ce droit lui-même ; elle a tou
jours été accueillie par les diverses législations avec la
même faveur.
« Cet assentiment commun des peuples, dit M. Favard , est fondé sur ce que l’intérêt public exige que le
propriétaire puisse, à sa volonté, disposer de tout ou de
partie de son patrimoine , pour reconnaître le zèle et le
dévouement de l’amitié, encourager ceux de ses héritiers
�409
qui se portent au bien, donner des consolations à ceux
qui éprouvent les disgrâces de la nature ou les revers
de la fortune , récompenser les soins d’un serviteur fi
dèle , punir l’abandon ou l’indifférence de parents in
grats.' »
L’importance sociale d’une pareille mission était cer
tes de nature à en faire accueillir le développement avec
la plus haute faveur. Qui mieux que le père de famille
lui-même pouvait prétendre exercer dans de plus justes
proportions ce droit de récompenser et de punir?
ET DE LA. FRAUDE.
367. — L’expression de sa volonté devait donc pré
valoir et a, en effet, prévalu. La loi ne règle l’ordre des
successions que dans le cas où le défunt a négligé ou ré
pudié la faculté qu’on lui en accorde. Mais le respect.du
législateur ne serait plus qu’un véritable abus si la loi
testamentaire avait été surprise par dol ou arrachée à
une pensée inintelligente. La nécessité d’une volonté-éclairée et libre, base essentielle de tous les contrats, se
fait plus particulièrement sentir en matière de libérali
tés. Ces actes, en effet, soulevant tant de désirs, peuvent
déterminer une infinité de manœuvres dont la réussite
présente de grandes facilités; car, ainsi qu’on le faisait
remarquer, ces actes se réalisent souvent dans des cir
constances tellement critiques pour l'intelligence et la
volonté de leur auteur, qu'il serait impossible de rester
convaincu qu’il avait l'entière liberté de son esprit.*
1 Rép., v° Testament.
2 Jaubert, Rapport au Tribunal.
�TRAITÉ DU DOL
410
« Le législateur, dit M. Grenier, n’a pas dû considé
rer les dispositions gratuites du même œil que les autres
actes. La loi redouble de précautions pour prémunir
l’homme contre les pièges de la cupidité, qui peut épier
un instant de faiblesse ou le provoquer afin d’extorquer
une libéralité.' »
Cette prévoyance de la loi se décèle par les soins qu’elle
apporte à proscrire toutes les dispositions qui ne seraient
pas l’expression d’une volonté indépendante et sponta
née. Telle est, en effet, l’économie de notre législation,
que la libéralité qui puiserait son origine dans l’emploi
d'une influence illégitime, ne saurait sortir à effet.
568. — La loi a fait plus encore : elle admet de plein
droit la nullité de la disposition, selon que son auteur a
pu plus facilement être entraîné, selon que ceux en fa
veur de qui elle est 'prise se sont trouvés en position de
l’obtenir plus aisément. C’est ce qui a déterminé les in
capacités créées par les art. 909 et suivants du Code
civil.
Ainsi sont nulles et de nul effet les libéralités faites :
1° Par un mineur à son tuteur, soit pendant la mi
norité, soit depuis la majorité, mais avant l’appurement
du compte tutélaire;
2° Par un malade , pendant le cours de la maladie,
aux médecins , chirurgiens, officiers de santé ou phari Des donations, t. 1, n° 102.
�411
maciens qui lui ont donné leurs soins; au ministre du
culte qui a dirigé sa conscience.
Evidemment ces prescriptions n’ont pas d’autres mo
tifs que la qualité même des personnes, objets de la li
béralité. Il est certain que dans beaucoup de cas cette
qualité a pu être sans influence sur la détermination du
disposant. Mais, en fait, on ne saurait disconvenir de la
facilité que rencontrerait le résultat contraire. On con
naît , notamment, l’empire que le médecin du corps,
l’autorité plus dangereuse encore que le médecin de l’â
me, peut acquérir sur la volonté de celui qui voit dans
l’un l’arbitre de sa santé , dans l’autre l’arbitre de son
salut. L’abus est donc facile, et l’utilité de la précaution
prise pour le prévenir n’est que trop prouvée par les
nombreuses répressions que la justice a eu à consacrer.
Nous n’avons pas à revenir autrement sur les condi
tions et les effets de ces incapacités, nous les avons ex
posés en traitant du dol présumé. Quant aux fraudes
que le désir d’éluder la loi peut déterminer , nous au
rons à les examiner lorsque nous nous occuperons de
la fraude. Bornons-nous à faire remarquer que la pré
somption de dol résultant de l’incapacité est générale et
absolue; qu’aux termes de l’art. 911 , elle annule les
libéralités faites à l’incapable , soit qu’on les ait dégui
sées sous la forme d’un contrat onéreux , soit qu’elles
aient été faites sous le nom d’une personne interposée.
ET DE LA FRAUDE.
569. — Prohiber d’atteindre indirectement au ré
sultat qu’on ne peut obtenir par la voie directe, était u-
�m
TR AITÉ DU DOL
ne mesure indispensable au succès de la prohibition. Il
était facile de prévoir que celui qui ne recule pas devant
l’emploi de moyens illégitimes pour obtenir une libéra
lité, n’hésiterait pas à tenter toutes les fraudes pouvant
faire réussir sa spéculation. Or, en tête de ces fraudes,
figuraient la simulation du titre et l’interposition de per
sonnes.
L’une et l’autre conduisent à un résultat identique, la
nullité de l’acte. Il y a cependant entre elles celle diffé
rence que l’interposition n’a pas besoin , dans certains
cas, d’être prouvée. Ainsi elle est de plein droit présu
mée lorsque la libéralité est faite en faveur des père et
mère, des enfants ou descendants, de l’époux de l’inca
pable. Dans tous les autres cas, elle doit, comme la si
mulation, être prouvée par celui qui l’allègue.
Remarquons, en effet, que la qualité ne détermine
l’incapacité que relativement aux actes à titre gratuit, et
qu’on ne saurait s’en prévaloir lorsqu’il s’agit d’un acte
à titre onéreux. L’on revient pour ceux-ci aux principes
ordinaires, c’est-à-dire que l’acte fait foi de ce qu’il con
tient, et que si la confiance qui lui est due peut être al
térée, ce n’est que par la preuve du vice dont on le pré
tend entaché. L’incapacité de recevoir une libéralité ne
fait pas même présumer la simulation, car le dol et la
fraude ne se présument pas. L’art. 911 ne déroge à ce
principe qu’à l’endroit de l’interposition de personnes,
lorsque celui qui a traité appartient à l’une des catégo
ries qui y sont énumérées.
C’est donc au demandeur à prouver la simulation dont
�413
il se prévaut pour faire annuler l’acte. Il peut puiser cette
preuve dans les circonstances qui lui paraîtront graves
et précises , recourir même à la preuve orale. Mais si
cette justification n’est pas fournie, l’acte.à litre onéreux,
passé avec l’un de ceux que la loi déclare incapables de
recevoir, n’en sortira pas moins son effet.1
RT DE LA FRAUDE.
370. — Les personnes contre lesquelles nous venons
de voir le législateur se prémunir ne sont pas malheu
reusement les seules dont on ait à se méfier. 11 en est
que l’avidité seule introduit dans le sein d’une famille,
et qui, dans l’objet de s’enrichir, abusent de la démen
ce elle-même pour obtenir ce qu’ils n’auraient pas osé
demander à l’affection.
Contre de pareils attentats, il n’existait aucun remède
spécial. Le seul qu’il fût permis de sanctionner est celui
qui résulte de la disposition de l’art. 901 , suivant la
quelle, pour faire une libéralité quelconque, il faut être
sain d’esprit.
La nullité que l’absence de cette condition entraîne
ne procède pas seulement des inspirations réglant le con
sentement en matière ordinaire. Elle est une déduction
essentielle de la pensée que la loi manifeste dans la cré
ation des incapacités que nous venons de rappeler. Celui
qui n’a pas la plénitude de sa raison est, à l’égard de
ceux qui l’approchent, dans une position pire encore
l Montpellier , 19 mai 1813; — Duranton , tom. vu , n° 267 : —
Proudhon, De l'usufruit, tom. îv, n° 2363.
�TRAITÉ DU DOL
414
que celle du malade envers son médecin ou son con
fesseur. Celui-ci peut résister et se soustraire à l’influen
ce dont on veut user, l’autre est, par son infirmité mê
me, dévoué à toutes les inspirations intéressées qui vien
dront l’assaillir. On le déterminera facilement à prendre
une résolution contre laquelle son cœur et sa raison eus
sent également protesté s’il avait pu l’apprécier saine
ment.
La certitude de ce danger devait donc , comme pour
les incapacités, faire admettre la présomption d’une sug
gestion dolosive. Nous arrivons ainsi à nous expliquer
d’une manière rationnelle la disposition de l’art. 901
du Code civil.
371. — En effet, si cet article n’avait eu en vue que
l’incapacité du donateur ou testateur, sa disposition était
complètement inutile. En les rangeant sur la même li
gne que les contrats ordinaires, la donation et le testa
ment en subissaient tous les principes. A quoi bon, dès
lors, exiger , spécialement pour ce qui les concerne , la
sanité d’esprit ? Mais est-ce que, pour consentir un con
trat quelconque , il ne faut pas être sain d’esprit ? Estce que la capacité des parties n’est pas une des condi
tions essentielles à la validité des engagements? Il y a
donc, dans l’art. 901, autre chose que ce qui a motivé
les art. 1108 et suivants du Code civil, et cette autre
chose n’est que la présomption de suggestion que nous
relevions tout à l’heure.
Ce qui le prouve c’est que, dans le cas de l’art. 901,
�415
l’infirmation des libéralités n’est plus soumise aux règles
tracées pour celle des contrats ordinaires. On sait qu’en
droit commun l’insanité d’esprit ne peut résulter que du
jugement qui prononce l’interdiction. Ce n’est qu’à par
tir de ce jugement que l’incapacité est légalement ac
quise. Les actes de celui qui est mort integri status,
sans que son interdiction ait été prononcée au provo
quée , ne peuvent être attaqués pour cause de démence
que si la preuve de la démence résulte de l’acte même
qui est attaqué.1
Quant aux actes antérieurs à l’interdiction, l’art. 503
donne bien la faculté de les annuler, mais dans le cas
seulement où la cause de l’interdiction aurait notoire
ment existé au moment de l’acte.
Mais l’interdiction ne peut être prononcée que si celui
qui doit en être frappé est dans un état habituel d’im
bécillité, de démence ou de fureur. Conséquemment ce
lui qui n’offrira pas cet état habituel, sera légalement
capable de contracter , alors même qu’il éprouvera des
absences d’esprit plus ou moins longues, à des interval
les plus ou moins rapprochés. L’acte qu’il aura souscrit
dans une de ces absences n’en produira pas moins tous
ses effets, s’il ne décèle l’état de démence de son auteur.
Qui ne voit dès lors que l’application de ces règles
aux donations et testaments ouvrait la plus large issue à
de graves inconvénients et multipliait les chances de ré
ussite en faveur du dol et de la fraude. C’est précisément
ET DE LA FRAUDE.
1 Art . S04Cod. civil.
�TRAITÉ DU DOL
416
un de ces moments de faiblesse que l’avidité mettra à
profit, qu’elle s’évertuera à provoquer, afin d’extorquer
des libéralités qu’une saine intelligence n’aurait pas.consenlie.
L’absence d’un jugement d’interdiction plaçait ces li
béralités hors de toute atteinte. Le seul recours possible
était celui autorisé par l’art. 504, dans le cas qu’il pré
voit. Mais ce cas est-il facile à se réaliser? Une dona
tion , un testament authentique sont le fait du notaire,
du moins quant à leur rédaction. D’avance l’on peut être assuré qu’avant de recourir à son ministère toutes
les précautions seront prises pour parvenir à lui faire il
lusion sur l’état mental de celui qui consent l’un ou
l’autre. Le testament olographe lui-même ne sera que
d’un mince secours quant à la preuve de la démence, à
moins de supposer un état tel que son auteur ne puisse
machinalement écrire ce qu’on lui dictera.
S’en référer pour ces deux actes importants aux prin
cipes généraux sur la capacité, c’était donc consentir à
valider des dispositions n’ayant qu’une apparence de rai
son, c’était encourager ces rapines honteuses que la cu
pidité ne multiplie que trop, et sacrifier à un vain scru
pule l’intérêt des familles, le repos et la tranquillité de
leur chef. La transmission des biens, pour être équitable
et juste, doit être dirigée par une volonté éclairée et li
bre. Or l’homme le plus intelligent, le plus habituelle
ment raisonnable, peut subir, par l’effet de la maladie
à laquelle il est en proie, une atteinte grave dans ses
facultés mentales. L’espérance d’une guérison empêchera
�417
toujours la poursuite d’une interdiction que le caractère
accidentel de la démence , son peu de durée rendraient
d’ailleurs impossible à obtenir. Faudra-t-il cependant
maintenir les libéralités que le malade aura pu faire en
cet état ?
C’est ce que l’art. 901 n’a pas voulu consacrer. En
faisant de la sanité d’esprit une condition essentielle, la
loi a permis d’altaquer les donations et les testaments
pour cause de démence, sans se préoccuper si l’interdic
tion a été ou non prononcée, si la cause en existait no
toirement ou non, si l’acte offre ou n’offre pas la preuve
de la démence. En effet, si l’acte pouvait être maintenu
sous le rapport de la capacité de son auteur, il devrait
être annulé sous le rapport de la suggestion présumée.
ET DE LA FRAUDE.
372. — Ainsi les exigences de la loi ayant pour mo
tifs autant la conduite de l’institué que l’incapacité du
disposant, l’insanité d’esprit ne s’entend plus , à l’en
droit des libéralités, d’un état habituel d’imbécillité, de
démence ou de fureur. Elle subsiste toutes les fois qu’il
y a privation même momentanée de la raison ' ; toutes
les fois qu’au moment de la confection de l’acte le dis
posant était en proie à une passion violente qui trouble
son jugement à l’égard des objets qui ont rapport à cette
passion ’ ; toutes les fois, en un mot, que la suggestion
a pu facilement faire triompher ses prétentions et inspi
rer sa volonté.
1 Jaubert, loco citato.
2 Pandectes françaises, art. 901.
I
27
�TRAITÉ DU DOL
418
375. — Le caractère véritable de l’art. 901, tel que
nous venons de le définir , n’est plus aujourd’hui con
testé. Dans l’origine, on avait soutenu que la sanitéd’esprit qu’il exige devait être régie par les principes ordi
naires et subir l’application des art. 503 et 504. Mais
la Cour de cassation, sur le réquisitoire de Merlin, pros
crivit ce système qui, depuis, a été généralement aban
donné. L’arrêt est ainsi motivé :
« Considérant que l’art. 504 du Code civil n’est point
applicable aux donations entre vifs ni aux testaments,
lesquels sont spécialement régis par l’art. 901 du même
Code, qui a été définitivement adopté et promulgué en
ces termes : Pour faire une donation entre vifs ou un
testament, il faut être sain d'esprit ; qu’il résulte de la
généralité de ces expressions que, nonobstant les articles
1341, 1347, 1352 et 1353 dudit Code, il est permis
aux parties d’articuler, et aux tribunaux de les admet
tre à prouver, tous les faits qui sont de nature à établir
que l’auteur d’une donation entre vifs ou d’un testament
n’était pas sain d’esprit au moment de la confection de
ces actes , sans distinguer si ces faits ont ou n’ont pas
constitué un état permanent de démence.1 »
Aucun doute donc ne saurait s’élever sur le sens et
le caractère de l’art. 901. La donation, comme le tes
tament, exige dans son auteur une appréciation raisonnée et intelligente. Cette condition manque si , au mo.
i Cass., 22 novembre \ 810 ; — voy. nombreux arrêts conformes ; —
Dalloz, Dict. gin., vis Disp, entre vifs, n°* 8 et suiv.
�419
ment de l’acte , le souscripteur n’est pas .sain d’esprit.
Cet état, ne fût-il qu’accidentel ou momentané, n’en en
traîne pas moins la nullité de l’acte. Il suffit qu’il ait
existé pour que la disposition soit viscéralement atteinte.
Celui qui n’est pas sain d’esprit ne peut manifester une
volonté , il n’a ni la faculté, ni les moyens de le faire.
En réalité , il ne peut concevoir une pensée ni l’expri
mer. Les dispositions qu’on lui attribue sont présumées
lui avoir été suggérées et être le fait de celui qui est ap
pelé à en profiler.
Eh ! ce qui devait surtout le faire décider ainsi, c’est
que l’homme ne dispose le plus souvent de sa fortune
que dans ses derniers moments. La donation elle-mê
me, consentie quelques minutes avant la mort, n’en con
serve pas moins le caractère qui lui est propre. Alors,
cependant, que de dangers pour le malade ! que de sol
licitations I que d’embûches de la part de ceux qui l’en
tourent ! En vérité, on ne pouvait faire moins, pour con
jurer ces périls, que d’exiger, comme condition essen
tielle de la validité de l’acte, la sanité d’esprit, et d’an
nuler, en conséquence, les dispositions arrachées à une
imagination malade, à une raison obscurcie.
ET DE LA FRAUDE.
574. — Ajoutons que cette conclusion trouvait un
point d’appui dans les législations précédentes. Le droit
romain, entre autres, soumettait le sort des libéralités à
la capacité de fait au moment où elles étaient consenties.'
1 Inst., lib. 2, tit. 12.
�TRAITÉ DU DOL
420
D’où Pothier enseignait avec raison : Que ce n'est pas
tant l'interdiction que la démence même qui rend inca
pable de tester.
375. — La preuve de l’insanité d’esprit du dispo- .
sant est donc péremptoire , elle dispense de celle de la
suggestion ; celle-ci résulte forcément de la première avec laquelle elle se confond d’une manière indivisible.
Or , nous avons vu la Cour de cassation décider , dans
son arrêt du 22 novembre 1810 , que cette preuve est
dans tous les cas recevable, alors même qu’il faut recou
rir à des dépositions orales. Cette décision , dictée par
la raison , se justifie en outre très-bien sous le rapport
des principes régissant la preuve testimoniale.
Considérée comme créant une présomption légale de
captation, l’insanité d’esprit entraîne contre celui qui en
a profité la conviction d’un dol pratiqué non pas seule
ment contre le disposant, mais encore contre ses héri
tiers naturels ; or le dol constitue un véritable quasidélit dont la preuve orale est toujours admissible.
D’autre part, on ne saurait sans injustice exiger, de
celui qui se plaint, une preuve littérale. Celui qui ex
ploite à son profit l’infirmité d’un malade, se garde bien
d’afficher par écrit ses prétentions. La famille qu’il a
spoliée se trouve donc, à son égard, dans la position du
créancier qui n’a pu se procurer la preuve écrite de l’o
bligation, elle trouverait donc, si on pouvait lui opposer
l’art. 1341, le moyen d’en éluder l’application en invo
quant la disposition précise de l’art. 1348.
�421
376. — Mais, en réalité, l’art. 1341 est inapplica
ble aux actions fondées sur l’insanité d’esprit. Ces ac
tions n’ont nullement pour objet de porter atteinte à la
foi due à l’acte , à la véracité de ses énonciations ; ce
qu’elles tendent à établir, c’est l’existence d’un vice af
fectant l’acte dans son essence , lui faisant perdre toute
légalité. Ce n’est pas là, dès lors, prouver outre et hors
le contenu en l’acte, car il faut distinguer l’intérieur de
la disposition de la capacité de celui qui l’a faite. Sans
doute , lorsqu’il ne s’agit que de l’acte , de la vérité de
ce qu’il contient, des formes dont il est revêtu, il est de
règle générale qu’on n’admet pas la preuve par témoins
contre ce qui est écrit, parce qu’il prouve lui-même,et
d’une manière authentique , tout ce qu’on a besoin de
savoir à cet égard. Mais quand il est question de la ca
pacité des parties, l’acte même authentique ne la prouve
pas, il la suppose'. Ce n’est point ici un fait matériel
se réalisant sous les yeux du notaire, et qu’il a mission
de constater , c’est une appréciation que les recherches
que la loi prescrit à cet officier public, à l’effet de s’as
surer de la capacité des parties , lui ont inspiré. Celte
appréciation peut bien créer une présomption conforme
à l’opinion du notaire, mais il suffit qu’il ait pu se trom
per ou être trompé pour que cette opinion ne participe
en rien à l’authenticité que ses fonctions assurent aux
autres énonciations de l’acte.
De là cette conséquence que , si ces énonciations ne
ET DE LA FRAUDE.
1 Merlin, Uép , v° Test , seet. 1, § 1, art. 1.
�TRAITÉ DU DOL
m
peuvent être détruites que par une inscription de faux,
l’erreur, dans l’appréciation de la capacité, peut toujours
faire l’objet d’une preuve testimoniale. Ainsi, et malgré
la déclaration du notaire que le disposant lui a paru, ou
a été sain d’esprit, le contraire peut être établi sans la
voie de l’inscription de faux, c’est ce que la doctrine et
la jurisprudence admettent, c’est ce que décide formel
lement l’arrêt de cassation déjà cité , du 22 novembre
1810.
577. — L’admissibilité de la preuve orale pour l’in
sanité d’esprit n’est donc pas une dérogation à l’article
1341. Alléguer la démence, ce n’est pas contester la ma
térialité de l’acte, la vérité de ses allégations, la régu
larité de ses formes ; c’est soutenir qu’il ne pouvait ex
ister de convention régulière, de consentement valable.
Le respect dû à l’acte écrit intéresse trop l’ordre public,
il est trop profondément implanté dans notre législation
pour qu’on ait voulu le faire céder même devant l’inté
rêt des familles; ce qui le prouve, c’est que nous allons
le retrouver avec toutes ses exigences dans le développe
ment du principe de la recevabilité de la preuve testi
moniale, en matière d’insanité d’esprit.
578 . — Cette preuve, en effet, ne doit être admise
qu’autant que les faits articulés se renfermeraient dans
la violation de l’art. 901 et auraient pour objet la justi
fication de l’état d’imbécillité ou de démence. Les faits
qui seraient de nature à contredire les allégations essen
tielles de l’acte, ou qui renfermeraient la dénégation des
�■
423
circonstances que le notaire a mission de constater, de
vraient être rejetés. La preuve n’en pourrait être reçue
qu’après le préalable de l’inscription de faux.
Ainsi on pourra , sans recourir à cette voie , prouver
par témoins qu’avant , pendant et après l’acte, le dis
posant n’a pas eu la libre jouissance de ses facultés in_tellectuelles ; que même, en présence du notaire, cet état s’est manifesté par des signes plus ou moins carac
téristiques, par des propos extravagants, par des actions
insensées. Mais on ne saurait , sans s’inscrire en faux,
prétendre prouver que l’acte a été reçu dans un lieu au
tre que celui qui y est indiqué, ou qu’au moment de la
réception, le disposant était dans un tel état de prostra
tion physique ou morale qu’il n’a pu ni écrire, ni par
ler, alors que l’acte porte qu’il a dicté et signé ses dis
positions.1
ET DE LA FRAUDE.
579. — Cette règle, dont les tribunaux ne sauraient
s’écarter, détermine, comme conséquence forcée, la né
cessité d’articuler d’une manière nette et précise les faits
dont on prétend faire résulter l’insanité d’esprit. C’est,
en effet, le moyen unique d’apprécier le caractère et la
portée de chacun d’eux, et de reconnaître ceux qu’il faut
admettre, ceux qu’il faut rejeter.
Sous un autre rapport, l’articulation des faits n’est pas
moins indispensable. Il ne suffit pas qu’une preuve soit
1 Cass., 3 décembre 1807 ; 17 juillet 1817 ; — Grenoble, 3 août 1829;
— D. P., 7,1, 181 ; 17, 1, 418'; 30, 2, 251,
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424
TRAITÉ DU DOL
recevable pour qu’elle doive être admise. La condition
essentielle de l’admission est que la plainte soit dès à
présent vraisemblable, ce qu’on apprécie par les circon
stances et les faits du procès. Ainsi le demandeur en nul
lité , qui se contenterait d’offrir la preuve de l’insanité
d’esprit au moment de l’acte, verrait sa demande rejetée
purement et simplement.’
On doit d’autant plus le décider ainsi que , loin de se
relâcher de la sévérité ordinaire à l’endroit de la preuve
testimoniale, la loi conseille une plus grande circonspec
tion lorsqu’il s’agit, par son secours, d’annuler les actes
de dernière volonté, dont l’exécution religieuse est le pre
mier de ses vœux. Cette nullité dès lors ne doit êlre ac
cueillie que si le juge est moralement et légalement con
vaincu de sa nécessité et de sa justice. Les faits à prou
ver doivent donc promettre ce double caractère. Or, com
ment l’apprécier, si ces faits ne sont pas même articu
lés?
L’articulation des failsest donc,sous tous les rapports,
un devoir rigoureux dont l’omission entraîne le rejet de
la preuve.
380. — Il résulte de plus de ce qui précède, que la
pertinence des faits se mesure sur leur plus ou moins
de signification, relativement au point interloqué, à sa
voir : l’insanité d’esprit au moment de la confection de
MM
1 Rouen , 3 mai 1816 ; — Colmar , 17 juin 1812 ; — Besançon, 19
décembre 1810; — Aix, 14 février 1808, — voy. Journal du palais.
�425
l’acte attaqué. A cet égard, ils doivent tendre à l’établir
d’une manière claire , précise et sans équivoque. Ainsi,
ceux qui se rapporteraient à des époques antérieures ou
postérieures devraient être rejetés comme inconcluants,
à moins qu’on ne prétendit justifier d’un état habituel
de démence , d’imbécillité ou de fureur. Dans tous les
cas, les faits doivent être décisifs , la preuve de quelque
bizarrerie dans les idées ou dans le caractère, de quel
ques actes déraisonnables soit avant, soit après la libé
ralité, serait insuffisante pour la faire infirmer '. On ne
saurait, en effet, rien en conclure contre la validité de
l’acte, dont la nullité ne saurait jamais être prononcée
par voie de conséquence. « Les demandes d’annulation,
dit M. Grenier, doivent être appuyées sur des faits pré
cis, nettement articulés. Les tribunaux ne procèdent ja
mais par induction, parce qu’il s’agit d’une incapacité.
Ainsi le grand âge du testateur , l’oubli de sa famille,
l’importance des dispositions qu’il ferait en faveur de ses
domestiques, toutes ces circonstances seraient par ellesmêmes insuffisantes pour constater la démence.’ »
Si la démence était certaine avant et après l’époque
qui a vu la libéralité s’accomplir, devrait-on considérer
cette libéralité comme le résultat de l’insanité d’esprit ?
La solution de cette question est laissée à la prudence
des juges, elle dépend de l’appréciation des circonstanET DE LA. FRAUDE.
1 Paris, 26 mai 1825.
tom. 1 , n° 103 ; — conf. Cass., 18 octobre 1809 ; —
Rouen, 3 mai 1816.
2 Des donat.,
�426
TRAITÉ DU DOL
ces , pouvant établir chez le disposant un état habituel
d’imbécillité, de démence ou de fureur.
N’oublions pas cependant que la validité de l’acte n’est
pas inconciliable soit avec un état de démence antérieu
re et postérieure, soit avec l’état habituel lui-même.
Dans la première hypothèse, l’absence de toute interdic
tion, le défaut de poursuites, fait supposer la capacité ;
dans la seconde , cette présomption est remplacée par
celle de l’existence d’un intervalle lucide. Protégé par
l’une ou par l’autre, l’acte doit être maintenu si la preu
ve rapportée n’est pas de nature à justifier l’incapacité
et à démontrer l’absence de tout intervalle lucide.
381. — La possibilité légale de ces intermissions,
dans l’état de folie, était admise dans notre ancien droit.
On en trouve la preuve dans la doctrine si clairement
résumée dans le plaidoyer de d’Aguesseau, sur le testa
ment de l’abbé d’Orléans.
Il est vrai que cet illustre magistrat semblait n’ad
mettre l’existence des intervalles lucides que chez le fu
rieux. Mais cette opinion n’était pas généralement sui
vie , le testament de l’insensé , celui de l’imbécile était
susceptible d’être validé, comme ayant été fait dans un
intervalle lucide.'
L’absence de toute interdiction faisait même présumer
l’existence de l’intervalle lucide, mais pouvait-on en exciper lorsque l’interdiction avait été prononcée ?
1 Furgole, Des lest., chap. 4, sect. 2, n° 208.
��428
TRAITÉ DU DOL
382. — Quoi qu’il en soit, quelle est de ces deux
solutions celle que le Code actuel a sanctionnée? Quel
serait aujourd’hui le sort d’un testament fait par l’in
terdit postérieurement à son interdiction ?
Ces questions seraient toutes tranchées, s’il fallait les
résoudre sous l’influence de l’art. 502. Tous les actes
passés après l’interdiction sont nuis de plein droit, porte
cet article. D’où MM. Toullier et Grenier concluent que
le testament intervenu dans les mêmes circonstances ne
saurait sortir à effet.
Cette conclusion renferme-t-elle une saine apprécia
tion de l’esprit de notre législation, en matière de tes
taments ? Nous hésitons d’autant plus à le croire qu’elle
suppose à priori l’application de l’art. 502 à ces actes,
tandis que le contraire nous parait démontré.
Remarquons d’abord que le Code s’est exactement ap
proprié la pensée de la loi romaine. Comme celle-ci en
effet, et presque dans les mêmes termes, il n’exige, pour
condition des libéralités, que la capacité de fait au mo
ment de l’acte.
Il est donc certain, aujourd’h u i, que ce qui confère
la capacité de tester, c’est non corporis sanitas, mais
integritas mentis. On sait la conséquence que le droit
romain en avait tirée. Peut-on dès lors raisonnablement
admettre que le Code ait adopté le même point de dé
part pour arriver à une déduction diamétralement op
posée ?
Ce système, à notre avis, blesse évidemment la logigue, mais nous allons plus loin encore, car nous trou-
�m
verons qu’il ne choque pas moins la raison. L’art. 901,
exigeant la sanité d’esprit, est complètement satisfait
lorsque cette condition se réalise , et c’est ce qui arrive
lorsque l’interdit a réellement joui d’un intervalle lu
cide, pendant lequel il a disposé. Or, l’opinion que nous
combattons tend à déclarer l’existence de ces intervalles
impossible après l’interdiction, comme si la décision ju
diciaire qui la prononce pouvait avoir pour effet de pros
crire ce que la nature autorise , ce qu’on admet sans
difficulté pour celui qui n’a pas été interdit, quoique étant réellement dans le cas de l’être.
Nous n’avons pas besoin d’insister sur l’énormité de
cet effet attaché au jugement d’interdiction; elle est telle
à notre avis, qu’elle n’a pu venir à la pensée du légis
lateur.
La preuve nous en est fournie par l’art. 901, qui crée
pour les libéralités un système spécial , dérogatoire au
droit commun en matière de capacité. C’est ainsi qu’il
est admis que les art. 303 et 504 n’ont aucune appli
cation aux donations entre vifs et aux testaments. Or,
ce qu’on décide pour ceux-ci, on doit le consacrer pour
l’art. 502. En effet, recourir à celui-ci lorsqu’il y a eu
interdiction et repousser l’art. 504 lorsque le disposant
est mort integri status, ce serait admettre que le légis
lateur a prétendu favoriser tout ce qui tend à infirmer
les testaments, réservant toute sa sévérité pour ce qui est
dans le cas d’en assurer le maintien. Or , nous l’avons
déjà dit, l’esprit de la loi a été de consacrer précisément
le contraire.
ET DE LA FRAUDE.
�TRAITÉ DU DOL
430
Dès lors , si le testament de celui dont tous les actes
sont inattaquables peut être attaqué pour cause de dé
mence, il faut, par réciprocité, admettre que là où tous
les actes ordinaires seraient nuis de droit, le testament
pourra être maintenu si la condition exigée par l’article
901 s’est réalisée. Sans doute l’interdiction judiciaire
ment prononcée crée une présomption de démence, mais
son absence fait présumer la sanité d’esprit. Puisque
dans ce cas cette présomption n’exclut pas la preuve de
la démence , il faut, pour être rationnel , conclure que
dans le premier cas la présomption de la démence ne
peut s’opposer à la preuve de la sanité d’esprit.
385. — En d’autres termes, l’art. 901 dérogeant
aux articles 503 et 504, déroge également, et par parité
de raison , à l’art. 502. C’est d’ailleurs ce qu’enseigne
Merlin :
« Dès que pour déclarer un furieux ou un homme en
démence incapable de tester, n’importe qu’il soit inter
dit ou non, on est obligé de recourir à l’art. 901, il faut
bien aussi que l’on s’y tienne pour déterminer les limi
tes de cette incapacité. Or, d’une part, cet article ne fait
dépendre la capacité de tester que de la santé de l’es
prit, et de l’autre, il est bien sensible que l’interdiction
ne peut empêcher que l’individu qu’elle frappe n’ait des
intervalles lucides, ni , par conséquent, qu’il soit sain
d’esprit pendant ces intervalles. Elle ne peut donc pas
l’empêcher de tester. Eh ! que ferait-on en jugeant le
contraire? On ajouterait à l’art. 901 une exception qu’il
�431
ne contient pas et l’on appliquerait aux testaments l’ar
ticle 502 , qui y est évidemment étranger, c’est-à-dire
qu’on violerait doublement la loi.' »
ET DE LA FRAUDE.
58 4. — Nous ne connaissons aucun monument de
jurisprudence qui ait eu à résoudre la question qui nous
occupe ; mais un arrêt récent de la Cour de cassation
crée un très-fort préjugé contre la doctrine de MM.Toullier et Grenier. La Cour suprême a, en effet, jugé, le 12
novembre 1844, que l’art. 502 n’était pas applicable au
mariage et à la légitimation des enfants naturels, qu’en
conséquence l’interdit avait pu valablement, après son
interdiction, se marier, reconnaître et légitimer les en
fants nés avant ce mariage. Certes, ces actes exigent.de
la part de ceux qui les contractent, un consentement li
bre et éclairé. Ce n’est donc que par la supposition d’un
intervalle lucide qu’on a pu reconnaître à l’interdit la
faculté d’y procéder. Hésiterait-on à admettre pour la
donation et le testament ce qu’on a admis pour le ma
riage et la légitimation? Il suffit de réfléchir aux effets
nécessaires des uns et des autres pour être certain du
contraire.
385 . — Retenons donc que le testament postérieur
au jugement d’interdiction n’est pas nul de plein droit ;
qu’il doit, au contraire, sortir à effet et être maintenu,
si le légataire institué pouve qu’il a été commencé et fini
pendant la durée d’un intervalle lucide.
�TRAITÉ DU DOL
432
Nous disons : pourvu que le légataire prouve l’inter
valle lucide. Remarquons , en effet, que l’interdiction,
quoique ne s’opposant nullement à la réalisation d’un
de ces intervalles , établit la présomption légale d’insa
nité d’esprit ; que dès lors c’est à celui qui y a intérêt à
prouver la vérité contraire. L’interdiction produit donc
dans cette matière un effet certain ; elle déplace la pré
somption qui s’attache à l’acte et change les obligations
respectives des légataires et des héritiers naturels. Si le
testateur est décédé integri status, le testament est ac
cepté, jusqu’à preuve contraire, comme l’expression d’u
ne pensée saine ; si l’interdiction a été prononcée, le tes
tament est présumé l’ouvrage de la démence. Dans le
premier cas, la preuve de l’insanité d’esprit est à la char
ge des héritiers naturels; dans le second , c’est l’héritier
institué qui doit fournir celle de la raison.
586. — Cette dernière preuve sera assezdifficile dans
bien des cas. Dans tous , l’acte lui-même , la nature de
ses dispositions, leur étendue, la justesse d’esprit qui s’y
fera remarquer en'seront des éléments essentiels.
A cet égard, cependant, la valeur de ces indications se
ra nécessairement relative. L’acte authentique appartient,
quant à la rédaction, bien plutôt au notaire qu’au dis
posant lui-même. Il est donc évident que la lucidité, que
la sagesse de cette rédaction ne fournira qu’un indice
peu grave de la sanité d’esprit du disposant.
Il n’en est pas ainsi du testament olographe; celuici est l’œuvre exclusive du testateur. Il ferait donc faci-
�433
lement admettre son état de raison si, par son étendue
et la clarté de ses dispositions, il parait repousser toute
idée de démence.
Toutefois, le testament peut avoir été machinalement
copié sur un projet fourni ou dicté au testateur par les
personnes intéressées. Ce n’est pas tout d’écrire des dis
positions, il faut en outre être en état d’en comprendre
la nature, d’en apprécier la portée. La preuve de Tune
des circonstances que nous indiquons altérerait donc
gravement la foi due à la sagesse de l’acte.
Au reste, c’est à la prudence du juge à établir le vé
ritable caractère de l’acte attaqué ; c’est par l’examen
attentif des circonstances et des faits que la justice dis
tinguera celui qu’il faut maintenir et celui qu’il convient
de rejeter.
ET DE LA. FRAUDE.
387. — En résumé, le respect que son caractère de
haute utilité assurait à la libre disposition des biens, dic
tait au législateur le devoir d’en assurer la sincérité. Les
influences que la cupidité fait s’agiter autour d’un mou
rant offraient un véritable danger, car elles pouvaient
lui inspirer une volonté contraire à ses propres inten
tions et s’enrichir ainsi par une voie illégitime. C’était
donc ces influences qu’il fallait d’abord proscrire ; de là,
l’incapacité des tuteurs, médecins, pharmaciens, minis
tres des cultes. La crainte d’une suggestion dolosive était
bien mieux fondée lorsque le testateur , privé de sa rai
son , se présentait comme une proie facile à toutes les
manœuvres. Les motifs étant identiques, on devait sanci
28
�TRAITÉ DU DOL
434
lionner un principe commun , et de là la présomption
de suggestion qui, indépendamment de l’incapacité du
disposant, annulle les libéralités arrachées à une pensée
inerte et faible, incapable d’apprécier et de comprendre.
Le besoin d’assurer sur ces deux points la volonté du
législateur, commandait de proclamer la recevabilité de
la preuve testimoniale, dont l’admissibilité est abandon
née aux lumières et à la prudence des magistrats.
,388. — Nous arrivons à la captation ordinaire, qui
se concilie très-bien avec la sanité d’esprit la plus com
plète. La captation, en effet, est de toutes les fraudes la
plus déliée, la plus subtile; elle s’insinue d’abord dans
les bonnes grâces de celui qu’elle veut égarer ; exploite
à son profit ses goûts, son intérêt, ses passions ; elle abuse bientôt de l’ascendant que ses manœuvres ont su
lui conquérir, et parvient même à triompher de la vo
lonté la mieux arrêtée.
Son existence, comme dans les cas précédents , vicie
donc l’acte qui en est entaché. La seule différence c’est
que, présumée pour ceux-ci, elle doit, dans l’hypothèse
qui nous occupe, être prouvée par celui qui l’allègue.
389. — Dès lors, l’offre de fournir cette preuve est
toujours recevable. Un instant le silence gardé par le
Code, sur cette cause de nullité des libéralités, avait fait
contester ce résultat. On avait, en effet, interprété ce si
lence comme une abrogation de l’art. 47 de l’ordonnan
ce de 1735, d’où l’on concluait que la recherche de la
�435
captation était interdite. Mais cette interprétation, que la
discussion législative n’autorisait d’aucune manière , a
été depuis longtemps repoussée par la doctrine et la ju
risprudence.
La captation ou suggestion est donc encore une cause
de nullité des libéralités. Mais en conservant le princi
pe, l’on n’en a point diminué et encore moins fait dis
paraître les difficultés d’application. Les procès de cap
tation soulèvent ordinairement, et souvent sans intérêt
réalisable , les plus scandaleux , les plus affligeants dé
bats. « Qui ne sait, disait naguère devant la Cour de
cassation M. l’avocat-général Delangle; qui ne sait que
le plus souvent les procès de ce genre sont imaginés par
ceux qui n’ont pas d’autres moyens d’attaquer un tes
tament. Sur cent procès, c’est à peine si un réussit ; aus
si, quoi de plus scandaleux 1Sous les prétextes les plus
frivoles et dans un misérable intérêt d’argent, on exhu
me le testateur et l’on dirige contre sa mémoire d’in
sultantes accusations. Sa vie privée, ses mœurs, ses pen
sées, ses habitudes les plus intimes, rien n’est respecté ;
tout, au contraire , revêt, au gré d’une polémique ar
dente, les plus odieuses couleurs. »
Ces inconvénients, réellement déplorables, avaient déjà
tellement frappé les auteurs du Code , que le premier
projet avait formellement rayé la captation du nombre
des causes de nullité des donations et testaments. La
discussion la fit cependant maintenir. Faut-il le regret
ter ? Il faut convenir qu’on n’a pas le courage de le
faire en présence des motifs qui ont déterminé le légis
lateur.
ET DE LA FRAUDE.
�TRAITÉ DU DOL
436
« La loi, dit M. Bigot de Préameneu, a gardé le si
lence sur le défaut de liberté qui peut résulter de la cap
tation et sur le vice d’une volonté déterminée par la co
lère ou par la haine. Ceux qui ont entrepris de faire
annuler des dispositions par de semblables motifs, n’ont
presque jamais réussi à trouver de preuves suffisantes
pour faire rejeter des titres positifs, et peut-être vaudraitil mieux , dans l’intérêt général , que cette source de
procès ruineux et scandaleux fût tarie, en déclarant que
ces causes de nullité ne seraient pas admises. Mais alors
la fraude et les passions auraient cru voir dans la loi
même un titre d’impunité. Les circonstances peuvent être telles, que la volonté de celui qui a disposé n’ait pas
été libre ou qu’elle ait été entièrement déterminée par
une passion injuste. C’est la sagesse des tribunaux qui
pourra seule apprécier les faits et tenir la balance entre
la foi due à l’acte et l’intérêt des familles ; ils empêche
ront qu’elles ne soient dépouillées par les gens avides
qui subjuguent les mourants, ou par l’effet d’une haine
que la nature ou la raison condamne. »
Ainsi si, dans l’origine du Code, les procès en capta
tion ont pu présenter une question de droit, ils ne sau
raient plus aujourd’hui constituer qu’une pure question
de fait, que la conscience du juge apprécie souveraine
ment. Mais , dans l’intérêt même de cette appréciation,
faisons remarquer que ce n’est, en quelque sorte , qu’à
regret que la captation et ses effets ont été maintenus
dans la législation. Cette considération indique suffisam
ment avec quelle prudente réserve doivent agir les tri
bunaux dans leur admission.
�437
590. — Il en est de la captation ordinaire comme
de la captation présumée, c’est-à-dire que la preuve tes
timoniale est toujours recevable. Le système que cette
recevabilité devait être subordonnée à l’existence d’un
commencement de preuve par écrit, un instant soutenu,
a été abandonné par tout le monde. Conséquemment,
son admissibilité dépend essentiellement delà gravité et
de la pertinence des faits articulés.
ET DE LA FRAUDE.
591. — Or les faits n’ont de la gravité que s’ils ten
dent à établir un ensemble de manœuvres frauduleuses
et dolosives. En effet, la seule captation que la loi a
voulu réprimer, est celle qui , par une espèce de vio
lence morale,est parvenue à substituer à la volonté spon
tanée du disposant une volonté qu’elle a su faire naître
et qu’elle a entretenue par ses artifices : Quod falsœ et
dolosœ suggestiones adhibitœ sint, comme, dit la loi
romaine.
« Ainsi, dit Furgole, les présents, les affections vraies
ou simulées, les services , les complaisances , les caresres, les prières, dans la vue d’attirer les libéralités, n’ont
pas , à la vérité , toute la pureté d’intention et ne sont
pas louables à cause du motif d’intérêt sordide qui en
est le mobile , mais ces voies ne sont pas pourtant dé
clarées illicites, parce qu’elles n’ont pas une liaison né
cessaire avec le dol et la fraude. Ce sera tout au plus ce
qu’on appelle dolus bonus, qui ne doit point nuire à
celui qui le met en usage.',»
�438
TRAITÉ DU DOL
Il est évident , en effet, qu’on ne pouvait réduire le
sort de la captation à un fait intentionnel dont la re
cherche ne saurait dans aucun cas offrir la moindre sé
curité, la plus légère certitude. Les tribunaux n’ont pas
la mission de lire dans les cœurs, parce qu’ils n’en ont
pas le pouvoir. C’est par des faits certains qu’ils peu
vent arriver à des conséquences plus ou moins logi
ques. Et si , nonobstant ces éléments, l’erreur se glisse
quelquefois dans leurs décisions , il en serait bien plus
ainsi si ces décisions étaient réduites à interpréter le vé
ritable caractère des pensées intimes des parties conton
dantes.
Qu’importe d’ailleurs que le disposant ait été la dupe
d’une affection simulée , qu’il ait cru à la sincérité de
l’attachement qu’on lui témoignait. De sa part, au
moins, cet attachement était sincère , et si la libéralité
n’a été que la conséquence de ce sentiment, il y a bien
réellement volonté certaine , et conséquemment impos
sibilité de s’y soustraire : captatorias imtitutiones non
eas senatus improbavit, quæ mutuis affeclionibus judicia provocavenmt.1
De là il suit que si les faits articulés ne tendaient à
établir que des circonstances de la nature de celles re
levées par Furgole, la preuve en serait inadmissible.En
effet, prouvées qu’elles fussent, supposé même qu’on pût
en démontrer le défaut de sincérité, ces circonstances ne
pourraient empêcher l’acte de produire son plein et en
tier effet.
1 L. 70, Dig. De hœred. inst.
�439
592. — Mais à quelles conditions reconnaîtra-t-on
qu’il s’agit d’une captation prohibée? Evidemment lors
que les faits allégués, s’ils étaient certains, rendraient la
libéralité involontaire , en démontrant l’illégitimité des
moyens à l’aide desquels on est parvenu à égarer son
auteur. Bien qu’en pareille matière il ne puisse exister
ni règles absolues, ni précédents obligatoires, il est ce
pendant admis en doctrine et en jurisprudence qu’il est
des faits ayant à cet égard une grave et importante si
gnification.
Ainsi un homme a toujours bien vécu avec sa famil
le. Survient un tiers qui se substitue à celle-ci dans son
affection. Pour assurer son empire , il répand le venin
de la calomnie sur les membres de la famille , les dé
peint comme les ennemis particuliers de celui qu’il trom
pe, et parvient enfin à les faire déshériter.
Dans la meme hypothèse , le tiers ne se contente pas
de semer la haine et la discorde entre le testateur et ses
héritiers naturels. Se méfiant encore des sentiments du
premier , il l’éloigne de tous ses amis, de tous ses pa
rents, auxquels il interdit tout accès.
Evidemment des actes de cette nature ont une portée
énorme. Ils prouvent que la libéralité n’a pas été l’effet
de l’affection. Le testateur, en effet, aurait préféré ses
parents, s’il n’avait été abusé par les calomnies odieuses
dont ils ont été l’objet, calomnies dont la séquestration
devait assurer le triomphe, en apportant un obstacle in
vincible à toute explication.
D’autre part, quel peut être le motif de la séquestra-#
ET DE LA FRAUDE.
�440
TRAITÉ DU' DOL
tion, si ce n’est d’isoler celui qui la subit et de triom
pher ainsi plus facilement de sa volonté. On peut même
dire que l’auteur de cette mesure illégale a , par cela
seul, témoigné combien était faible l’affection dont il se
prévaudra plus tard. C’est parce qu’il a craint que ce
sentiment ne s’effaçât devant la présence seule des pa
rents qu’il les a soigneusement écartés.
Dès lors l’offre de prouver, soit un système de calom
nie contre la famille, soit la séquestration du disposant,
contient des faits d’une nature grave. Ce sont là des
moyens dolosifs réprouvés par la morale et par la loi.
Leur preuve est non seulement recevable , mais encore
admissible , si d’ailleurs on lui reconnaît les caractères
de pertinence dont nous parlerons bientôt.
395. — Le concubinage était autrefois une cause de
nullité des donations ou testaments. Son existence faisait
présumer la captation dolosive. La preuve en était donc
recevable et admissible.'
Il faut convenir que la prohibition de l’ordonnance,
dont la rigueur avait d’ailleurs été modifiée dans la pra
tique, s’étayait, au point de vue juridique et moral, sur
de puissantes considérations. On connaît l’empire que
des relations illégitimes créent, surtout sur des vieillards,
et la certitude de cet empire pouvait facilement détermi
ner la conviction que les libéralités obtenues n’avaient
pas d’autre cause. L’histoire du concubinage est, dans
* 1 Ordonnance de janvier 4629, art. 132.
�•. J
441
une autre signification, le martyrologe de bien de famil
les qui l’ont vu audacieusement exploiter la discorde et
la haine qu’il avait semées dans leur sein.
Cependant le Code civil a nettement répudié sur ce
point les errements du législateur de 1629. Non pas,
certes, qu’on se soit dissimulé la réalité du danger que
celui-ci avait prévu, mais on a considéré qu’il y aurait
un péril plus grave encore , pour la morale publique,
dans la manifestation des désordres et des passions du
testateur; dans le scandale d’actions dirigées quelquefois
sans fondement contre la personne instituée.
Quoi qu’il en soit, il est bien certain qu’aujourd’hui
le concubinage ne détermine aucune incapacité , qu’il
ne peut même être invoqué comme prouvant la capta
tion.
Celui-là donc qui demanderait à le prouver, comme
moyen unique d’établir celle-ci , devrait être repoussé.
La preuve offerte ne serait ni recevable, ni admissible.'
Mais le concubinage rend la captation vraisemblable.
À ce titre , il devient un élément essentiel du dol, un
moyen d’apprécier la gravité des faits signalés. Lors
donc qu’on l’articule à l’effet d’étayer divers autres ma
nœuvres et artifices, la preuve peut et doit en être or
donnée.3 "
ET DE LA FRAUDE.
t Pau, 20 mars 1822; — Grenoble, 15 juin 1822; — Pai'is, 17 juil
let 1826.
2 Cass., 31 janvier 1814; — Aix, 17 avril 1844 ( succession Gastain).
�442
TRAITÉ DU DOL
594. —• À.u reste , une considération qui domine
nécessairement toute notre matière, c’est que la gravité
des faits, au point de vue des résultats à obtenir, est pu
rement relative. On doit l’apprécier dans chaque espèce,
non seulement par l’ensemble des circonstances , mais
encore par la position respective du disposant, de sa fa
mille , de l’institué , par leurs antécédents à tous. C’est
à la prudence du juge à consacrer la solution la plus
rationnelle. Nous l’avons déjà d it, son appréciation est
souveraine. Cependant la loi nous paraît avoir tracé le
mode à suivre dans la création des incapacités. Plus une
personne aura été dans le cas d’influencer la volonté du
disposant, plus on croira à l’exercice de cette influence.
En conséquence, tel fait qui, par rapport à l’un, man
querait de gravité , en acquerrait une positive par rap
port à l’autre. La preuve qui serait repoussée pour ce
lui-là pourra donc être admise pour celui-ci.
595. — La gravité des faits détermine généralement
leur pertinence. Il est rare , en effet, qu’un fait grave
soit jugé non pertinent. Cependant cela peut se réaliser,
lorsqu’il s’agit d’un procès en captation ou suggestion.
On doit , dans ce cas, se montrer beaucoup plus sévère
que lorsqu’il s’agit d’une simple obligation. C’est ce qui
s’induit des principes que nous avons déjà rappelés.
L’exécution littérale des dispositions réglant la trans
mission des biens est le premier vœu du législateur,
parce qu’elle est une nécessité sociale. Or, soumettre au
gré d’un héritier désappointé et, dans tous les cas, cette
�443
exécution aux chances de témoignages complaisants ou
corrompus , c’est non seulement aller contre l’esprit de
la loi , mais encore altérer la foi due aux divers modes
de transmission autorisés.
Que, dans le but d’en assurer la sincérité, on ait per
mis de recourir à la preuve testimoniale , c’est là une
exception dictée par l’intérêt bien entendu des familles,
et non une arme abusive qu’on ait voulu leur confier.
Il convient donc de la renfermer dans les limites d’une
nécessité démontrée. Or, s’il suffisait d’articuler des faits
graves pour obtenir de faire entendre des témoins, l’ex
ception deviendrait bientôt le droit commun.
En effet, le demandeur en preuve saura bien articu
ler des faits assez graves pour que sa demande ne puis
se être refusée. Il parlera de calomnies répandues con
tre les parents, de la séquestration de l’auteur de la li
béralité , e t, suivant qu’il sera possible de le faire , du
concubinage même. Il sait très-bien lui-même qu’il est
dans l’impossibilité de prouver ce qu’il avance , mais
l’intérêt du moment est d’obtenir l’interlocutoire , cela
prolonge d’abord le litige, puis la preuve testimoniale a
tant de chances ! Il peut se faire même que l’adversaire,
effrayé de ses incertitudes, compose en abandonnant une partie de ses droits.
Ce calcul n’est pas toujours une pure hypothèse. Sa
possibilité avait tellement frappé des esprits judicieux,
qu’elle les avait déterminé à subordonner la recevabilité
de la preuve orale de la captation à l’existence d’un
commencement de preuve par écrit. On a, avec raison,
ET DE LA FRAUDE.
�444
TRAITÉ DU DOL
condamné ce système qui, pour éviter un inconvénient,
tombait à plein dans l’inconvénient opposé. Mais l’exis
tence du danger signalé exigeait qu’on s’occupât de le
prévenir. Le moyen qui s’offrait le plus naturellement
était de se montrer exigeant sur ce qui constitue la per
tinence des faits.
On ne reconnaitra donc ce caractère qu’aux faits qui
tendent à prouver :
596. — 1° Que la captation dolosive a été la cause
déterminante de la libéralité.
Cette condition n’est qu’une application exacte de l’ar
ticle 1116 du Code civil. Aux termes de sa disposition,
le dol n’annulle le contrat que si les manœuvres de l’u
ne des parties ont été telles que , sans ces manœuvres,
l’autre partie n’aurait pas contracté. En d’autres termes,
la captation dont on se plaint doit constituer un dol
substantiel , car il n’apparait en rien que le législateur
ait entendu déroger, pour les actes à titre gratuit, à la
règle commune à tous les contrats.
De là cette conséquence que si le défendeur prouvait
que la libéralité a une cause naturelle et légitime, indé
pendante du dol, s’il établissait, par exemple , par des
précédents certains, qu’il a été l’objet d’une affection
constante de sa part , les faits à l’aide desquels on en
tend prouver la captation se trouveraient ou infirmés,
ou condamnés n’avance à ne produire aucun résultat
positif. Sans doute leur existence démontrée ferait pré
sumer le dol, mais la certitude de l’affection du dispo-
�445
sant pour l’institué créerait la présomption contraire.
On ne saurait, dès lors, se prononcer pour l’une ou pour
l’autre sans s’exposer à s’écarter de la vérité. 11 y au
rait, tout au moins , doute sur le mobile qui a fait agir
le disposant, et, dans le doute, on doit se prononcer pour
le maintien de l’acte.
ET DE LA FRAUDE.
397. — La Cour de Dijon a fait une remarquable
application de ce principe dans l’espèce suivante :
« L’abbé Volfius, ancien évêque de Dijon, meurt en
l’état d’un testament par lequel il lègue une maison va-,
lant 6,000 fr. à la demoiselle Edme-Rose Guedeney,
sœur de Marie, sa domestique, et institue celle-ci et le
sieur Silvestre pour ses héritiers universels, chacun par
moitié. Ce testament avait été précédé de donations en
tre vifs en faveur des mêmes individus.
» Les héritiers du sang poursuivent la nullité de ces
donations et testament pour cause de captation et sug
gestion. Après enquête et contre-enquête, arrêt définitif
qui prononce la nullité à l’encontre des deux filles Gue
deney, et maintient les dispositions faites en faveur de
Silvestre. Ce maintien se fonde sur le motif suivant :
» Considérant qu’il ne résulte pas de l’enquête de
preuves positives que Silvestre ait concouru d’une ma
nière active à la captation ou suggestion artificieuse em*
ployée par Marie Guedeney sur l’abbé Volfius ;
» Que si des présomptions graves résultaient contre
lui : de l’époque à laquelle la donation a eu lieu à son
profit; de ce qu’elle aurait eu lieu au même instant
�446
TRAITÉ DU ■ DOL
que celles des filles Guedeney ; des circonstances qui
l’ont suivies, telles que le désistement d’usufruit, la vente
des objets donnés , le non remplacement ostensible de
leur valeur ; d’avoir empêché quelques-uns des témoins
de parler à M. Volfius ; de la circonstance que les faits
de captation ont eu lieu depuis son établissement avec
l’abbé Volfius ; du fait enfin de la spoliation de la suc
cession de la demoiselle Volfius, et de celui d’avoir di
rigé les soupçons sur des personnes étrangères que l’on
voulait éloigner de la maison ; cependant ces présomp
tions sont combattues par d’autres, notamment par celle
résultant de l'affection que lui témoignait M. Volfius,
des soins qu’il avait donné à son éducation , de la né
cessité où était en quelque sorte M. Yolfius de lui faire
des avantages pécuniaires, après l’avoir tiré de la posi
tion peu fortunée dans laquelle il était ; de l’intention
manifestée par le testateur de lui laisser une partie de
sa fortune ; de ce qu’enfm la portion qui lui est attri
buée, qui est une moitié, peut ne pas paraître excessive
dans la situation où était M. Volfius à son égard.
» Que de là il suit qu’il est plus juste et plus natu
rel d’accorder la préférence aux présomptions qui sont
en faveur de l’existence des actes, et que dès lors il n’y
a pas lieu d’accorder la nullité demandée par rapport
aux actes faits au profit de Silvestre.1 »
Certes , les faits dont Silvestre était convaincu étaient
graves et concluants. Ils auraient nécessairement amené
�.( .
“
<..
•
447
l’annulation des libéralités qui lui avaient été faites, s’il
ne s’était trouvé dans une position toute particulière visà-vis de leur auteur. En l’état de cette position , pouvait-on considérer ces faits comme la cause déterminante
du contrat? Certes le doute était permis , et dès lors la
captation manquant d’un de ses éléments essentiels,
l’acte devait être maintenu. En le décidant ainsi, la Cour
de Dijon a sainement appliqué les véritables principes.
Aussi son arrêt reçut-il la sanction de la Cour de cas
sation.
Or il est évident que ce qui , dans l’espèce , résultait
des enquêtes, peut, dans d’autres circonstances, être éta
bli avant ou au moment de l’interlocutoire. Ainsi, il peut
dès lors être certain que l’institué a toujours été dans
l’intimité du disposant ; qu’indépendamment des rela
tions les plus affectueuses, il en a reçu, avant la derniè
re disposition , des libéralités , soit par actes entre vifs,
soit par des testaments précédents. Les preuves qui ré
sulteraient de ces derniers seraient même d’une extrême
importance s i, de leur date à la mort de leur auteur,
il s’était écoulé un long intervalle de temps. Celui qui a
longtemps vécu en l’état de dispositions qu’il pouvait ré
tracter, qui ne les a changées que pour les rendre plus
favorables encore , celui-là , disons-nous , a témoigné
d’une continuité d’affection laissant bien peu de place à
une accusation de captation.
L’invraisemblance de cette captation enlèverait donc
toute pertinence aux faits interloqués. La seule preuve
recevable, en présence de pareils antécédents, serait celle
ET DE LA FRAUDE.
�448
TRAITÉ DU DOL
qui tendrait à prouver que la haine avait succédé à l’af
fection, et que le dol seul avait empêché la première de
se manifester. Les faits côtés à l’appui, s’ils étaient gra
ves , seraient en outre pertinents , car ils auraient, pour
but d’établir que le dol a été la cause unique et déter
minante de la libéralité.
598. — 2° Que la volonté écrite du testateur est
contraire à celle qu’il aurait exprimée, s’il eût été livré
à ses propres inspirations.
La captation n’annullant les libéralités que parce
qu’elle est censée substituer une volonté suggérée à celle
que le testateur aurait spontanément conçue et expri
mée, l’existence de celle ci est indispensable pour qu’on
puisse admettre la captation. Demander à justifier celle
existence, c’est donc offrir une preuve utile dans l’inté
rêt de celui qui l’invoque. Les faits tendant à l’établir
reçoivent de la nature même des choses un caractère
de pertinence incontestable,
11 n’est pas naturel que , sans motifs suffisants, un
homme rompe tout à coup avec les antécédents les mieux
établis , abandonne subitement une intention dès long
temps conçue et déshérite ceux qu’il a jusque-là consi
déré et traité comme ses successeurs. La preuve de ce
changement subit fait donc supposer autre chose qu’un
effet de la mobilité ordinaire du cœur humain , et ce
premier doute, s’il est corroboré par la preuve de ma
nœuvres frauduleuses , imputées à celui qui profite du
changement, est de nature à se convertir en certitude.
�449
C’est la cupidité qui a déterminé la conduite du testa
teur. Cette conduite devient un des éléments de la cap
tation dont le but et la nécessité ainsi démontrés ren
dent, à priori, l’existence probable.
On conçoit en effet que , pour arriver à arracher de
l’esprit du testateur une résolution depuis longtemps ar
rêtée , il ait fallu des efforts persévérants et nombreux,
[/intérêt cupide qui a entrepris cette tâche aura-t-il re
culé devant l’emploi du dol et de la fraude ? Ne faut-il
pas admettre , au contraire , qu’à la déloyauté de l’in
tention s’est réuni l’odieux des moyens? Ce sont là des
questions dont la solution , si elle peut être douteuse,
n’en appelle pas moins une exacte et sévère investiga
tion.
L’indication d’une volonté contraire à celle du testa
ment attaqué est donc indispensable pour la pertinence
des faits articulés. La Cour de Grenoble a même décidé
que son absence devait faire rejeter la preuve de la cap
tation. Elle a en effet jugé, le 16 avril 1806, que cette
preuve n’est admissible que lorsque les faits articulés
tendent à établir l’intention du testateur de manifester
une volonté contraire à celle qui' est exprimée dans le
testament', et l’on doit convenir que l’esprit de la loi
étant, comme nous l’avons fait remarquer , de croire à
la réalité de la captation , par et suivant son plus ou
moins de vraisemblance, justifie la déterminationprisepar
la Cour de Grenoble.
ET DE LA FRAUDE.
1 D. A , tom. v, pag. 292.
i
*
29
�Toutefois il faut se garder d’outrer les conséquences
du devoir imposé au demandeur eu nullité , pour cause
de captation. Ainsi on admettra le changement de vo
lonté alors même que rien, dans la conduite du testa
teur, indiquerait qu’il eût pris aucune disposition rela
tivement à son hérédité, s’il était articulé qu’il avait l’in
tention de décéder ab intestat. On sait les répugnances
que certaines personnes éprouvent à l’endroit de leur
testament. On parviendrait souvent plus facilement à
triompher de l’affection du testateur que de lui faire
vaincre un préjugé fondé sur l'égoïsme et la crainte. La
captation n’aura donc pas été moins puissante dans ce
cas que dans l’autre.
Elle peut donc également se rencontrer dans tous les
deux. Elle présentera dans chacun les mêmes circons
tances, c’est-à-dire l’abandon d’une volonté préconçue,
peu importe que cette volonté ait été ce que nous ap
pellerons positive ou négative. 11 suffit que le testateur
ait réellement fait le contraire de ce qu’il voulait faire,
de ce qu’il aurait fait s’il eût été libre, pour que les faits
tendant à le prouver soient pertinents et admissibles.
L’intention de mourir sans testament peut même ré
sulter des antécédents de celui à qui on l’attribue. Ainsi
un vieillard, parvenu à ün âge avancé sans avoir pris
aucune disposition , semble tout à coup possédé de la
manie contraire. Il multiplie, il entasse les actes de der
nière volonté, et, dans chacun d’eux, c’est la même per
sonne qui reçoit successivement des avantages plus im
portants. Si celte personne est un domestique, si depuis
�431
quelque temps elle entoure le testateur , ne pourra-t-on
trouver dans son intérêt , dans son désir de s’enrichir,
la cause de la conduite nouvelle du testateur? Y auraitil de la témérité à voir, dans l’ensemble de ces circons
tances, la preuve d’une grande faiblesse d’un côté, et de
l’autre l’abus d’une influence illégitime et frauduleuse ?
Ajoutons que , dans l’appréciation de la volonté du
testateur, la qualité du réclamant exercera toujours une
juste, une nécessaire influence. La transmission des
biens est ordinairement réglée par l’affection; celle-ci,
à son tour, se mesure sur les liens de la parenté: C’est
dans ces proportions que la loi a trouvé la base de ses
propres dispositions.
Dès lors on supposera plus facilement une intention
contraire à celle du testament, lorsque celui qui se plaint
est l’enfant ou le descendant du testateur, que lorsqu’il
s’agit d’un collatéral plus ou moins éloigné. On sera
donc pour ces derniers beaucoup plus exigeant qu’on ne
le serait avec les premiers.
Sans doute le collatéral, comme l’enfant, étant appelé
par la loi à défaut de testament, a un litre légitime des
effets duquel il ne peut être dépouillé que par des mo
yens avoués parla loi et la justice. Cela est vrai, même
d’une manière absolue. Aussi ne lui conleste-t-on pas
la faculté d’attaquer le testament pour cause de capta
tion. Mais l’intérêt déçu se fait facilement illusion , et
l’amour-propre , blessé par l’idée de l’indifférence du
testateur, a volontiers recours au prétexte de la capta
tion. Il est évident que la justice ne saurait partager uET DE LA FRAUDE.
�452 ,
TRAITÉ DU DOL
ne préoccupation de ce genre. Avant donc d’annuler
pour cause de captation , elle exigera la preuve de son
existence. Cette preuve elle-même ne sera autorisée que
si les faits rendent le reproche vraisemblable. Or, com
ment atteindre ce caractère, si le demandeur ne justifie
ou n’offre de justifier que le testateur éprouvait pour
lui une affection telle qu’il l’eût nécessairement institué
son héritier si le dol et la fraude n’avaient enchaîné sa
pensée, perverti sa volonté ? Or, c’est là précisément ce
que la loi présume en faveur des enfants ou descen
dants.
399. — En résumé , on ne saurait agir avec trop
de circonspection lorsqu’il s’agit de statuer sur des actes
de dernière volonté. La libre disposition des biens tou
che intimément à l’ordre public, et ce serait risquer de
l’altérer que de prétendre la réglementer au moyen de
témoignages le plus souvent complaisants ou corrom
pus. On ne doit donc recourir à la preuve testimoniale
que dans le cas où, en la supposant rapportée, on arri
verait nécessairement à l’infirmation des dispositions at
taquées.
« Or, les faits articulés, dit Merlin, doivent, pour opérer la nullité des testaments , être d’une nature telle
qu’il en résulte que la volonté écrite du testateur est
contraire à sa propre raison ; qu’il n’a fait telle dispo
sition que parce qu’il y a été entraîné par l’obsession
d'autrui, par une faiblesse marquée et dont les preuves
ont éclaté au dehors ; que cette obsession a été l’unique
�453
cause de ses dispositions ; que si elle n’avait pas eu lieu,
il en aurait fait de toutes contraires; en un mot, il faut
que la volonté exprimée par le testament soit entière
ment opposée à celle que le testateur avait dans le cœur
et que l’une n’ait été substituée h l'autre que par l’effet
du dol, de la fraude, de l’artifice.' »
Si la preuve doit offrir ce caractère, il n’y aura réel
lement de faits pertinents et graves que ceux qui réuni
ront les conditions que nous venons de rappeler. On doit
donc rejeter, comme inadmissibles, tous ceux qui ne se
raient pas dans ce cas.
ET DE LA FRAUDE.
400. — Si la preuve des faits interloqués est rap
portée, si elle est jugée concluante, l’acte démontré être
le produit du dol doit être annulé. Cette nullité affecte
la disposition dans son entier, car la faculté d’anéantir
la libéralité ne contient pas celle de la modifier ou de
la réduire. C’est ce qui résulte d’un arrêt de la Cour de
cassation du 22! janvier 1810.
Dans l’espèce jugée par cet arrêt, la Cour de Renne s
admettant que la captation avait eu pour effet d’arracher
des libéralités exagérées, avait cru devoir réduire celles
que renfermait le testament attaqué. Mais cette décision
fut considérée comme renfermant un excès de pouvoir
et censurée par la Cour de cassation.
Il n’y a donc pas de milieu dans la matière qui nous
occupe ; la captation existe ou n’existe pas, et l’acte doit
1 Rép., v"
S u ggestion , $ 1, n° 2
�454
TRAITÉ DU DOL
être annulé ou maintenu, selon que les reproches dont
il est l’objet sont ou non justifiés.
401. — D’autre part , la Cour de Grenoble a jugé,
le 21 mai 1824 , que l’annulation pour cause de cap
tation ne porte pas seulement sur la disposition faite en
faveur de la personne qui s’est rendue coupable de sug
gestion et de captation, qu’elle doit frapper le testament
tout entier. Ainsi généralisée, cette proposition nous pa
raît peu admissible.
En effet, subordonner l’ensemble d’un testament à
l’invalidité de l’une de ses dispositions, c’est établir en
tre les diverses parties du testament une corrélation et
une indivisibilité qui répugnent à la nature de cet acte.
Le testament, régulier en la forme, renferme, à propre
ment parler , autant de testaments qu’il y a de disposi
tions distinctes. Chacune de ces dispositions est indé
pendante de celle qui la précède ou la suit. Elle se suffit
à elle-même, de telle sorte qu’existât-elle seule, elle n’en
sortirait pas moins à effet, si elle est d’ailleurs l’expres
sion d’une volonté intelligente et libre.
Qu’importe donc qu’à côté d’elle existent d’autres dis
positions introduites par une volonté étrangère au testa
teur. Ne suffit-il pas qu’elle n’ait point participé au vice
infirmant celles-ci pour qu’elle ne puisse être atteinte
par l’annulation qui leur est réservée? L’effet de cette
annulation sera d’ailleurs de faire considérer les dispo
sitions qui en sont l’objet comme non écrites. Or, sup
posez qu’elles ne l’eussent jamais été, cela empêcheraitil celles qui le sont légalement de sortir à effet ?
�455
Cela se concevrait si la loi qui nous régit défendait
encore le cumul des successions testamentaires et ab in
festât , mais les inspirations du droit romain sur ce
point ont été abandonnées. La nullité de l’institution,
comme l’absence complète de toute institution, n’a plus
aucune influence sur les legs valablement faits. Décider
le contraire, ce serait méconnaître et violer la loi.
Lai solution consacrée par la Cour de Grenoble, c’està-dire l’annulation du testament en entier, n’est possi
ble que dans un seul cas , à savoir , lorsque toutes ses
dispositions sont le produit de la captation et de la sug
gestion. Ce fait admis, il importe peu que les légataires
aient ou non participé aux manœuvres employées, qu’ils
en aient ou non connu l’existence. Le testament, même
en ce qui les concerne, n’est plus l’œuvre de la volonté
libre de son auteur. Il manque donc de la condition la
plus essentielle à sa validité. Il ne peut, dès lors, créer
aucun droit en faveur de qui que ce soit.
ET DE LA FRAUDE.
402. — Nous avons déjà rappelé qu’en principe le
dol indirect est une cause de nullité pour les disposi
tions à titre purement gratuit. Ce principe, fondé sur la
maxime qu’il n’est pas juste qu’on puisse s’enrichir au
détriment d’un tiers, reçoit surtout une application ex
acte lorsqu’il s’agit d’une libéralité par acte entre vifs ou
testamentaire.
C’est ce que la Cour de Dijon avait formellement con
sacré dans l’affaire Wolflus , à l’encontre de la sœur de
celle qui avait capté, la fille Guedeney. Cette disposition
�456
TRAITÉ DU DDL
fut déférée à la Cour de cassation. Mais le pourvoi fut
rejeté , « attendu que la libéralité , étant reconnue le
produit de la captation, a dû être annulée, soit que les
moyens frauduleux aient été employés directement par
la demanderesse, soit par l’entremise d’un tiers. »
Celte docrine est d’autant plus irréprochable, que sou
vent l’institution d’un tiers étranger à la captation n’est
qu’un calcul, qu’un moyen adroit de placer les libéra
lités arrachées par la fraude, sous l’égide d’une disposi
tion irréprochable sous le rapport de la personne qui en
est l’objet. On ne pouvait donc , sans autoriser la plus
énorme injustice, laisser au dol une pareille chance de
succès.
Conséquemment, que la captation ait été directe ou
indirecte, il suffit que le testament en soit infecté pour
qu’on se refuse à lui accorder la moindre exécution. Or,
que la volonté ait été forcée dans l’intérêt de l’auteur du
dol ou dans celui de toute autre personne, le résultat est
le même. Il n’y a pas de disposition valable, car il n’y a
ni spontanéité, ni liberté dans l’expression de cette vo
lonté.
405. — On a longtemps agité la question de savoir
si la plainte en captation était recevable .contre une do
nation entre vifs. La négative était fondée sur cette con
sidération que l’influence delà captation, vraisemblable
sur un testateur , cesse de l’être sur un donateur qui se
dépouille lui-même. Mais cette opinion ne pouvait pré
valoir. Le motif à l’appui ne peut produire d’autre effet
�457
que de rendre plus sévère dans l’appréciation du reproche;
mais prétendre y trouver une fin de non recevoir abso
lue contre son admission , ce serait amnistier le dol,
parce qu’il a su se proposer et accomplir une tâche plus
difficile et plus périlleuse.
Les héritiers du donateur pourront donc attaquer la
donation et démontrer qu’elle n’est que le produit de la
captation. L’action est également ouverte en faveur du
donateur lui-méme. Son concours à l’acte ne saurait la
lui faire refuser, le do! faisant exception à tous les prin
cipes.
ET DE LA FRAUDE.
404. — L’empêchement de tester a toujours été con
sidéré comme un dol donnant ouverture à une action
en faveur de celui qui en a souffert. Les diverses légis
lations qui se sont succédées ont seulement varié sur les
effets qu’il devait produire.
Le droit romain voyait l’empêchement de tester dans
le fait de s’être opposé à ce que l’officier public appelé
par le mourant pût parvenir jusqu’à lui ou d’avoir, par
des manœuvres frauduleuses, détourné les témoins re
quis. Cet acte était considéré comme un crime rendant
l’héritier, soit direct, soit institué par un précédent tes
tament, indigne de recueillir la succession, laquelle était
dévolue au fisc.1
1 L. ■!, SH ; L. 1! et 3, Digeste ; L. 2, Cod. Si qnis ciliquem teslari
prohibitif; L. <19, Digeste Q u œ ut indignis ; L. .3, § dernier, Digeste
Ad scnal.-cons. Trebellianum.
�458
TRAITÉ
DU
DOU
En France, le principe de l’indignité avait été admis
universellement. Mais, par une appréciation plus juste
de ses effets, la succession passait au parent du degré le
plus rapproché après l’indigne, ou aux héritiers du sang,
selon qu’il s’agissait d’un hériter naturel ou testamen
taire. Dans les coutumes qui admettaient une réserve en
faveur de certains héritiers, l’indignité n’enlevait jamais
que la portion excédant la réserve légale.
En droit romain , comme en droit français , la perte
de la succession n’exonérait pas l’auteur de l’empêche
ment de l’obligation d’indemniser celui qui en avait été
victime. La question de savoir si celui-ci pouvait reven
diquer la succession ne pouvait même naitre sous l’em
pire du premier. La dévolution de cette succession au
fisc faisait assez connaître l’intention du législateur.
L’abrogation de cette disposition avait naturellement
appelé l’attentiou des jurisconsultes sur celte question.
Sa solution, au témoignage de Furgole, avait été confor
me à celle qui résultait de la loi romaine. On refusait
assez généralement la possession de l’hérédité à celui
qui n’avait d’autre titre que la volonté non réalisée du
testateur.
« Cela, dit Furgole, ne se pratique point dans les
pays de droit écrit et ne parait pas même pouvoir être
observé dans les pays coutumiers , parce que l’art. 1er
de l’ordonnance de 1735 y fait obstacle ; car ce serait
faire valoir une disposition verbale , non constatée par
un acte revêtu des formalités prescrites, et admettre la
preuve testimoniale d’une telle disposition contre la pro
hibition expresse de cette ordonnance.
�ET DE LA FRAUDE.
459
» Lorsqu’un testateur se propose de faire des libéra
lités dans un testament qu’il ne fait pas, à cause qu’il
en est empêché, sa volonté demeure dans les termes d’un
simple projet qui ne peut opérer aucun effet, et les legs,
fidéicommis, ou autres dispositions , ne sont valables
qu’autant qu’ils sont faits par un testament ou un codi
cille revêtu de toutes les formalités de droit.' »
Il est donc certain qu’avant le Code civil , celui qui
souffrait de l’empêchement de tester, n’avait qu’une seule
action , à savoir : celle tendant à obtenir la réparation
du préjudice qui lui avait été causé. Cette réparation con
sistait dans une allocation pécuniaire à la charge.de l’au
teur de l’empêchement. La succession était dans tous les
cas dévolue ab intestat aux parents appelés par la loi.
405. — Le Code civil s’est écarté , quant aux effets
de l’empêchement de tester, des inspirations des législa
tions précédentes. L’art. 727, qui énumère les causes
d’indignité , est complètement muet sur l’empêchement
de tester. Ce silence équivaut au rejet absolu de celte in
capacité jusque là admise.
De là celte conséquence que l’héritier , frustré de la
succession que le testateur lui destinait, pourrait moins
encore aujourd’hui réclamer la délivrance en nature de
ce que le défunt voulait lui laisser. A l’autorité des mo
tifs indiqués par Furgole, se réunit celte circonstance
que l’empêchement de tester ne produisant plus l’indi1 Des testaments, n° 121.
■
�460
TRAITÉ DU DOL
gnité, les biens de la succession ne cessent pas d’appar
tenir à celui qui les a recueillis, fût-il même l’auteur de
l’empêchement.
406. — Ce principe admis par M. Chardon , lors
qu’il s’agit d’un héritier légitime, est contesté par ce ju
risconsulte à l’égard de l’héritier testamentaire. L’indi
gnité, dit-il, prononcée par le droit romain et par notre
ancienne législation, reste, par rapport à ce dernier, dans
toute sa force. La preuve que le testateur a été empêché
de changer de volonté ferait réputer son testament révo
qué , et rendre aux héritiers ab intestat la succession
entière.'
Cette doctrine nous paraît formellement repoussée d’a
bord par l’art. 727 du Code civil. L’indignité est une
peine puisqu’elle est une véritable exhérédation. Or il est
de principe fondamental en droit que les peines ne peu
vent être prononcées que dans les cas expressément dé
terminés par la loi, sans qu’on puisse étendre les dispo
sitions pénales d’un cas à un autre , même pour cause
d’analogie.
Il suffirait donc du silence gardé par l’art. 727 sur
l’empêchement de tester pour qu’on ne pût, dans aucun
cas, en faire résulter une cause d’indignité. Le système
contraire tendrait à constituer les tribunaux les arbitres
discrétionnaires des causes d’indignité. Or, c’est préci
sément pour abolir cet abus de la jurisprudence ancien-
�461
ne, que le Code a voulu expressément les indiquer dans
l’art. 727.1
Mais dit M. Chardon, l’art. 727 ne concerne que les
héritiers légitimes et non ceux qui ne reçoivent cette
qualité que de la volonté de l’homme. Certes M. Char
don n’a pas envisagé les conséquences réelles de la dis
tinction qu’il admet. Elles seraient en effet telles qu’elles
conduiraient au résultat le plus monstrueux.
Les art. 906 et suivants règlent bien la capacité re
quise pour recevoir par testament, mais ce chapitre ne
contient aucune disposition sur l’indignité. Dès lors,
puisque l’indignité est une peine, puisque les peines ne
peuvent être appliquées que dans les cas expressément
prévus, il est certain, si l’art. 727 ne s’applique qu’aux
héritiers légitimes, que l’héritier testamentaire n’encour
ra jamais l’indignité , eût-il volontairement donné la
mort au testateur.
La morale et la justice protestent hautement contre
un pareil résultat, et c’est sur son énormité même qu’on
s’est appuyé pour enseigner l’application de l’art. 727
à l’héritier testamentaire.
Car cette application a été contestée, mais dans le sens
contraire à celui indiqué par M. Chardon. Ainsi l’on
a soutenu que l’héritier testamentaire ne peut, dans au
cun cas, encourir l’indignité.
Le contraire , dit Merlin , élait incontestable en droit
romain, aujourd’hui la question souffrirait quelques difET DE LA FRAUDE.
1 Exposé des molifs par Treilhard.
�m
TRAITÉ DU DOL
Acuités. Cependant la morale et l’identité de raisons
semblent nécessiter l’extension de l’art. 727, qui ne parle
que des héritiers légitimes , aux légataires et aux héri
tiers institués.'
v
Or, s’il est même douteux que l’héritier testamentaire
soit frappé d’indignité dans les cas prévus par l’art. 727,
comment serait-il possible de les déclarer tels , lorsque
l’héritier légitime ne pourrait l’être ?
L’opinion de M. Chardon méconnaît en outre la dis
position de l’art. 1035 du Code civil, aux termes de la
quelle les testaments ne peuvent être révoqués que par
un testament postérieur, ou par un acte devant notaire,
portant déclaration de changement de volonté.
Ainsi l’écriture est de l’essence de la révocation des
testaments. En trouvant cette révocation dans l’empê
chement de tester , M. Chardon ne tient aucun compte
de cette condition exigée par le législateur. Que le testa
teur ait eu la pensée de révoquer ses précédentes dispo
sitions , c’est ce qui peut facilement s’induire du désir
qu’il a manifesté de faire un nouveau testament. Mais,
nous dirons avec Furgole, que tant que ce désir n’a pas
été réalisé, parce que le testateur en a été empêché, sa
volonté n’a été et n’a pu être qu’un simple projet qui
ne peut opérer aucun effet, par cela seul qu’on ne sau
rait admettre légalement l’existenced’une révocation ver
bale, en présence du texte formel de la loi.
1 Rép., v° Indignité, n° 2.
�463
407. — L’absence de révocation valable laisse donc
la succession aux mains de l’héritier testamentaire, com
me le défaut de testament la fait déférer aux héritiers
du sang. La seule action, compétant à celui qui souffre
de l’empêchement de tester, est celle en dommages-in
térêts contre l’auteur de l’empêchement, cette action est
fondée sur le principe général de l’art. 1382 du Code
civil.
ET DE LA FRAUDE.
408. — Toutefois,cette action n’est recevable que si
les moyens employés pour empêcher le testament cons
tituent un dol, c’est-à-dire s’ils présentent un ensemble
de manœuvres et de machinations frauduleuses , ayant
eu pour résultat d’égarer la volonté de celui qui en a
été l’objet. Ce caractère seul peut entraîner l’admissibi
lité de la preuve testimoniale et conséquemment le suc
cès de la demande en réparation.
l)e là l’obligation pour le poursuivant d’articuler les
faits dont il veut faire résulter l’empêchement de tester
qu’il allègue. De là en outre, pour les tribunaux, l’indi
cation du mode à suivre pour apprécier la gravité et la
pertinence des faits cotés.
En effet, pour l’empêchement de tester, comme pour
la captation elle-même , ce n’est pas tant le fait maté
riel que les moyens à l’aide desquels il se produit, que
la loi a voulu punir. Ainsi, empêcher quelqu’un de tes
ter, en lui prodiguant des soins, des caresses, des priè
res, conjurer l’intention certaine de révoquer un précé
dent testament, en regagnant l’affection du testateur par
�464
TRAITÉ DU DOL
des prévenances empressées , c’est commettre un acte
qui ri aura pas toute la pureté d'intention, et ne sera
pas louable à cause du motif d'intérêt sordide qui en
est le mobile. Mais il suffit que le testateur s’en soit
rendu complice, en ajoutant foi aux unes et aux autres
pour qu’on ne puisse y voir un dol reprochable.
C’est ce que le droit romain avait admis, c’est ce que
notre ancienne législation avait consacré , c’est enfin ce
que la Cour de cassation a expressément enseigné sous
l’empire du Code.
La Cour de Turin avait jugé qu’il y avait empêche
ment dolosif de tester, par cela seul qu’un héritier pré- ,
somptif dit à un mourant qui se dispose à faire un tes
tament que cela est inutile , et qu’il s’engage à remplir
ses dernières volontés comme si elles étaient écrites dans
la forme légale. Le pourvoi formé dans l’intérêt des par
ties dut être déclaré non recevable, mais la Cour, sur le
réquisitoire de Merlin, prononça la cassation de l’arrêt,
dans l’intérêt de la loi.1
Personne, en effet, n’est présumé ignorer la loi. Con
séquemment celui qui, s’en référant à la parole de son
héritier , a négligé de donner à ses volontés la forme
que la loi exige, doit être considéré comme n’ayant vou
lu faire qu’un testament verbal dont l’exécution était
subordonnée à la volonté de cet héritier. Le refus que
celui-ci fait plus tard , en violation de ses promesses,
1 18 janvier 181 3.
�<565
constitue un acte de déloyauté et d’indélicatesse, mais
il est impossible d’y voir un dol caractérisé.
De là il résulte que si les faits articulés ne tendaient
à établir qu’un acte de celte nature , la preuve devrait
en être refusée , parce quelle ne serait pas concluante.
Mais si l’on demandait à prouver que le défunt a été
violemment empêché de faire un testament olographe,
si l’on soutenait que le notaire où les témoins ont été
sciemment écartés ou détournés, si l’on articulait enfin
que l’on a faussement persuadé au défunt que celui qu’il
voulait instituer était m ort, les faits seraient pertinents
et graves, car ils constitueraient en réalité des artifices,
des manœuvres frauduleuses caractérisant le dol et don
nant naissance à l’obligation de réparer le préjudice souf
fert.
ET DE LA FRAUDE.
409. — Cette obligation n’incombe jamais qu’à l’au
teur du dol et à ses complices. La question de savoir si
l’acte d’un légataire pouvait ou non nuire à ses coléga
taires ne peut même s’offrir. L’art. 1382 tranche toute
difficulté, et, sous son empire, le principe fratris faclum, fratri non nocet, est surtout vrai. Conséquemment
tous ceux qui sont demeurés étrangers au dol sont for
cément placés en dehors de toute atteinte.
L’étendue de la réparation due à celui qui prouve
l’empêchement de lester à son préjudice, se mesure sur
les intentions manifestées par le défunt. L’allocation pé
cuniaire doit égaler l’avantage qu’il aurait recueilli dans
la succession. Elle doit donc être d’une valeur égale à
i
30
�A6(j
TRAITÉ DU DDL
celle-ci, si l’institution projetée était une institution uni
verselle.
il faut cependant remarquer que si le défunt laisse
des héritiers à réserve, les dommages-intérêts devraient
être réglés sur la quotité disponible seulement. C’est en
effet cette quotité seule dont le testateur pouvait disposer
qui serait obvenue au légataire.
A 10. — L’action en dommages-intérêts appartient
à celui qui a souffert de l’empêchement. Elle appartient
eu outre aux héritiers légitimes , lorsque le testateur a
été empêché de révoquer un testament précédent. 11 y
a même, dans ces deux cas, cette différence très-facile à
comprendre que celui qui prétend avoir été victime d’un
dol de la nature de celui qui nous occupe, doit d’abord
prouver que le défunt voulait l’instituer son héritier. Les
héritiers du sang, au contraire, qui arguent de la révo
cation d’un précédent testament, n’ont à justifier que
l’empêchement apporté à ce que cette révocation s’ac
complit. En effet, leur titre à l’hérédité est écrit dans la
loi qui la leur défère à défaut de testament. Ils ont donc
qualité pour prouver que le testament qui les dépouille
n’a été maintenu que par dol , et que l’on doit les in
demniser du préjudice que ce dol leur a occasionné.
411. — L’ouverture d’une succession peut voir s’ac
complir un fait plus grave encore que ceux dont nous
venons de nous occuper."Ce fait que le droit romain, que
notre ancienne législation réprimait comme un crime,
�467
que le Code pénal actuel punit comme un délit, c’est la
suppression d’un testament.
La pensée qui préside à cet acte est tellement caracté
risée par l’acte lui-même , par les conséquences qu’il
doit entraîner, qu’il eût été absurde d’exiger, pour y
reconnaître un dol punissable, l’existence de manœuvres
quelconques. De quelque manière qu’il se réalise , le
fait matériel indique et prouve une intention essentiel
lement frauduleuse , de même qu’il produit nécessaire
ment un grave préjudice. Il est donc sans justification
comme sans excuse, alors surtout que son auteur est ap
pelé à en recueillir personnellement le bénéfice.
ET DE LA FRAUDE.
412. —L e fait est donc éminemment dolosif, et ce
caractère incontestable entraîne forcément la recevabilité
de la preuve testimoniale. Mais son admissibilité est né
cessairement subordonnée aux faits qu’on prétend éta
blir. Ces faits doivent être extrêmement pertinents et
graves, car il importe de ne pas encourager ces accusa
tions de fraude qu’un vaniteux amour-propre inspire,
et dans lesquelles on aime à voir l’explication de la
blessure que l’intérêt éprouve. C’est à la prudente cir
conspection des tribunaux à concilier les droits de tous.
413. — En général , la preuve de l’existence d’un
testament, perdu par un événement fortuit ou de force
majeure, n’est pas suffisante pour en faire ordonner l’e
xécution. Ce n’est pas tout, en effet, que d’avoir un tes
tament , il faut en outre que ce testament soit régulier
�468
TRAITÉ OU DOL
et légal. Conséquemment celui qui prétend à une suc
cession doit justifier que le titre, qui la lui conférait, a
été revêtu de toutes les formalités exigées. La faculté de
prouver par témoins l’existence et la perte du testament
ne peut faire présumer l’accomplissement de ces forma
lités , elle ne produit pas d’autre effet que de permettre
de l’établir par la preuve testimoniale.
Mais cette doctrine souverainement juste , lorsque la
perte du testament est le résultat du hasard ou de la
force majeure , serait inique lorsque la perte est impu
table au fait personnel de la partie qui excipe du défaut
de formes. La preuve du contraire est souvent très-diffi
cile , à quel titre admettrait-on à profiter d’un tel état
de chose celui qui seul l’a déterminé ?
414. — Aussi la Cour de cassation a-t-elle décidé
que lorsque l’existence d’un testament est prouvée , et
qu’il est établi qu’il a été lacéré et brûlé par le propre
fait des parties intéressées à son anéantissement, cellesci ne sont pas recevables à exiger la preuve de la léga
lité des formes du testament détruit ; il y a dans ce cas
présomption de droit que ce testament était revêtu de
toutes les formes nécessaires à sa validité.'
Cette présomption se justifie non seulement par le
principe que le dol ne peut se créer un titre à lui-mê
me, mais encore par les plus simples notions de la rai
son et du bon sens. Le testament manquant d’une seule
1 Cass., Icr septembre '1813.
�469
des formalités prescrites est radicalement nul , son in
firmation est donc certaine. Comprendrait-on dès lors
que celui qui pouvait obtenir celte infirmation par les
voies légales , ait préféré recourir à un acte sévèrement
qualifié par la loi ?
On n’anéantit pas un acte ne renfermant qu’une me
nace vaine , on ne supprime pas un testament pour le
seul plaisir de le faire disparaître. Conséquemment, en
voyant dans cette suppression l’aveu le plus explicite de
la légalité du testament, on ne fait qu’une appréciation
rationnelle et logique d’un acte que la supposition con
traire rend inexplicable.
Ce qu’on décide dans le cas où le testament a été la
céré et détruit, doit être consacré si, dans le cas de sup
pression, le testament existait encore dans les mains de
celui qui s’en est rendu coupable. A une identité par
faite de raison, se joint la présomption tirée de la dé
tention de la pièce , dont la production lèverait tous les
doutes sur l’invalidité prétendue pour défaut de formes.
Le refus, l’absence de cette production ne sauraient être
attribués qu’à la certitude du mal fondé du reproche.
Il est permis, en effet, de croire qu’on ne continue à céler le testament que parce qu’il n’est que trop régulier.
Il serait d’ailleurs dérisoire d’admettre un individu à
exiger la preuve d’un fait sur lequel il est lui-même
parfaitement en mesure d’édifier la religion des magis
trats.
41 S. — Ainsi et par exception au principe général,
'accomplissement des formalités requises pour la valiET DE LA FRAUDE.
�470
TRAITÉ DU DOL
dité des testaments est présumé lorsque le testament a
été soustrait ou détruit. Mais celte exception ne concerne
que l’auteur de la soustraction.
Remarquons, en effet, que la Cour de cassation n’ad
met la présomption qu’elle consacre que dans le cas où
la suppression du testament est le propre fait des par
ties intéressées à son anéantissement, c’est-à-dire dans
l’hypothèse d’un dol direct. Les conséquences de cette
restriction sont évidemment que la partie qui profiterait
de la suppression sans y avoir participé ' sans l’avoir
connue ou autorisée, serait recevable à exiger la preuve
de la légalité des formes du testament. De lui au récla
mant , il ne peut y avoir qu’un fait de force majeure,
qu’il n’a été donné ni à l’un ni à l’autre de prévenir ou
d’empêcher. Il y aurait donc lieu de revenir à ce qui
se pratique dans cette hypothèse.
416. — Mais par application des règles du dol in
direct , l’héritier dépouillé conserverait un recours utile
contre l’auteur de la suppression, et, s’il ne pouvait ob
tenir la possession de l’hérédité, il conserverait le droit
de se faire indemniser du préjudice qu’il éprouverait.
Il n’y a dans cette décision nulle contradiction avec
la maxime que nous avons rappelée, à savoir que per
sonne ne doit s’enrichir par le résultat du dol d’autrui.
En effet, si le tiers doit perdre ce qu’il a acquis à titre
gratuit par le résultat du dol , cela ne peut se réaliser
que si le réclamant a un titre régulier. Il doit donc jus
tifier de cette régularité lorsque ce titre a été perdu , et
�471
cette justification faite , et alors seulement , la maxime
devient applicable et doit être appliquée.
ET DE LA FRAUDE.
417. — La suppression de testaments a pour effet
de les faire considérer comme existants. Conséquemment
celui qui prouve avoir été l’objet d’une libéralité quel
conque de la part du testateur, doit être réellement mis
en possession de ce qui lui était assigné. Cette différence
entre la suppression d’un testament et l’empêchement
de tester s’explique par cette circonstance qu’on ne peut,
pour celle-ci, dire que la volonté du testateur soit de
meurée à l’état de simple projet. Ce projet a reçu sa
pleine et entière exécution. II ne peut dès lors dépendre
de qui que ce soit d’en rendre l’effet impossible. La loi
testamentaire existe , elle est régulière, et dès lors obli
gatoire pour tous.
Dès lors aussi celui qui, à la faveur de la suppression
du testament, s’est emparé de la succession, doit être con
damné à la restituer à l’héritier institué qui prouve la
suppression de son institution ; aux héritiers du-sang, si
le testament supprimé révoquait un précédent testament;
ceux-ci n’auront à prouver que le fait de la révocation,
car il suffit que le testament qui les dépouillait ait été
légalement anéanti, pour qu’ils recueillent la succession
que leur qualité leur donne le droit d’appréhender.
A notre avis , la preuve de la nature révocatoire doit
résulter , contre l’auteur du dol , de la suppression du
testament. Nous le disions tout à l’heure, un acte pareil
ne s’accomplit qu’en vue d’un intérêt pressant. Or, quel
�472
TRAITÉ DU DOL
intérêt peut avoir le légataire institué par un testament
à supprimer un testament ultérieur , si celui-ci n’était
pas destiné à annuler le premier ?
Sans doute il peut se faire qu’il ne s’agisse dans ce
second testament que de la réduction plus ou moins
considérable des avantages déjà conférés ; mais , dans
celte hypothèse même, la perte entière de ces avantages
n’est que le juste châtiment d’une action coupable. Celui
qui a voulu frauduleusement frustrer les tiers de legs qui
leur étaient légitimement acquis, ne saurait raisonnable
ment se plaindre si , la fraude se tournant contre luimême, il en devient la première victime. Serait-il rece
vable à trouver mauvais , pour ce qui le concerne , ce
qu’il trouvait excellent pour les autres?
La morale, l’équité et la justice recommandent la so
lution que nous adoptons et dont la consécration ne sau
rait avoir d’autre résultat que d’inspirer le respect des
droits de tous et la mise en pratique de cette vérité éter
nelle : que nul ne doit faire à autrui ce qu’il ne voudrait
qu’on lui fit à lui-même.
Par rapport aux légataires restés étrangers à la sup
pression du second testament, ils ne peuvent souffrir du
fait de leurs colégataires. Ainsi, tandis que celui-ci sera
privé de son legs présumé révoqué, eux devront recueil
lir le bénéfice du testament en ce qui les concerne , à
moins qu’on ne prouve contre eux et la révocation et la
légalité de l’acte qui la renferme.
418. — Les tiers, auxquels le testament supprimé
conférait des droits sur les biens du défunt , peuvent les
�473
faire valoir soit contre l’auteur de la suppression du
testament, soit contre les héritiers légitimes qui lui au
raient été substitués. Leur exercice serait poursuivi dans
la mesure que nous avons établie , indépendamment de
l’action en réparation du préjudice qu’ils souffrent, con
tre celui à qui la suppression est imputable et qui en se
rait convaincu.
ET DE LA FRAUDE.
SECTION IV.
Roi d a n s
les
J u g e m e n ts
SOMMAIRE.
419. Caractère de l’autorité attachée à la chose jugée.
420. Conséquences quant à l’erreur commise en jugemeril.
421. Le dot crée une exception aux principes sur la chose jugée.
Conséquences.
419. — L’immutabilité des jugements a toujours été
considérée comme une nécessité sociale. De là le respect
qui s’attache à la chose jugée , qui en fait prohiber la
révision, alors même qu’il est permis de croire à une er
reur matérielle du juge.
�474
TRAITÉ DU DOL
Aux yeux de la loi, le jugement définitif est la décla
ration de ce qui est juste et vrai sur les points contestés.
Elle s’impose donc aux parties comme la loi unique qu’el
les doivent suivre sans pouvoir en empêcher ou en sus
pendre l’exécution.
Cet effet se produit non pas seulement parce que le
juge qui a prononcé est l’organe de l’autorité publique,
mais encore et essentiellement en force de la convention
présumée existant entre les parties. Lorsque celles-ci
comparaissent devant le juge , ce ne peut être que dans
l’intention d’obtenir de lui la justice qui leur est due;
elles sont donc censées, par ce seul fait, s’engager d’a
vance à exécuter l’acte judiciaire par lequel il fixera les
droits et les obligations de l’une envers l’autre. D’où M.
Poucet conclut, avec raison, que la source première d’où
découle l’action résultant du jugement , se trouve dans
l’engagement que les parties ont contracté, non par une
convention expresse , mais par la convention présumée
naissant de leur comparution en justice , c’est-à-dire
dans le quasi-contrat de comparution.'
Mais cette convention doit se renfermer dans des li
mites naturelles et justes. Aussi, à la différence des quasicontrats ordinaires qui produisent leurs effets légaux sans
condition, et d’une manière absolue, le quasi-contrat de
comparution n’opère son effet contre les parties, qu’à la
condition de se pourvoir s’il y échet, et ainsi que de
droit contre le jugement qui interviendra. Les tribunaux
1 D es ju g em e n ts, t. 1, n° 9.
�475
ne sont pas infaillibles et les parties, en s’engageant à
recevoir comme règle la décision du juge, n’ont évidem
ment entendu se soumettre qu’à une règle de justice.
ET DE LA FRAUDE.
420. — Cela posé, l’on doit conclure que le princi
pe de l’immutabilité des jugements n’est équitable , en
cas d’erreur, que lorsque l’erreur provient uniquement
de l’incertitude et de la faiblesse de l’appréciation hu
maine. Le juge a rempli tous ses devoirs envers la so
ciété, envers les parties elles-mêmes lorsque , interpré
tant le fait ou le droit, il a prononcé dans le sens que
sa conscience lui a indiqué comme le plus probable. La
pureté de ses intentions, l’indépendance de son carac
tère sont les seules garanties que la loi pouvait promet
tre aux justiciables.
Mais si l’erreur a été inspirée par des manœuvres
coupables, si la ruse et le mensonge l’ont rendue inévi
table, sous quel prétexte invoquerait-on encore le prin
cipe de l’immutabilité des jugements? Des jugements !
il n’en existe aucun , car, même en se plaçant au point
de vue du magistrat dont elle émane , la décision n’est
plus la déclaration de ce qui est juste et vrai, elle est le
produit d’une surprise d’autant plus odieuse qu’elle s’est
réalisée dans le sanctuaire de la justice dont elle outra
ge la dignité, en même temps qu’elle foule aux pieds la
convention présumée des parties.
La morale et l’équité ne pouvaient tolérer qu’une pa
reille atteinte aux droits les plus sacrés demeurât impu
nie. Le dol qui an nulle les contrats exprès devait agir
�476
TRAITÉ DU DDL
dans le même sens sur le quasi-contrat judiciaire. Dès
lors son existence a été considérée comme altérant le ju
gement dans son essence et autorisant par suite sa ré
tractation.
421. — Le dol crée donc une exception à la règle
de l’immutabilité des jugements, mais ses conséquences
ne sont pas toujours les mêmes. Elles varient, par rap
port au jugement, selon que le dol est imputable à la
partie ou qu’il provient du fait du juge. Le premier au
torise la requête civile, le second la prise à partie. Nous
allons rechercher les caractères et les effets de ces deux
modes de recours.
s
De
la
R equête
C ivile.
SOMMAIRE .
422. Définition de la requête civile.
423. Premier cas d’application à notre matière. — Dol person
nel. — Ce qui le constitue.
424. Tort de la doctrine exigeant que l'affirmation mensongère
soit accompagnée de manœuvres.
�ET DE LA FRAUDE.
425.
426.
427.
428.
429.
430.
431.
432.
433.
434.
435.
436.
437.
438.
439.
440.
441.
442.
443.
444.
445.
446.
447.
Doctrine contraire du droit romain.
Admise par notre ancienne jurisprudence.
Le Code de procédure n'a point dérogé à ces principes.
Opinion des auteurs qui ont écrit sur la procédure.
Jurisprudence.
Conditions à la recevabilité de la requête civile dans ce cas.
Fausseté de l’allégation acquise.
Le dol doit être le fait personnel de l'auteur de l’alléga
tion.
Le dol doit avoir influé sur la décision.
Dissentiment avecM. Chauveau.
Faits pouvant caractériser le dol personnel.
Subornation des témoins. — Modes de preuves. — Effets.
Corruption des experts. — Son caractère. — Ses effets.
Faux serment.
Différence dans les effets, selon qu’il s’agit d’un serment
déféré ou référé par la partie, ou d’un serment ordonné
d’office par le juge.
.Deuxième cas d’application. — S’il a été jugé sur pièces
depuis reconnues ou déclarées fausses.
Applicabilité à l’usage de pièces fausses fait de bonne foi.
Difficulté réelle du litige fondé sur celte disposition. —
Existence préalable du faux. — N’était pas exigée dans
notre ancien droit.
Doctrine contraire admise par le Code de procédure.
La reconnaissance dont parle l’article ne peut s’entendre
que de l’aveu de la partie.
Résumé. — Opinion arbitraire de Pigeau.
Troisième cas d’application. — Découverte, après le juge
ment, de pièces décisives. — Conditions exigées.
La rétention faite de bonne foi autorise-t-elle la requête
civile ?
Effet de la requête civile quant à l’exécution du juge
ment.
�478
TRAITÉ DU DOL
422. — La requête civile est une voie extraordinaire
pour attaquer les jugements ou arrêts ayant acquis l’au
torité de la chose jugée. Elle est autorisée dans les cas
expressément prévus par l’art. 480 du Codede procédu
re civile.
Les seuls cas qui se rapportent à notre matière sont
ceux indiqués par les n08 1, 9 et 10. C’est à leur exa
men que nous devons nous borner.
La voie de la requête civile est ouverte : 40 s’il y a eu
dol personnel ; 2° s’il a été jugé sur pièces reconnues
ou déclarées fausses après le jugement ; 3° si depuis le
jugement il a été recouvré des pièces décisives qui avaient été retenues par le fait de la partie.
423. — 1° Dol personnel.— Le mot dol s’applique
à toutes les fraudes et surprises mises en usage pour
tromper. En matière ordinaire, la simple attestation d’un
fait faux ne serait point considérée comme caractérisant
suffisamment le dol. Doit-on le décider ainsi pour les
jugements susceptibles d’être attaqués par la requête ci
vile ?
L’affirmative a été enseignée, et cette opinion a puisé
son principal argument dans le n° 10 de l’art. 480.
Dans l’espèce qui y est prévue, a-t-on dit, la loi ne s’est
pas contenté de l’allégation d’un fait faux , elle a exigé
de plus la dissimulation des pièces qui pouvaient faire
découvrir le faux. Cette disposition doit dès lors fixer le
sens du principe général posé par le n° 1er dont elle est
le développement. Il n’y aura donc réellement dol per-
�479
sonnel que lorsque l’attestation fausse aura été précédée,
accompagnée ou suivie de manoeuvres tendant à en per
suader la véracité, et à empêcher la découverte de son
véritable caractère.
Cette doctrine a été consacrée par un arrêt de la Cour
de Besancon, du 10 décembre 1810. Cet arrêt se fonde
précisément sur les termes du n" 10 de l’art. 480, pour
en induire que la législation, en exigeant dans cette dis
position la simultanéité d’une allégation mensongère et
d’un acte imputable à la partie, n’a pas voulu, dans le
§ 1er du même article, que cette même allégation cons
tituât seule une ouverture à la requête civile. 11 décide
en conséquence que le dol personnel n’existe qu’autant
qu’il y a eu fausse attestation accompagnée de manœu
vres frauduleuses ayant placé la partie adverse dans l’im
possibilité d’éclairer le juge sur le point contesté.'
ET DE LA FRAUDE.
424. — Cette doctrine a , à notre avis , le tort de
placer sur une même ligne les jugements et les contrats
ordinaires, sans tenir compte de la différence de la po
sition des parties dans chacun de ces actes.
Sans doute la simple allégation d’un fait faux ne con
stitue pas pour les contrats ordinaires un dol punissa
ble. Il faut en outre que , par des moyens préparés et
combinés à l’appui de cette allégation, la partie lésée ait
été placéedans l’impossibilité de découvrir la vérité qu’elle
avait tant d’intérêt à connaître.
�480
TRAITÉ DU DOU
Mais cela tient surtout à cette circonstance que la par
tie qui va contracter est toujours en position de se livrer
aux recherches qu’exige cette découverte, recherches dont
la loi lui fait un devoir, précisément parce qu’il lui est
loisible de renvoyer l’acceptation du contrat jusqu’au
moment où les ayant accomplies, elle sera en mesure de
traiter avec connaissance de cause.
En est-il de même pour les jugements ? Evidemment
non, car celui qui veut surprendre une décision ne livre
ra pas d’avance les moyens à l’aide desquels cette sur
prise doit s’effectuer. C’est donc pendant la plaidoirie et
en l’absence des parties que ces moyens se produiront,
conséquemment dans un moment très-rapproché du ju
gement , ou du moins assez voisin de celui-ci pour que
des recherches quelconques soient impossibles.
Demandera-t-on le renvoi pour avoir le temps de s’y
livrer ? On répondrq que l’intérêt de la prompte expé
dition de la justice s’y oppose ; et, toute considération de
statistique à part, on doit reconnaître que ce motif aurait
dans l’espèce une gravité réelle. En effet, si toutes les
fois qu’une attestation est produite par l’une des parties,
l’autre pouvait , sous prétexte de mensonge, obtenir le
renvoi de l’affaire afin de se procurer la preuve de ce
mensongue , le cours de la justice se trouverait singuliè
rement entravé par l’abus que la mauvaise foi ne man
querait pas de faire de cette faculté.
La partie n’est donc pas libre de se livrer aux recher
ches que la découverte de la vérité exigerait; les juges
eux-mêmes n’ont aucun moyen d’éclairer leur religion,
�481
en dehors des éléments existant au procès. Dès lors il
serait inique de punir les parties d’un tort qu’elles n’ont
pu avoir, car elles ne font que subir la position que la loi
leur impose ; il serait immoral de récompenser la mau
vaise foi et la fraude de l’audace qu’elles ont mis à bra
ver la justice elle-même.
L’assimilation entre les jugements et les contrats ordi
naires manque donc de justesse et d’exactitude. La dif
férence de position que nous venons de relever doit en
créer une dans le mode d’appréciation descaractères con
stitutifs du dol pour ce qui les concerne respectivement.
Ajoutons que la confiance forcée que les juges sont obligés d’avoir dans les allégations qui se produisent à
leur barre , aggrave singulièrement les torts de celui qui
emploie le mensonge et la ruse. Ce qui ne serait qu’un
acte d’indélicatesse blâmable dans un contrat ordinaire
devient, en matière de jugement, un dol punissable.
HT DE LA FRAUDE.
i2 5 . — C’est ce que les législateurs anciens avaient
parfaitement compris. Nous avons vu quels étaient en
droit romain les caractères du dol annulant les contrats.
Or, pour ce qui concernait les jugemenis, on obéissait à
d’autres principes. La fausse allégation dans l’intention
de tromper suffisait pour qu’elle pût faire rétracter le ju
gement : Si per dolum sciens falso aliqnid allegavit, et
hoc modo conseculum eum , sententia prœtoris liquida
fuerit adprobatum, existimo, notât Marcellus, judicem
debere querelam rei admittere.'
1 L. 73, Dig. Dejudiciis.
�TRAITÉ DU DOL
482
Un des plus habiles commentateurs du Digeste déve
loppait ainsi cette pensée : Ubi falsilas probata fueril
quce, lile pendenle, necjue adversario, neque jndici in
no tuerai, sic uti religio judicis per hujus modi falsitatem circumventa fueril, petito ad id per modum querelœ vel accusationis restitutione ad integrum,ut sen‘ tp.ntia per restitutionem eneroata, perdat deinceps omnem rei judicalœ auctoritatem , ac causa ex intégra
examinetur perinde ac si judicatam non essel.'
On n’exigeait donc aucune manœuvre autre que la
fausseté de l’allégation par laquelle la religion du juge
.avait été surprise ; et la découverte de cette fausseté opé
rait tous les effets du dol, puisqu’elle déterminait la ré
tractation' de la sente ne e
4-26. — Au témoignage de Jousse, cette doctrine avait été consacrée par l’ordonnance de 1667. Le dol per
sonnel , mis au nombre des causes autorisant la requête
civile, était donc constitué, par la fausse attestation, iso
lément de toute autre manœuvre , et cela , dit Rodier,
parce que la raison naturelle ne permet pas que i’on tire
Avantage de son dol.
Remarquons qu’à côté du dol personnel, l’ordonnan
ce plaçait la rétention de pièces décisives comme auto
risant la requête civile. Jamais cependant les commen
tateurs de cette ordonnance n’ont vu dans cette disposi
tion une restriction à celle relative au dol personnel. Ce
i Voët, Sur le Digeste, liv. 42, t. i. S 28
�ET DE LA FRAUDE.
483
lui—ci était considéré comme un moyen très-étendu et
fournissant de bien nombreuses occasions de se pour
voir contre les arrêts. Il n’est pas possible, dit Rodier, de
désigner en détail les cas où l’on peut se servir de ce
moyen, parce que le dol peut se commettre d’une infi
nité de manières. Cela dépend du fait et des circonstan
ces du procédé qui contiennent le dol et la surprise pra
tiquée.'
427. — Notre Code de procédure a-t-il dérogé à
cette doctrine ? L’exposé des motifs de l’article que nous
examinons répond péremptoirement à cette question.
« Il restera positivement établi, disait l’orateur du Gou
vernement , qu’un jugement surpris à la justice par des
attestations fausses et mensongères, est considéré com
me le produit de ce dol qui met toute décision judiciaire
en opposition avec ce qui est juste et vrai, et, par con
séquent, autorise contre elle la requête civile. »
Ainsi, l’allégation fausse et mensongère est assimilée
au dol, elle en produit les effets. Notre droit s’est donc
conformé aux législations qui l’ont précédé. Il était mê
me impossible qu’il en fût autrement. Les temps peu
vent changer, mais la morale ne change pas. Elle est im
muable comme les principes d’équité et de justice qui
en sont la base. Or, pourrait-on concevoir quelque chose
de plus antipathique à ses inspirations que l’impunité
i Questions sur l'ordonnance. — Voy Pothier, Traité de la pro
cédure, chap. 3, sect. 3, S 2.
�484
TRAITÉ DU DOL
assurée à celui qui, se jouant de la justice elle-même,
l’a détournée de ses voies en surprenant, par le plus au
dacieux mensonge, une décision favorable à ses intérêts?
Il n’est donc pas possible d’admettre que le mensonge
ne suffit pas, que le dol personnel exige en outre l’ex
istence de manœuvres quelconques. Le § 10 de l’art. 480
n’est donc pas l’explication du § 1er. Il ne fait que pré
voir un cas spécial, dans lequel, dit Pigeau , le dol ne
sera suffisamment caractérisé qu’autant que les circons
tances prévues se trouveront réunies, ce qui n’empêche
pas que la partie qui s’est rendue coupable d’un vérita
ble dol, par d’autres moyens qu’en retenant les pièces,
ne puisse être toujours attaquée en vertu du n° 1" de
l’art. 480.
428. — C’est par ces considérations que les auteurs
sont à peu près unanimes pour critiquer l’arrêt de la
Cour de Besançon. C’est ce que font notamment Dalloz
jeune, Favard, Thomines, Boitard, Carré, Ad. Chauveau.
« Sans doute, dit ce dernier, il appartient au juge de
déclarer si dans telle espèce le dol existe,s’il résulte suf
fisamment des faits imputés à la partie qu’on prétend
s’en être rendue coupable. Pour cette appréciation la loi
s’en rapporte uniquement à sa conscience. Ainsi, que la
Cour de Besançon eût déclaré, d’après les circonstances
de la cause , que la dénégation du fait, depuis reconnu
vrai, ne constituait pas, de la part de l’auteur de cette
dénégation, un dol personnel, rien de mieux, elle en avait le droit; mais s’autoriser du § 10 de l’art. 480 pour
�48S
dire que la simple allégation d'un fait, depuis prouvé
faux, ne peut jamais constituer un dol, si elle n’est ac
compagné de manoeuvres ayant réduit la partie adverse
et le juge à l’impossibilité de discerner la vérité, c’est res
serrer dans des limites trop étroites l’application du § 1er,
c’est imposerarbilrairement des conditions qu’il n’a point
prescrites. »
ET DE LA FRAUDE.
429. — Cette interprétation de l’art. 480 a prévalu,
et devait effectivement prévaloir en jurisprudence. Ainsi
il a été jugé :
4° Que la requête civile peut être prise contre un ju
gement basé sur un fait que la partie savait être faux,
mais que les juges ont cru vrai parce qu’il était affirmé
par le défenseur de la partie ; 1
2° Que la sjmple dissimulation d’une pièce décisive,
par une partie, peut prendre le caractère d’un dol per
sonnel et donner lieu à requête civile; qu’ainsi lorsque
une partie a attaqué un jugement par voie de cassation;
qu’il y a eu rejet par la section des requêtes; que la mê
me partie a attaqué ensuite le même jugement par voie
d’opposition ou de tierce-opposition, sans révéler l’exis
tence de l’arrêt de rejet inconnu à l’adversaire, arrêt qui
cependant eût été une pièce décisive contre l’une et l’au
tre espèce de recours, il y a ouverture à requête civile
contre le jugement qui admet soit l’opposition , soit la
tierce-opposition ; a
1 Bruxelles, 23 juillet 1810 ; J: du P.
- Cass.. 19 février 1823; J.duP .
�486
TRAITÉ DU DOL
3° Qu’il y a dol personnel de l’une des parties et par
suite ouverture à requête civile , lorsqu’il résulte , des
pièces découvertes après jugement, que le défendeur à la
requête civile n’avait obtenu gain de cause qu’au moyen
de la dénégation mensongère de faits allégués par son
adversaire.'
Tenons donc pour certain que le § 10 de l’art. 480
n’est ni une dérogation, ni une restriction au §1"; qu’en
conséquence le dol personnel peut, indépendamment de
toutes manœuvres , résulter de l’attestation mensongère
sur laquelle le jugement s’est fondé; que la preuve du
mensonge donne dès lors ouverture à la requête civile.
430. — Mais l’exercice de ce recours n’est recevable
que dans les circonstances suivantes :
1° La preuve de la fausseté de l’attestation doit être
acquise.
Le législateur, en autorisant la requête civile, n’a nul
lement entendu fournir l’occasion d’ébranler ou d’altérer
la foi due aux arrêts par des attaques se réduisant à of
frir la preuve du dol allégué. Le Code , disait l’orateur
du Gouvernement, a maintenu les précautions prises par
les anciennes lois, pour que, sous le litre de requête ci
vile , l’on ne présentât pas des moyens non recevables
ou que l’on mettrait en avant sans être en état d’en faire
la preuve.
1 Colmar, 18 mai 1820 ; — Nîmes, 24 décembre 1839, J. du P., t i,
1840, p. 460, — Besançon, 3 décembre 1862, J. du P., 1863, 678.
�487
Ainsi le recours en requêle civile suppose à priori
l’existence certaine et démontrée du fait dont on veut
faire résulter le dol. La loi le veut tellement ainsi , que
l’art. 488 ne fait courir les délais de trois mois pendant
lequel la demande doit être intentée que du jour de la
découverte du dol et exige que la preuve de cette décou
verte soit constatée par écrit et non autrement. Ce qui
indique forcément la préexistence de la reconnaissance
du dol sur toutes les démarches judiciaires que ce dol
est dans le cas de motiver.
Il faut donc, pour que la requête civile soit admissi
ble, qu’au moment où elle a été formulée, on ait acquis
la preuve du fait qui lui sert de fondement ; que ce fait
constitue un dol. La demande qui se bornerait à allé
guer le dol et à en offrir la preuve serait non recevable
et incapable de produire aucun effet.’
ET DE LA FRAUDE.
431. — 2° L’acte qualifié dol doit être personnel
lement imputable à la partie qui a obtenu le jugement
attaqué. C’est ce qu’indique formellement l'art. 480, qui
n’autorise la requête civile que dans l’hypothèse d’un
dol personnel.. Conséquemment, le mensonge et la ruse
qu’un tiers se serait permis, sans connivence, sans com
plicité de la partie , resterait sans effet sur le jugement
et ne pourrait motiver la requête civile.
Mais on ne doit pas ranger dans la catégorie des tiers
l’avocat ou l’avoué de la partie. Choisis par elle, l’un et
i J . du P.; Paris, 11 mars 1836.
�488
TRAITÉ DU DOL
l’autre sont, dans l’exercice de leur mission, ses vérita
bles mandataires chargés de la représenter. A ce titre,
ce qu’ils font est censé fait par la partie elle-même.
Or, en principe, le dol du mandataire ne saurait nui
re, ni moins encore profiter au mandant '. Ce principe
reçoit une application d’autant plus incontestable à no
tre espèce, que l’avocat ou l’avoué n’agit que sous l’in
spiration immédiate du client, et que celui-ci, en reven
diquant le bénéfice du jugement obtenu par le dol de
l’un ou de l’antre, ratifie tout ce qu’ils ont fait en son
nom et s’approprie ainsi le dol lui-même. Il est donc
de toute justice qu’il subisse toutes les conséquences d’un
acte dont il a voulu recueillir les avantages.
Ainsi , le dol de l’avocat ou de l’avoué est considéré
comme le dol personnel de la partie. Sa découverte et sa
reconnaissance autorisent donc contre elle la voie de la
requête civile.1
452. — 3° Que le dol reproché ait influé sur le ju
gement dont on poursuit la rétractation.
Le dol n’est punissable qu’autant qu’il occasionne un
préjudice. Ce préjudice existe, incontestablement lorsque
le do! a été la cause déterminante du contrat. Ainsi, ce
lui qui demande à être relevé de son engagement, doit,
aux termes de l’art. 1116, justifier qu’il ne l’aurait pas
»
1 V. supra chap. 1, sect. 2, S 2
2 Poncet, Des jugements, tom. ii , tit. 2, chap. 3, n° 460; _ Pigeau,
Carré, Chauveau, — Voy. arrêt de Bruxelles, du 23 juillet 1810
�489
contracté sans les manœuvres par lesquelles il a été cir
convenu.
Nous ne saurions comprendre qu’il pût en être autre
ment dans le cas d’une requête civile, à moins de jeter
les parties dans des frais frustratoires et inutiles. Si la
fausse attestation n’a pas déterminé la solution, si le ju
gement, tel qu’il a été rendu, a son fondement réel dans
les autres documents du procès, qu’importe que dans les
moyens soumis au juge il s’en trouve un constituant un
mensonge ? Faites—le disparaître, et la partie qui s’en
plaint n’en aurait pas moins perdu son procès. À quoi
bon, dès lors, accueillir sa demande au rescindant, puis
qu’elle doit succomber au rescisoire.
ET DE LA FRAUDE.
433. — Cette opinion est combattue , en quelque
sorte, par M. Chauveau, qui enseigne que la requête ci
vile, fondée sur un des moyens prévus par la loi, ne peut
être écartée sous prétexte de défaut d’intérêt. Mais cette
doctrine, vraie sous un certain rapport, ne saurait re
cevoir aucune application au cas de dol personnel.
Ainsi, la requête civile fondée sur ce que les formali
tés prescrites a peine de nullité ont été violées, ou sur le
défaut de communication au ministère public, dans les
cas où cette communication est rigoureusement ordon
née, ne pourrait être rejetée sur le motif que le deman
deur n’y aurait aucun intérêt. Dans l’un et dans l’autre
cas, le droit naît du fait matériel lui-même, abstraction
faite des effets qu’il a pu produire sur le jugement. Dès
lors, le tribunal qui, par l’appréciation de ces effets, re-
�490
TRAITÉ DU DOL
fuserait la rétractation du jugement, violerait expressé
ment la loi et s’exposerait à la censure de l’autorité judi
ciaire supérieure.
Mais, dans le cas de dol personnel, la mission du juge
est bien différente. Elle consiste alors, et c’est M. Chau
veau qui nous l’explique, à rechercher si dans telle es
pèce le dol existe, s’il résulte suffisamment des faits al
légués. Or, comment cette recherche pourrait-elle s’opé
rer sans avoir égard à l’existence d’un préjudice ? Le dol
n’est-il pas consilium fraudis et evenlus dam,ni ? Dès
lors, comment déclarer le dol certain si l’on n’établit pas
à priori l’existence de l’un de ses éléments essentiels, la
certitude d’un préjudice? Il est donc évident que le juge,
non seulement peut, mais doit vérifier d’abord le préju
dice souffert par le demandeur en requête civile, et, s’il
pense qu’il n’en existe aucun , il déclarera qu’il n’y a
pas dol, et conséquemment que la requête civile est non
recevable.
Au reste, M. Chauveau n’a pas suffisamment exami
né l’arrêt de la Cour de cassation du 16 août 1808, sur
lequel il fonde sa doctrine. Cet arrêt casse une décision
de la Cour de Besançon, non pas parce que celle-ci avait
déclaré non recevable, pour défaut d’intérêts, la requête
civile des demoiselles Thouverey. Ce qui détermine la
Cour suprême , c’est que bien à tort l’on avait déclaré
celles-ci sans intérêt, tandis qu’«ï était évident qu'elles
en avaient un réel à attaquer les dispositions qu'elles
voulaient faire rétracter, qui pouvaient compromettre
�491
le sort de leur créance, et qu'elles ne pouvaient les at
taquer que par la requête civile.1
Y aurait-il eu également cassation si le défaut d’inté
rêt, allégué par la Cour d’appel, eût réellement existé ?
Ce qui fait supposer le contraire, c’est le soin que met
la Cour régulatrice à établir la proposition contraire. Sa
décision tient donc uniquement à l’erreur commise à cet
égard par la Cour de Besançon, et dans ces limites cet
arrêt ne saurait prêter aucune autorité au système de M.
Chauveau.
Ainsi, si le jugement attaqué par requête civile, sur le
motif de dol personnel, n’en eût pas moins été rendu tel
qu’il l’a été en l’absencedu fait caractérisé dol, si le juge
n’a puisé sa conviction que dans les autres éléments du
procès, la requête civile doit être écartée. Admettre le con
traire, ce serait vouloir perpétuer le litige, encourager la
chicane et exposer des frais évidemment inutiles.
La question de savoir jusqu’à quel point le dol a in
flué sur le jugement, sera facile à apprécier , puisque la
requête civile doit être soumise au juge qui a rendu la
décision querellée. Personne , en effet, ne pouvait mieux
que lui rendre compte de ses impressions au moment de
celte décision , et expliquer les motifs qui l’ont déter
miné.
Aux conditions qui précèdent , la requête civile est
darfaitement admissible. Reste le bien fondé de la de
mande que le tribunal investi doit prononcer sur l’exisET DE LA FRAUDE.
1 Journal du palais
�lenc-e du dol, sa gravité, ses conséquences. À cet égard
son indépendance est absolue et son appréciation souve
raine,sa décision, quelle qu’elle soit, ne saurait être an
nulée par la Cour de cassation."
434. — Au nombre des actes pouvant caractériser
le dol personnel, se placent la subornation des témoins,
la corruption des experts, le faux serment.
435. — La subornation des témoins est plus qu’un
dol. La loi la considère comme un crime qu’elle punit
d’une peine afflictive et infamante. Il n’y a donc aucun
doute à concevoir : le jugement obtenu par l’effet de celte
subornation ne saurait survivre à la certitude de son ex
istence.
Mais celte certitude ne saurait être acquise que par
la preuve résultant d’un jugement de condamnation au
criminel. L’absence de ce jugement rendrait la requête
civile non recevable, alors même que le demandeur of
frirait la preuve par documents ou par témoins.
En conséquence, celui qui se prétend victime de faux
témoignages déterminés parla subornation, doit d’abord
recourir à la voie criminelle. L’instance jugée et le subor
neur convaincu , la requête civile ne pourrait manquer
d’être accueillie et de produire tous ses effets.
Si le prétendu suborneur est acquitté, la requête civile
devient rigoureusement impossible, alors même que les
1 Cass., 42 janvier 1844, — D. P., 41, 1, 180.
�493
témoins sur la foi desquels le jugement a été rendu se
raient reconnus et punis comme faux témoins. Le faux
témoignage est sans doute un dol extrêmement grave,
mais il n’est pas personnel à la partie sans le concours
de laquelle il s’est produit. Or, en vertu de l'art. 480,
il n’y a que le dol personnel qui donne ouverture à la
requête civile.
La partie lésée par le faux témoignage n’aurait donc
qu’une action, à savoir: celle en dommages-intérêts con
tre les auteurs du faux témoignage, pour les contraindre
à réparer le préjudice qui en est résulté.
ET DE LA FItAUDE.
436. — La corruption des experts peut être sans
difficulté assimilée à la subornation des témoins. Elle
est même plus dangereuse et plus grave, car, indépen
damment de son caractère qui l’a fait accepter par la
partie et par le juge, l’expert est appelé le plus souvent
à constater des faits dont la matérialité est sous ses yeux
et doit être facilement reproduite. On ajoutera donc d’au
tant plus de confiance à sa déclaration, d’ailleurs garan
tie par serment, qu’une erreur est beaucoup moins pré
sumable chez lui que chez un témoin déposant d’après
des impressions et des souvenirs plus ou moins fidèles.
L’acte qui a pour objet d’amener l’expert à trahir son
serment et à tromper la confiance que la justice lui a té
moignée est doncun acte qu’on nesaurail trop vivement
flétrir, il peut ne pas rentrer dans la catégorie de ceux
que punit l’art. 179 du Code pénal, mais de toute cer
titude on ne saurait ne pas y rencontrer un véritable
dol.
�TRAITÉ DU DOL
494
L’auteur de celte corruption ne pourrait donc se sous
traire aux effets de la requête civile, ni la soutenir non
recevable, à moins qu’il ne fut certain que le rapport de
l’expert corrompu n’a exercé aucune influence sur la
décision qui l’a suivie.
Cette hypothèse peut ne pas être impossible. En effet,
l’avis de l’expert n’est jamais obligatoire. Les juges peu
vent, à leur gré et suivant leur conviction, le modifier,
le mettre même complètement de côté. Ce dernier casse
réalisant, la preuve que l’expert a été corrompu serait
sans effet, puisque ce serait ailleurs que dans son rap
port que les juges auraient puisé les motifs de leur déci
sion.
Au reste, des difficultés de ce genre sont évidemment
en dehors de toute discussion, le tribunal qui a rendu le
jugement attaqué étant seul compétent pour les appré
cier et les résoudre d’une manière convenable.
La subornation des témoins et la corruption des ex
perts peuvent avoir été pratiquées par argent, par une
récompense quelconque, par des promesses même. Quel
que soit leur mobile, l’effet en est le même par rapport
au jugement qu’elle a déterminé. Nous faisons cette
observation pour prévenir un doute que le droit romain
pourrait faire naître. En effet, le rescrit d’Adrien ne con
sidère la corruption comme caue de la rétractation des
jugements qu’autant qu’elle a été pratiquée à prix d’ar
gent.'
1 L. 33, Dig. De re judicala.
�495
457, — Nous venons de voir qu’une allégation men
songère et fausse constituait, suivant les circonstances,
un dol donnant ouverture à la requête civile; par une
supériorité de raisons incontestable devrait-on admettre
celte doctrine pour ce qui concerne le faux serment qui
réunit le sacrdége au mensonge.
La requête civile serait donc ouverte envers le juge
ment rendu conformément au serment prêté. Ici l’influ
ence du serment sur la décision n’est pas douteuse , le
vice qui entacherait le serment, entacherait donc la dé
cision elle-même.
BT DE LA FIIAUDE.
458. — On doit cependant distinguer, par rapport
à la requête civile, le serment déféré ou référé par la par
tie, du serment ordonné d’office par le juge.
De tout temps le serment décisoire a été considéré com
me terminant à tout jamais le litige. Ce serment, disait
le jurisconsulte Paul, renferme une véritable transaction,
et a conséquemment une autorité plus grande que celle
de la chose jugée. Ajoutons aussi qu’il a une autorité
plus grande que la transaction elle-même , car le dol,
qui relève de celle-ci, ne saurait influer sur ses effets :
Advenus exceptionem jurisjurandi replicalio doit mali
non debet dari, curn prcetor id agere debet, ne de jurejurando quœratur.'
L’art. 1363 du Code civil a consacré ce principe. Le
serment décisoire crée, sous son empire, une présomp1 L. 15, Dig., De except
�496
TRAITÉ DU DOL
tion contre laquelle la preuve du contraire n’est pas ad
missible; et cela, disait l’orateur du Gouvernement, parce
que le serment déféré ou référé par les parties doit ter
miner définitivement toute contestation. C’est la condi
tion sous laquelle la loi donne le droit de l’exiger. Ainsi,
de l’exercice de ce droit, résulte le consentement de se
soumettre à la condition;, et dès lors , celui qui a déféré
le serment ou qui l’a référé n’est plus recevable, lors
qu’il a été fait, a en prouver la fausseté.1
De tout cela il résulte évidemment que la voie de la
requête civile est absolument interdite contre les juge
ments rendus à la suite du serment décisoire, alors mê
me que la preuve de la fausseté serait matériellement ac
quise.
Mais aucun des caractères constitutifs du serment dé
cisoire ne s’applique au serment ordonné d'office par le
juge. On ne peut pas dire, en effet, que la partie ait voulu
s’en remettre à la conscience de son adversaire, puisque,
d’une part, elle n’a pas cru prudent de lui déférer le
serment, et qu’elle a, en outre, résisté autant que possi
ble à ce que le juge le lui déférât. On ne peut, dès lors,
considérer ce serment comme une transaction. Il n’est
plus qu’un moyen de décision invoqué par le juge, et
contre lequel la partie qui a succombé conserve le libre
exercice de tous ses droits, et notamment le recours à la
requête civile, dès qu’elle aura acquis la preuve du pari Locré, Procès-verbaux du conseil d'Elal, séance du 5 pluviôse an
xu, torn. xii, pag. 414.
�497
jure. C’est au reste ce qui a toujours été considéré com
me une règle incontestable.'
ET DE LA FRAUDE.
439. — 2° La requête civile est admissible s’il a été
jugé sur pièces depuis reconnues ou déclarées fausses.
Cette hypothèse touche, sous un rapport, à celle que
nous venons de parcourir. L’usage sciemment fait d’une
pièce fausse constitue un dol au suprême degré, puisqu’il
est considéré et puni comme un crime; le droit à se
pourvoir par requête civile se puiserait donc suffisam
ment dans le n° 1er de l’art. 480.
440. — Mais une disposition spéciale devenait néces
saire, dès l’instant que le législateur n’exigeait pas que
la fausseté des pièces eût été connue par la partie qui les
a invoquées. La question de dol est donc fort indiffé
rente. La bonne foi admise, la requête civile n’en serait
pas moins recevable, pourvu : \ ’ que les pièces produi
tes soient reconnues ou déclarées fausses ; 2° qu’elles
aient servi de bases au jugement attaqué. Telles sont les
conditions uniques exigées par le n° 9 de l’art. 480.
441. — La seule difficulté que cette disposition fait
naître est relative au sens qu’il convient d’attacher à ces
termes : Reconnues ou déclarées fausses. De la solution
de celte difficulté dépend la question desavoir si le juge
1 Voy. L. 31, Dig. De jurejurando ; — Despeisse , tit. 12 , sect. 2 ;
■ Doraat, 2me part., liv. 4, tit. 9 : — Pothier, liv. 12, tit. 2, n° 51.
1
32
�498
TRAITÉ DU DDL
investi de la connaissance delà requête civile peut, par
un même jugement, admettre la fausseté des pièces et
statuer ensuite sur le mérite de la requête civile.
L'affirmative a été soutenue depuis le Code de procé
dure. « L’art. 480, a-t-on dit, n’a voulu qu’une seule
chose, a savoir : que la fausseté des pièces qu’on aurait
connue avant le jugement, en négligeant alors de l’in
voquer , ne pùt servir plus tard d’ouverture à requête
civile, c’est dans ce sens qu’il exige que celte fausseté ait
été déclarée ou reconnue depuis le jugement , il suffit
donc que cette condition soit remplie pour qu’on doive
admettre la requête civile.
» Aucune difficulté ne peut s’élever quant à la décla
ration du faux, mais la reconnaissance, indiquée par le
législateur, ne saurait être l’aveu émané de la partie con
fessant ainsi sa propre turpitude. On doit donc entendre
par là la découverte du faux par le demandeur en requête
civile. Or , rien dans l’art. 480 n’autorise à penser que
l’une ou l’autre doive précéder l’instance en rétractation
du jugement ; exiger cette reconnaissance ou cette décla
ration préalable , c’est donc ajouter à la loi. Dès lors la
preuve du faux peut être valablement faite devant le tri
bunal investi de la demande en requête civile, qui peut
conséquemment prononcer simultanément sur le faux et
sur la requête civile elle-même. »
Tout cela était vrai sous l’empire de l’ordonnance de
1667, c’est ce qu’atteste notamment un arrêt de la Cour
de cassation du 22 pluviôse an ix. Mais la doctrine de
l’ordonnance a été abandonnée par le Code de procédu
re, cela résulte du texte et de l’esprit du Code.
�499
L’art. 34, til. 35 de l’ordonnance autorisait la requête
civile, s’il avait été jugé sur pièces fausses. La généra
lité de ces termes ne répugnait nullement au sens qu’on
leur avait reconnu.Evidemment le législateur n'avait rien
prévu ni quant à l’existence préalable du faux, ni quant
au mode de sa constatation.
Dès celte époque , cependant, une controverse s’était
établie sur l’un et l’autre point, et celte controverse n’a
vait pas laissé que de créer des difficultés assez graves.
Un jugement définitif doit, disait-on, devenir la loi im
muable des parties. Ouvrir contre lui un recours trop fa
cile, c’est s’exposer à en diminuer la juste autorité, c’est
encourager la mauvaise foi et la chicane intéressées à se
soustraire par tous les moyens à une condamnation juste
et méritée. L’intérêt général exige donc qu’il n’y ait rien
d’arbitraire dans les modes d’attaque dont un jugement
peut être l’objet, et , si celle attaque est fondée sur la
fausseté des pièces produites, il convient que cette faus
seté soit prouvée avant qu’on puisse en poursuivre les
effets. Procéder autrement, c’est livrer les parties à des
débats interminables, car la prétention de la découverte
d’un faux qui n’a réellement jamais existé, et qu’on ne
pourra prouver, amènera de fréquents procès.
ET DE LA FRAUDE.
442. — C’est en présence de ces difficultés que se
trouvaient les auteurs du Code de procédure, et le rap
prochement des termes qu’ils ont employés, de la dispo
sition de l’ordonnance, indique de quelle manière ils ont
entendu les trancher. La requête civile n’est admissible
�500
TRAITÉ DU DOL
que si les pièces ont été reconnues ou déclarées fausses,
elle n’est donc possible qu’à partir de la reconnaissance
ou de la déclaration ; dès lors, comment admettre que
l’exercice d’un droit puisse précéder l’ouverture du droit
lui-même ?
Le Code a donc déserté le système suivi par l’ordon
nance de \ 667, et s’il est vrai que sous l’empire de celleci le faux n’avait pas besoin d’être préalablement prou
vé , il est certain que , depuis la promulgation du pre
mier , cette constatation préalable est devenue la condi
tion indispensable de la faculté de se pourvoir par re
quête civile D’où la conséquence que le juge investi de
cette requête ne peut rechercher d’abord le faux et pro
noncer ensuite sur la requête civile.
445. — Quant au sens qu’il faut attacher à la re
connaissance prescrite par notre article, il ne saurait être douteux, il ne peut s’entendre que de l’aveu fait par
l’auteur du faux ou par celui qui a fait usage des pièces
fausses, aveu tout à fait indépendant de la découverte
faite par le demandeur en requête civile et qui ne peut'
jamais être suppléé par elle.
Cela s’induit du rapprochement des art. 448, 488,
480, du texte même de ce dernier.
Ainsi, l’art. 448 proroge les délais de l’appel du ju
gement obtenu sur pièces fausses, en ne les faisant cou
rir que du jour où le faux a été reconnu ou juridique
ment constaté. On convient généralement que dans cette
hypothèse la reconnaissance dont parle la loi, c’est l’a-
�501
veu de la partie, et ce qui le prouve, c’est que cet arti
cle , exigeant une preuve par écrit de la découverte des
pièces décisives , n’aurait pas manqué de la prescrire
pour la découverte du faux, sans quoi les délais d’appel
n’eussent jamais couru. Or, rien n’indiquant une inten
tion contraire, il faut conclure, de l’identité des termes
employés par l’art. 480, à une solution conforme à celle
donnée dans le cas de l’art. 448.
Ainsi encore, l’art. 488, qui fait courir les délais de
la requête civile du jour où soit le faux, soit le dol, aura
été reconnu ou les pièces décisives découvertes, ajoute :
pourvu que dans ces deux derniers cas il y ait preuve
par écrit du jour et non autrement. Le motif qui a fait
restreindre la nécessité de la preuve écrite au dol et à la
découverte des pièces décisives, c’est que le faux ne pou
vant résulter que d’une reconnaissance ou d’un juge
ment, la preuve du jour de l’une ou de l’autre résultera
invinciblement de l’acte qui constate l’une ou l’autre. La
loi n’a donc pas voulu parler de la simple découverte
du faux, car elle eût fait pour celle-ci ce qu’elle a fait
pour celle du dol, pour celle de pièces décisives, à moins
qu’on n’admît que, pour le faux, la loi n’a voulu tra
cer aucune limite à la faculté de se pourvoir par requête
civile. Or, une pareille intention est d’autant moins pré
sumable que l’intérêt public prescrivait de laisser le
moins possible dans l’incertitude l’autorité des jugements
ou arrêts.
Enfin, admettre que la reconnaissance exigée par l’ar
ticle 480 signifie seulement la découverte du faux par
ET DE LA FRAUDE.
�TRAITÉ DU DOU
502
le demandeur en,requête civile, c’est supposer au légis
lateur deux volontés contradictoires dans deux disposi
tions rapprochées à dessein, à cause de leur coïnciden
ce. Ainsi , tandis qu’il aurait exigé d’une part la cons
tatation juridique du faux pour donner ouverture à la
requête civile , de l’autre il se serait contenté qu’il fût
seulement découvert. Une telle contradiction n’est ni pré
sumable ni admissible.
444. — En conséquence il n’y a pas à hésiter. Ce
lui qui veut se pourvoir en requête civile, pour fausseté
des pièces produites, doit se procurer l’aveu de son ad
versaire , et, à défaut, faire constater juridiquement le
faux. Cette reconnaissance ou ce jugement obtenu, la re
quête civile devient recevable et peut dès lors être inten
tée. De là résulte évidemment que le même tribunal ne
saurait être simultanément investi de la connaissance du
faux et de la requête civile, ni prononcer sur le tout par
un même jugement.
C’est au reste dans ce sens que s’est généralement pro
noncée la jurisprudence. De nombreux et graves monu
ments l’attestent.'
Tout en admettant ce principe , Pigeau en restreint
l’application au cas où la pièce arguée est authentique.
Si la pièce est privée, dit-il, les juges peuvent, après l’a1 Voy. au Journal du palais : Grenoble , 29 mai 1834; Paris , 11
mai 1836 ; Cass., 2 mai 1837, et 13 février 1838 ; Aix, 8 février 1839:
�303
voir examinée et reconnue fausse , la déclarer nulle et
admettre la requête civile par le même jugement.
Mais cette opinion a le tort de distinguer là ou la loi
ne distingue pas. De plus, elle transfère au juge le pou
voir de reconnaître la fausseté de la pièce et de commet
tre ainsi une équivoque sur la valeur de ce terme que la
loi a considéré comme l’équivalent de l’aveu de la par
tie. Elle est donc inadmissible. Ainsi , que la pièce soit
privée, qu’elle soit authentique, la nécessité d’une recon
naissance ou d’un jugement préalable n’en existe pas
moins, pour que le droit de se pourvoir par requête ci
vile soit ouvert.
ET DE LA. FRAUDE.
445. — 3° Enfin la requête civile est autorisée si,
depuis le jugement, il a été recouvré des pièces décisi
ves et qui avait été retenues par le fait de la partie.
Trois conditions sont donc indispensables pour cons
tituer celte ouverture spéciale de requête civile.
La première, c’est que les pièces aient été découvertes
depuis le jugement. Conséquemment, si leur existence
avait été connue avant, la partie qui aurait négligé de
les produire ou de s’en prévaloir ne serait plus admise
à se pourvoir contre le jugement. Ce jugement serait
maintenu tel qu’il a été prononcé, alors même que la
décision qu’il consacre eût dû être différente, si les piè
ces non représentées eussent été vérifiées par les juges.
La requête civile n’a nullement été imaginée pour venir
en aide à l’imprudent qui n’a pas su se défendre comme
le voulait son intérêt.
�504
TRAITÉ DU DOL
La détermination de l’époque de la découverte précise
des pièces était de nature à soulever de graves difficul
tés. C’est pour les prévenir que la loi exige que la preu
ve écrite de cette découverte soit produite par le deman
deur en requête civile. Aux termes de l’art. 488, l’ab
sence de cette formalité ne permettrait pas d’accueillir la
demande.
La seconde condition , c’est que les pièces soient dé
cisives. L’exigence de ce caractère implique pour le juge
la nécessité de jeter un coup d’œil sur le fond du pro
cès. Aussi cette faculté, que l’ordonnance de 4667 refu
sait, a-t-elle été explicitement admise lors de la discus
sion législative du Code de procédure civile. Elle est d’ail
leurs indispensable , car comment juger si la pièce est
ou non décisive, autrement qu’en recherchant quelle est
l’influence qu’elle doit exercer sur les prétentions des
parties.
Le juge examinera donc le fond , et s’il résulte de cet
examen, dit Pigeau , que la cause eût été perdue quand
même la partie eût plus tôt produit la pièce , on n’aura
pas à s’occuper de la requête civile r qui devra dès lors
être rejetée.
Il suit de là qu’il n’y a de pièces décisives , dans le
sens de la loi, que celles dont les énonciations devaient
amener une solution opposée à celle que le jugement con
sacre. Telle n’est pas cependant l’opinion de M. Berriat
Saint-Prix. Cet auteur pense que le caractère des pièces
doit être apprécié par rapport au rescindant seulement;
conséquemment il établit comme règle générale que,
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a
—
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c
•• • ” v
505
quoique la pièce retenue ou recouvrée doive, en défini
tive , faire rendre un jugement semblable au premier,
quant à ses résultats, il n’en faut pas moins rétracter
celui-ci.
Cette doctrine s’écarte du véritable esprit de la loi ;
elle ne tend qu’à perpétuer les procès , qu’à multiplier
les frais. Elle devait donc être rejetée. Elle l’a effective
ment été par les auteurs et par la jurisprudence. La Cour
de Bruxelles, notamment, a décidé, par arrêt du 9 juil
let 1823, que, si la pièce n’est pas décisive au fond, on
ne peut prétendre qu’il y ait dissimulation dolosive, et
partant ouverture à requête civile.
La troisième condition , c’est que les pièces aient été
retenues par le fait de la partie.
Cette rétention est surtout le fait principal dont le § 10
a voulu s’occuper. Nous verrons bientôt que son exis
tence est constitutive d’une présomption de dol suffisante
pour autoriser la requête civile. A ce titre, on ne pouvait
faire autrement que d’exiger qu’elle fût directement im
putable à la partie, le dol, formel ou présumé, devant
être personnel pour créer une ouverture à requête civile.
De là cette conséquence que, si les pièces avaient été
retenues par un tiers ou si le défaut de leur production
n’était imputable qu’à la négligence de la partie qui avait
intérêt à les représenter, le jugement rendu en leur ab
sence demeurerait inattaquable pour toutes les parties.
On doit, dans cette circonstance, appliquer les princi
pes que nous avons déjà exposés sur le dol direct ou in
direct. Ainsi si la rétention matériellement opérée par
ET DE LA FRAUDE.
�506
TRAITÉ DU DDL
un tiers n’élait due qu’aux inspirations de l’une des par
ties, si la conduite de ce tiers Était le résultat d’une col
lusion frauduleuse, la complicité de la partie la rendrait
directement responsable des conséquences de la rétention
et autoriserait la requête civile. C’est ce qui se réaliserait
dans le cas où la partie, dans l’intention d’éluder la loi,
aurait, avant le procès, remis les pièces entre les moins
d’un tiers, en le chargeant de les celer ; ou si, connais
sant le dépositaire de ces pièces, elle était parvenue, par
dons, promesses ou violences, à le déterminer à ne pas
les produire.
D’autre part , la possession d’une pièce et le silence
gardé sur son existence ne constitueraient pas la réten
tion prévue par la loi, si la minute de cette pièce étant
déposée dans des registres publics ou chez un notaire,
les parties ont pu en requérir une expédition ou une co
pie ; si la pièce étant commune aux deux parties ou si,
son existence étant acquise, on a pu forcer le déposi
taire à la communiquer. Ainsi il a été jugé qu’il n’y avait pas véritable rétention dans le fait de l’associé qui,
constitué gardien d’un document social, ne l’avait pas
produit, tous les associés pouvant le réclamer et le con
sulter en tout temps ' ; que la partie qui n’a pas usé de
la faculté autorisée par l’art. -188 du Code de procédu
re, d’exiger la communication des pièces invoquées par
son adversaire , ou qu’il sait être en sa possession , ne
*
1 Paris, 58 novembre 1810.
�507
peut être admise à se pourvoir par requête civile , sous
prétexte que celui-là les aurait retenues.'
On le déciderait de même dans toutes les hypothèses
où le demandeur en requête civile aurait négligé de fai
re valoir les moyens que la loi lui donne de s’éclairer
sur son droit. Il est certain que, en pareille occurrence,
il a commis une faute qui n’a pas peu contribué au pré
judice dont il se plaint. Or, en principe, le dol n’oblige
à la restitution que lorsque celui qui la réclame n’est
pas lui-même coupable d’imprudence, de légèreté ou
de négligence. Alors, en effet, et alors seulement, le dol
peut être considéré comme la cause déterminante du
contrat.
ET DE LA FRAUDE.
446. — Au reste, les circonstances pouvant ou non
constituer la rétention dans le sens légal ne présentent
que des appréciations de fait que la loi abandonne à la
prudence et aux lumières du juge. Mais une pure ques
tion de droit est celle de savoir si la requête civile est
admissible lorsque celui qui a retenu les pièces a agi de
bonne foi et dans l’ignorance de leur existence entre ses
mains.
Pigeau enseigne l’affirmative. Mais cette solution est
fortement combattue par M. Ad. Chauveau. « Le § 10,
dit ce dernier , prévoit un cas de dol aussi bien que le
§ 1", et, s’il diffère de celui-ci par une précision spé
ciale , comme lui, du moins, il pose, à titre de condi1 Cass., 20 novembre -1832
�308
TRAITÉ DU DOL
tion essentielle , qu’il faut que le dol provienne du fait
de la partie.
» Or il n’y a pas de dol dans l’hypothèse, car le dol
suppose l’intention de nuire , il n’existe même qu’à ce
titre; et ici le contraire est établi.
» Encore moins peut-on dire qu’il se révèle par une
manœuvre coupable de la partie, puisque celle qui, par
pure ignorance, a retenu des pièces qu’elle ne savait
pas en sa possession, n’a pas même encouru le reproche
de négligence; ce n’était pas à elle, en effet, de cher
cher des armes à son adversaire. Il suffit qu’elle n’ait
pas sciemment mis obstacle aux recherches que celui-ci
aurait pu effectuer , pour qu’elle soit exempte de tout
blâme. »
Ainsi des deux hypothèses que l’art. 480 semble pré
voir dans le § 10, à savoir : celle d’une rétention inten
tionnelle , et celle d’une rétention provenant de l’igno
rance , M. Chauveau n’admet que la première comme
donnant ouverture à la requête civile. Nous pensons, au
contraire , que c’est uniquement en vue de la seconde
que le § 10 a été inscrit dans la loi.
Aucun doute, en effet, ne pouvait s'élever dans le cas
de dol. Le § 1" les prévoit tous , et la rétention d’une
pièce décisive, opérée sciemment, étant un véritable dol
personnel, tombait virtuellement sous le coup de celte
disposition.
Il n’en était pas de même de la rétention de bonne
foi. On pouvait précisément invoquer ce caractère pour
combattre la recevabilité de la requête civile. 11 était donc
\
�509
urgent de tracer à cet égard une règle précise , si l’in
tention du législateur était de consacrer la requête civile
dans ce cas.
Or nous croyons que cette intention a été celle de la
loi ; et c’est pour l’exprimer que le § 10 a été adopté.
Ce paragraphe s’appliquerait donc précisément à l’hy
pothèse que M. Chauveau prétend exclure.
Remarquons d’abord que la loi n’exige qu’une seule
chose, à savoir : que les pièces aient été retenues par le
fait de la partie. C’est donc à la matérialité des choses
qu’il convient de se référer. L’absence de toute indica
tion relative à l’intention, en fait un devoir d’autant plus
impérieux que Cette absence n’est qu’une conséquence
d’une appréciation exacte des difficultés graves que les
questions d’intention pouvaient soulever.
L’ignorance de l’existence d une pièce qu’on a en sa
possession est un fait tellement intime, qu’on ne pour
rait rendre la prétention contraire l’objet d’une preuve
quelconque. Cependant le fait de cette possession a cau
sé un grave préjudice, puisqu’une partie , qui ne devait
pas l’être , a été condamnée. Or , comment concevoir
l’impossibilité absolue de toute réparation dans laquelle
cette partie serait placée, par l’impuissance où elle serait
d’établir que la bonne foi de son adversaire n’est qu’un
vain prétexte ?
À côté de cet inconvénient déplorable , s’en trouvait
un autre non moins grave. On ouvrait une large porte
à l’arbitraire, en constituant les tribunaux juges néces
saires de cette intention. C’était, en effet, les placer en
ET DE LA FRAUDE.
�510
TRAITÉ DU DOL
présence de deux allégations dépouillées de tout secours
extérieur, et les exposer ainsi à consacrer dans plusieurs
cas le contraire de la vérité.
Il n’y avait qu’un seul moyen qui pût faire heureu
sement franchir ce double écueil, et ce moyen est celui
que la loi a pris. Le fait de la possession des pièces et
leur rétention est déterminant. Il crée une présomption
légale de dol, suffisante pour donner ouverture à la re
quête civile.
La loi ne pouvait pas hésiter à le décider ainsi , car
le résultat qu’elle atteint est le seul juste, le seul équi
table. Ainsi la partie qui ne doit rien se trouve exoné
rée d’une condamnation imméritée. Son adversaire perd
le bénéfice d’un jugement qui n’a été qu’une surprise à
la religion des juges, et dont l’annulation ne fait que lui
rendre la position dans laquelle il était réellement placé.
Le système contraire a des conséquences iniques, et
grève d’une responsabilité désastreuse la partie qui n’a
absolument rien à se reprocher. En effet, si elle n’a pas
produit les pièces dont son intérêt exigeait la représen
tation, c’est par l’excellente raison qu’elles étaient dans
les mains de son adversaire. On ne saurait donc lui re
procher ni faute, ni imprudence, ni légèreté.
Il n’en est pas de même de ce dernier, s’il pouvait échapper au reproche d’avoir commis une faute grave, il
se trouverait au moins convaincu de négligence. Il a, en
effet, le tort de ne s’être pas assez assuré de l’existence
du droit qu’il allait exercer. Cependant c’est lui qu’on
récompenserait de cette heureuse négligence , c’est lui
�511
qu’on enrichirait des dépouilles injustement arrachées à
son adversaire 1
Est-il vrai cependant qu’il doive en être ainsi et que
la loi n’ait autorisé la requête civile que lorsqu’il s’agit
d’un dol caractérisé ?
La négative s’induit des motifs et du texte de l’art. 480.
La requête civile n’est qu’un moyen de corriger l’erreur
dans laquelle le juge devait fatalement tomber par le fait
ou par la fraude de l’une des parties. C’est ce que prou
ve invinciblement le § 9 de cet art. 480.
L’usage des pièces fausses peut caractériser un dol. Il
peut aussi n’être que le résultat de.la bonne foi et de
l’ignorance. A-l-on hésité , dans cette dernière hypo
thèse, à autoriser la requête civile? Cependant la bonne
foi de la partie est exclusive de toute intention fraudu
leuse, et si la loi exigeait cette intention, il faudrait dé
cider, pour l’usage des pièces fausses, c,e que tM. Chau
veau enseigne pour la rétention des pièces. Le contraire
cependant n’a jamais été contesté par personne.
Mais si la bonne foi n’est point une excuse pour l’u
sage des pièces fausses, pourquoi lui reconnailrait-on ce
caractère, lorsqu’il s’agit de rétention de pièces décisi
ves ? Evidemment il y a dans les motifs de décision, dans
l’un et dans l’autre cas, une telle identité qu’on ne sau
rait justifier ni concevoir une pareille divergence dans
les résultats.
Concluons donc que le sens du § 10 , déterminé par
les motifs qui ont fait admettre la requête civile, justifié
par l’énormité des conséquences que le système de M.
ET DE LA FRAUDE.
�512
TRAITÉ DU DDL
Chauveau entraînerait , est invariablement fixé par son
rapprochement avec le § 9. Le dol est présumé dans le
fait de rétention, au même titre que dans le fait de l’u
sage des pièces fausses. L’un et l’autre se réalisant, le
jugement est essentiellement altéré dans son principal
caractère, et la requête civile est ouverte, quelles qu’aient
été les causes déterminantes de l’un ou de l’autre. La
preuve que le § 10 n’a pas d’autre but que le § 9, c’est
que déjà le 1er punissait le dol personnel , et qu’il est
impossible d’admettre que le législateur ait cru devoir
consacrer deux fois, dans le même article, la même dis
position.
Enfin la justesse de notre conclusion est prouvée par
la jurisprudence que nous avons déjà rappelée. Si, dans
la supposition de mauvaise foi admise par M. Chauveau,
la loi exige la dissimulation et la rétention , la consé
quence nécessaire de sa disposition sera que le dol n’ex
istera que par la réunion de ces deux circonstances, et
que la simple dissimulation , fût-elle le produit de la
fraude la plus insigne, ne saurait, dans aucun cas, auto
riser la requête civile.
Le contraire a été cependant formellement jugé par la
Cour de cassation. Son arrêt, du 19 février 1823, déci
de, en effet, que la dissimulation d’une pièce, sans qu’il
y ait eu rétention , pouvait constituer un dol donnant
ouverture à requête civile. Dans le système de M. Chau
veau , cet arrêt serait une violation flagrante de la loi,
puisqu’il ferait produire à une seule des circonstances
prévues les effets que la loi n’a voulu donner qu’à la ré-
�313
alisation simultanée de l’une et de l’autre. S’il faut qu’il
y ait mauvaise foi, dissimulation et rétention, il est évi
dent que la mauvaise foi qui n’aura produit que la dis
simulation ne pourrait être atteinte, sans méconnaître la
volonté expresse du législateur.
La Cour de cassation n’a pas hésité pourtant, et M.
Chauveau approuve formellement son arrêt. Donc la
Cour a admis expressément que le texte du § 10 de l’ar
ticle 480 a un sens tout spécial, à savoir : que la réu
nion des circonstances qui y sont énumérées crée une
présomption légale de dol, rendant inutile et superflue
l’examen de l’intention qui les a déterminées. Cet exa
men devient , au contraire , indispensable lorsque les
parties se trouvant en présence d’une simple dissimula
tion, il y a lieu de rechercher si cette dissimulation ne
constitue pas un véritable dol, et s’il convient d’appli
quer le § 1er. La bonne ou mauvaise foi , indiffférente
dans la première hypothèse, est donc décisive et consé
quemment nécessaire à établir dans la seconde.
ET DE LA FRAUDE.
447. — Nous aurions maintenant à rechercher quels
sont les jugements qui peuvent être attaqués par la voie
delà requête civile; quels sont les effets de l’introduction
de l’instance, ceux de son admission. Mais les difficul
tés que ces divers points peuvent entraîner appartien
nent à une autre matière que celle qui nous occupe.
Nous devons donc renvoyer aux auteurs qui ont écrit
sur cette partie de notre droit. Rappelons seulement que
l’exécution du jugement attaqué ne saurait être ni susi
33
�S14
TRAITÉ DU DOL
pendue ni arrêtée jusqu’au moment où , par la consé
cration de la requête civile , ce jugement se trouve ré
tracté et les parties remises au même état qu’avant sa
prononciation.
FIN DU TOME I".
�TABLE
DES' CHAPITRES DU TOME I".
PAGES
O b s e r v a t io n s p r é l i m i n a i r e s ...........................................
1
C h a p it r e i .
1 i-
S e c t io n i
16.»
— Définition du d o l .....................................
. — Caractères du d o l ....................................
. — Des diverses espèces de dol .
. . .
i. — Dol substantiel ou accidentel..............................
h . — Dol direct ou indirect..........................................
in. — Dol positif ou négatif...........................................
îv. — Dol postérieur au contrat ...............................
il. — D elà preuve du d o l...............................
. — Du dol présum é...........................................
. — Dol non présumé, modes de preuve.
.
30.
37
§
53
§
61 '
§
72,
§
77
C
79
S
210
S
C
. — Des effets du dol................................. 250»
S
. — Dol dans les traités, ses effets
. . . S5B
| i. — De l’action en nullité ou rescision . . . . 256§ n. — De l’action en dommages-intérêts . . . . 289:
S
. — Dol dans le m a ria g e ............................340
S
. — Dol dans les libéralités...................... 406
S
. — Dol dans les jugem ents......................
473»
§ i. — De la requête civile............................................ 476»
S ec t io n i i
h a p it r e
ectio n
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TRAITÉ
EIN M A T IE R E
CIVILE «fc COM M ERCIALE
PAR
J.
B ë BARRIDE
Avocat près la Cour d appel d A ix , ancien Bâtonnier
Membre correspondant de l'Académie de Législation de Toulouse
Chevalier de la Légion d’Honneur
Tome 2
T R O |I S I É M B
É D IT IO N
revue et mise au courant de la doctrine et de la jurisprudence
TOME DEUXIEME
PARIS
AIX
L. L A R O S E , L I B R A I R E
ACHILLE MAKAIRE, LIBBAIR
22 , RUE SOUFEiOT, 22
2 , BUE POKT-MOnBiU
2
4 876
CO
XôSLS
�TRAITÉ
EIN M A T IE R E
CIVILE «fc COM M ERCIALE
PAR
J.
B ë BARRIDE
Avocat près la Cour d appel d A ix , ancien Bâtonnier
Membre correspondant de l'Académie de Législation de Toulouse
Chevalier de la Légion d’Honneur
T R O |I S I É M B
É D IT IO N
revue et mise au courant de la doctrine et de la jurisprudence
TOME DEUXIEME
PARIS
AIX
L. L A R O S E , L I B R A I R E
ACHILLE MAKAIRE, LIBBAIR
22 , RUE SOUFEiOT, 22
2 , BUE POKT-MOnBiU
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CO
XôSLS
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�T R A I T É
DU DOL ET DE LA FRAUDE
EN MATIÈRE CIVILE ET COMMERCIALE
CHAPITRE III.
DES
EFFETS
DU
DOL.
SECTION IV.
Dol d a n s
les
J u gem en ts.
S II.
De la prise
à partie.
SOMMAIRE.
448.
449.
Motifs de la prise à partie.
Inconvénients de l ’admission de cette voie. Dangers pou
vant résulter de sa prohibition.
450. Coup d’œil historique.
ii
\
�TRAITÉ DU DOL
451.
452.
•453.
454.
|5 5 .
456.
457.
458.
459.
460.
461.
462.
463.
464.
465.
Abrogation de l ’ancienne législation par la loi du 3 bru
maire an îv et plus tard par le Code de procédure.
Cas donnant ouverture à l’action.
Différence en cette matière entre le dol et la fraude.
Différence dans leur origine. Conséquences.
Différence dans les faits à prouver.
Leurs effets.
La concussion se place sur la même ligne que le dol.
Conduite que le magistrat doit tenir envers les plaideurs.
Admissibilité de la preuve testimoniale.
Caractère du déni de justice.
Mode de sa constatation,
L’article 505 du Code de procédure civile est essentielle
ment limitatif.
Difficulté relativement à la faute lourde.
Sa solution.
Regret de M. Chauveau sur la doctrine de la Cour de cas
sa tio n .
466. Réponse,
467. Examen de l ’opinion de Toullier.
468. Contre qui peut être dirigée la prise à partie.
469. Est-elle recevable contre les arbitres ?
470. Position que fait au juge l ’admission de la requête. Consé
quence.
**
471. Influence de cette admission sur la décision attaquée.
472. Effets de l ’arrêt admettant la prise à partie par rapport : 1*
au juge ; 2“ à la décision.
473. Quid si la partie a coopéré au dol du juge ?
474. La condamnation contre le juge peut entraîner la contrain
te par corps.
448.
— Si dans le Code, disait l’orateur du gouver
nement , on avait pu se décider par les sentiments de
respect qu’inspirent en France, plus que partout ailleurs,
�ET DE LA FRAUDE.
3
l’impartialité , l’exactitude et l’extrême délicatesse des
magistrats, on n’y aurait pas même prévu qu’il pût s’en
trouver dans le cas d’être pris à partie. Mais ne suffît—il
pas que des exemples, quelque rares qu’ils soient, puis
sent se présenter, pour que la magistrature entière doive
être satisfaite qu’il y ait une loi sévère , sous l’égide de
laquelle les parties lésées peuvent obtenir la réparation
qui leur est due.
449.
— Évidemment l’écueil, en cette matière, ré
sidait dans un parti extrême, soit qu’on abandonnât la
prise à partie au gré des plaideurs malheureux, soit qu’on
la prohibât d’une manière absolue.
Le premier système offrait de graves , de nombreux,
inconvénients. Rien de plus dangereux, pour l’ordre so
cial lui-même , que de livrer le juge aux passions hai
neuses de ceux qu’il a dû condamner. Dès cet instant,
disait un avocat général au parlement de Grenoble, avili
par l’opinion mêmede la loi, le magistrat serait dégradé
dans ses fonctions ; son autorité, liée à la dignité de son
caractère, s’affaiblirait comme elle, et lorsque le juge se
rait sans considération, la loi serait sans force.
La proscription absolue de tout recours n’offrait pas
de moindres périls, quoique dans un autre ordre d’idées.
Dégagé de toute crainte, le magistrat aurait pu se livrer
à ses passions , sous le voile de l’accomplissement d’un
devoir. Or , ajoutait le même m agistrat, le plus grand
crime des administrateurs de la justice serait de la trahir
quand ils paraissent la rendre. Etablir comme une règle
�4
TRAITÉ DU DOL
que dès qu’un homme est décoré du titre de juge, il est
inaccessible à la prévarication , ce serait mal connaitre
la faible humanité, ouvrir la barrière à d’odieux abus et
consacrer quelquefois la plus révoltante iniquité.
450.
— Le besoin de répression contre les magis
trats prévaricateurs était donc impérieusement indiqué.
Cette nécessité a été sentie par tous les peuples. L’his
toire est là pour nous montrer que les peines corporelles
les plus cruelles ont puni de pareils forfaits. Il est donc
vrai de dire que la prise à partie se retrouve dans les plus
anciennes législations, sous des formes empreintes dans
chacune du caractère, du génie et des mœurs de la na
tion. Les Romains l’avaient formellement consacrée. 1
En France, la partie qui avait succombé pouvait, dans
les premiers temps, appeler le juge à défendre, l’épée à
la main, le bien jugé de sa sentence ; plus tard, et lors
que la faculté d’appel fut reconnue , le juge qui avait
prononcé devenait l’intimé principal et devait plaider à
l’appui de son jugement. Cet état de choses soulevant des
plaintes unanimes, une ordonnance de François 1er le fit
cesser, en déclarant que l’appel devait être dirigé contre
la partie. Mais le juge ne dut pas moins être intimé. De
partie principale il devint partie jointe, mais nécessaire.
Le premier édit qui restreignit la faculté illimitée d’ac
tionner le juge est l’ordonnance de 1540. Cette ordon
nance , relative à l’administration de la justice en Nor-
1 L. \ 8, § 'I, et 40, §
Dig. Dejudiciis.
�5
ET DE LA FRAUDE.
mandie, défend de prendre le juge à partie , sinon que
l’on maintienne par relief qu'il y ait dol ou fraude, ou
concussion, ou erreur évidente en fait ou en droit.1
L’ordonnance de Blois, de 1579 , rendit ce principe
commun aux autres provinces, celle de 1667 le confir
ma. La seule modification que cette dernière introduisit
fut de multiplier les cas légaux de prise à partie.
«
4 5 1 . — Ces ordonnances formèrent le droit commun
de la France jusqu’à la loi du 3 brumaire an iv. Plus
tard, le Code de procédure est venu définitivement régler
le principe et les formes de la prise à partie.
4 5 2 . — Aux termes de l’article 505, cette voie d’at
taque contre les juges n’est ouverte que dans l’une des
quatre hypothèses suivantes : 1° s’il y a dol , fraude ou
concussion, qu’on prétendrait avoir été commis soit dans
le cours de l’instruction, soit lors du jugement; 2° si la
prise à partie est expressément prononcée par la loi ; 3°
si la loi déclare le juge personnellement responsable, à
peine de dommages-intérêts ; 4° s’il y a déni de justice.
De ces quatre hypothèses, deux appartiennent plus
particulièrement à la matière que nous examinons , à
savoir : la première et la quatrième. C’est aussi d’elles
seules que nous nous occuperons.
4 5 5 . — Le dol et la fraude, que la pratique confond
i Collection d’Isambert, tom. xii, pag. 709.
�6
TRAITÉ DU DOL
assez habituellement, ont ici une acception spéciale qu’il
ne faut pas perdre de vue. Identiques dans leurs effets ,
ils diffèrent dans les caractères qui les constituent. Ainsi
et par rapport à la prise à partie, le dol consistera dans
les machinations ou les artifices qu’un juge se sera per
mis à l’encontre d’une partie. Il y aura fraude lorsque,
volontairement et dans le dessein de nuire, le juge aura
ouvertement violé la loi qu’il était chargé d’appliquer.
4 5 4 . — Le dol peut se réaliser soit dans le cours de
l’instruction, soit au moment du jugement ; la fraude ne
résulte que du jugement lui-même. Ce n’est qu’alo rs,
en effet, que le préjudice qu’elle a pour but d’occasion
ner se manifeste.
De là celte conséquence que le fait qualifié fraude, et
sur l’existence duquel il ne saurait y avoir doute , peut
n’ètre que le résultat d’une erreur involontaire. Il est
même présumé tel jusqu a preuve contraire. Le dol, au
contraire, emporte par lui - même l’idée d’une intention
évidemment mauvaise.
En effet, les manœuvres , les artifices qui le caracté
risent ne permettent guère d’équivoquer sur l’esprit qui
a dicté les unes ou les autres. Comment le juge pourrat-il intentionnellement se justifier d’avoir , par des mo
yens fallacieux , amené la partie à des aveux ou à des
concessions qu’elle ne devait pas ? D’avoir ajouté ou re
tranché à la déposition des témoins qu’il a entendus ?
Comment le rapporteur d’un procès innocentera-t-il le
fait d’avoir soustrait d’un dossier, ou dissimulé dans son
�v'
ET DE LA FEAUDE.
7
rapport, une pièce décisive pour la partie? D’avoir pré
senté comme certains des faits qu’il sait être faux? Com
ment enfin le président, qui après la prononciation du
jugement en altère la rédaction en y ajoutant ou en di
minuant, pourra-t-il persuader de sa bonne foi? Chacun
de ces faits est trop contraire à la loyauté qu’exigent les
fonctions de magistrat, pour qu’on puisse se méprendre
sur l’intention qui les a dictés.
4 5 5 . — Mais, à la différence de la fraude, ledol ne
résultera jamais du jugem ent, en ce sens que les faits
qui le constituent ne ressortiront jamais du rapproche
ment de celui-ci avec le texte de la loi. Dès lors , s’il est
vrai que la fraude, comme le d o l, doit être prouvée , il
n’est pas moins certain qu’il y aura dans la preuve of
ferte cette distinction importante que celle de la fraude
devra porter sur l’intention du juge, et celle du dol sur
l’existence des faits dont on veut le faire résulter.
4 5 6 . — L’une ou l’autre de ces preuves admise et
rapportée, la prise à partie doit réussir, sans que la ju
ridiction saisie ait à s’enquérir du mobile qui a poussé
le juge. Il importe peu qu’il ait obéi à ses propres ins
pirations ou suivi l’impulsion d’une volonté étrangère.
Il a, dans tous les cas, manqué à ses devoirs, et dès lors
justement encouru la peine prononcée par la loi.
4 5 7 . — La concussion est placée sur la même ligne
que le dol et la fraude. Cela est d’autant plus rationnel
�8
TRAITÉ DU DOL
que ceux-ci ne sont souvent que la conséquence immé
diate de l’autre. Aussi cette dernière est - elle appréciée
beaucoup plus sévèrement par la loi qui la considère et
la punit comme un crime.
Dès lors la preuve de la concussion donnerait lieu nonseulement à la pénalité édictée par la loi criminelle ,
mais encore à la prise à partie, dont les effets entraîne
raient l’obligation, pour le juge, de réparer le préjudice
qu’il aurait causé.
458.
— La corruption tentée contre les juges n’agit
pas toujours ouvertement ; elle sait revêtir des formes
tellement adroites, elle se produit par des moyens en ap
parence si innocents , que le juge se trouve enlacé sans
s’en douter , et comme malgré lu i, dans les filets dont
elle a su l’envelopper. Le magistral jaloux de sa consi
dération ne saurait donc se montrer trop susceptible con
tre l’audace de certains plaideurs. L’objet de la plus mi
nime valeur, le cadeau le plus indifférent, le service le
plus faible doit être impitoyablement refusé. La magis
trature est à l’instar de la femme de César : elle ne doit
pas même être soupçonnée.
459.
— Le dol, la fraude, la concussion peuvent,
dans le sens que nous venons d’indiquer, devenir , en
cas de dénégation, l’objet d’une preuve testimoniale. Il
est facile de comprendre que les faire dépendre d’une
preuve , ou même d’un commencement de"preuve’par
écrit , c’était en rendre la répression impossible. C’est
�ET DE LA. FRAUDE.
9
dans cette prévision que la loi n’exige l’annexe des piè
ces justificatives que s’il en existe. M ais, à défaut, la
requête doit contenir l’articulation précise des faits de
dol, de fraude ou de concussion. Si ces faits sont graves
et pertinents, la preuve ne saurait en être refusée.
4 6 0 . — Le déni de justice constitue une véritable
forfaiture. Institué pour rendre la justice , le magistrat
la doit à tous sans faveur , sans préférence. Il manque
donc au premier de ses devoirs , lorsqu’il refuse de se
prêter aux réclamations de ceux qui recourent à son
ministère.
/
Le déni de justice, sévèrement apprécié par les légis
lations qui se sont succédées, constitue, sous l’empire du
Gode de procédure , un dol présumé. Cette présomption
est de telle nature qu’elle n’admet même pas la preuve
du contraire. Le législateur n’a pas pu supposer la pos
sibilité de la bonne foi chez celui qui, sourd à toutes les
injonctions, a persisté à méconnaître les obligations que
son caractère, que la confiance de la loi lui imposait.
La preuve du déni de justice entraîne donc avec elle
la nécessité d’une répression , aucune excuse ne saurait
prévaloir. On comprend dès lors pourquoi tous les soins
du législateur se sont portés sur la détermination de ce
qui constitue cette preuve.
4 6 1. — Il était dangereux de s’en rapporter, quant
à ce, à la déposition de témoins. La dignité de la ma
gistrature courait le risque d’être altérée par les nom-
�10
TRAITÉ DU DDL
breuses attaques qu’un pareil moyen aurait pu motiver.
En conséquence l’article 507 du Code de procédure a taxativement indiqué le mode de preuve admissible.
Ce n ’estdonc qu’après les deux sommations faites dans
les formes et délais qui y sont indiqués, que le refus du
juge est certain et que le droit de le prendre à partie est
ouvert. Conséquemment la requête qui signale l’exercice
de ce droit doit mentionner l’accomplissement de cette
formalité , et être accompagnée de l’original des deux
sommations , comme pièces justificatives. Le défaut de
production de ces deux actes, et à plus forte raison l’o
mission qui en aurait été faite au mépris de l’article 507,
rendrait la prise à partie non recevable.
462,
— Un principe incontestable , et qui résultait
de la nature des choses, c’est que la disposition de l’ar
ticle 505 est essentiellement limitative. En conséquence,
toute prise à partie , fondée sur un fait autre que ceux
qui y sont formellement prévus , serait absolument non
recevable.
465.
— Une difficulté s’est pourtant présentée, qui,
tout en respectant ce principe , tendrait néanmoins à le
violer. On a dit: La violation involontaire de la loi peut
constituer une faute extrêmement grave. Or, aux termes
de la loi romaine, la faute lourde est assimilée au dol ;
donc, la prise à partie pour une faute de ce genre ren
tre parfaitement dans les termes de la disposition du §
1er de l’article 505.
�ET DE LA FRAUDE.
11
Ce système, qui tend à ajouter la faute lourde au cas
de dol, de fraude ou de concussion , avait été formelle
ment consacré par un arrêt de la Cour de cassation du
23 juillet 1806. Mais un arrêt plus récent, du 17 juillet
1832, a décidé le contraire. Quel est de ces deux monu
ments de jurisprudence , celui qui fait une plus exacte
application de la loi?
4 6 4 . — Pour décider cette question , qui ne laisse
pas de présenter un grave intérêt, il convient de faire un
retour sur ce qui se pratiquait avant le Code de procé
dure. La volonté du législateur , éclairée par la doctrine
et la pratique de ses devanciers , ressortira plus nette et
plus claire. On jugera de ce qu’il a réellement fait par ce
qu’il était en mesure de faire.
Or , l’édit de 1540 plaçait nommément au rang des
causes autorisant la prise à partie, l'erreur évidente du
juge en fait et en droit. Mais quelle que fût l’élasticité
de cette prescription, la pratique, cette pierre de touche
des lois, ne tarda pas à la restreindre. C’est ce qu’attes
tent les jurisconsultes de l’époque.
Ce qui est certain, c’est que la répulsion que l’exécu
tion littérale inspirait était telle , que l’ordonnance de
1579 n’osa pas la méconnaître. L’article 147 se borne à
autoriser la prise à partie , si nos Cours et tribunaux
trouvent qu’il y ait faute manifeste du juge , pour la
quelle il doive être condamné en son nom, et cela indé
pendamment du dol, de la fraude, de la concussion.
Ainsi , l’erreur continua d’être une cause de prise à
�12
TRAITÉ DU DOL
partie. Mais cette erreur dut constituer une faute évi
dente, jugée telle par les tribunaux, et de nature à faire
condamner le juge en son nom ; et encore ce mot faute
avait - il été accepté comme emportant l’idée d’un fait
volontaire qui empêchait de la confondre avec l’erreur
simple. C’est ainsi que de nombreux arrêts avaient jugé
que le magistrat qui avait prononcé contrairement aux
lois et règlements, mais qui l'avait fait sans dol ni frau
de, ne pouvait pas être pris à partie.
L’ordonnance de 1667 , conçue cependant dans un
esprit hostile à la magistrature , que la noble voix de
Lamoignon fut impuissante à protéger, ne dispose, sur
la faute du juge, autre chose que ce que renfermait déjà
l’ordonnance de 1579. La pratique dut donc rester , et
resta en effet, la même. On n’admit comme faute , au
torisant la prise à partie, que la négligence a f f e c t é e et
inexcusable. '
Voilà le droit commun qui s’offrait au législateur au
moment de la loi de brumaire an iv. Dès lo rs , les au
teurs de cette loi étaient parfaitement en mesure d é ju
ger de ce qu’il convenait de faire ; et si d’une part il est
certain que la prise à partie ne peut être autorisée que
dans les cas formellement prévus , ce qui a été admis
sous toutes les législations ; si d’un autre côté la faute
du juge n’a plus été placée au rang des causes qui l’au
torisent , ne faut-il pas reconnaître que le nouveau lé-
i Jousse, sur l’art. 8, tit. 1.
�ET DE LA FRAUDE.
13
gislateur a formellement répudié les errements de son
prédécesseur ?
Ainsi, le silence de la loi, imité plus tard par le Code
de procédure , suffit pour enlever à l’opinion que nous
combattons tout appui dans la lettre de cette loi ; car ce
qui est vrai aujourd’hui, à savoir que la faute lourde est
assimilée au dol, ne l’était pas moins sous les ordonnan
ces. Cette assimilation n’avait pas dès lors été jugée suf
fisante, puisque le législateur avait dû inscrire dans sa
disposition la faute du magistrat. Cette même assimila
tion suffirait-elle aujourd’hui que notre Code n’a plus
reproduit cette cause de prise à partie.
On pourrait le prétendre si cette suppression n’avait
été que la conséquence de l’idée que la faute étant assi
milée au dol, il était inutile de s’occuper de l’une, l’au
tre se trouvant formellement prévu. Mais il s’en faut que
cette pensée ait été le mobile du législateur. On peut ju
ger , par les paroles que nous avons empruntées , en
commençant, à l’exposé des motifs du Code de procé
dure , que l’admission de la prise à partie n’a été con
sacrée qu’avec l’espérance qu’elle resterait comme une
menace vaine, en présence du caractère si honorable de
la magistrature française.
L’arrêt de la section civile , du 1 7 juillet 1 8 3 2 , qui
repousse la prise à partie , pour la faute même gros
sière du magistrat , à qui on ne peut reprocher ni dol
ni fraude , a donc fait une application rigoureuse
ment exacte du texte de l’article 505 du Code de procé
dure.
�14
TRAITÉ DD DOL
4 6 5 . — Cependant M. Chauveau , mettant cet arrêt
en regard de celui de 1806 , regrette ce changement de
jurisprudence. « Sans doute , dit-il, la faute grossière ,
la faute lourde ne devra pas être légèrement admise ;
mais il peut exister des fautes tellement grossières, qu’il
soit impossible de ne pas les considérer comme un vé
ritable dol, et dès lors une réparation devient nécessaire
autant dans l’intérêt de la morale publique que dans ce
lui delà justice : De la morale, parce qu’au lieu de com
promettre la magistrature , cette réparation éclatante
venge son honneur en ne tombant que sur le membre
que son ignorance ou son improbité rend indigne de
siéger dans son sein ; de la justice , parce que la loi
reconnaît elle-même que tout fait de l’homme qui cause
un dommage à au tru i, oblige celui par la faute duquel
il est arrivé à le réparer.1 »
i
466.
— M. Chauveau a tort, dans la forme, de pla
cer sur la même ligne l’improbité et l’ignorance. Le juge
qui se trompe par improbité, ne commet pas seulement
une faute lourde, il se rend coupable d’une véritable pré
varication. Le principe de sa conduite résidera dans un
sentiment de faveur, d’inimitié ou d’avidité, et, à ce ti
tre, la prise à partie ne constitue plus que le juste châ
timent de sa fraude.
Peut-on assimiler à ce juge le magistrat qui , n ’ayant
pas cessé d’être mu parla pensée du devoir, a eu cepeni Sur Carré, art. 805, Cod. proe.
�ET DE LA FRAUDE.
1S
dant le malheur de se tromper ? L’intelligence la plus
noble, la plus élevée n’a-t-elle pas ses moments d’oubli,
d’entrainement , d’erreur ? Et l’on punira , comme un
malhonnête homme, celui qui a cédé malgré lui à l’in
firmité de la nature humaine ? Nous ne craignons pas
de le dire : un pareil système serait plus qu’une révol
tante iniquité, il serait un véritable malheur social. Quel
homme voudrait, à une pareille condition, aborder les
fonctions de la magistrature ?
Nous l’avons déjà dit, le juge ne peut, ne doit répon
dre que de la droiture de ses intentions, que de la lo
yauté’de sa conduite. Tant que sa volonté est demeurée
pure, il est réellement irréprochable. Son erreur, quel
que lourde qu’elle so it, n’est plus qu’un fait malheu
reux , fort regrettable sans doute , mais qui ne saurait
entraîner la moindre responsabilité.
Au fond, l’appel que fait M. Chauveau à l’article 1382,
n’est pas moins inadmissible. Cet article règle les rap
ports de citoyens à citoyens , comme il réglerait ceux de
citoyens à magistrats, s’il n’existait pour ceux-ci une loi
contraire. Or, cette loi, c’est l’article 505, qui ne soumet
le juge à réparer le préjudice qu’il a causé que dans les
cas spécialement indiqués. Par là se trouve formelle
ment abrogé l’article 1382 , et cette abrogation n’était
qu’un acte de justice. En effet, le citoyen qui subira l’ap
plication du principe qu’il renferme, ne sera tenu qu’à
une réparation pécuniaire; pour le juge , au contraire ,
la prise à partie compromet son état, son honneur mê
me. Lui appliquer l’article 1382, ce serait donc le placer,
�16
TRAITÉ DU DOL
en regard de cette disposition , dans une position bien
plus défavorable que celle d’un simple citoyen.
Ajoutons que l’application de l’article 1382 à la prise
à partie conduirait bientôt à cette conséquence que ,
toutes les fois que le juge aurait prononcé sur un pro
cès, il serait , sous prétexte de faute grave , obligé de
descendre de son siège et de plaider le mérite de sa dé
cision ; et, quelque difficile qu’on fût à admettre la faute
grave, on n’empêcherait pas le mal qui naîtrait du scan
dale de la poursuite.
Or , l’esprit de la loi a été précisément de rendre ces
poursuites difficiles et rares. C ar, comme le rappelle
Carré, « S’il faut que les parties aient l’assurance d’ob
tenir justice, même contre leurs propres juges , l’intérêt
public exige aussi que les ministres de la justice ne soient
pas dépouillés de toute dignité , comme ils le seraient si
les plaideurs , au gré de leur ressentiment et de leurs
diverses passions, avaient le droit de les obliger de des
cendre de leur tribunal pour se justifier de leur condui
te. Ce droit nous replacerait au temps où, par un reste
d’abus encore plus grand de l’ancien régime féodal, les
juges étaient eux - mêmes responsables de leurs juge
ments. »
Carré ajoute : « Entre les magistrats et les plaideurs,
il n’est qu’une seule autorité qui puisse en même temps
convenir à la dignité des uns et à la sécurité des autres:
c’est l’autorité de la loi , q u i, en spécifiant les cas dans
lesquels un plaideur doit être admis à traduire en justice
son propre juge, pose la barrière que le respect dû à la
magistrature doit empêcher de franchir. »
�ET DE LA FRAUDE.
47
C’est ce précepte que la Cour de cassation consacrait
en 4832. Si elle refuse la prise à partie, c’est surtout par
ce que l’article 50S a spécifié les cas dans lesquels elle
doit être admise ; c’est ensuite parce qu’en pareille ma
tière on ne saurait raisonner par analogie ; et que s’il ré
sulte de diverses dispositions du Code civil que celui qui
commet une faute dommageable à autrui est tenu de la
réparer et que la faute oblige en certains cas comme le
dol et la fraude, il ne s’ensuit pas que les juges puissent
être pris à partie pour avoir commis, dans l’exercice de
leurs fonctions , une faute même grossière , mais sans
dol ni fraude prouvés.
Cet arrêt ne mérite donc, sous aucun rapport, la cri
tique qu’en fait M. Chauveau. Admettons , en consé
quence, avec la Cour dont il émane, que la faute même
grossière ne donne pas ouverture à la prise à partie, tant
qu’elle n’est que le résultat d’une erreur involontaire.
Mais le juge qui s’est trompé parce qu’il a bien voulu se
tromper , ne saurait échapper aux conséquences de sa.
conduite. La faute volontaire n’est pas seulement dans
le cas d’être assimilée au d o l, elle est un dol évident.
Ce qui constitue celui-ci, n’est-ce pas l’intention de nui
re? Or , la volonté de se tromper renferme évidemment
cette intention.
467.
— Nous dirons donc , avec Tonifier, 1 qu’une
faute de ce genre autorise la prise à partie , mais nous
i Tom. il, pag. 256
Tl
�18
yn'-'
■>
TRAITÉ DU DOL
ne ferons pas, comme lui, dépendre l’action de la ques
tion de savoir si la partie qui profite de la faute peut ou
non en réparer les conséquences. L’utilité du droit ne
saurait influer sur son principe. Ainsi, dans l’exemple
choisi par ce célèbre jurisconsulte, nous dirons :
Ou l’admission de la caution insolvable a été , de la
part du juge, le résultat d’une appréciation erronée sans
mauvaise foi, sans volonté de se tromper. Dans ce cas,
sa décision n’est qu’un mal jugé, insuffisant pour le faire
prendre à partie, le mal jugé ne produisant cet effet que
lorsque, comme l’enseigne Duparc Poullain, il constitue
un procédé caractérisé par la fraude , l’avarice ou la
prévention la plus inexcusable ;
Ou le juge a fermé les yeux à l’évidence , repoussé la
preuve certaine de l’insolvabilité, foulé aux pieds la no
toriété publique qui lui a été signalée. On admettra alors
qu’il a agi gratia, inimicitia vel sorde , et la prise à
partie l’atteindra dans toutes ses conséquences , car il
aura commis sinon un dol, au moins une véritable frau
de rentrant dans les faits spécifiés par l’article S05.
468.
— La prise à partie peut s’adresser à un seul
juge, comme à une section du tribunal ou d’une Cour ,
comme au tribunal ou à la Cour tout entière. La doc
trine et la jurisprudence sont, à cet égard, depuis long
temps fixées.
Quelques difficultés s’étaient d’abord élevées à l’endroit
des officiers du ministère public. L’article 505 , disaiton, autorise la prise à partie contre le juge taxativement;
�ET DE LA FRAUDE.
19
or, les magistrats du parquet ne sont pas des juges dans
l’acception ordinaire du mot. Ils sont donc en dehors
des atteintes de cette disposition.
On a voulu ensuite considérer ces mêmes magistrats
comme des agents du gouvernement, et, en cette qualité
subordonner la poursuite , à leur égard , à l’obtention
préalable de l’autorisation prescrite par l’article 75 de la
Constitution de l’an vm.
Mais ces prétentions n’ont pas tardé à être universel
lement repoussées. Ainsi, il est aujourd’hui reconnu que
tous les membres de la magistrature sont compris sous
la dénomination générique de juges ; que l’autorisation
du conseil d’Etat ne peut concerner que les fonctionnai
res de l’ordre administratif ; qu’elle ne saurait donc être
requise lorsqu’il s’agit d’un membre du corps judicaire;
qu’en conséquence la prévarication d’un officier du mi
nistère public autorise la prise à partie comme s’il s’a
gissait de tout autre magistrat.
Il résulte, de ce que nous venons de dire, que l’inap
plicabilité de l’article 1382 du Code civil est exclusive
ment attachée à l’exercice des fonctions que la loi con
fère à la magistrature. De là cette conséquence : que l’ab
sence de la qualité de magistrat dans la personne , ou
le défaut d’altribution dans l’acte, rend la prise à partie
parfaitement inutile. On recourt, dans l’un et l’autre cas,
aux principesordinaires en matière de fait dommageable.
4 6 9 . — Cette observation est importante lorsqu’il s’a
git de la poursuite à exercer contre les arbitres.
�20
TRAITÉ nu DOT.
En ce qui les concerne, il faut distinguer s’ils ont agi
comme arbitres forcés ou comme arbitres volontaires.
Les premiers sont institués par la loi ; ils ont même
exclusivement compétence pour décider en premier res
sort les difficultés naissant entre associés. Ils sont donc
de véritables juges, malgré qu’ils soient désignés par les
parties. En effet, cette désignation ne fait que leur con
férer la faculté d’exercer les attributions qu’ils puisent en
entier dans la loi.
Les seconds, au contraire, reçoivent tout des parties,
désignation et attribution. Ils n’ont de pouvoirs que ce
qu’il plaît à celles-ci de leur conférer , et ce caractère ,
essentiellement privé, enlève à leurs fonctions toute assi
milation possible avec celles de magistrat.
Cette différence , dans la constitution des uns et des
autres, entraîne, comme conséquence : que les arbitres
forcés sont assimilés aux juges qu’ils remplacent, et que,
participant aux mêmes devoirs, ils sont protégés par les
mêmes garanties. Dès lors, le d o l, la fraude qu’ils au
raient commis, le refus qu’ils auraient fait de juger doit
être réprimé par la prise à partie , alors même que les
parties leur auraient conféré la qualité d’amiables com
positeurs.' Ce caractère a pour unique résultat de les af
franchir de la rigueur des formes. Il ne leur enlève rien
de leur compétence exclusive et de la nécessité qui a con
traint les parties d’invoquer leur ministère.3
1 Cass., 7 mai A847.
s La suppression de l ’arbitrage forcé rend cette doctrine sans applica
tion possible.
�ET DE LA FKAUDE.
21
La prévarication ou le refus déjuger, de là part d’ar
bitres volontaires , ne pourrait autoriser une procédure
en prise à partie. Le préjudice souffert donnerait lieu à
la poursuite d’une réparation par les voies ordinaires et
par l’application de l’article 1382.
4-70. — L’effet de la prise à partie doit être apprécié
dans chacune des deux périodes qui en signalent la pro
cédure, à savoir : après l’admission delà requête; après
la décision définitive.
L’admission de la requête place le juge dans un étas
de suspicion légale , du moins pour tout ce qui peut di
rectement ou indirectement intéresser le demandeur en
prise à partie. Cette circonstance indique assez que cette
admission doit être non une formalité indifférente , mais
la conséquence d’un examen sévère et consciencieux.
Dès lors le jugement qui la consacre donne au reproche
un caractère de vraisemblance qu’il était du devoir du
législateur de ne pas négliger.
De là la disposition de l’article 514, suivant laquelle
le juge pris à partie doit s’abstenir de la connaissance
du différend et de toutes les causes que la partie, ses pa
rents en ligne directe ou son conjoint pourront avoir
dans son tribunal, à peine de nullité du jugement.
La nature de cette prohibition a été nettement formu
lée dans l’exposé des motifs du Code. Elle est d’ordre
public. Conséquemment , il n’est pas au pouvoir des
parties de la faire disparaître ; et le jugement auquel
le juge pris à partie aurait concouru, du consentement
�TRAITÉ DU DOL
exprès de la partie intéressée, ne devrait pas moins être
annulé.
4 7 1 . — L’admission de la requête reste sans influ
ence sur la décision à l’occasion de laquelle l’action de
prise à partie est invoquée. On ne peut donc en arrêter
ni en suspendre l’exécution.
4 7 2 . — L’arrêt définitif qui consacre le bien fondé
de la prise à partie motive contre le juge une condam
nation pécuniaire, indépendamment des peines discipli
naires dont il peut être atteint. L’allocation accordée au
demandeur doit être le juste équivalent du préjudice qu’il
a été dans le cas d’éprouver.
Mais quelle est l’influence que cet arrêt exerce sur le
jugement qui a motivé la prise à partie?
M. Poncet' enseigne que ce jugement non acquiescé,
ainsi que tous les actes d’instruction argués, sont annu
lés ; Pigeau veut aussi que la décision sur la prise à par
tie rétroagisse sur le jugement et en infirme l’autorité ,
soit parce -que si la partie eût connu le dol du juge ,
elle eût pu le récuser e t , dans ce cas , le jugement eût
été suspendu, ou, s’il eût été rendu, elle aurait pu l’at
taquer par appel pour vice de formes , ou par requête
civile pour violation des formes ; soit parce que le juge,
légalement pris à partie , doit être considéré comme
n’ayant pas pris part au jugement ou à l’arrêt qui peut
i Des ju g em en ts, tom. n , p. 402.
�ET
DE
LA.
FRAUDE.
23
ainsi ne plus présenter le nombre de juges exigés par
la loi.
Ces solutions ne sont pas admissibles. Le délai d’ap
pel court du jour de la signification , sauf l’exception
prévue par l’article 448 du Code de procédure civile. Or,
ce délai expiré, le jugement est à l’abri de toute attaque
par les voies ordinaires. La prise à partie réussissant à
cette époque, ne pourrait donc donner lieu qu’à la re
quête civile.
Mais nous avons vu que cette voie d’attaque n’est ou
verte dans l’bypothèse de dol que pour le dol personnel
à la partie. Ce principe admis par la loi reçoit inévita
blement son application au dol du juge qui n’est, quant
à ce, qu’un véritable tiers. Dès lors il doit en être com
me pour le dol commis par le tiers , et la partie qui ne
répond nullement du fait de celui-ci, fùt-il son parent,
son ami le plus intim e, ne saurait être tenue du fait de
son juge.
La maxime factum ju d ic is, factum p a r tis , n’a été
faite qu’en vue des conséquences que peut entraîner l’er
reur involontaire du juge dans l’exercice de ses fonctions.
Le dol ne rentrera jamais dans cet exercice, et la partie,
qui n’a pas pu le prévoir ni l’empêcher , ne saurait en
subir les atteintes.
Il est vrai qu’en définitive elle profite d’un avantage
qui ne lui était pas dû. Mais cet avantage, au moyen de
la condamnation prononcée contre le juge prévaricateur,
est pris aux dépens de celui-ci. Or, ce résultat n’a rien de
condamnable aux yeux de la justice , puisque celui qu’il
atteint se trouve la victime de sa propre turpitude.
�24
TRAITÉ DU DOL
475.
— Noire solution suppose que la partie qui pro
fite du jugement n’a aucune part dans le fait du juge.
Elle ne serait donc pas suivie, s’il était prouvé que le dol
de celui-ci a été inspiré, provoqué ou concerté. La com
plicité de la partie ferait considérer le dol comme lui
étant personnel et l’obligeant, dès lors, à en supporter
toutes les conséquences.
Mais , dans ce cas même , la nullité du jugement ne
pourrait être prononcée comme accessoire de la décision
consacrant la prise à partie. L’instruction de celle - ci
n ’appelle devant la justice que le demandeur et le juge;
l’autre partie ne pourrait donc être condamnée, car elle
n’a pas été ni dû être entendue. Le devoir de celui qui
a acquis la preuve de la complicité de son adversaire
dans le dol du juge , serait donc de poursuivre l’appel
s’il était encore dans les délais, ou la requête civile. Cette
poursuite , indépendante de celle de la prise à partie ,
pourrait se réaliser concurremment avec celle-ci ou après
elle, les délais de la requête civile ne courant que du jour
où la preuve de la complicité a été acquise,
Hors le cas de complicité, le jugement profiterait donc
à celui qui l’a obtenu. A l’abri de toute attaque par les
voies ordinaires et extraordinaires, rien ne peut lui faire
perdre l’autorité que le respect de la chose jugée lui
imprime.
4 7 4 . — Le juge condamné sur la prise à partie peut
être tenu au payement des causes de la condamnation ,
même par la voie de la contrainte par corps. L’article
�ET DE LA FRAUDÉ.
25
126 du Code de procédure civile est ici parfaitement ap
plicable; et, loin de trouver dans la qualité de juge un
motif de ne pas user de la faculté qui leur est laissée ,
les magistrats doivent puiser dans cette qualité même la
conviction que cette faculté devient un devoir dans une
pareille circonstance. Il importe , en effet, que la ma
gistrature sévisse avec la plus grande sévérité contre des
actes qui s’attaquent à sa propre dignité et dont il lui
faut soigneusement prévenir le retour. Ajoutons que, s’il
était possible que le dol et la fraude fussent excusables ,
ils ne léseraient jamais dans la personne d’un magistrat
institué pour les réprimer.
SECTION
V.
Dol im p u ta b le a u x Officiers m in is t é r i e ls .
SOMMAIRE.
475. Matière de la section.
476. Responsabilité des notaires.
477. Son principe, son étendue.
478. Faute lourde assimilée au dol.
479. Faute sans influence sur la validité de l ’acte , son caractè
re, ses effets.
480. Quid du notaire agissant comme mandataire de la partie ?
�Faute entraînant la nullité de l ’acte.
Est-elle constituée par l'erreur de droit ?
Arrêt négatif de la Cour d ’Orléans.
Caractère de cet arrêt.
Moralité de la responsabilité dans le cas d’erreur grave sur
le droit.
Dans tous les cas , l'ignorance du notaire n’est excusable
que si la bonne foi est démontrée.
Effets de la faute déterminant la nullité.
Arrêt de la Cour de cassation décidant que les notaires ne
sont pas de plein droit responsables de la nullité
Critique de cet arrêt.
Quelle est la quotité des dommages-intérêts à allouer ?
Le notaire est garant de l’individualité des parties.
Quid de leur capaciié ?
La preuve que le notaire connaissait l ’incapacité le consti
tuerait en état de dol.
Etendue de la responsabilité de l ’avoué.
Principes sur lesquels elle repose.
Aux termes des articles 132 et 1031 du Code de procédure
civile, l ’avoué répond même de la faute légère.
Dans quelles circonstances devra-t-on appliquer cette res
ponsabilité?
L’avoué répond des personnes qu’il s’associe ou qu’il se
substitue dans l’exercice de ses fonctions. Quid de l’huis
sier ?
Dans quelles circonstances et à quelles conditions l ’avoué
peut-il être condamné à des dommages-intérêts ?
Répond-il des conséquences du conseil qu’il a pu donner ?
L ’avoué peut - il être personnellement condamné, soit aux
frais, soit aux dommages-intérêts, sans avoir été mis en
cause ?
L’huissier étant comme l ’avoué le mandataire delà partie ,
le législateur lui a rendu commune l ’application des art.
132 et 1031 du Code de procédure.
�ET DE LA FRAUDE.
503.
504.
505.
506
507.
508.
509.
510.
511.
27
La condamnation de l’huissier aux frais de l ’acte nul est
facultative pour les juges ?
L’huissier n ’est tenu que de son fait personnel. Importance
de ce principe pour les relations des huissiers avec
l ’avoué.
Pigeau et Demiau Crouzilhac enseignent que l’huissier ne
répond pas de l ’acte qu’il signifie mais que l’avoué a ré
digé. La Cour de cassation décide le contraire.
Assentiment de M. Chauveau.
Cas divers d’application de la responsabilité de l ’huissier.
Autre cas dans l’hypothèse des nullités intrinsèques.
L’huissier ne doit pas être condamné sans être entendu.
Durée du mandat de l ’huissier.
Observations communes aux avoués et aux huissiers.
■475. — Nous aurions maintenant à nous occuper
du dol que l’exécution des jugements peut offrir , mais
les principes généraux qui précèdent suffisent pour dé
terminer les obligations et les droits que ce dol impose
rait aux parties.
C’est aussi par les principes généraux, sur la respon
sabilité des officiers ministériels , que nous établirons
quelle serait leur position à l’égard des parties. Cette
tâche serait fort ennuyeuse si nous descendions dans l’e
xamen de toutes les espèces qui se sont présentées. Nous
ne recourrons donc aux spécialités que lorsque leur se
cours nous paraîtra indispensable pour faire comprendre
le principe général que nous aurons à invoquer.
476.
— Avant de parler de ce qui concerne les
avoués et les huissiers, nous devons traiter une question
que des événements à jamais déplorables rendent plus
�TRAITÉ DU DOD
que jamais d’un puissant intérêt. Nous voulons parler de
la responsabilité des notaires. Celte incursion, que nous
ferons hors de la matière spéciale de cette section, nous
sera d’autant plus pardonnée que, indépendamment du
motif d’actualité, son objet tient essentiellement à notre
matière générale. En effet , les notaires sont les instru
ments les plus ordinaires des transactions entre citoyens.
Il n’est donc pas tout à fait hors de propos de recher
cher la part qu’ils peuvent avoir dans les causes qui vi
cient ces conventions, et les conséquences que leur nul
lité doit avoir pour eux.
En principe, le notaire est tenu de son dol. En con
séquence , celui qui par des moyens frauduleux aura
cherché à tromper l’une des parties ou toutes deux , ou
à favoriser l’une au détriment de l’autre, devra être con
damné à réparer le préjudice qu’il aura causé.
L’action en réparation de ce préjudice constitue pour le
notaire une véritable prise à partie ; mais la loi qui trace
les conditions et la forme de celle à diriger contre les
magistrats, se tait sur celle-ci. De ce silence, il faut con
clure qu’elle reste sous l’influence des principes et des
formes ordinaires.
477.
— C’est donc par application des articles 1382
et 1383 que le recours contre le notaire devra être réso
lu , et cette circonstance est importante à noter lorsque
les faits imputés ne constitueront pas un dol caractérisé.
Le dol, en effet, oblige immédiatement et directement
à réparer les conséquences dommageables qu’il a entrai-
�ï< ^
'
'
’ ' ■'
ET DE LA FRAUDE.
29
né. L’application de l’article 1382 ne rencontrera donc
dans ce cas aucune difficulté.
478.
— Mais il n’en est pas ainsi pour l’hypothèse
que nous signalions tout à l’heure, à savoir : celle où les
faits imputés ne constitueraient pas un dol caractérisé.
L’article 1382 n ’exige pas qu’il y ait d o l, pas même
faute grave : il punit la faute pourvu qu’elle ait été dom
mageable. Son application textuelle placerait donc le
notaire dans la position d’être poursuivi même pour sa
faute légère. Il a donc fallu tout d’abord rechercher si
cette application textuelle entrait dans les vœux du légis
lateur.
Or, la doctrine et la jurisprudence sont depuis long
temps fixées. La seule faute imputable au notaire est la
faute lourde, celle qui peut et doit être assimilée au dol.
Nous retrouvons donc ici cette assimilation que nous
repoussions naguère pour la prise à partie du juge. On
trouve facilement le motif de cette différence, lorsqu’on
réfléchit qu’en ce qui concerne le juge , cette assimila
tion était une aggravation de la responsabilité que l’ar
ticle 305 lui impose ; tandis qu’elle agit en sens con
traire à l’égard du notaire, puisque , par rapport à lui ,
elle modifie la rigueur du principe de l’article 1382.
Ainsi , le notaire ne répond que de sa faute lourde.
Cela admis, on’comprend que c’est sur les caractères du
fait qui lui est reproché que devra se porter l’examen
des magistrats.
Or, la faute reprochée au notaire peut porter sur un
�30
TRAITÉ DU DOL
fait indépendant de la validité de l’acte ou sur l'inac
complissement des formalités prescrites pour cette vali
dité. Le préjudice peut donc se réaliser sans que l’acte
soit annulé, ou n’ètre que la conséquence de son annu
lation. La gravité de la faute repose sur des éléments
différents, selon qu’il s’agit de l’un et de l’autre.
4 7 9 . — 1° Faute indépendante de la nullité de l’acte.
Cette faute se réfère soit à la violation des devoirs que
la loi impose aux notaires en leur qualité, soit à la né
gligence que le notaire a mise à remplir les obligations
qu’il a contractées envers la partie.
Ainsi , la loi fait un devoir au notaire de prêter son
ministère lorsqu’il en est légalement requis ; elle l’oblige
de retenir et de conserver la minute de ses actes , d’en
délivrer des expéditions aux parties intéressées. Le no
taire qui refuse son concours , celui qui n’a pas retenu
ou qui a égaré la minute, celui qui refuse mal à propos
une expédition commet une faute lourde, qu’on peut as
similer au dol avec d’autant plus de raison qu’il manque
à un devoir positif. 11 doit donc être condamné à répa
rer le préjudice que le simple retard et , à plus forte
raison, que son refus absolu aurait occasionné.1
Le notaire est tenu d’inscrire le nom des interdits sur
le tableau prescrit par la loi et d’exposer ce tableau dans
son étude. Le but de cette double précaution est de met
tre chacun à même de connaître l’incapacité de celui
1 Riom, 28 février 1825 ; — Bourges, 17 juin 1829.
�ET DE LA FRAUDE.
31
•
avec qui on va contracter. L’omission des noms sur le
tableau ou l’absence de publicité donnée à ce tableau
constituerait également une faute lourde.
En un mot, toutes les fois que le notaire , par négli
gence, par impéritie ou par oubli, a omis d’exécuter les
obligations que la loi lui impose , sa responsabilité se
trouve engagée, sa faute est lourde, elle est assimilée au
dol, elle en produit les conséquences.
480.
— Le notaire ajoute à ses devoirs, lorsqu’il se
constitue le mandataire de la partie, soit dans le place
ment d’une somme quelconque, soit pour la destination
à donner aux sommes empruntées ou provenant d’un
prix de vente. En cette qualité , il est garant de la sol
vabilité de l’emprunteur, de la légitimité des droits des
créanciers qu’il désintéresse. On peut voir dans nos re
cueils de jurisprudence, et notamment dans le Diction
naire de M. Dalloz jeune , au mot responsabilité , -les
espèces nombreuses dans lesquelles ce principe a été
appliqué.
Ce dont on pourra se convaincre, c’est que la sévéri
té des tribunaux semble s’accroître de jour en jour. On
pourra déplorer un tel état des choses; mais ce qui est
vingt fois plus déplorable, c’est que cette sévérité ne soit
que trop méritée par des excès inouïs. Sans doute il est
encore des notaires dont la conduite commande et attire
la considération et le respect, mais combien d’autres qui
ravalent sans pudeur des fonctions que nos pères véné
raient à l’égal d’un sacerdoce. Il faut faire rendre le
�32
TRAITÉ I)U DOL
plus possible à la marchandise qu’on a payée fort cher,
et ce besoin , et ce désir immodéré de faire fortune qui
pousse notre siècle, fait souvent fermer l’oreille aux con
seils de la prudence. Puisse la juste rigueur de la ma
gistrature prévenir les scandaleux désordres qui éclatent
de toute part pour le malheur des populations indignées
et rappeler le notariat dans ces voies de probité, de dé
licatesse et d’honneur qui le signalèrent pendant si long
temps à l’estime et à la vénération publiques.
481.. — 2° Faute entraînant la nullité de l’acte.
La nullité d’un acté peut résulter de l’erreur commise
sur le droit des parties , ou de l’omission d ’une des
formalités essentielles pour sa validité. Dans ,1e premier
cas, la nullité est intrinsèque ; elle est extrinsèque dans
le second.
4 8 2 . — L’erreur sur le droit peut constituer une
faute excusable ou tellement légère qu’il ne serait pas
juste d’en rendre le notaire responsable. Elle sera évi
demment telle lorsque le notaire, appréciant la position
des parties au point de vue légal, a eu des raisons plau
sibles de croire de bonne foi à la réalité du système qu’il
a préféré.
4 8 3 . — La Cour d’Orléans a été plus loin encore :
Elle a jugé que la faute commise par ignorance et de
bonne foi ne pouvait engager la responsabilité du no
taire. Elle a , en conséquence , renvoyé d’instance un
�ET DE LA FRAUDE.
33
notaire poursuivi pour avoir reçu une constitution d’hy
pothèque générale sur les biens d’une femme qui ne
pouvait concéder qu’une hypothèque spéciale.'
484.
— Mais nous ne saurions voir dans cette déci
sion qu’un arrêt d’espèce. Que , s’en référant aux cir
constances de la cause, la Cour d’Orléans n’ait vu dans
le fait du notaire qu’une faute légère non susceptible
d’engager sa responsabilité , c’est ce qu’elle a pu léga
lement faire, puisque la loi abandonnait souverainement
à son appréciation les caractères de la faute imputée.
Elle a pu dès lors , usant de son pouvoir discrétion
naire, juger que l’ignorance du notaire se justifiait par
des raisons plausibles. Sous ce rapport, l’arrêt est irré
prochable.
485.
— Il n’en serait pas de même si , abstraction
faite des faits, la Cour eût proclamé en principe que l’i
gnorance du notaire de bonne foi ne saurait jamais en
gager sa responsabilité. La justice et la raison elle-même
eussent, dans bien des cas, protesté contre ce principe.
En effet , le ministère du notaire est obligé pour les
parties contractantes, comme pour lui-même, lorsqu’il
faut imprimer à la convention un caractère d’authenti
cité. Les citoyens obéissent donc à la nécessité, lorsqu’ils
se présentent devant lui. En revanche, ils sont en droit
d’espérer trouver en lui un secours suffisant pour les
1 26 janvier 1839, D. P., 39, â, 86.
Il
.
:
W:
�34
TRAITÉ DU DOL
diriger, puisque l’institution qu’il a reçue le leur désigne
comme capable. Faudra-t-il donc qu’elles soient exclu
sivement punies d’une impéritie qu’elles ne pouvaient
soupçonner et à laquelle il ne leur a pas été donné de
pouvoir se soustraire ?
L’équité et la raison répugnent à un pareil résultat ;
entre le notaire et la partie , il n’y a pas à hésiter ; car
le premier a au moins le tort grave d’avoir accepté des
fondions dépassant sa capacité et son intelligence. Il
Semble donc qu’on devrait admettre , avec M. Armand
Dalloz , ' qu’un notaire ne peut , sans encourir la res
ponsabilité, agir directement contre la loi ; par exemple,
attribuer, dans une liquidation , à l’une des parties ce
qu’un texte précis , incontesté de la loi, un texte appli
cable, sans aucun doute, à l’affaire dont il s’agit, attri
bue à une autre partie. Dans de telles circonstances,
poursuit ce jurisconsulte , l’ignorance de la loi, en sup
posant qu’il n’y ait point de dol, semblerait, par ellemême , une faute assez lourde pour déterminer l’appli
cation de l’article 1382.
Il est vrai que les parties elles - mêmes sont censées
connaître la loi. Mais cette présomption a bien plus de
poids contre le notaire , dont les obligations consistent
non - seulement à la connaître , mais encore à la faire
exécuter ; cela est vrai surtout lorsqu’il s’agit de per
sonnes ignorant de fait ce qu’elles sont en droit-sup
posées connaître , et qui s’en sont référées au notaire
1 Dictionnaire, v° responsabilité, n» 281.
�ET DE LA FRAUDE.
35
comme à l’arbitre spécial que la loi elle-même leur in
diquait.
L’ignorance assez grave pour faire adopter ce qui était
absolument proscrit par la loi , et déterminer ainsi la
nullité de son acte, est donc, pour le notaire, une faute
inexcusable. Mais ce caractère est susceptible de se mo
difier par les circonstances , par l’exigence des parties
que le notaire a dû subir. Dans tous les cas, c’est au no
taire attaqué à faire la preuve qu’il n’a agi que par des
moyens plausibles ou qu’il a subi une volonté à laquelle
il ne pouvait se soustraire.
486.
— Au reste , dans le système même que nous
combattons , l’ignorance du notaire ne serait excusable
que s’il a agi avec bonne foi. C’est donc à lui qu’il ap
partient de justifier cette bonne foi dont il excipe. Mais
on la présumerait si la question tranchée par le notaire
n’était pas nettement fixée par un texte précis et formel;
si, livrée à la controverse, elle avait été diversement ré
solue par la doctrine et par la jurisprudence. Il est évi
dent qu’en pareille occurrence le notaire ne pouvait que
opter entre deux solutions, et qu’en s’arrêtant à celle qui
lui a paru la plus probable , il n’a pu commettre une
faute engageant sa responsabilité, à moins, cependant,
qu’il n’ait agi de mauvaise foi, ce que le demandeur se
rait tenu de prouver. '
1 Agen, 16 août 1836 ; — Douai, 2 janvier 1836 , D. P. 38, 2, 161.
�36
TRAITÉ DU DOL
4 8 7 . — Les nullités extrinsèques de l’acte, c’est-àdire celles résultant de l’omission ou de l’irrégularité des
formes prescrites, engagent plus immédiatement la responsablité du notaire. Ici, suivant l’expression de la Cour
d’Orléans , l’impéritie lui est directement imputable ,
parce qu’il a manqué à la mission spéciale que la loi
lui a confiée ; parce qu’il y a ignorance de ce que le no
taire doit savoir. D’où la Cour d’Orléans conclut que le
notaire, chargé d ’accomplir les formes extrinsèques des
actes, est nécessairement responsable des erreurs prove
nant de son fa it, qui vicient l’acte dans sa forme et lui
ôtent la force probante qu’il devait lui donner.
4 8 8 . — Cette conclusion toute logique n’est pas con
sacrée par la Cour de cassation. Un arrêt qu’elle a rendu
le 27 nov. 1837 décide en effet : qu’aux termes de l’art.
68 de la loi du 25 ventôse an x i , nullement abrogée par
les art. 1382 et 1383 du Code civil, les notaires ne sont
pas de plein droit et d’une manière absolue responsables
delà nullité pourles omissions ou irrégularités qu’ils com
mettent lors de la rédaction de leurs actes ; que cet article
ne les assujettit à des dommages-intérêts que s'il y a lieu;
d’où il suitquela déclaration de nullité d’un acten’entraine
pas nécessairement la responsabilité du notaire qui a fait
cette nullité; qu’en cette matière, les dommages-intérêts et
leur quotité dépendent de la nature et de la gravité de l’o
mission ou de l'irrégularité* reprochée au notaire et sont
subordonnés à l’appréciation équitable des tribunaux. '
2
D. P., 37, 4, 463,
�ET DE LA FRAUDE.
37
Dans l’espèce de cet arrêt , le notaire ayant omis de
faire approuver les renvois mis à la suite d’un testament,
était cité pour répondre des conséquences de l’annula
tion qui en avait été prononcée. La Cour de Lyon l’a
vait condamné aux dépens pour tous dommages - inté
rêts. C’est le rejet du pourvoi formé contre cet arrêt que
la chambre des requêtes prononçait sur les motifs que
nous rappelons.
489.
— Quelque profond que soit notre respect pour
les hautes lumières de la Cour régulatrice, nous ne crai
gnons pas de le dire : son arrêt est loin de nous paraî
tre irréprochable soit comme principe général, soit com
me application à l’espèce particulière.
Peut-on, en effet, appliquer l’article 68 de la loi de
ventôse à toutes les irrégularités que les notaires peu
vent commettre? C’est ce que cet article lui - même ne
permet pas de décider. Tout acte, porte l’article, fait en
contravention aux dispositions contenues aux articles
6, 8, 9, 1.0, 14, 52, 64, 65, 66 et 67, est nul s'il n'est
pas revêtu de la signature de toutes les parties-, et lors
que l'acte sera revêtu de la signature de toutes les par
ties contractantes , il ne vaudra que comme écrit sous
signature privée, sauf dans les deux cas, s'il y a lieu,
les dommages-intérêts contre le notaire.
Ce texte est trop clair pour donner matière à contro
verse. Aucun des articles qui y sont relatés ne prononce
taxativement sur le sort des actes reçus au mépris de leur
disposition. Ce n’est donc qu’en recourant à l’article 68
�38
iiÆ
TRAITÉ DU DOL
qu’on pourra faire prononcer,qu’ils sont nuis ou qu’ils
ne doivent être considérés que comme écrits sous signa
ture privée. D’où la conséquence que toutes les fois qu’on
sera obligé de faire appel à cet article, pour anéantir ou
affaiblir l’autorité de l’acte , on se trouvera forcément
ré^i par sa disposition, quant aux conséquences de l’at
teinte qu’il inflige au contrat.
Mais lorsque la nullité de l’acte résulte d’une dispo
sition formelle de la lo i, que cette disposition n’est pas
dans la catégorie de celles que l’article 68 énumère ,
n’e s t- c e pas uniquement par cette disposition que les
conséquences de la nullité devront être régies? Mais alors
on ne comprendrait pas si le législateur a voulu faire ,
de la disposition de l’article 68, une mesure générale et
absolue ; qu’au lieu de rappeler quelque texte , il n’ait
pas dit : Dans tous les cas où les actes seront annulés,
le notaire sera condamné, s’il y a lieu, à des dommagesintérêts.
Nous ne devons donc pas perdre de vue le caractère
de spécialité que le législateur a imprimé à sa disposi
tion et qui la rend inapplicable aux cas non prévus. Ainsi
l’article 16, par exemple , défend les surcharges , addi
tions et interlignes, dont il prononce la nullité, indépen
damment d’une somme de 50 fr., ainsi que des dom
mages-intérêts des parties. L’article 18 prescrit l’expo
sition du tableau des interdits sous peine des dommagesintérêts des parties; l’article 23 prohibe de donner ex
pédition ou de laisser prendre connaissance des actes à
d’autres qu’aux personnes intéressées à peine de dom-
�ET DE LA FRAUDE.
39
mages-intérêts. Aucun de ces articles n’ajoute , s’il y a
lieu, et cependant l’article 16 est incontestablement re
latif à la forme matérielle des actes.
L’adjudication des dommages - intérêts n’e s t, dans
aucun de ces cas, une pure faculté. L’absence de toute
restriction indique qu’il y a nécessité de la prononcer ,
par cela seul qu’on viole l’un ou l’autre de ces articles.
L’article 68 ne serait applicable que si ces articles figu
raient dans le nombre de ceux qu’il énumère. Pronon
cer celte application , malgré leur omission , c’est donc
méconnaître leur disposition , c’est ajouter à l’article 68
lui-même ; en d’autres termes , c’est violer doublement
la loi.
En dernière analyse , lorsque l’acte sera annulé ou
que son autorité sera affaiblie par l’application de l’ar
ticle 68, les dommages-intérêts ne seront prononcés que
si la faute du notaire est jugée importante et grave. Mais
lorsque la nullité elles dommages-intérêts seront récla
més en vertu d’une autre disposition, c’est uniquement
sous l’influence de celle-ci que la faute du notaire devra
être appréciée, et, si elle adjuge les dommages sans res
triction, on conclura que la faute est de plein droit con
sidérée comme lourde ; le notaire sera nécessairement
responsable.
Or, dans l’espèce jugée parla Gourde Lyon, il ne s’a
gissait de la violation d’aucun des articles rappelé par
l’article 68. Le notaire avait contrevenu il la disposition
de l’article 15, et avait ainsi déterminé l’annulation des
ren vois non approuvés. L’obligation du notaire était donc
�40
TRAITÉ DU DOL
régie par cet article 15 et par l’article 16. Il semble dès
lors que la Cour de cassation ne devait pas appliquer
l’article 68 , ni convertir en faute légère ce qui est une
faute lourde aux yeux de la loi.
490.
— Dans tous les cas , et alors même que la
Cour de Cassation aurait sainement appliqué la loi, tout
ce qu’il faudrait en conclure, c’est que les tribunaux ont
la faculté de rechercher si, en principe, il est dû ou non
des dommages-intérêts. Mais cette faculté comprend elle,
l’opportunité et la nécessité d’une allocation étant ad
mises , celle de déterminer arbitrairement la quotité à
allouer ?
Nous distinguons entre le préjudice matériel elle pré
judice moral. Celui-ci est essentiellement d’appréciation
et ne reconnaît d’autres éléments que l’opinioon du juge.
Il est dès lors certain que les tribunaux ont le droit ex
clusif d’en déterminer la nature et de fixer la quotité des
dommages intérêts.
Mais il ne saurait en être de même pour le préjudice
matériel , et cela par l’excellente raison que la loi s’en
est formellement expliquée. Les dommages-intérêts , dit
l’article 1149 , sont de la perte que le créancier a faite
et des gains dont il a été privé. Que la quoitité de celuici soit discrétionnairement fixée par le m agistrat, nous
le comprenons sans peine , car le gain demeurera dans
le futur contingent, e t, quelque probable qu’il so it, il
n’existe pas tant qu’il n’est pas acquis.
Mais la perte éprouvée est un fait matériel, certain ,
�ET DE LÀ. FRAUDE.
41
réalisé, dont la preuve résulte même quelquefois de l’acte
annulé , le legs , par exemple , d’une somme de mille
francs qui aurait été fait par un renvoi au testament.
L’annulation de ce renvoi, pour omission d’une appro
bation valable, constitue, pour le légataire, une perte bien
positive de mille francs. La seule réparation indiquée
par la justice sera évidemment celle qui lui fera récupé
rer cette somme.
Q u ’en vertu de leur droit souverain d’appréciation les
tribunaux déclarent que le notaire est excusable, que sa
responsabilité n’est pas engagée , qu’ils n’allouent en
conséquence aucuns dommages-intérêts, on le compren
drait. Mais qu’après avoir constaté la faute et décidé que
le notaire doit une réparation, on n’accorde que les dé
pens de l’instance , ou même qu’une somme moindre
que celle que le demandeur a réellement perdue , c’est
ce qui nous parait inconciliable avec la disposition de
l’article 1149. '
Il est un seul cas dans lequel un pareil système pour
rait être rationnel et légal , à savoir : si la faute étant
commune aux deux parties , le juge a dû déterminer la
part de responsabilité que chacune d’elles doit encourir.
11 ne serait, dans ce cas, ni équitable ni juste de pu
nir l’un et de récompenser l’autre en lui accordant tout
ce qu’il aurait eu si la faute n’avait pas été commise. 11
faut donc que chacun supporte sa part dans les consé
quences de cette faute.
�TRAITÉ DU DOL
Dans une espèce où la vente d’un bien dotal avait été
annulée faute de remploi du prix , l’acquéreur évincé
poursuivait le notaire en responsabilité , et lui deman
dait la restitution intégrale de ce qu’il avait payé, à titre
de dommages-intérêts.
Mais par arrêt du 8 janvier 1861 , la Cour de Lyon
n ’avait condamné le notaire qu’à une restitution partiel
le. « Attendu, porte l’arrêt, que la légèreté et l’inatten
tion apportées par Me C .. . . à la lecture du contrat de
mariage des sieur et dame Drevot, et l’omission qui s’en
est suivie, constituent de la part de ce notaire une faute
grave qui engagent sa responsabilité dans une mesure
qu’il appartient à la Cour de fixer.
« Attendu que pour fixer équitablement l’étendue de
la réparation qui doit être à la charge du notaire, il im
porte de rechercher si Vanel de son côté n’aurait aucune
imprudence à se reprocher.
« Attendu qu’il pouvait prendre personnellement con
naissance du contrat de mariage, soit avant d’aller chez
le notaire, soit dans son étude même, et, après l’avoir
lu sérieusement et en entier, ne conclure aucune acqui
sition de cette importance qu’après s’être complètement
édifié sur la capacité de la dame Drevet, soit par luimême, soit par des lumières étrangères ; qu’il est donc
juste de mettre à sa charge une partie du dommage. »
J ’avoue que le reproche que la Cour fait à l’acqué
reur évincé peut paraître assez difficile à admettre. Il est
en effet naturel qu’en matière d’achat , les pièces étant
remises au notaire pour les examiner, on s’en rapporte
�ET DE LÀ FRAUDE.
43
à son examen qu’on s’abstient d’autant plus de contrô
ler , qu’on craint de paraître ou se méfier du notaire
qu’on a^choisi, ou douter de sa capacité.
Mais l’imprudence de la partie admise en fait , les
conséquences que la Cour de Lyon en tire quant à la
répartition des dommages - intérêts , sont légitimes et
rationnelles , et c’est ce que la Cour de cassation con
sacre.
« Attendu , dit son arrêt , que si l’arrêt attaqué dé
clare que le notaire qui avait accepté le mandat de véri
fier, dans l’intérêt de Vanel, si la femme Drevet avait la
capacité d’aliéner les immeubles qui lui appartenaient ,
avait commis une faute grave. En insérant dans l’acte
de vente, du 18 juillet 1837, que la dame Drevet avait
la faculté d’aliéner, sans indiquer que cette faculté était
soumise à la condition du remploi du prix , faute par
lui d’avoir lu en entier le contrat de mariage de ladite
Drevet, il déclare aussi que Vanel aurait pu prendre
connaissance de ce contrat et s’édifier de la condition à
laquelle la dame Drevet pouvait valablement aliéner ses
immeubles , et qu’il avait commis une imprudence en
faisant l’acquisition d’une maison dont une part appar
tenait à la dame Drevet sans faire cette vérification ;
« Que la faute du notaire et l’imprudence de Vanel ,
ainsi constatées , il appartenait à la Cour impériale de
répartir, suivant une appréciation équitable, la respon
sabilité du préjudice résultant de la nullité de l’acte du
18 juillet 1837 , en ce qui concerne la dame Drevet ,
�44
TRAITÉ DU DOL
entre le notaire et Vanel ou ses héritiers : que le faisant
ainsi, l’arrêt n’a violé aucune loi. 1 »
On le voit, la Cour suprême déduit la légitimité de la
division de la responsabilité, de la co - existence d’une
faute de la part du notaire, d’une imprudence de la part
de celui qui se plaint. Nous comprenons que la certitude
d’une faute commune justifie et explique cette division.
Mais lorsque la faute n’est que d’un seul côté, comme
lorsqu’il s’agit de la nullité totale ou partielle d’un tes
tament , la peine ne saurait en être partagée dans une
proportion quelconque. L’indulgence pour l’un peut de
venir une injustice pour l’autre, et cependant, selon l’ex
pression d’un célèbre m agistrat, il n’y a pas à hésiter
entre celui qui n’a fait même que se tromper et celui
qui souffre.
4 9 1 . — Le notaire est garant de l’individualité des
parties. A défaut de connaissance personnelle suffisante,
il doit faire constater cette individualité par deux témoins
spéciaux. La négligence qu’il aurait mise à l’accomplis
sement de ce devoir constituerait une faute lourde , des
conséquences de laquelle il devrait répondre.
492. — Répond-il également de leur capacité ? On
induit la négative de l’obligation dans laquelle se trouve
le notaire de prêter son ministère lorsqu’il en est léga
lement requis ; du silence gardé par la loi spéciale sur
I 31 mars 1862; — J. du P., 1863, 865.
�ET DE LA FRAUDE.
45
cette capacité ; de ce que, pour les interdits eux-mêmes,
ses devoirs se bornent à porter leurs noms sur le tableau
et à exposer ce tableau dans son étude ; enfin de ce que
l’engagement pris par l’incapable est susceptible de rati
fication, ce qui prouve que la loi n’a pas entendu l’em
pêcher de contracter d’une manière absolue. On ajoute
que chacun doit connaître d’ailleurs la condition de ce
lui avec qui il traite, qu’ainsi la faute commise à cet égard est bien plutôt imputable à la partie qu’au notaire.
Ces considérations nous paraissent décisives. Aussi
n’hésitons - nous pas à admettre l’absence de toute res
ponsabilité toutes les fois que le capable a traité direc
tement avec l’incapable ; les devoirs du notaire ne peu
vent pas être de se livrer à des recherches qu’il doit
supposer avec raison avoir été faites par la partie inté
ressée. L’assentiment de celle-ci a dû prévenir même le
soupçon.
Ainsi l’arrêt de la Cour d’Orléans, du 24 juillet 1856,
décide bien en droit que les notaires ne sont point tenus
de se faire attester par les parties contractantes la posi
tion de celles-ci au point de vue de leur état civil ; que
les articles 11 et 13 de la loi du 25 ventôse an n , qui
les oblige à se faire certifier l’état des parties et à men
tionner leurs qualités, n’ont entendu parler que des dé
signations propres à constater l’individualité des parties,
c’est-à-dire de leur profession, de leur titre ou de leurs
fonctions ; qu’en conséquence le notaire rédacteur d’un
acte de vente -, n’est point responsable de ce que le ven
deur , n’ayant pas été interpellé par lui sur le point de
�46
TRAITÉ DU D0I,
savoir s’il était marié, l’acheteur croyant, à tort, celuici non marié, a payé son prix sans purger les hypothè
ques légales.
Mais on sait l’influence qu’exercent devant les tribu
naux les faits spéciaux aux espèces qui s’offrent à leur
appréciation. Or dans celle qui lui était soumise, la Cour
d’Orléans a le soin de constater que le 121 janvier 1850,
vendeur et acquéreur seuls débattaient et arrêtaient dé
finitivement à Paris les clauses de l’acte de vente dans
lesquelles celle proposée et acceptée d’un payement ac
tuel et comptant ; que dès lors les notaires n’avaient été
choisis que pour donner à des conventions préexistantes
l’authenticité qui leur manquait , et qu’en cet état une
question de responsabilité ne pouvait résulter contre ces
officiers publics d’un défaut d’interpellation sur l’état
civil et sur la situation hypothécaire du vendeur.
Enfin l’arrêt constate que l’acheteur avait eu la fa
culté de ne pas se libérer en profitant des précautions
stipulées dans l’acte même ; qu’en renonçant à s’en pré
valoir, il avait suivi aveuglément la foi de son vendeur,
et avait ainsi seul déterminé le préjudice dont il se plai
gnait. 1
Ces constatations enlèvent dans une certaine mesure,
à l’arrêt, son caractère doctrinal, et lui impriment celui
d’une solution d’espèce. Donc, en pur droit et abstrac
tion faite de toutes circonstances de fait, le notaire pour
rait être responsable , si l’ignorance de la position cil D. P., 87, 2, 17.
�ET DE LA FRAUDE.
A7
vile de la partie, était le résultat de son imprudence ou
de sa légèreté.
C’est ce que la Cour de cassation a formellement con
sacré, en jugeant le i l août 1857, que le notaire rédac
teur d’un acte dans lequel l’une des parties a dissimulé
son état civil, et notamment sa qualité de femme mariée
pour se soustraire à la nécessité de l’autorisation mari
tale, est responsable de la nullité de cet facte prononcée
à raison de la dissimulation qui y a été faite, s’il a né
gligé par légèreté ou imprudence de s’assurer du vérita
ble état de la partie. '
La Cour suprême ne se croit pas autorisée à contrô
ler la solution de fait admise par la Cour impériale. Elle
accepte donc comme constante et acquise la faute du
notaire, et en déduit les conséquences légales.
Or, ces conséquences sont comme nous le disions tout
à l’heure, la nécessité de réparer la perte. A insi, dans
l’espèce , l’acte déclaré nul était un cautionnement ; et
malgré que ce cautionnement ne fût que de 2886 fr. 75
c., le notaire avait été condamné à payer 9706 fr. 71 c.
Cette condamnation était dénoncée à la Cour régula
trice comme devant motiver la cassation de l’arrêt. L’acte
vicieux, disait le pourvoi, n’avait pour objet qu’un cau
tionnement s'élevant à 2886 fr. 75 c. Dès lors le pré
judice résultant de la perte de ce cautionnement, consé
quence du vice reproché, n ’était que de cette somme et
non de celle de 9706 fr. 71 c., montant des répétitions
�48
TRAITÉ DO DOL
que l’administration pouvait avoir à exercer contre l’ad
judicataire cautionné.
« Mais , répond la Cour suprême , dès qu’il était re
connu qu’il y avait eu de la part du notaire une faute
dont il était responsable, les dommages-intérêts devaient
être du montant de la perte éprouvée ; par conséquent
ils ne devaient pas être fixés à 2886 fr. 75 c., montant
du cautionnement contracté, en vertu de la procuration
nulle, mais à la somme de 9706 fr. 71 c. , à laquelle
s’est élevée le préjudice éprouvé par l’administration. »
Ainsi se trouve justifiée la critique que nous faisions
de l’arrêt du 27 novembre 1837 , qui permet de fixer
arbitrairement le chiffre des dommages - intérêts. Nous
pouvons donc répéter , et cette fois en nous étayant de
l’autorité de la Cour de cassation , que l’existence de la
faute est laissée à l’arbitrage souverain du juge. Mais la
faute reconnue, les dommages-intérêts doivent se com
poser de la totalité de la perte dont elle est l’occasion.
Nous ferons cependant remarquer que la loi ne fait
pas du notaire un instrument passif ; qu’à côté des de
voirs positifs qu’elle lui impose , il est des devoirs mo
raux qui l’assujettissent au même titre. Il manquerait
gravement à ceux-ci si, connaissant l’incapacité de l’une
des parties, il ne faisait pas à l’autre les observations
pouvant lui faire connaître son erreur. Ainsi le silence
qu’il aurait gardé l’obligerait à réparer le préjudice souf
fert par celle - ci , si l’on prouvait que l’incapacité de
l’autre lui était parfaitement connue , s’il n’avait pu
l’ignorer.
�ET DE LA FRAUDE.
49
11 y a même plus, si le notaire acquiert ou a la con
viction qu’une partie n’est pas en état de comprendre
la portée de son engagement et de donner un consente
ment sérieux et éclairé, il doit refuser de prêter son mi
nistère à un acte qui ne peut réellement exister sans ce
consentement.
Ce devoir devient bien plus étroit encore lorsque l’acte
qu’on sollicite de lui est de nature à compromettre des
tiers non présents, comme, par exemple, une procura
tion donnée par l’incapable à l'effet d’aliéner ou d’hypothéquer ses immeubles.
Dans cette hypothèse, celui qui traite directement avec
l’incapable n ’a qu’un seul intérêt, celui de déguiser l’in
capacité. Le notaire doit donc redoubler de vigilance.
Toute négligence acquerrait le caractère de faute lourde.
Le tiers, victime de la procuration, obtiendrait donc un
recours utile contre le notaire, en prouvant, par exem
ple, que celui-ci a pu facilement se convaincre de l’état
mental du constituant.
495.
— La preuve que le notaire connaissait l’inca
pacité, et qu’il a cependant reçu la procuration, consti
tuerait à sa charge un dol réel et certain. L’obligation
de réparer le préjudice en résultant serait de plein droit
admise.
Cette double preuve peut être faite par témoins; elle peut
dès lors résulter aussi d’un ensemble de présomptions
graves, précises et concordantes. L’une et l’autre amène
rait à un résultat identique la responsabilité du notaire.
�50
TRAITÉ DU DOL
C’est ce que la Cour d’Aix a taxativement jugé sur ma
plaidoirie, le 23 avril 1847. '
49-4. — La responsabilité de l’avoué est plus large
que celle du notaire. Officier public comme celui-ci , il
est de plus, et dans tous les cas, mandataire, et manda
taire salarié1 de la partie. La permanence de ce carac
tère produit un effet analogue à celui que nous lui avons
vu produire pour le notaire, lorsque celui-ci l’accepte
incidemment.
Dès lors, comme tout citoyen , l’avoué répond de son
dol ; comme officier public, il répond de sa faute ; com
me mandataire, il répond de la négligence qu’il a mise
dans l’exécution de la mission qui lui est confiée.
4 9 5 . — Cette triple responsabilité résulte non pas
seulement des principes généraux du droit, mais encore
de dispositions spéciales que la loi a cru devoir consa
crer. Prévoyant tous les cas possibles , môme celui où
obéissant à un sentiment d’avidité , heureusement fort
rare, l’avoué se préoccuperait beaucoup plus de ses pro
pres intérêts que de ceux dont il a accepté (la défense,
elle a voulu les atteindre tous d’une manière nette et
précise.
4 9 6 . — De là les articles 132 et 1031 du Code de
i Arrêt d ’Aix, 23 avril 1847, inédit.
* Vid. art. 1992, Cod. civ.
�TRAITÉ DU DOL
S1
procédure civile. E’avoué qui a excédé les bornes de son
ministère, celui qui aura fait des actes ou une procédure
nulle ou frustratoire , ou ayant donné lieu à l’amende ,
devra en supporter personnellement les dépens. Il pourra
en outre , suivant l’exigence des cas , être passible des
dommages-intérêts de la partie , et même être suspendu
de ses fontions.
Ainsi la loi n’admet plus l’excusabiiité pour la faute
légère. Elle est punie par la condamnation aux frais des
actes nuis ou frustratoires. Elle laisse, pour la faute lour
de et pour le dol , une large part à l’appréciation des
magistrats , qui peuvent les punir sévèrement par une
allocation pécuniaire, par une peine de discipline.
497.
— Mais plus une loi est sévère et plus on doit
se montrer jaloux d’en renfermer l’application dans ses
justes limites. Conséquemment la responsabilité de la
faute ne devra être appliquée à l’avoué qu’à la condition
que l’acte imputé ne puisse se justifier par des raisons
plausibles ; que le fait reproché émane directement de
lui.
Or, la première condition n’existerait pas si l’avoué
placé entre deux opinions également probables , s’était
prononcé pour celle qu’il a considérée comme la plus lé
gitime , si cette option s’est réalisée sans dol ni fraude ;
tel serait, par exemple, le cas où la nullité résulterait de
l’inobservation d’une formalité à l’égard de laquelle la
jurisprudence est incertaine et la doctrine divisée.
1 Toulouse, 10 juin 1823.
�52
TRAITÉ DU DOL
D’autre part, l’avoué serait sans reproche si l’acte lui
avait été remis tout rédigé par la partie,' ou que la signi
fication n’en eût été faite que sur la réquisition expresse
de celle-ci ; a dans l’un comme dans l’autre cas , l’acte
n’est plus le fait direct de l’avoué, qui a dû le faire mal
gré son opinion même, car, mandataire du client, il est
forcé d’obéir à la volonté expressément manifestée par
celui-ci.
498.
— L’avoué est responsable, comme de son fait
direct, des personnes qu’il s’associe ou qu’il se substitue
dans l’exercice de ses fonctions. Mais cette responsabi
lité cesse pour tous les actes pour lesquels , n’ayant ni
attribution, ni caractère, il est forcé de s’adresser à d’au
tres qu’à lui-même. C’est ainsi que la nullité d’un ex
ploit confié à un huissier ne saurait être attribuée à l’a
voué qui l’a choisi. L’huissier , en effet, est, pour tous
les actes qu’il fa it, présumé le mandataire direct de la
partie. La faute qu’il commet lui est donc exclusivement
imputable, seul il en supporte les conséquences. La res
ponsabilité de l’avoué se restreint dans les faits rentrant
dans ses attributions et dont il est tenu , alors même
qu’il justifierait que la faute provient d’un tiers auquel
il s’en est rapporté. 3 Cette obligation est la conséquence
de la liberté qu’il avait de ne pas se confier à une per-
1 Caen, 27 mars 1813.
2 Montpellier, 24 juin 1826.
3 Carré, sur .l’article 1031.
�ET DE LA FRAUDE.
53
sonne ignorante ou incapable. Or , cette liberté n’existe
pas lorsque le ministère de l’huissier est indispensable.
Au reste , il est quelquefois difficile de déterminer à
qui, de l’avoué ou de l’huissier, incombe la responsabi
lité d’une faute. Nous aurons bientôt occasion de nous
livrer à cette recherche. Nous nous bornerons en ce mo
ment à rappeler une distinction qui domine la matière :
à l’avoué , la responsabilité de ce qui tient à la direc
tion de la procédure ; à l’huissier , la responsabilité de
ce qui concerne taxativement l’exploit ou l’exécution du
jugement.
499.
— Pour que l’avoué puisse être condamné à
de^ dommages-intérêts, il faut : 1°>qu’il soit convaincu
d’une faute lourde; 2° que cette faute ait occasionné un
préjudice. C’est à cette double éventualité que s’applique
la restriction de l ’article 1031 : suivant l’exigence du
cas. C’est donc au demandeur à prouver l’existence de
la faute, celle du préjudice.
La faute lourde peut être prouvée par l’acte qu’on re
proche à l’avoué d’avoir fait , ou de s’être abstenu de
faire. L’impéritie qui porte l’avoué à faire un acte con
traire à la loi, ou à omettre une formalité indispensable
dans l’intérêt qu’il défend, est susceptible à elle seule de
constituer une faute lourde, donnant lieu à des domma
ges-intérêts.
Ainsi, la Cour d’Aix a jugé , le 17 juin 4828 , qu’il
doit être prononcé des dommages-intérêts contre l’avoué
par la faute duquel un appel aurait été déclaré nul
�54
TRAITÉ DU DOL
comme prématurément réalisé, alors même que le client
lui a laissé l’acte d’appel tout rédigé, mais avec la date
en blanc, et avec l’intention que la signification n’eût lieu
qu’en temps utile, intention résultant de ce que, quoi
que remis dans le mois où le jugement a été rendu ,
l’acte d’appel porterait à la date de ce jugement ces
mots : rendu le... du dernier mois, expression qui au
raient été changées par l’avoué, ou son clerc, en cellesci : du mois courant.'
500.
— On s’est demandé s i , comme officier pu
blic, l’avoué devait répondre des conséquences des con
seils qu’il a pu donner. La négative a été, avec raison,
consacrée, car l’avoué ne saurait être considéré , quant
à ce, que comme le serait une personne ordinaire. C’est
ainsi que la Cour de Caen a décidé , par arrêt du 46
mars 1842, qu’un conservateur des hypothèques n’a au
cun recours contre l’officier ministériel sur les observa
tions duquel il a mal à propos radié une inscription qui
ne devait pas l’être.
L’arrêt ajoute : lorsque ces observations ont été faites
de bonne foi, et cette condition est aussi rationnelle que
juste. Il est sensible,, en effet, que l’avoué doit répon
dre des actes qu’il a obtenus par des moyens que la
morale réprouve. Il répond notamment des frais d’un
procès qu’il a insidieusement et de mauvaise foi fait sou
tenir. Mais, dans ce cas, le jugement qui le condamne
�ET DE LA. FRAUDE.
S5
d o it, à peine de nullité , constater en fait et déclarer
que le conseil a été donné insidieusement et de mauvaise
foi. '
SO I.
— L’avoué peut-il être condamné soit aux frais,
soit aux dommages-intérêts, sans avoir été mis person
nellement en cause ?
La négative ne saurait être contestée à l’endroit des
dommages - intérêts ; ils ne peuvent jamais être alloués
que sur la demande formée par la partie. Or,- comment
supposer une demande contre une personne qui n’est
pas présente, qui n’a pas même été appelée ?
Mais, en ce qui concerne les frais, la jurisprudence de
plusieurs Cours et Tribunaux consacre l’affirmative. Dans
cette pratique , on condamne personnellement l’avoué
aux dépens, par cela seul que la procédure est annulée
par un fait qu’on déclare émaner de lui , ou que l’acte
est reconnu frustratoire.
Nous ne saurions trop nous élever contre une pareille
manière de procéder. Les frais mis à la charge de l’a
voué sont une véritable peine, et l’équité exige qu’il n’en
soit appliqué aucune sans que celui qui en est l’objet ait
été mis à même de se défendre.
La jurisprudence que nous signalons viole donc le
droit sacré de la défense, et cela d’autant plus mal à pro
pos, que celle de l’avoué peut être de nature à l’absoudre
complètement du tort apparent qui lui est imputé.
1 Cass., 13 juillet 1834 ; — Montpellier, 11 mars 1842.
�56
TRAITÉ DU DOL
Nous avons d it, en effet , que l’avoué est excusable
lorsque sa faute avait été déterminée par des raisons
plausibles; qu’il n’avait même aucune faute à se repro
cher lorsque, mandataire, il n’a fait qu’obéir à une in
jonction formelle du mandant, et ces excuses légales, il
ne pourrait pas même les proposer !
Mais, dit-on, s’il en est ainsi, l’avoué aura un recours
utile contre son client, qu’il fera condamner à l’indem
niser. Nous convenons que l’avoué trouverait dans ce
recours le moyen de faire disparaître le préjudice maté
riel. Mais le préjudice moral résultant d’une condam
nation publiquement prononcée, comment l’effacer ? Ne
restera-t-elle pas consignée dans les minutes du greffe ,
cette condamnation qui flétrit l’avoué en le déclarant
improbre ou ignare ? Eloignée de la décision qui la ré
tracte , ne sera-t-elle pas exploitée par ceux qui auront
intérêt à lui donner de la publicité?
N’est-il donc pas plus juste , plus naturel d’attendre ,
pour condamner un officier ministériel, de l’avoir con
tradictoirement convaincu ? Sans doute il ne faut pas que
la faute de l’avoué reste impunie, mais les tribunaux ne
peuvent d’office ordonner la réparation du préjudice ,
alors surtout que personne ne s’en plaint encore. Tout
ce qu’ils peuvent faire, c’est de mettre la partie intéres
sée à même d’obtenir la satisfaction qui lui est due. En
conséquence, et tout en condamnant célle-ci, les magis
trats doivent, s’ils le jugent possible , lui réserver son
recours contre l’avouéjjpour tout ou partie des dépens.
Ainsi mise en [demeure d’exercer son d ro it, la partie
aura à se pourvoir ainsi qu’elle avisera.
�ET DE LA. FRAUDE.
57
M. Chauveau ajoute une considération qui nous pa
rait d’une grande force. La loi a institué les deux dégrés
de juridiction en faveur de tous les justiciables. Personne
ne peut être condamné par une Cour, si déjà la condam
nation n’a été prononcée par le tribunal inférieur. Cela
est vrai pour les actions fondées sur les articles 1382 et
1383 du Code civil, comme pour toutes les autres. O r,
une Cour qui condamne un avoué aux dépens, le prive
du premier degré , car sa décision est souveraine et ne
peut plus être attaquée autrement que par le recours en
cassation, qui n’est jamais suspensif.
Ainsi, violation du principe de la libre défense, vio
lation du principe constitutif des deux degrés de juridic
tion , voilà le principe que nous combattons. M. Chau
veau a raison , ce système n’est admissible que si l’on
admet que, en acceptant ses fonctions, l’avoué s’est placé
hors de la loi commune.
502.
—• Comme l’avoué, l’huissier est le mandataire
de la partie pour laquelle il instrumente. Ses devoirs
prennent leur origine dans des principes identiques , sa
responsabilité est donc la même.
Aussi, la loi les a-t-elle confondus dans la disposi
tion des articles 132 et 1031 du Code de procédure.
Mais déjà, et dans l’article71, la responsabilité de l’huis
sier avait été nettement formulée : L'huissier peut être
condamné aux frais de l'exploit ou de la procédure
annulée , sans préjudice des dommages-intérêts de la
partie, suivant les circonstances.
�58
TRAITÉ DU DOL
505.
— On a cru trouver dans cet article une preuve
que la condamnation del’huissier aux frais n’était qu’une
faculté que le législateur abandonnait à la prudence des
tribunaux, d’où l’on a conclu que l’huissier n’était obli
gatoirement tenu que de la faute lourde.
A notre avis, cette opinion est erronée. L’huissier est
mandataire salarié et, au point de vue de l’article 1992
du Code civil, il doit répondre même de sa négligence.
L’article 71 n’a pu le dispenser d’une obligation impo
sée sur le même motif à l’avoué. La possibilité dont il
s’y agit doit donc être interprétée dans le même sens
qu’on lui donne dans l’articlee 132, et, ce qui le prouve,
c’est que l’article 1031 fait un devoir de laisser à la char
ge des officiers ministériels les frais des actes ou procé
dures nulles ou frustratoires.
Les mots pourront des articles 71 et 132 ne peuvent,
en présence de l’article 1031 , s’entendre que de la fa
culté qu’ont les parties de faire condamner l’huissier.
Ils ne peuvent signifier que la demande faite pourra être
rejetée, car, dans ce sens, ces deux articles auraient été
abrogés par le dernier , qui fait un devoir de ce dont
ceux-ci auraient fait une simple faculté.
L’huissier est donc tenu même de la faute légère, avec
cette seule différence que celle - ci ne l’expose qu’aux
frais des actes nuis , tandis que le dol ou la faute lourde
lui ferait encourir l’obligation de supporter les domma
ges-intérêts.
504. — Il importe de répéter ici ce que nous disions
�ET DE LA FRAUDE.
39
tout à l’heure pour l’avoué. L’huissier ne peut être tenu
que de son fait personnel. Cette considération acquiert
en ce moment une haute portée , car le ministère de
l’huissier a de tels rapports avec celui de l’avoué , qu’il
est quelquefois difficile de distinguer la part que chacun
a réellement prise au fait qualifié faute. C’est ainsi qu’on
a eu à se demander si l’huissier répond de l’acte qu’il a
signifié, mais que l’avoué lui a remis tout rédigé ?
505. — MM. Pigeau et Demiau Crouzilhac soutien
nent la négative. Ils enseignent qu’en pareil cas c’est l’a
voué qui encourt la responsabilité. C’est ce qu’a aussi
décidé la Cour de Caen par arrêt du 27 mars 1813.
Mais la doctrine contraire ayant été consacrée par la
Cour d’appel de Metz, a reçu la sanction de la Cour de
cassation. Celle-ci a pensé que la responsabilité d’un acte
quelconque, quelle que fût la participation qu’un tiers y
eût prise, appartenait exclusivement à l’officier ministé
riel dans les attributions duquel cet acte a été placé , et
dont le ministère était indispensable. 1
506. — Cette solution, à laquelle se sont rangées les
Cours de Besançon et de Grenoble , est approuvée par
M. Chauveau : « La doctrine contraire, dit ce juriscon
sulte, est inacceptable ; autant vaudrait dire que le clerc
rédacteur est responsable vis-à-vis de la partie , et que
l’huissier et l’avoué, qui se sont confiés à lui , n’encou1 Cass., 21 février 1821.
�60
TRAITÉ DU DOL
rent aucune responsabilité. L’huissier est légalement l’au
teur de l’exploit, c’est lui qui doit veiller à ce qu’aucune
des formalités nécessaires n’y soit omise ; il ne peut
donc exciper de ce qu’un autre aurait tenu la plume,
ce qui ne pourrait d’ailleurs se faire que sous sa sur
veillance. 1 »
L’arrêt de la Cour de cassation nous paraît important
surtout par la netteté du principe qu’il consacre, à sa
voir : que la responsabilité de l’acte appartient à celui
qui avait seul attribution et caractère pour l’accomplir.
C’est par son application que se résoudront toutes les dif
ficultés que la matière doit présenter. À l’huissier donc
de répondre de tout ce qui tient taxativement à l’exploit;
à l’avoué la responsabilité de ce qui concerne la direc
tion de la procédure. En d’autres termes, l’on doit faire
pour les actes de procédure ce que nous faisions pour les
actes notariés, distinguer entre les nullités intrinsèques
et les nullités extrinsèques. Celles-ci appartiennent ex
clusivement à l’huissier.
507.
— C’est ainsi qu’on l’a déclaré responsable de
la nullité de l’exploit parce que la copie a été remise
au maire sans aucune mention de la présentation à un
voisin : 1
Parce que la date a été omise ou non suffisamment
indiquée ; 3
1 Chauveau sur Carré, art. 74.
2 Rouen, 4 'r août 1840.
3 Colmar, 28 juillet 1812 ; — Metz, 18 juin 1S19.
�ET DE LA FR A U D E .
61
Parce qu’on aurait omis l’indication du délai de l’as
signation ; 1
Parce que le parlant à a été constaté d’une manière
irrégulière ; *
Parce qu’on aurait omis la signature 3 ou l’indication
du domicile réel du demandeur ; 4
Parce que l’huissier était sans qualité.5
Chacune de ces nullités constitue une violation des de
voirs que la loi impose à l’huissier. Il est donc naturel
qu’il réponde de l’impéritie ou de la négligence qui en
est le fondement. Il en serait de même pour tous les cas
où dans l’exécution d’un jugement ou d’un titre, l’huis
sier n’aurait pas rigoureusement exécuté les formes pres
crites.
Dans ce cas, la condamnation de l’huissier serait in
dépendante de la validité de Pacte. Ainsi, la saisie faite
sans que les garanties voulues par l’article 587 aient été
observées, n ’en est pas moins valable, mais l’huissier qui
a ainsi procédé a commis une faute dont il doit la répa
ration à la partie saisie. C’est ce que la Cour d’Aix a jugé
sur ma plaidoirie dans l’affaire de l’huissier Roux contre
Mlle Saint-Martin.
508. — Quant aux nullités intrinsèques résultant
«
1 Bruxelles, 16 mars 1831.
2 Paris, 22 septembre 1809 ; — Grenoble, 7 août 1822.
3 Poitiers, 13 août 1819.
i Poitiers, 21 mai 1834.
5 Grenoble, 14 avril 1818.
�62
TRAITÉ DU DOL
soit de l’insuffisance de la procédure entamée , soit des
désignations inexactes que l’huissier , sur les faux ren
seignements de l’avoué ou de la partie, a insérées dans
son exploit, elles ne sauraient, sous aucun rapport, lui
être imputées. ' La responsabilité en demeure donc ex
clusivement à la charge de l’avoué ou de la partie.
Par application de ce principe, il a été jugé :
1° Que l’huissier n’est pas responsable delà nullité
d’un appel qu’on l’a chargé de notifier soit avant l’expi
ration delà huitaine, soit après le délai de trois mois;1
2° Qu’il ne répond pas de ce que la notification à des
créanciers inscrits ne comprend pas l’universalité de ces
créanciers ; 3
3° Qu’on ne saurait lui reprocher la nullité d’un em
prisonnement résultant de ce que le créancier lui a remis
une constitution d’avoué, au lieu d’une élection de domi
cile, à énoncer dans le procès-verbal.4
Ces exemples nombreux nous ont paru utiles à rappe
ler, parce qu’ils déterminent la véritable portée du prin
cipe que nous rappelions tout à l’heure. Ils enseignent
en outre à faire la part de l’avoué , de l’huissier , de la
partie elle - même, dans les questions de responsabilité
qui peuvent se présenter.
♦
1 Cass., 28 octob. 1841, 29 août 4832.
2 Aix, 47 juin 4 824.
3 Metz, 34 mars 4 824.
4 Lyon, 9 mai 4828
�ET DE LA FRAUDE.
63
509. — Nous dirons de l’huissier ce que nous disions
tout à l’heure de l’avoué, à savoir qu’il ne doit pas être
condamné sans avoir été entendu. Nous ajoutons qu’il
ne peut être même valablement poursuivi qu’après que
la nullité de l’acte a été prononcée par la justice. Toute
demande contre lui serait non recevable, tant que cette
nullité n ’est pas un fait acquis.
5 1 0 . — Le mandat de l’huissier cesse avec l’acte
qu’il a notifié. Il continue cependant si l’exploit renfer
me élection de domicile dans son cabinet. Entre autres
devoirs , cette élection lui impose l’obligation de trans
mettre fidèlement et en temps opportun toutes les signi
fications qui sont faites pour la partie. Le retard dans
cette transmission, et à plus forte raison son omission
complète, obligerait l’huissier à réparer le préjudice qui
naîtrait de l’un ou de l’autre.
5 1 1 . — Nous terminerons , en ce qui concerne les
officiers ministériels, par deux observations s’appliquant
aux avoués aussi bien qu’aux huissiers :
1° Le désaveu admis en justice rendrait celui qui en
a été l’objet passible de tous les frais que les actes désa
voués auraient entraînés. Il pourrait de plus autoriser
une allocation de dommages - intérêts en faveur de la
partie qui réclamerait d’être indemisée du préjudice
qu’elle prouverait exister ; 1
1 Cass., 7 novembre 1849. — D. P., 49, 1, 288.
�64
ET DE LA FRAUDE.
2° Dans l’hypothèse de faute lourde , de d o l, comme
dans tous les cas où il y a lieu d’accorder des domma
ges-intérêts, leur allocation est subordonnée à la preuve
qu’il existe un préjudice. Les dommages - intérêts ne
peuvent jamais être que l’indemnité d’un dommage et
non l’objet d’un bénéfice pour celui qui les réclame.
C’est donc à celui-ci à prouver ce dommage. A défaut
de cette preuve , la responsabilité des officiers ministé
riels, quel que fût le motif de la prononcer, se bornerait
au payement des frais des actes ou de la procédure
annulée.
Ajoutons que les officiers ministériels engageant leur
responsabilité in commitlendo, ne l’engagent pas moins
in omittendo. Ainsi, celui qui s’est abstenu de faire un
acte que l’intérêt de son mandant exigeait impérieuse
ment , et qu’il avait mission d’accomplir ou de provo
quer, serait passible des conséquences de cette omission
et tenu, dès lors, de réparer le préjudice qui en serait
résulté.
�ET DE LA FRAUDE.
65
CHAPITRE IV.
DES
F IN S
DE
N O N - R E C E V O IR
CO N TRE
L'A C TIO N .
- m
-
SOMM AIRE.
512.
513.
514.
II ne suffit pas qu’une demande soit fondée, il faut en outre
qu’elle soit recevable.
Nature el distinction des fins de non-recevoir.
Nomenclature.
512.
— L’existence d’un droit n’autorise pas tou
jours l’action destinée à le réaliser. Celui - là donc qui
prétend se pourvoir en justice doit se préoccuper nonseulement de la légitimité , mais encore de la recevabi
lité de sa demande. Peu importe, en effet, qu’un dol ait
été pratiqué à son encontre , qu’il en ait éprouvé un no
table préjudice, si, par négligence ou par un acte émané
n
*
5
�66
TRAITÉ DU DOD
de sa volonté, il s’était rendu non-recevable à poursui
vre la réparation qui lui est due.
513
.
— Les moyens tendant à faire déclarer la
non - recevabilité d’une action constituent des fins de
non-recevoir, dont la nature et les effets diffèrent essen
tiellement , suivant qu’elles s’appliquent à la forme ou
au fond.
Les premières, qu’on qualifie plus exactement de fins
de non - procéder, n ’ont pour objet' que la nullité de la
procédure irrégulièrement poursuivie, et que le deman
deur est obligé de recommencer. Elles sont donc pure
ment dilatoires , à moins que l’intervalle consacré à la
formalité irrégulière n’ait complété la prescription du
droit. Cés fins de non-procéder n’ont donc d'avantages
réels que sous ce dernier rapport.
Les autres, au contraire, négligent la forme pour s’at
taquer au droit lui-même, qu’elles ont pour but de faire
déclarer à tout jamais éteint. Leur consécration enlève à
l’action tout principe de vitalité et amène le déboutementde la demande quelque juste, quelque fondée qu’elle
puisse être. Leur existence est donc un fait capital et dé
cisif. C’est aussi d’elles, et d’elles seules, que nous allons
nous occuper.
Suivant M. Poucet, ces fins de non-recevoir consti
tuent des exceptions de pratique ou moyens non tirés du
fond, ayant pour f i n , c'est-à-dire pour but, d'empêcher
que l’action ou la défense de /’adversaire ne soit reçue
ou écoutée, quelque juste qu'elle puisse être au fond .
�ET DE LA FRAUDE.
67
Comme si, par exemple, on oppose que les droits dont
il se prévaut sont prescrits, ou qu'un jugement passé en
force de chose jugée l’en a déboulé , ou qu’il y a for
mellement ou tacitement renoncé. 1
514.
— Les principales fins de non - recevoir sont
donc : la chose jugée, l’acquiescement, la prescription.
Chacune d’elles constitue une exception péremptoire,
puisque son admission entraine forcément le rejet de l’ac
tion contre laquelle on l’invoque. Leur importance exige
que nous en recherchions les éléments, que nous en dé
terminions les conditions essentielles. Cet examen fait la
matière des trois sections suivantes.
SECTION I” .
De la chose jugée.
SOMMAIRE.
515.
516.
517.
Caractère de cette présomption.
Conséquences quant aux difficultés pouvant se présenter,
Conditions exigées pour qu’il y ait chose jugée.
1 Des Acl.', tit. 4, ehap. 2, n° 164.
'
�68
TRAITÉ DU DOL
518. Quels sont les jugements susceptibles de la créer ?
519. Jugements provisionnels.
520. Jugements préparatoires ou interlocutoires.
521. Controverse à l’occasion de ces derniers.
522. Solution.
523. Opinion de Chauveau et jurisprudence qu’il cite.
524. Le jugement interlocutoire sur un point peut être définitif
sur un autre. Conséquences.
525. A quelle époque les jugements définitifs ont-ils acquis l ’au
torité de la chose jugée ?
526. Différence entre les jugements en premier ou en dernier
ressort.
527. Le jugement en premier ressort n ’acquiert l’autorité de la
chose jugée, à défaut d ’appel, qu’à partir de sa, signifi
cation.
528. Effet de la réalisation de l’appel.
529. Jugements rendus en pays étrangers.
530. Le dispositif des jugements-fonde seul la chose jugée.
531. Conditions de la chose jugée.
532. 1° Identité d’objet
533. Changements survenus depuis le premier procès.
534. Il y a identité d’objet s i , après avoir échoué sur le tout, on
redemande la partie.
535. Qu’en est-il dans l’hypothèse inverse ?
536. Le jugement au possessoire n’influe en rien sur l’action
pétitoire.
537. Que faut-il entendre par la partie réclamée ?
538. 2° Identité de cause.
539. Il n’y a pas identité de cause lorsque le droit repose sur des
motifs différents.
540. Exemple : les nullités extrinsèques ou intrinsèques.
541. Hypothèses jugées par la jurisprudence.
542. L’identité de cause ne doit pas être appréciée par les résul
tats que les deux instances doivent présenter.
543. Différence entre la cause et les moyens pouva n t être invoqués.
�ET DE LA FRAUDE.
69
544. La chose jugée sur un moyen l’est pour tous les autres.
545 Arrêt conforme dé la Cour de cassation.
546. C’est surtout pour la nullité d’actes que cette distinction est
utile.
547. Classement à faire pour résoudre la difficulté
548. 3° Identité des parties agissant en la même qualité.
549. Manières diverses d’être partie au procès.
550. 1° Ayant-cause. Les héritiers ou légataires à titre universel
sdnt les ayants-cause du défunt.
551. Les donataires oü légataires à titre particulier le deviennent
quant à l ’objet donné ou légué.
552. Mais les héritiers , légataires ou donataires ne sont pas les
ayants-caUse les uns des autres. Conséquences.
553. L’acquéreur est, quand à l ’objet vendu, l’ayant - cause du
vendeur.
554. Le vendeur n'est jamais l ’ayant-cause de l'acquéreur.
555. Quid des créanciers ?
556. 2° Mandataires conventionnels ou légaux. Identité du man
dant et du mandataire.
557. Cé qui est jugé pour et contre le tuteur l ’est contre lé mi
neur.
558. Il en est de même pour le mari et la femme.
559. Mais ce qui est jugé entre la femme et un tiers ne l ’est pas
contre le mari, soit qu’il l'assiste et l ’autorise, soit qu’il
exerce les actions de celle-ci.
560. Fondement légal de cette doctrine.
561. L’instance suivie pour ou contre les syndics d’une faillite
lie le failli et la massé.
562. Distinction en ce qui concerne les créanciers hypothé
caires.
563. La chose jugée pour ou contre le failli, avant la faillite, est
opposable aux Syndics.
564. Y a-t-il identité de personnes entre le débiteur principal
et la caution ?
565. Quid des débiteurs solidaires ?
�70
566.
567.
568.
569.
TRAITÉ DU DOL
L'identité de personnes réside bien plutôt dans la qualité
en laquelle elles ont agi que dans les conditions phy
siques.
Conséquences.
Quid de l ’instance jugée pour ou contre l’héritier apparent
à l’endroit du véritable héritier ?
Mode d’appréciation de la chose jugée.
515.
— De tous temps la chose jugée a été entourée
du plus profond respect et a joui de la plus grande au
torité. Considérée comme l’expression de la vérité , elle
est devenue la loi irrévocable des parties : Res judicata
pro veritate habetur.
Prise dans un sens absolu , cette présomption consti
tuerait la plus audacieuse fiction qui se puisse imagi
ner. Elle proclamerait, en effet, une infaillibilté qui n’est
pas dans les attributs de la justice humaine, qu’elle pla
cerait ainsi au - dessus des passions qui [l’assiègent et
l’égarent.
Un orgueil aussi insensé ne pouvait pas être professé
par le législaleur. Il ne pouvait ignorer l’infirmité de la
nature humaine, ses faiblesses. Aussi , pouvons-nous le
dire sans crainte , la présomption de vérité , attachée à
la chose jugée , tient à des considérations d’une autre
nature , et cette pensée n’altère en rien le juste respect
qui entoure notre magistrature. Sa dignité n’avait nul
besoin qu’on la proclamât infaillible. Suffisamment dé
fendue par la loyauté de ses intentions, elle peut répu
dier un caractère qui n’appartient qu’à Dieu et recon
naître que ses lumières ne la garantiront pas toujours
d’une erreur.
�ET DE LA FRA UDE.
71
C’est ce que, pour sa part, a admis le législateur ; et,
la possibilité d’une erreur ainsi envisagée , la chose ju
gée n’en doit pas moins être acceptée comme l’expres
sion de la vérité. jUn devoir puissant et sacré lé prescri
vait ainsi. Sans la stabilité des jugements , il n’y avait
pas de société possible; et le jour où l’on pourrait, sous
prétexte d’erreur, remettre en question ce qui vient d’être
solennellement décidé , verrait la confusion et le chaos
se substituer à l’ordre admirable qui régit nos rapports
communs.
516. — Ces considérations, qui fixent le sens et l’im
portance du principe que nous avons rappelé , nous
amènent à cette conséquence : que nul ne sera tenté de
contester le principe lui-même. On ne déniera jamais le
respect dù à la chose jugée. Devant une exception de ce
genre, tous les efforts se résumeront dans la dénégation
des caractères qui la constituent. Avant donc d’appli
quer le principe , les tribunaux auront presque toujours
à rechercher s’il est,réellement applicable à l’espèce qui
leur est soumise. C’est pour les éclairer dans cette re
cherche que l’article 1351 du Code civil a nettement dé
terminé les éléments dont l’ensemble constitue la chose
jugée.
517. — Aux termes de cet article, il n’y a chose ju
gée que si la seconde instance porte sur le même objet
que celui qui était demandé dans la première ; que si la
demande repose sur la même cause ; que si elle a lieu
�entre les mêmes parties. Avant d’examiner chacune de
ces conditions, examinons celle qui les domine toutes, à
savoir : l’existence d’un premier jugement susceptible
d’acquérir ou ayant acquis l’autorité de la chose jugée.
5 1 8 . — Toutes les décisions judiciaires ne sont pas
de nature à fonder l’autorité de la chose jugée : Non vox
omnis judicis, judicati continet auctorilatem.' Pour
revêtir ce caractère , le jugement doit épuiser le litige ,
de manière à ce que le même juge soit désormais sans
attribution pour prononcer entre les parties : Res ju d icata dicitur quœ finem contraversarium pronunciatione judicis açcipit, quod vel condemnatione , vel absolutione contingit. 2
5 1 9 . — A ce titre , les jugements qui se bornent h
statuer sur la provision ne peuvent jamais donner lieu
à l’exception de la chose jugée. Cela est d’autant moins
douteux, que l’effet de ces jugements est nécessairement
subordonné au jugement définitif, d’après lequel , les
sommes reçues à titre de provision devront, dans quel
ques circonstances, être remboursées. Le pouvoir du juge
d’ordonner ce remboursement , comme de rétracter les
autres mesures provisionnelles, n’a jamais été ni pu être
contesté. Celui-là donc qui n’-aurait à exciper que d’un
pareil jugement, à l’appui de son exception de chose ju
gée, ne pourrait être écouté.
1 L. 7, Cod.. De sent, et interl.
2 L. 1, Dig., De rejudicata.
�ET DE LA. FRAUDE.
73
5 2 0 . — Les jugements préparatoires ou interlocu
toires peuvent-ils acquérir l’autorité de la chose jugée ?
Evidemment non, si la définition que nous venons d’em
prunter au droit romain est exacte. En effet, ces juge
ments n’épuisent pas la juridiction du juge dont ils éma
nent ; ils mettent si peu fin au litige , que leur objet
consiste uniquement à mettre ce litige à même de rece
voir une solution définitive,
De là il résulte que , lors même que les jugements
préparatoires ou interlocutoires n’ont pas été exécutés ,
leur existence ne peut être un obstacle à ce que les par
ties puissent revenir devant le juge et lui demander une
décision sur le fond du procès. Elles peuvent soutenir
que l’objet de ce jugement n’était pas indispensable, et
que les faits indiquent suffisamment les droits qu’elles
peuvent respectivement revendiquer. De son côté , le
juge peut déserter les errements jusqu’alors suivis et pro
noncer définitivement, malgré qu’il eût refusé de le faire
d’abord.
5 21. — Cela n ’a jamais été contesté lorsqu’il s’agit
d’un jugement préparatoire, mais le contraire a été sou
tenu dans le cas d’un interlocutoire, il est vrai que ces
jugements diffèrent entre eux en ce sens que les premiers
ne laissent pas même entrevoir quelle sera l’opinion du
juge sur le fond du procès, tandis que les seconds sem
blent indiquer cette opinion. On peut croire , en effet,
que si la preuve ordonnée est faite, la partie qui l’a sol
licitée gagnera son procès. Ainsi, l’interlocutoire crée un
r
�74
TRAITÉ OU DOL
préjugé qui ne saurait naître, dans aucun cas, du juge
ment purement préparatoire.
522.
— Mais tout ce qui résulte de cette différence
nous est positivement indiqué par l’article 451 du Code
de procédure. L’appel du jugement préparatoire ne peut
être reçu qu’avec celui du jugement définitif. Ce n’est ,
en effet, que par le. résultat de celui-ci qu’on peut con
naître celui à qui le jugement préparatoire a été préju
diciable. L’interlocutoire, au contraire, peut être immé
diatement attaqué devant le degré supérieur par celui
qui en redouterait les conséquences ou qui ne voudrait
pas accepter le préjugé qui en résulte.
Le défaut d’appel ne peut donner au jugement un ca
ractère qu’il n’a pas. L’interlocutoire demeure donc sans
effets obligatoires sur le fond du procès. La chose jugée
peut bien résulter d’une décision formelle , mais elle ne
s’attache jamais à un préjugé, quelque certain 'et positif
qu’il soit. Or , l’interlocutoire ne saurait jamais créer
qu’un préjugé.
Dès-lors, celui qui, ayant d’abord contesté l’interlo
cutoire, l’a ensuite exécuté, pourra, après cette exécution
et lors du jugement définitif, soutenir que la mesure ordonnéeétaitinutile, chercher ailleurs que dans les procès
verbaux et les enquêtes les moyens de faire prévaloir ses
prétentions. Ce qui lui est absolument et uniquement
interdit, c’est de plaider la non-recevabilité de la preuve
ou la non-admissibilité des faits articulés. Sur ces deux
points, il y a dans l’interlocutoire une appréciation dont
�\
ET DE LA. FRAUDE.
75
le contraire ne saurait être légalement prononcé que par
le juge supérieur.
Ce que la partie peut faire est également facultatif pour
le juge. Ainsi, le tribunal n’est pas obligé de persister
dans l’opinion qu’il a pu concevoir sur l’importance et
la nécessité de la preuve. Quelle qu’ait été cette opinion
première, il peut la déserter si, mieux éclairée, sa con
science lui en fait un devoir. Il peut donc, après l’inter
locutoire, décider contrairement au préjugé résultant de
sa prononciation , et cela encore bien que les faits arti
culés et admis aient été complètement justifiés.
L'opinion contraire a été cependant soutenue. Mais
ce n’est pas dans son sens que penchent la doctrine et
la jurisprudence. Elle manque, en effet, de fondements
juridiques , tandis que l’autre opinion s’étaye sur des
considérations décisives en raison et en droit. Voici com
ment les résume M. Chauveau , dans son Traité de la
Procédure :
523.
— « Il est impossible qu’un jugement puisse
être définitif sur le droit, lorsqu’il n’est qu’interlocutoire
sur le fait ; d’autant que le point de droit , n’étant que
la raison de décider et non la matière immédiate du ju
gement , n’est pas susceptible d’une décision séparée.
Aussi longtemps que l’objet en litige est en suspens et
soumis à l’éventualité d’un avant-dire droit, le droit luimême demeure indécis, le juge ayant pu adopter men
talement , décéler même une opinion ou un principe ,
mais non les réduire en jugement. Ce n’est cependant
�76
TRAITÉ DU DOL
qu’à partir de ce jugement que l’autorité de la chose
jugée peut être légalement acquise ou commencer à cou
rir, car ce n’est qu’alors que le juge a rempli sa mission
et qu’il est à tout jamais désinvesti de la connaissance du
litige. Mais tant que ce désinvestissement ne s’est pas
réalisé, le juge n’a pas dit son dernier mot sur le procès;
il n’a pas dès lors la faculté , mais il doit ertcore consi
dérer comme un devoir impérieux de juger en définitive
suivant sa conscience et sa conviction , rejetant, si cette
conviction l’exige, le principe que d’abord il avait adop
té , pour revenir aux moyens soit de fa it, soit de droit
qu’il avait primitivement rejetés. ' »
M. Chauveau cite un grand nombre de décisions sou
veraines qui ont consacré cette doctrine , doctrine q u i,
du reste , n’est qu’une saine application de la maxime
adoptée par nos maîtres en législation : Semper judici
ab interlocutorio discedere licet. Il est vrai que nos
Codes n’ont pas renouvelé textuellement ce principe ;
mais qu’ils l’aient virtuellement admis , c’est ce dont il
n’est pas possible de douter.: L’orateur du gouvernement
le proposait comme règle dans l’exposé des motifs de la
loi, de crainte que les magistrats ne se méprissent sur la
nature et la portée de l’interlocutoire. L'interlocutoire,
en effet, sans autre objet que d'éclairer la religion
des juges, pourrait finir par les égarer, dans la faus
se persuasion qu’ils se seraient liés eux-mêmes en le
prononçant.
1 Chauveau sur Carré, art. 431, 4.35.
�ET DE LA FRAUDE.
77
Il est donc vrai, en droit français comme en droit ro
main, que le juge peut revenir de l’interlocutoire. Cela ,
certes, ne saurait signifier qu’un tribunal a la faculté ,
après avoir jugé la preuve recevable et les faits; perti
nents et admissibles , de décider plus tard le contraire.
Le pouvoir de se réformer ainsi n’a jamais appartenu à
une juridiction quelconque. Prise dans ce sens, la ma
xime que nous avons rappelée serait une monstruosité
en droit. Tout ce qu’on doit en induire, c’est que malgré
l’interlocutoire, qu’il ait été ou non exécuté, le juge peut
et doit décider en sens contraire du préjugé que cet in
terlocutoire fait naître, si, mieux éclairée, sa conscience
l’exige ainsi.
Concluons donc, de ce qui précède, que lorsqu’il s’a
git de juger définitivement le procès , le juge reprend
toute son indépendance, toute sa liberté d’action. Il peut
donc négliger les résultats de l’interlocutoire, les repous
ser même complètement et puiser les éléments de sa dé
cision dans, les autres circonstances de la cause et dans
les faits qui lui avaient d’abord paru insuffisants. Il peut
même prononcer au fond sans que les mesures interlo
cutoires aient été remplies. Dès lors un jugement de ce
genre ne p e u t, dans aucun cas , devenir' la base d’une
exception de chose jugée.
52 4 .
— Un jugement interlocutoire sur un*point peut
être définitif sur un ou plusieurs chefs. C'est ce qui ar
rive lorsque, avant d’aborder le fond, le jugea à appré
cier des exceptions, soit en la forme, soit inhérentes au
�78
TRAITÉ DU DOL
droit lui-même. La disposition qui écarte ces exceptions
n’a rien d’interlocutoire ; elle constitue, à cet égard, un
jugement définitif qui, s’il est acquiescé, acquiert l’au
torité de la chose jugée et rend non-recevable à propo
ser plus tard les mêmes exceptions.
5 2 5 . — A quelle époque les jugements définitifs ontils acquis l’autorité de la chose jugée? L’ordonnance de
1667 contenait, à cet égard , une disposition expresse.
L’article 5 du titre 27 disposait en ces termes : Les j u
gements qui doivent passer en force de chose jugée sont
ceux rendus en dernier ressort et dont il n'y a pas
d'appel, ou dont l’appel ne sera pas recevable, soit que
lesparlies y eussent formellement acquiescé, ou qu'elles
n'en eussent interjeté appel dans le temps, ou que l’ap
pel ait été déclaré péri,
5 2 6 . — L’ordonnance mettait donc sur la même li
gne les jugements rendus en dernier ressort et ceux qui,
pouvant être attaqués par l’appel, ne l’avaient pas été.
Notre Code de procédure n’a pas renouvelé cette dispo
sition, mais il ne dit nulle part le contraire. Cette réserve
■absolue n’indique-t-elle pas qu’en cette matière il n’a
entendu rien innover , et que conséquemment c’est par
l’ordonnance elle - même qu’il faut décider la question
que nous avons posée ?
Or , la doclrine qu’elle consacre nous paraît juste et
rationnelle , car les considérations qui recommandaient
la disposition de l’ordonnance , n ’ont pas cessé d’être
�TR AITÉ DU DOL
79
vraies. Celui qui s’abstient d’attaquer un jugement con
traire à ses intérêts est présumé en reconnaître le bien
fondé et le mérite, et cette sanction donnée au jugement
est la plus puissante de toutes. Sans doute , nul n’est
contraint d’agir tant qu’il est dans les délais pour le
faire. Aussi la présomption d’acquiescement cèdera-t-elle
devant la manifestation d’une volonté contraire, volonté
qui sera libre de se produire au moment même où l’on
voudra exciperdela présomption d’acquiescement. Mais
tant que l’appel n’est pas réalisé, c’est cette présomption
qui doit prévaloir. Ainsi , la différence entre ün juge
ment rendu en dernier ressort et celui susceptible d ’appel,
c’est que le premier acquiert de plein droit l’autorité de
la chose jugée , tandis que cette autorité n’est que mo
mentanée pour le second, tant que les délais de l’appel
ne sont pas expirés.
25 7. — Mais, pour l’admettre a in si, il faut que la
partie ait été mise en demeure d’agir par une significa
tion régulière du jugement. Un jugement non signifié
n’est qu’un titre informe , constituant tout au plus une
menace dans un avenir plus ou moins lointain, et contre
laquelle on n ’est pas même tenu de se pourvoir. 11 y a
plus, celui qui abandonne , qui délaisse ainsi son titre ,
après l’avoir obtenu, peut être considéré comme s’il re
nonçait aux avantages qui en résultent, et le silence de
la partie adverse n’a , en cet état, rien que de très-na
turel ; on ne saurait exiger qu’elle le rompe qu’après
qu’une notification est venue lui apprendre qu’on voulait.
profiter du jugement.
�80
ET DE LA. FRAUDE.
5 2 8 . — L’appel réalisé suspend de plein droit l’au
torité du jugement, alors même qu’il aurait été émis hors
les délais ou après un acquiescement. La non-recevabi
lité de l’appel, comme le mal fondé, ne peut être déclaré
que par le degré supérieur. Ce n’est donc que par la dé
cision de celui-ci que le jugement reprend ou perd à tout
jamais l’autorité de la chose jugée.
Nous terminerons nos observations sur ce point en rap
pelant deux faits importants et qu’on ne saurait oublier
dans la matière qui nous occupe.
5 2 9 . — 10 Rendre ta justice est un acte de souve
raineté. En France, elle se rend au nom du peuple fran
çais et par des magistrats choisis et institués par le chef
du pouvoir exécutif. Cette double circonstance , offrant
toutes garanties aux citoyens, leur impose 1;exécution des
jugements comme un devoir rigoureux.
Mais on ne peut exécuter en France que les jugements
émanés des tribunaux français. Dès lors, 1a chose jugée
ne saurait jamais résulter d’un jugement rendu en pays
étranger et par des juges étrangers , à moins que son
exécution n’ait été ordonnée par un tribunal fran
çais. O r , on sait que 1a faculté donnée aux juges fran
çais , à cet égard , ne se borne pas à un enregistrement
pur et simple. La doctrine et la jurisprudence sont d’ac
cord sur ce point. Le juge a le droit de reviser le juge
ment étranger et de ne confirmer les adjudications qu’il
prononce que s’il les trouve nécessaires et justes. Le ju
gement de révision est donc ici le véritable jugem ent,
�ET DE LA FR A U D E .
81
et, comme il émane de l’autorité française, il est, quant
à la chose jugée, à l’instar des autres jugements.
5 3 0 — 2° Quels que soient les termes des motifs d’un
jugement, quelle que soit la solution à laquelle ils puis
sent conduire , il n’y a chose jugée que sur ce qui est
consigné dans le dispositif. Ce n’est que là, en effet, que
la pensée réelle du juge se développe avec précision et
netteté ; que se trouve en quelque sorte le véritable ju
gement. C’est donc aussi et uniquement là qu’il faut
chercher ce que le juge a fait , car on ne trouvera dans
les autres parties du jugement que des indications sur
ce qu’il a voulu faire. Or, la pensée du juge, tant qu’elle
ne s’est pas traduite en jugem ent, ne saurait sortir à
effet et moins encore donner naissance à l’autorité de la
chose jugée.
C’est ce qui a été consacré par de nombreux arrêts de
la Cour de cassation, dont un, notamment, rendu le 9
janvier 1831, décide que, bien' qu’un arrêt ait reconnu
dans ses motifs que le terrain litigieux est vain et vague
et que la commune en doit être réputée propriétaire ,
cependant, s’il ne prononce rien à cet égard dans le dis
positif et se borne à ordonner une expertise , en réser
vant tous les droits des parties , il n ’y a point chose
jugée sur la nature du terrain , ni sur la question de
propriété. 1
1 Dalloz, p. 38, 1, 169 ; — vid . id ., 37. 1, 4S3.
�T R A ITÉ DU ÜOL
5 3 1 . — Ainsi, l’exception de chose jugée ne pourra
prendre naissance que dans l’existence d’un jugement
précédent , rendu sur le fond du droit, ayant épuisé la
juridiction du juge, et dont le dispositif offrira, par rap
port à l’instance nouvelle , les caractères prescrits par
l’article 1351, à savoir : que la chose demandée soit la
même ; que la demande soit fondée sur la même cause;
qu’elle s’agite sur les mêmes parties et en la même qua
lité : Eadem res, eadern ratio petendi , eadem conditio personarum.
5 3 2 . -i- Première condition. Identité d’objet.
Cette identité ne doit pas s’entendre en ce sens qu’il
faille que l’objet réclamé dans les deux instances soit
physiquement et matériellement le même. Il suffit, dans
ce cas, d’une affinité certaine et incontestable.
Ce principe, enseigné par Pothier , conduit à cette
double conséquence.
5 3 3 . — 10 Les changements survenus dans le corps
qui a fait la matière du premier procès n’empêchent pas
qu’il ne soit le même dans le second, si c’est le corps luimême qui est réclamé. C’est en effet le même objet, aug
menté ou diminué, qu’on demande, et le refus qui en a
été fait une première fois crée un obstacle insurmontable
à toute nouvelle prétention : Sipetiero gregem et victus
fiiero , et vel aucto vel minulo numéro gregis iterum
eumdem gregem petam, obstabit mihi exceptio. 1
i L. 21, Dig. de except. r e iju d . — Rennes, 13 mars 1821.
�ET DE LA FRAUDE.
83
534.
— 2° La chose ne cesse pas d’être la même si,
après avoir échoué sur la revendication d’un corps cer
tain, d’une quantité ou d’un droit incorporel, on deman
de plus tard une partie plus ou moins considérable de
ces mêmes objets : Si guis cum totum petiisset, partent
petat, exceptio rei judicatœ ei nocet, nam pars in to
tum e s t , eadem enim res accipitur et si pars petalur
ejus quod totum petitum est, nec interest utruvn in corpore hoc petalur, an in quantitate, vel in ju re . '
Cette règle était tellement absolue en droit romain ,
qu’on appliquait l’exception de chose jugée à la deman
de des fruits non encore existants au moment du pre
mier procès. Tout ce qui était produit par la chose refu
sée était considéré comme cette chose elle-même, et par
conséquent à l’abri de toute demande ultérieure : Sed
ex ea re sunt qua petita est, magisque est u t ista ex
ceptio noceat.
Ces conséquences , admises par notre ancien droit ,
n’ont nullement été abrogées par les lois qui nous régis
sent actuellement. Les décisions du droit romain sont
donc encore parfaitement applicables dans les deux cas
que nous venons de rappeler.1
335. — Si la partie est comprise dans le tout, le tout
n’est pas compris dans la partie. Celui qui a succombé
1 L. 15, Dig., De excepl r e iju d .
1 Merlin, Chose ju g é e ; — Toullier , t. x, n0' 145 et suiv. ; — FaTard, Chose jugée, etc...
�84
TRAITÉ Dl) DOD
sur une demande partielle , pourra-t-il donc demander
plus tard la totalité de l’objet en partie refusé ?
Les jurisconsultes romains n’étaient pas d’accord sur
ce point. La négative était pourtant généralement admi
se, mais elle subissait de nombreuses exceptions.
Le droit français n’a non plus rien disposé à cet égard,
mais la doctrine et la jurisprudence admettent dans plu
sieurs cas l’affirmative. Ainsi , on permet , comme en
droit romain , à celui qui a succombé sur la demande
d’une servitude de passage pour gens à pied, de récla
mer plus tard le passage pour charrettes et bêtes de
somme ; 1 on décide en outre que celui qui a échoué
dansla demande del’usufruit d’un fonds peut, plus tard,
en revendiquer la propriété ; que celui qui a été débouté
delà demande en revendication de la parcelle d’une pro
priété est recevable à réclamer et à se faire adjuger plus
tard la propriété tout entière. *
Il est vrai, comme l’observe Toullier, que dans ce cas
il obtiendra la parcelle qui lui avait été d’abord refusée.
Mais il est à remarquer que le jugement qui rejette la
demande particulière qui en était faite n’en'attribue point
la propriété au défendeur, il rejette seulement cette de
mande particulière, la parcelle m’appartient aujourd’hui
à un autre titre, comme dépendance de la propriété qui
qui m’est attribuée en entier contre vous.3
1 L. 11, D ig., S 6. de except, reijud.
2 Cass., 14 février 1831.
3 Tom. x, n° 55.
�ET DE LA. FRA UDE.
85
556. — C’est par suite d’un effet analogue qu’il est
aujourd’hui souverainement admis que le jugement sur
le possessoire reste sans influence sur l’examen et la dé
cision du pétitoire. Cependant celui qui a été débouté de
sa demande en possession acquiert cette même posses
sion, s’il gagne son procès au pétitoire. Or , il ne peut
atteindre à ce résultat que parce que le premier juge
ment ne peut acquérir l’autorité de la chose jugée que
sur ce qui a fait l’objet du litige, à savoir : la possession
considérée divisement et indépendamment de la pro
priété. Réclamer et obtenir cette possession comme l’at
tribut et la conséquence du droit de nropriété, c’est évi
demment demander une chose sur laquelle il n’a jamais
été statué.
5 5 7 . — Toutefois , on ne saurait raisonnablement
soutenir que la chose jugée sur la partie ne s’opposera
jamais à ce qu’on puisse revendiquer le tout. Ainsi , il
serait absurde de soutenir que celui qui a vainement de
mandé les dix-neuf vingtièmes d’une chose pourra plus
tard être recevable dans sa demande de la totalité de
cette même chose. C’est donc par les circonstances par
ticulières à chaque espèce qu’on devra résoudre la ques
tion que nons avons posée. Seulement, ce qu’il importe
de ne pas perdre de vue , c’est que la chose jugée, étant
une exception rigoureuse , doit être renfermée dans ses
plus étroites limites , et que , dans le doute , la faveur
due à l’action doit l’emporter.
�86
TRA ITÉ DU DOL
5 3 8 . — Deuxième condition. Identité de cause,
La cause est le principe générateur de l’action ratio
petendi. Il faut donc bien se gàrder delà confondre avec
l’action elle-même, car la même cause peut devenir l’o
rigine de plusieurs actions d’un genre différent. Mais la
décision intervenue sur celle qui a été réalisée constitue
la chose jugée contre toutes.
Ainsi l’existence d’un vice rédhibitoire ou d’un défaut
caché donne le droit soit de poursuivre la résiliation de
la vente, avec restitution du prix, soit de garder la chose
en obtenant une réduction ou une remise sur le prix.
J ’ai donc ou l’action en rescision ou l’action en quanti
minoris.
Mais cette double action a une seule et même origine:
l’existence du vice rédhibitoire. Conséquemment, si j’ai
succombé sur l’une d’elles , je serais non - recevable à
intenter l’autre. Toute demande à cet égard serait re
poussée par l’exception de chose jugée.
On remarquera que la différence dans l’objet que ces
deux actions se proposent est plutôt apparente que réel
le. Dans l’une et dans l’autre il s’agit, en effet, de porter
atteinte à la convention des parties. Le degré de gravité
de cette atteinte ne saurait être un motif suffisant pour
exclure l’identité de chose. Et celle-ci concourant avec
l’identité de cause , l’exception de chose jugée serait
inévitable.
539.
— L’identité de chose ne suffirait pas pour au
toriser cette exception, car, comme l’observe Pothier, la
�ET DE LA FRA UDE.
87
même chose peut m’être due en vertu de plusieurs diffé
rentes causes d’obligation , et j’ai autant de créances
différentes et autant d’actions différentes contre mon dé
biteur qu’il y a de différentes causes d’obligations d’où
elles naissent ; lesquelles différentes actions renferment
autant de questions différentes. Le jugement qui a don
né congé de ma demande sur l’une n'a rien statué sur
l’autre. ’
Il est évident, en effet , que la cause n’étant que le
principe générateur de l’action , la décision qui statue
sur celle-ci ne fait qu’une seule chose : elle décide que
ce que je réclamais ne m’appartient pas en vertu du
droit dont j’excipais. Mais de là ne résulte pas directe
ment ou indirectement que je ne puisse obtenir l’objet
même que j ’ai vainement réclamé , en vertu d’un droit,
c’est-à-dire d’une cause différente de celle sous les ins
pirations de laquelle je m’étais primitivement placé.
540.
— Par exemple , les conventions peuvent être
frappées d’impuissance pour violation des formes pres
crites par la loi ou pour absence des conditions essen
tielles à leur validité. Il y a donc incontestablement deux
droits , dont l’un se borne à attaquer l’instrument écrit
de la convention, tandis que l’autre tend à enlever à la
convention elle-même toute possibilité d’existence. Con
séquemment, et malgré que les actions naissant de l'un
et de l’autre arrivent à un résultat identique, à savoir :
1 Des obligations, n» 898.
�88
T R A ITÉ DU DDL
la nullité de la convention, il est évident que ce qui au
rait été prononcé contre le premier n’aurait en rien ,
nous ne dirons pas décidé , mais même préjugé le se
cond , car une convention peut être très-régulièrement
conforme aux prescriptions exigées par la loi pour sa
validité extrinsèque, et cependant se trouver dans le cas
d’être annulée comme manquant d’une des conditions
qui en forment l’essence. C’est ainsi qu’a près avoir suc
combé sur l’instance en nullité d’un testament pour vice
de forme, on est très-recevable à le faire annuler pour
insanité d’esprit, captation ou suggestion.
541.
— Les applications de cette doetrine sont fré
quentes en jurisprudence. Ainsi, il a été jugé notam
ment :
1° Que l’annulation d’un acte de partage, comme con
tenant aliénation d’un fonds dotal par le mari, n’est pas
une violation de la chose jugée par un arrêt précédent
qui a maintenu ce partage sur une demande en nullité
pour cause de lésion ; '
2° Que le jugement qui rejette une demande en nul
lité d’une vente faite à un avocat , sous prétexte que
cette vente aurait pour objet une chose litigieuse , ne
fait point obstacle à la demande subséquente en nullité
du même contrat, comme n’étant pas réellement une
vente, mais comme constituant une antichrèse : 2
1 Cass., 15 ju in 1837. — J. D. P., t. i, p. 160.
2 Cass., 15 juin 1812, D. P. 21, 1, 422.
�ET DE LA FRA UDE.
89
3° Que lorsqu’une partie , ayant succombé dans sa
demande en révocation d’une donation pour survenance
d’enfants, se pourvoit en réduction de cette même dona
tion pour fournir la réserve, on ne peut lui opposer l’ex
ception de la chose jugée résultant de l’arrêt qui a rejeté
sa première demande. On ne peut la lui opposer surtout
si, lors de cet arrêt, elle était défenderesse à la demande
en exécution de la donation , sous prétexte qu’à ce titre
elle devait faire valoir en défense à cette demande toutes
ses exceptions, et par conséquent sa prétention de faire
réduire la donation. 1
5 4 2 . — Peu importe donc que le résultat que pour
ront présenter les deux instances soit le même, si d’ail
leurs la cause de ces deux instances est distincte et dif
férente. On ne peut confondre la cause avec l’objet qu’elle
se propose ,• et de même qu’il y a chose jugée lorsque
l’action, sans déterminer une conséquence parfaitement
identique, est cependant fondée sur la même cause que
la précédente , de même il faut reconnaître que l’ex
ception de chose jugée n’est pas proposable lorsque la
chose demandée étant la même, procède cependant dans
les deux instances d’un droit complètement distinct et
différent.
543. — D’autre part, on doit bien se garder de con
fondre la cause, principe de l’action , avec les moyens
�90
T R A IT É DU DOL
qui n’en sont que le développement. Les moyens ne sont,
en effet, que les raisons de fait et de droit tendant à jus
tifier la cause alléguée , d’où la conséquence que celui
qui prétend se faire reconnaître créancier d’un droit quel
conque, étant tenu de le justifier, doit appeler au secours
de sa prétention tous les moyens qui sont de nature à
le faire admettre. Il serait absurde, en effet, que chaque
moyen devint le motif d’un nouveau procès , car ce se
rait rendre les contestations interminables.
5 4 4 . — La chose jugée sur un de ces moyens est
donc jugée pour tous, et celui qui, voulant réparer l’o
mission qu’il aurait commise, renouvèlerait le litige, se
verrait inévitablement repoussé par l’effet du premier
jugement.
5 4 5 . — C’est ce que la Cour de cassation a formelle
ment décidé dans l’espèce suivante :
« Erhard avait été débouté par un arrêt de la Cour
de Colmar, du 24 décembre 1814 , de la demande par
lui formée en nullité d’un acte du 16 floréal an x , sur
le fondement que l’un des témoins instrumentaires n’é
tait pas majeur.
« Pus tard, Erhard investit le tribunal de Belfort d’une
demande en nullité du même acte, sur le motif que l’un
des témoins instrumentaires n’avait pas la qualité de
Français. Son adversaire lui-oppose la chose jugée, ré
sultant de l’arrêt du 24 décembre 1814.
« Cette fin de non-recevoir est repoussée par le tribu-
�ET DE LA FRAUDE.
91
nal ; mais , sur l’appel le jugement est infirmé et l’ex
ception accueillie en ces termes :
« Attendu que par un précédent arrêt, du 24 décem
bre 1814, la nullité prétendue de l’obligation a été rejeteé, qu’ainsi cette obligation est défendue par l’autorité
de la chose jugée ; que l’intimé n’a pu, sans lui porter
atteinte, remettre en question cette même nullité , sous
prétexte d’un autre vice de forme que celui qu’il avait
d’abord objecté ; que la simple proposition d’un nouveau
moyen ne constitue pas une nouvelle cause de demande
ou d’exception ; que les cas rares où une partie peut ,
par des moyens qu’elle aurait omis de produire., faire
rétracter les jugements ou arrêts en dernier ressort, sont
énoncés parmi les ouvertures de requête civile, voie que
l’intimé n’a tenté ni pu tenter.
« Erhard s’étant pourvu en cassation , la Cour régu
latrice rejeta son pourvoi. A la vérité , dit l’arrêt , lors
du premier arrêt, Erhard fondait la nullité alléguée sur
la minorité d’un témoin, tandis que lors du second il la
fondait sur la qualité d’étranger non naturalisé d’un au
tre témoin. Mais ce n’était pas là une cause différente ,
c’était seulement un moyen nouveau , d’où il suit que
l’une et l’autre action ont eu évidemment le même objet
et la même cause, qui était la nullité de l’obligation pour
vice de formes. 1 »
Depuis lors, de nombreuses décisions sont venues con-
1 Cass. 3 février 4 8'18.
�92
TRAITÉ DU DOL
fîrrner cette doctrine,1fondée elle-même sur cette maxime
de droit : In judicium omne jus deduxisse videtur.
5 4 6 . — C’est surtout en matière de nullité d’actes
que la distinction de la cause et des moyens est impor
tante. [ c i, en effet, l’objet est le même , et la demande
sera inévitablement admissible ou non , suivant qu’elle
procédera d’une nouvelle cause, ou qu’elle ne constituera
qu’un moyen nouveau.
547. — A cet égard, toute difficulté cesse devant un
classement exact des causes pouvant déterminer cette
nullité. Nous avons dit que les moyens du fond consti
tuent une cause différente de celle résultant des moyens
de forme. On doit donc ranger les nullités dans une
double catégorie, à savoir : celles qui naissent de l’irré
gularité de l’acte, celles procédant de son invalidité. Le
jugement rendu sur une de ces catégories n’a aucune
influence sur l’autre.
Mais il comprend virtuellement tous les moyens à l’ai
de desquels les nullités de cette catégorie peuvent être
obtenues. Ainsi l’irrégularité de l’acte peut tenir à la vio
lation d’une formalité essentielle , à l’oubli d’une men
tion exigée par la loi, à l’incapacité du notaire , à une
erreur sur l’âge , la qualité ou la capacité des témoins.
Or, ce ne sont pas là des nullités distinctes. L’ensemble
%
1 Vid. Dalloz jeune, Dictionnaire de jurisprudence et Supplément,
vis Chose jugée, n° 135.
�ET DE l.A F RA U D E.
93
de ces faits ne constitue qu’une seule et même nullité.
Dès lors, si le juge, appréciant l’une de ces exceptions ,
l’a rejetée en déclarant l’actp régulier, cet acte est désor
mais à l’abri de toute attaque sous ce rapport. En d’au
tres termes, il y a chose définitivement jugée sur sa ré
gularité.
On peut encore l’attaquer pour vice intrinsèque, à sa
voir : pour cause de dol, de violence, d’erreur, d’insa
nité d’esprit, mais on déciderait pour ces moyens ce que
nous venons d’établir pour ceux de forme. Ainsi, le ju
gement qui repousserait l’un d’eux créerait la chose ju géecontretous les autres. « Dans les nullités de ce genre,
dit Toullier,' la cause prochaine de l’action est le défaut
de consentement. Le dol, l’erreur, la violence, l’insanité
d’esprit, l’incapacité de la partie, ne sont que des mo
yens de prouver que le consentement n’a pas été ou ne
pouvait pas être donné. » Conséquemment, celui qui ,
pouvant exciper de plusieurs , n’en a fait valoir qu’un
seul à l’appui de sa demande, ne peut, après avoir suc
combé, renouveler le procès et exciper des autres. Le ju
gement qui déclare le consentement sincère et régulier
s’oppose à ce qu’on soutienne plus tard le contraire.
Ainsi, il n’y a qu’une nullité en la forme, qu’une nul
lité au fond. Celui qui en excipe doit l’étayer de tous les
moyens à sa disposition, sous peine d’être non-recevable
à exciper plus tard de ceux qu’il aurait omis. Mais il est
certain que la partie qui n’en aurait fait valoir qu’un
�94
TRAITÉ PU DOL
seul en première instance est recevable à les proposer
tous en cause d’appel , l’article 464 du Code de procé
dure civile , qui prohibe en appel toute demande nou
velle, restant forcément étranger aux moyens nouveaux
à l’appui de la même demande. Or, nous venons de le
dire, chaque grief distinct, soit en la forme, soit au fond,
ne constitue qu’un moyen et non une cause.
548.
— Troisième condition. Identité de parties ,
agissant en la même qualité.
La partie qui n’a pas figuré dans une instance ne sau
rait être liée par le jugement qui l’a terminée. Mais elle
ne peut .à son tour l’invoquer. Res inter altos judicata,
neque emolumentum his qui judicio non interfuerunt,
neque prœjudicium soient irrogare. '
La présomption de vérité résultant de la chose jugée,
alors même que l’erreur en est démontrée , est certes
assez exorbitante pour qu’on doive la restreindre dans
ses bornes naturelles. Or, s’il est rationnel qu’une déci
sion souveraine règle à l’avenir les droits de ceux qui y
ont concouru, , il serait injuste de l’imposer comme loi
à ceux qui n’ont pas même été appelés à user du droit
le plus imprescriptible, celui d’une légitime défense.
A insi, la personne demeurée étrangère au jugement
est toujours recevable à soutenir et à faire prévaloir le
contraire de ce qui a été décidé. La partie condamnée
peut, elle-même, faire admettre contre cette même per1 L. 2, Cod. quibus res f ini, non nocet.
�ET DE LA FR A U D E.
93
sonne le contraire de ce qui a été admis en faveur de ce
lui qui a obtenu le jugement. L’équité, en effet, voulait
que, par cela seul qu’on ne peut être atteint par un ju
gement, on ne fût pas admis à en revendiquer le béné
fice. Cette conséquence n ’était que l’indispensable corol
laire de la première.
Vainement se récrierait-on contre le scandale de ces
décisions contradictoires. Ce scandale est plutôt apparent
que réel, car ce qui peut être vrai pour l’un peut ne pas
être vrai pour l’autre. D’ailleurs, apparent ou vrai , dit
Toullier, ce scandale ne peut être une raison suffisante
pour violer la première règle de justice et pour ine con
damner sans m’entendre, en m’appliquant un jugement
lors duquel je n’ai pu déduire les moyens qui eussent
amené une décision contraire. La disposition de l’article
1351 prouve que telle a été l’opinion du législateur.
L’exigence de l’identité des parties est donc équitable
et juste. Nous allons résumer les divers cas dans les
quels elle doit être admise.
549.
— On est partie dans un jugement, non-seu
lement par soi - même , mais encore par les personnes
qui ont qualité et droit pour nous représenter. Tels sont
les ayants-cause, les mandataires , les administrateurs
légaux.
/ 5 50. — 1° Ayant-cause :
Les héritiers , les légataires universels sont évidem
ment les ayants-cause du défunt. Ils sont censés conti-
�96
T R A IT É DU DOL
nuer son individualité. Ils ne font avec lui qu’une seule
et même personne. Dès lors si j’ai fait juger contre le dé
funt qu’une obligation que j’avais contractée envers lui
est le résultat du dol, ses héritiers ou légataires ne pour
raient plus m’actionner en vertu de la même obligation,
sans être repoussés par l’exception de chose jugée. Par
réciprocité, cette exception me serait applicable si, ayant
succombé dans ma demande contre le défunt, je voulais
la renouveler contre ses héritiers ou légataires.
5 5 1 . — Le donataire, les légataires particuliers sont,
pour tout ce qui concerne l’objet donné ou légué , au
lieu et place du donateur ou du testateur. Ils agissent
réellement, quant a ce, loco hœredum. Les jugements
rendus en faveur ou contre leur auteur conservent donc,
à leur égard, l’autorité de la chose jugée. Ils créent donc
un obstacle invincible à ce qu’ils puissent actionner ou
être actionnés à raison du même objet et pour la même
cause.
5 5 2 . — Mais si l’héritier, les légataires et donataires
sont chacun en droit soi les ayants-cause de leur auteur,
ils ne le sont nullement les uns des autres. Chacun d’eux
agit en une qualité qui lui est propre et ne saurait enga
ger l’autre que s’il en a reçu le mandat formel.
De là il résulte : 10 que la chose jugée contre un héri
tier agissant pour la part à lui obvenue dans la succes
sion, ne saurait nuire ou profiter à son cohéritier, alors
même que celui - ci agirait en vertu du même titre de
créance ayant fait la matière du premier procès.
�97
<L
Ainsi, une créance de 4000 francs est échue par moitié
au lot de Joseph et par moitié à celui de Jacques. Jo
seph actionne le débiteur pour ses 2000 francs. Celui-ci
soudent que la créance n’émane pas de lui ou qu’elle
est le résultat de manœuvres dolosives et frauduleuses.
Celle prétention est accueillie et Joseph débouté de sa
demande par un jugement qui acquiert l’autorité de la
chose jugée.
Plus tard , Jacques demande le payement des 2000
fr. qui lui sont échus. Cette demande a la même cause
que celle de Joseph , à savoir : le titre de 4000 francs
annulé par rapport à celui-ci. Mais l’exception de chose
jugée , que le débiteur voudrait tirer du premier juge
ment, est inadmissible pour deux raisons :
D’abord, parce qu’il n’y aurait pas dans les deux ins
tances identité de parties. Jacques n’est pas l’ayantcause de Joseph. Comme celui ci , il agit en Vertu d ’un
droit propre et personnel, qui n’a jamais pu se confon
dre avec celui de Joseph, et qui, dès lors n’a nullement
été agité lors du premier procès. Le jugement qui a mis
fin à ce procès reste donc pour Jacques res inter ahos
judicata, sans qu’on pût le lui opposer, tout comme il
ne pourrait en exciper lui-même pour empêcher le dé
biteur de renouveler les exceptions dont ce jugement
l’aurait déboulé. 1
De plus , il n’y a pas identité d’objets , car , comme
ET DE LA F R A U D E .
�98
T R A ITÉ DU DOL
l’observe Pothier , et après lui M. Toullier, les 2000 fr.
réclamés par Jacques ne sont pas les 2000 fr. que Jo
seph demandait. Ces deux sommes procèdent bien d’une
origine commune, mais elles se sont divisées en passant
sur la tête des héritiers et sont devenues deux capitaux
distincts , n’ayant rien de commun l’un avec l’autre.
Leur annulation ne saurait donc être prononcée que con
tradictoirement avec chacun de leur propriétaire.
Conséquemment, le débiteur ne pourra se soustraire
à la demande de Jacques qu’en faisant admettre con
tre lui les exceptions qu’il a fait consacrer à l’égard de
Joseph.
2° La chose jugée contre le légataire universel ne sau
rait être opposée aux légataires particuliers, ni leur pro
fiter, alors même qu’il s’agirait de la nullité de l’institu
tion. Ainsi, l'annulation du testament, pour cause de dol,
de captation ou pour vice de forme, serait sans influence
survie sort des légataires particuliers qui seraient demeu
rés étrangers à l’instance.
Le contraire était admis en droit romain. Mais cela
ne tenait nullement aux principes delà chose jugée ; ce
résultat n’était que la conséquence de la maxime partim
testatus,partim intestatus nemo decedere potest. Notre
loi admettant le cumul des successions testamentaires et
légales , la décision du droit romain ne pourrait être
suivie que si l’on admettait que le légataire universel
représente les légataires particuliers , et qu’il y a chose
jugée pour ceux-ci dans le jugement rendu en faveur ou
contre celui-là. Or , cela ne pourrait être consacré que
�ET DE LA F R A U D E .
9Ô
s’il y avait identité de personnes entre eux, et nous ve
nons de voir qu’on ne saurait l’admettre.
5 5 3 . — L’acquéreur est l’ayant-cause du vendeur
relativement à ce qui a fait l’objet de la vente et pour
tous les actes antérieurs au contrat. Personne ne peut
céder à autrui des droits plus étendus que ceux qu’il
possède lui-môme, et la chose grevée en mes mains ne
peut être transmise par moi qu’avec les mêmes charges.
Conséquemment , les jugements rendus contre le ven
deur , ou obtenus par l u i , nuisent ou profitent à l’ac
quéreur , il ne pourrait être attaqué ou attaquer luimême, pour tout ce qui en a fait la matière, sans que la
chose jugée fût opposable.
554. — Mais le vendeur n’est dans aucun cas l’ayant
*
cause de l’acquéreur : Julianus scribit exceptionem rei
judicatæ, a persona autoris ad emplorem transire so~
lere, rétro autem ab emptore ad autorem reverli non
debere. ' Cette décision se justifie très-bien en raison et
en droit. On n’a pas à craindre , en effet , que le pro
priétaire , qui ignore peut - être encore qu’il vendra sa
propriété, veuille laisser grever cette propriété au préju
dice d’un futur acquéreur. On est donc certain qu’iq
fera tous ses efforts pour empêcher la réussite de l’action
dirigée contre lui. D’ailleurs , l’acquéreur , au moment
de la vente , connaît ou doit connaître tout ce qui se
1 L. 9, D ig .,deexcept,
reijud.
�100
T R A ITÉ DU DOL
rattache à la propriété qu’il acquiert. Il se soumet donc,
en l’acceptant, à toutes les obligations du vendeur.
On peut dès lors, et sans injustice, le considérer com
me lié par les jugements rendus contre son vendeur.
Mais ce ne serait pas sans danger pour ses intérêts qu’on
obligerait celui-ci à accepter comme chose jugée ce qui
aurait été décidé entre des tiers et son acquéreur , pen
dant sa possession.
L’acquéreur , en effet, peut avoir intérêt à rompre
son marché, et trouver, dans la réussite des actions des
tiers ou dans l’échec de celle qu’il a lui-même formulée,
un motif de rupture. Il est évident que , en cet é ta t. il
n’apportera pas tous ses soins à assurer l’une et à re
pousser l’autre , et si la décision pouvait être définitivent obligatoire contre le vendeur , celui - ci se trou
verait souvent condamné sans avoir été réellement en
tendu.
Voilà le péril que le législateur a pressenti et qui lui
a commandé de disposer que la chose jugée contre l’ac
quéreur ne pouvait jamais refluer contre le vendeur :
Rétro autem ab emptore ad autorem reverti non potest.
Conséquemment , si la chose aliénée rentre , par la
résolution de la vente , entre les mains du précédent
propriétaire, il la recouvre telle qu’il l’avait lui - même
transmise. Toutes les charges que des tiers seraient par
venus à lui imposer disparaîtraient, sauf à ceux qui les
ont obtenues à en faire judiciairement ordonner le main
tien contre lui.
�ET DE LA F RA U D E.
101
555.
— En thèse ordinaire , les créanciers sont les
ayants-cause du débiteur. Les jugements rendus en fa
veur de ce dernier, ou contre lui, sont donc profitables
ou nuisibles aux premiers. La chose jugée contre le dé
biteur , l’est contre les créanciers. Ce principe est vrai
sans exception pour tous les créanciers postérieurs à la
date du jugement.
Quant aux créanciers antérieurs , il faut distinguer
entre ceux qui sont simplement chirographaires et ceux
dont la créance est garantie par une affectation spéciale
sur les immeubles.
Les premiers ne peuvent se soustraire à l’exception
de chose jugée qu’en soutenant que leur débiteur a agi
en fraude de leurs droits. Cette faculté, que l’article 1167
leur confère, constitue un droit personnel que le débi
teur n’a jamais pu aliéner ni altérer. Mais la fraude ne
se présumant pas , la charge d’en faire la preuve pèse
rait tout entière sur ceux qui l’allégueraient. À défaut
de justification, les jugements rendus contre le débiteur
acquerraient contre les créanciers l’autorité de la chose
jugée.
Les créanciers ayant une affectation spéciale sur les
immeubles du débiteur, c’est-à-dire les hypothécaires ou
les privilégiés, ne peuvent voir leurs droits altérés, mo
difiés ou anéantis par le fait de leur débiteur. Consé
quemment , les jugements intervenus entre celui - ci et
les tiers, relativement aux immeubles affectés, ne peu
vent jamais préjudicier aux créanciers qui n’y ont été ni
parties ni appelés.
�Sans doute , aux termes de l’art. 21215 du Code civil,
ceux qui n’ont sur l’immeuble qu’un droit suspendu par
une condition , ou résoluble dans certains cas , ou sujet
à rescision , ne peuvent consentir qu’une hypothèque
soumise aux mêmes conditions ou à la même rescision.
Aussi, la certitude de l’existence de ces conditions , ou
du principe de la rescision , déterminerait infaillible
ment la perte de tous les droits du créancier. Mais c’est
cette existence au moment de la constitution de l’hypo
thèque qu’il faut établir, et cela contradictoirement avec
le créancier. Le jugement qui a désinvesti le débiteur
prouve bien qu’il n’était pas propriétaire au moment de
la demande, mais il n’établit rien , quant au droit qu’il
pouvait avoir au moment de l’emprunt qui peut être de
beaucoup antérieur. Ce jugement ne peut donc acquérir
l’autorité de la chose jugée sur ce dernier point. Dans
tous les cas , le 'créancier , seul intéressé à justifier du
droit de son débiteur, est d’autant moins représenté par
celui-ci, qu’il peut arriver que ce débiteur trouve dans
sa dépossession un avantage tel que sa résistance n’aura
pas été sérieuse. 1
5 5 6 . — 2° Représentants conventionnels ou légaux.
Le mandataire, agissant en cette qualité, ne constitue
avec son mandant qu’une seule et même personne :
1 L. 29, § 1, Dig. de except. reijud. ; — L. 3, princ., Dig dcpif/n.
cl hypol. Conforme, Pigeau, Obi., n° 905; Toullier, t, x, n° 199; Vid-,
sur les ayants-cause, la discussion de Merlin.
�ET D E LA F R A U D E .
103
Qui mandat ipse fecisse videtur. Dès lors les jugements
rendus sur les poursuites du premier profiteront ou nui
ront au dernier , selon qu’ils auront' été favorables ou
contraires. Le mandant ne pourra 'donc plus être ac
tionné ou actionner lui-même , quant à la chose ayant
fait la matière de l’instance intentée ou suivie par son
mandataire.
Toutefois, cela n’est absolument vrai qu’en tant que
le mandant avait capacité de se faire représenter au mo
ment où l’instance a été introduite et jugée. Aussi , la
Cour de cassation a jugé, le 4 mars 1833, que le juge
ment rendu contre un capitaine de marine, comme re
présentant le propriétaire , mais postérieurement à la
faillite de celui - ci . ne peut être opposé aux syndics
comme ayant acquis l’autorité de la chose jugée , alors
qu’ils n’y ont été ni représentés ni appelés.
55 7. — Ce qui est jugé contre le tuteur , est jugé
contre le mineur : Factum tutoris, factum pupilli. En
conséquence, les personnes que le tuteur aurait fait con
damner ne seraient plus recevables à renouveler le pro
cès contre le mineur devenu majeur. A son tour, celui-ci
ne pourrait se soustraire aux adjudications prononcées
contre le tuteur, sauf le droit de se pourvoir en requête
civile dans le cas de non-suffisante défense.
5 5 8 . — Les actions intentées par le mari, soit com
me chef de la communauté, soit comme administrateur
de la d o t, sont censées jugées contre la femme malgré
�104
T R A IT É DU DOL
qu’elle n’ait pas figuré dans l’instance. Elle ne pourrait
donc plus revenir contre ce qui a été décidé, sans s’ex
poser à être repoussée par l’exception de chose jugée.
En effet , si elle n ’a pas été personnellement en cause ,
elle a été valablement représentée par son mari, autorisé
à agir pour elle et à l’engager.' Mais le mari serait tenu
de l’indemniser des pertes que sa négligence aurait oc
casionnées pour elle.
559.
— Ce qui est jugé entre la femme et un tiers
ne l’est pas entre elle et son mari , présent dans l’ins
tance pour l’assister et l’autoriser , ou comme exerçant
ses actions. C’est ce que la Cour de cassation a formel
lement consacré dans l’espèce suivante :
« Après le décès d’un sieur Rousseau, laissant des en
fants mineurs, un jugement du 18 pluviôse an vin, avait
délaissé à la veuve, en payement de ses reprises , divers
immeubles dépendants de la succession de son mari. La
veuve Rousseau, épousant le sieur Fresnais, se constitua
ces immeubles comme lui étant propres, avec stipulation
expresse de remploi en cas d’aliénation.
« La terre de Varennes, un de ces immeubles , ayant
été vendue par les époux, ils ont acquis les domaines de
Douet et de Redefond, avec déclaration de l’origine des
deniers et de remploi au profit de la femme.
« Plus tard, les mineurs Rousseau, devenus majeurs,
ont fait annuler la liquidation de l’an vm. Cette nullité,
�ET DE LA F R A U D E .
105
prononcée par un jugement de 1820 , a été confirmée
par arrêt de la Cour de Rennes , du 31 mai 1821. La
restitution des immeubles a été faite aux enfants.
« En cet état, les époux Fresnais ayant fait prononcer
leur séparation de corps, il s’est agi de savoir si les do
maines de Douet et de Redefond , acquis en remplace
ment de celui de Varennes, dont la femme a été évincée,
devait appartenir à cette dernière , sans récompense ,
comme elle le soutenait, ou bien si , au contraire , ces
biens devaient être réputés conquêts de communauté ,
comme le prétendait le mari , en excipant de la chose
jugée résultant de l’arrêt du 31 mai 1821.
« C’est dans ce dernier sens que se prononce le tri
bunal d’Angers , par jugement du 2 juillet 1822 , con
firmé par arrêt de la Cour d’appel de la même ville, du
12 mars 1823.
« Mais, sur le pourvoi de la dame Fresnais , l’arrêt
de la Cour d’Angers est cassé par la Cour de cassation ,
pour fausse application des principes relatifs à la chose
jugée.
« Attendu, dit la Cour suprême , que s i , parles ju
gement et arrêt des 22 février 1820 et 31 mai 1821, la
liquidation du 18 pluviôse an vin, formant le titre delà
dame Fresnais, a été révoquée sur la réclamation de ses
enfants, tout ce qui en résulte, c’est que les droits dont
elle a longtemps joui ont été reconnus appartenir à ces
mêmes enfants, comme héritiers de leur père; qu’en exé
cution de ces jugements, pouvait s’élever la question de
savoir si les enfants avaient droit de revendiquer les
�106
T R A ITÉ DU DOL
biens que leur mère avait acquis à titre de rem ploi, ou
seulement ceux qu’elle s’était constitués propres et qu’elle
avait aliénés ; mais que cette question ne pouvait être
agitée qu’entre la mère et les enfants qui, seuls, avaient
figuré dans ces jugements et q u i, seuls, avaient qualité
pour soutenir les débats auxquels ils pouvaient donner
lieu ; mais que le sieur Fresnais, qui n’avait paru dans
l’instance sur la liquidation de l’an vm, personnelle à la
mère, que du chef de sa femme et comme exerçant ses
droits, ne pouvait pas personnellement se faire un titre
de ces jugements de 1820 et 1821 , rendus en faveur
des enfants, sans exciper , contre toute règle , du droit
d’autrui. ' »
La Cour de renvoi s’étant conformée à la doctrine de
la Cour de cassation, Fresnais se pourvut contre l’arrêt,
mais son pourvoi fut rejeté le 23 novembre 1826.
560.
— Le fondement légal et juridique de cette doc
trine est la maxime que la chose jugée avec autrui , ne
saurait profiter ou nuire: Res judicata aliis necnocet,
nec prodest. Or, la prétention du mari de s’enrichir par
l’effet du jugement qui avait dépouillé la mère au profit
des enfants , était insoutenable. Tant que ces derniers
n ’avaient pas revendiqué les biens et que leur mère les
possédait matériellement, ces biens étaient, par rapport
à l’époux, soumis à la loi du contrat de mariage. Les en
faire sortir en faveur d’un jugement ne prononçant au -
�ET DE LA F 1 U U D E .
107
cune adjudication au profit de l’époux, c’était réellement
abuser du principe de la chose jugée, ou tout au moins
en faire la plus étrange application. L’arrêt de la Cour
d’Angers méritait donc la censure dont il fut l’objet.
5 6 1 . — Les syndics d’une faillite sont les adminis
trateurs légaux des biens en dépendant. Ils représentent,
quant à ce, le failli et les créanciers. Les jugements ren
dus contre eux ou obtenus à leur requête constituent donc
la chose jugée en faveur ou contre le failli et les créan
ciers ; et si le premier reprend plus tard l’exercice de ses
actions, s’il est remis à la tête de ses affaires, il n’en de
meure pas moins obligé d’exécuter ces jugements , tout
comme il serait en droit d’en recueillir le bénéfice.
5 6 2 , — Relativement aux créanciers, les syndics ne
les représentent que pour les rapports que chacun d’eux
peut avoir avec la faillite qu’ils administrent. De là cette
conséquence : que les jugements rendus contre les syn
dics n’affectent que les droits que les créanciers ont contre
la masse. C’est ce que la Cour de cassation a explicite
ment consacré en décidant que les jugements qui condam
nent les syndics à satisfaire à une obligation par eux prise
au nom de la masse, n ’ont pas l’autorité de la chose ju
gée contre les créanciers personnellement ; que leur exé
cution ne peut être poursuivie contre ces créanciers que
jusqu’à concurrence des forces de la faillite. 1
) Cass., 47 mars 4840. — J. D. P., t. i, p. 546,
�108
TRAITÉ DU DOL
De là il résulte encore que les droits des créanciers
hypothécaires ou privilégiés, se trouvant placés en dehors
des éventualités de la liquidation, ne peuvent être modi
fiés, altérés ou aliénés que par ces créanciers eux-mêmes.
Conséquemment, les jugements obtenus contre ou par les
syndics , au préjudice de ces droits , ne pourraient être
opposés aux créanciers comme constituant l’autorité de
la chose jugée. '
563- —• Les syndics étant les continuateurs du failli,
tous les jugements antérieurs à la faillite doivent être res
pectés par eux. Ils ne pourraient remettre en question
ce qui en fait l’objet sans être repoussés par l’exception
de chose jugée, sauf les cas de fraude spécialement pré
vus par les lois concernant les faillites.
564.
— Il n’y a réellement aucune identité de per
sonnes entre le débiteur principal et la caution. Il sem
blerait dès lors que la chose jugée avec l’un ne devrait
ni nuire ni profiter à l’autre. Cependant le droit romain
décidait nettement le contraire,2 et cette solution avait été
pleinement admise par notre ancienne jurisprudence.
« La raison , dit Pothier , c’est que : la dépendance
de l’obligation d’une caution de celle du débiteur prin
cipal , à laquelle elle a accédé , fait regarder la caution
comme étant la même partie que le débiteur principal ,
i Cass. 11 mars 1825.
? L. 21, S 4. Dig. de exeepl. reijucl.
�ET DE LÀ FR A U D E.
109
à l’égard de tout ce qui est jugé pour ou contre celui-ci.
C’est pourquoi si le débiteur principal a eu congé de la
demande du créancier, pourvu que ce ne soit pas sur des
moyens personnels à ce débiteur principal, la caution ,
depuis poursuivie, peut opposer au créancier l’exception
rei judicatce.
« Le créancier ne peut, en ce cas, répliquer que c’est
res inter alios judicata. Car, étant de l’essence du cau
tionnement que l’obligation de la caution dépende de
celle du débiteur principal, qu’elle ne puisse devoir
que ce qu’il doit, qu’elle puisse opposer toutes les ex
ception in rem qui peuvent être par lui opposées, il
s’ensuit que tout ce qui est jugé en faveur du débiteur
principal est censé l’être en faveur de la caution, qui
doit à cet égard être censé la même personne que lui.
Vice versa, lorsque le jugement a été rendu contre le
débiteur principal, le créancier peut l’opposer à la cau
tion et demander qu’il soit exécutoire contre elle. »
Les articles 2036 et 2250 du Code civil prouvent que
ces règles sont passées dans le droit qui nous régit. Le
premier autorise la caution à opposer au créancier tou
tes les exceptions appartenant au débiteur principal et
qui sont inhérentes à la dette. Or, de toutes les excep
tions, celle de la chose jugée, ayant anéanti la dette est
la plus importante, la plus décisive. Elle appartient in
contestablement au débiteur principal, on ne saurait dès
lors la refuser à la caution sans violer l’article 2036.
Vainement dirait-on que c’est là une exception per
sonnelle au débiteur, que la loi défend à la caution d’in-
�110
TRAITÉ DU DOL
voquer. Il n’y a d’autres exceptions de ce genre que cel
les exclusivement attachées à la personne et résultant
d’une qualité qu’elle seule peut invoquer. Ainsi l’état de
femme mariée, de mineur, d’interdit, etc......, c’est là
un motif de nullité de l’obligation, mais de nullité rela
tive. La caution pourra d’autant moins s’en prévaloir,
que son engagement tient peut-être à la connaissance
de l’incapacité du débiteur principal et au désir du cré
ancier de se soustraire ainsi au danger qu’il redoute. Si
donc le jugement avait annulé l’obligation du débiteur
principal sur une de ces causes, la caution ne pourrait
l’invoquer. Alors, mais alors seulement, il s’agirait d’une
exception exclusivement personnelle au premier.
D’autre part, l’article 2250 dispose que l’interpella
tion faite au débiteur principal, ou sa reconnaissance ,
interrompt la prescription contre la caution. « Il résulte
évidemmentde cet article, dit Merlin,' que dans les pour
suites exercées contre le débiteur principal, et dans les
actes qui de sa part, tendent à les prévenir, la caution
est considérée par la loi comme ne formant avec lui
qu’une seule et même personne; comme représentée par
lui; et de là à la conséquence que le jugement rendu
contre le débiteur principal est censé rendu contre la
caution, il n’y a qu’un pas qu’il est impossible de ne
pas franchir. » Telle est aussi l’opinion de Toullier.’
Merlin et Toullier admettent donc que ce qui a été jugé
1 Quest. de droit, v° Chose jugée. S 18.
�;4
v,;> . ;
,■/
•';< ,
ET DE LA FRAUDE.
;
111
par rapport à la dette, contre le débiteur principal, réflé
chit directement contre la caution, et de là ils concluent
avec raison qu’à défaut d’appel de la part de l’un, l’autre
pourra l’émettre de son chef, dans les trois mois de la
signification du jugement qui lui serait faite à personne
ou à domicile. Mais de là aussi résulte l’impossibilité
pour la caution de former tierce-opposition au jugement.
Le contraire, admis par la Cour de Lyon, a été repoussé
par la Cour de cassation.1 Toutefois, et aux termes de
la doctrine de la Cour suprême, cette impossibilité n’e
xiste que pour le cas où la tierce-opposition reposerait
sur des moyens communs avec le débiteur principal,
déjà soumis au juge et appréciés par lui. Si les moyens
étaient purement personnels à la caution, la tierce-op
position serait recevable.
La caution ne représente dans aucun cas le débiteur
principal. Dès-lors les jugements rendus en sa faveur ou
contre elle ne sauraient être opposables ou profiter à
celui-ci. L’identité des parties requise par l’article 1351
n’existerait pas dans les deux instances. Il ne pourrait
donc y avoir chose jugée,
Cette règle ne souffre aucune exception lorsque la cau
tion a été condamnée. Elle en comporte une dans l’hy
pothèse contraire. En effet, si le jugement déclare que la
caution est libérée parce qu’elle a payé la dette, le débi
teur principal pourrait s’en prévaloir par un double mo
tif: 1° parce que le payement a anéanti la dette vis-a-vis
i 27 novembre \ 811,
�412
TRAITÉ DU DOL
du créancier, qui ne saurait prétendre être payé par le
débiteur après l’avoir été par la caution; 2° parce que le
jugement qui constate que celle - ci a payé lui donne le
droit de se faire rembourser par le débiteur. Ce jugement
équivaut donc à une cession de la part du créancier,
car il transfère , à proprement parler, la créance sur la
tète de la caution, qui peut seule, à l’avenir, en deman
der et en poursuivre le payement.
Dans tous les autres cas, la libération obtenue par la
caution reste sans influence sur le sort du débiteur prin
cipal. Le jugement demeure pour celui-ci res inter alios
judicata, et il peut être condamné tandis que la caution
a été renvoyée de l’instance. Il n’y aurait même là rien
de contradictoire, car l’engagement de la caution peut
être irrégulier et nul, et la dette du débiteur exister très
légalement. Il reste donc nécessairement obligé tant
qu’un jugement ne l’a pas personnellement et contradic
toirement délié de ses obligations.
565.
— Les débiteurs solidaires sont les représen
tants les uns des autres. Celui qui paye fait la chose de
tous, agit pour tous , et cette faculté il la puise dans les
principes régissant la solidarité. La dette solidaire n’est
qu’une seule et même dette , ceux qui l’ont contractée
se sont réciproquement donné le mandat d’agir un seul
pour tous. Le jugement rendu en faveur ou contre l’un
d’eux est donc censé rendu en faveur ou contre tous les
autres.
Cette conséquence nous paraît résulter expressément
�ET DE LA FRAUDE.
113
de divers texes de lois. Ainsi l’article 1206 dispose que
les poursuites contre l’un des débiteurs solidaires inter
rompent la prescription à l’égard de tous les autres; l’ar
ticle 2249 ajoute que l’interpellation faite, conformé
ment aux articles ci-dessus, à l’un des débiteurs soli
daires, ou sa reconnaissance, interrompent la prescrip
tion à l’égard de tous les autres. Enfin nous lisons dans
l’article 1365 que le serment déféré à l’un des débiteurs
solidaires profite à tous les autres.
C’est cependant dans cet article qu’on a voulu puiser
un argument en faveur de l’opinion contraire. Le légis
lateur, a-t-on dit, se tait sur l’effet du serment déféré
par l’un des débiteurs solidaires, il n’admet donc pas
qu’il puisse lier les autres codébiteurs. D’où la consé
quence que si le débiteur solidaire peut améliorer la
position des autres débiteurs, il ne peut jamais la ren
dre plus mauvaise ; dès lors, tout en profitant du juge
ment favorable à leur codébiteur, les débiteurs solidai
res ne devraient pas être atteints par le jugement ayant
condamné celui-ci.
Les articles 1206 et 2249 répondent suffisamment à
ce qui fait la force principale de cette objection. L’un et
l’autre, en effet, prouvent que les actes faits avec, par
ou contre le débiteur solidaire, obligent les autres codé
biteurs. Le dernier reconnaît formellement au codébi
teur solidaire la faculté de priver ses codébiteurs du
bénéfice de la prescription et d’empirer ainsi leur posi
tion. On ne saurait donc, sous le prétexte d’un résultat
semblable, décider que le jugement rendu contre l’un
�114
TRAITÉ DU DOL
doit rester étranger à tous les autres. On fait très-lé
galement, par l’intermédiaire de la justice, ce qu’il
est permis de faire spontanément et volontairement.
Tout ce qui résulte de l’article 1365, c'est que la loi
a positivement exclu la délation du serment des actes
que le codébiteur solidaire peut faire au nom et dans
l’intérêt de tous les autres débiteurs. Le fondement de
cette exclusion est très-rationnel, car le mandat qui ré
sulte de la solidarité est celui de se défendre mutuelle
ment par rapport à la dette commune. Or, déférer le
serment, c’est renoncer à toute défense ; c’est, en quel
que sorte, donner sous condition ', et, par conséquent,
agir en dehors des limites du mandat.
Ainsi, l’article 1365 considère la délation du serment
par le débiteur du même œil que la remise consentie
par l’un des créanciers solidaires ; et de même que cette
remise ne comprend que la part de ce créancier5, de
même le serment déféré et accepté n’a d’effets qu’à l’en
contre du débiteur. Mais une exception, résultant d’ail
leurs d’un texte précis, n’a jamais eu pour effet de dé
truire la règle, elle la confirme au contraire, car sans
celle-ci l’autre était complètement inutile. Or, la règle,
en notre matière, étant que le débiteur solidaire agit
pour tous les autres codébiteurs, la conséquence à en
tirer, c’est que le jugement régulièrement obvenu con
tre l’un, produit tous ses effets contre les autres.
i Merlin, loco cilato.
�ET DE LA. FRAUDE.
115
Bien entendu, au reste, que cela ne se produit que
pour les moyens communs et inhérents à la dette, car
les exceptions personnelles à chacun des débiteurs soli
daires ne pouvant,. aux termes de l’article 1208, être
invoquées que par lui, échappent forcément à l’autorité
du jugement, dans lequel celui qui est au cas de les faire
valoir n’a pas personnellement figuré. Il serait donc
toujours recevable à en exciper. Il pourrait même,
dans cet objet, former tierce-opposition au jugement'.
566.
— L’identité de parties exigée par la loi s’en
tend moins de leur condition physique que de la qua
lité en laquelle elles ont agi. Celui qui a figuré au pro
cès par le ministère d’un tiers a été réellement la seule
partie intéressée. Il serait donc non-recevable à intenter
plus tard la même demande aussi bien que s’il avait
nommément et personnellement agi. Par une juste et
nécessaire réciprocité, celui qui n ’a soutenu le litige que
comme mandataire d’un autre, pourra ultérieurement
demander, en son nom propre , l’objet qui faisait la
matière du procès déjà jugé. Il est évident, en effet,
qu’exercer un droit au nom et dans l’intérêt exclusif
d’un tiers, ce n’est renoncer ni directement, ni indirec
tement au droit analogue qui peut vous appartenir per
sonnellement et sur lequel d’ailleurs le juge n’a pu ni
dû prononcer.
i Conforme, Merlin, loco cilato ; — Toullier, tom. x, n° 202 ; —
Pothier, n» 909.
�116
TRAITÉ DU DOL
La même personne peut avoir deux droits qu’elle
nlest pas toujours obligée de cumuler lorsqu’elle pré
tend les exercer. Or, chacun de ces droits peut puiser
sa source dans une qualité différente. L’existence de
ces qualités autorise donc autant d’instances dis
tinctes.
567.
— Ainsi je revendique un immeuble en vertu
d’un droit personnel. Je succombe. Plus tard, j’hérite
d’un tiers ayant sur cet immeuble un droit analogue à
celui que j’ai vainement réclamé. Je réalise de nouveau
l’action en revendication. Dans cette instance, comme
dans la première, la chose demandée sera la même, la
cause pourra être identique. Les parties seront physi
quement les mêmes; cependant l’exception de chose
jugée ne sera pas recevable, parce que j’agis dans la se
conde en une qualité différente de celle que j’avais
dans la première. Le droit que j’y exerce ne m’appar
tenait pas dans l’origine, il reposait sur la tête de la
personne que j’ai été appelé à représenter. Elle pouvait
l’exercer sans craindre qu'on pût lui opposer le résultat
de la demande que j’avais intentée et à laquelle elle était
demeurée étrangère. Or, ce qu’on ne pouvait faire con
tre elle, on ne le pourrait contre m o i, lorsque, ap
pelé à lui succéder, je fais valoir l’action qui lui appar
tient.
C’est par application de ce principe que l’ayant-cause
peut quelquefois revenir sur la chose jugée avec son
auteur. C’est ce que la Cour de Toulouse a justement
�ET DE LA FRAUDE.
117
admis en jugeant, le 16 juin 1836, que lorsqu’un indi
vidu a été déclaré non-recevable à attaquer, pour cause
de simulation, un acte de vente par lui consenti, ses
enfants peuvent néanmoins, sans qu’on puisse leur op
poser l’autorité de la chose jugée sur l’action intentée
par leur auteur, attaquer ce même acte de vente comme
contenant une donation déguisée dont ils demandent la
réduction. En effet, les enfants ont, pour tout ce qui
concerne leur réserve, un droit propre et personnel,
dont le père n’a jamais eu la disposition et qu’il n’a pu
ni altérer ni détruire. Ils ne peuvent, dès lors, être
considérés, quant à ce, comme les ayant-cause de leur
père, et, en cette qualité, liés par l’événement de l’ins
tance qu’il a soutenue.
En thèse ordinaire donc, chacun peut renouveler au
tant de fois l’action qu’il a de droits distincts, il peut,
après avoir succombé en son propre, agir comme re
présentant celui-ci, revenir ensuite comme l’ayantcause de celui-là. Il y a, en effet, autant de droits dif
férents qu’il y a de personnes distinctes, et chacun de
ces droits fournit une cause prochaine à l’action. Mais
nous supposons, dans cette hypothèse, que ces divers
droits ne se sont ouverts que successivement. Il en serait
autrement si, avant l’introduction de la première ins
tance, ils reposaient tous sur la tête du poursuivant.
La confusion qui en serait résultée substitue aux droits
particuliers un droit unique, un patrimoine exclusif,
personnel à l’héritier, et à raison duquel il ne saurait
intervenir qu’un seul jugement, par la raison qu’il ne
�118
TRAITÉ DU DOL
pourrait jamais exister qu’une seule action : Non enim
potest amplius duas separatim movere, illœ enim ac~
tiones non sunt amplius separatœ, cum in eadem per sonna concurranl 1.
La confusion de deux héritages amène donc celles
des qualités. Il n’y a plus de droit particulier au père,
à la mère dont on a hérité, et de droit personnel à l’hé
ritier. Celui-ci ‘existe désormais seul et comprend de
plein droit tous les autres. D’où la conséquence que le
jugement intervenu sur une action intentée postérieu
rement à la confusion rend toute action ultérieure nonrecevable, alors même qu’on prétendrait l’exercer en
qualité d’héritier de tel ou tel. Le successeur, dit Toullier, doit et peut appeler au secours de son action tous
les moyens capables d’en assurer le triomphe, mais il
ne peut pas plus séparer les qualités d’héritier de son
père, de sa mère, qu’il ne pourrait séparer celles d’hé
ritier de son aïeul, de son aïeule, d’un oncle, d’un
frère, etc..., car si l’on admettait de pareilles sépara
tions fictives, quel serait le terme du procès2?
Cet effet particulier de h f confusion cesserait si celleci ne s’est pas opérée. Or, on sait que l’acceptation bé
néficiaire empêche toute confusion. Dès lors, l’héritier
qui aurait réalisé cette acceptation serait à l’instar de ce
lui qui n ’a recueilli les diverses successions que succes-
1 Pothier, Panel., liv. 46, t. 3, § I; — vid. L. 10, Di g., de act.
empt.
2 T. x, n» 214.
�ET DE LA FRAUDE.
119
sivement. Il pourrait donc exercer autant d’actions qu’il
y a de droits différents, sans qu’on pût lui opposer l’ex
ception de chose jugée sur l’une d’elles.
568.
— Telles sont les conditions exigées par l’ar
ticle 1351, conditions impérieuses et dont la réunion
peut seule constituer l’autorité de la chose jugée. Ces
conditions doivent être rigoureusement observées, car
l’action est de droit commun, et, dans le doute, c’est
en sa faveur qu’on doit se prononcer.
Cependant la jurisprudence a introduit une exception
quant à l’identité de parties. Elle a admis que l’ins
tance, suivie de bonne foi et sans collusion avec l’héri
tier apparent, créait la chose jugée en faveur et contre
l’héritier réel. Cette exception est juste en équité et en
raison. L’héritier apparent exerce valablement les ac
tions de la succession, on est obligé de s’adresser à lui,
comme de répondre à son attaque ; et, puisque cette
obligation n ’est que la conséquence de la négligence de
l’héritier réel, il ne serait pas rationnel de punir les tiers
en les rendant victimes de cette négligence.
La Cour d’appel de Pau a admis le principe à l’en
droit du propriétaire apparent. Elle a en effet décidé
que les jugements rendus sans collusion contre le pos
sesseur jouissant de tous les droits attachés à la pro
priété ontl’autorité de la chose jugée contre le véritable
propriétaire qui ne s’est fait connaître qu’après la déci
sion du procès, qu’en conséquence celui-ci n’est pas re
cevable à les attaquer parla voie de la tierce-opposition.
�V, \
120
.
TRA ITÉ DU DOL
Voici les motifs puissants à l’aide desquels la Cour ar
rive à cette solution :
« Attendu qu’il est de principe que le possesseur est
de droit réputé propriétaire de la chose possédée ; tant
que le propriétaire ne se présente pas ; que puisque le
possesseur jouit de tous les droits attachés à la pro
priété, il en résulte du moins que les actes qu’on est
contraint de faire avec lui ou contre lui, relativement à
la chose possédée, doivent être valables ; qu’ainsi l’ar
ticle 1240 du Code civil, en renouvelant les dispositions
du droit romain, a déclaré que le paiement fait de
bonne foi à celui qui est en possession de la créance
est valable, encore que ce possesseur en soit plus tard
évincé ; que par la même raison ceux qui ont des droits
à exercer, relativement à la chose possédée, doivent
pouvoir s’adresser au propriétaire apparent, tant que le
véritable propriétaire reste inconnu. Que, s’il en était
autrement, et que l’on fût obligé de recommencer avec
les propriétaires qui étaient restés cachés, les procès
jugés contradictoirement avec les propriétaires appa
rents, le litige pourrait devenir interminable au moyen
de mutations successives et secrètes; enfin, les deman
deurs pourraient se. trouver exposés à voir s’écouler,
pendant le cours des procédures vaines, un temps assez
grand pour éteindre leur action ou faire disparaître
leurs preuves ; qu’un tel système, qui porterait le trou
ble dans la société, est reprouvé par la justice, par la
jurisprudence et par l’opinion commune des auteurs »
/, i 4 juillet 4823.
�ET DE LA FRAUDE.
121
569.
— Eu résumé, la chose jugée, n’étant qu’une
exception, doit être sévèrement appréciée. Elle ne p e u t
être admise que dans les conditions que nous venons
d’examiner. Si ces conditions se rencontrent, toute nou
velle action est impossible, la première sentence ayant
complètement épuisé le litige et enlevé au magistrat son
caractère de juge : Judex postea quam semel sententiam
dixit, postea judex esse desinit '. Cet effet ne se réalise
pas seulement à l’égard des juges qui ont rendu la sen
tence, il régit tous les tribunaux français. Quel que fût
donc le juge investi de la connaissance du second litige,
il ne pourrait passer outre à l’examen et au jugement,
en présence de l’exception de chose jugée , soulevée par
une des parties.
Cette exception ne constitue dans tous les cas qu’un
avantage que la partie peut répudier. Le juge n’est donc
pas tenu de la consacrer d’office et de suppléer au si
lence de la partie. Il n’en est pas de même en matière
criminelle, la règle non bis in idem doit être toujours
rigoureusement appliquée. Le jugement qui l’aurait vio
lée, alors même qu’aucune des parties ne l’a invoquée,
n’échapperait pas à la censure du degré supérieur ou à
celle de la Cour de cassation.
1 L. 55 et 62, de rejud.
�m
TRAITÉ DU DOL
SECTION II.
De la ratification.
S O M M A IR E .
O
I
570.
571.
572.
573.
574.
575.
576.
577.
578.
579.
580.
581.
582.
583.
584.
585.
586.
Définition de la ratification faisant la matière de la sec
tion.
Fondement juridique de cette fin de non-recevoir.
Principes généraux qui la régissent.
'
1*r principe. Capacité de la partie.
2"“ principe. Vice purement relatif à l ’intérêt privé.
3“” principe. Acte nul ou sujet à rescision.
Doit-on placer dans cette catégorie l ’acte non signé par
toutes les parties ? Controverse entre Merlin et Toullier
d’une part, et ZacchariædeFautre.
Jurisprudence.
4"° principe. Effet rétroactif de la ratification.
5"“ principe. Liberté dans le consentement.
Conditions de la validité de la ratification expresse.
1° Elle doit rappeler la substance de la convention.
2“ L’existence du vice.
Conséquences de cette condition à l’endroit des vices au
tres que celui mentionné. Opinion de M. Favard deLanglade.
Réfutation.
La ratification pour lésion exclut tout reproche ultérieur de
violence.
Mais non pour le reproche de dol.
�ET DE LA FRAUDE.
123
587.
Quid, si la ratification émanait de l’héritier de celui qui a
été violenté ou trompé ?
588. 3° Elle doit rappeler l ’intention de corriger le vice.
589. L ’acte de ratification n ’est soumis à aucune forme détermi
née.
590. Exception lorsque l ’acte à ratifier exige la forme authen
tique.
591. La ratification imparfaite peut être complétée.
592.
Mais l’acte imparfait ne peut servir de commencement
de preuves par écrit, ni autoriser la preuve testimo
niale.
593. La ratification résultant de l ’exécution est assimilée à la ra
tification expresse.
594. Caractères de cette exécution.
595. 1« Actes devant la constituer.
596.
597.
598.
599.
600.
601.
602.
603.
604.
605.
606
607.
608.
L ’existence des faits d’exécution est laissée à la prudence
du juge.
L’acte d’exécution doit être personnel.
Positif et non équivoque.
Des offres de paiement non acceptées ne contiendraient pas
ratification.
Il en serait de même d’une mesure conservatoire réalisée
avant la demande en nullité.
L’exécution partielle suffit pour qu’il y ait ratification.
2° L’exécution doit être volontaire.
Effet de l’erreur de droit, quant à la ratification.
Opinion de Toullier sur la ratification obtenue sous l ’in
fluence de la menace d’une contrainte ou d’un procès.
Vices de cette doctrine.
3° Epoque à laquelle l ’exécution volontaire entraîne ratifi
cation.
Questions que soulèvera ordinairement le litige.
A qui incombe la charge de prouvèr que la ratification a été
utilement donnée?
�124
TRAITÉ DU DOL
609.
L’exécution volontaire, après la connaissance du vice dont
cet acte est entaché, emporte l’intention de purger ce
vice.
610. Quid, si l’exécution découle de la nature de l ’acte ?
611. Le paiement intégral ou partiel d’une lettre de change ou
de tout autre effet négociable, entre les mains du tiersporteur, n ’est point une ratification.
612. Les principes applicables aux obligations s’appliquent aux
libéralités.
5 7 0 . — En droit, la ratification obéit à des princi
pes différents, selon qu’elle s’applique à un acte vala
blement fait au nom et dans l’intérêt d’un tiers, ou à
une convention que les parties contractantes peuvent
faire rescinder ou annuler. La première est régie par
l’article 1998 du Code civil, la seconde par l’article
1338. C’est de cette dernière que nous nous occupons
exclusivement.
Dans le sens de l’article 1338, ratifier un traité, c’est
en reconnaître la légitimité ; c’est consentir à ce qu’il
soit exécuté dans un temps plus ou moins prochain.
Toute prétention ultérieure, tendant à contester l’une ou
à empêcher l’autre, serait donc essentiellement contraire
à l’acte de ratification. Cette contradiction rendrait l’ac
tion non-recevable.
5 7 1 . —■ Cette fin de non-recevoir a son fondement
juridique dans ce principe : qu’il est loisible à chacun
de renoncer à un droit existant à son profit. Or celui
qui, pouvant faire annuler ou rescinder une obligation,
�ET DE LA FRAUDE.
125
consent à en resserrer le lien ou, mieux encore, à l’exé
cuter, ne saurait prouver plus énergiquement qu’il en
tend répudier la faculté de décliner les conséquences de
son engagement.
Aussi le législateur a-t-il placé sur la même ligne la.
ratification expresse, résultant de l’acte de reconnais
sance ou de confirmation de l’obligation nulle ou res
cindable, et la ratification tacite que l’exécution entraîne
par elle-même, c’est ce que consacre textuellement l’ar
ticle 1338, en indiquant les caractères et les conditions
de chacune d’elles.
572.
— Avant d’entrer dans l’examen de ces condi
tions, il n’est pas sans intérêt de rappeler quelques
principes généraux qui doivent les régir, nous arrive
rons ensuite aux caractères constitutifs, particuliers à
chaque espèce de ratification.
5 7 5 .— Premier principe. La ratification renfermant
l’aliénaion d’un droit, il faut, pour être capable de ra
tifier, avoir la capacité d’aliéner. Ainsi le mineur, l’in
terdit, la femme mariée, dans les cas prévus par la loi,
ne peuventlégalement ratifier tant qu’ils sont dans les
liens de la minorité, de l’interdiction, du maraige.
■.«ïji®
.
5 7 4 .— Deuxième principe. Le vice dont on entend
purger le contrat doit être uniquement relatif à l’intérêt
privé des parties. La ratification s’appliquant à une
nullité d’ordre public" serait complètement inefficace.
-A
I1
1
�126
TRAITÉ DU DOL
Atteinte du même vice que l’obligation primordiale,
elle n’échapperait pas au sort que la loi réservait à
celle-ci
Il ne dépend pas, en effet, des parties de modifier les
dispositions sanctionnées dans un intérêt général et pu
blic. Tout ce qu’elles feraient à cet égard ne créerait
aucun lien entre elles. Il leur serait donc toujours loi
sible d’en faire prononcer l’infirmation. L’obligation
illicite ou contraire aux bonnes mœurs, nulle en prin
cipe, ne saurait être validée par l’effet de la confirmation
émanant de la même volonté qui eût été impuissante à
la consentir ad initio. Or, ce que la volonté clairement
exprimée ne pourrait faire, la volonté présumée ne sau
rait l’accomplir. L’impossibilité de ratifier expressément
entraîne de plein droit celle de ratifier tacitement. Aussi
l’exécution jusque là donnée, soit à la convention nulle
aux yeux de Tordre public, soit à des conventions de
même nature, ne pourrait empêcher la consécration de
la nullité, dès qu’elle serait demandée, Ces divers points
de doctrine, consacrés par les auteurs, résultent d’une
jurisprudence imposante.
Ainsi il a été jugé que la ratification faite par un in
dividu devenu majeur, d’une condamnation avec con
trainte par corps, prononcée contre lui en minorité, est
radicalement nulle quant à la contrainte par corps'.
Qu’on ne peut admettre, comme une raison de vali
der un marché à terme illicite, l’exécution volontaire et
«
1 Rouen, 18 novembre 1825,
�BT DE LA FRAUDE.
127
de bonne foi donnée précédemment à des conventions
de même nature
Que l’exécution, novation ou ratification d’acte ayant
une cause illicite, telle que l’usure, ne couvre pas la nul
lité de ces actes’ .
Il est évident, en effet, que, dès que la tentative de
frauder la loi ne saurait produire aucun effet, on ne pou
vait, sans inconséquence, valider les moyens à l’aide des
quels les parties ont voulu pallier, dénaturer ou con
sommer la fraude. La prohibition de la loi qui proteste
contre la contravention, proteste aussi formellement
contre son exécution. Quelle que soit donc celle qu’elle a
reçue, et, en supposant même que ce qui aurait été payé
ne fût pas répétible, la demande en nullité pour l’avenir
ne devrait pas moins être consacrée.
Ainsi, le débiteur ayant exécuté partiellement, sera
recevable à répudier la partie de ses engagements qui
reste encore à accomplir, à une condition cependant, à
savoir: que le motif d’ordre public déterminant la nullité
ait continué d’exister. Si ce motif n’était que temporaire,
et s’il avait cessé d’exister au moment où la conven
tion a été exécutée en tout ou en partie, cette exécution
pourrait constituer une ratification valable et créer une
fin de non-recevoir contre l’action en nullité ultérieure
ment intentée.
La loi prohibe tout pacte sur succession future, toute
. 1 Lyon', 31 décembre 1832.
2 Cass., 31 décembre 1833.
�•Tft»
128
TRAITÉ DU DOL
renonciation à la succession d’un homme encore vivant.
Cette prohibition est d’ordre public; mais elle n’est aussi
que temporaire. La succession venant à s’ouvrir, ceux
qui sont appelés à la recueillir sont libres d’en disposer
à leur volonté. Jusque là le pacte ou la renonciation
illicite n’a pu être ratifiée ni confirmée, mais elle peut
l’être dès ce moment, puisque le droit de l’attaquer
peut utilement être exercé. Conséquemment s i , au lieu
d’user de ce droit, la partie intéressée ratifie le pacte
confirme la renonciation; si elle exécute les obligations
qui résultent de l’un ou l’autre, elle ne saurait revenir
contre cette ratification. Vainement exciperait-elle du
caractère primitif de l’acte. On lui répondrait, avec
raison, qu’après l’ouverture de la succession, l’ordre
public n’avait plus rien à démêler avec les stipulations
dont cette succession pouvait être l’objet; que libres
de traiter, les parties ont pu maintenir ce qu’elles
avaient déjà fait; qu’il suffit donc que le pacte réprouvé
dans l’origine ait été exécuté depuis le moment où la
prohibition d’ordre public s’est effacée pour qu’il doive
produire tous ses effets
5 7 5 . — Troisième principe. On ne peut ratifier
qu’un acte nul ou sujet à rescision. La ratification sup
pose donc l’existence d’une obligation reconnue par le
droit positif. D’où Zacchariæ 'tire cette conséquence ;
1 Rouen, 30 décembre 1823; — Cass., 11 août 1825; — Grenoble,
25 mars 1831 ; — in fr à 648, 1365 et suiv.
-
�ET DE LA FRAUDE.
129
qu’on ne peut ratifier une obligation naturelle ou une
obligation inexistante.
576.
— Doit-on ranger dans cette dernière catégorie
l’obligation non revêtue de la signature de toutes les
parties? L’affirmative, soutenue par Merlin,.dans un ré
quisitoire du 27 août 1812 ', a été consacrée par quel
ques arrêts. Elle s’étaye sur ce qu’un acte non signé par
les parties, faussement qualifié de contrat, ne crée aucune
action en justice; qu’il n’est donc pas susceptible de
ratification; car on ne peut confirmer que ce qui a une
existence réelle aux yeux de la loi, indépendamment du
vice qu’il s’agit de faire disparaître.
La négative est vivement soutenue par Toullier1. Pour
ce jurisconsulte, l’absence de signature n’est qu’une nul
lité d’intérêt privé. Or, il n’existe aucune nullité de ce
genre qui ne puisse être ratifiée. Ainsi, le titre non
signé ne fait pas preuve de l’obligation, les parties sont
présumées ne pas l’avoir consentie. Mais cette présom
ption ne disparait-elle pas lorsque celui qui pouvait s’en
prévaloir, et obtenir l’anéantissement de l’acte, l’a vo
lontairement exécuté ou a consenti à ce qu’il le fût
plus tard? C’est ce que Merlin a pensé lui-même en
abandonnantl’opinion qu’il avait d’abord soutenue pour
adopter celle de Toullier \
1 Rep., v° r a lif., n° 9.
2 T. vin, p. 749, n° 547.
3 Quest. de droit, v° ra lif., n° 3.
il
9
:,
�430
TRAITÉ DU DOL
L’accord de ces deux maîtres n’a pas convaincu Zacchariæ. Il ne peut, dit-il, adopter les motifs sur lesquels
ils se fondent, ni admettre que les obligations réellement
inexistantes soient susceptibles de ratification.
Il est certain qu’en raisonnant dans l’hypothèse ad
mise par Zacchariæ, à savoir: celle où, au moment de
conclure une convention, l’une des parties refuse de siguer l’acte qui doit en constater l’existence, il faut dire
comme lui, que ce refus de signature équivaut à un re
fus de contracter, qu’il n’y a donc pas eu réellement de
convention.
Mais le défaut de signature à l’acte peut tenir à de
tous autres motifs; il peut être le résultat d’une omis
sion involontaire, d’une négligence. Il est évident, dans
çette hypothèse, que l’obligation existe, malgré l’imper
fection du titre qui la constate.
Or, il est un moyen certain, positif de reconnaître
dans quelle catégorie on doit ranger l’obligation querellée
pour défaut de signature; ce moyen, c’est la conduite
des parties qui le fournit. Évidemment, si le refus de
signature tient au refus de contracter, on peut facilement
prévoir qu’il ne viendra à l’esprit d’aucune d’elles de
confirmer ce qu’elle n’a pas voulu faire et moins encore
de donner à l’acte aucune exécution. Si donc l’acte a
été confirmé, s’il a été exécuté, il faudra nécessairement
admettre que, sous un titre irrégulier, existait une obli
gation certaine, positive, conséquemment susceptible
de ratification.
L’auteur de cette ratification essaierait donc vaine
ment d’en répudier les effets. C’est parce qu’on ne ra -
�ET DE LA FRAUDE.
131
tifie pas ce qui n’a jamais existé, qu’on verrait dans
sa conduite la preuve de l’existence de l’obligation; que
le titre primordial n’eût pas de force probante, que cet
état des choses dût faire prononcer la nullité de l’obli
gation, c’est ce qui est incontestable, mais c’est ce qui
se réalise dans tous les cas de nullité. La ratification
n’a pas d’autre objet que de remédier à cet inconvé
nient. Dès-lors, celui qui, placé dans cette alternative
ou de faire annuler la convention ou de la ratifier, a
opté pour ce dernier parti, a suffisamment prouvé la
sincérité de l’obligation qu’il exécute ou qu’il consent à
exécuter.
On ne doit donc pas confondre l’obligation réellement
inexistante avec celle résultant d’un titre imparfait. Il
n’esf plus permis surtout de s’y tromper, lorsque celui
qui est seul intéressé à la ruine du titre a formellement
ou tacitement déclaré renoncer à s’en prévaloir. A dater
de cette renonciation, il ne lui est plus permis de pré
tendre que son obligation n’existait pas.
577.
— C’est dans ce sens que s’est prononcée la
jurisprudence. Ainsi, la Cour d’Amiens a jugé, le 24
prairial an x iii , que la nullité, résultant de l’absence de
signature de l’une des parties, est couverte par la de
mande d’excution de la partie signataire etque le défaut
de signature d’un acte synallagmatique peut être réparé
par une accession postérieure et par le consentement don
né avant la demande en nullité
1 Dalloz A., t. x, p. 712.
�132
TRAITÉ DU DOL
Ce principe a été, plus virtuellement encore, consacré
par la Cour de cassation dans une espèce fort remarqua
ble. La Cour de Poitiers avait décidé que l’exécution
donnée à une transaction non signée par les parties ren
fermait une ratification valable. Cette décision était dé
férée à la Cour de cassation, comme ayant faussement
appliqué l’article 1338 du Code civil.
Cet article, disait le demandeur en cassation, n’est ap
plicable que lorsque la nullité provient d’un défaut de
capacité ou de consentement et non d’un vice de forme.
En effet, si l’on admettait qu’un contrat qui, comme la
transaction, doit être nécessairement prouvé par écrit,
put se prouver par l’exécution, quand l’acte n’a point
reçu son complément, l’obligation d’une preuve écrite
deviendrait illusoire, puisque les faits d’exécution étant
de nature à s’établir par témoins, il serait toujours pos
sible de suppléer la preuve écrite à l’aide de la preuve
testimoniale.
Comme on voit, la question était nettement posée
devant la Cour de cassation. Voici comment elle a été
tranchée: Attendu que l’exécution donnée par toutes les
parties à l’acte 4 du août 1807 s’opposait à ce qu’il pût
être proposé aucune nullité, s’il y en avait à proposer
contre cet acte, la Cour rejette le pourvoi'.
»
Il est vrai que la même Cour a jugé, le 6 juillet 1836,
qu’un acte de partage radicalement nul, faute d’avoir
été signé par les parties, ne pouvait pas être ratifié par
1 19 novembre 1820.
�ET DE LA FRAUDE.
133
l’exécution, parce qu’il n’avait jamais existé. Mais il est
à remarquer que dans cette espèce les parties avaient
fait constater par le notaire leur refus de signer; dèslors, l’exécution donnée aux dispositions projetées ne
pouvait être que la conséquence de la qualité des par
ties et ne constituait qu’un partage provisionnel. Ajoutons
que le copartageant qui avait refusé de signer était une
femme mariée et que l’exéeution faite par le mari ne
pouvait, dans aucun cas, être considérée comme une
ratification par la femme.
La Cour de cassation aurait-elle décidé de même si
le partage était intervenu entre majeurs et capables? Si
l ’acte n’eût pas constaté le refus designer de la part de
la partie? Si l’exécution avait été strictement conforme
à ses dispositions? Il est permis d’en douter. L’arrêt que
nous venons de rapporter prouve que ce doute n’est pas
sans fondement.
Au reste, on comprend qu’en matière de partage il
est difficile de décider si l’exécution donnée à l’acte nul
a été la conséquence de cet acte ou si elle n ’est que le
résultat d’un accord tacite entre les copartageants. Mais
cette difficulté n’existe plus lorsqu’il s’agit d’obligations
en général. Siérait-il, par exemple, à un vendeur de
constester la sincérité de l’acte non signé si depuis cet
acte et en force de ses stipulations, il avait reçu le prix et
délivré la chose ?
L’arrêt de 1836 est un arrêt d’espèce plutôt que de
principe. 11 n’affaiblit donc en rien l’autorité de celui
de 1820, à la doctrine duquel se sont rangés un grand
�134
TRAITÉ DU DOL
nombre de Cours et tribunaux La Cour d’Aix, notam
ment, a jugé, le 216 janvier 1847, sur ma plaidoirie,
que l’acte d’atfermoiement exécuté par toutes les parties
ne pouvait plus être querellé pour défaut de signature,
soit du débiteur, soit de quelques créanciers.
. Ainsi, l’absence de signature à l’acte fait présumer
l’inexistence de l’obligation, mais elle n’en est pas
une preuve péremptoire. La ratification postérieurement
donnée justifie le contraire; elle est donc valable, car il
y a réellement dans ce cas une obligation nulle aux
yeux de la loi et, dès-lors, susceptible d’être confirmée.
On ne peut distinguer là où le législateur n’a pas dis
tingué lui-même. Conséquemment; que la nullité pro
vienne de l’incapacité de la partie, d’un vice de consen
tement ou d’un vice de forme; qu’elle altère le carac
tère essentiel de l’acte ou sa force probante, la ratifica
tion la fait également disparaître; en d’autres termes, ’
l’acte existe malgré la nullité, et il n’est pas, comme
l’enseigne Toullier, de nullité fondée sur l’intérêt privé
qui ne puisse être réparée par la ratification expresse
ou tacite
578.
— Quatrième principe. La ratification a un
effet rétroactif. L’acte valablement ratifié est présumé
se suffire ab initia .11 produit donc, en faveur du créan
cier, tous les effets dont il est susceptible à partir de sa
date.
1 Pau, 17 décembre 4 824 ; — Cass., 2 novembre 4 825 ; — Toulouse,
48 janvier 4828 ; — Çass., 4ermars 483Q.,
�ET DE LA. FRAUDE.
135
Toutefois, tes droits acquis à des tiers, dans l’inter
valle de l’acte à la ratification, ne peuvent recevoir de
celle-ci ni modification ni altération. Comme l’intérêt
public lui-même, le droit des tiers est au-dessus et en
dehors des stipulations des parties. Or, la ratification
peut bien nuire à son auteur, mais elle ne saurait rétroagir contre ceux qui ont traité avant sa réalisation'.
L’effet rétroactif de la ratification est donc purement
personnel aux parties. C’est ce qui a déterminé la Cour
de cassation à décider que la ratification du mari, sans
le concours de la femme, est impuissante pour effacer
les vices d’une obligation contractée par celle-ci, sans
son consentement et sans son autorisation \
579. — Cinquième principe . La ratification doit
émaner d’une volonté éclairée et libre. C’est ce prin
cipe qui a dicté les conditions que l’article 1338 impose
à la ratification.
5 8 0 . — Aux termes de sa disposition, l’acte de ra
tification expresse n’est valable que s’il renferme la sub
stance du titre primordial, la mention du motif de l’ac
tion en rescision, l’intention de réparer le vicç sur lequel
elle est fondée.
581. — 1" Substance de la convention, Toullier
1 Cass., 16 janvier 1837; — Paris, 25 juillet 1838; _
juin 1838 ; — D, P , 37, I, 62, 39, 2, 8, 40, 2, 33.
Douai, 20
s 26 juin 1839; — D. P ., 39, i, 249; — Conf., Cass , 1 2 février 1828.
�136
TRAITÉ DU DOL
f
enseigne qu’il faut entendre par là la relation de ce
qui est essentiel à l’exis'tencede l’obligation. On n’a donc
pas besoin de transcrire l’acte en son entier, il suffit de
rappeler les clauses constitutives de l’engagement qu’on
s’était proposé de souscrire et qu’on veut confirmer. La
substance de l’obligation est valablement indiquée tou
tes les fois qu’il est impossible de se méprendre sur la
nature de cet engagement.
582.
— 2° Mention du vice autorisant l’action en
rescision. L’article 1338 s’occupe d elà ratification de
la convention et non de celle de l’acte nul pour vice de
forme. Pour celle-ci, en effet, elle est plus facilement
admissible, parce qu’elle doit plus facilement se présu
mer. Les nullités de forme sont odieuses. Aussi n’a-t-on
pas hésité à considérer, comme entraînant l’intention
d’en répudier le bénéfice, le silence que la partie garde
rait d’abord sur leur existence, la défense qu’elle présen
terait au fond. Cependant, ce point de doctrine n’est pas
unanimement admis, mais il est évident que dans tous
les cas la nullité extrinsèque de l’acte pourrait être rati
fiée comme l’action en rescision elle-même.
Pour le vice de rescision spécialement, la loi veut
qu’il soit clairement indiqué. L’aliénation résultant de
la ratification, portant sur un droit utile, sur une ex
ception péremptoire, ne se présume pas ; elle doit clai
rement s’induire des termes de l’acte de ratification.
L’effet de cet acte se concentrera donc sur le vice qui y
est mentionné.
�ET DE LA FRAUDE.
137
583.
— De là cette conséquence que la renoncia
tion à se pourvoir contre une convention pour la vio
lence qui lui aurait donné naissance, n’empêchera pas
de faire valoir ultérieurement la lésion qu’elle renfer
merait et sur laquelle les parties ne se sont pas expli
quées. Cette doctrine, évidemment calquée sur la lettre
et l’esprit de la loi, a cependant trouvé des contradic
teurs; pour la soutenir, dit Favard, il faut penser que la
partie qui a renoncé à l’un des moyens de rescision a
pu vouloir ne pas renoncer à l’autre ; et dès lors la ra
tification n’est-elle pas un piège tendu à la bonne foi
de l’autre partie? Supposer l’tntention de réserver les
moyens de faire annuler l’acte qu’on vient de confir
mer, c’est supposer une fraude qu’on ne doit pas favo
riser.
3 8 4 . — Ces reproches ne prouvent qu’une seule
chose, à savoir : que M. Favard n’a pas suffisamment
tenu compte de l’esprit qui a dicté la disposition de l’ar
ticle 1338. La ratification n’est utilement consentie que
si elle procède d’un consentement éclairé. Or, ce carac
tère ne peut résulter que de la preuve que le débiteur
connaissait, au moment où il ratifiait, le vice dont l’acte
était entaché.
À. cette condition essentielle, le législateur en ajoute
une seconde ; il veut que cette preuve résulte de l’acte
de ratification. Or, cette preuve est complète, lorsque
l’acte énonce le motif de l’action en rescision.
Cette exigence du législateur est-elle injuste ? La ré-
�138
TRAITÉ DU DOL
ponse est facile. La volonté de bannir toute appréciation
humaine dans des questions de cette nature ne peut
qu’être hautement approuvée. Permettre d’arriver, à
l’aide d’inductions, de présomptions, de la preuve tes
timoniale elle-même, à constater une ratification, c’était
tomber dans les inconvénients inséparables de ces mo
des de constatation et arriver souvent à consacrer le con
traire de la vérité.
La loi a donc sagement agi en exigeant une preuve
que le consentement a été donné en connaissance de
cause, et en n’acceptant comme telle que l’indication
renfermée dans l’acte de ratification. Mais si c’est là la
pensée et le but de la loi, évidemment on ne pourra
considérer comme couvert que le vice mentionné par les
parties.
Comment dire, en présence du texte de l’article
1338, que cette conclusion n’est qu’un piège, qu’une
fraude qu’on ne doit pas favoriser? Un piège pour le
créancier? Mais ne sait-il pas que la ratification ne lui
sera utile qu’en tant que le motif de l’action en resci
sion s’y trouvera relaté? Pourquoi donc, si la conven
tion est rescindable par deux motifs, s’il a été dans son
intention et dans celle du débiteur de les purger l’un et
l’autre, pourquoi, disons-nous, ne les a-t-il pas men
tionnés tous les deux ? Ce n’est qu’à ce prix que la loi
lui promet pleine sécurité pour l’avenir. Lui siéraitil donc de se prétendre trompé, lui qui a commencé
par dédaigner les prescriptions de cette loi qu’il ac-
�ET DE LA FRAUDE.
139
M. Favard se préoccupe beaucoup trop des intérêts
du créancier, car, pour le défendre, il va jusqu’à com
promettre celui du débiteur. Cependant, si une fraude
était à redouter, c’est contre ce dernier qu’on pouvait en
craindre la réalisation. En effet, si le système que nous
combattons était admis, il serait facile, en faisant rati
fier la convention sous un prétexte quelconque, de se
débarrasser de tout péril à l’endroit du vice réel qu’elle
pourrait renfermer. Celte éventualité seule suffirait pour
prouver combien sage est la précaution dont le législa
teur a usé.
De plus, on ne peut renoncer à un droit dont on n’a
aucune connaissance. Le silence que les parties garde
raient dans l’acte de ratification, sur tel ou tel moyen
de rescision, prouverait qu’elles ne l’ont pas connu.
Admettre cette connaissance, ce serait donner à ce si
lence une portée bien plus significative. On ne pourrait
en effet l’interpréter que par le refus de ratifier, car,
dans le cas contraire^ en présence de l’article 1338,1e
créancier n’aurait pas manqué de requérir la mention
indispensable pour qu’il jouît du bénéfice de la renon
ciation.
Ainsi, que le silence de l’acte tienne à l’ignorance ou
au refus de ratifier, la conséquence est identique. Dans
le premier cas, il ne peut exister de ratification ; dans le
second, il n’en existe aucune. Dès lors, repousser sous
ce prétexte la demande ultérieurement formée par le
débiteur, c’est se placer en contradiction manifeste avec
la loi, avec la justice.
�140
TRAITÉ DU DOL
En principe donc, ratifier une convention à l’endroit
d’un vice pouvant la faire rescinder, ce n’est pas renon
cer à se pourvoir contre ses dispositions pour un tout
autre motif, à moins cependant que l’existence de ce
nouveau moyen fût inconciliable avec la ratification..
Reconnaître qu’un acte n’est pas le fruit de la violence,
ce n’est pas reconnaître nécessairement qu’il est pur de
toute lésion ; mais avouer que celle-ci n’existe pas et se
prohiber toute recherche à son occasion, c’est convenir
que la convention n’est pas le résultat de la violence, car
l’acte qui n’est pas lésif existe légitimement ; l’accepter
comme tel, c’est dire qu’il a été librement et volontai
rement souscrit, qu’il renferme un lien quelconque,
toutes choses qui sont incompatibles avec l’idée de la
violence.
Quel pourrait être, dans ce cas, le motif de la rati
fication? À quoi bon songer à la lésion si, le consen
tement manquant de son caractère essentiel, il n'a ja
mais existé de convention ? Le bébiteur pourrait-il sou
tenir avoir ignoré la violence dont il se prétendrait plus
tard victime? Evidemment cette ignorance ne serait
même pas proposable. La violence a, en effet, nécessai
rement précédé la convention, la ratification elle-même.
On ne peut donc voir dans celle-ci, quel qu’en soit
l’objet, qu’un fait donnant d’avance le démenti le plus
complet à tout reproche s’attaquant à l’essence de l’acte.
585.
— La renonciation à se pourvoir pour lésion
entraîne donc la non recevabilité de toute action ulté-
�ET DE LA FRAUDE.
\i\
rieure fondée sur la violence. Ce n’est pas ici une induc
tion, une présomption plus ou moins probable. L’in
compatibilité profonde entre la ratification et l’existence
d’une violence dans le consentement à la convention ra
tifiée, est une preuve décisive contre celle-ci. Le débi
teur ne pourrait donc être relevé des effets de la ratifi
cation qu’en prouvant qu’elle lui a été surprise par dol
ou arrachée par violence
5 86.
— Le dol agit dans le contrat delà même ma
nière que la violence. Comme celle-ci, il vicie le contrat
dans son essence, en enlevant au consentement tout ca
ractère de liberté. Il semblerait donc que le reproche
de dol, proposé après une ratification pour cause de lé
sion, devrait subir le même sort que le reproche de vio
lence.
Mais il existe entre ces moyens de rescision une
nuance essentielle à retenir. La violence a nécessaire
ment précédé la ratification, tandis que le dol peut n’être découvert qu’après. En cet état, faire de la dé. chéance un principe absolu contre le dol, ce serait con
sacrer, dans un cas donné, une injustice, et admettre
qu’on a pu renoncer à un droit dont on ne soupçon
nait même pas l’existence.
L’équité veut donc que celui qui a été victime d’un
dol, ne perde pas, sans le savoir, le droit de se faire in
demniser. Son ignorance, au temps delà ratification,
enlèverait à celle-ci toute son efficacité. Tout ce qui en
résulterait, c’est que malgré le silence de l’acte, et con-
�442
TRAITÉ DU DOL
trairement à ce que la loi admet dans les cas ordinaires,
l’ignorance ne serait pas présumée. C’est donc à celui
qui l’allègue, pour se soustraire aux effets de la ratifica
tion, à en fournir la preuve. Cette preuve pouvant
être faite par témoins, peut résulter des présomp
tions.
5 8 7 . — Si la violence ou le dol s’était exercé contre
l’auteur de celui qui ratifie à l’endroit de la lésion, les
principes ordinaires reprendraient leur empire. L’héri
tier peut ignorer des faits qui ne lui sont pas person
nels, et cette ignorance serait présumée par cela seul
que l’acte de ratification garderait le silence sur l’un ou
sur l’autre. . Mais le porteur du titre ratifié pourrait
prouver soit par témoins, soit par présomptions, que
le vice ultérieurement invoqué était parfaitement connu
au moment de la ratification ; et, cette preuve faite, l’ef
fet de celle-ci lui serait définitivement acquis.
En général donc, et sauf le cas d’incompatibilité, la
ratification n’éteint que le vice qui s’y trouve mentionné.
C’est donc aux parties intéressées à veiller à ce que
l’acte relate exactement toute la pensée des parties et
les divers moyens dont on entend abandonner le béné
fice.
5 8 8 . — 3° Intention de réparer le vice. C’est dans
l’accomplissement de cette condition que réside la véri
table autorité de la ratification. A quoi bon, en effet,
rappeler la substance de l’acte, indiquer les motifs de
�ET DE LA FRAUDE.
143
rescision, si les parties ne manifestent pas l’intention et
le dessein de renoncer à s’en prévaloir.
L’expression de cette volonté est donc de rigueur.
Mais la loi ne lui a tracé aucune formule sacramentelle.
Elle s’en réfère à la conscience et aux lumières du juge
appelé a décider si elle résulte suffisamment du titre in
voqué. Ce qui doit être observé et retenu, c’est que
cette volonté ne doit pas être facilement présumée, et
que dans le doute c’est contre la fin de non-recevoir
qu’on doit se prononcer.
C’est par application de ce principe qu’il a été jugé
par la Cour de Rouen, et ensuite par la Cour de cassa
tion, que des actes contenant affectation d’hypothèque à
une obligation entachée de dol ne peuvent être consi
dérés comme une confirmation, ni comme exécution
volontaire, alors que ces actes sont muets sur l’inten
tion de ratifier '.
Que la renonciation à l’exercice de l’action en resci
sion pour cause de lésion, en matière de vente, ne peut
s’induire d’actes postérieurs intervenus entre le vendeur
et l’acquéreur qu’autantque ces actes contiendraient une
stipulation expresse et une intention formelle de renon
cer à cette actiona.
Maisla Cour de Poitiers a jugé, le 7 juillet 1825, que
ces seuls mots : je ratifie le présent billet, apposés par
un majeur sur un billet constatant qu’il a été souscrit en
1 20 décem. 1832 ; — D. P., 33, I, 113.
3 Rennes, 30 janv. 1834; — D. P., 34, 2, 211 .
�444
TRAITÉ DU DOL
minorité, remplissent toutes les conditions voulues par
l’article 1338 pour la validité de la ratification. Au be
soin, dit cet arrêt, l’approbation signée en majorité cons
tituerait un nouvel et valable engagement.
Quoi qu’il en soit, ces exemples suffisent pour déter
miner la nature de la mission que la loi confie aux ma
gistrats. D’autre part, la disposition de l’article 1338
imprime à leur appréciation une direction assurée. Les
conditions imposées à la validité de la ratification sontelles ou non remplies? L’intention de purger l’acte du
vice dont il est entaché est-elle suffisamment exprimée?
Telles seront les questions qui se présenteront à résou
dre dans les limites que nous venons de retracer.
589.
— L’acte de ratification n’a pas de forme spé
cialement déterminée. Il peut être fait par-devant no
taire ou sous seing-privé. Dans ce dernier cas, il n’est
pas nécessaire de le rédiger en autant d’originaux qu’il
y a de parties. La ratification pure et simple est un con
trat essentiellement unilatéral qui ne renferme aucune
obligation de la part de celui qui l’a obtenue. Il se
peut cependant que le débiteur, en échange de son
consentement, ail exigé quelques faveurs ou obtenu un
sacrifice de la part du créancier. L’engagement de ce
lui-ci pourrait être constaté soit par l’acte de ratifica
tion, soit par un écrit séparé. Mais cette circonstance ne
changerait rien à la nature de la ratification et aux effets
qu’elle doit obtenir.
La ratification n’a pas besoin d’être acceptée par le
�ET DE LA FRAUDE.
145
porteur du titre vicié. Elle peut être faite hors sa pré
sence et sans sonconcours. Elle peut résulter d’une let
tre missive ou de tout autre écrit émanant de celui qui a
qualité pour la consentir.
590. — Cependant si l’acte qu’on veut ratifier est
du nombre de ceux qui exigent la forme authentique,
c’est dans cette forme que la ratification doit être don
née. Telle serait par exemple la ratification d’une cons
titution d’hypothèque. Bien entendu que cela n’est in
dispensable que par rapport aux effets de l’acte contre
les tiers. Du débiteur au créancier, l’obligation ne ces
serait pas d’être inattaquable, quand même la ratifica
tion manquerait d’authenticité.
591. — L’acte de ratification imparfait, pour n’être
pas conforme aux prescriptions de l’article 1338, ne
produirait aucun effet. Mais on pourrait le compléter à
'T’aide d’écrits émanés du débiteur, si, réunis à l’acte,
ces écrits fournissaient la preuve de la ratification .
C’est là une conséquence de ce que nous venons de
dire. On peut ratifier par un acte, par un écrit quel
conque. On peut à plus forte raison suppléer, à l’aide
de ceux-ci, à ce que l’acte présenterait d’obscur ou
d’incomplet.
5 9 2 . — Mais nous n’admettons pas que l’acte resté
imparfait pût servir de commencement de preuve par
écrit et autoriser l’admission de la preuve testimoniale.
�146
TRAITÉ DU DOL
La volonté d’exclure cette preuve d’une manière abso
lue, à l’endroit de la ratification, nous parait résulter
formellement de l’article 1338. La loi n’a pas voulu re
courir à ce mode de preuve dont elle pouvait facilement
apprécier l’insuffisance dans une question intention
nelle sur laquelle les témoins ne pourraient jeter un très
grand jour, à moins qu’on ne les interrogeât sur des
faits d’exécution, et alors on tomberait dans la ratifica
tion tacite qui nous reste à examiner.
595- — L’article 1338 assimile à la ratification ex
presse celle résultant de l’exécution de la convention
nulle ou rescindable. On devait d’autant plus le décider
ainsi, que l’exécution est le dernier mot du débiteur;
qu’elle lui impose des sacrifices onéreux, ce que ne fait
pas ordinairement la ratification expresse; que dès-lors
elle ne peut être considérée que comme l’expression hau
tement manifestée de la légitimité et de la sincérité de
la convention.
594.
— Cet effet de l’exécution exigeait, dans la
détermination des actes qui la constituent, qu’on se rap
prochât autant que possible des conditions tracées à la
ratification expresse. C’est ce que n’a pas manqué de
faire le législateur, L’article 1338 n’admet la ratifica
tion tacite que si la convention a été exécutée ; que si
cette exécution a été volontaire ; que si elle s’est réali
sée après l’époque à laquelle l’acte pouvait être valable
ment confirmé ou ratifié
�ET DE LA FRAUDE.
147
59S.
— 1° Exécution. L’article 1304 assigne une
durée de dix ans à la faculté d’intenter l’action en res
cision. Le législateur suppose donc que la convention
nulle ou rescindable peut être exécutée pendant ces
dix ans. Mais si cette exécution, que nous appelerons
passive, pouvait être considérée comme une ratification
tacite, l’article 1304 ne serait plus qu’un piège, condui
sant, infailliblement à la déchéance celui qui, ayant foi
en sa disposition, n’aurait pas immédiatement réalisé
l’action en rescision.
Le maintien de l’état des choses créé par la conven
tion ne peut donc constituer l’exécution à l’effet de
ratifier, Il n’est un obstacle à l’action en rescision que
s’il s’est prolongé au-delà de dix ans. L’article 1338 n’a
donc réellement en vue, et ne qualifie exécution, que les
actes postérieurs émanés de la partie ayant intérêt de
contester et qui décèlent l’intention d’accepter irrévoca
blement l’effet de la convention, tels seraient, par ex
emple, le fait d’avoir disposé de tout ou de partie des
biens reçus ou transmis par la convention nulle ou res
cindable; celui d’avoir retiré, après la majorité ou après
là découverte du dol, le prix de la vente fait en minorité
ou obtenue dolosivement.
Ainsi on ne peut considérer comme exécution, dans le
sens de l’article 1338, que les actes destinés à confirmer
l’état des choses créé par la convention, à en développer
les conséquences. L’exécution qui ne consisterait que
dans le silence ou le défaut de réclamation contre cet
état des choses ne saurait constituer une ratification
�148
TRAITÉ DU DOL
quelconque, à moins qu’elle ne se fut prolongée audelà de dix ans.
5 9 6 . — L’existence des faits d’exécution est ordinai
rement laissée à l’appréciation des deux degrés de juri
diction. Leur décision échappe même à la censure de
la Cour de cassation. Mais, pour ce qui concerne la ra
tification, le caractère du fait d’exécution constitue une
question de droit, et la Cour de cassation a la faculté et
le devoir d’en apprécier souverainement les conséquen
ces. C’est ce que, après quelques hésitations, a formel
lement consacré la cour régulatrice '.
Quoi qu’il en soit, ce qu’il importe de retenir de cette
jurisprudence c’est l’assimilation rigoureuse qu’elle fait
de la ratification tacite à la ratification expresse. Iden
tiques dans les effets, ces deux modes doivent, autant
que possible, offrir dans leurs éléments constitutifs les
mêmes caractères, reposer sur les mêmes conditions.
5 9 7 . — De là il suit que l’acte d’exécution doit être
personnel à celui qui pouvait ratifier. Qu’importe, en
effet, que la convention ait été exécutée par ceux qui
n’avaient aucun droit à la faire rescinder? Que cette
exécution ait été connue, tolérée même? Chacun ne
peut être lié que par son propre fait. Ce principe est
surtout rigoureux lorsqu’il s’agit de l’établissement
1 8 janvier 1838, 12 juin 1839 ; — D. P. 38, 1, 306, 39, i, 244.
�ET DE LA. FRAUDE.
149
d’une déchéance entraînant l’aliénation d’un droit per
sonnel.
5 9 8 . — Une seconde conséquence non moins juste,
c’est que les actes d’exécution doivent être positifs et
non équivoques, c’est-à-dire que, postérieurs à la dé
couverte du vice, ils doivent comporter l’intention de
renoncer à s’en prévaloir. Tout doute sérieux à cet
égard s’opposerait à ce qu’on pût en faire découler une
ratification utile.
Nous venons de voir la Cour de cassation, les Cours
de Rouen et de Rennes le décider formellement ainsi
pour la ratification expresse. Concevrait-on qu’il en fût
autrement lorsque l’intention des parties, ne se décélant
que par l’exécution prétendue, ne peut être appréciée
que par les présomptions résultant de celle-ci. Or, l’alié
nation d’un droit n’est pas facilement présumée. Vrai
lorsqu’il s’agit d’une ratification expresse, ce principe ne
saurait être repoussé dans l’appréciation d’une ratifica
tion tacite. C’est au reste ce qui est consacré par une
imposante jurisprudence.
599. —- La Cour de cassation a jugé, le 8 avril 1835,
que des offres de payement d’une obligation, qui n ’ont
pas été acceptées, ne peuvent être considérées comme
une exécution qui rende celui qui les a faites non-rece
vable à demander ensuite la nullité de l’obligation. Le
même jour, la Cour Rennes décidait que la simple de
mande d’un délai pour le payement d’une obligation
�150
TRAITÉ DU DOL
n ’empêchait pas le débiteur d’en poursuivre plus tard la
rescision pour dol ou fraude.
600.
— Ce qui a été admis pour les actes anonçant
l’intention d’exécuter, l’a été également pour les mesu
res conservatoires prises dans l’intervalle de la conven
tion à la demande en nullité ou en rescision. Ainsi l’ho
mologation en justice d’un acte sous seing-privé, pour
lequel la loi exige la forme authentique, ne rend pas
non-recevable à en demander la nullité la partie qui a
obtenu cette homologation '. Ainsi encore, l’inscrip
tion prise en vertu d’un acte postérieurement jugé si
mulé, même en la supposant connue de l’auteur de
cet acte vicieux, n’est point par elle même une ratifica
tion ou confirmation5.
Nous pourrions multiplier les exemples, car ils abon
dent dans nos recueils de jurisprudence, mais ceux
que nous venons de rappeler suffisent pour fixer la
nature et la portée de notre doctrine. Elle se résume
dans ces propositions fort simples: l’article 1338 ne
considère comme efficace que les fait constituant une
exécution réelle et effective ; cette execution ne se
rencontre ni dans le silence qui ne s’est pas prolongé
au-delà de dix ans, ni dans l’intention plus ou moins
prochaine d’ exécuter, ni moins encore dans les mesu
res purement conservatoires. Les actes d’administra1 Turin, 26 novembre 1806.
2 Cass., 24 janvier 1833,
�ET DE LA. FRAUDE.
151
tion se plaçant dans la catégorie de celles-ci il en ré
sulte qu’administrer plus ou moins longtemps la chose
possédée en vertu d’un titre vicié, ce n’est pas se ren
dre non-recevable à faire plus tard prononcer l’annula
tion de ce titre.
6 0 1 . — L’exécution n’a pas besoin d’être complète
pour servir à déterminer la ratification. L’acte d’exécu
tion partielle arriverait à ce résultat, car, comme l’exé
cution totale, il ne pourrait être attribué qu’à la recon
naissance de la sincérité et de la légitimité de l’obliga
tion. En effet, exécuter partiellement une convention,
c’est avouer qu’on n’a ni le moyen ni le droit de la faire
rescinder. Un pareil aveu, quel qu’en soit le mobile,
impuissance ou abandon, n’en constitue pas moins la
ratification. Celle-ci résulte donc d’un commencement
d’exécution, pourvu qu’il se fût réalisé dans les circons
tances que nous avons à examiner.
6 0 2 . — 2° Exécution volontaire. Les vices qui altè
rent le consentement lui enlèvent tout caractère de
spontanéité. L’exécution imposée par violence, ou sur
prise par dol, ne créerait donc ni ratification ni con
firmation.
Il n’y a pas non plus de consentement valable lorsque
celui qui a été donné ne l’a été que par erreur. L’er
reur sur le caractère de l’acte qu’on exécute s’oppose
rait donc à ce que cette exécution fût considérée comme
une ratification. Non-seulement elle ne serait pas volon-
�152
TRAITÉ DU DOL
taire, mais elle ne se serait pas réalisée en temps utile,
ce qui suffirait, ainsi que nous allons le voir, pour en
anéantir les effets légaux.
605.
— L'erreur sur les conséquences légales d’un
fait connu pourrait-elle être alléguée pour être relevé de
la ratification tacite ? En d’autre termes, l’erreur de
droit produit-elle, quant à la ratification, les effets de
l'erreur de fait?
La doctrine et la jurisprudence deviennent chaque
jour plus affirmatives sur l’assimilation qu’il convient
de faire entre l’une et l’autre. Mais nous avouons que,
tout en adoptant le principe, nous en refuserions l’ap
plication à la matière des ratifications, et cela par les
motifs suivants: il est très difficile d’admettre une er
reur de droit en matière de rescision. Il n’est personne
qui ne sache que l’obligation imposée par la violence
ou surprise par le dol ne crée aucun lien. L’obligé ne
doit rien, n’a jamais rien dû, et il est impossible qu’il
puisse croire en cet état devoir quelque chose. Autant
nous admettons l’ignorance touchant les manœuvres
employées, autant nous nous refusons à admettre que,
leur existence une fois connue, on ait pu se tromper sur
les conséquences qu’elle doit nécessairement entraîner.
Qui pourrait se persuader que la loi oblige à exécuter
une obligation qu’on sait mieux que personne n ’avoir
jamais existé?
Permettre d’attaquer une ratification sous prétexte
d’erreur de droit, c’est donc ouvrir la porte à de nom-
�ET DE LA FRAUDE.
153
breux procès dont la solution, dans un sens comme dans
l’autre, aura cet étrange caractère qu’elle ne reposera
que sur cette allégation impossible à vérifier, impossi
ble à débattre. Comment, en effet, le demandeur prouvera-t-il avoir ignoré le droit? Comment le défendeur
justifiera—t—il le peu de fondement de cette ignorance?
Il faudra donc que les tribunaux refusent ou admettent
de confiance, au risque de ne consacrer souvent qu’une
véritable injustice.
La loi n’a pu vouloir placer les magistrats dans cette
cruelle perplexité. Nous en avons la preuve dans le soin
qu’elle prend de ne rien laisser à l’induction, en matière
de ratification. L’impossibilité absolue de son applica
tion doit donc faire rejeter la doctrine que nous com
battons.
Il est d’ailleurs un autre motif qui devrait le faire
décider ainsi. Au dire de tous, l’erreur de droit n’annule
le contrat que lorsqu’elle en a été la cause déterminante
et exclusive. Dans la ratification tacite, l’exécution re
connaît une cause indépendante de l’erreur, à savoir:
l’intention de purger l’acte du vice qui l'entache. C’est
là, nous l’avons dit; une condition essentielle sans la
quelle il ne saurait exister de ratification.
Dès-lors, si l’exécution n’a pas ce caractèi'e, il de
vient inutile de recourir aux principes régissant l’erreur
de droit. Il n’y a pas, il n’y a jamais eu de ratification.
Mais si le juge, appréciant l’exécution, reconnaît et
constate l’intention constitutive de la ratification , cette
exécution a dès-lors une cause naturelle et légitime.
�154
TRAITÉ DU DOL
L’erreur de droit n’en a plus été le seul mobile , on ne
pourrait plus s’en prévaloir. La prétention d’avoir erré
sur les conséquences légales d’un vice serait même in
soutenable lorsque le vice étant connu en fait, on a eu
l’intention et la volonté d’en répudier le bénéfice. Or ,
renonce-t-on à un droit qu’on ne sait même pas vous
appartenir?
La difficulté née d’une erreur de droit peut donc être
soulevée lorsqu’il s’agit de déterminer le caractère de
l’exécution. Mais on ne saurait admettre que cette dif
ficulté une fois tranchée et la ratification , c’est-à-dire
l’intention de purger l’acte, admise, on puisse s’en faire
relever sous prétexte d’erreur de droit.
6 0 i . — Toullier pense que l’exécution n’est volon
taire que si elle est entièrement dégagée de l’influence
que peut avoir sur l’esprit de celui qui exécute la frayeur
d’une contrainte ou d’un procès. Il adm et, en consé
quence, que celle faite sous cette influence serait ineffi
cace pour créer une ratification.
6 0 5 . — Il nous paraît bien rigoureux d’assimiler à
la violence l’exercice d’un droit puisé dans la loi et au
quel on est contraint de recourir. Le refus du débiteur
place en effet le créancier dans la nécessité soit de le
traduire en justice, soit d’user des moyens coercitifs que
le litre lui confère. Il serait étrange, dès lors, que l’exé
cution déterminée par l’une ou par l’autre de ces mesures
dût plus tard être invalidée.
�ET DE LA FRAUDE.
155
Cette doctrine encouragerait singulièrement la résis
tance des débiteurs, et, à ce titre seul, nous hésiterions
à l'admettre. Nous sommes bien plus engagé à ne pas
le faire lorsque, poussant plus loin notre examen, nous
arrivons forcément à une conclusion diamétralement
opposée à celle de Toullier. En effet, ou l’exécution
donnée devant la menace d’une contrainte ou la crainte
d’un procès a précédé la découverte du vice de l’acte,
ou elle a suivi cette découverte. Dans le premier cas,
elle est évidemment insuffisante pour créer une ratifica
tion, en force des principes spéciaux à celle-ci; dans le
second, elle doit d’autant plus produire ses effets que
l’action en rescision était le moyen le plus péremptoire
pour éviter le procès, pour s’affranchir de toute con
trainte, et qu’ainsi mis en demeure de la réaliser, le
débiteur, en s’abstenant de le faire, a prouvé qu’il ne
croyait pas devoir ou pouvoir utilement l’intenter. Dans
l’une comme dans l’autre de ces hypothèses, il y a réel
lement ratification obligatoire et définitive.
Bien loin donc que les poursuites du créancier soient
un motif pour relever le débiteur de l’exécution qu’elles
ont déterminée, la vérité est que leur existence donne à
cette exécution un caractère plus grave, plus décisif.
Qu’un debiteur s’abstienne de faire valoir sesdroits con
tre sa dette lorsqu’il n’est ni inquiété ni poursuivi, cela
se conçoit; mais que, traduit en justice ou menacé
d’une contrainte, il continue de garderie silence; que,
mieux encore, il exécute la convention dont il connaît
le vice et qu’il dépend de lui de faire anéantir, c’est ce
�156
TRAITÉ DU DOL
qu’on ne comprend plus. Une pareille abnégation ne
peut provenir que du sentiment de la légitimité de la
poursuite, et c’est dans ce sentiment même que repose
le fondement essentiel de la ratification.
Au reste, cette règle n’est pas plus que toutes les au
tres à l’abri d’une exception. Certes, la violence morale,
qui fait quelquefois annuler une obligation, pourra,
dans tel cas donné, être invoquée contre la ratification ;
et si les tribunaux investis, appréciant la nature des
moyens employés pour déterminer l’exécution, l’étendue
de la contrainte qui en est résultée, pensent que le débi
teur n’a pas joui de la plénitude de liberté sans laquelle
il n’existe pas de consentement valable, ils décideront
que l’exécution n ’a pas été volontaire. Mais une pareille
éventualité ne suffit pas pour qu’on puisse se croire
autorisé à faire de la règle l’exception, et de l’exception
la règle.
606.
—• 3° Epoque à laquelle l’exécution volontaire
est susceptible de créer la ratification. L’article 1338
fixe cette époque au moment où l’obligation pouvait être
valablement confirmée ou ratifiée. C’est là la consé
quence du principe qu’on ne peut faire indirectement
ce qu’il n’est pas permis de faire directement. Or, la ra
tification expresse suppose, chez celui qui la donne, la
capacité de contracter, la connaissance du vice dont
l’acte est entaché. Conséquemment l’exécution n’équi
vaudra à ratification que si elle réunit ce double carac
tère,
�ET DE LA FRAUDE.
157
Dès lors les mineurs, les interdits, les femmes mariées
ne sauraient, tant que leur état n’a point changé, alié
ner, par l’exécution, le droit de faire annuler l’engage
ment qu’ils ont souscrit. Cette faculté, ils ne l’acquiè
rent qu’après qu’ils sont sortis des liens de la minorité,
de l’interdiction, du mariage. Pouvant, à cette époque,
ratifier expressément, ils peuvent le faire tacitement par
l’exécution qu’ils donnent à l'obligation.
Mais le capable ne peut ratifier que s’il connaît le
vice de la convention. Cette connaissance est de l’es
sence de la ratification, car, ainsi que nous l’avons déjà
dit, celle-ci puise son autorité dans l’intention de re
noncer à se pourvoir contre le vice dont la convention
est entachée. Or, comment pourrait-on être présumé
avoir renoncé à un droit qu’on ne connaissait pas? Dès
lors, la ratification tacite opérant les "mêmes effets que
la ratification expresse, l’exécution qui la constitue doit
nécessairement être postérieure à la connaissance du
vice.
607.
— Ce point de doctrine ne saurait faire aucune
difficulté ; mais il en sera autrement de la détermina
tion du fait en lui-même. A quelle époque remonte la
découverte du dol ? Est-elle antérieure ou postérieure
à l’exécution ? Est-ce au débiteur à prouver qu’il igno
rait le vice de l’acte ou au créancier à justifier que l’exé
cution a été faite en connaissance de cause? Telles seront
les questions sur lesquelles l’attention des magistrats
sera principalement appelée.
�158
TRAITÉ DU DOL
Les premières ne peuvent jamais offrir qu’une ap
préciation de fait du domaine exclusif de la conscienceElles sont donc laissées à l’arbitrage souverain du juge.
La dernière présente une difficulté en droit qui a par
tagé la doctrine et la jurisprudence.
(>08. — Zacchariæ se prononce contre le créancier.
Sans doute, dit-il, celui qui invoque une exception dont
le fondement repose sur l’erreur, doit prouver cette er
reur en vertu de la règle actori incumbit onus probandi. Mais telle n’est pas la position du débiteur au
quel on oppose l’exécution de l’obligation contre laquelle
il se pourvoit en nullité ou en rescision. Il n’a plus rien
à prouver une fois qu’il a justifié sa demande. C’est au
créancier qui veut tirer de l’exécution une fin de non
recevoir contre l’action en nullité ou en rescision, à
établir, suivant la règle reus excipiendo fit actor, l’exis
tence des conditions moyennant le concours desquelles
l’exécution volontaire équipolle à confirmation, et à
démontrer, par conséquent, que l’exécution a eu lieu en
connaissance du vice dont l’obligation est entachée et
dans l’intention de l’effacer'. Telle était aussi l’opinion
d’abord enseignée par Merlin.
Mais il est facile de se convaincre quela position sup
posée des parties, surlaquelle cette opinion s’étaie, n ’est
pas réellement celle qu’elles occuperont respectivement.
Le demandeur en rescision sera arrêté in limine lilis
�ET DE LA FRAUDE.
159
par la fin de non recevoir tirée delà ratification. Il ne
pourra donc établir l’irrégularité de l’acte qu’après avoir
fait disparaître cette fin de non recevoir.
Le fondement de celle-ci se trouvant dans l’exécu
tion, c’est à celui qui l’oppose à prouver cette exécu
tion. Cette preuve faite, le demandeur doit être écon
duit, à moins qu’il ne prouve à son tour que cette
exécution ne réunit pas les caractères constitutifs de
la ratification. C’est là son exception pour laquelle il
devient réellement demandeur, et qu’il est tenu de jus
tifier.
Vainement, objecte-t-on que l’exécution n’équivalant
à ratification qu’à certaines conditions, celui qui excipe
de l’une doit prouver qu’elle est conforme au désir de
la loi. L’exécution se suffit à elle-même. Elle est légale
ment présumée exempte de tout vice. Certes, l’exécution
déterminée par le dol ne produirait aucun effet. Ira-t-on
jusqu’à prétendre que celui qui oppose la ratification
tacite sera obligé de prouver que l’exécution dont il se
prévaut n’est pas le résultat du dol ? Ce qu’on ne ferait
pas pour le dol, on ne saurait le faire pour l’erreur.
Celle-ci n’est pas plus présumée que le dol lui-même, et
si celui qui allègue l’un est tenu de le prouver, il n’y a
aucun motif pour dispenser de la même obligation celui
qui se prévaut de l’autre.
Ajoutons avec la Cour de cassation ', que cette obli
gation doit être imposée au débiteur : 1° parce que les
1 23 juillet \ 82b.
y
�160
ÏRA1TÉ DU DOL
faits d’où l’erreur peut résulter lui sont personnels ;
2° parce que ces faits constituent une exception établie
pour son utilité ; 3° parce qu’il tendent à enlever au
créancier lé bénéfice de la ratification. Le système con
traire n’a donc aucun fondement réel. Non-seulement
il fait abstraction complète du fait d’exécution, mais il
méconnaît en outre les conséquences légales que cette
exécution doit entraîner.
C’est la démonstration de ce double to rt, clairement
établie par Toullier, qui a amené la rétractation de
Merlin. En voici les termes : « Toullier a raison de dire
que je ne m’étais pas exprimé avec mon exactitude or
dinaire. Tout bien réfléchi, je crois mes arguments plus
spécieux que solides, et en voici deux auxquels ils me
paraissent devoir céder :
« 1° On n’exécute un acte que parce qu’on le connaît
bien, car il n’y a qu’un insensé qui puisse exécuter un
acte qu’il ne connaît pas ou qu’il ne connaît qu’imparfaitement, et la démence ne se présnme pas. Exécuter
un acte, c’est agir comme si l’on en avait une parfaite
connaissance; c’est donc avouer qu’on le connaît
dans toutes ses parties. Or, si l’aveu d’un fait ne
prive pas celui duquel il est émané du droit de le re
tracter pour cause d’erreur, il le place du moins dans
la nécessité de prouver que c’est par erreur qu’il lui est
échappé. L’article 1356 du Code civil est formel, et il
n’est point de principe plus constant dans toute la juris
prudence ;
« 2° Sans doute l’exécution d’un acte nul ne peut
�ET DE LA. FRAUDE.
161
être réputée volontaire qu’autant qu’elle n’est pas le fait
de l’erreur: mais elle ne peut aussi être réputée telle
qu’autant qu’elle n’est pas l’effet de la violence et du dul.
Or, quand un acte nul a été exécuté par une partie qui
avait le droit de le faire annuler, et qu’elle vient ensuite
en demander l’annulation, lui siérait-il bien , pour re
pousser la fin de non-recevoir que lui opposerait le dé
fendeur, de dire à celui-ci : L’exécution dont vous excipez a été l’effet de la violence et du dol ; elle n’a donc
pas été volontaire de ma part, et comme c’est à vous à
prouver qu’elle a été l’ouvrage de ma volonté, c’est né
cessairement aussi à vous à prouver que je n’y ai été
induit ni par violence ni par dol? Non certes, et le dé
fendeur lui répondrait victorieusement : Par cela seul
que vous avez exécuté l’acte, vous êtes censé l’avoir ex
écuté spontanément et en pleine liberté ; ni le dol, ni la
violence ne se présument; l’exécution que vous avez don
née à l’acte sera donc réputée volontaire tant que vous
ne prouverez pas qu’elle vous a été arrachée par violen
ce ou surprise par dol. Eh bien ! point de différence
entre l’erreur et la violence ou le d o l. L’une ne se
présume pas plus que les autres. La simple allégation
de l’erreur ne peut donc pas avoir plus d’effet que la
simple allégation du dol ou de la violence, elle ne peut
donc pas faire retomber sur le défendeur le fardeau de
la preuve que l’exécution n’a pas été déterminée par
l’ignorance du vice de l’acte'. »
�Cette démonstration nous parait sans réplique. Nous
admettons donc que l’exécution fait présumer par ellemême la connaissance du vice de l’obligation ; que
cette présomption doit céder devant la preuve du con
traire : que cette preuve est à la charge exclusive du
débiteur prétendant se faire relever des effets de l’obli
gation.
609.
— Ce caractère de l’exécution produit en outre
cette conséquence, qu’elle emporte virtuellement l’inten
tion de purger le vice de l’obligation. Exécuter volon
tairement un acte qu’on sait être nul ou rescindable ,
c’est indiquer aussi positivement que possible qu’on re
nonce à l’attaquer désormais. Cela est si évident, que les
réserves qui accompagneraient l’exécution n ’en atténue
raient aucunement l’importance et n’apporteraient aucun
obstacle à la fin de non-recevoir qu’elle crée.
Cette décision est parfaitement juridique. Que peuvent
signifier des protestations , des réserves, à côté d’un fait
diamétralement contraire, volontairement accompli. La
seule protestation efficace, c’est de ne pas faire ce qu’on
sait n’être pas obligé défaire. Qu’y a-t-il de plus incon
ciliable avec la faculté de demander la nullité d’une
obligation, que l’exécution préalable de cette obligation?
Le fait a beaucoup plus de puissance que la parole. Toute
manifestation d’une volonté contraire à l’acte qu’on
exécute reste sans efficacité possible '.
�ET DE LA FRAUDE.
463
6 1 0 . — Il en serait autrement si l’exécution était
forcée, si elle n’était que la conséquence inévitable et
nécessaire du caractère ou de la nature de l’obligation
nulle ou rescindable. Dans l’un comme dans l’autre
cas, l’exécution cesserait d’être volontaire. Elle ne
suffirait donc pas pour créer la ratification , alors
même qu’on aurait exécuté sans réserves ni protesta
tions.
L’exécution est une conséquence de l’acte, lorsque le
fait qui la constitue découle naturellement de l’engage
ment contracté irrégulièrement. Tel est le cas rappelé
par la loi 3, paragraphe 2, Dig. de minoribus. Un mi
neur a imprudemment accepté une succession. Devenu
majeur, il a payé quelques dettes échues et urgentes de
cette même succession. Ce paiement ne saurait équiva
loir à ratification, parce qu’il n ’est qu’une conséquence
inévitable et directe de l’acceptation \
6 1 1 . — Le paiement intégral ou partiel d’une lettre
de change ou de tout autre effet négociable, entre les
mains d’un tiers-porteur, dans quelque hypothèse qu’il
ait été réalisé, ne saurait empêcher le souscripteur de
faire prononcer plus tard la nullité de l’effet contre le
premier porteur. La raison en est que la nullité du titre
n’est pas même opposable aux tiers porteurs de bonne
foi, et que l’obligation de les désintéresser demeurerait
entière, quand même le débiteur aurait obtenu judi—
1
Duranton, t. xm, n° 283,
�164
TRAITÉ DU DOL
ciairement cette nullité. Il peut donc faire avant ce
qu’il serait tenu de faire après. Un pareil paiement ne
saurait d’ailleurs jamais être considéré comme fait dans
l’intention de renoncer au recours que l’existence du dol
créerait.
Mais hors ces rares exceptions, l’exécution volontai
rement réalisée, après la découverte du vice de l’acte,
entraînerait la ratification. L’effet de celle-ci, comme
celui de la ratification expresse, assure l’existence de la
convention, la purge du vice dont elle pouvait être enta
chée, et devient une fin de non recevoir insurmontable
contre toute recherche ultérieure.
612.
— Les principes que nous venons d’exposer
pour les obligations s’appliquent aux libéralités. Re
marquons en effet que la prohibition de l’article 1339
ne concerne que les nullités de forme dont la donation
entre vifs peut être entachée. Cette restriction, person
nelle d’ailleurs au donateur, prouve suffisamment que
la donation entachée d’un vice intrinsèque-peut devenir
l’objet d’une ratification soit expresse, soit tacite. La do
nation nulle en la forme, et qui serait exécutée par les
héritiers du donateur ne pourrait plus tard être querel
lée de nullité par eux.
Les héritiers sont, par rapport aux donations consen
ties par leur auteur, placés sur la même ligne qu’à l’en
droit des dispositions testamentaires. Conséquemment
l’exécution sciemment donnée aux unes et aux autres
les purge des vices dont elles pourraient être entachées
�ET DE LA. FRAUDE.
165
tant en la forme qu’au fond; elle crée donc une fin
de non recevoir insurmontable contre toute action ulté
rieure.
SECTION II.
De la p r e s c r ip t io n .
SOMMAIRE.
613.
614.
615.
616.
617.
618.
619.
620.
621.
622.
623.
624.
Justice de la prescription contre l’action en nullité. Sa né
cessité.
Esprit delà loi à cet égard.
Fondement philosophique de la prescription, d’après
M. Troplong
Justesse de cette doctrine, lorsque l’acte a été exécuté.
Quid, lorsque cet acte n ’a reçu aucune exécution ?
Conclusion : pour prescrire, il faut que l'acte ait été exé
cuté.
Quels caractères doit réunir l ’exécution décennale. Capa
cité.
Epoque de son point de départ.
A la charge de qui est la preuve de la découverte du
dol.
Nature de la preuve admissible.
Les principes généraux sur l ’interruption de la prescription
régissent celle édictée par l’art. 1304.
En est-il de même des causes de suspension.
�166
625.
626.
627.
628.
629.
630.
631.
632.
633.
634.
635.
636.
637.
638.
639.
TRAITÉ DU DOL
L’action en dommages-intérêts se prescrit-elle conformé
ment, à l’art. 1304?
Toute action serait-elle éteinte après 30 ans, si la dé
couverte du dol ne s’était réalisée que depuis moins de
10 ans.
Importance de l ’article 1304 pour la répétition de ce qui a
été payé sans être dû.
Ce n ’est que l ’action que l ’art. 1304 atteint, même dans le
cas de non exécution.
Conséquences quant à l’exception.
Origine de la règle quce temporalia adagendumperpétua
suntad excipiendum.
Motifs du silence gardé par l’article 1304 sur l’exception.
Application de la règle en matière de dol.
Condition de cette application.
L ’exception perpétuelle n’est donc que la défense à la de
mande.
La possession est le fait dominant du litige.
Conséquence dans le cas de ratification exprese ou ta
cite.
L’exception n ’est admissible que lorsqu’elle tend à conser
ver un état de chose depuis longtemps existant.
Ce caractère dicte la solution des difficultés que la question
peut faire naître. Application.
Résumé.
613.
— Si la prescription, comme moyen d’acqué
rir, a pu paraître odieuse, c’est incontestablement lors
que, invoquée par la mauvaise foi, elle vient au secours
de la violence ou du dol. Cependant les diverses légis
lations qui se sont succédées n’ont pas hésité à l’admet
tre, et cet assentiment commun que cette institution a
�ET DE LA FRAUDE.
167
rencontré à tontes les époques est un témoignage irré
cusable de sa nécessité.
Cette nécessité est d’ailleurs attestée par les considé
rations sur lesquelles est fondée la prescription. Les
transactions entre citoyens sont la base la plus usuelle
du droit de propriété. Laisser ces transactions éternelle
ment en suspend, c’était atteindre la propriété ellemême et blesser au cœur toute société. En présence
d’un pareil danger, on s’explique facilement comment,
au milieu des difficultés soulevées par son application,
l’admission de la prescription, comme principe, a été
unanimement adoptée.
Le Code civil n’a donc fait qu’accepter le legs que lui
avaient fait les précédentes législations. L’article 1304
n’a introduit qu’une seule modification, à savoir : la
détermination du délai de dix ans pour la prescription
des actions en nullité comme pour celles en rescision.
De cette manière, la controverse, qui avait si vivement
jusque là préoccupé la doctrine et la jurisprudence sur
le caractère de l’action, s’est trouvée désormais complè
tement sans objet.
614.
— Avant d’examiner le texte de cet article, il
importe de bien préciser son esprit. Nous pourrons ainsi
déterminer la nature de la prescription qu’il consacre,
et cette détermination nous servira à résoudre quelques
difficultés sur lesquelles la doctrine n’est pas encore dé
finitivement fixée.
615. — Un des jurisconsultes les plus éminents de
�168
TRAITÉ DU DOL
noire époque, M. Troplong, recherchant quels sont les
fondements philosophiques de la prescription, arrive à
cette conclusion : que les droits, considérés dans leur
idéal, ne peuvent recevoir du temps aucune modifica
tion, que ce n’est donc pas sur lui qu’est directement
fondée la prescription, qu’elle a sa base dans la posses
sion de celui qui acquiert, et dans une présomption de
renonciation chez celui qui néglige sa propriété, et que
le temps n’y intervient que comme mesure des éléments
sur lesquels elle repose.
61 G. — Cette conclusion, en ce qui concerne la dé
chéance consacrée par l’article 1304, sera d’une incon
testable justesse, s’il est vrai que le principe de cette
déchéance réside dans l’exécution que l’acte nul ou
rescindable a reçue. Cette exécution, conférant à l’un
la possession, constitue l’autre en négligence et fi
nit par faire admettre sa renonciation si, pendant dix
ans, il n’a pas revendiqué contre un pareil état de
choses.
Or, que tel soit le fondement de la prescription auto
risée par l’article 1304, c’est ce dont il n’est pas per
mis de douter. La perte d’un droit quelconque, par le
seul effet du temps, n’était pas admissible en principe,
car le temps n’intervient dans la prescription que comme
mesure des éléments sur lesquels elle repose. Le légis
lateur ne pouvait consacrer une injustice aussi fla
grante. La consécration delà prescription suppose donc
la possession d’une part, la négligence de l’autre. C’est
�ET DE LA FRAUDE.
169
le froissement d’intérêt qui en résulte, c’est le préjudice
permanent, éprouvé par celui contre qui on prescrit,
qui proteste perpétuellement contre son silence. Légale
ment mis en demeure de faire valoir ses droits, il con
somme lui-même la spoliation dont il se prétendrait
victime, si son inaction s’est prolongée jusqu’au terme
fixé pour la prescription. Or tout cela ne peut se réali
ser que par l’exécution dont l’acte nul ou rescindable a
été l’objet.
617.
— A défaut d’exécution , en effet, le débiteur
n’éprouve aucune atteinte ni dans sa fortune, ni dans
ses droits. Il ne peut être accusé de négligence, car son
intérêt ne le sollicite pas d’agir. L’existence de l’acte nul
ou rescindable constitue tout au plus une menace dans
l’avenir, menace d’autant plus vaine, que l’inaction du
créancier peut être considérée comme un aveu de l’in
validité de son titre, comme une renonciation à s’en
prévaloir. Apparente ou réelle, cette présomption excuse
le silence gardé par le débiteur, qui doit d’autant moins
s’adresser à la justice qu’il ne pourrait en obtenir que
ce qu’il possède déjà.
La prescription atteignant en cet état le débiteur se
rait un fait injuste, d’autant plus anormal que le créan
cier aurait prescrit sans avoir possédé. Or, de toutes les
conditions, la possession est la plus indispensable pour
pouvoir prescrire. Conséquemment, nul ne peut pré
tendre avoir prescrit une action, ou, ce qui est la même
chose, s’en être libéré par le laps de temps dans lequel
�170
TRAITÉ DU DOL
son exercice est circonscrit, s’il n’en a possédé l’objet
pendant tout ce temps. L’exécution de l’acte nul ou res
cindable pouvant seule donner cette possession, il faut
en conclure que, dans l’esprit de la loi , pour que la
prescription de l’article 1304 soit applicable, il faut que
l’acte ait été exécuté pendant dix ans.
Cette intention nous la rencontrons dans le texte
d’une manière bien plus formelle encore. Dans tous les
cas où l ’a c t io n en nullité ou en rescision n’est pas li
mitée à un moindre temps, par une loi particulière,
c e t t e a c t io n dure dix ans.
C’est donc l’action seule qui est déclarée susceptible
d’être atteinte par la prescription. Or, l’action n’étant
que le droit de poursuivre en justice ce qui nous est dû
ou ce qui nous appartient, la nécessité de l’intenter
suppose que celui à qui elle est imposée n’a pas ou n’a
plus ce qu’il devrait avoir, en d’autres termes, que la
convention nulle ou rescindable l’a privé d’une partie
de ce qu’il avait à recevoir ou l’a dépouillé d’une chose
qu’il avait toujours possédée et qu’il est en droit de re
demander.
Alors, mais alors seulement, l’inaction qu’il s’impose
en présence d’un préjudice flagrant, parfaitement connu,
donne à sa conduite le caractère d’abandon qui, rap
proché de la possession décennale de son adversaire,
détermine et doit déterminer la prescription.
618.
— Le texte de la loi est donc parfaitement
d’accord avec son esprit. La première condition, essen-
�I
ET DE LA FRAUDE.
171
tielle à l’application de l’article 1304, est que l’acte nul
ou rescindable ait reçu son exécution ; que celte exé
cution ail duré dix ans sans réclamation. C’est l’action
résultant de cette exécution qui prescrit par le laps
de dix ans. Ce qui le prouve encore mieux, c’est la
perpétuité de l’exception dont nous aurons à nous oc
cuper.
La prescription de l’article 1304 n’est donc qu’un
mode de ratification tacite. Seulement, l’effet que pro
duit dans celle-ci le fait postérieur d’exécution, est ici la
conséquence du silence obstiné du débiteur. Ce carac
tère de la prescription explique les conditions que la loi
a tracées dans le point de départ du délai qui la cons
titue.
619.
— L’exécution décennale n’est utilement invo
quée que lorsqu’elle émane d’une personne capable,
d’un consentement éclairé sur le vice de la convention :
Contra non valenlem agere, non curritprescriptio. Or,
la loi considère comme suffisamment empêché d’agir,
non-seulement celui qui est incapable de contracter,
mais encore celui qui ignore l’existence du droit que la
prescription doit lui ravir. C’est ce qui résulte explicite
ment de l’article 1304.
« Le délai de dix ans ne court, pour les actes faits
par un interdit, que du jour de la levée de l’interdic
tion ; pour les actes faits par un mineur, que du jour
de la majorité; pour ceux faits par la femme mariée non
autorisée, que du jour de la dissolution du mariage;
�m
TRAITÉ DU DOL
dans le cas de violence, que du jour où elle a cessé ;
dans les cas d’erreur ou de dol, que du jour où ils ont
été découverts. »
On le voit, la loi présume dans la prescription l’effet
que la ratification produit, à savoir : la renonciation à se
pourvoir contre le vice de l’acte. Il fallait donc que dans
l’une comme dans l’autre, le débiteur pût valablement
aliéner.
6 2 0 . — Or, cette faculté n’a jamais appartenu au
mineur, à l’interdit, à la femme mariée; elle ne saurait
être exercée par celui qui ignore la nature vicieuse de
l’engagement qu’il a souscrit. Cette ignorance du vice
est présumée la cause unique de l’exécution , laquelle ,
se trouvant entachée d’erreur, ne saurait créer aucun
lien obligatoire. C’est ce qui se réalise pour la ratifi
cation ; c’est aussi ce que la loi admet pour la pres
cription.
Dès-lors le moment de la découverte du dol sera
d’une importance décisive dans les procès où s’agite la
question de prescription. L’action, en effet, se trouvera
éteinte on non, suivant la détermination que recevra ce
point de départ de la prescription. A la charge de qui
doit-on imposer le fardeau de la preuve ?
621. — Il semblerait résulter de l’article 1304 que
c’est à celui qui excipe de la prescription qu’incombe
ce devoir. Il n’y a prescription que si l’exécution s’est
réalisée dans les conditions voulues par la loi. Celui-là
�ET DE LÀ FRÀUDE.
173
donc qui invoque cette exécution devrait en justifier le
caractère, pour pouvoir utilement s’en prévaloir.
Mais les considérations que nous avons invoquées pour
la solution de cette question, à l’endroit delà ratification,
doivent recevoir, dans cette circonstance, une entière
application et conduire à une conséquence identique.
L’exécution n’est jamais présumée le résultat de l’erreur.
C’est la présomption contraire qui est seule admissible,
La partie qui l’invoque n’a donc à prouver que son exis
tence et sa durée.
Cette preuve fournie, la prescription est acquise, à
moins que le débiteur n’allègue et ne prouve que le point
de départ assigné n’est pas celui qui doit être adopté, en
d’autres termes, que la découverte du dol ne remonte
pas à dix ans. Cette allégation le constitue demandeur
en exception. La preuve est donc à sa charge, et cela
par les motifs que nous avons déjà rappelés, à savoir :
qu’elle ne peut résulter que de faits qui lui sont person
nels, que ces faits constituent nne exception établie pour
son utilité, qu’ils tendent à enlever au créancier le béné
fice de la prescription1.
622.
— Mais il n’en est pas de cette preuve comme,
de celle de l’hypothèse prévue par l’article 448 du
Code de procédure civile, elle ne doit pas être néces
sairement une preuve écrite. C’est par les documents
1 Cass.. 23 juin 1825 ; — Grenoble, 4 " mars 1827 ; — D. P., 25, î,
400; 27. 2, 95.
�474
TRAITÉ DU DOL
du procès, p arles renseignements fournis par les té
moins, c’est enfin par les présomptions qu’elle peut être
acquise.
6 2 3 . — Les principes généraux du droit sur l’inter
ruption de la prescription reçoivent une application in
contestée à celle édictée par l’article 4304, Tout acte
constitutif d’une interruption, soit naturelle, soit civile,
produirait donc .dans les conditions exigées par la loi tous
les effets dont il est susceptible.
6 2 4 . — Qu’en est-il des causes qui suspendent la
prescription? Le délai de dix ans, qui aurait commencé
de courir contre un majeur, serait-il suspendu par la
minorité ou l’interdiction de son héritier?
L’affirmative n’était pas douteuse en droit romain.
Le mineur, comme l’enseigne Ulpien, était considéré
comme lésé, en cela même qu’il n’avait pas formé en
temps utile l’action que son auteur lui avait transmise :
Hoc enim ipso deceptus videtur, quod cum posset restitui intra lempus statutam ex persona defuncti, hoc non
fçciV. On lui accordait donc, pour intenter l’action
après la majorité, le même temps qui restait au défunt
au moment de sa mort : Tempus quod habuit is cui
hœres extitit. La prescription restait donc suspendue
depuis le décès du majeur jusqu’à la majorité de son
héritier. Ce temps d’arrêt n’était que la conséquence de
1 L. 19, Dig. de m in o rib m
�ET DE LA FRAUDE.
175
la règle contra non valentem agere, non currit prescriptio.
Le fondement de cette doctrine, consacrée par notre
ancien droit, a été admis par le Code civil. L’article
2252, à la section des causes qui interrompent la pres
cription, dispose que la prescription ne court pas contre
les mineurs et les interdits. Conséquemment notre
question serait toute tranchée, si l’on déclarait cette dis
position applicable à la prescription de l’article 1304.
C’est cette applicabilité que nie Toullier. « Le Code ,
« dit cet éminent jurisconsulte , a obéi quant à ce à
« d’autres principes que le droit romain, afin de ne pas
« prolonger l’incertitude des transactions. Ce n’est qu’à
« l’égard des actes faits par les mineurs et les interdits,
« et non à l’égard des actes faits par ceux auxquels
« ils succèdent , que l’article 1304 ordonne que le
« temps ne courra que du jour de la majorité ou de la
« levée de l’interdiction. De plus, l’article 1676 porte
« expressément que le délai donné pour la rescision de
« la vente pour lésion des sept douzièmes court contre
« les absents, les interdits et les minenrs venant du chef
d’un majeur
»
Nous pourrions dire de Toullier ce que lui-même di
sait tout à l’heure de Merlin : il ne s’est pas exprimé avec
son exactitude ordinaire. Il est, en effet facile de recon
naître que des deux arguments qu il invoque, le premier
est insignifiant, le second se retorque contre son opinion
d’une manière victorieuse.
�176
TRAITÉ DU DOL
L’article 1304 n’avait qu’un objet spécial : le sort de
l’acte nul pour avoir été souscrit en minorité, en état
d’interdiction, ou rescindable pour cause d’erreur ou de
dol. Dans chacun de ces cas, il détermine le point de
départ de la prescription de l’action qui en résulte.
Mais l’article 1304 ne s’explique ni sur le cas où les
personnes, à qui appartient l’action meurent sans l’avoir
exercée et avant que le délai, dans lequel l’exercice
en est circonscrit, ait commencé de courir ni sur le
cas où elles meurent pendant le cours de ce délai , ni
sur le cas où ce sont des mineurs qui leur succèdent.
Que conclure de ce silence, sinon que, s’en référant aux
principes généraux en matière de prescription, le légis
lateur a laissé sous leur empire la solution que chacun
d’eux doit recevoir.
Ainsi dit Merlin, le législaleur est censé dire que,
dans le premier cas, l’héritier entre dans tous les droits
du défunt, et que par suite il jouit, pour intenter l’ac
tion en nullité ou en rescision, de tout le délai qui était
encore entier à la mort de celui-ci ; il est censé dire, par
la même raison, que, dans le second cas, l’héritier a pour
intenter l’action tout le temps qui restait encore au dé
funt ; il faut donc bien aussi qu’il soit censé dire que ,
dans le troisième cas, le temps qui restait au défunt ne
commencera à courir contre l’héritier que du jour où
celui-ci aura atteint sa majorité '.
Cela est d’autant plus évident, qu’on ne pourrait dé1 Question de droit, v®, rescision, § S.
�ET DE LA. FRAUDE.
177
cider le contraire sans violer formellement la disposition
de l’article 22552!. Sans doute la règle qu’elle renferme
est susceptible de quelques exceptions, mais à condition
que ces exceptions soient textuellement établies par une
disposition expresse, c’est ainsi que l’exige l’article 2252
lui-même.
Or cette exception, dans le cas de l’article 1676,
n’est qu’une conséquence du principe posé par l’article
2252. La prescription de l’action biennale court contre
le mineur et l’interdit parce que l’article 1676, confor
mément à ce principe, le décide formellement. Toullier
ne pourrait donc invoquer l’analogie qui le détermine
que si l’article 1304 s’expliquait comme l’article 1676.
Nous avons donc raison de dire que, loin d’être favo
rable à son système, cet article le repousse; il est évi
dent en effet que si l’article 1676 ne s’en était pas for
mellement expliqué, la prescription biennale de l’action
en rescision eût été suspendue par la minorité et l’in
terdiction. Donc l’article 1304 gardant le silence, il est
impossible de ne pas admettre, dans l’hypothèse qu’il
prévoit, ce qu’on aurait admis dans le cas de l’article
1676, si, à son tour, celui-ci s’était tu,
Mais, dit Toullier, il y a non-seulement identité de rai
son, mais une raison de plus pour appliquer la disposition
de l’article 1676 aux autres actions en rescision dont la
la durée est de dix ans. Les considérations qui précèdent
repoussent suffisamment cette observation, que les prin
cipes d’ailleurs condamnent. Lorsqu’il s’agit d’une exce
ption pour laquelle la loi exige un texte formel, l’exis-
�178
TRAITÉ DU DOL
tence de ce texte, pour un cas déterminé, ne saurait
autoriser son application à un autre cas non spécifié. Ce
qui en résulterait plutôt, c’est que ce dernier a été for
mellement exclu: Qui dicit de uno, de altero negat. Il
suffit donc que l’article 1676 soit une exception au prin
cipe général pour qu’il faille le restreindre au cas spé
cial qu’il prévoit, soit en vertu du principe que nous
venons de rappeler, soit parce que les exceptions étant de
droit étroit, on ne peut les étendre d’uja cas à l’autre sous
prétexte d’analogie, de parité ou de supériorité de rai
son.
Nous ne croyons donc pas que l’opinion de Toullier
puisse être suivie. L’avis contraire est seul conforme
aux véritables principes, c’est ce qu’attestent la doctrine
et la juriprudence '. On doit donc décider que dans le
cas de l’article 1304,-comme dans la prescription en
général, le délai est suspendu par la minorité et par l’in
terdiction de l’héritier du majeur, contre lequel il a com
mencé de courir.
625 — Nous avons vu plus haut que le dol engen
dre, outre et indépendamment de l’action en rescision,
l’action en dommages-intérêts , et que le plaignant
est en droit d’exercer celle-ci, soit qu’il ne veuille ou
qu’il ne puisse intenter l’autre. Cette action , comme
i Merlin, loco citato ; — Domat, L. civ„ liv. 2, tit. de la restitution,
sect, 1. n° 15 ; — Solon, des N ullités, t. n, p. 464, n° 493 ; — Limo
ges, 26 mai 1338; — D. P., 38, 2, 203.
�.‘
1.
■
X
ET DE LA FRAUDE.
179
celle en rescision, est-elle atteinte par la prescription de
dix ans?
La négative est enseignée par M. Chardon en ces
termes: « Si l’action ne tendait qu’aux dommages-in« térêts résultant du dol, elle pourrait être utilement
« exercée après les dix ans de la découverte. La règle
« générale pour les prescriptions est celle que contient
« l’article 2262 du Code civil, qui fixe à trente ans la
« durée de toutes les actions réelles ou personnelles.
« Toutes les prescriptions acquises par un laps de temps
« moins considérable ne sont que des exceptions à cette
« règle, et, comme toutes les exceptions, elles doivent
« être restreintes aux cas pour lesquels elles sont éta—
« blies. Or l’article 1304 n ’établit la prescription de dix
« ans qu’à l’égard de l’action en nullité ’.
Parfaitement d’accord avec M. Chardon sur le prin
cipe, nous ne pouvons en contester la conséquence. Mais
ce que nous ne pouvons admettre, c’est l’application
qu’il en fait à l’article 1304, lequel nous parait établir
formellement une exception à l’article 2262.
Il est vrai que cet article ne parle nommément que
de l’action en nullité ou rescision, mais l’extinction ne
porte pas seulement sur l’action ; ce que la prescrip
tion atteint, c’est principalement sa cause, or si l’ac
tion en dommages-intérêts n’a pas d’autre cause que
cellede l’action en rescision, et si, pour ce qui concerne
cette dernière, cette cause est désormais éteinte, coml T. i, p. 81, n° S4.
�180
TRAITÉ DU DOL
ment la première pourrait-elle survivre à son principe
générateur?
L’identité de la cause, dans l’action en rescision et
dans celle en dommages-intérêts, ne saurait être con
testée. Le dolseul qui motive l’une, motive l’autre. Mais
si l’acte ne peut même plus être querellé sous ce rapport,
il est évident qu’il n’y aurait aucun fondement à la de
mande en dommages-intérêts, et que celte demande ne
pourrait être justifiée.
C’est ce qui se réalise chaque jour pour la rescision, pour
vices rédhibitoires. L’existence de l’un de ces vices en
gendre deux actions: l’une en rescision, l’autres en quanti
minoris, c’est-à-dire en dommages-intérêts. Celui qui
ayant intenté l’une a succombé serait-il recevable à inten
ter plus tard la seconde? Évidemment non, car en don
nant congé sur la première, le jugement a légalement
prononcé sur toutes les deux.
Cette doctrine, que nous avons dit être celle du judi
cieux Pothier
a conduit à cette conséquence ration
nelle , que celui, qui a laissé expirer les délais de la
rédhibition, ne peut plus recourir à l’action en dom
mages-intérêts , c’est ce que la Cour d’appel d’Àix, no
tamment, a jugé dans l’affaire Agard contre Gilles, sur
le motif entre autres que le recours en dommagesintérêts, après la déchéance de l’action en nullité ou
rescision de la vente, accuserait l’inutilité de cette dé-
1 Vid. su p ra , n“ 338.
�.
ET DE LA. FRAUDE.
481
chéance en la remplaçant avantageusement par l’action
en dommages-intérêts 1.
Le même effet se produirait exactement dans le cas
de l’article 1304, si l’opinion de M. Chardon pouvait
être admise. Quel serait le bénéfice de la prescription,
si son accomplissement laisse subsister; d’une part, le
droit d’obtenir une réparation intégrale; de l’autre, l’obli
gation de faire disparaître tout préjudice occasionné parle
dol? Qu’aurait donc gagné celui qui a prescrit? Quelle
serait la peine de la négligence de celui q u ia laissé
prescrire? Le maintien de l’acte ! Mais ce maintien n’a
plus de prix réel, lorsque l’inégalité qu’il crée doit être
rachetée à prix d’argent.
Le système de M. Chardon enlève donc toute sanction
réelle à l’article 1304. L’action en dommages-intérêts ne
pourrait survivre à l’action en rescision sans briser toute
l’économie de cette disposition législative’, sans mécon
naître ouvertement l’esprit qui l’a dictée.
Nous venons de le dire, la prescription n’est, à vrai
dire, qu’un mode de ratification tacite, car elle ne ré
sulte que d’une exécution donnée en pleine connais
sance du vice dont l’obligation est entachée. Dix ans
entiers de cette exécution font consacrer qu’il a été
dans l’intention des parties de purger ce vice, lequel
se trouve dès lors complètement effacé. Or, comment
concilier cette conséquence avec le système de M. Char
don? L’action en dommages-intérêts survivrait-elle à la
1 23 décembre 1843 ; — Ju risp . de la Cour d 'M x , 1844, p. 129.
�m
TRAITÉ DU DOL
ratification expresse ou tacite? Evidemment non. Mais
alors comment pourrait-elle survivre à la ratification
légale résultant de l’exécution décennale? L’obstacle
que nous rencontrons dans le premier cas, à savoir :
l’extinction du principe générateur de l’action se rencon
tre d’une manière non moins énergique, non moins pé
remptoire. Il y a dès lors une invincible impossibilité à
décider pour l’un le contraire de ce qu’on déciderait pour
l’autre.
En résumé, si le dol crée deux actions, ces deux ac
tions , différentes quant aux résultats, n’ont qu’une
seule cause. La prescription effaçant le dol, empêchant
qu’on puisse plus tard en alléguer l ’existence, atteint
également tous les droits que celui-ci est dans le cas
de créer. Permettre de demander des dommages-in
térêts lorsqu’on s’est rendu non-recevable à 'poursui
vre la rescision de l’acte , c’est véritablement abuser
de la différence des mots et reconnaître un effetqui n’a
pas de cause.
626.
:— Nous ne pouvons donc partager l’opinion de
M. Chardon, pas plus en ce point que lorsqu’il ensei
gne qu’après trente ans, lors même que le dol n’aurait
été découvert que récemment, toute action serait prescrite.
On ne saurait se placer plus formellement en contradic
tion avec le texte de la loi, qui ne fait courir le délai de
dix ans que du jour de cette découverte. Cette décou
verte est donc un des éléments constitutifs de la pres
cription, elle en forme l’unique point de départ, à quel-
�ET DE LA FRAUDE.
183
que époque qu’elle se réalise. Conséquemment, dire
que l’exécution qui a précédé cette découverte pourra
concourir dans une proportion quelconque à l’acquisi
tion de la prescription ou la déterminer, c’est se placer
en révolte ouverte contre la volonté expresse du législa
teur, c’est consacrer une injustice en dépouillant celui
qui n’a jamais pu agir parce qu’il a toujours ignoré
qu’il eût un droit à exercer ; c’est enfin méconnaître
cette maxime si équitable ; Contra non valentem agere,
non currit prescriptio.
La prescription ne peut se justifier que par l’incon
cevable négligence apportée à la réclamation d’un droit
qu’on sait vous appartenir, qu’on est en étàt de reven
diquer. C’est ce que consacre l’article 1304, en n’ou
vrant le délai de la prescription qu’au moment de la
découverte du dol. Assigner un temps quelconque à
cette découverte, était une chose impossible. C’est donc
ajouter à la loi que de la circonscrire même dans le délai
de trente ans.
627.
— La déchéance prononcée par l’article 1304
est absolue ; il est bon de ne pas le perdre de vue, en
présence des principes concernant la répétition de l’indu.
On sait qu’aux termes de l’article 1235, ce qui a été
payé sans être dû est sujet a répétition, on sait auss
que l’action en répétition dure trente ans. Or, celui qui
a soldé une obligation entachée de dol pourrait pré
tendre avoir payé ce qu’il ne devait pas , et consé
quemment vouloir se placer sons le patronage de la
prescription trentenaire.
�184
TRAITÉ DU DOL
Il est certain que le dol n’oblige ni naturellement ni
civilement. Celui qui a payé une dette qui en est viciée
a donc réellement payé ce qu’il ne devait pas. Mais si on
pouvait, en pareille matière, invoquer les principes de
la répétition, on arriverait à cette singulière antinomie
qu’un droit, éteint en vertu de l’article 1304, survivrait
pendant vingt ans encore à cette extinction. Cet article
ne serait donc plus qu’une menace inutile et vaine.
Un pareil résultat est la condamnation la plus éner' gique du système qui le verrait se produire. Nous pou
vons donc, par l’effet seul, juger que le législateur n’a pu
admettre la cause. C’est au reste à quoi aboutit l’appré
ciation des véritables principes en matière de répétition
. de la chose non due.
Il n’y a payement non du que lorsque la dette n’exis
tait pas ou n ’existait plus au moment où elle a été payée;
et que cette circonstance, ignorée au moins par le débi
teur, a seule déterminé le payement. L’erreur sur la qua
lité respective de créancier et de débiteur est tellement es
sentielle que celui qui paye, sachant qu’il ne doit pas, se
rend non-recevable à répéter : Sed si sciens se non debere, indebilum solvit, cessât repetilio... Enim veto
indebilum solutum sciens, non recte repetit'.
Cette doctrine n’est que la conséquence de cette idée
fort juste ; qu’on ne paye pas uniquement pour se pro
curer le plaisir de redemander judiciairement ce qu’on
n’était pas obligé de payer. Conséquemment, celui qui
,1
1 L. 1, Dig. et L: 9, Cod. de condict. indebili.
' *7
�ET DE LA FRAUDE.
185
paie sciemment une dette qu’on lui réclame, qui ne peut
en conséquence exciper d’une erreur quelconque, prouve
suffisamment que cette dette constituait au moins pour
lui une obligation naturelle, et ce motif suffit pour ren
dre l’action en répétition non-recevable.
Ainsi l’exercice de la répétition suppose le paiement
par erreur d’une dette qui n'existait pas, soit que le pré
tendu débiteur ne se fût jamais engagé, soit que la dette
existant dans le principe eût déjà été payée par lui, soit
enfin qu’il ne fût pas le débiteur véritable.
Or, celui qui paie une dette, en vertu d’un engage
ment qu’il a souscrit, ne se place dans aucune de ces
hypothèses. Que la dette ait été contractée par le résul
tat de la violence, de l’erreur ou du d o l, qu’elle soit
sans cause ou sur une cause fausse ou illicite, elle n’en
existe pas moins, elle n'en est pas moins le fait du dé
biteur, qui demeure obligé tant qu’il n’a pas fait pro
noncer en justice la nullité de son engagement. Un con
sentement extorqué, dit Pothier, n’en est pas moins
obligatoire tant que le lien n’en a pas été régulière
ment rompu. Donc l’exécution de l’obligation, le paie
ment qu’elle a déterminé, n’est qu’une conséquence
naturelle de l’existence de l’obligation elle - même.
Donc la dette payée était due aux yeux de la loi posi
tive.
Comment donc pourrait-elle être répétée lorsque le
débiteur, pouvant la faire annuler , l’a au contraire ac
ceptée et payée. Car il faut nécessairement admettre que
le paiement a été réalisé en pleine connaissance dq
�186
TRAITÉ DU DOL
vice de l’obligation. En effet, si le dol n’était pas dé
couvert lors du paiement, il est inutile de recourir aux
principes de la répétition. L’action en nullité est ou
verte du moment où le dol apparaît, et cette action
suffit pour déterminer la restitution de ce qui a été
payé.
Que si le paiement a été fait avant la découverte du
vice et que, celle-ci se réalisant, le débiteur ait gardé le
silence pendant dix ans, ce silence équivaut à ratifica
tion. L’acte ainsi confirmé est désormais inattaquable.
O r, la dette existant dès lors légalement, le paiement
qui l’a éteinte ne saurait devenir l’objet d’une action en
répétition.
Ainsi tant que l’action en nullité n’est pas prescrite,
elle sauvegarde suffisamment les intérêts du débiteur,
elle est pour lui à l’instar de la répétiton, puisqu’elle
amène le remboursement de ce qu’il a injustement
payé. Après l’extinction de cette action , il existe réelle
ment une dette obligatoire puisant ce caractère dans la
ratification dont elle a été l’objet, soit expressément, soit
tacitement, soit par l’effet de la prescription. Il ne peut
donc y avoir lieu à répétition, par la meilleure de toutes
les raisons, à savoir : parce que le paiement s’applique
à une dette due.
Les considérations qui précèdent nous paraissent de
nature à applanir les difficultés que pourrait faire naître
la distinction entre les cas où l’on pourrait être appelé
à exercer soit l’action en rescision, soit l’action en ré
pétition. Le paiement a-t-il été la conséquence de l’er-
x
�ET DE LA FRAUDE.
187
reur sur l’existence actuelle de la dette, sur la qualité
respective de créancier et de débiteur? C’est l’action en
répétition qui est ouverte. Toutes les fois, au contraire,
que l’erreur a porté sur les caractères extérieurs ou es
sentiels de l’obligation, sur sa validité, l’action est dé
terminée par l’objet qu’elle se propose. Or, dans cette
hypothèse, la restitution ne sera que la conséquence de
la constatation du vice de l’obligation, de la nullité qui
en résulte. C’est donc cette nullité qu’on doit établir a
priori, et dès lors l’action rentre nécessairement sous
l’application de l’art. 1304.
6 2 8 . — Nous avons raisonné jusqu’ici dans l’hypo
thèse de l’action intentée après l’exécution de l’acte, et
nous avons dit que la prescription n’était elle-même
que la conséquence de cette exécution. Il est cependant
certain que, même dans le cas où l’acte n ’a pas été
exécuté, l’action du débiteur se prescrirait par dix ans,
en ce sens qu’après ce délai il ne pourrait plus directe
ment faire prononcer la rescision de l’obligation.
6 2 9 . — Mais, loin d’affaiblir notre système, ce point
de vue vient lui donner une éclatante confirmation. En
effet, le créancier, dans cette hypothèse, ne gagne à la
prescription que d’être affranchi de la nécessité de se dé
fendre en justice contre la demande en rescision, ses
droits, quant à la chose ayant fait l’objet de l’obligation
demeurent ce qu’ils ont été jusque-lè, une menace d’au
tant plus vaine que, le jour où il voudra les réaliser, le
�188
TRAITÉ DU DOL
débiteur aura la faculté de faire prononcer par voie
d’exception la rescision qu’il ne peut requérir par voie
d’action. Ici, en effet, s’applique la maxime : Quœ
temporalia sunt ad agendum, sunt perpétua ad excipiendum.
6 5 0 . — Il n ’est peut-être pas de règle qui soit plus
souvent invoquée au palais que celle que nous rappe
lons, ii s’en faut pourtant qu’elle le soit toujours à pro
pos. Cette circonstance, et l’importance d’ailleurs qu’elle
a pour les droits qu’elle est dans le cas de protéger, nous
font un devoir d’en rechercher le sens, d’en préciser
l’étendue. Nous déterminerons ainsi les cas dans les
quels elle doit être appliquée.
Que cette règle puise son origine dans certains textes
du droit romain, c’est ce dont il est permis de douter.
À notre avis, Merlin ' prouve le contraire avec autant
de supériorité de raison que de clarté.
Ce qui est certain, c’est qu’elle avait été consacrée en
principe par notre ancien droit. Mais , d’accord sur ce
principe, les docteurs étaient loin de s’entendre sur son
application. Quelques-uns mêmes allaient jusqu’à l’ex
clure, lorsque ce qui faisait l’objet de l’exception avait
pu être proposé par voie d’action.
Cette doctrine, comme l’observe Merlin, dénaturait
complètement le principe. La faculté d’agir perpétuelle
ment par exception, lorsque l’action n ’est que tempo1 Répert.,
prescription, sect. 2, S25.
�ET DE LA FRAUDE.
189
raire, implique forcément le concours de l’action et de
l’exception. Prohiber celle-ci, lorsque l’autre n’avait pas
été exercée, c’était donc refuser d’appliquer la règle au
cas pour lequel elle a été précisément faite et qu’elle
paraissait devoir exclusivement régir.
C’est cependant cette erreur grave que les rédacteurs
de l’ordonnance de 1539 avaient consacrée, en inscri
vant dans l’article 134 : qu'après l’âge de 35 ans par
faits et accomplis ne se pourrait, pour le regard du
privilège ou faveur de minorité, plus déduire ou pour
suivre la cassation des contrats, e n d e m a n d a n t ou e n
DÉFENDANT.
Ainsi la prescription atteignait, sous l’empire de cette
ordonnance, non-seulement l’action, mais encore l’ex
ception. Mais cette disposition avait été, à l’endroit de
celle-ci, sévèrement appréciée par la doctrine. In hoc
iniqua est constitutio, s’écriait Dumoulin, et cette opi
nion si grave avait suffi pour que dans la pratique le
texte rigoureux de l’ordonnance ne fût appliqué que
lorsque, sous le rôle apparent de défendeur, le mineur
venait, comme véritable demandeur, après dix ans de
la majorité, exciper de la lésion soufferte en mi
norité.
Les termes de l’article 1304, en regard de ceux de
l’ordonnance de 1539, prouvent que le législateur nou
veau a formellement proscrit le système de celle-ci. La
réprobation qui avait d’ailleurs accueilli ce système lui
en faisait un devoir. Cependant M. Duranton voit, dans
le silence gardé sur l’exception, l’intention ne suivre au-
�190
TRAITÉ DU DOL
jourd’hui encore l’opinion des rédacteurs de l’ordon
nance. Mais cette doctrine nous parait insoutenable en
présence du texte, mieux encore de l’esprit de la loi.
6 3 1 . — L’article 1304 n’a pas dit que l’exception
serait prescrite, parce que l’exception à l’aide de laquelle
on veut se maintenir en possession suppose, chez celui
qui en excipe, la possession actuelle et ancienne de ce
qui fait l’objet du litige. Celui qui veut le dépouiller n ’a
donc pas cette possession, et, en cet état, comment con
cevoir la possibilité d’une prescription ? On ne peut
prescrire qu’autant qu’on a possédé, que ce qu’on a
possédé : Tantum prescriptum quantum possessum. Il
suffit donc que celui qui revendique n’ait rien possédé,
pour qu’il n’ait pas, nous ne dirons pas prescrit, mais
pu prescrire. Si quelque chose avait pu être atteint par
la prescription, ce serait le droit qu’on cherche à faire
valoir après un silence et une inaction de plus de dix
ans. Ainsi, l’absence de toute possession ne permettait
pas de placer l’exception sur la même ligne que l’action
dans l’hypothèse contraire, et voilà pourquoi l’article
1304 se borne à soumettre celle-ci à la prescription
qu’il édicte. Le silence qu’il garde sur l’exception ne
peut donc être interprété comme le fait M. Duranton.
On ne comprendrait pas d’ailleurs ce silence si le Code
n ’avait voulu que ce que voulait l’ordonnance. La
chose méritait certes bien qu’il s’en expliquât nette
ment.
6 3 2 . — L’esprit de la loi ainsi fixé, nous arrivons à
�ET DE LA FRAUDE.
191
cette conséquence que l’exception perpétuelle suppose
l’existence d’une action actuellement prescrite. C’est évi
demment ce qui se réalisera dans le cas de dol, lors
que la prescription décennale aura fait disparaître l’ac
tion. Dès lors, la recevabilité de la maxime quœ temporalia, etc., ne peut être contestée. Nous ne connaissons
guère que M. Duranton qui l’ait combattue '. Mais il
suffit de lire ce qu’il a écrit à ce sujet pour s’étonner
qu’un jurisconsulte aussi distingué n’ait pas jugé par
l’embarras de ses développements et par la gravité des
doutes qu’il signale qu’il n’était pas dans la voie des vé
ritables principes.
Son opinion, indépendamment de ce qu’elle est à peu
près isolée, est combattue par une nombreuse et imposantejurisprudence, couronnée par un arrêt de la Cour
de cassation du 1er décembre 1846 \
633.
— Cette arrêt nous fournit l’occasion natu
relle de passer de ces considérations générales aux con
ditions que le juge doit exiger pour appliquer la règle
que nous examinons. Or, la première et la plus indis
pensable de ces conditions, c’est que l’obligation nulle
ou rescindable n’ait encore reçu aucune exécution. Ainsi,
la Cour, de cassation pose en principe que l’exception ne
peut être utilement invoquée qu’autant que celui qui
s’en prévaut est constamment resté en possession d el’ob-
1 T. il, n° 549.
- Journal du Palais, 1 .i, p. 16, 1847.
�192
TRAITÉ DU DOL
jet ayant fait la matière de cette obligation. Alors, en
effet, le créancier n’a pu prescrire, ainsi que nous ve
nons de le dire, et, de son côté, le débiteur n’ayant ja
mais éprouvé de préjudice, ne peut être présumé avoir
renoncé au droit que l’existence du dol lui conférait.
L’exception n’est en conséquence qu’un moyen de se dé
fendre contre une injuste spoliation qu’il ne dépendait
pas du créancier de faire réussir en retardant à dessein
le moment de la poursuivre. L’attaque se réalisant, la
défense a le droit de se produire, car, comme l’observe
Merlin, rien n’est plus conforme à l’équité que de faire
durer le droit de se défendre aussi longtemps que
dure le droit d’attaquer, et de ne jamais considérer
comme trop lente la défense qui est aussi prompte que
l’attaque.
> ’ •
: 6 5 4 . — L’exception perpétuelle doit donc offrir ce
caractère qu’elle n’est que la défense à la demande. Dès
lors elle suppose que l’acte rescindable n’a encore reçu
aucune exécution ; dans le cas contraire, le débiteur
ne possédant plus ne pourrait plus en invoquer le bé
néfice.
Ainsi, je suis induit, par dol, à vendre tout ou partie
de ce que je possède. Découvrant le dol, je refuse de li
vrer l’objet vendu qne je continue de posséder. Dix ans
après, l’acquéreur me poursuit, en exécution de la
vente, j ’ai le droit d’en faire prononcer la résiliation.
Vainement opposerait-on la prescription, cette prescrip
tion m’a enlevé la faculté de faire prononcer la res-
�193
cision par voie d’aclion, mais l’absence d’exécution , la
continuité de la possession, enfin ma qualité de défen
deur m’autorisent à me prévaloir de la maxime quœ
temporalia, etc.
ET DE LA FRAUDE.
6 3 5 . — La possession est donc réellement le fait do„
minant du litige. De là, cette conséquence que le débi
teur qui l’aurait perdue ou qui ne l’exercerait pas;wre
suo, ne pourrait, après la prescription de l’action, de
mander la rescision de l’acte par voie d’exception. La
possession, pour conserver, doit offrir les caractères exi
gés pour celle qui fait acquérir, c’est-à-dire qu’elle doit
être paisible, publique et exercée animo domini. Une
possession matérielle, contraire à un titre régulier ou
entachée de précarité ne suffirait donc pas.
656. — Dès lors, celui qui aurait ratifié l’obliga
tion rescindable , soit expressément, soit tacitement, et
qui aurait ainsi aliéné le droit de l’attaquer par action,
ne serait plus recevable à en demander l’annulation par
voie d’exception. La possession de fait dont ilexciperait
ne pourrait prévaloir contre le titre régulier et légitime
de son adversaire, à moins q u e , s’étant prolongée au
delà de trente ans, elle fût sanctionnée par la prescrip
tion. La même fin de non recevoir écarterait la préten
tion à faire rescinder l’acte par exception, lorsque le dé
fendeur n’a conservé les biens qu’il détient qu’à titre de
locataire ou de fermier.
�194
TRAITÉ DU DOL
6 5 7 . — En dernière analyse, l’exception n’est proposable que lorsqu’elle a pour objet de maintenir un fait
existant au moyen de l’annulation d’un titre contraire.
C’est ce qui se réalise lorsque celui qui est actionné en
revendication excipe de sa possession constante et de
mande la rescision du titre en vertu duquel on veut l’en
dépouiller.
Mais lorsque dépouillé, soit de fait, soit en vertu d’un
titre dont il a reconnu la validité, il veut reconquérir ce
qu’il a perdu, sa prétention ne peut plus constituer une
exception. De quelque manière qu’elle se produise, elle
n ’en constituera pas moins une action tombant sous
l’application des articles 1304 et 1338. Ainsi, la maxime
quœ temporalia, etc., n’est applicable que lorsqu’il s’a
git de conserver ce que l’on possède. Elle ne peut jamais
être appelée au secours d’une prétentionvtendant à se
faire restituer ce qu’on a perdu. La possession de l’ob
jet en litige est donc une condition sans laquelle on ne
saurait même l’invoquer. Cette conclusion de la Cour de
cassation n’est que la consécration des principes anciens
sur la matière
'.
'S
638.
— C’est dans ce caractère essentiel de l’ex
ception que se trouve la solution des difficultés que son
applicabilité peut créer dans certains cas. La loi 9, § 4,
Dig., de jurejurando, nous offre une hypothèse qui
i Vid. I,. 31, Dig. guibus causis m ajores, etc ; président Favre, Rationalia in pandectas, su r la L . 9, S 4, de ju r e ju ra n d o .
�ET DE LÀ FKAUDE.
195
peut fréquemment se présenter encore : un individu,
déchu de l’action en rescision, intente purement et sim
plement l’action en revendication de l’objet qu’il pré
tend lui appartenir, sans indiquer le titre qui l’en a dé
pouillé. Lorsque ce titre lui est opposé, il en demande à
son tour la rescision, répondant au reproche de prescrip
tion par la maxime quœ temporalia, etc.
Evidemment l’application.de cette maxime est ici in
voquée par voie d’exception , mais elle n’en doit pas
moins être refusée. Son objet n’est plus de conserver, il
tend à faire acquérir un droit définitivement aliéné. Dès
lors celui qui l’invoque n’est pas dans les conditions
voulues par la loi. Qu’importe, en effet, qu’en formulant
sa demande première, il n’ait fait aucune mention du
titre qu’il savait exister? Ce silence ne peut changer l’é
tat des choses, ni surtout empêcher que la revendica
tion exercée ne puisse être accueillie tant que le titre
restera debout. Sa rescision est donc l’objet principal
du litige, le but réel de l’action principalement in
tentée, dès lors si, p a rla prescription encourue , cette
rescision n’est plus admissible, cette demande doit être
rejetée.
S’il suffisait du détour que nous venons de signaler
pour échapper à l’article 1304, sa disposition ne serait
bientôt plus qu’une lettre morte sans efficacité, sans ap
plication. On évitera ce fâcheux résultat en appréciant
la prétention dont on investit la justice plutôt par ses
effets que par la circonstance dans laquelle elle se pro
duit. L’exception est-elle invoquée à l’appui et pour le
�196
TRAITÉ DU DOL
maintien d’un état des choses actuel? Elle est perpé
tuelle, la règle quce temporalia , etc., est applicable.
A-t-elle pour objet de faire acquérir un droit perdu, la
possession d’une chose dont on s’est dépouillé? Elle
constitue une véritable demande principale régie par la
disposition de l’article 1304. L’invocation de la maxime
quœ temporalia, etc., n ’est qu’un abus.
Il en est de même lorsque cette Invocation est faite
pour échapper à la prescription qu’on oppose contre une
demande qui, sans être une défense contre l’action à
laquelle on défend, tend cependant à la modifier ou à
en atténuer les résultats. Telles sont les demandes re
conventionnelles ou en compensation.
Henrys estime que ces demandes constituent des ac
tions plutôt que des exceptions. Ce sont, dit-il, des de
mandes réciproques accumulées, et le défendeur, par
ces exceptions, tend plutôt à une compensation qu’à dé
truire la demande principale. Par exemple : Titius fait
demande à un journalier, à un laboureur , du paie
ment d’une obligation, le défendeur excipe de quelques
journées ou labourages qu’il prétend avoir fait pour
lui. Cette exception n’est pas inhérente à l’action
principale, c’est plutôt une nouvelle action qu’une ex
ception '.
De là Henrys conclut, avec raison, que, si cette ex
ception était à son tour repoussée par celle de prescrip
tion, celui qui l’oppose ne pourrait se prétendre relevé
�ET DE LA FRAUDE.
197
de celle-ci par l’action principale à laquelle il défend.
L’action, en effet, ne produit ce résultat qu’à l’endroit
de l’exception qui lui est viscérale et connexe, qui pro
cède, conséquemment, de l’action elle-même qu’elle a
pour but d’anéantir : Quœ périrait actionem. Or , tel
n’est pas, évidemment, le caractère de l’exception com
pensatoire ou reconventionnelle. Elle ne peut être ad
mise que si elle est fondée en fait et en droit ^au mo
ment où on l’oppose. Dès lors, si elle se trouve frappée
de prescription, les conditions de la raison et de la loi
ne se rencontrent plus, et le rejet qui l’accueille n’est
qu’un devoir rigoureux pour le magistrat.
L’absence de connexité entre les deux droits les rend
tellement indépendants l’un de l’autre, que les diligen
ces faites par le créancier de l’un ne sauraient même
suspendre la prescription à l’égard de l’autre. Ainsi, il
suffirait que la prescription non accomplie au moment
de l’introduction de l’instance, le fût au moment où
l’exception se produit, pour que cette exception dût être
rejetée. C’est ce que la Cour de cassation a formellement
décidé par arrêt du 30 mars 1808.
Ainsi, la nature de la demande reconventionnelle ou
en compensation n’est nullement modifiée parce qu’au
lieu d’être introduite par action principale, elle est oppo
sée par exception à une instance pendante. Elle ne peut
triompher dans ce cas que si elle eût dû être accueillie
dans le premier. Donc, la prétention d’échapper à la
prescription qui l’eût repoussée dans celui-ci, par ap
plication de la maxime quœ temporalia sunt ad agen-
�198
TRAITÉ DU DOL
dum, sunt perpétua, ad excipiendum, n’est ni admis
sible ni fondée; elle tend à confondre deux choses
essentiellement distinctes et à poursuivre abusivement
un avantage que la raison et la loi repoussent égale
ment.
639.
—• En résumé, la perpétuité de l’exception est
admise par notre législation. Mais ce caractère n’appar
tient qu’à celle qui est viscérale et connexe à l’action
elle-même et dont le but est d’obtenir par le rejet de
cette action le maintien et la conservation de l’état des
choses qu’elle met en question. Réclamer un droit dont
on s’est dépouillé en se ménageant la faculté de le faire
par voie d’exception, opposer à une demande une pré
tention qui, sans la détruire, doit en modifier ou en
atténuer les effets, c’est former une demande principale
plutôt qu’opposer une exception, dans quelque circons
tance qu’on se trouve placé. Dès lors, la prescription qui
a éteint le droit est un obstacle invincible à ce qu’il
puisse être revendiqué. Décider le contraire par appli
cation de la maxime quœ temporalia sunt adagendum,
sunt perpétua ad excipiendum, ce serait méconnaître
son véritable caractère
et lui accorder une étendue dont
•»
elle n’est pas susceptible.
�ET DE LA FRAUDE. '
199
DE LA FRAUDE.
OBSERVATIONS GÉNÉRALES.
SOMMAIRE.
640. Nature de la fraude.
641. Ses caractères.
642. Diverses espèces de fraude.
640.
— La fraude , plus subtile encore que le dol,
n’en est que plus redoutable. Laissant moins de traces
de son passage, parce qu’elle exige moins de calcul dans
sa perpétration, elle n’en est que plus difficile à saisir,
sans cependant que l’intérêt s’attachant à sa répression
soit moindre aux yeux du législateur, aux yeux de la
morale.
C’est donc servir celle-ci que de s’occuper des moyens
pouvant amener cette répression. Sans doute il est im
possible de suivre la fraude dans tous ses développe
ments, de la signaler avec certitude dans tous les con
trats qu’elle vicie. Mais en désigner les principaux ca-
�200
TRAITÉ DU DOL
ractères, dire quelles en sont les allures ordinaires, c’est
faciliter les recherches confiées aux tribunaux, préparer
la solution que les litiges doivent recevoir, et concourir
ainsi à rendre plus facile et plus sûre la mission que le
juge a à remplir.
641.
— Heureusement qu’en matière de fraude la
conscience du magistrat a, dans les résultats du fait, un
auxiliaire puissant. L’existence certaine d’un préjudice
crée, indépendamment de toute fraude, le droit d’obte
nir une réparation. La constatation de ce préjudice est
donc un grand pas dans l’appréciation de l’intention im
putée à son auteur.
Rappelons, en effet, que l’existence d’un préjudice
est le caractère essentiel de la fraude. Que ce préjudice
ait été préparé au moment du contrat, qu’il en ait été la
cause déterminante ou bien qu’il ne soit que la consé
quence d’une pensée que l’exécution du traité aura fai'
surgir, peu importe. La fraude peut exister sans avoir
été préméditée ; elle se réalise par cela seul qu’il y a
préjudice : Fraus non in consilio, sed in eventu.
Admettre le contraire, c’était confondre le dol et la
fraude, c’était s’exposer à rendre la répression de celleci impossible en présence même du préjudice le plus
considérable. Rarement, en effet, trouvera-t-on la fraude
dans l’origine des contrats; c’est dans l’exécution qu’elle
se manifestera le plus habituellement ; et le plus ordi
nairement aussi, c’est par le résultat lésif qu’elle don
nera à cette exécution qu’elle décèlera son existence.
�ET DE LA FRAUDE.
201
Conséquemment, la saisir dans ce résultat, pour lui en
enlever le bénéfice, devient le contre-poids indispensable
de la facilité qu’elle a à se produire.
642.
— Nos anciens jurisconsultes avaient d’abord
admis onze espèces de fraude. Bientôt une classification
plus exacte les réduisit à trois, savoir : la fraude con
sommée par une partie au détriment et à l’insu de l’au
tre partie, c’était la fraude de re ad rem; celle concer
tée par les parties pour tromper les tiers étrangers à
l’acte, on l’appelait de persona ad personam ; enfin, la
fraude de contracta in contractum, consistant à dissi
muler, sous la forme de l’acte’, le contrat réel que les
parties avaient voulu faire '.
Cette distinction embrasse aujourd’hui toute la ma
tière. Sous l’empire de notre législation, en effet, la
fraude est restée l’art perfide de braver les lois avec
l’apparence de la soumission, de violer les traités en
paraissant les exécuter, et de trom per, par l’extérieur
des actes et des faits, sinon ceux qu’on dépouille, du
moins les tribunaux dont ils pourraient invoquer la
puissance \
Il y a donc trois espèces de fraude, ayant chacune ses
règles particulières, ses principes spéciaux, ses effets
distincts. Cette distinction trace la division que nous
avons à suivre. Mais avant d’examiner ce qui se rapporte
1 Dànty, de la P reuve test., p. 478, n° 30.
2 Chardon,, de la Fraude, t. n , p. 1
�m
TRAITÉ DU DOL
à chaque espèce, nous devons exposer ce qui con
cerne la fraude en général et le mode adopté pour sa
constatation.
CHAPITRE Ier.
DR L A P R E U V E D E L A F R A U D E .
SOMMÀIRE.
643.
644.
Caractère que doit avoir la preuve.
Comment et par quels moyens on peut la fournir.
643.
— L’existence certaine de la fraude dont on se
plaint est la première et la plus indispensable condition
de la réparation réclamée. C’est donc à celui qui pour
suit cette réparation qu’incombe la charge de prouver
l’existence de la fraude.
Cette preuve, pour être utile, doit tendre à établir d’a
bord un préjudice certain et incontestable ; en second
lieu, que le fait dont il résulte est un fait illégal ou illé
gitime ; enfin, que ce fait émane de celui à qui on l’im
pute.
�ET DE LA FRAUDE.
203
Qu’importe, en effet, qu’on ait révélé l’existence d’un
fait même nuisible, si l’auteur de ce fait peut se retran
cher dans le droit qu’il avait de l’exécuter. Ce que la loi
considère comme une fraude punissable, n’a jamais été
ni pu être l’exercice d’un d ro it, quelque dommageable
qu’il puisse être pour des tiers. C’est uniquement le pré
judice résultant d’une pensée méchante que rien ne sau
rait justifier ou faire admettre, n’ayant d’autre but que
de s’enrichir au détriment d’autrui.
Celui-là donc qui, sur le reproche d’un fait domma
geable, pourra répondre jure feci, ne saurait encourir
aucune responsabilité, ni être tenu à aucune réparation.
Mais l’exercice d’un droit ne serait pas une excuse suf
fisante pour l’abus en signalant l’exécution. Conséquem
ment, le magistrat a toujours , dans l’appréciation du
droit, à rechercher si son exercice s’est ou non renfermé
dans de justes limites.
644.
— Par quels moyens la preuve de la fraude
peut-elle être fournie? En général, il en est de la fraude
comme du dol, elle ne se présume pas. Cependant cette
règle reçoit des exceptions, il est des cas où la fraude
est tellement imminente, tellement prochaine, que la loi
l’a admise de plein droit. Il en est d’autres où la fraude
résulte invinciblement du fait lui-même. Dans toutes ces
hypothèses, pas de difficultés possibles, la fraude est lé
galement prouvée.
Mais hors ces exceptions, la preuve doit être fournie
par écrit dans certains cas, par témoins dans d’autres,
�204
TRAITÉ DU DOL
ainsi que nous allons le voir, après avoir établi ce qui
concerne la présomption de fraude.
SECTION I".
De la fra u d e p résu m ée .
SOMMAIRE.
645.
646.
647.
648.
649.
650.
651.
652.
653.
654.
Caractère et motif de la présomption.
La renonciation à une succession non ouverte est présumée
frauduleuse.
Quelle est la législation applicable au pacte sur succession
future, antérieur au Code, lorsque la succession ne s'est
ouverte que depuis sa promulgation? •
Le pacte est-il susceptible de ratification après l ’ouverture
de la succession ?
La renonciation pour un seul prix à deux successions,
l ’une ouverte et l ’autre non échue, est nulle pour le
tout.
Examen de deux arrêts invoqués à l ’appui de la divisibi
lité.
La libéralité faite à un incapable est présumée fraudu
leuse.
Moyens employés pour se soustraire à celte présomption.
Conséquences.
Motifs et fondement de la présomption.
Son caractère.
�ET DE LA FRAUDE.
655.
205
La société universelle entre personnes incapables de se don
ner ou de recevoir est présumée frauduleuse.
656. Débats que l’article 1840 du Code civil a soulevés dans la
séance du conseil d’Etat.
657. Caractère de cette disposition. Ses conséquences par rap
port aux hypothèses prévues par l’art. 911.
658. Effets de la présomption de fraude.
659. La société universelle entre un père et son enfant est-elle
nulle intégralement ou seulement réductible ?
659 [bis). Société de commerce avec un successible.
660. La dette de jeu est présumée frauduleuse.
661. Difficultés que présente cette présomption dans son appli
cation aux paris sur la hausse ou la baisse des effets
publics.
662. A quels caractères doit-on reconnaître le pari illicite ?
663. Avantages de l ’article 422 du Code pénal sur la législation
précédente. Nature et origine de celle-ci.
664. Inconvénient du système actuel.
665. L’appréciation de la légalité des jeux de bourse est aban
donnée à l ’arbitrage souverain du juge.
666. Application des principes précédents au jeu sur marchan
dises.
667. Caractères spéciaux devant frapper l ’attention du juge. Ab
sence de sommation de prendre ou de livrer les objets
vendus.
668. Antécédents, moralité des parties, importance des ventes.
669. Il n’y a réellement opération illicite que lorsque le jeu a été
consenti par les deux parties Conséquences.
670. La dette de jeu doit être annulée, sous quelques formes
qu’elle ait été déguisée Jurisprudence conforme.
671. Résumé.
672. Exceptions à la règle générale de l’article 1965 du Code
civil.
673. Caractère de ces exceptions.
�206
674.
TRAITÉ DU DOL
La faculté d ejejeter la demande n ’emporte pas celle de la
réduire.
675. Différence entre la dette de jeu et la dette dolosive ou frau
duleuse. Conséquences quant à la répétition de ce qui a
été payé.
676. Nature du paiement dont parle l ’article 1967 du Code civil.
677. Le tiers qui a payé la dette du perdant a-t-il contre celuici l ’action en répétition ?
678. Quid, si le tiers a été le mandataire de la partie dans l ’opé
ration illicite.
679. Il y a présomption de fraude pour les actes constituant le
stellionat.
680. Nature de la présomption dans le cas de vente ou d’hypo
thèque de la chose d’autrui.
681. Dans le cas où l’on présente comme libres des immeubles
grevés, ou qu’on déclare des hypothèques moindres que
celles existant.
682. Le silence gardé dans l ’acte sur l ’existence ou la quantité
des hypothèques ne constitue pas le stellionat.
683. Il n'en est pas de même pour les maris et les tuteurs ; pour
eux, l ’omission équivaut à la fausse déclaration.
684. Peut-on, dans ce c a s, prendre en considération la bonne
foi des uns ou des autres ?
685. En quoi consiste la bonne foi dans cette hypothèse?
686. Il n ’y a stellionat dans le cas de fausse déclaration que de
la part de l ’auteur de cette déclaration. Conséquence à
l ’égard de la femme qui s’est solidairement engagée.
687. Le stellionat n ’est punissable qu’autant qu’il existe un pré
judice possible.
688. L’acquéreur de la chose d’autrui peut faire condamner le
vendeur stellionataire, avant même d’être troublé dans
sa possession.
689. Peine du stellionat.
690. La vente entre époux est présumée frauduleuse. Motifs de
cette disposition.
�ET DE LA FRAUDE.
691.
692.
693.
694.
693.
696.
697.
698.
699.
700.
701.
702.
703.
704.
705.
706.
707.
708.
709.
710.
711.
712
207
Inconvénients du système contraire. Différence entre le
droit romain et le droit coutumier.
C’est ce dernier droit que le Code a consacré.
Exceptions à la règle générale.
Caractère de la première exception.
De la seconde, son étendue.
De la troisième.
Résumé.
Conditions pour pouvoir se placer dans l’exception.
La vente entre époux, au mépris de la lo i, est nulle par
rapport aux tiers.
Quid vis-à-vis des héritiers ?
Quel est le sort des acquisitions que la femme prétend
avoir faites pendant la durée du mariage?
Prohibition que l'article 1396 du Code civil fait à certaines
personnes de se rendre adjudicataires. Ses motifs.
Cette prohibition est-elle applicable au subrogé-tuteur?
L’article 711 du Code de procédure civile complète la caté
gorie des incapables créés par l’article 1596 du Code
civil.
Par qui peut être invoquée la nullité de l’adjudication rap
portée contrairement à ces deux dispositions.
Motifs de la prohibition pour les juges, etc., de se rendre
cessionnaires de procès, droits ou actions litigieux ?
Que faut-il entendre par procès, droits ou actions liti
gieux ?
Qui est recevable à poursuivre la nullité de la cession ?
L’interposition de personnes dans les deux cas précédents
obéirait-elle à la règle tracée par l ’article 911 ?
Nature de la prohibition faite aux courtiers’ou agents de
change par les articles 85 et 86 du Code de com
merce.
Peine encourue par la violation.
La loi ne prononce pas la nullité de l ’opération illicite,
ar quels motifs.
�208
713.
714.
715.
716.
717.
718.
719.
720.
721.
722.
723.
724.
TRAITÉ DU DOL
Mais on ne saurait, dans tous [les ca s, refuser de la pro
noncer sur la demande de l’autre partie. Distinction pro
posée.
La nullité opposable au courtier peut être opposée à la
personne que celui-ci se serait frauduleusement substi
tuée.
Le courtier qui, moyennant un dü-croire, garantit la sol
vabilité de l ’acheteur, contrevient-il à l ’art. 86 du Gode
de commerce ?
Par quel terme se prescrit le délit ou la contravention ré
sultant de la violation des articles 85 et 86.
L’absence de publication des actes de société soumis à cette
formalité constitue une fraude présumée.
Ses effets par rapport aux associés.
Par rapport aux créanciers sociaux.
Par rapport aux créanciers particuliers de chaque as
socié.
La loi sur les faillites offre de nombreux exemples de fraude
présumée.
Nature de la présomption, suivant qu’il s’agit d’actes pos
térieurs ou antérieurs au jugement déclaratif.
Distinction pour ces derniers entre ceux qui ont précédé de
plus de dix jours la cessation réelle de paiement et ceux
qui ont été faits depuis ou dans les dix jours la précé
dant.
Effets pour les uns et les autres de la présomption de
fraude.
6 4 5 .->-Le législateur, déterminé par des idées de mo
rale et d’intérêt général, a dû proscrire certains actes,
admettre certaines incapacités. Ces dispositions ne pou
vaient être efficaces que par le soin qu’on mettrait à en
surveiller la stricte exéçution ; vouloir s’y soustraire soit
�209
ET DE LA FRAUDE.
directement, soit indirectement; tenter de les éluder par
l’apparence donnée au contrat, c’est se révolter contre la
loi, et, conséquemment, c’est faire un acte insuscepti
ble de créer aucun lien obligatoire.
Ce qu’on peut admettre, c’est qu’on se gardera bien
de se constituer en état de rébéllion aux ordres du légis
lateur d’une manière flagrante et certaine. C’est tou
jours sous des dehors licites qu’on aura soin de dis
simuler la violation de la loi. Mais le véritable carac
tère de l ’acte constaté, la loi méconnue reprendra son
empire et la convention illégale sera annulée par les tri
bunaux.
La fraude à la loi est indépendante de tout préjudice
à l’endroit des parties, il suffit qu’on ait voulu accom
plir ce que la loi défend, pour que les auteurs mêmes
de la fraude soient admis à en poursuivre la répres
sion.
646.
— L’article 791 du Code civil nous en offre nn
exemple, il défend de renoncer, même par contrat de
mariage, à la succession d’un homme vivant, et d’aliéner
les droits éventuels qu’on peut avoir à cette succession.
Or, sur la poursuite de la nullité d’un pacte contraire à
celte disposition, il est bien évident qu’il ne peut s’agir
de la question d’un préjudice quelconque. Tout ce qu’il
y a à considérer, c’est la nature de l’acte ; constitue-t-il
le pacte sur succession future, il n’y a pas à hésiter, son
annulation doit être prononcée, alors même que le de
mandeur devrait en recuillir un dommage certain. Rien
il
44
9
�210
TRAITÉ DU DOL
ne saurait légitimer ce qui blesse ouvertement une pro
hibition légale.
6 4 7 . — Les pactes sur succession future n'étaient
pas considérés, par notre ancien droit, comme contrai
res aux mœurs. Us furent donc autorisés jusqu’au mo
ment où notre législation intermédiaire proclama la rè
gle contraire, depuis consacrée par le Code civil. Cette
différence de principes a soulevé une question qui ne
manquait pas d’intérêt, à l’origine du Code, à savoir:
quel doit être le sort du pacte valablement consenti, lors
que la succession qui en a fait l’objet ne s’est ouverte
que depuis la promulgation du Code?
Après quelques hésitations, l’opinion que ce pacte de
vait être régi par la législation nouvelle a prévalu. Les
motifs, sur lesquels celte solution se fonde, sont : que
les lois des 5 brumaire et 17 nivôse an ii , que celle du
28 pluviôse an v, et l’article 791 du Code civil ont vir
tuellement annulé toute renonciation n’ayant pas encore
produitson effet; que, jusqu’à leur ouverture, les succes
sions sont dans le domaine du législateur qui peut, à son
gré, en modifier le sort
6 4 8 . —■La renonciation à une succession future estelle susceptible de ratification après l’ouverture de la
succession? On a dit pour la négative qu’un acte vicié
d’une nullité radicale, déclaré contraire aux bonnes
i Bastia, 14 avril 1834 : — Cass., 23 mai 1828.
�ET DE LA. FRAUDE.
211
mœurs et à l’ordre public, n ’a que l’apparence d’un
contrat; qu’il n’existe pas; que, conséquemment, il
n’est sujet ni à ratification, ni à rescision.
Nous avons déjà distingué les nullités d’ordre public
permanentes et éternelles, et celles dont les motifs pure
ment temporaires s’effacent avec la cause qui les pro
duisait. La renonciation à une succession future se place
naturellement dans cette dernière catégorie ; en effet, la
succession venant à s’ouvrir , chaque appelé a le droit
incontestable d’en récuser le bénéfice, de traiter de ses
droits avec qui il lui plait et de la manière qu’il juge
convenable. A quel titre donc lui refuserait-on de rati
fier la convention précédemment souscrite et qu’il tient
à exécuter, puisqu’il n’en poursuit pas la nullité. Le
motif d’ordre public ne saurait être invoqué depuis l’ou
verture de la succession, le sort de l’acte est entièrement
laissé à l’intérêt privé, seul apte à juger de ce qui est
dans son utilité et dans ses convenances'.
649.
— Une difficulté plus sérieuse est celle de sa
voir si l’acte portant pour un prix unique renonciation
à deux successions, l’une ouverte, l’autre à échoir,
est nul pour le tout ou seulement pour ce qui concerne
celle-ci?
La divisibilité de l’acte serait peut-être plus équitable,
mais son indivisibilité est plus juridique. Il est incon
testable que, dans sa détermination, le prix a subi l’in -
�212
TUATTÉ DU DOU
fluence des droits afférents au renonçant dans les deux
successions. Mais dans quelles proportions ? C’est ce que
la justice est dans l’impossibilité de décider en l’état du
silence gardé par les parties. De telle sorte qu’une ven
tilation quelconque serait de nature à s’écarter de la
vérité réelle ; d’ailleurs, cette ventilation constituerait
un nouveau contrat substitué à l’ancien. Or, si les tri
bunaux ont le droit d’interpréter les contrats, ils n’ont
jamais celui d’en créer un nouveau. Conséquem
ment, le contrat étant indivisible dans le fait et dans
l’intention des parties, la nullité l’atteindrait dans son
ensemble.
0 5 0 . — On cite, comme ayant admis la divisibilité,
deux arrêts : l’un de la Cour de cassation, du 17 jan
vier 1837; l’autre de la Cour de Lyon, du 19 mai
1840'. Mais il est facile, en les consultant, de se con
vaincre qu’ils ne comportent pas la signification qu’on
veut leur donner. Dans l’un et dans l’autre, en effet, le
défendeur appliquait le prix total à la renonciation à la
succession ouverte au moment du contrat, sans enten
dre exciper de celle à la succession lors à échoir. II ne
s’agissait donc plus de diviser le prix entre les deux suc
cessions. La question unique était celle de savoir si la
restriction du contrat, dans des limites légales, ne lais
sait pas sans intérêts une nullité que le contrat, ainsi
réduit, ne comportait plus.
�ET DE LA FRAUDE.
213
Cela sigaifie—t-il que la Cour de cassation, que celle
de Lyon, maintenant l’acte dans de pareilles circons
tances, l’eût également maintenu s’il se fût agi de divi
ser le prix, d’en affecter une partie à la succession
échue et une partie à la succession à échoir? Evidem
ment, non. Car, ce n’est qu’en considérant comme non
écrit ce qui se rapportait à la succession à échoir qu’on
a pu faire maintenir le contrat. Il semble dès lors que
la décision eût été diamétralement contraire, si le main
tien de l’acte, quant à ce, eût été réclamé.
Ainsi, l’indivisibilité de l’acte doit prévaloir, et son
effet doit être la nullité entière, toutes les fois que le
prix unique stipulé devra se répartir entre les deux
successions. L’offre d’appliquer l’intégralité de ce prix
à la succession lors échue pourra faire maintenir le
contrat, le poursuivant n’éprouvant dès lors aucun
dommage, puisqu’il retient tout ce qui, dans sa pensée,
était l’équivalent de ses droits dans les deux succes
sions, et, par le fait, il se trouve n’avoir traité que pour
une.
651. — Il est des personnes incapables de recevoir
une libéralité de la part de certaines autres. La loi
n’ayant proclamé ces incapacités que dans une pensée
de morale, que dans un but d’intérêt public, il importe
que sa disposition reçoive une pleine et entière exécu
tion.
6 5 2 . — Or, on pourra vouloir se soustraire à cette
�214
TRAITÉ DU DOL
exécution, et cette pensée amènera ou à une simulation
dans le caractère de l’acte, ou à une simulation de
parties.
La première existe lorsque la libéralité a été déguisée
sous l’apparence d’un acte à titre onéreux. Elle ne con
stitue qu’une fraude ordinaire que la loi ne pouvait ni
ne devait présumer de plein droit. Les ayants-droit
pourront donc la dénoncer et en poursuivre la répres
sion, mais ils auront la charge de la prouver. Cette
preuve sera plus facilement accueillie que dans les cas
ordinaires, la qualité des parties et l’incapacité de l’une
d’elles à l’endroit des libéralités donnant à la simulation
une grande vraisemblance. Pour peu donc que d’autres
présomptions viennent se réunir à celle-ci, la fraude sera
considérée comme certaine.
La seconde existe lorsque la libéralité faite à l’inca
pable, l’a été par une interposition de personnes. L’exis
tence du fidéicommis peut, dans tous les cas, être allé
guée et prouvée. Mais elle est présumée de plein droit
lorsque l’appelé est le père ou la mère, l’enfant ou des
cendant, le conjoint de l’incapable.
653.
— Le fondement de cette présomption est la
facilité de la fraude qu’elle tend à prévenir et la néces
sité d'une simulation de ce genre, en supposant la pen
sée d ’éluder la loi sur les incapacités. Nous l’avons dit
bien souvent, lorsqu’on veut violer la loi, on ne le fait
pas ouvertement et sans déguisement aucun. Il serait
trop facile d’avoir raison de celte violation, si rien ne la
�ET DE LA FRAUDE.
215
cachait aux yeux investigateurs de l’intérêt privé. Il
faut donc demander des chances de réussite à des
moyens capables de faire illusion et de créer l’erreur.
Or, après la simulation dans le caractère de l’acte, s’of
fre l’interposition des personnes, conduisant, sous une
autre apparence, à des résultats identiques.
C’est cette imminence de la fraude qui l’a fait admet
tre de plein droit, lorsqu’à l’affection du donateur pour
l’incapable se joint la parenté entre celui-ci et le béné
ficiaire de la libéralité. Ce n’est pas le père, la mère,
l’enfant, le conjoint de l’incapable qu’on a vonlu grati
fier, c’est l’incapable lui-même. Dès lors, comme on ne
peut faire indirectement ce qu’il est prohibé de faire di
rectement, la libéralité doit être annulée.
6 54. — Le principe de la présomption en indique
le véritable caractère. Elle n’admet pas la preuve
contraire aux termes de l’article 1352 du Code civil.
Dès lors le demandeur n’a qu’à établir l’incapacité
d’une part, de l’autre, la qualité de parent de l’incapa
ble au degré que nous venons de rappeler, pour que
l’acte soit inévitablement condamné comme fîdéicommis
prohibé'.
655. — L’article 1840 du Code civil nous fournit
un nouvel exemple de fraude présumée. Nulle société
universelle, dit cet article, ne peut avoir lieu qu’entre
1 Toullier, t. x, p. 6b, n° 52
Cass., 13 juil. 1813 et 10 nov 1834.
�216
TRAITÉ DU DOL
personnes respectivement capables de se donner et de
recevoir l’une de l’autre, et auxquelles il n’est pas dé
fendu de s’avantager au préjudice d’autres personnes.
Toute société universelle, contractée au mépris de cette
disposition, devrait donc être annulée. La loi la réputé
de plein droit frauduleuse, et la considère comme une
libéralité déguisée en faveur de l’incapable.
6 5 6 . — Cet esprit de l’article 1840 nous est nette
ment indiqué par les débats que sa disposition subit au
conseil d’Etat. Le projet du Code prohibait toute société
de biens présents et n’admettait que celles de gains. Les
premières étaient repoussées comme des donations dé
guisées qu’on ferait ainsi au mépris de la loi contre les
incapables.
657. — Cependant, les sociétés universelles de biens,
réclamées par quelques tribunaux, furent admises non,
comme le dit M. Troplong , sans un sentiment de mé
fiance extrêmement marqué. C’est ce sentiment qui in
spira la disposition de l’article 1840.
Il suit de là que la société étant considérée comme
une donation déguisée, les règles applicables à celles-ci
s’appliquent également à celles-là. Dès lors l’association
faite par personne interposée pourra être querellée de
simulation et de fraude, et cette interposition sera léga
lement présumée dans les hypothèses prévues par l’ar
ticle 911. Il suit encore que nulle preuve contraire ne
saurait prévaloir contre la présomption admise par l’ar
ticle 1840.
�ET DE LA. FRAUDE.
217
658.
— La nullité de la société universelle, par
application de cette disposition, remonterait nécessaire
ment à l’origine de la société. Cependant cette société,
ayant existé de fait, donnerait lieu, pour le passé, à un
règlement entre les prétendus associés. Il est évident
que si ce règlement se faisait conformément aux stipu
lations du pacte social, l’incapable retirerait de la libé
ralité déguisée tout le profit qu’on a voulu lui conférer.
N’est-il pas, en effet, certain qu’une société contractée
pour éluder la loi sur les incapacités, offrira pour celuici des avantages plus ou moins importants? Il est facile
de prévoir que sa mise sera inférieure à celle de son
associé et que, cependant , on lui assigne un droit égal
ù la masse. Peut-être aura-t-on stipulé qu’il participera
par moitié dans les bénéfices, et dans une proportion
moindre pour les dettes ; peut-être même aura-t-on
convenu d’un prélèvement en sa faveur pour les
peines et soins qu’il promet de donner à la société.
Nous avons raison de le dire, un règlement opéré sur
ces bases donnerait à l’incapable l’avantage que la loi
lui refuse.
Ces bases sont donc inadmissibles. Le règlement à
faire consistera donc à déterminer l’apport de chaque
partie; cette opération faite, les bénéfices ou les pertes
seront répartis proportionnellement à l’apport, et l’in
demnité pour peines et soins, s’il y a lieu, fixée par le
juge arbitrio boni viri. Nous ajoutons que les termes
du pacte, quant à l’apport de l’incapable, peuvent n’être qu’un mensonge, en ce sens que cet apport peut
�218
TRAITÉ DU DOL
avoir été fourni directement ou indirectement par celui
qui a voulu l’avantager. La loi ne présume rien à cet
égard, mais'elle laisse aux ayants-droit la faculté d’exciper de cette fraude nouvelle, et, la preuve faite, le droit
de faire annuler ce nouvel avantage prohibé.
6H9. — L’article 1840 a fait naître la question
de savoir si la société universelle, contractée par
le père avec un de ses enfants, est nulle à l’égard des
autres enfants, ou si elle n’est seulement que réduc
tible?
La nullité absolue est soutenue par MM. Delvincourt
et Duvergier. L’opinion contraire est enseignée par
M. Troplong. Nous sommes de l’avis de celui-ci. Ce qui
nous parait décisif, c’est qu’en résultat, quelques rigou
reux que soient les termes de l’article 1840, la nullité
de la société, n’est que la conséquence de l’incapacité de
donner, de recevoir ou de s’avantager. Or, comme l’ob
serve M. Troplong, l’existence d’héritiers à réserve ne
crée pas une incapacité, elle pose seulement à la faculté
de donner une restriction en de-çà de laquelle le droit
de donner et de recevoir est incontestable. Conséquem
ment le père pouvant directement aliéner et le fds re
cevoir jusqu’à concurrence de la quotité disponible, rien
n’empêche d’arriver à ce résultat au moyen d’une as
sociation universelle, c’est-à-dire d’une manière indi
recte. Les droits des héritiers à réserve ne seraient mé
connus que si leur légitime était atteinte. C’est ce qu’on
empêchera en réduisant les avantages conférés par l’as-
�ET DE LA. FRAUDE.
219
sociation dans les limites de la quotité disponible
6 6 0 . — La dette provenant d’un jeu ou d’un pari
est aux yeux de la loi une dette frauduleuse. Cette pré
somption a déterminé le législateur à refuser toute ac
tion tendant à en obtenir paiement.
Nous n’avons pas à déterminer ce qui constitue le jeu
ou le pari, il y a peu de difficultés possibles à propos
des jeux ou paris ordinaires, d’ailleurs les questions s’é
levant à cet égard seraient facilement résolues.
6 6 1 . — Il n’en est pas de même pour les paris sur
la hausse ou la baisse des effets publics ou marchandi
ses. Ces opérations ont atteint, au moment où nous
parlons, des développements immenses, signalés à cha
que instant par des catastrophes portant dans les popu
lations l’épouvante et la ruine, et menaçant, si on n’y
prend garde, de tarir le commerce jusque dans ses
sources.
Le remède à employer immédiatement, c’est l’appli
cation intelligente et sévère de l’article 1965. Si la jus
tice parvient enfin à décourager les joueurs, en favori
sant et consacrant la résistance du perdant à payer la
différence, elle aura rendu à la société le service le plus
éclatant et le plus utile.
Certes, la mission des tribunaux n’est pas toujours fa-
1 Delvincourt, t. n i, p. 223, n o tes;—Duvergier, des Sociétés, nM lO ;
— Troplong, sur l’art. 1840, n °s '307 et suiv.
�TRAITÉ DU DOL
cile. Le jeu ne se présente jamais à eux dans toute sa
nudité. C’est à travers les voiles épais derrière lesquels
il se cache qu’il faut aller le saisir. D’autre part, il ne
faut pas qu’un débiteur de mauvaise foi puisse se sous
traire à des obligations légitimes, en alléguant le jeu.
Mais l’existence de ce jeu prouvée, rien ne doit mitiger le
sort que la loi impose à ses conséquences.
662.
— A quels caractères reconnaîtra-t-on celte
existence? Cette question, simple lorsqu’il s’agit d’un
jeu ou d’un pari ordinaire, est plus délicate en matière
d’effets publics ou de marchandises.
Pour les premiers, la loi pénale a indiqué des élé
ments qu’une poursuite civile peut invoquer avec suc
cès. En effet, l’article 422 du Code pénal réputé jeu de
bourse toute convention de vendre ou de livrer des effets
publics qui ne seront pas prouvés parle vendeur avoir
existé à sa disposition au temps de la convention ou
avoir dû s’y trouver au temps de la livraison.
Remarquons bien que le législateur n’a pas proscrit
les marchés à terme. C’eût été priver le commerce d’un
de ses éléments essentiels. Ainsi, il suffira que le ven
deur prouve qu’au moment delà livraison il était en po
sition de livrer tout ce qu’il a promis, pour que le mar
ché soit maintenu. Qu’importe, en effet, qu’au moment
de la vente la marchandise ne fût pas à la disposition du
vendeur, si, devant s’y trouver au terme convenu pour
la livraison, celle-ci pourra se réaliser. Nous le répé
tons, la loi n’a voulu prohiber que les marchés fictifs,
�ET DE LA FRAUDE.
destinés d’avance à ne recevoir d’autre exécution que le
paiement de la différence entre le prix convenu et celui
que la chose vaut au moment désigné comme celui de
la livraison. Tel est, aux yeux de la loi, lemarché dans
lequel l’objet vendu n’était pas en la possession du ven
deur au moment de la vente et ne devait pas s’y trou
ver à l’époque de la livraison.
6 65.
— L’article 4221 a donc évité le grave incon
vénient qu’on reprochait avec raison à l’ancienne légis
lation, à savoir : de priver le commerce des ressources
immenses qu’il puise dans les marchés à terme. L’arrêt
du conseil, publié le 24 septembre 1724, rendait en ef
fet ces marchés impossibles par les conditions qu’il im
posait à la vente d’effets publics, et notamment en exi
geant la livraison effective au moment du traité. Cet ar
rêt portait l’empreinte des circonstances qui l’avaient
inspiré. Le fameux système de Law venait de s’écrouler
semant après lui le discrédit, la ruine et la misère. On
voulait donc proscrire l’agiotage pour empêcher le re
tour de ces calamités, mais, ainsi que cela arrive pres
que toujours, le but était dépassé. La spéculation à la
baisse était désormais impossible, mais la liberté des
transactions avait, de son côté, subi une grave at
teinte.
L’agiotage reprit bientôt ses franches allures, et des
plaintes nombreuses se firent de nouveau entendre. Un
second arrêt du conseil, du 7 août 1785, proscrivit une
seconde fois les marchés à terme et sans livraison. Ce-
�TRAITÉ DU DOD
pendant on pouvait suppléer à celte livraison [par le
dépôt réel des effets, constaté par acte dûment contrôlé
au moment même de l’engagement. Plus tard, et par
une disposition du 2 octobre suivant, ce dépôt put être,
à son tour, suppléé par celui fait entre les mains du no
taire, des pièces probantes établissant la libre propriété
des effets vendus. Enfin un dernier arrêt, du 22 sep
tembre 1786, annule tous les marchés dans lesquels le
délai de la livraison dépasserait deux mois.
Comme on le voit, cette législation ne se préoccupait
que d’une seule chose, la propriété matérielle des ef
fets, au moment où le traité prenait naissance. Sans
doute, on acquérait ainsi une preuve certaine de la sin
cérité de la vente, mais n’était-ce pas borner le com
merce dans ses opérations, l’entraver dans ses dévelop
pement, que d’empêcher le vendeur de demander à ces
développements mêmes le moyen de faire face au traité
par lui souscrit ?
Qu’un commerçant vende journellement ce qu’il n’a
pas en sa possession actuelle, c’est ce qui est, nous ne
dirons pas seulement dans les usages, mais encore dans
les nécessités du commerce. Otez cet aliment essentiel
de la spéculation, et, sur-le-champ, vous blessez pro
fondément une industrie dont les entreprises hasardeu
ses font la richesse de l’Étal. Donc, qu’un terme plus ou
moins long soit stipulé, et que, l’échéance de ce terme se
réalisant, la marchandise vendue se trouve à la disposi
tion du vendeur, c’est tout ce qu’on peut raisonnable
ment exiger. Ce qui est rationnel pour la marchandise
�ET DE LA FRAUDE.
l’est au même titre pour les effets publics. Ceux-ci ne
constituent en effet qu’une marchandise livrée à la spé
culation.
L’article 422 du Code pénal a donc fait une plus
exacte appréciation des besoins réels du commerce, il a
plus sainement agi en ne pas exigeant qu’on possédât
réellement, au moment de la vente, les effets qu’on s’en
gageait à livrer, et, en admettant, comme équivalent, la
preuve que le vendeur serait, à l’échéance du terme, en
mesure de remplir toutes ses obligations.
Aujourd’hui donc, il n’y a marché fictif qu’en tant
qu’il est justifié que le vendeur a été au moment du
traité et sera, lors de la livraison, hors d’état de remplir
ses engagements. A cette double condition, la loi ne voit
dans l’opération qu’un pari sur la hausse ou sur la baisse
devant se résoudre par le paiement d’une différence, et
dès lors incapable de créer ni obligation, ni action.
664. — Ce système, nous venons de le dire, est plus
rationnel que celui de l’ancienne législation, mais il n’est
pas, à son tour, exempt d’inconvénients. Il en est un
surtout qui se recommande à toute l’attention de la jus
tice. Le joueur, poursuivant l’exécution d’un marché fic
tif, est dans le cas d’exciper de marchés par lui con
tractés pour prétendre s’être mis en mesure de livrer à
l’époque convenue. Or ces marchés, où il figure comme
acquéreur, peuvent n ’êlre eux-mêmes que des marchés
fictifs, et il ne faudrait pas qu’il pût trouver a in si, dans
le jeu lui-même, la justification de celui sur lequel la
justice est appelée à statuer.
�224
TRAITÉ DU DOL
Sur ce point, la loi n’a pu que s’en référer à la pru
dence des magistrats. Il suffit de signaler l’existence de
ce danger pour que la sollicitude des tribunaux, mise en
demeure, rende une prétention de ce genre l’ojet des in
vestigations les plus minutieuses, du contrôle le plus ac
tif. Il n’est pas toujours difficile de distinguer l’opération
fictive, de l’opération sérieuse. Le nombre et l’impor
tance des traités, relativement à la position des parties ou
de l’une d’elles seulement, leurs habitudes, leurs anté
cédents, sont de nature à fournir des renseignements
précieux et à déterminer même quelquefois le véritable
caractère du marché.
6 6 5 . — Au reste, il en est des jeux de bourses com
me de toutes les questions de fait et d’intention. Les ma
gistrats sont des jurés et prononcent comme tels; il n ’y
a donc aucun élément pouvant forcer leur conviction.
Cette conviction, ils la puisent partout sans qu’ils aient
à en rendre compte, si ce n’est à leur propre con
science. Satisfaite que soit celle-ci, ils n’ont plus qu’à
appliquer la loi. Les termes de l’article 1965 sont trop
clairs et trop précis pour qu’il s’élève la moindre diffi
culté. En effet, depuis le fameux arrêt Perdonnet contre de
Forbin Janson, la jurisprudence n’a pas un instant varié.
Ainsi un marché sur les effets publics ne doit pas être
annulé par cela seul qu’il y a terme pour sa livraison.
Il ne le serait pas non plus par la certitude acquise
qu’au moment de la vente le vendeur n’avait pas en sa
possesion les effets qu’il promet, mais ce vendeur est,
dans cette hypothèse, tenu de prouver qu’ils devaient se
�m
ET DE LA FRAUDE.
trouver entre ses mains à l’époque fixée pour la livrai
son. En l’absence de cette preuve , comme dans l’hypo
thèse de la preuve contraire, l’opération n’est plus qu’un
marché fictif, tombant sous le coup de l’article 1965, et
ne donnant conséquemment aucune action.
666.
— Nous appliquons sans hésiter, à l’apprécia
tion des marchés sur marchandises, les éléments que la
loi adopte pour les effets publics. Sans doute l’art. 422
du Code pénal est muet sur ce point. La cause de ce
silence n’est pas difficile à pénétrer. En 1810, le jeu
sur les marchandises n’avait pas encore appelé la solli
citude du législateur. Il était loin et bien loin des pro
portions qu’il a depuis acquis et qu’il était impossible de
.prévoir. Si les circonstances avaient été alors ce qu’elles
sont aujourd’hui, nous n’en doutons pas, le projet pré
senté par le gouvernement eût été adopté, et le marché
sur marchandises eût été dès lors inscrit au rang des
délits, comme le marché sur les effets publics.
Ce qui doit à plus juste titre étonner, c’est qu’en
1832, lors de la révision du Code p é n al, on n’ait pas
songé à se précautionner contre le fléau que nous si
gnalons. Mais tel qu’il se trouve, notre Code pénal
renferme encore assez de lacunes, assez d’imperfections 1
i
Entre autres nous signalerons celle-ci, l’art. 34 4 punit les coups et
blessures volontaires d’un emprisonnement et d’une amende, ou de l’une
de ces deux peines seulement'. L’art. 34 9 punit les coups et blessures in
volontaires de la prison et de l’amende. Ainsi, le cumul des deux peines
est forcé, lorsque les coups sont involontaires; facultatif, lorsqu’ils sont
volontaires N’est-ce pas le contraire q u ’il fallait consacrer?
Il
45
�226
TRAITÉ DU DOD
pour qu’on ne trouve pas trop extraordinaire l’omission
que nous signalons.
Quoi qu’il en soit, le marché sur marchandises,
même dans les conditions de l’article 422 , ne consti
tuera pas un délit punissable. Mais la nullité civilement
poursuivie est toujours indépendante de la question de
délit, même , pour les marchés sur effets publics qu’on
peut annuler comme fictifs dans tous les cas. O r, pour
l’appréciation de cette nullité, les conditions de l’article
422 sont à consulter, en ce sens : que, s’il est prouvé
que le vendeur de la marchandise n’avait pas et ne de
vait jamais avoir en sa possession celle qu’il a promis de
livrer, le marché devrait forcément être considéré
comme un véritable pari.
667.
— Mais il est d’autres circonstances dans les
quelles le juge peut trouver le véritable caractère du
marché. Ainsi on pourra facilement admettre qu’il 'n’y
a qu’un pari sur la différence, lorsque les parties au
ront fait, du paiement de cette différence, la clause pé
nale de l’inexécution ; lorsque, l’époque de la livraison
arrivée, il n’y a eu aucune sommation de réaliser ou de
recevoir cette livraison. On sait combien le commerce
exige de ponctualité dans les opérations sérieuses, un re
tard n’est jamais toléré par l’acheteur , et cela , parce
que ce retard l’expose soit à ne recevoir qu’après une
baisse, soit à manquer lui-même aux engagements pris
envers des tiers.
D’autre part, le vendeur n ’est pas moins intéressé à
�ET DE LA FRAUDE.
227
livrer au temps convenu. Il reçoit par là le paiement du
prix ou son règlement en valeurs négociables. Il s’exo
nère ainsi de la responsabilité des détériorations ou
perte de la marchandise, responsabilité qui legrèvejusqu’à la livraison, ou tout au moins jusqu’à la mise en
demeure de l’acheteur.
Donc, en présence de cet intérêt réciproque, l’absence
de toute sommation est caractéristique, on peut y voir
la preuve du défaut de sincérité de l’opération. Il en se
rait surtout ainsi, si le vendeur ou l’acheteur, poursui
vant en justice, se bornait à demander le paiement de
la différence sans offrir d’effectuer ou d’accepter la li
vraison
Il ne faudrait pas conclure de ce qui précède que
l’existence de la sommation d’effectuer ou d’accepter la
livraison dût faire nécessairement considérer le marché
comme sérieux. S’il en était ainsi, cette sommation se
rencontrerait dans toutes les circonstances, malgré qu’on
fût réellement dans l’impossibilité soit de recevoir,
soit de livrer. Les actes apparents peuvent sans doute
être consultés, mais ils n’ont pas une influence décisive
dans les questions intentionnelles, ce n ’est donc pas
par leur apparence seule que le magistrat doit se déci
der. Ce dont il a surtout à tenir compte, c’est de leur
sincérité.
6 6 8 . — Les antécédents, la moralité des parties,
1 Lyon, 34 décembre 4 832; — Bordeaux, 4 6 juillet 4840; — J. D.
P., t. ii, 4840, p. 363.
�m
TRAITÉ DU DOL
leur position commerciale, l’importance des ventes, eu
égard à cette position, sont autant de circonstances pou
vant éclairer la question de sincérité. Comment admet
trait-on, par exemple, qu’un fabricant ait pu réelle
ment s’engager à livrer, le plus souvent dans quelques
mois, plus de marchandises qu’il ne pourrait en fabri
quer pendant des années entières.
Tous ces faits sont de nature à fixer la conviction du
juge, que la correspondance des parties peut aussi dé
terminer.
669.
— Le jeu n’existe réellement que lorsque l’o
pération le constituant a été concertée entre les parties.
Celui-là donc qui allègue le jeu doit non-seulement
prouver qu’il n’a lui-même voulu faire qu’un pari sur
■la différence, mais encore que cette intention et cette
volonté ont été également celles de son adversaire.
Dans le cas contraire, sa prétention devrait être re
poussée.
L’opération sérieuse, d’un côté, assure à la partie le
droit de contraindre à l’exécution d’un marché qu’elle
est en mesure d’exécuter en ce qui la concerne. Il im
porte pep que l’autre partie n’ait jamais eu l’intention
de l’exécuter autrement qu’en soldant une différence, on
ne saurait punir d’une fraude celui qui n’a donné aucun
concours au fait d’où elle résulterait. Nous allons plus
loin, agir autrement serait ouvrir la plus large issue à
la mauvaise foi, dès que pour se soustraire aux consé
quences d’une spéculation offrant une perte, il suffirait
�ET DE LA FRAUDE.
229
de venir devant la justice confesser impudemment sa
propre turpitude, et s’accuser d’une fraude à laquelle on
n’aurait pas songé si, au lieu d’une perte à subir, l’opé
ration avait présenté un bénéfice.
670.
— De quelque manière que se déguise la dette
de jeu, la loi a voulu l’atteindre etl’effacer. On pouvait,
dans cette matière, et en présence de l’article 1965,
prévoir qu’on irait chercher dans la simulation le moyen
de tromper et d’éluder la prohibition que cet article
contient. Mais les tribunaux ne se sont pas laissés dé
tourner du but, et partout où ils ont rencontré le jeu, ils
ont su le réprimer , quelque enveloppe qu’eussent re
vêtue ses conséquences.
Ainsi il a été jugé :
1° Qu’un billet à ordre, quelle que soit la valeur
dont il porte l’énonciation, doit être annulé , s’il a été
souscrit par le perdant après une partie de jeu ' ;
2° Que l’acte de vente qui a pour cause une dette de
jeu est nul, encore bien que l’acte remonte à une épo
que antérieure au Code civil2;
3° Qu’on peut être admis à prouver par témoins
qu’une obligation consentie, même par acte authenti
que, a pour.cause réelle une dette de je u 3;
4° Que les billets souscrits pour dette de jeu sont
1 Grenoble, 8 octobre 1823.
2 Paris, 27 novembre 1811.
3 Limoges, 2 juin 1819 ; — Lyon, 21 décembre 1822.
�230
TRAITÉ DU DOL
nuis, encore bien qu’ils aient été causés valeur reçue
comptant '.
Cette jurisprudence a obtenu l’assentiment de la doc
trine. Les principes qu’elle consacre sont enseignés
par Merlin, Toullier, Troplong, Rolland de Villargues,
Chardon.
67 ! . — En résumé, le jeu est proscrit par la loi
d’une manière absolue, en ce sens qu’elle n’accorde au
cune action pour contraindre à l’exécution de ses ré
sultats, quelle que soit d’ailleurs la matière sur laquelle
il s’est exercé. Pour la vente d’effets publics, le jeu est
légalement présumé dans les cas prévus par l’article
422, et ce jeu constitue alors un délit. Mais l’existence
de ce délit est indépendante de l’action civile. Celle-ci,
ayant pour objet la nullité du traité, peut toujours être
accueillie, alors même que tout délit aurait disparu par
la réunion des caractères exigés par la loi ; quant aux
marchés sur marchandises, la loi ne le présume jamais,
mais, par une parité de raison incontestable, l’absence
des conditions de l’article 422 du Code pénal le ferait
admettre. Dans tous les cas, c’est à la prudence des juges
à se déterminer par les faits et circonstances sur le ca
ractère du contrat. L’existence du jeu admise, la dette,
qui en est la conséquence, n’est pas légalement due, elle
doit donc être annulée quelle que soit la forme qu’on lui
ait donnée.
i Cass., 29 décembre '1814; — Angers, -U août 1834.
�ET DE LA FRAUDE.
231
6 72. — La règle générale de l’article 1965 ne com
porte d’autres exceptions que celles exprimées par l’ar
ticle 1966. Il est des jeux que la loi ri’a pas entendu
prohiber, parce qu’ils sont utiles, tels sont ceux qui
contribuent non - seulement à exercer et à former
l’homme, mais encore à procurer un délassement agréa
ble à ses fatigues et à ses travaux. La loi place dans
cette catégorie notamment les jeux propres à exercer au
fait des armes, les courses à pied et à cheval, les courses
de chariots, le jeu de pomme, en un mot, tous les jeux
tenant à l’adresse et à l’exercice du corps.
675.
— La véritable pensée du législateur, à l’en
droit de ces exceptions, nous est nettement dévoilée par
la dernière disposition de l’article 1966. La loi entend
que le jeu, même licite, soit un délassement et non un
métier. Aussi, tout en permettant de l’intéresser, elle
veut le maintenir dans des limites étroites. De là, la fa
culté laissée aux tribunaux de rejeter la demande si elle
paraît excessive.
6 7 4 . — Il importe de remarquer que l’article qui
permet le réjet ne- laisse pas l’alternative entre ce rejet
et la réduction. Il faut en conclure que cette réduction
est dans tous les cas impossible. Cette conclusion se jus
tifie par un double motif. Le je u , sortant des limites
modérées voulues par la loi, devient un jeu prohibé,
comme tel, il ne saurait produire un effet quelconque;
de plus, réduire l’enjeu convenu, c’est modifier la con-
�232
TRAITÉ DU DDL
vention des parties, en changer les bases, faire en un
mot un nouveau traité. Or, s’il est permis au juge
d’interpréter un contrat valable, il ne lui est jamais
loisible de suppléer au contrat nul par des dispositions
valables.
6 7 5 . — La fraude entachant le jeu a un caractère
spécial que l’article 1967 consacre. En général, il en
est de la dette frauduleuse comme de la dette dolosiveNon-seulement le débiteur n’est pas tenu de la payer,
mais il peut encore la redemander après l’avoir payée et
s’en faire rembourser. Cettè règle reçoit exception en
matière de jeu. La loi proscrit toute répétition. Est-ce
par respect pour ce préjugé que la dette de jeu est une
dette d'honneur? Est-ce parce que le jeu ne saurait dans
aucun cas créer une action en justice? C’est ce qu’il
n’est pas facile de décider. Quoi qu’il en soit, ce qui est
certain, c’est que celui qui a payé est censé avoir
soldé une obligation naturelle excluant toute possibilité
de recours.
6 7 6 . — Mais pour qu’il en soit ainsi, il faut que le
paiement ait été effectif, réel, définitif; qu’il émane
d’une volonté spontanée et libre. Nous venons de voir
que. le paiement par le règlement en valeurs ne serait
pas celui que la loi exige, puisque l’acte, soit authen
tique, soit sous-seing privé, renfermant ce règlement,
devrait être annulé. Il n’y aurait donc pas paiement par
la souscription d’une valeur quelconque ;’ il y^aurait,
�.
'
ET DE IA FRAUDE.
233
tout au plus, reconnaissance de la dette ou ratification,
et la loi proscrit également l’une et l’autre.
Il n’y aurait pas non. plus paiement légal, si le paie
ment réellement fait est la conséquence de la super
cherie, du dol ou de l’escroquerie. L’exécution d’une
obligation naturelle, précisément parce qu’elle n’est pas
ordonnée par la loi, ne peut être que le fruit d’une vo
lonté intelligente et libre. Si cette volonté a été pervertie
par des manœuvres, elle n’existe pas, et conséquemment
il n’y a pas eu exécution. On ne donne pas volontaire
ment ce qu’on n’aurait pas donné sans la ruse et le
mensonge auxquels on a cédé. Les conditions exigées
par la raison et par la loi ne se rencontrant point, les
parties doivent être remises dans l’état 'où elles se trou
vaient avant l’emploi du dol, de la supercherie, de l’es
croquerie.
677.
— Ces notions indiquent nettement ce qu’il
faut considérer comme un paiement dans le sens de la
loi. Aussi est-il permis de croire qu’aucune difficulté sé
rieuse n ’arrêtera le juge, lorsqu’il aura à statuer entre
le perdant et le gagnant. Mais il n’en est pas de même
lorsque ce dernier ayant été désintéressé par un tiers,
ce tiers actionne le perdant en remboursement de ses
avances.
Cette action tombe-t-elle sous le coup de' l’article
1965? Ici se présente une alternative offrant à ces deux
termes un inconvénient grave ; d’abord, d’une part, ce
lui de laisser la perte à la charge d’un tiers étranger au
�“234
TRAITÉ DU DOL
jeu et ne méritant aucun reproche ; d’autre part, celui
de laisser l’article 1965 sans exécution. S’il suffit, en ef
fet, pour l’éluder d’introduire un tiers dans l’exécution
du traité, on ne manquera pas de le faire dans chaque
espèce.
Il faut donc se soustraire à ce double écueil et, pour
cela, ne pas s’écarter du système que la doctrine ensei
gne et que plusieurs monuments de jurisprudence ont
déjà consacré. Les droits du tiers doivent être subordon
nés à la preuve de sa bonne foi. Or, on juge de celle-ci
par le plus ou moins de connaissance qu’il a eu de la
nature de l’opération qu’il a soldée.
S’il a ignoré qu’il s’agissait d’une dette de jeu, le paie
ment qu’il en a fait, sur l’ordre formel du perdant, le
constitue créancier légitime de celui-ci jusqu’à concur
rence des sommes qu’il a déboursées. C’est une avance
ordinaire entre commerçant, dont la destination ne sau
rait, en ce qui le concerne, changer le caractère, dont
on ne saurait, conséquemment, lui refuser la resti
tution.
S’il a connu la véritable origine de la dette et qu’il
ne l’ait payée que sur un ordre exprès, l’action en rem
boursement ne s’aurait lui être refusée. Une dette de
jeu peut être l’objet d’un paiement valable. Or, ce que
le perdant peut faire lui-même, il peut le faire par man
dataire. Donc, celui-ci ne fait, en prêtant son minis
tère, que coopérer à un acte autorisé par la loi, c’est le
fait d’un ami prêtant à son ami de quoi satisfaire aux
conséquences d’un jeu dont il a pu connaître l’existence,
�ET DE LA FRAUDE.
235
mais auquel il reste étranger. On ne saurait, dès lors,
lui refuser l’action en répétition. C’est ce qui avait été
admis par l’ancienne jurisprudence, c’est ce que la
nouvelle consacre.
Mais si le tiers, connaissant le jeu , a spontanément
payé la dette, avant et sans en avoir reçu l’ordre du per
dant, celui-ci sera fondé à lui en refuser le rembour
sement. Dans cette hypothèse, le tiers ne sera plus que
le gagnant lui-même, auquel il lui a plu de se subro
ger, et, comme tel, il sera passible de toutes les excep
tions opposables à celui-ci, notamment celle résultant
de l’article 1965. Sans doute le perdant pouvait payer,
mais il avait aussi la faculté de ne pas le faire, et
cette faculté n’a pu lui être enlevée avant et sans
qu’il eut manifesté l’intention formelle d’y renoncer.
678.
— A plus forte raison devrait-on éconduire
l’action en remboursement du tiers, si, mandataire du
perdant, il l’avait représenté dans le jeu et exécuté le
pari pour son compte. Le mandat doit, pour engendrer
une action contre le mandant, reposer sur une cause
licite ; or, c’est ce qui ne se réalise pas dans le mandat
de jouer. Vainement le mandataire exciperait-il de sa
qualité, des ordres qu’il a reçus, de la faculté de payer
qui lui a été expressément conférée. Conséquence natu
relle du jeu lui-même, cette faculté participerait du vice
entachant le mandat primitif et son exécution ne crée
rait aucun droit. C’est ce que la Cour de cassation dé
cida dans l’affaire de Forbin-Janson ; c’est ce qu’elle
�m
TRAITÉ DU DOL
vient de décider plus expressément encore dans une es
pèce dans laquelle la Cour d’Aix avait admis l’action en
remboursement du mandataire.
Un sieur Coste, commissionnaire à Marseille, avait
reçu du sieur Creps, de Pertuis, l’ordre de faire diver
ses spéculations sur les eaux-de-vie. La dernière opéra
tion d’achat et de revente solda par une différence de
37,000 fr., que Coste prétendit avoir réglée sur l’ordre
exprès qu’il en avait reçu et dont il poursuivit judiciai
rement le remboursement.
Devant le tribunal de commerce de Marseille, l’ex
ception invoquée par Creps, et fondée sur l’article 1965
du Code civil, fut repoussée; mais sur l’appel, la Cour
admit que les opérations faites par Coste pour le compte
de Creps n’étaient qu’un jeu dont l’existence ne pouvait
être ignorée, surtout par Coste, qui l’avait seul exécuté.
Mais séduite par l’habile défense de notre honorable
confrère Me Perrin, la Cour ordonna que Creps rem
bourserait les 57,000 fr. Les motifs de cette solution
étaient que le paiement d’une dette de jeu valable»
quand il était directement opéré, pouvait valablement se
faire par mandataire; que, dans l’espèce, ce paiement
ayant été exécuté sur l’ordre exprès de Creps, celui-ci
n’était pas plus fondé à contester le remboursement,
qu’il ne le serait à répéter ce qu’il aurait payé lui-même.
Cet arrêt, ayant été déféré à la Cour suprême, a été
cassé, le 26 février 1845, sur les motifs suivants :
« Attendu que la loi n’accorde aucune action pour le
paiement d’un pari ; que tous les jeux ou paris sur la
�ET DE LA FRAUDE.
237
hausse ou sur la baisse des marchandises dont les prix
sont côtés à la Bourse, sont compris dans cette prohibi
tion; que cette prohibition a pour objet de tracer une
ligne de démarcation salutaire entre la loyale négocia
tion des fruits du travail et de l’industrie, les spécula
tions sérieuses du commerce et les marchés fictifs, ces
transactions immorales et ruineuses où sont seulement
engagées les sommes représentant la différence de va
leurs ou de capitaux imaginaires ;
« Attendu que si l’action que la loi refuse au joueur
qui gagne contre le joueur qui perd pouvait être exer
cée contre le joueur qui a perdu parle mandataire qui
lui a servi d’intermédiaire dans le jeu ou dans le pari
que le législateur a voulu décourager ; que si le man
dataire était admis à se faire rembourser par le perdant,
en cas de chance défavorable, le montant de ses pertes,
sous le prétexte de paiements qu’il prétendrait avoir ef
fectués à la décharge et en l’acquit de son commettant,
la prohibition delà loi serait éludée ou pourrait toujours
l’être ;
« Attendu que', pour apprécier justement les droits
d’un mandataire, il ne faut perdre de vue ni la nature
du mandat, ni la nature de la transaction pour laquelle
le mandat est intervenu;
« Attendu que, dans l’espèce, il est constaté , par
l’arrêt attaqué, que le défendeur était l’agent du deman
deur, dans les opérations auxquelles celui-ci se livrait
alternativement sur la hausse et la baisse des marchan
dises dites 3|6, et qu’il était personnellement intéressé
�238
TRAITÉ DU DOL
au jeu dont il se refuse à supporter les pertes ; d’où, il
suit que le mandat avait pour but une transaction désa
vouée par la loi; qu’en l’acceptant, le défendeur s’était
associé, à ses risque, péril et fortune, aux chances du
pari; que le mandat spécial, en vertu duquel le paie
ment aurait eu lieu, est entaché du même vice que le
précédent, dont il n'était que la conséquence ; qu’il
est, dès lors, non recevable à répéter les sommes par
lui payées ;
« Attendu que c’est vainement que le défendeur invo
que les dispositions de l’article 1967 du Code civil, qui
refuse au perdant l’action en répétition de ce qu’il a vo
lontairement payé, puisqu’il s’agit dans l’espèce non
d’une action de ce genre, mais, au contraire, d’une ac
tion dirigée contre le perdant qui n’a point payé et pour
le contraindre à payer »
On le voit, la Cour de cassation pose nettement le
principe de la responsabilité de l’intermédiaire ayant pré"
sidé au jeu. C’est avec toute raison que la Cour fait ob
server que le principe contraire annulerait la prohibition
de l’article 1965. On comprend, en effet, que si le con
cours d’un tiers pouvait donner l’action que cet article
refuse au joueur, ce concours se réaliserait dans toutes
les espèces et deviendrait bientôt une des conditions de
tous les traités de ce genre.
Ajoutons que dans bien de cas le pari ne se serait
pas réalisé sans la complaisance coupable du manda-
�ET DE LA FRAUDE.
239
taire intéressé qui a prêté son nom. Il est donc juste
d’admettre qu’en se livrant au jeu pour le compte du
mandant, qu’en se chargeant des opérations consti
tuant la spéculation illicite, il fait plus que partager la
culpabilité des deux joueurs, qu’il l’assume tout entière
sur sa tête ; qu’il doit, dès lors en supporter seul les con
séquences. Puisse cette doctrine effrayer les tiers et
enlever au jeu cet élément qu’il puise dans leur con
cours, et qui en favorise tant les déplorables développe
ments.
Concluons donc que la doctrine de la Cour de cassa
tion est non-seulement juridique, mais qu’elle est en
core hautement avouée par la morale. Son exacte appli
cation laissant à la charge du tiers les conséquences du
jeu qu’il a favorisé et auquel peut-être il a même ex
cité, ne fait qu’appliquer une peine justement encourue.
Celui qui voudra s’en exonérer n’aura qu’à refuser son
ministère, et le martyrologe de la bourse comptera,
nous en sommes certains, quelques noms de moins1.
6 7 9 . — L’article 2059 du Code civil offre plusieurs
exemples de fraudes présumées, entraînant ou pouvant
entraîner non-seulement la nullité de l’acte, mais encore
la contrainte par corps pour le payement des restitutions
et des.dommages-intérêts adjugés. Nous voulons parler
des actes caractérisant le stellionat.
6 8 0 . — Or, il y a stellionat : 40 lorsqu’on vend ou
Conforme, Troplong, sur l’art. '1965.
�240
TRAITÉ DU DOL
qu’on hypothèque la chose d’autrui. Ce stellionat ne ré
side pas autant dans le fait lui-même que dans l’inten
tion de son auteur. On peut, en effet, errer sur la na
ture de son droit ; on peut, de bonne foi, croire à une
propriété qui n’existe pas. La preuve des circonstances
pouvant justifier l’erreur alléguée serait de nature à af
franchir le défendeur, non pas certes de la nullité de
l’acte, mais de la peine de la contrainte par corps.
Cela s’induit naturellement des termes de la loi qui
fait résider le stellionat dans la connaissance chez le
vendeur on l’emprunteur que la chose vendue ou hypo
théquée ne leur appartient pas, dont on sait n'êlre pas
propriétaire. Celui-là donc qui ne sait pas, on qui a
juste motif de ne pas savoir qu’il n’est pas propriétaire,
ne commet pas un stellionat même en vendant ou hypo
théquant la chose d’autrui.
La présomption légale de fraude attachée au stellio
nat ne permet pas toujours d’admettre la preuve con
traire. Dans l’hypothèse que nous examinons, la bonne
foi peut être discutée dans le sens que nous venons
d’indiquer, et pour faire disparaître le stellionat; mais
la question de savoir si le défendeur a su ou non que la
chose hypothéquée ou vendue ne lui appartenait pas,
résolue dans le premier sens, les juges ne peuvent plus
se dispenser de prononcer la contrainte par corps, et
décider qu’il n’y a pas eu fraude chez le vendeur ou
l’emprunteur.
6 8 1 . — 2° Lorsqu’on présente comme libres des biens
�ET DE LA FRAUDE.
241
hypothéqués ou qu’on déclare des hypothèques moin
dres que celles dont les biens sont grevés. Remarquons
que dans ces hypothèses la loi n’exige plus qu’on ait agi
sciemment. Le fait ici emporte avec lui-même la preuve
de ce caractère. On peut, en effet, errer sur l’origine, sur
la nature d'un droit, mais on ne peut jamais ignorerles
hypothèques qu’on a consenties.
Il semblerait, dès lors, que le question de bonne foi
ne saurait être ni proposée, ni admise, cependant le con
traire a été consacré quelquefois.
Ainsi la Cour de Toulouse a jugé, le dix janvier 1829,
que bien que dans une vente un individu ait déclaré li
bre un immeuble qui se trouvait grevé d’une hypo
thèque, il peut être, en raison de sa bonne foi, affranchi
des peines portées contre les stellionataires, et notam
ment de la contrainte par corps, s’il a fourni à l’acqué
reur tous les moyens de connaître l’existence de l’hypo
thèque, et s’il résulte des circonstances que celui-ci ne l’a
pas ignorée1,
Nous ne pouvons admettre une doctrine de cette na
ture, en ce qu’elle paraîtrait mettre en question la fraude
légalement présumée par la loi. Aux termes de l’article
1352, la présomption légale exclut la preuve contraire.
'En conséquence, si la Cour de Toulouse avait admis, nonseulement cette preuve contraire, mais encore l’inexis
tence de la fraude, elle eût violé cet article 1352 et mé
connu le caractère de l’article 2059.
�242
TRAITÉ DU DOL
Mais, en se référant à l’arrêt, il est facile de se con
vaincre que la Cour n’a fait réellement ni l’un, ni l’au
tre, et que si elle n’a pas appliqué la peine du stellionat,
c’est que les circonstances ne lui ont pas paru consti
tuer un stellionat quelconque. Ainsi elle constate d’a
bord que la clause dont on voulait faire ressortir le
stellionat devait être considérée plutôt comme une clause
de style que comme une déclaration formelle d’absence
de toute hypothèque; elle relève ensuite cette circonstance
que le titre constitutif de l’hypothèque avait été remis à
l’acquéreur, et que celui-ci pouvait d’autant moins igno
rer l’existence de la dette qu’il aurait été, avant la vente,
chargé, en sa qualité de notaire, de solder au créancier
lesinlérêts de ce qui lui était dû.
En réalité donc, l’arrêt est loin de dénier au stellional ses conséquences légales, et surtout de l’excuser, mais
usant du pouvoir d’interpréter que lui confère la loi, la
Cour arrive à conclure qu’il n’y a pas stellionat. L’arrêt
est donc un arrêt d’espèce et non un arrêt de doctrine
dont on puisse inférer une contradiction avec l’article
2059 du Code civil. Il ne faut pas sans doute tromper
l’acquéreur ou le prêteur, mais il ne faut pas non plus
que la liberté du vendeur ou de l’acquéreur soit compro
mise, parce qu’il a plù au notaire d’obéir à un protocole
qui lui est habituel, sans que le prétendu auteur de la
déclaration ait pu apprécier l’importance et les suites de
ce qu’on lui fait ainsi dire. Il ne faut pas surtout que la
mauvaise foi de l’acquéreur, ayant été à même de tout sa
voir, puisse trouver dans la loi le moyen d’abuser d’une
erreur n’ayant jamais existé.
�ET DE LA FRAUDE.
243
682.
— L’article 2059 exige, pour qu’il y ait slellionat, quele vendeur ou l’emprunteur ait déclaré les biens
libres ou des hypothèques moindres que celles dont l’im
meuble est grevé. De là, il résulte que si l’acte ne ren
ferme aucune déclaration, il ne saurait exister de stellionat. Vainement exciperait-on, après l’acte, de l’existence
de nombreuses hypothèques. Le vendeur ou l’emprunteur
a pu les taire sans encourir aucune responsabilité. La loi,
en effet, ne lui a pas ordonné de les faire connaître, tout
ce qu’elle exige de lui c’est de se conformer à l’exacte vé
rité dans le cas où il serait appelé à faire, dans l’acte une
déclaration à cet égard.
685.
— Il n’en est pas de même pour les maris et4
les tuteurs. L’article 2136 du Code civil veut qu’ils soient
traités comme stellionataires lorsque, ayant manqué de
requérir l’inscription de l’hypothèque légale afférente aux
mineurs ou à la femme, ils ont consenti on laissé pren
dre des privilèges ou hypothèques sur leurs immeubles,
sans déclarer expressément que ces immeubles étaient af
fectés à ces hypothèques légales.
Ici l’obligation de déclarer existe- Elle est absolue et
ne peut comporter aucun équipollent. Cette doctrine, en
seignée par MM. Persil, Dalloz, Troplong, a été, à diver
ses reprises, consacrée par la jurisprudence'. L’omission
est donc assimilée à la fausse déclaration et en entraîne
toutes les conséquences.
1 V. Limoges, 18 avril 1828 ; — D. P ., 29, 2, 93.
�6 8 4 . — Les mêmes auteurs, M. Troplong notam
ment, enseignent que la question de bonne foi doit cepen
dant être examinée, et peut être prise en considération.
Mais, et c’est là l’observation de M. Troplong, il n’y aura
bonne foi que lorsque le mari a pu croire l’immeuble li
bre, et cette croyance ne pourra se présenter comme ad
missible que dans des cas fort rares.
Telle est l’espèce jugée, le 21 février 1827 , par la
Cour de cassation. Cet arrêt décide : que bien que le
vendeur d’un immeuble grevé d’hypothèque légale ait
déclaré que cet immeuble était franc et quitte , il peut
être affranchi des peines du stellionat, s’il résulte des
circonstances qui ont accompagné la vente qu’il a été de
bonne foi dans sa déclaration, comme si, par exemple,
la femme mineure du vendeur, du chef de laquelle pro
venait l’hypothèque, a, lors de la vente, renoncé à son
hypothèque, renonciation déclarée nulle, à cause de son
état de minorité, lequel d’ailleurs à dû être connu de l’ac
quéreur '.
De son côté, la Cour de Bordeaux à jugé, le 9 juillet
1830, qu’un mari qui vend un fonds comme libre d’hy
pothèque, peut, soit à raison de sa qualité de villageois,
soit en raison de ce que sa femme était présente à l’acte,
être, malgré le principe que nul n’est censé ignorer la loi,
déclaré n’avoir point su que le fonds vendu était grevé
de l’hypothèque légale de sa femme, et, par suite, être
affranchi des peines du stellionat1.
�ET DE LA FRAUDE.
245
6 8 5 . — Ainsi, la seule excuse constituant en cette
matière la bonne foi du mari, est l’ignorance de l’exis
tence de l’hypothèque légale de la femme ou la fausse
croyance qu’elle a cessé d’exister. Il importe de retenir
cette observation, car elle peut seule expliquer la con
tradiction qu’on pourrait reprocher à la jurisprudence.
En effet, la Cour de cassation a jugé le 20 novembre
1826, après un délibéré en la chambre du Conseil, que
par cela seul que le mari vendant l’immeuble grevé de
l’hypothèque légale non inscrite de la femme le déclare
franc de toute hypothèque, il doit être réputé stellionataire, et, comme tel, contraignable par corps, sans qu’il
puisse être affranchi de cette contrainte sous le prétexte
qu’il a été de bonne foi dans sa déclaration'. Il est vrai
que, dans cette espèce, la Cour de Toulouse, dont l’arrêt
est cassé, avait invoqué la possibilité en fait que le ven
deur eût ignoré, la dot ayant été reçue par son père, que
sa femme eût hypothèquesur ses propres biens. Mais, in
dépendamment de ce que l’arrêt ne constatait pas en fait
cette ignorance, il invoquait d’autres circonstances et no
tamment la connaissance que l’acheteur avait de la qua
lité d’homme marié du vendeur, et faisait résulter de là
la bonne foi de celui-ci.
Il y a donc, entre cet arrêt et ceux précédemment
cités, cette nuance que les premiers constatent l’ignorance
ou la fausse croyance dont nous parlions, tandis que le
dernier admet la bonne foi ordinaire puisée dans d’au -
�m
TRAITÉ DU DOL
très éléments. Il n’y a donc pas entre eux l’antinomie
qu’on pourrait être tenté de leur reprocher. Tout s’expli
que par celte observation déjà faite, que la seule bonne
foi excluant le stellionat est constituée par l’erreur sur
l’existence ou la continuation du droit. Erreur qu’il ne
suffit pas d’alléguer, mais qui doit être admise par le
juge.
6 8 6 . — Ainsi, pour tout le monde, il y a stellionat
dès qu’on a présenté comme libres des biens qui ne
l’étaient pas ou qu’on a dissimulé l’existence de quelquesunes des hypothèques dont ils sont grevés. Il existe de
plus pour les tuteurs et les maris par l’omission de la
déclaration de l’hypothèque légale. Mais le stellionat,
dans le premier cas, n’est punissable que lorsque le
mensonge ou l’inexactitude est le fait personnel et direct
de celui à qui on le reproche. Nul ne peut indirecte
ment engager sa liberté, quelle que soit d’ailleurs le con
cours donné à l’acte. Dès lors, la caution ne saurait être
tenue des conséquences du stellionat commis par le débi
teur principal.
Par suite de ce principe, la femme commune qui s’est
engagée solidairement avec son m a ri, n ’étant censée
qu’une caution, ne peut être garante du stellionat que
l'acte renferme, c’est au reste ce que décide formelle
ment l’article 2066 du Code civil.
6 8 7 . — Le stellionat'n’est punissable qu’autant qu’il
occasione un préjudice. Ainsi, si les hypothèques non
�ET DE LA FRAUDE.
24-7
déclarées ont été plus tard éteintes ou radiées, rien ne
s’opposant à ce que les promesses de l’acte soient fidè
lement remplies, la poursuite en stellionat serait sans
utilité et conséquemment irrécevable. Mais il en serait
autrement dans les cas où la radiation des hypothèques
non déclarées serait faite après l’ouverture de l’action en
stellionat ou après la vente de l’immeuble hypothéqué,
et lorsque le créancier aurait perdu le droit d’enchérir
ou de surenchérir. Dans cette hypothèse, comme dans la
précédente, l’action en stellionat suivrait son cours et pro
duirait tous ses effets
■
(Sr
'■
i-
688.
— L’aliénation de la chose d’autrui étant radi
calement nulle, l’acquéreur peut, même avant d’être
troublé, poursuivre le vendeur et le faire condamner
comme stellionataire. La demande, à cet effet, ne saurait
être arrêtée par la ratification du véritable propriétaire
qu’autant que l’acquéreur voudrait l’accepter. Dans le
cas contraire, l’existence certaine du stellionat l’auloriserait à faire annuler la vente et ordonner la restitution
de ce qu’il a payé parla voie de la contrainte par corps.
Nous verrons plus bas que la vente de la chose com
mune est assimilée à la vente de la chose d’autrui. Le
communiste, qui l’a consentie en son seul nom, a donc
commis un stelliona'. S’il ne s’agit que d’un hypothèque,
et que, parle résultat du partage, la chose affectée tombe
dans le lot du constituant, l’hypothèque devient valable
�..........
248
TRAITÉ DU DOL
sans que celui-ci puisse être plus tard poursuivi comme
stellionataire.
6 8 9 . — La peine du stellionat est, indépendamment
de la contrainte par corps, la nullité de l’acte, s’il s’agit
d’une vente ; la déchéance du terme, s’il s’agit d’une
obligation. De plus, la loi prive le stellionataire de la fa
culté d’être admis à la cession des biens; elle l’exclut,
lorsqu’il est commerçant, du bénéfice de l’excusabilité
en cas de faillite, elle ne lui permet pas même la réha
bilitation.
»
6 9 0 . — Le livre trois du titre six du Code civil ren
ferme plusieurs hypothèses pour lesquelles la loi a ad
mis la présomption de fraude. C’est d’abord l’article
1595 prohibant la vente entre époux, sauf les exceptions
indiquées.
Les motifs de celte prohibition sont clairement indi
qués par les débats au corps législatif. Sans cette pro
hibition, disait-on, rien n’eût été plus facile que d’éluder
la restriction mise par la loi au droit qu’ont les époux
de s’avantager au-delà de certaines limites; de rendre
irrévocables des dons que la loi soumet à une condition
perpétuelle de révocabilité. D’ailleurs le mari, maître
et administrateur de la communauté, chargé d’assister
et d’autoriser sa femme , ne pouvait concilier l’intérêt
exclusif et personnel d’un contractant avec la sage vigi
lance d’un protecteur *.
1 Portalis, E xposé des M otifs.
�ET DE LA FRAUDE.
249
Le législateur a donc posé comme présomption lé
gale, excluant la preuve contraire, qu’entre personnes
si intimement unies, dominées par des influences mu
tuelles, la vente masque une donation ou une fraude
contre les tiers.
691.
— Les inconvénients du système contraire
avaient été depuis longtemps appréciés. En effet, on sait
que le droit romain n’admettait pas la présomption de
simulation. La vente entre époux était valable en tant
qu’elle n’était pas prouvée renfermer un avantage indi
rect, et, dans ce cas, on se contentait de condamner la
femme à tenir compte dé ce dont elle avait été gratifiée
seulement: Quatenus facta est locupletior Bien plus,
les jurisconsultes romains conseillaient de ne pas traiter
trop sévèrement de pareils actes : Et sane non amare,
nec tanquam inter infcstos jus prohibilœ donationis
tractandum est, sed ut inter conjunctos maximo affectu, et solam inopiam timentes \
Les difficultés que soulevait l’application avaient
éclairé notre législateur. Le droit coutumier français
avait répudié les errements du droit romain et admis la
présomption de simulation. La vente entre époux n’était
considérée que comme un avantage indirect et frappée
conséquemment de nullité. C’est ce qu’enseignent les
coutumes de Normandie, de Nivernais ; c’est, au témoi1 L. 5, Dig., S 5, de D onal. inter, v ir . et nxor.
2 L. 28, S 2, de D o n a l. in ter v ir. et wxor.
�250
TRAITÉ DU DOL
gnage de Pothier, ce qui était admis par les coutumes
qui ne s’en étaient pas formellement expliquées ; c’est
enfin ce que nous apprend Dumoulin, sur l’article 256
de la coutume de Paris , et ce qu’il résume dans cette
proposition : Nullum contractant etiam reciprocum,
facere possmt (les époux), nu i ex necessitate. Aussi,
ajoute-t-il, consulté sur la question de savoir : An possit marilus justo pretio vendere uxori, quod domus
propria viri erit commùnis ? Respondi : Non.
692.
— Cette doctrine est devenue celle du Code.
Aujourd’hui, la règle générale est l’incapacité récipro
que des époux pour les ventes mutuellement censenlies,
et cette incapacité prend sa source dans la présomption
que ces ventes ne sont qu’un moyen d’éluder la loi ou
de frauder les tiers. Mais cette règle reçoit exception, et
cela devait être. En effet, le but du législateur a été de
proscrire toutes les ruses qu’un mari adroit et cupide
serait tenté d’employer pour spolier sa femme ; d’empê
cher que celle-ci abuse de l’affection qu’elle a su faire
naître et entretenir pour se faire avantager outre me
sure; d’assurer enfin la sincérité des transactions entre
époux. Or, lorsque par sa nature l’acte n’offre plus
qu’une opération légitime, naturelle et ne permet pas
même le soupçon, il eût été irrationnel et injuste de
fermer les yeux à l’évidence et, sacrifiant la vérité à la
fiction, de prononcer une nullité sans utilité et sans but
réels.
«
6 9 3 . — Tel est évidemment le caractère des excep-
�ET DE LA FRAUDE.
251
tions consacrées par l’article 1595. La première se réa
lise lorsque, après la séparation, l’un des époux, cède des
biens à l’autre en paiement de ses droits; la seconde,
lorsque la cession que le mari fait à sa femme, même
non séparée, a une cause légitime, telle que le remploi
de ses immeubles aliénés ou de deniers à elle apparte
nant, si ces immeubles ou ces deniers ne tombent pas
en communauté. La troisième exception est relative à la
cession faite par la femme au mari, en paiement d’une
somme qu’elle lui aurait promise en dot, lorsque les
époux ont exclu la communauté.
6 9 4 . — Dans le premier cas, la femme doit rece
voir sa dot et le montant de ses reprises. Le mari, obligé
à ce paiement, devant dans tous les cas le réaliser, il im
porte fort peu qu’il vende ses immeubles à un tiers pour
en compter le prix à sa femme, ou qu’il vende directe
ment à celle-ci. Ce dernier parti est même plus conve
nable et plus utile. Ce n’est pas, à proprement parler,
une vente, c’est une dation en paiem ent, que la loi
n’avait aucun motif de proscrire.
D’autre part la liquidation, et la reprise par la femme
de son immeuble dotal, peut constituer le mari créan
cier pour réparations et améliorations à l’immeuble.
Quel inconvénienty avait-il à autoriser la femme à payer
ce qu’elle doit par la désemparation d’immeubles d’é
gale valeur?
Sans doute, dans l’une et l’autre hypothèse, l’acte peut
renfermer un avantage illicite, en ce sens que, dans la
�252
TRAITÉ DU D0L
première, l’immeuble donné par le mari le sera à un
prix fort au-dessous de sa valeur ; que, dans la seconde,
l’immeuble de la femme sera évalué à un prix exagéré,
ou vice versa. Mais la loi a pourvu à cette fraude, en
réservant aux héritiers réservataires et aux créanciers
le droit de faire restituer à l’immeuble sa véritable va
leur.
695.
— La seconde exception emporte aussi plutôt
la dation en paiement qu’une vente. Le mari est débi
teur envers sa femme du prix de ses propres aliénés
ainsi que des deniers qui lui sont échus pendant le ma
riage, et cela est surtout vrai lorsque les époux sont sous
un régime exclusif de la communauté ; il a donc inté
rêt à opérer le remploi du prix et, pouvant acheter des
immeubles, il doit pouvoir acheter de lui-même en ven
dant à sa femme ceux qui lui appartiennent. Il en est
de même pour les deniers perçus par lui; comme il sera
toujours obligé de les restituer, il peut devancer cette
obligation et l’exécuter par la cession de ses immeubles.
Il ne change rien ni à sa position, ni à celle de sa
femme, il ne fait qu’éteindre sa dette, la vente a donc
une cause légitime.
L’exemple cité par l’article 1595 est démonstratif et
non limitatif. Toutes les fois qu’il y aura cause légitime,
la vente entre époux pourra être maintenue. La légitimité
de la cause est abandonnée à l’appréciation du juge.
Mais il faut remarquer que le Code ne parle, dans 'cette
seconde exception, que des ventes faites parle mari à la
�ET DE LA FRAUDE.
253
femme, faut-il en conclure que celle que la femme con
sentirait au mari, se plaçant en dehors des termes pré
cis de l’article, devrait être annulée quelque légitime
qu’en fût la cause ?
C’est ce qu’enseigne M. Troplong ', en décidant néga
tivement la question de savoir si la femme pourrait ven
dre ses immeubles à son mari pour le rembourser du
paiement de ses dettes antérieures au mariage. La cause
de cette vente, dit cet éminent magistrat, est certes aussi
légitime que dans aucune autre espèce. Mais la loi n’é
tablissant pas la réciprocité, on ne saurait, sans la vio
ler, maintenir le contrat. Mais, ainsi que l’observe M.
Duvergier, la discussion au conseil d’Etat ne permet pas
d’admettre que tel ait [été l’esprit dé la loi. Il est vrai
que, sur l’observation de Regnauld de St.-Jean d’Angely, il avait été convenu que l’article 1595 s’explique
rait sur la réciprocité des ventes entre époux, ce que
la rédaction définitive n ’a pas fait. Cette omission, en
présence de l’adoption certaine de la proposition de
M. Regnauld, adoption dont rien ne prouve la rétracta
tion ultérieure, peut s’expliquer ou par une négligence
ou par la pensée que, l’ensemble de l’article remplissant
implicitement le but qu’on voulait atteindre , il n’était
pas nécessaire de l’exprimer explicitement. Ce qui est
certain, c’est que la loi n ’a voulu que défendre la fraude,
qu’empêcher la violation de la prohibition faite aux époux
de s’avantager au delà de certaines limites, or payer
1 Sur l’article 1595.
�254
TRAITÉ DU DOL
une dette certaine, c’est ne faire ni l’un ni l’autre.
Cela, admis du mari à la femme, doit être nécessaire
ment vrai de la femme au mari : Ubi eadern ralio, ibi
idem jus.
v>
6 9 6 . — Enfin le troisième cas excepté de la prohi
bition est la vente d’un immeuble en paiement de la dot
mobilière que la femme est dans l’impossibilité de réa
liser. Cette substitution ne renferme aucun avantage pour
le mari; si l’immeuble est accepté pour sa juste valeur,
elle n’est que l’accomplissement d’une obligation légiti
mement contractée. Toutefois, cela n’est incontestable
que sous l’empire d’un régime exclusif de communauté,
dans le cas contraire, remplacer une somme peut-être
irrécouvrable, entrée en communauté, par un immeuble
qui n’y entre pas de droit, serait consentir un avantage
et non une vente.
6 9 7 . — En résumé, la vente entre époux est présu
mée frauduleuse. Telle est la règle, mais cette règle re
çoit exception, lorsqu’il apparait d’une cause légitime ;
cette cause légitime existe de plein droit dans les trois cas
spécifiés dans l’article 1595, sauf le droit des héritiers
à réserve et celui des tiers sur la simulation du prix fixé
dans l’acte; dans tous les autres cas où l’existence d’une
cause légitime serait alléguée, la loi s’en réfère à la pru
dence des tribunaux qu’elle en constitue les arbitres
souverains.
6 9 8 . — Mais, pour pouvoir utilement se placer dans
�^
;........ ......................■
ET DE LA FRAUDE.
235
l’exception prévue, il ne suffit pas de motiver la vente
sur un des faits qui constituent cette exception, il faut en
outre que la position des parties explique et justifie la
vente. Ainsi il a été jugé que la créance que la femme
dotale a sur son mari pour sa dot n’est pas, tant qu’elle
n’a pas été rendue exigible par la séparation de biens,
une cause légitime dans le sens de l’article 1593 du
Code civil, autorisant la cession des biens du mari; c’est
là une reprise dans le sens du numéro premier de cet
article et l’on objecte en vain qu’il suffit, aux termes du
numéro deux, que la créance ne tombe pas en commu
nauté ' ;
Que sous le régime dotal, les reprises delà femme ne
pouvant être exigées* qu’après la dissolution du mariage
et le mari n’étant pas soumis, sauf clauses contraires, à
faire emploi jusqu’à cette époque, l’existence de ces re
prises n’est point une cause légitime donnant droit au
mari.de vendre à la femme un de ses immeubles’ ;
Enfin que la vente d’un immeuble faite par le mari
au profit de sa femme, à litre de remploi de diverses
aliénations, est nulle, nonobstant l’énonciation de rem
ploi, s’il résulte de circonstances graves que cette vente
a été faite dans le but de soustraire l’immeuble à l’action
des créanciers du mari 3.
Il en serait de même si la créance paraphernale, pour
1 Cass., 12 juin 1839 ; = D. P. 40, 1 ,1 5 .
s Grenoble, 10 juillet 1841 ; — D. P. 42, 2, 45.
3 Bordeaux, 15 janvier 1839; — D. P. 39, 2, 132
�256
T R A IT É DU DOL
le paiement de laquelle il y a eu vente entre époux,
était déclarée avoir une trop faible importance, en pro
portion des biens cédés
6 9 9 . — Quel est le sort de la vente entre époux tom
bant sous le coup delà prohibition de l’article 1595? Par
rapport aux tiers intéressés, la question ne saurait être
douteuse, la nullité est absolue. Les choses rentrent dans
la possession du précédent propriétaire et restent affec
tées aux droits et aux exécutions que chacun d’eux peut
prétendre ou exercer.
700. — Par rapport aux héritiers réservataires, la
vente n’est pas nulle, en ce sens qu’elle ne doive produire
aucun effet. Considérée comme un avantage indirect,
elle doit se réduire jusqu’à concurrence de la quotité
disponible. Cette opinion, enseignée par Toullier \ nous
parait incontestable. L’un des motifs du législateur, en
proscrivant la vente entre époux, a été d’empêcher la
disposition d’outrepasser les bornes tracées aux avanta
ges qu’ils peuvent réciproquement se conférer. Donc,
renfermer dans tous les cas celte disposition dans les li
mites delà quotité disponible, c’est lui affecter un carac
tère légal. Comment empêcherait-on de faire indi
rectement ce qu’il est permis de faire d’une manière
directe.
1 Cass., 24 juin 1839 ; — D. P 40, 1, 15.
2 T . x n , p. 64.
�257
ET DE LA FRAUDE.
70 1. — Il n’est certes pas défendu à la femme d’a
cheter soit des immeubles, soit des meubles pendant la
durée du mariage. Mais ces achats peuvent masquer une fraude, soit contre les créanciers, soit contre les hé
ritiers à réserve, lorsque le paiement du prix, censé fait
par la femme, l’a été réellement par le mari et de ses
propres deniers. La facilité d’exécuter cette fraude a, de
tous temps, éveillé la'sollicitude du législateur. De là,
la présomption que ce qui est acheté par la femme l’a
été des deniers du mari. Mais cette présomption n’est
pas exclusive de la preuve contraire ; elle oblige seule
ment la femme à justifier des ressources qu’elle a em
ployées : Unde habuerit.'
702. — L’article 1596 prohibe la faculté de devenir
adjudicataire :
Au tuteur, des biens de ceux dont il a la tutelle ;
Aux mandataires, des biens qu’ils sont chargés de
vendre ;
Aux administrateurs, des biens des communes ou des
établissements publics confiés à leurs soins;
Aux officiers publics, des biens nationaux d ont les ven
tes se font par leur ministère.
Les adjudications rapportées au mépris de cette dis
position sont considérées comme frauduleuses et annu
lées de plein droit, sans q u ’on puisse avoir égard à la
bonne foi alléguée.
1 L. 51, Dig. De donai. inter vir. et uxor.
Il
47
�258
TRAITÉ DU DOL
Les raisons de sûreté et d’honnêteté publiques qui mo
tivent cette disposition sont,dit M. Portalis', trop éviden
tes pour qu’il soit nécessaire de les développer. Chacun
sent, en effet, que l’autorisation de devenir adjudicataire
amènerait bientôt les personnes désignées à mettre ,
pour écarter toute concurrence, le soin que le législateur
exige de leur part pour la multiplier. C’est aussi ce qu’a
vaient pensé les législations précédentes que le Code n’a
fait que copier.
703.
— En règle générale, les incapacités sont de
droit étroit sans qu’on puisse les étendre. Delà, quel
ques auteurs, et notamment M /Duranton % ont conclu
que l’article 1596 du Code civil ne concernerait pas le
subrogé-tuteur. Nous admettrons cette solution lorsque,
par la nature de la vente, le subrogé-tuteur y demeure
étranger, n’ayant aucune missiorfdela surveiller, com
me, par exemple, en cas d’aliénation par suite d’expro
priation. Au contraire, si la vente est volontaire, le su
brogé-tuteur doit, aux termes de l’article 459 du Code
civil, être présent dans l’instance, et celte présence n’a
d’autre but que de surveiller et de protéger les intérêts
du mineur. Or, cette mission est inconciliable avec la
faculté de se rendre adjudicataire, puisque, dans ce cas
l’intérêt du subrogé-tuteur serait opposé à celui du mi
neur. Il ne faut donc pas que dans cette position ce der-
i E xposé des m otifs, corps législatif, 27 février 1804.
�ET DE LA FRAUDE.
259
nier intérêt puisse être sacrifié. Nous dirons du subro
gé-tuteur, dans cette circonstance, ce que Portalis disait
tout à l’heure du mari : Il ne peut concilier l’intérêt ex
clusif et personnel d’un contractant avec la sage vigi
lance d’un protecteur. D’ailleurs, chargé de partager les
devoirs du tuteur, il doit subir les prohibitions faites à
ce dernier. La même distinction doit régir le curateur
du mineur non émancipé et le conseil judiciaire donné
à un prodigue.'
704. — L’article 711 du Code de procédure civile
complète la série des incapacités en partie établies par
l’art. 1596. Les membres du tribunal devant lequel la
vente se poursuit pourraient abuser de l’influence s’atta
chant à leur qualité pour écarter les enchérisseurs. La
connaissance qu’un d’eux se présente comme acqué
reur suffirait seule, et indépendamment de toute démar
che personnelle, pour déterminer ce résultat. La loi a
donc sagement et prudemment agi en ne leur permet
tant pas de se mettre sur les rangs des acquéreurs.
705. — La nullité de l’adjudication faite en faveur
d’un incapable peut être poursuivie par tous les ayants
droit. Il n’y a à cette règle générale qu’une exception, à
savoir : l’incapable lui-même. Autoriser celui-ci à se
soustraire aux charges résultant de l’adjudication, c’était
lui permettre de se prévaloir de sa propre turpitude. La
1 Troplong, art. 1596, n° 187
�260
TBAJTÉ DU DDL
loi ne doit aucune protection à celui qui ne s’est mis
dans le cas de l’implorer qu’en la violant ouvertement.
706.
— Les juges, leurs suppléants, les magistrats
remplissant le ministère public, les greffiers, huissiers,
avoués, défenseurs officieux et notaires, ne peuvent, aux
termes de l’art. 1597, devenir cessionnaires des procès,
droits et actions litigieux qui sont de la compétence du
tribunal dans le ressort duquel ils exercent leurs fonc
tions.
Un juge, disait Portalis, dans l’Exposé des motifs, est
établi pour terminer les contestations des parties et non
pour en trafiquer. Il ne peut et ne doit intervenir entre
les citoyens que comme ministre des lois et non comme
l’agent des intérêts, de la haine et des passions de l’hom
me. S’il descend honteusement de son tribunal, s’il a bandonne le sacerdoce auguste qu’il exerce pour échan
ger sa qualité d’officier de justice contre celle d’acheteur
d’action, il avilit le caractère honorable dont il est re
vêtu , il menace, par le scandale de ses procédés hosti
les, les familles qu’il ne doit que rassurer par ses lumiè
res et ses vertus. Il cesse d’être magistrat, il n’est plus
qu’oppresseur.
Il serait à craindre, ajoutait l’orateur du Tribunat,
que les différentes personnes énumérées dans l’article
n’inquiétassent les plaideurs par leur influence ou tous
autres moyens, et qu’armés de leur titre d’acquisition, el
les ne les forçassent à faire en leur faveur des sacrifices
considérables pour se débarrasser d’adversaires dange
reux.
�ET DE LA FRAUDE.
261
La loi a donc suivi,en cette circonstance, la voie que
nous avons déjà signalée en traitant du dol présumé.
Plus la fraude est prochaine et facile, plus elle redouble
de précautions et plus elle en suppose aisément l’exis
tence. Or , on pouvait prévoir , sans trop de témérité,
que les personnes dont parle l’art. 1597, voulant se
faire céder des droits litigieux , feraient nécessairement
valoir leur position , leur influence , sauraient adroite
ment semer des craintes sur le résultat. Consacrer de pa
reilles manœuvres, c’était encourager une fraude d’au
tant plus dangereuse, que celui qui en est l’objet a moins
de moyens de s’y soustraire. C’est pour obvier à cet in
convénient que la loi a consacré la prohibition absolue
que nous trouvons dans l’art. 1597.
7 07. — Cet article place sur la même ligne les pro
cès et les droits et actions litigieux. Cette locution ne se
rait qu’un pléonasme s’il fallait, dans l’occurrence, ap
pliquer l’art. 1700 du Code civil, suivant lequel on doit
considérercomme litigieux le droit sur lequel il y a pro
cès ou contestation. Cette considération a amené la doc
trine à conclure que l’art. 1597 n’exige pas que le pro
cès soit commencé. Il y a droit douteux, et partant in
cessible, toutes les fois que le droit à céder est non re
connu, incertain, sujet à contestation et de nature à ap
peler les parties devant les tribunaux.'
708. — Il en est de la nullitérésultantde l’art.1597,
1 Duranton, t. xvi, n° 145 ; — Troplong, art. 1597, n° 200.
�TRAITÉ DU DOL
comme de celle prononcée par l’art. 1596. Le cession
naire seul est non recevable à s’en prévaloir. Le cédant
le peut, quoi qu’en dise M. Duranton, car la loi présu
mant la fraude le suppose trompé , admet qu’il a cédé
devant une influence irrésistible ou obéi à des conseils
intéressés et pernicieux. On se placerait donc en contra
diction flagrante avec l’esprit de la loi, si, punissant le
cédant de la fraude dont il est victime , on prétendait
l’empêcher d’en poursuivre la réparation sous prétexte
d’une complicité dans la violation de la loi.'
La partie engagée dans le litige peut avoir un grand
intérêt à se trouver en face de son véritable compétiteur.
Elle se débarrasse d’abord d’un adversaire redoutable par
sa position de fortune et son influence ; elle se ménagé,
dans tous les cas, les moyens d’obtenir de l’intéressé di
rect des déclarations et des aveux dont elle pourra se
prévaloir dans l’instance. A ce double litre, son droit de
demander la nullité de la cession est incontestable.
709.
— Dans chacune des hypothèses des articles
que nous venons d’examiner, la nullité des ventes, adju
dications ou cessions ne serait pas éludée par les précau
tions prises pour masquer la violation de la loi , et no
tamment par l’interposition d’un prétendu acquéreur,
adjudicataire ou cessionnaire. Cette interposition peut
être prouvée dans tous les eas. Serait-elle de plein droit
admise pour les personnes indiquées par l’art. 911 du
Code civil ?
1 Troplong, art. 1397, n° 194.
�ET DE LA FRAUDE.
263
L’identité de solution semble devoir être la conséquen
ce de l’identité des motifs. Il s’agit dans nos trois articles^
comme dans l’art. 911 , d’incapables ayant intérêt à
masquer la fraude par une simulation offrant quelques
chances de réussite. Or la loi, qui tient à réprimer cel
les-ci, n’attache pas un moindre prix à la répression de
celles-là, pourquoi donc prendrait-elle des moyens dif
férents en présence de circonstances identiques.
, Cependant l’application absolue de l’art. 911 condui
rait dans l’espèce à des résultats absurdes. Il faut donc
adopter comme règle certaine que l’interposition de per
sonne viciant l’acte dont la nullité est réclamée, ce moyen
peut toujours être allégué et prouvé ; que son existence
légalement acquise, lorsque l'avantage conféré à l’inca
pable doit lui arriver sous le couvert de ses père , mère,
enfants ou descendants, ou de son conjoint, peut être
détruite dans l’espèce par la preuve contaire.’
710.
—• Le Code de commerce a suivi, quant à la
fraude , les errements du Code civil ; à son tour , il en
présume l’existence , dans les cas où la facilité pour la
commettre la rend imminente et prochaine.
Tel est le caractère de la prohibition que les art. 83
et 86 renferment contre les agents de change et courtiers,
de faire le commerce pour leur propre compte ou de
s’immiscer dans les opérations dont ils sont les intermé
diaires légaux. Ce caractère ressort des motifs sur les
quels reposent ces deux dispositions.
�264
BAITTÉ DU DOL
« Il ne peut y avoir sûreté pour le commerçant, si
'>l’intermédiaire ne conserve pas un caractère de neutra
lité absolue entre les contractants qui l’emploient. Dès
que son intérêt peut être attaché directement ou indirec
tement à la négociation à laquelle il s’entremet, il trompe
nécessairement une des parties et peut-être toutes deux.
Un agent intermédiaire, qui fait pour son compte des opérations de commerce, viole tous les principes qui con
stituent sa profession, il trahit à la fois la confiance pu
blique et la confiance du commerce , ce n’est le plus
souvent qu’un rival trompeur qui usurpe des droits illé
gitimes en prenant un caractère qui ne lui appartient pas;
qu’un concurrent d’autant plus dangereux qu’il opère
connaissant parfaitement les intentions de ses commet
tants, trompés par son titre officiel. »
711 .
— Il y a donc, dans le fait du courtier ou de
l’agent de change violant les prohibitions de la lo i, un
véritable abus de confiance. C’est plus qu’une fraude,
c’est un délit que l’art. 87 du Code de commerce punit
de la destitution et d’une amende, dont le maximum est
fixé à 3,000 fr. L’existence du fait est à tel point cons
titutive du délit, que les tribunaux ne peuvent apprécier
la question intentionnelle , et moins encore refuser de
prononcer la peine , sous prétexte de bonne foi. Mais le
fait d’immixtion rentre dans leur examen , en ce sens
que l’acte reproché peut être déclaré ne pas constituer le
délit caractérisé par la loi, comme s’il s’agissait de quel-
�ET DE LA FRAUDE.
265
ques opérations isolées, accidentelles, expliquées par des
motifsjdégitimes.'
7 1 2 . — Les art. 85 et 86 ne prononcent pas la nul
lité des opérations faites au mépris de leur disposition.
Cette pénalité ne pouvait être édictée sans s’exposer à
apporter un grand trouble dans les opérations commer
ciales, sans affecter des droits légitimement acquis par
des tiers. En commerce, en effet, on n’achète guère que
pour revendre , on ne prend des valeurs que pour les
transmettre soit à titre de négociation , soit à titre de
paiement. La nullité de l’opération première eût donc
amené une cascade de nullités et une véritable pertur
bation dans la marche naturelle du commerce. On de
vait donc se taire sur la nullité laissant, à chaque es
pèce particulière, à amener la décision juridique qu’elle
comportera.
Quelle est la conséquence de ce silence faut-il l’in
terpréter dans le sens de la validité absolue de l’opéra
tion ? L’affirmative n’est pas douteuse quant au courtier
ou à l’agent de change lui-même. Il ne pourrait en effet
tenter de se soustraire à ses engagements qu’en excipant
de son propre délit , ce qui doit lui être interdit de la
manière la plus absolue.2
713. — La Cour de cassation a jugé, le 15 mars
1810, que celui qui a traité avec un courtier ne peut,
1 Pardessus, tom. 4, n° 76.
2 Bordeaux, 23 novembre 4828.
�excipant de l’art. 85 , se refuser de faire face à ses en
gagements. La doctrine a inféré de cet arrêt que la nul
lité ne pouvait, dans aucun cas, être prononcée; nous
ne pouvons partager cette opinion, en tant qu’elle tend
à empêcher la nullité d’être prononcée dans tous les cas
et d’une manière absolue.
Nous distinguerons d’abord entreune négociation d’ef
fets commerciaux et une vente de marchandises. Si l’a
gent de change, réalisant la première, a reçu les valeurs
et compté les espèces, il n’y a plus moyen de prononcer
la nullité. Le souscripteur des effets ou l’endosseur qui
les a transmis à l’agent de change ne saurait prétendre
qu’on doit les lui restituer sans qu’il soit tenu de rem
bourser lui-même l’argent qu’il a reçu en échange.Tout
ce qu’il peut prétendre, c’est la réparation du préjudice
que la déloyauté de l’agent de change lui a occasionné;
or cette réparation n’exige pas la nullité de l’opération,
elle se réalise par une allocation de dommages-intérêts.
Dans l’espèce jugée par la Cour de cassation , le de
mandeur en nullité était le souscripteur des effets que
l’agent de change, à qui ils avaient été cédés par le por
teur , poursuivait en paiement. Or il est évident que la
nullité n’était, pas même sérieusement opposable. En ef
fet, débiteur certain des sommes réclamées, le souscrip
teur ne pouvait se soustraire au paiement, parce que son
créancier direct avait traité avec un agent de~change.
Tout ce qu’il pouvait soutenir, c’est que la négociation
illicite n’avait pu transférer la propriété , que , consé
quemment , l’agent de change ne devait pas être consi-
�'
ET DE LA FRAUDE.
267
déré comme tiers-porteur sérieux et de bonne foi , et
que toutes les objections opposables à son cédant pou
vaient lui être opposées. Mais prétendre ne pas payer,
parce qu’il avait plu au porteur de traiter avec un agent
de change , c’était poursuivre un but irrationnel autant
qu’inique ; le proscrire était donc un devoir pour les
tribunaux.
A plus forte raison devrait-on le décider ainsi toutes
les fois qu’après avoir pris personnellement des valeurs,
l’agent de change les a endossées à des tiers qui en de
mandent paiement. Cette demande ne comporterait au
cune exception de la nature de celle que nous exami
nons , à moins qu’on ne prouvât que le porteur n’est
qu’un prête nom , et , dans ce cas , nous venons de le
dire, tout ce que pourrait exiger le souscripteur ce serait
la réparation du préjudice qu’il éprouve.
On doit appliquer la même règle à l’achat de mar
chandises. Si le vendeur a livré, il ne serait pas receva
ble à redemander la marchandise, si elle est encore en
tre les mains du courtier ayant traité pour son compte.
A plus forte raison, si le courtier l’avait revendue à des
tiers. Ce que la loi autorise dans ce cas, c’est l’action en
indemnité si un préjudice quelconque a été souffert.
Mais, s’il ne s’agit que d’une promesse de négociation
ou d’une vente à terme , nous croyons que l’agent de
change ou le courtier ne serait pas recevable à deman
der l’exécution de la promesse et la livraison effective
soit des billets, soit des marchandises. Le traité sur le
quel cette demande s’appuierait étant un délit, l’obliga-
5®
'if
i É
t
:
�268
TRAITÉ DU D0L
tion aurait une cause illicite ne créant aucun droit et
conséquemment aucune action. D’ailleurs, pourquoi for
cerait-on l’exécution, lorsqu’on reconnaît que cette exé
cution engage l’agent de change ou le courtier à réparer
le dommage ? N’est-il pas naturel de prévenir plutôt que
de réparer, et, puisque les choses sont en l’état, de ra
mener les parties au respect de la loi que l’une d’elles a
complètement oublié.
Nous croyons cette doctrine juridique. Ce qui le prou
ve , c’est qu’il est admis en principe que les courtiers
sont sans qualité pour exercer en leur propre nom les
actions en paiement ou en livraison des marchandises
vendues par leur entremise '. Pourraient-ils donc faire
pour leur propre compte ce qui leur est interdit de faire
pour le compte d’autrui ? La réponse ne saurait être
douteuse , avec d’autant plus de raison que l’esprit de
l’arrêt que nous rappelons amène à cette conséquence
qu’on ne prohibe l’action pour compte du tiers que parce
que le courtier y trouverait le moyen d’éluder la prohi
bition, et qu’on a craint qu’il figurât réellement lui-mê
me sous le manteau de celui dont il a emprunté le nom.
Ainsi l’opération faite contrairement aux prescriptions
de la loi, et qui n’a pas reçu immédiatement son en
tière exécution , peut être annulée. Mais l’agent ou le
courtier contrevenant ne peut, dans aucun cas, deman
der cette nullité. Pour lui, il n’y a pas de distinction à
faire, il est, dans tous les cas, obligé d’exécuter ses en
gagements.
i Cass., 2 brumaire an 13.
�71 4. — Il suit de ce qui précède que la nullité étant opposable à l’agent de change ou au courtier , on
pourrait également l’opposer au tiers poursuivant pour
contraindre soit à accepter, soit à effectuer la livraison,
si ce tiers n’était que le prête nom de l’un ou de l’au
tre. Mais cette simulation n’est jamais présumée. C’est à
celui qui l’allègue à en fournir la preuve. A défaut de
cette preuve, le tiers est considéré comme de bonne foi
et conséquemment maintenu dans le bénéfice de l’opé
ration.1
715. — Quelle est la véritable portée de la défense
faite par l’art. 86 aux agents de change ou courtiers, de
garantir l’exécution des marchés faits par leur entremi
se ? Le courtier de commerce q u i, moyennant un du
croire, garantit la solvabilité de l’acheteur qu’il propose,
contrevient-il à cette prohibition ?
Nous avions dans notre précédente édition résolu né
gativement celte question, mais l’étude plus approfondie
de la matière que notre Commentaire du titre des bour
ses de commerce, agents de change et courtiers a né
cessitée, nous a convaincu que^nous nous étions trompé.
L’art. 86 défend au courtier de se rendre garant du
marché dans lequel il s’entremet. Or que fait celui qui,
moyennant un droit de commission, répond de la solva
bilité de l’acheteur, si ce n’est garantir l’exécution du
marché , et pourrait-il être que le courtier à qui celte
i Cass., 48 décembre 4828.
�270
TRAITÉ DU DOL
garantie est interdite pùt la donner valablement, parce
que au lieu de le faire gratuitement il en retirerait un
salaire.
L’avantage que cette garantie offrait au petit com
merce, la facilité qu’elle assurait aux transactions nous
avait séduit et égaré. Mais la réflexion nous a démontré
que ces avantages étaient loin de compenser les dangers
et les abus dont l’immixtion du courtier dans les affai
res qu’il traite pourrait devenir l’occasion.
D’ailleurs recevoir un ducroire et garantir la solvabi
lité de l’acheteur, sont actes de commissionnaire. Donc
les permettre au courtier serait autoriser une usurpation
contre laquelle protestent la raison et le droit.
716,
—■ Quel est le caractère de la violation des ar
ticles 85 et 86 du Code de commerce? l’acte du courtier
constitue-t-il une infraction disciplinaire? est-il un délit
spécial ? C’est surtout au point de vue de la prescription
que la solution de cette difficulté est utile.
Dans une affaire portée à la chambre du conseil de
Toulon, on a prétendu que l’acte du courtier était sur
tout une infraction disciplinaire passible même des pei
nes de l’art. 87 ; qu’en conséquence sa découverte au
torisait les poursuites, quelle que fût l’époque à laquelle
l’acte remonterait.
Cette doctrine nous parait inadmissible. Elle est en
contradiction avec les termes de l’art. 87 lui-même.
La discipline, dit le Dictionnaire général de Dalloz,
est un pouvoir de police intérieure et de surveillance, é-
�ET DE LA FRAUDE.
271
tabli pour maintenir dans les corps ou compagnies l’ex
acte observation des devoirs que leur imposent les lois
de leur institution. :I1 y aura donc fait purement disci
plinaire toutes les fois qu’il y aura eu infraction à cette
police intérieure, et lorsqu’il s’agira d’une atteinte portée
à la dignité du corps ou de la compagnie.
Mais le fait disciplinaire peut revêtir des proportions
plus amples, il peut blesser les droits des tiers ou violer
des prescriptions d’ordre public. Dans eu cas , l’action
disciplinaire qui , d’après M. Dalloz , s’exerce souvent
sur des faits non définis à l’avance, mais dont l’appré
ciation est laissée à un pouvoir discrétionnaire , est in
dépendante de l’action publique et de celle de la partie
lésée.
Ainsi le même fait peut donner naissance à trois ac
tions : l’action disciplinaire , l’action du ministère pu
blic, l’action civile, en réparation du dommage. Chacune
de ces actions a une juridiction qui lui est propre. En
général, l’action purement disciplinaire , surtout en ce
qui concerne les officiers ministériels ou publics, est dé
férée aux tribunaux civils.
Or l’art. 87 confie la répression des actes indiqués
par les deux articles précédents aux tribunaux correc
tionnels. Cette première dérogation au droit commun,
en matière disciplinaire, établit déjà qu’il s’agit d’autres
choses que d’un fait purement disciplinaire.
Ce qui le prouve mieux encore, c’est la pénalité. La
destitution est le dernier échelon des mesures discipli
naires lorsqu’elle est prononcée par le pouvoir ordinal-
�2721
TRAITÉ DU DÜL
rement investi. Ici elle n’est plus qu’une peine , puis
qu’elle est à ce titre prononcée par les tribunaux correc
tionnels. De plus l’amende que M. Pardessus appelle à
juste titre correctionnelle' et qui doit être simultané
ment prononcée , achève de fixer le véritable caractère
de l’acte que la compétence de la justice correctionnelle
ferait à elle seule supposer.
Ainsi la violation des art. 85 et 86 constitue un véri
table d é lit, c’est ce qu’enseigne notamment M. Mollot,
en parlant des actions pénales pour usurpation ou con
travention.
« Les unes sont dirigées, dans l’intérêt des agents de
change , contre ceux qui s’immiscent dans leurs fonc
tions ; les autres le sont contre les agents de change euxmêmes pour violation des lois et règlements, toutes sont
portées devant le tribunal correctionnel , parce qu’elles
ont pour objet la répression d’un délit.1 »
Le fait ainsi qualifié, il en résulte qu’aux termes de
l’art. 637 du Code d’instruction criminelle, la poursuite
du ministère public se prescrit par trois ans. L’action
ultérieurement intentée devrait donc être déclarée irre
cevable.
7 l7 .
— L'art. 42 du Code de commerce prescrit la
publication des actes de société. L’absence de cette for
malité est considérée comme une fraude dont les résul-
1 Tom. i, n® 74.
3 Des bourses de commerce, chap. iv, tit. u, n° 469.
�ET DE LA F R A U D E .
273
tats diffèrent selon qu’il s’agit des associés entre eux,
des créanciers sociaux ou des créanciers particuliers de
chaque associé.
718. — Par rapport aux associés, l’absence de pu
blication annule la société. Cette nullité peut être deman
dée à toutes les époques, mais ses effets ne concernent
que l’avenir, les affaires traitées jusque là sont liquidées
et la répartition des bénéfices ou pertes opérée dans les
proportions indiquées par le pacte social, liant les asso
ciés jusqu’au moment où la nullité est acquise.
7 1 9 . — Par rapport aux créanciers sociaux, le dé
faut de publication ne saurait leur être opposé. La rai
son en est simple, la loi ne pouvait rendre les tiers res
ponsables pour n’avoir pas fait ce qu’ils ont été dans
l’impuissance de faire. L’omission, justement reprochable aux parties signataires de l’acte, ne saurait, dans au
cun cas , atteindre ceux qui , demeurés étrangers à cet
acte , restaient nécessairement étrangers aux formalités
qui devaient le suivre. '
Cette position des tiers amène à celte conséquence :
que les stipulations de l’acte non publié ne peuvent leur
être opposées. Ainsi, la solidarité étant de droit com
mun entre associés en nom collectif, chaque associé se
rait tenu sur tous ses biens de l’intégralité de la dette,
quelles que fussent les dérogations renfermées au pacte
social. En effet , les associés peuvent stipuler des déro
gations au droit commun , mais la loi ne consacre ces
stipulations que lorsque les tiers ont été mis en demeure
îi
48
�274
T R A ITÉ DU DOL
de les connaître par la publicité qu’elles reçoivent de
l’accomplissement des formalités prescrites par l’art. 42
du Code de commerce ; à défaut de cet accomplissement,
ces dérogations ne sont plus considérées que comme une
fraude contre les tiers et absolument nulles par rapport
à eux.
Une seconde conséquence du défaut de publicité, c’est
de conférer aux tiers le droit de prouver, même par té
moins, l’existence de la société avec laquelle ils ont traité.
L’exigence d’une preuve écrite ne concerne que les as
sociés , car seuls ils sont dans le cas de se la procurer.
Dès l’instant qu’une société s’annonce au public par des
actes formels, par l’emploi d’une raison sociale, les tiers
ne sont pas même obligés d’en demander la preuve ou
de s’informer si elle a été ou non régulièrement établie.
Ils agiraient sans doute beaucoup plus prudemment s’ils
prenaient ces informations, qui ne sont pas, d’ailleurs,
toujours faciles. Mais le seul danger auquel ils s’expo
sent en ne les prenant pas , c’est la chance de ne pas
prouver la société. Les déclarer non recevables à faire
cette preuve, ce serait porter une atteinte grave à la bon
ne foi et à la confiance, sans lesquelles il n’y a pas de
commerce possible; donner une prime à la cupidité et
à la fraude , puisque les associés pourraient, en célant
leur acte social, se soustraire à leurs engagements. Une
pareille immoralité ne pouvait trouver place dans la loi.
Ainsi, la position des créanciers vis-à-vis des asso
ciés est aussi nette que possible. Il suffit que la société
ait existé de fait, pour qu’ils soient en droit d’en reven-
�ET D E LA F RA U D E.
• 275
diquer contre ces derniers les effets tels qu’ils résultent
du droit commun. Ils peuvent, de plus , en cas de dé
négation de l’existence de la société, la prouver par té
moins et, dès lors, par des présomptions graves, préci
ses et concordantes.
720.
— Mais il n’en est pas de même des créanciers
sociaux à l’endroit des créanciers particuliers de chaque
associé. On sait que l’actif social est affecté par privilège
aux premiers , et que les seconds ne sont payés qu’en
cas d’excédant et seulement sur la part et portion de leur
débiteur. Celui-là donc qui , débiteur actuel, contracte
une société, en nom collectif surtout, enlève à ses cré
anciers le gage de leur créance,qu’il affecte par privilège
à ceux qui traiteront plus tard avec la société.
Un pareil résultat serait une monstruosité s’il pouvait
être atteint sans que ceux qu’il tend à dépouiller eus
sent été mis à même de l’empêcher. Or , cette mise en
demeure ne peut résulter que de la publication de la
société. Ainsi avertis du danger qui les menace, les cré
anciers personnels des associés futurs pourront faire
procéder à la liquidation et prendre toutes les mesures
qu’ils croiront nécessaires à la conservation de leurs
droits.
Conséquemment, si l’acte de société n’a reçu aucune
publicité, si aucune des formalités voulues par la loi n’a
été remplie , la société est nulle comme étant faite en
fraude des créanciers , et l’effet de celte nullité est dé
laisser intacts les droits que la société avait pour but de
détruire.
�276
T R A IT É DU DOL
Cela n’a jamais été douteux des créanciers personnels
aux associés. Le défaut de publication, imputable à cha
cun de ces associés, les rend non recevables à en repous
ser les conséquences. Mais on s’est fait plus de difficul
tés lorsque les créanciers personnels se trouvent en pré
sence des créanciers sociaux.
On a dit, dans l’intérêt de ceux-ci, que la nullité ne
produit pas d’effet rétroactif, qu’elle n’efface pas le passé
pendant lequel ont pu être faits des actes de bonne foi;
que la disposition de l’art. 42 du Code de commerce a
été dictée par cette considération que la foi publique ne
pouvait point être trompée et qu’on ne pouvait point
enlever aux tiers , qui s’étaient confiés en l’apparence,
les garanties qu’ils avaient espérées ; qu’admettre que si
le défaut de publicité ne peut être opposé par les asso
ciés, il le peut être par leurs créanciers personnels, c’est
retirer d’une main ce qu’on a donné de l’autre. C’est,
contre le texte même de l’art. 42, faire prévaloir la for
me sur le fond , l'écrit et les formalités de publication
sur le contrat dont ils ne sont que l’accessoire.
Sans doute entre associés la nullité n’affecte que l’a
venir , surtout par cette considération que l’associé , en
ne réclamant p a s , a légalement consenti à tout ce qui
s’est fait. Conséquemment, et lorsque plus tard il chan
ge d’avis et poursuit la nullité, ce changement ne prouve
pas qu’il n’ait pas volontairement accepté le passé. Tout
ce qui s’en in d u it, c’est qu’il ne consent plus pour l’a
venir ; il est donc rationnel de ne pas confondre ce pas
sé et cet avenir ; de laisser le premier produire tous ses
�ET DE LA FRAUDE.
277
effets sous l’empire de ce consentement dont l’existence
tacite est au moins incontestable.
Il y a donc e u , dans cette hypothèse , une société de
fait, dont la liquidation profite ou nuit à toutes les par
ties intéressées, surtout à celles qui ont toléré et encou
ragé ce qu’elles pouvaient empêcher.
Or telle n’est pas incontestablement la position des
créanciers personnels de l’associé ; étrangers à l’acte de
société, ils n’ont pu s’opposer à ce qu’il fût consenti, ni
surtout veiller à leurs intérêts. Us sont légalement pré
sumés en ignorer l’existence , ils ne peuvent être tenus
de l’attaquer qu’à l’instant où, en le leur opposant, on
prétend en profiter à leur détriment. Mais quelle serait
l’importance de ce droit qu’on ne leur conteste pas , si
la nullité, qu’ils ont la faculté de demander, laissait le
passé en dehors de toute atteinte , c’est à dire consom
mait, la spoliation ?
Par la force des choses mêmes, la nullité que le cré
ancier personnel fait prononcer remonte donc à l’origine
de l’acte de société. Ce n’est que de cette manière que
son action aura pour lui des effets utiles. Si le passé était maintenu, si le privilège des créanciers sociaux de
meurait acquis par le fait de l’association, on arriverait
à ce résultat que l’action du créancier, ne pouvant être
exercée qu’après la société, s’ouvrirait juste au moment
où le mal, qu’elle a pour objet d’empêcher, serait con
sommé.
D’ailleurs entre les créanciers sociaux et les créanciers
personnels, qui sont les uns et les autres de véritables
�m
T R A ITÉ DU DOL
tiers, il n’y a pas à hésiter. Les premiers ont pu vérifier
la condition légale de leur débiteur, et s’ils s’en sont fiés
à l’apparence , ils ont imprudemment agi. Que cette
imprudence ne soit jamais un titre pour les associés, on
le comprend, mais les tiers ont le droit de s’en prévaloir.
Les seconds, au contraire, sont au dessus de tout re
proche, ils ne pouvaient en effet ni prévoir, ni empêcher
que leur débiteur contractât une société. Il est donc juste
que, par rapport à eux, cette société devant les dépouil
ler soit revêtue de toutes les formes prescrites par la loi.
En effet, la publicité donnée à celle-ci eût suffi pour
éveiller leur attention et les mettre à même de parer à
la spoliation les menaçant. Consommer cette spoliation,
lorsqu’ils n’ont pas même été avertis, ce serait consacrer
une iniquité et encourager la fraude.
Nul doute en effet qu’une société clandestine ne doive
être considérée comme faite en fraude des créanciers per
sonnels des associés. Le droit de ces créanciers â la faire
annuler se puise donc dans l’art. 1167. Il n’est donc pas
exact de dire que, consacrer ce droit, c’est retirer d’une
main ce qu’on a donné de l’autre; dans son exercice,
les créanciers n’étant nullement les ayants cause de leur
débiteur.
L’évidentejusticedela solution que nous indiquons l’a
faite consacrer par la doctrine et la jurisprudence'. Elle
est aujourd’hui hors de toute contestation.
1 Merlin, Questions de droit, v» Société, S 2 ; —Troplong, art. 1862,
n°s 857 st suiv.; — Delangle, Sur l’art. 42, n° 547; — Cass., 13 février
1821, et autres arrêts cités par ces auteurs.
�ET DE LA FRAUDE.
279
7 2 0 bis. — L’art. 854 du Code Napoléon dispense du
rapport pour les associations faites sans fraude entre
le défunt et l’un de ses héritiers, lorsque les conditions
en ont été réglées par un acte authentique. Donc le lé
gislateur considère comme entachées de fraude les asso
ciations pour lesquelles cette condition n ’a pas été rem
plie.
En effet, ainsi que nous l’avons démontré ailleurs',
l’exigence de l’art. 854 a pour objet non pas précisément
la certitude de la date, mais la sincérité de l’acte, et la
constatation de la liberté du consentement du père. Le
défaut d’acte authentique fait craindre un abus de la part
du fils, et c’est cette crainte qui a éveillé la sollicitude
du législateur , et l’a déterminé à faire de l’authenticité
de l’acte la condition de sa validité.
Donc les auteurs qui ont soutenu que l’art. 854 com
portait des équipollents, et que la condition qu’il exige
était suppléée par l’enregistrement de l’acte sous seing
privé et son dépôt au greffe du tribunal de commerce
se sont trompés et ont méconnu le véritable caractère de
l’article. C’est ce que la Cour de cassation avait expres
sément jugé le 20 janvier 18 4 2 /
Depuis, la Cour suprême loin de déserter celte juris
prudence , comme on le supposait, l’a au contraire de
nouveau formellement consacré. Ainsi elle jugeait,le 29
décembre 1858, que les bénéfices qu’un héritier a reti-
i Notre Commentaire des sociétés, n° 3 5 0 bis.
8 Journal du Palais, 1 . 1 , p. 113, 1842.
�280
T R A IT É DU DDL
rés d’une société par lui formée, même sans fraude, a vec le défunt, doivent être rapportés à la succession par
cela seul que l’existence de cette société n’est pas éta
blie dans la forme authentique.
C’est ce que la Cour d’Aix avait jugé, et son arrêt était déféré à la Cour de cassation comme violant les art.
853 et 854 du Code Napoléon. Il est v ra i, disait-on,
que les conditions de la société n’avaient pas été réglées
par acte authentique. Mais l’acte sous seing privé ayant
été enregistré, publié et déposé au greffe du tribunal de
commerce, ces formalités lui avaient imprimé le carac-,
tère authentique.
Mais la Cour régulatrice rejette le pourvoi, « attendu
que la condition de la dispense du rapport au cas d’une
société qui aurait été formée entre le défunt et le suc
cessible , est la production d’un acte authentique éta
blissant l’existence de cette société ; d’où il suit que faute
de production d’un pareil acte , toute société attaquée
doit être considérée comme n’ayant pas existé à l’égard
du partage des bénéfices sociaux que l’héritier avantagé
voudrait opposer comme exception à la demande de rap
port.' »
Cette doctrine que nous avions adoptée à l’exemple
de MM. Delvincourt et Delangle, a obtenu l’assentiment
de M. Demolombe. « Peu importe, dit cet éminent ju
risconsulte, que l’acte sous seing privé ait été enregistré,
car il ne s’agit pas seulement ici de lui procurer une
1 Journal du palais, 1859, 901,
�ET DE LA FR A U D E .
281
date certaine, il s’agit d’en prévenir la suppression (dan
ger contre lequel l’enregistrement n’est pas une garantie)
et de permettre aux intéressés d’en demander la repré
sentation afin d’examiner et d’étudier dans l’acte même
les clauses souvent compliquées de l’association.
» Peu importe aussi que l’acte social sous seing privé
ait été publié et affiché conformément aux art. 43 et 44
du Code de commerce , car ce n’est qu’un extrait de
l’acte qui est affiché. Or les énonciations que l’extrai*
doit contenir seraient certainement insuffisantes pour
permettre aux intéressés de découvrir si les clauses et
les combinaisons adoptées dans l’acte social en ce qui
concerne la répartition des profits et pertes , n’ont pas
eu pour but ut pour résultat de procurer un avantage
indirect au successible aux dépens de son auteur.1 »
Les motifs de la condition que l’art. 854 met à la
dispense du rapport ne peuvent être ni le danger de la
disparition de l’acte sous seing privé, ni la crainte que
l’extrait publié et affiché ne suffise pas pour éclairer les
intéressés, car dans tous les cas le successible qui se pré
tendra associé sera bien obligé de justifier sa prétention
par la production du litre qui lui confère cette qualité.
Donc l’exigence de l’art. 854 n’a pas d’autre cause que
celle que nous indiquons , à savoir la garantie par le
concours de l’officier public ou du fonctionnaire que le
père a agi en pleine liberté et connaissance de cause, en
d’autres termes la présomption qu’il n’en a pas été ainsi
lorsque ce concours n’a pas été requis.
i Succession, tom. 4, n° 368 et suiv.
�282
TRAITÉ DU DOL
De l’arrêt de la Cour de cassation il résulterait que
cette présomption est ju ris et de jure , et n’admettrait
pas la preuve contraire. Cependant, dans cette espèce, la
Cour d’Aix avait admis que tout en ordonnant le rapport
on peut accorder au successible une indemnité à raison
de ses peines et soins pendant la durée de la société.
Ce principe ne va à rien moins qu’à retirer aux ayants
droit le bénéfice de l’art. 854, parce que l’indemnité à
allouer sera dans certains cas l’équivalent de la part de
bénéfices que le successible pourrait réclamer et qui lui
sera ainsi exclusivement attribuée malgré la disposition
de l’art. 854.
Cette supposition n’est pas aussi hasardée qu’elle peut
le paraitre. Une fois l’arbitraire substitué à la règle si
précise de la loi, où s’en arrêtera l’effet ? Bientôt on at
tribuera comme indemnité la totalité du bénéfice à rap
porter. C’est ce que faisait en effet la Cour de Poitiers
jugeant, le 2 juin 1863, que bien qu’en principe le suc
cessible soit tenu au rapport des bénéfices acquis dans
une société formée entre lui et le défunt, lorsque les
conditions n’en ont pas été réglées par acte authenti
que, les juges peuvent le dispenser de ce rapport s’ils
reconnaissent en fait que les sommes représentant ces
bénéfices ne sont que la juste indemnité, soit de son con
cours aux affaires sociales, soit des risques commerciaux
courus par ses capitaux.
Cette doctrine n’est en réalité qu’une abrogation for
melle de l’art. 854, puisque dans tous les cas le succes
sible aura donné son concours à la société, et qu’il dé-
�ET DE LA FRAUDE.
283
pendra souverainement du juge de l’en récompenser en
le dispensant du rapport.
Qu’importe qu’à ce concours soit réunie une avance
de fonds, où est la garantie que ces fonds n’ont pas été
donnés par le défunt lui-même. D’ailleurs la nullité de
la société ne détruit et ne modifie en rien le compte par
ticulier du successible, et en lui tenant compte de l’in
térêt au 6 °|0 des fonds par lui avancés , ce compte lui
accorde la seule indemnité à laquelle il puisse légitime
ment prétendre.
Cependant la Cour de cassation, par arrêt du 17 août
1864, rejette le pourvoi dont l’arrêt de la Cour de Poi
tiers avait été l’objet : « Attendu que les produits d’u » ne association entre les successibles et l’auteur com» mun ne sont sujets à rapport aux termes de l’art. 854
» du Code Napoléon , qu’autant qu’ils .constituent des
» libéralités, et que l’arrêt attaqué a nettement déclaré
» dans l’espèce qu’ils n’avaient pas ce caractère et n’é» taient qu’une juste indemnité soit du concours donné
» au commerce , soit des risques que pouvaient courir
» les capitaux du successible.' »
La Cour suprême se considère comme liée par cette
interprétation de fait. Nous la considérons, nous, com
me la violation la plus expresse de l’art. 854. En effet,
que ce soit à litre de libéralité, que ce soit à tout autre
titre, cet article impose le rapport par cela seul que la
condition qu’il exige [n’a pas été remplie , et cette dis-
�284
TRAITÉ DU DOL
position impérieuse est insusceptible de tempéraments et
n’en comporte aucun. En conséquence, dispenser du
rapport sous un prétexte quelconque en l’absence d’un
acte authentique , c’est autoriser ce que la loi prohibe
formellement.
On objecte qu’il serait souverainement injuste de pri
ver le successible de la rémunération due à son travail
et au concours qu’il a donné à la société, et qu’il ne
profitât pas des avantages que celle-ci a retiré des fonds
par lui versés, au risque de les perdre en totalité ou en
partie.
Mais l’injustice est le fait unique du successible qui
l’allègue. La loi lui donnait le moyen de la prévenir, et
il l’aurait efficacement prévenue en remplissant le de
voir qui lui était imposé. Il ne peut donc être admis à
se plaindre du résultat de sa négligence à obéir aux pres
criptions de la loi.
En résumé l’absence de l’acte authentique prouve aux
yeux de la loi le caractère frauduleux de l’association.
Elle n’accepte comme garantie de la sincérité de la con
vention que le concours de l’officier ou du fonctionnaire
public. Donc dispenser du rapport en l’absence de ce
concours c’est méconnaître l’esprit et le texte de l’article
854.
N’est-ce pas ce que la Cour de cassation déclarait ellemême dans son arrêt du 29 décembre 1858 ? Et s’il est
vrai que le principe du rapport a été posé par la loi
comme m e conséquence du principe de l'égalité dans
les partages des successions; s’il est vrai que la loi a
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ET DE LA FRA UDE
:
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*
285
pris soin de déterminer les cas où le rapport devait avoir lieu, et les cas où les héritiers en étaient dispen
sé, et que la condition de la dispense du rapport au
cas d’une société qui aurait été formée entre le défunt
et le successible, est la production d’un acte authenti
que établissant l'existence de cette société , la seule
conclusion logique et juridique est qu’à défaut de cet
acte, la dispense du rapport ne saurait être accordée sous
aucun prétexte.
La société avec un successible dont les conditions ont
été réglées par acte authentique est présumée sérieuse
et sincère. Mais elle peut être attaquée comme fraudu
leuse. Dans ce cas, c’est à ceux qui allèguent la fraude
à en prouver l’existence, ce qu’ils peuvent faire par té
moins et par présomptions.
721.
— De nombreux exemples de fraude présu
mée nous sont offerts par la loi sur les faillites. Evéne
ment capital dans la vie commerciale, la faillite place le
négociant dans une position exceptionnelle, et l’expose à
toutes les exigences soit de son propre intérêt, soit de
celui de certains créanciers désireux de se soustraire au
naufrage.
Cette position appelait l’intervention énergique de la
loi. Il importait dans tous les cas d’assurer la déposses
sion entière du failli, l’égalité absolue entre les créan
ciers. Tout acte, tendant à éluder l’une ou l’autre, con
stitue donc une fraude punissable tantôt par la voie cor
rectionnelle ou criminelle, tantôt par la juridiction civile
seulement.
�286
TRAITÉ DU DOL
Nous n’avons pas à nous occuper de la banqueroute;
nous nous bornerons donc à dire quelques mots de la
fraude purement civile.
C’est surtout aux approches de la faillite que cette
fraude surgit. Les actes faits depuis la cessation des paie
ments ou dans un temps voisin en fourniront quelque
fois de nombreux exemples.
722.
— D’après notre Code de commerce ancien, le
désinvestissement du failli remontant de plein droit au
jour de la cessation des paiements , tous les actes faits
depuis cette cessation ou dans les dix jours qui l’avaient
précédée étaient présumés frauduleux. Mais celle pré
somption n’allait pas jusqu’à exclure la preuve con
traire.
La loi de 1838 a déserté ce système. Le désinvestis
sement du failli ne date plus que du jour du jugement
déclaratif; jusque là donc le failli a joui de tous ses
droits , pu exercer ses actions et continué légalement
l’administration de ses affaires. Mais celte capacité n’est
respectée qu’autant que ses effets auront tourné à l’in
térêt général des ayants droit; qu’autant surtout que le
failli n’en aura pas abusé, soit dans son intérêt ou ce
lui de ses proches, soit en faveur de quelques créanciers
au détriment de la masse.
De là une première distinction. Les actes faits par le
failli seront antérieurs ou postérieurs au jugement dé
claratif. Ces derniers sont de plein droit présumés frau
duleux et comme tels annulés, quelle que soit la bonne
foi de ceux qui ont contracté avec lui.
�ET DE LA FRAUDE.
287
723. — On distingue ensuite , pour les actes anté
rieurs, ceux qui ont précédé de plus de dix jours la ces
sation réelle de paiements , de ceux qui ont été faits
depuis ou dans les dix jours. Les premiers sont présu
més sérieux et sincères , ils doivent, en conséquence,
produire tous leurs effets, sauf la faculté pour les cré
anciers de les attaquer comme ayant été faits en fraude
de leurs droits , ce qu’ils sont tenus de prouver en la
forme ordinaire.
724. — Les actes faits dans les dix jours de la ces
sation ou depuis sont présumés frauduleux. Mais l’effet
de celte présomption se renferme-dans les hypothèses
formellement énoncées dans l’art. 446 du Code de com
merce.
Ainsi sont de plein droit présumés frauduleux , tous
actes translatifs de propriété mobilièrè ou immobilière à
titre gratuit;
Tous paiements , soit en espèces , soit par transport,
vente, compensation ou autrem ent, pour dettes non échues ; et, pour dettes échues, tous paiements faits au
trement qu’en espèces ou effets de commerce ;
Toute hypothèque conventionnelle ou judiciaire , et
tous droits d’antichrèse ou de nantissement sur les biens
du débiteur, pour dettes antérieurement contractées.
La nature de ces actes en indique suffisamment le
caractère. Elle prouve chez le failli la volonté de dimi
nuer ou d’anéantir son actif au préjudice de la masse,
tout au moins le désir de blesser l’égalité devant régner
�J
f -
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288
'
TRAITÉ. DU DOL
entre les créanciers ; chez ceux qui ont traité avec lui,
la volonté de se soustraire à un danger dont ils connais
sent et apprécient l’imminence. C’est du moins ainsi que
le législateur l’a admis , puisqu’il prononce la nullité
absolue de tous ces actes.
Il y a également fraude présumée dans le fait du cré
ancier qui, ayant obtenu une hypothèque valable, n’en
a requis l’inscription que plus de quinze jours après la
date de l’acte constitutif. La discussion législative de l’ar
ticle 448 nous apprend qu’on a voulu atteindre par sa
disposition un abus contre lequel le commerce n’avait
pas cessé de réclamer. Un commerçant, obligé de con
férer des hypothèques sur ses biens et voulant ne subir
aucune atteinte dans son crédit, obtenait que l’hypothè
que ne fût pas publiée, puis la déconfiture arrivant, des
inscriptions nombreuses faisaient évanouir cet actif, sur
l’apparence duquel cependant le public avait traité.C’est
ce calcul que le législateur a voulu détruire en n’accor
dant qu’un delai fort court pour réaliser l’inscription
des hypothèques valablement conférées , c’est son exis
tence qu’il présume dès que ce délai n’a pas été mis à
profit.
Mais cette présomption n’exclut pas la preuve con
traire. Le défaut d’inscription peut tenir à des obstacles
réels, sérieux, à une force majeure que le créancier n’a
pu ni prévoir ni empêcher. Dans chacune de ces hypo
thèses , il y aurait injustice à punir le créancier d’une
faute qui n’est pas son fait. Dès lors la preuve acquise
de l’une d’elles ferait fléchir la rigueur de la loi. C’est
�ET DE LA FRAUDE.
289
dans ce sens que l’art. 448 se borne à dire que l’inscrip
tion prise après la quinzaine , augmentée du délai des
distances, pourra être annulée.1
SECTION II.
P r eu ve de la f r a u d e non présu m ée ,
SOMMAI RE.
725.
726.
Excellence de la preuve liltéralc.
Par cjnels éléments doit-on décider la question de la rece
vabilité de la preuve testimoniale.
727. Exceptions au principe de l ’art. 1341 du Code civil.
728. La partie qui n'a pas connu la fraude dont elle est victime
n’a pu se procurer une preuve écrite.
729. Il n’en est pas de même pour la fraude concertée.— Effets
de celle-ci à l’endroit des tiers et des parties elles-mêmes.
730. Dans tous les cas la preuve orale devient admissible, s’il
existe un commencement de preuve par écrit.
731. Définition du commencement de preuve : par l ’ancienne
doctrine; par le Code civil.
1 V. an surplus notre Commentaire sur la loi des faillites , art. 446
et suiv.
�290
732.
733.
734.
735.
736.
737.
738.
739.
740.
741.
742.
743.
744.
745.
746.
747.
748.
749.
TRAITÉ DU DOL
Nature de la règle posée par l’art. 1347 du Code civil. —
Exceptions dont elle est susceptible,
Droit ancien relativement aux livres et registres des mar
chands.
Confirméjaar le Code.
Les copies des titres peuvent créer un commencement de
preuve par écrit. — Motif de cette exception.
Du principe que l'art. 1347 n ’est que démonstratif, la ju-r
risprudence a tiré de nombreuses exceptions à la rigueur
de ses termes.
1” exception. Interrogatoire des parties.
2”' exception. Aveu de la partie.
3“' exception. Déclarations contradictoirement fournies à
l ’audience.
Peut-on diviser les aveux et déclarations lorsqu’il ne s’agit
que de la vraisemblance du fait allégué ?
Mais la règle de l’indivisibilité de l'aveu reprend son empire
lorsqu’il s’agit de dépôt excédant 150 fr.
4” exception. Refus de comparaître ou de répondre. —
Obscurité calculée des réponses.
Les aveux et déclarations faits en j ustice de paix produisent
les mêmes effets que ceux donnés devant les tribunaux
ordinaires.
La loi exige seulement que les écrits émanent de la partie.
Conséquences quant à la forme.
L’écrit non reconnu ne peut créer un commencement de
preuve qu'après sa vérification.
Diverses catégories dans lesquelles se placera nécessaire
ment l ’écrit dont il sera exçipé.
Dans celle des écrits rédigés mais non signés par la partie,
se placent les livres et registres des marchands.
La règle tracée par l’art. 1330 est-elle applicable lorsqu’il
s’agit de rechercher le commencement de preuve?
Dans la seconde catégorie se placent les écrits non confor
mes aux dispositions des art. 1325 et 1326 du Code civil.
�ET DE LA FIUUDE.
750.
291
Sévérité de l ’ancienne jurisprudence à l’endroit des pre
miers. — Critique et blâme dont elle avait été l ’objet.
751. Décision du Code civil ; son véritable caractère.
752. L’acte non fa it, ou ne mentionnant pas qu’il a été fait en
autant d’originaux qu’il y a de parties intéressées, peut
créer le commencement de preuve par écrit.
753. Opinion contraire de M. D uranton.— Réfutation.
754. La règle applicable dans le cas de l’art. 1325 doit être éga
lement appliquée à celui de l’art. 1326.
755. Quid si l ’obligation écrite par le débiteur ne porte pas sa
signature?
756. L ’acte authentique, nul pour incompétence de l ’officier qui
l ’a reçu ou pour violation des formes, vaut comme sous
seing privé.
757. Il peut dès lors servir de commencement de preuve, s’il
est signé par les parties.
758. Le commencement de preuve peut résulter d ’une lettre
missive. — Exemples.
759. L ’écrit émané de l’auteur de la partie'produit contre elle le
même effet que celui dont elle sérait l ’auteur.
760. L’écrit émané du mandataire oblige le mandant dont il est
censé émaner.
76t. Arrêt de la Cour de Toulouse faisant résulter le commen
cement de preuve des registres d’un notaire.
762. Résumé.
763. La preuve par témoins n’est pas admissible lorsque la frau
de de contractu in contractum cache une simulation
licite.
764. Exception lorsqu’il s'agit de la révocation légale ou de la
réduction d’une donation sous forme d’un contrat à titre
onéreux.
765. La preuve orale est admissible lorsque la fraude déguise une convention illicite.
766. Exemples fournis par la jurisprudence.
�292
767.
768.
769.
TRAITÉ DU DOT,
L’admissibilité de la preuve par témoins rend admissible la
preuve par présomptions.
Définition des présomptions. — Conséquences.
Existe-t-il, en matière de simulation, des faits devant plus
particulièrement en décéler l ’existence?
7 2 5 . — Hors les cas exceptionnels que nous ve
nons de parcourir, la fraude n’est jamais présumée. Son
existence doit être prouvée par celui qui l’allègue.
La preuve littérale est certainement la plus efficace, la
plus décisive de toutes les preuves. Mais, il faut bien le
reconnaître, elle n’existera que dans des cas exception
nels el fort rares. Telle n’est pas, en effet, l’allure habi
tuelle de la fraude; elle se garde bien de laisser après
elle des traces rendant sa découverte évidente et sa ré
pression certaine.
7 2 6 . — Le plus souvent donc c’est à la preuve tes
timoniale qu’on sera obligé de demander et cette exis
tence et celte répression. Il convient, dès lors , de re
chercher dans quels cas et à quell.es conditions ce mode
de preuve pourra et devra être admis.
Cette recherche reconnaît pour bases essentielles les
dispositions combinées des art. 1341, 1347 et 1348 du
Code civil. Le premier renferme la prohibition formelle
de la preuve orale lorsqu’il s’agit d’un intérêt supérieur
à 150 fr. Nous avons déjà donné l’historique de cette
disposition ; nous n’avons donc, quant à ce, qu’à nous
en référer à nos précédentes observations.'
l V oy
f
s u p r a n ns 2 3 9 e t s u iv .
�ET DE LÀ FRAUDE.
293
7 2 7 . — Mais cette prohibition reçoit exception, no
tamment lorsqu’il existe un commencement de preuve
par écrit ou lorsque le poursuivant a été dans l’impos
sibilité de se procurer une preuve écrite.
728. — Dans cette dernière catégorie se placent na
turellement ceux qui se prétendent victimes d’une fraude
acconfplie contre eux sans leur participation et sans leur
concours. Une fraude de ce genre est un véritable dol.
La preuve testimoniale, toujours admissible pour celuici, le sera également pour celle-là, que nous avons déjà
dit s’appeler fraude de re ad rem.' Il est, en effet, évi
dent que celui qui n’a connu la fraude que par le pré
judice qu’il en éprouve, a été dans l’impossibilité de s’en
procurer une preuve écrite, et se place conséquemment
dans l’exception consacrée par l’art. 1348.
729. - Il n’en est pas de même de la fraude de
persona ad personam , c’est-à-dire de la simulation
concertée entre les parties à l’effet de nuire et de préju
dicier aux droits des tiers. Ici il faut distinguer entre ces
tiers et les parties elles-mêmes.
L’art. 1167 tranche la question à l’égard des pre
miers en les autorisant à attaquer directement l’acte
frauduleux. La conséquence de cette action directe est
l’admissibilité de la preuve testimoniale , sans laquelle
cette action ne sauraitaboutir,et dont le refus serait absurde.
i Vid. supra, n° 642.
�294
T R A IT É
DU
DOL
En effet, qui veut la fin veut les moyens ; refuser ceuxci serait d’autant plus injuste dans la circonstance, qu’é
trangers à l’acte, les tiers exposés à le subir ne pouvaient
même le prévoir ; qu’on ne saurait donc équitablement
leur reprocher l’absence d’une preuve écrite qu’ils n’ont
jamais été dans le cas de se procurer.
Mais telle n’est pas évidemment la position des con
tractants. Leur présence forcée à l’acte , leur toncert
frauduleux les a mis à même de se procurer la preuve
écrite du véritable caractère de leurs accords. Sans doute
l’intention d’assurer le succès de la fraude est exclusive
de l’idée d’insérer dans l’acte la constatation de cette
fraude; mais ce qui ne pouvait s’accomplir de cette ma
nière, pouvait l’être par une contre-lettre séparée et dis
tincte. Ce devoir, imposé par la lo i, était conseillé par
la prudence. La partie qui a négligé de le remplir a
d’autant plus de tort, qu’il lui était facile de prévoir que
celui qui ne recule pas devant l’indélicatesse de s’asso
cier à une fraude contre un tiers , pourrait être assez
déloyal pour tenter de s’en appliquer personnellement
le bénéfice.
Donc, le complice de la fraude ne pourra invoquer la
preuve testimoniale non seulement contre les tiers, mais
encore contre son complice. Sa prétention, à cet égard,
serait invinciblement repoussée en force de la maxime
nemo auditur, etc.. . . Mais, comme nous l’avons déjà
dit,' cette solution n’est rationnellement admissible que
l V.
su pra,
n° 251.
�ET DE LÀ FRAUDE.
295
dans l’hypothèse où le porteur du titre , se retranchant
derrière sa teneur, en soutient la complète sincérité. Si,
désertant ses énonciations , il est obligé de puiser les
preuves de la réalité de l’obligation ailleurs que dans le
titre même, le demandeur devrait être admis à discuter
ces preuves et à les détruire même par la preuve orale.
L’aveu de l'insuffisance du titre , rendant la simulation
vraisemblable, serait justement invoqué comme un com
mencement de preuve par écrit, constituant, aux termes
de l’art. 4349 , une exception à la prohibition de la
preuve testimoniale.
750. — De tous temps , en effet, le commencement
de preuve a produit ce résultat. C’est ce qu’avaient for
mellement reconnu les ordonnances de 4566 et 4667.
Il est vrai que la première ne désignait pas nommément
le commencement de preuve , mais , à défaut du nom,
elle renfermait évidemment la chose dans cette disposi—
sion : N'entendant exclure les preuves des conventions
particulières et autres qui seraient faites par les par
ties sous leurs seings, sceaux et écritures privées.
731. — Aucune de ces ordonnances n’avait toute
fois défini le commencement de preuve. La doctrine,
suppléant à ce silence, le faisait résulter de tout acte ou
écrit, d'où il ressort quelque preuve, quoique non suf
fisante : Ex qua nonnulla probalio elici potest.1 L’ap-
i Boiceau, 1. 2, eh. 1, nos 3 et 4 ; — Jousse, sur l’art. 8, Ut. 20; —
Ord. de 1667.
�296
TRAITÉ DU DOL
prédation de l’un et de l’autre , de leurs caractères, de
leurs conséquences, était souverainement laissée à l’ar
bitrage des juges.'
Le Code civil a comblé la lacune de la législation pré
cédente. L’art. 1347, en déclarant le commencement de
preuve exception à la prohibition de la preuve testimo
niale , le définit : Tout écrit émané de la partie à qui
on l’oppose ou de celui qu’elle représente , et qui rend
vraisemblable le fait allégué. L’appréciation des tribu
naux se trouve donc circonscrite aujourd’hui dans ces
limites, en ce sens qu’après avoir déclaré que l’écrit émane de la partie ou de son auteur , qu’il rend le re
proche vraisemblable, ils ne pourraient le récuser com
me commencement de preuve.
752. — Mais l’art. 1347 ne défend pas d’admettre
tout autre document, c’est-à-dire que la règle qu’il po
se est susceptible de recevoir des exceptions. Ces excep
tions sont consacrées les unes par la loi , les autres par
la jurisprudence.
7 5 5 . — La première exception légale concerne les
registres et livres des marchands. En règle ordinaire, ces
livres ne peuvent faire foi contre les tiers ; était-il juste
cependant de leur refuser toute autorité , même celle de
créer un commencement de preuve.
En présence des termes formels de l’art. 1347, cette
question n’en était pas une. Evidemment les livres du
1 Cass., 9 février 1801, 16 août 1831.
�ET
DE
LA
FRAUDE.
297
marchand ne sont pas émanés de la partie à qui ce mar
chand les oppose. Ils manquent donc d’une des condi
tions essentielles exigées par notre article.
Mais le commerce vit de crédit, et il n’est pas dans
ses usages, surtout pour les ventes à ja consommation,
d’exiger une reconnaissance, dont la souscription d’ail
leurs serait dans bien de cas impossible, tous les con
sommateurs ne sachant pas lire ou écrire. La fortune du
marchand serait donc à la merci de ses pratiques , s’il
suffisait d’une dénégation pour être à tout jamais libéré.
Ce résultat inique avait touché notre ancien droit et
l’avait déterminé à se relâcher de la rigueur du principe
suivant lequel nul ne peut se créer un titre à soi-mê
me. En conséquence, adoptant la règle tracée parla Loi
6, Cod. De probatione, à l’endroit des registres domes
tiques, nos anciens jurisconsultes, et notamment l’illus
tre Dumoulin, admettaient que les livres des marchands
ne pouvaient suffire seuls pour faire condamner les tiers,
mais qu’appuyés par d’autres présomptions, ils devaient
être considérés comme un commencement de preuve,
autorisant le juge à déférer le serment supplétoire.
734.
— Cette doctrine , recommandable sous tous
les rapports, a été consacrée par le Code. La faculté de
déférer le serment supplétoire est formellement inscrite
dans l’art. 1329. Or, aux termes de l’art. 1367, cette fa
culté n’existe qu’aux conditions suivantes : 1° que la
demande ne soit pas pleinement justifiée ; 2° qu’elle ne
soit pas entièrement dénuée de preuve,
�§98
T R A IT É
DU
DOL
De la combinaison de ces deux articles, il résulte qu’à
son tour la législation qui nous régit n’admet pas que
les livres soient considérés comme un titre suffisant et
légitime : Solas sufficere non posse. Mais elle voit dans
leur existence une présomption assez grave pour faire
naître le doute , créer une vraisemblance qu’il convient
de creuser, et rendre admissible la preuve testimoniale.
Notons bien, en effet, que le serment supplétoire ne peut
être ordonné que dans les cas où la preuve testimoniale
est recevable'. Dire qu’on peut déférer celui-ci, c’est par
cela même déclarer qu’on peut recourir à celle-là. Au
trement il serait vrai que , pouvant le p lu s , le juge ne
pourrait pas le moins.
Donc les livres des marchands peuvent créer en leur
faveur un commencement de preuve, à condition toute
fois, comme le disait Dumoulin, que d’autres présomp
tions viendront en corroborer l’autorité. Ces autres pré
somptions exigées par Dumoulin étaient en première li
gne : la moralité du marchand et la régularité de ses
livres ; ensuite la modicité de la somme, la vraisemblan
ce de la fourniture, sa proportionnalité avec la fortune
et la dépense accoutumée du débiteur, l’habitude de ce
lui-ci de prendre à crédit, etc.. . . Ce sont là en effet au
tant d’éléments qu’on ne pourrait refuser d’apprécier.
Notons cependant que déférer le serment supplétoire
ou ordonner une preuve orale n’est jamais pour le juge
qu’une pure faculté , dont il peut user ou non , suivant
�ET
DE
LA
FRAUDE.
299
qu’il le juge utile ou convenable. Conséquemment le re
fus, qu’il en ferait dans telle ou telle circonstance, pour
rait bien être réformé comme un mal jugé par la juri
diction du second degré, mais il ne saurait dans aucun
cas constituer une violation de la loi susceptible d’être
censurée par la Cour de cassation.
735.
— Voilà donc une hypothèse ou le commence
ment de preuve se puise dans un écrit n’émanant ni de
la partie , ni de son auteur. Nous allons en rencontrer
d’autres dans les art. 1335 et 1336 du Code civil.
Le premier s’occupe des copies des titres ; celles qui
ont été tirées par l’autorité des magistrats, parties pré
sentes ou dûment appelées, ou qui l’ont été en présence
des parties et de leur consentement réciproque, font foi
entière de leur contenu.
Celles tirées sans l’autorité du m agistrat, ou sans le
consentement des parties, sur la minute de l’acte par le .
notaire qui l’a reçu ou par un de ses successeurs,ou par
officiers publics dépositaires des minutes, peuvent faire
foi quand elles sont anciennes, c’est-à-dire quand leur
délivrance remonte au delà de trente ans.
Si elles ont moins de trente ans, elles ne peuvent ser
vir que de commencement de preuve par écrit.
Enfin les copies tirées, sur la minute de l’acte, par
tous autres que le notaire, ses successeurs, ou l’officier
public dépositairede la minute, ne pourront servir, quelle
que soit leur ancienneté, que de commencement de preu
ve par écrit.
�300
T R A IT É
DU
DOL
D’autre part, l’art. 1336 dispose que la transcription
d’un acte sur les registres publics ne pourra servir que
comme un commencement de preuve par écrit, pourvu
cependant qu’elle réunisse les conditions exigées.
En réalité, l’acte public procède plutôt de son rédac
teur que de la partie elle-même. Cependant l’acte, por
tant la signature de celle-ci ou la mention qu’elle n’a pu
ou su signer, fait pleine foi en sa faveur ou contre elle;
or une copie rendant l’existence de l'acte probable, mal
gré qu’on ne puisse plus le représenter, il n’élait pas juste
de s’arrêter à l’imperfection de la copie, et de repousser
toute investigation ultérieure. Le législateur a donc jus
tement agi en refusant à la copie toute l’autorité que le
titre offrirait, mais en lui faisant toutefois produire l’effet d’un commencement de preuve.
Dans leur exécution, les prescriptions des art. 1335
et 1336 présentent les mêmes caractères que celles de
l’art. 1329. Ainsi, en ce qui la concerne, l’indépendance
du juge reste entière et il peut toujours, si la vraisem
blance créée par la copie lui parait dès maintenant dé
truite par des vraisemblances contraires, refuser de pro
longer un litige pouvant immédiatement recevoir une so
lution définitive.
736.
— Ainsi la loi assimile, dans les art. 1335 et
1336, à l’écrit émané de la partie , l’acte susceptible de
faire foi contre elle. Ce principe, fondé sur la règle que
l’art. 1347 n’est que démonstratif, a reçu en jurispru
dence de notables développements.
�ÊT
DE
LA
FRAUDE.
301
On a fait résulter le commencement de preuve par écrit : 1° de l’interrogatoire sur faits et articles ; 2° des
aveux judiciaires ou extrajudiciaires; 3" des déclarations
contradictoires fournies à l’audience; 4° du refus de
comparaître et de l’obscurité calculée des réponses.
737. — 1° Interrogatoire sur faits et articles.
En la forme, l’interrogatoire est un acte public et au
thentique. Il est reçu par un magistrat, signé par la par
tie ou mentionnant qu’elle n’a su , n’a pu ou n’a pas
voulu signer. Il est donc à l’instar d’un acte notarié et
il doit conséquemment faire foi de ce qu’il contient. On
n’hésiterait certes pas à le reconnaître si l’interrogé con
venait formellement du reproche allégué par son adver
saire, pourquoi en serait-il autrement si, tout en le con
testant, le premier laisse échapper des déclarations ren
dant ce reproche vraisemblable ? La seule différence pos
sible c’est que , dansle premier cas , il y aurait lieu à
condamnation, et que, dans le second, cette condamna
tion sera subordonnée à la preuve que la vraisemblance
du reproche fera admettre.'
C’est au reste dans ce sens que la doctrine et la juris
prudence paraissent se fixer. La controverse qui s’était
d’abord prononcée s’efface et disparait devant la doctrine
définitivement admise parla Cour de cassation.
758. — 2° Aveu de la partie.
Si l’interrogatoire sur faits et articles , si les déclara
tions faites à l’audience prennent le caractère d’un com
mencement de preuve par écrit , c’est en force des aveux
ih,1l.;1
1
•i•)'il'JIh!{■
ir ?'
i :
�302
T R A IT É
DU
DOL
qui y sont constatés. Dès lors on ne saurait refuser à l’a
veu émané spontanément de la partie l’effet attribué à
l’aveu provoqué par une de ces mesures.
Conséquemment, de quelque manière que l’aveu se
produise, il y aura lieu, savoir : à condamnation , s’il
porte sur le fond même du droit ; à la recevabilité de la
preuve testimoniale, si, portant sur des circonstances ac
cessoires, il rend vraisemblable le fait allégué.
Il n’est pas même nécessaire que l’aveu se soit pro
duit dans l’instance engagée. On pourrait, dans l’un de
ces objets, invoquer utilement celui que le défendeur
actuel aurait fait dans une instance précédente.'
739.
— 3° Déclarations contradictoirement four
nies à l’audience.
Ces déclarations constituent de véritables aveux. Com
me tels, elles doivent être considérées comme constituant
le commencement de preuve , si elles rendent vraisem
blable le reproche allégué1. Mais ce qu’il importe de re
tenir, c’est que ces explications, purement verbales, pour
raient être facilement déniées soit à une audience sub
séquente , soit devant le degré supérieur de juridiction ;
conséquemment, la partie intéressée à les invoquer plus
tard doit les faire constater en requérant immédiatement
acte des termes dans lesquels elles se sont produites.
L’absence de cette formalité ne permettrait pas au tribu—
1 Cass.. 27 avril 1840; — D. P., 40, 1, 212.
s Cass., 10 juillet 1838 ; - D. P , 38, 1, 348.
�ET
DE
LA
FRAUDE.
303
nal qui les a reçues de les admettre comme commence
ment de preuve; dans tous les cas, l’autorité supérieure
ne pourrait les accepter comme telles , alors même que
les qualités du jugement, non frappées d’opposition, les
mentionneraient par demandes et par réponses.’
740. — Une observation commune à tous les gen
res d’aveux , de quelque manière qu’ils se soient pro
duits , c’est q u e , dans la recherche de la vraisemblance
devant autoriser l’admissibilité de la preuve orale, l’ap
préciation du juge n ’obéit à aucune loi, ne reconnaît au
cune limite. De là il suit qu’on ne saurait l’astreindre à
obéir à l’indivisibilité que la loi a, dans les cas ordinai
res, imprimée à l’aveu2. Il suffit, en effet, que sa cons
cience trouve dans l’aveu la probabilité voulue par la
loi, pour qu’il ait la faculté, disons mieux, le devoir d’en
déclarer l’existence et d ’en déduire les effets.
741, — La divisibilité de l’aveu est donc livrée à la
prudence du juge. Mais cette règle reçoit une exception
formelle lorsqu’il s’agit de l’existence d ’un dépôt excé
dant ISOfr. et dont il n ’existe aucune preuve écrite.
Les motifs de cette exception se puisent dans cette con
sidération : qu'en cette matière, la loi ne se borne pas à
s’en référer au principe général de l’indivisibilité de l’a-
1 Montpellier, 5 juin 1839; — D. P ., 40, 2, 66.
2 Cass., 6 avril 1836; 2 juin 1837; 19 juin 1839; 18 mai 1848 ; —
Toulouse, 16 janvier 1841 ; — J. d. P . , 1840, t. i, p. 500 , t. ii, p
�ir
1
I I
304
Il S
veu ; l’art. 1924 en spécialise de plus les effets en dé
clarant que dans ce cas le dépositaire doit en être cru
soit sur le fait du dépôt, soit sur la chose qui en fait
l’objet, soit sur le fait de la restitution. Dès lors isoler le
fait du dépôt des déclarations relatives à sa quotité ou à
la restitution, et puiser dans l’aveu ainsi isolé un com
mencement de preuve pour arriver à permettre la preuve
par témoins soit de son importance , soit du défaut de
restitution, c’est violer ouvertement les prescriptions de
l’art. 1924.
Il y a plus , l’aveu de n’avoir reçu que tels objets ne
rend nullement vraisemblable le fait allégué que le dé
pôt comprendrait des objets plus considérables. La Cour
de Bordeaux, dans une espèce où il s’agissait d’un dé
pôt de titres, faisait, avec raison, remarquer qu’il était
peu logique de conclure qu’un officier ministériel avait
reçu dix-sept titres de créance , parce qu’il avouait de
bonne foi en avoir reçu cinq. Une pareille argumenta
tion, dit l’arrêt, pourrait avoir des conséquences effray
antes.
La Cour réforme donc le jugement qui avait admis le
contraire, et son arrêt, déféré à la Cour de cassation, fut
maintenu par décision du 6 novembre 1838.'
Déjà la Cour régulatrice s’était prononcée pour l’indi
visibilité par arrêt du 26 septembre 1823. On peut donc
considérer , comme un principe désormais acquis , que
l’aveu du dépôt excédant 150 fr. ne peut être isolé et
1i
I
-li-’M [h
S iî i
I
RAITTÉ DU DOL
1 J. dn P ., 1828, tom. il, pag. 608.
1’N ïil
�fonder un commencement de preuve autorisant la preuve
orale de la fausseté de la déclaration soit sur la quojité
des objets déposés, soit sur le fait de la restitution.
742.
— 4° Refus de comparaître, refus de répon
dre, obscurité volontaire des réponses.
Les ordres de la justice doivent être respectés et obéis.
Celui qui prétend ne faire ni l’un ni l’autre mérite toute
la sévérité des tribunaux.
L’art. 330 du Code de procédure édicte la peine ap
plicable en pareil cas. Le refus de comparaître ou celui
de répondre peut non seulement être un commencement
de preuve, mais encore faire accepter les faits comme avérés et motiver une condamnation immédiate. La Cour
de Montpellier a fait de ce principe une application sé
vère en décidant que, sur l’appel du jugement tenant les
faits pour avérés , le second degré de juridiction n ’est
pas tenu d’obtempérer à l’offre que fait l’appelant de su_
bir l’interrogatoire qu’il a refusé de subir en première
instance , et qu’il peut confirmer purement et simple
ment le jugement.1
Ce que l’art. 330 dit du refus d’exécution du juge
ment ordonnant l’interrogatoire, s’applique au refus de
comparaître à l’audience. Les motifs étant les mêmes, la
solution doit être semblable.
Enfin, l’exécution voulue par la loi doit être une ex
écution franche, loyale et sincère. En conséquence, il est
24 novembre '18-18.
�306
TRAITÉ DU DOL
admis que l’ambiguïté, que l’obscurité volontaire et cal
culée dans les réponses, équivaut au refus de répondre,
non pas qu’on puisse tenir les faits pour avérés , mais
en ce sens que les juges peuvent en faire résulter le com
mencement de preuve.’
Il résulte de ce qui précède que, quels que soient les
termes de l’art. 1347, sa disposition n’a rien de restric
tif. Le législateur a, sous le nom d’écrits , compris tous
les actes émanés de la partie et pouvant fournir contre
elle la preuve des conventions en litige. « En effet, dit
Toullier, l’art. 1347 ne dit pas qu’on ne pourra consi
dérer comme un commencement de preuve par écrit
l’acte qui ne serait pas émané de celui à qui on l’op
pose ou de son auteur ; il dit seulement que les écrits
émanés de l’un ou de l’autre sont des commencements
de preuve, ce qui est bien différent.1 »
745.
— Rappelons, en terminant sur ce point, que
ce que nous avons dit des aveux et déclarations recueil
lis devant les tribunaux reçoit son application aux ins
tances ouvertes ou poursuivies devant les justices de paix.
Les dires constatés soit dans un jugement, soit dans des
procès-verbaux de constatations ou de recherches, de
conciliation ou de non conciliation pourraient être ulté
rieurement invoqués à titre de commencement de preuve.
744.
Nous passons maintenant aux écrits de la
i Cass.,-11 janvier 1827, 19 ju in 1 8 3 9 ; D. P., 39, 1, 287.
�ET DE LA FKAUDE.
307
partie ou de son auteur. Ce qu’il faut d’abord retenir
en ce qui les concerne, c’est que l’art. 1347 se contente
d’exiger qu’ils soient émanés de l’une ou de l’autre.
Cette expression indique que le législateur ne s’est nul
lement préoccupé de la perfectibilité de l’acte dont on
excipera. Il est même certain qu’il n’a en vue que ceux
ne pouvant par eux-mêmes créer un titre régulier. Dans
le cas contraire, en effet, le titre se suffisant à lui-mê
me , il ne pouvait s’agir de la question de savoir s’il
pouvait constituer ou non le commencement de preuve.
745. — Il faut ensuite remarquer qu’il n’y a réel
lement d’écrits émanés de qui que ce s o it, que lorsque
l’écriture ou la signature est reconnue par celui qu’on
en soutient l’auteur. En cas de dénégation, on ne sau
rait rien inférer tant que la vérification demandée ou
ordonnée n’aurait pas détruit cette dénégation.
74 6. — L’écrit reconnu se placera nécessairement
dans une des catégories suivantes :
10 Ecrits non signés par la partie ou qui n ’étaient pas
destinés à l’être ;
2° Ecrits irréguliers comme ne remplissant pas les
conditions exigées pour leur validité ;
3° Ecrits nuis pour incompétence du fonctionnaire
qui les a reçus ou pour vices de forme ;
4° Ecrits ne constituant pas un titre par eux-mêmes,
mais rendant vraisemblable le fait allégué.
747. — Dans la première catégorie , se placent les
�308
TRAITÉ DU DOL
livres des marchands, les registres ou papiers domesti
ques de la partie ou de son auteur ; les uns et les autres
sont, en effet, l’œuvre de celui qui les a tenus , quand
bien même un tiers les eût écrits sous leur direction , ce
qui se réalise souvent pour les livres de commerce.
La vraisemblance du fait allégué, puisée dans ces do
cuments, doit donc constituer le commencement de preu
ve, tel qu’il est exigé par l’art. 1347 contre leur auteur
ou ses représentants.
748.
— Ici se présente une difficulté. L’art. 1330
défend de diviser les mentions des livres qu’on invoque.
Celui qui prétend en tirer avantage doit les accepter dans
leur entier, sans pouvoir répudier ce qu’ils ont de con
traire à sa prétention. Par une parité de raisons incon
testables, on doit admettre la même doctrine à l’endroit
des registres et papiers domestiques. Cette indivisibilité
devra-t-elle s’entendre d’une manière tellement absolue,
qu’elle ne permet pas , en cas d’allégations contradic
toires, de tirer des uns et des autres un commencement
de preuve par écrit ?
Nous venons de voir la Cour de cassation proclamer
la divisibilité de l’aveu, malgré le texte formel de l’arti
cle 1356. Or, l’art. 1330.ne fait que répéter pour les
livres la règle que l’art. 1356 appliquera plus tard à l’a
veu. Dès lors, si celui-ci est inapplicable, lorsqu’il s’a
git de la recherche d’un commencement de preuve, quel
motif aurait-on de décider le contraire pour celui-là ?
Nous admettons donc, à l’égard des livres, la distinc-
�ET DE LA FRAUDE.
309
lion que la Cour de cassation fait en matière d’aveu.
Lorsque le demandeur sera dans l’impuissance de justi
fier sa prétention par une preuve quelconque , qu’il
n’aura recours qu’aux livres seuls de son adversaire , il
sera obligé de les accepter dans son ensemble. Si ces li
vres, mentionnant l’obligation , en mentionnent égale
ment l’extinction, sa demande sera repoussée. D’abord,
parce que , tenu de la justifier, il n’a pas suffisamment
rempli son devoir dès qu’il ne peut offrir à la justice
qu’un document qui se contredit et qui laisse au moins
la vérité dans le plus grand doute; ensuite , qu’en de
mandant foi et créance pour les livres , en ce qui con
cerne les allégations qui lui sont avantageuses , il leur
confère une autorité morale rejaillissant sur l’ensemble
et qui doit nécessairement empêcher le juge de se pro
noncer pour les unes plutôt que pour les autres.
Mais lorsque, armé d’une preuve décisive, le deman
deur ne s’en réfère aux livres que pour y puiser la vrai
semblance rendant sa preuve admissible, c’est nécessai
rement à d’autres idées qu’il faut recourir. Alors, en ef
fet, il ne faut qu’un écrit émané de la partie, et le livre
invoqué offre évidemment ce caractère. Alors , le juge
n’a plus à prendre un parti définitif, il a seulement à
rechercher le plus ou moins de vraisemblance des deux
allégations. Or, la loi ne traçant à cette recherche aucun
mode obligatoire , ne lui imposant aucun élément, le
juge est parfaitement libre de se créer une conviction
dont il ne doit même aucun compte. Comment, au sur
plus , oublierait-il que l’obligation est convenue par le
�310
TRAITÉ DU DOL
débiteur lui-même, taudis que son extinction, contestée
par le créancier, ne résulte que d’un fait personnel au
débiteur et que le premier n’a jamais pu empêcher.
La preuve testimoniale peut donc être ordonnée à l’ef
fet de dissiper le doute que les livres font naître. Mais
si cette preuve n’a rien de décisif, si le vague des dépositions vient replacer le juge en présence des énoncia
tions contradictoires des livres, le principe de leur indi
visibilité reprendra son empire et la demande sera re
poussée.
7 4 9 . —- La seconde catégorie comprend essentielle
ment les titres faits contrairement aux dispositions des
art. 1325 et 1326, c’est-à-dire l’acte non fait ou ne
mentionnant pas qu’il a été fait en autant d’originaux
qu’il y a d’intérêts distincts , et l’acte non écrit de la
main du débiteur, ou dont la signature n’est pas précé
dée d’un bon ou approuvé écrit par lui.
7 5 0 . — L’ancienne jurisprudence était fort sévère à
l ’endroit des premiers. Le Parlement de Paris leur refu
sait tout effet quelconque.il considérait leur nullité com
me tellement absolue, qu’il n’hésitait pas à la consacrer
même dans le cas où l’acte avait reçu son exécution.
Cette doctrine était formellement blâmée par les juris
consultes les plus éminents , comme confondant deux
choses devant rester éternellement distinctes , à savoir :
ce qui est de l ’essence du contrat, ce qui forme le vinculum obligationis, et ce qui est relatif à la preuve du
�ET DE LA FRAUDE.
311
contrat. « Dès l’instant , dit Merlin', que deux parties
ont donné leur consentement, l’obligation est formée ;
e t, soit que l’on puisse la prouver ou non , elle n’en a
pas moins la vertu intrinsèque de lier les contractants.
En bonne logique, le défaut de preuve d’un acte, ne peut
en emporter la nullité ; il n’en peut résulter qu’un em
pêchement de fait à son exécution , et si on parvient à
réparer ce défaut, à lever cet empêchement par des preu
ves tirées d’ailleurs, pourquoi l’acte ne serait-il pas plei
nement exécuté ? »
751. — C’était donc en présence des dispositions
sévères de la jurisprudence , et les observations graves
de la doctrine que se trouvait placé le législateur du
Code. L’art. 1321$ nous indique son choix. En effet, cet
article ne déclare pas l’acte nul, il se borne à le consi
dérer comme non valable. Or, dire qu’un acte n’est pas
valable , ce n’est pas reconnaître qu’il n’existe aucune
obligation, c’est seulement proclamer que cette obliga
tion n’est pas suffisamment prouvée. C’est ce que Toullier établit d’une manière victorieuse et sans réplique.2
752. — Donc l’acte n’est pas nul ; il est seulement
insuffisant pour faire pleine preuve, pleine foi de la con
vention qu’il renferme. Cela posé, comment lui refuse
rait-on le caractère d’un commencement de preuve ? Il
est signé de la partie, il émane donc de celui à qui on
i Répert., v s Double écrit, n° 7.
�312
TRAITÉ DU DOL
l’oppose ou de son auleur. 11 rend l’obligation très vrai
semblable, car on ne signe pas quand on n’est obligé à
rien. Or, l’art. 1347 n’exige rien autre chose pour trou
ver le commencement de preuve.
753.
— Cependant , l’opinion que l’acte non fait
double peut constituer un commencement de preuve,
n’est pas unanimement adoptée. Quelques auteurs, et
parmi eux M. Duranton', soutiennent la négative. Ils ne
méconnaissent nullement les considérations que nous
venons d’exposer; mais, disent-ils, le Code exige l’éga
lité de position et de moyens de preuve dans ceux qui
forment des conventions obligatoires de part et d’autre,
ce qui n’existe pas évidemment pour la partie qui n’a
pas eu d’acte , ou qui est censée n’en avoir pas eu , si
celui qui est produit par l’autre partie ne contient pas
la mention du nombre d’originaux qui ont dù être faits.
Cette opinion méconnaît ouvertement le texte et l’es
prit de l’art. 1325 , et ajoute à sa disposition une pé
nalité que le législateur a formellement repoussée. Nous
venons de le dire, l’art. 1325 ne dit qu’une seule chose,
à savoir : que le titre fait contrairement à ses prescrip
tions n’est pas valable, c’est-à-dire qu’il ne fait pas par
lui-même pleine foi de ce qu’il renferme. Il n’exclut
donc pas la possibilité de le compléter par la preuve
même testimoniale, ce _qui le démontre, c’est que la nul
lité prononcée par l’ancienne jurisprudence n’a pas été
�ET DE LA FRAUDE.
313
adoptée. C’est pourtant à cette nullité absolue et radicale
qu’on arrive dans l’opinion que nous combattons.
Le reproche de blesser l’égalité voulue par la loi nous
touche peu. Nul ne peut se créer un titre de sa propre
faute , et celui-là commet évidemment une faute grave
qui , malgré la disposition de l’art. 1325 , traite sans
donner à la convention synallagmatique les formes qu’elle
doit recevoir. Cette faute doit d’autant plus être prise en
considération, que l’omission qui la constitue peut n’être que le résultat d’un calcul frauduleux. S’il est vrai,
en effet, que la partie retenant la minute unique de
l’acte a pu vouloir se ménager la faculté de demander
l’exécution de la convention ou de la refuser , il peut se
faire aussi que l’existence de cette minute unique ou le
défaut de mention du nombre des originaux ne soit,
de la part de l’autre partie , qu’un moyen calculé pour
se soustraire à ses engagements s’ils venaient à être trop
onéreux pour elle.
Cette perspective indique qu’il n’y a de réellement équitable que le parti adopté par le législateur. De cette
manière chacune des parties supporte la peine de la faute
qu’elle a commise ; la première, par la nécessité où elle
est placée de compléter le titre et de fournir une preuve
qui ne sera pas toujours possible , et sans laquelle ce
pendant le titre ne pourra sortir à effet ; la seconde, par
la nécessité de subir cette preuve et de se soumettre à
ses résultats.
En résumé, l’acte non fait double, ou ne mentionnant
pas qu’il l’a été, réunit les conditions de l’art. 1347. Il
�V
314
TRAITÉ DU DOL
émane de la partie à qui on l’oppose ; il rend le fait vrai
semblable. D’autre p a r t, l’art. 1323 n’a pas prononcé
la nullité du titre, il n’a donc nullement dérogé à la rè
gle générale tracée par l’art. 1347. Le juge peut donc
admettre cet acte comme un commencement de preuve
par écrit, et recevoir le porteur à prouver par témoins,
soit que , contrairement à ce qui résulte du titre luimême , on a réellement fait autant d’originaux qu’il y
avait d’intérêts distincts , soit l’existence de l’obligation
elle-même.'
La Cour de cassation récemment saisie de la ques
tion, l’a résolue dans le sens que nous enseignons.
Le tribunal de Saverne et la Cour de Colmar ayant
décidé que l’acte nul pour contravention à l’art. 1325
pouvait servir de commencement de preuve, on sollici
tait de la Cour suprême une décision de censure. L’ar
rêt, disait-on, a violé l’art. 1325 du Code Napoléon qui,
en déclarant non valables les actes non conformes à ses
prescriptions, ne permet pas que ses actes puissent ser
vir de commencement de preuve par écrit ; qui ne les
considère que comme un simple projet dont la réalisa
tion suppose un acte fait en double entre les parties qui
s’engagent respectivement. Dès lors il n’a dû accorder
aucun effet à l’acte dépourvu de cette formalité du dou
ble, alors que celui qui s’en est emparé, et qui serait le
maître de l’anéantir, veut s’en prévaloir pour contrain-
i Merlin , R ép., Double é crit, n° 8 ; — Toullier , t. îx , n» 8 4 ; —
Troplong, De la vente, n° 33.
�ET DE LA FRAUDE.
315
dre l’autre partie qui n’aurait , elle , aucun moyen de
forcer le détenteur du prétendu titre à l’exécuter, s’il eût
convenu à ce détenteur de le supprimer ou de ne pas le
produire.
Mais , par arrêt du 24 novembre 1864 , la chambre
civile rejette le pourvoi après, toutefois, un délibéré en
la chambre du conseil :
« Attendu que l’acte sous seing privé non fait dou
ble , quoique contenant des engagements réciproques,
est susceptible de présenter les caractères du commen
cement de preuve par écrit tel qu’il est défini par l’ar
ticle 1347 du Code Napoléon ; que, d’une part, l’acte émane de la partie à qui on l’oppose , laquelle y figure
tant pour s’obliger que pour accepter l’engagement pris
envers elle , e t , d’autre p a r t, il peut rendre au moins
vraisemblable la convention synallagmatique qu’il énon
ce et a pour objet de constater ;
» Qu’en rentrant ainsi dans les termes de l’art. 1347
un tel acte peut servir de commencement de preuve à
l’effet de rendre admissible la preuve testimoniale;
» Que l’art. 1325 du Code Napoléon n’y saurait faire
obstacle; qu’à la vérité l’acte sous seing privé conte
nant des conventions synallagmatiques n’est valable, aux
termes de cet article , qu’autanl qu’il est fait en autant
d’originaux qu’il y a de parties ayant un intérêt distinct;
que sans doute il résulte de là que l’acte est nul comme
titre, mais que la nullité de forme qui l’affecte sous ce
rapport, ne l’atteint pas dans son existence matérielle ;
qu’il existe comme écrit, et que la loi n’en demande pas
�316
TRAITÉ DU DOL
davantage pour autoriser la preuve testimoniale , si,
d’ailleurs, l’écrit émane de la partie, et si le juge y trou
ve des indices ou des présomptions susceptibles de ren
dre vraisemblable la convention ou le fait allégué.' »
754.
— Ce qu’on décide dans le cas de l’art. 1325
doit être décidé dans l’hypothèse de l’art. 1326. Ainsi
l’obligation non écrite par le souscripteur, qui ne ren
fermera pas le bon ou approuvé en toutes lettres de la
somme ou des clauses y énoncées, ne fera pas par ellemême titre suffisant. Mais les tribunaux sont autorisés à
l ’admettre comme un commencement de preuve par écrit.
Celte solution , s’induisant comme la précédente des
termes dont s’est servi le législateur, acquiert ici un nou
veau degré d’évidence par la comparaison de l’art. 1326
avec la législation précédente. On sait, en effet, que la
déclaration de 1733 frappait d’une nullité radicale et
absolue les billets qui ne seraient pas écrits ou du moins
dont la somme ne serait pas approuvée en toutes lettres
de la main de celui qui les avait souscrits, lequel, né
anmoins, était tenu d’affirmer sous serment qu’il n’en
avait pas reçu la valeur. Etaient exceptés de cette règle
les billets faits par les banquiers, négociants, marchands,
manufacturiers, artisans, fermiers , laboureurs et autres
de pareille qualité.
Cette loi admettait donc la présomption de surprise,
1 Journal du palais, <1865, S
�BT DE LA FRAUDE,
317
devenant une présomption ju ris et de jure par le ser
ment du débiteur. Mais, comme le remarque Toullier,
elle avait entre autres inconvénients graves, celui de ne
protéger que la classe des citoyens instruits et non la
classe la plus nombreuse de la société , la plus facile à
surprendre. Aussi, et malgré la précision de ses termes,
la doctrine enseigna-t-elle qu’elle pouvait être modifiée
par les circonstances. Cette opinion fut sanctionnée par
la jurisprudence. Les parlements n’hésitaient pas à valider l’obligation, lorsque la présomption de surprise leur
paraissait repoussée par les faits de la cause.
Une pareille contradiction entre la lo i, la doctrine et
la jurisprudence, signalait trop les vices de la première
et devenait un enseignement utile pour le nouveau lé
gislateur. Ce qui prouve qu’il en a profité, c’est que le
Code ne dit plus que l’acte, fait contrairement aux dis
positions de l’art. 1326, sera nul et de nul effet et va
leur. Comment, dès lors, atteindre à un résultat iden
tique à celui que prescrivait la loi de 1733 ?
La différence dans les termes doit en déterminer une
dans les conséquences, et celte dernière ne peut être que
celle que nous indiquons, à savoir : que sous l’empire
du Code l’acte n’étant plus radicalement nul peut servir
de commencement de preuve. Ce résultat se légitime par
faitement, d’abord parce que la signature, quoique iso
lée, n’en émane pas moins de la partie , ensuite parce
que cette signature apposée au bas d’une obligation la
rend évidemment vraisemblable.
Sans doute l’art. 1326 ayant consacré une exception
♦
�318
TRAITÉ DU DOL
pour les billets ou actes émanés de marchands, artisans,
laboureurs, vignerons, gens de journée et de service, on
pourrait être tenté de lui reprocher de n’avoir pas assez
protégé la classe la plus nombreuse , la plus facile à
surprendre, celle, par conséquent, qui avait le plus be
soin de protection. Mais le législateur ne pouvait pas
méconnaître un fait évident, à savoir : que dans ces
classes il est une infinité de gens sachant à peine signer
et pour lesquels la préleiÿion de les soumettre aux for
malités de l’art. 1326 eût été une interdiction absolue
de contracter sous seing privé, ce qui les exposait, dans
tous les cas, aux frais d’un acte authentique. Il a donc
eu raison de reculer devant une pareille charge.
D’ailleurs , l’admission de l’acte irrégulier comme un
commencement de preuve contre tous les citoyens, atté
nuerait singulièrement l’inégalité qu’on reprochait à la
déclaration de 1733. Par ce moyen , en effet, l’acte
pourra sortir à effet, alors même que la signature non
précédée du bon ou approuvée appartiendra à une au
tre catégorie qu’à une de celles nominalement rappelées
dans l’art. 1326.
Ainsi, le titre ne réunissant pas les conditions voulues
par l’art. 1326 pourra servir de commencement de preu
ve'. La signature apposée à une obligation en rend l’ex
istence et la réalité vraisemblables à un très-haut de
gré. Aucune difficulté sérieuse ne saurait donc s’élever
lorsque l’irrégularité du titre n’est due qu’à l’absence
du bon ou approuvé.
1 Toullier, t. îx, n°« 84 et suiv.; — D uranton, t. iv, n°8 4282-88
�ET DE LA FRAUDE.
34 9
7 55.
— Il n’en est pas de même lorsque le litre ne
portant pas de signature est cependant écrit en entier de
la main de celui à qui on l’oppose. Sans doute , et en
d ro it, ce titre remplit la première condition exigée par
l’art. 1347. Nous avons déjà dit que cet article n ’exige
pas que l’écrit soit signé. Il suffit qu’il soit le fait de la
partie ou de son auteur. C’est ce qui se réalise dans le
cas que nous supposons.
Mais l’existence d ’un pareil écrit rend-elle l’obligation
vraisemblable ? En logique rigoureuse, l’écrit non signé
ne prouve qu’une seule chose , à savoir : que des négo
ciations ont existé , qu’un projet a été préparé et com
muniqué, mais que les parties n ’ont pu se mettre d’ac
cord. On ne peut admettre, en effet, que non seulement
le débiteur a oublié de signer, mais encore que le cré
ancier ne se soit pas aperçu de cette omission , en ac
ceptant un pareil titre.
D’autre p a rt, il n’est pas probable non plus que le
débiteur n’ait pas demandé la restitution du projet écrit
par lui et se soit ainsi exposé à voir le créancier en abu
ser à son détriment. Il y a donc motif de douter et, dès
lors, nécessité de procéder à une instruction qui ne peut
être que l’audition des témoins fournis de part et d’au
tre. C’est ce que la Cour de cassation a consacré en dé
cidant que l’écrit non signé par son auteur peut servir
contre lui de commencement de preuve.1
1 4 février 1829, 6 février 1839; — J . du P ., 1839, 1 . 1, p. 274.
�320
TRAITÉ DU DOL
7 5 6 . — L’acte authentique fait foi contre tous des
stipulations qu’il renferme. Mais un acte n’est authenti
que que si l’officier public qui l’a reçu avait qualité pour
le recevoir ; que si les formes voulues par la loi ont été
remplies. L’incompétence du premier, la violation des
secondes frappent l’acte de nullité.
Mais il importe de remarquer que cette nullité atteint
plutôt l’instrument prouvant l’obligation que l’obligation
elle-même. Nous avons déjà vu, en effet, que le lien lé
gal , que le vinculum obliqationis est indépendant de
la forme par laquelle les parties l’ont constaté ; que l’ef
fet de celui-ci disparaissant, celui-là n’en existe pas
moins, sauf le mode de preuve qu’il est loisible aux con
tractants de produire.
L’acte authentique, nul pour incompétence de l’offi
cier qui l’a reçu ou pour violation des formes , perd
l’authenticité devant en assurer l’exécution, mais le con
sentement des parties reste. L’acte vaut comme sous seing
privé et doit être apprécié comme tel.
757. — Dès lors , c’est par les considérations que
nous avons présentées en traitant la seconde catégorie
qu’on doit résoudre la difficulté. Ainsi , de deux choses
l’une , ou l’acte annulé sera revêtu de la signature des
parties ou il mentionnera qu’elles n’ont su ou pu signer.
Dans ce second cas, la nullité de l’acte entraînera celle
de la convention , car il n’y aura aucun moyen de la
prouver. En effet, l’acte valant comme sous seing privé,
n’étant ni écrit ni signé par les parties , n’émane , évi
demment, ni de l’une ni de l’autre..
�ET DE LA F RA U D E.
321
Mais si chacune d’elles a signé, l’acte vaudra comme
commencement de preuve et permettra d’établir l’obli
gation par la preuve testimoniale.*
758.
— Nous nous sommes occupés jusqu’à présent
d’écrits constituant un titre dont la régularité dispense
rait de toute autre justification. Il est d’autres écrits qui,
sans constituer jamais un titre définitif, peuvent faire
présumer un engagement quelconque et autorisent à en
prouver par témoins l’existence. Dans cette catégorie se
place notamment la correspondance.
La doctrine et la jurisprudence offrent de nombreux
exemples de lettres missives jugées suffisantes pour ren
dre admissible la preuve de l’obligation alléguée ; nous
nous contenterons d’en citer quelques-uns :
1° Un particulier prétend avoir confié à un autre une somme d’argent, et il n’en produit d’autre preuve
qu’une lettre dans laquelle ce dernier écrit : Je vous sa
tisferai sur ce que vous savez. Cette mention rend vrai
semblable le fait du dépôt et la lettre forme un com
mencement de preuve permettant de l’établir par té
moins.
2° Vous m’avez écrit une lettre pour me prier de
compter à votre fils, qui en est porteur, 300 fr. dont il
a besoin pour ses études , j’ai compté la somme , mais
sans en prendre un reçu. La lettre que je représente
1 Liège, 9 juillet 4812 ; — conf. Pothier, Toullier, Duranton, Dalloz,
�322
TRAITÉ DU DOL
constitue un commencement de preuve et autorise à éta
blir la remise alléguée.
3° La Cour de cassation a jugé que la lettre missive
reconnaissant l’existence d’une dette , sans toutefois en
déterminer le quantum, , créait un commencement de
preuve suffisant pour être recevable à justifier par té
moins que cette dette est supérieure à 150 fr.' Dès lors
la lettre par laquelle le débiteur écrit qu’il ne peut rem
bourser l’argent qu’on lui a prêté, et promet de vendre
une partie de maison pour s’acquitter, peut être utile
ment invoquée comme constituant un commencement de
preuve, et rendre admissible la preuve testimoniale d’une
obligation de 2,400 fr., alors même que l’auteur de la
lettre prétendrait que la somme réellement prêtée est de
beaucoup inférieure.
4° Enfin la lettre , annonçant qu’on a reçu en prêt
une somme de c e n t.. . , peut servir à prouver soit l’ex
istence d’une dette de cent et une fraction, comme 120,
150, etc., soit une dette de cent écus, de cent louis, etc.
En résumé, tout ce qui tend à faire supposer une obligation rend vraisemblable l’allégation de son existen
ce ; la preuve testimoniale peut dès lors être invoquée à
l’effet de compléter une justification encore incomplète.
Elle peut donc être ordonnée, si d’ailleurs des faits re
connus constants ne créent pas une vraisemblance con
traire plus puissante et plus décisive.
1 29 prairial an x m ; — Pothier, n°» 470 et suiv.; — Toullier, t. 8,
n°s 322 et suiv., t. 9, n os 408 et suiv.;—Dalloz, Dict. a lp h ., vis Preuve
testimoniale, n°8 177 et suiv.
�ET DE LA FRAUDE.
323
759. — L’écrit émané de l’auteur de la partie a con
tre cette partie la même autorité que s’il émanait d’elle.
Il ne faut pas, pour qu’il en soit ainsi, que cet auteur
soit celui auquel on se trouve avoir succédé in universum jus, il suffit qu’on soit, à un titre quelconque, de
venu son représentant. Ainsi l’acquéreur, le donataire
ou le légataire est l’ayant cause du vendeur, du donateur
ou testateur. Mais cette qualité se restreignant à l’objet
faisant la matière de la vente, de la donation ou du legs,
ce n’est que par rapport à cette chose même que l’écrit
émané de l’un pourrait être invoqué contre l’autre.
76 0. — Le mandataire n’est pas l’auteur du man
dant, il est mieux encore, il est le mandant lui-même ;
conséquemment l’écrit émané du premier et se référant
à l’objet de sa mission réunira les conditions exigées par
l’art. 1347 du Code civil, et pourra fonder contre le se
cond le commencement de preuve par écrit.
C’est ce que la Cour de cassation a consacré, en ju
geant, le 7 mars 1831, que la déclaration faite et signée
au bureau de paix par le mandataire d’une partie a pu
être considérée comme un commencement de preuve par
écrit, suffisant pour faire admettre des présomptions gra
ves, précises et concordantes, et pour décider qu’un billet
de plus de 150 fr. a été payé.
Ce qui a été admis pour le mandat exprès, l’a été également pour le mandat tacite. Ainsi la Cour de Metz a
vu un commencement de preuve contre la belle-mère,
dans l’acte émané du gendre, alors qu’il est certain que
�324
TRAITÉ I)U DOL
le gendre était dans l’usage de faire les affaires de celleci.1
7 6 1 . — Enfin la Cour de Toulouse a jugé , le 25
novembre 1831, que le commencement de preuve de la
libération d’un débiteur peut résulter des registres d’un
notaire, dépositaire de sommes appartenant à ce débi
teur, constatant des emplois, tels que prêts ou acquisi
tions faits par le créancier, de partie de sommes dépo
sées, versées entre ses mains par le notaire,,à l’acquit du
débiteur. Cet arrêt se fonde d’abord sur ce que le dépôt
étant réalisé dans l’intérêt du créancier, le notaire de
vient son mandataire pour les sommes par lui reçues ;
ensuite sur ce que les actes constatant l’emploi étant si
gnés par le créancier, l’énonciation des registres se trouve
ainsi confirmée par un écrit émané personnellement du
créancier lui-même.’
7 6 2 . — En résumé , les simulations concertées par
les parties ne peuvent nuire aux tiers, ceux-ci sont tou
jours recevables à en faire la preuve par témoins. Ils
sont placés, en regard de la prohibition de l’art. 1341,
dans l’exception de l’art. 1348, ils n’ont jamais été en
position de se procurer une preuve écrite.
Il n ’en est pas ainsi des parties, chacune d’elle a pu
et dû se procurer cette preuve. L’absence de celle-ci ne
leur permet donc pas d’invoquer la preuve testimoniale,
�ET DE LA FRAUDE.
325
à moins qu’il n ’existe un commencement de preuve par
écrit.
L’aveu, alors même qu’il ne porte que sur la simu
lation de la cause exprimée , la déclaration judiciaire
constatée , l’écrit émané de la partie ou de son auteur,
peut fonder le commencement de preuve, s’il rend le fait
allégué vraisemblable. L’appréciation de ce caractère ap
partient souverainement au tribunal investi.
765. — La fraude de contractu in contractura
consiste, avons-nous dit, à dissimuler, sous l’apparene
d’une convention licite, l’existence d’un contrat nul com
me contraire à la lo i, aux bonnes mœurs ou à l’ordre
public. Sa perpétration exige donc le concours des par
ties, de là la question de savoir si l’une d’elles sera re
cevable à prouver par témoins le véritable caractère de
l’acte.
La solution de cette question est sans intérêt, lors
qu’il s’agit d’une simulation licite , c’est-à-dire lorsque
les parties, ayant réellement contracté et ayant pu le faire
valablement, ont cependant donné à leur convention une autre forme que celle qu’elle devait recevoir. Telle se
rait l’hypothèse d’une libéralité déguisée sous l’apparen
ce d’un contrat à titre onéreux ; d’une vente déguisée
sous la forme d’un échange, ou réciproquement.
i quoi bon en effet recourir à une preuve, si le fait à
prouver étant adm is, il n’en doit pas moins rester un
droit d’un côté , une obligation de l’autre. Or, tel sera
inévitablement le résultat de la preuve que l’acte qualifié
�326
TRAITÉ DU DOD
vente n’est qu’un échange ou qu’une libéralité, si d’ail
leurs la partie poursuivante était capable de donner ou
d’échanger : Frustra probatur, quod probatum non re
levât.
764. — Il est cependant une exception à l’irreceva
bilité de la preuve, à savoir : lorsque s’agissant d’une
donation déguisée sous la forme d’un contrat onéreux,
l’auteur de cette donation aurait un intérêt à en faire
déterminer le véritable caractère. On sait que la dona
tion est révocable pour cause d’ingratitude ou par sur
venance d’enfants. Cette double éventualité crée donc un
droit certain et d’un grand intérêt pour le donateur II
devrait donc, sur sa demande, être reçu à prouver que
l’acte, quelles que soient les apparences, n ’est en réalité
qu’une donation.
765.
Ainsi le véritable motif de la prohibition
de la preuve testimoniale contre ceux qui ont concouru
à une simulation licite, est l’absence de tout intérêt. La
proposition contraire, c’est-à-dire l’existence d’un inté
rêt se réalisant, cette prohibition tombe et fait place au
droit de faire restituer à l’acte son véritable caractère.
Mais au dessus de l’intérêt personnel se place l’inté
rêt public ; celui-ci ne pouvait tolérer qu’on pût impu
nément violer la lo i, blesser la morale ou outrager les
mœurs. Conséquemment la simulation, ayant pour ob
jet de masquer l’un de ces trois b u ts, est frappée d’une
nullité radicale que les parties elles-mêmes peuvent in
voquer.
�ET DE LA FRAUDE.
327
De là il suit qu’elles sont recevables à prouver par té
moins toutes les circonstances constitutives du fait pro
hibé ou illicite. On ne saurait admettre le contraire sans
consacrer ce singulier résultat : que la loi qui veut la fin
aurait refusé les moyens.
Vainement donc voudrait-on exciper de ce brocard
que nous avons si souvent rappelé : Nemo auditur. Per
sonne ne peut offenser directement la lo i, ni faire ce
qu’elle prohibe. Personne surtout n’est autorisé à rete
nir les avantages qui n’ont d’autre origine que le mépris
d’une prescription d’ordre public.
766.
— C’est ce que la jurisprudence n’a pas cessé
de consacrer dans toutes les hypothèses. Ainsi la loi re
fusant toute action pour dette de jeu, le joueur, poursui
vi en vertu d’une obligation même authentique, est ad
mis, nous l’avons déjà d i t , à prouver par témoins que
le titre en vertu duquel on le poursuit n’a été créé que
pour dissimuler un dette de jeu, et à se réfugier dans le
bénéfice de l’art. 1965.
Ainsi encore la loi exige dans un intérêt social que la
cession d’un office ne puisse comporter un prix plus éle
vé que celui indiqué dans le traité soumis à l’approba
tion du gouvernement. Le supplément de prix, consenti
au mépris de cette prohibition, quelque précaution qu’on
ait mis à le déguiser, ne peut donc être exigé, il peut de
plus être répété après paiement. Dès lors le souscripteur,
débiteur de ce supplément, est toujours autorisé à prou
ver par témoins le véritable caractère soit du titre en
�328
TRAITÉ DU DOL
vertu duquel on le poursuit, soit du paiement dont il de
mande la restitution ou l’imputation sur le prix patent.
Ainsi, enfin, l’obligation consentie en faveur de l’in
capable pourra toujours être attaquée par le souscripteur
lui-même , et il suffira qu’il soit justifié qu’elle n ’avait
pas d’autre objet que celui de violer la lo i, pour qu’elle
soit frappée d’impuissance et déclarée nulle. On ne peut
donner indirectement lorsqu’on n’a pas le droit de ie
faire d’une manière directe, et ce principe deviendrait
bientôt d’une application impossible si celui qui a tenté
de l’éluder ne pouvait plus tard revenir de sa première
résolution.
La fraude contre la prohibition expresse de la loi,
lorsqu’elle a pour objet de méconnaître l’intérêt public,
les bonnes mœurs , peut donc toujours être prouvée par
témoins. On peut renoncer à un droit personnel, à un
intérêt privé, on ne renonce jamais à ce qui intéresse la
société toute entière. Les prohibitions fondées sur l’ordre
public ont essentiellement ce caractère.
767.
— Dans tous les cas où la preuve testimoniale
est admissible , celle par présomptions l’est également,
de telle sorte que , sans recourir à la première , le ma
gistrat peut définitivement prononcer, si les circonstan
ces du procès lui paraissent le comporter.
, 7 6 8 . — Les présomptions sont définies par la loi :
des conséquences qui se tirent d’un fait connu à un fait
inconnu. Il suit de cette règle :
10 Que la présomption diffère de la preuve , en ce
�ET DE LA FRAUDE.
329
que celle-ci fait foi directement et par elle-même d’un
fait, tandis que la présomption en fait foi par une con
séquence tirée d’un autre fait ; *
2° Que la présomption a avec la preuve une source
commune , une même origine quant à leur certitude ;
car leur force consiste dans la conséquence certaine
qu’on peut tirer de quelque vérité connue pour en con
clure la vérité dont on cherche l’existence ; 2
3° Que la présomption offre plus ou moins de certi
tude, suivant que la liaison existant entre la vérité con
nue est plus ou moins nécessaire.3
Ainsi, si la conséquence tirée du fait certain est né
cessaire, s’il est impossible que, ce fait acquis, le second
soit douteux, la présomption devient preuve. J ’étais, dit
Domat, à cent lieues de mon domicile le jour où l’on
prétend que j ’y ai signé un acte ; ce fait constant, il en
résulte la conséquence forcée que la date donnée à l’acte
est fausse.
S’il n ’y a pas de conséquence absolument nécessaire
entre le fait connu et celui qu’il s’agit d’établir, les pré
somptions ne sont plus que des conjectures, des proba
bilités que le juge peut repousser ou admettre selon qu’il
les juge graves, précises et concordantes.
7 69. — Nous avons déjà expliqué la valeur de ces
1 Pothier, n° 806.
2 Toullier, t. x, n° t .
�330
TRAITÉ DU DOL
mots et les obligations que leur appréciation impose au
demandeur en preuve'. Nous terminerons donc notre
sujet par la question de^avoir s’il existe, en matière de
simulation, des faits devant plus particulièrement influer
sur la reconnaissance.
Résoudre cette question par une affirmative absolue,
serait méconnaître le caractère du pouvoir confié aux
tribunaux. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que la
doctrine a de tous temps appelé l’attention des magis
trats sur des circonstances pouvant plus facilement faire
admettre la fraude. Telles sont, au dire de notre savant
confrère Dubreuil : « la qualité des parties , la réten
tion de possession entre personnes suspectes, la vilité du
prix , le pacte de réméré , la rélocation , le défaut de
moyens de l’acquéreur ou du prêteur, l’aisance du ven
deur ou emprunteur ; l’acte privé ; le défaut de réelle
numération dans l’acteauthentique; le secret; le temps;
le lieu ; les précautions suspectes ; les actes antécédents
ou subséquents, etc.. . . »
Chacune de ces présomptions, comme l’observe M.
Dubreuil lui-m êm e, n ’a par elle-même rien de décisif,
mais on comprend que la réunion de plusieurs d’entre
elles peut déterminer la conviction du juge. Nous l’avons
déjà d it, c’est surtout pour les présomptions qu’a été
dictée la règle : Quod sicut quœ non prosunt singula
mulla juvant, ita e contra quœ non nocent singula
i Voy su p ra n0> 255 et suiv.
�ET DE LA FRAUDE.
331
multa nocent. Il est évident que si on exigeait une cer
titude parfaitement démontrée, il était inutile de per
mettre de recourir soit à la preuve testimoniale , soit
surtout à celles par présomptions. Celles-ci ne sont que
des conjectures , des probabilités. La faculté de les ac
cueillir indique le pouvoir du juge. On ne pouvait, dans
l’exercice de ce pouvoir , que s’en référer au juge luimême qui se prononcera dans tous les cas en faveur du
parti que sa conviction lui indiquera comme le plus
probable.
�332
TRAITÉ DU DOL
CHAPITRE II.
FRA UD E
CONTRE
LA
P A R T IE
CONTRACTANTE.
-<gl£-
SOMMAI RE.
770.
771.
772.
773.
Définition.
Rapport et différence entre cette fraude et le dol.
La fraude poussée jusqu’à de certaines limites constitue des
délits ou des crimes atteints par la loi pénale.
La fraude contre la partie, étant assimilée au dol, est régie,
quant à sa poursuite, par les principes tracés pour celuici.
770.
— Cette fraude dite de re ad rem est celle qui
est employée par un des contractants au détriment et à
l’insu de l’autre. Elle peut être définie, toute tromperie,
toute action de mauvasse fo i, exécutée dans le dessein
de se proeurer un avantage illicite au préjudice et aux
dépens de celui avec qui on traite.
�ET DE
LA
FRAUDE.
333
77 1. — Cette fraude a donc , dans ses effets, un
point de contact intime avec le dol, mais elle en diffère
essentiellement dans ses conditions constitutives. Ce qui
caractérise celui-ci, c’est, nous l’avons déjà dit, la ré
solution de tromper et l’existence d’un préjudice, consilium et eventus. La fraude, au contraire, git tout en
tière dans le résultat poursuivi et obtenu à l’aide de
moyens illégitimes, fraus non in consilio sed in eventu.
Ainsi, un acte sérieux et légitime dans son origine , un
jugement légalement poursuivi et justement prononcé,
peut devenir, par le mode de son exécution , l’occasion
d’une fraude préjudiciable. Dès lors celui qui en de
mande la répression n’a pas à justifier d’une pensée
préexistante dont l’acte lui-même n’aurait été que l’exécution. Il lui suffit de prouver le préjudice dont il se
plaint et l’illégitimité du fait dont il découle, pour qu’il
obtienne immédiatement la réparation qui lui est due.
1
: ''
•
,
772. — La fraude poussée jusqu’à de certaines li
mites constitue des délits ou des crimes atteints par la
loi pénale. C’est ainsi que les vols, les filouteries, l’abus
de confiance, la violation du dépôt, la tromperie sur la
nature de la marchandise , ne sont que des fraudes vé
ritables , singulièrement aggravées par les circonstances
qui les ont vu se produire. Ces matières restant étran
gères au cadre que nous nous sommes tracés, nous nous
bornerons à faire remarquer que l’action en répression,
au point de vue de l’intérêt public, reste sans influence
sur la réparation due à la partie lésée. Cette réparation
�334
TRAITÉ DU DOL
peut être poursuivie concurremment avec l’action crimi
nelle , ou devenir l’objet d’une demande particulière et
indépendante. Il y a plus, le fait qualifié crime ou délit
pourrait disparaître sans que la fraude eût par cela mê
me cessé d’exister. La décision du juge crim inel, tant
sur la poursuite du ministère public, que sur l’action ci
vile elle-même , ne s’appliquant qu’à la culpabilité du
prévenu, ne créerait, en cas d’acquittement, aucune fin
de non recevoir contre l’action en répression de la frau
de.’
773.
— Les règles applicables à la poursuite du dol
sont parfaitement applicables à celle de la fraude con
sommée à l’insu et au détriment de la partie. La preuve
testimoniale, admissible pour l’un, ne saurait être refu
sée pour l’autre. Cette fraude, en effet, ressemble telle
ment au d o l, qu’il est d’usage dans la pratique de les
réunir et de les confondre.
Comme le dol lui-même , la fraude contre la partie
est souvent présumée. C’est ce que nous venons d’établir,
c’est ce que nous allons plus directement démontrer en
recherchant les divers effets qu’elle entraîne , selon le
contrat dans lequel elle s’est produite.
1 Vid. supra, n° 19.
�ET DE LA FRAUDE.
335
SECTION I~.
F rau d e d a n s le s m a ria ge» .
SOMMAI RE.
774.
Division.
774.
— Nous avons déjà parlé du dol ayant pour
objet de tromper sur la personne du conjoint, sur ses
qualités civiles ou morales, sur sa fortune, il nous faut
maintenant aborder les fraudes qui peuvent se commet
tre dans les stipulations qui précèdent le mariage, suivre
les époux dans la vie commune, assister à la dissolution
de l’union. Le mariage, en effet, déterminant la confu
sion des intérêts et des biens des époux, offre à la mau
vaise foi des occasions nombreuses et faciles à exploiter.
La fraude peut donc s’exercer au point de départ du ma
riage , se continuer pendant sa durée au préjudice de
l’époux, de la famille elle-même ; survivre même à la
cause qui en a entraîné la dissolution. Il faut donc l’ex
aminer dans chacune de ces trois périodes.
�336
TRAITÉ DU DOL
S 4«r .
F raude
dans les
Stipulations
M atrim oniales.
SOMMAI RE .
775.
776.
777.
778.
779.
780.
781.
782.
783.
784.
785.
786.
Caractère des conventions matrimoniales. — Conse'quences
de la fraude.
Facilité pour celle-ci de se produire. — Moyen de la pré
venir.
Irrévocabilité des conventions matrimoniales. — Elles ne
peuvent être modifiées après la célébration.
Conditions pour la validité des modifications consenties avant la célébration. — Authenticité de l ’acte les renfer
mant.
Présence et consentement de toutes les parties.
Le consentement doit être donné dans l ’acte modificatif. —
Tout consentement ultérieur resterait sans effets.
Obligation de rédiger les modifications à la suite delà mi
nute de l’acte primitif. — Responsabilité du notaire.
Après la célébration, les conventions matrimoniales ne peu
vent subir aucune modification. — Nullité absolue de
celles qui auraient été consenties.
Les difficultés que ce droit fera naître seront donc de pures
questions de fait.
Mode d ’appréciation.
Exemples de modifications ou contre-lettres déclarées sans
effets.
La règle d’après laquelle le droit ancien n ’annulait que les
changements détériorant le sort de la dot ne peut plus être suivie.
�337
ET DE LA FRAUDE.
787.
788.
789.
790.
791.
792.
793.
794.
795.
796.
797.
798.
799.
800.
Mais on doit encore aujourd’hui distinguer la contre-lettre
ou le changement des modifications pouvant résulter de
l ’exécution naturelle de l ’obligation contractée.
Application de ce principe à l ’acte par lequel le père , la
mère ou tous les deux renoncent, au profit de leur en
fant, à un avantage résultant de leur contrat de mariage;
à la dation d'une hypothèque non stipulée.
Les principes régissant les époux et leurs parents s’appli
quent aux tiers qui ont été parties au contrat de ma
riage.
La demande en nullité des changements ou contre-lettres
illicites peut être exercée par la partie elle-même.
L ’exécution donnée pendant la durée du mariage ne crée
aucune fin de non-recevoir contre la demande.
Conséquemment l ’action est imprescriptible lant que le
mariage n ’a pas été dissous.
Les conventions et les avantages obtenus par dol ou fraude
peuvent être révoqués sur la demandede l ’époux trompé.
Fraudes dont la constitution de dot est susceptible.
Obligation pour le mari de poursuivre la rentrée de la dot.
— Sa responsabilité.
La quittance d’une dot non reçue constitue une libéralité
que les réservataires peuvent faire réduire; que les cré
anciers peuvent faire annuler.
La reconnaissance d’une dot non réellement faite peut, si
le mariage n ’a pas été célébré, être annulée sur la preuve
écrite de sa simulation.
La quittance de la dot, sous pacte secret de se contenter
d’une moindre somme, oblige à restituer la somme por
tée dans le contrat de mariage, le pacte secret étant une
contre-letire nulle.
La quittance donnée spe futurœ numerationis oblige éga
lement à restituer les sommes censées reçues.
La contre-lettre fixant la véritable signification de la quit
tance ne pourrait être opposée à la femme.
ii
22
�338
801.
802.
TKAITÉ D I DOL
Quid si au lieu d’une contre-lettre le mari avait reçu des
effets pour le montant de la dot ?
La quittance, par le père de l’époux, de la dot touchée par
celui-ci pourrait être attaqué comme constituant une li
béralité.
775.
— Le contrat de mariage règle les conditions
sous l’empire desquelles la famille des époux et les époux eux-mêmes ont entendu contracter. Les stipula—
lations de ce contrat ont ce double caractère : qu’elles
sont dans l’intérêt des deux époux, dans celui des en
fants à naître du mariage ; qu’elles sont essentiellement
corrélatives, en ce sens que les avantages faits à l’un ne
sont que l’équivalent de ceux rapportés par l’autre.
L’acte qui atténuerait ou anéantirait les uns serait donc
une véritable fraude nuisible même aux époux , préju
diciable aux enfants, puisqu’il diminuerait d’autant les
ressources destinées au soutien des charges du mariage.
Il violerait de plus, et d’une manière viscérale, le carac
tère de réciprocité qui faisait la loi du contrat.
Les conséquences de cette fraude pour l’avenir de l’u
nion , la paix du mariage, l’influence funeste qu’elle
peut exercer sur les relations des époux, sur le sort des
enfants à naître du mariage, devaient appeler toute l’a—
tention du législateur dont les efforts devaient tendre non
seulement à la réprimer, mais même à la prévenir.
776.
— Or, les moyens à l’aide desquels cette fraude
devait se réaliser sont extrêmement faciles: Clandestinis
ac domesticis fraudibus facile quidvis pro negocii op-
�RT DE LA FRAUDE.
389
portunitate confingi potest , vel quod vere gestum est,
aboleri'. Il n’y avait donc pas à hésiter sur la marche
à adopter. Assurer l’inviolabilité des stipulations matri
moniales, les imposer obligatoirement aux époux, à leurs
familles, telles qu’elles avaient été stipulées, telles étaient
les mesures que la prudence conseillait et que notre loi
a sanctionnées.
777. — En principe donc, les conventions matri
moniales sont irrévocables. Toutes dérogations sont de
plein droit présumées frauduleuses et, comme telles, frap
pées d’une nullité radicale. Mais cette irrévocabilité n’est
acquise qu’à partir de la célébration du mariage. La rai
son indiquait qu’on ne pouvait gêner la liberté des tran
sactions , tant que cette célébration n’est qu’un événe
ment conditionnel et futur qu’il s’agit de préparer.
778. — Les modifications sont donc permises avant
le mariage. Mais ces modifications ne sont valables que
sous certaines conditions. Ainsi il faut :
1° Que les changements au contrat primitif soient
constatés par acte passé dans les mêmes formes que le
contrat lui-même. Cette exigence se justifie non seule
ment par l’intérêt des époux , mais encore par celui des
tiers obligés de subir la loi du contrat , sans y avoir en
rien participé. Un acte sous seing privé , alors même
qu’il eût acquis date certaine par l’enregistrement, pou-
i L. 27, Cod. De donal.
�340
TRAITÉ DU DDL
'
vait être facilement soustrait à la connaissance des par
ties intéressées. Déposé entre les mains de l'époux , il
pouvait être caché ou produit suivant les besoins. Des
difficultés nombreuses pouvaient surgir d’un pareil état
des choses, il était donc sage de les prévenir.
D’ailleurs, après les changements, il n’y a pas d’au
tre contrat de mariage que celui qui ressort des modifi
cations faites au premier. L’acte qui contient ces modi
fications est donc le véritable, le seul contrat, et puisque
celui-ci ne peut être qu’authentique, on ne pouvait, sans
inconséquence , dispenser de l’authenticité les accords
substitués aux conventions primitives.
779.
— 2° Que les changements soient faits en pré
sence et du consentement simultané de tous ceux qui ont
été parties au contrat. La loi ne considère pas comme
parties au contrat les nombreux parents qui assistent les
époux dans cette solennité. Elle ne reconnaît cette qua
lité qu’à ceux qui, parents ou étrangers, sont intervenus
activement au contrat soit en constituant l’apport des époux , soit en ajoutant par des libéralités quelconques
aux avantages concédés par la famille. Ceux-là seuls doi
vent donc concouvrir aux modifications nouvellement
.convenues, et les approuver. Le motif nous l’avons déjà
indiqué. Les stipulations du contrat de mariage sont
corrélatives , tel ne donne à l’un des époux que parce
que tel autre en agit de même envers le conjoint. Con
séquemment, annuler une libéralité c’est enlever à l’au
tre le motif qui cependant l’a déterminée , et c’est ce
�ET DE LA F R A U D E .
341
qu’admet la loi, tant que l’auteur de celle-ci n’a pas dé
claré le contraire en souscrivant lui-même au change
ment projeté.
780.
— Notons que ce consentement doit être don
né au moment même de l’acte modificatif et conster de
cet acte même. L’assentiment rapporté à une époque
postérieure ne couvrirait donc pas la nullité radicale
dont l’absence de la partie intéressée a frappé les mo
difications faites aux conventions premières.
Ce n’est pas seulement en faveur de ces parties que
la loi a cru devoir les appeler , cette précaution a aussi
pour but l’intérêt bien entendu des époux que l’on a
voulu protéger contre l’excès de leur affection, contre les
pièges qu’une famille adroite et intéressée peut semer
sur leurs pas. Trop souvent, dit M. Plasman , les fêtes
de l’hymen cachent dans les époux, et surtout dans ceux
qui les entourent, des projets d’ambition ou des senti
ments de cupidité contre lesquels il était prudent d’ac
cumuler tous les obstacles possibles'. Or, c’était déserter
ce devoir que de permettre aux époux de modifier la
loi de leur contrat à leur volonté , hors la présence de
ceux q u i, par leur qualité ou leurs bienfaits , doivent
s’intéresser à leur sort et les défendre contre un aveu
gle entrainement. Leur éloignement fait donc présumer
la fraude que tout d’ailleurs favorise. Ainsi , ajoute M.
Plasman , les relations que l’approche du mariage au -
1 Des contre-lettres, p. 72.
�342
T B A IT É
DU
DOL
torise offriront mille prétextes à l’époux pour, sous les
apparences trompeuses d’une tendresse affectée , déter
miner une jeune fille sans expérience à changer telles
ou telles dispositions du contrat; à une belle-mère avi
de, la facilité d’enlrainer un jeune homme passionné à
consentir des stipulations dangereuses dans leurs effets
et dont il ne pourrait, dans son aveuglement, prévoir à
l’instant même les conséquences.
L’imminence du danger a paru telle au législateur,
qu’il n’a pas hésité à considérer comme le résultat de
l’irréflexion et de l’entraînement les modifications arrê
tées hors la présence et sans le consentement de tous
ceux qui ont été parties au contrat. C’est d’ailleurs dans
le même sens que c’était prononcé notre ancien droit.
Sous son empire , la clandestinité des stipulations nou
velles créait contre elles une présomption de fraude con
tre laquelle nulle preuve contraire n’était admise. « Ces
modifications, dit Pothier, peuvent ne pas être vicieu
ses , néanmoins, l’affectation des conjoints de cacher à
leurs parents et au public leurs conventions, en les fai
sant à part et par un acte séparé de leur contrat de ma
riage, fait regarder ces conventions comme des conven
tions dont les époux ont eu honte et qui doivent pour
cela être présumées avoir été dictées plutôt par la pas
sion que par de justes motifs.' »
Ainsi, d’une part, forme authentique; de l’autre, pré
sence et concours simultané de tous ceux qui ont figuré
i Introduction à la com munauté, n» 13.
�ET DE LA FRAUDE.
343
au contrat, telles sont les conditions imposées à la vali
dité des changements apportés au contrat de mariage avant sa célébration. L’inexécution d’une de ces condi
tions, comme la violation de toutes deux, rend l’acte mo
dificatif une contre-lettre vaine et sans portée, frappée,
■ même à l’égard des souscripteurs, d’une nullité radicale
et absolue.
7 8 1 . — A ces précautions prises dans l’intérêt des
époux et des tiers parties au contrat de mariage, la loi
en ajoute une autre en faveur des tiers absents du con
trat. En effet, l’art. 1397 dispose que tous changements
ou contre-lettres , même revêtues des formes que nous
venons de rappeler, seront sans effet à l’égard de ceuxci, s’ils n’ont été rédigés à la suite de la minute du con
trat de mariage. Les tiers ne peuvent subir les stipula
tions matrimoniales qu’ils n ’auraient pas connues et
qu’ils ne peuvent connaître que par l’expédition du con
trat à la suite de laquelle le notaire doit , à peine des
dommages-intérêts des parties, transcrire tous les chan
gements rédigés à la suite de la minute.
782. — Après la célébration du mariage, les con
ventions matrimoniales ne peuvent recevoir ni modifica
tions, ni changements, sous quelque forme que ce soif.
Il n’est plus au pouvoir des époux, des parents, des tiers
parties au contrat de les altérer ou de les remplacer par
d’autres. En conséquence, tout ce qui aurait été fait
contrairement à cette prohibition, alors même que toutes
les parties y auraient concouru et consenti, est, de plein
�?
344
TRAITÉ DU DOL
droit et d’une manière absolue , considéré comme non
avenu et nul.
Il importe, en effet, que les stipulations matrimonia
les procèdent d’un consentement indépendant et libre.
Or, le mariage consommé, il n’y a plus, pour un des époux du moins, ni indépendance, ni liberté. Ce qui, a vantla célébration , peut n’être que le résultat de l’en
traînement et de l’affection, pourrait n’être,après,.qu’un
calcul odieux, que le produit de la menace ou de la vi
olence. On comprend d’ailleurs très-bien que certaines
exigences auxquelles on se fût refusé même au prix de
la rupture d’une union projetée , deviennent forcément
acceptables sous la menace de voir se dissoudre l’union
consommée. Contre une pareille éventualité, il n’y avait
qu’un seul remède efficace, celui édicté par les art. 1395
et 1396 , à savoir : l’invalidité absolue , inévitable de
tout ce qui aurait été fait. La fraude était si prochaine,
si facile, si dangereuse, que le législateur l’a admise com
me la cause unique de toutes les modifications apportées
après le mariage aux stipulations du contrat.
En présence de dispositions si formelles , la question
de droit ne saurait souffrir ou présenter la moindre dif
ficulté. Il n’en sera pas de même de l’existence en fait
de la modification ou du changement ; on peut facile
ment prévoir que la fraude n’abordera jamais de front
la barrière infranchissable que la loi lui a opposée; c’est
par des moyens détournés , c’est sous l’apparence de
l’acte le plus inoffensif qu’elle s’efforcera d’atteindre le
but qu’elle s’est proposée.
�ET DE LA FRAUDE.
345
785.
— Les procès que l’application des art. 1395,
1396 fera naître offriront donc exclusivement des ques
tions d’appréciation du véritable caractère de l’acte si
gnalé comme constituant une modification prohibée. Or,
les éléments essentiels de cette appréciation résident tout
entiers dans la véritable entente de la pensée du législa
teur.
7 8 4 . — Cette pensée est indiquée par le texte mê
me. Le terme changement employé par l’art. 1396, ceux
de tous changements ou contre-lettres dont se sert
l’art. 1397, embrassent, tant d’après leur sens naturel
que d’après l’esprit de la loi, toutes conventions ou dis
positions nouvelles , soit qu’elles modifient directement
ou indirectement les clauses du contrat de mariage, soit
qu’elles ne les modifient que d’une manière détournée
en altérant ou neutralisant les effets que ces clauses de
vraient produire.1
C’est donc en scrutant la pensée des parties , le but
réel de l’acte, que les tribunaux parviendront à résoudre
sainement le litige soumis à leur décision. Quelle que
soit l’apparence donnée à la convention, si ses effets doi
vent agir sur une des clauses du contrat de mariage; si,
sous prétexte même d’interprétation, elle donne à ses dis
positions un sens incompatible avec celui qu’elles offrent
naturellement, l’acte doit être considéré comme fraudu
leux et annulé sur la poursuite de toute partie intéres
sée.
1 Cass., 31 janvier 1837; — J. du P., t. 1, 1837, p. 636
�346
TRAITÉ DU DOL
7 8 5 . — Par application de ces principes , il a été
jugé :
1° Que l’acte par lequel le mari consent à ce que la
donation à lui faite par la femme soit réduite à l’usufruit
de l’objet donné, est une contre-lettre qui n’a pu vala
blement être consentie après la célébration du mariage;1
2° Qu’on doit annuler comme contre-lettre prohibée
la reconnaissance faite par le mari postérieurement au
mariage que, dans l’intention des parties contractantes,
la dot constituée avec terme ne devait pas produire in
térêt ; 1
3° Qu’il doit en être de même de la déclaration qu’u
ne somme , stipulée payable à une époque déterminée,
ne sera exigible qu’au décès du constituant;3
ftfl;
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4° Que lorsqu’une rente a été constituée en dot dans
le contrat de mariage, il y a changement prohibé dans
l’acte par lequel on détermine, après le mariage, le ca
pital de cette rente, on le déclare exigible à volonté, avec hypothèque pour la sûreté du paiement.4
786. — Cet arrêt est surtout remarquable en ce
qu’il s’écarte d’une règle admise par notre ancien droit,
à savoir : qu’il n’y avait nullité absolue que lorsque les
changements grevaient la position des époux : Quando
I flll
i Cass., 9 novembre 1824; — Rennes, -16 mai 1823.
3 Pau, 9 janvier 1838 ; — J. du P., 1839, t n, p. S48.
3 Aix, 7 mai 1847
4 Dijon, 17 juillet 1816.
•
�ET DE LA FRAUDE.
347
nempe fit deterior conditio dotis. Mais l’espèce dans la
quelle il est intervenu rendait, dans tous les cas, ce tem
pérament inadmissible , puisque la nullité de l’acte était poursuivie par les créanciers du constituant, en f o r
ce des dispositions de l’art. 1167. Il ne peut dès lors
être d’un grand secours, quant au principe considéré in
abstracto et eu égard aux parties contractantes ellesmêmes.
Toutefois , nous devons dire que , même dans celle
hypothèse , la doctrine de l’arrêt serait très-juridique.
Le Code civil proscrit tous changements postérieurs au
mariage, sans distinguer ceux qui améliorent la position
des époux de ceux qui la rendraient pire. La nullité est
absolue , et dès lors elle peut être invoquée même par
ceux qui ont traité avec les époux. Toute la différence
qu’il y aura donc entre ces deux cas, c’est que, dans l’un,
la nullité sera poursuivie par les époux ou l’un d’eux, et
que, dans l’autre, l’action sera intentée par l’autre par
tie.
Toute distinction de ce genre eût d’ailleurs offert le
grave inconvénient de substituer à une règle positive
l’appréciation incertaine des véritables conséquences de
l’acte querellé, pouvant, sous l’apparence d’un avantage
actuel, receler un grave danger pour l’avenir des époux.
Il était donc prudent de bannir la nécessité de cette ap
préciation en s’en référant au principe général consacré
par la loi.
787.
— .Mais ce principe ne doit pas être poussé
jusqu’à des limites trop extrêmes. On ne doit pas con-
�liil I
i f f •' ' ^ Æ
T .f c j " 'f l '
IIP '
fondre l’exécution naturelle d’une obligation pouvant la
modifier, avec les changements ou contre-lettres prohi
bés. Conséquemment, si l’acte souscrit après le mariage
n’a pour objet que d’assurer aux stipulations matrimo
niales le légitime développement qu’elles comportent, cet
acte doit être maintenu. Ainsi la Cour de cassation a
jugé, le 19 janvier 1836, que la réserve du droit de re
tour autorisé par l’art. 951, stipulée dans un contrat de
mariage, avait été légalement anéantie par le partage
que les ascendants ont fait plus lard de leurs biens en
tre tous les enfants, partage dans lequel chacun des en
fants a rapporté soit fictivement, soit en nature, les biens
qui lui avaient été donnés. Ce partage, dit la Cour régu
latrice, loin de porter atteinte à la donation faite dans le
contrat de mariage, en réalise au contraire les effets par
un rapport suivi de l’attribution définitive d’une part
plus étendue dans l’hoirie elle-même. C’est donc uni
quement par ce partage que se réalise la possession ul
térieure et non plus en vertu du contrat de mariage. Dès
lors la réserve que celui-ci renferme ne saurait conti
nuer de subsister.
788.
— La même Cour avait décidé , le 18 avril
1812, que la convention par laquelle des pères ou mè
res renoncent à quelqu’un des avantages résultant de
leur contrat de mariage, au profit d’un de leurs enfants,
ne peut être annulée comme contenant une dérogation
au contrat de mariage, qu’elle n’en est plutôt que la juste
exécution.
�ET DE LA FRAUDE.
'
349
Enfin il est généralement admis en doctrine et en ju
risprudence que l’hypothèque donnée après le mariage,
à la sûreté des sommes promises dans le contrat, était
valablement consentie, quoiqu’elle n’eût pas été primi
tivement stipulée.
On voit par ces exemples comment il faut entendre et
appliquer le principe de l’irrévocabilité des conventions
matrimoniales. C’est par le mobile qui a dirigé les par
ties qu’on doit apprécier les caractères de l’acte préten
du modificatif, abstraction faite de l’influence que cet
acte est destiné à exercer sur le sort des époux. L’avan
tage qu’ils pourraient retirer d’une véritable contre-lettre
ne ferait pas plus maintenir celle-ci que le préjudice,
résultant pour eux de ce qui ne serait que l’exécution
du contrat, n’amènerait la nullité de l’acte ayant cet ob
jet. Mais la convention, destinée à agir sur les clauses du
contrat soit directement, soit indirectement , soit d’une
manière détournée et lointaine, est de plein droit nulle
comme présumée frauduleuse
789.
— Les principes régissant les époux et leurs
parents s’appliquent aux tiers qui ont été parties au con
trat de mariage. Les promesses faites par eux , les do
nations qu’ils ont consenties devraient être littéralement
exécutées, nonobstant toutes déclarations ou tous enga
gements contraires émanés de l’époux donataire. Confor
mément à cette doctrine , il a été jugé , et selon nous
très-juridiquement, que le créancier d’une rente, qui a
déclaré dans le contrat de mariage qu’il ne lui était plus
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1
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350
TRAITÉ DU DDL
rien d û , ne pourrait ultérieurement réclamer le paie
ment de la rente , en se fondant sur une contre-lettre
infirmant la déclaration portée au contrat. L’existence
de cette contre-lettre et sa dissimulation constituent une
fraude punie par les art. 1396 et 1397, et comme le
créancier a directement et personnellement concouru à
la fraude , il ne pourrait se faire un titre de sa propre
turpitude. Ce ne serait pas d’ailleurs le contrat de ma
riage qui pourrait rester sans effet, ce qui, dans un cas
semblable, est frappé de nullité radicale, c’est exclusive
ment et uniquement la contre-lettre.
790.
— On a prétendu un instant que l’action en
nullité de l’époux signataire de la contre-lettre devait être déclarée non-recevable par application de la maxime
Nevio auditur, etc., mais le contraire n ’a pas cessé d’ê
tre admis par la doctrine et par la jurisprudence. La
nullité, édictée par les art. 1396 et 1397, n’est pas seu
lement fondée sur l’intérêt privé des parties , elle est
aussi d’ordre public comme étant favorable aux bonnes
mœurs, à la paix des familles et des unions conjugales.
Dès lors non seulement l’époux signataire est recevable
à l’invoquer, mais la renonciation directe ou indirecte à
s’en prévaloir ne pourrait l’empêcher de le faire.1
79 ï . — Dès lors, la demande ne saurait être écar
tée par l’exécution que la contre-lettre aurait antérieu-
1 Cass., 29 juillet 1848.
�ET DE LA FRAUDE.
331
rement reçue', pourvu toutefois que cette exécution eût
été réalisée pendant la durée du mariage. Celle qui sui
vrait la dissolution constituerait une ratification expresse
contre laquelle nul ne serait admis à revenir. A celte
époque , en effet, le règlement respectif des intérêts est
laissé à la libre volonté des ayants droit. L’ordre public
n’a rien à voir aux sacrifices qu’il plairait à chaque par
tie de s’imposer, en tant que chacune d’elles à la ca
pacité pour les consentir; à ce titre , la renonciation à
se pourvoir contre la contre-lettre frauduleuse pourrait
valablement être stipulée. Dès lors , au ssi, elle pourrait
tacitement résulter de la conduite et des actes de la par
tie.
7 9 2 . — Il suit de ce qui précède , que l’action en
nullité, fondée sur la violation des art. 1396, 1397, est
imprescriptible tant que dure le mariage, mais cette im
prescriptibilité cesse avec le mariage lui-même. La dis
solution se réalisant, le délai de dix ans donné par l’ar
ticle 1304' commence de courir; conséquemment le si
lence, qui se serait prolongé au-delà de dix ans depuis
cette dissolution, éteindrait complètement l’action indé
pendamment de toute autre ratification expresse ou ta
cite.
793. — Nous avons dit plus haut que les conven
tions matrimoniales arrachées par le dol d’un des con
joints sont dans le cas d’être rétractées sur la poursuite
1 Nîmes, 23 janvier 1843; — J du P., -1843, t. 1, p, 297.
�352
TRA.TÉ DU DOL
de l’autre. Il en serait de même des avantages obtenus
par la fraude. La source des uns n’est pas plus pure,
plus légitime que celle des autres. L’époux , qui aurait
eu recours à la fraude , ne saurait se plaindre de ce
qu’on lui arrache ce qu’il a tenté de s’approprier par
d’aussi odieux moyens, Nemini sua fraus patrocinari
debet.
794. — La constitution de la dot peut donner ma
tière à de nombreuses fraudes , soit que le constituant
ait promis plus que ce qu’il pouvait ou voulait faire, soit
que le mari ait reconnu une dot qui ne lui a pas été
comptée ou pour avantager sa femme , ou pour l’hon
neur du contrat, sous un pacte secret de se contenter
d’une somme moindre, dos ventosa, ou enfin dans l’es
pérance de recevoir bientôt les deniers, spe futures, n u mer ationis.
,r
■
795. — Les obligations du constituant sont souve
rainement réglées par les termes du contrat de mariage.
Il ne peut être délié de celle de compter la somme pro
mise que par l’impuissance constatée sur les poursuites
du mari. L’effet de cette fraude , de la part du consti
tuant, n’exerce aucune influence sur le mariage ; la lé
gèreté avec laquelle l’époux a cru à des promesses dont
il pouvait et devait même vérifier la sincérité le consti
tue en état d’imprudence , et ne lui laisse d’autre droit
que celui de ne pas restituer ce qu’il n’a pas reçu , si,
dans les délais voulus par la loi, il a rempli les diligen
ces prescrites.
�796. — La quittance que le mari donne de la dot
qu’il n’a pas reçue , dans l’intention d’avantager celle
qu’il va épouser, n’est qu’une véritàble libéralité. Cette
quittance l’engage en ce sens que , le mariage consom
mé, l’obligation de restituer la d o t, le cas échéant, est
irrévocablement encourue. Toute prétention contraire à
la déclaration contenue au contrat, fût-elle expressément
justifiée par é crit, ne serait pas même recevable de la
part du mari.
Mais les héritiers à réserve , dont les droits se trou
veraient atteints par l’excès de la libéralité , les créan
ciers, en fraude desquels cette libéralité aurait été faite,
peuvent exciper du défaut de sincérité de la déclaration
faite dans le contrat. Les uns et les autres peuvent at
taquer de simulation la quittance de la dot et prouver
cette simulation , même à l’aide de la preuve testimo
niale et des présomptions. La seule différence entre les
créanciers et les héritiers à réserve, c’est que les uns
peuvent faire annuler l’avantage concédé à la femme,
tandis que les autres ne peuvent en demander que la
réduction à concurrence de la quotité'disponible.'
797. — Ces reconnaissances de dot, pour avantager
la femme , offrent un autre avantage contre lequel un
mari prudent doit se précautionner. Dans l’intention de
toutes les parties, la libéralité est essentiellement condi
tionnelle ; elle ne doit sortir à effet que si le mariage
1 V. infra n° -1660.
u
23
S- î1
353
ET DE LA FRAUDE.
�354
TRAITÉ DU DOL
s’accomplit. Celte condition manquant, la libéralité n’à
plus de cause et se trouve par cela même révoquée.
Mais, dans ce cas même , les termes du contrat impo
seraient l’obligation de restituer la dot déclarée reçue,
sans que l’époux ou ses héritiers fussent admis à prou
ver outre et contre les énonciations de l’acte, à moins
qu’ils ne rapportassent une preuve écrite. La contrelettre , émanée de la future ou de ses parents qui pa
raîtraient avoir constitué la dot , fournirait légalement
cette preuve. La contre-lettre , en effet, n’est annulée
que par la célébration du mariage ; tant que cette célé
bration n’est pas réalisée , les accords projetés restent
sous l’empire du droit commun , il ne peut y avoir de
véritable contrat de mariage, là où il n’y a pas de ma
riage. Conséquemment, la réception prétendue de ce qui
devait former la dot de l’épouse , ne constituant plus
*
qu’un engagement ordinaire , peut être anéantie par la
preuve écrite qu’elle n ’a jamais été qu’une simulation
nien vue du mariage futur.
798.
— Dans la seconde hypothèse, celle d’une dot
quittancée sous un pacte secret de se contenter d’une
moindre somme , l’obligation du mari ou de ses héri
tiers , le cas de restitution arrivant , est uniquement ré
glée par les énonciations du contrat de mariage. Le
pacte secret ne saurait même être invoqué contre ces énonciations que la loi reconnaît comme seules obliga
toires.
799. — Enfin , la charge de restituer la d o t, telle
�ET DE LA FRAUDE.
355
•
qu’elle a été reçue dans le contrat, est imposée au mari,
alors même que la quittance qu’il en aurait donnée
n’aurait été consentie que spe fulurce numerationis.
Cette hypothèse est de nature à se réaliser plus souvent
que les précédentes. Si les parties tiennent quelquefois à
honneur de grossir le chiffre de la d o t, l’une d’elles au
moins considère comme un honneur plus grand d’obte
nir dans le contrat la quittance de ce qu’il n’est pas ce
pendant dans le cas de payer actuellement.
Le droit romain rendait commune au contrat de ma
riage l’exception de non numerata pecunia'. Le Code
civil a abrogé cette règle. La quittance définitive de la
dot donnée par le mari l'oblige à en restituer le mon
tant, alors même qu’il ne l’aurait jamais touché. Le
mari commet une insigne imprudence en faisant une
fausse déclaration dont il connaît d ’avance toute la por
tée. Celte imprudence suffit pour le faire déclarer nonrecevable à se plaindre de la fraude dont il aurait été
la victime.
8 00.
— La contre-lettre qui fixerait la signification
réelle de la quittance et déterminerait les obligations du
constituant serait nulle à l’encontre de la femme. C’est
ainsi qu’on a décidé qu’elle ne pourrait lui être oppo
sée , même à concurrence de sa portion virile dans la
succession de son père.
1 L. 3, Cod. De dolc caula cl non num erata.
�356
TRAITÉ DU DOL
8 0 f . — Que si, au lieu d’une contre-lettre, le mari
a reçu des obligations souscrites par le constituant, ces
obligations deviennent propres au mari qui ne peut
contraindre sa femme à les recevoir en compensation de
la dot stipulée. Mais ces obligations constituant une
dette légitime de la succession du souscripteur, la fem
me*, héritière de celui-ci, serait personnellement tenue
de sa part et portion. Le mari pourrait donc la com
penser jusqu’à due concurrence avec les sommes qu’il a
à restituer.
802.
— Enfin , la dot réellement touchée par le
mari peut avoir été quittancée par son père, qui en de
meure responsable , le cas de restitution arrivant. Celte
déclaration peut être attaquée par tous les ayants droit,
c’est-à-dire par les créanciers, par les autres enfants.
La justification de la fraude alléguée par les créanciers,
agissant en vertu de l’art. 1167, déterminerait la nullité
complète de l’avantage ainsi concédé par le père. Les
autres enfants ne pourraient que le faire réduire à la
quotité disponible.
�ET DE LA FRAUDE.
357
s II.
F raudes pendant le Mariage.
SOMMAIRE.
803.
804.
805.
806.
807.
808.
809.
810.
811.
812.
813.
814.
La confusion d’intérêts et de biens résultant du mariage
rend la fraude facile pour les époux.
La femme peut la commettre par le détournement d’effets
mobiliers. — Conséquences de ce détournement pour
elle et pour ses complices.
Par l ’aliénation d’un objet quelconque sans le consente
ment et le concours de son mari.
Le consentement tacite suffirait. — Comment et par qui
peut-il être prouvé ?
Par la simulation de dettes. — Nullité de celles contractées
depuis le mariage.
Celles résultant des nécessités du ménage se placent dans
une catégorie spéciale. — Comment elles étaient envi
sagées sous le droit ancien.
Système actuel.
La disposition de l ’art. 1410 rend impossible toute antidate
dans l ’objet de faire considérer la dette comme antérieu
re au mariage.
Lafraudeest bien plus à craindrede la part du mari. —
Précautions de la loi.
Révocabilité des donations entre époux pendant le mariage.
Refus de récompense pour prétendu paiement de dettes an
térieures au mariage.
Le paiement de la dette sans date certaine est présumé frau
duleux.
�817.
818.
819.
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825.
826.
827.
828.
829.
830.
831.
Le paiement après condamnation obtenue par ie créancier
donnerait-il lieu à récompense en faveur du mari?
Le mari , chef de la communaulé, ne peut aliéner à litre
gratuit l’universalité ou une quotité du mobilier.
Motifs de cette prohibition.
Ses conséquences.
Simulation qu’elle peut inspirer.— Admission de la preuve
orale et de celle par présomptions.
La qualité des parties fournirait une présomption grave de
la simulation.
Autres circonstances pouvant conduire au même résultat.
Le rejet de la simulation et le maintien de la vente attaquée
n’empêcheraient pas la femme de demander et d’obtenir
récompense.
La vente de l ’universalité ou d’une quotité du mobilier, qui
ne serait qu’une donation déguisée, pourrait être annu
lée sur la demande de la femme ou de ses héritiers.
Comment doit être entendue la faculté accordée au mari de
donner à toutes personnes, et à titre particulier, le mo
bilier de la communauté.
Eléments à consulter pour juger du caractère de la dona
tion.
La réserve d’usufruit en faveur du mari ferait de plein droit
présumer la fraude, quand même elle n'eût pas été ex
primée.
Les donations autorisées par l'art. 1422 peuvent-elles être
valablement faites aux personnes présumées interposées.
Fraudes que le mari peut commettre, en sa qualité d’admi
nistrateur des biens de sa femme.
Précautions pour empêcher la dissimulation totale ou par
tielle du mobilier échu à celle-ci.
Les avantages personnels que le mari se procurerait dans
les ventes ou échanges des biens de la femme,constituent,
une fraude ordinaire que celle-ci doit prouver.
La femme tenue de son dol l ’est également de sa fraude.—
�ET
832.
833.
*
834.
833.
836.
837.
838.
839.
840.
841.
842.
843.
844.
845.
846.
847.
DE
LA
FRAUDE.
359
Application de ce principe à la fraude concertée entre les
époux pour la vente du fonds dotal.
Exceptions lorsque l’aliénation est accordée hors des cas
prévus par la loi.
Lorsque la vente n ’est pas faite dans les formes voulues
par l’art. 1558 du Code civil.
À quelle époque peut être exercée l ’action soit du mari,
soit de la femme ?
L’adultère est, de toutes les fraudes,la plus importante par
l ’influence qu’elle exerce sur le sort des époux, sur l ’a
venir de la famille.
Est une cause de séparation de corps. — Différence, quant
à cé, entre l ’adultère du mari et celui de la femme.
Il n’est'pas nécessaire que la preuve de l ’adultère existe au
moment de la demande en séparation.
La séparation de corps relâchant les liens du mariage, l ’é
poux qui l’a encourue serait tenu d ’indemniser l ’auire
des besoins nouveaux qu’il est dans le cas d’éprouver.
La séparation de corps entraîne la révocation des avantages
faits à l ’époux dans le contrat de mariage.
Dans quels cas le mari peut-il désavouer l’enfant.
Naissance précoce. — L’enfant né moins de cent quatrevingt jours depuis le mariage peut être désavoué par le
mari.
Effet du désaveu par rapport à l ’enfant.
Mais l’enfant peut opposer les fins de non-recevoir contre
la demande.
Gravité de la connaissance de la grossesse avant le mariage.
Sous l ’ancien droit, on admettait, la fréquentation de fait
comme équipollentde la connaissance de la grossesse.—
Le Code civil ne s’arrête qu’à celle-ci.
L’assistance du père à l ’acte de naissance de l ’enfant pro
duit un effet analogue.
Il n’est pas nécessaire qne l ’acte de naissance désigne l’en
fant comme fils du mari. — 11 suffit que la mère y soit
désignée comme femme mariée.
!i
�360
848.
849.
850.
T R A IT É
DU
DOL
En cas d ’absence du mari à l ’acte de naissance, pourra-t-on,
en justifiant de l ’empêchement, prouver qu’il a connu
la naissance et avoué la légitimité de l’enfant ?
La non viabilité de l'enfant rend le désaveu non-rece^able.
La légitimité de l’enfant, né plus de trois cents jours après
la dissolution du mariage, pourra être contestée. — Ca
ractère de cette action.
851. Ancienne jurisprudence. — Droit romain.
852. Incertitude de la science.
853. Système du Code civil.
854. Conséquence qu’il faut en tirer.
855. A qui appartient l’action en contestation de la légitimité.
856. Différence entre le désaveu et la contestation de légitimité
par rapport à l ’enfant.
857. A quelles conditions le mari peut-il désavouer l ’enfant
conçu et né pendant le mariage ?
858. Caractère de l ’éloignement du mari.
859. Impossibilité physique pendant le temps indiqué par l ’arti
cle 312. — Caractère.
860.
861.
Faut-il prendre en considération l’impossibilité morale ?—
Débats que cette question a soulevés.
Proposition de considérer comme motif de désaveu la sépa
ration de corps réunie à l’adultère. — Rejetée.
862.
Le silence gardé par la loi de 1816, abolitivedu divorce,
laisse lés choses dans l ’état où les avait placées le Code
civil.
863. L ’adultère de la femme n ’é ta it, pas plus que la séparation
de corps, un motif de désaveu.
864. Il en est autrement si la femme adultère a recélé la nais
sance de l ’enfant.
865. Cette double circonstance rend le désaveu recevable et au
torise la preuve de son bien fondé.
866. Que faut-il entendre par le recélé de la naissance ?—Fautil que la femme ait dissimulé sa grossesse , célé son ac
couchement et fait une fausse déclaration ? — Suffit-il
d’une ou de plusieurs de ces circonstances ?•
�ET
DE
LA
FRAUDE.
361
867.
Il ne suffirait pas, pour que le désaveu fût irrecevable, que
la femme eût fini par déclarer une grossesse qu’elle
avait d’abord dissimulée.
868. Observation de M. le conseiller-rapporteur Mesnard, et ar
rêt conforme de la Cour de cassation.
869. Conclusion.
870. Quels que soient les termes de l ’art. 313 du Code civil , la
demande en désaveu est recevable avant même qu’il y
ait chose jugée sur l ’adultère.
871. Mais nous ne pouvons admettre, avec un arrêt de la Cour
de cassation, que l ’adultère est la conséquence naturelle
du recélé de la naissance.
872. L'art. 313 exige la preuve préalable de l ’adultère , c’est ce
que prouve la discussion au Conseil d’Etat.
873. Procédure que doit suivre le mari.
874. L ’action en désaveu est personnelle au mari.
873. L'action ne passe aux héritiers que si le mari meurt avant
l'expiration du délai accordé pour son exercice.
876. Quels sont les héritiers dont parle l ’art. 317 ?
877. Tant que le mari est vivant, nul autre que lui ne peut dés
avouer l ’enfant ; conséquemment l ’héritier présomptif
de l’absent ne serait pas recevable à intenter l ’action.
878. Opinion contraire de Merlin.
879. Réfutation.
880. Quid du tuteur de l ’interdit ?
881. Arrêt de Colmar, refusant l ’action, cassé par la Cour su
prême.
Observations contre la doctrine de celle-ci.
Les fins de non-recevoir opposables au mari peuvent être
opposées à ses héritiers.
L’héritier qui aurait personnellement reconnu la légitimité
de l ’enfant ne pourrait plus le désavouer.
Délai accordé au père pour intenter l ’action en désaveu.
Délai accordé à l ’héritier.
iii
■; f # f
�362
888.
889.
890.
891.
892.
T R A IT É
DU
DOL
Déchéance encourue si le mari ou l ’héritier, après avoir no
tifié le désaveu en temps ntile, n ’intente pas l’action en
justice dans le mois de cette notification.
Quelles personnes doivent être appelées dans l ’action.en
désaveu.
Fraudes dont la naissance d ’un enfant peut être l ’occasion.
Différence entre la suppression et la supposition de part.
L’enfant à qui on a enlevé sa filiation est admis à la récla
mer, s’il a une preuve littérale ou un commencement de
preuve par écrit.
893.
894.
Que faut-il entendre par le commencement de preuve en
cette matière ?
A qui appartient l’action en suppression ou en supposition
de part.
895.
Motifs qui ont fait accorder celle-ci aux parents et autres
ayants droit.
896.
Par quels principes est régie l ’action des parents et ayants
897.
droit, quant à la preuve?
La prohibition de toute poursuite d’office par le ministère
public s’applique au cas de suppression ou de substitu
tion comme à celui de supposition.
898.
Conséquence possible de l ’action de l ’enfant.
8 0 3 . — Quel que soit le régime adopté par les époux , il naît de leur union une telle confusion d’inté
rêts et de biens , que la femme , que le mari surtout,
trouve des occasions nombreuses et faciles pour se livrer
à la fraude. La fraude existe toutes les fois que la pro
priété commune est abusivement appliquée au profit
personnel de l’un des époux.
8 0 4 . — En tête des moyens que la femme peut em
ployer pour arriver à ce résultat, se place le détourne-
�ET DE LA FRAUDE.
363
ment d’effets mobiliers commis à l’insu et au préjudice
du mari. Au point de vue moral, ce détournement con
stitue un véritable vol que la loi devrait punir , mais
l’honnêteté publique répugnait à l’idée d’une femme
traînée sur la sellette de l’infamie à la requête de son époux, du père de ses enfants. De là , la disposition de
l’art. 380 du Code p én al, aux termes duquel les sous
tractions des époux , au préjudice l’un de l’autre , ne
donnent lieu qu’à une action civile en réparation. Les
dommages-intérêts accordés au demandeur sur les biens
du coupable entraînaient autrefois la contrainte par
corps. La loi de 1832 est venue mettre un terme à cet
état des choses, en proscrivant cette voie rigoureuse en
tre les époux.
Les complices de l’époux ne profitent ni de l’immu
nité quant à la peine , ni de la prohibition de la con
trainte par corps. Remarquons que la seule complicité
punissable de peines corporelles est celle qui se trouve
définie par le Code pénal et qui réunit les caractères ex
pressément déterminés. L’absence de ces caractères en
traînerait donc l’acquittement du prétendu complice.
Cet acquittement enlevant au fait son caractère de
délit , mettrait donc les tribunaux correctionnels dans
l’impossibilité d’allouer des dommages-intérêts. Mais
leur décision à cet égard n’exercerait aucune influence
sur l’action en répression de la fraude dont les tribu
naux civils pourraient être investis, répression qui peut
être prononcée tant contre l’époux lui-même quecbnlre
les tiers qui l’ont assisté. L’allocation des dommages-
�364
TRAITÉ DU DOL
intérêts pourrait être prononcée avec contrainte par corps
contre ces derniers.
8 0 5 . — La femme qui ne p e u t, pendant mariage,
rien détourner , ne peut non plus disposer de rien sans
le concours et l’assistance de son mari. L’aliénation d’un
objet quelconque , même par la femme commune en
biens, constituerait donc une fraude dont le mari serait
autorisé à poursuivre la réparation tant contre la fem
me que contre le tiers acquéreur. Pour ce qui concerne
celui-ci, la fraude est présumée par cela seul que, con
naissant la qualité de la femme , il a consenti à traiter
avec elle sans s’être assuré de l’assentiment et du con
cours du mari. Mais cette présomption n ’exclut pas la
preuve contraire que le tiers, que la femme elle-même,
est toujours recevable à offrir.
8 0 6 . — Les éléments de cette preuve contraire ré
sident : d’une p a r t, dans la connaissance que le mari
aurait eu de la conduite de sa femme ; de l’autre, dans
la ratification expresse ou tacite qu’il aurait donnée à
l’acte dont il se plaint ; comme s i , le fait connu par le
mari n’avait amené aucune réclamation de sa part, s’il
avait reçu le prix de l’objet aliéné , ou s i , à son vu et
su , ce prix avait été consacré au profit et à l’avantage
du ménage. Le législateur, en voulant protéger les époux contre leurs fraudes réciproques , n’a , de près ni
de loin, entendu rendre les tiers victimes de leur collu
sion. Le mari d’ailleurs pourrait très-bien laisser sa fem
me agir seule et prétendre ensuite avoir été spolié pour
�ET DE LA FRAUDE.
365
obtenir ainsi un bénéfice injuste. Ce projet serait facile
ment supposé, s’il paraissait que le mari a connu et to
léré la conduite de sa femme , qu’il l’a encouragée par
son silence.
La femme elle-même peut en fournir la preuve et ob
tenir ainsi le rejet de l’action intentée par son mari. Le
tiers peut mieux encore, car il est exposé à n’êlre pour
suivi que par le résultat d’un concert frauduleux entre
les époux. On admet donc qu’alors même que la fraude
de la femme serait établie, s’il est prouvé que ceux qui
ont traité avec elle ont été de bonne foi , et que, par la
nature des relations des époux entre eux, ils ont eu juste
motif de croire à l’assentiment du m a ri, le recours de
celui-ci doit être rejeté en ce qui les concerne. C’est à
lui, en effet, plutôt qu’aux tiers à répondre des consé
quences que sa trop grande confiance en sa femme a pu
entraîner. Il suffit que cette confiance ait existé, qu’elle
ait été notoirement connue, qu’elle soit devenue la cause
déterminante de la conduite des tiers pour qu’ils soient
à l’abri de tous reproches sérieux.
C’est donc sur les antécédents des époux que l’atten
tion des magistrats doit particulièrement se fixer. La to
lérance habituelle du m a ri, pour des actes de la nature
de celui dont il se p la in t, pourrait devenir , contre sa
demande, une fin de non-recevoir péremptoire. A dé
faut, sa ratification expresse ou tacite produirait le mê
me résultat.
8 0 7 . — La femme pourrait trouver une occasion
�366
TKAITÉ DU DOL
de fraude dans la facilité qu’elle a de simuler des dettes
qu’elle prétendrait faire payer par son mari. Mais, com
me dans toutes les hypothèses où la fraude est prochai
ne, la loi n’a pas manqué aux précautions que celle-ci
réclamait. Or , de deux choses l’une , ou les dettes se
rapporteront par leur date à une époque postérieure au
mariage, ou elles paraîtront l’avoir précédé.
Dans le premier cas, la femme, incapable de contrac
ter sans l’assistance et l’autorisation de son mari, n’a pu
ni engager valablement celui-ci, ni s’engager elle-même.
La dette réelle ou simulée est donc sans portée , sans
conséquence aucune, le tiers qui a traité avec la femme
reste personnellement tenu de la nullité que la femme
elle-même pourra lui opposer.
808.
— Il est cependant des dettes qui échappent à
la rigoureuse application de ce principe. La femme est
ordinairement chargée de pourvoir aux dépenses de nour
riture et d’entretien. Dans cet objet, elle traite avec les
fournisseurs , sans l’autorisation spéciale du mari dont
elle est, quant à ce, réputée le mandataire. Elle pourrait
donc , dans l’exécution de ce mandat et de concert avec
ces fournisseurs, exécuter la. fraude. Quels seraient, dans
cette hypothèse, les droits du mari ?
Notre ancien droit avait admis, pour les dettes de celle
nature, une exception au principe de l’autorisation. En
conséquence , le mari ne pouvait arguer du défaut de
cette autorisation pour se dispenser de les payer. Mais
il fallait pour cela que les achats n ’eussent pas été trop
�ET DE LA FRAUDE.
367
fréquents et trop considérables , pour que le fournisseur
ne fût pas lui-même suspect de fraude ou coupable d’im
prudence.'
8 0 9 . — Les principes consacrés par le Code n’ont
rien qui répugne à cette solution. Ils reconnaissent, en
effet, la possibilité d’un mandat verbal , et certes on ne
saurait jamais l’admettre plus justement qu’en faveur de
la femme pour tout ce qui concerne les besoins du mé
nage. Le mari serait donc tenu de l’acquittement des dé
penses faites à cette intention, quoiqu’il ne les eût pas
actuellement et spécialement autorisées, à moins cepen
dant que l’abus d’un côté, la complaisance, la fraude ou
l’imprudence de l’autre, eût poussé ces dépenses au delà
des limites naturelles et justes.
810. — Quant aux dettes se rapportant à une épo
que antérieure au mariage , le mari a, contre la fraude
résultant de l’antidate, un remède assuré dans la dispo
sition de l’art. 1410 du Code civil. On sait que cet arti
cle n’admet, comme dettes obligatoires , que celles qui
ont date certaine avant la célébration du mariage. L’ab
sence de cette condition faisant présumer la fraude, laisse
le créancier entièrement désarmé vis-à-vis du mari.
Par rapport à lui, en effet, la présomption de fraude
est absolue , n’admettant aucune preuve contraire. Le
Code a formellement dérogé sur ce point à notre ancien
1 Parlement de Dijon, 8 janvier 1693 ; — Nouveau denisart, v° aulorisation.
�368
TRAITÉ DU DOL
droit, sous lequel le créancier était admis à faire preu
ve de la sincérité de la dette. Mais il en est autrement
de la part de la femme signataire. L’absence d’une date
certaine, l’incapacité résultant du mariage a pu faire sus
pendre l’application , à son encontre , du principe que
l’acte fait foi de sa date contre la partie, mais non le mé
connaître d’une manière définitive. En conséquence , le
créancier pourra détruire la présomption de fraude que
ces circonstances élèvent contre son titre , en prouvant
qu’il a été réellement souscrit avant le mariage. Cette
preuve acquise fera condamner la femme au paiement
de la dette. Mais pendant la durée du mariage, l’exécu
tion de cette condamnation ne pourra être poursuivie
que sur la nue-propriété des immeubles personnels à la
femme.'
811
.
— Nous venons de voir quelles sont les frau
des que la femme peut tenter et les précautions que la
loi a cru devoir prendre en faveur du mari. Hâtonsnous de le dire cependant, celui des deux époux qui a
le plus besoin de protection n’est pas le mari, car, non
seulement il a, en sa qualité, des moyens suffisants pour
se défendre efficacement, mais encore de beaucoup plus
grandes facilités à consommer la fraude au détriment de
sa femme. L’autorité du sexe , l’influence que son titre
lui assure, la qualité de chef de la communauté, d’ad
ministrateur des biens personnels de sa femme, tout, en
�ET DE LA FRAUDE.
369
un mot, lui offre les plus grandes facilités pour prépa
rer et consommer la fraude, dont le désir de réunir sur
sa tète la fortune de sa femme lui inspirera l’idée.
8 S2 . — Déjà, la crainte qu’il ne voulût arriver à ce
résultat au moyen des libéralités qu’il se ferait consentir
a fait admettre le principe de la révocabilité des dona
tions entre époux, faites pendant la durée du mariage.
Ce n’était pas assez. On pouvait vouloir déguiser la li
béralité sous la forme d’emprunts contractés solidaire
ment par la femme et le m a ri, et l’art. 1341 a décidé
que , dans ce c a s , l’obligation de la femme n’est qu’un
simple cautionnement à l’égard du mari qui est tenu de
la récompenser.
Nous pourrions multiplier les exemples. Nous résu
mons l’esprit de la loi à cet égard dans ces quelques
mots : La femme , pendant le mariage , est présumée,
pour tous les actes qu’elle fait en faveur de son mari?
céder à une influence qu’elle ne peut ni combattre ni
vaincre. En conséquence, elle peut toujours révoquer les
libéralités directes qu’elle a faites. Quant aux libéralités
indirectes, quelle que soit la forme dont elles ont été re
vêtues , et malgré son concours direct à l’acte , elle est
toujours recevable à quereller l’acte de simulation et à
en établir le véritable caractère même par la preuve tes
timoniale.
815.
— La loi va plus loin encore. Elle admet dans
certains cas la simulation comme une vérité démontrée,
u
24
�370
TRAITÉ DU DOL
ne permettant même pas la preuve contraire. Nous en
trouvons uu exemple remarquable dans cet art. 1410
dont nous nous occupions tout à l’heure.
Les dettes antérieures au mariage ne sont obligatoi
res pour le mari que si elles ont date certaine avant la
célébration. Le mari qui, nonobstant le défaut de date,
acquitte ces dettes, n’a aucune récompense à demander
à raison de ce paiement. Le motif de cette prescription,
qui peut dans certain cas consacrer une injustice , est
facile à saisir : c’est que le mari trouvait dans la suppo
sition de dettes de ce genre , et dans le paiement fictif
qu’il paraîtrait en avoir fait, un moyen de s’attribuer la
fortune de sa femme en échappant à la révocabilité des
donations. On l’encourageait ainsi à se faire consentir
des libéralités sous cette forme, ce qui était d’une exécu
tion facile , puisqu’on n’avait qu’à antidater les obliga
tions dont on simulerait l’existence.
8L4. — Conséquent dans la règle dont il ne s’est
jamais départi et que nous avons eu bien de fois l’occa
sion de rappeler, à savoir : que plus la fraude est fa
cile et plus on doit non seulement la réprimer, mais en
core la prévenir , le législateur n’a pas hésité dans cette
circonstance. Le paiement de la dette sans date certaine
est présumé frauduleux, on ne paie pas ce,qu’on sait ne
pas devoir. Conséquemment , si le mari a réellement
payé, ou il a reconnu que la dette était celle de la com
munauté , ou , la sachant personnelle à sa femme , il a
voulu faire à celle-ci une libéralité qu’il pouvait croire
�ET DE LA FRAUDE.
371
méritée; dans l’un comme dans l’autre cas, il ne lui élait dû aucune récompense; à plus forte raison si le
paiement et la dette elle-même n’étaient que le résultat
d’une simulation.
81 5. — Si, sur le refus du mari, le créancier de la
femme l’a poursuivie et a obtenu contre elle une con
damnation , faudrait-il encore refuser toute récompense
au mari qui aurait plus tard désintéressé le créancier ?
L’affirmative a été soutenue sur le fondement que la
fraude , qui a présidé dans la supposition de la dette,
pourra bien se continuer devant la justice qu’on saura
bien mettre dans l’impossibilité de ne pas condamner ;
qu’on court donc la chance de faire réussir une simula
tion par une nouvelle simulation plus audacieuse et plus
coupable encore.
Cette doctrine condamnerait le mari à ne jamais ve
nir au secours de sa femme, alors même que le créan
cier aurait commencé l’expropriation de la nue propriété
des biens personnels à celle-ci. Ainsi, ce qu’un tiers se
rait libre de faire, le mari ne pourrait l’accomplir, alors
même qu’un évident intérêt rendrait cet acte d’un im
mense avantage pour la femme : d’abord, en empêchant
la vente à vil prix de ses propres, ensuite en renvoyant
h la dissolution du mariage le remboursement des som
mes avancées. Nous ne saurions croire que telle ait été
l’intention du législateur.
Sans doute une fraude est possible et le danger si
gnalé ne manque pas de gravité. Mais une présomption
�372
TRAITÉ DD DOL
de fraude , attachée à un jugement rendu sur les con
clusions du ministère public, serait un fait trop anormal
pour qu’on doive l’ériger en principe. La condamna
tion judiciaire de la femme fera donc supposer la dette
sincère et le paiement légitime , sauf le droit de la fem
me de justifier la simulation de l’un et de l’autre.
Ainsi, avant toute poursuite, le paiement d’une dette
supposée antérieure au mariage , mais n’ayant pas date
certaine, reste pour le compte exclusif du m ari, ou soit
de la communauté. Le paiement qui a suivi la condam
nation de la femme oblige celle-ci à en récompenser le
mari, à moins qu’elle ne prouve, soit par litres, soit par
témoins ou par présomption, que le jugement lui-même
n’a été obtenu que par un concert frauduleux qui lui a
été commandé par celui-ci.
816
.
—■ Comme chef de la communauté, le mari a
la libre disposition des biens dont elle se compose. L’ex
ercice de cette faculté pouvait entraîner de graves abus,
de nombreuses fraudes contre la femme. C’est dans cette
prévision que la loi a d’abord songé à en réglementer
l’exercice, eu égard aux libéralités que le mari pourrait
vouloir consentir.
L’art. 1422 lui prohibe le droit de disposer entre vifs
et à titre gratuit des immeubles, de l’universalité ou d’u
ne quotité du mobilier , si ce n’est pour l’établissement
des enfants communs ; de retenir l’usufruit des effets mo
biliers qu’il lui est permis de donner à titre particulier à
toutes personnes.
�ET DE LA FRAUDE.
373
817. — Le législateur, en assurant au mari la libre
disposition des biens communs, a entendu que l’exercice
de cette faculté fût marqué au coin de la loyauté et de
la justice; qu’elle ne dépassât jamais les limites que la
copropriété impose aux intéressés. Tout ce qui s’écarte
de ce caractère, tout ce qui tendrait à enrichir exclusi
vement le mari ou à dépouiller la femme en faveur de
tiers par lui élus, doit être sévèrement proscrit. C’est, au
reste, ce qui est formellement rappelé dans l’art. 1437.
8 1 8 . — Les actes faits contrairement aux prescrip
tions de l’art. 1422 sont présumés, de plein droit, ap
partenir à l’une de ces deux hypothèses. Ils so n t, en
conséquence, frappés d’une nullité radicale comme faits
en fraude de droit de la femme.
8 1 9 . — Ce que cette volonté ferme de la loi à cet
égard peut faire naturellement présumer , c’est que le
mari aura recours à la simulation pourdéguiser la frau
de. C’est sous l’aspect d’un acte à titre onéreux qu’il ca
chera les libéralités qu’il ne peut faire d’une manière di
recte. Mais la femme est toujours recevable à contester
le caractère de l’acte , à demander, soit aux présomp
tions, soit à la preuve orale, la justification de la simu
lation et de la fraude.
8 2 0 . — Au nombre et au premier rang des présomp
tions pouvant fournir cette preuve, se place celle tirée de
la qualité de la partie qui a traité avec le mari, comme
si elle était son héritier présomptif ou si celui-ci se trou-
�374
TRAITÉ DU DOL
vait être le sien. L’identité d’intérêt naissant de cette cir
constance a toujours été signalée comme un grave indice
de fraude , alors même que la législation permettait au
mari de donner les immeubles de la communauté'. La
vente consentie à une pareille personne é tait, par cela
même, considérée comme une donation faite à un inca
pable, c’est-à-dire au mari lui-même.
Sous l’empire de notre droit actuel , il n’y a fraude
acquise que lorsque l’acte , sous l’apparence d’un litre
onéreux, est reconnu ne renfermer qu’une libéralité pu
re. Il faut donc a priori établir l’existence de la simu
lation. L’indentité d’intérêt entre l’héritier présomptif
d’un individu et cet individu lui-même pourrait ne pas
paraître suffisante dans telle ou telle hypothèse pour
qu’on admit cette simulation, mais, à coup sûr, elle se
rait dans toutes d’un poids très-grave ; e t , pour peu
qu’elle se trouvât étayée par quelques autres circons
tances, elle serait de nature à entraîner et à lier la con
viction du juge.
821.
— Les circonstances qui peuvent, indépendam
ment de la qualité des parties , indiquer et prouver la
simulation sont : l’époque de la vente, si elle a été faite
pendant la maladie de l’un des époux ou depuis l’ins
tance en séparation ; le défaut de prix ou sa vileté ; la
position de fortune du prétendu acquéreur; ses relations
d’intimité avec le mari ; l’absence chez celui-ci de tout
i Pothier,
D e l a co m m u n a u té,
n°s 480 et suiv.
�ET DE LA FRAUDE.
375
besoin de vendre , ou la continuation après la vente de
l’état de gêne dans lequel il se trouvait avant ; la réten
tion de la propriété sous prétexte de relocation ; le paie
ment des contributions ; les réparations faites à l’im
meuble postérieurement à la vente ; enfin, tous les actes
dont l’existence ne pourrait se concilier avec l’idée d’un
désinvestissement sérieux et réel ; l’aveu échappé au
mari sur le véritable caractère de la prétendue vente.
8 2 2 . — Le rejet de la prétention touchant la simu
lation et le maintien de la vente comme sincère ne s’op
poseraient nullement à ce que la femme demandât et
obtint une récompense, si le mari, s’appropriant le prix
de l’aliénation, en avait frustré la communauté.
823. — Les principes applicables aux ventes d’im
meubles régissent l’aliénation de l’universalité ou d’une
quotité du mobilier. Celle qui ne serait, en réalité, qu’u
ne donation déguisée devrait être annulée sur la pour
suite de la femme ou de ses héritiers. Les meubles ayant
fait l’objet de cette donation pourraient même être re
vendiqués contre le tiers jusqu’à concurrence de la ré
compense due à la femme , si les biens restant libres à
la communauté ne pouvaient y suffire. Les droits du
possesseur en matière de meubles méritent sans doute la
plus grande considération, mais la simulation de la ven
te admise, il n’y a plus qu’une donation prohibée ayant
pour conséquence inévitable d’anéantir le titre en vertu
duquel le tiers est en possession. On ne saurait, dans
aucun cas , préférer le donataire au créancier, au co-
�376
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TRAITÉ DU DOL
propriétaire de l’objet douné sans son consentement et
contre ses intérêts.
8 2 4 . — Le mari a la faculté de donner à toutes
personnes, à titre particulier, le mobilier de la commu
nauté, mais cette faculté doit être entendue et appliquée
sans abus. Bientôt, en effet, la multiplicité des disposi
tions particulières , leur importance , absorberaient les
facultés de la communauté en fraude des droits de la
femme et rendraient illusoire la prohibition de l’article
4422. Il fa u t, en effet, reconnaître que cette faculté
prête singulièrement à l’abus et qu’il paraît quelque peu
contradictoire qu’en prohibant au mari de donner une
quotité du mobilier valant quelques centaines de francs,
on lui permette de donner, à titre particulier, un ca
pital ou une somme de dix, de vingt mille francs. Cette
apparente anomalie indique quelle a été la véritable
pensée du législateur, pensée dont il importe de se bien
pénétrer pour ne pas donner à son expression plus d’é
tendue qu’elle n ’en comporte.
8 2 5 . — On doit d’abord rechercher le véritable ca
ractère de la donation à titre particulier dans l’époque
qui l’a vue se produire. « Ainsi, dit M. Chardon, si le
mari, pendant une instance en séparation, avait distri
bué gratuitement une partie importante de son mobilier
à diverses personnes et à titre particulier, l’intention de
nuire à la femme plutôt que de sè livrer à des actes de
pure bienfaisance étant certaine, il serait difficile de re
jeter les plaintes de la femme.
�ET DE LA FRAUDE.
377
» Que , prêt à succomber à une maladie grave, un
mari fasse des dons particuliers d’effets mobiliers, on ne
pourrait voir, dans ces générosités tardives, que des in
fractions à l’art. 1422, et, dans le mode employé, qu’un
détour frauduleux pour échapper à sa prohibition. Il
faudrait donc réputer ces dons testamentaires, et, com
me tels , les imputer sur la part du mari dans la com
munauté.
» La même sévérité serait justement inspirée par des
dons de meubles que ferait un mari pendant la maladie
qui se terminerait par la mort de sa femme. C’est le
sentiment de Lebrun , de Pothier , de Merlin. Il serait
d’autant plus juste de le suivre, que quand même on ne
serait pas convaincu que le mari a agi dans un esprit
de fraude , au moins est-il constant qu’il a commis un
abus intolérable d’autorité en abandonnant ainsi des ob
jets dont il savait que bientôt il n’aurait plus le droit de
disposer.' »
Dans quelques circonstances que se soit réalisée la do
nation à titre particulier , si elle a été précédée ou sui
vie d’autres actes de même nature , si son imporlance
est telle qu’on puisse supposer que le but principal de
son auteur a été de priver sa femme de la part que la
loi lui assurait, on ne doit pas hésiter à en anéantir les
effets à l’égard de celle-ci. Ce que la loi a voulu en sanc
tionnant le droit de donner à titre particulier, c’est que
le mari ou ses héritiers ne fussent pas injustement tour1 T. n, p. 173
�378
TRAITÉ DU DOL
mentés pour quelques minces largesses faites de bonne
foi et sans fraude. Tout ce qui s’écartera de ce caractère
essentiel devra facilement être considéré comme fraudu
leux.
826.
— La fraude est de plein droit présumée par
la réserve de l’usufruit de la chose donnée , stipulée en
faveur du donateur. Dans ce cas , en effet, le mari dé
pouille sa femme sans se dépouiller lui-même. La do
nation devient bien plutôt une disposition testamentaire
qu’une véritable donation. Sous l’un comme sous l’au
tre aspect, il y a lieu soit d’indemniser la femme , soit
d’imputer la valeur des objets donnés sur la part du
mari dans la communauté.
La réserve d’usufruit peut n’être pas stipulée à l’effet
d’éluder la disposition de l’art. 1422, mais son existence
est de nature à être prouvée par témoins. Elle peut éga
lement résulter de présomptions et d’indices dont l’ap
préciation est abandonnée aux lumières et à la pru
dence des juges. L’exécution , en ce sens que la dona
tion aurait reçue , dispenserait de toute autre preuve.
C’est ce que le Parlement de Paris décida le 7 septembre
1717'. C’est ce qui a été depuis maintes fois consacré
par la jurisprudence moderne.’
Il serait impossible de prévoir tous les développements
que le mari peut imprimer à la fraude dans l’exécution
1 Merlin, R ép., v° Indices, n° 2.
2 Bruxelles, 13 août 1813; — Orléans, 29 juillet 1822.
�ET DE LA FRAUDE.
379
du pouvoir qui lui est conféré sur les biens de la com
munauté. Mais les principes qui précèdent suffiront, par
leur application, à résoudre toutes les hypothèses qui se
présenteront.
8 2 7 . — Nous terminerons sur ce point en exami
nant une difficulté que les termes de l’art. 1422 ont fait
nailre relativement aux donations à titre particulier. La
loi permet au mari de les faire à toutes personnes, d’où
l’on a voulu conclure qu’elle avait dérogé aux règles ap
plicables soit à l’interposition de personnes présumées,
soit à celle qui doit être prouvée. Mais on a répondu
que s’il existe un principe certain, c’est que le mari n’a
pas le pouvoir de se donner à lui-même. Ce principe
n’avait pas besoin d’être expressément rappelé, il résulte
de la force des choses, il ressort d’ailleurs de la dispo
sition de l’art. 1437. Or, le mari qui donne à une per
sonne interposée en sa faveur se donne réellement a luimême, il fait donc ce qu’il ne peut pas faire, ce qui ne
saurait, dès lors, produire le moindre effet. L’interposi
tion de personne serait , dès lors, un moyen de nullité
de la donation que rien n’empêche les parties intéres
sées de faire valoir. Légalement présumée dans les hy
pothèses prévues par l’art. 911, elle pourra, dans tous
les autres cas , être prouvée tant par témoins que par
présomptions.
828. — Comme administrateur des biens de sa
femme, le mari a la facilité de commettre des fraudes,
soit en dissimulant tout ou partie du mobilier échu à la
�380
TRAITÉ DU DOL
femme , soit en stipulant des avantages secrets dans les
partages, ventes ou échanges des immeubles personnels
à celle-ci.
829.
— En prévision de la première hypothèse , la
loi oblige le mari à faire dresser inventaire des facultés
mobilières que la femme est appelée à recueillir. Faute
par lui d’y procéder , comme en cas d’infidélité dans
l’accomplissement de cette mission, la femme ou ses hé
ritiers seront admis à prouver la consistance de ces fa
cultés tant par témoins que par commune renommée.
850,
— Le second cas constitue une fraude ordinai
re , comme lorsque , chef de la communauté , le mari
crée des dettes fictives, s’applique les sommes emprun
tées ou le prix provenant de l’aliénation des biens com
muns. La répression de cette fraude est donc laissée aux
règles ordinaires. C’est à la femme qui l’allègue à la
prouver par toutes les preuves autorisées par la loi. Le
mari ne serait pas recevable è contester l’admissibilité
de la preuve orale sous prétexte que la femme aurait si
gné la vente, le partage ou l’échange Le concours qu’elle
a donné à l’acte ne peut s’entendre que des stipulations
apparentes que cet acte renferme , et jamais de celles
que le mari aurait exigées à son insu et contre ses inté
rêts.
8 3 1 . — La femme tenue de son dol, l’est également
de sa fraude. Conséquemment, les simulations concer
tées par elle et son mari ne sauraient nuire aux tiers qui
�ET DE LA FRAUDE.
381
ont contracté avec eux dans l’ignorance de ces simula
tions. Ainsi, lorsque les époux, se plaçant frauduleuse
ment dans un des cas prévus par l’art. 1558, ont obte
nu de la justice l’autorisation de vendre le fonds dotal,
l’effet de cette vente est irrévocablement acquis en faveur
des tiers restés étrangers à l’acte des époux et qui se
sont rendus acquéreurs de bonne foi.’
Sans doute la femme peut n'avoir obéi qu’à l’influ
ence irrésistible dont nous parlions tout à l’heure. Aussi
ne devrait-on pas lui refuser son recours contre le mari.
Mais ce motif n’a aucune autorité réelle contre l’acqué
reur, devant d’autant moins suspecter le caractère de la
vente, que son opportunité avait été, après examen, con
sacrée par la justice.
852. — Mais l’aliénation du fonds dotal ne pouvant
être réalisée qu’aux formes et dans les cas nommément
prévus par la loi, il en résulte que si par fraude les époux ont demandé l’autorisation d’aliéner hors ces cas,
la vente est nulle contre le tiers de bonne foi, alors mê
me qu’elle n ’eût été faite qu’en vertu d’un jugement. La
justice elle-même n’a pas le pouvoir de violer la loi ;
l’erreur ou la surprise à laquelle les juges auraient obéi
ne peut donc créer un titre régulier. Personne n’est cen
sé ignorer la loi. L’acquéreur d’un fonds dotal doit s’as
surer d’abord si le cas pour lequel l’aliénation est au -
i Caen, 12 juin 1842;
Devilleneuve, 42, 2, 462 ; — Cass., 17 mars
�382
traté
du
dol
torisée rentre dans ceux prévus par les art. 1553 et sui
vants. S’il néglige ce devoir, il s’associe, autant qu’il est
en lui, à la violation de la loi, et cette imprudence gra
ve l’expose au recours de la femme ou de ses héritiers.
Il n’y a , à cet égard , aucun doute à concevoir. La
prohibition d’aliéner le fonds dotal est impérative et ab
solue. Elle n’admet d’autres exceptions que celles for
mellement prévues ; à tel point qu’il est aujourd’hui con
sacré que la vente pour empêcher le mari d'êtrè mis en
prison est nulle, la loi ne la permettant que pour l’en
tirer. '
C’est ce même principe que la Cour d’Àix vient d’ap
pliquer dans l’espèce suivante :
Les époux d’Heureux, voulant créer un établissement
de bains sur un immeuble dotal et ayant fait de nom
breuses dépenses, s’adressèrent au tribunal de Marseille,
e t , sous prétexte de l’amélioration du fonds dotal , lui
demandèrent l’autorisation de l’hypothèquer jusqu’à con
currence des dépenses nécessaires. 31 mars 1841, juge
ment qui accorde cette autorisation.
En vertu de ce jugement et par actes des 16 avril et
22 mai suivants, les époux d’Heureux empruntent une
somme de 10,000 fr. de la dame Thérèse Leouffre, veu
ve Mottet. Il est formellement énoncé dans ces actes que
cette somme de 10,000 fr. est destinée à payer à un
marchand de meubles les objets mobiliers par lui four
nis et à un chaudronnier-plombier les travaux en chau1 Cass., 26 avril 1842 ;. _ D. P., 42, 1, 250.
�ET DE LA FRAUDE.
383
dronnerie, plomberies et pompes par lui faits pour l’é
tablissement des bains. Ce double emploi est effective
ment réalisé. Une hypothèque est consentie sur le bien
dotal et sur celui du mari solidairement.
Par acte du 26 mai 1845, la dame Leouffre, veuve
Mollet, cède sa créance à la caisse hypothécaire. Celleci ayant poursuivi l’expropriation des biens hypothéqués,
la dame d’Heureux demande la radiation de cette sai
sie en tant qu’elle porte sur ses biens dotaux. Les mo
tifs par elle invoqués sont : 1° que la loi qui autorise
l’aliénation du bien dotal ne permet pas de l’hypothéquer; 2° parce que , dans tous les cas , le tribunal de
Marseille ayant autorisé l’aliénation hors des cas voulus
par la loi, tout ce qui avait été fait en vertu de cette au
torisation était radicalement nul.
Ce système est repoussé par le tribunal de Marseille.
Mais, sur l’appel, le jugement est infirmé le 5 août
1850. L’arrêt, remarquablement rédigé par l’éminent
président, M. Lerouge, après avoir établi que la faculté
d’aliéner entraine celle d’hypothéquer, considère sur la
question qui nous occupe :
« Que la femme mariée sous le régime dotal conser
ve, en général, lorsqu’il ne s’agit point de sa dot, la ca
pacité de contracter que lui attribue le droit commun ;
qu’elle peut ainsi vendre , hypothéquer ses biens paraphernaux avec l’autorisation de son mari ou de là jus
tice;
» Que la prohibition d’aliéner , d’hypothéquer ses
biens dotaux émane uniquement de la loi qui les met
il!?
il
h®
�384
TRAITÉ DU DOL
hors du commerce, par des raisons d’intérêl public, dans
une pensée d’ordre et de conservation ; que cette loi d’i
naliénabilité ne tient donc pas à l’incapacité des per
sonnes, mais à la faveur de certains biens, et c’est par
ce motif qu’elle est rangée dans la classe des statuts
réels ;
» Qu’il suit de là, en premier lieu, que l’intervention
de la justice, appelée à autoriser l’aliénation ou l’hypothèque de l’immeuble dotal, n’a pas pour objet de rele
ver soit le mari, soit la femme d’une incapacité person
nelle de contracter, mais de lever la prohibition d’alié
ner ou d’hypothéquer les immeubles dotaux dans les cas
d’exceptions déterminées par la loi ;
» En deuxième lieu , que , hors de ces cas d’excep
tions, l’autorité judiciaire est impuissante à conférer aux
époux la faculté d’aliéner ou d’hypothéquer valablement
le fonds dotal, car elle a mission d’appliquer et de faire
exécuter la loi et non de la violer en créant des exceptions
à la prohibition d’ordre public qui interdit l’aliénation
ou l’hypothèque des biens dotaux en dehors des cas dé
terminés par la loi. »
8 3 3 . — L’art. 1558 du Code civil en permettant la
vente du fonds dotal, en a en même temps prescrit la
forme. Elle doit avoir lieu aux enchères et après trois
affiches. Ce mode est de rigueur et ne peut être modifié.
Sa violation ferait présumer la fraude, ne pouvant être
expliquée que par le désir de restreindre la publicité et
d’écarter les concurrents. La femme ou ses héritiers
�ET DE LA. FRAUDE.
385
pourraient donc poursuivre plus tard la nullité , sans
qu’on pût, comme dans le cas précédent, tirer du juge
ment d’autorisation une fin de non-recevoir contre leur
demande.
Ces principes ne doivent point être négligés. Celui qui
se rendra acquéreur ou à qui on s’adressera pour hypo
théquer le fonds dotal, doit, avant tout, se faire repré
senter le jugement autorisant l’une ou l’autre. Il ne de
vra acheter on prêter que dans l’hypothèseoù le fait mo
tivant l’autorisation rentre expressément dans la classe
de ceux auxquels la loi applique ce caractère. En cas de
vente , il ne devra en accepter aucune , si ce n ’est aux
enchères et en se faisant justifier des trois publications.
A ces conditions seulement , il sera à l’abri de tout re
cours, alors même que les époux auraient frauduleuse
ment supposé un fait qui n’existait pas.
83Æ. — L’action du mari pour les fraudes de la fem
me est recevable en tout temps ; celle de la femme pour
les fraudes du mari n’est admissible qu’à la dissolution
du mariage. En effet, tant que le mariage existe, la fem
me n’a sur les biens de la communauté qu’un droit
d’expectative qui ne devient définitif qu’au moment où,
l’association arrivée à son terme,le partage de l’actif amène la liquidation de la portion qu’elle doit recueillir.
Jusque là elle est même sans intérêt pour agir, car elle
ignore si le mari ne lui fera pas un compte exact et ne
lui attribuera pas volontairement l’indemnité qu’elle a
droit de réclamer.
�386
TRAITÉ DU DOL
Cette règle n’est pas cependant tellement absolue qu’el
le ne puisse comporter une exception. Ainsi, la femme
qui a à faire réprimer une fraude commise dans la dis
position de ses biens personnels, pourra poursuivre cette
répression avant la dissolution du mariage. On devrait
également l’admettre à le faire dans tous les cas, s’il y
avait justes motifs de craindre la disparition des preuves
qu’elle est dans le cas d’invoquer. Il ne faudrait pas,
par un scrupule qui a son origine dans un sentiment
très-respectable, exposer la femme à subir un préjudice
dont on lui aurait fait perdre les moyens de prouver
l’existence.
835.
— De toutes les fraudes que le mariage peut
amener, la plus importante, sans contredit, par ses conséquencee sur le mariage lui-même , sur l’état des en
fants, sur l’avenir de la famille, c’est l’adultère. Ce n’est
plus , en effet, seulement un intérêt pécuniaire mis en
p é ril, c’est la vie commune rendue intolérable , c’est
l’honneur des époux compromis , c’est la famille ellemême grevée d’une funeste, d’une déplorable responsa
bilité.
L’antiquité considérait l’adultère comme un crime et
le punissait du dernier supplice. Notre civilisation mo
derne l’a fait descendre au rang des simples délits. L’a
dultère n’a même plus aujourd’hui le caractère d’un dé
lit social. Toute initiative est formellement interdite au
ministère public. Seul autorisé à le dénoncer ou à le
poursuivre, le mari a de plus la faculté de faire tomber
�ET DE LA FRAUDE.
387
les effets de la condamnation, que son pardon rend com
me non avenue.
La constatation, la poursuite et la répression de l’a
dultère n’appartiennent pas aux matières que nous a vons à examiner. Nous devons donc nous borner à nous
en occuper quant aux effets qu’il produit relativement
à la personne et aux biens, à l’influence qu’il peut ex
ercer sur l’état de la famille. Ces effets forts graves sont:
d’une p a rt, la séparation de corps ; de l’autre, le dés
aveu.
836.
— L’adultère est une cause de séparation de
corps. L’époux coupable a tellement forfait à ses obliga
tions , violé tous ses devoirs , qu’il n’a plus le droit de
contraindre son conjoint à remplir les engagements qu’il
avait de son côté contractés.
La loi ne distingue p a s, à l’endroit de la séparation,
l’adultère du mari de l’adultère de la femme. Mais la
force des choses l’amenait à une différence essentielle
dans l’application de ce principe. Les conséquences de
l’acte de la femme sont indépendantes des circonstances
de temps et de lieux qui l’ont vu s’accomplir. Le préju
dice grave qui peut en résulter pour l’époux est de na
ture à se réaliser à toutes les époques , dans tous les
lieux.
L’adultère du mari, au contraire, est plutôt une in
jure pour la femme qu’une cause de préjudice réel. L’i
gnorance de celle-ci , sur ce qui se passe loin de ses
yeux, enlève au fait toute son importance qui ne saurait
dans aucun cas atteindre à un certain degré de gravité.
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388
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TRAITÉ DU DOL
*
Il était impossible d’omettre ces considérations dans
l’appréciation juridique du tort des époux. Leur influen
ce devait être et a été en effet décisive. L’adultère de la
femme autorise, par le .fait seul de sa perpétration, l’ad
mission de la séparation de corps demandée. Peu im
porte qu’il ait été commis dans ou hors le domicile con
jugal; qu’il ait été ou non actuellement conhu du mari.
Il suffit que la preuve en soit administrée au moment
de la poursuite en séparation , pour que cette poursuite
soit recevable et fondée.
La femme ne peut obtenir sa séparation , pour cause
d’adultère du mari, que si cet adultère a été consommé
dans la maison commune. L’introduction d’une concu
bine dans le domicile conjugal dénote un tel mépris
pour l’épouse légitime, la place dans une position telle
ment délicate, qu’on ne pouvait lui imposer la vie com
mune , rendue insupportable par le voisinage d’une in
solente, d’une odieuse rivale.
837.
— Il n’est pas nécessaire que la preuve de
l’adultère soit acquise au moment où la séparation est
demandée, ni qu’elle résulte d’un jugement ayant con
damné l’époux coupable. L’articulation du fait dans la
requête en séparation motive une enquête dans laquelle
l’époux demandeur aura la faculté de fournir les preu
ves sur lesquelles le tribunal investi appuiera sa déci
sion.
838.
— L’adultère était autrefois une cause de di
vorce. L’abolition de celui-ci ne permet plus aux époux
�ET DE LA F RA U D E.
389
que la séparation de corps. Celle-ci ne laisse pas que
d’être pour les époux un événement capital. Car, si elle
ne brise pas les liens matrimoniaux, elle les relâche d’u
ne manière sensible. L’époux qui l’a encourue devrait
être tenu d’indemniser l’autre des inconvénients qu’il est
dans le cas d’en éprouver,des besoins nouveaux qui peu
vent en surgir.
839.
— On a longtemps agité la question de savoir
si la séparation de corps entraînait la révocation des avantages consentis à l’époux dans le contrat de maria
ge. Celle question , fortement controversée en doctrine,
était devenue l’occasion d’une profonde dissidence entre
la majorité des Cours d’appel et la Cour de cassation.
Celle-ci tenait pour la négative, qu’elle fondait d’a
bord sur le silence gardé par le législateur. Il fa u t, en
effet, remarquer que, pour ce qui concernait le divorce,
la loi s’était formellement expliqué dans l’art. 299, tan
dis qu’elle se tait à l’endroit de la séparation de corps.
Fallait-il appliquer à celle-ci la disposition sanctionnée
pour le divorce? Mais les choses ne sont pas égales pour
l’un et pour l’autre. Le divorce, en effet, rompt le ma
riage, rend les époux étrangers l’un à l’autre, leur pro
hibe même de se réunir. La séparation de corps , au
contraire, laisse subsister le mariage dont les liens re
prennent toute leur force par la réconciliation des époux.
Cette réconciliation, que la loi appelle de ses vœux, elle
a voulu la favoriser en laissant exister entre les époux
des points de contact, des relations obligées dont la fré-
�390
TRAITÉ DU DOL
quence peut triompher des sentiments qui les avaient
portés à se séparer. On ne peut donc raisonnablement
conclure du divorce à la séparation.
D’autre p a rt, disait la Cour de cassation , l’art. 959
déclare que les donations faites en faveur du mariage ne
seront pas révocables pour cause d’ingratitude. Or, les
donations qne les époux se font respectivement dans leur
contrat sont réellement consenties en faveur du mariage,
car elles ont pu déterminer le consentement. L’adultère
même n’est qu’une odieuse , qu’une révoltante ingrati
tude ; on violerait donc l’art. 959 si on lui reconnaissait
pour effet de révoquer les avantages portés au contrat,
alors même qu’il a déterminé la séparation.
Celte doctrine de la Cour de cassation, à diverses re
prises consacrée par elle, avait ramené quelques Cours
d’appel. Mais le plus grand nombre n’avaient pas cessé
de professer l’opinion contraire. Cette persistance a fini
par triompher. La Cour de cassation est revenue de sa
jurisprudence et a décidé enfin que la séparation de
corps entraîne la révocation des avantages faits à l’époux
dans le contrat de mariage. Nous transcrivons les mo
tifs de cet arrêt parce qu’ils résument les raisons sur
lesquelles s’étayaient ceux qui soutenaient l’opinion que
l’arrêt consacre :
« Attendu que dans notre ancienne législation,et lors
que la séparation de corps était seule admise , l’époux
qui l’obtenait avait le droit de faire prononcer la révo
cation des donations qu’il avait faites à son conjoint;
que le Code civ il, en instituant le divorce, en même
�ET DE LA FRAUDE.
391
temps qu’il maintenait la séparation de corps, s’est ap
proprié cette règle, et y a même ajouté en déclarant par
son art. 299 que l'époux contre lequel le divorce serait
prononcé perdrait de plein droit tous les avantages que
l’autre époux lui avait fait ; que si cette disposition n’a
pas été répétée dans le chapitre spécial relatif à la sépa
ration de corps , ce chapitre fait partie du titre du di
vorce et suit immédiatement le chapitre qui règle les ef
fets du divorce, dont les dispositions, en tant qu’elles ne
sont pas inconciliables avec la séparation de corps, en
doivent aussi régler les effets ; que c’est ainsi que les tri
bunaux appliquent journellement les dispositions des ar
ticles 301, 302 et 303 , dans le cas de séparation ; que
la disposition de l’art. 299, loin d’être inconciliable avec
la séparation, n’est que la reproduction, sous une autre
forme, du principe consacré par l’ancienne législation;
que la déchéance des avantages stipulés soit dans le con
trat de mariage, soit pendant le mariage, encourue par
l’époux contre lequel la séparation ou le divorce a été
admis, est la conséquence des torts de l’époux avanta
gé, d’où naît une cause d’indignité qui ne peut être ef
facée par le choix que l’époux a fa it, entre la voie du
divorce et celle de la séparation ; que cette cause doit
produire les mêmes effets dans l’un et l’autre cas, puis
que l’art. 306 déclare que la demande en séparation
peut être formée pour les mêmes faits qui donnent lieu
à la demande en divorce ;
» Que les dispositions de l’art. 1518 ne démontrent
pas moins l’intention du législateur de faire, de la dé•
�.
392
T R A IT É DU DOL
chéance des avantages stipulés entre époux, une consé
quence de la séparation de corps aussi bien que du di
vorce , puisqu’il fait résulter également de l’une et de
l’autre la déchéance du préciput conventionnel ; que
l’assimilation légale de la séparation au divorce, surtout
depuis la loi du 8 mai 1SI 6 , résulte d’ailleurs expres
sément de l’art. 2 de celte loi, qui convertit en instances
en séparation de corps toutes les demandes en instan
ces en divorce alors pendantes devant les tribunaux ;
» Attendu qu’en cet état de la législation , les ques
tions qui peuvent s’élever sur la déchéance des avanta
ges que se sont faits les époux, soit par contrat de ma
riage, soit pendant le mariage, doivent être décidées par
les dispositions contenues au titre du divorce, sans qu’il
y ait lieu de recourir au titre des donations ; que l’ar
ticle 959 qui déclare non révocables pour cause d’in
gratitude les donations en faveur du mariage , ne peut
dès lors, quelle que puisse être Uétendue de ses termes,
être invoqué lorsqu’il s’agit de déterminer l’effet de la
séparation de corps sur les avantages stipulés entre époux.' »
Ainsi , le nouveau législateur n’a voulu innover en
rien sur ce qui était admis par la législation précédente.
Il a seulement renforcé le principe de la déchéance des
avantages matrimoniaux , lorsque de la séparation de
corps il en a transporté l’application au divorce. De là
l’art. 299 qui ne déclare qu’une seule chose, à savoir :
1 Cass., 23 mai 1845; — J . d u P .,1 . 1, 1845, p. 625
�ET DE LA. FRA UDE.
393
qu’en cas de divorce cette déchéance s’opère de plein
droit, sans qu’il soit besoin de la demander. Ainsi fixé,
le sens de l’art. 299 n’autorise nullement à refuser,dans
le cas de séparation, un droit que rien n’est venu pros
crire et qui, préexistant au Code civil, a dû nécessaire
ment se continuer à défaut d’une disposition contraire.
Tout ce qu’on peut conclure , c’est donc que la sépara
tion de corps ne jouit pas d’un privilège exclusif au di
vorce : la déchéance de plein droit. Mais l’époux qui la
demandera doit l'obtenir, parce qu’il ne serait ni moral
ni juste de maintenir le bienfait sur la tête de celui qui
s’en est rendu indigne. Telle est du moins la doctrine
qui s’infère de l’arrêt que nous venons de rapporter.
Cet arrêt rendu par les chambres réunies, après deux
jours de délibération et contrairement aux conclusions
de M. le procureur-général Dupin , nous parait devoir
fixer la jurisprudence. Aura-t-il pour effet de clore la
discussion que la question a fait naître ? C’est ce que
l’avenir nous apprendra. Quoi qu’il en soit, la Cour de
cassation, en réformant sa propre jurisprudence, a don
né un nouvel et éclatant témoignage de sa haute sagesse,
de son mépris pour ce sentiment d’amour-propre qui
fait persévérer dans l’erreur qu’on a pu commettre. De
pareils exemples, venus de si haut, sont toujours bons à
proposer, car ils sont excellents à suivre.
Ainsi, l’adultère motivant la séparation de corps, au
torise la révocation des avantages faits à l’époux convain
cu. Cet effet est commun à l’adultère de la femme et à
celui que le mari a commis dans le domicile conjugal.
�394
TRAITÉ DU DOL
L’effet étant le même , la même peine était une consé
quence inévitable.
840.
— Nous arrivons à l’une des matières les plus
délicates de notre droit : le désaveu de la paternité. L’en
fant conçu pendant le mariage a pour père le mari, ce
lui dont la naissance se rattache au mariage est égale
ment présumé appartenir aux époux. Dans l’un comme
dans l’autre cas, l’enfant a la possession d’enfant légiti
me et jouit en conséquence des avantages et des préro
gatives attachés à cette filiation.
En réalité, cependant, cette filiation peut n’être qu'un
audacieux mensonge, soit qu’abusé indignement, le mari
ait épousé une femme portant dans son sein le triste
fruit de son inconduite ; soit que, infidèle depuis le ma
riage , l’épouse ait rencontré dans des relations illégiti
mes cette maternité qu’elle ne devait demander qu’à son
époux.
Dans ces circonstances, l’introduction de l’enfant dans
la famille légitime est un véritable vol au préjudice de
celle-ci, au préjudice du mari lui-même, auquel on ne
pouvait imposer la paternité sans blesser les plus simples
notions de l’équité et de la justice, sans pousser le res
pect pour la fiction jusqu’à la plus absurde idolâtrie. De
là , la faculté de désaveu dont la consécration dépouille
l’enfant de la femme du nom et de la position que celleci n’a pas craint de lui donner.
La consécration du désaveu est donc le renversement
de la règle Pater isest quem justœ nuptiœ demonstrant.
�ET DE LA FRAUDE.
395
Or, le mari ou ses héritiers ne peuvent arriver à ce ré
sultat qu’en prouvant : ou que l’enfant, qu’on dit issu
du mariage, n’a été conçu que depuis la dissolution ou
avant sa célébration ; ou que , conçu et né pendant le
mariage , il n’a pu avoir pour père le mari. Le désaveu
se rapportera donc nécessairement à l’une de ces hypo
thèses : naissance précoce, naissance tardive , impossi
bilité de cohabitation entre les époux.
841,
— L’appréciation des deux premières amenait
comme conséquence forcée la détermination d’une règle
devant en diriger l’exercice. L’intérêt public est trop in
téressé à la fixation de l’état des familles pour qu’on pût
abandonner au caprice et à l’humeur d’un époux plus
ou moins offensé l’emploi discrétionnaire d’une arme
aussi redoutable, aussi terrible dans ses résultats. Péné
tré de cette idée, le législateur, après de nombreuses et
savantes recherches physiologiques, après avoir interro
gé les sources de la science les plus élevées, les plus pu
res, a arrêté le délai de six mois et de dix mois comme
le terme de la plus courte et de la plus longue gestation.
En conséquence , l’enfant né moins de cent quatrevingt jours depuis la célébration du mariage pourra être
désavoué par le mari. Remarquons les termes de la loi:
pourra être désavoué. Cependant l’enfant ainsi mis au
monde est nécessairement conçu avant le mariage et dès
lors illégitime. Mais l’époque de sa naissance, la faveur
qui résulte du mariage, l’application, même dans ce cas,
de la maxime Pater is e st, etc... . attachent à celte
�396
TRAITÉ DU DOL
naissance une présomption de légitimité suffisante pour
lui assurer la possession d’état d’enfant légitime, tant
que le désaveu n’est pas venu la lui arracher. Ce dés
aveu n’est lui-m êm e qu’une faculté laissée au mari,
dont le silence équivaut à la reconnaissance formelle de
la paternité.
812
.
— Mais le désaveu fondé sur la naissance pré
coce doit nécessairement réussir. Ce n’est plus alors qu’u
ne affaire de date. Si réellement conçu avant mariage,
l’enfant ne peut réclamer le bénéfice de la maxime Pater
n est qui présuppose l’existence du mariage, il ne peut
non plus prouver qu’il est le fils de l’homme qui a épousé sa m ère, car la recherche de la paternité n’est
pas autorisée. Il doit dès lors fatalement succomber sous
la réalisation de l’instance en désaveu.
845.
— Toutefois cette instance n’est pas elle-même
recevable dans tous les cas, et l’enfant qui n’aurait rien
à dire au fond, peut toujours opposer des fins de nonrecevoir à l’admission de la demande. Ces fins de nonrecevoir , pour être utilement invoquées , doivent avoir
pour objet d’établir que le désavouant avait d’abord ac
cepté la paternité. Cet effet, la loi le fait résulter : 1u de
la connaissance de la grossesse avant le mariage ; 2° de
l’assistance et de la signature à l’acte de naissance de
l’enfant.
L’importance que la loi attache à chacune de ces cir
constances n’a pas besoin d’être justifiée. S’il est vrai,
comme le disait un ancien et illustre magistrat, que ce
�ET DE LA FR A U D E.
397
qui décide de la naissance de l’homme, de sa filiation,
n’est pas le degré de certitude , mais le degré de vrai
semblance; s’il est vrai qu’en cette matière l’impossibi
lité de preuves certaines , véritables et authentiques,
force de recourir à des conjectures, à des présomptions,
à des probabilités', pouvait-on en appeler de plus per
tinentes , de plus décisives à l’appui du fait à prouver,
l’aveu de la paternité;
844.
La connaissance de la grossesse de celle
qu’on épouse peut-elle être interprétée autrement que
comme la .preuve qu’on en est soi-même l’auteur? Et
si celte explication se présente d’abord â l’esprit, si elle
est la seule raisonnable, la seule plausible, on ne pou
vait lui refuser les conséquences qui en découlent forcé
ment à l’endroit de la paternité. L*e désaveu qu’en fait
ultérieurement le mari est d’avance frappé d’invraisem
blance , on ne peut plus le considérer que comme une
odieuse, une infâme spéculation, qu’il importait d’arrê
ter dès le début.
On n’épouse pas là femme qu’on sait enceinte des
œuvres d’autrui. Conséquemment, si la connaissance de
la grossesse de la future n’a pas empêché le mariage de
s’accomplir, c’est que le futur s’est formellement recon
nu le seul auteur de cette grossesse e t , par une déduc
tion logique , le père de l’enfant qui doit en naître. Le
bénéfice de cet aveu est dfinitivement acquis à celui-ci,
1 D’Aguesseau, 34e P., t m , p. 120.
o
�398
TRAITÉ DU DOL
et sa légitimité est à l’abri de toute contestation ultéri
eure de la part de son père.
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8 4 5 . — Notre ancienne jurisprudence allait plus
loin encore. Le principal fondement de la maxime Pater
is e st. . . , disaient les docteurs, est la fréquentation lé
gale que le mariage entraîne entre les époux. Donc, si
cette fréquentation a existé de fait avant le mariage, elle
fera présumer la paternité, et cette présomption recevra
du mariage qui a suivi un degré de force , d’évidence,
d’autorité à laquelle il paraît presque impossible de ré
sister1. On admettait donc la preuve de la fréquentation
comme suppléant et faisant présumer celle de la con
naissance de la grossesse.
Le Code civil a repoussé cette doctrine. Le législateur
a compris qu’une fréquentation telle que celle qui naît
des approches du mariage , que les actes de familiarité
qui en sont les conséquences n’excluaient pas l’ignoran
ce d’une grossesse qu’on aurait un vif intérêt à dissi
muler. Il ne s’arrête donc qu’au seul fait significatif ; la
connaissance de la grossesse. Tout ce qui tendrait à faire
présumer cette connaissance , sans l’établir d’une ma
nière directe, serait donc inutile et frustratoire. Au reste,
et comme dans toutes les appréciations de fait, la perti
nence des moyens tendant à établir la connaissance de
la grossesse est souverainement abandonnée à la pru
dence du juge.
1 D’Aguesseau, 34* P., t, m, p.
\W
�ET
DE
LA
FRAUDE.
399
8 4 6 . — L’assistance à l’acte de naissance de l’en
fant est un motif plus puissant encore que la connais
sance de la grossesse, pour refuser au mari la faculté de
le désavouer plus tard. Cette assistance doit résulter de
l’acte même, soit par la signature du mari, soit par la
déclaration qu’il ne sait ou ne peut signer. On ne peut
donc pas équivoquer sur ce que la loi entend par l’as
sistance du mari. C’est un concours actif à l’accomplis
sement des formalités constatant la naissance.
8 4 7 . — Mais il n’est pas nécessaire que l’acte de
naissance auquel le mari a concouru le désigne comme
le père de l’enfant. Il suffît que le nom de la mère et sa
qualité de femme mariée y soient mentionnés. Le père
de l’enfant né d’une femme mariée n’est jamais incon
nu. Il est indiqué par la loi elle-même en la personne
du mari. Dès lors celui qui assiste et signe l’acte de nais
sance de l’enfant de sa femme assiste et signe réellement
l’acte de naissance de son propre enfant. Il en accepte
la paternité et se rend à tout jamais non-recevable à le
désavouer plus tard.
8 4 8 . — Le concours du mari à l’acte de naissance
de l’enfant peut avoir été empêché par une circonstance
fortuite et indépendante de sa volonté. Par exemple, une
absence ou une maladie. Pourra-t-on, dans ce cas, sup
pléer au défaut de comparution devant l’officier de l’état
civil par la preuve que le mari a connu la naissance et
avoué la légitimité de l’enfant ?
�400
T R A IT É
DU
DOL
Proudhon' lient pour l'affirmative et avec juste raison
selon nous. Ce dont la loi se préoccupe dans la conduite
du mari, c’est moins l’acte qui lui est imputé, que l’in
tention que cet acte décèle et comporte. De quelque ma
nière donc que ce soit manifesté l’aveu de la paternité,
il n’en doit pas moins produire tous ses effets.
Supposez, en effet, que le mari se-soit empressé d’an
noncer lui-même à ses parents l’accouchement de sa
femme; ou bien qu’absent de chez lui, il ait répondu à
la nouvelle de l’accouchement par des paroles affectueu
ses pour la mère et pour l’enfant; est-ce que de tels
actes ne sont pas aussi décisifs, aussi énergiques que le
concours à l’acte de naissance ? Autoriser plus lard le
désaveu , serait donc méconnaître l’intention évidente de
ces premières démarches et violer ouvertement l’esprit
de la loi.
Il est de toute équité, en effet, que le désaveu ne soit
reçu que lorsque son auteur n’a, dans aucune circons
tance, manifesté une opinion contraire à celle qui le fait
agir. « Pour que le désaveu du père soit admis, di
saient les orateurs du gouvernement, il faut que le mari
n’ait laissé échapper, soit au moment du mariage, soit
au moment de la naissance de l’enfant, aucun acte, au
cun signe, aucun aveu volontaire exprès ou tacite de sa
paternité. S’il avait toujours cru que l’enfant lui fût étranger, aucun acte ne démentirait une opinion qui, de
puis la naissance de l’enfant, a dû déchirer son àme.
1
De l'étal des person n .,
t . n , p .. 1 4 ,
�ET
DE
LA
401
FRAUDE.
S’il a varié dans cette opinion , il n’est plus recevable à
refuser à l’enfant l’état qu’il ne lui a pas toujours con
testé.' »
Ainsi le fait capital c’est l’aveu de la paternité. Or,
cet aveu peut aussi bien résulter d’actes formels du mari,
de la correspondance que de la connaissance de la gros
sesse, que du concours à l’acte de naissance. Il n’y a donc
aucune distinction à faire dans les effets qu’il doit né
cessairement déterminer.
Vainement objecterait-on qu’aux termes de l’art. 334
du Code civil, l’enfant ne peut être valablement reconnu
que par un acte sous forme authentique. Cet article ne
concerne que les enfants naturels nés hors mariage , et
auxquels il s’agit de donner une filiation que leur acte
de naissance ne leur confère pas. Telle n’est pas la po
sition de l’enfant né moins de cent quatre-vingt jours
après la célébration du mariage. Celui-ci, en effet, a une
filiation certaine, il est réputé appartenir aux deux époux
et présumé légitime tant que l’admission du désaveu ne
sera pas venu lui arracher l’un et l’autre. On ne peut
donc assimiler les moyens à l’aide desquels il prétend
repousser ce désaveu , avec ceux dont l’enfant naturel
peut se prévaloir pour établir sa filiation. Il s’agit, dans
un cas, de conserver une position assurée par la loi ;
dans l’autre , d’acquérir une possession d’enfant. Cette
différence dans les effets justifie surabondamment celle
que nous admettons dans les éléments à consulter.
1 V. Exposé des motifs et Rapport au Tribunal.
U
26
�m
TRAITÉ DU DOL
Ainsi, la connaissance de la grossesse, le concours à
l’acte de naissance, peut être suppléé par des actes d’où
l’on peut inférer une reconnaissance de paternité. La fin
de non-recevoir existant pour les uns existe également
pour les autres, et tout désaveu est désormais impossi
ble. Un intérêt purement privé ne pouvait prévaloir sur
les raisons d’ordre public qui militent en faveur de la
fixité de l’état des familles. Le père peut, sans doute, être trompé ; mais s’il s’est trompé lui-même , s’il a pu
croire un instant à la légitimité de l’enfant, c’est que l’il
légitimité est au moins douteuse, et, dans le doute, c’est
en faveur de l’enfant que la loi a souverainement pro
noncé.
849.
— La non-viabilité de l’enfant rend l’action
en désaveu non-recevable. Il y avait pour l’admettre
ainsi deux motifs décisifs. En premier lieu , l’action en
désaveu a pour effet d’empêcher l’enfant de se mêler à
une famille à laquelle il est étranger et de recueillir des
biens auxquels il n’a aucun droit. L’enfant qui n’est pas
né viable ne compte pas dans la famille. Il est matériel
lement incapable de succéder, sa naissance ne peut donc
jamais occasionner un préjudice à qui que ce soit. Le
désaveu, en cet état, ne serait plus qu’un scandale gra
tuit qu’il était de la dignité du législateur de proscrire.
En second lieu , le défaut de viabilité peut n’être que
la conséquence d’un accident ayant interrompu les rè
gles ordinaires de la gestation et déterminé l’accouche
ment avant son terme naturel. Qu’importe, dans ce cas,
�que cet accouchement se soit réalisé avant le cent qua
tre-vingtième jour. C’est là un événement imprévu dont
la responsabilité n’appartient à personne , car il n’était
donné à personne de le prévoir ou de le prévenir. D’ail
leurs, comment déterminer, d’une manière précise, l’é
poque de la conception, lorsque le défaut de viabilité de
l’enfant n’existe que parce que l’accouchement s’est opéré contrairement aux lois ordinaires de la nature ?
8 5 0 . — Nous avons déjà vu que le terme de la plus
longue gestation a été fixé à dix mois De là, la consé
quence que l’enfant né le dernier jour de ces dix mois
après la dissolution du mariage est présumé avoir pour
père le mari, et qu’il ne peut être désavoué que dans les
formes et aux conditions prescrites pour le désaveu des
enfants conçus et nés pendant le mariage.
Par une conséquence contraire,on aurait dû, ce sem
ble, déclarer de plein droit illégitime l’enfant né plus de
trois cents jours après la dissolution du mariage. Ce
pendant l’art. 315 se borne à dire que sa légitimité
pourra être contestée. Doit on induire de ces termes que,
la contestation se réalisant, l’enfant doit nécessairement,
et par le fait de sa naissance tardive , perdre la qualité
d’enfant légitime , ou bien que les tribunaux ont la fa
culté de repousser la prétention des ayants droit et main
tenir la légitimité de l’enfant par l’appréciation des faits
et circonstances ?
8 5 1 . — C’est dans ce dernier sens que jugeait notre
ancienne jurisprudence. Mais il faut remarquer qu’à
1
m
1st! i
�404
TRAITÉ DU DOL
cette époque la législation n’avait arrêté aucune règle
applicable à cette matière, et que le recours au droit ro
main , si souvent utile , n’offrait, à cet égard , qu’une
ressoure illusoire par les contradictions dans lesquelles
ce droit s’était jeté.
En effet , la loi des Douze Tables était plus explicite
encore que ne l’a été, depuis, notre Code civil. Elle dé
clarait formellement illégitime l’enfant né plus de dix
mois après la dissolution du mariage. Mais un édit d’A
drien avait porté à onze mois le terme de la gestation,
et cela d’après l’avis des médecins, et des philosophes an
ciens : In hoc decreto Adrianus se statuere d ic it, requisitis veterum philosophorum et medicorum sententiis.'
Justinien paraissait avoir condamné cet avis, d’abord
en n’insérant pas dans sa Compilation l’édit d’Adrien,
ensuite en formulant dans le Digeste le principe consa
cré par la loi des Douze Tables5. Mais il paraît plus tard
revenir sur ce principe. En effet, dans la Novelle 39, il
déclare illégitime un enfant né dans le douzième mois
de la dissolution du mariage : Nondum enirn compléta
anno, undecimo mense perfecto peperit, ut non esset
possihile dicere quia de defuncto fuissel parlus ; neque
enirn in tantum tempus conceptionis extensum est. Ce
qui parait indiquer que la solution eût été différente,
si la naissance se fût réalisée avant l’expiration du on
zième mois.
1 Aulugelle, N u its attiques, liv. 3, chap 46
2 L . 3, § H , De suis et legilim is hœ redibus.
�ET
DE
DA
FRAUDE.
405
852.
— À ces incertitudes, puisées dans le droit ro
main, venaient se joindre les incertitudes bien plus gran
des encore de la science. Ainsi, un traité spécial, publié
en 1766 par un docteur régent de la Faculté de Paris,
citait des gestations qui s’étaient naturellement conti
nuées treize, quatorze et même seize mois.
On comprend , dès lors , qu’en l’absence d’une règle
législative, qu’au milieu du doute de la législation pré
cédente , des perplexités que les hommes de l’art affi
chaient , les tribunaux se laissassent aller à une appré
ciation qu’ils croyaient indispensable. Le résultat de cette
conduite avait été celui-ci : tel enfant né dix mois et
quelques jours après la dissolution du mariage était dé
claré illégitime; tandis que tel autre, dont la naissance
avait eu lieu treize, quatorze et même seize mois après
cette dissolution , était reconnu appartenir au mari et,
comme tel, devoir jouir des prérogatives de la légitimité.
855.
— Le Gode civil nous parait avoir voulu mettre
un terme à cette anomalie, en déterminant une règle fi
xe, invariable, applicable à tous les cas et les régissant
tous d’une manière absolue. A ce point de vue, il serait
évident que l’art. 315 a fait cesser le pouvoir d’appré
ciation que les tribunaux exerçaient avant sa promulga
tion. De là cette conséquence qu'aujourd’hui la nais
sance, après plus de trois cents jours du mariage dissous,
imprime à l’enfant le sceau de l’illégitimité. Cette consé
quence peut être injuste dans certains cas ; mais il faut
aussi avouer que ces cas seront on ne peut pas plus ra-
�406
TRAITÉ DU DOL
res ; et qu’en les négligeant, le législateur a obéi à l’un
de ses principaux devoirs : Quod semel aut bis extitit
prœtereunt legislatores.'
Evidemment les termes de l’art. 315 peuvent prêter
au doute , mais ce doute disparaît devant l’explication
qu’en donne le législateur lui-même : « Les naissances
» tardives, dit M. Duveyrier au nom du Tribunat, n’ex» igent aucune disposition conditionnelle. Il est clair
» que la légitimité d’un enfant pourra être contestée,
» s’il naît dans le onzième mois après la dissolution du
» mariage ou , pour mieux dire , au moins trois cents
» jours après le mariage dissout , parce qu’il ne peut
» plus placer dans le mariage ni sa conception, ni, par
» conséquent, la présomption légale de sa légitimité.
» Pourquoi n’est-il pas de droit illégitime et mis au
» nombre des enfants naturels ? Parce que tout intérêt
» particulier ne peut être Combattu que par un intérêt
» contraire. La loi n’est point appelée à réformer ce
» qu’elle ignore; et si l’état de l’enfant n’est point atta» qué, il reste à l’abri du silence que personne n’est in» téressé à rompre. »
8 5 4 . — Ainsi, aux yeux du législateur, l’enfant né
plus de trois cents jours après la dissolution du maria
ge est illégitime , car il ne peut placer sous l’égide du
mariage ni la conception, ni, conséquemment, la pré
somption de sa légitimité. Mais la loi a compris qu’il y
l L. 6, Dig., De legibus; — L. 3, 4 et 5, ibid
�ET DE LA FRAUDE.
407
aurait une rigueur injuste à chasser de la famille celui
que la famille consentirait elle-même à recevoir, parce
qu’elle ne verrait dans l’accouchement tardif de la mère
qu’un événement accidentel sans mélange de fraude. Elle
a donc voulu consacrer un principe dont elle abandon
ne la poursuite à la conscience intéressée des parents.
Elle accepte la décision de ce tribunal et admet la légi
timité, si cette légitimité est acceptée. Mais s i , rompant
le silence , la famille conteste cette légitimité, tout est
d it, les tribunaux n ’ont plus qu’à appliquer la règle
comme le législateur l’a lui-même appliquée dans cer
tains cas.
Ainsi, nous voyons les art. 2218 et 296 permettre à la
veuve de se remarier dix mois après la mort du mari.
Dans l’art. 312, le législateur permet d’accueillir, ordon
ne même de consacrer le désaveu si le mari prouve qu’il
a été , pendant les trois cents jours qui ont précédé la
naissance, dans l’impossibilité physique de cohabiter a vec sa femme ; toutes choses inconciliables avec l’idée de
la légitimité de l’enfant né plus de trois cents jours a près la dissolution. En effet, si la gestation peut se pro
longer au delà de dix mois , la confusion des familles
n’est pas dans le premier cas évitée, le désaveu devient
un mensonge dans le second, puisque l’impossibilité de
cohabitation pendant ces trois cents jours n’est plus un
obstacle à la paternité du mari.
Ajoutons que, dans l’hypothèse de l’art. 312 et sauf
les fins de non-recevoir , le désaveu est la conséquence
forcée de la preuve de l’impossibilité de cohabitation.
�408
TRAITÉ DU DOL
Pourquoi donc l’enfant perdrait-il forcément sa légiti
mité dans ce cas, et ne la perdrait-il pas également dans
celui de la naissance tardive? Est-ce que dans ce der
nier la mort du m a ri, arrivée trois cents jours avant la
naissance, n’établit pas suffisamment celte impossibilité
de cohabitation dont parle l’art. 312? Il est évident,
dès lors, qu’on ne pourrait, sans inconséquence, consi
dérer la règle des trois cents jours comme fatale dans
un cas, tandis qu’elle ne serait que facultative dans l’au
tre.
,
Concluons donc que tout ce que fait l’art. 31 S, c’est
d’abandonner le sort de l’enfant à la volonté, à la cons
cience de la famille. Garde-t-elle le silence, l’enfant con
serve sa légitimité; conleste-t-elle cette légitimité, il n’y
a plus qu’une question de date dont les termes extrêmes
sont, d’une part, l’acte de naissance , de l’autre, l’acte
de dissolution du mariage.
Cette opinion, défendue par des auteurs graves', a été
sanctionnée par'les Cours de Grenoble et d’Aix. Il est
vrai que les arrêts de l’une et de l’autre examinent les
circonstances défait dont il était excipé. Mais cette ap
préciation surabondante n’enlève rien à la solution du
droit qui y est si nettement formulée.1
1 Toullier, tom. n , p. 135; — Duranton, tom. ni, n°s 56 et suiv,;—
Chabot, Svccess . sur l’art. 725; — Proudhon, Cours de droit, tom. n,
p. 28; — Zachariæ, tom. m , p. 633 ; — Dalloz, Ju risp . générale, v°
F ilia tio n , p 55, n° 14.
2 12 avril 1809 ; — 8 janvier 1812.
�ET DE LA FRAUDE.
409
8 5 5 . — L’action en désaveu est, comme nous lç di
rons bientôt, personnelle au père ; celle en contestation
de légitimité appartient à tout ayant droit. Les héritiers
mêmes de la mère , qui ne peuvent jamais exercer la
première, peuvent exercer l’autre. Quelque similitude
qu’il y ait dans les résultats, ces deux actions diffèrent
sur plusieurs points essentiels dont le principal est, sans
contredit, celui qui concerne la paternité. Ainsi, le dés
aveu n’a pas d’autres bases que l’absence de cette pa
ternité , dont l’acceptation par le mari assure la légiti
mité à l’enfant. La contestation de légitimité fait abs
traction de cette paternité ; la reconnaissance du mari
n’éteint pas le droit, car un homme peut donner la fi
liation , mais la légitimité jamais. Ainsi, le père d’un
enfant né dans les cent quatre-vingts jours qui ont sui
vi le mariage peut reconnaître l’enfant comme lui ap
partenant, il peut en être réellement le père, et tout cela
n’empêchera pas que, sur la poursuite de la partie in
téressée , cet enfant ne soit déclaré adultérin , si le mo
ment de sa conception remonte à une époque où ses pa
rents , ou l’un d’eux seulement, engagés dans les liens
d’un précédent mariage, ne pouvaient procréer que des
enfants adultérins. « Ainsi, dit Toullier, inutilement le
mari divorcé reconnaîtrait un enfant né trois cents jours
après la prononciation du divorce et lui prodiguerait les
soins d’un père : ses héritiers, ses parents, les héritiers
mêmes de la mère n’en seraient pas moins recevables
à contester la légitimité de l’enfant, parce que le mari
ne peut, par cette reconnaissance, détruire la présomp-
�410
TRAITÉ DU DOL
tion légale et reporter la conception de l’enfant au temps
du mariage pour lui donner les droits de famille.' »
8 5 6 . — Les naissances précoces ou tardives peuvent
donc devenir le germe de deux actions : l’une , en dés
aveu de la part du père ou de ses héritiers; l’autre , en
contestation de légitimité, de la part de tout ayant droit.
Ces deux actions, indépendantes l’une de l’autre, obéis
sent à des principes différents quoique arrivant à un
résultat à peu près identique. Ajoutons que l’effet du
désaveu est absolu et décisif. L’enfant justement désa
voué perd sa légitimité envers et contre tous. Le juge
ment qui statue sur la contestation de légitimité ne lie
que les parties contendantes, il reste pour tous ceux qui
n’y ont pris aucune part, res inter alios acta.
8 5 7 . — L’enfant conçu et né pendant le mariage
est de plein droit légitime. Energiquement protégé par
la maxime Pater is est, il ne peut perdre cette légitimité
que par le désaveu, lequel n’est lui-même recevable que
dans les cas limitativement prévus par la loi.
L’art. 312 permet le désaveu au mari, s’il prouve que
pendant le temps qui a couru depuis le trois centième
jusqu’au cent quatre-vingt troisième jour avant la nais
sance de l’enfant, il était, soit pour cause d’éloignement,
soit par l’effet de quelque accident, dans l’impossibilité
physique de cohabiter avec sa femme.
�4H
ET DE LA FRAUDE.
8 5 8 . — Nous n’avons nullement à insister sur les
doctrines plus ou moins ingénieuses que la théorie de
l’éloignement a engendrées. Les jurisconsultes anciens,
imités en cela par quelques docteurs modernes , se sont
livrés à des développements que le Code ne comporte
pas ou qu’il ne comporte plus. Tout se réduit désormais
à cette idée unique : a-t-il existé une impossibilité phy
sique de cohabitation ; et celte question de fait est sou
verainement appréciée par le magistrat, soit que l’im
possibilité alléguée résulte d’une absence au delà des
mers ou sur le continent, d’une détention dans une pri
son ou dans un bagne. Il est évident qu’une pareille
appréciation ne saurait reconnaître des limites précises,
ni obéir à des règles absolues. C’est par la nature du
fait, la position des parties et les circonstances spéciales
que chaque espèce devra recevoir la solution qui lui
convient.
8 5 9 . — A côté de l’éloignement et sur une ligne
parallèle, se place l’impossibilité physique résultant d’un
accident survenu à l’époux. Nous retrouvons ici l’im
puissance accidentelle dont nous nous sommes occupés
en traitant de la nullité du mariage. Elle est une cause
de désaveu, tandis que l’impuissance congéniale, même
visible , ne saurait l’autoriser. Nous avons déjà exposé
les motifs de cette différence ; nous nous bornons à nous
en référer à nos précédentes observations.’
»
i Y. T. i, chap. 3, sect. 2, n°» 360 et suiv.
i
. '
'
,'V
�m
TRAITÉ DU DOL
Une maladie grave, à l’époque déterminée par l’arti
cle 312, serait un motif valable de désaveu. En effet, il
ne faut pas que l’impuissance accidentelle se produise
d’une manière permanente et continue. Il suffit qu’elle
ait existé réellement au moment de la conception. Cette
existence peut provenir d’une maladie comme d’une
mutilation. On devrait donc décider dans un cas comme
on déciderait dans l’autre ; toutefois, la nature des cho
ses indique avec quelle prudence devrait ici procéder le
magistrat. Ce qu’il ne faut jamais perdre de vue , c’est
q u e , dans le doute , la faveur due à la légitimité doit
l’emporter.
L’impossibilité physique de cohabitation reconnue et
admise, il y a certitude que le mari n’est pas le père de
l’enfant. Celui-ci se trouve dès lors rejeté dans la classe
des enfants naturels, et privé de tout droit dans la suc
cession du désavouant. De plus , la qualité de femme
mariée, que la mère ne saurait répudier, imprime à sa
naissance le sceau de l’adultérinilé et le réduit, quant à
la succession de celle-ci, au droit d’obtenir des ali
ments.
860.
— On s’est longtemps préoccupé de la ques
tion de savoir si l’impossibilité morale de cohabitation
ne devait pas autoriser le désaveu. Cette question parait
résolue négativement par les art. 312 et 313 du Code.
L’impossibilité morale est une abstraction dont le légis
lateur n’a voulu se préoccuper que dans une circons
tance unique, celle de l’art. 313. C’est ce qui résulte
�ET DE LA FRAUDE.
413
d’ailleurs de l’esprit de la loi et des discussions prépatoires qu’elle a subies.
861.
— Ainsi, on avait proposé au Conseil d’Etat
de considérer comme un motif de désaveu la séparation
des époux , réunie à l’adultère de la femme. Mais cette
proposition , d’abord admise par la section de législa
tion , n’a plus figuré dans le projet définitivement a dopté. “Cette prétérition prouve qu’on a en définitive re
poussé la proposition,et que la séparation de corps lais
se les époux sous l’empire du droit commun à l’endroit
des enfants nés depuis qu’elle a été prononcée. Cela est
profondément regrettable, car la séparation faisant ces
ser la fréquentation légale que le mariage produit, fait
disparaître le principal fondement de la maxime Pater
h est. . . L’adultère survenu dans ces circonstances a joute à l’importance de ce premier effet et crée une forte
présomption contre la paternité du mari. Cependant ce
lui-ci ne pourra pas même être admis à désavouer l’en
fant , si la femme a pris la précaution effrontée de lui
annoncer la naissance, éludant ainsi l’application de
l’art. 313. N’est-ee pas là, s’écrie M. Valette', un ré
sultat déraisonnable ?
862.
— Peut-être que si le législateur de 1804 a vait prévu l’abolition du divorce, la proposition eût-elle
rencontré plus de sympathies. Le divorce, en effet, était
1 Sur Proudhon, t. n , p. 25.
3s?,
�414
TRAITÉ DU DOL
un remède héroïque contre le mal que nous signalons,
puisque, après sa prononciation, la femme, devenantétrangère à son mari , ne peut lui imposer la paternité
des enfants auxquels elle donnerait le jour. Quoi qu’il
en soit, le silence gardé par la loi du 28 mai 1816, lais
se subsister l’effet de la séparation de corps tel que le
Code l’avait admis. La paternité des enfants nés après
est de plein droit imposée au mari. Il ne peut la récuser
que s’il prouve l’impossibilité physique de cohabitation
aux époques fixées par l’art. 312.'
8 6 3 . — Ce qu’on décidait pour le cas de séparation
de corps, on devait le décider pour celui d’adultère. L’a
dultère de la femme n’exclut pas la paternité du mari,
surtout si l’on admet la continuité ou la possibilité de
relations entre lui et sa femme. L’enfant peut aussi bien
être le fruit de ces relations que le résultat du crime de
la mère : Cum possit et ilia (uxorj adultéra esse, et
imputer defunctum patrem habuisse\ Or, ces relations,
la loi les présume dès qu’elles sont physiquement pos
sibles. Elle ne pouvait donc autoriser un désaveu dont
on ne pouvait même établir les fondements d’une ma
nière certaine.
8 6 4 . — Mais si l’adultère est accompagné de l’aveu
tacite de la femme sur ses conséquences, le désaveu de
vient recevable. La loi trouve cet aveu dans le recèle1 Ces conséquences ont été modifiées par la loi du 6 décembre 1880
2 L . 2,S 9, Dig. Ad legem Juliam de adult.
�ET DE LA FRAUDE.
415
ment de la naissance de l’enfant. Ce fait, personnel à la
femme, fournit contre la paternité du mari une prés
omption d’une gravité incontestable. La naissance d’un
enfant est, pour une femme vertueuse, un sujet d’orgueil
et de juste fierté. Cette naissance peut, dans certains cas,
exercer une bienfaisante influence sur le sort des époux,
contribuer à resserrer le lien qui les unit et dissiper les
nuages qui obscurcissaient la vie commune. Dès lors,
la conduite de l’épouse déjà adultère qui, loin de décla
rer la naissance de son enfant, l’entoure d’un profond
mystère, la dérobe au regard de son mari, ne décèlet-elle pas les replis les plus secrets de son cœur ? N’estce pas le cri d’une conscience convaincue et la recon
naissance formelle de l’illégitimité dè l’enfant? N’élèvet-elle pas en un mot, contre celui-ci , un préjugé assez
fort pour balancer la présomption fondée sur le mari
age ? '
865.
— Mais balancer une présomption ce n’est
pas la détruire. Aussi le mari qui a prouvé l’adultère
de sa femme et le recèlement de la naissance de l’en
fant, n’a pas encore rendu le désaveu inévitable. Il y a
probabilité, aveu tacite de la mère, si un autre motif ne
vient pas expliquer sa conduite. Or, en matière de légi
timité , ce n’est pas sur des probabilités , ce n’est pas
même sur les déclarations de la mère qu’on décide du
sort de l’enfant.
i Toullier, tom. n, p. 126, n° 814.
�416
TRAITÉ DU DOL
Jusque-là donc , il y a seulement doute grave qu’il
convient d’approfondir. Le désaveu est recevable. Mais
il ne sera fondé que si le mari complète la démonstra
tion qu’il doit faire de l’illégitimité de l’enfant. Consé
quemment et par une exception aux règles ordinaires,
la loi lui permet d’articuler et de prouver tous les faits
propres à justifier qu’il n’est pas le père de l’enfant.
En dernière analyse, pour que le désaveu d’un en
fant conçu et né pendant le mariage soit recevable , il
faut que la femme convaincue d’adultère, le soit égale
ment d’avoir recélé la naissance; pour qu’il soit fondé,
il faut que le mari prouve qu’il n’est pas le père de l’en
fant, bien entendu qu’il ne s’agit plus ici d’une impos
sibilité physique, comme tout à l’heure. L’impossibilité
morale suffit, et l’on peut la faire résulter de tous faits,
de toutes présomptions de nature à corroborer l’induc
tion tirée de l’adultère et du recèlemenl de la naissance.
866.
— Mais que faut-il entendre par le recélé de
la naissance? Cette naissance est un fait complexe im
pliquant le concours nécessaire de trois caractères : la
conception , la grossesse, l’accouchement. De plus, elle
ne se manifeste que par la déclaration exigée par l’arti
cle 55 du Code civil. Cela étant, l’art. 313 entend-il que
le recélé porte sur l’ensemble de ces circonstances ? En
d’autres termes , faut-il que la femme ait tout à la fois
dissimulé, nous ne dirons pas la conception , l’époque
en est nécessairement inconnue, mais sa grossesse, célé
son accouchement et fait une fausse déclaration ? Suffi-
�417
ET DE LA FRAUDE.
ra-t-il, au contraire, d’une ou de deux de ces circons
tances ? Quelle sera l’importance de chacune d’elles ?
Pour résoudre ces questions, il faut se pénétrer de
l’esprit de l’art. 3 1 3 , tel qu’il résulte des discussions
dont cet article a été l’objet dans le sein du Conseil
d’Etat.
Nous l’avons déjà dit, l’intention du législateur a été
de proscrire le désaveu fondé sur l’impossibilité pure
ment morale. Cependant ce principe a dû fléchir lors
que, comme le disait le consul Cambacérès, il fallait se
rendre à l’évidence des faits et ne pas placer les juges
entre un texte trop rigoureux et le cri de leur cons
cience.
Mais comment arriver à cette évidence , si les prés
omptions les plus décisives ne parvenaient pas à en au
toriser la recherche ? Sans doute l’état des enfants ne
pouvait être abandonné à la déclaration plus ou moins
intéressée , plus ou moins sincère de la mère. Mais ce
qu’une déclaration ne pouvait faire , le mystère dont la
femme s’enveloppe dans une circonstance telle que la
naissance d’un enfant était de nature à l’opérer. « Si
la femme adultère, disait l’orateur du Gouvernement, a
caché à son mari sa grossesse , son accouchement, la
naissance de l’enfant, le sentiment qui lui a dicté ce
mystère et imposé les soins et les embarras qu’il exige,
est d’une telle prépondérance, qu’il serait injuste de ne
pas l’appeler en témoignage sur la question de la véri
table paternité. Une femme , en ce cas , ne dit rien , ne
déclare rien ; au contraire, elle se tait, elle se cache, c’est
n
*
27
�418
TRAITÉ DU DOL
son cœur lui-même qui, malgré elle, développe ses re
plis les plus cachés, c’est sa conscience qui laisse échap
per son plus mystérieux jugement. »
Ainsi, le silence de la femme est l’aveu tacite le plus
énergique de l’illégitimité de l’enfant. Conséquemment,
que ce silence porte sur le fait matériel de la naissance,
sur l’accouchement ou sur la grossesse , il n’existe pas
moins, il n’en doit pas moins produire tous ses effets.
867.
— Cependant, le silence d’abord gardé sur la
grossesse peut être rompu avant l’accouchement, à une
époque plus ou moins rapprochée de celui-ci. La con
naissance qui en résultera pour le mari lui enlèvera-telle la faculté \ de désavouer l’enfant ?
Admettre l’affirmative , c’est rendre la femme arbitre
souveraine du désaveu. Elle pourrait, en effet, le rendre
dans tous les cas irrecevable en décélant sa grossesse
quelques jours avant l’accouchement, après l’avoir dis
simulée pendant longtemps. Un pareil résultat serait une iniquité avec d’autant plus de raison, que la conduite
de la femme peut n’être dictée que par esprit de bravade
et de défi pour placer son mari en dehors des conditions
prescrites par la loi pour l’exercice du droit du désaveu.
Ainsi, le crime lèverait insolemment la tête, et l’enfant,
étranger au m a ri, se verrait assurer , sans retour , un
rang, un titre, un privilège auquel il n’a jamais eu au
cun droit.
Une pareille immoralité ne pouvait entrer dans les
prévisions du législateur. C’est ce que la Cour de cassa
tion vient de décider par son arrêt du 7 janvier 1850.
�ET DE LA FRAUDE.
419
868.
— Le savant rapporteur, M. Mesnard , après
avoir examiné la légalité, présentait à la Cour suprême
les observations suivantes : « Que conclure de tout cela?
Une chose bien simple, c’est qu’il n ’y a rien d’absolu
dans les termes de l’art. 313 ; que tout dépend des cir
constances , et qu’en cette matière une grande latitude
est nécessairement laissée aux tribunaux.. . . En pareil
cas, ce à quoi il faut s’attacher, ce n’est pas à ce que le
mari a pu savoir ou ignorer, c’est à ce que la femme a
voulu cacher. La loi ne prend pas garde à ce qui a pu
venir à la connaissance du mari sur les faits relatifs à
la naissance; elle ne s’occupe que de la conduite et de
la dissimulation de la femme; elle n’exige pas que le
mari ait ignoré la naissance, car il doit la connaître
pour pouvoir désavouer ; elle veut seulement qu’on la
lui ait cachée. Que la femme réussisse complètement ou
non dans son œuvre de mystère , jusqu’à un certain
point, il importe peu. Les tribunaux auront à apprécier
sa conduite; ils auront à vérifier si le secret qu’elle a
fait à son mari des signes ou des preuves de la mater
nité contient ou non cet aveu tacite et spontané que les
auteurs de la loi rattachent au recel de la naissance. »
Sur ces observations, la Cour de cassation a consacré
les solutions suivantes :
« Attendu, en droit, que le législateur, en admettant
que la présomption consacrée par l’art. 312 du Code
civil, après avoir fléchi devant l’impossibilité physique
de cohabitation , pourrait également fléchir devant la
preuve de l’impossibilité morale de celte cohabitation, a
�420
TRAITÉ Dl! DOL
entendu assujettir cette preuve à une condition qui ser
vit de garantie contre les appréciations variables et arbi
traires des tribunaux; que c’est ainsi qu’il a exigé dans
l’art. 313, pour la recevabilité du désaveu fondé sur la
preuve de cette impossibilité morale, que la femme eût
caché au mari la naissance de l’enfant, trouvant dans
ce recel ou cette dissimulation, de la part de la femme,
l’aveu tacite de sa faute et un secret jugement de sa con
science contre la légitimité de l’enfant ;
» Attendu que , devant cette pensée incontestable de
l’art. 313, il est impossible d’admettre que le recel de
la grossesse soit un fait insignifiant et que le recel de
l’accouchement ait été l’objet exclusif de l’attention du
législateur ;
» Attendu que la naissance implique, tout à la fois,
la grossesse et l’accouchement, et que le recel de l’un ou
de l’autre de ces deux faits élémentaires et constitutifs
de la naissance peut devenir , selon les circonstances,
plus ou moins significatif et tenir lieu de cet aveu tacite
que la loi fait résulter du silence de la femme ;
» Attendu qu’en pareil cas, il y a beaucoup moins à
rechercher ce que le mari a pu savoir ou ignorer, que
ce que la femme a voulu lui cacher, puisqu’il s’agit uniquement de déterminer la signification morale et in
tentionnelle du secret dont elle a voulu entourer sa ma
ternité ;
» Attendu que si la femme qui dissimule sa grosses
se à son mari encourt le juste soupçon de la loi, en
commençant ainsi un système de recel, incompatible a-
�ET DE LA FRAUDE.
424
vec le sentiment de ses devoirs, il ne s’ensuit pas toujours
que cette dissimulation doive suffire pour constituer le
recel de la naissance; qu’ainsi les conséquences de cettet
dissimulation peuvent être écartées lorsque la femme,
par une révélation loyale et sincère de son état, faite en
temps opportun au mari, efface les soupçons et les dou
tes qui s’attachaient à son silence; mais qu’il en est au
trement lorsqu’à la place d’une révélation sincère et
spontanée, se produit un aveu intéressé, calculé, déloyal,
et q u i, au lieu d’être une protestation contre le passé,
devient, au contraire, la continuation , la confirmation
du recel de la grossesse et met encore plus à nu la pen
sée coupable qui y a présidé.' »
869.
— Il résulte de cette doctrine que le recel de
la grossesse équivaut, quant au désaveu, au recel de la
naissance. Mais, ainsi qu’on le faisait observer dans l’es
pèce jugée par la Cour de cassation , la grossesse est,
pendant longtemps , pour la plupart des femmes , un
fait incertain et ignoré. Aussi n’admet-on pas qu’il y ait
nécessairement fraude , par cela seul qu’elle n’a pas été
déclarée. La femme sera toujours admise à expliquer, à
justifier les causes de son silence, et sa dissimulation ne
' motivera le désaveu que lorsque les tribunaux seront
convaincus de la déloyauté qui y a présidé. Cette délo
yauté admise dans l’origine, il ne dépendra plus de la
femme d’empêcher le désaveu et de consacrer, au gré de
1 D. P. 1850, 4, 5.
�m
TRAITÉ DU DOL
son caprice, la légitimité de l’enfant dont elle a d’abord
tacitement reconnu l’illégitimité.
8 7 0 . — Les termes de l’art. 313 conduisant à cette
conséquence que l’articulation des faits n’est exigée qu’après la décision affirmative sur l’adultère suivi du recèlem ent, faut-il en conclure que l’action en désaveu ne
sera recevable qu’autant qu’il y aura à cet égard chose
jugée ?
L’affirmative absolue a été soutenue sur le motif que
la loi n’admet la faculté de désavouer qu’en supposant
a priori l’existence de l’adultère et le recèlement de la
naissance. Cette existence est donc la condition indispen
sable de l’action en désaveu ; conséquemment, tant
qu’elle n’est pas acquise, le désaveu n’est pas recevable.
On invoque à l’appui de cette doctrine les paroles de M.
Duveyrier exprimant le voeu du Tribunat : On ne pou
vait refuser au mari, qui a d é jà , prouvé le crime
de sa femme et le mystère dont elle a enveloppé le fruit
de son crime, la faculté d'offrir à la justice les autres
preuves qui peuvent compléter la démonstration.
8 7 1 . — La Cour de cassation a cependant jugé, et
selon nous avec raison , que la recevabilité du désaveu
ne saurait être subordonnée au jugement préalable de
j ’adultère. Mais cet a rrê t, rendu le 8 juillet 1812 , va
plus loin encore, il considère l’adultère comme la con
séquence naturelle du recèlement de la naissance, soit de
l’admission du désaveu. Il consacre donc que la seule
�ET DE LA FRAUDE.
423
chose à prouver par le m a ri, c’est le recèlement de la
naissance.
Cette doctrine nous paraît inconciliable avec le texte
de l’art. 313. Evidemment ce texte clair, précis et formel
ne s’occupe du recèlement de la naissance que dans le
cas d’adultère acquis , ce n ’est qu’alors que cette cir
constance devient significative. En d’autres term es, ce
texte se résume dans celte proposition : pour que le re
cèlement de la naissance signifie que l’enfant est le pro
duit d’un crim e, il faut avant tout qu’on prouve qu’un
crime a existé.
872.
— Cette interprétation découle logiquement
des discussions législatives dont l’art. 313 a été l’objet.
« L’accouchement d’une femme , dit M. Rœderer , et
» l’éducation de son enfant à l’insu de son mari ou loin
» de ses yeux, ne peuvent être une preuve , pas même
» un commencement de preuve que le mari n’est pas
» le père de l’enfant. Un mari violent, qui soupçonnera
» un commerce clandestin entre sa femme et un amant,
» pourra la menacer des plus redoutables traitements,
» si elle devient grosse dans le temps sur lequel porte
» ses soupçons, cependant elle est grosse au moment de
» ces menaces; son mari s’absente pour services pu» blics ou pour affaires particulières , elle , intimidée,
» cache son accouchement, le dérobe à la connaissance
» de son mari, quoique l’enfant puisse être de lui com» me de l’amant, ou de lui seul, la jalousie seule ayant
» vu un amant dans l’homme qui n’était qu’un ami. »
�424
TRAITÉ DU DOL
A cette supposition M. Rœderer en ajoute une se
conde , celle où le mari se croyant trompé , ou sachant
l’être , dirait à sa femme : l’enfant dont tu es enceinte
n ’est pas de m o i, il faut que tu te gardes de le laisser
jamais paraître à .mes yeux ; et, comme on s’armait de
l’autorité de Cochin pour contester une pareille suppo
sition , M. Rœderer répondait par ces paroles de d’A
guesseau : Un père peut très-bien désavouer son propre
enfant, et vouloir venger sur le fils l’affront qu’il a
reçu de la mère.
Ces considérations ont-elles été sans influence sur la
rédaction de l’art. 313 ? Il serait permis de le croire, si
les termes dans lesquels cet article est conçu ne don
naient pas la preuve du contraire ; si, après ces discus
sions, on n’avait pas insisté sur la nécessité de la preu
ve préalable de l’adultère. Nous avons déjà rappelé les
paroles de l’orateur du Tribunat. Voici maintenant cel
les de Rigot de Préameneu , exposant les motifs de la
loi: Comment repousser un mari qui, a y a n t f a i t
d é c l a r e r s a f e m m e a d u l t è r e , rnjant
ignoré qu'elle eût un enfant , verrait après coup , et
peut-être après la mort de sa femme, cet enfant se pré
senter comme étant né de son mariage. '
Ainsi, partout la même explication, la même exigen
ce : l’adultère de la femme suivi du recèlement de la
naissance. Loin donc que ce recèlement implique com
me conséquence la certitude de l’adultère, il faut avouer
qu’aux yeux du législateur cette circonstance tire son
principal caractère de l’adultère même, Celui-ci prouvé,
�ET DE LA FRAUDE.
425
il y a entre le recèlement et lui une liaison intime , di
recte, significative. On peut alors dire avec juste raison:
Post hoc ergo propter hoc. Le recèlement sans la preu
ve de l’adultère n’est plus qu’un fait grave sans doute,
mais qui n ’a pas une signification bien précise. Il peut
tenir à l’une des causes indiquées par M. Rœderer, il
peut encore n’être que le produit d’une coupable affec
tion , q u i, pour ne pas diminuer la fortune des enfants
déjà nés, n’aura pas reculé devant une odieuse suppres
sion de part.
Tout cela peut paraître difficile à admettre , mais il
suffisait d’une probabilité pour que le législateur dût
s’entourer des plus, rassurantes précautions. Or, la pre
mière et la plus simple de toutes, était d’exiger la preu
ve de l’adultère, avant d’assigner celte cause à la pater
nité de l’enfant. Il n’est pas exact de dire que la preuve
de l’adultère peut résulter et résulte même nécessaire
ment du recèlement de la naissance. Cette preuve doit
toujours être produite'. Que la justice soit moins diffi
cile sur les éléments qui doivent la constituer, alors que
le recèlement de la naissance en fournit déjà une prés
omption, cela se comprend, mais proclamer toute autre
preuve inutile en présence de ce recèlement, c’est mé
connaître, à notre avis, le texte et l’esprit de la loi.
873.
— Si nous nous écartons en ce point de l’ar
rêt de la Cour de cassation , nous nous réunissons en-
l Merlin, v° L égitim ité, sect. 2, § 2, n° S ; — Toullier, t. il, n° 812
�426
TRAITÉ DU DOL
tièrement à sa doctrine , quant à l’effet de la constata
tion judiciaire de l’adultère, sur la recevabilité du dés
aveu. En effet, faire dépendre cette recevabilité de la
chose jugée sur l’adultère, serait ne tendre à rien moins
qu’à rendre souvent tout désaveu impossible.
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Le mari peut n’être mis sur la voie de l’adultère que
par la découverte de l’enfant. Son désaveu doit être for
mulé dans les deux mois de cette découverte , à peine
de déchéance. Comment donc pourrait-il échapper à
cette déchéance, s’il est obligé de faire d’abord judici
airement constater l’adultère ? Cette constatation verra
s’écouler les deux mois que la loi lui accorde, de telle
sorte qu’au moment où il lui serait permis d’a g ir, il ne
pourra plus le faire. Ainsi interprétée, la loi serait évi
demment absurde et injuste.
Tout commande donc au mari qui s’y croit fondé
d’introduire l’action en désaveu immédiatement après
la découverte de l’enfant. Cette action intentée, il doit :
ou, comme le veut M. Valette', prouver d’abord l’adul
tère et le recèlement de la naissance, et faire ensuite sta
tuer sur le désaveu ; ou, comme l’enseignent divers ar
rêts, et notamment celui rendu par la Cour de cassation
le 25 janvier 1831, faire marcher de front la preuve de
l’adultère , celle du recèlement et celle des faits propres
à établir qu’il n’est pas le père de l’enfant. Quoique le
mode indiqué par M. Valette nous paraisse plus juridi-
�ET DE LA FRAUDE.
427
que , plus conforme au texte et à l’esprit de l’art. 313,
nous ne voyons dans le second aucun inconvénient de
nature à en commander le rejet.
8 7 4 . — L’action en désaveu est personnelle au ma
ri, de telle sorte que, lui vivant, personne autre n’est re
cevable à rompre le silence qu’il s’imposerait lui-même.
Arbitre suprême de la conduite de sa femme, l’approba
tion même tacite qu’il lui donne met celle-ci à l’abri de
toute attaque : Probatam enim a merito uxorem , et
quiescens matrimonium, nemo débet alius turbare a tque inquietare'. C’est dans ce sens que le droit accordé
au mari ne constitue qu’une simple faculté dont il lui
est toujours loisible de ne pas user. Seul et unique juge
des intérêts, des besoins et de l’honneur de la famille, il
prononce souverainement à l’encontre de tous, il peut
connaître la faute , mais il peut vouloir l’ignorer et la
cacher, à lui donc le droit de punir, le droit de se ven
ger, mais à une condition : c’est de n’être pas privé du
droit de pardonner1 ; le pardon qu’il accorderait assu
rerait la légitimité de l’enfant.
8 7 5 . — Le silence gardé par le mari suppose dans
tous les cas ce pardon. Conséquemment il éteint l’action
que nul ne peut plus intenter à l’avenir , mais , pour
produire cet effet, ce silence doit s’être prolongé au delà
du délai accordé par la loi pour l’exercice du désaveu.
1 L. 26, D ig., A d legem J u lia m de adult.
2 M artin de Strasbourg, Mémoire p o u r l ’affaire H erm ann.
�428
TRAITÉ DU DOL
Tant que ce délai n’est pas expiré , le silence peut être
rompu et, si le mari meurt en cet état, l’action en dés
aveu est au nombre de celles que ses héritiers sont ap
pelés à recueillir et qu’ils ont dès lors qualité pour pour
suivre. C'est ce qui est textuellement édicté par l’art. 317
du Code civil.
La personnalité de l’action ne cesse donc que dans le
cas de mort avant l’épuisement du délai que la loi don
ne au mari pour réaliser le désaveu. Le mari n ’a pas
définitivement pardonné tant qu’il peut encore réclamer;
en cet état, ses héritiers deviennent à leur tour les arbi
tres de l’opportunité d’une action à laquelle ils peuvent
avoir un immense intérêt.
876.
— Les héritiers dont parle l’art. 317 sont aussi
bien les héritiers testamentaires que les héritiers légiti
mes. Les uns et les autres sont également les représen
tants du défunt, jouissant des mêmes prérogatives. Sou
mis aux mêmes •obligations, ils sont donc également ad
missibles à poursuivre le désaveu. Cette faculté n’étant
attachée qu’à la qualité d’héritier, il est certain que ce
lui qui , appelé à la succession , y aurait renoncé , ne
pourrait plus prétendre à l’exercer.
Il résulte encore des termes de l’art. 317 que l’action
en désaveu appartient exclusivement aux héritiers du
mari. En effet la femme, quelqu’intérêt qu’elle eût d’ail
leurs à le faire, ne saurait être admise à désavouer l’en
fant qu’elle aurait elle-même frauduleusement introduit
dans la famille : Nemo auditur lurpitudinem suam al-
�ET DE LA FRAUDE.
429
legans. Ses héritiers ne pourraient donc trouver dans sa
succession une action qui n’a jamais existé. À cette rai
son légale s’ajouterait un motif d’honnêteté publique.
Comment concéder à l’héritier de la femme une faculté
dont l’exercice déshonorerait celle dont il tient ses droits
et ajouterait ainsi le scandale à l’immoralité ?
8 7 7 . — Ainsi les héritiers du mari ont seuls qualité
pour désavouer l’enfant se prétendant issu du mariage
entre sa mère et leur auteur. Ce droit est subordonné à
la mort de celui-ci avant l’expiration des délais pendant
lesquels il peut réaliser lui-même l’action. La mort sur
venue après l’expiration de ces délais a éteint l’action
qui n’a pu ainsi se transmettre aux héritiers. La légiti
mité de l’enfant est donc inattaquable. Tant que le mari
est vivant, nul autre que lui ne peut désavouer l’enfant,
l’action lui étant exclusivement personnelle, puisque seul
il peut en apprécier exactement l’opportunité et la jus
tice.
C’est par application de ce principe qu’on doit résou
dre deux questions fort importantes en matière de dés
aveu. L’héritier présomptif envoyé en possession provi
soire des biens de l’absent, le tuteur du mari interdit,
pourra-t-il désavouer l’enfant qui se prétend issu du
mariage.
8 7 8 . — Merlin , qui ne voit aucun doute possible
sur le droit du tuteur de l’interdit, enseigne également
l'affirmative sur la première question. Le jugement, ditil , qui envoie l’héritier présomptif en possession des
il
Ml
�430
TRAITÉ DU DOL
biens de l’absent, lui en transfère de plein droit l’admi
nistration ; et qu’entendent les art. 120 et 125 par biens?
Ce ne sont pas seulement les objets corporels dont se
compose la fortune de l’absent, ce sont aussi tous les
droits incorporels ; ce sont par conséquent aussi toutes
les actions qu’il pourrait exercer lui-même s’il était pré
sent , e t , par une conséquence ultérieure , c’est aussi
l'action par laquelle, s’il était présent, il pourrait désa
vouer l’enfant conçu par sa femme à une époque où,
par son éloignement, il était dans l’impossibilité physi
que de cohabiter avec elle.
Qu’importe, continue Merlin, que l’envoyé en posses
sion provisoire des biens de l’absent ne soit ni physi
quement le même que l u i , ni son héritier ? L’absence
de cette qualité ne lui enlève aucuns des droits qui y
sont attachés (moins celui d’aliéner ou d’hypothéquer),
comme il en supporte aussi toutes les charges , comme
il est obligé, aux termes de l’art. 134 du Code civil, de
défendre à toutes les actions intentées contre lui. Ce n’est
pas tout, par cela seul qu’il est saisi de la possession de
tous les biens de l’absent, il a nécessairement qualité
pour repousser toutes les prétentions qui tendraient à
l’en dépouiller par une autre voie que celle indiquée
par l’art. 131, c’est-à-dire par la preuve de l’existence
de l’absent.
Répondant à l’argument tiré des art. 312 et 317,
qui ne désignent comme capables de désavouer que le
mari on ses héritiers , Merlin soutient que cela ne peut
s’entendre que de l’enfant né pendant le mariage. Or,
�ET DE LA FRAUDE.
431
on ne pourrait considérer comme te l, celui qui est né
trois cents jours après la disparition ou les dernières
nouvelles de l’absent, à moins qu’il ne prouvât l’exis
tence du mari au moment de la conception. En effet,
l’absent n’étant, lors de l’envoi en possession provisoi
re, réputé ni mort ni vivant, c’est à ceux qui réclament
des droits sur le fondement de son existence à rappor
ter la preuve de l’une ou de l’autre.'
879.
— Malgré la juste autorité depuis longtemps
acquise au célèbre jurisconsulte dont nous venons d’a
nalyser l’opinion , il nous est impossible d’admettre sa
doctrine dans toute son étendue. A nos yeux , l’envoyé
en possession provisoire n’est qu’un mandataire qui se
ra peut-être définitivement exclu de la succession de
l’absent. Il n’est momentanément appelé que dans la
supposition que celui-ci est réellement mort au moment
de la disparition ou des dernières nouvelles, liais cette
supposition n’est pas consacrée par la loi comme l’ex
pression de la vérité, d’où la conséquence, en vertu du
principe même consacré par M. Merlin , que toutes les
fois que le droit que veut exercer l’envoyé en possession
provisoire suppose la mort réelle de l’absent, il devra
justifier cette mort qui seule lui en rendra l’exercice
possible.
Jusqu’à cette preuve , la qualité de l’envoyé en pos
session provisoire reste problématique et incertaine, on
1 Q u estio n
de d r o it,
v°
L é g itim ité ,
§ 3.
�432
TRAITÉ DU DOL
ne sait pas même s’il sera ou non héritier. Comment,
dès lors, l’autoriser à intenter l’action en désaveu sans
oublier les considérations si puissantes qui ont fait con
centrer cette action sur la tête du mari , tant qu’il est
vivant ? Il est évident, en effet, que l’héritier présomp
tif n’aura pas les mêmes motifs pour agir, dans la pour
suite du désaveu , avec la prudente circonspection que
le mari y apportera. 11 sacrifiera tout à son intérêt du
moment, sans se préoccuper de l’honneur de la femme,
des droits de l’enfant, que le mari, que les héritiers dé
finitivement appelés n’auraient peut-être jamais atta
qués.
Il est vrai, comme le remarque Merlin, que le juge
ment qui aura admis le désaveu ne sera pas obligatoire,
en ce sens que le mari à son retour, que les héritiers à
l’époque de son décès pourront en répudier le bénéfice.
Mais le scandale n’en aura pas moins été p roduit, la
femme et l’enfant n’en resteront pas moins flétris aux
yeux du public , et cela parce qu’un parent avide aura
été momentanément chargé de la gestion de biens aux
quels il doit, en dernier résultat, demeurer étranger.
Il n’a donc pu être dans la pensée de la loi d’armer
le provisoire de la faculté de prendre des mesures ayant
un tel caractère de perpétuité contre les personnes. La
preuve la plus décisive , c’est qu’elle refuse tout ce qui
aurait ce caractère à l’endroit des biens. Elle en confie
l’administration, mais à la charge de faire inventaire,
de donner caution , de rendre compte ; mais elle pro
hibe toute aliénation par vente ou hypothèque; enfin,
�433
ET DE LA FRAUDE.
et quant aux actions actives , elle ne permet pas à l’hé
ritier présomptif d’intenter les actions immobilières et
de transiger sur les actions mobilières , sans en avoir
obtenu préalablement l’autorisation.'
Le véritable caractère d’une pareille administration
est facile à déterminer, c’est un dépôt accompagné d’un
mandat légal. Sans doute, et contrairement à ce qui se
réalise dans l’un et dans l’autre contrat, l’envoyé en
possession provisoire fait sien une partie des fruits des
biens qu’il administre. Mais cette dérogation , d’ailleurs
formellement écrite dans la loi , est toute dans l’intérêt
de l’absent. Qui aurait osé obtenir l’envoi en possession,
si dix ou vingt ans après, l'absent reparaissant, on eût
été obligé de lui restituer avec le capital, la totalité ag
glomérée des revenus consommés année par année et
quelquefois sans trop d’avantages et de profits?
L’héritier présomptif n’a donc en réalité qu’un man
dat salarié et restreint. Il administre les biens qu’il re
çoit en dépôt, en attendant l’événement du décès de l’ab
sent. Il n’est donc pas cet héritier dont parle l’art. 317,
et qui, à la tète de l’hérédité, en dispose à sa libre vo
lonté , sans restrictions et sans contrainte. Celui-ci est,
pour tous les droits afférant au défunt, ce qu’était le dé
funt lui-même. On ne peut donc accorder au premier
une faculté limitativement réservée au second.
Mais, dit Merlin, l’art. 317 ne concerne que l’enfant
1 De Plasman et Moly, Des absents ; — Proudhon et Toullier, même
titre.
u
28
�434
TR A IT É DD DDL
né pendant le mariage ; or, on ne pourrait considérer
comme tel celui qui est né trois cents jours après la dis
parition ou les dernières nouvelles. Merlin a raison. Mais
la question qui nous occupe ne pourra jamais naître à
l’occasion d’un enfant né dans cette dernière hypothèse.
En effet, l’art. 1210 appelle à la possession provisoire
des biens de l’absent l’héritier présomptif au jour de la
disparition ou des dernières nouvelles. Cela posé , de
deux choses l’une : l’acte de naissance de l’enfant place
sa conception à une époque antérieure ou postérieure au
jour de la disparition ou des dernières nouvelles.
Dans le premier cas, l’enfant est le seul héritier pré
somptif pouvant et devant obtenir l’envoi en possession.
Or, comme il est reconnu qu’en cette matière les juge
ments n’acquièrent jamais force de chose jugée contre
les parents plus rapprochés que celui qui les a obtenus,
il suit que , dans notre hypothèse , l’enfant obtiendrait
l’envoi en possession sans être obligé d’attaquer et de
faire rétracter la décision déjà rendue et conférant cette
possession à un parent collatéral. Celui-ci ne pourrait
empêcher ce résultat qu’en désavouant l’enfant. Mais
cette action de sa part suppose le décès du père sur le
quel elle est uniquement fondée. Dès lors il doit, pour
être recevable, prouver ce décès en vertu du principe ad
mis par Merlin, que, lors de l’envoi en possession pro
visoire, l’absent n’étant réputé ni mort ni vivant, c’est à
celui qui réclame un droit sur le fondement de sa mort
ou de son existence à prouver l’une ou l’autre.
Dans le second cas, l’enfant non encore conçu au jour
�E T DE LA. FR A U D E .
435
de la disparition ou des dernières nouvelles, n’était pas
à cette époque l’héritier présomptif. Il ne peut donc pas
obtenir l’envoi en possession provisoire. Le collatéral
qui a requis cet envoi qui lui a été accordé, ou qui le
demande en sa qualité d’héritier présomptif, doit être
préféré à l’enfant, sans qu’il ait besoin de le désavouer."
Celui-ci ne pourrait empêcher cette préférence qu’en
justifiant de l’existence de l’absent au moment de sa
conception; et, comme sa prétention repose uniquement
sur cette existence, il serait dans la nécessité d’en four
nir la preuve préalable, en vertu du principe que nous
rappelions tout à l’heure.
La nécessité pour le collatéral de désavouer l’enfant
ne naîtrait qu’après que cette preuve aurait été fournie.
Mais alors aussi naîtrait pour lui l’obligation de prouver
le décès, puisque c’est par l’événement de celui-ci que
le désaveu deviendrait recevable.
Voilà les conséquences seules vraies, seules logiques,
que la règle invoquée par Merlin puisse et doive entraî
ner. Ainsi appliquée , cette règle concilie parfaitement
les droits de chacun avec le caractère essentiellement per
sonnel de l’action en désaveu. Dès lors tombent les ob
jections que ce jurisconsulte éminent fait contre les con
séquences de cette personnalité , et, avec ces objections
l’opinion qu’elles avaient pour objet défaire prévaloir.
8 8 0 . — L’envoyé en possession provisoire ne peut
[gu Cass., 3 décembre 1834.
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TRAITÉ DU ÛOL
donc pas désavouer l’enfant tant qu’il n’a pas prouvé
la mort de l’absent. Le droit que nous contestons à cet
héritier, nous le refusons également au tuteur de l’inter
dit. La doctrine contraire, admise par Merlin, sans dé
veloppements, sans discussion, nous parait devoir, dans
son principe et dans ses conséquences , conduire à des
résultats véritablement monstrueux.
En effet, reconnaître au tuteur de l’interdit la faculté
de désavouer l’enfant né pendant le mariage de celui-ci,
c’est étendre singulièrement les pouvoirs que la loi lui
confie, c’est méconnaître le véritale caractère de l’action
en désaveu.
Vainement, dit-on, que l’art. 450 investit le tuteur de
la faculté d’exercer tous les droits que le pupille pourrait
exercer lui-même. Cela ne peut s’entendre que des droits
qui peuvent être légalement accomplis par un représen
tant, et qui ne se placent pas dans la catégorie de ceux
que l’interdit pourrait seul exercer. Aussi personne ne
s’avisera de soutenir que le tuteur peut se marier pour
le pupille, tester pour lui, faire une donation, adopter.,
reconnaître un enfant naturel, ni être tuteur ou membre
d’un conseil de famille auquel le pupille serait appelé.
Or, tout cela, celui-ci le pourrait s’il était integri sta
tus. Donc, il ne suffit pas que l’interdit ait le droit de
faire un acte quelconque pour que le tuteur puisse l’ex
ercer en son nom. L’argument tiré de l’art. 450 ne ré
sout donc pas la question , cette disposition ne s’appli
quant, de près ni de loin, aux actes tellement attachés à
la personne, que cette personne est seule capable de les
�ET DE LA ER A UDE.
437
exécuter. Tout ce qui tient à l’état de la famille rentre
nécessairement dans cette catégorie. Or, le désaveu inté
resse essentiellement celle-ci. Donc le pupille peut seul
l’exercer comme il pourrait seul adopter, reconnaître un
enfant naturel, se m arier, poursuivre la séparation de
corps ou le divorce.
Dans ses conséquences, le désaveu de la part du tu
teur amènerait à des résultats quelquefois iniques. Re
marquons d’abord, que la chose jugée contre le tuteur
ou en sa faveur, nuit ou profite au pupille, de telle sorte
que l’enfant déclaré illégitime, sur la poursuite du pre
mier, serait à tout jamais rejeté de la famille. Il ne se
rait donc pas permis au père , revenu à la raison , de
réclamer comme sien l’enfant qui lui appartiendrait ré
ellement, et dont il avouerait la paternité; l’enfant qui,
dans ses moments lucides, avait peut-être été sa joie, sa
consolation, et l’on ne reculerait pas devant une pareille
éventualité ? Et l’on encouragerait ainsi un intérêt sor
dide à se substituer à des droits légitimes en exploitant
avec habileté le mystère de la naissance de l’enfant, ren
du plus impénétrable par l’infirmité du père? Ainsi,
cette infirmité même sera un péril pour l’enfant, car il
ne pourra interroger des souvenirs et des impressions
q u i, s’ils se fussent produits , auraient été pour lui la
plus utile défense.
Ce serait donc contrairement à la justice, à l’équité, à
l’intérêt même de l’interdit qu’on confierait à son tu
teur le droit de désavouer l’enfant. Le père pourrait voir,
malgré sa volonté, son propre fils injustement dépouillé
�438
T R A IT É
DU
DOL
de son droit, sa fortune passer à un avide collatéral, son
honneur compromis , celui de sa femme perdu et tout
cela lorsque la loi lui confie la mission de pouvoir se
taire, le droit sacré de pardonner, lorsque seul il est en
état d’apprécier non seulement la convenance et l’op
portunité, mais encore la portée morale du désaveu.
Nous n’hésitons pas, quant à nous, à refuser cette ac
tion au tuteur ; nous ne pensons pas qu’on puisse sub
stituer à la juste appréciation du mari une appréciation
manquant de bases et souvent trop intéressée. La raison
légale qui nous détermine et qui vient à l’appui des
considérations morales qui précèdent, c’est que l’action
en désaveu est une faculté plutôt qu’un véritable droit,
et que si le tuteur peut faire valoir ceux-ci, il n’a au
cune qualité en présence d’une faculté exclusivement at
tachée à la personne du pupille.'.
8 8 1 . — Cette doctrine n ’a pas cependant prévalu
devant la Cour de cassation. Un arrêt de la Cour de Col
m ar, la consacrant, a été cassé le 24 juillet 1844.1
Nous avons mûrement examiné les motifs de la Cour de
cassation et, nous osons le dire, ils ne nous paraissent
pas de nature à infirmer les hautes et puissantes consi
dérations sur lesquelles la Cour de Colmar étayait sa
décision.
8 8 2 . — Ce qui semble préoccuper la Cour suprê1 Colmar, 21 janvier 1841 ; — Zacchariæ, t. ni, p. 645.
2 Journal du palais, t. n, 1844, p. 365.
�ET D E
LA FRAUDE.
439
me, c’est la disparition de la preuve dans le temps que
dure l’interdiction. C’est là , sans doute , un inconvé
nient qu’il faut bien subir , s i , en définitive, la loi ne
permet pas de l’éviter. Or, cette prohibition résulte de la
nature de l'action qui n’a été donnée au mari lui-mê
me qu’à regret; elle résulte de la force des choses, si la
position seule du mari ne lui permet pas d’agir avant
la levée de l’interdiction. Cet inconvénient a d’ailleurs
excité l’attention du législateur , c’est M. de Malleville
qui nous l’enseigne1 ; et s i , l’ayant aperçu , il n’a rien
fait pour y remédier, c’est évidemment qu’il ne l’a pas
jugé suffisant pour autoriser une exception à la néces
sité de rendre l’action personnelle au mari. Admettre
cette exception, c’est donc aller au delà de sa volonté.
De quel poids d’ailleurs peut paraître cet inconvé
nient, à côté de ceux bien autrement graves qu’il y au
rait à conférer l’action en désaveu à un tiers étranger
aux détails intimes de la vie de famille ? « L’époux seul,
dit la Cour de Colmar, peut faire connaître au juge la
pensée qui lui est propre , les graves et impérieux mo
tifs (motifs qui ne peuvent être qu’exclusivement per
sonnels) du juste ressentiment qui a déterminé son ac
tion ; de même aussi que c’est à lui seul que peuvent
s’adresser utilement et fructueusement, de la part de
l’épouse et de l’enfant, des appels à ses souvenirs, à sa
mémoire, à sa conscience, aussi bien qu’à des affections
ou des sentiments qui n’abandonnent jamais entièrei A nalyse (lu Code civil, art. 216.
�440
TRAITÉ DU DOL
ment le mari qui se croit outragé, alors encore qu’il sol
licite les sévérités de la justice; appels qui, s’ils étaient
entendus , mettraient à l’instant un terme à une lutte
toujours douloureuse, tandis que, adressés à un tiers étranger à la vie intime des époux, à l’intérieur de la fa
mille, guidé souvent par des influences qui peuvent ne
pas être désintéressées , ils ne sauraient produire aucun
résultat, celui-ci ne pouvant pas même y répondre. »
Ainsi, la femme sera fatalement déshonorée , l’enfant
sera inévitablement adultérin, parce qu’ils n’auront pu
faire un appel à la mémoire, au souvenir, â la conscien
ce de leur époux et père; parce qu’au lieu d’un contra
dicteur pouvant reconnaître son erreur ou recourir à
l’indulgence, la loi leur aura donné pour adversaire un
tiers qui ne pourrait, alors qu’il serait porté à le vou
loir, reconnaître l’exactitude, la sincérité des faits au té
moignage desquels ils en appelleront ; et c’est à cela
qu’aboutiront, en définitive , les précautions dont la loi
a cru devoir entourer l’exercice de l’action par le mari
lui-même ? Nous ne saurions l’admettre.
Mais, dit la Cour de cassation, l’action n’est pas ex
clusivement personnelle au mari , puisque ses héritiers
pourront l’exercer. Mais , pour qu’il en fût a in si, il a
fallu que l’art. 317 s’en expliquât formellement, ce qui
prouve la personnalité de l’action , puisque, si elle n’a
vait pas eu ce caractère , le droit des héritiers n’aurait
pas eu besoin d’être inscrit dans la loi d’une manière
spéciale. Les principes généraux suffisaient. Nul ne con
testera jamais la faculté pour l’héritier d’exercer les ac
tions appartenant à son auteur.
�ET DE LÀ FRAUDE.
441
L’art. 317 conduit donc à cette conséquence que le
principe général était sans application au désaveu, et,
par là , à la reconnaissance formelle de la personnalité
de l’action. C’est par une pure exception à cette per
sonnalité que ce même article confère, dans certains cas,
aux héritiers l’exercice de cette action, et ce caractère ex
ceptionnel de celte disposition suffit pour qu’on la res
treigne dans ses limites naturelles. La loi , n’appelant
que les héritiers , refuse , par cela même , celte faculté
aux représentants du mari autres que ces héritiers euxmêmes. Loin donc de voir dans l’art. 317 la preuve que
le tuteur a le droit de désavouer, on doit y voir le refus
formel en ce qui le concerne r Qui dicil de uno, de al
téra negat.
Nous ne pouvons donc pas considérer l’arrêt du 24
juillet comme le dernier mol de la Cour de cassation.
La Cour de Colmar avait, elle aussi, débuté par recon
naître le droit du tuteur qu’elle avait sanctionné par ar
rêt du 17 février 1832. Mais elle est depuis revenue de
celte jurisprudence. La Cour de cassation suivra-t-elle
cet exemple? C’est une question qu’il n’appartient qu’à
ses propres lumières et sa haute indépendance de ré
soudre.
885.
— I,es fins de non-recevoir que l’enfant pour
rait opposer au mari sont opposables aux héritiers. Ain
si, l’aveu de la paternité, la connaissance de la grosses
se avant le mariage , l’assistance à l'acte de naissance,
ferait repousser l’action des héritiers comme celle du
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442
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TRAITÉ DU DOL
mari lui-même. Bien entendu que tous ces faits , que
la connaissance de la naissance de l’enfant ne sauraient
utilement être invoqués que si on pouvait les attribuer
au père. Tout ce qui ne ferait qu’indiquer implicitement
la paternité, notamment la connaissance de la grossesse,
celle de la naissance, qu’on imputerait à l’héritier, serait
complètement indifférent.
8 8 4 . — Mais il en serait autrement des circonstan
ces personnellement imputables à celui-ci, et d’où résul
terait de sa part la reconnaissance de la qualité d’enfant
légitime. Cette reconnaissance créerait une fin de nonrecevoir contre tout désaveu ultérieur. C’est dans ce sens
que la Cour de Montpellier a repoussé l’action de colla
téraux qui, ayant concouru à un conseil de famille as
semblé dans l’intérêt de l’enfant, avaient ensuite voulu
le désavouer.'
8 8 5 . — L’action en désaveu par le père doit être in
tentée dans le mois de la naissance , s’il est présent sur
les lieux ; dans les deux mois du retour, s’il était absent
lors de l’accouchement. Par l’absence , la loi entend ici
la non présence du mari sur les lieux, quel qu’en ait été
le motif, tout comme le retour, faisant courir le délai de
deux mois, est la rentrée du mari aux lieux habités par
la femme et non pas la réintégration du territoire de la
France après un séjour en pays étranger.’
i 4 février 1824.
3 Paris, 9 avril 1831.
i■
�ET DE LA FRAUDE.
443
C’est aussi un délai de deux mois qu’on accorde au
mari dans le cas de recèlement de la naissance, et ce dé
lai ne commence à courir que du jour de la découverte
de la naissance frauduleuse et de l’existence de l’enfant.
La détermination de ce point de départ n’est que la
juste conséquence de la règle Contra non valentem a gere, non currit prescriptio. Quelque faveur que mé
rite la fixité de l’état de famille, on ne pouvait consacrer
en faveur de l’enfant la faculté de prescrire contre le
mari un droit dont celui-ci ne pouvait même soupçon
ner l’existence. Il était facile de prévoir que dans tous
les cas on s’arrangerait de manière à ce qu’il ne le con
nût qu’après l’époque où il aurait pu l’exercer; et c’est
ce qu’il importait de prévenir.
De là celte autre circonstance , que l’interdiction du
mari le plaçant dans une impossibilité légale d’agir, le
délai de deux mois ne commencera à courir contre lui
qu’à partir du jour de la levée de l’interdiction.
8 8 6 . — La mort du mari avant l’expiration du dé
lai qui lui est accordé confère à ses héritiers le droit de
désavouer l’enfant. Ces héritiers ne jouissent pas seule
ment du temps qui restait à courir lors de la mort de
leur auteur ; ils ont un délai qui leur est propre et per
sonnel, et dont la durée est de deux mois.
8 8 7 . — Mais le point de départ de ce délai varie
selon qu’à la mort du mari l’enfant a pris ou non pos
session de l’hérédité. Dans le premier cas, les héritiers,
�■
444
TRAITÉ DU DOL
empêchés d’user de leur d ro it, sont en demeure de le
faire valoir immédiatement. Les deux mois courent donc
du jour de la mise en possession.
Ils courent du jour de la réclamation de l’enfant, si
les héritiers en possession de l’hérédité sont troublés
dans cette possession par cette réclamation. Le silence
qu’ils ont gardé jusqu’à ce moment peut n ’être que le
résultat de l’ignorance de l’existence de l’enfant, dont ils
ne sont d’ailleurs jamais tenus de provoquer l’action.
Mais le trouble se réalisant, et l’enfant ayant manifesté
ses prétentions , le silence n’est plus permis. Il y a inté
rêt et dès lors devoir à agir. La méconnaissance de ce
devoir pendant plus de deux mois rend non recevable
toute action ultérieure.
Notons que par trouble à la possession, la loi entend
non une prétention verbale plus ou moins publiquement
affichée, mais tout acte sérieux par lequel l’enfant, sans
réaliser encore son action , annonce l’intention formelle
de l’intenter. Ainsi, le délai de deux mois aurait un point
de départ incontestable non seulement dans l’assignation
donnée à la requête de l’enfant afin de restitution de
l’hérédité , mais encore dans l’acte extrajudiciaire par
lequel il signifie qu’il va se pourvoir.1
888.
— Les exigences de la loi relativement au dé
lai sont pleinement satisfaites, lorsque, dans la durée de
1 Cjss., 21 mai 1817 , et 31 décembre 1834 ; — Orléans , 6 février
d818 ; — Agen, 28 mai 1821.
�ET DE LA FRAUDE.
445
celui qui leur est imparti , le mari ou ses héritiers ont
notifié le désaveu par acte extrajudiciaire. Mais, aux
termes de l’art. 518, cet acte doit être suivi, à peine de
nullité et de déchéance , d’une action en justice intentée
dans le mois de sa date. L’omission de cette formalité
assurerait la légitimité de l’enfant et rendrait le désaveu
comme non avenu. Toutefois, le délai accordé par l’arti
cle 518 ne peut jamais restreindre celui accordé par les
articles précédents. Il n’est, à proprement parler, qu’un
délai supplémentaire. Conséquemment, son expiration
n’entraîne réellement la déchéance que si elle coïncide
avec celle des délais prescrits par les art. 516 et 517.
Tant que ceux-ci ne sont pas écoulés, le désaveu peut être porté en justice malgré qu’il ait été annoncé par un
acte extrajudiciaire signifié depuis plus d’un mois.*
889.
— L’enfant est le défendeur principal au dés
aveu ; c’est donc contre lui que l’action doit être inten
tée et poursuivie. D’autre p a r t, la mère est aussi une
partie essentielle sans la présence de laquelle il serait
impossible de poursuivre le désaveu. Seule, elle pourra
fournir tous les renseignements tendant à fixer l’appré
ciation des magistrats. Elle doit donc être appelée dans
l’instance , oh elle a d’ailleurs un intérêt précieux à dé
fendre, celui de sa réputation, de son honneur. La mè
re, agissant en son nom personnel, n’a pas qualité pour
1 Cass., 5 avril 1837; — Rouen, 8 août 1841 ; — J. du P., tom.
1
�446
TRAITÉ DU DOL
représenter l’enfant, auquel, s’il est mineur, il est donné
un tuteur spécial. C’est au poursuivant qu’incombe la
charge de faire procéder à la désignation de ce tuteur.
8 9 0 . — La naissance d’un enfant peut devenir une
occasion de fraude contre l’enfant lui-même. C’est ce
qui se réalise dans la suppression ou la substitution de
part. Elle peut n’avoir rien de réel et couvrir une odieu
se spéculation. Telle est la fraude résultant d’une sup
position de part.
8 9 1 . — L’art. 545 du Code pénal considère chacun
de ces faits comme un crime et le punit d’une peine af
flictive et infamante. La peine est donc la même, mais
il y a, dans les caractères constitutifs du crime, une dif
férence qu’il importe de noter par rapport aux époux.
Ainsi la substitution d’un enfant peut être opérée, à
l’insu des parents , par des tiers avides et intéressés ; la
suppression de part se réalisera rarement sans la partici
pation du père ou de la mère ; la supposition implique
forcément cette participation. Celle-ci renferme de plus
la suppression d’état de l’enfant que Ton enlève à sa fa
mille pour l’introduire dans celle qui lui est étrangère.
8 9 2 . — L’enfant, à qui l’un de ces crimes a fait
perdre sa véritable filiation, est admissible à redemander
l’état qu’on a tenté de lui enlever. Son action, à cet ef
fet, était certes éminemment favorable. Cependant sa re
cevabilité a été subordonnée à l’existence d’une preuve
littérale, ou tout au moins d’un commencement de preu-
�ET DE LA FRAUDE.
447
ve par écrit. La crainte d’encourager les spéculations sur
le scandale de pareils procès a déterminé l’adoption de
cette règle rigoureuse.
895.
— À côté du principe sur le commencement
de preuve, le législateur a posé la mesure dans laquelle
il entendait le restreindre. Ainsi, ce commencement de
preuve ne peut résulter que des registres ou papiers du
père ou de la mère ; des actes publics ou privés émanés
d’une partie engagée dans la contestation, ou qui y au
rait intérêt, si elle était vivante. Les magistrats ne sau
raient donc chercher ailleurs les éléments du commen
cement de preuve. Mais ils ont nn pouvoir discrétion
naire pour apprécier si le document invoqué appartient
réellement à l’une des catégories indiquées par la loi.
Ainsi, on a pu juger qu’un simple acte par lequel un
mari s’oblige à payer une somme à un enfant, peut être
regardé comme un commencement de preuve par écrit.'
Les énonciations de l’acte de naissance de l’enfant peu
vent aussi être offertes comme remplissant cet objet.
Mais, à cet égard," la jurisprudence a toujours procédé
avec beaucoup de réserve et de circonspection.5
Au reste, la disposition de l’art. 323 n’est qu’une dé
rogation au principe de l’art. 1348, dérogation comman
dée par un pressant besoin social, mais dont le législa
teur ne s’est nullement dissimulé l’extrême rigueur.
1 Paris, 10 mars 1810.
2 Dalloz jeune, D iction, général, v° F ilia tio n , n°M 82 et suiv.
�448
TRAITÉ DU DOL
N’est-il pas, en effet, exorbitant d’exiger d’un enfant, à
qui on a volé son état, la preuve écrite du crime dont
il est victime. Il convient donc , dans la pratique , de
concilier la rigueur du droit avec l’intérêt qui naît de
cette considération, et de mitiger autant que possible la
sévérité de la règle. C’est dans ce but que la loi a per
mis d’admettre la preuve orale, même eu l’absence d’un
commencement de preuve par écrit, lorsque les présomp
tions et indices résultant des faits dès lors constants sont
assez graves pour l’autoriser. C’est au tribunal investi
qu’appartient le droit d’apprécier souverainement la gra
vité de ces indices et présomptions.
8 9 4 . — L’action en suppression ou en substitution
de part est personnelle à l’enfant. Celle en supposition
peut être intentée par les parents et par les tiers qui y ont
intérêt : De partu supposito soli accusant parentes aut
hi ad quos ea res pertinent'. L’économie de nos lois n’a
rien qui répugne à celle règle, confirmée par la consé
cration constante de cette maxime : Que l’intérêt est la
mesure de l’action.
8 9 5 . — La réserve faite en faveur des parents ou des
tiers a d’ailleurs une autre signification. Malgré que le
fait soit un crime aux yeux de la loi pénale, elle exclut
la poursuite d’office de la part du ministère public. Ain
si, en l’absence de réclamation de la part des parties in-
1 L. 40, S 'I Dig., De lege Cornelia de falsis.
�ET DE LA FRAUDE.
449
léressées, la supposition de part, même prouvée, ne sau
rait devenir la matière d’une poursuite criminelle. Vai
nement a-t-on fait remarquer que cette doctrine assu
rait l’impunité du coupable, puisque les parents n’ay
ant qualité qu’au moment où s’ouvre la succession
que l’enfant supposé est appelé à recueillir, l’action pu
blique se trouvait nécessairement éteinte par la mort de
l’auteur de la supposition. La Cour de cassation n’en a
pas moins été inébranlable dans un principe clairement
écrit dans le droit romain, et qui s’induit forcément du
texte de l’art. 327.
Au reste, quant aux parents eux-mêmes, ce reproche
est loin de pouvoir être appliqué dans toutes les hypo
thèses. Il suppose en effet que l’auteur de la supposi
tion est celui dont la succession est ouverte, tandis qu’il
peut se faire qu’il soit resté étranger à cette supposi
tion , malgré qu’elle n’ait été! réalisée qu’en vue de sa
succession. Il est certain que, dans cette dernière hypo
thèse , les coupables pourraient être encore atteints par
la justice , mais cela se réalisera bien plus facilement
par rapport aux tiers. Une personne se marie après a voir donné tous ses biens ; désireuse de faire rétracter
cette donation, et, n’ayant point d’enfant de son maria
ge, elle suppose qu’il lui en est né un qu’elle fait ins
crire comme sien et poursuit ultérieurement la révoca
tion de la donation. Mais le donataire prouve la suppo
sition. Le jugement qui la consacre permettra au mi
nistère public d’agir dans l’intérêt de la vindicte publi
que et d’atteindre le coupable,
n
29
�450
TRAITÉ DU DOI.
8 9 6 . — L’action des parents ou des tiers intéressés
est régie, quant à la preuve, par la disposition de l’arti
cle 323. Leur demande n’est donc recevable que s’ils
rapportent soit la preuve littérale de la supposition, soit
un commencement de preuve par écrit. Ils ne peuvent
pas se- prétendre plus étrangers à la supposition que
l’enfant à la suppression ou à la substitution, ils ne sau
raient donc trouver mauvais qu’on les soumette à des
exigences que l’enfant doit lui-même subir.
8 9 7 . — La prohibition de toute poursuite d’office,
de la part du ministère public , s’applique au cas de
suppression ou de substitution, comme à celui de la sup
position. Dans tous les c a s, les tribunaux criminels ne
peuvent être directement saisis, même par les person
nes intéressées , tant que la justice ordinaire n’a point
prononcé sur l’existence du fait. Le motif de cette dis
position est facile à saisir ; en matière criminelle , la
preuve testimoniale est de droit commun , et ceux qui
n’auraient pu satisfaire aux prescriptions de l’art. 323
n’auraient pas manqué de recourir à la juridiction cri
minelle. Permettre cette voie , c’était donc autoriser la
violation de l’art. 323, en ce qui concerne le commen
cement de preuve par écrit; de là, l’attribution exclusi
ve de compétence en faveur des tribunaux ordinaires,
consacrée par l’art. 327. Toutefois l’incompétence de la
justice criminelle n’est que temporaire , elle ne doit
donc pas se désinvestir d’une manière absolue , il suffit
qu’elle surseoit à statuer jusqu’après la décision des
�ET DE LA FRAUDE.
451
tribunaux civils devant lesquels elle doit renvoyer les
parties.
898.
— Ajoutons que l’action de l’enfant peut avoir
pour résultat de lui donner non seulement une filiation,
mais encore la qualité de fils légitime ; ainsi , s’il prou
ve qu’il est né d’une femme mariée , la maxime Pater
i s e s t . . . . lui assigne en même temps pour père le
mari ; cependant il est loisible à celui-ci , et sans qu’il
doive recourir au désaveu , de soutenir qu’il n’est pas
le père, et de demander à le prouver. La preuve peut,
aux termes de l’articles 325 , être faite par tous les
moyens propres à établir le fait qu’elle a pour objet de
justifier.
s
F raudes
III.
à la dissolution
du
M ariage.
Ili
i
SOMMAIRE.
899.
900.
901.
Fraudes que la dissolution du mariage peut faire naître.
Caractère du divertissement et du recèle d’objets mobiliers.
Différence entre l ’un et l’autre et l ’omission de déclaration
à l ’inventaire.
902. Tentative de l'un ou de l’autre. — Caractère.
Il
�903.
Dans tous les ca s, le juge est appréciateur souverain des
faits constitutifs.
904. Effets du recèle ou du divertissement.
905. Effet spécial contre la femme.
900 Peut-on appliquer la peine du recélé. si les effets détournés
depuis avaient été portés dans l’inventaire ?
907 Autre effet spécial contre la femme.
90S. La poursuite de ce doublé effet appartient exclusivement
au mari ou à ses héritiers.
909. La découverte du divertissement ou du recélé donne le droit
à la femme ou à ses héritiers de faire rétracter la rcuon. ciation qu’ils avaient faite à la communauté.
910. L’époux ayant encouru la peine du recélé perdrait-il le
droit qu’il aurait sur les effets recélés comme donataire
de son conjoint ?
911. Le divertissement ou recélé, qui ne peut être correctionnel
lement .poursuivi contre l ’époux , peut l’être contre le
complice.
899.
— La dissolution du mariage , soit par le dé
cès d’un des époux, soit par leur séparation, amène for
cément la liquidation de leurs droits respectifs et le par
tage de la communauté. Alors aussi peut naître chez l’un
d’eux la pensée de s’avantager au détriment de l’autre.
L’exécution de ce dessein constitue une fraude punissa
ble, c’est à ce titre que la loi s’est occupée du détourne
ment et du recélé des effets de la communauté.
L’un et l’autre constituent un véritable vol faisant, en
droit commun, encourir à leur auteur une peine corpo
relle ; mais des considérations puissantes ne permet
taient pas qu’il en fût ainsi pour l’époux convaincu. La
décence publique, disait le tribun Duveyrier, .le souve-
�ET DE LA FRAUDE.
453
nir du lien auguste qui vient de se rompre ou la dignité
du mariage q u i, quelquefois , subsiste encore, ne per
mettaient pas d’apporter ici ni l’idée, ni le nom, ni la
poursuite d’un délit.
Conséquemment, et pour l’un des époux , divertir ou
recéler les effets de la communauté, c’est commettre une
simple fraude. Quels en sont les caractères constitutifs,
qu’elle est la peine qu’on doit lui appliquer? C’est ce
que nous allons exposer.
9QO. — H y a divertissement des effets communs,
lorsque directement ou indirectement l’époux a dissipé
ou consommé une portion quelconque de l’actif de la
communauté ; il y a recélé, lorsque sciemment on a omis de les faire porter à l’inventaire ou qu’on les a fait
disparaître du domicile dans lequel ils devaient se trou
ver.
Dans l’un et l’autre cas , la condition essentielle c’est
l’intention de frauder le conjoint de la part lui revenant.
Ainsi le fait matériel ne constitue pas à lui seul la fraude
punissable, celle-ci n ’existe qu’autant que ce fait est dic
té par la mauvaise foi et par une volonté arrêtée de pro
fiter exclusivement des effets détournés et recélés. La
preuve de cette double circonstance est donc indispensa
ble pour obtenir la réparation prescrite par la loi.
9 0 5 . — Toutefois, et au point de vue de la mora
lité de l’action, il existe une notable différence entre la
simple omission à l’inventaire et les autres caractères
constitutifs du divertissement ou du recélé. L’époux qui
�454
TRAITÉ DU DOL
omet peut avoir agi de très-bonne foi et même dans
J’ignorance la plus complète de l’existence des objets sur
lesquels porte l’omission. Mais cette bonne foi et cette
ignorance sont plus difficiles à supposer et à admettre
chez celui qui a dissipé, consommé ou enlevé les effets
qu’on réclame de lui, Des actes de ce genre ne peuvent
raisonnablement, alors surtout que leur auteur connaît
l ’origine des effets, comporter d’autre idée que celle d’u
ne fraude au préjudice du conjoint ou de ses héritiers.
Quoi qu’il en soit , l’intention frauduleuse doit être
prouvée , seule elle imprime à l’acte le degré de gravité
indispensable pour sa répression.*
C'est ce que la Cour d’Agen jugeait le 6 janvier 1851,
en décidant que pour qu’il y ait lieu à déclarer , après
la dissolution de la communauté , la veuve commune
malgré sa renonciation, il faut que les faits révèlent u ne intention frauduleuse dans le détournement; que la
preuve en soit bien établie; qu’ils soient enfin person
nels à la veuve, ou du moins qu’ils renferment les ca
ractères de la complicité criminelle.
« Attendu , dit l’a rrê t, qu’il s’agit dans la cause de
rechercher si la dame veuve Muret s’est rendue coupa
ble de détournements ou de soustractions au préjudice
de la communauté stipulée dans son contrat de maria
ge , et, par suite, au préjudice des créanciers de la fail
lite de son mari ;
�ET DE LA FRAUDE.
455
» Attendu que des faits de ce genre s’élevant à la gra
vité d’un d élit, et devant entraîner des conséquences
assorties à cette gravité, il importe de reconnaître en
principe que pour qu’il y ait lieu à l’application de la
peine prononcée par l’art. 1460 du Code Napoléon , il
est nécessaire que les faits allégués révèlent une inten
tion frauduleuse ; que la preuve en soit bien établie ;
que ces faits soient personnels à la veuve Murat , et
qu’on ne puisse du moins lui imputer les faits d’autrui
qu’autant qu’elle y aurait prêté une participation ou une assistance offrant les caractères de la complicité ;
» Qu’il faut même décider q u e , dans le cas où, re
lativement à certains objets, il existerait quelques motifs
de croire à une pensée première de détournement ou de
latitation, la peine portée par la loi ne serait pas encou
rue si ces objets avaient été spontanément remis ou dé
clarés avant toute poursuite.' »
9 0 2 . — De là il résulte que le divertissement ou le
recélé perdant le caractère de délit, dans ses conséquen
ces à l’endroit des époux , conserve ce caractère dans
ses conditions constitutives. C’est la culpabilité de l’acte
et non la matérialité à laquelle il faut s’arrêter. Dès lors
on a pu très-juridiquement juger que l’époux qui, après
la dissolution de la communauté, a fait volontairement
des déclarations desquelles il est résulté qu’il présentait
comme lui étant propres des biens qui devaient être
�456
T R A ITÉ DU DOL
compris dans la communauté, peut être déclaré coupa
ble de recel ' ; et que la tentative de divertissement, lors
qu’elle n’a manqué son effet que par des circonstances
fortuites et indépendantes de la volonté de son auteur,
suffit pour emporter la déchéance.’
La tentative de détournement ou de recélé est donc
punissable comme le fait lui-même , mais à la condi
tion que, persistant dans le projet conçu, l’auteur n’ait
vu ce projet échouer que par un fait indépendant de sa
volonté. Si l’abandon du projet était volontaire, si mê
me après avoir consommé le détournement, l’époux a vait spontanément, et avant toute poursuite, restitué ce
qu’il a enlevé ou offert d’en tenir compte à la commu
nauté , la peine prononcée par l’art. 1477 deviendrait
inapplicable, et il en serait à plus forte raison ainsi pour
l’héritier qui restituerait librement les objets que son au
teur aurait détourné de la communauté.3
9 0 5 . — Au reste , pour le divertissement comme
pour le recélé, les tribunaux sont les arbitres souverains
des faits pouvant les constituer4. La culpabilité de l’é
poux poursuivi est donc laissée à leur consciencieuse ap
préciation, il suffit d’ailleurs que l’acte reproché ait été
1 Bordeaux, 5 janvier 1826 , et 18 janvier 1838 ; — J . d u P ., 1840,
t. 2, p. 553.
2 Bordeaux, 18 janvier 1838, loco c ila to ; — Paris, 22 juin 1828.
3 Paris, 5 août 1839 ; — J. du P ., 1839, t. 1, p. 485; — Cass., 18
décembre 1835.
4 Cass., 12 août 1828, et 18 janvier 1834-
�ET DE LA FRAUDE.
457
commis sciemment, qu’il doive entraîner pour résultat
une lésion pour le conjoint, un avantage pour son au
teur. C’est ainsi que la Cour de cassation a vu le recélé
prohibé dans la vente simulée faite par le mari d’effets
mobiliers de la communauté dans le but de se les ap
proprier.'
Le divertissement puni par la loi existe malgré que
le fait dont il résulte ait été accompli pendant le maria
ge et avant sa dissolution. Ce principe , admis en doc
trine, a été consacré par la jurisprudence. Il ne pouvait
en être autrement. C’est surtout durant le mariage que
les époux auront la facilité de se livrer à des actes qui
leur paraissent une garantie contre l’éventualité d’une
dissolution qui déterminera un partage avec les ayants
droit.
D’ailleurs , quelle que soit l’intention qui détermine
pendant le mariage le détournement d’effets communs,
le silence gardé à ce sujet à la dissolution consomme la
fraude et constitue le recel que la loi place avec raison
sur la même ligne que le détournement.
Donc, l’époque de celui-ci est fort indifférente. Qu’il
ait été commis avant ou après la dissolution du maria
ge, l’effet est le même pour l’époux lésé ou ses héritiers,"
si, persistant dans la voie où il s’est engagé , l’autre époux a,depuis, gardé le silence sur l’existence des effets
qu’il s’est ainsi approprié.
�I'I,I
458
T R A IT É
DU
DOL
Àiijsi, dans l’exemple cité par M. Troplong, une fem
me est assez portée à faire, pendant le mariage, des ré
serves qu’elle tient secrètes. Mais cette conduite peut
n ’être que l’effet d’une sage prévoyance, et ces épargnes
qu’elle réalise à l’insu du mari, elle en fera jouir le mé
nage, les jours difficiles arrivant.
La dissolution du mariage va mettre à nu l’intention
qui a présidé à ces réserves ; et il est évident que si elle
continue à les tenir secrètes, si elle ne les restitue pas à
la masse des biens communs, la veuve se rend coupable
d’une fraude et encourt la peine prononcée par la loi.1
La Cour de Rennes était donc dans le vrai lorsque, le
6 février 1862 , elle jugeait que la veuve q u i, à l’insu
de son m a ri, a placé sous son nom de fille entre les
mains d’un tiers une somme d’argent provenant d’éco
nomies faites dans son ménage, se rend coupable de recélé si, au décès de son mari lors de l’inventaire et du
partage, elle garde sur cette créance un silence absolu.”
Dans cette espèce , la veuve soutenait d’abord que le
recélé ne pouvait exister lorsque les détournements avaient eu lieu, avant la dissolution du mariage; en se
cond lieu , qu’à la mort de son mari la créance avait
disparu puisque pendant la durée du mariage elle avait
été obligée de la vèlidre et l’avait en effet vendue à un
tiers, et que le prix avait été affecté aux besoins du mé
nage.
i Troplong, D u c o n t. de m ariage, n°s 1683 et suiv
P ., 63, 2, 61.
a D.
■
�ET DE LA. FRAUDE.
459
Le premier moyen ne pouvait être accueilli. Comme
nous'venons de le dire, ce qui constitue lerecélé punis
sable c’est non seulement le détournement qui le prépa
re, mais encore, mais surtout le silence gardé au moment
de l’inventaire et du partage qui le consomme. Quel se
rait en effet le préjudice qui résulterait du premier si
le second ne se réalisait pas ? C’est donc celui-ci qui est
en réalité le fait nuisible, et il sera toujours postérieur
à la dissolution.
Le second moyen aurait pu et dû être pris en consi
dération , mais à la condition qu’il serait prouvé et ac
quis que le prix de la cession avait été appliqué aux
besoins du ménage et lui avait réellement profité.
Or loin de l’admettre ainsi , la Cour de Rennes exa
minant les circonstances de la cause et la position des
parties, en induisait que tout excluait l’idée de celte ap
plication ; et que rien ne tendait à rendre vraisemblable
que les sommes que la femme avait reçues du cession
naire à l’insu de son mari n’eussent pas été employées
par elle seule et à son profit personnel, et ne fussent pas
en sa possession au moment du décès de son mari.
Rien ne pouvait donc excuser le silence qu’on repro
chait à la veuve, et qui devait en droit entraîner forcé
ment les conséquences consacrées par la Cour de Ren
nes.
Lorsque le fait antérieur à la dissolution du mariage,
et dont on veut faire résulter le recélé, est reproché au
m a ri, il y a plus de difficultés. Le mari en effet est le
chef de la communauté, et il peut dans de certaines
�460
TRAITÉ JDU DOL
limites disposer des effets qui eu constituent l’actif ;
les vendre, aliéner, et même les donner dans certains
cas.
Il faut donc avant tout examiner si l’acte qu’on lui
reproche constitue un acte de disposition n’excédant pas
les pouvoirs dont il est revêtu ou même l’exercice abu
sif de ces pouvoirs ; et on ne peut le déclarer coupable
de recélé que s’il est établi que cet acte avait pour objet
de dépouiller frauduleusement la communauté des va
leurs qui en dépendent.
Les ventes simulées peuvent-elles offrir ce dernier ca
ractère e t , par conséquent, faire encourir au mari la
peine du recélé ?
La Cour de Paris s’était prononcée pour l’affirmative,
le 14 janvier 1831. Devant la Cour de cassation , et à
l’appui du pourvoi dont cet arrêt avait été frappé , on
disait : la peine prononcée par l’art. 1477 ne peut s’en
tendre que du cas où l’un des époux aurait voulu ca
cher l’existence de certains objets dépendant de la com
munauté , au cas où il existerait une soustraction oc
culte et un véritable délit; au cas enfin où l’époux se
serait rendu coupable d’un vol ; or il est impossible de
voir ces caractères dans une disposition patente que
son auteur a faite aux yeux de tous, dans des ventes
que, dans l’espèce, le sieur Germond s’était empressé de
faire connaître à l’époque de l’inventaire; sur lesquelles
il a par conséquent répandu la plus grande publicité et
provoqué l’attention et les critiques des intéressés. Si de
semblables ventes paraissent simulées, les tribunaux doi-
�ET DE LA FRAUDE.
461
vent sans doute les annuler, mais ces ventes frauduleu
ses constituent seulement un abus de pouvoir de la part
du m a ri, et cet abus de pouvoir ne peut évidemment
être assimilé à la soustraction manuelle qu’un époux
ferait de certains objets de la communauté. À l’appui du
sens prêté aux mots divertissement , rec e l, on invo
quait les définitions qu’en donnent dans leur Traité de
la communauté, Lebrun, p. 463, nu 18, et Pothier, n°
688. D’après ces auteurs, le divertissement ou le recel
n’existerait que lorsqu’un des époux a cherché à déro
ber aux héritiers du prédécédé la connaissance de quel
ques effets corporels ou de quelques litres de la com
munauté ; on ajoutait que le Code Napoléon l’avait ainsi
entendu, ce que l’on induisait des art. 792,801 et 1460
où les mots divertissement et recel se trouvent em
ployés comme dans l’art. 1477.
Toutes ces considérations vinrent échouer devant la
constatation en fait de l’intention qui avait présidé aux
ventes. En effet la Cour suprême , par arrêt du 5 avril
1832, rejette le pourvoi : Attendu que la Cour de Paris
ne se borne pas à déclarer que les ventes des deux ac
tions du journal Le constitutionnel étaient simulées;
qu’elle ajoute que par ces ventes Gsrmond a voulu s’ap
proprier des effets de la communauté , sur lesquels il
n'avait qu'un droit proportionnel , en simulant de$
ventes au préjudice de sa petite-fille et du sieur Ga
rât; que dès lors elle n’a vu et n’a pu voir dans ces
ventes des actes d’administration , mais des aliénations
�462
■ Il
lip
i
4W
K S iii
TRAITÉ DU DOL
qui, hors de l’intérêt de la communauté, tendaient à la
dépouiller.1
Un arrêt de la Cour de Paris, du 7 août 1858, dé
clare coupable de recélé le mari qui , ayant acheté et
payé des immeubles pendant que la communauté exis
tait, tente de les détourner à son profit en donnant aux
paiements une date postérieure à sa dissolution; qu’en
conséquence il doit être privé de toute participation à la
propriété des immeubles qui doivent être exclusivement
attribués aux héritiers de la femme.3
Ce qui est vrai dans l’hypothèse d’une postdate dans
le paiement d’immeubles achetés pendant la durée du
mariage , pourrait être admis dans le cas de détourne
ment du prix d’une vente d’immeubles de la commu
nauté opérée avant la dissolution de celle-ci.
Ainsi la Cour de Paris avait déclaré qu’en cas de
vente d’immeubles ,de la communauté, faite par le mari
à l’un de ses enfants, à une époque voisine du décès de
sa femme , et moyennant un prix qui n’a pas été re
trouvé après ce décès , sans qu’il soit justifié d’aucune
perte ni emploi quelconque, la disparition de cette som
me a dû être considérée comme constituant, de la part
du mari et de son enfant, un recel ou détournement au
préjudice de la communauté, et donner lieu contre eux
à l’application des art. 792 et 1477 du Code Napoléon.
Cette espèce offre cette particularité q u e , devant le
1 D. P., 32, t , 160,
2 D. P ., 58, 2, \ 88.
�ET DE LA FRAUDE.
463
tribunal et devant la Cour , les adversaires du mari et
de l’enfant concluaient au principal à la nullité de la
vente comme constituant une donation déguisée; ce n’é
tait que subsidiairement qu’ils soutenaient que le prix
en avait été détourné à leur préjudice.
Comme de raison, le mari et l’enfant soutenaient que
la vente était sincère et sérieuse, et c’est ce que décident
successivement le tribunal et la Cour.
Mais déclarés coupables de recel , le mari et l’enfant
se pourvoient en cassation, et à l’appui de leur préten
tion ils soutiennent, contrairement à ce qu’ils avaient
fait jusque là, que ce que la Cour de Paris avait quali
fié de détournement du prix, n’était qu’une donation
déguisée simplement réductible.
Le pourvoi avait été admis par la Chambre des re
quêtes. Mais par arrêt du 27 novembre 1861, la Cham
bre civile le rejette sur les conclusions conformes de M.
de Raynal :
« Attendu que la Cour dans l’arrêt attaqué a d’abord
reconnu, par l’appréciation des faits de la cause, que la
vente de l’immeuble dont il s’a g it, faite à Billiolte fils
par ses père et mère le 14 septembre 1857, ne présente
pas les caractères d’une donation déguisée , et qu’elle
devait être considérée comme sérieuse et licite , en tant
qu’elle avait pour objet d’assurer à Billiotte fils la trans
mission, moyennant un juste prix d’un conquet de leur
communauté ; qu’elle a ensuite établi que les sommes
de 10,000 fr. et de 21,000 fr. prix de cette vente, non
plus qu’une somme de 325 fr. payée par Billiotte fils à
�\
464
TRAITÉ DU DOL
' |
Billiotte père pour loyer, la veille de la mort de sa mè
re , ne se sont pas retrouvées après ce décès ; que dans
cet état des faits, la Cour de Paris a considéré la dispa
rition de ces sommes comme tendant à établir un di
vertissement concerté entre Billiotte père et Billiotte fils
..................; que de la combinaison de ces faits dont il
lui appartenait de rechercher et d’admettre la preuve,
la Cour impériale de Paris a pu tirer la conséquence que
les sommes dont il s’agit avaient été diverties au préju
dice de la communauté et de la succession, et par suite
appliquer à ce divertissement les dispositions des articles
792 et 1477 du Code Napoléon.1 »
En réalité donc l’existence du recélé puni par la loi
est laissée à l’arbitrage souverain des deux degrés de ju
ridiction. Seulement les magistrats ne doivent pas ou
blier combien sa qualité donne au mari de facilités pour
frauder soit la femme soit ses héritiers. Ils doivent donc
apporter dans cette appréciation une certaine sévérité, et
veiller ainsi à l’intérêt qui n’a pu utilement se défendre
et se protéger lui-même.
904.
— Les effets du divertissement ou du recélé
des biens communs sont réglés par les art. 1460 et 1477
du Code civil. La femme, comme le mari, perd la por
tion qui lui serait obvenue dans les effets divertis et recélés. Ces effets, restitués à la communauté , n’entrent
plus en partage, quelque considérables qu’ils soient, ils
1 D. P., 62, 4, 74.
1
�ET DE LA FRAUDE.
sont intégralement dévolus à celui des époux auquel on
a voulu les soustraire. Ainsi , dit M. Dalloz , l’époux
coupable ne partagera pas la valeur des effets contenus
dans un riche portefeuille qu’il aurait recélé , et même
les acquêts dont il aurait voulu dérober la connaissance
en soustrayant les titres. C’e s t, on le voit, la peine du
talion dans toute son énergie.
905.
— La peine de l’art. 1477 s’applique au mari
et à la femme indifféremment. En ce qui concerne celleci , le détournement produit d’autres effets non moins
importants; ainsi , aux termes de l’art. 1460, elle doit
être déclarée commune nonobstant sa renonciation.
La femme perd donc par le recélé l'option qui lui est
laissée d’accepter ou de renoncer à la communauté. En
recélant, elle a fait acte d’immixtion qui fixe désormais
sa position et la rend déchue de la faculté de renoncer.
Il résulterait de là cette conséquence que le recélé prévu
par l’art. 1460 est celui qui se réalise avant la renon
ciation.
Donc , si la femme avait d’abord renoncé et qu’elle
se fût plus tard emparée de quelques effets de la com
munauté , on ne pourrait la faire déclarer commune.
Cette doctrine puisée dans le droit romain avait été con
sacrée par notre ancienne jurisprudence. Nous pensons
avec Toullier1 qu’on doit la suivre encore. En effet, après la renonciation de la femme, il n’y a plus de com-
f
�466
TRAITÉ DU DOL
munauté, l’actif porté à l’inventaire est devenu le patri
moine du mari ou de ses héritiers. Les soustractions
dont cet actif est l’objet constituent donc des vols contre
le mari, contre ses héritiers, dont la réparation ne pou
vait être poursuivie, en droit romain , que par l’action
rerum amotarum ; qui donneraient aujourd’hui ouver
ture à une poursuite criminelle , si les considérations
que nous avons rappelées, si l’art. 380 du Code pénal
permettaient autre chose qu’une action civile en domma
ges-intérêts.
906.
— L’époux encourrait-il la peine du recélé,
si les effets détournés avaient été compris dans l’inven
taire ? L’affirmative enseignée par Toullier ne nous pa
raît pas admissible. Evidemment, ce que la loi a voulu
prévenir et réprimer ce sont les soustractions réalisées
à l’insu des intéressés, et qui rencontrent dans cette igno
rance même des chances de réussite. Or les effets inven
toriés sont par cela même connus de tous, de telle sorte
que chacun se trouve en position d’en demander comp
te. La disposition que fait l’un des copartageants , de
quelques-uns de ces effets, est donc plutôt une attribu
tion anticipée qu’une véritable soustraction. Les cohé
ritiers ont d’ailleurs le moyen de prévenir tout préjudice
soit en les faisant rapporter à la masse, soit en les im
putant sur la portion de celui qui s’en est emparé , et
cette faculté , faisant disparaître toute possibilité d’un
dommage quelconque , enlève à la fraude son caractère
essentiel. En effet, il n’y a fraude que s’il y a un préju-
�ET DE LA FRAUDE.
467
dice; on ne saurait dès lors appliquer ni l’art. 1460, ni
l’art. 1477.'
907.
— Indépendamment de la faculté de renon
cer, le recélé fait perdre à la femme le bénéfice que lui
confère l’art. 1483 de n’être tenue des dettes que jus
qu’à concurrence de son émolument. En effet, une des
conditions essentielles de ce privilège , c’est qu’il ait été
rédigé un bon et fidèle inventaire. L’existence avérée
d’un détournement ou d’un recélé est exclusif de toute
idée d’accomplissement de celte condition. La perte du
privilège est donc la juste conséquence de cet état des
choses.
Ainsi, pour les époux indifféremment, avoir diverti ou
recélé les effets de la communauté , c’est avoir perdu
tout droit au partage de ces effets. Cette conséquence est
absolue. L’offre que l’époux poursuivi ferait de tenir
compte à la communauté de la valeur de ces effets, ou
même de les restituer en nature, ne pourrait suspendre
ni empêcher l’effet de la peine qu’il a encourue.”
908.
— Pour la femme spécialement, le recélé a
pour résultat de la priver du droit de renoncer , de la
faire déclarer commune , et de plus tenue ultra vires
des dettes de la communauté. Jfiais cette peine est toute
dans l’intérêt soit du mari ou de ses héritiers , soit des
créanciers ; dès lors la faculté de la faire prononcer leur
1 Paris, 5 nivôse an xin.
2 Colmar, 6 avril 1813; — Sirey, 15, 2, 66.
�—
. i.
468
TRAITÉ DU DOL
appartient exclusivement; ils peuvent se borner à pour
suivre la restitution des effets détournés ou de leurvaleur, le mari ou ses héritiers surtout pouvant être inté
ressés au maintien de la renonciation réalisée après le
recélé.
909.
— De leur côté, la femme ou ses héritiers qui,
trompés sur la consistance de l’actif, auraient renoncé
à la-communauté, peuvent, après la découverte des sou
stractions opérées par le mari , se faire relever de leur
renonciation. La renonciation n’aurait été, dans ce cas,
que le résultat de l’erreur ; et cette erreur n’étant impu
table qu’à la fraude du mari , le consentement donné
par la femme ou par ses héritiers se trouverait vicié dans
son essence et insuffisant pour créer un lien obligatoire
quelconque. On ne pourrait le décider autrement sans
admettre que le mari pût se faire un titre de sa propre
turpitude.
D’ailleurs la fraude , comme le d o l, fait exception à
tous les principes; la renonciation , qu’elle aurait seule
déterminée , ne saurait être valable. Il y a entre elle et
l’acceptation dont parle l’art. 783 du Code civil une analogie frappante, on devrait donc appliquer à l’une la
règle tracée pour l’autre.
910.
— Une question controversée en jurispruden
ce est celle de savoir si l’époux survivant qui a fraudu
leusement détourné des effets dépendant de la commu
nauté est privé non seulement de la part qui lui appar-
�ET DE LA FRA UDE.
469
tiendrait dans ces effets, en sa qualité de commun en
biens , mais encore de celle à laquelle il aurait droit
comme donataire de son conjoint, soit par institution
contractuelle, soit par donation entre vifs ou par testa
ment ?
Sous l’empire de notre ancien droit, la jurispruden
ce avait consacré l’affirmative. Toullier cite notamment
un arrêt du 15 mai 1656, jugeant : que, quand le sur
vivant, qui a commis le recélé ou le détournement, est
donataire en usufruit de la part du prédécédé, il doit être privé de cet usufruit dans les choses recelées. Toul
lier ajoute que cet arrêt est conforme au principe. En
effet, le droit romain assimilait le légataire à l’héritier
et le privait de tous droits aux choses recélées.'
Doit-il en être de même depuis la promulgation du
Code civil ? La raison de douter se tire de ces termes de
l’art. 1477 : Est privé c l e s a p o r t i o n dans lesdits effets. D’où l’on tire la conséquence que la dispo
sition générale ne porte que sur la portion afférente à
celui qui a commis le recélé ; que , par cela même , on
ne peut l’étendre au droit donné ou légué sur la portion
du prédécédé; que ce droit, résultant non de la loi mais
de la volonté du donateur ou testateur, n’est subordon
né à aucune condition ; qu’il est dès lors indépendant
du fait du recélé à l’égard duquel on ne peut qu’appli
quer limitativement , et non étendre la peine prononcée
par la loi.
\
1 L. 48, Dig.
A d sen . con s. T re b e llia n u m .
�470
TRAITÉ DU DOL
Il est facile de répondre à ces considérations. L’époux
commun en biens, qui se trouve en même temps dona
taire ou légataire d’une quote-part de l’hérédité, ne peut
isoler ces deux qualités dans les fraudes qu’il lui plait de
tenter. Lors donc qu’il recèle, il le fait : comme époux,
contre la communauté; comme donataire ou légataire,
contre la succession. Il est évident , en effet, qu’en di
minuant l’actif de la communauté, il amoindrit la suc
cession. On ne fait donc qu’un acte d’équité et de justice
en lui appliquant : comme époux, l’art. 1477 ; comme
légataire ou donataire, l’art. 792.
Il est vrai que celui-ci ne parle que des héritiers,
mais ce terme comprend évidemment le mari donataire
ou légataire d’une quote-part , comme tout autre léga
taire universel ou à titre universel. Qu’on ne voie pas
un héritier dans le légataire d’un corps certain ou d’u
ne somme déterminé, cela se comprend ; mais le léga
taire , dont la part se règle sur la consistance de l’actif
de la succession, est un véritable héritier, il en a les obligations comme les droits.
Cela est surtout vrai à l’égard du conjoint survivant.
L’esprit de l’art. 792 le démontre d’une manière victo
rieuse. Cet article ne parle que des héritiers , parce que
ceux-ci, ayant en général le maniement de l’hérédité,
sont par leur position à même de vouloir en dérober une part quelconque et en position de faire réussir la
fraude. Cette position n’est-elle pas celle de l’époux sur
vivant ? n’est-il pas à la tête de la communauté au mo
ment d elà dissolution du mariage? ne l’administrera-
�ET DE LA FRAUDE.
471
t-il pas au moins un moment ? Il est dès lors évident
que les fraudes exécutées par lui contre ses cohéritiers
doivent avoir les mêmes conséquences que celles dont
ceux-ci pourraient se rendre coupables à son encontre.
D’ailleurs le recélé tenté dans ces circonstances ne
manque pas d’affecter les ayants droit, soit comme com
munistes , soit comme cohéritiers. Le préjudice les at
teignant de ces deux côtés , il est juste que la répara
tion leur soit accordée à ce double titre. Si c’est là de la
sévérité, il faut avouer qu’elle est très-bien placée, puis
que l’époux qui voudra s’y soustraire n’aura qu’à rester
fidèle aux lois de là probité et de la délicatesse.
Il faut se garder d’encourager les recélés qu’on a tant
de facilité à commettre. Or la punition ne serait pas suf
fisante pour les prévenir, si le coupable pouvait, à un
titre quelconque, participer comme propriétaire ou usu
fruitier aux choses qu’il a voulu soustraire. C’est dans
ce sens que parait devoir se fixer la jurisprudence.'
911.
— Le détournement commis par l’époux ne
pouvant constituer un délit, il en résulte qu’on ne sau
rait en poursuivre la répression devant la juridiction
correctionnelle ou criminelle. Le juge civil est seul com
pétent pour l’apprécier et pour prononcer soit sur la res-
1 Pour : Cass., 5 avril 1831 : 16 janvier 1834; 10 décembre 1885;
— Paris , 28 juin 1828 ; — Bordeaux , 18 janvier 1838; — Bourges,
lOfévrier 1840 ; — Biom, 6 août 1840 ; — ,7. du P ., 1840, t. u , p.
553 et 612 ; 1841 , 1 . 1, p. 303 ; — Paris , 7 août 1858 ; 26 mars 1862 ;
— D. P., 58, 2, 188; 62, 2, 198. = Contre : Colmar, 29 mai 1823;
— Poitiers, 30 novembre 1830.
�472
TRAITÉ DU DOL
tilution, soit sur les dommages-intérêts. Il en résulte
encore que l’allocation de ces dommages-intérêts ne
saurait entraîner la contrainte par corps.
Mais il n’en est pas de même pour les complices. Ce
lui qui aurait assisté l’époux dans les détournements,
ou recélé les effets soustraits , serait passible de la peine
du vol. Il pourrait donc être criminellement poursuivi
et condamné non seulement aux dommages-intérêts,
mais encore à une peine corporelle, sauf cependant les
exceptions prévues par l’art. 380 du Code pénal.
s
SECTION II.
Fraude daa>® les Partages
S O M M Al R E.
912.
913.
914.
L’égalité entre les copartageants est la règle absolue de
tout partage. — Nature des atteintes que celte règle
peut recevoir.
La lésion accidentelle n ’est une cause de rescision que si
elle est du quart.
Caractère de celle exigence de la loi.
�ET
DE LA. FRAUDE.
473
Elle reçoit exception lorsque la lésion est le résultât de In
fraude.
Ou lorsque la lésion coïncide avec le prélèvement de la
quotité disponible.
L’action en lésion se prescrit par dix ans.
Point de départ de cette prescription pour le; partages or
dinaires.
919.
11 ne commence à courir, dans le partage de présuccession,
que du jour du décès de l ’ascendant.
Système contraire.
Système conforme.
Appréciation.
Arrêt remarquable de la Cour d’Aix.
Arrêt conforme de la Cour de cassation.
Effets du divertissement d ’objets mobiliers par les coparta
geants.
926.
927.
Position du recéleur dans le partage deees objets.
Le divertissement ou le recelé exclut la bonne foi. — Son
caractère.
928.
L ’absence d ’une de ces conditions fait disparaître la fraude
' et ses conséquences.
Tempérament à apporter à cette règle.
Dans quels cas la détention d’effets portés à l'inventaire
pourrait-elle constituer le recélé punissable.
L ’indication spontanée d ’une valeur de la succession par
l ’héritier qui la détient n’est, pas le recélé, à moins que
cette indication n ’ait pas été faite en temps utile.
Le recélé exercé du vivant de l ’auteur est atteint comme
celui qui se serait réalisé après sa mort.
L ’exagération du passif constitue un recélé punissable.
Peine contre le recélé, peut être autre que la privation d’u
ne part quelconque sur les effets recélés.
Renvoi pour les effets du recélé par rapport aux tiers.
929.
930.
931.
932.
933.
934.
935.
936.
Q u id .
si l ’héritier qui a recélé est encore mineur ?
§i
�474
TRAITÉ DU DOL
9 1 2 . — Nous venons de voir que la communauté
entre époux était de nature à inspirer, au moment de
la dissolution du mariage , des fraudes sur lesquelles le
législateur a dû veiller. Ce qui est à redouter dans cefte
circonstance peut également se réaliser dans tous les cas
où une communion d’intérêt amène la nécessité d’une
liquidation et d’un partage ; et, par exemple, dans une
succession.
La condition essentielle de tout partage est l’égalité la
plus absolue entre les divers intéressés , chacun d’eux
doit recevoir l’intégralité de ce qui lui revient. Toute at
teinte à cette règle d’équité et de justice , devenant un
préjudice pour l’un , un avantage illicite pour l’autre,
constitue en résultat une fraude manifeste, si elle n’est
déterminée par l’erreur commune.
Cette atteinte peut être occasionée par des causes dif
férentes Elle se produit par une composition vicieuse
des lots, ou par une fausse estimation des objets à par
tager; par la dissimulation d’une part plus ou moins
importante de l’actif ou par l’exagération du chiffre du
passif. L’existence des premières donne ouverture à l’ac
tion en lésion, celle des secondes à l’action en recélé.
9 1 3 . — La lésion purement accidentelle n’e s t, aux
termes de l’art. 887 du Code civil, une cause de resci
sion du partage que si le préjudice en résultant équivaut
au quart de ce que le copartageant devait recevoir. Con
séquemment la partie poursuivante ne peut réussir dans
sa demande en annulation que s’il justifie qu’il n’a re-
�ET DE LA FBAUDE.
475
çu que les trois quarts de ce qui lui revenait. Cette jus
tification faite, le partage est annulé; mais la jurispru
dence a admis qu’on peut dans ce cas se borner à con
damner les défendeurs à compléter la part du deman
deur et à faire ainsi disparaître le préjudice souffert par
celui-ci.
914.
L’exigence de la lo i, quant à l’importance
de la lésion , pourrait paraître extraordinaire. En effet,
quelle que soit la lésion, l’égalité n’est pas moins blessée
dès que l’un a reçu plus et l’autre moins. Il semblerait
donc que la plainte devrait par cela seul être permise.
Mais des considérations puissantes justifient la doctri
ne consacrée par la loi. L’intérêt public exige pour le
droit de propriété la plus grande stabilité Permettre de
revenir sans cesse, et pour la moindre lésion, contre un*
acte de partage , c’était méconnaître ce grand principe,
c’était placer la propriété sous le coup d’une menace
perpétuelle et en gêner la disposition pendant la durée
du temps nécessaire à la prescription de l’action ; c’était
enfin compromettre les droits que des tiers avaient lé
galement acquis sur la foi d’un acte régulier et authen
tique , tout cela d’ailleurs en faveur d’un intérêt privé
coupable au moins d'une évidente négligence.
En effet, chaque copartageant est tenu, avant de pro
céder au partage , de s’assurer de la valeur réelle des
objets à partager, et de veiller ainsi à l’égalité des lots.
Celui qui a mis de la négligence à remplir ce devoir a
commis une faute dont on pouvait justement lui laisser
la responsabilité et lui imposer les conséquences.
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476
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TRAITÉ DU DOL
Ces divers motifs avaient même para suffisants pour
faire repousser l’action en rescision, alors même que la
lésion aurait dépassé le quart. Le copartageant, disaiton au Conseil d’Etat, doit être assimilé au vendeur. On
ne doit lui accorder la faculté de revenir que dans le cas
où cette faculté est reconnue à celui-ci, c’est-à-dire
lorsque la lésion est de sept douzièmes.
Mais cette opinion fut repoussée parce que , disait le
rapporteur du Tribunat, l’égalité qui doit être observée
dans les partages exige que la rescision soit admise pour
cause de lésion , et même pour une lésion moindre que
celle qui est nécessaire en ventes ordinaires. Dans ces
ventes, il se fait une espèce de négoce, de trafic , n’exi
geant pas une égalité aussi rigoureuse que dans les par
tages où rien n’est à commercer, ni à négocier.
La limite posée par l’art. 887 fut donc adoptée, mais
comme une faveur et à litre d’indulgence pour le co
partageant. On le relève ainsi de sa trop aveugle confi
ance dans une limite ne pouvant dès lors être accusée
de sévérité. Il importait de signaler ce caractère de l’ar
ticle 887 du Code civil , les tribunaux peuvent y trouver
une règle de nature à les diriger dans l’application qu’ils
seront appelés à en faire.
915.
— Cette règle à suivre lorsque la lésion résul
te d’une erreur commune reçoit exception en cas de
fraude. Nous l’avons déjà dit, la fraude fait et a dû fai
re une exception à tous les principes : conséquemment
si le préjudice dont le copartageant se plaint a pour u -
�ET DE LA FRAUDE.
477
nique cause la fraude ; s’il n ’est dû qu’à la déloyauté, il
devra être réparé, alors même que son importance n’at
teindrait pas au quart de la portion lui revenant ; à plus
forte raison en serait—il ainsi si l’emploi de manœuvres
frauduleuses venait donner à l’acte dont on se plaint le
caractère du dol.
916. — Une seconde exception à l’art. 887 doit être
admise dans le cas où l’existence du préjudice coïncide
avec le prélèvement de la quotité disponible. Dans ce
cas, en effet, la lésion entamerait la réserve légale , et
l’on sait qu’un pareil résultat est sévèrement proscrit.
Cette réserve doit, dans tous les cas, arriver intacte en
tre les mains des ayants droit. Il y aurait donc lieu dans
ce cas : soit d’ordonner un nouveau partage, st it d’ac
corder un supplément pour faire disparaître la lésion
quelle qu’elle fût.
917. — Aucune loi spéciale ne réglant la durée de
l’action en rescision du partage, il y a lieu de recourir
au principe général de l’art. 1304 du Code civil. En
conséquence le droit de l’intenter se prescrit par dix
ans.
918. — Le point de départ de ces dix années ne
saurait faire la matière d’un doute pour les partages or
dinaires. C’est du jour de l’acte que la prescription
commence de courir. Néanmoins, si la lésion est le pro
duit du dol et de la fraude , le délai de cette prescrip
tion ne date que du jour de la découverte de l’un ou
de l’autre.
�1
478
T R A ITÉ DU DDL
9 1 9 . — 11 n’en est pas ainsi pour les partages de
présuccession faits par l’ascendant. Une grave contro
verse s’est établie sur le point de savoir si le délai devait
être compté du jour de l’acte, ou seulement de celui du
décès de l’ascendant, auteur du partage.
9 2 0 . — A l’appui de la première opinion on a dit:
Sous l’empire des lois anciennes, les actes de partage
effectués par les ascendants n’étaient jamais que des ac
tes d’une nature mixte , participant à la fois et presque
au même degré du testament et de la donation ; ils ne
se trouvaient régis par aucune disposition qui fixât leurs
formes et précisât leurs effets. Dans la doctrine, comme
dans la jurisprudence , il ne régnait que controverse et
incertitude sur le caractère de ces actes.
Le législateur moderne , enseigné par l’expérience,
n’eut garde de négliger une matière si importante. L’ar
ticle 1 0 7 6 porte : Les partages pourront être faits par
actes entre vifs ou testamentaires , avec les formalités,
conditions et règles prescrites pour les donations entre
vifs et testaments. Les partages faits par actes entre Vifs
ne pourront avoir pour objet que les biens présents.
Ainsi, aujourd’hui, l’acte par lequel un ascendant pro
cède à un partage entre vifs est soumis à toutes les con
ditions et règles prescrites pour les donations.
Or, la donation est un contrat, une convention, et à
ce titre elle tombe inévitablement sous le coup de l’arti
cle 1 3 0 4 du Code civil, qui limite à dix ans , à partir
du jour de l’acte , la durée de l’action en rescision. La
�479
conséquence est donc qu’un partage entre vifs , effectué
par un ascendant, ne saurait être attaqué pour cause de
lésion que dans les dix ans du jour de son acceptation.
Cette conclusion, tiréedes principes généraux,se trou
ve confirmée par les dispositions spéciales à la matière.
Les art. 1073, 1076 et 1079 du Code civil gardent le
silence le plus absolu sur l’exception qu’on prétend in
troduire, et qui consisterait à ne faire courir le délai de
dix ans qu’à compter du décès de l’ascendant. Cepen
dant une telle exception aurait besoin d’une consécra
tion d’autant plus expresse, qu’elle toucherait à la fois à
la stabilité des propriétés et aux principes qui protègent,
après un laps de dix ans sans réclamations , les droits
acquis en vertu des contrats.
Mais ce n’est pas par son silence seulement, c’est
aussi par ses termes que la loi résiste à l’idée qu’il ait
jamais été dans l’intention du législateur de ne faire cou
rir le délai de dix ans qu’à compter du décès de l’as
cendant, et non du jour du partage dont il est l’auteur.
De toutes, les difficultés communes aux partages après
décès, et aux partages anticipés, il n’en est pas une qui,
déjà prévue au chapitre 6 du titre Des successions , ait
été on ne dira pas de nouveau et spécialement réglée,
mais simplement rappelée dans le chapitre 7 du titre
Des donations et testaments. Ne faut-il pas en conclure
que les règles du partage après décès ont été manifeste
ment, dans la pensée du législateur, le complément né
cessaire de celles, d’ailleurs fort insuffisantes, qu’il a tra
cées au chapitre Des partages d'ascendants, qui ne ren
ferme eu tout que six articles.
ET DE LA FRAUDE.
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TRAITÉ DU DDL
Cette vérité semble ressortir de l’art. 1079 du Code
civil, ainsi conçu : le partage fait par l’ascendant pour
ra être attaqué pour cause de lésion de plus d’un quart.
On voit que le législateur , après avoir exprimé que
l’action en rescision sera admise, n’ajoute rien pour en
fixer la durée. N’est-ce pas dire qu’il entend s’en réfé
rer à la règle générale, qui ne permet de l’exercer que
dans les dix ans du partage ? Ce langage devient posi
tif si , du texte , on rapproche les motifs qn’en a donné
l’orateur du Gouvernement. Des explications de M. Bi
got de Préameneu , il résulte, en effet, qu’en réservant
aux ascendants la faculté de présider à la répartition de
leurs biens , le législateur s’est proposé, d’abord, d’as
surer au père le pouvoir de régler le sort de la famille,
en fixant à jamais les droits de ses enfants , et ensuite
d’apporter un remède aux graves inconvénientsqui nais
saient, dans l’ancienne législation, de la résolution des
droits attribués par les partages anticipés. Cette double
intention resterait sans effet dans le système contraire.
Cette doctrine , développée dans une consultation de
M. Dalloz ainé , consacrée par plusieurs cours , a été
sanctionnée par la Cour de cassation.'
921.
— Le système contraire, que plusieurs cours
ont adopté , se fonde sur les considérations suivants :
Bien qu’il résulte implicitement de l’art. 1304 du Code
civil que la prescription de toute action rescisoire com-
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1 13 jjiillet 4 836 ; 4 février 1844; — D. P., 36, 1,
�ET DE LA FRAUDE.
481
raence du jour de l’acte attaqué , ou ne peut toutefois
raisonnablement supposer que le législateur ait entendu
soustraire cette nature d’action aux règles régissant la
prescription en général. Il est de principe que la pres
cription ne peut commencer de courir que du jour où
celui qui veut attaquer un acte est complètement fixé
sur l’étendue des droits que cet acte lui confère; que
s’il résulte, soit de l’acte lui-même, soit des dispositions
de la loi, que ces droits ne seront entièrement détermi
nés que par un événement postérieur à l’acte, il est évi
dent que ce n’est qu’à la survenance de cet événement
que l’action en rescision peut être exercée, puisque jus
qu’alors le droit , à raison duquel peut naître l’action,
reste indéterminé. Il suit de là que si la part héréditai
re de l’enfant ou descendant qui a concouru à un par
tage anticipé ne peut être connue définitivement qu’à
l’époque du décès de l’ascendant auteur du partage , ce
ne sera également qu’à cette époque qu’il faudra se
pourvoir contre le partage , puisqu’alors seulement il
connaîtra s’il est ou non lésé.
Les enfants ou descendants ne sont aptes soit à atta
quer les dispositions prises par leur auteur, soit à reve
nir sur les partages faits par lui , que dans les cas dé
terminés par la loi. Ils ne peuvent notamment réclamer
une part héréditaire plus forte que celle qui leur a été
attribuée , que lorsque celle-ci est inférieure à leur ré
serve légale.
Or, la succession d’un individu ne s’ouvre que par sa
mort naturelle ou civile. Cette succession se compose de
ii
31
�482
TRAITÉ DU DOL
l’universalité des biens, soit qu’il en possède encore au
jour de son décès, soit qu’il en ait pendant sa vie dis
posé à titre gratuit. C’est par la liquidation de celte uni
versalité que s’établira nettement la réserve légale affé
rente à chacun des enfants ou descendants. Dès lors, et
jusqu’à cette liquidation, il ne peut exister de lésion et
conséquemment d’action en réparation.
Les art. 4085 et suivants ne dérogent en rien à ces
principes. Ils confèrent bien à l’ascendant la faculté de
faire lui-même le partage entre ses descendants, parta
ge que ceux-ci pourront attaquer s’il y a lésion ou in
suffisance dans l’attribution faite à chacun d’eux. Ils ad
mettent que les biens non partagés, que l’ascendant dé
laissera à son décès, seront divisés aux formes de droit.
Mais ils n’établissent ni expressément, ni tacitement
que , pour évaluer la quotité disponible et la lésion , il
ne faut avoir égard qu’aux seuls biens ayant fait la ma
tière du partage et nullement à ceux existant encore
dans la succession. De ce silence du législateur , il fout
conclure qu’il n’a voulu porter aucune atteinte aux prin
cipes d’après lesquels il prescrit qu’il sera procédé à cette
évaluation aux titres Des successions et donations.
Il résulterait du système contraire qu’il y aurait, pour
les biens délaissés par le même individu, deux succes
sions distinctes et entièrement indépendantes l’une de
l’autre : la première , réglée de son vivant, l’effet du
partage anticipé; la seconde, à régler après son décès ;
il existerait donc deux réserves légales , deux quotités
disponibles, conséquenee bizarre et cependant forcée, à
'
I
�ET DE LA FRAUDE.
483
laquelle on ne peut raisonnablement supposer que le
législateur ait voulu arriver.'
Ainsi , il ne peut y avoir lésion appréciable qu’après
le décès de l’ascendant et au moment où il sera procédé
à la constitution générale et définitive de la masse active
de la succession. Jusque là, il ne saurait en exister ré
ellement aucune, puisque l’inégalité offerte par le parta
ge anticipé pourra disparaître par une attribution spé
ciale sur les biens encore libres. Ce ne serait donc que
dans l’hypothèse où il n’en existerait aucun de ce gen
re au décès de l’ascendant, que toute affectation supplé
mentaire devenant impossible , naît la certitude d’une
lésion et que s’ouvre conséquemment l’action en resci
sion. Dès ce moment aussi, l’action devenant recevable,
le délai de la prescription , suspendu jusque là , com
mence de courir.
922.
— Cette doctrine nous parait plus équitable,
plus conforme aux véritables principes. Aux considéra
tions décisives qui précèdent, on peut en joindre d’au
tres qui ne sont ni moins puissantes , ni moins juridi
ques. Ainsi, et en première ligne , l’exercice de l’action
en lésion suppose chez celui qui s’y livre le droit de
contraindre à un nouveau partage plus équitable.
Le descendant n ’a pas ce droit. Il est pendant toute
la vie de son auteur sans qualité , car cette qualité est
une conséquence du droit de copropriété sur la masse
l Nîmes, 17 mars 1841 ; — J. du P., 1841, tom. u, p. 52.
�484
TRAITÉ DU DOL
des biens à partager, droit qui ne saurait exister tant
que la succession n’est pas effectivement ouverte.
Dans l’opinion que nous combattons , on veut faire
résulter l’acquisition de ce droit en faveur du descen
dant, de la nature même de l’acte ; et c’est ainsi qu’on
soutient que le partage anticipé participe du contrat et
de la donation.
Cette qualification est une hérésie en droit ; elle inter
vertit la nature et le caractère du contrat ; elle en mé
connaît la portée véritable.
L’ascendant ne s’est jamais désinvesti de la généralité
de ses biens. Il les divise lui-même à ses plaisir et vo
lonté. Le désaisissement est successif et spécial, chaque
descendant n’a jamais eu la propriété de ce qui est entré
dans le lot des autres, car les biens ne sortent de la pos
session de l’ascendant que pour passer immédiatement
dans celle de chacun d’eux. Leur rôle à tous n’est donc
qu'une acceptation de la donation particulière qu’ils re
çoivent, dont la régularité et l’existence actuelle n’a nul
besoin de leur concours, ni de leur consentement.
En réalité donc , il n’intervient et ne peut intervenir
de contrat de descendant à descendant. Le partage anti
cipé n’est qu’une donation qui se renouvelle autant de
fois qu’il y a de parts à faire, et dont l’intérêt pour cha
cune d’elles se concentre entre celui qui reçoit et celui
qui donne. Mais les donataires entre eux n’ont jamais
été dans l’indivision que le contrat supposé aurait eu
pour objet de faire cesser.
Ce principe vient d’étre formellement consacré par la
�ET DE LA FRAUDE.
485
Cour de cassation. Dans une espèce qui lui était soumi
se, la Cour d’Amiens avait vu dans le partage fait par
l’ascendant, d’abord la donation créant une indivisibilité
entre les ascendants, ensuite un contrat particulier à
ceux-ci, ayant pour objet de faire cesser l’indivision.
Mais, sur le pourvoi dont il a été l’objet, l’arrêt d’A
miens a été cassé par la Cour suprême, le 4 juin 1849:
Attendu qu'on ne saurait voir dans cet acte, comme l'a
fait la Cour d’Amiens, deux contrats distincts,indépen
dants, dont l'un, donation du père aux enfants, aurait
saisi immédiatement ceux-ci de la propriété indivise
des biens donnés, dont l'autre étranger au donateur,
exclusivement personnel aux donataires , aurait eu
pour objet le partage de ces biens ; qu'on ne peut bri
ser de la sorte l'unité d'un contrat dont toutes les sti
pulations concourent au but que le père de famille dé
clare s'être imposé, sans dénaturer le caractère de
l’acte.'
Cet arrêt est d’autant plus remarquable que , dans
l’espèce, le père de famille avait donné tous ses biens à
ses enfants qu’il avait ensuite dirigés dans le partage
consenti par eux. On ne devrait donc pas résister lors
que c’est le père lui-même q u i, procédant au partage,
a formé les parts , et que les enfants ne sont intervenus
que pour accepter celle qui lui est attribuée.
Chacun des descendants n’est donc qu’un donataire.
Comment donc lui reconnaître le droit et lui faire un
�486
TRAITÉ DU DOL
devoir de se plaindre de la lésion relativement à d’au
tres donations qu’il n’a pu ni régler , ni empêcher ?
Dans un moment surtout où il n’existe pas même enco
re une lésion appréciable, ainsi que nous venons de l’é
tablir.
Sous un autre rapport, la demande en rescision serait
plus irrecevable encore. L’ascendant, tant qu’il vit, est
l’arbitre souverain de sa fortune et de la disposition à
laquelle il lui convient de recourir. Il peut donner tout
à l’u n , rie donner rien à l’autre , investir même un étranger de l’universalité de ses biens, sans que les héri
tiers futurs, même légitimes , puissent l’en empêcher ni
s’en plaindre. Incontestablement, la faculté de donner
le tout implique celle de créer des portions inégales, sauf
les réclamations que la mort du donateur soulèvera et
pourra faire consacrer, quant à ce, si celte inégalité va
jusqu’à entamer la réserve légale, ou constitue pour un
des portionnaires un préjudice de plus d’un quart.
Mais si d’une p a rt, et pendant la vie de l’ascendant,
le descendant n’est que donataire; si d’autre part le pre
mier n’a, dans les libéralités qu’il concède, d’autre règle
à suivre que sa volonté ou ses caprices, la conséquence
rigoureuse n’est-elle pas que l’enfant ou descendant ne
pourra être admis à se plaindre ? Il pouvait ne rien re
cevoir, et, parce qu’il a reçu quelque chose, on l’admet
trait à quereller la détermination du père de famille,
qu’on l’eût forcé de respecter dans le premier cas ?
Admettez que la demande de l’enfant fût recevable,
quelle sera la conséquence de l’action accueillie par la
�ET DE LA FRAUDE.
487
justice? La rescision de l’acte et, par une déduction lo
gique , la reprise de possession par l’ascendant de la
masse partagée et le refus absolu de procéder à un nou
veau partage. Ce qui arrivera, peut-être, c’est que, pour
punir celui qui a fait annuler son œuvre , l’ascendant
délaissera l’intégralité de sa fortune à ses autres enfants,
heureux encore si, pour punir ce qu’il considérera com
me un acte de désobéissance et de rébellion, il ne cher
che pas à dénaturer sa fortune pour avantager , par la
fraude, celui qu’il avait voulu favoriser. Obliger l’enfant
à attaquer du vivant de l’ascendant, c’est donc le con
traindre à agir contre son propre intérêt; c’est l’exposer
à perdre plus encore que ce que la réussite de son ac
tion serait dans le cas de lui faire gagner.
L’art. 1079, dit-on, fait obstacle à ce résultat. Il con
sacre en effet le désinvestissement de l’ascendant dès que
le partage est par lui régulièrement consommé. Dès cet
instant cesse aussi la liberté illimitée qu’il avait de dis
poser de ses biens, il n ’y a plus qu’une question d’éga
lité intéressant les descendants et les concernant dès lors
exclusivement.
Erreur évidente et certaine. Il est bien vrai que l’acte
de partage désinveslit l’ascendant, et cela par la raison
toute simple que ce partage constitue celte disposition
qu’il était libre de réaliser ou non. En conséquence, tant
que ce partage existe , le désinvestissement est incontes
table, mais la rescision qui viendrait l’atteindre en ferait
cesser tous les effets et autant en ce gui concerne l’asI» 1
Cendant, que par rapport aux descendants eux-mêmes.
�'
488
-
TRAITÉ DU DOL
Les droits du premier revivraient donc en leur entier, avec d’autant plus de raison.et de certitude que seul il a
des droits sur la masse totale, chaque copartagé n ’ayant
jamais pu posséder que la part que lui attribuait le par
tage.
Ne perdons donc pas de vue, d’ailleurs, que l’ascen
dant ferait justement observer que son désinvestissement
n ’avait été par lui consenti qu’à condition que sa volonté
ne rencontrerait aucun obstacle. Or, la rescision , dé
truisant l’édifice par lui organisé , fait disparaître cette
condition; il reprend la propriété dont il s’était dé
pouillé et il rentre dans la faculté de retenir ses biens
ou de les abandonner de nouveau.
Pour que l’art. 1079 pût avoir pour effet .de faire sur
vivre le désinvestissement de l’ascendant aux conditions
l’ayant déterminé, il faudrait que le législateur eût fait
un devoir d’attaquer le partage de son vivant. Mais l’ar
ticle 1079 est muet à cet égard, et ce n’est que par une
induction fort hasardée qu’on prétend établir le contraire.
En effet, dit-on , de toutes les difficultés communes
aux partages après décès et aux partages anticipés , il
n’en est pas une qui, déjà prévue au chapitre 6 du titre
Des successions, ait été , on ne dira pas de nouveau et
spécialement réglée , mais simplement rappelée dans le
chapitre 7 du titre Des donations et testaments ;■ne
faut-il pas en conclure que le rappel dans l’art. 1079,
d’une faculté écrite dans l’art. 887, est la preuve que
le législateur a voulu faire partir le délai de dix ans du
jour de l’acte ?
�ET
DE
LA
FRAUDE.
489
Non certes, telle n’est pas la conclusion à tirer du
rapprochement des art. 887 et 1079. Si ce dernier est
explicite sur la faculté d’attaquer le partage anticipé pour
cause de lésion de plus du quart, c’est que le législateur,
introduisant un droit nouveau, ne pouvait pas ne pas
s’en expliquer.
Dans notre ancien droit, en effet, l’action en lésion,
ouverte contre les partages après décès, n’était pas ad
mise contre le partage fait par l’ascendant lui-même.
Fidèles aux inspirations du droit romain, on considérait
ce partage comme l’exercice d’un acte de la puissance
paternelle qu’il fallait respecter , alors même qu’il por
tait atteinte à la légitime que chaque enfant aurait dû
rigoureusement recevoir.1
C’est ce droit que le législateur voulait abroger, et cette
abrogation ne pouvait résulter de l’art. 887, uniquement
relatif aux partages après décès. Il fallait donc, puisqu’on
affectait une section du Code aux partages faits par l’as
cendant , y inscrire la pensée de la nouvelle doctrine,
sans quoi on n’eût pas manqué d’induire, du silence du
législateur, que ces partages restaient inattaquables com
me sous l’ancien droit. Voilà le motif unique du rappel,
dans l’art. 1079, de la faculté déjà inscrite dans l’article
887 pour les partages après décès. Ce rappel, ainsi mo
tivé, il est impossible d’en conclure ni que le législateur
ait voulu déroger en rien à la faculté qu’a l’ascendant
de disposer pendant sa vie à ses plaisir et volonté, ni
1 F u r g o l e , Des leslam .,
ch.
8, sect. l r', n°« 149 et suiv.
�'
4 9 0
T R A IT É
DU
DOL
surtout que les enfants ou descendants puissent, avant
d’avoir acquis la qualité d’héritier, quereller cette dispo
sition, ni moins encore qu’ils doivent l’attaquer pendant
la vie du donateur.
923.
— La conséquence logique que nous tirons de
ces prémisses, c’est que la prescription du droit ne court
que du jour du décès. C’est ce que la Cour d’Aix a jugé
le 7 juillet 1842. Son arrêt, rédigé par le savant ma
gistrat M.. le président Lerouge , résume puissamment
les raisons de décider que cette opinion peut invoquer.
A ce titre, il clorra notre discussion beaucoup plus con
venablement que ne le feraient nos propres observations:
« Considérant que l’ascendant qui fait, par un acte
entre vifs , un partage entre ses descendants , ne donne
et n’entend donner, à chacun d’eux, que les biens com
pris dans le lot qu’il lui attribue individuellement; que
dès lors ce partage rend, il est v ra i, chaque copartagé
propriétaire de son lot, mais ne lui confère aucuns droits
sur les biens compris dans les lots des autres descen
dants , et par conséquent ne confère aux différents copartagés aucun droit de propriété sur la masse des biens
faisant l’objet du partage; et comme il est d’ailleurs in
contestable qu’avant le partage entre vifs les descendants
n’avaient aucun droit acquis sur les biens de l’ascendant
donateur, on doit en conclure : qu’après, comme avant
le partage entre vifs fait par un ascendant, les descen
dants n’o n t, durant sa vie , aucun droit de copropriété
sur la masse des biens compris dans le partage;
�ET DE LA FRAUDJT.
491
» Considérant qu’à la mort de l’ascendant, ses des
cendants, appelés à recueillir sa succession, sont, de plein
d ro it, saisis de l’universalité de ses biens ; que , dès ce
moment, ils ont un droit de copropriété tant sur tous les
biens existants au jour du décès, que sur ceux qu’on y
réunit fictivement pour former la masse , sur laquelle
doivent être calculées la quotité disponible et la réserve
légale ; mais qu’ils tiennent ce droit de copropriété, non
de la volonté de leur auteur, mais de celle de la loi, en
un mot, de la qualité d’héritier, qui ne leur est acquise
que du jour du décès de l’ascendant donateur ;
» Considérant que celui qui attaque le partage entre
vifs, fait par l’ascendant, a pour but : d’obtenir un nou
veau partage des biens compris dans l’acte dont il de
mande la rescision ; d’où il suit que l’action en rescision
ne peut être intentée que par celui qui aurait qualité
pour demander un nouveau partage;
» Considérant que pour former une demande en par
tage, il faut avoir un droit actuel de copropriété sur la
chose à partager , soit que ce droit dérive de la qualité
d’héritier, soit qu’il dérive d’un titre, tel que l’acquisi
tion en commun, ou la donation faite à plusieurs d’une
chose indivise ;
» Considérant que, du vivant du donateur, le copartagé qui attaque, pour cause de lésion, le partage entre
vifs fait par l’ascendant, et qui par suite demande un
autre partage, n’a d’autre titre que le partage lui-même,
acte lui conférant seulement la propriété de son lot, et
non la copropriété de la masse des biens ayant fait l’ob-
�m
TRAITÉ DU DOL
jet dü partage ; que le droit de copropriété sur la masse
ne peut dériver pour lui que de la qualité d’héritier, la
quelle ne lui est acquise que du jour du décès de l’as
cendant donateur ; d’où la conséquence que le copartagé n’a ni qualité, ni titre pour attaquer, durant la vie
de l’ascendant donateur , le partage entre vifs faits par
celui-ci entre ses descendants ;
» Considérant qu’on objecterait vainement que le ti
tre du copartagé réside dans l’art. 1079 du Code civil,
suivant lequel le partage fait par l’ascendant peut être
attaqué pour cause de lésion de plus du quart ;
» Considérant que ni dans le passage invoqué, ni ail
leurs , il n’est dit que le copartagé pourra attaquer du
vivant de l’ascendant; qu’on est donc obligé de suppo- '
ser, pour un cas unique , l’existence d’une faculté toute
spéciale qui ne se trouve nulle part écrite dans la loi et
qu’il eût été nécessaire de formuler en termes explicites;
qu’une telle faculté serait, ainsi qu’on l’a précédemment
établi, en contradiction manifeste avec ce principe in
contestable : que l’action en partage n’appartient qu’à
celui qui a un droit actuel de copropriété sur la chose à
partager ;
» Que non seulement l’art. 1079 ne dit pas que le co
partagé aura le droit d’attaquer le partage entre vifs du
rant la vie du donateur, mais qu’il suppose le contraire;
qu’en effet cet article permet d’attaquer le partage dans
trois cas : 1u s’il est fait par acte entre vifs; 2° s’il est
fait par acte testamentaire ; 3° s’il résulte du partage et
des dispositions faites par préciput que l’un des coparta-
�ET DE LA FRAUDE.
493
gés aurait un avantage plus grand que la loi ne le per
met ;
» Que , dans les deux derniers cas , le copartagé ne
peut, évidemment, attaquer le partage que lors de l’ou
verture de la succession, p’est-à-dire après le décès de
l’ascendant donateur; que, pour ces deux cas, l’art. 1079
décide donc implicitement que le partage ne pourra être
attaqué du vivant du donateur; que , dès lors, il n’est
pas permis de supposer que le législateur, sans le dire
et contrairement à tous les principes, a voulu créer, pour
le premier cas, un droit exorbitant qui autoriserait le co
partagé à attaquer le partage entre vifs, non pas seule
ment après le décès, mais encore durant la vie de l’as
cendant donateur ;
» Considérant, sous un autre point de vue, que l’as
cendant peut, durant sa vie, disposer de sa fortune de la
manière la plus absolue, suivant sa volonté et même ses
caprices ; que si, s’abandonnant à des passions mauvai
ses, il avait recours à de coupables manœuvres pour en
richir les complices de ses égarements au préjudice des
héritiers du sang , seÿ actes , quelques dommageables
qu’ils fussent, ne pourraient être attaqués qu’après sa
mort ; qu’il en serait de même, à plus forte raison, si,
par acte entre vifs , l’ascendant disposait de sa fortune
entière en faveur de l’un de ses descendants ; qu’il n’est
donc pas possible de comprendre comment le législa
teur, qui interdit aux descendants d’attaquer, du vivant
de leur auteur , les actes par lesquels il dispose , à leur
préjudice, de l’universalité de ses biens, les autoriserait,
�494
TRAITÉ DU DOL
par une exception toute spéciale et non écrite , à atta
quer , avant le décès de l’ascendant, un partage entre
vifs, sous prétexte que les biens ne sont pas également
distribués entre eux ; qu’en permettant à l’un des copartagés d’attaquer , pour cause de lésion de plus d’un
quart, le partage entre vifs fait par son auteur, la loi a
voulu non pas apporter des restrictions et des entraves
au pouvoir absolu de l’ascendant sur sa fortune pendant
sa vie, mais empêcher que, sous prétexte de faire entre
ses descendants la distribution de ses biens, il ne bles
sât trop ouvertement le principe d’égalité qui doit pré
sider aux partages ou même qu’il portât atteinte à la ré
serve légale de ses descendants; et comme la qualité
d’héritier peut seule donner à ceux-ci le droit de deman
der le partage ou de réclamer la réserve légale , il en
résulte que l’exercice de l’action qui leur compèle à cet
égard, aux termes de l’art. 1079 , se trouve suspendu
jusqu’au décès de l’ascendant, puisque c’est à celte épo
que seulement que la qualité d’héritier leur sera acqui
se. »
924.
— Il est certes difficile de déduire avec plus
de force, avec plus de certitude, les raisons déterminan
tes d’une opinion. Ces motifs, avoués par la raison et le
droit, devaient faire maintenir l’arrêt, si la partie l’avait
déféré à la Cour suprême. Celle-ci n’eût fait, d'ailleurs,
que hâter la décision qu’elle a rendue plus tard. En ef
fet, revenant sur sa propre jurisprudence , la Cour su
prême a adopté la doctrine qu’elle avait plusieurs fois
repoussée et cassé , en conséquence , un arrêt de Tou-
�ET DE LA FRAUDE.
495
louse fixant au jour de l’acte le point de départ de la
prescription.'
On peut donc considérer la controverse comme ten
dant à s’effacer. L’avenir du système qui fait courir la
prescription du jour du décès de l’ascendant donateur
nous parait désormais assuré.
9 2 5 . — Le partage après décès sera nécessairement
inégal, si l’un des cohéritiers a diverti l’actif de la suc
cession ou exagéré le passif à son profit personnel. Il
importe peu, dans ce cas, que la lésion atteigne ou non
les proportions exigées par l’art. 887. Il ne s’agit plus,
en effet, défaire rescinder le partage, mais de le com
pléter en opérant la division des choses qu’il ne pouvait
pas comprendre. Aussi, l’art. 792 qualifie-t-il lui-mê
me de demande de partage supplémentaire le droit qu’il
accorde.
9 2 6 . — Dans ce nouveau partage, la position du
recéleur est nettement dessinée par le législateur. Il ne
peut, à aucun titre, prétendre aucune part dans les ob
jets qu’il est condamné à restituer à la succession. Nous
l’avons déjà d it, en pareille matière la loi applique la
peine du talion dans toute sa rigueur. L’auteur du recélé
voulait frustrer ses cohéritiers de la part leur revenant,
il sera privé de la sienne.
Les juges ne sauraient , dans la poursuite de ce but,
déployer une trop grande sévérité. Les choses, en effet,
1 2 août 1848 ; — D. P,, 48, -I -174.
�496
TRAITÉ DU DOL
ne sont pas égales. Les réclamants ont le devoir de prou
ver la soustraction , ce qui est difficile, et, ce qui l’est
bien davantage, le chiffre exact auquel elle s’élève. Nanti
fruduleusement de ce qui ne lui appartient pas, le recéleur a pour lui d’abord la chance de n’être pas con
vaincu , ensuite l’incertitude qui régnera forcément sur
le montant de ce qu’il devra restituer. De telle sorte que,
même après condamnation, il pourra lui rester une in
demnité plus que suffisante des effets de cette condam
nation. C’est à la justice des tribunaux à compenser et à
faire disparaître cette inégalité , dût sa décision aller au
delà de la vérité. L’équité n’en serait nullement blessée.
Obliger un voleur à rendre plus qu’il n’a pris ne saurait
être envisagé comme un malheur trop regrettable, car le
préjudice qui en résulterait ne serait qu’une conséquence
de son improbité même.
Il n’y a donc pas à hésiter. Le recélé étant constant,
on ne doit pas craindre d’élever le chiffre de la condam
nation autant que le permettra la plus stricte vraisem
blance.
927.
— Le caractère du détournement ressort suffi
samment du fait lui-même. Celui qui s’empare de ce
qu’il sait ne pas lui appartenir, qui s’efforce de le rete
nir à son avantage exclusif, serait mal venu à prétendre
avoir agi de bonne foi. Sa conduite est en contradiction
flagrante avec son allégation. On ne pourrait donc ac
cueillir celle-ci que si, appuyée de faits décisifs, elle se
trouvait justifiée par des considérations de nature à dé
truire la présomption que la première fait naitre.
�ET DE LA FRAUDE.
497
On reconnaîtra donc le recélé punissable, à la réunion
de ces deux conditions : 1° la possession illégitime d’un
objet appartenant à la succession réalisée à l’insu des
intéressés ; 2° l’intention de s’en appliquer exclusive
ment le profit. À ce titre, le fait d’avoir détourné des ti
tres de créance au nom du défunt et d’en avoir obtenu
le renouvellement en son nom constituerait évidemment
la fraude punie par l’art. 792 du Code civil.
9 2 8 . — L’absence d’une de ces conditions fait dis
paraître toute culpabilité en rendant tout préjudice im
possible. Ainsi ,fla possession étayée d’une prétention
même injuste ou non admissible ne caractériserait pas la
fraude. C’est par ce principe qu’on a admis que le cohé
ritier, avouant la détention de la chose prétendue com
mune, mais qui déclarerait l’avoir reçue en don du dé
funt lui-même, n’encourrait pas la peine du recélé, alors
même que , succombant dans ses prétentions, il serait
condamné à rapporter la chose à la masse commune.1
9 2 9 . - Il ne faudrait pas cependant donner à celte
solution une extension trop grande. On s’exposerait au
trement à annuler une peine dont le maintien est une
sauve garde essentielle au principe de l’égalité dans les
partages. Forcé dans ses derniers retranchements, le recéleur ne manquerait pas de se rejeter, en désespoir de
cause, sur une excuse devenue bientôt banale en matière
de recélé. Il faut qüe cette excuse repose sur une évi—
1 Caen, 6 novembre 1827.
�498
TRAITÉ DU DOL
dente bonne foi, et celle-ci, à son tour, doit résulter de
la conduite que le détenteur a suivie depuis le décès de
l’auteur commun. S’il n’a jamais mis dans ses actions le
moindre mystère, s’il n’a jamais caché la possession, s’il
en a lui-même révélé l’existence en indiquant le titre en
faveur duquel il la détenait, on croira à sa bonne foi,
qu’une conduite contraire ferait inévitablement repous
ser. Celui qui ne cache rien prouve suffisamment qu’il
n’a rien à cacher, ce qui ne se réalise jamais dans le cas
de fraude. Dès lors, le titre invoqué, même annulé par
les tribunaux , ne laisse pas de légitimer la possession
jusqu’au moment de la sentence.
9 5 0 . — Il n’y aurait pas non plus divertissement
prohibé dans la détention d’effets déjà portés dans l’in
ventaire. L’art. 8921 ne punit que la soustraction que le
cohéritier n’a ni connue,ni pu connaître, et rencontrant
dans cette ignorance même les plus grandes chances de
réussite. Or, la mention insérée dans l’inventaire dissipe
toute idée d’ignorance et sauvegarde l’intérêt commun,
chaque cohéritier pouvant, dès lors , facilement exiger
qu’il soit fait raison de ces effets. L’omission de cette ré
clamation est alors considérée plutôt comme le résultat
d’un accord tacite, que celui d’une fraude du défendeur.
Si cependant celui-ci laisse le partage s’accomplir sans
recombler les effets communs et sans tenir compte de
leur valeur, on pourrait le considérer comme ayant vé
ritablement recélé, surtout si l’absence de réclamations
de la part des copartageants n’est que la conséquence de
�ET DE LÀ FRAUDE.
499
la persuasion que les objets ont péri, faussement inspi
rée par celui-là même qui les détient.
931. — Il résulte, en outre, de ce qui précède, qu’on
ne pourrait appliquer la peine de l’art. 792 au cohéri
tier q u i, détenant à l’insu des autres des valeurs de la
succession, en a u ra it, de lui-même et avant toute ré
clamation des intéressés, indiqué et signalé l’existence.
La bonne foi d’une telle démarche ressort avec une telle
évidence, qu’elle effacerait le vice de la possession, alors
même qu’elle n’aurait pas pour résultat de rendre tout
préjudice impossible.
Mais il importe que l’indication, pour qu’elle produise
cet effet, soit le fait d’une volonté spontanée et libre de
la part de celui qui la donne. Celle faite après la deman
de de restitution manquerait de ce caractère ; elle ne se
rait plus qu’un aveu arraché par l’évidente justice de
cette demande , par la crainte d’une condamnation dès
lors imminente et le désir d’en éluder les effets. Elle res
terait donc sans influence à l’endroit de cette condam
nation et des conséquences devant en résulter. Il serait
immoral de laisser indemne celui qui a persisté dans sa
déloyauté tant qu’il a pu se flatter qu’elle resterait ina
perçue, et qui, se voyant découvert, n’a plus qu’un in
térêt , à savoir : retenir sa part des objets qu’il projetait
de s’appliquer intégralement. Conséquemment, présumée
faite dans cette intention , la reconnaissance qu’il ferait
resterait sans effet, à moins que par le peu d’importance
des objets recélés on ne dût admettre que sa tardiveté
est due à un oubli présumable.
�500
TRAITÉ DU DOL
A insi, il y a recélé punissable toutes les fois qu’une
chose a été distraite de la masse frauduleusement et à
l’insu des communistes ; et que l’intention d’en profiter
à leur détriment n’a pas été abandonnée spontanément
et avant toute réclamation de ceux-ci.
9 5 2 . — Dans l’application de la peine édictée par
l’art. 792, on n’a pas à se préoccuper de l’époque à la
quelle remonte le divertissement reproché. Celui consom
mé avant la mort de l'auteur commun se trouve atteint
aussi bien que celui qui l’aurait accompagné ou suivi.
Dans le premier c a s , seulement, la présomption d’une
libéralité acquerrait une plus ou moins grande impor
tance, suivant que la vie de l’auteur se serait depuis plus
ou moins prolongée.
9 3 5 . — Ce que la loi a voulu prévenir par l’art. 792,
c’est l’inégalité dans les parts , alors que les droits sont
égaux; c’est le préjudice résultant pour une partie de
l’atteinte à cette grande règle. Or, cette atteinte existera
soit qu’on fasse disparaître l’actif directement par une
soustraction, soit indirectement en exagérant sciemment
le passif.
Conséquemment, l’héritier qui par collusion avec un
tiers ou qui, après avoir simulé des dettes, prétendra les
avoir payées et donnera ainsi lieu à des prélèvements
devant tourner à son avantage , se rendra coupable de
recélé et encourra justement la peine prononcée par la
loi. Les tiers, complices de la fraude, pourront être so
lidairement poursuivis et condamnés à la restitution du
montant de ces prélèvements.
�ET DE LA FRAUDE.
501
9 3 4 . — La privation de toute part sur les valeurs
recélées est prononcée par la lo i, comme indemité du
préjudice éprouvé par les intéressés. Il semble dès lors
‘que les parties ne pourraient demander et les juges pro
noncer d’autres dommages-intérêts. Cependant, s’il é—
tait prouvé qu’un préjudice, autre et plus important
que celui résultant de la privation momentanée de la
chose, a été réellement souffert par les cohéritiers ou par
l’un d’eux, les juges pourraient en ordonner la répara
tion. N’oublions pas que la fraude du recéleur est assi
milable au dol, et qu’en cette dernière matière, les dom
mages-intérêts doivent s’étendre aux conséquences im
médiates et directes de l’acte.
9 3 5 . — Le recélé étant de nature à léser d’autres in
térêts que ceux des cohéritiers, la loi en a réglé les con
séquences par rapport aux tiers. Nous en parlerons en
traitant des droits des créanciers contre les fraudes de
leurs débiteurs.
9 3 6 . — Nous terminerons ce qui est relatif aux co
héritiers par cette observation que la minorité du recé
leur ne serait pas un obstacle à l’application de la peine,
en ce qui concerne la privation de toute part dans les
objets recélés. Que le mineur ne puisse pas être héritier
pur et simple , c’est un privilège que la loi a formelle
ment garanti, mais, tenu de son dol, il doit l’être de sa
fraude,surtout lorsque cette fraude est, comme nous ve
nons de le rappeler, assimilable au dol ; rien n’empêche
donc de le punir comme le serait le majeur, c’est-à-dire
�m
TRAITÉ DU DOL
qu’ayant volontairement voulu priver ses cohéritiers d’u
ne partie de ses droits , il est juste qn’il perde les siens
dans une proportion légale.
Bien entendu que le mineur ne peut être responsable
que de son fait personnel : ainsi, si le recélé était l’œu
vre de son tuteur, on ne saurait, sous aucun prétexte,
en exciper contre lui, seulement il serait tenu de resti
tuer le profit illégitime qui lui en serait revenu.
FIN
DU
TOME
II.
�TABLE
DES CHAPITRES DU TOME II.
Chapitre m . S ection iv. § h .—De la prise à partie.
S ection
v.
Chapitre
I
— Dol imputable aux officiers ministériels
25
— Des fins de non-recevoir contre l ’action
65
iv.
S e c t io n i .
PAGKS
— De la chose j u g é e .................................. 67
S e c t io n i i .
— De la r a tif ic a tio n ..................................122
S ection m . — Delà p rescrip tio n ......................................... 165
De la Fraude.
Observations
C h a p it r e i .
S ection
i.
S e c t io n
ii
C h a p it r e
S e c t io n
— De la f r a u d e ............................................ 202
— De la fraude présum ée..............................
— Preuve de la fraude non présumée .
.
ii
i
générales ........................................................199
.
.
— Fraudes contre la partie contractante.
— Fraudes dans les mariages
.
204.
. . . .
§ i. — Fraudes dans les stipulations matrimoniales .
§ h . — Fraudes pendant le m ariage............................
§ m . — Fraudes à la dissolution du mariage . . .
S e c t io n
ii
.
289 332 „
335
336
357 /
451 /
— Fraudes dans les partages.......................472
-m -
�
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/334/RES-22985_Bedarride_Traite-dol-3.pdf
7c3eb8045bd501d543de5c5d8ed0836e
PDF Text
Text
TRAITÉ
E N M A T IÈ R E
C IV ILE & COM M ERCIALE
PAR J. BÉDARRIDE
Avocat près la Cour d’appel d’Aix, ancien Bâtonnier
Membre correspondant de l'Académie de Législation de Toulouse
Chevalier de la Légion d’Honneur
Tome 3
tro isièm e
édition
PARIS
AIX
L. LA.ROSE , HBR|AIR|E
ACHILLE MAKAIRE, L1BRAIR
2 2 , RUE SOÜFFLOT, 2 2
2 , nUE PONT-MOREAU, 2
1876
�TRAITÉ
E N M A T IÈ R E
C IV ILE & COM M ERCIALE
PAR J. BÉDARRIDE
Avocat près la Cour d’appel d’Aix, ancien Bâtonnier
Membre correspondant de l'Académie de Législation de Toulouse
Chevalier de la Légion d’Honneur
tro isièm e
édition
PARIS
AIX
L. LA.ROSE , HBR|AIR|E
ACHILLE MAKAIRE, L1BRAIR
2 2 , RUE SOÜFFLOT, 2 2
2 , nUE PONT-MOREAU, 2
1876
��T R A IT É
DU DOL ET DE LA FRAUDE
EN MATIÈRE CIVILE ET COMMERCIALE
DE LA FRAUDE.
'
-€ » -
CHAPITRE II.
FBAUDB
CO N TRE
LA
P A R T IE
CONTRACTANTE.
SECTION III.
F r a u d e d a n s la V e n te e t l'E c h a n g e .
SOMMAIRE.
937.
938.
639.
La vente peut devenir un moyen ou une cause de fraude.
Elle peut servir à déguiser le prêt usuraire.
Ce que c’est que le contrat mohatra.
in
\
�2
940.
941.
942.
943.
944.
945.
946.
947.
948.
949.
950.
951.
952.
953.
954.
955.
956.
957.
958.
959.
960.
TRAITÉ DU DOL
Fraude évidente qu’il renferme ; absence de l ’intention d’a
cheter.
Mais cette circonstance doit être connue de l ’autre partie.
Rachat par le vendeur ou par une autre personne, exclut
l’intention sérieuse de vendre.
L’action en fraude de la partie elle-même ne pourrait être
repoussée.
Contrat pignoratif déguisé sous la forme d’une vente.
Appréciation de ses caractères sous l ’empire du droit an
cien.
Appréciation sous le Code.
L’acte nul, comme contrat pignoratif, vaudra comme obli
gation .
L’appréciation de la nature de l ’acte est abandonnée à la
prudence du juge.
Fraude dans la délivrance de la chose vendue. — Abus de
la jouissance.
Facilité de justifier cet abus, selon que la fraude a été com
mise in committendo ou in omittendo.
Retard dans la livraison, comme Fabsence complète de toute
livraison, peut constituer une fraude. — Actions qui en
naissent.
L’art. 1610 ne distingue pas la faute de la fraude.—Motifs.
Faculté d’accorder un délai, atténue la rigueur de la règle.
Autre atténuation dans l ’allocation des dommages-intérêts.
La faculté de proroger le terme de la livraison doit-elle être
appliquée aux ventes commerciales.
Toute modification, faite à la chose vendue depuis la vente,
constitue une fraude.
Conséquence quant aux meubles incorporés et aux capitaux
attachés à l'exploitation.
Quant aux récoltes pendantes par racines et aux arbres radiqués.
La tromperie sur la nature de l ’objet vendu est un délit.
La contrefaçon des marques de fabrique-, l ’usurpation du
�ET DE LA FRAUDE.
3
nom du fabricant, la fausse indication du lieu delà pro
duction, est assimilée à la tromperie sur la nature.
961. Caractère de la tromperie sur la qualité. — Conséquences.
962. Cas dans lequel la différence de la qualité entraînerait, mê
me après la livraison, la résiliation de la vente.
963. La livraison d’une chose qu’on sait impropre à sa destina
tion est une fraude. — Obligation qui en naît.
964. Nature de la tromperie sur la quantité.
965. Vente de la chose d’autrui. — Ses effets diffèrent selon
que le vendeur a agi avec bonne ou mauvaise foi.
966. Effet de la fraude consistant à vendre deux fois le même
objet.
967. Le second acquéreur pourra-t-il soutenir que la première
vente est simulée ?
968. Distinction à faire pour la solution de cette question.
969. Fraudes de l ’acquéreur. — Refus ou retard de prendre li
vraison. — Effets de l ’un ou de l’autre.
970. Effet du retard dans le paiement.
971. La fraude des experts chargés de déterminer le prix de la
vente peut-elle nuire ou profiter aux parties ?
972. La négative était enseignée en droit romain.
973. Dans notre ancien droit, Pothier enseigne la nullité de la
vente. — Mais la validité en est soutenue par Despeisses.
974. C’est à l ’opinion de celui-ci que s’est rangé M. Troplong.
975. Réfutation.
976. A quels caractères reconnaîtra-t-on la fraude ?
977. Toutes dégradations volontaires, tant que le prix n ’a pas
été payé, constituent une fraude. — Droit qu’elles ou
vriraient au vendeur.
978. Le vendeur non payé a le droit d’attaquer la revente opérée
par son vendeur, comme faite en fraude de ses droits.
979. Les principes applicables à la vente s'appliquent également
à l’échange.
980. La découverte que la chose donnée par le copermutant ne
�4
TRAITÉ DU DOL
lui appartient pas, autorise l ’autre à refuser la livraison
de la chose promise, si elle est encore entre ses mains.
981. Si l ’échange a reçu sa complète exécutioi^lors de cette dé
couverte , l ’échangiste pourra-t-il poursuivre la résolu
tion avant même d’être troublé dans la possession de la
chose par lui reçue ?
982. Quels seraient, dans ce cas , les effets légaux de la resci
sion ?
983. La revendication serait-elle permise contre le tiers acqué
reur?
984. La ratification du propriétaire n ’empêcherait pas la resci
sion.
985. Mais elle influerait sur la détermination des dommages-in
térêts.
986. Peut-on cumuler les dommages-intérêts et la reprise de la
chose ?
987. L’appréciation de ceux-ci obéit aux dispositions des articles
1634, 1635 et 1641 du Code civil.
988. En quoi doit consister le dédommagement, si l ’échangiste
opte pour une allocation pécuniaire, de préférence à la
reprise en nature?
989. Motifs qui ont fait admettre l’exclusion de l’action en lésion
contre l ’échange ?
990. Cette règle reçoit exception en matière de fraude.
991. Elle en reçoit une autre dans le cas. ou l ’échange déguise
une vente à vil prix.
992. A quels caractères reconnaîtra-t-on qu’il y a vente et non
échange ?
993. Distinction à observer dans l ’appréciation de la soulte.
9 3 7 . — La vente ne peut réellement exister qu’autant qu’il y a eu chez les parties intention d’acheter et
de vendre, consentement sur la chose et sur le prix.
L’absence d’uue de ces conditions ne permettrait pas de
�ET DE LA FRAUDE.
5
reconnaître une vente, quelle que fût l’apparence don
née par les parties au contrat. Alors, en effet, la quali
fication que l’acte a reçue n ’est qu’un mensonge cou
vrant une simulation destinée à tromper des tiers ou à
éluder une loi prohibitive.
D’autres fois c’est bien une vente que les parties ont
consentie, mais la fraude, excitée par un intérêt ultéri
eurement éveillé , se glisse dans l’exécution et en déna
ture les caractères et les conséquences.
La vente peut donc devenir un moyen ou une cause
de fraude. C’est sous ce double aperçu que nous allons
l’examiner.
9 5 8 . — Comme moyen , soit de tromper les tiers,
soit d’éluder la loi, la vente constitue une pure simula
tion. Nous aurons à l’examiner en nous occupant plus
tard de celle-ci. La fraude dont nous nous occupons
exclusivement dans ce moment étant celle d ’une partie
contre l’autre.
À ce dernier titre, la vente peut servir à déguiser une
des fraudes les plus dangereuses , le prêt usuraire. Un
prêteur avide ne pouvant stipuler des intérêts en dehors
du taux légal, paraît vendre ou acheter, soit des objets
mobiliers, soit un immeuble. Il ne fait en réalité , dans
le premier cas , que l’acte que l’ancienne jurisprudence
qualifiait de contrat mohatra ; dans le second , qu’un
contrat pignoratif.
9 5 9 . — Ce qui constitue le contrat m ohatra, c’est
la livraison d’objets mobiliers immédiatement revendus
�6
TRAITÉ DU DOL
par l’acquéreur à un prix inférieur à celui qu’il parait
en avoir donné, soit à son vendeur lui-même, soit à une
personne interposée. Ce qui résulte de cette opération,
c’est que l’achat étant contracté à crédit, l’acheteur reste
débiteur du prix ; qu’il ne reçoit cependant que les som
mes provenant de la revente au comptant, et qu’ainsi,
pour une valeur de 100 fr., il se trouve avoir souscrit
une obligation de 500 fr.
940.
— Il est évident dans ces circonstances que
le désir de se procurer quelques fonds a été le seul mo
bile de l’acheteur. La simultanéité de l’achat et de là
revente prouve suffisamment qu’il n ’a jamais eu l’inten
tion de se rendre sérieusement acquéreur ; e t, ce qui le
démontre mieux encore, c’est que souvent la prétendue
vente porte sur des objets sans valeur réelle pour celui
qui est censé les recevoir. C’est un fils de famille étran
ger au commerce à qui on vend une pacotille de vieilles
marchandises, une batterie de cuisine, un chameau mê
me, car les usuriers, dans les grandes villes , disposent
un peu de tout.
Ainsi, de la part de l’acheteur, l’intention d’acquérir
n’a jamais existé. Il n’y a même le plus souvent, par
rapport à lui, aucun objet pouvant faire sérieusement la
matière du contrat. Il ne peut donc, pour l u i , exister
un lien de la nature de celui qu’on a voulu lui imposer.
C’est un prêt et non une vente qu’il a évidemment si
gné.
L’exécution donnée à l’acte l’indiquerait au besoin
�ET DE LA FRAUDE.
7
suffisamment. On ne p e u t, en effet, admettre qu’il y a
eu achat sérieux, lorsqu’on voit l’acheteur revendre im
médiatement ce qu’il vient d’acquérir sans aucune né
cessité , sans nul besoin. Voilà pourquoi la revente est
de l’essence du contrat que nous examinons. Car si l’a
cheteur , ayant pris livraison réelle et effective , a gardé
les objets en sa possession pendant un temps plus ou
moins long , la revente à perte qu’il en aurait réalisée
plus tard, ne se liant plus intimément à l’achat, ne pour
rait seule faire suspecter le caractère de celui-ci.
9 4 1 . — Mais ce n’est pas tout que l’absence de l’in
tention d’acheter chez une des parties , il faut encore
que l’autre ait connu cette circonstance au moment où
elle traitait. Or, cette connaissance résulterait, contre le
vendeur, de ce qu’il aurait coopéré à la revente, en ra
chetant lui-même ou en faisant racheter dans son inté
rêt par une personne interposée. Cette conduite ferait
donc de plein droit admettre la fraude avec toutes ses
conséquences.
9 4 2 . — Le rachat par le prétendu vendeur est sans
doute une circonstance considérable. Cependant l’absen
ce de cette condition ne serait pas de nature à exclure
toute idée de fraude de sa p a rt, si d’ailleurs il est dé
montré qu’il n’a pu ignorer que la revente était la con
séquence forcée de l’achat. S’il suffisait, en effet, pour
que le titre fût, par rapport à lui, considéré comme lé
gitime, qu’il fût resté étranger à cette reventé, l’usure la
plus effrénée prendrait bientôt sa place dans un grand
�8
TRAITÉ DU DOL
nombre de transactions, certaine qu’elle serait de sortir
triomphante des plaintes qu’elle pourrait exciter.
Il importerait donc peu que le vendeur n’eût pas ra
cheté lui-même personnellement ou par personne inter
posée. Dès que de lui au prétendu acquéreur il s’est agi
d’un prêt ; que ce n’est qu’en vue de ce prêt que des
objets mobiliers ont été livrés, il n’a pu ignorer qu’il ne
pouvait s’agir de la possession de ces objets; que ce n ’est
que pour les revendre à tout prix que l’acheteur les a
acceptés ; il s’est donc, en traitant dans ces conditions,
rendu coupable d’une fraude que la prétendue vente a
pour objet de déguiser, la peine qu’il a dès lors encou
rue doit être appliquée sans hésitation. L’acte doit être
en conséquence ramené à ses véritables termes. C’est un
prêt, et tout ce qui doit être restitué, c’est la valeur ré
ellement reçue par l’emprunteur, augmentée des intérêts
légaux.
Au reste , dans une appréciation de cette nature , les
antécédents et la position respective des parties sont de
nature à exercer la plus grave influence. Ainsi l’habitude
de l’usure d’une part, de l’autre une éducation éloignant
toute idée de trafic , étrangère à toute opération com
merciale, fixerait la portée d’une vente dont la légitimité
exigerait l’usage de l’un ou de l’autre.
943.
— Contre une pareille vente , le reproche de
fraude est toujours admissible même par la partie qui y
a concouru. Vainement voudrait-on exciper de la règle
JSemo audilur turpitudinem suam allegans. L’usure est
�ET DE LA FBAUDE.
9
prohibée par la loi. Sa répression intéresse l’ordre pu
blic. On ne peut donc renoncer, et moins encore se ren
dre non-recevable à s’en prévaloir. Comme conséquence
de ce principe, celui qui se plaint d’en avoir été victime
est autorisé à le prouver non seulement par témoins,
mais encore par de simples présomptions.
L’appréciation de la pertinence de la preuve , ses
conséquences par rapport à l’acte attaqué, sont laissées
à l’arbitrage souverain des magistrats. La décision par
laquelle il est déclaré en fait qu’une vente d’effets mobiîiers constitue un prêt usuraire déguisé, échappe à la
censure de la Cour de cassation.1
La vente d’objets mobiliers imposée comme condition
du prêt d’une somme d’argent n’est pas en réalité une
vente et doit être annulée. La Cour de Paris l’a ainsi
jugé dans l’hypothèse suivante :
« Par acte sous seing privé du 18 octobre 1833, dé
posé plus tard aux écritures de M® flfaréchal, notaire à
Paris, la princesse de La Paix s’était reconnue débitrice
envers le sieur Gaumont, commis et prête-nom du sieur
Darroc , ancien tapissier, d’une somme de 410,000 fr.
dont la cause n’était pas exprimée audit acte, et qu’elle
s’était obligée d’acquitter en six paiements, les cinq pre
miers de 20,000 fr. et le dernier de 10,000 fr., avec
stipulation qu’elle souscrirait à l’ordre de Gaumont six
billets à ordre pour ladite somme de 110,000 fr., en
�TRAITÉ DU DOL
nantissement de laquelle elle avait donné une galerie de
tableaux dont l’état avait été annexé audit acte.
» Les six billets à ordre avaient été souscrits par la
princesse de La Paix , et elle avait acquitté le premier.
Mais elle s’était refusée à payer les autres , sur le motif
qu’il ne lui avait été prêté que 30,000 fr. En sorte
qu’elle ne devait plus que 10,000 fr. qu’elle offrait de
payer.
» Jugement qui accueille sa prétention. Appel , et le
7 février 1835 arrêt de la Cour qui statue en ces ter
mes :
» Considérant qu’il résulte des faits et circonstances
de la cause et des documents du procès , que sur les
110.000 fr. montant de l’obligation souscrite par la
princesse de la Paix , cette dernière n’a reçu réellement
qu’une somme de 30,000 fr.; que le surplus desdits
110.000 fr. se compose du prix donné par le prêteur
lui-même à une quantité de meubles restés dans ses
magasins et mis à la disposition de la princesse de La
Paix, laquelle devait lès faire vendre à ses risques et pé
rils, pour le prix en être remis à Gaumont en déduction
de sa créance; que cette obligation imposée à la princesse de La Paix était la condition expresse du prêt de
30.000 fr.; que ce n’était donc point une vente sérieuse
et à prix débattu , mais seulement un moyen d’obtenir
et de dissimuler les intérêts usuraires que Gaumont vou
lait tirer des 30,000 fr. précités. »
En conséquence la Cour réduit la créance à 30,000
francs avec intérêts légaux , annulle les billets souscrits
�ET DE LA FRAUDE.
11
et en ordonne la restitution , annulle également toutes
conventions intervenues entre les parties relativement
aux meubles en question.'
944.
La vente des choses mobilières n’a pas seu
le le privilège de déguiser un contrat de prêt usuraire.
L’aliénation d’un immeuble peut n ’avoir que cet objet.
La vente prétendue n’est alors qu’un contrat pignoratif
que l’existence de l’usure peut faire annuler.3
Donner en gage un immeuble soit par antichrèse,
soit sous la forme d’une vente, n’a rien en soi d'illicite,
lorsque , fidèles à la pensée qui a dicté le contrat, les
parties se conforment dans l’exécution à son véritable
caractère.
Mais l’anlichrèse se prête peu à déguiser l’usure. Les
loyers perçus , rapprochés des sommes à payer , indi
quent d’une manière précise le taux auquel les intérêts
ont été exigés^ Il n ’en est pas de même du contrat pig
noratif; par l’apparence du contrat, le prêteur est en
possession des immeubles, et si, le délai du réméré ex
piré, il prétend se les approprier définitivement, il peut
ainsi consommer l’usure la plus effrénée.
L’attention des magistrats ne doit donc point se lais
ser distraire par la couleur donnée à l’acte , elle doit se
porter avec soin sur la véritable intention des parties, et
saisir les véritables caractères de la convention.
1 J. du P., à sa date; — V. Paris, 27 novembre 1844;—J. du P.,
�\%
TRAITÉ DU DOL
9 4 3 . — Les éléments de cette appréciation avaient
été déterminés par la jurisprudence ancienne, alors que
la nature réelle de l’acte avait, sur sa validité, la plus
haute, la plus décisive influence. À cette époque, en ef
fet, la législation civile, se conformant au précepte du
droit canonique , prohibait, d’une manière absolue, le
prêt à intérêt sans aliénation du capital, et la connais
sance des cas d’usure était abandonnée aux tribunaux
ecclésiastiques. Cette prohibition, plus conforme au mys
ticisme religieux qu’aux franches notions de l’équité et
de la justice , n’avait abouti qu’à produire des efforts
successivement tentés pour l’éluder. C’est à ce titre qu’on
avait d’abord recouru à l’antichrèse, bientôt déclarée il
légitime.
•l.'
Les créanciers , n’osant plus accepter des immeubles
en gage avec pacte d’en percevoir les fruits pour leurs
intérêts, imaginèrent de les acheter avec faculté pour les
vendeurs de les reprendre dans un délai déterminé, et,
comme aux termes du droit romain', la chose donnée
en gage pouvait être louée par le créancier à son débi
teur, ils relouèrent à leurs vendeurs les fonds que ceuxci leur avaient vendus. Ces contrats furent nommés
pignoratifs, parce que la vente qui y était stipulée n’é
tait véritablement qu’une impignoration ou engage
ment.3
1 L. 37, Dig De adqu. et amit. poss.; — L. 37, Dig. De pignoralitia acliane,
- Lecamus, Traité des intérêts, p. 348.
�ET DE LA FRAUDE.
13
L’effet de ce contrat ne fut pas de transférer la pro
priété sur la tête de l’acquéreur ; celui-ci, à l’expiration
du délai fixé pour le rachat, prorogeait la faculté de l’o
pérer et la relocation. Dans le cas contraire , il faisait
saisir et vendre les immeubles, après commandement de
payer le capital et les arrérages qualifiés de loyers.
Mais c’était là un nouveau moyen d’éluder la prohi
bition de la loi, à l’égard du prêt à intérêt, et de reti
rer de son capital un profit que l’aliénation seule de ce
capital pouvait autoriser. En conséquence , un arrêt du
Parlement de Paris, du 29 juillet 1572, déclara ces con
trats nuis et usuraires , défendant d’en passer aucun à
l’avenir, sous peine de confiscation et d’amende.
Cette jurisprudence ne servit qu’à aggraver la position
des débiteurs. Le contrat pignoratif ne cessa pas d’être
pratiqué, seulement, dans le but d’éviter la peine qui les
menaçait, les acquéreurs soutinrent que le contrat ren
fermait une vente sérieuse et réelle, en force de laquelle
ils conservaient la possession définitive de l’immeuble,
faute par le débiteur d’avoir usé de la faculté de rache
ter dans le délai stipulé.
De là, de nombreux litiges sur le véritable caractère
de l’acte. En effet, si le créancier avait intérêt à le faire
considérer comme une vente, le débiteur n ’avait pas un
i
intérêt moindre à le faire déclarer un contrat pignora
tif , car, maintenu dans le premier c a s , il était annulé
dans le second. On s’appliqua dès lors à la recherche
des caractères auxquels on devait reconnaître le contrat
pignoratif, et à préparer ainsi les éléments de la solution
�14
TRAITÉ DU DOL
que la difficulté devait recevoir. Ces caractères furent :
10 la vileté du prix ; 2° la faculté de rachat ; 3° la re
location au vendeur.
Prise isolément, chacune de ces circonstance ne pou
vait paraître exclusive d’une vente réelle, mais leur ré
union avait été considérée comme constitutive de l’im pignoration. Cette doctrine , professée par tous les au
teurs, avait été formellement consacrée par la jurispru
dence.
Le décret du 2 octobre 1798 ayant permis le prêt à
intérêt avec ou sans aliénation du capital, le contrat pig
noratif devint parfaitement licite , à la charge toutefois
de ne pas favoriser une spoliation usuraire. Cotte der
nière condition cessa même de devenir un obstacle lors
que la loi du 11 avril 1793, proclamant l’argent mar
chandise, chacun put stipuler l’intérêt qu’il lui plaisait
exiger.
Il est vrai que l’effet de cette loi fut d’abord suspen
du par des lois subséquentes et plus tard anéanti par le
Code civil. Mais ce n’est que par la loi de septembre
1807 que le taux de l’intérêt, soit conventionnel soit lé
gal, a été fixé.
946.
— L’admission par le Code civil du prêt à in
térêt autorise aujourd’hui l’antichrèse et le contrat pig
noratif. Mais le désir d’éluder la loi de 1807 peut ren
dre ce dernier un instrument d’usure ; dans ce cas, mais
dans ce cas seulement, la.loi a dû le proscrire. La dif
ficulté réside donc tout entière encore dans la détermi-
�ET DE LA FRAUDE.
15
nation du caractère de l’acte, lorsque les parties ont a dopté la forme de la vente; ce caractère posé , la ques
tion de savoir s’il y a usure ne constitue plus qu’une opération arithmétique.
La difficulté est donc, quoique sous un aperçu diffé
rent, ce qu’elle était sous l’empire de notre ancienne lé
gislation. La règle alors suivie devient conséquemment
parfaitement applicable. On reconnaîtra le contrat pig
noratif si la prétendue vente renferme les trois caractè
res ci-dessus indiqués, à savoir : la vileté du prix, la fa
culté de rachat, la relocation.'
9 4 7 . — L’acte déclaré contrat pignoratif sera nul
comme vente, valable comme obligation jusqu’à concur
rence du capital prêté et des intérêts légaux. Toute usu
re disparaîtra dès lors au moyen de l’imputation des
sommes reçues sur ces intérêts , et subsidiairement sur
le capital, dont le solde sera ainsi parfaitement déter
miné.
9 4 8 . — C’est aux tribunaux qu’il appartient d’ap
précier souverainement l’exception proposée par le dé
biteur et les moyens que le créancier fait valoir. Aux éléments matériels qui précèdent, vient se joindre un élé
ment moral que l’ancienne jurisprudence n ’avait pas
négligé, à savoir : les antécédents de ce créancier. L’ha
bitude d’usure, consuetudo fœ nerandi, établie contre
1 V. infra sect. 6, n°* -H74 et suiv,
I
�46
TRAITÉ DU DOD
lui ferait facilement présumer la vérité du reproche qui
lui serait adressé dans cette circonstance.1
Ce droit des tribunaux a été contesté. L’acte authen
tique , a-t-on d it, fait foi par lui-même ; on ne peut
donc le modifier, à l’aide de présomptions plus ou moins
significatives, sans violer l’art. 4341 du Code Napoléon
qui défend de prouver outre et hors le contenu en l’acte
écrit.
D’ailleurs, ajoutait-on, si la vente est entachée d’u
sure , tout ce que peuvent les magistrats c’est, non de
l’annuler, mais seulement d’ordonner la restitution de
ce qui aurait été indûment retenu.
Ces prétentions n’avaient aucun fondement. L’acte
querelé de simulation et revêtant de la forme d’une vente
un prêt usuraire, consomme une fraude contre une loi
d’ordre public. En pareille matière , la preuve testimo
niale étant de droit entraîne la recevabilité de celle par
présomptions.
Cette preuve acquise, l’acte, quelle qu’en soit la for
me, ne saurait être maintenu. Colorera habet substantiam vero nullam. Il n ’est plus que l’instrument de la
fraude, que l’élément de l’usure : il doit donc disparaî
tre.
C’est dès lors fort juridiquement que la Cour de Riom
jugeait, le 20 mars 1822, que la question de savoir si
un contrat de vente est simulé , et si en réalité c’est un
prêt usuraire déguisé, est une question d’intention sou1 V. infra ch. 2, sect. 6,
�mise à la conscience des juges , d’après l’art. 1154 du
Code Napoléon ; que ce n’est point le cas d’appliquer les
articles du Code qui assurent tout effet aux actes écrits,
et défendent d'admettre des présomptions contraires.1
949.
— L’exécution d ’une vente sincère et légitime
dans son principe peut devenir une occasion de fraude.
C’est ce qui se réalise, lorsqu’une des parties tente de se
soustraire aux obligations qu’elle s’est imposée soit pour
la délivrance, soit pour l’acceptationet le paiement du
prix.
Le devoir, pour le vendeur, de délivrer la chose ven
due implique nécessairement celui de veiller jusque là
à sa conservation. Conséquemment , s’il abuse de la
jouissance qui lui a été laissée, si, loin d’y apporter les
soins et la vigilance d’un bon père de famille, il la dé
laisse et l’abandonne , il se rend coupable d’une fraude
l’obligeant à réparer le préjudice en résultant.
950.
— Les torts du vendeur sont facilement appré
ciables , lorsque la fraude résulte d’un fait positif, in
committendo. Un individu vend un cheval ou un im
meuble livrable à une époque déterminée ; dans l’inter
valle de la vente à la livraison , il soumet ce cheval à
un travail forcé ou lui refuse la nourriture nécessaire ;
il dégrade volontairement l’immeuble, laisse des tiers abattredes murailles, enlève ou permet d’enlever les por-
1 J. du P., à sa date
111
�18
TRAITÉ DU DOL
tes ou les fenêtres. On n’hésitera pas à le rendre res
ponsable de tous ces faits qui pourront, suivant les cir
constances , se résoudre en des dommages-intérêts ou
même autoriser la résiliation de la vente. La preuve des
faits matériels est par elle-même démonstrative de la
fraude , et cette fraude équivalant au d o l, l’étendue des
dommages-intérêts se détermine par les règles que nous
avons exposées en traitant de celui-ci.1
Il y aurait plus de difficultés dans fp cas où le repro
che de fraude est fondé sur un fait négatif, in omittendo. L’appréciation ne porte plus alors sur les consé
quences d'un fait matériel convenu ou établi, c’est l’exis
tence de ce fait, c’est le degré d’imputabilité qu’il s’agit
de déterminer. A cet égard , il importe de rappeler que
les tribunaux sont appréciateurs souverains de l’un et
de l’autre. Ce qu’ils ne doivent jamais perdre de vue,
c’est que la négligence, poussée jusqu’à de certaines li
mites, atteint aux proportions du dol, qu’elle en produit
tous les effets , qu’elle doit aussi en produire les consé
quences : Dissoluta negligentia prope dolum est.
951.
— Ce n ’est pas tout de conserver la chose , il
faut encore la livrer au terme convenu. Le retard ou
l’impossibilité d’opérer cette livraison constitue une frau
de, si l’un ou l’autre n’est que la conséquence d’un fait
volontairement réalisé par le vendeur. Le défaut de li
vraison, le retard même donne ouverture à l’action en
i V. supra n°« 307 et suiv.
�ET DE LA FRAUDE.
19
délivrance ou en résiliation avec dommages-intérêts, s’il
est résulté un préjudice de l’un ou de l’autre.
952.
— L’art. 1610 du Code civil , quant à cette
double action , ne distingue même pas entre la fraude
et la simple faute. Il suffit que l’inexécution se soit ré
alisée ; qu’elle ait déterminé pour l’acheteur un préju
dice quelconque pour que le droit qu’il consacre soit
ouvert. On ne saurait qu’approuver le parti auquel s’est
arrêté le législateur, car toute distinction à cet égard ne
pouvait que créer une multitude de difficultés et entra
ver la justice elle-même. D’ailleurs, en pareille matière
on peut répéter, avec le droit romain : Fraus non in
consilio, sed in eventu. Qu’importe, en effet, la bonne
foi du vendeur, si, en définitive, en ne s’exécutant pas,
il a causé à l’acheteur un préjudice exactement sembla
ble à celui que la mauvaise foi aurait pu causer.
Ajoutons que la nuance qui sépare la bonne foi de la
fraude est souvent imperceptible , surtout en matière
commerciale. La hausse ou la baisse survenue depuis le
marché joue trop souvent le plus grand rôle dans les
difficultés que la délivrance fait éclore. Il était donc pru
dent de les prévenir en ne s’arrêtant qu’au fait matériel
du défaut de livraison au terme convenu.
955.
— Au reste, le législateur a fait la part de l’é
quité en permettant aux juges d’accorder un délai pour
opérer la livraison'. Cette faculté, ils pourront en user
�20
TRAITÉ DÉ DOL
lorsque la bonne foi du vendeur sera établie. Ils ne croi
ront jamais devoir y recourir lorsque la fraude aura
seule déterminé le retard. Cette latitude , laissée à leur
justice, atténue donc singulièrement la sévérité du prin
cipe de l’art. 1610.
9 5 4 . — Nous retrouvons une atténuation non moins
importante dans la fixation du chiffre des dommagesintérêts. Là encore la bonne foi se distingue de la frau
de, car, dans le premier cas, les seuls dommages qu’on
puisse accorder sont ceux prévus au moment du contrat
et propter rem ipsam non habitam. La fraude , au
contraire, mettrait à la charge du vendeur tout le pré
judice directement imputable à l’inexécution.
A insi, la distinction que la loi n’admet pas en prin
cipe entre la simple faute et la fraude, se retrouve dans
les conséquences que chacune d’elles doit entraîner. La
faute commise de bonne foi fait ce que la fraude exclut
positivement, à savoir : proroger le délai de la livrai
son, modérer dans tous les cas les dommages-intérêts.
9 5 5 . — La doctrine et la jurisprudence ont admis
l’application de l’art. 1184 du Code civil aux ventes
commerciales. Mais c’est surtout dans cette matière qu’on
doit se prescrire une extrême prudence dans l’usage de
la faculté de proroger le délai de la livraison. L’esprit
du législateur ne nous parait pas comporter , quant à
ce, l’ombre du doute. Cet usage n’est réellement admis
sible que lorsque la prorogation du délai est démontrée
ne pouvoir entraîner aucun inconvénient réel pour l’a
cheteur.
�ET DE LA FRAUDE.
Il
Cela se rencontrera fréquemment dans les ventes or
dinaires de meubles destinés à être jouis par celui qui
les achète. Le retard que cette jouissance peut éprouver
n’aura pas, à tout prendre, de bien graves inconvénients.
On comprend, dès lors, que la bonne foi du vendeur en
retard de livrer prévale sur la rigueur du droit.
Mais il en est autrement dans les transactions com
merciales. Celui qui n’achète que pour revendre , qui
souvent même a revendu immédiatement après avoir achelé, a le plus grand intérêt à recevoir les marchandi
ses au jour indiqué, soit pour profiter du cours avanta
geux à celte époque, soit pour livrer lui-même à son acheleur. Tout retard peut devenir un véritable danger,
car une marchandise admirablement tenue aujourd’hui
peut subir dans les vingt-quatre heures une telle fluc
tuation , qu’au lieu du gain assuré que l’acheteur eû
réalisé, s’il eût reçu la veille, c’est une perte sur le prix
d’achat que la réception opérée le lendemain lui impo
sera. Dans de pareilles circonstances, il est évident que
toute faveur pour l’un deviendrait une iniquité pour
l’autre, et cela suffit et au delà pour que les tribunaux
s’abstiennent d’user de la faculté que la loi leur laisse.
9 5 6 . — C’est la chose vendue telle qu’elle existait
au moment du contrat, telle qu’elle a été promise, qui
doit être livrée. Toute modification, toute tromperie sur
la nature, la qualité ou la quantité constitue une fraude
pouvant servir de fondement à l’action de l’acheteur.
9 5 7 . — Ainsi, la vente d’un immeuble comprend
�22
TRAITÉ Dü DOL
virtuellement les meubles incorporés, les capitaux atta
chés à l’exploitation. Le vendeur ne peut donc, à moins
de réserves expresses , enlever les uns ou les autres. Il
importerait peu que cet enlèvement eût été réalisé avant
la rédaction de l’acte , s’il l’avait été depuis la conclu
sion du marché ou même depuis la visite des lieux, l’ex
istence de ces meubles et capitaux , connue de l’acqué
reur, entre dans les éléments sur lesquels il établit le
prix qu’il doit offrir. On ne pourrait donc , sans altérer
son appréciation, les enlever à son insu et sans son ad
hésion.
Le vendeur ne p o u rrait, pour justifier l’enlèvement,
exciper du silence de l’acte. L’acquisition de l’immeuble
entraîne celle de tout ce qui s’y est uni ou incorporé.
On n ’a nul besoin d’énoncer un fait que le droit com
mun crée et admet ; on n’a à s’occuper des meubles in
corporés et des capitaux que si les parties ont voulu les
distraire de la vente.
Cette intention ne se présume jamais.Conséquemment,
si l’acte est muet, l’enlèvement qui l’a précédé, accom
pagné ou suivi est nécessairement frauduleux. Le ven
deur serait donc contraint de les rétablir ou d’en payer
la valeur. Vainement prétendrait-il qu’il a été autorisé
à en disposer. C’est là un fait qu’il ne saurait prouver
autrement que par écrit, car il tend à affaiblir l’autorité
d’un titre contre lequel l’art. 1341 proscrit toute preuve
testimoniale.
Mais si l’acquéreur se plaint de l’enlèvement, s’il de
mande et obtient de l’établir par témoins, ce qui est tou-
�ET DE LA FRAUDE.
23
jours admissible , la preuve contraire étant de droit, le
vendeur pourra, par la même voie, justifier que, consé
quence d’une réserve formellement convenue , l’enlève
ment a été fait au vu et su de l’acquéreur et sans oppo
sition de sa part. Cette preuve rendrait la réclamation
ultérieure de celui-ci non-recevable et mal fondée.
9 5 8 . — Les récoltes pendantes par racines, les ar
bres radiqués sur la propriété au moment de la vente
rentrent dans la catégorie des meubles et capitaux incor
porés. Les règles applicables à ceux-ci doivent donc les
régir. L’enlèvement des unes, la coupe des autres, sou
mises aux mêmes principes, produirait les mêmes con
séquences.
9 5 9 . — La tromperie sur la nature de l’objet ven
du constitue plus qu’une simple fraude , c’est un véri
table délit prévu et puni correctionnellement par la loi.1
Ainsi, celui qui a vendu de l’or ou de l’argent, et qui
livre du cuivre ou de l’étain est non seulement passible
de l’action en résolution de l’acheteur , mais encore de
la poursuite du ministère public. Il en est de même de
celui qui, vendant une marchandise d’une nature déter
minée, en livre réellement une autre. Par exemple, une
liqueur fabriquée pour du vin, de l’huile de graine pour
de l’huile d’olive, du seigle pour du blé, etc...........
9 6 0 . — Aux termes de la loi du 28 juillet 1824, la
1 Art. 423 du Code pénal.
�24
TRAITÉ DU DOL
contrefaçon des marques de fabriques , l’usurpation du
nom du fabricant, la fausse indication du lieu de la pro
duction, est assimilée à la tromperie sur la nature de la
marchandise. La découverte par l’acheteur de la fraude
pratiquée à son encontre l’autoriserait soit à refuser la
livraison qui lui serait offerte, soit à demander, après la
livraison , la résiliation de la vente et la restitution du
prix. Cette demande serait compétemment déférée au
tribunal correctionnel saisi de l’action en répression.
961.
— La tromperie sur la qualité est sans doute
blâmable aux yeux de la morale , mais elle n’est pas
considérée communément comme un moyen de revenir
contre la vente. C’est principalement dans la vente des
choses mobilières qu’on peut dire , avec le jurisconsulte
romain : Naturaliter licet contrahenlibus se circumvenire. Le vendeur, à l’en croire, vend toujours ce qu’il
y a de meilleur au monde, chacun sait cela. Mais on ne
doit l’admettre qu’après s’en être assuré. L’acheteur qui
ne prend aucune précaution, qui ajoute une foi trop aveugle à des allégations intéressées se trompe lui-même
autant q u ’il est trompé. La faute étant commune , la
responsabilité ne peut appartenir à un,seul.
Cependant la tromperiesur la qualité peut, dans main
tes circonstances, entraîner la résiliation de la vente a vec dommages-intérêts. Nul, en effet, ne peut être con
traint d’accepter une marchandises d’une qualité autre
que celle qu’il a entendu acheter, qu’on a entendu lui
vendre. Ainsi, si j’achète des amandes de l’année ou des
�ET DE LA FRAUDE.
25
grains du pays , on ne pourrait me livrer des amandes
vieilles ou des grains d’une provenance étrangère. Le
refus que je ferais de les accepter serait sanctionné par
les tribunaux. Dès lors, le vendeur, n’ayant pas rempli
ses obligations, devrait réparer le préjudice résultant de
l’inexécution.
Mais l’exception de non conformité doit être opposée
avant l’acceptation. La livraison réalisée , tout est con
sommé et la différence de qualité ne serait plus proposable.
962.
— Il est cependant une hypothèse où la diffé
rence de la qualité entraînerait la résiliation même après
livraison, mais cela ne pourrait avoir lieu qu’aux deux
conditions suivantes :
1° La qualité, sur laquelle on a été trompé, doit a voir été la cause déterminante du contrat, à tel point
que, sans l’engagement du vendeur à cet égard, l’achat
n’aurait point été contracté. Dans ce cas, la fraude atta
que le contrat dans son essence , vicie le consentement
lui-même, il n’existe plus aucun lien obligatoire ;
2° L’acceptation par l’acquéreur de l’objet livré ne
doit avoir été déterminée que par la garantie formelle
donnée par le vendeur de l’existence de la qualité requi
se. Cette garantie est décisive , car elle a pour effet na
turel d’empêcher les investigations qu’une simple alléga
tion commanderait. Dès lors, si le fait garanti n’existe
pas, l’obligation résultant de la garantie doit sortir à ef
fet, et cet effet ne peut être que la résiliation de la vente,
avec dommages-intérêts s’il y a lieu.
�26
TRAITÉ DU DOL
C’est surtout pour les objets d’art, dont la valeur dé
pend bien souvent du maître auquel on les attribue, que
la tromperie sur la qualité peut offrir les conditions que
nous venons d’énoncer et entraîner la résolution du
contrat. Ainsi , il a été jugé que l’erreur de l’acheteur
d’un tableau sur le nom de l’auteur, emporte la résolu
tion de la vente, lorsqu’il est établi, d’une part, que le
vendeur a surpris le consentement de l’acheteur en lui
garantissant faussement la sincérité de l’origine attribuée
au tableau vendu, et que, d’autre part, c’est en consi
dération de celle origine que l’acquisition a eu lieu.'
965.
— Le vendeur, qui livre une chose qu’il sait
impropre à sa destination , commet une fraude qui l’o
blige à réparer le préjudice souffert par l’acheteur. Nous
avons déjà dit que si le vice caché était ignoré du ven
deur , sa garantie n’est engagée que pour le dommage
éprouvé quant à la chose elle-même; s’il connaissait ce
vice et qu’il l’ait dissimulé, c’est le dommage souffert
par l’acheteur sur ses autres biens qu’il est tenu de sup
porter.3
9 6 4 . — La tromperie sur la quantité est un délit,
lorsqu’elle résulte de l’usage de faux poids ou de fausses
mesures. Délit ou simplement erreur, l’acheteur qui en
est victime a le droit d’exiger le complément qui lui est
dû ou de ne payer que ce qu’il a réellement reçu.
1 Douai, 27 mai 1846; — D. P., 46, 1, 509,
2 V. supra n° 307.
�ET DE LA FRAUDE.
27
9 6 5 . — À l’obligation de livrer que prend le ven
deur, se joint celle de faire jouir l’acquéreur de la cho
se vendue, après lui en avoir transféré la propriété. Ce
lui qui vend la chose d’autrui s’expose à ne pouvoir
remplir ni l’une ni l’autre de ces obligations.
Les conséquences d’un acte de ce genre diffèrent se
lon que le vendeur a été de bonne ou de mauvaise foi.
Dans le premier cas, il n’est obligé que dans les propor
tions déterminées par l’art. 1634 du Code civil.
Mais celui qui vend sciemment la chose d’autrui com
met une fraude tant à l’égard du véritable propriétaire,
qu’à l’égard de l’acquéreur, il doit donc être tenu de les
indemniser l’un et l’autre. Cette indemnité doit, pour le
propriétaire, consister au remboursement de tous les
frais que l’acte a pu lui occasionner, celle due à l’ac
quéreur est réglée par l’art. 1635. Toute indulgence,
en pareille matière, serait contraire à l’esprit de la loi ;
il faut bien se garder, en effet, de paraître encourager
des entreprises aussi condamnables , aussi dangereuses
pour l’ordre social.
9 6 6 . — Il est une fraude plus condamnable encore,
si c’est possible, c’est celle consistant à vendre deux fois
la même chose. C’est là, en effet, un véritable vol contre
l’un des deux acquéreurs, puisqu’il est impossible qu’ils
reçoivent tous les deux l’objet qui leur a été cependant
vendu.
Nous n’avons pas à rechercher les causes de préfé
rence d’une vente sur l’autre , le rang d’antériorité qui
�28
TRAITÉ DU DOL
doit leur être assigné soit qu’il s’agisse d’un meuble, soit
qu’il s’agisse d’une chose immobilière. Ces questions ap
partiennent à une matière autre que celle dont nous de
vons exclusivement nous occuper. Ce que nous devons
rechercher, c’est l’effet que la double vente produit visà-vis des acquéreurs soit contre le vendeur, soit contre
chacun d’eux.
D’abord, et par rapport au vendeur, aucun doute ne
saurait jamais s’élever. L’acte qu’il s’est permis est une
fraude insigne contre les deux acquéreurs. Ils ont donc
l’un et l’autre le droit incontestable de poursuivre la ré
paration du préjudice que cette fraude est dans le cas
de leur occasionner.
967.
— La seconde vente n’est en général suscepti
ble de sortir à effet que si le vendeur n’avait pas anté
rieurement aliéné ce qui en fait la matière. Le second
acquéreur a le plus grand intérêt à ce qu’il en soit ainsi.
Pourra-t-il dès lors soutenir que la première vente n’est
qu’apparente et ne constitue qu’une simulation ; que
conséquemment le vendeur ayant conservé la propriété
de la chose a pu valablement la lui transmettre ?
Cette faculté a été contestée. La prétention du second
acquéreur, a-t-on dit, ne tend à rien moins qu’à faire
considérer la première vente comme faite en fraude de
ses droits. Or , pour qu’on puisse recourir au remède
prescrit par l’art. 1167, il faut, de toute nécessité, que
le droit, qu’on prétend frauduleusement éludé, ait pré
existé à la consommation de la fraude. Dans l’hypothè-
�ET DE LA FRAUDE.
29
se, cette condition est impossible, puisque le droit du
second acquéreur n’a été acquis que postérieurement à
l’acte attaqué. Comment donc admettre que cet acte n’ait
été réaÿsé qu’en fraude d’un droit qui n’était pas mê
me né.
968.
— Nous ne pouvons admettre cette doctrine
dans le sens absolu qu’on lui prête. A notre avis , une
distinction est essentielle pour l’exacte appréciation de
la question que nous examinons.
Si le vendeur avait été laissé en possession lors de la
première vente, et que cette possession ait été transmise
au second acquéreur, celui-ci sera nécessairement dé
fendeur dans l’instance en revendication que le précé
dent acquéreur sera dans le cas d’intenter ; comme tel,
il sera autorisé à discuter la légitimité du titre qu’on lui
oppose et qui ne pourra sortir à effet que s’il est déclaré
sérieux et sincère. Cette discussion comporte nécessai
rement l’exception de simulation et de fraude avec d’au
tant plus de raison que le fait lui-même vient lui assu
rer un appui incontestable.
Il n’est pas, en effet, naturel que celui qui a,réelle
ment acquis ne se mette pas en possession des choses
qui lui ont été aliénées. Ce défaut de prise de possession
rend suspect le caractère de l’acte, il constitue dans tous
les cas une faute grave, ayant favorisé la fraude dont le
second acquéreur est victime, et facilité le piège tendu
à sa bonne foi. Il est donc équitable de permettre à ce
lui-ci de prouver que l’acte qu’on lui oppose n’a rien
�30
TRAITÉ DU DOL
de réel, et que la demande à laquelle il résiste n’est ellemême qu’une fraude entée sur une simulation.
Le fait de la possession par le vendeur, au moment
de la seconde vente , est donc décisif. Mais il le serait
beaucoup moins, s’il était expliqué par la première ven
te de manière à exclure toute idée de faute de la part
de l’acquéreur, par exemple , si la remise de cette pos
session avait été fixée à un terme convenu ; si l’acte por
tait relocation en faveur du vendeur. Dans l’un comme
dans l’autre cas , l’exception de fraude n ’en serait pas
moins recevable , mais elle serait très-difficilement ad
missible.
Si le second acquéreur est demandeur en délaisse
ment contre le premier , la position est toute différente.
Les règles à suivre ne peuvent être identiques. Assuré
par l’exécution qu’il a reçue, le titre du premier acqué
reur se suffit à lui-même, et son droit ne peut être al
téré que si ce titre vient à périr. Or le second acqué
reur, dont les droits ne sont nés que postérieurement,
n ’a pas qualité pour agir directement en vertu de l’ar
ticle 1167. Il ne peut donc attaquer le titre qui lui est
opposé qu’en exerçant les actions de son vendeur, et,
dans les cas seulement où celui-ci pourrait l’attaquer
lui-même. Or , nous verrons plus bas que le complice
de la simulation, lorsqu’il a pu s’en procurer une preu
ve écrite, est non-recevable à prétendre la prouver par
témoins. Cette fin de non-recevoir, écartant le vendeur,
écarterait le second acquéreur qui n ’est que son ayant
cause, à moins qu’il ne s’agît d’une simulation illicite
�31
que les parties elles-mêmes peuvent toujours prouver
tant par témoins que par présomptions.
Admettre le contraire , ce serait éluder la prohibition
de la loi et permettre au vendeur de faire indirectement
ce qu’il ne pourrait faire d’une manière directe. Celuici , en effet, n’aurait qu’à simuler une seconde vente,
puisqu’il pourrait, par ce moyen et à l’aide d’une inter
position de personne, faire admettre un genre de preuve
formellement interdit par l’art. 1341.
Les facilités que cette fraude rencontrerait ont dû dé
terminer le législateur à la considérer comme certaine
lorsqu’une partie prétend avoir acheté un objet dont le
vendeur n ’avait plus la possession Cette circonstance
mérite, dans tous les cas, d’être approfondie. Elle doit,
en effet, conduire nécessairement l’acquéreur à la con
naissance d’une vente antérieure. En conséquence, celui
qui, sans s’en préoccuper, a contracté avec le prétendu
propriétaire d’une chose possédée par un autre , est au
moins coupable d’imprudence. Il ne peut accuser qui
que ce soit de l’avoir trompé, puisqu’il s’est prêté à se
tromper lui-même.
On est censé connaîlre dès qu’on a pu connaître. Or,
pour le second acquéreur, la connaissance d’une vente
précédente le constitue tellement en mauvaise foi, qu’il
ne pourrait faire prévaloir son titre, même authentique,
sur celui du premier acquéreur n’ayant qu’un sous seing
privé. Il y a même plus, la seconde vente n’étant qu’u
ne fraude au préjudice de la première, celui qui, éclairé
sur l’existence de celle-ci, a accepté le bénéfice de l’au -
ss fe â
ET DE IA FRAUDE.
�32
TRAITÉ DU DOL
tre, s’est, par cela même, rendu complice de la fraude.
Il pourrait, dès lors, être poursuivi et condamné solidai
rement à réparer le préjudice que cette fraude a occa
sionné,
969.
— La vente impose à l’acquéreur l’obligation
de recevoir livraison au terme convenu, L’inexécution
de cette obligation autorise le vendeur à en poursuivre
l’accomplissement ou à demander la résolution de la
vente. Il peut, de plus, exiger dans l’un et l’autre cas des
dommages-intérêts si le retard mis à prendre livraison
lui a causé un préjudice.
Ce retard fait d’ailleurs cesser l’obligation imposée au
vendeur de conserver la chose vendue , en ce sens que
la perte de cette chose ou les détériorations qu’elle vien
drait à subir restent à la charge de l’acquéreur légale
ment en demeure. Mais la cessation de la responsabilité
du vendeur ne peut s’entendre de telle manière qu’elle
pût autoriser un délaissement complet de cette chose.
Tant que le vendeur est en possession, il répond de son
dol ou de sa frande : Quum moram emptor adhibere
cœperit, jam non culpam, sed dolum tantum prœstandum venditori.'
Aux termes de l’art. 1657 du Code civil, la vente de
denrées et effets mobiliers est résiliée de plein droit et
sans sommation au profit du vendeur après l’expiration
du terme convenu pour le relirement. Mais c’est là une
1 L.17, Dig. Depericul. et comrn. rei vend.
�ET DE LA. FRAUDE.
33
simple faculté dont le vendeur peut ou non user, dont il
n’usera que très-rarement dans le cas où le défaut de
retirement sera le résultat de la fraude. Il est évident,
en effet, que l’inexécution par l’acheteur suppose que le
marché lui est devenu onéreux, et, par cela même, un
intérêt contraire chez le vendeur, puisque la perte à su
bir resterait pour son compte. Il est donc certain qu’au
lieu de considérer le marché comme résilié, il préférera
contraindre l’acheteur à l’exécuter en prenant livraison
ou à l’indemniser du préjudice que le refus de celle-ci
entraînerait. Les dommages - intérêts doivent toujours
comprendre dans ce cas la différence entre le prix ac
tuel de l’objet vendu et celui fixé dans le contrat.
9 7 0 . — L’acquéreur est obligé de payer le prix sti
pulé. Le retard dans ce paiement entraîne des domma
ges-intérêts consistant dans tous les cas au paiement des
intérêts, mais qui peuvent, dans le cas de fraude, com
prendre le préjudice qui en serait une conséquence di
recte.
9 7 1 . — Les parties peuvent s’en remettre , pour la
détermination du prix , à l’arbitrage d’un ou de plu
sieurs experts. La fraude des experts pourra-1—elle nui
re ou profiter aux parties ?
9 7 2 . — La négative était enseignée sous l’empire
du droit romain par de célèbres commentateurs ; Quod
si iniquum arbiter interposuerit arbitrium, ad ipsum
bonœ fidci judicio, id est judicis officio secundum na-
�34
TRAITÉ DU DOL
turam negotiorum bonœ fidei, ex bono et œquo corrigendum est. Cette opinion de Voet-' est aussi celle de
Cujas et des jurisconsultes de son école.
973.
— Dans notre ancien d ro it, Pothier n’hésite
pas à tenir qu’en pareille circonstance la vente doit être
annulée : « Si le tiers, dont les contractants sont con» venus, a fait une estimation, mais qui soit manifes» tement inique, il n’y aura pareillement point de ven» te, et c’est la même chose que s’il n’avait point fait
» d’estimation, car les contractants, en s’en rapportant
» à son estimation , ont entendu non une estimation
» purement arbitraire , mais une estimation tanquam
» boni viri, une estimation juste.2 »
Mais Despeisses enseigne l’opinion contraire. Se fon
dant sur ces expressions de la loi dernière au Code De
cont. emp.: « Ut si quidem ipse qui nominatus est pre
tium definiret,omni modo secundum ejus eslimationem
et pretia persolvi et venditionem ad effectum pervenire, » il refuse tout recours aux parties, même en pré
sence d’une estimation de l’iniquité la plus révoltante.3
974.
— Quelques jurisconsultes modernes, notam
ment M. Troplong , se sont rangés à l’opinion de Des
peisses. De l’avis du savant m agistrat, le texte invoqué
est décisif. En conséquence, tout en refusant à la déci—
1 Ad pand.. de contrah. emptione, n° 23
s De la vente, n° 24.
�ET DE LA FRAUDE.
35
sion de l’expert le caractère d’uri jugement arbitral, M.
Troplong la considère comme inattaquable , même pour
cause de lésion de plus des sept douzièmes.'
975.
— Quelque considérable que soit cette autori
té , nous ne saurions l’accepter en principe. L’opinion
de Voet, de Cujas , de Pothier , nous parait préférable
non seulement sous le rapport de l’équité, mais encore
au point de vue de la légalité.
Sans doute, en règle ordinaire, chacun doit exécuter
l’obligation qu’il a légalement et librement consentie,
dût cette exécution entraîner quelques inconvénients.
Mais, nous l’avons bien de fois répété, la fraude fait en
tout et partout exception au droit commun.
Or, une évaluation évidemment inique est une fraude
à l’encontre de celui qui doit en supporter les consé
quences. Cette proposition , incontestable lorsque l’ex
pert a ou agi malicieusement ou cédé à la corruption,
pourrait-elle être contestée lorsque, sans données posi
tives sur l’intention, on se trouve en présence d’un ré
sultat violant ouvertement toute idée d’équité et de jus
tice ? Nous le comprendrions si la fraude ne pouvait
subsister que par le concours du fait et de l'intention,
consilium et eventus, mais tel n’est pas son caractère.
Ce qui la constitue , c’est la certitude d’un préjudice
fraus non in consilio, sed in eventu ; et ce qui fait le
mérite de cette décision, c’est qu’il ne saurait exister un
i De la vente, tom, î, n° <158.
�36
TRAITÉ DU DOL
fait nuisible sans qu’il naisse en même temps la certi
tude d’une volonté mauvaise ou d’un devoir violé. Or,
la faute, lorsqu’elle atteint à de certaines limites , l’im
prudence, la négligence même, acquiert les proportions
du dol, prope dolum est.
Dès lors l’estimation , jusqu’à un certain point exa
gérée, pourra être acceptée comme le résultat d’une sim
ple faute, d’une négligence ordinaire , et ne pourra vi
cier conséquemment la convention. Mais l’évaluation,
notoirement, positivement inique, suppose, à défaut d’u
ne volonté perverse, une faute tellement grave, une né
gligence tellement lourde, qu’il serait injuste de la to
lérer. Parfaitement assimilable au dol, elle doit en pro
duire tous les effets, car elle en entraînerait les résul
tats.
Cela admis, la décision de Voet, de Cujas, de Pothier,
se trouve légalement justifiée, puisque le texte invoqué
à l’appui de la solution contraire ne peut recevoir au
cune application à l’hypothèse d’un dol ou d’une frau
de. Vainement dirait-on que, dans tous les cas, s’agis
sant du fait d’un tiers, ce dol et cette fraude ne peuvent
être opposés à la partie. L’expert, en acceptant la mis
sion qui lui est confiée, devient le mandataire des par
ties et procède en cette qualité. Dès lors, la fraude qu’il
commet est opposable au mandant ou par le mandant,
car elle ne peut pas plus lui nuire qu’elle ne pourrait
lui profiter.
Nous admettons donc en principe que l’estimation ini
que ne crée aucun lien obligatoire , mais le développe-
�ET DE LA FRAUDE.
37
ment de ce principe peut créer de sérieuses difficultés.
A quelles conditions reconnaitra-t-on l’existence de ce
caractère ? Ici toute règle précise devient impossible à
formuler. Il n ’y a plus qu’une appréciation de faits et
circonstances spéciaux à chaque espèce, c’est au juge in
vesti à rechercher dans le mode suivi par l’expert les éléments de sa conviction.
97 6.
— Il est évident que toute exagération ne con
stituerait pas l’estimation inique. L’appréciation de la
valeur vénale d’un objet quelconque n’est pas ce qu’on
demande exclusivement à l’expert. Il est une valeur mo
rale , des considérations de convenance ou d’agrément
qui doivent aussi être consultées. Cette valeur morale est
susceptible d’être différemment appréciée. Tout dépend
de l’opinion personnelle qu’on s’en fa it, du point de
vue auquel on se place. Une erreur même grave, résul
tant de données exagérées à cet endroit, ne serait pas
l’évaluation inique dont oh pourrait se plaindre. Il en
serait autrement si , toutes choses poussées à l’extrême,
on se trouvait encore en présence d’une estimation évi
demment exagérée.
Aussi ne dirons-nous pas qu’on doit considérer com
me limite extrême une lésion même des sept douzièmes.
Souvent, en effet, cette lésion ne subsistera que parce
que le vendeur s’exagère à lui-même la valeur maté
rielle ou morale de sa propriété, ou parce que l’acqué
reur méconnaît par trop Tune et l’autre. C’est aux ma
gistrats qu’il est réservé de dire droit sur chaque espè-
�38
TRAITÉ DU DOL
ce. Leur prudence et leurs lumières garantissent suffi
samment qu’ils sauront, sans les confondre , distinguer
l’erreur excusable de celle qui ne pourrait l’être, et con
cilier ainsi ce que l’équité et le respect des conventions
exigent réciproquement.
977. — Tant que le prix n’est pas payé, l’acquéreur
n’est , en quelque sorte , que le dépositaire de la chose
vendue, lés dégradations qu’il lui ferait volontairement
subir seraient autant de fraudes tendant à diminuer la
valeur du gage au préjudice du vendeur, pouvant per
dre ainsi les garanties de ce qui lui est dû. Celui-ci
pourrait dès lors demander soit le paiement immédiat
du prix, soit la résiliation delà vente, avec dommagesintérêts.
9 7 8 . — Le vendeur non payé a le droit d’attaquer,
pour cause de fraude et comme faite à son préjudice, la
revente opérée par l’acquéreur , alors même qu’il au
rait formé une surenchère sur le prix de cette revente.'
La surenchère est une mesure conservatoire , ne pou
vant empêcher l’exercice ultérieur de l’action en résolu
tion pour fraude.
Cette fraude du second vendeur résulterait suffisam
ment de l’époque rapprochée de la seconde vente avec
la première, de la vilité du prix, des termes très-courts
accordés pour le paiement, et de l’engagement pris par
1 Çass., 3 juillet 1817.
�ET DE LA. FRAUDE.
l ’acquéreur, avant la vente, de garantir son vendeur de
toutes les poursuites qui pourraient être faites contre lui
par le premier vendeur'. L’existence d’un pareil enga
gement prouve la complicité de l’acquéreur dans la frau
de du vendeur, complicité sans laquelle, nous le verrons
plus tard, l’acte onéreux ne pourrait être annulé.
979.
— L’échange n’esl, à vrai dire, qu’une vente
mutuelle et réciproque. Le prix de la chose donnée par
l’un consiste dans la chose donnée par l’autre, chacune
des parties , étant également acquéreur et vendeur , se
trouve donc soumise aux obligations de l’un et de l’au
tre, comme elle en a les droits.
Dès lors, ce que nous avons dit de la fraude, à l’en
droit de la vente , reçoit une application directe dans
l’hypothèse d’un échange. Conséquemment, c’est par les
principes que. nous venons d’exposer que les difficultés
offertes par ce dernier contrat devront se résoudre.
980.
— L’échange de la chose d’autrui est nul com
me le serait la vente. L’art. 1904 s’occupe du cas où la
découverte du défaut de propriété du copermutant est
postérieure à la réception de la chose, et antérieure à la
livraison de celle promise en contre-échange. Il auto
rise le refus de toute livraison ultérieure. Cette solution
est avouée par la raison et la justice. Comment exécuter
une convention ayant pour résultat probable d’enlever
1 Cass., 3 juillet 1817.
�40
TRAITÉ DU DOL
à l’un l’équivalent de ce qu’il donne lui-même. Tout ce
qu’on peut exiger , c’est la restitution de la chose déjà
livrée, sauf les dommages-intérêts pouvant être dus à la
partie qui restitue.
981.
— Si l’échange a reçu sa complète exécution,
s’il y a eu livraison réciproque , l’échangiste ayant reçu
la chose d’autrui doit-il être admis , dès la découverte
qu’il en fait, à poursuivre la résolution du contrat?
Des difficultés ont été soulevées à cet égard , non que
la nullité de l’échange ait été révoquée en doute , mais
par la raison que l’art. 1704 ne s’appliquant que dans
l’hypothèse d’un échange encore im parfait, il faut en
conclure que son exécution entière ne rend l’action du
copermutant recevable qu’au moment où le trouble se
réalise par la réclamation du véritable propriétaire. C’est
ce que la Cour de cassation a elle-même décidé le 11
décembre 1815.
Mais on a fait remarquer, et selon nous avec raison,
que , puisque la découverte du vice suffit pour arrêter
l’exécution de l’acte, il est logique de donner à la même
circonstance l’effet de faire révoquer celle qu’il a reçue
et qui n’est que le résultat de l’erreur d’une part, de la
fraude de l’autre. C’est ce qu’on admet d’ailleurs pour
la vente, dont les règles s’appliquent à l’échange. Com
ment donc le refuser pour celui-ci? Parce que l’art. 1704
ne parle que d’un cas spécial ? Mais cet article a bien
plutôt voulu créer une exception à la règle Pendente
lite lenet conlractus, en vertu de laquelle le défendeur
�ET DE LA FRAUDE.
41
aurait pu demander l’exécution préalable de l’acte, qu’à
établir une exception au droit absolu de demander la
résiliation, exception qui ne saurait, dans aucun cas,ré
sulter suffisamment de l’argument à contrario, tirée de
l’art. 1704.'
1lest vrai que l’arrêt de la Cour de cassation, du 11
décembre 1815, se fonde sur ce que l’art. 1704 ne parle
que du refus de livraison, sans s’occuper de la revendi
cation. Mais il est évident que la Cour , préoccupée de
l’espèce sur laquelle était intervenue la décision atta
quée, n’a pas dû s’appesantir beaucoup sur la question
qu’elle paraît résoudre. Il s’agissait, en effet, de l’échan
ge contre un bien dont la dotalité avait été déclarée et
qui était dès lors parfaitement connue. On opposait donc
avec raison au demandeur le caractère relatif de la nul
lité, et la disposition de l’art. 1125 du Code civil ; c’est
sans doute au silence gardé par la femme que les motifs
de l’arrêt font allusion. Le rejet de la réclamation était
donc, dans cette espèce, commandé par ce même arti
cle 1125.
La Cour régulatrice aurait-elle décidé de même , s’il
se fût agi d’un échange du bien d’autrui ? Nous en dou
tons avec d’autant plus de raisons qu’elle a jugé en sens
inverse, en décidant le 16 janvier 1810 :
1° Que l’art. 1599 , qui déclare nulle la vente du
bien d’autrui, est applicable en matière d’échange ;
1 Duvergier, Vente , tom. n , n° 43 ; — Favard, v» Echange, n» 2 ;
— Rolland de Villargues, v° Echange, not 28 et 29.
�42
TRAITÉ DU DOL
2° Que l’échange d’une chose indivise, entre l’échan
giste et un tiers, peut, sur la demande du coéchangiste
qui a ignoré cette indivision, être annulée comme étant
une aliénation de la chose d’autrui ;
3° Enfin , que la nullité doit être prononcée , bien
même que l’indivision ait cessé d’exister, si d’ailleurs la
demande en nullité est antérieure à la poursuite en par
tage.
Dans celte espèce, on le voit, l’échangiste était si peu
recherché, que toutes les recherches étaient impossibles.
En effet, et avant la fin du litige , le coéchangiste était
devenu, par l’effet du partage, propriétaire unique de la
chose par lui donnée, cependant la Cour n’hésite pas à
admettre la demande.
Il y a donc entre ces deux décisions une anomalie
qui serait inexplicable si la différence des faits ne nous
en donnait le mot. Dans celle de 1810, l’échangiste igno
rait le vice de la chose. Il était donc victime d’une frau
de. Dans celle de 1815, cette ignorance n’existait pas,
la dotalité ayant été déclarée, dès lors point de fraude,
point de préjudice. Aussi trouvons-nous le résultat de
cet arrêt très-juridique et nous opposerions hardiment
la fin de non-recevoir qu’il consacre à tout échangiste
ayant sciemment accepté la chose d’autrui. Seulement
nous motiverions notre solution sur la maxime volenli
non fit inju ria .'
1 V. Poitiers, 16 avril 1822.
�ET DE LA FRAUDE.
Ainsi, la découverte que la chose reçue n’appartenait
pas à celui qui l’a donnée, autorise la demande en ré
siliation. La preuve qu’il en est ainsi la ferait inévita
blement accueillir.
9 8 2 . — Quels seront les effets légaux de la résilia
tion ?
D’abord , la faculté pour l’échangiste de revendiquer
la chose par lui livrée. Cela ne souffre aucune difficul
té, lorsque la chose se trouve encore entre les mains du
coéchangiste. N’ayant, rien donné en échange, il n’a au
cun droit à la chose par lui reçue. Le continuer dans sa
possession ne saurait donc se concevoir en présence d’u
ne revendication formelle de la partie contractante.
9 8 3 . — La question de revendication devient plus
délicate lorsque le défendeur ayant aliéné la chose qu’il
avait reçue , c’est contre le tiers détenteur que cette re
vendication doit être intentée et poursuivie.
Le droit romain la refusait positivement : Contra
emptorem quidem nullam te habere actionem perspicis, cum ab eo susceperit dominium cui te tradidisse
titulo permutationis non negas.1 Cette décision formait
le droit commun avant le Code civil , et c’est sous son
empire que la Cour de cassation a jugé , le 46 prairial
an x ii , que la revendication contre le tiers détenteur était interdite.
1 L 4, Cod. De rerum permut.
�44
TRAITÉ DU DOL
Le Code civil a -t-il abrogé cette législation? Non, dit
Favard \ L’art. 1704 , en décidant que le copermutant
reprendra la chose, ne s’explique pas en ce qui concer
ne le tiers détenteur. Donc , au regard de celui-ci , il
faut s’en tenir aux principes du droit romain et notam
ment à la solution de la loi 4 au Code De rerum permutatione.
Mais indépendamment de l’art. 1704 , le législateur
français a édicté l’art. 1707, aux termes duquel toutes
les autres règles prescrites pour la vente s’appliquent à
l’échange. Or, personne ne conteste au vendeur non payé
de revendiquer contre le tiers détenteur. Cette règle se
rait-elle en dehors de toutes les autres que l’art. 1707
déclare comme communes à l’échange ?
Remarquons que l’assimilation entre l’échange et la
vente n’avait pas été méconnue par le droit romain. La
loi 4 au Code n’avait fait que l’appliquer justement en
prohibant pour l’échange ce qui était déjà prohibé pour
la vente. On sait, en effet, que le vendeur, ayant suivi
la foi de l’acquéreur, n’avait plus contre celui-ci qu’une
action personnelle en paiement du prix.
La théorie du Code n’est plus celle sur laquelle était
fondé le droit romain. N’est-il donc pas logique de dire
aujourd’hui que par cela seul que l’action contre le tiers
est ouverte en cas de vente, elle l’est également pour l’é
change. L’identité dans le contrat doit déterminer l’iden
tité des conséquences.
1 V° Echange,
�On cherche à expliquer la différence par ce fait que
le vendeur a un privilège que la loi le force d ’inscrire,
tandis que le copermutant n’en a aucun.
»
Mais, dit Merlin', ce qui répond victorieusement à
cela, c’est qu’il doit en être de l’aliénation par l’acheteur
qui n’a pas payé son prix, comme de l’hypothèque qu’il
aurait constituée sur le fonds dont il doit le prix à son
vendeur ; qu’aux termes de l’art. 2025 , l’hypothèque
prise sur l’acquéreur qui n’a point payé le prix, s’éva
nouit lorsque le vendeur , à défaut de paiem ent, a fait
prononcer la résolution de la vente; qu’ainsi l’aliénation
que l’acquéreur a faite avant qu’à défaut du paiement
du prix, la vente ait été résolue, doit également être con
sidérée comme non avenue; et qu’enfin le défaut d’in
scription du privilège du vendeur ne prive celui-ci ni de
la faculté de faire résoudre le contrat de vente , ni du
droit de faire valoir cette faculté soit contre les créan
ciers hypothécaires , soit contre les aliénataires de l’a
cheteur.
Merlin pense donc que l’art. 1707 s’en référant pour
l’échange aux règles de la vente, le législateur a formel
lement abrogé la loi 4 au Code De rerum permutatione ;
qu’on doit donc tenir comme certain qu’aujourd’hui
l ’échangiste évincé ou menacé de l’être peut revendiquer
la chose par lui livrée contre le tiers détenteur. C’est
aussi ce qu’enseignent d’autres graves jurisconsultes.”
�46
TRAITÉ DU DOL
Ainsi , la revendication peut être utilement exercée
contre le tiers acquéreur. L’échangiste ayant perdu ou
se trouvant exposé à perdre la chose en échange de la
quelle il a livré la sienne, est, par rapport à celle-ci, un
véritable vendeur non payé. Conséquemment, l’ache
teur direct du copermutant , comme tous les acheteurs
successifs, subira l’application de la règle Resoluto jure
dantis, resolvitur et jus accipientis. Par un à fortiori
incontestable, les hypothèques et privilèges conférés de
puis l’échange s’effacent et disparaissent. Les droits du
copermutant étant conditionnels et résolubles , tout ce
qui émane de lui revêt ce double caractère ; donc la ré
solution prononcée et la condition se réalisant, la chose
rentre franche et libre aux mains de son ancien propri
étaire.'
*
984.
— Le vice résultant du défaut de propriété
chez le copermutant est radical et absolu, à tel point que
la ratification du véritable propriétaire ne saurait cou
vrir la nullité qui en résulte. C’est ce qui s’induit de
l’arrêt de la Cour de cassation du 16 juin 1810 , que
nous avons ci-dessus cité. On comprend assez que le fait
d’un tiers ne puisse faire maintenir un contrat viscéra
lement sans effet par le défaut de capacité des parties
contractantes au moment de sa confection. C’est la ra
tification qui constituerait le véritable échange , e t , dès
lors, on ne saurait l’imposer à la partie contre son gré,
si elle refusait d’y consentir.
1 Aix, 25 mai 4813; — D. A., tom. xn, pag. 939.
�ET DE LA FRAUDE.
47
9 8 5 . — Mais si la ratification est sans résultat sur
l’existence de l’acte, elle peut exercer une grande influ
ence sur l’appréciation des dommages-intérêts réclamés,
car la résiliation crée pour la partie qui l’obtient le droit
à obtenir un dédommagement, même dans le cas où
elle réclame la restitution de ce qu’elle a donné.
9 8 6 . — Il est vrai que ce droit a été contesté. L’ar
ticle 1705, a-t-on dit, autorise la reprise de la chose ou
des dommages-intérêts. En s’en tenant à cette alterna
tive le législateur a donc proscrit le cumul.
C’est là interpréter l’art. 1705 d’une manière fort in
exacte et en méconnaître ouvertement le sens. Cette dis
position ne dit qu’une seule chose, à savoir : que la re
prise de la chose ne constitue, en cas de résiliation,
qu’une faculté et non une obligation. Le demandeur a
donc le choix de réclamer, en cas de résiliation , ou la
restitution de ce qu’il a donné , ou l’allocation d’une
somme en représentant la valeur. La possession de la
chose peut être onéreuse , la preuve que le propriétaire
ne voulait pas la conserver, c’est qu’il l’avait aliénée, et
le même intérêt peut exister après comme avant la ré
siliation. Ces exigences que le législateur a comprises et
que les tribunaux pouvaient méconnaître, l’ont décidé à
ne faire de la reprise de la chose qu’une-faculté au
choix de celui qui a obtenu la résiliation.
Indépendamment du droit d’obtenir ou la chose ou
son équivalent en argent, ce qui ne saurait être raison
nablement contesté, l’échangiste évincé peut essuyer un
�48
TRAITÉ DU DOL
préjudice plus ou moins considérable par la résiliation
de l’échange. Les dépenses qu’il a réalisées sur la chose
qui lui est enlevée, la perte des avantages que sa posses
sion lui promettait, les frais frustrés du procès qu’il a à
soutenir, tout cela exige un dédommagement que l’ar
ticle 1705 n ’a jamais eu pour objet d’empêcher.
La reprise de la chose ne laisse pas quelquefois que
d’exiger un dédommagement. La jouissance d’un coé
changiste a pu s’exercer au gré de sa volonté et même
de ses caprices. Il a pu changer les lieux , ajouter des
constructions nouvelles parfaitement inutiles au proprié
taire réintégré, introduire un nouveau mode de culture
onéreux pour celui-ci , enfin dégrader la chose. Or, si
les parties , par la résiliation , doivent se retrouver au
même état qu’auparavant, n’est-il pas juste que ce ré
sultat s’obtienne aux dépens de celui qui a occàsioné
la résiliation ?
Le droit d’obtenir des dommages-intérêts, même dans
le cas de réintégration, dans la propriété de la chose échangée, nous paraît commandé par ces considérations.
Il est, de plus, consacré par les principes généraux du
droit, par les principes spéciaux de la vente'.Nous avons
déjà dit qu’on doit, en matière d’échange , s’en référer
aux uns et aux autres.
987.
— Les dommages-intérêts sont donc dus dans
tous les cas. Leur appréciation est livrée à la prudence
IV art. W 84, 4 599, \ 610 et \ 62G du Code civil.
�ET DE LA FRAUDE.
49
et à la sagesse des tribunaux. Les règles prescrites par
les art. 1634, 1635 et 1646 sont applicables à l’échan
ge et fournissent un mode de liquidation qu’il convient
de suivre. Les dommages-intérêts résultant de la dépos
session devraient être refusés s’il dépendait du deman
deur d’éviter cette dépossession, dans le cas, par exem
ple , où il n ’aurait pas voulu accepter la ratification du
véritable propriétaire.
9 8 8 . — Si la partie préfère un dédommagement en
argent à la restitution en nature , ce dédommagement
doit consister dans le prix actuel de la chose. L’augmen
tation de valeur qu’elle aurait subie, même par le seul
bénéfice du temps, devrait profiter à celui qui,dépouillé
de la chose par lui reçue , est censé avoir toujours pos
sédé celle qu’il avait donnée. Fixer la valeur restituable
à celle qu’avait la chose au moment de l’échange, ce se
rait éluder la faculté laissée par l’art. 4705 et forcer à
demander, dans tous les cas, la restitution en nature.
989. — L’art. 1706 prohibe l’action en lésion pour
le contrat d’échange. Cette solution , admise dans l’an
cien droit contre l’opinion de Godefroi, Cujas, Dumou
lin et Pothier, reposait sur ce fondement qu’il n’était
pas facile de distinguer entre les parties : Uter venditor,
uler emptor.
Dans le fait, chaque partie réunit sur sa tête la dou
ble qualité d’acheteur et de vendeur. Il était donc logi
que de refuser à l’un et à l’autre ce que la loi dans la
vente prohibe à l’acheteur, Les motifs sont les mêmes
�50
TRAITÉ DU DOL
dans l’un et l’autre cas. La convenance , l’avantage de
l’échange pour une des parties a pu être tel qu’il aura
volontairement fermé les yeux sur l’exagération évidente
des prétentions et du prix qu’il a sciemment accepté.
Il ne saurait alors exister aucun préjudice , aucune
lésion : Volenti non fit injuria.
9 9 0 . — Mais il est évident que si la valeur réelle
de l’objet échangé a été dissimulé à l’aide de manœuvres
caractérisant le dol ou la fraude , il y aura lieu à re
cours, même pour lésion, en vertu du principe que nous
avons si souvent déjà rappelé : que le dol et la fraude
font exception à toutes les règles. C’est ce que la Cour
de Colmar a consacré dans une espèce où l’échange dé
guisait une opération usuraire'. L’art. 1706 reçoit donc
une exception lorsque l’inégalité de la valeur a été le
résultat d’un déguisement frauduleux.
9 9 1 . — Une autre exception doit être admise lors
que la forme de l’échange n’a été empruntée que pour
déguiser une vente faite à vil prix et pour priver le ven
deur d’exciper de la lésion qui lui est imposée. Le carac
tère juridique de cette exception ne saurait être mécon
nu. Toute la difficulté gît dans son application.
Eh ! d’abord la simulation étant le fait des deux par
ties, la preuve testimoniale que l’une d’elles demande
rait à produire ne serait pas reçue. On sait que la juris-
25 mars 4825; — D. P „ 26, 2, 473,
�ET DE LA FRAUDE.
51
prudence s’est prononcée pour la règle Nemo auditur
turpitudinem suam allegans. Il faut donc une preuve
écrite résultant soit de documents justifiant la fraude,
soit de l’acte môme ; et celle-ci, on le comprend , sera
dans tous les cas la plus décisive.
992.
— Mais à quel caractère reconnaîtra-t-on
qu’il y a vente et non échange? A l’existence de la soulte ? Mais cette soulte peut n’être que la conséquence lé
gitime de l’échange, que son exécution naturelle. Les
choses échangées ne sont pas toujours d’une valeur égale, et le paiement d’une soulte n ’est, dans ce cas, que
la voie unique d’atteindre à cette égalité qui est l’essence
du contrat. Loin donc de dénaturer l’échange, la soulte
le constitue souvent. Son existence ne pourrait, par elle
seule, prouver la simulation.
995.
— Cependant la soulte établit jusqu’à concur
rence le contrat de vente. Partant de ce principe , voici
les distinctions à l’aide desquelles nos anciens juriscon
sultes essayaient de résoudre la difficulté que nous exa
minons.
Lorsque la soulte excède la valeur de la chose donnée
en échange, dans l’hypothèse par exemple de la dation
d’une chose de 5,000 fr. pour une de 20,000 fr., il y
aura vente. Le paiement d’une partie du prix en nature
ne saurait assigner à l’acte le caractère d’un échange.
Lorsque la soulte est égale à la valeur de la chose.
Exemple , on échange une chose de 10,000 fr. contre
une de 5,000 fr., on doit se prononcer pour le contrat
�52
TRAITÉ DU DOL
le plus noble, c’est-à-dire pour la vente : Venditio dignior est quce in dubio prceferenda.
Lorsque la soulte est inférieure à la valeur de la cho
se. Exemple, l’échange d’une chose de 20,000 fr. con
tre une de 15,000 fr., on se prononcera pour l’échan
ge, la soulte n’étant ici qu’un accessoire naturel et légi
time.1
Ces distinctions, admises par M. Troplong3, paraissent
fournir une base d’appréciation raisonnable. Nous ne
pensons pas, cependant, qu’elles soient tellement abso
lues qu’on ne puisse s’en écarter. Nous dirons de leur
ensemble , ce que cet éminent magistrat dit de la se
conde, à savoir : que c’est surtout par les circonstances
de l’acte et par l’intention des parties que les jugés doi
vent se prononcer.
Sans doute aussi , la dénomination donnée à l’acte
doit être prise en considération, mais ne perdons pas de
vue que cette dénomination peut n’être que la consé
quence de la fraude. L’acheteur qui n’a pas voulu pa
raître tel pour se soustraire à une action en lésion, veil
lera à ce que la forme extrinsèque de l’acte soit confor
me à ses projets. Nous croyons donc que ce n’est qu’en
l’absence de tout reproche de dissimulation que la dé
nomination de l’acte pourra être utilement consultée.
Nous ne dirons donc pas pour la décision du litige, ce
que M. Championnière dit pour l’enregistrement, à say
i Bruneman, sur la loi 4, Dig., n»s 1, 2 et 3, De rerum permul.
�ET DE LA FRAUDE.
53
voir : que [a qualification donnée au contrat est la première, la pius sfir e des directions.'
SECTION IV.
F raude
dans
le
L ouage.
SOMMAIRE.
994.
La fraude peut vicier le louage dans son origine, ou naître
dans son exe'cution.
995. Le but essentiel du louage est tantôt la jouissance tempo
raire d’un objet déterminé, tantôt un salaire.
996. La principale obligation du bailleur est donc de livrer l ’un
ou l ’autre. —■ Conséquences.
997. La location de la chose d’autrui est nulle, comme le serait
la vente ou l ’échange.
998. La menace d’éviction produit-elle un effet également iden
tique ?
999. Droit du preneur de la chose d’autrui, s’il a consenti des
anticipations sur les loyers.
1000.
Dangers auxquels s’expose le communiste qui loue seul la
chose commune.
i Des droits d'enregistrement, tom. 1, n° 86.
�54
1001.
TRAITÉ DU DOL
L’usufruitier, le mari ou le tuteur qui donnent à bail les
biens dont ils ont la jouissance ou l ’administration
commettent une fraude s’ils cèlent leur qualité.
1002. Conséquences, suivant que le bail est consenti pour moins
ou pour plus de neuf ans.
1002 bis. Droit de l’adjudicataire dépossédé par folle-enchère.
1008. Fraude évidente du bailleur qui loue deux fois la même
chose ou qui, après avoir loué, vend sans faire de l’en
tretien du bail une condition de la vente.— Effet dans
le premier cas.
1004. Effet dans le second.
'
1005. Obligations qui naissent du devoir d’assurer la jouissance
au preneur.
1006. Obligation imposée par l ’art. 1720 de délivrer la chose en
bon état de réparations.
1007. Effet de la dissimulation frauduleuse du mauvais état de
réparations.
1008. La visite préalable des lieux ne serait pas un obstacle à la
rescision.
1009. A défaut de délivrance, le bail peut être résilié, mais cette
résiliation ne peut jamais être demandée par le bail
leur.
1010. Elle ne pourrait être prononcée malgré le preneur.
1011. A la charge de qui sont les réparations d’entretien ?
1012. Quid de celles pour conserver à la chose la destination
qui lui a été affectée ?
1013. Durée fixée pour les réparations.
1014. Le propriétaire est responsable des vices cachés de la cho
se louée.
1015. Effets de cette responsabilité : 1" Résiliation du bail.
1016. 2° Dommages-intérêts en faveur du locataire, si le loca
teur connaissait le vice.
1017. 3* Réparation dans tous les cas de la perte matériellement
éprouvée.
1018. Dissentiment avec M. Troplong sur les obligations du lo
cateur ayant ignoré le vice.
�ET DE LA FRAUDE.
55
1019. Réfutation de sa doctrine.
1020. Etendue de la jouissance conférée au preneur.
1021. Le preneur a le droit de sous-louer,à moins d’interdiction
contraire.
1022. Quid , en cas de prohibition , du bail consenti en fraude
du contrat?
1023. Droit du sous-locataire évincé, selon qu’il a ignoré ou con
nu la clause prohibitive.
1024. Mais le preneur peut toujours se faire représenter par des
personnes de confiance et à ses gages.
1023. La clause prohibitive de sous - location n ’est pas violée >
lorsque la sous - location n ’est que l ’accessoire d’une
obligation légitimement contractée, la vente du fond
du commerce, par exemple.
1026. Opinion contraire de M. Duvergier.
1027. Réfutation.
1028. Obligation du preneur de conserver les lieux dans l ’état
où ils se trouvent au moment de la délivrance.— Son
étendue.
1029. Impossibilité d’en changer la destination.
1030. Le locataire d’un établissement industriel doit l’exploiter
jusqu’à la fin du bail.
1031. Faut-il, pour que la plainte en changement de destination
soit recevable, que l ’interdiction soit expressément
contenue dans le bail ?
1032. La profession du locataire doit être prise en considération
pour juger les intentions des parties.
1033. La dissimulation de cette profession pourrait faire résilier
le bail.
1034. Le développement qu’un fait même imprévu imprime à
l’exploitation d’une carrière constitue-t-il un change
ment de destination capable de faire résilier le bail ?
1035. La prohibition de changer la destination des lieux s’ap
plique aux baux des biens ruraux.
1036. L’obligation , pour le preneur d’un bien rural, d’adminis-
�56
1037.
1038.
1039.
1040.
1041.
1042.
1043.
1044.
1045.
1046.
1047.
1048.
1049.
1050.
1051.
1052.
1053.
1054.
1055.
1056.
TRAITÉ DU DOL
trer en bon père de famille est pins étroite encore que
celle du locataire ordinaire.
Devoir que le premier a de veiller à la conservation de
l’intégralité de la propriété. — Conséquence quant
aux usurpations qui pourraient être commises.
Délai dans lequel l ’avertissement doit être donné. — Ses
formes.
Peine attachée au défaut d'avertissement.
Cas dans lesquels la fraude du fermier revêt les caractères
d’un délit.
Effets de l’enlèvement ou de l ’absence des capitaux morts
ou vivants.
Fondemens de l’action en résiliation.
Fondement de celle en restitution et en dommages-inté
rêts.
L’expiration du bail amène le règlement des malfaçons
reprochables au fermier.
Faculté pour le juge de décerner la contrainte par corps
pour garantie de la restitution des capitaux.
Obligation pour le preneur de payer le prix.—Conséquen
ces.
Obligation de garnir de meubles les lieux loués.
Etendue de cette obligation pour le preneur d’un bien ru
ral.
Principes régissant le louage d ’œuvres et d’industrie.
L’action ex conducto n’est pas admise dans cette matière.
Le locateur répond des vices de construction et des maté
riaux qu’il fournit.
Difficultés que l ’action du conducteur rencontrera si elle
est exercée après la réception et le paiement.
Caractères et effets de la réception.
Distinction entre les vices apparents et les vices cachés.
Quid si le locateur n ’a fourni que la façon ?
La réception reste sans effet à l ’égard des personnes que
le Code civil déclare responsables pendant dix ans.
�ET DE LA FRAUDE.
57
9 9 4 . — Le contrat de louage peut être entaché de
fraude soit dans son origine , soit dans l’exécution qui
lui est donnée. L’effet est le même dans l’un et l'autre
cas, c’est-à-dire que le contrat est résilié suivant la gra
vité du préjudice occasionné, et que des dommages-in
térêts peuvent être prononcés contre son auteur.
La fraude sera imputable soit au bailleur , soit au
preneur , selon qu’il s’agira de la violation d’un devoir
imposé à l’un ou à l’autre. Voyons donc les obligations
qu’ils doivent réciproquement remplir. Nous indiquerons
les conséquences de leur violation.
9 9 5 . — Le but essentiel du louage e st, de la part
du preneur, de se procurer la jouissance temporaire d’un
objet certain et déterminé. Dans le louage d’ouvrages,
c’est tantôt l’industrie d’un individu qui est mise à con
tribution moyennant un salaire convenu, tantôt un ou
vrage qui doit être confectionné et livré par un entre
preneur ou ouvrier. Nous allons nous occuper d’abord
du louage des choses.
9 9 6 . — Le but de ce contrat, tel que nous venons
de le déterminer , indique que la principale et la pre
mière obligation du bailleur est de faire jouir.de preneur
des objets faisant la matière de la location. Tout ce qui
est de nature à empêcher ou à troubler cette jouissance
est une fraude dont il est dù réparation.
De là il suit :
1° Que la location de la chose d’autrui est de nature
à empêcher le bail de sortir à effet ;
�—
—
58
TRAITÉ DU DOL
2° Que le propriétaire qui loue successivement la mê
me chose à diverses personnes,
Ou qui, après avoir loué verbalement ou par acte sans
date certaine, vend la chose louée sans faire de l’entre
tien du bail une des conditions de la vente,
Commet tout autant de fraudes engageant sa respon
sabilité et ouvrant contre lui l’action du preneur.
997.
— On ne peut pas plus louer la chose d’autrui
que la vendre ou l’échanger. Le bail à loyer n’est pas
aulrechoseque le transfert pour un temps plus ou moins
long d’un des attributs de la propriété , la jouissance.
Ceci suppose donc , chez le bailleur, la qualité de pro
priétaire. Si cette qualité ne lui appartient pas, comment
pourra-t-il assurer au preneur la jouissance pour la
quelle ils ont traité ?
La nullité prononcée contre la vente ou l’échange de
la chose d’autrui doit donc être appliquée au louage. Le
preneur, évincé ou menacé de l’être par le véritable pro
priétaire, aura donc le droit de demander la résiliation
du contrat et la réparation pécuniaire du préjudice ré
sultant de cette résiliation.
998.
— Faut-il donner à la menace d’éviction les
mêmes effets que ceux qu’elle entraîne dans la vente ou
l’échange? La découverte que la chose louée n’appar
tient pas au bailleur, ouvrira-t-elle immédiatement l’ac
tion du preneur ? Non ; à notre avis , l’action du pre
neur serait irrecevable tant que le trouble à sa jouissan
ce ne serait pas réalisé.
�ET DE LA FBAUDE.
59
Cette solution est contraire à celle que nous avons in
diquée dans le cas de vente ou d’échange. Mais cette
contradiction s’explique naturellement par la nature des
choses et par la différence majeure existant dans l’inté
rêt engagé dans ces diverses hypothèses.
Le vendeur et l’échangiste, ayant le premier payé le
prix, le second livré la chose, ont le plus grand intérêt
à agir le plus promptement possible. Les soumettre à
attendre que le véritable propriétaire rompit le silence,
c’était, dans bien de cas, les condamner à perdre, par
l’insolvabilité de la partie contractante , le recours que
l’action du propriétaire leur ouvre.
D’ailleurs, le résultat du vice, entachant la vente ou
l’échange, étant d’enlever à l’échangiste ou à l’acquéreur
la chose reçue, la connaissance de ce vice les met, l’un
et l’autre , dans une position singulière. Oseront-ils se
livrer à des dépenses dont un tiers profitera ? Pourrontils, suivant que la nécessité de leurs affaires l’exigerait,
aliéner ou réaliser une chose qu’ils savent ne pas leur
appartenir et s’exposer ainsi aux dommages - intérêts
qu’une résiliation imminente leur permet d’entrevoir, et
qui seront d’autant plus élevés , qu’ils auront sciem
ment disposé de la chose d’autrui ? Donc, le possesseur
de la chose d’autrui par vente ou échange n’a qu’une
propriété flottante, incertaine, indisponible, ce qu’il con
vient de faire cesser au plus tôt.
Le louage n’offre aucun de ces inconvénients. Dans
ce contrat, ce qui est de l’essence de la convention, est
moins le droit en lui-même que la jouissance matérielle
�60
TRAITÉ DU DOL
des lieux. Si donc ce fait se réalise sans trouble aucun,
le preneur a tout ce qu’il peut raisonnablement exiger.
Il suffit de lui réserver le droit de se plaindre dès que le
trouble viendra à s’effectuer.
Le bail, étant d’ailleurs temporaire, peut parfaitement
s’accomplir sans que le véritable propriétaire réclame.
Que ce silence soit spontané, qu’il ne soit que le résultat
d’un accord avec le locateur , peu importe , celui-ci a
rempli ses engagements en faisant jouir le preneur, qui
n’a, dès lors, aucune raison plausible pour demander à
être exonéré.
De plus, le prix du bail n’est payable qu’à des termes
ordinairement échelonnés. Ce prix n’étant que la repré
sentation de la jouissance , le paiement en serait sus
pendu par le trouble apporté à celle-ci. Quant aux loyers
précédemment payés , le véritable propriétaire n’aurait
pas le droit de les exiger une seconde fois, le paiement
fait de bonne foi au propriétaire apparent ayant complè
tement et légalement libéré le locataire.
Dès lors, ce dernier ne court aucun risque sérieux. Il
ne peut donc se plaindre de ce qu’on ajourne la receva
bilité de sa demande jusqu’à la réalisation du trouble.
999.
— Cependant , si le preneur avait en entrant
payé par anticipation tout ou partie des loyers que le
bail doit rendre exigibles , la connaissance que la chose
louée n ’appartient pas au bailleur lui conférerait le droit
d’exiger de lui soit le remboursement de tout ce qui ne
serait pas actuellement échu, soit un cautionnement pour
�ET DE LA FRAUDE.
61
un remboursement futur. De plus , et pour éviter toute
contestation ultérieure sur les paiements de loyer posté
rieurs à la connaissance du vice,il conviendrait au pre
neur de ne faire ces paiements qu’après avoir mis le vé
ritable propriétaire en demeure de faire valoir ses droits.
1000.
— Le communiste, louant en son nom seul
la chose indivise , excède les droits lui appartenant et
s’expose à un double danger :
10 À une poursuite en résiliation de la part de ses
copropriétaires. Remarquons , toutefois , que , juste en
principe , cette prétention pourrait être repoussée dans
l’application, si le bail stipulait un prix sincère et légi
time, si le bailleur résidait sur la localité, tandis que ses
cointéressés habitent des lieux plus ou moins éloignés,
et si de baux antérieurs, consentis de la même ma
nière , n’avaient pas été attaqués. Tout cela indiquerait
que le bailleur, agissant ne fût-ce que comme le negotiorum gestor de ses coïntéressés, n ’a fait qu’un acte de
sage administration auquel il était au moins tacitement
autorisé. La demande en résiliation pourrait, dès lors,
être écartée.
Mais il en serait autrement si le bailleur avait dissi
mulé le véritable prix du bail ou s’il avait stipulé secrè
tement tout autre avantage exclusivement personnel. La
fraude, évidente dans cette hypothèse , entraînerait non
seulement la résiliation du|bail, mais encore l’allocation
de dommages-intérêts pouvant excéder, mais non rester
en dessous des avantages indûment perçus. Comme dans
�TRAITÉ DU DOL
tous les cas de fraude , la preuve incomberait aux de
mandeurs;
21° A la demande en résiliation de la part du preneur.
La poursuite et les effets de cette demande seraient dé
terminés par les règles que nous venons de tracer pour
le louage de la chose d’autrui.
.
1005 — Les art. 595, 1429 et 1718 du Code ci
vil donnent à l’usufruitier, au m a ri, au tuteur , la fa
culté de louer les biens dont ils ont la jouissance ou
l’administration. Quelle que soit la durée des baux qu’ils
ont consenti en cette qualité, le preneur n’a aucun droit
à exercer, pas même celui de se faire cautionner les an
ticipations qu’il aurait consenties.
La dissimulation de la qualité constitue une véritable
fraude. Mais, comme elle n’est pas dans tous les cas né
cessairement préjudiciable , il y a lieu d’établir la dis
tinction suivante :
1002. — Si le bail n’a qu’une durée de neuf ans
ou au-dessous, le locataire n’a aucun motif de se plain
dre; ce qu’il a voulu, c’est la jouissance des objets loués
pendant toute la durée de son bail. Or, cette jouissance
lui est assurée, puisque le bail n’excède pas le droit con
féré par la loi à celui qui l’a consenti. Donc, le nu-pro
priétaire , la femme ou l’ancien mineur sera obligé de
l’exécuter pour toute sa durée, à moins qu’il ne prouve
que le bail est frauduleux et lésif.
Mais on ne peut admettre l’existence d’un bail frau
duleux et lésif sans admettre, en même temps, la com-
�ET DE LA FKAUDE.
63
plicité du preneur. N’est-ce pas , en effet , en faveur de
celui-ci que le bailleur méconnaîtra les devoirs que sa
qualité lui impose? Conséquemment, le preneur, ayant
participé à la fraude et déterminé, par son fait, la cause
de la nullité du b a il, ne saurait être ni recevable , ni
fondé à se plaindre de cette nullité.
Toutefois , si le preneur a fait des anticipations sur
les loyers à venir , l’ignorance de la qualité du bailleur
lui donnera le droit d’exiger soit le remboursement des
avances, soit un cautionnement.
Si le bail est consenti pour une période de plus de
neuf ans ou renouvelé contrairement à l’art. 1430 du
Code civil, la dissimulation de la qualité du bailleur pour
rait être pour le preneur un motif de demander la rési
liation du contrat. Il peut se faire, en effet, que la du
rée du terme stipulé ait été la cause déterminante, sans
laquelle le preneur n ’aurait pas consenti à accepter cette
qualité ; que cette même durée ait élé stipulée en com
pensation de l’état des biens loués, des dépenses et frais
à exposer pendant les premières années. Or , cette es
pérance peut ne pas se réaliser, car l’exécution complète
de l’acte tient à une éventualité dont le preneur peut
ne pas vouloir courir les chances et dont on lui a frau
duleusement dissimulé l’existence.
La faculté conférée à l’usufruitier, au mari de con
sentir des baux de neuf ans n ’a rien d’extraordinaire.
L’incertitude sur l’époque de l’extinction de l’usufruit,
ou de la dissolution du mariage déterminait naturelle
ment ce résultat.
�64
TRAITÉ DU DOL
Il n’en est pas de même du tuteur. On peut connaî
tre le moment précis qui mettra fin à son administration.
On aurait donc pu trouver exagérée la faculté d’enga
ger le mineur à la veille de devenir majeur pour une
période de neuf ans.
Cependant l’art. 1718 ne fait aucune distinction ; et
il est certain que le bail de neuf ans consenti par le tu
teur à quelque époque que ce soit doit être respecté com
me celui fait par l’usufruitier ou le mari, à moins qu’on
ne prétende qu’il est le résultat de la fraude. Or cette
fraude n’est jamais présumée. La charge de la prouver
incombe à celui qui l’allègue.
On a voulu faire résulter la fraude pour l’usufruitier
du concours d’un renouvellement anticipé et de la vileté
du prix.
Il est évident que lorsque cette condition est acquise
il y a un préjudice certain pour le propriétaire. Or si
la fraude réside non in consilio sed in eventu , l’exis
tence de ce préjudice a pu paraître la constituer.
Mais en matière de location d’immeubles, il est sou
vent impossible d’obtenir le prix que devrait produire la
chose. Les circonstances, l’état des immeubles, la diffi
culté de louer ou leur situation , la pénurie de preneurs
peuvent forcer d’accepter un canon inférieur à la valeur
réelle, sans qu’on pût suspecter la bonne foi de l’usu
fruitier, du mari ou du tuteur.
Dans ces circonstances, la vileté du prix ne constitue
rait qu’une lésion, et le bail ne saurait être attaqué sans
ce prétexte.
�'
ET DE LA FRAUDE.
65
Ainsi et pour ce qui concerne le mineur , la Cour de
cassation a implicitement jugé le 11 août 1818, que les
baux consentis par le tuteur ne peuvent être annulés
que dans le cas d’un concert frauduleux entre lui et les
preneurs et préjudiciable aux mineurs.
Le 11 mars 1824, la même Cour jugeait que le bail
consenti par l’usufruitier ne peut être attaqué pour cause
de lésion résultant de la vileté du prix ; que la fraude,
en pareil cas, doit être prouvée, et que l’anticipation et
la vileté du prix ne suffisent pas pour la faire présu
mer.
Dans cette espèce , une dame Delsauz, usufruitière
d’un domaine appartenant au sieur Marmin pour la nue
propriété , avait en 1812 affirmé ce domaine au sieur
Delsauz, son fils, pour le terme de neuf ans, au prix de
800 fr. l’an. Elle décède en 1820.
En 1821 , Marmin ayant réuni l’usufruit à la nue
propriété , veut entrer en jouissance de son domaine.
Delsauz fils lui oppose un nouveau bail consenti à son
profit par sa mère quelque temps avant sa mort. Mar
min soutient que ce bail par anticipation est évidem
ment fait en fraude de ses droits; il allègue que le prix
est de plus de moitié inférieur à la valeur réelle du fer
mage. Une expertise judiciairement ordonnée constate
une différence en moins d’un tiers.
14 décembre 1821 jugement du tribunal civil de Bou
logne qui annulle le bail ; considérant que l’art. 601
impose à l’usufruitier l’obligation de jouir en bon père
de famille ; que l’usufruitier qui loue à vil prix n’agit
ni
5
�66
TRAITÉ DU DOL
pas en bon père de famille ; qu’il abuse du droit que
la loi lui accorde, ce qui rend le bail qu’il passe sus
ceptible d’être résilié à la fin de l’usufruit ; que s’il en
était autrement il s’en suivrait que l’usufruitier qui, par
affection pour le locataire, donnerait à bail pour 1,000
francs un immeuble qui en vaudrait 5 ou 6,000 de
loyer , obligerait le propriétaire à l’entretien de ce bail
après la cessation de l’usufruit, ce qui serait contraire
à toutes le règles de justice.
Mais sur l’appel ce jugement est réformé. La Cour de
Douai considère qu’en principe un bail, soit qu’il ait
étévconsenti par le propriétaire , soit qu’il ait été passé
par l’usufruitier , n’est pas attaquable du chef de lésion
pure et simple ; que s’il peut être attaqué du chef de
dol et de fraude , cette fraude ne se présume pas , et
n ’est pas même alléguée par l'intéressé ; qu’au contrai
re tout bail passé par l’usufruitier lui-même est réputé
passé de bonne foi , puisque personne ne peut vouloir
se faire un tort personnel et volontaire.
Vainement Marmin se pourvut-il contre l’arrêt. La
Cour régulatrice rejette son pourvoi sur le motif que la
Cour de Douai constate en fait que la fraude n’a pas
même été alléguée.
La Cour de cassation se considère donc comme liée
par cette constatation de fait.Cependant elle a maintes fois
jugé qu’elle peut et doit contrôler cette constatation, et
n ’en tenir aucun cas lorsque le contraire résulte des faits
et documents du procès.
Or en fait dans l’espèce , comment admettre que la
�ET DE LA FRAUDE.
67
fraude n’avait pas même été alléguée, lorsque la de
mande en nullité alléguait que le bail avait été fait en
fraude du nu propriétaire?
Il est vrai que cette allégation ne s’étayait que sur la
vileté du prix. Mais celte circonstance qui, dans un cas
ordinaire , ne constituerait qu’un reproche de lésion,
acquérait dans l’espèce une énorme gravité de la qua
lité des parties en l’acte de bail.
Lorsque le preneur est étranger au bailleur , le seul
fait de la vileté du prix ne saurait faire présumer la
fraude, parce que ce dernier serait le premier à en souf
frir, et que personne ne peut vouloir se faire à soi-mê
me un tort plus ou moins considérable.
Mais est-ce que la mère qui loue à son fils a à soufrir de l’avantage qu’elle fait à celui-ci ? Le fils ne trou
verait-il pas dans la succession le juste prix que sa mè
re aurait exigé de lui ?
En réalité donc, la vileté de ce prix n’est qu’un avan
cement d'hoirie, qu’un avantage indirect qui, peut-être,
dispense la mère de venir directement, et sur son pa
trimoine personne], au secours de son fils.
Obliger le nu propriétaire à continuer cet état de cho
ses après la cessation de l’usufruit, alors surtout que le
renouvellement anticipé du bail démontre l’intention
d’en faire survivre l’effet à l’usufruit , c’e s t, comme le
disait le tribunal, blesser toutes les règles de l’équité et
de la justice.
Que le père ou la mère veuille favoriser son fils, fûtce au dépens du nu propriétaire qui lui est étranger,
�68
TRAITÉ DU DOL
c’est ce qu’il est facile et naturel de supposer. Quant à
nous nous n’hésiterions pas à accepter comme réalisant
cette intention le concours de l’anticipation et de la vileté du prix.
Nous allons plus loin encore, et nous déclarerions nul
et de nul effet le bail consenti au profit du fils sous le
nom d’une personne interposée. La preuve de cette in
terposition établirait la fraude d’une manière péremp
toire et sans réplique.
4002 bis. — Les principes applicables aux maris,
tuteurs et usufruitiers , régissent les baux faits par ceux
qui ne possèdent les biens que sous condition résolutoi
re. La légitimité du droit dans l’intervalle de sa consti
tution à l’évènement qui le révoque, assure le maintien
de son exercice. Quœ semel u tililer constituta sunl du
rent, licet ille casus extiterit,a quo initium capere non
potuerunl.'
Ainsi les baux consentis par un grevé de substitution;
ceux consentis par le légataire conditionnel, ceux de
biens qui rentreront en la possession du donateur en
vertu du droit de retour , devront être respectés. Ils ne
seraient annulés que par la preuve de la fraude , et la
charge de cette preuve incombe à celui qui poursuit
cette nullité.
En est-il de même pour les baux consentis par l’ad
judicataire d’un immeuble qui en a été dépossédé par
folle enchère ?
l L, 85, ff. Dereq. juris,
�ET DE LA FRAUDE.
69
On ne voit pas le motif qui ferait résoudre négative
ment cette question. Les baux, en effet, ne sont que des
actes d’administration , et la capacité de consentir ces
actes ne saurait être contestée à celui qui au moment de
leur accomplissement est en possession légale des im
meubles qu’il afferme. Or que l’adjudicataire ait cette
possession à partir du jugement qui lui confère les biens
par lui enchéris, c’est ce qui ne saurait être sérieuse
ment contesté.
Sans doute la folle enchère qu’il subira plus tard fera
qu’il n’aura jamais été propriétaire. Mais ce résultat qui
entraînerait la révocation des aliénations, ne saurait in
fluer sur l’administration qui n’a jamais pu être sus
pendue.
La Cour de Bourges avait méconnu ces principes et
jugé, le 24 mai 1823, que l’acquéreur sur folle enchère
n’est pas tenu d’exécuter les baux faits par le précédent
adjudicataire au profit d’un tiers de bonne foi.
Mais cet arrêt, ayant été dénoncé à la Cour de cassa
tion, était cassé le 16 janvier 1827. Ce que la Cour ré
gulatrice induit de l’art. 1183 du Code Napoléon, c’est
que par sa première disposition il annulle les actes de
disposition , mais qu’il valide par la seconde les actes
d’administration qui étaient la conséquence du droit
soumis à la condition résolutoire. Que ce qui se réalise
pour les baux consentis par le mari, le tuteur ou l’usu
fruitier doit être admis pour ceux faits par l’adjudica
taire qui, lui aussi, est propriétaire apparent, possesseur
de bonne foi, et administrateur nécessaire des biens qu’il
a acquis.
�70
TRAITÉ DU DOL
Cette doctrine d’une exactitude juridique incontesta
ble est celle à laquelle se sont ralliés les auteurs et la
jurisprudence.'
Ainsi la Cour de Paris , par application du principe,
jugeait , le 19 mai 1835 , que les baux faits de bonne
foi et sans fraude par l’adjudicataire d’un immeuble,
doivent, quelle que soit leur durée (quinze ans dans
l’espèce), recevoir leur exécution, nonobstant la résolu
tion du droit de cet adjudicataire, opérée par la revente
sur folle enchère.
La Cour dé Paris a persisté dans sa jurisprudence.
Elle décidait une fois encore , le 11 mai 1839 , qu’on
devait, malgré la folle enchère , maintenir un bail de
quinze ans fait par l’adjudicataire primitif de bonne foi
et sans fraude. A l’argument que puisque cet adjudica
taire est assimilé au mari, au tuteur, à l’usufruitier, on
devait limiter son droit quant aux baux à neuf ans, com
me on le fait pour ceux-ci. L’arrêt répond qu’on ne sau
rait imposer au premier la limite tracée à ces derniers
qui doivent savoir qu’ils n ’ont qu’une administration
temporaire, tandis que l’adjudicataire lui doit se croire
propriétaire pour toujours.”
Le même arrêt décide qu’il suffit, pour que le bail
soit respecté et maintenu, que le preneur ait été de bon
ne foi. Vainement donc prouverait - on la fraude de la
1 Duvergier, Louage, nos 84, 88 et suiv.: —■ Bioche et Goujet, Dict.
deprocéd., vs Folle enchère ; — Troplong, Louage, n° 100.
2 J. du P., 4, 4839, 885
�ET DE LA FRAUDE.
71
part de l’adjudicataire, si on n’établissait en même temps
la complicité du preneur. Celui-ci ne saurait dans au
cun cas être puni d’un fait auquel il serait étranger.
Cette distinction est essentielle. Ainsi il y a fraude de
la part de l’adjudicataire qui consent le bail dans l’in
tervalle de la poursuite en folle enchère au jugement;
mais l’ignorance du preneur à ce sujet ferait maintenir
le bail en ce qui le concerne.
Le principe applicable en cas de dépossession par
folle enchère, régit à plus forte raison celui de déposses
sion par surenchère.1
Dans tous les cas , l’existence de la fraude et de son
imputabilité aux deux parties est laissée à l’arbitrage
souverain du juge. Elle peut être établie par témoins et
par présomptions.
1003.
— La fraude du propriétaire qui loue suc
cessivement la même chose à deux personnes , ou qui,
ayant loué verbalement ou par acte sans date certaine,
vend sans faire de l’entretien du bail une des conditions
de la vente , n’est pas douteuse. Dans la première hy
pothèse, l’un des preneurs se verra dans l’impossibilité
de jouir de la chose. Il est évident qu’on ne saurait lui
refuser la résiliation du bail et l’allocation de domma
ges-intérêts. Le juge serait d’autant plus sévère , que
cette allocation aurait pour cause la mauvaise foi la plus
évidente.
1 Duvergier, loco cüalo.
�n
TRAITÉ DU DOD
Dans la seconde hypothèse , la fraude n’existerait et
ne serait préjudiciable que si, au moment de la vente,
le bail avait encore plusieurs années à courir. Il est évi
dent que, s’il s’agissait d’un bail annuel dont l’exécution
a précédé la vente , l’acquéreur ne pourrait évincer le
fermier actuel qu’à la fin de l’année et conformément
aux usages de la localité.
1004. — Si la vente est réalisée avant l’entrée en
jouissance du preneur , le silence gardé par le vendeur
sur l’existence du bail dispenserait l’acheteur de l’obli
gation de l’exécuter. Le refus de celui-ci anéantirait le
bail, mais laisserait à la charge de l’ancien propriétaire
les dommages-intérêts que la résiliation forcée du con
trat ferait naître. Il en serait de même si l’acquéreur
» congédiait le fermier dont le bail devait se prolonger au
delà de l’année. Vainement le bailleur exciperait-il de
sa bonne foi. Il dépendait de lui de rendre le bail obli
gatoire dons l’un et l’autre cas, en en faisant un devoir
pour l’acquéreur. Le silence gardé envers celui-ci ne
peut être que volontaire. Il est donc exclusif de toute
bonne foi.
1 0 0 5 . — L’obligation d’assurer au preneur la jou
issance de la chose louée entraîne, comme conséquen
ce , celle de délivrer la chose au temps convenu ; celle
de l’entretenir de manière que la jouissance en soit pos
sible ; celle, enfin, de garantir les vices qui la rendraient
impropre à sa destination.
La délivrance est en matière de louage ce qu’elle est
�ET DE LA FRAUDE.
73
dans la vente sous une destination différente. Conséquem
ment, nous nous en référons aux règles que nous avons
exposées pour celle-ci.
1006. — L’art. 1720 , spécial pour le louage , fait
une obligation au bailleur de délivrer la chose en bon
état de réparations de toute espèce , ce qui comprend
les réparations locatives demeurant , après la livraison
et pendant la durée du bail, à la charge du preneur. 11
est évident, en effet, qu’on ne pouvait imposer à celuici des réparations dont la cause lui est étrangère , dès
que leur nécessité a préexisté à sa jouissance de la
chose.
1007. — De là il résulte que si le mauvais état d’en
tretien a été dissimulé à l’aide de quelques réparations
superficielles destinées à masquer plutôt qu’à améliorer
l ’état des lieux, le preneur pourrait contraindre à l’exé
cution franche et entière des prescriptions de l’art. 1720
et, à défaut, obtenir la résiliation du bail.
Cette résiliation s’explique par l’intérêt du preneur.
Les réparations locatives non réalisées au moment de
l’entrée en jouissance seraient plus tard à sa charge.
D’ailleurs, plus la chose est en état, et moins il y aura
d’occasions de la réparer. Donc, sous ce double rapport,
l’intérêt du preneur est évident.
3 0 0 8 . — Vainement le bailleur, pour se soustraire
à l’art. 1720, prétendrait-il que la chose ayant été vi
sitée avant de traiter, le preneur a accepté l’état descho-
�74
TRAITÉ DU DOL
ses dont il se plaint ; qu’il a eu , d’ailleurs , lui-même
tort de la louer telle qu’elle se trouve. On lui répondrait,
avec raison , que la fraude ne pouvait se prévoir; que
la chose paraissait en bon état d’entretien au moment
de la visite et que cette apparence devait suffire ; que le
preneur avait d’autant moins le devoir de l’approfondir,
que l’art. 1720 1a lui garantissait en quelque sorte;
qu’ainsi, loin de renoncer au bénéfice de cet article , il
se l’est d’autant plus réservé , qu’il n ’a traité que parce
qu’il l’a cru acquis.
Ainsi, aucune fin de non-recevoir ne saurait résulter
de la visite de la chose louée. La demande du preneur,
en exécution de l’art. 1720, devrait être accueillie si elle
était fondée , à plus forte raison le serait-elle si les ré
parations dolosives étaient postérieures à la visite.
En cas d’inexécution, le bail pourrait être résilié,mais
il peut se faire que cette résiliation n’entre pas dans les
convenances du preneur. Ce cas se réalisant, celui-ci se
fera autoriser à faire lui-même les réparations, dont la
nécessité sera constatée , aux frais du bailleur ; le rem
boursement de la dépense pourra être immédiatement
exigible ou être compensé avec les loyers à écheoir, au
gré du preneur.
La Cour de Rennes a même jugé , le 22 décembre
1824, que , lorsque le bailleur n’a pas délivré la chose
en état de réparations de toute espèce, et que pendant le
cours du bail il ne les a pas fait faire, le preneur a le
droit de lui demander des dommages-intérêts à l’expi
ration du bail , sans que le bailleur puisse lui objecter
�ET DE LA FRAUDE.
75
qu’il n’a pas été mis en demeure de faire les répara
tions qui étaient nécessaires, la mise en demeure résul
tant suffisamment de l’art. 1720 du Code Napoléon.
Il est possible que les faits particuliers de l’espèce,
que le Journal du palais ne fait pas connaître, autori
sassent cette solution , qui en thèse se justifie difficile
ment à notre avis.
L’art. 1720 impose une obligation au bailleur, con
fère un droit au preneur. Mais le bénéficiaire d'un droit
est toujours libre de renoncer à l’exercer , et il n’a pas
besoin de le faire expressément. Sa renonciation peut être tacite.
Or, comment ne pas voir cette renonciation tacite dans
le silence gardé pendant toute la durée du bai!. L’obli
gation imposée au bailleur par l’art. 1720 est de faire
jouir paisiblement le preneur de la chose louée pendant
toute la durée du bail ; de l’entretenir en état de servir
à l’usage auquel elle est destinée et pour lequel elle a été
louée. Evidemment donc la loi suppose que l’exécution
en sera réclamée soit au moment de l’entrée en jouis
sance, soit pendant la durée. Conséquemment attendre
l’expiration du bail pour réclamer cette exécution, c’est
s’y prendre un peu tard , et agir précisément au mo
ment où on n’a plus aucun intérêt à le faire.
Les dommages-intérêts ne sont que la peine du re
tard ou du refus du bailleur à remplir le devoir qui lui
est imposé. Donc si le preneur n’a plus d’intérêt et par
conséquent de qualité pour en contraindre l’accomplis
sement , il n’y a plus possibilité de retard ou de refus,
et partant lieu à aucuns dommages-intérêts.
�76
TRAITÉ DU DOL
À la plainte du preneur que sa jouissance n’a pas été
ce qu’elle devait être, on répondra qu’il l’a acceptée telle
quelle ; que son silence pendant toute la durée du bail
prouve qu’en supposant que les réparations fussent né
cessaires , elles n’étaient pas indispensables ; qu’enün
leur défaut était si peu de nature à diminuer sa jouis
sance, qu’en fait cette jouissance s’est continuée sans ré
clamation de sa part. En matière de baux comme en
toutes autres, Volenli non fit injuria.
Nous ne comprendrions donc le système de la Cour
de Rennes, que si le silence du locataire était le résultat
d’engagements successifs, de promesses fallacieuses et
jamais tenues.
1 0 0 9 . — Le défaut de délivrance de la chose louée
peut entraîner là résiliation du bail ; cette possibilité ne
saurait être invoquée par le bailleur , qui manquant à
un devoir essentiel, ne pourrait se soustraire à la rési
liation que le preneur demanderait.
1 0 1 0 . —• Mais ce dernier ne saurait jamais être
contraint à subir malgré lui la résiliation. La demander
est pour lui une faculté et non une obligation ; s’il croit
la délivrance de la chose possible, si elle convient mieux
à ses intérêts, il a le droit de forcer le bailleur à la ré
aliser, et, le jugement obtenu, il peut se faire mettre en
possession etiam manu m ilitari. Telle est la nature de
l’action qui lui est ouverte et que le droit romain qua
lifiait d'actio conducti, ou ex conducto, et dont les ef-
�ET DE LA FRAUDE.
77
fets se sont continués sous l’empire du droit qui nous
régit.1
1 0 H . — La délivrance opérée et le preneur entré
en jouissance , toutes les réparations locatives restent à
sa charge. Ces réparations sont présumées la conséquen
ce de la jouissance et nécessitées par sa faute ou par
celle de sa famille."
1012.
—• Mais il n’en est pas de même des répa
rations nécessaires pour conserver à la chose la destina
tion qui lui a été affectée. Le propriétaire , retirant les
fruits civils de la chose, est naturellement tenu de main
tenir celle-ci en état d’être jouie par le preneur.Tout ce
qui porte atteinte à cette jouissance , tout ce qui s’op
pose à ce qu’elle s’exerce librement et d’une manière
complète , est une violation de l’obligation imposée au
bailleur. Il appartient donc uniquement à celui-ci d’y
remédier, et cela pendant toute la durée du bail.
Le propriétaire est donc tenu de faire cesser le trou
ble, dès qu’il est mis en demeure de le faire. Il est res
ponsable du refus ou du retard qu’il mettrait à faire
cesser un état des choses préjudiciable au preneur, qui
pourrait dès lors le faire condamner non seulement à
faire les réparations, mais encore à des dommages-in
térêts pour le préjudice éprouvé depuis la mise en de
meure.
1 V. Troplong , n»a 171, 172, 473 et suiv.
2 Pothier, n» 107.
�78
TRAITÉ DU DOL
1013. — Dans sa sollicitude pour les droits de cha
cun, le législateur a cru devoir régler le mode et la du
rée des réparations. S’il était raisonable que le preneur
dût souffrir la privation de jouissance résultant de la né
cessité d’une réparation plus ou moins importante , il
ne fallait pas que le bailleur p û t, au gré de ses capri
ces , prolonger la durée des travaux et aggraver par sa
négligence la position du bailleur. De là la disposition
de l’art. '1724 réglant souverainement les droits et les
devoirs de chacun.
1014. — L’existence d’un vice caché , rendant la
chose impropre à sa destination, engage la responsabi
lité du bailleur tenu à la garantie. Il résulte des termes
de l’art. 1721 que cette garantie ne s’entend que des
vices empêchant la jouissance. Conséquemment, si le
preneur n’excipait que d’une incommodité , l’art. 1721
serait inapplicable, il ne pourrait en invoquer le béné
fice.
1015. — Les effets de la garantie édictée contre le
bailleur sont :
En première ligne, la résiliation du bail ; l’ignoran
ce absolue et complète de l’existence du vice ne saurait,
aux termes de l’art. 1721, empêcher ce résultat. Il est
évident, en effet, que dès que la chose ne peut, par une
cause quelconque, recevoir la destination que le pre
neur lui affectait au vu et su du bailleur , le bail doit
cesser d’exister , on ne saurait équitablement exiger le
prix d’une jouissance ne pouvant se réaliser.
�ET DE LA FRAUDE.
79
1016,
—• En deuxième ligne, l’allocation de dom
mages-intérêts en faveur du locataire , si le locateur a
counu avant le bail le vice dont la chose était affectée.
La dissimulation du bailleur est plus qu’une fraude, elle
constitue un dol véritable. L’appréciation de la répara
tion due au preneur se ferait donc sur les bases édictées
par l’art. 1131 du Code civil.
!O l7 . — En troisième ligne, et dans tous les cas,
la réparation de la perte matériellement éprouvée par le
preneur.
Cette solution, que le sens littéral des termes de l'ar
ticle 1721 renferme évidemment, nous parait dictée par
la plus saine équité. En effet , si le propriétaire et le
locataire se sont trompés et qu’ils aient l’ùn et l’autre
ignoré le vice de la chose , il ne faut punir ni l’un ni
l’autre; mais si ce vice a occasionné un préjudice, com
ment condamnera-t-on le preneur à le subir? Où est
la faute qu’il a commise ? Devait-il connaître ce que le
propriétaire ignorait? Mais cette faute n’est-elle pas celle
de ce propriétaire ? N’est-elle même pas plus grave chez
lui que chez le preneur , puisqu’en sa qualité il avait
bien d’autres moyens que celui-ci de connaître la vé
rité ?
En l’état donc , mettre à la charge de ce propriétaire
la perle que le vice de la chose a déterminée, c’est faire
à chacun la part qui lui est due, rappelons-nous cet adage de notre ancien droit : Il n ’y a pas à hésiter entre
celui qui s’est trompé, et celui qui souffre. Or.évidem-
�80
TRAITÉ DU DOL
ment celui qui s’est trompé dans l’espèce, c’est le pro
priétaire; celui qui souffre, c’est le locataire.
1 0 1 8 . — Telle n’est pas cependant la solution à ti
rer de l’art. 1721 , d’après M. Troplong. Cet éminent
jurisconsulte pense que le bailleur ignorant du vice ne
doit supporter ni dommages-intérêts, ni pertes quelcon
que, il enseigne que la perte doit rester pour compte du
preneur.
M. Troplong invoque d’abord le principe développé
par Ulpien, dans la loi 10, § i, Dig., De locat. conduct.
Se fondant ensuite sur l’affinité incontestable entre la
vente et le louage, il fait application à celui-ci de l’arti
cle 1646, et il conclut que le bailleur ayant ignoré le
vice n’est tenu de restituer que ce qu’il a reçu et à sup
porter les frais de louage.
1 0 1 9 . — Quelque profond que soit notre respect
pour1 le savant auteur dont nous rappelons l’opinion,
quelque considérable que soit son autorité, nous devons
le dire , les motifs sur lesquels il fonde sa doctrine ne
nous ont pas convaincus, sa doctrine elle-même nous a
paru méconnaître l’esprit et la lettre de l’art. 1721.
Nous repoussons le recours au droit romain par un
double motif : d’abord parce que la décision d’Ulpien
ne nous parait pas aussi décisive que le soutient M.Troplong ; ensuite, parce qu’en la supposant telle, elle devrait
rester aujourd’hui sans autorité , le Code civil ayant a dopté une doctrine contraire.
Nous nous bornerons , sur le premier point, à faire
�ET DE LA FRAUDE.
81
remarquer qu’Ulpien refuse d’une part les dommagesintérêts, et de l’autre le droit d’exiger les loyers : Aliter
atque ei saltum pascuum locasti, in quo Ixerlba
mala nascebatur. Hic enirn si pecora vel demortua
sunt, vel etiam détériora facta, quod interest preslabitur si scisti, si ignorasti pensionem non
petes.
Ainsi, pas de doute , le preneur ne pourra exiger des
dommages-intérêts , ni le bailleur exiger le prix de la
location. Cela exclut nécessairement la faculté pour le
premier d ’exiger le remboursement de la perte qu’il a
essuyée ?
On pourrait admettre le contraire. En droit romain,
les dommages-intérêts s’entendaient d’un double élé
ment : la perte éprouvée, le gain dont on était privé,
damnum emergens, lucrum cessons. Proscrire l’ensem
ble, ce n’est pas exclure nécessairement le droit d’exiger
séparément l’un de ces deux éléments. Conséquemment
être placé dans l’impossibilité d’exiger des dommagesintérêts , n’entraîne pas l’interdiction de poursuivre la
réparation de la perte.
Nous le croyons avec d’autant plus de fondements que,
pour décider le contraire , il faut admettre que le pre
neur a fait faute, et c’est ce que lui reproche M. Troplong. Le preneur, d it- il, a à s’imputer d’avoir ignoré
la nature de la chose qu’il loue. Mais un pareil repro
che peut-il être fondé lorsqu’il s’agit d’un vice tellement
caché , que ce n’est que par la jouissance elle-même
qu’il doit se décéler ; que le propriétaire a pu ignorer ,
�82
TRAITÉ DU DOL
lui qui possède la chose depuis longues années peutêtre ! lui qui doit aussi connaître la chose dont il dis
pose, car si le preneur doit savoir qu’elle est la chose
qu’il reçoit, il est juste que le bailleur sache qu’elle est
la chose qu’il rdonne ; si l’erreur est concevable chez
l’un , elle est concevable chez l’autre , il faut donc les
placer l’un et l’autre dans la position qu’ils avaient avant le bail, et dés lors obliger le propriétaire à indem
niser de la perte, tout en imposant au locataire la pri
vation du bénéfice qu’il eût pu réaliser.
Quoi qu’il en soit, en droit romain, de la justesse de
cette doctrine, tout doute disparaît sous l’empire du Co
de, en présence de l’art. 1721 : « Il est dû garantie au
preneur pour tous les vices ou défauts de la chose louée
qui en empêchent l ’usage, quand même le bailleur ne
les aurait pas connus lors du bail. » Voilà le principe
nettement et formellement posé. Remarquons tout de
suite combien il s’éloigne de celui formulé par Ulpien :
Si ignorasti, pensionem non petes. Il serait singulier
qu’à travers une opposition si tranchée dans les textes,
les deux législations dusssent arriver au même résultat.
Donc le bailleur doit garantie, même lorsqu’il a igno
ré les vices ou défauts de la chose ; quels seront les ef
fets de cette garantie? L’art. 1721 nous l’enseigne im
médiatement : s’il résulte de ces vices ou défauts quel
que perte pour le preneur, le bailleur est tenu de l’in
demniser. Or cette disposition n ’est évidemment édictée
que dans l’hypothèse de l’ignorance du bailleur , car,
s’il avait connu le vice , ce n’est pas l’indemnité de la
�ET DE LA FRAUDE.
83
perte qu’il devrait. La dissimulation dont il aurait usé,
constituant un dol , l’obligerait à des dommages-inté
rêts, c’est-à-dire à supporter la perte dans les propor
tions de l’art. 1151 et à tenir compte , sur les mêmes
bases, du gain dont le preneur aurait été privé.
M. Troplong reconnaît lui même l’évidence du sens
littéral de l’art. 1721, mais il soutient que l’aperçu qui
en dérive est trompeur. Pourquoi ? Parce qu’il existe une grande affinité de principes entre le louage et la ven
te. Or, pour celle-ci , l’art. 1646 borne l’obligation du
vendeur au remboursement du prix et des frais de la
vente. Pourquoi en serait-il autrement pour le louage,
alors que le droit romain est précis à cet égard ?
Nous sommes loin de méconnaître l'affinité réelle ex
istant entre le louage et la vente. Mais toute la conclu
sion que nous en tirons , c’est que , dans le silence du
Code, c’est par les principes applicables à la vente qu’on
doit résoudre les difficultés offertes par le louage. Dès
lors, c’est à l’art. 1646 que nous demanderions les de
voirs à remplir par le bailleur ignorant les vices de la
chose, si la législation spéciale au louage ne s’était pas
formellement expliquée. Or l’art. 1721 fournit à notre
avis cette explication , et il la donne autre que celle de
l’art. 1646. Dès lors on ne peut, sous prétexte d’affini
té, se soustraire à un texte clair, précis et positif.
Pourquoi la loi a-t-elle voulu pour le louage le con
traire de ce qu’elle a prescrit pour la vente ? Nous n’a
vons pas à scruter la pensée du législateur, il suffit que
sa volonté soit expressément énoncée , pour que tout
�84
TRAITÉ DU DOL
s’empresse de courber la tête. Qu’on tente de la faire
corriger , si on la croit mauvaise , c’est un droit dont
l’exercice n’a rien que de très-légitime; quant à nous,
nous l’avons déjà dit, la prescription de l’art. 1721 nous
parait dictée par les plus saines notions d’une exacte
justice. Nous croyons d’ailleurs que l’obligation du ven
deur, de s’assurer de la qualité et de la nature de ce qu’il
achète , est beaucoup plus grave que celle du locataire
à l’endroit de la chose qu’il loue; que, d’autre part, le
locateur e st, bien plus que le vendeur, tenu de connaî
tre la chose qui fait la matière de la location ou de la
vente , c’est ce que Zacchariæ exprime en ces termes :
La raison en est que celui qui loue une chose pour un
usage convenu doit savoir si elle y est propre et garantir
non seulement cet usage, mais encore les conséquences
qui peuvent en résulter.’
Ainsi le bailleur doit garantie des vices ou défauts ca
chés , quand même il les eût ignorés ; cette garantie a
pour effet non pas de le soumettre à des dommages-in
térêts, mais de l’obliger à indemniser le preneur de la
perte que les vices cachés ont entraîné. L’art. 1646 est
sans application au louage, l’art. 1721 ayant édicté
pour celui-ci une règle spéciale.
C’est ce que la Cour de cassation a formellement dé
cidé le 30 mai 18373. C’est ce qu’enseignent plusieurs
auteurs recommandables.3
1 Tom. ni, pag. 8.
s D. P., 37, 1,409.
3 Zacchanæ, loco cilalo ; — Delvmcourt, t. ni, pag. 494, notes.
�ET DE LA FRAUDE.
85
1020. — Le bail confère au preneur le droit de
jouir de la chose louée pendant la durée du terme con
venu , il en retire par conséquent tous les fruits , tant
naturels qu'industriels ou civils. Il est à l’instar du pro
priétaire lui-même, il peut donc faire, à raison de cette
jouissance, tout ce qu’il trouve utile ou convenable à ses
intérêts.
Toutefois, cette faculté ne s’applique qu’à l’usage com
mun , qu’à la jouissance accoutumée des produits ordi
naires de la chose. Tout ce qui sort de cette catégorie ,
tout ce qui ne peut être recueilli sans porter atteinte à
la substance de la chose demeure personnel au proprié
taire, qui seul a le droit d’en disposer. Ainsi les mines
et carrières existant sur la propriété, ouvertes ou non au
moment du b a il, ne pourraient être exploitées par le
preneur que si la convention lui en conférait expressé
ment la faculté. L’exploitation, en l’absence d’une clause
d’autorisation, serait un abus et une fraude que le pro
priétaire aurait le droit d’interdire pour l’avenir , avec
dommages-intérêts pour le passé.
1021. — Le droit de louer est un des attributs de
la jouissance. Il passe conséquemment au preneur pou
vant toujours sous-louer, à moins que le contrat le lui
interdise.
Ce principe, consacré par l’art. 1717 du Code civil,
a été méconnu par un arrêt de la Cour de Paris, du 28
juillet 1825, jugeant : que la concession du droit d’ex
ploiter une mine de plâtre ne peut , dans le silence du
�86
TRAITÉ DU DOL
contrat sur le droit de sous - louer , être valablement
transmise à un tiers par le concessionnaire'. Les mo
tifs de cet arrêt se fondent sur les lois spéciales aux car
rières et mines, sur la responsabilité qu’elles font peser
sur le propriétaire. De là on conclut que celui-ci , en
concédant la faculté d’exploiter, ne l’a fait qu’en consi
dération de la capacité et de l’aptitude du preneur;
qu’en conséquence le bail est personnel et que la cession
qui en est faite, constituant l’abandon de l’exploitation,
il y a lieu de résilier le contrat.
Cette doctrine ne tend à rien moins qu’à créer une
distinction que la loi proscrit. Toute jouissance est dans
le cas d’être cédée, surtout lorsqu’elle est purement in
dustrielle , car , dans cette hypothèse, le preneur a pu
ne vouloir faire qu’une spéculation en sous-louant plus
cher qu’il n’a lui-même loué. D’ailleurs, l’art. 1717 est
général et absolu, c’est donc le violer que de lui refuser
ce caractère. L’objection que le bailleur n’a eu en vue
que la capacité et l’aptitude du preneur, est détruite par
le contrat lui-même, car, si telle avait été la cause déerminante du bail, on en trouverait la preuve dans l’in
terdiction de sous-louer que la loi permet de stipuler.
Le silence des parties sur ce point exclut toute idée de
personnalité dans le bail.
Qu’importe, d’ailleurs, la responsabilité que les lois
spéciales font peser sur le propriétaire des mines ou car
rières. En aliénant l’exploitation en faveur d’un tiers,
1 Dalloz, 25, il, 218.
�ET DE LA FRAUDE.
87
ce propriétaire a assumé la responsabilité des actes de
celui-ci, mais il a contre lui un recours qui lui a paru
suffisant. Ce recours n’est nullement affaibli par la souslocation, puisque le preneur primitif reste garant envers
le bailleur des faits de celui qu’il s’est substitué. Dès lors
il n’y a rien de changé par la sous-location , il n’y a
qu’une garantie de plus pour le propriétaire. On ne sau
rait dès lors punir le preneur qui a usé d’une faculté
légale et résilier un bail qui n’a pas cessé d’exister tel
qu’il a été consenti.
Que si le mode de jouissance adopté par le sous-pre
neur est abusif et nuisible pour le propriétaire, celui-ci
a le droit soit de faire cesser les abus, soit de poursuivre
la résiliation. Vainement le preneur primitif prétendraitil que les actes dont on se plaint ne sont pas de son
fait ; on lui répondrait victorieusement qu’il est censé
avoir fait lui-même ce que son représentant a accom
pli, qu’il doit, dès lors, être condamné, sauf son recours
contre le sous-locataire.
Ainsi, en principe, la faculté de sous-louer est inhé
rente au contrat de louage. Mais la loi permet d’y déro
ger. L’absence d’une clause formelle dans l’acte de bail,
laisse dans tous les cas au preneur le droit d’user de
cette faculté.
■1022. —■ Mais si le bail a prohibé cette faculté , le
preneur ne pourra, sous aucun prétexte, se soustraire à
la prohibition, il sera tenu d’exploiter lui-même la chose
louée ; la sous-location qu’il en ferait serait considérée
�m
TRAITÉ DU DOL
comme un abandon illégal et frauduleux de la jouissan
ce , et entraînerait dès lors la résiliation du bail avec
dommages-intérêts.
1023.
— Le sous-locataire , évincé par l’effet de la
résiliation, pourrait-il exiger des dommages-intérêts de
la part de son bailleur? À cet égard une distinction nous
parait indispensable : ou le locataire a été trompé, ou
il a été imprudent. Dans le premier cas, il lui est dû des
dommages-intérêts , qui lui seraient refusés dans le se
cond.
Le sous-locataire a été trompé, lorsque l’existence du
bail primitif lui a été dissimulée. Nous n’entendons pas
par là qu’il faille que le sous-locateur se soit faussement
attribué la qualité de propriétaire , il suffirait que tout
en prenant la qualité de locataire, il eût placé la partie
avec laquelle il traite dans l’impossibilité de vérifier la
sincérité du droit qu’il exerce, c’est ce qui se réaliserait
s’il avait caché l’existence d’un bail écrit, prétendant
qu’il était locataire verbal. On comprend dans ce cas
qu’aucun reproche fondé ne pourrait être adressé au
sous-locataire, un bail verbal est exclusif de toute clause
prohibitive d’une sous-location.
Si la sous-location a été faite par écrit, la dissimu
lation dont nous parlons sera de nature à être prouvée
par l’acte même. Il est vrai que la qualité de locataire
verbal peut avoir été prise pour éviter des droits éven
tuels d’enregistrement, mais le sous-locateur a le plus
grand intérêt à se soustraire aux conséquences de celte
�ET DE LA FRAUDE.
89
dénomination. Il doit donc rapporter la preuve écrite
que le sous-locataire n’a rien ignoré. Cette preuve ré
sulterait de la remise de la convention primitive cons
tatée par,un récépissé signé du sous-locataire,ou de tout
autre document écrit, émané de celui-ci.
Si la sous-location a été verbalement consentie, celui
qui l’a acceptée pourra toujours alléguer et prouver qu’on
lui a caché l’existence d’un bail écrit. Cette preuve pour
ra être fournie oralement, puisqu’il s’agit d’une dissi
mulation frauduleuse.
Le sous-locataire, qui a connu ou pu connaître la po
sition réelle de son locateur , n ’a droit à aucune allo
cation en cas d’éviction. Dans le premier cas, ou il s’est
rendu complice de la fraude consommée par celui-ci, ou
il a pris sur lui de courir les chances résultant de là
prohibition de sous-louer; dans le second, il n’a pas
fait ce qu’il devait faire. Dans l’une comme dans l’autre
hypothèse , il serait non-recevable à se plaindre d’une
dépossession pouvant être facilement prévue au moment
où il a traité.
Il en est de même s i , sans avoir formellement con
naissance de la prohibition de sous-louer, il a pu facile
ment la connaître , comme si le sous-bail mentionnait
que le bailleur tenait les lieux en vertu d’un bail écrit.
Cette énonciation impose au sous-locataire le devoir de
se faire représenter le bail pour en connaître les condi
tions. S’il manque à ce devoir , il se rend coupable de
négligence et accepte imprudemment un fait dont il lui
a été donné de soupçonner au moins la sincérité.
�90
TRAITÉ DU DOL
Imprudence ou négligence, la sous-location reste à ses
périls et risques. A toutes ses réclamations on répondrait
qu’il devait s’assurer de la condition de celui avec qui
il contractait ; qu’en ne le faisant pas, il a commis une
faute dont il doit subir les conséquences, quelles qu’elles
soient.
La prohibition de sous-louer est absolue et de rigueur,
sa violation entraîne et doit faire prononcer la résiliation
du bail. Il est évident dès lors que la convention a vou
lu conférer au preneur une jouissance purement per
sonnelle. La sous-location faisant cesser cette jouissance,
étant la violation la plus formelle des accords convenus,
il y a lieu de les rétracter.
Il ne dépend donc plus du locataire d’empêcher cette
résiliation, même en offrant d’indemniser, par des dom
mages-intérêts, du préjudice que la sous-location peut
occasionner. Si l’on admettait une pareille offre, on vio
lerait l’art. 1717, on donnerait à une seule partie le
droit de faire au contrat des modifications ne pouvant
se réaliser que par l’effet d’un consentement mutuel.'
1024.
— Cependant la nécessité de l’habitation ,
lorsqu’il s’agit d’une maison ou d’une ferme, n’est pas
tellement personnelle , que le preneur ne puisse pas se
faire représenter par des personnes de confiance et à ses
gages. On possède par son préposé comme par soi-mê
me , et consentir à la prohibition de sous-louer , n ’est
i Cass., 26 janvier 1812.
�ET DE LA FRAUDE.
91
pas aliéner la faculté de se choisir un représentant
Mais , comme la fraude est ici fort voisine du droit, le
bailleur a toujours le droit de prouver que la qualité
conférée au tiers n’est qu’une ruse à l’effet d’éluder la
prohibition.
1025.
— La clause prohibitive de sous - location
n ’est pas violée lorsque cette sous - location n’est que
l’accessoire d’une obligation légitimement contractée par
le preneur. Ainsi, la vente d’un fonds de commerce est
bien souvent inséparable de la cession du bail des lieux
dans lesquels ce commerce est exploité. Dans cette hy
pothèse, la cession est forcée , car , sans elle , la vente
du fonds ne se réaliserait pas. Vouloir l’empêcher se
rait placer le commerçant dans l’impossibilité de cesser
des affaires qui peuvent être fort onéreuses pour lui et
le condamner à continuer une profession que ses con
venances , son intérêt et sa position lui font un devoir
d’abandonner.
Induire de l’acceptation de la prohibition de souslouer la renonciation à la faculté de vendre, c’est don
ner à la clause du bail une extension que ne compor
tent ni la raison, ni la justice. Pourra-t-on jamais sup
poser, en effet, que dans l’unique but de se soustraire
à cette prohibition, le locataire ira vendre son fonds, abandonner son industrie et renoncer ainsi aux occupa
tions de toute sa vie. Concluons donc que la vente d’un
1 Bordeaux, 14 juin 4826.
�I
92
TRAITÉ DU DOL
fonds de commerce peut autoriser , malgré le b a il, la
cession de la location sans laquelle la vente serait ou
impossible ou extrêmement onéreuse.
1 026. — Telle n’est pas cependant l’opinion de M.
Duvergier. Rien, dit ce jurisconsulte, ne doit faire flé
chir le principe de l’art. 1717, la faculté de céder le
bail n’est pas intimement liée à celle devendre le fonds.
Le fût-elle , on n’en devrait pas moins obéir à la dé
fense expresse de céder le b a il, fallût - il en induire la
prohibition de vendre le fonds.'
1 0 2 7 . — Quelque rigoureuse que soit la prohibition
de l’art. 1717, elle ne nous paraît pas autoriser une
pareille conséquence. Dans l’esprit du législateur, cette
disposition n’a de portée que pour les cas ordinaires et
qui se réalisent le plus souvent. Tant que le preneur
restera ce qu’il était au moment du bail, et qu’il s’agira
de lui substituer un tiers, ce qui lui permettrait d’aller
faire ailleurs ce qu’il faisait dans les lieux loués , le
bailleur sera fondé à s’opposer à la substitution , alors
même qu’elle lui serait avantageuse. L’art. 1717 n’ad
met plus qu’on exige un intérêt de la part du bailleur,
il suffit que la prohibition ait été consentie pour qu’il
puisse en réclamer le bénéfice et profiter de ses consé
quences.
Conclure de là que le preneur s’est interdit la faculté
i
Du louage,
to m , i, n° 365
�ET DE LA FRAUDE.
93
de vendre son fonds de commerce , qu’il s’est privé de
la faculté de sous-louer même dans l’éventualité de cette
vente , c’est supposer que les parties ont eu en vue un
événement fort éloigné de leur pensée actuelle et qui n’a
dû frapper ni l’une ni l’autre; et, dans tous les cas, si
le bailleur y a songé, il eût dû s’en expliquer formelle
ment. Son silence à l’acte prouverait qu’il n’a pas vou
lu, dans ses prévisions, aller au-delà de celles pour les
quelles l’art. 1717 a été exclusivement édicté. C’est dans
ce sens que s’est prononcée la Cour de Paris.'
1028.
— La jouissance conférée au locataire diffère
de celle du propriétaire, pouvant non seulement user,
mais encore abuser de sa chose. Elle do it, dès lors , se
restreindre dans des limites raisonnables et justes. C’est
ce que la loi a exigé, en exprimant que l’administration
du locataire devait être celle d’un bon père de famille.
Cette obligation entraîne, comme conséquence d’abord,
de maintenir les lieux dans l’état où ils se trouvaient au
moment de leur délivrance.
Ce n’est pas que le preneur ne puisse jouir autrement
que le propriétaire et opérer dans ce sens des change
ments à la localité. L’obligation de rendre , à la sortie,
les lieux dans l’état qu’ils étaient à l’entrée , rend l’ex
ercice de cette faculté sans inconvénients pour le bail
leur. Il ne pourrait donc réclamer, à moins d’excès de
vant occasionner un préjudice permanent et durable.
1 H6 février \ 822.
�94
TRAITÉ DU DOL
1029.
— Mais la faculté de modifier les lieux ne
va pas jusqu’à permettre d’en changer la destination.
Toute substitution dans ce sens , accomplie sans l’aveu
et l’autorisation du bailleur, est une fraude donnant ou
verture à l’action en résiliation, alors surtout que la des
tination nouvelle est dans le cas de déprécier les lieux,
soit sous le rapport matériel, soit sous le rapport moral.
Ainsi on ne peut, dans une maison bourgeoise, éta
blir un café ou cercle , moins encore un cabaret ou un
lieu de prostitution ; convertir la maison en auberge ou
l’auberge en maison, introduire une maison de jeux, ap
peler enfin une profession bruyante ou incommode dans
les lieux destinés à un débit de marchandises.
1050.
— Le locataire d’un établissement industriel
quelconque est de plus obligé de l’exploiter activement
jusqu’à la fin du bail. L’interruption occasionnée , soit
par la cessation de commerce , soit par le transfert de
ce commerce dans une autre localité, donnerait lieu à la
résiliation du bail et à des dommages-intérêts. L’allo
cation serait beaucoup plus sévèrement calculée dans le
second cas que dans le premier. En effet, la cessation
du commerce peut tenir à des circonstances n’entachant
en rien la bonne foi du preneur. Le second , au con
traire, sera le plus souvent une spéculation sur la clien
tèle qu’on voudra contraindre de venir dans le nouvel
établissement, la fermeture du premier les mettant dans
l’impossibilité de continuer à s’y faire servir. On ne doit
donc pas hésiter à réparer largement le préjudice qui en
sera résulté pour le propriétaire des lieux abandonnés.
�ET DE LA FRAUDE.
95
1051. — F a u t-il, pour que la plainte en change
ment soit recevable , que la destination des lieux ait été
spécialement indiquée dans l’acte de bail ? Nous ne le
pensons pas. Le mode de jouissance précédemment em
ployé détermine ordinairement la destination ultérieure.
C’est donc par les antécédents que doit se résoudre la
difficulté. C’est aussi par la nature et la situation des
lieux, car dans beaucoup de circonstances elles aideront
puissamment à fixer la destination qu’on prétendra avoir été changée.
1052. — La profession du locataire peut fournir
un moyen puissant d’appréciation. Celui qui a pris dans
l’acte la profession de négociant, qui a toujours exercé
son commerce dans le lieu de son habitation, sera faci
lement présumé n’avoir loué que pour continuer son in
dustrie. Le bailleur ne pourrait donc plus tard s’opposer
aux changements à faire aux lieux loués pour les mettre
en état de servir à leur nouvelle destination. Son silen
ce dans l’acte de bail, en présence de la double circons
tance que nous venons d’établir, ferait admettre qu’il a
consenti à ces changements.
Mais il en serait autrement si l’industriel avait tou
jours exploité son commerce dans un lieu autre que ce
lui qu’il habitait; peu importerait, dans cette hypothè
se, que le preneur eût pris dans l’acte la qualité que son
industrie lui donne. D’une p a r t, la certitude qu’il ex
ploitait son commerce séparément de son habitation ; de
l’autre, la destination antérieure des lieux, constamment
�96
TRAITÉ DU DOL
affectés à l’habitation, ferait considérer comme un chan
gement frauduleux l’introduction dans ces lieux de l’ex
ercice de sa profession.
1 035. — La dissimulation par le preneur de sa vé
ritable qualité ferait résilier le bail, lorsqu’il est certain
que la connaissance de cette qualité aurait empêché le
propriétaire de le consentir. Ainsi il a été jugé que le
preneur qui s’annonce comme négociant fait une décla
ration mensongère devant entraîner l’annulation du bail,
s’il dissimule qu’il est cabaretier et logeur.'
1034. — Le développement qu’un fait même im
prévu imprime à l’exploitation d’une carrière, constituet-il un changement de destination devant autoriser le
bailleur à faire résilier le bail ?
La négative ne saurait être douteuse. L’exploitation
n’est que la conséquence naturelle et légitime du bail.
Elle doit nécessairement se placer au niveau des besoins
du preneur. Elle suit donc la chance plus ou moins heu
reuse du commerce entrepris par lui. En conséquence
elle ne saurait être gênée, alors qu’aucune limite n’a été
stipulée dans l’acte.
C’est ce que la Cour de Grenoble a en quelque sorte
reconnu par arrêt du 5 mars \ 835 , repoussant le pré
tendu changement de destination allégué par le bailleur.
Mais le même arrêt condamne le preneur à des dom-
1 Bordeaux, 4 mars 4828.
�97
ET DE LA FRAUDE.
mages-intérêts à l’égard du bailleur , pour indemniser
celui-ci du développement que l’exploitation avait reçue.
Nous pensons avec M. Duvergier que cette solution ne
se justifie en droit par aucun motif plausible.
. Dans l’espèce de cet arrêt , une carrière de pierres
moellons avait été donnée à bail. Longtemps avant le
contrat, le projet d’agrandir la ville de Grenoble et d’en
reculer les fortifications avait été conçu. Des plans a vaient été dressés et le tout était soumis à l’approbation
du Gouvernement.
Postérieurement au bail, ce projet fut mis à exécution,
et dès lors des fournitures considérables furent faites par
les fermiers de la carrière.
En cet é ta t, réclamation du propriétaire. Il soutient
que la réalisation de l’agrandissement de la ville est un
fait imprévu, que l’exploitation à laquelle il donne lieu
menace d’épuiser sa mine. Il demande qu’en vertu des
art. 1769 et 1770, il soit indemnisé parles preneurs;
que dans tous les cas, et à défaut de stipulation expres
se, ceux-ci ne devaient jouir de la carrière que suivant
la destination qu’elle a reçue ; que cette destination de
vait être entendue des produits proportionnels au prix
du bail; qu’en conséquence , extraire des produits plus
considérables, c’était changer cette destination , puisque
le preneur pourrait tout à coup appauvrir, sinon épuiser
une carrière ayant devant elle de longues années d’ex
ploitation.
On répondait que les art. 1769 et 1770 ne concer
naient que le preneur; que la réciprocité invoquée n’am
7
�400
TRAITÉ DU DOL
tend à lui interdire , condamnant ainsi l’industrie du
preneur à une immobilité qui n’est ni dans la nature,
ni dans l’essence du commerce.
Cette doctrine a, de plus, comme tout ce qui est ar
bitraire , le tort grave de ne comporter ni mode fixe
d’applications, ni limites certaines. A quel point naîtra
ou s’arrêtera l’obligation d’indemniser le propriétaire ?
Comment, d’ailleurs, calculer l’existence de l’augmen
tation dans l’exploitation ; s’il est vrai que tel qui ne ve
nait pas à l’usine y vient, il peut se faire que tel autre
qui en tirait ses fournitures ait cessé d’en agir ainsi ?
C’est donc une masse de difficultés, de chicanes plus ou
moins insolubles, substituée à la règle simple et posi
tive tracée par la loi.
D’ailleurs, si le preneur ne peut aller au delà de l’ex
ploitation actuelle, ne s’en suivra-t-il pas que le bail
leur devra garantir ces limites ? N’est-il pas juste que le
premier, s’il ne peut s’enrichir, ne puisse pas au moins
s’appauvrir. On lui permettra donc , toutes les fois que
l’exploitation sera moindre , de solliciter soit une dimi
nution proportionnelle sur le prix du bail, soit une in
demnité. Comme on le voit, dans le système que nous
combattons, l’aléa de l’opération commerciale retombera sur le locateur et non sur le locataire.
Mais , dit-on , il n’est pas rationnel de permettre au
preneur d’appauvrir , sinon d’épuiser une mine ayant
encore plusieurs années d’exploitation devant elle. Cette
objection ne serait juste que si le fait ne pouvait êtreempêché par le preneur, et c’est ce qui n’existe pas. La loi
�ET DE LA FRAUDE.
101
permet au propriétaire de déterminer des limites à l’exploitatior., dont il confère le droit à un tiers. Ainsi,
l’acte de bail peut renfermer ces limites, empêcherqu’elles puissent être dépassées ou fixer une augmentation
proportionnelle du prix du bail, augmentation qu’il se
ra facile d’établir par le cubage de la carrière. De quoi
se plaindrait donc le bailleur, s’il a uniquement dépen
du de lui d’éviter l’injustice contre laquelle il réclame.
E s t-il bien juste aussi de faire perdre à un individu
une somme de 10,000 fr., parce qu’il a négligé de se
procurer une preuve écrite soit du p rê t, soit du dépôt
qu’il en aurait fait ? Et cependant on n ’hésiterait pas à
repousser toutes ses réclamations. Pourquoi, lui diraiton, ne vous êtes-vous pas procuré la seule preuve pou
vant vous faire rentrer dans vos fonds. Or , ce qu’on
objecterait avec raison au déposant ou prêteur, on peut,
on doit l’objecter au locateur, car, comme eux, il a dé
pendu de lui de créer la preuve d’une prétendue inten
tion sur laquelle cependant il est resté muet au moment
du contrat.
Ainsi, l’injustice du résultat qui décide M. Troplong
à adhérer à la solution de la Cour de Grenoble, ne nous
parait nullement démontrée. Dans tous les cas, elle est
due non à la fraude du preneur , mais à la négligence
du bailleur : Volenti non fit injuria.
Nous ajoutons que, dans l’espèce de l’arrêt de Greno
ble, il y avait d’autant plus lieu pour le preneur de s’ex
pliquer au moment du contrat, que l’agrandissement de
la ville et l’établissement de nouvelles fortifications é-
�102
TRAITÉ DU DOL
taient connus de tous. Il est vrai que la Cour rappelle
que es projet datait d’un siècle. Mais il s’exécutait en
1832, et le bail avait été consenti en 1829. Or, les for
malités indispensables à cet accomplissement avaient dû,
dès 1829, être poussées à un point tel que la réalisa
tion du projet devait paraître imminente. Le silence du
bailleur constituait donc une faute d’autant plus lourde.
1035. — La prohibition de changer la destination
des lieux s’applique aux biens ruraux comme aux mai
sons de ville. Ainsi, le fermier ne peut, sans s’exposer
à des dommages-intérêts et même à la résiliation du
bail , dessoler les terres, les surcharger, détruire les étangs, arracher les vignes , convertir les terres à blé ou
les prairies en vignobles, changer les vignobles en terres
labourables, substituer, enfin, une autre culture à celle
antérieurement et usuellement pratiquée.
1036. — L’obligation pour le fermier d’administrer
en bon père de famille est plus étroite encore que celle
du locataire. Les fraudes qu’il pourrait commettre sont,
en effet, de nature à altérer, au moins temporairement,
la propriété elle-même. Ainsi, le défaut de culture, l’en
lèvement des pailles ou engrais, la taille défectueuse de
la vigne ou autres arbres, etc., sont dans le cas de sur
vivre dans leurs effets au bail lui-même , conséquem
ment d’occasionner un préjudice au propriétaire , soit
en diminuant les produits s’il les perçoit lui-même, soit
en empêchant d’obtenir , d’un autre fermier , le prix
�ET DE LA FRAUDE.
103
qu’il aurait obtenu, si la propriété avait été en bon état.
Tous actes tendant à ce résultat doivent donc être sévè
rement réprimés.
1 0 5 7 . — Un devoir spécialement imposé au fer
mier d’un bien rural, est celui de veiller à la conserva
tion de l’intégralité de la propriété confiée à ses soins;
d’empêcher tout empiètement. La possession, si précieu
se dans un procès, l’éloignement du propriétaire, pou
vant ne se rendre que très-rarement sur son domaine,
ont fait édicter l’art. 1768 , d’après lequel le fermier
doit avertir le propriétaire des usurpations qui peuvent
être commises sur le fonds , à peine de tous dépends,
dommages et intérêts.
1 0 3 8 . — Le délai dans lequel cet avertissement
doit être donné est celui des ajournements. Inutilement
aurait on chargé le fermier d’avertir le propriétaire si
on avait laissé le délai à son choix ou à ses caprices.
Bientôt même la négligence s’en m êlant, l’avis arrive
rait après que, par l’expiration de l’année, la possession
serait acquise à l’usurpateur, ce qui pourrait entraîner
la perte de la propriété, si le propriétaire n’avait pas de
titres.ou s’il avait perdu ceux qu’il pourrait invoquer.
Cette conséquence fait sentir toute l’importance de l’o
bligation imposée au fermier.
La loi ne trace aucune forme à l’accomplissement de
cette obligation. L’usurpation peut être dénoncée au pro
priétaire soit par acte extrajudiciaire , soit par lettre,
soit même oralement. Mais la prudence exige que, dans
�404
TRAITÉ DU DOL
ces deux derniers cas , le fermier se procure la preuve
écrite de sa diligence. Cette preuve résulterait de la dé
claration signée par le propriétaire et constatant l’aver
tissement reçu.
1 059. — A défaut de ces précautions ou faute d’a
voir exécuté les prescriptions de l’art. 4768 , le fermier
devrait être condamné à des dommages-intérêts. Evi
demment , l’allocation de ces dommages devrait com
prendre l’intégralité du préjudice occasionné par l ’usur
pation. Elle serait d’ailleurs plus sévère, suivant que le
fermier aurait agi de bonne foi et par pure négligence
ou que son silence ne serait que le résultat de la collu
sion et de la connivence avec l’usurpateur.
1 040.
— Les fraudes du fermier revêtent quelque
fois le caractère de délits. Ainsi , l’abatage des arbres
sans autorisation et contre le gré du propriétaire peut
être poursuivi correctionnellement et puni des peines
portés par l’art. 446 du Code pénal.'
Le fermier qui enlèverait sur le fonds affermé des
barrières ou partie de la clôture commet le délit de bris
de clôture , s’il a agi frauduleusement ou de mauvaise
foi. Dans le cas contraire, il ne pourrait être poursuivi
criminellement, mais il pourrait l’être par la voie civi
le, à la requête du propriétaire fondé à exiger des dom
mages-intérêts.
1 Carnot, sur l’art. 446; — Legraverentl, tom. n , pag. 380, not. 8;
— Metz, 1er août 4819; — Cass., 10 août 1333.
�ET DE LA FRAUDE.
105
L’enlèvement des capitaux morts ou vivants constitue,
dans l’acception ordinaire du mot, un véritable vol,
puisque l’auteur de cet enlèvement s’attribue sciemment
et volontairement une chose qu’il sait appartenir à au
trui. Cette soustraction, au mépris des droits du proprié
taire , ne constitue pas cependant , aux yeux de la loi,
un délit quelconque, soit parce que les capitaux confiés
au fermier deviennent, en quelque sorte , sa propriété
sous l’obligation d’en restituer, à la fin du bail, en mê
me quantité, qualité et valeur; soit parce que la dispa
rition de certains d’entre eux peut n’être que le résultat
d’un fait indépendant du fermier, dont tout le tort con
siste à ne pas avoir pourvu à leur remplacement. Dans
ce dernier cas, il n’y a, à la charge du fermier, qu’une
dette purement civile dont il répond sur toutes ses fa
cultés.
1 0 4 1 . — Quoi qu’il en soit, l’enlèvement ou l’ab
sence des capitaux morts ou vivants, dégarnissant la
ferme dés moyens indispensables à son exploitation, en
traîne , en faveur du propriétaire contre le fermier,
d’abord, l’action en résiliation du bail, ensuite, celle en
restitution et en dommages-intérêts pour le préjudice
résultant de l’absence plus ou moins prolongée des ca
pitaux.
1 0 4 2 . — La première de ces actions a sa base dans
la violation de l’obligation imposée au fermier de tenir
la ferme garnie de tous les moyens utiles à son exploi
tation. L’enlèvement des capitaux ou l’impossibilité de
�lira
106
gg&R
■ B l
TRAITÉ DU DOÏi
les remplacer est ordinairement le précurseur d’un a bandon de la culture. Il fait tout au moins prévoir une
exploitation insuffisante.
Cela seul suffit pour justifier la demande en résilia
tion , indépendamment du caractère odieux d’un enlè
vement. La demande du propriétaire ne saurait donc être repoussée.
1043. — L’action en restitution et en réparation du
préjudice n’est que la conséquence de la résiliation.Celleci, entraînant la fin du bail , amène nécessairement les
effets que l’expiration du terme stipulé fait naître. Au
nombre de ces effets, se place naturellement le rembour
sement de tout ce qui avait été livré par le propriétaire
comme accessoire de la ferme.
1044.
La fin du bail détermine également le
règlement de toutes les malfaçons reprochées au fermier
et la réparation du préjudice en résultant. Cette répara
tion étant accordée à titre de dommages-intérêts, la con
trainte par corps est facultative dans les limites et aux
termes de l’art. 126 du Code de procédure civile.
1 045. — La même faculté est accordée au juge par
l’art. 2062, à l’égard de la restitution des capitaux man
quants , à moins que le fermier ou le colon partiaire
ne prouve que la perte ou le déficit ne procède point
de son fait. Cette preuve est à la charge de l’un ou de
l’autre. Pour le propriétaire, l’absence des capitaux fait
présumer la fraude. Mais cette présomption cède devant
�ET DE LAFRAUDE.
107
la preuve du contraire, et cette preuve faite, il est pro
cédé au règlement conformément aux règles tracées par
les art. 1810 et 1827. A défaut de cette preuve, la con
trainte par corps peut être prononcée, c’est-à-direqu’elle
est une faculté et non un devoir. La loi s’en réfère donc
à l’appréciation souveraine du juge.
1046. — La principale obligation du preneur est
de payer le prix stipulé. Nous nous en rapportons, quant
à ce paiem ent, aux règles que nous avons tracées en
parlant de la vente , règles parfaitement applicables au
paiement des loyers. Nous dirons seulement que le sim
ple retard d’un terme n’autorise pas l’action en résilia
tion. Après beaucoup d’hésitations et de contradictions,
la doctrine et la jurisprudence se sont réunies pour exi
ger que le retard soit au moins de deux termes.
1047. — Le privilège que le vendeur conserve sur
la chose , repose pour le locateur sur les facultés mobi
lières du locataire. Pour que ce privilège puisse sortir à
effet, il faut que les facultés qu’il grève se trouvent dans
les lieux loués. De là l’obligation imposée par la loi au
locataire de garnir la maison d’une manière convena
ble, proportionnée à sa fortune et à sa position. Toute
fraude pour éluder cette obligation, le défaut de son ac
complissement, motiverait la résiliation du bail.
1048. — L’exécution de cette obligation par le fer
mier d’un bien rural serait dans bien de cas insuffisante
à couvrir l’intérêt du propriétaire. On sait d’une part
�A08
TRAITÉ DU DOL
quel est d’ordinaire le mobilier d’un cultivateur , et de
l’autre que le prix de la ferme se règle par l’étendue de
l’exploitation. Exiger que le premier pût valablement
cautionner le second, c’eût été bien souvent rendre tout
bail impossible.
Le fermier a donc rempli son obligation en transfé
rant, dans la ferme, son mobilier quelque modeste qu’il
soit. Mais là ne s’arrête pas le devoir qu’il doit remplir.
Ainsi, avec le mobilier, il doit de plus garnir la ferme
des instruments et ustensiles nécessaires à son exploita
tion, il doit de plus y engranger tous les fruits et récol
tes recueillis sur la propriété.
Tout cela devient le gage du propriétaire. Celui-ci
peut donc contraindre à sa réalisation, empêcher toute
fraude, sous peine de dommages-intérêts ; e t , à défaut
de paiement de ceux-ci, demander et obtenir la résilia
tion du bail.
1049 . — Le louage d’œuvres et d’industrie rentre
dans les obligations de faire, soumises aux règles géné
rales du droit. Conséquemment c’est par l'es principes
généraux que nous avons exposés que doit être appré
ciée la fraude reprochée à l’une des parties. La fraude
existe dès qu’il y a d’une part refus d’exécuter le mar
ché. Le droit d’obtenir la résiliation serait une consé
quence de ce refus.
1050 . — Nous avons vu que l’action ex conducto,
ouverte en faveur du locataire , avait pour résultat de
lui permettre d’obtenir la mise en possession, etiam via-
�ET DE LA FRAUDE.
>109
m m ilitari. Cela ne saurait être dans le louage d’œu
vres et d’industrie. Comme la matière du contrat est u n
fait purement personnel à l’ouvrier, la résolution ne peut
entraîner qu’une adjudication de dommages - intérêts.
On connaît la maxime JSemo potest cogi ad factum. Ces
dommages-intérêts seraient dans ce cas calculés de ma
nière à indemniser du préjudice éprouvé par le retard
de livraison de l’ouvrage commandé, et à mettre la par
tie poursuivant la résiliation à même de se procurer ail
leurs ce que l’autre partie ne veut plus accomplir.
Celle-ci devrait de plus restituer tout ce qu’elle a reçu
en avances sur le prix des travaux qu’elle se refuse d’ex
écuter, ainsi que tous les matériaux qui lui auraient été
confiés. La restitution de ceux-ci peut être exigée en na
ture, e t, à défaut, le conducteur ' autorisé à s’en rem
placer aux frais du locateur.
1 051. — Le locateur répond des vices de construc
tion, de ceux des matériaux qu’il fournit et des malfa
çons reprochées à son œuvre. Ce principe juste en luimême ne saurait donner lieu à la moindre difficulté de
droit, la certitude du fait en amènerait l’application im
médiate.
1 052. — Mais ce qui sera souvent contesté , c’est
la recevabilité de l’action du conducteur, surtout si elle
1 Nous adoptons entièrement la solution que M. Troplong tire des dé
bats législatifs que la matière a subi. Nous appelons donc locateur, l’ou
vrier, et conducteur, celui qui le paie. (V. Troplong, art. '1710, n° 64).
�410
TRAITÉ DU DOL
est intentée après l’acceptation et le paiement total ou
partiel ; le locateur soutiendra que les ouvrages ayant
été ou pu être vérifiés avant l’acceptation , celle-ci l’a
complètement déchargé de toute responsabilité, en pla
çant l’ouvrage à la charge exclusive du conducteur.
1053.
— La question de savoir quand il y a eu
réception, et quels en sont les effets, offre donc un vé
ritable intérêt. Il est évident que l’époque de la récep
tion est et doit être fixé au moment de la livraison sui
vie soit du paiement, soit du règlement du prix. L’arti
cle 1791 l’indique en décidant que la vérification est
censée faite lorsque l’ouvrage , fait en plusieurs pièces
ou à la mesure , peut être vérifié par les parties, pour
toutes les parties payées, si le maître paie en proportion
de l’ouvrage fait. Remarquons qu’on ne doit pas con
fondre les à-comptes donnés à diverses reprises avec le
paiement partiel dont parle l’art. 1791. Celui-ci n’existe
que lorsque la convention le stipule , ou bien lorsque
les à-comptes payés, concordant avec une livraison par
tielle, représentent la valeur juste et réelle des objets li
vrés. Cette coïncidence serait mieux que la preuve de la
convention, elle en serait l’exécution.
Voilà donc les caractères déterminant l’époque de l’ac
ceptation. Quel est maintenant l’effet de celle-ci ?
M. Troplong’ pense qu’elle dégage l’ouvrier, non
seulement de la force majeure, mais encore de tout re-
1 Du louage, art. 1794, n°s 988, 994
�ET DE LA FRAUDE.
111
cours pour malfaçons , le Code civil ayant abrogé la
prescription d’abord de trois ans , réduite plus tard à
un an, que l’ancien droit avait créée en faveur du con
ducteur.
Mais, et M. Troplong l’enseigne lui-même, ce prin
cipe n’est pas et ne pouvait pas être absolu ; il ne peut
être sérieusement invoqué que par l’ouvrier ayant em
ployé les matériaux que le conducteur a fournis. Dans
l’hypothèse contraire, le locateur répond des matériaux
qu’il a livrés , et des vices détruisant ou dégradant la
chose livrée, même après la livraison.
C’était justice de le décider ainsi. L’ouvrage sortant
des mains de l’ouvrier a toujours une apparence par
faite ; on a su dissimuler avec art les défauts de la ma
tière, masquer les défectuosités qu’un usage va plus ou
moins prochainement mettre à nu. Repousser les récla
mations que cette découverte suscite, ne serait pas autre
chose que décerner une prime d’encouragement au dol
et à la fraude.
I0 5 4 .
— Dès lors on doit conclure que l’ouvrier est
déchargé par l’acceptation de la responsabilité pour tous
les vices et défauts apparents , pouvant être facilement
reconnus et constatés. Quant aux vices cachés, l’accep
tation ne saurait influer sur les droits du conducteur
parce qu’elle a précédé leur découverte, parce qu’elle a
été dès lors le résultat de l’erreur ; et que cette erreur a
été inspirée par la fausse apparence que l’ouvrier a su
donner à la chose. On ne manquera pas d’observer cette
�TRAITÉ DU DOL
distinction toutes les fois qu’il s’agira d’un travail dont
l’ouvrier a fourni la façon et la matière.
1055. — Si l’ouvrier n ’a fourni que la façon , les
vices de la matière ne peuvent lui être imputés , et ses
conséquences restent pour le compte du conducteur.
Mais les malfaçons imputables à l’ouvrier doivent être
appréciées suivant la distinction que nous venons d’é
tablir.
1056. — L’acceptation et le paiement ne pourraient
être une fin de non-recevoir pour les architectes, entre
preneurs et autres ouvriers dont parlent les art. 1792 et
1799 du Code civil. Pour eux, la loi ayant limité la du
rée de la garantie , leur responsabilité ne cesse qu’avec
l’expiration du délai que la loi fixe à dix ans.'
Mais relativement à l’application de l’art. 2270 , il y
a également lieu à distinguer si les malfaçons ou les vi
ces sont apparents ou non. Dans le premier cas, la ré
ception créerait une fin de non-recevoir péremptoire
contre toute réclamation ultérieure quoique faite dans
l’intervalle des dix ans.
« Attendu, disait la Cour de Lyon, qu’il est constant
que les lézardes et inclinaisons dont se plaint Dumas,
existaient et étaient apparentes dès avant l’entier achè
vement des travaux; que néanmoins Dumas ne s’est pas
1 Aix, 18 janvier 1841 ; — Bourges, 13 août 1841 ; — Besançon, 30
novembre 1843; — Poitiers, 1er mars 1844; — J. du P., 41, 2, 65 ;
42, 1, 187; 44, 2, 70 et 186.
�113
ET DE LA FRAUDE.
plaint, qu’il a continué à faire des paiements à compte;
que dans son système il aurait même payé à Chavanne
au delà de ce qu’il lui devait et toujours sans élever au
cune réclamation ni prétendre à une indemnité ; qu’il a
suffisamment reconnu par là que les vices de construc
tion ne provenaient pas de la faute de Chavanne , qu’il
faut tout au moins en induire qu’il a agréé les construc
tions telles qu'elles étaient.' »
Cette doctrine est juridique, et l’arrêt qui la consacre
a recueilli l’assentiment de M. Troplong.3
SECTION V.
F rau d es
dans
le s
S o c ié té s
SOMMAIRE.
1057.
1058.
La société crée entre ses divers membres une espèce de
communauté.
Le partage du bénéfice est le but de la société. — Consé
quences.
1 18 juin 1838.
2 Louage, n° 1003. — Conforme, Duvergier, Louage, t.
m
11
8
n° 364.
�4U
1059.
1060.
1061.
1062.
1065.
1064.
1065.
1066.
1067.
1068.
1069.
1070.
1071.
1072.
1073.
1074.
1075.
1076.
1077.
1078.
1079.
TRAITÉ DU DOL
Toute infraction aux règles qui en découlent peut consti
tuer une fraude.
Consentement extorqué. — Ses effets.
Comment se règle l’association de fait qui a existé jusqu’à
l’annulation, à l'égard des associés.
A l’égard des tiers.
Quid, en cas de faux ?
Peut-on assimiler au faux l ’abus d’un blanc seing ?
La convention qui donnerait à l’un des associés la totalité
des bénéfices, ou qui l’affranchirait de toute contribu
tion aux pertes est de plein droit réputée frauduleuse.
La nullité en résultant embrasse l ’acte de société et non
pas seulement la clause illicite.
Comment devrait s’opérer le règlement des opérations fai
tes jusqu’à l’annulation.
L’égalité entre associés obéit à d’autres principes que ceux
régissant les cohéritiers.
C’est la mise matérielle que la loi défend de soustraire à
la contribution aux pertes.—Conséquences pour l ’as
socié purement industriel.
Autre exception à la prohibition de n ’être pas tenu de sa
part dans les dettes.
Dans quels cas la participation aux bénéfices, réservée par
le créancier, constituera-t-elle une usure déguisée.
Arrêt de la Cour de cassation.
Prétendue anomalie entre l ’assurance du bénéfice permise
entre associés et prohibée aux créanciers.— Motifs de
la différence.
L’assurance du bénéfice entre associé n ’est valable que si
elle est sérieuse et sincère.
Obligations pour chaque associé de verser sa mise.
Effets du refus ou du retard.
Nature et étendue de l ’obligation de l’associé industriel.
Effets du refus ou du retard.
L’industrie promise à la société devient, du jour de la
�ET DE LA. FRAUDE.
1080.
1081.
1082.
1083.
1084.
1085.
1086.
1087.
1088.
1089.
1090.
1091.
1092.
1093.
1094.
1095.
1096.
1097.
1098.
1099.
115
constitution de celle-ci, la chose commune.— Consé
quences.
Chaque associé est tenu envers la société des dommages
qu’il lui a causés par sa faute.
Discussion au Conseil d’Etat sur ce qu’on doit entendre
par faute.
Conséquence à déduire de cette discussion.
Effet de la fraude.—En quoi elle consiste.
Quand devra-t-on l’admettre ?
La responsabilité,en cas de fraude ou de faute,s’apprécie,
non pas sur l’ensemble des opérations, mais relative
ment à chacune d’elles.
Effet respectif de l ’une et de l ’autre sur la durée de la so
ciété.
La faute motiverait suffisamment le retrait du mandat
conféré à son auteur.
En droit, l’associé ne peut poursuivre la dissolution de la
société, avant son ierme, à moins d ’un vice en déter
minant la nécessité.
Exception autorisé par l ’art. 1865 , mais dans les condi
tions qui y sont indiquées.
1* Il faut que l ’acte social n’ait üxé aucun terme à la du
rée de la société.
2° Que la renonciation soit faite de bonne foi.
Comment reconnaîtra-t-on que la renonciation n ’est pas
de bonne foi ?
Exemple emprunté à Pothier.
Cette appréciation est laissée à l’arbitrage du juge.
3° Que la renonciation ne soit pas faite à contre-temps.
Quel est l ’effet de la renonciation frauduleuse ou inoppor
tune ?
Caractère de la nullité dont elle est frappée.
Dans lessociétésà terme, la dissolution ne peut être pour
suivie qu’après l’expiration du terme.
Causes pouvant introduire une exception. — Caractère de
l’art. 1871 du Code civil.
�4- -
116
■H00.
1101.
1 102.
1103.
1109.
1110.
TRAITÉ DU DOL
Le refus péremptoire de l'associé industriel, de ne plus
continuer la société , devrait-il en faire prononcer la
dissolution , malgré les autres associés, sauf indem
nité ?
Affirmative jugée par la Cour de Lyon.
Réfutation.—Moyen légal de contraindre à l’exécution.
La dissolution légale ou conventionnelle fait cesser tous
rapports entre les associés.— Ses effets immédiats.
Nature du compte à rendre par le gérant.
Effets de la négligence dans'la tenue des écritures.
Obligation de remettre les livres et papiers.
Effet de la soustraction totale ou partielle des livres.
Les objections opposables au gérant doivent être opposées
avant le règlement.
Toute action en révision est formellement prohibée par la
loi.
Action en redressement.—Ses caractères.
1057.
— La société est définie par la loi : un con
trat par lequel deux ou plusieurs personnes conviennent
de mettre quelque chose en commun , dans la vue de
partager le bénéfice qui pourra en résulter.1
La société crée donc, entre ses divers membres, une
véritable communauté. Ce qui la distingue des précé
dentes, c’est qu’elle résulte d’un pur consentement ; c’est
qu’elle suppose une réciprocité de besoin et de confian
ce ; c’est qu’elle est limitée dans sa d u rée, et qu’on ne
peut devancer le terme de sa dissolution.
1 Art. 1832 Cod civ
�ET DE LA FRAUDE.
117
1 0 58. — Le partage du bénéfice étant le but essen
tiel de la société, c’est à en acquérir le plus possible que
doivent tendre les efforts communs. Il en résulte que
l’administration de la chose commune doit être marquée
au coin de la plus scrupuleuse, de la plus fidèle exacti
tude,et exclure toute idée de profit exclusif et personnel;
que dans le partage les proportions légalement stipulées
doivent être religieusement observées.
1059. — Toute infraction à ces règles est suscepti
ble de constituer une fraude. Or, l’existence de cette in
fraction peut être remarquée : à l’origine même de la
société dont elle vicie le titre; dans l’administration qu’on
détournera de son objet essentiel à l’effet de la rendre
pour l’un la source d’un bénéfice illégitime, pour l’au
tre, une cause de ruine; enfin dans la répartition après
dissolution.
Ces diverses éventualités tracent le cercle de nos ob
servations. Leur objet doit être de constater dans cha
cune de ces périodes les caractères constitutifs de la frau
de et ses effets.
1060.
— Le contrat de société est essentiellement
consensuel. Il faut donc , pour qu’il soit valablement
souscrit, que la partie ait agi dans la plénitude de son
intelligence ; que sa volonté ait été spontanée et libre.
En conséquence, si le consentement dont on se prévaut
émane d’un incapable , s’il a été surpris par le dol ou
la fraude , s’il a été arraché par la violence , le contrat
�118
TRAITÉ DU DOL
manque d’une des conditions essentielles : Colorem habet, substantiam vero nullam.
On doit donc l’annuler sur la poursuite de la partie
intéressée. Mais cette poursuite peut n’être exercée qu’après la mise en mouvement de la société , lorsque le
vice n’aura été découvert qu’après cette époque. Dans ce
cas, la nullité peut n’ètre qu’un remède inefficace , car
son existence, tout en rendant la société impossible dans
l’avenir , n’empêchera pas qu’elle n’ait existé pour le
passé; et cette société de fait déterminera inévitablement
la nécessité de procéder au règlement des opérations ac
complies jusqu’à sa dissolution.
1061. — Relativement à l’associé , les bases de ce
règlement sont fort simples. L’auteur du dol, de la frau
de ou de la violence n’a aucun recours à exercer contre
sa victime. Par rapport à lui, toutes les affaires lui de
meurent personnelles, il doit en subir les effets, en sup
porter les pertes. Pour lui, en un mot, la nullité rétroagit jusqu’à l’origine même de la société.
Par une déduction logique de cette règle, il devrait en
outre restituer la mise de fonds versée par le demandeur
en nullité, ou l’indemniser jusqu’à due concurrence. Il
serait encore condamné à le relever et garantir des re
cherches que les tiers seraient dans le cas d’exercer.
1 0 6 2 . — A l’endroit de ceux-ci, en effet, le deman
deur en nullité ne saurait décliner la responsabilité ré
sultant des traités qu’ils auraient faits avec la société ap-
�ET DE LA FRAUDE.
parente. Il suffît qu’une société de fait ait existé, et qu’un
engagement ait été souscrit du nom social, pour que le
porteur ait qualité et droit de recourir contre chacun des
associés désignés par le pacte social. Rappelons-nous
cette proposition de Pothier : Un consentement, quoique
surpris, n'en est pas moins un consentement obligatoi
re, tant qu’il n’est pas rétracté. Comment, en effet, exi
ger que les tiers fussent plus clairvoyants que la partie
et qu’ils soupçonnassent une fraude qu’elle a elle-même
ignorée ? C’est cependant ce qu’on leur demanderait si
on leur refusait de faire valoir toutes les garanties sous
la foi desquelles ils ont traité.
Sans doute celui que le dol ou la fraude a égaré est
malheureux ; mais il n’en a pas moins coopéré à don, ner à l’acte cette apparence que les tiers pouvaient et de
vaient seule consulter , il a le tort de s’être laissé cir
convenir. Que, sur sa réclamation, ce tort n’apporte au
cun obstacle à la nullité de ses engagements, c’est justi
ce , mais ce qui ne serait pas juste, c’est qu’il autorisât
la perte des droits loyalement acquis par des tiers qui y
sont demeurés complètement étrangers.
1065.
— Ainsi le principe de la responsabilité, en
faveur des tiers, réside dans le concours purement ma
tériel, donné à l’acte par celui qui sè prétend trompé.
De là cette conséquence que si en fait ce concours ne
s’est pas réalisé, le prétendu associé n’est tenu de rien,
même à l’égard des tiers. Telle serait la position de cejui dont la signature apposée à l’acte ne serait que le
produit d’un faux matériel.
�120
TRAITÉ DU DOL
1 064. — Devrait-on assimiler au faux l’abus d’un
blanc seing, au-dessus duquel on aurait inscrit un con
trat de société ? Alors surtout que le blanc seing aurait
été confié dans un objet déterminé ?
L’affirmative a été adoptée par la Cour de Paris, le 7
février 1824. Mais cet arrêt, que l’espèce sur laquelle il
est intervenu peut jusqu’à un certain point justifier, nous
parait, en pur droit, s’écarter des véritables principes.
Pourquoi, dans l’hypothèse d’un faux matériel, refuse-t-on tout recours au tiers ? D’abord , parce qu’en
fait, la signature n’émane réellement pas de celui à qui
on l’attribue; secondement, parce que la contrefaçon de
la signature est un fait de force majeure que la partie
intéressée n’a pu ni prévoir, ni surtout empêcher. Une
responsabilité quelconque serait donc, en ce qui la con
cerne, un effet sans cause, c’esUà-dire une énorme in
justice.
Est-ce là la position de celui qui livreun blanc seing?
Evidemment non , car la remise qu’il en fait est toute
volontaire de sa part, et prouve la confiance illimitée ac
cordée à celui qui la reçoit. Conséquemment, si ce der
nier n’en est pas digne, ou mieux s’il en abuse déloya
lement, c’est sans doute un malheur, mais il pouvait être prévu et empêché. Le déposant s'est donc trompé,
mais le tiers n’a pu avoir la prescience de l’abus dont
il a à se plaindre, et, s’il souffre lui-même de cet abus,
il doit être recevable à obtenir l’indemnité qui lui est
due, même de celui dont l’imprudence a seule rendu un
préjudice possible.
« il
�ET DE LA FRAUDE.
121
On connaît la belle expression d’un de nos anciens
jurisconsultes : II n’y a pas à hésiter entre celui qui se
trompe et celui qui souffre. O r, évidemment, le dépo
sant s’est trompé , en accordant sa confiance à qui ne
la méritait pas. Le tiers, au contraire, n’a fait foi qu’à
ce qui commandait sa confiance, à la sincérité de la si
gnature. Comment donc repousser la réparation qu’il
solliciterait ?
Il est une analogie qui nous paraît justifier notre opinion. L’art. 2277 permet de revendiquer les meubles
volés ; de là la question de savoir si l’abus de confiance,
la violation de dépôt, l’escroquerie étaient, par rapport
à la revendication , assimilables au vol ? La négative a
été consacrée par la Cour de cassation , dans l’arrêt
que nous avons déjà cité.'
Ce qui crée, aux yeux de la Cour suprême, une dif
férence entre le vol et ces derniers délits, c’est que, dans
le premier, il y a nécessairement soustraction opérée à
l’insu du propriétaire, tandis que, dans les autres, il y
a remise volontaire, et que cette remise, quel qu’en soit
le titre, donne au réceptionnaire la possibilité de dispo
ser ultérieurement de ce qui en fait la matière. La mê
me différence, se remarquant dans notre hypothèse, mo
tive la solution que nous indiquons. Le faux n’entraîne
aucune responsabilité , parce qu’il est le produit d’une
voie de fait étrangère, inconnue à celui dont on a con
trefait ta signature ou l’écriture ; parce qu’en fait l’ai—
1 V. supra n» 292.
�m
TRAITÉ DU DOL
tération de l’une ou de l’autre ne peut faire que celuici ait jamais concouru à l’acte : l’abus de blanc seing
oblige envers les tiers , parce que l’existence apparente
d’une société régulière est la conséquence d’un acte
spontané et volontaire ; parce que si quelqu’un doit ré
pondre des effets d’une confiance imméritée, c’est uni
quement celui qui l’a imprudemment accordée.
1 0 6 5 . — La loi considère comme frauduleuse la
convention qui donnerait à l’un des associés la totalité
des bénéfices, ou qui affranchirait, de toute contribution
aux pertes, les sommes ou effets mis dans le fonds de
la société par un ou plusieurs associés. L’acte social, vi
cié par une de ces stipulations, devrait être annulé aux
termes de l’art. 1855 du Code civil.
Une clause de ce genre ferait perdre à la société son
caractère essentiel. Une réciprocité d’obligation appelle
une réciprocité de droits. Grever l’un au bénéfice de l’au
tre , c’est méconnaître les sentiments et les devoirs im
posés par l’association.*
Sans doute dans celle-ci, comme dans tous les autres
contrats, chaque partie do it, avant to u t, surveiller ses
propres intérêts; mais il est juste, comme l’observe M.
Troplong, que cet intérêt ait un modérateur dans l’éga
lité, faisant le principe de toute communion, et sans la
quelle la société elle-même ne serait plus qu’un mono-
l Cum societasjus quodammodo fraternitalis in se habeat. L.6;D .
Prô socio.
�ET DE LA FRAUDE.
123
pôle au profit du plus fort ou du plus audacieux, et con
stituerait cette combinaison que toutes les législations
ont flétrie du nom de pacte léonien et sévèrement con
damnée.
Il n’y a donc pas société dans le contrat renfermant
une des clauses prohibées par l’art. 1853; Conséquem
ment, la partie intéressée pourrait toujours en faire pro
noncer la nullité.
1066.
— On a agité la question de savoir si cette
nullité ne s’applique qu’à la clause illicite ou si elle at
teindrait la société elle-même. M. Delvincourt professe
le premier avis. La société, dit-il, serait valable, seule
ment, le contrat ne renfermant alors aucune stipulation
relative au règlement des parts dans les bénéfices et les
pertes, les parties devraient se conformer, à cet égard, à
l’art. 1853.
Mais cette opinion nous parait difficile à justifier en
droit. La loi pouvait suppléer au silence gardé par les
parties sur le mode de répartition des bénéfices ou per
tes , et c’est dans ce but qu’elle a édicté l’art. 1853.
Mais lorsque ce mode a été déterminé, comment admet
tre que le législateur puisse en imposer un tout différent.
De deux choses l’une : ou les parties ont légalement usé d’un droit, et leur convention doit être validée, ou
la convention est illégale , et viole l’essence du contrat
de société, et alors il est vrai de dire qu’il n’y a pas de
contrat. C’est ce qu’exprimait ce texte d’Ulpien : Socielatem coiri nonpôsse , et nos consentimus talem socie-
�m
TRAITÉ DU DOL
tatem nullam esse '. Cette opinion est celle le plus géné
ralement adoptée par la doctrine.1
1067. — La nullité affecterait donc la société en lui
enlevant toute existence future. Elle l’affecterait de plus
dans son passé en ce sens que les bénéfices ou pertes
déjà réalisés ne pourraient être répartis conformément
aux accords illégaux des parties. Il y aurait donc lieu
de recourir au mode prescrit par l’art. 1853. Qu’on ne
dise pas que nous reconnaissons au législateur la faculté
que nous lui contestions tout à l’heure; il n’y a aucune
similitude entre grever l’avenir et régler le passé. Ce
q u i, dans celte dernière hypothèse , justifie l’interven
tion du législateur, c’est, d’une part, la violation de sa
volonté devant laquelle on n ’a pas reculé; c’e s t, en
suite, qu’annuler la convention comme illicite et en per
mettre l’exécution, c’eût été tomber dans la plus absur
de contradiction : Quod nullum, e s t, nullum producü
effectum. Donc, puisque, par le fait, il y a des opéra
tions à régler, puisque les dispositions arrêtées à cet ef
fet sont illégales et nulles, les parties sont comme si el-'
les n’avaient rien fait à cet égard, et l’art. 1853 devient
l’arbitre nécessaire de leur intérêt respectif.
\
1068. — Au reste, l’égalité que la loi exige en ma-
1 L. 29, § 2, Dig.
Pro socio.
2 V. Dalloz A., v° Société , p 92 , n° 10 ; — Duranton, tom. xvn,
n°42?l; — Duvergier, nos 103 et 277 ; —• Troplong , tom. u , p. 139,
�tière de société obéit à de tous autres principes que celle
prescrite entre cohéritiers ou entre époux. Ce qui est
prohibé, c’est qu’un associé gagne ou perde tout, et l’au
tre rien. Mais, hors de là, rien ne s’oppose à ce que les
bénéfices ou les pertes soient inégalement répartis.
Cette inégalité est le plus souvent une conséquence
soit de la différence de l’apport, soit du plus ou moins
d’utilité que la société doit retirer du concours person
nel de tel associé. Il est juste que celui qui s’expose à
perdre plus ou qui assurera à la société une plus gran
de somme de bénéfices soit plus largement récompen
sé. La loi s’en réfère, sur ce point, à l’intérêt contradic
toire des parties , elle consacre les proportions qu’elles
jugent utiles de créer , pourvu que leur règlement ne
soit pas le résultat du dol ou de la fraude, pourvu sur
tout qu’il n’atteigne pas indirectement le but que l ’arti
cle 1855 a voulu proscrire.
1069.
— C’est la mise matérielle que la loi défend
de soustraire à la proportionalité dans les pertes. Cela
s’induit du texte formel de l’art. 1855. Il résulte de là
que , sans violer cet article , l’associé , n’ayant d’autre
mise que son industrie, peut être dispensé de toute con
tribution aux pertes. L’associé de ce genre ne retire ja
mais de la société d’autre avantage que sa part des bé
néfices représentant le salaire de son industrie. Consé
quemment, les pertes, qui diminuent ou absorbent ce bé
néfice sont réellement à sa charge. Il est évident que,
ne retirant rien ou qu’en ne recevant qu’une part moin-
? :
�m
T R A IT É
(
DU
DOL
y ,
‘
•.
>
dre, il perd le fruit de son industrie en tout ou en par
tie.
Cette perte a paru suffire aux yeux du législateur, et
voilà pourquoi on a admis que cet associé pourrait être
dispensé de contribuer aux pertes d’une manière plus
effective. Ce résultat ne ressemble en rien à celui que la
loi annule. Il y a, en effet, une différence immense en
tre celui qui perd au moins les fruits de son industrie
et l’associé, dont la mise consistant en une somme d’ar
gent , aurait stipulé la reprise intégrale de cette mise,
quelles que soient les pertes éprouvées.
Sous un autre point de vue , la position de l’associé
n’apportant que son industrie se justifie parfaitement.
On considère comme licite la clause par laquelle l’asso
cié bailleur de fonds stipule qu’il ne sera pas tenu des
pertes au delà de sa mise. Or , dans l’hypothèse que
nous examinons , l’associé pour l’industrie ne fait pas
autre chose. Sa mise n ’étant que les produits de son tra
vail, il peut, au même titre, stipuler qu’il ne perdra ja
mais au delà de sa mise.
1070.
— Il est une seconde hypothèse dans la
quelle un associé est de plein droit affranchi de toute
contribution aux pertes. Un capitaliste avance des fonds
à une société, et, en représentation des intérêts auxquels
il aurait d ro it, il stipule une part quelconque dans les
bénéfices. Cette clause constitue , quant à ces derniers,
une véritable société, dans laquelle l’unique chance pour
le capitaliste est de ne recevoir aucun bénéfice, s’il n’en
a pas été réalisé.
�ET
DE
LA
FRAUDE.
La perte excédant des opérations lui demeurerait étrangère. La seule pour laquelle il contribuerait réelle
ment serait celle des intérêts que son capital aurait pro
duit, s’il n’avait pas souscrit la société et stipulé une
part dans les bénéfices.
1071.
— Mais une pareille stipulation peut n ’être
qu’une fraude déguisée, qu’un moyen de masquer une
usure, surtout si, indépendamment d’une part dans les
bénéfices, le capitaliste avait stipulé l’intérêt de son ar
gent au taux légal. Il importe donc de rechercher à
quelles conditions on pourra reconnaître l’existence de
la fraude.
En principe, le bailleur de fonds peut cumuler l’in
térêt des sommes qu’il verse et une part déterminée dans
les bénéfices. C’est même là le leurre habilement offert
aux capitalistes, qui devraient cependant savoir, comme
le leur conseille M.Troplong, que leurs capitaux ne sont
nullement garantis et que, bien souvent aussi , ce sont
ces mêmes capitaux qui sont frauduleusement employés
à servir les intérêts promis.'
Quoi qu’il en soit , la légalité de ce cumul n’est pas
même contestée. Les chances auxquelles le capital est
abandonné , l’incertitude des bénéfices compensent et
excusent ce qui, dans la réception des intérêts et des bé
néfices, excéderait le taux légal des premiers.
Il faut donc de toute nécessité , quant aux bénéfices
m
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c:t:!Sa4
�128
T R A IT É
DU
DOL
surtout, que leur perception suive le sort des opérations
commerciales auxquelles le préteur consent à s’associer.
Si la participation aux bénéfices est soustraite à cette
chance , si elle consiste dans une somme déterminée au
moment de l’acte, quels que soient les événements u l
térieurs, il n’y aurait plus qu’un simple prêt, et le cu
mul des intérêts et des prétendus bénéfices constituerait
une usure frauduleuse.'
Ainsi , la condition essentielle à fixer est le plus ou
moins de certitude, pour le prêteur , dans les bénéfices
dont il stipule une part. Cette part déterminée , si les
parties en font dépendre le chiffre des événements aléa
toires du commerce, il y a société et, conséquemment,
légalité du cumul. Si , au contraire , après avoir arrêté
la quotité du bénéfice accordée, les parties la traduisent
immédiatement en un chiffre dès lors invariable, il y a
prêt et prêt usuraire. La stipulation relativement aux bébéfices n’est plus que le moyen de se soustraire aux pro
hibitions de dépasser le taux d’intérêt voulu par la loi.
1072.
— C’est ce mode d’appréciation auquel s’est
arrêtée la Cour de cassation. Un sieur de Massilian prê
tait , en 1825 , une somme de 60,000 fr. à la société
Àrdaillon, Bessy et Cio, qui devait les appliquer à la
création de hauts fourneaux. Il fut stipulé que les inté
rêts au taux de six pour cent seraient payables de six en
six mois; on convint, en outre, qu’à partir du 1er jan-
i M alepeyre e t Jo u rd a in ,
Des sociétés,
c h . 3, p a g
20.
�ET
DE
LA
FRAUDE.
129
vier 1827, époque à laquelle les hauts fourneaux pour
raient être mis en activité, le prêteur aurait droit à une
portion des bénéfices sociaux , qui fut presque aussitôt
fixée à 21,600 fr., pour lesquels des billets furent sou
scrits.
Plus tard , et sur les poursuites du créancier, la so
ciété soutint que les billets contenaient une usure dégui
sée sous le couvert d’une association. Elle en demande,
en conséquence, la nullité.
Un arrêt de la Cour de Paris repoussa cette demande
et maintint la créance : « Considérant, dit cet arrêt,
qu’il résulte des pièces du procès, des faits et circons
tances de la cause, que les six billets de 3,600 fr. cha
cun présentaient la part accordée au créancier dans les
bénéfices que devaient procurer les hauts}fourneaux,
construits avec les fonds fournis par lui , laquelle part
avait été réglée à forfait entre les parties ;
» Considérant que la stipulation librement faite de
cette part des bénéfices , indépendamment de l’intérêt
légal de la somme prêtée, n’a rien que de licite, surtout
dans le commerce, et qu’on ne saurait y voir le prêt usuraire prohibé par la loi. »
Mais cet arrêt, déféré à la Cour suprême, a été cassé
le 17 avril 1837. La Cour décide, en principe, que la
stipulation d’un règlement à forfait de la part des béné
fices ne saurait constituer une association; que, dès
lors, se rattachant à un acte de prêt, pour lequel les in
térêts légaux sont convenus, elle ne constitue qu’une
�130
T R A IT É
DU
DOL
usure déguisée , dont les tribunaux doivent annuler les
effets.'
1075.
— On pourrait objecter que la détermination
à forfait d’une somme représentant la quotité du béné
fice alloué n’a en elle-même rien d’illicite. Elle ne con
stitue, en effet, que la vente d’un gain futur et espéré ;
et cette vente , que les théologiens qualifiaient à’Assu
rance du bénéfice, est incontestablement permise à l’as
socié 2. Pourquoi donc la prohiberait-on dans l’associa
tion bornée aux bénéfices ?
La réponse à celte objection et la raison de la diffé
rence réelle qu’elle signale se puisent dans la position
respective de l’associé ordinaire et du bailleur de fonds.
Pour l’associé, le pacte n’est valable qu’en tant que
l’assurance ne porte que sur le bénéfice et laisse com
plètement en dehors le capital par lui versé dans la so
ciété. Conséquemment le contrat peut bien , en ce qui
le concerne , diminuer la perte , mais ne l’exonère ja
mais en totalité de la proportion à laquelle il est tenu,
puisque son capital contribuera toujours à celte perte.
La qualité d’associé , qui se puise dans la nécessité de
cette contribution, continue donc d’exister, quel que soit
le mode convenu de sa participation au bénéfice. La
vente qu’il fait de sa p a r t, moyennant une somme dé
terminée, n’est donc qu’un contrat aléatoire, qu’un cal-
1 D . P ., 37,
- T roplong,
303.
t o m . n , p a g . -105, n ° 6 3 8 .
�ET
DE
LA
FRAUDE.
431
cul des probabilités que l’acheteur a de sou côté consul
tées. Elle ne viole donc aucun des principes, aucune des
règles essentielles de la société. On pourrait d’autant
moins la considérer comme un pacte léonin , que si le
vendeur est dans le cas de gagner, il est également ex
posé à y perdre. En effet, les opérations commerciales
peuvent produire des bénéfices tels que la somme qu’il
a stipulée soit en dessous de celle qu’il aurait réellement
touchée.
Le prêteur, au contraire, qui exige le remboursement
intégral des avances qu’il fait et le paiement annuel des
intérêts, ne se donne certes pas la qualité d’associé. Non
seulement il ne contribuera pas aux pertes, mais encore
il retire de son capital tout le produit qu’il doit ordi
nairement produire.
Cependant cette qualité d’associé il peut la prendre,
puisque , par une faveur bien entendue , on lui permet
de stipuler , outre les intérêts , une part convenue dans
les bénéfices. Mais celte qualité ne lui sera acquise que
si les droits qu’elle lui confère restent soumis aux chan
ces commerciales ; qu’autant qu’il demeure tenu des
pertes, en ce sens que, celle-ci se réalisant, il ne tou
chera aucun bénéfice , ou qu’il n’aura qu’une part ré
duite.
Dès lors, s’il ne veut pas même se soumettre à cet aléa ; si le bénéfice lui est alloué , quoi qu’il arrive, il
n’a jamais eu la qualité d’associé. Le contrat, quant à
la part dans les bénéfices, ne peut être considéré que
comme une conséquence, que comme une condition du
�132
T R A IT É
DU
DOL
prêt lui-même , e t , conséquemment, que comme une
usure déguisée. Dans tous les cas, il ne pourrait produi
re aucun effet , car il constituerait tout au moins la so
ciété léonine proscrite par la loi.
Au reste, en cette matière, la fraude est très-facile, et
cette facilité avait longtemps fait hésiter la jurisprudence
ancienne sur la légalité de l’assurance du bénéfice. Po
thier ne l’admettait qu’à la condition que le contrat n’in
terviendrait pas dans un temps voisin de la constitution
de la société, afin qu’on ne pût soupçonnner qu’il était
la conséquence d’un pacte secret apposé à la conven
tion, pour arriver au prêt à intérêt.’
Ce motif a perdu son autorité depuis que le prêt à
intérêt a trouvé place dans la législation qui nous régit.
Conséquemment l’associé peut consentir l’abonnement à
forfait de sa part du bénéfice dans l’acte social lui-mê
me. Mais cet abonnement n’est licite qu’autant qu’il y
a société, c’est-à-dire qu’autant que le capital reste ex
posé aux chances de pertes. Le prêteur qui exigerait le
remboursement du capital et le paiement des intérêts ne
pourrait donc l’obtenir sans se livrer à une usure que
les tribunaux réprimeraient.
1 0 7 4 . — Pour l’associé lui-même, la légitimité du
pacte que nous examinons est subordonnée à sa sincé
rité. Ce que la loi autorise, c’est un contrat sérieux, of
frant aux parties une chance aléatoire qui en fait l’élé-
�RT
DE
LA
FRAUDE.
133
ment essentiel. L’absence de cet élément vicierait donc
le contrat.
C’est ce qui se réaliserait si le vendeur, n ’ayant d’au
tre but que d’éluder la prohibition de l’art. 1835, avait
fait souscrire à son associé une convention lui assurant
la totalité du bénéfice ; l’appréciation de cette fraude est
laissée à la prudence du juge. Mais on n’hésiterait pas
à l’admettre si la somme stipulée pour prix de l’abon
nement était telle qu’en la rapprochant de la nature et
de l ’importance de la société , il serait évident qu’elle
comprend , ou à peu de choses près , l’universalité du
bénéfice que les parties ont pu raisonnablement prévoir
et espérer.
1 0 7 5 . — La société régulièrement constituée impose
à chaque associé des devoirs qu’il ne pourrait enfrein
dre sans exposer sa responsabilité. Le premier de ces
devoirs consiste dans le versement de sa mise au temps
convenu dans le contrat.
1 076. — Le refus de ce versement motiverait la
dissolution de la société , avec obligation de réparer le
préjudice pouvant en résulter. Nous rentrons ici dans
l’application des principes généraux sur l’inexécution des
contrats. Dans l’espèce, les dommages-intérêts seraient
plus ou moins importants , suivant que le refus aurait
pour cause l’impuissance ou la mauvaise foi , c’est-àdire la faute ou le dol.
Le retard dans le versement fait de plein droit courir
les intérêts. Cette dérogation au droit commun se justi-
�134
T R A IT É
DU
DOL
fie par les principes spéciaux des sociétés. L’associé,
profitant, jusqu’à concurrence de son émolument, des
opérations faites avec les fonds versés par ses coassociés,
ne pouvait être autorisé à retenir exclusivement les in
térêts des sommes dont ilesf lui-même débiteur au fonds
capital et qu’il détient au mépris d’un engagement for
mel. Il y a donc équité à le contraindre à rapporter ces
intérêts à la masse commune.
Mais là ne se borne pas la peine du retard. Le but
de la société étant de se livrer à des opérations dans
l’intérêt de tous , chaque associé s’oblige à concourir à
ce but et demeure garant du préjudice que son manque
de foi a entraîné. Conséquemment, si le retard qu’il a
mis à s’exécuter a privé la société de la possibilité de
faire une opération avantageuse, il pourra être condam
né à l’indemniser d’une perte dont il est seul l’auteur.
.
1077 — L’associé qui n ’a d’autre mise de fonds
que son industrie, doit consacrer cette industrie aux af
faires sociales. C’est là son apport, en échange duquel
il doit recevoir une part dans les bénéfices. Il doit donc
le réaliser au même titre que les autres associés.
1078. — Les conséquences du refus ou du retard
qu’il mettrait à s’exécuter seraient celles que nous venons
d’exposer pour l’associé devant verser un capital quel
conque. Elles pourraient même être plus sévèrement ap
préciées. En effet, son concours peut être tellement in
dispensable, que sans lui l’opération ne puisse être ré
alisée. On peut suppléer par le crédit à un besoin d’ar-
�ET
DE
LA
FRAUDE.
135
gent ; on ne supplée jamais aux connaissances spécia
les dont l’exploitation est devenue la matière de la so
ciété.
Dans un cas comme dans l’autre, une réparation pé
cuniaire devrait accompagner la résolution du contrat,
à moins, toutefois, que le refus ou le retard ne pût être
imputé à la volonté de son auteur. C’est ce qui se réali
serait dans le cas, par exemple, où l’associé n ’aurait été
empêché que par un état de maladie légalement cons
taté. Nul n’étant tenu de la force majeure, la résolution,
si elle était demandée , pourrait être prononcée , mais
sans aucuns dommages-intérêts.
1079.
— L’industrie promise à la société devient,
à partir de sa constitution définitive, la chose commu
ne à tous les associés. C’est ce qu’exprime formellement
l’art. 1847, en disposant que tous les gains que cette
industrie a produits doivent être rapportés à la masse
commune.
Il résulte de là que l’associé s’est, par le fait seul de
l’association , interdit d’exploiter soit pour autrui , soit
pour son compte personnel, l’industrie qu’il s’est enga
gé de consacrer à la société. Cette prohibition n’est que
l’effet naturel et juste de l’association. Tant qu’elle exis
te , la disposition de tout l’a p p o rt, et notamment celle
de l’industrie qui en fait l’objet, n’appartient plus à tel
ou à tel associé; elle est exclusivement attribuée au corps
m o ral, à la société elle-même. Elle ne peut donc plus
être exploitée que dans son intérêt. L’obligation de lui
�136
TR A IT É
DU
DOL
tenir compte des gains même d’une exploitation illicite
assure l’effet de la prohibition , en rendant la première
sans intérêt pour celui qui oserait se la permettre.
Mais l’effet de cette prohibition se concentre sur l’in
dustrie promise à la société. Conséquemment, si l’asso
cié en avait une seconde, il pourrait continuer de l’ex
ploiter pour son profit personnel. Cette faculté est ce
pendant subordonnée à cette condition, que son exerci
ce n’occasionnerait aucune atteinte à ses devoirs sociaux.
Il ne faudrait pas, en effet, que l’une fit oublier ou né
gliger l’autre. Une conduite de ce genre constituerait une fraude dont il serait dû réparation.
1080. — L’administration du fonds commun doit
être dirigée dans l’intérêt exclusif de la société. C’est dans
ce sens que l’art. 1850 déclare chaque associé tenu, en
vers l’être moral qui les personnifie, des dommages qu’il
lui a causés par sa faute.
1081. — Dans la discussion au Conseil d’E ta t, M.
Lacuée fit remarquer que le mot faute était trop vague.
On pourrait, disait-il, en abuser pour rendre l’associé
responsable des événements qui auraient trompé des
combinaisons exactes dans leur principe.
MM. Treilhard et Berlier répondirent : que les tribu
naux sauraient faire la distinction que réclame la jus
tice ; que la loi ne pouvait que s’en rapporter à eux ;
vainement elle entreprendrait de spécifier tous les cas de
responsabilité ; des spéculations raisonnables qui tour
nent mal sont un malheur et non une faute ; tout cela
�ET
DE
LA
FRAUDE.
137
doit être décidé ex aequo et bono ; l’expression employée
n’y fait pas obstacle, et il est d’ailleurs impossible de la
remplacer par aucune autre qui ait un sens tout à la
fois plus précis et moins dangereux.'
1 0 8 2 . — Il importait de rappeler cette discussion,
car elle a le mérile de bien définir la pensée du législa
teur et de déterminer le sens précis des termes qui la
manifestent. La volonté de la loi se résume dans cette
doctrine de Pothier : Chaque associé n’est tenu que de
la faute ordinaire et non de la faute la plus légère. On
ne peut exiger de lui que le soin dont il est capable et
qu’il apporte à ses propres affaires, s’il n’a pas la mê
me prévoyance qu’ont, dans leurs affaires, les plus ha
biles pères de famille, ses associés ne doivent pas lui im
puter ce défaut, mais plutôt s’imputer à eux-mêmes de
s’être associés avec lui.’
Ainsi, les obligations d’un associé vis-à-vis la société
sont celles d’un bon père de famille, ce qui signifie qu’il
est responsable non pas de la faute lourde seulement,
mais encore de la faute légère. Il n’y a que la faute
très-légère pour laquelle on ne saurait le rechercher.3
1 0 8 3 . — En présence de ce résultat, il semblerait
inutile de se préoccuper de la fraude. Celle-ci n’est, en
effet, que la faute portée à son plus haut degré de gra-
1 P r o c è s - v e r b a l d u 5 ja n v ie r 4 8 0 4 , n ° 4 8.
2
Contrat de Société,
n° 24.
3 T ro p lo n g , a rt. 4 850, n° 576.
�138
TR A IT É
DU
DOL
vité. II y a donc un à fortiori incontestable pour la
responsabilité de celui qui est tenu de la faute légère ;
mais si la fraude n’a que peh d’influence quant au
principe de l’obligation , elle en exerce une puissante
sur son application. Les dommages-intérêts prononcés
à son occasion se calculent autrement que ceux encou
rus pour une simple faute. Il convient donc de recher
cher ce qui la caractérise.
La fraude, comme la faute, réside dans un fait ayant
occasionné un préjudice. Mais celle-ci peut être involonlontaire , la fraude jamais. Sans doute elle n’exige pas
que l’intention mauvaise ait été préméditée ; il suffit, il
faut même que cette intention ait existé au moment de
la consommation de l’acte préjudiciable , car si l’acte a
été accompli de bonne foi, il peut constituer une faute,
mais bien évidemment on ne pourrait y rencontrer une
fraude.
Cette distinction est utile et sert à résoudre les diffi
cultés que la qualification du fait peut faire naître. Il y
aura faute , si ce fait est involontaire ; il y aura fraude,
s’il n’est que le produit d’une volonté évidente et cer
taine.
■1084. — Or cette volonté est légalement présumée
lorsque le fait est de telle nature qu’on ne peut lui prê
ter un autre mobile. Ainsi , qu’un administrateur ou
qu’un gérant omette de faire une opération qui eût pro
curé de grands bénéfices , ce peut être une faute assez
grave pour engager sa responsabilité , mais celte omis-
�ET
DE
LA
FRAUDE.
139
sion n’entraîne pas nécessairement l’idée de fraude. Les
motifs allégués pour la justifier peuvent même en ex
clure tout soupçon.
Mais si l’administrateur, si le gérant, ne s’est pas con
tenté de s’abstenir; si cette opération qu’il a omis de
faire pour le compte de la société, il l’a directement ou
indirectement réalisée à son profit, il n’y a plus seule
ment faute , il y a fraude. Le motif de l’abstention se
place alors naturellement dans une intention de s’avan
tager au préjudice de ses coassociés dont il devait, avant
tout, protéger les intérêts. Cette intention est précisément
ce qui constitue la fraude. On présumera donc celle-ci
jusqu’à preuve contraire.
Il en serait de même du cas où l’administrateur ou le
gérant aurait appliqué à son profit personnel les ressour
ces sociales ou réglé ses propres dettes par l’emploi de la
signature sociale. Des faits de celte nature , en regard
des devoirs que sa position lui impose, sont exclusifs de
toute idée de bonne foi. Or ce n’est que l’existence de
celle-ci qui peut enlever à un fait le caractère de fraude _
et lui faire revêtir celui d’une faute plus ou moins lé
gère.
1085.
— La responsabilité , en cas de fraude ou de
faute, s’apprécie relativement à chaque opération et non
sur l’ensemble de la gestion. L’associé qui procure un
gain à la société n’accomplit qu’un devoir dont il ne
pourrait se prévaloir pour se soustraire à la juste in
demnité que sa faute ou sa fraude lui fait encourir. C’est
�140
T R A IT É
DU
DOL
dans ce sens que l’art. 1850 prohibe toute compensa
tion entre la perte résultant de la faute et le profit réa
lisé dans d’autres affaires.
1 0 86.
— La distinction entre la faute et la fraude
est encore utile pour l’appréciation du droit de deman
der, à toutes les époques, la dissolution de la société.
La fraude confère incontestablement ce droit à tous
et à chacun de ceux qui en sont les victimes. Celui qui
a trompé ses associés, qui a cherché à s’avantager à leur
préjudice, s’est rendu indigne non seulement du mandat
qui lui aurait été confié, mais encore de la qualité d’as
socié. Il a , en effet, ouvertement violé cette fraternité
sur laquelle la société repose , substitué une juste mé
fiance à cette confiance réciproque qui en fait la base.
Son passé enlève à l’avenir toutes garanties et rend con
séquemment inévitable la rupture de toutes relations.
La faute, au contraire, ne donne pas nécessairement
lieu à la dissolution. La bonne foi de celui qui l’a com
mise ne fait sans doute nul obstacle à ce qu’il soit tenu
de la réparation du préjudice, mais elle doit puissam
ment influer sur la question de savoir s’il y a, ou non,
lieu de résoudre le lien social. Il n’y a aucune assimi
lation possible entre celui qui, par un défaut de prévo
yance ou de capacité, a involontairement causé un dom
mage qu’il supporte d’ailleurs lui-même proportionnel
lement, et celui qui, dans un but de cupidité, a déloya
lement cherché à s’avantager au préjudice de ceux qui
lui avaient confié leurs intérêts. On ne peut donc appli-
�quer les règles de la fraude à la faute, à moins que, par
sa gravité, elle donne lieu de suspecter la bonne foi de
son auteur.
1087. — Mais la faute suffit pour autoriser le re
trait du mandat conféré par l’acte social. Aux termes de
l’art. 1856, le pouvoir donné dans cet acte ne peut être
révoqué pendant la durée de la société , à moins d’une
cause légitime. Or la faute reprochée à l’administrateur
ou au gérant constituerait cette cause légitime. Les as
sociés ne députent l’un d’entre eux que parce qu’ils lui
supposent l’aptitude et la capacité exigées par les fonc
tions qu’ils lui confient. Sa gestion les forçant à modi
fier leur opinion, il est juste de leur permettre de reve
nir sur un choix que rien ne justifie plus, et à révoquer
des fonctions qui pourraient offrir des fautes nouvelles,
si elles restaient dans les mêmes mains.
1088. — En thèse ordinaire, le sort d’une société,
I
valablement et légalement constituée, ne saurait dépen
dre du caprice et de la légèreté d’un associé. En consé
quence , la dissolution , uniquement fondée sur la vo
lonté de l’un d’eux, devrait être repoussée. Il en serait
autrement si la dissolution n’était que la conséquence
d’un vice, soit intrinsèque , soit extrinsèque , détermi
nant la nullité de la société , comme s i , par exemple,
l’acte d’une société commerciale n’avait pas reçu la pu
blicité voulue par la loi. Chaque associé , pouvant faire
valoir cette nullité , pourrait, par une déduction natu
relle, faire ordonner la dissolution.
.
�m
T R A IT É
DU
DOD
1089. — Le législateur a cependant admis une ex
ception à l’interdiction de demander isolément la disso
lution. L’art. 1865 dispose, en effet, que la société finit
par la volonté qu’un seul ou plusieurs associés expri
ment de ne plus en faire partie. Mais , cette exception
pouvant devenir un instrument redoutable de fraude, on
n’est recevable à en revendiquer le bénéfice qu’aux con
ditions suivantes :
.
°
1090 —• 1 Que l’acte de société n’ait fixé aucun
terme à sa durée'. Le législateur ne s’est pas dissimulé
la gravité de l’atteinte que l’art. 1865 porte au droit
commun ; il n ’a pas perdu de vue celte maxime d’équité
et de raison : Contractus sunt ab iniiio voluntalis, ex
post facto necessitatis\ 11 ne s’est donc décidé à la
consacrer que dans des hypothèses recommandées et
légitimées par des motifs considérables.
Ces motifs, il les a trouvés dans la perpétuité de la
société que l’acte laisse illimitée. En effet, indépendam
ment de la répugnance , à diverses reprises manifestées
par la lo i, pour les engagements enchaînant la vie en
tière, et pouvant par cela même compromettre la liberté
de celui qui les a souscrits , une pareille société serait,
dans bien de c as, destinée à survivre aux éléments qui
en formaient la base. La confiance réciproque , l’esprit
d’union et de fraternité peut ne pas se continuer perpé-
�ET
DE
LA.
FRAUDE.
143
tuellement. Maintenir la société alors que l’une et l’autre
auraient disparu, par le seul effet du temps, c’était ren
dre la société une véritable chaîne odieuse, insupporta
ble , contraire même aux intérêts de toutes les parties.
Le désir d’éviter un pareil écueil justifie complètement
la décision sanctionnée par le législateur, dans laquelle
M. Troplong ne voit, avec raison , qu’une loi de pru
dence'. Or , puisqu’on n’a à le redouter que dans les
sociétés perpétuelles , la condition de cette perpétuité,
exigée par l’art. 1869 , se trouve parfaitement justifiéeDe cette condition résulte donc que l’exception la plus
péremptoire à la dissolution poursuivie par un des as
sociés, réside dans la preuve qu’un terme a été convenu
dans le pacte social. Or, à ce sujet, il n’est pas hors de
propos de rappeler que le terme n’a pas besoin souvent
d’être expressément stipulé; qu’il est naturellement in
diqué soit par l’objet de la société même , soit par sa
nature. C’est donc par la détermination de l’une et de
l’autre qu’on résoudra si la société est ou non perpé
tuelle. L’existence d’un terme implicite ou explicite, fai
sant évanouir ce caractère, soumet la demande en dis
solution aux règles tracées par l’art. 1871.
1091.
— 2° Que la renonciation de l’associé soit
faite de bonne foi.
Le législateur , mu par les considérations que nous
venons d’exposer, n’a pas voulu consacrer des liens é-
�,
144
T R A IT É
DU
DOL
ternels, mais il n’a pas entendu que la faculté de les dis
soudre pût, dans aucun cas, couvrir une fraude préju
diciable. C’est donc à celui qui prétend user de cette fa
culté à prouver qu’il remplit la condition que nous exa
minons , c’est-à-dire qu’il agît de bonne fo i, sauf la
preuve contraire, réservée de plein droit à ses associés.
1092. — Aux termes de l’art. 1870 , la renoncia
tion n’est pas de bonne foi lorsque l’associé renonce pour
s’approprier à lui seul les profits que les coassociés s’é
taient proposés de retirer en commun. Cette intention
est de plein droit présumée lorsque, après avoir renon
cé, l’associé fait pour son compte personnel une opéra
tion que la société devait faire avec sa participation et
son concours. Si societatem ineam us, dit le juriscon
sulte Paul, ad aliquam rem emendam, deinde solus volueris eam emere,ideoque renunciasli societali ut solus
emeres, tenebis quanti inter est mea.'
.
1093 — Pothier offre cet autre exemple d’une re
nonciation frauduleuse : Durant le cours d’une société
de tous biens que j’ai contractée avec vous , un de mes
amis, étant au lit de la mort, m’avertit qu’il m’a insti
tué son héritier ; je vais vite vous notifier que je n’en
tends plus être en société avec vous. Cette renonciation
étant faite dans la vue de m’approprier la succession de
mon ami,qui aurait dû tomber dans la société, est nulle,
1 L . 6 5, § 4. D ig .
aro Socio.
�'.
ET
DE
LA
,'".v 1
è,
145
FRAUDE.
comme faite de mauvaise fo i, et n’empêchera pas que
cette succession n’y tombe, s’il y a du bénéfice.1
1094. — Au reste, comme toutes les questions de
fa it, celle de savoir si la renonciation est ou non frau
duleuse est abandonnée à la prudence et aux lumières
des magistrats. La loi s’est contentée de poser le prin
cipe constitutif de la fraude. De quelque manière que le
juge arrive à la conclusion , il lui suffit d’établir que,
dans sa conviction , la renonciation a pour objet l’ac
quisition exclusive du bénéfice devant tomber dans la
masse commune, pour qu’il doive ne pas s’y arrêter.
1095. — 3° Que la renonciation ne soit pas faite à
contre-temps.
La loi s’expliquant elle-même sur ce caractère de la
renonciation , la déclare à contre-temps lorsqu’elle est
faite dans un moment où les choses ne sont plus entiè
res, et où il importe à la société que sa dissolution soit
différée.1
Il est, en effet, des circonstances qui rendraient une
dissolution immédiate désastreuse pour tous les associés.
Ainsi une société de commerce a fait des achats impor
tants. Une baisse considérable des denrées qui en ont
fait l’objet lui imposerait une perte certaine , si la dis
solution la contraignait de revendre actuellement. Il lui
convient donc d’attendre, et cette convenance chaque as1
Des sociétés,
n ° 150.
1 A rt. 1870.
III
10
�146
T R A IT É
DU
DOI.
socié doit en subir les effets. Elle ferait donc repousser
la demande en dissolution.
Vainement l’associé renonçant voudrait-il démontrer
qu’il a, lui, un intérêt pressant à une dissolution immé
diate. Dans l’appréciation de l’à-propos d’une renoncia
tion , on doit exclusivement se placer au point de vue
de l’intérêt social, sans tenir aucun compte de l’intérêt
privé des associés. C’est ce qu’enseignait le droit romain:
Hoc ita si societalis interest non dirim i socielatem ;
semper enim non id quod privatim interest unius ex
sociis servari solet, sed quod societati expedit.'
1 006. — Quel est l’effet de la renonciation fraudu
leuse ou inopportune ? C’est de lui enlever toute vali
dité et partant toute efficacité. Ainsi, nonobstant la re
nonciation inopportune , la société continue d’exister.
L’associé renonçant n’en reste pas moins soumis aux
obligations et aux devoirs que sa qualité lui impose.
La renonciation frauduleuse oblige son auteur à rap
porter à la masse , non seulement le gain illicite qu’il
se proposait, mais encore celui qu’il n’a pu prévoir au
moment de sa renonciation et qui lui est échu depuis,
pourvu cependant qu’il dût tomber en société. En effet,
la nullité de la renonciation , à quelque époque qu’elle
soit prononcée, remonte au jour de sa date. Conséquem
ment la société n ’a pas cessé d’exister et d’acquérir tout
ce qui devait lui appartenir.
1 L . 6 b, § 5, D ig .
Pro socio.
�ET
DE
LA
FRAUDE.
147
De là il suit encore que les perles éprouvées par la
société , depuis la renoncialion , ne laisseront pas que
d’élre proportionnellement à la charge du renonçant et,
enfin, que la société pourra le faire condamner à répa
rer, par des dommages-intérêts , le préjudice qu’elle a
éprouvé de son défaut de concours, si ce concours, ayant
paru indispensable ou utile, avait été stipulé dans l’acte
social.
1097.
— Au demeurant, il importe de remarquer,
avec M. Troplong, que la nullité de la renoncialion est
purement relative! Tous les associés , excepté le renon
çant , sont admis à la faire valoir. De là il suit que si
l’opération, en vue de laquelle la renonciation a été no
tifiée, s’est soldée par une perte au lieu d’offrir le béné
fice espéré, cette perte peut rester étrangère à la socié
té ; que les bénéfices que la société a réalisés après la
renonciation peuvent lui être exclusivement acquis. Ce
double résultat serait la conséquence forcée de l’accepta
tion que les associés feraient de la renonciation , que
seuls ils peuvent quereller.
En définitive donc, celui qui renonce frauduleusement
agit plutôt contre son propre intérêt que contre celui de
ses coassociés. 11 s’expose , en effet, à voir ceux-ci soit
lui demander compte du gain qu’il a illégitimement re
cherché et le faire contribuer aux perles essuyées depuis
la renonciation ; soit lui laisser exclusivement la perte
faite sur l’opération frauduleuse et lui refuser sa part
dans les bénéfices par eux réalisés. On peut donc dire
�148
T R A IT É
DU
DOL
de lui ce que le jurisconsulte Paul dit de l’associé renon
çant avant l’expiration du terme convenu: Socium a se,
non se a socio libérât.'
1 0 9 8 . — Dans les sociétés dont le terme a été sti
pulé soit explicitement, soit implicitement, l’exécution
littérale n’offre plus l’inconvénient attaché à un engage
ment perpétuel. Le législateur revient donc purement à
la règle que nous avons déjà indiquée : Contractas sunt
ab initio voluntatis, expost facto necessitalis. En con
séquence , la dissolution de la société ne peut être de
mandée par un des associés , avant le terme convenu,
qu’autant qu’il y en a de justes motifs1. L’associé qui
renoncerait contrairement à cette disposition, ferait donc
un acte sans aucune efficacité ; il serait à l’instar de
celui qui renonce frauduleusement ou en temps impor
tun, et s’exposerait aux mêmes résultats.
1 099. — Les motifs pouvant légitimer la demande
en dissolution sont indiqués, mais non limités par l’ar
ticle 1871. C’est ce qui s’induit non seulement de la gé
néralité de ses termes, mais encore de l’appel qu’il fait
à l’arbitrage du juge pour l’appréciation des causes qu’il
n’énumère pas spécialement. Il suffirait donc que celles
invoquées par l’associé fussent jugées graves pour qu’on
admit la dissolution. Nous avons déjà dit que la fraude
dans l’administration ferait inévitablement dissoudre la
société.
i L . 6 5, § 6, D ig .
Pro socio.
�ET
I
DE
LA
FRAUDE.
•1100. — Si les prétentions de l’associé sont repous
sées, la société continue d’exister jusqu’à son expiration.
Mais ici peut s’offrir une importante difficulté. Suppo
sez que l’associé réclamant soit précisément celui qui est
le gérant indispensable de la société, celle-ci ne consis
tant que dans l’exploitation de l’industrie par lui appor
tée ; supposez encore qu’après le jugement qui refuse la
dissolution, il persiste dans son projet de retraite.Com
ment assurer l’exécution de ce jugement ? Comment re
fuser la dissolution , si la volonté d’abandonner la ges
tion est nettement indiquée au juge avant qu’il ait pro
noncé ?
1 1 0 1 . — Placée dans une position de ce genre, la
Cour de Lyon a cru pouvoir admettre une exception à
l’art. 187,1. Dominée par cette pensée que les obliga
tions de faire se résolvent en dommages-intérêts, elle a
pensé que la dissolution était forcée, sauf le paiement de
ces dommages, et c’est ce qu’elle ordonne par son arrêt
du 18 mai 1823.
1 1 0 2 . — Cet arrêt n’a pas seulement le tort de créer
à l’art. 1871 une exception que repousse la généralité
de ses termes, il viole, en outre, ce principe écrit dans
les règles générales en matière d’inexécution : que la
partie, envers laquelle l’engagement n ’a pas été exécu
té, a le droit de demander le maintien de l’obligation.
Il est vrai que si l’exécution en est impossible, on doit
la remplacer par une allocation de dommages-intérêts,
mais l’impossibilité est ici laissée à l’appréciation de la
■i itjM
�Il § !
15U
TRAITE DU DOL
partie intéressée, seule juge des moyens à l’aide desquels
elle espère la faire disparaître.
Sans doute ces moyens ne peuvent aller jusqu’à faire
appréhender le débiteur au corps pour l’obliger manu
m ilitari à faire ce qu’il refuse de faire. C’est ce que
l’art. 1174 a pour objet d’empêcher. Mais ce que la loi
a pu et dû permettre, c’est de vaincre la mauvaise vo
lonté du débiteur en rendant l’exécution d’un tel intérêt
pour lui, qu’il ne puisse longtemps s’y soustraire. A cet
effet, l’allocation d’une somme déterminée par chaque
jour de retard se recommande à l’attention du créan
cier, à celle de la justice»
Ainsi , quelle que soit la partie qui se refuse à rem
plir son engagement, elle ne saurait, se prévalant de sa
propre faute , obtenir la dissolution contre l’opposition
de l’autre partie. En demandant l’exécution du contrat,
celle-ci ne fait qu’user d’un droit que la loi lui donne,
et sur la conservation duquel la justice doit veiller. On
doit donc , sur ses réclamations , maintenir le contrat,
en ordonner l’exécution sous peine de payer une som
me déterminée par chaque jour de retard. Admettre la
résiliation serait non seulement violer la lo i, mais en
core donner une prime à l’impudence. Comment, en
effet, qualifier autrement le langage de celui qui vien
drait dire à ses juges : Je ne veux pas remplir mon obli
gation, et cette volonté je vous défie de ne pas la pren
dre en considération. Condamnez - moi à des domma
ges-intérêts , mais déliez-moi de mes engagements. Un
pareil langage, s’il pouvait être efficace, décèlerait dans
��1 5 2
T R A IT É
DU
DOL
rifier l’exactitude , d’en prouver l'infidélité. L’intérêt,
que le gérant a incontestablement à ce triple résultat,
doit commander une extrême circonspection dans l’ap
préciation de sa conduite. Une allocation de dommagesintérêts, plus ou moins élevée, pourrait être la peine de
la négligence, à plus forte raison d’une irrégularité fla
grante.
1106. — Le gérant est obligé de restituer non seu
lement les livres, mais encore tous les papiers sociaux.
Le défaut de livres ou leur insuffisance est une faute ex
trêmement grave. En effet, elle a nécessairement les ré
sultats que nous venons d’indiquer et à un degré encore
plus prononcé de nocuité pour les associés, d’avantages
pour lui. Comment avec des écritures insuffisantes juger
sainement des opérations remontant à plusieurs années?
Comment reconnaître une omission, justifier une éléva
tion dans les recettes, une exagération dans la dépense?
L’absence ou l’insuffisance des livres substitue donc
le doute et l’obscurité à l’exactitude et à la précision si
désirables en cette matière. La fraude peut en cet état
être facilement supposée, et cette facilité, éveillant la juste
susceptibilité de la justice, ferait non seulement accueil
lir les modifications appuyées sur des présomptions grayes , mais encore condamner l’associé chargé des écri
tures à des dommages-intérêts.
H Q 7.
La soustraction totale ou partielle des li
vres ou écrjtures est une fraude caractérisée. U’intention
dont elle e?.t l’exécution ne peut être douteuse, et mérite
�ET
DE
LA
FRAUDE.
153
toute la sévérité de la justice. Les associés peuvent dans
ce cas demander la production matérielle avec peine
d’une somme déterminée par chaque jour de retard, ou
se borner à réclamer des dommages-intérêts suffisants
pour les indemniser de tout le préjudice.
Dans l’un et dans l’autre cas, la demande est suscep
tible d’être différemment appréciée, selon qu’il s’agit d’u
ne soustraction totale ou d’une soustraction partielle.
Rien ne saurait justifier la première, mais la seconde
peut être plus ou moins nuisible, selon le caractère des
livres en faisant la matière. Si ces livres ne sont pas in
dispensables pour arriver à un règlement équitable ; si
le contrôle réservé aux associés peut utilement être four
ni par les écritures produites, l’excuse de bonne foi pour
rait être accueillie. L’intention qui a fait disparaître un
livre auxiliaire suppléé par les livres principaux , n’est
pas nécessairement frauduleuse, le préjudice peut en ré
alité ne pas exister ou du moins n’exister que dans des
proportions minimes. Or, comme c’est surtout pour ré
parer celui-ci que des dommages-intérêts sont dus, on
pourrait soit les refuser, soit les réduire dans les mêmes
proportions.
Mais si la soustraction porte sur les livres principaux,
on n’aurait pas à la distinguer de la soustraction totale.
L’effet étant le même, la peine serait identique.
1 1 0 8 . — Au reste, il importe aux assodiés d’oppo
ser au gérant toutes les objections leur compétant, avant
le règlement matériel du compte ; après ce règlement,
4
�454
T R A IT É
DU
DOL
le compte est définitif. Toute réclamation ultérieure vien
drait échouer devant l’art. 541 du Code de procédure
civile.
H 0 9 . — Cet article prohibe tou te révision des comp
tes, et son applicabilité, en matière de société civile ou
commerciale, ne saurait faire l’objet d’un doute sérieux.
Les motifs qui l’ont dicté ne manquent pas de gravité,
le législateur a compris que le comptable régulièrement
déchargé de sa gestion , par un arrêté de compte , n’a
plus le même intérêt dans la conservation des pièces en
formant les éléments ; qu’en cet é ta t, le soumettre de
nouveau à rendre son compte serait le placer dans la
nécessité de faire ce qu’il n’est plus réellement en posi
tion d’accomplir.
La prohibition de l’art. 541 ne reçoit exception que
dans un seul cas, à savoir : lorsque l’arrêté de compte
a été surpris par dol , extorqué par fraude ou ravi par
violence. La preuve de l’un ou de l’autre entraînerait la
nullité du contrat, et ferait remettre les parties dans le
même état qu’avant. Cette exception, loin de détruire la
règle, ne fait que la confirmer; ce ne serait pas en effet
une révision de compte dont il s’agirait dans cette hy
pothèse. Le règlement frauduleux ou dolosif est censé
n’avoir jamais existé, ce serait donc ce règlement qu’il
s’agirait d’accomplir.
Si l’arrêté de compte n’est pas attaqué sous ce rap
port, ou si, reproché à ce point de vue , il a été main-
�ET
DE
LA
FRAUDE.
135
tenu, l’art. 341 reprend tout son empire, toute révision
est écartée de plein droit.
11IO. — Reste l’action en redressement pour er
reurs, omissions, faux ou doubles emplois, que l’article
541 réserve lui-même. Ea nature de celte demande se
détermine par la disposition entière de cet article. Evi
demment l’action en redressement est autre chose que
l’action en révision , sinon il faudrait reconnaître que
le législateur a permis à la fin de l’article ce qu’il pros
crit formellement au commencement.
Ce qu’il faut en conclure, c’est que par la défense de
réviser le compte, la loi n’a pas voulu empêcher des ré
clamations, dont l’existence ultérieure ne se réalise tar
divement que parce que les griefs qu’elles révèlent n’ont
été découverts qu’après l’arrêté du compte. Des erreurs,
des omissions, des faux, des doubles emplois, ne doivent
profiter ou nuire à personne , on doit les réparer en
maintenant toutefois les effets généraux du règlement
des comptes.
De là il suit que, pour être recevable, l’action en re
dressement doit être nettement déterminée dans son ob
jet. On ne doit pas se borner à prétendre en termes gé
néraux et vagues qu’on a à signaler des erreurs, omis
sions, faux ou doubles emplois, il faut relever les arti
cles du compte renfermant le vice reproché, fournir les
pièces établissant l’erreur ou l’omission. Celui-là donc
qui, sans offrir ce détail, se contenterait de soutenir qu’il
est victime , qui même , sur le fondement de certaines
�156
T R A IT É
DU
DOL
pièces, se bornerait à prétendre que le reliquat du compte
est erroné, devrait être déclaré non-recevable et succom
ber dans ses prétentions."
En d’autres termes, l’action en redressement laisse à
l’arrêté du compte toute son autorité, il y a lieu seule
ment d’ajouter ou de retrancher jusqu’à concurrence
des sommes omises ou portées en plus. Il faut donc
nécessairement signaler les articles querellés dans l’un
ou l’autre sens. Se renfermer dans des généralités , ce
n ’est pas vouloir faire redresser le compte , c’est en de
mander un second ou tout au moins réviser le pre
mier, c’est, dans l’un ou l’autre cas, exiger ce que pros
crit l’art. 541.
i C hauveau
sur C arré,
g e s , 21 a o û t 1 8 3 1 .
art.
541 ; —
C ass., 2 m a r s 1831 ; —
B our
�ET
DE
LA
FRAUDE.
157
SECTION VI.
F raudes
dans
le s
P rêts.
SOMMAIRE.
1411. Diverses espèces de prêt.
1112. Nature du commodat.
1113. Nature du prêt de consommation.
1114. Prêt à intérêt.— Historique.
1115. En quoi consiste l’usure.
1116. Critiques du droit que se réserve le législateur de déter
miner un maximum d’intérêt.—Opinion des scolasti
ques, de Turgot, de J. Bentham.
1117. Réfutation quant à l ’utilité de ce droit.
1118. Réfutation quant à la convenance.
4119. Réformes dont la loi de 1807 serait susceptible.
1120. Défaut de proportions entre les intérêts qu’il consacre et
le revenu foncier.
4121. Véritable valeur de l’argent en matière commerciale.
1122. Abus du taux commercial appliqué aux lettres de change
souscrites par des non commerçants.
1123. Ou aux prêts commerciaux faits par nantissement ou par
crédit hypothéqué.
1124. Résumé.
�158
1125.
1126.
1127.
1128.
1129.
1130.
1131.
1132.
1133.
1134.
1135.
1136.
1137.
1138.
1139.
1140.
1141.
1142.
1143.
1144.
T R A IT É
DU
DOL
L ’usure ne peut exister que dans le prêt. — Simulations
nombreuses qui résultent de cette condition.
Les questions d’usure présenteront donc plu lot des diffi
cultés sur l ’intention des parties que des difficultés de
droit.
Exemple d’usure dans un contrat de mariage.
Erreur dans laquelle est tombée M. Dalloz sur la portée
véritable de l ’arrêt de la Cour de Riom.
La doctrine de cet arrêt ne pourrait être admise sous l’em
pire de la loi de 1807.
Difficultés sur les droits que l’usage attribue aux ban
quiers, en sus de l’intérêt légal.
Nature de la commission.
Nature de l ’escompte.
Nature du change.
Légalité de ces droits contestée par plusieurs auteurs, MM.
Chardon, Duvergier, Fremery, notamment.
Réfutation.
L’escompte ne saurait être considéré comme un intérêt
conventionnel.— Opinion conforme de M. Troplong.
Nature véritable du change.
Facilité que ces divers droits donnent pour déguiser l’u
sure.— Conséquences.
On reconnaîtra la vérité de l ’escompte d’abord au taux au
quel il a été établi.
A la nature réelle de l ’opération. — Quid, s'il s’agit d’un
billet directement souscrit par le cédant lui-même ?
La même difficulté peut se présenter pour le change. —
Solution.
Quid, s’il existe une supposition de lieu ?
Jugement du tribunal de commerce de Marseille , confir
mé par arrêt d’Aix, dans une espèce où la supposilion
de lieu n’avait pas fait obstacle à l ’existence du con
trat de change.
Le droit de commission peut-il être prélevé en l ’absence
d’un crédit ouvert par le banquier ?
�ET
1145.
1146.
1147.
1148.
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1150.
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1153.
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1158.
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1161.
1162.
1163.
1164.
1165.
DE
LA
FRAUDE.
159
Exception au principe admis par l’art. 1154 , en matière
d’anatocisme.
La commission du banquier peut-elle être prélevée sur le
solde reporté à nouveau ?
Pour que la capitalisation trimestrielle des intérêts puisse
être effectuée , il faut que le compte existe entre né
gociants, et que le compte ait été réellement arrêté.
Le banquier peut-il prélever une commission sur chaque
renouvellement des billets souscrits par un non com
merçant ?
Usure consistant à fondre les intérêts avec le capital.
Première objection que la preuve testimoniale fera surgir.
Deuxième objection.
La preuve de l ’usure acquise, quel sera le sort de l’acte ?
La rétention des intérêts au momerft de l ’acte constitue
une usure.
Peut-on stipuler que les intérêts d’un capital fourni en
argent seront payés en denrées ?
Quid, si le prêt a été fait en denrées ?
La loi de 1807 ne régit pas le prêt qui offre une chance
aléatoire—Application de cette règle à la caisse hypo
thécaire.
Application au contrat à la grosse.
Supposition de l ’existence d ’un contrat à la grosse pour
déguiser l ’usure.
Application de la règle concernant la chance aléatoire à
la cession.
Au contrat de rente en viager.
Exemple d’usure déguisée sous l ’apparence d’une rente
viagère.
Exemple d’usure déguisée sous la forme d'une donation.
— Gomment elle s’apprécie.
Doctrine de Pothier.
Arrêt conforme de Bordeaux et de la Cour de Pau.
Exception que celte doctrine comporte.
�460
1166.
1167.
T R A IT É
DU
DOL
Q u id , delà donation faite après paiement ?
Usure peut résulter de l’exigence de services personnels
appréciables en argent.
1168. ^Comment et par quel mode reconnaît-on qu'un service
est ou non appréciable en argent.
1169. Usure peut se déguiser sous le contrat de société.
1170. Elle se dissimule facilement sous l’apparence d’une vente
d’objets'mobiliers.
1171. Dans quels cas peut-on quereller d'usure une vente de
marchandises faite par un commerçant?
1172. La vente pure et simple d’un immeuble peut ne déguiser
qu’un prêt usuraire. — Espèce jugée par la Cour de
Paris.
1173. Reproche adressé à l ’arrêt.
1174. Nature de la vente à réméré.— Répulsion qu'elle a inspi
rée au législateur.
1175. Raisons qui l ’ont fait maintenir dans le Code.
•1176. Circonstances devant la faire considérer comme un con
trat pignoratif.
1177. La réunion de ces circonstances est-elle indispensable.
1178. Nécessité de l ’existence du pacte de rachat.
1179. Effet de la vilité du prix et du pacte de rachat.
1180. Effet du concours de celui-ci avec la relocation.
1181. Conséquences de la déclaration que la vente n’est qu’un
contrat pignoratif.
1182. Usure déguisée sous la forme du contrat d’échange.
1183. Devoir que cette facilité pour l’usure , à se déguiser, im
pose aux tribunaux.
1184. L’usure ne devient un délit que par l'habitude. — Mais
chaque fait spécial donne ouverture à une action en
faveur de la partie lésée.
1185. Objection tirée de l’art. 1341, opposée à la preuve testi
moniale du délit d’habitude d’usure repoussée par la
Cour de cassation.
1186. La même objection , appliquée à la poursuite de l ’action
�ET
1187.
1188.
1189.
1190.
1191.
1192.
1193.
1194.
1195.
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1200.
1201.
1202.
1203.
1204.
DE
LA
FRAUDE.
- J G 1!
de la partie lésée , consacrée par la Cour de P au , et
admise par M. Sirey.
Le système contraire a triomphé en doctrine et en juris
prudence.
Consacré par le simple bon sens.
Faculté pour les juges d ’admettre les présomptions gra
ves et précises.
Ou de déférer le serment supplétoire.
Extrême prudence avec laquelle ils doivent procéder.
Faut-il, comme l ’enseigne M. Chardon, ne le déférer qu’au
débiteur ?
Conséquences de l ’usure reconnue sur l ’exécution du con
trat.
L'action ouverteau débiteur passe à ses héritiers et ayants
cause.—Elle peut être exercée par ses créanciers.
Cette action ne peut être jointe avec celle du ministère
public en répression du délit.
Ce qui est jugé sur celle-ci ne peut influer en aucun sens
sur l ’instance au civil.
La fin de non-recevoir tirée de la chose jugée ne peut ré
sulter que du jugement consacrant définitivement la
légitimité de la créance.
Mais l’exception d’usure peut être proposée pour la pre
mière fois en appel.
L’exception de chose jugée résulterait-elle d ’un jugement
validant une saisie faite en vertu du titre.
L ’usure ne pouvant être couverte, l ’action ne saurait être
écartée sous prétexte de ratification ou de transaction,
à moins que l ’une ou l ’autre se fût réalisée après la
libération.
De quel moment commence à courir la prescription ?
Par quel délai est-elle acquise pour l ’usure ordinaire ?
Quel est le délai pour l'usure palliée "?
Durée de l ’exception.
m
11
�162
T R A IT É
DU
DOL
1 1 1 1 . -— La loi distingue trois sortes de prêts :
10 celui des choses dont on peut user sans les détrui
re , c’est le prêt à usage ou commodat ; 2" celui des
choses se consommant par l’usage, soit le prêt de con
sommation ; 3° enfin le prêt à intérêt.
La gratuité qui est de l’essence de chacun d’eux, ne
permet guère de prévoir une fraude, de la part du prê
teur surtout. Cependant, comme il en résulte pour cha
que partie des obligations et des droits, la fraude con
sommée dans l’exécution des premières, ou qui tendrait
à annihiler les autres, donnerait lieu à une adjudica
tion de dommages-intérêts.
1113.
— A vrai dire, le commodat est une véri
table cession de jouissance , une location , en quelque
sorte. Dès lors, c’est par les règles que nous avons ex
posées dans notre section iv que se résoudront les dif
ficultés soulevées sur l’exécution des obligations soit du
bailleur, soit du preneur.
1 1 1 3 . — D’autre part, le prêt de consommation
peut être assimilé à la vente. Ce qui en fait la matière,
c’est la chose prêtée , qui devient la propriété de l’em
prunteur et dont il peut disposer à son gré. Ce qui re
présente le prix, c’est l’obligation de restituer une chose
de même quantité et qualité. L’exécution du prêt, c’està-dire la délivrance , la garantie des vices cachés , l’o
bligation de restituer au terme convenu, les fraudes que
peuvent se permettre les parties, se trouvent donc natu
rellement régies par les principes que nous avons déjà
�ET
DE
LA
FRAUDE.
163
exposés en parlant de la vente , et auxquels nous nous
contentons de nous référer.
1114.
— Nous arrivons au prêt à intérêt, qui se
recommande si hautement à l’attention des magistrats
et des jurisconsultes par la facilité avec laquelle il de
vient un instrument de fraude. Notre ancienne législa
tion ne le tolérait qu’avec aliénation du capital et pros
crivait sévèrement tout profit autre que la rente au taux
légal et convenu.
Ces dispositions de la loi civile étaient conformes aux
prescriptions enseignées par la théologie. Armée de
quelques passages de l’Ecriture, l’Eglise s’était formel
lement prononcée contre le prêt à intérêt sans aliénation
du capital.
Notre intention n ’est pas de discuter la vérité de celte
prohibition , de rappeler les diverses phases du prêt à
intérêt, les attaques qu’il a subies , la défense dont il a
été l’objet ; on ne saurait, sur tous ces points, dire plus
et surtout dire mieux que ne l’a fait M. Troplong dans
sa préface du Commentaire sur le prêt. Nous renvoyons
donc ceux qui voudraient être complètement édifiés sur
les vicissitudes que le prêt à intérêt a traversées, au ta
bleau si complet, si lucide qu’en a tracé cet habile et éminent magistrat.
Quant à nous, il nous suffit de trouver ce contrat in
scrit dans notre Code pour que nous ayons à l’exami
ner sous le rapport de notre matière et à nous occuper
des fraudes dont il peut devenir l’occasion. La princi-
�164
T R A IT É
DU
DOL
pale de celles que le prêteur peut se permettre est, sans
contredit, l’usure.
1115.
— En droit romain, l’usure signifiait l’inté
rêt que l’argent pouvait produire ; en France, et à tou
tes les époques, l’usure n’a pas été prise dans cette ac
ception , elle a toujours désigné le gain illicite que des
prêteurs avides ont tenté de sé procurer, soit par la vio
lation expresse de la loi prohibitive, soit en stipulant des
intérêts au dessus du taux légal.
Il importe, en effet, de remarquer que toutes les lé
gislations, en admettant le prêt à intérêt, se sont réser
vé le droit d’en déterminer le taux. C’est spécialement
ce qu’a fait le Code civil. Ainsi , après avoir permis de
stipuler des intérêts pour simple prêt soit d'argent, soit
de denrées, le législateur ajoute immédiatement : L’in
térêt est légal ou conventionnel. L’intérêt légal est fixé
par la loi ; l’intérêt conventionnel peut excéder celui de
la loi toutes les fois que la loi ne le prohibe pas.1
Le législateur se réserve donc la faculté de restreindre
la volonté des parties et d’établir un maximum d ’inté
rêt au delà duquel la convention ne créera aucun lien
obligatoire. Ce droit du législateur semble au dessus de
toute contestation. Il est évident, en effet, que, puisqu’il
a le pouvoir de prohiber le prêt à intérêt, il a par cela
même, en le consacrant, le droit de lui imposer telles
limites qu’il croit indispensables à la sécurité de l’Etat
i A rt, 1 9 0 7 d u Code civil,
�ET
DE
LA
FRAUDE.
165
et à l’ordre public. Cependant ce droit a été méconnu
tant sous le rapport de son existence que sous celui de
la convenance de son exercice.
1116,
—• Les scolastiques, d’une part, l’ont con
testé en niant a ‘p riori la faculté de permettre un inté
rêt quelconque. Retirer un intérêt alors qu’on n ’aliène
pas le capital, c’est, à leurs yeux, contrevenir à l’esprit
de la religion et violer le principe de la gratuité du prêt:
Mutuum date , nihil inde sperantes. Celte objection a
été repoussée par une plus saine interprétation des pas
sages sur lesquels elle se fonde; on a prouvé qu’ils ren
ferment des principes de charité sublime, plutôt que des
préceptes de justice rigoureuse.'
Turgot ne s’est pas contenté de réfuter l’opinion des
canonistes, il va plus loin, et après avoir recherché l’o
rigine et les caractères du prêt à intérêt, il soutient que
ce prêt dérive du droit naturel bien supérieur à toutes
les législations ; qu’en conséquence la faculté d’exiger un
intérêt de son argent n ’étant que la conséquence du droit
de propriété , ne peut être refusée par le législateur ; il
lui conteste donc le pouvoir de la réglementer, la déter
mination du taux de l’intérêt devant être abandonnée
à ses éléments naturels , c’est-à-dire aux chances du
commerce lui-même.
D’autres publicistes éminents s’expriment plus énergi
quement encore. L’un d’eux ne voit dans l’usure même
i T u rg o t,
Mémoire sur les prêts d’argent,
§§ 23 e t su iv .
�166
T R A IT É
DU
DDL
que la liberté pour les individus de faire leur condi
tion comme ils le jugent convenable. Il se résume , en
conséquence , dans cette proposition : Que nul homme
parvenu à l’âge de raison , jouissant d'un esprit sain,
agissant librement et en connaissance de cause, ne doit
être empêché, même par des considérations tirées de
son avantage , de faire comme il l'entend tel marché
que ce soit dans le but de se procurer de l’argent, et
que, par conséquent, personne ne peut être empêché de
lui donner ce qu'il demande aux conditions qu’il veut
bien accepter.'
Pour Bentham , le grand critérium de la sagesse et
de la convenance des lois est leur utilité. Cette qualité
s’apprécie dans chaque disposition légale par la propor
tion des plaisirs et des peines en résultant , et par la
supériorité de ceux-ci sur celles-là’. Soumettant ensuite
à cette double recherche les lois répressives de l’usure,
il arrive à conclure qu’elles sont sans efficacité, sans avantages aucuns pour ceux-mèmes qu'elles ont pour but
de protéger ; qu’au contraire elles engendrent, au point
de vue commercial, des inconvénients nombreux et gra
ves ; qu’elles corrompent les m œ urs, puisqu’elles pro
voquent à la délation, à la trahison, à l’ingratitude, en
offrant à l’emprunteur une récompense pour l’encoura
ger à violer ses engagements et à déchirer la main secourable qui lui a été tendue ; que, dès lors, les incon-
1 Jérém ie B entham ,
2
Id.
Défense de l'usure, l e t t r e
Traité de législation.
p re m iè re .
�ET
DE
LA
FRAUDE.
167
vénients dépassant de beaucoup les avantages , ces lois
ne sont ni convenables , ni sages. L’opinion contraire,
ajoute-t-il, n ’est due qu’à des préjugés que le mot usu
re nourrit et entretient depuis longtemps.
1 1 1 7 '. — N’en déplaise à l’auteur , le concert de
malédictions et de plaintes que l’usure a, de tous temps,
soulevé, est un terrible argument contre sa thèse- L’o
pinion publique se trompe quelquefois, mais, quelle que
soit la durée de son erreur , elle n’est jamais éternelle.
La vérité finit par se faire jour et par triompher des té
nèbres en obscurcissant l’éclat. C’est ainsi qu’on a vu et
que nous voyons chaque jour des préjugés plus ou moins
enracinés s’affaiblir, s’effacer et disparaître. Il faut donc
induire , de ce que celui contre l’usure a traversé une
succession de siècles sans avoir rien perdu de sa force,
que, au fond, ce qui l’avait fait naître n’a rien que de
très-réel. Il ne faut donc pas s’étonner qu’il ait survé
cu. Est-ce que les plaies de l’usure ne sont pas aussi
hideuses, aussi saignantes qu’elles l’étaient dans les siè
cles précédents ?
Nous le reconnaissons sans peine, au point de vue où
se placent Turgot et Bentham, leur opinion ne manque
pas d’une certaine gravité, et nous comprenons ce der
nier s’écriant : Pourquoi m’empêcheriez-vous de deman
der le d ix , le vingt pour cent d’un argent q u i, par la
spéculation , va en procurer quarante ou cinquante à
mon emprunteur ? Il est évident que , dans les hautes
opérations de finance, de commerce ou d’industrie l’u -
�168
T R A IT É
DU
DOL
sure est moins redoutable que dans les affaires ordinai
res. Sa répression peut même conduire à l’anomalie si
gnalée, mais le remède conduirait, lui aussi, à de singu
liers résultats. Si on a pu, en effet, à l’origine de l’opé
ration, stipuler un intérêt de dix ou de vingt pour cent,
cet intérêt sera payable , alors même que la prévision
sur laquelle il a été calculé ne se réaliserait pas et que
l’emprunteur, loin de faire un bénéfice quelconque, ne
retirerait qu’une perte même considérable. Serait-ce là
de la justice ?
La liberté illimitée réclamée par Bentham n’est donc
pas dans le cas d’établir la proportion équitable entre le
prêteur et l’emprunteur. Le moyen de le faire , notre
droit l’a trouvé et admis. Nous avons vu, en traitant de
la société, que le bailleur de fonds pouvait, outre et in
dépendamment de l’intérêt légal, stipuler une part dé
terminée par les bénéfices; et ce moyen, admis par l’é
quité , est avoué par la plus stricte justice. En effet , le
prêteur ne sera pas réduit à n’avoir que le six pourcent
là où l’emprunteur en touchera vingt ou trente. D’au
tre part, la participation au bénéfice ne se réalisera que
lorsqu’il y aura un bénéfice , et ainsi l’emprunteur ne
paiera, en cas de perte, que l’intérêt légitimement acquis
au prêteur.
On le voit, l’anomalie signalé par Bentham s’évanouit
et tombe sans qu’il soit nécessaire de recourir à l’abro
gation des lois prohibitives de l’usure.
Au reste, l’inconvénient fût-il réel et irréparable, son
existence pourrait-elle prévaloir contre les conséquences
�.
ET
DE
LA
FRAUDE.
169
de l’usure , au point de vue dont le législateur devait
surtout se préoccuper ? En effet, à, côté de ceux que
Bentham appelle les gens à projet et dans l’intérêt des
quels il réclame la liberté illimitée de l’intérêt, existent
le modeste commerçant, les travailleurs, les petits pro
priétaires. Osera-t-on soutenir, par rapport à eux, l’in
nocuité de l’usure ? Mais une longue et triste expérience
est là pour démontrer que ses exactions ont pour résul
tat leur ruine tellement inévitable, qu’on pourrait pré
dire avec certitude le moment où elle se réalisera. En
présence d’un pareil état des choses faut-il justifier le
législateur et discuter les raisons qu’on oppose à l’exer
cice du droit de déterminer un maximum d’intérêt?
Nous ne pouvons d’abord admettre que celui qui s’a
bandonne en proie à l’usure agisse librement et en con
naissance de cause. Personne n’accepte volontairement
pour sa famille et pour lui la perspective presque assu
rée de la ruine et de la misère. Celui qui en court la
chance ne le fait donc que vaincu par une nécessité.in
vincible , que dominé par des besoins urgents , qu’en
traîné par une passion funeste. Le contraire fût-il vrai,
quel motif y aurait-il pour permettre à qui que ce soit
de profiter d’une volonté évidemment pervertie ? La loi
ne peut empêcher matériellement le suicide ; elle n’a pas
même cru pouvoir en consacrer la prohibition ; mais
elle n’hésite pas à punir celui à qui on aurait eu recours
pour l’accomplir et qui se serait prêté à sa consomma
tion. Pourqui donc n’aurait-elle pas fait pour le suicide
moral ce qu’elle fait pour le suicide physique ?
\
�170
T R A IT É
DU
DOL
Sans doute il n’appartenait pas au législateur d’im
poser, comme règles obligatoires, ces préceptes d’incommensurable charité qu’enseigne la loi divine ; mais ce
qu’il pouvait, ce qu’il devait faire, c’était de punir celui
q u i, voyant son prochain se jeter aveuglément au de
vant du précipice , au lieu de le retenir, l’y plonge de
sa propre main pour satisfaire une odieuse, une infâme
avidité.
La répression de l’usure est donc hautement approu
vée par la morale. Le droit que s’est réservé le législa
teur est donc parfaitement juste. Nous ajoutons qu’en
le répudiant, il eût méconnu formellement la mission
qu’il a à remplir.
Que l’usure touche à l’état politique des peuples, c’est
ce qui ne saurait être nié sans faillir à la vérité la plus
éclatante. L’influence qu’elle exerce sur le bien-être des
citoyens, sur le paiement des impôts, sur la tranquillité
publique , la rend une question éminemment sociale et
la recommande à l’attention spéciale de l’homme d’Etat.
N’est-ce pas l’usure qui f u t, à Rom e, la cause de ces
séditions qui menacèrent l’existence même de la Ré
publique naissante ? N’est-elle pas également indiquée
par tous les historiens comme un des fléaux qui préci
pitèrent la ruine du Bas-Empire et le livrèrent en proie
à l’invasion des Barbares ?
O u i, l’usure ne peut être considérée comme un mal
heur privé. Laissez-lui ses coudées franches, et vous la
verrez s’attacher bientôt à tout ce qui fait la prospérité
des Etats et en dessécher les sources. L’agriculture sera
�ET
DE
LA
FRAUDE.
171
désertée, car elle ne produira pas de quoi satisfaire aux
exigences d’un créancier avide ; accablé sous un joug
de fer, le cultivateur cessera bientôt d’exploiter son mo
deste héritage, lorsque les sueurs dont il l’inonde tour
neront au profit exclusif du prêteur, qui ne tardera pas,
d’ailleurs , à l’en chasser. Le commerce lui-même , au
nom duquel on réclame la liberté illimitée, ne pourra
bientôt plus suffire à ce ver rongeur, et ne pourra que
languir et s’éteindre , et l’on contesterait au législateur
le droit d’intervenir 1 Mais comment conçoit-on la mis
sion que l’économie politique lui impose et quelle idée
se fait-on de l’intérêt public?
Qu’on ne traite pas nos prévisions de craintes puéri
les , d’exagérations chimériques ; nous ne faisons mal
heureusement que de l’histoire , dont le langage a sou
vent toute l’autorité d’un chiffre. Sans remonter même
à des temps déjà éloignés , reportons-nous à ces temps
d’entraînements qui virent proclamer la liberté absolue
dans, la stipulation des intérêts , et vojci ce que nous
trouverons : « On vit porter les intérêts à un taux ex» cessif, vingt, trente, quarante, cinquante et même soi» xante pour cent. La France compta par milliers les
» ruines et les fortunes scandaleuses. L’usure, qu’aucun
» frein ne retenait plus , fit irruption dans la société,
» elle s’y implanta et y jeta des racines tellement pro» fondes, que la sévérité des lois et des magistrats n’est
» pas encore parvenue à les extirper entièrement. L’or» dre social eut tant à souffrir des ravages de l’usure,
» qu’on sentit le besoin de la proscrire de nouveau, et
�172
T R A IT É
DU
DOi
» c’est alors que fut rendue la loi du 3 septembre
» 1807.- »
Ainsi, dix-huit ans de liberté absolue , de 1789 à
1807, avaient non seulement rendu le mal présent dan
gereux et intolérable, mais encore grevé déplorablement
l’avenir. Où en serions-nous arrivés s i , aux réclama
tions incessantes des populations désolées , le législateur
eût répondu qu’il n’avait pas le droit d’intervenir ?
Ainsi Vutilité, d’une loi répressive, ce grand crité
rium qu’exige Bentham est parfaitement démontrée.
Vainement fait-on observer que cette loi n’a pas mis fin
à l’usure. Le législateur n’a pas pu être arrêté un ins
tant par la pensée qu’on éluderait sa volonté. Tout ce
qu’il devait faire d’ailleurs , c’était d’éditer une peine
dans cette prévision, et c’est un devoir auquel la loi de
1807 n’a pas failli. Sans doute le mal n ’est pas extir
pé, mais un premier effet est obtenu. L’usure ne se ma
nifeste plus le front haut et la démarche assurée, elle se
cache , elle s’enveloppe dans le mystère et l’ombre au
milieu desquels la sagacité de la justice sait et peut quel
quefois l’atteindre et la punir.
1118.
— La question d’utilité tranche celle de la
convenance. Cependant les raisons qui ont fait contes
ter cette dernière exigent un examen sérieux. Nous avouons même qu’en pareille matière une loi fixe , im
muable n’est pas dans la nature des choses; qu’elle est
�ET
DE
LA
FRAUDE.
173
dans le cas de substituer le mensonge à la vérité, et de
se placer en contradiction avec les intérêts qu’elle a pour
objet de garantir.
Qu’est-ce, en effet, que l’intérêt ? Les économistes ont
beaucoup écrit sur la matière, sans cependant prendre
à tâche de réduire la question dans les limites les plus
nettes , dans les termes les plus simples. M. Say voit
dans l’intérêt le profit du capital ainsi que celui du fonds
de terre , et il le définit : Le prix d’un service qui n ’est
pas un travail humain, mais qui est néanmoins un ser
vice productif, lequel concourt à la production des ri
chesses, de concert avec le travail humain.'
A travers ces expressions, qui ne pèchent pas par un
excès de clarté, M. Say a sans doute voulu dire que le
prêt n ’exige aucun travail de la part du prêteur, qui
acquiert, par la disposition qu’il fait temporairement de
son capital, le droit de participer au bénéfice que le tra
vail de l’emprunteur doit faire produire à ce capital. En
d’autres termes, le capital est une propriété dont la jou
issance, cédée à un tiers, est susceptible de produit en
faveur du propriétaire. Le prêt n ’est donc, en définiti
ve, qu’un louage dont l’intérêt est le prix. Telle est aus
si, nous l’avons dit, l’opinion de Turgot.
Cela posé, il semblerait en résulter que le taux de ce
loyer doit être abandonné à la libre disposition des par
ties , ou du moins n’obéir qu’aux fluctuations que fe-
i
Traité d'économie politique,
c h a p . 8, 1. 2 .
�174
T R A IT É
DU
DOL
ront surgir les causes de nature à exercer sur son cours
une influence nécessaire.
Or ces causes sont :
1° L’abondance ou la rareté de l’argent. Chacun con
vient , en effet, que c’est là un des éléments essentiels
pour la fixation de l’intérêt, dont la détermination se
règle sur la quantité des capitaux disponibles et prêtâ
mes ; qu’ainsi le taux est naturellement bas dans les
pays riches, élevé dans les pays pauvres.
Mais pour que l’abondance ou la rareté du numérai
re ait une influence réelle sur- le cours des intérêts, il
faut que l’une ou l’autre trouve sa cause dans un fait
purement commercial, à savoir : la diminution ou l’aug
mentation des besoins des travailleurs. Donc, l’accrois
sement des richesses, entre les mains de ceux-ci, devra
nécessairement être considéré comme le second terme
de la proposition. En effet, le loyer de l’argent , consi
déré comme instrument de travail, sera moindre, sui
vant que l’argent sera plus offert que demandé. Or ce
résultat ne sera pas toujours la conséquence uniquement
de l’abondance du numéraire entre les mains des capi
talistes, il sera surtout déterminé par la diminution des
besoins chez l’emprunteur. Supposez, en effet, que les
besoins soient les mêmes , l’abondance d’argent chez le
disposeur ne sera pas pour lui un motif d’en abaisser
le prix. Elle deviendra bien plutôt l’occasion de réaliser
de plus gros bénéfices , soit en travaillant sur une plus
grande échelle, soit en ne satisfaisant que les besoins de
la place, à l’effet de maintenir un taux favorable à ses
intérêts.
�ET
DE
U.
LA
-V
FRAUDE.
175
Ce qui donc influera réellement sur le prix de l’ar
gent, c’est la position et les besoins des travailleurs.Tant
que celle-ci sera précaire , tant que ceux-là seront u r
gents, ils seront forcés de subir le joug des disposeurs,
seuls en mesure de leur fournir l’instrument capable de
les faire vivre eux et leur famille.
Que si, au contraire, leur position s’est améliorée, si
le besoin de recourir à autrui se fait moins sentir, parce
que , dans une certaine mesure , ils ont acquis ce qui
leur est nécessaire , ils pourront à leur tour n’accepter
ce qui manque au développement de leur industrie qu’à
des conditions que celui qui le leur offre sera forcé d’ac
cepter, sous peine de garder son argent improductif, ce
à quoi les capitalistes se résignent difficilement.
Ainsi, c’est surtout dans les besoins des travailleurs
qu’il faut trouver les causes influençant le prix du loyer
de l’argent. On ne doit pas cependant en exclure l’abon
dance de celui-ci entre les mains des capitalistes. Quel
ques réduits, en effet, que fussent les besoins, si les ca
pitaux disponibles et prêtables étaient insuffisants pour
les couvrir, toute baisse dans l’intérêt serait impossible.
2° Le développement de la confiance générale , re
présentée dans l’industrie par le développement et l’or
ganisation du crédit. C’est encore à ce point de vue que
la position des travailleurs influera puissamment sur le
taux de l’intérêt. Commercialement parlant, ce taux ne
représente pas seulement la valeur réelle du prix de
l’argent, il doit de plus offrir une prime d’assurance
pour les risques que court le prêteur, soit en raison des
�176
TR A IT É
DU
DOL
circonstances générales politiques ou industrielles, soit à
raison des qualités et de la situation personnelle de l’em
prunteur. C’est ainsi que les crises politiques ou finan
cières exercent un contre-coup inévitable sur le prix de
l’argent ; c’est ainsi que, dans des circonstances égales,
les maisons de premier crédit obtiendront l'argent à de
bien meilleures conditions que les maisons d’un crédit
moindre.
L’accroissement des richesses entre les mains des tra
vailleurs, en affermissant leur crédit, fera évanouir d’au
tant les chances de perte , et amènera nécessairement
l’affaiblissement de la prime que ces chances font per
cevoir confondue dans l’intérêt.
En résumé, le taux de l’intérêt se calcule sur le plus
ou moins d’abondance de l’argent, coïncidant avec une
diminution ou avec une augmentation des besoins; sur
le développement du crédit devant rendre moins forte la
prime d’assurance contre les dangers que court ou que
croit courir le prêteur. Chacun de ces éléments est es
sentiellement variable, et c’est ce caractère incontestable
qui est invoqué contre la convenance d’une loi qui lui
substitue une règle fixe et invariable. En effet, une pa
reille règle ne peut que favoriser le capitaliste, au détri
ment de la classe des travailleurs. Car , de deux choses
l’une, ou la loi a été rendue dans un moment critique
ou dans une époque de prospérité commerciale.
Dans la première hypothèse, le taux de l’intérêt admis
par la loi se ressentira des circonstances au milieu des
quelles elle aura été promulguée, et sera nécessairement
�ET
DE
IA
FRAUDE.
177
dans de hautes proportions. Mais la crise cessant pour
faire place à un état prospère , le taux de l’intérêt ne
sera plus en rapport avec la vérité des choses , et il ne
cessera cependant pas d’être exigé ou adjugé par les tri
bunaux.
Dans la seconde hypothèse, le taux légal sera néces
sairement bas , et une crise survenant lui fera perdre
toute proportion avec le prix réel de l’argent. Mais qu’ar
rivera-t-il ? Ce que voici : les disposeurs ne se conten
teront pas de cet intérêt, et ils exigeront des avantages
occultes qu’on ne pourra leur refuser sans renoncer à
leurs fonds , au moment précisément où le besoin s’en
fera le plus vivement sentir.
C’est donc, dans tous les cas, les travailleurs qui se
ront lésés par l’effet d’une loi régulatrice. Cet inconvé
nient ne se produirait pas avec la liberté des transac
tions. Si cette liberté, en effet, permettait, dans la secon
de hypothèse, aux capitalistes d’exiger plus, elle laisse
rait , dans la première , aux travailleurs la faculté de
donner moins. On ne pourrait plus leur dire : Je ne
vous demande que ce que la loi m’accorde.
Ces considérations incontestables accusent un mal réel
et le remède indiqué serait décisif, si le législateur n’a
vait dû prendre en considération que ce qui intéresse le
commerce dans l’acception légale et probe qu’il com
porte. Oui, nous croyons que dans l’exercice honorable
de cette honorable profession, la liberté serait plus favo
rable à l’équité et surtout plus conforme à la réalité des
choses. Mais il est dans le commerce de très-fâcheuses
ui
12
�178
TR A IT É
DU
DOL
exceptions, et bientôt, sous l’apparence d’une industrie
qu’on exploiterait comme pour se couvrir d’un masque,
l’usure s’ouvrirait une large voie et porterait ses ravages
dans tous les rangs de la société.
D’ailleurs, à côté du commerce assez bien placé pour
discuter les prétentions des usuriers et pour se passer
d’eux au besoin, existe, ainsi que nous l’avons déjà dit,
le commerce en petit, la classe des laboureurs, la petite
propriété. Pour ceux-ci, il n ’y a jamais des motifs pour
la fluctuation des intérêts , car l’argent qu’on leur prête
a pour garantie un modeste patrimoine que l’usure a
bientôt englouti. Qu’importe à un riche négociant, à qui
l’argent emprunté produit le vingt ou le trente, de payer
dix à douze pour cent. L’opération est assez fructueuse
pour qu’il consente à s’en contenter. M ais, comment
voulez-vous appliquer une règle uniforme à ce négociant
et à celui à qui un travail de tous les jours suffit à pei
ne pour subvenir à ses besoins personnels et à ceux de
sa famille ; à celui qui n’a d’autre ressource que le re
venu chétif d’un modeste patrimoine dont l’entretien a
été souvent l’unique cause de l’emprunt.
Or ceux-ci, remarquez-le bien, sont les plus nom
breux. C’était donc justice , dans l’examen de la ques
tion de convenance, de se décider pour le parti qui de
vait surtout leur profiter , et c’est ce qu’avec raison a
fait le législateur.
Maintenant, qu’on compare l’état de la France avant
la loi de 1807 , avec ce qui s’est réalisé depuis. Sans
doute le mal n’est pas extirpé, mais, en définitive, il a
�ET
DE
LA
FRAUDE.
179
cessé de progresser, il a même incontestablement dimi
nué , sans qu’il en ait trop coûté au commerce. Quelle
preuve plus décisive de la convenance parfaite de la loi.
Ainsi, à l’utilité, la législation réunit la convenance.
Elle mérite donc l’approbation de tous. Aussi, lorsqu’en
1836 la Chambre des députés fut saisie de la proposi
tion de l’abroger pour en revenir à la liberté des trans
actions, n’hésita-t-elle pas à repousser cette proposition
que personne n’a renouvelée depuis.
Vraie et exacte en 1851, cette observation a cessé de
l’être en 1865. En effet et depuis quelque temps on re
demande l’abrogation de la loi de 1807, comme l’abo
lition de la contrainte par corps.
Un projet de loi consacrant celle-ci a même été pré
senté au Corps législatif qui n’a pu le discuter dans sa
session de 1865. Quant à l’abrogation de la loi de 1807,
une enquête a été faite sur son opportunité, et il paraît
que le résultat n ’a pas permis de la consacrer en l’état.
Quant à nous, nous le répétons, celte abrogation en
ce qui concerne les opérations commerciales peut pa
raître une nécessité , mais pour les propriétaires , pour
les agriculteurs on fera bien d’y regarder à deux fois, si
ou ne veut pas voir renaître les déplorables abus qui
nécessitaient la promulgation de la loi de 1807.
1119.
— Ce n ’est pas au reste que nous considé
rions cette loi comme le dernier mot sur la matière
qu’elle régit. Elle a pu rendre service au moment de sa
promulgation et à d’autres époques critiques qu’elle a
�.....
4 8 0
T R A IT É
DU
DOL
eu à traverser dans ses quarante années d’existence,mais
elle porte avec elle le cachet de son origine.
En 4807, la France était heureusement sortie des cataclismes effrayants qu’elle venait de traverser, mais les
affaires étaient encore bien loin de la prospérité qu’el
les ont acquis depuis.
Aussi, des hommes de bonne foi, des financiers émi
nents , n’hésitent pas à considérer le taux de l’intérêt
comme actuellement trop élevé. L’un d’eux, devant qui
on parlait de l’intérêt légal, s’écriait, dites donc l’usu
re légale.'
1 1 20.
— Quelle proportion y a-t-il, en effet, entre
le revenu de l’argent à cinq pour cent et le revenu de
la propriété foncière ? Cependant leur corrélation intime
intéresse , à un très-haut degré , l’agriculture, dont la
désertion est aujourd’hui le sujet de tant de réclamations,
de regrets et de plaintes. Comment veut-on que les fonds
se dirigent vers elle tant que l’argent pourra rendre ail
leurs le cinq ou le six pour cent ? Qui voudra abandon
ner ce produit assuré , n’exigeant aucun travail , pour
chercher , après bien de dépenses, de peines et de fati
gues, un revenu de deux, deux et demi, trois pour cent
tout au plus.
Ajoutons que l’un des éléments que nous avons vu
concourir à la détermination du taux des intérêts, ne se
rencontre pas dans les prêts civils. En général, ces prêts
i M. M .G oudchaux, m in istre des fm anees sous la R é p u b liq u e de 1 8 4 8 ,
�ET
DE
LA
FRAUDE.
181
se font sous toute garantie. Il n ’y a donc pas lieu d’ac
corder une prime d’assurance contre un danger qui
n’existe que dans des proportions indéfinissables. Le
cinq pour cent représente donc uniquement la valeur de
l’argent, e t , comme te l, il est exagéré. Comment est-il
possible que le propriétaire puisse , avec un revenu de
trois pour cent, payer cet intérêt, auquel viennent s’a
jouter les frais d’enregistrement, ceux de timbre , ceux
d’hypothèque , les honoraires du notaire , du courtier,
etc., etc........
1 1 21.
— L’exagération que nous reprochons au
cinq pour cent en matière civile , nous la retrouvons
dans le six pour cent en matière commerciale. La preu
ve de cette dernière nous est fournie par les faits se ré
alisant journellement au vu de tous. Le banquier qui
ferait le six pour cent à ses disposeurs passerait pour un
homme ruiné. Aussi ce qu’il paye c’est : en temps de
crise, le cinq pour cent ; en temps ordinaire, le trois et
demi ou le quatre ; en temps de prospérité , à peine le
trois. Cependant, à quelque époque qu’il prête lui-mê
me, il exige le six.
On tenterait en vain d’expliquer cette différence par
des raisons tirées de la position particulière des ban
quiers. Nous convenons que l’argent qu’ils reçoivent
peut demeurer improductif dans leur caisse pendant' un
temps plus ou moins long ; qu’ils orif à payer des frais
considérables, des corilmüs, des ports de lettre; une pa
tente, etc.. . . Nous avouons que pour tout cela il leur
�182
T R A IT É
DU
DOL
est dû une légitime indemnité. Mais, celte indemnité, ils
la reçoivent par la faculté qu’ils ont d’exiger un droit
de commission, d’escompte ou de change, de capitaliser
trimestriellement les intérêts. Ils ne peuvent donc, sans
vouloir se la faire payer deux fois, l’obtenir en outre sur
la différence de l’intérêt.
Certes nul ne peut être incriminé de ce qu’il a le
moyen de prendre au trois ou au quatre, ce qu’il don
ne au six. Tout ce que nous voulons induire de notre
observation , c’est que la valeur réelle de l’argent n’est
pas le six pourcent. Pour avoir celle-ci, il faudrait s’ar
rêter à ce que payent les maisons de premier crédit. Si
elles donnent le trois ou le quatre pour cent, c’est que
l’argent vaut à peine ce taux. Remarquons, en effet, que
la prime d’assurance comprise dans le six pour cent, les
maisons de premier crédit la supportent également,quoi
que sur des proportions moindres.
1122.
— Un autre reproche à faire à la loi de
1807, nous est inspiré par l’exécution qui lui a été don
née, à savoir : d’autoriser la perception de l’intérêt com
mercial entre personnes non commerçantes et pour une
opération qui n’a au fond rien de commercial. Il suffit,
en effet, qu’un propriétaire, qu’un cultivateur souscrive
une lettre de change, pour qu’il doive payer le six pour
cent.
Ce résultat est surtout remarquable en ce sens que le
prêteur , s’il portait son argent chez le banquier, rece
vrait le quatre pour cent. Mais, prêtant à un cultivateur,
�ET DE LAFRAUDE.
183
il reçoit le six. Ainsi, s’il consentait à un prêt réelle
ment commercial, il ne retirerait pas même l’intérêt ci
vil; il fait un prêt civil, il perçoit l’intérêt commercial.
Singulière et étrange anomalie !
Ce qu’on objecte pour la justifier , c’est que la sous
cription d’une lettre de change est un acte commercial.
Mais cette objection a le tort de s’arrêter à la surface et
de sacrifier le fond à la forme , la réalité à la fiction.
Ce qui fait que la loi donne à l’intérêt commercial un
taux plus élevé qu’à l’intérêt civil, c’est qu’elle suppose
que la somme empruntée est immédiatement versée dans
le tourbillon des affaires'. A cette présomption se ratta
chent deux idées qui justifient l’élévation de l’intérêt :
10 une idée d’un bénéfice considérable pour l’emprun
teur ; 2° une idée d’un danger pour le prêteur dans la
chance de perte que court le capital ainsi exposé.
Rien de pareil ne se réalise dans l’emprunt contracté
par un propriétaire ou par un cultivateur. L’un et l’au
tre ne sont réduits à le faire que par des besoins qui
n’ont rien de commercial, et c’est à satisfaire exclusive
ment à ces besoins que seront affectées les sommes em
pruntées. Les condamner à en supporter l’intérêt au
taux commercial, c’est aggraver leur position sans né
cessité, c’est leur imposer une charge sans qu’ils aient
été jamais dans le cas de jouir de la chance favorable
dans laquelle le commerçant peut trouver une compen
sation à l’obligation qu’il assume.
1 A rt. 638 d u Code de c o m m erce,
�184
T R A IT É
DU
DOL
On fait donc produire à la forme de l’acte un résul
tat que la loi semble avoir attaché à la qualité de la
partie, cela est d’autant plus injuste, qu’en signant une
lettre de change, le débiteur n’aura fait que céder à des
exigences qu’il n’était pas maître de repousser. Le cré
ancier imposera cette forme d’abord pour avoir six au
lieu de cinq , ensuite pour obtenir la faculté d’agir par
voie de contrainte par corps , ce qui est une garantie
d’autant plus énergique que sa mise à exécution entraî
ne l’aliénation du bien dotal lui-même. On conçoit dès
lorsque le créancier tienne à ce mode d’obligation,qu’il
en fasse la condition du prêt , et qu’il se procure ainsi
un surcroît d’intérêt avec un surcroît de garantie.
L’intérêt commercial est donc injuste, lorsqu’en réa
lité l’argent prêté ne doit point devenir le sujet d’opé
rations de commerce, c’est-à-dire lorsqu’il est impossi
ble de rencontrer d’une part le danger de perte, de l’au
tre la chance d’un bénéfice considérable, éléments que
la loi a pris en considération dans la détermination du
taux de l’intérêt. Leur absence laisse donc l’intérêt com
mercial sans aucun motif plausible et devrait en consé
quence en entraîner le refus.
I l 25.
— Nous en dirons autant du cas où le prêt
fait à un commerçant est entouré de garanties telles qu’on
se met à couvert des chances de pertes, en regard des
quelles l’intérêt a été porté à un taux plus élevé. C’est
ce qui se réalise dans le prêt fait sur nantissement , et
dans celui qui ne se consomme que sur un crédit hypo-
�ET
DE
LA
FRAUDE.
185
thécaire. Il n’y a pas, dans l’un et dans l’autre cas, ces
chances aléatoires que l’idée du commerce entraîne,quelle
que soit la condition future de l’emprunteur. Qu’elle se
termine par une faillite , le prêteur rentrera dans ses
fonds, il percevra même l’intérêt au six pour c e n t, il a
donc un avantage sans avoir couru les dangers que la
loi considère comme une juste compensation.
1 1 2 4 . — En résumé, nous avons prouvé que le lé
gislateur a le droit d’intervenir dans la détermination
du taux des intérêts ; que l’exercice de ce droit, sans dé
raciner le mal, l’atténue en réalité et en ralentit les pro
grès ; qu’à ce double point de vue, cet exercice est utile
et conséquemment convenable ; enfin que la loi de 1807
n’est plus aujourd’hui dans des justes rapports avec la
vérité des choses , et que l’intérêt qu’elle consacre est
trop élevé ; que, dans l’exécution qu’elle reçoit, on ar
rive à des anomalies qu’il importerait de faire disparaî
tre. Puisse la juste réforme que nous signalons frapper
enfin l’attention du législateur et lui suggérer des dispo
sitions dont l’urgence ne saurait, à notre avis, être mé
connue !
Mais, en attendant , la tâche du jurisconsulte étant
d’accepter les lois telles qu’elles existent , nous allons
nous livrer à la recherche de l’usure dans les nombreux
et divers déguisements dont elle a soin de s’envelopper.
1 1 25. — L’usure consistant à s’attribuer un béné
fice excédant le’revenu légal de l’argent , il est évident
qu’elle ne saurait exister que dans le prêt. Mais cette
�186
T R A IT É
DU
DOL
condition essentielle n’aboutit fatalement qu’à ce résul
tat, à savoir : que les usuriers s’efforceront de déguiser
leur opération sous l’apparence d’un autre contrat. Com
ment, en effet, se promettre un succès quelconque s’ils
contractaient un prêt pur et simple ? La quotité de l’in
térêt, rapprochée du capital, trancherait immédiatement
la question de la légalité du premier et amènerait sûre
ment la répression de l’usure. Les dangers de cette fran
chise en font concevoir l’impossibilité. L’usure veut ré
ussir, et, pour cela, il lui faut tout d’abord faire illusion
sur l’acte même qui la cache.
1 1 2 6 . — Les questions d’usure seront donc des
questions d’interprétation de l’intention des parties , il
faudra presque toujours délaisser le texte de la conven
tion pour en rechercher l’esprit. Quels seront les élé
ments de cette recherche ? C’est ce que nous allons ap
précier suivant la nature apparente du contrat ; ce que
nous devons dire tout d’abord, c’est que l’usure, avec une adresse infernale, sait se glisser partout, elle a même
osé s’en prendre au contrat de mariage , c’est ce que
nous apprend une espèce jugée, le 12 mars 1832, par
la Cour de Riom.
1 1 2 7 . — En 1806 , contrat de mariage du sieur
Cheminât avec la demoiselle Mosnier. On constitue à la
future une dot de 5,000 fr. payables dans un an avec
intérêt au cinq pour cent jusqu’à cette époque , et avec
intérêt au dix pour cent passé cette époque, la dot étant
alors considérée comme un prêt d’argent.
�ET
DE
LA
FRAUDE.
187
En 1827, commandement du sieur Cheminât au sieur
Mosnier pour avoir à payer, outre les 5,000 fr.,
9,250 fr. pour les intérêts courus jusqu’alors, à raison
de dix pour cent. Opposition fondée sur ce que les in
térêts courus depuis la loi de 1807 ne sont dus qu’à
raison de cinq pour cent. Jugement qui le décide ainsi.
Mais, sur l’appel, ce jugement est réformé, et les in
térêts adjugés au taux du contrat de mariage.'
1128.
— M. Dalloz , dans le sommaire dont il fait
précéder l’arrêt, le résume dans cette proposition : On
peut, sans qu’il y ait usure, stipuler dans un contrat de
mariage des intérêts au dessus du taux légal. Dans la
note dont il l’accompagne, il lui reproche d’être, tout à
la fois, contraire à la loi, à la lettre du contrat et à l’es
prit des conventions matrimoniales.
Nous serions complètement de cet avis, si nous pou
vions admettre que la Cour de Riom a réellement dé
cidé en principe que la loi de 1807 doit rester sans ap
plication aux conventions matrimoniales.
Il est vrai que son premier motif paraît tendre à ce
but, mais il est impossible d’isoler ce motif de l’espèce
sur laquelle il est intervenu , et qui en explique nette
ment la portée.
Le contrat de mariage , soumis à l’examen des .ma
gistrats, portail la date de 1806. Or, à cette époque, on
�188
T R A IT É
DU
DOL
pouvait, dans un contrat de mariage, stipuler des inté
rêts au dessus du taux légal , par l’excellente raison
qu’on le pouvait dans tout autre acte. D’une part , en
effet, la loi de 1807 n’avait pas encore été promulguée;
de l’autre, l’art. 1907 du Code civil permettait à l’inté
rêt conventionnel de dépasser l’intérêt légal toutes les
fois que la loi ne le défendait pas , et aucune défense
n’avaii été faite avant la loi de 1807. Conséquemment
l’appréciation de la Cour, au point de vue de la législa
tion régissant le contrat , était parfaitement juridique,
une solution contraire à celle par elle adoptée eût été in
failliblement censurée par la Cour de cassation.
Donc cette décision devait non seulement valider la
stipulation , mais encore en ordonner l’exécution non
obstant la loi de 1807. Indépendamment du principe
de la non rétroactivité des lois , le législateur de 1807
déclare expressément : Qu'il ri est rien innové aux sti
pulations d'intérêts par contrats ou autres actes faits
jusqu'au jo u r de la publication de la présente loi.
Aussi a-t-il été admis en jurisprudence que , quel que
fût le taux de l’intérêt, la convention des parties anté
rieure au 3 septembre 1807, devait recevoir son entier
effet, après comme avant la loi de cette époque.
La seule modification admise consiste à restreindre la
validité de la clause aux intérêts réglés par le contrat.
A défaut de stipulation, ou si les intérêts n ’ont été con
venus que jusqu’à l’échéance, les intérêts courus depuis,
sous l’empire de la loi de 1807, ne peuvent être exigés
�ET
DE
LA
189
FRAUDE.
qu’au taux déterminé par celle-ci ' . O r il est à remar
quer que, dans l’espèce jugée par la Cour de Riom, les
intérêts avaient été stipulés jusqu’à paiement effectif,
l’époque de ce paiement étant laissée à la volonté exclu
sive du débiteur, sous ce rapport encore sa décision était irréprochable.
1129.
— Pourrait-on décider de même dans une
espèce postérieure à la loi de 1807 ? Non évidemment.
La liberté des stipulations matrimoniales est l’objet d’un
profond respect de la part du législateur , mais elle a
des bornes , et ces bornes sont naturellement marquées
par les convenances de l’intérêt public et des bonnes
mœurs. A cet égard , l’art. 1387 du Code civil s’en ex
plique de la manière la plus expresse.
Or stipuler un intérêt supérieur au taux légal , c’est
violer une loi formelle, c’est préparer les éléments d’un
délit puni correctionnellement, c’est, en un mot, offen
ser la morale et l’ordre publics. Une pareille stipula
tion se trouverait donc dépourvue de tout lien légal et
ne saurait conséquemment produire aucun effet.
Le caractère d’illégalité ne saurait être purgé que si
la loi de 1807 eût formellement excepté le contrat de
mariage de l’application de ses dispositions. Or , non
seulement cette exception ne s’y rencontre pas, mais elle
1 P o itie rs , 8 fé v rie r 1 8 2 5 ;
1837; —
1829.
J. du P.,
—
C ass., 1 3 j u i l l e t
to m . î , 1 837 , pag . 3 0 7 ;
—
1829
et
16 ja n v ie r
B ordeaux,
13
août
�190
TRAITÉ DU DOL
est encore repoussée par la généralité de ses termes. De
p lu s, une pareille exception eût été quelque chose de
monstrueux aux yeux de la morale. Conçoit-on quelque
chose de plus odieux que l’autorisation donnée à un
fils d’usurer son père et de le conduire ainsi à une rui
ne complète ? Remarquons en effet que, la barrière le
vée , il n’y a pas de raison pour qu’on ne stipule pas
le vingt, le trente, le cinquante pour cent. En effet, les
mêmes motifs, justifiant le chiffre le moins élevé, justi
fieraient le taux , quel qu’il f û t , et le cinquante pour
c en t, là où l’on admettrait comme tel le sept ou le dix
pour cent, deviendrait très-licite.
Eh l tout cela de père à fils l Tandis qu’on ne saurait
exiger d’un étranger une obole de plus que le taux lé
gal, on puiserait dans les liens sacrés de la nature et du
sang la faculté de dévorer la substance de sa propre fa
mille et de ruiner son avenir î Non, une pareille mon
struosité ne pouvait être consacrée , elle ne se discute
même pas.
Tenons donc pour certain que la prohibition de la
loi de 1807 concerne le contrat de mariage comme tous
les autres contrats. La stipulation d’un intérêt supérieur
au taux légal qu’il renfermerait resterait non seulement
sans efficacité pour l’avenir, mais encore pour le passé
et pour le présent. Ce q u i, dans les paiements opérés,
dépasserait le taux légal serait sujet à répétition ou à
imputation.
1150. — Une difficulté beaucoup plus sérieuse est
�ET DE LA FRAUDE.
191
née à l’occasion des droits que l’usage autorise les ban
quiers à prélever dans les négociations constituant leur
industrie. Ces droits sont :
1° La commission ; 2° l’escompte; 3° le change.
1131. — La commission est le salaire dû au ban
quier pour prix de ses peines et soins, pour l’indemnité
de l’obligation dans laquelle il est d’avoir toujours en
caisse des sommes suffisantes pour pourvoir aux besoins
même imprévus du commerce. Le banquier n ’est pas
seulement un capitaliste disposant de ses fonds , il doit
se procurer ailleurs ce qui est nécessaire pour l’exploi
tation de son industrie. Il a dans cet objet un comp
toir dont il doit payer le loyer , des commis qu’il sala
rie , une patente à supporter , des frais de correspon
dance et autres à satisfaire. Tout cela, dit M. Troplong,
explique la légalité du salaire qu’il exige en sus de l’in
térêt légal.'
1 1 5 2 . — L’escompte est la somme prélevée par le
banquier lorsqu’il fournit de l’argent comptant contre
une créance à terme. Ce prélèvement se règle propor
tionnellement à la perte que le papier éprouve et au dé
lai à courir jusqu’à l’échéance du titre négocié.
1133. — Enfin le change est l’indemnité exigée
pour l’achat au comptant d’une créance à recouvrer sur
�492
TRAITÉ DU DOL
une autre place : Emptio venditio pecuniœ absentis,
pecunia pressenti'. Le taux de cette indemnité se cal
cule ordinairement sur la position de la place où la né
gociation s’opère , relativement à celle où le paiement
doit être effectué.
H 34. — Les plus simples notions de l’équité , les
nécessités réelles du commerce semblent placer la léga
lité de ces droits au dessus de tout reproche. Il est évi
dent en effet que celui qui se livre au commerce de la
banque, qui en brave les périls, qui en supporte les dé
penses , doit rencontrer dans son exploitation non seu
lement l’intérêt intégral de son arg en t, mais encore le
remboursement de ses frais , mais enfin le revenu des
peines et soins qu’il prend personnellement, et in summa , dit l’auteur italien que nous venons de citer , non
convenit ut mercator, qui dat pecuniam prœsentem pro
pecunia absenti, ponat operarn et sudorem ad aliorum
utilitatem .
Cependant des auteurs graves, tout en admettant leur
existence, en ont contesté la légitimité, en tant que leur
taux dépasserait celui de l’intérêt légal. La commission,
l’escompte, le change, ont-ils dit, ne sont qu’un intérêt
conventionnel, ils ne peuvent donc, dans aucun cas, at
teindre à des proportions autres que celles fixées par la
loi de 4807 ; en tolérer d’autres, c’est autoriser l’usure.1
1 Scaccia, § 1, Quest. 4, n° 21.
2 Chardon , ton. m , n° 489; — Duvergier, n° 293 ; — Fremery,
Etudes sur le droit comm., pag. 80
�ET DE LA FRAUDE.
193
H 3 5 . — Il ne faut pas que la haine de l’usure
fasse méconnaître ce que la justice exige. Or la défini
tion que nous venons de donner des droits alternative
ment perçus par les banquiers, en justifiant leur légiti
mité , repousse également l’objection faisant le fonde
ment du reproche que nous combattons. Non, la com
mission , l’escompte et le change ne peuvent être assi
milés à l’intérêt. Celui-ci , nous venons de le dire , est
le loyer de l’argent. Il est dû par cela seul qu’il y a
p rêt, quels que soient le caractère et la profession de
celui qui le consent. C’est ainsi que le simple capita
liste, prêtant sous la forme commerciale, retirera le taux
de l’intérêt commercial, c’est-à-dire le six pour cent.
Mais , nous venons de le dire , le banquier n’est pas
seulement un capitaliste, il exerce en outre le commer
ce dans toute l’acception de ce mot. Son industrie est
d’acheter et de vendre de l’argent ou des valeurs. Cette
industrie consomme d’abord tous ses moments, lui im
pose des frais considérables, une correspondance fort étendue, l’expose à de nombreux sinistres.
En fait, encore, l’exercice de cette industrie est d’une
utilité incontestable pour le commerce. C’est chez lui
que toutes les branches d’industrie trouvent les ressour
ces nécessaires, dans tous les temps, à toutes les épo
ques, alors même que les capitalistes, effrayés par les
crises commerciales ou politiques, s’empressent de reti
rer et de resserrer leurs fonds.
Il faut donc, pour cet auxiliaire aussi puissant qu’in
dispensable, l’éventualité d’un bénéfice de nature à l’enm
<3
�194
TRAITÉ DU DOL
courager dans l’exercice de sa délicate profession. Serace dans l’intérêt général qu’il la rencontrera ? Mais, cet
intérêt, il le percevra par le simple placement de ses
fonds, pour lesquels il pourra de plus exiger des garan
ties que la rapidité des opérations commerciales ne lui
permet pas de demander, et, si on veut le réduire à cet
intérêt seul, il se hâtera de prendre la place qu’on lui
fait réellement.
Car, chose remarquable dans l’opinion que nous com
battons , c’est qu’en mettant le banquier sur la même
ligne que le capitaliste, on lui fait une position pire que
celle du simple prêteur. Celui-ci, en effet, profitera in
tégralement du six pour cent qu’il est autorisé à exiger.
Le banquier , au contraire , sera obligé d’en distraire,
d’abord l’indemnité de ses frais de loyer, de bureau, de
patente , de correspondance , le salaire de ses commis.
En réalité donc, il ne profitera pas de ce six pour cent
auquel on veut, dans tous les cas, le réduire.
Que résultera-t-il de cet état d’infériorité marquée ?
C’est que le commerce de la banque sera déserté ; que
celui qui pourrait s’y livrer préférera demeurer simple
capitaliste et s’exonérera ainsi des tracas et du danger
des affaires, de la nécessité d’y consacrer son industrie
dont le produit augmentera l’intérêt intégral qu’il reti
rera de son argent ; des chances nombreuses que pré
sente le chapitre des faillites.
Cette désertion porterait un coup funeste au commer
ce et à l’industrie, et c’est pour la prévenir, autant que
pour obéir à une idée de justice, que de tous les temps
�ET DE LA FRAUDE.
195
on a autorisé le banquier à percevoir une légitime in
demnité au-delà de l’intérêt légal. Ainsi, sous notre an
cienne législation, alors que le prêt à intérêt n’était per
mis qu’avec l’aliénation du capital, on ne contestait en
aucune manière la commission qu’exigeaient les ban
quiers. Depuis le Code, ce droit n’a cessé d’être procla
mé par la jurisprudence.
Ce qui est vrai pour la commission , ne saurait ne
pas l’être pour l’escompte et pour le change. On ne sau
rait voir dans le premier un intérêt conventionnel, car,
pour qu’il y ait intérêt, il faut qu’il existe un prêt. Or
l’escompte, ainsi que l’enseigne la doctrine, est plutôt un
achat qu’un prêt.
Dans le prêt ordinaire , en effet, le prêteur n ’a pas
pour objet de se procurer un titre qu’il revendra luimême quelques jours après. S’il donne son argent, c’est
pour en retirer l’intérêt, c’est pour attendre l’époque de
l’exigibilité qui le fera rentrer dans la possession de son
capital. Le banquier, au contraire, n’escompte le titre
que pour le revendre , et il court la chance soit de ne
pouvoir le faire, soit d’être obligé de le faire d'une ma
nière onéreuse.
•
De plus, et dans la première hypothèse, qui sait si, à
l’époque du paiem ent, le capital qu’il recevra vaudra
pour lui le capital qu’il donne au moment de l’opéra
tion ? Il peut se faire, en effet, qu’au moment du rem
boursement, les affaires éprouvent de la stagnation ; qu’il
y ait peu d’escompte à faire et qu’il soit conséquem
ment obligé de garder oisifs dans sa caisse des fonds
�196
TRAITÉ DU DOL
qu’il aurait, huit jours plus tôt, placés à des conditions
avantageuses. Ce sont là des chances qu’un banquier
prudent ne doit pas négliger et dont il est juste de lui
tenir compte.
1156. — On ne peut donc voir dans l’escompte un
intérêt conventionnel. Il n’est en réalité qu’un achat de
titres , achat soumis à de telles chances aléatoires qu’il
suffirait de ce caractère pour l’affranchir de l’applica
tion de la loi de 1807. Ces chances consistent dans l’é
poque de l’échéance encore plus ou moins éloignée, dans
la difficulté de la revente , dans les dangers que court
l’acheteur ; dans l’incertitude de l’état des affaires au
jour du paiement. Ainsi, observe M. Troplong, l’éché
ance qui précède une foire est plus avantageuse que
celle qui arrive après que la foire est fermée. Gardonsnous donc de méconnaître toutes les circonstances aléa
toires d’où naît une chance appréciable , distincte de
l’intérêt et susceptible de vente. '
1157. — Le change , à son tour , n’est à propre
ment parler qu’uni escompte, à. cette différence : que le
titçe faisant l’objet de celui-ci peut être payable sur
place , tandis que le change ne peut exister qu’en tant
que la valeur négociée est payable dans un autre lieu
que celui où s’opère la négocation. Dès lors, les motifs
qui justifient l’escompte justifient le change dans lequel
non plus on ne saurait voir un intérêt conventionnel.
i Du prêt, n» 37b,
�ET
DE
LA
FRAUDE.
197
Une raison spéciale au change, c’est que le paiement
devant nécessairement s’opérer dans un lieu plus ou
moins éloigné du domicile du banquier , celui-ci doit
être autorisé à percevoir une indemnité suffisante pour
les peines et soins , pour les dépenses qu’occasionnera
l’obligation d’aller chercher ce paiement sur une autre
place , et le danger que présente le voyage que l’argent
doit faire du lieu du paiement au domicile du banquier,
quia emens monetam absentem, debet majora onera et
pericula subire, in eam conducendo.'
Un autre élément essentiel du change est la cherté du
papier , résultant des opérations commerciales et de la
position respective de la place où s’opère la négociation
et de celle où doit s’effectuer le paiement. Supposez que
des négociants de Lyon aient à payer de fortes sommes
à Paris ou à Marseille* le papier sur ces dernières pla
ces sera fort recherché, car les débiteurs préféreront en
voyer des valeurs plutôt que d’expédier des espèces, ce
qui coûte beaucoup plus et offre plus de dangers. Dans
le cas contraire, si les Lyonnais ont à recevoir de Mar
seille ou de Paris, le papier sur ces deux places sera né
cessairement délaissée. Dans le premier cas , le change
sera moins élevé que dans le second, car le défaut d’em
ploi rendra celui-ci onéreux pour celui à qui on offrira
de négocier. Dans l’un et dans l’autre cas, il est évident
que l’opération n’affecte en rien les formes d’un intérêt
conventionnel.
l Scaccia. Quest., tom. 1, ri» 424.
�498
TRAITÉ DU DOL
Il est vrai que dans l’escompte comme dans le chan
ge , le cédant reste ordinairement garant du paiement
par l’endossement qu’il souscrit en faveur du cession
naire. C’est le cumul de celte garantie et de celle des di
vers signataires qu’on met en avant pour refuser toute
indemnité au-delà de l’intérêt légal. A cette objection
de M. Fremery, M.Troplong répond : que ces garanties
accumulées ne sauraient prévaloir sur les raisons déci
sives qui militent en faveur de l’indemnité. Les garan
ties peuvent échapper , et l’on voit tous les jours les
meilleures signatures devenir mauvaises. Ces fréquentes
non-valeurs , auxquelles est exposé le commerce de la
banque, ne sont-elles pas une preuve qu’un doute rai
sonnable peut peser sur la chose jusqu’au paiement, et
que, dès lors, le banquier a droit d’en être indemnisé?
Ajoutez que le banquier doit faire les diligences pour le
recouvrement ; qu’il est responsable d’une complaisan
ce, d’un retard, d’une omission.1
1138.
— Ainsi se trouve légalement justifiée, dans
son origine , la perception des droits de commission,
d’escompte et de change. Mais, il faut le reconnaître, ces
diverses opérations se prêtent merveilleusement à favo
riser l’usure. Il convient donc que l’attention des tribu
naux , constamment excitée , ne cesse de veiller à leur
sincérité, et de proscrire avec sévérité tout ce qui ne fe-
i Du prêt, n° 375.
�ET DE LA FRAUDE.
199
rait qu’emprunter leur forme pour déguiser une opéra
tion usuraire.
1 1 3 9 . — L’appréciation de la vérité , en matière
d’escompte, reconnaît un élément essentiel dans le taux
auquel il a été opéré. Nous venons de voir que celui
du change dépend des circonstances pouvant être véri
fiées, et il en est à peu près ainsi de celui de l’escomp
te. L’abondance ou la rareté des espèces , la date plus
ou moins reculée de l’exigibilité exercent une grande in
fluence sur la détermination, et c’est donc au cours du
moment qu’il convient de s’en référer. Celui qui n’au
rait retiré que ce que l’usage commercial lui permettait,
se placerait, à l’endroit de son opération, à un point de
vue favorable.
1 1 4 0 . — Une seconde opération non moins essen
tielle, c’est qu’il s’agisse d’une opération réellement sus
ceptible d’escompte, c’est-à-dire d’une cession d’un ti
tre. Cette condition est difficile à saisir , lorsque la va
leur escomptée émane directement de celui qui la pré
sente à l’escompte. Rien ne sépare plus ce contrat d’un
prêt ordinaire , et l’opération de banque n’est guère
présumable lorsque la partie ayant besoin d’argent va
trouver l’autre, et, en échange des sommes qu’il en re
çoit, lui remet un titre qu’elle souscrit.
Aussi, dans plusieurs circonstances, n’a-t-o n vu dans
cette opération qu’un simple prêt excluant toute idée
d’un escompte sérieux, et ne pouvant, sous peine d’u -
�200
TRAITÉ DU DOL
sure , produire autre chose que l’intérêt légal , et cette
appréciation a reçu la sanction de la Cour de cassation."
Une appréciation contraire a été adoptée par la Cour
de Paris, le 18 janvier 1835, et par la Cour de cassa
tion, le 10 avril 1840’. Ce qui explique la contradic
tion entre ce dernier arrêt et celui de 1830 , c’est que
les questions de cette nature donnent lieu à des arrêts,
non de doctrine, mais d’espèces. En effet, tout s’y résout
dans une difficulté de fa it, pour la solution de laquelle
les tribunaux et les cours ont une latitude souveraine.
C’est ce qui résulte de l’arrêt de la Cour de cassation,
du 19 février 1830 , rejetant le. pourvoi : « Attendu
» qu’il suit des faits constatés par les juges du fond, à
» qui l’appréciation en appartenait exclusivement,
» qu’il a été fait une juste application de la loi du 3
» septembre 1807. »
Le fait présente bien moins de doute, lorsque les va
leurs négociées , étant souscrites à l’ordre de celui qui
les offre à l’escompte, sont par lui endossées au banquier
qui les accepte. L’opération est alors certaine et le droit
d’escompte légalement prélevé. On pourrait, dans ce cas,
en obtenir la réduction s’il avait été stipulé au-delà du
taux de la place, mais jamais le faire intégralement sup
primer sous prétexte d’usure.3
1 19 février 1830; — D. P , 30,1, 130.
SD. P., 40, 1, 411.
3 Cass., 8 et 26 août 1826 ; 1 6 août 1828.
�ET DE LA FRAUDE.
201
1 141.
— La difficulté que nous signalons pour l’es
compte s’offre également pour le change, lorsque la let
tre de change est tirée par celui qui la négocie. Mais,
dans cette hypothèse , il se présente un élément de na
ture à exercer sur la solution une grave influence, à sa
voir : si le tiré est réellement débiteur au moment de la
création du titre. L’affirmative fixe la vérité des choses
en établissant la réalité du contrat de change. Il im
porte fort peu, en effet, pour sa perfection, que la lettre
de change soit souscrite ou non par le débiteur, il suf
fit que la somme pour laquelle elle est tirée soit due et
payable dans un autre lieu que celui de la négociation.
Or, c’est ce qui se réalise lorsque le tiré est réellement
débiteur du tireur.
Si, au contraire, le tiré ne doit rien , s’il n’a jamais
rien dû , son nom ne figure que pour la perfection du
titre, et rien ne distingue plus cette opération d’un sim
ple prêt sous forme d’une lettre de change. Les juges
peuvent ne voir dans la prétendue négociation qu’une
simulation employée pour couvrir une usure déguisée et
réduire , conséquemment, les droits du créancier à la
perception de l’intérêt légal. Mais ce résultat ne saurait
être obtenu que si l’absence d’un tiré sérieux avait été
connue du banquier. L’ignorance réelle dans laquelle
on l’aurait laissé à cet égard le constituerait en état de
bonne foi et légitimerait son opération.
1142.
— Ce qui constitue la lettre de change, c’est
l’existence du contrat de change consistant à recevoir
�202
TRAITÉ DU DOL
dans un lieu une somme d’argent qu’on s’engage à
payer ou à faire payer dans un autre lieu. La suppo
sition de place faisant disparaître ce caractère essentiel,
la lettre de change qui en est viciée n’est plus qu’une obligation ordinaire, ne pouvant donner lieu au droit de
change.
Il en serait autrement si la supposition de lieu n’a
vait pas empêché le contrat de change. Ainsi, un négo
ciant de Marseille , en relation avec un négociant de
Lyon, lui adresse des lettres payables sur Marseille mê
me. Il est évident que ces lettres , quoique datées de
Lyon, ont été réellement tirées de Marseille, et qu’étant
payables à Marseille même, il n’y a pas, en réalité, de
contrat de change.
Mais si les lettres de change n’ont été envoyées à Lyon
que pour y être négociées et qu’elles l’y aient été réelle
ment, il importe fort peu qu’elles contiennent supposi
tion de lieu , car l’argent aura été retiré à Lyon pour
être payé à Marseille. Le contrat de change existe donc
d’une manière certaine. Le droit de change sera, consé
quemment, acquis par leur négociation.
1 143.
— C’est ce que la Cour d’Aix à jugé dans
l’espèce suivante : De 1817 à 1820 , Paraize , d’Avi
gnon, avait fourni plusieurs lettres de change datées de
Marseille sur Blavet, d’Avignon , et à l’ordre de Roussier , de Marseille , à qui Paraize adressait ces effets.
Lors du règlement, Paraize prétendit que Roussier avait
�ET DE LA FRAUDE.
203
exigé, pour la négociation des traites, un intérêt excé
dant le six pour cent, intérêt qu’il déguisait sous le nom
de frais de change et de rechange, bien qu’il ne fût fait
aucune opération semblable , en ce que les traites ne
contenaient réellement aucune remise de place en place;
qu’elles avaient été tirées d’Avignon et non de Marseille,
et que Blavet, tiré, n’avait servi qu’à masquer une opé
ration usuraire. En conséquence, Paraize forme une de
mande en répétition d’une somme de 3,335 fr., mon
tant de ce qu’il a payé en sus de l’intérêt légal.
21 juin 1821, cette demande est repoussée par le tri
bunal de commerce de Marseille , sur les motifs sui
vants :
Considérant qu’à la vérité il y a eu supposition de
lieu dans les traites fournies par Paraize, qui les datait
de Marseille tandis qu’il demeurait à Avignon ; mais
que ces effets étaient par lui envoyés à Marseille, où ils
devaient être négociés par Roussier; qu’ainsi ces effets,
à cause de la supposition de lieu, dégénéraient en man
dat dont la négociation donnait également lieu à la per
ception du change; qu’il suffit, en règle générale, que
la négociation de l’effet soit faite sur place tierce et qu’il
y ait remise de place en place pour que le contrat de
change subsiste; qu’il y ait , par conséquent , lieu à
change.
Appel ayant été émis de ce jugement, la Cour d’Aix
le confirme purement et simplement, avec adoption des
motifs, par arrêt du 6 mai 1834. Cet arrêt ayant été
�TRAITÉ DU DOL
déféré à la Cour suprême, le pourvoi fut rejeté par elle
le 8 novembre 1825.'
1144.
— A son tour, le droit de commission a sou
levé bien de difficultés. Nous avons dit que ce droit
puisait ses éléments dans les peines et soins que se
donnait le banquier et dans son obligation d’avoir tou
jours en caisse des fonds disponibles. De là , on avait
conclu que cette obligation n’existant réellement qu’à la
suite d’un crédit ouvert obligatoire, le droit de commis
sion ne devait être accordé qu’en tant que l’avance faite
n ’était que l’exécution de ce crédit ; qu’on devait le re
fuser conséquemment lorsqu’il s’agissait d’un prêt pu
rement éventuel.
Cette conclusion n’était ni exacte, ni juste. Sans dou
te , l’ouverture d’un crédit justifie le droit de commis
sion , car , à quelque époque que la demande de fonds
par le crédité se réalise, le banquier est tenu d’y satis
faire. Il doit, de plus, recevoir toutes les fois qu’il plait
au crédité de rembourser , et l’on peut facilement com
prendre que, prenant lorsque l’argent est cher, le cré
dité s’empressera de rendre lorsqu’il sera bon marché,
ce qui, indépendamment de l’obligation d’être sans cesse
en mesure de satisfaire aux demandes, grève le banquier
d’une charge résultant soit d’un défaut de remploi im
médiat des fonds rendus, soit de la nécessité de les pla-
i J. du P ., année 1825.
�ET DE LA FRAUDE.
205
cer à un bénéfice moindre que celui qu’il trouve chez le
crédité.
Mais, de ce que la commission est parfaitement jus
tifiée dans cette hypothèse, s’§nsuit-il qu’on doive la
refuser partout ailleurs , alors même que des raisons
tout aussi décisives viennent militer en sa faveur ? Nous
ne le pensons pas , et cette opinion est celle qui a , en
définitive, prévalu et qui devait justement prévaloir.
Or , les raisons qui doivent, dans les cas ordinaires,
faire admettre le droit de commission sont celles que
nous avons exposées en recherchant la légalité et la lé
gitimité de ce droit. C’est la position du banquier, voué
à la vente et à l’achat de l’arg en t, obligé de consacrer
à cette branche du commerce tout son temps, toute son
industrie, qu’on ne saurait, sans injustice, condamner
à demeurer improductive ; ce sont ces nombreuses et
considérables dépenses, la grave responsabilité qu’il en
court, les dangers auxquels il s’expose.
Le réduire à la position d’un simple capitaliste, c’est,
avons-nous dit, le placer, par rapport à celui-ci, dans
un état d’infériorité marquée. Indépendamment de ce
que le capitaliste n ’a ni bureaux, ni commis, ni patente,
ni correspondance obligée , les prêts qu’il consent ne
sont que des actes plus ou moins rares, ne faisant au
cun obstacle à ce qu’il applique son industrie à d’autres
objets et qu’il profite des émoluments qui s’ajouteront
à l’intérêt intégral de ses fonds. Enfin , il peut choisir
son moment et son homme , et il est certain qu’il ne
prêtera qu’à celui qui lui offrira une incontestable sol
vabilité.
�T 'IllU
206
TRAITÉ DU DOL
Il n'en est pas de même du banquier. Sans doute, il
n’est pas obligé de prêter à tout venant ; mais ce dont
il doit se contenter, c’est de la solvabilité commerciale.
Exiger autre chose , agir avec la même circonspection,
avec la même prudence que le capitaliste , ce serait se
condamner à périr bientôt par le trop plein de caisse. Il
doit donc s’en rapporter à l’apparence, en courir les ha
sards,et l’on sait combien ils sont chanceux.
En cet état donc, le réduire à ne pas trouver dans le
droit de commission une juste compensation, ne lui ac
corder que ce qu’on accorde à un capitaliste , ce n’est
pas agir avec cette rigoureuse justice qu’on doit égale
ment à tous.
On reproche aux banquiers les bénéfices que certains
d’entre eux réalisent. Mais combien d’autres que la per
ception du droit de commission, d’escompte et de chan
ge n’a pas préservés d’une ruine complète 1 D’ailleurs,
il en est du banquier comme de tout autre négociant,
on ne peut exiger de lui , suivant l’expression de
Scaccia : Ponat operam et sudorem ad aliorum u tilitalem. il ne travaille que pour son propre avanta
ge, que pour se procurer un honnête et légitime béné
fice.
Toutes les fois donc que le banquier fait un acte de
son commerce , il d o it, dans de justes lim ites, perce
voir l’émolument dont cet acte est susceptible. Or, com
me ce commerce consiste à livrer des fonds aux em
prunteurs commerçants ou non , la commission est
�ET
DE
LA
FRAUDE.
207
due par cela seul qu’il y a eu des fonds versés par
lui.'
Nous avons dit nous-mêmes qu’en l’état de notre lé
gislation, les charges des travailleurs obligés d’emprun
ter sont trop onéreuses. Mais nous avons indiqué la
manière dont on pourrait user pour les amoindrir; qu’on
diminue l’intérêt de l’argent, on le peut, on le doit, car
cet intérêt n’est plus aujourd’hui dans des proportions
vraies avec le prix de l’argent. Mais , puisqu’on recule
devant ce moyen , il ne nous paraît pas possible qu’on
lui en substitue un autre qui ne consacrerait, en défi
nitive , qu’une évidente injustice et qui compromettrait
l’existence du commerce lui-même, en rendant impra
ticable la profession de banquier.
1145. — Les usages commerciaux ont introduit u ne notable exception au principe consacré par l’article
H 54 du Code civil. 4ux termes de cette disposition, les
intérêts ne peuvent être capitalisés qu’après l’année ré
volue. Dans le commerce, cette capitalisation résulte du
règlement des comptes, et ce règlement est tantôt semes
triel, tantôt il s’opère chaque trois mois.
1 1 46. — Les effets de l’anatocisme sont certains.
Les intérêts capitalisés produisent, à leur tour, des in -
1
Nous ne pourripns citer tous les arrêts qui l'ont ainsi décidé et
qu’on peut d’ailleurs consulter dans les recueils de jurisprudence. On
pourra se convaincre, en les vérifiant, que c’est à notre solution que la
jurisprudence paraît se fixer.
�ry ^ù.
208
TRAITÉ DU DOL
térêts, cela n’a jamais été douteux. Mais la commission,
prise sur chaque avance partielle , est-elle due pour le
reliquat du compte dont le banquier reste créditeur et
qu’il reporte à nouveau sur le compte ultérieur ?
Pour l'affirmative , on a dit : La balance du compte
en rend le reliquat immédiatement exigible, de là, pour
le banquier , le droit d’en exiger paiem ent, et pour le
débiteur l’obligation de le réaliser. Or , si ce paiement
était effectué, les sommes que le banquier fournirait après, et le jour même de ce paiement, donneraient droit
à la commission. Pourquoi donc la convention, par la
quelle ce paiement et l’avance nouvelle se réalisent fic
tivement, ferait-elle obstacle à sa perception ?
Ce qui peut résulter du refu s, c’est que le créditeur
exige le paiement réel et restreigne ainsi l’existence du
compte-courant au grand détriment du commerce. Il
aura intérêt à en agir ainsi, car les sommes qu’il rece
vra, confiées à d’autres, au débiteur lui-même, lui pro
cureront cette commission que la prolongation du
compte lui enlève.
Ainsi, le créditeur pour solde contraindra le débiteur
à le payer, ce qui pourra avoir pour celui-ci les incon
vénients les plus graves, car il peut avoir, lui, un inté
rêt évident à la continuation du compte. En l’état de
cet intérêt opposé, il est facile de prévoir ce qui se réa
lisera : les parties simuleront un paiement effectif, et,
quelques jours après, un nouveau compte s’ouvrira , et
la somme prétendue payée en composera les premiers
articles, non plus à titre de report, mais comme avance
�ET DE LA ïrjîAUDE.
209
nouvelle sur laquelle le prélèvement du droit de com
mission sera incontestable.
On arrivera donc, par un moyen détourné, au résul
tat qu’on ne permet pas d’atteindre d’une manière di
recte, et cela, au détriment de la vérité et de la dignité
du commerce. En fait, cependant, celui qui n’exige pas
une dette actuellement exigible , qui en proroge l’éché
ance, consent un véritable prêt et livre la somme aux
chances éventuelles de la solvabilité du débiteur. Dès
lors, la commission qu’on ne conteste pas à celui qui
livre réellement des fonds, devrait-on la contester à ce
lui qui laisse en mains de son débiteur ceux qu’il pour
rait le contraindre à lui restituer ? Est-ce que le com
merçant ne trouve pas dans la prorogation le secours
qu’il demanderait à l’emprunt ?
M. Pardessus paraît ne pas admettre que la question
soit douteuse. En effet, après avoir enseigné que le rè
glement du compte en capital et intérêt fait produire au
solde des intérêts nouveaux , cet éminent jurisconsulte
ajoute : On peut, outre cet intérêt, percevoir un salaire
pour commission , sans que cela soit considéré comme
intérêt usuraire'. Telle est aussi l’opinion de MM. Devilleneuve et Massé.’
La Cour de cassation avait décidé , le 19 décembre
18217, conformément à cette doctrine, en validant une
commission de trois quarts pour cent portant sur les
1 Cours de droit commercial, n° 475.
2 B ici, du contentieux comm., v° Compte courant, n° 15.
ni
44
�210
TRAITÉ DU DOL
soldes des comptes partiels'. Un autre arrêt du 1 1 a vril 1840 admet plus formellement encore la faculté de
faire porter la commission sur les soldes.’
Mais le contraire a été décidé par plusieurs Cours
d ’appel et notamment par celle de Grenoble, le 31 août
1839, et par celle de Douai, le 20 février 1841. L’ar
rêt de la première juge que la commission ne doit être
perçue qu’une seule fois pour chaque négociation ; l’ar
rêt de la seconde n’admet ce droit qu’en tant qu’il y a
eu décaissement de fonds de la part du banquier, ce
qui, dit la Cour, ne se réalise pas dans le report à nou
veau du solde du compte ou dans le renouvellement des
billets à leur échéance.3
La Cour de cassation elle-même parait être revenue
sur sa jurisprudence , en décidant , le 2 juillet 1845,
que le droit de commission, appliqué par les banquiers
aux avances qu’ils font, ne doit être perçu qu’une seule
fois sur chaque somme ; que, par suite, il ne peut être
établi ni sur les intérêts capitalisés produits par ces avances, ni sur chaque reliquat des comptes arrêtés tri
mestriellement, et qui serait composé des avances anté
rieurement frappées du droit de commission/*
Notons que cet arrêt, émanant de la chambre civile,
est diamétralement opposé à ceux rendus par la cham-
1 D.
2 D.
3 D.
4 D.
P..
P.,
P.,
P.,
28,
40,
40,
45,
1,
4,
2,
1.
64.
411.
221 ; — J. du P., 1841, t. u, p. 497.
314.
�ET DE LÀ FRAUDE.
211
bre criminelle les 19 décembre 1827 et 11 avril 1840;
notons encore que ses motifs sont purement en droit.
En effet, la Cour considère : « Que l’arrêt attaqué dé» eide que le droit de commission , qui avait été relevé
» sur la somme entière faisant le reliquat du compte,
» ne doit porter ni sur les intérêts capitalisés qui ont
» été compris dans ce reliquat, ni sur les avances de
» fonds qui, déjà, avaient figuré dans un compte anté» rieur, mais que ce droit, qui ne peut être perçu qu’u» ne seule fois sur la même somme , ne saurait , par
» conséquent, s’appliquer qu’aux sommes fournies de» puis le compte précédent ; que , sans la distinction
» admise par l’arrêt, il serait impossible d’atteindre l’u» sure déguisée sous l’apparence du droit de commis» sion, en telle sorte qu’en matière d’avances de fonds
» ou de prêts qui seraient successivement reportés dans
» plusieurs arrêtés de compte se liant les uns aux au» très, le prix de l’argent ne recevrait d’autres limites
» que celles que les parties consentiraient à lui donner,
» ce qui serait évidemment la subversion de la loi du
» 3 septembre 1807. »
Voilà qui est clair, net et positif. Cependant, la même
chambre civile a, le 23 juillet 1849, validé un droit de
commission portant sur les soldes du compte, c’est-àdire et sur les capitaux précédemment fournis et sur les
intérêts capitalisés. Voici l’espèce de cet arrêt :
Des relations commerciales avaient existé, pendant de
longues années , entre la maison Crémieu , Milhaud et
baroque, et M. Reynaud, marchand quincaillier, à Àix.
�212
TRAITÉ DU DOL
Le compte-courant, arrêté annuellement, était au six
pour cent réciproque. Une commission, conventionnel
lement stipulée en faveur de la première, avait été fixée
à un sixième sur les nombres.
Après paiement définitif, M. Reynaud, étant décédé,
ses héritiers reviennent contre les divers règlements et
demandent la restitution de la commission perçue sur
les soldes. Un jugement du tribunal de commerce ad
met cette prétention : « Attendu que le droit de com» mission ne peut être perçu qu’une seule fois sur cha» que somme, et qu’en la prenant sur le solde de chaque
» règlement du compte porté à nouveau , la maison
» Crémieu, Milhaud et Laroque a non seulement, perçu
» une double commission sur le solde du compte porté
» à nouveau, mais encore un droit de commission sur
» les commissions déjà payées. »
Appel par la maison Crémieu , e t , 15 janvier 1844,
arrêt de la Cour d’Aix qui réforme par les motifs sui
vants :
« Considérant que l’ouverture d’un crédit donne né
cessairement lieu , entre le banquier qui l’accorde et le
commerçant qui l’obtient, à de fréquentes opérations de
banque et change ; que ces opérations autorisent à elles
seules le banquier à percevoir, indépendamment de l’in
térêt légal, un droit de commission ; mais que ce droit
de commission représente encore la juste indemnité due
au banquier : 1° à raison des chances auxquelles il est '
assujetti pour le paiement ou l’acceptation des traites et
effets qu’il acquitte à la décharge de son débiteur ; 2° à
�ET DE LA FRAUDE.
213
raison de l’obligation à laquelle il s’est soumis de tenir
constamment des fonds à la disposition du crédité, tant
que dure le crédit ;
» Qu’il est donc évident que le droit de commission
dérive de la nature des choses ; que c’est par ce motif
qu’il est généralement admis dans les usages du com
merce, et qu’il est, en outre , confirmé par la doctrine
des auteurs , consacré par la jurisprudence et reconnu
par les héritiers Reynaud eux-mêmes dans les écrits
qu’ils ont publiés au procès ;
» Considérant que la loi de 1807, n ’ayant pour ob
jet que de régler le taux de l’intérêt de l’argent, n ’est
point applicable au droit de commission ; que la quotité
de ce droit n ’est déterminée par aucun texte de la loi ;
qu’elle est réglée d’après les usages et la convention des
parties, et qu’elle ne saurait être considérée comme con
stituant une perception usuraire, qu’autant qu’elle se
rait excessive ou que les opérations qui auraient donné
lieu à la perception du droit de commission seraient fic
tives et couvriraient un intérêt excédant le taux légal ;
» Considérant que la sincérité des opérations qui,
dans la cause, ont donné lieu à la perception des droits
de commission, n ’est pas contestée ; qu’il s’agit donc uniquement de rechercher si la perception elle-même n’a
rien d’exagéré et si elle représente la juste indemnité
due au banquier, sans qu’il soit besoin d’examiner le
mode de perception qui a été suivi ;
» Considérant, en lait, qu’il est établi, par les com
ptes remis chaque armée au crédité, qu’indépendamment
�214
TRAITÉ DU DOL
des sommes prises ou versées , une foule de remises et
valeurs commerciales ont été respectivement données
pour être encaissées ou reçues dans les diverses places,
ce qui constitue de véritables opérations de banque et
de change donnant lieu au droit de commission ;
» Que du relevé des opérations pendant les dix-sept
années de durée du compte-courant , il résulte que le
mouvement général du compte a été. de 416,000 fr., et
le chiffre total de la commission perçue de 2,999 fr.;
que ce c h iffree u égard au mouvement moyen et an
nuel de 24,500 fr., réduit la commission perçue à une
moyenne de soixante-deux centimes pour cent francs ;
» Considérant qu’une pareille commission , en pré
sence des usages reçus, ne peut être taxée d’exagération;
qu’en effet, au lieu du règlement trimestriel générale
ment pratiqué , les comptes n’ont été balancés qu’une
fois l’an ; que , de plus , la maison de banque débitait
Reynaud, valeur de l’échéance des traites qu’elle .aurait
pu négocier à trente jours au pair, et que, pour les va
leurs fournies sur ses correspondants, elle payait ellemême un droit de commission sans répétition contre
Reynaud;
» Considérant que, accueillir en l’état de ces faits les
réductions demandées par les héritiers Reynaud, ce se
rait refuser, à la maison de banque, la juste indemnité
que les usages du commerce , consacrés par une juris
prudence constante, l’autorisaient à percevoir.' »
1 D. P., 44, 2, 498.
�ET DE LA FRAUDE.
215
Certes, l’infirmation du jugement, en l’état des motifs
l’ayant déterminé , et que nous avons trancrits , place
l’arrêt de la Cour d’Àix en contradiction flagrante avec
l’arrêt rendu, le 2 juillet 1845 , par la Cour de cassa
tion. Aussi, les héritiers Reynaud le frappèrent-ils d’un
pourvoi, bientôt admis par la chambre des requêtes.
Mais , comme nous l’avons dit , et par arrêt du 23
juillet 1849, ce pourvoi fut rejeté par la chambre civile,
qui, dès lors, contrairement à son arrêt de 1845, admit
que le droit de commission pouvait légalement porter
sur les soldes de compte.1
Comment expliquer cette contradiction ? Par cette rai
son unique , à savoir : qu’en pareille m atière, il n’y a
pas, à proprement parler, de question de droit, tout se
réduit à une appréciation de faits, pour laquelle , ainsi
que la' Cour de cassation le disait tout-à-l’h eu re, les
juges du fond ont un pouvoir souverain. La Cour su
prême , reconnaissant cette souveraineté , y obéit ellemême. Elle admet ou rejette les pourvois, selon que l’u
sure a été ou non reconnue.
Une pareille règle est on ne peut pas plus juridique.
On doit incontestablement dire, avec la Cour d’Àix, que
la loi du 3 septembre 1807 ne régit que le taux de l’in
térêt; qu’elle n’est nullement applicable à la commis
sion reconnue licite par tout le monde. Le taux de ce
droit est donc laissé aux usages de la place ou à l’ap-
1 Conf. Nancy, 8 juillet 1859 ; — Cass., 35 mai 1864 ; — D. P., 58
3, 185; — J. du P., 1864, 1054.
�216
T R A IT É
DU
DOL
préciation des parties elles-mêmes. Mais celle faculté ne
saurait comporter une liberté illimitée, et de même que
la vente, l’échange, la société, auxquelles la loi de 1807
est bien évidemment étrangère, peuvent cependant être
entachées d’usure et annulées , de même l’usure peut
prendre le manteau licite du droit de commission, et,
dans ce cas , on ne doit pas hésiter à la réprimer. Dès
lors, et quel qu’en soit le mode de perception, la com
mission prélevée s’est-elle renfermée dans des limites
justes et raisonnables, elle doit être confirmée ; a-t-elle
été, au contraire, exagérée au-delà des usages commer
ciaux, elle n’est plus qu’une usure déguisée, et, comme
telle, on doit la réduire'. Or, une pareille appréciation
ne peut appartenir qu’aux deux premiers degrés de ju
ridiction.
En résumé , les questions relatives au droit de com
mission ne peuvent recevoir, en droit pur, une solution
absolue. Sa perception déguise-t-elle ou non une usure?
Telle est la véritable, la seule difficulté à apprécier. C’est
ce qui fait que le mode suivi dans telle espèce sera ré
primé , tandis que le même mode ne le sera pas dans
telle autre. C’est ce qui rend également raison de la divergeance que nous signalions tout à l’heure dans la
jurisprudence de la Cour de cassation elle-même.
il4 7 .
— Nous venons de voir que , dans le com
merce, on pouvait régler le compte-courant et, consé-
1 C ass.,
21 juin 1847; —
D.
P,, 47, 1, 312.
�ET DE LA FRAUDE.
217
quemment , capitaliser les intérêts chaque trois mois.
Cette faculté a été formellement reconnue par la Cour
de cassation'. Mais pour qu’elle puisse être exercée , il
faut : 1° que le compte existe de négociant à négociant.
Les relations entre un commerçant et un non commer
çant , quoique constatées par un compte-courant, ne
peuvent être considérées comme commerciales, surtout
è l’endroit de ce dernier. Elles restent donc régies,quant
à l’anatocisme, par la disposition de l’art. 1154 du Code
civila ; — 2° que le compte ait été réellement arrêté
aux époques convenues. En l’absence du règlement tri
mestriel, on ne pourrait, lors d’un règlement ultérieur,
arrêter le compte autrement que d’année en année. En
effet , la capitalisation des intérêts n’est que la consé
quence de leur exigibilité. Celle-ci ne peut résulter que
de l’arrêté du compte aux époques convenues. Si le
compte n ’a pas été arrêté , il n ’y a eu aucuns intérêts
exigibles et partant susceptibles d’être capitalisés. On ne
pourrait se prévaloir de la capitalisation se réalisant à
chaque fin d’année par la seule force de la loi. Rien ne
peut même remplacer le règlement trimestriel, quant à
l’exception à l’art. 1154. Ainsi , il importerait peu que
les relations eussent continué sur le même pied entre les
parties, le compte deviendrait purement civil depuis le
dernier règlement trimestriel. C’est ce que la Cour de
1 10 novembre 1818.
Bourges, 5 juin et 48 décembre 1839 ; 14 février 1854: — D. P.,
40, 2, 196; 55, 2, 271.
2
�218
TRAITÉ DU DOL
cassation vient de décider en cassant un arrêt de la Cour
de Paris, qui avait jugé le contraire.'
1 148.
— Au reste , il est rare qu’un compte-cou
rant existe entre un banquier et un non commerçant ;
dans de pareilles relations , les avances du premier et
la dette du second sont constatées par des effets à terme
fixe. Si, à l’échéance, les parties se bornent à renouve
ler le titre , le banquier peut - il prélever un droit de
commission sur ce renouvellement ?
Il y a entre le renouvellement d’un billet et le règle
ment du compte une telle assimilation , que les arrêts
que nous venons de rappeler les confondent bien sou
vent. Conséquemment, il semble que, par une parité de
raison , les règles tracées pour l’arrêté du compte doi
vent s’appliquer au renouvellement.
Cependant il y a, à notre avis, cette énorme différen
ce que le banquier , qui fait un prêt à un non négo
ciant , ne fait pas un acte de commerce. Que cepen
dant, à cause de sa profession et pour le couvrir de ses
frais, on lui alloue une commission à l’origine du prêt,
on le comprend , mais qu’on lui permette de répéter
cette commission à chaque renouvellement, c’est placer
le non commerçant dans une position pire que le com
merçant lui-même ; car le compte-courant ne peut être
réglé tout au plus que quatre fois l’an , et le solde peut
en être réduit à des proportions minimes par les som-
�ET DE LA FRAUDE.
219
mes qui auront été remboursées pendant le trimestre,
tandis que le non commerçant devra, à chaque renou
vellement, l’intégralité du billet qui, pouvant être à l’é
chéance d’un mois , pourra ainsi donner lieu à douze
droits de commission par année,
Cet étrange et inique résultat doit nécessairement a mener une autre appréciation que celle que nous venons
d’exposer pour les relations de commerçant à commer
çant , et nous allons voir que cette nécessité se justifie
par des raisons décisives.
Le banquier qui traite avec un non commerçant fait
plutôt l’acte d’un capitaliste que celui d’un banquier. Il
doit donc, quant à l’exécution à donner au prêt, occu
per une position analogue à celle qui est faite à celui-ci.
On nous objectera sans doute ce que nous rappelions
nous-même relativement au solde du compte-courant.
Lè banquier qui renouvelle, au lieu de se faire payer à
l’échéance, consent un véritable prêt, car s’il exigeait
son argent , et qu’il le plaçât ailleurs , il retirerait de
nouveau le droit de commission. Mais cet argument
perd de sa force lorsque , au lieu d’une dette commer
ciale , il s’agit d’une dette civile. En effet, le commerce
vil de ponctualité et d’exactitude , à tel point que le
moindre retard dans les paiements constituerait un mo
tif pour faire déclarer la faillite. Celui-là donc qui traite
avec un commerçant a le droit de compter sur un paie
ment réel et effectif au jour et à l’heure convenus , il
peut même, dans cette prévision, avoir pris des mesures
pour un nouveau placement des sommes qu’il recevra.
�m
TRAITÉ DU DOL
Mais cette ponctualité n’est pas aussi rigoureusement
exigée dans la vie civile ; celui qui prête à un non com
merçant peut facilement prévoir que les embarras qui
motivent l’emprunt pourront exister encore au moment
de l’échéance et mettront son débiteur dans la nécessité
de demander un nouveau délai. Cette chance que le
banquier a volontairement bravée , qui ne l’a pas em
pêché de distraire de son commerce la somme qu’il a
prêtée, il doit en subir les effets.
D’ailleurs, les éléments du droit de commission ne se
concentrent pas tous dans la personne et le caractère
du banquier. Si les usages l’ont consacré , c’est égale
ment sous le rapport de l’avantage que le commerçant
trouve dans le crédit qui lui est fait. Le bénéfice qu’il
est dans le cas d’en retirer allège, s’il ne la fait pas dis
paraître , la charge que le droit de commission lui im
pose. C’est dans ce sens que Scaccia enseigne que l’ar
gent du commerçant vaut plus que celui du non com
merçant : Plus valet pecunia mercatoris quarn pecunia
non mercatoris.
Cet élément essentiel du droit de commission manque
absolument dans le prêt fait à un non commerçant. Il
y aurait donc injustice à le placer sur la même ligne,
quant aux charges, lorsqu’il ne l’est certainement pas
quant aux avantages.
À notre avis donc, le banquier peut , en livrant des
fonds à un non négociant, prélever un droit de commis
sion outre l’intérêt légal. Mais ce prélèvement opéré, les
obligations de l’emprunteur, quant à l’échéance, se ré-
�ET DE LA FRAUDE.
231
glant par des considérations autres qu’en matière decréance commerciale, tout ce qui est dû, en cas de re
tard, c’est l’intérêt légal. Le créancier ne peut donc exi
ger au-delà, sans se rendre coupable d’une véritable usure.
114 9 .
— Dans les nombreux déguisements que re
vêt l’usure, il en est un fort difficile à saisir et, par cela
même, très-redoutable, c’est celui consistant à fondre la
stipulation des intérêts avec le capital. Ainsi, un indivi
du consent à prêter un capital de 210,000 fr., mais il
exige le dix pour cent. Si une telle stipulation était ins
crite ouvertement dans le contrat, son sort ne serait pas
douteux , il faut donc la dissimuler. L’acte , en consé
quence, mentionne ou que le capital prêté est de 22,000
fr. sans intérêts jusqu’à l’échéance d’une année, ou seu
lement de 21,000 fr. avec intérêts. On suit la même
proportion selon que l’échéance est d’une ou de plusieurs
années.
1150 ,
— Dans 1’un comme dans l’autre cas, la frau
de est flagrante. Cependant comment la saisir sans re
courir à une preuve testimoniale ? Mais la demande qui
en sera faite soulèvera immédiatement une double ex
ception.
On se prévaudra d’abord de la disposition de l’article
1341, qui prohibe cette preuve outre et hors le contenu
aux actes ; on ajoutera ensuite : si l’acte est frauduleux,
la fraude étant le fait commun des deux parties , l’une
d’elles ne peut être admise à la prouver.
�2221
T R A IT É
DU
DOL
Mais l’usure , constituant une fraude contre une loi
d’ordre public, déroge forcément aux principes ordinai
res , et cette dérogation entraîne cette double consé
quence : 1° l’inapplicabilité de l’art. 1341 ; 2 “ celle
de la maxime Nemo auditur turpitudinem suam allegans.'
1 1 5 1 . — La seconde exception peut être tirée de
la force de l’acte authentique, comme si cet acte consta
tait la réelle numération de l’intégralité de la somme
portée dans l’acte. Cette indication de l’acte, dira-t-on,
doit être crue jusqu’à inscription de faux, et ce prélimi
naire non réalisé, la preuve testimoniale est inadmissi
ble.
Cette exception devrait être accueillie si les faits à
prouver, coarctés par la partie, étaient inconciliables avec les faits que le notaire aurait compétemment consta
tés, car l’usure elle-même ne saurait porter aucune at
teinte à la foi due à l’acte authentique. Mais si, au con
traire, les faits avancés ne contrarient nullement les in
dications de l’acte, s’ils tendent à prouver une simula
tion dont le notaire lui-même a pu être la dupe, en un
m o t, s’ils peuvent être vrais sans que ceux exprimés
dans le contrat soient faux , la preuve testimoniale doit
en être ordonnée, sans qu’on se soit préalablement ins
crit en faux. C’est ce que la Cour de cassation a jugé
dans une espèce où le contrat authentique, constatant la
�EX
DE
LA
FRAUDE.
réelle numération, le débiteur articulait n ’avoir rien em
porté des sommes numérées.1
Ainsi, c’est par la preuve orale , c’e s t, conséquem
ment , par les présomptions qu’on pourra , dans notre
hypothèse , prouver l’existence de l’usure. On ne serait
tenu de s’inscrire en faux contre l’acte authentique que
si on soutenait la fausseté de ses indications, par exem
ple, si on voulait prouver qu’il n’est pas vrai, comme
le notaire l’indique , que les sommes aient été déposées
sur le bureau et numérées au moment de l’acte.
H 52. — La preuve de l’usure acquise, quelle en
sera la conséquence par rapport à l’acte ? La Cour d’A
gen , par un arrêt du 17 août 1809 , avait décidé que
cet acte devait être annulé , d’abord pour violation de
l’art. 1907, en ce qu’il ne portait pas le taux auquel
les intérêts avaient été stipulés, puisque ces intérêts cu
mulés avec le capital ne formaient avec lui qu’un seul
tout ; ensuite, comme reposant sur une cause fausse, ré
sultant de ce qu’il renfermait un intérêt non exprimé et
à un taux non fixé.
Mais cet arrêt a été cassé , le 29 février 1812 , pour
avoir mal à propos appliqué la loi de 1807, la conven
tion étant antérieure à sa promulgation, et ne pouvant,
dès lors, être régie, quant au taux de l’intérêt, que par
l’art. 1907 du Code civil.
La Cour suprême devait s’arrêter à ce moyen pérem-
1 Chardon, Du dol et de la fraude , tom. ni, pag. 269 et suiv
�T R A IT É
DU
DOL
ptoire. Mais n’eût-il pas existé, que l’arrêt d’Agen n’en
aurait pas moins été infailliblement cassé sous un autre
rapport. Rien , en effet, dans la loi n’autorisait la
nullité de l’acte reconnu usuraire. Tout ce qui pouvait
légalement résulter de ce vice était ou la restitution, ou
l’imputation des sommes illégalement perçues, ou la ré
réduction de celles irrégulièrement prétendues. Les par
ties devant, dans le cas d’usure, être ramenées à la vé
rité des choses, il n’y a de possible que les moyens que
nous indiquons et qui font suffisamment disparaître le
préjudice dont se plaint le débiteur. Cette solution , ap
puyée par la raison, admise en doctrine et en jurispru
dence, est d’ailleurs formellement écrite dans l’art. 3 de
la loi du 3 septembre elle-même.
1153.
— Un autre mode employé pour déguiser
l’usure consiste soit à retenir , au moment du p rê t, les
intérêts convenus ', soit à les stipuler payables en den
rées.
La retenue des intérêts, payés même au taux légal,
constitue une usure. Elle tend à conférer au créancier
un bénéfice au-delà de l’intérêt, puisqu’elle lui procure
la jouissance d’une somme qui ne peut lui appartenir
légitimement qu’au jour où l’intérêt étant échu, elle de
vient sa propriété ; elle porte un préjudice au débiteur,
car l’intérêt, étant le prix de la jouissance du capital,
n’est que la conséquence de cette jouissance devant por
ter sur ce capital intégral. Or, la retenue fait disparaî
tre une partie de ce capital, qui n’est pas dès lors réel-
�m
ET DE LA FRAUDE.
lement prêté en totalité, tandis que c’est sur cette tota
lité que l’intérêt est établi. En conséquence , le créan
cier perçoit un intérêt qui ne lui est pas dû, et le débi
teur paye réellement au-delà du taux légal, il y a donc
usure.'
1154.
— L’exigence d’un intérêt en denrées re
monte au seizième siècle. La prévision que le numéraire
envoyé par le Nouveau Monde ne manquerait pas de
faire hausser le prix des blés, vins, huiles et autres den
rées, fit que quelques spéculateurs convertirent leurs
rentes en rente à blés, et cette prévision ne fut pas trom
pée1. Depuis, cet intérêt, que Dumoulin qualifie de pé
rilleux pour les débiteurs, n’a pas manqué d’être ex
ploité par ceux qui, voulant se procurer, malgré la loi,
un avantage illégitime , s’ingénient à s’en procurer les
moyens.
En conséquence , on stipule une quantité déterminée
de denrées à livrer en échange du paiement des intérêts
d’un capital quelconque. L’usurier a le soin de calculer
cette quantité sur un prix tellement bas qu’il a d’avan
ce la certitude que la denrée ne descendra jamais jus
que là , et il s’assure ainsi un intérêt pouvant atteindre
à des proportions énormes par la cherté de la denrée,
au moment de l’échéance.
Ainsi la chance aléatoire, que cette opération parait
1 Rolland de Villargues. Prêt à intérêt, n° 20.
2 Troplong ,
m
Du prêt, n° 393.
tô
�226
T R A IT É
DU
DOL
offrir, est d’avance fixée contre le débiteur, et ses résul
tats seraient aujourd’hui ce qu’ils furent autrefois, c’està-dire tellement désastreux qu’une ordonnance de Char
les IX, de 1565 , convertit à prix d’argent, et au taux
légal du denier douze , toutes les rentes en blés. Cette
ordonnance est-elle exécutoire encore en ce sens qu’on
doive aujourd’hui convertir en argent et au denier vingt,
tous les intérêts stipulés en denrées ?
L’affirmative est soutenue par M. Chardon. L’édit de
1565, dit cet auteur, avait été abrogé par le décret du
5 thermidor an iv, mais celui-ci a été à son tour abro
gé par la loi de 1807. D’autre part, les motifs qui exis
taient en 1565 existent encore, il y a donc nécessité de
revenir à cette disposition '. Cette opinion s’étaye sur un
arrêt de la Cour de Paris du 2 mai 1823.
Nous dirons, avec M. Troplong2, que cette doctrine
repose sur une erreur de droit manifeste. La loi de 1807
n’exige qu’une seule chose, à savoir: que l’intérêt d’un
capital prêté en argent ne s’élève pas à plus du cinq ou
du six pour cent, selon que le prêt est civil ou commer
cial , mais elle ne prescrit aucun mode spécial pour le
service de cet intérêt. Il dépend donc des parties d’en
régler le paiement selon leur convenance, à la seule obligation de ne pas franchir les limites de la loi ellemême. Conséquemment la stipulation que l’intérêt sera
payé en denrées n’a rien d’illicite, rien de prohibé.
1
Du dol el de lu fraude,
2
Loco citato.
n° 478.
�ET DE LA FRAUDE.
227
Ce gui est réellement prohibé , c’est de se servir de
cette stipulation pour pallier l’usure. M ais, à cet égard,
la loi a pourvu à tous les intérêts, en permettant au dé
biteur de répéter ce qu’il a indûment payé, et son ap
préciation est facile. Les mercuriales fixant le prix des
denrées, le rapprochement de la quantité annuellement
fournie indiquera nettement si le taux légal a été dépas
sé , et déterminera d’une manière précise le chiffre des
restitutions.
Ainsi la stipulation d’un intérêt en denrées est léga
le, seulement on ne peut avec son secours dépasser le
taux de la. loi, tout ce qui aura été payé en delà serait
répétible.
Il en est de même pour le remboursement du capi
tal , on peut le stipuler payable en denrées. Mais la
quantité de celles-ci ne pourrait, dans aucun cas , dé
passer le capital, on saurait bien sans cela en exiger
une telle que le débiteur rendrait toujours plus qu’il n’a
reçu.
O
1155.
— Mais si le prêt a été fait en denrées, celui
qui l’a consenti pourra stipuler que celui à qui il don
ne cent mesures lui en rendra cent dix ou cent vingt.
Le prix des denrées étant essentiellement variable, le dé
biteur profite de la chance de la diminution, comme le
créancier de celle de l’augmentation, et il peut se faire
que le prêt s’opérant dans un moment de cherté , et la
restitution dans un temps contraire , l’intégralité de ee
qui est rendq , quoique supérieur en quantité , soit en
�TRAITÉ DU DOL
réalité encore inférieur à la valeur de ce qui a été em
prunté. D’ailleurs, la loi de 1807, ne réglant que l’in
térêt de l’argent, ne saurait avoir aucune influence sur
les prêts de denrées.
Toutefois il y a là un aliment pour la fraude et un
péril pour les emprunteurs. Les usuriers simuleront un
prêt en denrées pour éluder l’application de la loi et
assurer ainsi les exactions qu’ils commettront; mais cette
simulation,comme toutes les autres, pourra être atteinte
par les tribunaux. Réalisée pour pallier l’usure, elle se
ra susceptible d’être prouvée par témoins et même par
présomptions, et les tribunaux, à qui une pareille opé
ration sera dénoncée, ne valideront que celle qui a ré
ellement offert, par son véritable caractère, cette chance
aléatoire dont nous parlions tout à l’heure.
1156.
— Partout, en effet, où l’événement est atta
ché à une condition aléatoire, la loi de 1807 est inap
plicable. C’est par application de cette règle qu’on a va
lidé les prétentions de la caisse hypothécaire et consacré
les intérêts et les droits qu’elle exige. Nous lisons dans
l’arrêt de la Cour de cassation, du 21 mai 1834 : « Que
» l’escompte et les primes au moyen desquels cette cais» se, d’après ses statuts approuvés par le gouvernement,
» exécute ses opérations, impriment au traité qui inter» vient entre les parties prenantes et elle , le caractère
» d’un contrat aléatoire. » Voilà pourqoi elle écarte
l’application de la loi de 1807.
La conséquence qu’il faut en déduire , c’est que la
'
/
�ET DE LA FRAUDE.
229
caisse hypothécaire ne peut jouir de l’immunité , quant
à la loi de 1807, qu’en tant qu’elle se renferme dans la
lettre de ses statuts Toute indemnité qu’elle stipulerait
sans en trouver le droit dans ces statuts, à quelque au
tre titre que ce fût , devrait lui être refusée comme un
intérêt usuraire , c’est ce qui a été formellement décidé
dans une espèce où prévoyant le cas de l’expropriation
de l’emprunteur, avant le terme des obligations, elle s’é
tait fait concéder deux annuités non encore échues pour
le dédommagement de ses frais et faux frais. Le paie
ment de ces deux annuités ayant été réclamé après ex
propriation, fut contesté. Un arrêt de la Cour de Greno
ble le consacra. Mais cet a rrê t, dénoncé à la Cour su
prême, fut cassé pour contravention notamment à la loi
du 3 septembre 1607. Voici les raisons à l’appui de cette
cassation :
« Attendu que les statuts d’une société anonyme lé
galement autorisée sont la loi des parties qui traitent avec cette société; que les statuts de la caisse hypothécai
re n’autorisent point à percevoir au-delà des règles tra
cées sur les conditions des emprunts qui lui sont faits ;
qu’en autorisant la perception de deux annuités en sus
de celles souscrites pour le remboursement de l’emprunt,
à titre d’indemnité du retard et des faux frais causés
par l’expropriation forcée, la Cour d’appel de Grenoble
a accordé une indemnité excédant la mesure fixée par
l'art. 1153 du Code civil ; qu’en outre elle a accordé
des intérêts excédant le taux légal, et qu’en cela elle a
expressément contrevenu tant audit art. 1153 qu’aux
�230
T R A IT É
DU
DOL
propres statuts de la société , et à la loi du 3 septembre
1807.' »
1157.
— La condition aléatoire qui a fait admettre
l’exécution des statuts de la caisse hypothécaire a fait ex
clure , de l’application de la loi de 1807, le prêt à la
grosse, la cession, la rente viagère.
Dans le prêt à la grosse aventure, le prêteur est ex
posé à perdre non seulement tout ou partie des intérêts,
mais encore le capital qu’il fournit. Vouloir , en l’état
d’une pareille chance , le soumettre à ne retirer de son
argent que l’intérêt ordinaire , c’était rendre impossible
un prêt qui fournit au commerce maritime tant et de si
précieuses ressources.
C’est ce qu’a compris le législateur, et il a sagement
évité le danger en dégageant le prêt à la grosse de toute
entrave, et en laissant à la libre convention des parties
le profit maritime à stipuler3. Tout ce qui, dans cet in
térêt, excède le taux légal, n’est considéré que comme
une juste compensation du péril que brave le prêteur.
De là il suit que l’existence de ce péril est un des éléments essentiels de ce prêt. Le prêteur qui n ’a réelle
ment couru aucune des chances d’une navigation réelle
et effective ne pourrait prétendre à un intérêt exclusive
ment attaché à ces chances.
1 Cass., 30 juillet 1834.
2 Art- 311 du Code de commerce
�ET DE LA FRAUDE.
231
1158.
— Supposer qu’on puisse simuler un contrat
à la grosse uniquement pour pallier l’usure , c’est pa
raître supposer une chose impossible. Mais une espèce
rapportée par la Gazette des tribunaux, du 9 septem
bre 1827, prouve que celte supposition n’a rien de chi
mérique, et que l’ardeur insensée d’une incroyable avi
dité peut aller jusque là.
Un sieur Paoli, d’Ajaccio, faisait de nombreux prêts
usuraires. Croyant se placer à l’abri de toutes poursui
tes , il avait fait du contrat à la grosse le type exclusif
de toutes ses opérations. L’avocat, le prêtre, l’aubergis
te, le propriétaire , qui recourait à l u i , se transformait
immédiatement en patron de navire, était obligé de sou
scrire un contrat à la grosse aventure, avec des intérêts
non moins gros, bien entendu.
Poursuivi cependant comme coupable d’habitude d’u
sure , Paoli est condamné par le tribunal correctionnel
à une amende de 8,000 fr. Il émet appel du jugement,
et il soutient devant la Cour : qu’un prêt à la grosse ne
pouvait, dans aucun cas, donner lieu à une poursuite en
usure ; qu’il ignorait ou pouvait ignorer quelle destina
tion les emprunteurs devaient donner à cet argent; et
que les contrats qu’il avait faits ne pouvaient changer
de nature , parce que les emprunteurs n’avaient pas
voulu faite une spéculation maritime;
Il était impossible qu’une pareille défense pût réus
sir. Aussi la Cour confirma-t-elle le jugement.
La morale de cet a rrê t, c’est qu’il ne suffit pas de
qualifier un acte de contrat à la grosse pour acquérir
�232
TRAITÉ DU DDL
le droit de s’en faire payer les intérêts. Il n’y a lieu à
tolérer cet intérêt que lorsqu’en fait le capital prêté a
subi les chances qui l’ont fait laisser à la libre stipula
tion des parties. Hors de la, il n ’y a plus qu’une usure
déguisée sous des dehors trompeurs, et qu’il est du de
voir de la justice de réprimer sévèrement.
1 1 59.
— Il est incontestable que la cession se prête
admirablement à déguiser l’usure et à favoriser un in
térêt excessif. Cependant si le contrat de cession est sin
cère , et c’est aux tribunaux qu’il appartient de le déci
der, l’usure ne saurait exister, quelque importante que
soit la prime accordée au cessionnaire.
La raison en e s t, que la cession est au civil ce que
l’escompte est au commerce. Les motifs qui légitiment
celui-ci justifient celle-là. L’une et l’autre constituent
plutôt un achat qu’un prêt proprement dit ; et, en ma
tière d’achat et de vente , la fixation du prix est laissée
à la libre volonté des parties.
Conséquemment, si l’acte qualifié de cession en ren
ferme les éléments, si on y retrouve ces conditions sub
stantielles : res, pretium et consensus, il ne peut être
querellé d’usure rt doit être exécuté dans toutes ses dis
positions. C’est ce que la Cour de cassation a décidé
d’une manière formelle, au rapport de M. Troplong.1
Si, au contraire, les parties n’ont pris la forme de la
cession que pour se livrer impunément à l’usure ; s’il
1 8 mai 1844; — D. P., 44, 1, 241,
�ET
DE
LA
FRAUDE.
233
n’y a un qu’un prêt simulé sous les apparences d’un
autre contrat, tout ce qui excède l’intérêt légal n’est pas
dû. On peut dès lors non seulement ne pas le payer,
mais même le répéter, si déjà on l’a fait. Nous rappel
lerons à cet égard que l’appréciation du véritable carac
tère de l’acte est abandonnée à l’arbitrage souverain du
juge, et que sa décision, d’après les faits et circonstan
ces de la cause, d’après l’intention des parties, est à l’a
bri de toute censure.
Il y a plus encore, une cession réelle peut ne pas être
pure d'usure. Tel serait le cas de la cession qu’un dé
biteur ferait de ses revenus eu paiement des intérêts
qu’il doit à son créancier. Il est évident qu’il y a là un
transport sérieux , mais pour qu’il y ait juste prix , il
faut que les revenus cédés ne soient pas d’un chiffre su
périeur à celui des intérêts légaux ; s’ils les dépassent,
l’exécution de la cession consacrerait l’usure. Le cédant
serait donc recevable à demander que l’excédant lui soit
restitué, ou tout au moins successivement imputé sur le
capital.
1160- — Le prêt à rente viagère peut être stipulé
au taux qu’il plaît aux parties d’arrêter. Telle est la dis
position expresse de l’art. 1976 du Code civil. La loi de
1807 n’ayant rien statué à cet égard, elle reste sans ap
plication à la rente viagère.
Ce silence de la loi s’explique fort bien par la nature
essentiellement aléatoire de ce contrat. D’une p a rt, le
capital est aliéné sans retour, et dès lors la rente, n’é-.,
i
�234
TRAITÉ DU DOL
tant plus la représentation de la jouissance temporaire
de ce capital, ne peut plus être qualifiée d’intérêt pro
prement dit ; d’autre p a r t, la mort du crédi-rentier a mènera, ipso facto, la suppression de la rente, et celte
mort étant essentiellement incertaine , le débiteur, s’il
est exposé à payer beaucoup , peut également ne payer
que fort peu. On le vo it, le législateur ne pouvait que
s’en référer à ce qui serait convenu par les parties. Il
devait consacrer les engagements qu’une pareille éven
tualité est dans le cas de déterminer.
1 1 6 1 . — La nature et le caractère de ce contrat
paraissaient devoir l’empêcher de devenir un instrument
d’usure. Il n’en a rien été , et , sous ses formes , s’est
quelquefois glissé une avide et déloyale prétention. En
voici un exemple :
En 1807, le sieur Capey se constitua débiteur envers
le sieur Havas , banquier , moyennant une somme de
10,000 fr., d’une rente viagère de 1,500 fr., rachetable après quatre ans. Depuis , le sieur Havas se rend
cessionnaire d’une autre rente viagère de 800 fr. due
par Capey.
Plus tard, en 1824, ces deux rentes sont converties,
par Capey et les héritiers Havas , en une rente perpé
tuelle de 1,400 fr. sur un capital de 28,000 fr., que
les héritiers Havas prétendent avoir été touché par
Capey, ainsi qu’ils se proposent de l’établir par leur
compte.
A l’échéance du premier terme , poursuites en paie-
�ET DE LA FRAUDE.
235
ment de la part des héritiers Havas. Ils prétendent que
Capey a reçu le capital de 28,000 fr., tant par les som
mes prêtées que par les arrérages qu’il doit.
Pour arrêter ces poursuites , Capey forme lui-même
une demande tendant à faire déclarer que, depuis 1817,
il avait été convenu que la rente de 2,300 f.. serait ré
duite à 1,400 fr.; que celte convention ayant été exac
tement remplie, lui, Capey, n’était redevable d’aucuns
arrérages de l’ancienne rente ; que, dès lors, il ne devait
payer la rente perpétuelle de 1,400 fr. qu’autant qu’on
compléterait le capital de 28,000 fr.
Jugement qui rejette cette prétention. Appel.
Devant la Cour , Capey soutient que non seulement
il ne restait redevable d’aucuns intérêts arréragés* mais
que la majeure partie de ceux qu’il avait payés n’était
pas due ; qu’on devait la lui restituer ou lui en tenir
compte; qu’en effet , les arrérages n’étant produits que
par un prêt déguisé sous l’apparence d’un contrat de
rente viagère, devaient être réduits au taux légal du cinq
pour cent, et que les sommes réduites devant se com
penser avec celles qu’il avait reçues, rendaient d’autant
moins fondée la prétention du service actuel de la rente
perpétuelle de 1,400 fr.
Les intimés, voyant dans cette prétention une deman
de nouvelle, la soutinrent non-recevable en cause d’ap
pel. Au fond, excipant de l’art. 1976, ils contestaient le
droit de quereller d’usure la rente viagère; ils soute
naient d’ailleurs que le contrat ayant été exécuté plus
de dix ans , l’action serait éteinte par la prescription,
�236
TRAITÉ DU DDL
indépendamment de la novation qu’ils faisaient résulter
de l’acte de 1824.
Mais la Cour de Caen, sans s’arrêter à toutes ces fins
de non-recevoir, annule le prétendu contrat à rente vi
agère de 1807, sur les motifs : en droit, qu’il n’était
pas permis de créer un contrat de ce genre pour mas
quer, sous des apparences trompeuses, un contrat usuraire , et que les tribunaux sont investis dans ce cas,
comme dans tout autre, du pouvoir de réprimer la frau
de; en fait, parce que le contrat de 1807 était fraudu
leux et simulé , ce que la Cour déduit des faits et cir
constances , et notamment de la faculté au débiteur de
se racheter dans quatre ans , de la constitution de la
rente sur trois têtes, des habitudes usuraires de Havas,
qui n’avait jamais établi des rentes de ce genre avant la
loi de 1807, enfin de la conversion, en 1824, de la rente
viagère en rente perpétuelle.
Cet arrêt, rendu le 26 mai 1839, fut déféré à la Cour
de cassation , et par celle-ci confirmé dans toutes ses
dispositions. Voici en quels termes la Cour régulatrice
repousse le moyen tiré de la violation de l’art. 1976 :
« Attendu que l’arrêt ne porte aucune atteinte à la
liberté des stipulations sur les rentes viagères ; qu’il juge
seulement que , dans l’espèce , un contrat de prêt a été
déguisé sous l’apparence d’un contrat de rente viagère,
dans l’objet d’éluder la loi qui prohibe toute stipulation
d’intérêt usuraire ; qu’il était dans les attributions de la
Cour de rechercher ce qui s’était réellement passé entre
les parties, et qu’après avoir reconnu que leur conven-
�ET DE LA FRAUDE.
237
tion était un prêt à intérêt, elle devait réduire , comme
elle l’a fait, l’intérêt au taux légal.' »
Comme on le voit, l’usure se glisse partout, essaye
toutes les chances de se dissimuler et emprunte la for
me du contrat qui lui parait le plus favorable. Tout cela
prouve la sagesse de la jurisprudence qui, par l’admis
sion de la preuve testimoniale et par celle des présom
ptions, facilite les moyens de la démasquer et de lui faire
perdre le bénéfice illégitime qu’elle s’était proposée.
1 162. — Il n’est pas de contrat que l’usure n’ait
tenté de vicier. La donation elle-même n’a pas été à
l’abri de ses efforts. Ainsi un prêt est consenti à l’inté
rêt légal , mais le prêteur exige et obtient, soit avant
soit après le contrat , une donation d’une somme plus
ou moins forte , laquelle , dans l’intention des parties,
n’est pas autre chose qu’un supplément d’intérêt.
M. Petit’ pense que, dans la question d’appréciation
de la validité d’une pareille donation, les faits et les cir
constances sont d’une grande importance , cette ques
tion ne pouvant être résolue , en d ro it, d’une manière
absolue. M. Petit se trompe en droit, et cela le plus ab
solument possible. La donation renfermant une usure
palliée est nulle et sans effets possibles , le droit n’est
pas douteux. Ce qui peut offrir une difficulté , c’est la
question de savoir si l’usure existe ou non, et nous com-
1 31 décembre 1833; — D. P , 34, 1, 140.
s Traité de l'usure, liv. 1, pag. 61.
�238
TRAITÉ DU DOL
prenons que la solution de cette difficulté dépendra des
faits et circonstances. Il est cependant une considération
qui domine la matière et qui semble devoir faire ad
mettre le caractère usuraire de l’acte , à savoir : l’exis
tence d’une donation par le débiteur au créancier. N’estil pas, en effet, extraordinaire que , d’une p a rt, celui
qui se trouve réduit à emprunter, ou qui ne peut se li
bérer de ce qu’il doit, aliène ses biens à titre gratuit en
faveur de son créancier, tout en restant grevé de la det
te ? Que, d’autre part, le créancier ait le courage d’ac
cepter les dons d’un débiteur qui ne peut pas se libérer,
et qu’il ne lui concède pas en échange la décharge de
la dette ? '
Que faut-il donc conclure de cette étrangeté ? Pas au
tre chose sinon que la donation n’est que la condition
et la conséquence du prêt, soit qu’elle ait été consentie
pour le déterminer , soit qu’elle ait servi à obtenir une
prorogation du terme de l’exigibilité. Dans l’un comme
dans l’autre cas, elle n ’a qu’une cause illicite et ne peut
être considérée comme l’effet d’une volonté libre. Quel
ques termes qu’on emploie , elle est en réalité imposée
par un homme en position de dicter la loi, debitor servus est fœneratoris. Il y manque le nullo ju re cogente,
qui est de l’essence de la donation, car egestas excludit
volunlarium
1 Chardon, Bol et fraude, n° 51 B.
2 Troplong, Du prêt, n° 367.
�ET DE LA FRAUDE.
239
1165.
— C’est ainsi que l’avait admis l’ancienne
jurisprudence, c’est ce qu’enseignaient notamment d’Argentré, Dumoulin et Pothier.
Pour que le présent, dit ce dernier, que le prêteur a
reçu de l’emprunteur soit réputé lui avoir été fait libre
ment, et ne soit pas en conséquence infesté du vice d’u
sure , il faut que l’emprunteur ne l’ait fait que dans le
temps qu’il a rendu la somme prêtée, ou après. S’il l’a
vait fait auparavant, il serait présumé ne l’avoir fait
que pour que le prêteur ne le pressât pas pour le paie
ment , e t , par conséquent, ne l’avoir pas fait avec li
berté entière, ce qui suffit pour que ce présent , que le
préteur a reçu, soit regardé, en quelque façon, comme
exigé, et, par conséquent, comme infesté du vice d’u
sure.'
i l 64. — La question s’étant présentée depuis la loi
de 1807, a été résolue par la Cour de Pau conformé
ment à cette doctrine. Son arrêt ayant été cassé , l’af
faire fut renvoyée devant la Cour de Bordeaux qui,
comme celle de Pau, annula la donation.1
Hâtons-nous d’observer que l’arrêt de Pau , quant
aux principes, ne fut nullement improuvé par la Cour
de cassation. Ce qui détermina l’annulation de l’arrêt
ne fut que l’admission d’un moyen de forme. Aussi, et
malgré que la Cour de renvoi ait jugé plutôt en fait
i De l'usure, n° 99.
�240
T R A IT É
DU
DDL
qu’en d roit, n’hésitons-nous pas à faire comme MM.
Chardon et Dalloz, c’est-à-dire à adopter pleinement la
doctrine enseignée par la Cour de P au.
1 1 65. — Sans doute cette doctrine souffre des ex
ceptions. Ainsi si la donation faite au créancier se trou
ve parfaitement expliquée par les liens de parenté, d’al
liance ou de vieille affection ; si des services signalés,
rendus depuis le prêt, et indépendamment de son exis
tence, la motivent et la justifient, il y aurait injustice à
l’anéantir. La qualité de créancier et de débiteur de
vient , dans ce cas , indifférente. Nul ne doit être privé
d’un émolument légitimement ou naturellement acquis,
par cela seul que, dans une circonstance plus ou moins
critique, il serait venu au secours d’un parent ou d’un
ami, en lui ouvrant sa bourse.
Que l’appréciation du juge soit appelée sur l’existen
ce , sur la réalité des moyens justificatifs de la dona
tion , rien de plus équitable et de plus simple. Mais
nous persistons à croire que , lorsque le donataire en
sera réduit à invoquer sa qualité de créancier, à ne par
ler que de l’avantage , que sa condescendance à le de
venir, a procuré au débiteur, la donation doit être con
sidérée comme la condition du prêt ; comme ne faisant
avec lui qu’un tout indivisible, inséparable , qu’on doit
conséquemment l’annuler parce qu’elle n’a jamais été,
selon l’expression de Dumoulin, liberalis et vere spontanea.
�•ET
DE
LA
%h\
FRAUDE.
1166. — Il n’en est pas ainsi de la donation que
le débiteur ferait à son créancier, après l’avoir intégra
lement remboursé. Délivré, par le paiement, de la con
trainte morale à laquelle il est censé céder avant, le dé
biteur a repris sa liberté , rien ne le soumet plus à obéir à des exigences illégitimes, et s’il donne, c’est qu’il
en a librement conçu et exécuté la pensée.
Cependant 31. Troplong pense que , même dans ce
cas, le juge doit consulter et vérifier les circonstances
ayant présidé à l’accomplissement de l’acte. Elles seu
les , dit cet illustre jurisconsulte , peuvent le mettre à
même de décider si la rémunération du débiteur a été
réellement le fruit d’une pensée spontanée et libre.
1167. — La prohibition de recevoir au-delà de l’in
térêt légal comprend non seulement le profit que se pro
curerait le prêteur en exigeant réellement quelque chose
en sus des intérêts qu’il doit percevoir, mais encore ce
lui résultant pour lui des services personnels auxquels
l’emprunteur se serait soumis, outre les intérêts conve
nus à un taux légal.
Toutefois l’usure n’existe réellement qu’en tant que le
profit exigé par le prêteur est une charge imposée à
l’emprunteur. Conséquemment elle n’existerait dans
l’espèce que si les services personnels étaient apprécia
bles en argent.
1168. — Pour décider s’il en est ou non ainsi , il
faut non seulement considérer la nature du service, mais
Ht
t6
�f
242
TRAITÉ DU DOL
encore son caractère relativement à la qualité et à la
profession decelui qui se l’est imposé. Souvent, en ef
fet, ce qui aggraverait la position de l’u n , sera sans la
moindre influence sur celle de l’autre.
Par sa nature, le service sera appréciable en argent,
si celui qui doit le rendre ne peut le faire sans s’impo
ser un sacrifice ou sans se priver d’un profit. Ainsi, dit
Pothier, si je prête à un jardinier à la charge , outre
l’intérêt légal, de me tailler mes arbres, le service sera
appréciable en argent. Ce que je donnerais à l’ouvrier,
qui serait chargé de faire mon travail, ce que perd mon
débiteur en consacrant gratuitement à mon service les
journées qu’il utiliserait chez lui ou ailleurs , sont le
double élément de cette appréciation. Il y a évidemment
usure, car je réalise un profit et mon débiteur s’impose
une perte.
Mais ce qui est une charge pour le jardinier n’en est
pas une pour celui qui, instruit dans l’art de tailler les
arbres , ne fait pas de son exercice une profession , ou
n’en retire aucun profit. Si donc je prête à celui-ci à la
même condition qu’au jardinier , le service que je lui
impose n’est plus appréciable en argent. Il est vrai que,
pour moi, ce service est une économie, mais il est, de
la part du débiteur , plutôt un acte d’obligeance qu’il
n’aura pas c ru , si l’on v e u t, pouvoir me refuser , mais
qui n’est jamais dans le cas de lui imposer un sacrifice
quelconque, ni aucune perle appréciable.
On voit , par cet exemple , comment on doit appli
quer la condition que les services soient appréciables en
�|
ET DE LA FRAUDE.
243
argent, et dans quels cas on devrait admettre ou re
pousser la demande en restitution, fondée sur des servi
ces personnels, exécutés outre et indépendamment du
paiement des intérêts.
1169.
— L’usure peut se glisser dans le contrat de
société. Ce que nous avons dit précédemment nous dis
pense d’insister à ce sujet. Nous nous en référons à nos
précéden tes observa lions.1
1
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I f l if L
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1 170.
— La vente est favorable à la dissimulation
de l’usure. La liberté que ce contrat laisse aux parties
de fixer le prix , soit en capital, soit en intérêts, devait
fixer l’attention et exciter la convoitise de ces hommes
dont l’unique but est de se soustraire aux exigences de
la loi de 1807.
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« : :
IiÉ j
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; 3 '
Nous avons déjà dit que la délivrance d’une certaine
quantité d’objets mobiliers était bien souvent pratiquée
par les usuriers pour ajouter encore à l’énormité des in
térêts qu’ils exigent. Nous avons dit aussi qu’il n ’y a
pas réellement vente dans ce cas ; qu’on ne peut voir,
dans cette délivrance, qu’un prêt, qu’une usure criarde
qu’il est du devoir des magistrats de réprimer sévère
ment.3
11
1171.
— Peut-on quereller d’usure la vente de
marchandises faite par un commerçant? Non, évidem-
1 V.
s V.
s u p ra
s u p ra
n° 1071.
ch. 2, sect. 3, n»» 939 et suiv.
4M
il
�V
244
TRAITÉ DU DOL
ment, si la vente est réelle, si le vendeur n’a fait qu’un
<*
de ces actes dont la répétition et la fréquence constituent
l’industrie à laquelle il est voué. Il importerait peu que
le prix de la marchandise eût été porté à un taux plus
élevé que le cours du moment. C’est surtout en matière
de commerce qu’on peut d ire, avec le jurisconsulte ro
main : In prelio emptionis et venditionis, naturaliter
licet contrahentibus se circumvenire '. D’autre part, la
qualité de l’acheteur peut être telle, que la cherté du
prix soit dans des justes proportions avec le danger de
non paiement que court le vendeur.
Cependant cette cherté , poussée jusqu’à de certaines
limites, pourrait constituer la fraude, surtout s i , par sa
position, son âge, son peu d’intelligence, l’acheteur n ’a
vait pas été à même de défendre suffisamment ses in
térêts , ou si elle était le résultat de manoeuvres illégiti
mes.
Hors de ces hypothèses , la vente de marchandises,
quel qu’en soit le prix, ne pourra être légalement que
rellée d’usure. D’abord , parce que l’acheteur a pu dé
battre le prix ; ensuite , parce qu’en matière de vente
mobilière, il n’existe pas d’action en lésion,et c’est cette
action qu’on prétendrait se procurer par l’articulation
d’une usure.
Mais si, sous prétexte de vendre, le commerçant n’a
vait, en réalité, consenti qu’un p rê t, l’action en usure
1 L, 16, § 4. Dig.
De m in o rib u s
xxv
a n n is .
�serait recevable. El
merçant et qu’on parait ne fairé que des actes de com
merce , on ne saurait impunérnent se livrer à l’usure.
Les magistrats ont donc le devoir d’apprécier l’opéra
tion querellée, e t , s’ils sont convaincus qu’il s’est agi
non d’une vente, mais d’un prêt à un intérêt supérieur
au taux légal, ils doivent appliquer, sans hésitation, la
loi de 1807.'
- ,
^
Ainsi, la question que nous avons posée est plutôt en
fait qu’en droit. Elle e s t, dès lors , livrée à l’arbitrage
souverain du juge.
1172.
— La vente d’un immeuble peut également
ne constituer qu’un prêt usuraire simulé. Une espèce
remarquable, jugée par la Cour de Paris , le 2 mai
1823, indique les caractères auxquels on doit reconnaî
tre cette fraude.
« Par acte sous seing privé, du 1er avril 1809, Bau
dot vendit au sieur Cordier plusieurs immeubles moyen
nant 1,000 fr., qu’il reconnut avoir reçus comptant.
» Par acte notarié , du 12 du même mois , Cordier
revendit les mêmes immeubles à B audot, moyennant
une redevance annuelle de six hectolitres deux décalitres
huit décilitres ( seize bichets ancienne mesure d’Auver
gne) de blé froment, payable le 1er avril de chaque an
née et rachelable par une quantité de blé égale à vingt
prestations annuelles.
1 Cass.,. 21 août 1829; — D. P„ 29, 1, 343.
il
�m
TRAITÉ DU DOL
» Après la mort de Baudot, qui avait toujours exac
tement servi cette rente, ses héritiers déclarèrent vouloir
la racheter, et firent au sieur Cordier une offre réelle de
la somme de 1,000 fr., pour éteindre et amortir la ren
te créée par leur auteur.
» Cette offre ayant été refusée, les héritiers Baudot
en poursuivirent judiciairement la validité. A cet effet,
ils prétendirent que les actes d’acquisition et de revente
des 1er et 12 avril 1809 étaient simulés; qu’ils avaient
été faits le même jour, et qu’ils n ’avaient eu pour objet
que de dissimuler un prêt usuraire.
» Indépendamment d’une exception de prescription
décennale, Cordier soutenait au fond : que les actes at
taqués étaient sérieux et sincères ; qu’ils faisaient pleine
foi de leur contenu contre Baudot et ses ayants cause;
qu’ainsi, la redevance avait été stipulée non pas pour
une somme de 1,000 fr., mais pour le prix des biens
par lui vendus au sieur Baudot par le contrat du 12 avril 1809 , et qu’il n’y avait rien d’usuraire dans une
pareille stipulation ; qu’alors même qu’on supposerait,
contre la teneur des actes et contre la vérité des faits,
que la rente eût été constituée moyennant un capital de
1,000 fr., il n’y aurait encore lieu de modifier une
convention qui ferait la loi des parties ; que la qualité
et le prix des grains étant nécessairement variables , ce
serait un pacte aléatoire, dans lequel il serait impossible
de voir le caractère de l’usure.
» Ce système échoue devant le tribunal d’Auxerre,
qui, rejetant la prescription, statue au fond par les mo
tifs suivants :
�ET DE LA FRAUDE.
247
» Considérant que le sieur Cordier, entendu en per
sonne, avoue avoir acheté de l’auteur des héritiers Bau
dot , moyennant 1,000 fr., le 1or avril 1809 , par acte
privé, les héritages qu’il lui a revendus le 12 du même
mois , par acte authentique , moyennant une rente en
grains, remboursable en valeur de grains; qu’ainsi , il
est évident que la vente du 12 avril 1809 n’est qu’une
voie indirecte imaginée par le défendeur à l’effet d’ob
tenir, à son profit, une rente en grains en ne fournis
sant que de l’argent pour capital ; que, par cela seul, la
rente devrait être convertie en argent; qu’en effet, l’édit
de 1565 défend de constituer une rente de grains pour
un capital en argent, à peine par les constituants d’être
poursuivis comme usuriers; que cette prohibition est
renouvelée implicitement, il est vrai , mais nécessaire
ment par la loi de 1807, qui interdit toute autre stipu
lation d’intérêt conventionnel qu’au taux du cinq pour
cent du capital , ce qui suppose un revenu fixe et en
numéraire et inconciliable avec un intérêt consistant en
denrées, dont le prix varie sans cesse ;
» Considérant, en outre, qu’indépendamment de cette
première violation delà loi,le contrat du 12 avril 1809
a créé une énorme usure, le capital fourni par Cordier
n’étant que de 1,000 fr. et devant lui produire, au lieu
de 50 fr., seize bichets de blé à raison , en tout temps,
de 6 fr. 12 cent, le bichet, indépendamment de ce que
le capital à rembourser est lui-même fixé en grains,
en sorte qu’il y a double usure.
y> Cordier ayant émis appel de ce jugement, la Cour
�248
TRAITÉ DU DDL
de Paris le confirme purement et simplement par adoption des motifs. »
ï 17 3 . — A notre avis , ces documents judiciaires
ne méritent qu’un seul reproche , à savoir : d’induire
de la loi de 1807 la confirmation implicite des princi
pes consacrés par l’ordonnance de 1365 sur la stipu
lation d’un intérêt en denrées. Ainsi que nous venons
de le dire , cette stipulation est aujourd’hui incontesta
blement licite, à condition que l’intérêt en denrées n’excèdera pas le cinq pour cent, quelle que soit la quantité
promise. Au fond , et quant à la réduction , la décision
du tribunal est non seulement équitable, mais encore au
plus haut point juridique. Elle ressortait, invincible
ment , des circonstances du fait. Il est évident que les
seize bichets de blé n’étaient que l’intérêt des 1,000 fr.
prêtés , et que les deux ventes des 1er et 12 avril n’é
taient qu’un moyen détourné pour déguiser ce qu’un
pareil intérêt avait d’illégal. Cette simulation était telle
ment transparente, que les héritiers Baudot avaient rai
son lorsqu’ils l’appelaient une fiction maladroite. Elle
n’était, en effet, pas autre chose que le contrat mohatra,
appliqué à une vente d’immeubles.
1 1 74.
— Cette évidence , susceptible d’être acquise
dans toute autre espèce , explique pourquoi les tribu
naux seront rarement appelés à statuer sur des hypo
thèses de cette nature. Il faut à l’usure des chances
plus sûres , et la vente à réméré semble faite pour les
lui offrir.
�ET DE LA FRAUDE.
249
Dans l’opinion de M. Chardon , ce contrat ne parait
pas avoir d’autre objet que d’aider l’usure dans ses
perfides spéculations'. Cette appréciation , la doctrine
ancienne l’avait déjà faite : Via aperta ad illïcitum
fœnus exercendum, disait Dumoulin % en parlant de la
vente à réméré. C’est ce qui explique les répugnances
qu’il fallut vaincre lorsqu’il fut question de l’inscrire
dans le Code.
Ceux-là mêmes qui en votèrent le maintien, ne se
dissimulaient pas les graves inconvénients qu’elle est
dans le cas d’entraîner. Celui qui se réserve de repren
dre ce qu’il aliène, n’a pas', évidemment, l’intention de
vendre > e t , s’il le fa it, c’est qu’il ne peut autrement
pourvoir aux besoins qu’il a actuellement à satisfaire.
Il ne vendrait donc pas si son crédit pouvait lui procu
rer les sommes qui lui sont indispensables.
1175.
— La vente à réméré offre donc plutôt l’idée
d’un prêt que celle d’une vente. Mais, dans ces termes
mêmes, il a paru convenable de la maintenir. En effet,
le répit qu’elle offrira au débiteur peut lui fournir le
moyen de vaincre les embarras pécuniaires le forçant à
y recourir. Elle p eu t, dès lors , lui conserver un patri
moine qu’il eût été forcé , sans son secours , d’aliéner
d’une manière définitive et à un prix inférieur à sa va
leur réelle.. Il ne manque pas, en effet , de gens capa-
�250
TRAITÉ DU DOL
blés de spéculer sur le besoin que le vendeur a de se
défaire de ses biens , besoin qu’ils exploitent, qu’ils ne
demandent pas mieux que d’exploiter.
D’autre p a rt, la vente à réméré n’offrira jamais un
prix proportionné à la valeur réelle, et plus l’acquéreur
aura en vue un avantage usuraire , plus il réduira la
somme pour rendre cet avantage plus considérable en
cas de non exercice du rachat. De plus , si l’immeuble
est réellement livré, l’acquéreur en retirera les revenus,
qui devront excéder l’intérêt légal. Ainsi, usure dans la
perception de cet intérêt , usure sur le remboursement
du capital, si la propriété n’est pas rachetée, telle est la
double face que présente ce dangereux contrat.
Il suit de là que la justice a le plus rigoureux devoir
à éclairer l’opération qui lui est dénoncée, à la rétablir
dans son véritable caractère, à lui restituer ses effets na
turels. Elle empêchera ainsi la consommation d’une
fraude trop facile pour ne pas être très-souvent tentée.
1 176.
— Nous nous sommes déjà occupés de la
recherche des circonstances de fait pouvant donner à
la vente à réméré le caractère d’un contrat pignoratif.
Ces circonstances sont, avons-nous dit : 1° la vilité du
prix, 2° lë pacte de rachat, 3 “ la relocation ; leur ré
union , avons-nous ajouté , peut suffire pour faire ad
mettre l’absence d’une vente.1
i V.
n ip ra
chap. 2, sect. 3, n» 946.
�ET DE LA FRAUDE.
251
1177. — Peut-on arriver au même résultat, si ces
trois circonstances n’existaient pas simultanément ? A
cet égard une distinction nous paraît indispensable.
1178. — Ce qui est surtout dans le cas de changer
la nature apparente du contrat, c’est le fait de la trans
mission conditionnelle et temporaire de la propriété de
la chose vendue. Evidemment si ce transport est fait de
manière définitive et irrévocable au moment du contrat
et par le contrat même , il serait difficile de voir dans
ce contrat autre chose qu’une véritable vente à des con
ditions plus ou moins avantageuses , mais ne pouvant,
dans aucun cas, autoriser une autre action que celle en
lésion.
Dès lors la stipulation de rachat est indispensable,
son absence enlèverait tout moyen de soutenir que la
vente n’est qu’un contrat pignoratif. Vainement, en cet
é ta t, arguerait-on de la vilité du prix et de la reloca
tion. La première ne serait a considérer que si elle oc
casionnait une lésion atteignant les proportions établies
par l’art. 1674. La seconde ne constituerait plus que
l’exercice licite d’un droit exclusivement dévolu au pro
priétaire.
Mais le pacte de rachat stipulé dans l’acte, la réunion
des deux autres circonstances est en quelque sorte la
preuve qu’il s’agit d’un contrat pignoratif. L’absence de
l’une d’elles affaiblit cette preuve, mais ne la fait pas
disparaître complètement, en ce sens que la présomp
tion que l’existence de l’autre fait naître est de nature à
�. 252
TRAITÉ DU DOL
déterminer la conviction que les autres faits du procès
peuvent confirmer.
1179.
— Ainsi la vilité du prix coïncidant avec le
pacte de rachat, confirme ce que celui-ci fait présumer,
à savoir : l’absence chez le vendeur de toute intention
de vendre. La faculté de racheter est incompatible avec
l’idée d’aliéner ; que sera-ce donc si à cette faculté se
joint un prix évidemment en dessous de la juste valeur.
Il n ’y a plus alors qu’une seule explication admissible,
c’est que le prétendu vendeur a accepté comme prêt la
somme qu’il n ’eût jamais acceptée comme l’équivalent
de ses biens. La prétendue aliénation qu’il en fait n’est
donc plus que la garantie de ce prêt. On ne saurait dé
cider le contraire sans se placer en contradiction avec
la vérité , sans consacrer la spoliation que l’usure s’est
ménagée.
M. Chardon , qui professe cette doctrine , s’étaye sur
cet exemple : Jacques , voulant emprunter 6,000 fr.,
vend à Jean, moyennant cette somme, un domaine af
fermé 600 fr. et l’acquit des contributions , avec la fa
culté de racheter ce domaine dans cinq ans , en ren
dant les 6,000 fr. Qui refuserait, dit cet auteur, de voir,
dans ce traité, un prêt à dix pour cent, offrant en outre
la perspective pour le prêteur d’obtenir le double de son
capital', si l’emprunteur ne profite pas du délai pour se
libérer ? Pour tolérer une pareille exaction , il faudrait
méconnaître et l’art. 2088 du Code et la loi de 1807.'
i Du dol el de la fraude. n° 5-151.
�ET DE LA FRAUDE.
253
La vilité du prix, qui ne serait pas par elle seule un
indice de fraude, la fait fortement présumer lorsqu’elle
se réunit au pacte de rachat.
H 8 0. — La relocation ne produit pas , dans les
mêmes circonstances, un effet moins décisif. D’une part,
le pacte de rachat, disions-nous, exclut toute intention
de vendre.; de l’autre , la relocation fait supposer que
l’acheteur n’a pas voulu sérieusement acheter. Celui qui
acquiert réellement une chose ne le fait que pour la
posséder et en jouir. Comment donc interpréter la con
duite de cet acquéreur, dont le premier acte est de lais
ser la jouissance et la possession aux mains du ven
deur.
Vainement exciperait-on de l’existence d’un bail pour
justifier la précarité de la possession du vendeur, l’exis
tence de ce bail serait sans influence aucune, parce que
la réussite de la simulation dont il est argué l’amenait
forcément. Elle n’est qu’une conséquence de l’apparen
ce donnée à l’acte. Vouloir donc justifier celle-ci par
celle-là, c’est appeler la fraude au secours de la fraude.
D’ailleurs, s’il n’y a pas vente, il y a prêt , et dès lors
nécessité de stipuler un intérêt quelconque. C’est cet in
térêt que la nécessité de la stipulation a fait qualifier
prix d’un bail, qualification qui devait tomber devant
la certitude qu’il n ’existe pas de vente sérieuse.
La faculté de rachat et surtout la rétention de la pos
session excluent toute idée de vendre chez le prétendu
vendeur. Le consentement donné à cette rétention, mê-
�)
254
TRAITÉ DU DOL
me par un bail formel, exclut chez l’acquéreur l’inten
tion d’acheter. La coïncidence de ces deux présomptions
doit être considérée comme établissant sans réplique le
véritable caractère de l’acte.
Ainsi donc la réunion des trois circonstances que
nous avons énumérées n’est pas nécessaire. Il suffit
qu’au pacte de rachat vienne se joindre ou la vilité du
prix ou la relocation. Si elles existaient toutes tro is, la
démonstration de la fraude n’en serait que plus éviden
te. Au reste, nous dirons à cet égard ce que nous avons
déjà dit et ce que nous serons amené à répéter encore :
en celte matière , comme dans toutes les appréciations
de fa it, la solution est livrée à l’arbitrage souverain du
juge. Elle peut constituer un bien ou mal jugé , jamais
une violation de la loi susceptible de censure de la part
de la Cour de cassation. '
1181. — L’acte de vente déclaré contrat pignoratif
est nul comme vente, il n’a donc jamais pu en produi
re les effets. Ainsi la propriété n’a pas cessé de résider
sur la tête du débiteur. Elle est donc soumise aux droits
que les créanciers de celui- ci auraient acquis avant la
résolution du contrat, comme elle est affranchie de tou
tes les charges dont le prétendu acquéreur l’aurait gre vée. Par rapport à lui, l’acte ne lui confère qu’un sim
ple droit d’obligation l’autorisant à se faire rembourser
du capital et des intérêts légaux.
1 Cass., 3 mars 1823; — D. P., 23, 1, 177.
�ET DE LA FRAUDE.
255
Ce résultat est indépendant d’une usure quelconque.
Le contrat pignoratif ne peut dans aucun cas, aux ter
mes de l’art. 2088, transférer au créancier la propriété,
il ne lui donne que le d ro it, à défaut de paiement au
terme convenu , de poursuivre l’expropriation des biens
qui lui ont été donnés en antichrèse. En conséquence,
le contrat de vente, reconnu n’être qu’un contrat pigno
ratif , ne saurait produire d’autres effets , alors même
qu’il ne renfermerait aucune usure.
Si l’usure existe, il est pourvu à l’intérêt du débiteur
par l’imputation de ce qu’il a indûment payé , d’abord
sur les intérêts et ensuite sur le capital.
1 1 8 2 . — L’usure , qui a abusé du contrat de ma
riage, de la donation, du contrat à la grosse, de la ven
te, a aussi tenté de se déguiser derrière l’échange. C’est
ce que pratiquait un usurier d’Alsace. Il achetait habi
tuellement de petits héritages , et lorsqu’on venait lui
emprunter de l’arg en t, il obligeait l’emprunteur à en
prendre un à titre d’échange pour le prix qu’il y met
tait. De cette manière il ne figurait que comme créan
cier d’une soulte et jamais comme prêteur. Il espérait
ainsi jouir impunément du fruit de ses rapines , car il
s’assurait par ce moyen un intérêt quelquefois de cin
quante et de quatre-vingt pour cent.
Mais son attente fut déçue, un de ces prétendus échanges ayant été déféré à la justice, la Cour de Colmar
refusa de reconnaître les caractères de ce contrat, le dé
clara un simple prêt usuraire et l’annula , délaissant
�256
TRAITÉ DU DOL
les parties à se régler pour ce qui avait été réellement
prêté, compensation faite avec ce qui était déjà payé.'
IL83. — Nous pourrions multiplier les exemples
e t, parcourant tour à tour les autres contrats,, démon
trer qu’ils peuvent aussi, quelle que soit leur spécialité,
recéler l’usure sous des apparences de légalité irrépro
chable. Nous en avons dit assez pour prouver que l’u
sure est douée d’une subtilité qui ne le cède qu’à son
audace. Il faut donc , pour la combattre et la vaincre,
une perspicacité rare, une patience à toute épreuve, une
persévérance obstinée. La loi, en conférant la répression
aux tribunaux, leur a conféré le pouvoir que celte mis
sion exigeait, en les armant du droit d’apprécier souve
rainement les faits et les actes, et de s’arrêter plutôt à
l’intention des parties qu’à la lettre, même expresse, de
leur contrat. Que les magistrats veillent donc avec une
sévère exactitude , mais que l’horreur de l’usure ne les
entraîne jamais à porter atteinte à des conventions lé
gitimes , injustement attaquées. Impitoyables pour la
fraude, ils doivent, avec la même rigueur, proscrire les
attaques que dicterait l’imprudence ou la déloyauté.
1184.
— L’usure ne devient un délit que par la
répétition et la fréquence des actes qui la constituent. La
loi correctionnelle n’atteint, en effet, que l’habitude,
mais chaque fait usuraire ouvre une action à la partie
�ET DE LA FRAUDE.
257
lésée. Dans l’un et dans l’autre cas , l’usure se dégui
sant à l’aide de titres écrits qu’il faut anéantir , on a
prétendu que soit l’action au civil, soit celle du minis
tère public au crim inel, ne pouvait être admise que si
elle s’étayait d’une preuve écrite.
1185. — L’art. 1341-, a-t-on d it, proscrit toute
preuve testimoniale outre et contre le contenu de l’acte.
Par application de ce principe, on doit reconnaître que
l’habitude d’usure, quoique constituant un délit, ne peut
être établie par la preuve testimoniale. Il e s t, en effet,
des délits qui n’admettent pas ce genre de preuve, telle
est notamment la violation de dépôt, lorsqu’il s’agit
d’objet valant plus de 250 fr.
Mais ce système proscrit par la Cour de cassation, le
2 décembre 1 8 1 3 , a été, depuis, complètement aban
donnée.
1186. — Battue sur ce terrain, l’objection s’est re
jetée sur l’action de la partie qu’elle a voulu repousser
par la même fin de non-recevoir. Ce système , consacré
par un arrêt de la Cour de Pau, est celui qu’adopte M.
Sirey.'
1187. — Mais le système contraire, soutenu par de
nombreux et graves auteurs *, a prévalu en jurispru147 mars 4821 ; — Sirey, 25. i. 48 et 46.
2 Toullier , tom. ix, n» 493 ; — Chardon , n° 520; — Troplong , n°
405 ; — Duranton, tom. xm, n° 332; — Garnier, De l'usure, p. 4 40;
— Zacchariæ, tom. ni, 3 98, not. 20; — Duvergier, n° 307; — Dal
loz, tom. xii, pag. 724.
�258
TRAITÉ DU DOL
dence'. Il faut bien le reconnaître, sans cette solution,
les lois répressives de l’usure n’étaient plus qu’une lettre
morte sans application possible.
On ne viole pas une loi formelle sans prendre toutes
les précautions susceptibles d’assurer la réussite du pro
jet ayant déterminé cette violation. Comment se flatter
de voir l’usure laisser sur son passage des traces écrites,
elle q u i, pour mieux se déguisser, emprunte toutes les
formes, déploie toutes les ruses les plus subtiles , et sait
ainsi se soustraire parfois à toute poursuite ? Mettre sa
répression au prix d’une preuve écrite , autant valait la
proclamer inviolable.
Est-il vrai, d’ailleurs, que l’art. 1341 puisse régir la
matière ? Cet article ne concerne que l’intérêt particu
lier, dont elle prévoit et punit la légèreté et l’impruden
ce. Chaque partie peut renoncer à un avantage person
nel, et cette renonciation, la loi la fait résulter de l’ab
sence d’une preuve écrite. Mais nul ne peut renoncer à
une prescription d’ordre public, répudier le commande
ment d’une prohibition dans un intérêt général. Or l’u
sure intéresse l’un et l’autre, et, à ce double titre, son
inefficacité est absolue, radicale et n’admet pas même
de convention contraire. Serait-il donc possible de faire,
par un défaut de preuve littérale , ce que ne ferait pas
l’engagement le plus positif ?
�ET
DE
LA
FRAUDE.
259
1188.
— M. Troplong a raison. Le simple bon sens
indique que telle n’a pas été la pensée du législateur.
Car, pour décider le contraire , il faudrait aller jusqu’à
admettre que la foi a eu pour objet d’assurer l’impunité
à l’usure qu’elle semblait proscrire, et de donner aux
usuriers une égide et un encouragement pour ne laisser
aucune trace apparente de leurs pratiques abusives, pour
envelopper les desseins de leur cupidité sous les couleurs
trompeuses d’un acte licite.
D’ailleurs, si le délit d’usure ne résulte que de l’ha
bitude, il est certain que cette habitude n ’est elle-même
que la conséquence naturelle des faits divers la consti
tuant. Dès lors chacun de ces faits est un élément essen
tiel du d é lit, sans être le délit lui-même. La loi qui
réprime celui ci ne saurait tolérer des actes qui aboutis
sent à le caractériser.
Enfin la participation du débiteur au contrat n ’est
d’aucune considération. D’abord parce qu’il n’appar
tient à personne de violer l’ordre public ou l’intérêt gé
néral '. La nullité résultant de cette violation étant ab
solue, peut être invoquée par tous. Ensuite, parce qu’en
matière d’usure le débiteur est censé céder à une vio
lence morale à laquelle il ne peut résister.
1189.
— La preuve testimoniale est donc admissi
ble pour le fait spécial d’usure comme pour le délit luimême. De là cette conséquence que, sans y recourir, les
1 Limoges, 28 février 4 839; — D. P , 39, 2, 267
�'— N
260
TRAITÉ DU DOL
juges peuvent déclarer la convention usuraire , si des
présomptions graves, précises et concordantes viennent
leur en donner la conviction.
1190. — Dans l’hypothèse même où ces présomp
tions, où la preuve testimoniale ne paraîtraient pas dé
cisives, les juges pourraient, en vertu des art. 1366 et
1367, déférer le serment supplétoire. Cette faculté, que
M. Chardon s’efforce de justifier , n’est contestée par
personne. Oui, les juges le peuvent. Le doivent-ils, c’est
ce qui est plus délicat et plus grave.
Il est peu d’exemple d’un individu reculant devant la
nécessité d’affirmer sous serment l’allégation qu’il a ju
diciairement produite et soutenue. Déférer à une partie
la décision de son procès, c’est s’exposer à ne pas tou
jours consacrer la vérité.
M. Chardon, cependant, enseigne non seulement que
les juges ne doivent pas hésiter à déférer le serment,
mais encore qu’il convient de le déférer au débiteur al
léguant l’usüre. Mais, en pareille matière, l’absolu offre
d’inévitables dangers.
1191. — Nous tenons donc que la plus extrême
prudence doit diriger l’exercice de cette faculté ; que le
serment ne doit être déféré que lorsque , par la gravité
des présomptions relevées, cette formalité est en réalité
une précaution pour vaincre un dernier scrupule de la
conscience. Si le juge n’est pas convaincu , si les pré
somptions ne lui paraissent pas recevables, un serment
�ET DE LA FRAUDE.
261
prêté après un tel débat rassurera-t-il et sa raison et sa
conscience ?
1192. — Quant à celui à qui le serment doit être
déféré , nous ne voyons pas de moyen de le désigner
sans empiéter sur la conscience du juge. La loi l’auto
rise à le déférer à l’une des parties ; c’est donc à sa
sagesse et à sa prudence qu’elle s’en rapporte. Il est
d’ailleurs seul en état d’apprécier les antécédents et la
moralité des plaideurs, et s’il est vrai qu’une précédente
condamnation pour usure dût rendre le créancier sus
pect , il peut se faire aussi que la conduite passée du
débiteur ait été telle qu’il y aurait danger à s’en rap
porter à lui. Il faut donc s’en tenir à l’avis de la loi
elle-même, et laisser le magistrat arbitre souverain d’un
choix qui lui appartient exclusivement.
1193. — L’existence de l’usure prouvée, le contrat
qui en est vicié doit être ramené à des proportions lé
gales. Le débiteur est dès lors autorisé à se faire resti
tuer , soit directement soit par imputation sur ce qui
reste dû , toutes les sommes qu’il a indûment payées.
L’action quant à ce, formellement édictée par l’art. 3 de
la loi du 3 septembre, n’a jamais rencontré de contra
diction, ni soulevé de difficultés.
1194. — Cette action est ouverte en faveur du dé
biteur, ses héritiers ou ayants cause, y compris ses cré
anciers. Ces derniers ont un intérêt évident à tout ce
qui est de nature à grossir l’actif de leur débiteur. On
�m
TRAITÉ DU DOL
ne saurait donc les évincer de l’instance que , dans le
silence de celui-ci, ils auraient eux-mêmes introduite,
soit pour constater l’usure, soit pour en revendiquer les
conséquences. Cette instance trouverait sa recevabilité
dans la disposition des articles 1 1 66 et 1167 du Code
civil.
1 195.
— L’action en réduction ou en compensation
est toujours une action principale que le débiteur ou
ses ayants cause doivent directement exercer. Elle ne
peut jamais être jointe à l’action en répression du délit
ppursuivi par le ministère public.
Nous l’avons déjà dit : ce qui constitue le délit d’u
sure, c’est l’habitude ; sans doute chaque fait spécial est
un des éléments du délit, mais n’est pas le délit luimême. Dès lors l’action civile se poursuivant concur
remment avec l’action criminelle , ne pouvant résulter
que d’un délit, n’appartient à aucun des débiteurs lésés
par le fait spécial.
De là il suit que, quels que soient les termes de l’ar
ticle 3 de la loi du 3 septembre 1807, on ne doit con
fondre ni le principe ni les effets des deux actions qu’il
autorise. Ainsi le tribunal correctionnel, compétent pour
juger le délit d’habitude, a sans doute la faculté, pour
la détermination de l’amende , de relever et d’indiquer
nominalement les créances qu’il trouve usuraires , mais
cette indication faite épuise sa compétence , en ce sens
qu’il ne peut prononcer ni résiliation ni compensation.
L’une ou l’autre ne peuvent être que la conséquence
�ET DE LA FRAUDE.
263
d’une action dont la connaissance est exclusivement dé
férée aux tribunaux civils.
H 9 6 . — De plus , et en vertu du principe de la
séparation du criminel et du civil, la chose jugée par
le tribunal correctionnel n’a aucune influence nécessai
re dans l’instance civile. Ainsi, quoique la créance, dont
la réduction fait l’objet de celle-ci, se trouve nommé
ment parmi celles déclarées usuraires et ait concouru à
la détermination de l’amende, le tribunal civil peut or
donner une instruction nouvelle et écarter la prétention
d’usure, si son existence ne lui paraît pas suffisamment
démontrée. On comprend , en effet, que le prévenu
d’habitude d’usure , se débattant contre une masse de
faits, n’ait pu faire pour chacun d’eux des justifications
qu’une attaque, concentrant la difficulté sur un seul
point, lui permettra d’offrir.
Par la même raison, la créance, que le tribunal cor
rectionnel n’aurait pas rangée dans la classe des faits
usuraires, pourra être considérée comme telle par le tri
bunal civil, l’instruction ordonnée sur l’action du débi
teur étant de nature à confirmer une prétention qui ne
s’appuyait, dans la poursuite criminelle, que sur le dire
personnel du débiteur lui-même.
1197. — Ainsi l’exception péremptoire de chose
jugée ne peut résulter ni en faveur , ni au détriment du
créancier, de la décision intervenue sur la poursuite du
ministère public. Cette exception, le jugement qui aurait
�264
TRAITÉ DU DOL
prononcé la légitimité de la créance contradictoirement
entre le créancier et le débiteur, pourrait seul l’établir ;
ainsi le débiteur poursuivi en paiem ent, et condamné
définitivement, ne pourra plus soutenir que la dette était entachée d’usure ; c’était là une exception de natu
re à mettre obstacle à la condamnation, tout au moins
à la faire modifier. Il devait donc l’opposer et le silence
qu’il a gardé avant celte condamnation , il n’est plus
recevable à le rompre après , il ne peut en être relevé
que si le jugement peut encore être attaqué par les voies
ordinaires.
H 98. — En effet, l’exception d’usure étant un
moyen et non une nouvelle demande, peut être propo
sée pour la première fois devant la Cour d’appel, c’est
ce que la Cour de cassation a formellement consacré
par arrêt du 31 décembre 1833.'
1199. — M. Chardon pense qu’un jugement in
tervenu sur l’exécution du titre, spécialement sur la va
lidité d’une saisie mobilière , ne constituerait pas la
chose jugée sur la légitimité du titre’. Nous ne saurions
être de son avis , surtout après avoir consulté l’espèce
qu’il emprunte à Dumoulin, et sur laquelle il étaye son
opinion. Dans cette espèce, en effet, c’était un créancier
disputant un droit de priorité dans une instance en dis-
�ET DE LA FRAUDE.
265
tribution du prix d’une maison saisie. Conformément à
la loi de l’époque, tous les créanciers avaient été admis
à la saisie, et c’est dans cette admission purement con
servatoire que le créancier contesté voulait trouver une
fin de non-recevoir contre l’usure qui lui était repro
chée. Cette fin de non-recevoir fut repoussée, car l’ad
mission pouvait bien au pis aller conférer la qualité de
créancier , mais non déterminer le chiffre exact de la
créance, ni encore moins la purger du vice d’usure qui,
comme l’observe Dumoulin lui-même, n’avait pas mê
me été articulé : ln quo de usura non fuerat disputatnm.
Tout cela n’a rien de commun avec la décision ren
due sur la validité de l’exécution d’un titre entre créan
cier et débiteur. Le sort de la saisie dépend évidem
ment de celui de la créance, surtout en matière d’usu
re. Son existence reconnue amène la nécessité d’un rè
glement pour établir le chiffre de la restitution ou de
l’imputation. Elle enlève donc à la créance toute liqui
dité. Or, on ne peut saisir que pour une somme liquide
et exigible. La validité de la saisie , reconnaissant ce
double caractère aux sommes exigées, établit donc ex
plicitement la légitimité de la créance.
L’opinion de M. Chardon ne nous paraît donc pas
admissible, tout au moins faudrait-il en réduire l’ap
plication au cas où la saisie n’aurait été contestée que
sous le rapport de la forme. Dans cette hypothèse , en
effet, on ne saurait opposer au débiteur qu’une recon
naissance implicite de la validité du titre , résultant de
�266
TRAITÉ DU DOL
ce qu’il n’aurait contesté la saisie qu'en la forme. Mais,
à ce reproche, le débiteur pourrait répondre que le vice
d’usure ne pouvant être ratifié, sa reconnaissance im
plicite ne saurait sortir à effet.
1200. — Le fondement de cette réponse est parfai
tement juridique ; en effet, l’usure et sa répression inté
ressant l’ordre public, le vice que son existence crée n’est
pas susceptible d’être expressément, et moins encore ta
citement ratifié.
Le motif de cette prohibition est puisé dans la consi
dération que nous rappelions tout-à-l’heure, à savoir :
que le débiteur est censé céder à une violence morale.
Or, ce défaut de liberté, existant à l’endroit du titre con
stitutif de l’usure , existerait également à l’endroit de
l’acte de ratification ; ce qui vicie le premier , vicierait
donc infailliblement le second.
Mais de là cette conséquence que la ratification,don
née expressément ou tacitement après la libération, ren
drait toute recherche ultérieure non-recevable. Le débi
teur quifa payé reprend toute sa liberté, il n’a plus rien
à redouter des exigences de son créancier. L’action en
répétition qui lui reste , est une faveur de la loi à la
quelle il lui est loisible de renoncer; cette renonciation
s’induit de la ratification ; dès lors l’existence de celleci rendrait à l’avenir toute réclamation non-recevable, à
moins que l’acte de ratification ne fut que le résultat du
dol ou de la fraude.
Il en est de la transaction comme de la ratification,
�ET DE LA FRAUDE.
267
celle qui serait consentie pendant l’existence de la dette
serait sans effet et ne ferait nul obstacle à la restitution
intégrale du débiteur usuré ; au contraire , celle inter
venue après paiement sortirait définitivement à exécu
tion, et les sommes abandonnées ne pourraient plusêtre répétées. Celui qui peut valablement renoncer au
tout, peut incontestablement renoncer à la partie, donc
celui qui a la faculté de ratifier purement et simplement,
peut, à plus forte raison, transiger.
1 2 0 ! . — Une autre fin de non-recevoir pourrait
être opposée par le créancier à la demande en restitu
tion , à savoir : celle tirée de la prescription. La ques
tion de savoir si le fait usuraire est susceptible de pres
cription a été controversée dans l’ancien droit , elle ne
l’est plus aujourd’hui. L’affirmative, que soutenait Du
moulin ', est admise en doctrine et en jurisprudence.
A quel moment convient-il de fixer le point de dé
part de cette prescription ? Evidemment au jour où l’o
pération s’étant liquidée , les parties sont devenues étrangères l’une à l’autre. En effet, tant que le débiteur
ne s’est pas libéré , l’usure se continue et se poursuit ;
elle se renouvelle à chaque perception. Conséquemment,
si pendant cette période la prescription pouvait courir,
il arriverait un moment où , par son accomplissement,
la fraude aurait acquis une existence certaine en com
mandant l’exécution , c’est-à-dire qu’on acquerrait le
�268
TRAITÉ DU DOL
droit de violer la loi, par cela seul qu’on l’aurait violée
pendant un temps fort long.
D’autre p a r t, le débiteur menacé de poursuites, ou
poursuivi à chaque nouvelle échéance, ne peut, par son
silence antérieur , avoir aliéné le droit de se défendre,
et ce droit renaît avec les prétentions qu’il a pour objet
de combattre. Il peut donc être exercé tant que le cré
ancier vient par ses demandes en provoquer l’exercice,
sans avoir égard au temps plus ou moins long qui sé
pare les demandes de l’origine de la créance : Quœ temporalia sunt ad agendum, s m t perpétua ad excipiendum. Voulût - on considérer les paiements antérieurs
comme une reconnaissance du droit, qu’on n’arriverait
à aucun résultat utile, puisque, ainsi que nous venons
de le voir, l’usure n’est pas susceptible d’être reconnue
ou ratifiée tant que le débiteur est asservi à ses liens.
La prescription ne peut donc courir contre le débi
teur qu’à partir de sa libération. Alors, en effet, le droit
de réclamer l’indemnité du préjudice est acquis, et avec
son ouverture commence contre le débiteur une vérita
ble mise en demeure de l’exercer. Son silence a une si
gnification d’autant plus expresse qu’il est en position
d’abandonner formellement l’avantage que la loi lui as
sure, et c’est dans le sens de cet abandon qu’il doit être interprété. Jusque là, en effet, tout ce qu’il a fait
n’est considéré que comme le résultat de la contrainte
morale qu’il subissait, mais cette contrainte cessant, ne
pourrait plus ni expliquer ni excuser son inaction.
�ET DE LA FRAUDE.
269
1202. — Par quel laps de temps le créancier aurat-il prescrit conte le débiteur ?
En thèse ordinaire, l’action pour usure ne se propo
se qu’un seul b u t, celui de faire ordonner la restitution
de ce qui a été injustement perçu d’une part, indûment
payé de l’autre. Elle est donc une véritable action en
répétition , et, comme telle, elle ne se prescrit que par
trente ans.
Vainement a-t-on excipé des termes de l’art. 1304
pour soutenir que la prescription décennale était appli
cable ; cet article ne régit que les actions en nullité ou
en rescision. Or, l’acte entaché d’usure n’est ni nul, ni
rescindable , il est seulement réductible. Ainsi l’usure
admise, reste un engagement licite pour tout ce que le
débiteur a réellement reçu, et dont rien ne peut empê
cher la stricte exécution dans les proportions réduites.
C’est ce qui faisait dire à Dumoulin ', quia condicens
indebitum non dicitur venire contra facta et conventa, nec petere ilia rescindi.
Si donc l’action n’est pas celle de l’art. 1304, il de
vient évident que sa durée ne saurait être régie par lui.
Elle reste donc soumise soit au principe général, soit au
principe spécial à la répétition de l’indu.
1203. — Toutefois cette règle n’est applicable qu’à
l’usure ressortissant d’un acte d’obligation pur et sim
ple. L’usure palliée sous l’apparence d’un autre contrat
i
Quest.
49, n° 200.
�270
TRAITÉ DU DOL
obéit à d’autres principes. L’action , en ce c a s, prend
tous les caractères de celles dont il est question en l’ar
ticle 1304. Il ne s’agit plus, en effet, d’une action sim
ple en répétition, mais bien en nullité de la vente, de la
donation recélant l’usure. Cette nullité prononcée, l’acte
est anéanti dans tous ses effets. L’action est donc, dans
ce cas, réellement contra pacta et conventa,elie a pour
objet principal leur rescision , petit ilia rescindi , elle
doit conséquemment être intentée dans les dix ans.
1204.
— Mais , ainsi que nous l’avons fait obser
ver ailleurs ', ce délai s’applique à l’action directe du
débiteur. Si l’usure palliée avait créé un contrat dont le
créancier demanderait l’exécution , la prescription lui
serait en tout temps opposable , en force de la maxime
que nous rappelions tout à l’heure: Quœ lemporalia sunt
ad agendum, sunt perpétua ad excipiendum.
�ET DE LA FRAUDE.
271
SECTION VII.
Fraud es
dans
les
Mandats.
SOMMAIRE.
1205.
1206.
1207,.
1208.
1209v
1210.
1211.
1212.
1213.
1214.
1215.
1216.
1217.
1218.
1219.
Caractère et importance du contrat de mandat.
Facilités qu’il offre à la fraude.
Conséquences.
Le mandataire répond de sa faute.
Obligations que crée l'acceptation du mandat.
Forme de l ’acceptation. — Peut-elle résulter du silence
gardé sur la proposition ?
Quid, pour les notaires, avoués, commissionnaires ?
Obligations imposées en cas de refus.
Conséquences de l ’acceptation.
Obligation d’accomplir le mandat jusqu’à révocation.
„ Première exception à cette règle.— Devoirs du mandatai
re placé dans l ’impossibilité de remplir le mandat.
Seconde exception.—Force majeure.
Devoir du mandataire de se conformer strictement à son
mandat, quant à la quantité et à la qualité des choses
demandées.
Quant au prix.
La chose achetée au-delà de ce prix doit-elle rester pour
le compte du mandant, si le mandataire prend l ’ex
cédant à sa charge ?
�272
TRAITÉ DU DOL
1220. La limitation du prix ne fait pas disparaître l ’obligation
d’acheter à un prix moindre, s’il y a possibilité.
1221. Devoir du mandataire de rectifier l ’erreur évidenie du
mandant.
1222. Le mandataire est tenu d’administrer en bon père de fa
mille.
1223. Délits caractérisés par l’infidélité du mandataire.— Diffé
rence entre l’abus d’un blanc seing et les détourne
ments.
1224. Peine contre l’application, à l ’usage personnel du manda
taire, des fonds provenant du mandat.
1225. Nécessité d’entreprendre , dès l’acceptation , l’opération
faisant la matière du mandat.
1226. De tenir le mandant au courant de l’affaire.
1227. Administration du mandataire. — Ce qu’on doit attendre
de lui.
1228. Il commet une faute grave s’il divulge le secret de l’opé
ration.
1229. S’il accepte comme bonnes des marchandises de qualité
inférieure ou mauvaise.
1230. S’il traite avec des individus notoirement insolvables.
1231. S’il substitue ses pouvoirs sans y être autorisé, et, en cas
d’autorisation , s’il choisit une personne incapable ou
insolvable.
- 1232. Responsabilité du mandataire vis-à-vis des tiers.
1233. Obligation du mandataire de rendre compte. — Etendue
de cette obligation.
1234. Elle comprend les profits, même illégitimes, réalisés à
l ’occasion, mais non ceux opérés par l ’abus, du man
dat.
1235. Mais le mandataire ne peut s’attribuer au-delà du salaire
convenu.
1236. Obligations du mandant par rapport au mandataire.
1237. Conditions exigées pour que les tiers puissent recourir
contre le mandant.
�273
ET DE LA FRAUDE.
<238.
1239.
1240.
1241.
1242.
1243.
1244.
1245.
1240.
1247.
_1248.
1249.
J 250.
-.1251.
1252.
1253.
1254.
1255.
1256.
Première condition : Se réalise le plus ordinairement en
matière civile et dans le commerce pour les affaires
traitées par commis-voyageurs.
Nature des pouvoirs de ceux-ci. — Importance de sa dé
termination.
Règles s’induisant de l ’autorisation donnée au mandatai
re commercial d’agir en son propre et privé nom.
Exceptions à la première règle
1° Lorsque le manda
taire est légalement le représentant du mandant.
2" Lorsque celui-ci, étant notoirement connu, c’est à lui
que les tiers sont présumés avoir fait confiance.
Controverse à ce sujet.—Opinion de Pothier, de MM. Delamarre et Lepoitvin, de M. Troplong.
Conclusion.
Exception à la seconde règle en matière d'assurances. —
Premier motif : Empêcher que l’assurance ne soit
qu’un jeu.
Deuxième motif : Responsabilité du mandant quant aux
prescriptions de l ’art. 348 du Code de commerce.
Responsabilité mutuelle du mandant et du mandataire.
Celle du dernier ne s’étend pas au dol du mandant..
Conséquences légales de la désignation du mandant.
Deuxième condition : Que le mandataire n ’ait pas excédé
ses pouvoirs.
Effets de l’excès, relativement au mandataire.
Relativement aux tiers.
Exceptions à la règle qu’en cas d’excès le mandant n'en
est pas tenu.—Première : Obscurité ou ambiguïté du
mandat.
Deuxième : Excès fondé sur la procuration elle-même.—
Devoirs du mandant pour la restitution de celte-ci.
Troisième : Modifications du mandat par acte séparé.
Quatrième : Ratification.—Ses caractères.—Ses effets.
ni
18
�274
TRAITÉ DU DOL
1 2 05. — Le mandat est un des contrats les plus
importants, les plus utiles, en matière commerciale sur
tout. Grâce à son utile secours , chacun peut agir dans
les localités les plus éloignées et étendre ses relations
sans être exposé de recourir à des préposés spéciaux
dont le moindre inconvénient était la dépense considé
rable qu’ils entraînaient. Aussi est-ce avec toute raison
que Savary a pu dire qu’il n’y a rien qui maintienne
tant le commerce que les commissionnaires ou corres
pondants. Car, par leur moyen, les marchands et ban
quiers peuvent négocier dans tout le monde, sans sortir
de leurs magasins ou comptoirs.'
Les services que le mandat est appelé à rendre au
commerce se réalisent également, quoique dans de
moindres proportions , dans les affaires civiles. C’est en
usant de ce contrat que les citoyens peuvent agir dans
les lieux les plus éloignés de leur domicile, sans se don
ner le souci, les fatigues et les dépenses d’un long voy
age.
1206. — Mais par cela même que ce contrat exige,
d’une p a rt, le plus complet abandon , la plus entière
confiance; d’autre part, la bonne foi la plus loyale,son
exécution peut offrir beaucoup de dangers par la facilité
qu’elle offre pour toute sorte de fraude. C’est cette con
viction qui faisait Savary s’écrier : Qui fa it ses affaires
1 P a r f a it
pag. 234.
né go cian t,
hv. 3. chap. \ , —
Des co m m isio n n a ire s,
1 . 1,
�ET DE LA. FRAUDE.
/
275
par commission , va à l'hôpital en personne. Cepen
dant , nous venons de le voir rappeler tout ce qu’un
pareil contrat a d’avantageux pour le commerce. « Mais,
dit-il, si un commissionnaire est très-affectionné à con
server les intérêts du commettant, il est certain qu’il est
capable de le ruiner. Il y en a un nombre infini d’ex
emples , et je puis parler comme savant, pour y avoir
été plusieurs fois trompé, et je l’ai aussi vu en plusieurs
arbitrages, dont j’ai été sur des différents qu’il y avait
entre des commettants et des commissionnaires, où j’ai
vu des tromperies effroyables.' »
Le commerce n’a pas exclusivement le triste privilège
des hommes capables de ces effroyables tromperies. Le
mandat civil offre des chances identiques. Nous pour
rions aussi citer de nombreux exemples de mandataires
infidèles , qu’une coupable avidité à porté à ne voir,
dans le m andat, qu’une spéculation à leur profit, et
dont la fortune s’est scandaleusement créée sur les dé
bris de celle dont la gestion leur était confiée.
1207.
— Un pareil danger, quelque grave qu’il
soit , ne pouvait pas faire disparaître de nos codes le
mandat civil ou commercial , mais il exigeait un sur
croît de précaution ; et dans l’examen de leur accom
plissement , une sévérité d’appréciation capable de dé
jouer et de décourager la fraude. Plus encore que dans
la vente, l’échange ou le louage, il fallait donner le ca-
�276
TRAITÉ Dll DOL
ractère frauduleux à l’infraction d’une obligation ou
d’un devoir, abstraction faite de l’intention qui en a étd;
le mobile. C’est en pareille matière surtout qu’on doit
dire, avec le législateur romain : Fraus non in consilio,
sed in eventu.
1 208.
— C’est ce que le législateur de notre Code a
admis. En effet, l’art. 1992 déclare le mandataire respon
sable non seulement de son dol, mais encore de sa fau
te, alors même que le mandat est gratuit. Dans ce der
nier cas, seulement, la faute est moins sévèrement ap
préciée, ce qui était naturellement indiqué par la raison
et la justice.
Telle était aussi l’opinion de cette école italienne qui
a versé tant de lumières sur la matière commerciale.
Et par faute , on entendait même l’erreur échappée au
mandataire et communiquée au m andant, si cette er
reur était de nature à causer à celui-ci un dommage
quelconque : Si rccipiens litteras cam bii, per errorem
scripserit eas acceptatas fuisse, tenetur de omni damno erga remittentem ', car , error excusât errantem,
quando agitur de evitando proprio damno, secus si a geretur de damno alterius
Ainsi, en matière de m andat, la faute même légère
équivaut à la fraude et en produit tous les effets. Cela
posé , nous avons à examiner les obligations respectives
1 Casaregis, De com. dise., n° 54.
�ET DE LA FRAUDE.
277
du mandataire et du mandant, dont la violation ou l’in
exécution constitue la faute punissable.
1 2 09. — En principe , l’acceptation du mandat
crée, pour le mandataire, trois obligations principales :
1° Celle d’accomplir la mission dont il est chargé,
tant que le mandat n’est pas révoqué, et même, après
révocation, de terminer ce qui ne pourrait être suspen
du sans préjudice pour le mandant ;
2° Celle d’accomplir le mandat en bon père de fa
mille ;
3° Celle de rendre compte de la gestion.
1210. — Occupons-nous d’abord de l’acceptation,
car sans elle point de contrat e t , par conséquent, point
d’obligation. Or, cette acceptation est, dans tous les cas,
au libre arbitre de celui à qui le mandat est proposé.
Nul, en effet, ne saurait être contraint à accepter la di
rection des affaires d’autrui. Le mandat qu’on offrirait
dans cet objet peut donc toujours être refusé.
L’acceptation n’a pas besoin, dans tous les cas, d’être
expressse ; elle peut se réaliser tacitement. C’est ce qu’on
devrait induire de l’exécution que le mandataire aurait
donnée au mandat.
Peut-elle résulter du silence gardé sur l’offre du man
dat ? En principe de droit, la négative ne saurait souf
frir de difficultés ; personne, en effet, n’étant tenu d’un
acte de ce genre, la volonté de l’accepteur doit être cer
taine. Cette certitude peut bien s’induire du commence-
�278
TRAITÉ DU DDL
ment d’exécution, mais on ne saurait la rencontrer dans
le silence qu’accompagne l’abstention la plus absolue.
Dans une pareille occurrence, se taire, ce n’est pas con
sentir, c’est bien plutôt refuser.
1211.
— Mais on admettrait le contraire si la pro
position du mandat s’adresse à un de ceux dont l’état,
comme l’observe Pothier, est de gérer les affaires d’au
trui. Tels sont les avoués, les notaires, les commission
naires commerciaux. Celui à qui on s’est adressé pour
une affaire de son ministère d o it, s’il ne peut ou ne
veut s’en charger , écrire immédiatement son refus. A
défaut, il serait présumé avoir accepté le mandat, et il
deviendrait, dès lors, responsable de la négligence qu’il
aurait mise à le rem plir, et tenu , par conséquent, du
préjudice que cette négligence pourrait occasionner. La
raison en e s t, dit M. Troplong, que l’office des uns et
des autres est acquis de droit à quiconque le leur de
mande. Ils sont censés provoquer , solliciter les clients
par leur exercice public ; accepter, par conséquent, ceux
qui se présentent. Pour faire tomber la preuve mani
feste qui ressort de cet état de choses, il faut qu’ils s’ex
pliquent en donnant un refus formel.'
C’est surtout pour le commissionnaire commercial
que cette obligation est plus impérieuse et plus étroite.
Le temps e s t, en commerce , un élément extrêmement
précieux qu’il convient de ménager, car le moindre re-
1 Art. 1991, n» 344.
�ET DE LA FRAUDE.
279
tard , pouvant substituer une chance contraire à une
chance avantageuse , est dans le cas d’occasionner un
préjudice considérable. Celui-là donc qui refuse le man
dat qui lui est adressé , doit, par le retour du courrier
et sous le plus bref délai, aviser le mandant de l’impos
sibilité où il est d’accéder à ses désirs : Quinimo si ille
nullatenus posset omnia explere , teneretur sub onere
solvendi de proprio, s t a t i m nunciare mandati ejus
impotentiam vel impedimentum, ut, si velit, alterius
opéra u tatur.'
C’est là , sans doute , une dérogation au droit com
mun , mais l’intérêt des affaires en général, celui du
commerce en particulier , exigeait qu’il en fût ainsi.
Qu’en principe, et stricto jure, disent des auteurs mo
dernes, le commissionnaire ne soit lié en rien , ni tenu
à rien que par son acceptation, c’est une vérité déjà dé
montrée ; mais une singularité de la commission , c’est
de pouvoir devenir , pour celui-là même qui la refuse,
l’occasion d’engagements qu’aucune loi écrite ne lui im
pose et , par suite , d’une responsabilité attachée à l’o
mission de certaines choses qu’il n’avait pas non plus
promis de faire. En droit commercial, cette omission
est un quasi-délit. Au premier rang de ces obligations,
se place , naturellement, celle de donner avis du refus
par le premier courrier ou par la plus prochaine occa
sion.’
i Casaregis, Disc. 84, n» 31.
* Delamarre et Lepoitvin, tom. u, n» 27.
�2S0
TRAITÉ DU DOL
Le commissionnaire commercial est donc lié par son
silence. Il est censé avoir accepté le m andat, par cela
seul qu’il o ’a pas immédiatement manifesté la volonté
contraire. Conséquemment, et en ce qui le concerne, la
règle qui tacet consentire videtur reprend son empire
et produit tous ses effets. Nous allons bientôt voir les
conséquences de cette acceptation tacite,
1212.
— Il y a plus, le refus fait par le commis
sionnaire et régulièrement dénoncé, ne le dégage pas de
toute obligation, de toute responsabilité. Ainsi, il doit,
en attendant qu’il soit pourvu à son remplacement,
prendre toutes les mesures conservatoires que la nature
du mandat est dans le cas d’exiger. Si , par exemple,
des marchandises lui ont été expédiées avec avis qu’on
a tiré sur lui par anticipation , il pourra bien refuser
l’acceptation des traites, mais non de donner à la mar
chandise les soins que sa conservation ou son entretien
réclame. Il doit donc, à son arrivée, la retirer dans ses
magasins ou en faire ordonner le dépôt chez un tiers
consignataire , si , dans le délai suffisant , l’expéditeur
n’a pas désigné un nouveau mandataire aux mains de
qui il poisse la remettre contre remboursement de ses
avances.'
Le négociant qui reçoit, de son correspqpdant, une
traite à faire protester, ne peut se dispenser de remplir
i ld., ibid.; — Pardessus, tom. u, n° üi>8 ; -r- Dalloz, v° Commis.,
pag. 742 ; __Vincent, tom il pag. 4 28
�ET DE LA FRAUDE.
281
le mandat, quelque répugnance qu’il eût à le faire, si la
date de l’échéance était trop rapprochée pour qu’il eût
le temps d’avertir utilement son mandant. S i, malgré
l’ordre qu’il en a reçu ; si, malgré la proximité de l’é
poque fixée pour le protêt, il s’est abstenu , se conten
tant de faire connaître son refus, il devient responsable
des conséquences du défaut de protêt. Ce qu’il ne vou
lait pas faire lui-même, il pouvait, il devait même char
ger un tiers de le réaliser. L’inaction dans laquelle il
s’est renfermé constitue donc une faute dont il doit su
bir les effets. Il en serait de même pour tout mandatai
re commercial. La non acceptation lui laisse l’obliga
tion d’agir dans tous les cas où il y a lieu de prévenir
une déchéance, d’empêcher une prescription ou de pré
server le commettant de tout autre préjudice immi
nent.
Ce n’est là, au reste, qu’une modification à un prin
cipe que l’école italienne avait généralement admis , à
savoir : qu un commissionnaire ne pouvait refuser la
commission dont on le chargeait '. On reconnaissait
qu’une telle obligation était contraire au droit civil, mais
on pensait que toutes les lois devaient se taire devant
l’intérêt général du commerce.
Cette conséquence rigoureuse n’avait pas été adoptée
par le droit français. La commission, comme tout autre
m andat, pouvait être refusée , mais à la condition , en
1 Çasaregis, Disc. 90, n° g.
�282
TRAITÉ DU DOL
cas de refus , de veiller à la conservation des droits du
commettant, en attendant qu’il se fût adressé ailleurs.
C’est ce qui se doit pratiquer encore aujourd’hui.
L’obligation imposée au commissionnaire est commune
aux avoués, aux notaires, aux huissiers. Eux aussi peu
vent ne pas accepter le mandat qui leur est proposé,
mais ce refus d’acceptation ne les dégage pas de l’obli
gation de veiller à la conservation des droits du man
dant, jusqu’à ce qu’il les ait remplacés. Us seraient donc
également responsables des déchéances, des prescrip
tions , du préjudice que l’inobservation de ce devoir
pourrait déterminer, comme si recevant un appel à si
gnifier , une hypothèque à renouveler , un effet à faire
protester, et n’ayant pas le temps de faire connaître leur
refus utilement, ils négligeaient cependant de faire l’un
ou l’autre.
Nous ne pensons pas qu’ils pussent se soustraire à
cette responsabilité, sous le prétexte que le mandant
n’aurait pas consigné les frais pour le coût de l’acte. Ce
coût n’étant pas en général fort im portant, son rem
boursement ne doit, dans aucun cas, autoriser des crain
tes tellement sérieuses qu’on dût s’arrêter à une telle
excuse. Mais il en serait autrement si l’acte devait en
traîner un déboursé considérable, par exemple, si l’effet
à protester, étant sur papier libre, devait donner lieu à
une forte amende. Il est certain alors que l’officier mi
nistériel, que même le négociant à qui on se serait a dressé , ne pourrait être tenu de s’en rapporter , pour
son remboursement, à un homme qu’il doit d’autant
�ET DE LA FRAUDE.
283
plus supposer dans ltmpossibilité de l’opérer , qu’il a
négligé de nantir son mandataire. Or le devoir de celuici n’est pas de faire des avances à des insolvables, et
si , dans l’hypothèse , il y a faute de la part de quel
qu’un, c’est exclusivement chez le mandant, ayant omis
de fournir le moyen d’exécuter le mandat qu’il don
nait.
Mais hors ce c a s , et lorsque tout se réduit aux dé
boursés ordinaires, le devoir de l’officier ministériel est
de conserver les droits qui lui sont confiés , sauf à ré
cuser la suite du mandat qu’il ne croit pas devoir ac
cepter. Ainsi , dit M. Troplong , un client adresse à un
avocat à la Cour de cassation un dossier pour se pour
voir. Les pièces n’arrivent à celui - ci que la veille de
l’expiration du délai fatal ; de telle sorte que le client ne
peut être averti en temps utile de confier sa cause à un
autre. Le devoir de cet avocat est de former le pourvoi,
sauf à répondre plus tard au mandant qu’il ne veut
pas se charger de l’affaire.'
1 213. — Si , au lieu de refuser , le mandataire
choisi accepte expressément ou tacitement, le contrat est
parfait. Dès cet instant, les parties sont également liées
l’une envers l’autre, et le mandataire est en demeure de
se livrer à l’exécution de la mission qui lui est confiée.
1 214. — La première de ses obligations , avons-
1 Art. 1991, n° 346.
�284
TRAITÉ DU DOL
nous dit, est de procéder à l’acciftiplissement de l’opé
ration jusqu’à révocation ; et, en cas qu’il soit révoqué,
de continuer ses soins, jusqu’à son remplacement effec
tif, à tout ce qui ne saurait être suspendu sans préjudi
ce pour le mandant.
Cette obligation a toujours été considérée comme une
règle de législation. Sicut autem, disait le droit romain,
liberum est mandatum non suscipere, ita suscriptum
consummari opportet.'
L’art. 1991 du Code civil n ’est pas moins explicite :
il est vrai que ses termes sont moins précis que ceux
que nous venons de rappeler , il ne déclare le manda
taire tenu d’accomplir le mandat, que tant qu’il en de
meure chargé. Mais on aurait tort de voir dans cette lo
cution autre chose qu’une allusion à la faculté que le
mandant conserve de révoquer le mandat. Il ne fau
drait pas y voir surtout une possibilité pour le manda
taire de se soustraire, en récusant à son gré le mandat,
aux devoirs et aux obligations que son acceptation lui
impose.
Il ne pourrait être délié de celle-ci que par le con
sentement formel du mandant, toujours libre de ne pas
le donner ; et s i , malgré le refus qu’il ferait de sa dé
mission offerte . le mandataire s’abstenait d’exécuter le
mandat, cette abstention équivaudrait à la fraude enga
geant sa responsabilité , il serait donc évidemment tenu
i L. 22, Dig. Mandaii,
�ET DE LA FRAUDE.
285
de réparer le préjudice qui en serait résulté pour le
mandant.
Il ne faudrait pas cependant pousser cette règle jus
qu’à l’injustice. C’est ce qui arriverait si, après l’accep
tation, on prétendait contraindre le mandataire à l’exé
cution du m andat, alors même que cette exécution se
rait devenue impossible ou trop onéreuse pour lui. Une
pareille rigueur est incompatible avec la nature même
du contrat, avec les conséquences qu’il doit produire.
S’il importe que les intérêts du mandant ne soient pas
désertés, il importe également de couvrir ceux du man
dataire d’une utile protection , surtout si le mandat est
gratuit.
1215.
— Notre règle reçoit donc des exceptions. La
première a lieu lorsque, après avoir accepté, le man
dataire ne tarde pas à se convaincre que l’entreprise
dont il s’est chargé n’est pas en son pouvoir *. A l’im
possible nul n’étant tenu, le mandataire devrait être re
levé des effets de son acceptation , dans l’intérêt même
du m andant, condamné à voir l’entreprise, faisant la
matière du m andat, échouer fatalement et nécessaire
ment. Il ne doit donc pas être privé de la faculté de la
conférer à un autre se trouvant dans le cas de la faire
réussir.
Mais la conviction de l’impossibilité acquise, le man
dataire doit immédiatement en informer le mandant,
Troplong, art. 1991. n° 338.
�286
TRAITÉ DU DOL
pour que sans perdre un temps, peut-être précieux, ce
lui-ci avise au mieux de ses intérêts ; que s i, loin d’a
gir de la sorte , le mandataire laisse traîner les choses
en longueur ; s’il ne donne avis de sa position qu’à une
époque trop rapprochée de celle où le mandat doit être
exécuté pour que le mandant soit dans l’impossibilité
de le remplacer ; si même , l’avertissement étant donné
en temps utile , il n’a pas continué ses soins à l’opéra
tion , en attendant qu’il fût remplacé , il sera de plein
droit et très-justement tenu des conséquences d’une pa
reille conduite, et obligé de réparer le préjudice qui en
sera résulté.
1216,
— La force majeure venant s’opposer à l’ex
écution du m an d at, constituerait une seconde et nou
velle exception à la règle de l’art. 1991. Ainsi une ma
ladie, un emprisonnement, serait une excuse valable et
libératoire. Empêché d’agir par une circonstance qu’il
n ’était donné à personne de prévoir ou de prévenir , le
mandataire n’encourrait aucune responsabilité de l’in
terruption de sa gestion.
L’intérêt du mandant à connaître l’empêchement est
aussi évident dans cette hypothèse que dans l’autre. Le
devoir de l’en instruire existe donc au même titre. Mais
l’appréciation de la manière dont il a été rempli doit obéir à d’autres inspirations. Les préoccupations, les sui
tes d’un emprisonnement, les effets d’une maladie gra
ve , feraient excuser un retard que rien ne justifierait
dans la première hypothèse, ils pourraient même faire
�ET DE LA FRAUDE.
287
excuser l’absence complète de tout avertissement par
l’impossibilité , dans laquelle le mandataire aurait été
placé, d’en donner aucun. Cette impossibilité constatée,
celui-ci ne pourrait encourir aucune responsabilité, ni
être tenu de réparer le préjudice, c’est là la conséquen
ce naturelle et l’effet légitime de la force majeure ; il
en serait à plus forte raison ainsi si l’événement de for
ce majeure se réalisait dans un temps tellement voisin
de celui où devait s’exécuter le mandat, que la nouvelle
ne pouvait pas en être utilement transmise.
1217.
— L’art. 1991 indique comment doit être
accompli le mandat régulièrement accepté. La faute oblige comme le dol, comme la fraude. Il faut donc que
le mandataire s’abstienne de tout ce qui pourrait la con
stituer. Pour cela il n ’a qu’à suivre fidèlement les or
dres qu’il reçoit, et n’aller jamais au-delà de ce qui lui
est prescrit. N’oublions pas que le mandataire agit pour
le compte d’autrui, qu’il est par conséquent obligé d’ex
écuter , en quelque sorte passivement, les volontés de
celui qui supportera les conséquences de ses actes. II ne
peut surtout substituer son appréciation à celle du man
dant , sans exposer sa responsabilité. La prudence lui
en fait un devoir, alors même qu’il croirait par là ser
vir l’intérêt de ce dernier, car, comme l’observe M. Troplong, s’il échoue, il est coupable , et s’il réussit, on lui
saura peu de gré d’avoir voulu être plus sage qu’il ne
fallait.'
1 Art. 1989, n» 287.
/
�288
TRAITÉ DU DOL
Ainsi si le mandat est impératif, soit quant à l’opé
ration elle-même , soit quant au mode d’exécution , il
n’a qu’à s’y conformer scrupuleusement et fidèlement ;
il ne doit jamais oublier cette maxime fondamentale en
cette matière : Non est in facullate m andatarii addere
vel demere ordini sibi dato. Tout ce qu’il ferait en sens
contraire constituerait une fraude , ou , tout au moins
une faute entraînant la nécessité d’une réparation.
Ainsi l’ordre ne serait pas valablement exécuté , si,
commettant une certaine quantité de marchandises, cette
quantité n’était pas atteinte ou était dépassée , le man
dant ne pourrait, dans un cas comme dans l’autre, être
contraint de prendre l’opération pour son compte. Dans
le premier, il y aurait inexécution pouvant donner lieu
à des dommages - intérêts ; dans le second , l’excédant
resterait pour le compte du mandataire.
Si je vous commets des blés étrangers, et que vous achetiez des blés français ; si je vous demande des den
rées d’une provenance déterminée , et que vous m’en
envoyiez d’une autre localité, il y a violation du man
dat. Vainement prétendrez-vous que ce que vous m’of
frez vaut mieux que ce que j’avais demandé , vous ne
pouvez vous constituer juge de mes convenances. Mon
mandat n’a pas été exécuté comme je voulais qu’il le
f û t, et cela suffit pour m’autoriser à ne pas en ratifier
l’exécution qu’il vous a plu de lui donner.
C’est ce que la Cour de cassation a décidé expressé
ment par arrêt du 6 avril 1831. Dans cette espèce , le
mandant avait commissionné des trois-six du marché
�289
ET DE LA FRAUDE.
de Béziers ; le mandataire en ayant acheté sur un autre
marché , le refus fait par le premier de prendre livrai
son , fondé sur la différence de provenance , fut sanc
tionné par la Cour de Montpellier d’abord , e t , sur le
pourvoi, par la Cour suprême.'
1 2 1 8 . — Le mandataire , lié par les termes du
mandat à l’endroit de la quantité et de la qualité , ne
l’est pas moins quant au prix. Tout ce qu’il ferait audelà de celui fixé par le mandant, lui resterait propre et
personnel.
1219. — On a agité la question de savoir si le
mandataire, supportant l’excédant du prix et se bornant
à exiger le remboursement de celui porté au mandat,
pourrait contraindre le mandant à prendre l’opération
pour son compte. M. Troplong , après avoir indiqué le
dissentiment que cette question avait fait naître entre les
Sabiniens et les Proculéiens , enseigne que l’opinion de
ces derniers, à savoir : l’affirmative, avait prévalu com
me plus humaine et plus raisonnable, mais il rappelle
immédiatement cette observation de Donneau : qu’il en
serait autrement dans le cas où l’excès dans l’exécution
du mandat ne pourrait être réparé et causerait au man
dant un préjudice pour le total de l’opération.’
Or, cette dernière hypothèse se réalisera le plus sou-
1D. P. 31, 1, 118.
2 Art. 1989, n01 270 et suiv.
il
19
�290
TRAITÉ DU DOL
vent en matière commerciale. Une baisse plus ou moins
forte, survenue dans l’intervalle de l’achat à la livraison
au mandant, mettrait celui-ci dans la nécessité de su
bir une perte relativement même au prix qu’il avait coté,
ce n’est même que dans cette hypothèse que des difficul
tés pourront surgir. Quel intérêt, en effet, pourrait avoir
'e mandant de refuser la marchandise qu’il a commise,
et que son mandataire lui expédierait au prix offert, si
la marchandise n’a depuis souffert aucune variation ?
Mais l’intérêt est évident lorsqu’au moment où le
mandataire expédie, la marchandise ne peut être reven
due qu’à un prix inférieur à celui côté pour l’achat.
Avec cet intérêt, naît le droit de demander compte de
l’exécution que le mandat a reçue , et de dire au man
dataire : si vous vous étiez renfermé dans les limites que
je vous avais trcées, vous n ’auriez pas acheté; la mar
chandise n’est donc en votre possession que parce qu’il
vous a plu d’outre-passer le mandat, dès lors, si quel
qu’un doit supporter les conséquences de cette violation,
c’est vous, et vous seul.
Cette objection serait d’autant plus puissante que, pour
se justifier d’avoir outre-passé ses ordres, le mandataire
soutiendrait qu’il ne lui a pas été possible d’acheter au
prix indiqué. Mais il est évident que s’il se fût abstenu,
la circonstance devenait fort indifférente et même heu
reuse pour le mandant. Le mandataire a donc en réa
lité pris sur lui d’aller au-delà de ce qui lui était or
donné , il doit en conséquence supporter seul le préju
dice qui a été directement occasionné par son fait.
�ET DE LA FRAUDE.
291
Il est un autre motif rationnel de le décider ainsi. Sup
posez qu’au lieu d’une baisse, la marchandise ait aug
menté de valeur , est - ce que le mandataire sera tenu
d’expédier celle qu’il a acquise au-delà du prix du man
dat ? Non évidemment, car, pour étayer sa résistance,
il lui suffirait de dire au mandant : la preuve que cette
marchandise ne vous était pas destinée, c’est que je l’ai
payée à un prix supérieur à celui que vous m’aviez fixé.
Donc le mandant exposé à subir les effets de la baisse
ne serait jamais appelé à profiter de la hausse , ce qui
le placerait dans une position intolérable et injuste.
Il ne peut pas être que le mandataire puisse spéculer
aux dépens de son commettant ; qu’il puisse, en cas de
hausse, s’appliquer l’intégralité du bénéfice , et, en cas
de baisse , réduire sa perte à la différence entre le prix
qu’il a payé et celui qui lui était indiqué, et se déchar
ger du reste sur la personne de son mandant ; admet
tre le contraire, ce ne serait plus obéir à ces idées d’é
quité recommandant la solution des Proculéiens, ce se
rait au contraire consacrer la plus flagrante, la plus odieuse injustice.
Nous croyons donc que cette solution doit se restrein
dre au cas où, les choses étant au moment du litige ce
qu’elles étaient au moment de l’ach at, la difficulté ne
s’agite que sur la différence du prix. L’offre que ferait
le mandataire de rester personnellement chargé de celte
différence désintéresserait complètement le mandant et
devrait le contraindre à accepter l’achat fait pour son
compte.
�292
TRAITÉ DU DOL
Que si, au contraire, une baisse survenue depuis rend
cet achat préjudiciable par la perte certaine que la re
vente occasionnera, il n’est pas juste que l’auteur de cet
achat, en faute pour avoir excédé ses pouvoirs , puisse
faire supporter à autrui les conséquences de ses procé
dés irréguliers. La justice d’ailleurs exige que celui qui
devait seul profiter des bénéfices que l’opération pou
vait offrir , en supporte seul la perte. C’est en ce sens
que le décide Donneau , et cette décision est approuvée
par M. Troplong.
Au reste, cette solution de principe peut être modi
fiée par les circonstances de fait. Si le mandataire a te
nu son mandant au courant de l’opération ; si, en l’in
struisant de la difficulté de la remplir au prix convenu,
il lui a fait connaître l’obligation de payer quelque cho
se en sus , sans que le mandant lui ait écrit de n’en
rien faire; ou s i , après avoir acheté à un plus haut
prix , il en a instruit son m an d an t, sans que celui-ci
ait réclamé , l’opération ne pourra plus être contestée
plus tard. La ratification qui résulterait de ces circons
tances créerait une fin de non-recevoir péremptoire con
tre toutes réclamations ultérieures.
On doit d’autant plus le décider a in si, que , dans
l’hypothèse d’une hausse dont nous parlions tout à
l’heure, le mandataire ne pourrait plus s’appliquer per
sonnellement l’opération, le mandant pourrait le forcer
de lui en tenir compte, et les circonstances qui l’oblige
raient envers le mandataire, obligeraient celui-ci envers
lui. Il y aurait donc cette juste et naturelle réciprocité
excluant toute possibilité de fraude.
�ET DE LA FRAUDE.
293
1220.
— Au reste, le mandat impératif, quant au
prix, détermine une limite au-delà de laquelle le man
dataire ne saurait aller. Mais il pourrait rester en-deçà,
il le devrait même si la détermination du prix était le
résultat de l’ignorance ou de l’erreur, ou si, au moment
de l’arrivée de l’ordre, elle n’était plus en rapport avec
le cours de la place. Il suffirait donc au mandant de
prouver que le mandataire a pu acheter meilleur mar
ché ou vendre plus cher pour le faire condamner à lui
tenir compte de l’avantage qu’il eût retiré dans l’un et
l’autre cas.
Cette règle doit être sévèrement appliquée , car , par
la nécessité même des choses , le mandant est obligé de
suivre aveuglément la foi du mandataire. D’autre part,
les variations commerciales sont souvent tellement brus
ques qu’un ordre expédié à de certaines distances n’est
plus, à son arrivée , ce qu’il était à son d ép art, à sa
voir , dans une juste proportion avec la valeur réelle
des choses. Son exécution littérale serait donc un abus
d’autant plus odieux que le mandataire l’exploiterait à
son bénéfice , ce qui est très-facile dans le commerce.
On sait, en effet, qu’il est peu de commissionnaires qui
ne se livrent à des achats, soit dans la prévision de com
missions futures , soit pour tenter des spéculations sur
la chance de hausse ou de baisse. Ce qui se réaliserait
dans cetté circonstance , c’est que l’ordre arriv an t, le
commissionnaire le remplirait immédiatement, à l’aide
de ses marchandises qu’il vendrait ainsi au-dessus du
cous. Un pareil acte n’est pas seulement une indélica-
�294
TRAITÉ DU DOL
tesse, il constitue une véritable fraude, un abus de con
fiance incontestable , dont le mandant ne devrait pas
être victime. Sur sa demande donc , et malgré les ter
mes de son ordre, il ne devrait être tenu de rembourser
que ce que les marchandises valaient réellement au mo
ment où cet ordre a été exécuté.
L’abus que cette solution tend à prévenir serait for t
voisin de celui dont la loi s’est préoccupée lorsqu’elle a
interdit aux agents de change et aux courtiers de faire
pour leur compte personnel un commerce quelconque.
Dépositaire des intentions des parties , ayant le dernier
mot de chacune d’elles, le confident trouverait trop fa
cilement l’intention de s’enrichir à leur détriment. Sans
doute le commerce n’est pas interdit aux commission
naires, ils peuvent acheter pour revendre ensuite et pro
fiter de la hausse que le cours a naturellement amenée,
mais là s’arrêtent leurs droits. La consécration de l’a
vantage qu’ils prétendraient s’arroger, en vendant plus
cher que ce cours, ne serait qu’une immoralité, car cet
avantage, ils ne le devraient qu’à une confiance dont ils
abuseraient au détriment de celui qui ne devait trouver
auprès d’eux qu’une protection efficace.
1221.
— Il en serait de même du mandataire qui
abuserait de l’erreur évidente dans laquelle serait tom
bé le mandant. Dans un pareil cas, la loyauté exige que
l’erreur soit signalée , et surtout qu’on n’en abuse pas
au préjudice de la confiance que le mandant témoigne.
Celui qui agirait autrement commettrait une fraude pu-
�ET DE LA FRAUDE.
295
nissable, obligeant à réparation. Un arrêt de la Cour de
Paris , du 25 septembre 1812 , nous offre une remar
quable application de cette règle.
La dame Busch, de Pondichéry, venue à Paris, avait
chargé un joaillier delà vente de plusieurs bijoux.Prête
à s’embarquer à Marseille pour retourner à Pondiché
ry, elle lui adressa un collier de perles avec commission
de le vendre, et, en en fixant le prix, elle écrivit 1,200
fr., au lieu de 12,000 fr. Peu de jours après, le joail
lier lui répondit qu’il avait été assez heureux pour ven
dre son collier au prix indiqué de 1,200 fr. La dame
Busch, voyant la déloyauté de son mandataire, chargea
une tierce personne de l’amener à de meilleurs senti
ments, mais il se renferma dans le texte de son man
dat, prétendant que, l’ayant rempli, on n’avait rien de
plus à lui demander.
Traduit en justice , il fui établi qu’il n’avait réelle
ment vendu que quelques perles, s’étant appliqué les au
tres pour monter plusieurs objets de son commerce.
Le jugement qui intervint le condamna à payer le
prix du collier, fixé à 4,800 francs, attendu que, bijou
tier exercé dans son é ta t, il n’avait pu se méprendre
sur la valeur des perles ; qu’il devait instruire la dame
Busch de l’erreur évidente qu’elle avait commise , et
d’autant plus qu’à raison des relations antérieures qu’il
avait eu avec elle, il était investi de sa confiance ; que ,
chargé de vendre un collier composé d’un certain nom
bre de perles, il n’a pas dû le décomposer et encore
moins s’en appliquer une partie ; en quoi il est man
dataire infidèle.
�296
TRAITÉ DU DOL
Sur l’appel du joaillier, ce jugement fut confirmé par
la Cour et devait nécessairement l’être. En droit et en
fait, la conduite de ce joaillier était inexcusable. Elle au
rait pu motiver une condamnation plus sévère.
C’est surtout dans l’ypothèse d’un mandat facultatif
que les devoirs du mandataire sont plus étroitement,
plus impérieusement imposés. Il y a , en effet, de la
part du m andant, une confiance tellement absolue , un
abandon tellement entier, que la moindre infraction re
vêt le caractère du plus odieux abus.
1222.
— La seconde obligation principale du
mandataire est celle d’administrer en bon père de fa
mille.
Cette obligation s’induit naturellement de la règle con
sacrée par l’art. 1992, suivant laquelle le mandataire
répond non seulement de son d o l, mais encore de sa
faute. Nous n’avons nullement à nous jeter dans l’exa
men théorique des fautes, tout ce que nous devons rap
peler, c’est que, de l’avis de tous, le mandataire répond
de sa faute, même légère. On a été même plus loin, on
a voulu lui infliger la responsabilité de la faute très-lé
gère, mais cette doctrine a trouvé des contradicteurs, elle
est combattue par M. Troplong notamment. Nous ne
croyons pas à l’utilité d’approfondir cette difficulté dans
une matière où l’arbitrage souverain du juge est V ultitna ratio de la solution , et où l’existence certaine d’un
préjudice semble , par elle seule, amener la nécessité
d’une réparation.
�ET DE LA FRAUDE.
297
1225.
— Au premier plan des fautes reprochables
au mandataire , se place incontestablement l’infidélité
dont il se serait rendu coupable dans l’exécution du
mandat. Cette faute est plus qu’une fraude, elle consti
tue un délit que les art. 407 et 408 du Code pénal
punissent d’un emprisonnement et d’une amende.
Il y a, entre l’abus de blanc seing et le détournement
m atériel, cette différence essentielle que le premier est
punissable, quel que soit le caractère du m andat, tan
dis que le second ne devient réellement un délit que s’il
a été commis par un mandataire salarié '. Mais , dans
tous les cas , l’un et l’autre donnent incontestablement
ouverture à l’action civile en réparation du préjudice
qui en est résulté. La poursuite et les effets de cette ac
tion se régiraient par les principes que nous avons ex
posés en matière d’escroqueries.’
1 2 2 4 . — On est mandataire infidèle non seulement
lorsqu’on détourne une partie quelconque des deniers
ou valeurs confiés, mais encore lorsqu’on applique à
son propre usage les fonds perçus en cette qualité. Aux
termes de l’art. 1996 , ce dernier abus oblige le man
dataire à payer l’intérêt des fonds , à dater du jour de
l’emploi.
Mais cet article n’a rien de limitatif et ne fait nul
obstacle à ce que le mandataire soit condamné à la ré-
1 Cass., 20 mai 1814; — Sirey, 14, î. 149.
1 V. supra nos 18 et 19.
�298
TRAITÉ DU DOL
paration intégrale du préjudice qu’il a occasionné. Or,
plusieurs hypothèses peuvent s’offrir , dans lesquelles
l’usage fait par le mandataire des fonds provenant du
mandat en aura déterminé un te l, que le paiement des
intérêts serait loin de le couvrir.
Ainsi, débiteur d’une somme envers Pierre , je re
mets cette somme à P au l, avec mandat d’éteindre ma
dette. Au lieu de réaliser ce paiement, Paul applique à
son usage personnel les fonds qui étaient destinés à en
faire l’aliment. Cependant Pierre , non payé de ce qui
lui est dû , dirige contre moi des poursuites , et je me
vois obligé de payer moi-même non seulement le capi
tal et les intérêts , mais encore des frais plus ou moins
considérables.
En cet état, se borner à condamner Paul à me rem
bourser le capital avec les intérêts, ne serait évidemment
pas une indemnité suffisante pour le préjudice que sa
mauvaise foi m’a fait éprouver. La justice exige donc
qu’en pareilles circonstances une allocation de domma
ges-intérêts complète la satisfaction qui m’est due.
Ainsi encore, sachant que mon mandataire a touché
des fonds m’appartenant, je contracte de mon côté des
engagements auxquels j’espère faire face au moyen de
ces fonds. Mais il se trouve que ces fonds ont été em
ployés à l’usage personnel du mandataire , et que son
impuissance à me les rembourser me place dans l’im
possibilité de faire face à mes engagements dont on fait
prononcer la résiliation. Il ne serait pas juste que, dans
une pareille hypothèse, on me privât du droit de de-
�ET DE LA FRAUDE.
299
mander contre mon mandataire des dommages-intérêts
dont la liquidation devrait comprendre non seulement
les frais que j’ai subi , mais encore l’indemnité du gain
que la résiliation m’a fait perdre.
Vainement le mandataire voudrait-il se prévaloir de
la disposition de l’art. 1153. En réalité, son obligation
n’a jamais été celle de payer une somme quelconque,
le droit du mandant ne peut donc être régi par les
principes concernant cette obligation. Tenu d’exécuter
fidèlement son mandat, le mandataire est soumis à une
obligation de faire, dont l’inexécution entraîne la néces
sité d’un dédommagement, dans les limites tracées par
l’art. 1149.
1 2 2 5 . — Le mandataire civil ou commercial doit
mettre la plus active diligence dans l’exécution de la
mission qui lui est confiée. Toute infraction à ce devoir
constituerait une faute grave obligeant sa responsabilité.
Ainsi il doit, dès qu’il a accepté, entreprendre l’opé
ration confiée en ses mains. En commerce , surtout, le
temps est précieux, car le moindre retard, pouvant voir
se réaliser une variation sensible dans le cours des mar
chandises , est dans le cas de rendre l’achat plus oné
reux ou la vente moins lucrative. Tout délai dans l’exé
cution, non justifié, peut donc causer un préjudice que
le mandataire serait condamné à réparer.
1 2 2 6 . — Un des devoirs les plus pressants du man
dataire est d’informer son mandant de la marche de
l’opération, des variations survenant dans les cours, des
�300
TRAITÉ DU DOL
obstacles qui s’opposent à l’accomplissement de sa mis
sion , enfin des chances plus ou moins favorables qu’il
est permis d’entrevoir : Mercator tenetur prius correspondentem advertere de eo quod inopinate evenit, vel
de impedimento ex cujus causa nequit mandatum exsequi in forma prœscripta, atque expectare ulteriora
mandata.'
C’est qu’en effet une affaire commerciale est de na
ture à subir des phases diverses, pouvant dans bien de
cas modifier les intentions du mandant, et môme le fai
re changer d’avis. Il faut donc qu’il puisse, avec le plus
de certitude possible , examiner ce qui lui convient ; et
comment le pourrait-il, si son mandataire s’abstient de
toute communication ? Un pareil silence, tendant à sub
stituer l’appréciation du mandataire à celle du man
dant , constituerait une violation du mandat et pourrait
autoriser le dernier à laisser l’opération pour compte du
premier.
Ce n’est pas seulement pendant le cours de l’opéra
tion que le mandataire doit ses conseils et ses avis, c’est
surtout à l’origine et au moment de la réception de l’or
dre qu’il est tenu de fournir les uns et les autres. Con
naissant la place où doit se traiter l’opération , il peut
juger de l’opportunité de l’ordre , de sa juste relation
avec les prix du jour , en apprécier même les consé
quences plus ou moins probables. Si, contre l’évidence,
1 Casaregis, Disc. 125, n° 22,
�ET DE LA FRAUDE.
301
il se prêtait à l’exécution d’un mandat onéreux pour son
auteur, il serait tenu du préjudice qu’il aurait volontai
rement occasionné.
1227.
— Nous n’avons pas la prétention d’énumé
rer une à une les nombreuse fraudes que le mandataire
peut commettre. Nous les résumons dans l’obligation
qui lui est imposée d’administrer en bon père de fa
mille. En conséquence , tout ce qui s’écarte des soins,
du zèle, de la vigilance qu’on rencontre dans celui-ci,
est une faute grave engageant sa responsabilité,
Ajoutons que la gestion des affaires d’autrui exige, de
la part de celui qui en est chargé, une circonspection et
une retenue qu’on n’est pas obligé d’apporter à ses pro
pres affaires. Les spéculations , les hasards qu’on peut
entreprendre et braver dans ce qui nous concerne, on
ne peut s’y livrer pour le compte d’autrui , à moins
d’ordres exprès et formels. Celui qui agirait sans atten
dre ces ordres , s’exposerait à garder pour son propre
compte les chances fâcheuses que l’opération subirait.
Enfin il en est des commissionnaires commerciaux
comme des notaires , des avoués, etc. Ils promettent à
leurs commettants peritiam et industriam. Il y a , a joute M. Troplong, dans la pratique de la commission,
une expérience de la qualité et du cours de la marchan
dise, une connaissance des bonnes maisons, une habi
leté à traiter les affaires qui font le commissionnaire in
telligent et donnent au commettant toute sécurité.'
1 Art. <1992,110 405.
�304
TRAITÉ DU DOL
de ses pouvoirs, sans y être autorisé , constituerait une
faute grave. Les conséquences seraient pour lui la né
cessité et l’obligation de répondre des faits de celui qu’il
s’est irrégulièrement substitué. Il en serait de même si,
autorisé à déléguer ses pouvoirs, il les avait remis à un
homme insolvable ou im m oral, à moins que ce choix
ne lui eût été nominalement imposé par le mandant.
Toutefois, la responsabilité d’une substitution non au
torisée reçoit exception , lorsque , par une circonstance
imprévue, le mandataire, empêché d’agir dans un mo
ment où l’affaire ne pouvait plus être arrêtée ou sus
pendue , charge quelqu’un de faire ce qu’il ferait luimême , s’il le pouvait. Dans une pareille circonstance,
la substitution est tout entière dans l'intérêt du man
dant ; elle est dans l’esprit, sinon dans la lettre du con
trat. On ne saurait , en effet, admettre que l’intention
du mandant n’a pas été de l’autoriser dans une position
aussi critique pour ses intérêts.
Il suffirait donc que l’empêchement et l’urgence ex
istant, le mandataire eût momentanément confié la di
rection de l’affaire à un homme d’une solvabilité cer
taine , d’une moralité irréprochable , pour que sa res
ponsabilité fût complètement dégagée, alors même que,
mentant à ses antécédents, le mandataire substitué eût
abusé de la confiance qui lui a été témoignée. Cette so
lution, admise par l’école italienne, a été consacrée par
la doctrine française.’
1 Delamarre et Lepoitvin , tom. n , n°» 36 et sniv.; — Troplong , art.
�ET DE LA FRAUDE.
305
1 2 32. — A côté de la responsabilité du mandataire
vis-à-vis du mandant, existe celle qu’il peut assumer à
l’égard des tiers. Mais cette dernière , résultant ordinai
rement des termes dans lesquels l’engagement a été pris,
sort de notre matière. Il est une seule hypothèse où elle
peut provenir de la faute, à savoir, lorsque le manda
taire a excédé les limites de son mandat.
Il faut donc , pour qu’elle se réalise, que le manda
taire ait agi en cette qualité , et pour compte du man
dant ; qu’il n’ait pas donné connaissance suffisante de
ses pouvoirs ; qu’il les ait excédé : à ces conditions, et,
quels que soient les termes de l’engagement, le man
dataire a engagé sa responsabilité et répond person
nellement des obligations contractées en dehors de ses
pouvoirs.
12 3 3 . — La troisième obligation imposée au man
dataire est celle de rendre compte.
Cette obligation n’étant que la conséquence de la qua
lité de comptable , est régie par les principes généraux
applicables aux redditions de compte. Le mandataire est
soumis aux mêmes devoirs que tout autre comptable :
devoirs que nous avons retracés notamment en traitant
de l’associé gérant. Nous n’avons donc à rappeler ici
que quelques règles spéciales au mandat.
La première est celle tracée par l’art. 1993 du C. civ.,
à savoir : que le mandataire est tenu de faire raison de
tout ce qu’il a reçu à l’occasion du mandat, quand même
ce qu’il aurait reçu n’eût point été dû au mandant.
ni
20
�306
TRAITÉ DU DOL
Ces expressions comprennent tout ce qui a été pro
duit directement ou indirectement par le mandat. Cette
règle est puisée dans le droit romain : Ex mand ato apud
eum qui mandatum suscepit nihil remanere opportet,
debere eum prœstare quantumcumque emolumentum
sensit. ' La raison commandait ce résultat, tout ce qui
est produit par la chose confiée à titre de mandat aug
mente naturellement cette chose et appartient dès - lors
à son propriétaire. Le mandataire ne peut réclamer que
le salaire convenu, tout ce qu’il retiendrait au-delà , il
le garderait sans droit ni titre. La dissimulation qu’il en
ferait constituerait une infidélité engageant profondément
sa responsabilité.
1254.
— L’obligation de tout restituer s’applique
même aux profits illégitimes que le mandataire se serait
procuré, par exemple , aux intérêts usuraires qu’il au
rait perçu. Cette doctrine, professée par nos anciens ju
risconsultes et notamment par le président Favre, doit,
de l’avis de M. Troplong, être suivie sous l’empire du
Code.*
Cependant son application doit se restreindre au cas
où le profit illicite a été perçu dans le développement
naturel du mandat. Ainsi, lorsque celui - ci a consisté
dans la remise d’une somme d’argent pour la faire va
loir pour le compte du m an d an t, quel qu’en ait été
1 L. 10 § 3 et L. 20 Dig., mandati.
'■>Art. 1993, n°* 422 et suiv.
�et de la fraude .
307
l’emploi , il est censé fait dans l’intérêt de celui - ci et
doit conséquemment lui profiter intégralement et exclu
sivement.
Si le mandat n’assignait aucune destination aux fonds,
l’emploi que le mandataire en fait n’est qu’un ab u s, et
le mandant n’est pas autorisé à en revendiquer le béné
fice. Contrairement à ses devoirs , le mandataire a illé
galement appliqué à son usage personnel les fonds qu’il
devait tenir à la disposition du mandant, Or, les consé
quences de cette fraude ayant été prévues par l’art. 1996,
ce dernier ne saurait exiger que l’intérêt légal de ces
sommes et, suivant les cas, des dommages-intérêts pour
la réparation du préjudice qu’il en a éprouvé.
Ainsi , tous les profits réalisés , à l’occasion et par
l’exécution du mandat, appartiennent exclusivement au
mandant et doivent lui être remboursés ; ceux prove
nant de l’abus ne sont pas restituables, sauf la respon
sabilité que cet abus fait peser sur le mandataire.
1235.
— Ce dernier ne peut de plus rien retenir audelà du salaire convenu pour ses peines et soins, vaine
ment voudrait - il s’étayer de prétendus usages pour se
faire allouer quelque chose en sus. Un arrêt de la Cour
de Lyon, du 23 août 1831,' a fait bonne justice de pré
tentions de ce genre. Il parait que, sur cette place im
portante , les commissionnaires avaient pris l’habitude
de coter les prix d’achat à leurs commettants plus cher
�308
TRAITÉ HU DOL
qu’ils ne les avaient payés eux - mêmes , par cette ma
nière, ils joignaient à leurs droits de commission le bé
néfice résultant de la différence dans les prix. Actionné
en restitution de cette différence, un de ces commission
naires voulait justifier son refus par l’usage qu’il soute
nait être conforme à ses prétentions. Mais l’usage , ré
pondit l’arrêt, ne peut, dans aucun cas, légitimer une
fraude trop coupable pour que la justice ne s’empresse
pas de la frapper de toute sa réprobation.
Aux termes de l’art. 1996, le reliquat du compte por
te intérêt du jour de la mise en demeure.
1236.
— Les obligations du mandant se réfèrent
aux droits du mandataire , à ceux des tiers ayant traité
avec ce dernier.
A l’endroit du mandataire, il est juste que le mandat
ne puisse jamais devenir pour lui une occasion de perte.
Cette règle d’équité explique la disposition des articles
2000 et suivants du Code civil.
L’obligation d’indemniser le mandataire est indépen
dante de l’issue de l’opération. Celui-ci n’a, dans aucun
cas, garanti le succès de sa mission ; ce à quoi il s’est
engagé , ça été de consacrer tous ses efforts, tous ses
soins à le déterminer ; que s’il échoue, et qu’on n’ait à
lui reprocher ni imprudence, ni négligence, ni faute, il
a rempli la tâche qui lui était confiée et l’obligation de
le rendre indemne ne saurait être récusée.
La loi veut de plus que les avances qu’il a faites, dans
l’intérêt du mandant, produisent intérêt du jour où elles
�ET DE LA FRAUDE.
309
sont régulièrement constatées. Personne ne doit et ne
peut s’enrichir aux dépens d’aulrni. Or , telle serait la
position du mandant si, profitant des avances faites par
le mandataire , il était dispensé de lui payer les intérêts
qu’il aurait infailliblement supporté en faveur de tout
autre prêteur. Il ne serait pas juste, d’autre part, que le
mandataire fût privé, par l’effet du mandat, du revenu
qu’il aurait retiré de ses fonds, s’il les eût appliqués à ses
propres affaires.
Enfin, lorsque le mandataire a fidèlement rempli sa
mission , on ne peut pas réduire le montant de ses avan
ces et frais , sous prétexte qu’ils auraient pu être moin
dres. Chacun doit subir les conséquences de l’adminis
tration à laquelle il a spontanément recouru. Il suffit
donc que les avances et frais soient certains pour que le
mandant soit tenu de les solder intégralement, sauf l’hy
pothèse d’une exagération évidente et frauduleuse.
Outre les avances et les frais, le mandant doit payer
le salaire convenu, la gratuité du mandat n’existant qu’à
défaut d’engagement contraire, et cet engagement étant
toujours présumé en matière commerciale.
Ici encore la fraude fait exception à la règle. Si elle
a seule déterminé le mandat , la nullité de celui-ci lui
enlèverait tout effet possible et atteindrait naturellement
la clause qui en aurait fixé le salaire.
Cette nullité prononcée et acquise , le mandant nonseulement n’aurait rien à payer, mais serait de plus au
torisé à exiger le remboursement de tout ce qui l’aurait
été à ce titre ; c’est ce que la Cour de Limoges consacrait
expressément le 16 juin 1836.
�310
TRAITÉ DU DOL
A l’appui du pourvoi dont la décision avait été l’ob
jet, on soutenait qu’elle violait l’art. 1926 C. Nap. L’an
nulation du mandat, disait-on, ne pouvait ni ne devait
empêcher qu’on ne leur dût le salaire des peines qu’ils
avaient prises pour faire réussir le mandat qu’ils avaient
mené à bonne fin. salaire qui leur était acquis au moins
comme negotiorum gestores.
Mais par arrêt du 7 août 1837, la Cour suprême re
jette le pourvoi, attendu que les procurations étant an
nulées , la convention d’un salaire tombe avec les actes
qui la renfermaient, et qu’il ne reste plus à l’égard des
prétendus mandataires que le fait de s’être immiscés dans
les affaires d’autrui, fait déclaré frauduleux et accompli,
non dans l’intérêt des mandants, mais pour le profit per
sonnel des mandataires, ce qui exclut absolument toute
idée de salaire et d’honoraire.'
Gérer volontairement et sans ordre les affaires d’au
trui est un acte purement gracieux et par conséquent
essentiellement gratuit, on ne saurait le concilier avec
l’idée d’un salaire qui n’est dû que s’il est expressément
stipulé. Tout ce que le gesteur peut réclamer raisonna
blement c’est le remboursement de ses déboursés, et c’est
ce que la Cour de Limoges accordait.
A plus forte raison doit - il en être ain si, lorsque le
mandat ayant été frauduleusement obtenu , le gesteur
n ’a réellement agi que dans son intérêt propre et per
sonnel.
1 J. du P., 2, 1837, 374.
�ET DE LA FRAUDE.
311
1237. — Relativement aux tiers , le mandant est
obligé d’exécuter les engagements contractés parle man
dataire. Ce principe n’a jamais fait ni pu faire l’objet
d’un doute, qui mandat ipse fecisse videtur. Mais, pour
que cette règle puisse être invoquée par les tiers , il faut
.que le mandataire ait contracté ,en sa qualité et pour
compte du mandant; qu’il ait agi dans la limite des pou
voirs qui lui ont été conférés.
1 2 3 8 . — La première condition se réalise assez or
dinairement dans les affaires civiles, sauf quelques rares
exceptions , le mandataire n’est pas même autorisé à
agir en son nom. Pareille chose peut également être re
marquée en matière commerciale, où cependant, le plus
souvent, le mandataire agit en son propre et privé nom.
C’est notamment ce qui est de droit commun pour les
affaires traitées par le ministère des commis-voyageurs.
1239. — Cependant les traités ainsi souscrits sont
de nature à donner naissance à la fraude. Il n’est pas
rare, en effet, de voir une maison de commerce préten
dre que son commis-voyageur n’a la faculté de l’enga
ger que sauf ratification de sa part. Cette ratification
qu’elle donne , en cas de stagnation ou de baisse de
l’article , elle prétend la refuser dans le cas de hausse
survenue depuis le traité et avant son exécution. Ainsi,
l’acheteur seul serait lié, sans qu’il pût revendiquer aucnne réciprocité de la part du vendeur.
Cette difficulté que nous signalons est d’autant plus
grave que sa solution partage la jurisprudence. Ainsi ,
�312
TRAITÉ DU DOL
la Cour de Paris a jugé, le 2 janvier 1828, que le com
mis-voyageur d’un négociant est, par ce seul titre, re
vêtu aux yeux des tiers d’un mandat général d’agir au
nom de son commettant : que celui-ci ne peut donc se
refuser à exécuter les ventes faites par le commis-voya geur, alors même que le mandat de celui-ci se trouve
rait restreint par des conventions particulières. '
Mais le contraire résulte d’un arrêt de la Cour de
Montpellier, du 27 décembre 1826, jugeant que les com
missions données à un commis-voyageur , et acceptées
par lui au nom de sa maison , ne sont réputées que de
simples commandes ou propositions de vente, si ce com
mis-voyageur n’a un pouvoir exprès de lier définitive
ment la maison qui l’envoie. ’
Celle divergence est regrettable, car elle laisse indécise
une question que l’intérêt général du commerce vou
drait voir résoudre en termes simples et nets. Quant à
nous, nous n’hésitons pas à nous ranger au premier sys
tème, qui nous parait plus rationnel et prêter beaucoup
moins à la fraude que nous venons de signaler ; à notre
avis donc, le commis-voyageur est, par ce seul titre, le
mandataire légal de celui qui l’accrédite , et qu’il a dès
lors la faculté d’engager , à moins qu’une publicité for-
1 D. P 28. 2. 2; — v, Metz, 4 juin 1825; — Paris, 8 novembre 1836;
— Douai, 29 août 1844; — Rouen. 7 janvier 1845 : — J. D. P., t. î ,
1845, p. 27 et t. u, p. 329.
2 D. P., 27 , 2, 198 ; — v. cass. , 19 décembre 1821 ; — Rennes . 8
juillet 1839 ; — Montpellier, 24 décembre1841 ; — J. D P., t. il, 1839,
�ET DE LA FRAUDE.
313
nielle , ou que la correspondance directement adressée
aux commerçants, que le commis visitera , n’ait fixé en
sens contraire les pouvoirs qui lui sont confiés.
Les circonstances de fait, la position de la maison ,
la nature de son commerce, seront des éléments utiles
à consulter pour la solution de notre difficulté. Ainsi le
mandat de vendre sera plus facilement'présumé lorsque
le commis-voyageur représentera un fabricant, un pro
ducteur cherchant à écouler ses produits , ainsi qu’il le
pratique habituellement.
Il pourrait en être autrement pour le commis-voyageur
attaché à une maison de commission. Mais comme les
commissionnaires ont très-souvent des marchandises leur
appartenant, le commis-voyageur, député pour prendre
des commissions , l’est également pour la vente de ces
marchandises. Dans cette hypothèse , le sort du litige
devrait tenir à la nature du contrat souscrit par le com
mis-voyageur et la qualification donnée à l’opération ,
la correspondance pourrait également être consultée avec
fruit.
Que si l’engagement pris par le voyageur porte vendu
à tel... et non commis par tel, le contrat sera une vente
et non une commission. Vainement la maison prétendrat-elle qu’elle n’avait pas donné mission de vendre , la
présomption est que le commis- voyageur exécute litté
ralement son mandat. D’ailleurs , l’abus qu’il ferait de
ses pouvoirs serait imputable au commettant, ayant dans
tous les cas le tort d’avoir investi de sa confiance une
personne qui n’en était pas digne. Il serait donc juste de
�314
TRAITÉ DU DOL
lui en laisser la responsabilité, à moins qu’il ne prouvât
que le tiers a connu le véritable caractère du mandat et
s’est associé à sa violation.
En droit commun , la connaissance du mandat est
présumée chez celui qui traite avec un mandataire, mais
les usages du commerce et la foi qui s’attache ordinai
rement aux commis - voyageurs motivent justement une
dérogation à cette règle. D’ailleurs , les pouvoirs de ces
commis résultent plus souvent de la notoriété publique,
de la remise des cartes et échantillons, que du mandat
écrit et formel. Aussi n’est-on pas habitué dans le com
merce à se faire exhiber les pouvoirs des commis - vo
yageurs.
1 2 4 0 . — Le plus ordinairement, les mandataires
commerciaux agissent en leur propre et privé nom. C’est
là, avons-nous dit, une conséquence de l’avantage que
trouve le commerçant à dérober à ses concurrents la con
naissance des places sur lesquelles il opère. De là cette
double règle :
1° Le mandant n’ayant aucune action contre les tiers,
ne peut être actionné par eux ;
2" Le commissionnaire n’est, dans aucun cas, tenu
de divulguer le nom de son commettant.
1241. — La première règle reçoit exception : 10lors
que le mandataire est déclaré , par une disposition ex
presse de la loi, la personnification du mandant. De telle
sorte que l’emploi de la qualité à laquelle cet effet se
�ET DE LA FRAUDE.
315
rattache suffit pour rendre ce dernier personnellement
tenu. Ainsi le capitaine de navire est le représentant na
turel et légal de l’armateur. Conséquemment celui qui
traite avec lui, quoiqu’en son propre et privé nom, trai
te réellement avec l’armateur lui-même qu’il a pour obligé, malgré qu’il ne le connaisse pas même de nom.
Cette exception doit être renfermée dans de justes li
mites, on ne l’admettra donc que dans le cas où l’enga
gement du capitaine se réfère à la navigation du navire
dont la direction lui est confiée ; tout ce qu’il ferait en
dehors de cet intérêt serait étranger à son armateur, qu’on
ne pourrait dès lors rechercher sous aucun prétexte.
1242.
— 2° Lorsque, de notoriété publique, l’affaire
se traite pour le compte d’un mandant parfaitement con
nu et au crédit duquel les tiers ont fait exclusivement
confiance.
Cette exception est susceptible d’acquérir une grande
importance dans les pays de production et relativement
aux commerçants de la localité. Ainsi , chaque maison
de commerce a dans les villages environnants des per
sonnes habituellement chargées d’acheter pour son com
pte les vins, les huiles, les amandes, les laines, les soies,
en un mot les diverses productions du pays. Ces per
sonnes , quoique traitant en leur nom personnel , sont
cependant notoirement connues comme les fondés de
pouvoirs de la maison qui les prépose, c’est à celte mai
son que les vendeurs font fo i, car assez habituellement
encore les mandataires n’offrent aucune solvabilité réel
le, eu égard à l’importance des achats qu’ils réalisent.
�316
TRAITÉ DU DOL
Admettre en cet état que la maison, pour compte de
laquelle se font ces achats, est à l’abri de tous recours
de la part des vendeurs, ce serait s’exposer à consacrer
la plus abominable de toutes les fraudes, la plus odieuse
spéculation. En effet, par une collusion facile entre le
commettant et le commissionnaire, le premier profiterait
des marchandises qu’il paraîtrait avoir payées à celui-ci,
contre lequel les vendeurs seraient réduits à se pourvoir.
Recours illusoire pour eux, peu onéreux pour le com
missionnaire qui trouverait dans son insolvabilité le mo
yen d’en éluder les effets.
Il est impossible que le législateur ait pu jamais vou
loir consacrer un pareil résultat, ni permettre que la fa
culté pour le commissionnaire d’agir en son nom, intro
duite dans l’intérêt du commerce, fût susceptible de mas
quer une fraude aussi déloyale.
1243.
- C’est la pensée de Pothier, qui n’hésite pas
dès-lors à résoudre la difficulté dans le sens seul équi
table. Le mandataire, dit-il, est obligé principal, puis
qu’il a donné son nom, mais il oblige conjointement avec
lui son mandant, pour l’affaire duquel il parait que le
contrat s’est fait. Le mandant, en ce cas, est censé accé
der à toutes les obligations que le mandataire contracte
pour son affaire, et de cette obligation accessoire du
mandant naît une action qu’on appelle utilis institoria, qu’ont, contre le mandant, ceux avec lesquels le
mandataire a contracté pour l’affaire du mandant : Si
guis pecuniœ fosnerandœ, agro colendo, condcndis ven-
�ET DE LA FRAUDE.
317
dendisque frugibus propositus est, ex eo nomine quod
curn illo contractum est, in solidum fundi dominus obligavitur. '
L’opinion contraire est enseignée par MM. Delamarre
et Lepoitvin : ou le commerçant qui agit pour autrui, di
sent-ils, fait connaître son mandat à l’autre contractant,
et alors il ne s’oblige pas, celui-là seul est obligé au nom
duquel il contracte ; ou il traite en son propre nom sans
exprimer son mandat, sans agir nomine a lte riu s, e t,
dans ce cas, lui seul est obligé, et nullement celui pour
lequel il a entendu réellement contracter et dont il a reçu
mandat. 1
Telle est en effet la doctrine de deux maîtres célèbres,
Ansaldus et Casaregis, invoqués par nos auteurs. Telle
est, ajouterons-nons, la règle ordinaire devant régir le
plus usuellement les opérations commerciales. Mais estce à dire que cette règle soit tellement inflexible qu’elle
ne comporte aucune exception ? Elle serait, si cela était,
l’unique en son genre.
Quant à nous, nous n ’hésitons pas à tenir que, comme
toutes les autres, la règle est ici susceptible d’une ex
ception. Cette exception est naturellement indiquée par
l’exacte appréciation des bases sur lesquelles se fonde la
règle.
Ces bases sont : d’une part, la solvabilité du commis
sionnaire; de l’autre, le secret que le commettant a voulu
1 Du M a n d a i, n° 88.
2 T. il p. 504, n° 267.
�318
TRAITÉ DU DOL
garder. Celui qui traite avec un commerçant solvable ne
peut et ne doit supposer personne derrière celui avec qui
il contracte. Il n’a compté et pu compter pour son paye
ment que sur l’efficacité de la promesse personnelle qui
lui en est faite; il n’aurait certainement pas traité, s’il
eût considéré cette promesse comme insuffisante. On ne
lui fait donc aucun grief en lui refusant un cautionne
ment qu’il n’a pas même exigé. Pourrait-il d’ailleurs
raisonnablement prétendre avoir compté sur la solvabi
lité du mandant demeuré dans le secret le plus absolu,
et qu’aucun indice ne désignait ni directement, ni indi
rectement.
Peut-on en dire autant de celui qui traite avec une
personne notoirement en-dessous de la solvabilité qu’exi
gerait l’importance de l’opération? Mais un négociant
qui agirait ainsi, le propriétaire qui userait d’une telle
confiance seraient des insensés qu’il serait urgent de
faire interdire dans leur propre intérêt,
Un fait aussi anormal suppose donc qu’on a su qu’à
côté de l’acheteur et derrière lui, existait quelqu’undont
la solvabilité certaine commandait cette confiance qu’on
lui a indirectement faite. Il n’est donc plus possible de
dire avec Casaregis : Quia apparet mercatorem personam tantum contrahentis, in suo contractu comtemplasse, nullumque ad personam mandantis respeclum
habuisse. Ainsi s’efface cette première et essentielle base
de la règle invoquée.
Lorsqu’à ce premier fait, vient se joindre cette autre
circonstance, à savoir ; l’existence notoire et certaine
�ET DE LA FRAUDE.
319
d’un mandat en faveur de celui qui a contracté ; lors
que l’auteur de ce mandat est publiquement nommé ;
lorsqu’enün lui-même a concouru à former cette noto
riété soit en transmettant publiquement des ordres à
son mandataire, soit en le désignant comme tel, soit en
faisant enlever lui-même la marchandise achetée par
lui, est-ce qu’on pourra seulement hésiter? Qu’importe
que le mandataire ait traité en son nom personnel, n’estil pas évident que c’est avec le mandataire de la maison
désignée qu’on a entendu contracter, qu’on a réellement
contracté? Userait doncabsurbe de vouloir, encetétat,
appliquer une règle qui n’a plus de fondements et qui
devient dès-lors raisonablement, équitablement inappli
cable.
M. Troplong, en traitant notre question, rappelle ce
qu’il a dit en matière de société, à savoir : lorsqu’un
associé contracte seul, en son propre et privé nom, il
n’oblige que lui ; les tiers qui ont suivi sa foi n’ont pas
d’action contre la société, et cela quand même celle-ci
aurait profité du contrat. Mais lorsque la société n ’existe
que de fait, que cette existence est notoire, et qu’il est
reconnu que les tiers en ont suivi la foi, il importe peu
que la société n’ait pas été formellement nommée dans
les actes passés avec le tiers, les circonstances de fait la
font considérer comme obligée.
Pourquoi en serait-il autrement dans notre hypothè
se, se demande le profond magistrat, l’habile juriscon
sulte? Le mandataire est comme l’associé, il n’oblige
son mandant envers les tiers que lorsqu’il a pris la
�320
TRAITÉ DU DOL
qualité de son mandataire. Mais pour que celte qua
lité lui soit imprimée dans ses rapports avec les tiers ,
il n’est pas absolument nécessaire qu’elle ressorte des
mots. Le judaïsme n’est pas plus de mise ici que dans
la société. Le nom du mandant peut s’attacher à l’acte
par des circonstances de fait, par une certaine publi
cité de position que les tribunaux doivent apprécier avec
équité. 1
M. Troplong approuve conséquemment les arrêts de
la Cour de Rennes , que MM. Delamarre et Lepoitvin
frappent de réprobation. Il les corrobore par un arrêt
de la Cour de cassation, du 20 août 1844, rendu à son
rapport.
1244.
— En définitive, la question doit se résoudre
sous l’empire de la règle tracée par Asaldus : Ea semper
persona remanet obligata , cajm intuitu ac respectu,
contraclus reperitur celebratus. ' Cette personne est de
plein droit celle du m andant, dans le cas où le contrat,
est fait sous son nom et pour son compte ; c’est celle du
mandataire, lorsque c’est sous nom propre et privé qu’il
a agi. Mais, dans ce dernier cas, le mandant peut éga
lement se trouver obligé, si les circonstances établissent
que, notoirement connu, le crédit dont il jouissait a été
la cause déterminante du contrat. Il faut dire avec M.
Troplong que, s’il en était autrement, la fraude s’ernpa-
1 Art. 1997, n»» 540 et suiv.
2 Disc. 12. nu 7.
�ET DE LA FRAUDE.
321
rerait de ce moyen de droit pour tromper les tiers, on
mettrait les mots au-dessus des choses, les apparences
concertées au-dessus de la réalité.
1245.
— A son tour, le principe que le mandataire
n’est pas tenu défaire connaître son mandant, reçoit ex
ception en matière d’assurances, les fondements de cette
exception résident dans la nature même de ce contrat.
L’assurance ne peut exister sans un risque certain et
déterminé. Elle ne peut jamais devenir l’objet d’un jeu
sur les chances de la navigation.
D’autre part, il n’est peut-être pas de contrat qui exi
ge plus l’emploi d’un intermédiaire , l’assurance se fai
sant à des distances telles que l’obligation pour l’assuré
de la souscrire en personne, équivaudrait souvent à une
interdiction absolue de la faculté d’y recourir.
Enfin, et comme dans toutes les matières commercia
les, le secret, sur la propriété de choses assurées , peut
être indispensable au succès de l’opération. De là , un
grave intérêt pour le véritable assuré à dissimuler son
nom et sa qualité.
Ces considérations ont été de tous les temps appré
ciées , elles ont déterminé l’autorisation de contracter
l’assurance par commissionnaire agissant pour compte
de qui il appartiendra, ou pour compte de qui que ce soit.
Mais s i , le sinistre se réalisant , le commissionnaire
pouvait continuer de taire le nom de son commettant ,
l’assurance dégénérerait bientôt en une gageure sur les
fortunes de mer. En effet, un négociant, sachant qu’un
m
2t
�322
TRAITÉ DU DOL
navire part ou est parti pour un voyage déterminé, ferait
assurer pour compte de qui il appartiendra une somme
plus ou moins importante soit sur le navire lui-m êm e,
soit sur la cargaison. Si le voyage réussissait, il en serait
quitte moyennant le payement de la prime ; si le navire
venait à se perdre , il réaliserait un bénéfice sans avoir
jamais eu un risque quelconque à son bord.
La nécessité d’empêcher ce jeu, de veiller à la sincé
rité de l’assurance, exigeait donc que le sinistre se réa
lisant , et sur la première réquisition des assureurs , le
commissionnaire fût tenu de nommer la personne pour
le compte de laquelle il a agi ; et comme nul ne peut
être assuré contre son gré et sans son consentement , le
commissionnaire serait tenu, en nommant l’assuré réel,
de produire soit la lettre d’ordre , soit la ratification de
l’assurance, si celle-ci était son fait spontané.
En effet, un commissionnaire , chargé d’expédier des
marchandises à un commettant quelconque, peut, dans
l’intérêt de celui-ci, les faire assurer sans en avoir reçu,
sans même en attendre l’ordre. C’est là un acte de bonne,
de prévoyante administration. Mais, en cas de sinistre ,
l’assurance ne vaut qu’en tant que cet acte a été approuvé
et ratifié par le propriétaire des objets assurés, le défaut
de ratification, comme celle qui serait postérieure au si
nistre, annulerait l’assurance. Il importe, en effet, pour
que la ratification puisse produire un effet utile, qu’elle
soit donnée à une époque où le risque étant encore en
suspens, l'aléa inséparable d’une assurance soit réelle
ment couru. C’est encore là une règle que nous a léguée
�ET DE LA FRAUDE.
323
l’école italienne : E docendo la ratificazione seguire re
integra, cioe, avanti il sinistro, in tempo e stato di cose, nel quale l’atto ratificato potesse validamente fa r si.' Or, après le sinistre, l’assurance est impossible, dès
lors la ratification l'est également.
Sous ce rapport donc, la dérogation à la règle que le
commissionnaire n’est pas obligé de faire connaître son
commettant, est parfaitement justifiée. Il est une autre
considération qui ne la commandait pas moins impé
rieusement.
1246.
— Aux termes de l’art. 348 du Code de com
merce, toute réticence, toute fausse déclaration qui di
minuerait l’opinion du risque, ou qui en changerait le
sujet, annule l’assurance. Le contrat n’est valable qu’autant que les assureurs ont été instruits de tout ce que
l’assuré savait lui-même sur la navigation du navire, su
jet du risque ou porteur de ce risque.
Or l’obligation de tout déclarer ne s’applique pas seu
lement au commissionnaire, souscrivant la police, mais
encore et essentiellement à l’assuré dans l’intérêt de qui
celte police est souscrite. Quelle qu’ait été la bonne ou
la mauvaisefoidu premier, l’assurance ne doit pas moins
succomber , si le second est convaincu de réticence ou
de fausse déclaration.
Il importait donc aux assureurs d’obtenir la produc
tion de la lettre d’ordre et de connaître ainsi le véritable
1 Casaregis, Disc. 173, n» 31.
�324
TRAITÉ DU DOL
intéressé. Car de deux choses l’une : ou le commission
naire n’a pas indiqué toutes les circonstances que l’or
dre renfermait, et l’assurance est nulle par le fait du
commissionnaire, seul responsable de sa faute envers son
commettant ; ou les indications de la lettre d’ordre au
ront été fidèlement exécutées , et les assureurs pourront
toujours faire tomber le contrat, en prouvant que l’au
teur de cette lettre a volontairement omis d’y consigner
des circonstances qu’il connaissait et qui étaient de na
ture à influer sur l’opinion du risque : Scienha domini
sibi prœjudicat, licet ejus procurator in conlrahendo,
illarn non habuerit. '
C’est donc la conduite du mandant que les assureurs
auront à explorer dans le plus grand nombre des cas ,
Or, comment au raien t-ils pu user de ce droit d’un si
haut intérêt pour eux, si, après comme avant le sinistre,
le commissionnaire avait pu leur taire le nom du véri
table intéressé.
1247.
— Ainsi l’assuré répond de la faute et de la
fraude du commissionnaire qu’il s’est choisi et avec le
quel il s’identifie , à plus forte raison , doit-il répondre
de sa propre faute. Il ne serait pas juste de lui permettre
d’en tirer avantage, par cela seul qu’il aurait confié à un
tiers le soin de souscrire une assurance, en lui cachant
des circonstances que les assureurs avaient le plus grand
intérêt à connaître. Cette évidente injustice ne pouvait
i Casaregis, Di»c. 9, n° 19
�ET DE LA FHAUDE.
325
être évitée que par l’obligation faite au mandataire de
faire connaître son mandant et de produire la lettre d’or
dre. Celui-ci connu aura à repondre de sa réticence, de
sa fausse déclaration , il aura de plus à prouver qu’il
était réellement propriétaire des choses assurées.
Nous retrouvons l’identification du mandataire et du
commettant dans les conséquences à tirer de l’art. 365
du Code de commerce. Aux termes de sa disposition, il
ne peut exister d’assurance valable si avant la signature
de la police l’assuré a pu être informé de la perte , ou
l’assureur de l’heureuse arrivée. Or, pour l’application
de cette règle , il importe peu que la perte ignorée du
mandant soit connue du commissionnaire, ou récipro
quement ; il suffit qu’elle le soit de l’un d’eux pour que
le contrat ne puisse sortir à effet.
Ainsi , dit Emérigon , si , lors de la signature de la
police , le commissionnaire , qui fait l’assurance pour
compte d’autrui, est instruit du sinistre, l’assurance est
nulle, quoique le commettant l’ait ignorée.
Elle est également nulle, si ce dernier était instruit du
sinistre , lorsqu’il a donné ordre de faire assurer, quoi
que le commissionnaire ait été de bonne foi.
Il en est de même si le commettant, instruit à temps
pour révoquer l’ordre, a omis de le révoquer. ’
1248.
— La dissimulation, que le commettant ferait
à son commissionnaire de la connaissance du sinistre ,
i Des Assurances, chap. 15, sect. 8
�326
TRAITÉ DU DOL
constituerait de sa part un véritable dol. Or, quelle que
soit l’identification que nous venons de voir se réaliser
entre eux, elle ne peut jamais aller jusqu’à rendre celuici responsable d’un dol personnel au commettant et au
quel il serait resté étranger. C’est ce que la Cour de cas
sation a formellement consacré par arrêt du 8 mai 1844.'
Dès lors, la double prime que cette dissimulation entraî
nerait, aux termes de l’art. 368, ne pourrait être mise à
la charge du commissionnaire de bonne foi.
1 249.
— Ce résultat est d’ailleurs une conséquence
logique de la déclaration du nom de celui pour compte
de qui l’assurance a été prise. Cette indication n’a certes
pas pour effet d’effacer les obligations personnellement
contractées jusque là parle commissionnaire. Il faut donc
dire avec Casaregis : Facta nominalionc , stipulator
non exit e contracta, gui erat in eo radicatusab in itio, sed persona nominata accumulatur ipsi contrac
tai. 1 Le commissionnaire restera donc débiteur de la
prime convenue, et de toutes les obligations contractées
par la police.
Mais cette nomination réalisée, les assureurs se trou
vent désormais en présence de leur véritable adversai
re, Us peuvent scruter sa conduite, et tout ce qui ressort
de cet axamen amiable ou judiciaire ne peut plus con-
1 D. P., 44, 1. 233.
2 Disc. 5, n° 26 ; — Asaldus, Disc. 42 ; — Valin, t. n, p. 33, 34 ;—
Troplong, art. 1997, n° 564.
�'
ET DE Là FRAUDE.
327
cerner que l’assuré. Le commissionnaire n’a pas même
qualité pour se prétendre intéressé au procès ; à quel
titre donc lui ferait-on supporter la peine que le dol ou
la fraude de son commettant pourra faire prononcer ?
1 2 5 0 . — La seconde condition pour que le mandant
soit tenu envers les tiers, c’est que le mandataire ait agi
dans la limite du mandat. S’il a excédé ses pouvoirs et
que les tiers les aient suffisamment connus, le mandant
n’est pas tenu : Non essendo ademptita la forma del
mandata , non e tenuto il mandate a osservare e ra tificare chio che vien fato del mandatario. '
1 2 5 1 . — L’abus du mandat crée donc une excep
tion en faveur du mandant, mais ses effets diffèrent sui
vant que cette exception est opposée au mandataire ou
aux tiers avec lesquels il a traité.
Le mandataire qui a sciemment outre-passé son man
dat , a commis une faute dont il doit répondre. Il ne
peut, conséquemment, contraindre le mandant à le re
lever des engagements qu’il a personnellement contrac
tés , ni le forcer à lui rembourser les avances et frais
exposés. Cette règle a un fondement rationnel et équi
table : nul ne peut être engagé au-delà de sa volonté et
contre ses ordres exprès. Or, si l’étendue de cette volonté
peut quelquefois être contestable, tout doute est impos
sible lorsqu’elle résulte expressément et formellement du
Casaregis, Disc., 119, n° 9.
^
�328
TRAITÉ DU DOt,
mandat écrit. D’ailleurs , celui qui ne se conforme pas
aux ordres qu’il a reçus, ne peut agir, en réalité, à titre
de mandataire. C’est personnellement qu’il contracte ,
c’est donc aussi lui seul qui s’oblige.
En conséquence, pour ce qui concerne le mandataire,
la règle prescrite par l’art. 1998 est générale et absolue.
Le mandant n’est jamais engagé par ce qui a été fait
au-delà de ses ordres et contrairement à ses intentions.
Tout ce qui a été fait dans ce sens lui demeure étranger,
il n’a pas même besoin d’en faire prononcer la nullité.
Cette nullité est de plein droit et résulte de l’excès du
mandat.
Mais l’existence de l’abus peut être contestée, et ce
n’est qu’en tant qu’il est certain que les effets que nous
venons de rappeler se réalisent. Le doute qui s’élèverait
à cet égard offrirait une question d'interprétation que les
tribunaux décideraient souverainement et en fait.
Or, le doute peut naître des termes obscurs et am
bigus employés par le mandant. Mais, à cet égard, il
importe de remarquer que le mandataire, toutes les fois
qu’il se crée des doutes sur l’étendue de son mandat,
doit provoquer des explications et conformer sa conduite
à celles qui lui sont données. Il ne pourrait donc se pré
valoir de l’obscurité on de l’ambiguïté du mandat, s’il a
eu tout le temps nécessaire pour demander et obtenir ces
explications. Mais il ne serait pas juste de le rendre vic
time de l’erreur qu’il a pu commettre de bonne foi, si
l’accomplissement du mandat devant se réaliserdans un
temps voisin de sa réception, le mandant n’a pu être con-
�ET DE LA FRAUDE.
sulté, ni répondre en temps utile. Dans cette hypothèse,
la faute de ne s’être pas suffisamment expliqué devrait re
tomber sur lui.
1 2 5 2 . — La certitude de l’excès, suffisante contre
le mandataire, ne suffit plus contre les tiers. Il faut, de
plus, que ceux-ci aient pu apprécier l’excès; qu’ils aient,
conséquemment, connu les pouvoirs de celui avec qui ils
ont contracté. Cette connaissance est, dans tous les cas,
présumée. Il est naturel, en effet, que celui qui traite avec
une personne se disant mandataire d’un tiers, lui fasse
exhiber ses pouvoirs. Mais cette présomption peut être
détruite par la preuve contraire que le tiers est toujours
recevable à produire.'
1 2 5 3 . — Par rapport aux tiers, la règle que le man
dant n’est pas tenu de tout ce qui excède le mandat est
susceptible de quelques autres exceptions. Ainsi le tiers
ne pourrait être éconduit que si la production du man
dat et sa connaissance ne lui permettaient pas de se trom
per de bonne foi sur son étendue. L’ambiguïté, l’obscu
rité des termes serait donc pour lui une excuse légitime.
On ne pourrait consacrer le contraire sans s’exposer à de
graves injustices. Bientôt l’une ou l’autre ne serait plus
que l’effet du calcul pour se ménager, dans tous les cas,
une porte de sortie et rendre ai nsi les tiers victimeg d’une
fraude manifeste.
Voy. cependant
su p rà ,
n» 1239.
�330
TRAITÉ DU DOL
1254.
— Une autre exception se réaliserait incon
testablement dans l’hypothèse ou l’excès consisterait
dans l’emploi de la procuration, alors que l’objet pour
lequel elle a été consentie aurait reçu son accomplisse
ment. Je charge un mandataire d’emprunter pour moi
une somme de 1,000 fr. Cet emprunt est effectivement
réalisé et le mandat a produit tout son effet. Mais j’o
mets de retirer la procuration, et celui qui en est por
teur contracte un second, un troisième emprunt. Il y a
là évidemment, un coupable excès de pouvoirs ; mais le
second et le troisième prêteur ne sauraient être privés
de leur recours , que s i , connaissant le premier em
prunt, ils se sont associés à l’infidélité du mandataire.
Si cette preuve n’est pas fournie, il leur suffit d’avoir
suivi la foi de la procuration pour que le mandant soit
obligé envers eux : S i quidem publicæ répugnai œquit a t i , civilique commercio, quod quis sincera fide
contrahens cum aliquo qui manibus habente publicurn instrumentera mandati, debeat sub ista bona fide
decipi.'
M. Troplong, qui approuve cette doctrine, fait très
bien remarquer que le mandant peut facilement échap
per à la possibilité de cet abus en précisant, dans le man
dat, la personne auprès de laquelle l’emprunt devra être
contracté ou bien en retirant la procuration des mains
du mandataire, dès la réalisation de l’emprunt.*
1 Ansaldus, Dig. 30 n° 4.
2 Art. 1998, n» 605 ; — Vid. Delamarre et Lepoitvin, t
h,
n° 354.
�ET DE LA FRAUDE.
331
Le premier moyen est péremptoire autant que facile,
mais il n’en est pas de même du second. Comment, en
effet, obtenir matériellement la restitution d’un titre ,
lorsque le dépositaire ne voudra pas l’opérer ? Ce refus
laissera-t-il le mandant pour toujours responsable des
engagements qu’il plaira au mandataire infidèle de sous
crire ?
Il n’est certes pas possible de l’admettre ainsi. La loi
eût été injuste si elle n’avait pas fourni le moyen de
conjurer un pareil danger. Dans un cas de cette nature,
le mandant ne doit pas se borner à révoquer de fait la
procuration, il doit donner à cette révocation la plus gran
de, la plus éclatante publicité, soit par des circulaires im
primées, soit par l’insertion dans les journaux de la lo
calité. Cette publicité, ayant pour objet de prévenir les
tiers, leur enlèverait, au besoin, toute excuse de bonne
foi et exonérerait le mandant de toute responsabilité des
engagements qu’ils auraient pu contracter avec l’ancien
mandataire.
A défaut de ces précautions, comme dans tous les cas
d’infidélité ou de fraude de la part du mandataire, la
responsabilité appartient au mandant. Les tiers n’ont
nullement à se reprocher d’avoir traité avec celui qui
avait réellement la qualité qu’il prenait, tandis que le
mandant a fait faute en investissant de sa confiance une
personne capable d’en abuser. Il n ’y a donc pas à hé
siter : Vnde quidquid sit in aliis materiis extra commercium, vel inter procuralorcm et dominum, certum
undequaque videtur, quod tertius innocens ac fidem ipsi
�332
TRAITÉ DU DDL
constituenti, non debet ullo modo clandestines actus
procuratoris defraudari eodem modo, quo si procurator asserat récépissé pecunias in eam causam de qua
cantal mandatum , illasque in alios usus concertât,
adhuc ipse constituens qui credidit suo procuratori ,
et non tertius qui credidit ipsi constituenti damnificalur.'
1 2 5 5 . — Le mandant ne saurait récuser la respon
sabilité des actes de son mandataire, si l’excès de pou
voirs dont il excipe résultait non du mandat lui-même,
mais de modifications consenties soit verbalement, soit
par acte séparé. Cependant la connaissance de ces modi
fications par les tiers les placerait sous le coup de l’ar
ticle 1998; mais cette connaissance n’est plus présumée,
comme nous Iedisions tout à l’heure pour celle du man
dat ; celui qui l’alléguerait dans son intérêt devrait la
prouver.
1 2 56. — Enfin, une dernière exception, et celle-ci
commune aux tiers et au mandataire lui-même, résul
terait de la ratification expresse ou tacite que le man
dant aurait faite de l’opération réalisée au-delà du man
dat. Lui seul , en effet, a qualité pour se plaindre de
l’excès de pouvoirs ; mais il n’est pas forcé de le faire.
Rien même ne saurait l’empêcher de s’en appliquer les
effets.
3 Ansaldus, Disc. 30. n° 5.
�ET DE I,A FRAUDE.
333
C’est ce qu’il est, de plein droit, présumé faire lors
qu’il a approuvé formellement l’opération, ou lorsque,
sans donner cette approbation formelle, il s’est contenté
de la ratifier tacitement.
Un principe incontestable en matière de mandat, c’est
que la ratification n’est plus celle exigée par l’article
1338. On ne saurait donc exciper de l’absence, dans
l’acte de ratification, des conditions prescrites par cet
article. La ratification s’induit, définitivement, de tout
acte duquel résulterait une approbation quelconque de
l’opération après que le mandant en a eu connaissance ;
elle s’induira également du silence gardé par lui, com
me s’il s’abstenait de répondre à la lettre par laquelle le
mandataire lui annonce la manière dont il a exécuté ses
ordres. A plus forte raison, si, dans la réponse à cette
lettre, il n’a fait ni protestation, ni réserves.
En matière commerciale, les exemples d’approbation,
tirée du défaut de réponse à une lettre, sont nombreux.
Or, les motifs qui militaient dans ce cas justifiaient l’ap
plication de la règ’e en matière de mandat. Il ne serait
pas juste, en effet, que le mandant pût, à son gré, s’ap
pliquer l’opération si elle est avantageuse, la répudier si
les résultats étaient onéreux, c’est ce qui arriverait cepen
dant, s’il pouvait suspendre sa décision pendant un temps
plus ou moins long. Donc, libre de l’accepter ou de la
répudier, il faut qu’il s’explique dès qu’il en connaît
l’existence et les circonstances essentielles. Son choix est
présumé pour l’acceptation s’il ne se prononce pas pour
le rejet. C’est ceque décidait formellement l’école italien-
�334
TRAITÉ DU DOL
ne : Mandatorem habentem certam scientiam de excessu sui mandati, eique, neque fa d o , neque verbis contradicenlem, haberi pro approbante dummodo cum scientia concurrat aliquis adus, ut receplio litterarum et
taciturnitas ; et fortins responsio sive dissensu vel reprobatione.'
Ces principes étaient marqués au coin d’une trop ex
acte équité, pour qu’ils ne fussent pas suivis sous l’em
pire de notre législation. Aussi le sont-ils à peu près sans
contradiction.1
1 Casaregis, Disc. 30, n°! 60 et 61.
2 Pardessus, t 1, n° 253 ; — Toullier, n° 490 ; — Duranton, t. xm
n» 2 6 5 ;_Troplong, art. 1998, n° 612.
�ET DE LA FRAUDE.
335
DE LA SIMULATION.
OBSERVATIONS GENERALES.
SOMMAIRE.
1257.
D é fin itio n d e la s im u la t io n . E n q u o i e lle d iffère d u d o l ou
1258.
E l le e s t a b s o lu e o u r e la t iv e .
1259.
O b je ts q u ’e ll e s e p r o p o s e .
d e la fr a u d e .
1257.
— La simulation n’est pas autre chose qu’une
fraude. Ce qui la distingue de celle que nous venons
d ’examiner et du dol lui-même , c’est que ceux-ci sont
ordinairement le fait exclusif d’une des parties , exécuté
et conçu pour causer un préjudice à l’autre, tandis que
la simulation ne peut exister sans le concours et le con
sentement de toutes les parties.
Une autre différence non moins essentielle, c’est que
la fraude et le dol sont nécessairement frauduleux et que
leur effet est d’annuler infailliblement le contrat qui en
est vicié. La simulation , au contraire , n’est pas tou
jours illicite, elle est même, dans certains cas, incapable
�336
TRAITÉ DU DOL
d’empêcher la convention de recevoir son exécution plei
ne et entière.
Depuis longtemps la doctrine a défini la simulation.
Elle est le déguisement de la vérité ; on appelle simulé ,
l’acte qui n’est pas l’expression sincère de l’intention
réelle des parties : Cum aliud agitur , aliud similatur
vel scribitur.
s
1258. — La simulation est absolue ou relative. Ab
solue, quand les parties n’ont pas eu l’intention de con
tracter un véritable engagement ; lorsque le contrat est
purement fictif; lorsqu’on suppose des aliénations pour
mettre ses biens à couvert contre les poursuites de la loi
ou de ses créanciers.
Elle est relative, lorsque les parties ont formé un en
gagement réel sous l’apparence d’un autre contrat, une
donation sous la forme d’une vente, une vente sous celle
d’un échange, etc...
1259. — Ce double caractère indique suffisamment
les divers buts que peut se proposer la simulation. C’est
le déguisement pur et simple du contrat, ou un prétexte
pour éluder la l o i, ou un moyen de tromper les tiers.
Nous allons la suivre dans chacune de ses phases, et en
rechercher les effets.
�337
ET DE LA FRAUDE.
CHAPITRE I".
S IM U L A T IO N P U R E E T S I M P L E DU C O N T R A T ,
SOM MAIRE.
1260.
C a r a ctè r es d e la s im u la t io n l ic i t e .
1261.
L é g is la t io n r o m a in e .
1262.
L é g is la tio n a c t u e ll e .
1 263.
D iffé r e n c e e n t r e l'a c t e a t t e in t d ’u n e s im u la tio n r e la tiv e e t
1264.
V a lid ité d e la d o n a tio n d é g u i s é e . D é b a t s q u ’e ll e a v a it s o u
c e lu i v ic ié p ar u n e s im u la t io n a b s o lu e .
le v é s d a n s le s e in d e la C o u r d e c a s s a t io n .
1265.
C e r é s u l t a t , j u r id iq u e m e n t i n é v i t a b l e , p a r a ît c o n tr a ir e à
1266.
L a d o n a tio n d é g u i s é e , a ffr a n c h ie d e la r é v o c a tio n
la r a is o n .
pour
c a u s e d ’in g r a t it u d e , e s t - e lle r é v o q u é e p o u r s u r v e
n a n c e d ’e r if a n t s ?
1267.
P r e u v e a d m is s ib le p o u r é t a b lir le v é r ita b le c a r a c tè r e d e
l ’a c t e , e n c a s d ’a c tio n e n r é v o c a tio n
p o u r su rv en a n ce
d 'e n f a n t s .
ii î
22
�338
4268.
TRAITÉ DU DOL
D u r é e d e l ’a c tio n .
1269.
S e s c o n s é q u e n c e s à l ’e n d r o it d e s t ie r s d é t e n t e u r s .
1270.
L a v e n te p e u t ê tr e v a la b le m e n t c o n s e n t ie s o u s fo r m e d ’u n
é c h a n g e e t r é c ip r o q u e m e n t .
1271.
Im p o r ta n c e d u v é r ita b le c a r a c tè r e d e l'a c te p o u r la p la in te
1272.
La p r e u v e t e s t im o n ia le e s t - e l l e a d m is s ib le p o u r é ta b lir
e n lé s io n .
la
sim u la tio n ?
c /1 2 7 3 .
S im u la t io n d a n s la d a te d e l ’a c te s o u s s e i n g - p r i v é . S e s e f
1274.
Q u id, e n c a s d e d é n é g a tio n d e l'é c r it u r e o u d e la s ig n a
1275.
L a r e c o n n a is s a n c e d e l ’a c te e s t f o r m e lle o u ta c it e .
1276.
P o u r q u e l ’a c te p u is s e fa ire foi d e sa d a t e , i l fa u t q u e le
fe ts e n tr e l e s p a r tie s .
tu r e ?
s o u s c r ip te u r à q u i o n l ’o p p o s e n ’a it p a s a c q u is d e p u is
p e u , o u n ’a it p a s p e r d u , d a n s l ’i n t e r v a lle , la c a p a c ité
d e c o n tr a c te r .
1277.
A p p lic a tio n d e c e t t e r è g le au m in e u r o u à l ’in t e r d it .
1278.
A la fe m m e m a r ié e .
1279.
A c e lu i fr a p p é d ’u n e c o n d a m n a tio n c r im in e lle .
1280.
L e s t e r m e s d e l ’a r t. 1 3 2 2 , a y a n t- c a u s e , s ’a p p l iq u e n t - i ls
1281.
O p in io n d e T o u llie r . .
a u x s u c c e s s e u r s à t it r e p a r tic u lie r ?
1282.
O p in io n c o n tr a ir e d e C h a rd o n .
1283.
E xam en de c e lle - c i.
1284.
E x c e p t io n à la r è g le d e l ’a r t. 4 3 2 2 , e n m a tiè r e d e le t t r e s
1285.
M otifs d e c e t t e e x c e p t io n .
1286.
R ésu m é.
de change.
1260.
— La simulation simple, lorsquelle n’a pas
pour objet de déguiser une incapacité légale ou de don
ner une apparence licite à un contrat prohibé, lorsque,
enfin, elle ne renferme aucune intention de frauder la
�ET DE LA FRAUDE.
339
loi ou de nuire à des tiers, n’est prohibée en aucune ma
nière. Son existence ne pourrait donc nuire à la validité
de l’acte, ni occasionner la nullité du contrat, dont il a
plu aux parties d’emprunter les formes.
Ces paroles, d’un arrêt de la Cour de cassation, du 34
octobre 1809, dominent notre matière. La règle en ré
sultant estla validité de l’acte, ramené à l’intention vraie
des parties.
Il est certain, en effet, que dès que les parties sont
respectivement capables de contracter; que dès que le
contrat a une cause licite et réelle, les conditions exi
gées pour la validité des conventions se trouvent réali
sées, et dès- lors, quelles que soient les formes adop
tées, le contrat tombe sous l’application de l’art. 1134,
donnant un lien obligatoire aux conventions légalement
intervenues.
Nous disons quelles que soient les formes adoptées.
En effet, il importe peu que les parties aient donné au
contrat une qualification et une apparence distinctes
de celles qu’il devait naturellement offrir. Dans l’appré
ciation des conventions, c’est l’intention qu’il faut re
chercher plutôt que de s’arrêter servilement aux termes
dans lesquels elle se manifeste, et si l’exécution de l’in
tention vraie ne doit rencontrer aucun obstacle ni dans
la loi, ni dans l’ordre public, ni dans les droits des tiers,
elle doit non-seulement être tolérée, mais encore or
donnée.
1 2 6 1 . — Cette règle n’avait pas été méconnue par le
�«
340
TRAITÉ DU DOL
droit romain, qui admettait la validité de l’acte simulé:
S i quis donationis causa venditionis conlraclus simulalus est, emptio in sua déficit substanlia, sane in
possessionem rei sub specie traditionis causa donatio
nis, ut te aleret induxisti : sicut perfecta donatio fa
cile rescindi non potest, ita legi, quam tuis rebus donans, dixisti, parère convenit.'
Dans son Commentaire de cette loi, Bruneman en
résume ainsi la substance : Simulatam emptionem licet non valeat ilia ut emptio, valere tamen u t alium
contractum qui révéra intenditur, quia conlraclus
simulatus a licito ad licitum ju re non est irritus.
Godefroy de son côté, enseigne, à cette occasion : Et
ita si non valet quod ago ut ago, valet ut valerepotest,
non valet ut venditio, valet ut donatio. Inspicitur voluntas contrahentium quibus animus fu it donare, ita
utverus contractus donationis prœvaleal simulatœ venditioni.
Cette doctrine, confirmée par d'autres lois, ’ ne pouvait
laisser aucun doute sur le sort de l’acte, il ne paraît pas
qu’elle ait soulevé la moindre difficulté sous notre ancien
droit.
1262.
— Le Code civil ne s’est pas exprimé avec la
netteté et la précision du législateur romain, mais, en
l’absence de toute disposition contraire, la rationalitéde
la solution que nous venons d’indiquer devait la Caire adi L. 3, Cod. de Çontrah. de empt.
3 L. 9. Cod. eodem Ulula -, — L. ull. Dig. pra donato.
�ET DE LA FRAUDE.
mettre. Toutefois il y a mieux qu’uu simple silence, et,
de quelques dispositions de notre loi, on peut tirer celte
conséquence que la doctrine du droit romain a reçu une
approbation explicite.
1263.
— L’acte, atteint d’une simulation relative,
ne saurait être assimilé à celui que vicie une simulation
absolue. On a pu dire de ce dernier : Colorem habet,
substantiam vero m llam . Tout ce qu’on pourrait dire
du premier, c’est que colorem habet, substantiam vero
alteram. La cause énoncée n’est pas exacte, mais, au
fond, il en existe une réelle et sincère.
Ce caractère, parfaitement saisi par la loi romaine,
avait dicté ses dispositions. Eh bien ! ce caractère et ses
conséquences nous les retrouvons dans le Code civil ; il est
vrai que l’art. 1132 assimile la fausse cause à la cause il
licite, immorable, à l’absence de toute cause, mais l’art.
1133 ajoute immédiatement que la convention n’est pas
moins valable, quoique la cause n’en soit pas exprimée,
d’où on a conclu que l’obligation est valable quoique la
cause exprimée soit fausse, pourvu qu’il existe réelle
ment une cause légitime.
C’est précisément ce qu’il se réalise dans la simulation
relative. Ainsi l’acte qualifié vente ou échange, n’est ni
une vente, ni une échange, mais il est un donation dans
le premier cas, une vente dans le second. Si la cause
énoncée est fausse, il en existe donc une réelle, et cela
suffit pour la validité delà convention.
Ce qui n’est qu’une induction, puissante il est vrai,en
*■
�342
TRAITÉ DU DOL
regard de l’art. 1133, devient une certitude si l’on recourt
à l’art. 911. Dans celui-ci, le législateur s’occupe de la
simulation dans le caractère du contrat et annule la do
nation déguisée sous la forme d’un acte à titre onéreux,
mais le motif déterminant de cette nullité ne se puise
pas dans le déguisement de la convention, mais unique
ment dans le défaut de capacité du donataire. D’où il ré
sulte que là où ce défaut de capacité n’existe pas, la li
béralité est bien obvenue, qu’elle que soit d’ailleurs la
forme sous laquelle elle ait été déguisée.
1264.
*— Nous arrivons donc à ce résultat que, loin
de déroger au droit romain, le Code civil en a consacré
la doctrine, et ce qui le prouve d’une manière péremp
toire, c’est l’abandon aujourd’hui consommé d’une dis
sidence que la validité de la donation déguisée avait
soulevé dans le sein de la Cour de cassation elle-même;
ainsi, tandis que l’affirmative était professée par la cham
bre civile, la chambre des requêtes se prononçait pour la
négative.
Un arrêt rendu parcelle-ci le 8 frimaire an xm, nous
parait utile à recueillir comme une constatation des repro
ches pouvant être adressés au système qui a définitive
ment prévalu.
Attendu, porte cet arrêt, que les lois du 17 nivôse an
n, et 4 germinal an vin, en introduisant un droit nou
veau relativement à la quotité des biens disponibles, n’ont
rien statué à l’égard de la forme des actes par lesquels il
serait permis de disposer à titre gratuit ; d’où il résulte
�ET DE LA FRAUDE.
343
que les lois antérieures à ce sujet ont dû continuer de re
cevoir leur exécution ;
Attendu, que d’après la disposition de ces lois, etnotamment de l’ordonnance de 1731, il n’existait que deux
manières de disposer à titre gratuit, savoir : par dona
tions entre-vifs ou par testament, chacune desquelles
était assujétie à des formes particulières dont l’inobser
vation entraînait la peine de nullité; d’où il suit que
lorsqu’un acte ne contient pas la mention expresse, de
la part de l’une des parties, de disposer en faveur de
l’autre à titre gratuit, et que, sans être revêtu des formes
particulières à ce genre de disposition.il ne contient que
la simple énonciation d’un contrat commutatif à titre
onéreux, il ne peut être regardé comme donation par cela
seul qu’il ne peut valoir comme contrat commutatif, car
autrement ce serait tromper la sage prévoyance du lé
gislateur qui en exigeant l’énonciation expresse de l’in
tention de disposer à titre gratuit, et le soumettant t)
l’accomplissement de certaines formalités , n’a évidem
ment eu d’autre objet que de garantir les donateurs des
surprises qu’on pourrait leur faire en déguisant , sous
l’apparence d’un contrat à titre onéreux , une véritable
libéralité qui n’était point dans leur intention, et de dis
penser par ce moyen le donataire des obligations résul
tant d’une donation expresse , telles que la nécessité de
l’insinuation, la révocation pour cause d’ingratitude, de
survenance d’enfants et autres cas semblables.
Comme on le voit, le principal argument invoqué par
la chambre des requêtes était celui-ci : Des lois spéciales
�344
TRAITÉ DU DOL
ayant ordonné des formalités obligatoires pour les dona
tions, il ne saurait être qu’on pût s’en dispenser en dé
guisant la libéralité sous l’apparence d’un acte à titre
onéreux, il ne peut exister de donation valable que celle
qui réunit les formalités voulues par la loi. Nous allons
trouver la réponse à cet argument dans un arrêt de la
chambre civile, rendu le 5 janvier 1814, précédé et suivi
de beaucoup d’autres, tous dans le même sens.
Yu les lois 36 et 38, Digeste de contrahenda emptione ; la loi 6, Digeste pro donato , et la loi 3 eodem
titulo.
Et attendu que les donations tacites sont permises par
les lois ci-dessus citées ; que le statut delphinal et l’or
donnance de 1731 ne les ont pas formellement abro
gées ; que les dispositions de ces lois, relatives aux for
mes qu’elles prescrivent, comme indispensables pour la
validité des donations , ne se rapportent qu’aux dona
tions proprement dites, et non aux libéralités tacites ,
faites sous les formes d’un autre contrat, lorsqu’il y a
capacité de donner et de recevoir sans blesser le vœu
de la loi ; que la simulation n’est prohibée que lorsqu’elle
a pour objet d’éluder une disposition de loi ou de nuire
aux droits des tiers ; que le principe , contenu à cet égard dans les lois romaines, se trouve reproduit et con
sacré par l’art. 911 du Code civil.
Cette jurisprudence n ’a plus aujourd’hui de contra
dicteur, la chambre des requêtes ayant fini par s’y ral
lier. Il en résulte qu’en droit la donation, déguisée sous
l’apparence d’une vente , doit sortir à effet lorsqu’à la
�ET DE LA FRAUDE.
345
capacité des parties contractantes se joint l’absence de
toute intention de nuire aux tiers. Nous reconnaissons
même qu’en présence des dispositions du Code , il était
difficile d’arriver légalement à un autre résultat.
1 265.
—* Mais ce résultat contraire aurait dû être
accueilli et consacré par le législateur. Nous n’hésitons
pas à le dire , la validité de la donation , déguisée sous
la forme d’un contrat à titre onéreux, est un abus qu’on
eût bien fait de proscrire. Les inconvénients signalés par
la chambre des requêtes sont graves autant qu’évidents,
et nous ne comprenons pas que le législateur de 1843
n’ait pas eu le courage de consacrer une mesure qui n’é
tait que la conséquence rigoureusement logique de la
réforme qu’il introduisait dans la législation.
La différence d’une libéralité à un acte ordinaire ne
lui avait pas pourtant échappé. L’exception consacrée
par l’art. 2 de la loi du 24 juin, à l’endroit des pretniè^
res, le prouve péremptoirement.
Ce qui le prouve mieux encore, ce Sont les motifs qui
ont fait admettre cette exception. « Il est une classe
d’actes, disait le rapporteur, M. Philippe Dupin, que les
auteurs de la loi ont cru devoir soumettre à des formes
plus rigoureuses , et pour lesquelles on hotfs propose
d’exiger le concours effectif, la présence réelle du notai
re en second et des témoins, ce sont les donations de
toute nature....
« Quelques esprits se sont étonnés de cette distinction.
Ils ont demandé si une vente ou un échange de trois
�346
TRAITÉ DU DOL
cent raille francs n’était pas plus important qu’une do
nation de cent francs.
« Mais on n’a pas fait attention que la différence pro
posée était fondée sur la nature des actes , et non sur
l’importance de l’intérêt.
« En effet, les actes ordinaires donnent presque tou
jours lieu à des faits d’exécution immédiate ou du moins
à des faits qui s’accomplissent du vivant des parties con
tractantes. Cette exécution sert de contrôle, de certifica
tion, et, en cas de débats, les intéressés sont là pour ex
pliquer leurs propres intentions , et combattre les frau
des de toute nature. Les donations, au contraire, presque
toujours accompagnées d’une réserve d’usufruit, ne
viennent à exécution qu’après la mort de ceux qui les
ont faites; elles sommeillent jusque là, et, lorsque le jour
de l’exécution est arrivé, le donateur ne peut plus éle
ver la voix pour protester contre les surprises, et pour
déjouer les fraudes.
« Autre différence plus importante encore : Les do
nations sont trop souvent arrachées à la faiblesse ou à la
maladie par des influences diverses et par des manœu
vres captatoires, il n’en est pas de même des autres ac
tes. On a donc pensé que la liberté des donateurs doit
être plus spécialement protégée par la présence de deux
notaires, ou d’un notaire et de deux témoins. Cette pré
caution est prise, bien moins contre le notaire que contre
l’entourage du donateur. »
Ces considérations prévalurent , et les garanties pro
posées furent admises. On reconnut donc qu’il était ur-
�ET DE LA FRAUDE.
gent de protéger le donateur contre sa propre faiblesse ,
contre l’avidité de son entourage. Le moyen adopté estil , peut - il être efficace , tant qu’une donation pourra
valablement se déguiser sous la forme d’un contrat oné
reux ? La loi de 1843 ne répond donc nullement à la
pensée du législateur. La garantie qu’elle exige n ’est
qu’apparente , et, loin de protéger les intérêts qu’elle a
voulu couvrir, elle les compromet plutôt. En effet, plus
la volonté du donateur sera incertaine, plus il aura fallu
recourir à la surprise et à la fraude, et plus on reculera
devant la nécessité imposée par la loi, lorsque, pour l’é
luder et pour faire triompher des manœuvres coupables,
il suffira de recourir à la simulation et de rédiger un
acte de vente sous seing-privé.
Le corollaire indispensable delà loi de 1843 était
donc une disposition annulant la donation déguisée sous
la forme d’un acte onéreux. A cette condition seulement
il était possible d’empêcher la fraude qu’elle a voulu
prévenir.
Comment l’empêcherait-elle en l’absence de cette pro
hibition ? Le donataire a le plus grand intérêt à simu
ler un acte à titre onéreux. Cet acte a tous les avantages
de la donation, sans aucune de ses charges ; il n’est sou
mis h aucune forme, à aucune authenticité ; il est plus
irrévocable encore que la donation elle-même. En effet,
l’ingratitude du donataire peut faire révoquer celle-ci ,
mais elle ne révoque pas l’acte simulé. Le prétendu ac
quéreur pourra payer son bienfaiteur de la plus noire
ingratitude : le chasser, l’expulser de chez lui, lui refuser
�348
TRAITÉ DU DOl
les aliments, en un mot, le réduire à recourir à la cha
rité publique, e t, pendant ce temps, il jouira insolem
ment d’une fortune que la fraude , aidée d’une simula
tion, lui permettra de retenir.
Tout cela, dit-on, c’est le donateur qui l’a voulu luimême, puisque, pour mieux assurer son bienfait, il s’est
lié plus irrévocablement que par une donation franche.
Mais, peut-on raisonnablement croire que le donateur a
pu faire autrement et qu’il a parfaitement apprécié les
conséquences de l’acte qu’il souscrivait ? Il faudrait ,
pour cela, admettre qu’il a préféré l’intérêt du donataire
au sien propre. Cet intérêt exigeait qu’il se précaution
nât contre une ingratitude qu’il devait prévoir, et, s’il a
failli à ce qu’exigeait cette prévision , c’est qu’il n’a pas
été maître de faire autrement qu’il n ’a fait.
Cela se conçoit. Le donataire a , l u i , le plus grand
intérêt à se garantir contre la chance d’une révocation,
dans une hypothèse dont il s’est peut - être déjà rendu
intentionnellement coupable. On ne hasarde donc rien
en le supposant l’auteur d’une simulation qui l’affran
chit du devoir de la reconnaissance et qui consolide plus
fortement entre ses mains cette fortune qu’il convoite.
7s fecit scelus cm prodest, dit la raison criminelle , et
cette maxime d o it, dans notre hypothèse , résoudre la
difficulté. Ajoutons que celui que l’idée d’une donation
alarmerait, n’est pas aussi effrayé de l’idée d’une fausse
vente , qu’on lui présente comme sans efficacité , sans
portée réelle , ne devant sortir à effet que s’il ne la ré
tracte pas , en un mot comme révocable au même titre
que le testament lui-même.
�ET DE LA FRAUDE.
349
Notre pratique personnelle nous a convaincu de l’au
dace avec laquelle les avides coureurs d’héritage s’effor
cent de persuader et persuadent quelquefois de choses
incroyables. Il est vrai qu’ils ont le soin de s’adresser à
d’autres qu’à des intelligences saines et fortes. Mais c’est
surtout la vieillesse et la décrépitude qui ont besoin d’ê
tre protégées.
Dira-t-on que ce sont là des manœuvres frauduleuses
de nature à vicier l’acte ? Mais plus l’idée suggérée est
extraordinaire, et plus on répugne à l’admettre. On ne
voit, dans la plainte, qu’un moyen de rétracter une li
béralité qu’on regrette, et comme , en définitive , il n’y
a aucune preuve écrite , et qu’il faudrait recourir à la
preuve testimoniale , on vous écarte parce qu’on s’est
rendu complice de la fraude alléguée : Nemo auditur
allegans propriam turpitudinem.
Nous avons donc raison de le dire, tant qu’on n’aura
pas admis la nullité de toute donation qui ne réunira
pas les formes que la loi impose pour les actes de cette
nature, on n’aura pas garanti efficacement le donateur
contre les fraudes de son entourage. Tout ce qu’on ten
tera dans ce sens ne produira d’autre résultat que d’en
courager la fraude à se réfugier dans la large voie qu’on
lui laisse.
1266.
— Ainsi que nous venons de l’indiquer , la
donation déguisée n ’est point soumise à la révocation
pour cause d’ingratitude. Est-elle également affranchie
de la révocation pour survenance d’enfants ?
�350
TRAITÉ DU DOL
La révocation pour survenance d’enfants, quelque équitable qu’elle so it, n’a pas toujours été admise sans
contestation. Les docteurs étaient partagés, même depuis
la loi si unquam, ' car ceux qui tenaient pour la néga
tive soutenaient que cette loi n’était applicable qu’aux
donations faites par un patron à son affranchi. Cepen
dant son application aux donations en général avait fini
par être admise.
L’ordonnance de 1731 aurait, dans tous les cas, rendu
tout litige impossible. Aux termes de l’art. 39 , les do
nations, quelles qu’elles soient, à quelque titre qu’elles
aient été faites,1 de quelque valeur qu’elles puissent être,
sont révoquées par la survenance d’enfants. Les difficul
tés qui s’étaient élevées sur les dons mutuels , sur la
faculté pour le donateur de s’interdire d’user de cette
révocation, ou de la ratifier après la naissance des en
fants ont été également tranchées par l’ordonnance.
Le Code civil s’est approprié les dispositions du légis
lateur de 1731. Les articles 960 et suivants sont formels
et explicites à cet égard. La survenance d’enfants annule
toute donation précédente. La loi suppose que leur exis
tence , au temps de la donation , l’eût empêchée de se
réaliser; elle présume, en outre, dans celle faite par un
homme sans enfants, l’existence d’une clause tacite et
implicite de révocation, en cas qu’il lui en survienne.
I L 8, Cod, de Rev. donat.
s Sont cependant exceptées: 1° les donations faites, dans le contrat de
mariage, aux conjoints par leurs ascendants; 2° celles que les conjoints
se font l’un à l’autre.
�ET DE LA FRAUDE.
351
Notons que le motif de cette révocation est plutôt dans
l’intérêt des enfants que dans celui du donateur. On ne
pouvait admettre qu’une famille dût , avant même de
naître, être dépouillée d’une fortune que sa qualité seule
devait lui assurer de préférence à tous.
Cela admis, nous n’hésitons pas à résoudre négative
ment la question que nous nous sommes posée, et à te
nir que la donation, déguisée sous la forme d’un contrat
à titre onéreux, est révoquée par la survenance d’enfants
au donateur.
Qu’on ne puisse pas la faire révoquer pour cause d’in
gratitude , on le comprend. Cette révocation est dans
l’intérêt personnel et exclusif du donateur. En droit ,
chacun peut déroger à une loi faite en sa faveur, or cette
dérogation à tout avantage personnel s’induit contre le
donateur. Par cela seul qu’il a dissimulé la libéralité, il
l’a rendue ainsi à tout jamais irrévocable ; il n’y a donc
que justice à lui faire supporter les effets d’une irrévo
cabilité qu’il a pu et n’a pas voulu empêcher.
Mais la maxime qu’on peut déroger à une loi faite en
sa faveur n’a plus aucune portée, lorsque la révocation
est demandée pour survenance d’enfants, par deux rai
sons : 1° parce que, dans ce cas, la révocation est plutôt
dans l’intérêt des enfants que du donateur lui-même ;
2° parce que, comme l’enseignent Ricard et Pothier, la
dérogation peut s’entendre avec cette limitation , pourvu
que son auteur soit dans le même état et dans la même
position qu’il se trouvera lorsqu’il aura droit de se ser
vir de la loi à laquelle il a dérogé, et non pas lorsqu’il
�332
TRAITÉ DU DOL
est encore dans l’état en considération duquel la loi a
voulu lui subvenir. Ainsi, un mineur ne peut pas re
noncer à la loi qui lui accorde la restitution , pendant
qu’il est encore en minorité. Par la même raison, la loi
pour la révocation des donations au cas de survenance
d’enfants ayant été faite pour subvenir au défaut de pré
voyance des gens qui n’ont pas d’enfants et se persua
dent trop facilement qu’ils ne changeront pas de volonté
et qu’ils n’en auront pas, il ne leur est pas permis, pen
dant qu’ils n’ont pas encore d’enfants , pendant qu’ils
sont dans l’erreur contre laquelle la loi a voulu sub
venir, de renoncer au droit que la loi a établi en. leur
faveur.’
Il est un autre motif plus péremptoire encore , c’est
celui qui se tire de la disposition de l’art. 965 du Code
civil. Toute clause ou convention par laquelle le dona
teur aurait renoncé à la révocation de la donation pour
survenance d’enfants, sera regardée comme nulle, et ne
pourra produire aucun effet. Ainsi la renonciation for
melle est défendue, comment dès lors en admettre une
tacite, c’est-à-dire qu’on pourrait, par une voie indirecte,
arriver à faire ce qu’il est prohibé de faire indirectement.
Ce simple aperçu suffirait pour juger la question. En
admettant que la simulation de l’acte valût renonciation
à le faire révoquer pour survenance d’enfants, cette re
nonciation ne pourrait valoir plus qu’une convention
1 Ricard , des Donat., n0! 575 et suiv. ; — Pothier, sect. 3 , art. 2 ,
�ET DE LA. FRAUDE.
353
expresse, elle serait donc frappée , comme celle-ci , par
la disposition de l’art. 965.
1 267.
— Il est vrai que le donataire menacé de la
révocation pourrait vouloir soutenir la sincérité du ca
ractère onéreux donné à l’acte, mais il résulte forcément
de ce qui précède qu’on pourrait prouver le contraire.
La maxime nemo audilur.... deviendrait inapplicable ,
d’abord parce que les enfants , dans l’intérêt desquels
surtout a été édicté l’art. 965 , étant censés, les princi
paux demandeurs , n’ont et ne peuvent avoir participé
à une fraude commise avant qu’ils fussent nés ; ensuite
parce que le père serait censé avoir voulu éluder la dis
position de l’art. 965 et faire tacitement une renoncia
tion formellement prohibée. Dès lors il s’agirait d’une
fraude non-seulement à une loi prohibitive, mais encore
préjudiciable à des tiers ; dès lors aussi la preuve testi
moniale, et, par voie de conséquence, celle par présomp
tions , pourrait être invoquée par le complice , dans le
premier cas ; dans l’intérêt des enfants, dans le second.
Ainsi , en cas de résistance à la révocation de la part
du donataire , le véritable caractère de l’acte pourrait
être établi par témoins ou par présomptions. Prouvé qu’il
fût qu’il ne constitue qu’une libéralité, elle se trouverait
révoquée, alors même, dit l’art. 962 du Code civil, que
le donataire serait entré en possession des biens don
nés, et qu’il y aurait été laissé par le donateur depuis
la survenance d’enfants. La révocation s’opère de plein
droit. Elle est absolue en ce sens que l’intégralité des
lu
23
�354
TRAITÉ DU DOL
biens donnés fait retour au donateur ou à ses enfants,
sans que le donataire soit autorisé à retenir la quotité
disponible, lorsque la révocation est poursuivie par ceuxci après la mort de leur père, la réduction à concurrence
de cette quotité ne pouvant se réaliser que dans le cas
de donations faites après la naissance des enfants.
1268.
— L’action en révocation pour survenance
d’enfants dure trente ans qui ne commencent à courir ,
aux termes de l’art. 966 , que du jour de la naissance
du dernier enfant, même posthume , du donateur. Le
donataire, ses héritiers ou ayans-cause ne pourront donc
se maintenir en possession des objets donnés que s’ils
prouvent en avoir joui plus de trente a n s, à partir de
cette époque. Remarquons que cette prescription est sou
mise par l’art. 966 à toutes les interruptions telles que
de droit. Ainsi, les causes qui empêchent ou interrom
pent légalement le cours de la prescription en matière
ordinaire produiront dans notre hypothèse tout leur ef
fet. Il ne suffira donc pas d’une possession de fait plus
que trentenaire , il faudra de p lu s, qu’au regard de la
paTtie intéressée , cette possession ait pu faire acquérir
la prescription.
Cette exception est la seule opposable à la demande
en révocation. Toute reconnaissance , toute ratification
faite par le donateur après la survenance d’enfants n’au
rait aucun effet. Ce qui n’existe pas ne peut être ni re
connu, ni ratifié ; or la donation se trouve de plein droit
révoquée par la survenance d’enfants , elle tombe d’une
�ET DE LA FRAUDE.
355
manière tellement absolue, que la mort postérieure des
enfants, dont la naissance l’a fait révoquer, est impuis
sante à la faire revivre. Toute donation nouvelle, qui
serait consentie après la naissance des enfants , ne se
rait valable que jusqu’à concurrence de la quotité dis
ponible.
1269.
— L’art. 966 m et, quant à l’obligation de
restituer les biens , sur une même ligne , le donataire ,
ses héritiers ou ayans-causeet tous autres détenteurs. Il
résulte de ces termes que les tiers - acquéreurs ne pour
raient se prévaloir de la prescription décennale établie
en leur faveur par l’art. 2265 du Code civil.
Ce résultat n’a rien de trop rigoureux , lorsque la li
béralité ayant été consentie sous la forme d’une dona
tion, le tiers n’a pu ignorer qu’il traitait avec un dona
taire. Il a dès lors pu apprécier les dangers que courait
le titre de son cédant, dangers qu’il a assumés sur sa tête,
en consentant à traiter avec lui.
Mais il n’en est pas ainsi lorsque la donation se dé
guisant sous la forme d’un contrat à litre onéreux, l’ac
quéreur a pu croire à l’irrévocabilité du titre de son ven
deur. Il semble en effet qu’on ne peut exiger de lui qu’il
crût à une simulation que rien ne devait et ne pouvait
lui indiquer. Sa bonne foi ne saurait donc être suspec
tée, et n’est-ce pas se montrer injuste envers lui que de
le dépouiller de ce qu’il a légitimement acquis.
Cette objection est grave et sérieuse , on ne s’en est
pas dissimulé la portée. Mais les droits des enfants ont
�356
TRAITÉ DU DOL
prévalu et devaient en effet prévaloir. On comprend le
danger que couraient ces droits , si les tiers-acquéreurs
pouvaient échapper à l’obligation de rendre par la simple
prescription décennale. Le donataire, qui, par la simu
lation de l’acte, s’est mis à couvert de la révocation pour
cause d’ingratitude, n’aurait rien de plus pressé que d’a
liéner les objets donnés pour se soustraire au danger
dont le menace celle pour survenance d’enfants. De telle
sorte que celle-ci se réalisant, le donateur et ses enfants
se trouveraient en présence d’une insolvabilité réelle ou
feinte , et dans l’impossibilité de reconquérir cette for
tune que la loi entend leur assurer.
Les inconvénients que présenterait un tel état de cho
ses, l’atteinte que l’intérêt général pourrait subir de cette
fatale spoliation d’une famille innocente de la faiblesse
ou de l’imprévoyance de son auteur, a paru exiger une
dérogation à l’intérêt particulier des tiers - acquéreurs.
La lo i, voulant la fin , devait vouloir les moyens ; s’ar
rêter devant la bonne foi des tiers - acquéreurs, c’était
précisément, comme nous le disons, en aliéner le plus
décisif.
La loi a donc appliqué à l’hypothèse qui nous occupe
une règle sevère , mais nécessaire pour l’efficacité des
mesures qu’elle sanctionnait. Ainsi, de quelque manière
qu’elle se soit réalisée, la donation se trouvant révoquée,
tous les biens qui en faisaient l’objet reviennent francs
et libres entre les mains du donateur ou de ses héritiers;
les tiers-acquéreurs aux-mêmes sont soumis à restituer,
à moins qu’ils ne puissent opposer la prescription de
trente ans.
�ET DE LA FRAUDE.
357
Il suit de là que ces tiers ont un intérêt évident dans
l’instance en révocation. Ils devront donc, s’ils sont con
nus, y être appelés pour surveiller leurs droits et s’op
poser à toute collusion entre les prétendus donateur et
donataire. Ils peuvent, s’ils n’ont pas été appelés, inter
venir ; ils o n t, dans tous les cas , le droit de former
tierce - opposition au jugement de révocation, lorsque,
actionnés en délaissement, on prétendra le leur opposer.
1270. — La vente peut être déguisée sous la forme
de l’échange , et cette simulation n’a rien que de trèslicite , lorsque, d’ailleurs, l’acte en résultant offre tous
les éléments de validité exigés par la loi.
Mais cette simulation peut n’être qu’une fraude. Nous
avons vu que soit la vente, soit l’échange peut, sous des
apparences légales, pallier l’usure. Nous avons aussi
établi les conséquences en résultant en faveur et contre
les parties.
Nous n’avons ici à nous occuper que de la simulation
licite, et à rechercher le mode par lequel on pourra l’é
tablir, et les effets dont elle est susceptible.
En thèse , la question de savoir si un échange dissi
mule une vente est assez indifférente. Valable dans l’un
et l’autre cas, l’acte n’en doit pas moins produire tous
ses effets.
1271. — Mais il est une hypothèse dans laquelle
cette question acquiert une haute importance, à savoir :
lorsque le contrat est querellé pour cause de lésion. On
�358
TRAITÉ DU BOL
sait, en effet, qu’une lésion, de plus des sept douzièmes
fait rescinder la vente, tandis que l’échange ne comporte
pas même l’action en lésion. Il est dès lors certain que,
la lésion existant, le caractère réel de l’acte est décisif,
puisqu’il sera rescindé ou maintenu , selon qu’il sera
déclaré vente ou échange.
La‘justice se trouvera donc nécessairement en présen
ce d’allégations contradictoires de la part des parties.
Chacune d’elle soutiendra celle qui servira le mieux son
intérêt. Que fera la justice ?
Son rôle serait facile si le demandeur en rescision
pour lésion rapportait la preuve littérale de la réalité de
la vente dont il excipe, ou si du moins il invoquait un
commencement de preuve par écrit. Mais , en l’absence
de l’un ou de l’autre, on maintiendra l’acte tel qu’il se
présente, sans vouloir recourir à la preuve orale, ni s’ar
rêter aux présomptions plus ou moins graves dont le
demandeur excipera.
En effet, par respect pour la liberté des conventions,
la loi accepte et doit accepter la forme dans laquelle il
a plu aux parties de les constater. Il suffit que le con
trat apparent soit revêtu des formalités exigées pour sa va
lidité, pour que son exécution soit ordonnée. Il est pré
sumé sincère par cela seul qu’il est l’œuvre commune des
parties.
Il est vrai que la vérité doit être substituée à la fiction.
Mais encore faut-il que cette vérité apparaisse d’une ma
nière régulière, et cette régularité ne peut résulter que
d’une preuve écrite. Vouloir établir qu’il s’est agi d’a u -
�ET DE LA FRAUDE.
359
tre chose que de ce qui ressort de l’acte même, c’est vou
loir prouver outre et hors le contenu en celui-ci, c’est
demander à établir ce qui aurait été dit avant, lors ou
depuis, choses pour lesquelles l’art. 1341 proscrit for
mellement la preuve par témoins. On violerait donc la
disposition de cet article, si on admettait cette preuve,
car la partie qui l’invoque a pu se procurer la preuve écri
te ; qu’elle est, dès-lors, hors des cas d’exceptions prévus,
et qu’elle ne peut non plus exciper d’une prétendue fraude,
puisqu’elle s’en est volontairement constituée le co-auteur.
Le système contraire favoriserait les prétentions les plus
déloyales, et déterminerait une foule de procès injustes,
inconvénients qui, nous l’avons vu, ont fait introduire
dans notre législation le principe consacré depuis par l’ar
ticle 1341.
C’est donc à celui qui, tout en consentant une simu
lation, a cependant intérêt à conserver à l’acte son vé
ritable caractère, à se procurer, à côté du litre apparent,
une reconnaissance formelle de ses véritables intentions
et de celles de l’autre partie. Cela lui est facile, car il est
partie au contrat qu’il peut ne consentir qu’à cette con
dition. S’il néglige de le faire, l’absence de la preuve
écrite est son fait personnel, et il ne saurait se faire un
titre de sa propre négligence. C’est ce que la Cour de cas
sation n’a pas cessé d’admettre, c’est ce qu’elle a consa
cré le 4 janvier 1817, en termes formels : « Attendu que
les parties contractantes ayant respectivement voulu et
consenti la simulation, sont non-recevables à la prouver
par témoins, et doivent s’imputer de ne pas s’en êtreas-
�360
TRAITÉ DU DOL
suréla preuve écrite, comme il était en leur pouvoir de
le faire. »
Ainsi la vente déguisée sous la forme d’un échange
est régie par le principe de celui-ci. Elle est donc irré
vocable, quelle que soit la lésion soufferte. Mais la
preuve de la simulation restituant au contrat son véri
table caractère, le range sous l’empire des règles particu
lières à la vente, et le rend conséquemment rescindable
pour lésion de plus des sept douzièmes. Cette preuve
doit être écrite et résultera d’une contre-déclaration ex
presse.
1 2 7 2 . — A défaut de cette contre-déclaration, la
preuve testimoniale et celle par présomptions ne seraient
recevables que s’il existait un commencement de preuve
par écrit. L’appréciation de présomptions, si elles étaient
déclarées recevables, pourrait obéir aux règles que nous
avons déjà retracées.’
1 2 7 3 . — La simulation ne s’exerce pas toujours sur
le caractère de l’acte. Elle peut porter sur la date, sur
certaines conditions stipulées au contrat, sur la personne
des contractants, sur le prix, lorsqu’il s’agit d’une vente,
sur la libération elle-même.
La sincérité de la date ne saurait être douteuse dans
l’acte authentique. Le concours de l’officier public pré
posé par la loi donne, à celle indiquée, une certitude
1 v. su p rà , n°« 992, 993
�ET DE LA FRAUDE.
361
telle que le contraire ne pourrait être établi que par une
inscription de faux. Il n’en pourrait être de même pour
l’acte sous seing privé. La facilité que les parties ont de
choisir celle qui favorise le mieux leur dessein, devait,
pour toute autre que pour elles, en faire suspecter la foi.
En ce qui les concerne, l’art. 1322 assimile l’acte sous
seing privé à l’acte authentique lui-même. Il fait consé
quemment foi de sa date.
Il résulte de cette disposition que la partie qui la
prétend simulée ne peut être admise à le prouver au
trement que par écrit. Toute preuve testimoniale est re
poussée et par l’art. 1341 et par l’art. 1322 lui-mê
me. Mais l’admissibilité de la preuve littérale rendant
applicable l’art. 1347, le commencement de preuve sup
pléerait à celle-ci et rendrait la preuve testimoniale re
cevable.
1 2 7 4 . — La foi due à l’acte sous seing privé, parles
parties contractantes, est subordonnée par la loi à la con
dition que l’acte sera reconnu par celui auquel on l’op
pose, ou judiciairement tenu pour tel. Il est évident que
la dénégation de l’écriture est une exception des plus pé
remptoires, elle tend à rendre l’acte étranger, et consé
quemment sans effet possible contre celui qui se défend
de l’avoir souscrit.
1 2 7 5 . — La reconnaissance de l’acte est formelle ou
tacite.
Elle est expresse, lorsque, sur la sommation de re-
�362
TRAITÉ DU DOL
connaître ou de dénier, la partie déclare avouer la pièce
et reconnaitre son écriture. Cette déclaration fixe le sort
de l’acte et le rend ultérieurement inattaquable sous ce
rapport.
Elle est tacite, lorsque la partie, pouvant méconnaître
la pièce, non-seulement ne la conteste pas, mais agit de
manière à indiquer qu’il ne veut ou ne peut la con
tester. C’est ce qui se réaliserait soit lorsque le débiteur
ne répond rien à la signification du titre et à la som
mation de le méconnaître, soit lorsque appelé en justice,
il soutient au fond que la demande n’est pas fondée, ou
oppose un payement ou une compensation.
1276 . — Il faut en outre, pour que l’acte fasse plei
ne foi de sa date, que celui à qui on l’aurait fait sous
crire n’ait pas acquisdepuis peu, oun’aitpas perdu, dans
l’intervalle, la capacité de contracter. Une incapacité, sur
venue entre le moment de la date prétendue de l’acte
et celle delà demande, pourrait faire supposer l’antidate;
et, comme il s’agirait alors d’une fraude à une loi d’or
dre public, on pourrait prouver l’antidate par la preuve
testimoniale.
1277 . — Ainsi, et par application de cette règle, le
mineur, devenu majeur, peut soutenir que l’obligation
dont on lui demande payement remonte à une époque
où il était encore dans les liens de la minorité. Ainsi
encore le majeur pourvu, depuis la date de l’acte, d’un
conseil judiciaire, est recevable à prouver que çette
�ET DE LA FRAUDE.
363
date , réellement postérieure à son interdiction ; a été
reportée après coup à une époque antérieure, à l’effet
d’en éluder les effets. Dans l’un comme dans l’autre cas,
la question n’est plus de savoir si, en fait, la date appa
rente est ou non postérieure à la majorité ou antérieure
à l’interdiction , mais si réellement l’acte a été ou non
fait à la date indiquée , c’est-à-dire alors que le sous
cripteur jouissait déjà, ou encore, de la capacité de con
tracter.’
Dans ces hypothèses, la présomption de l’art. 1322
reçoit exception, et le débiteur ne pourrait être con
damné par cela seul que la date apparente se réfère à
un temps de capacité. Il ne le sera que si la capacité
existait réellement. L’acte ayant été véritablement sous
crit au temps indiqué,1la condamnation n’est donc plus
la conséquence de la foi due à l’acte, mais uniquement
celle du défaut de preuve de l’absence de sincérité allé
guée.
Ainsi l’incapacité pouvant résulter soit de la mino
rité, soit de l’interdiction, arguée par la partie, amène
une exception à la règle de l’art. 1322. L’acte ne fait
plus pleine foi, et sa date n’est admise que jusqu’à
preuve contraire. Cette preuve est elle-même admissi
ble par toutes les voies : par témoins et même par pré
somptions.
1 Cass., 4 fév 1835; — D. P., 35. 1 33.
2 Cass., 17 mai 1831 ; — D. P., 35, 1, 32.
�364
TRAITÉ DU DOL
1 278. — II en serait de même pour la femme ma
riée poursuivant la nullité de son obligation pour défaut
d’autorisation maritale. Il importerait peu que, par la
date apparente, cette obligation remontât à une époque
antérieure au mariage, l’antidate alléguée par la femme
rendrait la preuve testimoniale admissible, s’agissant d’u
ne fraude à une loi d’ordre public. Le titre ne pourrait
donc être validé que faute par la femme d’avoir légale
ment justifié ses prétentions.
Dans tous ces cas, le but de la loi est facile à saisir.
Laisser toute sa force à la présomption de l’art. 1322,
c’était retirer, d’une main, au mineur, à l’interdit,, à la
femme mariée, cette protection qu’elle paraissait leur ac
corder de l’autre; c’était leur permettre de se ruiner in
failliblement. Il est facile, en effet, de prévoir que l’a
vidité de ceux qui ont le courage de les exploiter recom
manderait à leur attention le choix de la date, qu’ils fe
raient toujours de manière à s’assurer le succès de leurs
ténébreuses et déloyales machinations.
1 2 7 9 . — Qu’en est-il de l’incapacité résultant d’une
condamnation au criminel? Que le condamné à une pei
ne afflictive et infamante soit, pendant la durée de sa
peine, incapable de contracter, c’est ce qui ne peut faire
évidemment l’objet d’un doute. L’article 29 du Code pé
nal le déclare en état d’interdiction légale et veut que ses
biens soient gérés et administrés par un curateur nom
mé dans les formes prescrites pour la nomination d’un
tuteur aux interdits. Or, aux termes de l’art. 1124 du
�ET DE LA FRAUDE.
365
Codecivil, les incapables de contracter sont : les mineurs,
les interdits, les femmes mariées dans les cas déterminés,
et généralement tous ceux à qui la loi a interdit certains
contrats.
N’est-ce pas être interdit que d’être placé dans un état
d’interdiction légale? Et si on m’objecte qu’au lieu d’un
tuteur que reçoit le premier, le condamné n’a qu’un cu
rateur, je répondrais que la loi a voulu distinguer le
malheur du crime ; que la protection qu’elle assure à
celui à qui une maladie funeste enlève toute capacité,
provient d’un sentiment de bienveillante pitié, tandis que
la privation de cette capacité est une peine que la mo
rale, que l’honnêteté publique exigeait. Pouvait-il se
faire, en effet, que l’être dégradé et infect, que le bagne
récèle, pût encore demeurer, pendant le cours de sa
peine, à l’instar des autres citoyens et traiter avec eux
d’égal à égal. Mais, quelque inégalité qu’on relève dans
le mode d’interdiction et dans ses conséquences, quant
à la personne, l’incapacité est la même. Ajoutons que,
dans l’interdiction ordinaire, la loi exige un tuteur, parce
qu’elle lui confie la personne et les biens de l’interdit ;
dans celle résultant d’une condamnation criminelle, un
curateur suffit, parce qu’il ne s’agit et ne peut plus s’a
gir que des biens, la personne demeurant sous le coupde
la justice.
Si on ne veut pas considérer le condamné comme un
interdit, du moins faudra-t-il le placer dans la catégorie
de ceux auxquels la loi a interdit certains actes. La dé
fense de gérer et d’administrer leurs biens n’est-elle
�!
pasla prohibition de tous les contrats ayant ce double ca
ractère ?
Nous croyons donc que, sous l’un comme sous l’autre
rapport, le condamné à une peine afflictive et infàmante
est réellement incapable de contracter. Cette opinion est
celle que professent des savants et profonds criminalis
tes. ' MM. Chauveau Adolphe et Faustin Hélie voient
dans celte interdiction la conséquence presque néces
saire de la peine. Il ne faut pas, disent-ils, qu’un con
damné puisse disposer de ses revenus et de ses biens ,
quand il subit un châtiment sévère ; il ne faut pas qu’il
ait le moyen d’acheter à prix d’or une évasion, ou que,
par des profusions scandaleuses , il fasse , d’un séjour
d’humiliation et de deuil, un théâtre de joie et de scan
dale. 1
L’incapacité absolue de gérer et d’administrer ainsi
admise, il s’ensuit que, comme pour les autres incapa
bles, l’acte ne sera valable que s’il a été réellement sous
crit avant l’incapacité. 3 L’arrêt que nous annotons ,
rendu sur les conclusions conformes de M. Troplong ,
alors avocat général, semble même exiger que l’acte ait
acquis date certaine pour qu’on puisse l’exécuter. Mais,
aller jusque-là , ce serait placer le condamné dans une
position plus avantageuse que le mineur , que l’interdit
1 Carnot, art 29, n» 5.
2 Théorie du Code pénal, 1 . 1 , p. 166; — V. Cass., 25 janvier 1825;
-S irey , 25, 1, 345.
a Nancy, 5 juin 1828 ; — D. P. 29,2, 114.
�ET DE LA FRAUDE.
367
ou la femme mariée. Nous ne croyons donc pas cette
exigence admissible.
Pour le condamné, comme pour tous les autres inca
pables, la loi n’admet qu’une seule chose, à savoir : la
faculté de prouver que la date apparente est fausse , et
que l’acte a été consenti dans un moment d’incapacité.
A défaut de cette preuve, cette date est acceptée comme
vraie, et l’acte, tenu pour sincère, doit être exécuté. '
dans le doute même , il faudrait arriver à ce résultat :
In dubio standum est instrumenta.
1 2 8 0 . — L’art. 1322 déclare que l’acte fait foi nonseulement contre la partie, mais encore contre ses héri
tiers et ayans-cause ; faut-il appliquer ce dernier terme
aux successeurs à titre universel seulement, ou bien l’é
tendre aux successeurs à titre particulier ?
1 2 8 1 . — C’est dans ce dernier sens que Toullier in
terprète. l’art. 1322. A insi, d it- il, les donataires, les
acquéreurs sont les ayans-cause du donateur ou du ven
deur, pour ce qui concerne la chose donnée ou vendue.
Dès lo rs, l’acquéreur , par acte authentique, peut être
évincé par une vente sous seing-privé antérieure faisant
foi contre son vendeur et, par conséquent contre lui.1
1 2 8 2 . — M. Chardon proteste contre cette doctrine,
1 Colmar, 30 juillet 1831 ; — D. P., 32, 2. 138.
i T. vin, n°* 245 et suiv.
�368
TRAITÉ DU DOL
il lui reproche d’entraîner à des conséquences iniques.
Ainsi, dit-il, celui qui a donné ou vendu par acte au
thentique pourra , à son gré , révoquer la donation et
annuler la vente. Il lui suffira de simuler une aliénation
sous seing-privé et de lui donner une date antérieure à
l’acte public.'
1283.
— Ce résultat, fût-il inévitable, ne pourrait ,
en aucune manière , détruire l’évidence. Or, l’évidence,
dans l’hypothèse qui nous occupe, est que celui à qui
une chose a été transmise par legs, donation, vente ou
échange, etc...., est, quant à cette chose, l’ayant-cause
du précédent propriétaire.
Cette doctrine amène-t-elle fatalement aux conséquen
ces qui alarment tant M. Chardon? Non, évidemment,
et cela , par cette raison bien simple, que la transmis
sion régulièrement opérée , le nouveau possesseur n’est
plus un ayant-cause, et que celui de qui il tient la chose
n’a pu, de ce m om ent, rien faire qui puisse l’engager
valablement. Ainsi, ayant-cause pour le passé, le dona
taire , l’acquéreur ou l’échangiste ne peuvent voir leur
propriété se modifier ou s’effacer que par un fait qui
leur soit personnel.
Or , ce que le précédent propriétaire ne peut faire
directement , il lui est prohibé de le faire par une voie
indirecte. L’acte sous seing-privé qui paraîtrait posté
rieurement à la transmission publique et qui porterait
�369
ET DE LA FRAUDE.
une date antérieure, ne pourrait donc être opposé sans
que le donateur, l’acquéreur ou l’échangiste n’eût la
faculté de le quereller comme faiten fraude de ses droits.
Nous admettons donc la doctrine de Toullier avec
cette juste restriction : que le donateur, l’acquéreur ou
l’échangiste est l’ayant-cause de son auteur, mais à la
façon des créanciers, et pouvant, comme ceux-ci, exercer
un droit propre et personnel dans l’hypothèse prévue par
l’art. 1167.
Dira-t-on que l’obligation de prouver la fraude et la
collusion leur sera onéreuse, difficile à remplir dans
certains cas? Mais, comme nous l’avons fait observer
a ille u rs,'la possession au moment de la donation ou
de la vente dont ils se prévalent jouera un rôle souvent
décisif et fournira de puissants enseignements; nous ré
pondrons ensuite que si les porteurs d’un acte authen
tique ont droit à être protégés, ce droit ne peut aller
jusqu’à destituer de toute protection celui qui s’est con
tenté de ce dont la loi lui permettait de se contenter, à
savoir : d’un titre sous seing privé. Pourquoi ne voir
jamais la fraude que dans celui-ci ? Est-ce que l’acte au
thentique ne peut pas, dans un cas donné, n’êlre luimême qu’une fraude de nature à enlever des droits sé
rieux, légitimement acquis? C’est ce qui ne manquera
pas, d’ailleurs, d’être allégué. Que pouvait donc faire la
loi dans la perplexité où la plaçait cette double éven
tualité? Uniquement ceci : permettre la recherche de la
1 Vide suprà, n» 967.
24
�370
TRAITÉ DU DOL
vérité par toutes les voies possibles, autoriser la partie
réduite à alléguer la fraude, à la prouver par témoins et
par présomptions, et s’en rapporter, pour l’appréciation
des uns des autres, à la prudence et à la sagesse du
jnge.
1284.
— Une autre exception à la règle tracée par
l’art. 1322 et sur l’inadmissibilité de la partie à prou
ver par témoins la simulation dont elle excipe , se réa
lise lorsque, par sa nature et par ses conséquences, la
simulation constituerait la violation d’une loi prohibi
tive. Ainsi, la lettre de change n’est parfaite que par la
réalisation du contrat de change, c’est-à-dire qu’elle a
pour but de faire retirer dans une place la somme reçue
dans une autre. Cette condition étant indispensable
pourque le souscripteur puisse être contraint par corps,
il arrive que ceux qui ne traitent qu’en vue d’acquérir
cette puissante garantie , ont soin d’exiger une lettre
qu’ils rendent parfaite en simulant la remise de place en
place.
Cette simulation, la loi ne saurait la tolérer. Aussi, et
malgré la complicité qu’en a assumée le souscripteur, il
est non-seulement admis à s’en plaindre, mais encore
recevable à la prouver par témoins et par présomptions.
Des arrêts l’ont même fait résulter de ce que le tireur
n’est pas négociant et de ce qu’il a son domicile ailleurs
qu’au lieu d’où la lettre a été tirée.1
i Bruxelles, 28 juin ISI 0
�ET DE LA FRAUDE.
371
Le tireur pouvant prouver, par témoins et par pré
somptions , le défaut de remise de place en place , est
également recevable à établir, par les mêmes modes, tou
tes les autres suppositions dont la lettre de change est
susceptible. C’est ce qui a été maintes fois décidé pour la
supposition soit de nom, soit de domicile, soit de qualité,
soit de cause, malgré que l’art. 112du Code commercial
se taise sur celle-ci.'
1285.
— Cette exception à la règle de la foi due à
l’acte et de l’inadmissibilité de la preuve orale contre
le titre écrit en faveur de la partie, tient à un double
motif:
1° En matière commerciale, la preuve orale est de
droit commun. Ce motif, qui pourrait paraître péremp
toire , ne rend pas suffisamment raison de l’exception
admise. En effet, on peut reconnaître qu’on puisse, de
vant la juridiction commerciale, prouver par témoins
l’existence d’une opération contestée, d’une obligation,
d’un payement, sans qu’il doive en résulter, comme con
séquence forcée, la faculté de prouver contre le litre et
d’exciper d’une simulation à laquelle on a soi-même
participé. Ce qui re n d , en matière commerciale, la
preuve testimoniale admissible , c’est que la rapidité ,
indispensable dans les opérations, ne rend pas tou
jours possible une preuve littérale. Mais lorsque celle—
1 Cass., 25 juillet <1815, 22 juin 1825, 20 juin 1810 ; — Limoges, 10
mars 1808 ; — Bruxelles, 3 juillet 1812.
�372
TRAITÉ DU DOL
ci existe, lorsqu’une obligation a été écrite et signée ,
le souscripteur ne saurait raisonnablement prétendre
n’avoir pas eu le moyen de constater la simulation dont
il se plaint. On pourrait donc, lui opposant son propre
fait, le soutenir légalement non-recevable à prouver
contre ce qu’il a écrit et signé lui-même. La règle nemo
auditur etc.... n’est pas exclue de la matière commer
ciale ;
2° La lettre de change entraîne la contrainte par
corps, et personne ne peut se soumettre à cette voie
rigoureuse , hors des cas où elle est formellement au
torisée par la loi. Toute convention contraire, quelque
expresse qu’ellefùt, resterait sans force et sans effets pos
sibles .
Or, signer une lettre de change, c’est accepter la con
trainte; la signer lorsqu’il n’y a pas remise de place en
place, c’est consacrer une simulation dans l’objet d’é
luder cette prohibition , que le législateur considère
comme d’ordre public. Dans ce cas, la recevabilité de
la preuve testimoniale en faveur de la partie elle-même,
n’est plus que la conséquence de cette règle : Qu’en ma
tière de fraude à une loi d’intérêt général, tout ce qui
a été fait, l’a été illégalement; et qu’une nullité absolue
peut toujours être invoquée, quelle que soit la part qu’on
ait prise à l’acte qui en est atteint, n’étant donné à per
sonne de méconnaître et de violer une prescription d’or
dre public.
Ce caractère appartient essentiellement à tout ce qui
se rapporte à la contrainte par corps. Conséquemment,
�ET DE LA FRAUDE.
373
celui qui s’y est volontairement soumis, hors des cas
prévus, peut toujours se faire relever d’un engagement
qui ne pouvant être expressément stipulé, ne saurait
être validé, par cela seul qu’il aurait été pris par une voie
détournée.
Ainsi, et alors même que le premier motif devrait être
écarté, le second rend suffisamment raison d’une solution
n’ayant jamais souffert aucune difficulté ni en doctrine,
ni en jurisprudence.
1286.
— En résumé donc, la simulation dans les
caractères de l’acte ou sur ses conditions lie irrévo
cablement les parties. Le titre, tel qu’il résulte de leur
volonté simultanée , est valable et fait entre elles la loi
irrévocable qu’on ne peut détruire que par une preuve
écrite.
Mais ce principe reçoit exception lorsque, soit sous
le rapport de la capacité de parties, soit sous celui des
conséquences de l’acte même, la simulation dégénère en
une fraude contre une règle d’ordre public ou d’intérêt
général. Dans ce cas, la partie elle-même peut pour
suivre la nullité de son engagement et établir ses préten
tions par la preuve testimoniale, par les présomptions
même.
�374
TRAITÉ DU DOL
CHAPITRE II.
FRA UD E
CONCERTÉE
CONTRE
LA
LOI-
SOM MAIRE.
4287.
E ffe ts d e la fr a u d e c o n tr e la lo i.
1288.
N a tu r e d e la s e u l e d iffic u lté q u ’e lle fa it s u r g ir .
1289.
O b je c tio n s s o u le v é e s c o n tr e l ’a d m is s io n d e la p r e u v e o r a le
e n tr e p a r tie s .
1290.
D is tin c tio n q u ’o n d o it s u iv r e e n c e t t e m a tiè r e .
1291.
F o n d é e s u r la d iffé r e n c e d e s m o t if s d e la p r o h ib itio n .
1292.
La p r o h ib itio n , d a n s u n in t é r ê t p r iv é , e s t u n e fa v e u r à la
1293.
Il n ’en e s t p a s d e m ê m e d e c e l l e fo n d é e s u r l ’in t é r ê t g é
1294.
C o n séq u en ces.
1295.
Im p o r ta n c e d e c e t t e d is t in c t io n
q u e lle la p a r tie p e u t r e n o n c e r .
n é r a l.
p o u r l ’a s s im ila tio n q u e
l ’a r t. 1 1 3 1 fa it d u d é fa u t d e c a u s e on d e la c a u s e fa u s s e
a v e c la c a u s e illic it e ou im m o r a le . C o n s é q u e n c e s .
1296.
La c o n t r e - le t t r e é t a b lis s a n t la p r e u v e d e la fr a u d e à la lo i,
c e lle n o ta m m e n t q u i d i s s i m u l e l e p r ix r é e l d ’u n e v e n
t e , e s t - e l l e n u lle e n t r e l e s p a r t ie s ?
�ET DE LA
1297.
FRAUDE.
375
O p in io n d e M . P la s m a u p o u r l ’a ffir m a tiv e .
1298.
R é f u t a t io n .
1999.
E t a t d e la ju r is p r u d e n c e .
1300.
C o n c lu s io n .
1301.
C o n t r e - le t t r e s e n m a tiè r e d e c e s s io n d ’o ffic e .
1302.
S o lu tio n s c o n s a c r é e s p ar la j u r is p r u d e n c e .
1303.
C r itiq u e d ’u n a r r ê t d e la C ou r d e c a s s a t io n , in t e r v e n u e n
1304.
L a r é p é titio n d e c e q u i a é t é p a y é e n v e r tu d ’u n e c o n t r e -
tr e u n p è r e s t so n fils , p a r M . D a llo z . R é f u t a t io n .
l e t t r e é t a it u n e c o n s é q u e n c e i n é v it a b le d e la ju r is
prud en ce.
1305.
C a r a ctè r e ju r id iq u e d e c e t t e r é p é titio n .
1306.
R é p o n s e à u n e o b je tio n t ir é e d u s ile n c e d e la lo i d e 1 8 1 6 .
1307.
U n e a u tr e c o n s é q u e n c e d e l à n u l li t é d e la c o n t r e - l e t t r e ,
e s t q u e l e t r a ité s e c r e t n e p e u t ê t r e r a tifié n i e x p r e s
s é m e n t n i t a c it e m e n t .
1308.
L ’a c tio n e n n u llit é e t c e lle e n
r e s tit u tio n p e u v e n t ê t r e
e x e r c é e s p ar la c a u tio n .
1309.
L e c e s s io n n a ir e d e l ’o ffice p o u v a n t o p p o se r la n u l li t é au
c é d a n t , p e u t - i l s 'e n p r é v a lo ir c o n tr e l e s tie r s a y a n t
p a y é à sa d é c h a r g e e t s e d is p e n s e r d e l e s r e m b o u r s e r .
1310.
A d m is s ib ilit é d e la p r e u v e t e s t im o n ia le p o u r é ta b lir l ’e x i s
1311.
P a r q u e l d é la i s e p r e s c r iv e n t l ’a c tio n e n n u llit é e t c e lle en
1312.
O r ig in e e t e ffe t d e l’in a lié n a b ilité d e la d o t.
1313.
C a r a ctè r e d e la p r o h ib itio n .
1314.
N a tu r e d e la n u llit é r é s u lt a n t d e sa v io la tio n .
1315.
C o n s é q u e n c e s , p a r r a p p o r t a u x t ie r s - a c q u é r e u r s d u fo n d s
1316.
L e u r s d r o its , s u iv a n t q u ’ils o n t c o n n u o u ig n o r é l e ca ra c
1317.
A r r ê t d e la C o u r d e c a s s a tio n q u i le u r r e f u s e le d r o it de
t e n c e d u tr a ité s e c r e t.
r é p é t it io n ?
d o ta l.
tè r e d e d o t a lit é .
p o u r s u iv r e la n u l l i t é , m ê m e d a n s l e c a s d ’ig n o r a n c e .
D is s e n t im e n t .
�376
1318.
TRAITÉ DU DOL
Q uid, si la v e n te e s t le r é s u lta t rie m a n œ u v r e s fr a u d u le u
s e s d e la p art d e s é p o u x ? L e s ile n c e s u r l e c a r a c tè r e
d e la d o t a lilé c o n s t i t u e - t - i l u n e m a n œ u v r e fr a u d u
le u s e ?
1319.
L ’a r t. 1 5 6 0 c o n fè r e le d r o it d e fa ire a n n u le r la
v e n t e du
b ie n d o ta l, au m a r i, à la f e m m e e t à s e s h é r it ie r s .
1320.
P e n d a n t le m a r a ia g e , et a v a n t t o u te s é p a r a tio n , la p o u r
1321.
L e m a r i, h é r it ie r d e sa f e m m e , p o u r r a - t - il, e n c e t t e q u a
s u it e a p p a r tie n t au m a r i s e u l .
l i t é , p o u r s u iv r e la n u llit é d e la v e n te d u fo n d s d o t a l ,
q u 'il a c o n s e n t ie p e n d a n t le m a r ia g e ?
1322.
D is tin c tio n fa ite p a r M . B e llo t ; c r itiq u e q u ’e n fa it M .
1323.
R é f u t a t io n .
1324.
La
D a llo z .
b o n n e o u la m a u v a is e foi d e l ’a c q u é r e u r e s t d o n c u n e
c ir c o n s ta n c e d é c is iv e p o u r la s o lu tio n d e n o tr e q u e s
tio n .
1325.
L e m a r i, d a n s le s ile n c e d e l ’a c t e , p o u r r a - t - il p r o u v e r q u e
1326.
O b lig a tio n p o u r le m a r i d e r e s tit u e r le p r ix , m ê m e lo r s
1327.
E t e n d u e d e c e t t e o b lig a tio n p o u r la f e m m e
1328.
E x c e p t io n q u e l e m a r i p e u t in v o q u e r c o n tr e la r e s tit u tio n
1329.
F o n d e m e n t d e l ’a c tio n
1330.
E p o q u e à la q u e lle e ll e e s t r e c e v a b le à l ’in t e n t e r .
1331.
L e d r o it d e la fe m m e p a s s e à s e s h é r it ie r s .
1332.
L ’a c q u é r e u r é v in c é n ’a , d a n s a u c u n c a s , le d r o it d e r é te n
1333.
La v e n te du fo n d s d otal p e u t - e l l e d e v e n ir la m a tiè r e d ’u n
1334.
O p in io n d e M er lin . A p p e l e r r o n é q u ’il fa it à c e lle s d e
l ’a c q u é r e u r a c o n n u la d o ta lité ?
q u ’il n ’e s t p a s te n u d ’in d e m n is e r l ’a c q u é r e u r .
ayant vendu
s e u le .
du p r ix .
en
r e v e n d ic a tio n
c o n fé r é e à la
fe m m e .
tio n j u s q u ’a p r è s p a ie m e n t.
c a u tio n n e m e n t v a la b le ?
S e r r e s e t d e D u p e r ie r .
�ET DE LA FRAUDE.
377
1335.
C a r a ctè r e ju r id iq u e d e l ’a ffir m a tiv e .
1336.
R é fu ta tio n d e s c o n s id é r a tio n s in v o q u é e s p a r M e r lin .
1337.
D is c u s s io n a u c o n s e il d ’E t a t .
1338.
J u r is p r u d e n c e .
1339.
L a f e m m e , p e u t - e l l e c a u tio n n e r e lle - m ê m e la v e n t e du
1340.
A r r ê t n o ta b le d e la C ou r d 'A ix .
1341.
L e s é p o u x v e n d a n t , c o m m e b ie n lib r e , l e fo n d s d o t a l, p e u
1342.
L e s c r é a n c ie r s d u m a r i ou d e la fe m m e p e u v e n t - i l s p o u r
fo n d s d o t a l?
v e n t - i l s ê t r e c o n s id é r é s c o m m e s t e llio n a t a ir e s ?
s u iv r e l ’a c tio n e n r é v o c a tio n a p p a r te n a n t à l ’u n ou à
l ’a u tr e ?
1343.
Q u id d e s c r é a n c ie r s d e s h é r it ie r s d e la f e m m e ?
1344.
E x c e p t io n s q u e le d r o it d e c e u x - c i c o m p o r te .
1345.
A u t r e e x c e p t io n t ir é e d e la r a tific a tio n .
1346.
C a r a ctè r e q u e d o it o ffrir la r a tific a tio n t a c ite .
1347.
I n d é p e n d a m m e n t d e la ra tifica tio n é m a n é e d e la fe m m e
e l l e - m ê m e , s e s h é r it ie r s p o u r r o n t ê t r e r e p o u s s é s p ar
la r a tific a tio n q u i le u r s e r a it p e r s o n n e lle .
1348.
A u t r e e x c e p t io n t ir é e d e la p r e s c r ip tio n .
Son
p o in t d e
1349.
P a r q u e l d é la i e s t - e l l e a c q u is e ?
1350.
L a fr a u d e a y a n t p o u r o b je t u n e a t t e in t e à la lib e r t é i n d i
d é p a r t.
v id u e lle , o u la d is s im u la tio n d ’u n e in c a p a c ité , e s t u n e
fr a u d e c o n tr e u n e lo i d 'o rd re p u b lic .
1351.
D if f ic u lt é s q u e p o u rr a
s o u le v e r l e t it r e
s im u lé .
M ode
d ’a p p r é c ia tio n .
1352.
L ’in e x é c u t io n d ’u n e p r o m e s s e d e m a r ia g e d o n n e - 1 - e lle
1353.
L ’i llé g a lit é d e c e t t e p r o m e s s e e n tr a în e la n u l li t é d u d é d it
1354.
Q uid d u d é d it d is s im u lé s o u s l ’a p p a r e n c e d ’u n e o b lig a
1355.
A d m is s ib ilit é d e la p r e u v e t e s t im o n ia le .
1356.
J u r is p r u d e n c e .
lie u à d e s d o m m a g e s - in t é r ê t s ?
s t ip u lé .
tio n p u r e e t s im p le .
�378
1357.
TRAITÉ DU DOL
C a r a ctè r e d e la r e n o n c ia tio n à u n e s u c c e s s io n f u t u r e , d a n s
l e d r o it r o m a in e t s o u s l ’a n c ie n d r o it fr a n ç a is .
1358.
S o u s l ’e m p ir e d u C o d e, la p r o h ib itio n e s t d ’o r d r e p u b lic .
1359.
C o n s é q u e n c e s , q u a n t à la n u l li t é d e la
r e n o n c ia tio n
d i
r e c te ou in d ir e c t e .
1360.
L a s im u la tio n se r a p lu s o u m o in s f a c ile m e n t a p p r é c ia b le ,
s u iv a n t q u ’il s ’a g ira d ’u n tr a ité d e c o h é r itie r à c o h é r i
tie r s o u d ’u n tr a ité e n t r e u n e p e r s o n n e e t u n
t ie r s ,
so n h é r it ie r p r é s o m p tif o u n o n .
1361.
T o u te fo is la v é r ita b le in t e n t io n d e s p a r tie s p e u t r é s u lte r
d e la n a tu r e m ê m e d e la c h o s e fa is a n t la m a tiè r e du
tr a ité .
1362.
C a r a c tè r e s d e la v e n t e d u m o b ilie r q u ’o n d é la is s e r a à so n
1363.
L a n u l li t é d o n t u n p a r e il tr a ité e s t v ic ié e s t in d iv is ib le ;
d écès.
e ll e s ’a p p liq u e r a it d o n c m ê m e a u x
im m e u b le s
pour
le s q u e ls i l y a u r a it e u d é s in v e s t is s e m e n t a c t u e l.
1364.
C e q u i e s t a p p lic a b le à l ’u n iv e r s a lité d 'u n e s u c c e s s io n s ’ap
p liq u e r a it s o it à n n e q u o tité , so it à u n c o r p s c e r ta in
e t d é te r m in é .
1365.
L e p a c te s u r s u c c e s s io n fu tu r e p e u t ê tr e r a tifié a p r è s l ’o u
1366.
C o n s é q u e n c e s p ar r a p p o r t à la p r e s c r ip tio n .
1367.
A r r ê t d ’A i x . e x ig e a n t la p r e s c r ip tio n t r e n te n a ir e . R é f u
1368.
O p in io n d e Z a c h a r iæ , d e T o u llie r e t d e R o lla n d d e V illa r -
1369.
P o s itio n d e s e n f a n t s ^ n a tu r els , s o u s l ’e m p ir e
v e r t u r e d e la s u c c e s s io n .
t a t io n .
g u es.
d u d r o it
r o m a in .
1370.
D is p o s itio n s d e l ’a n c ie n d r o it, a b r o g é e s p a r l e s lo is i n t e r
1371.
D is p o s itio n s du C od e c iv il. D r o it d e s e n f a n t s a d u lté r in s
1372.
P r o h ib itio n d e le s r e c o n n a îtr e . S o n o r ig in e , s e s m o t if s .
1373.
D é f e n s e d e r e c h e r c h e r la m a te r n ité , lo r s q u e l e
m é d ia ir e s .
ou in c e s t u e u x .
d o it ê t r e l ’a d u ltè r e o u l ’in c e s t e .
r é s u lt a t
�379
ET DE LA FRAUDE.
1374.
U t i l it é , t o u t e f o is , d e l ’a r t . 7 6 2 .
1375.
L a r e c o n n a is s a n c e illé g a le m e n t f a it e c o n f è r e - t - e l l e à l ’e n
fa n t l e d r o it d ’e x ig e r d e s a l im e n t s ? P e u t - o n e n e x c i p e r c o n tr e lu i p o u r fa ire r é d u ir e l e s d o n a tio n s q u ’il a
reçues ?
1376.
O p in io n d e M erlin p o u r l ’a ffir m a tiv e .
1377.
I d e m d e T o u llie r .
1378.
L ’o p in io n c o n tr a ir e , s o u t e n u e p a r M . C h a b o t , p a r a ît p lu s
c o n fo r m e à la l o i.
1379.
S o l u t i o n s , d a n s c e s e n s , d e la C ou r d e c a s s a tio n .
1380.
C r itiq u e q u ’e n fo n t M M . T e u le t e t D a u v illie r s . R é f u t a t io n .
1381.
O p in io n d e M . C h a rd o n .
1382.
R é p o n s e p a r M M . M arcad é e t l e s a n n o ta te u r s d e Z a c c h a r iæ , à d e u x o b je c tio n s s u r l e s q u e l le s s e fo n d e la d o c
tr in e c o n tr a ir e .
1383.
C o n c lu s io n .
1384.
D a n s l e c a s d ’u n e d é c o u v e r te a c c id e n t e lle d e la q u a lit é
d ’a d u lté r in ou d ’in c e s t u e u x , t o u t e s
d o n a tio n s fa ite s
p ar l e p è r e s o n t e s s e n t i e ll e m e n t r é d u c t ib le s .
1385.
D r o its d e l'e n f a n t n a tu r e l s im p le .
1386.
F a c u lt é p o u r l e s p a r e n ts d e l e r e c o n n a îtr e . C o m m e n t e ll e
1387.
L a f e m m e m a r ié e p e u t fa ir e c e t t e r e c o n n a is s a n c e sa n s
1388.
P r é c a u t io n s p r is e s p a r la lo i p o u r l e s r e c o n n a is s a n c e s fa i
1389.
E x c e p t io n à la r è g le d e l ’a r t. 3 3 7 .
1390.
L a r e c o n n a is s a n c e r é g u liè r e m e n t fa ite e s t ir r é v o c a b le , s a u f
1391.
L ’e n f a n t e s t lib r e d ’e n r é c u s e r le b é n é fic e e t d e l à
p e u t ê tr e e x e r c é e .
l ’a u to r isa lio n d e so n m a r i.
t e s p e n d a n t le m a r ia g e .
le c a s d e d o l. d e fr a u d e e t d e v io le n c e .
con
tester.
1392.
M o tifs d e c e t t e d is p o s itio n .
1393.
L ’e n f a n t c o n t e s t a n t d o it - il p r o u v e r la f a u s s e t é d e la d é c la
1394.
D is t in c t io n a d m is e p a r u n a r r ê t d e la C ou r d e M o n tp e llie r .
ra tio n ?
�380
1395.
TRAITÉ DI) DOL
C a r a ctè r e ju r id iq u e d e c e t t e d is t in c t io n .
1396.
E ffet d e la r e c o n n a is s a n c e d é f in iliv e m e n t a c q u is e .
1397.
C o n s é q u e n c e s d e l'in c a p a c ité d e l ’e n f a n t n a t u r e l d e rien
1398.
D r o it d e s h é r itie r s d e fa ir e p r o n o n c e r la r é d u c tio n d e t o u s
1399.
L e p è r e p o u r r a - t - i l p o u r s u iv r e la n u llit é d e s a c te s q u ’il
1400.
Quid, d u lé g a t a ir e u n iv e r s e l ?
1401.
C o m m e n t f a u d r a it - t - il r é s o u d r e c e s q u e s t io n s , s ’il s ’a g i s
r e c e v o ir a u - d e l à d e la r é s e r v e d e l ’a r t. 7 5 7 .
a v a n ta g e s in d ir e c t s .
a u r a it s im u lé p o u r a v a n ta g e r le f ils n a tu r e l ?
s a it d e s in c a p a b le s d o n t p a r le l ’a r t . 9 0 9 ?
1287.
—
L a lo i d o it r e c e v o ir sa p le in e , fr a n c h e et
lo y a le e x é c u tio n . Ce p r in c ip e , q u i e st la p re m iè r e e t la
p lu s p u issa n te sa u v e g a r d e d e to u te so c ié té , n ’est co n te sté
p ar p e r so n n e , m a is l ’in térêt p riv é, a u x p rises a v ec l ’in
térêt g é n é r a l, le fera so u v e n t m é c o n n a îtr e et v io le r .
Cette v io la tio n n e sera p r e sq u e ja m a is e x p lic ite et fo r
m e lle .
L’in c o n te sta b le sort q u i lu i est réserv é a m è n e r a
fa ta le m e n t à cette c o n sé q u e n c e : q u e la d é so b é issa n c e à
la lo i em p ru n tera les d e h o r s le s p lu s lé g itim e s , l ’a p p a
r e n ce la p lu s in o ffe n siv e . L’e sse n tie l, en effet, est d e p a
raître se c o n fo r m e r à la lo i, tout e n la v io la n t.
M ais , q u e l q u e so it le d é g u is e m e n t a u q u e l o n a u r a
r e c o u r s, q u e lle q u ’e n so it la lé g a lité a p p a r e n te , la fr a u d e ,
d é p o u illé e d es o r ip e a u x q u i la couvrent^ sera c o n d a m n é e
à la p lu s r ig o u r e u se im p u is s a n c e . La p reu v e d e so n e x is
ten ce en lèv era à la c o n v e n tio n tou te force lé g a le , to u t lie n
o b lig a to ir e ; e lle sera c e n sé e n ’a v o ir ja m a is e x isté .
1288.
— Cet effet in c o n te sta b le d e la fra u d e à la lo i
�ET DE LA FRAUDE.
381
n’a jamais pû être, n’a jamais été contesté par personne;
aussi , l’unique difficulté que cette matière à pu soule
ver , se rapporte exclusivement au mode d’après lequel
la fraude est susceptible d’être constatée.
Cette difficulté même se concentre dans ce qui concer
ne les parties ; elle n’a jamais pu sérieusement s’élever
à l’endroit des tiers. Ceux - c i , en effet, ont toujours le
droit d’échapper au préjudice dont ils sont menacés , et
ce droit leur confère nécessairement le pouvoir d’établir
et de prouver la fraude concertée à leur détriment. Leur
refuser , dans une pareille occurence , le secours de la
preuve testimoniale , c’était d’avance condamner leurs
efforts à l’impuissance la plus absolue, méconnaître, à
leur encontre, les principes d’une justice exacte , violer
expressément la loi elle-même. En effet, l’art. 1348 con
fère la faculté de prouver par témoins à celui qui n’a pu
se procurer la preuve littérale. Or, qui mieux que les tiers
s’est jamais trouvé dans une pareille impuissance ?
1 289.
— L’unique difficulté à cet égard ne pouvait
donc se présenter que relativement aux parties contrac
tantes. Fallait-il les admettre à prouver par témoins con
tre leur propre fait? La négative a été soutenue ; on a dit
que rien ne les contraignait à souscrire à une violation
de la loi pouvant léser leurs intérêts ; qu’elles ont été à
même de se procurer la preuve écrite ; qu’il n’y avait
rien d’immoral à maintenir le préjudice qu’elles se sont
volontairement occasionnées par leur désobéissance for
melle à la loi ; que ce qui était véritablement im m oral,
�TRAITÉ DU DOL
c’était de faciliter l’accès de la justice à celui qui n’avait
d’autre titre à invoquer que sa propre turpitude.
1290. — Une pareille doctrine ne nous paraît pas
admissible dans le sens absolu et rigoureux qu’on veut
lui donner. Parfaitement juridique dans une certaine
mesure , elle serait fausse et dangereuse au-delà ; elle
comporte donc un tempérament équitable , de nature
à concilier , dans de justes proportions , les sentiments
qu’excite la conduite de la partie avec le respect dû à
la loi.
Nous admettons donc la prohibition absolue , contre
la partie, de toute preuve testimoniale, dans le cas d’une
simulation dans la nature du contrat. Nous nous som
mes expliqués , à cet égard , dans la précédente sec
tion. Quant à la fraude à la loi , nous distinguons sui
vant que le but que se sont proposé les parties est pro
hibé dans un intérêt privé , ou dans un intérêt général
ou d’ordre public.
1 2 9 1 . — En effet, toutes les prohibitions, toutes les
prescriptions légales n’ont pas été sanctionnées au même
titre. 11 en est dont l’exécution est réclamée par l’inté
rêt social, parce que leur violation aurait des conséquen
ces funestes pour toute une classe de citoyens ou pour
tous les citoyens. Le principe qui a dicté les autres n’est
que la conséquence de la protection que, dans un intérêt
relatif, le législateur a voulu assurer, dans de certaines
limites, à tel ou tel droit privé dont il a cru devoir sur
veiller l’exercice.
�ET DE LA FRAUDE.
383
1 2 9 2 . — Ces dernières constituent une faveur à la
quelle peut renoncer celui que la loi appelle à en jouir.
Dès lors, si la fraude est dirigée contre l’une d’elles, la
partie n’est pas recevable à la prouver par témoins. Cette
fraude n’est qu’une renonciation tacite à un bénéfice
qu’on pourrait expressément répudier, et rien ne défend
de faire d’une manière indirecte , ce qu’on a la faculté
de faire directement.
Ainsi, nous avons vu que l’acte onéreux, déguisan,
une libéralité, était maintenu, malgré qu’il n’offre pas,
dans sa confection, les formes prescrites pour la dona
tion. Cependant, pour celle-ci, l’exécution de ces formes
est ordonnée à peine de nullité. Mais cette nullité est
surtout dans l’intérêt privé du donateur, il a donc pu y
renoncer, et c’est ce qu’il a fait en choisissant un autre
mode de disposition. A quel titre prétendrait-il, tardive
ment et après coup revendiquer un bénéfice qu’il a vo
lontairement répudié? Il n’a pas voulu suivre le conseil
que la loi lui donnait, il n’a plus qu’à subir les consé
quences de ce qu’il a librement et volontairement exécuté:
Invitonon datur beneficium.
1293. — Mais la même indifférence n’est plus pos
sible, lorsque la prohibition éludée est d’ordre public.
Son caractère général, non moins que les conséquences
de son inexécution, protestent sans cesse contre sa vio
lation. Qu’arriverait-il si on tolérait qu’un débiteur pût
éluder la prohibition de se soumettre à la contrainte par
corps, hors des cas déterminés; si lesbiens arrachés par
�384
TRAITÉ DU DOL
le médecin ou le confesseur, par des donations sous for
me de contrat à titre onéreux, devaient leur appartenir
irrévocablement, ou bien encore si, à l’aide d’un dégui
sement, le père de famille pouvait impunément et sans
retour subir les conséquences d’une spoliation qu’il a
réalisée dans un moment d’entrainement et de colère?
Il y aurait là, sans doute, des intérêts privés fortement
compromis, mais l’intérêt général ne serait pas moins
froissé, et la plaie qui lui est faite doit autoriser un re
cours que celle subie par les premiers ne justifierait pas
suffisamment.
1 2 9 4 . — Ainsi, la fraude à une loi d’intérêt privé
est obligatoire pour celui qui a concouru à sa réalisa
tion. Il ne pourra en être relevé que par la preuve
écrite qu’il s’en sera procurée. La fraude contre une
loi d’ordre public peut toujours être prouvée par té
moins, et cette preuve, la partie elle-même peut l’invo
quer,
1 295. — C’est à l’aide ce cette distinction que doit
se résoudre une difficulté résultant des termes de l’art.
1131 du Code civil. Cet article, a-t-on dit, met sur la mê
me ligne le défaut de cause, la cause fausse et la causeillicile. Dès lors la partie, admise a prouver par témoins
l’existence de celle-ci, doit l’être à justifier, par le même
mode, celle des deux autres.
C’estjà prêter à l’art. 1131 une intention qui n’a ja
mais été dans la pensée du législateur. L’article 1131 ne
�ET DE LA I-’RALDE.
385
fait qu’une seule chose, il proclame, quant au résultat ,
une parfaite identité entre la cause illicite et la fausse
cause et l’absence de cause , c’est-à-dire que l’obliga
tion, nulle dans la première hypothèse , l’est également
dans les deux autres.
Mais, comment établira-t-on qu’il n’y a pas de cause,
ou que la cause énoncée n’est pas vraie ? La cause n’a
pas même besoin d’être exprimée , c’est ce qui résulte
de la disposition de l’art. 4132. Il faut donc admettre
que l’absence de cause dont s’occupe l’article précédent,
ne s’entend que du cas où le titre, énonçant une cause,
n’en a réellement aucune , parce que celle indiquée est
fausse et qu’il n’en existe pas d’autre comme, par exem
ple, dans la simulation absolue.
Mais , dans cette hypothèse , on se trouvera en pré
sence des articles 1319 et 1322. La foi due à l’acte ne
pourra être ébranlée tant que le créancier se retranchera
derrière ses expressions. Les allégations du débiteur se
ront donc évidemment sans objet, à moins qu’appuyées
sur une preuve littérale, elles ne justifient soit la faus
seté de la cause, soit l’absence de toute cause. Dans l’un
et l’autre cas , la preuve testimoniale est inadmissible
par application de l’art. 1341. S’il en était autrement,
il faudrait admettre qu’une vente, simulée en fraude des
droits des créanciers , pourrait être déclarée telle sur la
demande de l’auteur principal de la simulation , qui
pourrait la prouver par témoins. Or , le contraire est
universellement admis.
A in si,
en
m
p r in c ip e , la n u llité résu lta n t d e la fa u sse
�386
TRAITÉ DU DOL
cause ou du défaut de cause est toute dans l’intérêt privé
des parties. Cela admis, la simulation de la cause ren
dant le contrat régulier , fait disparaître le motif de la
nullité. L’auteur de cette simulation pouvait en éviter les
conséquences soit en ne pas la consentant, soit en se
faisant délivrer la preuve écrite de son existence. S’il a
manqué à ce devoir , il doit supporter les conséquences
de son imprudence et de sa légèreté. Suffisamment pré
venu de ces effets, il ne peut demander à la loi une pro
tection que l’exécution de Lses prescriptions lui aurait
assurée.
Il n’en est pas de même de la cause illicite. La loi ne
peut admettre que ce qui a pour objet d’éluder les pré
ceptes de la morale, l’exigence des bonnes mœurs ou les
dispositions d’ordre public, puisse jamais produire au
cun effet. La volonté contraire des parties ne pouvait,
dans aucun de ces cas, prévaloir contre ses prohibitions,
sur lesquelles nul n’a pu transiger. Tout ce qui a été fait
en sens contraire doit donc s’effacer et disparaître.
Or, comment atteindre à ce résultat si les parties ellesmêmes ne peuvent , se prévalant de ce caractère de la
fraude , en prouver l’existence même par témoins ? Ne
suffit-il pas, pour faire admettre le contraire, de consi
dérer que le résultat de cette doctrine conduirait infail
liblement à mettre la loi dans l’impuissance de réprimer
ce qu’elle condamne d’une manière formelle.
Ainsi, il y a identité dans les résultats, dans la cause
illicite, dans la fausse cause et dans le défaut de cause,
mais l’allégation de la première rend la preuve leslimo-
�ET DE LA FRAUDE.
387
niale admissible pour les parties elles - mêmes. L’exis
tence des deux dernières ne peut être établie que par la
preuve écrite , sauf les droits des tiers qui n’y ont pas
concouru.
1296.
— La preuve littérale résulterait , dans tous
les cas, de la contre-lettre souscrite par les parties. Mais
son existence ayant pour objet de favoriser la violation
de la loi, on a prétendu , dans certains cas , l’annuler
même à l’endroit des parties entre elles. C’est notamment
ce qu’on a prétendu pour les contre - lettres établissant
un supplément de prix dans les cas de vente.
C’est, en effet, ce qui résultait de la loi du 22 frimaire
an vu, dont l’art. 30 déclarait nulle et de nul effet, mê
me à l’égard des parties contractantes, toute contre-let
tre ayant pour objet urîfc augmentation du prix porté dans
un contrat de vente. Par application de cette disposition,
la Cour de cassation décidait, par arrêt du 10 janvier
1809, que la demande en supplément de prix, formée
par le vendeur et fondée sur une contre-lettre devait être
repoussée. Ainsi, on arrivait à ce singulier résultat que
la responsabilité de la fraude retombait tout entière sur
celui qui n’y avait aucun intérêt. En effet, la dissimulation
du prix ne pouvait avoir pour résultat que d’éluder le
droit d’enregistrement sur la partie non déclarée. Or, ce
droit étant à la charge de l’acquéreur, on peut sup
poser que la dissimulation était son fait plutôt que celui
du vendeur, et cependant on faisait perdre à celui-ci une
partie du juste prix, tandis que l’acquéreur, qui y avait
�trouvé d’abord l’avantage de ne payer aucun droit d’en
registrement, y trouvait encore celui de s’exonérer de la
dette légitime qu’il s’était imposée, et obtenait ainsi la
chose sans en payer le prix.
Ce résultat était inique et parut tel au rédacteur du
Code. Aussi a-t-il voulu le proscrire lorsque, s’occupant
des contres-lettres, il a édicté l’art. 1321. Aux termes de
sa disposition, les contre-lettres ne peuvent avoir effet
qu’entre les parties contractantes; elles n’en ont aucun
contre les tiers, seconde régie non moins juste, non moins
équitable que la première.
1297.
— Il semble qu’une disposition de ce genre
était de nature à empêcher, à l’avenir, toute controverse
sur l’applicabilité delà loi de frimaire an vu, il n’en a
rien été cependant. L’affirmative a été soutenue contrai
rement à l’opinion de MM. Delvincourt, Toullier, Duranton et Chardon, notamment par M. de Plasman,auteur
d’un traité spécial sur les contre-lettres.'
Cet auteur pense donc que les contre-lettres en ma
tière de vente sont encore régies par la loi de l’an v i i ,
que le Code civil n’a pas formellement abrogée. En l’état
du silence gardé à cet égard, cette loi spéciale, et toute
dans l’intérêt de l’État, n’a pas été atteinte. L’article 1321
ne règle que l’effet des contre-lettres en général, tandis
que l’art. 40 de la loi ne s'occupe que des contre-lettres
in specie, de celles qui ont pour objet d’augmenter le
�ET
DE
LA
FRAUDE.
389
prix contenu dans l’acte de vente. Or, dans le concours
d’une loi générale, et d’une autre spéciale, celle-ci doit
être préférée en vertu de la régie : Et illud potissimun
habelur quod ad speciem direclum est.
Il est donc impossible, continue M. de Plasman, de
soutenir, en principe strict de droit, que l’art. 1321
abroge une disposition avec laquelle il n’a pas un rap
port direct. Le principe qu’il consacre n’existait pas
sous l’ancienne jurisprudence. Alors, les contre-lettres
avaient effet, même à l’égard des tiers. Dès-lors, le lé
gislateur n ’a eu pour but, dans la loi nouvelle, que de
consacrer le principe que les contre-lettres ne doivent
produire effet qu’entre les parties contractantes seulement,
sans s’occuper, en aucune manière, des lois créées dans
l’intérêt du fisc, sans vouloir ni les approuver, ni les dé
truire.
1298.
— En fait, comme en droit, ces raisons man
quent de justesse et de portée.
En principe, les lois nouvelles détruisent les ancien
nes, en tout ce qu’elles ont d’inconciliable et de contrai
re. Ce principe admis, il faut rechercher quel était l’é
tat des choses au moment où le Code civil allait être pro
mulgué. Or, cet état des choses, M. de Plasman nous
l’indique lui-même, c’était: d’une part, la jurisprudence
ancienne permettant d’opposer aux tiers l’effet d’une
contre-lettre ; de l’autre, la loi de l’an vii déclarant cer
taines d’elles non-seulement non opposables aux tiers ,
mais encore sans effets entre les parties. Le Code a donc
�390
TRAITÉ DU DOL
trouvé les contre-lettres divisées en deux catégories bien
tranchées.
Supposez qu’il n’ait pas voulu admettre cette division
et qu’entendant les ranger toutes dans une même caté
gorie, il ait entendu leur faire produire à toutes le mê
me effet, comment aura-t-il procédé ? Évidemment pas
autrement que de les comprendre toutes, sans excep
tion, dans une disposition unique. Or c’est précisément
ce qu’a fait l’art. 1321 ; peut-on dès-lors douter de
ses intentions et des effets s’y rattachant? M. de Plasman avouera que sa seconde disposition, celle relative
aux tiers, s’applique aux contre-lettres en matière de
vente comme à toutes les autres. Pourquoi donc seraientelles exceptées de la règle tracée par la première dispo
sition ? Où s’arrêtera d’ailleurs cette exception purement
arbitraire? Après les contre-lettres en matière de vente,
viendront celles pour échange, pour donation, etc... Et,
d’exception en exception, la règle générale ne régira plus
rien.
Que dans le concours d’une loi générale avec une loi
spéciale, il faille recourir à celle-ci, nous l’admettons ,
mais peut-on contester à la première le droit d’abro
ger la seconde qui lui est antérieure. Or l’abrogation n’a
pas toujours besoin d’être formellement exprimée, elle
résulte énergiquement du caractère inconciliable des
deux dispositions. Or ce caractère fût-il jamais plus
énergique qu’entre le texte du Code et celui de la loi de
l’an vu.
11 suffirait donc de ce texte pour repousser l’opinion
�ET DE LA FRAUDE.
391
de M. de Plasraan. Que sera-ce donc lorsque, s’en réfé
rant à la discussion législative, on arrivera à ce résultat
que c’est surtout la loi de l’an vu que l’art. 1321 a voulu
atteindre. On va juger si notre proposition est le moins
du monde hasardée.
Le premier projet du code ne disait rien sur les contrelettres, et ce silence avait été imité par la commission.
Ce qui les signala à l’attention du législateur fut uneproposition de M. Duchàtel, demandant qu’on les proscrivit
d’une manière absolue. I/usage des contre-lettres, di
sait-il, tendant à déguiser les conventions, il en résulte
des fraudes contre les particuliers, et toujours contre le
trésor public.
« M. Régnault de St-Jean d’Angely dit qu’un juge
ment vient d’annuler une contre-lettre ajoutant au prix
d’une vente.
« M. Bignot de Préameneu soutient que les contre-let
tres ne doivent être annulées que lorsqu’elles sont frau
duleuses.
« M Berlier dit que la proposition de M. Duchàtel
lui paraît, dans sa généralité, propre à produire un mal
plus grand que celui qu’on a voulu éviter.
« Il a été, ajoute-t-il, au titre du mariage, pourvu au
sort des contre - lettres qui pouvaient y être relatives ,
et c’est en celte matière qu’il importait le plus de parer
aux abus , parce que c’est là qu’ils sont les plus fré
quents, principalement ceux qui touchent à la substance
du pacte.
�392
TRAITÉ DU D ot
« Mais, dans une foule d’autres contrais qui ont eu
lieu entre les hommes , ne serait-il pas souvent injuste
de ne considérer comme valable que l’acte authentique ,
en rejetant les modifications contenues dans la contrelettre? Ne serait-ce pas dénaturer les conventions ? Et le
législateur le doit-il, lors surtout qu’il peut y avoir des
contre-lettres qui n’aient point eu pour objet de déguiser
la convention primitive, mais d’en fixer le sens, ou d’en
réparer les omissions ?
« À la vérité , les contre-lettres ont souvent lieu pour
éluder ou pour affaiblir les droits dus au trésor public ;
mais c’est par des amendes, et non par la peine de nul
lité, que cette espèce de fraude peut être atteinte et pu
nie , dans aucun cas , le législateur ne peut mettre sa
volonté à la place de celle des parties pour augmenter
ou diminuer les obligations respectives qu’elles se sont
imposées.
« Le consul Cambacérès dit qu’il existe déjà une dis
position législative contre l’usage des contre-lettres Joi
du 7 frimaire an vu), mais elle ne lui semble pas juste,
ces actes doivent avoir tout leur effet entre les parties, il
suffit, pour en prévenir l’abus, de les soumettre au droit
d’enregistrement, lorsqu’ils sont produits.
« Tronchet observe qu’il faut en effet distinguer : une
contre-lettre doit être valable entre les parties , et nulle
«contre les tiers. O r , la régie de l’enregistrement est un
tiers par rapport à l’acte.' »
1 Procès-verbaux, séance du 2 frimaire an
h.
�ET DE LA FRAUDE.
393
Après quelques observations de M. Defermou, dans le
même sens, la proposition fut renvoyée à la section qui
proposa et fit adopter l’art. 1321 , tel qu’il est inscrit
dans le Code.
Eh bien I nous le demandons, peut-il exister le moin
dre doute sur la portée de ce texte et sur l’intention du
législateur. Est-il possible surtout de prétendre qu’il ait
voulu maintenir une législation que le consul Camba
cérès flétrissait comme injuste , et dont personne n’osa
prendre la défense ; nous pensons donc qu’il est inutile
d’insister, et que nous pouvons conclure avec toute cer
titude. L’art. 1321 a voulu surtout abroger la loi de fri
maire an v ii , et l’a formellement abrogée.
M. de Plasman trouve mauvais que M. Toullier ait
fait ressortir énergiquement l’immoralité du résultat con
sacré par une législation que Cambacérès appelait injus
te. Il reconnaît cependant qu’il est odieux qu’un acqué
reur, se jouant des promesses les plus solennelles, puisse
retenir la propriété sans en payer le prix réel et conve
nu. Mais ce qui est non moins immoral , ajoute-t-il ,
c’est de voir le vendeur et l’acquéreur s’entendre pour
tromper la loi et frauder le trésor public.
C’est donc surtout dans l’intérêt de celui-ci que M. de
Plasman se prononce pour la nullité absolue. Or, qu’on
nous permette de le dire, s’il y a un système qui puisse
préjudicier aux droits du fisc , c’est incontestablement
celui que soutient M. de Plasman. Quelles seront , en
effet , les conséquences de la nullité absolue ? Qu’on ne
fera plus de contre-lettres. C’est possible ! Mais la fraude»
�394
TRAITÉ DU DOL
qu’avec raison blâme M. de Plasma», se perpétuera tant
que les acquéreurs auront intérêt à payer le moindre
droit d’enregistrement possible , seulement on prendra
d’autres mesures pour assurer la fraude, telle par exem
ple, que le dépôt ou le payement comptant de la partie
du prix qu’on voudrait dissimuler ; e t , de tout cela , il
arrivera que le fisc n’entendra jamais parler de ce sup
plément et ne pourra jamais le soumettre à aucuns droits.
Combien Cambacérès entendait mieux les intérêts du
trésor public 1 Valider la contre-lettre , c’e st, en cas de
difficulté, en favoriser la production ; c’est même for
cer cette production en cas de contestation. La connais
sance acquise par cette production , le fisc pourra se
faire payer avec usure des droits dont on a voulu le
frustrer.
Ainsi, indépendamment de ce qu’il est contraire à la
loi, le système de M. de Plasman a le défaut de se placer
en opposition directe avec l’intérêt qu’il prétend proté
ger. Il est donc, sous l’un et l’autre rapport, complète
ment inadmissible.
1299.
— Cependant il a été consacré par deux a r
rêts de la Cour de cassation, des 13 fructidor an ii et 10
janvier 1809. Nous ne dirons rien du premier, car an
térieur à la promulgation de l’art. 1321, il demeure for
cément sans influence sur une question qui n ’a pu naî
tre que depuis cette promulgation.
Quant au second, rendu sous l’empire du Code, il a
jugé plutôt une question de non - rétroactivité qu’une
�ET DE LA FRAUDE.
395
difficulté se référant à son influence sur la législation
précédente. Il suffit , en effet, de faire remarquer que
l’arrêt dénoncé à sa censure avait statué sur une contrelettre antérieure au Code civil, qu’il avait pourtant va
lidée par application de l’art. 1321.
Aussi le pourvoi se fondait-il sur la violation de l’art.
40 de la loi de l’an vu , et pour fausse application de
l’art. 1321. Il est vrai qu’à l’appui de ce dernier mo
yen, le demandeur soutenait que la règle générale de l’art.
1321 n’avait pu abroger la loi spéciale à la matière.
Mais ce second moyen n’est pas même abordé par la
Cour de cassation , elle se borne à viser dans son arrêt
l’art. 40 de la loi de l’an vu, dont elle fait application.
Ce n’est que dans le sommaire de l’arrêtiste qu’on lit ces
mots : il n'a pas été dérogé àcette loipar l'art. 1321,
mais c’est là un principe que l’arrêt ne juge pas , par
l’excellente raison qu’il n’avait pas à le décider ; la seule
législation applicable était la loi de l’an yii , sous l’em
pire de laquelle la contre-lettre avait été créée.
Ce que la Cour n’a pas jugé en 1809, elle l’a décidé,
mais en sens contraire , le 10 janvier 1819 , et depuis
elle a persisté dans la jurisprudence dans laquelle la plu
part des Cours d’appel l’ont suivie.
Il existe encore un arrêt dont se prévaut M. de Plasman, c’est celui rendu par la Cour de Metz, le 17 fé
vrier 1819. Mais cet arrêt , qui n’est peut-être dû qu’à
la fausse interprétation donnée à celui de la Cour de cas
sation , du 10 janvier 1809 , ne saurait prévaloir, en
aucun cas, sur les raisons que nous avons exposées sur
�396
THAITÉ DU DOL
la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation , sur
celle que plusieurs autres Cours ont adoptée.'
1300.
— Ainsi, et en force de l’art. 4321, les conire—lettres étant obligatoires entre les parties, deviennent
la preuve littérale et décisive de la convention. C’est donc
conformément aux clauses qu’elles renferment que le
traité doit recevoir son exécution. Mais nous allons re
trouver ici les principes que nous rencontrions tout à
l’heure. La dérogation contenue dans la contre - lettre
n ’est valable qu’à la condition qu’elle n’aurait trait qu’à
un intérêt particulier et privé. Dans le cas où la contrelettre dérogerait à une loi d’ordre public ou d’intérêt gé
néral, son inefficacité serait absolue, même pour les par
ties entre elles.
1 5 0 !. — On sait que la loi de 1846 a permis aux
titulaires des offices de présenter un successeur à l’agré
ment de l’autorité, et de transmettre leur charge à titre
onéreux. Mais cette autorisation est subordonnée à l’ap
probation que doit recevoir le traité réglant les condi
tions et le prix de la transmission. Le but de cette ré
serve, que s’est faite le gouvernement, est de veiller à la
sincérité du traité et d’empêcher, dans un intérêt public,
toute exagération légèrement consentie , dont les suites
pouvaient être funestes en grevant trop fortement l’ave
nir du nouveau titulaire.
1
Dijon, 9 juillet 1818 ; — Aix, 21 févr. 1832 ; Cass , 15 déc. 183 2 ;
— Dalioz jeune, Dict. général, v° Enregistr., n° 2229.
�ET DE LA FRAUDE.
397
Cette disposition, dont la haute utilité , dont la pro
fonde sagesse n’a pas besoin d’être démontrée , né doit
pas être éludée, il importe que l’autorisation ne soit pas
une pure formalité, un vain enregistrement. Il fallait
donc prévoir les manœuvres auxquelles elle peut donner
lieu, et les réprimer sévèrement.
L’autorisation pouvant seule régulariser la cession, il
n’en fallait pas douter, on se mettra à même de l’obtenir
en évaluant dans le traité , l’office vendu , à son juste
prix, peut - être même un peu en - deçà. Mais l’intérêt
privé saura bien faire sa part, et un traité secret, stipu
lant un supplément de prix , offrira tous les inconvé
nients que l’on a voulu éviter par la communication for
cée du traité.
Voilà , nous ne dirons pas ce qui pourra se réaliser ,
mais ce qui s’est effectivement réalisé , ce qui se réalise
chaque jour, et les ruines éclatantes et scandaleuses qui
se sont succédées sont venues témoigner bien hautement
de l'incontestable utilité des précautions du législateur.
1 3 0 2.
— En présence de ces catastrophes, la juris
prudence a compris le devoir qu’elle avait à remplir.
Ramener les parties à la vérité, en proscrivant avec une
rigoureuse sévérité tout ce qui s’en écarte, tel est le but
qu’elle s’est proposée et vers lequel elle marche avec une
louable et noble persévérance.
Ainsi elle a annulé tous les traités secrets, en se fon
dant sur ce grand principe : que les conventions par les
quelles un supplément de prix est stipulé entre le ven-
�398
TRAITÉ DU DOl
deur el l’acheteur d’un office, en dehors du traité osten
sible soumis à l’approbation du ministre, sont essentiel
lement illicites et contraires à l’ordre public , comme
ayant pour objet de faire fraude aux. dispositions légis
latives réglant, dans un intérêt général , le mode et la
condition de la transmission des offices ; que , dès-lors,
de telles conventions ne peuvent engendrer aucune obli
gation ni civile ni naturelle.'
Ainsi, dans une cession d’office , il ne peut y avoir
d’autre prix que celui porté au traité soumis à l’appro
bation du gouvernement. De quelque manière qu’un
supplément de prix ait été stipulé , la convention est
nulle et sans effet.
Par application de cette règle, il a été jugé :
Que la contre - lettre qui attribue les débets au ven
deur, sans diminution du prix de l’office, tandis que le
traité ostensible comprend les débets, avec ou sans ven
tilation , dans le prix de l’office , est radicalement nul
le ; qu’en conséquence , dans le cas où le vendeur au
rait perçu les débets , il est tenu d’en rendre compte à
l’acheteur ; ’
Que la contre-lettre qui fixe au jour de la cession l’en
trée en jouissance, que le traité indique pour le jour de
la prestation du serment, est également nulle ; 3
Qu’il en est de même de la convention secrète portant
1 Cass., 16 mars 1849 ; — D. P., 49, 1, 294.
2 Cass., 8 janv 1 8 4 9 ;— D. P , 19, 1 12.
3 Cass., même jour,
�ET DE LA FRAUDE.
399
que la cession d’un office faite par un père à son fils ,
sous forme de démission pure et simple, a lieu, en réa
lité, à titre onéreux, moyennant un prix qui sera ulté
rieurement fixé. '
1303.
— M. Dalloz critique cet arrêt comme enle
vant la propriété aux pactes de famille, et accuse la Cour
de cassation d’avoir, par une sévérité outrée , dépassé
le but. Nous croyons, au contraire, que, quelque rigou
reuse qu’elle paraisse , cette décision est parfaitement
juridique, dictée qu’elle était par une déduction logique
du principe présidant à la transmission des offices. Ainsi
que le fait remarquer la Cour de cassation, la propriété
d’un office n’est pas une propriété ordinaire dont le ti
tulaire ait la libre disposition. La loi de 1816 ne lui
confère que la faculté de présenter un successeur, que le
gouvernement a toujours le droit de refuser ou d’admetIre. Or, l’exercice rationnel de ce droit est impossible si,
indépendamment de ce qui est relatif à la capacité et à
la moralité du nouveau titulaire , toutes les conditions
du traité ne sont pas fidèlement mises sous les yeux du
ministre.
La plus essentielle de toutes ces conditions , est évi
demment celle concernant le prix. Il importe que ce
prix soit dans de justes proportions avec la valeur réelle
de la charge ; que l’obligation de le payer soit de telle
nature que le débiteur puisse la remplir et faire face aux
�intérêts en résultant par les seules ressources de la char
ge elle-même et par les revenus légitimes dont elle est
susceptible. Il faut , en un mot , que l’engagement ne
soit pas tellement onéreux que la ruine et la déconfi
ture du nouveau titulaire puissent être entrevues dans
un temps plus ou moins prochain. Comment le gouver
nement veillera-t-il à tout cela , si le prix de la cession
n’est pas même fixé au moment où son approbation est
demandée ?
Il est d’ailleurs incontestable que, dans les traités or
dinaires , la clause que le prix sera ultérieurement fixé
ferait que l’agrément de l’autorité serait refusée, et ce
refus ne serait blâmé par personne. Pourquoi en seraitil autrement , lorsque c’est le père qui cède à son fils ?
Est - ce que, dans ce cas, la détermination du prix ne
peut pas être exagérée et hors de toute vérité ? Est - ce
que, ce cas se réalisant, le titulaire ne se trouvera-t-il
pas grevé d’une charge à laquelle les revenus légaux de
l’office pourront à peine suffire ? Sera-t-il moins tenté
qu’un autre de se procurer, par des moyens extra légaux,
les ressources dont il manquera ? Est-ce qu’enfin, et sui
vant l’intérêt du m om ent, la détermination du prix ne
sera pas le résultat de la collusion dans le but de priver
les créanciers , que le titulaire peut avoir, d’une partie
de l’actif sur la foi duquel ils ont traité? Si tout cela est
réellement à redouter, pourquoi se départir d’une sur
veillance nécessaire pour obvier à tous ces inconvénients?
On ne saurait en donner une raison plausible, et la va
lidité d’une contre-lettre, dans ce cas, ne serait qu’une
faveur accordée au mensonge et â la ruse.
�■jET DE LA FRAUDE.
Que le père et le fils aient trompé le gouvernement, c’est
incontestable. L’apparence d’une démission pure et sim
ple, devant en quelque sorte être suivie de l’approbation
évite ainsi tout contrôle efficace. Faudrait-il les récom
penser de la simulation qu’ils se sont permise? Le pacte
de famille ne saurait être pour le gouvernement une
raison d’aliéner sa mission d’ordre public et d’intérêt
général. En quoi, d’ailleurs, l’existence de ce pacte ré
pugne-t-il à la détermination actuelle d’un prix. C’est
surtout ce prix qu’il importe à la famille elle-même de
connaître, et, puisqu’on doit le fixer ultérieurement, on
ne peut expliquer le défaut de fixation actuelle que par
l’intention bien arrêtée de se soustraire au-contrôle de
qui de droit. Favoriser cette intention , 'ce ne serait pas
autre chose que récompenser et encourager la fraude.
En la proscrivant, l’arrêt de la Cour de cassation n’a
donc fait qu’un acte de morale et de justice.
Ainsi toute contre-lettre, quels qu’en soient les signa
taires, fût-elle de père à fils , reste frappée d ’une nullité
radicale, dès qu’elle modifie ou abroge, dans une partie
quelconque , le traité soumis d’office à la chancellerie.
Cette règle ne comporte aucune exception, mais elle se
rait évidemment non applicable à la contre-lettre expli
quant le sens et la portée des clauses du traité public ,
sans les modifier. Ainsi , il a été jugé que , lorsque les
conditions de la vente d’un office ont été arrêtées avant
que le cessionnaire eût l’âge requis, au moyen d’un traité
demeuré secret, mais qui ne diffère du traité soumis plus
tard à la chancellerie que par des clauses transitaires
ni
26
!
■i i »
' T
�402
TRAITÉ DU DOL
devenues sans objet, ce traité est suffisant pour confé
rer au cédant le privilège du vendeur et à l’autoriser à
en transmettre le bénéfice par voie de subrogation , en
vertu de cet acte , au tiers qui l’a payé après la nomi
nation du cessionnaire.'
1304.
— La jurisprudence qui proscrit toute déro
gation au traité public , jurisprudence dans laquelle la
Cour de cassation persiste avec une inflexible fermeté ,
amenait, comme conséquence inévitable, à consacrer le
droit de répéter les sommes payées à titre de supplé
ment de prix, soit au moment du contrat, soit avant,
soit après. En effet , considérer ces payements comme
légitimement acquis, c’était rendre complètement illu
soire la nullité des contre - lettres , qu’on eût dès - lors
délaissées, en prenant un moyen plus sûr pour faire
réussir les desseins que ces contre-lettres faisaient vai
nement entrevoir. Ce moyen était naturellement indiqué.
On aurait exigé le payement actuel et comptant du sup
plément du prix , ou la remise de valeurs négociables ,
jusqu’à due concurrence.
La seule précaution efficace contre cette fraude si fa
cile , était de considérer comme nuis ces payements ou
remises , et cette précaution était indispensable pour as
surer le but qu’on se proposait d’atteindre par la nullité
absolue des contre-lettres. En effet, chassée d’un côté, la
fraude serait largement revenue de l’autre, et les incon1 Orléans, 31 janvier 1846 ; — D. P., 47, 2, 101.
�KT DE LA FRAUDE.
403
vénients prévus, loin de s’affaiblir, ne pouvaient manquer
de s’aggraver. C’est ce que la jurisprudence a compris ,
c’est ce qu’elle a voulu prévenir par la nullité de la
contre-lettre verbale, comme de la contre-lettre écrite, et
par l’admission du droit de répétition de ce qui a été
payé en vertu de l’une ou de l’autre.
I30!>. — La sagesse de cette solution a été mécon
nue et son caractère juridique contesté. Mais l’une et
l’autre peuvent facilement être justifiés. Sans doute il est
des obligations que la loi permet de faire annuler, et qui
sont cependant dans le cas de créer un lien naturel.
Mais il faut distinguer ce que la loi permet de ce qu’elle
ordonne , parce que de la diversité de ce caractère dé
coulent des conséquences bien différentes.
Ainsi les obligations annulables ou rescindables ont
une existence légale tant que leur nullité ou leur resci
sion n’a été ni demandée ni obtenue. Le droit de la faire
consacrer est reconnu par la loi , mais elle n’en prescrit
aucunement l’exercice , qu’elle laisse au libre arbitrage
de la partie lésée.
Dès lors l’exécution à laquelle se livre cette partie, au
moment même où elle pouvait poursuivre la nullité, est
un acte spontané et libre qui non - seulement engendre
une obligation naturelle , mais qui , pouvant constituer
une ratification, est susceptible de donner au contrat le
lien légal et obligatoire dont il manquait jusque-lù.
Il ne saurait en être de même pour l’obligation illi
cite. Sa nullité n’a pas besoin d’être ordonnée, elle existe
�404
TRAITÉ DU DOL
de plein d ro it, il n’y a jamais eu d’obligation , aucune
possibilité de l’exécuter , et moins encore de lui donner
aucune valeur légale par une ratification, fùt-elle expres
sément consentie. Il y a même p lu s, personne ne pou
vant faire ce que la loi prohibe formellement , l’exécu
tion d’une obligation contractée contre cette prohibition
est elle-même illégale et nulle, et dès-lors incapable de
produire aucun effet.
Ainsi les pactes sur succession future, les sociétés de
délits, les contrats usuraires, les stipulations illégales de
contrainte par corps, en un m ot, tout ce qui est de na
ture à porter atteinte à une prohibition formelle, édictée
dans l’intérêt des mœurs, de l’ordre public, de la sécu
rité de l’Etat, n ’a jamais eu une existence réelle, suscep
tible de créer un lien moral quelconque. La violation de
la lo i, qui proteste contre le pacte, proteste contre son
exécution qu’on ne pourrait dès lors tolérer , et moins
encore indirectement valider , sans méconnaître la vo
lonté expresse du législateur.
La différence entre la nullité radicale et de plein droit
et celle que la loi n’a consacrée que par des considéra
tions particulières ne pouvait être méconnue. Aussi n’estce pas sur celle-ci qu’on a insisté. Mais il existe une
nullité d’ordre public à laquelle la.loi a attaché une obli
gation naturelle : ainsi les dettes de jeu librement et
spontanément payées ne sont pas répétibles. S’emparant
de cet exemple , on s’est écrié : vous voyez donc bien
qu’une obligation naturelle peut être produite par les
nullités radicales elles-mêmes.
�KT DE LA FRAUDE.
405
Mais ce qui enlève à cette objection toute force et toute
portée, c’est précisément la disposition de l’art. 1967.
Le législateur ne s’est pas dissimulé qu’en principe le
jeu ne pouvait engendrer même une obligation naturel
le ; qu’en conséquence, le payement de ce qui avait été
perdu ouvrait l’action en répétition. Mais par des consi
dérations que nous n’avons pas à apprécier, pour rendre
hommage à nos mœurs peut-être, il n’a pas cru devoir
autoriser cette répétition. Il s’en est donc formellement
et spécialement expliqué. Ainsi, si la dette de jeu, volon
tairement payée, n’est pas répétible, c’est par exception
au principe général ; si cette exception est admise, c’est
qu’elle est écrite en toutes lettres dans la loi. Qu’on nous
montre donc qu’il en est de même pour le supplément
de prix d’un office, et nous nous avouerons immédiate
ment vaincu.
Ainsi l’objection tirée de l’art. 1967 , loin d’atténuer
la rigueur du principe , ne fait que le confirmer. Pour
que la nullité radicale et d’ordre public crée une obli
gation naturelle, il faut une exception formellement pré
vue. Cette exception n’existant pas, le principe continue
à exercer tout son empire.
Maintenant, dans quelle catégorie faut-il placer la nul
lité de la contre-lettre, en matière de cession d’office ?
Cette question ne peut être douteuse. Cette nullité ne re
connaît d’autre motif que l’intérêt général et public. Elle
est donc radicale, absolue ; elle ne peut dès - lors pro
duire une obligation, même morale.
�406
TRAITÉ DU DOL
1306. — Mais, a t-on dit, la loi do 1816 n’a nulle
part proscrit les contre lettres , on ajoute donc à la loi
lorsque non-seulement on les annule, mais surtout lors
qu’on permet de répéter ce qui a été payé à ce titre.
Sans doute le législateur de 1816 n’a pas employé
cette locution : toute contre-lettre est défendue, mais une
pensée conforme s’induit clairement de la loi.
La cession de l’office n’est qu’une faculté qui ne peut
être exercée que sous la condition formelle de l’appro
bation du gouvernement. Cette approbation, qu’un inté
rêt général a fait prescrire, ne peut être que le résultat
d’une appréciation éclairée et loyale des conditions du
marché. Elle ne sera accordée que si le ministre est con
vaincu : 1° que la charge sera honnêtement exercée ; 2J
que l’acheteur ne s’impose pas de charges trop lourdes ;
3* que, renfermé dans son état, il y trouvera, en en res
pectant les limites , en en pratiquant les devoirs, une
suffisante existence. Pour que cette conviction se forme,
il faut de toute nécessité que le traité qui en forme les
éléments essentiels soit sincère , surtout en ce qui con
cerne le prix. Q’importe, en effet, la capacité , du suc
cesseur désigné si , d’avance , l’énormité des engage
ments qu’on lui a fait secrètement consentir le réduit
à trouver un complément de ressources dans l’agiotage,
dans la spéculation, elle destine fatalement, en quelque
sorte, à finir dans l’abime où il plongera de nombreu
ses victimes.
Si le but indiqué est bien celui que s’est proposé le
législateur de 1816, est-il possible de nier qu’il ait en-
�ET DE LA FRAUDE.
407
tendu proscrire tout ce qui tendrait à lui enlever son
véritable caractère et son utilité. La contre-lettre dissi
mulant une partie du prix , ne peut que déterminer ce
résultat. Elle se trouve donc nécessairement atteinte par
cette proscription.
Ainsi, pour se conformer à l’intention du législateur
de 1816, la jurisprudence devait nécessairement aboutir
à ces deux termes : d’une part, nullité radicale de toute
contre-lettre ayant pour objet de modifier ou de déro
ger aux clauses et conditions du traité public communi
qué à la chancellerie ; de l’autre, faculté de répéter tout
ce qui aurait été payé ou donné à titre de supplément
de p rix , au moment du traité, avant ou depuis. C’est
ainsi, au reste, que les Cours et Tribunaux l’admettent
aujourd’hui.
1307. — De cette jurisprudence il suit : que le traité
secret ne pouvant être ratifié ni expressément ni tacite
ment , l’exécution qui lui aurait été donnée ne créerait
aucune fin de non-recevoir, soit contre l’action en nul
lité , soit contre celle en restitution ou imputation des
sommes illégalement perçues en vertu du traité secret. Il
en serait de même de la transaction dont ce traité secret
aurait été l’objet, si, tout en réduisant le supplément du
prix secrètement stipulé, elle l’avait cependant consacré
en partie. Il ne saurait y avoirde transaction valable que
celle qui ramènerait les parties à l’exécution pure et sim
ple du traité public. Tout ce qui irait au-delà serait at
teint de la nullité viciant le traité secret lui-même, et, en
�TRAITÉ DU DOl
conséquence, resterait non seulement sans effet, mais ne
saurait même échapper à l’action en restitution.
1 508. — L’action en nullité et celle en restitution
( i n
conféréeau débiteur principal appartiennent à la caution.
En principe, ce qui est nul comme illicite ne saurait de
venir la matière d’un cautionnement légal et obligatoire.
Celui qui l’aurait fourni serait donc recevable à en faire
prononcer l’invalidité.
Pourrait-il, après avoir payé, demander la restitution
ou tout au moins l’imputation jusqu’à concurrence sur
le prix du. traité primitif qu’il aurait également cautionné? L’affirmative n’est pas douteuse et résulte du droit
de répétition reconnu au débiteur. Ce qui vicie l’engage
ment de celui-ci vicie également celui de la caution. Les
conséquences de ce vice ne pourraient donc varier dans
leur application à l’un ou à l’autre.
1 509. — Le cessionnaire de l’office, fondé à oppo
ser au cédant la nullité du traité secret , pourrait-il
également l’opposer pour se dispenser de rembour
ser le supplément du prix qu’un tiers aurait payé pour
lui?
Il nous semble que cette question doit se résoudre
par le principe admis par la Cour de cassation en ma
tière de jeu.‘.Si le tiers a connu le traité secret, s’il y a
coopéHê comme intermédiaire ou mandataire, il a as-
�ET DE LA FRAUDE.
409
sumé volontairement les chances de la subrogation aux
droits du vendeur; résultant du payement, ce droit res
te en ses mains ce qu’il était entre celles du cédant
lui-même. Les objections opposables à celui-ci pour
ront d.onc lui être opposées, alors même que le titu
laire de l’office eût consenti au payement et à la subro
gation.
»
Si le tiers a payé de bonne foi, s’il s’est borné à prê
ter son argent, le droit d’en obtenir son remboursement
ne saurait être sérieusement contesté parle débiteur, ac
quéreur de l’office. La destination qu’il aurait donnée à
la somme empruntée ne saurait être opposée au prêteur,
qui n’avait pas même à s’en occuper, et encore moins à
s’en enquérir.
1310. — Une autre conséquence de la jurispruden
ce que nous avons indiquée, est de rendre la preuve tes
timoniale admissible pour établir soit qu’une somme
quelconque a été payée au moment et en dehors du
traité, à titre de supplément de prix, soit que les valeurs
dont on réclame le payement n’ont pas d’autre cause.
Sans la preuve testimoniale, la répétition autorisée ne
saurait avoir lieu, car, en l’état de ce danger, le ven
deur se gardera bien de donner une preuve écrite du
payement et de ses causes, non plus que de celle des
effets qu’il a fait souscrire. Cette admissibilité, d’ailleurs,
se justifie parfaitement par les principes ordinaires. Ain
si que nous venons de le voir, la fraude contre une loi
d’ordre public peut toujours être invoquée par la partie
�410
TRAITÉ DU DOT
prouvée par témoins. Or, tel est évidemment^ caractè
re de celle ayant pour objet de percevoir un supplément
de prix dans la vente d’un office.
Pt
1 3 1 1 . — L’action en nullité du traité secret et celle
en restitution ne se prescrivent que par trente ans, cela
n ’a pas cependant laissé que de soulever des difficultés.
Dans un cas comme dans l’autre, a-t-o n dit, l’objet
principal du litige, c’est la nullité de la contre-lettre.
Dès-lors, et en vertu de l’art. 1304, il faut admettre que
le silence prolongé pendant plus de dix ans, ayant éteint
l’action en nullité, a également anéanti la faculté derépéter ce qui a été indûment payé.'
Cette doctrine a le tort d’appliquer aux actes nuis de
plein droit une règle seulement applicable aux contrats
annulables ou rescindables. L’article 1304 ne s’occupe
que de ces derniers, et la prescription qu’il consacre
n’est que la conséquence de leur caractère. Nous l’a
vons déjà d it, ces actes ne sont qu’infestés d’un vice
purement relatif, que la loi permet à la partie intéressée
de couvrir par une ratification expresse ou tacite. Elle
considère le silence de plus de dix ans comme consti
tuant cettedernière étayant par conséquent donné à l’ac
te toute légalité. Aussi en ordonne-t-elle l’exécution pour
l’avenir.
Rien, au contraire, ne peut valider l’acte nul comme
contraire à la loi, à l’ordre public, à l’intérêt général.
1 Toullier, tom vu, n° 599 ;— Delvincourt, tom 11, n° 598.
�ET DE LA FRAUDE.
On n’acquierl pas le droit de violer la loi par cela seul
qu’on l’a violée plus ou moins longtemps. L’acte qui ne
peut être expressément ratifié , ne peut l’être tacite
ment, fût-ce même par un silence s’étant prolongé audelà de dix ans. La seule prescription qui puisse , non
pas en faire admettre l’exécution , mais lui acquérir le
pardon du passé, est celle qui ne permet pas de l’atta
quer, parce qu’elle anéantit toutes les actions, tant réel
les que personnelles, c’est-à-dire la prescription trentenaire.
Ce système, qui a l’adhésion d’une foule d’auteurs
graves,' consacré par un arrêt de Bordeaux, du 20 août
1828, a été depuis sanctionné par la Cour de Paris, le
5 décembre 1846, et par le Cour de cassation, le 3 jan
vier 1849.’
1 5 1 2 . — L’inaliénabilité du fonds dotal date déjà
de fort loin. Dans l’origine, le mari, maître de la dot,
pouvait en disposer et l’aliéner, même sans le con
cours de la femme. La loi Julia de adultérin vint meltre
un terme à cette faculté ; elle défendit toute aliénation
invita uxore.
Cette prohibition, faite au mari, fut étendue à la fem
me par Justinien. Désormais le fonds dotal devint ina-
1 Merlin, H ep ., v° r a tif ic a tio n ; — Duranton , tom. xn , n» 823 ; —
Troplong, de l a v e n t e , n» 249 ; — Marcadé , E lé m e n ts d u d r o i t c i v i l ,
art. 1304 ; — Zacchariæ, tom. il, p. 440,
2 D. P., 32, 2, 377; 47, 2, 4; 49, 1, 139.
�412
TRAITÉ DU DDL
liénable , aucun des époux ne pouvant en disposer
pendant le mariage , soit conjoinctement, soit séparé
ment.
Cette prohibition a-t-elle créé ce meilleur état des
choses que se promettait Justinien? Est-elle une amé
lioration ou un inconvénient? Nous ne voulons pas en
trer dans cette vieille querelle entre le droit coutumier
et le droit écrit , ce qui nous entraînerait au-delà de
notre sujet. Disons seulement que cette inaliénabilité
absolue a créé et crée encore de biens graves embarras
et de bien nombreux obstacles au développement de
la prospérité de certaines familles , et que s i , sous le
point de vue personnel à la femme , elle a des avanta
ges, ces avantages nesoritsouvent acquis que par des mo
yens souverainement iniques, au point de vue purement
moral.
Quoi qu’il en soit, cette inaliénabilité se trouvant con
sacrée parle Code civil, il nous faut l’examiner au re
gard des fraudes que la loi peut inspirer, en rechercher
le caractère, en détruire les effets par rapport aux tiers ,
par rapport aux époux eux-mêmes.
1315. — Les lois réglant l’inaliénabilité du fonds
dotal constituent un statut réel. Les époux sont pendant
le mariage même, capables de disposer, seulement le fonds
dota! demeure indisponible en leurs mains. La prétention
contraire a été soutenue, et ceux qui voyaient dans ces
lois un statut personnel ontinvoqué la place que Justinien
à donnée à la prohibition. C'est dans ses Inslitules, et
�RT DE LA. FRAUDE.
précisément sous le titre intitulé : Quibus alienare licet,
vel non, qu’il l’a placée. Donc, la prohibition crée, ellemême, une incapacité personnelle. C’est là une erreur
que nous démontrerons en nous occupant de la question
de savoir si la vente du fonds dotal peut être ou non
valablement cautionnée.
Donc. la prohibition d’aliéner la dot s’applique aux
biens et non à la personne, et ses fondements étaient,
en droit romain, considérés comme d’intérêt général, la
conservation de la dot devant rendre un second mariage
plus facile et contribuer ainsi à augmenter la population:
Interest Reipublicœ mulierum dotes salvas esse, quibus
nubere possunt.
Le droit français s’est beaucoup moins préoccupé
des secondes noces que de l’intérêt de la femme et de
celui des enfants. La dot est un minimun de fortune que
la loi a voulu leur conserver malgré le naufrage au mi
lieu duquel peuvent périr toutes les autres ressources
du ménage. Mais cette manière d’entendre le droit ne
lui enlève rien de son caractère public, l’intérêt général
des familles ne cesse pas de se recommander à la faveur
de la loi
1 3 1 4 . — Il importe cependant de remarquer que,
quoique d’ordre public, quoique existant ipso jure, c’està-dire qu’on doive l’obtenir indépendamment de toute
obligation de prouver soit une lésion, soit un préjudice,
la nullité de l’aliénation du fonds dotal n ’est pas abso
lue. Cela tient à cequel’ordre public n’y est que subsi-
�414
TRAITÉ DU DDL
diairement intéressé. L’intérêt principal est celui de la
femme et des enfants: Primano spécial utilitatem privatam, et secundario publicam. Ce sont, dit Dunod, les
particuliers qui profitent de l’interdit, et sa prohibition
produit une nullitéqu’on appelle respective, parcequ’elle
n’est censée intéresser que celui en faveur de qui elle est
prononcée.'
Ces observations fixent le caractère de la nullité elles
conséquences de la fraude. La nullité est légale, c’est-àdire qu’elle est formellement prononcée par la loi. Mais,
tout en l’admettant, le législateur ne fait pas un devoir
de la faire prononcer, il s’en rapporte à la partie inté
ressée qui peut non-seulement ne pas la poursuivre, mais
encore la couvrir en ratifiant l’acte lorsque l’empêche
ment qui le fait prohiber a disparu. En d’autres termes,
la loi n’autorise pas, mais elle n’empêche pas non plus :
Nonassistit nec corroborât quod est autem respecta ejus
in cujus (avorem prohibitio facta est ; sed non resislit
absolute et semper
Ce caractère spécial de la nullité de la vente du fonds
dotal était admis par l’ancien droit;3 doit-on l’admettre
aujourd’hui encore?
L’affirmative vous parait résulter de la jurisprudence,
qui repousse l’action de l’acquéreur ayant sciemment
traité avec les époux ou l’un d’eux. Cette jurisprudence
1 D es P r e s c r ip tio n s , p. 48.
Dunod, i b id .
3 Dupérier, Questions notables, quest. 9, t. i, p. 56.
i
�ET JDE LA FRAUDE.
415
serait illogique si la nullité est absolue, car il est de l’es
sence de celle-ci de pouvoir être opposée par toutes les
parties. Si, dans l’espèce, on le décide autrement, si la
demande en nullité de l’acquéreur est repoussée par ap
plication de l’art. 1125, c’est qu’on admet qu’il ne s’a
git que d’une nullité relative.
L’affirmative résulte encore de la possibilité d’une ra
tification même tacite, dont l’effet est de donner à l’acte
toute la validité qu’il aurait eue s’il n’avait contrevenu
dans l’origine à une prescription légale et d’en assurer
l’exécution dans l’avenir. Or, nous l’avons déjà dit, la
nullité absolue, contre laquelle la loi résiste sans cesse ,
ne peut jamais sortir à effet, ne peut être ratifiée ni ex
pressément ni tacitement : l’action dont elle est la source
ne se prescrit que par trente ans. Conséquemment, s’il
en est autrement pour la nullité du fonds dotal, c’est que
cette nullité, reconnaissant une autre origine, obéit à des
principes différents.
Nous croyons donc que la nullité est aujourd’hui
ce qu’elle était autrefois , c’est-à-dire radicale et abso
lue pour ce qui concerne les époux et la famille ; pu
rement relative quant aux tiers ayant traité avec l’un
d’eux.
1 5 1 5 . — Il résulte de là que ces tiers ne peuvent
de leur chef l’invoquer ni la faire valoir, s’ils ont connu
la qualité de celui avec qui ils ont contracté. Nous dis
tinguerons cependant suivant qu’ils ont acheté du mari
ou de la fe m m e .
�416
TRAITÉ DU
DOL
Celui qui achète un bien déclaré appartenir à une
femme mariée, est mis immédiatement eu demeure de
prendre toutes les précautions possibles pour s’assurer
si le bien qu’il achète est ou non grevé de dotalité. S’il
néglige de le faire, le contrat devient irrévocable pour lui
sans qu’il puisse prétendre avoir été dans l’ignorance
sur le vice de l’objet vendu. Nous le répétons, ce vice,
la qualité de la femme mariée devait le lui faire pré
sumer, et s’il n’en a pas vérifié l’existence, il a commis
une faute des conséquences de laquelle il ne saurait être
relevé.
Si la vente a été consentie par le mari seu l, agissant
en son propre et privé n o m , comme propriétaire de ce
qu’il vend, l’acheteur n’a pas dû se douter même de la
dotalité dont cette chose est atteinte. Sans doute, il eût
dû exiger que le mari justifiât la propriété qu’il allé
guait, mais la bonne foi, qui est de l’essence de la vente,
empêche d’attacher une importance majeure à cette né
gligence , et l’acquéreur , en vertu même de cette bonne
foi , devrait être admis à poursuivre la nullité de la
vente lorsqu’il découvre la dotalité qu’il avait complète
ment ignorée.
Mais il n’en serait plus ainsi si le mari avait procédé
comme tel dans la vente, s’il avait pris la qualité d’admiiiislrateur de la dot ou celle de mandataire de sa fem
me. Dans ce cas, la propriété de la femme est suffisam
ment indiquée , et cette indication suffit pour soumettre
l’acquéreur à toutes les obligations de celui qui traite
directement avec une femme mariée. Il devait donc se
�ET DE LA FHAUDE.
faire représenter le contrat de mariage. La faute grave
qu’il a commise , en ne pas l’exigeant, le laisse sans
droits contre l’engagement qui en a été la conséquence.
A plus forte raison en serait-il ainsi si la vente avait été
faite par le mari et la femme conjointement.'
1 3 1 6 , — Ainsi l’acquéreur qui a , au moment de
l’achat, ignoré la dotalité de l’immeuble, est recevable,
après la découverte qu’il en fait plus tard , à poursuivre
la nullité du contrat, mais il ne peut exciper de cette
ignorance toutes les fois que la propriété lui a été dési
gnée comme appartenant à la femme. Cette indication ,
de plein droit existant, lorsque c’est la femme elle-même
quia vendu, résulte suffisamment soit de la qualité d’ad
ministrateur ou de mandataire prise par le m ari, soit
du concours donné par la femme au contrat.
1 3 1 7 . — Cependant la Cour de cassation a jugé , le
11 décembre 1815, que, même lorsque le mari a traité
seul et comme propriétaire de ce qu’il aliène , l’acqué
reur ne peut être admis à poursuivre la nullité du con
trat, et cela par application de l’art. 1125 du Code civil.’
Nous ne pouvons adopter la doctrine par trop sévère
de cet arrêt, et nous contestons la justesse de l’applica
tion de l’art. 1125. Que celui qui traite avec un inca
pable ne puisse se prévaloir plus tard de cette incapacité,
1 Duranton, t. xv, n° 528.
2 Sirey, 16,1, 161.
ni
�418
TRAITÉ DU DOL
cela se comprend ; mais celui qui a contracté avec un
capable, et qui a été trompé par lui sur la disponibilité
de la chose qu’il prétend lui appartenir , ne s’est pas
placé sous le coup de cet article, dont l’application doit
lui rester étrangère. Qu’on exige la représentation du con
trat de mariage, lorsqu’on dénonce l’existence des droits
de la femme, soit ; mais lorsque celui qui a vendu n’a
pas même indiqué sa qualité d’homme marié, l’exigen
ce n’est plus que souverainement déraisonnable. Au
fond , le mari , qui vend comme lui appartenant la
chose de sa femme, abuse étrangement des droits qui lui
sont conférés sur la dot et commet, en quelque sorte ,
une véritable fraude contre l’acheteur. Sous tous ces rap
ports, la Cour de cassation parait s’être écartée dans son
arrêt des véritables principes autant que des notions de
l’équité et de la justice.
C’est cependant la doctrine de l’arrêt de 1815 que le
répertoire du Journal du Palais préconise, et il indique
comme l’ayant de nouveau proclamée un arrêt du 24
décembre 1828, rendu par la Cour de Grenoble, et un
autre du 25 avril 1831, de la Cour de cassation.
La Cour de Grenoble décide bien en effet que l’ache
teur est non recevable à demander la nullité de la vente,
alors même qu’il a ignoré la dotalité de l’objet acquis ;
mais dans la note dont il fait suivre l’a rrê t, le Journal
du Palais lui reproche de consacrer une doctrine trop
générale , et enseigne qu’il faut distinguer , et que si la
fin de non-recevoir est juste lorsque l’acquéreur a connu
la dotalité, elle ne saurait être admise lorsqu’il a été in
duit en erreur et qu’il a ignoré cette dotalité.
�ET DE LA FRAUDE.
419
D’ailleurs ce qui a déterminé la Cour de Grenoble ,
c’est que le vendeur offrait de cautionner hypothécaire
ment le prix de la vente. C’est ce qu’explique ce motif
de l’arrêt :
« Attendu que le général D onna, en offrant caution
et hypothèque pour sûreté de la vente , a fait tout ce
que l’acquéreur du fonds dotal avait le droit d’exiger ,
dans le cas où il aurait ignoré la dotalité, puisque cette
espèce de vente n’étant pas d’une nullité absolue , l’ac
quéreur ne peut avoir qu’un juste sujet de craindre d’ê
tre évincé, et qu’aux termes de l’art. 1653, l’acquéreur
qui se trouve dans cette position ne peut se refuser à
payer le prix si le vendeur lui donne sûretés convena
bles. »
Qu’aurait fait la Cour si le vendeur n’avait voulu ni
pu donner ces sûretés ? Ne peut-on pas croire que l’ig
norance de la dotalité lui étant démontrée, elle eût an
nulé la vente ?
Quant à l’arrêt de la Cour de cassation , du 25 avril
1831, on ne peut le considérer camme ayant la signi
fication que l’arrêtiste lui donne. Dans l’espèce, l’igno
rance de la dotalité ne pouvait être et n’était pas même
alléguée.
En effet, les époux de la Blanche, mariés sous cons
titution générale de d o t, mais avec faculté d’aliéner les
immeubles dotaux, avaient conjointement et en vertu de
cette faculté , vendu au sieur de Meuloz divers immeu
bles qu’ils avaient acquis par suite d’un échange contre
des biens dotaux.
�420
TRAITÉ DU DDL
L’acquéreur demande la nullité de la vente, non pas
qu’il eût ignoré la dotalité , mais sur le motif que les
biens par lui acquis provenaient d’un échange. Or, di
sait-il, les époux de Blanche se sont bien réservés , par
leur contrat de mariage , la faculté d’aliéner les biens
dotaux , mais non pas celle de les échanger. Donc l’é
change est dans le cas d’être annulé, et cette nullité en
traînerait celle de la vente.
L’espèce offrait encore cette circonstance que les biens
donnés en dot dans le contrat de mariage , ne l’avaient
été qu’à la condition que la dame de la Blanche renon
cerait à la succession de sa mère. Or , ajoutait le de
mandeur, si cette condition venait à défaillir , les biens
rentreraient dans la succession de la donatrice.
Le Tribunal et la Cour de Lyon d’abord , la Cour de
cassation ensuite , répondent que la faculté d’aliéner
comprend, à fortiori, celle d’échanger ; que par con
séquent la légalité de l’échange mettait la vente des biens
en provenant à l’abri de toute attaque.
Que si la condition de renoncer à la succession venait
à défaillir, et qu’ainsi la constitution faite à la dame de
Blanche par sa mère se trouvait révoquée, cette révoca
tion ne pourrait, dans aucun c a s , amener l’éviction de
l’acheteur , parce que l’avantage fait dans le contrat de
mariage constituerait en réalité une donation en avan
cement d’hoirie ; que la vente de l’objet donné ayant eu
lieu , si des contestations s’élevaient à l’ouverture de la
succession de la donatrice, la dame de la Blanche ne se
rait tenue que de rapporter fictivement en moins prenant.
�ET DE LA FRAUDE.
421
Il n’y avait donc dans l’espèce ni ignorance de la dotalité, ni crainte d’éviction en présence de l’art. 860 G.
Nap ,pas même nullité delà vente, puisque le contratde
mariage l’autorisait. A quel titre donc l’eut-on annulée ?
Nous persistons à croire que la vente faite par le mari
seul et en son nom , et se taisant sur le caractère dotal
de l’immeuble aliéné, doit être annulée, et que cette nul
lité peut être invoquée par l’acheteur qui découvre le
vice dont son acquisition est entachée ; qu’enfin l’art.
1125 ne peut être invoqué que dans le cas d’acquisition
sciemment faite d’un bien dotal.
1318.
— Nous ajoutons que la vente faite par la fem
me, par le mari, ou par tous les deux conjointement,
qui ne serait que le résultat des manœuvres frauduleuses
auxquelles ils se seraient livrés, serait nulle, et quecetle
nullité serait opposable par l’acquéreur. Mais on ne sau
rait considérer comme manœuvre frauduleuse le défaut
de déclaration sur la dotalité du bien vendu,' les con
séquences du silence gardé à cet égard ne pouvant, dans
aucun cas, être autres que celles formellement indiquées
par l’art. 1560 du Code civil.
1 3 19 — Cet article dispose que l’aliénation du fonds
dotal pourra être révoquée sur la demande delà femme
ou de ses héritiers, après la dissolution du mariage ou
la séparation de biens, et pendant la durée du mariage
sur la demande du mari lui-même. Ainsi le législateur
1 Paris, 25 février 1833
�422
TRAITÉ DU DOL
ne s’arrête pas à la part plus ou moins grande que les
époux ont pris à la fraude qu’il s’agit de réprimer. Le
mari est recevable à l’attaquer , alors même que, trai
tant en son propre et privé nom , il a aliéné , comme
lui appartenant , le bien qu’il vient revendiquer com
me dotal ; ce droit exorbitant n’est que la conséquen
ce de ce que l’aliénation du fonds dotal, contra legum
inter dicta , crée au regard des époux et de la famille,
une nullité absolue que chacun d’eux peut dès-lors in
voquer.
1320. — Le mari peut donc poursuivre lui-même
la révocation de l’aliénation par lui consentie. Pendant
le mariage, c’est le mari qui a toutes les actions; lui seul
peut donc les exercer soit dans son intérêt propre, com
me devant percevoir les fruits de la dot, soit dans l’inté
rêt que la femme et les enfants ont à la conservation du
bien dotal.
L’exercice dece droit est-il dans le cas de venir échouer
devant des fins de non-recevoir puisées dans les actes
ou la conduite du mari ?
Le répertoire du Journal du Palais tient pour l’affir
mative et indique comme l’ayant consacrée trois arrêts :
l’un du 20 juin 1809, de la Cour de Nismes ; le second
du 17 décembre 1818, de la Cour de Toulouse; le troi
sième, du 27 juillet 1829, de la Cour de cassation."
Ces arrêts ont-ils en effet jugé que le mari était non-
1 V° Dol, nos 870 et suiv.
�ET DE LA FRAUDE.
423
recevable à poursuivre l’annulation de l’aliénation du
fonds dotal lorsqu’il a personnellement et solidairement
garanti sa validité ? Si oui , il est certain qu’ils auraient
singulièrement méconnu le texte et l’esprit de la loi.
La faculté pour le mari de faire annuler lui-même la
vente du fonds dotal qu’il a consentie, soit isolément ,
soit concurremment, souleva de vives objections dans le
sein du conseil d’Etat. Ce qui la fit inscrire dans la lo i,
c’est qu’en l’exerçant le mari agit non dans son propre
intérêt, mais dans celui de la femme et des enfants issus
du mariage. Est-il dès-lors possible d’admettre que l’en
gagement de garantir les effets de la vente que le mari
aurait contracté, pût faire maintenir cette vente pendant
la durée du mariage au grand préjudice de la famille ,
qu’on punirait ainsi des précautions exigées et prises
pour assurer le succès de la fraude dont elle est victime,
et qui devrait ainsi souffrir le préjudice dont la loi a
si expressément entendu la garantir ?
Il parait difficile de supposer que les Cours de Nîmes
et de Toulouse, que la Cour de cassation elle-même aient
pu si formellement se tromper sur le caractère et la
portée de l’art. 1560 C- Nap.
En fait elles ne méritent pas ce reproche, et l’examen
des arrêts qu’elles ont rendus, établit sans réplique
quelles n’ont voulu ni pu consacrer la doctrine qu’on
leur prête.
Dans chacune des espèces qu’elles ont successivement
appréciées, l’action était intentée non par le mari, mais
par ses héritiers qui agissaient en outre comme repré
sentant leur mère également défunte.
�424
TRAITÉ DU DOL
La Cour de Nîmes déclare l’action non-recevable, d’a
bord parce qu’en fait elle constate que le prix de la
vente avait servi à éteindre les dettes dont le fonds dotal
était légitimement grevé, ensuite parce que les deman
deurs, héritiers de leur père comme de leur mère, étaient
tenus de faire sortir à effet la garantie formellement pro
mise par celui-ci , et ne pouvaient dès lors poursuivre
une éviction qui devait nécessairement refluer contre
eux.
C’est dans la même hypothèse et également par appli
cation de la maxime : quem de evictione tenet actio ,
eumdem agentem repellit exceptio, que la Cour de Tou
louse refuse d’accueillir l’action en nullité d’enfants hé
ritiers de la mère et du père, et obligés en cette dernière
qualité à faire valoir la garantie donnée par ce dernier
à la vente du bien dotal.
Il y avait mieux encore dans l’espèce de l’arrêt de
la Cour de cassation , non-seulement le mari avait per
sonnellement garanti l’aliénation du bien d o ta l, mais
après la mort de la femme , il s’était réglé avec ses en
fants, et ceux-ci s'étaient obligés à le garantir de toutes
actions en recours qui pourraient être dirigées contre lui
à raison de ses engagements à faire valoir la vente du
bien dotal. En cet é ta t, la Cour de Metz avait déclaré
l’action non-recevable non-seulemen en vertu de la ma
xime quem de evictione..., mais encore parce que l’acte
intervenu entre le père et ses enfants était de la part de
ceux-ci une ratification de la vente du fonds dotal, ra
tification que la Cour de Metz induisait en outre des
�ET DE LA FRAUDE.
425
commandements de payer le prix , faits aux acquéreurs
par ces mêmes enfants héritiers de leur mère.
Cet arrêt fut dénoncé à la Cour de cassation comme
violant les art. 1560 et 1338 C. Nap. ; mais la Cour su
prême, et avec juste raison, rejette le pourvoi, attendu
sur la prétendue violation de l’art. 1560 , que les de
mandeurs étaient héritiers de leur père, lequel avait ga
ranti personnellement et solidairement les actes consen
tis par leur mère ; que l’arrêt attaqué a donc pu, sous
ce rapport, les déclarer non recevables dans leur action.
Toutes ces décisions sont inattaquables en droit ; mais
en conclure que de son vivant e t , constante m atrim onio , le mari qui a garanti l’aliénation du fonds dotal
est non-recevable à demander la nullité de celte aliéna
tion, c’est leur donner une signification qu’elles ne com
portent pas.
Nous ajoutons que dans chacune de ces espèces on
aurait pu opposer une autre fin de non-recevoir plus pé
remptoire encore. L’action que l’art. 1560 donne au
mari lui est exclusivement personnelle et s’éteint avec
lui. A. sa mort, en effet, nul autre que la femme ou ses
héritiers ne peut attaquer la vente du fonds dotal. Donc
les enfants issus du mariage, agissant en qualité d’héri
tiers de leur père , n’ont rien à demander du chef de
celui - ci. Ils ne peuvent quereller la vente que du chef
de leur mère , et comme en succédant à celle-ci ils ont
en même temps succédé aux obligations que leur père a
contracté à raison de cette vente , leur action en nullité
est réellement sans intérêtpour eux, puisque c’estsureux
que réjailliraient les conséquences de celte nullité.
�426
TRAITÉ DU DOL
Ainsi, tant que le mariage subsiste le droit du mari
est absolu ; il est recevable et fondé à l’exercer alors
même qu’il aurait personnellement et solidairement ga
ranti la vente. L’effet unique de cette garantie est de
l’obliger à des dommages-intérêts en faveur de l'ache
teur évincé.
L’acheteur peut-il prescrire contre le mari, tant que
dure le mariage ?
Un arrêt de la Cour de Toulouse du 28 juin 1819 a
jugé l’affirmative, il décide que le mari a perdu le droit
de poursuivre la nullité de la vente du fonds dotal, s’il
laisse écouler trente ans, depuis l’acte d’aliénation.
« Attendu, dit l’arrêt, que si la loi donne au mari le
droit de faire révoquer même pendant le mariage, l’a
liénation qu’il a faite du fonds dotal, elle n’a pas dé
claré cette action imprescriptible pendant la durée du
mariage; qu’il est même impossible de concevoir que
l’action du mari, à cet égard, ne soit pas sujette à pres
cription, puisque pouvant agir au gré de sa volonté, et
ayant le libre et entier exercice des actions dotales, il ne
peut pas comme la femme invoquer la maxime, contra
non voluntem agere non ouvrit prescriptio. »
Que la négligence, que la longue inaction du mari
nuise à son intérêt et anéantisse les droits qui lui sont
personnels, c’est ce qui ne saurait être contesté. Mais
l’action du mari en nullité du fonds dotal ne lui est en
rien personnelle; elle n’a sa cause sa raison d’être que
dans l’intérêt de la femme dans celui des enfants.
Comprendrait-on que cet intérêt put souffrir de la né-
�ET DE LA FRAUDE.
427
gligence volontaire ou involontaire du mari ? C’est cepen
dant cet intérêt qui serait atteint par la prescription si
celle-ci pouvait être admise.
Cependant qu’a-t-on à reprocher à la femme et aux
enfants ? Est-ce qu’ils ont pu agir pendant le mariage ;
ce sont eux cependant qu’on punirait, en prolongeant
leur détresse pendant un temps indéterminé? Le pourrait-on raisonablement si la négligence du mari était
concertée et intéressée, si elle était le résultat du mau
vais vouloir et de la haine ?
Ce que nous reprochons en outre à l’arrêt de Tou
louse, c’est d’admettre le mari à faire indirectement, ce
qu’il ne peut faire directement. Quoi le mari vend le
fonds dotal, il s’oblige à faire valoir la vente, et ces en
gagements formels et directs ne l’empêcheront pas de re
venir sur ce qu’il a fait? Est-ce dès-lors possibleque cet em
pêchement résulte de sa tolérance de son inaction quel
que prolongée qu’on la suppose.
Est-il vrai d’ailleurs que la loi n’ait pas déclaré l’ac
tion du mari imprescriptible, pendant la durée du ma
riage? Mais l’art. 1560 consacre formellement cette im
prescriptibilité ; il est vrai que sa disposition à ce sujet
ne parle que de la femme ou de ses héritiers, mais elle
reconnaît immédiatement le droit du mari, et il est évi
dent que l’action qu’elle lui accorde étant la même que
celle donnée à la femme, ou à ses héritiers, participe de
la nature et du caractère de celle-ci. Elle est donc né
cessairement imprescriptible comme elle.
Nous persistons donc dans la conclusion que nous in-
�428
TRAITÉ DO D O l
diquions tout-à-l’heure : pendant la durée du mariage
le droit du mari est absolu, et son exercice ne saurait
rencontrer de fin de non-recevoir d’aucun genre.
Le mariage dissous, le mari est obligé de restituer la
dot dont la prospérité est transférée aux héritiers de la
femme; toute action l’intéressant ne peut donc plus ap
partenir qu’aux héritiers eux-mêmes : le mari n’aurait
conséquemment plus aucune qualité pour révoquer l’a
liénation du bien dotal que les héritiers respecteront peutêtre. La séparation de bien prononcée produit sur la re
cevabilité de l’action du mari le même effet que la disso
lution. La femme recevant l’administration et la jouissance
de la dot, a désormais seule qualité pour toutes les actions
s’y référant.
1321. — Le mari, héritier de sa femme, pourra-t-il,
en cette qualité, demander après le mariage, la révoca
tion de l’aliénation du bien dotal qu’il a consentie pen
dant sa durée ?
1322. — M. Bellot1 distingue le cas où l’acqué
reur a ignoré la dotalité, et celui où il en a eu con
naissance. Il pense que, repoussée dans le premier, la de
mande du mari héritier devrait être accueillie dans le
second.
Cette distinction et ses conséquences sont critiquées
par M. Dalloz. La bonne ou la mauvaise foi de l’acqué-
�ET DE LA FRAUDE.
reur, dit ce jurisconsulte, doit être vérifiée pour savoir
si, en cas de revendication, le mari doit ou non être
condamné à des dommages-intérêts, mais cette circons
tance est indifférente pour la décision de la question de
savoir si, dans l’espèce, le mari peut revendiquer. Or,
il n’a pas lui-même le droit de demander l’annulation
de la vente du fonds dotal après la dissolution du ma
riage ; il est vrai que, dans l’espèce le mari a succédé
aux droits de la femme qui aurait pu faire prononcer la
nullité ; mais cette qualité d’héritier ne peut effacer en
lui sa qualité de vendeur. On doit donc , dans tous les
c a s, lui appliquer la règle quem de evictione tenet actio eumdem agentem repellit exceplio.'
1323.
- L'erreur de M. Dalloz se dissimule à peine
derrière l’évidente faiblesse des raisons qu’il invoque.
Sans doute le mari ne peut plus, après le mariage dis
sous , poursuivre la révocation de l’aliénation du bien
dotal, nous en avons donné le motif, c’est qu’il est dé
sormais étranger à tout ce qui concerne la dot ; mais de
ce qu’il ne peut agir comme mari , s’ensuit-il qu’il ne
puisse le faire en une autre qualité? Pourrait-on , par
exemple, le déclarer non-recevable s’il poursuivait celte
révocation en qualité de tuteur de ses enfants, héritiers
de leur mère ? Pourquoi donc ne le serait - il pas lors
que, héritier lui-même, il exerce les droits personnels à
celle qu’il représente ?
�430
TRAITÉ DU DOL
Parce que, dit M. Dalloz, la qualité d’héritier ne peut
effacer celle de vendeur. Mais est-ce que cette dernière
est un obstacle même pour le mari? Il n’y a à cet égard
qu’à lire l’art. 1560 pour être convaincu du contraire.
La qualité de vendeur ne suffit même pas pour qu’on
soit tenu de l’éviction ; pour que cette obligation pût être
imposée au m a ri, il faudrait de toute nécessité que le
caractère de dotalité eût été caché à l’acquéreur. Alors,
en effet , et seulement alors , le mari est passible de
dommages - intérêts , c’est ce que porte textuellement
l’art. 1560.
Si la dotalité a été déclarée, si par la qualité des par
ties au contrat elle a été connue de l’acquéreur, le mari
ne doit ni garantie, ni dommages-intérêts. On ne pour
rait donc lui opposer, sous aucun prétexte, la maxime
invoquée par M. Dalloz : Quem de eviclione tenet actio, eumdem agentem repellit exceptio. On ne pour
rait en exciper que si des dommages-intérêts étaient dus
par lui.
Il faut donc en revenir à la distinction conseillée par
M. Bellot : Si la dotalité a été dissimulée , le mari est
responsable, tenu d’indemniser l’acheteur. S’il vient, en
l’état de cette obligation, faire révoquer l’acte en qualité
d’héritier de sa femme, on lui opposera avec succès que
sa demande n’est pas recevable. L’action pouvant l’at
teindre, l’exception devient péremptoire.
Si l’acquéreur a connu la dotalité , il s’est constitué
en état de mauvaise foi, il n’a dès-lors aucune garantie
à exercer contre personne , pas même contre le mari ;
�ET DE LA FRAUDE.
431
comment dès-lors, privé de l’action , pourrait-il élever
une exception contre l’héritier de la femme, lorsqu’il ne
pourrait l’opposer au mari agissant personnellement en
cette qualité.
L’opinion de M. Dalloz est d’autant plus extraordi
naire que , quelques lignes plus bas , il soutient que le
cautionnement formel, donné par le mari à l’aliénation
du fonds d o ta l, ne saurait produire aucun effet contre
lui, ni l’obliger à garantir. ' Comment donc peut - il ici
faire résulter cette garantie du simple concours du mari
à l’acte d’aliénation ou du fait même de la vente. Ainsi,
le mari serait tenu s’il n’a rien dit , non tenu s’il avait
expressément cautionné ? Telle est cependant la contra
diction étrange à laquelle arrive M. Dalloz.
1324.
— Concluons donc que la bonne ou la mau
vaise foi de l’acquéreur est une circonstance décisive ,
même lorsque le mari provoquera , en qualité d’héritier
de la femme, la révocation de l’aliénation du fonds dotal,
car, recevable, dans le premier cas, à exiger du mari des
dommages-intérêts et à lui opposer la règle : quem de
evictione tenet, etc...., le tiers acquéreur ne pourra ,
dans le second cas, faire ni l’un ni l’autre.
1 3 2 3 . — La question de bonne ou de mauvaise foi
acquiert donc dans tous les cas une importance réelle.
La dernière résulte du contrat, lorsque le mari vendant
�m
TRAITlï DU DOL
seul a déclaré le caractère de dotalité, ou lorsqu’il a agi
comme administrateur de la dot ou mandataire de la
femme, enfin lorsque la vente a été consentie par celleci soit personnellement et isolément, soit conjointement
avec son mari. En l’absence de ces circonstances, le mari
pourra - 1 - il prouver que la dotalité non déclarée a été
parfaitement connue par l’acquéreur.
Il importe, pour l’appréciation de cette question , de
rappeler que le projet de Code civil contenait une dispo
sition ainsi conçue : Le mari lui - même pourra faire
révoquer l’aliénation pendant le mariage, en demeurant
néanmoins sujet aux dommages-intérêts de l’acheteur ,
pourvu que celui-ci ait ignoré le vice de l'achat.
Celte rédaction communiquée au tribunat, il fut ob
jecté : Que ces expressions donneraient lieu à des diffi
cultés , comme l’expérience l’a appris. Comment savoir
si l’acquéreur serait ou non en état d’ignorance ? Cette
preuve ne pouvant se puiser ailleurs que dans l’acte d’ac
quisition , il a paru préférable de la faire dépendre du
contrat même. C’est encore un moyen de détourner le
mari du dessein de vendre le bien dotal.
Sur cet avis du tribunat, l’art. 1560 fut rédigé tel qu’il
se trouve aujourd’hui dans le Code.
De là, on a conclu que la seule preuve de la mauvaise
foi de l’acquéreur admissible était celle qui se puiserait
dans le contrat lui-même, et que, dans le silence absolu
de celui-ci, le mari serait non - recevable à prétendre
l’établir autrement.'
i Dalloz, i b i d . ,n ° 35;—Tessier, de la Dot, note698; Benoit, t. i,n° 267.
�433
ET DE LA FRAUDE.
L’induction parait en effet plausible. Cependant on
doit la repousser , si l’on veut rester fidèle à l’esprit de
la loi.
L’acquéreur du fonds dotal n ’a pas été vu d’un œil
favorable, et l’on s’est montré très-peu jaloux de le fa
voriser. « Il ne mérite aucun intérêt, disait Portalis ,
« c’est par sa légèreté qu’il se trouve trompé ; il doit
« s’imputer de n’avoir pas pris des renseignements suf« lisants. D’ailleurs il est difficile d’admettre qu’il n’ait
« pas profité de la nécessité ou de la prodigalité du mari,
« car celui-ci n ’a pu faire qu’une mauvaise affaire. »
Ainsi , l’achat de l’immeuble dotal peut n’être , chez
celui qui le contracte, qu’une spéculation, qu’une occa
sion de conclure un excellent marché, comment donc la
loi aurait-elle consenti à s’en rendre, en quelque sorte,
complice, en laissant l’acquéreur arbitre souverain d’en
assurer le sort ?
Il est permis , en effet, d’admettre que plus le tiers
acquéreur aura connu le danger, et plus il ambitionnera
paraître l’avoir ignoré. D’autre part, plus la détresse du
mari et la nécessité de vendre seront pressantes , plus il
se montrera facile pour la condition gui lui serait faite
de garder le silence dans le contrat syr la dolalijé de
l’objet vendu. Il est bon sans doute de détourner le mari
de vendre le bien dotal, mais
il est aussi du plus •haut
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intérêt d’en empêcher l’achat; arriverait-on à ce résultat
en accordant des dommages-intérêts, devant en définitive
rejaillir contre la famille, par cela seul que le mari aurait
subi la loi du silence qu’on lui aurait imposée ?
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�434
TRAITÉ DU DOL
A notre avis , ce dont la loi se préoccupe , c’est du
fond et non de la forme. Si l’acte met sur la voie de la
dotalité, par l’un des moyens déjà indiqués , la preuve
de la mauvaise foi est inébranlablement acquise. Dans
le silence de l’acte, la bonne foi est présumée, mais cette
présomption n’exclut pas la preuve contraire.
Le contraire ne saurait suffisamment résulter d’une
discussion législative. Quelque respectable que soit un
pareil document, il ne saurait avoir qu’une autorité doc
trinale, comme l’observe M. Troplong, et, sous ce rap
port, elle ne supporte pas l’examen.
« Le texte , continue ce savant m agistrat, donnerait
lieu à une difficulté sérieuse, s’il était explicite, mais le
tribunat a heureusement traduit sa pensée par une for
mule qui n’est pas exclusive et absolument limitative.
« Elle n’est pas limitative. Comparons, en effet, l’art.
1560 à l’art. 1626. Ce dernier article dit que le ven
deur est tenu de droit de garantir l’acheteur de toutes les
charges prétendues sur l’immeuble et non déclarées lors
de la vente. Notez ce mot : non déclarées ; n’est pas là
une formule pareille à celle de l’art. 1560 ? L’expression
n’est - elle pas identique ? Eh bien 1 comment la juris
prudence a-t-elle interprété l’art. 1626? A-t-elle re
poussé la connaissance extrinsèque ? A - 1- elle exigé ,
comme condition sine qua non de l’absence de garantie,
la déclaration du vendeur? Pas le moins du monde.
Quelle que soit la voie qui a conduit l’acheteur à con
naître, lors de la vente, le péril de la chose qu’il a ache
tée, cette connaissance suffit, on n’en demande pas da-
�ET DE LA FRAUDE.
435
vantage. On repousse les exigences formalistes et les ob
servations sacramentelles, et l’on dit avec Cicéron : Ubi
judicium emptoris , ibi fraus vendiloris quœ polest
esse.
« Si telle est la jurisprudence incontestable, quand
il s’agit de l’art. 1626, pourquoi suivrait-on une autre
route quand on est en face de l’art. 1560 ? Pourquoi le
mot déclarer serait-il plus sacramentel dans celui-ci que
dans celui-là? Pourquoi ne rentrerait-on pas dans le
vrai ? Pourquoi enfin adjugerait-on des dommages-inté
rêts à un acheteur de bien dotal qui , sachant ce qu’il
faisait, n’a pas éprouvé de préjudice? E st-c e que cet
acheteur est si favorable ? A-t-on oublié les paroles sé
vères de M. Portalis sur son compte? Ne se rappelle-t-on
pas qu’il ne mérite aucun intérêt ? 1 »
Ainsi, et malgré le silence du contrat, nous pensons
que le vendeur serait recevable à faire la preuve de la
mauvaise foi de l’acheteur, mais nous admettons , avec
M. Delvincourt, que cette preuve doit être littérale. En
effet, les principes généraux, en matière de preuve, re
çoivent ici leur entière application. Sans doute le litre
ne dit rien, il est simplement muet ; mais ce silence, dont
la loi fait présumer la présomption de bonne foi, est un
titre pour l’acquéreur, lequel ne saurait céder que devant
la preuve écrite du contraire. D’ailleurs, l’intérêt seul du
litige amènerait à cette conséquence.
l Troplong, art. 1560. n» 3535; — Fi de Delvincourt, t. in, p. 113;
Bellot, t. iv, p. 190.
�436
TRAITÉ DU DOT.
Mais , comme dans tous les cas et en vertu de l’art.
1347, le commencement de preuve suppléerait à la preuve
écrite, en rendant la preuve testimoniale admissible.
1526. — De ce que le mari n’est pas tenu de ga
rantir l’acquéreur de mauvaise fo i, il ne s’ensuit pas
qu’il puisse être dispensé de rendre le prix qu’il aurait
reçu. L’inaliénabilité de la dot n’a pas été imaginée pour
enrichir le mari , dont l’action n’est reçue pendant le
mariage que parce qu’on la suppose dirigée dans l’in
térêt de la femme et des enfants : Non in mum , sed
tantum in uxoris commodum , contra mum veniens
factum.'
L’obligation pour le mari est absolue , elle résulte de
sa seule présence à l’acte. Il importe donc peu qu’il ait
vendu seul ou conjointement avec sa femme. Le fait seul
de n’avoir paru au contrat que pour assister sa femme,
déterminerait le même résultat. On suppose, dans ce cas,
que la conduite de la femme n’a été que la conséquence
de l’autorité du m ari, et que celui-ci a y an t, ut potentior, déterminé le consentement, a réellement touché le
prix d’une vente uniquement faite dans son propre in
térêt : Pretium rei dotalis alienatœ prcesumitur ad
virum pervenisse. ' A plus forte raison en serait-il ainsi
dans l’hypothèse prévue par l’auteur , à savoir : si le
mari et la femme déclaraient avoir reçu conjointement :
1
2
Voët, 1. 6 .1. 1 , n° 19, de r e i v e n d ic a t.
De Luca, d e E m p t . , dise. 22, n° 6.
�ET DE LA FRAUDE.
437
Quamvis in instrumenta venditionis ambo confitercntur recipere pretium.
1327. — La femme qui seule a vendu, qui seule a
reçu le prix, n’est tenue de restituer que ce dont son pa
trimoine s’est réellement augmenté. C’est ce qui résulte
très expressément de la disposition de l’art. 1312 du Co
de civil. C’est à celui qui allègue le profit à le prouver,
et, à cet égard, il est bon de constater que la preuve que
le prix réclamé a été versé dans le ménage ou a servi à
payer des dettes personnelles à la femme , ne suffirait
pas pour autoriser la restitution. Dans le premier cas ,
en effet, la femme n’a retiré aucun profit distinct et ap
préciable ; dans le second cas, on ne verrait q u ’une
aliénation indirecte de la dot pour un motif que la loi
n’a pas inscrit au nombre de ceux pour lesquels elle
l’autorise quelquefois ; il faudrait, pour que la preuve
fût utile, qu’on établît que le prix est devenu l’objet d'un
placement fait au nom de la femme, en percevant en
core les revenus ; de l’achat d’un immeuble ou de rente
encore en sa possession. Dans l’un comme dans l’autre
cas, la femme, ne pouvant retenir et le bien dotal et sa
valeur, serait tenue , en reprenant celui-ci, de restituer
celle-là, le but de la loi étant la conservation de la dot, et
non d’enrichir, même la femme, au détriment de l’équité
et de la justice.
✓
1 3 2 8 . — L’obligation pour le mari de restituer le
prix reçoit exception lorsqu’en déclarant la dotalité, ou
�438
TRAITÉ DU DOL
n ’assistant au contrat que pour autoriser sa femme, le
mari a formellement stipulé qu’il est affranchi de tout
recours, de toute garantie. Mais cette exception est ellemême soumise à une condition, à savoir : que le mari
ne poursuivra pas lui-même la révocation de l’aliéna
tion. Ainsi, dit M. Delvincourt, la clause de non ga
rantie sortirait à effet, si la rescision de la vente était
poursuivie par la femme. Si le mari avait lui-même in
tenté l’action , on devrait l’obliger à restitution, comme
tenu de ses faits.1Cette distinction , on le v o it, trouve
son fondement dans les articles 1628 et 1629 du Code
civil.
1329.
— Onconnait le motif donné par Justinien à
la prohibition d’aliéner le fonds dotal : Ne sexus muliebris fragilitas in pernicien substantiœ earum converterelur. Ainsi ce que la femme accomplit pendant le
mariage est censé le résultat de l’obsession du m a ri, et
de sa propre faiblesse. C’est ce qui explique parfaite
ment le recours que la loi lui donne contre ses propres
actes.
La faculté de provoquer la révocation delà vente qu’elle
a faite du fonds dotal lui est nommément conférée par
l’art. 1560 Mais cette faculté, elle nepeut l’exercer pen
dant le mariage. Le mari maître de la dot, a seul toutes
les actions s’y rapportant.
1 T. m, p. 114, note.
�ET DE LA FRAUDE.
439
1330.
— La dissolution du mariage rend à la femme
toute sa liberté, et avec elle toutes les actions dont l’exer
cice peut être indispensable pour assurer la restitution de
la dot. Au nombre de ces actions, et au premier ra n g ,
se place celle de la révocation de l’aliénation du fonds
dotal. La femme peut donc alors librement la poursuivre
sauf les exceptions que nous verrons plus tard lui être
opposables.
La séparation de biens, sans dissoudre le mariage ,
met un terme à ses effets immédiats sur la dot. La fem
me en reprend la libre possession et jouissance et, dèslors, elle acquiert le droit d’exercer les actions s’y réfé
rant, et de poursuivre les tiers qui en seraient les déten
teurs. La séparation de biens produit, quant à ce, un ef
fet analogue à celui résultant de la dissolution.
1331.
— Le droit de la femme passe à ses héritiers,
mais, comme la femme elle-même, ceux-ci peuvent être
déclarés déchus de la faculté de l’exercer. Les exceptions
opposables à la femme peuvent être opposées à ses héri
tiers.
1 3 5 2 . — Quel que soit le demandeur en révocation,
que l’acquéreur ait ou non le droit d’exiger la restitution
du prix, la rétention préalable de l’immeuble ne saurait
être ordonnée. Le bien dotal n’est pas susceptible d’être
vendu, il est placé par la loi hors du commerce pendant
le mariage. Il suffit donc qu’il soit revendiqué, pour
qu’il doive immédiatement rentrer dans les mains de son
�440
TRAITÉ DU DOL
propriétaire légitime. Cette volonté expresse de la loi est
inconciliable avec la faculté de le retenir jusqu’à restitu
tion du prix, car la conséquence de cette faculté consa
crerait, dans bien de cas, son aliénation définitive par
l’impuissance dans laquelle les époux se trouveraient
d’opérer cette restitution. De plus, ce serait affecter le
fonds dotal au payement des dettes soit du mari, soit de
la femme, ce qui est également prohibé par la loi. Ce
double motif a fait, avec raison, refuser la faculté de
retenir l’immeuble dotal, même jusqu’à ce que les amé
liorations qui doivent être restituées aient été définitive
ment fixées.'
1335.
— La vente du fonds dotal peut-elle devenir
la matière d’un cautionnement valable? Cette question a
soulevé une vive controverse et profondément divisé les
auteurs.
1334. — À la tête de ceux qui soutiennent la néga
tive , nous rencontrons le nom si recommandable de
Merlin, étayant son opinion sur l’autorité de Serres et
de Dupérier dans l’ancien droit. Et celte indication a
été depuis acceptée par tous, comme conforme à la vé
rité. Seulement ceux qui soutiennent l’avis contraire se
sont contentés de reprocher à ces deux jurisconsultes
célèbres d’avoir manqué , dans cette circonstance, de
1 Caçs., 12 mai 1840: — Limoges, 10 février 1844 . — D. P. 40, 1 ,
�RT DE LA FRAUDE.
441
l’esprit judicieux qui les distingue dans toutes les occa
sions.
Mais Serres et Dupérier ne méritent pas ce reproche.
Aucun d’eux n’a soutenu l’opinion que leur prête Merlin,
ce dont il nous a été facile de nous convaincre en recou
rant à leurs œuvres.
Serres n’examine pas même notre question. Il est vrai
qu’il enseigne que le mari peut pendant le mariage, faire
révoquer l’aliénation du bien dotal qu’il aurait lui-mê
me consentie. Mais il y a loin de cette faculté à la nullité
du cautionnement formellement donné par lui ou par
tout autre, et l’existence de la première n’est certaine
ment pas inconciliable avec la validité de celui-ci. Accor
der l’une ne peut donc être considéré comme l’exclusion
* de l’autre, sur laquelle d’ailleurs, nous le répétons, Ser
res est complètement muet.
Il y a plus ; tout fait présumer que si Serres eût exa
miné la question, il l’eût résolue dans un sens contraire
à celui que lui prête Merlin. Serres écrivait dans le res
sort du parlement de Toulouse. Or, comme l’enseigne
Catelan, la jurisprudence de ce parlement admettait la
garantie du mari, lorsque cette garantie avait été expres
sément stipulée.
Il n’en était pas de même du parlement d’Aix, et,
quoique un arrêt du 27 juin 1631 eût prononcé dans le
sens de la jurisprudence de Toulouse, l’opinion contrai
re avait prévalu. C’est ce que Dupérier atteste lui-même.
Est-ce à dire qu’il approuvât cette doctrine? Mais, pour
l’admettre ainsi, il faut fermer les yeux à l’évidence. Il
�442
TRAITÉ DU DOL
faut surtout ne pas lire le jugement qu’il en porte lors
qu’il écrit : C'est une jurisprudence qui m'a toujours
paru fort étrange, et de laquelle on ne peut alléguer
de raison solide, quoique le sieur de Saint-Jean en ait
dit, car il n'y a point d'exemple, dans tout le droit, qui
décharge, des domages-intérêls de l'éviction, celui qui
l'apromise, bien que l'acheteur sçut le vice du contrat;
comme en la vente d'un bien substitué, ou en celle d'un
bien appartenant à autrui, ou d’un fonds d’un pupille ,
quand le tuteur s'est obligé lui-même aux dommagesintérêts en son propre nom; il en serait de même de l’a
cheteur d’une chose dérobée, encore qu'il l'eût sçu, si le
vendeur lui en avait promis les dommages-intérêts en
cas d’éviction.'
Voilà l’opinion de Dupérier, et certes elle qualifie as
sez durement la nullité du cautionnement, pour qu’il n’y
ait aucun doute sur la manière dont il l’envisageait. C’est
donc par une évidente erreur que Merlin l’a mis au rang
des adversaires de sa validité. Il ne pouvait d’ailleurs
en être ainsi sans placer ce jurisconsulte dans une con
tradiction flagrante avec lui-même. Ne vient-il pas de
dire, en effet, que la prohibition d’aliéner le bien dotal,
primario spectat utilitatem privatam, seeundario publicam, qu'en conséquence sa nullité était purement
respective. Or ce caractère relatif exerce sur la question
une influence décisive.
1 Dupérier,
M a x im e s de d r o it,
liv. 5, 1 . 1, p. 525.
�ET DE LA FRAUDE.
443
1335. — En effet, qu’une nullité radicale, absolue,
uniquement dictée par l’intérêt public, par la m orale,
par les bonnes mœurs, ne puisse devenir la matière d’un
cautionnement, cela se conçoit sans peine. En pareille
circonstance, le fait lui-même étant illicite, ne pouvant
former la matière d’un engagement principal, ne sau
rait devenir celle d’un engagement accessoire. La l o i ,
protestant contre le premier, ne cesse pas de protester
également contre le second, sa validité ne pouvant ame
ner pour résultat unique que la consécration d’un fait
prohibé parla loi. Il est donc évident que ce qui fait pros
crire l’obligation doit faire également proscrire le cau
tionnement.
Il ne saurait en être de même pour la nullité relative.
Le fait qui la motive n’est pas absolument incompatible
avec l’intérêt public, avec la morale ou les bonnes mœurs.
Sa prohibition a sa principale origine dans la position
particulière d’une des parties, qui demeure l’arbitre sou
verain du sort futur de la convention. Le silence qu’elle
s’imposera est un fait licite, dès-lors aussi la garantie
qu’on promet n’est plus que l’obligation de faire garder
ce silence. Elle a donc pour objet un fait si peu condamné
parla loi, qu’elle le consacre elle-même, en permettant
que la vente du bien dotal soit ratifiée expressément ou
tacitement. Cautionner cette vente, c’est promettre cette
ratification et conséquemment souscrire une obligation
que rien ne défend.
Ces conséquences du caractère de la nullité devaient
saisir les éminents jurisconsultes qui nous ont devancé
�444
TRAITÉ DU DOL
et qui sont restés nos maîtres. Elles devaient les con
duire à proclamer la validité du cautionnement donné à
la vente du bien dotal. Ce que la loi voulait, c’était la
conservation de la dot ; mais le principe admis, son ap
plication était laissée à l’arbitrage de la partie en faveur
de laquelle la prohibition était plus particulièrement
édictée. Le cautionnement ne faisait aucun obstacle à ce
que le bien dotal fût intégralement restitué; qu’importait
donc à l’ordre public que, le cas de restitution arrivant,
des tiers qui s’y étaient volontairement et librement
soumis fussent tenus à des dommages-intérêts? Du tiers
à l’acheteur il n’existe aucun empêchement, ni quant à
la capacité des personnes, ni quant à la disponibilité des
biens.1
1336.
— Sous l’empire du Code civil, l’aliénation du
fonds dotal n’ayant pas cessé d’être, dans ses causes et
dans ses effets, ce qu’elle était sous l’ancien droit, on ne
saurait consacrer, pour ce qui concerne le cautionnement,
une doctrine différente de celle que nous venons d’expo
ser. Les raisons que Merlin donne pour établir le contrai
re sont loin d’être concluantes.
Merlin, en effet, les puise exclusivement dans la dis
cussion législative que l’article 1560, et notamment la
1 V. Lebrun, de l a C o m m u n a u té , 1. 2, ch 3, sect. 4, n® 29 ; — Catelan, 1. 5 , ch. 7 . t. n , p. 233 ; — Dupin sur Ferron, Let. E , n® 52 ; _
Lavignerie, v® G a r a n tie , art. 3 ; — deux arrêts du parlement de Bor
deaux , des années 1725 et 1727 ; — du parlement de Toulouse, du 20
�ET DE LA
FRAUDE.
445
faculté pour le mari de faire révoquer lui-même la vente
du bien dotal, suscita dans le sein du conseil d’Etat. Il
rappelle que cette faculté fut surtout déterminée par l’ob
servation de M. Malleville que la vente , étant radicale
ment nulle, ne pouvait être opposée à personne.
Remarquons cependant que le doute ne s’élevait pas
sur la question de savoir si cette faculté devait ou non
être conférée au mari. La principale difficulté avait trait
aux effets légaux de la révocation. Le mari devait-il être
condamné à des dommages-intérêts, dans le cas même
où l’acheteur avait connu la dotalité ? Ainsi le voulait
M. Pelet, car, d is a it-il, le tiers peut acheter dans la
persuasion que la vente se réduirait pour lui en des dom
mages-intérêts. Mais l’art. 1560 nous apprend que cette
opinion fut repoussée.
Il résulte de là que la vente du fonds dotal n’entraine
légalement aucune garantie , lorsque le contrat prouve
que l’acheteur a connu ou pu connaître le vice de la
chose. Mais, de cette absence de garantie légale , faut-il
conclure à la nullité de celle conventionnellement sti
pulée ? C’est là ce que les débats législatifs n’autorisent
pas de faire , car ils sont complètement muets sur
celle-ci.
Nous avouons cependant que cette conclusion serait
rationnelle et forcée, si la nullité de la vente était radi
cale et absolue. Mais c’est ce que nous contestons avec
la raison et la loi elle-même.
La prohibition de l’aliénation du fonds dotal est un
statut purement réel, il résulte de là que les époux, con-
�446
TRAITÉ DU DOL
sentant cette aliénation , n’excèdent pas leur capacité.
Ainsi, dit M. Troplong, considérée en soi, la femme ma
riée sous le régime dotal , n’est pas plus incapable de
vendre son immeuble que la femme mariée sous le ré
gime de la communauté.
Ce qui fait que l’aliénation ne vaut pas , non valet ,
c’est que l’immeuble est temporairement frappé d’indis
ponibilité, non pas certes en vertu du droit naturel, mais
par suite d’une loi purement arbitraire , dont le fonde
ment est d’abord l’intérêt de la femme et des enfants ;
l’intérêt public n ’est que le second plan ; il n’existe, en
effet, que lorsque l’intérêt privé, passant de l’individu à
la famille, acquiert les proportions d’un intérêt général.
Mais la faveur que la loi accorde à un point de vue
général, n’en reste pas moins , au point de vue de cha
que personnalité, une faveur purement privée, à laquelle
chacun peut renoncer, au gré de ses convenances ou de
son utilité. Renfermée dans ces limites , cette renoncia
tion ne met en péril ni l’intérêt général, ni l’ordre public.
Il est vrai que, même dans ces termes, la loi ne la con
sacre pas, mais elle la tolère tant qu’il plaît à la partie
intéressée de la respecter. Elle fait plus encore, elle en
impose l’exécution dans certains cas , preuve évidente
qu’au fond même de l’aliénation du bien dotal, il y a une
obligation naturelle dont il faut tenir compte.
N’est-ce pas cette obligation naturelle qui permet à la
femme ou à ses héritiers de ratifier expressément en temps
licite? N’est-ce pas elle qui fait déduire cette ratification
de l’exécution donnée à la vente après la dissolution du
�ET DE LA FRAUDE.
447
mariage? N’est-ce pas elle, enfin qui rend la vente inat
taquable par dix ans d’inaction et de silence à partir de
cette dissolution ? Tout cela est-il conciliable avec l’idée
d’une nullité radicale et absolue? Supposez une obliga
tion illicite ou immorale, par exemple un contrat usuraire ou une association de délits, est - ce qu’on pour
ra la ratifier expressément ou tacitement ? Est-ce qu’el
le pourra jamais acquérir un lien obligatoire par le
silence ou l’exécution plus ou moins prolongée? Si tout
cela se réalise pour la vente du bien d o ta l, c’est donc
que cette vente n’est ni immorale , ni illicite , et q u e ,
dès-lors, la nullité, quoique de droit, n’est ni radicale ni
absolue.
1337.
— Notre conclusion est plutôt renforcée que
détruite par la discussion au conseil d’Etat. En effet, l’art.
1560 avait été primitivement rédigé en ces termes : Si,
hors les cas d’exception qui viennent d’être expliqués, la
femme ou le mari, ou tous les deux conjointement aliè
nent le fonds dotal, l’aliénation sera radicalement nulle.
C’est précisément ce qui faisait dire à M. de Malleville
qu’une vente, ainsi qualifiée, ne pouvait être opposée à
personne, car elle n’existait pas.
Mais celte rédaction communiquée au Tribunat, ce
lui-ci demanda et obtint la suppression de ces mots : sera
radicalement nulle. Il fit observer qu’ils n’ajoutaient
rien à la nullité légale, et que des difficultés pourraient
naître sur son interprétation; l’effet de la nullité estassez
�déterminé dans la rédaction proposée par la faculté de
révoquer l’aliénation.’
Or, il s’en faut que la faculté donnée au mari par
l’art. 1560 exige que la nullité soit considérée com
me radicale et absolue. A côté de la qualité de vendeur,
existe pour le mari celle d’époux , celle de père. L’ac
tion qu’on eût dû refuser à la première, était impérieuse
ment commandée par les deux dernières, et c’est en l’une
d’elles que le mari est censé agir dans l’action en re
vendication du bien dotal. Rappelons-nous ce que Yoët
nous disait naguère à ce sujet : Non in suum, sed tantum
in uxoris commodun, contra suum veniens factum.
Ainsi, la nullité est purement relative, et de là nous
lirons celte conséquence : que la vente du fonds d o tal,
renfermant une obligation morale, un lien naturel, est
susceptible d’être valablement cautionnée. Ce n’est qu’en
lui donnant un caractère absolu et radical qu’on a
soutenu que la nullité de l’aliénation entraînait celle
de toutes les obligations accessoires. Zacchariæ seul ad
met cette dernière , tout en reconnaissant le caractère
relatif de l’a u tre ,1 mais cette opinion manque évidem
ment de logique. Elle est , de plus, formellement con
tredite par l’auteur lui - même , adm ettant, quelques
pages plus bas , la validité du cautionnement de la
femme.3
t Fenet, t. xm, p. 649
2 Tom. iii , p. 679.
3 Voyez pour la validité du cautionnement , Duranton , tom. xv , n“
�ET DE LA FRAUDE.
449
1 3 3 8 . — La jurisprudence se prononce pour le cau
tionnement, soit en déclarant en principe que la nullité
est relative, soit en validant les engagements pris à cet
effet. Ainsi, un arrêt de la Cour de cassation, du 3 août
1825 , a déclaré que le cautionnement, donné à l’alié
nation du bien dotal par les enfants de la venderesse ,
devait sortir à effet. C’est ce qu’avait jugé la Cour de Bor
deaux; c’est ce que juge la Cour suprême, en rejetant le
pourvoi.
Ce qui a été jugé dans cette espèce contre les enfants,
a été décidé contre le mari par arrêt de la Cour de Gre
noble, du 16 février 1847.'
1 3 3 9 . — Ce qui est admis contre le mari et les en
fants, le serait inévitablement contre les tiers. Devrait-il
l’être également contre la femme ?
Ici encore le caractère relatif de la nullité doit exercer
l’influence la plus décisive. La vente n’est certainement
annulable qu’à cause de l’indisponibilité de l’immeuble
aliéné. Supposez que cette indisponibilité n’existât pas ,
la vente sortirait à effet, si d’ailleurs elle était irrépro
chable sous le rapport de la capacité personnelle despar-
525 ; —Duport Lavilette, quest. D. D., tom. m, p . 63 ; — Tessier, tom
il, notes 639, 691 ; — Rodière et Pont, tom. n, p. 437, nos 588 et 592;
— Troplong, C o n t r a t de m a r i a g e , art. 1554 et 1569 , et d u C a u tio n
n em en t, n° 87 ; — Ponsot, C a u tio n n em en t, n° 55 ; — Bellot, tom. iv ,
p. 200
1 Sirey , 48, 2, 55. — V id e Cass., 11 mars 1807 et 3 août 1825. —
Riom, 31 janvier 1828 .
Iil
29
�450
TRAITÉ DU DOL
ties. Or, c’est ce qui arrive lorsque la femme dûment au
torisée, traite de ses paraphernaux.
En conséqunce si la vente du bien dotal peut être
valablement cautionnée, si les paraphernaux, pouvant être
aliénés, peuvent être engagés, on ne voit pas le motifs qui
porteraient à faire annuler le cautionnement donné par
la femme.
En effet, dit M. Duranton, si une femme dûment au
torisée s’était portée fort de faire avoir à Paul la maison
de Jean, elle serait bien tenue d’après l’art. 1120, au
cas où Jean , ne voudrait pas ratifier son engagement,
et cependant elle ne pouvait pas plus disposer de la chose
d’autrui que de son immeuble dotal. Nous avons vu plus
haut que la vente du fonds dotal est bien nulle sous le
rapport de l’aliénation, mais non pas en ce sens que
cette vente ne puisse être la matière d’un cautionnement.
La loi n’avait aucune raison de le vouloir ainsi; pourquoi
donc la femme ne pourrait-elle se cautionner en quelque
sorte elle-même à cet égard par une promesse de garan
tie ? Elle n’aliènera pas, encore une fois, son immeuble
dotal ; elle s’obligera seulement sur ses paraphernaux, et
le Code ne le défend pas, loin d e là .'
Cette opinion a été consacrée par la Cour de cassa
tion le 5 mai 1818, par la Cour de Grenoble le 16 jan
vier 1828. L’un et l’autre de ces arrêts constatent que la
1 Tom. xv, n° 530; — V. Rodièreet Pont, tom. H, n° 492; — Toullier, tom. v. p. 335 ; — Tessier, tom. n ,p .6 e tsu iv .— Zacchariæ, tom.
�ET DE LA FRAUDE.
promesse de garantie, formellement stipulée par la fem
me, n’empêche pas de poursuivre la révocation de l’alié
nation du bien dotal, mais qu’elle oblige la femme sur
ses biens paraphernaux.
L’opinion contraire a cependant été, depuis, consacrée
par un arrêt de la Cour de Limoges, du 10 février
1844;’mais ce qui enlève à cel arrêt toute autorité juri
dique, c’est qu’il considère, comme radicale et absolue,
la nullité de la vente du fonds dotal, et qu’il n’admet
celle du cautionnement que comme une conséquence de
ce caractère. Or, nous avons prouvé que c’est là une er
reur évidente qui, seule, doit faire proscrire le système
dont elle est l’unique fondement.
1340.
— Nous compléterons notre démonstration
sur ce point en transcrivant un arrêt de la Cour d’Aix
encore inédit, et qui nous parait avoir fait une saine et
remarquable appréciation des véritables principes. Cet
arrêt rendu le 9 juillet 1849, s’exprime en ces termes :
« Considérant que, si, aux termes de l’art. 1554 du
Code civil, la vente du bien dotal est nulle, cette vente
n’est ni immorale, ni contraire à l’ordre public, ni d’un
objet placé hors du commerce ;
« Que, d’après l’art. 1560 du même Code, la femme a
seulement la faculté de faire révoquer celte aliénation ;
qu’elle peut, après la séparation de biens ou la dissolu
tion du mariage, renoncer à cette faculté, soit expressé-
1 D. P., 45. 2, t50.
�452
TRAITÉ DU DOL
mmt, en ratifiant; soit tacitement, en éxécutant d’une
manière complète le contrat ;
« Que même son droit peut être atteint par la pres
cription, si elle ne réalise pas son action dans le délaide
la loi ;
« Que, d’autre part, les tiers qui ont contracté avec
elle, ne peuvent invoquer la nullité de la vente;
« D’où il suit qu’il ne s’agit là que d’une nullité rela
tive, susceptible d’être valablement garantie, exemple l’art.
2012 du Code civil ;
« Qu’on peut dire qu’il y a, dans le contrat, deux
obligations distinctes : l’une principale, susceptible d’être
annulée ; l’autre secondaire, parfaitement valable et de
vant sortir à effet ;
\
« Que ces principes ne sont plus aujourd’hui sérieu
sement contestables; que leur conséquence immédiate est
de repousser l’application des articles 1131 et 1133 du
Code civil ;
« Considérant que si la vente d’un immeuble dotal
peut être valablement garantie par les tiers, par le mari
lui-même ; que si d’autre part, la femme peut aussi va
lablement garantir, sur ses paraphernaux, l’obligation
annulable d’un tiers ou de son mari, on ne comprend pas
comment elle ne pourrait pas garantir, sur ces mêmes
biens, son obligation personnelle et naturelle;
« Qu’il est certain que la femme mariée, même dotalement, n’est pas incapable et p e u t, avec l’autorisa
tion de son mari, contracter toute espèce d’obligation ;
qu’elle a aussi la libre disposition de ses paraphernaux.
�ET DE LA FRAUDE.
453
Si donc elle peut en disposer d’une manière directe et
même en abuser, il ne peut lui être prohibé d’en dis
poser d’une manière indirecte, en les soumettant à
l’exécution d’une obligation annulable , par elle con
tractée ;
« Qu’aucun texte de loi ne prohibe une pareille sti
pulation ;
« Considérant que par sa promesse de garantie , la
femme ne confirme pas, d’une manière définitive, son
aliénation ; qu’elle ne renonce pas à son droit de révo
cation ; que, par conséquent, elle ne rend pas illusoires
les dispositions des articles \ 554 et \ 560 du Code civil,
puisque, malgré cette garantie, elle peut toujours re
prendre son bien dotal; seulement, prévoyant le cas où
elle usera de ce droit , elle s’oblige à garantie sur ses
paraphernaux, dont elle a la libre disposition; le princi
pe de la conservation de la dot est donc parfaitement res
pecté ;
« Considérant qu’on a soutenu à tort que l’obligation
sur les paraphernaux, pouvant réfléchir contre la dot,
devait être annulée ; car une action ne réfléchit contre
une personne ou une chose, que lorsque cette chose ou
cette personne se trouve par là obligée; or, dans l’espèce,
la dot n’a jamais été obligée ni engagée; elle rentre, au
contraire, dans les mains de la femme ou de ses héritiers
entière, franche et libre de toute charge ;
« Qu’on soutient, plus vainement encore, que la fem
me qui vend son bien dotal sans en faire connaître la na
ture, n’étant pas tenue de la garantie légale de tout ven-
�454
TRAITÉ DU DOL
deur, ne peut, par voie de conséquence, se soumettre à
la garantie conventionnelle;
Ce principe, qu’on veut faire découler, par un argu
ment a contrario, du paragraphe de l’art. 1560, estfort
contestable en lui-même, et la conclusion qu’on en tire
n ’est ni logique, ni exacte;
« Pourquoi la garantie expresse et formelle delà fem
me ne sortirait-elle pas à effet ? C’est, dit-on, parce qu’on
suppose la femme subjugée par la puissance maritale ;
mais alors il faudrait annuler, par le même motif , tous
les engagements contractés par elle, même sur ses paraphernaux, puisque, dans un cas comme dans l’autre,
il y aurait abus de pouvoir, et le consentement serait vi
cié par défaut de liberté; or, cela n’existe pas au pro
cès actuel ;
« S’il était vrai que la femme ne dût pas, de plein
droit, de dommages-intérêts à son acquéreur, ce serait
uniquement pour punir la faute de celui - c i, q u i, en
traitant avec une femme mariée de la vente d’un im
meuble, a négligé de se faire représenter le contrat de
mariage ou de rechercher l’origine et la nature du bien
vendu ; dans ce cas , on lui reprocherait, à bon droit
sans doute , de n’avoir pas exigé des garanties ; il doit
donc en être autrement quant la dotalité a été connue ,
et qu’à cause du danger d’éviction, l’acquéreur a ré
clamé et obtenu de la femme une garantie sur ses biens
libres. »
1341. — On a agité la question de savoir si les époux
�ET DE LA FRAUDE.
455
vendant, comme libres, le bien dotal, peuvent être con
sidérés et punis comme stellionataires. La négative nous
paraît résulter de la disposition de l’art. 1670 du Code
civil.
Cet article forme une législation spéciale, quant à la
vente du bien dotal. Il la soustrait donc aux principes
généraux en matière de vente ou d’hypothèque du bien
d’autrui, et cela avec d’autant plus de raison, qu’il y a
une antinomie parfaite entre ses dispositions et ces mê
mes principes généraux.
Ainsi, comment soutenir que la femme, ayant dissi
mulé la dotalité du fonds aliéné ou hypothéqué, pourra,
comme stellionataire, être condamnée à des dommagesintérêts, avec contrainte par corps, elle que l’art. 1560
déclare, dans ce même cas, n’étre passible d’aucuns dom
mages-intérêts?
Sans doute il n’en est pas de même du mari ; il est
tenu à des dommages-intérêts, s’il a laissé ignorer la do
talité ; mais c’est là l’unique peine qu’il encourt. On ne
saurait donc lui en appliquer une autre, et cela avec
d’autant plus de raison, que l’acte qu’il commet, en ven
dant comme sien le bien dotal, ne constitue pas, à pro
prement parler, un véritable stellionat.
En effet, observe Troplong, le mari est le maître de la
dot, dominus dotis ; il a, sur les biens la composant, un
droit d’administration tellement absolu, qu’on peut l’as
similer à une copropriété. N’est - ce pas en vue de cette
�456
TRAITÉ DU DOL
copropriété qu’il est admis à revendiquer seul pendant le
mariage ? qu’il perçoit les fruits à son profit ? '
La disposition qu’il en fait n’est donc pas, à propre
ment parler, la disposition de la chose d’autrui, et, quel
que puissante que soit l’assimilation , il ne peut en être
admis aucune en matière de stellionat. Une peine ne peut
être encourue que dans les limites strictes, déterminées
par la loi.
D’ailleurs, prononcer la contrainte par corps en ma
tière de vente ou d’hypothèque du bien dotal , ce serait
aller contre l’intention formelle du législateur et créer
des engagements qui réfléchiraient contre la dot. En ef
fet, celle - ci est aliénable pour tirer l’époux de prison,
conséquemment, si son aliénation par celui - ci faisait
prononcer l’emprisonnement, l’exécution du jugement
nécessiterait une aliénation légale. De cette manière , la
dot se trouverait indirectement atteinte par un acte au
quel l’art. 1560 a voulu refuser tout effet légal.
Ainsi, l’unique réparation due à l’acquéreur trompé
sur la nature de la chose vendue, est celle édictée par
l’art. 1560. C’est ce que la Cour de Toulouse a expressé
ment décidé le 22 décembre 1834.
1 542. — L’action en révocation de la vente de l’im
meuble dotal ne p e u t, durant le mariage , être exercée
que pat* le mari ; elle n’appartient à la femme que du
jour de sa dissolution ou de la séparation de biens. Les
�ET DE LA FRAUDE.
457
créanciers de l’un ou de l’autre sont - ils recevables à la
faire valoir ?
Aucun doute ne peut s’élever à l’égard des créanciers
du mari. C’est comme chef du ménage qu’il est surtout
autorisé à agir, et cette qualité, éminemment personnel
le, ne peut être, dans aucun cas, revendiquée par qui
que ce soit.
Il n’en est pas de même des créanciers de la femme.
Aussi a-t-on soutenu, d’une part, qu’à défaut de pour
suites de sa p a rt, ses créanciers sont recevables à faire
révoquer l’aliénation dans tous les cas , en tant cepen
dant que leurs droits seraient de nature à être exercés
sur la dot ; ' d’autre part, on a distingué et enseigné que
la prétention des créanciers devrait être admise ou re
poussée , selon que la femme paraît ou non obligée en
conscience à respecter l'aliénation."
S’il fallait opter entre ces deux opinions , nous n’hé
siterions pas à adopter cette dernière. Mais il en est une
autre qui nous parait préférable , c’est celle qui refuse
aux créanciers le droit d’intenter l’action.
Il suffît, à nos yeux, que l’aliénation du bien dotal
crée une obligation naturelle, un lien moral, pour qu’on
doive reconnaître à la femme seule le droit d’en me
surer la portée et de la respecter dès qu’elle s’y croit
obligée. Ce droit nous paraît, d’ailleurs, la conséquence
directe de la faculté de ratifier , qui ne lui a jamais été
contestée.
1 Zacchariæ, tom. ni, p. 579, nste 12.
3 Rodière et Pont, tom, h , p. 435, n° 585.
�458
TRAITÉ DU DOL
L’obligation naturelle existe surtout lorsque la femme
a retiré un profit quelconque du prix du bien dotal. Ce
profit a pu se réaliser dans le cas de vente par le mari
seul si le prix qu’il en a retiré, réellement versé dans le
ménage, en a défrayé les besoins et assuré le bien-être.
Sans doute ce profit n’est pas celui que la loi entend
pour mettre la restitution du prix à la charge de la fem
me, mais, dans le for intérieur, la femme est obligée.
Doit-on, lorsque, obéissant à un sentiment de justice ,
elle veut conformer ses actions aux inspirations de sa
conscience, lui faire un devoir d’en agir autrement?
De quoi, d’ailleurs, peuvent se plaindre les créanciers?
S’ils ont acquis cette qualité durant le mariage, le bien
dotal ne leur a jamais été affecté; on ne leur permettra
pas même de l’exécuter après la dissolution. Que leur im
porte donc l’inaction de la femme ?
S’ils ont traité avec la femme depuis sa viduité, la
prétendue libéralité qu’ils verraient dans l’abandon de
l’action en révocation ne leur préjudicie nullement, en
ce sens qu’ils n’ont pu raisonnablement compter sur un
bien que leur débitrice ne possédait pas au moment
où elle prenait cette qualité. Ils seraient, de plus, nonrecevables à prétendre qu’elle a été faite en fraude de
leurs droits, On peut donc, sans crainte les maintenir
dans un état de choses qu’ils ont volontairement ac
cepté.
Singulière moralité d’un système qui ne permettrait
pas à une femme pieuse, dévouée à la mémoire de son
mari, de l’honorer encore après sa mort en cachant la
�ET DE LA FRAUDE.
459
fraude qu’il a commise ! Qui lui ferait, au contraire,
un devoir de publier sa turpitude et de souiller sa tom
be parle scandale d’un pareil procès! D’imposer, en
fin, à des héritiers qui peuvent être ses propres en
fants , et une flétrissure morale et la charge de restituer
un prix dont elle a partagé le bénéfice et dont, en cou science , elle se considère comme codébitrice ! Non , la
loi n’a pu autoriser, ni moins encore commander une
pareille conduite , et voilà pourquoi, reculant devant
son immoralité, nous ne reconnaissons pas aux créan
ciers le droit de la contraindre, sons peine d’intervenir
eux-mêmes.
D’ailleurs, la femme qui se tait, se reconnaît liée par
un devoir de conscienc. Est-ce tqu’en matière pareille
elle n’est pas le juge seul compétent pour le décider? Sa
décision doit donc être acceptée par tous ; nul ne peut
être autorisé à rompre le silence qu’un sentiment d’hon
neur, de pitié, de justice lui fait garder.
1345.
— L’action de la femme passe à ses héritiers,
et ce que nous refusons aux créanciers de la femme, nous
l’accordons aux créanciers de ceux-ci. Ils pourront donc
exercer l’action que les héritiers négligeraient de faire
valoir. Alors, en effet, il n’y a plus de biens indisponi
bles au regard de certains créanciers; quels qu’ils aient
été, ces biens, arrivant entre les mains de l’héritier, de
viennent, indistinctement, le gage des créanciers, alors
même que leurs titres seraient antérieurs au décès de la
femme. L’éventualitéd’un héritage profite aux créanciers
�460
TRAITÉ DU DOL
qui ont pu l’entrevoir et y compter, car c’était là une
chance qui devait se réaliser sans que l’héritier eût per
sonnellement à la déterminer.
1 3 4 4 . — Cependant cette règle reçoit exception, no
tamment : \ 0 Si les héritiers de la femme avaient euxmêmes acquis le bien dotal. Il est évident qu’on ne sau
rait leur imposer l’obligation de se faire un procès à euxmêmes, et surtout qu’enne le faisant pas, ils ne se ren
dent pas coupables d’une fraude contre les droits de leurs
créanciers. Ceux-ci ne trouveraient à étayer leur deman
de ni sur l’art. \ 166, ni sur l’art. \ 167 ; ils seraient donc
non-recevables à l’intenter.
2° Si les héritiers de la femme étaient également les
héritiers du mari. Mais cette exception est subordonnée
à la condition que le mari serait tenu à garantie. En
effet, l’existence de cette obligation ferait surgir contre
les héritiers l’application de la maxime : Quem de evictione tenet actio , eumdem agentem repellit exceptio.
Dans ce cas encore, les créanciers, ne pouvant agir que
comme les ayants-cause de leurs débiteurs, subiraient,
comme ceux-ci, l’effet de cette fin de non-recevoir pé
remptoire.
Indépendamment de ces exceptions personnelles aux
héritiers, ceux - ci ou leurs créanciers pourraient être
écartés par celles opposables à la femme elle-même.
Celles-ci sont, on le sait : la ratification et la prescrip
tion.
�ET DE LA FRAUDE.
461
1 3 4 5 . — La ratification, pour être utilement oppo
sable, doit avoir été donnée à une époque où le fait, dé
terminant le vice de l’acte, a complètement disparu et
où, par conséquent, les parties seraient toutes libres de
contracter. Or, cette époque pour le vice de dotalité ne
peut être que celle de la dissolution du mariage ; elle
seule, en effet fait disparaître l’indisponibilité du bien
qui en est affecté. La séparation de biens change le ré
gime matrimonial, quant à la jouissance des biens do
taux qu’elle confère à la femme , mais elle n’affecte en
rien le caractère des biens. Ce qui était inaliénable avant
la séparation, reste inaliénable après. Toute disposi
tion qui en serait faite continue donc d’être interdite.
A ce titre, la ratification expresse ou tacite resterait sans
effet.
La ratification, donnée en temps opportum, ne serait
susceptible d’aucune difficulté, si elle était expresse.
L’art. 1338, qui en détermine les conditions, en règle
les effets.
1346.
— Il n’en est pas de même de la ratification
tacite : elle résulte de l’exécution donnée à l’acte, et la
nature de cette exécution est dans le cas de soulever des
doutes sérieux, On s’est, entre autre, demandé si la ré
ception par la femme, depuis la dissolution du mariage,
desintérêts échus du prix de l’aliénation, constituerait une
ratification valable.
Nous avons dit ailleurs que, dans les actes constitutifs
de la ratification tacite , on devait exiger la réunion ,
�462
TRAITÉ DU DOL
autant que possible, des caractères prescrits à la ratifi
cation expresse, à savoir : qu’ils impliquassent la con
naissance du vice et l’intention de le purger.’ C’est par
application de cette règle que nous résoudrons la diffi
culté proposée.
Nous distinguerons donc le cas où l’aliénation a été
consentie par la femme, soit séparément, soit conjoin
tement avec son mari, du cas où l’aliénation procède du
mari seul.
Dans le premier, la femme n’a pu ignorer ni la na
ture , ni la cause du payement qui lui est offert. Son
droit de refuser est incontestable, puisque la dissolution
lui a conféré l’action en nullité de l’aliénation , et ce
droit, elle l’exercera si son intention est de poursuivre
cette nullité. À quoi bon, en effet, exécuter un contrat
dont elle entend se délier, qu’elle doit considérer com
me n’existant plus et ne devant produire aucun effet?
Si, au lieu de refuser , elle accepte , on ne peut voir là
qu’une exécution volontairement et librement donnée
à un contrat dont elle connaît parfaitement le vice ,
dont cette exécution le purge suffisamment. D irait-elle
qu’elle n’a cru recevoir que les revenus de l’immeuble?
Mais une pareille excuse ne serait pas acceptable de la
part de celle qui connaît la vente dont cet immeuble a
été l’objet et à laquelle elle a participé, si elle ne l’a pas
consentie seule.
Dans la seconde hypothèse , la femme a pu ignorer
1 X.sup. , n° &95.
�ET DE LA FRAUDE.
463
la vente faite par le mari seul. Le fait unique d’avoir
accepté l’intérêt du prix spontanément offert par l’ac
quéreur, pourrait ne pas paraître une ratification va
lable. Les faits et circonstances au milieu desquels ce
payement a été effectué, son époque plus ou moins rap
prochée du décès du mari, peuvent être utilement con
sultés et devenir des éléments essentiels de l’apprécia
tion que la loi laisse à la prudence et aux lumières des
juges.
Mais, la ratification résulterait infailliblement des
payements géminés, successivement reçus par la veuve.
L’erreur, possible lors d’un premier, ne saurait être ad
mise pour un second, pour un troisième, car l’intervalle
qui s’est écoulé entre l’un et l’autre a laissé à la femme
le temps nécessaire pour s’instruire de ce qu’est deve
nue sa dot et de connaître, par conséquent, la disposi
tion illicite qu’en avait faite le mari. Dès lors , aussi,
reviennent les considérations exposées dans la première
hypothèse. Le payement accepté en connaissance du
vice, ne peut être considéré que comme la volonté for
melle de purger celui-ci.
Il en serait, à plus forte raison a in si, même dans le
cas d’un payement unique , si ce payement n’avait été
effectué qu’à la suite de poursuites exercées pour le dé
terminer. L’existence de ces poursuites enlève toute équivoque sur l’intention de la partie qui les a dirigées.
On mentirait à l’évidence si on ne les considérait pas
comme une exécution volontaire et formelle du titre ,
e t, par conséqueut, comme constituant une ratification
incontestable.
�464
TRAITÉ DU DOL
1347.
— Les actes de ratification , personnels à la
femme, sont opposables à ses héritiers. De plus, et com
me la femme elle - même, ceux - ci pouvant ratifier de
leur chef, leur poursuite peut être écartée par les actes
d’exécution auxquels ils se seraient livrés depuis la mort
de leur auteur , tout comme par la ratification expresse
qu’ils auraient consentie.
1 5 4 8 . — La prescription constitue une autre fin de
non-recevoir opposable à la femme et à ses héritiers ,
mais elle ne peut courir pendant la durée du mariage.
Cette règle n’est pas seulement la conséquence de l’ina
liénabilité du fonds do tal, elle tient surtout à cette cir
constance que , pendant que le mariage existe , la fem
me est dans l’impuissance d’exercer les actions concer
nant la dot. Cette impuissance a dû lui faire appliquer
la maxime : contra non valentem agere non currit
prescriptio.
Cette impuissance venant à disparaître, entraîne avec
elle l’imprescriptibilité. C’est ainsi que l’art. 1561 dé
clare que les biens dotaux sont prescriptibles après la
séparation de biens. Par cette séparation, la femme ac
quiert l’exercice de ses actions. Elle peut donc agir, et,
si elle ne le fait , elle se constitue en état de négligence
susceptible d’éteindre son action, si elle se prolonge assez
pour que la prescription soit acquise.
Toutefois l’art. 1561 ne doit point être isolé de l’art.
2256. La loi n’oblige la femme à agir que lorsqu’elle
le peut matériellement et moralement. Cette liberté mo-
�ET DE LA FKAUDE.
465
raie n’existe pas lorsque l’action de la femme doit avoir
pour résultat un recours contre le mari. Conséquem
ment , le législateur dispense , dans ce dernier cas , la
femme d’agir, et celte dispense empêche la prescription
de courir.
Or, aux termes de l’art. 1560 , le mari est tenu des
dommages-intérêts lorsque le caractère de dotalité a été
dissimulé à l’acquéreur. Conséquemment la femme sé
parée de biens n’est tenue de demander la révocation
qu’en tant que l’acquéreur a connu le vice du contrat.
Dans ce cas, la prescription court à partir de la sépara
tion ; dans tous les autres cas , du jour de la dissolution
du mariage seulement.
1 5 4 9 . — Ce point de départ ainsi posé, quelle est la
durée du temps requis pour prescrire? Ici encore il faut
distinguer si l’aliénation est le fait unique du m ari, ou
si elle a été consentie par la femme, conjointement ou
séparément.
La vente à laquelle la femme a participé constitue un
acte annulable. Elle est donc régie, quant à la prescrip
tion , par l’art. 1304 du Code civil. L’action est donc
éteinte par le laps de dix ans , à partir du moment où
l’obligation d’agir a été imposée à la femme, suivant les
règles que nous venons de tracer.
La vente consentie par le mari a été faite sans droit
réel à la propriété. Il s’agit donc, pour l’acquéreur, d’ac
quérir cette propriété, et, on le sait, la durée de la pres
cription, à cet effet, est ordinairement de trente ans.
m
30
�466
TRAITÉ DU DOL
Donc, l’acquéreur, traitant avec le mari seul, ne pres
crira que par trente ans, en supposant, toutefois, qu’il
ait connu le vice de la chose. En effet, si le mari a vendu
l’immeuble dotal comme sien , si l’acquéreur a été de
bonne foi , l’existence de celle-ci et du juste titre per
mettra au tiers d’invoquer la prescription de dix ou de
vingt ans.'
13 5 0 . — La fraude ayant pour objet de porter at
teinte à la liberté individuelle ou de dissimuler une in
capacité, est une fraude à une loi d’ordre public et d’in
térêt général ; elle ne saurait, 'dès-lors, produire aucun
effet. Quelle que soit la cause apparente du contrat, son
annulation est une conséquence inévitable de la constata
tion du caractère illégal ou illicite de sa véritable cause.
1 3 5 1 . — C’est là un principe qui n’est pas contes
table , qui n’a jamais été contesté; mais son application
suscitera des difficultés. Le demandeur, s’il a été partie
en l’acte , se trouvera en présence de diverses fins de
non-recevoir. On lui opposera notamment la foi due à
l’acte régulier , la prohibition de toute preuve testimo
niale outre et contre son contenu, prohibition bien plus
étroite contre celui qui, complice de la fraude qu’il dé
nonce, vient en définitive exciper de sa propre turpitude.
Mais, nous l’avons déjà dit, ces difficultés sont de na
ture à être tranchées par le caractère de la fraude qu’il
1 Tessier, t. n, p. <10 et 111 ;— Troplong, art. 1561, n°* 3583, 3584.
�ET DE LA FRAUDE.
467
s’agit de réprimer. Il est permis à chacun de renoncer
à un avantage personnel résultant d’une loi positive ,
mais personne ne peut se placer au-dessus d’une loi pro
hibitive , en suspendre ou en détruire les effets , ni se
soustraire à des prescriptions sanctionnées dans un inté
rêt général , ou par des motifs commandés par l’ordre
public, la morale et les bonnes mœurs. Toute tentative
dans ce but est condamnée à une impuissance absolue,
et le contrat la renfermant ne contient aucun lien légal,
même à l’endroit des parties l’ayant consenti. Nous en
avons déjà offert quelques exemples en parlant des con
trats usuraires, de ceux ayant pour objet de se soumettre
à la contrainte par corps hors des cas expressément pré
vus par la loi. Nous pourrions en citer beaucoup d’au
tres, nous nous contenterons d’en rappeler quelques-uns,
parce que les hypothèses les constituant peuvent plus
souvent s’offrir à l’appréciation des tribunaux.
1352.
— La promesse de mariage , en tant qu’elle
a pour objet de contraindre à sa célébration, est réprou
vée par la loi d’une manière absolue. Son inexécution
pure et simple ne saurait donc devenir la matière même
d’une action en dommages-intérêts. Cette doctrine n’est
pas universellement admise, et de nombreux arrêts ont
décidé le contraire. ' liais ces arrêts ne me paraissent
pas juridiques. En principe, l’exécution d’une promesse
de mariage ne pouvant être exigée , celui qui la refuse
i V. Dalloz,
D ic l. g é n .r
v° p ro m e sse
de m a r ia g e ,
n°* 15 et suiv.
�468
TRAITÉ DU DOL
ne fait qu’user d’un droit que la loi lui reconnaît for
mellement. Comment donc trouver dans l’exercice d’un
droit la matière d’une adjudication de dommages-inté
rêts ?
Nous n’accorderions ces dommages-intérêts que lors
que la rupture de l’engagement a réellement causé un
préjudice matériel ou moral à la partie délaissée ; par
exemple, s’il s’est écoulé un temps considérable dans les
préparatifs du mariage ; si les fréquentations ont amené
une grossesse; si les causes delà rupture publiquement
dévoilées sont injurieuses ou diffamatoires, ou de nature
à mettre obstacle à un novel établissement ; si des frais
en préparatifs de noces, en contrats de mariage, ont eu
lieu. Il est évident, dans tous ces cas , qu’une indem
nité est due. Mais l’origine de cette obligation réside
alors légalement dans le préjudice volontairement causé,
et dont la réparation est commandée par l’art. 1382 du
Code civil.
L ’e x c e p tio n feci sed jure feci lé g itim e b ie n le re fu s
d e c é lé b re r le m a r ia g e , m a is e lle n e p o u r r a i t d is p e n s e r
d e l ’o b lig a tio n d e r é p a r e r le p r é ju d ic e q u i e û t é té é p a r
g n é si la v o lo n té d u r e f u s a n t se f û t m a n if e s té e e n
te m p s
o p p o r tu n , et s u r to u t a v a n t q u e d e s fa its g r a v e s , c o m m e
u n e g ro sse sse , p u s s e n t lu i ê tr e r e p r o c h é s .
I3N 5. ~ L’illégalité de la promesse de mariage en
traîne de plein droit celle de toutes les clauses accessoi
res , destinées à en forcer l’exécution , notamment la
clause pénale par laquelle on s’est engagé, à défaut du
�ET DE LA FRAUDE.
469
mariage promis, de payer une somme d’argent plus ou
moins importante.
Les dédits, en cas de rupture, sont entachés d’immo
ralité ; indépendamment du lien qui en résulterait et qui
créerait un obstacle à la liberté individuelle , ils pour
raient faciliter de honteuses spéculations contre l’hon
neur ou la fortune de celui qui se laisserait aller à les
consentir. Il ne manque pas d’ititrigants adroits, de co
quettes habiles qui exploiteraient une passion qu’ils sa
vent adroitement faire naître et entretenir , une fièvre
qu’ils excitent ; et plus leur position leur paraîtrait, eu
égard à la famille de leur dupe , être un obstacle au
mariage, et plus ils songeraient à grossir la somme du
dédit.
D’autre part, n’est-il pas évident qu’on ne saurait to
lérer ces engagements que d’avance des pères de famille
prennent à l’égard de leurs enfants ? Ce qui peut , en
effet, en résulter, c’est que différents de goût, de carac
tère, les futurs époux, ne se convenant d’aucune maniè
re , ne soient condamnés à s’unir que pour cimenter
leur malheur commun. Il importait donc de les prému
nir contre une mutuelle antipathie.
Mais ce qui importait surtout, c’était d’assurer la li
berté des mariages : Libéra esse matrimonia antiquitas
placuit; ideoque pacta non liceret divertere non valere.' C’est cette antique règle que notre Code a consacrée,
qu’il ne pouvait pas ne pas consacrer sans méconnaître
1 L. 2, Cod,
de l n u t , s tip u l.
�470
TRAITÉ DU DOU
la mission sociale qu’il avait à remplir. Le mariage ,
source de la famille, touche immédiatement à l’Etat. Le
dégager de toute entrave , c’était agir dans l’intérêt de
celui-ci. Aujourd’hui donc, comme toujours, tout ce qui
porte atteinte à sa libertée illimitée est considérée com
me contraire à la morale, aux bonnes mœurs, à l’ordre
public, e t , conséquemment, incapable de produire le
moindre effet.
1354. — La nullité d’un dédit de mariage n’est pas
même contestée, mais ce principe n’a pas fait disparaître
l’abus. Ceux qui persistent à vouloir en profiter ne trou
vent dans cette nullité qu’un motif de plus pour donner
à la convention une apparence de sincérité , en l’affu
blant d’une forme dont les dehors paraissent irrépro
chables. Ainsi, au lieu d’un dédit, ils se font souscrire
une obligation pure et simple , causée pour prêt d’ar
gent. Puis le mariage ne s’accomplissant pas , soit par
le refus du souscripteur, soit sur leur refus personnel ,
ils poursuivent le payement de l’obligation dont ils sont
porteurs.
Devant les tribunaux , naissent alors les diverses fins
de non-recevoir déjà indiquées, le défendeur excipe-t—il
du véritable caractère de l’acte? On ne manque pas de
lui opposer les énonciations de l'acte, l’irrecevabilité de
la preuve par témoins, tant en vertu de l’art. 1341, que
de la maxime nemo auditur..., etc.
Ce qui domine et doit nécessairement dominer l’ap
préciation d’un pareil litige, c’est une considération que
�ET DE LA FRAUDE.
47 1
nous trouvons développée dans une consultation de M.
Dalloz sur un procès de cette nature. Les prohibitions
que le législateur établit dans l’intérêt des mœurs et de
l’ordre public , ne tirent leur sanction et leur efficacité
que de la difficulté de les enfreindre , et de recueillir le
fruit de leur infraction. En vain, le législateur aura dé
claré illicite toute obligation fondée sur une promesse
de mariage ; en vain il aura frappé de réprobation tout
contrat qui aura pour objet une immoralité ou un crime.
Ses dispositions seront impuissantes s’il est permis de
déguiser le caractère du contrat, si l’on peut impuné
ment cacher la cause honteuse de la convention sous le
voile apparent d’une stipulation légitime, ou, ce qui est
la même chose , si l’on interdit la preuve testimoniale
qui, seule, en pareil cas, peut démasquer la fraude à la
loi et venger l’offense à l’ordre public et à la morale.
1 5 5 5 . — M. Dalloz avait parfaitement raison, lors
qu’il ajoutait qu’il est des choses que la loi n’a pas be
soin d’exprimer formellement, tant elles s’induisent de
son esprit. Dans cette catégorie , se place évidemment
l’exception à la prohibition de l’art. 1341 du Code civil,
lorsqu’il s’ag it, non plus d’une simulation licite , mais
de la violation formelle d’une loi d’ordre public. On ne
saurait soutenir le contraire sans accuser le législateur
de n’avoir pas eu le courage de son opinion , puisque
voulant la fin, il aurait proscrit les moyens.
Quant à l’allégation invoquée, que la simulation du
contrat ne peut être invoquée testimonialement que par
�472
TRAITÉ DU DOL
les fiers, elle est vraie, lorsqu’il s’agit d’une de ces simu
lations incapables d’imprimer à l’acte un caractère d’in
validité quelconque. Ainsi, on refusera à la partie de
prouver que le contrat, qualifié vente, est une donation.
Pourquoi ? parce que la personne , capable de vendre
et de donner , n’a , à cette preuve , aucun intérêt réel.
En effet, la vente, n’existant plus comme vente , vaudra
comme donation, et devra, comme telle , sortir à effet.
La preuve testimoniale du véritable caractère de l’acte
serait donc complètement inutile : Frustra probatur
quod, probalum, non relçvat.
On refusera la preuve testimoniale à la partie l’invo
quant, lorsqu’à son aide, elle voudra établir que la vente
qu’elle a consentie , ou l’obligation qu’elle a souscrite ,
n’a aucune cause réelle. Cette absence de cause , elle a
pu et dù la faire constater au moment du contrat par
une contre-déclaration sans l’existence de laquellel’acte,
n’ayarit rien de contraire à la lo i, est accepté par elle
comme l’expression de la vérité et devient la règle uni
que des parties.
Osera-t-on dire qu’il doit en être de même de la
preuve que l’acte déguise une illégalité , qu’il n’a été
fait que pour éluder une prohibition d’ordre public ?
Est-ce que, d’une part, la preuve acquise ne ferait pas
immédiatement tomber l’acte ? Est-ce que, d’autre part,
l’absence d’une contre - déclaration n’est pas le consé
quence nécessaire , forcée du véritable but des parties ?
Comment exiger que ceux q u i, voulant violer la loi ,
éprouvent le besoin de dissimuler , aillent précisément
donner la preuve écrite de la véritable nature du traité?
�ET I)E LA FRAUDE.
Donc la preuve n’est plus illusoire, et comment l’acqué
rir jamais, si la partie elle-même est et doit être déclarée
non recevable à l’administrer ?
En d’autres termes, il ne faut pas confondre les simu
lations licites ou ne concernant que l’intérêt privé avec
celles dont l’unique objet est de violer une loi d’ordre
public ou d’intérêt général. Si la partie qui y a volon
tairement concouru , ne peut prouver par témoins les
deux premières, l’intérêt de la loi exige impérieusement
qu’on l’admette à le faire pour cette dernière ; décider
le contraire ce serait méconnaître l’intention du législa
teur , tolérer et même encourager la violation des pres
criptions les plus sacrées
Or, on distinguera facilement la simulation licite de
celle qui ne l’est pas. On n’a qu’à se demander si les
parties pouvaient faire directement, ce qu’elles ont fait
indirectement; si o u i, la simulation est indifférente.
Tout ce qu’on en induira, c’est qu’entre plusieurs ma
nières de faire un acte, les parties ont choisi celle qu’elles
ont jugé la plus convenable ; en cela, elles ont usé de leur
droit, et n’out fait que ce que la loi ne leur défendait
pas de faire.
Dans le cas contraire, la prohibition d’agir directe
ment atteint la voie indirectement choisie; l’acte est nul
aux yeux de la loi, et non-seulement la partie sera re
cevable àexciper de cette nullité, mais elle pourra en
core l’établir par témoins. C’est ce qu’on admet sans
difficulté pour la dette de jeu, pour l’usure , pourquoi
ne l’admeltrail-on pas pour le dédit de mariage? La loi,
__
�474
TRAITÉ DU DOL
qui prohibe ce dernier, ne procède-t-elle pas de motifs
identiques à ceux qui lui font proscrire l’usure et le jeu?
Conséquemment, si la preuve testimoniale est admissible
dans un cas, elle doit l’être également dans l’autre, le
contraire avait cependant été admis par la Cour suprê
me, le 29 mai 1827.'
1356.
— En conséquence, elle avait cassé un arrêt
delà Cour de Riom, qui avait admis le souscripteur d’une
obligation, à prouver par {témoins que la cause réel
le de cette obligation était une promesse de mariage.
La Cour de Lyon, investie par le renvoi, jugea comme
la Cour de Riom, et son arrêt devint l’objet d’un nou
veau pourvoi soumis aux chambres réunies.
Le résultat de ce second examen fut l’abandon com
plet d elà jurisprudence de 1827. En effet, l’arrêt qui
intervint consacra les deux propositions suivantes, dans
lesquelles se résume toute notre doctrine, à savoir :
1° Qu’une promesse de mariage, à laquelle celui qui
l’a faite a attaché, pour le cas d’inexécution, une clause
pénale, consistant dans l’obligation de payer unesomme
d’argent, est nulle comme contraire à la liberté des ma
riages et illicite, ainsi que la clause pénale qui n’en est
que l’accessoire ;
2 “ Que le souscripteur lui-même d’un billet causé pour
prêt est admissible à prouver par témoins que cette cause
est simulée, et que la cause réelle est illicite comme con-
i D. P. 27. 1. 253.
�ET DE LA FRAUDE.
475
sistant, par exemple, en une promesse de mariage avec
clause pénale.’
1357. — Les traités sur succession future étaient
prohibés en droit romain ; on les considérait comme
renfermant volurn alicujns mortis et offensant ainsi la
morale. Une exception était cependant admise en faveur
des traités que celui de la succession duquel il s’agis
sait avait consenti et qu’il n’avait pas rétracté avant de
m ourir.’ Cette exception s’était introduite dans la plu
part des pays de droit écrit et dans un grand nombre de
coutumes.
Mais la faculté de renoncer à la succession, môme dans
ces conditions, avait été restreinte au contrat de mariage
et moyennant une dot constituée à la renonçante, cequi
ne l’empêchait pas, d’ailleurs, d’hériter si au décès du
constituant, il n’existait pas d’autres héritiers, ou si les
héritiers males, au profit desquels la renonciation étai t
censée faite, prédécédaient les père et mère. Elle conser
vait, dans tous les cas, le droit de réclamer un supplé
ment de légitime, si la dot constituée ne remplissait pas
en entier celle lui revenant.3
1 3 58. — Cette législation fut abrogée par les lois ,
1 Cass., 7 mai 1836 ; — D. P., 36, 1, 161.
2 L. 4, Cod. de l n u t . s l i p u l . , L. 30, Dig. de P a r t .
3 Serres, I n s t . , p 257 ; — Ferrières, quest 192 ; — Catelan, liv 2,
chap- 20.
�476
TRAITÉ DU DOL
intermédiaires et notamment par celle du 22 ventôse an
il et plus tard par l’art. 971 du Code civil. Certes, les
termes de sa disposition sont assez clairs, assez positifs,
mais, pour éviter toute difficulté possible, le législateur
a cru devoir, dans l’art. 1130, revenir sur le principe,
en ajoutant cette fois que la nullité d’un pacte sur suc
cession future ne saurait être corrigée par le concours et
le consentement donné par celui-là même de la succes
sion duquel il s’est agi.
Le motif de cette prohibition est d’ordre public. Nos
mœurs ne permettaient pas de pactiser sur la succession
d’un homme vivant sans outrager les lois de la morale et
de l’honnêteté publique. On en est donc revenu à la lé
gislation romaine sur cette matière ; tout acte de ce genre,
renfermant votum alicujus mortis, a été sévèrement et
absolument proscrit.
1339.
— Violer cette prohibition, c’est méconnaître
une loi d’ordre public. Conséquemment, la nullité en
courue est absolue et radicale; l’acte qui en est vicié n’a
jamais eu que l’apparence d’un contrat incapable de
créer un lien quelconque.
Ce caractère de la nullité amène à cette autre consé
quence ; que le traité sur succession future, déguisé sous
l’apparence d’un contrat à titre onéreux, ne saurait, com
me le traité direct, produire le moindre effet, et que la
partie elle-même est recevable à [trouver la simulation ,
fut-ce même par témoins. Il importe peu que l’acte si
mulé soit intervenu de cohéritier à cohéritier, ou de co-
�ET DE LA FRAUDE'
4-77
héritier au propriétaire ; il suffit qu’il constitue un pacte
sur succession future, pour que les conséquences que nous
venons d’indiquer se réalisent immédiatement.
1 3 60. — L’existence delà simulation sera facilement
appréciable, lorsque le traité émanera de cohéritier A co
héritier, ou de celui-ci à un tiers. Il est, en effet, difficile
d’admettre qu’on stipule, comme actuel l’effet d’uri con
trat ne pouvant recevoir aucune exécution avant la mort
du propriétaire de la chose qui en fait l’objet. Peut-être
même que le prétendu débiteur stipulera ne devoir payer
qu’avec et sur ce qui lui reviendra dans la succession.
C’est ce qui se réalisait dans une espèce jugée par la Cour
de Rennes le 2 décembre 1837, et dans laquelle il fut
décidé qu’un acte de cautionnement déguisait un traité
sur succession future dont la partie pouvait poursuivre la
nullité.'
Mais il y aura plus de difficultés lorsque le traité
interviendra entre le propriétaire et un tiers, héritier
présomptif ou non. L’acte, en effet, peut contenir des
clauses telles, qu’il soit difficile d’en apprécier le vérita
ble caractère. Le propriétaire peut disposer de ses biens
comme il l’entend, et nul doute que si l’acte renfermait
un désinvestissement actuel et irrévocable , il devrait
infailliblement «ortir à effet , car , en le supposant nul
comme vente, il n’en vaudrait pas moins comme dona
tion déguisée.
1 J. D. P., tom. ï, 1839, p. 320.
�478
TRAITÉ DU DOL
1561. — Cependant il n’est pas probable que si
l’intention réelle des parties a été de traiter sur succes
sion future , ce caractère de l’acte simulé ne se décèle
pas dans quelques-unes de ses clauses. En effet , celte
intention ne comporte pas un désinvestissement actuel
et irrévocable. Celui qui ne veut donner qu’à sa mort ,
s’en explique plus ou moins expressément. C’est donc
dans les clauses mêmes de l’acte qu’il conviendra d’en
rechercher la portée réelle ; c’est surtout dans ce qui se
rapporte au mobilier que cette recherche a des chances
de succès.
On comprend , en effet, qu’un individu transmette
ses immeubles actuellement, même lorsque la penséë de
cette transmission se réfère à une donation pour cause
de mort. Dans ce cas , la réserve de l’usufruit ou le
payement d’une rente viagère concilie très-bien le véri
table caractère de l’acte avec l’apparence qui lui a été
donnée.
Mais il n’en est pas de même du mobilier. Il n’est pas
dans la nature des choses que celui qui ne veut le trans
mettre qu’à sa mort, s’en dépouille actuellement. Con
séquemment, la vente dissimulant le pacte sur succession
future, en réglera le sort d’une manière qui suffira pour
permettre de saisir la véritable intention des parties con
tractantes.
156*2. — Par exemple, vendre le mobilier qu’on dé
laissera à son décès , n’est pas autre chose que disposer
de son hérédité, et, conséquemment, se placer en con-
�ET DE LA FRAUDE.
479
tradiction avec les principes consacrés par les articles
971, 1130 et 1G00 du Code civil. De quelque manière
donc que ce fait soit dissimulé dans le contrat , son
existence certaine ne laisserait aucun doute sur l’objet
qu’on s’est réellement proposé , et la nullité de l’acte
en serait la conséquence forcée. Or , ce fait se réalise
rait, si, en aliénant son mobilier actuel , le vendeur se
réservait la faculté d’en disposer comme bon lui sem
blerait , avec stipulation que l’acquéreur , en rempla
cement de ce qui aurait été aliéné par le vendeur, pren
dra celui qui se trouvera dans sa succession au jour de
son décès.
Un pareil acte, on le comprend , n’est pas une vente.
La propriété du mobilier, qui parait en faire la matière,
n’est pas transférée ; elle ne cesse pas d’appartenir au
vendeur, puisque seul, il en exercera les attributs, et que
seul, il pourra ultérieurement en disposer.
On ne pourrait, par les mêmes motifs, y voir une do
nation. Donner et retenir ne vaut, et cela se réalise tou
tes les fois que la condition essentielle de toute donation,
à savoir : le désinvestissement actuel et irrévocable ne
se rencontre pas. Sans doute, il importe peu que ce désin
vestissement s’applique cumulativement à la possession
et à la jouissance , ou qu’il n’ait trait qu’à l’une ou à
l’autre. Mais , dans l’espèce, il n’y en a aucun avant la
réalisation du décès. Dès lors aussi, la donation qu’on
voudrait rencontrer n’est, en réalité, ouverte et certaine
qu’à l’époque du décès. Elle ne porte que sur ce que le
donateur prétendu délaissera à sa mort.
�480
TRAITÉ DU DOL
Ainsi réduite, cette donation est nulle sous un double
rapport ; elle constitue, en premier lieu , un pacte sur
succession future, le propriétaire n’aliène qu’une seule
chose, la faculté de disposer ultérieurement de son mo
bilier à titre gratuit. Elle ne saurait, dès-lors, échapper
à la prohibition légale des articles 1130 et 1600 du
Code civil.
Vainement, invoquant la simulation du contrat qui
donne à la donation l’apparence d’un vente, voudraiton soutenir qu’on a pu vendre et acheter une chose fu
ture. L’art. 1600 n’a pas consenti à regarder comme
telle un hérédité non ouverte. Ce qui était de doctrine
incontestable sous l’empire du droit romain : Quum hcerediialem aliquis vendidit, esse debet hcereditas ut sil
emptio. Nec enim aléa emilur ut in vendilione et similibus, sed res, quœ si non est, non contrahitur emplïo, et ideo pretium condicetur.'
Ainsi, la loi ne considère pas l’hérédité comme cons
tituant la chose future susceptible d’être achetée ou ven
due. L’hérédité existe ou non, suivant qu’elle est ou non
ouverte ; et cette doctrine n’est que la conséquence de
l’immoralité et de l’indécence qu’il y a à spéculer sur la
mort de celui dont on achète à l’avance les dépouilles.
l)e plus, la vente manquerait, dans tous les cas, par
l’absence d’un corps certain et déterminé , devant en
faire l’objet. En effet, vendre un mobilier tel qu’il exis
tera au décès du vendeur, c’est ne rien vendre, pas même
i L. 7, Dig.
de H œ r e d . v e l a v l . v e n d i l a ■
�RT DE LA FRAUDE.
4 81
une chose future. Le vendeur pourra toujours faire qu’il
n ’en existe aucun , et cette faculté constituerait la con
dition potestative, susceptible à elle seule d’annuler le
contrat.
En second lieu, la donation constituerait une dispo
sition à cause de mort, laquelle, dénuée des formes spé
cialement tracées par la lo i, ne pourrait produire au
cun effet. Vainement exciperait-on de la jurisprudence
en matière de donations déguisées. Les seules donations
valables sont celles qui sont faites entre vifs , et, d’ail
leurs, tester n’est pas donner. Or, vendre ou donner ce
qu’on délaissera après son décès , c’est faire un testa
ment , qui est nul s’il n’est pas rédigé dans les formes
qui lui sont imposées. Remplacer le testament par une
vente ne peut donc avoir pour objet que d’enlever au
premier la révocabilité, qui est de son essence , et en
chaîner la volonté du testateur ; c’est, en un mot, faire
ce que la loi ne permet pas.
Ainsi, la vente des biens qu’on délaissera à son décès
est frappée de nullité. En tant que vente, elle constitue
un pacte sur succession future; en tant que donation,
elle déguise , sous la forme d’un contrat, à litre oné
reux, une disposition à cause de mort, à laquelle la loi
a dicté une forme spéciale à peine de nullité. Cette si
mulation constitue donc une fraude ii la loi, et comme
cette loi 'est d’ordre public , la partie elle-même serait
recevable à la prouver , comme le sont les tiers et les
héritiers. C’est ce que les Cours d’Orléans et de Rennes
ont formellement décidé. Le pourvoi formé contre l’arrêt
m
31
�482
TRAITÉ DU DOL
de celle-ci a été rejeté par la Cour de cassation le 28
novembre 1843.'
Dans l’une et dans l’autre de ces espèces , on soute
nait que la prohibition de traiter sur succession future
ne concernait que les héritiers ; qu’elle ne pouvait évi
demment s’étendre au propriétaire lui-même, par la rai
son que chacun a le droit de disposer de ses biens com
me il l’endend. Mais cette prétention a été écartée, et
devait l’être, en présence des termes formels de l’article
1130 du Code civil.
1363. — Ces deux arrêts ont également jugé qu’en
pareille matière l’opération était indivisible ; qu’en con
séquence , et quoique, pour les immeubles, il y eût, en
réalité , désinvestissement actuel, l’existence d’un prix
unique et le véritable caractère du contrat ne permet
taient pas d’en scinder les dispositions qui se trouvaient,
dès lo rs, intégralement atteintes par la nullité de celle
relative au mobilier.
1364. — Notons, enfin, que ce qui est décidé pour
l’universalité d’une succession, doit l’être également pour
une quotité quelconque et même pour l’aliénation d’un
corps certain et déterminé. La prohibition de pactiser
sur succession future s’applique à chaque partie, comme
à l’universalité de la succession. Il suffirait donc que
l’aliénation partielle constituât le traité sur succession
1 D. P., 44, 1. 38, — Orléans, 24 mai 1849; —
1849, pag, 78.
J. du P .,
tom.n,
�ET DE LA FRAUDE.
483
future ou déguisât une donation à cause de m o rt, sous
l’apparence d’un contrat à titre onéreux, pour qu’elle ne
p â t, sous l’un ou l’autre rapport, échapper à la nul
lité.'
1565. — La question de savoir si la convention sur
succession future peut ou non être ratifiée après l’ou
verture de la succession, est vivement controversée. Déjà
nous nous sommes expliqués sur ce point, et nous ran
geant à l’avis de Toullier et de Zacchariæ , nous avons
admis l’affirmative1. Nous avons d’autant moins hésité
à le faire, qu’il est certain que l’acte de ratification dé
clarera qu’au besoin les parties renouvellent la conven
tion, ce qui constituerait un nouveau traité dont la lé
galité, ne pouvant être contestée, puisqu’il serait posté
rieur à l’ouverture de la succession, commanderait l’ex
écution.3
Si la ratification expresse est licite, on ne saurait écarter la ratification tacite résultant de l’exécution. Com
ment, en effet, ne pas voir une ratification, par exem
ple, si le règlement de la succession, si le partage même,
s’était, du consentement de tous, opéré sur les bases fi
xées dans le traité primitif ?
1366. — Toutefois, et au point de vue de la pres
cription, cette doctrine est vivement contestée. Sa consé•
1 Cass., 11 novembre 1845; — J . d u P . , tom. n, 1845, p. 627
s V. s u p r a n° 648.
3 Cass., 11 août 1825; — Grenoble, 25 mars 1831 ; — Rouen, 30
décembre 1823.
�484
TRAITÉ DU DOU
cration, en effet, a pour résultat immédiat l’application
de l’art. 1304 à l’action en nullité du traité sur succes
sion future. Ceux-là donc qui pensent que cette action ne
se prescrit que par trente a n s , contestent à 'priori la
faculté de ratifier môme expressément.
Au nombre des partisans de la prescription trentenaire, se range M. Troplong1. Mais ce savant juriscon
sulte n’examine la question qu’au point de vue de la
nullité absolue et radicale , et ne se préoccupe que de
l’erreur qu’il reproche , avec raison, à Toullier, ensei
gnant que C3tte même nulité rentre sous la règle géné
rale de l’art. 1304.
Ainsi, dit M. Troplong, s’il fallait en croire M. Toul
lier , il faudrait aller jusqu’à dire que le propriétaire,
dont la succession a été l’objet d’une vente illicite et qui
y a donné son consentement, n’a que dix ans pour échapper à cette convention ! Nous sommes de l’avis de
M. Troplong, et nous admettons, sans hésiter, que tant
que la nullité est absolue et radicale , c’est la prescrip
tion trentenaire qui, seule, en régit le sort. Or, elle est
évidemment telle, tant que la succession sur laquelle on
a traité n’est pas ouverte.
Mais l’ouverture de la succession ne modifie-t-elle
pas ce caractère de la nullité ? A partir de ce moment,
tout ce qui la compose devient réellement disponible, et
la capacité d’y renoncer, celle d’aliéner, par vente , échange ou cession , est acquise à tous ceux que la loi
i
D e l a ven te,
n° 246.
�ET DE LA FRAUDE.
485
appelle à la recueillir. La loi ne proteste donc plus au
nom de la morale, de l’honnêteté publique, contre l’ex
ercice direct de ce droit. La nullité devient donc pure
ment relative ; et comment ceux qui peuvent aliéner di
rectement, seraient-ils empêchés de le faire indirectement
par la ratification du traité nul jusque-là d’une nullité
absolue ?
C’est cette question que M. Troplong n’a pas cru de
voir examiner, et cependant, c’est la seule qui doive être traitée. En effet, ceux qui soutiennent l’application
de l’art. 1304 à la nullité résultant du pacte sur succes
sion future, ne le font que parce que, à leur avis, cette
nullité perd son caractère absolu et radical par l’ouver
ture de la succession. Le traité, nul de plein droit jus
que-là, n’est plus, à partir de cette ouverture, qu’un acte
annulable ou rescindable , e t , de l’avis de M. Troplong
lui-même , c’est pour les actes de ce genre que dispose
l’art. 1304.
Nous avons donc raison de dire que l’imposante auto
rité de son nom ne pèse pas sur notre discussion ac
tuelle. Nous soutenons si peu l’application de l’art. 1304
aux nullités radicales et absolues , que nous n’admet
tons son applicabilité à la nullité du pacte sur succes
sion future, que parce que, à notre avis, l’ouverture et
la disponibilité de la succession rendent cette nullité pu
rement relative pour l'avenir.
Un pareil effet est-il légalement possible ? L’affirma
tive ne nous parait pas susceptible de difficultés. Elle
résulte du caractère et de la nature de la prohibition. En
�486
TRAITÉ DU DOL
principe , toutes les nullités d’ordre public ne se com
portent pas de la même manière. Elles ne peuvent pro
duire des effets identiques , parce qu’elles ne procèdent
pas toutes de la même cause. Sans doute , elles intéres
sent toutes l’ordre public, mais c’est à des titres divers.
Il n’y a donc que celles qui se déduisent du fait même
qui est devenu la matière du contrat, qui protestent éter
nellement et tant qu’existe ce contrat.
« On ne peut disconvenir, dit Merlin , que , dans la
classe des nullités absolues, il s’en trouve quelques-unes
qu’un particulier ne pourrait plus alléguer après avoir
consenti à l’exécution de l’acte qui en est infecté.' » Or,
dans quelles circonstances ce caractère se rencontrerat-il plus puissamment que dans la nullité résultant d’un
pacte sur succession future? La vente, la cession, la re
nonciation même faisant la matière de ce pacte, n’a en
elle-même rien d’illicite ou d’illégal. Ce qui lui imprime
ce caractère , c’est uniquement le moment qui la voit
s’accomplir , la circonstance que la succession sur la
quelle elle intervient n’est pas ouverte, et qu’il serait in
décent d’autoriser la faculté de trafiquer de la succes
sion d’un homme vivant. Du moment que cet homme
a cessé de vivre, le motif n’existe plus, et cessante causa,
cessât cffectus.
À dater de ce moment, en effet, les parties intéressées
acquièrent la plus entière liberté de traiter de tout ce
qui constitue la succession. Qu’importe à la loi que celte
1 R é p ., v» N u llité , § 3, n° \ .
�ET DE
LA FRAUDE.
487
disposition se réalise par un nouveau traité ou par la
confirmation de l’ancien ! Elle ne répugne plus à ses ef
fets , elle se contente de prononcer l’annulation , si elle
est poursuivie ; mais si celui que cette faveur concerne
veut y renoncer, si, au lieu d’en poursuivre le bénéfice,
il le déserte et l’abandonne, faudra-t-il, plus tard, ané
antir l’effet de cet abandon purement spontané et vo
lontaire? En effet, l’affirmative paraît insoutenable, car
la raison et le droit s’unissent pour proclamer que celui
qui pourrait agir directement ne saurait pas ne pas être
valablement lié, parce qu’il lui a plu d’arriver à un ré
sultat identique par une voie indirecte. L’héritier saisi
peut aliéner. La ratification est une véritable aliénation;
à ce titre donc, elle devrait être maintenue comme le se
rait l’aliénation elle-même.
1 3 6 7 . — La Cour d’Aix, dans un arrêt du 2 juin
1840 ', refuse cependant de le faire. La nullité du pacte
sur succession future , dit-elle , est telle que l’ouverture
même de la succession reste sans influence sur la con
vention dont le vice originaire garde toujours la même
nature, sans qu’il puisse être couvert.
Sans influence nécessaire sur la convention ! Cepen
dant, à dater de cette ouverture , il n’y a plus de suc
cession future, et les biens délaissés deviennent suscep
tibles de toute espèce de transactions. Sans doute, cette
ouverture ne fait pas disparaître, ipso facto, la nullité
1J.
du p . ,
t. h , 1840, pag. 337.
�m
TRAITÉ DU DOL
du pacte dont la succession a été l’objet avant le décès
du propriétaire, et celui qui l’a souscrit n’est pas obligé
de l’exéeuter. Il lui suffit de vouloir pour que ce pacte
soit anéanti, mais s’il vient à l’exécuter , si son intérêt
lui en fait un devoir, n’est-il pas le maître de le faire ?
Oui , dit la Cour, mais par un acte nouveau , non par
une ratification , parce que cette ratification serait une
nouvelle insulte à la loi.
Vraim ent, la Cour d’Aix fait la loi bien susceptible.
Pourquoi se trouverait-elle insultée? Parce que la rati
fication s’appliquant à une nullité radicale et absolue,
serait-elle même atteinte par cette nullité? Mais après le
décès, celte nullité n’existe plus. S’il en était autrement,
tout acte nouveau serait également impossible. La vali
dité de celui-ci entraîne forcément celle de la ratifica
tion. Celle-ci, en effet ne fait ni plus ni moins que l’acte
nouveau ne ferait lui-même. Conséquemment, l’aliéna
tion autorisée par le moyen de celui-ci, ne saurait être
prohibée sous la forme de la ratification.
Mais, dit l’arrêt, il y a entre l’acte nouveau et la ra
tification cette différence, que le premier rend hommage
h la loi en supposant non seulement la nullité , mais
encore l'inexistence de l’acte précédent; et d’ailleurs, ne
recevant l’être que du jour de sa date, il porte sur une
succession ouverte; la ratification, au contraire, se rat
tache à Pacte primitif qu’elle a pour objet de maintenir
aussi bien dans sa date que dans ses effets; s’unissant
et s’incorporant à cet acte , elle reçoit le vice dont il est
infecté au lieu de l’effacer; elle est enfin , avec lui et
�ET DE LA FRAUDE.
comme lui, une stipulation sur la succession d’une per
sonne vivante , à moins qu’on ne veuille la considérer
isolément, et elle n’est rien.
Ceci n’est plus seulement une contradiction , c’est la
négation absolue de la nature du pacte sur succession
future, du caractère, des effets de la ratification.
Le pacte sur succession future , en tant que vente,
cession, renonciation même, n’a rien d’illicite au point
de vue du droit en lui-même. Sa nullité ne résulte pas
de ce qu’on a vendu, cédé ou renoncé. Elle n’est que la
conséquence de l’indisponibilité des objets ou des droits
au moment où ils sont aliénés ; dès lors , leur disponi
bilité acquise, tous ces actes deviennent liciles, cela n’est
pas contesté.
L’ouverture de la succession fait donc disparaître la
prohibition et entraîne , avec elle, la disparition de la
nullité en résultant. Mais cet effet ne rétroagit pas en ce
sens que l’acte souscrit avant est un acte sans lien for
cé , sans exécution possible , s’il plaît à la partie de lui
refuser l’un et l’autre.
Voilà donc celle-ci capable désormais d’aliéner et en
même temps mise en demeure de se prononcer sur le
sort futur du traité qu’elle a souscrit. Quel peut être, en
cet état, l’effet de la ratification qu’il en fait ?
Est-ce de faire disparaître la nullité originaire dont le
traité était atteint ? Non , évidemment, car cette nullité
est un fait consommé qu’il n’est plus au pouvoir des
parties d’empêcher. L’unique but de la ratification, c’est
de purger l’acte pour l’avenir, par la confirmation qui
�490
TRAITÉ DU DDL
en est faite dans un moment de capacité absolue. L’acte
n’a donc une existence légale que du jour de la ratifi
cation, et comme ce jour-là la succession est ouverte,
c’est se livrer à la plus incroyable de toutes les fictions,
que de dire que la ratification n’est elle-même qu’un
traité sur la succession d’un homme vivant.
Si le système de la Cour d’Aix était v ra i, il faudrait
rayer la ratification de nos Codes. Vainement, le majeur
aurait-il ratifié l’engagement souscrit en minorité. Vai
nement, la femme mariée , devenue veuve , aurait-elle
confirmé l’aliénation de sa dot faite pendant le mariage;
on ne manquerait pas de dire que la ratification s’unis
sant et s’incorporant à la convention primitive, est com
me celle-ci censée faite pendant la minorité ou le ma
riage, et qu’un acte nouveau pouvait seul la purger du
vice que la ratification partage.
Qu’on réfléchisse , d’ailleurs , aux conditions exigées
par l’art. 1338. Pour être valable, l’acte de ratification
doit mentionner le vice du traité originaire , et énoncer
l’intention de le purger. Dans l’espèce donc , les parties
déclareront que l’acte par elles souscrit, était nul comme
intervenu sur succession non ouverte, mais que leur vo
lonté étant aujourd’hui la même qu’alors , elles confir
ment leurs accords qu’elles renouvellent même en tant
que de besoin serait. Or, à cette époque, riotous-le bien,
la nullité d’ordre public a cessé de protester contre la
disposition de la succession.
La ratification est donc comme l’acte nouveau un
acte d’obéissance à la loi. Elle est une véritable amende
�ET DE UA FRAUDE.
491
honorable de la part de ceux q u i, l’ayant transgressée,
viennent lui demander pour l’avenir le lien obligatoire
quelles reconnaissent avoir été dans l’impossibilité de
donner à leur contrat.
Il n’y a donc aucune raison sérieuse à objecter contre
la validité de la ratification expresse ; il ne saurait con
séquemment en exister aucune contre la ratification ta
cite résultant de l’exécution. Or, cette ratification tacite,
la loi la fait résulter du silence prolongé pendant plus
de dix ans. L’action introduite après ce délai se trouve
rait atteinte parla prescription de l'art. 1304-, à moins
qu’on ne vint , à cette époque , forcer l’exécution que
l’acte n’aurait pas encore reçu. Dans ce cas, en effet, la
prescription opposable à l’action ne pourrait être oppo
sée à l’exception, en vertu de la règle quæ temporalia
surit ad agendum, fiunt perpétua ad excipiendum.
Î3 6 8 . — L’applicabilité de l’art. 1304 , enseignée
par Toullier, Zacchariæ et Rolland de Villargues, a été
admise par un grand nombre de Cours d’appel, et par
la Cour de Cassation elle-même, le 28 mai 1828, mais
celle-ci vient, par un arrêt du 11 novembre 1845,'
d’abandonner cette jurisprudence pour adopter la pres
cription Irentenaire. Ce qui fonde ce changement, c’est
le caractère de la nullité. La Cour admet donc qu’après
comme avant le décès, cette nullité est d’ordre public et
d’intérêt général, dans cette hypothèse, son arrêt serait
en tout point juridique.
�m
TRAITÉ DU DOL
Mais nous l’avons dit : la raison et le droit indiquent
que le caractère de la nullité est profondément modifié
par le décès de celui sur la succession duquel on a trai
té ; et cette modification nous paraît devoir faire préfé
rer l’arrêt de 1828 à celui de 1845.'
1 5 6 9 . — La morale publique que nous venons de
voir proscrire les pactes sur succession future, était bien
plus directement intéressée à tout ce qui se rapportait
aux enfants naturels. Les législateurs de tous les temps
ont mis et dù mettre une grande différence entre eux et
les enfants issus d’un mariage légitime.
Chez les Romains, la loi n’accordait aux enfants na
turels que des aliments , si leur père délaissait des en
fants ou une épouse légitime ; à leur défaut, ils ne re
cueillaient que le sixième de la succesion dans laquelle
la mère survivante prenait encore une portion virile.
L’excédant était dévolu aux parents éloignés ou au fisc.
Toutefois, ils pouvaient recevoir par donation testamen
taire au delà de ce que leur attribuait la loi. Us pou
vaient être institués pour la totalité des biens , si leur
père ne laissait ni descendants, ni femme, ni ascendants
légitimes ; pour la totalité, moins la légitime due à l’as
cendant, si l’ascendant se trouvait le plus proche héri
tier ; pour un douzième seulement, s’il restait des en-
i V. pour les arrêts , dans l’un et l’autre sens . Dalloz , D i c t. g é n é r .,
v» S u c c e s s io n , et R é p a rt. d u J o u r n a l d u P a la i s , v« S u ccession fu tu r e
et R a tif ic a tio n ,
�ET DE 1.A FRAUDE.
493
fants légitimes,, encore ce douzième se divisait-il par tête
entre les enfants naturels et leur mère.'
Les enfants naturels ne succédaient point aux ascen
dants, si ce n’est par représentation de leur mère, mais
l’aïeul paternel ou maternel pouvait, s’il n’avait pas
d’enfants légitimes, transmettre tous ses biens au petitfils naturel \ La loi fondait, en outre, certaines distinc
tions sur la qualité de la mère. Si elle appartenait à une
famille illustre, l’enfant naturel n’avait rien à réclamer
pas même des aliments3. Si elle était une femme pu
blique, l’enfant suivait alors entièrement la condition de
sa mère, lui succédait comme les autres enfants natu
rels, mais il n’avait aucune espèce de droit à la succes
sion paternelle.4
1370.
— Sous notre ancien d roit, l’enfant naturel
n’était appelé à succéder ni à son père, ni à sa mère ;
il avait seulement, et sauf quelques exceptions, une ac
tion en aliment.
Mais cet état de choses fut bien changé par les lois
intermédiaires. Un premier décret du 4 juin 1793, ap
pela les enfants nés hors mariage à succéder à leur père
et mère , dans la forme qui f u t, plus tard , déterminée
par la loi du 12 brumaire an ii
Nous n’avons pas à suivre , dans ses effets , cette loi,
1 Nov. 18, ch. 5, et 89, ch 12.
a L. U l t . c o d . d e n a l u r . lib .
3 L. 5, C o d . a d sen. con s. o r f i c ia n .
-1 L 8, Dig. Un de c o g n â t .
�494
TRAITÉ DU DOL
devant, dans l’intention de ses auteurs, n’êtreque trans
itoire. On croyait alors à la prompte promulgation du
Code civil, auquel l’art. 10 se référait pour régler les
droits des enfants naturels dont les auteurs seraient en
core existants.
1 371.
— C’est en cet é ta t, et sauf diverses modifi
cations qu’avait successivement subie la législation de
l’an n, que le Code civil trouva la matière.
La classe des enfants naturels a , de tous les temps,
compris deux catégories bien distinctes : Les enfants na
turels simples ; les enfants incestueux ou adultérins.
Leur position ne pouvait être identique , aussi des lois
particulières réglaient - elles le sort de ces derniers qui
n ’étaient pas compris dans celles concernant en général
les enfants naturels.
Sous l’empire du Code, les enfants adultérins ou in
cestueux sont incapables de recevoir de leur père ou
mère autre chose que des aliments. Ce principe est tex
tuellement écrit dans l’art. 762. Son application, quant
à la quotité de ces aliments, est régie par l’art. 763.
Ce principe se fonde sur un motif d’ordre public et
d’intérêt général. L’adultère et l’inceste sont plus qu’une
infraction aux préceptes de la morale, ils constituent de
véritables crimes sociaux. Que leurs tristes fruits ne
soient pas entièrement délaissés ; qu’on ne les condam
ne pas à mourir de faim , c’est ce qu’un sentiment de
pitié commandait impérieusement. Le législateur a cédé
à ces inspirations, mais, il faut le dire, il ne l’a fait qu’à
�ET DE LA FRAUDE.
regret, et que lorsque la connaissance du caractère a dultérin ou incestueux n’était que le résultat d’un évé
nement imprévu et de force majeure.
1372.
— C’est ce que prouve l’art. 335, prohibant,
d’une manière formelle , toute reconnaissance d’un en
fant adultérin ou incestueux. Pour bien apprécier le ca
ractère de cette importante disposition, pour en appli
quer sainement les effets, il faut nécessairement remon
ter à son origine.
Le projet primitif du Code ne contenait aucune dispo
sition de ce genre. La Cour de Lyon, dans ses observa
tions, signala cette regrettable lacune, et demanda qu’elle
fût comblée.
« Serait-il possible, s’écriait-elle, que la loi autorisât
la déclaration publique et authentique de l’adultère et
de l’inceste ?
» Ce ne sont pas précisément les actions immorales
qui anéantissent les mœurs lorsqu’elles demeurent ense
velies sous le voile d’un mystère impénétrable ; le mys
tère lui-même est un hommage aux mœurs; ce n’est
pas même leur publicité , si l’opinion publique les flé
trit, si elle voue au mépris les êtres immoraux. Mais si
l’opinion publique, si la loi elle-même les tolère, si elle
n’en proscrit pas les fruits, l’immoralité triomphe , la
vertu est dédaignée, bientôt, par une contagion funeste,
il n’y a plus de mœurs, plus de vertu, et qu’est-ce qu’u
ne nation sans vertu et sans mœurs ?
» Il est donc impossible que la loi autorise une mè-
�r e , une sœ u r, à consigner authentiquement dans des
registres publics leur turpitude incestueuse ; un père, un
frère, à faire constater par l’officier de l’état civil qu’il
est le frère de son fils, le père de son neveu ; un liber
tin à publier légalement et impunément qu’il est cou
pable d’adultère. La loi peut tolérer une faiblesse ,
elle ne peut supposer un crime , s’il existe , elle doit le
punir. »
Ces idées devinrent celles du pouvoir législatif et do
minèrent la discussion :
« La reconnaissance, disait le tribun Duveyrier, sera
impossible, l’officier public ne la recevra pas; e t, si,
malgré lui, l’acte contient le vice qui l’infecte, cette re
connaissance nulle ne pourra profiler à l’enfant. On écarte par là ces chances pernicieuses d’infamie, ces ré
vélations mortelles à la pudeur sociale. On ne déchirera
plus pour des passions individuelles et des intérêts par
ticuliers , le voile épais dont l’intérêt public couvre ces
scandaleux écarts. »
1 3 7 5 . — De plus , l’art. 342 défend la recherche
même de la maternité admise en général, lorsqu’elle doit
avoir pour résultat d’arriver à la conviction d’un adul
tère ou d’un inceste. En vérité, on dirait que la loi s’est
appropriée cette opinion du tribun Lohary , à savoir :
Que la naissance d’un enfant, fruit d’un inceste ou d’un
adultère, est une vraie calamité pour les mœurs; que
loin de conserver aucune trace de son existence.il serait
à désirer qu’on pût en éteindre jusq'u’au souvenir.
�497
ET DE LA FRAUDE.
1 5 7 4 . — En présence de pareilles dispositions, on
s’est d’abord demandé si l’art. 762 n’était pas une su
perfétation , une véritable lettre morte. Comment ren
contrer des enfants adultérins ou incestueux auquels on
puisse l’appliquer si leur reconnaissance est impossible,
si celle qui serait volontairement faite ne peut jamais
imposer cette qualité , ni produire aucun effet? A cette
objection , qui se produisit au conseil d’E ta t, il fut ré
pondu, que la qualité d’enfant incestueux ou adultérin
pourrait résulter d’autres faits que d’une reconnaissance
spontanée du père ou de la mère. Elle peut être acquise
par la recherche de la maternité tentée dans le but d’é
tablir une filiation naturelle, par le résultat d’une pour
suite criminelle en adultère , ou d’une action en désa
veu , ou de l’annulation d’un mariage contracté à un
degré prohibé. Dans tous ces cas, la filiation adultérine
ou incestueuse n’est qu’une conséquence dir jugement,
elle est dès lors certaine, publique, notoire. Le scandale
que la loi veut éviter s’étant fatalement et légalement
produit, il devenait nécessaire de s’occuper de ceux qui
en sont les tristes victimes. De là l’art. 762.
1 3 75. — La nullité des reconnaissances faites en
violation de l’art. 335 est radicale et absolue. Son effet
en droit ne serait dès lors pas douteux , cependant et
dans l’application , elle a donné matière à une contro
verse sur les questions desavoir : 1" si la reconnaissan
ce illégalement faite confère à l’enfant le droit d’exiger
des aliments ; 2° si on peut en exciper contre lui à l’efîii
32
�498
TRAITÉ Dli DOL
fet de faire réduire les donations ou legs consentis en sa
faveur par l’auteur de cette reconnaissance.
1576. — L’affirmative sur l’une et sur l’autre est
soutenue par Merlin. L’art. 762, dit cet éminent juris
consulte, a été adopté dans cette prévision. Sans doute
les hypothèses où la reconnaissance résulte d’un juge
ment, ont préoccupé le législateur. Mais on trouve dans
les débats législatifs que cette préoccupation n’a pas été
exclusive, qu’elle s’est notamment étendue aux recon
naissances illégales
« Ainsi , M. Siméon , parlant au nom du Tribunal,
disait au Corps législatif :
» Quoique les enfants adultérins ou incestueux ne
» puissent être légalement reconnus , leur existence est
» un fait qui peut quelquefois être évident. Un enfant
» aura été désavoué par le m ari, il aura été le fruit de
» l’adultère de la femme. Le crime de sa mère ne sau» rait la dispenser de lui donner des aliments ; un hom» me aura signé , comme père , un acte de naissance,
» sans faire connaître qu’il est marié à une autre fem» me que la mère de l’enfant nouveau-né , ou que la
» mère est sa sœur; il aura voulu faire fraude à-la loi;
» l’enfant, ignorant le vice de sa naissance, se présen» tera dans sa succession pour y exercer ses droits d’en» faut naturel ; on le repoussera par la preuve qu’il est
» né d’un père qui ne pouvait pas l’avouer ; mais l’a—
» veu de fait, écrit dans son acte de naissance, lui res» tera et lui procurera des aliments. Cette disposition
�ET DE LA FRAUDE.
»
»
»
»
»
499
est conforme à l’ancien droit, il était nécessaire de la
conserver ; car enfin, les enfants adultérins ou incestueux ne sont pas moins des hommes, et tout homme
a droit à recevoir au moins des aliments de ceux qui
lui ont donné le jour.' »
« Ainsi encore , dans son rapport au Tribunat sur ce
titre des donations et testaments, M. Jaubert disait éga
lement :
» Les enfants naturels ne peuvent jamais recevoir au
» delà de ce qui leur est accordé au titre des succes» sions. Quant aux adultérins ou incestueux, dans les
cas rares et extraordinaires où il pourra s’en trouver
» par suite ou de la nullité du mariage, ou d’un désa» veu de la paternité, ou d’une reconnaissance illégale,
» ils ne pourront recevoir que des aliments. »
» Donc , dans l’opinion de ces deux législateurs, la
nullité de la reconnaissance n’empêche pas l’enfant de
s’en prévaloir à l’effet d’obtenir des aliments. Cette con
clusion est loin d’être inconciliable avec le texte de l’ar
ticle 335; sans doute, la reconnaissance qu’elle proscrit
sera incapable pour conférer au père la puissance pa
ternelle, la faculté d’hériter de celui qu’il a illégalement
reconnu, pour imposer à celui-ci les devoirs et les obli
gations d’un fils, mais elle est susceptible de donner ou
verture contre son auteur à une action en aliments. La
reconnaissance d’un enfant renferme essentiellement,
quoique d’une manière implicite, l’obligation de lui four-
i Séance du Corps législatif, du 29 germinal an xi.
�500
TRAITÉ
DU DOL
nir des aliments , qu’elle soit nulle sous le rapport des
droits et devoirs respectifs de père et d’enfant, à la bonne
heure. Mais cela n’empèche pas que l’obligation impli
cite qu’elle renferme de fournir des aliments ne doive
recevoir son exécution.' »
1.577. — M. Toullier s’est rangé à l’opinion de
Merlin, il enseigne, en effet : qu’en disant qu’un enfant
adultérin ou incestueux ne peut être reconnu par acte
authentique, l’art. 335 a eu pour objet d’empêcher que
cette reconnaissauce ne lui confère les droits de succes
sions irrégulières que les art. 757 et 758 assurent aux
enfants naturels légalement reconnus , mais il n’entend
point par là dispenser ceux qui ont reconnu un enfant
de l’obligation naturelle de le nourrir. Ainsi la recon
naissance d’un enfant adultérin ou incestueux ne peut
lui conférer des droits de successions irrégulières, mais
elle peut fonder une action en aliments.1
1378. — Mais l’opinion contraire est fortement sou
tenue par un jurisconsulte, non moins recommandable,
M. Chabot, de l’Ailier3. Nous devons le dire , si l’opi
nion de Merlin et de Toullier est plus humaine, celle de
M. Chabot a l’incontestable avantage d’être plus confor
me à la loi.
Il faut le reconnaître, l’objet de l’art. 335, quoiqu’en
1 R é p . , v° F i l i a t i o n , n° 22.
2 Tom. il, n» 968.
3 Des Successions, art. 762.
*
�ET DE LA
FRAUDE.
501
dise M. Toullier, n’a pas été de priver l’enfant adultérin
ou incestueux des droits de succession irrégulière , ce
résultat était suffisamment atteint par l’art. 762 , le ré
duisant , dans tous les cas , à un simple droit aux ali
ments.
L’art. 335 a donc voulu autre chose , et cette autre
chose nous est indiquée par les motifs qui l’ont fait ad
mettre. Rappelons-nous de quelle manière la Cour de
Lyon en légitimait la demande; les considérations sur
lesquelles elle l’appuyait. Il est vrai que le législateur
n’a pas consacré tout ce que la Cour de Lyon deman
dait , notamment la peine d’emprisonnement contre les
auteurs de la reconnaissance illégale, mais si l’on con
sacrait la prohibition , c’est que la naissance d’un en
fant, fruit de l’adultère et de l'inceste, était une ca
lamité pour les mœurs, que loin de conserver les traces
de son existence, il serait à désirer qu'on pût en étein
dre le souvenir.
Voilà le but de l’art. 335 , éteindre le souvenir de
l'adultère ou de l'inceste, singulière manièrede l’attein
dre que d’admettre que la désobéissance à la loi pût fon
der une action quelconque , et notamment une obliga
tion naturelle que M. Toulier veut rendre légalement ex
écutoire au profit de l’enfant.
Au profit de l’enfant adultérin ou incestueux ! Mais
l’art. 335 dit positivement le contraire. Cette reconnais
sance ne pourra avoir lieu a n p r o f i t des enfants
nés d'un commerce incestueux ou adultérin. Or, quel
est le summum de profit que l’enfant né d’un pareil com-
�502
TRAITÉ DU DOL
merce pourra jamais retirer de la constatation légale de
son état? L’art. 762 a d’avance répondu. Le droit uni
que d’exiger des aliments, mais si vous faites résulter ce
droit de la reconnaissance illégale, que devient la pro
hibition de l’art. 335, comment concilierez-vous la dou
ble proposition qui surgit fatalement de votre système ?
La reconnaissance ne pourra avoir lieu au profit de
l’enfant, si malgré cette prohibition, cette reconnaissan
ce se réalise , l’enfant en retirera tout le profit que lui
procurerait la reconnaissance légalement faite.
Un système, conduisant à de telles contradictions, est
jugé , il est en opposition manifeste avec le texte de la
loi, il l’est, de plus, avec son esprit.
Nous venons de le dire, le législateur ne veut consa
crer aucune trace de l’adultère ou de l’inceste ; il prohi
be donc toute reconnaissance, mais il ne pouvait se dis
simuler que sa volonté, quoique clairement manifestée,
pourrait être transgressée et méconnue. Quel était le re
mède possible ? Evidemment, le seul indiqué était de
refuser toute autorité à l’acte réalisant celte prévision,de
le considérer comme n’existant pas, comme n’ayant ja
mais existé. Or, dans le système que nous combattons,
la loi aurait bien voulu sévir contre la transgression,
mais, respectant la transgression accomplie, elle lui au
rait reconnu et fait produire des effets obligatoires, c’està-dire que loin de tenir la main à l’exécution de sa vo
lonté, elle en aurait toléré, et par cela même encouragé
la violation; peut-on , nous ne dirons pas l’admettre,
mais même le supposer?
�ET DE LA FRAUDE.
503
Mais, dit Merlin, vous prétendez donc que l’acte par
lequel un individu s’obligerait à fournir des aliments à
un enfant qu’il reconnaîtrait pour le sien, et qui serait,
par le fait de celte reconnaissance, adultérin ou inces
tueux , fut nul pour le tout. Nous sommes bien loin de
soutenir la nullité intégrale, nous qui soutiendrons tout
A l’heure contre M. Merlin lui-même que la donation
ou le legs, mélangé de reconnaissance adultérine ou in
cestueuse, ne saurait être réduit. Il y a dans l’acte dont
parle M. Merlin deux choses distinctes: la reconnais
sance qui doit être effacée , l’obligation qui subsiste in
dépendamment de la reconnaissance ; celle ci n’est pas
nécessairement la cause de l’obligation de fournir des aliments. A défaut de toute autre cause apparente, l’in
tention de faire une libéralité la légitimerait et la ren
drait même irrévocable. Dans cette hypothèse, d’ailleurs,
l’action de l’enfant reposerait, non sur la reconnaissan
ce , mais sur la libéralité déguisée sous la forme d’une
obligation.
Ce que nous soutenons , c’est qu’une reconnaissance
pure et simple ne serait qu’un acte insusceptible de créer
un droit quelconque en faveur de personne, et que no
tamment l’enfant adultérin ne pourrait prétendre y trou
ver l’origine d’une obligation de lui fournir des ali
ments.
Ce système qui découle du texte et de l’esprit de la loi
pourrait encore s’étayer des principes sur les fraudes à
une loi d’ordre public. Tout ce qui est fait dans ce sens
est frappé d’une nullité radicale et absolue, et demeure,
�504
TRAITÉ DU DOL
par conséquent, incapable de créer aucun lien , aucun
droit. Or, la reconnaissance faite au mépris de l’art. 335
viole une loi d’ordre public, elle ne saurait donc léga
lement fonder une action quelconque. Mais, dit Merlin,
l’obligation de fournir des aliments n’est pas attachée à
la reconnaissance , elle résulte de la paternité même.
Nqus admettons volontiers qu’il en est ainsi, avant mê
me la reconnaissance , le père est naturellement obligé
à donner des aliments à celui qu’il sait être son fils ;
mais si l’obligation naturelle crée un lien dans le for in
térieur pour celui qui la doit, elle n’en crée aucune en
faveur de celui à qui elle est due. Nul ne peut être con
traint judiciairement à exécuter une obligation naturelle
tant qu’elle ne s’est pas manifestée par un fait légal lui
imprimant pour l’avenir un lien civil. Dans notre espè
ce , la paternité oblige naturellement ; sa manifestation
lui donne seule le lien civil, permettant d’en contraindre
l’exécution. Or, la loi , proscrivant celle-ci en matière
d’adultère et d’inceste , refuse absolument de convertir
l’obligation naturelle en obligation civile. Cette obliga
tion reste donc renfermée dans la conscience du père, et
le fils ne peut même en exciper, car, aux yeux de la loi,
il est ce’ sé ne pouvoir connaître cette paternité que la
loi condamne à un secret perpétuel.
1 579. — Au reste , la Cour de cassation qui , déjà
du temps que M. Chabot écrivait, s’était, dans l’affaire
tanchère, prononcée contre le système de Merlin, a de
puis, et malgré ses observations, persisté dans cette ju-
�ET DE LA FRAUDE.
505
risprudence , et ses nouveaux arrêts ne présentent plus
l’équivoque et le doute que Merlin reproche à ce pre
mier arrêt. Voici en effet, comment, dans ses arrêts les
plus récents, la Cour de cassation établit le principe :
« Attendu, dit un arrêt du 8 février 1836, que, d’a
près la prohibition expresse de l’art. 335 , qui a pour
objet de prévenir des révélations scandaleuses, la nullité
de la reconnaissance n’en laisse subsister aucun effet ni
contre les enfants, ni en leur faveur. »
Ailleurs, et dans un arrêt du 4 décembre 1837', la
Cour considère que la reconnaissance des enfants, nés
d’un commerce adultérin ou incestueux , est interdite,
d’une manière absolue, par l’art. 335 :
« Attendu , continue-t-elle , que lorsque , au mépris
de cette prohibition d’ordre public , la reconnaissance
volontaire d’un enfant adultérin est faite par acte au
thentique ou sous seing privé, elle est radicalement nulle
et ne peut produire aucun effet, soit contre l’enfant pour
faire réduire à de simples aliments les donations faites
en sa faveur , soit à son profit pour faire condamner
l’auteur de cette reconnaissance à lui fournir des ali
ments ;
» Attendu que l’art. 762, qui déclare que la loi n’ac
corde que des aliments aux enfants adultérins , ne dé
truit pas la prohibition de l’art. 335 et ne peut recevoir
son application que lorsque la preuve de la paternité est
indépendante de toute reconnaissance volontaire et ré1J.
du P-,
tom. u, 1837, p. 365.
�TKAJTÉ DU DOL
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•Il 1 li 3
1 * 1
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suite seulement d’actes de poursuites et de jugements
qui n’ont pas pour objet la recherche de cette paternité
interdite, dans tous les cas, par l’art. 342 du Code ci
vil. »
Plus tard, la Cour de Lyon réduit une donation faite
à un enfant adultérin , par celui qui l’avait reconnu,
sur le motif que ces enfants sont incapables de succéder
et n’ont droit qu’à des aliments ; que la filiation adul
térine résulte suffisamment de la reconnaissance authen
tique lorsqu’elle n’est pas contredite par l’acte de nais
sance. Mais cet arrêt, étant devenu l’objet d’un pourvoi,
est cassé par la Cour suprême, le 3 février -t 841.
« Attendu, porte ce nouvel arrêt, que, sous l’empire
du Code civil, la recherche de la paternité est interdite;
que l’art. 335 défend , en termes exprès et absolus , la
reconnaissance des enfants adultérins ou incestueux;
» Qu’il suit, de là, que l’art. 762, en leur accordant
des aliments, ne s’applique qu’aux seuls cas où la preuve
de la filiation adultérine ou incestueuse est acquise en
justice par la force des choses et non au cas où, comme
dans l’espèce , la preuve de celte filiation ne résulterait
que d’une simple reconnaissance que la loi prohibe ex
pressément.1 »
Enfin, et le 18 mars 1846% un dernier arrêt, rendu
au rapport de M. le conseiller Mesnard, vient de pro
clamer encore les mêmes principes.
1 ./. du P., loin, i, 1841, pag. 369
2 D. P., 46, 1, 345.
�Vs :
ET DE LA FRAUDE.
On le v o it, la Cour de cassation n’a jamais varié
dans l’acception qu’elle donne aux art. 335 et 762. Le
motif de cette jurisprudence nous est dévoilé par le rap
porteur du dernier arrêt, le savant M. Mesnard : « Du
moment où , par l’effet d’une reconnaissance effrontée
d’une paternité adultérine, un droit quelconque, au pro
fit ou au préjudice de l’enfant adultérin ou incestueux,
pourrait être exercé, l’exercice de ce droit serait un scan
dale public. » Il faut bien le reconnaître, c’est bien là,
en effet, ce que la loi a admis, ce qu’elle a voulu, à tout
prix, empêcher. Cela nous parait si évident „ que nous
n’hésitons pas à croire que les Cours qui, contrairement
à la jurisprudence de la Cour de cassation , font pro
duire un effet à la reconnaissance volontaire, soit pour
réduire à de simples aliments les libéralités faites à l’en
fant par l’auteur de la reconnaissance , soit pour per
mettre à l’enfant d’obtenir des aliments, s’écartent de la
loi et cèdent à une prétendue équité contre laquelle le
texte et l’esprit de notre législation ne cessent de pro
tester.
Le système de M. Chabot doit donc prévaloir sur celui
de Merlin et Toullier. Cette pensée est celle de la majo
rité des auteurs. Il en résulte que l’enfant ne saurait ê
tre admis à fonder une action en aliments sur la recon
naissance volontaire des auteurs de ses jours.
Cette solution préjuge forcément celle que doit rece
voir la seconde question. Il est certain , en effet, que
puisque la reconnaissance volontaire ne crée aucun droit
à l’enfant, elle ne saurait en créer aucun contre lui. On
�508
TRAITÉ DU DOL
ne saurait admettre que ce qui est nul en sa faveur pût
être valablement invoqué et produire des effets ù son
préjudice. Et puisque , comme le dit la Cour de cassa
tion, dans son arrêt du 8 février 1836 , nonobstant la
reconnaissance , l’état des enfants n’en est pas moins
resté incertain, et qu’ils sont demeurés étrangers à leur
auteur , la demande en réduction des libéralités qu’ils
peuvent en avoir reçues, soit par acte entre vifs, soit par
testament, ne saurait s’appuyer sur aucune base. Son
admission violerait donc expressément l’effet de la pro
hibition de l’art. 335.
1 5 8 0 . — En rigueur de principes, disent MM.Teulet et Dauvilliers , cela est incontestable. La reconnais
sance, censée non écrite contre la demande de l’enfant,
ne peut être envisagée autrement lorsqu’il y a une ac
tion dirigée contre ses intérêts. Mais , si l’on passe aux
conséquences, on est vraiment effrayé de ce qui va sui
vre. Si l’enfant eût été simplement naturel , s’il fût né
de deux personnes entièrement libres, la reconnaissance
eût été valable et les droits de l’enfant se fussent trouvés
réduits à une part déterminée dans la succession. Au
contraire , si la reconnaissance suppose un commerce
incestueux ou adultérin, elle est nulle. iMais l’enfant, qui
reste alors sans état de famille, n’est plus restreint, soit
à de simples aliments, soit à une réserve délimitée ; mais
il acquiert la pleine et entière capacité dans toute son
étendue , en sorte que rien n’empêche qu’il soit admis
en concours avec des enfants légitimes pour leur enlever
la totalité de la quotité disponible.
�ET DE LA FRAUDE.
Ces auteurs ajoutent que la raison de diverses Cours
d’appel s’est révoltée contre un pareil résultat, et en an
nulant la reconnaissance faite au profit de l’enfant, elles
en ont tourné contre lui les effets pour réduire l’insti
tution à de simples aliments. Si le premier système est
plus conforme aux principes de la loi, le second convient
mieux aux règles de la morale.'
Il n’y a , en matière de législation . d’autre règle de
morale, pour les tribunaux surtout, que celle qui se ré
sume dans l’application stricte de la lo i, dans son ob
servance religieuse. Ne pas se conformer à celle règle,
c’est se jeter dans l’arbitraire, c’est se placer au-dessus
de la loi, ce que rien ne saurait jamais justifier.
Serait-il vrai d’ailleurs , que la loi aurait méconnu
la m orale, que le système de la Cour de cassation en
violât les règles. Nous avons d’abord laissé parler le lé
gislateur , qui nous a appris que ses dispositions n’ont
été sanctionnées que par respect pour la morale. Ecou
tons maintenant la Cour de cassation nous indiquer ses
motifs par l’organe d’un de ses membres les plus dis
tingués.
Lors de l’arrêt de 1846 , M. le rapporteur Mesnard
disait à la Cour : dans l’interprétation que vous avez
donné à l’art. 335, et dans l’application rigoureuse que
vous faites de la nullité qu’il prononce , vous avez été
guidés par un intérêt encore plus élevé que celui de la
famille , vous avez senti que cet art. 335 contenait une
i Codes annotés, art. 335, nM 91 et suiv
�règle de haute moralité, un principe d’honnêteté publi
que , qui ne devait transiger qu’avec la force majeure.
Vous avez compris que, du moment où, par l’effet d’u
ne reconnaissance effrontée d’une paternité adultérine,
un droit quelconque, au profit ou au préjudice de l’en
fant adultérin, pourrait être exercé,l’exercice de ce droit
serait un scandale public. Pénétrant dans l’intention du
législateur, qui avait essentiellement en vue de mettre
la sainteté du mariage à l’abri de cette profanation,
vous avez décidé qu’en aucun cas la reconnaissance d’un
enfant adultérin ne pourrait produire d’effet, soit contre
l’enfant pour faire réduire à de simples aliments les
donations faites en sa faveur, soit à son profit pour faire
condamner l’auteur de cette reconnaissance à lui fournir
des aliments.
N’en déplaise à MM. Teulet et Dauvilliers, c’est là
aussi de la morale , et celle-ci a du moins sur l’autre
l’incontestable avantage de se conformer aux principes
et d’obéir à la loi.
Comment ces auteurs peuvent-ils approuver ce qu’ils
déclarent eux-mêmes être contraire aux principes ? Ils
savent cependant que les tribunaux n’ont d’autre mis
sion que de les appliquer. S’ils leur paraissent blesser
l’équité et la morale, ils peuvent les signaler à la solli
citude du législateur , en solliciter la réforme. Mais en
attendant que le législateur ait avisé, refuser d’y sous
crire, c’est usurper un pouvoir qui n’appartient pas à
la justice, et sortir des limites dans lesquelles se restreint
sa juridiction.
�ET DE LA FRAUDE.
511
1 3 8 1. — Certes, personne ne se montre plus ef
frayé de la doctrine de la Cour de cassation que M.
Chardon ; nul ne la juge aussi sévèrement. Pour M. Char
don, en effet, cette doctrine arrive à un immense scan
dale; elle doit, dans un temps prochain, amener la rui
ne du mariage , le mépris de la religion , l’anéantisse
ment de la civilisation ' ; et de tout cela que va-t-il
conclure, qu’il faut désobéir à la loi , à laquelle il re
connaît que cette doctrine se conforme ? Non certes, ce
qu’il se contente de faire , c’est d’émettre le vœu d’une
réforme. Cette conclusion aurait dû être celle de tous
ceux qui partagent ces craintes fort heureusement chi
mériques, celle surtout de ceux qui ont mission d’appli
quer la loi.
1 3 8 2 . — Quoi qu’il en soit, les auteurs de la juris
prudence que nous combattons cherchent à la justifier
à l’aide d’arguments plus ou moins spécieux. Les deux
plus importants, invoqués à cet effet, consistent à pré
tendre : 1° que la donation fondée sur une paternité
adultérine ou incestueuse, a une cause illicite et doit être
annulée par application de l’art. 1131 du Code civil;
2° que cette donation est indivisible de la reconnais
sance de la paternité ; que par conséquent la nullité de
celle-ci détermine forcément la nullité de l’autre.
M. Marcadé’ répond au premier: que la qualité
i D u dol et de la fraude, t. m , p. 33 et suiv.
s E lé m e n ts d u d r o it civil, art. 762.
�512
TRAITÉ DU DDL
d’enfant n’est pas la cause immédiate de la libéralité ;
que cette cause réside exclusivement dans la volonté de
donner ; et qu’à l’égard du motif qui détermine la vo
lonté de donner, et qui forme ainsi la cause médiale de
la libéralité, il est et doit être sans influence sur la va
lidité de la disposition.
Les annotateurs de Zacchariæ' répondent au second:
que cette prétendue indivisibilité n’est qu’un pur sophis
me , car il s’agit ici de deux actes juridiques , distincts
l’un de l’autre, et qui n’ont rien de commun, si ce n’est
de se trouver dans un même acte instrumentaire. Ainsi,
rien n’empêche d’écarter la reconnaissance comme en
tachée de nullité , et de maintenir la disposition dans
son intégrité , comme faite en faveur d’une personne
dont l’incapacité ne se trouve pas légalement justifiée.
En vain , essaierait-on de se soustraire à cette consé
quence , en invoquant l’art. 1131 , et en attaquant la
disposition comme étant fondée sur une cause illicite,
comme étant dépourvue de cause. En effet, la reconnais
sance une fois écartée comme illégale , il n’existe plus,
aux yeux de la loi , de preuve de filiation. On ne peut
donc présenter la disposition comme fondée sur une
cause illicite, pour ce qui excède les aliments dont il est
permis de disposer en faveur des enfants adultérins ou
incestueux. D’un autre côté, on ne peut l’attaquer com
me dépourvue de cause , parce que une disposition , à
�ET DE LA FRAUDE.
titre gratuit, ne requiert d’autre cause que la volonté de
gratifier celui au profit duquel elle est faite.
1383.
— Ces réponses nous paraissent décisives au
tant que péremptoires , elles dissipent les voiles dont
s’enveloppe le refus d’appliquer la loi. Nous n’hésitons
donc pas à conclure que la seule doctrine légale sur la
portée réelle des art. 335 et 762, est celle à laquelle la
Cour de cassation s’est dès longtemps arrêtée, à savoir:
que la prohibition consacrée par le premier est d’ordre
public , qu’en conséquence , toute reconnaissance d’un
enfant adultérin ou incestueux est frappée d’une nullité
radicale et absolue; qu’elle est censée n’avoir jamais ex
isté, et ne peut dès lors créer un droit quelconque pour
ou contre l’enfant.
Que l’art. 762 n’est applicable qu’aux enfants adulté
rins ou incestueux , reconnus tels par le résultat d’une
poursuite ou d’un jugement n’ayant pas eu pour objet
la recherche de l’adultère ou de l’inceste sévèrement in
terdite par l’art. 342.
Doit-on considérer comme adultérin l’enfant que son
acte de naissance indique comme né d’une femme ma
riée et d’un individu autre que le mari ?
L’affirmative semble repoussée par l’art. 312. L’en
fant conçu pendant mariage a pour père le mari , et
celte présomption ne le cède qu’au désaveu que celuici peut réaliser et poursuivre dans les formes et aux
conditions tracées par la loi.
Donc , dès que la maternité de la femme mariée est
tu
33
�514
TRAITÉ DU DOL
certaine, et que la date de la naissance place la con
ception depuis et pendant le mariage , la paternité du
mari est acquise sauf l’action en désaveu qui peut seule
établir le contraire.
L’intérêt de l’enfant l’exigeait ainsi, il n’était pas pos
sible de faire dépendre sa légitimité de l’erreur du dé
clarant sur le nom du père, ou de la fraude qui aurait
présidé à la fausse indication.
C’est ce que la Cour de Paris jugeait Irès-juridiquement dans l’espèce suivante :
L... est né à Nice le 14 octobre 1829 ; son acte de
naissance le déclare fils de la dame R ..., femme légiti
me du sieur D..., tandis qu’en réalité elle était épouse
du sieur Henry G...; il avait été élevé loin des époux
G... et sous le nom de J ....
Le 6 mars 1862 il demande contre les époux G... la
rectification de son acte de naissance , c’est-à-dire le
rétablissement du nom du véritable mari de la dame
R ..., sa mère.
La maternité de celle-ci n’est pas contestée , mais le
sieur G... soutenant que la demande constitue une ré
clamation d’état dans les termes de l’art. 323 du Code
Napoléon , il est, aux termes de l’art. 325, recivable à
établir par tous les genres de preuve qu’il n’est pas le
père du réclamant.
Celui-ci répond qu’en d ro it, les art. 323 et suivants
ne sont applicables que lorsque à défaut d’indication
dans l’acte de naissance l’enfant établit le fait de la ma
ternité par témoins ou par présomptions ; qu’en consé-
�ET DE LA FRAUDE.
515
quence lorsque l’acte de naissance indique pour mère
une femme mariée, la présomption de l’art. 312 reprend
son em pire, et ne peut être détruite que par le dés
aveu ;
Que dans tous les cas et en fa it, les circonstances de
la cause n’établissant pas même une impossibilité mo
rale de paternité , rien ne vient contredire et par con
séquent affaiblir l’effet de la présomption légale qui ne
pourrait être écartée que par la certitude de celte im
possibilité.
Ce système, repoussé en première instance, est ac
cueilli par la Cour de Paris qui le consacre par arrêt
du 11 janvier 1865.
La Cour déclare d’abord que les art. 325 et suivants
ne peuvent être ni invoqués ni appliqués dans l’espèce ;
que le mari n’avait que l’action en désaveu qui n’a ja
mais été réalisée et ne pouvait d’ailleurs pas l’être.
Elle ajoute : « Considérant d’autre part et en fait,
qu’au moment où se place la conception de l’enfant, né
le 14 octobre 1829 , les époux G... vivaient ensemble,
sans qu’il soit apporté aucune preuve de mésintelligence
existante entre eux ; que la femme G... n’a quitté le do
micile conjugal que vers le huitième mois de sa gros
sesse; que dans une telle situation rien ne démontre
l’impossibilité de rapprochement entre les époux; que
si les faits d’adultère et l’éclat dont ils ont été entourés
ont conduit G... à repousser de sa famille un enfant né
dans ces circonstances ; que si la femme G... et son
complice ont eux-mêmes regardé cet enfant comme né
�516
TRAITÉ DU DOL
de leurs relations, ces sentiments, qui s’expliquent par
diverses passions, ne peuvent servir de règle à la justice
qui n’écarte la présomption légale que lorsqu’une véri
table impossibilité morale se présente pour la combat
tre; que cette impossibilité ne peut être admise quand
les époux vivent sous le même to it, et sans dissenti
ments apparents ; qu’ainsi lors même qu’on placerait la
cause sous l’empire des art. 323 et suivants, G... ne fe
rait pas la preuve exigée par l’art. 325, et que dès lors
ses conclusions doivent être rejetées sans qu’il soit be
soin de recourir à la preuve offerte par l’appelant. »
Les époux G... s’étant pourvus en cassation, échouè
rent devant la Cour suprême , mais l’arrêt de celle-ci,
du 13 juin 1865, ne tranche pas la question d’applica
bilité ou de non applicabilité des art. 323 et suivants, il
s’appuye uniquement sur les constatations de faits rele
vées par la Cour de Paris, qui avait un pouvoir souve
rain à ce sujet, dont l’exercice est légal et inattaquable.1
Cependant cette question de droit offre un intérêt in
contestable, et il nous paraît difficile de la résoudre au
trement que ne l’a fait la Cour de Paris.
En effet l’art. 325 n’admet que la preuve contraire à
celle que l’art. 323 autorise l’enfant à faire. Or la fa
culté pour l’enfant de prouver n’existe que dans les cas
formellement prévus, c’est-à-dire lorsqu’il n’a ni acte de
naissance ni possession d’état, ou qu’il a été inscrit soit
1 Moniteur des tribunaux, du 13 juillet 1865.
�ET DE LA FRAUDE.
517
sous de faux nom s, soit comme né de père et mère in
connus.
Or aucune de ces conditions n’existe lorsque l’acte de
naissance donne pour mère une femme mariée. Alors
en effet le titre se suffit à lui-même, le nom du père est
inutile et son omission indifférente. La loi l’a elle-même
donné dans l'art. 312: et sa désignation est obligatoire
et ne le cède qu’au désaveu.
Pourrait-on dès lors attacher à la fausse indication
un effet qu’on refuserait à l’omission ? Mais la première
ne saurait lier l’enfant, car elle peut n’êlre qu’une frau
de contre lui, ou que le résultat de l’erreur du déclarant.
Donc lorsque l’enfant en demande la correction, il agit
non en réclamation d’état, car cet état son acte de nais
sance combiné avec l’art. 312 le lui donne, mais en
rectification de son acte de naissance. On ne saurait dès
lors placer son action sous l’empire de l’art. 325.
Vainement dirait-on qu’on impose ainsi au mari une
paternité qu’il n’a pu discuter. Les art. 312 et 316 re
poussent péremptoirement cette objection. En effet à
quelque époque que se réalise l’action de l’enfant, il
pourra le désavouer si la naissance lui a été cachée , et
il aura deux mois depuis la découverte de la fraude pour
réaliser ce désaveu.
À quel titre se plaindrait-il si connaissant la naissan
ce il a gardé le silence? Or comment prétendra-t-il qu’il
n’a pas eu cette connaissance, s’il a su la grossesse de
sa femme? Est-ce que la naissance n’en était pas la
conséquence forcée, et n’était-il pas dès lors en mesure
�et en demeure de la connaître. En cet état n’est-il pas
rationnel et juste de dire avec la Cour de Paris et la
Cour de cassation que le silence du mari malgré la cer
titude de la grossesse de sa femme est un aveu implicite
de la paternité qui s’oppose non seulement au désaveu,
mais encore à la faculté concédée par l’art. 325.
Nous ajoutons qu’en revendiquant celle-ci, et qu’en
s’abstenant de l’action en désaveu le mari reconnaît par
cela même qu’il n’est pas recevable à intenter celle-ci,
c’est-à-dire qu’il n’a pas été à l’époque de la concep
tion dans l’impossibilité physique de cohabiter avec sa
femme , et que même dans le cas d’adultère la nais
sance de l’enfant ne lui a pas été cachée. Il ne saurait
donc être admis désormais à contester une paternité qu’il
a tacitement acceptée.
Nous croyons donc qu’en droit, lorsqu’un enfant a
été inscrit sur les registres de l’état civil comme né d’u
ne femme mariée, et d’un tiers indiqué faussement com
me étant le mari de la mère, cet enfant a, en sa faveur,
la présomption de légitimité établie par l’art. 312 contre
le véritable mari de la femme , et que celte présomp
tion ne peut être détruite que par la consécration du
désaveu ; qu’en conséquence, si celui-ci n’a pas été ex
ercé ou ne peut plus l’être , la légitimité de l’enfant lui
est irrévocablement acquise, si la maternité de la fem
me est acquise et non contestée.
1 3 8 4 . — Dans les cas o ù , sans l’avoir recherchée,
on arrive à constater une filiation adultérine ou inces-
�ET DE LÀ FRAUDE.
519
tueuse , le père est absolument incapable de donner, et
le fils de recevoir au delà des aliments dont l’art. 763
règle les proportions. Conséquemment, toute donation à
l’effet d’éluder, sur ce point, l’intention formelle du lé
gislateur, serait de plein droit réductible.
Il importerait peu que cette donation se fût déguisée
sous la forme d’un contrat à titre onéreux. La simula
tion ne peut jamais servir à triompher d’une prohibition
d’ordre public. Elle est nulle comme léserait l’acte qu’elle
a pour but de masquer, s’il avait été fait directement.
Cette nullité pourrait être prouvée par témoins , même
par la partie ayant coopéré à la simulation.
1585.
— La loi s’est montrée moins sévère pour
les enfants naturels simples. L’état de liberté du père et
de la mère atténue leur faute aux yeux même de la mo
rale, et la loi permet d’en effacer toutes les conséquen
ces en autorisant la légitimation par mariage subsé
quent.
Cette légitimation , la loi l’appelle de tous ses vœux,
mais prévoyant le cas où elle ne se réaliserait pas , le
législateur a dû s’occuper de fixer le sort des enfants
naturels.
Le respect dû au mariage, l’importance de la famille
qui en n a ît, ne permettait pas d’assimiler les enfants
naturels aux enfants légitimes. Les fruits d’une union
consacrée par la loi et par la religion , devaient être
largement préférés. Voici comment le législateur y a
pourvu.
�520
TRAITÉ DU DOL
1 5 8 6 . — L’art. 334 permet aux parents de recon
naître l’enfant naturel. Celle reconnaissance purement
facultative peut se réaliser alors même que son auteur
est engagé dans les liens du mariage avec un autre que
le père ou la mère de l’enfant. Il suffit qu’à l’époque
de la naissance ou de la conception de l’enfant ainsi
reconnu, il fut libre de pareils engagements.
Celle reconnaissance faite au moment de la naissance
de l’enfant , peut résulter de l’acte civil qui la constate,
à défaut, elle peut être faite par tout autre acte, pourvu
que l’acte ait été reçu en la forme authentique. Remar
quons , en effet, qu’en présence des termes exprès de
l’art. 334, la reconnaissance sous seing privé , quelque
certaine qu’en fût la date, ne saurait produire le moin
dre effet.
1 5 8 7 . — Nous venons de dire que l’époux peut,
pendant le mariage, reconnaître un enfant naturel qu’il
aurait en , avant le mariage , d’un autre que de son
conjoint. Cette faculté la femme peut l’exercer sans avoir
besoin de l’autorisation de son mari.
1 5 8 8 . — Quelque grave que soit un acte de cette
nature, quelque compromettantes qu’en puissent être les
conséquences, la loi a été amenée à en suspecter la sin
cérité. Elle s’est donc préoccupée du cas où la recon
naissance ne serait due qu’à une idée de vengeance et
de haine contre l’autre époux ou contre les enfants nés
du mariage , l’art. 337 répond à cette prévision. Il dé
cide que la reconnaissance, que fait l’un des époux peu-
�ET DE LA FRAUDE.
521
dant le mariage , ne saurait nuire ni à l’époux, ni à
l’enfant; ainsi l’enfant nuturel, qui en a été l’objet, ne
pourra rien prétendre sur la succession de l’époux mê
me dont elle émane. La question de savoir s’il peut au
moins demander des aliments est même diversement ré
solue1. M. Loiseau enseigne que le père devrait ces a liments même sur les biens de la communauté, parce
que, chef de cette communauté jusqu’à la dissolution du
mariage, il a le droit d’en aliéner ou d’hypolhéquer les
biens, mais il refuse à l’enfant le droit d’en obtenir après la mort de son père, parce qu’alors, et contraire
ment à l’art. 337, la reconnaissance nuirait aux enfants
légitimes, s’ils pouvaient être contraints à satisfaire aux
aliments.’
1589.
— La disposition de l’art. 337, ayant uni
quement pour objet de prévenir une fraude, devient in
applicable lorsque , par la manière dont elle s’est pro
duite , la reconnaissance exclut formellement toute idée
de fraude. Cette évidence est acquise lorsque la mater
nité résulte d’un jugement contradictoirement rendu
contre l’épouse à la requête du mari.de ses héritiers,de
l’enfant lui-même..
En effet, le mari peut désavouer l’enfant pour nais
sance précoce, ses héritiers peuvent en contester la légi
timité, pour cause de naissance tardive ; la réussite de
1 Cass., 27 août 1811 ; — Toulouse, 6 mai 1826.
2 D e s e n f a n t s n a t u r e l s , p. 435.
�522
TRAITÉ DU DOL
l’une ou de l’autre de ces actions confère à l’enfant la
qualité d’enfant naturel simple, puisque, dans toutes les
deux , l’époque de la conception se place hors du ma
riage, et la maternité de l’épouse est indubitable. Toute
idée de fraude disparaît également, car la filiation im
posée à l’enfant est bien loin d’être pour lui un avanta
ge, elle lui enlève les droits de la légitimité et le réduit
à la qualité d’enfant naturel.
D’autre part, la recherche de la maternité étant admi
se, l’enfant p e u t, dans les formes et conditions voulues
par la loi, faire constater celle qu’il impute à une fem
me mariée depuis. Il est évident, dans cette hypothèse,
que l’existence du mariage ne peut être un obstacle à ce
qu’il jouisse des droite que le gain de son procès lui con
fère.
En conséquence, dans l’un comme dans l’autre cas,
l’art. 337 reste sans application. Cet article ne prévoit
que la reconnaissance purement volontaire, et non celle
qui résulterait de la force des choses, et comme consé
quence d’un jugement contradictoirement obvenu.'
1 390. — La reconnaissance régulièrement faite est
irrévocable, son bénéfice est désormais assuré, mais elle
pourrait être annulée s’il était prétendu et prouvé qu’elle
a été le fruit de la violence , de la fraude ou du dol. Il
importe, en effet, qu’un acte aussi important soit le fruit
1 Toullier , t. u , n» 985 ; — Duranton , t. ni , n° 255 ; — Rouen,
29 mai 1829 , et 20 mai 1809 ; — Rennes , 22 mars 1810; — Cass.,
24 novembre 1830.
�ET DE LA FRAUDE.
d’une volonté spontanée et libre. Les principes géné
raux, en matière de contrats, lui sont incontestablement
applicables. Conséquemment les vices du consentement,
annulant ceux-ci, feraient rétracter la reconnaissance.'
Que l’auteur d’une reconnaissance dolosive ou frau
duleuse soit recevable et fondé à l’attaquer et à la faire
annuler , c’est ce dont il n’est pas permis de douter.
Tout ce qu’on exigera de lui en pareil cas , ce sera la
preuve des manœuvres qui ont égaré et perverti son
consentement.
Doit-on décider de même pour celui qui entraîné par
une passion effrénée n’aurait consenti à reconnaître
l’enfant que pour posséder la mère et satisfaire ainsi sa
passion ?
La solution ne saurait être douteuse si celte passion
excitée par une séduction habile n’était en définitive
que le résultat des manœuvres plus ou moins adroites
qui devaient infailliblement faire tomber celui qui en
était l’objet dans le piège qui lui était tendu.
Mais alors même qu’aucune séduction n’aurait pro
voqué et entretenu la passion qui a seule déterminé la
reconnaissance. La nullité de celle-ci devrait à notre avis être la conséquence de sa fausseté.
Nous reconnaissons que dans ce cas l’auteur de la
reconnaissance ne pourrait alléguer l’erreur qui l’aurait
amené à reconnaître pour son enfant une personne qui
�324
TRAITÉ DU DOL
ne l’était pas. II savait très-bien, en effet, au moment
où il agissait, que celte personne ne lui était rien , et
et c’était bien sciemment qu’il proclamait une paternité
évidemment mensongère. L’erreur aurait donc été vo
lontaire, et ne pourrait invoquer le bénéfice des pres
criptions qui protègent l’erreur involontaire.
Mais ce qui serait admissible pour un contrat ordi
naire , ne saurait l’être lorsqu’il s’agit de la reconnais
sance d’un enfant. Il n’est en effet aucune matière qui
intéresse plus directement l’ordre public. Le mensonge
que cette reconnaissance consacrerait aurait pour résul
tat de troubler l’ordre des familles, d’altérer le principe
des successions, de substituer aux droits qui procèdent
de la nature et de la loi, l’usurpation et le scandale. De
telle sorte que la reconnaissance au lieu d’être une lé
gitime et juste réparation, ne serait plus qu’un manteau
sous lequel viendraient s’abriter le mensonge et la ruse
C’est là évidemment un scandale et un abus que le
législateur ne pouvait ni autoriser ni permettre. Donc
celui qui , obéissant à un sentiment quelconque, tente
de le réaliser, se met en rébellion ouverte contre sa vo
lonté, s’insurge contreun principe d’ordre public et d’in
térêt général, et à ce double titre ne se lie par aucun
lien qu’on puisse plus tard invoquer contre lui.
Ce caractère de la reconnaissance erronée ou men
songère est tellement évident et ses conséquences telle
ment certaines que nous ne comprenons pas que des ju
risconsultes éminents tels que MM. Demolombe , Demante, Massé et Vergé aient pu les méconnaître, et re-
�ET DE LA FRAUDE.
525
fuser à l’auteur de celte reconnaissance le droit de la
faire annuler.
La Cour de Paris s’est prononcée dans ce sens le 22
janvier 1855, mais dans l’espèce on n’articulait ni dol,
ni fraude, ni violence d’aucun genre. Tout se résumait
dans l’allégation du demandeur qu’il n’était pas le père
de l’enfant, ce qu’il offrait de prouver. Or l’arrêt dé
clare que les faits articulés , lors même qu’ils seraient
prouvés, n’établiraient pas le défaut de paternité.'
Cette appréciation de fait enlève à l’arrêt tout mérite
doctrinal. Il ne saurait donc contrebalancer l’autorité
d’autres décisions qui, avant et après lui, ont consacré
l’opinion contraire. Ces décisions sont un arrêt de la
Cour d’Aix du 22 décembre 1852, rendu sur une espèce
fort remarquable; un arrêt de Paris du 23 juillet 1853,
enfin un arrêt de Lyon du 13 mars 1856.’
Ce dernier arrêt se fonde sur les trois moyens que
faisait valoir contre la reconnaissance celui-là même de
qui elle émanait : à savoir le mensonge de la reconnais
sance , l’immoralité de sa cause , le dol et la fraude.
Voici sur le premier moyen , et indépendamment des
deux autres, les motifs de l’arrêt :
« Attendu que la paternité et les devoirs qui en ré
sultent doivent être le fondement unique la seule cause
de la reconnaissance d’un enfant naturel; qu’aulrement
la tolérance de la loi ne serait plus qu’une source de
1 J.
a J.
du P .,
du P .,
1 . 1 , 4855, pag. 28.
tom. a, 4883, pag. 481 et 437 ; — 4857, p. 345.
�526
TRAITÉ DU DOL
trouble pour les familles, et de scandale pour la société;
que cette vérité ressort clairement des termes et de la
combinaison des a rt.334 et suivantsdu Code Napoléon.
» Attendu d’ailleurs que l’état des personnes si inti—
mément lié à l’ordre public ne saurait être livré à des
caprices passagers, moins encore à de honteux trafics...;
que le mensonge d’une reconnaissance d’enfant naturel
est toujours une fraude à la lo i, une atteinte à l’ordre
social. »
Nous croyons à la justesse juridique de ces considé
rations , dès lors à l’impossibilité de considérer la part
prise à la fraude par l’auteur de la reconnaissance, com
me une fin de non-recevoir contre sa demande ulté
rieure en nullité.
Au reste et quelle que soit l’opinion qu’on se forme
à ce su jet, la fin de non-recevoir serait dans tous les
cas purement personnelle, et ne pourrait être opposée à
aucun autre membre de la famille.
Le droit de celle-ci est écrit dans l’art. 339 disposant
que la reconnaissance pourra être contestée par tous
ceux qui y auront intérêt. Or la famille tout entière est
dans cette position. Son intérêt à veiller à ce qu’aucun
étranger ne vienne s’introduire dans son sein et en us
urpe les droits, à veiller à ce qu’on ne puisse prendre le
nom qui lui appartient, ne saurait être ni méconnu ni
contesté.
Aussi remarquons-nous que l’art. 339 n’exige plus
comme le font les art. 187 et 191 que l’intérêt soit né
et actuel. C’est qu’en effet, en matière de reconnais-
�ET DE LA FRAUDE.
527
sance d’enfants, il y a outre un intérêt pécuniaire plus
ou h,oins prochain, un intérêt moral qui subsiste à toute
époque, et qui se trouve plus ou moins compromis par
la tentative d’introduire dans la famille une personne
qui n’a pas le droit d’en faire partie.
Cela est surtout vrai pour le chef de la famille , pour
le père, la mère. L’ascendant de celui qui a reconnu
l’enfant et q u i, comme le disait la Cour de Lyon dans
un arrêt du 13 mars 1856, a droit et qualité : 1° pour
l’honneur de son nom que pourrait porter l’enfant re
connu ; 2° à raison de la transmission éventuelle à cet
enfant d’une partie de sa fortune; 3° en vue de l’obli
gation de fournir à son fils des aliments qui s’augmen
teraient dans la proportion des besoins de celui-ci.'
Ce principe sur lequel il n’existe aucune controverse
dans la doctrine a été de nouveau consacré par la Cour
de Lyon le 22 mai 1862, et par la Cour de Paris le 19 .
juillet IS ôi."
Dans cette dernière espèce, l’auteur de la reconnais
sance était intervenu dans l’instance en nullité intro
duite par son père, et déclarait s’en rapporter à justice.
Mais son intervention avait été contestée sous prétexte
qu’il n’était pas recevable à revenir contre son propre
fait.
Le tribunal de Paris avait carrément repoussé cette fin
de non-recevoir. Il déclarait que l’intérêt auquel l’arti-
1J.
2 J.
du P .,
i 857, p. 343
862, p. 836 ; — \ 863, p. 108.
du P ., \
�528
TRAITÉ DU DOL
cle 339 subordonnait l’action pouvait se rencontrer chez
la partie qui a concouru à l’acte , et spécialement chez
celle qui y est désignée comme faisant la reconnaissan
ce; qu’en effet on ne peut méconnaître l’intérêt de l’hom
me entraîné par une force morale devenue irrésistible,
ou par une erreur facile dans le paroxisme de la pas
sion, à revenir contre des constatations destinées à monumenter la vérité, et qui ne consacrent que le men
songe.
La Cour est moins précise ; elle se contente de décla
rer que l’auteur de la reconnaissance était , comme la
mère de l’enfant, partie nécessaire dans l’instance; qu’il
était d’autant plus recevable à y intervenir qu’il aurait
dû y être appelé.
Lorsque la reconnaissance est attaquée non par son
auteur mais par son père , celui-ci n’a rien à prouver
si ce n’est le caractère mensonger de cette reconnais
sance. Exiger de lui qu’il articulât les faits de dol et
qu’il en fournît la preuve, serait le mettre das l’impos
sibilité de réussir s’il avait à agir contre son fils, et ren
dre celui-ci l’arbitre suprême de l’instance.
Or ce caractère résultera nécessairement de l’impossi
bilité de cohabiter dans laquelle le prétendu père se se
rait trouvé au moment de la conception ; on arriverait
au même résultat en établissant que l’auteur de la re
connaissance n’a connu la mère que beaucoup plus
tard.
Au reste, comme toutes les questions de fait, celle-ci
est laissée à l’appréciation du juge. 11 ne faut pas donner
�ET DE LA FRAUDE.
effet à une reconnaissance mensongère, mais il ne fau
drait pas non plus en annuler une réelle et sérieuse.
Les magistrats ne doivent donc rien négliger de ce qui
est dans le cas d’éclairer leur religion et de rassurer
leur conscience.
1 3 9 1. — Mais l’enfant n’est pas forcé de subir la
reconnaissance dont il est l’objet, il lui appartient de la
contester et de la faire repousser. Il peut, en effet, a voir un intérêt sérieux à ne pas avoir pour père l’auteur
de cette reconnaissance, et c’est dans ce sens que le droit
romain exigeait son consentement pour la validité de la
reconnaissance : Inviti filii naluralcs non redigunlur
m patriam potestatcm.'
1592.
— En droit français, la nécessité de ce con
sentement a été appuyée sur le motif qu’en matière de
reconnaissance, la plus exacte réciprocité devrait régner
entre le père et le fils. Le premier ne pouvant jamais
être contraint à reconnaître, on ne devrait pas forcer le
second à être reconnu, avec d’autant plus de raison que
cette reconnaissance tardive peut n’être que l’effet d’un
calcul difficile à déjouer.
Cependant cette solution répugne à notre législation.
La reconnaissance peut avoir lieu dans l’acte de nais
sance même. Comment, dans ce cas, se préoccuper du
consentement de l’enfant ? Comment exiger de lui un
i L. 12, Dig.
ni
D e h is g u i m i v e l a l i e n i j u r i s su nt.
34
�530
TRAITÉ DU DOL
refus ou une opposition ? Renvoyer cette reconnaissance
jusqu’à l’époque où il sera capable de l’un ou de l’au
tre, c’était, dans bien de cas, nuire gravement à l’en
fant , et lui enlever le bénéfice de la naturalité par le
prédécès de ses père et mère. Cependant cette mesure
devenait indispensable si on avait admis la nécessité de
son consentement. En conséquence, la faculté de recon
naître dans l’acte de naissance, indique que le Code n’a
pas voulu se conformer à la législation romaine.
La réciprocité en faisant la base , quelque équitable
qu’elle paraisse, n’était pas possible en fait, car la posi
tion des parties est fort loin d’être égale. Il n’y a de cer
titude possible sur le fait de la paternité que par l’aveu
qu’en fait son auteur. Jusqu’à cet aveu on peut se livrer
à telles ou telles conjectures , mais arriver à la vérité
sincère et réelle est à peu près impossible. Donc, la dé
claration du père est indispensable. Telle n’est p a s , à
beaucoup près, la position du fils , le fait qu’il s’agit de
rechercher a nécessairement précédé sa naissance. Sur
quelles données s’appuyera-t-il donc pour l’établir ou
le contester ? Cette inégalité forcée dans les moyens de
vait en amener une dans le pouvoir de constater le fait,
c’est ce qui a fait admettre d’une part la reconnaissance
du père dès qu’elle se manifeste ; repousser de l’autre
toute recherche et conséquemment toute action du fils
en déclaration de la paternité. Dans l’un comme dans
l’autre c a s , l’enfant ne pouvait être que l’écho de sa
mère, et l’on en revenait à cette règle odieuse et injuste;
Creditur virgini paternitatem afferenti.
�ET
DE LA
FRAUDE.
S31
Mais, est-ce à dire par là que l’enfant est condamné
à se courber sous une reconnaissance pouvant n’être
que l’effet d’un calcul et non l’expression de la vérité ?
Non, évidemment, l’art. 339 laisse la faculté de contes
ter la reconnaissance à toutes les parties intéressées , et
de plein droit l’enfant se place à la tête de celles-ci. II
est donc recevable à la discuter et à justifier que sa dé
claration est une fausseté devant disparaître'. Il le se
rait surtout si, déjà en possession de la qualité d’enfant
naturel simple, la reconnaissance du père devait avoir
pour effet de lui imprimer le caractère d’enfant adulté
rin ou incestueux. Dans ce cas, la reconnaissance serait
nulle de plein droit.
1593.
— Mais une difficulté sérieuse, que fait sur
gir l’application de cette règle, est celle de savoir si la
charge de prouver la fausseté de la déclaration incombe
à l’enfant. Toullier se prononce pour l’affirmative. Puis
que, dit-il, la reconnaissance n’exige ni le concours, ni
le consentement de l’enfant, la contestation qui en est
faite est une demande principale, ordinaire, que son au
teur est tenu de justifier. On ne peut faire fléchir ce prin
cipe en faveur de l’enfant.
La Cour de Rouen, saisie de la question, ne l’a pas
résolue. Un arrêt, qu’elle a rendu le 15 mars 1826,
décide seulement qu’en cas de contestation , l’acte de
1 Rouen , 15 mars 1829 ; — Nîmes , 2 mai 1837 ; — J o u r n a l
tom n, 1837, p. 28S ; — Toullier, ton), il, n° 260.
P a la is,
du
�532
TRAITÉ DU DOL
reconnaissance n ’établit, sur la paternité, qu’une prés
omption qui peut être détruite par d’autres présomptions
de même nature. En ce cas , la preuve de la paternité,
ou de la non paternité ne doit pas être mise à la charge
exclusive de l’une ou de l’autre des parties , les juges
doivent se déterminer d’après les circonstances de la
cause.
1 5 9 4 . — Mais la Cour de Montpellier a formelle
ment abordé la question , et T a nettement tranchée à
l’aide de la distinction suivante : Lorsque la reconnais
sance de l’enfant est contenue dans l’acte de naissance,
ses effets ne peuvent être détruits que par la preuve de
sa fausseté, et cette preuve incombe à l’enfant ; il en est
autrement lorsque la reconnaissance est postérieure à
l’acte de naissance. Dans ce cas, cette reconnaissance,
si elle est contestée, doit être appuyée de preuves venant
attester la sincérité du fait qu’elle contient.1
1595. — Cette distinction nous parait juridique et
sage. Elle se conforme à l’esprit général de notre légis
lation, en matière de fraude. En effet, nous l’avons fait
remarquer déjà, plus la fraude acquiert de facilités, plus
elle est possible , et plus la méfiance de la loi et sa sol
licitude augmentent. Or, la reconnaissance sera contes
tée comme n’étant que l’effet d’un calcul odieux , d’un
intérêt sordide. Mais, de pareils reproches se conçoivent
�ET DE LA FRAUDE.
533
peu , lorsque cette reconnaissance se trouve dans l’acte
de naissance. L’avenir incertain de l’enfant, l’impossi
bilité de savoir si la reconnaissance sera un bénéfice et
non une charge , lui imprime un caractère de véracité
te l, qu’elle ne le perdra que par la preuve contraire,
que l’enfant est admissible? à fournir.
Mais il n’en est plus de même lorsque la reconnais
sance s’éloigne du moment de la naissance. On doit se
montrer d’autant plus difficile à l’admettre, que la po
sition de l’enfant sera plus ou moins fixée , qu’il sera
plus facile de prévoir son avenir. Alors les reproches de
calcul et de^spéculation deviennent plus ou moins vrai
semblables et une juste méfiance doit remplacer la fa
veur que mérite la première hypothèse. Alors au ssi, le
père prétendu a à justifier son long silence, son chan
gement de conduite , à apporter, enfin, à l’appui de sa
déclamation, des faits la corroborant et de nature à en
appuyer la véracité. Nous le répétons donc, la solution
de la Cour de Montpellier est frappée au coin de la lé
galité et de la raison.
1396.
— La reconnaissance définitivement acquise
a pour effet de soumettre, dans les limites tracées par
la loi, la personne et les biens de l’enfant à la puissan
ce paternelle. Elle oblige le père ou la mère à fournir
des aliments , même après la majorité de l’enfant, s’il
est dans le besoin ; enfin , elle donne à ce dernier le
droit de se présenter à la succession et d’y recueillir la
quote-part qui lui est formellement réservée.
�534
TRAITÉ DU DOL
Il suit de la détermination que la loi a faite de cette
réserve, que l’enfant naturel ne peut rien recevoir au
delà. C’est ce que, d’ailleurs, le législateur a cru devoir
rappeler expressément dans l’art. 908. C’est là une vé
ritable incapacité que le désir de multiplier les maria
ges, en en favorisant les fruits légitimes, a dû faire con
sacrer.
1397. — Les effets de cette incapacité ne sont pas
la nullité absolue des dispositions faites en faveur de
l’enfant naturel. Ils se bornent à la réduction jusqu’à
due concurrence de la réserve à laquelle il a droit de
prétendre.
1 3 9 8 . — Cet effet, quoique restreint, suffira quel
quefois pour inspirer la pensée de recourir à une simu
lation pour en éluder l’application, mais rappelons-nous
qu’il n’est pas permis de faire indirectement ce que la
loi prohibe d’accomplir directement. Ainsi, la libéralité,
déguisée sous la forme d’un contrat, à titre onéreux,
n’échappera pas à la réduction, à la nullité complète
s i , indépendamment et en dehors de cet acte , l’enfant
naturel est couvert de sa réserve.
y i;a
1 5 9 9 . — L’une et l’autre pourront incontestable
ment être poursuivies par les héritiers. Mais le père
pou rrait-il, de son chef, demander la rétractation de
l’acte simulé ?
La négative nous paraît devoir être adm ise, non pas
toutefois au point de vue de la complicité de la fraude,
�ET DE LA FRAUDE.
et par application de la maxime Nemo auditur, etc. En
effet, la fraude, dans cette circonstance, aurait pour effet
de violer une loi d’ordre public , ce q u i, comme nous
l’avons d it, autorise la partie à en faire prononcer la
nullité , après en avoir établi l’existence par la preuve
testimoniale.
Mais ce qui rend la demande du père irrecevable,
c’est, d’une part, que, pendant la vie, il est maître ab
solu de ses biens ; qu’il peut en disposer ainsi qu’il l’en
tend , sans que ses héritiers, même légitimes et directs,
aient à s’immiscer dans le mode d’administration qu’il
lui plaît choisir, ni à redire contre les actes qu’il sous
crit. Pouvant donc donner tout à un étranger , il peut
également le donner à l’enfant naturel, sauf le droit de
ses héritiers dans l’un et l’autre cas. Dès lors le père,
n’étant pas incapable de disposer directement, a sans
contredit valablement pu le faire par la voie indirecte.
D’autre p a rt, l’enfant naturel n’est atteint d’aucune
incapacité relativement aux biens de son père, tant que
celui-ci existe. Jusqu’au décès , il possède ces biens en
vertu d’une délégation régulière que le père pouvait ne
pas consentir, mais qui, l’ayant été, devient obligatoire
pour lui comme pour tous, à un titre incontestable.
Comment, en effet, du vivant du père, établir que la
libéralité excède ou non la réserve de l’enfant naturel,
et dans quelles proportions ? Mais cette réserve ne sera
déterminée qu’au décès et par la qualité des héritiers
appelés à recueillir la succession. Les héritiers présomp
tifs , au moment de la simulation et de la libéralité,
�536
TRAITÉ DU DOL
pourront prédécéder de telle sorte, que par l’absence de
tous représentants au degré voulu, l’enfant naturel verra
sa réserve se composer de l’intégralité de l’hérédité.
Comment donc comprendre, en l’état de cette incertitu
de, que quelqu’un pût demander la réduction d’une li
béralité que l’événement peut rendre inattaquable ?
Ainsi la question de savoir s’il y a lieu ou non à ré
duction, et sur quelles bases il faut l’opérer, est néces
sairement subordonnée au décès du père naturel et à la
qualité des héritiers existant à cette époque. Aussi la loi
ne déclare l’enfant naturel incapable qu’au respect de
cette succession. Tout ce qui est fait avant est régulier
et valable. Le père ne pourrait donc, sous aucun pré
texte s’en faire relever.
1 4 0 0 . — Le légalaire universel du père pourrait-il,
après la mort de celui-ci, faire réduire les libéralités di
rectes ou indirectes faites au fils naturel ? Non, dit Loi
seau', attendu que le défunt a pu imposer à la libéra
lité telle condition qu’il a trouvée convenable ; que la
première obligation des légataires est de respecter la vo
lonté du défunt; qu’en attaquant le legs destiné à l’en
fant naturel, en en demandant la réduction, ils outra
gent la mémoire de leur bienfaiteur ; qu’une disposition
de dernière volonté est une et indivisible ; qu’il faut la
suivre ou la rejeter tout entière ; que le légataire uni
versel ne peut donc se dispenser d’acquittter la charge
i Des enfants naturels, n° 674.
�ET DE LA FRAUDE.
et les legs dont il est grevé, s’il veut lui-même recueil
lir le montant de son institution.
Ces raisons sont loin de nous paraître concluantes.
L’obligation , pour le légataire ou l’héritier institué , de
respecter la volonté du testateur, est une obligation pu
rement morale , ne créant un lien civil obligatoire que
lorsque cette volonté est elle-même conforme à la loi.
D’autre part, l’indivisibilité du testament est une fiction
inadmissible ; il y a autant de testaments distincts qu’il
existe de dispositions différentes, et la validité ou la nul
lité de l’une d’elles ne saurait ni profiter, ni nuire aux
autres.
Nous sommes, cependant, de l’avis de M. Loiseau,
parce qu’avec lui nous dirons que la prohibition de l’ar
ticle 908 n’est pas absolue; qu’elle n’existe qu’en faveur
des héritiers du sang ; parce qu’eux seuls ont à souffrir
de la disposition excessive du testateur ; qu’elle leur en
lève la succession du père naturel, qui leur était légale
ment promise , tandis que la loi ne promettait rien au
légataire , tenant tout de la volonté unique du défunt.
En d’autres termes , les légataires ne succèdent qu’aux
droits et actions qui se trouvent dans la succession Or,
celle en réduction des avantages faits à l’enfant naturel,
n’a jamais appartenu au père. Elle ne peut donc se trou
ver dans la succession. D’ailleurs, si les héritiers légi
times renoncent, la portion de l’enfant naturel augmente
à chaque degré; même, à défaut absolu d’héritiers légi
times , la disponibilité du père est de l’intégralité de la
35
�538
TRAITÉ DD DOL
succession. Sous tous ces rapports, les légataires univer- '
sels ou autres n’ont aucune réduction à rechercher , ni
aucune demande en nullité à former, quand l’héritier du
sang garde le silence.
1401. - Il n’en serait pas de même pour les in
capables dont parle l’art. 909. Le fondement de la nul
lité est tout autre. Le père naturel cherche à éluder la
loi par un sentiment d’affection que la loi condamne,
non en ce qui le concerne lui-m êm e, mais seulement
à l’endroit de ses héritiers légitimes. La libéralité faite
aux incapables de l’art. 909, est censée le produit d’une
influence dolosive, e t , si cet article prévoit la mort de
son auteur, c’est moins pour priver celui-ci du pouvoir
de réclamer que pour préciser la condition de l’existence
de la présomption de fraude qu’elle autorise.
Ainsi, la libéralité dolosive est, par rapport à son au
teur, ce qu’elle est à l’égard de ses héritiers. Revenu à
la santé , le premier pourra, comme ses héritiers le fe
raient, s’il venait à mourir, en poursuivre la nullité.
Nous n’avons pas à nous occuper du cas où la libé
ralité a été consentie sous la forme testamentaire. La fa
culté de refaire le testament est exclusive de toute obli
gation de s’adresser à la justice.
iMais s’il s’agit d’une donation entre vifs , directe ou
déguisée, sous la forme d’un contrat à titre onéreux, rien
ne pourrait l’empêcher d’en poursuivre la nullité , et il
lui suffirait, pour l’obtenir, de prouver que le prétendu
�ET DE LA FRAUDE.
539
contrat onéreux n’est qu’une libéralité; que cette libéra
lité a été faite pendant la maladie, et, comme telle, lé
galement présumée dolosive et frauduleuse.
L’auteur de la libéralité pouvant en poursuivre la nul
lité, l’action existe dans sa succession et peut être exer
cée par tous légataires ou héritiers, comme par les hé
ritiers du sang.
�T A B L E
DES
C H A P IT R E S
DU
TOM E
III
De la F r a u d e .
Chapitre
h.
PA
G
ES
S ection ni. — F r a u d e s d a n s la \ e n t e
e t l ' é c h a n g e ...................................................
1
S ection
iv .
—
S ection
v.
— F r a u d e s d a n s l e s s o c i é t é s ..............................113
F r a u d e s d a n s le l o u a g e .
.
.
.
53
.
S ection v i . — F r a u d e s d a n s le s p r ê t s ..............................1 5 7
S ection vu. — F r a u d e s d a n s l e m a n d a t ..............................271
•
D e la S im u la tio n .
Observations
générales.......................................................
Chapitre
i. —
Chapitre
ii. —
335_
S im u la tio n p u r e e t s im p le d u c o n t r a t .
F r a u d e c o n c e r t é e c o n t r e la lo i
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Text
TRAITÉ
EÏNT M A T IE R E
C IV IL E «Sc COM M ERCIALE
PAR J. B É D Â R R I D E
Tome 4
Avocat près la Cour d’appel d’Aix , ancien Bâtonnier
Membre correspondant de l’Académie de Législation de Toulouse
Chevalier de la Légion d’Honneur
TRO ISIÈM E
ÉD IT IO N
revue et mise au courant de la doctrine et de la jurisprudence
TOME QUATRIÈME
PARIS
L. L A R O S E , LIBRfAIRE
22,',
EUE SOUFFIOT,
ACHILLE MAKAIRE, LIBRAIR
22
2,
RUE PONT-MOREAU,
2
1876
Xao
�TRAITÉ
EÏNT M A T IE R E
C IV IL E «Sc COM M ERCIALE
PAR J. B É D Â R R I D E
Avocat près la Cour d’appel d’Aix , ancien Bâtonnier
Membre correspondant de l’Académie de Législation de Toulouse
Chevalier de la Légion d’Honneur
TRO ISIÈM E
ÉD IT IO N
revue et mise au courant de la doctrine et de la jurisprudence
TOME QUATRIÈME
PARIS
L. L A R O S E , LIBRfAIRE
22,',
EUE SOUFFIOT,
ACHILLE MAKAIRE, LIBRAIR
22
2,
RUE PONT-MOREAU,
2
1876
Xao
��T R A IT E
DU DOL ET DE LÀ FRAUDE
EN MATIÈRE CIVILE ET COMMERCIALE
DE
LA
FRAUDE.
—34*-
CHAPITRE
FRA U D ES
III.
CONTRE
LES
T IE R S
,
SOMMAIRE.
1402.
1403.
Matière du chapitre.
Quelles sont les personnes désignées sous la dénomination
de tiers ?
1404. Division.
1402.
— Nous avons vu jusqu’à présent la loi,
mue par des idées d’équité et de justice , venir au seiv
1
�2
TRAITÉ DU DOL
cours des parties contractantes et autoriser celle que la
fraude a voulu léser, non seulement à se faire indemni
ser du préjudice qu’elle a souffert, mais encore à de
mander d’être relevée de ses propres engagements.
S’occupant ensuite de l’inviolabilité des prescriptions
que l’ordre public ou l’intérêt général lui a dictées, nous
l’avons vu proscrire d’une manière absolue toutes les
simulations à l’aide desquelles on tenterait de les éluder,
et, pour pouvoir plus sûrement les atteindre, permettre
aux parties de lui en signaler l’existence, de la prouver
même par témoins, malgré que chacune d’elle ait assu
mé sa part de responsabilité dans la violation de ses
volontés.
Mais ee n'était pas tout que de veiller à ce double et
puissant intérêt. Il en existait un troisième qui se re
commandait à toute sa sollicitude, parce qu’il était en
core plus incessamment menacé. Nulle part, en effet, la
fraude n’était plus facile, plus prochaine que dans l’hy
pothèse qui nous reste à examiner, nous voulons parler
de la simulation pour tromper les tiers.
1 4 0 3.
— Les tiers sont non seulement les créan
ciers , mais encore , et dans certaines circonstances, la
femme, les enfants, les parents successibles de l’auteur
de la fraude. Les premiers ont le droit de compter, pour
le paiement de ce qui leur est d û , sur l’universalité de
la fortune de leur débiteur que la loi a expressément af
fectée à cette destination. Gela s’entend non seulement
des biens présents, mais encore de tous ceux que le dé-
�ET DE LA FRAUDE.
3
biteur sera appelé à recueillir plus tard. Tenter de di
minuer, d’altérer ce gage, refuser de l’augmenter, c’est
attenter à des intérêts légitimes et compromettre des
droits d’autant plus sacrés qu’ils n’ont été contractés
que sous la foi des garanties formelles que leur promet
tait la loi.
D’autre part, la femme a droit soit à la restitution de
ses dot et reprises , soit à une part égale dans la com
munauté. Les enfants sont appelés à prendre dans la
succession de leurs parents une part déterminée par la
loi. Enfin , les successibles eux-mêmes sont préférés à
certaines incapacités. En conséquence, tout ce qui tend
à léser ces divers droits est de nature à violer non seu
lement la loi, mais encore à occasionner un grave pré
judice. C’est ce double but que se propose ordinaire
ment la simulation.
1404.
— Comment assurer cependant l’exéculion
de la loi , si les personnes menacées par la fraude ne
pouvaient de leur chef se plaindre de la simulation
et la faire annuler? Le législateur, placé en présence de
cette difficulté, 11e pouvait la résoudre logiquement qu’en
accordant l’action que ce double but rendrait indispen
sable. C’est cette action que nous allons examiner dans
son origine, dans sa nature et dans son caractère ; dans
les conditions imposées à son exercice ; dans le mode
de preuves qu’elle exige; enfin , dans ses effets suivant
le contrat qui est argué de simulation.
�Origine, Nature et Caractère de l'action.
SOMMAIRE.
1405.
1406
1407
1408.
1409.
1410.
1411.
1412.
1413.
Fondement équitable de l’action.
N’existait pas dans l ’ancien droit romain qui affectait à la
dette la personne plutôt que les biens du débiteur.
Première modification introduite : faculté pour les créan
ciers de se faire mettre en possession des biens de leur
débiteur.
L’insuffisance de ce palliatif amena enfin le préteur Paul
à créer l’action révocatoire, qui a gardé son nom.
Véritable caractère de cette action; son étendue restreinte
aux actes d'aliénation.
Caractère de l ’action.Considérée par les Pandectes comme
personnelle in factum, elle est qualifiée de réelle dans
les Institutes.
Délai de quatre ans substitué par Justinien au délai pri
mitif de deux ans.
Cette action était bien plus utile en droit romain qu’en
droit français. — Pourquoi?
Elle fut néanmoins admise par celui-ci, qui assimila le
refus d’acquérir à l’aliénation.
�ET DE LA FRAUDE.
1414.
1415.
5
Motif et développement de cette modification.
Le Code civil a définitivement consacré la doctrine de no
tre ancien droit.
1405.
— L’action des tie rs, contre la fraude dont
ils sont victimes , est une conséquence de la protection
due à tous les intérêts légitimes , une émanation de ce
devoir de haute moralité et de saine justice, se résumant
dans ce sublime précepte suum cuique tribuilo. Elle
n’a , en effet, d’autre objet que de prévenir et d’empê
cher ces entreprises odieuses qui , tout en foulant aux
pieds les prescriptions de la loi , causent à autrui un
préjudice injuste et déloyal. Qu’un débiteur ait à se
plaindre d’un créancier, sa plainte doit être déférée à la
justice , et pleine satisfaction lui sera accordée , si elle
repose sur des griefs fondés. Mais que sous ce prétexte,
s’érigeant lui-même en juge souverain, il réduise par de
coupables manœuvres ses créanciers à perdre tout ou
une notable partie de ce qui leur est dû; que mû , le
plus souvent , par le seul désir de ne pas payer, il se
constitue dans un état apparent d’insolvabilité, à l’aide
de contrats simulés et frauduleux , c’est ce qui ne pou
vait être souffert sans une monstrueuse iniquité.
Pouvait-on mieux tolérer que, dans le but de s’enri
chir personnellement, un mari disposât du patrimoine
de sa femme ? Qu’égaré par des sentiments de haine ou
d’affection, un père de famille fit passer sut une tête étrangère ce qui doit appartenir à tous ses enfants, ou
réunit sur l’un d’eux la plus grande partie du patrimoi-
�6
TRAITÉ DU DOL
ne commun ? Qu’obéissant à une tendresse illégitime, il
outrepassât, au détriment de ses héritiers naturels, les
bornes que la loi lui a formellement assignées ?
Aucune de ces questions ne pouvait être douteuse pour
le législateur, et c’est dans la solution qu’il leur a don
née, que se trouve l’origine de l’action autorisée aujour
d’hui par l’art. 1167.
14 0 6 .
— Cette action n’existait pas dans le droit ro
main primitif. Ce n’est pas cependant que le premier lé
gislateur de Rome eût méconnu les notions d’équité qui
en font la base; son silence était la conséquence unique
de la manière dont il avait considéré les effets des obli
gations. Les débiteurs répondaient de leur dette, non sur
leurs biens , mais sur leur personne. De telle sorte que
l’impossibilité de rembourser les rendait esclaves de leur
créancier.
A leur mort, leurs héritiers nécessaires étaient soumis
à la même condition , comme sustinens personam defuncti, mais ils pouvaient obtenir du préteur la faculté
de ne pas s’immiscer dans la succcession. L’hérédité se
trouvait alors déférée aux héritiers étrangers, mais ceuxci, ne voulant pas être tenus ultra vires, n’acceptaient
qu’en tant qu’une transaction par laquelle les créanciers,
voulant empêcher une répudiation qui leur eût tout en
levé, consentaient à abandonner une partie plus ou moins
forte de ce qui leur était dû.
1407.
— Cet état de choses, et les réclamations qu’il
excitait, conduisirent à penser que le patrimoine ne de-
�ET DE LA FRAUDE.
7
vajt pas être séparé de la personne, et, qu’après tout, il
convenait mieux que les débiteurs payassent de leurs
biens plutôt que de leur personne. On considéra dés lors
les premiers comme tacitement engagés. Cette impor
tante modification dans le caractère de l’obligation en amena une dans l’exécution. A la mort du débiteur, les
créanciers eurent la faculté de se faire mettre en posses
sion des biens, faculté qu’un édit du préteur Publius Rutilius permit bientôt d’exercer du vivant même du débi
teur. Cette mise en possession prononcée , un curateur
était nommé , qui exerçait les actions et liquidait dans
l’intérêt des créanciers.
1408.
— Mais ce ne fut là qu’un palliatif insuffi
sant, la mise en possession ne portait que sur les biens
réellement existant au moment où elle était prononcée.
Tout ce qui avait été aliéné jusque là était définitive
ment perdu pour les créanciers. Or, on comprend que
ce danger d’expropriation planant sans cesse sur le dé
biteur , celui qui voulait frauder ses créanciers mettait
le temps à profit, et que de nombreuses et importantes
aliénations avaient singulièrement réduit le gage, lors
qu’il arrivait dans la possession des créanciers.
On voulut d’abord, dans leur intérêt, appliquer à ces
aliénations l’interdit restitutoire. Mais cet interdit ne
pouvait avoir lieu qu’en matière de vente et qu’en tant
que la mauvaise foi de l’acheteur était établie. La marge
restait donc encore assez belle pour la fraude , et elle
savait l’exploiter.
�8
TRAITÉ DU DOL
C’est alors enfin que le préteur Paul imagina l’action
qui a gardé son nom , et suivant laquelle le curateur
aux biens, ou les créanciers eux-mêmes purent attaquer
tous les actes faits en fraude de leurs droits. Voici les
termes de cet édit, tels que le Digeste nous les a trans
mis : Quœ fraudationis causa gesta e ru n t, cum eo gui
fraudem non ignoraverit, de his curaîori bonorum, vel
ei qui de ea re actionem dare opportebit, intra annum
quo experiundi potestas fu erit, actionem dabo ; idque
eliam adversus ipsum qui fraudem fecit servabo.'
1409,
— Ulpien explique ainsi la portée de cette
loi : Ait prœtor quœ fraudationis causa gesta erunt.
Hœc verba generalia sunt et continent in se omnem
omnino in fraudem factum , vel alienationem , vel
quemcumque contractum. Quodcumque igitur fraudis
causa factum est, videtur his verbis revocari qualemcumque fuerit, nam late ipsa verba patent. Sive ergo
rem a lie n a v it, sive acceptilationem , vel pacto , a liquem liberaverit.
Il est à remarquer que cet édit ne n’appliquait qu^aux
actes d’aliénation proprement d it, ayant pour effet de
diminuer le patrimoine acquis du débiteur. Le refus de
l’augmenter , et conséquemment la répudiation d’une
succession, d’un legs, d’une légitime, etc., n’ayant pas
ce caractère, ne pouvait devenir la matière d’une action:
1L
Dig. Quœ m fraudem crédit.
�ET DE LA FRAUDE.
9
Nec propria alienari intelliguntur, qui dumtaxat omittunt possessionem.'
Sans doute, dit Voët, il y a fraude contre les créan
ciers par l’omission d’acquérir. Cependant on ne saurait
assimiler le refus fait d’augmenter son patrimoine à l’a
liénation qu’on en fait pour le diminuer et le faire dis
paraître, et la loi ne prévoit que celle-ci.1
Ainsi, en droit romain, la fraude, donnant ouverture
à l’action Paulienne, ne consistait que dans la disposi
tion des biens ou droits actuellement et réellement pos
sédés par le débiteur. Il importait peu que cette dispo
sition eût été activement ou passivement soufferte. Il
suffisait que les biens et les droits eussent été volontai
rement diminués ou perdus pour qu’on fût recevable à
se pourvoir. En conséquence, on assimilait à une alié
nation la désertion d’une instance, soit que, défendeur,
on ne se fût pas présenté, soit que, demandeur, on eût
laissé acquérir la péremption et la prescription de l’ac
tion ; le non usage d’une servitude ou d’un usufruit,
l’obligation ou la libération d’un débiteur consentie par
fraude, l’exception accordée, ou la délation du serment
litisdécisoire ; en un mot, tous les actes entraînant com
me conséquence , que, le débiteur n’aura plus après ce
qu’il avait avant.3
1 4 1 0 . — Dans les Pandectes, l’action Paulienne est
1 L. 149, Dig. D ereg. juris.
2 Ad Pandectas, 1. 42, t. vm, n° 16.
3 L. 3 et 4, Dig. Quai in fraud. crédit.
�S'i\
TRAITÉ DU DOL
qualifiée d’action personnelle et in factum. Ce qui la
produit, en effet, c’est la fraude que le débiteur a com
mise et dont les créanciers demandent la réparation. Il
est vrai qu’à ce titre on parvient à faire rentrer dans la
possession du débiteur les biens qu’il avait aliénés , et
cette conséquence a été signalée comme pouvant donner
à l’action un caractère de réalité, mais cette opinion est
énergiquement réfutée par Voët: Falluntur quibus placuit eam actionibm in rem accenseri opportere , cum
non nascatur ex aliquo ju re in re, longe minus ex ju re
dominii. Quippe quoi crediloribus fraudatis ne posl
missionem quidem in possessionem quœritur, sed tan
tum ex aliquo facto improbo, nempe fraude non modo
alienantis , sed vel. prœcipue ejus , in quem alienatio
facta fuit.
C’est cependant cette erreur que Justinien aurait luimême commise. Nous trouvons, en effet, dans les Institutes ', placée au nombre des actions réelles, celle ac
cordée aux créanciers pour faire rentrer, sous:1a posssession de leur débiteur, les choses qui en sont sorties
en fraude de leurs droits. C’est ce qui fait dire à Perezius que l’action , personnelle par rapport aux créan
ciers , peut être considérée comme réelle eu égard aux
droits de propriété que le débiteur avait sur les biens aliénés et, en quelque sorte, revendiqués par les créan
ciers.’
1 De act., S 6.
2 ln codice, liv. 7, tit. 7S, n°
r
rv
vr
�ET DE LA FRAUDE.
1'1
141 î . — Quoi qu’il en so it, ce qu’il importe de
remarquer, c’est que Justinien porta à quatre années le
délai de l’action, qui n’était d’abord que d’un an.
1 4 1 2 . — Il n’est pas douteux , comme l’observe
Domat', que l’action Paulienne ne fut en droit romain
d’une bien plus haute utilité que sous l’empire du droit
français. Dans le droit romain, en effet, on contractait
souvent sans écrit, et l’hypothèque elle-même pouvait
s’acquérir par une convention, verbale1. Les fraudes étaient donc plus faciles et devaient être plus nombreuses
que sous une législation exigeant qu’il lut passé un acte
écrit pour toute obligation excédant 150 fr. et ne re
connaissant plus d’hypothèques verbales.
1415.
— Néanmoins, l’action fut admise non seu
lement dans les pays de droit é crit, mais encore dans
tous les pays coutumiers, dont la coutume n’avait rien
stalué à cet égard; et loin d’y apporter aucune restric
tion, le droit français l’étendit, en plaçant dans la caté
gorie des actes susceptibles de l’engendrer, ceux par les
quels le débiteur refusait d’augmenter son patrimoine.
1 4 1 4 . — Celte modification puisait sa source dans
ce double principe : 1" les créanciers ont dû compter,
pour le remboursement de ce qu’ils prêtent, non seule
ment sur les biens présents du débiteur, mais encore sur
1 Lois civ., liv. 2, tit. 10.
>L. 4, Dig. De pign
ü»
�12
TRAITÉ DU DOL
ceux qu’il serait appelé à recueillir dans l’avenir; 2° par
l’effet de la saisine, les biens de l’hérédité appartiennent
réellement à l’héritier. Conséquemment, on considéra la
renonciation de celui-ci comme diminuant, en fait, son
patrimoine et comme trompant les justes prévisions de
ses créanciers.
La jurisprudence n ’en resta pas là, et bientôt ce qu’elle
décidait pour une succession , elle l’admit pour la re
nonciation à un legs , à une légitime , à une substitu
tion, à une communauté, enfin à celle à un usufruit lé
gal ou conventionnel, au droit d’opposer une prescrip
tion acquise.1
1 4 1 5 . — Tel était l’état de la législation lorsque pa
rut le Code civil. D’une p a r t, le droit romain proscri
vant toute faculté de diminuer ou d’aliéner le patrimoi
ne actuel par quelque moyen que ce fût ; d’autre part,
le droit français s’appropriant cette prohibition et y a joutant, en considérant le refus d’acquérir comme une
véritable aliénation. Le nouveau législateur s’est pro
noncé dans ce dernier sens, et a, conséquemment, main
tenu tout ce qu’avait fait son prédécesseur immédiat.
Telle est la conclusion logique à tirer des art. 1166 et
1167.
Le premier accorde aux créanciers le pouvoir de veil
ler eux-mêmes et de prendre toutes les mesures nécesi Pothier, Succès., çh 3, sect. 3, S 2 , et Comm., § 533 ; — Ordon.
de 1747, art. 38 et 42; — Boutaric, liv. 4, tit. 6, § 6, et liv. 2, tit. 9;
— Dunod, 1” part., chap. 14, pag 116.
�ET DE LA FRAUDE.
13
saires pour la conservation des droits que l’inaction de
leur débiteur mettrait en péril. Il les autorise , dans ce
double objet, à se subroger à tous ses droits et actions.
Ils peuvent même , aux termes de l’art. 778 du Code
de procédure civile requérir l’inscription pour la con
servation de l’hypothèque appartenant à leur débiteur.
Si leur vigilance a été trompée , si la fraude à leur
préjudice a été consommée, l’art. 1167 leur permet de
poursuivre la réparation du préjudice qu’ils sont dans
le cas d’en souffrir. Il importe peu qu’il s’agisse de l ’a
liénation de l’actif actuel ou du refus de l’augmenter en
s’abstenant d’acquérir, l’action des créanciers est ouverte
dans l’un et l’autre cas.1
i V. art. 271, 622, 788, 882, 10B3, 1447, 1464 et 2225 du Code
civil; — art. 474 et 875 du Code de proc. civ.; — art. 447 et 449
du Code decomm.
�SECTION II.
C o n d itio n d e l'a c tio n .
SOM M AIRE.
1416.
L’exercice de la faculté donnée par l’art. 1166 n’exige que
la qualité de créancier. — Etendue de celte faculté.
1417. La première condition pour l ’exercice de l ’action Paulienne est également la qualité de créancier.
1418. Droit du tiers attaqué de la discuter.
1419. Cette qualité doit-elle avoir été acquise avant l’acte que
rellé de fraude ?
1420. Quid, si cet acte est une obligation frauduleusement con
tractée ?
1421. Arrêt de la Cour de cassation et remarquable rapport de
M. le conseiller Tripier.
1422. Conséquences quant au mode de constatation de la cré
ance.
1423. L’acte sous seing privé d’une date antérieure serait-il op
posable au donataire ou à l ’héritier ?
1424. Droit de l ’un ou de l ’autre d’en établir la simulation.
1425. La seconde condition pour l ’exercice de l ’action est la
preuve de l ’insolvabilité du débiteur.
1426. La demande serait donc repoussée soit par la justification
de la solvabilité , soit par l ’offre de désintéresser le
poursuivant.
�ET DE LA FRAUDE.
1427.
1428.
1429.
1430.
1431.
1432.
1433.
1434.
1435.
1436.
45
Exception que cette condition comporte en faveur de la
femme séparée agissant dans l ’hypothèse de l ’art. 271.
Troisième condition : Preuve de la fraude de la part du
débiteur.
Serait facilement présumée pour tous les actes passés en
état d’insolvabilité complète.
Distinction nécessaire entre les aliénations à titre onéreux
et celles à titre gratuit.
La donation directe ou indirecte ferait présumer la fraude,
non seulement contre le donateur, mais encore contre
le donataire.
Quatrième condition : Preuve de la fraude de celui qui a
traité avec le débiteur.
Fondement juridique du principe consacré par Part. 1167.
Objet et nature de l’action qu’il autorise.
L’action appartient à tous les créanciers, sans distinction
entre les hypothécaires et les chirographaires.
Contre qui doit-elle être intentée ?
1 4 16.
— Sous l’empire du Code, nous venons de
le dire, les créanciers ont le droit de prévenir la fraude
de leur débiteur ou d’en poursuivre la répression. L’ex
ercice de ce droit entraîne donc , dans chacune de ces
hypothèses, l’existence d’une action.
Dans la première , la seule condition exigée est la
qualité de créancier. Cette qualité non contestée ou re
connue après contestation, le droit de celui qui se pré
sente pour exercer les droits et actions de son débiteur,
ne saurait être l’objet d’un doute.
L’unique exception que ce principe comporte , con
cerne les droits exclusivement attachés à la personne et
que nul autre qu’elle ne saurait exercer. On reconnaît
�16
TRAITÉ DU DOL
comme tels , ceux qui ne passent poi ît aux héritiers ou
q u i, étant de nature à s’éteindre avec la personne , ne
peuvent être, par elle, cédés de son vivant.'
1 417. — La condition nécessaire pour pouvoir in
tenter l’action de l’art. 1166 est également indispensa
ble pour celle prévue et autorisée par l’art. 1167. Il
faut donc, pour être recevable à l’intenter, que celui qui
prétend l’exercer prouve d’abord qu’il est réellement et
sérieusement créancier. Cette condition est d’autant plus
rigoureuse dans cette circonstance , que la révocation à
laquelle cette action aboutit pourrait n’être poursuivie
que par l’effet d’une collusion entre le prétendu créan
cier et son débiteur. Celui-ci, éprouvant des regrets d’a
voir consenti l’acte auquel il a figuré comme partie, et
ne pouvant, en cette qualité, en demander la rescision,
pourrait fort bien tenter d’arriver au but de ses désirs
en simulant l’existence d’un créancier qui poursuivrait
cette résiliation, sous prétexte que l’acte n’a été fait qu’en
fraude de ses droits.
1 4 1 8 . — Incontestablement, le tiers attaqué, soup
çonnant cette collusion, serait recevable à en exciper et
à la prouver. Ce n’est qu’après règlement préalable de
ce litige, que le fond pourrait être examiné. Il est plus
qu’évident que, pour qu’un contrat ait été fait en fraude
d’un droit quelconque, il faut que ce droit existe. Dans
1
Favard, v° Nullité, § 3, n° 3.
�ET DE LA FRAUDE.
17
notre hypothèse , l’examen de l’action révocatoire serait
donc subordonné à la preuve que celui qui prétend l’ex
ercer est un créancier sérieux et légitime.
1419.
— Toute difficulté de ce genre serait impos
sible si la créance était authentique ou si, résultant d’un
titre sous seing privé, elle avait acquis date certaine a vant l’acte dont la révocation est poursuivie. C’est aussi
pourquoi on a soutenu que, pour que l’action fût rece
vable, il fallait que la qualité de créancier eût nécessai
rement préexisté à l’acte qui la motivé. C’est ce qu’en
seigne notamment M. Toullier.'
Cette opinion se fonde sur les prescriptions de la loi
10, § 1, Digeste Quœ in frandem creditorum. dans la
quelle Ulpien enseigne que les créanciers postérieurs à
l’acte ne sont admis à l’attaquer que si les deniers, par
eux prêtés, ont servi à désintéresser les créanciers anté
rieurs, auxquels ils se trouvent ainsi subrogés.
Mais ce qu’il importe de remarquer , c’est que celte
loi ne parle que d’une aliénation qui a été faite en frau
de des créanciers du débiteur ; si ce dernier les désin
téresse et contracte des dettes nouvelles, ces nouveaux
créanciers ne pourront intenter l’action révocatoire , à
moins qu’ils ne soient subrogés aux anciens. Par rap
port à eux, la fraude, qui revêt dans ce cas le caractère
du dol, n’offrirait pas ses deux caractères essentiels, à
savoir : Consilium et eventus.
1 Tom. vi, pag. 354.
/.
�I
18
TRAITÉ DU DOL
C’est dans ce sens que Domat interprète la loi lors
qu’il dit : « Si le dessein de frauder n’est pas suivi de
l’événement et de la perte effective des créanciers, et que,
par exemple , pendant qu’ils exercent leur action ou
qu’ils veulent l’exercer , le débiteur les satisfasse par la
vente de ses biens ou autrement, l’aliénation qui avait
été faite à leur préjudice aura son effet ; et s i , dans la
suite, il vient à emprunter , les nouveaux créanciers ne
pourront faire révoquer celte première aliénation , qui
n’avait pas été faite à leur préjudice. Mais s’ils avaient
prêté pour payer les premiers, et que les deniers eussent
été employés à ce paiement, ils pourraient révoquer l’a
liénation faite avant leur créance.'
Ainsi interprétée, la loi n’a rien que de très-sage et
de très - raisonnable. Comment, en effet, admettre un
créancier à signaler,comme faite en fraude de ses droits,
une vente réalisée bien avant que ces droits fussent nés?
avant même qu’on pût en prévoir l’existence ?
Ce que nous disons de la vente, nous l’admettrions,
sans hésiter, pour la donation , pour la renonciation à
une succession, à un legs, etc.... Ce qui, dans ces diver
ses hypothèses, nous paraît déterminant, c’est que, l’a
liénation étant accomplie au moment du nouvel em
prunt , les biens qui en font l’objet n’étaient plus en la
possession de l’emprunteur. La confiance du prêteur a
été exclusivement faite aux seuls biens qu’il possédait
encore.
i Lois civiles, liv. 2, tit. 10, sect.
n° 6.
�ET DE LA FRAUDE.
19
Vainement le prêteur prétendrait-il avoir ignoré les
aliénations qu’il attaque; chacun doit connaître la po
sition de celui avec qui il traite et surtout sa solvabilité.
Avant de prêter, on s’assure de celle-ci , et, dans notre
hypothèse, les biens aliénés n’ont pas dû figurer sur l’é
tat de fortune communiqué par le débiteur. Dans tous
les cas, la transcription de la vente ou de la donation,
la publicité de la répudiation ont mis le prêteur légale
ment à même de les connaître. On ne lui cause donc
aucun tort en le laissant en présence des seuls biens aux
quels il a pu faire foi.
1420.
— Peut-on en dire autant des obligations
qu’un débiteur crée frauduleusement et sans en recevoir
la valeur? Non, évidemment, car on s’exposerait préci
sément à tomber dans l’inconvénient qu’on a voulu éviter, Quel peut être le but de la création de ces obliga
tions simulées, si ce n’est de préparer et de consommer
la fraude contre les prêteurs, auxquels on aura recours
plus tard. Cela ne résulte-t-il pas de l’absence de tout
motif de recourir à la simulation au moment où elle se
réalise ?
Donc, appliquer aux obligations la règle qu’on appli
que aux aliénations, c’est vouloir donner au mensonge
la force de la vérité , créer une créance sans cause et
sans valeur fournie ; arriver, en un mot, à ce singulier
résultat de reconnaître l ’existence d’une action , mais
d’en refuser l’exercice au moment même où les créan
ciers ont le plus grand intérêt à en exciper.
�TRAITÉ DU DOL
En effet, le besoin pour les créanciers de faire pro
noncer la nullité d’une obligation comme souscrite en
fraude de leurs droits, naît précisément lorsque le por
teur de cette obligation vient réclamer sur eux le droit
de priorité et de préférence. De quoi auraient-ils à se
préoccuper, et quel préjudice auraient-ils à souffrir d’u
ne créance qui ne pourrait jamais être payée qu’en tant
et qu’après qu’ils l’auraient été eux-mêmes? Consé
quemment, exiger que leur titre soit antérieur à la cré
ance qu’ils contestent, pour leur permettre d’agir en
vertu de l’art. 1467, c’est leur donner une action qu’ils
seront non-recevables à exercer pour défaut d’intérêt.
D’autre p a rt, le préjudice dont peuvent se plaindre
les créanciers ne résulte pas de la création d’une obli
gation ; qu’importe, en effet, cette circonstance , si le
porteur, se rendant lui-même justice, refuse d’en pour
suivre le paiement. C’est donc, au moment de la liqui
dation et lorsque ce paiement est réclamé que le préju
dice se manifeste, que la fraude se consomme, et com
ment, en cet état, imposer aux créanciers d’assister, im
passibles, à cette consommation, et leur prohiber de se
défendre du péril qui les menace ?
Une pareille doctrine serait par trop irrationnelle et
on ne saurait la consacrer sans méconnaître l’esprit de
la loi et les notions de la plus saine équité. Il faut donc,
de toute nécessité , distinguer la nature de l’acte dont
l’annulation est poursuivie par les créanciers.
S’il s’agit d’une aliénation, à titre onéreux ou gratuit,
ceux dont le titre sera postérieur ne pourront l’attaquer.
�ET DE LA FRAUDE.
21
Il n’est pas possible de supposer une fraude contre des
droits qui n’existaient pas au moment où la prétendue
fraude se consommait.
Cette règle reçoit néanmoins deux exceptions. La pre
mière nous est indiquée par le Digeste, à savoir : Si les
deniers , nouvellement empruntés , ont servi à éteindre
des créances antérieures auxquelles les prêteurs ont été
subrogés. La seconde , si l’aliénation n’est elle-même
qu’une précaution frauduleusement ménagée contre les
créanciers futurs : Si aliénations subsit frans futuris
créditons '. On le présumerait ainsi si le débiteur, resté
ostensiblement en possession et jouissance des objets pré
tendus aliénés, avait pu ainsi tromper les prêteurs ; ou
si, loin de les instruire, il avait présenté ces objets com
me composant réellement son actif et garantissant l’exé
cution de ses engagements.
S’il s’a g it, au contraire, d’une obligation simulée,
comme cette simulation ne produira son effet que lors
de la liquidation et du paiement, nous reconnaîtrons à
tous les créanciers antérieurs ou postérieurs en date,
sans distinction entre les hypothécaires et les chirogra
phaires, le droit d’en poursuivre la nullité comme faite
en fraude de leurs droits.
1421.
— C’est, au reste, ce que la Cour de Bourges
avait formellement décidé. Le pourvoi dirigé contre son
arrêt a été rejeté par la Cour de cassation, par arrêt du
i Perezius, in Cod., liv. 7, tit. 75, n°7.
�22
TRAITÉ DU DOL
20 mars 1832, rendu sur le rapport de M. le conseiller
Tripier.'
Dans son remarquable rapport, ce savant magistrat
se demande si l’art. 1167 doit être limité aux actes pos
térieurs, aux litres des créanciers qui se plaignent de la
fraude ? Si ce n’est pas au contraire parce que ces actes
priment les titres des légitimes créanciers, que ces der
niers ont qualité et intérêt pour contester soit l’hypo
thèque, soit la sincérité de ces créances apparentes?
Après avoir discuté l’opinion de Toullier, que les de
mandeurs en cassation invoquaient, M. Tripier conclut
en ces termes : On peut bien admettre qu’une aliéna
tion consommée, même à vil prix , ne sera pas consi
dérée comme faite en fraude des créanciers qui n’exis
taient pas à l’époque de la vente. Elle ne réunira pas
comilium et eventus. Mais une obligation souscrite sans
valeur fournie , qui est jugée le fruit du dol et de la
simulation, ne peut-elle pas préparer et consommer la
fraude , même au préjudice des créanciers qui ont ac
cepté des titres postérieurs à cette obligation simulée?
Saisie à son tour de la question, la Cour de Bordeaux
l’a énergiquement décidée dans le même sens. Nous
croyons utile de transcrire quelques-uns des motifs qui
fondent cette décision :
<i Attendu, sur la fin de non-recevoir, que l’excep
tion manque de solidité et doit être rejetée; qu’en effet,
quoique la sentence arbitrale, qui déclare Lasserve cré-
�ET DE LÀ FRAUDE.
23
ancier de Boucherie, soit du 18 août 1845, et, par con
séquent postérieure au contrat par lequel Boucherie a
reconnu devoir à Clarac une somme de 3,000 fr., cette
circonstance ne s’oppose pas à l’application de l’art. 1167,
article destiné à protéger tous les droits dont le dol et la
fraude chercheraient à priver des créanciers légitimes ;
» Attendu,d’abord, que l’antériorité d’un acte simulé
et frauduleux ne saurait arrêter l’action des créanciers
sérieux et réels, parce que des contrats simulés ne sont
pas proprement des contrats; ils n’en ont que l’appa
rence, colorent habent,nullam vero subslantiam; par
ce que la doctrine qu’on a plaidée , tendant à donner
au mensonge la force de la vérité, blesse beaucoup trop
toutes les idées de justice pour pouvoir être admise.' »
1422.
— Il suit de ce qui précède qu’en matière de
vente , l’antériorité du titre de créance étant indispen
sable , il ne suffirait pas que le titre , s’il est sous seing
privé , portât une date en apparence antérieure. Il de
vrait avoir acquis une date certaine avant la vente. En
effet, si le titre sous seing privé fait foi, ce n’est qu’entre
parties, on sait à quelles conditions l'art. 1328 permet
de l’opposer aux tiers. Ces conditions sont justes et peu
vent seules prévenir l’abus si facile de l’antidate. En
conséquence , leur absence laisserait les créanciers sans
action contre l’acquéreur , en enlevant à leur titre toute
son autorité.
1 20 juillet 1848 ; — D. P., 49, 2, 148; — V. infra n° 1741
�24
TRAITÉ DU DOL
Mais la date apposée au sous seing privé servirait au
besoin de commencement de preuve autorisant la rece
vabilité de la preuve orale , si cette recevabilité n’était
pas , d’ailleurs , de droit commun dans la matière qui
nous occupe. Le porleurdece titre pourrait donc établir
par témoins et par présomptions la sincérité de la date,
prouver que l’acquéreur en avait connaissance avant de
traiter avec le débiteur. L’une ou l’autre de ces circons
tances étant acquise, l’action Paulienne deviendrait in
admissible à l’égard de toutes les parties.
1425.
— L’acte sous seing privé se suffirait à luimême , si l’action avait pour objet la révocation d’une
libéralité. Le donataire, en effet, n’est que l’ayant-cause
du donateur, et l’acte faisant foi contre celui-ci produi
rait le même effet à son égard.'
Il en serait de même contre celui qui serait appelé à
recueillir la succession ou le legs répudié par le débiteur
en fraude de ses créanciers; nous avons déjà dit que le
tiers, non complice de la fraude dont il profite, ne sau
rait en retenir le bénéfice que s’il l’a acquis par un con
trat ; qu’il doit le restituer s’il ne le possède qu’en vertu
de sa qualité ou d’une disposition formelle de la loi.1
Ce serait là, d’ailleurs, une donation déguisée qu’il se
rait injuste de maintenir, car la position des créanciers
est bien plus intéressante que celle d’un donataire direct
1 Cass., 39 janvier 1828; — D. P., 28, 1, 114.
3 V. supra n° 35.
�ET DE LA FRAUDE.
25
ou indirect : Et licet fraudis ignarus fu e r it, tamen
credilorum causa favorabilior est, qui de damno disceptanl.'
1 4 2 4 . — Mais l’appelé à profiter de la succession
ou du legs, comme le donataire lui-même, peut soute
nir que la créance prétendue est antidatée, et que l’ob
jet de cette simulation est de révoquer , d’une manière
indirecte, ce que le renonçant ou le donateur ne pour
rait directement révoquer. Tout ce qui résulte de leur
qualité d’ayant-cause , c’est que l’acte sous seing privé
fait contre eux la même foi que contre leur auteur. Mais
cette présomption admet la preuve contraire, et, comme
le fait allégué constituerait une fraude contre les droits
légalement conférés par la répudiation ou par la libé
ralité, cette preuve contraire serait incontestablement re
cevable.
1 4 2 5 . — La seule condition imposée au créancier
exerçant l’action révocatoire, est de prouver l’insolvabi
lité du débiteur. Cette action est essentiellement subsi
diaire. Elle ne peut être exercée que pour amener le
paiement que les biens restants s o n t, par leur insuffi
sance, dans l’impossibilité d’effectuer. Il faut donc pré
alablement établir cette insuffisance.
Cette condition se justifie avec autorité par cet autre
principe que, pour intenter une action, il ne suffit pas
i Perezius, loco citato, n° 6.
�26
TRAITÉ DU DOL
d’avoir qualité , qu’il faut surtout y avoir intérêt. Or,
dans celle autorisée par l’art. 1167, l’intérêt des créan
ciers n’existe que si le paiement qui leur est dû, ne peut
se réaliser que par la révocation poursuivie. Si ce paie
ment peut être fait au moyen des ressources dont le dé
biteur dispose encore , ils n’ont pas à s’immiscer dans
ce qu’il a plu à ce débiteur de faire avec des tiers.
1426.
— Conséquemment, le débiteur pourra faire
repousser l’action en justifiant qu’il est en position de
rembourser le créancier qui l’exerce. De son côté, le tiers
également attaqué opposera avec succès la solvabilité du
premier, dont il pourra exiger la discussion préalable,
sans être tenu de pourvoir aux frais ni d’indiquer la
nature et la situation des biens sur lesquels cette dis
cussion doit porter. L’unique exception que cette règle
reçoive naît de l’état de faillite du débiteur commerçant,
le jugement déclaratif faisant par lui-même la preuve
la plus significative de l’in«olvabilité.
Une offre plus péremptoire encore serait celle de dé
sintéresser le créancier poursuivant. Réalisée qu’elle fût,
cette offre le laisserait sans intérêt aucun à poursuivre
désormais un litige complètement sans objet.
On s’est demandé si l’insolvabilité du débiteur devait
être absolue, ou s’il suffirait qu’elle fut relative ?
Nous ne voyons pas ce qui ferait consacrer la pre
mière proposition. Qu’importe en effet que le débiteur
soit en position de payer tel ou tel créancier, si en fait
l’aliénation querellée de fraude le met dans l’impossibi-
�ET DE LA FRAUDE.
27
lité de payer celui qui en poursuit la nullité en vertu de
l’art. 1167?
Celui-ci n’a donc à prouver l’insolvabilité qu’en ce
qui le concerne , et cette preuve acquise , sa demande
doit être accueillie, car l’imminence du préjudice qui a
fait accorder l’action serait incontestable , et ne trouve
rait aucun correctif dans celte circonstance que le débi
teur posséderait d ’autres biens, si ceux-ci se trouvaient
grevés de privilèges ou hypothèques les absorbant en
tout ou en grande partie.
Ce demandeur en nullité n ’a donc à prouver qu’une
seule chose : que le maintien de l’acte, qu’il soutient fait
en fraude de ses droits, compromet sa créance et en rend
le payement impossible ou plus difficile. C’est dans ce
dernier sens que la Cour de Montpellier et la Cour de
cassation décident qu’un créancier est recevable à atta
quer une vente consentie par son débiteur, comme faite
en fraude de ces droits, alors même que celui-ci possède
en pays étranger des biens suffisants pour satisfaire ce
créancier'. On le déciderait de même si les biens encore
possédés en France étaient litigieux ou grevés de char
ges rendant plus ou moins problématique le paiement
du poursuivant.
Faut-il que l’insolvabilité résulte de l’acte même at
taqué , sans qu’on puisse prendre en considération les
actes postérieurs d’où naîtrait cette insolvabilité.
22 juillet '1835
�V
28
TRAITÉ DU DOL
On ne saurait, à notre avis, adopter à ce sujet une
doctrine absolue, et nous ne voyons pas pourquoi lors
que l’insolvabilité résulte d’un ensemble d’aliénations,
on ne pourrait attaquer la première en date, plutôt que
la dernière.
Sans doute le choix pourrait léser celui-ci plutôt que
celui-là. Mais où est le péril ? Dans les aliénations à
titre onéreux le poursuivant doit prouver la complicité
de l’acheteur, et cette preuve sera d’autant plus difficile
à réaliser que l’acte attaqué se reportera à une époque
où le vendeur avait encore en sa possession des ressour
ces suffisantes.
Mais si la preuve est faite , quel serait le motif qui
pourrait affranchir le tiers des conséquences légales qui
en découlent, si d'ailleurs il ne peut se retrancher der
rière la prescription.
Quant aux actes à titre gratuit, la fraude, nous l’avons
dit, résulte de leur caractère même. On ne donne pas,
quand on a des dettes à acquitter, et qu’on ne sait e n
core si on aura de quoi les payer.
Pourquoi ne révoquerait-on pas la donation antérieure
à tout acte de disposition , si plus tard des besoins sont
venus commander des aliénations inattaquables ; parce
que les tiers qui les ont acceptées ont agi de bonne foi
et sans fraude ? Faudrait-il donc préférer le donataire
aux créanciers, et lui permettre de s’enrichir à leur dé
pens.
Un pareil résultat serait immoral et inique, et ce n’est
pas notre législateur à qui on pourrait reprocher de l’a-
�ET DE LA FRAUDE.
29
voir consacré. L’art. 1167 a eu précisément pour but
de le prévenir et de le condamner.
La jurisprudence , à son tour , s’inspirant du même
sentiment, n’a pas hésité à le proscrire. En consé
quence et par arrêt du 9 janvier 1863, la Cour de cas
sation décide qu’un créancier est recevable à attaquer
un acte de son débiteur (spécialement un acte de dona
tion) comme fait en fraude de ses droits , lorsque cet
acte a pour effet immédiat de diminuer le gage du cré
ancier , en faisant disparaître du patrimoine du débi
teur , un objet d’une valeur relativement considérable,
alors d’ailleurs que l’existence de la fraude apparaissant
déjà à l’époque de ce même acte, ressort encore d’actes
postérieurs par lesquels le débiteur s’est dépouillé de
' tout ce qui lui restait.'
Dans cette espèce on faisait valoir entre autres moyens
qu’après la donation , le débiteur restait en possession
d’une fortune de 70,000 fr., bien plus que suffisante
pour payer les 7,000 fr. dus au poursuivant, et le tri
bunal avait sur ce motif déclaré celui-ci non-recevable
dans sa demande.
Mais la Cour de Bourges, réformant le jugement, dé
clare : qu’on objecte vainement que la donation ne ren
dait pas le débiteur insolvable, et qu’il avait encore
d’autres immeubles qui pouvaient garantir le paiement
de ses dettes ; qu’il n’est pas nécessaire que l’acte dont
se plaignent les créanciers ait pour résultat de produire
�30
TRAITÉ DU DOL
l’insolvabilité complète du débiteur ; qu’il suffit qu’il ait
rendu le recouvrement de leurs créances plus problé
matique et plus difficile.
C’est ce que nous venons aussi d’établir , et la Cour
de cassation l’admet comme une appréciation juridique.
En résumé , ce n’est pas par la date de l’acte qu’on
peut ou non appliquer l’art. 1167. Si au moment de
l’action il y a insolvabilité du débiteur , les juges peu
vent et doivent annuler tout ce qui a pu contribuer à
ce résultat. Cette solution n ’offre aucun péril pour le
bénéficiaire d’un acte à titre onéreux, qui ne peut être
atteint que s’il a connu la fraude et concouru à sa con
sommation.
Elle n’a rien de trop rigoureux pour les donataires,
parce qu’elle n’est en définitive que l’application de cette
maxime de raison et de justice : Nemo liberalis n u i
liberatus.
1427.
— La condition de prouver l’insolvabilité
n’est pas nécessaire, lorsque la femme, qui a obtenu la
séparation de corps, demande, par application de l’ar
ticle 271 du Code civil, la nulliié des obligations à la
charge de la communauté, ou des aliénations des objets
qui en dépendent, contractées par le mari postérieure
ment à la date de l’ordonnance dont il est fait mention
en l’art. 238. Dans ce cas, les obligations et aliénations
sont suspectes de fraude , et la femme n’a à prouver
qu’une seule chose, à savoir : le préjudice qui résulte
rait pour elle des unes ou des autres.
�ET DE LA FRAUDE.
31
Dans tous les autres cas, et lorsqu’il s’agit d’un acte
querellé de fraude contre les droits des créanciers, l’ac
tion n ’est recevable qu’aux deux conditions que nous
venons d’indiquer : 1° la preuve de la qualité de cré
ancier; 2lu celle de l’insolvabilité du débiteur.
1428. — Deux autres conditions sont exigées pour
que la demande puisse être accueillie. La première est
la preuve de la fraude du débiteur. En effet, tant qu’u
ne expropriation n’est pas venue lui enlever ses biens,
le débiteur , quelle que soit d’ailleurs son insolvabilité
réelle, en conserve l’administration et même la disposi
tion. Une vente, par lui consentie en cet é ta t, pourrai^
n’être que l’exercice légitime de ce d roit, sans qu’il s’y
mêlât aucune pensée de fraude.
1 4 2 9 . — Cependant tout ce que le débiteur ferait
en état d’insolvabilité réelle, quoique non encore notoi
re, serait facilement présumé frauduleux, surtout si l’ac
tif, dont il aurait disposé, était en tout ou en partie sous
trait à ses créanciers, soit qu’une portion du prix eût
été dissimulée, soit que ce prix ne fût pas dans des pro
portions justes avec la valeur de l’objet aliéné. Dans
l’un ou l’autre cas, le préjudice occasionné aux créan
ciers serait incontestable. Le dessein de nuire naîtrait de
la position du débiteur , l’obligeant à dissimuler pour
s’efforcer de sauver , à son profit, quelques débris du
naufrage. La seule existence de cette cause de simula
tion , en rendant la fraude probable , en déterminerait
facilement l’admission : Ubi accedit causa simulandi,
�32
TRAITÉ DU DOL
receplum est ut adminiculative imperfecta probatio
suffi, ciat.'
Le même auteur ajoute : Cessante causa simula,ndi
ad illam probandara requiruntur probationes certce et
expresses. Or , cette cause disparaîtrait évidemment si,
l’aliénation faite , le débiteur possédait encore un actif
suffisant pour subvenir au paiement de toutes ses det
tes. Quel serait donc le sort d’une aliénation consentie
dans de pareilles circonstances ? Faudra-t-il la mainte
nir et la considérer comme à l’abri de toute attaque de
la part des créanciers ?
1 4 30.
— La solution nous parait devoir être diffé
rente, suivant que l’aliénation aura été faite à titre oné
reux ou seulement à titre gratuit.
Vendre , échanger une partie de ce qu’on possède,
lorsqu’on est à la tête d’un avoir supérieur à ce qu’on
doit, n’est pas un acte assez extraordinaire pour qu’il
faille en suspecter la sincérité, alors même que le pro
duit n ’en a pas servi à éteindre les dettes. Sans doute,
il eût été plus prudent et plus sage de le faire, mais des
besoins légitimes, des projets, depuis exécutés, peuvent
excuser la destination que le produit de l’aliénation a
reçu. En général, donc , on ne verra dans la conduite
du débiteur qu’un de ces actes usuels de la vie , qu’au
cun soupçon de fraude ne peut raisonnablement enta
cher.
i De Luca, De cred., discours 77, n° 6.
�33
ET DE LA FRAUDE.
Il faudrait , pour décider le contraire, ces preuves
certaines et expresses dont parle le cardinal de Luca, et
ce serait aux créanciers, demandant la révocation, à les
établir. Toutefois, cette règle est de nature à recevoir une profonde modification de la conduite du débiteur, et
la fraude serait facilement présumable si des actes suc
cessifs et répétés étaient venu anéantir complètement le
gage des créanciers. On verrait dans cet ensemble un
calcul à l’effet de se rendre insolvable, e t , remontant
au premier anneau de cette chaîne, on n’hésiterait pas
à le briser, si l’intérêt des créanciers l’exigeait.
Mais si l’aliénation a été faite à titre g ra tu it, il im
porterait peu que les ressources, restant encore à l’au
teur de la libéralité fussent ou non suffisantes pour l’ex
tinction de ses dettes. Personne ne peut et ne doit don
ner son bien avant de s’être libéré de ce qu’il doit. Ce
n’est pas to u t, en effet, d’avoir de quoi payer , il faut
payer réellement, e t, à défaut de ce paiem ent, se bien
garder de s’exposer à ne plus pouvoir le faire, en don
nant à autrui ce qui appartient avant tout aux créan
ciers. Celui qui agit autrement commet une faute telle
ment lourde, que, pour les créanciers, elle équivaut au
dol. Aussi, ne se demande-t-on plus s’il y a eu ou non
résolution de les tromper , mais s’ils éprouvent oui ou
non un préjudice. La certitude de celui-ci amène et
motive la révocation de la libéralité.
1451.
— La donation directe ou indirecte fait donc
présumer la fraude non seulement contre le donateur,
ir
3
�34
TRAITÉ DU DOL
mais encore contre le donataire. Celui-ci n’a d’ailleurs,
et dans aucun cas, aucuns droits légitimes sur les biens
qu’il a gratuitement reçus et qu’il ne pourrait garder
sans occasionner un préjudice grave aux créanciers de
celui dont il les tient. Son insistance à les retenir le ren
drait , en quelque sorte , le complice de la fraude. On
pourrait justement dire de lui ce qu’Ulpien dit de celui
qui excipe d’un acte qu’il sait être sans valeur : Nam
quis petit ex ea stipulatione , ipse dolum facit quod
petit.
Il n’y a donc pas à hésiter entre lui et les créanciers
du donateur , alors même que sa bonne foi aurait été
entière. Aux yeux de la loi, de la raison et de la justice,
les droits de celui qui veut se soustraire à une perte sont
plus précieux que les droits de celui qui cherche à re
tenir un gain illégitime. Or, telle est la position respec
tive des créanciers et du donataire. At ubi , dit Voët,
aller de damno vitando a g it, aller vero de lucro captando, quod est in eo qui ex causa lucrativa, utcumque bona fide , rem nactus est a debitore fraudulenter
aliénante , rectius visum fu it lucrum extorqueri cum
aliéna factura lucrum captandi, quam in damno relinqui eum qui fraudulosa débitons alienatione in ju riam passas est.'
1452.
— La seconde condition, pour le bien fondé
de l’action révocatoire, est la preuve de la fraude de ce-
1 Ad Pandectas, liv. 42, tit. 8, n° S.
�ET DE LA FRAUDE.
35
lui qui a traité avec le débiteur. Mais cette condition
n’est exigée que lorsque le tiers a traité à titre onéreux,
car, nous venons de le voir, le donataire est tenu de res
tituer , quelle qu’ait été d’ailleurs son ignorance ou sa
bonne foi.,
L’acquéreur à titre onéreux mérite les mêmes égards
que les créanciers eux-mêmes; comme eux, en effet, il
a un intérêt sérieux à la contestation, et s’il la soutient,
c’est qu’il cherche à se garantir d’une perte de damno
vitando. La position étant égale , on devait en revenir
au droit commun, suivant lequel nul ne peut répondre
que de son propre fait, suivant lequel, encore, la fraude
ne se présume pas , et c’est à celui qui l’allègue à la
prouver.
Vainement donc , la fraude du débiteur serait - elle
prouvée et acquise, l’acte à titre onéreux n ’en serait pas
moins maintenu si l’autre partie a été de bonne foi.
Celle-ci est présumée jusqu’à preuve contraire , mais
cette preuve peut être faite par témoins et par présomp
tions. Elle résulterait suffisamment de tout ce qui ten
drait à établir que le tiers a connu la fraude de celui
avec qui il a traité. Connaître une fraude et accepter une participation dans l’acte destiné à la consommer, c’est
en accepter la complicité.
Ainsi , l’action révocatoire n’est recevable que par la
double preuve de la qualité de créancier et de l’insolva
bilité du débiteur. Elle n ’est fondée que par celle de la
fraude de celui-ci et des tiers qui ont traité avec lui.
Cette dernière preuve n’est exigée que dans le cas d’un
�36
TRAITÉ DU DOL
traité à titre onéreux. La libéralité cède à la seule mau
vaise foi de son auteur.
1433.
— Le principe de l’action autorisée par l’ar
ticle \ \ 67 ne réside ni dans un droit réel accordé aux
créanciers, ni dans l’incapacité du débiteur, ni dans un
vice quelconque de l’acte attaqué. Il existe dans un en
gagement formé sans convention , par lequel les tiers ,
qui ont contracté avec le débiteur , sont liés envers les
créanciers de celui-ci. Les tiers, qui se sont rendus les
complices de la fraude , ont, par cela même, concouru
à la consommation du préjudice en résultant, et doi
vent, dès lors, le réparer. L’annulation de l’acte, à leurs
risques, périls et fortune, était la réparation la plus na
turelle. Quant aux donataires , nous avons déjà dit que
leur persistance à retenir ce qui leur a été remis au mé
pris de l’équité et de la justice, constituerait de leur part
un véritable dol.
1 434.
— L’action révocatoire est purement person
nelle et dérive d’un quasi-délit ; son but est la répara
tion d’un préjudice volontairement et sciemment occa
sionné. Ce caractère est important à retenir pour la so
lution de la question que nous aurons à examiner , à
savoir : si le tiers qui a acheté ou traité avec celui qui
tenait la chose du débiteur, peut être , comme celui-ci,
poursuivi par l’action Paulienne.'
i V. infra n° 1764.
�ET DE LA FRAUDE.
37
1435.
— Cette action appartient à tous les créan
ciers sans distinction des hypothécaires et des simples
chirographaires. Elle est même beaucoup plus utile à ces
derniers , car il résulte des conditions que nous venons
d’énumérer , que les créanciers hypothécaires pourront
souvent être sans intérêt et sans droit à l’exercer. C’est
ce qui se réaliserait notamment si, par le rang de leur
inscription, ils doivent être payés sur les biens non alié
nés ; ou si ceux qui l’ont été se trouvent spécialement
affectés à leur hypothèque. Dans ce dernier cas, l’action
hypothécaire, suffisant à toutes les exigences, ils seraient
sans intérêt et conséquemment sans droit pour se pour
voir par l’action révocatoire.
Mais, pour qu’il en soit ainsi, il faut de toute néces
sité que l’action hypothécaire puisse être utilement exer
cée. Si son résultat devait être négatif, le créancier qui
s’y serait d’abord livré dans l’espérance du contraire,
pourrait revenir sur ses pas et demander la révocation
de la vente , qu’il prouverait avoir été le résultat de la
collusion et de la fraude.
Il importerait peu qu’il n ’eût pas surenchéri en temps
utile. Un créancier peut ne pas trouver dans sa position
financière le moyen de réaliser une surenchère exigeant
une somme parfois très-considérable. Serait-il juste de
le punir de cette impossibilité par la perte de sa créan
ce, et faudrait-il que pour la conserver il se plaçât sous
le coup d’obligations devant entraîner sa ruine com
plète ?
C’est ce qu’on n’a pas cru devoir exiger, et cette doc-
�38
TKAIÏÏÏ jDU DOL
trine, déjà consacrée par de nombreux arrêts, vient de
l’être de nouveau par la Cour de cassation. Son arrêt du
17 août ] 848 décide que : le créancier inscrit, qui fait
saisie-arrêt ou requiert collocation sur le prix de l’im
meuble hypothéqué, n’est pas censé reconnaître la sin
cérité de la vente, et ne se rend pas non-recevable à
l’attaquer pour cause de dol et de fraude, et que le dé
faut de surenchère ne le rend pas non plus non-receva
ble à attaquer, pour les mêmes causes, la vente con
sentie à vil prix par le débiteur.'
1 4 36.
— L’action révocatoire doit être intentée con
tre le débiteur et contre celui ou ceux qui ont traité a vec lui. L’intérêt de ceux-ci, ne fussent-ils que des do
nataires purs et simples, à assister à l’instance est aussi
évident qu’incontestable. La demande de révocation dont
ils doivent subir les conséquences , pouvant n ’être que
le résultat d’une collusion entre celui qui l’intente et le
défendeur principal, ils doivent être mis en mesure d’em
pêcher cette fraude et de veiller utilement au maintien
de leurs droits. Comment, d’ailleurs, prouver que l’ac
quéreur à titre onéreux s’est rendu complice de la frau
de, si on ne commençait pas par le mettre en cause ?
Il suit de là que le tiers non appelé serait recevable et
fondé à attaquer le jugement par la voie de la tierce op
position .
i D. P., 49, 4, 61.
�ET DE LA. FRAUDE.
39
SECTION III.
De la
P re u v e .
S O MMA I R E .
1437.
L’admission de la preuve testimoniale était la conséquence
forcée du principe admis par l’art. 1167.
1438. La fraude contre les tiers est même présumée contre le
débiteur, lorsqu’il dispose de ses biens au détriment
de ses créanciers, alors qu’il est en pleine déconfiture.
1439. La notoriété incontestable de la déconfiture ferait facile
ment présumer la fraude contre celui qui a traité avec
le débiteur.
1440. La fraude est également présumée contre le débiteur alié
nant , à titre g ra tu it, ou refusant les ressources qu’il
est appelé à recueillir.
1441. Quid, des paiements faits par l ’insolvable.
1442. Actes présumés frauduleux chez le commerçant en état
de déconfiture.
1443. Effets de cette présomption.
1444 Dans tous les cas de fraude présumée, il suffit de prouver
le fait auquel s’attache la présomption.
1445. Hors ces ça s, les parties rentrent dans le droit commun
et doivent prouver la fraude, soit par témoins, soit par
présomptions.
�40
1446.
1447.
1448.
1449.
1450.
1451.
1452.
1453.
1454.
1455.
1456.
1457.
1458.
TRAITÉ DU DOL
Présomptions qui doivent exercer une puissante influence
sur le litige.
10 Aliénations de tous les biens. — Son caractère en droit
romain.
Cette présomption acquerrait une bien plus grande gra
vité si le débiteur ne justifiait pas de l'emploi du prix.
Il importe peu que l ’aliénation générale se soit réalisée
par un seul acte ou par des actes successifs et répétés.
2” Qualité des parties fait facilement présumer la fraude.
3° Rétention de la possession.
Comment elle se réalisera le plus souvent.
Dans quels cas devra-t-on l ’admettre ?
4° Exécution occulte et clandestine.
Suffirait-il d ’une seule de ces présomptions pour faire ad
mettre la fraude ?
Autres présomptions dont l’existence peut servir à recon
naître la fraude ?
Effet de la vilité du prix.
La pertinence des présomptions est laissée à la prudence
du juge.
1437,
— La conséquence forcée du principe consa
cré par l’art. 1167 était l’admission de la preuve testi
moniale en faveur des tiers qui l’invoquent, et qui sont
forcés d’en poursuivre l’exécution. L’existence d’un acte
même authentique est bien opposable à tous, mais il ne
prouve qu’une seule chose contre ceux qui n’y ont pas
été parties, à savoir : qu’il a été passé. Il ne peut suf
fire pour établir sa sincérité.
Ainsi dénué de toute autorité , le titre ne rentre plus
dans la catégorie de ceux contre lesquels la preuve tes
timoniale n’est pas admissible. D’Argentré qualifiait mê-
�ET DE LA FRAUDE.
il
me d’insensée l’opinion de ceux q u i , se fondant sur
l’art. 54 de l’ordonnance de Moulins, en soutenaient
l’application à l’action des tiers.
Sous l’empire du Code civil, la recevabilité de la preu
ve testimoniale n’a jamais été contestée aux tiers pour
suivant la révocation d’un contrat qu’ils soutiennent avoir été fait en fraude de leurs droits. Nous n’avons
donc pas besoin d’insister sur un principe universelle
ment admis et si conforme , d’ailleurs , aux véritables
notions d’une exacte justice.
1 458. — La preuve n’est même pas toujours né
cessaire , car, fidèle au système de se montrer d’autant
plus sévère que la fraude est plus facile et plus proba
ble, la loi en a présumé l’existence dans divers cas.
Ainsi, la fraude est légalement présumée contre le
débiteur lorsqu’il dispose de ses biens au détriment de
ses créanciers , dans un moment où il a lui-même la
conviction de son insolvabilité.
Il est certain que celui qui, se sachant obéré, se hâte
de faire disparaître son actif, soit par des donations,
soit par des aliénations à titre onéreux , ne peut avoir
qu’un seul b u t, celui de nuire à ses créanciers. Il ne
saurait donc se targuer de sa prétendue bonne fo i, car
la bonne foi pour l’homme insolvable est d’abandonner
la disposition ultérieure de ses biens aux seuls intéres
sés, c’est-à-dire à ses créanciers ; de ne rien faire sans
avoir appelé leur concours et leur contrôle. Celui qui
n ’invoque ni l’un ni l’autre, a intérêt à les écarter, et
�42
TRAITÉ DU DOL
c’est avec juste raison que la loi présume que cet inté
rêt est celui de la fraude.
Toutefois cette présomption ne concerne que le débi
teur. Celui qui a traité avec lui peut avoir ignoré l’état
réel de ses affaires. N’ayant, d’ailleurs, aucun devoir à
remplir envers les créanciers, la connaissance qu’il au
rait eu qu’il en existait un ou plusieurs , ne ferait pas
admettre sa complicité dans la fraude de celui avec qui
il a traité.1
1
II
!ll'iN
'1
1439.
— Mais, si l’insolvabilité était notoire, si des
actes significatifs , si des poursuite.? judiciaires l’avaient
signalée , la fraude du tiers , quoique non présumé de
droit, serait facilement admissible. Pour peu que cet in
dice fût accompagnée d’autres circonstances suspectes,
on ne devrait pas hésiter à la consacrer. C’est ce que la
Cour de cassation a décidé en jugeant, le 4 2 janvier
4 8 4 9 , que l’acte par lequel un débiteur en état d’in
solvabilité vend ou hypothèque ses immeubles à l’un
de ses créanciers qui connaissait cette insolvabilité, a pu
être annulé comme fait en fraude des autres créanciers,
s’il a été consenti durant les poursuites exercées par ces
derniers, et, par exemple, dans l’intervalle d’une remise
de cause.3
L’arrêt, contre lequel le pourvoi était rejeté , n’avait
pas fondé la nullité de l’acte uniquement sur l’état réel
1 L. 2, Dig. S 4, Quce in fraud. crédit.
2 D. P., 49, 1, 127.
�ET DE LA FRAUDE.
43
et connu du débiteur , c’eût été appliquer à la déconfi
ture civile des règles spécialement réservées pour les fail
lites. Mais, admettant que cette circonstance rendait sus
pecte la bonne foi du tiers , il s’appuie sur elle et sur
quelques autres faits corroborant cette suspicion, il ad
met la complicité de la fraude.
Ces autres faits étaient, dans l’espèce, la qualité du
créancier , et la nature de la créance. C’était le propre
fils du débiteur qui obtenait une hypothèque, la créance
qu’on voulait garantir était une donation contractuelle
faite dans le contrat de mariage de ce fils ; et l’on com
prend que tout cela se réalisant lorsque le père , étant
activement poursuivi par ses créanciers, était à la veille
de se voir exproprié de ses biens, il y avait certes, dans
un pareil ensemble , une preuve plus que suffisante de
l’intention frauduleuse de toutes les parties.
Ce qui se rencontrait là pourrait s’offrir ailleurs et
résulter des faits sinon identiques, peut-être aussi signi
ficatifs. Dans tous les cas, l’insolvabilité du débiteur reste
la causa simulandi , dont les effets nous étaient tout à
l’heure enseignés par le judicieux De Luca.
Ainsi le prêt prétendu fait à un homme notoirement
insolvable paraîtrait justement suspect. Ce premier doute
acquerrait une plus forte gravité si l’acte constatant le
prêt ne constatait pas la réelle et actuelle numération
des espèces, sans qu’on indiquât aucune trace plausible
de versements ni de créances antérieurs. Enfin, la po
sition du prétendu créancier pourrait, à son tour, mili
ter contre la sincérité de la créance pouvant et devant
�44
TRAITÉ DU DOL
dès lors être considérée comme une fraude contre les
créanciers légitimes.
II en serait de même pour la vente faite par l’insol
vable. L’acquéreur, connaissant celte insolvabilité, pour
rait être soupçonné avoir spéculé sur cet état et s’être,
dès lors, prêté à une fraude dont il recueillait ainsi un
bénéfice. Ce soupçon pourrait devenir une certitude si
l’acte renfermait des clauses extraordinaires et insolites,
surtout si les objets, faisant la matière de la vente , lui
avaient été cédés à vil prix.
Ainsi, l’insolvabilité fait légalement présumer la frau
de contre le débiteur. Quant aux tiers qui ont traité a vec lui , la connaissance de cette insolvabilité ne suffit
pas pour les constituer en mauvaise foi. Mais elle crée
une telle prévention que l’admission de cette mauvaise
foi serait la conséquence de quelques autres circonstan
ces suspectes venant l’étayer et l’aggraver.
1440.
— La fraude est encore légalement présumée
contre le débiteur aliénant à titre gratuit ou refusant de
réunir à son actif les ressources qu’il serait appelé à
recueillir.
Nous l’avons déjà dit, donner ses biens sans avoir au
préalable payé ses créanciers, est un acte trop anormal
pour ne pas lui supposer une arrière pensée. Cette ar
rière pensée ne peut être que celle de nuire à ces créan
ciers, si, par le fait, l’aliénation est dans le cas de leur
causer un préjudice.
Cela est plus évident encore, lorsque l’aliénation ré -
�ET DE LA FRAUDE.
45
suite d’une répudiation , surtout lorsque l’objet répudié
n’offrait que des avantages sans inconvénients. Refuser
d’accepter ce que tant d’autres recherchent avec la plus
vive ardeur, ne peut être interprété dans un autre sens
que celui de la fraude. C’est qu’on se sera entendu avec
celui qu’on se substitue, et qu’au moyen d’une collusion
facile on recueillera le bénéfice sans risquer de le com
muniquer à ses créanciers.
Au reste, le refus d’accepter, fût-il pur de tout calcul
de ce genre, ne se serait-il réalisé qu’en haine des cré
anciers et pour ne pas accroître leur gage, que ce des
sein, suivi d’exécution, n’en constituerait pas moins la
fraude. Or, comme la répudiation ne peut avoir que l’un
ou l’autre de ces motifs , c’est avec raison que la loi la
présume de plein droit frauduleuse.
1441,
— Les paiements faits par l’insolvable ne peu
vent être, à moins de circonstances extraordinaires, con
sidérés comme frauduleux. D’une part, en effet, la dé
confiture civile laisse le débiteur dans la plénitude de
ses droits , ne lui enlève aucune de ses actions. En cet
état, éteindre une dette échue et dont le paiement est de
mandé, n’est qu’un acte d’administration. D’autre part,
payer régulièrement et en espèces n’a en lui-même rien
de suspect, surtout lorsque la loi n ’a pas imposé le de
voir de s’en abstenir. Conséquemment, le débiteur qui
s’y est livré ne saurait, par cela m êm e, avoir fait une
fraude.
Quant au créancier ayant reçu son paiem ent, il est
�46
TRAITÉ DU DOL
évident qu’on ne pourrait lui en faire un reproche. La
loi permet à chacuîi de veiller à ses propres intérêts,
d’exiger le paiement de ce qui lui est dû. Dès lors, com
ment blâmer celui qui a vu sa vigilance et ses efforts
couronnés de succès. Il importe peu qu’il ait ou non
connu l’état d’insolvabilité. Dans tous les cas, il n ’a re
çu que ce qu’il avait le droit de recevoir , et un pareil
fait ne saurait jamais constituer une fraude. Il y a plus,
le paiement anticipé qu’il aurait accepté ne donnerait
aux autres créanciers que le droit de faire rembourser
les intérêts courus depuis le jour du paiement jusqu’à
celui de l’échéance, s’ils n’avaient pas été escomptés déjà
par le débiteur.'
1442.
— Mais il n’en est pas de même de la décon
fiture commerciale. Celle-ci constitue l’état de faillite
créant de nombreuses présomptions de fraude.
Ainsi, la fraude est légalement présumée contre tou
tes les parties :
1° Pour les paiements faits depuis la cessation ou
dans les dix jours qui l’ont précédée , de dettes non échues ou pour dettes échues , autrement qu’en espèces
ou effets de commerce ;
2° Pour tous les actes , même à titre onéreux , faits
dans la même période ;
3° Pour les hypothèques, droits de nantissement ou
de gage conférés pour dettes antérieurement contrac
tées ;
1 L 10, S 12; — L. 47, § 2
L 24, Dig. Qi«e vu fraudent crédit.
�ET DE LA FRAUDE.
47
4° Pour l’hypothèque, quoique légalement conférée,
si l’inscription n’en a été requise qu’après plus de quin
ze jours delà date du litre constitutif;
5° Enfin , pour les paiements de dettes échues, faits
en espèces ou effets de commerce , si le créancier payé
connaissait l’état de faillite.
1443. — Toutes ces présomptions n’agissent pas
d’une manière identique. Les unes n’admettent pas la
preuve contraire, les autres la permettent. C’est ce que
nous avons établi dans notre Commentaire sur les fa il
lites, auquel nous nous bornons à renvoyer.1
1 4 44. —- Dans tous les cas où la fraude est présu
mée par la loi, le demandeur n’a qu’à justifier le fait
auquel la présomption est attachée. Son existence suffit
pour faire admettre la fraude ou pour obliger le défen
deur à fournir la preuve contraire , suivant que cette
preuve est ou non admissible.
1 4 4 5 . — Partout où cette présomption ne résulte
pas d’une disposition de loi ou d’un fait, les parties ren
trent dans le droit commun. C’est à celui dont le droit
se fonde sur la fraude alléguée , à fournir la preuve de
son existence. Nous avons dit que cette preuve peut être
faite par témoins.
Mais toutes les fois que la preuve orale est admissi
ble, celle par présomptions le devient également. Dans
�48
TRAITÉ DU DOL
la matière qui nous occupe , il est même évident que
c’est à cette dernière qu’on sera le plus habituellement
forcé de recourir. Le fait m atériel, à savoir : l’aliéna
tion ou l’obligation souscrite, ne pourra jamais être con
testé, puisque c’est son existence même qui sert de base
à l’action. La difficulté se rencontrera donc dans l’in
tention respective des parties, et comment espérer éclai
rer cette intention par la déposition de témoins. Est-ce
que ceux qui se disposent à frauder sont dans l’habi
tude de faire des confidences ou de publier leurs projets?
Il faudra donc demander la solution du litige aux
déductions logiques , aux faits du procès , aux circons
tances ayant précédé , accompagné ou suivi le contrat,
en un mot, aux présomptions.
1446.
— Les auteurs anciens ont beaucoup écrit sur
la nature, la qualité, le nombre des présomptions qu’on
devait exiger. Les plus judicieux arrivaient cependant à
cette conclusion, qu’en pareille circonstance, il ne sau
rait exister de règles certaines ou absolues. Que chaque
espèce avait ses caractères particuliers, ses exigences spé
ciales, et qu’ainsi, telles ou telles présomptions , jugées
suffisantes dans un cas, pourraient ne pas le paraître
dans un autre; que c’était donc à la conscience du juge
à se prononcer, selon les inspirations qu’elle puiserait
dans un mûr examen de chaque cause. Ces principes
sont encore aujourd’ui les seuls vrais, les seuls admis
sibles.
Mais, et sans empiéter sur les fonctions de la magis-
�49
ET DE LA FRAUDE.
trature , on peut reconnaître qu’il est certains faits qui
auront nécessairement une importante influence sur le
sort du litige. Dans cette catégorie se placent l’aliénation
de tous les biens, la qualité des parties, la rétention de
la possession des choses prétendues aliénées, le mystère
et la clandestinité de l’opération.'
1 4 47. — 1° Aliénation de tous les biens.
Cette circonstance avait pris, dans le Digeste, le ca
ractère d’une présomption légale, à tel point qu’elle
dispensait de rechercher qu’elle avait été l’intention du
débiteur : Quamvis non proponatur consilium fra u dendi habuisse, tamen qui creditores habere se scil,
et universa bona sua alienavit, intelligendus est fraudandorum creditorum consilium habuisse/
Comment, en effet, interpréter autrement une pa
reille conduite? Qu’un homme puisse, par convenance,
par calcul et quelquefois même par besoin, se défaire
de quelques-uns de ses immeubles, on le comprend.
Mais aliéner tout ce qu’on possède, pour se trouver en
suite en présence d’une masse de créanciers non payés,
c’est évidemment n ’avoir agi que pour se soustraire à
des exécutions, en dénaturant sa fortune et en la fai
sant disparaître.
1 4 48. — La présomption tirée de l’aliénation de
1 Perezius, ibid., titre 75, livre 7, n° 4 0.
L. 47, § 4, Dig. Quœ in fraud. crédit.
2
IV
4
�50
TRAITÉ DU DOL
tout ou de la plus grande partie de ce qu’on possède,
acquerrait une autorité encore plus imposante si, inter
pellé d’indiquer l’emploi des ressources en provenant,
le débiteur était dans l’impossibilité d’en rendre un
compte satisfaisant. Si l’aliénation inspire la pensée
d’une fraude, cette impossibilité en justifierait l’existen
ce; en démontrant le détournement du prix, elle assi
gnerait un but à la conduite du débiteur, et ce b u t,
n’étant que le détournement lui-m êm e, serait la dé
monstration la plus palpable de la fraude opérée contre
les créanciers.
Ceux-ci étant recevables à demander compte de l’em
ploi du prix, sont également recevables à soutenir que
les créances prétendues payées par le débiteur n’étaient
ni sérieuses, ni sincères, La preuve de leur simulation
ne permettrait plus de concevoir un doute sur la certi
tude de la fraude reprochée.
14 4 9 .
— Remarquons que la présomption , se ti
rant de l’aliénation de tous les biens, peut également
naître d’une aliénation partielle plusieurs fois répétée.
Ainsi, l’ensemble de la conduite du débiteur peut don
ner des indices qui ne sont pas à dédaigner. Si, après
avoir vendu un premier immeuble sans nécessité bien
démontrée, il en vendait un second, un troisième, etc.,
on pourrait voir dans la fréquence et le nombre de ces
aliénations, une présomption qui, quoique moindre que
celle résultant d’une aliénation totale, ne manquerait
cependant ni de gravité, ni de valeur.
�ET DE LA FRAUDE.
Si
Ajoutons que la nature des aliénations est une cir
constance décisive. Si elles avaient été réalisées à titre
gratuit, la fraude, nous l’avons déjà dit, serait de plein
droit admise en faveur des créanciers.
1 4 5 0 . — 2° Qualité des parties.
Cette présomption se mesure, quant à ses effets, sur
le degré de parenté ou d’alliance existant entre les par
ties contractantes. La proximité fait présumer facilement
la fraude, et ce principe du droit romain, notre loi se
l’est appliquée lorsque, s’agissant de la simulation par
interposition de personnes, elle considère de plein droit
comme personne interposée l’ascendant, le descendant,
l’époux de l’incapable ou ses alliés au même degré.
C’est aussi que l’intérêt de l’un est en quelque sorte
l’intérêt de l’autre; qu’indépendamment du lien intime
qui les unit, ils ont, en outre, la faculté de frauder,
au moyen de ces pactes de famille qui permettent toute
sorte d’abus , clandestinis et domeslicis fraudibus ,
quibus quidvis facile confingi potest.1 Alors, en effet,
il est facile de faire revivre des droits sérieux dans l’ori
gine, mais qui avaient été légalement éteints, de déchi
rer des quittances , de dissimuler des traités. C’est ce
qui se réalisait dans l’hypothèse de l’arrêt de la Cour
de cassation du 12 février 1849, plus haut cité. L’hy
pothèque annulée ayant été accordée au fils pour la ga-
1 Perczius, loco cilato, ri0 4 0.
�521
TRAITÉ DU DOL
rantie d’une donation contractuelle que tout faisait pré
sumer avoir été depuis longtemps réalisée.
Or , ce que les parents les plus rapprochés sont ca
pables de faire par affection et intérêt, des parents plus
éloignés peuvent le faire par affection ou seulement par
complaisance. Le désir de venir au secours d’un parent
fait fermer les yeux sur la nature du moyen employé
et sur la gravité du préjudice qu’on va occasionner à
des intérêts légitimes.
Il est donc impossible d’accepter comme l’expression
de la vérité pure un acte intervenu entre de telles par
ties, alors surtout que par le fait cet acte constitue un
préjudice, en dépouillant des créanciers du gage sur le
quel ils'devaient compter.
1451.
— 3° Rétention de la possession par le pré
tendu vendeur.
La conséquence la plus directe, la plus immédiate de
toute aliénation est, sans contredit, le transfert de la
propriété de la chose aliénée, avec ses attributs natu
rels, et notamment la jouissance qui en est le principal.
On n’achète pas pour ne pas jouir, pas plus qu’on
ne vend pour retenir la chose ; conséquemment, d’une
part, l’abandon de cette jouissance, de l’autre la réten
tion de la possession constituent une double et inces
sante protestation contre la sincéritéIde l’opération.
Un pareil fait n’a qu’une signification logique. Ce
qu’on a voulu réellement c’est, par le déplacement no
minal et apparent de la propriété, en assurer le béné-
�ET DE LA FRAUDE.
53
fice au prétendu vendeur en l’exonérant de toutes les
charges. Ici encore, l’évènement, à savoir : le préjudice
que les créanciers sont dans le cas d’en éprouver, vient
résoudre avec la plus évidente certitude le doute que
l’existence de l’acte peut créer.
1452.
— Cela est tellement certain pour les parties
elles-mêmes, qu’elles se garderont bien de faire de cette
rétention une des conditions apparentes du contrat, ou
de l’insérer dans ses stipulations. Ce sera tacitement,
par une contre-lettre secrète, ou par une prétendue
convention de bail que cette importante modification
de la vente sera arrêtée.
Mais qu’elle que soit la forme employée, ce qui sera
décisif, c’est le fait en lui-même : Plus valet quod agitur quam quod simulate concipitur. Il suffira donc de
la matérialité convenue ou prouvée, pour que l’atten
tion de la justice soit vivement excitée , et que l’inten
tion réelle des parties soit l’objet des plus sévères inves
tigations.
1455.
— La rétention de la possession se réalise,
soit que le vendeur ait continué d’exploiter les biens
vendus par lui-même ou par un fermier choisi par lui,
et agissant sous son autorité ou par son ordre, soit que
paraissant retirer lui-même les fruits, l'acheteur en ait
fait annuellement compte à son prétendu vendeur. Cha
cun de ces faits peut être l’objet d’une preuve testimo-
�54
TIÎAJTÉ DU DDL
niale dont la recevabilité, en faveur des créanciers, ne
pourrait être contestée.
Dans plusieurs circonstances, et pour mieux colorer
la fraude, la rétention de la possession se couvrira du
prétexte d’un bail consenti par l’acheteur lui-même ou
par un intermédiaire qu’on aura interposé pour accré
diter d’autant la sincérité de l’opération. Mais le sousbail, comme le bail lui-même, est repoussé par un mo
tif qui, n ’ayant rien de légal, est cependant fondé sur
la nature des choses. En général, on n’aime pas à se
voir, à titre de mercenaire, sur une propriété qu’on
possédait à titre de propriétaire, et dont la vue inces
sante augmente et entretient le souvenir des contrariétés
et des malheurs qui l’ont fait sortir de vos mains. La
conduite contraire indique une dose de philosophie qu’il
n’est pas donné à tout le monde de posséder.
Tout ce qui n’est pas naturel n’est pas vraisemblable.
Aussi l’existence du bail, en pareilles circonstances,
le rendra suspect de n’êlre que le complément néces
saire de la fraude. Il est même une hypothèse où ce
soupçon deviendrait une certitude, à savoir : celle où le
prétendu preneur, simple propriétaire ou industriel, se
rait obligé, pour exécuter le bail, de recourir à un souspreneur.
1 4 54. — 4° L’exécution occulte et clandestine.
Les parties qui donnent à leur convention une exé
cution occulte et clandestine prouvent, par cela même,
par leur propre témoignage, le peu de sincérité de cette
�ET DE LA FRAUDE.
55
convention. Si elles se cachent, c’est qu’elles craignent,
c’est qu’elles ont recours au mensonge et à la ruse ,
c’est, enfin, qu’elles veuleut tromper ceux qu’elles pré
tendent laisser dans l’ignorance la plus complète sur
un fait qu’il leur importerait de connaître. La vérité
loyale et franche n’a pas besoin de mystère, elle peut se
présenter et dédaigner toutes précautions de ce genre.
Ce n’est donc pas elle que les parties ont voulu sous
traire à tous les regards ; comment, d’ailleurs, ne pas
faire soupçonner la fraude, lorsqu’on en emprunte les
allures et la forme ?
4 455. — Chacune de ces présomptions générales a
par elle-même une valeur réelle et incontestable. Suffi
rait - elle pour faire admettre l’action des créanciers ?
C’est là une question que la conscience du juge peut
seule résoudre, si jamais elle pouvait s’élever. En effet,
il est peu présumable que cette présomption s’offre dans
une circonstance sans qu’elle soit accompagnée d’autres
faits qui, venant à son appui, détermineront la convic
tion qu’elle tend à établir.
1456.
— En effet, à côté de ces présomptions gé
nérales, il en existe une foule d’autres que chaque es
pèce est dans le cas de faire surgir. Ainsi, l’acte sous
seing-privé, les clauses extraordinaires qu’il peut renfer
mer, le défaut de mention de la réelle numération dans
l’acte public, l’insolvabilité notoire d’une des parties, la
�56
TRAITÉ DU D0L
déconfiture, la position de fortune du prétendu acqué
reur ou prêteur, enfin la vileté du prix.
1457.
— Sans doute, on pourrait dire avec M.Troplong1, que le prix conventionnel, quoique modique,
n’en est pas moins sérieux dès que l’intention de l’exi
ger est certaine ; qu’ain si, il ne suffit pas que le prix
ne soit pas en proportion avec la valeur réelle de la
chose, pour qu’on soit autorisé à conclure à la fraude.
Si cela peut être admis , c’est évidemment lorsque le
vendeur , libre de toute obligation envers des tiers , a
l’entière disposition de sa fortune. La partie du prix
qu’il consent à ne pas exiger est acquise à l’acquéreur
à titre, pour ainsi dire, de libéralité. Or,celui qui pour
rait donner to u t, p e u t, incontestablement, donner une
part quelconque. On conçoit donc qu’il ne pourrait ob
tenir la résiliation de la vente sur le prétexte de la vi
leté du prix.
Mais il ne saurait en être de même dans l’hypothèse
nous occupant. Celui qui a des créanciers doit tout d’a
bord les satisfaire. Si, avant de remplir ce devoir, il dis
trait ou détourne une partie de son actif, il commet,
par cela seul , une fraude dont les créanciers sont au
torisés à lui demander compte.
Or, ce détournement s’opère par une vente à vil prix
comme par une soustraction matérielle. Cette vente est
considérée dès lors comme faite en fraude de ceux-ci.
III
tu.
■
A
1 De la vente, art. 4592, n° 450,
\
.
�ET DE LA FRAUDE.
57
Elle doit d’autant plus l’être que cette vileté du prix
peut n’être qu’apparente , e t, conséquemment, que le
résultat d’un concert entre les parties pour s’avantager
mutuellement au détriment des tiers.
Dès lors la vente à vil prix crée une présomption de
fraude contre le débiteur. Ce qu’il a consenti à ne pas
exiger de la valeur réelle , est un abandon volontaire,
une véritable donation qu’il ne devait pas, qu’il ne pou
vait pas consentir avant de s’être libéré de ses dettes.
On doit d’autant mieux le décider a in si, que la vente,
à l’effet de soustraire ce qui en fait l’objet aux poursui
tes des créanciers, est essentiellement frauduleuse; que
la vileté du prix ne sera que la conséquence de la né
cessité de vendre à tout prix , pour sauver au moins ce
que l’acheteur consentira de donner.
Relativement à ce dernier , la vileté du prix qu’il
donne perdrait de son importance, si la différence en
tre le prix stipulé et la valeur réelle est de peu d’impor
tance. Chacun veut acheter au plus bas prix possible, et
l’exercice de ce droit ne peut jamais constituer une
fraude.
Mais si la différence est considérable, si elle est cer
taine, visible, palpable, rien ne peut justifier l’acheteur.
S’il l’a exigée , c’est qu’il a connu la position du ven
deur, la nécessité dans laquelle il s’est trouvé de vendre
et le but qu’il s’est proposé. S’il s’est borné à accepter
l’offre que lui aurait faite ce dernier, cette offre aurait
dû alarmer sa loyauté et lui faire soupçonner la fraude.
�58
TRAITÉ DD DOL
II a donc volontairement consenti à profiter de cette
fraude, s’il ne l’a pas exploitée à son profit, e t , dans
l’un et l’autre cas, la révocation est la juste récompense
de sa conduite.
Enfin, les antécédents et la moralité des parties four
nissent un utile contingent à l’appréciation des actes in
tervenus entre elles.
Nous n’avons pas épuisé la série des présomptions
relevées par les auteurs tant anciens que modernes.
Nous avons dû nous borner à rappeler celles qui seront
le plus habituellement invoquées devant les tribunaux.
1458.
— Ce que nous devons ajouter, sans revenir
autrement sur ce que nous avons déjà dit ', c’est que
la pertinence des présomptions est souverainement ap
préciée par le juge. Appelé à prononcer comme juré, le
magistrat ne doit compte qu’à sa conscience de la con
viction qu’il puise dans l’ensemble des faits et circons
tances du procès.
1 V. supra n°s 254 et suiv.
�ET DE LA FRAUDE.
59
'
SECTION IV.
A quels actes s’applique l’actiofs.
S O MMA I R E .
1459.
1460.
Tous les contrats peuvent être attaqués par l ’action Paulienne; à quelles conditions ?
Division.
1 4 5 9 . — Tous les contrats peuvent être attaqués par
l’action Paulienne, à ces deux conditions néanmoins :
1° qu’ils soient de nature à causer un préjudice aux
créanciers : 2° qu’ils aient été souscrits dans cette in
tention, En d’autres termes, nous retrouvons ici les exi
gences requises en matière de dol : Comilium et eventus.
Toutefois, le premier de ces caractères peut résulter
de la nature du contrat. Ainsi, les libéralités à titre gra
tuit le font admettre de plein droit. Telle était la doc
trine du droit romain que nous avons déjà eu l’occasion
de rappeler, telle est celle que notre droit ancien a lé
gué à notre Code actuel.
�60
TRAITÉ DU DOL
ï 4 6 0 . — Pour procéder avec plus de méthode et
de clarté, nous allons, dans des articles spéciaux, trai
ter des principaux contrats pouvant être attaqués par
l’action Paulienne , et examiner pour chacun d’eux les
effets qu’elle est dans le cas de produire, et sa durée.
§ i.
Du
M ariage.
SOMMAIRE.
1461.
La loi n’a pas compris la simulation au nombre des moy
ens admis pour attaquer le mariage ; pourquoi ?
1462. Etranges conséquences que la doctrine contraire créerait.
1463. Mais pourra-t-on soutenir que le mariage n ’a été qu’un
moyen pour acquérir frauduleusement des avantages
attachés à sa célébration ?
1464. Espèce dans laquelle l ’affirmative a été jugée.
1465. Le mariage de la malade avec le médecin qui l’a soignée
dans la maladie dont elle est morte, fait-il disparaître
l ’incapacité dont le médecin est frappé ?
1466. La ratification expresse ou tacite de la part des héritiers
couvrirait l ’invalidité du mariage. — Conséquence
quant à la prescription.
�RT DE LA FRAUDE.
1467.
61
La constitution dotale consentie par le père peut être at
taquée par les tiers, comme faite en fraude de leurs
droits.
1468. Système du droit romain ; distinction entre la fille et le
gendre, quant aux effets de la fraude.
1469. Ce système devint celui de notre ancien droit.
1470. Le Code ne contient à cet égard aucune disposition ex
presse.—Jurisprudence jusqu’en 1847.
1471. Arrêt de la Cour de cassation du 23 juin 1847, statuant
que, pour la fille elle-même, la constitution dotale est
faite à titre onéreux.
1472. Critique que M. Dalloz fait de cet arrêt.
1473. Réfutation.
1474. Persistance de la Cour de cassation dans la jurisprudence
de l ’arrêt de juin 1847.
1475. Conclusion.
1476. Conditions indispensables pour que la donation soit con
sidérée comme faite en vue du mariage.
1477. Les créanciers du mari peuvent-ils attaquer la reconnais
sance et la quitlance frauduleuse de la dot contenue
dans le contrat de mariage ?
1478. Quid, de la quittance de la dot consentie pendant la durée
du mariage ?
1479. Le droit qu’ont les créanciers peut-il être exercé par les
héritiers du mari ?
1480. Opinion des auteurs anciens.
1481. Solution que les dispositions du Code , sur les donations
entre époux, font consacrer.
1482. Droit des héritiers de demander la réduction en cas d’ex
cès.
1483. Dangers que la séparation de biens fait çourir aux créan
ciers.
1484. A la femme elle-même.
1485. Faculté accordée à celle-ci de pendre toutes mesures con
seil atoires.— Etendue de cette faculté.
�6Ü5
1486.
TRAITÉ DU DOL
Celle faculté comprend-elle le droit de faire apposer les
scellés sur les effets de la communauté ?— A quelles
conditions le mari pourra-t-il en obtenir la levée ?
1487. La gravité de ces mesures en a fait soumettre l ’exécution
à l ’autorisation préalable du président du tribunal
civil.
1488. Mais la requête aux fins de cette autorisation n ’a pas be
soin d’être communiquée au mari.
1489. Caractère de l ’autorisation.
1490. Toutes les mesures autorisées en cas de demande en sé
paration de biens, peuvent être réalisés par la femme
demanderesse en séparation de corps.
1491. La séparation de biens, qui n’est que la conséquence de
la séparation de corps , n ’est pas soumise, quant à la
demande, à la publicité exigée pour la poursuite de la
première.
1492. Abus qu’on a fait de la séparation de biens.
1493. Précautions que cet abus avait suggérées au législateur.
1494. 1° Publicité de la demande.—Son objet.
1493. Le créancier intervenant a le droit de contester la demande
et de la faire rejeter.
1496. Effet du défaut de publicité.
1497. 2° Conditions d'admissibilité de la demande.—Epoque du
jugement.
1498. Le délai exigé par l’art. 869 du Code de procédure civile
est prescrit à peine de nullité.
1499. Obligation pour la femme de prouver le désordre des af
faires de son mari. — Sévérité que les tribunaux doi
vent apporter dans son accomplissement.
1500. Faits tendant à établir cette preuve.—Preuve orale.
1301. Peut être ordonnée d ’office par le juge.
1502. 3° Publicité du jugement.—Son objet.
1503. Elle est prescrite à peine de nullité.
1504. 4“ Exécution du jugement. — Présomption résultant de
son absence.—Délai dans lequel elle doit s’accomplir.
�ET DE LA FRAUDE.
4505.
1506.
1507.
1508.
1509.
1510.
4511.
1512.
1513.
1514.
1515.
1516.
1517.
1518.
1519.
1520.
4521.
63
Motifs pour lesquels la loi assimile la poursuite à l'exécu
tion.
Controverse que la nécessité d’agir dans la quinzaine a
fait naître.—Dans quel sens elle a été tranchée.
Constatation que doit recevoir l ’exécution volontaire.
Si l’exécution consiste dans le paiement, ce paiement doit
être réel et intégral, au moins jusqu’à concurrence
des biens du mari.
A défaut de paiement, la poursuite doit être commencé^
dans la quinzaine et continuée sans interruption.
Exception que cette règle comporte.
Caractère du jugement régulièrement rendu entre les époux et entre les tiers.—Faculté pour ceux-ci de l’at
taquer pendant un an.
Effet du silence gardé par les créanciers pendant ce délai.
Les créanciers postérieurs à la séparation ne peuvent se
plaindre de l’exécution tardive qu’elle aurait reçue, à
moins que cette exécution n ’eùt été postérieure à la
date de leur créance.
Les créanciers qui ont laissé expirer l ’année sans récla
mer sont-ils recevables à attaquer la séparation com
me faite en fraude de leurs droits ?
Conclusion.
L’effet rétroactif du jugement de séparation au jour de la
demande, est-il opposable aux tiers comme au mari?
Distinction à l ’aide de laquelle cette question doit être ré
solue.
La dissolution du mariage par la mort d’un des époux peut
devenir une occasion de fraude.
Le détournement de l’actif est la fraude la plus redouta
ble.
Caractère de ce délournement pour la femme dotale ou
commune en biens.
Droits que la loi reconnaît à la femme relativement à la
communauté.
�64
TRAITÉ DU DOL
1522. Effets produits , quant à c e , par le recelé dont elle se
rend coupable.
1523. Effets du recélé commis par le mari ou ses héritiers.
1524. Les peines édictées par la loi doivent-elles seules être ap
pliquées, et devrait-on refuser les dommages-intérêts
réclamés.
1525. La femme renonçante ne pourrait exciper de son recélé
pour se faire restituer contre la renonciation.
1526. Les héritiers du mari peuvent ne pas faire prononcer la
nullité de la renonciation.
1527. Mais dans tous les cas , et par rapport aux créanciers , la
femme est commune par cela seul qu’elle a recélé.
1528. La femme ou ses héritiers peuvent faire annuler la renon
ciation qu’ils n’auraient faite que par une conséquen
ce des recélés commis par le mari.
1529. Doit-on placer sur la même ligne le recélé et la fausse
supposition de créances à la charge de la succession?
1530. Droit des créanciers de la femme de faire annuler la re
nonciation qu’elle aurait faite en fraude de leurs
droits.
1531. Comment s’établirait la preuve de celte fraude?
1532. Les créanciers personnels de l’héritier de la femme ont le
même droit contre la renonciation émanée de celui-ci.
1533. Les créanciers de la femme ou de son héritier peuvent-ils
quereller l ’acceptation faite par l’un ou par l’autre?
1534. Effet de la révocation obtenue par les créanciers.
1535. L’action en révocation de la renonciation ou de l’accepta
tion se prescrit par dix ans— Doutes sur le point de
départ de ce délai.
1536. Le détournement commis avant la dissolution du mariage
est assimilé au recélé.
1537. Caractère que doit avoir celui-ci.
1538. L’action d’un époux, pour la répression des fraudes com
mises à son préjudice par|son conjoint pendant la du
rée du mariage, passe à l’héritier.
�ET DE LA FRAUDE.
1539.
65
La femme peut-elle obtenir contre les tiers la nullité des
baux de ses biens paraphernaux consentis par le
mari?
1461.
— Le mariage était un acte trop important,
trop solennel, pour qu’on l’abandonnât aux règles tra
cées par le Code pour les contrats ordinaires. Indisso
luble par essence, recevant la double sanction de la loi
et de la religion, destiné à devenir la source de la fa
mille , il touchait de trop près à l’intérêt social, pour
qu’il ne dût pas être rangé, quant à ses conditions et
ses formes, dans une catégorie spéciale.
C’est ce que le législateur a parfaitement compris ,
aussi le voyons-nous, dans un titre particulier du Co
de, régler tout ce qui lui est relatif, circonscrire les
moyens de nullité dans un cercle très étro it, dire par
qui, quand et comment ils pourraient être opposés.
La simulation n’a nullement été placée au nombre
de ces moyens de nullité. Ce silence suffirait donc pour
faire écarter la demande à laquelle elle servirait de ba
se. Indépendamment de son caractère légal et juridique,
cette conclusion découlait invinciblement de la nature
des choses et de la raison la plus évidente.
En effet, on ne peut se faire une idée d’un mariage
simulé dans l’acception ordinaire de ce mot. La sim u
lation suppose que l’acte que les parties ont fait en ap
parence est tout autre que celui qu’elles ont voulu et
entendu faire en réalité : Cum aliud agitur, aliud simulatur ; il faut donc, pour qu’on puisse en admettre
�66
TRAITÉ DU DOL
l’existence, qu’à côté du contrat apparent puisse se pla
cer la possibilité d’un autre qu’on devra préférer. Or,
que pouvaient vouloir ceux q u i, après l’accomplisse
ment des formalités espéciales, ont procédé à la célébra
tion civile et religieuse de leur mariage, sinon se marier?
1 4 62. - A ce point de vue donc, on ne compren
drait pas le reproche d’une simulation. On le comprend
bien moins encore en présence des conséquences véri
tablement étranges auxquelles la doctrine contraire ar
riverait infailliblement.
Ainsi, et par cela seul que le mariage est célébré, ses
effets légaux se produisent en faveur et contre tous. Les
époux ne peuvent contracter un nouveau lien sans en
courir la peine de la bigamie; la femme est de plein
droit placée sous l’autorité maritale ; les enfants nés de
ce mariage sont par cela seuls légitimes ; ceux que l’é
poux aurait d’une autre personne que de son conjoint
seraient adultérins. Tout cela serait cependant un men
songe I On viendrait soutenir que le mariage est simu
lé; que les parties n’ont pas eu l’intention de s’unir ;
qu’elles ne se sont pas réellement et sérieusement épou
sées ; que leur consentement n’a été qu’une comédie,
c’est-à-dire qu’on aboutirait à la plus monstrueuse ab
surdité.
Le maintien absolu du mariage et la prohibition de
l’attaquer par simulation sont donc justifiés par la sim
ple raison et commandés par le bon sens.
1463. — Mais si le mariage ne peut être querellé,
�ET DE LA FRAUDE.
67
pourra-t-il l’être comme moyen de simulation ? Est-on
recevable à soutenir qu’il n’a été consenti que pour ac
quérir des avantages soumis à cette condition ou pour
éluder une incapacité légale ?
1 464.
— Déjà nous avons cité une espèce dans la
quelle la Cour d’Aix, par arrêt du 4 mars 1813, sans
s’expliquer sur le mariage en lui-même, refusa de lui
faire produire les effets en vue desquels elle le déclara
frauduleusement consenti.1
1 4 6 6 . — L’incapacité édictée par l’article 909 a
fourni de nombreux exemples de la seconde hypothèse.
Un médecin, voulant échapper à cette disposition et re
cueillir les biens de sa malade , l’épouse dans la durée
de la dernière maladie. Ce mariage fait-il disparaître
l’incapacité et rend-il le médecin apte à recueillir les li
béralités qu’il obtient par ce moyen ?
La question ne saurait être douteuse pour les libéra
lités antérieures au mariage. En supposant même que
le mariage fit disparaître l’incapacité, cet effet ne se
réaliserait que pour l’avenir, à dater de sa célébration,
mais il ne ferait pas disparaître cette incapacité pour
le passé. Tout ce qui aurait été fait avant le mariage
et pendant la maladie serait donc frappé de nullité, si
cette maladie s’était terminée par la mort.
Mais l’annulation de tout ce qui aurait suivi le ma-
i V. supra, n°s 342 et suiv.
�68
TRAITÉ DU DOL
riage fait naître beaucoup plus de difficultés. L’art. 909,
a-t-on dit, et cela est vrai, ne concerne pas le mari mé
decin donnant les secours de son art à sa femme ma
lade. C’est là non-seulement exercer un droit, mais en
core remplir un devoir que sa tendresse d’époux auto
rise , que la morale sanctionne. On ne saurait donc ,
sans une révoltante injustice, condamner, comme une
odieuse spéculation, ce qui n’est que la conséquence
d’une affection légitime.
Mais peut - on assimiler à ce mari le médecin qui
n’est mandé que pour donner des soins à une malade,
qui, incapable à ce titre de recevoir une libéralité quel
que peu importante, devient son mari pour pouvoir recuellir une fortune dont la possession a seule motivé sa
démarche en excitant sa convoitise, et qui la recueille
effectivement peu de temps après, la malade n’ayant pas
survécu à la maladie ? Un pareil mariage, alors surtout
que l’homme de l’art n’a pu se dissimuler le caractère
essentiellement mortel de la maladie et la certitude d’u
ne issue fatale, n’in spire-t-il pas l’idée d’une fraude
pour échapper à l’article 909 ? Est-il dès lors rationnel
et juste de tolérer une aussi odieuse, une aussi déloyale
spéculation ?
C’est cependant pour l’affirmative que s’est depuis
longtemps prononcée la Cour de cassation, elle a, par
arrêt du 30 août 1808, déclaré capable, comme mari,
le médecin qui n’a épousé sa malade que pendant le
cours de sa dernière maladie.
Mais quelque respect que nous inspire la haute science
�ET DE LA FRAUDE.
69
de la Cour régulatrice, sa décision, nous osons le dire,
ne satisfait ni à la raison , ni à la justice. Ainsi elle
consacre la possibilité d’éluder la prohibition de l’art.
909 et l’abus d’influence qui en fait le fondement, par
cet abus même poussé jusqu’à ses dernières limites.
Peut-on en effet supposer que, rongée par le mal qui la
dévore, une femme puisse dans son agonie concevoir et
exécuter spontanément un projet de mariage ? C’est à
l’aide de mensonges, de promesses de guérison, dont le
mariage sera lui-même offert comme un gage de sincé
rité, qu’on l’y déterminera, et c’est à cette chimérique
espérance qu’on devra ce consentemeat à une union des
tinée à ne pas être consommée.
Une pareille conséquence, et elle se réalisera généra
lement dans ce cas, est plus qu’un mensonge, c’est une
profanation, et nous dirons sans hésiter, avec M. Duranton : Il ne faut pas que la sainteté du mariage soit
un moyen de couvrir une fraude à la loi. Un homme
qui ne le contracte qu’avec la mort, pour ainsi dire, en
vue de s’approprier une fortune qu’il est incapable de
recueillir en sa qualité de médecin du disposant, réunit
en sa personne l’indignité et l’incapacité, et l’une ne
saurait couvrir l’autre.'
Qu’on ne touche donc pas au lien honteux qu’il a eu
le triste courage de former, mais qu’on lui arrache la
fortune en vue de laquelle il a entrepris et exécuté cette
�70
TRAITÉ DU DOL
indigne, cette odieuse comédie. Mieux vaudrait, plutôt
que de décider le contraire, effacer l’art. 909 de nos
Codes. L’influence médicale y gagnerait sans doute, elle
pourrait se faire une large part des dépouilles des per
sonnes qu’elle n’a pu sauver, mais du moins on ne ver
rait plus un cadavre traîné à la mairie et à l’autel pour
y célébrer un mariage que viendra fatalement interrom
pre le glas de la mort.
Ces idées, que la plus saine morale avoue, sont des
tinées à prévaloir; déjà la Cour de cassation a introduit
dans sa jurisprudence de 1808 une modification qui en
fait présager, une dernière , mais décisive, dans le sens
que nous indiquons. Elle a, le 11 janvier 1820, rejeté
un pourvoi formé contre un arrêt de la Cour de Paris
décidant que le mariage pendant la dernière maladie,
n’ayant eu pour objet que d’éluder l'article 909, n’en
faisait pas disparaître la prohibition.
Il est vrai que la Cour de cassation semble ne pas ad
mettre ce principe, et n ’autoriser la nullité que lorsqu’il
est prouvé que les libéralités, au lieu d’avoir été déter
minées par l’affection conjugale , n ’ont d’autre cause
que l’empire que le médecin avait sur sa malade, et les
manœuvres du donataire dans les derniers moments de
la vie de la donatrice.
Mais si le mariage lui-même n’a été que la consé
quence de l’empire exercé par le médecin sur l’esprit
de la malade, n’est-il pas évident que tout ce qui aura
suivi procédera de la même source et participera du
même vice. La doctrine de la Cour de Paris nous parait
�UT DE LA FRAUDE.
71
donc plus logique, lorsqu’elle va chercher la nullité de
l’effet dans la nullité de la cause elle-même.
C’est à cette doctrine que se range M. Marcadé, mal
gré que, sur le principe de la capacité, il pense comme
la Cour de cassation. Mais ce principe, dit-il doit flé
chir, s’il était prouvé par les héritiers du disposant que
le mariage n’a été contracté que dans le but d’échap
per à la prohibition de l’art. 909. Dans ce cas, les libé
ralités n’en seraient pas moins annulées par la mort
de la malade, car la conduite infâme d’un homme, qui
n’a formé le plus saint des contrats que comme un
moyen de réaliser ses honteux calculs, ne saurait le re
lever de l’incapacité qui frappait sur lui.1
La question réduite à ces termes, comment pourraiton prouver plus énergiquement le calcul infâme du mé
decin, autrement que par le fait du mariage lui-même ?
Quel pouvait être le but de sa célébration, chez le mé
decin Sachant que la malade est inévitablement vouée
à la mort, et pouvant, en quelque sorte, mesurer avec
certitude le peu de jours pendant lesquels elle peut sur
vivre encore ? A - t - il espéré cette association intime ,
cette mutualité de plaisirs et de peines qui fait le char
me de la vie ? A-t-il été bercé du doux espoir de ren
contrer, dans une heureuse paternité, des objets nou
veaux à chérir ? Enfin a -t-il cédé au désir de posséder
celle qui excite ses passions? Mais aucune de ces illu
sions ne lui a été permise, pas même la dernière, car
1 T. ni, art. 909, n» 3,
�72
TRAITÉ DU DOL
celle qu’il épouse cependant, touchant déjà aux portes
de la mort, n’est plus peut-être qu’un objet de pitié et
de dégoût. Qu’a-t-il donc cherché dans ce mariage, si
non cette fortune si ardemment convoitée, et qui devait,
dans sa pensée, en être le prix.
La fraude est donc prouvée par le fait seul du ma
riage. Dès lors, et au nom des sentiments exprimés par
M. Marcadé, la justice doit maintenir une prohibition
si nécessaire au repos des familles 1
Nous ne saurions au reste mieux résumer les motifs
de cette opinion qu’en transcrivant un jugement du tri
bunal civil de la Seine, qui les déduit avec une remar
quable précision :
« Attendu que la prohibition prononcée par l’article
909 a pour motif unique la présomption légale de l’em
pire que celui qui pratique l’art de guérir exerce sur
l’esprit du malade auquel il administre les secours de
son art pendant la dernière maladie; que lorsque le
motif de cette loi reçoit son application, on ne peut en
éluder les dispositions par des moyens indirects, parce
qu’on ne peut faire indirectement ce que la loi défend de
faire directement ;
« Qu’un mariage contracté entre le médecin et sa
malade, pendant le cours de sa dernière maladie, lors
qu’elle est de nature à ne laisser à l’homme de l’art au
cune vraisemblance de guérison, ne présente ni avan
tage légitime pour les parties contractantes, ni intérêt
pour la société; qu’il n’est qu’un moyen d’échapper à
�ET DE LA FRAUDE.
73
l’incapacité, et une forte et nouvelle preuve de cet em
pire, véritable motif de la prohibition ;
« Que l’on doit distinguer le cas où la qualité de mé
decin est modifiée par des circonstances naturelles et non
suspectes, telles que celles prévues par l’art. 909, d’avec
ceux où ces circonstances ne sont que le résulat de cal
culs et l’effet de l’art employé par la personne prohibée,
qui s’est efforcée de se placer elle-même dans un des
cas d’exception. »
Ce jugement fut déféré à la Cour d’appel de P a ris,
mais, par arrêt du 24 février 1817, celle-ci le confirme
sur ce chef, considérant que le mariage du médecin avec
sa malade, pendant la durée de la dernière maladie
dont elle est m orte, ne couvre pas l’incapacité établie
par l’art. 909.
Plus tard, la Cour de Paris a été de nouveau appe
lée à se prononcer sur la question, et son arrêt du 26
janvier 1819 consacre de nouveau la solution donnée
par celui de 1817. « Considérant, en fait, que les libé
ralités attaquées ont été faites durant la maladie dont
la donatrice est morte ; et que le bénéficiaire était son
médecin ordinaire; en droit, considérant que l’incapa
cité que cette qualité lui infligeait, aux termes de l’ar
ticle 909, n’a pu être effacée par un mariage unique
ment contracté pour échapper à la prohibition de la
loi. »
C’est le pourvoi formé contre cet arrêt que la Cour
de cassation rejette par sa décision du 11 janvier 1820,
dont nous avons déjà parlé. Ce qui, dès lors, semblerait
�74
TRAITÉ DU DOL
résulter de ce rejet, en présence de la solution de la
Cour de Paris, c’est que la preuve exigée par la Cour
de cassation, que les libéralités ne sont pas l’effet de l’af
fection conjugale, s’induit de cela seul que le mariage
n ’a été lui-même qu’un calcul à l’effet d’éluder la pro
hibition de l’art. 909.
Réduite à ces termes, que nous considérons comme
très juridiques, il est évident que les héritiers poursui
vant la nullité de libéralités de ce genre n’a u ro n t, en
aucune manière, à quereller de simulation la célébra
tion du mariage , ils ne devront soutenir qu’une seule
chose, à savoir : que le mariage a été imposé par l’in
fluence que la qualité de médecin donnait au mari sur
l’esprit affaibli de sa malade, et, conséquemment le ré
sultat de manœuvres et non de l’affection ; à notre avis,
Celte preuve résulte du mariage lui - même. Ce serait
donc au mari à prouver l’affection à laquelle il attri
buerait la conduite de la malade. Au reste, comme pour
toutes les appréciations de fa it, les juges sont, dans
cette hypothèse, les arbitres souverains de la question,
dont ils puiseront la solution dans la position des par
ties, leur qualité, la nature de la maladie, son incura
bilité , enfin la distance qui a séparé le mariage de la
mort.
1466.
— Il convient de faire remarquer que, mal
gré que l’art. 909 dispose dans un motif d’intérêt gé
néral, la vérité est qu’il a surtout en vue l’avantage de
la famille déshéritée par l’abus de l’influence qu’il con-
�ET DE LA FRAUDE.
75
damne : Primario spectat utilitatem privatam, et secundario publicam. La nullité qui résulte de sa viola
tion n’est donc pas absolue. Elle est purement respecti
ve , comme l’aurait appelée notre ancienne jurispru
dence.
Il suit de là que l’acte fait contrairement à l’art. 909
est susceptible d’être ratifié expressément ou tacitement
par la partie qui en est lésée. Le silence gardé pendant
plus de dix ans faisant présumer cette dernière, l’action
qui n’aurait pas été intentée avant l’expiration du dé
lai, serait éteinte par la prescription. C’est ce qu’on de
vrait décider sous l’empire du Code.'
1 467. — Le contrat de mariage, réglant les con
ventions matrimoniales, peut devenir l’occasion de frau
des, non-seulement de partie à partie, ainsi que nous
l’avons déjà vu, mais des parties contre les tiers. En pre
mier lieu, une dot plus ou moins considérable peut être
constituée par un homme en état d’insolvabilité, et le
sachant lui-même. Si cet homme est le père, la consti
tution de la dot sera-t-elle attaquable par les créan
ciers? Devra-t-elle être annulée par le principe applica
ble aux libéralités pures et simples, et qu’elle que soit
la bonne foi des époux ?
1 4 6 8 . — Le droit romain admettait l’action des
créanciers, mais il distinguait, quant à ses effets, entre
le gendre et la fille.
�76
TRAITÉ DU DOL
A l’égard du premier, la dot était censée reçue à ti
tre onéreux. Elle était, par rapport à lu i, considérée
comme la condition essentielle de l’union aux charges
de laquelle elle devait contribuer : Mariti etenim in tuitu onerosis ewn titulis adnumerari oportere ju risconsultus asserit, quia dos datur ad sustinenda onera
matrimonii, et probabiliter maritus indotatam non
fuissetducturus.1 Aussi n’était il soumis à l’effet de l’ac
tion révocatoire des créanciers que s’il s’était associé à
la fraude du constituant : Si a socero fraudatore, sciens
gener accepit dolent, tenebitur hac actioned
Il n’en était pas de même de l’épouse. Malgré qu’elle
eût, depuis la loi Julia et la constitution de l’empereur
Antonin, le droit de contraindre ses parents à la doter,3
tout ce qu’elle recevait à ce titre était considéré comme
une donation. Elle était donc tenue de le restituer à la
dissolution du mariage, qu’elle que fût d’ailleurs sa
bonne foi. Il suffisait aux créanciers de prouver la fraude
du père pour que leur action révocatoire dût sortir à
effet.
1469.
— Cette législation est ses conséquences de
vinrent le droit commun de la France, non-seulement
pour les pays de droit écrit, mais encore pour tous ceux
dont les coutumes étaient muettes sur l’action révoca-
i Voët, ad Pandectas, 1. 42, t. vin, n° 6.
3 L. 26, Dig. Quce infraud. crédit.
3 L. 19, Dig. Deritu nupl. ■— 1. unica, Cod. De dot. promis.
�ET DE LA FRAUDE.
77
toire. On continua donc d’observer la distinction en
tre les gendres et les filles / ainsi que les effets en ré
sultant.
La révocation, dit Furgole, a lieu pour toutes sortes
de choses : immeubles, meubles, droits et actions don
nés non - seulement par les donations simples, mais
encore par les constitutions de dot. Mais si le mari a
reçu la dot, on distingue s’il a connu la fraude ou non.
Au second cas, les créanciers ne peuvent agir contre
lui, parce qu’il est considéré comme créancier ou ache
teur; mais, au premier, la révocation a lieu; que, s’il
s’agit de l’intérêt de la femme à laquelle la dot a été
constituée, on n’examine pas si elle a eu connaissance
de la fraude, parce que, à son égard, c’est une libéra
lité à titre lucratif.1
1470.
— Le Code civil n ’a pas suivi l’exemple du
législateur romain, en ce sens qu’il ne renferme aucune
disposition sur les effets de l’action révocatoire de la
dot, soit à égard de la femme, soit à l’égard du mari.
Mais, en ce qui concerne ce dernier , la jurisprudence
a toujours marché sur les traces que les législations pré
cédentes avaient pratiquées, et, considérant la dot comme
reçue à titre onéreux, elle n ’a admis la révocation qu’en
tant que la preuve qu’il s’était associé à la fraude du
constituant était administrée.
i Des Test., tom. iv, pag. 230, chap. -14, sect. 4, n° 20 ; — voy. Desdeisses, v» dot, part. 4, sect. 4 ; — Domat, Lois cîv., tit. 9, sect. 2,
n° 4.
�78
TRAITÉ DU DOT
Jusqu’en 1847, la jurisprudence n’avait eu à traiter
ce qui concerne la femme que d’une façon en quelque
sorte subsidiaire, et à propos des conséquences que pou
vait entraîner contre elle la solution que recevait la de
mande dirigée contre le mari. C’est ainsi notamment
que, dans son arrêt du 6 juin 1844 , la Cour suprême
s’arrêtant au fait, qu’un apport, que le contrat de ma
in ariage constatait avoir été fait par le gendre, n ’avait
pas été réalisé, en concluait que la dot, prétendue cons
tituée en échange, n’était qu’une pure libéralité, tant
au profit de la fille qu’au profit du gendre, et dès lors
susceptible de révocation, par suite de la faillite du cons
tituant.1
Mais cet arrêt, ainsi que l’observe M. Dalloz luimême, se renfermant dans les limites de l’appréciation
qui le motive, ne résout qu’une espèce. Il ne décide,
en droit, ni que la dot a pris sous le Code civil, qui ne
la considère plus comme obligatoire pour les parents, le
caractère d’un acte de pure libéralité, susceptible de
tomber sous l’action révocatoire des créanciers, malgré
la bonne foi de celle qui l’a reçue, ni que ce caractère
de disposition gratuite serait imprimé à la dot par cela
seul que les apports annoncés par le mari ne se véri
fieraient pas. Sur l’une comme sur l’autre question ,
l’arrêt ne lie nullement l’indépendance absolue de la
Cour suprême.
�ET DE LA FRAUDE.
79
1471. — C’est ce qu’elle a pensé elle-m êm e. Aussi
appelée à se prononcer, et cette fois directement, sur
l’action des créanciers contre la femme, à raison de la
dot, elle a jugé, le 213 juin 1847, que la constitution
de dot, faite par un père au profit de sa fille, a le ca
ractère d’un contrat à titre onéreux non-seulement visà-vis du gendre, mais encore à l’égard de la fille do
tée; que, par suite, les créanciers du constituant ne peu
vent demander la révocation de cette constitution dota
le, comme faite en fraude de leurs droits, qu’autant que
l’un et l’autre des époux ont concouru à la fraude.
1 4 7 2 . — M. Dalloz, en rapportant cet arrêt' l’accompage d’une critique longuement»exposée. Les fon
dements de cette critique reposent sur ces idées princi
pales :
« En droit romain, aux termes de la loi Julia et de
la constitution de l’empereur Antonin, la dot était obli
gatoire pour les parents. Les enfants avaient droit de
l’exiger. Cependant, malgré ce caractère elle ne cessait
pas de paraître une pure libéralité, que la fraude seule
du constituant permettait aux créanciers de faire révo
quer, sans égard pour la bonne foi de l’enfant doté.
« Comment pourrait - il en être autrement aujour
d’hui que l’article 204, abrogeant la loi Julia et la cons
titution de l’empereur Antonin, a converti en loi cette
maxime du droit coutumier : ne dote qui ne veut ; ne
�80
TRAITÉ DU DOL
faut-il pas en conclure que le caractère de pure libéra
lité de la dot ressort bien plus évident encore de ce
qu’elle n’est plus obligatoire ?
« Dès lors si la dot n’est qu’une véritable donation,
elle doit, comme celle-ci, être révoquée malgré la bonne
foi du donataire, et par la seule fraude du donateur.
La Cour de cassation a donc , en décidant le maintien
de la dot, sons prétexte de la bonne foi de l’épouse, mé
connu un principe qu’elle avait elle-même sanctionné,
et abandonné sa propre jurisprudence. »
1473.
— Ce dernier reproche n’aurait pu être
adressé à la Cour que si, ayant admis pour la dot le ca
ractère d’acte à tittfe gratuit, elle l’avait soustraite à l’ac
tion révocatoire, en se fondant sur la bonne foi de la
fille dotée. Mais, loin de là, si la dot est maintenue jus
qu’à preuve de complicité dans la fraude du constituant,
c’est que, par rapport aux époux, il est déclaré qu’elle
est reçue à titre onéreux. En conséquence, en la soumet
tant aux règles régissant ces contrats, l’arrêt n’a voulu
ni pu méconnaître les principes applicables aux libé
ralités.
Se trompe-t-il, en donnant ce caractère à la consti
tution de dot? C’est ce qu’il fallait prouver, et c’est ce
que M. Dalloz ne fait pas, lorsqu’il se borne à s’en ré
férer d’une part au droit rom ain, de l’autre à l’arti
cle 204.
Le droit romain? Nous reconnaissons que l’arrêt s’en
écarte, mais cela tient à une circonstance qui mérite
�ET DE LA FRAUDE.
81
d’être relevée. Il était difficile, sous l’empire de ce droit,
qu’on n’appliquât pas la règle rappelée par M. Dalloz,
et cela par cette raison fort simple, le cas avait été lé
gislativement prévu et décidé. L’action des créanciers
avait été formellement donnée contre la fille dotée, alors
même qu’elle avait ignoré la fraude de son père, la
constitution dotale étant considérée par rapport à elle
comme provenant en quelque sorte d’une pure libéra
lité : Quia intelligitur quasi ex do na tio n e , aliquid
ad eam pervenire,'
Mais notre Code ne renfermant aucune disposition de
ce genre, on peut décider le contraire sans violer aucun
texte.
Ce texte existerait-il dans l’article 204, faut-il con
clure que, par cela seul qu’il a laissé aux parents la fa
culté de donner une dot ou de la refuser, il a entendu
faire de celle-ci une pure libéralité ? Une telle conclu
sion, non justifiée d’ailleurs par le texte, serait contraire
à l’esprit qui l’a fait adopter. Ce que le législateur a
voulu par l’art. 204, c’est protéger plus efficacement,
c’est renforcer la puissance paternelle que la loi Julia
avait voulu énerver, parce qu’elle portait ombrage aux
empereurs; c’est rendre impossible ces inquisitions aux
quelles était livrée la fortune privée, lorsqu’il s’agissait
de fixer la quotité de la dot réclamée; c’est enfin d’em
pêcher ces mariages contractés contre la volonté et mal-
1 L 25, S 1, Dig. Quoi m fraudem crédit.
�82
TRAITÉ DU DDL
gré la résistance des parents, auxquels la certitude de
recevoir, dans tous les cas, une dot, était un si puissant
encouragement.
Voilà le but élevé et moral que l’art. 204 a voulu at
teindre. C’est donc le méconnaître, ou tout au moins le
rabaisser singulièrement, que de le réduire aux propor
tions d’une simple question de savoir si la dot est cons
tituée à titre onéreux ou à titre gratuit.
Au surplus, tout ce qui s’induit, à cet égard, de l’ar
ticle 204, c’est que la nécessité de doter n’est plus pour
les parents une obligation civile produisant une action
pour en contraindre l’obligation. Mais cela suffirait—il
pour déterminer ce caractère purement gratuit dont
parle M. Dalloz? Nous ne le pensons pas, car celui qui
accomplit en donnant une obligation naturelle, remplit
un véritable devoir et ne peut être considéré comme uni
quement libéral. Or, que pour les parents, la constitu
tion de dot soit une obligation naturelle, c’est ce que
tout le monde reconnaît; M. Troplong n’hésite pas mê
me à enseigner que la dot tient plus de la vente que de
la donation.'
Dans tous les cas, l’art. 204 n’arriverait jamais qu’à
cette conséquence, à savoir : que le constituant, la dot
n’étant pas obligatoire, fait en la donnant une libéra
lité ; mais pour que la libéralité soit atteinte par la
fraude de son auteur exclusivement, il faut que celui
1 Contrat de mariage, art 1389, n° 130
�ET DE LA FRAUDE.
83
qui l’a reçue l’ait acceptée à titre purement lucratif. S i,
par rapport à celui-ci, la libéralité prend un caractère
onéreux, elle ne pourra être révoquée que par la preuve
de sa complicité dans la fraude du constituant.
Cette divisibilité d’aspect de la dot, dans ses rapports
avec les différentes parties concourant au contrat, n’est
contestée par personne. Elle a toujours été consacrée
par la législation. C’est même ce qui est aujourd’hui en
core pratiqué vis-à-vis du gendre. L’art. 204, qui l’au
torise pour celui-ci, l’a - t - i l prohibé à l'égard de la
fille? Telle était l’unique difficulté qui s’offrit à la Cour
de cassation, et que cette Cour a résolu par la négative,
sur les motifs suivants :
« Attendu que le principe écrit dans l’art. 1467, qui
permet aux créanciers d’attaquer les actes faits en fraude
de leurs droits, ne reçoit une saine application qu’au
moyen de la distinction entre les contrats à titre oné
reux et les contrats de pure libéralité; que c’est ainsi
que les contrats de la première espèce ne sont nuis,
pour cause de fraude, qu’à l’égard des parties qui ont
pratiqué la fraude ou qui y ont participé ; que l’arti
cle 4540 du Code civil déclare que, quel que soit le ré
gime adopté par les époux, la dot a pour destination
essentielle de pourvoir aux charges de l’union conju
gale; qu’ainsi l’acte qui constitue la dot n’est pas de
pure bienfaisance, mais participe des contrats onéreux
à l’égard de chacun des époux ; que sous ce rapport,
il y a un caractère particulier qui doit même le faire
distinguer de tous les actes de libéralité contenant des
�84
TRAITÉ DU DOU
conditions onéreuses; qu’en effet, le contrat de mariage
est un pacte de famille immuable de sa nature, conclu
en vue d’assurer les moyens d’existence de la famille
nouvelle et l’accomplissement de toutes les obligations
qui pèsent sur l’un et l’autre des époux. »
Pourquoi ces considérations, reconnues justes et dé
cisives lorsqu’elles sont invoquées en faveur du gendre,
n’auraient-elles pas ce caractère au vis-à-vis de la fille ?
Parce que l’obligation de restituer ne sera imposée à
cette dernière qu’à la dissolution du mariage ? Mais estce que cette dissolution entraînera avec elle toutes les
charges du mariage ? Est-ce que notamment la veuve ne
sera pas obligée de nourrir sa famille, obligation que
la mort du mari, loin de l’alléger, aggravera singulière
ment en privant le ménage des ressources que son in
dustrie lui assurait ?
En vérité, rien ne justifie la différence que le droit
romain avait consacrée, et qu’on veut, sous l’égide de
ses dispositions, perpétuer dans notre législation entre
le gendre et la fille. Si la dot est reçue à titre onéreux
par l’un, il ne saurait en être autrement pour l’autre,
avec d’autant plus de raisons que les parents, en. la
constituant, se rachettent de l’obligation de nourrir,
d’entretenir leur fille, de pourvoir à tous ses besoins*
1474.
— Au reste, la Cour de cassation ne s’est pas
laissée détourner de la voie toute juridique dans laquelle
elle est entrée. Elle a persisté dans sa jurisprudence tou-
�ET DE LA FRAUDE.
85
tes les fois que l’occasion s’en est offerteE lle a de plus
jugé , le 14 mars 1848 , que la donation en faveur du
mariage, telle que celle que reçoit de son père le fils
qui se marie, est assimilée à la dot, et constitue un con
trat à titre onéreux qui ne peut tomber sous l’action des
créanciers du donateur, en fraude desquels la donation
a été consentie, qu’autant que les deux époux ont par
ticipé à cette fraude.3
Cette opinion de la Cour régulatrice, en appelant l’at
tention sur une question que les auteurs ont jusqu’ici
résolue plutôt que discutée, doit amener l’abandon des
principes que l’application de la loi romaine avait fait
généralement adopter , et dont la rigueur envers la fille
conduit à des conséquences irrationnelles.
1475.
— En résumé , la donation faite en vue du
mariage a toujours, vis-à-vis des deux époux, un ca
ractère onéreux. Elle est, par rapport à eux, indivisible
en ce sens que, pour la faire révoquer comme faite en
fraude de leurs droits, les créanciers doivent prouver la
mauvaise foi de l’un et de l’autre. La bonne foi de l’un
des deux suffit pour faire repousser la demande, et fait
irrévocablement maintenir la destination affectée à la
d o t, à savoir : le support des charges du mariage,
l’entretien des époux, celui des enfants nés et à naître.
1 Cass., 2 mars 1847; — 24 mai 1848 — D. P., 47, 1, 129; — 48, 1,
172. — V. Riom, 27’ mars 1849. — J, D P. 1, 1880, p. 886.
2 D. P., 48, 1, 66 -, V. infra, n° 1476.
�86
TRAITÉ DU DOL
1476.
— Mais pour que la donation soit réellement
faite en vue du mariage, il faut d’abord qu’elle résulte
du contrat même. Celle faite en dehors du contrat ne
pourrait revendiquer aucune des immunités assurées à
la première.
Ainsi, la Cour de cassation a jugé que la donation
faite en vue du mariage, mais en dehors du contrat de
mariage, et sous l’apparence d’actes à titre onéreux, tels
que des billets à ordre souscrits par le donateur, ne peut
être protégée par les principes régissant les constitutions
dotales, et, par conséquent, doit être annulée nonobs
tant la bonne foi du donataire , si elle a été faite en
fraude des droits des créancierr du donateur.'
Il faut de plus que les objets donnés l’aient été par le
donateur au moment même du mariage. S’ils avaient
été donnés ou recueillis avant le mariage, et que le do
nataire se les fût plus tard constitués en d o t, la dona
tion reçue avant, à titre gratuit , ne changerait pas de
caractère, et la bonne foi du donataire ne ferait aucun
obstacle à la révocation des créanciers , en fraude des
droits desquels la donation a été réalisée.
C’est encore ce que la Cour de cassation a formelle
ment con«acré, en jugeant, le 6 juin 1849, que la fille
qui aurait reçu ou recueilli des biens dans la succession
de ses père et mère, ne saurait soustraire ces biens aux
créanciers de ceux-ci, en se les constituant ultérieurei Cass., 3 mars 1847; — D. P., 47, 1, 130.
�ET DE LA FRAUDE.
87
ment en dot ; qu’en conséquence, les biens ainsi donnés
ou recueillis restent soumis à l’action révocatoire.1
Le même arrêt décide cependant que la révocation
n’atteint que les biens demeurés libres entre les mains
de la donataire. Quant à ceux faisant l’objet de la cons
titution de dot, comme la jouissance en a été transférée
au mari, la bonne foi de celui-ci les place hors de toute
atteinte pendant toute la durée de cette jouissance. Mais
celle-ci trouvant son terme naturel dans la dissolution
du mariage, les droits des créanciers, suspendus jusque
là, reprennent à cette époque toute leur force, et la ré
vocation exercée sur les biens non constitués peut attein
dre désormais ceux qui l’avaient été.
1477.
— A son tour le mari peut trouver dans les
stipulations du contrat de mariage le moyen de frauder
ses propres créanciers. Ce moyen consiste soit à recon
naître à sa femme une dot qu’elle n’a pas fournie, soit
à quittancer, comme reçue, celle que l’épouse a promi
se, mais qu’elle n’a pas réellement payée.
Dans l’un comme dans l’autre cas , le mari consent
une véritable libéralité. Il crée un privilège en faveur de
la femme, non pas tant contre les créanciers inscrits au
moment du mariage, que contre les créanciers chirogra
phaires et ceux qui pourront plus tard s’inscrire. Ce qui
est certain, c’est que les uns et les autres pourront de-
1 D. P., 49 , 4 , 325; — Conf. cass., 9 janvier 186S; — J. du P.,
ms. 126.
�88
TRAITÉ DU DOL
mander la révocation de la quittance, comme faite en
fraude de leurs droits.
Leur action est recevable, quelles que soient les ex
pressions du contrat de mariage, et alors même qu’il
mentionnerait la réelle numération. Le contraire peut
être prouvé par témoins et par présomptions, dont l’ef
ficacité est dans ce cas, comme dans tous les autres,
laissée à l’appréciation souveraine du juge. Il est néan
moins certain que la condition de l’épouse , sa position
de fortune, celle de ses parents, le chiffre de sa dot,
etc., seront de nature à exercer une grave influence sur
la décision du litige.
1478.
— La quittance de la dot que le mari donne
pendant le mariage peut être également attaquée comme
faite en fraude des droits des tiers. Cette fraude a même
contre les créanciers un effet plus énergique que la quit
tance donnée dans le contrat. L’hypothèque delà femme,
remontant à la date de celui-ci, la reconnaissance frau
duleuse du paiement de la dot, ferait préférer cette hy
pothèque à toutes celles des créanciers ayant réellement
prêté dans l’intervalle du contrat au prétendu paiement.
Ils sont donc recevables à en poursuivre l’annulation,
et ils devront dans certains cas l’obtenir facilement. La
quittance frauduleusement donnée par le mari consti
tue une libéralité qui lui profite à lui-même, du moins
tant que dure le mariage. Pour peu donc qu’il fût obé
ré, menacé ou poursuivi par les créanciers au moment
où il la concède, on serait porté à admettre son défaut
de sincérité et à la considérer comme une fraude, dans
�ET DE LA FRAUDE.
89.
le but de se soustraire au paiement de ce qui est dû
légitimement aux créanciers.
1 4 7 9 . — En serait-il de même des héritiers du ma
ri? Pourraient-ils demander la nullité de la quittance
de la dot sous prétexte de simulation , et s’exonérer
ainsi de l’obligation de la restituer ?
Certes, cette prétention ne manque pas de la condi
tion essentielle à toute action juridique, à savoir : l’in
térêt. Celui des héritiers poursuivis en restitution de la
dot serait incontestable. Sous ce rapport donc rien ne
s’opposerait à la recevabilité de leur exception.
Mais il en serait tout autrement sous le rapport de
la qualité. En thèse ordinaire , les héritiers sont les
ayants-cause de leurs auteurs,et ne peuvent intenter que
les actions que celui-ci aurait pu intenter lui - même.
Or le mari, auteur de la quittance simulée, ne pouvait
exciper de cette simulation, ni se faire relever des enga
gements en résultant, ses héritiers personnels ne le
pourront pas davantage.
1480. — Ce point de doctrine était incontestable
sous notre ancien droit. La Touloubre, sur Duperier,'
enseigne que : « Ces sortes de reconnaissance passées
a par le mari en faveur de sa femme ne peuvent être
« débattues ni par lui, ni par ses héritiers, comme l’ob« serve le président Faber, Cod. de dot, caut. n o n n u « merat. À l’égard des héritiers, elle doit valoir saltern
« jure donationis, morte conûrmatœ. »
�90
TRAITÉ DU DDL
Dunod professe la même opinion, après avoir rap
pelé que les quittances de la dot doivent être reçues
par un notaire, en présence de deux témoins, et qu’il
doit en être gardé minute, sous peine de dommages-in
térêts et d’amende arbitraire, il ajoute ;
« Cette règle a été faite pour éviter les fraudes qui
« pourraient se commettre de cette manière, en suppo« sant des paiements qui n’auraient pas été faits, mais
« il n’y a que les tiers intéressés qui soient en droit de
« se prévaloir de sa disposition. Des quittances sous
« signature privée prouveraient pour la femme, ses
« héritiers, ses père et mère ou autres débiteurs de la
« dot, contre le mari qui les aurait faites et contre ses
« héritiers.' »
1 4 8 i.
— Ce principe n’a pu être douteux que sous
l’empire de législations prohibant les donations entre
époux. Partout au contraire où ces donations étaient
admises, il fallait bien reconnaître qu’elles pouvaient
être, même indirectement, réalisées, et tel est le carac
tère qu’on ne pouvait refuser d’assigner à ces recon
naissances ou quittances de dot.
Mais la conséquence de ce caractère amenait forcé
ment une dérogation au principe que nous venons d’in
diquer , lorsqu’il était évident que le mari n’avait pas
voulu faire une libéralité. Puisque c’est comme dona
tion, non révoquée du vivant de son auteur, que la
quittance simulée de la dot est maintenue, faut-il bien
i Des Prescriptions, § 2, ch. 8, pag. 180.
�ET DE LA FRAUDE.
91
au moins que l’intention du mari d’agir dans ce sens
soit au préalable incontestablement acquise. C’est ce
qu’on ne pourrait admettre dans le cas où la quittance,
nécessitée par des arrangements de famille, n’a été con
cédée par le mari qu’à la condition que les sommes
qui en font l’objet lui seraient ultérieurement payées,
sub spe futurœ numeralionis. Il est alors certain que
le mari n’a pas entendu donner, et ses héritiers pour
raient faire annuler la quittance, parce qu’il aurait pu
le faire lui-même.
Mais la preuve, dans cette hypothèse, ne peut être
faite que par écrit, et notamment par la représentation
de la contre-lettre donnant à la quittance le caractère
indiqué. L’absence de cette contre-lettre ou de toute au
tre preuve écrite laissant la quittance en présence d’une
contradiction purement verbale, on ne pourrait lui faire
perdre ce caractère de libéralité s’attachant à son exis
tence même.
1 4 8 2.
— Il est une autre exception plus péremp
toire, lorsque, par exemple, la reconnaissance ou la
quittance simulée de la dot constituerait une donation
excédant la quotité disponible. Jusqu’à concurrence de
leur réserve, les héritiers légitimes ne sont plus les ayantscause de leur au teu r, ils agissent en vertu d’un droit
propre et personnel, et l’exercice de ce droit ne saurait
être modifié ou gêné par aucune disposition contraire.
Conséquemment, ce qu’ils pourraient faire contre les
libéralités directes ne sauraient leur être refusé dans le
�921
TRAITÉ BU DOL
cas d’une libéralité indirecte. Ils seront donc recevables,
dans notre hypothèse, à prouver, même par témoins,
que la reconnaissance ou que la quittance de la dot
n’est en réalité qu’une donation déguisée.
Cette preuve rapportée, cette donation n’est pas nulle,
elle est seulement réductible à la quotité disponible ;
pour tout ce qui excède celle-ci, les réservataires n’é
tant que les ayants-cause du donateur. La nullité inté
grale pourrait cependant être prononcée, si des libérali
tés précédentes avaient déjà absorbé tout ce dont il était
permis de disposer, ou bien encore si les parties se
trouvaient dans le cas de l’art. 1099 du Code civil.
1483.
— Les fraudes que le mariage peut offrir
dans son origine ne sont rien auprès de celles que la dis
solution peut entraîner, soit que cette dissolution s’opère
par la séparation de biens, soit qu’elle résulte de la
mort de l’un des époux.
La séparation de biens se réalise toujours dans un
moment critique pour les tiers. Sa condition la plus es
sentielle , c’est l’imminence de la déconfiture et de la
ruine du mari. C’est donc au moment où pressé par
ses créanciers, et ne pouvant satisfaire à ses engage
ments, il peut entrevoir la misère qui l’attend, qu’il est
chargé de régler avec sa femme de la restitution de ce
qui lui est dû. Comment pourrait-on supposer que ce
règlement ne se ressentira pas de cette position, et que
le débiteur ne cherchera pas à s’avantager lui-même en
favorisant celle qui va désormais fournir à leurs besoins
communs ?
�ET DE LA FRAUDE.
93
Les créanciers ont donc à redouter une double frau
de. L’admission de créances et de droits imaginaires en
faveur de la femme ; l’évaluation frauduleuse des biens
qui vont lui être donnés en paiement. Aujoutons qu’il
est une autre fraude pouvant également se réaliser, à
savoir : la simulation d’une insolvabilité dans le but de
faire prononcer la séparation et de diminuer le gage des
créanciers, en transférant à la femme des biens jusque
là soumis à leurs exécutions.
1484. — D’autres fois, la séparation de biens of
frira des dangers réels pour la femme elle-même. Irrité
de sa démarche et obéissant h un esprit de vengeance
et de haine, le mari s’empressera de faire disparaître les
ressources qui lui restent, soit par des aliénations, soit
par des obligations contractées en fraude de ses droits.
L’imminence du péril, dans un sens comme dans l’au
tre , a fait dans tous les cas autoriser les moyens les
plus énergiques pour prévenir la fraude ou pour la ré
primer.
1485. — Ainsi, et relativement à la femme, l’arti
cle 869 du Code de procédure civile lui permet de se
livrer à tous les actes conservatoires qu’elle juge utile à
ses intérêts. Sous cette dénomination générique, cet ar
ticle comprend toutes mesures tendant à lui conserver
les droits dont elle entrera en jouissance après le juge
ment, et qui lui seront acquis par le fait seul de la de
mande. On sait effectivement que, quelle que soit l’é-
�94
TRAITÉ DU DOL
poque de sa prononciation, les effets du jugement re
montent de plein droit au jour de la demande elle-même.
La femme pourra donc, sans attendre cette prononcia
tion , saisir-arrêter, entre les mains des débiteurs, les
sommes dues au mari; saisir-gager les meubles gar
nissant la maison conjugale; arrêter même les effets déjà
aliénés par le mari, et dont l’acheteur ne serait pas en
core en possession.1
Ce sont là tout autant de droits dont l’exercice exige
l’exigibilité de la dette pour la sûreté de laquelle il est
poursuivi. Or la femme ne peut avoir de créance exi
gible qu’en tant qu’elle fera prononcer la séparation de
biens. Mais, nous venons de le dire, l’effet du jugement
remonte au jour de la demande, il sera donc vrai que,
lorsque les saisies seront faites, la femme avait qualité
pour les opérer. Il était donc juste de subordonner leur
validité à l’événement de la séparation.
Par l’effet de la séparation, la femme commune en
biens reprendra l’administration et la jouissance de ses
propres, dont les revenus ont été jusque là acquis à la
communauté. Elle peut donc, pour assurer ce résultat,
saisir-arrêter les fermages avant que la séparation ait
été prononcée. Cette saisie-arrêt doit être maintenue si
elle paraît fondée sur des moyens sérieux et plausibles,
comme si le mari n’offre aucune solvabilité. Mais la
femme, même après la séparation, étant obligée de con
tribuer aux dépenses du mariage, la saisie-arrêt pourrait
1 Toultier, tom. xm, n°s 58 et suir. ; — Limoges, 7 mars î 823.
�ET DE LA FRAUDE.
95
n’être maintenue que pour la quote-part excédant sa
contribution.*
1 4 86.
— Du texte de l’art. 869 ainsi interprété, il
semble, dit M. Adolphe Chauveau*, qu’on doit conclure
a fortiori que la femme a le droit de faire apposer les
scellés sur les effets de la communauté. C’est ce qui a
d’ailleurs été consacré par un arrêt de la Cour de Ren
nes, du 22 juillet 1814.
C’est aussi ce que Toullier admet, mais il ajoute que
le mari peut obtenir la levée des scellés , en consentant
à faire faire inventaire avec prisée , contradictoirement
avec sa femme , à la charge par lui de représenter les
choses inventoriées ou de répondre de leur valeur com
me gardien judiciaire.
Cette règle prescrite dans le cas de divorce, par l’ar
ticle 270 du Code civil, pouvait souvent dans cette hy
pothèse être suivie sans danger, car le divorce n’exigeait
pas l’insolvabilité du mari, et sa responsabilité se trou
vant engagée était de nature à assurer les droits de sa
femme. On pourrait donc la suivre encore dans le cas
de séparation de corps. Mais elle nous paraît devoir su
bir une modification dans l’hypothese d’une simple sé
paration de biens. La déconfiture du m ari, qui en est
la condition essentielle , ne permet pas de reconnaître
une valeur quelconque à sa responsabilité , et lui con-
1 Caen, 16 mars 182S.
2 Sur Carré, art. 869, quest. 2939.
�96
TRAITÉ DU DOL
fier, sans autre garantie , les effets de la communauté,
serait bien souvent lui permettre de les dissiper au pré
judice de sa femme.
Il nous semble donc que dans ce cas le mari devrait
être soumis à donner caution jusqu’à concurrence au
moins de la portion afférant à la femme. L’obligation
de donner caution a été, nous le savons, contestée. Le
mari, à-t-on dit, reste pendant l’instance maître et ad
ministrateur de la communauté. Mais les motifs qui font
maintenir les saisies-arrêts ou gageries repoussent cette
objection. La séparation obtenue , le mari n’est plus le
maître de la communauté à partir de la demande. On
peut donc , en attendant la solution définitive , exiger
une caution pour la sûreté des droits éventuels de la
femme. Dans tous les cas, la femme pourrait suppléer
au cautionnement qu’on lui refuserait par une saisie
conservatoire.
1487.
— Tous ces droits que la femme est admise
à exercer, sont, il ne faut pas se le dissimuler, des ac
tes extrêmement graves à l’encontre du mari pouvant
en éprouver un notable préjudice. Ils pourront, en ef
fet, par les gênes qu’ils susciteront à son administration
convertir en ruine complète des embarras qui lui eus
sent été, sans cela, possible de surmonter. Il était donc
sage , en vertu de cette prévision, de ne pas s’en rap
porter exclusivement à la femme, et de soumettre son
initiative à une autorisation préalable.
C’est au président du tribunal civil à qui cette auto-
�97
KT DE TA FRAUDE.
risation doit être demandée. Seul chargé d’autoriser la
poursuite en séparation de biens, il est seul chargé de
juger l’opportunité des mesures conservatoires sollicitées
par la femme. Mais il y a entre ces deux actes du pré
sident cette différence essentielle que, ne pouvant seul
apprécier le mérite foncier de la demande en séparation
de biens, ce magistrat ne peut se refuser à donner l’au
torisation d’en poursuivre l’obtention.1 11 n’en est pas
ainsi pour l’exercice des mesures conservatoires ; il peut
toujours refuser d’y faire droit; il le doit même si l’in
solvabilité du mari n’étant pas notoire et en quelque
sorte dès à présent acquise, le danger signalé par la
femme n’existe réellement pas.
1 488.
— Mais la requête de la femme, à ce sujet,
n’a pas besoin d’être communiquée au mari. Aucune loi
n’impose à la femme la nécessité de faire prononcer sur
l’urgence des mesures qu’elle réclame, contradictoire
ment avec son mari.’ Le contraire eût été irrationnel.
En effet, les actes dont parle l’art. 869, étant par leur
nature même hostiles au mari, ne peuvent avoir d’effi
cacité qu’autant qu’ils interviennent à son insu, et avant
qu’il soit averti. L’obligation de les lui dénoncer et de
l’appeler pour en discuter l’utilité ne pouvait avoir
qu’un seul résultat, à savoir : de l’engager à mettre le
temps à profit en réalisant, avant toute décision , les
fraudes que ces actes ont pour but de prévenir.
1 Lyon, 22 mars 1836.
2 Rennes, 22 juil. ISIS.
IV
7
�98
TRAITÉ DU DOL
1 4 89. — Par une juste réciprocité, l’autorisation
du président n’a rien de définitif pour le mari. Il peut
toujours, avant le jugement de la séparation, se pour
voir devant le tribunal, à l’effet d’obtenir soit la main
levée des oppositions qui gêneraient, sans nécessité, l’ad
ministration et la gestion de ses biens, soit leur réduc
tion à concurrence des droits devant revenir à la femme.
1490. — La séparation de corps entraîne forcé
ment la séparation de biens. Demander l’une c’est de
mander l’autre, et dès lors acquérir la faculté de requé
rir toutes les mesures conservatoires autorisées par l’ar
ticle 869 du Code de procédure civile.
On avait d’abord soutenu que la femme, demande
resse en séparation de corps , était exclusivement régie
par la disposition de l’art. 270 du Code civil; qu’elle
n ’avait dès lors que la faculté de faire apposer les scel
lés sur les meubles et effets de la communauté. Mais
cette restriction a été abandonnée et devait l’être. Il est
évident, en effet, qu’on ne pouvait se relâcher des pré
cautions autorisées, au moment même où le danger
qu’elles ont pour but de prévenir est plus réel et plus
imminent. O r, c’est ce qui se réalise dans le cas de
poursuite en séparation de corps, très propre à susciter
l’irritation et la haine dans le cœur du mari. De ces
sentiments à l’idée d’une vengeance par l'aliénation frau
duleuse de l’actif, il n’y a pas bien loin.
C’est ce que la loi a compris lorsqu’elle déclare, dans
l’art. 271 du Code civil, que toute obligation contrac-
�ET DE LA. FRAUDE.
99
tée par le mari à la charge de la communauté, toute
aliénation par lui faite des immeubles en dépendant,
postérieurement à la date de l’ordonnance dont il est
fait mention en l’art. 238, sera déclarée nulle, s’il est
prouvé d’ailleurs qu’elle ait été faite ou contractée en
fraude des droits de la femme.
Ainsi, dès que la poursuite en séparation de corps a
réellement commencé, tout ce que fait le mari est sus
pect, et la fraude est présumée contre lui dès qu'il peut
en résulter un préjudice pour la femme. Nous devons
remarquer, en effet, que si la preuve de la fraude est
exigée par l’art. 241, cette exigence ne concerne que les
tiers ayant traité avec le mari. Ceux-ci pouvant être de
très bonne foi, il eût été injuste d’annuler l’acte à leur
égard. Mais, par rapport au mari, nous le répétons,
l ’acte est légalement réputé frauduleux , par cela seul
qu’il est postérieur à l’ordonnance dont parle l’art. 238.
Cependant cette présomption n’exclut pas la preuve
contraire.
1491.
— La séparation de biens n’est pas soumi
se, lorsqu’elle n’est qu’un accessoire de la séparation de
corps, à la publicité rigoureussment prescrite pour la
séparation de biens pure et simple. Ce qui justifie cette
différence , c’est que l’une prête moins au soupçon de
fraude que la dernière. Elle ne peut d’ailleurs être pro
noncée que sur la preuve des sévices, injures et violen
ces, preuve que les tribunaux exigeront alors même que
le mari ne se défendrait pas. Or, il n’est pas probable
�100
TRAITÉ DU DOL
que ces excès aient été simulés à l’effet d’arriver à une
séparation de biens, à travers une séparation de corps
laissant toujours des traces fâcheuses contre l’un des
époux.
Mais cette différence n’existe que dans et pour la
poursuite, car le jugement rendu, prononçant la sépa
ration de biens, doit avoir la même publicité. Néanmoins
il ne serait pas nul s’il n’avait pas été exécuté dans la
quinzaine.'
1 4 9 2 . — L’action de la femme en séparation de
biens, très favorable sans doute lorsque la nécessité de
sauver son patrimoine et de se conserver quelques res
sources pour elle et pour sa famille en est le seul, le vé
ritable motif, est une de celles dont on a le plus abusé,
et que la fraude a exploitée jusqu’au scandale. Nous
en trouvons la preuve dans les débats législatif qui s’é
levèrent à son occasion ; dans les efforts qu’on fit pour
rémédier à un mal que l’expérience venait si énergique
ment signaler.
1 493. — On avait d’adord songé, dans l’intérêt des
créanciers, à les rendre parties dans l’instance, en obli
geant la femme à les appeler tous, ou tout au moins
ceux qui s’étaient livrés à des poursuites. Le premier de
ces moyens fut repoussé non pas seulement à cause de
l’impossibilité où pouvait être la femme de connaître
i Bordeaux, 4 fév. 181 <1 ; — Delvincourt, t. 2, p. 3.
�ET DE LA FRAUDE.
401
tous les créanciers, mais encore par la multiplicité des
incidents qui pouvaient en naître, et des frais immenses
qu’il occasionnerait.
Le second ne remédie à rien , disait M. Treilhard.
On veut prévenir le concert des deux époux ? Mais si ce
concert existe , ils ne manqueront pas d’avoir à leur
disposition quelques créanciers supposés , par lesquels
ils feront entamer des poursuites, afin que la femme en
les appelant paraisse remplir la condition imposée à la
séparation , et elle alléguera ensuite qu’elle n’a pas
connu les autres créanciers qui seront les seuls véri
tables.'
On convint donc qu’il fallait recourir à d’autres mo
yens pour sauvegarder les intérêts des créanciers , tout
en les conciliant avec ce que la position de la femme
exigeait. Ce qu’il fallait, c’était une instance publique
dans toutes ses phases, dans laquelle les créanciers, sans
qu’il fût besoin de les appeler, pussent intervenir pour
la conservation de leurs droits, indépendamment du
droit d’attaquer le jugement rendu sans leur concours.
C’est ce résultat qu’on a voulu consacrer en prescrivant:
1° la publicité de la demande; 2“ les conditions pour
son admission et l’époque à laquelle il pourrait y être
statué ; 3° la publicité du jugement ; 4° son exécution
dans un délai déterminé.
1 4 9 4 . — 10 Publicité de la demande.
i Procès-verbal du 13 vendémiaire an xu; — Locré, t. xm, p. 200
�102
TRAITÉ DU DOL
La demande en séparation de biens doit être intentée
contre le mari seul. Nous venons de voir que l’obliga
tion d’y appeler les créanciers fut repoussée. Cette obli
gation n’existe que dans le cas de faillite. Mais, dans
cette hypothèse même , les syndics sont appelés plutôt
comme exerçant les actions du mari que comme les re
présentants des créanciers.
Les art. 866, 867, 868 du Code de procédure civile
règlent les formalités à suivre pour donner à la demande
le plus de notoriété possible. Cette publicité a pour but
de mettre tous les créanciers à même de surveiller leurs
droits, d’intervenir même dans l’instance pour empêcher
toute collusion dommageable pour eux.
1495.
— On avait eu un instant la pensée de sou
tenir que les créanciers intervenant ne pouvaient con
tester la séparation, que leur droit se bornait à assurer
l’exactitude de la liquidation. Mais cette opinion est universellement abandonnée. La séparation préjudicie
aux créanciers en ce sens qu’elle enlève à leurs exécu
tions la partie de l’actif qui sera transférée à la femme.
La nécessité de ce transfert résulte de l’admission de la
séparation en principe. On ne saurait donc contester aux
créanciers la faculté de s’opposer à celle-ci , dès qu’ils
ont intérêt à en récuser les conséquences.
D’ailleurs, la publicité ordonnée a surtout pour objet
d’éclairer la justice sur l’opportunité de la séparation et
la réalité de ses griefs. Cette séparation pourrait n’êlre
�ET DE LA FRAUDE.
103
que le résultat d’un concert frauduleux entre les époux ;
l’insolvabilité du] mari pourrait n’être qu’une simula
tion. C’est précisément contre cette éventualité que la loi
a entendu se prémunir. Réduire les créanciers à l’im
puissance de prouver l’une et l’autre , c’était donc
méconnaître la pensée et l’intention formelle du lé
gislateur.
Cette pensée et cette intention se manifestent d’ail
leurs nettement dans la disposition de l’art. 871. Les
créanciers peuvent, jusqu’au jugement définitif, requérir
communication de la demande en séparation et des pièces
justificatives. Les pièces justificatives de la demande en
séparation ne peuvent être que les documents établissant
l’insolvabilité du mari. Conséquemment, si la loi entend
les soumettre à l’examen des créanciers , c’est qu’elle
leur reconnaît le droit de les débattre, d’en contester la
sincérité et d’empêcher la séparation en les faisant re
jeter du procès.
1496. — Les formalités exigées par les art. 866,
867, 868, le sont à peine de nullité. Leur violation est,
aux yeux de la loi , la preuve de la collusion et de la
fraude , et cette présomption n ’admet aucune preuve
contraire. Cette nullité peut être invoquée par les cré
anciers , par le mari lui-même. Il n’y a que la femme
qui ne puisse jamais s’en prévaloir.
1 4 9 7 . — 2° Conditions pour l’admission de la de
mande, époque du jugement.
�104
TRAITÉ DU DOL
La publicité prescrite eût été une vaine garantie, si
la femme avait pu requérir jugement immédiatement a près l’accomplissement des formalités exigées. Puisqu’on
appelait en quelque sorte les créanciers à intervenir, il
fallait bien leur accorder le temps moral pour réaliser
leur intervention. C’est dans ce sens que l’art. 869 dis
pose que le jugement sur la séparation ne pourra être
rendu qu’un mois après l’accomplissement des formali
tés prescrites par les articles précédents. Mais ce délai
est uniforme pour tous les créanciers , sans avoir
égard à la distance de leur domicile respectif. Agir au
trement , c’était perpétuer l’instance et mettre la femme
dans l’impossibilité d’user utilement de son droit. Ne
connaissant pas tous les créanciers, elle n’aurait pu ap
précier avec certitude le moment où il lui serait enfin
permis de requérir jugement.
D’ailleurs les créanciers ne sont pas parties nécessai
res. Ils peuvent intervenir; e t , quel que soit leur éloi
gnement , un mois est un délai suffisant, surtout après
la publicité que reçoit la demande , pour les mettre à
même de réaliser leur intervention.
1498.
— Le délai exigé par l’art. 869 est
peine de nullité. Ainsi le jugement rendu avant
ration du mois est frappé d’une nullité radicale.
fet est surtout dans l’intérêt des créanciers et du
prescrit à
l’expi
Cet ef
m ari.1
1 Thomine Desmazure, t. n, pag. 474; — Chaureau, sur Carré,
�ET DE LA FRAUDE.
105
Eux seuls sont donc recevables à s’en prévaloir. La fem
me ne serait pas admise à l’invoquer. Outre qu’elle exciperait de sa propre faute, ce serait l’autoriser à se mé
nager le moyen d’annuler la séparation, en enfreignant
à dessein les formes qu’elle doit religieusement obser
ver.
1 499. — Les conditions mises par la loi au juge
ment de séparation se résument toutes dans l’obligation
pour la femme de prouver que sa demande est fondée,
c’est-à-dire que sa dot est réellement en p é ril, et que
le désordre des affaires du mari donne lieu de craindre
que ses biens ne soient pas suffisants pour remplir les
droits et reprises de la femme.'
Cette obligation est rigoureusement prescrite , et les
tribunaux doivent veiller à ce qu’elle soit strictement ac
complie. La volonté du législateur se manifeste à cet égard avec le plus vif éclat par l’art. 870 du Code de
procédure civile, aux termes duquel, en l’absence même
de tout créancier , l’aveu du mari ne fera pas preuve
des faits allégués par la femme. Cet aveu pourrait et de
vrait , dans ce cas , être considéré, soit comme une si
mulation déguisant une séparation volontaire proscrite
par la loi, soit comme une voie détournée pour avanta
ger la femme au préjudice des enfants ou héritiers qu’on
tenterait ainsi de dépouiller.
1 5 00. — La femme est donc tenue , dans tous les
1 Art. 1443 du Code civ.
I
�• >•
■./V A /!'/
106
■
'
TRAITÉ DU DOL
cas, de prouver les faits servant de fondements à la sé
paration de biens. Cette preuve résulterait de celle de
l’existence de dettes considérables à la charge du mari,
des actes d’exécution mobilière ou immobilière qui en
seraient résultés ; de l’impossibilité où se trouverait le
mari de pourvoir aux besoins du ménage, comme si ses
revenus avaient été saisis , ou que des aliénations suc
cessivement consenties en eussent tari les sources, enfin
de la preuve testimoniale que la femme est toujours re
cevable à fournir.
1 5 0 L — Il ne saurait même exister aucun doute
sur le droit des tribunaux d’ordonner d’office cette der
nière, toutes les fois que les éléments soumis à leur ap
préciation ne sont pas suffisants pour former leur con
viction. Il est de la prudence et de la sagesse des ma
gistrats, avant de sanctionner une mesure définitive, dans
un sens ou dans l’autre, d’épuiser tous les moyens sus
ceptibles d’éclairer leur religion et de donner à leur dé
cision le plus de certitude possible. Seulement le juge
ment qu’ils rendraient dans cette hypothèse devrait co
ter les faits sur lesquels ils entendent faire porter l’en
quête.'
Le mois étant expiré et la preuve étant fournie, la
séparation peut et doit être prononcée.
1 502. — 3° Publicité du jugement.
i Nancy, 24 mai 1827.
�ET DE LA FRAUDE.
107
Lesformalités parcourues jusqu’ici ont pour objet d’a
mener l’intervention des créanciers. Ce droit est évidem
ment perdu, dès que la demande est consacrée par un
jugement. Reste la faculté pour les créanciers de former
tierce-opposition au jugement. Non moins jaloux de
favoriser celle-ci que l’intervention elle-même, le légis
lateur a voulu que l’existence du jugement fût rendue
notoire et publique de la même manière que celle qu’il
prescrivait naguère pour la publicité de la demande.
1503.
— Les formes de la publicité du jugement
sont réglées par l’art. 872 du Code de procédure civile,
dont les prescriptions doivent être rigoureusement exé
cutées sous peine de nullité.
Ce qui a pu rendre l’admission de cette peine douteu
se, c’est le silence gardé à cet égard par l’art. 872. On
a pu, dès lors, dire que les nullités ne se suppléant pas,
on ne saurait accueillir, dans notre hypothèse, celle sur
laquelle le législateur garde le silence. Mais le doute est
complètement dissipé , en ce qui concerne l’art. 872,
par l’art. 1445 du Code civil ; celui-ci en effet dispose :
Que toute séparation de biens doit être rendue publique
avant son exécution, à peine de nullité. Il est vrai que
le mode de publicité, exigé par l’art. 1445, est moins
étendu que celui ordonné par l’art. 872. Mais ce mode
n’a rien de limitatif, il est purement énonciatif, et si le
législateur n ’a pas achevé sa pensée , c’est que , ainsi
que cela résulte de la discussion , il a voulu se borner,
dans le Code civil, à poser les principes dont il renvoit
les développements au Code de procédure.
�108
TRAITÉ DU DOL
L’art. 872 n’est que la conséquence et la réalisation
de cette intention. Il y a donc entre lui et l’art. 1445
la relation intime existant entre un principe et ses dé
ductions. Toutes ces dispositions se relient donc néces
sairement à celle de cet article, et se placent naturelle
ment sous l’empire de la sanction pénale qui y est édic
tée. C’est ainsi que l’a admis la jurisprudence.1
C’est d’ailleurs ce que prouvent ces derniers mots de
l’art. 872 : La femme ne pourra commencer l’exécution
du jugement que du jour où les formalités ci-dessus au
ront été remplies. Or s i , d’une part , le jugement doit
être exécuté dans la quinzaine, sous peine de nullité ;
si, d’autre part, cette exécution n’est régulièrement com
mencée qu’après l’accomplissement des formalités, il est
évident que, ne pas se livrer à cet accomplissement, c’est
déterminer l’annulation du jugement.
1 5 0 4 . — 4° Exécution du jugement.
La séparation de biens ne doit pas être une simple
précaution, qu’on se réserve d’exécuter dans une occa
sion favorable et qu’on puisse aussi opposer ou non aux
créanciers. Si les affaires du m ari, dit M. Delvincourt,
sont réellement en désordre , la femme doit se hâter de
faire exécuter le jugem ent, autrement le désordre n’est
qu’apparent.2
1 V. les nombreux arrêts cités par M. Chauveau, sur Carré, art. 872,
quest. 2946 bis.
s T. ni, pag. 410, note 6.
�ET DE LA FRAUDE.
109
Il importe d’ailleurs que la division d’intérêts , qui
doit en résulter, soit au plus tôt exécutée. Il ne faudrait
pas que le mari pût tromper ceux avec qui il pourra
ultérieurement traiter, par la possession et la jouissance
d’un patrimoine qui n’auraient que l’apparence, et qu’il
pourrait, de concert avec sa femme , faire bientôt éva
nouir.
L’absence d’exécution du jugement est donc une pré
somption de collusion, entre les deux époux , de fraude
contre les tiers. A ce double.titre , on ne pouvait que
tourner l’une et l’autre contre les auteurs , en annulant
le jugement dont ils ont voulu ainsi abuser.
De là la disposition de l’art. 1444, suivant laquelle
la séparation de biens, quoique prononcée en justice, est
nulle, si elle n’a pas été exécutée par le paiement réel
des droits et reprises de la femme, effectué par acte au
thentique jusqu’à concurrence des biens du mari, ou au
moins par des poursuites commencées dans la quinzai
ne qui a suivi le jugement et non interrompues depuis.
1 5 0 5 . — Ainsi le délai de rigueur pour l’exécution
est de quinzaine. Dans cet intervalle, la femme doit être
payée, cependant comme la résistance du m ari, ou des
circonstances nées de sa position elle-même, peuvent
rendre ce paiement impossible, la loi consent à consi
dérer comme équipollent les poursuites commencées par
la femme avant l’expiration de ce délai, à la seule con
dition qu’elles n ’aient pas été interrompues,?
1506. — La nécessité d’agir dans la quinzaine,
�110
TRAITÉ DU DOL
ainsi que le veut l’art. 1444 du Code civil, a été d’abord
controversée. On a soutenu que l'art. 872 du Code de
procédure civile avait abrogé le premier et l’on faisait
résulter cette abrogation de ces termes : Sans que néan
moins il fût nécessaire d'attendre l'expiration du dé
lai d’un an. Or de cela que l’exécution peut être faite
avant la fin de l’année , il n’en résulte pas , disait-on,
qu’elle dût avoir lieu dans tel autre délai déterminé. Il
semble au contraire qu’il faut en induire qu’on pourra
ne la réaliser qu’après son expiration.
Mais le contraire a été depuis universellement admis
par la doctrine et la jurisprudence. Cette admission rend
toute discussion oiseuse , nous nous contenterons donc
de nous en référer aux motifs des arrêts rendus par la
Cour de cassation et à l’opinion des auteurs qui ont é~
crit sur le Code de procédure.'
Ainsi l’exécution par le paiement réel, ou parle com
mencement des poursuites, doit avoir lieu dans la quin
zaine du jugement, ce délai court du jour de la pronon
ciation. Il est visible que si on l’avait fait dépendre de
la signification , la femme pourrait le prolonger à son
gré, en retardant cette signification tant qu’elle le juge
rait utile à ses intérêts et à ceux de son mari. On retom
bait donc dans l’inconvénient que la prompte exécution
a pour objet de prévenir.
1 5 0 7 . — Par une conséquence de cette règle, on a
i V. Chauveau, sur Carré, art. 872.
�ET DE LA FRAUDE.
\\\
exigé que l’exécution , même volontaire , fût constatée
par acte authentique. Cependant cet acte pourrait être
utilement remplacé par tout autre acte ayant date cer
taine. Le but de la loi étant d’enlever toute incertitude
sur le moment de l’exécution , toute chance de fraude
dans la date , est aussi bien rempli par le second que
par le premier.
1 5 0 8 . — Si l’exécution consiste dans le paiement,
elle n’est valable que par un paiement réel et intégral.
Comme la loi ne pouvait d’ailleurs vouloir l’impossible,
elle considère comme paiement intégral celui qui, quoi
que partiel, absorberait toutes les ressources du mari.
Or, on ne considère comme tel que celui qui se réalise
jusqu'à concurrence des biens du mari, sans distinction
de meubles ou d’immeubles. A insi, la femme qui , sa
chant que le mari possède des immeubles, aurait négli
gé de se faire payer, et se serait contentée de la cession
de tout le mobilier, ne serait pas censée s’être conformée
au vœu de la lo i, si ce mobilier n ’éteignait pas l'inté
gralité de sa créance. Le jugement de séparation serait
nul pour défaut d’exécution.*
1 5 0 9 . — A défaut de paiement ré e l, l’exécution
doit être poursuivie contre le mari, et la poursuite com
mencée dans le délai de quinzaine doit être poursuivie
sans interruption. Ainsi, il a été décidé que l’exécution
i Colmar, 30 novembre 1838.
�112
TRAITÉ
nu
DOL
volontaire ou forcée commencée régulièrement, puis
renvoyée d’un commun accord à une époque ultérieure,
devait être considérée comme nulle et motiver consé
quemment l’annulation du jugement.
Au reste, il n ’entre pas dans notre matière de recher
cher quels sont les actes constituant l’exécution, c’est
là d’ailleurs une question que la loi confère à l’arbitrage
souverain du juge. Tout ce que nous répéterons, c’est
que cette exécution doit être accomplie ou tout au moins
commencée dans la quinzaine, et que ce délai est tel
lement rigoureux que l’exécution , donnée le seizième
jour, entraînerait la nullité du jugement.'
1510.
—• Cette règle ne comporte qu’une seule ex
ception , à savoir : lorsque la femme a été empêchée
d’agir par des obstacles de force majeure, indépendants
de sa volonté. Cette circonstance est laissée à l’apprécia
tion des juges, mais elle serait facilement admise, s i ,
après le jugement, le mari avait été déclaré en état de
faillite. Il est évident que dans celte hypothèse le paie
ment réel est impossible, qu’on ne peut en exiger au
cun, si ce n’est aux conditions et aux formes voulues;
que les poursuites contre les syndics n’aboutiraient à
aucun résultat utile. Il serait donc frustatoire d’imposer
à la femme l’obligation d’en réaliser aucune. D’ailleurs,
la crainte de la fraude, que l’exécution a pour but de
1 Rouen, 27 avril '1816 ; — Cass., 11 juin 1818; — Toullier, t. xii,
�ET DE LA FRAUDE.
113
rendre impossible, ne peut plus exister, dès qu’il y a
faillite déclarée. En conséquence, la remise de ses titres,
faite par la femme entre les mains des syndics, consti
tuerait une exécution valable.
1 5 1 1 . — Le jugement, précédé et suivi des forma
lités que nous venons de rappeler, est parfaitement ré
gulier, il devient définitif entre époux, dès qu’il a été
légalement exécuté, mais il ne l’est pas encore contre
les tiers. L’art. 1147 du Code civil pose en principe que
les créanciers ont la faculté de l’attaquer encore et de
le faire réformer, s’il a été rendu en fraude de leurs
droits. Cette action a été depuis limitée à la durée d’un
an par l’art. 873 du Code de procédure civile.
1 5 1 2 . — L’expiration de l’année rendrait donc le
jugement inattaquable , à une condition cependant, à
savoir : en ta n t, ainsi que le prescrit l’art. 873 luimême, que toutes les formalités exigées par les art. pré
cédents ont été remplies. L’attaque en nullité du juge
ment, pour violation de ces formalités, est donc laissée
en dehors de la prescription annale. Cette conséquence,
signalée par Merlin, a été admise en doctrine et en ju
risprudence.1
Ainsi l’action en nullité, pour défaut de publicité de
la demande ou du jugement, celle fondée sur l’absence
d’exécution dans la quinzaine, ne se prescrit pas par le
1 Chauveau, sur Carré, art. 875, quest. 2958.
�114
TRAITÉ DU DDL
silence gardé plus d’un an. Mais elle se modifie dans
l’application qui en serait poursuivie par les créanciers
postérieurs. 11 convient, par rapport à ceux-ci, de dis
tinguer la nullité fondée sur le défaut de publicité de
celle résultant d’une exécution tardive.
Ils peuvent exciper de la première par deux raisons :
d’abord, parce que le défaut de publicité de la demande
les a empêchés de connaître le projet de séparation ; le
défaut de publicité du jugement a pu leur faire croire
qu’après avoir été tentée, cette séparation a été aban
donnée. Dans l’un comme dans l’autre cas, l’erreur,
dans laquelle ils ont pu être de bonne foi, leur a causé
un préjudice, car elle a été la cause unique du traité
qu’ils n’auraient pas consenti s’ils eussent connu la sé
paration. On doit donc les en relever en leur permettant
de demander la nullité de la demande ou du jugement.
La seconde raison est que le mari lui-même étant re
cevable à exciper du défaut de publicité, ses créanciers,
exerçant ses droits aux termes de l’art. 1166, peuvent,
sans contredit, agir dans ce sens comme il aurait pu
le faire lui-même.
1515.
Mais les créanciers postérieurs ne peuvent
se prévaloir de la nullité fondée sur l’exécution tardive
du jugement de séparation, que si cette exécution ne
s’est elle-même réalisée que postérieurement à leurs
créances. Dans ce cas, cette exécution constituerait une
atteinte à leurs droits et ils seraient fondés à en deman
der la nullité comme faite en fraude de ces droits. Mais
�ET DE LA FRAUDE.
115
ils ne pourraient prétendre qu’il en fut ainsi, si l’exé
cution, quoique tardive, avait cependant précédé le traité
par suite duquel ils sont devenus créanciers. Comment
pourraient-ils soutenir que leur débiteur a agi pour
nuire sciemment à des droits qui n’existaient même
pas ? Ils ne pourraient donc attaquer l’exécution que
comme ayant-cause de leur débiteur et qu’en tant que
celui-ci serait recevable à le faire. Or le mari, qui a
tardivement exécuté, ne peut revenir contre son propre
fait, ni se faire relever de sa faute.
1 5 1 4 . — Le rapprochement des art. 1447 du Code
civil et 873 du Code de procédure civile a fait naître
une difficulté sérieuse. Le premier permet d’attaquer la
séparation faite en fraude des droits des tiers, l’art. 873
admet la tierce-opposition , par cela seul qu’il y a eu
séparation de biens, et en limite la durée. Le délai d’un
an est-il applicable seulement à ce droit ? S’étend-il en
outre à celui de fraude , alors même que la découverte
de celle-ci n’aurait eu lieu qu’après son expiration ?
MM. Pigeau et Favard de Langlade enseignent l’affir
mative. Ils soutiennent que le délai de l’art. 873 est fa
tal et s’applique à tous les cas'. Mais le contraire est
professé par MM. Demiau Crousilhacet Chauveau. Ceuxci pensent que la fraude faisant exception à tous les
principes, l’action des créanciers pour sa répression doit
1 T. il, p. 576 ; — t. v, p. 406, n° 42.
�116
TRAITÉ DU DOL
durer dix ans, suivant le premier ; trente a n s , d’après
le second.'
Nous résoudrons à notre tour la difficulté par une
distinction entre la séparation en principe, et les consé
quences qu’elle est dans le cas d’entraîner.
En principe, la séparation de biens doit être pronon
cée, dès que l’insolvabilité du mari met en péril les droits
de la femme. En pareille occurrence donc , la fraude
consistera dans les moyens pris pour simuler cette in
solvabilité; pour rendre ce péril apparent, sinon réel.
Or , une fraude de cette nature est dans le cas d’être
bientôt découverte , surtout lorsque les créanciers sont
nécessairement mis sur la voie par les communications
qu’ils peuvent exiger en vertu de l’art. 871 du Code de
procédure civile.
Dans tous les cas , le législateur a pensé qu’un déla
d’un an suffirait pour cette découverte, et s’il a fixé un
terme aussi court, c’est que la séparation modifiant l’é
tat des époux et les droits d’administration du m a ri, il
importait de ne pas laisser ses effets indéfiniment en
suspens.
Nous estimons donc qu’après l’expiration de l’année,
sans que le jugement ait été attaqué , la séparation est
définitivement acquise en principe. Il n’appartient plus
à personne de la faire révoquer, même sous prétexte de
fraude ultérieurement découverte. Il y a eu négligence à
1 P. 547, sur Carré, art. 873, quest. 2959
�ET DE LA FRAUDE.
117
ne pas la découvrir plus tôt. Elle est désormais irrévo
cable.
Mais il n’en est pas de même quant à ses conséquen
ces. La plus immédiate est sans contredit la liquidation
dans l’exécution de laquelle pourront se réaliser les frau
des les plus préjudiciables aux créanciers. Ces fraudes,
résultant d’actes préparés peut-être de longue main, ne
seront pas toujours faciles à découvrir, et on ne parvien
dra à en démontrer l’existence que par le bénéfice du
temps et à l’aide d’événements imprévus.
En conséquence , assigner à cette décduverte le sim
ple délai d’un an , c’était la restreindre dans un cadre
évidemment trop étroit; encourager et favoriser la frau
de; consacrer une convention inique pat laquelle, sous
prétexte d’acquitter une dette, le mari donne réellement
une portion de son patrimoine au préjudice et en fraude
des droits de ses créanciers ; c’é tait, en un m o t, faire
courir une prescription contre ceux que le dol a mis
dans l’impossibilité d’agir , et consacrer l’extinction de
l’action avant qu’elle ait pu être exercée. Un pareil ré
sultat a -t-il pu entrer dans les prévisions du législateur?
Pourrait-on le concilier avec tant et de si minutieuses
précautions pour prévenir la fraude ?
L’évidence du contraire a fait admettre par tout le
monde la distinction que nous indiquons. On a compris
qu’autre chose était la séparation, autre chose la liqui
dation, qu’on pouvait, qu’on devait même les considé
rer distinctement au point de vue de la prescription.
Toutefois, on a en même temps soumis l’application de
�118
TRAITÉ DU DOL
cette règle à la manière dont la liquidation a été pro
noncée. Le délai de l’art. 873, a-t-on d it, sera appli
cable à la liquidation, si le jugement statuant sur la sé
paration statue en même temps sur la liquidation,celleci n’est plus dans ce cas que l’accessoire de l’autre, et
le principal devenu inattaquable , l’accessoire ne pour
rait plus l’être. Mais le contraire doit être admis si la
liquidation n’a été prononcée que par un jugement pos
térieur et distinctif. Ce qui doit le faire décider ainsi,
c’est la publicité que la liquidation acquiert dans le pre
mier cas par la publication du jugement de séparation.
Nous n’admettons pas un pareil système, car il est
dénué de tout fondement juridique. Si la liquidation n’est
qu’un accessoire lié au sort du principal, il importe peu
qu’il y ait été statué par le même jugement ou par un
jugement distinct. L’existence de ce dernier ne peut lui
faire perdre ce caractère. Un fait est nécessairement in
dépendant du mode de sa constatation. Il existe ou il
n ’existe pas; conséquemment si la liquidation n’est qu’un
accessoire de la séparation dans le cas d’un seul juge
ment, il le demeure forcément dans celui de deux juge
ments.
En fait et en droit, la liquidation est la conséquence
immédiate, et non l’accessoire de la séparation. Le droit
d’attaquer l’une ou l’autre reste distinct et obéit à des
principes différents. On doit donc le distinguer sans
cesse et dans tous les cas. Quant à l’argument tiré de
la publicité du jugement de séparation , nous n’avons à
faire remarquer que cette circonstance , à savoir : que
�ET DE LA FRAUDE.
119
cette publicité ne concerne que la séparation en ellemême ; que c’est à son occasion qu’elle est exclusivement
prescrite; que dès lors les créanciers ne peuvent être obligés d’y voir autre chose.
Nous n’admettons pas non plus qu’on puisse soumet
tre à l’art. 1304 la prescription de l’action en révocation
de la liquidation comme faite en fraude des droits des
créanciers. Cet article ne régit que la nullité ou la res
cision des conventions ; il ne peut donc s’appliquer à
la rétractation d’un jugement. La demande de celle-ci
reste soumise , quant à sa durée, au droit commun en
matière d’action , et ce droit commun n’est pas autre
chose que la prescription trentenaire.
Ainsi, il y a deux choses parfaitement distinctes dans
la poursuite en séparation : la séparation elle-même, la
liquidation. L’une et l’autre pouvant recéler la fraude,
le droit des créanciers à se pourvoir contre chacune d’el
les ne saurait être contesté. Le droit est distinct, car il
s’agit d’un fait différent, la fraude faite dans la liqui
dation n’étant pas de la même nature que celle ayant
présidé à la séparation. Dans un intérêt public,en quel
que sorte, la faculté d’attaquer la séparation a été limi
tée à la durée d’un an. Rien de pareil ne militant pour
la liquidation, l’action pour la faire révoquer dure trente
ans.
C’est au reste dans ce sens que la Cour de cassation
s’est enfin prononcée. Par arrêt du 4 décembre 1815,
elle avait consacré le système que nous combattons, mais
la résistance que ce système rencontrait dans la plupart
9
�120
TRAITÉ DU DOL
des Cours' l’a fait proscrire par la Cour suprême Voici
dans quels termes elle a, le 11 novembre 1835 , sanc
tionné celui que nous venons d’indiquer :
« Considérant que l’action en séparation de biens et
l’action en liquidation des reprises de la femme sont es
sentiellement distinctes ; que si elles peuvent être for
mées et jugées simultanément à raison de leur connexi
té, elles ne cessent pas d’être différentes par leur nature
et leur objet ; que la demande en séparation a pour ob
jet de modifier l’état des époux et les droits d’adminis
tration appartenant au mari, il importe de ne pas pro
longer l’incertitude sur cette demande , et de fixer un
bref délai dans lequel les créanciers du mari sont tenus
d’attaquer le jugement qui a prononcé la séparation ;
que tel est le motif qui a déterminé la disposition ex
ceptionnelle insérée dans l’art. 873 du Code de procé
dure civile;
» Considérant que ce motif ne peut être allégué à la
liquidation des reprises de la femme, qu’elle soit opérée
par le jugement même de séparation ou par un juge
ment séparé; que dans les deux hypothèses, la disposi
tion qui statue sur la liquidation est de la même nature
et soumise au droit commun ;
» Que le principe général accorde aux créanciers le
délai de trente ans pour former tierce-opposition aux
jugements qui préjudicient à leurs droits ; que l’excep
tion à cette règle, admise par l’art. 873, est limitée à la
J V.’Palloz, Dicl. gèn. sép. de biens.
�ET DE LA FRAUDE.
séparation de biens ; qu’aucune disposition n’a dérogé
à ce principe à l’égard des condamnations prononcées
par le jugement de séparation ;
» Qu’il résulte des art. 865 et suivants du Code de
procédure civile, \ 444 et 1445 du Code civil combinés,
que les formalités prescrites par leurs dispositions ont
pour objet et pour résultat de donner de la publicité à
la séparation, mais n’en donnent pas à la liquidation ;
qu’on ne pourrait appliquer le délai d’un an aux con
damnations prononcées par le jugement, sans exposer
les créanciers du mari à perdre leur droit de tierce-op
position avant d’avoir pu l’exercer.1 »
1515.
— En résumé, la loi, désireuse d’assurer la
conservation des droits des créanciers et d’empêcher, en
ce qui les concerne , les effets d’une séparation fraudu
leuse, leur confère la faculté :
1° De poursuivre la nullité du jugement pour défaut
de publicité de la demande ou du jugement lui-même,
ou pour violation des formes prescrites à l’une et à l’au
tre. Quelle que soit la cause de nullité, l’effet en résul
tant est de frapper non seulement le jugement, mais en
core la procédure qui a été suivie, de telle sorte que la
demande en séparation ultérieurement formée devrait
nécessairement être instruite aux formes de droit. La
faculté de faire prononcer la nullité du jugement ne se
prescrit que par trente ans ;
1 D. P-, 35, 1, 441 ; — V. 36, 1, 98; — Zacchariæ, t. m, p. 474
�m
TRAITÉ DU DOT
2° De former tierce-opposition contre le jugement de
séparation régulièrement poursuivi , obtenu et exécuté.
La séparation de biens étant toujours préjudiciable aux
créanciers par la division d’intérêts qu’elle crée entre le
mari et la femme , il est juste de leur reconnaître le
droit d’en contester l’opportunité et la nécessité. L’exer
cice de ce droit doit être réalisé dans l’année du juge
ment, sous peine d’en être définitivement déchu ;
3° Enfin, de demander la révocation de la liquida
tion, comme faite en fraude de leurs droits. Il importe
peu que cette liquidation ait été prononcée par le juge
ment de séparation ou par un jugement distinct et sé
paré, il suffit qu’elle soit frauduleuse, injuste et men
songère pour qu’elle puisse être attaquée. L’action des
créanciers n ’est éteinte que par la prescription de trente
ans.
1516.
— Nous avons déjà dit que, relativement au
mari et à ses créanciers, l’effet de la séparation , quelle
que soit l’époque de la prononciation , remonte au jour
de la demande. Cet effet rétroactif est applicable aux tiers
qui, dans l’intervalle de l’une à l’autre, ont traité avec
le mari ?
Une grande controverse s’est élevée sur ce point, et la
doctrine est fort divisée. Pigea" enseigne la négative. Il
pense qu’on ne saurait recourir contre les tiers de bonne
foi, qu’on ne pourrait soumettre à subir l’effet rétroac
tif de l’art. 1445 du Code civil qu’en tant qu’on prou
verait leur collusion et leur fraude."
1 T. il, pag. 844
�ET DE LA FRAUDE.
m
D’autres auteurs veulent au contraire que cet effet at
teigne les tiers, indépendamment de leur bonne ou mau
vaise foi, et par cela seul qu’ils ont traité avec le mari
durant l’instance en séparation. Lex non dislinguit, di
sent les annotateurs de Zacchariæ'. La généralité des
termes du second alinéa de l’art. 1445 est d’autant plus
décisive que l’ensemble de cet article ne peut laisser au
cun doute sur le véritable esprit de la loi. En effet, a près avoir prescrit, dans l’intérêt des tiers, les formali
tés nécessaires pour donner la plus grande publicité aux.
séparations de bietis, le législateur s’est hâté de poser,
dans un second alinéa, le principe de la rétroactivité des
jugements de séparation, comme s’il avait craint qu’on
n’induisit de sa première disposition la fausse consé
quence que l’effet de pareils jugements est retardé, à l’é
gard des tie rs, jusqu’après l’accomplissement des for
malités mentionnées dans cette disposition. D’ailleurs
les art. 866 et 869 du Code de procédure civile suppo
sent bien évidemment le principe dont s’agit, puisque la
publication qu’ils prescrivent ne peut avoir d’autre ob
jet que de mettre les tiers en position de se prémunir
contre les effets de la rétroactivité du jugement qui pro
noncera la séparation de biens. Enfin, il faut bien le re
connaître, sans cette rétroactivité, il dépendrait du mari
de rendre absolument inefficace ou illusoire le remède
de la séparation.
1 T. m , pag. 478, note 34 ; — Conf. Toullier, tom. xm, n°s 101 et
suiv.; — Dalloz àiné. tom. x, pag 245, n° 47.
�m
TRAITÉ DU DOL
Le défaut de cette opinion est d’être absolue, et de se
placer ainsi en contradiction avec un principe aussi cer
tain qu’incontestable. Pendant procès, le mari conserve
l’administration, même des biens personnels de la fem
me. Or comment concilier ce droit d’administrer avec la
nullité complète, à l’égard des tiers eux-mêmes, de tous
les actes que cette administration nécessitera ?
Il est vrai que cette administration peut devenir , de
la part du mari, la source de graves abus, mais le légis
lateur a entrevu cette éventualité et s’est bien gardé de
laisser la femme dans l’impossibilité de les prévenir.
C’est précisément contre cette éventualité que l’art. 869
a été édicté. Ainsi la femme pourra saisir-arrêter les
sommes dues au mari, les fermages de ses biens person
nels, les récoltes pendantes, faire enfin apposer les scel
lés sur le mobilier de la communauté. A quoi bon tou
tes ces mesures conservatoires , si la demande en sépa
ration conserve par elle-même les droits de la femme, à
tel point que tout ce que le mari fera après la publica
tion restera frappé de nullité même à l’égard des tiers
de bonne foi ?
Si telle avait été la pensée du législateur , il y avait
un moyen fort simple de la réaliser, c’était de suspen
dre le droit du mari pendant la litispendance. Ce moyen
eût été également plus économique pour les époux et
plus juste envers les tiers, dont les intérêts auraient été
ainsi sauvegardés. Mais laisser l’administration au ma
ri , et puis annuler tous ses actes , c’est sacrifier ceuxci et leur préférer ceux de la femme , c’est accorder le
�ET DE LA FRAUDE.
125
principe en en prohibant les conséquences. Il n’est pas
possible d’admettre que le législateur ait voulu l’une et
l’autre.
En conséquence, et sauf l’obstacle que la femme peut
y apporter par la réalisation des mesures conservatoi
res autorisées par l’art. 869, le mari, continuant après
la demande d’administrer les biens , les oblige valable
ment vis-à-vis des tiers. Est-ce à dire cependant qu’il
pourra profiter de cette administration et multiplier la
fraude impunément ? Non évidemment, car si la sépa
ration de biens ne fait pas cesser l’administration du
mari, elle ne cesse pas de la modifier profondément. A
partir de la publication de la demande , pour les tiers
eux-mêmes , ce droit n ’est plus en quelque sorte que
provisoire, ne se réalise plus que pour les actes urgents,
indispensables à la conservation ou à la gestion ordinai
re des biens, rien ne les empêche donc de traiter dans
ces limites, mais la fraude serait plus ou moins présu
mée contre eux , selon que l’acte qu’ils ont contracté
s’éloignerait plus ou moins de ce caractère.
1 5 17.
— Nous croyons donc que la solution de no
tre question doit obéir à une distinction inévitable. Ainsi
le mari continuant d’administrer la communauté, il im
porte, dans l’intérêt même de la femme, qu’il puisse
faire tout ce qui est indispensable pour prévenir un dé
périssement ou des non valeurs. Il pourra donc, comme
il l’a toujours fait, recueillir et vendre les récoltes, con
tinuer les baux à renouveler, retirer les capitaux échus.
�126
TRAITÉ DU DDL
D’ailleurs, on doit d’autant mieux le décider ainsi que,
par cela seul que le mari est obéré, il y a certitude que
la femme renoncera à la commuuauté, et que dès lors
tout obstacle à l’administration aurait été en pure per
te. A quoi bon, dès lors, un système tendant à gendre
cette administration impossible ? A quoi bon encore, di
rons nous, même dans l’hypothèse d’une acceptation,
lorsque la femme a le droit de saisir-gager les fruits,
d’arrêter les capitaux aux mains des débiteurs, de pro
voquer l’apposition des scellés sur le mobilier commun?
En conséquence les tiers qui, postérieurement à la de
mande en séparation , mais en l’absence de tout acte
conservatoire de la part de la femme, ont traité avec le
mari dans les limites de son administration, ne peuvent
être recherchés que s’ils ont agi de mauvaise foi ; que si
l’acte qu’ils ont souscrit a été fait sciemment par eux
en fraude des droits de la femme. Leur bonne foi rend
cet acte inattaquable, car la femme, en s’abstenant de
prendre les mesures conservatoires qu’elle peut requé
rir, aurait tendu un piège dont les tiers ne peuvent être
les victimes. Sans doute la publicité de la demande en
séparation de biens les avertit du danger menaçant l’ad
ministration du mari. Mais ils savent également que
pendant procès cette administration se continue; ils sa
vent aussi que la femme a la faculté de conjurer les pé
rils auxquels elle est exposée: et si celle - ci s’est tue,
pourquoi exigerait - on de leur part une susceptibilité
plus ombrageuse que celle de la partie la plus directe
ment intéressée? Us ont donc pu , en cet état, traiter
�ET DE LA FRAUDE.
127
légalement avec le mari, et ils ne doivent être recherchés
que s’ils ont sciemment fraudé les droits de la femme.
Il n’en serait pas de même pour les actes d’aliénation
résultant soit d’obligations, soit de ventes contractées
par le mari. Ces actes ne sont plus de pure administra
tion, et la femme ne pouvait prendre aucune mesure
propre à les prévenir ou à les empêcher. Dès lors aussi
la publicité donnée à la demande en séparation doit
être considérée comme suffisante pour empêcher les tiers
de consentir de pareils actes. Celui-là donc qui malgré
cet avertissement, qui, malgré la certitude de la modi
fication qu’a subi le droit ordinaire du mari, lui a prêté
de l’argent ou a acquis de lui un objet mobilier ou im
mobilier, ne peut se soustraire à l’effet rétroactif de l’ar
ticle 1445. Une pareille conduite fait présumer la fraude
et légitime l’application de la peine à laquelle le tiers
s’est bien volontairement exposé.
Cette présomption de fraude est au surplus avouée
par la raison et le bon sens. Un emprunt, une vente
doit paraître extraordinaire dès l’instant qu’il existe une
demande en séparation régulièrement publiée. On ne
prête pas, on n’achète pas de celui qu’on sait devoir être
bientôt dépouillé de la propriété des choses qu’il affecte
ou qu'il aliène. Le tiers qui agit autrement ne peut y
être déterminé que par l’intention de faire une bonne af
faire et de s’approprier les avantages que la position
du mari lui commandera d’offrir ou d’accepter. Cette
pensée, si d’ailleurs le profit espéré s’est réalisé, est ex
clusive de bonne foi. N’y e û t- il d’ailleurs qu’impru-
�128
TRAITÉ DU DOL
dence, que le tiers ne pourrait se plaindre de ce qu’on
lui en fit supporter les conséquences, volenti non fit in
ju ria . Or telle est la position de celui qui prête ou
achète après avoir été mis à même de connaître l’exis
tence de la demande en séparation de biens.
Vainement prétendrait-il l’avoir ignorée. La publicité
prescrite par la loi, et régulièrement accomplie, ne per
mettrait pas d’accueillir une pareille excuse. Ce qu’il a
pu personnellement ignorer, des renseignements que la
loi prescrit de prendre pour s’assurer de la condition de
celui avec qui on va traiter le lui auraient appris. S’il
a manqué à ce devoir, il a commis une faute. Or on ne
saurait excuser une imprudence par une imprudence
plus grande encore.
Ce que nous disons de la communauté s’applique,
par une supériorité de raisons incontestables, aux biens
personnels de la femme dont le mari a l’administra
tion. Pour ceux-ci , il ne s’aurait s’agir d’une aliéna
tion ou d’une affectation par hypothèque, l’une ou l’au
tre ne pouvant valablement s’accomplir sans le concours
ou le consentement de la femme , à moins que le con
trat de mariage n’ait stipulé le contraire. Si la faculté
de vendre ou d’engager sans le consentement de la fem
me avait été concédé au m a ri, son exercice serait de
plein droit suspendu par la demande en séparation. Le
tiers qui, malgré la publicité de celte demande , aurait
traité avec le mari, serait donc régi, quant à la validité
de l’acte, par les règles que nous venons de tracer.
Allais, comme les biens de la communauté, les biens
�ET DE LA FRAUDE.
429
personnels de la femme doivent être administrés pen
dant la litispendance , et cette administration ne cesse
pas d’être dévolue au mari. Conséquemment , tout ce
que les tiers feront avec lui dans les limites d’une ad
ministration intelligente et sage, sera de plein droit ex
écutoire pour la femme elle-même.
C’est surtout à l’endroit de ces biens que l’adminis
tration du m a ri, pendant procès , doit se réduire aux
mesures que le présent rend indispensable, et ne jamais
engager l’avenir. Ainsi qu’un b a il, venant à expirer,
soit continué par la tacite réconduction, c’est ce qu’exi
ge l’intérêt de la femme ; mais que le m a ri, malgré la
litispendance, consente un bail pour un terme beaucoup
plus long, pour neuf ans surtout, c’est ce que nous ne
pourrions admettre. Nous consacrerions donc, en faveur
de la femme, la faculté d’en faire prononcer la résilia
tion. Le tiers, ayant accepté un pareil bail , ne saurait
exciper d’une bonne foi que la publicité de la demande
en séparation ne permettrait pas d’accueillir. Il suffirait
donc qu’il se fût prêté au fait que le mari accomplissait
sans nécessité réelle , et que ce fait causât un préjudice
à la femme , pour qu’il fût considéré comme complice
de la fraude , et privé du bénéfice qu’il s’en était pro
mis.
Ainsi encore , et quelle que fût la durée du b a il, le
tiers q u i, malgré la publication de la demande en sé
paration, aurait consenti des anticipations au mari, ne
pourrait exciper contre la femme des paiements qu’il
prétendrait avoir fait, alors même que celle-ci consenti-
�130
TRAITÉ DU DOL
rait à exécuter le bail. Le m a ri, en exigeant un paie
ment non exigible, ne fait plus un acte d’administra
tion, alors surtout qu’il est à la veille de perdre cette
administration elle - même , il commet une véritable
fraude contre les droits de la femme qui, vu son état
d’insolvabilité, ne pourra se faire rembourser ce qui,
depuis la demande en séparation, lui appartenait exclu
sivement.
D’autre part, le tiers, connaissant cette demande, ne
pouvait ignorer l’effet que le jugement devait produire.
En consentant une anticipation, il a contribué à rendre
cet effet impossible et occasionné ainsi un préjudice à
la femme ; il est donc tenu de le réparer en faisant
compte des loyers, à partir du jour de la demande, sauf
son recours contre le mari.
En dernière analyse, l’administration du mari, ne
cessant pas par la demande en séparation de biens,
doit pouvoir s’exercer, ce qui ne serait pas si les tiers,
ayant traité de bonne foi avec lui, dans les limites de
celte administration, pouvaient être recherchés et voir
leurs conventions annulées. Mais il est juste d’exiger
qu’à partir de la demande le droit du mari’ se restreigne
aux actes de gestion purs et simples, de nature à satis
faire aux besoins du moment présent, sans gréver inu
tilement et abusivement l’avenir. Tout ce qui s’écarte
rait de ce caractère devrait être et serait suspect. A l’é
gard du mari, car on supposerait facilement que, pro
fitant des derniers moments de son administration, il a
voulu se créer des ressources illégitimes au détriment
�ET DE LA FRAUDE.
131
de sa femme; à l’égard des tiers, parce que la publicité
de la demande les avertit suffisamment de la véritable
position du mari ; s’ils se prêtent cependant aux actes
de dissipation que celui-là accomplit, c’est qu’ils y trou
vent eux-mêmes un intérêt quelconque. Cette présomp
tion, naissant de l’acte lui-même, est légalement admi
se, et comme elle exclut toute idée de bonne foi, sa con
séquence doit être l’annulation de l’acte attaqué.
1 5 1 8 . — La dissolution du mariage, p a rla mort
d’un des époux, offre pareillement de nombreuses oc
casions de fraude contre les héritiers ou les créanciers
du défunt, contre les créanciers du survivant.
1 5 1 9 . —- La plus redoutable de ces fraudes est,
sans contredit, les détournements opérés par l’époux
survivant. Ces actes, ayant pour objet la spoliation de
la succession, sont dans le cas d’occasionner aux créan
ciers et aux héritiers du défunt, un grave préjudice. Ils
sont, par rapport à leur auteur , essentiellement frau
duleux, car ils entraînent non seulement un dommage
certain , mais encore, et de plein droit, l’intention de
nuire.
1 520. — La spoliation de la succession est possi
ble , quel que soit le régime sous lequel ont vécu les
époux, elle constitue, sous celui de la communauté, le
recélé prévu par l’art. 1477.
Les soustractions, que la femme dotale ou non com
mune opérerait dans la succession de son mari, ne pour-
�132
TRAITÉ DU DUL
raient être punies des peines du recélé. Mais comme,
efn définitive, elles ne sont pas moins dommageables
que celui-ci, les héritiers ou les créanciers ont une ac
tion en repression pour obtenir soit la restitution des
effets détournés, soit une indemnité pécuniaire, suffi
sante pour couvrir intégralement le préjudice qu’ils sont
dans le cas d’en éprouver.
1521.
— La femme commune en biens a le droit
de renoncer à la communauté. L’art. 1453 frappe de
nullité toute convention dérogeant à cette faculté d’or
dre public, ou par laquelle la femme s’en interdirait
l’exercice. Par l’effet de cette renonciation, la femme est
libérée de toutes les dettes grevant la communauté, elle
a de plus le droit de reprendre les linges et hardes à
son usage ; les immeubles lui appartenant lorsqu’ils
existent en nature, ou l’immeuble acquis en remploi;
le prix de ses immeubles aliénés , dont le remploi n’a
pas été fait et accepté conformément à la loi ; enfin
toutes les indemnités qui peuvent lui être dues par la
communauté.
C’est là, il faut en convenir, un droit d’un immense
avantage pour la femme. Elle y trouve le moyen de ne
pas contribuer au paiement de sommes consommées par
la communauté et dont elle a conséquemment profité
en partie. La loi n’a pas cependant hésité à le consa
crer, eu égard à la position de la femme, forcée de su
bir l’administration du mari. C elui-ci étant le maître
absolu de la communauté, il fallait dit M. de Mallevil-
�ET DE LA FRAUDE
133
le, donner à la femme la faculté de s’en délier pour
qu’elle ne fût pas exposée à perdre son bien, par suite
de conventions qu’elle n ’a pas pu empêcher. De là, la
faculté de renoncer et les effets qui s’y rattachent.
A ce droit, le législateur en a ajouté un autre non
moins utile. Alors même que la femme accepterait, elle
n’est, aux termes de l’art. 1483, obligée aux dettes que
jusqu’à concurrence de son émolument, c’est-à-dire que
sa part dans la communauté pourra bien être absorbée,
mais qu’elle ne sera jamais obligée au delà et sur ses
propres biens.
Ces dérogations au droit commun ont un caractère
spécial qu’il ne faut pas oublier. Le législateur a en
tendu protéger la femme contre les abus que sa posi
tion, dans la communauté, faisait craindre. Il n ’a pas
voulu lui conférer un avantage, quoi qu’il arrivât. Le
droit des créanciers, celui des héritiers, est aussi sacré
que le sien, on ne pouvait donc le modifier qu’à de cer
taines conditions.
1522.
— La première et la plus essentielle est que
la femme, qui renonce, ne puisse rien retenir des bieps
de la communauté. Cette condition serait violée si, avant
la renonciation, elle s’était emparée d’une part quel
conque de ces mêmes biens ; si elle tentait de les sous
traire à la connaissance des héritiers du mari ou des
créanciers; en un mot, si elle recélait ou détournait
les effets appartenant à la communauté.
Dès lors, la femme ne saurait revendiquer un privi-
�134
TRAITÉ DU DOL
lége dont sa propre fraude l’a rendue indigne, sa con
duite a donc justement préoccupé le législateur qui en
déduit les conséquences suivantes :
En premier lieu, la femme est déchue de la faculté
de renoncer, le recélé, par elle commis, est considéré
comme une acceptation formelle. L’acceptation en ef
fet n’a pas toujours besoin d’être expresse. Les art. 1454
et 1455 la font résulter de l’immixtion de la femme
dans les biens de la communauté, ou seulement de ce
qu’elle a pris dans un acte la qualité de commune. Com
ment donc ne pas attacher au recélé les effets de l’une
ou de l’autre ;
En deuxième lieu, elle perd le privilège de ne pas
être tenue par son acceptation au delà de la portion
qu’elle prend dans la communauté. La loi a mis à cet
effet une condition essentielle, à savoir : que préalable
ment il ait "été fait un bon et fidèle inventaire. On ne
pourrait évidemment reconnaître ce caractère à celui
qui ne ferait aucune mention des effets recélés ou dé
tournés ;
En troisième lieu enfin, elle est privée dans le partage
de la communauté de la part qui lui serait revenue dans
les valeurs recélées. Elle supporte ainsi le préjudice
qu’elle a voulu occasionner à autrui, c’est là une juste,
une équitable réparation.
J 52 3 . — Le recélé commis par le mari ou ses hé
ritiers ferait encourir à son auteur la peine portée par
l’art. 1477. Il est évident, en effet, que le recélé ne perd
�KT DE LA FRAUDE.
135
aucun de ses caractères, quel que soit celui qui l’exé
cute , dès lors il doit produire contre tous des effets
analogues.
1524.
— La loi, qui a formellement édicté ces ef
fets, entend-elle borner là les conséquences du recélé ?
S’oppose-t-elle à ce qu’on accorde en outre une alloca
tion de dommages-intérêts ? Ces questions nous parais
sent devoir être négativement résolues. La réparation
du préjudice causé par le recélé pourrait demeurer im
parfaite, si elle se bornait à la restitution des objets pour
lesquels il a été possible de fournir la preuve. Mais
d’autres peuvent aussi avoir été soustraits, et des indi
ces graves, quoique insuffisants pour déterminer une
preuve, peuvent exister à la charge de celui contre qui
une preuve partielle est déjà faite. Or qu’on ne puisse
en cet état et sur ces indices prononcer une condamna
tion en restitution, on le comprend, mais comme il
importe que le préjudice soit intégralement réparé,
comme il ne serait pas juste de rendre les plaignants
victimes des précautions prises pour les tromper , ou
de l’ignorance dans laquelle ils peuvent être de la vé
ritable consistance des biens de la communauté, on doit
reconnaître aux juges la latitude de compenser, par
une allocation pécuniaire , le dommage réellement dé
montré. Le recélé, se réalisant sous l’inviolabilité du
domicile commun, peut avoir laissé des traces plus ou
moins difficiles à saisir. Le soupçon contre celui qui est
déjà convaincu, les considérations naissant de cette con-
�136
TRAITÉ DU DOL
viction elle-même le signaleraient assez énergiquement
pour qu’on pût prononcer contre lui une condamna
tion en dommages-intérêts, à titre même de supplément
de réparation.
Ainsi, et dans le cas où la restitution des objets, qu’on
prouverait avoir été soustraits, ne ferait pas disparaître
tout le préjudice, les juges peuvent, suivant les circons
tances, ne pas s’arrêter aux peines édictées par les art.
1460 et 1477, et condamner en outre l’auteur du recélé à une indemnité que leur conscience arbitrerait.
1 5 2 5 . — La femme, devenue commune, pour avoir
recélé, subit une peine véritable. La conséquence de
celte règle est facile à déduire. La femme, qui aurait
renoncé au préjudice de ses intérêts, ne pourrait exciper
du recélé qu’elle aurait commis pour être exonérée de sa
renonciation et se faire déclarer commune en biens.
1 5 2 6 . — Les héritiers du mari eux-mêmes ne sont
pas forcés de demander qu’elle devienne telle; ils ont le
droit, après l’avoir convaincue de recélé, de se borner
purement et simplement à la contraindre à restitution,
et la laisser ainsi sous le poids de sa renonciation.
1 5 2 7 . — Mais, quelle qu’ait été sur ce point la con
duite des héritiers, elle ne pourrait influer sur le sort
des tiers. Pour ces derniers, la femme est commune, par
cela seul qu’elle a recélé. Elle est donc tenue aux dettes
non seulement à concurrence de son émolument, mais
encore ultra vires. Les créanciers ne sauraient, en con
�ET DE LA FRAUDE.
137
séquence , être empêchés de poursuivre contre elle le
remboursement intégral de leur créance.
1528.
— Ce que la fraude de la femme ne peut
faire est naturellement attaché à celle du mari ou de ses
héritiers. Ainsi la femme ou ses héritiers, qui ont re
noncé à la communauté, sont recevables à se faire re
lever des effets de leur renonciation, si le mari ou ses
héritiers sont plus lard convaincus de détournement ou
de recélé.
La faculté de renoncer est un secours donné par la
loi à la femme ou à ses héritiers contre une administra
tion qu’ils ont dû subir. Elle ne peut donc se tourner
en sacrifice pour eux ; il importe, dès lors , que son
exercice soit réfléchi, que l’appréciation de son oppor
tunité repose sur des éléments sincères et vrais. Voilà
pourquoi la loi exige un bon et loyal inventaire ; voilà
pourquoi elle accorde à la femme, comme à ses héri
tiers, un délai de trois mois pour délibérer.
Si le renonçant se trompe sur ce qu’exigent sa con
venance et ses intérêts, la loi le laisse sous le coup des
engagements qu’il contracte. Mais il n’en saurait être
ainsi si l’erreur a été inférée par la fraude du mari ou
de ses héritiers, fraude dont le résultat devait amener
la renonciation, en diminuant l’actif ou en grossissant
le passif de la communauté.
Le premier but est atteint par le détournement ou
par le recélé. Ignorant l’un et l’autre, le renonçant s’est
trouvé placé en présence d’une communauté dont l’ac-
�138
TRAITÉ DU DO.L
ceptation n’était pour lui d’aucun avantage possible. Il
a donc renoncé, ce qu’il n’aurait certainement pas fait
si la vérité, connue par lui , lui eût permis de juger
sainement sa position.
La perpétuité d’une renonciation, opérée dans de tel
les circonstances, n’eût été qu’une iniquité contre son
au teu r, qu’un encouragement à la fraude. En effet ,
plus la communauté se serait trouvée dans un état pros
père , plus le mari ou ses héritiers auraient eu intérêt
à amener une renonciation. Or, comme celle-ci devait
être la conséquence d’une apparence contraire, rien
n ’aurait été épargné pour la déterminer. En d’autres
termes, plus il y aurait eu de ressources, et plus les dé
tournements se seraient multipliés.
D’ailleurs, la fraude ne saurait, dans aucun cas, de
venir le fondement utile d’une convention quelconque.
L’erreur qu’elle inspire vicie le consentement, condition
substantielle de tous les contrats. Sa découverte doit donc
faire évanouir le titre qu’elle avait su inspirer.
1529.
— Pothier met sur la même ligne le recélé
et la fausse supposition de créanciers*. Il n’y a , en ef
fet, entre ces deux actes aucune différence dans les ré
sultats , car l’un et l’autre se proposent le même objet,
à savoir : tromper sur la position réelle de la commu
nauté. Dans l’un comme dans l’au tre, le mari cherche
à s’avantager, car s’il profite réellement des objets sous-
1 Delà Comm., a0 532.
�KT DE LA FRAUDE.
139
traits , il ne profitera pas moins des paiements que les
créanciers simulés ne recevront que pour les lui trans
mettre. Le consentement du renonçant, vicié par l’er
reur sur le recélé, ne le sera pas moins par l’ignorance
de la simulation. La nullité , conséquence de la pre
mière , devra donc nécessairement s’induire de la se
conde.
Ainsi, et de quelque manière que la renonciation se
soit produite, la découverte de la fraude du mari ou de
ses héritiers en motive la rétractation. Son auteur re
couvre donc le droit de partager la communauté et de
se faire attribuer exclusivement tout ce qu’on a tenté de
lui enlever.1
1 550. — L’art. 1464 prévoit une fraude à laquelle
la dissolution du mariage peut donner lieu non plus
contre les créanciers de la communauté, mais contre les
créanciers personnels de la femme; nous voulons parler
de la renonciation frauduleuse qu’elle ferait à la com
munauté.
Cette renonciation pourrait être annulée à la demande
des créanciers. Tout ce qu’exige le législateur à l’endroit
de cette annulation, c’est que la femme ait agi en fraude
de ses créanciers. Comment et à quelles conditions ad
mettra-t-on ce caractère ?
1 5 5 1 , — À notre avis, le fait est ici tout-puissant.
1 V. supra, n°s 901 et suiv
�140
TRAITÉ D(J DOL
Car justifié que soit l’état prospère de la communauté,
la renonciation de la femme n’a plus qu’une significa
tion possible , le désir et la volonté de frauder ses cré
anciers, de leur faire perdre les ressources qu’ils devaient
rencontrer dans les facultés qui seraient obvenues à leur
débitrice dans le partage de la communauté.
En effet, le refus de s’enrichir quand on le peut léga
lement est un fait tellement anormal, tellement extraor
dinaire, qu’il suppose nécessairement une arrière-pen
sée , laquelle est parfaitement expliquée par l’existence
de créanciers et par l’obligation de les désintéresser.C’est
réellement aux créanciers que les nouvelles ressources
devaient profiter, c’est donc à eux qu’on a voulu les en
lever, et cette intention sera d’autant plus frauduleuse,
que l’actif de leur débitrice sera plus insuffisant pour
leur paiement intégral.
Il suffira donc de prouver cette insuffisance et, con
séquemment , l’existence d’un préjudice , pour que la
fraude soit acquise et pour que la renonciation doive être annulée. Ce résultat serait surtout acquis si, compa
raison faite de l’actif et du passif de la communauté, au
cun doute ne pouvait naître sur l’avantage que la fem
me avait à accepter.
M. Delvincourt, après avoir enseigné que la fraude est
présumée toutes les fois que la femme a renoncé à une
communauté évidemment avantageuse, ajoute : « Mais,
pour peu que l’état de la communauté présentât quelque
doute lors de la renonciation , je ne pense pas qu’elle
�ET DE T.A FRAUDE.
141
puisse être annulée, quand même, par l’événement, elle
ne se trouverait pas désavantageuse.1 »
La seule conséquence possible de cette restriction
nous parait devoir être de multiplier les difficultés et de
substituer une appréciation arbitraire à celle si simple
naissant de la proposition contraire, à savoir : qu’il suf
fît que la renonciation occasionne un préjudice aux cré
anciers pour qu’ils puissent la faire annuler. Nous nous
rallions donc à celle-ci avec d’autant plus de raison,
qu’il ne sera pas difficile de faire naître un doute mo
mentané sur les résultats d’une liquidation future, qu’on
serait donc exposé à consacrer la fraude parce que, par
une collusion entre les parties intéressées,on serait par
venu à en dissimuler l’existence à l’aide d’une autre
fraude.’
A insi, les créanciers lésés par la renonciation à la
communauté peuvent, par cela seul qu’ils éprouvent un
préjudice , en poursuivre l’annulation comme faite en
fraude de leurs droits; ils peuvent, de plus , dans tous
les cas où la femme serait recevable à se faire relever de
sa renonciation, exercer eux-mêmes cette action en vertu
de l’art. 1166, notamment dans le cas où la renoncia
tion de la femme n ’aurait été déterminée que par les dé
tournements frauduleux du mari ou de ses héritiers.
1 T. il, not. 3, pag. 115.
s Dalloz, Communauté, n° 26 ; — Toulliër, tom. xni, n° 202 ; .—
Bellot, tom. n, pag. 341 ; — Battur. n° 670 ; — Duranton, tom. xiv,
�4421
TRAITÉ DU DOL
1552.
— Si la renonciation à la communauté éma
ne de l’héritier de la femme , ses créanciers personnels
au ro n t, contre cette renonciation , tous les droits que
nous venons de reconnaître aux créanciers de la femme
renonçante.
1555. — Les créanciers de la femme ou de son hé
ritier peuvent-ils attaquer l’acceptation de la commu
nauté et en demander l’annulation comme faite en frau
de de leurs droits ? Il peut se faire, en effet, que l’ac
ceptation soit préjudiciable aux créanciers, dans l’hypo
thèse suivante par exemple :
La femme a stipulé la reprise de son apport franc et
quitte. Voulant décharger les héritiers de son mari de
l’obligation d’en opérer la restitution, elle accepte la com
munauté, contrairement à tous ses intérêts.
Nous ne voyons pas ce qui pourrait empêcher les cré
anciers de se pourvoir contre une pareille acceptation.
Evidemment, elle ne serait, envers les héritiers du ma
ri, qu'une libéralité pure, qu’une fraude palpable à l’en
droit des créanciers de la femme que la reprise de son
apport devait mettre à même de les satisfaire. Or, une
fraude ne saurait exister sans donner immédiatement
ouverture à une action en faveur de celui à qui elle pré
judicie. On doit donc décider notre question par l’affir
mative.
Mais la restriction que nous repoussions lout à l’heu
re, nous l’admettons ici sans difficulté. La fraude exis
tera si la communauté, étant évidemment désavantageu-
�ET DE LA FRAUDE.
143
se , la femme l’a cependant acceptée. Si , au contraire,
lors de l’acceptation les ressources apparentes de cette
communauté étaient telles que leur partage dut paraître
plus favorable que la reprise de l’ap p o rt, l’acceptation
doit être maintenue , à moins qu’il ne fût prouvé que
l’inventaire a été sciemment et frauduleusement grossi.
Il ne faudrait p a s , en effet, sous prétexte d’une fraude
qui n’existe pas, permettre à la femme de revenir , par
une voie indirecte , contre une acceptation faite dans le
désir de s’enrichir. L’existence certaine de celui-ci ex
clut toute intention de préjudicier aux droits des créan
ciers.
1 5 3 4 . — La révocation de la renonciation ou de
l’acceptation ne peut être poursuivie par les créanciers
que dans la mesure de leurs droits. Ses effets ne peuvent
profiter qu’à eux, jamais à la femme ou à ses héritiers.
Ainsi, il appartient au mari ou à ses héritiers d’em
pêcher qu’il soit donné suite à la demande en désinté
ressant les créanciers. En supposant qu’ils ne le fassent
pas, l’admission de la révocation n’aurait, pour résultat
possible , que ce désintéressement. Tout ce qui resterait
après paiement serait acquis non à la femme ou à ses
héritiers, mais au mari ou à ses ayants cause. En d’au
tres termes , la renonciation n’est jamais annulée que
dans l’intérêt exclusif des créanciers. Elle continue de
valoir contre la partie qui l’a réalisée , les créanciers
n’ayant ni intérêt, ni qualité à faire décider le con
traire.
�144
TRAITÉ DU DOL
1 5 5 5 . — L’action des créanciers en révocation de
la renonciation ou de l’acceptation n’a jamais suscité
aucun doute, quant à sa durée. Elle se prescrit par dix
ans. Mais quelques difficultés se sont élevées sur la
question de savoir quel est le point de départ de ces dix
ans.
M. Battur pense que c’est du jour de la renonciation
que commence la prescription. Mais cette opinion,com
battue d’ailleurs par M. Bellot. ne nous parait pas de
voir être suivie. Nul n’est tenu d’agir avant d’y être au
torisé par son intérêt. Ce n’est d’ailleurs que lorsque cet
intérêt se manifeste qu’il est recevable à le faire. Con
séquemment on ne comprendrait pas que, sous prétexte
de négligence, on pût perdre un droit, tant qu’on n’est
pas en demeure de l’exercer.
Or l’action révocatoire des créanciers n’est recevable,
nous l’avons déjà dit, qu’à condition que les autres biens
du débiteur se trouveront insuffisants pour le paiement
de ce qui leur est dû , et cette insuffisance ne peut être
démontrée que par la discussion préalable de ces biens.
Ce n ’est donc qu’après cette discussion, et par la preuve
de l’insolvabilité en résultant, que les créanciers verront
s’ouvrir le droit qu’ils ont d’attaquer toute disposition
faite pour leur préjudicier ; qu’ils seront conséquemment
en mesure et en demeure d’agir. Il est donc rationnel
et logique de placer à ce même moment le point de dé
part de la prescription. Décider le contraire, c’est ad
mettre qu’on peut être puni comme négligent, alors que,
le voulût-on, on ne saurait être négligent et méconnaî-
�145
ET DE LA FRAUDE.
tre cette règle d’équité et de droit : Contra non valèntem agere, non currit prescriptio.
1 5 3 6 . — Le détournement commis avant la disso
lution du mariage produit les mêmes effets que celui
qui ne s’exécute qu’après. L’un et l’autre produisant
des conséquences identiques doivent entraîner les mêmes
résultats. Ainsi l’époux qui consent une vente simulée
d’effets mobiliers de la communauté , dans le but de se
les approprier , se rend coupable du recélé prévu par
l’art. 1477 et en encourt la peine'. Il en serait de mê
me du recélé d’une créance de la communauté. L’époux
qui en serait convaincu devrait en rapporter le capital
et les arrérages , sans pouvoir réclamer aucun droit ni
sur l’un ni sur les autres, alors même qu’il prétendrait
que ces derniers sont prescrits.’
1537. — Mais ce qui, dans tous les cas, constitue
le détournement punissable, c’est le caractère occulte et
clandestin de l’acte. Il n’y a donc pas recélé dans le sens
de la loi, toutes les fois que la rétention reprochée à l’é
poux ou à ses héritiers est patente et publique; qu’elle
s’étaye sur une prétention plus ou moins fondée. Ainsi
nous sommes loin d’approuver un arrêt rendu par la
Cour de Bordeaux, le 5 janvier 18Ü6, déclarant que l’é
poux qui, après la dissolution de la communauté a fait
1 Cass., 5 avril 1832.
s Cass., 10 décembre 1835.
IV
10
�—
146
TRAITÉ DU DOL
volontairement des déclarations, desquelles il est résulté
qu’il présentait comme lui étant propres des biens qui
devaient être compris dans la communauté, pouvait être
déclaré coupable de recélé.
Nous n’ignorons pas qu’en pareille matière les Cours
ont un pouvoir discrétionnaire et souverain. Mais nous
ne saurions admettre qu’elles pussent étendre ce pouvoir
jusqu’à reconnaître l’existence du détournement et du
recel dans des faits ne constituant évidemment ni l’un
ni l’autre.
Quel est, en effet, le préjudice pouvant résulter de la
fausse délaration du mari ? Est-ce que les héritiers de
la femme sont tenus de l’admettre? Est-ce qu’ils n’ont
pas le droit d’exiger la justification du fait qu’il indique?
Si cette justification n’est pas fournie , le mari est dé
bouté de ses prétentions qu’il a pu émettre de bonne foi,
et les biens restent dans la communauté, de laquelle ils
n ’ont jamais été distraits.
Le fait d’avoir fait à cet égard une fausse déclara
tion ne peut donc , dans aucun c a s, constituer le re
célé. Mais si cette déclaration s’appuyait sur des titres
fabriqués à son ap p u i, si le mari invoquait des actes
simulés, capables de tromper les héritiers de la femme,
nous trouverions fort juste la décision qui le déclarerait
coupable de recélé. L’intention manifestement fraudu
leuse que ces actes décèlent, la confiance qu’ils peuvent
inspirer exclut toute bonne f o i, rend un préjudice im
minent et mérite conséquemment toute la sévérité de la
justice.
�ET DE LA FRAUDE.
147
Mais nous ne considérerions comme frauduleux que
les actes émanant du mari exclusivement, et fait sans le
concours de la femme. Ainsi la déclaration faite par les
époux dans un acte auquel ils ont l’un et l’autre con
couru, tendant à faire considérer comme propre à l’un
d’eux un acquêt de la communauté, ne pourrait fonder
une accusation de recel. Elle ne prouverait qu’une seule
chose, à savoir : que les époux ont voulu indirectement
s’avantager , mais elle ne pourrait constituer un préju
dice quelconque, alors même qu’elle devrait être annu
lée comme illégale, puisque les héritiers pourraient tou
jours, et malgré la reconnaissance de leur auteur, exiger
la preuve du caractère donné à l’immeuble.
1538.
— Nous nous sommes déjà occupés des frau
des que les époux peuvent commettre pendant mariage
au préjudice l’un de l’autre1. Nous ne les rappelons ici
que pour constater que l’action en répression ouverte à
celui qui en a été la victime passe à ses héritiers. Mais,
dans cette hypothèse , ceux - c i , n’étant que les ayants
cause de leur auteur, peuvent être écartés par les excep
tions opposables à celui-ci.
Il peut se faire cependant que la fraude exécutée pen
dant le mariage soit plutôt tentée contre les tiers que
contre le conjoint. C’est ce qui se réalise toutes les fois
qu’il s’agit de la disposition des biens dotaux ou per
sonnels à la femme.
1 V. supra n°s 803 et suiv.
�148
TRAITÉ DU DDL
Ainsi la vente des premiers , nous l’avons déjà dit,
peut être annulée sur la demande du mari lui-même,
de la femme , de ses héritiers. Le préjudice reste donc
tout entier contre les acheteurs, car, alors même qu’ils
seront dans le cas d’obtenir une garantie contre le ma
ri , son insolvabilité pourra rendre cette garantie pure
ment illusoire.
1539.
— L’administration des biens personnels de
la femme commune, celle des biens dotaux appartenant
au mari , les baux qu’il en aurait consenti doivent re
cevoir leur exécution dans la mesure déterminée par la
loi. L’intérêt des tiers est donc sur ce point parfaitement
sauvegardé.
Mais il n ’en est pas de même des biens paraphernaux, leur location peut devenir une occasion de fraude
contre les preneurs. Par exemple, le mari la consentira
sans déclarer la nature des biens. P u is , une occasion
plus favorable s’offrant, la femme , s’étayant de son
droit, demandera la nullité du bail sur la foi duquel le
preneur se sera livré à des dépenses d’appropriation
plus ou moins considérables.
Cette demande en nullité devrait-elle être accueillie?
Nous n’hésitons pas à soutenir la négative. Elle nous
paraît résulter de l’économie de notre Code civil.
Qu’en principe la femme ait l’administration et la
jouissance de ses biens paraphernaux , c’est ce qu’il est
impossible de contester , en présence de l’art. 1576 du
Code civil. Qu’elle puisse vouloir exercer par elle-même
�ET DE LA FRAUDE.
149
l’une et l’autre, c’est ce qui est évident. L’a-t-elle vou
lu ? C’est ce que la loi n’admet pas facilement.
Aussi voyons-nous le législateur tracer , immédiate
ment après l’art. 1576, les règles applicables à l’admi
nistration qui aurait été laissée au m a ri, et les consé
quences de cette administration par rapport à la fem
me. Celle-ci n’acquiert les revenus que si elle a expres
sément stipulé , dans la procuration formelle qu’elle a
donnée , que le mari serait tenu de rendre compte ; ou
bien que si le mari a administré et joui au mépris de
l’opposition formelle de la femme.
A insi, aux yeux de la l o i, il s’agit bien moins pour
la femme d’une administration matérielle, que du droit
aux revenus. C’est d’ailleurs au mari qu’elle devra en
demander compte exclusivement. Les tiers auxquels l’op
position n’aurait pas été légalement dénoncée se libére
rait valablement entre les mains du mari.
A défaut de mandat formel , la loi suppose et admet
le mandat tacite. Le mari, dans ce cas, a non seulement
l’administration, mais encore la jouissance effective, car
il ne devra compte que des fruits existant au moment
de la dissolution, ou au jour de l’opposition par laquelle
la femme a toujours la faculté de révoquer le mandat
tacite.
Ainsi, en droit, l’administration et la jouissance des
biens paraphernaux appartiennent à la femme. En fait,
la loi présume qu’elles ont été confiées au mari, et cette
présomption ne cède qu’à la preuve certaine d’une vo
lonté contraire , résultant de la révocation du mandat
�150
TRAITÉ DU DOL
ou d’une opposition formelle extrajudiciairement signi
fiées.
C’était d’ailleurs ce que la raison indiquait. La posi
tion respective des époux rend toute naturelle la confi
ance de la femme envers son mari. Elle a pu livrer ses
biens à celui à qui elle livre sa personne , ét cela avec
d’autant plus de raison qu’elle est toujours en mesure
d’empêcher l’abus , par la faculté absolue qu’elle a de
rétracter le mandat.
D’autre p a rt, les tiers devaient être protégés contre
une collusion beaucoup trop facile, sans qu’on pût leur
reprocher de n’avoir pas assez veillé à leurs intérêts.
Que celui qui achète soit tenu de s’éclairer sur l’origine
et la certitude du droit dont il obtient le transfert, on
le comprend. Mais en matière de baux, c’est la jouissan
ce qui devient l’objet du contrat. Ne suffit-il pas , dès
lors, que cette jouissance appartienne et soit incontesta
blement reconnue au bailleur, pour que le preneur puis
se de bonne foi l’accepter.
C’est ce qu’avait compris le droit romain. La loi 21
au Code de Procurât., admet que le mari est le man
dataire de sa femme relativement à ses paraphernaux,
et Perezius, dans son Commentaire, nous en fait con
naître le motif, en assimilant, quant à l’administration,
les biens paraphernaux aux biens dotaux, et en recon
naissant au mari le domaine civil des uns comme des
autres : Est tamen opus, hoc casu quo marilus pro uxore sine mandata experitur, ut caveat de rato, seu rem
ratam uxorem habituram , aut si uxore conveniatur,
�ET DE LA FRAUDE.
131
ut caveat judicalum solvi, nisi forte nomme dotis aut
paraphernorum experiatur. Hoc enirn casu maritus si
ne satisdatione adm ittitur, cum horum bonorum commissa ei sit administratio, et sit dominus civiliter.'
Rien donc ne distinguait l’administration des biens
paraphernaux des biens dotaux. L’absence de tout man
dat de la part de la femme les rangeait toutes deux sur
la même ligne et permettait au mari de les exercer au
même titre. C’est aussi ce qui paraît avoir été admis par
notre ancien droit. Dans une discussion sur la question
de savoir si , à défaut de contrat de mariage , les biens
de la femme étaient dotaux ou paraphernaux, on invo
quait, à l’appui de la dotalité, l’administration du mari.
« Le mari, répondait Furgole, est constitué le procureur
ou administrateur des biens légitimes de la femme, lors
qu’il n’y a point de défense expresse de sa part.’ » Fur
gole avait raison. Mais pour que les partisans de l’opi
nion qu’il combattait pussent appeler à leur secours
l’administration du mari, il fallait bien que cette admi
nistration fût conforme à celle des biens dotaux. Com
ment , en effet, conclure à la dotalité , s’il avait existé
entre elles la moindre différence ?
Nous soutenons que le Code civil s’est conformé à ces
principes. Il consacre le mandat tacite dans l’art. 1578,
et il le présume facilement. Il est évident que la posi
tion des époux n’ayant pas changé, les conséquences que
�152
TRAITÉ DU DOL
cej,le qualité entraîne doivent aujourd’hui se produire.
Or, l’une de ses conséquences est de faire admettre que
la femme abandonne le gouvernement de ses paraphernaux à son ipari, auquel elle confie sa personne C’est
ce qui fait dire à M- Troplong’ que le mari est le pro
cureur né de sa femme.
Maintenant, à quel titre le mari jouit-il des biens
paraphernaux dont il a l’administration en vertu du
mandat tacite de sa femme? L’art. 1578 l’indique suffi
samment en déclarant qu’il fait les fruits siens. Il n ’y a
donc , quant à ce , d’autre différence avec la jouissance
des biens dotaux , qu’en ce que pelle-ci appartient au
mari irrévocablement tant que dure le mariage, tandis
que la femme peut à volonté faire cesser celle-là, en si
gnifiant son opposition. Mais tant que cette opposition
n’est pas réaljsée , fe principe que nous soutenons est
d’une irréprp.çhable exactitude.
La loi s’en explique mieux encore dans l’art. 1580.
Le mari qui jouit des biens paraphernaux est tenu de
toutes les obligations fie l’usufruitier. C’est là la règle
que l’.art. 1,552 trace expressément pour les biens do
taux. Or , si pour les uns .et Jes autres les obligations
sont les mêmes , les droits le seront également. Il est
donc vrai de dire que le législateur a mis sur la même
ligne les biens dotaux et les biens paraphernaux, quant
à la jouissance. Usufruitier des uns, le mari est usufrui-
1 Toullier , t. xrv , n° 361, p. 432.
3 Du contrat de mariage, art. 1578, n° 3710.
�ET DE LÀ FRAUDE.
153
tier des autres1. Il peut donc faire pour ceux-ci ce qu’il
a le droit de faire pour ceux-là.
MM. Rodière et Pons ont méconnu ces principes,
lorsqu’ils ont prétendu que le mari ne pouvait pas af
fermer les biens paraphernaux de la femme sans le con
cours de celle-ci. Le contraire résulte de ce que nous
venons d’exposer et en outre de la considération d’é
quité que nous avons aussi indiquée.
Le droit des tiers n’est pas moins respectable , pas
moins digne de protection que ceux de la femme ellemême. On ne saurait donc l’abandonner au caprice de
la femme, à la collusion si facile entre elle et son mari.
Les droits de la femme sont dans tous les cas sauvegar
dés, puisqu’elle peut toucher réellement ses revenus, tan
dis que la nullité du bail causerait, le plus souvent, un
notable préjudice au preneur. Il n’y a donc pas à hési
ter , aucune faute d’ailleurs ne pouvant être imputée à
celui-ci.
La femme est donc tenue d’exéuter les baux que le
mari seul a consenti des biens paraphernaux , à moins
que ces baux soient frauduleux et faits au préjudice de
ses droits. Mais , dans ce cas m êm e, la femme devra
prouver la mauvaise foi du preneur. On la présumerait
facilement si le bail avait été consenti à un prix sans
rapport réel, ou dans des proportions inconciliables avec
la juste valeur des choses. Il en serait de même pour
les baux faits par le mari malgré l’opposition de la
femme.
i Benoit, Des biens paraphernaux, n° 17b, p 309.
�154
TRAITÉ DU DOL
S II.
Des
Successions.
SOMMAI RE.
1540.
1541.
1542.
1543.
1544.
1545.
1546.
1547.
1548.
1549.
1550.
1551.
1552.
Intérêts que l ’ouverture d'une succession met en pré
sence.
Objet que se proposera la fraude.
Précautions prises par la loi en faveur des cohéritiers et
des tiers.
Quel est le recélé prévu et puni par l ’art. 792?
Effet du recélé vis-à-vis des créanciers de la succession.
Vis-à-vis des cohéritiers.
Le recélé, en matière de succession , n ’existe qu’avec les
caractères exigés pour le recélé dans la communauté.
Droit des cohéritiers et des créanciers de requérir l ’appo
sition des scellés, ou de s’opposer à leur levée.
Le droit de former opposition à la levée peut-il être exer
cé par le créancier personnel des cohéritiers ?
Comment s’exerce le droit de tous les créanciers d’assis
ter à l ’inventaire?
Droit des créanciers personnels des successeurs d’intervenir’au partage.
L’intention de l ’exercer résulte de l ’opposition à la levée
des scellés.—Conséquences.
A défaut d’opposition et d’intervention,les créanciers peu
vent-ils attaquer le partage consommé ?
�ET DE LA FRAUDE.
1553.
1554.
1555.
1556.
1557.
1558.
1559.
1560.
1561.
1562.
155
Ce qu’il faut dans tous les cas considérer comme un -véri
table partage.
Formes que doit avoir l ’opposition à partage.
Les créanciers qui n ’ont, pas fait opposition ne sont pas
déchus du droit d’intervenir.
Le partage fait au mépris d’une opposition et hors la pré
sence de l’opposant n’est annulable que si ce créan
cier n’y a pas été appelé.
Le créancier opposant a-t-il le droit d’attaquer une vente
par licitation à laquelle il n ’a été ni présent ni ap
pelé ?
Droits du créancier d’un usufruit d’une portion de biens
indivise entre le cohéritier et un tiers.
Le droit de s’opposer et d’intervenir appartient aux créan
ciers chirographaires comme aux hypothécaires.
Peut-il être exercé par les créanciers de la succession ?
Faculté pour les créanciers du cohéritier d’attaqner la ré
pudiation faite au préjudice de leurs droits et de se
faire autoriser à accepter du chef de leur débiteur.
Conséquences des termes dont se sert l ’art. 788 au pré
judice de leurs droits.
1563.
1564.
1565.
1566.
1567.
1568.
1569.
Opinion de M. Chardon sur la nécessité d’une discussion
préalable.—Réfutation.
La faculté donnée par l’art. 788 est au profit exclusif des
créanciers personnels aux cohéritiers.
Exemple d’une répudiation frauduleuse contre les créan
ciers de la succession.
La faculté conférée par l ’art. 788 ne concerne que les cré
anciers antérieurs à la répudiation.
Exceptions que cette règle comporte.
L ’acceptation par le créancier ne relève pas le cohéritier
des effets de sa répudiation.
Première conséquence : L’offre faite par le successible ap
pelé par la répudiation de désintéresser le créancier,
rendrait l ’acceptation par celui-ci sans objet.
�156
1570.
1571.
TRAITÉ DU DDL
Deuxième conséquence : Quel que soit l ’effet de la liqui
dation , tout ce qui excède la créance et les frais ap
partient à ceux par lesquels la succession aurait été
appréhendée.
Droits des créanciers contre les successeurs irréguliers,et
n o t a m m e n t c o n tr e l ’e n f a n t n a t u r e l.
1572.
Fraudes que peut faire surgir l’ouverture d’une succes
sion testamentaire.
4572 bis. Droits des successibles de faire annuler le testamenl,
soit en la forme, soit au fond.
1573. Les nullités de formes ne procèdent pas ordinairement
d’une pensée de fraude.
1574. Position particulière du notaire dans lecas de nullité pour
violation de l’art. 973 du Code civil.
1575. Fondement de sa disposition.
1576. Conséquences dans le cas où le testateur a déclaré ne sa
voir signer, ou ne le pouvoir.
1577. Différence entre ces déclarations pour la responsabilité du
notaire.
1578. Quels sont les devoirs et les droits de l'officier public si le
testateur se borne à alléguer son impuissance, sans en
indiquer la cause ?
1579. Doctrine et jurisprudence.
1580. Le testament renfermant une substitution fidéicommis
saire ne saurait sortir à effet.
1581. Notice historique de la législation touchant les substitu
tions.
1582. Disposition de l ’art. 896 du Code civil. — Caractères es
sentiels de la substitution prohibée.
1583. Fondement de la dérogation consacrée par les art. 1048 et
1 0 4 9 .— S o n é t e n d u e .
1584.
1585.
Loi de 1825.—Sa tendance.
La révolution de 1830 coupa court à tout projet ultérieur
dans ce sens.—Lois des 12 mai 1835, 7 et 27 janvier
1849, 7 et 11 mai suivant.
�I
ET DE LA FRAUDE.
1586.
1587.
1588.
1589.
1590.
1591.
1592.
1593.
1594.
1595.
1596.
1597.
1598.
1599.
1600.
1601.
1602.
1603.
157
Les héritiers naturels ont intérêt et sont dès lors receva
bles à poursuivre la constatation d’une substitution
prohibée.
Conditions indispensables à la substitution fidéicommis
saire.
Distinction entre l ’obligation résultant de la substitution
et certaines dispositions modales. — Exemple de cel
les-ci.
Il n ’y a substitution prohibée que lorsque la restitution
doit se réaliser à la mort du grevé.
Différence entre les substitutions et les dispositions prises
en conformité de l’art. 1121 du Code civil.
Que doit-on décider si l’époque de la restitution n ’a pas
été déterminée ?
Dans le doute , on doit se prononcer pour la validité de
l ’acte.—Exemples divers.
La disposition de eo quod supererit ne constitue pas la
substitution prohibée.
Le contraire était admis en droit romain .-<-Pourquoi ?
Doit-elle sortir à effet pour les biens non aliénés ?
Négative soutenue par M. de Villargues ne peut être ac
cueillie.—Par quels motifs ?
Réponse de Merlin à l’objection que la disposition serait
sous une condition potestative.
Opinion de Thevenot d’Essaules.
Conclusion.
Il en serait de même de la disposition si quid super erit.
Caractère de l’institution fiduciaire.—Ses effets.
La fiducie n ’exclut pas la disposition en faveur du grevé
d’une partie de la succession , soit en fruits soit en
fond.
Le prédécès de l’appelé fait passer de plein droit , sur la
tête de ses héritiers, l ’émolument de la fiducie.—C’est
surtout cet effet qui donnait de l ’importance à la ques
tion de savoir s’il y avait fiducie ou substitution, lors
que celles-ci étaient permises.
�158
TRAITÉ DU DOL
1604. Quelles étaient, selon Cancerius, les circonstances qui de
vaient faire admettre la fiducie.
1605. Cette opinion était fort contestable.
1606 . La règle tracée par Montvallon était bien plus rationnelle.
1607. Que doit-il en être sous l ’empire du Code ?
1608. Espèce dans laquelle le caractère fiduciaire , invoqué par
les propes enfants du testateur, n ’a pas été admis.
4 609. Importance, en cette matière, du défaut de détermination
de l ’époque de la restitution, et de l ’existence de la
faculté d’élire.
1610. Au reste , comme toutes les questions de f a it, celle de
l’existence d’une fiducie ne peut reconnaître aucune
règle absolue.
1611. La simple fiducie ne peut être recueillie par l’incapable.
1612. Le désir d’échapper à celle prohibition amènera le testa
teur à interposer une personne capable;
4613. Double forme que peut revêtir le fidéicommis tacite.
1614. Ses effets sous l’ancienne législation.
4615. Sont restés tels sous l’empire du Code.—Intérêt des héri
tiers à en prouver l ’existence.
1616. Preuve admissible.
4617. Faut-il, pour que la preuve soit pertinente, qu’elle justifie
non seulement la volonté du testateur, mais encore
que l’institué apparent a pris l ’engagement de rendre
à l’incapable.
1618. Controverse en droit romain et sous notre ancien droit.
1619. L’affirmative était enseignée par Cujas.
4 620. Raisons invoquées par l ’opinion contraire.
1621. C'est pour celle-ci que se prononce Furgole.— Sur quels
motifs.
1622. Cette dernière opinion doit être suivie.
1623. La peuve d’une substitution fidéicommissaire ne peut s’é
tablir que par écrit.—Raison de cette différence.
1624. Le fidéicommis tacite est valable si le véritable appelé est
capable de recevoir.
�ET DE LA FRAUDE.
1625.
159
Dans le cas de fraude de l’intermédiaire choisi par le tes
tateur, l ’appelé est-il recevable à prouver par témoins
1626. Espèce remarquable jugée par la Cour de Pau.
1627. Le Journal du palais indique comme contraire un arrêt
de la Cour de cassationdu21 décembre 1818.—Erreur
de cette indication.
1628. L ’action des héritiers en nullité d'une substitution prohi
bée ou d’un fidéicommis en faveur d’un incapable peut
être exercée par leurs créanciers.
1629. Cette action est une véritable pétition d’hérédité. — Ses
conséquences, quant à la restitution des fruits et à la
prescription.
1630. Effets de la renonciation à un usufruit à l ’égard des cré
anciers du renonçant.
1631. Différence entre cette renonciation et celle à une succes
sion ou à un legs.
1632. Sesconséquences parrapport à l’acquéreur de cet usufruit;
1633.
id.
par rapport à l ’antichrésiste ;
1634.
id.
par rapport aux créanciers postérieurs à l ’ou
verture de l’usufruit,mais antérieurs à la répudiation.
1635. Différence entre la renonciation à titre gratuit et celle à
titre onéreux.—Conséquences.
1636. Résumé des principes régissant cette renonciation.
1637. La renonciation par le père à l’usufruit des biens de ses
enfants donne-t-elle lieu à l ’action révocatoire ?
1638. Quid de celle résultant de l ’émancipation ?
1639. Invalidité du rapport que le père ferait à ses enfants des
fruits perçus en l ’absence d ’une émancipation , ou avant son accomplissement.
1640. La renonciation en faveur d’un successible ne constitue
pas un avantage soumis à rapport.
1641. Renvoi pour les autres fraudes qu’un usufruit peut en
gendrer.
1641 bis. Caractère de la condition d'insaisissabilité apposée à un
legs.
�160
TRAITÉ DU DOD
1 5 4 0 . — L’ouverture d’une succession produit,
quant aux biens du défunt, un effet identique à celui
résultant pour la communauté de la dissolution du ma
riage; elle met en présence les cohéritiers, les créan
ciers de l’hérédité, ceux de chaque héritier personnel
lement.
Chaque cohéritier est intéressé à recevoir une part
proportionnée à l’intégralité de ses droits. L’intérêt des
créanciers du défunt exige que la totalité de l’actif soit
appliqué au paiement de ce qui leur est dû. Enfin ce
lui des créanciers personnels des cohéritiers èst surtout
de veiller à la sincérité du partage, et à ce que leur dé
biteur reçoive sa part entière des biens composant la
succession.
. sj,
1541. — Ce triple aperçu résume le but que la
fraude se proposera dans la liquidation d’une succes
sion. En effet, ce qu’on pourra reprocher aux cohéri
tiers, c’est d’avoir voulu s’avantager les uns au détri
ment des autres, de tenter de se soustraire au paiement
des dettes, en dissimulant les ressources, enfin, de con
certer les opérations du partage de telle manière que
les droits des créanciers personnels, de quelques-uns
d’entre eux, soient ou paraissent complètement anéan
tis. C’est pour rémédier à ces éventualités diverses que
le législateur a introduit dans notre Code les art. 788,
792, 882.
1 5 4 2 . — L’art. 792 protège les cohéritiers et les
�ET DE LA FRAUDE.
161
créanciers de la succession. Aux termes de sa disposi
tion, les héritiers qui auraient diverti ou recélé des ef
fets d’une succession sont déchus de la faculté d’y re
noncer et demeurent héritiers purs et simples, nonobs
tant leur renonciation, sans pouvoir prétendre aucune
part dans les objets divertis ou recélés. Ainsi les coupa*
blés ont voulu se soustraire au paiement des dettes, et
la loi les met à leur charge en totalité ; ils ont cherché
à s’avantager au détriment de leurs cohéritiers, et ce sont
ceux-ci qui seuls profiteront des effets de leur coupable
action. On le voit, la peine est établie sur les propor
tions de la plus exacte réciprocité.
1543.
— Le divertissement ou le recélé dont s’oc
cupe l’art. 792 est celui commis par un héritier. Il faut
dès lors en conclure que les effets en résultant ne se
produisent qu’en tant que l’un ou l’autre s’est réalisé
avant toute renonciation, c’est-à-dire dans un moment
où l’habile à se porter héritier n’a encore manifesté au
cune intention contraire.
Celui qui a régulièrement renoncé à une succession
ouverte est censé n’avoir jamais été héritier ; il ne l’est
bien certainement pas dès l’instant de la répudiation.
S’il détourne ou recèle à une époque postérieure, on ne
pourrait plus appliquer l’art. 792, car l’auteur de l’en
lèvement n’est pas héritier.
Réaliser à cette époque le détournement et le recélé
ne constitue plus que l’enlèvement frauduleux de la chose
d’autrui et, conséquemment, qu’un véritable vol ordiiv
11
�162
TRAITÉ DU DOL
naire. Ces faits deviennent donc non seulement passibles
d’une action civile en restitution et en réparation du
préjudice , soit de la part des héritiers, soit de la part
des créanciers, mais encore susceptibles d’être criminel
lement poursuivis et punis comme délits ou crimes, sui
vant les circonstances qui les ont vu s’accomplir. Ce
qui protège, contre un pareil résultat, les détourne
ments imputables à l’héritier , c’est la copropriété qu’il
a des objets enlevés, c’est que, par les chances du par
tage, ils peuvent devenir sa propriété exclusive. Dès
que la renonciation est acquise, toute copropriété s’ef
face, toute chance de devenir possesseur légitime est im
possible. Rien ne saurait donc plus excuser le détourne
ment et le recélé dont il se serait depuis rendu coupa
ble. Il s’emparerait évidemment et sciemment de la chose
d’autrui. Il n ’est donc plus qu’un voleur.'
Cependant, comme aux termes de l’art. 790 , tant
que la prescription du droit d’accepter n’est pas acquise
contre l’héritier renonçant, celui-ci a la faculté d’accep
ter encore la succession, si elle n ’a pas été déjà accep
tée par d’autres, l’auteur du détournement ou du recé
lé, criminellement poursuivi, pourrait faire tomber l’ac
tion en acquérant, par son acceptation, la propriété des
choses qu’on l’accuse d’avoir soustrait. Mais cette accep
tation ne pourrait être que pure et simple, car le recé-
i Merlin, v° recèle, n° 2 ; — Chabot, sur l’art. 792, n°» 3 et 4; —
Toullier,t. îv, n° 380; — Duranton, t. vi, n° 482 ; — Favard, v° renon
ciation, n° 18.
�ET DE LA FRAUDE.
163
leur ne pourrait, dans aucun cas, invoquer le bénéfice
d’inventaire dont il est déchu , si le recélé est commis
antérieurement à l’acceptation qu’il aurait déclaré vou
loir en faire.
Mais rien ne saurait s’opposer aux conséquences lé
gales de la poursuite criminelle si, depuis la renoncia
tion de l’héritier qui en est l’objet, la succession avait
été appréhendée soit purement et simplement, soit bénéficiairement par un autre successible.
Si le détournement ou le recélé a précédé la renon
ciation, l’art. 792 devient seul applicable. C’est donc par
sa disposition que se trouve exclusivement régi l’auteur
de l’un ou de l’autre.
1 5 4 4 . — En conséquence, et par rapport aux tiers
créanciers de la succession , il ne peut plus exister de
renonciation valable. Celui qui s’empare d’une partie
de l’hérédité, qui se l'approprie et en dispose, fait acte
d’héritier pur et simple. Il doit donc demeurer tel à
tout jamais : Qui semel hœres, semper hœres. Les créan
ciers peuvent donc, nonobstant toute renonciation pos
térieure, lui demander le paiement intégral de ce qui
leur est dû, et en poursuivre le recouvrement même sur
ses biens personnels.’
1545. — Mais il n’en est pas de même pour les
cohéritiers. Ce que la loi leur attribue principalement,
�164
TRAITÉ DU DOL
c’est la propriété exclusive, au détriment de l’auteur du
recélé, de tout ce qui en a fait la matière. En consé
quence et pour ce qui les concerne, c’est la restitution
des objets soustraits qui est le but le plus important.
Aussi peuvent-ils se borner à poursuivre et à obtenir
cette restitution, sans s’occuper de la renonciation qui
a suivi le détournement au maintien de laquelle ils peu
vent avoir intérêt.
Sans doute cet intérêt ne se réalisera pas dans une
succession obérée, dans laquelle l’actif sera insuffisant
ou presque insuffisant pour éteindre le passif. Mais,
dans cette hypothèse même , si quelqu’un a intérêt à
aire déclarer l’auteur des détournements héritier pur
et simple, ce sont les créanciers bien plutôt que les co
héritiers.
Ceux-ci auraient même un intérêt contraire si, toute
dette payée, la succession offrait un solde de ressources
à diviser entre les cohéritiers. Il est évident dans ce cas
que la part de chacun sera plus forte, si le nombre des
copartageants est moindre. Chacun d’eux a dès lors un
intérêt manifeste à réduire ce nombre, et à laisser en
dehors de la succession celui d’entre eux qui s’en est
volontairement exclu par sa renonciation.
Il est vrai que celui-ci ne participerait, dans aucun
cas, au partage de tout ce qu’il avait détourné ; mais,
s’il redevient héritier, il prendra sa part des autres res
sources héréditaires. Il y aurait donc, dans cette hypo
thèse, avantage pour lui de revenir sur sa renonciation,
à reprendre cette qualité d’héritier qu’il n’avait répu-
�ET DE LA FRAUDE.
165
diée peut - être que pour mieux assurer la réussite de
ses frauduleux desseins ; que pour empêcher la recher
che et la découverte des détournements dont il a été
convaincu.
Or cet avantage , il doit dépendre exclusivement de
ses cohéritiers de le lui conférer ou non. Nous ne pou
vons admettre que ceux-ci se bornant à lui demander
la restitution des objets soustraits, il fût recevable à ré
clamer de son chef, et contre leur résistance, la qualité
d’héritier. Un pareil droit serait inconciliable avec le
véritable caractère de l’art. 792. La qualité d’héritier
n’est conférée par cet article qu’à litre de pénalité.
Dès lors son application doit être souverainement aban
donnée à l’appréciation de ceux appelés à en profiter.
Conséquemment, si les cohéritiers victimes du détour
nement se bornent à demander, contre son auteur ,
la restitution des choses sur lesquelles il a été exercé,
s’ils ne poursuivent pas l’annulation de la renonciation,
celle-ci reste valable en ce qui les concerne, et continue
de produire tous ses effets. L’héritier convaincu ne
pourrait s’en faire relever qu’en se fondant sur sa pro
pre fraude, et on le sait : Nemo audilur allegans propriam turpitudinem.
Ainsi, l’auteur du détournement peut être héritier
pur et simple vis-à-vis des créanciers, étranger à la suc
cession à l’endroit de ses cohéritiers. Celte double posi
tion, quelque anormale qu'elle paraisse, est la juste con
séquence de ce principe, à savoir : que chaque partie
lésée a seule qualité pour poursuivre, dans la limite de
�166
TRAITÉ DU DOL
son intérêt, la réparation qu’elle croit lui convenir. Or,
le détournement frauduleux préjudicie aux créanciers,
aux héritiers. Chacun d’eux a dès lors qualité pour en
poursuivre la répression. L’action des uns est indépen
dante de l’action des autres. La même indépendance
doit se retrouver dans ses conséquences, qui ne peuvent
et ne doivent être appréciées qu’au point de vue de
l’avantage personnel de celui qui l’intente. Or, les créan
ciers peuvent avoir intérêt à ce que le receleur soit dé
claré héritier pur et simple. Ils ont le droit de le faire
reconnaître comme tel en ce qui les concerne. Les héri
tiers peuvent avoir un intérêt contraire, et rien ne les
empêche dès lors de respecter la renonciation et de la
faire maintenir.
Mais ils seront tenus de subir toutes les conséquences
de son maintien. Ainsi, l’héritier exclu qui aurait payé
les dettes de la succession, parce que les créanciers l’au
raient fait déclarer héritier pur et simple , aurait son
recours contre les biens de la succession. Ce recours,
qui ne serait que relatif à la part et portion de chaque
cohéritier et prélèvement fait de ce qu’il aurait eu luimême à payer s’il n ’avait pas renoncé , pourra être
exercé pour la totalité des sommes payées, puisque, la
renonciation devant sortir à effet, il est affranchi de toute
participation aux charges.
1546.
— II en est du recélé en matière de succession
comme de celui réalisé dans la liquidation d’une com
munauté. Ce qui le constitue essentiellement, ce n ’est
�ET DE LA FRAUDE.
167
pas tant la détention matérielle de l’objet que son carac
tère, que l’intention à laquelle elle se rattache. Chacun
peut se tromper sur la nature de son droit et croire
avoir raison lorsqu’il a réellement tort. Ainsi, si la pos
session querellée a toujours été ostensible, patente ; si
elle est fondée sur une prétention plus ou moins plausi
ble, il n’y a ni détournement, ni recélé, alors même
que le possesseur aurait été condamné à recombler. La
loi ne punit les mauvaises chicanes que par la condam
nation aux dépens auxquels elles donnent lieu. L’art.
792 leur demeure dans tous les cas inapplicable.
1 547.
— Au reste, en matière successorale, la loi
ne s’est point bornée à réprimer la fraude. Elle permet
en outre de la prévenir, par la faculté de placer tout
l’actif sous la main de la justice. C’est dans ce sens
qu’elle donne aux héritiers le droit de requérir l’appo
sition des scellés avant même l’inhumation de leur au
teur décédé.
L’intérêt des créanciers du défunt à empêcher toute
dilapidation du gage de leurs créances n’est pas moin
dre que celui des cohéritiers. L’art. 280 a donc con
sacré pour eux le droit de requérir l’apposition des
scellés que les héritiers auraient négligé de faire ap
poser.
Si cette négligence n ’a pas été commise, les créan
ciers qui désireront surveiller l’inventaire peuvent, aux
termes de l’art. 821, s’opposer à la levée des scellés.
L’apposition des scellés est un fait grave par les con-
�168
TRAITÉ DU DOIj
séquences dont il peut grever la succession. Mais lors
qu’elle a été effectuée, l’opposition à leur levée n’ayant
pour résultat que d’appeler l’opposant à l’inventaire,
n’avait qu’une importance bien moindre. Aussi la loi,
qui exige pour l’apposition un titre authentique ou une
permission du juge, permet-elle l’opposition à tous ceux
qui se prétendent créanciers, quel que soit d’ailleurs
leur titre, et sans permission préalable.
1548.
— Enfin, l’inventaire peut également inté
resser les créanciers personnels des héritiers. Devaientils également avoir la faculté de former opposition à la
levée des scellés ? On avait d’abord prétendu le leur
contester, sur le motif que les art. 820 et 821 ne s’ap
pliquaient qu’aux créanciers de la succession. Mais la
jurisprudence paraît se ranger à l’opinion contraire, et,
il faut le dire, ce n’est pas sans raison.
En droit, le législateur a prévu la réalisation de
l’opposition par les créanciers personnels des héritiers.
L’art. 934 du Code de procédure civile le prouve, de
la manière la plus évidente, en indiquant la position
que ces créanciers doivent occuper dans l’inventaire.
En raison, leur admission à l’exercice de ce droit est
commandée par la nécessité légitime d’éviter une involution de procédures et, conséquemment, l’exposition
de frais inutiles. En effet, le créancier de l’héritier trou
verait, dans les art. 1166 et 1167, le droit qu’on lui
refuserait directement. Mais pour se faire subroger à
son débiteur ou pour établir que sa conduite est une
�ET DE LA FRAUDE.
1b9
fraude à ses propres droits, il faudrait une dépense de
temps et d’argent qu’il est prudent d’épargner au créan
cier et au débiteur.
Ainsi, les créanciers personnels de l’héritier peuvent,
comme ceux de la succession, soit requérir l’apposition
des scellés, soit s’opposer à leur lévée. Les effets de
l’une et de l’autre sont de les rendre parties nécessaires
à l’inventaire. Toutefois, l’importance d’un acte qui va
scruter toutes les affaires d’une famille, en dévoiler tous
les secrets, devait modifier, dans l’exécution, le droit ac
quis par les uns et par les autres. C’est ce que règlent
les art. 932 et suivants du Code de procédure.
1549.
—, Les créanciers de la succession ne peu
vent assister, soit en personne, soit par un mandataire,
qu’à la première vacation. Quel que soit leur nombre,
ils ne peuvent être représentés aux vacations suivantes
que par un seul mandataire , désigné par le juge de
paix, dans le cas où ils n’auront pu arrêter eux-mêmes
le choix.
Les créanciers des successeurs qui se sont opposés,
pour la conservation des droits de leur débiteur , n’ont
pas même le droit d’assister à la première vacation, ni
celui de concourir à la nomination du mandataire qui
devra les représenter, le choix en appartient exclusive
ment au juge de paix. Ainsi se concilient l’intérêt qu’ont
les créanciers à l’exactitude et à la fidélité de l’inven
taire, et celui que peut avoir la famille à ce que le se
cret de sa position ne soit que le moins possible di-
�170
TRAITÉ DU DOL
1 5 5 0 . — Aux termes de l’art. 882, les créanciers
personnels ont le droit d’intervenir au partage pour en
surveiller la sincérité en ce qui concerne leur débiteur.
Ils peuvent, avant d’être mis à même de réaliser cette
intervention, contraindre les copartageants à les y ap
peler en leur notifiant une opposition à ce qu’il y soit
procédé hors leur présence et sans leur concours.
L’intérêt des créanciers d’assister au partage ne sau
rait être douteux. Ainsi, celui à qui le successeur a hy
pothéqué un immeuble de la succession verra son hy
pothèque maintenue ou anéantie, selon que cet immeu
ble sera ou non attribué à son débiteur. Or, indépen
damment des chances naturelles du tirage au sort, il
peut se faire que, dans le dessein d’échapper à sa dette,
le successeur collude avec ses cohéritiers et que, par un
prétendu tirage d’avance concerté, le lot qui lui obviendra ne comprenne que du mobilier. La présence du
créancier tendant à prévenir cette fraude, pouvant dé
terminer la formation des lots de telle manière que cha
cun d’eux comprenne des biens de toute nature, avait
pour lui une telle importance, qu’il n’était pas pos
sible de la méconnaître. De là la faculté concédée par
l’art. 882.
1 5 5 1 . — Ainsi, le créancier personnel du cohéritier
peut intervenir au partage. Il peut, dès l’ouverture de la
succession, s’opposer à ce qu’il y soit procédé sans lui.
Cette opposition l’y rend partie nécessaire à tel point que
le partage opéré hors sa présence et au mépris de l’op-
�ET DE LA. FRAUDE.
171
position régulièrement formée devrait être annulé sur la
demande qu’il en ferait.
Méconnaître l’opposition, c’est faire présumer la frau
de, et cette présomption n’admet pas la preuve contrai
re. Quel autre motif que celui de frauder le créancier
opposant pourrait-on alléguer à l’appui du partage, au
quel, malgré son opposition, on n’a pas voulu l’appe
ler. ? Mais, pour qu’il en soit ainsi, il faut que l’oppo
sition ait été signifiée à tous les copartageants sans ex
ception. Si un seul d’entre eux n ’avait pas reçu eette
notification, le partage devrait être validé. On n’aurait,
en effet, aucun reproche à lui faire, car il n’a pu avoir
égard à une opposition qu’il ne connaissait pas. Il a
donc agi de bonne foi, et celte bonne foi profite à ses
cohéritiers. Un partage est indivisible ; il ne peut être
valable pour l’un, nul pour les autres. Conséquemment,
s’il doit être maintenu à l’endroit d’un des coparta
geants, il doit l’être pour tous.
1552.
— A défaut d’opposition et d’intervention ,
les créanciers des cohéritiers pourront-ils attaquer le par
tage consommé?
Cette question paraît résolue par le texte même de
l’art. 882. Cependant, elle ne laisse pas que d’être for
tement agitée et de diviser même la jurisprudence.
Pour l’apprécier et la résoudre sainement, il importe
de rappeler quelques principes, d’établir quelques dis
tinctions.
En principe, les créanciers trouvent, dans les arti-
�172
TRAITÉ DU DOL
clés 1166 et 1167, le germe d’une double action. Ils
peuvent, en vertu du premier, agir au nom de leur dé
biteur et faire valoir les droits qu’il pourrait faire valoir
lui-même ; ils peuvent, en force du second, agir en leur
nom et attaquer directement tout ce qui a été fait en
fraude de leurs droits. Dans le premier cas, ils peuvent
être repoussés par toutes les exceptions opposables au
débiteur lui-même ; dans le second, les moyens pé
remptoires contre celui-ci ne pourraient pas même leur
être opposés.
En vue de laquelle de ces deux actions la loi a-t-elle
accordé le droit de s’opposer ou d’intervenir au parta
ge? Ce ne peut être évidemment pour celle se fondant
sur l’art. 1166. La conduite du créancier est sans in
fluence sur les actions et les droits personnels au dé
biteur; que le créancier intervienne ou non, le débiteur
ne saurait, dans aucun cas, être privé de l’exercice des
uns ou des autres, si d’ailleurs il est fondé à le requé
rir. Ce n’est donc qu’en vue de l’action basée sur l’ar
ticle 1167 que le droit de s’opposer ou d’intervenir a
été conféré. C’est même ce qui est écrit formellement
dans l’art. 882 : Les créanciers d'un copartageant, pour
éviter que le partage ne soit fa it en fraude de leurs
droits, etc...
Mais la fraude, dans ce sens, peut n’être imputable
qu’au débiteur. Dans l’intention d’échapper à l’action
du créancier, il ne s’est pas suffisamment défendu, il
n’a pas demandé des rectifications qu’il devait obtenir,
il a accepté une formation de lots inégale, quant à la
�ET DE LA FRAUDE.
173
nature des biens, et consenti un partage d’attribution
alors qu’il pouvait exiger le tirage au sort. Or, tout cela
peut se réaliser sans qu’il en résulte nécessairement au
cune idée de fraude chez ses copartageants.
La fraude peut, dans d’autres circonstances, avoir
été concertée et simultanément accomplie par tous les
copartageants. Cette double hypothèque ne doit pas, à
notre avis, être négligée dans l’appréciation de la solu
tion que la question doit recevoir.
Ainsi l’action du créancier, attaquant le. partage après
sa consommation, peut avoir un triple objet : 1° l’exer
cice d’un droit personnel au débiteur ; 2° la réparation
de la fraude de celui-ci; 3° celle d’une fraude concer
tée et commune à tous les copartageants.
Dans la première hypothèse, il importe peu que le
créancier ait ou non fait opposition, qu’il soit ou non
intervenu ; son action ne saurait être repoussée que par
les fins de non-recevoir opposables au débiteur lui-mê
me. Evidemment, si celui-ci dirigeait personnellement
l’action, on ne pourrait lui opposer l’abstention de son
créancier. A quel titre l’opposerait-on au créancier luimême? Est-ce que, dans cette hypothèse , ce n’est pas
le débiteur qui est seul en cause? C’est donc au point
de vue de sa qualité qu’il faut apprécier le litige. Il suf
fit donc qu’il pût lui-même faire valoir le droit mis
en question pour que son subrogé le puisse incontes
tablement.
C’est ce que Chabot enseigne expressément : « Le
créancier qui n’a formé ni opposition, ni demande en
�174
TRAITÉ DU DOL
intervention, quoique non recevable à attaquer le par
tage de son chef, peut l’attaquer du chef de son débi
teur, en vertu de l’art. 1166 du Code civil, car les droits
conférés aux créanciers par l’art. 882 et ceux conférés
par l’art. 1166 sont fort différents.1 »
Nous trouvons dans la jurisprudence de fréquents
exemples d’application de cette doctrine. La Cour d’Aix
l ’a consacrée, le 30 novembre 1833, dans une hypothèse
où le partage était querellé de lésion par le créancier de
la partie lésée. On voulait repousser cette action par ap
plication de l’art. 882, le créancier n’ayant formé ni op
position, ni intervention. Mais cette fin de non recevoir
fut écartée par l’arrêt. Attendu, dit la Cour, que les actes
querellés ne le sont que sous le rapport et le fondement
de la lésion qu’ils auraient occasionnée, par l’excessive
estimation des biens de la succession d’Isnard, à Gau
thier, son héritier contractuel, et, par suite, aux héritiers
de ce dernier ; que ledit Gauthier aurait action pour les
quereller par ce motif, d’après la disposition de l’arti
cle 887 du Code civil; et que la demoiselle Firminy, sa
créancière, a pu, dès lors, en vertu de l’art. 1166, le
faire elle-même en exerçant cette action de son débiteur.”
La même question, s’étant depuis présentée à la Cour
de Nîmes, y a reçu une solution identique, par arrêt du
5 juillet 1848.3
1 Des Successions, art. 882; — Delvincourt, tom. il, p 378, note 2,
— Duranton, tom. vu, n° 309.
2 D. P., 38 2. 195.
3 D. P., 48, 2, 147.
�ET DE LA FRAUDE.
175
Ainsi, cette première hypothèse ne présente aucune
difficulté sérieuse. L’admissibilité de l’action des créan
ciers n’est d'ailleurs que la conséquence d’un principe
d’une application usuelle en droit, à savoir : qu’une per
sonne non recevable, en une qualité, à exercer une ac
tion , déclarée même telle par un jugement définitif,
peut très bien exercer la même action en une autre et
nouvelle qualité.
La seconde hypothèse ne fait pas plus de difficultés que
la première. Le créancier, prétendant agir en force de
l’art. 1167 et arguant de la fraude de son débiteur, ne
serait recevable à attaquer le partage consommé que s’il
s’y est opposé. En l’absence de toute opposition, de toute
intervention, l’art. 889 le repousse définitivement. Ilne
peut se plaindre d’une fraude qu’il a pu prévenir et
qu’il n ’a pas voulu empêcher , ni rendre victimes de
sa négligence ceux dont la bonne foi n’est pas même sus
pectée.
La troisième hypothèse, au contraire, fait naître les
plus grands doutes. Un grand nombre d’auteurs esti
ment que le défaut d’opposition ou d’intervention crée
une fin de non-recevoir insurmontable contre toute at
taque, même fondée sur la fraude concertée. 1 Si l’ar
ticle 8821 ne s’appliquait pas à cette fraude, disent les
annotateurs de Zacchariæ, à quel cas s’appliquerait-il
donc ?
1 Chabot, loco citato ; — Duranton, idem ; Chardon, tom. n, n° 200;
— Zacchariæ, tom, îv, p. 426, note 41, et les arrêts cités.
�176
TRAITÉ Dü DOL
La jurisprudence s’est profondément divisée sur cette
difficulté. On peut consulter, en sens inverse, les arrêts
indiqués par M. Dalloz jeune au Dictionnaire général
et au Supplément, v° partage, numéros 118 et suivants,
et au Répertoire du Journal du Palais, numéros 767 et
suivants.
Il faut en convenir, ceux qui soutiennent la fin de
non-recevoir semblent se prévaloir, avec raison, des tex
tes des art. 1167 et 882. Le premier, permettant aux
créanciers d’attaquer les actes frauduleux faits par leurs
débiteurs, ajoute: Ils doivent, quant à leurs droits énon
cés au titre des Successions, se conformer aux règles qui
y sont prescrites. Dès lors, cette disposition s’interprète
par l’art. 882, et l’opposition au partage est la condition
de l’action en révocation pour fraude. Le Code a donc
donné aux créanciers le moyen de prévenir la fraude
plutôt que d’offrir seulement, à l’exemple du droit ro
main, le moyen d’en obtenir la réparation.
Ainsi la loi, si jalouse, dans tous les cas, d’atteindre
et de réprimer la fraude, l’aurait donc, dans une hypo
thèse donnée, protégée expressément. Nous l’avouons, cet
te seule considération nous met en garde contre l’inter
prétation donnée à sa pensée. Faut-il, d’ailleurs, aller jus
que là pour se rendre raison de la disposition de l’art.
882? Nous ne le pensons pas.
Ce qui résulte pour nous de sa disposition, c’est que,
dans le cas d’une opposition, de la part d’un créancier,
son droit d’attaquer le partage est illimité, sans condition
autre que de justifier son intérêt. Il n’a donc pas même
�ET DE LA FRAUDE.
177
besoin d’articuler et moins encore de prouver la fraude;
il lui suffit d’établir que le résultat est préjudiciable à
ses intérêts. Ce préjudice peut être indépendant de toute
fraude, nous l’avons déjà indiqué, et, sous ce rapport,
l’art. 882 est une véritable exception, en faveur du créan
cier, au principe de l’art. 1167.
Il est certain en effet qu’à l’endroit de celui-ci le pré
judice que le créancier éprouverait de l’acte attaqué est
fort indifférent à la question de sa validité, en ce sens
que, démontré qu’il soit, l’acte ne sera pas nul. Pour at
teindre à cette nullité, le créancier sera tenu de prouver
l’intention de fraude chez le débiteur, la complicité dans
la fraude chez le tiers. A défaut de celle-ci, la fraude du
premier manifestement certaine ne pourra déterminer
le succès de la demande en nullité ou rescision.
C’est ce que la loi n’a pas voulu admettre en matière
de partage. Il est une hypothèse où l’existence seule du
préjudice entraînera la nullité malgré la bonne foi des
tiers, malgré celle du débiteur lui-même. Cette hypo
thèse se réalisera lorsque le partage aura été fait au
mépris de l’opposition que les créanciers y auraient
formée.
Conséquemment, si cette condition n’a pas été rem
plie par les créanciers, que faudra-t-il en conclure ? Que
l’exception à l’art. 1167 disparaîtra, et qu’il faudra re
venir au droit commun que cet article trace, c’e s t - à dire que l’existence du préjudice ne sera plus suffisante ;
que la preuve de l’intention frauduleuse du débiteur,
jointe à ce préjudice, ne fera pas annuler le partage ;
�178
TRAITÉ DU DDL
qu’à ce préjudice, qu’à la fraude du débiteur, devra se
réunir la preuve de l’intention frauduleuse des tiers
ayant concouru à l’acte.
En d’autres termes, l’absence de l’opposition replace
les parties sous l’empire exclusif de l’art. 1167. En con
séquence, voir dans cette absence l’exclusion de toute
application de cet article, c’est étrangement s’abuser sur
la pensée du législateur, c’est convaincre la loi d’immo
ralité, c’est admettre l’impossible.
Que le créancier soit puni de sa négligence, on le
comprend , mais la peine n’est - elle pas assez grave,
lorsque celui qui pouvait faire annuler le partage , en
établissant seulement le préjudice qu’il en éprouve, sera
obligé de prouver la fraude de son débiteur , la com
plicité des autres parties contractantes. Cette preuve estelle toujours possible, est-elle dans tous les cas si facile
pour que le créancier n’ait pas à courir des graves chan
ces d’insuccès ? F au t-il, indépendamment du danger
qu’il a volontairement assumé, le soumettre à subir tous
les effets d’une fraude certaine et concertée? Nous ne
saurions l’admettre.
Comment d’ailleurs concilier ce résultat avec les do
cuments législatifs. Il est vrai qu’on a reconnu qu’il ne
fallait pas, dans l’intérêt des familles, laisser trop long
temps en suspens le sort des partages. Mais de là à con
sacrer ce qui ne serait que le résultat de la fraude, il y
a encore fort loin, et ce qui prouve que le législateur
n’a pas voulu franchir cette distance, c’est M. Treilhard
expliquant en ces termes l’art. 882 : les créanciers, qui
�ET DE EA FRAUDE.
179
n’ont pas formé opposition, ne peuvent attaquer un par
tage fa it sa n s f r a u d e . Ils pourront donc attaquer, s’il
y a fraude.
La doctrine contraire, outre qu’elle serait une vérita
ble prime pour la fraude, arriverait de plus, dans tel
cas donné, à cet inique résultat qu’un créancier aurait
irrévocablement perdu son droit avant même d’avoir
connu qu’il était à même de l’exercer. Telle serait l’hy
pothèse d’un partage secrètement exécuté le jour même
ou le lendemain de la mort de l’auteur. Ce serait là, di
ra-t-on, une fraude; oui sans doute, mais qu’importe,
si, à défaut d’opposition, la fraude même concertée ne
peut être un motif de revenir contre le partage.
Ainsi si, à défaut d’opposition, le partage consommé
n’est plus attaquable, ce ne peut être que lorsque les co
partageants ont été de bonne foi. Alors il importera fort
peu que le débiteur ait ou non agi en fraude des droits
de son créancier ; la loyauté de la conduite des autres
contractants mettra le partage à l’abri de toute attaque.
C’est cette doctrine que la Cour de Toulouse a consa
crée par arrêt du 8 décembre 1830.
« Attendu, dit-elle, que l’art. 882! n’est point une
exception à la règle de l’art. 1167; qu’il n’est applica
ble qu’au cas où le débiteur seul aurait usé de fraude,
envers ses créanciers, dans un acte de partage avec d’au
tres communistes qui auraient agi de bonne foi, qu’a lors, après le partage consommé, les créanciers ne peu
vent plus le quereller.' »
�180
TRAITÉ Dli DOL
Dans ce système, le créancier est puni de sa négli
gence , sans que les complices de la fraude soient ré
compensés de leur odieuse conduite. Cela nous paraît
beaucoup plus rationel et partant plus juridique.
Ainsi, en cas de fraude commune à tous les coparta
geants , le créancier personnel de l’un d’eux, quoiqu’il
ne se soit pas opposé au partage, est recevable à en de
mander l’annulation. Celte fraude peut être établie par
la preuve testimoniale. À cet égard, il convient de re
marquer que pour que la demande fût admise, il ne
suffirait pas d’articuler celte fraude d’une manière gé
nérale, il faudrait qu’en ce qui concerne les non-débi
teurs surtout, les faits articulés fussent graves, précis et
pertinents. Or, en pareille matière, la pertinence ne s’ap
précie pas relativement au plus ou moins de préjudice
que le partage occasionnerait aux créanciers. Les faits
ne seraient tels que si, indépendamment du préjudice,
ils établissaient nettement la connaissance de la fraude
du débiteur et l’intention de s’y associer. Tout ce qui
n’aurait pas ce double caractère ne serait ni concluant,
ni admissible. Il importe, en effet, de bien observer,
avec la Cour de Montpellier, que si ces expressions, en
fraude de ses droits, de l’art. 882 ne doivent pas être
entendues en ce sens que la loi prononce une déchéance
contre le créancier non opposant, même lorsque le par
tage a été fait avec fraude, cette déchéance est formelle
contre le créancier, lorsque le partage, auquel il ne s’est
pas opposé, a été fait seulement au préjudice de ses
�ET DE LA FRAUDE.
181
droits.' Conséquemment, se borner à offrir la preuve
de ce préjudice, ce serait demander une preuve inutile
et frustratoire, elle devrait dès lors être repoussée.
En résumé, l’art. 882 ne déroge à l’art. 1167 qu’en
ce sens que le créancier opposant, hors la présence du
quel le partage aurait cependant été consommé, peut
en obtenir la nullité, sans être obligé de prouver la
fraude. Celle-ci existe contre toutes les parties par cela
seul qu’elles ont procédé au mépris de l’opposition.
A. défaut d’opposition . le créancier rentre dans le
droit commun en matière de fraude. Il peut encore in
voquer l’art. 1167, mais il est tenu dans ce cas de se
conformer à ses exigences, et en conséquence obligé de
prouver que non seulement le partage préjudicie à ses
droits , mais encore que ce préjudice est le résultat de
la fraude de son débiteur, et que cette fraude, connue
des copartageants, a été partagée par eux. Voilà la seule
interprétation de l’art. 882 qui soit rationnelle, morale
et conséquemment juridique.’
Dans tous les cas, pour que la fin de non recevoir,
tirée de l’art. 882 soit opposable, il faut qu’il existe un
partage réel, sérieux , ayant fait cesser l’indivision. S>
l’acte qualifié de partage est simulé, et n’a d’autre but
et d’autre effet que de porter atteinte aux droits des cré
anciers, il n’y a pas en réalité de partage consommé et
1 Montpellier, 14 juin 1839 ; — D. P., 39, 2, 233.
2 Besançon, 8 fév. 1885 ; — D. P., 56, 2, 51.
�182
TRAITÉ DU DOL
il est dès lors impossible d’appliquer l’art. 882. C’est
ce que la Cour de Pau jugeait fort juridiquement le 30
novembre 1857.'
En conséquence, le créancier qu’on prétendra repous
ser en vertu de cet art. 882, échappera à la fin de non
recevoir par la preuve que le partage dont on se pré
vaut n’est ni ^érieux, ni sincère; que notamment, il
n’a pas fait cesser l’indivision, car cette preuve pouvant
être faite par témoins, peut également résulter de pré
somptions graves, précises et concordantes qui sont lais
sées à l’arbitrage souverain du juge.
Ces deux points consacrés par la Cour de Pau sont
admis et enseignés par la doctrine.3
1 3 5 3 . — En effet, et quel que soit le système qu’on
adopte, on doit reconnaître que la fin de non-recevoir,
tirée du défaut d’opposition, n’est elle-même recevable
qu’en tant qu’il s’agit d’un partage sérieux et propre
ment dit. La loi qualifie cependant de partage tout acte
faisant cesser l’indivision. Mais il est évident que si on
attribuait à cet acte les effets que l’art. 882 attache au
partage, le danger de la fraude s’aggraverait de la simu
lation dont l’acte serait le résultat et le fruit.
Un partage d’ailleurs exige un temps plus ou moins
1 D. P., 58, 2,165.
2 V. Dalloz, Jurisprudence générale, v° Successions, nos 2053 et
suiv. ; — Vazeilles, sur l'art. 882, n° 5; — Marcadé, ibid., n° 2; —•
Zacchariœ, Ed. Massé et Vergé, § 393, tom. 2, pag. 390.
�ET DE LA FRAUDE.
183
long, que le créancier peut mettre à profit pour réaliser
son intervention. L’acte faisant cesser l’indivision n’a
besoin que du consentement des deux parties et peut
être réalisé avant même que les créanciers soient ins
truits des droits que leur débiteur est appelé à recueillir.
Il était donc matériellement et moralement impossible
de les placer l’un et l’autre sur la même ligne et de leur
faire produire un effet égal.
Le contraire a donc prévalu et devait prévaloir. L’ar
ticle 882, dit la Cour d’Aix, dans l’arrêt de 1833 que
nous indiquions tout à l’heure, ne se rapporte qu’aux
actes de partage proprement dits, et faits et passés avec
solennités requises, et non aux simples actes qui en
tiennent lieu, quand ces actes sont empreints de dol et
de fraude, auquel cas, la disposition générale du pre
mier alinéa de l’art. 1167 est seul applicable,' cette doc
trine est celle de Zacchariæ.
Un transport de droits successifs, dit Chardon, tient
lieu de partage, mais il n’en est pas un. Pour un par
tage, il y a des formalités à remplir, des délais à obser
ver, une famille entière à réunir, ce sont autant de ga
ranties contre la fraude; c’est sans doute ce qui a déter
miné l’exception ; tandis que le transport des droits suc
cessifs peut se faire au moment même de l’inventaire
de la succession par un héritier déloyal, et ce n’est pas
en s’abandonnant à une analogie très imparfaite, que
�184
TRAITÉ DU DOL
les tribunaux se décideront à ouvrir une porte de plus
à la fraude.' C’est au reste ce que la Cour de cassation
a plusieurs fois décidé.5
Quel que soit donc l’acte faisant cesser l’indivision,
et qui, par ce motif, est qualifié partage par la loi, la
simulation, dont cel acte serait atteint, en ferait pro
noncer l’annulation au profit de celui qui serait exposé
à en subir le préjudice. L’art. 882 ne se rapportant
qu’aux actes de partage proprement dits, et faits et pas
sés avec les solennités requises, il importerait peu que
le créancier, demandant cette annulation, eût ou non
formé opposition au partage. Aucune fin de non rece
voir de ce genre ne pourrait être opposée dans l’hypo
thèse d’un partage simulé.
Le caractère juridique de cette doctrine ne saurait
être ni méconnu, ni contesté, et trouve un fondement
inébranlable dans l’art. 882 lui-même.
La déchéance que cet article consacre est une peine
contre la négligence que le créancier a mise à surveiller
et à protéger son intérêt. Il faut donc pour que cette
peine soit applicable que cette négligence existe, sans
quoi la fin de non recevoir serait en réalité un effet sans
cause.
C’est cependant cette anomalie qu’il faudrait accep
ter et consacrer, si, comme certains auteurs l’ensei
gnent, l’art. 882 est absolu et ne comporte aucune ex-
1 T. ii, n» 262.
3 V. arrêt du 19 janvier 1841 ; — D. P., 41, 1, 83 et la note.
�ET DE LA FRAUDE.
185
ception, ainsi on devrait l’appliquer alors même que
l’acte équivalant à partage aurait été consommé avant
même que les créanciers eussent connu la nécessité
d’agir.
Nous ne craignons pas de le dire, un pareil résultat
serait une immoralité et une iniquité, que l’art. 882
n’a ni pu, ni voulu autoriser. C’est ce que la Cour de
cassation vient de consacrer expressément.
Dans une espèce que la Cour de Limoges avait à ju
ger, une succession s’était ouverte le 10 septembre, dès
le 11 les enfants appelés à succéder s’étaient réglés entr’eux, et l’un d’eux avait vendu ses droits moyennant
un prix compensé en très grande partie, avec ce qu’il
prétend devoir à son frère, acheteur.
Des créanciers attaquant cet acte comme fait en fraude
de leurs droits et comme le résultat d’un concert dolo
sif, on leur oppose la fin de non recevoir tirée du dé
faut d’opposition.
Mais par arrêt du 15 avril 1856, la Cour de Limoges
déclare que les créanciers d’un cohéritier peuvent atta
quer un partage consommé, bien qu’ils n’y aient pas
formé opposition, s’ils se plaignent qu’il a été le résul
tat d’une fraude concertée entre les copartageants en
vue de les frustrer, et alors surtout que le partage a été
fait avec une précipitation telle qu’ils ont été dans l’im
possibilité de s’y opposer.
Le pourvoi dont cet arrêt avait été l’objet était rejeté
le 4 février 1857. La Cour suprême ne se prononce pas
sur la question de savoir si la fraude, concertée entre
�186
TRAITÉ DU DOL
les copartageants, écarte la fin de non recevoir de l’ar
ticle 882, mais elle juge que cet article est inapplicable
lorsque l’empressement mis à partager a rendu toute
diligence impossible.
« Attendu, dit l’arrêt, que l’art. 882 portant que les
créanciers d’un copartageant ne peuvent attaquer un
partage consommé, suppose qu’ils ont pu s’y opposer
ou y intervenir et qu’ils ont négligé de le faire; qu’au trement, il serait aussi contraire aux termes qu’à l’es
prit de l’art, ci-dessus, de repousser l’action desdits
créanciers, lorsqu’ils ont été mis dans l’impossibilité de
recourir aux mesures conservatoires que la loi a intro
duites en leur faveur, pour éviter que le partage ne fût
fait en fraude de leurs droits.'
Cette interprétation de l’art. 882 est trop rationnelle,
pour qu’elle ne soit pas essentiellement juridique. Nous
croyons donc inutile d’insister.
En résumé, l’application de l’art. 882 exige d’abord
qu’il y ait un acte de partage sincère et sérieux. Si ce
lui qu’on oppose est simulé, et ne fait cesser l’indivision
qu’en apparence, le droit pour les créanciers de le faire
annuler ne rencontre aucun obstacle.
Il faut ensuite que le défaut d’opposition soit le ré
sultat de la négligence; si cette négligence n’a pas exis
té, si mieux encore elle n ’a pu exister, la fin de non re
cevoir n’a plus de raison d’être et ne saurait dès lors
être opposée.
�ET DE LA FRAUDE.
187
1 5 54. — L’opposition à partage peut être faite ex
pressément par acte séparé, ou dans l’acte même d’op
position à la levée des scellés. Mais, dans un cas comme
dans l’autre, elle doit être régulièrement notifiée à tous
les cohéritiers. Nous avons déjà dit que l’omission de
cette formalité vis-à-vis d’un seul d’entre eux, le cons
tituant en état de bonne foi, rendrait le partage définitif
et inattaquable.
L’opposition peut également résulter d’actes annon
çant, de la part du créancier, l’intention formelle de ne
pas rester étranger aux opérations du partage. La saisie,
faite par le créancier du cohéritier, d’un bien apparte
nant à la succession équivaut à l’opposition à partage
, de la part du créancier saisissant, il devrait donc être
tenu en cause dans les opérations de celui-ci.'
1 5 5 5 . — Les créanciers, qui n ’ont pas fait oppo
sition, ne sont pas déchus du droit d’intervenir au par
tage, il peuvent donc réaliser cette intervention tant que
le partage n ’est pas consommé. Ce droit exercé, ils sont
recevables à faire toutes réquisitions, à poursuivre tou
tes modifications qu’ils croient utiles à leurs intérêts.
C’est ainsi qu’il a été jugé que bien qu’avant l’interven
tion un jugement ait fixé la quote-part afférente à cha
que cohéritier, il suffit que le partage ne soit pas encore
consommé pour que les créanciers de l’un d’eux soient
1 Toulouse, 11 juillet 1829.
�188
T R A IT É
DU
DOL
recevables à former tierce-opposition à ce jugement,
eût-il été acquiescé par leur débiteur.'
1556. — Le partage fait au mépris d’une opposition
régulièrement formée doit, nous l’avons dit, être annulé
sur la demande des créanciers opposants. Mais il faut,
pour qu’il en soit ainsi, que les cohéritiers ne les aient
pas appelés en partage. Si le contraire s’était réalisé,
et que, sur la notification des actes de la procédure, les
opposants eussent négligé de prendre qualité et laissé le
partage s’accomplir hors leur présence, toute demande
en nullité, par eux ultérieurement formée, devrait être
déclarée non recevable.’ Cette décision est fondée en
raison et en droit ; le créancier qui, ayant manifesté l’in
tention de concourir au partage, et qui a été mis à même
de la réaliser, ne saurait se plaindre de ce qu’il a dé
daigné ou négligé de le faire. Les cohéritiers ne pou
vaient rester dans l’indivision , parce qu’il refusait de
venir à leur appel. Il suffit que, par la réalisation de cet
appel, ils aient eu égard à l’opposition qu’il leur avait
notifiée, pour qu’ils soient à l’abri de tout reproche.
1557. — Le créancier qui a formé opposition à ce
qu’il fût procédé au partage hors sa présence a -t-il le
droit d’attaquer une vente par licitation, même faite ju
diciairement, mais à laquelle il n’a pas été appelé ? Il
1 C a s s . , 4 d é c e m b r e 4 8 3 4 ; •— D . P . , 3 5 , 1 , 6 5 .
? C ass., 23 ja n v ie r 4 8 3 9 ; — D . P . 3 9 , 4, 45 9 .
�ET DE LA FRAUDE.
189
faut distinguer, dit Chabot, si la vente par licitation a été
faite en faveur de l’un ou de plusieurs des cohéritiers ,
ou si elle a eu lieu en faveur d’un étranger. Au premier
cas, la vente par licitation est un véritable partage et con
séquemment la disposition de l’art. 882 est applicable ;
au deuxième cas ; il n’y a pas de partage ; c’est une ven
te consentie par tous les héritiers conjointement d’une
chose qui leur était commune, et qu’ils ont aliénée sans
la partager ; or ici l’art. 882 ne peut recevoir d’applica
tion ; mais, en ce cas, le créancier conserve contre l’é
tranger, acquéreur des biens, en prenant hypothèque
ou en faisant saisie-arrêt, les droits qu’il avait contre
l’héritier son débiteur, jusqu’à concurrence de la portion
du prix revenant à cet héritier.1
C’est aussi ce que la Cour de Paris a décidé, par ar
rêt du 2 mars 1812, cela paraît parfaitement juridique.
La nullité d’un partage, fait au mépris d’une opposition
expresse, est une conséquence du principe que le tiers
vigilant ne doit éprouver aucune atteinte à ses intérêts
qu’il a déclaré vouloir personnellement défendre. Il doit
donc être appelé au partage, à peine de nullité; mais s’il
ne s’agit pas d’un partage, si l’acte querellé n’est qu’un
moyen d’arriver à celui-ci, et s’il n’en résulte d’ailleurs
aucune attribution en faveur des cohéritiers, il ne peut
en résulter pour lui aucun préjudice réel. Le seul pou
vant se réaliser, et provenant de la substitution d’une
somme liquide à un objet immobilier, est facilement con-
i Des Successions, art. 882.
�190
TRAITÉ DU DOL
juré par la faculté de placer l’acheteur dans l’impossi
bilité de se dessaisir des fonds qu’il a en mains, et cette
impossibilité sera la conséquence d’une inscription hy
pothécaire dans la quinzaine de la transcription ou d’une
saisie-arrêt. La faculté de réaliser l’une ou l’autre suffit
donc à l’intérêt actuel du créancier.
1558.
— Le créancier de l’usufruit d’une portion de
biens indivis entre les cohéritiers et un tiers est, par la
nature de son droit, nécessairement intéressé à l’acte de
partage destiné à mettre un terme à la possession com
mune. Il lui importe, en effet, que le lot obvenant au
débiteur de l’usufruit ne soit pas d’une valeur moindre
que celle qu’il doit avoir. Il a donc incontestablement
le droit d’être partie au partage, ce droit n ’a pas même
besoin d’être dénoncé par une opposition, ou exercé par
une intervention. Il n ’y aurait de partage régulier que si
l’usufruitier s’abstenant d’intervenir, les parties l’avaient
appelé à y prendre part.
L’usufruitier est plus qu’un créancier, il est un véri
table copropriétaire. En conséquence, le partage auquel
il n’a été ni présent ni appelé reste pour lui res inter
alios acta. Il n’est donc pas tenu de souffrir le préju
dice en résultant pour lui, quelque minime qu’il fût
d’ailleurs. Le propriétaire foncier n’a pu, par son fait,
nuire à ses droits ni les engager de quelque manière que
ce soit. Il serait donc toujours recevable à demander un
nouveau partage dans son intérêt propre.'
i Proudhon, de l'Usufruit, n° 1282.
�ET DE LA FRAUDE.
191
1 5 5 9 . — L’art. 882 confère le droit de s’opposer et
d’intervenir aux créanciers d’un copartageant. La géné
ralité de ses termes indique que sa disposition s’appli
que à tous les créanciers sans exception, et abstraction
faite de la nature du titre dont ils sont porteurs. Les
créanciers chirographaires peuvent donc l’exercer de la
même manière que les hypothécaires. Il est en effet, cer
tain que, quoique n’ayant aucune affectation spéciale
sur les biens de leurs débiteurs, les créanciers cédulaires n’en ont pas moins un intérêt très réel à surveiller
les opérations du partage que ce débiteur est appelé à
faire. Cet intérêt légitime l’action que nous leur recon
naissons.
1 560. — Le droit d’intervenir ou de s’opposer peutil être revendiqué et exercé par les créanciers de la suc
cession ? La négative s’induit du texte de l’art. 882. Elle
ne résulte pas moins de son esprit. Pour le créancier du
copartageant, le partage a une immense portée, car il
sera plus ou moins facilement payé, suivant que le lot
obvenu à son débiteur sera composé de meubles ou d’im
meubles. Il a donc un intérêt évident à empêcher que,
soit par collusion, soit par l’effet d’un consentement per
sonnel, ce débiteur se contente de recevoir une somme
d’argent facile à soustraire et à consommer. Le même
inconvénient ne se présente pas pour le créancier de la
succession. Tous les biens de celle-ci répondent de sa
créance, et s’il ne peut réclamer à chaque cohéritier
personnellement que sa part et portion, il les a obligés
�192
TRAITÉ DU DOU
hypothécairement pour le tout. Peu lui importe donc
que les immeubles passent en telles ou telles mains, son
action hypothécaire les suivant contre le possesseur, quel
qu’il soit.
Il est vrai qu’on a voulu trouver dans l’action per
sonnelle du créancier le moyen de le placer sous l’em
pire de l’art. 882. Il est réellement créancier de chaque
copartageant, a-t-o n dit, et dès lors comment lui refu
ser le droit qu’on accorde au créancier de l’un d’eux.
Mais cette objection n’a pas d’autre mérite que celui de
donner à la fiction la force qui n’appartient qu’à la vé
rité. L’art. 882 n’a pas voulu multiplier les procédures,
augmenter les qualités, et par suite les frais du partage.
S’il admet les créanciers des copartageants, c’est qu’ils
y ont un intérêt incontestable. Cet intérêt n’existant pas
pour les créanciers de la succession, rien ne justifierait
le droit qu’ils prétendraient revendiquer.1
1561.
— Nous avons déjà dit que le droit romain
admettait que le débiteur pût agir en fraude de ses cré
anciers, dans les aliénations qu’il consentait de son pa
trimoine acquis et actuel, et non dans l’omission d’ac
quérir, ou le refus qu’il faisait d’augmenter ce patri
moine. C’est ce que le Digeste exprimait formellement :
Non fraudatur cum quid non adquiritur a débitore, sed
cura quid de bonis diminuaturd
i M a l p e l , des Successions, n ° 2 5 1 .
- L. 6, S 2 , De his quæ in fraud, crédit.
�ET
DE
LA
FRAUDE.
193
Mais cette doctrine n’avait pas été suivie par notre
ancienne jurisprudence. Sous son empire, les créanciers
eurent le droit de se plaindre du refus ou de l’omission
d’acquérir, comme de l’aliénation elle-même. En con
séquence, ils étaient autorisés par un usage constant,
dans le cas d’une renonciation, à exercer les droits de
leur débiteur auquel ils se faisaient subroger. D’abord ,
ils se faisaient condamner à se porter héritier, en lui don
nant caution de le garantir et indemniser si les dettes
absorbaient la succession. Dans la suite, on les subro
gea purement au lieu et place de leur débiteur, et ainsi
disparut leur obligation de donner caution.
C’est ee dernier système que le Code a consacré. L’art.
788 porte, en effet: les créanciers de celui qui renonce au
préjudice de leurs droits peuvent se faire autoriser par
justice à accepter la succession du chef de leur débiteur,
et en son lieu et place.
Cette doctrine est plus rationnelle que celle adoptée
par le législateur romain. En effet, que le débiteur se
rende insolvable par des aliénations, ou que l’étant déjà,
il refuse le moyen qui s’offre à lui de satisfaire ses cré
anciers, le résultat est le même à l’endroit de ceux-ci.
Victimes dans le premier cas, ils ne le sont pas moins
dans le second.; pourquoi ne pas leur accorder dans l’un
ce qu’on leur accorde dans l’autre? Une pareille anoma
lie, que rien ne justifiait d’ailleurs, a donc été justement
proscrite.'
�194
TRAITÉ DU DOL
if»62. — Ce qui résulte de ces expressions de l’art.
788, au préjudice de leurs droits, substituées à celles
de l’art. 1167, en fraude de leurs droits, c’est que quels
que soient les motifs qui ont dirigé le débiteur, il suf
fit que sa renonciation ait occasionné un préjudice aux
créanciers pour que ceux-ci soient admis à se faire su
broger à ses droits, et à accepter en son lieu et place.
La preuve de ce préjudice est dont péremptoire, et c’est
à sa production que se bornent les obligations des cré
anciers.
Or, quel peut être le préjudice dont la répudiation
d’une succession peut être l’occasion à l’endroit des
créanciers ? Evidemment on ne peut en prévoir un a u
tre que celui d’être exposés à perdre tout ou partie de
leur créances. Dès lors on est logiquement amené à cette
conséquence que, si le paiement intégral de ces créan
ces est assuré par les biens actuellement possédés par le
débiteur, la demande en subrogation ne serait ni rece
vable ni fondée.
Sans doute le juge à qui l’autorisation est demandée,
et qui a à prononcer sur la requête qui lui est présentée
à cet effet, n’a ni le moyen ni le devoir de s’assurer si
les ressources que possède le renonçant suffisent ou non
pour l’extinction de ses dettes. Mais il en est de son au
torisation comme de toutes les décisions rendues sur re
quête et sans contradictions des parties intéressées. Elle
ne peut jamais créer contre celles-ci l’autorité de la cho
se jugée. Cette autorisation n ’empêchera donc pas l’hé
ritier appelé à recueillir le bénéfice de la renonciation
�RT DE LA FRAUDE.
195
du débiteur, de contester l’opportunité delà subrogation
demandée, et d’exiger même , comme condition essen
tielle à sa réalisation, la preuve de l’insolvabilité du
renonçant, et conséquemment la discussion préalable
de ses biens personnels, indépendants de ceux de la suc
cession.
1563.
— Cette doctrine enseignée par un grand nom
bre d’auteurs, et notamment par M. Toullier, est criti
quée par M. Chardon. L’obligation d’une discussion pré
alable, dit ce dernier, et celle de rapporter la preuve de
l’insolvabilité du débiteur sont des obligations qu’arbitrairementon impose aux créanciers, sans que la loi ait
un seul mot qui puisse l’autoriser.'
Nous ne pouvons admettre cette critique, qui a sur
tout le tort de méconnaître les principes généraux ré
glant l’exercice de l’action révocatoire. Que le créancier
exerce réellement celle-ci lorsqu’il veut être autorisé à
accepter une succession à laquelle son débiteur a renon
cé, c’est ce qui ne saurait être contesté, au moins à l’en
droit de celui à qui la renonciation fera déférer la suc
cession, et qui se trouve par là frustré de son émolu
ment jusqu’à concurrence ne ce qui est dûaux créanciers
poursuivant la subrogation. Attaqué à cet effet, on ne
saurait donc lui refuser le droit d’exciper de tous moyens
capables de faire repousser la demande, et notamment
de celui si péremptoire du défaut d’intérêt. Or ce moyen
1 T. ii,n<> 265
�196
TR A IT É
DU
DOL
existerait évidemment si le débiteur renonçant était en
position de désintéresser ses créanciers. N’est - ce donc
pas à lui qu’incombe tout d’abord le droit de payer ses
dettes?
D’ailleurs l’art. 788 n’autorise l’action en subroga
tion des créanciers qu’en tant que la renonciation a été
faite au préjudice de leurs droits. Or, quel est le pré
judice dont ils devront se plaindre et justifier l’existen
ce si, indépendamment des biens de la succession, le
débiteur a par devers lui de quoi les satisfaire intégra
lement ?
Loin donc d’être contraire à la loi, ainsi que le lui re
proche M. Chardon, la doctrine enseignée par Toullier
est la seule juridique, la seule faisant une juste et saine
application des principes généraux de la matière. On
doit donc ne pas hésiter à l’accueillir et à admettre avec
elle que la preuve de l’insolvabilité du débiteur, et par
tant la discussion préalable de ses biens, est la condi
tion indispensable pour la recevabilité de la demande en
subrogation, à l’effet d’accepter la succession à laquelle il
a renoncé.1
1564.
— L’actionde l’art. 788 est exclusivement ré
servée en faveur des créanciers personnels du cohéritier.
Les créanciers de la succession n’en ont nul besoin. Pour
i B o u rg e s, 19 d é c e m b r e 1821 ; — P r o u d h o n ,
2400
de l’Usufruit,
t. îv ,
n°
�ET
DE
LA
FRAUDE.
497
ce qui les concerne, en effet, il n’arrivera jamais que ce
que voici :
Ou l’héritier renoncera à la succession pour se débar
rasser des ennuis ou des soucis d’une liquidation plusou
moins difficile, et cela n’empêchera pas que l’actif héré
ditaire ne demeure le gage des créanciers auxquels il se
trouve affecté. Ces créanciers poursuivront donc leur
remboursement soit contre l’héritier succédant au renon
çant, soit contre le curateur qu’ils feront nommer à la
succession, si elle demeure vacante ;
Ou la renonciation aura été précédée, accompagnée
ou suivie d’actes simulés, tendant à faire parvenir, entre
les mains des renonçants, les biens de la succession que
la renonciation aura pour effet d’affranchir de toute con
tribution aux dettes. Dans ce cas, les créanciers feront
non seulement annuler-cette renonciation, mais encore
déclarer les renonçants héritiers purs et simples, et,
comme tels , tenus du paiement intégral de ce qui leur
est dû.
1565.
— L’espèce suivante va nous offrir un re
marquable exemple de cette fraude et des effets juridi
ques qu’elle produit.
En l’an ix, Alvery avait vendu tous ses biens, meu
bles et immeubles, à Louis Rieu, son beau-père. Il dé
céda en 4809, laissant pour héritiers deux enfants mi
neurs, Marie et Jean. En 4844 , Rieu céda à Marie Al
very tous les biens qu’il avait acquis en l’an ix. De son
côté, Marie, s’étant mise en possession des biens, sous-
�198
TRAITÉ DU DOL
crivit une obligation en faveur de son frère. Puis, con
jointement l’un et l’autre renoncèrent à la succession de
leur père Àlvery.
En cet état, les créanciers de la succession soutiennent
que l’acte de renonciation est nul comme frauduleux,
et que les enfants Àlvery sont personnellement tenus des
dettes de leur père. La Cour de Nîmes, saisie de la con
testation, consacre ce double système. Voici les motifs
de l’arrêt :
« Attendu que toutes les circonstances de la cause
concourent à établir que les actes des 15 nivôse et 13
ventôse an ix furent concertés entre Alvery et Louis Rieu
pour mettre les biens du premier à couvert des répéti
tions des créanciers, sous le nom d’un acquéreur simu
lé ; que cette vérité s’évince surtout de la date de ces ac
tes (suivent les présomptions de*simulation);
« Attendu que des cessions évidemment simulées,
de même que des ventes consenties à Louis Rieu , il
résulte que les enfants d’Alvery ont participé à la fraude
de leur père; Marie, par la cession qui lui fut faite le 17
janvier 1811, de l’utilité des ventes faites à Louis Rieu,
et par sa mise en possession des biens meubles et im
meubles délaissés par son père; Jean, par l’obligation
de 2,000 francs qui lui fut souscrite, le même jour, par
sa sœur, et qui ne peut avoir d’autre cause que le par
tage, entre les deux enfants, de la succession du père
commun ;
« Attendu que les enfants Àlvery, ainsi mis en pos
session de tous les biens meubles et immeubles délaissés
�ET DE LA FRAUDE.
199
par leur père, ne sauraient exciper de la répudiation
par eux faite de la succession, le 26 janvier 1812, et
que la fraude évidente qui a présidé à cette répudiation
doit la faire écarter de la cause, sous le double rapport
de l’hérédité par l’effet de la prise de possession des
biens et du divertissement des effets de cette succession
au moyen des actes simulés qui ont été rappelés.' »
Comme on le voit, la fraude dans cette espèce datait
de loin. C’était le père qui, bien avant l’ouverture de la
succession, l’avait préparée, en se procurant, par une
interposition de personne, le moyen de faire arriver ses
biens h ses enfants, de manière à ce qu’ils fussent exo
nérés des dettes. Mais l’adhésion donnée à cette fraude
par les enfants devenus majeurs, et, après l’ouverture
de la succession, le profit qu’ils voulaient en retirer,
rendaient inévitable le résultat consacré par la Cour de
Mmes.
Ce résultat n’eût pas différé si la répudiation avait
précédé la rétrocession et la mise en possession au lieu
de les suivre. En effet, la constatation de la fraude an
nule l’acte qui en est entaché dès son origine. Il est censé
n’avoir jamais existé. Dès lors et dans l’espèce , la si
mulation des ventes de l’an ix produisait ce résultat,
que la propriété et la possession prétendues n’avaient
pas cessé de reposer sur la tête d’Àlvery, et son décès
arrivant, ses héritiers en avaient été légalement et direc-
1 N îm es,
9 ju ille t 1825.
�200
TRAITÉ DU DDL
tement saisis. A dater de ce moment aussi, ils avaient
été investis de la qualité d’héritiers, et quelque prolongée
que fût la possession apparente de l’acquéreur interposé,
elle ne pouvait dans aucun cas amnistier la fraude.
Ainsi, l’art. 788 régit exclusivement les créanciers
du cohéritier. L’action qu’il consacie est pour eux d’une
évidente utilité. En effet, la renonciation enlève à leur
débiteur toute participation aux biens de la succession
et les prive par là de tout espoir, de toute possibilité
d’appliquer au paiement de ce qui leur est dû la portion
qu’il était appelé à recueillir. Il était donc juste de les
protéger efficacement contre un refus d’acceptation ,
n’ayant peut-être d’autre motif que de leur arracher
cette ressource.
1566.
— Ce caractère spécial de l’art. 788 amène
à celte conséquence que les seuls créanciers admissibles
à en invoquer le bénéfice sont ceux dont les droits sont
antérieurs à la renonciation, Cette antériorité exige donc
que la créance résulte soit d’un titre authentique , soit
d’un titre privé ayant acquis date certaine avant l’é
poque de la répudiation. Celui qui est appelé à profi
ter de celle-ci n’est, dans aucun cas, l’ayant-cause du
renonçant. On ne pourrait donc pas prétendre que le ti
tre fait contre lui foi de sa date , comme il le ferait à
l’endroit du débiteur.
Quant aux créanciers postérieurs à la renonciation,
il est évident qu’ils ne sauraient être admis à la que
reller. Comment pourraient-ils, en effet, prétendre qu’elle
�ET
DE
LA
FRAUDE.
201
préjudicie à leurs droits qui n’existaient pas encore?
D’ailleurs, il ne leur était pas permis d’ignorer la con
dition de celui avec qui ils trailaient; et par cela seul
qu’ils ont consenti à le faire en l’état de sa répudiation,
ils se sont définitivement interdit tout moyen de s'y
soustraire.
1567. — Cette règle est cependant susceptible de
deux exceptions. La première : si la somme prêtée pos
térieurement a servi à éteindre une créance antérieure.
La subrogation qui s’opère dans ce cas a fait passer sur
la tête du nouveau créancier tous les droits que l’ancien
pouvait exercer; la seconde : si la cause de la créance
postérieurement réglée remontait à une époque antérieure
à la répudiation.
1568. — L’acceptation des créanciers, au lieu et
place de leur débiteur, ne relève pas celui-ci des effets
de la répudiation. C’est ce qui est textuellement prévu
par le second paragraphe de l’art. 788. La nullité de
la répudiation n’est admise qu’en faveur des créanciers
et jusqu’à concurrence seulement de leurs créances.
De là deux conséquences :
1 569. — 1" L’offre faite parle successible appelé à
profiter de la renonciation du débiteur, et à en recueil
lir les bénéfices, de payer les créanciers poursuivants
rendrait sans objet l’application de l’art. 788. Les créan
ciers seraient dès lors sans intérêt à la subrogation et
privés, conséquemment, de tout moyen de l’obtenir. Le
�202
T R A IT É
DU
DOL
but de cette subrogation n’étant que le paiement des
dettes, elle deviendrait inutile par la réalisation immé
diate de ce paiement ;
1570.
— 2° Quel que soit l’effet de la liquidation
opérée par suite de leur acceptation, les créanciers ne
pourraient rien retenir au delà de ce qui leur est dû
en capital et intérêt. Tout ce qui excéderait, prélèvement
fait des frais de la liquidation, appartiendrait aux cohé
ritiers du renonçant, ou au renonçant lui-même, si au
cun successible n’avait appréhendé la succession;
1 5 7 !. — Le paiement des dettes, étant une charge
naturelle de la succession, incomberait incontestable
ment aux successeurs irréguliers appelés à défaut de
parents au degré suscessible. Aucun doute ne s’élèvera
sur ce point, en ce qui concerne le conjoint survivant
ou l’Etat.
Mais la position exceptionnelle de l’enfant naturel
exige que nous entrions dans quelques détails, quant
aux droits que les créanciers peuvent être appelés à
exercer contre lui.
Aux termes de l’art. 758 , l’enfant naturel est apte
à recueillir l’intégralité des biens, si celui qui l’a légale
ment reconnu décède sans laisser des successibles. Dans
le cas contraire, l’enfant naturel ne prend dans la suc
cession qu’une quotité déterminée, selon les hypothèses
établies par l’art. 757.
Le paiement des dettes étant proportionné à l’émo
lument retiré par les successeurs irréguliers; cet effet
�ET
DE
IA
FRAUDE.
203
étant indépendant de toute déclaration régulière d’accep
tation sous bénéfice d’inventaire , il était évident que
ces successeurs irréguliers pouvaient facilement spolier
la succession, en dénaturer la consistance et la valeur
en fraude et au préjudice soit des héritiers légitimes, s’il
en existait, quoique inconnus au moment de l’ouverture
de la succession, soit des créanciers.
Ce danger, le législateur s’en est préoccupé. Il a, pour
le prévenir, édicté pour les successeurs irréguliers les
art. 769 et suivants, que l’art. 773 déclare applicables
à l’enfant naturel.
Ce dernier doit donc, comme le conjoint survivant,
comme l’Etat, faire constater la valeur réelle de la suc
cession ou de la part qu’il doit y recevoir. Il est tenu
dès-lors de requérir l’apposition des scellés, de faire
inventaire régulier dans les trois mois, de demander enffb la délivrance, soit aux héritiers légitimes, soit à la
justice.
Pour bien apprécier les conséquences de la violation
de ces devoirs, il faut en considérer le but. Ce qu'ils ont
pour objet de garantir et de conserver, c’est simultané
ment l’intérêt des héritiers dont la non-existence a fait
d’abord déférer la succession aux héritiers irréguliers ;
l’intérêt des créanciers, par la conservation du gage sur
lequel il ont droit de compter jusqu’à concurrence de
leurs créances.
L’exécution des formalités prescrites par la loi n’a pas
pour effet de placer les successeurs irréguliers en dehors
de toute atteinte. Ainsi, les héritiers qui se présenteront,
�204
TRAITÉ DU DOU
les créanciers, conservent, même dans ce cas, la faculté
de contester la sincérité de l’inventaire, de poursuivre la
réparation du préjudice qu’ils imputeraient à des sous
tractions ou à des omissions frauduleuses. Mais, dans
chacune de ces hypothèses, le successeur est présumé
avoir loyalement agi par cela seul qu’il a rempli les obli
gations qui lui étaient imposées, et cette présomption
ne cède qu’à la preuve contraire que les demandeurs
sont tenus de fournir.
L’omission de toutes formalités, place le successeur
dans une position contraire. Il est, dans ce cas, présu
mé avoir agi frauduleusement, et obligé, jusqu’à preuve
contraire de sa part, à supporter les conséquences de sa
coupable négligence.
Au point de vue des héritiers revendiquant, ces con
séquences, indiquées par la raison, sont expressément
consacrées par la loi. Le successeur irrégulier leur dfrit
des dommages-intérêts. Les termes facultatifs de l’art.
772 du Code civil s’expliquent par la faculté que le succisseur a de prouver qu’il n’a. réellement causé aucun
préjudice.
Quels doivent être, par rapport aux créanciers, les ef
fets de la violation des art. 769 et suivants ? Sous l’em
pire des principes généraux de la matière, cette question
ne serait pas douteuse. L’héritier qui, par son immixtion
dans la succession, confond lesbiens dans son actif,de
vient héritier pur et simple. Comme tel, il est tenu de
l’intégralité des dettes.
Mais cet effet a été contesté par rapport surtout à l’en-
�ET DE LA FRAUDE.
205
fant naturel. Celui-ci, a-t-on dit, n’est jamais héritier.
C’est la loi qui le décide formellement. Il est donc dispen
sé de toutes les fqipialités imposées à celui-ci. Dès lors on
ne saurait rencontrer, dans leur inexécution, les mêmes
résultats. L’enfant naturel n’est tenu que des obligations
imposées parles art. 769 et suivants du Code civil. Or,
leur violation n’a pas même été prévue par le législa
teur ; la loi ne s’en occupe que dans l’art. 772, et rela
tivement aux héritiers qui se représenteront. C’est donc
ajouter à sa disposition que d’en vouloir faire ressortir
une peine quelconque en faveur des créanciers.
Ces objections méconnaissent la véritable pensée du
législateur. Leur consécration arriverait à un résultat
énergiquement repoussé par la raison et la justice.
Peut-on, en effet, admettre qu’on ait voulu abandonner
le sort des créanciers à la discrétion absolue de celui
qui devient leur débiteur, alors que, dans toute les cir
constances, leur intérêt a surtout préoccupé le législa
teur ?
Un pareil résultat est impossible, il doit donc être re
poussé. Ce qui restera acquis, c’est que la loi n’a dis
pensé l’enfant naturel de la déclaration d’acceptation sous
bénéfice d’inventaire, que parce que les formalités qu’el
le lui imposait suppléaient à cette déclaration et établis
saient bien plus efficacement la séparation des patrimoi
nes. Dès lors, le successeur irrégulier ne pourra revendi
quer le bénéfice de n’être tenu que jusqu’à concurren
ce de son émolument, que s’il a rempli les devoirs que
les art. 769 et suivants lui imposent,
f
�206
TRAITÉ DU DOL
Par voie de conséquence, l’omission de ces devoirs le
rendra indéfiniment obligé envers les créanciers. Cette
conséquence n’a rien de sévère ou d’injuste. Pourquoi,
chargé de constater la valeur réelle de la succession, pro
fiterait-il d’un fait qui ne s’explique que par l’intention
de placer les créanciers hors d’état de le faire ?
C’est, au reste, ce que les jurisconsultes les plus esti
més n’ont pas cessé d’enseigner ; c’est ce que le judicieux
Pothier notamment professe en termes formels : « Pour
» que ceux qui succèdent aux biens , plutôt qu’à la
» personne, ne soient tenus des dettes que jusqu’à con» currence des biens auxquels ils ont succédé, il faut
» qu’ils en aient fait constater la quantité pàvr un in » ventaire ou quelque acte équivalant ; s’il s’en sont
» mis en possession sans cela et qu’il aient disposé des
f> biens, il seront tenus indéfiniment des dettes , et ils
» ne seront pas reçus, pour s’en décharger, à offrir d’a» bandonner ou détenir compte des biens, s’étantmis,
» par leur faute, hors d’état d’en pouvoir constater la
» quantité.' »
« Depuis le Code civil, dit M. Duranton, les succes» seurs irréguliers doivent inventorier ; mais ils n’ont
» pas besoin de formaliser au greffe l’acceptation sous
» bénéfice d’inventaire, et un acte qui priverait l’héri» fier légitime de la qualité de bénéficiaire n ’a point cet
» effet à leur égard, si toutefois cet acte n ’opère pas con» fusion des biens.1 »
i
Des Successions,
c h a p . 5, a r t. 2,
§
3.
�ET
DE
LA
FRAUDE.
207
Les auteurs des Pandectes françaises sont encore
plus explicites. Voici de quelle manière ils interprètent
l’art. 772 : « Dans ce cas, vis-à-vis des héritiers, les
» successeurs irréguliers ne sont tenus que des dom» mages-intérêts et non des dettes, parce que ce sont
» toujours les héritiers qui sont tenus des dettes en leur
» qualité.
» Mais vis-à-vis des créanciers de la succession, lors» qu’il ne se présente pas d’héritiers, ce ne sont plus
» de dommages-intérêts qui sont dus, c’est le paie» ment entier des dettes. La loi imposant à ceux à qui
» elle attribue les biens les mêmes formalités qu’à l’hé» rilier bénéficiaire , ils doivent supporter, quand ils
» y manquent, la même peine que celui-ci, quand il les
» néglige. »
Enfin, Chabot n’hésite pas, même lorsqu’au lieu de
venir seul à la succession, en vertu de l’art. 758, l’en
fant naturel y est appelé en concours avec des héritiers
légitimes, à le déclarer tenu ultra vires s’il n ’avait pas
fait constater par un bon et loyal inventaire, l’état et la
valeur de la succession, ou l’état et la valeur de ce qui
lui aurait été délivré parles héritiers légitimes.1
La vérité est donc que la seule différence entre le suc
cesseur et l’héritier consiste en ce que ce dernier, pour
n’être tenu des dettes qu’à concurrence de l’actif, doit,
après inventaire, déclarer au greffe, et avant toute im
mixtion, qu’il n’accepte que sous bénéfice d’inventaire,
�208
TRAITÉ DU DOL
tandis que l’accomplissement seul des formalités des art.
769 et suivants opère, de plein droit, cet effet en faveur
du premier. Mais si l’enfant naturel a omis ces forma
lités, si, par conséquent, il a confondu son patrimoine
personnel avec le patrimoine du défunt, il n’est plus ad
missible à vouloir en opérer la séparation. Ce qui s’in
duit de leur confusion, c’est que son auteur a considéré
l’actif successoral comme devant suffire pour éteindre
complètement le passif; c’est ce qu’on doit le condamner
à faire. Il est donc tenu indéfiniment des dettes. C’est
ce que la Cour d’Aix vient de juger dans l’affaire Estienne, contre les époux Colin, par arrêt du 7 août 1851 ,
encore inédit.
La même obligation serait, dans les mêmes circons
tances, imposées aux autres successeurs irréguliers, à
savoir : le conjoint et l’Etat.
1572.
— L’ouverture d’une succesion testamentaire
donne lieu à des fraudes plus ou moins nombreuses,
soit contre les héritiers légitimes, soit contre les héri
tiers institués. Déjà, nous nous sommes occupés des at
taques dont le testament peut être l’objet pour insanité
d’esprit ou pour captation; nous avons déterminé les
effets de l’empêchement de tester et de la suppression
ou soustraction du testament. Nous nous bornons, sur
tous ces points, à nous en référer à nos précédentes ob
servations.1
�ET
DE
LA.
FRAUDE.
209
1572 bis — Ajoutons que les lois , réglant la forme
des actes de dernière volonté, la nature et les caractères
de certaines dispositions prohibitives, quoique d’intérêt
général, intéressent, à un très haut point, les tiers suc
cessibles, auxquels la succession fait retour par l’annu
lation du testament. Le législateur n’a consenti à préférer
la loi testamentaire à ses propres dispositions, qu’en tant
qu’elle se renfermerait, en la forme et au fond, dans les
limites que l’ordre public, que la sécurité des familles
lui faisait un devoir de tracer. Le testateur qui tenterait
de les franchir ne laisserait après lui qu’un acte frappé
d’impuissance. Il mourrait réellement intestat.
De là cette conséquence qu’il suffit d’être au rang des
successibles utilement appelés, pour être admis à querel
ler un testament et à le faire annuler soit pour vice de for
me, soit pour illégalité de ses dispositions.
1573. — Les nullités de formes ne procèdent pas
ordinairement d’une pensée de fraude, mais imputables
au notaire recevant le testament ou l’acte de souscription,
elles peuvent être de nature à engager sa responsa
bilité vis-à-vis des héritiers institués. La nullité du tes
tament, parce que le notaire a négligé d’accomplir ri
goureusement son devoir, donnerait à ceux-ci le droit de
poursuivre contre lui la réparation du préjudice qu’ils
seraient dans le cas d’éprouver.
1 5 7 4 , — Il est toutefois une nullité au regard de la
quelle la position du notaire mérite d’être nettement déiv
14
�T R A IT É
DU
DOL
finie. Nous voulons parler de celle résultant de la viola
tion de l’art. 973 du Code civil.
Aux termes de sa disposition, le testament doit être
signé par le testateur ; s’il déclare qu’il ne sait ou ne
peut signer, il doit être fait dans l’acte mention expresse
de sa déclaration, ainsi que la cause qui l’empêche de
signer.
1575.
— Le but de ces prescriptions est facile à sai
sir, ce qui constitue en quelque sorte le testament, c’est
la signature de son auteur. Seule, elle prouve que le
testateur a persisté dans les volontés exprimées dans l’ac
te et entendu en assurer la pleine et entière exécution.
Un testament non signé ne saurait être utile à rien, tout
au plus pourrait-il être considéré comme un projet qui,
volontairement délaissé par son auteur, a été par cela mê
me anéanti.
Mais le défaut matériel de signature ne peut se réa
liser dans les actes authentiques, en ce sens que le no
taire a qualité pour y suppléer utilement, en constatant
l’ignorance ou l’impuissance dont ce défaut est déclaré
être la conséquence. Cependant il peut en être du testa
ment authentique, comme du testament olographe. Son
auteur, même après l’avoir dicté, peut concevoir le des
sein de ne pas le faire sortir à effet, mais il peut aussi
se trouver dans une position telle que la manifestation
de cette volonté ne soit pas sans danger pour lui. Il fal
lait donc qu’il lui fût possible d’atteindre ce résultat
d’une manière indirecte. C’est ce qu’il est légalement
�ET
DE
LA
FRAUDE
présumé avoir voulu, lorsque la mention remplaçant la
signature est inexacte ou incomplète.
1576.
— Ainsi si le testateur a déclaré ne savoir
signer, la preuve du contraire, faite contre l’héritier tes
tamentaire, détermine la nullité du testament. Celui qui
déclare ne savoir signer, lorsqu’il sait le faire, lorsqu’il
l’a toujours fait, n ’a voulu qu’une seule chose, à savoir :
se soustraire à l’obligation de signer. Il a donc par là
suffisamment manifesté qu’il ne voulait pas sanctionner
le testament, qui ne peut dès lors créer aucun droit
en faveur ou contre qui que ce soit.
Que si, au lieu de prétendre qu’il ne sait signer, le
testateur a déclaré ne le pouvoir, la présomption est la
même, les effets en sont identiques. Cette présomption
ne s’efface que lorsqu’il a fait connaître la cause réelle
de l’empêchement, cause que le notaire doit exprimer
telle qu’elle lui est déclarée.
■' : i:. :
1577.
— La position du notaire, malgré que dans
l’uri et l’autre cas le testament soit nul, est fort diffé
rente. Si le testateur a déclaré ne savoir signer, l’acte
est complet par la mention de cette déclaration. Le no
taire n’a pas à en contrôler l’exactitude, à s’enquérir de
sa véracité. La nullité, dans ce cas, est tout entière le
fait du testateur, qu’on prouve avoir su signer. Les hé
ritiers privés du bénéfice de l’institution ne pourraient
donc exercer aucun recours contre le notaire.
Il n’en est pas de même lorsque le testateur a déclaré
ne pouvoir signer. L’acte qui se bornerait à mention:
7.
. ‘■ j
�212
T R A IT É
DU
DOU
ner cette impuissance serait incomplet, sa nullité enga
gerait la responsabilité du notaire, car il n’aurait pas
rempli toutes les obligations qui lui sont imposées à
l’endroit de la validité de l’acte. Il lui appartient, en ef
fet, de veiller à ce que les conditions auxquelles celte
validité est attachée soient scrupuleusement remplies. La
négligence qu’il apporterait dans l’exécution de ce de
voir constituerait une faute lourde et donnerait lieu
contre lui à une condamnation en réparation du pré
judice.
1578.
— Mais que doit faire le notaire en présence
d’une déclaration se bornant à alléguer l’impuissance ?
Peut-il la compléter en indiquant lui-même la cause
de cette impuissance? Evidemment non. D’abord parce
qu’il ne pourrait, à cet égard, fournir qu’une apprécia
tion fondée sur l’état extérieur du malade, appréciation
qui pourrait fort bien s’écarter de la vérité. Il n’y a
qu’une seule personne capable de s’expliquer utilement
sur les motifs de l’impuissance, c’est celle qui l’allè
gue, tout autre qu’elle ne peut donner qu’une conjec
ture plus ou moins probable. Or ce que la loi exige ,
c’est la vérité et non une supposition, quelque fondée
qu’elle paraisse.
D’ailleurs, reconnaître au notaire la faculté de sup
pléer au silence du testateur, c’est méconnaître l’esprit
de la loi, c’est subordonner la validité du testament à
une autre volonté que celle du testateur lui-même. Nous
le disions tout à l’heure, l’allégation de l’impuissance
�IîT
DE
LA
FKAUDE.
213
peut n’être qu’un prétexte sous lequel le testateur dégui
sera la répugnance qu’il éprouve pour le testament qu’il
vient de dicter. Cette annulation indirecte est autorisée
par la loi. Dans quels cas cependant profitera-t-elle à
ceux que le testateur a voulu favoriser, si le notaire peut
à son gré l’empêcher, en complétant le testament.
L’hypothèse que nous prévoyons n’est pas aussi im
possible qu’on pourrait le croire. Dans un moment d’em
portement et de colère, un homme a conçu la pensée
de déshériter sa famille. Il appelle un notaire et lui dicte
son testament. Mais la réflexion arrive. Au moment de
consommer la ruine des siens, l’affection fait entendre
sa voix, l’aspect des douleurs, des misères qu’il va oc
casionner amène le repentir. Par un reste d’amour pro
pre, cependant, il ne veut pas avoir l’air de revenir sur
sa résolution, et, sachant l’effet de la déclaration qu’il
va faire, il se borne à dire qu’il ne peut signer.
Dans d’autres circonstances, un malade, éloigné de
sa famille, entouré de mercenaires avides, est sollicité,
pressé de faire un testament en leur faveur, les prières,
les obsessions ne suffisant pas, on va jusqu’à la vio
lence, on ne lui laissera aucun repos, on le menacera
de le laisser mourir sans secours et sans soins , bref, le
désir seul d’acheter sa tranquillité le décidera. Mais il
voudra avhir l’air de céder plutôt que de céder en ef
fet, et le notaire appelé pour recevoir le testament ne
recevra de lui que cette réponse : qu’il ne peut signer,
se ménageant ainsi une nullité conforme à ce qu’exi
gent le désir de punir de coupables manœuvres et ce-
�214
T R A IT É
DU
DOL
lui d’obéir à ce que lui commandent ses véritables af
fections.
Donnez au notaire le droit de compléter le testament
en indiquant lui-même la cause de l’impuissance, et
vous décidez que tout repentir est impossible; que la
fraude et la violence triompheront insolemment, car la
famille injustement dépouillée ne pourra pas souvent
fournir la preuve de l’une ou de l’autre. Un pareil ré
sultat serait une immoralité, une iniquité. Il n ’a donc
pu entrer dans la pensée du législateur.
Mais si le notaire ne peut suppléer à la déclaration,
il a le droit et surtout l’intérêt le plus incontestable à
constater que le vice dont elle est atteinte est le fait ex
clusif du testateur, et à se mettre ainsi à couvert de tout
recours. Il doit donc, lorsqu’il reçoit du testateur la dé
claration pure et simple qu’il ne peut signer, l’interpel
ler d’en indiquer la cause. La mention de cette inter
pellation, celle du silence qui l’a accueillie ou de la ré
ponse qui lui a été faite, suffisent pour que, quel que
soit le sort ultérieur du testament, il soit à l’abri de tout
recours.
1 579.
— La doctrine que nous exposons est admise
par les auteurs et par la jurisprudence.
« Remarquons bien, dit Merlin, que, suivant l’arti
cle 973, il faut aujourd’h u i, comme il le fallait dans
l’ancienne jurisprudence, qu’il soit constaté par le tes
tament même que c’est le testateur qui a déclaré per
sonnellement son incapacité ou impossibilité de signer,
�ET
DE
LA
FRAUDE.
215
et que la seule énonciation de la cause qui l’a empêché
de signer ne suffirait pas, parce qu’elle laisserait igno
rer si c’est le testateur qui l’a lui-même déclarée ou si
c’est le notaire qui s’en est constitué le juge.' »
A l’appui de cette opinion, Merlin rappelle un arrêt
de la Cour de Caen, du 11 décembre 1822. Dans l’es
pèce de cet arrêt, le testament renfermait l’énonciation
suivante : Et le testateur ayant essayé de signer, n'a
pu le faire, à cause du tremblement de sa main. Ce tes
tament, validé en première instance, fut annulé par la
Cour, pour violation de l’art. 973. Le notaire et les té
moins, dit l’arrêt, ont reconnu que si le testateur avait
pris la plume pour signer, et s’il avait tracé quelques
lettres sur le testament, il n’avait cependant point fait
la signature. Le jugement dont est appel a suffisamment
reconnu aussi que ces lettres ne pouvaient former une
vraie signature. En ce cas que devait faire le notaire ?
Il lui incombait de recueillir la déclaration du testateur
sur la cause qui l’empêchait de signer; cette déclaration,
passée par le testateur lui-même, devait être mentionnée
d’une manière expresse, à peine de nullité. Mais c’est
le notaire seul qui parle, et il n’est pas fait mention
d’aucune déclaration passée à cet égard par le testateur.
La loi a donc été évidemment violée. Si on eut pris la
déclaration du testateur, et qu’il eut dit : Je ne signe
pas parce que j'a i changé de volonté, il n’y aurait sans
1
Rép.,
v°
Signal.,
§ 3, a r t, 2, n ° 7 ; — v . T o u l lie r , t o m
— G re n ie r, to m . î, n ° 2 4 2 .
v. n° 4S7;
�2T6
T R A IT É
DU
DOL
dotite pas de testament. Le législateur a donc eu raison
d’exiger impérieusement que la cause qui empêche le
testateur de signer soit déclarée par lui-même, et qu’il
soit fait mention expresse de cette déclaration. Il a donc
eu raison de ne pas laisser à la disposition du notaire
d’expliquer lui-même, et sans la participation du tes
tateur, le motif ou la cause qui l’empêche de signer.'
1 5 8 0 . — Le testament valable en la forme doit
être annulé, si ses dispositions renferment une violation
d’une loi prohibitive. C’est ce qui se réalise notamment
lorsque le testateur a prescrit une substitution fidéicom
missaire.
1 5 81. — Permises par le droit romain et par no
tre ancienne législation, les substitutions furent d’abord
suspendues, puis prohibées par les lois des 25 août, 2
septembre, 14 et 15 novembre 1792. Cette prohibition
reçut une consécration nouvelle de la loi du 17 nivôse
an n, prescrivant le partage égal des successions.
Cette législation fut un énorme, un incontestable pro
grès. Ressource précieuse pour la féodalité, les substitu
tions devaient périr avec elle. L’expérience avait prouvé,
en effet, que, dans les familles opulentes, cette institu
tion n’avait pour but que d’enrichir l’un de ses mem
bres en dépouillant les autres, que de perpétuer ainsi
1 V. T oulouse, 5 av ril 1 8 18; —
S ir e y , 23, 2, 48 ; —
C a ss., 28 a v ril
�ET
DE
LA.
FRAUDE.
217
le faste et l’éclat qui devaient accompagner un nom qui
n’était souvent qu’un lourd fardeau pour celui qui le
portait.
Mais ce qui résultait d’un pareil état de choses, c’était
un germe renaissant de discordes et de procès ; c’était
de mettre les biens hors du commerce pour longues
années , d’occasionner un grave préjudice à l’agricul
ture. Chaque grevé de substitution, n’étant qu’un sim
ple usufruitier, avait un intérêt contraire à toute amé
lioration. Ses efforts devaient tendre à multiplier et à
anticiper les produits des biens substitués au préjudice
de ceux qui étaient appelés après lui, et qui chercheraient
à leur tour une indemnité dans de nouvelles dégra
dations.
Enfin, ajoutait l’exposé des motifs du Code, ceux qui
déjà étaient chargés des dépouilles de leurs familles
avaient la mauvaise foi d’abuser des substitutions pour
dépouiller aussi leurs créanciers. Une grande dépense
faisait présumer de grandes richesses. Le créancier qui
n’était pas à portée de vérifier les titres de propriété de
son débiteur, ou qui négligeait de faire cette perquisi
tion, était victime de sa confiance, et, dans les familles
auxquelles les substitutions conservaient les plus grandes
masses de fortune, chaque génération était le plus sou
vent marquée par une honteuse faillite.
A ces raisons de morale, déquité, d’intérêt général,
les rédacteurs du Code civil en ajoutaient une autre non
moins puissante. C’est que cette institution était incom-
�218
T R A IT É
DU
DOL
patibleavec les mœurs politiques et sociales de l’époque,
avec les principes mêmes de notre législation.
1582.
— De là l’art. 896, dans lequel la nouvelle
féodalité que l’empire fit naître sut se réserver sa part
en permettant la transmission héréditaire des majorais
érigés en faveur d’un chef de famille, conformément
aux décrets des 30 mars et 14 août 1806.
En dehors de cette exception , et avant qu’elle fut
introduite, toute disposition par laquelle le donataire,
l’héritier institué ou le légataire, sera chargé de conser
ver et de rendre à un tiers, sera nulle même à l’égard
du donataire, de l’héritier institué ou du légataire. La
seule dérogation dont cette règle est susceptible , est
celle autorisée par les art. 1048 et 1049 du Code, en
faveur des petits-enfants ou des neveux du testateur.
1585.
— Mais cette dérogation, toute dans l’intérêt
de la famille, ne fait que confirmer la volonté du légis
lateur d’empêcher l’abus des substitutions, en ne tolé
rant que celles qu’une circonstance impérieuse rendrait
indispensables.
Or, ce qui a motivé les art. 1048 et 1049, c’est le
désir de ménager au père effrayé de la dissipation
de son enfant , au frère se méfiant de la légèreté
de son frère , le moyen de conserver intacte une par
tie de la succession, en y appelant les petits-enfants et
les neveux.
Mais , dans ce cas même, la substitution ne peu
�ET
DE
LA
FRAUDE.
219
comprendre que les biens dont le testateur a la libre dis
position. Ainsi, quels que soient les dangers que puisse
offrir la conduite de l’enfant, il a un droit absolu sur
les biens de son père, jusqu’à concurrence de sa réserve
légitimaire. Il la recueille dans tous les cas sans qu’elle
puisse être affectée d’aucune charge , même au profit
de ses propres enfants.
De plus, la substitution de la quotité disponible doit
s’arrêter au premier degré. L’art. 1050 ajoute qu’elle
s’étendra, à peine de nullité, à tous les enfants nés et à
naître, sans exception ni préférence d’âge ou de sexe.
Ainsi, la pensée du législateur est on ne peut plus
explicite. Obéissant à une pensée de sage prévoyance, il
a voulu rémédier au danger que le père , que le frère
est dans le cas de redouter pour ses petits-enfants, pour
ses neveux. C’est la famille toute entière et non la posi
tion particulière d’un de ses membres qui fait l’objet de
sa sollicitude.
1 584. — Tel n’était plus le caractère delà loi du
17 mai 1826. Dans un intérêt politique fort saisissable,
on avait conçu à cette époque la pensée de reconstituer
l’aristocratie terrienne. Le moyen le plus immédiat était
le rétablissement des substitutions.
On n’osait pas cependant dévoiler cette pensée; on
se contentait de demander que la quotité disponible pût
être substituée jusqu’au deuxième degré exclusivement.
Mais, quelque timide que fût cet essai, l’opinion publi
que ne s’y trompa pas. Comment aurait-elle pu le fai-
�220
TRAITÉ DU DOL
re? A côté de cette demande, on osait proposer le ré
tablissement du droit d’ainesse.
Quelque dévoué que fût le pouvoir législatif d’alors,
la clameur publique l’entraîna , et le droit d’aînesse
resta sur le champ de bataille. Les substitutions dans
la mesure proposée furent de nouveau inscrites dans
nos lois.
1585. — La révolution de Juillet 1830 vint mettre
un terme à toute tentative nouvelle et couper court à
toute velleïté de ce genre. On sembla même entrer ré
solument dans la voie contraire. Dès le 24 août 1831 ,
M. Jaubert proposait, â la chambre des députés, d’in
terdire, à l’avenir, toute institution de majorats et de
réduire la substitution de ceux existants à deux degrés,
l’institution non comprise.
Reprise en 1833 par M. Parant, cette proposition fût
depuis adoptée. Cette adoption fut promulguée le 12
mai 1835. Ce premier coup porté à cette institution a
été aggravé par la loi des 7-11 mai 1849.
Quant à la loi du 17 mai 1826, elle a été purement
et simplement abrogée par celle du 17 janvier 1849.
Nous en sommes donc revenus au principe de l’ar
ticle 896 du Code civil. Les substitutions sont prohi
bées. Ce qui les caractérise, c’est l’obligation de conser
ver et de rendre, Or, cette obligation ne résultant pas
de la substitution vulgaire, celle-ci est maintenue. C’est
d’ailleurs ce qui est expressément écrit dans l’arti
cle 898.
�ET DE LA FRAUDE.
221
1586. — La prohibition de l’art. 896, ayant pour
effet d’annuler le testament et de déférer la succession
aux héritiers légitimes , intéresse donc, à un très haut
point, les successibles. Cette qualité suffit donc pour au
toriser, celui qui en justifie, à quereller la disposition
et à en provoquer l’annulation, en prouvant qu’elle cons
titue réellement une substitution prohibée.
1587. — Nous n’avons pas à nous livrer à l’exa
men des mille et une difficultés que peut offrir cette si
vaste matière; nous devons nous borner à rappeler
quelques principes généraux de nature à justifier les
conditions auxquelles les tiers successibles seront receva
bles à quereller la disposition. En fait, si la substitution
existe, cette disposition sera annulée ; en droit, la subs
titution existera si l’institué appelé à recueillir est obligé
de conserver et de rendre à sa mort à une autre per
sonne également désignée par le testament.
1588. — Nous disons de rendre à sa mort, c’est là,
en effet, le caractère qui distingue la substitution pro
hibée de certaines dispositions modales dont la validité
ne saurait être contestée. Ce qui constitue celles-ci, c’est
que l’institution du premier appelé est le résultat du dou
te dans lequel le testateur s’est trouvé sur l’existence du
second et sur la possibilité qu’il puisse recueillir sa suc
cession, doute qui, levé qu’il soit, doit amener la prise
de possession de celui-ci et la restitution de l’hérédité en
ses mains. C’est ce qui se réaliserait dans les institutions
du genre de celles-ci : Je donne mes biens à Pierre, à
�222
TRAITÉ DU DOL
la charge de les rendre à mon fils s’il revient de l’armée,
ou bien à la charge de les rendre à Paul lorsqu’il aura
atteint tel âge, ou si tel navire revient des Indes. Il est
évident, dans tous ces cas, que le grevé n’est institué
que conditionnellement, et que, la condition se réalisant
il n’a jamais été héritier, mais bien plutôt un déposi
taire, un administrateur, ce qui est exclusif d’une subs
titution.
1589.
— Pour que celle-ci existe, il faut que l’obli
gation de rendre ne doive être exécutée qu’à la mort du
grevé. Il n’est pas douteux, en effet, que la loi n’a voulu
atteindre que les substitutions se réalisant ordine suc
cessive», dans lesquelles le substitué ne recevra les biens
qu’au décès du grevé. C’est là ce que prévoit l’art. 896,
dans lequel l’obligation de conserver et de rendre ne peut
s’entendre que de l’impossibilité dans laquelle se trouve
le grevé de transmettre à d’autres qu’au substitué les biens
qu’il n’a reçu qu’à cette condition,
Ce qui démontre l’exactitude de ce sens, c’est qu’évidemment le Code a voulu prohiber ce que la législation
ancienne avait permis. Or, de l’avis de tous les juriscon
sultes anciens, les substitutions n’étaient réputées faites
que pour avoir lieu à la mort du grevé.
On peut, de plus, apprécier la pensée du législateur
à l’endroit des substitutions qu’il prohibe par la nature
des exceptions qu’il consacre. Comme ces exceptions ne
sont pas fondées sur une diversité d’espèces dans les
choses, mais uniquement sur les égards qu’on a cru de-
�ET DE LA FKAUDE.
m
voir aux personnes en faveur desquelles on a voulu faire
fléchir la règle commune, il faut en conclure, dit M.
Proudhon, que ce qui est permis aux uns, par privilège
personnel, est de même nature que ce qu’on a prohibé
aux autres, et, réciproquement, que les dispositions gé
néralement prohibées sont de même nature que celles
pour lesquelles la loi se relâche de sa rigueur envers les
personnes qu’elle excepte de la règle commune. Or, les
dispositions permises en faveur des petits-enfants ou des
neveux sont certainement des substitutions faites dans
l’ordre successoral ; car, quoiqu’elles ne puissent s’éten
dre au-delà du premier dégré, il n’eriest pas moins in
contestable qu’elles sont des substitutions pour l’exécu
tion desquelles le substitué doit survivre au grevé. Il n’y
a, en effet, de dégré que là où il y a une génération suc
cédant à l’autre.
Concluons donc, continue M. Proudhon, qu’il n ’y a
de prohibé que les substitutions faites dans l’ordre suc
cessoral par lesquelles l’un serait appelé à recueillir après
le décès de l’autre et sous la condition de survie, et que
les dispositions portant charge de rendre après un délai
déterminé et à un jour certain ne tombent pas sous la
prohibition du Code.'
1590.
— On ne pourrait d’ailleurs le décider autre
ment sans méconnaître la disposition de l’art. 1121 qui
i Ve l’Usufruit, n° 443 ; Voy. Merlin, quest., v° subst. fidéicomm.,
S 6 ; — Toullier, tom. v, n° 22 ; — Delvincourt, tom. il, pag. 390.
�TRAITÉ DU DDL
permet de stipuler pour un tiers conditionnellement à
la donation qu’on fait à un autre. Or, il est évident que
cette stipulation peut consister dans l’obligation imposée
au donataire de restituer une partie des biens à une
époque déterminée et prévue. Dans ce cas, le donataire,
en attendant le moment de cette restitution, est obligé
de conserver, comme il le sera de rendre à l’époque où
le cas prévu arrivera. Evidemment donc, cette double
obligation ne constitue pas, par elle seule une substitu
tion prohibée ; elle ne revet ce caractère que lorsque son
exécution doit se faire ordine successivo. Sans cela, iln’y
a plus qu’une vocation de diverses personnes recueillant
l’hérédité ou le don sous de simples conditions impuis
santes pour constituer le fidéicommis. C’est en ce sens
que s’est prononcée la jurisprudence.1
Ce qui distinguera essentiellement cette vocation de
la substitution fidéicommissaire, c’est que, dans celleci, la survie de l’appelé est la condition substantielle de
de son droit ; s’il meurt avant le grevé, il n’en a jamais
eu aucun qu’il ait pu transmettre à ses héritiers. Celui,
au contraire, qui est appelé à recueillir, à une époque
déterminée, tout ou partie de la donation ou du legs
fait à un autre, a un droit définitivement acquis par son
acceptation ou par l’ouverture de la succession ; s’il meurt
avant l’époque où il doit recueillir, ses héritiers seront
appelés à le faire comme il l’eût fait lui-même, à moins
2 Colmar, 8 août 1819 et 25 août 1824 ; — Paris 3 mars 1820,
�ET DE LA FRAUDE.
que le contraire n’ait été stipulé ou ne résulte de la do
nation ou du testament.
1591.
— Aucune difficulté sérieuse ne saurait naî
tre si l’époque de la restitution a été déterminée. Que
faut-il décider lorsqu’elle ne l’a pas été ? Faut-il dire que
la restitution doit être immédiatement opérée, ou bien
qu’elle ne doit se réaliser qu’à la mort du grevé ?
M. Duranton distingue, Dans les dispositions permi
ses même comme substitutions, dit-il, comme celles en
faveur des petits enfants ou des neveux; les expressions
indéterminées ; à la charge de rendre, doivent s’enten
dre de la charge de rendre à la mort du grevé.
Dans le cas, au contraire, où la substitution ne se
rait pas autorisée, il faut entendre la charge indéterminée
de rendre, de l’obligation de rendre tout de suite, l’en
tendre autrement, c’est anéantir la disposition. On ne
doit pas supposer que le disposant ait voulu violer la loi,
et, dans le doute, il est plus raisonnable d’entendre une
clause ambiguë de manière à lui donner un effet utile :
Actus intelligendi sunt potins ut valeant quam ni pe
rçant.'
Cette doctrine, enseignée par la généralité des auteurs,
doit être suivie, mais elle peut être singulièrement mo
difiée par les termes de l’acte et par l’ensemble de ses
clauses. Or; la première règle d’interprétation, c’est, de
consulter les uns, de rapprocher les autres, et si de cet
1 T. vin, n° 89
IV
15
�226
TRAITÉ DU DDL
examen résultait pour le juge la conviction que la charge
de rendre a été réellement subordonnée au décès du grevé,
l’invalidité de la disposition en serait une juste, une lé
gitime conséquence.
1592.
— Au reste, ce n’est pas seulement dans ce
cas que le doute doit se résoudre en faveur de l’acte.
Cette régie s’applique à toute la matière des substitu
tions.
Ainsi la disposition, conçue dans des termes qui s’ap
pliquent aussi bien au cas où le premier gratifié vien
drait à décéder avant le disposant qu’à celui où il mour
rait après lui, et qui peuvent, dès lors, s’entendre d’une
substitution vulgaire aussi bien que d’une substitution
fidéicommissaire, doit être admise dans le sens de la
première. C’est ainsi qu’on devrait interpréter la clause
suivante : J ’institue un tel, à qui je substitue tel autre ;
ou bien encore celle-ci : J’institue Pierre et, en cas de
décès ou après sa mort, je mets Paul à sa place.
Ainsi, lorsque les termes d’une disposition, attaquée
pour cause de substitution prohibée, peuvent être envi
sagés comme n’exprimant qu’un droit d’accroissement
entre colégataires, ils doivent de préférence être admis
dans ce sens, encore que dans l’espèce l’accroissement
se fût réalisé par la seule force de la loi. On doit plutôt
admettre l’existence d’une clause superflue et inutile que
d’en consacrer une qui vicierait l’institution. C’est ce
que la Cour de Caen décidait le 28 janvier 1807, et
�ET DE LA FRAUDE.
227
sou arrêt, déféré à la Cour de cassation, fut déclaré con
forme à la loi.'
Ainsi encore lorsque la disposition faite au profit de
plusieurs personnes successivement, et en cas de survie
des unes aux autres, peut se résoudre en simple dispo
sition conditionnelle, on doit l’interpréter dans ce sens
plutôt que dans celui d’une substitution prohibée. Telle
serait celle par laquelle un époux aurait fait un legs à
son conjoint pour le cas où leurs enfants mourraient
avant celui-ci, celle par laquelle on léguerait la pleine
propriété à une personne pour le cas où elle survivrait
à un tiers gratifié de l’usufruit ; celle qui renfermerait
un legs en faveur d’une personne, sous la condition
qu’elle se mariera, avec la clause que si elle ne se marie
pas le legs sera recueilli par un tiers/
Ainsi enfin, lorsque les termes d’une disposition faite
au profit de plusieurs personnes, appelées les unes après
les autres, laissent quelque doute sur le point de savoir
si le disposant a entendu gratifier le premier légataire
de la propriété des biens légués, ou si, au contraire, il
n’a voulu lui en donner que l’usufruit, on doit de pré
férence se prononcer pour celui-ci.3
En résumé, pour qu’il y ait substitution prohibée, il
faut que le testament renferme une double libéralité pro1 Cass., 28 juillet 4808.
2'Paris, 23 juin 4825; — Colmar, 25 août4825 ; — Poitiers,. 29juil
let 4830; Cass., 20 décembre 4834 et 47 juin 4835.
3 Cass., 20 novembre 4837 et 20 janvier 4840; Sirey, 37,4, 968; —
�m
TRXITÉ DU DOL
cédant l’une et l’autre du même auteur ; la première au
profit du légataire institué, c’est-à-dire du grevé ; la
seconde au profit d’un tiers désigné nommément ou
d’une manière équivalente, exclusive de toute incerti
tude sur la personne du gratifié appellé en second or
dre, ordine successivo à recueillir le bénéfice de l’insti
tution ; enfin, que de cet appel en second ordre résulte
pour celui qui en est l’objet, une action civile contre les
héritiers du grevé, pour les contraindre à réaliser en
sa faveur la volonté du disposant.
De là il suit que si au lieu de choisir lui-même le
second appelé, le testateur en a laissé la désignation au
premier institué, il n’y a pas substitution prohibée. On
à prétendu faire résulter de là, l’obligation de rendre au
moins implicite et par conséquent la substitution pro
hibée.
Mais, disait la Cour d’Aix dans un arrêt du 9 février
1841, attendu que la charge de rendre n ’existe réelle
ment qu’autant que le testament contient la désignation
du tiers à qui les biens doivent être rendus ;
« Attendu qu’au lieu de faire lui-même celte désigna
tion, le testateur en a abandonné le soin à sa légataire;
que, dès lors, n’y ayant point de tiers désigné par le
testament pour recevoir les biens, en second ordre suc
cessif, c’est-à-dire n’y ayant point de substitué il n’y a
point de substitution.' »
l I D P. (, 1841, 689.
�ET DE LA. FRAUDE.
229
Dans l’espèce le testateur avait légué à sa femme l’u
niversalité de ses biens pour par elle en jo u ir et dispo
ser comme elle avisera en toute propriété, il ajoutait ;
je charge néanmoins madite épouse de disposer des
biens que je lui donne, en ce qui concerne les immeu
bles seulement, en faveur d'un ou de plusieurs de mes
parents et de ceux à qui elle reconnaîtra le plus de
mérite, à quelque degré que ce soit, à son choix.
On soutenait que cette clause devait être regardée
comme équivalente à une désignation émanée du testa
teur lui-même, et constituant, dès lors, la substitution
prohibée.
Mais, dit avec raison la Cour d’Aix, cette prétention
n’a d’autre but que de faire appliquer à la clause les
anciens principes touchant la faculté d’élire, et qui
abrogés par la loi du 17 nivôse an n, n’ont pas été ré
tablis par le Code Napoléon.
Comment, en effet, concilier la faculté d’élire avec
les conditions substantielles de la substitution prohibée,
il faut qu’il existe deux libéralités procédant du même
auteur, et dans la faculté d’élire, le testatenr a si peu
appelé un second légataire, qu’il a laissé au premier le
soin de le désigner et de le choisir.
Il faut encore que l’appelé en second ordre ait une
action civile contre les héritiers du grevé, pour les con
traindre à lui restituer la succession, or quels seront le
ou les parents q u i, dans l’hypothèse de l’arrêt d’Aix,
auront cette action.
Vainement donc voudrait-on y trouver cette vocation
�230
TRAITÉ DU DOL
ordine successivo, ear celui qui sera choisi par l’insti
tué tiendra son droit, non du chef du premier testateur,
mais uniquement du testament qui l’aura désigné.
Dans tous les cas, il y a bien certainement incerti
tude sur la personne subsidiairement appelée, et cette
incertitude viciant l’institution, l’anéantit et la fait dis
paraître.
La Cour de Cassation vient de donner à ces principes
et à leurs conséquences l’autorité de sa haute sanction.
Un sieur Micoud , pharmacien à Alger, décède en
l’état d’un testament ainsi conçu :
« Je soussigné, voulant récompenser Madame Piage,
veuve Galangau, de tout le dévouement qu’elle ma cons
tamment montré, je lui lègue par le présent testament
tous les biens meubles et immeubles qu’à mon décès je
laisserai en Algérie , l’instituant dans cette qualité ma
légataire universelle, pour elle faire de ces biens acquis
en mon nom et de nos communes économies, et en dis
poser en toute propriété comme de sa propre chose à
compter du jour de mon décès , à la seule condition
qu’à sa mort elle léguera ou emploiera tout ce qu’elle
aura hérité de moi, tant en argent qu’en propriété, au
soulagement des malheureux. Persuadé d’avance qu’elle
fera de son mieux, je la dispense de toute espèce d’in
ventaire ainsi que de fournir caution, la laissant libre
entièrement d’agir de la manière qu’elle jugera convena
ble, telle est ma volonté formelle, que je prie Madame
Armande Piage de vouloir bien exécuter avec toute la
conscience et la loyauté que je lui connais. »
�ET DE LA FRAUDE.
231
Les héritiers naturels du sieur Micoud soutiennent
que ce testament renferme une substitution prohibée, et
en demandent la nullité, qui est en effet prononcée par
le tribunal civil d’Alger.
Consulté sur le mérite de ce jugement, nous avons
été d’avis qu’il était le résultat de l’erreur; que le tes
tament, en effet, loin d’imposer à la légataire l’obliga
tion de conserver, l’autorisait à disposer des biens en
toute propriété et jouissance, comme de sa propre cho
se, ce qui était en permettre très explicitement l’aliéna
tion ; qu’on ne pouvait non plus y recontrer l’obligation
de rendre puisqu’il n’y avait pas de second appelé ;
qu’il était vrai que le testateur avait exprimé le désir que
ses biens fussent employés au soulagement des malheu
reux, mais que c’était là un désir, une prière que le
testateur exprimait, et pour l’accomplissement duquel
il laissait sa légataire entièrement libre; qu’enfin, et
dans tous les cas, le testateur n’ayant pas désigné la
classe de malheureux qu’il entendait favoriser, la se
conde institution , en la supposant réelle, serait nulle
pour incertitude dans la personne qui devait en être
l’objet.
Ces considérations prévalurent devant la Cour d’Al
ger qui, par arrêt du 25 mai 1863, infirme le jugement
et ordonne l’exécution du testament.
Les héritiers Micoud se pourvoient en cassation, ils
soutiennent que la Cour d’Alger a violé l’art. 896 C.
Nap., en ce qu’elle a refusé de reconnaître à la disposi
tion litigieuse, les caractères essentiels d’une substitution
�232
TRAITÉ DU DOL
prohibée, et par suite d’en prononcer la nullité, bien
qu’elle obligeât la légataire à employer ou à léguer, au
profit des malheureux, tout ce qu’elle aurait reçu par
suite du legs à elle fait; et qu’elle renfermât dès lors l’o
bligation de conserver la chose léguée et de la rendre
aux malheureux qui' étaient appelés à la recueillir après
elle.
La Cour régulatrice, par arrêt du 13 décembre 1864,
rejette le pourvoi. Après avoir rappelé qu’il est de l’es
sence de la substitution qu’il existe une double libérali
té, procédant l’une et l’autre du même auteur, l’une au
profit du grevé, l’autre au profit d’un tiers désigné nom
mément ou d’une manière équivalente , exclusive de
toute incertitude sur la personne du gratifié appelé en
second ordre, ordine successivo, le bénéfice de la dona
tion ou de l’institution, l’arrêt ajoute :
« Attendu que cette seconde condition du fidéicommis prohibé implique, dans la personne du tiers, appelé
en second ordre, une action civile contre les héritiers du
grevé pour les contraindre à réaliser en sa faveur la vo
lonté du disposant; que cette action est le corrélatif né
cessaire et la sanction de la clause d’indisponibilité qui,
sans elle, serait inefficace et sans valeur;
« Attendu que la disposition qu’il s’agit d’interprêter
ne renferme pas deux legs émanant l’un et l’autre du
testateur, et saisissant de la propriété des biens légués,
d’abord la légataire instituée, et ensuite, après le décès
de celle-ci, un tiers déterminé appelé en second ordre
�ET DE LA FRAUDE.
m
par la volonté directe du testateur , non à gravato ,
sed, a gravante ;
« Qu’on lit, en effet, dans le testament du sieur Micoud, que l’institution universelle en faveur de la dame
Galangau, n’est faite qu’à la condition qu’à sa mort elle
léguera ou emploiera tout ce qu’elle aura hérité du tes
tateur, au soulagement des malheureux ;
« Qu’il est manifeste que cette disposition ne renferme
qu’une seule libéralité émanant directement du testateur,
et que la seconde, si elle se réalise, sera l’œuvre per
sonnelle de la dame Galangau qui emploiera ou léguera
les biens , objets du testament au profit des gens qu’il
lui plaira de choisir, en ne consultant que sa volonté ou
ses sympathies;
« Attendu, d’autre part, qu’il est certain que, si la
dame Galangau décède sans avoir satisfait au vœu du
testateur, nul n’au ra, après elle, le droit de réclamer
de ses héritiers naturels la délivrance des biens qui se
trouveront dans son hoirie et provenant du legs du sieur
Micoud ;
« Attendu que le testateur en indiquant les malheu
reux comme devant être l’objet des libéralités de la dame
Galangau, n’a pas circonscrit le choix de cette dernière
dans un cercle assez étroit pour que les appelés fussent
connus et certains ;
« Qu’ainsi, les conditions essentielles de toute substi
tution prohibée manquent dans l’espèce, puisque l’on ne
trouve dans ce testament attaqué qu’un seul legs procé
dant du testateur, et que la désignation des tiers appe-
�234
TRAITÉ DU DOL
lés en second ordre est vague, incertaine, et ne saurait
créer en faveur d’un tiers déterminé une action utile
pour réclamer, après la mort du premier gratifié, le bé
néfice de l’institution.' »
Cet arrêt a le mérite de définir avec netteté et préci
sion le caractère et les conditions de la substitution fi
déicommissaire. Il s’impose donc comme un guide né
cessaire, dans l’appréciation des litiges qui auront pour
objet l’existence de cette substitution.
1 5 9 3 . — L’appel ordine successivo de plusieurs
institués ne constituerait pas la substitution prohibée,
si chacun d’eux n’était tenu de rendre que ce qui se trou
verait encore en ses mains à l’époque de son décès. Une
pareille disposition manquerait de la condition essentielle
à la substitution, à savoir : l’obligation de conserver et
de rendre, le grevé étant, au contraire, libre d’aliéner
à son gré.
1594'. — Il n’en était pas ainsi en droit romain. La
substitution de residuo ou de eo quod supererit était un
véritable fidéicommis tacite. L’obligation de conserver
et de rendre, non inscrite dans l’acte, était suppléée par
la loi. Ainsi le grevé ne pouvait aliéner que dans une
certaine mesure. La part dont il lui était permis de
disposer dut d’abord être déterminée arbitrio boni
viri. Plus tard, Justinien la réduisit aux trois quarts,
�ET DE LA FRAUDE.
235
le quart restant étant de plein droit acquis au subs
titué.'
Cette législation ayant été abrogée par l’art. 7 de la
loi du 30 ventôse an n, toutes ces restrictions ont com
plètement disparu. La substitution de eo quod super erit
n’a plus été depuis un obstacle à ce que le grevé se li
vrât à l’aliénation intégrale des biens, de telle sorte qu'il
n’est pas tenu de conserver, pas même, en quelque sor
te, de rendre, puisqu’il ne restituera en définitive que ce
qu’il n’aura pas aliéné.
Aujourd’hui donc une pareille substitution ne réunit
aucune des conditions exigées par l’art. 896, elle ne sau
rait donc être atteinte par sa disposition, ni entraîner
l’annulation de l’institution principale.
1595. — Mais doit-elle sortir à effet pour les biens
non aliénés par le grevé ? Ces biens pourront-ils être re
cueillis par le substitué ?
1596. — Non, dit M. Rolland de Villargues; en ef
fet, pourquoi cette substitution ne doit-elle pas être re
gardée comme prohibée? C’est parce qu’elle forme une
disposition non obligatoire, une disposition nulle.
Or, à quel titre le tiers substitué pourrait-il récla
mer les biens que le grevé n ’aurait pas aliénés? Ce ne
pourrait être qu’en vertu de cette disposition nulle; or
ce qui est nul ne peut produire d’effets : Quod nullum
1 L. S i
et 88, % 7, Dig. ad Senatusc.
T reb e ll.,
Nov. 108, cap. 1.
�236
TRAITÉ DU DOL
est, nullum produrit effectum.' C’est dans ce sens qu’a
été rendu par la Cour de Paris uu arrêt du 26 janvier
1808.
Cette conclusion est d’autant plus contestable que les
prémisses dont elle découle ne sont nullement vraies. La
disposition de eo quod supererit ne constitue pas la subs
titution fidéicommissaire dont s’occupe l’art. 896 , elle
ne peut donc être atteinte par sa prohibition. Dès l’ins
tant que cette prohibition ne s’applique qu’à la substitu
tion fidéicommissaire, tout ce qui n’est pas celle-ci reste
de plein droit hors de ses atteintes.
Donc, et par cela même, l’institution de eo quod su
pererit n’est pas annulée par l’art. 896. Où est donc la
disposition de la loi qui la déclare telle? S’il n’en existe
aucune, comment pourrait-on admettre une invalidité
que rien ne prononce.
Valable à l’endroit de l’art. 896, la disposition de eo
quod supererit doit, sous un autre rapport, être recon
nue telle; elle est pour l’appelé un véritable legs condi
tionnel. Or, loin de les proscrire, la loi autorise les legs
de ce genre d’une manière formelle.
1 597.
— Mais, dit-on, la condition est ici pure
ment potestative, c’est comme si le disposant avait dit :
je vous laisse mes biens, à la charge de les rendre à
un tel, si vous le voulez. Or, les conditions de cette na
ture, la loi refuse expressément de les admettre.
i Traité des substitutions, n° 332.
�ET
DE
LA
FRAUDE.
237
Merlin repousse avec raison cet argument. Ici, dit-il,
ce n’est pas la pure volonté de l’héritier institué qui
forme la condition du fidéicommis , c’est le défaut
d’exercice de la faculté d’aliéner ; et ce défaut n’est pas
essentiellement l’effet direct et immédiat de la volonté
de l’héritier institué. il peut aussi avoir pour cause soit
la minorité, soit l’interdiction de celui ci, soit un sim
ple manque d’occasion de réaliser les aliénations qu’il
a en vue.
1598.
-- Cette nuance dans la condition n’était pas
échappée à Thevenot d’Essaules, « Le substituant, en» seigne-l-il, peut permettre l’aliénation indéfinie. Une
» substitution qui contiendrait cette clause serait vala» ble, vu qu’il y aurait obligation de rendre, dans le
» cas où le grevé n’aurait pas aliéné. Si in totam alie» nationem permisisset, dit Peregrinus, id testator abs» que dubio facere potuisset, et fideicommissum eo
» casu operaretur non secuta alienalione. Autre chose
» serait si le substituant avait dit au grevé : vous ven» drez les biens, si vous voulez, car alors il n ’y aurait
» aucune obligation de vendre. Ce serait un fidéicom» mis laissé à la volonté absolue du grevé, lequel se» ra itn u l.1 »
1599.
— Concluons donc, avec Merlin et Toullier,
que le fidéicommis de eo quod supererit doit avoir tout
i DesSubst. fldéicom., chap, 48, § 4.
�238
T R A IT É
DU
DOL
son effet; qu’il ne constitue qu’un legs conditionnel que
rien ne défend; qu’en conséquence, à la mort du grevé,
tous les biens non aliénés par lui seront acquis au subs
titué.1 Ajoutons que pour le grevé la faculté d’aliéner
est illimitée ; qu’elle s’entend non seulemennt delà dis
position à titre onéreux, mais encore de celle à titre
gratuit, mais par actes entre vifs seulement. Toute dis
position testamentaire des biens grevés serait radicale
ment nulle.
1600.
— Il en serait à plus forte raison ainsi de
l’institution si quid supererit. Celle-ci avait, en droit
romain, des effet plus énergiques que celle de eo quod
supererit. Dans celle-ci , en effet, la faculté d’aliéner
était bornée, tandis qu’elle demeurait illimitée dans cel
le-là. Aucun doute ne saurait donc raisonnablement s’é
lever aujourd’hui sur sa parfaite légalité.1
1603.
— Au reste, ce que la loi repousse dans les
substitutions, c’est plutôt l’ordre anormal des successions
qu’elles créent que le fidéicommis en lui-même. Celuici, en effet, n’a rien d’illicite lorsque, se référant à la
mor t du disposant, il se renferme dans le simple man
dat de faire soit immédiatement, soit dans un temps dé
terminé, ce que le disposant aurait pu faire lui-même
d’une manière directe, et dont il a été empêché par des
1 V. Zacchariæ, tom. 5. pag 253, et autorités citées à la note 28.
s Cass., 4 4 mars 4832.
�ET
DE
LA
239
FRAUDE.
raisons légitimes. Nous en avons vu un exemple en par
lant des institutions conditionnelles. Nous allons en trou
ver un bien plus décisif dans l’institution fiduciaire.
Celle-ci, en effet, n’est pas même une institution.
Elle ne constitue en réalité qu’un dépôt entre les mains
du grevé; elle ne lui donne que le droit d’administrer
la succession, en attendant l’époque où il devra la res
tituer ; elle ne confère aucune saisine, si ce n’est en fa
veur du véritable, du seul héritier qui est l’appelé.1
De là il suit que le grevé, n’ayant aucun des émolu
ments de la succession, n’a également aucune de ses
charges. Ainsi ses frais d’administration devront lui être
remboursés, tout comme il devra lui-même restituer
les fruits qu’il a perçus , à moins qu’il n’en ait été dis
pensé, en tout ou en partie, par le testament.
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1 6 0 2 . — Remarquons, en effet, que la simple fi
ducie n ’exclut pas la disposition d’une partie ou d’un
objet de la succession , soit en iruits , soit en fond, en
faveur du grevé. Zacchariæ observe avec raison q u ’une
pareille disposition, étant incompatible avec l’institution
générale, est indicative plutôt qu’exclusive de la fiducie.
C’est ce qu’enseignait également notre ancienne juris
prudence. Une forte présomption de la fiducie, dit Montvalon, c’est quand, après la fin de l’administration, le
testateur fait un legs à sa femme d’aucunes choses de la
1 Montvalon, chap. 3, tom. î, pag. 242; — Henrys, liv. 3, quest. 22
et 23, liv. 5, quest. 14.
�240
T R .U T É
DU
DOL
succession.' Il est évident, en effet, qu’on ne ferait
pas un legs particulier à celui qu’on aurait voulu saisir
de toute la succession.
1603. — Enfin, une des conséquences les plus im
portantes de la simple fiducie, c’est qu’elle n’est pas
éteinte par le décès, avant l’époque de la restitution, de
celui qui est appelé à en recueillir le bénéfice. Ce bé
néfice passe de plein droit sur la tète de ses héritiers
légitimes.'
C’est surtout en vue de ce dernier effet que, sous
l’empire des législations permettant les substitutions, la
question de savoir s’il y avait simple fiducie avait une
véritable, une réelle importance. Aussi les jurisconsul
tes s’en étaient - ils vivement préoccupés, en cherchant
à déterminer à quels caractères on devait reconnaître
celle-ci.
1 6 0 4 . — Jacobus Cancerius, célèbre avocat de la
province de Catalogne, qui avait, au témoignage d’Henrys, parlé de l’héritier fiduciaire plus amplement qu’au
cun autre, exigeait, comme marque infaillible de la fi
ducie : 1” que celui à qui l’hérédité devait être rendue
fût enfant du testateur, auquel il soit par conséquent
présumé avoir voulu laisser ses biens plutôt qu’à la mère
ou qu’à son frère ; 2° que cet enfant fût en bas âge et
1 Lococitalo, pag 246 ; — Boniface, tom. v, pag. 244, n° 12.
2 V. 1. 3, 3 3. Dig. De lisuris ; I. 46 et 73, Ad senatuscons. Trebel-
lianvm.
�241
ET DE LA FRAUDE.
tel que le père ait voulu le laisser plutôt sous la charge
d’un ami que d’un tuteur ; 3° que cet ami fût une per
sonne proche et capable du soin que le testateur lui dé
férait : 4° enfin qu’il fût chargé de rendre et restituer
toute l’hérédité, et que par là le testateur ait fait voir
qu’il n’entendait pas que cet héritier fiduciaire se pré
valût des biens qu’il lui commettait.'
1605.
— C’était là une proposition fort contestable
et fort contestée. Que la réunion de ces circonstances fit
présumer la fiducie, c’est ce qu’on pouvait admettre
jusqu’à un certain point; mais qu’elle dût en faire pro
noncer infailliblement l’existence, c’est ce qu’il n’était pas
possible d’admettre en l’état du silence gardé sur l’é
poque de la restitution. En effet, l’institution fidéicom
missaire entraîne, elle aussi, l’obligation de rendre l’en
tière hérédité. Aussi ne voyait-on et ne pouvait-on voir
dans cette obligation une preuve de fiducie que lorsque,
avec la restitution du capital, le grevé devait restituer
les fruits ; ou lorsque l’exécution de l’obligation de res
tituer avait été fixée à une époque déterminée. À défaut
de l’une ou de l’autre de ces circonstances, et lorsque
cette exécution ne devait se réaliser qu’à la m ort, toute
idée de fiducie disparaissait. C’est ce qu’avait admis le
parlement de Toulouse.
Mais ce qui était bien plus contestable encore, c’était
i Ilenrys, liv. 3, quest. 23, n° 6,
IV
16
�TRAITÉ DU DOL
de ne reconnaître la fiducie qu’en tant, par exemple,
qu’il s’agissait de l’enfant du disposant. Ce que celui-ci
pouvait vouloir pour ses enfants, il était dans le cas de
l’exiger pour toute autre personne qu’il jugeait digne de
son intérêt et de son affection. Ainsi les espèces citées
par les lois 46 et 78, Digeste Ad senatusconsultum Trebelliam m , et dans lesquelles il est décidé qu’il y a fi
ducie, présentent précisément cette circonstance que,
dans la première, l’appelé n’avait aucune relation de
parenté avec le testateur; que dans la deuxième, il n’était
que son élève.
D’autre p a r t, la charge résultant d’une fiducie ne
peut être confiée qu’à un homme sur la délicatesse, sur
la loyauté duquel le testateur puisse compter. Comment
donc son choix serait-il restreint à sa propre parenté,
même lorsqu’il ne la croirait pas digne de sa confiance ?
1606.
— Il était donc impossible, en pareille ma
tière, de tracer une règle uniforme et absolue, et puis
que, suivant Henrys lui-même, ce qu’il faut considérer
dans les dispositions de cette nature, c’est plutôt l’inten
tion que les paroles, il faut s’en référer à la règle que
Montvallon rappelle en ces termes : « Que la fiducie
» doit se reconnaître par les termes du testament et la
» volonté présumée du testateur, surtout quand il paraît
» que l’institution a lieu pour conserver l’hoirie à un
» enfant, à un pupille ou à celui qui est en bas âge, et
» que le testateur a déterminé un te mps préfix pour
�ET DE LA. FRAUDE.
243
» la restitution de l’hoirie et le compte des fruits, com» me, par exemple, la fin de la minorité.1 »
1607.
— Sous l’empire du Code, la fiducie est de
meurée ce qu’elle était dans l’ancienne législation, c’està-dire un fait parfaitement légal et valable. L’art. 896
ne saurait l’atteindre, parce que, en réalité, elle ne ren
ferme pas la double institution qui a fait prohiber les
substitutions, parce que le grevé n’est qu’un dépositai
re, qu’un administrateur jusqu’au moment où, l’épo
que de la restitution arrivant, il se démettra entre les
mains de l’appelé; parce qu’enfin ce dernier, saisi par
la mort de son auteur, a seul eu depuis ce moment la
propriété et même la jouissance, puisque les fruits per
çus devront lui être restitués, à moins d’une disposition
contraire, formellement exprimée dans le testament.
Il est évident dès lors que les héritiers légitimes, frus
trés par le testament, auront intérêt à en faire considé
rer la disposition comme constituant une substitution
fidéicommissaire, plutôt qu’une simple fiducie. Une pa
reille prétention amènera la nécessité d’interpréter le
testament, de rechercher si l’intention du testateur a été
de favoriser le grevé de préférence à l’appelé, ou bien
si l’institution est spécialement et particulièrement dans
l’intérêt de celui-ci. À ce point de vue, l’aperçu rétros
pectif auquel nous venons de nous livrer a une incon
testable utilité. En effet, les éléments de celle recherche
i
Loco citalo,
pag. 244.
�244
TRAITÉ DU DOL
demeurent tels qu’ils étaient dans l’ancien droit, c’est-àdire qu’aujourd’hui comme alors les juges auront à con
sulter les termes du testament et les circonstances de fait
propre à fixer d’une manière utile la véritable intention
du disposant.'
1 608,
— C’est par l’application de cette règle que
la jurisprudence a admis ou rejeté la fiducie dans des
dispositions que les propres enfants du testateur invo
quaient à ce titre. Une espèce jugée par la Cour de Nî
mes nous présente un notable exemple du rejet d’une
prétention de ce genre.
En 1791, décès du sieur Anglas, père de quatre filles
en bas âge, laissant un testament public à la date du
2 mai 1791, par lequel il léguait d’abord à chacune
d’elles une légitime, en les instituant ses héritières par
ticulières. Ensuite, après avoir légué à sa femme une
pension viagère, le testateur continue : « En tous et
» chacun ses autres biens meubles, immeubles, noms,
» droits, raisons, actions et hypothèques en général, en
» quoi que le tout consiste ou puisse consister de pré» sent et à l’avenir, ledit testateur a fait, institué et de
» sa propre bouche nommé, pour son héritier univer» sel et général, Barthélemy Anglas, son frère, à la
» charge par lui de rendre l’hérédité à telle de ses qua» tre filles qu’il jugera à propos; et dans le cas où le1 Merlin, vis hèrit. fiel., n» 3; Zacchariæ, tom. v, pag. 246 ; Rolland
de Villargues, n° 134.
�'
ET DE LA FRAUDE.
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
245
dit Anglas, sondit héritier, vienne à se marier, il sera
tenu de faire de suite ladite élection et nomination,
et, dans ce cas seulement, ledit testateur donne à sondit frère Barthélemy la somme de 350 francs pour le
dédommager des soins qu’il pourrait s’être donné
pour travailler et entretenir ses biens ; pour, par ledit
Barthélemy Anglas, héritier, ci-dessus nommé, jouir,
faire et disposer de ses biens et hérédités à plaisir et
volontés , aux conditions ci-dessus , tant en la vie
qu’en la mort, cassant et révoquant tous autres testaments, etc. »
En 1821, deux des filles Anglas ont prétendu que
leur oncle n’avait été institué par leur père qu’à titre de
fiducie et pour la forme; que n ’ayant pas usé du droit
d’élection en temps utile, la succession de leur père de
vait être partagée entre ses quatre filles. Voici les moyens
présentés à l’appui de cette prétention.
Dans le testament on doit rechercher quelle a été
l’intention du testateur plutôt que de s’en tenir au sens
littéral des termes, parce qu’ici c’est la volonté du testa
teur qui fait loi. Conséquemment, il faut, dans certains
cas, convertir, en simple institution fiduciaire, l’institu
tion d’héritier faite sous la charge de rendre. Qu’à la vé
rité, les lois romaines n’offrent, sur ce point, que des
exemples, sans déterminer, d’une manière fixe et ab
solue, quelle était la réunion des conditions nécessaires
pour convertir en simple fiducie l’institution grevée de
substitution. Toutefois, lorsque, comme dans l’espèce,
un père, ayant des enfants en bas âge, institue un pro-
�246
TRAITÉ DU DOL
che parent des enfants, à la charge de leur rendre, ou
à l’un d’eux, son hérédité, la loi déclare que dans ce
cas il y a fiducie, parce que l’intention du père n’a pas
été de déshériter ses enfants ; qu’il a seulement voulu,
en instituant héritier un proche parent, créer un admi
nistrateur avec un titre honorable pour l’utilité de ses
enfants ; qu’ainsi les enfants eux-mêmes sont alors vé
ritablement l’objet delà disposition du testateur; qu’eux
seuls sont saisis directement de la propriété comme hé
ritiers de leur père.
En droit, tels sont incontestablement les effets de la
simple fiducie. Mais était-ce une disposition de ce genre
qu’avait fait Ànglas, ou bien n ’était-ce pas une substi
tution fidéicommissaire? Telle était la véritable, la seule
question que la Cour avait à résoudre, et qu’elle résout
dans le sens de cette dernière.
Les motifs de cette solution sont puisés dans le con
texte, dans les termes du testament lui-même. L’héritier
fiduciaire, dit l’arrêt, est celui que le testateur a chargé
en l’instituant pour la forme d’administrer la succession,
et de la tenir en dépôt jusqu’au moment de la restitu
tion au véritable héritier; qu’ainsi il n ’est héritier que
de nom ; qu’il n ’est pas saisi de la succession ; que la
propriété des biens du défunt n’a jamais reposé sur sa
tête.
Or, en fait, l’arrêt constate que des termes du testa
ment, de l’institution elle-même, des charges dont l’hé
ritier se trouve grevé, des obligations qui lui sont im
posées , résulte une première impossibilité d’admettre
�ET DE LA FRAUDE.
247
que le testateur n ’ait entendu faire qu’une institution
fiduciaire.
Attendu d’ailleurs, continue la Cour, que dans l’es
pèce Barthélemy Ànglas n ’avait pas été chargé de rendre
à une époque fixe et déterminée, et que le testateur lui
avait conféré le droit d’élection ; que l’absence d’un dé
lai fixé pour la remise de l’hérédité ainsi que la faculté
d’élire étaient regardés comme des caractères exclusifs
de la fiducie, d’après la jurisprudence du parlement de
Toulouse, attestée par plusieurs auteurs recommanda
bles et par plusieurs arrêts, notamment par celui du 18
avril 1731, rapporté par M. de Juin, et que c’est ainsi
que l’a jugé la Cour de cassation elle-même, par son
arrêt du 18 brumaire an v, etc.1
1609.
— C’est à bon droit que l’arrêt signale cette
double circonstance : défaut de détermination de l’épo
que de la restitution, faculté d’élire. Il aurait pu ajouter
qu’à son tour l’exercice de cette faculté n’ayant pas été
limité pouvait n ’être réalisé qu’à la mort du grevé, libre
dès lors de retenir sa vie durant la jouissance de l’héré
dité. Les conséquences que la Cour déduit de l’une et de
l’autre sont parfaitement juridiques.
En effet, la fiducie suppose que l’institution actuelle de
celui qu’on veut réellement instituer offre des inconvé
nients contre lesquels le testateur est bien aise de se
précautionner dans l’intérêt de son héritier. Il est donc
1 Ntmes, 18 mai 1823- — D. P., 25, 2,24.
�248
TRAITÉ DU DOL
rationnel que la mesure, qu’il prend à cet effet, soit su
bordonnée à l’existence de ces inconvénients et qu’elle
cesse avec les causes qui l’ont déterminée. La remise
par le grevé sera donc limitée à un certain temps, à une
époque fixe. C’est ainsi que, dans les espèces citées
dans les lois romaines, nous trouvons l’obligation, lors
que l’héritier aura atteint sa quinzième, sa seizième, sa
vingtième année ou un âge déterminé, certcm œtatem.
Alors, en effet, il sera vrai de dire que le terme stipulé
est en faveur de l’héritier lui-même, condition essentielle
pour qu’on puisse admettre la fiducie. Cette condition n’existe plus dès que la faculté de ren
dre est illimitée, que le grevé est libre de la proroger jus
qu’à sa mort. Le terme est alors en sa faveur exclusive
ment, c’est lui que le testateur a préféré, même à son hé
ritier ; il n’y a donc plus dès lors fiducie, mais bien une
vraie substitution fidéicommissaire.
Que sera-ce, si à côté de cette circonstance, vient se
placer celle du défaut de désignation d’un héritier de la
part du testateur ; si cette désignation a été laissée au
grevé, sans même qu’aucun terme ait été apporté à la
faculté d’élire ? Comment, en présence de pareilles sti
pulations, concevoir la pensée d’une fiducie ? Comment
osera-t-on se présenter comme héritier préféré par le
défunt, alors qu’il n’existe même pas d’héritier. En effet,
tant que le grevé n’a pas exercé son droit d’élire, les en
fants mêmes du testateur sont réduits à une simple es
pérance, aucun d’eux ne peut agir, parce qu’il n’a pas
la certitude d’être préféré : Nec petere priusquam po-
�249
ET DE LA. FRAUDE.
te r it, quamdiu alius prœferri potest. C’est pourquoi ,
ajoute Henrys, le fidéicommis est d’autant plus censé
conditionnel, qu’il dépend d’une élection future et in
certaine, qui se peut faire de diverses personnes et dans
un temps incertain ; et partant, pendant cette condition
et dans l’intervalle de l’événement, l’héritier institué
et chargé de rendre ne laisse d’être réputé, comme il
l’est, vrai propriétaire, quoique non incommutable. Car,
comme dit la loi non ideo. Digeste Berei vindicat : non
ideo minus recte quid nostrum est vindi cabimus, quod
abire a nobis dominium speratur si conditio legati extiterit.'
Or, si le grevé chargé d’élire est vrai propriétaire
tant qu’il n’a pas fait élection, comment concilier la clau
se qui lui donne la faculté de la retarder jusqu’à sa mort,
avec l’idée d’une simple fiducie ne conférant qu’un droit
d’administration. Concluons donc qu’une clause de ce
genre constitue une disposition fidéicommissaire et non
une fiducie.
y
1610.
— Au reste, nous le répétons, il n’ya en cette
matière aucune règle absolue. Comme toutes les questions
de pur fait, la recherche de l’intention du testateur doit
se résoudre par les impressions que le magistrat reçoit
des circonstances spéciales à chaque litige, il est bien
tels et tels éléments qu’on ne doit pas négliger ; mais ,
sur le tout, la loi ne pouvait que s’en référer , à la cons
cience et aux lumières des tribunaux.
1 Liv. S, chap. 3, quest. 14, n° 5,
\
�250
TRAITÉ DU DOD
1 6 1 1 . — Si l’existence d’une simple fiducie est re
connue, la disposition est valable. Le testament doit sor
tir à effet, en tant cependant que l’appelé ne serait pas
déclaré par la loi incapable de recueillir.
Or la question de capacité ne saurait occasionner le
moindre embarras, si l’appelé était nommément désigné
dans la disposition. La connaissance de son individua
lité décide en même temps de sa capacité.
1 6 1 2 . ~ Aussi peut-on, sans trop de témérité, pré
voir que celui qui désirera, au mépris de la loi, avan
tager un incapable, se gardera bien de le désigner dans
le testament . C’est par une voie détournée qu’il tentera
de se soustraire à la prohibition de la loi. Le moyen le
plus communément employé sera le fidéicommis à per
sonne interposée, tacitement chargée de rendre à l’inca
pable.
1615.
— Si le fidéicommis est exprès, à savoir : si
le testament, contenant un legs en faveur d’une person
ne, charge expressément celle-ci de lui donner la desti
nation entendue, l’interposition de personne est plus fa
cilement appréciable. L’existence d’un incapable que le
testateur a dû vouloir avantager, les relations que l’ins
titué apparent a de tous temps entretenues avec celui-ci,
sont autant de présomptions pouvant devenir plus ou
moins décisives. L’interposition serait même de plein droit
admise, si l’institué était, par rapporté l’incapable, dans
la catégorie des personnes indiquées dans l'art. 911 du
Code civil.
�251
ET DE LA FRAUDE.
Mais ce qui arrivera le plus ordinairement, c’est que
la disposition, en faveur de l’incdpable, sera déguisée
sous les apparences d’une donation ou d’un legs pur et
simple, le testateur se taira sur l’obligation de rendre.
L’institution sera en apparence sans condition , mais
l’institué, dépositaire verbal de la volonté de l’insti
tuant , ne sera en réalité que le ministre de cette volon
té, en d’autres termes, le fidéicommis sera tacite. Celuici en effet n’a pas eu d’autre but dans l’origine que le
moyen de donner à des personnes que la loi déclarait
incapables de recevoir, et, depuis, il n’a pas failli à cette
mission de fraude.
1614. — « Comme ceux, ditDomat, qui veulent faire des dispositions défendues interposent d’autres personnes à qui ils donnent pour rendre à ceux à qui
ils ne peuvent donner, on appelle fidéicommis tacites
ces dispositions secrètes qui, en apparence, regardent
les personnes interposées et qui en effet, et dans lesecret, sont destinées à ceux à qui la loi défend de donner. Ces sortes de fidéicommis sont illicites, de même
que le serait une disposition où les personnes, à qui
on ne peut donner, auraient été nommées.'»
Le même auteur explique l’effet de ces dispositions
illicites, à l’égard de la personne interposée, en ces ter
mes : « Ceux qui prêtent leur nom à ces fidéicommis
»
»
»
»
»
»
»
»
»
i L o i s c i v . , liv. 5, sect. 3. n°s 5 et suiv. ; — V. Furgole,
chap. 6, sect. 3.
des
Test.
�252
TRAITÉ DU DOL
» tacites, soit qu’ils s’engagent par écrit ou verbalef> ment, ou qu’en quelqu’autre manière que ce puisse
» être, ils reçoivent à dessein de rendre aux personnes
» à qui le testateur ne pouvait donner, sont considérés
» par les lois comme s’ils dérobaient ce qu’ils peuvent
» recevoir d’une telle disposition, et, loin d’être obligés
» par là de remettre ce qu’ils pourraient avoir reçu aux
» personnes que le testateur avait regardées, ils ne con» tractent pas d’autres engagements que de restituer
» aux héritiers ce qu’ils peuvent avoir reçu à ce titre,
» avec les fruits et intérêts même échus avant la de» mande. »
1 615. — Cette solution est encore aujourd’hui in
contestable. Donc l’intérêt des héritiers à établir l’exis
tence du fidéicommis tacite est évident. Cette justification
les mettra à même de contraindre la personne interpo
sée à leur restituer tout ce qu’elle serait appelée à pren
dre dans la succession, ou tout ce qu’elle y aurait déjà
pris, mais cette justification n ’est pas chose facile. On
pourrait d’autant moins se le dissimuler que si le fidéi
commis tacite peut être établi par écrit, il ne résultera
souvent que d’une confidence purement verbale.
1616. — Il faut donc, en pareil cas, recourir aux
principes généraux, en matière de fraude ; à la loi, pour
la solution de la question de savoir quel est le mode de
preuve admissible. La preuve orale doit-elle être ex
clue ? Or la solution, à notre avis, résulte de ces prin-
�ET DE LA FRAUDE.
253
cipes généraux et des motifs puissants sur lesquels ils
reposent.
Exiger la preuve écrite pour le fidéicommis tacite ,
c’était formellement renoncer à l’atteindre et permettre
à la fraude de triompher impunément de la volonté du
législateur. Une disposition de cette nature n’exige au
cun écrit, la simple recommandation verbale la constititue légalement. Comment donc vouloir un écrit quel
conque, lorsqu’il n ’en a été rédigé aucun ? Comment sur
tout ne pas admettre la preuve orale, lorsque la disposi
tion n’aura pas elle-même d’autre caractère?
D’ailleurs, nous l’avons déjà dit, ce mode de preuve
est toujours admissible, lorsqu’il s’agit d’une fraude à
une loi d’ordre public. La partie complice de la fraude
peut elle-même l’invoquer. Or les lois, se référant à la
capacité de recevoir soit par actes entre vifs, soit par tes
tament, sont essentiellement d’ordre public, donc, la pré
tention qu’elles ont été violées est susceptible d’être éta
blie par la preuve testimoniale.
C’est au reste ce qui a été toujours admis en doctrine
et en jurisprudence, notamment en ce qui concerne les
dispositions qui nous occupent. Les fidéicommis tacites,
dit Domat, peuvent se prouver non seulement par des
écrits, s’il y en avait, mais encore par les autres sortes de
preuves, et cette règle a été admise par les jurisconsul
tes modernes.'
i Domat et Furgole, loco citato. ; — V. Rolland de Villargues, n» 348;
—-Touiller, t. v. n» 77 ; — Grenier, 1 . 1, n“ 136 ,-Fayard, v°, fidéicom.
tacite.
�254
TRAITÉ DU DOL
Plusieurs fois saisie de la question, la Cour suprême
l’a constamment décidée dans le même sens. C’est ce
qu’elle jugeait notamment dans un arrêt du 5 août 1841.
Il s’agissait, dans l’espèce de cet arrêt, d’un legs fait à
une personne appartenant, en qualité de supérieure, à
une communauté, religieuse non autorisée, par un mem
bre de cette communauté. On attaquait ce legs comme
fait, par interposition de personne, au profit de la com
munauté elle-même, et on en demandait en conséquence
l’annulation, comme s’adressant à un être moral sans
existence légale. L’annulation ayant été prononcée par
la Cour de Nîmes, l’arrêt devint l’objet d’un pourvoi en
cassation que la Cour suprême rejeta, sur les motifs sui
vants :
« Attendu que l’arrêt attaqué ayant jugé en fait, tant
d’après les actes, faits et documents de la cause, que
d’après l’interrogatoire sur faits et articles de la demoi
selle Couderc, que ce n’était pas cette dernière qui était
en réalité la véritable légataire instituée par la dame
Gallet, mais bien la communauté existant sans autori
sation à la Louvèse, cet arrêt, en tirant ensuite la con
séquence que le legs était nul et caduc, n’a fait qu’ap
pliquer les vrais principes en matière de légataire incer
tain et non existant.’ »
1 617.
— Ainsi, l’existence d’unfidéicommis tacite,
en faveur d’un incapable, peut être établie par la preuve
J. D. P .,t. 11, 1841, p 858; — V. Cass., 18 mars 1818
�ET DE LA FRAUDE.
255
testimoniale. Mais quels sont les caractères essentiels de
cette preuve? Doit-elle, pour être probante, justifier que
la personne chargée de rendre en a pris l’engagement
verbalement ou par écrit ? suffit-il, au contraire, qu’elle
démontre l’intention du testateur ?
1 6 1 8 . — Cette question était, sous l’empire du droit
romain et de notre ancien droit, l’objet d’une controverse
parmi les jurisconsultes. Les uns exigeaient que l’insti
tué eût pris l’engagement de rendre, et voici les motifs
de leur opinion.
La loi 10, Digeste De his quœ ut indig., aufer. ne
laisse aucun doute sur la nécessité de cet engagement :
ln fraudem ju ris fidem accomodat, quid vel id quod
relinqmtur , vel aliud, tacite prom ittit restiturum se
persona, quœ legibus ex testamento capere prohibetur, sive chirographum eo nomine dederit, sive nuda
pollicitatione promiserit. La même exigence se prou
ve encore formellement répétée dans la loi 3, Digeste De
jure fis ci.
1 619. — Ainsi, dit notamment Cujas,' le législa
teur ne fait résulter l’indignité du grevé que de l’enga
gement qu’il prend, soit par écrit, soit verbalement, d’o
pérer la restitution en vue de laquelle le testateur l’a ins
titué, et cela est fort rationnel. Qu’importe, au fond, la
volonté plus ou moins certaine du disposant. Le béné
ficiaire ne peut être puni que de sa propre fraude. Cel-
�256
TRAITtë DU DDL
le—ci ne saurait exister que si, connaissant celle du tes
tateur, il en a assumé la complicité en s’y associant.
Comment donc prouver cette complicité, si on ne justi
fie pas que, connaissant l’intention de ce dernier, il s’est
engagé au moins verbalement à la réaliser ?
1620.
— La volonté d’instituer un incapable, di
saient les partisans de l’opinion contraire, étant certaine
et acquise, le grevé excipant du défaut d’engagement de
sa part et prétendant retenir la disposition pour son com
pte, encourrait l’indignité par un double motif: d’abord
parce qu’il n’aurait pas pour lui la volonté du testateur,
lequel n’a eu pour objet, en l’instituant, que de favori
ser l’incapable. Cette absence de volonté seule est, en ef
fet, un motif d’incapacité, aux termes de la loi 12 Di
geste De his quœ ut indig. aufer. ; ensuite, parce qu’il
refuserait de remplir la charge à lui imposée par le tes
tateur et en considération de laquelle la libéralité lui a
été faite, et qui était une condition ou une cause finale
qui donnerait lieu à la répétition : Conditione causa
dali, causa non secuta. Et comme les fidéicommis n’ont
besoin d’aucune sorte de formalité d’écriture, ni de té
moins, il est indubitable que lorsque le testateur s’est
confié à la bonne foi de son héritier ou de celui qu’il a
chargé verbalement de rendre l’hérédité ou un effet par
ticulier, le fidéicommis est valable, aux termes du pa
ragraphe dernier aux lnstitutes De fidéicomm. hœred.
et de la loi dernière au Code De jidéicom. ainsi, les suc
cesseurs ab intestat prenant la place du fidéicommis-
�ET DE DA. FRAUDE.
257
saire incapable, il s’ensuit qu’ils ont le droit d’obliger le
grevé à remplir le fidéicommis, mais en leur faveur.
1 6 2 1 . — Ce dernier avis, dit Furgole, me paraît
plus équitable et plus conforme à nos maximes. Il n’est
pas juste, en effet, qu’un héritier ou légataire profite
d’une libéralité dont il n ’est pas l’objet et dont il n’est
que le ministre ou le moyen pour la faire passer à un
autre. Il est encore moins juste qu’il tire un avantage
de sa perfidie et que, contre la volonté et l’intention du
défunt, il conserve un bien qui n’était pas destiné pour
lui.1
Furgole ajoute : Malgré que depuis l’ordonnance de
1667 on ne puisse plus argumenter des lois dernières
aux Instituas et au Code avec le même avantage qu’a
vant, on doit cependant tenir que le fidéicommis doit
être annulé par la preuve seule de la volonté du testa
teur de substituer un incapable à celui qu’il institue.
Divers arrêts l’ont, ainsi jugé , notamment celui du
2 juillet 1708, décidant que, pour prouver un fidéi
commis ou un avantage indirect entre mari et femme ,
il n'est pas nécessaire qu’il y ait preuve par écrit du fi
déicommis, ni même de présomptions qu’il y ait eu con
vention entre le testateur et le légataire ; qu’il suffit qu’il
y ait des présomptions violentes de l’intention du tes
tateur.
1 622. — Cette doctrine , admise sous l’empire de
�258
TRAITÉ DU DOL
l’ordonnance, ne saurait être répudiée par le Code, qui
n’a fait que consacrer les principes de celle-ci. Consé
quemment, la preuve que la personne nommée dans la
disposition n’a pas été celle que le testateur a entendu
et voulu instituer; qu’elle n ’y figure que comme un
prête-nom; qu’en qualité d’intermédiaire, chargé de
transmettre à l’incapable, ferait annuler le testament.
L’intention du testateur clairement démontrée, à quel
titre le légataire ou l’héritier apparent demanderait-il
le maintien de la disposition? Pour la faire sortir à ef
fet en faveur de l’incapable? Mais c’est précisément ce
que la loi veut expressément empêcher ; pour s’en ap
pliquer personnellement le bénéfice? Mais il n’a été ins
titué que pour la forme et à la condition de restituer,
et du jour où, foulant aux pieds la condition, il tenterait
de s’y soustraire, il ajouterait le vol à la fraude et se
constituerait, dès lors, doublement indigne.
Ce qui est décisif dans les testaments, c’est l’intention
qui les a dictés. Celle-ci, justifiée dans le sens d’un fidéicommis en faveur d’un incapable, il importe peu que
l’institué ait ou non un engagement pour la faire sor
tir à effet. Cet engagement est de plein droit présumé,
par cela seul qu’il est certain que le testateur ne l’a ap
pelé que comme personne interposée. Cela suffit, en ef
fet, pour prouver qu’il n’a aucun droit à la chose lé
guée, que l’intention du disposant n’a jamais été de lui
donner personnellement.
Conséquemment, l’existence de cette intention est la
chose essentielle et décisive ; elle peut et doit être prou-
�ET DE LA FRAUDE.
259
vée par toute sorte de preuves; par documents, par l’a
veu, par la correspondance, comme par témoins et par
présomptions.
1623.
- Il n’en est pas ainsi d’une substitution
prohibée. La preuve de son existence ne peut résulter
que d’un écrit ayant les caractères et les formes d’un
acte de donation entre vifs ou testamentaire. À cet égard,
la doctrine est à peu près unanime. Seul, Merlin, sou
tient qu’il doit en être de la substitution fidéicommis
saire prohibée comme du fidéicommis en faveur de l’in
capable. Mais ce n ’est pas en faveur de son opinion que
se prononce la jurisprudence.1
Dans la substitution, en effet, la première institution
est sérieuse. Son existence est indispensable, puisque
ce n’est qu’après la jouissance de celui qui en est l’ob
jet que l’hérédité doit être restituée. Le testament qui la
renferme est donc régulier ; il ne saurait, dans aucun
cas, être querellé de simulation.
Que faut-il donc, si ce testament ne renferme que
cette institution, pour qu’on puisse y voir une substitu
tion fidéicommissaire ? Prouver qu’à côté d’elle existe
une autre institution, un autre héritier indiqué pour en
recueillir le bénéfice ordine successive» ; en d’autres ter
mes, justifier qu’il existe un nouvel et second testament.
1 Zacchariæ, tom. v, pag 270 ; — De Villargues, nos 3S0 et 351 ; —
Dalloz, v» subst., pag. 216, nos 3 et 4; — Limoges, 11 janvier 1841 ; —
Cass., 16 mars 1842; — Sirey, 41, 2, 265 et 4 2 ,1 , 627; — Cass., 18
juin 1835, 22 décembre 1814; — Contra, Merlin, v° subst. fidéicom
S 14
�260
TRAITÉ DU DOU
Or, cette justification ne peut résulter que d’un acte
non seulement écrit, mais encore revêtu de toutes les
formes exigées pour les actes de dernière volonté. Donc,
la preuve testimoniale est nécessairement impossible.
Dans ce cas, d i r a - t - o n , il s’agit cependant d’une
fraude à une loi d'ordre public, ni plus ni moins que
dans le fidéicommis en faveur de l’incapable. Pourquoi
donc une différence aussi radicale dans le mode de
preuve admissible ?
Pourquoi? Parce que, ce que la loi prohibe dans les subs
titutions fidéicommissaires, ce n’est pas, à proprement
parler, la possibilité d’une transmission des mêmes biens
dans un ordre successif et à des personnes désignées ou
convenues d’avance ; ce qu’elle a voulu proscrire sur
tout, ce sont les graves, les nombreux inconvénients qui
naissent de l’indisponibilité des biens grevés, de la fa
cilité qu’elles offrent à la fraude contre les tiers aux
quels le grevé aurait affecté les biens ostensiblement en
sa possession. Or, supposez une substitution non écrite
dans le testament, et cependant fidèlement et religieuse
ment exécutée par le grevé, est-ce que les droits acquis
par les tiers sur les biens de l’hérédité du chef du grevé
et pendant la durée de sa jouissance pourront en être
atteints? Non évidemment, car le pacte en vertu duquel
la substitution s’opérerait ne pourrait pas même leur
être opposé, et qu’institué par le grevé, l’héritier de ce
lui-ci ne serait pas même recevable à soutenir qu’il tient
ses droits de la disposition qui l’avait institué lui-même.
Au contraire, dans le fidéicommis au profit de l’in-
�ET DE LA FRAUDE.
261
capable, l’objet de la prohibition de la loi serait cons
tamment atteint si la preuve orale n’était pas admise.
D’ailleurs, il ne s’agit plus d’établir l’existence de deux
dispositions distinctes, ce qu’on veut prouver-, c’est qu’il
n’y a pas de testament régulier, parce qu’il n’y a pas
d’héritier ou de légataire sérieux, puisque celui qui y
figure comme tel, n’y figure que pour couvrir une in
terposition frauduleuse de personne; qu’il n’est qu’un
prête-nom fictif. En d’autres termes, il s’agit, dans ce
cas , de l’annulation du testament comme irrégulier.
Dans celui de substitution arguée, on veut établir l’exis
tence d’un second testament, tout en respectant le pre
mier, dont il modifie les dispositions. On comprend,
dès lors , que la preuve orale, admissible dans le pre
mier cas, ne puisse et ne doive pas l’être dans le second.
Un testament oral, fût-il certain, ne saurait créer aucun
droit, produire aucun effet.
1624.
— Le fidéicommis tacite n’est plus qu’une
fiducie, si celui au bénéfice duquel il est réservé est ca
pable de le recueillir; il doit donc sortir à effet. On peut
faire indirectement ce qu’il est permis de faire d’une
manière directe. Or,' des motifs de haute convenance ,
l’intérêt et le repos de la famille peuvent empêcher qu’un
testateur nomme publiquement telle ou telle personne
qu’il croit cependant devoir avantager. Se confiant à un
ami, à qui il dévoile ses intentions, il le charge de les
réaliser, il n’y a là rien d’illicite. Le capacité de la per
sonne instituée réellement créerait un obstacle même à
�TRAITÉ DU DOL
toute demande en preuve de l’existence du fidéicommis
tacite. En effet, rapportée qu’elle fû t, cette preuve ne
pourrait faire annuler la disposition, et, dès lors, la de
mande en serait repoussée par application de la maxime
feusira probatur, quod probatum non relevât.
1625.
— Mais ce fidéicommis peut donner nais
sance à une fraude d’un autre genre. L’intermédiaire
chargé de son exécution, oublieux de ses devoirs et trom
pant la confiance dont il était indigne, pourrait vouloir
profiter personnellement de la disposition faite en sa
faveur. Celui qui se prétendrait réellement appelé à en
recueillir le bénéfice serait-il recevable à prouver cette
qualité et à établir l’existence du fidéicommis, même
par la preuve orale ?
I
I!
I
Cette question peut paraître délicate surtout lorsque,
la disposition étant pure et simple, rien dans le testa
ment ne prouve l’existence d’un fidéicommis. Cepen
dant, comme après tout il ne s’agit pas de créer une
disposition ; que la preuve offerte n’a pas d’autre objet
que d’assurer la pleine et entière exécution de l’inten
tion véritable du testateur, nous adopterions facilement
l’affirmative, par application des principes que nous
avons vu régir, la preuve du fidéicommis en faveur de
l’incapable.
D’ailleurs, l’abus que le légataire ou l’héritier pré
tend faire du testament est un véritable dol. Son exis
tence rend la preuve orale admissible, soit en vertu de
l’exception que le dol crée à tous les principes, soit en
�ET DE LA FRAUDE.
263
vertu de l’art. 1348 , qui permet d’y recourir lorsque
la partie a été dans l’impossibilité de rapporter une
preuve écrite.
Mais aucun doute ne pourrait s’élever sur cette ad
missibilité, si l’intention de ne faire qu’un fidéicommis
était clairement manifestée par le testament. Alors, en
effet, il y a certitude que l’héritier ou le légataire ins
titué est tenu de restituer. Celui qui veut le contraindre
à le faire en sa faveur est-il réellement la personne in
diquée par le testateur? Telle est Tunique difficulté à ré
soudre ; et comment pourrait-on le faire jam ais, si on
ne pouvait recourir à la preuve testimoniale pour la
justification des faits susceptibles d’établir le droit con
testé?
1626.
— C’est par ces considérations que la Cour
de Pau a déclaré cette preuve recevable dans l’hypo
thèse suivante :
Le vicomte de T... rédige un testament renfermant
la clause qui suit : .Te lègue à Roger de Vie, mon ami,
20,000 francs, payables dans dix ans du jour de mon
décès, et, en attendant le paiement, l’intérêt en sera
exigible à compter de mon décès, exempt de toute rete
nue; voulant que Roger fasse l’emploi du présent legs
tel que je lui ai indiqué et qu’il n ’en soit comptable à
personne, prohibant par exprès à mes héritiers et à tous
autres toute réclamation à ce sujet; et audit cas de ré
clamation, je veux que le legs tourne au profit dudit
Roger comme étant à lui fait personnellement, et en cas
�que ce dernier vint à décéder avant l’ouverture dudit
legs, je veux qu’il soit réversible sur la tête de l’abbé
L..., aux clauses et conditions exprimées pour ce qili
concerne ledit Roger, ayant audit L..., mon autre ami,
fait la même communication d’emploi que celle que j’ai
faite audit Roger.
En 1793, décès du testateur; à cette époque Roger
n’existait déjà plus, et l’abbé L......était en émigration.
La veuve du testateur, soupçonnant que le legs de francs
20,000 était sans doute destiné à une fille nommée Dé
sirée, que son mari avait fait élever secrètement chez
le sieur Roger de Vie, a fait payer à cette fille une pen
sion égale aux intérêts du legs.
En 1806, l’abbé L......rentre en France. Il réclame,
soit contre les enfants du testateur, soit contre leur mè
re, leur tutrice, le paiement, avec intérêts, du legs se
cret de l’emploi duquel il est chargé. La veuve répond
qu’elle est prête d’en faire la délivrance, mais elle exige
que les intérêts qu’elle a payés jusque-là à la demoiselle
Désirée soient précomptés. L’abbé L...... accepte cette
déduction.
Cependant, et après deux ans écoulés sans qu’aucun
emploi ait été donné au legs, la demoiselle Désirée, pré
tendant que c’est elle que le testateur a voulu gratifier,
en demande le paiement à l’abbé L......qu’elle poursuit
judiciairement.
Interrogé sur faits et articles, celui-ci répond : que la
demoiselle Désirée est étrangère an legs de 20,000 francs ;
que la mission dont l’a chargé le testateur (consiste en
�ET DE LA FRAUDE.
265
plusieurs emplois secrets; que le capital de 20,000 fr.
ne lui appartient pas ; qu’il est destiné à tout autre qu’à
lui, mais qu’il n’est pas obligé de nommer la personne
indiquée.
La demoiselle Désirée offre alors la preuve de faits
tendant a justifier sa prétention , et le tribunal, sans
s’arrêter à diverses fins de non-recevoir proposées par
l’abbé L.... , ordonne cette preuve. Ce jugement étant
frappé d’appel, le litige est déféré à la Cour de Pau; il
était sur le point d’être jugé, lorsqu’une transaction in
tervint, en vertu de laquelle Désirée reçoit 9,000 francs.
Par suite de cette transaction, un arrêt du 24 juillet
1811, relaxe l’abbé L.....des demandes formées contre
lui par la demoiselle Désirée.
Huit ans après, une autre personne, Rose Hautmont,
se présente comme ayant droit à la moitié du legs de
20,000 francs. A sa requête, l’abbé L......est de nou
veau interrogé sur faits et articles, et, à la suite de cet
interrogatoire, Rose Hautmont, cotant des faits justifica
tifs de sa demande, offre de les prouver par témoins.
L’abbé L......, qui n’avait encore fait aucun emploi
du legs, suit contre la demoiselle Hautmont le système
qu’il avait d’abord suivi contre la demoiselle Désirée. En
conséquence, il soutient que la demande est non rece
vable : 1” par application de la clause du testament, pro
hibant aux héritiers et à tous autres toute attaque con
tre sa disposition ; 2° par application des ordonnances
de 1667 et 1735, exigeant que les dispositions de der
nière volonté ne puissent être établies que par écrit.
�266
TRAITÉ DU DOL
Mais le tribunal de Pau repousse ces deux fins de
non recevoir et admet la preuve. Nous allons transcrire
quelques-uns des motifs du jugement. Après avoir rap
pelé un à un tous les incidents de l’instance suivie en
1 808 par la demoiselle Désirée, le tribunal continue :
« Attendu que ces faits doivent porter la justice à sus
pecter de plus en plus la bonne foi de l’abbé T,......, si
l’on se rapporte à ses réponses dans le premier interro
gatoire, à savoir : que Désirée n’avait aucun droit aux
20,000 francs légués, et que s’il n’avait pas fait les em
plois par lui prétendus, il en avait été empêché par ellemême ; que l’abbé L......est loin d’avoir répondu d’une
manière satisfaisante à des contradictions qui nedoivent
pas être sans influence sur le rejet ou l’admission des
preuves, si, examinant sa conduite ultérieure, on ne voit
pas en lui plus de fidélité ou d’empressement à exécuter
le mandat verbal que lui donne son ami ;
« Qu’il aurait déjà, en 1808, selon sa réponse, accom
pli la volonté du testateur sans la demande indiscrète de
la demoiselle Désirée ; interrogé, néanmoins, douze ans
après, le 12 mars 1820, s’il a fait le paiement du ré
sidu du legs, il répond qu’il doit rendre encore une gran
de partie de la somme; il ne dit rien des intérêts qu’il
parait avoir tournés à son profit ; il ne prétend point en
avoir fait le paiement à qui que ce soit, pas plus que
du capital ; que la volonté du testateur n’est donc pas
encore remplie puisqu’un seul emploi n’est pas encore
fait, quoique, d’après le sieur abbé L ..., la somme lé
guée eût pour objet plusieurs emploits divers ;
�ET DE LA FRAUDE.
267
« Qu’il résulte de toutes ces circonstances et autres
faits contenus dans les interrogatoires et autres pièces
du procès, que l’abbé L......parait avoir été infidèle à son
mandat ; qu’il paraît n’avoir nullement exécuté les inten
tions ni la volonté du testateur, intention qui devait être
d’autant plus sacrée pour lui, qu’elle fut entièrement
confiée à sa bonne foi et à son honneur ; qu’il est donc
en présomption de fraude ; et qu’il résulte assez claire
ment de ce qui précède que l’exécuteur testamentaire
semble vouloir faire tourner à son profit le résidu de la
somme léguée, comme il fit précédemment tous ses ef
forts pour priver la demoiselle Désirée d’une somme que
l’événement prouva lui être légitimement due ;
« Attendu qu’il est de principe que personne ne
peut tirer avantage de son dol, que ces présomptions
de fraude demeurant, il faut examiner en point de droit
si les preuves offertes peuvent être admises sous ce
rapport ;
« Qu’il ne saurait y avoir le plus léger doute à cet égard,
parce que, toujours, la prohibition des preuves orales
disparait, lorsqu’on allègue le dol et la fraude et que des
présomptions suffisantes paraissent les établir. »
Examinant ensuite l’objection tirée des termes de l’or
donnance de 1735 et de l’art. 1341 du Code civil, le ju
gement déclare qu’on ne doit pas s’y arrêter, attendu
que la preuve offerte n’a pas pour objet de prouver con
tre le titre , qu’elle ne tend qu’à justifier la destination
affectée au legs par le testateur lui-même, affectation
dont la demanderesse n’avait pas été à même de sepro-
�268
TRAITÉ DU DOL
curer une preuve écrite, ce qui la placerait dans le cas
d’exception prévu par la loi.
L’abbé L......se pourvut par appel contre ce jugement;
mais vainement. La Cour de Pau le confirma avec adop
tion des motifs.1
1 6 27.
— L’arrêtiste indique, comme professant une
doctrine contraire, un arrêt de la Cour de cassation du
28 décembre 1818. Mais il suffit de jeter un coup d’œil
sur l’espèce de cet arrêt pour être convaincu qu’il ne
saurait de près ni de loin infirmer celui que nous ve
nons d’indiquer. En effet, la question soumise à la
Cour suprême était celle de savoir si les contradictions
entre les dispositions testamentaires, si leur ambiguité ,
peuvent être expliquées ou dissipées par la preuve tes
timoniale. La Cour consacre la négative ; Attendu que
s’il se rencontre dans le testament des dispositions soit
obscures, soit ambiguës, soit contradictoires et incon
ciliables, il appartient aux tribunaux d’interpréter les
premières ou de déclarer les dernières nuiles et comme
non écrites ; mais que, soit qu’il y ait lieu à interpréta
tion, soit qu’il faille déclarer nuiles les dispositions qui
se détruisent respectivement, l’un et l’autre de ces cas
sont dans les attributions exclusives des juges saisis de
la contestation ; que c’est dans l’acte lui-même, d’après
leurs lumières et leur conscience, qu’ils doivent puiser
les raisons de décider , et non dans la déposition de
�ET DE LA FRAUDE.
269
témoins, même sous le prétexte d’un commencement de
preuve par écrit ; qu’en effet depuis l’ordonnance de
1735, dont les principes ont passé dans le Code civil,
la loi n’admet la preuve testimoniale ni pour créer des
dispositions qui ne sont pas écrites dans le testament,
ni pour expliquer celles qui sont obscures, ni pour ré
voquer ou modifier celles qui sont rédigées dans les for
mes prescrites, ni, en un mot, pour rechercher la vo
lonté du testateur.
Or, demander à prouver qu’on est l’objet dufidéicommis résultant du testament, ce n ’est pas vouloir créer une
disposition non écrite, ni expliquer une disposition obs
cure, ambiguë ou contradictoire, ni provoquer la révo
cation d ’aucune d’elles, ni enfin rechercher l’intention
du testateur, clairement indiquée par le testament ; c’est,
en réalité, faire restituer à cet acte l’exécution légitime
qu’il doit recevoir, c’est enlever à un intermédiaire in
diqué un avantage qui ne lui a jamais été déféré, c’est
vouloir justement se soustraire à une dénégation fraudu
leuse et dolosive qu’un sordide, qu’un impie intérêt ose
inspirer. Conséquemment, ce qui serait illégal serait le
refus de la preuve testimoniale, sans laquelle lq mauvai
se foi et la déloyauté les plus insignes usurperaient des
droits apartenant à autrui.
Rendue dans cette dernière hypothèse , la décision
de la Cour de Pau ne rencontre aucune contradiction
dans l’arrêt de la Cour de cassation du 28 décembre
1818.
�270
TRAITÉ DU DOL
1 6 2 8 . — L’action en nullité d’une substitution pro
hibée ou d’un fidéicommis en faveur d’un incapable ,
que les héritiers refuseraient ou négligeraient de pour
suivre, pourrait être exercée par leurs créanciers. Ce
refus constituerait une véritable renonciation au pré
judice de ceux-ci. Ils pourraient donc, en vertu de l’art.
1166, se faire subroger à leur débiteur et faire ce qu’il
ne voulait pas faire lui-même. Ils pourraient aussi en
vertu de l’art. 1167, attaquer en leur nom la transac
tion par laquelle l’héritier abandonnerait, en fraude
de leurs droits, tout ou partie de la succession soit au
substitué, soit à l’incapable. Mais la nullité n ’en serait
jamais prononcée que jusqu’à concurrence des dettes.
1 6 2 9 . — L’action en nullité d’une substitution pro
hibée ou d’un fidéicommis en faveur d’un incapable cons
titue une véritable pétition d’hérédité. De là les deux con
séquences suivantes :
1° L’obligation de rendre la chose entraîne celle de
restituer les fruits. Indépendamment de la mauvaise foi
du possesseur évincé, ce résultat a pour fondement cette
règle qu’en matière de succession surtout les fruits s’u
nissent et s’incorporent à la chose et qu’ils sont consi
dérés comme l’hérédité elle-même : Fructus augent hœ~
reditatem ;
2° La seule prescription applicable est celle régis
sant la pétition d’hérédité , c’e st-à -d ire celle de trente
ans.
1630. — Nous avons déjà dit que la répudiation
�ET DE LA FRAUDE.
271
d’une succession ou d’un legs, au préjudice des créan
ciers du renonçant, les autorisait à faire annuler la ré
pudiation et à accepter au lieu et place de leur débiteur.'
Ce que nous avons dit des successions et legs en géné
ral, s’applique au cas où le droit répudié est un simple
droit d’usufruit. Rien, en effet, ne pouvait faire qu’il
n’en fût pas ainsi.
L’usufruit constitue évidemment un droit utile non
seulement pour celui qui est appelé à en jouir, et dont
il augmente ainsi les ressources, mais encore pour les
créanciers auxquels il offre un surcroît de garanties.
Celui qui le répudie aliène donc une propriété que les
créanciers ont intérêt à conserver en sa possession. Ils
devaient donc, comme dans tous les autres cas, être ap
pelés à se défendre contre une injuste et préjudiciable
spoliation. Celte faculté leur est au reste concédée en ter
mes formels par l’art 622 du Code civil.
La renonciation à un usufruit se place donc sur la
même ligne que celle à une succession, à un legs quel
conque. Dès lors les règles tracées pour l’exercice du
droit des créanciers dans l’une et dans l’autre, obéisant
aux mêmes motifs, doivent arriver à un résultat identitique et recevoir une application commune.
1 651. — Il y a pourtant entre ces renonciations une
différence essentielle qu’il convient de rappeler. Une suc
cession, un legs, appréhendé qu’il soit, ne peut plus être
i V. supra, n° <1561.
�272
TR AITÉ
DU DOT.
répudié. L’usufruitier, au contraire, est libre de renon
cer à son droit à quelque époque que ce soit, après com
me avant sa mise en possession effective, et quelle qu’ait
été d’ailleurs la durée de la jouissance.
Il suit de là que cette renonciation est dans le cas de
compromettre d’autres intérêts que ceux des créan
ciers. Il peut se faire, en effet, que des tiers aient léga
lement acquis sur l’usufruit des droits que la renon
ciation pourra plus ou moins frauduleusement compro
mettre.
1 6 5 2 . — Telle serait évidemment la position de
celui qui aurait acquis l’usufruit. De toute certitude, la
vente que l’usufruitier en aurait consentie le placerait
dans l’impossibilité d’y renoncer ultérieurement. Aussi
ne nous occupons-nous de cette hypothèse que pour
indiquer les précautions que l’acquéreur doit prendre
pour échapper aux effets d’une renonciation n’ayant pas
d’autre objet que de lui enlever les droits qu’il a acquis
et payés.
Ces précautions sont indiquées par la nature des cho
ses, L’acte d’acquisition doit être authentique ou tout au
moins avoir une date certaine avant la renonciation. Il
faut de plus, et par rapport aux tiers, qu’il ait été ac
compagné des formalités auxquelles sont soumises les
aliénations immobilières.
A défaut d’un titre authentique ou ayant date cer
taine, la consolidation de l’usufruit sur la tête du nupropriétaire serait la conséquence inévitable de la re-
�273
ET DE LA FRAUDE.
nonciation de l’usufruitier. Le titre informe dont l’ac
quéreur se prévaudrait ne saurait être un obstacle à ce
résultat avec d’autant plus de fondements qu’en lui ac
cordant un effet contraire, on s’exposerait à consacrer
une fraude. L’usufruitier qui aurait regret à la renon
ciation n’aurait qu’à simuler une vente qu’il daterait
d’une époque antérieure à cette renonciation, et se mé
nagerait ainsi le moyen de recouvrer ce qu’il avait défi
nitivement aliéné.
A défaut de transcription, les inscriptions prises pos
térieurement à la vente grèveraient utilement l’usu
fruit , pour dettes antérieures , si cette vente était au
thentique ou si elle avait acquis date certaine; pour det
tes mêmes postérieures, si la date de l’acte n’avait ni au
thenticité ni certitude.
1 633. — L’usufruit pouvant être vendu, peut égale
ment être engagé. Il est également certain que, dans ce
dernier cas, les droits du créancier seraient sur la même
ligne que ceux de l’acquéreur. Toute renonciation ulté
rieure resterait sans effet et de nulle valeur tant que
l’antichrésiste n’aurait pas été intégralement remboursé
de ce qui lui est dû.
1654. — Ce qui peut être fait au méprisdes droits
de l’acquéreur ou de l’antichrésiste ne saurait l’être au
préjudice des créanciers hypothécaires ou cédulaires ,
devenus tels dans l’intervalle qui s’est écoulé depuis
l’acceptation de l’usufruit jusqu’au moment de la renonIY
18
�274
T R A IT É
DU
DOL
ciation. L’affectation résultant, dans les deux premiers
cas, de la convention des parties, résulte, dans le der
nier, de la loi elle-même, exigeant que l’intégralité de
l’actif du débiteur devienne le gage des créanciers. Com
me dans toutes les autres circonstances, l’action Paulienne est, dans notre hypothèse , introduite surtout
dans l’intérêt des chirographaires. Ce n’est, en effet,
que par son exercice qu’ils pourront obtenir leur paie
ment, tandis que les créanciers hypothécaires sont dans
le cas de trouver dans leur qualité même le moyen de
se passer de son secours.
1635 — Dans la poursuite de l’action révocatoire,
il convient de s’attacher d’abord au caractère de la re
nonciation. Ses effets varient selon qu’elle a été faite à
titre gratuit ou à titre onéreux.
La première, constituant une pure libéralité, est, en
vertu des principes généraux que nous avons déjà rap
pelés, de plein droit présumée frauduleuse, non seule
ment contre son auteur, mais encore contre le tiers
appelé à en recueillir le bénéfice. Elle doit donc être
annulée, quelle que soit la bonne foi de ce dernier.
La seconde, au contraire, est une véritable vente, un
rachat de la jouissance à prix d’argent. Elle ne pour
rait donc être annulée, alors même que la preuve de la
fraude serait acquise contre le renonçant, que s’il était
établi que le bénéficiaire a connu cette fraude et s’y est
volontairement associé. Sa bonne foi ferait maintenir
l’acte, car sa condition étant égale à celle des créanciers,
�ET
DE
LA.
FRAUDE.
2 7 5
il serait injuste de le constituer lui-même en perte pour
procurer un avantage à ceux-ci.
1656. — Nous n’avons pas à revenir sur les condi
tions de la recevabilité de l’action révocatoire, sur les
objections que son exercice peut soulever. Les principes
généraux que nous avons exposés reçoivent ici leur pleine
et entière exécution. Nous les résumons seulement, pour
la matière spéciale qui nous occupe, dans les proposi
tions suivantes :
1° Tant que la renonciation n’est pas convertie en
contrat, les créanciers peuvent l’empêcher en exerçant
les droits et actions de leur débiteur, et en se faisant au
toriser à accepter en son lieu et place ;
2° La renonciation consommée par les formalités lé
gales peut être attaquée par les créanciers comme faite
au préjudice de leurs droits, en être révoquée en ce qui
les concerne ;
3° Si la renonciation a été consentie à titre gratuit ,
et qu’elle ait rendu le renonçant insolvable, elle est de
plein droit présumée frauduleuse à l’égard de toutes les
parties, e t , comme telle, annulée en faveur des créan
ciers ;
4° Si elle a été faite à titre onéreux et que le nu-pro
priétaire ait racheté le droit d’usufruit, les créanciers
sont recevables à quereller l’acte de rachat, mais ils ne
peuvent le faire annuler qu’en justifiant la collusion et
la fraude de toutes les parties ;
5° Si l’usufruit a été aliéné à titre de constitution do-
�276
T R A IT É
DU
DOL
taie, son abandon ne saurait être révoqué que si les époux
avaient connu et partagé la fraude du constituant:
6 “ Enfin, si à l’époque de la renonciation l’usufrui
tier avait, dans ses autres ressources, le moyen de satis
faire ses créanciers, le bénéficiaire ne pourrait être pri
vé de l’avantage qu’il en a recueilli. L’insolvabilité du
débiteur n’étant que la conséquence d’événements sub
séquents, la renonciation conserverait son caractère , il
serait impossible de la considérer comme faite au pré
judice des créanciers, quisqu’en fait, au moment où elle
s’accomplissait, leurs droits n’en étaient nullement at
teints.
1637.
— La renonciation que le père ferait à l’usu
fruit des biens de ses enfants peut-elle être attaquée par
l’action Paulienne?
La question ne saurait être douteuse, s’il s’agissait
d’un usufruit ordinaire, soit que cet usufruit ait été ré
servé par le père vendant ou donnant à ses enfants, soit
qu’il ait été imposé comme charge d’une disposition faite
en leur faveur par un parent ou un étranger. Dans l’un
et l’autre cas, cet usufruit, ne devant s’éteindre qu’à la
mort du père, constituerait une véritable propriété sur
laquelle les créanciers ont dû. compter.
La renonciation du débiteur ayant pour but de leur
enlever toute garantie, se trouverait par cela même sou
mise à toutes les recherches que ce résultat autorise, et
notamment à l’action révocatoire ouverte par l’art 622.
Mais la question devient plus délicate lorsqu’il s’agit
�ET
DE
LA
FRAUDE.
277
de l’usufruit que la loi confère au père sur les biens de
ses enfants mineurs. Il est certain qu’il existe entre cet
usufruit et l’usufruit conventionnel des différences telles,
qu’elles peuvent inspirer le doute.
Ainsi, quant à sa durée, l’usufruit légal ne s’attache
pas à la personne du père ; il cesse dès que les enfants
ont atteint leur dix-huitième année. Ainsi encore, com
me corrélative au droit du père, existe pour lui l’obli
gation de prélever, sur cet usufruit, les sommes néces
saires pour fournir aux aliments, à l’entretien et à l’é
ducation des enfants.
Conséquemment, si la renonciation enlève au père un
droit, elle l’exonère également d’une obligation. Elle
n’est donc pas consentie à titre purement gratuit. Elle
participe incontestablement de la dation in solutum et
peut, sous ce rapport, être assimilée à l’aliéuation à titre
onéreux.
Ce qui doit s’induire de ces caractères, c’est non pas
que la renonciation à l’usufruit légal soit affranchie de
l’action révocatoire, les termes généraux de l’art. 622
proscrivant cette solution, mais que cette action doit
être très difficilement admise ; qu’il n’y a même lieu à
présumer la fraude à l’endroit du père que si, du rap
prochement du revenu qu’il abandonne et des charges
qui le grèvent, il naît une disproportion tellement cho
quante, qu’on ne puisse expliquer cet abandon que par
le désir de se soustraire aux conséquences de sa position
obérée.
Dans tous les cas, l’annulation de la renonciation ne
�278
T R A IT É
DU
DOL
confère aux créanciers d’autres droits que ceux que le
père pourrait lui-même exercer. Conséquemment, en ce
qui concerne l’usufruit légal, la jouissance par les cré
anciers reste soumise à l’obligation de fournir à la nour
riture, à l’entretien et à l’éducation des enfants. En re
gard de ceux-ci, on devrait faire déterminer, soit par le
conseil de famille, soit par la justice elle-même, une som
me suffisante pour remplir ce triple objet et dont le pré
lèvement s’opérerait sur les revenus annuels.
1638.
— Nous l’avons déjà bien souvent répété, on
ne peut faire indirectement ce qui ne peut pas être fait
directement. Or, pour le père émanciper ses enfants,
c’est renoncer à l’usufruit légal dont la cessation se réa
lise par la seule force attachée à cet acte. Les créanciers
ainsi frustrés pourront-ils quereller l’émancipation et en
demander la révocation comme faite au préjudice de
leurs droits?
Cette question était l’objet d’une vive controverse
sous l’empire de notre ancien droit. Cependant la juris
prudence du parlement de Paris l’avait résolue négati
vement.
Cette décision était d’autant plus remarquable, que
l ’opinion contraire pouvait, à cette époque, invoquer
de graves et puissants motifs ; que la fraude était plus
imminente, et que ses conséquences étaient de nature
à occasionner un préjudice très considérable, En effet,
en vertu des principes empruntés au droit romain, in
dépendamment de ce que l’usufruit légal ne cessait
�ET
DE
LA
FRAUDE.
279
qu’à la mort du père , celui-ci avait le droit d’éman
ciper ses enfants à tout âge. La cessation de l’usufruit
enlevait donc aux créanciers des ressourcces certaines ,
dont la perte était de nature à rendre leur paiement im
possible.
Il n’en est plus ainsi aujourd’hui: d’une part, l’usu
fruit légal du père est éteint par cela seul que les enfants
sont parvenus à leur dix-huitième année ; de l’autre, il
ne peut y avoir d’émancipation que lorsqu’ils ont quinze
ans révolus, c’est-à-dire à une époque tellement rappro
chée de celle delà cessation forcée de l’usufruit, que son
abandon perd nécessairement beaucoup de son impor
tance et de sa nocuité.
On doit donc, par une supériorité de raisons incon
testables, résoudre encore la question dans le sens que
le parlement de Paris avait consacré, ce qui est d’ail
leurs indiqué par la nature de l’acte, autant que parles
conséquences anormales qu’entraînerait le système con
traire.
Le droit d’émanciper est un des attributs de la puis
sance paternelle. Celle-ci ne cesse pas d’être l’apanage
exclusif et personnel du père, sans que les créanciers
puissent jamais s’immiscer dans l’exercice qu’il jugera
à propos d’en faire. La faveur que méritaient ces der
niers s’arrête devant l’intérêt de la famille et l’inviolabi
lité du secret de sa position. Cette inviolabililé ne serait
plus qu’un vain mot, si les motifs, qui ont déterminé
l’émancipation, devaient être exposés aux créanciers et
pouvaient être discutés par eux. La liberté des enfants
�280
T R A IT É
DU
DOL
serait donc enchaînée par les dettes du père qui, contrai
rement à la volonté expresse du législateur, ne serait plus
l’arbitre souverain et exclusif de la nécessité et de l’op
portunité de l’émancipation.
D’ailleurs la fraude ne peut résulter d’un fait que la
loi elle-même autorise. Le père émancipant ses enfants
après l’âge requis ne fait qu’user d’un droit qui lui ap
partient sans conditions, dont l’existence connue des
créanciers a pu leur faire prévoir l’exercice. Ils ne se
raient donc pas recevables à le quereller, et à prétendre
ainsi se soustraire à une chance qu’ils ont sciemment et
volontairement courue.
1 6 39.
— Mais cet effet de l’émancipation ne pour
rait être acquis que par la réalisation de l’acte d’éman
cipation. A son défaut , l’usufruit a profité au père ,
qui ne peut, même dans le compte tutélaire, rapporter
à ses enfants les fruits qu’il avait perçus avant leur dixhuitième année. Devant un pareil acte, les créanciers
du père sont recevables à quereller le compte tutélaire,
et à faire annuler la renonciation à l’usufruit légal qui
en résulterait, alors surtout que cet acte mettrait leur
débiteur dans l’impossibilité de les payer eux-mêmes.
Il en serait de même si, après l’émancipation, le père
prétendait tenir compte à ses enfants des fruits perçus
jusque là. Cette prétention, constituant une pure libé
ralité , donnerait naissance à l’action révocatoire des
créanciers.
�ET
DE
LA
FBAUDE.
m
1 640. — Ainsi, par rapport aux créanciers, la re
nonciation à l’usufruit peut devenir la matière d’une
action en révocation. Qu’en est-il à l’égard des succes
sibles? Pourraient-ils exiger, de celui d’entre eux qui a
profité de cette renonciation, le rapport des avantages
qu’il en a retiré?
Cette difficulté est tranchée par les principes régissant
les rapports entre cohéritiers. Ce que chacun d’eux est
tenu de réunir à la masse, c’est le fond reçu, c’est lecapital transmis, mais jamais la jouissance réalisée durant
la vie de l’auteur commun. C’est ainsi que l’art. 856
déclare que les fruits et intérêts des choses sujettes à rap
port ne sont dus qu’à compter du jour de l’ouverture de
la succession.
Conséquemment, si l’auteur commun abandonnait la
jouissance de tous ses biens à un de ses successibles ,
celui-ci ferait incontestablement les fruits siens tant que
la succession ne serait pas ouverte. Ce qui est licite
pour cette universalité ne saurait pas ne pas l’être pour
l’avantage restreint résultant de la renonciation à l’usu
fruit sur les biens du successible lui-même. C’e s t, au
reste, ce qui était formellement consacré par l’ancien
droit.'
1641. — Le legs ou le don d’un usufruit est de na
ture à créer des fraudes, soit contre l’usufruitier , soit
contre le nu-propriétaire, soit contre les créanciers ré1 L . 6, § 2, C o d .
de Bonis quai liberis.
�T R A IT É
DU
DOL
ciproques. Nous allons nous en occuper dans le para
graphe suivant.'
1 6 4 1 bis — Le legs fait avec la condition d’insaisissa
bilité est-il légal en ce qui concerne les immeubles? La
condition peut-elle être attaquée par les créanciers du
légataire, comme le résultat d’un concert frauduleux,
dans l’objet de violer leurs droits?
La légalité de la condition d’insaisissabilité, appliquée
aux immeubles, a été contestée. On a voulu induire la
négative de l’art. 581 C. de procéd. civ.
Cet article, en effet, déclare à l’abri de toute pour
suite des créanciers les sommes et objets d ispo n ibl e s ,
déclarés insaisissables par le testateur ou donateur.
Cet article, a-t-on dit, est une exception au principe
des art. 2092 et 1166 C. Nap., d’après lequel le débi
teur ne peut soustraire à ses créanciers quoi que ce soit
de ses biens présents et à venir. Il faut donc le restrein
dre étroitement dans les limites qu’il trace lui-même.
Dès lors, puisqu’il n’autorise l’insaisissabilité que des som
mes et objets disponibles, il est évident qu’il ne dispose
que pour des objets mobiliers , et que l’appliquer aux
immeubles en général, serait lui donner une extension
qu’il ne comporte pas, et permettre ce scandale public
d’un débiteur vivant dans la richesse et le luxe, à côté
de créanciers réduits à la misère.
Cette opinion a trouvé de nombreux partisans. M.
�ET
DE
LA
FRAUDE.
m
Demolombe l’enseigne et la développe.' M. Favard l’a
dopte également et l’étaye d’un arrêt de la Cour de
Cassation du 30 janvier 1821 , déclarant que lorsqu’il
rie s’agit pas du domaine d’un Etat, l’inaliénabilité des
immeubles ne peut être établie que par une loi formelle,
ou par une disposition de l’homme, autorisée expressé
ment par la loi.'
La Cour de Riom se prononçait dans le même sens
le 23 janvier 1847. Elle déclarait, en conséquence, que
la condition d’insaisissabilité imposée par le donateur
ou testateur, devait être réputée non écrite à l’égard des
créanciers, comme contraire à la loi et aux principes
qui l’ont dictée, et comme tendant a établir une nature
de biens hors du commerce, ce qui serait reproduire in
directement, par l’abus des institutions, une incertitude
et une défiance que la loi a voulu prévenir.
L’arrêt ajoute : que les dispositions de l’art. 581 C.
procéd. civ. ne sont applicables qu’à certains meubles
déclarés insaisissables par le testateur ou le donateur,
et ne peuvent fournir un argument fondé à l’appui de
la validité de la condition générale imposée à la donation
ou au legs.3
Mais la Cour de cassation n ’a admis ni cette manière
de voir, ni ces scrupules.
Un arrêt de la Cour de Caen qui avait consacré la vai
Des Donat. et Test., t o m . i , n ° s 3 1 1
Expropriation forcée, n ° 3 .
3 R ép ., v°
e t su iv .
�m
TRAITÉ DU DOL
lidité de la condition, lui était dénoncé comme appli
quant faussement l’art. 581 C. procéd. civ , et violant
les art. 900, 21092 et 2093 C. Nap.
Le 10 mars 1832, la Cour rejette le pourvoi, attendu
qu’aux termes de l’art. 900 C. Nap. les seules clauses
irritantes dans les dispositions entre vifs ou testamentai
res sont celles impossibles ou qui sont contraires aux
lois ou aux mœurs; que la condition imposée par un
testateur ou un donateur à sa libéralité, dans le but de
rendre les immeubles par lui légués ou donnés insaisis
sables par les créanciers du donataire ou du légataire,
n ’est ni impossible, ni prohibée par la loi, ni contraire
aux mœurs.'
De nouveau saisie delà question, la Cour suprême la
résout dans le même sens. L’espèce offrait cette circons
tance que le créancier soutenait que la condition d’in
saisissabilité était le résultat d’un concert entre le testa
teur et le légataire, à l’effet de frauder les droits des créan
ciers de celui-ci, et excipait en conséquence de l’art.
1167 C. Nap.
La chambre civile de la Cour devant laquelle le litige
s’agitait, résout la question comme la chambre des re
quêtes l’avait fait au 10 mars 1852, elle décide que la
condition d’insaisissabilité n’est ni impossible, ni prohi
bée par la loi, ni contraire aux mœurs; que sa validité
et son efficacité sont, au contraire, expressément con
sacrées par l’art. 581 C. procéd. civ.; que si ledit ar-
�ET DE LA FRAUDE.
285
ticle se réfère aux dons et legs de sommes et d’objets
disponibles, la disposition n’est est pas néanmoins ex
ceptionnelle, et qu’il n’y a aucun motif dès lors d’en faire
l’application à telle nature de biens plutôt qu’à telle
autre.
A la prétention fondée sur l’art. 1167, l’arrêt répond :
que le testament n’a été ni annulé, ni même attaqué ;
qu’il reste donc comme l’œuvre de la testatrice, et que
les demandeurs n’ayant pas de droits sur les biens dont
celle-ci a disposé, ne sauraient être admis à prétendre,
qu’en en disposant, comme elle était libre de le faire,
elle a fait fraude à des droits qui n’existaient pas.'
On ne saurait révoquer en doute le caractère juridi
que de ces décisions , rien dans les arguments que la
doctrine contraire invoque n’est dans le cas d’en affai
blir l’autorité.
Avant d’exciper du principe qui prohibe de frapper
les biens d’inaliénabilité, M. Favard aurait dû démon
trer qu’il y avait lieu dans l’espèce de recourir à son ap
plication .
A ce sujet, nous ferons remarquer que les créanciers
auraient un intérêt évident à ce que la condition d’in
saisissabilité fût assimilée à l’aliénabilité, le profit de
cette condition est, en effet, exclusivement attaché à la
personne du légataire ou du donataire et ne passe pas à
ses héritiers. En conséquence, si elle rendait les biens
i 20 décembre 1864 ; — J. D. P. 186S, 11 ; — V. dans ce sens Pigean, procéd. civ., tom. 2, pag. 223; — Troplong, Donat. et Test., 1,
�286
TRAITÉ DU DOL
inaliénables, ces biens se retrouveraient dans la succes
sion de celui-ci, et les droits des créanciers suspendus
pendant sa vie, seraient utilement exercés à sa mort.
Donc, loin de se plaindre du caractère d’inaliénabi
lité que le testateur ou le donateur aurait imprimé à sa
disposition, les créanciers auraient un intérêt incontes
table à en soutenir et à en faire prévaloir la réalité.
Malheureusement pour cet intérêt, l’insaisissabilité
n’est pas l’aliénabilité, Tout ce qui en résulte, c’est que
les biens soumis à cette condition sont, pendant la vie
de celui qui les a reçus, soustraits aux exécutions de ses
créanciers ; mais pour ce qui concerne le donataire ou
le légataire, la faculté de les aliéner à ses plaisirs et vo
lonté ne saurait être contestée, et c’est là même ce qui
fait le danger des créanciers, car c’est par l’exercice de
cette faculté que sera consommé le préjudice qu’ils sont
exposés à subir.
Le droit du légataire d’aliéner directement est d’autant
plus incontestable, que l’insaisissabilité n’est opposable
qu’aux créanciers antérieurs à l’acte de donation ou à
l’ouverture du legs; ainsi, l’art. 582 C. de procéd. civ.
détermine les limites dans lesquelles les créanciers pos
térieurs pourront agir contre les biens déclarés insaisis
sables, d’où on a conclu avec raison que cette insaisis
sabilité ne pouvait être invoquée contre les créanciers
postérieurs, ni former un obstacle à l’exercice de leurs
droits.'
1 Cass., 45 février 1825.
�ET DE LA FRAUDE.
287
Donc, la condition d’insaisissabilité ne constitue pas
l’inaliénabilité, et on ne saurait lui appliquer les règles
qui régissent celle-ci.
Est-il vrai maintenant que l’art. 581 C. de procéd.
civ. ne l’admet que pour les dons de sommes et objets
disponibles, et la proscrit pour les immeubles en géné
ral ? L’affirmative violerait le principe de la liberté de
donner ou de tester que la loi a considéré avec tant de
respect, et qu’elle a si expressément consacré.
Il est évident, en effet, que celui qui est libre de ne
pas donner, ne saurait être empêché quand il donne de
déterminer les conditions auxquelles il entend le faire;
cette liberté est absolue et n’a d’autre limite que celles
qui puiseraient leur cause dans une atteinte à une loi
prohibitive, ou aux bonnes mœurs.
De lois prohibitives, il n’en existe aucune, et l’on est
obligé de recourir, pour établir le contraire, à la confu
sion de l’insaisissabili té avec l’inaliénabilité, ce qui, nous
venons de le prouver, n’est pas admissible.
Comprendrait-on, d’ailleurs, que si la condition d’in
saisissabilité était contraire à la loi ou aux mœurs, l’ar
ticle 581 l’eût consacrée en principe?
Il est vrai qu’on soutient que cet article n’a en vue
que des biens mobilieis de peu de valeur en général,
et n’a ni voulu, ni pu vouloir, sous peine de scandale
public, étendre sa disposition à des immeubles qui, par
leur nature, sont importants.
Mais l’art. 581 parle de dons ou legs de sommes en
général et sans restriction ; dès lors, on pourra léguer
�100, 200, 500,000 francs avec ia condition d’insaisis
sabilité, et on ne pourra donner au même titre des im
meubles valant 10, 20 ou 30,000 francs?
Le donateur ou testateur qui aura vendu ses immeu
bles, en léguera la valeur qu’il mettra à l’abri de toute
exécution de la part des créanciers antérieurs , et il ne
pourra léguer à la même condition ses immeubles en
nature ?
On ne saurait se rendre raison d’une pareille anoma^
lie, elle blesse trop ouvertement la raison pour que le
législateur l’ait consacrée, il faut donc dire avec la Cour
de cassation qu’on ne saurait, sans méconnaître la lettre
et l’esprit de l’art. 581, lui imprimer un caractère li
mitatif et restrictif.
Reste le scandale signalé par M. Demolombe, d’un
débiteur vivant dans le luxe à côté de créanciers dans la
misère, c’est là, malgré son exagération, un fait profon
dément regrettable , et si le législateur l’a accepté, c’est
qu’il a obéi à des inspirations qui le contraignaient de
le faire.
D’ailleurs, ce résultat ne se produira-t-il pas si au
lieu d’immeubles, la libéralité a pour objet une somme
de 500,000 francs?
Ne se produira-t-il pas si la fortune personnelle du
débiteur consiste en 20, 30 ou 50,000 fr. en rentes sur
l’Etat, et cependant ces rentes ne sont-elles pas insai
sissables?
Il ne faut donc pas exagérer les choses, et dans tous
les cas, on doit reconnaître qu’il est des situations qui
�ET DE LA FRAUDE.
s’imposent d’elles-mêmes et qu’il faut nécessairement
adopter.
L’objection, d’ailleurs, pourra être fondée dans quel
ques cas exceptionnels, mais la loi ne pouvait s’en préoc
cuper, obligée qu’elle était de prévoir et de régler les
hypothèses qui s’offriront le plus souvent.
Quant à l’application de l’art. 1167, la doctrine de
la Cour de cassation est sans réplique. On ne fraude pas
un droit qui n’existe pas, qui n’a jamais existé; les cré
anciers ne pouvant en prétendre aucun sur les biens du
donateur ou du testateur, ne sont donc ni recevables,
ni fondés à critiquer la disposition qu’il en a faite, à
la condition pourtant que ces biens fussent entièrement
libres en ses mains. Ainsi, la condition d’insaisissabilité
mise au legs des biens réservés par la loi, ne pourrait
être opposée aux créanciers des héritiers réservataires.
S III.
D es
D o n atio n s.
SOMM AIRE .
1642.
1643.
Origine et caractère de la donation.
Nécessité qu’elle procède d’un consentement réfléchi et
libre. Conséquences.
19
IV
�290
4644
4645.
4646.
4647.
4648.
4649.
4650.
4654.
4652.
4653.
4654.
4 655.
4656.
4657.
4658.
4659.
4660.
4661.
4662.
TRAITÉ DU DDL
Motifs des restrictions apportées au droit de donner. Inca
pacités qui en naissent.
Liberté illimitée qu’ont les époux de se donner par con
trat de mariage. Causes qui l’ont fait admettre.
Première exception à celte règle. Droit des créanciers.
Deuxième exception. Droit des enfants issus d’un précé
dent mariage. Ses fondements.
Troisième exception. Droit des ascendants.
Suspicion qui s’attache aux donations entre époux faites
pendant la durée du mariage.
Doctrine du droit romain et de notre ancienne jurispru
dence.
Révocabilité absolue consacrée par le Code.
Peut être exécutée par la femme, sans autorisation de son
mari ou de la justice.
Sont-elles révoquées par survenance d ’enfants?
Formes de l ’acte revocatoire. Dissentiment avec M. Duvergier sur l ’effet de l ’art. 2 de la loi du 24 juin 4843.
Véritable caractère de la donation entre époux faite pen
dant le mariage. Doctrine et jurisprudence.
Prohibition de tout don mutuel et réciproque.
Y a-t-il don mutuel et réciproque lorsque les époux ven
dant un immeuble de la communauté en laissent le
prix à rente viagère, qu’ils déclarent réversible, en
tout eu en partie, sur le survivant ?
La donation indirecte n ’est valable que si elle se renferme
dans les limites des art. 4094 et 1098. Caractères de
ces deux dispositions.
La vente ne peut pas être d’un grand secours pour les
éluder.
Secus de la reconnaissance d’une dot fictive ou de la quit
tance de celle non reçue.
Delà fausse évaluation donnée au mobilier des époux.
De la dissimulation du prix des propres aliénés.
�ET DE LA FRAUDE.
1663.
1664.
1665.
1666.
1667.
1668.
1669.
1670.
1671.
1672.
1673.
1674.
1675.
1676.
1677.
1678.
1679.
291
Il y a donation indirecte dans l ’adoption du régime de la
communauté, en cas d’inégalité dans l ’apport res
pectif.
Effets de cette adoption, soit légale soit conventionnelle,
vis-à-vis des enfants d’un premier lit.
La réduction ne s’opère que sur le capital. Les revenus
tombent en communauté.
Faculté qu’ont les époux de se faire des donations dégui
sées ou par personne interposée. Cas dans lesquels
cette interposition est présumée de droit.
C’est par l’état des choses au moment de la donation que
la question d’interposition doit être appréciée.
Les ascendants sont-ils compris dans la catégorie des per
sonnes présumées interposées ?
Faculté de prouver, dans tous les cas, l ’interposition de
personne.
Effet de la donation résultant d’un fidéicommis tacite.
Résumé.
Reproche adressé à l ’art. 1094, à propos de la réserve des
ascendants.
La quotité disponible ne se détermine qu’à la mort du
donateur. Toute action en nullité ou en réduction est
donc irrecevable pendant sa vie.
Arrêt de la Cour de Grenoble soumettant un prétendu
donataire à donner caution sur la demande des enfants.
L’époux donateur n ’est pas admissible à quereller la do
nation de simulation.
La donation indirecte, faite au mépris de l’art. 1099, est
réductible.
La donation déguisée ou faite par personne interposée est
nulle. Controverse à ce sujet.
Motifs donnés, à l’appui de l ’opinion contraire, par MM.
Duranton, Vazeilles et autres jurisconsultes.
Réponse de Merlin, Grenier, Toullier et Delvincourt.
�292
1680.
TRAITÉ DU DOU
L’opinion consacrant la nullité absolue est plus conforme
au texte et à l ’esprit de la loi.
1681. Jurisprudence conforme de la Cour de cassation.
1682. Arrêts contraires des Cours de Paris et de Bourges.
1683. Conclusion.
1684. Renvoi pour ce qui concerne les incapacités édictées par
l’art. 909.
1685. Origine de la réserve légale des descendants et ascendants.
1686. Qualité de cette dernière.
1687. Comment se calcule celle des enfants. Faculté de disposer
de l’excédant. Exception pour le mineur.
1688. L’indisponibilité de la réserve des art. 913 et 915 n’est
pas moins absolue que celle des art. 1094 et 1098.
1689. Droit des enfants d’attaquer la rénonciation faite à une
communauté ou à un legs constituant une donation
indirecte. Différence dans la nature et les effets de
l'action et de celle accordée aux créanciers.
1690. Peut-on cumuler les quotités disponibles des art. 913
et 1094.
1691. Conséquences de l ’indisponibilité à l ’endroit des donations
indirectes. Actes pouvant les constituer.
1692. Présomption qui s’attache aux ventes faites à un succes
sible direct à rente viagère, à fonds perdu ou sous ré
serve d’usufruit.
1693. Exception que l ’art. 918 introduit à la règle qu’on ne peut
traiter sur succesion future. Dangers qu’elle présente.
1694. La présomption de libéralité n’existerait pas si la vente
à fonds perdu ou sous réserve d’usufruit a été faite à
un collatéral.
1695. L’action en réduction ou en nullité appartenant aux ré
servataires peut être exercée par leurs créanciers,
mais non par les légataires.
169G. Excepté pour les libéralités faites aux enfants naturels ou
incestueux.
�ET DE LA FRAUDE.
1697.
293
Nature du droit que les uns et les autres sont appelés à
exercer dans les successions.
1698. Fraudes dont la donation régulière, sous le rappprt de la
capacité des parties, peut être l ’occasion.
1699. Supposition de part. Ses conséquences.
1700. Légitimation, par mariage subséquent, de l’enfant d’au
trui.
1701. Peut-elle être contestée? Négative sou tenue par M. Char
don. Réfutation.
1702. Arrêt de Bordeaux pour l ’affirmative.
1703. La survenance d’enfants peut être le résultat de l’adultère
personnel de la femme ou concerté entre les époux.
Effets.
1704. La faculté d’aliéner les biens qu’il s’est réservé peut de
venir, pour le donateur, un moyen de diminuer l'é
molument de la donation.
1705. Droit du donataire de conlester la sincérité des aliénations.
1706 Fraude résultant de l ’abus de jouissance, lorsque le dona
teur s’est réservé l ’usufruit.
1707. La négligence mise à la conservation du fonds est assimi
lée aux dégradations.
1708. Caractère que cette négligence pourrait prendre à l ’endroit
des créanciers de l ’usufruitier. Droit de ceux-ci d’in
tervenir dans les contestations. Objet de cette inter
vention.
1709. Fraude constituée par la violation de l’art. 614. Consé
quences.
1710. Le préjudice éprouvé par le nu-propriétaire motive soit
la perte absolue de l ’usufruit, soit sa conversion en
une prestation annuelle.
1711. C’est cette conversion qu’on devrait prononcer dans tous
les cas, lorsque l’usufruit n ’a pas été constitué à titre
purement gratuit.
1712. Les règles régissant l ’usufruitier s’appliquent au père
�294
TRAITÉ DU DOL
ayant l'usufruit légal des biens de ses enfants mi
neurs.
1713. L’abandon ou la destitution de la tutelle entraîne-t-il la
perte de l ’usufruit légal ?
1714. Fraude résultant de l’aliénation postérieure à la donation.
1715. Son importance et ses effets dans les donations autorisées
par les art. 1082, 1084 et 1086 du Code civil.
1715 b‘s Peut-on valablement déroger à l ’art. 1083 et convenir
que le donateur s’interdit le droit d’aliéner à titre
onéreux.
1716. Obligation pour le nu-propriétaire d’exécuter les baux
loyalement consentis par l ’usufruitier.
1717. Droit des héritiers et des créanciers du donataire, en cas
de fraude du donateur.
1718. Droits de ces derniers, dans l ’hypothèse d’une fraude con
certée contre eux par le donateur et le donataire.
1719. La fraude du donataire contre le donateur se résume dans
l ’inexécution ou l ’ingratitude. Intérêt du premier à
l'éviter.
1720. Dangers en résultant pour ses créanciers.
1721. Effets, par rapport à ceux-ci, de la révocation pour cause
d’inexécution des conditions.
1722. Droit que la loi leur confère de l ’empêcher, en s’obligeant
ou en garantissant l ’exécution. Nature de leur obli
gation .
1723. La révocation pour ingratitude ne saurait être empêchée
parles créanciers. Effet de celle-ci. Conséquences.
1724. Faits qui la constituent.
1725. Nécessité de la réunion de la matérialité et delà culpa
bilité.
1726. Quels sont les délits prévus par l’art. 955?
1727. L’art. 955 n’exig*pas, comme l ’art. 727 le fait pour l ’hé
ritier, que le donataire ait été condamné.
1728. Caractère que doivent offrir les sévices et injures.
�ET DE Là FRAUDE.
1729.
1730.
1731.
1732.
1733.
1734.
295
Gravité du refus d'aliments, éléments de son appréciation.
Conséquences de la règle que la révocation n’est dans
aucun cas de plein droit acquise.
Délai dans lequel l’action en révocation doit être intentée.
Passe-t-elle aux héritiers du donateur ?
Les créanciers du donateur peuvent-ils la poursuivre ?
Les donations par contrat de mariage sont révocables
pour cause d’inexécution. Exception à la règle qu’elles
ne sont pas révoquées pour ingratitude.
Les donations renfermant une substitution prohibée sont
nulles.
1 642.
— Nous avons dit, en parlant des testaments,
que la faculté de répartir soi-même sa fortune est un
des attributs les plus précieux du droit de propriété ,
celui qui se recommande le plus hautement aux yeux de
la morale et de la justice.
Quoi de plus juste, en effet, que de punir l’ingratitude
et l’inconduite ? Quoi de plus moral que de vouloir s’at
tacher par des bienfaits celui qui n’a jamais cessé d’en
être digne, reconnaître ceux qu’on a reçus, récompenser
les services importants qui nous ont été rendus? On com
prend que la faculté de se livrer à de pareils sentiments
ait été, de tout temps, l’objet d’une jalouse sollicitude de
la part des citoyens, d’une faveur marquée de la part
des législations qui se sont succédées.
La donation entre vifs est l’expression la plus élevée
de cette faculté. Le donateur y préfère les intérêts du do
nataire à son intérêt propre, puisqu’il se dépouille im
médiatement en sa faveur. C’est surtout dans ce résultat
�296
TRAITÉ DUDOL
qu’il faut chercher les motifs des règles que la loi a tra
cées à la donation. En effet, donner ce qu’on possède
est une conséquence si directe, si immédiate du droit de
propriété, qu’on ne comprendrait pas que le législateur
ait pu se croire autorisé à imposer à cette faculté des
restrictions, des conditions quelconques.
1643.
—• Mais le dépouillement actuel et irrévoca
ble, qui en est la conséquence, exigeait que son exer
cice fût, plus qu’aucune des transactions de la vie com
mune, le résultat d’un consentement réfléchi, éclairé et
libre. Céder à un entrainement puisé dans les meilleurs
sentiments, obéir àune pensée de générosité exagérée,à
une affection aveugle, pouvait avoir pour le donateur les
conséquences les plus fâcheuses, entre autres de se mé
nager un avertir de misère, de regrets et de remords.
Prévenir autant que possible ce douloureux résultat,
était, pour le législateur, un véritable devoir social. Ce
n’était pas tout, en effet, de s’écrier, avec la sagesse éter
nelle : Audite me magnates et omnes populi l filio, mulieri, fratri et amico, non des potestatem super te in
vita tua, elnondederis aliis possessionem tuant-, rie
forte pœniteat te. In die consummationis dierum vitœ
tuœ, et in tempore exitus tui, distribue hœreditalem
tuam.' Il fallait encore venir en aide à celui qui n’avait
oublié ce' précepte que vaincu par une force matérielle
ou morale, à laquelle il a volontairement ou involontai
rement cédé.
i h’Ecclésiastique, chap. 33, S 3, vers. 20
�ET DE LA. FRAUDE.
297
De là les dispositions réglant la forme des donations
et les exigences à l’endroit de celles dans lesquellesl 'in
fluence du donataire a pu avoir une trop grande part.
De là encore les restrictions que certaines autres ont du
recevoir.
Nous n’avons, quant aux premières, qu’à renouveler
le regret déjà exprimé, que la validité de la donation ,
déguisée sous laformed’un acte à titre onéreux, annulle
à peu près l’effet que la loi s’en était promis. À quoi bon
en effet, tracer des formes spéciales à la donation, si,
par une vente même sous-seing privé, on arrive à un
effet plus énergique encore, en rendant la libéralité irré
vocable, même dans le cas d’ingratitude!
1644.
— Les restrictions, mises au droit de donner,
reconnaissent pour cause, en première ligne, l’influence
certaine du donataire, son emploi probable; l’intérêt de
la famille, qu’il importe de protéger non seulement con
tre la haine dont elle pourrait être l’objet de la part de
son chef, mais encore contre l’affection qui le porterait
à vouloir enrichir un des enfants au préjudice des au
tres ; enfin, la volonté expresse du législateur d’assurer,
dans tous les cas, les règles que l’intérêt général lui a
fait prescrire.
Cette triple éventualité résume toute les espèces d’in
capacités, tous les cas de nullité ou de réduction dontla
donation est susceptible. Dans la première catégorie se
placent celles faites entre époux ou en faveur des méde
cins, chirugiens ou ministres des cultes; dans la se-
�298
TRAITÉ DU DOL
conde, nous rencontrons les libéralités faites au pré
judice des réservataires, soit au profit d’un successible,
soit en faveur d’un étranger ou d’un parent plus éloi
gné ; enfin, dans la troisième, se rangent les disposi
tions concernant les enfants adultérins, incestueux ou
naturels simples, et les donations faites en fraude des
droits des tiers.
1 645.
—- Avant mariage, et dans le contrat réglant
leurs conventions matrimoniales, les futurs sont libres
de se consentir réciproquement telles donations qu’ils ju
gent convenables. En fait, ces donations peuvent ne pas
être entièrement libres, en ce sens que, d’une part, le
consentement est forcé par la nécessité de la consomma
tion du mariage; que, de l’autre, ce consentement n’est
que le résultat d’une passion adroitement excitée et en
tretenue. Cependant, la célébration du mariage les rend
irrévocables.
Ce qui a déterminé cette conséquence, c’est d’abord
l’importance sociale du mariage. Le législateur a dû éprou
ver le besoin d’en favoriser l’essor dans l’intérêt de l’Etat.
La faculté illimitée laissée aux époux de se donner réci
proquement était, sans contredit, un des moyens les plus
énergiques pour atteindre à ce résultat.
Ses conséquences d’ailleurs ne pouvaient présenter
aucun danger sérieux. C’est surtout en faveur des des
cendants que la loi s’est préoccupée de l’excès dans les
libéralités. Or, dans l’espèce les enfants nés du mariage
ne sauraient éprouver le moindre préjudice des donations
�ET DE LA FRAUDE.
299
consenties par le contrat de mariage, et cela, par la dou
ble raison que voici :
■1° Les enfants issus des époux héritent également de
l’un et de l’autre. Ils trouveront donc dans la succes
sion du donataire ce qu’ils auraient trouvé dans celle du
donateur, si la donation n’avait pas existé ;
■2° Les donations, par contrat de mariage, irrévoca
bles sans doute, ne sont pas irréductibles. L’existence
d’enfants issus du mariage, à la mort de l’époux dona
teur, place la donation sous le coup de la disposition de
l’art. 1095.
Conséquemment la loi devait d’autant moins hésiter
à consacrer la faculté illimitée de se donner, qu’en ce
qui concerne les enfants, cette faculté n’est pas dans le
cas de leur occasionner le moindre préjudice. Dans tous
les cas, la légitime, qui leur est réservée, doit leur ar
river et leur arrive intacte.
1646.
— Mais cette faculté n’existe plus lorsque
son exercice aurait pour conséquence de méconnaître
ou léser des droits légalement ou conventionnellement
acquis.
Ainsi la donation faite entre époux par le contrat de
mariage devrait être annulée, si elle avait été consentie
en fraude des droits des créanciers du donateur. Tel se
rait, avons-nous dit, le sort de la constitution dotale el
le-même, sur la poursuite des créanciers du constituant.'
1 V. supra n° -1467
�300
TRAITÉ DU DOL
Mais il y au rait, entre celle-ci et la donation que les
époux se feraient réciproquement, cette différence que
cette dernière constituant une pure libéralité, son annu
lation serait la conséquence forcée de la fraude du do
nateur. Il importerait peu que le donataire eût connu
ou ignoré la fraude, qu’il s’en fût rendu ou non le com
plice. Dans tous les cas, la réclamation des créanciers
triompherait, le débiteur n’a pu ni dû se montrer géné
reux à leurs dépens : Nemo liberalis n u i liberalus.
1 647.
— Ainsi encore, aux termes de l’art, 1098,
l’époux qui, ayant des enfants d’un premier lit, con
tracte un second ou subséquent mariage, ne peut don
ner à son nouveau conjoint qu’une part d’enfant légi
time, le moins prenant, sans que, dans aucun cas, les
donations puissent excéder le quart des biens.
Le fondement de cette disposition est d’une évidence
extrême, il réside dans l’intérêt des enfants issus d’un
précédent mariage. Ces enfants, en effet, demeurent lé
galement étrangers au nouvel époux, ils n’ont aucun
droit à sa succession. L’acte qui ferait passer sur la tête
de celui-ci une part plus ou moins notable des biens de
leur père leur occasionnerait un grave préjudice, une
perte incontestable.
La loi n’a pas voulu se prêter à cette spoliation, aussi
déroge-t-elle dans cette circonstance, non seulement au
principe de liberté illimitée des donations contractuelles,
mais encore à l’art, 1094 réglant la quotité disponible
entre époux. Le nouveau conjoint pourra bien avantager
�ET DE LÀ FRAUDE.
301
celui ou celle qui s’unit à son s o rt, mais il ne pourra
le faire que dans une juste et équitable proportion, il ne
pourra l’enrichir des dépouilles des enfants d’un précé
dent lit.
1648.
— Ainsi enfin, la réserve des ascendants ne
saurait recevoir aucune atteinte des donations renfer
mées dans le contrat de mariage. C’est ce qui s’induit
non seulement de la nature du droit quant à ce réservé
aux ascendants, mais encore du texte même de l’art.
1094. L’époux pourra, par contrat de mariage, pour le
cas où il ne laisserait point d’enfants, ni descendants,
disposer en faveur de l’autre époux, en propriété, de
tout ce dont il pourrait disposer en faveur d’un étranger
et en outre de l’usufruit de la totalité des biens dont la
loi prohibe la disposition au préjudice des héritiers. Or,
aux termes de l’art. 915, la quotité indisponible est de
la moitié ou du quart, suivant qu’il existe ou non un ou
plusieurs ascendants dans chacune des lignes paternelle
et maternelle. En conséquence, les époux ne pourraient,
par contrat de mariage, violer cette indisponibilité, au
trement qu’en disposant de l’usufruit.
En résumé donc, les époux jouissent de la faculté de
se faire, dans leur contrat de mariage, telles donations
qu’ils jugent convenables, mais cette faculté s’arrête de
vant les droits des tiers légalement établis par la loi, ou
résultant d’une obligation ou d’un contrat.
1649. — Les libéralités entre époux, réalisées pen-
�302
TRAITÉ DU DOL
dant le mariage, sont à juste titre suspectes. L’autorité
du mari, les séductions de la femme, une affection ré
ciproque exagérée, la crainte de troubler par un refus la
paix et la tranquillité du ménage , pouvant avoir con
traint ou égaré le consentement du donateur.
La vérité vraie est facilement saisie par tous et à tou
tes les époques. Aussi la position spéciale des époux, à
l’endroit des libéralités qu’ils se font réciproquement ou
particulièrement à l’un d’eux, pendant la durée du ma
riage, a été uniformément appréciée par les diverses lé
gislations des peuples civilisés.
ffl
1650.
— Le droit romain refusait son appui à toute
libéralité de ce genre. Moribus apud nos, nous dit Ul
pien, receptum est ne inter virum et uxorem donationes valcrent ; hoc outem receptum est ne mutuato amore
invicem spoliarentur , donationibus non tempérantes
sed profusa erga se facililate.
Cette règle n’était pas une innovation du droit mo
derne. Suivant Ulpien, elle avait été puisée dans ce qui
s’était pratiqué jusque là : Majores noslri inter virum
et uxorem donationes prohibuerunt, amorem honestam
solis animis œstimantes, famœ etiam conjunclurum
consulentes, ne concordia pretio conciliari viderelur,
neve melior in paupertalem incideret, delerior ditior
fiat.'
Ce qui recommandait surtout ce principe, c’est qu’en
1 L. I et 3, Dig. De donal inter vir. et uxor.
jïjî
�ET DE LA FRAUDE.
303
définitive, comme nous l’enseigne Perezius, on avait à
redouter d’autant plus un défaut de liberté dans le con
sentement du donateur, que la menace d’un divorce
était de nature à le contraindre : Prœbeaturque occasio
divortii, si non donat is qui possidet.'
Cependant un premier tempérament, à la rigueur de
ce principe, avait été introduit par une constitution de
Sévère et Antonin Caracalla, aux termes de laquelle la
libéralité entre époux, non révoquée par le donateur,
devait sortir à effet à la mort de celui-ci. Cette disposi
tion passa dans le Digeste, mais, sous son empire, il n’y
avait de valables que les donations qui avaient reçu
toute leur exécution du vivant du donateur, mort sans
les révoquer. Le conjoint n’avait aucune action contre la
succession, à l’effet de faire exécuter la donation qui
n’avait encore produit aucun etfet malgré que le dona
taire eût persisté dans sa volonté.3
Justinien abrogea cet état des choses. En effet, par la
Novelle 162, il prescrivit l’exécution des donations entre
mari et femme, quoiqu’elles n’eussent pas été suivies de
tradition, mais à condition qu’elles n’eussent pas été
révoquées. Dès ce moment, le donataire eut action con
tre la succession du donateur et put obtenir contre l’hé
ritier l’exécution de la libéralité.
Cette Novelle devint la règle dans les pays de droit
écrit. Ainsi, malgré que l’ordonnanee de 1731 ne permit
1 Cod., liv. 5. tit. 16, n» 16.
s L. 20, 23 et 32, § 2, Dig. même tit.
�304
TR AITÉ D ll
DGI,
de disposer de ses biens que par donations entre vifs ou
par testament, malgré que la donation entre époux ne
fût pas considérée comme constituant l’un ou l’autre,
les parlements n’hésitaient pas à les valider et à en pres
crire l’exécution toutes les fois que le donateur , per
sévérant dans sa volonté, était mort sans les révoquer.
Le droit coutumier offrait une grande diversité sur ce
point de législation. Comme l’enseigne Pothier, les cou
tumes se divisaient en quatre classes, à savoir :
1° Celles qui défendaient toute donation et tous avan
tages directs ou indirects entre mari et femme, pendant
le mariage, les testamentaires aussi bien que celles en
tre vifs ;
2° Celles qui prohibaient les donations entre vifs sauf
le don mutuel, à l’égard de certains biens et en cer
tains cas, mais qui permettaient les donations testamen
taires ;
3° Celles qui avaient adopté purement et simplement
la doctrine du droit romain, telle qu’elle était pratiquée
dans les pays du droit éerit ;
4° Enfin, celles qui permettaient à l’un des conjoints
de faire à l’autre donation entre vifs simple, au moins
en certains cas et sous certaines restrictions.*
1651.
— Les motifs sur lesquels le droit romain
fondait la prohibition des libéralilés entre époux, pen
dant le mariage, sollicitèrent vivement l’attention des aui Pothier, Donat. entre époux, n»! 7 et suiv.
�ET DE LA FRAUDE.
305
teurs de notre Code. Au même titre que le législateur
romain, ils sentirent la nécessité d’empêcher que le ma
riage ne dégénérât en une spéculation vénale ; que l’in
térêt ne transformât en une source de discussions une
union où devaient régner la concorde et la paix; ils crai
gnirent qu’un époux trompé par les apparences d’une
fausse tendresse, bientôt suivie, une fois le but atteint,
de l’abandon et du mépris, assailli d’obsessions conti
nuelles, effrayé par des menaces peut-être, ne se lais
sât arracher un consentement qu’il serait réduit à re
gretter toujours ; enfin ils pensèrent qu’on ne devait pas
même tolérer que les époux, entraînés par une affection
désordonnée, se dépouillassent inconsidérément.
Fallait-il, dans cette prévision, en revenir au prin
cipe rigoureux d’une prohibition absolue? Suffisait—il
d’attacher à ces libéralités un caractère de révocabilité,
tel que la faculté laissée aux époux de se donner ne pût,
dans aucun cas, offrir pour le donateur un danger ef
fectif et réel ?
V
L’art. 1096 nous indique de quelle manière le légis
lateur a résolu ces questions. La solution adoptée est
sage, et ce qui le prouve, c’est que l’expérience avait
amené le droit romain à la consacrer. Les époux pour
ront donc se donner réciproquement des témoignages
de leur affection, de leur reconnaissauce. Les avantages
que l’un d’eux aura extorqués par la ruse, la fraude,
la violence, l’ingratitude dont il paierait les bienfaits de
son conjoint, pourront toujours être atteints par la faiv
20
�306
TRAITÉ DU DOL
culté illimitée de révocation que la loi reconnaît au do
nateur.
1652.
— Celte faculté dont le mari peut librement
user serait devenue illusoire pour la femme, si elle n’a
vait pu l’exercer qu’avec l’autorisation de son mari ou ,
à défaut, de la justice. C’é tait, dans le premier cas ,
demander au donataire de se dépouiller lu i-m ê m e ;
c’était, dans le second, rendre, dans bien de cas, la ré
vocation impossible. En effet, les causes qui ont con
traint le consentement, la violence , les menaces qui
ont arraché la donation, sont dans le cas d’exiger que
la révocation en reste essentiellement secrète. Or, la
publicité nécessaire d’une instance en autorisation ren
dait tout secret impossible, et ramenait dans le ménage
ces obsessions, ces persécutions, ces menaces dont la
femme s’est rédimée par la donation , et devant les
quelles elle s’abstiendra forcément de toute rétracta
tion ; cela était trop évident pour que la loi ne dis
pensât par la femme de la nécessité d’une autorisation
quelconque.
1655. — La question de savoir si la donation a été
ou non révoquée, est importante pour les héritiers du
donateur, pour ses créanciers postérieurs. Ceux-ci, en
effet, ne pourront exécuter les biens donnés que si par
cette révocation ils sont rentrés en la possession de leur
débiteur. Ces intérêts faisaient un devoir au législateur
de s’expliquer sur la survenance d’enfants.
�ET DE LA FIUUDE.
307
On sait que pour les donations ordinaires, celte sur
venance les révoque de plein droit, à tel point que la
mort de l’enfant, postérieurement réalisée avant celle
du donateur, ne fait pas revivre la donation. Or, pou
vait-on dire, que les donations faites par le contrat de
mariage ne soient pas révoquées pour cause de surve
nance d’enfants , rien de plus naturel et de plus légitime. Les époux ne contractant leur union que dans le
but de se créer une famille, l’idée de donner malgré la
paternité est inséparable de l’acte réalisé par les conjoints
Aucun d’eux ne pourraitraisonnablement prétendre qu’il
n’a donné que dans la prévision que le mariage reste
rait stérile.
.
j
Mais il n’en est pas de même pour les donations fai
tes pendant le mariage. Alors, ce qui a pu motiver la
libéralité c’est que, marié depuis longtemps, et n’ayant
plus le doux espoir de devenir père, le donateur a vou
lu favoriser son conjoint ; que si, contre son attente, des
enfants naissent après la donation, ne serait-il pas jus
te, dans l’intérêt de ceux-ci, d’en anéantir les effets ?
Ces objections ne peuvent soutenir l’examen, en pré
sence de la faculté donnée à l’époux de révoquer ses li
béralités tant que le mariage ne s’est pas dissous par la
mort. Il peut donc, si l’existence d’enfants l’eût empêché
de donner à son conjoint, user de cette faculté et révo
quer ses dispositions. S’il n’use pas de cette faculté, c’est
qu’il persiste dans sa volonté première, c’est que son abs
tention constitue une libéralité nouvelle contre laquelle
�308
TRAITÉ DU DOL
la fiction imaginée dans le cas de donations irrévoca
bles ne serait plus qu’un évident mensonge.
Quant aux enfants, leur intérêt est sauvegardé par la
réductibilité de la donation. Tout ce qui peut en résul
ter contre eux, c’est la disposition de la quotité disponi
ble, sur laquelle leur droit est exclusivement subordonné
à la volonté de leur père. Or, cette volonté résultant du
défaut de révocation d’une précédente libéralité, il doit
en être ce qu’il en serait de celle expressément manifes
tée dans un acte postérieur à leur naissance. D’ailleurs,
par cela seul que la loi a admis la réduction, elle a re
poussé la révocation.
Ces considérations étaient plus que suffisantes pour
décider la question que nous examinons. Cependant, dans
le but louable d’éviter toutes contestations, toutes difficul
tés, le législateur a cru devoir la trancher expressément
par la négative dans l’art. 1096.
1654. — La loi ne s’étant pas expliquée sur la
forme des actes de révocation, on en a conclu qu’il
suffit d’une révocation expresse, soit par acte authenti
que, soit par acte sous seing-privé, quand même ce der
nier ne serait pas entièrement écrit et daté de la main
du donateur.'
M. Duvergier, dans ses notes sur la loi du 21 juin
1843, soutient que l’art. 2 exigeant que les actes nota
riés, contenant révocation de donation, soient, à peine
1 Toullier, t v, n° 923.
�ET
DE
LA
FRAUDE.
309
de nullité, reçus conjointement par deux notaires, ou
par un notaire en présence de deux témoins, ne permet
plus la révocation par acte sous seing privé.
Cette opinion ne parait pas admissible. Il a toujours
été admis en doctrine et en jurisprudence que la dona
tion entre époux peut non seulement être révoquée par
une clause expresse du testament olographe, mais
encore que l’incompatibilité des dispositions de ce testa
ment avec cette donation équivaut à révocation.1
Cet effet est d’ailleurs la conséquence directe de la na
ture de la donation entre époux. La révocabilité absolue
qui la caractérise la rend une libéralité à cause de mort,
plutôt qu’une véritable disposition entre vifs; et il n’est
pas douteux que depuis la loi de 1843, comme avant ,
la révocation contenue dans un testament olographe, soit
expressément, soit tacitement par incompatibilité, en dé
truirait les effets.
Donner à la loi de \ 843 la conséquence qu’en tire
M. Duvergier, c’est lui attribuer un caractère qu’elle ne
comporte pas. À notre avis, cette loi ne fait qu’une seule
chose, à savoir ; régler la forme de la révocation nota
riée. Mais cela dit-il que cette révocation ne pourra être
faite d’aucune autre manière? Non, bien certainement,
et le texte de l’art. 2 va nous en fournir la preuve ir
récusable. Ce que cet article dit de la révocation de la
1 Amiens, 13 juil. '1822 ; — Paris, 17 juil. 1826 ; Douai. 3nov 1836;
— Lyon, 25 mai 1827 ; — Cass., 9 juin 1830 ; — Montpellier, 27 mars
�310
TRAITÉ DU DOL
donation, il le dit également pour celle du testament.
Or, pourrait-on soutenir que le testament sous seingprivé, valable en la forme, ne peut valablement révo
quer un testament? Nous sommes convaincus que M.
Duvergier lui-mème ne résoudrait pas affirmativement
cette question.
La loi de 1843 n’a donc rien innové sur la forme de
la révocation. Elle se borne à trancher la difficulté que
la présence effective du notaire en second avait fait naî
tre. Ainsi, à l’avenir, la révocation, si elle est faite par
acte notarié, ne sera valable que si l’acte a été reçu ré
ellement par deux notaires, ou par un notaire en pré
sence de deux témoins. Mais cette forme ne devient pas
obligatoire. La révocation par acte sous seing privé, re
connu, non contesté, n’en sera pas moins valable.
Nous ajoutons que l’obligation de recourir, dans tous
les cas, à un notaire, est contraire à l’esprit delà loi,
en matière de révocation de donation entre époux. Elle
compromettrait le secret que la femme surtout a un si
puissant intérêt à garder, et, dans plusieurs circons
tances, l’empêcherait de faire la révocation, assurant
ainsi le triomphe de la fraude, quelquefois même de la
violence.
165 5 — Quel est le véritable caractère de la donation
entre époux? Est-elle une libéralité entre vifs? Ne constitue-t-elle qu’nrc& disposition testamentaire?
Cette question, qui a divisé la doctrine et la jurispru
dence, nous paraît résolue par la nature même des
�ET DE LA FRAUDE.
311
choses. La donation entre époux n’e s t, à proprement
parler, ni une donation, ni un testament, mais elle par
ticipe évidemment de l’une et de l’autre. Il faudra donc
la régir par les principes applicables à l’une et à l’autre,
dans tous les points de contact qu’elle aura avec cha
cun d’eux.
Ainsi, en la forme nous dirons avec Toullier, Grenier
et Marcadé que, par cela seul que les époux ont em
prunté celle de la donation entre vifs, l’aete est soumis
à l’acceptation et à la transcription ; qu’il ne peut être
fait qu’en la forme authentique et pardevant notaire.
Nous dirons avec la Cour de cassation, que la condi
tion de révocabilité n’empêche pas le donataire d’être
saisi du jour de la donation ; qu’en conséquence il n’a
pas besoin, si la condition de non révocation s’est réa
lisée, de demander la délivrance; que, de plus, l’effet
de la donation non révoquée, remontant au jour de l’ac
te, les créanciers postérieurs du donateur, quoique an
térieurs au décès, ne pourront exercer aucune poursuite
sur les biens qui en font l’objet.'
Mais du principe que la donation entre époux est tou
jours révocable, qu’elle est, sous ce rapport, assimilée
au testament, nous tirerons les conséquences suivantes :
1° Elle est soumise aux modes de révocation tacite
autorisées pour celui-ci;2
1 Cass., 5 avril 1836; 18 avril 1838; — J. D. P., tom. î, 1838, pag.
492 ;
s Amiens, 13 juillet 1822; — Paris, 17 juillet 1826 ; — Lyon, 25
mai 1827; — Cass., 9 juin 1830 ; — Montpellier, 27 mars 1835; —
Douai, 3 novembre 1836
�312
TRAITÉ DU DOL
2° Elle devient caduque par le prédécès du donatai
re, dont les héritiers sont dès lors sans droit à en ré
clamer le bénéfice.
Le contraire a cependant été jugé par la Cour de Li
moges, le 1er février 1840. Mais cette décision, contraire
à la doctrine, ne saurait être admise. On comprend que
tant que le donataire est apte à recueillir, la révocation
doit être expresse. Or, la faculté de la réaliser n’est pas
perdue par la mort du donataire, mais à quoi bon dès
lors en exiger l’exercice?1
1656.
—• Déjà, et en ce qui concerne les testaments,
l’art. 968 avait prohibé les dispositions conjonctives, ré
ciproques ou non. Cette prohibition constitue, non une
simple loi règlementaire des formes, mais bien une loi
de capacité testamentaire. Le législateur n’a pas voulu
admettre qu’un pareil testament puisse être considéré
comme l’expression d’une volonté certaine et déter
minée.
Or, si cela est vrai pour l’institution non réciproque
à l’égard des personnes entre lesquelles il n’existe que
des liens de simple amitié, on ne pouvait raisonner au
trement dans l’hypothèse d’une donation réciproque en
tre époux. Pour ceux-ci, en effet, indépendamment du
motif général de l’art. 968, il existe en outre celui d’un
abus d’influence que le pretexte de réciprocité donne1 J. D. P., tom. i, 1840, pag. 100; — V. Toullier, tom. v, pag. 918;
— Delvincourt, tom. 11, pag, 114, note 3; — Duranton, n° 779; — Gre
nier, n° 454 ; — Vazeilles, n° 9 ; — et Coin-Delisle, n° 6,
�ET
DE
LA
FRAUDE.
313
rait l’occasion de continuer même sous les yeux du
notaire.
D’ailleurs, et dans tous les cas, la réciprocité pour
rait devenir un obstacle à la révocation ou soumettre son
exercice à de nombreuses contestations. L’époux qui s’en
trouverait atteint n’aurait pas manqué, argumentant du
caractère de l’acte, de soutenir que la mutualité lui im
primait un cachet absolu d’indivisibilité; qu’en consé
quence aucune atteinte ne pouvait lui être portée que
du consentement de toutes les parties.
Ce qui prouve que l’art. 1047 a eu surtout en vue
d’échapper à l’inconvénient que nous signalons, c’est
que sa disposition ne saurait atteindre les donations que
les époux se feraient réciproquement par actes séparés,
passés le même jour et reçus par le même notaire. Il est
vrai que ee résultat a été un instant contesté ; mais il
ne l’est plus depuis que la Cour de cassation , investie
d’office et dans l’intérêt de la loi, a cassé un arrêt qui
avait admis l’invalidité des deux actes.'
1657.
— Y a-t-il don mutuel et réciproque par un
seul acte, lorsque les époux, vendant un immeuble de
la communauté, en laissent le prix à rente viagère qu’ils
déclarent réversible, en tout ou en partie, sur la tête de
l’époux survivant ?
C’est surtout l’héritier de l’époux décédé qui aura in
térêt à la solution affirmative. En effet, l’époux survi1 22 juillet 1807.
�314
TRAITÉ DU DOC
vant profitant exclusivement de la rente viagère, cet hé
ritier perdra la part qu’il eût infailliblement reçu , si
l’immeuble commun, si les deniers qui ont servi à cons
tituer la rente s’étaient retrouvés dans la communauté
au moment de la dissolution.
Au fond, un pareil traité constitue une véritable do
nation indirecte, expressément dispensée des formalités
de la donation par la disposition de l’art. 1973 du Code
civil, il ne pourrait donc être annulé que si les époux
ou l’un d’eux n’avait pas la capacité de la consentir ou
de la recevoir.
Or, nous venons de le dire, les époux, même pendant
le mariage, ont toute capacité de donner et de recevoir,
sauf réduction en cas d’excès. D’autre part, la femme
commune a incontestablement la capacité de consentir,
conjointement avec son mari, l’aliénation de l’actif delà
communauté. La qualité de maître, que la loi confère à
celui-ci, l’autorise à se passer du concours de sa fem
me, mais ne lui prohibe, dans aucun cas, de réclamer
ce concours lorsqu’il le croit utile.
Donc la validité de l’acte ne saurait être méconnue.
Régulier eu la forme, il est irréprochable sous le rap
port de la capacité ordinaire. Il ne pourrait donc être
annulé que si, tombant sous le coup de l’art. 1097, on
devait le considérer comme une libéralité mutuelle et ré
ciproque par un seul acte. Or, on ne saurait le décider
ainsi par deux motifs péremptoires.
Au moment de la vente, la femme n’a aucun droit
certain sur les immeubles communs que le mari peut
�ET DE LA FRAUDE.
315
aliéner à son gré. Si à la dissolution la femme renonce
à la communauté , il en résultera ce que voici : c’est
qu’en admettant que la réversibilité de la rente stipulée
en sa faveur par le mari puisse être assimilée à une li
béralité, elle l’a reçue à titre purement gratuit, puisqu’en
échange elle n’a pu donner, elle n’a rien donné. En ef
fet, sa renonciation rendant le mari seul propriétaire de
tous les biens ayant appartenu à la communauté, il n’y
a donc pas évidemment mutualité et réciprocité.
Si la femme prédécède et que ses héritiers acceptent
la communauté, il est incontestable que la femme aura
proportionnellement contribué de ses deniers à la cons
titution de la rente viagère. Mais, pour apprécier les
conséquences de cet acte, il faut nécessairement se re
placer à l’époque où la vente se réalisant, la rente via
gère était créée. Or, à ce moment, chacun des époux
stipulait plutôt dans son intérêt propre que dans celui
de son conjoint. En effet, le caractère aléatoire du con
trat, l’incertitude, dans laquelle on est forcément, sur
le point de savoir en faveur de qui il sortira à effet, le
rend en quelque sorte à titre onéreux pour l’un et pour
l’autre; il devient mutuellement intéressé, puisque les
sacrifices, les avantages et les chances se balancent par
faitement, et, par cela même, il échappe à la prohibi
tion de l’art. 1096. C’est ce qu’à fort juridiquement jugé
la Cour de Paris, par arrêt du 25 mars 1344.'
1 J. D. P., tom. î, 1844, pag. S10; — V. Angers, 7 mars 1842; —
�316
TRAITÉ DU DOL
1658.
— Du principe que les époux peuvent se don
ner directement pendant la durée du mariage, il résulte
qu’ils peuvent le faire d’une manière indirecte, sauf les
limites que la loi a posées dans les art. 1094 et 1098.
L’indisponibilité d’une partie des biens, que créent ces
deux dispositions, est absolue, c'est-à-dire que les réser
vataires doivent recueillir en entier la quotité que la loi
a entendu leur assurer, que leur droit à cet égard ne
saurait être directement ou indirectement méconnu ou
violé. Cette conséquence , qui s’induisait suffisamment
des termes de ces articles, se retrouve expressément
écrite dans l’art. 1099.
Il était facile, en effet, de prévoir que les époux, vou
lant s’avantager au delà de ce qui leur est permis, ne
viendraient pas se heurter de front à la prohibition de
la loi, ni la violer ouvertement. Ils auront donc recours
à des voies détournées, ils demanderont à la simulation
les moyens d’assurer les effets de la fraude. Cette prévi
sion a conduit le législateur à régler le sort des donations
indirectes, celui des libéralités déguisées ou faites par
personnes interposées.
Le véritable caractère de l’acte intervenu entre les
époux sera donc d’un intérêt puissant pour les héritiers
agissant en vertu des art. 1094, 1098. Cet acte pourra
être ou une donation indirecte, ou une donation dégui
sée soit par la simulation dans la nature du contrat, soit
par interposition d’une tierce personne. Nous verrons
bientôt l’utilité de distinguer la première de l’autre.
�ET DE LA FRAUDE.
317
1 6 5 9 . — Les moyens d’éluder la loi sont nombreux
et il serait impossible de les prévoir tous. En première
ligne, s’offre la vente, mais la disposition de l’art. 1595
rend celle-ci d’un mince secours, en déterminant dans
quels cas les époux pourront y recourir valablement. La
simulation, ayant pour objet de se placer dans une des
hypothèses prévues, serait facilement prouvée et punie.
On cherchera donc ailleurs les moyens d’échapper
aux réclamations des parties intéressées, et de détourner
l’attention de la justice. Nous allons indiquer quel
ques-uns de ceux pouvant être plus usuellement em
ployés.
1 6 60. — La reconnaissance d’une dot purement fic
tive, la quittance de celle qui a été constituée, consentie
de complaisance et sans paiement réel, constitue un
avantage indirect. L’une et l’autre donnent à la femme
le droit de prélever, à la dissolution du mariage, jus
qu’à concurrence de ce qui a été reconnu ou quittancé.
En conséquence, si elle n’a rien apporté ou rien payé,
ce prélèvement est l’effet d’une véritable donation simu
lée, au détriment des héritiers.'
1661. — L’estimation du mobilier qu eles époux
apportent en mariage ou qu’ils reçoivent pendant sa du
rée par succession, donations ou autrement, peut devenir
la matière d’un avantage direct. La simulation existera
�318
TRAITÉ DU DOU
soit par la valeur exagérée, donnée au mobilier de l’é
poux avantagé, soit par la diminution combinée de la
valeur réelle de celui de l’époux qui avantage.
Exemple : les époux ont promis dans leur contrat de
mariage d’apporter chacun une somme de 10,000 francs
dans l’actif de la communauté, se réservant comme pro
pre celui qu’ils possèdent ou qui leur écherra plus tard,
de plus, la femme se réserve de reprendre son apport
franc et quitte. La totalité du mobilier de la femme va
lait 20,000 fr., mais des états signés par le mari et en
flés à plaisir, ont donné à ce mobilier une valeur de fr.
50.000, c’est évidemment un avantage fait à la femme
de 30,000 fr., si elle renonce à la communauté; de fr.
15.000, si elle accepte.
Dans la même hypothèse, si le mobilier du mari vaut
50,000 fr. et qu’on ne l’ait porté que pour 20,000, la
femme, si elle accepte la communauté, recevra un avan
tage de 15,000 fr., car le mari ou les héritiers ne pré
lèveront que 20,000 fr. pour le mobilier propre, tandis
qu’ils auraient prélevé 50,000 fr., si les états n’avaient
pas été simulés.
Dans la même hypothèse enfin, la diminution calcu
lée du mobilier de la femme ou l’exagération dans l’é
valuation de celui du mari constituerait l’avantage in
direct en faveur de ce dernier.
1662.
— Un résultat analogue est atteint par la si
mulation dans le prix de la vente des propres d’un des
époux. Si ce prix est de 50,000 fr. et qu’il ait été dé-
�RT DE DA FRAUDE.
319
claré de 60,000 dans l’acte, l’époux propriétaire reçoit
un avantage de 10,000. Il concède lui-même cet avan
tage, si le prix, en réalité de 60,000 fr., n’a été porté
que pour 30,000.
Ajoutons que toutes les fraudes dont nous avons par
lé, en examinant celles que les époux peuvent commet
tre l’un contre l’autre, deviendraient des avantages in
directs, si elles sont concertées entre eux.'
1663. — L’adoption du régime d elà communauté
légale; dans le cas d’inégalité dans l’apport respectif des
époux, constitue un incontestable avantage pour celui
dont l’apport est inférieur. Dès qu’ils sont tombés en
communauté, les objets personnels à chaque époux de
viennent leur propriété commune. De plus, le mari, en
ayant la libre et entière disposition, pouvant les aliéner
sans le concours et même contre la volonté de sa fem
me , peut être considéré comme en acquérant la pro
priété intégrale.
Quelque énorme que soit ce résultat, il ne saurait en
thèse ordinaire, et vis-à-vis les héritiers légitimes de
l’époux, exister aucun doute sur sa parfaite légalité. Tout
le monde doit le subir, mais il n’en est plus ainsi lors
que, par l’existence des enfants d’un premier lit, un des
époux se trouve placé sous le coup de la disposition de
l’art. 1098.
1664. — Quel sera dans cette hypothèse l’effet de la
�320
TRAITÉ DU DOL
soumission au régime de la communauté légale, soit
qu’elle résulte d’une convention formelle, soit qu’elle
s’induise de l’absence d’un contrat de mariage?
Sous l’empire des anciens principes, et en présence
des termes de l’édit de François n, de juillet 1650, cette
question avait été résolue en ce sens : Que, quels que
fussent les termes du contrat, la communauté ne pou
vait légalement exister à l’encontre de l’époux déjà père
par l’effet d’un précédent mariage, que pour un apport
égal à celui du conjoint avec lequel il convolait. Tout
ce qui dépassait cet apport n’entrait pas en communauté
et demeurait propre à l’époux. Le fondement de cette
règle était : Qu'une femme, épousant un mari qui lui
était inégal en biens, n'agissait pas en mère avisée et
qui eût en considération les enfants de sonpremier ma
riage, lorsqu'elle ne prenait pas ses précautions pour
empêcher que son second mari ne profitât de la moitié
de ses biens, en stipulant que les deniers, qui lui ap
partenaient, lui demeuraient propres pour le tout ou
en partie, à proportion de ce que le mari a de biens
de son côté, comme ceux qui se conduisent avec pru
dence ne manquent jam ais de faire en pareilles occa
sions; de sorte qu'on a cru que le défaut de prévoyance
de la mère devait être en ce cas suppléé par l'autorité
de l'ordonnance.
En effet, ajoute Ricard, « Quoique nos communautés
» soient légales, il n’arrive presque jamais que les per» sonnes, qui possèdent quelques biens, contractent
» mariage sans déroger notablement à la disposition de
�ET DE LA FflAUDE.
321
» nos coutumes, soit en diminuant ou ajoutant à ce
» qu’elles ont ordonné , tellement que ces sortes de
» communautés ne semblent avoir été établies que ppur
» ceux dont les biens sont si modiques, qu’ils ne pçié» ritent aucune prévoyance particulière. Ainsi il n’y a
)> pas de doute que lorsqu’une veuve, qui possède des
» effets considérables, a passé à un second mariage ,
» sans veiller à la conservation de ses droits , et à as» surer ses biens à ses enfants, il est fort raisonnable
» que l’édit , qui a été fait à ee su jet, supplée à son
» défaut de prudence, puisque cette omission se trouve
» dégénérer en un avantage indirect dont le second mari
» profiterait contre la prohibition de la loi, si le remè» de qu’elle a introduit n’était pas appliqué en celte ren» contre.1 »
Par une parité de raisons incontestables, ce qu’on dé
cidait pour le mobilier tombant dans la conqpqunaulé ,
on l’appliquait aux immeubles qui y étaient conven
tionnellement jetés. Ainsi la femme ne pouvait ameu
blir ses immeubles que dans la proportion de l’apport
réalisé par le mari. L’excédant, quelles que fussent les
stipulations du contrat, ne tombait pas dans la commu
nauté et demeurait propre à la femme.3
Il est inutile de faire remarquer que quoique l’édit
de 1560 ne disposât spécialement que pour les veuves ,
i
D es D o n a t.,
t. î. p. 708, nos <1204 et 2. ; — V. Lebrun, dist. 4
n° 10.
s Ricard ibidem, n° 1200.
IV
21
�TRAITÉ DU DDL
on l’avait sans difficulté appliqué aux deux époux. Ainsi
l’apport excessif du mari, l’ameublissement qu’il aurait
consentit au-delà des ressources de la femme étaient
considérés comme des avantages indirects au préjudice
des enfants du premier lit. Ceux-ci étaient donc rece
vables et fondés à poursuivre contre leur père tous les
droits que l’édit les eût autorisés à réclamer de leur
mère.
Telle était donc la doctrine et la règle que traçait no
tre ancien droit. Faut-il, sous l’empire du Code civil ,
suivre l’une et l’autre, se demande Merlin, etavecbeaucoup de raison, selon nous, il se prononce pour l’affir
mative.' La législation actuelle n’a pas, à l’endroit des
enfants du premier lit, moins de sollicitude que sa dévancière. L’art. 1098 fait aujourd’hui ce que l’édit fai
sait autrefois. Les motifs qui recommandaient celui-ci
recommandent également le premier. On ne concevrait
donc pas une différence quelconque dans la solution.
Il y a plus, ce qui, sous l’empire de l’édit, n’était
qu’une déduction logique et juste, a acquis aujourd’hui
le caractère de loi expresse. Ainsi l’art. 1527, après avoir
proclamé la liberté illimitée de stipulations en matière de
communauté, ajoute : néanmoins, dans le cas où il y
aurait des enfants d’un précédent mariage, toute con
vention qui tendrait, dans ses effets, à donner à l’un des
époux au-delà de la portion réglée par l’art. 2098, sera
sans effets pour tout l’excédant de cette portion.
1 Rép.. v° secondes noces, § 7, art. 2.
�RT DE LA FRAUDE.
323
Or il y aurait véritablement excédant, surtout lorsque
la fortune de l’époux est toute mobilière, dans la clause
qui, la faisant intégralement entrer dans la communauté,
en conférerait la moitié au conjoint. Dès lors il y aurait
lieu à réduction, soit que le résultat que nous indiquons
ait été directement acquis, soit qu’on l’ait dissimulé par
une des fraudes dont nous venons de parler, et notam
ment par une fausse évaluation du mobilier des deux
époux.
La solution donnée dans l’hypothèse d’une commu
nauté conventionnelle doit être -également consacrée
dans celle résultant de la loi, à défaut de contrat de ma
riage. S’il suffisait en effet, pour échapper aux consé
quences des art. 1098 et 1527, de se marier sans con
trat, l’existence de celui-ci, dans les seconds mariages,
deviendrait un mythe introuvable. La fraude serait par
trop facile et beaucoup trop sûre.
Conséquemment, que les époux se marient avec ou
sans contrat de mariage, le résultat est identique, l ’ap
port de celui qui convole ne peut être supérieur à celui
de son conjoint. Il doit donc, sur la poursuite des en
fants du premier lit, être réduit jusqu’à concurrence, si
celte proportion a été méconnue ou dépassée.
1665.
— Dans tous les cas, la réduction ne s’opère
que sur le capital. Les revenus que ce capital aurait pro
duit , quelle que fût d’ailleurs l’inégalité entre les ap
ports, seraient définitivement acquis à la communauté.
Cette règle, que le droit ancien aurait admis au sentiment
�324
TRAITÉ DU DOL
de Ricard et de Lebrun , est aujourd’hui consacrée ex
pressément par l’art. 1527, et avec toute sorte de rai
sons. Ce qui pouvait résulter du système contraire, c’était
que le second mari, voyant le peu d’intérêt qu’il de
vait retirer de ses économies et des revenus, ne fût tenté
de les dissiper ou de les détourner, en les dissimulant.
On aurait donc fait préjudice à la femme, et même aux
enfants, en voulant les favoriser.
1 666.
— Indépendamment des avantages indirects
qu’ils peuvent mutuellement se concéder, les époux peu
vent tenter d’éluder la loi par des donations déguisées.
A cet égard, la loi place sur la même ligne la simula
tion dans le caractère de l’acte et l’interposition de per
sonnes. C’est même à celle-ci que la fraude demandera
le plus usuellement le moyen de sortir à effet, les tran
sactions entre époux étant trop facilement suspectées
pour qu’on puisse se flatter de tromper les tiers intéres
sés et la justice.
Aux termes de l’art. 1100, l’interposition de per
sonne est légalement admise et de plein droit présumée
lorsque la libéralité est faite aux enfants, ou à l’un des
enfants de l’époux, ou aux parents dont il est l’héritier
présomptif. Les enfants réputés personnes interposées
sont ceux que l’époux a eu d’un précédent mariage. Il
ne pouvait en être autrement. Les enfants issus du do
nateur et du donataire appartiennent à l’un comme à
l’autre; ils sont, pour l’un et pour l’autre, l’objet d’une
égale affection. En les favorisant, le donateur ne peut
�325
ET DE LA FRAUDE.
pas être censé avoir voulu favoriser son conjoint plutôt
que l’enfant lui-même.
Dans l’hypothèse de l’art. 1100, au contraire, l’époux
n’est pas présumé avoir une vive affection pour des en
fants qui ne lui appartiennent pas. S’il donne à quel
qu’un, c’est évidemment à son conjoint, et s’il s’adresse
à un intermédiaire, c’est qu’il n’est pas libre d’en agir
autrement. Cette idée se présente si naturellement, la
fraude est ici tellement probable, qu’on ne pouvait en
prévenir les effets que par la présomption légale consa
crée par l’art. 1100.
.
\
r, „ n :
*
-
Vs
-V*
1667.
— Le législateur a de plus tracé à la justice
le mode d’appréciation qu’elle a à suivre dans cette ma
tière.. Pour juger la validité de la donation, il faut s’en
référer à l’état des choses existant au moment où elle
s’est réalisée.
11 est certes bien évident que la donation faite à l’en
fant que le conjoint a eu d’un précédent mariage ne sau
rait être querellée de simulation, si ce conjoint avait
prédécédé. Mais pour produire cet effet, le décès doit
être antérieur à la donation elle-même. Si, au moment
où elle a été réalisée, le conjoint était vivant, la dona
tion est considérée comme le concernant, et son décès
survenu plus tard, quoique avant l’ouverture de la suc
cession du donateur, ne modifie en rien cette présomp
tion. La donation doit être annulée.
Il en serait de même du second cas prévu par l’arti
cle 1100. Si au moment de la donation l’époux est l’hé-
�326
TRAITÉ DU DOL
ritier présomptif du donataire, il y a présomption de
fraude définitivement acquise. La donation ne pourrait
être maintenue, alors même qu’au décès du donateur
le conjoint eût perdu la qualité d’héritier présomptif du
donataire.
— L’art. 911 met, au nombre des personnes
les ascendants de l’incapable. En
' "nothèse de l’art. 14 00? Mer—
1668. -ms croyons d’autant
réputées interposer,
,
sera-l-il de même dans l'a , ,
enlin enseigne l’affirmative , que t i r
et
plus juridique, que la qualité d’héritier pre*gée par l’art. 1100, se réalise entre les père et m e^
les enfants. Donc, si les mots sont omis, la chose existe#
et cela justifie complètement l’opinion de Merlin.
Mais celui-ci va plus loin ; il soutient que la donation
faite à l’aieul de l’époux incapable, du vivant des père
et mère, doit être réputée faite à celui-ci par interposi
tion de personne. À la rigueur, sans doute, la condition
exigée par l’art. 1100 ne se réalise pas dans l’hypo
thèse; mais le caractère d’une donation de ce genre, le
but évident qu’elle se propose nous paraissent justifier
la doctrine de Merlin.
1669.
— Quel que soit le donataire désigné dans
l’acte, l’interposition est possible et sa certitude déter
minerait la révocation de la donation. Elle pourra donc,
dans tous les cas, être alléguée, et cette allégation être
justifiée par toutes sortes de preuves et même par té
moins et par présomptions. Les héritiers sont, quant à
ce, de véritables tiers, et, dès lors, on ne saurait leur
�ET DE LA FRAUDE.
327
refuser le droit de faire valoir tous les moyens à l’aide
desquels ils prétendent prouver la fraude dont ils sont
les victimes. La preuve testimoniale, celle par présomp
tions sont, à cet effet, d’une utilité aussi certaine que
leur admission indispensables. Cette dernière peut être
même plus efficace que la première ; en effet, l’exécution
que la donation a reçue, la condition de la réserve
d’usufruit, dans le cas contraire, le mode d’administra
tion pratiqué, la part que l’époux indiqué comme le do
nataire réel y aura prise sont de nature à influer puis
samment sur la solution du litige.
1670. — La donation pourrait être faite à l’époux
par un fidéicommis tacite, mais on ne peut, faire, par
actes entre vifs, ce qu’il n’est pas permis de faire par
testament. En conséquence, les principes que nous avons
exposés en nous occupant de celui-ci régiraient égale
ment la difficulté que cette supposition ferait naître.1
1 671. — En résumé, rien ne prohibe aux époux de
se récompenser mutuellement de la bonne conduite, de
l’affection et des soins qu’ils ont eu l’un pour l’autre.
Une reconnaissance de ce genre ne méritait que des en
couragements, m ais, mis en présence d’autres devoirs
de famille, ses effets devaient être restreints dans des li
mites équitables et justes. Les ascendants, les descen
dants , les enfants d’un premier lit surtout devaient
�328
TRAITÉ DU DOL
d’autant plus être protégés, que la conduite du dona
taire pouvait n’être que le résultat, que l’abus d’une in
fluence trop imminente et trop prochaine pour n’être
pas redoutable. Celte prévision résume et justifie les dis
positions des art. 1094 et 1098.
1672.
— En ce qui concerne les ascendants, le pre
mier ne saurait être l’objet d’aucun autre reproche que
de celui de sacrifier un peu trop leurs droits à ceux du
conjoint. La faculté de grever d’usufruit leur réserve lé
gale, ferait admettre que la loi leur retire d’une main ce
qu’elle leur accorde de l’autre. En effet, elle a pour ré
sultat, en quelque sorte forcé, de frapper cette réserve
d’indisponibilité, en la subordonnant, quant à la jouis
sance , au décès d’une personne probablement moins
âgée et qu’ils sont probablement appelés à prédécéder.
De quel prix, d’ailleurs, peut être la nue propriété ellemême, et qui voudra l’acquérir en présence d’un usu
fruitier pouvant avoir à peine atteint sa vingt-unième
année ?
C’est donc l’héritier de l’ascendant, plutôt que l’as
cendant lui même, que la loi semble vouloir favoriser.
Cela est d’autant plus rigoureux, que son âge, que ses
infirmités, que l’insuffisance de ses ressources lui ren
draient plus indispensable et pliïs utile la disposition
de cetfé réserve dont le principal et l’unique objet de
vrait être son avantage personnel.
Nous applaudissons donc à la proposition dont l’As
semblée nationale est aujourd’hui saisie, et qui tend à
�ET DE LA. FBAUDE.
329
retirer à l’époux le droit de grever d’usufruit la quotité
dont il ne peut disposer. Les motifs qui militent en sa
faveur ne manqueront, sans doute, pas d’en assurer
l’adoption.
1 6 7 3 . — La détermination de la quotité disponible,
soit de l’art. 1094, soit de l’art. 1008, ne peut avoir
lieu qu’au décès du donateur. Ainsi, il importerait peu
qu’au jour delà donation il existât des enfants d’un pre
mier ou d’un second mariage, des ascendants dans l ’une
ou l’autre ligne. La donation, fût-elle universelle, n’en
sortirait pas moins à effet si les uns et les autres avaient
prédécédé le donateur, s i , conséquemment, à la mort
de celui-ci, il n’existait plus ni ascendants, ni enfants,
ni descendants de ceux-ci.
De là il suit : que pendant la vie du donateur les en
fants, même d’un précédent mariage, seraient irreceva
bles à quereller la donation soit en réduction, soit en
nullité, l’une ou l’autre étant forcément subordonnée à
l’état des choses au moment de la mort du donateur.
1 6 7 4 . — Mais ce défaut d’action ne va pas jusqu’à
leur faire interdire de requérir les mesures conservatoi
res dans l’hypothèse où le relâchement des liens du ma
riage nécessitant la liquidation des droits de la femme ,
celle-ci est appelée à recevoir le montant de ce qui lui
aurait été frauduleusement donné. L’action des réserva
taires serait illusoire si, avant d’être exercée, la dona
tion recevait son entière exécution et si l’incapable pou-
�330
TRAITÉ DU DOL
vait à son gré faire disparaître ce qu’elle craindrait d’a
voir à restituer plus tard. Les ayants-droit devraient donc,
dans ce cas, être admis à faire de la dation d’une cau
tion la condition de la délivrance réelle.
C’est ce que la Cour de Grenoble a consacré dans une
hypothèse où, en se remariant, un homme avait recon
nu une dot de 6,000 francs à sa seconde épouse, lors
que déjà il avait donné à l’ainé des enfants du premier
lit, et par préciput, le quart de ses biens.
A la suite de l’obtention de sa séparation de corps, la
seconde femme demandait la restitution de sa dot de
6,000 francs. Les enfants du premier lit intervenant sou
tinrent que la reconnaissance dans le contrat de maria
ge constituait une pure libéralité dont le cumul avec cel
le faite à l’un d’eux était de nature à entamer leur ré
serve légale. Ne pouvant, en l’état, la faire réduire ou
annuler, ils concluaient à ce que la femme ne fût auto
risée à la toucher qu’à la charge de donner caution pour
la garantie de leur droit éventuel.
Ce système, accueilli par la Cour de Grenoble, s’étaie
dans l’arrêt sur les motifs suivants :
« Attendu que l’ihtérêt est la mesure de l’action ;
que les intervenants, alors que leur père, avant son se
cond mariage, a déjà donné, à son fils ainé, le quart de
ses biens par préciput, et qu’ils soutiennent que la re
connaissance faite par leur père à sa seconde femme
contient une libéralité déguisée dont le montant, joint
à la donation précitée, est de nature à entamer leur ré
serve légale, ont un intérêt évident à empêcher que la
�ET DE LA FRAUDE.
331
somme, faisant l’objet de ladite reconnaissance, ne soit
.remise à leur belle-mère, parce que celle-ci, en la fai
sant disparaître, paralyserait l’action que la loi leur ac
corde ;
« Attendu que le seul effet de leur intervention en l'é
tat n’est pas d’examiner la validité ou l’invalidité de la
stipulation du contrat de mariage, mais d’empêcher que
le montant de la reconnaissance ne puisse pas être sous
trait ou occulté d’une façon quelconque ; que dès lors,
lt '.ur intervention est bien fondée, et qu’il ne peut échoir
d’t examiner la demande de la femme d’être autorisée à
reti. rer, sans donner caution, le prétendu apport par elle
fait c fans son contrat de mariage.’ «
i67£>
~~ Le même arrêt décide, avec raison, que
v q0 nateur est non recevable à exciper de sa
VépouA
^
mnder la nullité de la donation. En effet,
fraude et à
fiste que dans l’intérêt exclusif des
la prohibition n’e^
ue ne consiste que dans le préjuhéritiers légitimes ; et.
. ,e ras d,en ê
^ ^
dice qu'ils seraient dans
,a |oi dCTait recMmai,re |e
donc à eux seulement que *
,
droit et confier le soin d’en pou. “ 7 " la rePres*lonD’ailleurs, le caractère de l’acte n’eu nn accluis fiu ^ ' a
mort du donateur, il est évidentqu’on u e Pouvait, dans
aucun cas, lui permettre de faire prononcer une uuïïitéi
que le prédécès des réservataires empêchera /I exister..
Enfin, et par rapport à lui, la disposition trou\h uud
1 2 juillet 1831 ; — D. P., 32, 2, 137.
�332
TRAITÉ DU DOL
cause légitime dans l’intention d’avantager son con
joint.
1676. — Quel est l’effet de la donation faite au mé
pris des prescriptions de l’art. 1099?
Aucun doute ne saurait exister à l’égard de la dona
tion indirecte. Elle est valable pour toute la quotité dis
ponible. Elle ne peut donc devenir l’objet d’une action
autre que celle en réduction. C’est ce que l’art. 1099
décide en termes formels.
1 6 7 7 . — Le sort de la donation déguisée ou faite
par personne interposée a, au contraire, suscité une vive
et grave controverse. Grenier, Toullier, Delvincourt. Mer
lin se prononcent pour la nullité absolue; MM. CoinDelisle, Duranton, Poujol, Malpel, Vazeilles enseignent
qu’elle est seulement réductible. Cette dernière' opinion
s’étaie des motifs suivants ;
1 6 7 8 . — « Il est certain que sous l’empire du droit
romain aux termes de la loi hac œdictali, comme sous
l’empire de l’ordonnance de 1650, les donations dégui
sées ou faites par interposition de personne n’encou
raient pas d’autre peine que la réduction à une part
d’enfant moins prenant. Or, le Code civil, moins sévère
sur un point que cette législation, peut-il être censé en
avoir aggravé la disposition pénale? On ne pourrait évi
demment l’admettre.
« Cette première considération est corroborée par le
�333
ET DE LA FRAUDE.
texte même de l’art. 4099. Ainsi, sa première disposi
tion porte que les époux ne pourront se donner indirec
tement au-delà de ce qui leur est permis par les arti
cles ci-dessus ; donc la prohibition n’existe que pour l’ex
cédant ; c’est là d’ailleurs une légitime déduction de ce
principe qu’on peut faire d’une manière indirecte ce qu’il
est permis de faire directement.
« Dès lors aussi la nullité édictée par l’art. 1099,
contre les donations déguisées ou faites par personne
interposée, ne peut s’entendre que relativement à la quo
tité déclarée indisponible. Cette nullité n’est que la sanc
tion pénale de la prohibition de se donner indirectement
au-delà de ce qui est permis. Cette seconde disposition
se lie donc intimement à la première ; elle n’est que la
conséquence du principe posé dans celle-ci, et il est de
règle logique que la conséquence ne doit pas être plus
étendue que le principe.1
1 6 7 9 . — On répond dans l’opinion contraire :
« Qu’on ne saurait avoir aucun égard à ce qui se pra
tiquait sous l’empire de la loi hac œdictali et l’ordon
nance de 1650. La donation n’était pas alors annulée
par l’excellente raison qu’aucune de leurs dispositions
n’autorisait où ne prononçait cette peine. On ne pour
rait donc consulter utilement cette pratique que si le Code
civil eût imité leur silence;
1 D u r a n t o n , t . i x , n ° 8 3 1 ; — C o i n - D e l i s l e , a r t . 1 0 9 9 , n ° 1 3 ;— P o u j o l ,
des
Donat.,
n« 5, a rt.
1099; —
Malpel, des Suce.,
n°
266
; —
Vazeil-
�334
TRAITÉ DU DOL
« Que loin de là, le législateur avait voulu , à cet
égard, introduire un droit nouveau, et que cette inten
tion il l’avait clairement et expressément manifestée ,
puisqu’en laissant les donations indirectes sous l’empire
de l’ancien droit, en les déclarant simplement réduc
tibles , l’art. 1099 prononçait formellement la nullité
des donations déguisées ou faites par personnes inter
posées ;
« Que ne voir dans cette dernière déposition que ce
qui se trouve dans la première, c’est lui attribuer un ca
ractère par trop absurde, puisqu’elle ne constituerait qu’u
ne répétition insignifiante et inutile :
« Que la raison de l’une et de l’autre se justifie suffi
samment par la nature de l’acte sur lequel elles dispo
sent : que la donation indirecte n’exige, ni ne comporte
pas nécessairement l’idée d’une simulation ou d’une frau
de : qu’elle peut résulter d’un fait ou d’un titre commun
aux deux époux, dont l’appréciation n’est pas dès lors
dans le cas d’offrir de grandes difficultés : que la dona
tion déguisée ou faite par interposition de personne de
mande au contraire à la fraude non seulement le moyen
de causer un préjudice, mais encore la faculté de violer
impunément la loi ; qu’indépendamment donc de l’in
térêt des tiers, il y avait à assurer le respect qu’exige cel
le-ci, ce qui ne pouvait être atteint que par la sévérité
de la peine édictée ;
« Qu’ainsi la raison justifie le texte si formel, au se
cours duquel vient encore la discussion législative. En
effet, le seul des orateurs du conseil d’Etat qui se soit
�ET DE LA FRAUDE.
335
occupé de la portée réelle de l’art. 1099 n’hésite pas à
proclamer que la donation déguisée sera nulle et non pas
seulement réductible.’ »
1680.
— Cette dernière opinion paraît en effet plus
conforme au texte de la loi ; elle a de plus l’incontesta
ble avantage d’être mieux en harmonie avec l’économie
générale de la loi en matière de fraudes. Nous l’avons
vue, en effet, dans toutes les hypothèses, s’armer d’au
tant plus de sévérité que la fraude est plus imminente,
et qu’elle trouve dans la facilité qu’elle a à se produire
plus de chance de réussite. Pourquoi donc se serait-elle
départie de ce système à l’endroit des donations entre
époux?
Est-ce que le danger est moins redoutable que dans
les autres cas d’incapacités? Presque toujours, au con
traire, l’époux qui se remarie cède à l’entraînement d’une
passion vive, à l’ardeur de désirs qui ne s’arrêteront pas
devant une question d’argent. Celui qui ambitionne une
paternité nouvelle, se montrera oublieux de son ancien
ne paternité. Et que sera-ce pour ces mariages dispropor
tionnés unissant la force à la faiblesse, la caducité à la
jeunesse, la vie à la mort?
On recourra au déguisement, à l’interposition de per
sonnes, d’abord parce que telle sera la condition impo
sée, ensuite parce que la difficulté de découvrir l’une et
1 Mei'lin, R e p . , v° s e c o n d e s n o c e s , % 7, n° 10 ; — Grenier, n» 694 ;
— Toullier, t. v, n° 904 ; — Delvincourt, t. n, p. 447,
�336
TRAITÉ DU DOL
l’autre multiplie les chances d’échapper à toute répres
sion. En effet, la preuve orale, les présomptions ellesmêmes, quoique d’un utile secours, seront, dansbiende
cas, insuffisantes. Elles créeront un soupçon plus ou
moins violent, des doutes sérieux auxquels cependant
les juges ne croiront pas devoir s’arrêter. Un soupçon est
encore fort loin d’une certitude, et ainsi se trouvera con
sommée cette spoliation que la loi tient à empêcher.
Il importait donc pour prévenir ce danger, et comme
correctif, de se montrer très sévère pour les conséquen
ces de la découverte de la fraude. La crainte de tout
perdre est de nature à faire réfléchir les époux et à les
détourner de ces voies tortueuses dans lesquelles ils pour
raient être tentés de s’engager. Se borner à réduire la
donation frauduleuse, c’est-à-dire conférer au conjoint
tout ce qu’il aurait pu recevoir, tout ce qu’il recevrait
par l’emploi des moyens les plus légitimes, était un puis
sant encouragement pour la fraude. Pourquoi, en effet,
ne tenteraient-on pas les chances d’une réussite puisqu’en cas d’échecs on conserverait toujours l’intégralité
de la quotité disponible. En présence d’un pareil résul
tat, l’époux, cherchant à violer la loi, n’aurait pas man
qué de se dire, qu’on nous passe la trivialité de l’ex
pression, si la donation déguisée, si l’interposition de
personne ne produit aucun bien, elle ne peut produire
aucun mal, essayons-en donc, puisque tout ce qui peut
en résulter de pire, c’est d’être placé dans la position
que j’aurais si j’avais scrupuleusement respecté la loi.
Le système de la nullité absolue rend cet odieux cal-
�337
ET DE LA. FRAUDE.
cul moins tentant. Quelque difficile que soit, la décou
verte de la fraude, la preuve testimoniale offre au moins
une chance d’y arriver, et dès lors de tout perdre. Toute
légère qu’elle soit, cette chance peut donner à penser
au donataire et le porter à préférer la possession légale
de la quotité disponible, plutôt que de la courir.
Dira-t-on qu’on ne recourra à la fraude qu’après
s’être assuré cette quotité par une disposition directe?
Mais, dans cette hypothèse, notre question n’a plus au
cun intérêt. Qu’importe, en effet, que la donation soit
nulle ou simplement réductible. Il n’y a plus rien à re
cevoir dès l’instant que la disponibilité est épuisée. Dans
un cas comme dans l’autre , la donation resterait sans
effets possibles, et il deviendrait fort inutile de chercher
à en déterminer le véritable caractère.
Ainsi, le système de la nullité absolue, textuellement
consacré par l’art. -1099, se recommande en outre par
la haute moralité de ses conséquences. On doit donc le
consacrer. C’est du moins ce que la Cour de cassation
n’a pas cessé de faire.
1681.
— Saisie une première fois de la question,
elle juge, le 30 novembre 1831, que la donation dégui
sée faite par un époux, veuf, ayant des enfants d’un pre
mier l i t , au profit de son nouvel époux , est frappée
d’une nullité absolue et non pas seulement réductible.
Cet arrêt, rendu après délibération en chambre de con
seil, rejette le pourvoi formé contre la décision conforme
de la Cour d’Angers.
iv
32
�338
TRAITÉ DU DOL
Plus tard , la Cour de Rouen décidant le contraire,
son arrêt est déféré à la Cour suprême. Après un nou
veau délibéré en chambre de conseil, cet arrêt est cassé
le 11 novembre 1834.
Enfin, par un dernier arrêt du 27 mars 1838, la
Cour régulatrice, mise en demeure de se prononcer une
troisième fois, et persistant dans sa jurisprudence, con
sacre de nouveau la nullité de la donation frauduleuse.
Ce dernier arrêt fixe nettement le sens et la portée
réelle de l’art. 1099 dans son application aux donations
indirectes et à celle que la fraude a fait déguiser. Voi
ci, sur leur différence, la doctrine de fla Cour de cas
sation :
« Attendu que l’art. 1098 se borne à fixer la quo
tité dont les époux peuvent disposer l’un au profit de
l’autre ;
« Que l’art. 1099 a pour objet de régler entre époux
la valeur des donations indirectes et des donations dé
guisées ou faites à personnes interposées ;
« Qu’il accorde effet aux premières jusqu’à concur
rence de la quotité fixée par l’art. 1098, mais qu’il dé
clare nulle les secondes ;
« Attendu que si la distinction établie par cet article
ne se retrouve plus, lorsqu’il s’agit de donations autres
que celles que les époux se font l’un à l’autre, il en ré
sulte seulement que, pour ce genre particulier de dona
tions, la loi a cru devoir introduire une règle plus sé
vère, mais qu’il n’en résulte nullement que la disposi-
�ET DE LA FRAUDE.
339
tion spéciale et formelle de la loi ne doive pas recevoir
son exécution."
1 682.
— Nonobstant cette persévérante jurispru
dence de la Cour de cassation, la Cour de Bourges et
celle de Paris se sont prononcées dans le sens contrai
re, la première, par arrêt du 9 novembre 1836; la se
conde, par arrêt du 21 juin 1837.” Mais les motifs que
nous venons d’exposer enlèvent, à notre avis, à ces
deux décisions, tout caractère juridique.
4 683. — Il faut donc, avec la Cour de cassation,
arriver à cette conclusion : qu’on doit distinguer les do
nations indirectes des donations déguisées ou faites à
personnes interposées; que les premières sont réducti
bles et valables pour toute la quotité disponible; que les
dernières sont absolument nulles. Cette peine n ’a rien
de trop sévère en présence de la facilité que rencontre la
fraude qu’elle tend à prévenir , et des dangers.qu’elle
fait courir à ceux qui sont exposés à en subir les con
séquences.
4 6 8 4 . — Nous nous sommes déjà occupés des in
capacités édictées par l’art. 909. Nous en avons indiqué
la nature, et les effets. Nous nous bornons donc, pour
ce qui les concerne, à nous en référer à nos précédentes
observations.3
1 J. D. P., t. i, 1 838, p. 658, v. Limoges 16 juillet, 1842 ;
t i, 1844, p. 500.
* I b i d ., t. n, 1837, p. 7.
3 V. s u p r a , n»* 161 et suiv., 1465.
— Ib id .,
�340
TRAITÉ DU DOL
1685.
— Les motifs qui ont fait proscrire les avan
tages excessifs entre époux militaient pour empêcher
que les ascendants ou descendants pussent être privés
directement ou indirectement de la portion des biens
que la loi a entendu leur réserver. La transmission des
biens la plus juste , parce qu’elle est la plus naturelle,
est celle qui se règle par les liens de la nature et du
sang. C’est aussi celle que la loi admet et consacre.
Sans doute, et dans bien des cas, la volonté du pro
priétaire, donnant ce qui lui appartient, vient se subs
tituer à la loi, mais, quelque respectable que soit le droit
légitimant cette conséquence, le législateur n’a pas hé
sité à lui tracer des limites qu’il ne saurait franchir. 11
importe que le père de famille ait la faculté de recon
naître la bonne conduite et le mérite des uns, de punir
l’ingratitude des autres, mais cette faculté ne saurait al
ler jusqu’à l’exhérédation complète de ceux-ci au profit
de ceux-là, et moins encore au profit d’un étranger. De
là l’indisponibilité partielle des biens créée à l’endroit
des enfants et ascendants par les art. 913 et 915 du
Code civil. Or, ce qui n’est pas permis de faire par tes
tament, ne saurait légalement résulter d’une donation
entre vifs. En conséquence , la prohibition de léguer
renferme virtuellement celle de donner au delà de la
quotité disponible.
1686.
— La réserve des ascendants est, à défaut
d’enfants ou descendants, d’un quart pour la ligne pa
ternelle, d’un quart pour la ligne maternelle, sans qu’il
�ET DE LA FRAUDE.
341
puisse jamais s’opérer aucune dévolution d’une ligne à
l’autre. Par rapport à eux, la quotité disponible est donc
des trois quarts ou de la moitié, selon qu’il en existe ou
non dans les deux branches. L’art. 1094 permet en ou
tre , dans le cas spécial, de grever d’usufruit la totalité
de leur réserve.
1687. — La légitime des enfants se calcule sur le
nombre de ceux qui existeront au moment du décès de
leur auteur. Elle est delà moitié des biens, si le père ne
laisse qu’un enfant, de deux tiers s’il en laisse deux, de
trois quarts s’il en laisse trois ou un plus grand nom
bre. La quotité disponible est donc du quart au 'm ini
mum,, mais elle peut être du tiers ou de la moitié.
Cette quotité peut être donnée par le père soit à l’un
ou plusieurs de ses enfants, soit à un étranger. Ce droit
ne subit qu’une exception, à savoir : le cas de minorité
du disposant.
Ainsi, le mineur est incapable de donner entre vifs.
Il ne peut disposer par testament qu’après avoir atteint
sa seizième année, et encore ne lui est-il permis de don
ner que la moitié de ce qu’il aurait pu donner s’il avait
été majeur.
Le fondement de cette exception réside dans la qua
lité de mineur. La faiblesse de son âge, son inexpérience
l’exposent à des entraînements dont il est incapable
d’apprécier sainement les conséquences, pouvant aller
cependant jusqu’à son dépouillement complet. La loi de
vait donc le protéger contre sa propre imprudence. Àuss
�342
TRAITÉ DU DOL
ne se départ elle de toute sollicitude que lorsque le mi
neur , agissant sous les yeux et avec le concours de ses
protecteurs naturels, trouve dans ce concours une dé
fense légitime et une protection efficace. C’est ce qui se
réalise notamment dans l’hypothèse de l’art. 1095, dans
laquelle le mineur est, même pour la donation, com
plètement assimilé au majeur.
1688. — L’indisponibilité créée par les art. 913 et
915 n’est pas moins absolue que celle résultant des ar
ticles 1094 et 1098. Conséquemment, pour l’une comme
pour l’autre , les moyens qui tiendraient à la mécon
naître directement ou indirectement ne pourraient pro
duire le moindre effet. La donation arrivant à ce résul
tat serait donc, de plein droit, réduite à la seule quotité
disponible.
1689. — La donation indirecte peut résulter de
l’abstention par le père de recueillir un avantage, qui
se trouverait ainsi transmis à celui qu’il veut favoriser.
Supposez qu’un époux, ayant des enfants d’un premier
lit, renonce, après la dissolution de son second maria
ge, à la communauté évidemment avantageuse, ou bien
qu’institué par son conjoint légataire de la quotité dis
ponible, il renonce au legs. Dans l’une et dans l’autre
hypothèse, les enfants du second lit recevront intégrale
ment un bénéfice auquel, dans le cas d’acceptation, les
enfants du premier lit auraient été nécessairement ap
pelés à participer. Pourront-ils, dès lors, soutenir que
�ET DE LA FRAUDE.
343
la renonciation de leur auteur est une donation indi
recte, et, comme telle, la faire réduire?
L’affirmative ne nous paraît pas conteslable. Déjà nous
avons vu que les créanciers de celui qui, au préjudice
de leurs droits, renonce à une succession ou à une com
munauté, sont recevables à faire révoquer la répudia
tion. Comment pourrait-on contester ce droit aux enfants
qui éprouveraient un égal préjudice?
La seule différence possible entre les créanciers et les
enfants du premier lit se fait remarquer dans l’exercice
du droit qui leur est commun. Pour les premiers, cet
exercice peut être actuel et suivre immédiatement la ré
pudiation ; pour les derniers, au contraire, la recevabi
lité est nécessairement subordonnée au décès de leur au
teur. Ce n’est en effet, qu'à cette époque que la quotité
disponible étant déterminée, ils peuvent être admis à
prétendre qu’elle a été dépassée.
Cette différence dans l’exercice du droit en signale une
autre dans les effets de l’action. Celle-ci consiste en ce
que celle des créanciers est une action en nullité, tandis
que celle des enfants ne constitue jamais qu’une deman
de en réduction et en rapport.
1 690.
— La faculté pour l’époux de donner à son
conjoint l’usufruit de la moitié ou le quart en propriété
et le quart en usufruit, a fait naître la question de savoir
si cette quotité pouvait ou non être cumulée avec celle
de l’art. 913.
«
Cette importante question fut un moment en voie d’être
�344
TRAITÉ DU DOL
législativement résolue. L’Assemblée nationale investie
d’une proposition tendant à autoriser le cumul dans tous
lescas, n’y donna aucune suite. Cette solution, contraire
à la jurisprudence de la Cour de cassation, est une preuve
nouvelle du peu de fondements de celte jurisprudence.
Condamnée par tous les jurisconsultes, elle l’est encore
par nos mœurs et nos besoins sociaux.
On le sait, la question du cumul peut se présenter
dans trois hypothèses : 1 ” le donateur, ayant disposé ,
en faveur d’un tiers, enfant ou étranger, du disponible
de l’art. 913, soit d’un quart de ses biens en pleine
propriété, laisse ultérieurement, à son conjoint, soit l’u
sufruit de la moitié, soit la jouissance d’un autre quart :
2° les deux dispositions sont renfermées dans un seul et
même acte, quel que soit l’ordre suivi pour l’un et pour
l’autre ; 3° l’époux, après avoir donné, par contrat de
mariage, à son conjoint l’usufruit de ses biens, dispose
plus tard de la nue propriété d’un quart en faveur d’un
enfant ou d’un étranger.
Le cumul est admis, sans difficultés, dans les deux
premières hypothèses. Les doutes qui s’étaient élevés
dans le cas d’un acte unique ont été définitivement tran
chés par un arrêt de la Cour de cassation du 9 novem
bre 1846 '
Quelle est, dans l’une et dans l’autre, la position des
réservataires ? L’exécution de la double disposition leur
enlève d’abord un quart en toute propriété et un quart
en jouissance ; leur légitime se trouve, dès lors, réduite
i DCvilleneuve, 46, 4, 804
�ET DE LA FRAUDE.
345
aux trois quarts des biens, dont un reste frappé d’usu
fruit. En d’autres termes, ils sont dans la même posi
tion qu’ils auraient si la quotité la plus large de l’art.
1094 avait été épuisée en faveur de l’époux seul.
Or, un effet parfaitement identique se produit dans la
troisième hypothèse. Les réservataires y sont appelés à
recueillir exactement ce à quoi ils sont réduits dans une
des deux premières. Cependant, dans celle-ci, la Cour de
cassation refuse de sanctionner le cumul qu’elle autorise
dans les deux autres.
Quel peut être, en raison et en droit, le motif de
cette différence essentielle? À première vue, il parait
difficile d’en imaginer de plausibles. Voici ceux que la
Cour de cassation invoque dans les arrêts qu’elle a ren
dus dans une période de douze ans, depuis 1837 jus
qu’en 1849.
L’usufruit donné précédemment à l’époux doit être
évalué. Comprenant la moitié des biens, il équivaut au
quart en pleine propriété ; il atteint, dès lors, l’inté
gralité du disponible de l’art. 913. Dès lors , cette
quotité étant épuisée, les tiers ne peuvent plus rien re
cevoir sans qu’il soit porté atteinte à la quotité indis
ponible fixée par cet article. On ne pourrait aller audelà que par application de l’article 1094 ; mais cet
article constituant un bénéfice exclusif et personnel
au conjoint, nul autre que lui ne saurait s’en prévaloir.'
1 Cass., 21 juillet 1839,21 novembre 1842, 22 novembre 1843, 4
août 1846, 27 décembre 1848, 7 mars 184!\; — J o u r n a l d u p a l a i s ,
tom. n, 1839 ,pag. 59 ; tom. î. de 1843, pag. 121, et tom. n. pag. 798 ;
tom.i, 1847, pag. 53; tom. i. 1849, pag. 22 et 644; — Aix, 23 mai
1851, inédit.
�346
TRAITÉ DU DOL
L’aulorité du premier de ces motifs est singulière
ment atténuée par le démenti qu’il reçoit de la Cour de
cassation elle-même, dans l’hypothèse d’un acte unique
renfermant les deux dispositions. Le cumul est valable
dans tous les cas, et cependant si, par l’ordre suivi, la
disposition de la moitié de l’usufruit en faveur du con
joint est la première inscrite, l’objection faite, lorsqu’il
y a deux actes distincts, est parfaitement applicable. Cet
usufruit équivalant au quart en propriété, le disponible
de l’art. 913 est épuisé, et, dès lors, nul autre que le
conjoint ne devrait plus rien recevoir. Pourquoi, dès lors,
permetreau tiers, enfant ou étranger, de recueillir le don
dont il est l’objet ? Et si on le permet dans cette hypo
thèse, pourquoi le défendre dans celle de deux actes sé
parés et distincts? Le résultat étant rigoureusement le
même dans les deux cas, pourquoi une si énorme diffé
rence dans les etfets?
Ainsi, on arrive à cette singulière conséquence que ce
n’est plus par le nombre des réservataires que se calcule
la quotité disponible; on fait de cette quotité une ques
tion de dates dans les dispositions qu’en fait l’auteur.
Sur quelle disposition de loi pourra-t-on fonder une pa
reille doctrine ?
Cette première considération, parla contradiction in
soluble qu’elle signale, indique un vice radical dans le
système que nous combattons. On ne devrait donc l’ad
mettre que si, à côté de cet inconvénient, venaient se pla
cer des motifs graves de nature à en affaiblir l’effet. Or,
�ET DE LA FRAUDE.
347
il faut bien le reconnaître, aucun de ceux invoqués par
la Cour de cassation n’offre ce caractère.
Est-il vrai, en effet, que le don de la moitié en usu
fruit, fait au conjoint, épuise la quotité disponible de
l’art. 913? Pour le décider ainsi, il faut convertir cet usu
fruit en propriété et fixer à la moitié la proportion dans
laquelle cette convertion doit être opérée.
Mais cette conversion est purement arbitraire ; elle
est repoussée par la nature des choses, par l’antinomie
existant entre ces deux droits. L’usufruit est un démem
brement de la propriété ; celui qui l’exerce u’a aucun
des attributs du propriétaire ;il doit jouir en bon père de
famille, et, s’il s’écarte de cette obligation, le propriétai
re, qui seul peut user et abuser, mettra fin à sa jouis
sance. En réalité, et pour nous servir des expressions de
la loi romaine, l’usufruit non dominii pars sedservitudis locum obtinet.
Il n’est donc pas possible de se livrer à l’assimilation
que commande la Cour de cassation. On comprend la
conversion de l’usufruit en droit de propriété, lorsque
l’agissement qu’il faut opérer n’a pas d’autre moyen de
se réaliser; ainsi, par exemple, lorsqu’il s’agit du droit
de mutation ou d’enregistrement, il faut, à l’un et à l’au
tre, une base certaine, et l’on s’explique, dès lors, que
le législateur ait non seulement fixé la conversion, mais
encore créé, dans un but de fiscalité, la proportion dé
terminée par la loi du 22 frimaire an v i i .
�348
T R A IT É
DU
DOL
Mais recourir à cette loi spéciale dans les cas ordi
naires, notamment dans notre espèce, convertir l’usufruit
en pleine propriété, c’est faire violence à son caractère
distinctif, c’est la dénaturer, c’est de plus, et dans cer
taines circonstances, consacrer un mensonge.
« Il n’y a, dit Proudhon, aucune disposition dans
nos lois qui fixe la valeur comparative de l’usufruit et
de la propriété, si ce n’est en ce qui concerne le droit
d’enregistrement, pour la perception duquel, en cas de
mutation, l’usufruit est considéré comme valant la moi
tié du fonds. Mais si cette estimation, qui n’est faite que
dans l’intérêt du fisc, peut être invoquée pour exemple
et comparaison, il est évident qu’elle ne peut être prise
pour règle générale dans l’intérêt des citoyens entre eux;
car si l’usufruit légué à un homme de vingt ou trente
ans peut valoir la moitié du fonds, il serait absurde d’en
dire autant de celui qui serait légué à un viellard de
quatre-vingt-dix ans.1 » On pourrait même, sans trop de témérité, aller plus
loin encore. Comment donner une valeur certaine à
l’usufruit, même lorsqu’il s’agit d’un homme de 20 ou
30 ans. La chance de longévité obéit-elle toujours aux
lois de la nature, et l’événement ne viendra-t-il pas
donner le plus évident démenti aux probabilités les plus
légitimes?
' D e l ’U s u fr u it.
n° 364,
�ET
DE
LA
FRAUDE.
349
Tel est cependant le système que la Cour de cassation
consacre sans besoins, sans aucune nécessité, et dans
l’objet unique d’imputer sur la quotité de l’art. 913, ce
qui devait naturellement l’être sur celle de l’art. 1094.
Ne doit-on pas en effet admettre que l’époux, disposant
en faveur de son conjoint, s’en est nécessairement ré
féré à ce dernier, et que, s’il n’a pas épuisé le droit que
cet article lui confère, c’est qu’il a voulu se réserver la
faculté de le compléter plus tard. En fait, le disponible
n’est pas épuisé, le quart en nue-propriété peut encore
être donné. Pourquoi ne le serait-il pas à l’étranger ou à
l’enfant, comme il pourrait l’être au conjoint?
Nous rencontrons ici la réponse dans le second argu
ment de la Cour de cassation. C’est, dit-elle, que, pour
autoriser cette disposition, il faut nécessairement recou
rir à l’art. 1094, et que nul autre que l’époux ne saurait
être admis à en revendiquer le bénéfice.
La règle est irréprochable, mais on ne peut en dire
autant de l’application que la cour de cassation entend
en faire.
Fixons - nous bien d’abord sur le véritable caractère
de l’art. 1094. Sa disposition ne crée pas une seconde
quotité disponible, elle ne fait qu’étendre la quotité or
dinaire en faveur du conjoint. De là on a tiré cette juste
conséquence que nul autre que lui ne pourra profiter
de cette extension.
Ainsi, lorsque l’époux a disposé en faveur d’un tiers,
enfant ou étranger, de la quotité ordinaire, il peut encore
disposer, en faveur de son conjoint, d’une quotité en
�350
T R A IT É
DU
DOL
usufruit, mais il ne pourrait le faire au profit du tiers.
Vainement celui-ci prétendrait-il que le donateur n’a fait
que ce que la loi lui permettait de faire, on lui répon
dra avec raison que l’art. 1094 concerne exclusivement
le conjoint, qu’il est donc non-recevable et mal fondé à
se prévaloir de sa disposition.
Mais est-ce profiter de l’art. 1094, lorsque, par la
combinaison adoptée par l’époux, le tiers est appelé à
concourir avec le conjoint à la répartition de l’entière
quotité disponible ? Pour résoudre affirmativement cette
question, il faudrait soutenir, comme on l’a fait, que la
quotité de l’art. 1094 est indivisible, et qu’on ne peut
admettre l’éxtension qu’il autorise que dans le cas où
la disposition de la quotité ordinaire a été déjà faite en
faveur du conjoint.
Or, cette indivisibilité, repoussée dans l’hypothèse d’un
acte unique, et dans celle d’infériorité de la disposition
en faveur du conjoint, la Cour de cassation l’a pros
crite en principe, c’est ce qui résulte notamment de son
arrêt du 18 novembre 1840.
Il s’agissait dans cette espèce de la réserve des ascen
dants que l’art. 1091 permet de grever d’usufruit. La
question qui s’y agitait était celle de savoir si l’époux,
décédé sans enfants, avait pu valablement, alors même
qu’il dispose en faveur d’un étranger de la quotité dis
ponible de l’art. 915 , léguer à son conjoint survivant
l’usufruit delà réserve de l’ascendant?
On soutenait la négative, en se fondant sur le texte
de l’art. 1094. La législation suppose, disait-on, que le
�ET
DE
LA
FRAUDE.
conjoint a déjà reçu ou reçoit effectivement la quotité
de l’art. 915, puisqu’il permet de lui accorderez sus
l’usufruit de la portion réservée. L’attribution delà pre
mière, en faveur d’un tiers, fait donc disparaître la con
dition essentielle, et ne permet plus la disposition ulté
rieure de cet usufruit.
C’est cette opinion que M. l’avocat général Delangle
avait adoptée et qu’ilét ayait des considérations sui
vantes :
C’est en faveur du mariage, c’est à cause de l’époux,
c’est en raison de sa position que le droit de l’ascendant
a été déterminé, et dès lors n’est-il pas logique de con
clure que si le testament appelle un tiers à recueillir
une partie des biens, le cas prévu par la loi ne se ren
contre pas; que la réserve reprend toute sa force, l’ar
ticle 915 toute son énergie, et que si l’ascendant est con
traint de s’humilier devant l’époux , ce sacrifice ne lui
est plus imposé envers un étranger.
Quelles sont, ajoutait ce magistrat, les objections que
l’on oppose?
1° En fait, que la libéralité n’embrassant que l’usu
fruit, la femme a reçu ce qu’elle pouvait recevoir? Mais
c’est là travestir en question de fa it, une question de
droit, c’est éluder la difficulté. Il s’agit d’une question
de disponibilité ; qu’en soi, et considérée par abstrac
tion , la disposition soit valable, on le peut admettre ;
mais on ne peut la séparer de la disposition faite au
profit d’un tiers, au profit d’un étranger , et c’est ce
mélange, que la loi proscrit, qui s’oppose à l’exécution
!
B
!
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RR I IP
il
Hff ï
fl
IL
�352
T R A IT É
DU
DOL
complète du testament. De ce que le mari pouvait plus,
il ne s’en suit nullement qu’en donnant moins il ait va
lablement disposé, car la disposition du plus était sou
mise à une condition impérieuse;
2° Que la loi n’interdit pas l’attribution à un tiers
de la quotité disponible ? Mais c’est oublier la nature de
la disposition de l’art. 1094. Dès qu’elle est exception
nelle , il était inutile que le législateur s’expliquât au
trement qu’il ne l’a fait. N’est-ce pas d’ailleurs une des
nécessités de toute loi qui déroge au droit commun de
ne pouvoir sortir de sa sphère ?
M. Delangle posait donc comme certaine et positive
l’indivisibilité de l’art. 1094 ; l’impossibilité pour les
tiers d’en recevoir une partie quelconque , et cela non
seulement lorsqu’il s’agit d’un réservataire ascendant,
mais encore dans celui où le réservataire serait un des
cendant. Ascendant ou descendant, s’écriait-il, ne s’a
git-il pas toujours de la réserve ? N’est-ce pas la même
disposition, le même droit? N’est-il pas vrai qu’une
seule chose est changée, la quotité du droit?
Mais la Cour suprême, après une mûre délibération,
repousse cette doctrine, elle admet la divisibilité de la
quotité disponible de l’art. 1094, et juge en conséquence
qu’elle pouvait être répartie entre le conjoint et le tiers,
pourvu que celui-ci ne reçoive rien au délà de la quo
tité disponible, et que le conjoint profitât exclusivement
de l’extension autorisée par l’art. 1094.'
1 D . P .; 41, 1 , 1 9
�ET
DE
DA
353
FRAUDE.
Ce qu’il importe de relever dans cel arrêt et dans les
considérations qui y sont développées, ce sont les deux
motifs suivants :
« Attendu que de la combinaison des art. 915 et
1094 il résulte que l’époux, qui décède sans enfants,
mais laissant un ou plusieurs ascendants dans uneligne,
peut disposer en faveur de l’autre époux, non seulement
de ce dont il pourrait disposer en faveur d’étrangers
mais encore de l’usufruit de la portion réservée aux as
cendants; que cette extension de la faculté de disposer
donnée à un époux en faveur de l’autre époux, qui a
pour objet de1resserrer les liens de l’union conjugale,
est toute personnelle à l’époux et qu’aucun étranger ne
peut en profiter ;
Attendu, toutefois, qu’on ne saurait induire de là que
l’époux, qui dispose, en faveur d’un étranger , de la
quotité disponible déterminée par l’art. 915 et de l’usu
fruit de la portion réservée aux ascendants en faveur de
l’autre époux, fait profiter l’étranger de l’extension por
tée en faveur de l’époux par l’art. 1094, puisque l’é
tranger ne recueille que le disponible de l’art. 915. »
Ainsi, l’époux n’est pas obligé de donner à son con
joint l’intégralité du disponible de l’art. 1094. Il peut,
par la combinaison de cet article avec l’art. 913 ou
915, réduire l’époux à l’extension qu’en sa faveur la loi
donne au disponible ordinaire, et donner celui-ci à un
étranger. Pour ce dernier, sa position est réglée par l’é
molument qu’il est appelé à prendre. Il n’est pas, il ne
peut pas être réputé profiler de l’art. 1094, si cet émoIV
23
�354
TR A IT É
DU
DOL
lument ne dépasse ou n’atteint pas celui qu’il pourrait
recevoir en force de l’art. 913 ou 915.
Non seulement la Cour de cassation proclame le prin
cipe , mais encore elle en fait elle-même l’application
dans l’hypothèse d’une double disposition par un acte
unique. Comment donc l’existence de deux actes, qui
n’est pas un obstacle lorsque la donation à l’étranger
est antérieure à celle faite au conjoint, en créerait-elle
un invincible dans le cas d’antériorité de celle-ci ? Estce que la date des actes pourra avoir pour effet de faire
admettre que le tiers profite de l’art. 1094, lorsque, par
le fait, il ne recevra pas même ce que l’art. 913 lui per
mettrait de recevoir? Lorsque, d’autre part, l’époux seul
recueillera l’extension du disponible créée en sa faveur?
On peut le dire sans crainte, la raison repousse un pa
reil résultat.
La loi ne se préoccupe de la date des libéralités que
dans le cas où il y a lieu à réduction, leur ensemble
dépassant la quotité disponible. Or la question de sa
voir s’il y a inolficiosité ne peut naître qu’au décès du
donateur et lorsque s’ouvre le droit des héritiers.
Dans notre hypothèse , l’époux, délaissant plus de
deux enfants et un conjoint, pouvait donner ou léguer
le quart en pleine propriété et le quart en usufruit. En
fait, il n’a disposé de rien au delà, donc la querelle
d’inofïiciosité ne serait pas fondée.
Le don du quart en nue-propriété, fait au tiers, en
fant ou étranger, n’a pas besoin, pour sortir à effet, de
se placer sous le patronage de l’art. 1094. L’art. 913
�ET
DE
LA
FRAUDE.
355
suffit pour assurer sa validité. Le tiers n’invoquera pas
le premier, il n’en profitera pas non plus, car, loin de
recevoir quelque chose au delà du disponible ordinai
re , il ne le reçoit même pas en totalité. L’époux seul
est appelé à recevoir l’extension créée en sa faveur par
l’art. 1094. A cet égard donc, toutes les exigences de la
loi se trouvent remplies, et, dès lo rs, le système que
nous combattons n’a aucune base légitime.
Ainsi la Cour de cassation proclame la divisibilité de
l’art. 1094 et, après l’avoir érigée en principe, il la re
pousse ou l’admet, suivant la date des deux libéralités,
ou suivant qu’elles sont on non renfermées dans un
seul acte. Elle décide que la quotité disponible est at
teinte, malgré que , dans l’hypothèse d’un seul acte
renfermant la même disposition, le même résultat pour
les réservataires, elle refuse de reconnaître la moindre
atteinte à celte même quotité; elle fait donc dépendre la
disponibilité d’un évènement complètement en dehors
des éléments sur lesquels la loi a basé toutes ses prévi
sions. Elle ne peut enfin arriver à cette évidente con
tradiction que par la conversion du droit d’usufruit en
droit de propriété. On a donc eu raison de reprocher à
sa jurisprudence d’être fondée sur des éléments hétéro
gènes, contradictoires entre eux et contradictoires avec
les règles sur la quotité disponible.
Sous un autre point de vue, cette jurisprudence s’é
carte de l’esprit de la loi. Notre Code a voulu étendre,
pour le père de famille, la faculté de disposer d’une
partie de ses biens. C’est ce que la Cour de cassation
�356
T R A IT É
DUD0T.
reconnaissait elle-même lorsque, après avoir longtemps
jugé le contraire, elle a décidé que la quotité disponible
devait être calculée sur tous les biens précédemment
donnés qui devaient être fictivement rapportés , et que
l’imputation du don fait à l’enfant renonçant devait se
faire d’abord sur la réserve et subsidiairement sur la
quotité disponible.
Cette jurisprudence porte atteinte à la puissance pa
ternelle, en enlevant au père le plus préciepx de ses at
tributs, la faculté de récompenser et de punir, Çlle af
faiblit son autorité, dont elle brise d’avance le plus
énergique ressort, le plus puissant mobile.
Enfin, elle compromet le mariage lui-même. Une
des conditions de sa célébration peut être la donation
mutuelle de la moitié en usufruit des biens qu’on dé
laissera, condition que ne manquera pas de repousser
celui qui ne voudra pas, pour devenir époux, abdiquer
ses devoirs ou ses droits de père.
C’est par le développement de ces considérations di
verses que les jurisconsultes ont à peu près unanime
ment critiqué la doctrine de la Cour de cassation. Gre
nier, qui l’avait d’abord adoptée, l’a complètement dé
sertée dans sa seconde édition pour se rallier à l’avis
contraire, qu’il trouve plus juste que celui pour lequel
il avait d’abord penché. '
Toullier n’a pas hésité à se prononcer pour le cumul,
qu’il déclare conforme à la raison, à l’équité et au bon
i
D e s D o u a i .,
t
h,
pag. 584.
�ET
DE
LA
FRAUDE.
357
droit. A l’époque où Toullier écrivait, la Cour de cas
sation n’avait encore rendu que l’arrêt du 21 juillet
1813, que ce savant jurisconsulte approuve, en se ren
fermant dans l’espèce sur laquelle il a été rendu, c’està-dire au cas de secondes noces, et à l’endroit du dis
ponible fixé par l’art. 1098. Mais, contrairement à l’in
dication de l’arrêtiste, Toullier prouve que la doctrine
de cet arrêt ne saurait être appliquée au cumul des quo
tités des art. 913 et 1094.'
La doctrine contraire invoque les noms de Duranton et de Proudhon, mais c’est à tort, selon nous. L’un
et l’autre , en effet, ne disent qu’une seule chose, à sa
voir : que l’extension de quotité créée par l’art. 1094
ne saurait, dans aucun cas, profiter au tiers, ce q u i,
dans le sens que nous venons de lui donner, est parfai
tement juridique.’
Depuis les arrêts de 1837 et de 1839. M. Benech ,
professeur à la faculté de Toulouse, a publié un traité
sur la quotité disponibte entre époux. La question que
nous examinons y est traitée et résolue sous toutes ses
faces. La réfutation de la doctrine de la Cour de cassa
tion est complète et décisive.
Le compte rendu de cé traité a déterminé des adhé
sions nombreuses au système qu’il développe, Voici là
conclusion d’un,article fort remarquable, dû à la plu
me de M. Pont, collaborateur de M. Rodièreet coauteur
d’un excellent traité sur le contrat de mariage :
ff!il
rttiMi’
1 Tom. v, n°‘ 870, 871 et 871 bis.
s Tom. îx, n° 796 ; — de l'Usufruit, 1 . 1, n° 360,
. if’ U
r l
�358
TRAITÉ DU DOL
« Ce qu’on peut affirmer, c’est que, s’il fallait re
garder comme une expression exacte de la loi les solu
tions que la Cour de cassation a consacrées, on devrait,
par cela même, reconnaître que le législateur a com
plètement manqué de vues arrêtées sur l’emploi de la
quotité disponible fixée par l’art. 1094. Comment con
cevoir, en effet que le cours des deux libéralités étant
admis lorsque ces libéralités sont faites par un même
acte ou par des actes séparés, mais avec antériorité en
faveur du tiers, enfant ou étranger, ce concours ait du,
dans la pensée du législateur, être rejeté lorsque l’ordre
inverse a été suivi ? La raison même s’élève contre une
pareille supposition ; et, la résistance des tribunaux ai
dant, il est présumable que le différend sera vidé un jour
par la seule autorité des principes, et abstraction faite
des circonstances particulières auxquelles le législateur
ne saurait assurément avoir songé.' »
Cette résistance, queM. Pont appelle, s’est manifestée
par de nombreux arrêts. Nous ne saurions mieux résu
mer notre discussion qu’en transcrivant les remarqua blés motifs de celui rendu par la Cour de Paris, le 16
novembre 1846 ;
« Attendu que la portion disponible n’a pas été seu
lement fixée d’après le nombre et la qualité des héritiers
1 Revue de législation deM. Wolowski, tom. 1, 1847, pag. 493.
Vide en outre Guilhon, Donat., tom. 1, n° 269, pag. 266; — Delvincourt, tom. n, pag 731, n° 4 ; — Duport Lavilêtte, v° quot. disp.,
tom. v, n° 715 ; — Rolland de Villargues, Rép. du not. ; — Vazeilles,
des Donat., spr l’art. 1094.
�ET DE LA FRAUDE.
359
à réserve, mais aussi à raison de la qualité des person
nes à avantager ; que c’est ainsi qu’après avoir fixé ,
par l’art. 913, la quotité disponible, eu égard au nom
bre d’enfants, l’art. 1094 a établi une disponibilité plus
étendue entre conjoints ;
« Attendu qu’il est impossible de croire que le légis
lateur n’ait pas en outre porté son attention sur le cas
où le disposant serait en même temps époux et père ;
« Que si la loi ne contient aucune disposition qui
permette d’user cumulativement de foute la latitude ac
cordée par ces deux articles, il n’en existe aucune qui
défende d’épuiser la plus forte quotité, en la divisant
entre le conjoint et les enfants , pourvu que ces der
niers ne reçoivent rien au delà de la quotité fixée par
l’art. 913 ;
« Attendu qu’on ajouterait à la loi, si on l’interprétait
dans un sens contraire, et qu’on se mettrait en opposi
tion avec les principes d’après lesquels a été fixée la
quotité disponible, puisqu’au lieu d’étendre la faculté
du disposant en raison de ce qu’il doit s’occuper du sort
de ses enfants, en même temps que de celui de son
époux, on la restreindrait au contraire ; qu’une inter
prétation restrictive de la loi est combattue par son texte,
lorsque la libéralité en faveur de l’époux est postérieure
au don fait à l’enfant, et qu’il n’y a pas de raison plau
sible pour l’admettre quand elle est antérieure ; qu’en
effet, ce serait faire, de l’étendue du droit de disposer
une question de dates;
« Attendu qu’il résulte de la nature des choses que ,
�360
T R A IT É
DU
DOL
si la portion disponible fixée par l’art 1094 peut être en
son entier absorbée par deux dispositions, l’une au pro
fit des enfants, l’autre au profit du conjoint, que celle-ci
est la dernière en date, il doit en être de même quand
la libéralité faite à l’enfant est postérieure ; qu’en effet le
législateur, en calculant la quotité disponible, a consi
déré à la fois l’intérêt des familles et l’intérêt politique
attaché au droit de disposer et de tester;
« Attendu d’ailleurs que postérieure ou antérieure ,
chaque libéralité s’impute d’abord sur celles des portions
disponiblesJi laquelle elle se rapporte ; qu’ainsi le don
fait à l’enfant s’impute sur la quotité disponible de l’art.
913, et le don fait au conjoint sur celle déterminée par
l’art. 1094, que telle est évidemment l’intention du dis
posant, alors même qu’il ne l’a pas exprimée, qu’il n’y a
donc pas lieu de rechercher à quelle portion de propriété
une donation d’usufruit, faite en vertu de l’art. 1094 ,
peut équivaloir, et d’imputer cette portion sur la por
tion déclarée disponible par l’art. 913;
« Qu’en opérant ainsi, on dénature ce don d’usufruit
et on confond en une seule deux portions disponibles
distinctes.’
1691. — La conséquence naturelle de l’indisponi
bilité d’une partie des biens, et de son affectation spéciale
en faveur de certains héritiers, est de leur conférer une
action en revendication des libéralités empiétant sur leur
�ET
DE
LA
FRAUDE.
361
réserve. Cette action existe non pas seulement contre
les donations directes, mais encore contre tout acte ren
fermant, sous une apparence simulée, une véritable li
béralité.
Or on admettrait facilement comme telles les obliga
tions souscrites et les ventes consenties par le père en
faveur d’un des successibles. Dans l’appréciation d’actes
de ce genre, la justice trouve des éléments précieux de
décision dans les antécédents de famille, dans la con
duite du père à l’endroit de l’enfant avec qui il a con
tracté, et, vis-à -vis de ses autres enfants, dans la posi
tion respective des contractants. Si le père a toujours
montré une vive et aveugle affection pour l’enfant figu
rant comme créancier ou comme acquéreur ; si la posi
tion pécuniaire de l’un ou de l’autre plaçait le père hors
de toute nécessité d’emprunter ou de vendre, et le fils'
dans l’impossibilité d’acquérir ou de prêter ; enfin, s’il
est dans l’impuissance de rendre un compte satisfaisant
de l’emploi des fonds, l’acte pourra ne paraître qu’une
libéralité sujette à réduction. La qualité des parties a
d’ailleurs son importance. En effet, si elle n’établit pas
de plein droit la fraude, elle est dans le cas de la faire
facilement présumer.
1 6 9 2 . — Mais la présomption légale de fraude est
admise à l’égard des aliénations dont parle l’art. 918.
Ainsi les ventes faites à un successible en ligne directe ,
soit h rente viagère et à fonds perdu, soit sous réserve
d’usufruit, sont considérées comme de pures libéralités.
�362
T R A IT É
DU
DOL
Toutefois, et par une dérogation aux effets ordinaires de
la fraude, ces ventes produisent un double effet, à sa
voir : le transfert delà propriété sur la tête du prétendu
acquéreur ; le droit de retenir et de s’attribuer la quotité
disponible. L’unique obligation imposée par la loi à l’en
fant acquéreur est de faire raison à la masse de tout ce
qui excède la quotité disponible.
bien entendu que ce rapport peut- être exigé et doit
être opéré dans de justes proportions avec la valeur ré
elle des objets vendus. Il peut se faire que le prix, s’il
en a été stipulé un, ail été uniquement établi dans l’in
térêt de l’acheteur, que le vendeur a voulu favoriser.
Les autres enfants seraient donc admissibles à en con
tester la vérité et l’exactitude, On doit d’autant plus se
montrer sévère à cet égard, que la vente emportant l’a
liénation de la quotité disponible, tout autre avantage
résultant du défaut de sincérité du prix constituerait une
atteinte à la réserve légale des enfants.
*
1 6 95. — L’art. 9'18 est remarquable sous un au
tre rapport. Il consacre, en effet, une exception formelle
à cette règle de morale publique qu’on ne peut traiter
sur succession future. Le successible, qui s’engagerait
conventionnellement à ne pas exiger le rapport de libé
ralités excessives, traiterait évidemment sur succession
future. Or, non seulement l’art. 918 fait résulter cette
interdiction du consentement donné pendant la vie du
père , à la vente à rente viagère , ou à fonds perdu, ou
�ET
DE
LA
F1UUDE.
363
sous réserve d’usufruit, mais il en valide encore les ef
fets.
Ainsi le droit des enfants à exiger le rapport ne s’ou
vrira qu’au décès du père, et déjà, celui-ci se réalisant,
l’exercice de ce droit sera irrécevable. Cette fin de nonrecevoir anticipée nous parait dangereuse, car elle ré
sulte d’un fait que l’enfant n’a pas pu peut-être ne pas
accomplir. En effet, le père est libre de dissiper sa for
tune, de la dénaturer, pour en priver ses enfants. Dans
le désir de favoriser l’un d’eux , ne mettra-t-il pas les
autres dans la nécessité de consentir à la vente qu’il fait,
eu les plaçant entre l’alternative de consentir ou de su
bir les effets du pouvoir que nous indiquons ? Ce que cette
menace est dans le cas de faire, peut, dans une aute oc
curence, être produit par la seule crainte révérentielle.
Est-il dès-lors rationnel et juste de maintenir une spolia
tion arrachée à l’un de ces sentiments ?
Quoi qu’il en soit, la loi étant formelle, il n’y a pas à
hésiter. Le consentement donné à la vente par le suc
cessible lui imprime, à son endroit, le caractère d’alié
nation à titre onéreux et dispense conséquemment l’a
cheteur de tout rapport. Mais cet effet est spécial à ce
lui ou à ceux qui ont consenti. Si d’autres successibles
existent et qu’ils soient demeurés étrangers à la vente,
celle-ci conserve, par rapport à eux, le caractère de li
béralité que lui affecte l’art. 918, et les effets qui en sont
la conséquence.
1 6 9 4 . — Il résulte encore des termes de notre ar-
�364
T R A IT É
DU
DOL
ticle qu’il n’y a que les aliénations faites à un succes
sible en ligne directe qui soient considérées comme de
pures libéralités. En conséquence les ventes faites à un
collatéral, soit à rente viagère et à fonds perdu, soit sous
réserve d’usufruit, doivent sortir à effet comme actes à
titre onéreux. À plus forte raison en serait-il de même
pour celles intervenues avec un étranger. Les unes et les
autres peuvent cependant être querellées de simulation
et déclarées réductibles, si elles sont prouvées n’être que
des donations dépassant la quotité disponible, ou bien
s’il est soutenu et justifié que l’acheteur apparent n’ëst
en réalité qu’un intermédiaire chargé de rendre les cho
ses présumées vendues à l’un des successibles.
1 6 9 5 . — L’indisponibilité consacrée par la loi
n’ayant d’autre fondement que la conservation des droits
des héritiers réservataires , il en résulte qu’à ceux-c1
seuls appartient l’action en nullité ou en réduction de
toute libéralité faite au mépris de ces droits. Mais cette
action n’est pas tellement personnelle que la négligence
que l’héritier mettrait à l’intenter, ou l’abandon qu’il en
ferait, dût en entraîner la perte absolue et définitive.
Ses créanciers, voyant dans l’une ou dans l’autre, une
fraude à leur préjudice, pourraient eux-mêmes l’inten
ter, soit en force de l’art. 1166, soit par application de
l ’art. 1167.
Mais l’exercice de la faculté de demander la réduction
r des avantages successifs, et le rapport de l’excédant, ne
saurait être revendiqué par les légataires autres que
P
�ET
DE
LA
FRAUDE.
365
les héritiers légitimes. C’est ce qui est textuellement
écrit dans l’art. 857, mettant sur la même ligne les lé
gataires et les créanciers de la succession.
1696. — Il n’en serait pas ainsi des avantages
excessifs faits à l’enfant naturel et à l’enfant adultérin
ou incestueux. Ils ne sont héritiers ni l’un ni l’autre, et
la prohibition de leur donner au delà de ce que cha
cun d’eux doit recevoir, fondée sur des raisons de mo
rale, est d’ordre public et d’intérêt général.
11 suffit donc d’avoir intérêt à la stricte observation
de cette prohibition pour être recevable à en poursuivre
l’exécution. Or cet intérêt ne saurait être méconnu dans
celui q u i, à défaut d’héritiers directs, est appelé à ap
préhender la succession, chez les créanciers de cette suc
cession.
Ils pourront donc non seulement exiger que l’enfant
naturel , que l’enfant adultérin ou incestueux ne pren
nent dans l’hérédité que jusqu’à concurrence de la quo
tité déterminée par la loi, mais encore faire imputer
sur cetlç quotité tout ce que l’enfant peut avoir reçu du
vivant de son père ou de sa mère, et, en cas d’excès, le
contraindre à rapport.
11 y a même plus, ils peuvent refuser à l’enfant na
turel la réserve à laquelle l’art. 757 l’autorise à pré
tendre. Ce d roit, ils le puisent dans la faculté que leur
reconnaît l’art. 339 de contester la reconnaissance dont
il a été l’objet, droit tellement énergique, qu’il n’est
�1
366
TRAITÉ DU DOL
pas même effacé par la légitimation par mariage sub
séquent."
4697. — L’effet produit par la qualité d’enfant na
turel, adultérin ou incestueux est, quant aux libéralités
directes ou indirectes qui pourraient leur être faites ,
identique à celui produit parles autres incapacités. On
doit donc le régir par les principes et lui appliquer les
règles que nous avons exposées, et auxquels nous nous
bornons à renvoyer.’
1698. — La donation régulière, sous le rapport de
la capacité des parties, peut, dans son exécution , don
ner naissance à la fraude, soit de la part du donateur
contre le donataire, soit de la part de celui-ci contre
le donateur, soit enfin par l'un et l’autre contre les créan
ciers du donataire. Nous allons parcourir les principales
d’entre elles.
Le donalaire est, par rapport aux biens donnés,
l’ayant-cause du donateur pour tout ce qui a précédé
la donation. L’acceptation régulière de celle-ci fait ces
ser cette qualité pour l’avenir. Seul propriétaire des
biens donnés, le donataire ne répond plus que de son
propre fait. Nul autre que lui ne peut désormais gérer
et administrer, vendre ou-affecter ces mêmes biens.
Or, rien de plus ambulatoire que la volonté humai
ne. Celui qui la veille était tout affection , qui n’a pas
1 Bordeaux, 10 avril 4843 ; — J. D. P., t, il. 1843, pag. 734
2 V. sup., n°s 1369 et suiv.
�ET .DE LA FRAUDE.
367
hésité à se dépouiller d’une partie plus ou moins consi
dérable de ses biens, en est aux regrets le lendemain;
il ne voit plus qu’un ennemi dans le possesseur de ses
biens, et la môme ardeur qu’il apportait naguère à con
sentir ce bienfait, il la mettra bientôt à en effacer ou à
en amoindrir ‘les conséquences; et, pour y parvenir, il
ira quelquefois jusqu’à la plus honteuse indélicatesse,
jusqu’au crime.
1699* — Ainsi la survenance d’enfants est le moyen
le plus énergique pour annuler la donation. Sa révoca
tion en est la conséquence forcée, à tel point qu’elle
s’opère de plein droit et d’une manière irrévocable.
Mais cette survenance d’enfants ne dépend pas de la
volonté. Le mariage, môme tenté dans cet espoir, peut
ne pas la réaliser. C’est cette incertitude et ce doute,
rendant la révocation ardemment désirée trop problé
matique , qui inspireront la pensée de recourir à la
fraude.
Or, dans l’espèce, la fraude consistera dans la sup
position de part, si, marié depuis longtemps, le dona
teur a perdu l’espoir d’une paternité légitime; dans la
légitimation de l’enfant d’autrui par un mariage subsé
quent, s’il n’a.jamais été marié ou qu’il ne le soit plus
depuis la donation.
La supposition de part est un crime que la loi punit
avec une juste sévérité. Ce caractère et l’infamie résul
tant de la condamnation en rendent le danger moins re
doutable. Cependant, comme elle n’est pas sans exem-
�368
TRAITÉ DU DOL
pie , nous avons dû la prévoir et en déterminer les
effets.
La supposition de part peut être reprochable au do
nateur. Elle peut aussi avoir été ignorée de lui et exé
cutée sans son concours et contre sa volonté. On com
prend, en effet, qu’une épouse, se voyant exhérédée par
une donation en faveur d’un tiers, cherche dans le crime
le moyen de se soustraire à cette conséquence, en si
mulant une fausse maternité qui non seulement révo
quera la donation, mais qui lui conférera éventuelle
ment des droits sur les biens de son époux, du chef de
son prétendu enfant. Celte simulation peut se réaliser du
vivant du m ari, ou dans les neuf mois qui suivent sa
mort. C’est cette dernière dont fut convaincue la femme
que le parlement de Paris condamnait, le 11 mars
1730, à faire amende honorable et au bannissement
perpétuel.
De quelque manière que le crime ait été commis ,
que le donateur en ait été le complice ou qu’il l’ait
ignoré, l’effet est identique. L’intérêt du donataire se
trouvant gravement compromis, il a le droit incontes
table de quereller la paternité prétendue et d’en démon
trer le caractère frauduleux. La preuve qu’il demande
rait à faire serait donc recevable.
Mais on comprend que son admissibilité ne serait
prononcée qu’en tant que les faits par lui cotés auraient
un caractère de haute gravité et rendraient le crime vrai
semblable. Ce n’est pas sur des soupçons vagues, sur
une probabilité plus ou moins problématique que la
�369
ET DE LA FRAUDE.
justice autoriserait un litige dont l’indélébile scandale ,
qu’un amer désappointement fait naître, serait de na
ture à compromettre l’avenir d’une famille innocente.'
1700. — La légitimation de l’enfant d’autrui par
mariage subséquent n’a rien de coupable aux yeux de
la loi pénale. Ce caractère la rend beaucoup plus à re
douter pour le sort futur de la donation. On adopte
bien l’enfant d’autrui, pourquoi refuserait-on de recon
naître mensongèrement celui qui ne nous a jamais ap
partenu, lorsqu’à l’affection qui détermine le mariage
avec le père ou la mère, affection qui peut s’étendre à
l’enfant, se réunit la satisfaction de se venger du dona
taire qu’on s’était choisi et de reprendre cette fortune
dont on regrette tant l’abandon ?
1701. — Le droit de contester la révocation, de la
faire repousser par la preuve de la fausseté de la pater
nité alléguée, non dénié dans le cas de supposition de
part, l’a été dans celui d’une légitimation mensongère.
On ne pourrait exercer ce droit, dit M. Chardon, qu’en
prouvant que l’enfant a pour père un autre individu, et
la recherche de la paternité est interdite.1
Mais le motif allégué par cet auteur existerait dans
toutes les hypothèses où la reconnaissance d’un enfant
émanerait du père. Or, l’art. 339 ne fait aucune distinc
tion lorsqu’il permet à tous les ayants-droil de contester
cette reconnaissance.
1 V. supra, nos 891 et suiv.
2 Dol el fraude, t 11, n° 304, pag 51 ô.
IV
24
�370
TRAITÉ DU DOL
Cette disposition nous parait condamner la doctrine
de M. Chardon. La légitimation est, dans tous les cas,
précédée forcément delà reconnaissance. Pour qu’un en
fant soit légitimé, il faut qu'il appartienne à l’auteur de
la légitimation, et cela ne peut être acquis que parla re
connaissance qu’en fait celui-ci.
En conséquence, contester cette reconnaissance , la
faire annuler, c’est rendre toute légitimation ultérieure
impossible. Donc, à proprement parler , il ne saurait y
.
avoir de contestation sur la légitimité ; attaquer celleci , c’est attaquer la reconnaissance, e t, à cet égard ,
le droit du donataire est formellement écrit dans l’ar
ticle 339.
Lui contester ce droit parce que la reconnaissance a
été suivie de la légitimation, c’est donc violer cet ar
ticle, c’est, en quelque sorte, l’effacer du Code en su
bordonnant l’exercice de la faculté qu’il confère à un
fait personnel à la partie intéressée, en en restreignant
l’application au cas où la légitimation est impossible ma
tériellement.
Il est, en effet, facile de prévoir que ce n’est pas sans
intérêt, sans motif qu’on reconnaît un enfant naturel.
Donc, les raisons qui poussent à cette reconnaissance
exigeront qu’on la mette à l’abri de toute attaque, Or ,
si la légitimation suffit pour anéantir la faculté accordée
par l’art. 339 , on ne manquera pas d’y procéder , a
moins que le prédécès de la mère n’y apporte une in
vincible obstacle, ou qu’engagées dans les liens d’un
�ET DE LA FRAUDE.
371
mariage actuel , les parties ne puissent s’unir entre
elles.
Un pareil résultat, livré à la volonté exclusive des
parties , amènerait infailliblement le triomphe de la
fraude ; il n’a donc pu être consacré par le législateur.
Sans doute, la faculté de contester la légitimation n’est
nulle part écrite dans la loi, mais celle de quereller la
reconnaissance existe et elle est suffisante. C’est celleci, et non la légitimation, qu’on attaquera, et la preuve
de la fausseté de l’une entraînera la chute de l’autre ,
qui, supposant a priori la certitude de la paternité, de
vient impossible dès que la certitude contraire est ac
quise.
Est-il vrai , d’ailleurs , que dans notre hypothèse il
faille , comme le dit M. Chardon, prouver qu’un autre
individu est le père de l’enfant ? Évidemment non. Ce
qu’il s’agit d’établir, c’est que celui qui a reconnu et
légitimé l’enfant n’en est pas le père. Cette recherche ,
abstraction faite de toute autre paternité, ne viole en
rien la maxime incontestable invoquée parM. Chardon.
Ce que la loi interdit, c’est la recherche dont il devrait
résulter qu’un individu désigné est le père de l’enfant.
C’est ainsi que toute action, ayant pour objet d’établir
que le mari de la mère est le père de l’enfant, est sé
vèrement prohibée à défaut d’acte de naissance confor
me à cette prétention.
Mais vouloir prouver qu’un individu n’est pas le père
de l’enfant, ce n’est pas prouver que cette qualité ap
partient à tel autre. Conséquemment, la prohibition de
�X
372
TRAITÉ DU DOL
cetle dernière preuve ne peut s'appliquer à la première ;
ce qui le prouve, c’est que la loi qui défend la recher
che de la paternité permet de contester la reconnaissant
ce. Or, comment le faire, s’il n’était pas permis de jus
tifier que celui qui accepte la paternité n’est pas réelle
ment le père de l’enfant?
Ce qui le prouve encore, c’est que, dans une autre
circonstance, la loi admet formellement cette justifica
tion, elle qui prohibe la recherche de la paternité.
Ainsi, l’enfant qui prouve qu’au moment de sa con
ception sa mère était dans les liens d’un mariage légi
time, est présumé, par cela même, l’enfant du mari :
Pater isest, etc... Cependant, et malgré l’empire de cette
maxime célèbre, l ’art. 325 réserve au mari ou à ses hé
ritiers la preuve contraire, et il fait consister cette preuve
contraire dans tous moyens propres à établir que le
mari de la mère n'est pas le père de l'enfant.
Dénier la paternité de l’un, n’est pas rechercher la
paternité de l’autre. En d’autres termes, prétendre que
l’enfant n’a pas tel ou tel père, ce n’est pas se livrer à
la recherche de la paternité. Celle-ci n’existe qu’à la con
dition que la solution de la difficulté aurait pour résul
tat nécessaire d’attribuer cette paternité à une personne
déterminée. Il y a fort loin de celte hypothèse à celle d’une
instance n’ayant pour objet que d’établir la fausseté
d’une déclaration intéressée.
On ne saurait donc admettre l’opinion de M. Char
don. Elle est repoussée par le texte et par l’esprit de la
loi.
�ET DE LA FRAUDE.
373
1702.
— Elle est également repoussée par la juris
prudence. Il est vrai que les monuments de celle-ci sont
peu nombreux. Un seul s’est offert à nos recherches ,
c’est l’arrêt de Bordeaux, du 10 avril 1843, que nous
avons déjà indiqué.
Dans cette espèce, il s’agissait de la révocation d’une
donation, par suite de la légitimation d’un enfant natu
rel par mariage subséquent.
Le donataire contestant la révocation soutenait et of
frait de prouver que cette légitimation était frauduleuse
et mensongère. A cette prétention on opposait, comme
fin de non-recevoir, les effets de la légitimation qui, as
similant celui qui en est l’objet à l’enfant né pendant
mariage, le couvrait de la faveur accordée à celui-ci
par l’art. 312. Il importait peu , ajoutait-on , que la
légitimation ait dû être et ait été précédée de la recon
naissance comme enfant naturel. Les dispositions de la
loi qui permettent d’attaquer cette reconnaissance ne
sauraient être étendues d’un cas à un autre, et ne s’ap
pliquent qu’à l’enfant naturel qui ne reçoit pas le bien
fait de la légitimation.
La Cour de Bordeaux consacra l’opinion contraire.
La réponse aux moyens que nous venons d’indiquer se
trouve dans l’arrêt dont nous transcrivons les motifs :
« Attendu que, quels que soient les droits accordés
par l’art. 333 aux enfants légitimés parle mariage sub
séquent, il y a cependant une différence essentielle entre
ces enfants et ceux conçus pendant le mariage, aux ter
mes de l’art. 312; que ceux-ci sont investis de la légi-
�374
TRAITÉ DU DOL
timité par le seul fait de leur conception pendant le
mariage, tandis que les premiers, jusqu’au moment de
leur légitimation, n’ont dû être considérés que comme
enfants naturels, et qu’ils ne sont devenus légitimes que
par la reconnaissance de leurs père et mère ; qu’ils ne
sont donc en réalité que des enfants naturels reconnus,
et que, sous ce rapport, les tiers peuvent se prévaloir ,
contre leur reconnaissance, des droits qui leur sont ac
cordés par l’art 339 du Code civil ;
« Attendu que les faits articulés par les appelants sont
de la plus grande gravité ; que plusieurs circonstances
de la cause les rendent vraisemblables, et que, prou
vés qu’ils fussent, il en résulterait que la reconnaissance
de l’enfant naturel d’Anne Bertbe a été frauduleusement
pratiquée pour parvenir à la révocation de l’acte du
28 août 1838 ; que sous ce rapport, il y aurait lieu
d’admettre les appelants à la preuve des faits par eux
articulés.' »
Le moyen tiré de la recherche de la paternité ne pa
rait pas avoir été soumis à la Cour. Mais l’accueil qui
lui était réservé n’est pas douteux, par l’application lo
gique que la Cour fait de l’art. 339.
En résumé, il n’y a nulle distinction à faire, quant au
droit du donataire, entre le cas de supposition de part
et celui de légitimation par mariage subséquent. L’iden
tité d’intérêt dans l’un et dans l’autre doit faire consa
crer la légalité de sa résistance et sa réussite, si la pré-
�ET DE LA FHAUDE.
375
tention alléguée est justifiée par la preuve qu’il est rece
vable à fournir.
1703.
— La survenance d’enfants peut avoir son
origine dans un fait non moins frauduleux, dans l’a
dultère.
Les mêmes motifs qui pousseront la femme, qui dé
termineront le mari à consentir à la supposition de part,
sont de nature à les amener, soit de concert, soit à
l’insu l’un de l’autre, à recourir à un moyen, beaucoup
moins périlleux pour eux, d’arriver à cette paternité que
la nature leur a refusée, et à atteindre ainsi avec beau
coup moins de risques à un résultat aussi décisif, aussi
utile. On comprend que contre une fraude de ce genre,
il n’y a aucun remède possible. Il n’y aurait donc qu’à
en subir toutes les conséquences, quelque graves qu’el
les fussent.
En effet, la légitimité de l’enfant conçu pendant le
mariage ne supporte d’autre contradiction possible que
celle qui résulterait du désaveu du père. Or, ce désaveu
n’est pas toujours recevable, et, en supposant qu’il fût
loisible au père de l’intenter, il ne le ferait certainement
pas si l’adultère de la femme avait été arrêté entre elle
et lui.
Toutes ces hypothèses ne sont, sans doute , que des
suppositions pouvant paraître impossibles à se réaliser ;
mais nos fastes judiciaires témoignent assez énergique
ment qu’on peut sans trop de témérité, les prévoir et
s’en occuper,
�376
TRAITÉ DU DOL
17 0 4 . — Indépendamment de ces fraudes, le dona
taire est exposé à en subir beaucoup d’autres qui, moins
criminelles aux yeux de la morale, ne laisseront pas
que d’avoir pour lui l’effet d’annuler ou d’amoindrir
considérablement ses droits. En tête de celles-ci, figure
la faculté que conserve le donateur d’aliéner et de dis
siper la fortune qu’il a conservée en dehors de la dona
tion. En effet, l’existence d’héritiers réservataires peut
amener la réduction forcée de cette donation si, au dé
cès du donateur, les biens donnés sont devenus le seul
actif de la succession.
Le donateur qui a des héritiers à réserve est donc, en
réalité, le maître d’amoindrir plus ou moins le bénéfice
de la donation, en aliénant et dissipant les ressources
qu’il s’était conservées. Or, cette conduite peut être la
conséquence légitime des besoins que de circonstances
malheureuses, que de revers de fortune lui ont imposés.
Dans ce cas, la sincérité des aliénations laisserait le do
nataire sans aucun moyen d’échapper à la réduction.
1 705. — Mais les aliénations peuvent n’être qu’ap
parentes ; ce que le donateur a fait lui aura été inspiré
par le désir de revenir sur son bienfait, qu’il a voulu
diminuer, dans l’impossibilité de le révoquer intégrale
ment. Dans cette hypothèse, les droits du donataire sont
les mêmes que dans celle de la fraude; il pourra donc
quereller de simulation les obligations souscrites , les
ventes consenties, et, par la preuve qu’il est recevable
à en fournir, échapper à la réduction le menaçant.
�ET DE IA FRAUDE.
377
1706.
— La faculté de retenir l’usufruit de ce qu’on
donne ne saurait être contestée. Cette réserve ne change
nullement la nature de l’acte; elle restreint seulement
la libéralité à la nue-propriété , à laquelle viendra se
réunir la jouissance à une époque déterminée. L’abus
de cet usufruit peut devenir l’occasion de nombreuses
fraudes.
En général, et sauf les objets qui se consomment ou
se détériorent par l’usage, le devoir et le droit de l’usu
fruitier se résument dans cette simple proposition . Jouir
et conserver. Celte dernière condition distingue sa pos
session de celle du propriétaire, dont la volonté, relati
vement à la disposition de sa chose, ne reconnaît au
cune limite.
La fraude, caractérisée par l’abus de la jouissance,
est facile à saisir. Ses conséquences se mesurent sur sa
gravité; c’est tantôt l’extinction de l’usufruit sans in
demnité, tentôt sa conversion en une prestation annuellée, calculée sur les revenus des biens sur lesquels il
était exercé, ou résultant de baux consentis à des tiers.
L’un et l’autre parti sont avoués par la raison et la jus
tice. L’usufruit doit cesser, parce qu’on ne saurait per
mettre la continuation d’un état des choses dommagea
ble pour le propriétaire; d’autre part, le préjudice peut
être te l, que la seule réparation convenable soit la dé
chéance absolue du droit. Sa minimité ou son caractère
doit laisser le droit continuer à s’exercer, mais dans un
mode différent, réservant efficacement l’avenir. Au res-
�378
TRAITÉ DU DOL
te, à cet égard la loi s’en rapporte à la prudence du ju
ge; c’est ce qu’indiquent les termes de l’art. 618.
1 707. — La négligence que l’usufruitier mettrait
dans la conservation du fonds est assimilée, par la loi,
aux dégradations dont il se serait rendu coupable. Les
résultats des unes et de l’autre étant identiques, on ne
pouvait les distinguer quant à leurs effets. Aussi l’arti
cle 618 les met-il sur la même ligne et en fait-il égale
ment dépendre la cessation de l’usufruit.
1 7 0 8 . — Mais cette négligence pouvait être une
fraude concertée entre le propriétaire et l’usufruitier, à
l’effet de nuire aux créanciers de celui-ci, en motivant
ainsi la cessation de son usufruit. La prévision de cette
fraude a déterminé le législateur à autoriser l’interven
tion de ces créanciers dans toutes les contestations pou
vant avoir pour objet la déchéance de leur débiteur.
Celte intervention peut avoir un double objet. Les
créanciers sont autorisés à demander la continuation de
l’usufruit, en offrant la réparation des dégradations
commises et des garanties pour l’avenir; dans le cas de
conversion en une prestation annuelle, faire ordonner
que la somme arbitrée, comme condition de la mise en
possession du propriétaire, leur sera directement payée
par celui-ci ou par le fermier qui sera député par les
parties.
1709.
L’art. 614 nous fournit un second exem-
�*
ET DE LA FRAUDE.
379
pie de négligence équivalant à la fraude. L’usufruitier
doit dénoncer au propriétaire les usurpations ou les at
tentats qu’un tiers commettrait sur les biens dont il a la
jouissance. Faute de ce, ajoute l’article, il est responsa
ble de tout le dommage qui peut en résulter pour le
propriétaire, comme il le serait des dégradations com
mises par lui-même. Ces derniers mots fixent la na
ture de la responsabilité imposée à fusufruitier; puis
qu’elle est la même que celle qu’il encourt pour ses pro
pres dégradations, elle aurait inévitablement pour con
séquence, comme celle-ci, la déchéance de l’usufruit ou
sa conversion en une somme déterminée et annuelle
ment payable.
Ainsi il y a fraude chez l’usufruitier non seulement
lorsqu’il fait ce qu’il ne devrait pas, mais encore lors
qu’il s’abstient d’accomplir ce qu’il est tenu de faire. De
ce principe, il résulte qu’il encourt la peine prononcée
par la loi :
1“ S’il laisse acquérir, par prescription , des droits
de servitude ou autres sur les immeubles ;
2 “ Si, possesseur des titres de créances, il en laisse
prescrire les effets faute de poursuites, ou périmer les
hypothèques en ne renouvelant pas les inscriptions :
3* S’il n’acquitte pas les charges qui lui sont impo
sées par la loi ou par le titre :
4° Enfin, s’il change abusivement l’état des lieux;
s’il démolit tout ou partie des bâtiments; s’il enlève les
clôtures; s’il intervertit le mode des cultures; s’il anti
cipe sur la coupe des taillis, ou s’il use des futaies au-
�380
TRAITÉ DU DOL
trement que de la manière réglée par les art. 591 et
592 du Code civil.
,
1710.
— Il est certain que ce sont là autant défaits
illicites et dommageables, mais leur nocuité varie né
cessairement, et cette diversité dans les conséquences dé
termine une différence dans les effets, quant à la peine.
Nous venons de dire que cette peine consiste dans la
cessation absolue de l’usufruit ou dans la conversion
en une prestation annuelle, et qu’arbitres uniques de la
réparation due au propriétaire, les tribunaux peuvent,
au gré de leur conscience, prononcer l’une ou l’autre.
Nous ajoutons que ce qui importe, en pareille matière,
c’est de faire cesser l’abus, en mettant fin à l’usufruit ;
mais, la perte du droit ne doit être admise que dans les
cas rares dans lesquels l’énormité du préjudice est prou
vée tenir exclusivement à une volonté perverse.
Dans cette hypothèse, il n’y a pas à hésiter. L’usu
fruitier doit être déchu, malgré la caution qu’il aurait
fournie, malgré l’offre qu’il ferait d’en offrir une, s’il
n’en existait pas précédemment. L’existence d’une cau
tion, n’empêchant pas le mal de se produire, ne suffit
pas toujours pour en réparer convenablement les con
séquences : Satisdatio propositum malevolum non mu
tât, sed diu grassandi in re fam ilia ri facilitaient prœstat.' Il vaut mieux d’ailleurs prévenir que réparer, et
lorsque des malversations graves, émanées d’une inten1 Inst., lib. 1, tit. 26, n° 12,
�ET DE LA FRAUDE.
384
tion mauvaise, viennent inspirer des craintes sérieuses,
il n’y a que la perte du droit qui puisse justement punir
le passé et assurer l’avenir.
1711.
— La faculté de recourir à cette peine sévère
reçoit exception lorsque l’usufruit n’a pas été constitué
à titre purement lucratif. On peut, en effet, révoquer,une
libéralité dont le bénéficiaire s’est montré indigne ; mais
renverser, détruire un droit qu’on a acquis en s’impo
sant des sacrifices, ce serait punir l’injustice par une
injustice non moins flagrante. En conséquence, l’abus
de jouissance dans un usufruit, réservé dans le cas
d’une vente ou d’une donation, doit amener la fin m a
térielle de la jouissance, mais le droit doit être main
tenu par la conversion en une prestation annuelle, équi
valente à cette même jouissance.
L’art. 648 offre ce caractère qu’il se préoccupe beau
coup plus de prévenir l’abus, dans l’avenir que de le
réparer pour le passé. En effet, le préjudice en résul
tant peut-être irréparable, par exemple : si l’usufruitier
a laissé s’acquérir une servitude, s’accomplir une pres
cription, se perdre l’effet utile d’une hypothèque, en
ne pas en renouvelant l’inscription en temps opportun.
Dans chacune de ces hypothèses, il est évident que
l’application de l’art 648 pourrait être insuffisant pour
la réparation du dommage, et cependant, il ne sau
rait exister aucun doute sur la responsabilité de l’usu
fruitier au point de vue de cette réparation. Son obli
gation est écrite dans les art. 4382! et 4383 C. Nap.
�TRAITÉ DU DOL
Aussi croyons nous avec M. Proudhon,' que, malgré
le silence gardé à ce sujet, par l’art. 618. Le nu-pro
priétaire pourrait dans ce cas demander et obtenir outre
les mesures consacrées par cet article, une allocation de
dommages-intérêts en indemnité du tort qu’il éprouve.
• Comme toujours l’importance de celte allocation est
laissée à l’arbitrage souverain du juge. Mais, à notre
avis, elle devrait comprendre l’intégralité du préjudice,
si l’usufruit était seulement converti en une prestation
annuelle.
Si l’usufruit est retiré, les juges peuvent et doivent
dans le calcul des dommages-intérêts tenir compte du
bénéfice que le nu-propriétaire retire de cette extinction.
Les éléments naturels de cette appréciation sont d’une
part, l’importance de l’usufruit, de l’autre les chances
de sa durée, suivant l’age de l’usufruitier.
Sans doute, le nu-propriétaire peut perdre à ce cal
cul des probabilités, mais il peut aussi y gagner, et
cet abus enlève à la décision tout caractère d’injustice
ou de sévérité.
Dans ce casencore les créanciers de l’usufruitier pour
raient intervenir pour faire maintenir l’usufruit. Mais ils
ne pourraient l’obtenir qu’en payant l’intégralité du pré
judice, tel qu’il serait déterminé par justice, et qu’en
donnant des garanties pour l’avenir.
1 7 1 2 . — Le père usufruitier des biens de ses eni Usuf. tom. iv, n° 2428.
�ET DE LA FRAUDE.
383
fants tant qu’ils n’ont pas atteint leur dix-huitième an
née, est soumis à tous les devoirs des usufruitiers or
dinaires. L’abus de jouissance, les dégradations qu’il
commettrait volontairement ou par négligence sur les
biens le rendraient passible de l’application de l’art. 618.
Mais l’éxécution de la condamnation serait difficile à
assurer tant que le père conserverait la tutelle deses en
fants. Quelle garantie aurait-on que, dans l’administra
tion des biens qu’il conserverait, le tuteur ne marcherait
pas sur les mêmes errements que l’usufruitier?
1 7 13.
— Le père peut ne pas se contenter d’abuser
de son usufruit ; on aura peut-être à lui reprocherde ne
pas en remplir les charges, notamment celle de nourrir
et d’entrenir ses enfants, de veiller à leur éducation.
Ses torts mêmes peuvent acquérir un tel dégré de gra
vité, qu’il mérite d’êtré destitué de la tutelle. Cette hy
pothèse se réalisant, la perte de la tutelle entraînera-telle celle de l’usufruit légal ?
Cette question est d’autant plus délicate, que la solu
tion affirmative ne peut s’étayer d’aucun texte formel,
et c’est cependant cette solution qu’exigent incontesta
blement la raison et la justice.
On comprend cependant que l’absence de toute dis
position législative, rapprochée du caractère de l’usu
fruit légal, ait porté plusieurs jurisconsultes à embras
ser l’opinion contraire. M. Toullier, entre autres ensei
gne la négative. Il lui parait que l’usufruit légal, attri
but de la puissance paternelle, restant indépendant de
�384
TRAITÉ DU DOL
la tutelle, la perte ou l’exclusion de celle-ci ne saurait en
déterminer la cessation.
La jurisprudence s’est divisée sur la solution à don
ner à la question. La Cour de Limoges, par arrêt des
46 juillet 4807 et2 avril 4848, a déclaré l’usufruit éteint
par la perte de la tutelle, mais elle n’arrive à ce résul
tat qu’en assimilant à la veuve qui se remarie, celle qui
vit, hors le mariage, dans un état d’inconduite notoire
et qui donne le jour à des enfants naturels.
Le 28 décembre 4840, la Cour de Paris a jugé le con
traire en décidant, qu’aux termes des dispositions du
Code civil, le père destitué de la tutelle de ses enfants ne
perd pas pour cela l’usufruit de leurs biens jusqu’à l’é
poque fixée par la loi.
Enfin, le 30 juillet 4813, la Cour d’Àix a maintenu
un tuteur destitué dans la jouissance des biens de ses
enfants. Néanmoins, elle ordonne que le nouveau tuteur
prendra l’administration de ces biens, à charge d’en ren
dre compte à l’usufruitier légal. Cet arrêt se fonde sur
ce que l’usufruit légal, indépendant de la tutelle, est un
attribut de la puissance paternelle, et que celle-ci étant
indélébile ne reçoit aucune atteinte des faits entraînant
la perte de l’autre.
La doctrine de ces deux derniers arrêts pourrait être
juridique, mais évidemment, elle n’est pas soutenable
sous le rapport de l’équité naturelle, ainsi que le rem ar
que fort justement M, Chardon. Il répugne, en effet, à
la saine raison d’admettre que le père assez oublieux des
sentiments que ses enfants devraient trouver en lui
�385
ET DE LA FRAUDE.
pour répudier la mission que leur tutelle lui impose ;
que celui plus coupable encore, qui, ayant accepté la
direction de leur personne et la défense de leurs inté
rêts, s’est montré indigne de l’une et de l’autre, puisse
conserver le droit de jouir de leurs biens et en perce
voir les revenus. La Cour d’Aix semble elle-même par
tager ce sentiment en corrigeant, par un tempérament
que rien d’ailleurs n’autorise, la doctrine qu’elle croit de
voir sanctionner.
Cette considération ne manque pas d’importance ré
elle ; en l’admettant vraie, elle préjuge quelque peu la
question. Comment présumer, en effet, que le législa
teur ait voulu se placer en contradiction flagrante avec
l’équité naturelle?
Sous le rapport du droit, la solution des Cours d’ap
pel de Paris et d’Aix nous paraît fort contestable. Sans
doute la jouissance légale des biens des mineurs est
un attribut de la puissance paternelle ; mais celle-ci ne
consiste pas seulement dans les avantages qu’elle pro
cure, elle crée également des obligations et de devoirs
corrélatifs, indivisibles. A quel titre donc celui qui a mé
connu, violé ces derniers, viendrait-il revendiquer les
autres ?
À cet égard, la pensée du législateur nous est claire
ment indiquée par ses actes. La manière dont il a com
pris la puissance paternelle se développe tout entière
dans le soin qu’il met à ne parler des avantages qu’elle
doit conférer qu’après avoir soigneusement relevé toutes
les charges devant la grever. « Après avoir constitué la
IV
25
�386
TRAITÉ DU DOL
» puissance paternelle, disait M.Réal, établi les devoirs
» qu’elle impose, les droits qu’elle accorde, fixé ses li» mites et sa durée ; après avoir ainsi, de concert avec
» la nature, donné des aliments, des défenseurs à l’en» fance ; des soins, de l’instruction, une bonne éduca» tion à la jeunesse ; c’est-à-dire, après avoir établi
» quels sont les droits onéreux attachés à l'exercice
» de la puissance paternelle, le législateur a dû endé» terminer les droits utiles. » C’est à ce titre que l’u
sufruit légal est immédiatement proposé.
Ainsi, cet usufruit n’est pas constitué à titre purement
lucratif. Attribut utile de la puissance paternelle, il sup
pose nécessairement l’accomplissement des droits oné
reux que son exercice impose. Celui-là donc qui recule
devant cet exercice, qui ne veut ou ne peut, comme in
digne, subir les obligations qui en découlent, ne saurait
prétendre en revendiquer les droits utiles.
L’usufruit étant donc un contrat dans lequel la loi
stipule pour les enfants, son exécution ne saurait être
divisée. La jouissance du père est soumise à la condi
tion qu’il accomplira, de son côté, les devoirs que la
nature et la loi lui imposent. S’il ne remplit pas cette
condition, il renonce au contrat, qui doit, dès lors être
brisé dans toutes ses parties. C’est ce que la Cour de
Paris a consacré elle-même en jugeant, le 4 février
1832, que le père qui laisse ses enfants dans le dénûment et qui ne pourvoit ni à leur nourriture, ni à leur
entretien, ni à leur éducation, doit être privé de son
usufruit légal.
�ET DE LA FRAUDE.
387
Pourquoi ne le déciderait-on pas ainsi pour la perle
de la tutelle ? Le père qui l’abandonne ou qui en est
exclu n’exerce plus une des charges de l’usufruit. La
gravité des causes ayant fait prononcer l’exclusion, n’at
teindra-t-elle pas celle qui s’attache à la violation des
autres devoirs? Qu’importe que le père nourisse et en
tretienne ses enfants ; qu’il leur donne matériellement
l’éducation, si sa conduite et ses exemples sont de na
ture à pervertir leur cœur, égarer leux raison, à les en
traîner à l’inconduite et au mal. Empoisonner morale
ment ses enfants n’est-ce pas pire que de leur refuser
les soins qu’exigent leur nourriture, leur entretien, lepr
éducation ? La perte de l’usufruit, admise dans ce der
nier cas, ne peut être repoussée dans le premier, sans
la plus complète irrationnalité.
Mais, dit-on, l’art. 386 ne met pas la perte de la tu
telle au nombre des causes faisant cesser l’usufruit; donc
prononcer cette cessation sur ce motif, c’est ajouter à la
toi et la méconnaître.
Nous répondons qu’il est des conséquences tellement
logiques, que la loi n’a pas dû les exprimer. Dès qu’aux
yeux du législateur la jouissance du père était corréla
tive à l’accomplissement de ses devoirs, il n’y avait plus
qu’à s’en référer aux principes généraux sur l’effet de
l’indivisibilité des contrats. Ainsi, la loi ne dit nulle
part que l’abus de la jouissance fera cesser l’usufruit du
père. Cependant l’affirmative est, sans contestation, ad
mise par tout le monde, dans les conditions de l’ar
ticle 618.
*
�388
TRAITÉ DU DOL
\
Nous répondons ensuite que l’art. 386 n’a rien de li
mitatif. Qu’il se borne à examiner deux cas dans les
quels un doute plus ou moins sérieux pouvait d’autant
plus naîtie, que dans chacun d’eux la conduite du père
ou de la mère pouvait être matériellement et moralement
irréprochable. Ainsi, par exemple, la mère se remariant
peut être maintenue dans la tutelle. Donc, puisque le
législateur entendait la priver de l’usufruit, il devait s’en
expliquer formellement. Mais conclure de ce qu’il l’a
fait, que la cessation de l’usufruit se restreint dans les
deux hypothèses de l’art. 386, c’est donner à cette dis
position une étendue qu’elle ne comporte pas.
L’art. 386 est si peu limitatif, que la loi elle-même
prononce la suppression de l’usufruit dans des hypothè
ses autres que celles qui y sont prévues. Nous en trou
vons deux exemples notables dans les art. 1442 du Code
civil et 335 du Code pénal. Le premier de ces articles
fournirait à notre opinion un a fortiori incontestable.
Quoi, le père qui néglige de faire inventaire à la disso
lution de la communauté perdra son usufruit lég al, et
celui qui a été ignominieusement destitué de la tutelle
pourra impunément le conserver?
L’art. 386 n’est donc pas limitatif. Les hypothèses
qu’il suppose s’étendent non seulement aux autres cas
prévus par la loi, mais encore à ceux résultant d’une
incontestable analogie. L’effet de celle-ci a été dès long
temps admis.
Ainsi l’article exige, pour que la mère perde son usu
fruit légal, qu’elle ait convolé à de nouvelles noces. Or,
�ET DE LA FRAUDE.
389
la conséquence immédiate du caractère restrictif qu’on
donnerait à cet article serait que la mère qui, sans se re
marier , se livrerait à la débauche la plus notoire, de
vrait conserver cet usufruit. C’est cependant le contraire
qui a été bien de fois consacré. La Cour de Limoges ,
qui le jugeait ainsi en 1807 et en 1810, le décidait de
nouveau le 23 juillet 1824. C’est dans le même sens
que la Cour de Lyon se prononçait, par arrêt du 22
décembre 1829.
Proudhon applaudit à ces décisions. En s’abandon
nant à la débauche, dit-il, la mère s’est rendue bien
plus répréhensible envers ses enfants que si elle s’était
remariée, puisque, au lieu de les porter à la vertu, elle
leur donne l’exemple d’un dérèglement de mœurs;
qu’ayant mérité de perdre la tutelle par une inconduite
notoire, et ses enfants devant cesser de lui être confiés,
il serait injuste qu’elle conservât encore la jouissance de
leurs biens, lorsqu’elle s’est rendue indigne de conser
ver l’administration de leur personne.'
Nous applaudissons aux décisions des Cours de Lyon
et de Limoges, nous admettons l’évidente justesse des
considérations de Proudhon. Mais il faudrait cependant
les repousser , si l’art 386 avait le caractère restrictif
qu’on lui suppose et que nous ne saurions reconnaître.
L’art. 386 admet donc des analogies. La pensée du lé
gislateur , son application comportent des ‘développe
ments. Il n’y a donc pas à hésiter dans toutes leshypo1 Uswf., t. i, n° 146,
�390
TRAITÉ DU DOL
thèses dans lesquelles se rencontreront des motifs dé
terminants.
Or ces motifs sont : d’une part, l’intérêt des enfants ;
de l’autre , l’inexécution des obligations qu’impose la
puissance paternelle. L’usufruit légal n’a pas pour ob
jet aujourd’hui d’enrichir le père, il est un encourage
ment à la loyale et fidèle exécution du mandat de dé
fense et de direction qui lui est confié ; une récompense
de l’affection qu’il témoigne à ses enfants, des peines et
soins qu’il s’impose à leur occasion ; une indemnité des
droits onéreux qu’il supporte.
Celui qui méconnaît et répudie ces devoirs, celui qui
en est déclaré indigne, celui qui mérite de perdre la tu
telle, cet autre attribut de la puissance paternelle, doit,
bien plus encore que l’époux dont les torts motivent le
divorce ou la séparation de corps, à bien plus juste titre
que la mère qui se remarie, perdre par cela même tous
les avantages qu’il ne doit recevoir que comme une com
pensation des charges dont il est dispensé pour l’avenir.1
1 7 14.
— L’aliénation des biens donnés, consentie
après coup par le donateur, constitue une autre fraude
dont celui-ci peut se rendre coupable. Cette fraude , à
l’endroit des donations entre vifs, ne peut se concevoir
qu’au moyen de la simulation dans la date de la vente.
Le caractère public de la donation ne permettrait pas
l ’hésitation, si la vente résultant d’un acte public se rap1 C h ard o n ,
Dol et Fraude, t .
il, n ° 3 2 8 .
�ET DE LA FRAUDE.
391
portait avec toute certitude à une époque postérieure à
la donation. La fraude dont nous parlons sera donc de
toute nécessité signalée par l'existence d’un acte sous
seing privé, dont la date remontera à une époque dé
terminée et antérieure à l’acte de donation. Nous nous
sommes déjà occupés de cette hypothèse, nous n’avons
donc pas à y revenir.'
1715.
— Il n’en est pas de même des donations à
cause de mort. On sait que les art. 1082 et 1084 du
Code civil permettent à toutes personnes de donner par
contrat de mariage tout ou partie des biens qu’elles dé
laisseront au jour de leur décès , ou cumulativement
leurs biens présents et ceux à venir.
Cette donation, qui est la vérirable institution con
tractuelle de l’ancien droit, est irrévocablement acquise
du jour du contrat, en ce sens que le donataire est hé
ritier certain et incommutable du donateur, mais ses ef
fets, son étendue, son émolument réel sont exclusivement
subordonnés à la volonté du donateur et aux actes qu’il
a pu souscrire de son vivant.
Celui-ci, en effet, n’est nullement enchaîné par l’o
bligation qu’il s’est imposée. Notre ancien droit ne lui
faisait pas même perdre le droit de disposer de ses biens
à titre gratuit. L’art. 1083 respecte lui-même ce droit,
en le restreignant, avec juste raison, aux donations pour
sommes modiques, à titre de récompense ou autrement.
i V. supra, n°s 1281 et suiv.
�3921
TRAITÉ DUDOL
Quant à celui de disposer à titre onéreux, de vendre, d’hypothéquer, il existe dans toute sa latitude.
Il est évident qu’il ne pouvait en être autrement. Ce
lui qui donne ce qu’il laissera à son décès prouve suffi
samment par là son intention de ne s’imposer aucune
gêne dans les occasions où des besoins personnels vien
draient exiger l’aliénation partielle ou totale de sa for
tune. Il ne promet qu’une seule chose, à savoir ; q u e ,
ses propres exigences satisfaites, tout ce qu’il laissera
après lui arrivera aux mains du donataire, en d’autres
termes, il n’a fait qu’un testament renfermant exception
nellement une institution irrévocable.
On comprend néanmoins que ce droit d’aliéner est
plus que suffisant pour annuler de fait la donation. L’a
bus est bien près de l’usage. Vienne le repentir ou le re
gret, qu’une autre affection remplace la première, les im
meubles disparaîtront, et leur prix, manuellement trans
mis, ne laissera aucune trace.
Cet inconvénient grave est aussi certain qu’il est iné
vitable. Celui qui peut ne pas donner est sans contredit
parfaitement libre de choisir et de préférer le mode de
libéralité le plus conforme à son intérêt personnel. Son
choix arrêté, le donataire n ’a plus qu’à le subir dans tou
tes ses conséquences, dont il n’a pu d’ailleurs se dissi
muler la nature.
Ce qu’il a le droit d’exiger, c’est que la loi, en ce qui
le concerne, soit pleinement et loyalement exécutée : que
le donateur ne fasse pas de son droit un instrument de
simulation et de fraude. L’art. 1083, nous venons de le
�>
ET DE LA FRAUDE.
393
voir, défend toutes les libéralités, si ce n’est pour som
mes modiques, à titre de récompense ou autrement. Les
efforts tentés pour se soustraire à cette prohibition de
vraient être réprimés. Le donataire serait donc recevable
à soutenir que les aliénations prétendues déguisent de
véritables donations, et fondé à en obtenir dès lors l’an
nulation. Mais il serait tenu, dans tous les cas, de prou
ver la fraude dont il exciperait.
La donation des biens présents et à venir participe ,
quant à ces derniers, de celle que nous venons d’exami
ner. Définitive quant aux biens présents, elle ne confère
qu’une expectative sur ceux que le donateur pourra plus
tard acquérir.
Ce double caractère devrait-il avoir pour résultat une
division dans les effets ? Devait-il être permis au donataire
d’accepter pour les biens présents et de répudier pour
les biens à venir, alors qu’au décès du donateur cette dis
position devenait réellement onéreuse?
Le sort des créanciers, directement intéressés dans la
solution de ces questions, a dicté la conduite adoptée
par le législateur. Pour que la division soit possible, il
faut qu’un état des dettes actuellement dues soit rédigé
au moment de la donation et annexé à l’acte. Cette pré
caution déterminant les charges du présent, le donataire
pourra, en renonçant aux biens à venir, s’exonérer des
dettes postérieures.
Si l’état n’a été ni rédigé, ni annexé, il y a une con
fusion absolue de toutes les charges, comme de tous les
biens. Le donataire devra les payer toutes, à moins qu’il
�394
TRAITÉ DU DOL
renonce à la donation, tant pour lesbiens présents que
pour les biens à venir.
Si le donataire accepte, son obligation de payer les
dettes ne peut s’étendre à celles qui ne seraient que le
résultat de la collusion ou de la fraude. Simuler une
dette qui n’existerait pas, c’est consentir une libéralité,
et ce droit n’appartient plus à celui qui a déjà donné
tous ses biens, alors même que l’effet de la donation est
subordonné à son décès. La preuve de cette'simula lion
parle donataire ferait prononcer l’annulation de la dette
à son profit. Cette règle ne reçoit qu’une exception, à
savoir : si la donation renfermait la clause de payer in
distinctement toutes les dettes , conformément à l’arti
cle 1086.
1 7 1 g ws — Deux eSpèces, sur lesquelles nous avons
été consulté, ont signalé à notre attention une grave dif
ficulté pouvant résulter d’une institution contractuelle
autorisée par les art. 1082 et 1083. Dans la première,
la mère avait, dans le contrat de mariage de sa fille, fait
une donation de tout ce qu’elle délaisserait, mais, par
une clause subséquente, elle s’était interdit de vendre ses
immeubles autrement qu’avec le consentement de son
gendre.
Dans la seconde, les neveux et nièces de la donatrice
contractant mariage, celle-ci leur avait, par leur con
trat, assuré son entière succession. La même interdiction
de vendre ou d’hypothéquer accompagnait la donation
d’une manière absolue, seulement la donatrice s’était ré-
�ET DE LA FRAUDE.
395
servé la faculté de disposer à titre onéreux jusqu’à con
currence de cinq mille francs.
Dans l’une comme dans l’autre, il était formellement
stipulé que les époux ne prendraient la possession et la
jouissance des biens qu’au décès de la donatrice. Aucun
de ces actes n’avait reçu la formalité de la transcrip
tion.
Quel était le caractère de cette prohibition ? Etait-elle
opposable aux tiers-acquéreurs ou prêteurs postérieurs
au contrat? Etait-elle obligatoire pour le donateur luimême?
Dette question, parfaitement neuve, nous a paru de
voir être résolue par la négative. Par rapport au dona
teur, la restriction qu’il s’est imposée est frappée d’une
nullité radicale et absolue, comme violant une loi d’or
dre public et d’intérêt général, A l’égard des tiers, une
pareille clause serait non-seulement illégale, mais en
core monstrueuse et inique dans ses résultats.
Le droit de disposer de sa chose est l’attribut le plus
essentiel, le plus direct de la propriété. Le sacrifice de
ce droit, autorisé quelquefois, devait amener à ce résul
tat de frapper la richesse territoriale d’une indisponibi
lité funeste pour l’Etat, plus funeste encore pour le pos
sesseur lui-même.
Cet inconvénient grave s’était déjà réalisé sur une vas
te échelle lorsque, la révolution de 1789 arrivant, l’a
bolition de la main-morte parut indispensable et fut tout
d’abord prononcée. C’est aussi cette abolition que le Code
civil a consacrée.
�396
TRAITÉ DU DOL
La prohibition de la donation à cause de mort n’a pas
d’autre origine. Il répugnait à la raison que celui qui
n’a pas voulu actuellement se dépouiller de ses biens put
continuer à les posséder, mais sous l’obligation de ne
pouvoir les consacrer à ses propres besoins.
Il est vrai que le législateur a consacré une exception.
La donation pour cause de mort est permise en contrat
de mariage. Mais cette exception, commandée par la fa
veur due à celui-ci, a été expressément restreinte dans
des limites déterminées à l’endroit de l’irrévocabilité. Aux
termes de l’art. 1083, cette irrévocabilité se réduit à
l’interdiction de disposer à l’avenir à titre purement gra
tuit. La donation pour cause de mort, même par con
trat de mariage, reste donc ce qu’elle n’a jamais cessé
d’être, un testament. Seulement, et par une dérogation
au droit commun, ce testament est irrévocable. La vo
cation qu’il renferme assure à l’institué le droit d’em
pêcher toute libéralité ultérieure, la certitude de recueil
lir, à la mort de l’instituant, tout ce qui sera délaissé
par lui.
Ainsi, fidèle à la pensée qu’il importe de ne pas lais
ser, même momentanément, la propriété flottante et in
décise, le législateur ne s’en est pas départi, même à
l’endroit du mariage qu’il voulait favoriser. La donation
pour cause de mort n’est que le don de eo quod supererit. Jusqu’au décès, le donateur conserve le droit d’a
liéner à titre onéreux, et cela à proportion de ses be
soins, au gré même de ses caprices.
C’est cependant ce que la clause que nous examinons
�ET DE LA FRAUDE.
397
a pour effet de détruire. La prohibition que se fait le
donateur de toute aliénation à titre onéreux , rend sa
donation une véritable et pure donation à cause de mort.
En effet, il s’enlève l’attribut le plus essentiel de la pro
priété. Celle-ci ne passe pas cependant sur la tête du
donataire , qui ne la recevra qu’au décès. En réalité
donc, la propriété, dans son acception ordinaire, n ’ap
partient à personne, elle demeure condamnée à rester
immobile etindisponiblejusqu’à la réalisation de la con
dition. En d’autres termes, ce qui s’accomplit, c’est une
nouvelle main-morte qui, pour n’être que temporaire,
n’en offre pas moins tous les inconvénients qui ont fait
proscrire cet état des choses.
Pour valider une convention de ce genre, il faudrait
donc que la loi en eût conféré la faculté ou imposé le
devoir. Rencontrera-t-on cette disposition dans l’arti
cle 1082? Mais, nous l’avons déjà dit, cet article n’est
qu’une exception à la règle générale qui proscrit la
donation pour cause de mort. Cette exception est ellemême conditionnelle. C’est donc à celui qui en invoque
le bénéfice à prouver que ce bénéfice lui est dû. Il doit,
dans tous les cas, en accepter l’effet légal. Or cet effet
nous le rencontrons dans l’art. 1083, tout ce que la loi
autorise, c’est la prohibition de disposer à titre gratuit.
Aller au delà, c’est sortir des termes de la loi, c’est
se placer conséquemment dans l’impossibilité de se ré
fugier sous son égide. La clause que nous invalidons
fait plus encore, elle fait revivre la donation à cause de
mort dans toute son étendue. Elle se place donc en op-
�398
TRAITÉ DU DOL
position formelle avec l’ordre du législateur; elle mé
connaît et viQle sa défense formelle; elle ne peut dès
lors créer aucun lien obligatoire.
La nullité étant radicale, le donateur, en vertu des
principes que nous avons exposés, est donc, quoique
partie au contrat, recevable à la poursuivre lui-même.
Les motifs légaux motivant cette solution pourraient
être, par une supériorité de raisons incontestable, invo
qués dans l’intérêt des tiers. Mais, par rapport à eux,
la nullité, en ce qui les concerne, est surtout comman
dée par la raison et la justice.
Sans doute la loi doit protéger la partie elle-même
contre tout entraînement irrationnel, contre l’exagéra
tion de ses sentiments de bienveillance. Mais ce devoir
est plus rigoureux lorsqu’il s’agit de tiers contre les
quels on demande l’exécution d’un contrat auquel ils
sont demeurés étrangers, alors surtout qu’on n ’a à leur
reprocher ni négligence, ni imprudence.
Que celui qui traite avec un homme marié se fasse
représenter son contrat de mariage; qu’il ne soit pas
admis à se plaindre si, ayant négligé ce devoir, le sort
de sa créance se trouve compromis par les stipulations
de ce contrat, on le comprend. Quelque rigoureuse
qu’elle soit, cette solution n’est motivée que sur l’im
prudence et l’oubli d’un devoir consacré par la loi.
Mais qu’on fasse une obligation au créancier de con
sulter les contrats de mariage non seulement des enfants
du débiteur, mais encore de ses neveux, cousins, et
même des étrangers auxquels il a pu faire des dona-
�___
------------------
ET DE LA FRAUDE.
------ =
399
tions, ce serait pousser la rigueur au delà de toutes les
bornes imaginables.
Indépendamment, en effet, de l’impossibilité maté
rielle d’une pensée supposant la connaissance préalable
des divers mariages auxquels le vendeur ou l’emprun
teur a pu assister, l’acquéreur ou le prêteur n’a pas
même à s’en préoocuper. Il sait qu’il trouvera aux hy
potheques la trace des diverses affectations pouvant gre
ver la propriété qu’il achète ou sur laquelle il prêle. Lors
que le registre des transcriptions et celui des hypothè
ques sont muets, il ne doit supposer autre chose qu’une
absence de toute aliénation et de tous gages.
Or, que résultera-t-il, dans notre espèce, d’une re
cherche dans ces registres ? Rien évidemment, car la do
nation autorisée par l’art. 4082! n’est pas soumise à la
transcription. Comment, dès lors, connaître la clause
par laquelle le donateur a dérogé à l’art. 1083 ? Eh !
on pourrait l’opposer aux créanciers? Mais s’il s’agissait
d’une donation actuelle et irrévocable, qui n’eût pas été
transcrite, on ne pourrait s’en prévaloir contre eux, et
l’on voudrait les rendre victimes d’une clause qui n’était
susceptible de recevoir et qui n’a effectivement reçu au
cune publicité ?
Concluons donc que les tiers-créanciers ne sauraient,
moins encore que le donateur lui-même, souffrir d’une
convention dont la validité deviendrait pour eux un mo
yen assuré de ruine et de fraude. Ajoutons que cette va
lidité porterait le coup le plus funeste au crédit public.
Qui oserait acheter ou prêter, si après les plus minutieu-
*
�400
TRAITÉ DU DDL
ses précautions, si après la preuve de la propriété, ac
compagnée de la négation de toutes charges, on pouvait
être complètement dépouillés par l’effet d’un contrat de
mariage préparé dans ce dessein ?
La loi n’admet que deux manières de grever la pro
priété : l’aliénation , l’hypothèque. Or la dérogation à
l’art. 1083 n’est pas une aliénation, le donateur ne
perd pas, le donataire n’acquiert pas la propriété, elle
ne constitue pas une hypothèque, elle n’est donc qu’une
obligation de faire. Comme l’objet qu’elle se propose
est contraire à la foi publique, contraire à l’intérêt gé
néral , elle est insusceptible de produire un effet quel
conque.
1716.
— Pendant la durée de sa jouissance, l’usu
fruitier peut consentir des baux. Dans l’ancien droit, la
durée de ces baux était subordonnée à celle de l’usu
fruit. La mort de l’usufruitier amenait donc , comme
conséquence forcée, la résolution du bail qu’il avait con
senti.
Le Code a, avec sagesse, dérogé à un état des choses
ayant entre autres inconvénients celui d’occasionner un
grave préjudice au propriétaire lui-même. Un fermier
n’améliore que lorsque, par sa durée convenue, sa jouis
sance le met à même de profiter lui-même de ces am é
liorations. On s’impose, dans un bail de neuf ans, des
obligations qu’on ne contracterait pas, s’il ne devait du
rer qu’un an ou deux. Or, comment contracter à plus ou
moins long terme avec celui dont la mort, devant faire
�401
ET DE LA FRAUDE.
résoudre la convention, ne peut dès lors consentir qu’un
droit essentiellement aléatoire?
L’intérêt du nu-propriétaire, celui de la propriété ellemême exigeait donc qu’on affranchit le fermier de la
chance que lui imposait l’ancien droit. C’est ce qu’a fait
le Code qui maintient, à la mort de l’usufruitier, les
baux qu’il a consentis pendant sa vie, aux conditions re
quises par les art. 595 et 1429.
Mais l’obligation imposée au propriétaire d’exécuter
ces baux ne doit s’entendre que de ceux faits loyalement
et sans fraude. Si, par une collusion et pour nuire éven
tuellement à ses intérêts, le fermier et l’usufruitier s’é
taient entendus pour donner au bail un prix sans pro
portion avec la valeur réelle des biens ; si le véritable
prix avait été dissimulé dans l’acte et l’excédant payé à
l’usufruitier de la main à la main, et que le fermier pré
tendît ne payer à l’avenir que le prix apparent, le pro
priétaire serait recevable à prouver l’un et l’autre et à
obtenir la résiliation du bail.1
1717.
— Toutes les fraudes que nous venons d’indi
quer, et dont le donataire peut être victime, sont non
seulement dirigées contre lui, mais encore contre ses hé
ritiers. En conséquence, les actions qu’il peut exercer
passent à ceux-ci, ils peuvent les intenter et les pour
suivre comme il le ferait lui-même.
Ses créanciers jouiraient également de celte faculté,
1 V. supra, n°s 4001 etsuiv,
iv
v
26
�402
TRAITÉ DU DOL
soit en vertu de l’art, 4166, soitpar application de l’art.
4167. La certitude qu’a le donataire que les biens don
nés ne profiteront qu’à ses créanciers, peut le rendre fort
indifférent au sort futur de la donation. Dans ce senti
ment, on ne pourrait s’attendre à une bien vive résis
tance de sa part contre la fraude du donateur.
1 7 1 8 . — Dans d’autres circonstances, ce sera pis
encore, cette même fraude sera concertée entre celui-ci
et le donataire, car elle n’aura pour objet que de lui
faire arriver d’une manière détournée et indirecte, ce
dont il sera dépouillé d’une manière apparente, et cela
uniquement pour arracher aux créanciers le gage qu’ils
rencontreraient dans les biens donnés.
Il est donc juste d’autoriser les créanciers à faire tout
ce que l’éventualité d’un pareil préjudice et dans le cas
de leur inspirer. La fraude, sans doute, dans cette hy
pothèse, ne se présume pas plus que dans les cas ordi
naires, mais le silence, que le donataire s’imposerait en
présence d’une spoliation imminente ou consommée crée
rait un grave préjugé contre sa bonne foi, et cette cir
constance coïncidant avec l’existence de nombreux cré
anciers, dont le paiement doit nécessairement absorber
l’entier émolument de la donation, on supposerait faci
lement la fraude que ceux-ci allégueraient.
1719. — Le donateur est beaucoup moins exposé.
Toutes les fraudes qu’il a à redouter de la part du dona
taire se résument dans l’une des deux circonstances sui
vantes : inexécution des conditions, ingratitude.
�ET DE LA FRAUDE.
403
Mais l’effet de ces fraudes étant la révocation de la
donation, il est évident que le donataire est personnel
lement plus intéressé que le donateur à ne pas s’en ren
dre coupable. Donc, de l’un à l’autre, ces fraudes sont
peu probables et surtout fort peu à redouter pour ce
dernier.
1720. — Il n ’en est pas ainsi pour les créanciers
du donataire. Nous venons de le dire, la certitude que
les biens donnés seront absorbés par le paiement de ses
dettes peut engager le donataire à subir sans se plain
dre la fraude du donateur, à la concerter même. À plus
forte raison, celte conviction sera-t-elle dans le cas de
l'amener à rendre la révocation inévitable, en se déga
geant des liens d’une exécution devenue onéreuse, ou
en payant d’ingratitude les bienfaits qu’il a reçus.
A l’absence de tout autre intérêt que celui d’éteindre
ses dettes, chose à laquelle beaucoup de gens ne sem
blent pas tenir beaucoup, il peut s’adjoindre un autre
motif bien plus décisif. La révocation peut ne pas avoir
d’autre but que de favoriser la famille du donataire,
ainsi, cette révocation prononcée, le donateur reprendra
les biens, qu’il transmettra à celle-ci libres de toutes les
charges qu’elle eût dû subir sans la réalisation de cette
manœuvre. On comprend la gravité du préjudice que
les créanciers, que les tiers ayant traité avec le dona
taire pourraient souffrir d’un pareil calcul.
1 7 2 1 . — Les premiers ne seront devenus tels que
�404
TRAITÉ DU DOL
par suite du crédit que la possession des biens donnés
a procuré au donataire, et la révocation, annulant tout
droit de propriété, leur enlève toute espérance de rem
boursement. Les tiers, ayant acheté et payé des biens
qu’ils croyaient reposer incommutablement sur la tête
du vendeur, se verront dépouillés de la chose et du
prix qu’on se gardera bien de leur restituer.
Tel est en effet le caractère que l’art. 954 affecte à
la révocation pour inexécution des conditions. Elle fait
rentrer aux mains du donateur les biens donnés, libres
de toutes charges et hypothèques du chef du donataire ;
elle détruit tous les droits conférés par celui-ci, et auto
rise la revendication des immeubles contre les tiers-dé
tenteurs.
C’est aussi ce moyen que la fraude exploitera de pré
férence; à la facilité qu’il offre, s’unit l’énergie des ef
fets, et ce sera surtout en considération de ces derniers
qu’on recourra à la fraude que nous indiquons.
1722.
— Pour se défendre utilement contre ce dan
ger, les tiers-créanciers ou possesseurs devaient être au
torisés à se substituer au donataire dans l’exécution des
conditions que celui-ci n’aurait pas remplies, ou refu
serait de remplir à l’avenir. C’est ce que la Cour de Bor
deaux a formellement jugé le 7 décembre 1829.
La Cour de Biom a consacré ce même principe, mais
pour que la demande soit recevable, elle exige que les
créanciers prennent l’engagement personnel de remplir
les conditions portées en l’acte entre vifs, à la révoca-
�ET DE LA FRAUDE.
405
tion duquel ils s’opposent, et que cet engagement pré
sente pour l’avenir les garanties les plus positives. Dans
l’espèce de cet arrêt, les biens, ayant été saisis sur la
tête du donataire , étaient revendiqués par le donateur,
au bénéfice de la demande en révocation pour cause
de non paiement d’une rente viagère qui en avait été la
condition. Les créanciers saisissants offraient, pour em
pêcher cette révocation, de n’adjuger les biens qu’à la
charge des prestations imposées par le donateur, ou de
laisser en mains de l’adjudicataire les sommes destinées
à y faire face. Mais cette offre fut jugée insuffisante ,
incapable de garantir le paiement à venir de ce qui était
dû au donateur et n’équivalant aucunement à l’engage
ment personnel que les créanciers auraient dû contrac
ter pour empêcher la révocation.1
Cette décision nous paraît rationnelle. La loi empêche
la révocation lorsqu’elle acquiert la certitude que le
droit du donateur, complètement assuré pour l’avenir,
n’éprouvera plus, aucun retard dans son exécution. Cette
certitude naît incontestablement de cette circonstance
qu’à la garantie offerte par les biens donnés, vient s’ad
joindre celle d’un ou de plusieurs créanciers dont la
solvabilité répond de l’engagement qu’ils contractent.
Mais cette certitude n’existe plus si les créanciers se
bornent à laisser*seulement une partie des biens donnés
affectés à la dette répondue sur leur généralité. Sans
doute, la somme laissée en mains de l’adjudicataire est
destinée à faire face à la prestation annuelle, mais l’acî Riom, 3 janvier 1826.
�406
TRAITÉ DU DOL
cumulation possible des arrérages fait disparaître cette
garantie elle-même , puisqu’en cas d’insolvabilité de
l’adjudicataire, la somme entamée par le paiement de
ces arrérages ne donnera plus annuellement un intérêt
suffisant. Au lieu de voir ses garanties diminuer, le
donateur doit en trouver un surcroît dans l’accession
des créanciers , et ce résultat ne peut être atteint que
par l’engagement personnel qu’ils contracteront à son
égard.
A cette condition, la donation sera maintenue, et les
droits des tiers sauvegardés contre la mauvaise volonté,
contre le malheur, contre la fraude. Cette condition el
le-même n’a rien que de fort juste, celui qui se dé
pouille de ses biens ne peut être contraint de tenir ses
engagements que si on respecte ceux qu’il a imposés en
échange de sa libéralité. D’autre part, ceux qui ont traité
avec le donataire, qui ont consulté son titre, n’ont pu
ignorer la nature de ses droits. La faculté qu’on leur
donne de se livrer eux-mêmes à l’exécution des obliga
tions que celui-ci ne veut ou ne peut remplir et qui est
pourtant la condition substantielle de ces mêmes droits,
ne saurait donc exciter leurs plaintes et moins encore
être taxée d’injustice.
1725.
— La révocation pour ingratitude ne saurait
être conjurée par les créanciers, ils ne peuvent se faire
substituer à cet égard aux obligations toutes personnel
les de leur débiteur.
Ce point de vue n’a pas échappé au législateur, il a
été au contraire pris en sérieuse considération lorsqu’il
�ET DE LA FRAUDE.
407
s’est agi de caractériser l’ingratitude, d’en établir les ef
fets à l’encontre des tiers.
Ces effets sont réglés par l’art. 958, la révocation
pour cause d’ingratitude ne préjudiciera ni aux aliéna
tions faites par le donataire, ni aux hypothèques et au
tres charges réelles qu’il aura pu imposer sur l’objet de
la donation, pourvu que le tout soit antérieur à l’ins
cription qui aurait été faite de l’extrait de la demande,
en marge de la transcription prescrite par l’art. 939.
Ainsi, à la différence de la révocation pour cause
d’inexécution des conditions, rétroagissant au jour du
contrat, et effaçant tout ce qui a pu se réaliser dans
l’intervalle, celle pour ingratitude n'a d’effet qu’à par
tir du moment où se réalise l’acte la constituant. Dans
ce derniers cas, le donateur a le tort d’avoir mal placé
ses bienfaits. Cette erreur est même, en ce qui le con
cerne, une véritable faute dont il doit supporter les con
séquences, il serait aussi absurde qu’injuste d’en repor
ter la responsabilité sur des tiers, que le choix du do
nateur devait naturellement rassurer à cet égard.
On peut sans doute prévoir une inexécution et s’en
préoccuper, on ne peut raisonnablement en agir de
même contre une ingratitude que rien ne fait présu
mer. En conséquence, si elle se réalise, les tiers, qui
ont jusque là de bonne foi traité avec le donataire, n’ont
aucune faute à se reprocher. Leur droit doit donc être
essentiellement respecté.
Pour qu’on pût leur reprocher une faute, il faudrait
qu’ils eussent été à même de connaître la conduite du
�408
TRAITÉ DU DOL
donataire. Cette condition se réalisant par l’inscription
de la demande en révocation, à la marge de la trans
cription, ceux qui ont traité postérieurement seront seuls
déchus des droits aussi imprudemment acquis.
Mais la certitude de l’inévitable préjudice qu’ils sont
dans le cas de subir serait une raison suffisante pour
leur reconnaître, comme à tous les créanciers cédulaires, le droit d’intervenir dans l’instance en révocation
qui doit dans tous les cas être ordonnée par justice.
Sans doute ils ne pourront se substituer aux obligations
de leur débiteur et faire par ce moyen repousser la ré
vocation. Mais ils sont recevables à en contester le mé
rite, à soutenir qu’elle n’a pas été réalisée en temps uti
le, ou que les faits sur lesquels elle repose n’ont pas la
gravité requise.
1 7 2 4 . — L’ingratitude, en effet, est quelque peu
une abstraction dont il importait de déterminer le carac
tère, relativement à la révocation qu’elle est dans le cas
d’autoriser. Son appréciation arbitraire ouvrait une trop
large issue à la fraude , une carrière beaucoup trop
vaste à de nombreux procès.
L’art. 955 répond à ce double danger et les évite l’un
et l’autre. L’ingratitude, dont le législateur a voulu par
ler et qu’il punit de la perte de la libéralité, n’existe :
1" Que si le donataire attente à la vie du donateur;
2° Que s’il s’est rendu coupable envers lui de sévi
ces, délits ou injures graves ;
3° Que s’il lui refuse des aliments.
�ET DE LA FRAUDE.
,
409
1 725. — Les deux premiers faits n’ont la consé
quence signalée que si leur matérialité est accompagnée
de la culpabilité, la certitude du défaut d’intention de
vrait faire maintenir la donation. Ainsi, si l’attentat ou
le délit n ’avait eu lieu que dans le cas de légitime dé
fense ; s’il était le résultat de la démence ou le produit
d’une imprudence ou de l’inobservation des règlements,
la demande en révocation serait repoussée.
De là encore cette autre conséquence que le fait re
proché doit être personnellement imputable au dona
taire. L’acte imputable à l’héritier, au mari, au tuteur
n’autoriserait pas la révocation contre le père, la femme
ou le mineur.
1 7 2 6 . — Les délits prévus par l’art. 955 doivent
être entendus non seulement des actes contre la per
sonne , mais encore de toute atteinte dirigée contre la
fortune du donateur.' Néanmoins ces derniers ne mo
tiveraient la révocation que si, par leur gravité, ils ont
compromis ses moyens d’existence. Cette condition, con
sacrée par notre ancienne jurisprudence, est aujour
d’hui unanimement recommandée. Tel ne serait donc
pas évidemment un délit de chasse, par exemple. C’est
conséquemment avec juste raison que MM. Duranton et
Poujol enseignent qu’un pareil délit ne saurait devenir
la base d’une poursuite en révocation.
Les délits commis contre les ascendants ou descen1 Paris, 17 janvier 1833,
�410
TRAITÉ DU DOL
dants du donateur, contre son conjoint ou ses autres
proches parents , ne pouvant être considérés comme
commis envers lui, ne remplissent pas la condition im
périeusement exigée par l’art. 955. Ils ne pourraient
donc, comme tels, devenir la matière d’une révocation,
mais ils pourraient être avec juste raison envisagés com
me injures graves envers le donateur et se ranger com
me telles dans la catégorie des causes l’autorisant.
1 7 2 7 . — L’art. 955 n’exigeant plus que le dona
taire ait été condamné, ainsi que l’art. 727 le veut pour
l’indignité de l’héritier, il en résulte que l’absence de
condamnation, que celle même de toute poursuite cri
minelle contre le donataire , ne pourrait créer aucun
obstacle à la demande en révocation. Il suffirait pour
la faire admettre que l’attentat ou le délit fût établi dans
la poursuite dont on aurait investi le tribunal civil.
1 7 28. — La gravité des sévices et injures est aban
donnée à l’appréciation du juge. Mais il est une obser
vation générale que nous trouvons dans M. Coin-Delisle, et qui, empreinte d’une évidente sagesse, nous pa
rait devoir être la règle constante de cette appréciation.
La loi, dit ce savant jurisconsulte, ne dépouille le dona
taire qu’autant que le fait procède de sa volonté et de
l’ingratitude de son âme. Outre le fait matériel, elle
veut que le donataire s’en soit rendu coupable envers
le donateur; d’où il suit que de simples torts, ou des
faits blâmables en eux-mêmes, mais qui trouveront leur
�ET DE LA FI1AUDE.
411
excuse dans un premier mouvement, dans des habitu
des grossières, dans une évidente provocation du dona
teur, n'entraînent pas toujours la révocation.
Par application de cette doctrine, la Cour de Toulouse
a jugé qu’une donation faite par un père à son fils ne
doit pas, sur la demande du donateur, être révoquée
pour cause d’ingratitude, par cela seul que le fils a,
dans une lettre, traité le donateur de voleur; alors sur
tout que la lettre, d’ailleurs sans signature et sans adres
se, n’était destinée à aucune publicité et n’en a reçu au
cune; qu’elle a été écrite, après un grand nombre d’an
nées d’une conduite irréprochable de la part du fils en
vers le père, dans le cours d’une contestation judiciaire
où la résistance du père avait été reconnue mal fondée,
et en réponse à une demande réputée injuste, et surtout
encore si les parties sont des personnes dont l’éducation
ait été négligée.*
1729.
— Le refus d’aliments, surtout lorsque le
donateur en éprouve un besoin urgent et ré e l, est un
acte d’inhumanité et d’odieuse ingratitude envers son
bienfaiteur. On ne comprend donc pas la controverse
que la question de s’avoir s’il devait autoriser ou non
la révocation de la donation avait fait naître sous l’em
pire de notre ancien droit.3 L’art. 955 l’a tranchée de
de la seule manière possible et convenable.
1 29 avril <1835.
s V. Furgole Test., cÜap. 2, sect. 1re, n° 67 ; — Ricard, part. 3, nos
7 00 et suiv. ; — Pothier, Donat., sëct. 3, art, 3, § \ ,
�412
TRAITÉ OU DDL
Mais ce n’est pas refuser des aliments que de con
tester soit l’opportunité et la nécessité de la demande,
soit le chiffre auquel elle a été portée ; les besoins peu
vent n’être pas réels, le chiffre peut être tellement exa
géré que, dans son ensemble, la prétention ne soit qu’un
moyen calculé pour amener une inévitable résistance ,
et arriver ainsi à faire prononcer la révocation. Il suffit
donc que le donataire ait pu de bonne foit se croire au
torisé à contester , pour que la condamnation absolue
de sa prétention ne puisse avoir d’autre conséquence
que celle de l’obliger à l’exécuter dans l’avenir, sous pei
ne de révocation.
Il en devrait être et il en serait autrement si la détresse
du donateur était notoire, si le chiffre des aliments qu’il
réclame était d’une évidente, d’une incontestable modé
ration, dans la proportion avec l’importance des biens
donnés. Dans cette hypothèse, la résistance du donataire
ne serait qu’un refus d’aliments, déguisé sous un pré
texte spécieux, qui ne devrait pas l’affranchir des con
séquences de sa mauvaise foi.
1750.
— L’art. 956 dispose que, dans aucun cas,
la révocation n’est de plein droit acquise. Les conséquen
ces de cette règle sont importantes pour les tiers ; elles
leur assurent les deux résultats suivants :
1° La révocation devant être prononcée par justice sa
poursuite donnera lieu à une instance dont la publicité
éveillera nécessairement la sollicitude de tous ceux que
son issue peut intéresser. Chacun d’eux pourra, dès lors
�ET DE LA FRAUDE.
413
se présenter dans l’instance et y intervenir pour veiller
à la défense de ses droits et les mettre à l’abri de toute
collusion et de toute fraude ;
2° La révocation, respectivement consentie, ne peut
avoir d’effets qu’entre les parties. On ne pourrait l’op
poser aux tiers sans leur conférer le droit d’en appeler
à la justice. Le débiteur peut bien disposer de ce qui
lui appartient ; mais toute disposition de nature à en
lever un droit acquis à un tiers ne saurait être valable
ment faite qu’autant que celui-ci a été mis à même de
se défendre.
Ce principe est tellement absolu que, dans l’hypo
thèse d’une révocation pour cause d’inexécution des
conditions, le jugement ne serait définitif contre les
créanciers hypothécaires et les tiers-détenteurs, qu’au
tant que, appelés en cause, l’exécution commune en a
été contradictoirement prononcée contre eux. Sans
doute, le donateur n’est pas tenu de réaliser cet appel,
mais son absence laisse subsister pour les tiers la faculté
de former tierce opposition au jugement et de le faire
rétracter, en offrant, au besoin, l’exécution refusée par
le donataire.
1751.
— L’action du donateur en révocation pour
cause d’inexécution n’est et ne pouvait être soumise
à aucun délai. L’inexécution se renouvelle à chaque
échéance de l’obligation, et ce n’est qu’en tant qu’elle
n’a jamais cessé que l’action serait recevable. Si, après
un intervalle quelconque de suspension, l’exécution avait
�414
TRAITÉ DU DOL
été reprise d’un commun accord et continuée sans in
terruption nouvelle, le donateur ne pourrait plus, sous
aucun prétexte, exciper d’une inexécution précédente ,
complètement effacée.
Mais l’action pour inexécution passe aux héritiers du
donateur. Par rapport à ceux-ci; l’obligation d’exécuter
ayant cessé d’exister au décès du donateur, la prescrip
tion trouve, dans ce décès, un point de départ certain.
L’absence de toute réclamation, dans les dix ans de ce
décès, éteindrait donc toute action ultérieure.
L’action en révocation pour cause d’ingratitude se res
treint entre le donateur et le donataire. Elle ne peut dit
l’art. 957, être poursuivie par le donateur contre les hé
ritiers du donataire, ni par les héritiers du donateur con
tre le donataire
La personnalité de l’ingratitude et l’injustice de la
punir sur ceux qui y sont demeurés étrangers déter
mine la première règle. La présomption du pardon ,
toujours facultatif pour l’offensé, a fait consacrer la se
conde. Mais cette présomption n’est acquise, aux ter
mes de notre article, que si le donateur est resté un an,
à compter du jour du délit imputé ou de celui de sa
connaissance, sans intenter l’action. Conséquemment si
le donateur est mort avant l’expiration de ce délai ou
si, avant de décéder, il a réalisé la poursuite, ses héri
tiers seront recevables à l’intenter ou à la continuer con
tre le donataire.
Ainsi, la révocation pour cause d’ingratitude se pres
crit par un an. Elle peut, de plus, être querellée en la
�ET DE LA FRAUDE.
415
forme, sous le rapport de la personne qui l’intente, au
fond, comme ne constituant pas l’un des faits prévus
par l’art. 955. On comprend, dès lors, toute l’utilité du
droit d’intervenir, de celui de former tierce opposition
que nous reconnaissons aux créanciers que cette révoca
tion peut intéresser.
1752. — Toutes les actions qui se transmettent aux
héritiers et qui ne sont pas, dès lors, exclusivement at
tachées à la personne peuvent être exercées par les cré
anciers de l’ayant-droit, en force de la disposition de l’art.
1166. De cette règle, il résulte que le silence ou l’inac
tion du donateur fondé à poursuivre la révocation au
torise ses créanciers à le faire en son lieu et place.
Les fins de non recevoir tirées de la renonciation à
se pourvoir à l’endroit de l’inexécution, delà prescrip
tion annale en matière d’ingratitude, opposables au do
nateur, le seraient également aux créanciers. Il y a ce
pendant, entre l’une et l’autre, cette différence que la
renonciation pourrait être attaquée comme contrevenant
à l’art. 1167, tandis que la prescription annale, défini
tivement acquise, formerait un obstacle invincible au
succès de leur demande.
1753. — L’art. 959 déclare les donations faites par
contrat de mariage non révocables pour cause d’ingra
titude. Elles sont donc, quant à l’inexécution des condi
tions, sur la même ligne que toutes les autres. La règle
à l’endroit de l’ingratitude reçoit même exception pour
�416
TRAITÉ DU DOL
les avantages entre époux que la séparation de corps
fait révoquer.
1 734.
— Les substitutions fidéicommissaires, pro
hibées dans les libéralités testamentaires, le sont égale
ment dans les actes entre vifs. Les caractères auxquels
on doit les reconnaître, les effets qu’elles produisent
étant identiques dans les deux cas, nous nous en réfé
rons au règles que nous avons exposées dans le para
graphe précédent.’
s IV.
E m p ru n ts
et
V en tes.
SOMMAI RE .
1735. Facilités que ces actes donnent pour la fraude.
1736. Leurs effets en matière commerciale.
1737. Précautions prises à cet égard. A quoi a tenu leur ineffi
cacité.
1738. Modifications introduites par la loi de 1838.
1739; Effets de la poursuite intentée personnellement par un
créancier.
1740. Effets et caractères de la simulation dans les emprunts ou
ventes en matière de déconfiture civile.
1741. La simulation d’une obligation peut être opposée par un
créancier postérieur.
�ET DE LA FRAUDE.
417
1742.
1743.
1744.
1745.
Fondement de cette doctrine.
Caractère de la vente à rente viagère et à fonds perdu.
Elle exige l ’existence d’un risque sérieux et certain.
Cette condition doit-elle être reconnue dans la vente mo
yennant une rente viagère inférieure ou à peine égale
au revenu des biens ?
1746. Quidsi, indépendamment du paiement delà rente, l ’ache
teur a payé une partie quelconque du prix ?
1747. L’action en lésion est-elle recevable contre la venteàfonds
perdu.?
1748. Résumé.
1749. Eléments’de l’appréciation du juge pour connaître s’il y a
lieu à nullité ou à rescision.
1750. Nullité de la vente à fonds perdu, si le crédit rentier est
mort au moment du contrat.
1751. Différence, à cet égard, entre celte vente et l ’assurance
maritime.
1752. Nullité de la vente à rente viagère constituée sur la tête
d’une personne atteinte de la maladie dont elle est
morte dans les vingt jours de l ’acte.
1753. Applicabilité de l ’art. 1795, si le contrat est fait par la per
sonne malade et en sa faveur.
1754. Cette nullité est d’ordre public. Conséquences qu’en tire
M. Dalloz, quant à la renonciation que les parties fe
raient de s’en prévaloir.
1755. La vente sous seing privé fait-elle foi de sa date contre les
héritiers du vendeur agissant en vertu de l ’art. 1795?
1756. Arrêt notable de la Cour de cassation consacrant la né
gative.
1757. Son caractère juridique.
1758. Conséquences de cette doctrine. Est-ce à l’acquéreur à
prouver, et peut-il prouver que l’acte a été souscrit
avant la maladie et à sa date?
ir
27
�418
1759.
1760.
1761.
1762.
1763.
1764.
1765.
1766.
1767.
1768.
1769.
1770.
1771.
1772.
1773.
TRAITÉ DU DOT,
Conditions exigées pour que la nullité puisse être pro
noncée.
L’art. 1795 est-il applicable au cas où la rente a été con
sentie en faveur de deux ou de plusieurs personnes?
Que doit-on statuer lorsque de plusieurs créd iren tiers,
les uns sont morts dans les vingt jours de la maladie
dont ils étaient atteints au jour de la vente, et que les
autres ont survécu?
La rente viagère constituée à titre onéreux est saisissable
et cessible.
Effets de l ’admission de l’action des créanciers contre une
vente quelconque.
Peuvent-ils revendiquer l ’immeuble revendu par le com
plice de la fraude du débiteur ?
Fraudes dont la vente de droits successifs peut devenir l’oc
casion.
L’opposition à la levée des scellés, faite avant la vente,
la rendrait sans effet contre les créanciers oppo
sants.
Mais le créancier qui ne s’est pas opposé ne perd pas le
droit de l’attaquer en vertu de l’art. 1167.
Présomptions tirées de l’exagération du prix.
Autre motif que peut avoir cette exagération. Ses consé
quences par rapport au retrait successoral.
Par qui doit être établi le juste prix, lorsqu’il est impos
sible de préciser celui qui a été réellement payé et
reçu?
Arrêt de la Cour de Paris qui en confie l’appréciation an
juge saisi de l ’action en retrait. Sagesse de sa doc
trine.
Conséquences de l’obligation du retrayant de restituer le
prix réel, à l’endroit des droits d’enregistrement, des
frais et honoraires personnels au cessionnaire.
La demande en retrait doit-elle être précédée ou accompa
gnée de l’offre réelle de restituer le prix ?
�ET T)E LA FRAUDE.
1774.
1775.
1776.
1777.
1778.
1779.
1780.
1781.
1782.
1783.
1784.
1785.
1786.
1787.
1788.
419
Influence de la dénonciation de l’intention d’exercer le re
trait sur les actes ultérieurs du cédant et du cession
naire.
Le cessionnaire évincé par le retrait n ’a aucune garantie
à exercer contre le cédant.
Arrêt de la Cour de cassation qui prohibe toute stipulation
contraire.
Application des principes de la matière à la donation dis
simulant une vente.
A la vente qu’on soutiendra n’être qu’une donation dé
guisée.
Effets de la ratification imputée au relrayant. Caractères
qu’elle devrait avoir..
L’action en retrait est irrecevable après l’accomplissement
du partage. Quid, si le partage contradictoirement fait
avec le cessionnaire vient à être rescindé ?
L’art. 1699 fait pour les droits litigieux ce que l ’art. 841
fait pour les droits successifs. Motifs du premier.
Système qui avait été suivi par le droit romain sur les ca
ractères de la vente.
Admis par notre art. 1699.
Difficulté que peut faire naître la question de savoir s’il y
a vente ou donation.
Droit du retrayant de soutenir que le prix indiqué n’est
pas sincère.
Le droit au retrait est absolu. Il peut être exercé pour la
première fois en cause d’appel.
Arrêt de la Cour de cassation restreignant cette faculté au
débiteur, à ses représentants légaux, et la refusant
aux créanciers. Critique.
La décision du procès empêche tout retrait ultérieur. Con
séquences. Nécessité d’opter Irrecevabilité du retrait
demandé par conclusions subsidiaires et en cas de
succombance.
�420
4789.
1790.
1791.
1792.
1793.
1794.
4795.
1796.
1797.
1798.
1799.
1800.
1801.
1802.
4803.
1804.
TRAITÉ DU DOD
Exception que cette règle comporte dans l’hypothèse où
la cession a été cachée à la partie intéressée.
Caractère et motifs des exceptions que l ’art. 1701 consa
cre à la disposition de l ’art. 1699.
Faut-il restreindre celle relative au cohéritier aux cessions
obtenues du cohéritier et à l ’endroit des actions héré
ditaires ?
Prohibitions spéciales en matière de droits litigieux créée
par l ’art. 1597.
Effet de sa violation. Difficulté sur l’application des règles
relatives à l’interposition de personne.
La nullité de la cession faite à l ’incapable profite surtout
au débiteur cédé.
Aucune garantie ne peut être poursuivie contre le cédant.
L’acquéreur d’un office qui a dissimulé le prix peut-il être
poursuivi en dommages-intérêts par les créanciers du
vendeur, en fraude desquels cette dissimulation a été
pratiquée?
Caractère légal et juridique de l’affirmative.
Son efficacité sur la répression de l ’abus qu’on veut pros
crire.
L’action des créanciers ne peut tendre qu’à la réparation
pécuniaire du préjudice.
La complicité de l ’acheteur peut être établie par témoins
et par présomptions,
Responsabilité de celui-ci, en cas de fausse déclaration sur
la saisie-arrêt entre ses mains.
Les paiements partiels reçus par le vendeur, et les ces
sions qu’il a faites du prix, avant l’approbation [du
gouvernement, sont-ils valables?
Arrêts des Cours de Paris et d’Angers admettant la né
gative.
Arrêt, en sens contraire, de la Cour d’Aix. Est plus ju ri
dique. Motifs sur lesquels il se fonde.
�ET DE LA FRAUDE.
4805.
1806
421
A été sanctionné par la Cour de cassation.
Les quittances justifiant les paiements sont-elles opposa
bles aux créanciers, alors même qu'étant sous seing
privé, elles n ’ont pas acquis date certaine.
1 7 3 5 . — Les actes d’obligation et de vente sont les
agents les plus actifs, les auxiliaires les plus usuels de
la fraude contre les tiers. Sans cesse à la disposition du
débiteur, ils se prêtent merveilleusement à dissimuler
l’actif qu’il a le projet de soustraire aux exécutions des
créanciers, réduits bien souvent à soupçonner la fraude
sans pouvoir la prouver. La facilité de cette fraude, ses
chances de succès expliquent le fréquent recours dont
elle est l’objet de la part des débiteurs de mauvaise foi.
1 7 3 6 . — C’est surtout en matière commerciale que
sa perpétration est dans le cas d’entraîner des effets dé
sastreux. Ceux qui traitent avec un commerçant consi
dèrent son crédit bien plutôt que sa fortune réelle. Les
transactions commerciales excluent, le plus souvent,
toute affectation hypothécaire, dont la forme et les len
teurs sont peu compatibles avec la rapidité qu’elles exi
gent , de manière que les immeubles du débiteur de
meurent habituellement libres entre ses mains, qu’ils
peuvent être, dès lors, aliénés sans obstacle dès que le
besoin s’en fait sentir. Or, ce qui résulte de cette alié
nation, c’est que la valeur la plus claire, la plus nette
de l’actif se trouve irrévocablement perdue pour les
créanciers au moment où, la faillite se réalisant, ils se
raient dans le cas d’en poursuivre la liquidation pour le
�4221
TRAITÉ DU DOL
paiement de ce qui leur est dû ; c’est que cette même va
leur, si l’aliénation est simulée, se trouve à la disposi
tion réelle du débiteur et lui fournit le moyen de bra
ver ses créanciers, de leur imposer la loi.
1 757. — Cet inconvénient si grave, poussé jusqu’au
scandale sous l’empire de la loi ancienne, avait éveillé
la sollicitude des auteurs du Code de commerce et leur
avait dicté les dispositions relativement aux actes sous
crits dans un temps contemporain ou voisin de la fail
lite. Mais ce remède, quelque énergique qu’il soit, peut
être rendu inefficace par la mauvaise foi. En effet, un
commerçant, dont le crédit n’a encore subi aucune at
teinte apparente, ne peut pas ignorer sa véritable situa
tion , et elle peut être telle, qu’elle lui fasse entrevoir
une faillite plus ou moins imminente. C’est ce moment
que la fraude exploitera, car celui qui veut tromper n’hé
sitera pas à le faire d’une manière utile; non seulement
il aliénera les biens qu’il veut soustraire lorsqu’il sera
encore en plein crédit, mais il saura, au prix même de
quelques sacrifices , retarder sa chute pour qu’on ne
puisse atteindre les actes simulés sous le rapport que
nous indiquons.
*La simulation de dettes entraîne, de son côté, un ré
sultat non moins fâcheux, non moins dangereux pour
les créanciers sincères; elle introduit, dans la faillite,
un élément qui en dénature le caractère, qui en fausse
les opérations. Indépendamment de la nécessité d’éta
blir la répartition sur une base plus étendue, on com-
�ET DE LA FRAUDE.
423
prend que les créanciers de complaisance n’hésiteront pas
à accueillir les propositions du failli, et que, voté par
eux, le concordat, auquel ils auront assuré la majorité
requise, imposera d’énormes sacrifices aux créanciers
sérieux, obligés d’en subir les effets.
Cette double éventualité a, de tout temps , excité les
plus vives, les plus incessantes réclamations, mais l’abus
ne s’en est pas moins perpétué. Il n’est peut-être pas de
faillite dans laquelle il ne s’exerce sur une échelle plus
ou moins large. Hâtons-nous de le dire, cependant, le
reproche ne peut s’adresser au législateur ; ce n’est pas
la loi qui a manqué aux hommes, ce sont les hommes
qui ont manqué à la loi.
En effet, le Code de 1807 s’était armé de toute sa sé
vérité contre l’un et l’autre de ces actes. Ainsi, l’arti
cle 593 déclarait banqueroutier frauduleux celui qui
avait fait des ventes, des négociations ou donations si
mulées; celui qui avait supposé des dettes passives et
collusoires entre lui et des créanciers fictifs, en faisant
des écritures simulées ou en se constituant débiteur ,
sans cause ni valeur, par des actes publics ou par des
engagements sous signature privée.
L’art. 597 punissait, comme complices de la banque
route frauduleuse , ceux qui s’étaient entendus avec le
failli pour recéler ou soustraire tout ou partie de ses
biens meubles ou immeubles, ou qui avaient acquis sur
lui des créances fausses et qui, à la vérification et affir
mation de leurs créances, avaient persévéré à les faire
valoir comme sincères et véritables.
�La peine édictée contre la banqueroute frauduleuse
était celle des travaux forcés à temps. L’application éner
gique de la loi était donc dans le cas sinon d’anéantir
complètement l’abus, au moins de l’atténuer sensible
ment. L’étrange complaisance que le failli a toujours
rencontrée chez ses créanciers eux-mêmes a seule em
pêché ce résultat.
Malheureusement le Code de commerce laissait la
masse de la faillite tenue des frais de poursuite dans le
cas de condamnation. Celte obligation onéreuse avait
entraîné cette double conséquence que non seulement
les créanciers ne prenaient pas l’initiative des poursui
tes , mais encore que lorsque le ministère public les
exerçait d’office, tous leurs efforts, conformes à leurs
vœux, à leurs intérêts, tendaient à l’acquittement de
l’accusé.
1 738. — La loi de 1338 a fait disparaître ce motif
en décidant, qu’en cas de condamnation , les frais ne
pourraient être répétés contre la masse. De plus, et sous
son empire, la banqueroute frauduleuse, dont la loi
ancienne énumérait les faits constitutifs, énumération
que la doctrine et la jurisprudence considéraient comme
limitative et restrictive, existe par cela seul que le failli
a soustrait ses livres, détourné ou dissimulé une partie
de son actif, ou qu’il s’est frauduleusement reconnu dé
biteur de sommes qu’il ne devait pas, soit dans ses écri
tures , soit par des actes publics ou des engagements
sous signature privée, soit par son bilan.
�ET DE LA FRAUDE.
425
Quel que soit donc le moyen employé, la culpabilité
est la conséquence immédiate de l’existence d’un des
faits indiqués. Le législateur a donc dégagé la pour
suite des obstacles qui venaient l’entraver sous l’empire
du Code. Obtiendra-t-il le résultat qu’il s’est proposé ?
il est permis, malheureusement, d’en douter. On ne
change pas facilement les habitudes invétérées, et l’in
dulgence des créanciers en matière de faillite est de na
ture à condamner la loi nouvelle à n’être que ce que
le Code de commerce a toujours été, une menace à peu
près vaine.
Quoi qu’il en soit, il n ’est pas douteux qu’en matière
commerciale la simulation de dettes sans cause ni va
leur réelle et la vente mensongère d’un immeuble pren
nent, dans le cas de faillite, le caractère de crimes. Le
droit des parties intéressées d’en poursuivre la répres
sion par la voie civile ou criminelle ne saurait devenir
l’objet d’un doute. La preuve du véritable Caractère de
l’acte ferait exclure le créancier supposé de toute répar
tition et rentrer à la masse les immeubles prétendus
aliénés. Indépendamment de la peine encourue par le
failli et son complice, ce dernier pourrait, de plus, être
condamné à des dommages-intérêts.
f
1759. — Ce que la masse, représentée parles syn
dics, peut faire, chaque créancier peut, personnellement
l’accomplir. Mais, dans l’une comme dans l’autre hypo
thèse, le résultat est le même. Ainsi, la nullité de l’obli
gation ou de la vente, obtenue par un créancier seul,
�426
TRAITÉ DU DOL
profite à la masse et non à ce créancier personnelle
ment. Quant aux dommages-intérêts auxquels le com
plice peut être condamné, le créancier poursuivant a
droit de les obtenir. C’est, là le juste équivalent des frais
auxquels il s’expose par une poursuite devant laquelle
la masse a mal â propos reculé.5
1 740. — La déconfiture civile laisse à la simula
tion, ayant pour objet d’accroître le passif ou de dimi
nuer l’actif, le caractère d’une simple fraude. Elle se
trouve donc régie par les règles ordinaires de la matiè
re. Dirigée essentiellement contre les créanciers, chacun
d’eux a, incontestablement, qualité pour en poursuivre
la répression et droit de l’obtenir en prouvant : ou que
la somme prétendue reçue par le débiteur n’a jamais été
comptée par le porteur de l’obligation, ou que la vente
n’a jamais eu de prix réel. Nous avons déjà dit que
cette preuve peut être faite tant par titres que par té
moins et par présomptions.
1 7 4 !. — L’unique difficulté que puisse soulever
l’action des créanciers, est celle qui naîtrait de la date
de leurs litres. En thèse ordinaire, l’action de l’art. 1167
n’est ouverte que pour les actes faits en fraude des droits
de celui qui prétend l’exercer. Dès lors, si le titre de
celui-ci est postérieur à l’acte attaqué, le porteur de ce
dernier pourra exciper de cette circonstance comme
créant une fin de non-recevoir contre la demande.
1 V
n o tre
Traité des faillites,
a rt. 601, n °s 1304 e t 1305.
�ET DE LA. FRAUDE.
427
Nous nous sommes déjà occupés de cette difficulté, ce
qui nous permet de nous en tenir à rappeler la conclu
sion à laquelle nous sommes arrivés. La fin de non-re
cevoir devra être accueillie, lorsque l’acte attaqué par
le créancier est une aliénation ; on la repoussera, lors
que, s’agissant d’une obligation, c’est dans la distribu
tion de l’actif du débiteur que la contestation sur sa
validité se trouve engagée.'
174-2. — Cette conclusion a son fondement juridi
que dans cette raison décisive que la vente, par la pu
blicité qu’elle reçoit, par les formalités qu’elle exige ,
par le transfert effectif de la propriété qu’elle opère, ne
peut être présumée faite au préjudice ou en fraude des
créanciers futurs. Cela est surtout vrai lorsque, régu
lièrement transcrite, elle a été effectivement exécutée par
le désinvestissement matériel du vendeur. Comment
donc les créanciers postérieurs pourraient-ils en contes
ter l’effet, alors même que cette vente n’aurait aucun
prix sérieux et réel? Mais, avant de devenir leur débi
teur, le propriétaire pouvait donner son bien sans que
personne y trouvât à redire ; il pouvait donc faire indi
rectement ce qu’il lui était permis d’accomplir directe
ment. L’acte serait inattaquable sous tout autre rapport
que celui que nous signale le droit romain : Si alienatione subsit fraus futuri créditons.
C’est précisément cette fraude que la loi présume lors1 V. supra, nos 144 9 et suiv.
�428
TRAITÉ DU DOL
qu’il s’agit d’une obligation simulée. Cette obligation
peut n’être, en effet, qu’une précaution contre des re
vers ultérieurs de fortune et pour s’assurer une res
source, le cas de déconfiture se réalisant. Que cette pré
somption ne suffise pas pour déterminer la nullité ab
solue de l’acte, cela est juste; mais il serait par trop ri
goureux de ne pas lui donner pour effet la faculté, pour
les ayants-droit, de prouver que telle a été réellement
l’intention des parties contractantes.
Ainsi, que la question s’agite pour une créance hy
pothécaire et dans un ordre ; qu’elle naisse entre créan
ciers chirographaires dans une distribution par contri
bution, l’intérêt évident que chaque créancier a à n’ad
mettre, dans l’une ou dans l’autre, que les porteurs de
droits sérieux et légitimes, motive légalement son action
pour faire repousser telle ou telle créance. Il pourrait,
quelle que soit la date de son titre, exciper du paiement
ayant éteint la créance qu’il conteste. Pourquoi donc
l’empêcherait-on de soutenir que cette créance n ’a ja
mais existé?
La recevabilité de l’action ainsi justifiée, son bien
fondé dépend de la preuve administrée par le deman
deur. Son efficacité, nous l’avons déjà dit, est exclusi
vement abandonnée à la prudence et aux lumières du
juge. Ce que nous devons rappeler, c’est qu’elle d o it,
dans les aliénations à titre onéreux, démontrer non seu
lement la fraude du vendeur, mais encore celle de l’a
cheteur. Il n’en est pas de même pour les obligations.
La complicité du bénéficiaire est une conséquence for-
�ET DE LA FRAUDE.
429
cée de leur simulation. Celui qui consent à paraître
créancier, sans l’être réellement, ne saurait être admis
à invoquer la bonne foi.
1 7 4 3 . — La vente à rente viagère et à fonds perdu
est préjudiciable aux héritiers du vendeur, en ce sens
qu’en faisant disparaître la chose, elle n’en fait pas en
trer l’équivalent dans l’actif qu’il délaissera plus tard.
La chance aléatoire qui caractérise cette vente peut avoir
pour conséquence que le paiement d’un trimestre de la
rente peut suffire pour acquérir définitivement l’objet
vendu, le décès du crédi-rentier venant tout à coup li
bérer l’acheteur de toute charge ultérieure.
D’autre part, il est évident que la vente à fonds perdu
est un avantage précieux pour le vendeur. Par sa réa
lisation, il se procure un surcroît de revenu que ses be
soins peuvent rendre indispensable. Cette seule considé
ration commandait à la loi de l’autoriser. Il est natu
rel et juste qu’une personne songe à elle avant de s’oc
cuper de ses héritiers. Ce n’est pas là de l’égoïsme, c’est
de la charité bien entendue.
La vente à fonds perdu moyennant une rente viagère
est donc licite, à condition toutefois qu’elle réunisse les
qualités essentielles qui lui sont prescrites.
1744. — Au nombre et en tête de ces qualités, se
place naturellement l’existence d’un risque sérieux et
réel. Il faut de toute nécessité que l’acheteur, pouvant
acquérir le fonds dans un très court espace de temps,
�soit exposé à payer plus que la valeur réelle, si la vie
du crédi-rentier se prolonge assez pour cela. S’il en
était autrement, si l’acheteur n’avait d’autre chance à
courir que celle de réaliser un bénéfice plus ou moins
considérable, sans aucune éventualité de perte, il n’exis
terait pas de vente, point de contrat commutatif. De
vrait-on dès lors annuler la convention ?
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feilli 1
1745.
Cette question est surtout née dans les
hypothèses où la vente avait été consentie moyennant
une rente viagère inférieure ou à peine égale aux reve
nus des biens vendus. La solution qu’elle a reçue n’a
pas été uniforme dans tous les cas. La vente, mainte
nue dans un, a été annulée dans l’autre, et les divers
arrêts, successivement déférés à la Cour suprême, ont
été sanctionnés constamment par elle.
Faut-il, à l’exemple de M.Troplong, accuser la Cour
de cassation de versatilité et lui en faire un reproche? Y
a-t-il réellement contradiction entre ces divers arrêts? La
solution ne peut être douteuse en présence des vrais prin
cipes de la matière.
Ainsi tout le monde convient, etM. Troplong notam
ment enseigne que la vente doit avoir un prix sérieux et
certain, mais le prix, quelque vil qu’on le suppose, n’en
existe pas moins. Dès lors on arrive à cette double con
séquence : 1° l’absence de prix enlève à l’acte tout ca
ractère commutatif, il doit donc être annulé en tant que
vente ; 2° la vilité du prix ne fait pas que l’acte ne soit
une vente réelle, elle peut seulement en amener la res-
�ET DE LA FRAUDE.
431
cision,si la lésion en résultant atteint les proportions in
diquées par l’art. 1674 du Code civil.
Cette différence juridique explique celle que nous si
gnalions dans la jurisprudence. Dans chaque espèce ,
les magistrats ont recherché si la vente avait ou non un
prix. Ils ont accueilli la nullité lorsqu’il ont trouvé qu’il
n’y en avait aucun ; ils l’ont repoussée dans l’hypothèse
contraire, quelle que fût d’ailleurs la vilité reprochable
à celui que les parties avaient stipulé.
Cette appréciation toute de fait liait la Cour de cassa
tion. En supposant même que l’appréciation des Cours
d’appel fût erronée, elle n’avait pas à exercer le droit
qui lui appartient dans le cas où la loi a été violée ou
méconnue.
M. Troplong semble en convenir lui-même puisque ,
enseignant la nullité de la vente qui n’a pas de prix, il
repousse cet effet, lorsque le prix est seulement entaché de
vilité. Ce qu’il reproche à la jurisprudence, c’est de con
vertir en question défait ce qui lui parait une pure ques
tion de droit. La vente a rente viagère, dit-il, a réelle
ment un prix dès qu’il y a une rente stipulée. Un prix
peut être plus ou moins vil, mais on ne saurait dans au
cun cas en méconnaître l’existence.
Cette objection n’a de fondement ni en droit, ni en
fait. Le prix, par rapport à l’acheteur, n’existe qu’en
tant qu’il aura à le fournir de ses propres ressources ,
que lorsque son acquittement lui imposera un sacrifice
quelconque. Si je vend un immeuble 10,000 fr. et qu’a
vec l’immeuble je donne une somme pareille avec laquel-
�43*2
TRAITÉ DU DOL
le l’acheteur me paiera immédiatement ou plus tard ,
dira-t-on que la vente a un prix réel et sérieux ? C’est
cependant ce qui se réalise dans la vente à fonds perdu,
lorsque la rente stipulée est inférieure ou à peine égale
au revenu des choses en faisant la matière. Le vendeur
donne évidemment la chose et le prix ; l’acheteur, loin
de puiser dans ses propres ressources, trouve dans la
chose qu’il acquiert non-seulement le moyen de s’acquit
ter, mais encore l’occasion de réaliser un bénéfice. Un
acte produisant un pareil résultat n’a jamais été, n’a ja
mais pu, être considéré comme une vente.
« Mais qu’importe, ajoute M. Troplong, que l’ache» teur ne débourse rien du sien ! Est-ce que la vente ne
» transporte pas, par sa propre énergie, la propriété
» sur sa tête? Dès lors, s’il paie avec la chose acquise,
» il paie réellement avec sa propre chose. Supposez en
» effet l’hypothèse suivante : J ’achète pour 100,000 fr.
» un immeuble qui en vaut 105,000, n’ayant pas d’ar» gent pour payer , je revends en détail et je retire
» 115,000 fr, ; ou bien j’achète une forêt 30,000 fr. ,
» j’obtiens permission de la défricher, et la vente que je
» fais de la superficie me permet de payer la totalité de
» mon prix. Dans ces deux hypothèses, j’ai payé avec
» la chose .acquise, faudra-t-il, à cause de cela, annu» 1er l’acte qui m’en a transféré la propriété, comme
» ne renfermant aucun prix ? »
On s’étonne qu’une si vaste intelligence n’ait pas été
saisie de l’énorme différence qui sépare ces hypothèses
de celle que nous examinons. Dans l’une comme dans
�ET DE LA FRAUDE.
433
l’autre, l’existence d’un juste prix ne saurait même être
contestée, le vendeur qui le reçoit a donc l’équivalent
de ce qu’il donne, et il n’a nullement à s’enquérir delà
manière dont l’acheteur se l’est procuré. De son côté ,
celui-ci se trouvera, après avoir liquidé son opéraition,
en possession du bénéfice qu’il aura pu réaliser, mais il
aura perdu la chose en totalité ou en partie.
Peut-on confondre une opération de cette nature avec
la vende à fonds perdu, moyennant une rente inférieu
re au revenu des biens vendus? Ce que reçoit le vendeur
n’est pas même ce qu’il percevrait, s’il les avait retenus.
L’acheteur ne déboursera pas un centime, il conservera
la possession de ce qu’il reçoit, et il trouvera dans cette
possession non seulement le moyen de payer le prix,
mais encore celui de réaliser annuellement un bénéfice.
Il est donc impossible d’admettre l’assimilation que fait
M. Troplong.
On comprend qu'un individu vende un immeuble
qu’il convertira ainsi en une somme d’argent destinée
soit à solder ses engagements, soit à lui procurer, par
la perception de l’intérêt légal, un revenu supérieur à
celui que lui donnait l’immeuble. On comprend encore
que pour augmenter ce revenu, et le mettre en propor
tion plus juste avec ses besoins, il consente à laisser le
capital aux mains de l’acquéreur, et à se contenter
d’une rente subordonnée à son décès. Mais peut -on re
connaître l’existence d’un pareil contrat, lorsque, le pré
tendu vendeur aura après s’être dépouillé de sa propri
été, un revenu inférieur, ou tout au moins à peine égal à
iv
28
�■ '
434
v.-;
- V
TRAITÉ DU DOL
celui que lui produisait celle-ci? Où se trouve la chance
aléatoire si essentielle au contrat de vente à rente viagè
re ? Où est le dangeren contemplation duquel la loi per
met à l’acheteur d’acquérir le fonds ?
Pour nous, il n’y a pas à hésiter. Ce qui nous parait
être de droit commun, c’est la proposition inverse de celle
indiquée par M. Troplong. Ainsi, la vente à fonds perdu
moyennant une rente inférieure au revenu des biens,
doit être considérée comme n ’ayant pas de prix. Le droit
d’apprécier si ce défaut n’est par racheté par d’autres
circonstances, par d’autres prestations auxquelles l’ache
teur s’est soumis, ne saurait être contesté aux tribunaux.
Dès lors, la nullité ou la validité de la vente, nécessai
rement subordonnée au résultat de cette appréciation ,
n’est plus évidemment qu’une pure question défait. Le
reproche que M. Troplong adresse à la jurisprudence est
donc inadmissible.'
1746.
— Si, indépendamment de la rente viagère,
l’acheteur a réellement payé une partie quelconque du
prix stipulé, la vente se trouve avoir un prix certain ,
quelque minime que soit cette somme. La demande en
nullité pour absence de prix devrait dès lors être écar
tée, il y aurait lieu dans ce cas à appliquer la règle en1 Vid. Troplong, Vente, n° 150 ; — Duvergier, Vente, t. xvi, n°149 ;
— Cass., 2 juillet 1807, 1er avril 1829, 28 décembre 1831. et 23 juin
1841 ; — D. P. 41, 1, 294.
V. encore Dalloz, D i c l . g é n é r a l , et I té p . d u J D P ., aux m o t s ] v e n t e
à rente v ia g è r e .
�ET DE LA FRAUDE.
435
seignée parM. Troplong, à savoir : que la vilité du prix
ne peut jamais donner naissance qu’à l’action en resci
sion, autorisée par l’art. 4674.
1747.
— L’applicabilité de cet article à la vente à
fonds perdu et à rente viagère a été contestée. L’art.
1976, a-t-on dit, laissant les parties entièrement libres
à l’égard du taux de la rente, exclut par cela même toute
possibilité de lésion, mais le contraire a paru plus juri
dique. Ainsi M. Troplong n’hésite pas à admettre l’action
en récision pour cause de lésion, lorsque la rente stipu
lée est inférieure au revenu des biens.
Dans une espèce jugée par la Cour de Toulouse, on
demandait la rescision d’une vente à fonds perdu, sur
le motif que la rente viagère égalait à peine la moitié du
revenu des biens qui en faisaient l’objet. L’arrêt qui in
tervint repoussa la demande pour inapplicabilité de l’art.
1674. Mais, déféré à la Cour régulatrice, cet arrêt fut
cassé par décision du 22 février 1836.
L’arrêtiste, en rapportant cette décision, fait remar
quer qu’elle ne fut rendue qu’après un délibéré de près
d’un mois. Cette mûre délibération et l’examen appro
fondi dont elle donne la certitude impriment à l’arrêt de
la Cour de cassation une autorité considérable. O r, le
principe qui y est enseigné est celui-ci : dès que la rente
viagère est constituée à la suite d’une aliénation d’im
meubles, les règles de celle-ci deviennent de tout point
applicables, elle ne saurait dès lors échapper à la dis
position de l’art. 1674.
�436
TRAITÉ DU DDL
1 7 48.
— En résumé donc, la loi n’a nullement en
tendu soustraire la vente à fonds perdu aux règles gé
nérales de la vente. Il faut en conséquence qu’elle en
réunisse la condition la plus essentielle, à savoir : un
prix sérieux et juste.
L’absence du prix annule le contrat, sa vilité en dé
termine la rescision, lorsqu’il en résulte une lésion de
la nature de celle prévue par l’art. 1674.
La rente viagère, inférieure au revenu des biens ven
dus, ne constitue pas un prix réel, mais ce défaut de
prix n’existe qu’en tant que l’acquéreur n’a aucune au
tre charge à subir, et n’a surtout rien à payer sur le prix
stipulé.
m w \
I lis
1749.
•— En définitive, la question de savoir s’il
existe un prix, et, dans le cas de l’affirmative, si ce prix
est sérieux ou non, n’offre qu’une appréciation de fait
que la loi laisse à l’arbitrage souverain des deux dégrés
de juridiction. La solution peut être un mal jugé, mais
elle ne donne pas ouverture à la cassation.
Le caractère de cette appréciation l’affranchit néces
sairement de toute règle absolue. Cependant ce qu’il
importe de ne pas perdre de vue, c’est qu’elle ne saurait
être équitable et juste qu’en remontant à la date même
du contrat et en se plaçant ainsi au point de vue qui a
dû préoccuper les parties. Ainsi l’augmentation du re
venu, résultant des réparations ou améliorations faites
par l’acquéreur, du bénéfice du temps, ou de toutes au
tres circonstances imprévues ou accidentelles, ne sau-
�ET DE LA FRAUDE.
437
rail être d’aucune considération. Un fait qui, naguère,
se réalisait à Marseille, peut donner une idée de ce que
peuvent être celles-ci. La création de nouveaux quar
tiers ayant appelé la spéculation sur les terrains à bâ
tir, des propriétés qu’on n’aurait qu’à grand’peine ven
dus cinq à six cents francs ont été payées jusqu’à fr.
100, 000.
C’est là, on le comprend, une nouvelle chance aléa
toire dont la réalisation doit demeurer sans influence
sur la validité de la vente à fonds perdu. Exposé à su
bir la moins value postérieure au contrat, l’acheteur
profitera exclusivement de la plus value que la propriété
acquiert dans ses mains.
1750.
— Du principe que la vente à fonds perdu
doitoffrir un risque certain, unechance sérieuse de gain
ou de perte, découlent les deux règles suivantes :
1° Tout contrat de rente viagère, créée sur la tête
d’une personne qui était morte au jour du contrat, ne
produit aucun effet.
Cette prescription est absolue, il importerait donc peu
que les contractants eussent agi avec la plus évidente
bonne foi, et dans l’ignorance la plus absolue du décès
du futur crédi-rentier. Le fait matériel de ce décès en
lève tout aliment à la convention, toute cause légitime
à l’obligation. Il n’y avait donc pas de contrat possible.
Fruit de l’erreur, celui qui est intervenu ne saurait être
consacré, sans violer ouvertement l’art. 1109 du Code
civil.
�438
TRAITÉ DU DOL
1 751.
— Ce principe, comme l’observe M. Troplong, ne reçoit qu’une seule exception. Ainsi, en ma
tière d’assurances maritimes, le risque, pris sur un na
vire naufragé, ou arrivé à bon port avant même la si
gnature de la police, engage valablement les parties, si
chacune d’elles a ignoré et pu ignorer l’événement, mais
cette dérogation au droit commun s’explique par la na
ture même de l’assurance maritime.
Son objet n’est pas de garantir seulement l’avenir,
mais encore le passé : Cum quia suscepta de omni periculo, etiam prœterito, quodque forte jam conting it.... Maxime quando periculum quod suscipitur est
diurni temporis et remoti ilineris,' il ne pouvait mê
me en être autrement. L’assurance, devant dans plu
sieurs cas se réaliser à une très grande distance du
point de départ du navire , objet ou porteur du risque,
ne peut être souscrite qu’après le départ du navire pour
le lieu de sa destination, cependant l’assurance est prise
de la sortie d’un port à l’arrivée dans tel autre. Il suf
fit qu’il y ait eu réellement voyage effectué pour que le
risque commence avec le voyage même et que l’assu
reur réponde du sinistre réalisé avant la souscription
du contrat, tout comme il profiterait de l’heureuse ar
rivée accomplie avant cette époque.
Il n’y a pas d’ailleurs ici d’erreur possible. Ce que
l’assuré veut, c’est d’être garanti pour tout le voyage. Ce
que l’assureur accorde, c’est cette même garantie. La
i Perezius,
in C o d .,
1. 11, t. v, n° 23.
�ET DE LA FRAUDE.
439
prime se calcule dans cette prévision, et le contrat ne
laisse pas que d’être aléatoire si l’événement, quoique
réalisé, est complètement ignoré des parties.
Il ne saurait en être de même en matière de vente à
rente viagère. Ce qui fait l’élément essentiel de ce con
trat, c’est la vie plus ou moins longue du crédi-rentier
désigné. Or, si à l’époque de la souscription, ce crédi
rentier n’existe plus, il n’y a plus aucune cause à la
convention. Il doit donc en être de ce cas, comme de
celui d’une assurance contre l’incendie, pour une mai
son qui aurait péri par cas fortuit, ou* de celle contrac
tée sur marchandises non chargées, ou sur un navire
qui n’aurait jamais quitté le port. Le contrat serait an
nulé pour défaut absolu d’un risque quelconque.
1752.
— 2° Il en est de même du contrat par le
quel la rente a été créée sur la tête d’une personne at
teinte de la maladie dont elle est décédée dans les vingt
jours de l’acte constitutif.
Devant cette prescription textuelle de l’art. 1975, toute
possibilité de controverse disparaît et s’efface. Il importe
cependant d’en rappeler les motifs pour en apprécier sai
nement les conséquences.
« Si les contractants, disait Portalis, eussent connu
« la maladie de la personne sur la tête de laquelle on
« se proposait d’acquérir la rente, l’acquisition n’eût
« pas été faite, puisqu’une rente viagère sur la tête
« d’une personne mourante n’est d’aucune valeur..Or,
« il n’y a point de consentement quand il y a erreur ou
�440
TRAITÉ DU DOL
« sur la chose, ou sur les qualités essentielles de la
« chose qui forme la matière du contrat. »
Ainsi, la loi présuppose l’ignorance des parties, et
cela tranche nettement la difficulté que la certitude de
cette ignorance aurait fait naître. On pouvait, en effet,
se fondant sur la bonne fo i, en exciper pour assurer
le maintien de l’acte. Cette prétention est désormais
impossible. Ce qui résulte juridiquement de l’état de
maladie, terminée par la mort dans les vingt jours de
la constatation de la rente viagère, c’est l’absence d’un
objet formant la matière de l’engagement, et par suite
d’une des conditions essentielles à tout contrat. Cet ob
jet est pour la rente viagère un risque sérieux et cer
tain , et ce risque manque non seulement de ce carac
tère, mais n’existe même pas lorsqu’il se réfère à un
mourant. On devait donc légalement se préoccuper fort
peu de la question de savoir si les parties avaient ou
non ignoré cet état de choses. L’ignorance les constituera
en bonne foi, mais elle ne pourrait jamais faire que la
matière du contrat existât, alors qu’en fait elle manque
absolument.'
1753.
— Au reste, toute difficulté à cet égard ne
peut naître que dans l’hypothèse d’une rente viagère
constituée sur la tête d’un tiers demeuré étranger au con
trat. De là on a voulu conclure que la nullité de l’art.
4975 ne pouvait être appliquée aux parties elles-m ê1 V. Troplong, sur l’art. 1975; — Delvincourt, t.
ii ,
p. 272, note 6,
�ET DE LA FRAUDE.
441
mes. Le malade traitant directement, a-t-on dit, n’a pu
ignorer son état, conséquemment on doit le considérer
comme ayant voulu, au besoin, consentir une libéralité.
Dès lors aussi, l’acte annulé comme vente doit être main
tenu comme donation déguisée.
La doctrine et la jurisprudence ont dès longtemps
proscrit ce système. L’absence d’un risque certain enlève
au contrat son élément le plus substantiel. Et cette rè
gle, que nous venons de voir s’appliquer lorsque les
parties ont ignoré l’état de maladie du crédi-rentier ,
doit a fortiori régir celles qui ont parfaitement connu
cet état. Celui qui traite avec un moribond consent à
jouer à coup sûr. Il exploite odieusement une inégalité
de chances sur laquelle il n’a pu se faire illusion, et en
vue de laquelle il n’hésitera pas à s’imposer les charges
tellement avantageuses pour le crédi - rentier, que la
chance d’en profiter , quelque faible qu’elle fût, peut
avoir déterminé la conduite de celui-ci.
Convertir une vente de ce genre en une donation dé
guisée, c’était effacer de notre Code l’art. 1975; c’était
fermer les yeux à l’évidence et méconnaître la pensée
réelle du vendeur. Celui qui étant libre de donner à
charge d’une rente viagère a préféré vendre à ce titre,
a suffisamment prouvé qu’il n ’a pas eu l’intention de se
montrer libéral, intention sans laquelle il ne saurait
exister de donation. N’est-ce pas d’ailleurs parce que
l’idée de donner lui répugnait, que le créancier n’a
voulu consentir qu’une vente? Et l’acheteur lui-même
ne sera-t-il pas réduit à n’accepter celle-ci que parce que,
�442
TRAITÉ DU DOL
malgré tous ses efforts, il n’a pas réussi à arracher une
libéralité qu’il a peut-être longtemps poursuivie? C’est
cette double éventualité que l’art. 1975 a pour but de
prévenir.
Ce qu’il faut donc admettre dans notre hypothèse,
c’est que, bercé de cette espérance inséparable de notre
faiblesse, le malade s’est fait illusion sur son état; qu’il
a cru survivre à la maladie, et que dans cet espoir, loin
de vouloir faire une libéralité, il a saisi l’occasion d’a
méliorer l’avenir qu’il se promettait. On comprend, en
effet, qu’on ne marchandera pas ses exigences, et que
ses désirs sur la quotité de la rente ne trouveront pas
un contradicteur sérieux chez celui qui a d’avance la
certitude de ne pas la supporter longtemps. Dès lors
son consentement est vicié par l’erreur, et il serait aussi
immoral qu’injuste de permettre qu’il pût produire un
effet quelconque,
C’est ce qu’enseigne M. îroplong. C’est ce que la Cour
de cassation a consacré dans plusieurs circonstances, et
notamment par arrêt du 16 juillet 1 824.
L’espèce sur laquelle cet arrêt est intervenu offrait
cette particularité remarquable que l’aliénation à rente
viagère avait été confirmée par un testament postérieur,
dans lequel le crédi-rentier déclarait instituer au besoin
les acquéreurs ses légataires universels. Mais ce testa
ment lui-même, considéré comme la ratification d’un
acte radicalement nul aux yeux de la loi, ne parvint pas
à faire illusion à la justice et à sauver la disposition à
l’aide de laquelle le dol et la fraude l’avaient appelé.
�ET DE LA FRAUDE.
443
1754.
— Le même arrêt, décidant que l’art. 1975
reçoit son application aux parties contractantes comme
au tiers en faveur duquel la rente viagère aurait été
stipulée, affecte à sa disposition un caractère qu’il ne
faut pas négliger. Il juge, en effet, que, conçu en termes
absolus et impératifs, il ne saurait être permis aux par
ties de déroger à ses prescriptions et d’en paralyser les
effets; en d’autres termes, qu’il est d’ordre public. La
conclusion juridique qu’en tire M. Dalloz, c’est que les
parties ne pourraient renoncer à se prévaloir de la nul
lité qu’il consacre.
Il y a là, dit cet éminent jurisconsulte, une présomp
tion qui n’admet pas de preuve contraire, et qui a pour
objet d’empêcher qu’au moyen d’un contrat aléatoire,
dans lequel le créancier pourrait entrevoir quelque équi
valent, il ne se déterminât à une donation qu’il n’au
rait pas consentie sans cette considération. Dans le cas
le plus ordinaire où la rente est établie sur la tête mê
me du constituant, sa déclaration de vouloir valider le
contrat, s’il vient à mourir dans les vingt jours, n’est
pas une preuve non équivoque de sa volonté de faire
une donation au lieu d’un contrat aléatoire, car, en
stipulant ainsi, le constituant n’agissait qu’avec ce sen
timent intérieur qui rattache l’homme à la vie, et qui
lui fait croire, jusqu’au dernier moment, qu’il n’arrive
pas encore au terme de sa carrière.' »
Si l’existence d’une déclaration de cette nature n’im -
�444
TRAITÉ DU DOL
prime pas à l’acte le caractère de libéralité pouvant le
faire maintenir comme donation déguisée, il est évident
que la question de ce maintien, soulevée en l’absence
de toute déclaration, ne saurait être douteuse. L’arrêt
de la Cour de cassation et l’opinion de M. Dalloz créent,
en faveur de cette dernière hypothèse, un a fortiori
incontestable.
1755.
— Donc, l'art. 1795 est d’ordre public et
les parties ne peuvent y déroger. L’acte qui se propo
serait ce but directement ou indirectement, doit dès lors
être annulé. Or , en matière de vente à rente viagère,
la fraude est facile. En effet, elle peut être consentie par
acte sous seing privé, et rien n’est plus facile que de re
courir à une antidate, surtout lorsque, déjà atteint de
maladie, le vendeur est exposé à décéder dans les vingt
jours. Il suffira que cette crainte puisse être conçue pour
que l’acheteur exige et donne à l’acte une date qui le
place à l’abri de la disposition de l’art. 1795.
L’effet de cette fraude était d’autant plus à redouter
qu’il menaçait d’être plus efficace. La vente ne peut
être attaquée que par les héritiers du vendeur ou soit
ses ayants-cause. Or, l’art. 1322 déclare que l’acte sous
seing privé fait foi de sa date, non seulement entre les
parties contractantes, mais encore contre leurs héritiers
et ayants-cause, et l’art. 1328 n’exige l’accomplissement
des conditions devant assurer la certitude de la date
qu’en ce qui concerne les tiers.
L’application de ces dispositions aux héritiers • pour-
�ET DE LA FRAUDE.
445
suivant, aux termes de l’art. 1975, la nullité delà vente
à rente viagère, créait donc contre leur demande une fin
de non recevoir invincible. On a été dès lors tout natu
rellement amené à se demander si cette application était.
juridiquement admissible.
1756. — La Cour de cassation a formellement con
sacré la négative,' et cette solution renferme une juste
appréciation des principes généraux et de l’esprit del’art.
1975 en particulier. Toutes les fois que la loi confère
expressément un droit, la faculté de l’exercer est direc
tement puisée dans la loi elle-même plutôt que dans la
qualité de la partie. Or, l’art. 1975 crée la nullité de
l’acte fait dans les conditions prescrites en faveur des hé
ritiers du vendeur. Dès lors, en demandant cette nullité ,
ceux-ci usent d’un droit qui leur est propre et person
nel ; qu’ils tiennent si peu de leur auteur qu’il n’a jamais
pu l’exercer lui-même.
1757. — Subordonner l’action des héritiers au droit
qu’aurait eu son auteur, c’était donc, comme l’observe
la Cour de cassation, rendre illusoire et sans effet la
disposition de l’art. 1975, puisque la nullité qu’elle pro
nonça au cas prévu ne pourrait jamais être invoquée par
l’héritier.
Il fallait donc, pour ne pas condamner l’art. 1975 à
n’être qu’une menace vaine et sans portée réelle, recon-
�446
TRAITÉ DU DOL
naître qu’en en poursuivant l’application, les héritiers
n’agissent pas du chef de leur auteur, et que dès lors
ils ne peuvent être écartés par les prescriptions de l’art.
1322 ; qu’à leur égard la vente à rente viagère ne peut
être valable qu’autant qu’il est constant qu’elle a été
faite hors le temps de la maladie et plus de vingt jours
avant le décès du vendeur.
1 758.
— Quelle est la conséquence légale de cette
règle? M. Delvincourt enseigne que l’héritier se trou
vant dès lors placé sous les termes de l’art. 1328, la
vente n’a contre lui d’autre date que celle de l’enregis
trement : que si cet enregistrement se place dans les
vingt jours du décès, ou si l’acte n’a pas même acquis
date certaine avant, la vente est présumée de plein droit
avoir été consentie dans la période illicite, et doit être an
nulée.
Cette doctrine parait logiquement devoir s’induire de
la règle que nous venons de rappeler, à savoir : que, par
rapport à l’héritier, il n’y a vente valable qu’autant qu’il
est prouvé que celle invoquée s’est réalisée hors des con
ditions prévues par l’art. 1975. Or, cette preuve n’est pas
acquise lorsque l’acte sous seing-privé n’a acquis date
certaine qu’à la mort du vendeur ou depuis.
Mais cette doctrine a paru trop rigoureuse. On a dit
que si l’héritier n’était pas dans l’hypothèse l’ayantcause, dans le sens de l’art. 1322, il n’était pas non plus
un tiers dans l’acception de l’art. 1328; que bien qu’il
exerçât un droit propre et personnel, on ne devait pas
�ET DE LA FRAUDE.
447
cependant oublier que ce droit il le trouvait dans sa
qualité d’héritier; qu’enfin l’art. 1975 n’annule le con
trat, dans l’hypothèse qu’il prévoit, que lorsque la preu
ve des conditions exigées est acquise ; que l’acte sous
seing-privé n’établisse pas par lui-même la validité de
la vente, cela se comprend : mais il n’en crée pas moins
une présomption devant être acceptée jusqu’à preuve
contraire. Conséquemment, tout ce que peut raisonna
blement prétendre l’héritier, c’est d’être admis, nonobs
tant les indications du titre, à justifier qu’il a été réelle
ment fait en temps prohibé.
Cette conséquence déjà indiquée par la Cour de cas
sation, dans l’arrêt du 15 juillet 1824, a été expressé
ment consacrée par elle le 5 avril 1842. La Cour de
Toulouse, appliquant la doctrine de M. Delvincourt,
avait annulé une vente à rente viagère, par cela seul
qu’étant sous seing-privé, elle n’avait pas été enregistrée
en temps utile. Mais son arrêt, déféré à la Cour suprême,
fut cassé comme ayant méconnu le véritable caractère
de l’art. 1975.1
Ainsi l’acte sous seing-privé, même non enregistré ,
est opposable à l’héritier, agissant en vertu de l’art.
1975, en ce sens que la date qui y est indiquée est pré
sumée sincère. Mais cette présomption peut être combat
tue par la preuve contraire qui peut être faite par té
moins et par présomptions.
1759. — Dans ce cas, comme dans toutes les autres
�448
TRAITÉ DU DOL
hypothèses où la vente à fonds perdu est querellée à l’en
droit de l’art, 1975,1a nullité de la vente estabsolument
attachée à la réunion, à la simultanéité des deux condi
tions que cet article exige. Il faut donc qu'il soit établi
que le crédi-rentier était, au moment du contrat, at
teint de maladie; 2° que le décès survenu avant le ving
tième jour est la conséquence de cette maladie. En con
séquence, si le vendeur était bien portant au moment
du contrat, la mort survenue dans les vingt jours n’exer
cerait aucune influence sur le sort de la vente. Il en se
rait de même si la mort, dans ce même délai, recon
naissait une autre cause que la maladie dont ce vendeur
était atteint au moment du traité.
1760. — De ce que l’art 1975 ne parle que du con
trat par lequel la rente a été créée sur la tête d'une per
sonne, on a voulu induire qu’il ne doit recevoir aucune
application lorsque la rente a été constituée sur plusieurs
têtes. Mais c’est là évidemment exagérer la règle univer
sellement adoptée : que cet article est limitatif et restric
tif. Sans doute ce caractère est absolu lorsqu’il s’agit
d’appliquer la sanction pénale qu’il consacre, mais vou
loir l’étendre à la modalité de sa disposition, c’est se je
ter dans une confusion inadmissible.
Si la loi ne parle que du contrat souscrit par une per
sonne ou dans l’intérêt d’une seule personne, c’est qu’elle
a dû s’arrêter au cas le plus usuel. Quel motif raison
nable pourrait-on d’ailleurs alléguer pour faire mainte
nir l’acte, si les deux têtes sur lesquelles la rente est éta
�blie, atteintes d’une maladie mortelle au momentdu con
trat, y ont succombé l’une et l’autre avant l’expiration
des vingt jours.
Posée dans ces termes, la question est facilement ré
solue. L’esprit de la loi ne permet même pas le doute.
La vente devrait être annulée.
1 7 6 |. — Mais une difficulté plus réelle se présente
lorsque la rente étant constituée en faveur de plusieurs
personnes, l’une d’elles meurt dans les vingt jours de
la maladie dont elle était atteinte à l’époque du contrat.
Quel sera le sort de l’acte, à l’endroit des autres crédi
rentiers et des héritiers du décédé, si celui-ci se trouve
être le vendeur?
Dans cette hypothèse, il est certain que le contrat ne
laisse pas que d’être aléatoire. L’obligation du débiteur
de la rente se continue pendant la vie des créd iren
tiers survivants, et son terme ne peut être ni précisé ni
entrevu. Le contrat renferme donc un risque certain
et déterminé qui devrait en assurer le maintien, C’est
dans ce sens que se prononce M. Troplong, et c’est
aussi ce que la Cour de cassation a décidé le 22 février
1820.'
Ce qu’il importe de remarquer dans cet arrêt, c’est
le soiti que met la Cour de cassation à faire ressortir
qu’il a été formellement convenu en fait que la rente
serait payée, en totalité et sans réduction, au dernier
1 Troplong, sur l’art. 1975.
IV
29
�450
TRAITÉ DU DOL
survivant. Elle semble, par cela même, indiquer que,
dans le cas contraire, elle eût décidé autrement qu’elle
ne le fait.
Il est, en effet, possible que la réduction, s’opérant
par le décès d’un crédi-rentier, fit totalement disparaître
l’aléa du contrat, ou le réduisît tellement que le risque
qui en est l’essence disparût en totalité. La conséquence
logique de l’un ou de l’autre serait donc l’annulation du
contrat.
Mais, dans cette hypothèse même, cette annulation
n’est pas de plein droit, elle se trouve nécessairement
subordonnée à l’importance de la réduction, à l’état des
choses qu’elle crée pour l’avenir. Ainsi si, cette réduc
tion opérée, l’excédant à payer par le débiteur, à titre
de rente annuelle , est encore dans des justes propor
tions avec la valeur des choses aliénées, eu égard à
l’âge du crédi-rentier survivant, un risque sérieux con
tinue d’exister, et le contrat n’a rien perdu de son carac
tère aléatoire. Il serait donc par trop rigoureux d’en pro
noncer la nullité.
Ainsi la mort d’un des crédi-rentiers, réalisée dans
les vingt jours du contrat, et causée p arla maladie dont
il était atteint au moment de ce contrat, laisse la con
vention produire tous ses effets, si la totalité de la rente
doit continuer d’être payée au survivant. Il en serait au
trement si la rente déclarée réductible n ’était plus, après
la réduction opérée, en rapport avec les caractères et les
conditions d’une rente viagère à fonds perdu, comme si,
par exemple, elle devenait inférieure aux revenus des
�ET DE LA FRAUDE.
451
biens. Dans tous les cas la question de savoir si le con
trat a conservé ou perdu l’élément aléatoire en formant
l’essence, est abandonnée aux lumières et à la prudence
des juges.
1 7 6 2 . — La rente viagère constituée à titre oné
reux est saisissable et cessible. La stipulation contraire
insérée au contrat ne saurait même être opposée aux
créanciers.
Cela n’est pas même discutable à l’endroit des hypo
thécaires. L’immeuble affecté à leurs créances demeu
rerait, entre les mains de l’acquéreur, grevé de leurs
inscriptions, et lui-même, soumis à toutes les obliga
tions du tiers-détenteur, serait tenu de payer ou de dé
laisser. Il pourrait même, en cette qualité, être expro
prié de l’immeuble.
Il n’en est pas de même des créanciers cédulaires.
L’aliénation des immeubles du débiteur leur enlèverait
valablement le gage que ces immeubles leur offraient
pour le paiement de ce qui leur est dû, en tant cepen
dant qu’elle ne serait pas effectuée en fraude de leurs
droits, Mais il ne pouvait dépendre de personne, moins
encore du débiteur, de leur enlever tout recours sur le
prix, fut-il une simple rente viagère. Ils pourront donc,
malgré toute stipulation contraire, saisir celte rente et
faire ordonner qu’elle leur sera directement payée par
le débiteur, jusqu’à concurrence de leurs droits.
Le taux annuel de cette rente peut même avoir été
frauduleusement concerté à l’effet de léser d’autant les
�452
TRAITÉ DU DOL
droits des créanciers. La preuve de cette fraude devrait
entraîner la nullité de la vente, et les créanciers sont re
cevables non seulement à la proposer, mais encore à la
fournir tant par titres que par témoins et par présomp
tions. L’art. 1167 ne permet pas le moindre doute à cet
égard.
De plus, et en vertu de l’art. 1166, les créanciers
sont recevables à poursuivre la rescision de la vente à
fonds perdu, pour cause de lésion. Nous venons devoir
que l’art. 1674 est applicable à cette vente comme à
toutes les ventes ordinaires. Dès lors l’action, apparte
nant incontestablement au vendeur, peut être exercée par
les créanciers agissant en son nom et comme ses ayantcause.
La Cour de Bordeaux vient de consacrer le principe
de la saisissabilité de la rente constituée à fonds perdu,
et les conséquences qui, en déroulent, quant à la stipu
lation du prix, elle a déclaré le 5 avril 1865, que bien
qu’un contrat de rente viagère à titre onéreux accorde
formellement au débiteur de la rente, de se libérer au
moyen de prestations en nature, les créanciers du cré
direntier peuvent exiger le paiement en espèces des ter
mes à échoir saisis-arrêtés par eux, et ce au moins jus
qu’à concurrence de leur créance.
Dans cette espèce un individu avait vendu tous ses
immeubles pour le prix de 25,000, sur lequel 7662
fr. avaient été laissés à fonds perdu moyennant une rente
viagère de 600 fr. en échange de laquelle l’acheteur de-
�ET DE LA FRAUDE.
453
vait loger et nourrir le vendeur tant qu’il plairait à ce
lui-ci de l’exiger.
Une saisie-arrêt ayant été pratiquée par un créancier,
une instance judiciaire s’engage à la suite de la déclara
tion du tiers acquéreur. Le créancier demande la nullité
de la constitution de rente viagère comme faite en frau
de des créanciers, et celte prétention est acceuillie et con
sacrée par le tribunal civil d’Angoulème.
Sur l’appel, la Cour de Bordeaux infirme et déclare
que la constitution d’une rente viagère pour partie de
l’aliénation d’un immeuble ne peut être isolément atta
quée, pour cause de fraude, par les créanciers, du cré
direntier, s’ils ne demandent la nullité, pour la même
cause de la vente elle-même.
Mais attendu que la faculté conférée au débiteur de
la rente de se libérer en nature et par compensation ,
c’est-à-dire en fournissant la nourriture, le logement et
l’entretien au crédi-rentier sur sa demande, ne peut
préjudicier aux créanciers de celui-ci, lesquels sont tou
jours en droit d’exiger que le paiement des termes à
échoir, saisis-arrêlés par eux, soient payés en espèces ,
au moins jusqu’à concurrence de leurs créances.
La Cour condamne l’acheteur à se libérer de la rente
de 600 fr. aux mains du créancier saisissant jusqu’à
concurrence de ce qui lui est dû.'
Nous considérons cet arrêt comme juridique dans tou
tes ses dispositions. Les créanciers n’attaquant pas la
1 Moniteur des Trib., du 18 juin 1865. n° 506, 2mc série.
[■
îfi I
�454
TRAITÉ DU DOL
vente, lui reconnaissaient le caractère sérieux et sincère,
ils ne pouvaient donc pas la diviser et repousser seule
ment le mode de paiement convenu, d’autant moins que
la rente viagère de 600 fr. représentait à peu près le 10
°[„ de la partie du prix laissé a fonds perdu.
La fraude ne gisait donc pas ni dans la vente, ni
dans la constitution de la rente viagère, elle était exclu
sivement dans le mode adopté pour le paiement de celleci, c’était donc ce mode qu’il fallait modifier et chan
ger, sans quoi ou aurait reconnu au débiteur le droit
de convertir au détriment de ses créanciers, tout ou
partie de son actif en prestation incessible et insaisis
sable, ce que la loi ne saurait permettre.
1765. — Quels sont les effets de l’admission de l’ac
tion en fraude des créanciers, contre la vente consentie
par le débiteur, quel qu’en soit le caractère?
Cette question se résout facilement à l’encontre de
l’acheteur direct. L’admission de l’action Paulienne sup
pose nécessairement sa complicité dans la fraude du dé
biteur. La conséquence naturelle de cette complicité est
de lui faire perdre tous droits sur la chose qui a fait la
matière du contrat. Elle fait donc retour au vendeur sur
la tête duquel les créanciers pourront en poursuivre l’ex
propriation ultérieure.
1764. — Mais cette question acquiert une plus gran
de importance à l’endroit des tiers auxquels la chose a
étérevendue par l’acquéreur primitif. Ces tiers pourront-
�ET DE LA FRAUDE.
455
ils être actionnés en délaissement par les créanciers du
premier vendeur ?
La solution ne peut être que négative. Bien entendu
que nous ne parlons que de l’action Paulienne exercée
par des créanciers chirographaires. S’il s’agissait, en ef
fet, de créanciers hypothécaires régulièrement inscrits,
leurs droits suivant l’immeuble dans quelque main qu’il
passe, leur recours contre tous tiers-détenteurs est for
mellement écrit dans la loi.
Mais il n’en est pas de même des créanciers cédulaires. Ils n’ont aucun droit réel sur les immeubles qu’en
tant qu’ils les trouvent en possession de leur débiteur.
L’acheteur a donc pu régulièrement acheter, et même
payer son prix, sans se préoccuper de leur existence.
Aussi si la loi leur permet de recourir contre la vente ,
ce n’est qu’à la condition qu’ils prouveront la fraude de
leur débiteur, celle de l’acheteur. La preuve de l’une n’af
fecte l’acte que par la preuve de l’autre, et, celle-ci faite,
l’acquéreur n’est pas obligé comme tiers-détenteur. Il ne
l’est que comme tenu de réparer le préjudice qu’il occa
sionne par son fait.
C’est cette conséquence qui avait fait repousser, en
droit romain, la qualification de réelle que Justinien avait
donnée à l’action des créanciers. C’est elle qui, ,sous le
droit français, lui a maintenu le caractère d’action pure
personnelle. Sans doute elle a pour résultat de faire an
nuler la vente , mais remarquons que cette nullité ne
saurait la faire considérer comme revendicatoire. En ef
fet, ce n’est pas aux créanciers poursuivants que lesbiens
�456
TRAITÉ DU DOL
sont restitués. Us reviennent au débiteur sur la tête du
quel ces créanciers pourront les saisir, les faire vendre
pour s’en distribuer le prix. Or, ce ne sont pas là les ca
ractères delà revendication, dont la consécration a pour
conséquence inévitable de saisir le poursuivant de la pro
priété des biens en faisant l’objet.
Ainsi l’action Paulienne n’a rien de réel dans son ori
gine, rien dans ses effets. Puisée dans un fait person
nel, la complicité de la fraude, elle ne peut être exer
cée que lorsque ce fait existe. Si cela est vrai pour l’ac
quéreur direct, comment admettra-t-on le contraire con
tre celui qui a acheté de celui-ci. La justice et la raison
commandent de faire en faveur du dernier ce qu’on dé
cide pour le premier, à savoir : qu’il ne puisse être pour
suivi que si, s’associant à la fraude, il en a assumé la
responsabilité.
C’est ce que les jurisconsultes romains admettaient
sans hésitation. Perezius, entre autres, l’enseigne for
mellement : Unde quod dictum, hac actione teneri eum,
ad quem rem sunt translatée ; intellige si eas adquisiverit titulo donationis, aut alio lucralivo; et licet fraudis ignarus fuerit, tamen creditorum causa favorabilior est, qui d& damno disceptant. Quod si e diverso
res comparaverit, aut in solutione acceperit, cessât
hœc actio, nisi fraudem participasse accipientem probetur.y
Et ce qui doit le faire décider ainsi, ajoute cet auteur,
�ET DE LA FRAUDE.
457
c’est qu’en cette matière, si la preuve de la fraude fait
ordonner la nullité de la vente, c’est uniquement pour
empêcher que l’acquéreur ne puisse se faire un titre de
son propre dol, nedolns suusprosit, contra naturalem
æquitatem. Cette considération n’a rien perdu de sa for
ce sous l’empire de notre Code, Elle est encore l’origine
et la cause de l’action révocatoire. Elle doit en régler
encore le caractère et les effets.
En résumé donc, la restitution de l’immeuble, acquis
en fraude des droits des créanciers, n’est ordonnée qu’à
titre de dommages-intérêts pour la réparation du pré
judice résultant du quasi-délit dont l’acheteur est con
vaincu. Ce n ’est pas ici une résolution dont les effets lé
gaux soient opposables aux tiers qui sont restés étran
gers à la fraude, c’est une peine toute personnelle dont
nul autre que lui n’a à supporter les conséquences. Le
tiers de bonne foi n’est tenu ni personnellement ni réel
lement envers les créanciers du vendeur primitif. Ceuxci sont donc en ce qui le concerne, et d’une manière
absolue, sans actions.
Dès lors, aussi, la restitution à titre de dommagesintérêts ne peut être ordonnée qu’en tant que les biens
sont encore dans les mains du complice de la fraude.
Dans le cas contraire, la réparation du préjudice en ré
sultant consistera dans une allocation pécuniaire qui
pourrait égaler ou dépasser même le prix de la revente,
suivant les circonstances.
Le tiers-acquéreur ne peut pas être dans une position
pire que celle de l’acquéreui primitif. La vente n’étant
�458
TRAITÉ DU DOL
nulle, à l’endroit de celui-ci que par la preuve de la
complicité dans la fraude du débiteur, ne pourrait l’être,
à l’encontre du tiers, que par la même preuve. L’ab
sence de cette preuve produirait donc pour le tiers un
effet identique à celui qu’elle aurait pour l’acheteur pri
mitif, à savoir : le maintien de la vente.
Ajoutons que si le tiers avait reçu l’immeuble à titre
lucratif, la preuve de la participation à la fraude devient
d’autant plus indifférente que l’ignorance dans laquelle
il serait resté sur l’existence de cette fraude ne ferait nul
obstacle à la révocation de l’acte. Or ce caractère de li
béralité peut être dissimulé précisément en prévision de
ce résultat. Conséquemment les créanciers sont autorisés
à prétendre et à prouver, même par témoins et par pré
somptions, que la prétendue vente n’est qu’une dona
tion déguisée. La preuve faite amènerait pour consé
quence la nullité de la convention, et les biens aliénés
feraient retour sur la tête du vendeur primitif.
1 7 6 5 . — La vente de droits successifs peut devenir
une occasion de fraude contre les créanciers de l’héri
tier. En effet, celui-ci, ne pouvant se dissimuler que le
profit de l’hérédité doit être absorbé par le paiement de
ses obligations, peut concevoir la pensée de se sous
traire à la nécessité de ce paiement, et l’exécuter en ven
dant ses droits soit à son cohéritier, soit à un tiers.
1 766. — Cette vente serait inévitablement sans ef
fets, si elle était postérieure à l’opposition que les créan-
�ET DE LA FRAUDE.
459
ciers du vendeur auraient formée à la levée des scellés.
À dater de ce moment, le débiteur ne peut isolément
rien faire qui puisse nuire à ses créanciers. La disposi
tion de ses biens qu’il ferait, contrairement à l’obliga
tion d’y appeler le créancier opposant, serait donc, à
son égard, légalement présumée frauduleuse, et dès lors
incapable de sortir à effet.
Il en serait de même vis-à-vis de celui qui aurait
traité avec le débiteur. Vainement voudrait - il exciper
de sa bonne foi et de l’ignorance de l’opposition du
créancier. Cette excuse n’est pas acceptable. Celui qui
traite de droits successifs doit s’enquérir de l’état de la
succession, de la position de celui qui demande à cé
der. Or, la moindre recherche doit lui signaler l’exis
tence de l’opposition. S’il n’en a fait aucune, s’il a aveu
glément suivi la foi de son cédant, il a commis une
grave négligence dont les conséquences ne sauraient
raisonnablement être mises à la charge du créancier.
! 767. — Le créancier non-opposant ne perd pas
le droit d’attaquer, comme frauduleuse, la cession de
ses droits par son débiteur, mais il est, dans cette hypo
thèse, obligé de prouver la fraude du cédant, celle du
cessionnaire lui-même. Cette preuve, pouvant être faite
par témoins , peut également résulter de présomptions
graves, précises et concordantes. La vilité du prix, eu
égard à la valeur réelle des droits faisant la matière
du traité, serait de nature à exercer une puissante in
fluence.
�460
TRAITÉ DU DOL
1 768.
— Aussi cette circonstance se rencontrera-telle rarement. On exagérera le prix plutôt que de le ré
duire, dans l’intention d’écarter le soupçon, ce qui n’em
pêchera pas les parties de compter et de recevoir un
prix moindre que celui porté au contrat. Mais la preuve
de cette simulation serait décisive contre le cessionnaire
lui-même. En effet, on conclurait très logiquement de
ce qu’il s’est prêté à l’exagération du prix, qu’il a con
nu les motifs que le vendeur a eu d’en agir ainsi, et
cette connaissance le constitue en état flagrant de com
plicité de la fraude, à la consommation de laquelle il a
prêté les mains.
17 6 9 .
— L’exagération du prix de la cession peut
avoir un autre motif que le désir de frauder les créan
ciers. On sait que dans un but de morale, que par res
pect du secret qu’exigent les affaires de famille, le lé
gislateur a autorisé les héritiers à écarter de la succes
sion l’étranger auquel un d’eux a cédé ses droits.
L’exercice de cette faculté est nécessairement subordonné
au remboursement du prix payé par le cessionnaire.
Ainsi, menacé de voir sa spéculation échouer, l’ache
teur de droits successifs ne manquera pas de stipuler
dans l’acte un prix supérieur à celui qu’il compte réel
lement, la différence devant, dans tous les cas, consti
tuer un bénéfice en sa faveur.
Cette fraude était trop facile, trop imminente pour
que le législateur ne dût pas s’en préoccuper. Comme
moyen de la prévenir ou de la réprimer, il autorise le
�ET DE LA FRAUDE.
461
retrayant, quels que soient les termes de l’acte, à con
tester l’exactitude du prix, à en prouver l’exagération
tant par titres que par témoins et par présomptions.
Cette faculté se justifie juridiquement sous le rapport
des principes généraux du droit. Le retrayant exerce un
droit qui lui est propre et personnel ; il n’est ni le re
présentant, ni l’ayant-cause du cessionnaire. On ne sau
rait donc ni lui opposer, comme obligatoire, un acte
auquel il est demeuré étranger, ni l’empêcher de justi
fier par témoins une fraude dont il a été évidemment
dans l’impossibilité de se procurer une preuve écrite.
Dès lors, l’acte, fût-il public et authentique, ne fait
pas foi de la sincérité du prix. Ce que le retrayant est
obligé de rembourser, c’est ce qui a été réellement payé
et bon ce qu’il a plu aux parties d’indiquer comme
l’ayant été.
1 770.
— Mais la connaissance du prix réel n’est
pas toujours facile. Le cohéritier exerçant le rachat peut
très bien être convaincu de l’exagération du prix appa
rent et en faire la preuve; mais il pourra, en même
temps, se trouver dans l’impossibilité d’indiquer le prix
réel. Ce défaut d’indication doit-il avoir pour résultat de
l’obliger à restituer le prix porté dans le contrat ?
Cette conséquence serait aussi anormale qu’injuste.
La preuve du mensonge de l’acte à l’endroit du prix,
celle de son exagération, infirme nécessairement le droit
du cessionnaire d’en être restitué. Comment admettre le
contraire, et consacrer la fraude par cela seul que le
�462
T R A IT É
DU
DOL
mystère dont ses auteurs se sont enveloppés empêche
de saisir la vérité sur les bases adoptées par elles? Fau
dra-t-il punir d’une fraude celui-là même qui devait en
être la victime?
1771
.
— La Cour de Paris ne l’a pas pensé ainsi.
Elle a, en conséquence, jugé que lorsque le retrayant
est dans l’impossibilité d’indiquer le prix réel, c’est au
juge à apprécier, suivant ses lumières et sa conscience,
la somme que celui qui a voulu frauder a pu et dû don
ner, selon les circonstances où les parties se trouvent
placées.'
Le seul reproche qu’on pourrait faire à cette doctrine
est celui d’atteindre, dans certains cas, à ce résultat :
que l’appréciation du magistrat restant en deçà de la
vérité, le cessionnaire ne sera pas remboursé de tout ce
qu’il aura payé. Mais cet inconvénient ne saurait méri
ter aucune considération, car, s’il se réalise, c’est uni
quement par le fait propre et personnel de celui qui
s’en plaidrait. Que celui qui a voulu, au mépris de la
loi, frauder des tiers, soit pris dans son propre piège,
le malheur n’est pas grand ! Il faut même avouer qu’il
ne répugne nullement à la morale et à la justice, comme
tout ce qui tend à rappeler les parties et à les mainte
nir dans les voies de la loyauté et de la franchise.
Il ne saurait donc prévaloir sur les conséquences
qu’entraînerait le système contraire, conséquences tel—
1 ! 4 février 4 834.
�ET DE LA FRAUDE.
463
lement monstrueuses, qu’on n’osait pas même en de
mander le bénéfice dans l’espèce jugée par la Cour de
Paris. On se bornait, en effet, à demander que, par ex
perts commis, la valeur des choses cédées fût appréciée,
pour le résultat de cette expertise devenir le prix à
restituer!
Mais cette prétention fut repoussée par cette raison
décisive que le retrayant n’a pas à rembourser la valeur
réelle des objets dont il demande à rentrer en posses
sion. Tout ce que l’art. 841 exige de lui, c’est qu’il paie
le prix que le cessionnaire en a donné; c’est donc ce
prix et non la valeur réelle qu’il faut établir. Une ex
pertise est donc illusoire, car, dès qu’il y a lieu à une
appréciation de cette nature, elle ne peut résulter que de
l’examen minitieux des circonstances de la cause, des
présomptions que ces circonstances révèlent, des inter
rogations des parties, des témoignages fournis. Il est
évident, dès lors, que tout cela rentre dans le domaine
naturel du juge, à qui cet examen appartient exclu
sivement.
Il était conséquemment impossible de méconnaître le
caractère juridique de la doctrine de la Cour de Paris.
Aussi, sur le pourvoi dont son arrêt fut l’objet, cette doc
trine obtint-elle la haute sanction de la Cour de cas
sation . '
1 7 7 2 . — Comme conséquences du principe qui en
1 1er juillet 1835.
�464
TRAITÉ DU DOL
fait la base, l’arrêt de la Cour de Paris et celui de la
Cour de cassation consacrent ces deux points impor
tants :
10 Que la restitution des droits d’enregistrement doit
être calculée sur le prix réellement payé et non sur ce
lui ostensiblement déclaré dans l’acte. Dans l’espèce, la
différence était importante, car le prix apparent était
de 60,000 francs, tandis que celui reconnu payé ne s’é
levait qu’à 1,930 ;
2° Que le retrayant n’est pas obligé de restituer les
honoraires et frais purement personnels et relatifs au
cessionnaire.
11 est évident, dans le premier cas, que les frais d’en
registrement ne sont déboursés que parce que les par
ties ont eu l’intention de frauder. Or, une intention de
cette nature ne peut jamais avoir pour résultat d’aggra
ver la position de celui à qui la fraude pouvait préju
dicier. Conséquemment, les frais auxquels celte inten
tion a donné lieu doivent nécessairement être laissés à
la charge de celui qui s’est exposé à la chance de les
débourser en pure perte.
Ce qui justifie la solution sur ce dernier point, légi
time une solution identique sur le second. En effet, le
cessionnaire sait qu’il est exposé au retrait ; que celui-ci
se réalisant, il ne peut exiger que le remboursement de
ce qu’il a payé lui-même. Dès lors, si cette éventualité
ne l’a pas arrêté, s’il en a volontairement couru la chan
ce, il n’a aucun droit de demander une indemnité quel-
�ET DE LA FRAUDE.
465
conque des peines et soins qu’il a pu prendre pour la
liquidation de l’hoirie.
! 773. — La difficulté que nous venons de signaler
et de résoudre en tranche une autre que l’exercice du
retrait pouvait faire surgir. La demande doit-elle être
précédée ou accompagnée de l’offre réelle du prix à res
tituer?
L’art. 841 garde, sur cette obligation, le plus com
plet silence, et ce silence est un juste conséquence de
l’éventualité que nous venons d’examiner. Comment
concevoir, en effet, la nécessité d’une offre réelle, lors
que le retrayant peut ignorer la somme qu’il aura, en
définitive, à rembourser? La condition devenant irréa
lisable, on ne pouvait raisonnablement lui subordonner
l’exercice du droit de retrait.
Il suffit donc que celui qui en poursuit le bénéfice
offre, dans la demande même, de restituer le prix et tous
ses légitimes accessoires, tels qu’ils résulteront du juge
ment à intervenir. C’est ce que la doctrine et la juris
prudence ont, de tout temps, admis et consacré.'
1774,
— Le bénéfice du retrait est définitivement
acquis, dès que l’intention de l’exercer a été régulière
ment manifestée. Tous actes postérieurs, tendant à en
paralyser les effets, ne sauraient être invoqués contre
1 Chabot tom. ni, art. 841 n° 23 ; — Duranton, tom. vu, n° 200.
Besançon, 31 janvier 1809; — Aix, 5 décembre 1807; — Pau, 10
juin 1830 ; — Bourges, 16 décembre 1833 ; — Bastia, 23 mars 1835.
�466
T R A IT É
DU
DOL
le retrayant. Légalement présumés faits pour éluder la
loi a cet égard, ils ne sauraient être consacrés.
Ainsi, il a été jugé que le cohéritier, qui a offert en
justice, au cessionnaire des droits successifs de son co
héritier, le remboursement du prix de la cession, a, dès
ce moment, et quoique son offre n’ait pas été acceptée,
un droit acquis à la subrogation, droit qui ne peut être
compromis par les actes faits ultérieurement entre le
cédant et le cessionnaire ; spécialement, qu’une de
mande en retrait successoral ne peut être écartée par
le motif que le cessionnaire d’une partie des droits suc
cessifs d’un des cohéritiers, est en même temps, dona
taire d’une autre partie de ces droits, lorsque l’acte qui
lui confère cette dernière qualité est postérieur à,la de
mande en retrait.1
Par application du même principe, la Cour de Paris
a jugé, le 16 mai 1823, que la résolution delà cession,
intervenue entre les parties postérieurement à la de
mande en retrait, ne pouvait rendre cette demande irre
cevable ou mal fondée.
Dans l’espèce de cet a rrê t, la résolution avait été
poursuivie et prononcée pour défaut de paiement du
prix. Une pareille action, alors que, par l’effet immé
diat du retrait, le prix était offert par le retrayant, n’a
vait pas d’autre motif possible que l’intention concertée
entre le cédant et le cessionnaire d’empêcher l’exercice
du retrait, et d’annihiler ainsi une faculté formellement
�ET
DE
LA
FRAUDE.
467
reconnue par la loi. C’esl donc avec juste raison qu’on
déclara que la rescision, étant postérieure à la déclara
tion du retrait, ne pouvait prévaloir sur le droit acquis
par cette déclaration.
1775 . — Le cessionnaire, évincé par le retrait, n’a
aucune garantie à exercer contre le cédant. Cette règle
a son principal fondement dans ce principe : que l’ac
quéreur, connaissant le vice de la chose qu’il a achetée,
ne peut se plaindre des conséquences que ce vice en
traîne. Or, celui qui accepte une cession de droits suc
cessifs doit savoir qu’il dépend des héritiers de se faire
subroger au bénéfice ne son contrat, en lui en restituant
le prix et ses légitimes accessoires. Cette restitution opé
rée , il est complètement désintéressé. Quelle garantie
peut-il donc avoir à exercer ?
1776 . — La Cour de cassation a même décidé que,
le retrait successoral reposant sur des motifs d’ordre pu
blic, aucune stipulation entre le cédant et le cession
naire ne pouvait avoir pour effet d’en gêner ou d’en
compromettre l’exercice ; qu’a in si, la promesse for
melle de garantie ne pouvait être opposée au retrayant,
alors même que, depuis la cession, celui-ci serait de
venu l’héritier du cédant.
Le contraire avait été admis par la Cour de Dijon.
Son arrêt avait déclaré la demande en retrait non-rece
vable, attendu que le cohéritier la poursuivant était de
venu l’héritier du cédant, et, conséquemment, tenu de
la garantie promise par celui-ci ; qu’il devait donc être
�468
T R A IT É
DU
DOL
évincé de sa poursuite en force de la règle de droit :
Quem de eviclione tenet actio eumdem agentem repellit exceptio. Mais, sur le pourvoi dont il fut l’objet, cet
arrêt fut cassé par la Cour régulatrice, comme ayant
faussement appliqué les principes relatifs à la garantie
et expressément violé l’art. 841
1777.
— Ce caractère absolu du droit conféré par
l’art. 841 sera dans le cas de déterminer, chez ceux qui
désireront en éluder les effets, une fraude consistant dans
la simulation de la nature du contrat. On sait en effet
que, recevable contre tout acte à titre onéreux, l’action
en retrait n’est pas autorisée contre le donataire à titre
gratuit. En conséquence, et malgré qu’il s’agisse d’une
cession, et que le prix en ait été payé, les parties con
sentiront une donation.
Sans doute, dans cette hypothèse comme dans celle
d’un acte à titre onéreux, il se produit un effet identi
que. Ainsi, un étranger viendra s’immiscer dans les se
crets de la famille, prodiguer les obstacles, semer les
difficultés, éterniser enfin des opérations que les liens
existants entre des copartageants ordinaires concilieraient
facilement.
Cependant la défense d’exercer le retrait contre un
donataire est rationnelle et juste. Celui qui dispose de sa
propriété à titre gratuit ne fait qu’user du droit incon
testable que la qualité de propriétaire lui confère. On
i C ass., 1 5 m a i 1 8 4 4 ; —
Journal du Palais,
t o r n . i , 1 8 4 4 , p . 73G.
�ET
DE
LA
FRAUDE.
469
ne pouvait donc ni l’empêcher de céder aux sentiments
de reconnaissance et d’affection auxquels il obéit, ni lui
imposer l’obligation de préférer un de ses cohéritiers à
celui qu’il choisit lui-même. D’autre part, la donation
n’ayant aucun prix, qu’aurait-on dû rembourser à celui
qui en a été l’objet ?
La différence entre le cessionnaire elle donataire était
donc une conséquence forcée de la nature des choses, et
c’est cette différence qu’on exploitera dans certains cas
pour arriver indirectement au but qu’on ne saurait at
teindre d’une manière directe.
Mais pour qu’on puisse s’en attribuer le profit, il ne
suffit pas d’une vaine apparence, il faut qu’il s’agisse
d’une véritable libéralité, d’une donation sincère. L’acte
ne fait pas plus foi de son caractère que du prix qui y
est stipulé; le retrayant, qui a la faculté de contester ce
lui-ci, a le droit de discuter celui-là ; de prouver par
toute sorte fie preuves que la qualification de donation
n’est qu’un mensonge, à l’aide duquel on a prétendu lui
arracher tout moyen d’exercer le retrait; cette preuve fai
te, l’acte tombe sous le coup de l’art. 841, le prétendu
donataire n’est plus qu’un cessionnaire ordinaire, n’a
yant plus qu’à recevoir la restitution du prix qu’il a payé,
et qui, à défaut d’indication précise, doit être, comme
nous venons de le dire, déterminé par le juge.
1778.
— L’effet radical de la donation, à l’endroit
de l’exercice du retrait, indique une difficulté que la
poursuite de celui-ci peut faire surgir. Le cessionnaire,
�470
TRAITÉ DU DDL
auquel le cohéritier voudra se faire subroger, pourraitil faire repousser la demande en soutenant que la vente
qui lui a été consentie n’a rien de réel, qu’elle n’est
qu’une donation déguisée?
L’affirmative, si elle était admise, aurait pour consé
quence inévitable d’effacer de notre loi l’art. 841, en le
rendant à tout jamais inapplicable. Dans tous les cas, en
effet, où il s’agirait de retrait, le défendeur ne manque
rait pas de soutenir que la cession déguise une libéralité,
et de faire ainsi repousser l’action du retrayant. Cette
considération suffirait à elle seule pour faire repousser
le système auquel elle servirait de base.
Mais il est d’autres motifs non moins décisifs qui com
mandent ce rejet. Sans doute la donation, déguisée sous
la forme d’un acte à titre onéreux, ne laisse pas que
d’être valable. Mais cet effet ne se produit qu’en tantque
la simulation n’a pas pour objet de frauder la loi, soit à
l’endroit d’une prohibition d’ordre public, soit sous le
rapport de la capacité des parties.
De plus, la partie qui a coopéré à la fraude ne peut
jamais en exciper contre les tiers, elle est, par rapport
à eux, tenue parles termes de son contrat, sans qu’elle
puisse jamais prouver contre eux outre et hors son con
tenu.
Ainsi, du vendeur à l’acquéreur, l’acte de vente dé
guisant une donation est valable. Mais ce dernier pour
rait-il, excipant de ce caractère, se dispenser de payer
le prix stipulé que les créanciers auraient saisis entre
ses mains ? Non évidemment.
�ET DE LA FRAUDE.
471
Ce qu’on déciderait dans cette circonstance, on doit
d’autant plus le consacrer dans notre hypothèse, qu’en
présence de l’art. 841, l’existence d’une libéralité dégui
sée est d’autantplus invraisemblable. Qu’aurait-on voulu
en donnant ? Mettre le cessionnaire à l’abri du retrait.
Mais, alors, il est fort remarquable qu’au lieu d’emplo
yer un moyen décisif d’atteindre à ce but, celui de faire
une donation pure et simple, on ait recouru à une simu
lation devant rendre ce résultat désiré plus difficile et
plus chanceux. On comprend que, pour éluder la lo i,
on déguise une vente, en la qualifiant de donation , ce
qu’on ne saurait comprendre, c’est que, voulant faire
une donation, et les parties étant réellement capables
de la consentir et de l’accepter, on l’ait déguisée sous
l’apparence d’une vente.
Dans tous les cas, le titre étant obligatoire pour celui
qui l’a souscrit, on ne saurait l’admettre à se soustraire
à son exécution, sans violer la prohibition de l’art. 1341,
sans méconnaître les droits des tiers. Conséquemment ,
et pour la question qui nous occupe, il suffira qu’il s’a
gisse d’un acte de vente pour que le retrait soit admis ,
nonobstant toute prétention tendant à le faire considérer
comme donation déguisée.1
1779.
— Aucune fin de non recevoir ne saurait donc
résulter ni destermes, ni du caractère del’acte.Les seules
opposables sont celles tirées de la ratification que le re-
�m
TRAITÉ DU DOL
trayant aurait donnée à l’acte, de l’expiration du délai
qui lui est imparti pour exercer son droit.
La ratification expresse ne laisserait aucun doute sur
l’extinction du droit. Il est vrai, et c’est, nous venons de
le voir, ce que la Cour de cassation a décidé, que le re
trait est d’ordre public, ce qui semblerait exclure toute
possibilité de ratification. Mais, dans cet ordre même,
sa disposition est principalement dans l’intérêt des co
héritiers, dès lors, ils ne peuvent malgré eux être privés
de leur droit, mais ils peuvent vouloir s’abstenir de l’exer
cer, et la loi s’en réfère sur ce point à leur appréciation.
Cette abstention, résultant de ce qu’ils auraient ratifié la
cession, en déclarant qu’ils ne veulent pas l’attaquer ,
rendrait tout retrait ultérieur impossible.
La possibilité d’une ratification expresse entraîne celle
d’une ratification tacite, mais ici il convient de procéder
avec la plus extrême circonspection. On ne doit pas pré
sumer facilement que les ayanls-droit aient voulu renon
cer à un droit de nature à les préserver des inconvé
nients que peut offrir pour la famille entière l’immixtion
d’un tiers étranger. En conséquence, pour que les actes
dont on veut induire la ratification puissent efficacement
l’établir, il faut, disent Chabot et Touiller, qu’ils soient
tels qu’ils décèlent chez leur auteur l’intention bien mar
quée de reconnaître les droits du cessionnaire. Confor
mément à cette doctrine, on ne devrait pas considérer
comme ratification les actes intervenus entre l’héritier et
le cessionnaire, et qui ne seraient que préparatoires du
�ET
DE
LA
FRAUDE.
473
partage,' ou qui tendraient à le déterminer, tels, par
exemple, qu’un jugement qui l’ordonne sur la demande
du cohéritier, qu’une sommation d’y procéder faite à sa
requête."
La règle générale qu’on pourrait, dit M. Dalloz, poser
à cet égard, serait de ne pas considérer comme entraî
nant déchéance les actes préalables au partage qui ont
pour objet de faire connaître la valeur des biens de la
succession et d’éclairer les héritiers sur les inconvénients
de la présence d’un étranger.3
1780.
— L’objet spécial du retrait étant d’écarter
du partage l’étranger cessionnaire, il est évident que, si
le partagea été contradictoirement consommé avec lui,
il ne peut plus y avoir lieu à l’action en subrogation,
son exercice ne serait plus qu’un effet sans cause, il ne
saurait dès-lors être ni recevable, ni admissible.
Mais si le partage consommé vient à être rescindé, la
nécesssité d’en poursuivre un nouveau fait-elle revivre
le droit des héritiers, rend-elle le retrait recevable?
M. Duranton résout cette question par l’affirmative.
Dès que le partage est rescindé, dit-il, il n ’y a plus de
partage, les choses sont remises au même état qu’auparavant, et l’acheteur ne se trouve plus qu’un cessionnaire
de droits successifs.
Cette doctrine ne nous parait pas admissible, nous ve1 Cass , 15 mai 1833.
2 Paris, 26 février 1816.
3 D. A., t. x, p. 502, n° 8.
�474
TRAITÉ DD DDL
nons de voir que la cession peut être ratifiée. Chabot et
Toullier n’exigent qu’une condition, à savoir : que les
actes prétendus ratificatifs soient tels qu’ils décèlentl’intention bien marquée de reconnaître les droits du ces
sionnaire. Or, y a-t-il un acte plus significatif que l’ad
mission de celui-ci au partage ?
Par celte admission, en effet, l’étranger a été initié à
tous les secrets de la famille, un nouveau partage ne lui
apprendra rien de nouveau. Le motif déterminant de
l’art. 841 n’existe donc plus, et dès lors il serait fort ir
rationnel de faire survivre l’effet à la cause, et de remet
tre de nouveau en question des droits formellement re
connus et ratifiés.
Ainsi, la consommation du partage avec le cession
naire consolide à tout jamais ses droits. La rescision qui
serait ultérieurement prononcée remet, quant aux résul
tats obtenus jusque là, les parties dans le même état
qu’auparavant, mais elle ne peut influer sur leur qua
lité. Toutes celles qui ont participé au premier partage
sont de plein droit appelées à concourir au nouveau.
Notre opinion se basant sur la ratification résultant
de l’admission du cessionnaire au partage, il suit qu’el
le ne serait appliquée que dans les cas où les héritiers
ont été à même d’exercer le retrait lors du premier parta
ge. Il est évident que, dans le cas contraire, rien ne s’op
poserait à ce qu’ils pussent le réaliser après rescision.
Ainsi, supposez que, le partage consommé par les co
héritiers, l’un d’eux ait cédé les droits lui revenant à un
étranger. La rescision ultérieurement prononcée appel-
�ET DE LÀ FRAUDE.
475
le le cessionnaire au nouveau partage, il pourra en être
écarté par l’effet du retrait. Sa présence est un fait nou
veau, né de la rescision elle-même, il ne saurait se réa
liser sans que le droit des héritiers se réalise également.
On ne saurait exciper de leur silence précédent, car l’ab
sence de la cession le rendait inévitable et forcé.
Il en serait de même si la rescision avait été pronon
cée sur la demande d’un héritier inconnu jusqu’alors ,
et n’ayant pas, par conséquent, pris part au premier
partage. Cet héritier aurait incontestablement le droit
d’exercer personnellement le retrait, sans qu’on pût lui
opposer le fait de ses cohéritiers qui n’ont pas voulu user
du droit qu’ils avaient. La ratification opposable à ceuxci ne pourrait être utilement invoquée à son endroit ,
non seulement il ne l’a pas donnée, mais encore il n’a
jamais été en position de la donner.'
1781.
— Ce que l’art. 841 fait pour les droits suc
cessifs, l’art. 1699 le prescrit pour les droits litigieux.
Celui contre lequel on a cédé un droit de cette nature
peut s’en faire tenir quitte par le cessionnaire , en lui
remboursant le prix réel de la cession avec les frais et
loyaux coûts, avec intérêts du jour du paiement par le
cessionnaire.
Les motifs de cette disposition sont frappés au coin
d’une haute moralité et d’une exacte justice. On a voulu
mettre un terme à la cupidité des acheteurs des droits
1 V. infra n° 4789.
�476
TRAITÉ DU DOL
litigieux et réprimer ainsi les nombreux procès que
d’odieuses spéculations font surgir. Celui qui, pour s’en
richir, n’hésite pas à se faire souvent un titre de scan
dale qu’il va provoquer, ne saurait se plaindre si, par
le retrait de ses droits, il se trouve privé du bénéfice
qu’il s’en était promis.
La règle de l’art. 1699 ne fut pas admise dans le
Code sans contestation. M. Lacuée fit observer qu’il
peut arriver qu’un homme opulent, pour obliger un ci
toyen pauvre, lui achète ses droits litigieux. L’adverse par
tie cependant, qui voit qu’elle va être poursuivie, se hâte
de rembourser le cessionnaire. Elle profite donc seule du
marché et se soustrait aux condamnations dont elle était
menacée.
M. Tronchet répondit que le procédé du cessionnaire
est immoral, même dans ce cas. S’il n’eût voulu qu’obli
ger le plaideur indigent, il lui eût fait des avances. Il
est évident qu’en exigeant une cession, il a cédé à un
sentiment beaucoup moins généreux, il a voulu se mé
nager un bénéfice. Cette réponse détermina l’adoption
de l’art. 1699.
'
Is
'
! 78 2 . — Sa véritable portée nous est enseignée par
le droit romain. Il ne régit que la cession à titre oné
reux. La donation d’undroit, quelquelitigieux qu’il puis
se être, ne saurait être écartée par le retrait. C’est ce que
la loi per diversas avait formellement consacré.
C’était là une large porte ouverte à la fraude. Ce qui
le prouve c’est que Justinien crut devoir compléter l’œu-
�ET DE LA FRAUDE.
477
vre de son prédécesseur, qu’il qualifie de juslissima
constitutio. La loi ab Anastasio prévoit donc deux hy
pothèses : celle où les parties ont donné à la cession le
caractère d’une libéralité pure et simple ; celle où après
avoir vendu jusqu’à concurrence du prix, le cédant dé
clare donner le surplus.
Justinien exige, dans la première, que la donation soit
réelle et sincère. Ainsi, la preuve que le prétendu dona
taire a payé une somme quelconque pour obtenir la ces
sion, imprime à l’acte le caractère d’une vente, et ne
donne au cessionnaire que le droit d’exiger la restitu
tion de la somme déboursée avec ses légitimes acces
soires. Dans la seconde, la clause de donation du sur
plus est censée non écrite et ne saurait produire aucun
effet.'
Cette doctrine découlait forcément du principe per
mettant le retrait. Bientôt, en effet, la clause de dona
tion du surplus serait devenue de style dans les cessions
de ce genre, et la faculté d’exercer le retrait n’aurait plus
été qu’une prérogative nominale, qu’une lettre morte ,
sans utilité possible.
1783.
— Ce qui se pratiquait sous l’empire des lois
per divers as el ab Anastasio, a été consacré par l’art.
1699 qui nous régit. C’est ce que la doctrine et la juris
prudence n’ont pas hésité à reconnaitre et à consacrer.
En conséquence, la décision de Justinien, dans la double
i L. 22 et 23, Cod.
M a n d . vel con tra .
�hypothèse qu’il prévoit, devrait être rigoureusement ap
pliquée.
1784. — Une seule difficulté a surgi à l’endroit de
la donation pure et simple. On s’est demandé si l’exis
tence de quelques charges de peu d’importance plaçait
la donation sous le coup de la loi, et devait la faire con
sidérer comme une vente? L’affirmative est formelle
ment soutenue par M. Troplong, mais une pareille sé
vérité d’appréciation nous paraît outrer le principe dont
elle prétend faire une juste application.
La question de savoir si la cession est à titre onéreux
ou gratuit,"est une question de fait. Elle ne comporte
donc aucune règle absolue. Tout est livré à la conscience
et aux lumières des magistrats. Il est évident dès lors
que, si par leur nature et par leur objet les charges im
posées à la donation n’en dénaturent nullement les ca
ractères , la donation doit être maintenue et ses effets
appliqués. C’est aussi ce que la jurisprudence a con
sacré.1
iss w
NïBSt
1785. — Les droits du retrayant, à l’endroit du
m
;l'IIP
mUj m jà d Ê
i ' f î f f
:
prix de la cession, sont, en matière de droits litigieux,
identiques à ceux que nous avons dit pouvoir être exer
cés dans le retrait successoral. La frau d e, redoutable
dans ce dernier cas, est bien plus à craindre dans le pre
mier. En conséquence, quelles que soient les énoncia
tions du titre à cet égard, l’ayant-droit peut toujours en
HI
l l
Il f-g ; 1 F», ‘
gpl
i Toulouse, 43 décem. 4830 ; — Cass., 4 juin 4834.
�ET DE LA FRAUDE.
479
contester la sincérité, soutenir notamment que le prix
n’est pas réel et le prouver tant par témoins que par
présomptions. Il ne saurait être, dans aucun cas, tenu
de restituer au delà de ce qui a été réellement payé,
dont, à défaut d’éléments certains et positifs, la détermi
nation est laissée à l’arbitrage souverain du juge.
1786. — De même que pour le retrait successoral,
la faculté d’exercer le retrait litigieux est absolue et ne
saurait être perdue que par une renonciation formelle.
Mais il importerait peu que le procès eût été commencé
et soutenu contre le cessionnaire. Tant que le litige n’a
pas été définitivement jugé, le retrait est possible, quel
que soit l’état de la cause. Non seulement il ne doit pas,
à peine de déchéance, être exécuté in limine litis, mais
encore la jurisprudence est unanime sur ce point, celui
qui n’a pas voulu l’exercer en première instance est re
cevable à le faire en cause d’appel.1
1787. — Toutefois, comme cet exercice est un pri
vilège introduit en faveur du débiteur, la Cour de cassa
tion en a conclu que le droit de le réaliser pour la pre
mière fois en cause d’appel n’appartient qu’à lui ou à
ses représentants légaux. En conséquence, elle a refusé
de le reconnaître aux créanciers, par arrêt du 6 juillet
1 8 4 7 .’
1 Metz, 11 mai 1831 ; — Cass., 8 mars 1832 et 28 janvier 1836 ; —
Bourges, 17 février 1838 ; — J. D. P., t. n, 1838, p. 285.
2 J. D. P., t. h , 1848, p. 667.
�Il résulterait de cet arrêt que, par rapport aux créan
ciers, le silence gardé en première instance par leur dé
biteur est considéré comme une renonciation contre la
quelle ils ne sauraient revenir. Cette doctrine peut, dans
un cas donné, favoriser une fraude, ou conduire à une
injustice flagrante.
En effet, le silence du débiteur peut n’être que le ré
sultat d’une collusion entre lui et le cessionnaire, dans
l’intention de frauder les légitimes créanciers. Objecte
ra-t-on que dans ce cas ceux-ci auront l’action de l’ar
ticle 1167? Mais de quel secours sera cette action, lors
que le droit litigieux sera fondé et que le préjudice ne
consistera que dans la différence entre sa quotité et celle
du prix payé par le cessionnaire ? Comment prouver
que l’abstention du débiteur à réclamer le bénéfice du
retrait est entachée de fraude? Il est donc vrai de dire
que le refus d’accorder aux créanciers un droit qu’on
reconnaît exister en faveur du débiteur favorise singu
lièrement la fraude.
Kf1
Nous ajoutons que ce refus peut, dans certains au
tres cas, constituer une injustice. En effet, les créanciers
ne sont pas nécessairement parties dans les procès in
téressant l’actif de leur débiteur, ils peuvent y intervenir
pour la conservation de leurs droits, mais ils ne doivent
pas y être appelés. Or, supposez qu’avertis du danger
qui les menace, à une époque seulement où le procès
est devant la Cour, ils réalisent immédiatement leur in
tervention, faudra-t-il les déclarer déchus d’un droit
qu’ils ont été dans l’impossibilité d’exercer jusque là?
�481
ET DE LA FRAUDE.
Il nous semble qu’en présence de cette double éven
tualité, le système qui peut engendrer de pareils résul
tats ne devrait être admis qu’autant qu’il serait formel
lement prescrit par la loi. O r, loin qu’il en soit ainsi,
la doctrine de la Cour de cassation est au contraire en
opposition flagrante avec l’art. 1166 notamment.
Cet article, en effet, autorise les créanciers à exercer
au nom de leur débiteur toutes les actions qu’il pourrait
exercer lui-même. Ce principe ne reçoit exception que
pour les actions exclusivement attachées à sa personne
et celles-là seules ont ce caractère, qui s’éteignent avec
la personne elle-même et qui ne passent pas même aux
représentants légaux.
L’action en retrait ne peut se placer dans cette caté
gorie. La Cour de cassation reconnaît que les représen
tants légaux du débiteur peuvent, comme il le pourrait
lui-même, l’exercer pour la première fois en appel. Com
ment donc la refuserait-on aux créanciers agissant en
vertu de l’art. 1166? Dans cette hypothèse, ils ne se
raient pas les représentants légaux de leur débiteur!
Mais ils sont mieux que cela, ils sont le débiteur luimême.
Nous ne considérons pas la question comme défini
tivement tranchée par l’arrêt que nous rappelons. Un
nouvel examen, une appréciation plus approfondie doit,
à notre avis, amener une solution contraire à celle que
cet arrêt consacre. '
1788. — Dans toutes les hypothèses où le retrait
iv
31
�482
TRAITÉ DU DOL
est recevable, il faut que le droit cédé soit litigieux ; que
son objet soit d’empêcher et de prévenir le procès. Or,
le droit n’est plus litigieux dès l’instant que, le procès
ayant été soutenu, il est intervenu une décision défini
tive validant le droit poursuivi. Le débiteur ne peut si
multanément courir la chance de gagner le procès ou
de s’en racheter, en cas de perte, par la restitution du
prix de la cession. Il doit donc opter entre le retrait et
le soutien du procès.
La conséquence de celte règle devrait être l’inadmis
sibilité du premier, s’il n’est proposé que par des con
clusions subsidiaires en cas de condamnation sur le fond
du droit. Après cette condamnation, il n’y a plus de
droit litigieux et, dès lors, plus de retrait possible. Celte
règle posée par Pothier, adoptée par MM. Troplong et
Duvergier, a été consacrée par la jurisprudence.'
Ainsi, il ne suffit pas, pour que le retrait puisse être
exercé, que le droit cédé fût litigieux au moment de la
cession, il faut en outre qu’il le soit encore au moment
où le retrait est poursuivi. Mais le droit litigieux à la
première époque, ne perd son caractère que par une
décision définitive qui le reconnaît et le consacre. L’exis
tence de celle-ci est un obstacle invincible à tout retrait
ultérieur.
1 7 8 9 . — Toutefois cette règle reçoit exception dans
1 Pothier, Vente, n° 5 9 8 ; — Troplong, Vente, n° 9 8 7 , t. n ; — Du
vergier, Vente, n° 3 7 5 , t . n ; — Cass., 1 er juin 1 8 3 1 e t 8 mars 1 8 3 2
Bordeaux , 1 2 avril 1 8 3 2 ; — Bourges, 1 9 février 1 8 3 8 ; — J. D. P., t.
�ET DE LA FRAUDE.
483
le cas où la cession ayant été cachée, ne se révèle qu’a près le jugement définitif. Nul ne peut perdre un droit
avant d’avoir été mis en demeure de l’exercer, il n’y
a ni renonciation, ni prescription possible contre celui
qui ne s’est abstenu d’agir que parce qu’il a ignoré qu’il
pût ou dût le faire.
De là cette conséquence que le retrait successoral
pourra être exercé après le partage, et le retrait litigieux
après jugement définitif, si la cession n’a été connue
qu’alors. Il le fallait ainsi pour empêcher une fraude
d’autant plus à craindre que la spéculation du cession
naire promettant d’être avantageuse, celui-ci aura un
plus grand intérêt à éluder la loi. Or, le moyen le plus
sûr serait incontestablement celui de stipuler que le par
tage ou le procès sera poursuivi au nom du cédant,
quoiqu’il n’ait plus personnellement aucun intérêt à l’un
ou à l’autre. On comprend dès lors que se préoccupant
de celte fraude, le législateur en ait réprimé les effets,
en reconnaissant que les droits consacrés par les arti
cles 841 et 1699 peuvent être exercés dès qu’elle se dé
couvre, à quelque époque que se réalise cette découverte
et même après partage ou jugement définitif.'
4 7 9 0 . — Nous avons dit que la disposition de l’ar
ticle 1699 a eu pour but de proscrire ces spéculations
odieuses, à l’aide desquelles on cherche à exploiter les
1 Rouen, 46 mars 4812 ; — Cass., 3 juin 1820 ; — Bordeaux, 6 juif.
1838 ; — Conf., Pothier, i b i d . , n° 597 ; — Troplong, i b i d . , n» 983 ; —
Duvergier, i b i d . , n° 378.
�484
TRAITÉ DU DOL
procès, à les faire naître animo vexandi, et pour satis
faire à une sordide cupidité. Toute cession de droits li
tigieux n’a pas nécessairement ce caractère, il convenait
donc de tracer les exceptions dans lesquelles son absence
devait s’opposer à l’exercice du retrait.
Ces exceptions, admises par le droit romain, se trou
vent aujourd’hui expressément rappelées par l’art. 1701.
En les parcourait, on acquiert facilement la conviction
que chacune d’elles, dictée par un esprit de sauvegarde
et de conservation, reste étrangère à toute arrière-pen
sée d’hostilité ou d’agression. En effet, le cessionnaire
achète rem necessariam-, ce qu’il veut, c’est l’exécution
légale de son droit ou la conservation de la chose qu’il
possède déjà. Loin de chercher à faire un procès, il agit
réellement pour résoudre, dans un légitime intérêt, des
difficultés dont il pourrait lui-même devenir la victime.
1 7 9 1 . — Ainsi que l’observe M. Troplong, l’arti
cle 1701 ne peut créer qu’un doute sur la portée réelle
de l’exception en faveur du cohéritier. La constitution
d’Anastase l’avait formellement spécialisée en la rédui
sant entre cohéritiers et à l’endroit des actions hérédi
taires : Exceptis scilicet cessionnibus quas inter cohœredes, pro actionibus hœreditariis fieri conlingit.'
Doit-on conclure des termes généraux de l’art. 1701
que le Code civil a voulu autre chose, et que, sous son
empire, la cession d’un droit litigieux contre la succèsi L. 22, Cod M a n d . v e l c o n t r a .
�ET DE LA FRAUDE.
485
sion faite par un tiers est à l’abri de tout retrait, par
cela seul qu’elle a été faite en faveur du cohéritier ?
Nous ne saurions admettre l'affirmative, et cela par
deux raisons décisives :
1° Le Code civil a entendu se conformer exactement
à ce que le droit romain avait consacré, et qui avait
été admis par notre ancienne jurisprudence. C’est ce qui
résulte expressément de l’exposé des motifs de M. Por
talis. En effet, après avoir rappelé ce qui se pratiquait
chez l’un et chez l’autre, M. Portalis ajoutait : Nous
avons cru devoir conserver par le projet de loi une ju
risprudence que la raison et l’humanité nous invitaient
à conserver ;
2" Le cohéritier, achetant de son cohéritier, achète
réellement rem necessariam, et pour se maintenir luimême dans un droit acquis. L’achat d’un droit litigieux
contre l’hérédité sera sans doute d’une utilité relative
au cohéritier qui l’a contracté d’un tiers, mais il peut
renfermer contre les autres cohéritiers une spéculation
de la nature de celles proscrites par l’art. 1699. Il était
rationnel de parer à cette éventualité, en autorisant ces
derniers à exercer le retrait au nom et dans l’intérêt
de l’hérédité, débiteur cédé.'
1792. — Indépendamment des règles générales qui
précédent, l’art. 1597 crée, par rapport aux droits liti
gieux, une règle spéciale à l’égard des personnes qui y
sont énumérées.
1 Troplong, sur l’art, 1704 ; — Duvergier, Vente, t. ii , n° 390
�486
TRAITÉ DU DOL
Ainsi les juges, leurs suppléants, les magistrats rem
plissant les fondions du ministère public, les greffiers,
huissiers, avoués, défenseurs officieux (aujourd’hui avo
cats) et notaires, ne peuvent devenir cessionnaires de
procès, droits et actions litigieux qui sont de la compé
tence du tribunal dans leressort duquel ils exercenlleurs
fonctions, à peine de nullité ; des dépens, et domma
ges-intérêts.
1 7 9 5 . — Nous avons déjà exposé les motifs et les
effets principaux de cette disposition.'Nous nous borne
rons donc à jeter un rapide coup d’œil sur les difficul
tés que son application peut faire surgir.
Remarquons avant tout que les incapables dont s’oc
cupe cet article, quelle que soit leur intention de se sous
traire à ses effets, et précisément à cause de celte inten
tion, se garderont bien de traiter directement et en leur
nom propre et personnel. L’unique chance de succès
sur laquelle ils puissent compter, est évidemment dans
le soin qu’ils mettront à cacher l’intérêt qu’ils ont dans
l’opération. Ils auront donc recours à la simulation et
notamment à l’interposition d’un prétendu acheteur char
gé de leur transmettre le bénéfice delà cession. Cette né
cessité a tout d’abord fait rechercher si les principes des
art. 911 et 1100, sur l’interposition des personnes, leur
étaient applicables?
La négative a été admise en ce sens qu’en pareille
i V. su p ra., nc 706.
�ET DE LA FRAUDE.
487
matière, et quelque rapproché que soit le dégré de pa
renté, la présomption légale, excluant la preuve du con
traire, conduirait souvent à une véritable injustice. Le
père, le fils d’un magistrat peut être comme tout autre
alléché par le bénéfice énorme que promet l’acquisition
d’un procès ou d’un droit litigieux. Il peut donc la con
tracter sans consulter son fils ou son père, et quelque
fois même contre son avis. La justice exigeait qu’on tint
compte de cette circonstance, surtout lorsqu’il s’agit de
flétrir un magistrat, en le déclarant convaincu d’avoir
violé la loi qu’il est chargé d’appliquer.
Donc il n’existe pas, dans celte matière, de présomp
tion légale; mais le degré de parenté rapproché, entre
le cessionnaire et l’incapable, est un indice bien puis
sant d’interposition,et il faudrait des explications péremp
toires pour dissiper le soupçon qu’il crée. Si ces expli
cations laissaient à désirer, la fraude devrait être recon
nue et ses effets encourus. C’est ce qu’avait consacré no
tre ancienne jurisprudence. Denizart rapporte un arrêt
du parlement d’Aix qui annula une vente de droits liti
gieux faite aux deux fils de M. de Coriolis, président à
mortier de ce parlement, fit défense à ce magistrat d’en
accepter de semblables, et le condamna en 300 livres
de dommages-intérêts et aux dépens.
Ainsi, la qualité des parties fait facilement présumer
la fraude, mais n’en fournit jamais la preuve légale.
Cette présomption doit céder devant la preuve contraire.
L’admissibilité de celle-ci et son efficacité sont laissées
à l’arbitrage souverain du juge.
�488
TRAITÉ DU DOL
1 7 9 4 . — La cession, acceptée par un des incapa
bles indiqués dans l’art. 1597, est frappée d’une nul
lité radicale et absolue. La disposition de cet article est
d’ordre public et général. Toutes les parties peuvent
l’invoquer, excepté le cessionnaire lui-même. Cette ex
ception est la juste conséquence de l’infraction à la loi
dont ce dernier s’est rendu volontairement coupable, et
dont il est rationnel qu’il ne puisse, en aucun cas, se
faire un titre.
C’est surtout au débiteur que la nullité profite. En
effet, elle atteint à ce résultat qu’elle anéantit le droit
cédé. Le cédant qui l’a vendu, étant désintéressé, ne
peut plus l’exercer. L’illégalité de la cession plaçant le
cessionnaire dans la même impossibilité, en réalité le
droit n’existe plus. Vainement l’incapable voudrait-il le
céder lui-même. Sa possession, jugée illégale, lui enlè
verait ce droit ; il ne peut valablement transmettre ce
qu’il n’a pu légalement acquérir.
1 7 9 5 . — Une autre conséquence de cette règle est
de placer l’incapable, contre qui la cession a été annu
lée, dans l’impossibilité de redemander au cédant le prix
qu’il a payé. Décider le contraire serait reconnaître un
effet à un acte que la loi considère comme ne devant en
produire aucun, frappé qu’il est d’une nullité radicale
et absolue.
D’ailleurs, les cessions de droits litigieux se font or
dinairement à forfait et sans garantie, la chance de bé-
�ET DE LA FRAUDE.
489
néfice que court le cédant étant la juste compensation du
péril qu’il court de perdre le prix qu’il paie.
La garantie, eût-elle été formellement promise, la
solution que nous venons de donner n’en devrait pas
moins être admise. La loi ne peut pas autoriser des sti
pulations n ’ayant d’autre objet que d'éluder ses pres
criptions et de se soustraire à ses prohibitions formel
les. Or, la validité de la garantie serait un encourage
ment à faire ce qu’elle défend dans un intérêt public et
général. En effet, si l’incapable ne courait aucun autre
danger que celui de ne pas réaliser le bénéfice qu’il s’é
tait promis de son opération; si, la fraude constatée
et punie p a rla déclaration de la nullité de la cession,
il pouvait se faire rendre le prix qu’il en a donné , on
ne voit pas ce qui pourrait l’empêcher de se livrer à un
acte qui, pouvant lui procurer un bénéfice important,
ne saurait, dans aucun cas, lui occasionner une perte.
Un recours quelconque contre le cédant violerait donc
le principe qu’un acte radicalement nul ne saurait de
venir le fondement d’une action judiciaire quelconque;
il deviendrait de plus un puissant encouragement à la
désobéissance à la loi. Le proscrire, même lorsqu’il a
été formellement stipulé, est donc un devoir pour les
magistrats. Us sauront d’autant plus le remplir, que ses
résultats n ’ont rien de reprochable en équité et en rai
son. Il est juste que celui qui n’a pas reculé devant une
immoralité trouve dans la perte du prix une première
peine de son indélicatesse.
1796» — Flous avons eu souvent l’occasion de rap-
�490
TRAITÉ DU DOL
peler que le complice de la fraude doit être solidaire
ment tenu de la réparation du préjudice qu’elle occa
sionne. Doit-on appliquer ce principe à l’acquéreur d’un
office qui s’est prêté, par la souscription d’un traité se
cret, à la dissimulation du prix réel?
Nous avons déjà dit que le traité secret, en matière
de cession d’office, était frappé d’une nullité radicale,
tellement absolue, que l’acheteur peut, non-seulement
se refuser à toute exécution , mais encore répéter ce
qu’il a payé en vertu de ses stipulations.
L’existence du traité secret peut avoir pour cause un
motif exclusivement relatif à la nécessité d’une autori
sation préalable. C’est ce qui se réalise lorsque le prix
n ’est dissimulé que par la crainte qu’il parût trop élevé,
et que le gouvernement en exigeât la réduction.
Mais cette existence peut tenir à d’autres motifs. Ainsi
le possesseur de l’office n’ayant pas d’autres ressources
que le prix, voulant empêcher qu’il ne soit absorbé par
ses créanciers, trouvera dans un traité secret un moyen
facile d’exécuter cette volonté. L’acheteur, qui s’associera
à cette pensée et qui concourra à son exécution, se rend
évidemment complice de la fraude du débiteur et oc
casionne un préjudice incontestable aux créanciers, sur
tout lorsque, par la dissimulation du prix ré e l, ces
créanciers ne reçoivent qu’un paiement partiel de ce qui
leur est dû.
Cette fraude est d’autant plus blâmable que, par la
nature spéciale de l’objet aliéné, les créanciers sont pri
vés d’une faculté que, dans les cas ordinaires, ils exer-
�ET DE LA FRAUDE.
491
ceraient incontestablement contre l’acquéreur lui-m ê
me. Supposez, en effet, l’aliénation d’un immeuble, le
concours de l’acquéreur à la dissimulation du prix en
fraude des créanciers donnerait immédiatement ouver
ture à l’action Paulienne. Que l’effet ordinaire de cette
action, c’est-à-dire la révocation delà vente, ne soit pas
autorisée, on se l’explique par la nature de l’objet alié
né, mais pourquoi le préjudice étant certain et volon
tairement occasionné dans les deux cas, l’acheteur de
l’office serait-il affranchi de l’obligation de le réparer
par une allocation pécuniaire? La loi a-t-elle donc re
connu dans une hypothèse quelconque qu’elle doit non
seulement tolérer, mais encore récompenser la fraude?
1797.
— Mais l’art. 1382 a fait du contraire le
droit commun. Tout fait quelconque entraînant un pré
judice rend la réparation nécessaire et inévitable, et
lorsqu’au lieu d’un fait simplement dommageable, in
dépendamment même de la volonté de son auteur, on
rencontrera la fraude concertée et consommée, celte ré•
paration serait refusée ! Qu’on nous permélte de le dire,
une pareille solution serait impie autant qu’absurde;
elle consacrerait une exception au droit commun préci
sément en faveur de celui qui n’a d’autres titres à in
voquer qu’une violation flagrante d’une loi dont l’ordre
public commande impérieusement l’exécution.
Dira-t-on que le traité secret étant nul aux yeux de
la loi, l’acheteur ne doit pas réellement le supplément
du prix stipulé; qu’en le soumettant à l’action des créan-
�TR.UTÉ DU DOL
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ciers, ce serait lui imposer la nécessité de le payer, et,
conséquemment, accorder un effet à un acte incapable
d’en produire aucun!
Cette objection n’a aucun fondement rationnel, aucune
base légale. D’abord, les créanciers ne demandent pas
l’exécution du traité secret; ils n’ont aucune qualité pour
cela, car, dans leur poursuite, ils agiront en leur nom
personnel et non comme ayants-cause de leur débiteur.
D’autre part, l’acheteur, en signant le traité secret et
en concourant à la fraude de ce dernier, a commis, à
l’encontre des créanciers, un acte dommageable con
damné par la loi. La nécessité de réparer le préjudice
nait avec le quasi-délit. C’est là une obligation person
nelle indépendante de la convention et qui ne peut, dès
lors, lui être subordonnée quant à ses effets.
Le traité secret est illégal ! Mais on le conteste si peu,
que c’est dans ce caractère même que les créanciers
puiseront le droit d’obtenir la réparation du préjudice
qu’ils en éprouvent. Mais est-ce que, dans toutes les au
tres fraudes, on ne rencontre pas cette illégalité? N’estce pas parce qu’il en est ainsi que l’auteur de la fraude
et ses complices sont solidairement condamnés à répa
rer le préjudice qu’ils causent? Pourrait-on condamner
celui qui, sur la poursuite dont il est l’objet, pourrait
se placer sous l’empire de l’exception fe c i, sed jure
feci ?
Il n’y a donc de fraude possible que lorsque le fait
dont on veut la faire résulter est condamné par la loi.
Exçiper de ce que le traité secret est dans cette caté-
�ET DE LA FRAUDE.
493
gorie, pour se dispenser d’ordonner la réparation du
préjudice que les tiers en éprouvent, c’est faire résulter
l’impunité du caractère pouvant seul motiver une con
damnation.
Ainsi, du cédant au cessionnaire, le traité secret de
meure frappé d’une nullité radicale ; non seulement on
n’est pas tenu de l’exécuter, mais on peut encore reve
nir sur son exécution et répéter les sommes payées.
Dans son application au cédant, à ses héritiers ou ayantscause, cette règle n’est qu’un hommage rendu au res
pect que commande la loi, qu’une juste peine contre
l’audacieux qui a osé l’enfreindre.
Mais l’appliquer aux tiers-créanciers, les condamner
en conséquence à supporter sans se plaindre le préju
dice qu’ils subissent, c’est donner à l’infraction de la
loi une extension inadmissible; c’est préférer l’infracteur
à ses victimes. Une peine quelconque n’est juste qu’à
condition qu’elle a été méritée. O r, quels reproches
peut-on faire aux créanciers frauduleusement trompés
par leur débiteur? Evidemment ils sont demeurés étran
gers à la fraude, ils n’ont pas dû la prévoir , ils n’ont
pu l’empêcher. Comment donc les obliger à en suppor
ter les conséquences?
Au point de vue légal, et sous l’empire du droit com
mun, nous arrivons donc à cette conclusion que les
créanciers, en fraude des droits desquels le prix de l’of
fice a été dissimulé, et qui ont été ainsi privés d’une
partie du gage nécessaire à leur paiement, sont rece
vables à se plaindre du quasi-délit dont ils sont les vie-
�494
TRAITÉ DU DOL
times; qu’ils peuvent en demander la réparation, soit
contre l’auteur, soit contre son complice.
1798.
— Cette solution, justifiée par les principes
généraux de la solidarité entre l’auteur et le complice
d’un fait condamné par la loi, consacrée par la règle
générale de l’art. 1382, nous paraît surtout se recom
mander à l’endroit de la répression de l’abus que la
jurisprudence condamne avec une si juste sévérité. Du
jour où le traité secret présentera un égal danger pour
toutes les parties, on pourra se flatter de le voir, sinon
disparaître, du moins perdre beaucoup de sa fréquence.
Or, jusqu’à présent, les rigueurs ont pris une direc
tion unique, contre un seul intérêt, à savoir : celui du
vendeur. Ainsi il ne pourra pas exiger le paiement d’un
prix autre que celui porté au traité public; de quelque
nature que soient les titres souscrits pour le supplé
ment, la preuve de leur véritable caractère les fera an
nuler. Enfin tout ce qu’il aura reçu à ce titre pourra
être répété ou devra être imputé sur le prix apparent.
Tout cela, cependant, n’a pas découragé les ven
deurs, et, ce qui le prouve , c’est la fréquence des es
pèces soumises aux tribunaux. Il ne pouvait pas en être
autrement. L’intérêt qu’ils peuvent avoir à la fraude
que nous indiquons compense les chances que sa réali
sation leur fait courir , alors surtout qu’en exigeant le
supplément en argent comptant, et en ayant soin de
n’en laisser aucune trace, ils peuvent se flatter d’en ren
dre la preuve impossible.
�ET DE LA FRAUDE.
495
Mais rien, dans cette jurisprudence, n’est dans le cas
de faire reculer l’acheteur, tout, au contraire, l’engage
à souscrire le traité secret qui lui est proposé. Quel ris
que court-il? Ses promesses! Il sera libre de ne pas les
executer. Les titres qu’il lui faudra souscrire, les som
mes qu’il payera ! Il fera annuler les uns, il obtiendra
la restitution des autres. Pourquoi donc refuserait - il
de souscrire un traité secret livrant l’autre partie à son
entière discrétion?
Du jour où ce même acheteur se trouvera placé sous
le coup de l’action des créanciers, la responsabilité in
définie qu’il sera dans le cas d’encourir, le danger qu’il
courra sera de nature à lui inspirer de justes scrupu
les sur l’acte qu’on lui proposera d’accomplir, et à le re
tenir dans les litimes du devoir légal que le législateur
entend lui imposer; de ce jour-là aussi, les traités se
crets seront plus difficiles à obtenir, surtout de la part
de ceux dont la solvabilité évidente, offrant une prise
certaine à l’action des créanciers, leur fera une loi de ne
pas s’exposer à leurs poursuites.
Notre doctrine, on le voit, peut devenir un utile re
mède contre l’abus qu’il faut extirper. C’est le second
terme de la proposition, dont le premier seul a été jus
qu’à présent l’objet de la sollicitude des tribunaux. Dé
courager le vendeur, c’est bien ; mais décourager le ven
deur et l’acheteur, est mieux encore. On doit donc la
consacrer sans hésitation, alors surtout que son carac
tère juridique et légal ne saurait être contesté, ainsi que
nons venons de l’établir.
�496
TRAITÉ DU DOU
1799. — Les créanciers peuvent donc, lorsque la
dissimulation du prix réel a un but frauduleux à leur
endroit, poursuivre , non la révocation de la vente de
l’office, mais la réparation pécuniaire du préjudice qui
leur est occasionné. Ils le peuvent contre leur débiteur,
comme auteur de la fraude ; contre l’acheteur , comme
complice. Cette allocation pécuniaire doit être demandée
et prononcée comme dommages-intérêts, indépendam
ment de l’exécution du traité secret, qui ne peut être
ordonnée, même à ce titre. Les sommes qui y sont por
tées peuvent bien devenir un élément d’appréciation des
dommages-intérêts, mais le juge n’est pas tenu d’en
adopter la quotité. Il peut la réduire si sa conscience
lui en fait un devoir, ou l’augmenter dans le cas con
traire. On sait qu’en matière de fraude, la seule règle à
suivre pour la réparation est l’importance du préjudice
auquel l’auteur ou le complice est tenu, velit, nolit.
1 8 0 0 . — La preuve de la complicité de l’acheteur,
que les créanciers doivent rapporter, peut être fournie
par témoins. Elle peut résulter de présomptions, no
tamment de la certitude que l’acheteur avait de la dé
confiture de celui avec qui il traite. Consentir, dans ce
cas, à déguiser une partie du prix et la faire ainsi ar
river aux mains du débiteur, c’est évidemment la sous
traire aux créanciers, c’est dès lors favoriser une fraude
manifeste et en assumer la responsabilité.
1805. —• Quelle que soit la cause de la dissimula-
�497
ET DE LA FRAUDE.
tion du prix, l’acheteur sera tenu personnellement si,
l’ayant encore en totalité en son pouvoir, il n’avait dé
claré que le prix apparent sur la saisie-arrêt poursuivie
avant tout paiement. La loi veut que le tiers saisi, dans
la déclaration et affirmation qu’elle prescrit, énonce le
montant de ce qu’il doit, indique les paiements partiels
qu’il a pu faire et fournisse les pièces justificatives. La
fausseté de la déclaration rendant le tiers-saisi débiteur
personnel, l’acheteur, dont la déclaration serait prouvée
incomplète, serait donc considéré comme te l, par ap
plication de l’art. 577 du Code de procédure civile.
Vainement le tiers-saisi prétendrait-il que, n’étant ni
naturellement ni civilement tenu au paiement du sup
plément du prix, il n’a pas dû en déclarer l’existence
en ses mains. Cette objection décisive contre le ven
deur, partie au traité secret, ne saurait avoir aucune
force contre ses créanciers. La connaissance de ce traité
ouvre à ces derniers le droit de soutenir qu’il constitue
une fraude concertée contre leurs intérêts, et en consé
quence la faculté de demander la juste réparation contre
l’acheteur lui-même. Dès lors l’existence du traité doit
leur être signalée, sauf au tiers déclarant de faire en
même temps connaître sa volonté d’user du bénéfice de
la loi, et de se soustraire au paiement du supplément.
Cette dernière indication mettra les créanciers à mê
me d’examiner s’ils peuvent agir en vertu de l’art. 1167
et poursuivre la répression de la fraude qui leur paraî
trait exister. S’ils ne peuvent prouver cette fraude, la dé
claration du tiers-saisi est obligatoire pour eux. Ils ne
iv
32
�498
TRAITÉ DU DOL
peuvent le contraindre à payer le supplément, sauf le
cas où malgré cette déclaration l’acheteur aurait réelle
ment et ultérieurement soldé le supplément entre les
mains de son vendeur.
1 8 0 2 . — On sait que la cession d’un office ne de
vient définitive que par l’approbation du gouvernement.
De là cette conséquence forcée que le prix n’est dû réel
lement qu’à partir de l’entrée en fonctions du titulaire,
en force de cette approbation. De là la difficulté de sa
voir si, avant la décision du gouvernement, ce prix était
saisissable entre les mains de l’acheteur.
1803. — Cette question a été incidemment tran
chée, lorsqu’il s’est agi de décider si la cession du prix
faite par le vendeur, au moment ou depuis le traité,
mais avant son approbation, était ou non valable con
tre les créanciers. Quelques Cours, partant de ce prin
cipe que jusqu’à approbation le prix est incessible et in
saisissable, proclamaient la nullité de la cession. Tant
que le traité, disaient-on n’a pas été régulièrement ap
prouvé, il n’existe entre les parties qu’un projet ne con
férant aucun droit susceptible d’être cédé. On ne doit
pas même assimiler le vendeur à un créancier condition
nel, pouvant user de son droit, même avant la réalisa
tion de la condition. Il y aurait, ajoutait la Cour de
Paris, les plus graves inconvénients à permettre au titu
laire de faire disparaître à l’avance une valeur impor
tante pouvant être le seul gage de ses créanciers, alors
�ET DE LA FRAUDE.
499
que ceux-ci n’ont aucun moyen de connaître l’état des
choses. De pareilles cessions doivent donc être prohibées
dans un intérêt public, même alors qu’aucun soupçon
de fraude ne s’élève à l’égard du cessionnaire. Cet ar
rêt, rendu le 23 décembre 1843, avait été précédé d’un
arrêt d’Angers, du 12 août 1840, jugeant dans le même
sens.1
1804.
— Mais la Cour d’Aix a pris l’initiative dans
la consécration de l’opinion contraire, en décidant que
l’acheteur d’un office pouvait valablement payer entre
les mains du vendeur, tout ou partie du prix, même
avant l’ordonnance de nomination. D’où résulte néces
sairement pour les créanciers la faculté de saisir à toute
époque ce même prix.
Cet arrêt, fortement approuvé par M. Dalloz, qui le
signale comme devant entraîner l’abandon de la doc
trine opposée , fondée contrairement à notre droit sur
la présomption de fraude, distingue fort juridiquement
ce qui, dans la transmission d’un office, est d’ordre pu
blic, d’avec ce qui se rapporte exclusivement à l’intérêt
privé. Cette distinction, la Cour l’a prise dans la loi de
1816 elle-même qui, conférant la faculté de présenter
son successeur, attribue par cela même au titulaire celle
de traiter avec celui qui sera l’objet de cette désignation ;
elle conclut, de la combinaison de l’art. 91 de cette loi
avec les principes généraux du droit, seuls applicables
�soo
TRAITÉ DU DOL
tant qu’une loi spéciale n ’aura pas été rendue, que la
convention, intervenue entre le titulaire et son succes
seur désigné, constitue une obligation soumise à une
condition suspensive ; que cette convention devient par
faite par l’accomplissement de la condition et forme dès
ce moment la loi des parties, qu’il n ’est donné à per
sonne d’annuler, si ce n’est pour les causes que la loi
autorise.'
Cette doctrine, qui nous parait irréprochable en droit,
tranche nettement la question relativement à la validité
de la cession. Si le titulaire de l’office peut régulière
ment toucher lui-même le prix, il peut évidemment le
céder, et le transport n’est subordonné, comme le droit
lui-même, qu’à la condition de l’approbation du traité
par le gouvernement. Celle-ci se réalisant, ses effets re
montent de plein droit au jour du traité et rendent le
transfert inattaquable, aux termes de l’art, i l 79.
Le prix est donc cessible avant l’approbation du gou
vernement. Ce qui résulte forcément de ce caractère,
c’est que les créanciers sont placés à son endroit dans
la position qu’ils ont à l’égard de toutes les ressources
de leur débiteur. Ils peuvent donc prendre à ce sujet
toutes mesures conservatoires et notamment saisir-arrêter entre les mains du successeur les sommes qu’il
a à payer, ils le peuvent dès le jour du traité de trans
mission.
Cette conséquence incontestable en droit atténue sin8 janvier 4841 ; — D. P., 44, 2, 203.
�ET DE LA FRAUDE.
501
gulièrèment en fait l’inconvénient que nous signalait
tout à l’heure l’arrêt de Paris. Les créanciers peuvent
empêcher, par un obstacle invincible, la disparition de
celte partie plus ou moins importante de l’actif de leur
débiteur. Us sont donc coupables de négligence, s’ils
omettent cette précaution dont la Cour de Paris consa
crait les effet, tout en contestant le droit. Ainsi que l’ob
serve très justement M. Dalloz, l’arrêt qui se déclare pour
l’insaisissabilité valide cependant une saisie-arrêt d’une
date antérieure à l’autorisation du gouvernement.
Il est vrai que la faculté de saisir pourra dans cer
tains cas être impuissante, la transmission de l’office
n’étant pas toujours immédiatement connue, et la ces
sion du prix pouvant se réaliser le jour même de cette
transmission et quelques heures après seulement. Mais
c’est là un inconvénient qui se réalise pour tous les autres
biens meubles du débiteur, même pour ses immeubles,
dont il peut déléguer le prix dans l’acte d’aliénation, ou
le céder sans que les créanciers chirographaires puissent
contester l’une ou l’autre.
Contre ce danger, la loi n’avait à faire, pour le prix
de l’office, que ce qu’elle a fait pour les autres biens, à
savoir : veiller à ce que la cession ne soit pas en fraude
des droits des créanciers. Ce devoir, elle l’a rempli»
nous venons de le dire. L’application de l’art. 1167 à
la matière ne peut pas être contestée. La preuve de la
fraude, que les créanciers sont recevables à faire par té
moins et par présomptions, entraînerait la nullité de la
cession en ce qui les concerne. Nous rappelons que, s’a-
�502
TRAITÉ DU DOL
gissant d’un acte onéreux, cette preuve devrait établir la
complicité du cessionnaire dans la fraude du cédant.
1805.
— Le motif invoqué par la Cour de Paris
n’avait donc rien de juridique, et son arrêt, en ne te
nant pas compte de la distinction signalée par la Cour
d’Aix, méconnaissait les principes généraux du droit et
violait l’art. 1179. C’est ce qui en détermina la cassa
tion, par arrêt du 15 janvier 1845. Cet arrêt, rendu
sur les conclusions conformes de M. l’avocat général
Delangle, et après un délibéré en chambre de conseil,
donne l’adhésion la plus complète à l’arrêt de la Cour
d’Àix , que la Cour suprême avait d’ailleurs formelle
ment consacré, par arrêt du 8 novembre 1842.'
Ainsi, les créanciers du titulaire d’un office ne peu
vent quereller, dans le cas de transmission, ni la ces
sion de tout ou de partie du prix, ni le paiement total
ou partiel, par la raison que l’une ou l’autre s’est réali
sé avant l’approbation du gouvernement. Du jour du
traité, le prix devient le patrimoine exclusif du vendeur,
qui peut en disposer à ses plaisirs et volonté, comme
de toute autre propriété. Mais, de ce jour au ssi, les
créanciers ont la faculté de mettre le prix sous la main
de la justice et d’en empêcher la disposition, en le frap
pant de saisie-arrêt entre les mains du successeur. Le
sort de cette saisie, comme celui de la cession ou du
paiement, est nécessairement subordonné à l’ordon1 D P. 42, 1, 412 ; 45,1 93 ; —
C o n f .,
Paris, 11 janvier 1851 ;
�ET DE^flA FRAUDE.
503
nance de nomination. Cette condition se réalisant, tout
ce qui a été fait est définitif et irrévocable , à partir de
la date des actes à laquelle rétroagit l’accomplissement
de la condition. Dès lors, les créanciers, qui n’ont agi
que postérieurement au paiement ou à la notification de
la cession au débiteur cédé, sont irrecevables à contester
l’efficacité de l’une ou de l’autre.
1806.
— Dans l’espèce jugée p arla Courd’Àix, in
dépendamment de la question de validité des paiements
antérieurs à l’approbation du traité par le gouverne
ment, s’élevait celle de savoir si les quittances sous seingprivé n’ayant acquis aucune date certaine, représentées
comme justifiant le paiement, pouvaient être opposées
aux créanciers? Contrairement aux prétentions de ceuxci , l’arrêt décide qu’ils ne sont que les ayants-cause
de leur débiteur, et qu’en conséquence les quittances
ont, par rapport à eux, la même force probante qu’el
les auraient contre le débiteur lui-même. Le caractère
juridique de cette décision n’échappera à personne.
Il est évident que les créanciers ne peuvent être distin
gués du débiteur que lorsque, agissant en force de l’ar
ticle 1167, ils exercent une action personnelle. Lorsque
la fraude n’est pas même alléguée, ou lorsque son exis
tence prétendue a été repoussée, les créanciers ne sont
plus que le débiteur lui-même, dont ils exercent les ac
tions aux termes de l’art. 1166, dès lors aussi, la con
séquence qu’en tirait ta Cour d’Aix devenait une vérité
incontestable.
�504
TRAITÉ DU DOL
C’est ce que la Cour de cassation consacrait, lors
qu’elle motivait le rejet du pourvoi sur ce que : « Les
» demandeurs en cassation n’ayant fait autre chose, par
» leurs oppositions ou saisies-arrêts, qu’exercer les
» droits de leur débiteur, ils se trouvaient nécessaire» rement soumis aux charges et obligations de celui-ci,
» et ne pouvaient réclamer que ce qu’il aurait pu récla» mer lui-même; que dès lors ils étaient tenus de re» connaître la validité des paiements faits entre les
» mains du vendeur, avant toute opposition régulière
» et sans fraude,, ainsi que l’a reconnu l’arrêt attaqué. »
CHAPITRE IV.
F IN S
D E N ON -RECEV O IR. C O N T R E L ’A C TIO N .
S O MMA I R E .
1807.
1808.
Quelles sont les fins de non-recevoir contre l’action fondée
sur la fraude?
Quid, pour la fraude déguisant la nature du contrat?
�ET DE LA FRAUDE.
505
1809. — En matière de fraude à une loi d’intérêt privé ?
1810. L ’erreur de droit doit-elle faire écarter la règle nemo auditur lurpitudinem suam allegans ?
1811. Première conséquence du caractère des lois d’ordre public
et d’intérêt général. Faculté pour la partie de deman
der la nullité de ce qui a été fait contre leurs dispo
sitions.
1812. Deuxième conséquence. Impossibilité de ratification. Quid,
de la chose jugée ?
1813. Troisième conséquence. Imprescriptibilité tant que l'acte
n'a pas reçu son exécution. Nature de cette impres
criptibilité.
1814. L’exécution de l ’acte fait courir la prescription contre l ’ac
tion en nullité.
1815. Point de départ, durée de la prescription.
1816. Spécialité de la fraude contre les tiers. Ses conséquences,
quant à la chose jugée contre le débiteur.
1817. Position exceptionnelle des créanciers hypothécaires ou
privilégiés. Etendue de leur droit,
1818. Résumé.
1819. Exception tirée de la ratification soit du débiteur, soit du
créancier poursuivant. Ses effets.
1820. L'action de l'art. 1167 est prescriptible. Ses effets.
1821. Cette prescription est-elle régie par l ’art. 1304 ?
1822. De quel jour commence-t-elle à courir ?
1823. Fin de non-recevoir tirée de la solvabilité du débiteur. Ses
effets en la forme.
1824. Son importance sur le fonds du litige.
1825. Effets du paiement du créancier poursuivant, offert et
réalisé par le tiers-défendeur.
1 8 0 7 . — Les fins de non-recevoir, susceptibles de
faire écarter l’action en nullité ou en dommages-inté-
�506
TRAITÉ DU DOU
rêts pour fraude, sont, comme pour le dol : la chose ju
gée, la ratification, la prescription.
Les détails dans lesquels nous sommes entrés à cet
égard nous dispensent d’insister. Les règles tracées pour
le dol, recevant, en matière de fraude, leur pleine et
entière application , c’est exclusivement par leur in
fluence que doivent se résoudre les difficultés que le re
proche de fraude peut faire surgir.'
Cela est surtout vrai pour la fraude de persona ad
personam, c’est-à-dire celle qui, exécutée par une des
parties à l’insu et au préjudice de l’autre, est assimilée
au dol, en produit tous les effets, et doit, dès lors, en
entraîner toutes les conséquences.
4 8 0 8 . — Il n’en est pas de même pour la simula
tion. Les règles qui lui sont applicables varient selon
qu’il s’agit d’une simulation relative ou absolue, et, à
l’endroit de cette dernière, selon que la loi violée est
d’intérêt personnel et privé, ou d’ordre public et gé
néral.
La fraude, consistant à déguiser la véritable nature
du contrat sous l’apparence donnée à la convention, ne
donne, en général, ouverture à aucune action en faveur
des parties, à moins, cependant, que le contrat réelle
ment souscrit ne fût prohibé pour contravention à une
loi d’ordre public. Quelles que soient les formes sous
lesquelles les parties aient contracté, il suffit qu’elles
eussent la faculté et le droit de faire ce qu’elles ont réel
lement voulu accomplir, pour que l’acte demeure inat1 V. supra, tom. i, chap. îv.
�ET DE LA FRAUDE.
507
taquable. A quoi bon, dès lors, une action pour prouver
une simulation. Celle-ci admise, la convention n’en
produirait pas moins tous ses effets.
Dans cette occurence, la fin de non-recevoir, opposa
ble à l’action de la partie, est indépendante de la chose
jugée, de la ratification ou de la prescription ; elle prend
sa source dans cette règle de raison et de droit : Frus
tra probatur, quod probatum non relevât.
1809. — Dans la fraude à une loi d’intérêt privé,
on arrive à un résultat identique, quoique les motifs
soient différents. Les lois de cette nature sont des avan
tages conférés à ceux qu’elles ont pour objet de proté
ger. Or, sous un premier rapport, il est certain que
chacun peut, renoncer à un bénéfice personnel, pourvu
qu’il l’ait fait spontanément et sciemment.
D’autre part, la loi ne confère une action utile qu’à
celui qui est trompé ; elle n’en donne aucune à celui qui
se trompe lui-même, et moins encore à celui qui a
voulu se tromper et être trompé. Or, telle est la position
de celui qui s’oblige à faire ce que la loi défend. Il
ne pourrait revenir sur ses pas qu’en confessant sa faute,
qu’en s’accusant d’avoir voulu violer la loi. On serait
donc fondé à lui opposer la fin de non-recevoir tirée
de cette autre maxime : Nemo auditur, etc. La loi ne
doit absolument rien à celui qui l’a sciemment mécon
nue et violée.
1810. — Mais si celui à qui cette fin de non-rece-
�508
TRAITÉ DU DOL
voir est opposée justifie qu’il n ’a agi que par l'igno
rance la plus complète de la loi qu’on invoque, faudrat-il accueillir l’action? En d’autres termes, l’erreur du
droit peut-elle devenir un moyen de nullité du contrat?
Cette question a été longtemps controversée. L’argu
ment principal des partisans de la négative se puisait
dans la maxime que m l n'est censé ignorer la loi. Ar
guer de cette ignorance, c’est faire valoir une excuse
qu’il n’est pas même permis d’invoquer sans contreve
nir à une prescription dont l’importance sociale ne sau
rait être méconnue.
Oui, la règle invoquée est salutaire et juste, mais à
l’endroit de ce qui concerne la loi pénale, la police gé
nérale, l’intérêt public. Toute repression serait impossi
ble si le crime, si le délit, si la contravention pouvait se
réfugier derrière le prétexte d’une erreur. La sécurité,
l’ordre, la morale exigeaient le contraire, sous peine de
voir le lien social se relâcher et disparaître.
Dans ce sens, la maxime citée était d’une nécessité
tellement impérieuse, qu’on a dû fermer les yeux sur la
hardiesse de la fiction qui lui sert de base ; mais aussi
elle n’a, dans ses résultats, que cette seule signification,
à savoir : repousser les efforts de ceux q u i, alléguant
une erreur de droit, voudraient se soustraire à l’action
de la loi,
Or, dit M. Bressoles,’ celui qui, excipant d’une erreur
de droit, demande d’être relevé d’un engagement qu’il
i
Revue de législation,
to m .x v m , p ag . 175.
�ET DE LA FRAUDE.
509
n’a souscrit que parce qu’il ignorait que la loi lui dé
fendait de le faire, ne cherche pas à se soustraire à l’ac
tion de la loi; il veut bien plutôt s’y conformer, en fai
sant annuler une convention qu’elle prohibe expressé
ment.
La plus saine raison commandait donc de distinguer
entre les matières civiles et les matières correctionnelles,
criminelles ou de police. L’intérêt public, engagé dans
celles-ci, demeure étranger aux premières. Pour ce qui
les concerne, la fin de non-recevoir n ’est que la consé
quence d’un acte volontairement accompli, et elle doit
être accueillie pour empêcher qu’on ne puisse contreve
nir à la loi et puiser dans sa violation un titre à en
éluder les conséquences. Mais si cette volonté n ’a pas
existé en fait ; si celui qui se plaint n ’a failli que par
ignorance et erreur, la présomption doit s’effacer, et la
vérité, acquise et prouvée, reprendre son empire.
C’est ce qui a prévalu en doctrine et en jurispruden
ce. Avec juste raison, on a écarté non seulement l’em
pire de la règle : Nul n'est censé ignorer la loi, mais
encore l’objection fondée sur le silence que le législateur
aurait gardé à l’endroit de l’erreur de droit.
Il est vrai que celle-ci n ’a pas été nommément indi
quée parmi les causes viciant les conventions, mais l'ar
ticle 1109 pose, comme principe général, que l’erreur
donne ouverture à l’action en nullité ou en rescision.
La généralité de ces termes est loin d’exclure l’erreur
de droit, qui est, comme celle de fait, une erreur véri-
�510
TRAITÉ DU DOL
table dont les conséquences sont de nature à produire
des effets également funestes, également injustes.
On pourrait donc dire que, par cela seul que l’arti
cle 1109 ne spécialise pas l’erreur de fait, il faut en
conclure qu’il n’a pas entendu proscrire l’erreur de
droit. Cette conséquence implicite est, d’ailleurs, con
forme à la raison. Dès l’instant qu’il est admis que l’er
reur seule a été la cause déterminante du contrat, on
ne voit pas pourquoi la loi aurait disposé d’une manière
différente, suivant qu’elle se serait produite sur le fait
ou sur le droit. N’est-il pas évident, au contraire, que,
dans les deux cas, c’est le consentement qui est altéré
et qu’il l’est au même titre?
Mais on n’en est pas même réduit à cette déduction
implicite. La loi a manifesté sa pensée dans les arti
cles 1356 et 2!052!, seules dispositions dans lesquelles il
soit question de l’erreur de droit. Le premier défend
de rétracter l’aveu judiciaire, et le second, d’attaquer
les transactions, sous ce prétexte. Mais si l’erreur de
droit n’était jamais opposable, à quoi bon se préoccuper
d’elle à propos de l’aveu judiciaire et des transactions ?
Est-ce qu’il devait entrer dans la pensée de qui que ce
soit de vouloir la proposer dans ces hypothèses? Consé
quemment, si la loi la proscrit pour celles-ci, c’est qu’elle
reconnaît qu’en droit commun elle est proposable ; c’est
qu’elle aurait pu être opposée même en matière d’aveu
et de transactions, si la volonté contraire n ’avait pas été
expressément écrite dans les art. 1356 et 2052.
Ainsi, l’art. 1109 s’applique à l’erreur de droit com-
�ET DE LA FRAUDE.
511
me à l’erreur de fait. C’est là, au reste, un principe que
notre législateur puisait dans le droit romain : Juris
ignorantia, disait la loi, non prodest adquirere volentibus, suum vero petentibus non nocet.'
En droit donc, la nécessité de résoudre affirmative
ment la question nous paraît démontrée. En fait, cette
solution est loin d’offrir les inconvénients et les dangers
qu’on s’est plu à lui prêter. Sans doute, rien ne sera
plus facile que d’alléguer une erreur de droit; m ais,
contrairement à ce qu’on redoute, il ne suffira pas de
se livrer à cette allégation pour qu’on doive être admis
à la preuve demandée; il faudra, de plus, que l’erreur
soit vraisemblable, qu’elle ne soit pas, dès à présent,
démentie par les faits et les circonstances du procès.
L’appréciation du tout est abandonnée aux lumières
des tribunaux, dont la prudence garantit une sage et
juste application du pouvoir qui leur est déféré. Ce qu’il
importe d’ajouter, c’est que la preuve offerte doit avoir
pour résultat d’établir que l’erreur a été la seule cause
déterminante du contrat. Quelque probable, quelque
vraisemblable qu’elle fût, l’erreur du droit n’est plus une
cause de nullité dès que la convention pourrait avoir
pour motif une obligation naturelle ou imparfaite que
le débiteur aurait voulu accomplir.3
1 L. 7, Dig. de Jur. et fact. ignor.
V. Domat, Lois civ., tom. 1®r, tit. <18, sect.
§§ 7, 14 et 16; —
Pothier, Pand. Just., 1. 22, tit 6. n° 2; — D’Aguesseau, tom. v, pag.
463; — Toullier, vi. nos 139 et suiv. ; — Duranton, x, n° 127; —
Merlin, v‘3 ignorance, erreur, § 1 ; — Zacchariæ, i, S 28, et n, § 343.
note 10.
2 Toullier, vi, n° 68.
�51 §
TRAITÉ DU DOL
1 8 1 1 . — Les lois d’ordre public et d’intérêt général
sont impérieusement obligatoires pour tous. La fraude,
ayant pour objet de les éluder ou violer, est donc essen
tiellement illicite. La volonté formelle du législateur pro
teste, sans cesse, contre les actes qui s’en écartent, et
empêche qu’ils puissent jamais acquérir le vinculum
juris, sans lequel, cependant, les contrats ne sauraient
être exécutés. Nous avons dit déjà que la conséquence
directe de ce principe est que l’acte, fait en fraude
d’une loi d’ordre public, est atteint d’une nullité radi
cale, absolue, que la partie elle-même est admissible à
faire prononcer.
1 8 12. — Une autre conséquence de la même règle
est que l’acte nul n’est susceptible d’aucune ratification.
Celle dont exciperait le défendeur à la nullité, fût-elle
expresse, ne saurait être accueillie et fonder une fin de
non-recevoir contre la demande. En effet, l’acte radica
lement nul n ’a jamais eu d’existence légale, et on ne
peut ratifier ce qui n ’existe pas, ce qui n’a jamais exis
té. Comment, d’ailleurs, admettre qu’on puisse confir
mer ce qu’on n ’a pas eu le pouvoir de faire? La ratifi
cation deviendrait donc elle-même une fraude à une loi
d’ordre public, et, frappée du même vice que l’acte pri
mordial, elle devrait périr comme cet acte lui-même.
Mais, ainsi que nous l’avons déjà indiqué, l’impossi
bilité de ratifier reçoit exception, à savoir : lorsque la
nullité d’ordre public se fonde sur un motif essentiel
lement temporaire; ce motif, cessant d’exister, la con-
�513
ET DE LA. FRAUDE.
vention, jusque là prohibée, devient illicite, et la faculté
de la consentir d’une manière directe comporte, évidem
ment, celle d’atteindre indirectement au même résultat.
D’ailleurs, en pareille occurrence , le contrat n’ayant
d’existence obligatoire que du jour de la ratification,
celle-ci est moins la confirmation de ce qui avait été
fait précédemment, que le seul et véritable contrat. C’est
ainsi que la renonciation à une succession future peut
être valablement ratifiée après l’ouverture de la suc
cession.'
Quel que fût le vice réel de l’acte, la chose jugée en
faveur du créancier en rendrait l’exécution inévitable et
forcée, alors même qu’au fond ce vice prit son origine
dans une prohibition d’ordre public ou d’intérêt géné
ral. L’erreur du juge, l’appréciation inexacte du fait, la
fausse application de la loi qu’il aurait faite ne laisse
raient pas que de lier la partie. La seule ressource à
employer par le condamné serait l’appel dans le pre
mier cas, le pourvoi en cassation dans le second , s’il
était encore dans les délais de l’un ou de l’autre.
1813.
— La troisième conséquence du principe que
nous avons ci-dessus rappelé est de rendre l’action fon
dée sur une fraude à une loi d’ordre public imprescrip
tible. On ne peut acquérir le droit de violer la loi par
la raison qu’on l’aurait violée plus ou moins longtemps.
Mais l’imprescriptibilité dont nous nous occupons se
i V. supra, n°» 1365, 1366.
IV
33
�514
TRAITÉ DU DOL
restreint naturellement à l’action ayant pour objet de
contraindre à l’exéeution du contrat. Quelque longue
qu’ait été l’inaction du créancier, son silence se fùt-il
prolongé au-delà de trente ans depuis l’acte, dès qu’il
voudra s’en prévaloir et le faire exécuter, le droit d’exciper de la fraude dont il est entaché ne saurait être con
testé au débiteur.
Ce résultat est acquis à ce dernier en force de la
maxime quœ temporalia sunt ad agendum, sunt perpé
tua ad excipiendum. Aussi sommes-nous loin de res
treindre notre doctrine au cas où il agit par voie d’ex
ception. Nous les appliquons, sans hésiter, à l’action
principale qu’il intenterait contre le créancier en nullité
de l’acte. On ne pourrait, en effet, repousser cette ac
tion comme prescrite, sans accorder à l’acte une auto
rité que la loi lui refuse dans tous les cas. Vainement
le créancier exciperait-il de son inaction ; cette inaction
n’a pu lui faire acquérir un droit quelconque, pas mê
me celui de conserver un contrat qu’il reconnaîtrait n’être
entre en ses mains qu’une menace Yaine, et que, comme
tel, le débiteur a intérêt à faire anéantir.
1814.
— Mais l’exécution pleine et entière que
l’acte aurait reçue change la position des parties et doit,
par cela m êm e, modifier le droit. Il est incontestable
que ce qui a été exécuté contre une loi d’ordre public
doit être rétracté sur la demande du débiteur. On ne
pouvait décider le contraire sans s’exposer à consacrer
une illégalité. L’exécution n’étant que le fait des par-
�ET DE LA FRAUDE.
515
ties, on ne comprendrait pas que celui qui est incapa
ble de consentir la violation de la loi pût, en définitive,
la consacrer et la rendre irrévocable.
Ainsi, le débiteur peut répéter ce qu’il a payé en
vertu d’un acte condamné par la loi ; mais l’action lui
appartenant ne pouvait pas être éternelle. Tant que
l’acte n’a reçu aucune exception, rien ne lui fait un de
voir d’agir. Il peut donc, s’en reposant d’ailleurs sur
l’exception qui lui appartiendra dès qu’il sera attaqué,
s’imposer une inaction qui ne peut, dans aucun cas, lui
devenir nuisible.
Mais l’exécution de l’acte fait cesser cet état des cho
ses. Elle ne peut, en effet, se réaliser sans devenir, de
la part du débiteur, une occasion de sacrifices, sans lui
imposer une privation, un abandon quelconque de son
patrimoine. II est donc, dès lors, en mesure e t , par
conséquent, en demeure, en tant qu’il prétend user du
bénéfice que la loi lui confère, de revenir sur ce qu’il a
accompli. Or, la prescription exige qu’il y ait un droit
compromis, que le propriétaire ait qualité pour le de
mander , qu’il y soit recevable. Tout cela existe après
l’exécution. Ce qui était avant une simple faculté de
vient, après, une obligation. Le silence insignifiant dans
le premier cas, devient, dans le second, un indice de re
nonciation. Il fallait donc fixer un moment où cette re
nonciation serait de plein droit présumée, et où le bé
néfice de l’exécution serait irrévocablement acquis.
Cette nécessité légale était, de plus, indiquée par la
raison et l’équité ; elle s’élevait jusqu’à la hauteur d’une
�51 6
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TRAITÉ DU DOL
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règle d’intérêt général. Tout le monde, en effet, doit te*
nir et tient à ce que la propriété ne soit pas trop long
temps indécise et flottante. Permettre à celui qui a exécuté une obligation radicalement nulle de revenir per■
pétuellement contre cette exécution, c’était méconnaître
ce besoin que* d’ailleurs, la loi a, dans tous les cas,
consacré.
181 S. — L’action est donc prescriptible. Aucun
doute ne peut s’élever sur ce principe. Les difficultés qui
peuvent en surgir ne peuvent être que des difficultés
d’application. Par exemple, quel sera le point de départ
et la durée de la prescription ?
Le point de départ ne saurait être fixé qu’au mo
ment où l’exécution a été complète et entière. Nous n’a
vons pas à insister sur ce point. Nous l’avons justifié déjà
en parlant de l’usure,1 et ce que nous avons dit de cel
le-ci nous l’appliquons, par parité de raison, à tous les
contrats faits contrairement à une loi d’ordre public.
Un pareil contrat ne renfermant aucun lien obliga
toire, ne crée ni obligation civile, ni obligation natu
relle. En conséquence, ce qui a été payé en vertu de
ses dispositions, l’a été en absence de tout droit d’une
part, de toute obligation de l’autre. La restitution qui
en est demandée constitue donc la répétition de l’indu
et, comme telle, cette action dure trente ans.
Sans doute ses effets, contre celui qui a indûment
�ET DE LA FRAUDE.
517
reçu personnellement, sont dans le cas de réfléchir con
tre les tiers-possesseurs, ce qui pourrait susciter contre
notre doctrine le reproche d’être trop sévère à leur égard.
Mais ce reproche ne serait pas fondé, car si les tierspossesseurs sont de bonne foi et s’ils ont possédé pen
dant les délais et dans les conditions exigés par l’arti
cle 2265, ils se placeront sous l’égide de la prescrip
tion spéciale de cette disposition, et n’auront rien à re
douter des recherches dont leur auteur sera justement
l’objet. Si, au contraire, ils n’ont ni titré juste, ni bonne
foi, leur dépossession n’est que la conséquence du vice
qui leur est personnellement imputable, et contre lequel
la loi ne pouvait ni ne devait les protéger.
1816.
— La fraude contre les tiers se plaçant dans
une catégorie spéciale, les principes ordinaires à l’en
droit des fins de non-recevoir font place à des règles
particulières qu’il importe de résumer.
En fait, les créanciers demeurent étrangers au juge
ment obtenu contre leur débiteur, cependant ce juge
ment peut leur être opposé. Cela tient à ce principe que
les créanciers ne sont que les ayants-cause, de leur dé
biteur; qu’ils sont conséquemment suffisamment repré
sentés par lui dans tous les actes ayant pour objet l’ad
ministration de sa fortune.
Les créanciers ne peuvent donc faire considérer le
jugement obtenu ^contre leur débiteur comme res inter
alios acta, par rapport à eux. Il ne peuvent même y
former tierce-opposition, car ce droit n ’appartient qu’à
�518
TRAITÉ DU DOL
ceux qui n’ont pas été parties au procès et qui, devant
l’être , n’y ont pas été appelés. Or, les créanciers n’ont
jamais dû être mis en cause dans les litiges de leur dé
biteur, puisqu’ils y sont censés présents en la personne
de celui-ci.
Un pareil état de choses devait appeler l’attention du
législateur. Il met en effet les créanciers dans une posi
tion extrêmement critique, et les expose à être dépouil
lés, à leur insu et par fraude, de tous moyens d’obtenir
paiement de ce qui leur est dû.
Au premier indice d’une déconfiture prochaine, le
débiteur, qui voudra soustraire son actif aux poursuites
des ayants-droit, n ’aura pas de peine à s’entendre avec
un tiers qui, en vertu de jugements en apparence dis
cutés, en réalité consentis, deviendra le dépositaire de
cet actif, dans le dessein de le lui conserver. Cela fait,
la déconfiture sera rendue notoire, et les créanciers se
trouveront en présence d’une insolvabilité ne leur lais
sant aucune ressource.
Une telle éventualité ne pouvait échapper aux regards,
elle exigeait des précautions, et ces précautions nous les
rencontrons dans le principe général de l’art. 1167.
Les créanciers, en invoquant le bénéfice, ne sont plus
les ayants-cause du débiteur. Le droit qu’ils exercent
leur est personnel, et les met en conséquence en dehors
des atteintes de tout ce que le débiteur a pu faire en
sens contraire.
Ainsi les créanciers prétendant, en vertu de l’arti
cle 1166, exercer les actions de leur débiteur, ne peu-
�ET DE LA FRAUDE.
519
vent récuser l’autorité des jugements prononcés contre
lui. L’exception de chose jugée, opposable à celui-ci, les
écarterait évidemment sans qu’ils pussent être admis
à former une tierce-opposition, ils ne sont que les ayantscause du débiteur.
Mais l’allégation de la fraude détermine un résultat
tout opposé. Toutefois, l’action autorisée par l’art. 1167
ne va pas jusqu’à faire considérer le jugement comme
une chose étrangère au poursuivant. Le jugement ne
sera annulé que si la fraude prétendue est justifiée. La
loi autorise donc, dans ce cas, la tierce-opposition comme
moyen de rouvrir les débats et de donner à la preuve de
la fraude l’occasion de se produire.
1817.
— Néanmoins, la règle absolue, qui rend le
créancier Payant-cause du débiteur, reçoit une excep
tion. Nous avons déjà parlé de cette exception, lorsque
nous avons établi que l’héritier lui-même cesse de l’être
à l’endroit de la succession et relativement à son auteur,
pour les droits qui lui sont personnels.'
La même décision doit être prise relativement aux
créanciers privilégiés ou hypothécaires. En thèse géné
rale, les uns et les autres sont représentés par leur dé
biteur, mais la disposition du privilège ou du droit d’hy
pothèque leur appartient personnellement et exclusive
ment. Le débiteur ne peut ni les modifier, ni les altérer
sans leur participation et leur concours.
�520
TRAITÉ DU DOL
De là résulte évidemment en leur faveur le droit de
former tierce-opposition aux jugements qui leur préjudi
cieraient. Ils sont recevables à le réaliser sans être te
nus d’invoquer l’art. 1167 et indépendamment de toute
allégation et de toute idée de fraude. Ils n’agissent pas
en effet comme exerçant les droits ou les actions de leur
débiteur. La personnalité du droit qu’ils discutent les
rendaient parties nécessaires au procès dont ce droit a
été l’objet. La tierce-opposition se justifie dès lors par les
principes généraux et ordinaires de la matière.
Mais, dans ce cas, le créancier ne peut attaquer le ju
gement qu’au chef qui préjudicie à son privilège ou à
son hypothèque. Toutes les autres dispositions sont for
cément à l’abri de ses atteintes. Il ne pourrait les que
reller que par application de l’art. 1167.
Exemple : Un individu a conféré une hypothèque sur
un de ses immeubles, poursuivi plus tard en délais
sement de cet immeuble, il est condamné à l’aban
donner.
Ce jugement anéantit le droit d’hypothèque, l’im
meuble, devant rentrer franc et libre aux mains du re
vendiquant, et, sous ce rapport, le créancier a un inté
rêt évident à prévenir cet effet. 11 est donc recevable à
former tierce-opposition au jugement, s’il n’y a été ni
présent, ni appelé.
Dans cette circonstance, il a la faculté de prouver
qu’il n’y avait pas lieu à dépossession, car cette preuve
aurait pour résultat immédiat le maintien de son hypo
thèque. Mais il peut également se borner à soutenir et à
�ET DE LA FRAUDE.
521
justifier qu’au moment où celle-ci lui a été conférée,
son débiteur était propriétaire incommutable. La preu
ve qu’il en rapporterait, assurant son droit de suite,
laisserait intact le chef du jugement ordonnant la dé
possession pour l’avenir ; le créancier a donc le choix en
tre ces deux moyens.
Mais il n’en est plus ainsi dans l’hypothèse suivante :
une hypothèque a été rayée et des inscriptions ont été
réalisées pour des droits nouveaux. Plus tard, un juge
ment , déclarant celui dont l’hypothèque a été rayée
créancier légitime, ordonne la réintégration de celle-ci.
Ce jugement léserait les nouveaux inscrits en tant qu’il
en résulterait une priorité de rang en faveur de l’hypo
thèque réintégrée. C’est donc contre ce chef seulement
que ces nouveaux créanciers seraient fondés à former
tierce-opposition. Ils ne seraient donc pas recevables à
prétendre attaquer par cette voie la disposition consa
crant la qualité du créancier. Ils ne pourraient le faire
qu’en faisant valoir la collusion et la fraude.
1818.
— En résumé donc, les créanciers ne sont
plus les ayants-cause proprement dits de leur débiteur
toutes les fois que, par la nature de leur créance, ils
ont acquis un droit qu’il n’est plus au pouvoir de ce
lui-ci de modifier ou de détruire. Seuls arbitres de sa
conservation, ils ne peuvent le voir périr ou s’altérer
malgré leur volonté et sans leur concours. Si le juge
ment, qui prononcerait autrement, n’est pas pour eux
res inter alios acta, s’ils ne peuvent par conséquent
�522
TRAITÉ DU DOL
en récuser absolument l’autorité, ils sont au moins re
cevables à le frapper de tierce-opposition et à acquérir
ainsi le moyen de se défendre utilement avant d’être
condamnés.
Hors cette hypothèse, et toutes les fois que la créance
n’a aucune affectation spéciale, le jugement intervenu
contre le débiteur oblige et celui-ci et ses créanciers qu’il
a valablement représentés. Ceux-ci peuvent donc, en
vertu de l’art. 1166, émettre appel ou se pourvoir en
cassation, comme aurait pu le faire le débiteur lui-mê
me. Mais ils ne sont recevables à le frapper de tierceopposition que s’ils l’attaquent comme ayant été rendu
et obtenu en fraude de leurs droits.
L’obligation de prouver cette fraude est une consé
quence de l’action. La fraude peut consister non-seule
ment dans la collusion ayant créé un droit qui n’a ja
mais existé, mais encore dans l’omission d’un moyen de
défense péremptoire, comme si le condamné avait né
gligé de se prévaloir d’une quittance ou d’un jugement
précédent ayant acquis en sa faveur l’autorité de la
chose jugée.
1819.
— Il en est de la fin de non-recevoir tirée
de la ratification du débiteur, comme de celle basée
sur la chose jugée. Ainsi, opposable aux créanciers
agissant en vertu de l’art. 1166, elle pourrait être écar
tée par l’exception de fraude autorisée par l’art. 1167.
L’exception de ratification pourra prendre naissance
dans des actes ou des faits personnels au créancier
�ET DE LA FRAUDE.
523
poursuivant, comme si, avant l’action, il avait expres
sément ou tacitement approuvé ou exécuté l’acte dont il
poursuit l’annulation. L’exception, dans ce cas, serait
péremptoire, et son existence admise deviendrait un
infranchissable obstacle. Ce qui est certain , c’est que
généralement la ratification qu’on imputera au créancier
sera plutôt tacite qu’expresse. À cet égard, nous nous en
référons aux observations que nous avons déjà présen
tées sur les caractères que doit offrir la première. On
doit d’autant plus les exiger à l’endroit du créancier,
que l’action révocatoire ne lui est ouverte que lorsqu’il
est certain qu’il ne peut être payé autrement. Les actes
faits pour arriver à ce paiement doivent tout d’abord
être interprétés dans ce sens qu’ils n’ont pour objet que
l’admissibilité de l’action par la constatation de l’im
possibilité de ce paiement. Il serait injuste d’opposer,
comme exécution et ratification, des actes dont l’ab
sence donnerait naissance à une fin de non-recevoir.
C’est dans ce sens que la Cour de cassation a expressé
ment décidé que le créancier inscrit, qui n’a pas fait
de surenchère, ou qui a saisi-arrêté le prix, ou requis
sa collocation, n’est pas censé reconnaître la sincérité de
la vente, et ne se rend pas non-recevable à l’attaquer
pour cause de dol ou de fraude.'
Il est inutile d’observer que la ratification imputée
au créancier n’est jamais opposable qu’à celui dont elle
émane. Elle resterait sans effet aucun contre ceux qui,
�524
TRAITÉ DU DOL
sans y avoir participé, viendraient en leur nom querel
ler l’acte.
Il est vrai que, sans l’invoquer précisément comme
fin de non-recevoir, le défendeur ne manquera pas de
s’en prévaloir à titre de considération, mais, à cet égard
même, nous lui contestons toute efficacité. La conduite
du créancier ratifiant peut tenir à des causes que ceux
qui les connaissent se garderont bien de divulguer. Peutêtre même la ratification dont on excipe n’est-elle due
qu’au paiement intégral de son auteur, de l’assentiment
duquel on a pu vouloir se faire une arme contre les
autres créanciers.
. Conséquemment, accorder une autorité quelconque
à un acte de ce genre, c’est en réalité s’exposer à pro
téger la fraude se couvrant d’une fraude nouvelle, s’a
bandonner dans tous les cas à un guide facilement trom
peur. Les tribunaux doivent donc se tenir en garde
contre des allégations dont il ne leur est pas permis de
juger avec certitude le véritable caractère, et ne faire
aucun compte dans la recherche qui leur est confiée des
conventions que la partie intéressée n’a pu ni contrôler,
ni empêcher.
L’exception de ratification peut donc être opposable
aux uns, et ne pas l’être aux autres, mais un pareil ré
sultat est peu présumable à l’endroit de la prescription
de l’action. La déconfiture du débiteur étant le point de
départ commun du délai suffisant pour l’acquérir , il
est peu présumable que l’action ait péri pour les uns,
et qu’elle se soit conservée pour les autres.
�ET DE LA FRAUDE.
525
1820. — Quoi qu’il en soit, la prescription du droit
conféré par l’art. 1167 n’a rien d’odieux dans son
principe. Ce qui eût été étrange, c’est que le droit de
propriété, c’est que toutes les actions étant susceptibles
de prescription, on eût consacré une exception en fa
veur de celle des créanciers contre la fraude dont ils ont
pu être la victime.
Il n’est donc pas étonnant que la pensée de revendi
quer cette exception ne soit entrée dans l’esprit de per
sonne. Les seules difficultés, que la question de pres
cription a fait naître, se réfèrent à la durée du délai et
à son point de départ.
1 8 2 1 . — On a prétendu, quant à la durée, qu’elle
devait être régie par l’art. 1304. L’action des créanciers,
a-t-on dit, est une action en nullité, elle doit dès lors
être nécessairement comprise dans les termes généraux
et absolus de cette disposition.
Une pareille décision est repoussée en droit et en
fait, elle n’a pas même le mérite de définir exactement
le caractère de l’action des créanciers.
Cette action a pour effet plutôt la réparation du pré
judice résultant d’un fait illicite, que la nullité propre
ment dite de l’acte intervenu entre les parties, et la
preuve c’est que, par rapport à elles , l’acte continue
d’exister. La nullité ne s’entend que de ce qui concerne
le préjudice souffert, de telle sorte qu’après le jugement
faisant droit à la demande du créancier, le paiement
de ce qui lui serait dû empêcherait tout effet ultérieur,
�et l’acte n’en continuerait pas moins de subsister entre
les parties, la loi n’ayant nullement entendu les relever
de leurs engagements respectifs.
Est-ce là, nous le demandons, la rescision et la nul
lité dont s’occupe l’art. 1304? Si peu évidemmment,
que cette disposition n ’est faite que dans l’intérêt des
parties. Voyez en effet les causes dont elle fait résulter
soit la nullité, soit la rescision ! C’est d’abord la mino
rité, l’interdiction , le mariage. Mais quelle influence
pourrait exercer sur l’acte l’une de ces qualités, si celui
qui se trouverait dans le cas de l’invoquer n’avait pas
été partie dans l’acte? Evidemment le cas prévu par l’ar
ticle 1304, de minorité, d’interdiction, de femme ma
riée, se restreint à ceux et pour ceux qui, coopérant au
contrat, n’avaient pas la capacité de le consentir.
, î:
,.mm
msp
:
‘î!'. :
l i l ..
Jusqu’ici donc, la nullité de l’acte provient d’un dé
faut de consentement valable, ce qui ne peut évidem
ment concerner que les parties. Il est facile de recon
naître que le même motif a présidé à la consécration
des autres causes de nullité ou de rescision. Ainsi la
violence, l’erreur ou le dol vicient le consentement qu’ils
empêchent d’être valable.1 L’art. 1166 ajoute que le
dol n’est une cause de nullité que lorsque les manœu
vres ont été pratiquées par une des parties contre l’au
tre. Il ne faut donc pas en douter, la nullité dont s’oc
cupe l’art. 1304 est exclusivement celle fondée sur le
1 Art. 1009 Cod. civ.
• ■■ i'i l ï f l f l p j :!i
�ET DE LA FRAUDE.
S27
vice du consentement, et, par cela même, exclusivement
réservée en faveur des parties contractantes.
Ajoutons que cet article est placé sous la section 7 de
l'action en nullité ou en rescision des conventions. De
là cette conséquence que nous venons de voir résulter
de son texte : q u e, pour se placer sous l’empire de sa
disposition, il faut de toute nécessité avoir été partie au
contrat. Donc on ne saurait l’opposer aux créanciers,
pas plus qu’ils ne pourraient l’invoquer eux-mêmes. Ils
n’ont pas été parties au contrat, ils n’y ont pas consen
ti, ils n ’ont donc pas à faire rétracter leur consente
ment sous prétexte d’incapacité, de violence, d’erreur
ou de dol, seules hypothèses prévues par le législateur.
Ainsi réduite à ses véritables termes, la disposition de
l’art. 1304 a un caractère frappant de justice et de rai
son. Se taire pendant dix ans sur l’incapacité dont on
était frappé, sur une violence ou sur un dol dont on a
été victime, sur une erreur à laquelle on a cédé, alors
surtout que ces dix ans ne courent que du jour où l’in
capacité a disparu, ou de celui de la cessation de la vio
lence, ou de la découverte de l’erreur, c’est évidemment
annoncer l’intention de renoncer à s’en prévaloir ja
mais; c’est manifester la volonté de couvrir le vice de
l’acte. Aussi, est-ce cette double présomption qui fait le
fondement de la prescription de l’art. 1304. L’une et
l’autre peuvent-elles se supposer chez le créancier indi
gnement trompé? L’affirmative arriverait à ce résultat
possible que l’action du créancier se trouverait prescrite
avant même qu’il en eût connu l’existence.
�528
TRAITÉ DU DOL
En droit donc, l’action autorisée par la loi, et dont
l’art. 1304 règle la durée, n’a rien de commun avec
celle que les créanciers puisent dans l’art. 1167, celleci n ’a pas même pour objet la nullité ou la rescision
de l’action, elle s’en propose uniquement la révocation
dans l’intérêt exclusif du poursuivant. Dès lors elle ne
peut, quant à la prescription, être régie par le premier
de ces articles. Tout ce qu’on doit induire du silence
gardé sur son extinction par l’art. 1167, c’est que le
législateur s’en est référé au principe général de l’ar
ticle 2262. La durée de l’action révocatoire est donc de
trente ans.1
Le reproche qu’on adresserait à cette solution, de lais
ser la propriété trop longtemps en suspens, manquerait
de justesse. Nous l’avons déjà dit, l’action Paulienne
n ’affecte les biens qu’en tant qu’ils se trouvent encore
dans les mains de celui qui a traité avec le débiteur.
Le tiers auquel il les aurait revendus est non-seulement
admissible à exciper de l’art. 2265, mais il est, en ou
tre, inattaquable, quelle que soit la date de son titre,
s’il a agi de bonne foi et dans l’ignorance de la fraude
à laquelle son vendeur a participé. Le caractère per
sonnel de l’action des créanciers, l’absence de tout droit
de suite sur les immeubles ne lui permettent pas de
faire un obstacle quelconque à la libre disposition des
biens. Elle n’est menaçante que pour les auteurs et les
1 Paris, 11 juillet -1820 ; — Toulouse, 13 janvier 1834 ; — Riom , 3
�ET DE LA FRAUDli.
529
complices de la fraude. Il n’y a donc aucune sévérité à
leur laisser la responsabilité de leur mauvaise foi pen
dant les trente ans nécessaires pour prescrire.
Notre doctrine vient d’être expressément consacrée
par un arrêt de la Cour de cassation du 9 janvier 1865,
dans l’espèce suivante.
Un créancier attaquait une donation comme faite en
fraude de ses droits, et en demandait la nullité.
Contre sa prétention on opposait que l’action était
prescrite tant en vertu de l’art. 1304, que par applica
tion de l’art. 2265 C. Nap.
La Cour de Bourges repousse celte double fin de nonrecevoir, et déclare ces deux articles inapplicables, l’ac
tion révocatoire de l’art. 1167 n ’étant éteinte que par
la prescription de trente ans.
Devant la Cour de cassation, on soutient que la Cour
de Bourges a méconnu et violé les art. 1304 et 2265.
Le texte de l’art. 1304, disait-on, est aussi général
que possible, et il ne distingue nullement entre les di
verses causes de nullité ou de rescision. On a pu émet
tre l’opinion que sa disposition est inapplicable à l’hy
pothèse d’un.e action intentée contre un tiers complice
de la fraude du débiteur, parce que celte complicité en
gendre contre le tiers une action personnelle de dol
soumise seulement à la prescription ordinaire, mais il
ne s’agit pas, dans l’espèce actuelle, d’une action de
celte nature, le donataire actionné étant de bonne foi,
et l’attaque étant dirigée contre son titre et non contre
lui-même. Vainement l’arrêt attaqué objecte-t-il que
�530
TRAITÉ DU DOL
l’art. 1304 n’est applicable qu’aux parties elles-mêmes
et non aux tiers, cela est vrai en général par cette rai
son fort simple, que régulièrement les tiers ne peuvent
ni invoquer, ni se voir opposer une convention à la
quelle ils n’ont pas été parties ; mais quand les créan
ciers attaquent un acte comme fait en fraude de leurs
droits, leur position est bien différente; alors il faut
bien qu’ils fassent prononcer la nullité de l’acte pour
échapper au préjudice qu’il leur cause. Il faut remar
quer en outre que la nullité profite, non pas individuel
lement au créancier demandeur, mais à tous les créan
ciers qui sont dans la même situation que lui. L’action
Paulienne est donc une véritable action en nullité qui
fait rentrer dans le patrimoine du débiteur lui-même
l’objet aliéné, or, en matière d’actions en nullité , la
prescription de l’art. 1304 forme le droit commun, les
termes de cet article l’indiquent, et c’est un point qui
ne saurait être contesté.
On disait ensuite que la Cour de Bourges s’était trom
pée soit en déclarant l’art. 2265 inapplicable en princi
pe, soit en exigeant le terme de vingt ans non encore
acquis , parce que le créancier poursuivant habitait,
hors du ressort dans lequel était situé l’immeuble ayant
fait l’objet de la donation attaquée.
Voici la réponse de la Cour régulatrice :
« Attendu que la prescription établie par l’art. 1304
C. Nap. n’est relative qu’aux actions en nullité ou en
rescision à intenter contre les parties contractantes, leurs
�ET DE LA FRAUDE.
531
successeurs ou ayants-cause; qu’ainsi elle ne peut s’é
tendre à l’action que l’art. 1167 accorde au créancier
pour faire révoquer les actes faits en fraude de ses
droits, parce que le créancier exerce cette action en son
nom personnel et dans la mesure de son propre inté
rêt, et que les parties qui ont concouru à l’acte ne peu
vent en ce cas s’en prévaloir;
Attendu que la prescription du droit de propriété éta
blie par l’art. 2265 en faveur du possesseur avec juste
titre et bonne foi, n’affranchit pas l’acquéreur des obli
gations qui lui sont personnellement imposées ; attendu
qu’en vertu de l’action révocatoire accordée au créan
cier par l’art. 1167, les acquéreurs au profit desquels
ont été passé les actes reconnus frauduleux sont person
nellement obligés de restituer à ce créancier ce qu’ils
ont reçu de son débiteur, avec cette différence toutefois
que ceux qui ont participé à la fraude du débiteur sont
obligés pour le tout, tandis que l’acquéreur à titre lu
cratif quÿ a acquis de bonne foi n ’est personnelle
ment obligé que jusqu’à concurrence de ce dont il a
profité.' »
On le voit, relativement à l’art. 2265, la Cour de
cassation n ’examine même pas si dans l’espèce le délai
devait être de vingt ans ou seulement de dix ans, elle
le déclare purement et simplement inapplicable au créan
cier agissant en vertu de l’art. 1167. Les motifs qu’elle
en donne sont péremptoires, mais il en existe un autre
plus péremptoire encore.
�532
TRAITÉ DU DOL
L’art. 2265 exige deux choses : bonne foi et juste ti
tre. Or si l’acte attaqué est à titre onéreux, il ne sera
annulé que si la complicité dans la fraude est démon
trée contre son bénéficiaire. Cette démonstration acquise
et constatée, est-ce que celui-ci pourra exciper de sa
bonne foi ?
Si l’acte est une libéralité, le donataire pourra se pré
tendre de bonne foi, mais il n ’aura pas un juste titre.
Est-ce qu’il est possible en effet de reconnaître ce carac
tère à la donation à l’égard des créanciers qu’elle a pour
objet et pour résultat de dépouiller?
Donc et dans tous les cas, la condition exigée par
l’art. 2265 ne se rencontre pas, et on devrait en refu
ser le bénéfice alors même qu’on supposerait qu’on
peut être recevable à l’invoquer.
Tenons donc pour certain que l’action de l’art. 1167
ne reconnaît d’autre prescription que la prescription
trentenaire.'
1822.
— De quel jour commencera-t-elle à cou
rir? En général, la prescription ne commence à cou
rir que du moment où celui qui Ta laissée s’accomplir,
ayant capacité d’agir, a été en demeure de le faire. Evi
demment, si cette double condition se réalisait au mo
ment de l’acte même, c’est à sa date que se référerait
l’origine de la prescription.
Or, telle n’est pas la position du créancier en fraude
1 V. les autorités et les nombreux arrêts cités par le
à la suite de l’arrêt que nous venons d’indiquer.
la i s ,
J o u rn a l du P a
�ET DE LA FRAUDE.
833
des droits duquel un acte a été consommé, En effet, son
absence forcée le mettra bien souvent dans le cas d’i
gnorer l’existence de cet acte, ce que la partie ne peut
jamais alléguer.
D’ailleurs, la connaissance qu’il en aurait ne le met
pas en demeure d’agir. Toute action de sa part serait
irrecevable, si les ressources restant au débiteur étaient
suffisantes pour le désintéresser.
L’impossibilité d’agir exclut donc toute idée de né
gligence : Contra non valentem agere, non curritprescriptio. Cette règle d’équité, qu’on applique sans hési
ter au cas d’interruption ou de suspension, doit sur
tout être appliquée lorsque l’inaction reprochée n’est
due qu’à l’absence légale du droit de se plaindre. C’est
ainsi que l’avaient compris les jurisconsultes romains.
Ils ne faisaient courir le délai de la prescription de l’ac
tion Paulienne que du jour quo experiundi potestas
fucrit.
Cette solution est celle qu’on doit suivre encore sous
l’empire du Code. L’économie de ses dispositions sur
la prescription ne permet pas d’admettre qu’il ait eu la
pensée de la faire courir lorsque l’ayant droit est, en
fait ou en droit, empêché d’agir.
Il suit de là que le créancier, étant recevable à que
reller l’acte dès que l’insolvabilité du débiteur l’a mis
dans l’impossibilité d’être payé, se rend coupable de
négligence s’il n’agit pas. Conséquemment, c’est du mo
ment où la preuve de l’insolvabilité est acquise qu’on
doit faire partir le délai de la prescription,
�534
TRAITÉ DU DOL
1 8 2 5 . — Il résulte, de ce qui précède, qu’indépendamment de la chose jugée, de la ratification, de la pres
cription, l’action du créancier est susceptible de rencon
trer une fin de non-recevoir tirée de la solvabilité du
débiteur. Nous l’avons déjà d it, l’action révocatoire
n'est que subsidiaire. Si le paiement qu’elle a pour
objet d'assurer peut être fait par les ressources que le
débiteur a conservées ou qu’il a acquises depuis l’acte,
il n’est pas permis au créancier de faire révoquer cet
acte.
En conséquence, le bénéficiaire pourra donc toujours
exciper de la réalité des unes ou des autres, et forcer
même le créancier poursuivant à les discuter. L’excep
tion de discussion serait un obstacle à l’action que les
tribunaux devraient consacrer, à moins que l’état des
biens, comparé à l’état hypothécaire, n’établit d’une ma
nière évidente et actuelle l’insolvabilité du débiteur.1
Comme fin de non-recevoir eu la forme, l’exception
de solvabilité n’est que dilatoire. Ainsi, l’action du
créancier ne serait pas repoussée, mais elle demeu
rerait suspendue jusqu’à l’événement de la discusion.
Elle deviendrait péremptoire et absolue, si cet événe
ment amenait le paiement de celui qui poursuivait la
révocation.
1824. — Mais l’exception de solvabilité du débi
teur peut devenir une fin de non-recevoir foncière d’une
�ET DE LA FRAUDE.
5B5
importance décisive, surtout en ce qui concerne la com
plicité de celui qui a traité avec le débiteur.
Pour le débiteur lui-même, la fraude ne se présume
que suivant l’influence que l’acte qu’il consent exerce
sur sa solvabilité. Or si, indépendamment de ce qu’il
aliène, il lui reste une fortune suffisante ou au-delà
pour désintéresser ses créanciers, l’acte consacrant une
aliénation partielle ne pourra que très difficilement pa
raître frauduleux. La preuve qu’il ne l’était pas s’indui
rait assez de ce que les biens conservés le rendaient
fort indifférent pour les créanciers. Il faudrait donc que
ces derniers prouvassent, par la fréquence et la succes
sion des aliénations postérieures et rapprochées, que ce
premier acte n’est que le commencement d’exécution
d’un projet dès lors arrêté, et suivi depuis, dans le but
de devenir insolvable, en apparence du moins.
Mais c’est surtout en faveur du tiers que l’exception
de solvabilité du débiteur est dans le cas d’exercer l’ef
fet décisif le plus rationnel. Pour que sa complicité soit
admise, il faut qu’il n ’ait pas pu raisonnablement igno
rer la volonté de celui avec qui il traitait de se sous
traire au paiement de ses dettes, qu’il se soit prêté à sa
consommation. Qu’on la reproche donc à celui qui traite
avec un insolvable notoire, on le comprend; qu’on l’ad
mette contre celui qui, connaissant l’existence de nom
breux créanciers, paie immédiatement, et sans forma
lités, le prix de son acquisition entre les mains du dé
biteur ou se prête à en dissimuler une partie, c’est là un
�53.6
TRAITÉ DU DOL
fait qui n’a rien d’extraordinaire, rien qu’on puisse réel
lement blâmer.
Mais le tiers qui a traité avec un homme solvable ou
qui, connaissant de nombreux créanciers, a, en même
temps, su ou pu savoir que l’actif restant à son débi
teur suffisait à les désintéresser, celui-là, disons-nous,
ne peut être, en aucune façon , présumé s’être prêté à
une fraude qu’il devait d ’autant moins soupçonner,
qu’elle était même sans cause au moment ou il traitait.
En d’autres termes, la volonté de la part du débiteur
de se rendre insolvable constitue, dans la matière, la
véritable causa simulandi. Cette cause existe lorsque
l’aliénation querellée a eu évidemment le résultat indi
qué. On peut donc plus facilement admettre la fraude.
Mais lorsque l’aliénation a été sans influence immé
diate sur la solvabilité du vendeur ; lorsque celui-ci,
après la vente, est resté ce qu’il était avant, c’est-a-dire
en position d’éteindre ses dettes intégralement, cette
cause n’existe plus. Il faut donc en revenir à la doctrine
du cardinal De Luca, et dire que, dans cette hypothèse,
la fraude ne doit être admise que sur des preuves éviden
tes et certaines, probationes cerlw et expressœ.'
La bonne ou la mauvaise foi des parties doit être ap
préciée au moment du contrat. Elle ne peut dépendre
des événements qni se sont plus tard réalisés et dont la
responsabilité ne pourrait, sans injustice, peser sur l’une
d’elles. La certitude des ressources restant au débiteur
1 V. supra, n° 1429,
�ET DE LA FRAUDE.
337
après l’acte, celle de leur suffisance à l’endroit des créan
ciers sont donc une fin de non-recevoir au fond que le
tiers invoquerait utilement comme devant faire repous
ser la demande en ce qui le concerne.
1 825. — Dans tous les cas, ce tiers a le moyen de
déterminer ce résultat, en désintéressant le poursuivant.
L’offre qu’il en ferait, sa réalisation, serait mieux qu’une
fin de non-recevoir; elle anéantirait toute action en enlevant tout intérêt à sa poursuite.
�T A B L E
DES CHAPITRES DU TOME IV
De la Simulation (suite).
Chapitre
— Fraude contre les tiers......................
i
— Origine, nature et caractère de l’action.
4
iii.
S ection
i.
S ection
ii.
S ection
iii.
— De la preuve.................................. .....
39
S ection
iv .
— A quels actes s’applique l’action.
59
— Condition de l’action............................ 14
.
§ 1. — Du m ariage............................................................. 60
§ 11. — Successions...........................................................454
§ nr. — Des donations.....................................................289
§ iv. — Emprunts etventes ............................................446
Chapitre
iv . —
Desfinsde non-recevoir contre l ’action.
504
�TABLE
GÉNÉRALE ET ALPHABÉTIQUE
D E S
M A T IÈ R E S
N. B. Les chiffres indiquent les numéros d’ordre.
A
. — L’héritier présomptif de l’absent peut-il désavouer l’enfant
né pendant l’absence? Voy. Désaveu.
A c q u é r e u r . •— Fraudes qui peuvent lui être imputables, voy. Tente.
A c t e sous s e i n g p r i v é . .—
Effets de la simulation de la date de l’acte
sous seing privé, d273. — Quid , en cas de dénégation de l’écriture
ou de la signature? 1274. — Caractère de la reconnaissance de l’acte
sous seing privé, 1275. — Pour que l’acte sous seing privé puisse
faire foi de la date entre parties, il faut que celui qui l’a souscrit n’ait
pas acquis depuis peu. ou n’ait pas perdu dans l’intervalle, la capacité
de contracter, 1276. — Application de cette règle aux divers incapa
bles, 1277 et suiv. — Les termes de l’art. 1322, ayant-cause, con
cernent-ils les successeurs à titre particulier? 1280 et suiv.
A c t i o n . — Différence entre l’action en répression des délits d’avec celle
en réparation du dol, 18. — Caractère de celle ouverte au mineur en
nullité du traité qu’il a fait avec son tuteur sans les formalités de l’ar
ticle 472 du Code civil, 181. — Utilité de ce caractère relativement
aux donations entre vifs ou testamentaires faites par le mineur à son
tuteur, 153. — A qui appartient l’action en nullité ou en restitution,
en matière de contre-lettres à une cession d’office, par quel délai se
A
b s e n t
�540
TABLE GÉNÉRALE
prescrivent ces deux actions? 1314. — Fondement de l’action confé
rée à la femme en révocation de l’aliénation de sa dot, 1329. — A
quelle époque cette action est elle recevable? 1330. — Elle passe aux
héritiers de la femme, 1331 — Q u i d , des créanciers du mari, de la
femme ou de ses héritiers? 1342 et suiv. — Point de départ et délai
de la prescription, 1348 et suiv. — L’action des héritiers en nullité
d’une substitution fidéicommissaire peut être exercée par leurs créan
ciers, ses caractères, 1628 et suiv.
A
c t io n
A
c t io n
e n
n u l l it é
A
c t io n
e n
r e s c is io n
A
c t io n
A
A
A
e n
d o m m a g e s
-
in t é r ê t s
, v o y . D o m m a g e s - in té r ê ts .
— L’action en nullité est exclusivement dévolue à
celui qui a été victime du dol et de la fraude, elle passe à ses héritiers
et peut même être exercée par ses créanciers, 271 et suiv. —-' Contre
qui l’action en nullité ou en rescision doit-elle être poursuivie? 299.
Voy A c ti o n .
c t i o n e n r é d u c t i o n . — L’action des réservataires, en réduction des
libéralités excessives, peut être exercée par leurs créanciers, 1695. —
Elle ne peut l’être par les légataires qu’à l'égard des libéralités faites
aux enfants adultérins ou incestueux, 1696.
.
, v o y . R e s c is io n .
. — Caractère de l’action Paulienne, 1408 et suiv.—
Son origine en droit romain, 1405 et suiv. — Modification que lui fit
subir notre ancien droit, 1412. — Doctrine du Code, 1415. — Condi
tions pour pouvoir l’exercer , 1416 et suiv. — L’antériorité de la
créance n’est pas toujours requise, 1419 et suiv. — L’action autorisée
par l’art. 1167 appartient indistinctement à tous les créanciers, 1433
et suiv. —• Contre qui doit-elle être exercée? 1436. — Durée de l’ac
tion des créanciers, 1535. — L’action de l’époux, en révocation des
actes frauduleusement consentis par son conjoint, passe à l’héritier,
1538.
d j u d i c a t a i r e s . — Personnes incapables de devenir adjudicataires, mo
tifs de la prohibition, 702. — Par qui peut être invoquée la nullité de
l’adjudication rapportée par l’incapable? 705. — L’interposition de
personnes obéit-elle, dans ce cas, au principe de l’art. 911 du Code
civil? 709. — Baux consentis par l’adjudicataire dépossédé par folleenchère, 1002 bis.
r é v o c a t o ir e
d u l t è r e
. —
G r a v i t é d e l ’a d u l t è r e , s é v é r i t é
8 3 5 . — E s t u n e c a u se d e s é p a ra tio n
d es a n c ie n n e s
lé g is la tio n s ,
d e c o rp s , d iffé re n c e , q u a n t à ce,
�ET ALPHABÉTIQUE.
A
A
341
entre l’adultère de la femme et celui du mari, 836 — 11 n’est pas né
cessaire que la preuve en soit acquise au moment de la demande en
séparation de corps, 837. — L’adultère n’autorise le désaveu que s’il
est accompagné du recélé de la naissance, comment doit-on entendre
celui-ci? 861 et suiv.
g e n t s d e c h a n g e . — Nature de la prohibition faite par les art. 88 et
86 du Code de commerce aux agents de change et courtiers, 710. —
Peine encourue, en cas de contravention, 711. ■
— L’opération illicite
n’est pas frappée de nullité, par quels motifs ? 712. — Dans quel cas
la nullité pourra être ordonnée ? 713. — La nullité opposable à l’agent
de change peut être opposée à celui qui lui aurait été frauduleusement
substitué, 714. — L’agent de change qui garantit la solvabilité de l’a
cheteur, moyennant un dû croire, contrevient-il aux art. 88 et 86?
7 1 8 . — Par quel délai se prescrit la contravention à la prohibition de
la loi? 716.
l i é n a t i o n . — Caractère, en droit romain, de l’aliénation générale des
biens à l’endroit de l’action Paulienne, 144-7 — En droit français, elle
est une présomption de fraude , 1448. — Peu importe qu’elle ait été
réalisée par un seul ou par plusieurs actes successifs, 1449. — L’a
liénation faite par le donateur, par suite de la réserve qu’il s’en est
faite dans la donation, peut être querellée parle donataire, 1704 et
suiv. — Effets do l’aliénation postérieure à la donation, son impor
tance au point de vue des art. 1082, 1084 et 1086 du Code civil, 1714
et suiv. — Peut-on déroger à l’art. 1083 et convenir que le donatenr
ne pourra aliéner à titre onéreux les biens qu’il donne dans les con
ditions de cet article? Effet de cette clause à l’égard des tiers, 1718
bis,
A
m a r i t i m e s __ L’assurance faite dans les conditions de l’ar
ticle 348 du Code de commerce est présumée frauduleuse, 186. — Né
cessité et sagesse de cette disposition, 187. — Son origine, 188 et
suiv.,— La présomption est acquise, même en cas d’absence de toute
intention frauduleuse, par le fait de la réticence, de la fausse déclara
tion ou de la différence, 191 et suiv. — Les difficultés d’application se
rapportent donc uniquement sur la réalité du fait et sur l’influence
qu’il a exercée sur le risque, 198. — Faits constituant la réticence ou
la fausse déclaration, 496 et suiv. — Différence entre l’omission et la
fausse déclaration, 211. — Effet du remplacement du capitaine dési-
s s u b a n c e s
�542
A
A
TABLÉ GÉNÉRALE
gné. 212. — Q u i d , s’il a été stipulé ou tout autre pour lui? 213. —
Cas dans lequel l’omission du lieu où les marchandises ont été ou
doivent être chargées n’annule pas l’assurance, 214. — Effet de la dé
claration fausse et inexacte à cet égard, 215. — Nécessité de déclarer
tout ce que le navire fera pendant le voyage, ainsi que toutes les cir
constances de la navigation connues au moment du contrat, 216 et
suiv. — Effet de l’omission de l’indication du moment où le risque
commence et où il finit,223. — La présomption de l’art. 348 du Code
de commerce est j u r i s et d e j u r e et dans l’intérêt exclusif de l’assu
reur, 225 et suiv. — C’est à celui-ci à prouver le fait dont il excipe,
mode de preuve admissible, 228. — Impossibilité pour l’assuré de
prouver outre et au-delà de la police d’assurance, 229.
v e u . — L’aveu de la partie sur la simulation du titre forme-t-il un
commencement de preuve par écrit? 244. — La cause indiquée dans
l’aveu comme réelle et légitime doit-elle être admise ou bien peut-on
diviser l’aveu? 245 et suiv. Voy. C o m m e n c e m e n t d e p r e u v e .
v o u é . — Principe et étendue de la responsabilité des avoués, 491 et
suiv. — L’avoué répond même de sa faute légère, 496. — Dans quel
les circonstances doit-on appliquer cette responsabilité, 497. — L’a
voué répond des personnes qu’il s’associe ou se substitue, q u i d , de
l’huissier qu’il emploie? 498. — Dans quelles circonstances et à quel
les conditions l’avoué peut-il être condamné à des dommages-intérêts?
499. — Répond-il des conséquences du conseil qu’il a pu donner?
500. — L’avoué peut-il être condamné sans avoir été mis en cause?
501. —■Q u id , en cas de désaveu? 511. — Effet du silence qu’il garde
sur la proposition qui lui est faite de se charger d’une cause, 1211.
B
B
B
B
B
. — La femme est-elle fondée à obtenir contre les tiers la nullité du
bail de ses biens paraphernaux consenti par le mari seul? 1539. — Le
bail légalement consenti per l’usufruitier est exécutoire pour le nupropriétaire, 1716 Voy. L o u a g e .
a i l l e u r . — Obligations et droits du bailleur, voy. L o c a t io n .
a n q u i e r . — Caractère et légalité des droits que le banquier perçoit in
dépendamment de l’intérêt légal, voy. U s u r e .
i e n s c o m m u n s , voy. M a r i e t f e m m e .
a il
�r,
BT
B ie n s
B onne
dotaux , v o y .
A L P H A B É T IQ U E .
.
543
Dot.
f o i . — N é c e s s i t é d e l a b o n n e f o i d a n s le s c o n v e n t i o n s , 4 . — P o u r
q u o i l e l é g i s l a t e u r n ’a p a s c o n s i d é r é c o m m e m o y e n s d e n u l l i t é t o u t c e
q u i s ’é c a r t e d e l a s t r i c t e b o n n e f o i ? 2 0 .
C
. — Nécessité pour l’assuré d’indiquer le nom du capitaine,
effet de l’omission ou de la fausse déclaration à cet égard, voy. A s s u
r a n c e s m a r i t i m e s . — Position et responsabilité du capitaine, voy.
a p it a in e
M a n d a t.
. — Effet de la captation à l’endroit des libéralités, 389. —•
Doutes que le silence du Code avait fait naître, 390. — La captation
peut être prouvée par témoins, 391 et suiv. — Distinction entre la
captation licite ou illicite, 392. — Le concubinage fait-il présumer A
celle-ci? 393. — Comment s’apprécie la gravité des faits, caractère
qu’ils doivent offrir pour faire ordonner la preuve, 394 et suiv. — Ef
fets de la preuve sur la libéralité, 400. — L’action en captation est-elle
recevable contre la donation entre-vifs? 403.
C a u t i o n n e m e n t . — La vente du fonds dotal peut-elle être valablement
cautionnée, notamment par la femme elle-même et sur ses biens paraphernaux? 4333 et suiv. — Le cautionnement d’une dette de jeu
est-il licite et obligatoire? Voy. J e u .
Chose jugée. — Caractère de l’autorité attachée à la chose jugée, 44 9.
— Conséquence, quant à l’erreur commise en jugement, 420. — Le
dol crée une exception au privilège admis en cette matière, conséquen
ce , 424. Voy. R e q u ê te c i v i l e , P r i s e à p a r t i e . _ Caractère de la fin
de non-recevoir tirée de la chose jugée, conséquences, 84 5 et suiv. —
Conditions exigées pour qu’il y ait chose jugée, 547. — Jugements
susceptibles de la créer, 54 8 et suiv. — Le jugement interlocutoire sur
un point peut être définitif sur un autre, conséquences, 524 — A
quelle époque les jugements définitifs ont-ils acquis l’autorité de la
chose jugée? 525 et suiv. — Jugements rendus en pays étrangers, 529.
— La chose jugée ne peut résulter que du dispositif, 530. — L’iden
tité d’objet est une condition indispensable, 534 et suiv. — L’objet
est le même si, après avoir succombé sur la demande du tout, on ré
clame une partie, q u i d , de l’hypothèse inverse? 634 et suiv. — Le
C
a p t a t io n
t
-
�544
C
TABLE GÉNÉRALE
jugement au possessoire ne crée aucun préjugé sur le pélitoire, 836.
— Que faut-il entendre par la partie réclamée? 837. — La chose jugée
n’existe que si les deux demandes ont une cause identique, dans quel
les hypothèses reconnaîtra-t-on cette condition? 838 et suiv. — Dif
férence entre la cause et les moyens, 543. — La chose jugée sur un
moyen l’est pour tourtes autres, 544 et suiv. — Utilité de la distinc
tion à l’endroit de la nullité des actes, 546. ■
— Classement à faire pour
la solution de la difficulté, 547. — La chose jugée exige que les par
ties soient les mêmes et qu’elles agissent en la même qualité, 548. —
Manières diverses d’être partie dans un procès, 549 et suiv. — Quid,
de l’instance jugée en faveur ou contre l’héritier apparent? 568. —
Mode d’appréciation de la chose jugée, 569. — La chose jugée contre
le débiteur est-elle opposable aux créanciers? 1816. — Position ex
ceptionnelle des créanciers hypothécaires ou privilégiés, 1817.
o m m e n c e m e n t d e p b e u v e . — Le commencement de preuve rend, dans
tous les cas, la preuve orale admissible, 730. — Sa définition, 731. —
Nature de la règle posée par l’art. 1347 du Code civil, exceptions dont
elle est susceptible, 732. — Droit ancien et nouveau sur les livres et
registres des marchands, 733 et suiv. ■
—■Les copies des titres peuvent
servir de commencement de preuve, 735 — Interrogatoire des par
ties, 736 et suiv. — Leur aveu, ou déclarations fournies contradictoi
rement à l’audience, 738 et suiv. — Peut-on diviser les uns et les au
tres, lorsqu’il ne s’agit que de la vraisemblance du fait allégué? 740
et suiv. — Refus de comparaître ou de répondre, obscurité calculée
des réponses, 742 — Les aveux et déclarations faits en justice de
paix sont assimilés à ceux faits devant les tribunaux ordinaires, 743,
— La loi exigeant seulement que l’écrit émane de la partie, consé
quence quant à sa forme, 744. — L’écrit non reconnu “ne peut créer
le commencement de preuve qu’après vérification, 745. — Catégories
diverses des écrits invoqués, 746. ■
— Les registres et livres des mar
chands se placent dans celle des écrits rédigés mais non signés par la
partie, 747. — L’art. 1330 est-il applicable à la recherche du com
mencement de preuve? 748. ■
— Actes sou s.'sein g privé ne réunissant
pas les conditions exigées par les art. 1325 et 1326 du Code civil, 749
et suiv. — L’acte authentique, nul pour incompétence de l’officier qui
l’a reçu ou pour violation de formes, peut servir de commencement de
preuve, s’il est signé par toutes les parties, 756 et suiv. — Ce com-
�545
ET ALPHABÉTIQUE.
C
C
C
C
C
C
C
mencement peut également résulter de lettres missives, exemple, 788.
— L’écrit émané de l’auteur de la partie est censé émaner de celle-ci,
789. — Q u i d , de celui provenant du mandataire, 760. — Arrêt de
Toulouse faisant résulter le commencement de preuve des registres
d’un notaire, 76t. Voy. F i l i a t i o n .
o m m i s - v o y a g e u r s . — Nature des pouvoirs des commis-voyageurs, effet
des engagements qu’ils contractent, voy. M a n d a t .
o m p l i c i t é . — Caractère et effet de la complicité dans le dol ou la frau
de, arrêt notable de la Cour d’Agen, 86 et suiv.
o n c u b in a g e
— L’existence du Concubinage fait-elle présumer la capta
tion illicite? voy. C a p t a t i o n .
o n c u s s i o n , voy. P r i s e à p a r t i e .
o n n a i s s e m e n t . — Effet de la différence entre le connaissement et la po
lice d'assurance, voy. A s s u r a n c e s m a r i t i m e s .
o n t r a i n t e p a r C o r p s e n m a t i è r e c i v i l e . — Coup d’œil historique sur
la contrainte par corps sous les législations antérieures au Code, dis
position de celui-ci, 327 et suiv — Faculté conférée par l’art. 126 du
Code de procédure civile, modification créée par cette disposition à
l’ordonnance de 1667, 329 et suiv. — Peut-elle être prononcée pour
la restitution de la valeur de la chose dont le transfert est annulé? 331.
— Exception à la faculté de décerner la contrainte, 333 et suiv. —
Durée de la contrainte par corps en matière civile, 338.
o n t r e f a ç o n
. — L a c o n tre fa ç o n d es
m a r q u e s d e f a b r i q u e , l ’u s u r p a t i o n
d u n o m d u fa b ric a n t, la fa u s s e in d ic a tio n d u lie u d e la p ro d u c tio n , e s t
a s s im ilé e à la tro m p e rig s u r la n a tu r e d e la c h o se , 9 6 0 .
C
C
- l e t t r e . — La contre-lettre dissimulant le prix d’une vente estelle valable? 1296 et suiv, — Q n id , des contre-lettres en matière de
cession d’office? 1301. — La qualité des parties influe-t-elle sur le
sort de ces contre-lettres? 1303. Voy. A c tio n & O f fic e . — Contrelettre aux conventions matrimoniales, voy. ces mots.
o n v e n t i o n s m a t r i m o n i a l e s . — Caractère des conventions matrimonia
les, conséquences de la fraude, 778..'— Facilité que rencontre celle-ci.
moyens de la prévenir, 776 — Irrévocabilité des stipulations du con
trat, 777. — Conditions pour la validité des modifications consenties
avant la célébration du mariage, nullité absolue de celles qui sui
vraient cette célébration, 778 et suiv. — Difficultés pouvant surgir,
comment elles doivent être appréciées, 783 et suiv. — Le Code civil
o n t r e
I
35
�546
TABLE GÉNÉRALE
n’a pas consacré ^principe du droit ancien, n’annulant les change
ments que lorsqu’ils empiraient le sort de la dot , 786. — Mais on
doit toujours distinguer le changement prohibé de la modification ré
sultant de l’exécution naturelle de l’obligation, 787. — Application de
cette règle à la renonciation du père ou de la mère à un avantage de
leur contrat de mariage, en faveur de leurs enfants, k la dation d’une
hypothèque non stipulée, 788. — Les tiers parties au contrat de ma
riage sont régis par les mêmes principes que les époux et leurs pa
rants, 789. — La demande en nullité des contre-lettres et des change
ments illicites peut être intentée par la partie elle-même, 790 et suiv.
— L’action est imprescriptible pendant la durée du mariage, 792. —
Les conventions et les avantages obtenus par dol ou fraude peuvent
être révoqués sur la poursuite de l’époux trompé, 713.
C
o r r u p t io n
C
voy. A g e n ls d e c h a n g e .
r é a n c i e r s . — Ont le droit d’attaquer les actes faits par leur débiteur
en fraude de leurs droits, 1403 et suiv. Voy. D é to u r n e m e n t, D o l,
S é p a r a t i o n d e M e n s . — Peuvent faire annuler la renonciation de la
femme à la communauté, 1530. — Ce droit appartient aux créanciers
personnels de l’héritier de la femme, 1532. — Les uns et les autres
peuvent-ils quereller l’acceptation, faite par la femme ou ses héritiers ?
1533. Voy. P a r t a g e S u c c e s s io n , U s u f r u i t . — Peuvent-ils attaquer
comme mise en fraude de leurs droits la condition d’insaisissabilité
opposée à un legs d’un immeuble? 1641 Lis.
C
o u r t ie r s
d e s
e x p e r t s
, v o y . R e q u ê te c i v i l e .
,
D
D
é c l a r a t io n
.
— Effet de la fausse déclaration dans le contrat d’assu
rances, voy.
D
D
A ssu ra n c e s m a r itim e s .
— Effet de la déconfiture du commerçant à l’endroit de la
présomption de fraude en faveur des créanciers, 1442 et suiv.
é d it . —
Le dédit stipulé dans une promesse de mariage est frappé de
nullité, 1353. — Admissibilité de la preuve orale pour en prouver le
véritable caractère , s’il a été stipulé sous la forme d’une obligation
pure et simple, 1354 et suiv.
é c o n f it u r e
D
é n i
D
é s a v e u
d e
.
j u s t ic e
, v o y . P r is e à p a r tie .
. — D ans quel
cas
l e m a r i p e u t - i l d é s a v o u e r l ’e n f a n t ? 8 4 0 e t
�ET ALPHARÉTIQUE.
547
suiv — Effet du désaveu par rapport à l’enfant, 842. — Exceptions
qu’il pourra opposer à l’action, dans l’hypothèse d’une naissance pré
coce, 843 et suiv. — L’enfant qui n’est pas né viable ne peut pas être
désavoué, 849. — A quelles conditions peut-on désavouer l’enfant
conçu et né pendant le mariage? 887 et suiv. — L’action en désaveu
est rècevable avant qu’il y ait chose jugée sur l’adultère, mais celui-ci
n’est pas la eonséquenoe du recélé de la naissance, 870 et suiv. —
Procédure que doit suivre le mari, 873. — L’action en désaveu lui est
personnelle, 874. — Quand se transmet-elle aux héritiers, et quels
sont ces héritiers? 878 et suiv. — L’héritier présomptif de l’absent
peut-il désavouer l’enfant né depuis l’absence? 878 et suiv. — Q u id ,
du tuteur de l’interdit 880? et suiv. — Les fins de non-recevoir op
posables au mari le sont à ses héritiers, 883. — L’héritier qui aurait
personnellement reconnu la légitimité de l’enfant n’est plus rece
vable à le désavouer, 884. — Délai accordé soit au père soit h l’héri
tier, point de départ, 888 et suiv. — Déchéance, si le désaveu réguliè
rement intenté n’est pas suivi d’une action en justice dans le mois de
la notification, 888. — Quelles personnes sont parties dans l’action
en désaveu? 889. — Effet de la naissance tardive, voy. C o n t e s t a t i o n
d e lé g itim ité .
Détournement. — Son caractère, 899 et suiv, _ Différence entre le dé
tournement, le recélé et l’omission d’indication h l’inventaire, 901. —
Caractère de la tentative de l’un ou de l’autre, 902. — Pouvoir du
juge dans l’appréciation des faits constitutifs, 903. — Effet du détour
nement par la femme, 904 et suiv. — La poursuite appartient exclu
sivement au mari ou à ses héritiers, 908. — Le détournement par le
mari ou ses héritiers motiverait la révocation de la renonciation à, la
communauté, 909. — L’époux convaincu de détournement perd-il les
droits qu’il aurait sur les objets soustraits non-seulement comme com
mun, mais encore comme donataire de son conjoint? 910. — Le dé
tournement qui ne peut être poursuivi criminellement contre l’époux,
peut l’être contre les complices, 911. — Effets du détournement com
mis par le copartageant, 928 et suiv. — Y a-t-il détournement dans
la détention d’effets:portés à l’inventaire, 930 et suiv. — Le détourne,
ment opéré du vivant de l’auteur est assimilé à celui qui serait exé.
cuté après sa mort, 932. — L’exagération du passif constitue le dé
tournement punissable, 933. — L’auteur du détournement ou du re-
�348
TABLE GÉNÉRALE
célé peut, indépendamment de la perte de sa portion, être condamné à
des dommages-intérêts, 934. — Quid, si celui qui a détourné est en
core mineur? 936. — Le détournement de l’actif à la dissolution du
mariage est la fraude la plus dangereuse pour les tiers, 1518. — Son
caractère et ses effets à l’endroit de la femme dotale ou commune en
biens, 1520 et suiv. — Effets du détournement commis par le mari
ou ses héritiers, 1523. •— Peut-on cumuler les peines portées par la
loi et une allocation de dommages-intérêts? 1524. — Les héritiers du
mari peuvent, en cas de détournement par la femme, ne pas faire pro
noncer la nullité de la renonciation qu’elle aurait faite à la commu
nauté, 1526. — Mais elle n’en est pas moins considérée comme com
mune à l’égard des créanciers, 1527. — Doit-on considérer comme
détournement la fausse supposition de créances à la charge de la suc
cession? 1529 Voy. Renonciation. •— Le détournement n’en est pas
.moins punissable, qu’il ait été commis avant ou après la mort du con
joint, 1536.
D e t t e s . — Nullités des dettes contractées pendant le mariage par la fem
me seule , 807. — Les dettes résultant des nécessités du ménage se
placent dans une catégorie spéciale, 808 et suiv. — L’art. 1410 du
Code civil rend inutile toute antidate dans le but de faire considérer
les dettes de la femme comme antérieures au mariage, 810. — Le
mari, qui a payé des dettes non justifiées aux termes de cet article,
ne peut en exiger récompense, 813 et suiv. — Le paiement après con
damnation de la femme donnerait-il lieu à récompense? 815.
Don. — Rôle du dol dans les conventions, 2. — Causes de son dévelop
pement, 3. — Motifs de la sévérité que le législateur a déployée dans
sa répression, 4. — Différence entre le dol et la fraude, 12. — Défi
nition du dol en droit romain, 14 et suiv. •— Dans quels cas le dol
dégénère-t-il en délit? 17. — A quelles conditions doit-on en admet
tre l’existence, 21 et suiv. — Distinction en droit romain entre le dol
bon ou mauvais, 42 et suiv. — Cette distinction se retrouve dans no
tre droit, mais à l’endroit de la fraude, 45. — Le dol ne peut être que
personnel, 46. — Existait-il en droit romain un dol réel? 47 et suiv
— Comment se prouve le dol? 106 et suiv. — S es effets. 261 et suiv.
Doc a c c i d e n t e l — Ses caractères, 66. — Exemples, 67 et suiv. — Le
dol accidentel n’est constitué que par l’emploi de manœuvres, 69. —
Nécessité de la distinction entre la lésion et le dol pour les ventes mo-
�ET ALPHABÉTIQUE.
549
bilières, 74, — Exemple de dol sur la qualité annulant le contrat, 75
et suiv. ■
— Effets du dol accidentel, 264 et suiv.
D o l d i r e c t . — Le dol direct est celui qui émane personnellement de
la partie, 7 8 .— Quid , de celui commis par le mandataire? Voy.
Mandat.
Dor, i n d i r e c t . — Caractères et exemples du dol indirect, 84. — Effets
du dol substantiel indirect dans les traités, 266.
Doi. n é g a t i f . — Caractère du dol négatif, 94 et suiv. — Exemples pui
sés dans divers arrêts fort remarquables, 96 et suiv. — Espèces de
dol négatif consacrées par l’art. 348 du Code de commerce, 100.
D o l p o s i t i f . — Ses caractères, difficulté de son appréciation lorsqu’il se
produit par paroles seulement, 89 et suiv. — Appréciation et consé
quences du mensonge le constituant, 93.
D o l p o s t é r i e u r a u c o n t â t . — Origine, nature et caractère du dol pos
térieur au contrat, 101 et suiv. — Peut naître à la suite d’une simula
tion licite, 103.
D o l p r é s u m é . — Diverses hypothèses dans lesquelles le dol est de
plein droit présumé, 109 et suiv. Voy. Assurances maritimes, Inca
pables. — Le dol est toujours présumé dans les libéralités faites aux
personnes désignées dans l’art. 909 du Code civil, 161. — Nature
de cette présomption , 176. — Exceptions qu’elle comporte, 177 et
suiv.
D o l s u b s t a n t i e l . — Sa nature et ses effets, 50 et suiv. — Obligations
de celui qui en allègue l’existence, 52. — Exemples du dol portant
sur le consentement, 53 et suiv. — Dol sur la capacité des parties, 57.
— Dol sur la matière du contrat, exemples, 61 et suiv — Dol sur la
cause de l’obligation, 64.
D o m m a g e s - i n t é r ê t s . •— Objet de l’allocation des dommages-intérêts, qui
peut la réclamer? 300. — L’étendue de la condamnation est laissée à
la prudence du juge , 301. — Maximun déterminé par le droit ro
main, principes à consulter sous l’empire du Code, 302 et suiv. —
En quoi consistent les dommages-intérêts dans le cas de faute, de
fraude ou de dol, 304 et suiv. — Intérêts moratoires, exceptions à la
règle de l’art. 1153 du Code civil, 313. — Peut-on, outre les dépens,
de l’instance, condamner le plaideur téméraire à une allocation pécu
niaire? 319 et suiv.— Contre qui l’action en dommages-intérêts
doit-elle être poursuivie? 322, — Ses conséquences en matière de
�530
TABLE GÉNÉRALE
vente d’objets mobiliers, 323. — La condamnation est solidairement
prononcée contre tous ceux qui y sont tenus comme auteurs ou com
plices, 324 et suiv. — Elle peut être prononcée avec contrainte par
corps, 329.
Don m u t ü e d . — Le don mutuel et réciproque par un seul et même acte
est nul, 1656. — Y a-t-il don mutuel et réciproque lorsque les époux,
vendant un immeuble de la communauté , en laissent le prix à rente
viagère réversible en tout ou en partie sur le survivant? 1657.
D o n a t e u b . — L’époux donateur n’est pas recevable
quereller de simu
lation la donation par lui consentie, 1.675. Voy. Donation.
D o n a t i o n , voy. Libéralités. — Les donations autorisées par l’art. 1422
peuvent-elles être valablement faites aux personnes réputées interpo
sées? 827.
D o n a t i o n c c n t b a c t u é l l e . — Conditions indispensables pour que la do
nation soit considérée comme faite en vue du mariage, 1474. — Droits
des créanciers et des héritiers dans le cas de fraude de la part du do
nateur, 1717. — Droits des premiers dans l’hypothèse de fraude con
certée entre le donateur et le donataire, 1718,
D o n a t i o n d é g u i s é e — La donation déguisée, en l’absence de tonte in
capacité, est valable, 1264 et suiv. — Est-elle affranchie de la révoca
tion pour survenance d’enfants? 1266. — Quelle est dans ce cas la
preuve admissible pour établir le véritable caractère de l’acte? 1267.
— Durée de l’action, 1268. — Ses conséquences, à l’endroit des tiers
détenteurs, 1249. — Facilité qu’ont les époux de se faire des dona
tions déguisées ou par persenne interposée. 1666 — Ces donations
sont frappées de nullité absolue, 1677 et suiv.
D o n a t i o n e n t b e é p o u x — Faculté, illimitée qu'ont les époux de se don
ner par contrat de mariage, 1645. — Exceptions que cette règle com
porte, 1646 et suiv. — Suspicion qui s’attache aux donations entre
époux pendant le mariage, leur révocabilité absolue, 1649 et suiv.
— La femme peut les révoquer sans autorisation, 1652. — Sont-elles
révoquées par survenance d’enfants? 1653 — Formes de l’acte révocatoire depuis la loi du 21 juin 1843, 1654. — Véritable caractère de
la donation entre époux faite pendant la durée du mariage, 1655.
D o n a t i o n i n d i b e c t e . — La donation indirecte entre époux n’est valable
que dans les limites des art. 1094 et 1098 du Code civil, caractère de
ces dispositions, 1658. — De quels actes peut résulter la donation in-
�ET ALPHABÉTIQUE.
551
directe entre époux? 1659 et suiv._ Il y a donation indirecte dans
l’adoption de la communauté en cas d’inégalité dans l’apport respec
tif, 1663 — Effet de cette adoption pour les enfants d’un premier lit,
1664. — Comment s’opère la réduction qu’ils sont dans le cas d’obte
nir, 1665. — La donation indirecte faite au mépris de l’art. 1099 du
Code civil est réductible, 1676.
D o t . — Fraudes dont la constitution de la dot est susceptible, 794. —
Obligation pour le mari de poursuivre la rentrée de la dot, sa respon *
sabilité, 795. — La quittance d’une dot non reçue constitue une libé
ralité, ses effets à l’égard des réservataires et des créanciers, 796. —
La quittance d’une dot non reçue peut, si le mariage n’a, pas été célé
bré , être annulée sur la preuve écrite de la simulation, 797. — La
quittance de la dot, sous pacte secret de se contenter d’une moindre
somme, oblige à la restitution de la somme quittancée, 798. — Il en
est de même de la quittance donnée spe futurce nnmeralionis , 799.
— La contre-lettre expliquant la quittance ne serait pas opposable à
la femme, 800. — Quid, si le mari avait reçu en paiement des effets
du constituant? 801. — La quittance par le père de l’époux de la dot
touchée par celui-ci pourrait être attaquée comme constituant une li
béralité, 802. — Origine et effets de l’inaliénabilité de la dot, 1312. —
Son caractère, 1313. — Nature de la nullité, ses conséquences à l’en
droit de l’acquéreur du fonds dotal, 1314 et suiv. — Droits de celuici suivant qu’il a connu ou non la dotalité, 1316 et suiv. — Quid, si
l’aliénation a été frauduleusement concertée entre les époux? 1318 —
Qui peut poursuivre la nullité d’une aliénation dotale? 1319 et suiv
— Le mari, héritier de sa femme, est-il recevable à demander en cette
qualité la révocation de l’aliénation qu’il a lui-même consentie entre
époux? 1321 et suiv. — Nature et étendue de l’obligation de restituer
le prix, 1326. — Exception que le mari peut invoquer, 1328. Voy.
Action, Cautionnement, Femme mariée, Slellional. — La constitu
tion de dot par le père peut être contestée par les créanciers, comme
faite en fraude de leurs droits. 1467. — Système du droit romain et
de notre .ancien droit sur les effets de la fraude, 1468 et suiv — Doc
trine adoptée sous le Code par la Cour de cassation, 1470 et suiv._
Les créanciers du mari peuvent-ils attaquer la reconnaissance ou la
quittance de la dot? 1477. — Quid, de la quittance concédée pendant
la durée du mariage ? 1478.
�352
TABLE GÉNÉRALE
l it ig ie u x . — Personnes auxquelles il est prohibé d’acquérir des
droits litigieux, 704. — Que faut-il enlendfe par procès, droits ou ac
tions litigieux, 707. — Qui peut poursuivre la nullité de la cession?
708. — En pareille matière, l’interposition de personne obéit-elle aux
règles de l’art. 91 d du Code civil? 709.
D r o its
— L’échange est régie par les principes de la vente, 979. —
— Dr,oit que confère à l’échangiste la découverte que la chose qui lui
a été remise n’appartenait pas au copermutant, 980 et suiv. — Eü'ets
légaux de la rescision prononcée sur ce motif, quant à la revendica
tion de la chose donnée par le poursuivant, 983 et suiv. _ La ratifi
cation du véritable propriétaire n’empêcherait pas la rescision, mais
elle influerait sur les dommages-intérêts, 984 et suiv. — En quoi con
sistent ceux-ci? Peuvent-ils être cumulés avec la reprise de la chose?
976 et suiv. — En quoi consiste le dédommagement, si le poursuivant
renonce à cette reprise? 988. — Exclusion de l’action en lésion dans
l’échange, motifs, 989. — La fraude fait exception à cette règle, 990.
— Il en est de même si le contrat qualifié échange n’est qu’une ven
te, 991. — A quels caractères se reconnaîtra cette simulation? 992 et
suiv.
E f f e t s p u b l i c s , voy. Jeu.
e m p ê c h e m e n t nE t e s t e r . — Législations anciennes sur l’empêchement de
tester, conséquence du système consacré par le Code, 404 et suiv. —
Ses effets à l’endroit de l’héritier testamentaire, 406. — Nature de l’ac
tion qui en naît, 407. — Caractère de ce dol, pertinence des faits ten
dant à l’établir, 408. __ Par qui et à qui sont dus les dommages-inté
rêts? 409 etsuiv.
E m p r u n t s . _Facilités que les emprunts présentent pour frauder les
créanciers, 1735. — Leur effet en matières commerciales, précautions
prises à cet égard , 1736 et suiv. — Modifications introduites par la
loi de 1838, 1738. — Effets de la poursuite personnellement intentée
par un créancier, 1739._Effets et caractère de la simulation dans les
emprunts en matière civile, 1740. — Cette simulation peut être oppo
sée par les créanciers postérieurs à la date de l’emprunt, 1741.
E n f a n t a d u l t é r i n . — L’enfant adultérin ou incestueux ne peut être re
connu, 1370 et suiv. — La recherche d) la maternité est interdite
É
c h a n g e
�553
ET ALPHABÉTIQUE.
lorsqu’elle doit divulguer une naissance adultérine ou incestueuse,
1373. — La reconnaissance illégale ne peut nuire, ni profiter à l’en
fant, conséquences, 1375 et suiv. — Dans le cas de la découverte ac
cidentelle du vice de la naissance, toutes les donations reçues par
l’enfant doivent être réduites, 1384. — Nature des droits qu’il est ap
pelé à exercer dans la succession de ses père et mère, 1697. — Peut,
on déclarer adultérin l’enfant inscrit dans les registres de l’état civil,
comme né d’une femme mariée et d’un tiers indiqué fauss- ment com
me le mari de la femme ? 1383.
E n f a n t i n c e s t u e u x , v o y . Enfant adultérin.
E n f a n t n a t u r e l . — Position des enlants naturels sous l’empire des an
ciennes et de la nouvelle législation, 1369 et suiv. — Leurs droits,
1385. — Peuvent être valablement reconnus, de quelle manière?
1386. — La femme mariée peut réaliser cette reconnaissance sans avoir
besoin d’autorisation, 1387 et suiv. — La reconnaissance valablement
faite est irrévocable, 1390. — L’enfant est libre d’en récuser le béné
fice, doit-il, dans ce cas, prouver la fausseté de la déclaration? 1391
et suiv. — Effets de la reconnaissance définitivemeut acquise, 1396.
— L’enfant naturel reconnu ne peut rien recevoir au-delà de ce qui
lui est réservé par l’art 757 du Code civil, 1397. — Droit des héri
tiers de poursuivre la nullité ou la réduction de tout avantage indi
rect, 1398. — Le père est-il recevable à poursuivre la nullité des ac
tes qu’il aurait simulés pour avantager l’enfant naturel? 1399. —
Quid, du légataire universel? 1400.
E r r e u r . — Quelle est l’erreur donnant ouverture à la nullité du maria
ge? 348 et suiv.
E r r e u r d e d r o i t , — Celui qui a concouru à une simulation peut-il se
prévaloir de sa turpitude, sous prétexte d’erreur de droit? 1810.
E x é c u t i o n . — L’exécution occulte, donnée par le débiteur aux aliéna
tions qu’il consent, peut faire présumer la fraude contre ses créanciers,
1454 Voy. Ratification tacite.
E x p e r t s . — La fraude des experts chargés de déterminer le prix d’une
vente peut-elle nuire ou profiter aux parties? 971 et suiv. — A quels
caractères resonnaitra-t-on cette fraude? 976.
F
F
a il l it e
.
— Les faillites admettent, dans plusieurs cas, la présomption
iv
36
�554
TABLE GÉNÉRALE
de fraude, 721, — Nature de cette présomption , suivant qu’il s’agit
d’actes antérieurs ou postérieurs au jugement déclaratif, 722. — Dis
tinction à faire pour ces derniers , 723. — Effets de la présomption,
724.
F e m m e m a r i é e . — Les engagements souscrits par la femme, sans l’auto
risation de son mari, sont présumés frauduleux; 133. — Quel est le
sort des acquisitions que la femme soutient avoir réalisées pendant la
durée du mariage ? 701. — Fraudes que la femme peut commettre,
804 et suiv. — La femme, tenue de son dol, l’est de sa fraude, appli
cation de ce principe à la vente du fonds dotal concertée entre les
deux époux , 831. — Exceptions qu’elle peut invoquer dans ce cas,
832 et suiv. — A quelle époque peut être exercée l’action soit du ma"
ri, soit de la femme? 834. Voy. Détournement, Renonciation, Sépa
ration de biens.
F id é ic o m m is t a c i t e . ■
— Le fidéicommis tacite peut avoir pour objet de
favoriser un incapable, 1612.—Double forme qu’il peut revêtir, 1613— Ses effets avant et depuis le Code, 1614 et suiv. — Son existence
peut être prouvée par témoins , caractère que la preuve doit offrir1616 et suiv. — Le fidéicommis tacite est valable si l’appelé est ca
pable de recevoir, 1624. — Dans le cas de fraude de l’intermédiaire
choisi, l’appelé est recevable à prouver oralement l’existence du fidéi
commis et sa destination, 1623 et suiv. — Effet de la donation résul
tant du fidéicommis tacite, 1670.
F ducie. — Caractère de l’institution fiduciaire, ses effets, 1601. — La
fiducie n’exclut pas la disposition en faveur du grevé d’une quotité soit
en fruits, soit en fonds, 1602. ■
— Effets du prédécès de l’appelé, 1603— Droit ancien sur les circonstances caractérisant la fiducie, 1604 et
suiv. — Que doit-il en être sous l’empire du Code? 1607 et suiv. —
La simple fiducie ne peut être recueillie par l’incapable, 1611.
F
il ia t io n
•—
L ’e n f a n t , à q u i o n
a
e n le v é
sa
f ilia t io n , e s t a d m is à la
rè -
; clamer s’il a une preuve littérale ou tout au moins un commencement
de preuve, 892. — Ce qui, dans cette hypothèse, constitue ce com
mencement de preuve, 893.
F i n d e n o n - b e c e v o i r . — Il ne suffit pas qu’une demande soit fondée, il
faut encore qu’elle soit recevable, 512. — Nature des fins de non-re
cevoir, distinction, 513. •— Nomenclature, 514. — Quelles sont les
fins de non-recevoir contre la fraude? 1807. — En matière de simu
lation ou de violation d’une loi d’intérêt public? 1808, — L’erreur de
�ET ALPHABÉTIQUE.
F
F
F
F
G
droit peut-elle relever de la maxime nemo audilur, etc...? 1810. —
— Aucune fin de non-recevoir n’est opposable dans le cas de fraude à
une loi d’ordre public, 1811 et suiv. — L’exécution donnée à l’acte
donne ouverture à la prescription de l’action, point de départ et durée
de cette prescription, 1818. Voy. Chose jugée, Prescription, Rati
fication.
r a u d e . —■Nature de la fraude, ses caractères, 640 et suiv. — Diver
ses espèces de fraude, 642. — Preuve admissible, objet qu’elle doit se
proposer, 643 et suiv.
b a u d e c o n t r e l a l o i . — Effet de la fraude contre la loi, 1287— Diffr
culté qu’elle fait surgir, 1288. — Distinction pour juger si la preuve
orale est ou non admissible, 1289 et suiv. — Importance de cette dis
tinction à l’endroit des art. 1131 et 1132 du Code civil, 1295.
r a u d e
c o n t r e
l a
p a r t ie
c o n t r a c t a n t e . — Définition de la fraude
contre la partie, 770. — Rapports et différence entre elle et le dol,
771. — La fraude, poussée jusqu’à de certaines limites, constitue des
délits et des crimes, 772. — La fraude assimilée au dol est régie par
les règles tracées pour celui-ci, 773,
r a u d e p r é s u m é e . — Nature et motif de la présomption de fraude, 645.
— Divers cas de fraudes présumées, 646 et sniv. Voy. Agents dt
change, Courtiers, Faillite, Incapables, Jeu, Libéralité, Marchan
dise, Société universelle, Stellionat, Succession future, Tente entre
époux.
- m a l a d e . — L’incapacité édictée par l’art. 909 du Code civil con
tre les chirurgiens, médecins, etc..., s’étend-elle à la garde-malade?
168.
a r d e
H
H
. — L’héritier du mineur peut-il poursuivre l’action en nul
lité du traité intervenu au mépris de l’art. 472 du Code civil? 151 et
suiv. — L’héritier du mineur est recevable à attaquer le testament
fait par celui-ci, contrairement à l’art. 907 du Code civil, 154. — A
é r it ie r s
�556
H
TABLE GÉNÉRALE
faire annuler la libéralité consentie par le mineur dans les mêmes cir
constances, 155 et suiv.
u i s s i e r . — L’huissier étant, comme l’avoué, le mandataire de la par
tie, la loi lui rend communes les dispositions des art. 232 et 1031 du
Code de procédure civlie, 502. — La condamnation de l’huissier aux
frais de l’acte nul est-elle facultative? 503, — L’huissier n’est tenu
que de son fait personnel, importance de cette règle dans ses relations
avec l’avoué, 504 et suiv, — Cas divers d’application de la responsa
bilité des huissiers, 507 et suiv. — L’huissier ne doit pas être con
damné sans avoir été entendu , 509. — Durée du mandat de l’huis
sier, 510.
I
. — Différence entre l’Église romaine et l’Église française sur
les effets de l’impuissance sur le mariage , 357 et suiv. — La nullité
du mariage contracté par l’impuissant serait juste, motifs qui la firent
repousser par les auteurs du Code, 360 et suiv. — Quid, de l’impuis
sance accidentelle? 362 et suiv. Voy. Désaveu.
I n c a p a b l e . — Personnes incapables de contracter , 110. — Principe do
l’incapacité des condamnés pour crime, 112. — La convention sous
crite par un incapacable est présumée frauduleuse, 109. Voy. Femme
mariée, Interdit. Médecin, Mineur, Ministre du culte, Tuteur.
I n c a p a c i t é . — Effet de l’incapacité de la partie, si le poursuivant capa
ble l’a connue ou ignorée, 58 et suiv. — La fraude déguisant un in
capacité viole une loi d’ordre public, 1350.
I n d i c a t i o n . — Effet de la fausse indication du lieu de production des
objets vendus, voy. Contrefaçon.
I n e x é c u t i o n . — L’inexécution par le donataire des conditions de la do
nation peut constituer une fraude contre ses créanciers, 1719 et suiv.
— Droits de ceux-ci d’empêcher la révocation, leur obligation dans ce
cas, 1722.
I n CtRa t it u d e . — La révocation de la donation pour cause d’ingratitude
ne saurait être empêchée par les créanciers du donataire, 1723. —
Faits constituant l’ingratitude, 1724 et suiv.
I n s a i s i s s a b i l i t é . — Caractère de la condition d’insaisissabilité quant aux
immeubles. Peut-elle être attaquée en vertu de l’art. 1167, 1641 bis.
I n s a n i t é d ’ e s p r i t , voy. Libéralité, Captation.
I
m p u is s a n c e
�ET ALPHABÉTIQUE.
557
. — La préexistence de l’intention de contracter ferait exclure,
en cas de dol ou de fraude, l’action en nullité, mais non celle en dom
mages-intérêts, 32.
I n t e r d i t . — L’interdit est assimilé au mineur, d28___ Les actes qu’il
contracte après l’interdiction ne peuvent jamais être validés, 129. —
Les actes antérieurs sont présumés valables, 131. — Dans quels cas
admet-on la présomption contraire? 1 3 2 .— Le tuteur de l’interdit
peut-il désavouer l’enfant né depuis l’interdiction? Voy. Désaveu.
I n t é r ê t , voy. Usure.
I n t é r ê t c o m p e n s a t o i r e s . — Différence entre les intérêts compensatoires
et les intérêts moratoires, 318. Voy. Dommages-intérêts.
I n t é r ê t s m o r a t o i r e s , voy. Dommages-intérêts.
I n t e r p o s i t i o n d e p e r s o n n e . — Cas dans lesquels l’interposition de per
sonne est de plein droit présumée, voy. Médecin, Ministre du culte.
— Quid, pour les donations entre époux? 1666. — C’est par l’état des
choses au moment de la donation que la question d’interposition doit
se résoudre, 1667. — Les ascendants de l’époux sont-ils compris dans
la catégorie des personnes interposées ? 1668.— Faculté de prou
ver dans tous les cas et par tous les modes l’interposition alléguée.
1669.
I
n t e n t io n
J<
— Différence entre la dette de jeu et la dette dolosive, 188. — La
dette de jeu est présumée frauduleuse, 660. — Difficulté que présente
cette présomption dans son application aux paris sur la hausse ou la
baisse des effets publics, 661. — A quel caractère doit-on reconnaître
le jeu en cette matière, 662. — Avantages de l’art. 422 du Code pénal
sur la législation précédente, nature et origine de celle-ci, 663. —
Inconvénients du système actuel, 664. — L’appréciation de la légalité
de l’opération est abandonnée à la prudence du juge, 665. — Applica
tion de ces principes au jeu sur marchandises, caractères spéciaux à
celui-ci, 666 et suiv. — Il n’y a réellement opération illicite que lors
que le jeu est concerté et consenti par toutes les parties , conséquen
ces, 669 — La dette de jeu doit être annulée , sous quelque forme
qu’elle ait été déguisée , 670 et suiv. — Exceptions consacrées par
l ’art. 1985 du Code civil, leur caractère, 672 et sûiv. — La faculté de
Jeu.
�558
TABLE GÉNÉRALE
rejeter la demande n’emporte pas celle de la réduire, 674. — Ce qui a
été payé ne peut être répété que dans les cas prévus par l’art. 1967 du
Code civil. — Nature de cette disposition , 675 et suiv. — Le tiers
ayant payé la dette du perdant a-t-il contre celui-ci l’action en rem
boursement? 675. — Quid, si ce tiers a été le mandataire du perdant
et a joué pour lui? 678.
u i s s a n c e . — L ’abus de jouissance, que commet le donateur sous ré
serve d’usufruit, est une fraude, ses effets, 1706 et suiv. V. Louage,
J
o
J
u g e m e n t
Usufruit
. — Influence du jugement correctionnel sur le délit à l’endroit
de l’action en réparation du dol, 19. Voy. Chose jugée.
L
L
L
L
L
. — La légitimation par mariage subséquent peut n’avoir
d’autre motif que d’obtenir frauduleusement la révocation d’une do
nation précédemment consentie, 1700. — Droits du donataire, 1701
et suiv.
é g i t i m i t é . — La légitimité de l’enfant né plus de 300 jours après la
dissolution du mariage peut être contestée, 850 et suiv. — A qui ap
partient l’action en contestation de légitimité? 855. — Différence entre
cette action et celle en désaveu, 856. — La légitimité peut être la
conséquence de l’action de l’enfant en suppression de part, 858.
e t t r e d e c h a n g e . — Le souscripteur d’une lettre de change peut prou
ver par témoins les simulations lui enlevant un on plusieurs des ca
ractères essentiels à sa perfection, 1284 et suiv.
i b é r a l i t é . — Nullité des libéralités faites par un malade à son méde
cin, chirurgien, e tc ., pendant sa dernière maladie, 183. — Ces libé
ralités doivent être annulées, encore qu’elles aient été déguisées sous
la forme d’un contrat à titre onéreux, 184. — Importance du droit
de disposer de ses biens, 366. — Mais ce droit doit être l’expression
d’une volonté libre, conséquences quant aux libéralités arrachées par
le dol, 367 et suiv. — Quant à celles consenties dans un état d’insa
nité d’esprit, 370. — Fondement de l’art. 901, son application aux
libéralités, 371 et suiv. — L’insanité d’esprit fait présumer la sugges
tion, 375. — Peut être prouvée par témoins, caractère et conditions
que la preuve demandée doit offrir, 376 et suiv. — Législation an
é g it im a t io n
�L
L
tienne et moderne sur les intervalles lucides, 381. — Quid, si la li.
béralité est postérieure à l’interdiction? 382 et suiv. — La libéralité
faite à un incapable est présumée frauduleuse, 551. — Simulation que
cette règle suggérera, 552. — Motifs, caractère et fondement de cette
présomption, 553 et suiv.
i b e r t é . — Les lois concernant la liberté individuelle sont d’ordre pu
blic, conséquences quant à la fraude ayant pour objet de les éluder
ou de s’y soustraire, 1350.
o u a g e . — But et objet du louage, fraude dont il est susceptible dans
son origine ou dans son exécution, 994 et suiv. — Obligation du bail
leur de livrer la chose , 996. — La location de la chose d’autrui est
nulle, effet que produit la menace d’éviction, 997 et suiv. — Droit du
preneur s’il a consenti des anticipations, 999. — Danger que court
le communiste louant seul la chose commune, 1000. — L’usufruitier,
le mari ou le tuteur louant les biens dont il a l’administration ou la
jouissance, doit indiquer sa qualité, effet de l’omission, 1001 et suiv.
— Quid du bail fait par l’adjudicataire dépossédé par folle-enchère,
1202 bis — Effet de la fraude consistant à louer deux fois la même
chose ou dans le défaut d’indication, en cas de vente, de l’existence du
bail, 1003 et suiv. — Obligation dérivant du principe que le bailleur
est tenu d’assurer la jouissance au preneur, 1005 et suiv. — A défaut
de délivrance, le bail est résilié, si le preneur l’exige, sans qu’on puisse
le faire s’il en demande l’exécution, 1009 et suiv. — A la charge de
qui sont les réparations? Durée fixée pour celles que le propriétaire
doit faire, 1011 et suiv. — Effet de la responsabilité du bailleur quant
aux vices cachés, 1814 et suiv. — Etendue de la jouissance conférée
au preneur, effet de la prohibition de sous-louer, 1020 et suiv.—Cette
prohibition n’est pas violée si la sous-location n’est que l’accessoire
forcé d’une obligation légitime, 1025 et suiv. — Obligatipn du pre
neur de conserver les lieux ou d’en maintenir la destination, 1028 et
suiv. — 11 doit les exploiter jusqu’à la fin, 1030. — L’interdiction de
changer la destination n’a pas besoin d’être exprimée, 1031 et suiv. —
Le développement qu’un fait, même imprévu imprime à l’exploitation
d’une carrière, constitue-t-il un changement de destination? 1034 —
L’ensemble de ce principe régit le louage des biens ruraux, 1035. —
Devoir du fermier pour l’administration et la conservation de l’inté
gralité de la propriété, 1036 et suiv. — Cas dans lesquels la fraude
�560
L
TABLE GÉNÉRALE
du fermier revêt le caractère d’un délit, 4040. — Conséquences de
l’obligation de représenter à la fin du bail les capitaux attachées à l’ex
ploitation, 4044 et suiv — Reglèmeïit des malfaçons, 4044. — La
contrainte par corps est facultative pour assurer la restitution des ca
pitaux, 4045. — Nécessité de garnir l’immeuble, étendue de cette obli
gation quant aux biens ruraux, 4046 et suiv.
o u a g e d ’in d u s t r ie . —
Principes régissant le louage d’industrie, 4049
et suiv.— Responsabilité du locateur, difficulté sur les effets de la ré
ception, 4054 et suiv. — Caractère de celle-ci, 4053 et suiv.
IM
— Caractère et importance du mandat, 4205. — Facilités qu’il
offre à la fraude, conséquences, 4206 et suiv. — Obligations que crée
l’accceptation du mandat, 4209. — Formes de l’acceptation, peut-elle
résulter du silence gardé sur la proposition? 424 0 — Quid, pour les
avoués, notaires, commissionnaires? 424 4. — Obligations en cas de
refus, conséquences de l’acceptation, 4242 et suiv. — Exception à la
règle que le mandat accepté doit être accompli jusqu’à, révocation,
424 4 et suiv. — Le mandat doit être strictement suivi pour les qua
lités, quantité et pour le prix, quid, si celui-ci est dépassé? 4247 et
suiv. — Cependant la détermination du prix n’exonère pas du devoir
d’acheter à un prix moindre, s’il y a possibilité. 4220. — Le manda
taire doit rectifier l’erreur évidente du mandant, 4 224. — Il doit ad
ministrer fidèlement et en bon père de famille, 4222 et suiv. — 11 doit
entreprendre l’opération au moment même de l’acceptation et tenir le
mandant au courant de toutes ses phases, 4225 et suiv. — Faute que
le mandataire peut commettre, 4227. — Sa responsabilité à l’égard
des tiers, 4232. — Obligation de rendre compte, son étendue, 4 233 et
suiv. — Obligations du mandant envers le mandataire, 4 236. — Sa
position vis-à-vis des tiers, 4 237 et suiv. — Nature des pouvoirs con
fiés aux commis-voyageurs , effet des obligations qu’ils contractent,
4239. — Position du mandataire ayant excédé son mandat vis-à-vis
du mandant et des tiers, 4 250 et suiv.
a n d a t a ir e . —
Le dol du mandataire conventionnel ou légal est impu
table au mandant lui-même, 70. — La responsabilité de ce dernier
s’étend aux dommages-intérêts dus au plaignant, 84. — Exception
Ma n d a t .
M
�561
ET ALPHABÉTIQUE.
M
pour les mineurs, les interdits et autres incapables de droit, 82. —
Obligations et droits du mandataire, voy. Mandat.
a n d a t a ir e c o m m e r c ia l
— Le mandataire commercial peut agir en son
propre et privé nom, 1240. — Exceptions dont cette règle est suscep
tible, 4 241 et suiv. — Les tiers peuvent-ils actionner le mandant lors
qu’il est notoirement connu? 1243 et suiv. — Quid, en matière d’as
surances maritimes ? 124 5 et suiv — Etendue de la responsabilité ré
ciproque du mandant et du mandataire, 4 247 et suiv. — Effet de la
révélation du nom du mandant, 4249.
Ma rchandise , v o y .
M
M
M
Jeu, Usure, Vente.
— Facilité pour le mari de commettre la fraude, précautions pri
ses dans l’intérêt de la femme, 811. •— Révocation des donations qu’il
aurait obtenues, 812. — Comme chef de la communauté il ne peut
aliéner, à titre gratuit, l’universalité ou une quotité du mobilier, 84 6
et suiv. — Simulation pour éluder cette régie, admissibilité de la
preuve orale pour l’établir, 819. — Présomptions pouvant être invo
quées, 820 et suiv. — Le maintien de la vente attaquée donnerait lieu
à récompense en faveur de la femme, 822. — Mais la vente reconnue
comme donation déguisée pourrait être annulée, 823. — Comment
doit être entendue la faculté laissée au mari de donner à toute per
sonne, et à titre particulier, le mobilier de la communauté ? 824 et
suiv. — La réserve d’usufruit en faveur du mari ferait considérer la
donation comme faite à son profit, 826. — Fraude que le mari peut
commettre comme administrateur des biens de sa femme, 827 et suiv.
A R i A G E . — Motifs de la protection spéciale accordée au mariage, 334.
— Dois nombreux dont il peut devenir l’occasion, conséquence. 337
et suiv. — Exceptions au principe de l’indissolubilité du mariage, 330
et suiv. •— Exemple d’un mariage simulé pour acquérir des avantages
subordonnés à sa célébration, 342 et suiv. — Il n’y a pas de mariage
si le consentement des époux n’a pas été libre, 346 et suiv. — L’er
reur sur la personne ne peut pas être entendue que de l’erreur sur la
pei'sonne physique, 348 et suiv. — Le dol ayant déterminé le mariage
ne peut le faire annuler, effets dont il est susceptible, 332 et suiv. —
Le mariage ne peut en général être attaqué par les tiers pour cause de
simulation, 4641 et suiv. — Peut-on du moins en contester les effets,
quant aux avantages qu’il ferait acquérir? 4463 et suiv.
é d e c in
— Incapacité édictée contre les médecins par l’art. 909 du
a r i
.
iv
37
�562
M
M
M
M
TABLE GÉNÉRALE
Code civil, 161 et suiv. — Cette incapacité se déduit plutôt du fait du
traitement que de la qualité de la personne. 165. — Comment ce trai
tement devra-t-il être constaté? 169. — Quid, des personnes qui ont
traité le malade sans titre aucun ? 181. — L’incapacité du médecin estelle couverte par le mariage qu’il contracte avec sa malade? 1445. —
La ratification de ce mariage par les héritiers le rendrait inattaquable
et lui assurerait toute efficacité, 1466.
e n s o n g e . — Tout mensonge ne constitue pas le dol, 23. — Opinion
de Pothier à cet égard, 24.
i n e u r . — La nullité de l’engagement du mineur est la conséquence de
la lésion légalement présumée , 114 et suiv. — Légitimité de cette
présomption, 119. — Les actes faits par le mineur assisté de son tu
teur ne peuvent être attaqués que de la manière indiquée pour ceux
du majeur, 122 et suiv. — Le mineur ne peut être relevé de son dol,
125. — Ce dol n’est jamais présumé en faveur du majeur, 126. — Le
mineur autorisé à faire le commerce est, quant à ce, assimilé au ma
jeur, 127. — A quelles conditions le mineur peut-il valablement trai
ter avec sort tuteur? 134 — Les termes de l’art. 472 du Code civil
comprennent-ils toute sorte de traités, ne concernent-ils que ceux in
tervenus sur la gestion tutélaire? 140 et suiv. — La présomption fai
sant annuler le traité violant l’art 472 du Code civil n’admet pas la
preuve contraire, 144 et suiv. —■Mais la question de savoir si la red
dition di compte a été complète est laissée à la prudence du juge, 1 48.
— Le mineur est recevable à attaquer la donation entre vifs qu’il a
consentie à son tuteur, contrairement à l’art 907 du Code civil, 154.
Voy. Donation, Libéralité, Testament.
i n i s t r e d u c u l t e . — L’art. 909 déclare les ministres du culte incapa
bles au même titre que les médecins, chirurgiens, etc..., condition en
ce qui les concerne, 170 et suiv.
o y e n s . — C’est sur la gravité des moyens allégués sur la poursuite du
dol que devra se porter l’appréciation du juge, 25. — Faut-il que ces
moyens aient dû faire impression sur un esprit raisonnable? 26 et
su iv ._Différence entre les moyens et la cause d’une demande, voy.
Chose jugée.
NI
N
é g l ig e n c e
.
— La négligence que l’usufruitier mettrait à conserver
�ET ALPHABÉTIQUE.
563
les biens est assimilée aux. dégradations, 1707. — Caractère qu’elle
pourrait prendre à l’encontre de ses créanciers , droits de ceux-ci,
1708.
o t a i r e . _ Principe et étendue de la responsabilité des notaires, 476
et suiv. — La faute lourde est assimilée au dol, 478. — Faute sans
influence sur la validité de l’acte, son caractère, ses effets, 479. —
Quid, du notaire agissant comme mandataire de la partie? 480. —
Erreur de droit entraînant la nullité de l’acte, ses effets, 481 et suiv— Dans tous les cas, l’ignorance du notaire n’est excusable que si la
preuve de sa bonne foi est acquise, 486. — Effet de la faute entraînant
la nullité de l’acte, 487 et suiv. — Quelle est la quotité de domma
ges-intérêts à allouer? 49 0 .— Le notaire, garant de l’individualité
des parties, l’est-il de leur capacité? 491 et suiv. — La preuve que le
notaire connaissait l’incapacité obligerait sa responsabilité, 493. -—
Responsabilité et devoir du notaire dans le cas prévu par l’art. 973
du Code civil. 1574 et suiv. — Le défaut de réponse du notaire A la
proposition d’un mandat constitue-t-il l’acceptation du mandat, voy.
N
Mandat.
N
. — Caractère de la nullité des actes souscrits par l’interdit
après son interdiction, 130. — La nullité du traité fait contrairement
à l’art. 472 du Code civil, n’étant pas susceptible de ratification, ne
peut être couverte par l’exécution, 149. — Distinction entre la nullité
de plein droit et celle par voie d’action, 267. — En quoi leurs effets
diffèrent, 268. — L’acte dolosif n’est pas nul de plein droit, consé
quences, 269 et suiv. — A qui appartient l’action en nullité? 271 et
suiv. — L’auteur du dol ne peut jamais l’exercer, 273.
u l l it é
O
O
— Tout traité secret, déguisant le prix d’une cession d’office,
est radicalement nul, 1301 et suiv. — Cette nullité peut-elle être op
posée par le cessionnaire au tiers ayant payé à sa décharge? 1309*
— L’acquéreur d’un office peut-il être poursuivi par les créanciers
du vendeur en fraude desquels il a déterminé le prix? 1796 et suiv..
— L’action des créanciers ne peut avoir pour objet que la réparation
du préjudice souffert, 1799. — La complicité du cédant peut être éta
blie par témoins, 1800. — Responsabilité de l’acheteur en cas de
f f ic e
�364
TABLE GÉNÉRALE
fausse déclaration sur saisie-arrêt, 1801. — Les paiements partiels re
çus par le cédant, les cessions du prix, par lui consenties avant l’ap
probation du gouvernement, sont-ils valables? 1802 et suiv. —
Les quittances, même sans date certaine, peuvent-elles être oppo
sées aux créanciers? 1806. Voy. Contre-lettre, Ratification, Répé
tition.
F
. —• Effet, quant à l’action Paulienne, du paiement du créan
cier poursuivant, offert ou réalisé par le défendeur, 1828.
P a r e n t é . — La parenté entre l’auteur du dol indirect et la partie appe
lée à en profiter ne change pas la nature du dol, mais elle peut influer
sur la complicité par connaissance, 85.
P a r t a g e . — L’égalité entre les copartageants est la règle la plus absolue
des partages, atteintes qu’elle peut recevoir, 912. — La lésion acci
dentelle n’est une cause de rescision que si elle va à plus du quart,
913. — Secus, si elle est le résultat de la fraude, 915. — Ou si elle
coïncide avec le prélèvement de la quotité disponible, 916. — L’ac
tion en lésion ne se prescrit que par dix ans, quel est le point de dé
part de ce délai? 947 et suiv. — Quid, pour le partage fait par l’as
cendant? 919 et suiv. Voy. Succession.
P o s s e s s e u r , voy. Renonciation.
P o s s e s s i o n , voy. Ibid.
P r é j u d i c e . — Son existence est indispensable pour qu’il y ait dol pu
nissable, 37. — S’il est dénié, la charge de le prouver incombe au
demandeur, 40.—Un préjudice moral ferait-il annuler le contrat? 41*
P r e s c r i p t i o n . — Justice de la prescription contre l’action en nullité, sa
nécessité, 613 et suiv. — Son fondement philosophique suivant M.
Troplong, 615 et suiv. — Pour prescrire, il faut que l’acte ait été
exécuté, 618. — Condition que doit réunir l’exéeution décennale, son
point de départ, 619 et suiv. — A la charge de qui est la preuve du
moment de la découverte du dol? 621.:— Nature de cette preuve,
622. — Les principes généraux sur l’interruption régissent la pres
cription de l’art. 1304, quid, des causes de la suspension ? 623 et
suiv. — L’action en dommages-intérêts se prescrit-elle comme celle
en nullité? 625. — Toute action serait-elle éteinte après trente ans
P
a ie m e n t
�ET ALPHABÉTIQUE.
565
du jour de l’acte, si le dol n’avait été découvert que depuis moins de
dix ans? 626. — Importance de l’art. 1304 pour la répétition de ce
qui a été payé en vertu du contrat vicié, 627. — Ce n’est que l’action
que l’art. 1304 régit, même en cas de non-exécution, conséquences
pour l’exception de nullité, 628. — Origine de la règle rendant l’ex
ception perpétuelle, 630. — Motif du silence gardé à cet égard par le
Code, 631. — Application de la règle en matière de d o l, condition
de cette application, 632 et suiv — L’exception n’est admise que
lorsqu’elle tend à maintenir l’état actuel, conséquences, 637 et suiv.
_L’action révocatoire des tiers est susceptible de prescription, point
de départ et délai de celle-ci, 1820 et suiv. — Délai de la pres
cription de l’action en nullité du pacte sur succession future, 1366
et suiv.
P b é s o m f t io n
— Dans tous les cas d’admissibilité de la preuve orale, les
présomptions peuvent servir à juger le litige, 254. — Exigences du
droit ancien sur le nombre des présomptions, 255 et suiv. — Carac
tère que le Code exige, 257. — Pourrait-on annuler l’acte s’il n’exis
tait qu’une présomption? 258. — Comment les présomptions doiventelles être appréciées? 259 et suiv. — Définition de la présomption,
conséquences, 768. — Existe-t-il, en matière de simulation, des faits
devant plus particulièrement la faire admettre? 769. — La fraude est
présumée en faveur des tiers, lorsque le débiteur, devenu complète
ment insolvable, aliène ses biens ou refuse d’acquérir, 1438 et suiv. —
— Dans le cas de fraude présumée, il suffit de prouver le fait auquel
s’attache la présomption, 1454. — Devoirs des créanciers querellant
l ’acte de leur débiteur, présomptions qu’ils peuvent invoquer, 1455 et
suiv. — Dans tous les cas, la pertinence des présomptions est laissée
à la prudence du juge, 1458.
P b ê t . — Diverses espèces de prêt, leur nature, 1111 et suiv. — Prêt à
intérêt, historique, 1114 et suiv. Voy. Usure.
P b e u v e l i t t é b a l e . — Excellence de la preuve littérale en matière de
fraude, autorité qui lui est due, 725.
P b e u v e o b a l e . — L’admission de la preuve orale était une nécessité en
matière de dol et de fraude, 9 et suiv. — Comment s’apprécie son ad
missibilité? 11. — Doutes qu’ellesa soulevés, 232 — Origine de cette
preuve, 233 et su iv ._La prohibition de l’art. 1341 n’est pas appli
cable au dol, 239. — La preuve orale n’est pas recevable dans le cas
de dol postérieur au contrat, 241. — Conditions pour qu’elle soit re-
�566
TABLE GÉNÉRALE
eue dans les autres hypothèses de dol, 249 et suiv. — Par quels élé
ments doit-on résoudre la question de sa recevabilité en matière de
fraude? 726. — Exception au principe de l’art 1341 en faveur de la
partie qui a ignoré la fraude, 727 et suiv. — Il n’en est pas ainsi de
la fraude concertée, 729. — La preuve orale n’est pas admissible lors
que la fraude cache une simulation licite, 762.
Exception pour le
cas de révocation légale ou de réduction d’une donation déguisée sous
l’apparence d’un acte à titre onéreux, 763. — La preuve orale est ad
missible lorsque la fraude déguise une convention illicite, 765 et
suiv. — Lorsqu’elle est exécutée contre les tiers, 1439 — Ou lors
qu’il existe un commencement de preuve par écrit, voy. Commence
ment de preuve.
P
P
P
a p a r t i e . — Motifs et historique de la prise à partie, 448 et suiv.
— Cas donnant ouverture à l’action, 452. — Différence, en cette ma
tière, entre le dol et la fraude, leurs effets, 453 et suiv. — La concus
sion est assimilée au dol, 457. — La preuve orale est admissible, 459.
— Caractère du déni de justice, mode de le constater, 460 et su iv ._
L’art. 505 du Code de procédure civile est essentiellement limitatif,
462. — Difficultés relativement à la faute lourde, 463 et suiv. — Con
tre qui peut être dirigée la prise à partie? 468 — Peut-elle l’être con
tre les arbitres, 469. — Position que fait au juge l’admission de la re
quête, 470. — Influence de cette admission sur la décision attaquée,
471. — Effet de la consécration de la prise à partie, 472. — Quid, si
la partie a coopéré au dol du juge, 473. — La condamnation contre
le juge peut entraîner la contrainte par corps, 474.
r ix . —
La vileté du prix est une présomption de fraude, mais ne la
suppose pas nécessairement, 71.
r o m e s s e d e m a r ia g e . —
L’inexécution d’une promesse de mariage donne-t-elle lieu à des dommages-intérêts? 1352. Voy. Dédit.
r is e
O
Q
Q
d e s p a r t i e s . _Les parties ont autant de qualités distinctes
que de droits différents à exercer, voy. Chose jâgée. — La parenté
existant entre le vendeur et l’acheteur fait facilement présumer que
l’aliénation est simulée en fraude des créanciers, 1450.
u o t i t é d i s p o n i b l e . — La quotité disponible ne se détermine qu’à la
u a l it é
�ET ALPHABÉTIQUE.
567
mort du donateur ou du testateur, conséquences quant à l’action en
nullité ou en réduction, 4 673. — Mais peut-on soumettre les donatai
res à fournir caution pour la restitution de l’excédant ? 4674. — Peuton cumuler les quotités des art. 94 3 et 4094 du Code civil? 4 690
Voy. Donation déguisée entre époux, indirecte, et Réserve.
R
R
R
R
R
. — Le rapport que le père ferait à ses enfants des fruits par lui
perçus, en l’absence et avant toute émancipation, pourrait être annulé
sur la poursuite de ses créanciers, 4 639. — La renonciation en faveur
d’un successible ne constitue pas un avantage soumis à rapport, 1640.
a t i f i c a t i o n . — Définition de la ratification, 570. — Fondement juridi
que de cette fin de non-recevoir, 574. — Principes généraux la régis
sant , 572 et suiv — Le traité secret dissimulant le prix d’un office
ne peut être ratifié, 4307. — La ratification de la vente du bien do
tal, consentie par la femme ou ses héritiers après la dissolution du
mariage, est opposable soit à ses héritiers, soit à ses créanciers, 4345
et suiv. — La ratification du pacte sur succession future, faite après
que la succession est ouverte, est valable, 4 365. — La ratification ex
presse ou tacite du débiteur est-elle opposable aux créanciers agissanen vertu de l’art. 4 467? Quid, de celle émanée de certains créan
ciers? 4 849.
a t i f i c a t i o n e x p r e s s e . — Conditions pour que la ratification expresse
soit valable, 580. — Elle doit rappeler la substance de la convention
et mentionner le vice dont elle est atteinte, 584 et su iv .— Consé
quences pour les vices autres que celui indiqué , 583 et suiv. — La
ratification pour lésion exclut tout reproche ultérieur de violence,
mais non celui de dol, 585 et suiv. — Quid, si la ratification émane
de l’héritier? 587. — La ratification doit exprimer l’intention de pur
ger le vice primordial, 5 8 8 ._Formes de l’acte de ratification, 589 et
suiv. — La ratification imparfaite peut être complétée, à défaut, l’acte
ne peut ni servir de commencement de preuve, ni rendre la preuve
orale admissible, 594 et suiv.
a t i f i c a t i o n t a c i t e . _La ratification résultant de l’exécution équivaut
à la ratification expresse, 593. — Caractère que l’exécution doit offrir
pour opérer ratification, 594 et suiv. ~ Des offres de paiement non
a p p o r t
�568
TABLE GÉNÉRALE
acceptées n’emportent pas ratification, 599. — Il en serait de même
des mesures conservatoires ayant précédé la demande en nullité, 600.
— L’exécution partielle est une ratification valable, 601. — Cette
exécution doit être volontaire, 602. — Qitid, si elle n’est due qu’à
une erreur de droit ou si elle n’a été obtenue qu’à l’aide d’une con
trainte ou la menace d’un procès, 603 et suiv. — Epoque à laquelle
l’exécution volontaire équivaudra à ratification, 606 et suiv. — A qui
incombe la charge de prouver l’utilité de l’exécution? 6 0 8 ._L’exé
cution volontaire, après la connaissance du vice, emporte l’intention
de le purger, 609. — Quid, si l’exécution n’est que la conséquence
de la nature de l’acte? 610. — Le paiement intégral ou partiel d’une
lettre de change ou de tout autre effet négociable, entre les mains du
porteur , n’est point une ratification, 611. — Les conditions exigées
pour la ratification des obligations le sont pour celle des libéralités li
tigieuses, 612.
R e c e l é . — Caractère que doit avoir le recélé imputé à la femme com
mune, 1537. Voy. Détournement.
R e n o n c i a t i o n . — La femme qui a renoncé à la communauté ne pourrait
exciper de son dol pour se faire relever de sa renonciation , 1525. —
La femme ou ses héritiers peuvent faire annuler la renonciation qu’ils
auraient réalisée dans l’ignorance des détournements commis par le
mari ou ses héritiers, 1528. — Effet de la révocation de la renoncia
tion sur la poursuite des créanciers de la femme, 1534. — Les créan
ciers du cohéritier, qui a renoncé à la succession, peuvent-ils attaquer
cette renonciation pour fraude à leurs droits? 1561. — Ce droit ne
peut être exercé que par les créanciers antérieurs à la renonciation,
1566. — Exception que cette règle comporte, 1567. — Effets de l’ac
ceptation des créanciers, 1568 et suiv.
R e n t e . — La rente viagère constituée à titre onéreux est saisissable et
cessible, 1762.
r é p é t i t i o n . — Ce qui a été payé, en vertu d’une contre-lettre à la ces
sion d’un office, est sujet à répétition, 1304 et suiv. Voy. Nullité,
Office. — Dans quels cas peut-on répéter ce qui a été payé sur la
dette de jeu? Voy. Jeu.
R e q u ê t e c i v i l e . •— Définition de la requête civile, 422. — Premier cas
d’application, dol personnel, ce qui le constitue, 423 et suiv. — A
quelles conditions la requête sera-t-elle admissible dans ce cas? 430
�569
ET ALPHABÉTIQUE.
R
R
R
R
R
R
R
et suiv. — Faits pouvant caractériser le dol personnel, 434 et suiv.
— Subordination de témoins, mode de preuve et effets, 435. — Cor
ruption des experts, son caractère, ses effets, 436. — Faux serment,
différence selon qu’il a été déféré par la partie ou ordonné par le ju
ge, 437 et suiv. — Deuxième chef d’application, s’il a été jugé sur
pièces , depuis reconnues ou déclarées fausses, 43 9 ._Solution des
difficultés que cette hypothèse soulève, 440 et suiv. — Troisième
chef d’application, découverte après le jugement de pièces décisives
retenues par la partie, 445 et suiv. — Effet de la requête civile, quant
à l’exécution du jugement, 447.
e s c is io n .
Le droit de faire prononcer la rescision du contrat dolosif
est une pure faculté, 275. — Hypothèse dans laquelle la rescision est
impossible. 276. — Effets de la rescision par rapport aux tiers-dé
tenteurs, 277. Voy. Revendication. — Contre qui doit être intentée
l’action en rescision? 299.
é s e r v e . — Caractère de la disposition de l’art. 1094 sur la réserve des
ascendants, 1672. — Origine de la réserve légale des ascendants, sa
quotité, 1684 et suiv. — L’indisponibilité de la réserve des art. 913
et 915 n’est pas moins absolue que celle de la réserve des art. 1094
et 1098 du Code civil, 1688. — L’atteinte portée à la réserve par une
renonciation à une communauté, ou à un legs, peut être l’objet d’une
action de la part des enfants, effets de cette action et de celle des créan
ciers, 1689. — Conséquences de l’indisponibilité de la réserve à l’en
droit des donations indirectes, 1691.
é t e n t i o n d e l a p r o p r i é t é . — La rétention de la propriété par le ven
deur est une présomption de fraude, 1451. — De quelle manière elle
se réalise le plus souvent, 1452. — Dans quels cas doit-on en admet
tre l’existence? 1453.
é t ic e n c e . —
Effet de la réticence dans la police d’assurance, voy, As
surances maritimes.
e t r a i t l i t i g i e u x , Voy. Vente de droits litigieux.
e t r a i t - s u c c e s s o r a l , Voy. Vente de droits successifs.
e v e n d i c a t i o n . — Différence des effets de la revendication, suivant qu’il
s’agit d’un immeuble ou d’un meuble, 278. — Droits et devoir du
possesseur de bonne foi, 279 et suiv. — Prescription qu’il peut invo
quer contre le revendiquant, 282. — Difficultés que soulève la re
vendication d’un objet mobilier, 283. — Elle ne peut être exercée en
iv
38
�570
TABLE GÉNÉRALE
matière de dol ou d’escroquerie, ,288 et suiv. — Exception dans le
cas de mauvaise foi ou de fraude de la part du détenteur, 294 et suiv.
— Les meubles incorporels ne sont pas régis par l’art. 2279 du Code
civil, 296 et suiv. — Exception que subit le droit de revendication,
298. — Les créanciers qui ont fait révoquer la vente faite en fraude
de leurs droits peuvent-ils revendiquer l’immeuble entre les mains du
second acquéreur? 4764.
R év o c a tio n . — Quelles sont les causes de révocation des donations ?
Voy. Donation et Donation déguisée. — Conséquence de la règle
que les donations ne sont pas révoquées de plein droit, 4730 — Dé
lai dans lequel l’action en révocation peut être exercée par le dona.
teur, cette action passe-t-elle aux héritiers? 4734. — Peut-elle être
exercée par les créanciers? 4732. — Les donations par contrat de ma
riage sont-elles revocables pour inexécution des conditions ou pour
cause d’ingratitude? 4733.
S
S
S
- f e m m e . — Les sage-femmes sont-elles atteintes de l’incapacité édic
tée par l’art. 909 du Code civil? 467.
é p a e a t i o n d e b i e n s . — Dangers que la séparation de biens fait courir
aux créanciers, à la femme elle-même, 4483. — Etendue de la faculté
laissée à celle-ci de prendre toutes mesures conservatoires, 4485 et suiv,
—Conditions et formes de la procédure, 4 487 et suiv. Cette faculté peut
être exercée par la femme poursuivant la séparation de corps, 4 490.
— Abus qu’on a fait de la séparation de biens, précautions de la loi
4492 et suiv. — Publicité de la demande, effet de l’omission, 4494
et suiv. — Conditions d’admissibilité, époque du jugement, 4497 et
suiv. _ Obligation de la femme de prouver le désordre des affaires de
son mari, faits tendant à l’établir, 4499 et suiv. — La preuve testi
moniale peut être ordonnée d’office, 4 504. — Objet de la publicité
que le jugement doit recevoir, 4502 — Délai de l’exécution , carac
tère et forme de celle-ci, 4504 et suiv. — Comment doit-être constatée
l’exécution volontaire ? 4507.
Caractère du paiement, s’il est réa
lisé , 4508. — A défaut de paiement, comment doit se faire la pour
suite? 4 509 et suiv. — Caractère du jugement prononçant la sépara
tion de biens, durée du délai laissé aux tiers pour l’attaquer, effet de
a g e
�ET ALPHABÉTIQUE.
371
leur inaction, 1511 et suiv. — Les créanciers postérieurs à la sépara
tion peuvent-ils se plaindre de l’exécution tardive du jugement? 1513.
— Les créanciers sont-ils déchus par l’expiration du. délai d’un an,
de la faculté d’attaquer le jugement comme rendu en fraude de leurs
droits? 1514. — L’effet rétroactif du jugement est-il opposable aux
tiers comme au mari? 1516.
S é p a r a t i o n b e coups. — La séparation de corps doit-elle être pronon
cée dans le cas d’erreur sur les qualités morales du conjoint ? 353 et
et suiv. — La séparation, relâchant les liens du mariage, oblige l’é
poux qui l’a encourue à indemniser son conjoint du préjudice qu’il
peut en recevoir, 838. — Elle entraîne la révocation des avantages
faits dans le contrat de mariage, 839.
S e r m e n t . — Effet du serment prétendu ou reconnu faux, voy. Requête
civile.
S
S
. — Définition de la simulation, en quoi elle diffère du dol
et de la fraude, 1257. — Ses caractères, 1258. — Objets qu’elle se
propose, 1259. — Caractère de la simulation licite, 1260 et suiv. —
Différence entre la simulation relative et la simulation absolue, 1263.
o c i é t é . •— Caractère et objet de la société, 1057 et suiv. —
Effet du
consentement extorqué, conséquences de la nullité en résultant pour
les associés et pour les tiers, 1060 et suiv. — Quid, si la signature
est le résultat d’un faux? 1063. — Conséquences du pacte donnant à
l’un la totalité des bénéfices ou l’exonérant de toute participation aux
pertes, 1065 et suiv. — C’est la mise matérielle que la loi défend de
soustraire aux pertes, conséquences pour l’associé industriel, 1069.
— Autre exception à la défense d’être affranchi de la perte, 1070. —
Conditions sans lesquelles la participation du prêteur aux bénéfices
constituerait une usure déguisée, 1071 et suiv. — L’assurance du bé
néfice entre associés n’est valable que si le contrat est sérieux et sin
cère, 1074. — Obligation pour chaque associé de verser sa mise, effet
du retard ou du refus, 1075 et suiv. — Obligation de l’associé purerement industriel, 1077 et suiv. — L’industrie promise appartient à
tous les associés du jour de la constitution de la société, conséquen
ces, 1079. — Chaque associé est responsable de sa faute, nature de
cette responsabilité, 1080 et suiv. — Effet de la fraude, 1083 et suiv— Conséquences de l’une et de l’autre quant à la durée de la société,
1085 et suiv. — Comment peut être prononcée la dissolution de la
société à terme? 1088 et suiv. — Quel est l’effet de la renonciation
im u l a t io n
�572
TABLE GÉNÉRALE
frauduleuse ou inopportune? 1096 et suiv. — Exception de l’arti
cle 1871 du Code civil, quant à la dissolution des sociétés à terme,
1098 et suiv. — Le refus de continuer, de la part de l’associé indus
triel, devrait-il faire prononcer la dissolution malgré la résistance des
autres associés ? 1100 et suiv. — Effets de la dissolution soit con
ventionnelle, soit judiciaire, 1103. — Obligations du gérant, 1104
— Effets de la prohibition de reviser les comptes, caractère de l’action
en redressement, 1108 et suiv.
S o c i é t é c o m m e r c i a l e . — Le défaut de publicité de l’acte de société com
merciale équivaut à une fraude, 717. — Ses effets par rapport aux
associés, 718. — Aux créanciers sociaux , 719. -_Aux créanciers
personnels de chaque associé, 720. — Quid, de la société commer
ciale avec un successible? 720 bis.
S o c i é t é u n i v e r s e l l e , — La société universelle entre personnes incapa
bles de se donner ou de recevoir est présumée frauduleuse, 655. —
Débats que l’art. 1640 a soulevé dans le sein du conseil d’Etat, con"
séquences de sa disposition à l’endroit de celle de l’art. 911 du Code
civil, 656 et suiv. — Effet de la présomption de fraude, 658. — La
société universelle entre un père et son fils est-elle intégralement nulle
ou seulement réductible? 659.
S o l i d a r i t é . — La solidarité en matière de dol résulte de l’indivisibilité
du fait, 335 et suiv. — Importance de la solidarité pour l’application
de l’art. 126 du Code de procédure civile, 332.
S o l v a b il it é . —
Effet de la solvabilité du débiteur au moment de l’acte
querellé de fraude sur l’appréciation de l’action, 1823 et suiv.
S t e l l i o n a t . — H y a fraude légalement présumée dans les faits cons
tituant le stellionat, 679. — Nature de la présomption dans l’hypo
thèse de la vente, ou de l’hypothèque de la chose d’autrui, 680. —
Dans celle de présenter comme libres des biens grevés, ou déclarer des
hypothèques moindres que celles existant, 681. -h - Le silence gardé
dans l’acte sur l ’existence ou le nombre des hypothèques ne constitue
pas le stellionat, exception pour les maris et les tuteurs, 682 et suiv
— La présomption est-elle effacée par la bonne foi? Nature dé celleci, 684 et suiv. — Il n’y a stellionat, dans le cas de fausse indication,
que de la part de son auteur, conséquence à l’endroit de la femme
s’étant solidairement engagée, 686. — Le stellionat n’est punissable
qu’autant qu’il y a un préjudice possible , 687. — L’acquéreur de la
�ET ALPHABÉTIQUE.
573
ehose d’autrui a action contre son vendeur avant même d’être troublé
dans sa possession, 688. — Peine du stellionat, 689. — Les époux,
vendant comme libre un fonds dotal, commettent-ils un stellionat *
1341.
S u b o r n a t i o n d e t é m o i n s , voy. Requête civile.
S u b r o g é - t u t e u r . — La prohibition faite au tuteur de se rendre ad
judicataire des biens du mineur s’applique-t-elle au subrogé-tuteur ?
703.
S u b s t i t u t i o n f i d é i c o m m i s s a i r e . — Historique de la législation sur les
substitutions fidéicommissaires, 1581 et suiv. — Intérêt des héritiers
naturels à faire constater le caractère réel de la disposition, 1586. —
Conditions exigées pour qu’il y ait substitution prohibée, 1587 et
suiv. — Dans le doute on doit se prononcer pour la validité de l’acte,
1592. — Il n’y a pas substitution si la charge de rendre n’est imposée
que pour eo quod svpererit, portée de cette disposition, 1593 et suiv.
— Il en serait de même de l’obligation de rendre si quid supererit,
1600. — La preuve d’une substitution fidéicommissaire ne peut être
faite que par écrit, 1623. — La donation renfermant une substitution
prohibée est nulle, 1734.
S u B S T iT u T io N
de p a r t , v o y .
Suppression départ.
— Droits des créanciers contre les successeurs
irréguliers et notamment contre l’enfant naturel, 1571
c c e s s i o n . — Intérêts que l’ouverture d’une succession met en présen
ce, et objet que peut se proposer la fraude, 1540. — Précautions de
la loi en faveur des héritiers et des tiers. 1542. — Nature et caractère
du recélé puni par l’art. 792 du Code civil, ses effets, 1643 et suiv. —
Faculté pour les héritiers et les créanciers de requérir l’apposition ou
de s’opposer à la levée des scellés , 1547. — Cette dernière peut être
exercée par les créanciers personnels du cohéritier, 1548. — Nature
et effet du droit que tout créancier a d’assister à l’inventaire, 1549.
— Faculté des créanciers du cohéritier d’intervenir au partage, 1550.
.— La volonté de l’exercer résulte de l’opposition à la levée des scel
lés, 1551. ■
— A défaut d’intervention, les créanciers peuvent-ils atta
quer le partage consommé? 1552. — Quel est l’acte constituant un
véritable partage? 1553. — Forme que doit avoir l’opposition au par
tage, 1554. — Les créanciers qui n’ont pas fait opposition ne sont
pas déchus du droit d’intervenir, 1555. — Conséquences de l’opposi
tion sur la validité du partage, 1556. — Le créancier opposant a-t-il
S
u c c e s s e u r
S
u
ir r é g u i.i e r
.
�574
TABLE GÉNÉRALE
le droit d’attaquer une vente par licitation à laquelle il n’a été ni pré
sent, ni appelé ? 1557. — Droit du créancier d’un usufruit d’une par
tie de biens indivise avec un tiers, 1558. — L’opposition et l'inter
vention sont ouvertes aux créanciers chirographaires ou hypothécai
res, 1559. — Quid, des créanciers de la succession? 1560.
S u c c e s s i o n f u t u r e . — La renonciation à une succession non ouverte est
nulle comme pacte sur succession future, 6 4 6 .— Quelle est la loi
applicable lorsque le pacte étant antérieur au Cpde, la succession ne
s’est ouverte que depuis sa promulgation? 647. — Le pacte est-il sus
ceptible de ratification après l’ouverture de la succession? 648. — La
renonciation pour un seul prix à deux successions, l’une ouverte,
l’autre future, est nulle pour le tout, 649 et suiv__ La loi prohibitive
du pacte sur su ‘cession future étant d’ordre public, la nullité est ra
dicale, conséquences pour la renonciation déguisée, 1357 et suiv. —
Ce pacte résulterait de la vente du mobilier qu’on délaissera à son
décès, 1362. — Effets d’une pareille clause à l’endroit des immeubles
simultanément aliénés avec désinvestissement actuel, 1363. — La
même règle serait applicable à la vente d’une quotité de la suècession,
1364. — Exception introduite par l’art. 918 du Code civil, ses dan
gers, 1693. Voy. Prescription, Ratification.
S u c c e s s i o n t e s t a m e n t a i r e . — Fraudes que l’ouverture d’une succession
testamentaire peut faire surgir , 1572. — Droit des successibles de
faire annuler le testament soit en la forme, soit au fonds, 1572 bis.
Voy. Succession.
S u p p o s i t i o n d e p a r t , voy. Suppression de p a rt. — Peut n’être qu’un,
moyen frauduleux pour faire annuler une donation, 1698.
S u p p r e s s i o n d e p a r t . — .Différence entre la suppression et la supposi
tion de part, 890 et suiv. — A qui appartient l’action dans l’une et
dans l’autre? 894 et suiv. — Par quels principes est régie l’actiondes
parents ou autres ayant-droit? 896. — La prohibition de toute pour
suite de la part du ministère public s’applique au cas de supposition
et de substitution, comme à celui de suppression, 897.
S u p p r e s s i o n d e t e s t a m e n t . — Caractère de la suppression du testament,
411. — Peut être prouvée par témoins, 412. — Son effet, quant à
l’exécution du testament et à la régularité de ses formes, 41.3 et suivs
— Quid, si celui qui profite de la suppression n’y a pas coopéré ? 415
et suiv. — Effet de la suppression par rapport à l’hérédité, droits de
tiers, 417 et suiv.
�ET ALPHABÉTIQUE.
S
575
d ’ e n f a n t s . — Révoque de plein droit la donation, voy. Do
nation , Donation déguisée. — Caractère frauduleux et immoral
u r v e n a n c e
qu’elle peut revêtir dans ce but, 1713.
T
. —
Le testament renfermant une substitution fidéicommis
saire ne saurait sortir à effet, 4 5 8 0 . — Voy .Donation, Libéralité.
T
e s t a m e n t
T
ie r s
Succession testamentaire, Suppression de testament.
. — Quelles. sont les personnes que cette qualification désigne ?
1403__Droit des tiers en cas de fraude à leurs droits, voy. Donation,
Libéralité; Renonciation, Séparation de biens, Société, Succession,
Usufruit, Vente.
— La faveur due au titre ne saurait faire repousser sans exa
men les reproches de défaut de sincérité, 8. — L’autorité qui lui est
due ne s’efface que devant la preuve de son illégitimité, 105. — C’est
à celui qui le prétend tel, qu’incombe la charge de le prouver, 231.
— Preuve admissible, voy. Preuve testimoniale.
T r a it é . —
Effet du dol dans les traités, 262 et suiv.
T r a i t é s e c r e t , voy. Contre-lettre, Office, Ratification, R ép é titif.
T r o m p e r i e . — La tromperie sur la nature de l’objet vendu est un r'Mit.
9 5 9 . — Tromperie sur la qualité, ses effets, 964 et suiv. — EL't de
celle sur la quantité, 9 6 4 .
T r i b u n a u x . — Difficulté de la mission qui leur est confiée en matière de
dol et de fraude, 6
T u t e u r . •— Nature des obligations imposées au tuteur, 4 3 6 . _Leur
accomplissement doit être prouvé par écrit, 137. — La présomption
de dol, résultant de leur défaut, est juris et dejure, 138. — Le récé
pissé des pièces justificatives doit avoir date certaine pour faire cou
rir le délai de dix jours, formes de ce récépissé, 139. Voy. Action,
T
it r e
Donation, Mineur, Nullité.
U
U
. — Effets de l a renonciation à un usufruit à l’égard des créan.
ciers du renonçant, 1630. — Différence entre cette renonciation et
s u f r u it
�576
TABLE GÉNÉRALE
celle à une succession, conséquences pour les divers ayant-droit, 4 631
et suiv. — Différence entre la renonciation à titre gratuit et celle à
titre onéreux, 1635. — Conséquences de la violation des prescrip
tions de l’art. 1614 du Code civil, 1709. — Effet du préjudice éprouvé
par le nu-propriétaire, 1714 et suiv.
U s u f r u i t l é g a l . — La renonciation par le père à son usufruit légal
peut-elle être l’objet de l’action révocatoire ? 1637. — Quid, de celle
résultant de l’émancipation? 1638. — Les règles ordinaires de l’usu
fruit s’appliquent à celui que le père a des biens de ses enfants, 1712.
— L’abandon ou la destitution de la tutelle entraîne-t-il la perte de
l’usufruit légal ï 1713.
U s u r e . — En quoi consiste l’usure, 1115. — Justification en principe
des droits du législateur à la réglementer, 1116 et suiv — Réforme
dont la loi de 1807 serait susceptible, 1119. — Défaut de proportion
entre l’intérêt qu’elle consacre et le revenu foncier, 1120. — Véritable
valeur de l’argent en matière commerciale, 1121. — Abus de l’appli
cation du taux commercial aux lettres de change souscrites par des
non-négociants et aux prêts commerciaux garantis par nantissement
ou hypothèque, 1122 et suiv. _ L’usure ne peut exister que dans le
prêt, simulations naissant de cette circonstance, caractère des ques
tions qu’elles offriront à résoudre, 1125 et suiv. — Exemple d’usure
dans un contrat de mariage, 1127 et suiv. — Difficultés sur les droits
que les banquiers perçoivent en sus de l’intérêt légal, 1130 et suiv.
— Opinion de MM. Chardon, Duvergier, Fremery, réfutation, 1134 et
suiv. — Conséquence de la facilité que ces droits offrent à l’usure,
1138 et suiv. — Le droit de commission peut-il être prélevé en l’ab
sence d’un crédit ouvert ? 1144. — Comment se règlent les comptes
courants ? 1145. — Le solde peut-il être soumis de nouveau au droit
de commission? 1146. — Condition pour que les intérêts soient capi
talisés chaque trois mois, 1147. — Le banquier peut-il prélever la
commission à chaque renouvellement d’effets souscrits par de noncommerçants ? 1148 — La fusion des intérêts avec le capital, ou leur
prélèvement, constitue l’usure, 1149 et suiv — Peut-on, pour un ca
pital en espèces, stipuler un intérêt en denrées? Quid, si le capital est
lui-même en denrées? 1154 et suiv. — La loi de 1807 est inapplica
ble au prêt aléatoire, application de cette règle à la caisse hypothécai
re, 1156. — Au contrat à la grosse, exemple d’une usure palliée sous
l’apparence de ce contrat, 1157. — A la cession, 1159. — Au contrat
�577
ET ALPHABÉTIQUE.
p-süT
N®
de rente viagère, exemple d’une usure déguisée sous cette forme, 1160
et suiv. — Comment faut-il apprécier la donation faite par le débiteur
au créancier ? 1162 et suiv. — Il y a usure dans l’exigence de servi
ces personnels appréciables en argent, comment doit-on juger ce carac
tère ? 1167 et suiv. — L’usure peut se déguiser sous l’apparence du
contrat de société . d’une vente d’objets mobiliers, de marchandises:
par un marchand, enfin, d’un immeuble, 1170 et suiv. — Nature de
la vente à réméré , conséquences de l’usure qu’elle déguiserait, 1174
et suiv. — L’usure peut emprunter la forme d’un échange, 1182. —
Devoir qu’impose aux tribunaux la facilité que l’usure trouve à se dis
simuler, 1183. — L’usure ne devient un délit que par habitude, mais
chaque fait crée une action en faveur de l’usure, 1184. — Inapplica
bilité de l’art. 1341 à cette action, comme à celle du ministère public,
1185 et suiv. — Conséquence quant à la preuve par témoins, par pré
somption, par le serment supplétoire, usage que les tribunaux doivent
faire de cette dernière faculté , 1189 et suiv. — Effet de l’usure re
connue sur l’exécution de l’acte, 1193. — L’action du débiteur passe
à ses héritiers ou créanciers, mais elle ne peut être jointe à celle du
ministère public, 1194 et suiv. — Dans quels cas l’usurier pourra-t-il
opposer la chose jugée, 1197 et suiv. — L’usure ne peut être vala
blement ratifiée, 1200. — Prescription opposable à l’action, son point
de départ, délai requis, 1201 et suiv. — Perpétuité de l’exception,
1204.
U
s u r p a t io n
du n o m
du f a b r i c a n t , v o y .
Contrefaçon.
— Peut devenir un moyen ou une cause de fraude, 937 et suiv.
— Caractère et effets du contrat m o l ia t r a , 939 et suiv. — La vente
peut déguiser un contrat pignoratif, à quelles conditions, 944 et suiv.
— L’acte nul comme contrat pignoratif vaudra comme obligation,
947 et suiv. — Fraudes dans la délivrance, leur caractère et leur ef
fet, 949 et suiv. — L’art. 1610 ne distingue pas la fraude de la faute,
motifs du législateur et atténuations qu’il consacre à la rigueur de
cette règle, 952 et suiv. — La faculté de proroger le terme de la li
vraison peut-elle être appliquée aux ventes commerciales? 955. —
Vente.
iv
39
r.‘j
�578
TABLE GÉNÉRALE
Modifications faites à la chose vendue après la vente , conséquences
quant aux meubles incorporés, aux capitaux d’exploitation , aux ré
coltes pendantes, 954 et suiv. — La livraison d’une chose qu’on sait
impropre à sa destination est une fraude , 963. — Vente de la chose
d’autrui, ses effets, 955. — Seconde vente de la chose déjà vendue,
966 et suiv. — Effet du refus ou du retard de l’acquéreur à prendre
livraison, 969. — Effet du retard dans le paiement, 970. — Toute
dégradation volontaire, tant que le prix n’a pas été payé , est une
fraude, droit qu’elle confère au vendeur, 977. — Le vendeur non payé
peut attaquer, comme faite en fraude de ses droits, la vente consentie
par son acquéreur, 378. — La vente peut être valablement consentie
sous forme d’échange, 1270. — Importance du véritable caractère de
l’acte à l’endroit de l’action en lésion , 1271. — Peut-on l’établir par
témoins? 1272. — Présomption attachée à la vente faite aux successi
bles directs à rente viagère ou à fonds perdu, ou sous réserve d’usu
fruit, 1692 et suiv. — Facilités que la vente offre à la fraude contre
les créanciers, 1735. — Ses effets en matière commerciale, précau
tions prises à cet égard, 1736 et suiv. — Effet de la poursuite per
sonnellement intentée par un créancier, 1 7 3 9 ._Caractère et effet de
la simulation de la vente, en cas de déconfiture civile, 1740. — Effets
de l’omission de l’action des créanciers contre la vente, 1763.
V e n t é de droits l it ig ie u x . •— Le Code a admis, sur la vente des droits
litigieux, la doctrine du droit romain, 1781 et suiv. _ Difficulté que
fera naître la question de savoir s’il y a vente ou donation, 1784. —•
Le retrayant peut contester la sincérité du prix , 1785. — Le droit
au retrait est absolu, il peut être exercé pour la première fois en ap
pel, 1786. — Peut-il l’être par les créanciers de l’ayant-droit ? 1787.
— La décision définitive du procès rend tout retrait ultérieur imposai,
ble, 1788. — Exception à cette règle, 1789. — Caractère des excep
tions que l’art. 1701 introduit à la disposition de l’art. 1699 du Code
civil, comment doit être appréciée celle faite en faveur de l’héritier ?
1790 et suiv. — Prohibitions spéciales en matière d’achat de droits
litigieux, effet de la violation, 1792 et suiv.
V e n t e de droits suc c essifs . — Fraudes dont cette vente est susceptible,
effet de i’opposition à la levée des scellés signifiée par les créanciers,
1765 et suiv. — Le créancier non-opposant ne perd pas le droit d’at-
�ET ALPHABÉTIQUE.
V
V
V
579
taquer la vente en vertu de l’art. 1167 du Code civil, 1767. — Pré
somption tirée de l’exagération du prix , 1768 et suiv. — Par qui et
comment doit être établi le juste prix, lorsqu’il est impossible de pré
ciser celui qui a été réellement convenu? 1770 et suiv. — Conséquen
ces de l’obligation pour le retrayant de restituer le prix réel, à l’en
droit des frais accessoires, 1772. — La demande en retrait doit-elle
être précédée ou accompagnée de l’offre réelle de restituer le prix ?
1773. — Influence de la dénonciation de l’intention d’exercer le retrait
sur les actes ultérieurs du cédant et du cessionnaire, 1774. — Le der
nier évincé par le retrait a-t-il une garantie contre le vendeur? 1775
et suiv. — Application de ces règles à la donation déguisant une ven
te, ou à la vente qu’on soutiendra n’être qu’une donation, 1777 et
suiv. — Effets de la ratification imputée au retrayant, caractère qu’elle
doit offrir , 1779. — L’action en retrait n’est plus reeevable après le
partage, quid, en cas de nouveau partage, par suite de la rescision du
premier? 1780.
e n t e e n t r e é p o u x . — La vente entre époux est présumée frauduleu
se, motifs, 690 et suiv. — Exceptions, leur caractère, 693 et suiv. —
Leurs conditions, 698. — La vente entre époux, faite au mépris de la
loi, est nulle à l’égard des tiers, 699. — Quid, vis-à-vis des héri
tiers ? 700.
e n t e a r é m é r é , voy. Usure.
e n t e a r e n t e v ia g è r e
— Caractère de la vente à fonds perdu, con
ditions qu’elle exige, 1743 et suiv. — Le risque sérieux existe-t-il
lorsque le taux de la rente est inférieur aux revenus des biens alié
nés ? 1745 et suiv. — Cette vente comporte-t-elle l’action en lésion ?
1747 et suiv. — La vente est nulle si au moment du contrat le crédi
rentier était mort, 1750. — Différence, sur ce point, entre la vente et
le contrat d'assurances maritimes, 1751. — La vente est nulle si la
rente a cté constituée en faveur d’une personne morte dans les vingt
jours de la maladie dont elle était atteinte le jour du contrat, alors
même que cette personne eût elle-même été partie à l’acte, 1752 et
suiv. — La nullité étant d’ordre public, la renonciation à s’en préva
loir ne produirait aucun effet, 1754 — La vente sans date certaine estelle opposable aux héritiers du vendeur? 1755 et suiv. — Conséquen
ces de la négative, quant à la preuve de la sincérité de la date, 1758.
�580
TABLE GÉNÉRALE
— Conditions indispensables pour que la nullité puisse être pronon
cée, 4759. — L’art. 4795 du Code civil est applicable au cas où il y
a plusieurs erédi-rentiers, comment se règle alors le sort de l’acte ?
4760 etsuiv.
V ic e b é d h ib it o ib e . — Celui qui vend sciemment un animal atteint d’un
vice rédhibitoire commet un véritable dol, 62. — Caractère de ce dol,
ses conséquences quant aux dommages-intérêts, 94 et 307.
FIN DE LA TABLE GÉNÉBALE ET ALPHABÉTIQUE.
��
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Traité du dol et de la fraude en matière civile & commerciale, 3e édition revue et mise au courant de la doctrine et de la jurisprudence
Subject
The topic of the resource
Droit commercial
Droit civil
Description
An account of the resource
Nouvelle édition du traité en trois tomes sur des vices du consentement en droit civil et commercial : le dol et la fraude
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Bédarride, Jassuda (1804-1882)
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-20985/1-4
Publisher
An entity responsible for making the resource available
L. Larose (Paris)
A. Makaire (Aix)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1876
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/234486171
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-22985_Bedarride_Traite-dol_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
4 vol.
514, 502, 539, 580 p.
22 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Abstract
A summary of the resource.
Il s’agit d’une nouvelle édition du traité en trois tomes sur des vices du consentement en droit civil et commercial : le dol et la fraude. La première édition est également disponible sur Odyssée.
Jassuda Bédarride, jurisconsulte provençal et avocat au barreau de la Cour d’Aix-en-Provence met à jour et enrichit son traité Du dol et de la fraude dans cette nouvelle édition. Le dol est traité dans les tomes 1 et 2 de ce traité, tandis que la fraude figure dans les tomes 3 et 4. La simulation est traitée par l’auteur dans le dernier tome.
3ème édition, revue et mise au courant de la doctrine. La première édition est également disponible sur Odyssée.
Résumé Morgane Dutertre
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Dol (droit civil) -- France
Droit commercial -- France
Fraude -- France
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/681/RES-T-Lic-_13-18_Autran-these-docteur.pdf
48bb0fd430cf13e2a6d22c22d5fb73e3
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/681/RES-T-Lic-_12-11_Autran-these-licence.pdf
7243e57faf2dcfde37cbffac13d0f85e
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Monographie imprimée
Description
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Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
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Title
A name given to the resource
Thèse pour obtenir le grade de licencié & Thèse pour obtenir le grade de docteur
Subject
The topic of the resource
Droit civil
Droit romain
Procédure civile
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Autran da Matta Albuquerque, Pierre. Auteur
Pontier, Augustin (1756-1833 ; imprimeur-libraire). Imprimeur / Imprimeur-libraire
Faculté de droit (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône ; 1...-1896). Organisme de
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-T-Lic-12-11
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-T-Lic-13-18
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Augustin Pontier (Aix)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1826
1827
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
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Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
2 vols
21 p. & 14 p.
24 cm
Language
A language of the resource
fre
lat
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/681
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
Questions supplémentaires. Jus Romanum. Droit français (Contient)
Abstract
A summary of the resource.
Thèse pour le grade de docteur : Droit : Aix : 1827 (Thèse)<br /><br />Actes publics de la faculté de droit d’Aix (Mention sur la reliure)<br /><br />Thèse dans laquelle l'auteur aborde trois thèmes : (i) des manières d'acquérir ou de perdre la possession et des interdits, (ii) la preuve des obligations et de celle du paiement (livre III, chapitre 6 du Code Civil), (iii) de l’appel (liv. 3 du Code de Procédure Civile).<br /><br />Thèse dans laquelle l'auteur aborde trois thèmes : (i) les donations en droit romain (livre II, titre 7 des Institutions Justiniennes), (ii) la preuve des obligations et de celle du paiement (livre III, chapitre 6 du Code Civil), (iii) les dispositions générales du Code de Procédure Civile (2me partie du liv. 3). A la fin, il y a des questions complémentaires de droit romain et français. <br /><br />
<div style="text-align: center;"><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/thumbnails/pedro_autran_da_matta_albuquerque.jpg" /><em></em></div>
<pre><em><a href="https://www.geni.com/people/Pedro-Autran-da-Mata-e-Albuquerque/6000000017546062035" target="_blank" rel="noopener" title="Pedro Autran da Mata e Albuquerque">Pedro Autran da Mata e Albuquerque</a> (1805-1881)</em></pre>
<em></em><br />Pierre (Pedro) Autran da Matta Albuquerque (1805-1881) fut un important juriste et professeur à la faculté de droit de Recife (Brésil) entre 1830 et 1870, où il enseigna les disciplines du droit naturel et de l'économie politique. Il est l'auteur de nombreux ouvrages, comme Elementos de economia politica (1844), Elementos de direito natural privado (1848), Elementos de direito publico universal (1848, 2e édition en 1854) e Elementos de direito das gentes (1851)
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Description
An account of the resource
Pour obtenir une thèse de licence ou de doctorat en droit, le doctorant doit rédiger un mémoire traitant de droit romain (en latin) et de droit français dans une seconde partie, un rituel académique qui s'est maintenu jusqu'à la fin du 19e siècle
Droit civil -- France
Droit commercial -- France
Droit romain
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/337/RES-31829_Bedarride.pdf
b04a1a1d298d3a4185b53c6d5877f338
PDF Text
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3L829
D R O IT C O M M E R C IA L
C O M M E N T A I R E DU G O D E D E C O M M E R C E
LIV RE PREMIER
TITRE SEPTIÈM E
PAR
J. RËDÀRRIDE
AVOCAT A LA COUR D*APPEL d ’a ï X , ANCIEN BATONNIER.
MEMBRE CORRESPONDANT DE L* ACADEMIE DE LEGISLATION DE TOULOUSE
O FFIC IE R DE LA LEGION D’HONNEUR
N O U V E L L E ÉDI TI ON
Revue, complétée, mise au courant de la doctrine et de la jurisprudence
PAR
BENJAMIN ABRAM
DOCTEUR EN DROIT
AVOCAT A LA COUR D’A PPEL d ’ a IX , ANCIEN BATONNIER
CH EVA LIER DG LA LEGION D’HONNEUR
LIBRAIRIE
DE LA SOCIÉTÉ DU RECUEIL J.-13. SIREY ET DU JOURNAL DU PALAIS
A n cien n e
M aison
L,.
LAROSE
&
22, Rue Sou/flot, PARIS, 5° Arrt
FORCEL
L. LAROSE & L. TENIN, Directeurs
1909
��AVANT-PROPOS
La dernière édition de l’ouvrage de M. Bédarride — qu’un
tirage on 1882 a purement et simplement reproduite — date
de 1878. Si donc ce livre avait conservé toute sa valeur en
ce qui concerne l’étude des prescriptions de nos Godes en
la matière, surtout, dans la partie scientifique trop négligée
de nos jours, il n’était plus, à cause de son ancienneté, que
d’un secours insuffisant pour le jugé, l’avocat, le négociant
désireux de connaître la pratique courante.
Nous avons voulu, sans modifier la méthode et l’ordre
adoptés par le savant auteur, en conservant son cadre et
maintenant toute la partie historique, les indications sur le
droit romain, et la doctrine de nos anciens légistes, com
bler ses lacunes et le compléter en donnant une très large
place à la jurisprudence et en faisant de fréquents appels
aux traités si remarquables publiés depuis 1878 par LyonCaen et Renault, Ripert, Saignat-Baudry-Lacantinerie, etc.
Par un sentiment de piété respectueuse fort naturel chez
nous (*), nous avons sur toutes les questions traitées, rap
pelé l’opinion de M. Bédarride; et lorsque nous nous trou
vons en désaccord avec lui, nous donnons tous les éléments
de la controverse pour que le lecteur puisse juger en pleine
connaissance de cause.
Le commerce a adopté depuis une trentaine d’années sur
tout des types de contrats ayant paru à l’auteur trop peu usités
au moment où il écrivait pour mériter alors une étude spéciale
(ventes en disponible, gré dessus, sur embarquement, coût,
(*) M . Bédarride était l’oncle de l’auteur.
A c h a ts,et ventes
1
�2
AVANT—l'HOPOS
frêt, assurance, etc.).Nous leur avons consacré des dévelop
pements aussi complets que possible. En outre de nouvelles
lois sont venues s’ajouter pour ainsi dire à l’article 109 du
Gode de commerce (9 février 1895, sur les fraudes en ma
tière de vente d’objets d’art, du 28 mars 1885 sur les mar
chés à termes, de 1884 à 1905 sur le Gode rural abrogeant
laloi de 1838, 8 décembre 1907 sur la vente des engrais).Nous
avons fixé le sens et la portée do ces dispositions nouvelles.
Enfin la jurisprudence a continué son œuvre, de plus en
plus touffue, et, malgré des hésitations regrettables, des con
tradictions surprenantes, des tendances fâcheuses à tout
réduire à- des questions de fait en évitant chaque fois que
faire se peut de poser un principe absolu, on peut néan
moins faire résulter certaines règles de l’ensemble des sen
tences rendues. Nous avons tâché de les dégager en rappelant
le texte des jugements et arrêts publiés dans les principaux
recueils jusqu’au moment de la mise en pages.
Nous avons aussi déterminé la signification des clauses
habituellement insérées dans certains contrats en citant, à
propos de chacune d’elles, les décisions rendues par nos grands
tribunaux de commerce et les Gours d’appel.
En un mot nous avons essayé de faire de ce traité le Code
annoté aussi complet que possible des ventes commerciales
dans leurs modalités usuelles.
�ABREVIATIONS
Dal., Rép,, v° Effets de Com m erce, n° 64. Répertoire général de Dalloz, verbo
Effets do commerce. n° 64.
D. 66. 4, p. 67. Dalloz, Recueil périodique, année 1866, 4“ partie, page 67.
D. S. v° Vente. Dalloz, Supplément au répertoire, verbo Vente.
J. T. G. 39, 11881. Journal des tribunaux de commerce, vol. 39, espèce
n ° 11881.
L. R. n« 216. Lyon-Caen et Renault, De la vente, n° 246.
R. p. 101. Ripert, de la vente, p. 101.
M. 85. 2. 67.Journal de jurisprudence commerciale et maritime de Marseille j
année 1885, 2' partie, page 67.
G. P. 1901. 1. 735. Gazette du Palais, 1°' volume de l’année 1901, page 735.
G. P. 1900. 2. 2. 176. Gazette du Palais, 2° volume de l’année 1900, 2° partie,
page 176.
G. P. T. 1902-1907 v° Vente, n° 10. Gazette du Palais, table quinquennale de
1902 à 1907, verbo Vente, n* 10.
G. T. 1904.1.2.185. Gazette des tribunaux, 1" volume de l’année 1901, 2" par
tie, page 185.
B. L. S., n. 1L6. Saignat, llaudry-Lacantincric, De la vente, n° 116.
S. 1905.2.130. Recueil de Sirey, année 1905, 2” partie, page 130.
J. P. 61. 77. Journal du Palais, année 1861, page 77.
R. D. M. XIII, 84. Revue internationale de Droit maritime d’Autran, tome 13,
page 84.
Lorsque les décisions citées ne sont pas suivies de l’indication d’un
recueil, c’est qu’elles étaient inédites au moment de l'impression.
��DROIT COMMERCIAL
CODE DE COMMERCE
LIVRE 1er
TITRE VII
DES ACHATS ET VENTES
109
1. Les achats et ventes se constatent :
Par actes publics,
Par actes sous signature privée,
Par le bordereau ou arrêté d’un agent do change ou cour
tier, dûment signé par les parties,
Par une facture acceptée,
Par la correspondance,
Par les livres des parties,
Par la preuve testimoniale, dans le cas où le tribunal
croira devoir l’admettre.
ARTICLE
SOMMAIRE
1. Texte de l’article 109. G. Com.
1 bis Importance des achats et ventes. Caractère de l’article 109.
2. Motifs du laconisme du Code de commerce en ce qui les
concerne.
3. Caractère de la législation commerciale. Conséquences.
4. Recours au Droit commun.
5. Mesure de ce recours.
6. Usages commerciaux.
�6
ACHATS ET VENTES
7.
8.
9.
10.
11.
Loi du 13 juin 1866.
Analyse de cette loi.
Les parties peuvent y déroger.
Mais ses dispositions sont impératives.
A quelles conditions les achats et ventes revêtent-ils le carac
tère commercial.
12. Celle de l’achat réside dans l’intention de revendre.
13. Quid de celle de la vente.
14. Objet du commentaire.
1 bis. Les achats et ventes font l’objet principal, onpourrait même dire unique, du commerce. Ne consiste-t-il pas
en effet à acheter des denrées et marchandises pour les
revendre soit en nature, soit après les avoir ouvrées ou
travaillées, à des conditions telles que, prélèvement fait du
prix de revient et des frais de préparation ou de mise en
œuvre, on trouve dans l’excédent de valeur ce bénéfice en
vue duquel on a opéré, et qui devient le légitime salaire dp
marchand, fabricant ou manufacturier.
2. Comment se fait-il donc qu’une matière aussi impor
tante occupe si peu de place dans le Code de commerce, et
que l’unique article qui lui est consacré sé réfère au mode
de constatation du contrat, sans qu’il y soit question de la
validité, de la perfection du contrat en lui-même, des condi
tions qu’exigent l’une et l’autre ?
C’était là la conséquence inévitable du caractère spécial
de la législation commerciale. La loi civile, uniquement des
tinée à régir et à régler les rapports de citoyen à citoyen
de la même nationalité, doit être en harmonie avec les habi
tudes, les coutumes, les besoins et les moeurs du peuple
qu’elle régit ; le commerce ne peut prospérer que par l’impor
tance et l’étendue de son développement. Il exige des rela
tions et des rapports fréquents de peuple à peuple, de nation
à nation, il faut donc que les lois auxquelles il devra obéir
participent de ce caractère d’universalité, et n’offrent rien
de blessant pour les mœurs, les usages et les besoins de
ces étrangers dont on invoque, dont on sollicite le concours.
3. Les illustres auteurs de nos Codes avaient reconnu
�7
cette nécessité et lui rendaient un éclatant hommage lorsque,
dans le discours préliminaire dont ils avaient fait précéder
le Code civil, ils s’exprimaient en ces termes :
« Le commerce ordinaire de la vie civile, uniquement
réduit aux engagements contractés entre des individus que
leurs besoins mutuels et certaines convenances rapprochent,
ne doit pas être confondu avec le commerce proprement dit,
dont le ministère est de rapprocher les peuples et les na
tions, de pourvoir aux besoins de la société universelle des
hommes. Cette espèce de commerce, dont les opérations sont
presque toujours liées aux grandes vues de l’administration
et de la politique, doit être régi par des lois particulières
qui ne peuvent entrer dans le plan d’un Code civil. L’esprit
de ces lois diffère essentiellement des lois civiles. »
De là ces réserves, ces exceptions en faveur du commerce
convenues dans la discussion du Code civil, ou écrites dans
ses dispositions ; l’article 1107 déclarant que les transac
tions commerciales sont réglées par les lois relatives au
commerce ; les articles 1341, 1873, 2084 et 2102 consacrant
l’inapplicabilité de leurs dispositions à la matière commer
ciale.
La mission du législateur commercial recevait donc ses
plus franches coudées, mais elle était restreinte par sa spé
cialité même. Pouvait-on méconnaître ce caractère de géné
ralité qu’exigeaient les principes destinés à régir des rapports
qu’on voulait et qu’il fallait rendre universels? Etait-il possi
ble de les renfermer dans des limites précises, absolues, cal
quées sur les mœurs et les usages exclusivement français ?
N’était-ce pas méconnaître l’intérêt du commerce et en en
traver le développement ?
Ces considérations se recommandaient à notre législateur,
et lui étaient d’ailleurs énergiquement rappelées. « 11 est
de la plus haute importance, disait M. Regnaud de SaintJean-d’Angely, que le Gode de commerce de l’empire fran
çais soit rédigé dans des principes qui lui préparent une
influence universelle, et soient en harmonie avec les grandes
habitudes commerciales qui embrassent et soumettent les
deux mondes. »
LÉGISLATION’
�8
ACHATS ET' VENTES
11 soutenait en conséquence qu’à l’égard des achats et ven
tes qui ont lieu dans le commerce, il était impossible d’en
déterminer les formes et les proportions. C’est la volonté
des parties, ajoutait-il, qui seule établit leurs droits récipro
ques. La loi doit se borner à garantir l’exécution des mar
chés cjui doivent être constatés dans les formes qu’elle a
prescrites.
Cette opinion,partagée par le Conseil d’État,détermina la
consécration de l’article 109. Le laconisme de la loi spéciale
sur les achats et ventes a donc été volontaire et calculé. On
a voulu faire un Code de la matière, non pas exclusif à la
nation française, mais général et tel qu’il pût être adopté par
le commerce de toutes les nations.
On ne pouvait atteindre ce but qu’en s’abstenant de trop
préciser, de crainte de froisser certaines habitudes, de sou
lever des préjugés de nature à créer des obstacles aux rela
tions qu’on devait favoriser. Il fallait ne pas perdre de vue
cette vérité si souvent proclamée parles orateurs du Conseil
d’Etat, que le commerce ne peut et ne doit être ni nationa
lisé ni localisé.
4. Est-ce à dire pourtant que dans le silence dé la loi
spéciale il ne sera pas permis de recourir au droit commun
et d’appliquer aux marchés commerciaux soit les règles géné
rales édictées au Code civil au titre des obligations, soit les
prescriptions particulières à chaque contrat et qui ne sont,
dans la plupart des cas, que l’application ou le développe
ment de ces règles générales ? MM. Delamarre et Lepoitvin
avaient adopté cette opinion : mais leur doctrine combat
tue énergiquement déjà à l’époque où ils l’enseignaient, est
aujourd’hui universellement abandonnée. Malgré l’autorité
qui s’attache aux déclarations des auteurs do nos Codes, il
faut voir ce qui a été fait et non pas s’attacher à ce que
quelques-uns d’entre eux ont déclaré vouloir faire. Or l’ar
ticle 1107 du Code civil déclarant que les règles particuliè
res aux transactions commerciales sont établies par les lois
relatives au commerce paraît bien réserver à ces matières
L’application de règles générales. Cet argument de texte
est encore corroboré par les articles disant expressément
�9
qu’ils ne sont pas applicables au commerce (1341, 1873,
2084, 2102). Si donc le législateur ne s’en était pas claire
ment expliqué toutes ces dispositions auraient régi ipso facto
les conventions ayant trait au commerce. Comprendrait-on
d’ailleurs qu’un contrat, parce qu’il est commercial dût sortir
à effet alors que le consentement de l’une des parties aurait
été vicié par le dol, l’erreur ou la violence ? Non évidem
ment. Aussi l’on est actuellement d’accord pour déclarer que
la loi civile est applicable aux matières commerciales toutes
les fois que la loi commerciale se tait. C’était déjà la doc
trine ancienne casas omissics, dit Roccus, in statuto mer. catorum remanet sub dispositions juris commuais. (Massé,
Dr. Comm.,n° 63). Mais si le principe est reconnu, la mesure
de cette application peut soulever quelques difficultés. Fautil se contenter de dire avec un arrêt de la Cour de Cassation
du 28 juillet 1823 (Dali. Rép., v° Effets de commerce, n° 64),
rendu à propos de l’article 1328, « que plusieurs obligations
du Code civil ne sont pas obligatoires en matière de com
merce et que les demandeurs conviennent eux-mêmes que
l’application de l’article 1328 peut être par les tribunaux
jugeant en matière de commerce modifiée ou entièrement
écartée d’après les circonstances, suivant que l’équité et l’in
térêt du commerce l’exigent?» Non évidemment : car le Code
civil serait ainsi suivi ou non suivi suivant l’arbitraire, c’està-dire l’humeur, la fantaisie de chaque juge. Lyon-Caen et
Renault enseignent (De la vente, n° 89) que « parmi les dis
positions du Gode civil il en est pouvant être sans incon
vénient appliquées à la vente commerciale — et, quant à
celles dont le commerce ne peut pas s’accommoder, la vente
est un acte si usuel devant se plier aux besoins véritables des
commerçants, que le législateur a laissé avec raison aux
usages que ces besoins variés font naître, le soin d’y déroger. »
5. Tout cela nous paraît encore bien vague. Nous croyons
qu’on peut adopter une formule plus nette étant donné la
pratique constante des commerçants qui n’ont jamais songé
à soulever, sauf dans quelques cas bien exceptionnels, une
pareille difficulté. La loi civile doit, dans le silence de la loi
commerciale, être toujours suivie, sauf lorsqu’il sera bien
LÉGISLATION
�ACHATS ET VENTES
10
établi qu’il existe un usage contraire aux dispositions de cette
loi. En matière civile la' soumission aux usages ne doit pas
prévaloir contre un article de nos codes, édictés précisément
pour mettre fin à la diversité des coutumes et constituer
L’unité de législation; en droit commercial c’est la règle con
traire qui est suivie.
Cette opinion est consacrée par deux arrêts de la Cour de
Cassation des 5 juillet 1820 et 19 juin 1860 rendus en ma
tière de gage commercial (Dal. Rép., v° Nantissement, n°s 110
et 111 etD. 1860.1.249). Les lois sur le gage commercial ont
changé depuis lors. Mais le principe auquel nous nous réfé
rons de l’applicabilité de la loi civile sauf dérogation for
melle de la loi commerciale, y est très catégoriquement pro
clamé.
6. L’existence de ces usages peut donner lieu à des dif
ficultés sérieuses.Comment et par qui seront-ils constatés?
Merlin disait déjà «qu’il n’est pas de questions, même parmi
celles qui sont textuellement décidées par des dispositions
législatives sur lesquelles on ne puisse avec la plus grande
facilité rapporter des procès pour ou contre. » Depuis l’an IX
les habitudes sur ce point ne se sont pas modifiées et des
négociants signent des certificats avec une telle légèreté
qu’il n’est pas rare de voir à l’audience deux avocats pro
duire des attestations absolument contradictoires, affirmées
les unes et les autres par les mêmes signatures! 11 y alàdes
questions de fait dans l’examen desquelles nous ne pouvons
entrer, abandonnées à la prudence des tribunaux qui les
résoudront pour chaque espèce de marchés.
7. Frappé de ces inconvénients le Gouvernement impé
rial a voulu y remédier par une loi destinée à constater,
pour toute l’étendue du territoire les usages certains aux
quels les parties seraient présumées d’être référées, en l’ab
sence de toute convention contraire, par une présomption
juris et de jure.
La loi fut votée et promulguée le 13 juin 1866. Malheu
reusement elle est fort incomplète, et ne vise que certaines
catégories de marcliandises. Elle est d’ailleurs déjà ancienne
et il serait à désirer que les pouvoirs publics se. préoecu-
�11
passent d’en confectionner une nouvelle embrassant, autant
que passible, tous les genres de denrées. 11 serait même à
souhaiter qu’anticipant sur l’œuvre toujours fort lente du
législateur, les négociants des principales places se missent
d’accord entre eux pour fixer ces usages et que dans toutes
les Bourses, comme cela existe déjà pour quelques-unes,
du moins en ce qui concerne certains marchés, on adoptât
des contrats-types toujours applicables faute par les par
ties d’y avoir expressément dérogé. Un mouvement dans ce
sens paraît se dessiner dans certaines villes, et c’est ce qu’ont
réclamé avec beaucoup d’esprit et de bon sens M. le Comte
Armand vice-Président du Comité Central des armateurs de
France et M. le doyen, M8 Autran, avocat, dans les allocu
tions qu’ils ont prononcées lors de la séance ' solennelle de
rentrée de la faculté libre de Droit de Marseille (Sémaphore ■
de Marseille du 9 novembre 1908).
Quoi qu’il en soit, la loi de 1866 a marqué un progrès
réel en édictant des prescriptions qui, dans certains cas,
imposent la solution en la soustrayant au caprice du juge.
8
Les différents articles de cette loi ne visant que les
ventes commerciales comprennent :
1° Un certain nombre de règles générales applicables à
toute espèce de marchés commerciaux ;
2° La détermination des tares et usages relatifs à.un certain
nombre de marchandises (Cf. rapport au Corps législatif.
D. 66. 4, p. 67 et suiv.), indiquées dans un tableau annexé
à la loi et ou les marchandises sont nommément désignées.
Nous retrouverons ces dispositions infra, aux nos 125 quater
et 318. Constatons seulement ici que, d’après l’article 8, il
n’est accordé ni don (réfaction pour altération ou déchet
habituel de la marchandise), ni surdon (forfaitfacultatif pour
l’acheteur à raison des avaries ou mouillures accidentelles),
ni tolérance (limitation do la réclamation de l’acheteur pour
déchet appelé pousse ou poussière) en dehors des exceptions
portées au tableau.
9. Les parties n’ont pas besoin de stipuler expressément
leur volonté de déroger à la loi. Cette volonté peut être
tacite, résulter des termes du contrat. Par exemple, le venLÉGISLATION
.
�1
%
ACHATS ET VENTES
(leur qui a promis de livrer une marchandise exempte d’ava
ries ou même simplement saine, marchande et loyale, ne
pourrait invoquer l’article 8 pour refuser une bonification
à son acheteur, lorsque la marchandise lui arrive avariée,
sans que cette avarie soit pourtant assez importante pour
entraîner la résiliation.
10. Les dispositions de cette loi sont impératives et doi
vent être suivies même s’il existe un usage local contraire
au cas où les parties n’auraient pas, dans leur convention,
réservé clairement l’application de cet usage. Le commis
saire du Gouvernement au Corps législatif l’a formellement
affirmé en répondant à une question de M. Picard. C’est
là, a-t-il ajouté, l’utilité que présente la loi (D., /oc. cit.,
p. 69).
11. — L’article 109 ne régit que les achats et ventes com
merciaux ; il faut donc, avant tout, examiner et rechercher
à quelles conditions on doit attribuer ce caractère aux uns
et aux autres.
En ce qui concerne les achats, la loi s’est formellement
exprimée dans l’article 632. Est réputé acte de commerce,
« tout achat de denrées ou marchandisés pour les revendre,
soit en nature, soit après les avoir travaillées ou mises en
œuvre ; ou même pour en louer simplement l’usage. »
12. La commercialité de l’achat réside donc exclusivement
dans l’objet pour lequel il est contracté. Si ce- but est un
de ceux indiqués par l’article 632, l’opération est un trafic,
une spéculation en vue d’un bénéfice. On ne pouvait donc
hésiter sur son caractère.
Sans doute, l’intention de revendre n’est qu’une abstrac
tion qu’il serait assez difficile de constater, si son existence
ne devait pas s’induire de la nature de l’opération. Sera-t-il
jamais possible de confondre l’achat par spéculation et celui
pour la consommation ou l’usage personnel ?
Lajustice aura donceomme élément d’appréciation la qua
lité de l’acheteur, la nature de la chose achetée, enfin l’im
portance de l’achat. Qu’importe, en effet, que le premier ne
soit pas commerçant. Tout le monde peut tenter une spé
culation ; et comment en méconnaître la réalité, si la chose
�13
achetée était sans utilité au point de vue des exigences d’un
usage personnel, si elle l’a été dans des proportions évi
demment en dehors de ces exigences et de toutes les prévi
sions qu’elles peuvent inspirer.
D’autre part, pourrait-on hésiter lorsqu’un fabricant ou
manufacturier aura acheté la matière première nécessaire à
son industrie ; ou un commerçant les denrées ou marchan
dises qu’il est dans l’habitude de revendre en gros ou en
détail.
Sans doute, l’un et l’autre pourront acheter, soit pour leurs
besoins personnels, soit toute matière autre que celle qu’ils
exploitent. Mais, en ce qui les concerne la quantité achetée
serait plus décisive encore que pour le non négociant ; un
commerçant ne distrait pas facilement les fonds de son com
merce, parce qu’ils en constituent l’élément essentiel, parce
qu’ils lui sont nécessaires, ou qu’il les fait ainsi fructifier.
S’il est forcé de le faire, ce ne sera que dans la limite de
ses besoins réels. Si cette limite est évidemment dépassée,
on peut sans témérité conclure à une pensée de spéculation.
Qu’importe que la chose achetée ne se place pas dans le
cadre de ses affaires ordinaires, rien ne lui prohibe de
tenter la fortune dans des opérations autres que celles aux
quelles il se livre plus spécialement ; l’occasion qui tente
le non commerçant peut le tenter à son tour, et sa pro
fession le fera môme céder plus facilement. L’expérience
de tous les jours n’est que trop significative. Comment se
défendraient-ils d’une loyale spéculation, ceux qui trop sou
vent se livrent au jeu sur toute espèce de marchandises.
La règle consacrée par l’article 632 est éminemment ra
tionnelle. Acheter pour revendre en nature ou après mise
en œuvre, c’est évidemment spéculer sur la différence du
prix, et rechercher un profit dont la possibilité a été le
mobile de l’achat. Or, qu’est-ce que le commerce, si ce n’est
la répétition plus ou moins fréquente ' d’achats de cette
nature. Le caractère commercial de l’opération qui ressort
pour les uns de leur qualité, s’induira pour les autres de
la nature et de l’importance de l’achat.
13. La vente qui n’est que la réalisation de la pensée qui
LÉGISLATION
�14
ACHATS ET VENTES
a présidé à l’achat est essentiellement commerciale, elle est
le complément de l’opération qu’elle consomme,
De là cette conséquence que la vente de choses, de quel
que nature qu’elles soient, qui sont aux mains du vendeur
autrement que par un achat, ne revêt pas par elle-même, le
caractère commercial. La chose, en effet, ne devient mar
chande qu’entre les mains du commerçant qui en fait l’ob
jet de ses spéculations. Ainsi, observe avec raison l’abbé
Roubaud, les légumes sont des denrées entre les mains du
jardinier qui les met en vente et les apporte au marché ;
elles deviennent des marchandises dans les mains du regrattier qui les vend à son échoppe, à son étal, à sa boutique.
Les choses ne sont que vénales pour le premier ; elles sont
marchandes pour le second. Cette différence est sensible,et
économiquement très utile, puisqu’elle nous fait distinguer,
par la valeur ou l’emploi propre de chaque mot, l’indus
trie du cultivateur qui a produit la denrée, et le négoce
du marchand qui fait de la denrée du producteur une mar
chandise circulante d’une main, marchande de l’autre. Est
marchand qui vend des marchandises, n’est pas marchand
qui vend ses denrées, ses récoltes.
Cette conclusion, incontestable au point de vue rationnel,
puise son fondement légal dans ce fait que le producteur ne
vend pas ce qu’il aurait acheté. Les denrées ne sont pour
lui que le revenu de la terre, que le produit de son exploi
tation agricole. Son opération comporte si peu l’idée d’un
trafic que le marchand lui-même vendant ses récoltes, dis
tinctement et séparément des marchandises de son commerce,
ne fait pas un acte de commerce.
11 faut donc, pour déterminer le caractère de la vente,
avoir égard non seulement à la qualité de celui qui l’opère,
mais encore à l’origine de sa possession. La vente faite par
un marchand ou négociant est présumée commerciale, sauf
la preuve contraire : celle faite par un non commerçant ne
revêtira ce caractère que s’il est établi que la chose avait
été par lui achetée pour la revendre.
Or, cette preuve ne résulterait pas de la simultanéité de
l’achat et de la revente, quelque rapprochée qu’en fût l’épo-
�15
que. Il faudrait qu’on justifiât que le premier n’avait pas
d’autre but que la seconde. Ainsi le propriétaire, l’agricul
teur, achetant des chevaux, des bœufs, des mulets pour scs
cultures et les revendant après la saison pendant laquelle
ils lui sont indispensables pour les labours, n’a jamais fait
un acte de commerce. Son achat a eu pour principal mobile
les besoins de son exploitation, la revente n’est pas une spé
culation, elle n’est que la conséquence de l'inutilité de leur
conservation, peut-être de l’impossibilité de pourvoir à leur
nourriture.
Il en serait de même de celui qui, achetantpour ses besoins
personnels et reconnaissant que ce qu’il a acheté excède ses
besoins, en revendrait une partie, ou bien la totalité par
un revirement de volonté spontané ou forcé, par pur caprice.
Ainsi, pour que la vente soit réputée commerciale, il faut
que l’intention de l’opérer ait existé au moment de l’achat,
et en ait été le mobile. A défaut, on ne saurait rencontrer
cette pensée de spéculation qui est au fond de toute opéra
tion de commerce.
14. La nature de la vente ainsi déterminée, nous avons
à rechercher au point de vue des principes spéciaux ses
conditions et ses effets, examiner la doctrine et la jurispru
dence, et indiquer les solutions qu’elles ont successivement
consacrées sur les difficultés que le contrat, son existence,
son caractère, la compétence, peuvent faire surgir; dire les
obligations qui en naissent pour le vendeur et l’acheteur
respectivement; enfin le mode de preuve qu’il comporte.
OBJET DU COMMÉNTAIHE
SECTION PREMIÈRE
DE LA VENTE, SES CONDITIONS, SES EFFETS
15. Caractère et conditions du contrat.
16. Tout ce qui a une valeur vénale peut faire l’objet d’une
vente. Fonds de commerce.
17. En droit commercial le nom d’un individu peut-il être
acheté ou vendu ?
�16
ACHATS ET VENTES
18. Distinctions à faire dans ce cas.
19. L’acheteur a-t-il le droit d’empêcher le vendeur de créer un
nouvel établissement du même genre ?
20. Le vendeur peut s’en réserver la faculté.
20 his. Incertitudes et contradictions de la jurisprudence sur ce .
point. Pourtant on peut dégager quelques règles.
20 1er. L’acheteur doit-il prouver dans ce cas le dommage résultant
de la concurrence ?
21. La vente de la chose d’autrui est autorisée en commerce
(Doctrine et jurisprudence en note).
22. L’acheteur est à l’abri de toute revendication même en cas
dé perte et de vol (En note hésitations et jurisprudence
sur ce principe).
23. Revendication des choses prises en mer et déprédées sur un
Français. Ordonnance de 1638.
24. L’article 1601 annulant la vente lorsque la chose vendue
n’existe plus au moment du contrat, est inapplicable aux
ventes commerciales.
25. Celle inapplicabilité est-elle absolue et sans exception ?
26. Conditions de l’achat ou de la vente à forfait ou à tous ris
ques.
27. Hypothèses de Delamarre et Lepoitvin.
28. Choses dont la vente est prohibée parla loi. Nullité du con
trat.
29. Nécessité d’une prohibition expresse de la loi française. Arti
cle 1133 du Code civil. Contrat portant cumulativement
sur des choses pouvant être vendues et des choses prohi
bées. Droits de l’acheteur.
30. Droits du vendeur.Comment et à quelles conditions il peut
faire maintenir la vente.
31. On peut vendre une chose future.
32. Effets de l’impossibilité de livrer lorsque la vente a pour
objet tout ce qui sera fabriqué pendant un temps convenu.
33. La veille peut porter sur une récolte. Ses effets.
34. Quid si elle est faite en bloc et pour un prix déterminé?
35. Aléa du contrat dans la vente d’un coup de filet,etc.
36. La chose vendue doit être déterminée.Comment s’individua
lisent les marchandises.
37. Doit-on annuler la vente pour omission de désignation delà
qualité ? Arrêt de Metz adoptant l’affirmative.
38. Examen et discussion.
�CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
17
39. La vente qui n’aurait pas de prix est nulle. Élément du prix
commercial.
40. Conséquences quant au juste prix.
41. Il suffit qu’il soit sérieux : Prix vil (en note).
42. Le prix peut-il être supérieur à la valeur réelle de la chose
vendue ? Majorations scandaleuses.
43. En quoi le prix doit consister.
44. Peut-il être stipulé en denrées ou marchandises?
45. Importance du véritable caractère du contrat en matière
commerciale.
46. Le prix stipulé en argent et plus tard reçu en nature n’im
prime pas au contrat le caractère d’un échange.
47. Quid s’il consiste partie en argent, partie en marchandises?
48. Le prix doit être certain et déterminé. Il est tel s’il est éta
bli par relations d’époques ou de choses.
49. On peut vendre au prix que des tiers auront donné ou à
celui que le vendeur paiera lui-même.
50. Ou au prix que la chose vaudra à tel marché.
51. Ou au prix qu’elle sera vendue depuis tel mois jusqu’à tel
autre. Comment alors on le détermine. Si la. détermina
tion est impossible, la vente est nulle.
52. Controverse sur la faculté de déférer à un tiers la détermi
nation du prix. Elle existe en matière commerciale.
53. Rareté de son application.
54. Les parties sont libres de suivre leurs convenances à ce
sujet.
55. Peut-on nommer plusieurs experts ?
56. Doit-on les désigner dans le contrat à peine de nullité ?
57. Opinion pour l’affirmative de MM. Delvincourt et Troplong.
58. Caractère des arrêts invoqués par ce dernier.
59. Discussion.
60. Opinion de Casaregis, de Lucca et Ansaldus.
61. Doctrine de Pothier.
62. Le Code civil n’a pas voulu le contraire.
63. Réfutation de l’opinion qui fait du choix futur des experts
une condition potestative.
64. Le recours à justice est interdit lorsque les experts ont été
nommés dans l’acte. Arrêts des Cours de Riom et de Cas
sation.
65. Il est ouvert dans le cas contraire. Doctrine de l’école ita
lienne.
A chats et ventes
�18
ACHATS ET VENTES
66. Doctrine. Jur. contraire à l’opinion émise.
67. Le remplacement des experts nommés après, et en exécution
de la convention, peut être poursuivi et ordonné en justice.
68. Dans quels cas doit-on nommer le tiers, si les experts sont
partagés. Par qui il peut être nommé.(Note contraire).
69. Caractère de Invente d’une chose au prix qu’elle vaut. Com
ment se détermine le prix.
70. Quid de celle faite pour le juste prix.
7 1. L’expertise peut-elle être attaquée pour exagération ou insuf
fisance.
72. Caractère de la vente au prix qu’on m’en offrira. Doctrine
de Pothier.
73. Nature des objections et du reproche que font MM. Delamarre et Lepoitvin.
74. Une convention de ce genre peut valoir comme promesse
de la préférence. Conséquences.
75. Cas dans lequel la règle sine prelio certo nulla vendilio,
recevrait exception.
76. Distinction à faire si le prétendu acheteur a revendu lachose.
A quoi il est tenu s’il n’était que dépositaire ou consigna
taire.
77. Prix qu’il doit s’il a revendu avant de déterminer celui de
l’achat.
78. Comment se régleraient les fournitures faites en compte
courant.
79. Le prix peut être stipulé en services ou travaux. A quelles
conditions. Conséquences.
80. Importance delà détermination du caractère de l’acte.
81. Nécessité du consentement respectif des parties. Sur quoi il
doit porter.
82. Effet de la divergence de volontés sur le caractère du con
trat.
83. Nécessité de s’entendre sur la chose.
81. Et sur le prix. Quid, si celui offert par l’acheteur est supé
rieur à celui demandé par le vendeur.
85. Le concours des volontés doit-il intervenir dès l’origine sur
les clauses-conditions de la vente ?
86. Distinction à faire entre les pactes substantiels et les pac
tes accessoires. Définition de ces derniers.
On
peut renvoyer à s’en entendre plus tard. Effet de cette
87.
stipulation sur la vente.
�CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
19
88. Secus pour les pactes substantiels. Leur caractère.
8i)-. Effet du dol, de la fraude, de la violence et de l’erreur sur
le consentement.
90. Dans quels cas et à quelles conditions l’erreur ferait-elle
annuler la vente.
91. Comment s’apprécie le caractère de l’erreur.
92. Importance des circonstances qui ont précédé, accompagné
et suivi le contrat. Objets d’art. Arrêt de laCour de Paris,
qui en faitrésulter l’irrecevabilité de la demande. V. caché.
93. Caractère de cet arrêt. Conséquences de sa spécialité.
94. Arrêt de la Cour de Douai, repoussant la fin de non recevoir,
tirée de ce que l’acheteur a omis de vérifier la qualité.
95. Cet arrêt fait une juste application des principes. Jurispru
dence.
96. Loi du 9 février 1895 sur les fraudes en ces matières.
97. La vente d’une invention brevetée est entachée d’erreur
substantielle, si la découverte ne produit pas les résultats
promis, ou n’était pas susceptible d’être brevetée.
98. Opinions de Pouillet et de Pataille. Jurisprudence.
99. Effets de la déchéance et de la résiliation.
100. Comment se détermine l’époque à laquelle le contrat a
acquis sa perfection, lorsque le marché a été conclu par
correspondance.
101. Caractèré de la lettre missive. Conséquence pour la faculté
de rétracter l’offre tant qu'elle n’est pas arrivée à celui
qui doit la recevoir.
102. Là rétractation arrivant après la réception de l’offre n’en
produit pas moins ses effets.
103. L’offre même acceptée peut être rétractée tant que la lettre
d’acceptation n’a pas été reçue et lue.
104. Distinction que M. Duranton fait à ce sujet.
105. Examen et réfutation.
106. Si celui à qui on demande par lettre une marchandise l'ex
pédie, la vente doit sortir à effet. Opinion de Pothier.
107. Motifs donnés par M. Pardessus.
108. Dans tous les cas l’expéditeur doit être remboursé de tous
les frais.
Î09. Difficultés que peut faire surgir l’existence de la propo
sition.
110. L’envoi du prix courant n’est pas l’offre de vendre.
�20
ACHATS ET VENTES
1 1 1 . Distinction que fait M. Pardessus, quant à l’envoi de cir
culaires.
Caractère de cette doctrine, son inadmissibilité.
La lettre annonçant qu'on veut vendre, est l'offre de vendre.
Secus si on déclare je voudrais vendre.
Effets de la perfection de la vente quant aux risques de la
chose vendue.
116. Cet'effet est acquis lorsque la vente est d’un corps certain
et déterminé.
117. Dans la vente d’une chose déterminée seulement par son
espèce et sa qualité, les risques restent au vendeur jus
qu’au pesage, comptage ou mesurage.
118. Exception autorisée par l’article 1586, dans la vente en bloc.
119. Difficultés que peut soulever le caractère de la vente.
120. Règles à consulter et à suivre.
121. Doctrine et jurisprudence.
122. Critique par M. Duvergier de l’arrêt de la Cour de cassa
tion du 24 août 1830.
123. Réfutation.
124. La vente au poids ou à la mesure a-t-elle transféré la pro
priété à l’acheteur. Arrêt de la Cour de cassation pour
l’affirmative.
125. Doctrine contraire de M. Troplong, son caractère juridique.
125 jbis. Caractère de l’article 1585 du Code civil. Conséquences.
125 ter. Jurisprudence sur la question de savoir si le pesage non
contradictoire effectué au lieu d’expéditions précise suf
fisamment l’objet vendu.
125 quater. Dispositions de la loi du 20 juin 1866 relativement au
poids.
126. Quand doit être opéré le pesage, comptage ou mesurage.
127. Effet de la mise en demeure dans la vente au poids ou à la
mesure, contre l’acheteur.
128. Quelle est l’indemnité due au vendeur ?
129. Son obligation de prouver l’existence du préjudice.
130. Qu’il était en mesure de fournir la chose.
131. Résumé.
132. Disposition de l’article 1587, quant à la dégustation préala
ble dans certaines ventes.
133. Arrêt de la Cour de Metz, refusant à l’acheteur qui n’agrée
pas la chose le droit d’en réclamer une autre.
134. Discussion et réfutation.
.112.
113.
114.
115.
�CONDITIONS GÉNÉRALES. EEF ET S
21
135. Critique qu’en fait M. Duvergier,
136, Droit du vendeur de contraindre la dégustation, son carac
tère, son utilité.
1.37. Importance de la question de savoir si la dégustation est
livrée à l’acheteur ou déférée à un tiers. Eléments de
solution.
138. Règle à suivre dans la vente ordinaire.
139. Exception qu’elle comporte.
140. Règle pour la vente commerciale.
141. Opinion de Pothier.
142. Doctrine de M. Pardessus.
143. Avis de M. Troplong conforme.
144. La rationalité de cette doctrine prouvée par l’usage com
mercial.
145. Arrêts contradictoires de la Cour de Cassation.
146. A la charge de qui restent les risques de la chose. Droit du
vendeur de contraindre la dégustation.
147. Effet delà mise en demeure, si la chose est restée intacte
148. Si la chose a péri depuis.
149. Effet de la renonciation à la dégustation. Son caractère.
150. Elle ressort de la prise de livraison.
151. Quid si celle-ci ne résulte que de la remise au commis
sionnaire de transports.
152. La prise de livraison virtuelle produit le même effet que la
livraison réelle et effective.
153. La prise de livraison résulte de l’apposition de la marque de
l’acheteur sur la chose vendue. Effets quant à la dégusta
tion.
154. Différences entre la vente à l’essai et celle sous dégustation.
155. Comment l’article 1588 qualifié cette vente. Fondement de
sa disposition.
156. Critique que M. Troplong en fait. Réponse.
157. Position de l'acheteur à l’endroit des risques.
158. Difficultés que peut faire naître le caractère de la vente.
Doit résulter de la convention.
159. Opinion de M. Duvergier. Réponse.
160. Conséquences quant à la vente civile, en cas de silence de
la convention.
161. L’aveu de l’acheteur est indivisible, s’il porte sur la vente
et sur sa conditionnalité.
162. Arrêt de la Cour de Cassation en ce sens.
�22
ACHATS ET VENTES
163. Droits de vendeur, si aucun délai n’a été fixé,
164. Si un délai a été déterminé. Son observation est de rigueur
Conséquences.
165. Le vendeur peut-il exciper de la déchéance pour discéder
du marché ?
166. Le droit de l’acheteur passe à ses héritiers.
167. A quelle condition peut-il être exercé par la masse de sa
faillite.
168. Importance que le fait de la faillite donne à la question de
savoir s’il y a eu ou non renonciation à l’essai.
169. Caractère et effets de la vente sur échantillon.
170. L’échantillon remis sans être scellé ni cacheté sert de type
pour la livraison de la marchandise.
171. Réserve au sujet de cette appréciation de Bédarride. Diffé
rence entre l’échantillon montre et l’échantillon type.
172. Conséquence de l’absence de précautions à l’effet de garan
tir l’authenticité de l’échantillon. La preuve testimoniale
ne devra être admise qu’exceptionnellement.
173. Ce n’est aussi qu’exceptionnellement que l’acheteur devra
être relevé des conséquences de la réception.
174. En cas de différence avec l’échantillon le vendeur peut-il
obliger l’acheteur à recevoir moyennant une bonification ?
On doit adopter la négative. Jurisprudence.
175. Décisions contraires.
176. L’échantillon doit offrir les conditions de qualité et de pro
venance exigées par l’acheteur.
177. Echantillon frauduleusement composé. L’acheteur dans ce
cas peut refuser la marchandise malgré la conformité.
178. Clause d’atténuation : marchandise stipulée moralement
conforme.
179. Importance de la question défait. Jurisprudence de la Cour
de Cassation.
180. Résumé de la doctrine et de la jurisprudence. Règles qui s’en
dégagent.
181. Ventes « en disponible », « gré-dessus » ou « avec vue
dessus ».
1S2. Leur objet : marchandise dont le vendeur peut disposer et
dont la qualité n’est pas spécifiée.
183. Délai dans lequel l’acheteur est tenu de dire s’il accepte et
refuse la marchandise offerte.
�CONDITIONS GÉNÉRALE^. EFFETS
23
184. Dans quel délai doit parvenir au vendeur la lettre notifiant
le refus?
185. Nécessité d’une protestation si c’est par la faute du ven
deur que l’acheteur ne peut vérifier dans le délai.
186. Faute de refus dans le délai la marchandise est présumée
acceptée par une présomption juris et de jure.
187. L’acheteur peut n’examiner qu’une fraction de la partie
offerte.
188. Le vendeur conserve le droit de procéder aux manipula
tions et criblages autorisés par l’usage.
189. L’usage accorde à l’acheteur un délai pour le transport de
la marchandise dans ses magasins.
1 5 . La vente est une convention par laquelle l’un s’oblige
à livrer une chose et l’autre à la payer (art. 1582 C. civ.).
On ne saurait donc la concevoir sans la réunion de ces trois
conditions : 1° le concours des volontés ; 2° une chose ;
3° un prix, — Res, pretium, consensus. Il en est à raison de
ce de la vente commerciale comme de la vente civile.
1 6 . Tout ce qui a une valeur vénale appréciable, peut
faire la matière d’un achat ou d’une vente pourvu toutefois
que la chose soit dans le commerce, n’ait pas été frappée
d’inaliénabilité, ou qu’une loi spéciale n’en ait pas prohibé
l’achat (art. 1598).
On s’est demandé si la vente d’un fonds de commerce
constituait un acte de commerce. Sauf certains cas excep
tionnels (Trib. com., Seine, 26 mars 1889, cité en note au
n° 243 de la Vente par Lyon-Caen et Renault), l’affirmative
n’est pas douteuse. Le fonds de commerce doit être consi
déré comme un corps certain comprenant une universalité
de fait dont les différents éléments sont : l’installation ma
térielle, le droit au bail, les marchandises, l’achalandage, le
droit à la marque. Parmi ces éléments considérés individuel
lement, les uns sont des choses incorporelles, les autres cho
ses corporelles. Mais il n’y a aucun intérêt pratiquée les dis
tinguer, la vente d’un fonds de commerce formant un bloc
auquel sont applicables des* règles uniques.
1 7 . En droit commun le nom d’un individu ne peut être
�24
•
ACHATS ET 'VENTES
ni acheté ni vendu. En est-il autrement dans le commerce?
Dans les éditions précédentes l’affirmative a été adoptée :
le nom d’un commerçant possède en somme une valeur vénale
pouvant faire la matière d’une vente; bien souvent ce nom
fait toute la richesse d’un établissement et l’on ne trouverait
personne qui voulût traiter de celui-ci si l’impossibilité de
conserver l’enseigne venait lui retirer l’élément principal de
sa prospérité.
La vente d’un établissement commercial ou industriel doit
comprendre tous les accessoires servant à son exploitation,
les ustensiles, machines, secrets de fabrication, les médail
les et distinctions honorifiques (Cass., 16 juillet 1889, J.T. C.
39, 11881) et même d’après quelques décisions les livres de
commerce (Aix, 14 février 1906. Contra, Seine, 27 septem
bre 1897, J. T. C. 1899, p. 152. — Le Havre, 10 janv. 1900,
Rcc. du H., 1900. 1. 67). Or de tous ces accessoires le plus
précieux sera bien souvent le nom du fabricant qui par sa
juste réputation doit attirer et retenir l’achalandage. Aussi
est-il compris habituellement dans la vente à moins d’une
stipulation contraire formelle. Mais la question est fort
délicate et divise encore aujourd’hui la doctrine.
Lyon-Caen et Renault (Vente, n° 246) posent en thèse que
la loi française n’admet pas qu’une personne puisse faire le
commerce sous le nom d’une autre.
Maunoury (n° 24) partage cette opinion contredite par
Pouillet (Marques de fabrique, n° 493). Nous croyons qu’en
réalité la question doit se résoudre suivant certaines dis
tinctions.
4 8 . 11 nous semble tout d’abord hors de doute que l’ache
teur d’un fonds de commerce a, même sans que cela soit
expressément convenu, le droit de s’intituler successeur de
son vendeur (L. R., ïoc. ci/.). Si le nom sert d’enseigne,
nous lui reconnaissons encore le droit de conserver cette en
seigne sans changement. Il en est de même si le nom cons
titue la marque d’un produit. L’acheteur du droit de fabri
quer et de débiter ce produit ne sera pas obligé de modifier
la marque, l’appellation sous laquelle il est connu. (Comm.
Seine, 8 juil. 1908, G. P. 1908.1.284).
�25
Mais l’acheteur d’un fonds de commerce avec une ensei
gne portant un nom, ou du droit de fabriquer un produit
dont un nom constitue la marque, pourra-t-il faire le com
merce non pas sous son nom véritable, mais sous le nom de
son prédécesseur, ou sous le nom constituant la marque sans
indiquer que le prédécesseur, le créateur de la marque, n’existe
plus commercialement parlant et que c’est lui qui le rem
place, qui lui succède ? Cela nous ne le croyons pas. On no peut
ainsi abdiquer son nom patronymique pour adopter celui de
quelqu’un devenu étranger au commerce actuellement exercé.
De même il ne nous paraît pas possible de vendre un nom patro
nymique isolément, détaché du fonds de commerce auquel
il sert d’enseigne ou du produit dont il constitue la marque.
Tout cela, bien entendu, sans nous préoccuper des actions
en concurrence déloyale que les tiers pourraient intenter con
tre celui qui use d’un nom qui n’est pas le sien et qu’il ne
s’est fait céder que pour créer une confusion avec les pro
duits d’une maison connue et appréciée. Ces solutions nous
paraissent commandées : 1° Par la loi du 11 germinal an XI
portant : « Toute personne qui aura quelque raison de
changer de nom en adressera la demande motivée au Gou
vernement (art. 4) » qui doit prononcer dans la forme pres
crite pour les règlements d’administration publique (art. 5),
dispositions que nous croyons absolues et d’ordre public ; et
2° l’article 21 du Code de commerce édictant que les noms
des associés peuvent seuls faire partie de la raison sociale.
(Voir sur cette question, Paris, 18 août 1888, J. T. C. 38, p.
345. — Aix, 27 novembre 1888. M. 1889. 1.120). Il faut d’ail
leurs reconnaître avec Pouillet que les cas dans lesquels un
commerçant laissera ainsi son nom à la disposition d’un tiers
seront en pratique excessivement rares,— car il courrait le
risque d’être tenu pour responsable des engagements con
tractés sous son nom (Marseille, 23 juillet 1906. Gaz. Trib.,
1907.4.66. Seine, 8 janv. 1908 supra).
1 9 . Le droit de l’acheteur va-t-il jusqu’à prohiber au ven
deur la faculté de créer en son nom un établissement du
même genre ?
Quelques doutes ont surgi et ont fait contester l’existence
CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
�ACHATS ET VENTES
26
de ce droit, s’il n’a été expressément stipulé au traité ; nous
ne saurions être de cet avis. Pour nous, la solution affirmative
de la question résulte forcément de l’effet naturel de la vente.
Celui, dit M. Pardessus, qui vend sans aucune réserve
une manufacture établie, opérant par des procédés qui ne
sont connus que de lui, est présumé céder non seulement
tout ce qui a concouru à établir la réputation ou la supé
riorité d’industrie qui en fait tout le prix, par conséquent
aliéner la faculté de transmettre ces procédés à un second
acheteur, et ne pas avoir entendu se conserver le droit de
former personnellement un établissement semblable ou rival
(n» 271).
Or, la réputation d’un établissement est attachée à l’en
seigne, c’est-à-dire au nom qui le désigne à la confiance du
public ; à la dénomination sous laquelle se recommandent
ses produits, à la marque en indiquant l’origine. L’achat de
l’établissement comprend donc forcément les accessoires qui
en sont inséparables : le prix en a été évidemment calculé
sur tous ces éléments.
Donc, si ce prix payé et reçu, le vendeur crée un nouvel
établissement en son nom, emploie les mômes procédés, se
sert de ses anciennes marques et dénominations, l’acheteur
se trouverait gravement lésé ; on lui reprendrait d’une main
ce qu’on lui avait donné de l’autre ; on autoriserait une con
currence dont la prévision seule l’eùt peut-être empêché de
traiter.
On ne peut facilement présumer qu’il ait accepté une
pareille chance. La certitude du contraire résulte, à notre
avis, de ce fait seul qu’il est convenu que l’exploitation con
tinuera de se faire avec l’enseigne du vendeur.
La présomption enseignée par M. Pardessus doit donc
être d’autant plus admise, quelle est plus naturelle, plus
équitable, plus conforme aux usages du commerce. Vendre
avec l’intention de reprendre le môme commerce-, la même
industrie ; garder par devers soi cette intention, ce serait
tendre un piège à l’acheteur, agir déloyalement. On ne sau
rait donc l’autoriser que si l’acte de cession en exprime la
l’éserve.
�27
20. Cette réserve,toutefois, n’a pas besoin d’être expresse,
les juges peuvent l’induire de l’intention des parties, des ter
mes du contrat. Mais dans ce cas même le nouvel établisse
ment doit se distinguer de l’ancien. 11 est évident, dit M. Par
dessus, que le vendeur ne pourrait empêcher l’acheteur ni
de se dire son successeur, ni de se servir du nom et de la
marque de l’établissement vendu. Si même l’établissement
n’ctait connu que sous le nom propre du vendeur, celui-ci
ne pourrait donner, à son nouvel établissement, son propre
nom sans y ajouter, ainsi qu’à l’enseigne et aux autres mar
ques, quelque signe indiquant que l’établissement nouveau
n’est pas le même que celui précédemment vendu.
20 bis. 11 eût été bien désirable que la jurisprudence for
mulât une règle précise et que la Cour de Cassation posât
un principe juridique certain. Elle pouvait le faire soit en
appliquant d'une façon rigoureuse au vendeur d’un fonds
de commerce l’article 1625 du Code civil aux termes duquel
le vendeur doit garantir à l’acquéreur la possession paisi
ble de la chose vendue, soit au contraire en décidant que
l’interdiction ne serait jamais prononcée en dehors de la
convention formelle des parties afin de ne pas porter atteinte
au grand principe de la liberté du commerce et de l’indus
trie. Malheureusement il n’en est pas ainsi : les tribunaux
ont presque toujours suivi l’opinion enseignée par Ripert.
Ils n’admettent la garantie que si l’acheteur est réelle
ment troublé dans sa possession et lui refusent toute action
« dès qu’ils demeurent convaincus par l’examen des cir
constances du fait qu’il n’y a pas eu atteinte portée à sa
propriété » (R.,p. 101), De même Pouillet (n° 581) autorise
le rétablissement avec des précautions pour ne pas enlever
la clientèle vendue, précautions qui, quelles qu’elles soient,
seront le plus souvent illusoires. Les circonstances varient
dans chaque espèce, et le pouvoir d’appréciation des juges du
fonds étant ainsi illimité (Cass., 19 août 1884; M. 85.2.67),
les arrêts nous donnent le spectacle de contradictions parais
sant parfois les plus choquantes. On peut pourtant de ce
chaos dégager quelques règles :
1° Le vendeur conserve, à moins de stipulation contraire,
CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
�ACHATS ET VENTES
28
le droit d’exercer un commerce semblable à celui qu’il a
cédé ;
2° Il doit néanmoins garantir à son acheteur la possession
paisible de la chose vendue : il ne peut donc rien faire qui
de près ou de loin constitue un détournement de la clien
tèle cédée. En conséquence les tribunaux devront, pour auto
riser le rétablissement, examiner si en fait il ne porte aucun
préjudice à l’acheteur. Go résultat sera atteint, et le vendeur
aura le droit de continuer son commerce si, par exemple,
il s’adresse à une clientèle tout autre que celle qu’il a cédée
d’après la nature et le prix des articles vendus, ou si l’éloi
gnement de sa nouvelle maison est une protection suffisante
pour l’acheteur (Amiens, 30 avril 1875 ; Cass., 19 août 1884.
—Mars., 19mai 1897 ; M., 70.2.65; 85.2.67 ; 97.1.246. — Aix,
17 juillet 1878, cité par Pouillet, p. 582,et 14février 1906.—
Bordeaux, 31 octobre 1899. —Paris, 7 janvier 1890. — Seine,
17 janvier 1893.— Paris, 10 mai 1893.— J. T. C.,49, 14948;
39, 11843 ; 43, 12763 et 12825).’
Il sera toujours très prudent à un acheteur de préciser
que son vendeur ne pourra plus exercer un commerce ou
une industrie semblable pendant un temps et dans des lieux
déterminés. Si cette clause était conçue en termes généraux,
sans limitation de durée et sans détermination de lieu, elle
serait nulle comme contraire au principe de la liberté du
commerce et de l’industrie. Mais malgré cette nullité le
vendeur obligé, comme nous venons de le voir, à garantir
l’acheteur de toute éviction, encourrait l’interdiction de son
exploitation nouvelle, si elle était dommageable, soit dans
un certain rayon, soit pendant un certain temps (Douai,
1" mai 1900; G. T., 1900.2.2.170. — Aix, 14 février 1906) ’.
Même au cas où le rétablissement du vendeur est préju
diciable à l’acheteur, quelques décisions, s’inspirant des
circonstances et tenant compte de la minimité du préjudice,
(O Un dernier arrêt de la Cour de Cassation du 29 juillet 1908, plus net que les
précédents, paraît poser en règle qu’en l'absence d'une clause d’interdiction, le
vendeur toujours tenu à la garantie,conform ém ent à l’article 1626 du Gode civil,
doit s’abstenir de tout acte de nature à dim inuer l'achalandage ou détourner la
clientèle du fonds cédé (G . P . 1908. 2. 322 et la note'.
�29
ont refusé d’ordonner la fermeture et ont condamne seule
ment le vendeur à payer des dommages-intérêts à l’ache
teur (Aix, 31 juillet 1885. Nantes, 7 septembre 1907. Rec.
Nantes, 1908.1.204). Ces décisions peuvent se justifier par
les faits de la cause, mais la thèse ne doit être acceptée
qu’avec la plus grande réserve. Le seul remède à une con
currence illicite consiste dans sa suppression. D’ailleurs
comment savoir si cette concurrence peu dangereuse aujour
d’hui, ne sera pas demain des plus dommageables, alors
surtout que le vendeur aura été débarrassé de toute con
trainte par le paiement d’une indemnité ?
20 1er, La jurisprudence ne s’est pas encore prononcée
sur la question de savoir à qui incombe la preuve d’une
concurrence dommageable. L’acheteur excipant de la règle
générale de la garantie, n’a, à notre avis, rien à prouver,
sauf l’exploitation par le vendeur d’un commerce semblable
à celui cédé, et c’est à celui-ci à démontrer que les condi
tions dans lesquelles il trafique ne peuvent être préjudiciables
à l’acheteur. On répond dans le système contraire que la
liberté étant la règle, il ne suffit pas à l’acheteur de démon
trer que son vendeur a usé de cette liberté. Il doit aussi
établir l’abus qui lui est préjudiciable l.
2i. La vente de la chose d’autrui est déclarée nulle par
l’article 1599 du Gode civil. Elle ne peut donner lieu qu’à
une allocation de dommages-intérêts en faveur de l’acheteur
qui a ignoré que la chose qui lui était vendue appartenait à
un autre qu’au vendeur.
Le Gode de commerce n’a nulle part abrogé cette règle.
Cependant on n’a jamais prétendu l’appliquer à la vente
commerciale. Cette inapplicabilité résultait de la spécialité
de l'article 1599 du Code civil, ne régissant que les ventes
immobilières.
On sait, en effet, que même en droit commun, en fait de
CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
0 ) Les droils el obligations des vendeurs et acheteurs d’un fonds de com m erce
ne sont pas personnels : ils se transm ettent aux héritiers. Il est aussi de juris
prudence que l’engagem ent pris par le vendeur dé ne pas se rétablir est pris
envers tous les titulaires successifs du fonds (Lyon, 12 juin 1908, G. T., 1908.2.
2. 390 et la note).
�ACHATS ET VENTES
30
meubles la possession valant titre, la vente de la chose dont
le vendeur ne serait pas propriétaire serait valable, la reven
dication n’étant admise qu’en cas de perte ou de vol.
Or les achats et ventes commerciaux n’auront jamais pour
objet que des choses ou des valeurs mobilières, et la raison
pour les placer sous l’empire de la disposition de l’arti
cle 2279 du Gode civil était bien plus décisive encore. Ce
qui était pure convenance en droit commun était en com
merce une invincible nécessité. Il était impossible d’astrein
dre le commerçant à exiger de son vendeur la preuve de sa
propriété. On n’aurait pu le faire sans méconnaître les néces
sités réelles du commerce, sans créer un dangereux obs
tacle à la rapidité et au développement de ses opérations,
c’est-à-dire sans porter atteinte à l’intérêt public lui-même.
Au reste, l’exception à la prohibition de vendre la chose
d’autrui résulte en quelque sorte, pour le commerce, de l’ar
ticle 2280 du Code civil. Ainsi, si pour le citoyen ordinaire
l’achat fait dans une foire ou dans un marché ou d’un mar
chand vendant des choses pareilles, oblige le propriétaire à
en restituer le prix, on ne saurait se dissimuler que l’acheteur
commercial sera à l’abri des effets de la revendication par
la force même des choses, car il aura toujours acheté soit
en foire, soit à la bourse, soit à un marchand vendant des
choses pareilles.
Or, en commerce, la possession matérielle par le vendeur
lui attribue, à défaut de la qualité do propriétaire, celle de
commissionnaire. Celui-ci étant autorisé à agir en son nom
propre et personnel, quoique pour le compte de son com
mettant, l’acheteur traitant avec lui n’encourt aucun reproche;
il n’a ni qualité ni droit pour vérifier l’origine de la chose
qu’il achète ; il suffit que le vendeur l’eût en sa possession
et l’ait réellement livrée, pour que l’opération produise tous
ses effets en sa faveur, et qu’il soit même à l’abri d’une
revendication.
La raison de le décider ainsi, toutes les fois que la déten
tion de la chose par le vendeur provient du fait du proprié
taire, est évidente. Les conséquences de l’abus de confiance
imputable au commissionnaire, au consignataire, audéposi-
�31
taire, restent naturellement à la charge de celui qui a eu le
tort de le choisir, il serait injuste de les faire peser sur le
tiers qui a traité de bonne foi (‘).
22. Peut-il, doit-il on être de même dans le cas où la chose
a été soustraite par un vol ou perdue par le propriétaire?
M. Pardessus soutient l’affirmative, l’unique droit qu’il
reconnaît dans ce cas aux tribunaux, est d’apprécier les
circonstances pour rechercher si celui qui a acheté n’a pas
violé les règlements généraux ou ceux de sa profession, en
achetant de personnes inconnues ou suspectes (a° 272).
MM. Delamarre et Lepoitvin enseignent l’opinion con
traire, ils l’étayent sur le caractère des articles 2279 et 2280
du Code civil qui, ne distinguant pas, doivent recevoir leur
application même en matière de commerce. Ils estiment en
conséquence que l’acheteur, négociant ou marchand, d’une
chose perdue ou volée, n’en devient possesseur légitime que
dans le cas prévu par l’article 2280, et sous la condition
du réméré de trois ans que l’article 2279 réserve au vérita
ble propriétaire (T. 3, n° 72).
Nous avons déjà dit que les articles 2279 et 2280 ne régis
saient que les achats et ventes ordinaires, la place qu’ils
occupent dans le Code civil, la différence entre cette légis
lation et le droit commercial ne permettent pas de douter
de cette affectation spéciale.
CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
(<) La raison donnée au lexte de l'inapplicabilité de l’article 1599 aux ven tes
m obilières n'est pas à l’abri de toute critique. Cela n’est dit nulle part et sa
disposition paraît générale et absolue. Le rapport du tribun Grenier dit sim
plem ent : « A u surplus, il est aisé de com prendre que cette disposition législa-tive a principalem ent trait aux im m eubles et qu’on ne peut l’appliquer aux
objets qui font la m atière des transactions com m erciales et qu ’il est au pouvoir
et dans l’intention du vendeur de se procurer. » A ussi L yon-C aen et Renault
(Dç la V ente, p . 105) déclarent que s ’il s’agit d ’un corps certain l ’article 1599
sera applicable et citent à l ’appui un arrêt de la Cour de Cassation du 18 jan
vier 1870, (J. P ., 1870, 353). D ’après les savants auteurs, il y alieu sim plem ent de
reconnaître que la plupart dès ventes conrm erciales étant des ventes de choses
i’ongiblés, échappant à la prohibition de l ’article 1599, il en serait de m êm e dans
une vente civile (Cf. B. L . S .De la V ente, nos 116 et su iv.). Ripert (p. 153) n’exam inela question qu’au point de vue des m archés à livrer et il arrive à la m êm e
conclusion ën déclarant que ces m archés ne sont pas des ventes, ne transfèrent
à l ’acheteur aucun droit de propriété, m ais seulem ent une action personnelle en
indem nité. Ils sont donc en dehors des dispositions de l’article 1599.
�o2
achats et ventes
Elle résulterait d’ailleurs du texte même de leurs dispo
sitions. L’article 2279 admet la revendication du proprié
taire pendant trois ans. Or était-il possible de prévoir que
celui qui achète pour revendre aurait encore la chose en sa
possession pendant ce laps de temps ?
On aurait donc concédé une faculté avec la certitude de
l’impossibilité de son exercice, à moins de soutenir sa rece
vabilité alors même que pendant ce délai de trois ans la
chose eût passé en trente mains.
L’article 2279 suppose donc un achat destiné à conserver
la chose, et exclut par conséquent de sa disposition celui
qui, ne constituant qu’un trafic, n’est contracté qu’en vue
d’une revente immédiate.
Cette exclusion était d’ailleurs en quelque sorte comman
dée par le caractère de la législation commerciale. Ses élé
ments essentiels, MM. Delamarre et Lepoitvin nous le disent
eux-mêmes, sont : la bonne foi, l’équité, l’intérêt du com
merce ; or est-il rien de plus antipathique à ces éléments
que la dépossession autorisée par les articles 2279 et 2280 ?
Comprendrait-on l’annulation d’un achat contracté à la
bourse ou par le ministère de courtiers.
Puis si la chose achetée, introduite dans les magasins de
l’acheteur, y a ôté confondue avec d’autres de même nature,
existera-t-elle encore ? Sa revendication ne deviendra-t-elle
pas l’objet de difficultés sérieuses et réelles.
On ne saurait admettre que le législateur ait entendu
autoriser un tel état des choses qui, laissant la propriété
en suspend, était de nature à nuire au développement des
opérations^ commerciales.
L’achat commercial n’est donc reprochable que par les
circonstances dans lesquelles il a été contracté. M. Pardes
sus a dès lors raison en bornant les attributions du'juge, en
ce qui le concerne, à la-recherche et à l’appréciation décès
circonstances. La loi ne doit aucune protection à celui qui
a méconnu et violé les devoirs qu’elle-même lui imposait ;
l’achat fait par un commerçant contrairement aux règlements
généraux ou spéciaux de sa profession tombe sous le coup
de l’article 2279, mais cet article, comme l’article 2280, ne
�33
saurait régir les achats légalement et régulièrement con
tractés (l).
23. La revendication de la chose en nature est autorisée
en commerce, outre le cas de faillite, lorsque la chose avait
été prise en mer et déprédée sur nos nationaux ; la décla
ration du 22 septembre 1638, dont l’autorité ne saurait être
méconnue, ne laisse aucun doute à cet égard.
Les motifs qui dictèrent ce monument de législation lui
assuraient l’assentiment du législateur subséquent, et de
vaient faire respecter ses dispositions. Les voici tels qu’ils
sont exposés dans le préambule :
« La facilité que les ennemis de notre État ont trouvée èspays de ceux qui les favorisent, même dans nos Etats sous
le nom des étrangers, de débiter les marchandises qu’ils
prennent sur nos sujets, leur a donné la hardiesse de venir
jusque sur nos côtes plus librement qu’ils n’auraient fait s’ils
n’avaient trouvé ce secours et des étrangers et des marchands
de notre royaume, lesquels, jjrcférant leur profit au bien de
l’État et à la compassion qu’ils doivent avoir de la perte
faite par ceux de leurs pays, achètent librement ces mar
chandises, à quoi il est nécessaire de pourvoir pour empêcher
la ruine de nos sujets qui trafiquent sur mer, desquels nous
voulons avoir un soin particulier. »
En conséquence, l’importation et la vente des effets pris
en mer et déprédés sur des Français sont prohibées d’une
CONDITIONS GÉNEllALES. EFFETS
(*) Est ce Lien exact? L es considérations sur la rareté des cas dans lesquels
les articles 2279 et 2280 seront applicables au com m erce sont justes. M ais il ne
l'aut pas en induire nécessairem ent, selon nous, que ces cas se présentant on ne
pourra pas s’y référer. Bédarride lui-m êm e au num éro 21 ci-d essu s paraît sup
poser leur applicabilité aux m atières de com m erce, applicabilité qui ne nous
paraît plus discutée aujourd’hui. D ’ailleurs le juge qui, d ’après le texte, devra
apprécier les circonstances, ne sera-t-il pas am ené presque fatalem ent à in vo quer en fait les dispositions de ces articles, m êm e s ’il révise leur portée en
droit?
M ais leur application doit être restreinte aux cas form ellem ent prévus. Une
jurisprudence ininterrompue et qui a toujours été celle delaG our de Cassation les
déclare inapplicables aux m eubles détournés par suite d’abus de confiance. —
Cass., 22 ju illet 1858. D. 5S. 1.238. — Cass., 16 mai 1899. D. 99.1.373.
Rappelons qu’en ce qui concerne les litres aux porteurs, le propriétaire
dépossédé peut se faire restituer contre la perte ou le vol en rem plissant les
form alités de la loi du 15 juin 1872 m odifiée par celle du 9 février 1902.
A chats ut vcntes
3
�ACHATS ET VENTES
34
manière générale et absolue sur tout le territoire de la France,
sous peines : contre les importateurs nationaux ou étrangers,
non seulement de la confiscation des choses achetées, d’une
amende de 10,000 livres pour la première fois, mais encore
de peine corporelle pour la seconde.
La confiscation au profit de l’Etat était bien une peine
pour le violateur de la prohibition légale, mais elle ne pou
vait donner au commerce maritime la protection qu’on vou
lait lui assurer. Que devenait en effet la mesure, si les effets
pris et dôprédés passaient des mains du capteur ou de l’ache
teur dans celles de l’Etat ? Où était l’avantage pour celui à
qui ces effets avaient appartenu ?
Le législateur de 1638 l’avait compris, aussi disposait-il
que le tiers des confiscations et amendes appartiendrait au
dénonciateur, et les deux autres tiers à ceux qui justifieraient
de la propriété des choses prises et déprédées.
Il n’y a donc pas à hésiter sur l’esprit de la déclaration
de 1638 ; ce quelle veut, c’est la remise en possession de
celui que la course avait dépouillé, elle autorisait par cela
même la revendication qui devait amener cette reprise de
possession.
La prohibition d’importer et de vendre en France les prises
faites sur les Français ne concernait et ne pouvait concerner
que le capteur lui-même et son acheteur direct. Celui-ci, en
effet, traitant avec un corsaire, ne pouvait rationnellement
prétendre avoir ignoré l’origine de ce qu’il achetait ; il se
substituait d’ailleurs à son vendeur et n’acquérait que le droit
tel que celui-ci le possédait,c’est-à-dire résoluble en cas do
rentrée en France des marchandises faisant l’objet de la
vente, et subordonné aux effets de la confiscation ou de la
revendication.
Mais ce qui était juste pour le premier acheteur, eût été
une iniquité pour l’acheteur do seconde ou de troisième
main. Celui-ci, traitant avec un commerçant, n’avait pas à
s’enquérir de l’origine de sa possession, il devait et pouvait
la croire légitime. Sa bonne foi le mettait donc à l’abri des
mesures autorisées par la loi. Les effets importés en France
ne pourraient lui être enlevés que par la preuve qu’il n’était
�35
que le prête-nom complaisant du premier acheteur ; que son
concours avait pour but unique de soustraire celui-ci à l’ap
plication de la loi.
La faculté d’importer en France les effets déprédés sur
des Français reconnue à l’acheteur de seconde ou de troi
sième main, ne pouvait dans aucun cas être contestée au
propriétaire de ces effets. Il ne pouvait entrer dans la pen
sée du législateur d’empêcher celui-ci soit de racheter du
capteur, soit d’acheter les marchandises exposées en vente
par celui-ci ; et, dans l’un ou l’autre cas, d’en disposer à
sa volonté.
C'est en effet son intérêt qui a dicté la prohibition d’im
porter. On a voulu, disait Emérigon, priver les ennemis de
la facilité de débiter les marchandises qu’ils prennent sur
nous, et ralentir la hardiesse qu’ils auraient de venir sur
nos côtes s’ils trouvaient aisément à vendre les effets déprédés, en un mot, tempérer la vivacité de leurs croisières, par
l’embarras de nos propres dépouilles (').
Mais plus le capteur était embarrassé de ces dépouilles,
et plus il devait être tenté de s’en débarrasser à tout prix.
Leur achat devait donc procurer un bénéfice qui, pour l’an
cien propriétaire, devenait un allégement à la perte que la
prise lui faisait subir. C’eût été, ajoute Emérigon, manquer
de compassion que de le priver de cette triste ressource.
L’esprit de la déclaration de 1638 absolvait son auteur
de tout reproche de ce genre. Mais pour que nul ne songeât
à le lui adresser, elle a cru devoir s’en expliquer nettement
en déclarant : N’entendons toutefois comprendre en la pré
sente. déclaration les marchands sur lesquels les marchan
dises auront été prises ,en mer, lesquels pourront les racheter
ou faire racheter hors du royaume,.et les rapporter en icelui.
Cette déclaration n’a jamais cessé d’être obligatoire, mais
ses dispositions expliquent la rareté de son application.
Dalloz au Répertoire général, v° Prises maritimes, n° 345,
cite les deux arrêts suivants de la Cour do Cassation et de la
Cour d’Aix :
CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
(‘) D isse rta tion à la suite du tra ité des p rises, par Valin.
�36
ACHATS ET VENTES
Il a etc jugé que la déclaration est applicable même au
cas où celui qui a introduit la marchandise en France est
un étranger bien qu’après sa capture le navire ait fait nau
frage sur les côtes d’un pays étranger et que la vente des
marchandises qu’il contenait n’ait eu lieu qu’à la suite du
sauvetage. Cette circonstance n’excluant pas le tort apporté
par le fait antérieur de l’arrêtement du navire... et quoi
que l’étranger introducteur des marchandises ait ignoré
qu’elles étaient françaises et qu’elles avaient été déprédées
sur des Français (Aix, 26 août 1809), elle est aussi applicable
à des propriétés françaises qui étant expédiées sur un navire
simulé et étant simulées elles-mêmes, ont été prises en mer
par des ennemis des propriétaires apparents, déclarées de
bonne prise par le juge du capteur et par suite vendues
publiquement ; en conséquence, de telles marchandises in
troduites en France peuvent être réclamées par les proprié
taires (Rq., 19 oct. 1809).
L*a déclaration du 16 août 1856 acceptée par la France,
l’Angleterre, la Russie, le Piémont (aujourdhui l’Italie) et
la Turquie abolissant les lettres de marque, a rendu les
prises beaucoup plus rares. Il y a lieu d’espérer qu'une
entente entre tous les Etats supprimera même les prises
des bâtiments de commerce par la marine de guerre des
belligérants et que, en conséquence, dans un avenir pro
chain, la déclaration de 1638 deviendra caduque.
2 4 . L’article 1601 du Code civil exige pour la validité de
la vente que la chose qui en fait la matière existe au moment
du contrat. En conséquence, la convention est annulée si,
avant, la chose a péri en tout ou en partie. L'ignorance et
la bonne foi des parties ne créeraient aucun obstacle à ce
résultat.
Devait-on, pouvait-on appliquer cette règle aux transac
tions commerciales? La discussion de l’article 1601, au Con
seil d’Etat, ne laisse aucun doute sur l’intention du législateur. L’affirmative eût trop ouvertement méconnu les usages
et les besoins du commerce.
Ainsi, disait M. Régnault de Saint-Jean-d’Angely, lors
qu’on achète un vaisseau actuellement en mer, la vente est
�37
valable quoique le bâtiment eût péri au moment où elle a
été consommée.
Cela admis, M. Bérenger proposait d’inscrire l’exception
dans l’article 1601. M. Troncliet répondit que c’était inutile.
Il a été convenu, disait-il, que les dispositions du Code cn il
ne s’appliquaient point aux affaires de commerce, à quoi
bon dès lors l’exception proposée ?
La discussion se termine sur cette observation de MM.Ré
gnault et Begouen : il est convenu que l’article 1601 ne s’ap
plique pas au commerce. II n’y a donc point de difficultés à
l’adopter (Locré, t. 14, p. 53 et 54).
25. Suit-il de cette discussion que la vente commerciale
est d’une manière générale, absolue, et dans tous les cas, en
dehors de la règle de l’article 1601 ? Mais, comme l’obser
vait avec raison M. Portalis, dans le commerce il faut une
matière au contrat de vente, et comment l’admettre en l’ab
sence de celte condition essentielle.
Il est impossible que cette observation ait été méconnue
par le législateur, et son incontestable justesse explique
pourquoi on n’a pas inscrit dans l’article 1601 son inappli
cabilité à la matière commerciale. Il ne pouvait en résulter
que des difficultés et des chicanes qu’il était essentiel de
prévenir.
Dans le commerce, d’ailleurs, on vend le plus communé
ment une quantité d’une telle chose, cent hectolitres de blé
cinquante pièces de vin, etc.... Peu importe que le vendeur
n’ait pas la chose vendue en sa possession, la chose n’en
existe pas moins dans le commerce et il pourra toujours se
la procurer. Vainement prétendrait-il qu’il n’a vendu et voulu
vendre que ce qu’il croyait posséder réellement et qu’il
ignorait avoir péri. Le défaut de détermination de la chose
ne permettrait pas d'accueillir sa prétention, et la vente
ayant une matière réelle et certaine devrait sortir à effet.
Supposez, au contraire, qu’il ait été vendu un objet spécifié
et déterminé, un véritable corps certain, la marchandise
existant dans un tel magasin, ou à bord de tel navire. Il est
évident que si, au moment du contrat, la chose avait péri,
que si toute délivrance était impossible, il n’y aurait pas eu
CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
�ACHATS ET VENTES
38
tic vente, et la résiliation pure et simple du contrat ne sau
rait être ici ni contestée, ni refusée, à moins que le danger
réciproquement connu et apprécié, ses conséquences aient
fait la matière du contrat.
C’est à ce point de vue qu’on doit considérer la vente
d’un navire en cours de navigation. Dire avec M. Régnault
qu’elle est valable dans tous les cas et malgré que le navire
eût péri avant le contrat, ce serait méconnaître les princi
pes, tout comme de déduire fatalement de cette perte la
nullité absolue de la vente. La seule règle en cette matière
est, pour les magistrats, l’intention réelle des parties.
Il peut se faire, en effet, que la probabilité, que l’immi
nence de la perte soit entrée pour beaucoup dans la déter
mination des conditions et du prix de la vente. Le vendeur
aura voulu précisément s’exonérer de la perte ; l’acheteur
s’en charger dans l’espoir qu’elle n’est pas réalisée, qu’elle
ne se réalisera pas.
En un mot, l’opération ne sera qu’une spéculation dans
laquelle l’un s’imposera une perte pour en éviter une plus
considérable; l’autre acceptera la chance de perdre ce qu’il
donne en vue du bénéfice que la conservation et l’heureux
retour du navire doit lui assurer.
Dans 'ce cas, la matière réelle de la vente est moins la
valeur vraie du navire que la chance qu’il a de succomber
ou d’échapper au danger qui le menace. On ne saurait donc
annuler la vente sans en méconnaître le caractère. C’est
un forfait qui a été réciproquement convenu et accepté.
Chacune des parties doit dès lors subir les conséquences
dont elle s’est volontairement chargée.
« Chaque fois, dit M. Pardessus,que l’acheteur prend sur
lui les risques qui peuvent faire que, par suite d’événements
indépendants du fait du vendeur, la chose né lui soit pas
livrée, ou ne le soit pas avec la qualité convenue, il y a
vente à forfait, valable quoique la chose eût péri, ou n’exis
tât plus au moment du contrat. Ainsi, on peut vendre un
navire en déclarant que si, au moment où l’on contracte, il
se trouve que le navire a été détruit ou pris par l’ennemi
ou par des pirates, l’acheteur n’en payera pas moins le prix
�31)
convenu, pourvu que l’évéheinent fût ignore du vendeur,
ou qu’on ne puisse le lui imputer (n° 304). »
Mais on ne saurait évidemment le décider ainsi si la vente
a été pure et simple, si elle a été contractée en vue de la
possession du navire que l’un a entendu livrer et l’autre
recevoir. L’absence de tout aléa dans la pensée commune
des parties placerait la vente sous l’empire de la règle ordi
naire sur les conditions de sa validité ; elle serait donc nulle
si, le navire ayant péri avant le contrat, elle manquait de
la chose qui en faisait la matière. (Cass., 5 frim. an XIV,
D. rép. v° Vente, n° 562).
L’article 1001 du Gode civil n’est donc ni absolument ap
plicable,ni absolument inapplicable à la vente commerciale,
tout dépend de la nature de la vente, des termes du contrat,
de l’intention des parties. Nous croyons que c'est là le motif
qui a empêché d’inscrire dans l’article l’exception sollicitée
en faveur du commerce. Juste dans un cas, cette exception
eût, dans l’autre, favorisé la déloyauté et la mauvaise foi,
puisque la perte se réalisant, l’acheteur qui, dans l’hypothèse
contraire, n’aurait pas manqué de s’appliquer le profit, serait
autorisé à s’exonérer de la chance sans laquelle le contrat
n’eut jamais existé. Il était donc rationnel, équitable et juste
de s’en référer à l’appréciation du juge, do lui laisser toute
latitude, et c’est ce qui résulte du silence gardé par l’arti
cle 1601.
26. Cette appréciation n’offre aucune difficulté lorsque les
termes delà convention sont explicites et formels, qu’il y est
dit que l’acheteur, instruit du danger que court la chose
vendue, traite à forfait et prend à sa charge les risques et
la perte.
Mais ces stipulations peuvent avoir été omises, quoique
l’intention commune ait été de traiter à ces conditions, c’est
alors cette intention qu’il faut rechercher et établir. On com
prend dès lors l’impossibilité de tracer une règle précise
et uniforme ; dans une recherche de ce genre, le juge est
un juré n’ayant d’autre guide, d’autres éléments de convic
tion, que les inspirations de sa conscience.
Il est cependant certaines dispositions de nature à influer
CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
�4(1
ACHATS ET VENTES
la décision. Ainsi la certitude du danger auquel la chose
est actuellement exposée, la connaissance qu’en ont l’une
et l’autre partie rendraient l’achat à tous risques présuma
ble. Il est peu probable, en effet, que celui qui traite en vue
de la chose qui lui est plus du moins indispensable, en
achète une qu’il sait fort bien qu’on ne pourra pas lui livrer
peut-être ; que le vendeur lui-même n’en reçoive le prix
aujourd’hui que sous la condition de le restituer demain.
La position actuelle du navire vendu et acheté est donc
une circonstance grave et qui doit être mûrement examinée.
Mais pour qu’il soit reconnu en danger, il ne suffit pas
d’une probabilité ordinaire, ainsi un navire en cours de
voyage est toujours plus ou moins exposé, mais on ne sau
rait concevoir des inquiétudes et des craintes sérieuses que
si le délai probable du voyage était expiré sans qu’il fût
arrivé à sa destination ; que si des nouvelles certaines an
nonçaient des mauvais temps et des tempêtes dans les para
ges qu’il avait à traverser.
La connaissance de cet état des choses, que l'acheteur
aurait eue ou qu’on lui aurait donnée, créerait un préjugé
sur le caractère do la vente, préjuge qui trouverait une
haute confirmation dans la vileté du prix convenu. Le désir,
le besoin de vendre explique sans doute le sacrifice que
s’impose souvent le vendeur, mais en tant qu’il n’atteint
qu’à de certaines limites. Si ces limites sont évidemment
dépassées, si le prix est en dehors de toute proportion avec
la valeur vraie de la chose, le sacrifice n’a plus sa raison
d’être dans la volonté, ni même dans la nécessité de ven
dre ; ce qui est raisonnable, c’est qu’on a fait la part du
danger auquel on savait la chose exposée, et qui lui fai
sait perdre une grande partie de sa valeur, minuititm pre
tium rei sitæ in loco periculis obnoxio\ et comme la chance
de perte se rachète à prix d’argent, pcriculum pecunia
æstimàtur, la disproportion entre le prix et la valeur peut
être considérée comme le rachat de cette chance acceptée en
vue du bénéfice qui devait résulter de la chance contraire.
lia coïncidence de la connaissance du danger et de la vi
leté du prix serait décisive et suppléerait au silence du consu l *
�•4 f
trat. Elle fait de la vente une spéculation dans laquelle l’un
accepte une perte partielle pour en éviter une totale ; l’au
tre sacrifie une somme déterminée dans l’espcrance d’en
gagner une plus considérable. La parfaite légalité de l’acte
en assure les effets envers et contre toutes les parties.
27. Qu’on nous permette, comme résumé de nos obser
vations sur ce point, d’emprunter à MM. Delamarre et Lepoitvin quelques lignes qui ont le mérite de placer l’exemple
à côté de la théorie.
« Tranchons le différend par moitié, me dit Jacques, vous
me donniez hier 24.000 francs de mon brigantin le Furet,
que vous vîtes appareiller, j’en demandais 20.000, et devis
en mains, il m’en coûta 30.000 l’an passé, le voulez-vous
pour 25.000 ? Va pour 25.000, répliqué-je, et je compte
la somme à Jacques.
« Ce petit navire ne vous suffirait pas, me dit Pierre qui
était présent au marché, ce qu’il vous faut, c’est un navire
comme mon trois-mâts le Cher-Aimé, par malheur il me
donne de l’inquiétude ; parti de Bourbon le 1" mai dernier, il
devrait être arrivé depuis plus d’un mois, et pourtant point
do nouvelles. Heureusement on ne parle à la Bourse ni de
tempêtes ni de naufrages. Vous savez que le navire est bon,
bien commandé, il y a dix-huit mois la construction en a
coûté 100.000 francs et il les vaut bien encore, car vous
n’ignorez pas que je l’ai fait doubler en zinc, m’en donnezvous 40.000 ?
« Vous êtes dans l’erreur, dis-je à Pierre. Il y a eu un coup
de vent ; deux navires ont péri corps et biens, quels sontils, on l’ignore. Voici une lettre qui m’annonce le sinistre.
« Pierre ayant lu la lettre et fait ses réflexions, nous trai
tons à 25,000 francs (t. 3, n° 69). »
MM. Delamarre et Lepoitvin estiment avec raison qu’il
n’y a pas à hésiter. L’achat fait de Jacques l’a été en vue de
la possession du navire et devrait être suivi de livraison, en
conséquence si le navire perdu ou pris au moment du con
trat, cette livraison était devenue impossible, le contrat doit
être résilié.
Dans l’opération avec Pierre, ce que je me suis proposé,
CONDITIONS GÉNÉRALES. KF F ET S
�42
ACHATS ET VENTES
c’est moins la possession matérielle du navire que la chance
d'un bénéfice considérable. J ’ai risqué 25,000 francs contre
100,000, et la validité incontestable de l’opération aux yeux
delaloi, aux yeux de la morale elle-même, repousse éner
giquement la prétention de se refuser à son exécution.
28. La vente de choses que la loi prohibe de vendre est
nulle et de nul effet. Celle par exemple d’objets pris en mer
et déprédés sur des Français (supra, n° 23), de substances
vénéneuses (loi du 19 juil. 1845, ord. du 29 oct. 1840, dé
crets des 8 juil. 1850, 15 janv. 1853, 1" oct. 1864, 28 sept.
1882, 20août 1894), de vins surplâtrés (loi du 11 juil. 1892),
de piquettes ou de vins de marc (loi du 6 avril 1897), de
produits œnologiques de composition secrète ou indétermi
née destinés à améliorer ou guérir les vins ou bien à fabri
quer des vins artificiels (loi du 29 juin 1907), d’animaux
atteints de maladies contagieuses (Code rural, loi de 1898,
infran0387), celle des objets d’art revêtus d’une fausse signa
ture (loi du 9 fév. 1895, infra n° 96) (‘).
Il en serait de même des ventes conclues en dehors des cas
ou des formalités prescrites par la loi.
C’est ainsi que le tribunal de commerce et la Cour de Pa
ris n’ont pas hésité à le décider pour une vente en gros à la
criée faite en dehors des conditions prescrites par la loi du
28 mai 1858, et le règlement d’administration publique du
12 mars 1859.
On sait que cette loi autorise les ventes en gros à la criée
de certaines marchandises sans l’autorisation du tribunal de
commerce. Mais le règlement pris en exécution de la loi exige
entre autres que, deux jours au moins avant la vente, le pu
blic soit admis à examiner et à vérifier les marchandises, et
que toute facilité lui soit donnée à cet égard.
Un sieur Durand, qui avait traité avec les bouchers de
Paris, des peaux des bœufs à abattre, vendait à la criée, le
dernier jour de chaque mois, les peaux qu’il devait recevoir
dans le courant du mois suivant.
Des difficliltés s'étant élevées sur l’exécution de l’une de
ces ventes, on recourut à la justice pour les résoudre.
Mais le tribunal de commerce ne crut pas devoir les exa(‘) fit des absinthes dont le degré’ alcoolique est inférieur à 65 degrés, sauf
�43
miner, et, suppléant au silence des parties, il annule d’office
la vente qui, faite contrairement aux prescriptions légales,
ne pouvait devenir la matière d’une action en justice. Sur
l’appel, le jugement était confirmé par arrêt du 10 août 1861
(Gaz. clés Trib. du 14 août 1801).
La Cour considère que le règlement général d’administra
tion publique du 12 mars 1859, complément de la loi du
28 mai 1858, sur les magasins généraux, et la loi du même
jour sur les ventes publiques de marchandises en gros, et
pris en conséquence de l’article 14 de la première de ces
lois, et de l’article 7 de la seconde, dans le but de prévenir
des contestations entre les acheteurs et les vendeurs, des
méprises et des tromperies sur la nature des marchandises
vendues, afin d’assurer une parfaite loyauté dans les ventes
et de mettre obstacle à des ventes de pur jeu de marchan
dises n’existant pas dans les mains du vendeur, a, d’une ma
nière générale, par les articles 20,21 et 23, ordonné l’expo
sition publique préalable, après annonces, des marchandises
mises aux enchères ; que les dispositions absolues desdits
articles d’ordre public ne peuvent être méconnues sans en
traîner la nullité des ventes opérées sans les garanties impo
sées par la législation ; que le tribunal de commerce ajus
tement d’office refusé d’admettre les conclusions prises par
les parties sur une vente entachée de nullité pour infraction
à un règlement d’ordre public.
29. Donc la vente d’un objet que la loi prohibe de ven
dre, ou exécutée en dehors du mode qu’elle détermine, est
nulle et ne peut donner naissance à une action en justice.
Les tribunaux doivent d’office prononcer cette nullité, si les
parties omettaient de l’invoquer.
Mais l’indisponibilité de la chose, ou la forme dans laquelle
elle doit être vendue, ne peut résulter que d’une disposition
expresse et formelle. On ne saurait dès lors supposer qu’il
puisse s’élever un doute sérieux sur l’une ou sur l’autre.
C’est ainsi qu’est licite la vente de certaines substances
dont l’emploi permis d’une façon générale ne devient prohibé
. que dans des conditions particulières. Par exemple la publi
cation d’une circulaire ministérielle prohibant l’emploi des
CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
celles réservées à l'exportation, art. 17, loi des finances du 26 décem bre 1908.
�44
ACHATS ET VENTES
baies de sureau pour la coloration du vin, ne constitue pas
un cas de force majeure de nature à rendre nulle la vente
d’une certaine quantité de cette substance achetée pour cet
usage, alors qu’elle est susceptible d’un autre emploi dans
le commerce et que rien n’indique que les parties contrac
tantes aient en vue son emploi pour un usage déterminé. La
vente d’une telle marchandise n’est pas nulle par cela seul
que le vendeur saurait que l’acheteur a l’intention proba
ble d’en faire un usage illicite (Aix, 7 juin 1877. M. 77. 1.
332). Il faut aussi pour rendre la vente nulle que l’interdic
tion soit prononcée par la loi française. Il a été jugé qu’un
contrat portant sur des marchandises dont le commerce est
licite en France (dans l’espèce des armes et des munitions),
est valable au regard de la loi française bien qu’il doive
être exécuté au moyen de la livraison de ces marchandises
dans un pays où leur commerce est interdit (Aix, 3juil. 1893.
M. 1900. 1. 119).
Par contre la Cour de Nîmes a jugé avec raison (6 juil.
1900. S. 1905. 2. 130 et 22 avril 1904, G. T., 1904. 1. 2.
184) que la détention à un titre quelconque devins de marcs
ou piquettes étant interdite par la loi du 6 avril 1897 à tout
négociant, entrepositaire, ou débitant, la vente de piquet
tes soit par un négociant en vins à un autre négociant en
vins, soit par un propriétaire récoltant à un négociant en
A'ins est nulle comme ayant une cause illicite.
La prohibition peut ne pas résulter d’une loi formelle et
spéciale et il faut toujours appliquer'l’article 1133 du Code
civil. Par exemple est illicite la vente d’une maison de tolé
rance, établissement contraire aux bonnes mœurs, et toute
action doit être refusée aux parties si elles réclament en jus
tice l’exécution des obligations qui en découlent (Cass., 15déc.
1873. D. 74. 1. 222).
Aussi, l’unique difficulté dont se soit préoccupée la doc
trine est celle de savoir ce qu’il doit en être d’une vente com
prenant cumulativement des choses vendables et d’autres
qui ne le sont pas, soit par suite de la prohibition de la loi,
soit parce qu’elles auraient péri avant le contrat.
La solution tient à la nature des stipulations. Si les choses
�45
ont été vendues distinctement chacune pour un prix déter
miné, il y a, quoique dans un seul et même acte, autant de
contrats qu’il y a d’objets différents: Tôt sunt stipulationës
quoi res, quoi species, quoi summæ (L. 20, Dig\, De Ver/),
oblig.).
On doit donc respecter et maintenir la vente pour tous les
objets cjui ont pu légalement en faire la matière ; annuler
et résilier les conventions non susceptibles de recevoir leur
exécution.
Si la vente a été faite en bloc et pour un seul prix, elle est
nulle pour le tout, et c’est encore ce que décidait la raison
écrite : Si duos quis servos émit pariler uno pretio, quorum
aller ante venditionem mortuus est, neque in vivo constat
venditio (L. 44, IJig., De Conlrah. empt.).
Cette disposition a son fondement dans cette circonstance
que dès qu’il faudrait recourir à une ventilation dont le
mérite serait contesté, il n’y aurait plus concours des volon
tés sur le prix. La vente manquerait donc d’une de ses con
ditions essentielles. Elle serait nulle (infra, n°s 39 et s.).
On ne pourrait la maintenir que si l’acheteur, ne recevant
que les objets encore existants ou légalement vendus, con
sentait à payer la totalité du prix stipulé pour l’ensemble.
Où serait l’intérêt du vendeur à décliner cette offre et com
ment lui en concéder le droit ? Sa prétention serait donc
repoussée. Contraire à la raison, elle tomberait sous l’em
pire de la règle édictée par le paragraphe 3 de l'article 1182
du Code civil.
30. A cette exception à la nullité de la vente en faveur
de l’acheteur, s’en réunit une seconde dans l’intérêt du ven
deur. Il peut demander et obtenir l’exécution du contrat si
la chose qu’il ne peut livrer n’est qu’un pur accessoire de
celle qui a fait l’objet principal de la vente.
Mais sa prétention ne saurait être accueillie cju’aux con
ditions suivantes :
1° Que l’accessoire soit de telle nature que son défaut
n’eût pas empêché la conclusion du marché. Cette apprécia
tion du caractère du contrat est du domaine souverain du
juge, elle obéit à la règle de l’article 1156 du Code civil.
CONDITIONS GÉNKUALES. EFFETS
�\
40
ACHATS ET VENTES
Cette condition ne peut se rencontrer dans la vente d’un
assortiment, d’une collection. Il n’y a plus alors,à vrai dire,
ni principal, ni accessoire. Ce qui a fait la matière de la
vente, ce qui en a déterminé le prix, ce sont les diverses
parties constituant l’un et l’autre et se donnant réciproque
ment de la valeur. C’est donc leur ensemble qui a été réel
lement acheté, qui doit être livré, à peine de voir résilier le
contrat ;
2ÜQue le vendeur ait agi de bonne foi et dans l'ignorance
de la perte de la chose. Vendre ce qu’on sait ne plus exister,
c’est commettre un dol dont les effets ne peuvent être subor
donnés au plus ou moins d’importance de la chose. Dans
quelques proportions qu’il ait été commis, le dol est insus
ceptible de créer un droit et une obligation.
La réunion de ces conditions pourra faire maintenir la
vente, mais le prix stipulé doit subir une réduction propor
tionnelle. Quelle que soit la bonne foi du vendeur, l’ache
teur ne peut payer ce qu’il ne reçoit pas. On a bien pu
exceptionnellement maintenir la vente parce qu’on suppose
qu’elle n’en aurait pas moins eu lieu, mais il eût été souve
rainement injuste de méconnaître le droit de l’acheteur. Il
y a donc lieu à réduction qui, à défaut d’entente, est déter
minée par le juge.
S’inspirant de ces principes, le tribunal de commerce du
Havre a justement décidé le 14 juin 1899 qu’en cas de vente
d’un fonds de café avec gérance d’un débit de tabac, le
refus par l’Administration des Contributions indirectes
d’agréer l’acheteur comme gérant du débit, a pour effet
d’entraîner la résiliation de la vente tout entière, — sur
tout lorsqu’il n’est pas prouvé que le refus d’agréer le suc
cesseur du titulaire ou du gérant du débit soit motivé par
des causes personnelles à l’acheteur. En pareil cas la vente
ayant porté sur un ensemble, et pour un prix unique, le
vendeur n’est pas fondé à exiger que l’acheteur prenne
livraison du fonds de café avec déduction sur le prix d’une
somme proportionnelle attribuable à la valeur de la gérance
du débit (G. P. T., 97-902, v° Vente, n° 717).
31. [1 n’est pas nécessaire, pour la validité de la vente,
�47
que la chose qui en fait la matière existe actuellement, il
suffit qu’elle doive exister plus tard. La vente porte alors
sur une chose future qui a pu dans tous les temps en deve
nir l’objet. Son sort est subordonné à l’événement; valable
si l’espérance conçue se réalise, elle est nulle dans le cas
contraire.
Le caractère de la vente de la chose future diffère sui
vant la nature de la chose sur laquelle elle porte. Elle est
pure et simple si elle a pour objet les produits à fabriquer
pendant une période déterminée; conditionnelle, si cet objet
est la récolte en grains, vins ou huiles à recueillir de pro
priétés désignées.
32. Différentes dans leur nature, ces deux hypothèses
aboutissent dans l’exécution à des résultats bien différents.
Le défaut absolu de tous produits, dans la première, entraî
nera bien la résiliation de la vente, mais comme ce défaut
est imputable au vendeur, comme il le constitue en faute
pour s’être volontairement abstenu de fabriquer, la rupture
du contrat entraînerait contre lui une adjudication de dom
mages-intérêts en réparation du préjudice qu’en éprouverait
l’acheteur.
La responsabilité du vendeur engagée dans le cas d’abs
tention complète, ne le serait pas moins dans celui d’une
insuffisance volontaire de l’exploitation. Celui qui vend ce
qu’il fabriquera pendant un temps convenu, s’engage par
cela même à fabriquer dans toute la proportion que com
portent la nature de son établissement et les moyens dont
il dispose. On ne saurait lui reconnaître le droit de fabri
quer plus ou moins suivant qu’il aura intérêt à livrer plus
ou moins. En conséquence si, agissant dans cet intérêt, il a
négligé de se procurer la matière première, ralenti les mou
vements de son usine, congédié une partie de ses ouvriers
sans les remplacer, l’acheteur sera recevable et fondé, en
recevant les produits qui lui seront offerts, à demander
d’être indemnisé du défaut de livraison de ceux qu’il devait
naturellement compter qu’une exécution loyale du traité lui
aurait procurés.
Si aucun de ces reproches ne peut être adressé au vcnCONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
�ACHATS ET VENTES
48
dcur, l’acheteur ne saurait exiger au delà de ce qui lui est
offert, mais il est tenu de s’en livrer en totalité. Sa préten
tion de ne recevoir qu’en quantité moindre ne serait ni juste
ni fondée. Le prix se calcule sur cette quantité totale et dans
la proportion convenue au contrat.
3 3 . La vente d’une récolte future, si elle est faite au
poids ou à la mesure, est purement résolue dans le cas d’un
manque complet de récolte. L’intempérie déterminant ce
résultat est une force majeure dont aucune des parties ne
peut et ne doit répondre. On ne saurait donc la soumettre
à des dommages-intérêts.
La vente tient et produit tout son effet s’il est récolté quel
que chose. Quelque minime que soit la quantité, le vendeur
a le droit d’exiger la réception, et l’acheteur celui de con
traindre à la livraison, comme il est obligé d’en payer le prix
proportionnellement à ce qu’il reçoit (B. L. S., n° 97).
34. — La vente de récoltes est donc subordonnée à la
condition qu’il sera récolté quelque chose. Elle peut de plus
être aléatoire si les parties, appréciant le rendement proba
ble, ont traité d’une quantité simplement présumée pour un
prix convenu; un achat, dans ces conditions est un véritable
forfait ses conséquences sont dès lors de mettre à la charge
de celui qui le contracte les événements qui pourraient sur
venir dans l’intervalle du contrat à la récolte.
Dans ce cas, comme dans le précédent, le défaut absolu
de production annulerait la vente. Si je vous ai vendu le
produit de ma vigne, il est évident que si elle ne produit
rien, la vente n’a pas de matière et ne peut par conséquent
sortir à effet. Comme le dit Pothier, une vente de ce genre
est valable quoique la chose n’existe pas encore, mais elle
dépend de sa future existence. Si la chose vient à ne pas
exister, si on ne recueille pas de vin, il n’y aura pas de vente.
Cette doctrine est avouée par la raison. Ce que les parties
ont en vue, c’est évidemment une récolte quelconque qu’el
les pouvaient et devaient naturellement espérer, qu’elles
étaient autorisées à prévoir, Fructus enim futuri, disait Fabert, liabent fondarnentum aliquot in re ipsa, cum ex fundo
ipso perciperentur. En conséquence, si, par un événement
�49
extraordinaire et fortuit, cette prévision est trompée, si la
propriété, dévastée par une inondation, par une grêle ou
tout autre accident, cette espérance est entièrement perdue,
le contrat a en réalité manqué d’objet, et ne saurait sans
injustice lier l'acheteur.
Mais ce qui est vrai en cas de perte totale et absolue,
serait sans application dans l'hypothèse d’une perte partielle
plus ou moins considérable ; accepter la vente d’une ré
colte à forfait, c’est spéculer sur le bénéfice que pourra
présenter une chance favorable, et par conséquent consen
tir à subir les effets de la chance contraire.
Je vous ai vendu pour 500 francs le produit de ma vigne.
Nos prévisions ont eu pour base son rendement ordinaire,
tel que le faisaient espérer les récoltes précédentes.
Si, par le résultat de saisons favorables, la récolte ven
due est double ou triple des récoltes ordinaires, tout vous
appartient, et je ne serai ni recevable ni fondé à exiger une
augmentation de prix.
Par une juste réciprocité, je ne devrai subir aucune
réduction, si le produit est inférieur. Ce qui est dû, c’est Je
prix total porté au contrat.
On a prétendu contester la validité de la vente par appli
cation de l’article 1587 du Code civil. Mais cette prétention a
été repoussée et devait l’être. La spécialité de l’article 1587
à la vente de denrées susceptibles d’être goûtées et agréées
est évidente. Cette disposition ne peut s’entendre que du cas
où la denrée étant actuellement offerte, sa qualité a fait
réellement la matière du contrat.
Or, celui qui achète une récolte et qui traite à forfait do
la quantité ne subordonne pas le sort du contrat à la qua
lité, il l’accepte telle qu’elle sera, sans qu’il puisse préten
dre qu’on lui ait rien garanti à cet égard. On comprend
qu’on ait pu faire de la dégustation une clause irritante de
la vente, mais il serait absurde de le décider ainsi lorsque
de toute certitude la dégustation n’est entrée dans les pré
visions d’aucune des parties. Or, dans quelle hypothèse cette
certitude serait-elle mieux acquise que dans celle où la chose
vendue étant une récolte plus ou moins prochaine, la dégusCONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
A chats et tentes
a
�ACHATS ET VENTES
50
tation était moralement et matériellement impossible au
moment de la convention.
C’est donc avec raison que par arrêt du 28 avril 1824 la
Cour d’Orléans repoussait l’argument tiré de l’article 1587
du Code civil contre la vente d’une récolte de vin pro
chaine, et déclarait cette vente parfaite et définitive dès sa
conclusion. (Rec. gén. Devilleneuve et Carotte, t. 7, p. 354,
2°partie. Aix,29 marsl905, Bull, de'jur. c?’Aiæ,1905,p.285)(1).
35. L’aléa de la vente peut porter sur ce qui en fait la
substance, par exemple lorsque les parties traitent d’une
chose qui a autant de raison d’être ou de n’êtrepas, habens
se indifferenter ad esse et ad non esse.
Ce qui caractérise cette vente, c’est qu’elle n’a pour objet
qu’une chose dont l’existence est purement problématique
et l’espérance plus ou moins fondée qu’elle se réalisera.
Comme exemple, on peut citer la vente et l’achat d'un coup
de filet, des prises que mon corsaire réalisera dans telle
période de temps.
On comprend la différence notable qui distingue cette
hypothèse de celle où l’on traite des résultats d’une fabri
cation, du produit d’une récolte, du croît d’un troupeau. Dans
cellè-ci, il y a, comme le disait Fabert, certitude d’un pro
duit quelconque par la nature des choses, et, en, traitant
de ce produit, on n’a pu entrevoir et accepter que la chance
du plus ou du moins.
Dans l’hypothèse que nous supposons, au contraire, on
n’a traité que sur l’existence plus ou moins probable d’un
produit ; que sur l’espérance plus ou moins fondée de la
réussite. L’opération est moins une vente qu’un pari, dont
l’incontestable légalité recommande l’exécution quidquid
evenerit. En conséquence, le prix convenu est acquis au ven
deur, alors meme que le coup de filet n’aurait amené que
de la boue et des pierres, ou que le corsaire n’aurait fait
aucune prise pendant le temps déterminé ; l’unique obliga
tion qu’il a contractée est de jeter le filet, de mettre le cor
saire en mer s’il ne l’a déjà fait.
11 en serait autrement si, au lieu de vendre le coup de
filet ou la prise à faire, on vendait le poisson que ce coup
(’) Cf. N îm es, 3 nov. 1900, in fr a , n» 146.
�51
amènera, ou la prise laite à une époque déterminée ; l’aléa
du contrat ne porte plus alors sur la chose vendue, mais
sur sa quantité ou son importance. C’est le poisson plus
ou moins abondant, c’est la prise plus ou moins riche qui
a fait la matière du contrat. En conséquence, s’il n'y a ni
poisson ni prise, la vente devient caduque, pour défaut de
chose en faisant la matière.
Ces diverses nuances sont importantes à saisir. C’est en
les observant qu’on résoudra les difficultés que l’existence
légale de la vente pourra faire surgir.
36 .
La chose vendue doit être clairement indiquée. Sa
détermination résultera des caractères d’individualité, la
distinguant non seulement des choses d’une nature diffé
rente, mais encore de celles d’une espèce identique, par
exemple, la vente d’un tel cheval, des sucres ou cafés ren
fermés dans tel magasin ou reposés à bord d’un tel navire ;
soit de l’indication de son espèce et de la quantité à pren
dre dans des choses de la même espèce, exemple : un che
val de tel haras ; 1.000 kilogrammes de café ou de sucre ;
50 balles de coton ou de laine de telle provenance.
Ainsi, ce qui individualise les marchandises, c’est non
seulement leur espèce, mais encore leur quantité, et sur
tout leur qualité, celle-ci en effet, servant à en déterminer
le prix, en constitue la valeur.
Cependant l’article 1129 du Code civil semble ne consi
dérer comme essentielle que l’indication de l’espèce. Mais
vendre en commerce du sucre, du café, des cotons ou des
laines, c’est en réalité ne rien vendre. Comment, en effet,
établir la quantité et prouver qu’il y a eu à ce sujet le con
cours des volontés, sans lequel la vente ne saurait exister.
Il faut donc, outre la détermination de l’espèce, celle de
la quantité. Il n’y a d’exception pour celle-ci que dans la
vente en bloc d’une marchandise qui est suffisamment dési
gnée par l’indication du lieu où elle se trouve reposée, les
sucres qui sé trouvent dans tel magasin ou à bord de tel
navire, les huiles de la pile n° 1 de tel domaine. Toutefois,
le silence que le traité garderait sur la quantité n’annulerait
CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
�ACHATS ET VENTES
52
pas la vente, si la correspondance ne laissait aucun doute
à cet égard.
37. Devrait-on annuler la vente pour omission de dési
gnation de la qualité ?
La Cour de Metz se prononçait pour l'affirmative le 11 dé
cembre 1812. (Rec.gén. Dev.et Carr.,t. 4, 2“ partie, p.214).
Elle annule une vente de fer battu, attendu qu’il est notoire
qu’il existe trois espèces de fer battu, savoir : le fer tendre,
le fer métis, le fer fort, lesquels ont une valeur bien diffé
rente ; attendu que la vente du 24 août ne détermine pas
quelle sera l’espèce de fer qui sera fournie, que conséquem
ment elle est nulle. (Rec. gén. Devill. et Carr.,t. 4,2e partie,,
p. 214).
3 8 . Mais cet arrêt ne confond-il pas la qualité avec l’es
pèce. Que le fer battu soit tendre, métis ou fort, il n’est
jamais que du fer battu. Seulement il vaudra plus ou moins,
suivant qu’il sera l’un ou l’autre.
C’est là l’histoire de toutes les marchandises. Chacune
d’elles offre une qualité supérieure, une qualité moyenne,
une qualité inférieure. Ces deux dernières présenteront en
tre elles une différence de valeur, et n’atteindront jamais
le prix de la première. Ce que les parties avaient omis était
donc l’indication de la qualité et non de l’espèce.
Dans ces termes pouvait-on annuler la vente ? Nous ne
saurions l’admettre. Un pareil rigorisme est peu compati
ble avec les usages et les besoins du commerce, il donnerait
lieu à trop de chicanes, à trop de fraudes.
La Cour de Metz s’étaye de l’article 1602 du Code civil,
obligeant le vendeur à expliquer clairement ce à quoi il
s’oblige, et, dans le doute, lui appliquant l’interprétation
qui lui est la plus défavorable. C’est là résoudre la ques
tion par la question. Il s’agit en effet de savoir si l’indica
tion de l’espèce jointe à celle du prix n’était pas suffisante
pour faire comprendre, sans équivoque possible, ce qui
avait fait la matière du contrat. Or, dans le commerce, les
choses ne se passent pas comme dans les ventes ordinai
res. Les marchandises ont un prix courant qui est officiel
lement coté à la bourse, que chaque commerçant connaît
�53
et doit connaître ; le vendeur qui livre, l’acheteur qui accepte
au prix de 10 francs n’a pu avoir en vue que la qualité cotée
à ce prix et non celle cjui valait à la même époque 15 ou
20 francs.
Le vendeur est donc fondé à soutenir qu’il a rempli le
devoir que lui impose l’article 1002. Chaque qualité ayant
son prix spécial, celle-ci valant 20 francs, celle-là 12 francs,
cette troisième 6 ou 8 francs, il est évident que celui qui a
offert à l’un de ces prix a déclaré par cela même qu’il n’en
tendait s’obliger que pour la qualité correspondante.
La nullité de la vente pour défaut de désignation de la
qualité n’est ni dans le texte, ni dans l’esprit de la loi. On
pciit même sans témérité en induire le contraire, ainsi l’ar
ticle 1129 du Gode civil n'exige que la désignation de l’es
pèce. Il permet de plus de laisser la quantité incertaine,
pourvu qu’elle puisse être déterminée. Où serait le motif
pour qu’il en fût autrement de la qualité ? Et puisque son
indication doit résulter du prix, son omission ne saurait rai
sonnablement influer sur le sort du contrat.
Nous estimons donc que la nullité, que l’article 1002 n’au
torise pas, est repoussée par l’article 1129. Sans doute, la
prudence conseille aux parties de déterminer cette qualité,
mais la loi n’en impose pas le devoir. Son omission pourra
bien soulever quelques difficultés, mais si en réalité la mar
chandise offerte est bien de la qualité cotée au prix stipulé
et convenu, l’acheteur sera obligé de la recevoir et de la
payer. Il n’én serait dispensé que par la preuve que la mar
chandise, dans sa qualité, n’est ni marchande, ni de recette.
39. Une seconde condition, non moins essentielle pour
la validité de la vente, est l’existence d’un prix qui doit être
sérieux et certain ; à défaut, le contrat perdrait son caractère
commutatif. Il n’existerait aucune obligation pour l’acheteur.
On exige ordinairement que le prix soit juste, c’est-à-dire
dans une proportion équitable avec la valeur de la chose,
mais les éléments qui peuvent déterminer ce caractère sont,
en commerce, tous autres que dans la vente ordinaire et de
droit commun.
Sans doute, le commerçant qui vend une marchandise
CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
�ACHATS HT VENTES
54
quelconque doit en recevoir l’équivalent, mais le prix com
mercial se calcule moins sur la valeur vénale et intrinsè
que que sur la valeur marchande, celle-ci varie à l’infini.
Elle ne peut résulter que du cours au moment du contrat.
Or, çe cours est subordonné aux circonstances économiques
ou commerciales ; à la rareté ou à l’abondance delà matière
ou du numéraire, de l’offre ou de la demande ; aux chances
plus ou moins probables de hausse ou de baisse ; à la né
cessité dans laquelle peut se trouver l’un de vendre, l’autre
d’acheter.
40.. Quelle que soit donc la valeur réelle des objets qui en
font la matière, la vente a un juste prix si elle est faite au
cours du jour. Est-ce à dire qu’il doit en être autrement de
celle qui aurait été consentie au-dessous de ce cours ? Non
évidemment.
f
Le cours, quelque officiel, quelque authentique qu’on le
suppose, n’a rien d’obligatoire pour les commerçants. Un
événement arrivé, une nouvelle reçue après la clôture de la
bourse dans laquelle il a été constaté, peut gravement le
modifier dans un sens ou dans l’autre.
D’ailleurs, le détenteur d’une denrée ou marchandise
n’est jamais obligé de la céder à un cours qui n’entre pas
dans ses convenances ; de son côté, on ne saurait contrain
dre dans les mêmes circonstances l’acheteur à accepter le
marché. Ils sont libres l’un et l’autre de discuter leurs pré
tentions réciproques, et de n’obéir qu’à leurs intérêts.
D’ailleurs, l'un peut être dans la nécessité de vendre, l’au
tre n’avoir aucun besoin d’acheter, et, s’il le fait, ce ne sera
qu’en vue du bénéfice que les conditions de la vente lui
promettront.
Ainsi, que le détenteur d’une marchandise la cède au-des
sous du cours, soit parce qu’il a à pourvoir à des engagements
qu’une sorte de mévente le met dans la possibilité de rem
plir, soit parce que l’arrivée prochaine sur le marché de
marchandises de même nature lui fait craindre une forte
baisse, il n’aura pas reçu l’équivalent réel de ce qu’il donne,
mais il n’a consenti à un sacrifice que pour en éviter , un
autre plus considérable. On ne saurait donc l’autoriser à
�55
revenir sur ses engagements, ou le dispenser de l’obligation,
de les exécuter.
41. Il y a donc juste prix dans la vente commerciale
toutes les fois que celui qui a été convenu est sérieux et
certain. Or, c’est ce qui se réalisera lorsque celui-ci n’est
pas en disproportion telle, avec la valeur de la chose, qu’on
doive le considérer comme dérisoire, soit en lui-même, par
exemple la vente d’un tonneau de Médoc pour 3 francs, soit
par les conditions d’exigibilité, par exemple je vous vends
mon navire 80,000 francs, payable la première fois que, pen
dant le mois d’août, le thermomètre de Réaumur descendra
à deux degrés au-dessous de zéro, dans la ville de Montpel
lier (Delamarre et Lepoitvin, t. 3, n° 81).
Un pareil contrat ne saurait être une vente. Il n’est qu’une
libéralité qui pourrait bien valoir entre parties, mais que
les créanciers du prétendu vendeur ne sauraient être con
traints de subir. Il est présumé, en effet, n’avoir été con
senti qu’en fraude de leurs droits, que pour leur arracher
le gage qui garantit leur créance. Aussi seront-ils receva
bles à refuser d’exécuter, si le marché ne l’a pas été encore ;
et, dans le cas contraire, à réclamer la restitution de la
chose, ou de sa valeur au moment du contrat.
MM. Delamarre et Lepoitvin observent avec raison que
la simulation n’empruntera jamais un masque aussi traiisparent, mais, quelque épais que soit le voile dont elle se
couvre, la preuve de son existence en amènerait sûrement
la répression. Cette preuve, qui peut résulter de la nature
des choses, des circonstances, de la position et de la qualité
des parties, des dépositions de témoins ou des présomptions,
est, quant à son appréciation, laissée à l’arbitrage souverain
des tribunaux (l).
4 2 . Le prix peut-il être supérieur à la valeur réelle de la
chose vendue ?
CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
(') Le prix pourrait être sérieux, certain, m ais en m êm e tem ps être vil, c'està-dire très inférieur à la valeur de la chose sans pourtant être tellem ent m inim e
qu'il dût être considéré com m e nul. Dans ce cas la vente serait valable. Les
tribunaux ont une liberté d’appréciation absolue pour décider si un prix n’est
pas sérieux ou est seulem ent v il.
�5j
ACHATS ET VENTES
Oui en principe. Il ne faut pas gêner la loi de l’offre et de
la demande. Telle denrée vaudra dans telles circonstances
un prix qui en temps normal serait considéré comme excessif,
et aucune loi ne permet de limiter le bénéfice qu’un ven
deur peut retirer d’un marché. C’est ce qu’a jugé la Cour
d’Aix le 6 janvier 190(1 réformant un jugement rendu par le
tribunal de Marseille, le 10 août 1898 :
« Attendu qu’il est vrai qu’il résulte de la comparaison
des factures d’achat et de revente que M... aurait majoré de
plus de cent pour cent le prix de la marchandise (thé) par
lui achetée à la Compagnie de l’Indo-Chiné et revendue à
G... mais que celui-ci a accepté ce prix, et que cette majo
ration ne peut, quoique abusive et blamâble au premier
chef, créer un droit de résiliation en faveur de celui qui l’a
imprudemment mais librement subie; que G... n’établit en
effet à la charge de M...ni manœuvre dolosive, ni violence
ou tromperie de nature à surprendre ou vicier son consen
tement ; qu’on ne saurait ranger dans cette catégorie les
artifices de langage usités dans le commerce, et dont l’es
prit le moins prévenu est généralement apte à démêler
l’inanité. »
Cet arrêt est évidemment irréprochable. Mais la fréquence
de majorations scandaleuses de prix, acceptées la plupart du
temps par l’acheteur parce qu’oa lui promettait de lui con
céder le monopole de la revente des denrées dans un cer
tain rayon, monopole absolument illusoire à cause de l’infé
riorité des produits, a amené les tribunaux à chercher,
nous ne voulons pas dire un prétexte, mais une raison pour
annuler un marché librement consenti, sans être vicié par
un dol ou une fraude proprement dite. Cette raison a été
trouvée dans les dispositions de l’article H 10 du Code civil
visant Terreur sur la substance (infra n° 99). L’acheteur,
a-t-on dit, a voulu acheter un objet renfermant certaines
qualités substantielles et c’est sur l’affirmation de leur exis
tence qu’il a contracté. Donc si ces qualités font défaut, la
vente est nulle. Dans ces circonstances l’exagération du prix
n’est pas la cause d’invalidation de la vente : mais elle cons
titue un élément d’appréciation important, car il sera dif-
�57
ficile d’admettre que l’acheteur se soit décidé à payer le
prix stipulé s’il n’a pas cru trouver dans la denrée cédée
les qualités essentielles qui lui manquent.
Le tribunal de Marseille a jugé dans ce sens le 22 mars
1889 :
« Attendu qu'il résulte des.constatations faites que les
parfums employés dans la fabrication de ce savon sont de
qualité inférieure ; que s’agissant de savons exclusivement
destinés à la toilette il est incontestable que le parfum est
l’une des conditions essentielles que l’acheteur a le droit
d’exiger; que l’acheteur a d’autant plus le droit d’être rigou
reux sur l’exécution de toutes les obligations de son vendeur
qu’il a acheté à un prix plus élevé ; qu’il y a entre le prix
de revient de ce savon et celui de la revente un écart que
rien ne justifie ; que sans doute la liberté des transactions
commerciales ne permet pas en principe de limiter le béné
fice à réaliser entre vendeur et acheteur, mais que dans
ces ventes à monopole pratiquées pour le placement de cer
tains produits, et qui s’adressent en général à des person
nes dont le commerce est étranger à la nature de la mar
chandise vendue, il est indiscutable que le consentement des
acheteurs peut être facilement surpris à la suite de brillants
avantages que des vendeurs très experts dans ce genre
spécial de ventes font habilement espérer à un acheteur qui
n’est pas au courant de l’article proposé ; que G... en payant
ses savons 2 fr. 751e kilogramme était en droit d’exiger une
marchandise réunissant toutes les conditions prévues et pou
vant, suivant les promesses faites, être assimilée aux savons
les plus chers et les plus fins ; que c’était, le savon pouvant
seul convenir à la clientèle fréquentant son établissement
(bains) ; que le savon livré par M... ne jouit pas de la
faveur d’une marque connue et ne peut do ce chef fournir
aucun élément qui puisse entrer pour quoi que ce soit dans
la fixation de sa valeur... »
Sur appel la Cour d’Àix a confirmé par adoption de motifs
(22 novembre 1900. Ici, Paris, 9 février 1907. J.T.C , 57,
17411).
La Cour d’Aix ne s’est-elle pas contredite à quelques
CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
�ACHATS ET VENTES
58
mois de distance ? Les raisons données par le tribunal méri
taient-elles son adhésion ? n’émanaient-elles pas de l’exa
gération d’un sentiment généreux, le juge ayant constaté
la malhonnêteté de la spéculation et voulant, malgré la
rigueur du droit, restituer la partie- contre sa faiblesse et
son imprudence ? Si ce sentiment n’est pas très juridique,
il est à coup sûr profondément humain. Mais peut-être, en
se plaçant à un point de vue général, il vaudrait mieux
habituer les contractants majeurs et maîtres de leurs droits
à ne compter que sur eux-mêmes pour se mettre à l’abri
des flibustiers qui déshonorent le commerce, et leur ensei
gner que sauf les cas de dol ou de fraude bien caractérisés,
ils ne devront pas compter plus tard sur le tribunal pour
le^ relever de leurs défaillances. La cour de Rouen a paru,
par contre, se rallier à la doctrine proclamée dans le pre
mier arrêt d’Aix (Rouen,28mars 1908. G. P. 1908.2.300) (‘).
43. De tous temps on a exigé que le prix fût stipulé en
argent monnayé, moneta nummis, pecunia numerata, et en
espèces ayant cours légal dans le pays, quia pecuniapublicam debet habere auctoriiatem.
Mais on ne pouvait en commerce prendre ces exigences
trop à la lettre. Aussi, aucune difficulté ne saurait naître
sur la légalité du prix stipulé en billets des banques publi
ques, en actions des sociétés industrielles, en lettres de
change ou autres billets négociables ;
Ce qu’il importe de remarquer, c’est que le paiement en
billets de banque ou actions industrielles serait définitif et
libératoire. Celui qui s’opérerait par la remise de lettres de
change ou billets à ordre n’aurait ce caractère que sauf
encaissement, à moins que la remise n’ën ait été faite et
acceptée à forfait et sans garantie.
On considère également comme stipulé en argent le prix
convenu en monnaie de compte. MM. Delamarre et Lepoitvin estiment qu’il y a là une contradiction dans les ter
mes. Le propre de la monnaie, en effet, est de payer. Pour
quoi donc appeler monnaie ce qui ne sert qu’à compter. Ils
(’ ) I n f r h 400 1er, loi do 8 décem bre 1907 sur la vente des engrais ad m et
tant la lésion.
�59
reconnaissent cependant que la monnaie de compte est en
usage chez tous les peuples commerçants, parce qu’elle offre
un moyen simple et très exact de s’entendre sur la valeur
et de déterminer un prix en monnaie payante.
Ajoutons qu’il ne pouvait être interdit de faire suivre la
vente du contrat de prêt. Le vendeur qui consent, en paie
ment du prix, à en être crédité par l’acheteur, ne fait que
contracter un placement qu’il pourrait faire avec tout autre
que l’acheteur, sans toucher à la régularité de la vente. On
ne pourrait raisonnablement admettre le contraire, lorsqu’il
confie ce placement à cet acheteur lui-même.
L’exigence du cours légal peut se comprendre dans la
vente civile et ordinaire, mais elle pouvait être un danger
pour les transactions commerciales. Le commerce, en effet,
est essentiellement cosmopolite. Loin d’écarter les étrangers,
il les sollicite et les appelle ; on ne pouvait dès lors leur
prohiber, lorsqu’ils achètent ou vendent, de stipuler le prix
en monnaie de leur pays. Aussi n’hésite-t-on pas à admettre
la validité de cette stipulation, et à tenir comme irréprocha
ble la vente payable en livres sterling, piastres, ducats, etc.
44. Le prix do la vente peut-il régulièrement être stipulé
en denrées ou marchandises ? L’affirmative était, en droit
romain, soutenue par les Sabiniens, mais Justinien avait for
mellement condamné cette opinion (’j.
S’il faut en croire Duparc-Poullain, la décision de Justi
nien n’avait pas été admise, il nous apprend en effet que
CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
chez nous l'achat est u n con tra t p a r leq u el la chose, m e r x ,
est tra nsférée p o u r u n p r ix fix é q u i consiste en a rg e n t , a d t
ÀLIA RE FUNGIBILI ( ! ).
Aucun jurisconsulte moderne n’a soutenu cette opinion;
seulement, après avoir enseigné que le prix doit être stipulé
en argent, Emile Vincens ajoute : On pourrait contester
cette décision qui n’a point de fondement dans lanature des
choses, ni d’utilité car l’échange est soumis aux mêmes lois
que la vente. On ne voit pas ce qui empêcherait d’acheter une
chose au prix de services ou de travaux. Il n’y a que la loi
(•) In st , § 2, de Cont. e m p t., 1 .7, G. de r e r n m p e r m u t .
(a) G ra n d C oût., t. 2, p. 93.
�00
ACHATS ET VENTES
fiscale qui ait besoin d’une évaluation en argent dans le cas
où la vente est soumise à des droits proportionnels au prix (‘J,
Il n’v a rien de commun entre la vente pour un prix déter
miné, payable en services ou travaux, et le contrat par
lequel on livre une chose contre une autre. Dans le premier
cas, il y a en réalité vente, puisque si le mode de paiement
adopté reste sans exécution, le vendeur pourra exiger la
somme convenue ou faire résilier le contrat.
Dans le second, il n’v a qu’un échange qu’on ne saurait
confondre avec la vente, précisément parce que la loi les a
distingués. Peu importe que l’article 1707 du Code civil ait
appliqué à l’un les principes qui régissent l’autre, c’était là
la conséquence des affinités qui existent entre ces deux con
trats. Il n’en est pas moins vrai que chacun d’eux a son
caractère à part et desrègles qui lui sont propreset exclusi
ves. (Sic. B L. S., n° 128).
45. Nous comprenons qu’en droit commun et pour ce qui
concerne les parties, la détermination du véritable caractère
de l’acte n’ait qu’une importance et qu’une utilité fort secon
daire, surtout lorsqu'il s’agit de meubles, mais il en est au
trement pour la vente commerciale et à l’égard des créan
ciers soit du vendeur, soit de l’acheteur. La distinction est
alors dans le cas de produire l’effet le plus considérable.
Ainsi le vendeur non payé peut, en cas de faillite de l’a
cheteur, revendiquer la chose vendue si elle est en cours de
voyage et non encore arrivée dans les magasins de celui-ci
ou dans ceux de son commissionnaire.
L’échangiste n’a qu’un droit, celui de ne se dessaisir de
sa chose qu’en recevant celle qui lui est promise. S’il
néglige de l’exercer, s’il expédie avant, il suit ' aveuglément
la foi de celui avec qui il contracte à l’instar de tous les
autres créanciers. La faillite survenant, il n’est ni receva
ble, ni fondé à revendiquer sa chose, fût-elle encore en cours
de voyage, ni à réclamer la délivrance effective et en nature
de ce qu’il devait recevoir en contre-échange. Il est désïnvesti de l’une et n’a jamais possédé l’autre. La faillite s’op(■ ) T . 2, p. 46.
�Ct
posant à toute mise en possession ultérieure, il n’est plus
que créancier de la valeur, ne pouvant et ne devant rece
voir que le dividende que la liquidation de la faillite permet
tra de distribuer.
Voilà donc une hypothèse où le véritable caractère de
l’opération exerce une décisive influence sur le sort des inté
ressés, il n’est donc pas rationnel de refuser toute utilité à
sa détermination. Or, promettre ou donner une chose, à la
condition d’en recevoir une autre, c’est évidemment consen
tir le contrat que la loi a distingué de la vente et qualifié
d’échange.
46. Il importe toutefois, dans l’appréciation de son carac
tère, de ne pas oublier celte règle de droit qui n’a jamais
rien perdu de son autorité : Non pretii numeratio sed conventio p&rficit emptionem (’). Il serait, en effet, irrationnel
de subordonner le caractère du contrat à l’exécution que
les convenances réciproques des parties lui ont donné.
Peu importe donc qu’il y ait eu paiement du prix en mar
chandises ou tout autre objet mobilier, il suffit, que ce prix
ait été stipulé en argent pour que l’opération doive être
réputée, et soit en réalité une vente.
4 7 . Nous avons examiné ailleurs la question de savoir ce
qu’il doit en être, lorsque le prix stipulé consiste partie en
argent, partie en choses fongibles. Nous nous bornons à
rappeler la conclusion que nous avons tirée de la doctrine
et de la jurisprudence.
Lorsque le prix en argent est supérieur à la valeur de la
chose donnée par l’acheteur ; par exemple, un objet de
20.000 francs donné contre 15.000 francs espèces, et une
chose évaluée 5.000 francs, il y a vente.
Si l’objet livré étant de 20.000 francs, le propriétaire
reçoit 10.000 francs en argent et 10.000 francs en nature,
on se prononcera encore pour la vente, par la raison que
venditio dignior est, quæ in dnbio prœferenda.
Si le prix de 20.000 francs était stipulé 15.000 francs en
nature,5.000francs en argent,il n’y a plus qu’un échange (-).
CONDITIONS GÉNÉRALES. ICFFKTS
(1) . 6, § 1, D., de A c l . e m p t.
(2) T r a ité du B o l e i d e la F ra u d e ,
,
par Bédarride, l. 2, n° 993.
�02
ACHATS ET VOTES
L’application de cette doctrine suppose que le contrat a
été qualifié de vente , si les parties avaient déclaré faire un
échange et n’avaient considéré le prix en argent que comme la
soulte due par l’une d’elles, il serait impossible de voir autre
chose qu’un échange, quel que fût le chiffre de cette soulte.
48. Le prix, dont la stipulation est une des conditions
essentielles à la validité de la vente, doit être certain: Nulla
emptio sine pretio potest, secl certum esse debet pretium (*).
La certitude du prix n’exige pas sa détermination précise
au moment de la vente. On peut soit la remettre à la déci
sion de tiers, soit la rattacher à un fait devant
* nécessairement se réaliser dans un temps convenu.
Pretium, disait Casaregis, quando per relatiohem est certificcibile, habetur pro certo, et valet venditio.
A côté de la règle, Casaregis donnait des exemples de son
application, valet venditio, disait-il, quando pretium collatum est ad arbitrium boni viri, aut peritorum ; contractas
venditionis mercium valet quanti valueriht talimense; et si
fuerit conventum (quanti valuerint ex mense martii usque ad
mensem augusti, fuisse de vision atlendendum valorem mediocrem illius temporis.
Enfin, ajoute-t-il : Si itaque valet venditio pro pretio certificabile per relationem, ideo ea valere debet si facta fuit
pro pretio quo res aliis empta, vel quanti habeo in tali area,
vel quanti communiter vendatur (2).
49. Ces exemples, puisés dans la pratique commerciale,
prouvent la manière dont le commerce, s’appropriant le
principe du droit commun, l’avait accommodé à ses exigen
ces. Or, celles-ci n’ont été ni changées, ni modifiées par le
temps. Dès lors, ce qui avait été considéré comme leur con
séquence au temps de Casaregis a conservé ce caractère et
doit atteindre au même résultat.
Ce qui se pratiquait autrefois peut encore se pratiquer
légalement aujourd’hui, par conséquent on ne saurait con
tester la validité de la vente au prix que le vendeur payera
lui-même, ou auquel des tiers auront acheté. Sans doute le
(*) Inst., S 1er, cle Contrat, empt.
(!) Dis. 34, n»a 18, 19, 20, 21 et 56.
�CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
G3
prix est ignoré au moment du contrat, mais il est certain,
car il résultera infailliblement de la justification de l’évé
nement auquel sa détermination est subordonnée. Le ven
deur ne saurait exiger plus, et l ’acheteur offrir moins que le
prix payé par le premier, ou par les tiers traitant de choses
de mêmes nature et qualité.
5 0 . Rien n’est moins rare que la vente au prix que la
chose se payera au marché de tel jour, soit du domicile du
vendeur, soit de celui de l’acheteur, soit de toute autre
localité désignée. La légalité de ces contrats ne saurait être
contestée, ils ont un prix sérieux et certain que le cours du
marché désigné précisera et déterminera.
Mais il est rare que pendant la durée d’un marché le
cours reste invariable, une marchandise ouvrant en hausse
peut fermer en baisse, ou réciproquement. L’intérêt de
l’acheteur serait d’acheter ,au plus bas, comme celui du ven
deur est de vendre au plus haut; il est évident que l’un de
ces intérêts serait sacrifié par l’accueil qu’on ferait de l’autre.
Onles concilie dans la pratique en adoptant le prix moyen,
qui s’établit et se calcule en tenant compte des prix supé
rieur et inférieur.
Les parties peuvent convenir du contraire, traiter au prix
d’ouverture ou de fermeture du marché, ou de telle heure
déterminée. Bien souvent chez nous les propriétaires et cul
tivateurs vendent leurs raisins ou leurs olives ce qu’ils se
payeront au marché d’un tel jour, à deux, trois heures, etc.
C’est là un aléa qui n’a rien d’illicite, dès lors les variations
que la marchandise aurait subies avant, ou qu’elle subirait
après l’heure convenue ne pourraient être prises en consi
dération.
5 4 . C’est aussi à la moyenne que se régleraient les ventes
au prix que se payera la chose du premier marché du mois
de mars jusqu’au premier ou dernier de tel autre mois dési
gné. Ici la relation est plus étendue sans en être moins
légale, elle se justifie par les raisons qui ont fait admettre
l’hypothèse précédente. Puisqu’on peut prendre pour bases
les résultats d’un marché, on ne voit pas ce qui ferait pro
hiber de s’en référer à ceux de plusieurs.
�ACHATS HT VENTES
04
Mais, dans ce dernier cas, la moyenne que Casaregis qua
lifie de valeur médiocre ne se calcule plus sur les variations
se réalisant pendant la durée du marché, c’est sur le prix
officiel de la mercuriale de chaque marché qu’on doit pro
céder, c’est sur leur ensemble que s’établit cette moyenne.
Si la détermination du prix suivant les indications du con
trat était impossible, la vente serait nulle. Le tribunal de
la Seine a justement jugé en annulant un marché où il
avait été stipulé que le prix serait fixé sur le cours officiel du
marché d’une place, alors que la seule marchandise de même
nature cotée sur cette place était d’une qualité différente et
supérieure à celle vendue (31 oct. 98. J. T. C. 49, 14736).
Le tribunal de Nantes par contre a validé une vente que
rellée pour défaut de prix par le motif que le tribunal pou
vait déterminer ce prix, détermination rendue possible par
l’exécution du marché dans les années précédentes (Nantes,
21 fév. 1903, Rec. Nantes, 1903. 1. 436).
52 . La faculté de déférer à un tiers la détermination du
prix de la vente était devenue pour les jurisconsultes romains
l’objet d’une controverse-que Justinien trancha en l’autori
sant formellement. L’école italienne, Cas.aregis vient de nous
l’apprendre, appliquait la règle aux ventes commerciales.
Le Code civil se l’est à son tour appropriée ; et, malgré
le silence du Code de commerce, malgré la différence de
caractère des deux législations, il est admis en doctrine et
en jurisprudence que le droit de s’en référer à des arbitrateurs existe en faveur des commerçants (art. 1592, C. civ.).
53. Mais son application devait être, et est, en effet, fort
rare. Perdre du temps et de l’argent n’est ni dans l’intérêt,
ni dans les usages du commerce ; et c’est ce qui résulterait
de la nécessité d’une expertise.
D’ailleurs, il est pour les ventes commerciales un régula
teur d’autant plus recommandable qu’il est plus impartial,
plus à l’abri de toutes manoeuvres, de tout dol de la part
des intéressés: le cours officiel et public des marchandises.
On comprend dès lors qu’on préfère s’y référer et lui
demander la valeur marchande de la chose achetée et ven
due, plutôt que de s’exposer aux erreurs volontaires ou invo-
�65
lontaires de tiers, qui en définitive feront du cours légal
l’élément et la base de leur appréciation.
54. Quoi qu’il en soit, les parties libres de suivre leurs
convenances, peuvent s’en référer à la décision des tiers,
et dans ce cas la légalité du contrat est incontestable. Casaregis faisait résulter la convention du silence qu’on gardait
sur le prix : Quando est simplicitér venditum, semper intelligitur emptum pro pretio justo, declarando ad arbitrium
boni viri (‘).
Nous ne croyons pas qu’on pût le décider ainsi aujourd’hui.
La faculté concédée par l’article 1592 du Code civil n’est
qu’une exception à la règle prescrivant la stipulation d’un
prix certain. Le bénéfice n’en est donc acquis que lorsque
les contractants se le sont expressément réservé. Le silence
gardé à ce sujet ferait que la vente serait sans prix, et devrait
être annulée.
5 5 . La disposition de l’article 1592 du Code civil a sou
levé quelques difficultés d’application, la première est née
sur le nombre des experts. La loi permet-elle d’en élire plu
sieurs, n’en admet-elle qu’un seul ?
L’ancien orateur du Tribunat, M. Grenier, se prononce
dans ce dernier sens. Cette opinion simplifiait l’opération et
coupait court aux inconvénients qu’entraîne nécessairement
une élection multiple. En effet, si les élus désignés au con
trat ne s’accordent point, la vente est nulle et résiliée. Or,
on sait que l’expert comme l’arbitre ne se considère trop sou
vent que comme l’homme de celui qui l’a choisi. On devait
donc craindre que, obéissant aveuglément aux inspirations
de celui-ci, il ne déterminât par un désaccord une nullité que
l’intérêt do son mandant exigeait.
Ne permettre qu’un seul arbitrateur était le plus héroïque
remède à ce grave inconvénient. Mais est-ce là ce que l’ar
ticle 1592 aprescrit ?Ilnous paraît impossible de l’admettre.
Sa disposition, il est vrai, ne prévoit dans l’application du
principe qu’elle consacre que l’hypothèse d’un arbitrateur
unique. Mais a-t-elle par cela même exclu tout autre mode ?
CONDITIONS GÉNÉRALliS. EFFETS
(*)
Disc., 34, n° 19.
A chats et ventes
5
�ACHATS ET VENTES
06
Or, toutes les fois qu’il s’agit d’une expertise, chaque par
tie a incontestablement le droit d’élire celui qu’elle croit
digne de sa confiance. L’exercice de ce droit ne reconnaît
d’autre obstacle qu’une disposition de loi qui l’aurait expres
sément prohibé, et cette prohibition n’est ni explicitement,
ni implicitement dans l’article 1592. Ce qu’il consacre, c’est
la faculté de déférer à autrui la détermination du prix de
la vente, et s’il ne règle ses effets que dans un seul cas, c’est
qu’il ne pouvait les prévoir tous, et qu’il entendait laisser
aux intéressés à agir au mieux de leurs convenances (Sic
B. L. S-, n° 13.4).
58. On a ensuite agité la question de savoir si le ou les
arbitrateurs devaient être désignés dans le contrat à peine
de nullité de la vente ?
Le droit romain pouvait faire répondre affirmativement,
car il avait précisé l’hypothèse qu’il réglait : Si quis rem
ita comparaverit ut res vendita esset
T
(‘), ce qui, en admettant que le tiers était désigné dans
le contrat, semblait en imposer l’obligation.
Peut-on induire la même conséquence des termes de l’ar
ticle 1592 ? Mais évidemment ces termes n’établissent aucune
relation nécessaire entre l’époque de la désignation et celle
du contrat. Peut-on rationnellement admettre qu’en confé
rant d’une manière générale et absolue la faculté de laisser
le prix à l’arbitrage d’un tiers, la loi a interdit aux parties
de convenir du principe et d’en remettre l’application à une
époque ultérieure ? On doit d’autant moins se prononcer en
ce sens, que cette exigence de la loi serait dans bien des cas
la condamnation du principe lui-même. Supposez, en effet,
une vente par correspondance, comment la partie étrangère
à la localité sur laquelle devront être pris les experts pourrat—elle les désigner au moment où elle accepte à son domi
cile l’offre ou la demande qui lui est faite.
57. C’est cependant pour la nullité de la vente, à défaut
de désignation dans l’acte, que se prononce M. Dclvincourt,
et sa doctrine a recueilli l’imposante adhésion de M. Troplong.
q uanti
iu t
I1) Lix.' 15, Cocl. de Cont. empt.
it iu s æ s t d ia v e
�07
Plusieurs arrêts, dit l’éminent magistrat, viennent à l’appui
de cette opinion qui est rationnelle et juste. En effet, si
l’arbitre n’était pas désigné au moment du contrat, il dépen
drait d’une partie d’empêcher la fixation du prix et de rendre
la vente nulle, ce serait une condition potestative de part et
d’autre ; le contrat serait perpétuellement en suspens et
manquerait de certitude (*).
38. Les arrêts auxquels M. Troplong fait allusion sont :
celui de Limoges, du 4 avril 1826 ; celui de Toulouse, du
5 mars 1827. Sans doute la jurisprudence a une juste, une
incontestable autorité, mais rappelons ce que nous avons
déjà relevé, les tribunaux ne sont pas souvent appelés à ré
soudre des questions de pur droit; ils ne peuvent faire abs
traction des circonstances de faits particulières à l’espèce
qui leur est soumise, et qui sont souvent de nature à entraî
ner une solution que le droit aurait condamnée ; il faut
donc, pour reconnaître la valeur réelle d’un arrêt, s’en réfé
rer nécessairement à l’espèce sur laquelle il est intervenu.
Or, devant la Gour.de Limoges, le demandeur soutenait'
bien que le contrat, dont il poursuivait l’exécution, était
une vente dont le prix avait été laissé à l’arbitrage de tiers.
Mais le défendeur repoussait ce caractère et alléguait que
la prétendue vente, faite d’ailleurs sous pacte de rachat,
n’était qu’un contrat pignoratif. Ce n’était que subsidiaire
ment qu’il soutenait que dans tous les cas son refus de dési
gner les experts rendait la vente sans effets possibles.
Devant le tribunal, le système principal avait été accueilli,
et la vente annulée comme contrat pignoratif. C’est ce juge
ment que la Cour de Limoges confirmait.
Il est vrai que son arrêt n’examine la question qu’au point
de vue de l’article 1592, et déduit la nullité de la vente de
l’absence de désignation dans le contrat. Mais cet examen
avait-il pu faire abstraction du caractère réel de l’acte, et ce
caractère pouvait-il rester sans influence sur la solution ?
L’espèce de l’arrêt de Toulouse est plus significative
encore. Roger fils, négociant,avait disparu de son domicile,
CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
(*) S o u s l ’a rtic le
1592,
n« 157.
�ACHATS ET VENTES
«8
lorsque Severac, son créancier, se fait remettre par Roger
père, jusque-là étranger au commerce de son fils, une cer
taine quantité de laines, dont il entendait imputer le prix
sur sa créance.
Trois jours après, la faillite de Roger fils est judiciaire
ment déclarée. Le syndic revendique contre Severac les lai
nes qu’il s’était fait remettre, celui-ci répond que ces laines
lui ont été vendues par Roger fils longtemps avant la fail
lite ; qu’à la vérité le prix n’en avait pas été déterminé à
l’instant même de la vente, parce que les parties étaient
convenues de le faire ultérieurement, soit par elles-mêmes,
soit par des experts. Le tribunal do commerce reconnaît
l’existence de la vente et en consacre la validité.
Sur l’appel, la Cour de Toulouse la déclare nulle et de
nul effet. Elle dit bien que l’article 1592 exige la désigna
tion des experts dans l’acte même, mais elle considère aussi
qu’il est prouvé au procès qu’en enlevant les laines dont
s’agit des magasins de Roger fils, dans la vue de se payer
de ses propres mains d’une créance qu’il avait sur celui-ci,
dont la faillite était imminente, Severac ne convint nullement
avec Roger père du prix des laines, dont la quantité et la
qualité ne furent pas même déterminées.
Elle ajoute : Considérant que la vente serait encore nulle
faute de consentement formel et libre de la part de Roger
père, qui, au moment où les laines furent enlevées des
magasins de son fils, se trouvait, par suite de la disparition
de celui-ci, dans une position embarrassée et critique dont
tout annonce que Severac a abusé.
La nullité de la vente était la conséquence forcée, dans
le premier cas, de la simulation ; de la fraude dans le second;
aurait-elle été consacrée dans l’un et dans l’autre si, la sin
cérité de la vente admise, il eût été certain que la déter
mination du prix en avait été déférée à des arbitres à dési
gner ? Aurait-on pu le faire sans méconnaître l’esprit et le
texte de la loi?
59. C’est sur quoi nous différons avec MM. D clvincourt
et T roplong. V oici nos raisons :
Le droit romain, nous l’avons déjà dit, paraissait, plus
�6!)
explicite que notre loi. A l’hypothèse d’une vente quanti
Titiiis æstimaverit, il ajoute sub hac, conditions staret venclitionem ut si quidcm
.pretium definierit, omni modo secundum ejusæslimationem et pretia persolvi,
et venditionem ad effectum pervenire.
On comprend que Vinnius on ait conclu que l’arbitrateur
devait être nommé dans le contrat, car, ajoute-t-il, si pre
tium alieno arbitrio generaliter permission sit, placet emptionem non contrahi.
Mais cette conclusion n’était pas universellement reconnue
et admise, l’opinion contraire, refusant à la loi tout carac
tère limitatif, avait de nombreux et graves partisans.
60. Les jurisconsultes italiens n’avaient pas hésité à se
prononcer pour cette dernière. Casaregis vient de nous l’at
tester. On pouvait, pour la détermination du prix, s’en réfé
rer d’une manière générale et sans désignation actuelle
arbitrio boni viri vel peritorum.
Le cardinal de Lucca est plus formel encore-, il admet
qu’on peut valablement s’en référer non in personam certain
a contrahentibus determinatam, secl inperitos in généré (*).
61. C’est à cette même opinion que se range notre illustre
et judicieux Pothier. On peut, disait-il, vendre une chose
pour le prix qu’elle sera estimée par des experts dont les
parties conviendront. Si, en ce cas, le prix n’est pas certain
au moment du contrat, il suffît qu’il doive le devenir par
l’estimation qui en sera faite.
Pothier ajoute : Quelques interprètes prétendent que ce
contrat est un contrat innommé qui donne lieu à l’action
præscriptis verbis, et qui imite seulement le contrat de vente
plutôt qu’il n’est un vrai contrat de vente, mais ces subtiles
distinctions ne sont pas admises dans notre droit français,
et ne sont d’aucun usage dans la pratique (De la Vente,n° 25).
62. La rationalité de cette interprétation de la loi romaine
ne saurait, à notre avis, être contestée. Si quelque doute à
ce sujet pouvait exister pour la vente ordinaire, il est
impossible d’en concevoir aucun pour ce qui concerne la
CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
ipsjî
(*)
De Empt. Vend., Disc.
q u i n o m in a t ü s e s t
30, n° 9.
�ACHATS ET VENTES
70
vente commerciale, que l’intérêt public exige de faciliter et
d’encourager. Comment dès lors lui imposer une condition
que les parties peuvent être dans l’impossibilité de remplirL’article 1592 du Code civil, moins précis que le droit
romain, n’a pu vouloir autre chose que ce que celui-ci
exigeait. Son caractère purement démonstratif résulte de ce
qu’il n’a pas prescrit la désignation actuelle à peine de
nullité.On ne pourrait donc prononcer celle-ci sans ajouter
à sa disposition.
On prêterait en outre au législateur une intention qu’il a
'au contraire formellement répudiée. En effet, sur la com
munication du projette Tribunat proposait d’ajouter à l’ar
ticle 1592 que les tiers seraient expressément désignés par
les parties. Cette proposition fut rejetée par le Conseil d’Etat.
On a donc refusé de faire de la désignation actuelle une
obligation pour les parties, comment dès lors faire résulter
de son inobservation la nullité du contrat ?
En réalité donc c’est la doctrine de Pothier que le Code
civil a entendu consacrer et a en effet consacrée. Loin d’être
rationnelle et juste, la doctrine contraire ne tend à rien
moins qu’à méconnaître l’esprit et le texte de la loi (Sic B. L.
S., n° 138).
6 3 . On objecte, à l’appui de cette dernière, que la condi
tion serait potestative, de telle sorte que le refus d’une des
parties de procéder à la nomination des experts étant un
obstacle invincible à la détermination du prix, le sort de la
vente se trouverait ainsi purement livré à leur discrétion.
M. Troplong suppose donc que lorsque les contractants,
au lieu de désigner les tiers dans l’acte, sont convenus d’une
expertise, le refus qu’ils feraient plus tard d’exécuter cette
convention est sans recours possible,et que la justice serait
impuissante à y remédier.
6 4 . C’est là accepter en fait ce qui est en question et con
fondre deux hypothèses essentiellement distinctes et qu’on
a toujours distinguées.
Tout recours judiciaire est interdit lorsque le tiers a été
désigné dans le contrat, la raison en est naturelle et simple.
La désignation au contrat prouve qu’on a exclusivement fait
�71
confiance à Ja personne qui en a été l’objet, on ne saurait
dès lors être contraint à donner malgré soi cette confiance
à tout autre qu’elle.
Pretium rei venclitæ, disait Gasaregis, si conferatur in arbitrium
m,non secuta declaratione contracius resolJvitur, non potest recurri ad officium judicis (Dics., 34, n° 28).
C’est en se plaçant au même point de vue que l’arti
cle 1592 déclare que si le tiers ne peut ou ne veut faire
l’estimation, la vente est nulJe.
Ainsi le recours à justice ne serait ni recevable ni fondé
doutes les fois qu’il aurait pour objet la substitution d’une
personne à celle qui a été nommée et désignée dans le con
trat. Cette désignation fait de l’intervention personnelle de
celle-ci la condition essentielle de la vente. Sans la confiance
que j’avais en sa probité, sa loyauté et ses lumières, dirait
la partie, je n’aurais pas traité sur ce pied. Or, comment
pourriez-vous me contraindre à transporter cette confiance
sur une autre personne à laquelle, à raison ou à tort, je ne
crois pas devoir la témoigner ?
Impossible de méconnaître l’autorité de ces raisons, et
c’est ce qui les faisait consacrer par"la Cour de Riom. Dans
cette espèce, l’expert choisi et désigné par le vendeur étant
décédé avant l’expertise, on prétendait obliger à son rem
placement.
Cette demande, accueillie en première instance, est repous
sée par la Cour qui réforme le jugement, attendu que les
parties, en convenant de la vente, étaient en même temps con
venues de leurs experts ; qu’elles avaient entendu faire déter
miner le prix, non par des experts en général, mais par des
personnes désignées et ayant leur confiance exclusive ; que
dès lors le vendeur ne pouvait être obligé déplacer ailleurs
la confiance personnelle qu’il avait en l’expert décédé.
On se pourvut en cassation, mais le pourvoi était rejeté
le 1er ventôse an X, considérant que la nomination des experts
a précédé la convention de vente ; conséquemment que les
juges d’appel de Riom n’ont contrevenu à aucune loi en déci
dant que la confiance personnelle du vendeur et de l’acheteur
en la probité des experts nommés était un des éléments essenCONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
pe r so n æ chut
�72
tiels de la convention, et qu’elle se trouvait l'ésolue par la
mort de l’un des experts avant l’expertise.
65.
Ces deux décisions, rendues avant la promulgation du
Gode civil, avaient exactement appliqué la règle du droit
romain. Car si, d'une part, Justinien veut que la décision
, du tiers soit souveraine et détermine la validité de la vente,
il déclare, de l’autre, que si ce tiers noluerit vel non potueritpretium définire, la vente est nulle pour défaut de prix (‘).
L’article 1592 du Gode civil commanderait aujourd’hui une
solution identique.
Mais ce qui ressort de l’un et de l’autre est une distinc
tion dont MM. Delvincourt et Troplong n’ont, à tort, terni
aucun compte. Puisque dans le cas donné, la nullité n’est
.consacrée que parce que les experts sont nommés dans la
convention, que parce que les parties se sont référées, non
à des experts en général, mais à des personnes désignées
auxquelles elles ont exclusivement fait confiance, il est évi
dent qu’en l’absence de l’une et l’autre de ces circonstances,
que, lorsque les parties, convenant purement et simplement
d’une expertise, ont traité en vue de l’opération et non des
personnes qui en seraient chargées, on ne saurait leur recon
naître le droit de revenir sur leur engagement et d’anéantir,
de leur seule volonté, le contrat. Les raisons qui devaient
faire concéder ce droit, juridiques et souveraines dans un
cas, ne pourraient même être alléguées dans l’autre. Il était
donc rationnellement impossible de leur donner un effet
identique. Cette distinction n’avait pas échappé aux docteurs
italiens qui en déduisaient la légalité du recours en justice
dans la seconde hypothèse. Ainsi Casarcgis, qui vient d’en
enseigner la non-recevabilité lorsque les experts ont été
nommés dans le contrat, ajoute :
Secus autem in venclitione facta simpliciter pro justo pretio,vel pretio perperitos declaranclo, vel pro pretiocommisso
boni viri arbitrio, seu æstirnatoribuspubliais, et hujus rnocli;
quia seenti in istis casibus non videtur electa industria alicujus certæ personæ,cuj us loco alla ex voluntate contrahena c h a t s
(*) L. 15, God.,
de Cont. ernpt.
et
v e n te s
�73
lium sobrogari nonpossit. Potest uno bono vivo vel aliquibus
peri/is seu æstimatoribus arbitrari nolentibus, vel impotentibus recurri ad arbitrium alterius boni viri, vel ad alios peritos, vel ad alios æstimatoresy vel saltemad judicem (‘).
Le cardinal de Lucca, de son côté, proclame la nullité de
la vente, si les experts nommés au contrat n’ont voulu ou
n’ont pu remplir leur mission. Sed, continue-t-il, si pretii
determinatio vernissa esset non in personam certain a contrahentibus determinatam, sed in perilos in genere, quibus
etiam specificatis sed non æstimantibus sed non arbitrantibus, intrat judicis arbitrium pro æslimatione ab aliis peritis
/amenda (8).
La rationalité de cette doctrine ne saurait être ici mécon
nue. A bon droit elle refuse tout caractère potestatif, à la
condition de nommer les experts qui doivent procéder à la
détermination du prix de la vente. Puisqu’il est licite de la
stipuler, il ne saurait être permis de se refuser à l’exécuter.
On peut et on doit y être contraint comme on le serait pour
tout autre engagement régulier et légal.
66. Nous dirons donc avec MM. Delamarre et Lepoitvin,
non, l’engagement dont s’agit n’est pas contracté sous une
condition potestative, il constitue une promesse incondi
tionnelle, et chacune des parties est astreinte par un lien de
droit ainsi qu’elles le sont toutes deux dans un contrat où
il est dit que l’exécution de la convention sera déterminée
par des arbitres. Or, lorsqu’une obligation existe et que les
contractants ne s’accordent pas sur son exécution, il est de
principe qu’on doit recourir à l’autorité du juge (3).
Nous ajouterons, avec M. Duvergier, que la partie qui
refuse de faire un choix est évidemment de mauvaise foi.
Elle ne peut dire que la désignation de tel ou -tel expert a
entraîné son consentement à la vente, et qu’on ne saurait
substituer personne à l’homme de son choix, puisqu’elle n’a
jamais choisi. Pourquoi donc se plaindrait-elle d’une nomi
nation faite par les tribunaux, lorsqu’elle avait un moyen
CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
(4) Disc., 34, n° 29.
(2) De Empl. vendit.,
P ) T . 3, n° 87.
Disc., 4,
n° 9 .
�ACHATS HT VENTES
74
facile de la prévenir en nommant elle-même, comme elle s’v
était engagée (').
En résumé, l’article 1592 ne fait pas de la désignation
actuelle des arbitrateurs la condition de la validité de la
vente, il permet de s’en référer à ceux dont on conviendra
plus tard. On ne saurait donc, sans se montrer plus sévère
que la loi, sans violer le principe que les nullités ne se sup
pléent pas, attribuer à cette clause l’effet d’anéantir la vente.
Consacrât-on le contraire en droit commun, qu’on devrait
décider autrement en matière commerciale, où l’impossibi
lité dans laquelle l’éloignement place les parties de s’enten
dre sur la personne des experts au moment du contrat, leur
fait une nécessité de stipuler de le faire plus tard.
La légalité de la convention a pour conséquence forcée
d’en assurer les effets, d’en commander l’exécution. On ne
saurait donc la considérer comme viciée de condition potes
tative. Elle constitue une obligation de faire qui se résou
drait en dommages-intérêts, si la loi n’en avait elle-même
réglé l’exécution, en déférant à la justice le choix de l’ex
pert que la partie refuse de désigner. On ne saurait donc
contester aux tribunaux le pouvoir de remplir la mission
dont ils sont investis.
Tout est donc subordonné à la nature du contrat; si les par
ties, s’en référant pour le prix à la décision d’autrui, ont en
même temps désigné le ou les tiers qu’elles entendent char
ger do ce soin, le refus ou l’impuissance du tiers ou de l’un
d’eux résout le contrat, en en rendant l’exécution impossi
ble dans la limite qui lui était tracée. Il est certain, dans
cette hypothèse, que la cause qui a déterminé le consente
ment respectif, est la confiance dans la personne indiquée.
Or, cette confiance ne se commande pas, et nul ne peut être
contraint de l’accorder malgré lui et contre son gré, même
par autorité de justice. M. Duvergier a donc raison de cri
tiquer un arrêt de la Cour de Paris, du 18 novembre 1831,
admettant dans ce cas l’intervention des tribunaux.
Que si la convention se borne à stipuler que le prix sera
(l) Continuât, de Toullier, t. 16, n° 153.
�75
déterminé par experts dont on conviendra, cette interven
tion est légitime, régulière et forcée. Ce que les parties ont
en vue, dans cette hypothèse, c’est une expertise, abstrac
tion faite des personnes qui en seraient chargées, aucune
d’elles ne peut raisonnablement prétendre avoir arrêté sa
confiance sur tel plutôt que sur tel; elles se sont respective
ment réservé le droit de choisir celui qui leur paraîtrait
digne de la mériter. Or tout droit a pour corollaire une obli
gation, et en stipulant celui-ci on s’est nécessairement engagé
à l’exercer envers celui que cet exercice intéresse et qui est dès
lors recevable etfondé à lecontraindre (Contra B.L.S, n. 138.)
Mais ces auteurs admettant que les tribunaux peuvent alors
fixer les dommages-intérêts dus par la partie qui refuse de
procéder à la désignation, cette divergence est sans intérêt
au point de vue pratique. C’est pourtant à ce système mixte
que s’est ralliée la Cour de Dijon (15 février 1893. D. 93. 2.
168;.
Les Cours de Rennes et de Bordeaux ont suivi la doctrine
de Troplong (Rennes, 26 janvier 1876. D. 77. 2. 107; Bordeaux, 6 février 1878. D. 79. 2. 38) et plus logique que Dijon,
Bordeaux a jugé que la vente étant alors nulle d’une manière
absolue, son refus d’exécution ne peut donner ouverture à
une action en dommages-intérêts. L’arrêt de Bordeaux est
surtout fondé sur les déclarations faites au Corps Législatif
dans la séance du 15 ventôse an XII. La Cour de Cassation
n’a pas voulu encore résoudre la question et s’est bornée à
décider,le 31 mars 1862 (D. 62. 1. 242) qu’en admettant la
nullité, cette nullité est couverte par les parties qui ont donné
ultérieurement à une personne dont elles ont convenu le
pouvoir de désigner les arbitres. Il en serait donc ainsi à
plus forte raison si les parties avaient elles-mêmes fait cette
désignation.
67. Si, en exécution du contrat, les parties ont choisi ulté
rieurement les arbitrateurs, pourra-t-on poursuivre le rem
placement de celui qui ne veut ou ne peut remplir la mis
sion dont on l’avait investi ?
Casaregis professait la négative quia non minus censetur
electa à contrahentibus personarum industria quas promiseCONDITIONS GÉNÉRALES.
10 F FIS T S
�ACHATS HT VENTES
70
runt notninare, qaam earurn quas a principio nominaverint.
L’admettre ainsi, c’est annuler le droit de recourir à jus
tice, tout au moins permettre de l’éluder. Celui qui a intérêt
à la résolution de la vente ne se laissera jamais citer en
justice, il se bornera à désigner une personne dont il se sera
assuré le refus. Autant donc vaudrait proscrire l’intervention
du juge, que Casaregis admet cependant dans le cas de
défaut de désignation dans le contrat même.
Il n’est donc pas possible, en proclamant le principe, d’en
abandonner l’application et les effets à la discrétion de celuilà même qu’on contraint à le subir ; et ce n’est certes pas
le motif donné par Casaregis qui rendrait raison d’une pa
reille anomalie.
La question de savoir si on a fait confiance à la personne
des experts ne peut être appréciée qu’à l’origine et par la con
duite des parties au moment du contrat. On devra la résou
dre affirmativement si la désignation a précédé ou accompa
gné l’accord.
Dans le cas contraire, les parties s’en étant référées à une
expertise en général, les raisons qui légitiment l’office du
juge pour la nomination militent également pour le rempla
cement. On ne pourrait donc consacrer une solution con
traire. Il faut que l’expertise sorte à effet, et tout ce qui
tend à aboutir à ce résultat est légitime et indispensable.
68. C’est par les mêmes considérations que nous résou
drons la question de savoir si, en cas départagé des experts,
on peut provoquer judiciairement la nomination d’un tiers,
lorsque rien n’a été statué à cet égard par les parties.
On consacrerait la négative si les experts ont été désignés
dans le contrat. Ce qui, dans ce cas, a déterminé les parties,
c’est la personnalité des hommes choisis, industria personarum; ce qu’elles ont voulu, c’est s’en référer exclusivement
à leur décision. Que l’absence de celle-ci tienne au refus ou
à l’impuissance des experts, ou à l’impossibilité de s’enten
dre, le résultat est acquis, l’effet est le même.
Si les experts n’ont été commis qu’après le contrat, soit
par les parties en exécution de l’engagement qu’elles en
avaient pris, soit par la justice, le partage doit être vidé. Il
�77
faut répéter ici ce que nous venons de dire pour la nomina
tion, pour le remplacement. Les parties s’étant purement
référées à une expertise, sont présumées avoir consenti à
toutes les mesures devant conduire celle-ci à des résultats
positifs. Qui veut la fin veut les moyens.
Il y aurait donc lieu à désigner le tiers expert. Gasaregis
enseigne que cette désignation serait valablement faite par
les experts dissidents. Notre droit n’admet pas qu’il en soit
ainsi. Les experts partagés ne pourraient élire le tiers que
s’ils y avaient été expressément et formellement autorisés ;
à défaut, la désignation ne peut être faite que par la justice.
Etant donné la jurisprudence que nous venons de citer,
cette opinion de Bédaride ne nous semble pas pouvoir être
adoptée sans réserve. La tendance actuelle nous paraît être
celle-ci: n’admettre l’intervention du juge que si elle a été
formellement prévue au contrat. A défaut la vente serait
nulle faute par l’expert choisi de remplir sa mission. Lau
rent interdit même aux parties le droit de s’en référer au
tribunal pour lui laisser le choix de l’expert. Cette opinion
isolée est évidemment inadmissible (B. L. S. n. 139).
69. La vente d’une chose au prix quelle vaut ou qu’elle
vaudra à une époque convenue est régulière et valable. Cette
vente, dit Pothier, est censée faite pour le prix à détermi
ner par des experts dont on conviendra. M. Troplong, accep
tant ce caractère, conclut à la nullité de la vente pour vice
de condition potestative.
Nous venons de démontrer l’erreur de sa doctrine dont il
fait ici une nouvelle application. Nous ajoutons que M. Tro
plong, comme Pothier lui-même, n’ont pas tenu assez compte
des exigences commerciales et du caractère spécial des opé
rations entre commerçants.
Nous comprenons que la vente d’un immeuble au prix
qu’il vaudra doive donner infailliblement lieu à une exper
tise, il n’existerait aucun autre moyen d’arriver à la déter
mination du prix. On pourrait aussi l’admettre dans la vente
de choses mobilières par un non négociant à un non négo
ciait. L’un et l’autre, en effet, ont entendu que la chose
COMMTIO.NS GENERALES. EFFETS
�ACHATS ET VENTES
78
devait être payée à sa valeur vénale et réelle, et comment
l’établir à défaut d’une expertise.
Dans la vente commerciale, au contraire, les parties n’ont
eu en vue que la valeur marchande. Or, celle-ci résultera
incontestablement des cours officiels et publics, des mercu
riales. A quoi bon dès lors une expertise qui ne puiserait
ses éléments et ses bases que dans ces documents ?
La vente commerciale d’une chose au prix qu’elle vaut ou
qu’elle vaudra, est donc faite au cours du jour de la vente,
ou de celui qui a été convenu et désigné ; une expertise
serait inutile et frustratoire et sa nécessité no serait admis
sible que si les parties l’avaient expressément stipulée. Leur
silence à cet égard ne peut être attribué qu’à l’intention de
s’en référer au cours authentique. On ne consent guère, en
commerce, à perdre du temps, à ajouter aux frais. Le parti
qui tend à les économiser est le seul qui convienne, le seul
véritablement rationnel.
70. Vendre pour le juste prix, c’est, en d’auti’es termes,
vendre la chose pour ce qu’elle vaut. Telle est la doctrine
professée par Pothier, admise par M. Troplong,
MM. Delamarre et Lepoitvm distinguent la vente de la
chose au prix qu’elle vaut, de celle faite pour le juste prix.
Ils enseignent que la première se règle par une expertise,
la seconde par le cours.
Cette distinction sur le caractère de la vente ne nous paraît
avoir aucun fondement sérieux, il n’y a de différence que
dans l’expression, au fond le but est le même. Les parties
ont entendu donner et recevoir la valeur marchande au jour
convenu. Nous ne saurions donc admettre une différence
dans l’exécution.
Nous hésitons d’autant moins à nous prononcer pour le
règlement par le cours dans le second cas, que nous consi
dérons cc règlement comme seul rationnel dans le premier.
Nous ne faisons donc aucune distinction, la vente au juste
prix, comme celle pour ce que la chose vaut, arrive à un
résultat identique. Le prix est déterminé par l’attestation des
courtiers, par l’extrait légal de la mercuriale de la place,
ou de la localité la plus voisine, si au domicile des parties il
�7!)
n’existe ni bourse ni marché. On ne recourrait à une expertise
que s’il s’agissait de denrées ou marchandises non cotées (*).
71. Dans tous les cas où la détermination du prix est lais
sée à l’arbitrage de tiers, l’estimation pourra-t-elle être atta
quée pour exagération ou insuffisance ?
Justinien semble décider la négative. La loi 13, au Code
De contrah. emptione dispose, en efiet, omni modo secundum æstimationem pretium solvatur, d’où Despeisses con
cluait que les parties étaient absolument sans action, même
dans l’hypothèse d’une estimation évidemment inique ; et
c’est ce qu’enseigne également M. Troplong.
Mais Cujas, mais Yoët professaient le contraire. Quod si
iniquum arbiler interposuerit arbitrium, dit ce dernier, ad
ipsum bonæ fidœi judicio, id est judicis officio, secundum
naturam negdtiorum bonæ fidœi ex æquo et bono corrigendum est (2).
A l’exemple de ces jurisconsultes, Pothier se prononçait
pour le recours aux tribunaux. Les contractants, disait-il, en
s’en référant à l’estimation d’un tiers, ont entendu non une
estimation purement arbitraire, mais une estimation tanquam
boni viri, une estimation juste. C’est l’avis de la Glose sur la
loi de Justinien (3).
Permettre d’attaquer l’estimation sous prétexte d’exagéra
tion ou d’insuffisance serait encourager la chicane et mul
tiplier les procès ; on ne peut contenter tout le monde et son
père, et il est rare dans ces occurrences que l’un ne se con
sidère pas comme sacrifié à l’autre.
Nous refuserions donc tout recours, même en cas d’une
exagération ou d’une insuffisance certaine, si elle n’est que
le produit d’une appréciation erronée, mais de bonne foi.
(§ic. Nancy, 24 avril 1884 et Bastia, 1er février 1892. D. 92.
2. 143. B. L. S. n° 140).
■ CONDITIONS GÉNÉBALES. EFFETS
t1) N o u s v e n o n s de v o ir q u ’a u jo u rd 'h u i o n e x ig e g é n é ra le m e n t p o u r la v a li
d ité de la v e n te d o n t un tie rs d o it fixer le p rix q u e ce tie rs so it d é sig n é p a r les
p a rtie s e lle s-m ê m e s d a n s l’a c te de v e n te o u u lté rie u re m e n t sa n s a u to rise r l ’i n
te rv e n tio n du jiig e . Il en ré s u lte q u e c ’e st l ’o p in io n de T ro p lo n g q u i d e v ra it
ê tre su iv ie c o n tra ire m e n t à celle é m ise a u x n°® 69 et 70. ( B .L .S ., n° 132),
(-’) Ad Pandeclas, de Conl. empt., n° 23.
(3) Vente, n" 2 i.
�80
ACHATS ET VENTES
L’appréciation évidemment inique nous a paru comman
der une autre solution, et un nouvel examen nous a confirmé
dans cette conviction. Nous persistons donc à croire que
l’immoralité doit être sévèrement réprimée partout où elle
se produit ; que la fraude faisant exception à toutes les règles,
celle des experts ne saurait nuire ni profiter à personne (*).
72. Enfin on s’est demandé si la stipulation: je vous vends
telle chose pour le prix qu’on m’en offrira, constituait une
vente régulière et valable.
« Je ne crois pas, disait Pothier, qu’une telle convention
puisse être admise comme contrat de vente dans les tribunaux,
elle donnerait lieu à trop de fraude. L’acheteur pourrait inter
poser une personne qui offrirait un prix très bas pour avoir
la chose à vil prix ; et le vendeur pourrait en interposer une
qui offrirait un prix très haut pour la vendre plus cher. D’ail
leurs, le vendeur qui ne voudrait pas tenir le contrat pour
rait cacher les offres qui lui auraient été faites. On ne peut
donc admettre cette convention comme contenant un contrat
de vente (2). »
Cette opinion est accueillie par M. Troplong, qui ne recon
naît pas à ce contrat le caractère de la vente (3).
MM. Delamarre et Lepoitvin soutiennent le contraire. Ce
contrat, disent-ils, repose sur la confiance que les parties ont
l’une dans l’autre, et la crainte de l’abus ne peut suffire à le
rendre impuissant. La fraude ne se présume pas, et la faci
lité qu’elle aurait à se produire ne peut avoir d’autre résul
tat que celui d’éveiller la sollicitude du juge, et de le rendre
moins exigeant sur le caractère et la nature de la preuve (4).
Nous avouons n’être pas convaincu de la légalité de cette
doctrine, qui fait par trop abstraction des conditions que la
validité de la vente exige.
11 faut surtout un prix certain. On a bien pu réputer
tel celui qui per relationem est certificahile. On le com
prend, lorsque les parties ont agi en vue d’un événement
(*) N o tre Traité du
(2) Vente, n° 27.
(3) N* 113.
(4) T . 3, n« 94.
dol et de la fraude,
n °s 971 et su iv .
�81
qui se réalisera certaiaement avec ou sans leur concours.
Ainsi, dans les hypothèses que nous venons de parcourir,
le prix est bien inconnu au moment du contrat. Mais il
résultera d’une manière précise, soit de l’expertise, soit de
l’extrait du cours officiel ou des mercuriales, et le droit d’une
des parties de poursuivre l’une ou de produire ces derniers
appartient également à l’autre, elles pourront donc l’une et
l’autre contraindre à l’exécution du contrat.
Aucun de ces caractères ne se rencontre dans la vente pour
le prix qu’on m'offrira. A l’incertitude du prix vient se join
dre celle de l'événement dont on en fait dépendre la déter
mination. Offrira-t-on un prix quelconque, et si on n’en offre
aucun, quel sera le sort du contrat ? Peut-on admettre dès
lors que le prix est certificabile per relationem ?
Puis, si une offre est faite, mais qu’elle ne réponde en rien
aux prétentions et à l’espérance du vendeur, son intérêt ne
lui commandera-t-il pas de la laisser ignorer, et s’il obéit à
cet intérêt, quel moyen aura l’acheteur d’avoir raison de ce
manquement à la foi promise, comment le reconnaîtra-t-il, à
moins que l’auteur de l’offre n’ait été préposé par lui à l’effet
de se procurer la chose à un prix plus ou moins vil.
Il est vrai que de son côté le vendeur pourra préposer
quelqu’un qui lui offrira un prix en dehors de toute propor
tion avec la valeur réelle de la chose. Faudra-t-il donc, parce
que ces manœuvres ne pourront être connues et prouvées,
sacrifier nécessairement l’un ou l’autre, et dans tous les cas
remettre le sort delà vente à la discrétion exclusive duvendeur. •
La plus simple raison protestait contre ce résultat, et Po
thier ne faisait qu’obéir à ses inspirations en le repoussant.
Sans doute la loi n’a pu toujours se conformer strictement
à ce qu’elle enseigne, mais elle le pouvait et le devait dans
cette circonstance. Le mal était imminent au point d’exiger
un remède immédiat ; ce remède était tout simple, la nul
lité do la vente. (B.L.S.,n° 133).
73. Une convention, objectent MM. Delamarre et Lepoilvin, est légalement formée lorsque la loi ne la défend pas et
qu’elle n’a rien de contraire aux lois qui intéressent l’ordre
public et les, bonnes mœurs.
CONDITIONS GÉNÉBADES. EFFETS
A chats et ventes
6
�82
ach ats et
ventes
Sans doute, la loi n’a pas prohibé de traiter dans la con
dition dont nous nous occupons. Aussi, verrons-nous bientôt
qu’elle n’a pas refusé tout effet au contrat. Mais, dès que pour
la validité de la vente elle exigeait un prix certain, ce contrat
ne pouvait être une vente, non parce qu’il était légalement
présumé frauduleux, mais parce qu’il n’offrait ni prix certain,
ni prix déterminé par relation.
Nous pourrions ajouter qu’il n’y a pas môme de la part du
vendeur volonté actuelle de vendre. Son engagement est bien
plutôt la promesse de mettre plus tard la chose en vente,
et ce n’est qu’au moment et au moyen de sa réalisation qu’il
sera dans le cas de recevoir des offres. Or, cette promesse,
ne dépend-il pas uniquement de lui de la tenir, et quel moyen
aurait-on de l’y contraindre.
74. Pothier a donc raison, et d’avance il a répondu à l’ob
jection de MM. Delamarre et Lepoitvin. En effet, la proxi
mité de la fraude n’est pas pour lui une raison délaisser le
contrat sans effet aucun, èt s’il lui refuse le caractère de
vente, il n’hésite pas à en déduire un engagement licite.
« Cette convention, dit-il, pourrait être considérée comme
une convention par laquelle le propriétaire de l’héritage
s’obligerait envers l’autre partie à lui accorder la préférence
lorsqu’il voudrait vendre, et cette obligation l’engagerait à
ne point vendre à un autre, qu’il n’eût énoncé auparavant à
cette partie le marché qui lui est offert, avec sommation de
déclarer dans un temps court s’il entend acheter aux condi
tions proposées (’). »
Cette doctrine a, à nos yeux, un mérite incontestable, celui
de donner au contrat son véritable caractère et de lui assi
gner les seules conséquences qu’il puisse produire. Comme
nous venons de le dire, en effet, il est bien plutôt une pro
messe de vendre in futurum qu’une vente actuelle. (li.L.S.,
n" 133, in fine).
MM. Delamarre et Lepoitvin ne voient dans cette doctrine
qu’un mezzo termine et ils le repoussent en ces termes :
« Si l’on craint que vous n’interposiez une personne pour
m'offrir un prix très bas et consommer ainsi un achat frau(*) V e n te , n° 27.
�CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
83
<1aïeux, qui empêche l’emploi cia même moyen pour m’obli
ger à vous sommer de prendre ma chose au même prix ?
L’un n’est pas plus difficile que l’autre; et, quant aux preu
ves de l'offre, vous n’aurez pas omis d’y songer. Est-ce la
peine cle fermer la porte à une fraude pour la laisser ouverte
à une autre fraude d’une égale facilité et qui parvient au
même but (l). »
Nous ne comprenons pas ce reproche et surtoutla conclu
sion qu’en tirent MM. Delamarre et Lepoitvin. S’il ne faut
lias fermer une porte à la fraude pour en ouvrir une autre,
il faut encore moins les lui ouvrir l’une et l’autre, et c’est ce
que font nos auteurs.
D’ailleurs, la doctrine de Pothier atteint-elle le résultat
qu’on lui prête? A quoi servirait au vendeur de se faire offrir
un prix exagéré et de sommer l’acheteur de prendre à ce
prix ? Ce dernier, en acceptant la préférence qui lui a été
promise, ne s’est pas engagé à en profiter, il est demeuré libre
d’agir à ses convenances, et son refus d’obtempérer à la
sommation ne pourrait avoir d’autre effet que de dégager le
vendeur de sa promesse, et de lui rendre la liberté de dispo
ser de sa chose comme il l’entendrait.
En réalité donc la doctrine de Pothier, au mérite déjà si
gnalé, joint cet autre de couper courtàtoute espèce defraude.
En rendant une interposition quelconque sans résultat pos
sible, elle en prévient toute tentative.
M. Pardessusn’a pas hésité à adopter et à enseigner l’avis
de Pothier. « La vente qu’une personne fait à une autre d’une
chose pour le prix qu’on m’en offrira, est valable, dit-il, non
pas précisément en ce sens que l’acheteur sera obligé de payer
au vendeur le prix que celui-ci prétendra lui avoir été
offert, ou même que telle ou telle personne indiquée par lui
déclarerait lui offrir, mais en ce sens que celui qui a fait la
promesse ne sera libre de vendre à un autre qu’après avoir
dénoncé à celui envers qui il s’est engagé qu’on lui offre tel
prix et l’avoir sommé de prendre la chose à ce prix, ou de
lui laisser la liberté d’en disposer (3). »
(*) T . 3, n» 94.
<s) N» 275.
�.
84
ACHATS ET VENTES
En d’autres termes, la vente pour le prix qu’on m’offrira
laisse le vendeur libre de vendre plus tard ou non, selon
qu’il le jugera convenable ; il ne peut être contraint à le
faire, mais il ne peut le faire sans tenir l’engagement d’ac
corder la préférence à celui avec qui il a d’abord traité,
sans l’avoir mis en demeure de revendiquer cette préférence.
(B.L.S., loc. cit.).
L’acheteur, de son côté, en acceptant la promesse qui lui
en était faite, ne s’est pas irrévocablement lié. Il n’a qu’un
droit auquel il peut renoncer ; le refus qu’il ferait de l’exercer,
soit expressément, soit en ne s’expliquant pas sur la somma
tion qui lui en est faite, dans le délai indiqué, laisserait le
vendeur libre de vendre à tout autre.
75. La règle Sine pretio certo nulla venditio est com portet-elle exception ?
Cette question ne peut s’agiter que dans une seule hypo
thèse, à savoir : lorsque la chose a été livrée et reçue avant
que le prix en ait été définitivement arrêté et convenu. Gom
ment annuler la vente si après avoir reçu la chose le prétendu
acheteur l’a lui-même revendue et livrée.
On devrait donc la maintenir et suppléer au silence des
parties sur le prix.
Tant que la vente n’a pas reçu son exécution, l’absence de
convention sur le prix ne permettrait pas cette exécution, l’un
ne pourrait être contraint à livrer, l’autre à recevoir. Cette
règle est absolue et ne comporte aucune exception.
76. Si l’acheteur prétendu, ayant la chose en mains, en
a disposé lui-même, il faut quant à ses obligations envers
le propriétaire, distinguer :
Si la chose ne lui avait été remise qu’à titre de dépôt, de
consignation ou de gage, il n’a pu même se croire autorisé
à l’aliéner sans avoir consulté le propriétaire et reçu son
consentement. Il aurait donc sciemment vendu la chose d’au
trui, et par conséquent encouru l’obligation de réparer le
préjudice qui en serait résulté.
Dès lors si le cours au jour de la demande était supérieur
à celui auquel il a revendu, c’est du premier qu’il devrait
tenir compte. La baisse qui serait survenue dans l’intervalle
�8o
de la revente au jour de la demande ne saurait lui profiter,
il serait dans ce cas tenu de restituer tout ce qu’il aurait
lui-même touché.
77. S’il a reçu la chose par suite d’une vente projetée entre
lui et le propriétaire avec condition de convenir ultérieure
ment du prix, il ne devait et ne pouvait en disposer qu’après
sa détermination. L’impossibilité dans laquelle il serait placé
de la restituer en nature l’obligerait à en payer la valeur.
Mais il ne serait ni recevable ni fondé à en demander la
détermination par expert. Ce mode exceptionnel ne pouvant
être admis que lorsque d’une part il a été expressément con
venu, que de l’autre la chose à expertiser existe encore et
peut être soumise aux experts.
Ce qu’il devrait, c’est le prix coté dans la facture qui
aurait accompagné l’envoi, et qui l’accompagnera le plus
souvent, parce qu’elle est l’élément le plus essentiel à une
revente. Comment exécuter utilement celle-ci, si celui qui
achète dans ce but ne connaît pas le prix de revient.
Sans doute la facture, œuvre personnelle du vendeur, ne
peut dicter la loi à l’acheteur. Le droit de celui-ci de pro
tester contre ses énonciations, môme de refuser les marchan
dises,ne saurait être ni méconnu ni contesté. Mais si recevant
celles-ci il en dispose à son tour, il sera justement considéré
comme ayant accepté les prétentions du vendeur, et au be
soin avoir abandonné les réclamations qu’il avait d’abord
élevées et dont il n’a pas attendu le règlement. Dès lors, en
exigeant de lui qu’il paye le prix facturé, on ne lui impose
que la loi qu’il s’est bien volontairement faite, que les con
séquences naturelles de son fait propre et personnel.
Que si, contre toutes probabilités, la chose a été remise
sans facture, sa disposition ultérieure par l’acheteur n’est
pas moins reprochable. Il ne pouvait ignorer qu’il ne pou
vait en être le propriétaire et en exercer les droits que par la
régularité de la vente ; que cette régularité exigeait la déter
mination du prix entre lui et son vendeur ; que la revente
par lui opérée avant toute entente à ce sujet était illégitime,
et qu’il en était seul responsable. Or, l’autoriser dans ce cas
à imposer au vendeur les chances incertaines d’une experCONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
�A
' .
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ï
8G
»?■
«?
ACHATS ET VENTES
tise dont il avait même fait disparaître l’élément le plus es
sentiel, serait rendre celui-ci victime d’une faute à laquelle
il n’a en rien participé.
Il devrait donc être condamné à payer au cours le plus
élevé du marché au jour de la demande (*).
78. Comme exemple de vente faite sans désignation de
prix, M. Pardessus cité" l’envoi de marchandises en compte
courant. Cet exemple ne nous paraît pas heureusement choisi,
il n’est pas présumable, en effet, que cet envoi ne soit pas
accompagné d’une facture indiquant les prix des objets qui en
font la matière, et annonçant ainsi les prétentions de l’ex
péditeur.
Dans tous les cas, il est certain que celui-ci, portant l’en
voi au débit du compte de l’acheteur, demandera à celui-ci
de l’en créditer. Or, le compte ne se réfère jamais à telles
ou telles marchandises, il mentionne le montant de leur valeur.
Donc le prix sera déterminé soit par la facture, soit par la
correspondance, au moins de la part du vendeur, et,comme
nous venons de le dire, la revente des marchandises avant de
s’en être expliqué et entendu serait l’acceptation la plus
énergique de ce prix. En conséquence, on obligerait le récep
tionnaire à l’acquitter intégralement.
79. Le prix de la vente peut-il être stipulé en services ou
travaux? On ne voit pas, dit M. Emile Vincens, ce qui empê
cherait de le faire. On ne saurait en effet se créer un doute
sur la validité d’une pareille vente, si d’ailleurs elle offrait
un prix certain et sérieux ; dans l’hypothèse suivante, par
exemple, je vous vends cette chose au prix de 1.000 francs
payables en services ou travaux.
La loi pouvait bien et devait exiger que la vente eût un
prix, mais elle n’avait pas à intervenir quant au mode de son
paiement, Non enimpretii numeratio, sed conventio, perficii
emptionem. ■
Or, dans notre hypothèse, le prix est convenu, déterminé,
certain, l’exigence et la promesse de services ou travaux
constituent le mode de libération que les parties étaient li(i) R e n n e s , 3 a v ril 183)
%
�87
bres cl’adopter dès qu’il était dans leurs convenances res
pectives.
On ne saurait donc refuser au contrat le caractère de la
vente, ni en contester la régularité.
Devrait-on le décider ainsi dans l’hypothèse suivante que
se proposent MM. Delamarre et Lepoitvin : Je vous donne
et vous livre mon bateau à vapeur le Vulcain, vaille- que
vaille, à la charge par vous de diriger ou de surveiller la
construction d’une frégate que je dois livrer à Jacques (*).
Ces honorables jurisconsultes estiment avec raison que ce
contrat n’est pas une vente. Il n’y a aucun prix fixé ni au
bateau, ni aux services exigés. Ce que les parties ont fait,
c’est un contrat de louage d’œuvres et d’industrie dont la
rétribution est convenue à forfait et payée d’avance, et qu’il
est loisible à la partie de résilier dans le cours de l’exécu
tion.
CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
En effet, aux term es de l ’article 1794 du Code civ il, le m aî
tre peut résilier par sa seule volon té le m arché à forfait,
quoique l ’ouvrage soit déjà com m encé, en dédom m ageant
l ’entrepreneur de toutes ses d ép en ses, de tous ses travaux
et de tout ce qu’il aurait pu gagner dans son en treprise.
80. On comprend combien, au point de vue de l’applica
tion de cet article, est importante la détermination de la na
ture du contrat. Ainsi, dans l’hypothèse de la vente d’une
chose au prix de 1.000 francs payables en services ou travaux,
il n’y a ni forfait, ni maître, ni entrepreneur. On n’y ren
contre qu’un vendeur et un acheteur, et un mode de paie
ment du prix. Il enrésulte que le premier ne peut poursuivre
la résiliation du contrat qu’à défaut et sur le refus du second
de tenir son engagement, dont il peut réclamer l’exécution
en justice.
Ce droit ne saurait appartenir à celui qui dans notre hypo
thèse accepte la direction ou la surveillance de la construc
tion de la frégate moyennant l’abandon du bateau à vapeur
le Vulcain. Il peut être remercié en tout temps, en tout état
de cause.
(1) T . 3, no 110.
�— r * Ttf------- **--»<*■ -«***•'»'*■ '------------------ -”
88
ACHATS ET VENTES
Pourrait-il retenir, le congé se réalisant, le bateau qu'il
a reçu? Je l’aurais incontestablement gagné si le contrat eût
reçu son exécution, dira-t-il. Or, si l’article 1794 vous donne
la facilité de résilier, il vous impose l’obligation de me dé
dommager de tout ce que j’aurais gagné dans l’entreprise.
Or, ce que j’aurais gagné, c’est le bateau.
Nous ne voyons pas ce qu’on pourrait répondre à cette
prétention. On dira qu’elle ne tend à rien autre qu’à retirer
au maître la faculté que lui confère l’article 1794 du Code
civil, il est évident, en effet, que puisque le congé no le fera
pas rentrer en possession de son bateau, il se gardera bien
de le donner. Mais pourquoi s’exposait-il à cette chance, il
était libre de traiter aux conditions ordinaires, de ne s’en
gager à rétribuer qu’à la fin de l’entreprise, s’il lui a plu
d’agir autrement, comment pourrait-on l’exonérer des con
séquences de son fait propre et personnel.
La faillite du maître autoriserait-elle la masse à revendi
quer le bateau? Oui, répondent MM. Uelamarre et Lepoitvin
puisqu’on ne saurait dire que l’entrepreneur ait acheté le
bateau. Mais ces honorables jurisconsultes enseignent que
l’article 1794 est opposable à la masse, qu’en conséquence
elle ne pourrait reprendre le bateau qu’à la condition de
dédommager l’entrepreneur de ses travaux et de tout ce qu’il
aurait pu gagner en exécutant le marché.
Et alors ne dira-t-on pas à la masse ce qu’on dirait au
propriétaire lui-même. Ce que j’aurais gagné en exécutant
l’entreprise a été déterminé par la convention, et si cette
convention vous lie quant au principe, elle doit vous lier
quant à ses conséquences, donc le bateau m’appartient, puis
qu’il m’aurait appartenu si le contrat avait été exécuté.
Il y aurait là l’origine d’une fraude fort dangereuse pour
les créanciers ; leur débiteur pourrait aux approches de la
faillite, sous prétexte de services ou travaux plus ou moins
réels, transporter à un tiers complaisant une partie de son
actif.
Le législateur n’a pu encourager cette fraude en s’inter
disant le moyen de la réprimer. Or, ce moyen existe dans
la législation spéciale et dans les conséquences de la faillite.
�89
La délivrance du bateau aux mains de l’entrepreneur n’étant
pas une vente sera ou le paiement anticipé, ou un nantis
sement, ou un gage en garantie d’une dette non échue, elle
sera donc, envers la masse, nulle et de nul effet, si elle a
été réalisée depuis l’époque déterminée, comme étant celle
de la cessation de paiements, ou dans les dix jours qui l’ont
précédée (*).
Admettez maintenant que le contrat et son exécution, quant
à la remise de l’objet convenu, aient eu lieu en temps non
suspect, la revendication de cet objet par les créanciers pen
dant la durée de l’entreprise devra-t-elle être écartée? Nous
ne saurions le croire. A notre avis, l’article 1794 est spécial
et exclusif au cas qu’il prévoit. Il était juste en effet que
celui qui revient sur ses engagements, sans autre motif que
sa volonté ou son caprice, rendît l’autre partie indemne du
préjudice que cette rupture lui occasionne. L'article 1794
ne fait pas autre chose que déterminer les dommages-inté
rêts que l’inexécution, surtout purement volontaire, doit léga
lement entraîner ; qu’appliquer le principe des articles 1147
et 1149 du Code civil.
La rupture du contrat par la faillite s’opère par la seule
force de la loi, elle n’a rien de volontaire et constitue évi
demment un fait de force majeure. L’exécution du contrat
étant désormais impossible, comprendrait-on que l’entre
preneur pût exiger de la masse le gain que lui qiromettrait
son entreprise ? Peut-il reprocher aux créanciers une dis
continuation, une inexécution qu’ils sont forcés de subir euxmêmes, qu’ils sont, de plein droit, dans l’impuissance de
prévenir et d’empêcher. Où serait donc le fondement équi
table et juridique des dommages-intérêts qu’on allouerait con
tre eux?N’est-ce pas d’ailleurs ce que l’article 1148 du Code
civil ne permet pas de faire?
Nous croyons donc que la faillite du maître se réalisant,
l’entrepreneur n’a autre chose à exiger que le dédommage
ment des travaux qu’il a exécutés jusque-là, des peines et
soins qu’il a donnés à l’entreprise. Il serait donc obligé de
CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
(*, A rt. 446, C. co m .
�ACHATS ET VENTES
90
instituer la chose qui lui avait été remise à titre de paie
ment intégral, et qu’il ne peutprétendrclui avoir été vendue.
Mais il nous paraît qu’on ne saurait lui contester la qua
lité de créancier gagiste. Il pourrait donc comme tel se faire
payer par privilège sur le prix de la chose de ce qui serait
reconnu lui être dû (').
81. La troisième condition requise pour la validité de la
vente est le consentement respectif des parties. Comme pour
tous les autres contrats, ce consentement ne puise son effi
cacité que dans sa pureté. Il doit donc émaner d’une per
sonne capable, et être le résultat d’une volonté spontanée,
éclairée et libre. Il serait sans effet possible s’il a été donné
par erreur, surpris par le dol ou la fraude, arraché par la
violence. (Art. 1109 et suiv. C. C.).
Indépendamment de ce caractère général, le consentement
dans la vente exige d’autres conditions. Le concours des
volontés doit exister sur la nature du contrat, sur la chose,
sur le prix.
82. Il est évident, en effet, que si les parties diffèrent sur
la nature du contrat, que si celui-ci entend vendre, celui-là
recevoir à titre de consignation, de dépôt, de nantissement
ou de location, ou réciproquement, il n’v a entre eux aucune
convention valable. Il n’existe pas de vente surtout, car, en
ce qui la concerne, différer sur la nature de l’opération, c’est
comme si on ne s’était pas entendu sur la chose ou sur le
prix, cæterum sive in ipsa venditione dissentiunt, sive in prelio, sive in quo alio, emptio imperfecta est (?).
En conséquence l’engagement contracté en l’état de cette
divergence des volontés ne crée aucun droit en faveur
ou contre les parties, quelque probable qu’il fut d’ailleurs
que l’une eût accepté le but que se proposait l’autre. Ainsi
dans l’exemple cité par Pothier d’une maison que l’un enten
dait vendre, que l’autre a entendu affermer pour neuf ans,
(’) L a so lu tio n de c ette q u e stio n a p p a rtie n t p lu tô t à u n tra ité s u r le lo u ag e
d ’o u v ra g e o u la fa illite q u ’à u n e é tu d e s u r la v e n te . L e p rin c ip e q u e la faillite
ré s o u t les c o n tra ts p a ra ît a u jo u rd ’h u i a b an d o n n é (V o ir B . L . W a lh , Traité du
louage, n° 3082 et la n o te so u s P a r is , 19 m ai 1892. S . 9 5 . 2 . 198. L . R . fail
lite, no 888).
(2) L. 9, D ig. De cont. empt.
�91
au prix de 9.000 francs, il est évident que ce dernier, qui
donnait cette somme pour se procurer une jouissance tempo
raire, soutiendra avec raison qu’il l’aurait à plus forte raison
donnée pour devenir propriétaire définitif et inGommutable.
Mais vainement invoquerait-il cette certitude, vainement ten
terait-il de contraindre à la délivrance de la maison, le défaut
d’entente sur le caractère du contrat qui a existé à l’origine
enlève toute efficacité à ce contrat, qui n’est ni une vente ni
même un louage. Il n’a donc conféré aucun droit non seu
lement à la propriété, mais encore à la jouissance.
Il en serait de même des marchandises expédiées comme
vendues, et que le destinataire n’entendait recevoir qu’à titre
de consignation ou de dépôt. Là divergence des volontés
démontrée et acquise, les marchandises feraient retour à leur
propriétaire. Le réceptionnaire ne pourrait ni être contraint
à-les garder pour son compte, ni exiger de l’expéditeur qu’il
les lui laissât à titre de consignation ou de dépôt.
Ainsi donc, et avant tout, le concours des volontés doit
exister sur le caractère du contrat, sur le but qu’il se pro
pose. Ce n’est pas par l’intention d’une des parties qu’on
peut apprécier ce qu’elles ont fait l'une et l’autre, il faut
une intention commune et identique de part et d’autre, et
celle-ci n’est efficace que si elle tend à un même but. Ce n’est
qu’à cette condition qu’on rencontrera ce consensus in idem
placitum, sans lequel il ne saurait exister de contrat.
De jure, disait Casaregis, non si _attende, cio, che abbia
potuto pensare, o credere una clelle parti, ma solamente cio
che clal contratto appcirisce essere stato convenuto e considerata insieme dall’ima e l’altra parte (’).
8 3 . La vente offerte et acceptée ne s’exécute régulière
ment et valablement que s’il existe une chose devant en faire
la matière ; et que si ce que l’un a entendu livrer est bien ce
que l’autre a entendu recevoir. Si le vendeur a traité d’une
chose, l’acheteur d’une autre, il n’y a pas de vente, pas même
une chose pouvant en devenir la matière.
Le concours des volontés doit donc exister sur la chose
CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
P)
Disc-, 119,
n" 68.
�ACHATS ET VENTES
Ü2
comme sur le caractère du contrat. Or, ainsi que l’observent
MM. Delamarre et Lepoitvin, toute chose corporelle est cons
tituée par sa forme et sa matière. Il faut que les parties se
soient entendues sur l’une et sur l’autre.
Aussi n’y aurait-il pas vente :
1° Si l’un voulant vendre des laines ou du vin, l’autre
avait entendu acheter de la soie ou de l’huile ;
2° Si, d’accord sur la matière, on ne s’était pas entendu
sur la forme. Je veux acheter une montre en or, vous enten
dez une coupe de la même matière ;
3° Si, d’accord sur la forme, on ne l’a pas été sur la ma
tière. Par exemple un meuble que l’un entendait être garni
en moquettes, l’autre en velours ou en soie.
Indépendamment de leur espèce, il est une infinité de
marchandises qui ne sont spécialisées que par la quantité
pour laquelle on traite, par leur provenance. Il faut donc,
pour que Ja vente existe régulièrement, que les parties
soient tombées d’accord sur l’une ou sur l’autre.
L’achat et la vente de blés, vins ou laines qui ne spécifie
raient pas la quantité en hectolitres, en pièces, en balles, ne
porteraient sur rien et ne créeraient par conséquent aucun
lien légal et obligatoire, à moins que la chose vendue fût
déterminée par le lieu où elle se trouve reposée. Les blés
renfermés dans tels magasins ou à bord de tels navires ; les
huiles de la pile n° 1 de tel domaine.
Enfin, la vente serait nulle ou de nul effet si l’un voulant
acheter de l’huile de Provence, ou du blé du pays, l’autre
avait entendu vendre de l’huile de la rivière de Gênes, ou
du blé de Russie ou de Turquie.
84. Le concours des volontés n’est pas moins indispen
sable sur le prix. Nous venons de voir qu’il doit être sérieux
et certain. Où serait cette certitude, si l’un vendant à un
prix, l’autre n’a entendu offrir et n’en a réellement offert
qu’un moindre ? Il n’y a en cet état que deux propositions
distinctes, et l’on ne pourrait rationnellement adopter l’une
de préférence à l’autre.
Qu’en serait-il si le prix offert par l’acheteur était supé
rieur à celui demandé par le vendeur ?
�n
Pothier estime que la vente est régulière et doit sortir à
effet au prix coté par le vendeur. Si l’acheteur, dit-il, compte
par erreur acheter plus que la somme pour laquelle le ven
deur voulait vendre,le contrat de vente vaut pour la somme
que le vendeur voulait vendre, et il est vrai que les parties
sont convenues de cette somme, car elle est comprise dans
la plus grande somme pour laquelle l’acheteur a voulu ache
ter. Celui qui veut acheter pour une plus grande somme,
veut acheter pour la moindre qui est comprise dans la plus
grande (‘).
La rationalité de cette doctrine a paru à nos jurisconsul
tes modernes devoir en assurer la consécration. Ils admet
tent, en conséquence, la validité de la vente au prix demandé
par le vendeur, et reconnaissent aux parties le droit d’en
contraindre l’exécution.
8 5 . Le consentement respectif doit-il également interve
nir, dès l’origine du contrat, sur les clauses-conditions ?
Peut-on se réserver à s’en entendre plus tard ? Le défaut
d’entente entraînerait-il la nullité de la vente ?
La solution de ces questions nous paraît subordonnée au
caractère de la clause-condition. Il est évident que si elle
est telle que l’un des contractants lui ait subordonné la
naissance de l’engagement, il faut dire avec MM. Delamarre
et Lepoitvin que la vente n’existera que par l’accord des
volontés qui seul créera cet engagement.
Mais devrait-on le décider ainsi lorsque la vente parfaite
par la réunion des conditions requises, la clause-condition ne
se référera plus qu’au mode d’exécution à donnerai! contrat?
Cette distinction, nous la rencontrons dans le droit ita
lien. Casaregis nous enseigne, en effet, qu’autres choses
sont les pactes subtantialia, autres choses pacta accidenlalia.
Accidentalia dicuntur, continue notre auteur, quæ præter
tria substantiel rei, pretii et consensus apponuntur in con
tracta emptionis, et tcili casa possunt conferri in arbitrium
tertii et contrahentis, ideoque contractum emptionis in quo
intervenerunt, res, pretium et consensus, Hcet illi acljiciatur
CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
(*)
Vente,
n° 36.
�94
ACHATS ET VENTES
a contrahentibus, con li patti e condizione, e cautele, che si
aggiusteranno, d’accordo Ira li contraenti, perfectum esse et
valere dixit Rota decisio 37,parte 4, toma 2.
86. La même Rote, dans sa 307° décision, à la question
quelles étaient les conditions de qaibus contrahentes potuerunt aggiustere, répond : Ea nempe êsse rem libéré tradere,
dare fidejussores. evictionis,vel saltem pro assecuratione pretii, mensurationem, liquidationem in qaibus si partes discordarent, ea remitti debeant ad officium judicis(').
Rien dans notre droit ne répugne à cette distinction et à
ses conséquences. La vente est aujourd’hui ce qu’elle a tou
jours été, un contrat consensuel, valable dès qu’il y a accord
sur la chose et sur le prix, quoique la chose n’ait pas encore
été livrée ni le prix payé (2).
Comment donner dès lors aux difficultés que la délivrance
ou le paiement du prix pourrait faire naître l’effet de déga
ger les parties de leur engagement respectif? La vente faite
sans que les parties eussent réglé l’une et l’autre en seraitelle moins une vente ? Dès lors, s’il est loisible aux parties
de se taire à ce sujet, comment leur interdire de se réserver
à en convenir plus tard ?
Nous convenons avec MM. Delamarre et Lepoitvin que
l’homme ne saurait faire que le contrat existe, s’il y intro
duit une seule stipulation contraire à l’essence de ce contrat,
ou s’il en exclut un seul des éléments qui le constituent.
Mais, loin d'y puiser la nécessité de repousser la doctrine
de la validité de la vente, nous en déduisons comme consé
quence logique la légalité de son maintien. En effet, en quoi
la réserve de s’entendre plus tard sur la livraison ou sur le
mode de paiement du prix est-elle contraire à l’essence de
la vente ? En quoi en contrarie-t-elle les éléments constitutifs-?
Est-il raisonnable d’assimiler un désaccord sur le mode de
paiement à celui qui existerait sur la chose, sur le prix, et
c’est ce que MM. Delamarre et Lepoitvin n’hésitent pas à
admettre. Quand, disent-ils, je consens à vous livrer mes
sucres moyennant 3.000 francs et que vous consentez à m’en
(l ) D isc., n°B 4 et suiv.
(s) Art. 1583, G. civ,
�95
donner cette somme, nous sommes en accord parfait sur la
chose, le prix et la convention d’acheter et de vendre. Cepen
dant, nil actum dicitur si vous voulez me faire consentir à
recevoir les 3.000 francs en numéraire et que je persiste à
les vouloir en papiers sur Lisbonne ; il faut que l’un de nous
conforme sa volonté à la volonté de l’autre, et l’erreur en ce
point ne serait pas un moindre obstacle à la formation du
contrat, qu’un dissentiment déclaré sur la chose ouïe prix (*).
C'est qu’en réalité, dans l’espèce supposée par nos auteurs,
il y aurait désaccord sur le prix lui-même. Si, en indiquant
celui de 3.000 francs, j’ai ajouté payables en papier sur Lis
bonne, c’est que j ’ai entendu mettre à la charge de l’ache
teur les frais d’achat de ce papier, sans quoi j’aurais ajouté
leur montant aux 3.000 francs. L’offre de payer en numé
raire ne me donne donc pas ce que je demandais, pas même
les 3.000 francs, puisque j’aurais à en prélever l’escompte
que me coûtera l’achat du papier qui m’est indispensable.
Il y a donc, en cet état, désaccord non sur une condition
accidentelle, mais sur le prix lui-même, par conséquent pas
de vente tant que nous n’aurons pas réglé le différend qui
nous divise.
C’est précisément ce qui se réalisait dans l’espèce de l’ar
rêt cité par MM. Delamarre et Lepoitvin. Un négociant sué
dois expédie un navire au Havre, à la consignation d’une mai
son de Paris, avec mandat de le vendre au prix de 20.000francs
ou 10.000 mars banco, outre les frais de retour de Véquipage,
et les droits dus à la couronne de Suède dans le cas où le re
tour du navire ne s’effectuerait pas, ce mandat était donné
en juillet 1803.
La maison de Paris offre d’acheter pour son compte. Une
correspondance s’engage et il paraît que des observations
sont faites sur le retour du navire en Suède.
Pins tard, la maison de Paris offre d’armer le navire pour
lui faire opérer son retour en Suède, ce qu’elle exécute, et
ce qui était approuvé par le négociant suédois écrivant le
15 février 1804. « Aussitôt que le navire sera arrivé dans un
CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
(l) T . 3, n° 111.
�1)0
« port suédois (avant lecpiel temps, le contrat d’achat ne
« peut vous être légalement expédié), un pareil acte de pro« priété vous sera remis ; en attendant, ceci vous servira de
« sûreté pour considérer ce navire comme votre propriété. »
Mais au moment où cette lettre était écrite, le navire avait
péri. La maison de Paris qui, avant saréception, avait envoyé
les 10.000 mars banco, en demande la restitution, elle sou
tient que la vente n’avait été convenue que le 15 février 1804,
et qu’à cette époque la perte de la chose antérieurement
accomplie l’avait rendue impossible ; que par conséquent
cette perte était restée à la charge du prétendu vendeur.
C’est ce que la Cour de Poitiersavait admis, c’est ce qu’elle
ne pouvait pas ne pas admettre, car à la suite des observa
tions de la maison do Paris, celle de Suède avait écrit: Pour
éviter toute chicane, il ne sera plus question de ce marché, et
cque le voyage ait été heureux ou malheureux nous prenons
tout sur notre compte.
Voilà donc le mandat de juillet 1803 révoqué, et l'inten
tion de vendre expressément rétractée. 11 fallait donc, si on
revenait à l’un et à l’autre, s’en expliquer de nouveau, et
c’est ce qu’on faisait seulement le 15 février 1804, il était
dès lors impossible que la vente eût existé avant.
La Cour de Poitiersavait donc sainement apprécié les faits,
et justement déclaré la vente nulle par application de l’ar
ticle 1601 du Code civil. Aussi le pourvoi contre son arrêt
était-il rejeté parla Cour de Cassation, le 5 frimaire an XIV.
C’est là, s’il en fût jamais, un simple arrêt d’espèce, n’ayant
d’autre valeur que celle que lui donnaient les faits du procès.
Qu’auraient fait les Cours de Cassation et de Poitiers, que déci
deraient MM. Delamarre et Lepoitvin dans l’hypothèse sui
vante?
Je vends et vous achetez pour 3.000 francs une partie de
marchandises, sous réserve de nous entendre plus tard sur
le paiement. Le moment de régler venu, j’exige des valeurs,
vous m’offrez du numéraire, est-ce que ce discord pourra faire
que la vente n’ait pas régulièrement existé ? Est-ce que quel
qu’un oserait soutenir qu’elle doit être annulée? Une pareille
prétention ne méconnaîtrait-elle pas le caractère de la vente ?
a c h a ts et ventes
�97
Pourrait-elle se concilier avec cette règle, non pretii numeratio, sed conventio, facit emptionem,
La pratique ne s’y est pas trompée et chaque jour les tri
bunaux appliquent notre doctrine. Chaque jour les vendeurs,
sans s’en être expliqués avec l’acheteur, stipulent que le
prix sera payé à leur domicile. A la réception de la facture,
ce dernier réclame et ne veut payer qu’à son propre domi
cile. Or, Je lieu du paiement est une condition non moins
importante que celle qui en détermine le mode. Si le défaut
d’entente actuelle sur celle-ci a empêché la vente d’exister,
il doit en être de même du défaut d’entente sur celle-là. Ce
pendant a-t-on jamais en cet état demandé aux tribunaux
autre chose que de régler le lieu du paiement ?
87.
Les principes n’ayant pas changé, les conséquences
ne pouvaient différer. La vente étant parfaite par le concours
des volontés sur le caractère du contrat, sur la chose et sur
le prix, les parties se trouvent respectivement liées et peu
vent se contraindre à exécuter leur engagement, alors même
qu’elles auraient omis, négligé ou réservé de s’entendre sur
les clauses-conditions.
A la condition néanmoins que ces clauses-conditions pu
rement accidentelles nepuissent et ne doivent exercer aucune
influence sur l’essence du contrat, qu’elles ne constituent pas
des pactes substantiels.
Avec la Rote de Florence nous considérons comme acci
dentelles celles qui se réfèrent au mode, à l’époque et au lieu
du paiement, aux garanties dont sa réalisation peut devenir la
cause; au mode, à l’époque et au lieu do la délivrance, au
pesage, comptage ou mesurage, à la dégustation. Le défaut
de convention à ce sujet n’aurait d’autre résultat que de sou
mettre les parties aux dispositions dans lesquelles le législa
teur a pourvu aux unes et aux autres.
Si on peut les omettre, on peut à plus forte raison réserver
de s’en entendre. Le désaccord qui se manifesterait au moment
du règlement ne pourrait annuler une vente dont il n’affai
blirait et ne modifierait ni le caractère ni l’essence.
Son unique effet serait d’en suspendre l’exécution jusqu’à
CONDITIONS UÉNÉHALHS. KFFKTS
A ch a ts e t v e ^ es
7
�................. ............
<J8
ACHATS 12T VENTES
la décision du juge, dont l’intervention ne saurait être ni
repoussée ni contestée.
88. Les clauses-conditions touchant à l’essence de la vente,
les pactes substantiels, doivent être arrêtés et convenus au
moment du contrat. Le défaut d’accord en ce qui les con
cerne altérerait le consentement soit sur le caractère du con
trat, soit sur la chose, soit sur le prix.
En effet, suivant la définition de la Rote romaine, Pacta
substantialia ea dicuntur quæ stant loco-alicujus partis substantialis contractas, ut ea quæ augentvel diminuunt rem vel
pretium, ut obligatio .in emptione aliquid faciendi, dandi,
seu pactum redimendi aut annuum præstandi et similia quo
rum intuitu contrahentes realiter pretium rei vel auxerunt
vel diminuerunt ; quæque per consequens dicuntur vere pars
contractas vel pretii, et tune non videantur, tanquam pars
pretii considerata,posse referri adarbitrium ementis vel contrahentium (‘).
Cette règle et ses conséquences font une exacte et saine
appréciation du caractère de la vente et des exigences qu’il
requiert. Pourrait-on reconnaître ce contrat si la chose ou
le prix n’avait pas été convenu et arrêté, s’il n’y avait pas eu
concours des volontés sur le réméré ou sur la prétention de
se soumettre à une prestation annuelle.
Des conditions de ce genre constituent la vente ; se ré
server de ne s’entendre à leur sujet que plus tard, c’est contre
venir à tous les principes, et vouloir que la vente ait existé
avant l’entente réciproque sur la chose, le prix et le carac
tère, la substance, du contrat. La nullité de celui-ci, en
tant que vente, ne pourrait souffrir ni difficultés ni doutes.
89. Le dol, la fraude, la violence, l’erreur enlèvent au
consentement qu’ils déterminent cette spontanéité et cette
liberté au prix desquelles il devient le fondement d'un lien
légal et obligatoire.
Le dol, la fraude, la violence agissent d’une manière pé
remptoire et absolue. Le contrât qui en a été la conséquence
immédiate et directe est atteint d’un vice radical. Il n’a
(') Casaregis’, D ise., 34, n° 28.
�90
qu’une apparence que la preuve de l’existence de ce vice fera
évanouir. La vente qui en serait entachée serait annulée et
résiliée à la demande de la partie lésée.
Que si l’auteur du dol, de la fraude ou de la violence, tom
bant dans son propre piège, éprouvait un dommage de l’opé
ration dont il s’était promis un profit, il devrait le subir. Sa
demande en résiliation, fondée sur sa propre turpitude, ne
serait ni recevable ni admissible en équité, en morale et en
droit.
90. L’erreur n’annule la vente que si elle l’a seule déter
minée, de telle sorte que la connaissance de la vérité eût
empêché la partie de traiter. Or, il est difficile d’assigner ce
caractère à toute autre erreur qu’à celle qui porte sur 1a,
substance du contrat.
Serait-il permis d’hcsiter sur l’intention de celui à qui on
aurait livré du cuivre pour de l’or, de l’orge pour du blé,
du vinaigre pour du vin.
Or, de deux choses Lune : ou le vendeur n’a réellement
entendu vendre que du cuivre, de l’orge et du vinaigre, et
dans ce cas l’acheteur voulant acheter de l’or, du blé ou du
vin, il n’y a jamais eu entente sur la chose devant faire la
matière du contrat, et la vente est nulle.
Ou le vendeur a agi de mauvaise foi et sciemment substitué
ce qu’il livre à ce qu’il avait vendu. Il a dans ce cas commis
un délit atteint par la loi pénale, et il ne pourrait être que
ce délit devint l’origine d’un droit pour son auteur, d’une
obligation pour celui qui en a été la victime.
91.
La vente est donc nulle si l’erreur a porté sur une
des conditions substantielles de la vente. Mais, observe
M. Troplong, quant aux qualités de la chose, il n’est pas
facile de distinguer ce qui est substantiel et ce qui est seule
ment accidentel. Le moyen le plus sûr sera de recourir à
la volonté des parties, au but qu’elles se sont proposé en
contractant. Si la qualité de la chose vendue, bien qu’acci
dentelle, a fait l’objet d’une stipulation expresse et a été
représentée comme un motif déterminant pour l’acheteur,
elle deviendra substantielle, et si elle manque, la vente sera
destituée d’un consentement valable.
CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
�100
ACHATS ET VENTES
Il est évident, en effet, que telle qualité, qu’on serait tenté
de considérer comme indifférente, aura peut-être seule déter
miné l’acheteur à contracter. Or, comment pourra-t-il mieux
témoigner de l’intérêt qu’il y attachait, qu’en faisant insérer
au contrat une clause expresse de garantie.
Cette garantie pourrait n’avoir d’autre résultat qu’une
diminution du prix ou toute autre allocation de dommagesintérêts, mais le maintien de la vente ne serait ni juste ni
légal si, sans la qualité garantie, la partie n’eût pas con
tracté. M. Troplong a donc raison, c’est par son intention
au moment du contrat, et eu égard à la nature de la chose,,
que le litige doit être apprécié, et la vente annulée, quelle
que soit la qualité promise, si, en fait, son existence a déterminé le consentement que son défaut eût fait refuser.
Mais on admettra facilement dans toutes les transactions
commerciales que les conditions, quelles qu’elles soient, sont
substantielles et les clauses diverses du contrat seront rigou
reusement appliquées. Le mode d’emballage lui-même, lors
qu’il a été expressément convenu, formera une condition à
accomplir à la lettre sous peine de résiliation. Voici, à titre
d’exemple, un jugement du tribunal de Marseille du 9 mai
1889 confirmé le 4 juillet suivant par la Cour d’Aix avec
adoption de motifs ;
« Attendu que Ledoux a vendu à Novella 70 sacs café, caf.
« Marseille, mais avec la condition expresse d’expédier la
« marchandise dans des sacs repliés et de mentionner sur le
« connaissement le poids détaillé ; que la première de ces
« conditions n’a pas été observée ; que quant à la seconde
« Ledoux a indiqué le poids par deux sacs au lieu del’indi« quer sac par sac comme Novella soutient qu’il aurait dû
« le faire; que Ledoux explique qu’il s’est conformé à l’usage
« du Havre, et que ce serait à cet usage qu’il faudrait se ré« férer, le Havre étant le lieu de la livraison et l’acheteur
« n’ayant pas stipulé le pesage sac par sac, opération qui
« eût exigé de plus grands frais que celle d’usage.
« Attendu que ce n’est pas au Havre mais à Marseille que
« la vente a eu lieu ; que l’acheteur et le vendeur doivent
« donc être présumés avoir traité aux conditions d’usage de
�CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
101
« cotte place qui est de peser sac par sac ; que l’acheteur
« n’était pas tenu de connaître les usages du Havre et n’a
« pas été prévenu de la différence qui existait ; que dès lors
« en admettant que la clause poids détaillé puisse être rc« gardée comme obscure ou ambiguë, c’est contre le vendeur
« qu’elle doit s’interpréter ; attendu dès lors que Ledoux n’a
« pas accompli ses obligations de vendeur.
« Le Tribunal résilie l. »
92. La justice ne saurait non plus faire abstraction des
circonstances qui ont précédé, accompagné et suivi le traité.
Elles peuvent, non seulement faire apprécier l’intention réelle
de l’acheteur, mais encore créer une tin de non-recevoir con
tre sa demande en nullité.
Si l’erreur pouvant être plus au moins facilement recon
nue, la chose lui a été soumise avant le traité ; s’il a pu la
vérifier et s’il l’a fait, si la chose étant en sa possession il a
exécuté le contrat sans réclamation ni réserve, pourrait-il
plus tard se plaindre avec quelque apparence de raison et
révoquer en doute la bonne foi du vendeur ? (infrà, 410).
L’examen, la vérification avant la vente ne seraient d’au
cune considération s’ils n’ont pas empêché l’acheteur de se
faire garantir expressément la qualité prétendue. Mais la cer
titude de leur existence et l’absence au contrat de toute clause
de garantie feraient repousser la demande en nullité, à moins
bien entendu que l’acheteur ne reprochât un vice caché,
impossible à découvrir au moment des vérifications usuelles
(Nantes, 23 nov. 1907. Rec. Nantes, 1908.1.183) ; c’est ce que
la Cour de Paris jugeait le 17 juin 1813 dans une espèce où
elle aurait pu être mieux inspirée.
C’est surtout dans les ventes d’objets d’art que naîtra sou
vent la difficulté que nous examinons. On sait, par exemple,
la valeur que le nom du peintre donne aux tableaux. Or,
voici l’espèce de l’arrêt de la Cour de Paris :
(’) A insi encore, en cas de vente d’une certaine quantité de boîtes de conser
ves (sprats) préparées ies unes à l'huile, les autres à la tom ate, ces dernières
devant se différencier par une marque destinée à em pêcher qu'on puisse les
confondre avec celles à l’huile, l ’acheteur doit obtenir la résiliation du marché
dans la partie portant sur les boites à la tom ate, si en fait les marques y apposées
sont identiques à celles apposées sur les boîtes à l'huile (A ix, 4 novem bre 1908).
�102
ACHATS ET VENTES
Un sieur Varisco propose au sieur Perrégaux de lui ven
dre quatre tableaux qu’il attribue, deux à Claude Lorrain,
un à Andréa del Sarto, et le dernier, une marine, à Vernet.
Perrégaux se rend plusieurs fois chez le marchand, examine
les-tableaux, les fait examiner par des artistes et des ama
teurs dont il se fait accompagner, le marché est ensuite
conclu au prix de 16.000 francs, payables 10.000 francs
comptant, 6.000 francs en un billet à courte échéance.
Les tableaux sont immédiatement livrés, et, quelques
jours après, le prix en est réglé conformément aux accords.
Plus tard, le sieur Perrégaux prétend faire résilier le
marché parce que les tableaux n'étaient pas des maîtres
désignés, il demande préparatoirement une expertise qui
est en effet ordonnée parle tribunal.
Mais, sur l’appel, arrêt infirmatif qui déclare l’action en
résiliation non recevable : « Attendu que les tableaux n’ont
« été vendus et livrés qu’après différentes visites dans les« quelles l’intimé les a vus et fait voir par des gens à ce
« connaissants ; qu’après la livraison, antérieurement au
« paiement, il les a eus en sa possession pendant plusieurs
« jours, pendant lesquels il a pu encore les examiner et
« les faire examiner tout à son aise ; qu’il a ensuite payé le
« prix en totalité, savoir : la majeure partie en espèces, et
« le surplus en un bon à courte échéance ; et que lorsqu’un
« marché est ainsi consommé des deux parts et avec une
« telle maturité, il ne peut pas être permis à l’un des con« tractants, sous prétexte d’erreur, de revenir contre, sans
« ébranler la foi de toutes les conventions; qu’il ne s’agit
« pas d’un vice caché ; que l’appelant, en énonçant ce qu’il
« pensait sur le nom des auteurs des tableaux, n’a rien
« garanti à cet égard et n’a pas fait dépendre de cette eon« dition le sort de la vente. »
93. On a essayé de faire un principe du reproche que
cet arrêt faisait à l’acheteur. Ainsi, dans une autre espèce,
on soutenait, devant la Cour de Douai, qu’un marchand de
tableaux n’est jamais, à moins d’une stipulation expresse,
censé garantir l’identité des maîtres sous le nom desquels
les tableaux sont vendus, car il peut être trompé lui-même
�103
sur la véritable origine ; que c’est donc à l’acheteur à la véri
fier, et s’il manque à ce devoir, ou s’il se trompe, il n’en
peut rejeter la faute sur le vendeur.
Ce système pouvait invoquer la position que les principes
généraux du droit font aux contractants, chacun d’eux n’a
d’autre mission que de protéger ses intérêts. Dès lors, l’ache
teur d’un tableau, s’il n’est pas capable de juger de son
mérite, doit, avant de conclure, exiger cette expertise qu’il sol
licitera plus tard pour faire résilier le marché, tout au moins
doit-il stipuler la clause de garantie; et s’il n’a fait ni l’un
ni l’autre, il ne pourra exciper de l’erreur sans se convaincre
de négligence.
Mais serait-il possible d’autoriser le vendeur à reprocher
à l’acheteur la loyauté et la bonne foi qu’il apeut-être pous
sées trop loin, et à le faire punir de la confiance qu’il a eue
en sa parole? Et si la garantie a été exigée et promise, fau
drait-il en refuser les effets parce que, au lieu d’être donnée
par écrit, elle l’a été autrement ?
94. La Cour de Douai ne le pense pas ainsi, et, par arrêt
du 27 mai 1846, elle annule la vente : attendu qu’il est au
jourd’hui constant que la Halte devant une auberge n’est
pas de Wouwermans, et que cette toile qui, d’après les en
quêtes, serait entrée dans le marché pour une valeur de
5.000 francs au moins, vaut tout au plus 1.500 francs ; qu’il
n’est pas moins constant que c’est en garantissant la sincé
rité de cette origine que le vendeur a surpris le consente
ment de l’acheteur, et que c’est uniquement en considération
du maître dont le premier affirmait que le tableau était l’ou
vrage, que ce dernier a traité ; que, dans ces circonstances,
il est évident que l’erreur a porté sur la substance même
de la chose vendue, et que par suite le traité doit être annulé
(J. P., 1846, 2, 636).
Ainsi, quel que soit le point sur lequel l’erreur a existé,
il n’y a pas de vente s’il est certain que, sans la fausse
croyance qu’elle a inspirée, le contrat n’aurait pas été conclu.
Cette certitude, dont la recherche et la constatation sont
laissées à l’arbitrage souverain des juges peut résulter de
l’intention des parties, de la nature de la chose vendue,
CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
�ACHATS ET VENTES
104
des circonstances qui ont précédé, accompagné ou suivi le
marché.
95. Cet arrêt nous paraît plus juste, plus raisonnable que
celui de Paris en 1813. Bien que toutes ces questions soient
des questions de fait, il faut nécessairement admettre dans
la plupart des cas que l’acheteur n’aurait pas consenti au
marché s'il n’avait pas été convaincu que l’œuvre émanait
de tel artiste. Le nom de l’auteur forme ici la qualité domi
nante, essentielle. Un tableau est toujours un tableau, c’est
évident. Mais l’amateur qui paie très cher un paysage ou un
portrait consent à payer son prix parce qu’il croit que le
paysage est de Corot ou de Courbet, le portrait, de Bonnat
ou de Carolus Duran. Il n’aurait certainement pas donné la
dixième partie de la somme s’il avait su que la toile, quoi
que fort belle, était due au pinceau d’un artiste sans noto
riété. Donc même si le vendeur est de bonne foi, a cru luimême à l’authenticité de l’objet acheté, même si on ne peut
lui reprocher aucun dol, aucune manœuvre frauduleuse, la
chose est infestée d’un vice caché, détruisant à vrai dire sa
substance même et motivant la résolution de la vente et la
restitution du prix.
Conformément à la doctrine qui se dégage de l’arrêt de
Douai, il a été jugé que lorsque la signature du maître
apposée sur un tableau est reconnue fausse, il résulte suffi
samment de l’énoncé de la facture attribuant le tableau à
ce maître et du prix important de la vente, que l’authenti
cité de la chose vendue a été la raison déterminante de la
convention bien que la facture ne porte aucune garantie
d’authenticité. Dans ces circonstances et même en admettant
la bonne foi du vendeur, l’erreur de l’acheteur ayant été
substantielle, il y a lieu d’annuler la vente (Paris, 14 déc.
1878, J. T. C. 27, p. 455); que doit être résolue par application
de l’article 1110 du Code civil la vente d’objets rares (bou
teille arabe) alors que l’acheteur a été trompé sur l’authen
ticité de l’origine de ces objets, et que cette authenticité cons
tituait la qualité substantielle à raison de laquelle la vente avait
été conclue (Paris, 22 janvier 1001, .1. T. C., 51, page 318).
Dans ces différentes espèces l’importance du prix sera rete-
�105
nue à bon droit comme un élément d’appréciation décisif
(supra, n° 42.)
9 6 . Les fraudes dans ces sortes de ventes sont devenues si
fréquentes qu’une loi du 9 février 1895 punit d’un emprison
nement d’un an à cinq ans et d’une amende de 16 francs à
3.000 francs (avec admission possible de circonstances atté
nuantes) : 1° ceux qui auront apposé ou fait apparaître frau
duleusement un nom usurpé sur une oeuvre de peinture, de
dessin, de sculpture, de gravure ou de musique;2° ceux qui
sur les mêmes oeuvres auront frauduleusement et dans le but
de tromper l’acheteur sur la personnalité de l’auteur, imité sa
signature ou un signe adopté par lui; 3° les marchands ou
commissionnaires qui auront sciemment recelé, mis en vente
ou en circulation les objets revêtus de ces noms, signatures
ou signes.
Les objets délictueux seront confisqués ou remis au plai
gnant (c’est-à-dire à l’auteur dont on aura ainsi imité la
signature) ou détruits sur son refus de les recevoir.
Cette loi est applicable aux œuvres non tombées dans le
domaine public.
L’acheteur trompé pourra donc le cas échéant l’invoquer et
réclamer soit par action distincte, soit en se constituant par
tie civile au moment de la poursuite, la résiliation de la vente
avec dommages-intérêts.
L’ancienneté est souvent la qualité dominante recherchée
par l’acheteur. Tel amateur regardera dédaigneusement un
chef-d’œuvre de l’art moderne qui paiera un prix fou tel
meuble délabré et sans grâce du xn" ou xm° siècle. Si donc,
cette ancienneté fait défaut, la vente devra être résiliée. Il
y aura véritablement dans ce cas erreur sur la substance.
C’est ce qu’a jugé la Cour d’Agen le 30 avril 1884 (sous cass.
20 oct,. 1886. D. 87. 1. 105 voir la note). La Cour de Paris
a décidé récemment qu’en cas de vente à un prix élevé d’ob
jets en porcelaine ancienne pâte tendre de Sèvres, on ne
pouvait soutenir que la décoration n’est qu’accessoire et con
sidérer comme anciens des objets décorés de peinture moderne
quelle que soit d’ailleurs l’ancienneté de la fabrication de
la pâte (Paris, 28 déc. 1907. G. T., 1908. 1. 2. 431.)
CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
�108
ACHATS ET VENTES
Les brevets d’invention donnent lieu à des transactions
plus ou moins nombreuses. Le propriétaire vend fréquemment
ses droits en totalité ou en partie.
Ce qui fait la matière de ces ventes, c’est non seulement le
droit d’exploiter l’industrie brevetée, mais encore le monopole
résultant du brevet luLmême : d’où la conséquence que si
cette industrie ne peut offrir de résultat ou n’était pas breve
table, la convention manquait de son élément essentiel et
devait être résiliée. L’erreur existerait sur la substance même
de la chose. L’acheteur devrait dès lors en être relevé.
98. Pouillet est d’avis (n° 246, Traité des Brevets d'invention)
quelacession d’un breveLest un contrat sui generis. Elle cons
titue bien une vente, mais l’objet vendu est d’une espèce par
ticulière, car si le brevet est un titre engendrant des droits, il
est soumis à d’incessantes éventualités, il est toujours sujet à
critiques. « Il comporte, dit Pouillet, un caractère aléatoire
tout à fait remarquable. Il est impossible de décider à priori
s’il est ou non valable, mais encore il n’est, pas sans exem
ple de voir le même brevet validé à l’égard de l’un, annulé
à l’égard de l’autre, et l’on ne peut ici s’en prendre à l’instabilitc de la justice. Il est dans la nature du brevet d’être
soumis à ces vicissitudes. N’avons-nous pas vu plus d’une
fois les antériorités ne se révéler qu’après une ou même plu
sieurs poursuites dans lesquelles le brevet avait triomphé ?»
Donc, d’après cet auteur, il y aurait là une vente, d’un carac
tère' absolument aléatoire.
Cette opinion n’a pas prévalu ni en doctrine ni en juris
prudence. Pataille, l’auteur qui se rapproche le plus de Pouil
let, dénie néanmoins en termes exprès à la cession ce carac
tère. 11 indique simplement que le cédant n'est responsable
que des nullités intrinsèques du brevet cédé et que l’acqué
reur, devant se rendre compte du mérite de l’invention, ne
peut demander la nullité de la vente pour défaut de causé
si son mérite ou son importance ne répondent pas à ses espé
rances. La thèse est juste en soi et se concilie parfaitement
avec l’opinion exposée ci-dessus. En fait le juge rencontrera
certainement des difficultés pour asseoir son appréciation.
Mais cela importe peu au principe. C’est ainsi qu’il a été jugé
97 .
�107
que la cession d’un brevet est nulle comme n’ayant ni objet
ni cause quand il est constant que les procédés décrits ne
sont pas susceptibles d’une application industrielle et ne
répondent pas aux promesses que le brevet renfermait et sur
l’accomplissement desquelles le cessionnaire avait dû comp
ter (Paris, 2 février 1861. J. P., 61,77) ; que la vente d’un bre
vet nul est nulle elle-même comme s’appliquant à un objet
qui ne pouvait produire aucun effet ; l’élément aléatoire que
renferme toujours en soi la cession d’un brevet d’invention,
ne lui enlève pas le caractère de vente pure et simple, nulle
à défaut d’un objet certain, alors d’ailleurs qu’il n’apparaît
pas que les parties aient entendu consentir un contrat aléaioire (Cass., 22 aoiit 61 ; Pataille, 61, 227); qu’en matière de
cession de brevets, la garantie même non stipulée reste de
droit. Spécialement est nulle comme entachée d’erreur sur
la substance de la chose vendue une cession de brevets ayant
pour objet la fabrication industrielle de l’alcool fin moyen
nant un prix de revient maximum de 2 fr. 50 par hectolitre
alors que le résultat spécifié dans l’acte de vente n’est pas
réalisable par les procédés brevetés (Paris, 18 juillet 1889,
Pataille, 91,271). (Voir Pouillet, n" 252-253.)
Il peut se faire qu’un brevet ne soit annulé que partielle
ment. Alors les tribunaux auraient à apprécier si la partie
qui subsiste est la partie principale, et dans ce cas, la vente
pourra être validée (Pouillet, n° 269).
99. De même la déchéance du brevet judiciairement consa
crée produirait, quant à la vente, un effet identique à celui
qui se déduit du défautde résultats. Il est évident, en effet,
ainsi que l ’observe M. Etienne Blanc, que l’acheteur n’a d’au
tre intention que celle d’acheter un privilège valable, un droit
exclusif. L’erreur à ce sujet tomberait sur la substance même
de la chose et vicierait un consentement que la connaissance
de la vérité eut certainement empêché.
La résiliation de la vente lui fait perdre tous ses effets et
en rend toute exécution impossible, pour l’avenir surtout ;
l’acheteur se trouve naturellement délié de toute obligation
quant au prix ; il ne pourrait être contraint de payer ce qu’il
devrait encore, les valeurs qu’il aurait souscrites en règleCONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
�-108
ACHATS ET VENTES
ment devraient lui être restituées. Pourra-t-il exiger le rem
boursement de ce qu’il aurait déjà payé ?
L’affirmative ne saurait souffrir aucune difficulté si la rési
liation a pour fondement le défaut de résultats du brevet.
Les tentatives infructueuses auxquelles le cessionnaire s’est
livré, loin de constituer pour lui un profit, lui ont occa
sionné une perte, ne fût-ce que celle de son temps, de ses
peines et soins. Sous quel prétexte pourrait-on dès lors lui
refuser le droit d’exiger la restitution de ce qu’il a payé sur
le prix ?
.Mais la résiliation pour déchéance du brevet ne fera pas que
jusqu’au moment où elle a été poursuivie et ordonnée, la
chose vendue n’ait été en la possession de l’acheteur; que
son exploitation dans certains cas ne lui ait procuré un béné
fice plus ou moins considérable? Serait-il dès lors juste de
l’autoriser à cumuler ce bénéfice avec celui qui résulterait
de la restitution du prix?
Les effets de la résiliation ne sont rigoureusement acquis
que lorsque, par la nature même des choses, les parties peu
vent être remises en l’état où elles étaient avant l’acte. On ne
saurait faire abstraction de l’exécution de fait que cet acte
a reçu et qui pourrait, si l’on n’en tenait aucun compte, enri
chir l’un au détriment de l’autre, aussi si l’acquéreur d’un
immeuble obtient la restitution du prix avec intérêts doit-il
rendre lui-même les fruits perçus jusqu’à la résiliation.
Le même principe devrait conduire à une conséquence iden
tique dans la résiliation de la cession d’un brevet pour cause
de déchéance, et le cessionnaire devrait, dans une certaine
limite, rendre raison du profit qu’il aurait tiré de l’exploi
tation du brevet.
Il est évident en effet que ce profit est dû non pas seule
ment à cette exploitation, mais encore à l’industrie person
nelle du cessionnaire, aux peines et soins qu’il lui a donnés,
aux matières premières qu’il a fournies, toutes choses fort
étrangères au cédant, et sur lesquelles il n’a jamais rien eu
à prétendre.
Les tribunaux devraient donc faire à chacun la part qui
lui est due. Si, en fait, l’exploitation du brevet jusqu’à la
�109
déchéance a produit un bénéfice, il faut en tenir compte au
cédant, et tout en prononçant la résiliation pour l’avenir, fixer
l’indemnité qu’il recevra, soit par restitution, soit par com
pensation avec le prix qu’il sera obligé de rembourser (Pouillet, n. 266 et s. — Paris, 24 juillet 1868 et Cass., 25 mai 1869,
D. 1869. 1.367. — Paris, 31 mai 1889 et Req., 29 juillet 1891,
Pataille, 93, 172) (*).
100. L’époque à laquelle se réalise le concours légal des
volontés ne saurait être douteuse dans la vente entre pré
sents. Dès que la parole est échangée, qu’il y a accord surla chose et sur le prix, la vente est parfaite et acquise.
Mais, en commerce, les achats et ventes se traitent bien
souvent entre absents et par correspondance. Il est donc
utile et même indispensable de rechercher à quel moment
le contrat a, dans ces circonstances, acquis sa perfection.
Si la validité de la vente par correspondance a pu être
contestée en droit commun (2), aucun doute ne saurait exis
ter en commerce. L’article 109 du Code de commerce, en
admettant comme preuve de la vente l’acte sous seing privé
et la correspondance, exclut l’assimilation de celle-ci à celuilà, et par conséquent toute prétention d’appliquer à cette
dernière la disposition de l’article 1325 du Code civil.
101. L’unique difficulté consiste donc à déterminer à quel
moment on devra fixer la réalisation du concours des volon
tés, sans lequel la vente n’a jamais pu exister.
Or, une lettre missive, dit M. Troplong, est la pensée fixée
par écrit et envoyée à celui qui est absent ; elle rapproche
CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
(') U n arrêt de la Cour de cassation du 5 décem bre 1831 (D . 82. 1. 360) est
cité par P ouillet com m e renfermant une contradiction avec ces règles. M ais sa
doctrine nous paraît parfaitem ent conciliable avec celle que nous venons d’expo
ser. La Cour de cassation a sim plem ent jugé «que l ’arrêt-attaqué ayant souverai« nem ent affirmé en fait l'inexécu tion persistante par le cédant du contrat à
« partir de son origine et apprécié le dom m age qui en était résulté, a tiré en
« droit de ces constatations une conséquence légale irréprochable en remettant
« les choses au môme étal que si la convention n’avait pas existé (art. 1184, C.
« c iv .) ». C’est donc là une apprécialion de pur fail, une question d'espèce n'in
firmant en rien le principe posé.
(-) Toullier, t. 8, n° 315. Duranlon, t. 16, n" 44. V id. M erlin ,R ép ., v1’ D o u b le
é c r it. Troplong, V en te , n° 2 1 .
�'
11G
•
•
ACHATS ET VENTES
.
:
les individus et les met pour ainsi dire en présence (*). Cela
n’est absolument vrai cju’après la réception de la lettre par
celui à qui elle est adressée, et qui ne peut être initié à la
pensée de l’écrivain que par sa lecture.
l)e là cette première conséquence, qu’il faut que celui-ci
ait persisté dans sa volonté jusqu’au moment de la réception
et de la lecture nie la lettre. S’il en change avant, ce qu’il
est libre de faire, il n’y aura plus de vente possible.
Je peux, dit M. Troplong, révoquer les promesses faites
dans une lettre écrite et expédiée, mais non pas lue par celui
à qui je l'adresse, de même que je ne suis pas lié par les
paroles proférées, mais non entendues par la personne avec
laquelle je traite verbalement(a).
Ainsi, si le besoin ou la convenance de rétracter la pro
position faite par lettre se manifestant promptement, j’ai le
moyen de vous aviser que je la retire, tout est fini. Ma lettre
est non avenue, et toute acceptation de votre part resterait
sans résultat, sans effets possibles.
102. Le principe que l’oflre peut être rétractée tant qu’elle
n’est pas connue de celui à qui elle est adressée étant admis,
ses effets ne peuvent être subordonnés à la réception de la
lettre de rétractation. Que cette réception précède, accompa
gne ou suive celle de la lettre d’offre, celle-ci n’en est pas
moins valablement rétractée. Qu’importe, en effet, que la
première ait été écrite le jour, le lendemain ou le jour sui
vant, si, en fait et à raison de la distance, elle l’a été à une
époque où cette dernière n’avait pu encore être rendue à
son destinataire.
C’est ce que Pothier admettait lorsqu’il enseignait la néces
sité de la persistance du consentement jusqu’au moment où
la partie a déclaré qu’elle acceptait le marché. Or, pour expri
mer cette volonté, il faut de toute nécessité avoir été mis en
position de le faire, ce qui ne peut résulter que de la récep
tion et de la lecture de la lettre qui proposait le marché.
Donc, si au moment de cette réception la proposition avait
(*) N» 22.
(!) N° 24.
�CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
111
déjà été retirée, la condition ne se rencontre plus, il n’y a
pas eu persistance du consentement jusqu’au moment requis,
et par conséquent de vente possible.
Pothier ne veut pas qu’on se trompe sur sa doctrine, voici
l’application qu’il en fait lui-même :
« Si j ’ai écrit à un marchand de Livourne une lettre dans
laquelle je lui proposais de me vendre une certaine partie
de marchandises, pour un certain prix, et qu’avant que ma
lettre ait pu lui parvenir je lui en ai écrit une seconde par
laquelle je lui marquais que je ne voulais plus cette emplette,
ou qu’avant ce temps je sois mort, ou que j’aie perdu l’usage
de la raison, quoique le marchand de Livourne, au reçu de
la première lettre, ignorant ou mon changement de volonté,
ou ma mort, ou ma démence, ait fait réponse qu’il acceptait
le marché proposé, néanmoins il ne sera intervenu entre nous
aucun contrat de vente, car ma volonté n’ayant pas persévéré
jusqu’au temps que le marchand a reçu ma lettre et accepté
la proposition qu’elle contenait, il ne s’est pas rencontré un
consentement ou concours de nos volontés, nécessaire pour
former le contrat de vente (l). »
103. Ainsi, la faculté de retirer la proposition ne saurait
être méconnue ni contestée, tant que la lettre renfermant celleci n’a pu arriver, et n’est pas encore arrivée à son destina
taire. Mais suffit-il, pour qu’elle ne puisse s’exercer, que la
lettre étant arrivée, la proposition ait été acceptée? Faut-il
au contraire que cette acceptation ait été connue de celui qui
l’a provoquée ?
Gomme l’observe M.Troplong, Pothier semble se prononcer
dans le premier sens.Mais n’est-ce pas là repousser la con
séquence logique du principe. La parole n’engage que lors
qu’elle a été donnée et reçue respectivement, et comment
reconnaître l'existence de cette condition, tant que la lettre
qui la renferme est encore un secret, et par conséquent est
censée ne pas exister pour l’une des parties.
Aussi,M. Troplong n’hésite-t-il pas : « Une offre faite par
lettre, enseigne-t-il, peut être rétractée jusqu’à acceptation
(i) N» 32.
�112
a c h a t s
e t
v e n t e s
de la part de celui à qui elle est adressée ; tant que l’écrivain
n’a pas reçu une réponse, il peut se dédire (‘). »
« Le proposant, estime de son côté M. Pardessus, peut se
rétracter le lendemain, le surlendemain de la lettre, en un
mot, avant l’arrivée de la réponse du correspondant (2). »
(Sic B. L. S., n° 35.)
104. M. Duranton, au contraire, attache le sort de la vente
au seulfait de l’acceptation. Elle est parfaite, dit-il, si le chan
gement de volonté de l’auteur de la proposition, sa mort ou sa
démence n’avait eu lieu que depuis que l’autre partie aurait
manifesté son adhésion à la proposition, par l’envoi des mar
chandises, ou par une réponse, encore bien que la marchan
dise ou la réponse ne fût point encore parvenue à sa destina
tion au moment du changement de volonté, de la mort ou de
la démence ; car il y aurait eu concours des volontés, quoique
l’auteur delà proposition ne connût pas celle de l’autre partie
au moment de sa mort, de sa démence ou de son changement
de volonté (3). (Sic L. R., Des contrats commerciaux, h” 27.)
105. Mais qui empêche l’expéditeur d'arrêter les marchan
dises en cours de voyage, de les faire rétrograder, de leur
donner une tout autre destination? Quel moyen aurait l’au
teur de l’offre pour contraindre l’exécution d’un marché for
cément resté pour lui à l’état de proposition.
Celui à qui elle est adressée aurait-il répondu qu’il l’ac
ceptait ? Mais, à son tour,il peut demain ne plus vouloir ou
n’être plus à même de vouloir ce qu’il voulait et croyait pou
voir faire hier. Lui contestera-t-on le droit de se dédire,s’il
est impossible de ne pas le concéder au proposant ?
Or, que celui-ci puisse se rétracter tant que sa lettre n’a été
ni lue ni reçue par son destinataire, nous venons de l’établir.
Cette lettre, dit Merlin, n’étant qu’une série de paroles
adressées à un absent, reste sans effets possibles tant que
celui à qui ces paroles sont adressées ne les a pas entendues,
comme elles seraient sans effets si, étant adressées à une
(1) N° 25.'
(2) N° 250.
(3) T. 16, n« 45,
�113
personne présente, cette personne était,par une cause physi
que, hors d’état de les entendre.
Or,continue Merlin, comment une personne absente peutelle entendre les paroles qui lui sont adressées? Elle ne peut
certainement les entendre que par la lecture de la lettre qui
lui est adressée et qui les contient. La lettre par laquelle je
contracte une obligation ne peut donc remplir son objet
qu’autant que je puis être censé persister, au moment où
elle arrive, dans la volonté que j’avais en l’écrivant.
Dès lors, conclut Merlin, celui qui a d’abord accepté l’of
fre quilui est faite, peut modifier son acceptation, la rétracter
même, tant que la lettre qui L’annonçait n’est pas encore
arrivée aux mains de son destinataire. Conformément à ces
conclusions, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé
contre un arrêt de la Cour de Rouen qui l’avait ainsi jugé (‘).
L’opinion de M. Duranton atteint donc à ce résultat, que
l’auteur de l’offre serait lié par l’acceptation, tandis que celui
qui l’aurait donnée le serait encore si peu qu’il pourrait la
rétracter. Une pareille anomalie ne saurait être admise, un
contrat ne saurait être parfait pour l’un, imparfait pour l’au
tre, et puisque l’obligation de l'acceptant n’est acquise qu’à
la réception de la lettre qui l’annonce, celle de l’auteur de
la proposition ne reconnaît et ne peut reconnaître un autre
point de départ. Il peut donc jusque-là retirer sa proposi
tion, comme l’autre partie revenir de son acceptation (2).
106. Qu’arriverait-il si celui à qui on demande telle mar
chandise, pour un tel prix, expédiait immédiatement cette
marchandise sans répondre autrement.
Le principe que nous venons de rappeler résout cette ques
tion, l’auteur de l’offre aurait incontestablement le droit de
CONDITIONS GKN KitALKS. EFFETS
( l ) R èp ., v° V en te. § 1, art. 3, n° 11 h is .
(2; Nous exam inerons plus loin à propos des règles de com pétence l ’éial de
la jurisprudence à ce sujet (in fra , n° 444).
Nous luisons sim plem ent remarquer ici qu’alors qu’il eût été si facile à la Cour
de Cassation de proclam er une doctrine m ettant fin à cette controverse, elle a
m ieux aim é, par une appréciation fort contestable en soi, ne voir Ifi. qu’une
question de pur fait, abandonnée à l’arbitraire des tribunaux (C ass., 6 août 1867.
D . 6 8 .1 ,3 5 ; — 30m ai 1881, J . P . 8 2 .1 .1 2 5 ).La Cour de Paris a paru se rallier
à cette opinion (22 novem bre 190.0, .T. T . C., 1901,496).
A chats et ventes
8
�ACHATS ET VENTES
114
la retirer jusqu’à réception de l’avis de l’expédition, et ,si en
fait il l’a retirée avant, il n’v a jamais eu de vente.
Néanmoins Pothier estimait que dans cette hypothèse le
correspondant qui, dans l’ignorance du changement de vo
lonté, de la mort ou de la démence, avait fait partir les mar
chandises demandées, était fondé à contraindre à l’exécution
du marché l’auteur de la demande, ses héritiers ou ses
représentants.
Mais ce résultat, Pothier l’induisait,non comme conséquence
d’une vente qu’il enseigne n’avoir jamais existé, mais de l’ap
plication du principe que toute personne doit être indemni
sée du préjudice que lui occasionne le fait d’autrui.
Or, dans notre hypothèse, celui dont se plaindrait l’expé
diteur serait incontestable. On ne saurait lui reprocher d’a
voir agi avec précipitation, car une exécution sans délai
d’une commande est trop dans les convenances commercia
les, dans l’intérêt de l’auteur de cette commande pour qu’il
puisse s’en plaindre. Cependant, en se dépouillant de ses
marchandises, il s’est interdit la possibilité de les vendre à
d’autres et d’éviter ainsi la baisse qui a pu survenir. L’ex
pédition a donné lieu à des frais d’emballage, de transport
pour l’aller qui s’aggraveraient de ceux de retour si la mar
chandise restait pour son compte et s’il devait la reprendre.
Ne serait-il pas souverainement injuste de laisser ces frais
et tous les risques à la charge de l’expéditeur? Ou l’auteur
de l'offre a fait une demande irréfléchie, ou il ne cherche,
en la rétractant, qu’à éviter une perte que les circonstances
lui font entrevoir. Qu’on lui permette de reprendre sa parole
soit, mais à la condition de remettre celui qu’il a provoqué
dans la position qu’il avait avant cette provocation.
C’est au reste ce que la doctrine tant ancienne que mo
derne a toujours enseigné. A l’opinion de Pothier, M. Troplong ajoute celle de Balde, dont il rappelle les termes :
P'uto tamen quoclrecipiens nuncium vel epistolam, si alignas
impensàs fecisset vel damna habuisset propter nuncium vel
epistolam ante scientiam vel certiorationcm de pænitentia
mittentis ad expensas et damna posseret agere.
L’obligation d'indemniser reconnue et admise, ses consé-
�115
quences sont naturellement indiquées dans notre hypothèse.
Les marchandises expédiées doivent rester pour le compte
de celui qui en a réclamé l’envoi, sinon en force de la vente,
comme l’enseigne M. Troplong, du moins à titre de domma
ges-intérêts, en réparation du préjudice qu'il a occasionné.
107. M. Pardessus arrive au même résultat, mais en se
plaçant à un autre point de vue, en ne voyant dans l’opéra
tion qu’un contrat de commission.
« Lorsque, dit-il, une lettre a été écrite non dans les ter
mes d’une proposition, mais dans ceux d’un ordre ou com
mission d’acheter et d’eDvoyer telle marchandise à tel prix,
soit que celui à qui la commission est donnée fournisse la
marchandise, ce que nous verrons n’être pas interdit (‘),
soit qu’il doive les acheter, c’est moins une convention de
vente qu’un contrat de commission ; et comme ce contrat
devient parfait non seulement par l’acceptation expresse do
la personne à qui le pouvoir est adressé, mais encore par
l’exécution qu’elle lui donne sans autre déclaration de vo
lonté, ce que nous venons de dire en cas de vente n’est pas
applicable dans toute son étendue. Le commerçant qui, à la
réception de cet ordre, s’est mis en devoir de l’exécuter, a
par cela seul opéré ce concours de volontés suffisant pour
former le contrat (2). »
L’hypothèse dans laquelle se place M. Pardessus et les
conséquences qu’il en déduit sont incontestables. Il est évi
dent que s’il s’agit d’un ordre d’achat, son exécution immé
diate est dans les prévisions de celui qui le donne, et que celui
qui le reçoit n’a à s’expliquer que s’il refuse le mandat qui
lui est donné.
108.11 n’y a donc aucune assimilation possible entre cette
hypothèse et celle où il s’agit d’une proposition d’achat adres
sée à celui à qui on demande de prendre la qualité de ven
deur. Le contrat n’est dans ce cas parfait que par le consen
tement de celui-ci, consentement qui esi censé ne pas
exister tant qu’il n’est pas connu de celui qui le provoque.
Celui-ci ne peut donc jusque-là être considéré comme
CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
(l l N oire C om m . de la C o m m issio n , n" 27.
(■ ) N° 251.
�11.6
ACHATS ET VENTES
acheteur, mais il est incontestablement tenu en raison, en
équité et en droit, d’indemniser du préjudice que son offre a
occasionné, et comme la détermination des dommages-inté
rêts appartient souverainement aux juges, rien n’empêche
rait que l’exécution donnée au marché lui fût imposée à ce
titre.
109. Le doute qu’on ne saurait guère concevoir lorsqu’il
s’agira d’une proposition d’achat, peut surgir dans le cas
d’offres de vendre. On sait que les commerçants qui corres
pondent entre eux se transmettent ordinairement les prix
courants de la place, et surtout ceux des denrées et mar
chandises dont ils traitent plus spécialement.
D’autres fois ce sont des circulaires que les détenteurs
d’une matière répandent à profusion, et dans lesquelles ils
oflrent de vendre à des prix déterminés.
Tandis que l’un soutiendra avoir reçu une des circulaires,
l’autre prétendra n'avoir envoyé que les prix courants, il
faudra donc tout d’abord déterminer la nature et le caractère
de la proposition.
110. On ne saurait à ce sujet prévoir des doutes bien
sérieux. Il est difficile de confondre l’envoi de prix courants
avec celui de circulaires. Le premier n’est donné et reçu qu’à
titre de renseignements qu’un correspondant intelligent et
dévoué doit à son correspondant. On ne saurait donc y voir
une proposition de vendre.
Toutefois cet envoi pourrait avoir un autre objet; s’il éma
nait d’une maison de commission, il ne ferait que solliciter
des ordres dont l’exécution reste toujours subordonnée à
l’état du marché au jour de leur réception. La maison ne
contracte d’autre obligation que celle de remplir les com
mandes qu’on lui demanderait s’il y a possibilité de le faire.
111. Quant aux circulaires des commerçants en gros,
fabricants ou autres détenteurs de denrées et marchandises,
M. Pardessus distingue. En général,dit-il, lorsque des offres
sont faites par des circulaires, catalogues ou autres annon
ces qui s’envoient indistinctement et sans qu’il ait existé des
relations antérieures, on doit sous-entendre toujours la con
dition que celui qui les fait ne s’engage à fournir les choses
�117
offertes qu’au cas où il ne les aurait pas vendues à d’autres ou
qu’autant qu’il s’en trouvera sur le lieu, s’il n’a fait que des
offres de fournir par commission. Au contraire, si les offres
sont en quelque sorte individuelles et plutôt une véritable
proposition de vendre à cette personne qu’une offre faite à
quiconque recevra la circulaire, celui qui fait la proposition
ne pourrait refuser de livrer, si la demande lui est adressée
immédiatement après la réception de la circulaire. Seule
ment, si l’offre était d'un corps certain, il faut qu’il ne soit
pas péri lorsque l’acheteur répond qu’il accepte la propo
sition (').
11 2 . La doctrine de M. Pardessus est exacte, lorsqu’elle se
borne à distinguer si l’auteur de la circulaire a provoqué des
ordres ou fait une offre. Mais nous ne saurions partager son
opinion, s'il entend subordonner la nature de l’opération
au plus ou moins de publicité de la circulaire. Qu’importe,
en effet, qu’elle ait été envoyée indistinctement et sans
qu’il ait existé do relations antérieures. Elle n’en sera pas
moins une offre de vendre, si, en effet, le but qu’elle se
propose est de solliciter des acheteurs. L’offre, dans ce cas,
sera même individuelle pour chacun de ceux qui la recevront
et qui n’ont ni à rechercher, ni à s’enquérir si leur voisin a
été favorisé du même envoi. L’absence de relations antérieu
res ne saurait non plus être d’aucune considération. En pro
voquer de nouvelles et plus étendues est trop dans les con
venances et les nécessités du commerce, et l’intérêt qui s’y
attache explique fort bien les tentatives faites dans ce sens.
La distinction de M. Pardessus signale la difficulté que la
détermination du véritable caractère de la circulaire peut
faire surgir. Il convenait donc de rechercher les éléments
de sa solution; ces éléments sont d’abord les termes mêmes
de la circulaire, il est impossible, en effet, que si l’auteur
n’a offert et promis que son concours, que l’exécution des
ordres qui lui seraient donnés, on n’en trouve pas la preuve
dans la teneur de sa circulaire.
Un autre élément non moins décisif peut résulter du genre
CONDITIONS GENERALES. EFFETS
p ) N» 269.
�118
ACHATS ET VENTES
de commerce auquel se livre habituellement l’auteur ; si la
maison qui envoie la circulaire est une maison de commis
sion, si elle s’y intitule telle, et qu’en indiquant le prix des
choses qu’elle offre elle mentionne le taux de la rétribution
qu’elle entend se réserver, on déciderait avec raison qu’elle
n’a proposé que de servir d’intermédiaire. On ne saurait
donc lui demander autre chose, ni la faire considérer comme .
ayant offert de vendre.
Que si l’auteur de la circulaire, se disant détenteur de la
chose, indique le prix qu’il entend en retirer, il y a évi
demment proposition de vente, et par conséquent obliga
tion pour lui de livrer, si l’acceptation est immédiatement
envoyée. L’autoriser à ne pas le faire sous prétexte qu’il a
vendu à d’autres, ou que la chose ne se trouve pas sur les
lieux, ce serait lui reconnaître la faculté d’exécuter la vente
en cas de baisse de l’article, de l’annuler en cas de hausse ;
c’est-à-dire livrer l’acheteur à sa discrétion.
C’est donc par la qualité prise dans la circulaire, par ses
termes et les conditions qui y sont stipulées, qu’on résoudra
la question de savoir s’il y a vente ou non ; si l’offre est
actuelle et définitive, ou si elle ne renferme que l’annonce
d’un projet non encore arrêté (Sic. Ripert, p. 43).
113. Ace sujet, on s’est demandé si les termes : Je veux
vous vendre telle chose pour la somme de... contiendraient
une offre de vendre que l’acceptation rendrait définitive?
Nous lisons dans Pothier que Cyrus ne voyait là qu’un
pourparler, parce que vouloir vendre n’est pas encore ven
dre, de même que vouloir monter sur un arbre n’est pas y
monter.
Mais, continue Pothier, Fabien de Monte soutiept au con
traire avec plus de raison que ce discours exprime cette
.vente qui a toute sa perfection. Il répond à l’objection qu’il
est vrai que vouloir faire une chose ce n’est pas encore la
faire lorsque cette chose consiste dans un fait extérieur;
ainsi vouloir monter sur un arbre n’est pas encore y mon
ter. Mais vouloir faire une chose qui se fait par la seule vo
lonté de la faire, sans aucun fait extérieur, c’est la faire.
C’est pourquoi vouloir vendre, c’est la même chose que ven-
�119
dre, lorsque la volonté de celui à qui je veux vendre concourt
avec la mienne; et direye veux vendre, c’est la même chose
que dire je vends (*).
114. Ce qui imprime à cette doctrine un caractère juridi
que incontestable, c’est que les termes je veux vendre indi
quent une volonté née, actuelle, arrêtée, dont la réalisation
est uniquement subordonnée à l'acceptation de la proposi
tion par celui à qui elle est adressée. Cette acceptation arri
vant avant toute rétractation, il y a ce qui suffit à la perfec
tion de la vente, c’est-à -dire entente parfaite sur ses conditions
essentielles, puisque celui-ci veut vendre, celui-là acheter
telle chose, à tel prix.
Mais il n’en serait pas de même si l’intention de vendre
n’était indiquée que comme un projet sans indication du
moment de sa réalisation, par exemple, ces expressions : je
voudrais vous vendre telle chose au prix de... Fabien de
Monte et Pothier ne considèrent pas cette locution comme
une proposition de vendre, parce que verbum imperfecti
temporis rem adhuc imperfectam signifient. Aussi, enseigne
ce dernier, quoique vous ayez répondu que vous voulez bien
en donner le prix, il n’y a pas encore vente, et je puis changer
de volonté, à moins que je ne vous aie répliqué que c’était
une affaire faite, ou quelque autre chose de semblable (°).
Au reste, les difficultés de cette nature se présenteront
beaucoup plus en fait qu’en droit. Elles constituent des ques
tions d’intention des parties, d’interprétation des termes de
la convention, de leurs sens réels. Les tribunaux sont donc
appréciateurs souverains et n’ont d’autre guide obligé que
les inspirations de leur conscience.
115. Le concours des volontés sur le caractère du contrat,
sur la chose et sur le prix, rend la vente parfaite. Dès ce
moment, dit l’article 1583 du Code civil, la propriété est
acquise à l’acheteur, à l’égard du vendeur, quoique la chose
n’ait pas été encore livrée, ni le prix payé.
La conséquence la plus importante qui s’en déduit est
CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
(‘)N° 33.
(2) Ibid.
�120
■ ACHATS ET VENTES
([ue, dès ce moment aussi, les risques de la chose sont à la
charge de l’acheteur,et que si elle périt avant la délivrance,
la perte est pour son compte, res périt domino.
Cette conséquence suppose d’une part que la vente est
pure et simple ; d’autre part, qu’elle a pour objet un corps
certain et déterminé.
Si la chose a été vendue au poids, au compte ou à la
mesure ; si elle doit être dégustée, la vente est parfaite par
le concours des volontés en ce sens, que chaque partie a le
droit de contraindre l'autre à prendre ou à livrer la chose
vendue, et,par conséquent, à opérer la dégustation, le pesage,
comptage ou mesurage (art. 1585 et 1586 C. civ.). Mais les
risques ne passent sur la tête de l’acheteur qu’après l’opéra
tion qui déterminera et précisera ce qui a fait la matière
de la vente. Jusque-là, la chose vendue, confondue avec celle
de même nature que possède le vendeur, n’est pas certaine,
et il serait impossible de déterminer si la perte a porté sur
elle, ou sur celle qui devait rester au vendeur.
Si l’acheteur consent à recevoir la marchandise et à l’em
magasiner, il peut (nous dirions volontiers il doit) être con
sidéré comme acheteur pur et simple, ayant renoncé, par
cette réception au pesage et au mesurage, et en conséquence
l’avarie ou la perte survenue dans ses magasins sera laissée
à sa charge (Cass., 7 juin 1830. D. rep. v° Ven te, nos275et 283).
116. Le caractère de la vente, au point de vue de ses effets
et notamment de la responsabilité de la perte survenue
dans l’intervalle du contrat à l’exécution, est, on le voit, d’un
puissant intérêt. Nous devons donc rechercher et exposer
les règles auxquelles la doctrine et la jurisprudence en ont
subordonné la détermination.
Aucun doute ne saurait surgir, si la vente est d’un corps
certain et déterminé. Nous avons traité de l’achat et de la
vente du trois-mâts la ViUe-de-Marseil/e, de 500 tonneaux,
ancré dans tel port ou sur telle rade, ou en cours de voyage.
La vente est parfaite, elle a définitivement transféré la pro
priété à l’acheteur, et si depuis lors le navire a péri, la perte
est exclusivement pour son compte, alors même que le prix
ne serait pas encore exigible. De même si je vous vends tout
�CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
12 t
le blé déposé en mon nom aux docks ou se trouvant dans
mon magasin.
117. Aucune difficulté ne saurait non plus exister, mais,
dans l’autre sens, si nous avons traité de 50 balles laine,
10 barriques de vin, 200 hectolitres blé. L’acheteur a le droit
d’exiger, et le vendeur l’obligation de livrer l’objet vendu
on nature et quantité. Il est possible que, depuis le contrat,
ce dernier ait perdu 50 balles de laine, 10 barriques de vin,
200 hectolitres de blé. Mais comment établira-t-il que les
uns ou les autres étaient précisément ceux qu’il avait ven
dus ? Tant que la chose restait en sa possession, confondue
dans son actif personnel, le droit de l’acheteur n’était ni
certain, ni déterminé. On ne pourrait donc lui infliger la res
ponsabilité de la perte.
11 y a même plus, la chose vendue au poids, au compte, à
la mesure, ne se placerait pas en dehors de cette règle, alors
même qu’elle eut été spécialisée par le contrat, donnant l’in
dication du lieu où elle se trouve lorsqu’elle est à prendre
sur une quantité plus considérable, par exemple si les 50 bal
les de laine ont été déclarées reposer dans tel magasin, les
vins et le blé à bord de tel navire, ou à l’entrepôt ou dans les
magasins de la douane.
Tout l’effet de cette stipulation se réduirait à empêcher le
vendeur d’offrir une autre marchandise que celle renfermée
dans le local désigné, mais elle ne pourrait autoriser une
exception à la règle si générale, si absolue de l’article 1585
du Gode civil (Cf. B. L. S., n° 146).
1 1 8 . La seule dérogation que comporte le principe est
celle édictée par l’article lui-même, et dont l’article 1586
déduit les conséquences. La vente en bloc, per aversionem,
transfère la propriété actuelle et met la chose aux risques de
l’acheteur même avant le pesage, comptage ou mesurage.
Ce résultat, disait Domat, tient à ce que dans cette vente on
sait précisément ce qui est vendu, le prix en est invariable,
alors mêmequ’on aurait exprimé la quantité ; l'insuffisance du
poids ou de la mesure ne produit d’autre effet que de donner
à l’acheteur une action pour obliger le vendeur à parfaire (‘).
C) P roc.-vérb. du Cons. d ’Elat, du 22 décem bre 1803.
�122
ACHATS CT VENTES
Mais cela suppose que le tout, déclaré d’une telle conte
nance, ou d’un tel poids, est vendu pour un prix unique et
uniforme. Comme l’observait Domat, si ce prix a été stipulé
à tant pour chaque pièce, pour chaque livre, pour chaque
mesure, la vente, quoique portant sur un tout déterminé,
n’exigerait pas moins pour sa perfection le comptage, pesage
ou mesurage;
119. Nous n’avons pas besoin de relever l’importance de
la détermination du caractère de la vente en cas de perte
survenue entre le contrat et son exécution. De cette déter
mination en effet, dépend la responsabilité de l’une ou de
l’autre des parties.
Or, rien ne serait plus facile si on ne devait considérer
comme vente en bloc que celle qui porterait sur un tout sans
mention de nombre, de poids ou de mesure, et pour un prix
convenu et arrêté.
Mais l’article 1585 prouve que la mention du nombre, du
poids, de la mesure n’a rien d’antipathique à la vente en bloc,
il la suppose au contraire à tel point qu’il règle le sort de la
vente avant le pesage, comptage ou mesurage.
D’autre part, la stipulation d’un prix unique et déterminé
n’établit pas nécessairement la vente en bloc, puisque sa
quotité peut avoir été calculée sur le nombre, sur Je poids
ou la mesure promis et à raison de tant pour l’un ou pour
l’autre.
Cependant plus la question était difficile à résoudre, et plus
il convenait de tracer les règles auxquelles il faut se référer
pour donner la solution. Voici celles que Pothier recomman
dait :
120. Première règle. — Il n’est pas douteux que la vente
est faite à la mesure, lorsque le prix est expressément con
venu pour chaque mesure, soit que le contrat porte qu’on
vend tous les muids de blé qui sont dans tel grenier à rai
son de tant par muids, soit qu’il porte qu’on vend un tas de
blé qui est dans un tel grenier, qui contient dix muids, à rai
son de tant le muids. Dans l’un et dans l’autre cas, la vente
est faite à la mesure. Toute la différence est que dans le pre
mier le surplus de ce qui se trouverait au delà de dix muids
�123
n’est pas vendu, au lieu que dans le second tout le tas (le blé
est vendu, quoiqu’il se trouve plus de dix muids.
Deuxième règle. — Lorsqu’on vend tant de mesures d’une
telle chose, la vente ne cesse pas d’être à la mesure quoique
les termes du contrat n’expriment qu’un seul prix ; comme
lorsqu’il est dit qu’on vend dix muids de blé pour 500 livres,
ce prix n’étant censé n’être que le total du prix pour lequel
chaque muids est vendu.
Troisième règle. — Lorsqu’on vend pour un seul prix, non
tant de mesures d’une telle chose, mais une telle chose qu’on
dit contenir tant de mesures, la vente est faite per aversionem ; comme lorsqu’il est dit qu’on vend pour la somme de
1.000 livres un tel pré, qu’on assure être de la contenance
de 20 arpents. En conséquence la chose est, dès le moment
du contrat, aux risques de l’acheteur. L’expression du nom
bre des arpents n’a d’autre effet, dans ce cas, que d’obliger
le vendeur à faire raison à l’acheteur du défaut de conte
nance, s’il s’en trouve moins (4).
121. M. Troplong trouve ces règles d’une justesse irrépro
chable, et en recommande l’observation que la jurisprudence
a d’ailleurs consacrée.
La Cour d’Orléans appliquait les deux premières lorsque,
le 27 décembre 1816, elle jugeait que lorsqu’une vente de
bois a été faite pour un prix fixé par arpent, et que le nom
bre d’arpents vendu est déterminé dans le marché pour un
prix total également déterminé, on ne peut pas dire que la
vente ait été faite en bloc et non à la mesure ; qu’ainsi un
arpentage est préalablement nécessaire pour fixer la conte
nance du bois vendu, parce qu’on peut présumer que s’il y
avait plus d’arpents dans la vente que ceux indiqués dans le
contrat, l’acheteur n’eût pas porté à un prix aussi élevé celui
de chaque arpent.
Par application de la troisième, la Cour de cassation décla
rait, le 24 août 1830, que la vente d’un baril d’azur de 100 ki
logrammes, moyennant le prix de 1.000 francs, était faite en
bloc et non à la mesure. (Rec. gén., Dev. et Carr., t. 9,
CONDITIONS GÉNÉRALES. EFFETS
(l ) No 310. Sic. N îm es, 31 octobre 1908. G. P ., n° du 17 déc, 1908 et la note.
�ACHATS ET VENTES
424
1” partie, p. 679. Cf. cass., 1" mars 1902. D. 1902.1.190).
122. Cet arrêt, approuvé par M. Trop long, est critiqué par
M. Duvergier. Lorsque le contrat indique la quantité, dit ce
dernier, il n’y a vente en bloc que si, dans l’intention des
parties, le poids ou la mesure ne doit exercer aucune influence
sur la quotité du prix, et que si le vendeur n’est pas obligé
de les parfaire l’un ou l’autre. Or, dans l’espèce, si le ven
deur eût envoyé un baril de 95 kilogrammes, l’acheteur
aurait eu le droit d’en réclamer cinq, c’est-à-dire qu’il se fût
trouvé dans la même position que s’il eût acheté 100 kilo
grammes à raison de 10 francs l’un ; donc, la vente était,
non en bloc, mais à la mesure (*).
12 3. M. Duvergier aurait incontestablement raison en droit
romain. Sous son empire, la vente en bloc excluait toute
indication de quantité, il fallait que la vente comprît omne
vinum, vel oleum, vel frumentum, vel argentum quantumtumgue esset, uno pretio (s). D’où Cujas concluait qu’il n’y
avait vente en bloc que lorsque les choses étaient transmi
ses confuse et acervatim, pretio insimul diclo, non in singulas res constituto.
En droit français, cette vente serait non seulement en bloc,
mais encore à forfait. Tout pesage, comptage ou mesurage
serait inutile, car ses résultats seraient sans influence sur le
contrat, le plus ou moins dans la quantité restant à l’avan
tage ou aux risques de l’acheteur.
Ce n’est donc pas cette vente dont s’occupe l’article 1586
du Code civil, et puisqu’il prévoit la nécessité du pesage,
comptage ou mesurage dans la vente en bloc, c’est qu’il ad
met ce caractère lorsque la quantité de la chose vendue a
été indiquée ; c’est que, comme Pothier, il m’attribue alors
à cette indication d’autre effet que d’obliger le vendeur à
parfaire la contenance déclarée, et c’était justice.
La preuve, en effet, qu’on n’a pas traité au poids ou à la
mesure, c’est qu’on n’a ni acheté ni vendu à tant le quintal
ou la mesure, mais le prix unique et total n’en a pas moins
été calculé sur la quantité réelle de la chose. Il est certain
(*) T. 1, nos 90 et suiv.
(s) L. 15, §5, Dig'. de Cont.
em.pt.
�125
que celui qui croit acheter 10 muids de blé à 500 francs,
donnerait un prix moindre si on ne devait lui en livrer que
six, que huit, que neuf.
D’ailleurs, en commerce on ne procède guère à l’aveugle,
et celui qui achète pour revendre entend avant tout être fixé
sur le prix de revient. Il faut donc qu’il rapproche le prix
qu’il donne de la quantité de ce qu’il doit recevoir, et qui
devient l’élément essentiel de la détermination du prix. Dans
l’espèce de l’arrêt de la Cour de Cassation, par exemple,
l’acheteur ne donnait 1.000 francs du baril d’azur que parce
que sa contenance de 100 kilogrammes lui faisait revenir la
marchandise à 10 francs le kilogramme. Eût-il traité s’il avait
pu craindre qu’elle lui revînt à 11 ou 12 francs ? Sans doute
la vente ne serait pas à forfait, mais son caractère de vente en
bloc résultera suffisamment : 1° de ce que la chose est inté
gralement et en totalité cédée ; 2° de la stipulation d’un prix
déterminé. L’indication de la quantité ne saurait en ces cir
constances lui enlever ce caractère. Elle n’est plus en effet
que la détermination de la chose vendue, qu’un minimum
sur lequel le prix a été établi. Livrer une chose d’une conte
nance ou d’une capacité moindre serait donc enlever au con
trat une de ses conditions essentielles, l’identité de chose.
Ainsi, dit M. Troplong, je vous vends pour 1.500 francs,
tout le sucre qui est dans mon magasin, de la quantité de
■ 1.800 kilogrammes. Une telle vente est faite en bloc et
n’est pas conditionnelle. Le prix est certain, la chose déter
minée, les éléments du contrat se présentent sans modifi
cation, sans suspension et avec un caractère pur et simple.
A la vérité, il est ajouté que la quantité du sucre s’élève à
1.800 kilogrammes, mais c’est là une énonciation purement
démonstrative ( ’).
Voct allait plus loin encore, il admettait comme vente en
bloc celle qui transférait la chose dans son ensemble, malgré
que le prix eût été stipulé à tant la mesure : Non aliud dicendum est si c/uis omne vinum in dolio reconditum seu doleare,
vendat, atque ita lotum corpus vini, dolio contenu, pretio sic
CONDITIONS GÉNÉRALliS. IiFI'T.TS
(')
N” 92.
�1-2(5
ACHATS ET VENTES
constituio, ut proportione mesiiræ. Per admensionem manifestandæ, solvatur pétunia ; sic ut admensio non conditionem
facial, ex qua vis obligations suspensa hæreret, sed tantum
modum demonstrationemque quandam quantitalis vint pure
pleneque clistracti (4).
La condition exigée par Voët paraît peu conciliable avec
une vente en bloc, puisque le prix ne sera certain et déter
miné que par le mesurage. Mais elle se rencontre dans l’hy
pothèse de M. Troplong pour laquelle il est rationnel de dire
avec Voët que le mesurage n’est exigé quo usque possis,
neque tamen icleo condilionalem, aut needum perfectam facti
venditionem.
Dans la vente à tant la mesure, le mesurage est le complé
ment forcé du contrat, dont seul il déterminera le prix. Il
peut donc être réclamé par le vendeur comme par l’ache
teur.
C’est ce dernier seul qui peut l’exiger lorsque la vente
comprend la totalité de la chose déclarée d’une telle conte
nance pour le prix de..... Son résultat unique serait pour
lui le droit d’être indemnisé du déficit sur la quantité indi
quée. Le bénéfice étant purement personnel, comment recon
naître qu’un autre que lui pût le réclamer.
Le vendeur n’aurait action que s’il devait à son tour être
indemnisé de l’excédent sur la quantité déclarée. Or, ce droit
n’a jamais existé. La raison, dit Pothier, est que le champ,
par exemple, qu’on a déclaré par erreur de dix arpents,
quoiqu’il fût de douze, a été vendu entier. L’intention" des
parties n’a pas été qu’il en fût rien excepté. La clause, par
laquelle le vendeur accuse qu’il est de dix arpents n’est
qu’en faveur de l’acheteur ; c’est le vendeur seul qui promet
et s’engage. L’acheteur, par cette clause, ne contracte aucune
obligation, et par conséquent ne peut être tenu de faire rai
son du surplus de la contenance (2).
Evidemment, dans l’hypothèse de M. Troplong, celui
qui a vendu tous les sucres qu’il a dans son magasin pour
1.500 francs, n’a entendu ni s’en réserver aucuns, ni rien
() Ad Pandectes, lib. 18, lit. 6, n° 4. De
(M N» 255.
Per. et Gomm. rei vend.
�127
recevoir au delà de cette somme. A quel titre donc préten
drait-il en retenir une partie quelconque, ou en exiger le
prix? Comment, dès lors, lui reconnaître la faculté de pro
voquer un mesurage auquel l’acheteur déclarerait renoncer?
Qu’on ne dise pas que c’est là créer une inégalité choquante,
cette inégalité, relativement à l’exécution du contrat, est la
conséquence forcée de la nature des choses, de la position
respective des parties au moment du marché.
L’acheteur ne peut apprécier le prix qui lui est demandé,
et arrêter celui qu’il doit offrir, que relativement à la quan
tité de la chose qu’il doit recevoir en échange. Cette quan
tité, il n’a pu la vérifier, ni avant la vente, ni au moment
de sa conclusion, puisqu’elle lui est cédée en bloc. Il a donc
dû accepter la déclaration qui lui en a été faite, et dont il
ne pouvait contrôler la sincérité. Ce qui lui a été vendu est
donc la quantité déclarée qu’il doit recevoir comme juste
équivalent du prix qu’il donne, admettre le contraire, c’était
appeler et encourager la mauvaise foi, la déloyauté et la fraude.
Le vendeur, au contraire, quoique vendant en bloc, n’i
gnore pas, ne doit pas ignorer la contenance réelle de ce
qu’il vend. 11a les choses en sa possession, il peut les comp
ter, peser ou mesurer ; dans tous les cas, ses livres consta
tant les entrées et les sorties indiquent par cela même ce
qu’il a encore en sa possession. Son intérêt à être fixé, est trop
évident pour qu’il se plaigne qu’on lui en ait fait le devoir.
Ainsi, le vendeur accusant moins se trompe volontairement
ou commet une faute ; l’acheteur à qui on indique plus est
trompé, et la preuve qu’il n’entend pas l’être, c’est que,
achetant en bloc, il exige la déclaration du poids, du nom
bre ou de la mesure ; nous avons raison de dire que cette
différence dans la position justifie celle que nous signalons
dans le résultat.
Si, comme l’indiquent Lyon-Caen et Renault (n° 132), on
avait vendu une masse à raison de tant le poids, il est certain
que le prix dépendant du poids et l’incertitude régnant jus
qu’au pesage, la vente a un caractère conditionnel (Cf. Cass.,
20 avril 1870, D. 71. 1. 11). Mais ici la situation est diffé
rente et comme le font remarquer avec raison Baudry-LacanCONDITIONS GÉNÉRALliS. EFFETS
�•128
ACHATS ET VEN TES
tinerie et Saignat (n° 148), dans cette hypothèse, si la chose
vendue est bien déterminée, le prix ne l’est pas. Il ne le
sera que par une opération ultérieure de comptage, de
pesage ou de mesurage. Avant cette operation il manque
quelque chose à la vente, d’où cette conséquence légale qu’elle
n’est point parfaite au point de vue du transfert des risques.
124. Les termes de l’article 1585 ont fait surgir une dif
ficulté sur leur portée réelle. En effet, la vente au poids ou
à la mesure n’est déclarée imparfaite jusqu’au pesage ou
mesurage, que relativement aux risques restant jusque-là à
la charge du vendeur. Faut-il en conclure que la vente est
parfaite à tous autres égards, qu’elle a, le point de vue des
risques excepté, transféré la propriété de la chose vendue ?
L’intérêt qui s’attache à la solution de la question est facile
à saisir dans l’hypothèse de la faillite du vendeur avant le
mesurage ou le pesage.En effet, l’acheteur quia payé le prix
pourra on non revendiquer la chose, et en exiger le pesage
ou mesurage suivant qu’on décidera qu’il en a ou non acquis
la propriété.
Or, la conséquence la plus immédiate du droit de propriété
est de placer la chose aux risques de celui à qui elle appar
tient, res périt domino. Il semble donc qu’en laissant ces
risques à la charge du vendeur jusqu’au pesage ou mesurage,
l’article 1585 a par cela même déclaré que la propriété n’a
pas cessé de résider sur sa tête.
Mais, d’autre part, l’article 1583 vient de déclarer que la
vente est parfaite entre les parties, et la propriété acquise
de droit à l’acheteur dès qu’on est convenu de la chose et du
prix, et l’article 1585 semble appliquer ce principe lorsqu’il
autorise l’acheteur à exiger la délivrance. Comprendrait-on
cette faculté s’il n’avait encore aucun droit de propriété sur
la chose.
Il y aurait donc, entre la première et la dernière dispo
sition de l’article 1585, une contradiction évidente, une ano-t
malie étrange qu’on ne peut admettre dans la pensée du
législateur. Cette pensée, la discussion au Conseil d’Etat va en
indiquer et préciser la nature.
Dans le projet préparé par la commission, notre article
�J'IiSAüK, COMPTAGE,
.'1USVHAU K
12 U
portait : Lorsqu’on vend au poids, au compte ou à la mesure,
la vente n’est point parfaite que La marchandise ne soit pe
sée, comptée ou mesurée.
Le tribunatfit observer que cette rédaction donnerait nais
sance à une grave difficulté. Oh pourrait en conclure, disait
son orateur, qu’il n’y a pas même de vente, en sorte que
l’acheteur n’aurait pas même le droit de forcer le vendeur à
l’exécution de son engagement. Cependant cet engagement
existe, et le vendeur peut toujours être obligé ou à délivrer
la chose vendue, ou, s’il ne le fait pas, à payer des dom
mages-intérêts.
« Le seul effet que doive produire la circonstance énoncée
dans l’article, est que n’y ayant pas d’accomplissement de
la vente, quoique la vente existe, les risques que court la
chose vendue sont, dans ce cas particulier, à la charge du
vendeur jusqu’au pesage, comptage ou mesurage. »
Ces observations, qui firent consacrer la rédaction actuelle,
en expliquent la portée. Ainsi que le disait M. Faure dans
son rapport au Tribunat, dans la vente au poids, au compte
ou à la mesure, l’acheteur ne peut devenir propriétaire des
marchandises que lorsqu’elles auront été pesées, comptées
ou mesurées, car jusque-là rien n’est déterminé, et tant qu’il
n’y a rien de déterminé, les marchandises restent au vendeur.
C’est sous ce point de vue que la vente n’est pas parfaite..
Au surplus, il existe un engagement réel entre les parties
dès le moment du contrat. De cet engagement réciproque
résulte pour l’acheteur le droit de demander la délivrance en
faisant la vérification convenue; et pour le vendeur le droit
de demander le prix, en offrant de faire la livraison.
De son côté, le rapporteur du Corps législatif n’était ni
moins formel, ni moins précis. 11 était important, disait-il,
de distinguer le cas où il v à transmission de propriété de
ceux où il n’y en a pas, quoiqu’il y ait toujours l’engagement
qui fait le principe de la vente, cet engagement dont l’exé
cution peut être réclamée.
« La raison de cette distinction est que dans le cas où la
vente est parfaite par le seul consentement, la chose vendue
est la propriété de l’acquéreur, et dès lors elle est à ses risA chats
ht vfpïtes
9
�ACHATS ET VENTES
130
ques, d’après la règle si connue res périt domino, au lieu
que lorsque la vente existe à la vérité, mais qu’on ne peut pas
la considérer comme accomplie ayant le secours de quelques
autres circonstances, la chose vendue est aux risques du ven
deur ; en sorte que, si auparavant elle périt, c’est pour le
vendeur qui n’est pas encore dessaisi de la propriété. »
On ne peut donc conserver un doute. Le marché au poids,
au compte ou à la mesure, est une vente parfaite. Mais la
propriété ne sera transférée que par le pesage, comptage ou
mesurage, non que nous admettions un défaut de détermi
nation, puisque la chose est indiquée par l’espèce et la quotité,
et l'article 1129 du Code civil n’exige que cela, ni qu’on doive
prendre en considération que la marchandise reste en la pos
session du vendeur, puisque aux termes de l’article 1138 cette
possession n’est pas un obstacle à ce que la chose demeure
aux risques du créancier.
A nos yeux, l’effet admis par l’article 1583 s’explique
d’abord par la règle édictée par l’article 1138. Le défaut de
tradition ne fait pas obstacle à la responsabilité du créan
cier, mais du jour seulement où cette tradition a dû s’opérer.
Jusque-là donc la chose reste aux risques du débiteur. Or,
dans la vente au poids, au compte ou à la mesure, l’époque
de la livraison n’est que celle du pesage, comptage ou mesu
rage. Dès lors, les risques ne peuvent concerner l’acheteur.
Ensuite, et en abordant les principes spéciaux à la vente,
nous expliquons la disposition de l’article 1585 par ce fait que
la chose, toute déterminée qu’elle soit par son espèce et sa
quotité, n’est pas encore individualisée, de telle sorte qu’il
serait impossible de décider si cette chose achetée et vendue
devait être prise là plutôt qu’ailleurs.
« Dans une vente de ce genre, enseigne M. Pardessus,
l’acheteur ne peut prétendre que la propriété lui a été trans
mise par la convention, et faute de délivrance obtenir le droit
d’enlever des magasins du vendeur une portion des marchan
dises de l’espèce de celles que désignerait la convention.
Tout son droit se réduit à des dommages-intérêts (*). »
�131
Comment dès lors comprendre que le vendeur pût, après
la perte survenue avant la délivrance, en laisser la charge
à l’acheteur. L’absence de tout droit chez celui-ci exclut
toute idée de propriété. Le vendeur aurait-il livré ce qui a
péri, ou toute autre chose ? Son allégation, uniquement dic
tée peut-être par le désir de se soustraire à la perte, ne sau
rait être accueillie, parce qu’elle serait injustifiable.
Loin donc de consacrer une exception à la règle res péril
domino, l’article 1585 n’en fait qu’une saine application. Oui
la vente au poids, au compte ou à la mesure, est parfaite dès
qu’il y a concours de volontés sur l’espèce et la quotité, et
sur le prix; mais la propriété ne sera transférée et acquise
que par le pesage, comptage ou mesurage qui précisera et
individualisera la chose qui a fait la matière du contrat (Cass.,
1er juil. 1874, D. 7(5. 1.473. — 7 janv. 1880, D. 80.1.129).
Doit-il en être autrement si, à l’indication de la qualité et
de l’espèce, on a joint celle du lieu où la marchandise est
reposée, par exemple dans la vente de 200 hectolitres blé ou
500 kilogrammes sucre de tel magasin ?
La doctrine ancienne n’avait pas hésité. Acceptant la déci
sion du jurisconsulte romain, elle disait avec lui : Si ex
doleario pars vini *venierit, veluti metretæ cèntum verissimum antequam admetiatur, omne periculum ad venditorem
pertinere (4).
Ainsi, disait Pothier, si l’on a vendu dix muids de blé de
celui qui est dans un tel grenier, dix milliers pesant -de
sucre, un cent de carpes, la vente n’est point parfaite que le
blé n’ait été mesuré, le sucre pesé, les carpes comptées ; car
jusqu’à ce temps, nondnm apparel quod venierit (*).
Voct, qui considère comme faite en bloc la vente de la tota
lité du vin d’un tel cellier, alors même que le prix en a été
stipulé à tant la mesure, ajoute: Secus si pars quædam vint
dolearis solummodo vendita esset, quia tune ante admensionem sciri nequit quæ pars vendita intelligatur (3).
PESAGE, COMPTAGE, MESURAGE
(') L. 35, § 7, D ig., de C o n t. em p t. V . I. 5, D ig., de P eric. el com re i v en d .
p ) N» 309.
(3) Loc. cil.
�ACHATS ET VENTES
132
C’est cependant en sens contraire que la Cour de cassation
s’est prononcée par arrêt du 11 novembre 1812.
Dans cette espèce un sieur Larue, débiteur du sieur Peyramont, lui vend 30 toises de bois à brûler, à prendre dans
ceux appartenant au vendeur, et notamment sur tous les bois
par lui achetés du sieur Cabanon et qui se trouvaient lors
de la vente dans le chantier du port de Sauviat. Le prix est
payé tant en compensation qu’en argent ; Larue prend qua
tre mois pour livrer les bois dont, au reste, il déclare n’être
plus que le gardien et le dépositaire.
Avant le mesurage, Larue, qui avait vendu et livré à des
tiers les bois dont il devait livrer 30 toises à Peyramont,
et qui, dans le flottage, avaient été confondus avec d’autres,
est déclaré en faillite. Peyramont revendique les bois par lui
achetés, tant contre les syndics que contre les tiers acheteurs.
Un jugement du tribunal de commerce de Limoges accueille
cette prétention, et ordonne que les 30 toises de bois seront
délivrées à Peyramont d’abord sur ceux qui étaient dans le
chantier indiqué par l’acte de vente, et subsidiairement sur
tous les bois qui pouvaient appartenir au failli.
Sur l’appel des syndics, la Cour de Limoges confirme le
jugement le l or septembre 1810. L’arrêt pose en fait que
Peyramont était devenu propriétaire incommutable des 30 toi
ses de bois, et que si ces bois étaient demeurés encore quel
que temps entre les mains de Larue, ce n’était que comme
conducteur et dépositaire ; que dès lors il avait le droit de
prendre les 30 toises de bois non seulement dans ceux qui
existaient dans le chantier indiqué par l’acte, mais encore
dans tous ceux qui pouvaient appartenir à Larue, à défaut
des premiers.
Cette conséquence ne paraît ni logique ni surtout juridi
que. En admettant que la propriété de la chose vendue eût
été transférée irrévocablement, parce qu’on l’aurait en quel
que sorte individualisée par la désignation du lieu où elle
se trouvait au moment du contrat, il est évident que cette
propriété n’était acquise que sur la chose reposant dans Je
lieu désigné, qu’elle ne pouvait s’étendre à des objets qui ne s’y
trouvaient pas, qui n’avaient peut-être jamais dû s’y trouver.
�PESAGE, COMPTAGE, MESURAGE
133
La Cour de Limoges s’écarte donc en ce point des princi
pes universellement admis. Elle ne les méconnaît pas moins
en consacrant la revendication en nature.
M. Pardessus vient de nous le dire, dans la vente au poids
ou à la mesure, l’acheteur n’a pas le droit d’obtenir l’auto
risation d’enlever des magasins du vendeur une portion de
marchandises de l’espèce que désignerait la convention, il n’a
que celui de demander la délivrance, et à défaut des dom
mages-intérêts. N’est-ce pas d’ailleurs ce qui est textuelle
ment écrit dans l’article 1585 du Gode civil ?
Cette limitation du droit de l’acheteur est remarquable,
surtout lorsqu’on rapproche l’article 1585 de l’article 1610.
Dans l’hypothèse de celui-ci, la propriété ayant été transfé
rée, l’acheteur a le droit d’exiger non seulement la délivrance,
mais encore sa mise en possession. En ne permettant pas ce
dernier droit, l’article 1585 n’a-t-il pas reconnu lui-même
que dans les conditions qu’il trace la propriété n’a pas été
transférée ?
C’est là, à notre avis,la réponse péremptoire à l'interpréta
tion que la Cour de Limoges fait de l’article 1585. L’arrêt
considère que la vente était parfaite, et que la circonstance
du défaut de mesurage du bois no pouvait pas empêcher la
translation de la propriété; qu’il en résultait seulement que,
jusqu’au mesurage, les risques étaient à la charge du ven
deur, mais que la vente n’en était pas moins définitive, et
que tout ce qui est arrivé depuis à Larue ne peut nuire à cette
propriété. C’est cequela Cour de Cassation admet également
en rejetant le pourvoi dont, l’arrêt de Limoges avait été
l’objet {Rec. gén. Dev. et Carr., t. 4, 1" partie, p. 221).
Merlin reproduisant cet arrêt sans observation semble en
approuver la doctrine. M. Duranton l’adopte explicitement
et en fait la base de son opinion.
125. Mais M. Troplong la repousse, et avec pleine raison
selon nous. La Cour de Cassation, en déclarant que l’arti
cle 1585, loin de déroger à l’article 1583, en confirme le
principe, en décidant que, même dans lé cas qu’il prévoit, la
vente est parfaite à tous autres égards que les risques, donne
�ACHATS ET VENTES
134
au premier un sens que ses auteurs ont bien positivement
entendu lui refuser.
Nous avons déjà vu que, dans la discussion au Conseil
d’Etat, dans les observations du Tribunat, le principe que
dans la vente au poids ou à la mesure la perfection du con
trat, quant à la propriété, était subordonnée au pesage ou
mesurage, était universellement admis,et que si la vente n’a
pas été déclarée imparfaite jusque-là, c’est qu’on a craint que
ces expressions ne parussent repousser l’idée d’un lien obli
gatoire quelconque pour les parties.
Aussi voyons-nous M. Grenier,dans son rapport au Corps
législatif, reconnaître que, dans le cas de l’article 1585, la
vente existe, mais qu’on ne peut pas la considérer comme
accomplie avant le secours de quelques autres circonstances.
La conclusion de M. Grenier est que si la chose périt avant,
•c’est pour le vendeur quin’estpas encore dessaisi de lapropriété.
« L’article 1583, continue M. Grenier,consacre le principe
général, le consentement seul donne l’essence à la vente et
emporte transmission de la propriété, une exception à ce
principe est consignée dans l’article 1585.
« Donc, dans le cas de ce dernier, il n’y aurait de vente
accomplie et consommée qu’après la pesée, le compte ou le
mesurage de ce qui a été vendu ; jusque-là la perte ou les
accidents seraient à la charge du vendeur.
« Par la même raison si, avant l’une ou l’autre de ces opé
rations, le vendeur les revendait et les délivrait à un tiers,
celui-ci en aurait la propriété exclusivement au premier
acheteur, en faveur duquel il n’y a pas eu transmission de
propriété. »
En présence de cette interprétation déjà loi par le légis
lateur lui-même, on ne peut se faire un doute sur la nature
et le caractère de sa disposition. Si les risques sont à la
charge du vendeur, c’est qu’il est resté seul propriétaire, ce
n’est pas une exception à la règle res périt domino que l’ar
ticle 1585 édicte, c’est son application qu’il consacre
Il est vrai qu’il autorise l’acheteur à exiger la délivrance,
mais il lui refuse la faculté de se faire mettre en possession,
ce qui egt l’attribut incontestable de la propriété. Celle-ci
�135
n'existe doncpaset ne peut s’induire du droit de demander la
délivrance. Ce droit n’est que la conséquence du caractère
que le législateur assignait à l’opération, qui, disait Portalis,
constitue au moins une obligation précise de vendre (*), La
demande en délivrance n’est que la conséquence de cette
obligation, qu’une mise en demeure de lui donner l’exécution
que sa légalité exige et commande.
Nous pensons donc avec M.Troplong que la vente au poids,
au nombre ou à la mesure, est parfaite en ce sens que le
vendeur est obligé de livrer, et l’acheteur de recevoir la
chose convenue en espèce et quantité.Mais jusqu’au pesage,
comptage ou mesurage, la propriété est d’autant moins trans
férée, que la chose ne sera réellement déterminée que par
leur accomplissement, c’est-à-dire que l’effet du contrat se
trouve naturellement suspendu jusqu’à la réalisation de la
condition qui doit en faire le complément (2).
M. Duvergier refuse à la stipulation du pesage, comptage
ou mesurage, le caractère de condition, puisque l’opération
n’est pas un événement futur et incertain, et que ce n’est pas
même un fait indépendant de la volonté du vendeur et à l’exé
cution duquel il ne puisse être contraint, puisqu’au contraire
le texte de l’article 1585donne à l’acheteur ledroitde deman
der la délivrance, c’est-à-dire le droit de faire opérer le pesage
ou le mesurage ; et que si les lois romaines et les auteurs
ont employéen cette occurrence le mot condition, le Code civil
ne s’en est pas servi (il ne s’en sert que pour les ventes à
l’essai, article 1588). En conséquence M. Duvergier admet
que lorsque, comme dans l’espèce de l’arrêt de la Cour de
Cassation, les marchandises ont été désignées non seulement
par leur espèce et leur quotité, mais encore par le lieu où
elles sont reposées, la propriété est transférée (3).
Donc M. Duvergier admet qu’à défaut d’indication du lieu
qui les renferme, la propriété des marchandises vendues au
poids ou à la mesure n’est transférée que par le pesage o,u
le mesurage.Cette concession est la condamnation de sa docPESAGE, COM PTAGE, MESURAGE
(*) Exposé clés m otifs de l'article 1585.
(S;N 0’ 86 et suiv. •
(3) C o n tin u â t, de T o n llie r , t. 16, n“s 81 et suiv.
�ACHATS ET VENTES
trine. L’indication du lieu fera bien que le vendeur ne pourra
offrir, et l’acheteur exiger des marchandises autres que cel
les qui y sont reposées, mais bien certainement elle ne fera
pas cesser l'incertitude sur la part qui sera livrée, et celle
qui restera au vendeur. Dans ce cas, comme dans l’autre, il
sera vrai de dire comme Voct : Scire acquit quæ pars venilita intelligalur ; et si cette incertitude est dans une hypo
thèse un obstacle au transfert de la propriété,on ne saurait
sans inconséquence lui refuser cet effet dans toutes celles où
son existence est évidente et certaine.
Peut-on d’ailleurs'raisonnablemenfprétendre qu’au moment
du marché le pesage ou mesurage n’est pas un fait futur et
incertain ? Peut-on dire avec M. Duvergier qu’il ne dépend
même pas entièrement du vendeur? Oui, l’acheteur a le droit
de le réclamer, mais non celui d’y contraindre matériel
lement le vendeur s’il persiste dans son refus, la loi le rédui
sant dans ce cas à demander et à obtenir des dommagesintérêts.
C’est là l’explication du silence gardé par le Code sur la
conditionnalité de la vente au poids ou à la mesure. L’idée
d’une condition emporte celle de la résolution pure et sim
ple, sans indemnité pour personne. Ainsi, dans l’hypothèse
de l’article 1588, le résultat de l’essai fixera le sort de la
vente, sans dommages-intérêts de part ni d’autre.
C’est ce que la loi n’a pas voulu, ne pouvait pas vouloir
dans l’hypothèse d’une vente au poids ou à la mesure. Le
lien légal résulte du contrat lui-même et l’opération prévue
n'en est que l’exécution. Le vendeur pourra bien s’y refuser,
mais, comme dans toutes les obligations de faire, à condi
tion d’indemniser le vendeur du préjudice qu’il éprouvera
de l’inexécution. Comme le disait Portalis, le vendeur a con
tracté l’obligation précise de vendre, et l’on ne pouvait l’au
toriser à s’en dispenser impunément.
Les objections de M. Duvergier ne sont ni en fait ni en
droit la réfutation de la doctrine de M. Troplong, et ne sau
raient en affaiblir l’autorité.
Pouvait-on, dans l’espèce de l’arrêt de la Cour de Cassa
tion, décider comme on l’a fait, parce que la convention
�137
avait transféré la propriété à l’acheteur et déclaré que le ven
deur n’était plus que le dépositaire de la chose vendue ?
Sur ce point, nous différons avec M. Troplong lui-même,
qui paraît l’admettre. Une clause de ce genre pouvait bien
lier les parties, mais elle n’était, opposable ni au tiers ache
teur, ni à la masse des créanciers du vendeur.
Le premier, en effet, achetant une marchandise en mains
de son vendeur, n’avait pas à s’enquérir et à se préoccuper
de la nature de sa possession. La délivrance qui lui en était
faite, fût-elle la violation d’un dépôt, n’en était pas moins
irrévocable, puisque la revendication du propriétaire n’est
autorisée qu’en cas de perte ou de vol.
Quant à la masse, elle est, par la déclaration de la faillite,
investie de tout l’actif du failli qui se trouve en sa possession.
Elle ne devrait restituer les dépôts que si leur existence était
constatée conformément à l’article 91 du Code de commerce.
On pouvait d’autant moins lui opposer l’acte de vente, qu’à
défaut de mesurage la chose vendue n’était pas même déter
minée et précisée.
Comment, d’ailleurs, l’acheteur eût-il été recevable à exi
ger d’elle sa mise en possession, lorsqu’il n’aurait pu l’ob
tenir de son vendeur lui-même. Représentant de celui-ci, la
masse, qui avait succédé à ses droits, était sans doute tenue
de ses obligations. Or, celle du vendeur étant dans notre
hypothèse de délivrer la chose ou de supporter les domma
ges-intérêts, ses créanciers, ses ayants droit se trouvaient
exclusivement soumis à cette seule alternative. La jurispru
dence a adopté cette opinion (Cass., 1" juillet 187 4, D. 76.1.
473 et 7 janvier 1880,D. 80.1.129. — Sic. B. L. Sn°*. 150-151.
— Contra L. R. n° 131 et 1L p. 138.)
125 bis. Aucun doute ne saurait donc exister. Dans la
vente au poids, au compte ou à la mesure, la chose vendue
ne devient la propriété de l’acheteur que par le mesurage,
pesage ou comptage.
La raison qui l’exigeait ainsi c’est que tant que cette opé
ration ne s’est pas réalisée, la chose vendue est incertaine,
rien n’étant venu l’individualiser et la distinguer de ce qui
reste au vendeur.
PESAGE, COMPTAGE, MESUHAGK
�ACHATS ET VESTES
138
Dès lors, si cette incertitude a cessé d’exister, si 1 identité
de la chose vendue est évidente et acquise, où donc serait la
raison d’être de l’application de la disposition de l’article 1585
du Code civil.
Les juges ont donc à se demander si cette identité existe
ou non, et leur appréciation à ce sujet est souveraine. Cette
appréciation a ses éléments naturels dans la nature de la
vente, dans le caractère des accords des parties, dans leurs
déclarations et les circonstances dans lesquelles-elles ont
traité.
Le pesage, comptage ou mesurage,est facile et rien ne lui
fait obstacle lorsque acheteur et vendeur résident sur le lieu
même où se trouve la chose vendue.
Mais ce n’est pas ce qui se réalisera le plus souvent. En
commerce, les ventes se traitent assez habituellement par
correspondance. On a donc dû se demander à quel moment
le pesage, comptage ou mesurage, sera considéré comme
ayant été opéré etla propriété passée sur la tête de l’acheteur ?
Respondeo, disait Casaregis, ab Mo instanti quo mercator,
cui datus fuit ordo merces transmittendi, sarcinas mercium
compostât, ac nautæ, vel nlulioni, aul alii portitori eas tradidil pro eis committenti consignandis, statim incommittentem illarum dominium transmisse.
Cette solution, Casaregis l’induit de ce que : Mercator transrnittens merces ex ordine sui corresponsalis duplicem induit
persortant, imam nempe venditoris, alteram procuratoris sia
corresponsalis emptoris, cujus vice et nomine a se ipso recipit mercium traditionem, mensurationem, ac ponderaüonem
vel numerationem convento prelio, quod in libris ac epistolis
reciproce intervenientibus adnonatun, ex quo sequitur, quod
data deinde decoctione mercatoris committentis prædictæ
merces transmissæ considerantur in illius vel de illiuspatrimonio, licet adhiic ipsæ existèrent in navi, vel penes mulionem autportitorempaut in dohana in quo depositæfuissent (*).
Ce qui était vrai du temps de Casaregis n’a pas cessé de
l’être aujourd’hui.Le vendeur sur correspondance réunit à sa
O D isc., 38, n°a 51, 52, 53.
�139
qualité de vendeur celle de mandataire de l’acheteur, soit
quant au pesage, comptage ou mesurage des choses vendues,
soit quant au choix du voiturier chargé de les transporter,
si d’ailleurs cet acheteur ne l’a pas désigné lui-même, et comme
la remise à ce voiturier spécialise et individualise la chose
vendue, cette chose devient la propriété exclusive de l’ache
teur et reste désormais à ses risques.
La jurisprudence paraît avoir adopté l’opinion de Casaregis. Les deux arrêts de la Cour de Cassation du 24 décembre
1875 et de la Cour de Besançon du 25 mai 1904 (infrà 125 ter)
sont formels dans ce sens.
La thèse adverse aboutirait d’ailleurs au plus singulier ré
sultat.
Le vendeur restant propriétaire et par conséquent ayant
jusqu’au pesage la charge des risques doit avoir hâte d’arri
ver au moment où, la propriété étant transférée, il n’aura plus
aucune responsabilité.
Comprendrait-on qu’ij subît sans y être forcé un retard considérabfe ; qu’il consentit à se dessaisir de sa chose sans au
cune garantie, sans même savoir si à l’arrivée, hors de sa pré
sence, l’acheteur fera procéder à un pesage loyal 1
N’est-il pas plus naturel de penser que s’il n’a pas voulu
exiger que l’acheteur vînt chez lui avant le départ de la mar
chandise pour réaliser le pesage contradictoire, ce n’a été
qu’à la condition que cet acheteur acceptât d’être représenté
par le voiturier, et qu’il se déclarât par avance lié à la suite
d’opérations qu’il dépendait de lui de venir ou faire contrôler?
Rien ne pourrait justifier une supposition contraire, à moins
bien entendu, car en ces matières il faut toujours en revenir
là, que la convention des parties ne fût très claire dans le
sens opposé.
Un autre arrêt de la Cour de cassation, du l ”r juillet 1874
nous offre un exemple de dérogation à la règle de l’arti
cle 1585 du Code civil, fondée sur le caractère de la conven
tion et sur l’exécution que cette convention avait reçue.
Il s’agissait là de la vente d’une quantité déterminée de
peaux en poil, traitée entre parties résidant sur des places
différentes, sous cette condition que les peaux seraient direcPESAGE, COMPTAGE, MESC1UGE
�140
ACHATS ET VENTES
tement remises en magasin par le vendeur pour le compte
de l’acheteur.
3.128 douzaines avaient été effectivement remises lorsque
le vendeur fait faillite. A qui devaient-elles appartenir de
l’acheteur ou de la masse ?
L’arrêt qui les attribuait au premier était déféré à la Cour
de Cassation comme violant l'article 1585 du Code civil. Mais
le pourvoi était rejeté par la Cour,et voici par quels motifs:
« Attendu que si, aux termes de l’article 1585 du Code
civil, la vente de la marchandise faite au poids, au compte
ou à la mesure, quelle que soit d'ailleurs l’intention des par
ties exprimée, à cet égard, n’a pas pour effet de transférer à
l’acheteur la propriété delà marchandise vendue tant qu’elle
n’a pas été pesée, comptée ou mesurée, il appartient au juge
de fait de décider souverainement, d’après les aveux, la cor
respondance des parties et les circonstances de la cause, si
réellement il a été procédé au pesage, comptage ou mesu
rage de la marchandise vendue, de telle sorte que, par cette
opération, la marchandise ait été individualisée en un corps
certain et déterminé dont l'acheteur a pu devenir proprié
taire ;
« Attendu que l’arrêt attaqué constate, en fait, que les mar
chés intervenus le 30 juin 1809 et 4 mai 1870, ont eu pour
objet la vente d’une certaine quantité de douzaines de peaux
en poils, de différentes espèces,pour un prix déterminé pour
chaque douzaine ; 2° un contrat de louage d’ouvrage pour le
mégissage de ces peaux à faire pour le compte de l’acheteur
moyennant un prix distinct du prix de vente ;
« Qu’il résulte de la correspondance des parties et des
énonciations des factures, que l’acheteurs'en^apportait à Gar
nier vendeur pour tout ce qui concernait le choix des peaux
vendues, leur numération et leur remise aux mégissiers ;
« Qu’antérieurement à la période de la faillite, Garnier
avait remis en mégie pour le compte de Chevillard acheteur
3.128 douzaines desdites peaux; que par le fait de cette mise
en mégie les peaux avaient été séparées des autres marchan
dises restant en magasin, et que la vente qui en avait été
faite à Chevillard, à l’état de peaux en poils, a reçu son
�l’USAGlî, COMI'TAGK, MKSUBAGH
'141
complément par la numération, la sélection et la mise en
mégie desdites peaux pour le compte de Chevillard ;
« Attendu qu’en décidant, dans ces circonstances, que ces
3.128 douzaines de peaux parfaitement distinctes de celles
restant dans les magasins de Garnier et nettement spéciali
sées pour le compte de Chevillard, ont pu, à bon droit, être
revendiquées par celui-ci, l’arrêt attaqué, loin de violer les
articles de loi invoqués, en a fait une juste application aux
faits par lui souverainement constatés. » (J. P. 1877, 278.)
Ce qui se dégage de cette jurisprudence, c’est que, comme
nous le disions, la règle tracée par l’article 1585 du Code
civil a pour fondement unique l’incertitude qui, dans les
ventes au poids ou à la mesure, existe sur la chose vendue,
tant qu’il n’a pas été procédé au comptage, pesage ou me
surage. Or cessante, causa cessai effectus. Dès que cette incer
titude n’existe plus, dès que d’une manière quelconque la
chose vendue a été précisée, qu’elle ne saurait désormais
être confondue avec celles restant au vendeur, on ne sau
rait recourir à l’article 1585. Le principe ordinaire reprend
son empire. Le concours des volontés sur la chose et sur le
prix rond la vente parfaite, et fait passer la propriété de la
chose vendue sur la tête de l’acheteur.
Comme toutes les questions de fait, celle de savoir si l’objet
vendu a été ou non spécialisé et individualisé, est appréciée
et décidée souverainement par les deux degrés dejjuridiction. Les juges ont pour éléments naturels de cette apprécia
tion les aveux, la correspondance des parties, le caractère
et la nature de la vente, les circonstances de la cause.
125 ter. Cette précision résultera-t-elle du pesage non con
tradictoire auquel aurait procédé le vendeur au lieu d’expé
dition et de la remise par lui au voiturier de la chose ainsi
pesée? Un arrêt de la Chambre criminelle ayant à fixer le lieu
où avait été commis un délit de falsification et rendu confor
mément aux conclusions très énergiques et très documentées
de l’avocat général Desjardins(24 décembre 1875.1).76.1.91)
a adopté l’affirmative en ces termes: « Attendu que lorsqu’il
(!) Su prù, n" 115 in fine.
�142
s’agit de marchandises vendues au poids, la commande adres
sée par écrit à un marchand en gros par un marchand de
détail ne résidant pas dans la même ville implique nécessai
rement de la part de celui-ci un mandat conféré au vendeur
de procéder par lui même ou selon le cas par le voiturier
dont le choix lui est laissé à l’opération du pesage destiné à
individualiser la marchandise; que dès lors aussitôt que cette
marchandise ainsi pesée est sortie des mains du vendeur et
a été remise entre les mains du voiturier, la vente est deve
nue parfaite dans le sens de l’article 1585. »Ricn de plus net
que ces motifs. Malheureusement la Chambre civile a ulté
rieurement affaibli la portée doctrinale de cet arrêt en rédui
sant là encore la question à une question de fait abandonnée
complètement à l’appréciation des tribunaux (l0rjuillet 1889.
D. 91.1.302). Il nous paraît pourtant résulter des termes de
cette décision que dans le doute il faudra s’en référer au prin
cipe énoncé dans l’arrêt du 24 décembre 1875 (Cf. Besançon,
25 mai 1904, G. P. 1904.1.735, suprà n° 125 bis).
125 quater. D’après la loi du 20 juin 1866, tout article sè
vendant au poids et non mentionné au tableau 9 annexé est
vendu au poids net (art. 2).D’autre part, certaines marchan
dises inscrites au tableau comportent une tare fixe (par exem
ple l’arsenic blanc est vendu en barils de 200 à 205 kilos, et
supporte une tare de 11 kilos) à laquelle l’acheteur a tou
jours le droit de renoncer pour réclamer le poids net (art. 3).
L’emballage de la marchandise vendue au poids brut doit
être conforme aux habitudes du commerce (art. 4) ; il reste
à l’acheteur, sauf les exceptions portées au tableau, et
enfin, lorsqu’il y a deux emballages, l’emballage antérieur
en tant qu’i l est considéré par l’usage comme marchan
dise et qu’il est conforme aux habitudes du commerce est
compris dans le poids net (art. 6). Toutes ces dispositions ne
sont d’ailleurs applicables que sauf conventions contraires
(art. 1).
Pour certaines marchandises, l’usage a fixé également le
mode et les instruments devant servir à la mensuration. Le
tribunal de Marseille a jugé avec raison le 28 décembre 1893
(R. D. M. IX, 551) qu’en matière commerciale l’usage a force
a c h a t s
et
v e n te s
�143
(le loi tant qu’une pratique contraire ne l’a pas modifié et qu’il
n’appartient pas au juge de le réformer : en conséquence si
des avoines ont été vendues à l’hectolitre, le mesurage doit
se faire d’après le mode usité au lieu de la livraison (en
l’espèce le chevalet) sans qu’il y ait lieu de rechercher la plus
ou moins grande supériorité d’un procédé (en l’espèce la tré
mie conique) réclamé par le vendeur comme plus exact pour
la détermination du poids spécifique.
1 2 6 . Le pesage, comptage ou mesurage, doit être accompli
à l’époque fixée par la convention. Mais les parties peuvent
avoir omis de s’expliquer à ce sujet ; quel sera l’effet de ce
silence ?
Le vendeur ne saurait évidemment prétendre ni que l’opé
ration peut être indéfiniment ajournée, ni que son opportu
nité a été entièrement laissée, à ses convenances. L’acheteur
objecterait, avec beaucoup plus de raison, que si aucune épo
que n’a été désignée, c’est qu’elle devait se réaliser immédia
tement.
Il serait donc recevable et fondé à l’exiger, sinon immé
diatement, au moins après un délai que la position du ven
deur commanderait, comme s’il avait vendu ce qui n’était
pas encore en sa possession.
En tous cas, le tribunal suppléerait au silence du contrat,
fixerait l’époque à laquelle l’opération devrait être réalisée,
à peine de résiliation avec dommages-intérêts.
127. Le vendeur ne peut de son côté être livré à la volonté
ou au caprice de l’acheteur. Il peut avoir un égal intérêt
à la consommation de la vente, et cet intérêt lui donne une
action pour contraindre l’acheteur.
Mais, avant de s’adresser aux tribunaux, il doit mettre
i’aclietéur en demeure et lui indiquer le moment et le lieu
du mesurage, avec sommation de venir y procéder. Quel serait,
par rapport aux risques, l’effet de cette mise en demeure ?
Dans la vente pure et simple, la mise en demeure pourrait
avoir placé la chose aux risques de l’acheteur. L’article 1138
du Code civil autorise cette conséquence.
Il ne saurait en être ainsi dans la vente au poids ou à la
mesure. Nous venons devoir que, pour ce qui concerne les
PESAGE, COMPTAGE, MESEUAGE
�ACHATS ET VENTES
144
risques, la vente n’est parfaite que par l’opération qui, indi
vidualisant la chose, en met les risques à la charge de l’ache
teur. Or, la sommation de venir peser ou mesurer n’est encore
ni le pesage ni le mesurage,en conséquence les risques res
tent naturellement pour le vendeur.
Mais, en refusant d’obéir à la sommation, l’acheteur a man
qué à l’engagement qu’il avait contracté, et cette violation de
la foi promise ne saurait rester impunie pas plus pour lui que
pour le vendeur légalement obligés l’un et l’autre, la peine
de l'inexécution est également encourue contre l’auteur de
cette violation.
Nous croyons donc qu’après comme avant la mise en de
meure le vendeur ne pourrait prétendre que la chose a péri
pour le compte de l’acheteur. Mais il lui dirait avec raison:
Si, obéissant à la sommation, vous aviez pris livraison et
enlevé les marchandises, elles n’eussent point péri. Votre
refus ou votre retard a donc seul déterminé le préjudice
dont je suis menacé;et comme il était illicite, vous devez en
subir les conséquences et m’indemniser comme j’aurais été
tenu de le faire si je m’étais permis l’un ou l’autre.
1 2 8 . M. Duranton, qui enseigne que le vendeur a dans ce
cas droit à une indemnité, estime qu’il doit recevoir, à ce
titre, le prix intégral de la chose périe depuis la mise en
demeure. Nous croyons avec M.Troplongque cette doctrine
est trop absolue ; qu’elle ne tient pas assez compte de l’in
dépendance souveraine et absolue des tribunaux en matière
- d’appréciation de la réparation du préjudice.
Sans doute les juges pourront allouer au vendeur le prix
intégral de la marchandise périe. Mais dès qu’il s’agit de
dommages-intérêts, on ne saurait leur interdire d’avoir égard
aux circonstances, à la nature et au caractère du refus ou du
retard, aux causes qui l’ont déterminé, en un mot de res
treindre la réparation dans les limites que leurs lumières et
leur conscience leur feront reconnaître équitables et légi
times.
129. Une autre conséquence de la nature du droit du ven
deur est i’obligation de prouver le préjudice dont il demande
la réparation, et son imputabilité à l’acheteur. Cette obliga-
�145
lion serait remplie si, n’ayant jamais eu qu’un seul magasin
qui, renfermant toutes ses marchandises, comprenait néces
sairement celles que l’acheteur a refusé ou retardé d’accep
ter, ce magasin et tout ce qu’il renfermait avaient péri après
le délai imparti par la mise en demeure.
Si le vendeur a plusieurs magasins renfermant des mar
chandises de l’espèce de celles que le ^contrat comprend, la
perte ou l’incendie survenue de l’un de ces magasins ne
pourrait lui donner le droit d’être indemnisé par l’acheteur
sous prétexte qu’il entendait lui livrer les marchandises que
ce magasin renfermait. Cette allégation ne serait dans le
cas d’être accueillie que si, dans la mise en demeure, ce ma
gasin avait été expressément indiqué comme le lieu du pesage
ou mesurage, et par conséquent de la livraison.
130. A plus forte raison devrait-on refuser toute indem
nité si, malgré la mise en demeure, le vendeur ne justifiait
pas avoir été en position de livrer réellement ce qu’il offrait
de livrer.
L’acheteur pourrait prétendre (*) que le contrat n’a jamais
été sérieux ; que, sous l’apparence d’une vente, il cachait une
opération de jeu sur la hausse et la baisse ; que la somma
tion n’a été qu’une manœuvre pour déguiser le caractère de
la transaction, et faire croire à sa sincérité. Ces allégations,
le vendeur ne pourrait les détruire qu’en justifiant qu’au
moment de cette sommation il avait en sa possession de quoi
satisfaire aux engagements qu’il avait contractés.
131. En résumé,la vente au compte, au poids, àla mesure
est parfaite, en ce sens que le concours des volontés sur la
chose et sur le prix crée entre les parties un lien légal et
obligatoire. L’un s'est obligé à livrer la quantité convenue,
l’autre à la recevoir.
Mais la chose vendue ne sera précisée et individualisée
que par le pesage, comptage ou mesurage. Jusque-là donc
la propriété est restée au vendeur, qui demeure seul chargé
des risques, alors même qu’il aurait légalement mis l’acliePESAGE, COMPTAGE, MESliRAGE
(') Il ne le pourrait plus depuis la loi du 28 mars 1885. M ais l’obligalion du
vendeur de prouver qu’il avait la chose à sa disposition existe toujours. [ In fra ,
n° 3 7 ‘).
A chats et ventes
10
�ACHATS ET VENTES
146
teur en demeure de recevoir, sauf l’indemnité qui pourrait
lui être due.
Le lien résultant du contrat n’a pas d’autre sanction que
l’obligation de répondre du préjudice que l’inexécution cau
serait à l’autre partie.
Les parties sont évidemment toujours libres de stipuler
suivent leurs convenances et de modifier môme tacitement
les règles ci-dessus. C’est ainsi que la Cour de Cassation a
jugé le 7 avril 1908 (R.D.M.XXIV, 5) que les tribunaux ont le
pouvoir d’apprécier si dans une vente de marchandises au
poids, au compte ou à la mesure, il a été dérogé à la règle
posée par l’article 1585 en ce qui concerne l’époque delà per
fection du contrat et la charge des risques. Ainsi l’arrêt qui
considère comme une dérogation à ce texte le fait de vendre
une marchandise déjà pesée moyennant un prixfixé d’avance
donne une interprétation souveraine de l’intention des par
ties et ne peut être attaqué. La vente est donc parfaite et les
risques à la charge de l’acheteur dès le moment du contrat
sans qu’il y ait lieu à un nouveau pesage à l’arrivée. Par suite
la perte en cours de transport est à la charge de l’acheteur.
132. La vente des vins, huiles (l) et autres choses qu’on est
dans l’usage de goûter avant de les acheter obéit à d'autres
règles, elle n’est parfaite que par la dégustation ayant fait
agréer la marchandise offerte (art. 1587, C. civ.).
11 résulte de cet article que la condition de dégustation
n’a pas besoin d’être stipulée, elle se déduit de la nature
de la chose faisant la matière de la vente ; dès qu’elle est
dans la catégorie de celles qu’on est dans l’usage de goûter,
(l) L'article 7 du décret du 11 m ars 1908 portant règlem ent d'administration
publique pour l ’exécution de la loi du 1er août 1905 sur la répression des frau
des dans les ventes prescrit (art. 7) que dans tous les établissem ents où s’exerce
le com m erce des graisses et des huiles com estibles, les produits m is en vente
ou les récipients et em ballages qui les contiennent doivent porter une inscription
indiquant en caractères apparents la dénom ination sous laquelle ces produits sontm is en vente et en outre soit le poids net, soit le poids brut et la tare d’u sage.
D ’après la circulaire du m inistre de l ’Agricdlture du 25 juin 1898 aux agents du
service de la répression, l'indication du poids peut être rem placée par celle duvolum e dans les régions où il est d’usage de vendre au volum e et non au poid s.
11 en est de m êm e pour l ’indication du degré alcoolique de l’absinthe ne pou
vant être inférieur à 65 degrés (Art. 17, loi des finances du 26 décem bre 1908).
�DÉGUSTATION
147
il y a certitude qu’on n’a pas dérogé à cet usage. Cette dé
rogation ne pourrait être admise que si elle résultait expres
sément ou tacitement du contrat.
L’article 1587 ne doit pas être entendu en ce sens qu’il
soit libre aux parties d’annuler le marché, celle-ci en s’abs
tenant d’offrir la marchandise, celle-là en refusant de la
goûter. Quoique imparfait comme vente, le contrat n’en ren
ferme pas moins une obligation réciproque et produisant
tous ses effets; le vendeur est engagé à offrir en espèce et
qualité la chose promise, l’acheteur à en faire la dégusta
tion et à l’agréer, s’il y a lieu. De là,la faculté de se contrain
dre respectivement à l’exécution de cet engagement.
1 3 3 . Personne n’a jamais contesté ni mis en doute l’obli
gation du vendeur et la faculté pour l’acheteur de le con
traindre à l’exécuter. La seule difficulté dont on se soit
préoccupé est celle qui pouvait surgir de la tentative de
l’exécution. Si la chose offerte n’a pas été agréée, l’acheteur
pourrait-il exiger qu’on lui en fournisse une autre de nature à
être agréée ?
La Cour de Metz s’est prononcée pour la négative, en ju
geant,le 20 août 1827, que la vente n’étant pas parfaite pour
l’acheteur,ne pouvait lier le vendeur; que le premier,décla
rant ne pas agréer la chose offerte, avait épuisé son droit;
qu’il ne pouvait dès lors en demander un autre.
134. Cette doctrine, à notre avis, n’est juridique que si la
vente était d’un corps certain et déterminé. Il est clair que
si je vous ai vendu les vingt pièces vins ou les dix barriques
d’huiles renfermés dans tel magasin, et qu’après dégusta
tion vous déclariez les refuser, tout est terminé entre nous, et
vous ne pourriez exiger que je vous en offrisse d’autres. Mon
intention était de vendre, la vôtre d’acheter les vins ou hui
les renfermés dans le magasin désigné et pas autre chose, vo
tre exigence ne pourrait donc trouver un fondement quel
conque dans le contrat.
Mais si la vente porte in genere sur vingt pièces vins ou
dix barriques huiles, votre obligation est de m’offrir une mar
chandise acceptable, et mon droit de l’exiger. S’il en était
autrement, le sort de la vente serait livré au caprice et à la
�ACHATS ET VENTES
148
volonté du vendeur. Supposez, en effet, que la hausse sur
venue lui crée un intérêt à l’annulation du marché, il ne
manquera pas de s’en assurer le bénéfice, en offrant une
marchandise non acceptable. Or, nous ne saurions admettre
que l’article 1587 ait entendu favoriser et consacrer une
pareille fraude.
Mais, dit la Cour de Metz, la vente n’étant pas parfaite
pour l’acheteur, ne saurait lier le vendeur. L’égalité qu’on
réclame entre l’un et l’autre n’est pas admissible, et de ce
que l’opération n’est pas encore une vente parfaite, il ne
s’ensuit pas qu’elle n’a pu créer un lien obligatoire pour
le vendeur.
« Alors même, dit M. Troplong, que c’est l’acheteur qui
doit faire seul la dégustation (cas dans lequel notre article
déclare qu’il n’y a pas vente tant que l’acheteur n’a pas lait
connaître son agrément), il ne faut pas en conclure et croire
que la vente soit tellement imparfaite, que le vendeur puisse
s’en dédire tant qu'il n’y a pas eu dégustation et agrément
de l’acquéreur. Ce n’est qu’à l’égard de ce dernier que la
vente n’engendre pas encore un lien de droit véritable.Mais
le vendeur s'est obligé à livrer la chose au cas’ qu’elle serait
agréée ; il doit donc tenir sa promesse. Il y a engagement
à son égard, il peut être contraint à le remplir (n° 102). »
Cette opinion est la condamnation de la doctrine de l’ar
rêt et la consécration de celle que nous avons cru devoir
adopter. Si le vendeur est réellement et véritablement obligé,
il doit sérieusement remplir son obligation ; s’il peut y être
contraint, il ne saurait refuser d’offrir une chose acceptable.
C’est à quoi il s’est formellement engagé.135.
M. Duvergier l’enseigne formellement, en discutant
à son tour l’arrêt de la Cour de Metz. Cet arrêt, dit-il, est
fondé sur ce que l’acheteur n’étant pas lié, le vendeur ne
pouvait l’être. Il me semble que cette décision présente des
erreurs accumulées. D’abord l’acheteur est véritablement
obligé, seulement il est obligé sous une condition suspen
sive ; en second lieu, l’obligation du vendeur n’est pas subor
donnée à celle de l’acheteur ; en troisième lieu, l’arrêt luimême reconnaît l'existence du lien de droit, puisqu’il sup-
�149
pose, implicitement du moins, que le vendeur était tenu de
faire la première livraison. Enfin, lorsque l’obligation porte
sur une chose qui n’est désignée que par son espèce, le débi
teur est tenu de donner une chose de qualité moyenne ; le
créancier peut le contraindre à exécuter son engagement, ce
qui emporte non seulement le droit de refuser une chose de
mauvaise qualité, mais encore le droit de se faire délivrer
une chose de qualité bonne et convenable (T. 10, n° 109).
L’arrêt de la Cour de Metz s’écarte donc des principes. Il
était d’autant plus mal obvenu dans l’espèce, que, des échan
tillons ayant été transmis, l’acheteur réclamait une marchan
dise conforme, en refusant celle qui ne l’était pas. Or, comme
nous le dirons bientôt, il était incontestablement obligé, puis
qu’il n’aurait été ni recevable, ni fondé à refuser, si la mar
chandise était celle de l’échantillon.
Par contre, la vente portant sur une chose parfaitement
déterminée, l’obligation du vendeur de livrer au type con
venu était incontestable, et le droit de l’acheteur non seule
ment de refuser tout ce qui s’en écartait, mais encore de se
faire livrer une chose conforme, ne pouvait être méconnu.
Dalloz (Rep. v. Vente, n° 249) arrive aux mêmes conclusions
que la Cour de Metz, mais parce que le vendeur n'ayant pas
pris l’obligation de fournir du vin de telle qualité, avait
répondu suffisamment à la demande en envoyant le vin non
agréé et redevenait libre en reprenant sa marchandise. On
ne pouvait lui opposer un engagement général s’appliquant
à des choses déterminées seulement par leur espèce et dont
l’exécution pût être encore réclamée après le premier refus.
La Cour de Bordeaux a aussi jugé que celui qui a acheté
des vins de tel cru à prendre dans la cave du vendeur sous
la condition de dégustation ne peut dans le cas où il refuse
après dégustation d’agréer les vins, réclamer du vendeur ni
des dommages-intérêts pour défaut de livraison des vins
convenus, ni une livraison d’autres vins d’une qualité supé
rieure ou cEun prix plus élevé. En ce cas la vente est sim
plement non avenue. (26 juin 1854. D. 1855. 5. 404 — sic
Guillouard, De la vente, t. 1, n° 41).
L’ouvrage de B. L. S.(n° 163) fait ici une distinction qui nous
DEGUSTATION
�ACHATS HT VENTES
150
paraît sans utilité: lorsque l’acheteur a le droit d’apprécier
suivant son goût personnelle vendeur est dégagé s’ilaoffert
une marchandise non agréée. Mais si l’acheteur a renoncé
au droit de dégustation, il a alors le droit d’exiger une mar
chandise loyale et marchande, conforme d’une façon générale
au contrat et dont la qualité, en cas de difficulté, est à appré
cier par des experts. Or si l’acheteur a renoncé à son droit
de dégustation, l’article 1587 n’est évidemment plus appli
cable et c’est par les règles générales, usuelles qu’il faut
apprécier si la marchandise offerte doit être acceptée. Cela
nous paraît aller de soi(I). L’article 1587 n’énonce en effet,
qu’une présomption de volonté et les parties peuvent y re
noncer soit expressément, soit tacitement (Cass., 29 mai 1905.
D. 1905.1. 426).
136. Le vendeur qui peut être contraint à livrer, peut-il
contraindre l’acheteur à procéder à la dégustation et à rece
voir la marchandise offerte ?
L’affirmative paraît incontestable. Mais une distinction est
à faire relativement à l’exercice de ce droit.
L’article 1587 exigeant cumulativement la dégustation et
l’agrément, laisse le vendeur sans intérêt à poursuivre la
première, lorsque l’acheteur est personnellement et exclusi
vement chargé d’agréer ou de refuser. Sa résistance fait assez
prévoir ce qu’il ferait après dégustation. Comme son refus
serait souverain et qu’il n’a pas même à en déduire les motifs,
l’action du vendeur ne pourrait aboutir à un résultat quel
conque en sa faveur, la prudence lui ferait donc un devoir
de s’en abstenir, malgré son droit à l’intenter.
Mais rien ne s'opposerait à ce qu’il le fît valoir, si la dégus
tation avait été déférée à un tiers. La déclaration de l’expert
amiablement convenu, ou désigné par la justice, que la mar
chandise est acceptable et doit être acceptée, rendrait la
vente parfaite et définitive, et imposerait à l’acheteur le
devoir de s’en livrer.
1 3 7 . La question de savoir si la dégustation a- été réser
vée à l’acheteur ou remise à un tiers est donc, pour le ven-
(') M ontpellier, 31 mai 1900 sous C iv., 6 mai 1903. D. 1906. 1. 470.
�151
deur surtout, clu plus grave, du plus haut intérêt. Aucune
difficulté ne saurait naître si les parties s’étant entendues à
ce sujet, la convention est explicite et formelle.
A défaut de stipulation, et en présence d’allégations con
traires, c’est au juge qu’il appartient d’interpréter le contrat
et de déterminer quelle a été l’intention des parties. On
comprend que, dans son exercice, ce pouvoir ne puisse être
astreint à des règles positives et uniformes. Il ne comporte,
en effet, d’autre élément essentiel que les inspirations de la
conscience du magistrat.
138. Cependant la nature et le caractère de la vente sont
dans le cas de peser d’un grand poids dans la balance de
la justice.
Qu’une personne achète pour son usage particulier, pour
sa consommation et celle de son ménage une certaine quan
tité de vin ou d’huile, on admettra facilement qu’elle a entendu
procéder elle-même à la dégustation; la marchandise, quel
que loyale et marchande, quelque bonne qu’elle soit d’ailleurs,
peut ne pas lui convenir; et comme elle ne l’achète que pour
son usage, il est naturel d’admettre qu’elle s’en est référée
à son propre goût, on ne pourrait donc la contraindre à s’en
remettre au goût d’autrui.
139. Dans les achats de cette nature, la règle générale est
donc que la dégustation appartient exclusivement à l’acheteur.
La vente resterait sans effets par son refus d’agréer la chose
offerte.
Mais cette règle comporte exception ; et cette exception
n’a pas besoin d’être expresse, elle peut résulter des circons
tances, de la nature du marché : il appartient aux tribunaux
d’apprécier, d’après les conventions des parties et les cir
constances de la cause s’il y a eu ou non dérogation à la
condition de dégustation (Cass. 20 nov. 1894. D. 94.1.568) (*).
L’acheteur qui, même pour sa consommation, traite sur
échantillon, répudie le droit de déguster exclusivement la
marchandise, et de la refuser arbitrairement. Ce droit d’ail
leurs a .été exercé sur l’échantillon qui a dû nécessairement
être goûté et agréé.
DÉGUSTATION
t 1)
Snprà, i r
115
in fine.
�152
ACHATS ET VENTES
Cette acceptation réduit l’obligation du vendeur àlivrerune
marchandise conforme à l’échantillon. Tout se résume dès
lors dans la question de conformité (infra, n° 174).
Or, il est évident que sa solution ne peut être livrée à la
volonté et au caprice de l’acheteur. Entre lui et le vendeur
il ne s’agit plus que d’un fait matériel, que l’un affirme et
l’autre nie. La raison et la justice exigent dès lors l’interven
tion d’un tiers impartial dont les connaissances spéciales sont
dans le cas d’arbitrer le différend d’une manière équitable.
L’exception résulte implicitement de la convention, lors
que Ja marchandise a été désignée non seulement par son
espèce, mais encore par sa qualité. Voici l’exemple qu’en
donne M. Troplong :
Le commis-voyageur d’une maison de Bordeaux vient me
proposer des vins de Médoc, et je le charge de m’en expé
dier 300 bouteilles première qualité. On doit encore décider
que mon goût individuel n’est pas la règle du marché, car
si le vin qui m’a été expédié est de première qualité, il n’est
pas en mon pouvoir de ne pas le trouver bon, et si je nie
qu’il soit de la première qualité, les experts seuls en décide
ront. Dès le moment que nous avons déterminé la qualité que
devait avoir le vin, je me suis enlevé tout recours cà mon
goût individuel,car cette qualité a quelque chose de positif:
elle ne dépend pas du caprice arbitraire du sens de l’ache
teur (‘).
M. Troplong enseigne qu’il doit en être de même dans
l’hypothèse d’un achat directement commis par l’acheteur
avec indication de la nature de la marchandise et du prix
qu’il entend en donner. J’écris à une maison de Bordeaux de
m’expédier 200 bouteilles de Saint-Emilion à 2 francs la bou
teille. Dès l’instant que j’ai demandé moi-même l’expédition
du vin, j’ai renoncé à soumettre l’expéditeur aux décisions
arbitraires de ma volonté ; j’ai entendu me lier envers lui ;
il a été facilement convenu que je prendrai la marchandise
si la qualité était marchande. En conséquence, si les dégus
tateurs la déclarent telle, s’ils l’estiment valoir le prix cou-
�153
venu, je ne pourrai la refuser sous prétexte que jenc la trouve
pas bonne (*).
140. Quelque nombreuses que puissent être les exceptions,
leur existence ne saurait affaiblir la règle. Or, dans l’achat
pour la consommation, la règle générale est que la dégusta
tion et l’agrémentde la marchandise appartiennent personnel
lement et exclusivement à l’acheteur. Le recours à des tiers
n’est possible et admissible que lorsqu’on peut en induire la
nécessité soit de l’intention des parties, soit du caractère et
de la nature du marché.
En est-il de même dans l’achat commercial ? L’affirma
tive, à notre avis, ne pourrait invoquer aucun des motifs qui
la justifient dans la précédente hypothèse.
Le commerçant, achetant pour revendre, ne cherche pas
à satisfaire son goût personnel. La seule chose qu’il a en vue
est une marchandise loyale et marchande, dont l’écoulement
réalisera le bénéfice qu’il se promet de son opération.
S’en remettre exclusivement à lui quant à l’appréciation de
la marchandise ce serait le rendre l’arbitre suprême du sort
de la vente, et lui permettre de s’en dégager, si une baisse
survenue dans l’intervalle rendait la nullité du marché avan
tageuse pour lui.
Les exigences du commerce, la loyauté de ses opérations,
les entraves que leur susciterait un pareil état de choses en
imposaient le rejet par un motif d’ordre public en quelque
sorte (a). C’est ce qu’avait compris notre judicieux Pothier.
141. 11 faut distinguer, enseignait-il,si l’acheteur a stipulé
qu’il goûterait la marchandise pour savoir si elle est à son
gré, ou seulement pour connaître si elle est bonne, loyale,
marchande et non gâtée. Ce n’est que dans le premier cas
qu’il peut ne pas tenir le marché en déclarant, après l’avoir
goûtée, qu'il ne la trouve pas à son gré. Dans l’autre cas, il
ne peut refuser la marchandise si elle se trouve bonne (3).
Or, en commerce, la faculté de déguster ne s’entend, ne
peut s’entendre que dans le sens de la seconde hypothèse, dès
DÉGUSTATION
U) N - 106.
(!) Voir in fr a n» 181, L es ventes en d isp o n ib le .
(3I N" 311.
�ACHATS ET VENTES
154
lors la difficulté qui s’élèverait sur la qualité et l’état de la
marchandise ne serait rationnellement et légalement tran
chée que par une expertise.
Il est vrai que l’article 1587 ne distingue pas ; qu’il remet
la dégustation et l’agrément à la personne de l’acheteur d’une
manière générale et absolue, mais on ne saurait perdre de vue
le caractère spécial de la législation civile. Se référant aux
actes de la vie ordinaire, elle ne dispose évidemment, dans
l’article 1587, que poùr l’achat de consommation et laisse par
conséquent celui de spéculation en dehors de la règle. .
Nous n’ignorons pas que Merlin est d’un avis contraire ; qu’il
pense que l’article 1587 reçoit application même en matière
commerciale. Mais cette opinion est repoussée par la décla
ration cent fois répétée dans la discussion législative, que le
Code civil n’entendait et ne devait jamais servir de règle aux
transactions et aux opérations commerciales. (Voir pourtant
suprà, n0’ 4 et 5).
L’avis de Merlinméconnaît donclaspécialité de l’article 1587
et l’intention formelle du législateur. L’accueillir serait jeter
la plus grande perturbation dans le commerce, et cela sans
motifs plausibles, sans nécessité réelle.
Qu’on nous permette de le répéter, la présomption que celui
qui achète pour son utilité ou son usage personnel, a entendu
non s’en rapporter à autrui mais ne consulter que son goût
propre et personnel, est naturelle et légitime. Mais le com
merçant achetant pour revendre s’est d’autant moins préoccupé
de son goût personnel, qu’il pourrait peut-être ne pas être
celui des acheteurs auxquels il transmettra la marchandise.
Ce qu’il recherche, ce qu’il lui faut avant tout, c’est une mar
chandise qui puisse convenir atout le monde, c’est-à-dire qui
soit bonne, loyale et marchande. L’existence de ce caractère
satisfait à tous les engagements du vendeur, le contrat a été
fidèlement exécuté. Dès lors en subordonnerle sort au caprice,
à l’intérêt de l’acheteur, ne serait ni juste, ni possible, on
devrait donc sanctionner la décision que Pothier assignait à
cette hypothèse.
142. M. Pardessus paraît l’admettre ainsi. Onnepeut, dit-il,
dans un achat de marchandises destinées à être revendues,
�155
suivre le principe de l’article 1587 dans toute sa rigueur. La
condition de dégustation, convenue ou établie par l’usage,
n’empêche pas qu’il existe un lien de droit entre les parties.
Ainsi le vendeur peut forcer l’acheteur à venir, soit immé
diatement, s’il n’y a pas de terme fixé, soit à l’époque conve
nue, faire la dégustation et prendre livraison, ou déduire les
motifs de son refus, motifs que les tribunaux apprécieraient,
parce qu’il ne doit pas y avoir, dans le commerce surtout,
de condition qui laisse à la discrétion de l’un ou de l’autre
des contractants l’exécution de la convention (').
On pourrait objecter que M. Pardessus ne parle du recours
aux tribunaux qu’à l’effet de contraindre à déguster. Mais où
serait l’utilité de ce recours si, la dégustation faite, l’ache
teur pouvait à son gré, et sans contrôle possible, refuser d’a
gréer la.marchandise. Donc, admettre ce recours, c’est recon
naître que la difficulté qui pourrait surgir sur la qualité ou
l’état de la marchandise donnera nécessairement lieu à une
expertise.
143. M. Troplong n’a pas hésité à adopter cette conséquence.
Dans les ventes commerciales, enseignc-t-il, il est clair que'
ce n’est pas le goût personnel et individuel de l’acheteur qu’il
s’agit de satisfaire, mais le goût commun, et que l’avis des
experts doit intervenir. Quelle en est la raison? C’est qu’il ne
s’agit pas ici d’une affaire de goût entre le vendeur et l’ache
teur; c’est que ce dernier ne saurait trouver les choses bon
nes ou mauvaises, selon son caprice ; c’est que leur qualité
marchande est un fait indépendant de tout ce qu’il pourrait
en dire, suivant son plus ou moins d’expérience dans l’ap
préciation de la chose ; c’est qu’il a été évidemment convenu
ou sous-entendu entre les parties que des experts seuls pour
raient fixer en dernier ressort la qualité (2).
144. Cette doctrine est évidemment justifiée par les besoins
de la pratique et la nécessité d’assurer, autant que possible,
l’exécution honnête et loyale des contrats. En cas de baisse,
en effet, les acheteurs peu scrupuleux trouveraient toujours
que la denrée offerte n’est pas de leur goût. Pourtant l’on peut
DÉGUSTATION
(<) N» 293.
(4) N° 99. Conf. Duvérgier,
n° 101.
�156
ACHATS ET VENTES
objecter que l’article 1587 dispose d’une façon générale et
absolue, et que la règle édictée doit être appliquée à toutes
les ventes sous peine de fausser la commune intention des par
ties. Ripert cite l’exemple du restaurateur en renom, ache
tant des marchandises à consommer par une clientèle riche
et exigeante, et qui doit par conséquent se montrer aussi dif
ficile pour les consommateurs qu’il le serait pour lui-même.
On pourrait aussi citer le cas d’un marchand d’huiles d’olive
ayant une clientèle de Méridionaux préférant les huiles d’olivé
ayant le goût du fruit très prononcé, etc., etc. Aussi vaut-il
peut-être mieux ne pas poser en thèse que l’article 1587 est
oui ou non applicable aux matières commerciales. Cette ques
tion de droit se résoudra toujours par une question de fait
laissée à l’appréciation des tribunaux. Mais on peut affirmer
pourtant que l’applicabilité constituera l'exception. Lors
qu’une marchandise offerte sera marchande et loyale, elle devra
le plus habituellement être reçue par l’acheteur. Il est d’ail
leurs de principe que la marchandise doit être vérifiée au
lieu où elle se trouve, et avant son expédition, pour que le
vendeur ne soit pas exposé, en cas de refus à son arrivée, à
supporter les frais de voyage d’aller et ceux de retour. Or,
cette vérification est nécessairement commise à des tiers, car
le négociant de Paris, Lyon ou Bordeaux qui achète des vins
ou de l’huile à Marseille ne viendra pas en personne procé
der à la dégustation. Jugé que en Gironde la clause suivant
laquelle un vin est vendu droit de goût et-marchand signifie
qu’en cas de désaccord sur la recevabilité du vin, il sera
procédé à sa vérification par des experts qui apprécieront
s’il est conforme aux conditions du marché et que même le
vendeur n’est pas garant des maladies cachées ne pouvant
être révélées que par l’analyse (Bordeaux, 23 mai 189 i.
D. 95.2.76).
On connaît l’importance du commerce du Languedoc en
vins, eaux-de-vie et esprits. Or, voici l’usage qui préside à ces
transactions, tel qu’il est attesté par la Cour de Montpellier,
dans un arrêt du 10 juillet 1829 :
« Attendu que les sieurs Gayrat ont procédé suivant les usa
ges généralement suivis parle commerce de Cette, par la voie
�157
intermediaire des commissionnaires de campagne qui don
nent les limites qui sont tracées par les commissionnaires
négociants, traitent avec les fabricants et les amènent, avec
les pièces esprit dont on traite, devant le magasin des négo
ciants chargés de la commission, pour être soumises à la
vérification de la qualité desdits esprits, faite par un ins
pecteur et un jaugeur jurés, qui les déclarent, s’il y a lieu,
bonnes marchandises, ou en signalent les vices ; et une fois
les pièces reconnues bonnes, le marché est définitivement
conclu, et l’acheteur ne peut se refuser à les recevoir. »
(D. Rép., v° Mandat, 124-125°. Gf. art. 100 G. connu.).
145. Cette pratique et ces usages expliquent le peu de
litiges sur la'question de savoir à qui, de l’acheteur ou des
experts, appartient la dégustation dans les ventes commer
ciales. Nos recherches dans nos recueils de jurisprudence ne
nous en ont offert que deux exemples qui se font remarquer
par la contrariété dans leur solution.
Le 21 janvier 1835, la Cour d’Angers déclare l’article 1587
inapplicable entre commerçants. Elle décide que la vente
qui a pour objet, non la consommation personnelle de l’ache
teur, mais pour revendre au goût des consommateurs, est
parfaite du jour du traité ; qu’il y a lieu seulement à nom
mer des experts pour constater l’état et la qualité des mar
chandises, et déterminer leur classement d’après le prix con
venu. Le pourvoi dont cet arrêt avait été frappé était rejeté
par la Cour de Cassation, le 29 mars 1836. (S. 1836.1.566).
La question ayant été soumise au tribunal de commerce
do Péronne, un jugement du 9 novembre 1838 se prononce
pour la nullité de la vente : Attendu que l’article 1587 dis
pose formellement qu’à l’égard des vins, il n’y a pas de vente,
tant que l’acheteur ne les a pas goûtés et agréés, que le mot
agréé signifie clairement que l’acheteur des vins peut les
refuser sans même déduire les motifs de son refus, parce que
alors il n’y a pas réellement vente.
Ce jugement fut dénoncé à la Cour de Cassation comme
appliquant faussement l’article 1587. Mais, par arrêt du 5 dé
cembre 1842, le pourvoi était rejeté, attendu que le juge
ment attaqué ne constate aucune convention, aucun usage
DEGUSTATION
�158
ACHATS ET VENTES
qui ait dérogé au texte littéral et formel de l’article 1587 (‘).
O15 dans son arrêt du 29 mars 1830, la Cour, régulatrice
fait résulter cette dérogation de la nature commerciale de
la vente, car c’est sur ce motif que la Cour d’Angers consa
crait l’inapplicabilité de l’article 1587. Et, dans l’espèce du
dernier, il s’agissait également d’une vente de commerçant
à commerçant.
Il y a donc contradiction flagrante sur le principe. Seule
ment l'arrêt de 1842 fait de son application une question
d’appréciation livrée à l’arbitrage souverain des tribunaux.
Il résulte, en effet, de ses termes, qu’elle pourra être refu
sée, s’il est exprimé que les parties y ont dérogé, ou si cette
dérogation résulte de l’usage.
1 4 6 . Le caractère delà vente sous dégustation tranche tou
tes les difficultés à l’égard des risques dans le temps intermé
diaire. Puisque ce n’est qu’après cette opération que la vente
acquerra son effet, il est évident que jusque-là le vendeur
a conservé la propriété de la chose, et que la perte en serait
à sa charge : jugé que dans les ventes de récoltes de vins,
l’agréage du vignoble suffît, et par conséquent dès ce moment
le vin devient la propriété de l’acheteur, et demeure jusqu’au
jour de l’enlèvement à ses risques et périls. (Nîmes, 3 nov.
1900. D. 903.1.174).
Cette responsabilité indique la gravité de l’intérêt du ven
deur à ce que la dégustation ait lieu le plus tôt possible. On
ne saurait donc lui dénier le droit de la provoquer et d’y
contraindre, soit à l’échéance du terme convenu, soit, s’il
n’en a été déterminé aucun, dès qu’il est en mesure de livrer.
147. L’effet de la mise en demeure restée sans résultats,
si la chose est restée intacte, ne serait pas douteux : la vente
serait résiliée au profit du vendeur qui rentrerait dans la
libre disposition de la chose, et par conséquent dans la
faculté de vendre à tout autre.
On ne saurait non plus lui contester le droit d’en pour
suivre l’exécution, et de solliciter une expertise judiciaire,
s’il y avait lieu.
{') J. du
P ., 1, 1843, 133 et 134.
�159
14 8. Mais si après la mise en demeure la chose a péri, à
qui incombera la charge de la perte ? La sommation a-t-elle
fait passer les risques sur la tête de l’acheteur ?
L’affirmative a trouvé des défenseurs, mais elle ne saurait
être consacrée. La mise en demeure n’a pu avoir pour effet
de transférer une propriété qui ne l’aurait même pas été
par la dégustation, si le résultat en avait été négatif. Ce
qui distingue la vente sous dégustation de celle au nombre,
au poids ou à la mesure, c’est que le comptage, pesage ou
mesurage rendrait la vente définitive, tandis qu’après la dé
gustation, il faut encore que la marchandise soit agréée. Or,
la mise en demeure a-t-elle pu trancher la question de con
venance ?
L’impossibilité de se prononcer en ce sens:i3St surtout évi
dente lorsque la dégustation est laissée au'goût personnel
de l’acheteur. Comprendrait-on que la mise en demeure lui
eut conféré la propriété, et placé la chose à ses risques, alors
que, même après dégustation, il est l’arbitre unique et sou
verain du sort de la vente ; qu’il lui suffira de refuser son
agrément, sans même qu’on puisse lui demander compte de
ses motifs pour que la convention n’ait jamais eu une exis
tence légale et obligatoire ?
Il n’y a donc pas à hésiter dans cette hypothèse. La mise
en demeure ne saurait suppléer l’agrément. L’acheteur,
libre de le refuser après dégustation, aurait le même droit
après la mise en demeure. Sa déclaration qu’il entend en
user et qu’il en use effectivement laisserait le vendeur sans
action aucune contre lui relativement à Ja perte postérieu
rement survenue.
Dans l’hypothèse où la dégustation doit faire l’objet d’une
expertise, la mise en demeure aurait pour effet d’autoriser
le vendeur à poursuivre et à obtenir la nomination d’experts.
Si avant la perte les experts désignés ont procédé à la
vérification de la marchandise, en ont reconnu la qualité
loyale et marchandé, et l’ont déclarée acceptable, la perte
survenue depuis serait à la charge de l’acheteur.
Si la chose a péri avant que les experts aient procédé, il
faut distinguer :
DÉGUSTATION
�160
Si la perte est totale, la condition dont l'effet de la vente
dépendait ne pouvant se réaliser,le contrat n’a jamais léga
lement existé. La perte est donc au compte du vendeur qui
n’a jamais cessé d’être propriétaire de ce qui en faisait l’objet.
Si la perte n’est que partielle, la vérification de ce qui
reste pourrait établir la qualité de ce qui a été perdu.
Exemple, je vous ai vendu 20 pièces de vin livrables à
quai, à leur arrivée. Après leur débarquement, je vous annonce
que les 20 pièces sont à votre disposition et vous invite à
venir vous en livrer soit amiablement, soit extra-judiciairement ; votre refus m’oblige à m’adresser à la justice. Mais
dans l'intervalle un événement fortuit détermine un coulage
extraordinaire soit aux 20 pièces, soit à quelques-unes d’elles.
Pourrez-vous vous opposer à ce que les experts désignés
sur ma demande procèdent à la vérification et à la dégus
tation de ce qui reste ? On ne saurait l’admettre ; vous êtes
en faute puisque vous avez manqué à l’engagement formel
que vous aviez contracté, et dont une loyale et fidèle exécu
tion aurait prévenu et empêché le sinistre. Il est donc juste
et équitable que la responsabilité en pèse exclusivement sur
vous, si d’ailleurs j ’établis que de mon côté j’avais rempli les
conditions que le contrat m’imposait.
Or, cette preuve résultera de la vérification de ce qui a
survécu à la perte. Il est évident que si ce qui reste dans
les barriques est de qualité bonne et marchande, ce qui a
coulé l’était également, et la vente doit être maintenue pour
le tout. Il est juste que la perte soit supportée, non par
celui qui n’a rien à se reprocher, mais par celui quia illé
galement tenté de se soustraire à ses engagements.
On comprend au reste qu’il ne saurait en être ainsi que
si aucun doute ne peut exister sur l’identité de la chose ven
due avec colle qui a péri eu partie. Supposez, en effet,qu’au
lieu d’avoir à quai les 20 pièces devin seulement, j’en eusse
40, je ne pourrais prétendre que celles qui ont coulé étaient
précisément celles que je comptais vous livrer, et que par
conséquent la perte doit rester pour votre compte. Une
pareille prétention ne serait ni recevable ni admissible, à
moins que la mise en demeure n’eùt spécialisé et individuaa c h a t s
et
v e n te s
�101
DEGUSTATION
lise les 20 pièces offertes de manière à prévenir toute incer
titude, par exemple, par l’indication des numéros et de la
marque.
Par application d’une règle semblable il faudra décider
que si les marchandises à goûter ont fait l’objet d’un marché
à exécuter par livraisons successives, l’acheteur qui a accepté
les premières livraisons est tenu, s’il entend refuser le solde,
de justifier qu’il n’est pas conforme aux conditions du mar
ché ; il ne peut par son inaction arrêter les livraisons, et
après une mise en demeure infructueuse de recevoir la mar
chandise, le vendeur a le droit de faire vendre aux enchères
publiques aux risques de l’acheteur celui-ci ne pourra pas en
effet dans ce cas opposer un défaut de dégustation préalable
qui lui est exclusivement imputable (Cass., 10 avril 1872.
D. 73.1.344).
14 9. Du principe que la dégustation est dans l'intérêt
exclusif de l’acheteur, nous avons induit la conséquence
qu’il est libre d’y renoncer. Cette renonciation acquise, la
vente est parfaite et définitive, et la propriété transférée sur
la tête de l’acheteur. Dès lors aussi les risques sont pour son
compte, et la perte, plus tard survenue, à sa charge.
La question de savoir s’il y a eu ou non renonciation peut
donc offrir un grave intérêt. Quels sont les éléments qui doi
vent en amener la solution ?
La renonciation peut être expresse et résulter de la con
vention, par exemple, l’achat en bloc d’une marchandise
déterminée, de la qualité qu’elle se trouvera, à forfait et
sans garantie de la part du vendeur ou bien d’une marchan
dise loyale et marchande. Il est évident que dans ces cas
l’acheteur ne serait ni recevable ni fondé à prétendre que le
sort de la vente était subordonné à la dégustation et à son
agrément.
A défaut de stipulation, la renonciation peut s’induire de
l’intention des parties, des circonstances qui ont précédé,
accompagné ou suivi le contrat (Req., 2 avril 1812. D.Rép.,
v° Vente, n° 246 supra, n" 135, in fine).
150. La plus énergique, la plus péremptoire de ces cir
constances serait sans contredit la prise de la livraison
A chats et tentes
11
�102
ACHATS ET VENTES
Celle-ci n’est en effet que l’agrément de la chose offerte, ce
qui suppose ou que la dégustation a eu. lieu, ou que l’acheteur
y a renoncé (Troplong, n° 103, Cass., 7 juin 1830, D.Æép.,
v° Vente, n° 283).
Ainsi, me trouvant en Provence,j’achète 50 barils huiles
d’Àix qui me sont offerts, et je me les fais expédier à mon
domicile à Lyon. La sortie des magasins du vendeur a con
sommé la vente, et l’a rendue parfaite et définitive. J’ai pu
et dû m’assurer de la qualité avant de donner l’ordre d’ex
pédier, et je suis présumé l’avoir fait, dans tous les cas j’ai
accepté la chose telle quelle, puisque j’ai consenti à ce
qu’elle voyageât pour mon compte et à mes risques. Je ne
pourrai donc plus réclamer une dégustation à laquelle j’ai
tacitement renoncé, ni lui subordonner l’effet de la vente.
M. Troplong applique cette règle même à la vente sous
dégustation au goût personnel de l’acheteur. Je vais chez un
marchand de vins, dit-il, et je lui achète 50 bouteilles de
vin de Bar, cachetées ; je les envoie prendre dans la jour
née ; mais en ayant goûté plusieurs, je les trouve de mau
vaise qualité et je veux que mon marchand les reprenne. Je
ne serais pas fondé dans ma prétention; je dois m’imputer
d’avoir conclu le marché sans dégustation préalable, et de
l’avoir consommé et exécuté sans prendre ces précautions.
En acceptant livraison, j’ai suffisamment déclaré que j’ai
agréé la marchandise telle qu’elle m’avait été présentée ; que
j’ai voulu acheter per aversionem(l).(Cf. Dijon,21 avril 1865,
D. 65. 2. 115.)
151. Dans ces diverses hypothèses, la vente étant traitée
directement par l’acheteur, la présomption qu’on lui oppose
est naturelle et légitime. Qu’en serait-il si le contrat avait
été convenu par correspondance ?
La marchandise remise au commissionnaire chargé de la
faire parvenir et voyageant aux frais de l’acheteur est en
réalité livrée, mais celui-ci n’a pu ni la vérifier ni la goûter,
on ne saurait donc le considérer ici comme l’ayant fait, il
devrait dès lors être autorisé à y procéder à l’arrivée dans
ses magasins. (Infrà, n° 283).
(’) Ib id .
�163
Mais le voyage de la marchandise modifie singulièrement
la position des parties. Lorsque ce voyage étant aux frais de
l’acheteur est à ses risques, l’altération que la marchandise
aurait subie resterait pour son compte, il ne pourrait donc
la refuser qu’en prouvant que le vice dont il se plaint exis
tait au moment de l’expédition.
L’acheteur pourrait en outre refuser la marchandise qu’il
soutiendrait n’être pas conforme à celle qu’il avait demandée.
Mais dans ce cas, comme dans celui de refus pour défectuo
sité, on ne saurait lui reconnaître le droit de trancher la
question suivant sa volonté ou son caprice. Une expertise
serait donc inévitablement ordonnée.
C’est aussi ce qu’on déciderait dans la vente pour la con
sommation elle-même ; l’ordre d’expédier donné par l’ache
teur, exécuté par le vendeur, modifie le droit que l’article 1587
confère au premier. Il est impossible d’admettre que le second
ait consenti alors à s’en remettre exclusivement à la décision
de l’acheteur et à s'exposer ainsi à la perte et aux frais qui
résulteraient pour lui d’un laissé pour compte.
L’unique condition sous-entendue dans ce cas est celle delà
conformité de la marchandise envoyée avec celle quia été com
mise, et, comme dans l’hypothèse d’une vente commerciale
ordinaire, cette question ne peut être résolue que par une
expertise.
152. L’effet de la prise de livraison, à l’égard de la dégus
tation, est acquis dans l’hypothèse d’une livraison virtuelle
comme dans celle d’une délivrance réelle et effective. L’ar
ticle 1606 du Gode civil les assimile l’une à l’autre, et leur
attribue les mêmes effets.
II faut reconnaître que c’est avec juste raison. Ce qu’il faut
considérer de la part de l’acheteur, c’est la prise de posses
sion de ce qui a fait la matière de la vente, et cette prise de
possession s’opère aussi énergiquement par la tradition feinte
que par la tradition réelle. Qu’importe en effet que la mar
chandise soit entrée dans les magasins de l’acheteur, ou qu’elle
soit pour son compte dans tel autre magasin dont on lui a
remis les clefs? Elle n’en est pas moins à son entière et libre
disposition. L’acceptation de ces clefs est donc l’acceptation
DÉGUSTATION
�ACHATS HT VENTES
IG4
de la chose elle-même, elle fait présumer ou que la dégus
tation a eu lieu, ou qu’on a renoncé au droit d’y procéder.
153. La prise de possession résulte-t-elle de l’apposition
de la marque de l’acheteur sur les effets vendus ? Aucun doute
ne saurait s’élever si ces effets ne sont pas dans la catégorie
des choses sujettes à dégustation. Ainsi le jurisconsulte Paul
indiquait comme réellement livrées trabes quas emptor signas
se! (*).
Mais à l’égard des choses qu’on est dans l’usage de goû
ter, le contraire était admis par Ulpien. Si dolium signatum
sit ab emptore, Tribu dus ait traditum id videri, Labeo contra
quod cl verum est. Magis enim ne summutatur signari solere
quam ni tradere tum videatur (*). Ainsi, disait Cujas, la mar
que apposée sur des vases vinaires ne fait pas supposer la
dégustation.
Le parlement de Paris jugeait formellement le contraire
le 15 mai 1548, et sa doctrine a recueilli l’assentiment de
M. Troplong. U est difficile de supposer, dit l’éminent magis
trat, que l’acheteur eut marqué les tonneaux, objets du mar
ché, s’il ne se fût pas considéré comme propriétaire, et si
par conséquent il n’eût goûté le vin qu’ils contiennent.
M. Troplong étaye cette opinion sur le motif donné par
Ulpien comme devant la repousser. N’est-ce pas en elfet,
ajoute-t-il, que l’intérêt de l’acheteur à prévenir un échange
clandestin de la chose vient précisément de ce qu’il a goûté
le liquide, qu’il l’a trouvé tel qu’il le désirait, qu’il le con
sidère comme à lui? Aurait-il pris pareille précaution pour
des tonneaux dont il n’aurait pas vérifié le contenu par une
dégustation préalable (3) ?
11 est impossible de méconnaître la justesse et l’autorité
de ce raisonnement . L’intérêt de l’acheteur à prévenir toute
substitution ne se comprend que lorsque, ayant traité d’une
chose certaine et déterminée, il tient à recevoir celle-là et
non une autre qui serait de qualité inférieure et qu’on serait
tenté d’offrir en échange. Mais tant que la dégustation n’est
( ') L . 14, § 1, D., De peric. et
(a) L . 1, § 2 , ejnsd. lit.
P) N" 103.
com. rei vendilæ.
�165
pas faite, la crainte d’une pareille substitution serait évidem
ment chimérique. D’un côté, en effet, rien n’est encore déter
miné quant à la chose à livrer; de l’autre, l’acheteur ne sera
tenu d’accepter qu’une marchandise bonne, loyale et mar
chande ; et si celle otïerte réunit en fait ces caractères, qu’im
porte à l’acheteur de recevoir celle-ci au lieu de celle-là,
qui ne pourrait valoir mieux ?
Pourquoi d’ailleurs apposer sa marque sur une marchan
dise tant que son agrément est encore incertain? C’est pour
qu’on ne puisse vous livrer une autre que celle-là! et vous
refuserez peut-être de la recevoir, et dans ce cas à quoi bon
la précaution? On n’appose pas sa marque pour l’effacer
ensuite ; et si on a cru utile et nécessaire de le faire, ce ne
peut être, comme l’enseigne M. Troplong, que parce que la
marchandise a été goûtée, vérifiée et agréée. Toute préten
tion à la goûter ou à la faire goûter plus tard devrait dès
lors être repoussée.
Une autre conséquence du caractère de l’apposition de la
marque de l’acheteur est de placer la chose à ses périls et
risques. Dès que celle-ci est considérée comme agréée, la
vente est définitive et parfaite, et l’objet de la vente étant
ainsi déterminé et individualisé, la propriété en a été irrévo
cablement transférée.
Cette règle et ses conséquences ne le céderaient que si, tout
en apposant la marque, il avait été convenu qu’il serait ulté
rieurement procédé à la dégustation. A défaut d’accords de
ce genre, l’apposition de la marque est la prise de livraison,
et en produit tous les effets.
Toutes ces questions sont d’ailleurs des questions de pur
fait, d’appréciation d’intention et de circonstances que les
tribunaux décident souverainement (Cass., 20 novembre 1894,
supra, n" 139).
154. La vente à l’essai est toujours présumée faite sous
une condition suspensive (art. 1588), qui doit être stipulée
ou résulter d’un usage certain (infrà, n° 158). Elle offre avec
celle sous dégustation de grandes affinités, niais en diffère
essentiellement au point de vue de la fin de non-recevoir fon
dée sur la renonciation présumée de la part de l’acheteur
DÉGUSTATION
�ACHATS ET VENTES
16(1
(jni prend livraison, au droit résultant du caractère de la
vente.
La délivrance aux mains de l’acheteur de la chose à essayer
est une conséquence naturelle du contrat, on ne saurait donc
en induire ni que l’essai a eu lieu, ni qu’on a renoncé à le
faire. (Mars., 6 avril 1908. M. 1908.1.297). L’acceptation défi
nitive de l’acheteur pouvant être tacite peut néanmoins s’in
duire des circonstances. Par exemple s’il a Usé de la chose
vendue dans des conditions telles qu’il s’en est évidemment
considéré comme propriétaire (L. R., n° 137).
Autre différence. La dégustation, nous venons de le voir,
peut être déférée à un tiers et faire l’objet d'une expertise,
la vente à l’essai ne comporte ni l’un ni l’autre ; ce qui dans
celle-ci détermine l’acheteur, c’est moins la qualité de la
chose que son appropriation au but auquel il la destine, et
dont il est le seul juge. Vainement donc prétendrait-on et
prouverait-on que la chose est bonne, loyale et marchande,
la vente n’en serait pas moins nulle dès que l’acheteur décla
rerait ne point la trouver à sa convenance.
155. C’est ce qui explique la disposition de l’article 1588.
La vente à l’essai est plutôt un projet de vente qu’une vente.
Le consentement de l’acheteur, subordonné aux résultats de
l’essai, n’est donc que promis tant que celui-ci ne s’est pas
réalisé, il n’aura jamais existé si le défaut de réussite de l’es
sai en détermine le refus.
La vente est donc réellement conditionnelle, et ce caractère
lui était reconnu par le droit romain. Ainsi Justinien, vou
lant offrir un exemple de la vente conditionnelle, indique
celui-ci : Veluti si Stïchus intra certum diem tïbi placuerit,
erit tibi emptus aureis tôt (*).
Mais le droit romain ne faisait pas de l’essai une condition
suspensive, Ai ita distracta sit, disait Ulpien, ut si displicuisset inempta esset, constat non esse sub conditione distractiim,
sed resolvi emptionem sub conditione (2).
La condition était donc résolutoire, et de là cette consé
quence que jusqu’à l’événement qui devait la réso udre la vente
(l)InsL., De Empt. Vend., § 4.
C2) L . 3, D ig . de Cont. empt.
�167
subsistait avec tous ses effets,qu’elle avait notamment trans
mis la propriété à l’acheteur qui supportait seul les risques
et la perte, si elle se réalisait avant l’essai.
En effet, disait Pothier,l’obligation qui résulte de la clause
d’essai s’éteint lorsque la chose vient à périr ; car l’acheteur
ne peut plus dire que cette chose ne lui convient pas lors
qu’elle n’est plus, ni obliger le vendeur à la reprendre. Cette
clause, comme nous l’avons observé, n’étant que résolutoire,
la vente faite sous cette clause est parfaite, et la chose est
par conséquent devenue aux risques de l’acheteur (‘).
Un pareil effet était-il bien dans la nature des choses ?
Pouvait-on rationnellement considérer comme propriétaire
celui qui ne consent à le devenir que si la chose qu’il traite
est à sa convenance et remplit la destination qu’il lui a affec
tée? Notre législateur crut impossible de l’admettre malgré
l’autorité de la loi romaine et celle nonmoins grave de Pothier.
On conserva donc à la vente son caractère conditionnel,
mais, par une appréciation plus exacte de sa nature, on dé
clara la condition suspensive et non résolutoire. Dès lors iln ’y
aura en réalité vente qu’après essai et sa réussite, jusquelà il n’y a pas consentement de la part de l’acheteur qui en
a subordonné l’expression au résultat de l’essai.
Dès lors aussi il n’y a qu’une proposition de vendre et,
comme l’enseignait Pothier lui même, dans ce cas la pro
priété de la chose donnée à l’essai n’a pas cessé de résider
sur la tête du vendeur, et si elle périt avant, la perte est
pour son compte.
Mais cela n’est vrai que sauf intention contraire pouvant
même s’induire des circonstances : les parties peuvent vou
loir que l’acheteur devienne immédiatement propriétaire de
la chose vendue, sauf à la restituer après l’essai si elle ne
convient pas. L’essai dans ce cas forme une condition réso
lutoire. (D. S. v° Vente, 80. Cass., 28 janvier 1873. D. 74.1.
440).
156. Une autre conséquence du caractère du contrat est
son inefficacité si, l’essai'ayant eu lieu, l’acheteur déclare ne
ESSAI
(l) N° 267.
�ACHATS ET VENTES
108
pouvoir accepter la chose. Cette conséquence est, aux yeux
de M. Troplong, un motif de critique contre le principe con
sacré par l’article 1588. Non, dit-il, il n’y a pas vente con
ditionnelle, car, dans un contrat avec condition suspensive,
les deux parties ne peuvent se dégager, au lieu qu’ici l’ache
teur peut discéder du marché en disant que la chose ne lui
plaît pas (').
M. Troplong a raison. En principe aucune des parties ne
peut discéder du marché sous condition suspensive jusqu’à
l’événement prévu. Mais cela n’est absolument vrai que lors
que la condition est purement casuelle, c’est-à-dire laissée
au hasard seul, en dehors du fait personnel des parties. Je
vous vends cinquante balles de laine si de ce jour à un, deux
ou trois mois le navire 1’Algésiras arrive dans le port de Mar
seille. Il est évident que tant que le délai convenu ne sera pas
expiré, aucun de nous ne pourra revenir de son engagement
que l’arrivée du navire rendrait parfait et définitif.
Mais comment admettre qu’il pût en être de même lors
que l’événement constituant l;t condition est précisément le
fait d’une des parties ? La rupture du contrat n’est plus que
l’exercice du droit qui lui a été reconnu et conféré. On pour
rait bien ne voir là que la condition potestative proscrite par
l’article 1174 du Code civil, mais dès que le législateur auto
risait la vente à l’essai, et il ne pouvait faire autrement, fal
lait-il bien en accepter la conséquence, et admettre la léga
lité de la condition qui en est la base, toute potestative
qu’elle puisse paraître. L’article 1588 consacrerait donc une
exception à l’article 1174.
Ainsi la conditionnalité de la vente est ici la conséquence
forcée de sa nature. J’achète si après essai la chose répond
au besoin qui me détermine à me la procurer, il n’y a donc
pas achat actuel. Le traité n’existera qu’après le résultat favo
rable de l’essai, son effet est dès lors naturellement suspendu
jusque-là. L’article 15S8 ne fait donc qu’une exacte apprécia
tion de la nature de la convention et des conséquences qui
peuvent et doivent en résulter.
(*) N °
108.
�169
Ajoutons qu’il ne méconnaît ni ne viole le principe invoqué
par M. Troplong, ainsi jusqu’à l’essai aucune des parties ne
peut discéder de la convention. Si, cet essai fait,l’impropriété
de la chose étant acquise, l’acheteur est autorisé à rompre
son engagement,c’est quel’événement prévu et accepté s’est
réalisé. Il fallait de toute nécessité consacrer son droit, ou
prohiber la vente à l’essai.
157. Nous venons de voir que l’exécution à donner au
marché, quant à l’essai, exige que la chose passe aux mains
de l’acheteur, mais le contrat n’étant parfait que par l’issue
favorable de l’essai,la propriété repose jusque-là sur la tête
du vendeur, et la perte survenue avant resterait pour son
compte, malgré la livraison. (B. L. S.,n° 167).
Mais, en acceptant celle-ci, l’acheteur a assumé toutes les
obligations du dépositaire,il doit donc veiller à la conserva
tion de la chose, et surtout exécuter loyalement l’essai. La
perte qui serait résultée d’un défaut de précautions ou de
soins; de l’excès ou l'abus dans l’essai, resterait incontesta
blement à sa charge, non en vertu de la vente, mais à titre
de dommages-intérêts. (D. rép., v° Vente, 262).
158. Le droit de l’acheteur de discéder du marché, l’obli
gation du vendeur de courir les risques, même après livrai
son, assignent un grave intérêt à la question de savoir si la
vente a été ou non faite à l’essai.
L’article 1588 ne fait pas pour celle-ci ce que l’article 1587
vient de faire pour la dégustation, il n’indique aucune den
rée, aucun effet devant être considéré comme vendu à essai.
Ce silence ne permet pas de présumer cette condition en
aucun cas, elle ne doit être admise que si elle a été expressé
ment stipulée. C’est ce que M. Troplong reconnaît et enseigne.
Mais si le principe est exact, la convention des parties, les
circonstances dans lesquelles elles ont contracté la condition,
peuvent, ainsi que nous venons de le voir(n° 155), en modi
fier le caractère, transformer même la condition suspensive
en condition résolutoire. (Cass., 28 juillet 1873, D. 74.1.440).
159. M. Duvergier trouve cette conclusion trop absolue, il
pense que l’usage de la place peut et doit la modifier.
Mais il serait fort difficile d’établir à ce sujet un usage
liSSAI
�ACHATS ET VENTES
170
général et absolu (l). Sans doute il est des choses qui sont
souvent prises à l’essai : un cheval, une montre, une pen
dule, une machine, mais combien de fois n’arrive-t-il pas et
dans la même localité que le marché est conclu purement et
sans condition ?
Ici encoreil faudrait distinguer l’achat particulier de l’achat
commercial. S’il est des choses qu’il soit dans l’usage d’essayer
avant de les acheter, ce sont incontestablement les vête
ments; on admettra donc que celui qui achète un habit pour
son usage particulier a entendu se réserver la faculté de
l’essayer.
Mais, pour le marchand de confections qui achète pour
revendre, admettra-t-on cette réserve ? A son tour ne fait-il
pas abstraction de son goût et de ses convenances ? Peut-il
avoir en vue autre chose que les exigences du public qu’il
dessert?Et ce qui est vrai pour lui l’est au même titre pour
l’horloger ou le maquignon achetant pour revendre.
On comprend donc que l’usage d’essayer, que les simples
particuliers pourraient invoquer, ne saurait l’être par les
commerçants. En ce qui les concerne, cette faculté n’est pré
sumée dans aucun cas, et de quelque nature que soit la ma
tière qu’ils ont traitée, ils ne sauraient en revendiquer le
bénéfice que s'ils l’avaient expressément stipulé.
160. Il résulterait de là que dans la vente verbale toute
prétention d’avoir traité à l’essai devrait être repoussée.
Cependant cette faculté a pu être dans l’intention des par
ties et faire la condition dumarché,on arriverait donc aune
injustice si on n’accordait pas le moyen d'établir la vérité.
Or, pour la vente commerciale, ce moyen existe dans l’ad
missibilité de la preuve orale. Que le marché soit constaté
par écrit, ou qu’il ne soit que verbal, l’acheteur sera recevable
à établir son véritable caractère même par témoins, si les
circonstances dont ilse prévaut sont graves, précises et con
cordantes et rendent sa prétention vraisemblable.
I
*
(‘(M aissicet usage était prouvé le tribunal devrait l’appliquer conformément
au principe qui veut que dans le silence de la convention les parties soient présu
mées setre référées à l’usage (Cf. trib. de Marseille, 28 août 1906, en matière
de vente de cheval. M. 1906. 1. 357,.
�171
La vente civile obéit à d’autres inspirations, elle doit être
prouvée par écrit toutes les fois que l’intérêt dépasse
150 francs; et s’il existe un acte,on ne peut prouver contre
et outre son contenu ni sur ce qui serait allégué avoir été
dit avant, lors ou depuis, encore qu’il s’agisse de moins de
150 francs <(■ ),.
En conséquence, si la vente prétendue est établie par un
acte écrit, le silence gardé sur la clause d’essai serait un
obstacle invincible ; son existence ne pourrait être prouvée
par témoins que s’il était justifié d’un commencement de
preuve par écrit.
Si la vente est verbale, sa dénégation pure et simple de
la part du prétendu acheteur la rendrait sans effets possibles.
161. Que si, reconnaissant l’existence de la vente, il dé
clare qu’elle a été faite à l’essai, l’indivisibilité de son aveu
rendrait cette clause obligatoire. On né pourrait le scinder
contre lui à moins que la seconde partie n’en fût d’une in
vraisemblance choquante et manifeste, comme s’il s’agissait
d’une chose pour laquelle l’essai ne serait ni pratiqué ni pra
ticable.
Cette invraisemblance doit résulter de la nature des cho
ses et non des stipulations alléguées. On ne saurait notam
ment l’induire de ce qu’aucun terme n’aurait été assigné ptour
la réalisation et la durée de l’essai. C’est ce que la Cour de
Cassation a décidé expressément par arrêt du 19 avril 1858.
162. Actionné en piaiement de 405 francs pour parix d’un
cheval que Bonnisson soutenait lui avoir vendu, Benoît répon
dait que la vente avait été faite à l’essai ; qu’il avait pris le
cheval le 9 octobre, et qu’après l’avoir essayé, reconnaissant
qu’il ne prouvait lui convenir, il l’avait lui-même rendu le
18 à Bonnisson qui l’avait repris.
Par jugement du 22 janvier 1857, le tribunal civil de Joigny, sans s’arrêter à l’aveu de Benoît, maintient la vente et
repiousse la condition alléguée. Attendu qu’il n’est pas vrai
semblable que la vente ait été faite à l’essai,sans qu’on eût eu
le soin de fixer un délai pendant lequel cet essai aurait lieu.
ESSAI
é) A il. 1341 G. c iv .
�ACHATS ET VENTES
172
Mais, sur le pourvoi de Benoit, ce jugement est cassé pour
violation de l’article 1350 du Gode civil. La Cour régulatrice
déclare qu’en admettant que la règle de l’indivisibilité de
l’aveu fléchisse en cas d’invraisemblance de l’une des par
ties de l’aveu, il faut que l’invraisemblance soit de telle na
ture qu’elle puisse être assimilée à une impossibilité ; qu’il
ne suffit pas d’une simple invraisemblance résultant de l’ap
préciation du juge.
Et spécialement que lorsque le défendeur à une demande
en paiement du prix d’un cheval avoue l’existence de la
vente au prix indiqué, mais ajoute que la vente a eu lieu à
l’essai, cette dernière partie de l’aveu ne peut être écartée
par le motif unique que le défaut de fixation du temps pen
dant lequel l’essai eût dû être fait rendait invraisemblable
la stipulation d’une telle condition (').
163.
On ne pourrait juridiquement admettre le contraire
que si la loi avait subordonné l’efficacité de la clause d’es
sai à la détermination du délaipendant lequel cet essai devait
se réaliser. Or, une pareille exigence no pouvait être ni dans
la lettre ni dans l’esprit de la législation. Le vendeur seul
a intérêt à cette détermination qu’il est libre d’exiger ; s’il
néglige de le faire, on ne saurait l’en récompenser au détri
ment de l’acheteur qui n’a absolument rien à se reprocher.
Devrait-on conclure du défaut de détermination d’un délai
que l’acheteur pourra éterniser l’épreuve à son gré ? Non
évidemment, car la raison indique, en ce cas, qu’une pa
reille faculté n’a pas été, n’a pas pu être dans l’intention des
parties. Aussi tout ce que le droit romain induisait de ce dé
faut, c’est que l’acheteur avait, pour se prononcer, un délai
de soixante jours, passé lequel il n’était plus recevable à
poursuivre la résolution de la vente (2).
Notre Code n’a rien statué à ce sujet, et n’a tracé aucun
délai pour suppléer au silence de la convention. Mais on
ne saurait en conclure qu’il a laissé l’acheteur libre de n’é
couter à cet égard que ses convenances ou son caprice.
Tant qu’il n’a pas reçu la chose, il n’encourt aucune dé-
(>) D. P., 58 1. 153.
Cl L, 31, § 22, Dig'. de
ædililio edicl.
�17$
chécance, il pourra donc se livrer à l’essai à quelque époque
que la chose lui soit remise.
Mais cette remise effectuée, il doit immédiatement procé
der à l’essai et se prononcer dans un délai suffisant pour
qu’il puisse le faire avec connaissance de cause. Le retard
plus ou moins long qu’il mettrait à s’expliquer pourrait faire
présumer qu’il a agréé la chose et autoriser le vendeur à
exiger le paiement du prix. Celui-ci d’ailleurs a toujours le
droit de sommer l’acheteur de prendre une décision et de
mettre ainsi fin à la période d’incertitude (Mars., 6 avril
1908. M. 1908.1.298).
Dans tous les cas, les juges pourraient assigner un délai
Xiendant lequel l’acheteur serait tenu de se prononcer, et
passé lequel il devrait être condamné à garder la marchandise
ou à payer des dommages-intérêts. (D. rép.,v° Vente, 260).
164, Si le délai convenu pour l’essai est déterminé dans la
convention, son observation est de rigueur. L’acheteur, qui
après son expiration aurait conservé la chose en sa posses
sion, serait présumé l’avoir agréée. 11 ne pourrait donc plus
prétendre l’essayer, sous prétexte qu’il ne l’aurait pas fait
encore, ni discéder du marché : Conclitio semel defecta non
restauratur. On ne peut être relevé d’une déchéance qu’on
a laissée s'accomplir. Or, dans notre hypothèse, la déchéance
résulte formellement et de plein droit de l’expiration du délai.
C’est ce que la pratique a admis. L’acheteur qui a laissé
écouler le délai sans avoir usé de son droit, est condamné à
garder pour son compte la marchandise qu’il avait reçue
pour l’essayer, et à en payer le prix, soit à titre de domma
ges-intérêts pour inexécution,soit par l’effet de la présomp
tion que le marché a été agréé (l).
Cette pratique a recueilli l’assentiment de M. Troplong,
qui l'approuve parce que, dans le commerce, l’intérêt do
minant est la circulation de la marchandise qui ne doit jamais
rentrer dans les magasins du vendeur sans de graves motifs,
attendu qu’il en résulterait pour lui un grave préjudice (’).
165. Au reste, à quelque titre qu’elle soit prononcée, la
ESSAI
(l) Pardessus, n° 291.
(!j N» 109.
�1 74
ACHATS ET VENTES
déchéance est en réalité une clause pénale en faveur du
vendeur et contre l’acheteur. Elle garantit l’exécution de
l’engagement contracté par celui-ci, et devient la juste peine
de sa négligence ou de sa mauvaise volonté.
Il est dès lors évident que la prétention du vendeur en pour
suivant le bénéfice ne saurait manquer d'être accueillie, mais
serait-il recevable et fondé à faire du défaut d’essai un mo
tif pour faire prononcer la résiliation de la vente en sa faveur?
Nous ne le pensons pas ; la condition d’essai est dans l’in
térêt unique de l’acheteur, elle ne suspend les effets de la
vente qu’en ce qui le concerne exclusivement. Il lui est donc
loisible d’y renoncer, et l’exercice qu’il ferait de ce droit ne
pourrait fournir au vendeur l’occasion de discéder du mar
ché, qui est parfait et définitif à son égard.
Or, l’acheteur qui, dans le délai qui lui était imparti, n’a
pas procédé à l’essai, n’a fait que renoncer tacitement à la
faculté qu’il s’était réservée. C’est ce qu’il pourrait faire expres
sément sans que le vendeur trouvât à y redire. A quel titre se
rait-il admis à contester dans notre hypothèse?
Que l’acheteur ait ou non procédé à la dégustation, sa dé
claration que la marchandise est à sa convenance rend la
vente parfaite et irrévocable. Elle est dans tous les cas un
obstacle invincible à ce que le vendeur en obtienne la résilia
tion, à moins d’un refus ou d’un défaut de paiement du prix.
Il n’en saurait être autrement en matière de vente à l’essai.
166. Si l’acheteur, avant l’expiration du délai convenu,
meurt sans avoir procédé à l’essai, la vente est-elle résiliée
enfaveur du vendeur ? Voët se prononçait pour l’affirmative .
considérant le droit comme exclusivement personnel, il en
refusait l’exercice aux héritiers (‘).
M. Troplong combatcette doctrine qu’avec raisonil déclare
inadmissible. La condition d’essai est attachée à la chose
plutôt qu’à la personne. Celui qui succède à l’acheteur dans
l’exploitation au service de laquelle cette chose était desti
née éprouve les mêmes besoins ; substitué aux obligations
de son auteur, il hérite de tous ses droits. On ne saurait donc
(l) Sur la loi De conlrah. empt., n° 26.
�VENTES SUR ECHANTILLON
175
lui dénier celui de procéder à l’essai ; de discéder du contrat
si la chose no remplit pas la destination qu’elle a reçue ;
d’en obtenir l’exécution en cas contraire.
1 6 7 . Du principe que la condition d’essain’est pas un droit
exclusivement personnel à l’acheteur, il suit que la faillite
de celui-ci survenant avant l’expiration du délai convenu, la
masse est recevable à réaliser l’essai, et à retenir la chose
si elle le croit utile à ses intérêts, ou s’en abstenir et la res
tituer.
Dans le premier cas, elle serait obligée de payer intégra
lement le prix. Sans doute c’est avec le failli que le marché
est intervenu, mais son effet, suspendu jusqu’à l’essai, rendait
la vente incertaine, et si, en réalisant cet essai, la masse
s’approprie la chose, c’est elle qui donne à la vente toute
sa perfection et qui achète réellement. On ne saurait donc
l’exonérer de l’obligation de payer intégralement le prix (4).
168. Mais le vendeur no serait plus que simple créancier
chirographaire, si avant sa faillite l’acheteur avait réalisé
l’essai ou renoncé expressément ou tacitement à le faire.
L’intérêt que la masse a à le faire admettre ainsi peut faire
prévoir qu’elle se prévaudra de cette exception pour faire
écarter les prétentions du vendeur réclamant l’intégralité
du prix.
Les juges auront donc à se prononcer sur le fondement de
l’exception, et aucun doute ne saurait exister si la renoncia
tion dont excipe la masse était expresse.
La difficulté se comprend s’il s’agit d’une renonciation
tacite, mais cette difficulté ne serait sérieuse que si le traité
n’avait déterminé aucun délai pour l’essai.
Dans le cas contraire, la renonciation serait admise si, au
moment de la faillite, le délai convenu était expiré sans que
la chose eût été rendue : elle serait repoussée si, étant en
core dans le délai, le failli n’avait pas expressément agréé
la chose.
169. ” La vente sur échantillon peut être assimilée à la vente
à l’essai, en ce sens que l’efficacité du contrat est subor(') Ti'oplong, n° 113.
�ACHATS ET VENTES
170
donnée à la conformité de la marchandise avec l’échan
tillon, et en conséquence la prise de livraison n’est jamais
faite que sous la réserve de vérifier cette conformité. Elle
ne saurait donc créer une fin de non recevoir contre la
demande en nomination d’experts chargés de la vérifier. Cette
demande ne peut être formée qu’après que la chose vendue
est arrivée aux mains de l’acheteur. On ne peut dès lors
admettre que sa réception emporte renonciation à l’intenter.
On n’a jamais tenté de le soutenir lorsque, le marché traité
par correspondance, la marchandise est directement expé
diée d’un Jieu sur un autre, sans que l’acheteur ait été à
même de la voir et de la vérifier. Qu’en est-il dans l’hypo
thèse d’une vente entre commerçants delà même place, exé
cutée sur la place même ?
L’acheteur, dans ce cas, nanti de l’échantillon, est en me
sure, et par conséquent en demeure de vérifier si la mar
chandise est ou non conforme. Donc s’il l’accepte et la reçoit
dans ses magasins, ne devra-t-on pas présumer qu’il en a
reconnu la conformité, et s’est ainsi rendu non recevable à
la faire ultérieurement expertiser ?
En droit pur, cette question devrait se résoudre par l’af
firmative, mais son rigorisme est peu compatible avec les
exigences commerciales. Ces exigences ont donné naissance
à des usages dont l’observation est recommandée par la loi
elle-même.
C’est donc par l’usage delà place qu’on doit se prononcer.
Ainsi la Cour de Bordeaux jugeait, le 27 août 1831, qu’à Bor
deaux la réception des sucres bruts, alors même qu’elle est
faite sans protestation ni réserve, ne prive pas l’acheteur de
la faculté de faire vérifier s’ils sont conformes aux échan
tillons.
Il s’agissait dans cette espèce de sucres achetés sur la loca
lité par l’intermédiaire de courtiers, et transférés des maga
sins du vendeur dans ceux de l’acheteur. Ce dernier, après
réception, soutenait qu’ils n’étaient pas conformes à l’échan-.
tillon et demandait que la vérification enfût faite par experts.
Le vendeur répondait : Un fait essentiel est què vous avez
pris livraison et reçu la marchandise sans protestation ni
�177
réserve; vous n'avez pas demandé, comme vous en aviez le
droit à cette époque, de vérification. La conséquence légale
qu’on doit tirer de votre silence, c’est que vous avez été satis
fait de la marchandise, que vous l’avez trouvée loyale et mar
chande, et créé ainsi une fin de non recevoir insurmontable
contre votre demande tardive en vérification. L’expertise
serait d’ailleurs frustratoire,puisque si les sucres étaient trou
vés défectueux, il serait impossible de décider de qui, depuis
la prise de possession, cette avarie pouvait provenir.
Mais il n’était pas question de savoir si les sucres étaient
ou non défectueux, si sans avarie aucune ils étaient loyaux
et marchands. Indépendamment de cette condition, la vente
sur échantillon en exige une autre, la conformité. L’absence
de celle-ci annule la vente, quelque parfaite que puisse être
la marchandise dans sa qualité.
Or, ajoutait-on, il n’est ni dans les usages, ni dans les pos
sibilités du commerce que l’acheteur se transporte au domi
cile du vendeur pour vérifier cette conformité. Ce n’est qu’après la remise que cette vérification peut et doit se faire.
C’est ce que le tribunal de commerce, et, sur l’appel, la.
Cour de Bordeaux consacrent en effet ; plus tard, et par arrêt
du 22 novembre 1832, la Cour suprême rejetait le pourvoi
dont l’arrêt de la Cour de Bordeaux avait été l’objet. (S. 1832.
2.819).
La demande en vérification, même après réception, est
donc recevable en droit, mais en fait elle ne sera pas tou
jours admise. 11 faut, en effet, pour qu’elle puisse l’être :
1° qu’aucun doute ne puisse s’élever sur la véracité de l’échan
tillon. C'est pour cela qu’il est ordinairement soit remis sous
le sceau du vendeur, soit déposé en mains tierces.il est évi
dent qu’en l’absence de toute précaution à ce sujet l’allé
gation que l’échantillon représenté n’est pas celui qui avait
été remis pourrait créer de graves et sérieuses difficultés.
Il faut de plus que la demande en vérification suive de
près la réception. Le retard que l’acheteur mettrait à l’in
tenter pourrait faire présumer son agrément définitif, et re
pousser une vérification tardivement réclamée.
Il est une autre difficulté que la réception de la marchanVENTES SCR ECHANTILLON
A ch a ts et ventes
12
�178
ACHATS ET VENTES
dise est dans le cas de faire naître. Celle relative à l’identité
entre la marchandise dont on demande la vérification et celle
qui a été réellement livrée. On peut prévoir en effet que le
vendeur, voulant échapper à la résiliation, ne manquera pas
d’objecter soit une substitution, soit une altération dans la
qualité, à l’effet de faire résilier un marché devenu onéreux.
L'appréciation de ces reproches est laissée à la prudence et
aux lumières des juges. Comme éléments de conviction ils
ont la moralité des parties, leur situation commerciale, l’in
tervalle entre la réception et la poursuite, le plus ou moins
de spontanéité des réclamations amiables ayant précédé celleci, etc., etc. Mais le moindre doute sur l’identité devrait
faire écarter l’action comme irrecevable. L’acheteur serait
évidemment en faute s’il n’avait pas pris les précautions
nécessaires, pour démontrer qu’il s’agit bien de la marchan
dise à lui expédiée. {Infra, n° 409).
Une fois le défaut de conformité de la marchandise avec
l’échantillon bien constaté, la vente est nulle et de nul effet.
On peut donc dire qu’en réalité la vente sur échantillon est
conditionnelle comme celle à l’essai.
Mais la condition suspensive dans celle-ci est résolutoire
dans la vente sur échantillon. Delà cette conséquence impor
tante que la vente est parfaite par le concours des volontés,
que la livraison réelle ou feinte a transféré la propriété à
l’acheteur, que la perte ultérieurement survenue, mais avant
la vérification, est à la charge exclusive de ce dernier. Alors,
en effet, il ne peut plus dire et prouver, la chose n’existant
plus, qu’elle n’est pas conforme ni obliger le vendeur à la
reprendre (Pothier, n° 260).
17 0.
Les conséquences du défaut de conformité entre
l’échantillon et les marchandises indiquent combien le ven
deur est intéressé à veiller à la sincérité de l’échantillon et
à rendre impossibles toutes les modifications ou altérations
que l’acheteur pourrait être tenté de lui faire subir. Dans ce
but, on est dans l’usage de ne remettre l’échantillon que
scellé et cacheté, de manière à ce que son identité ne puisse
être révoquée en doute.
Si cette précaution n’a pas été prise, le vendeur pourrait-
�179
il répudier l’autorité de l’échantillon sous prétexte qu’il a été
altéré on modifié ?
La légèreté, l’imprudence avec laquelle a agi le vendeur
ne saurait lui créer un titre pour se soustraire à l’obligation
de livrer une marchandise conforme à l’échantillon. Vaine
ment alléguerait-il qu'abusant de sa confiance le dépositaire
de l’échantillon en a substitué un autre à celui qu’il avait
réellement reçu. Le dol et la fraude ne se présument pas et
doivent être prouvés. A défaut de cette preuve, personne
autre que celui qui se plaint d’avoir été trompé ne peut ré
pondre de l’abus de confiance dont il se prétend victime.
Ainsi, enseignent MM. Delamarre et Lepoitvin, que con
trairement à l’usage l’échantillon soit confié à la probité de
l’acheteur, sans être cacheté et scellé, la convention n’en
sera pas moins valable. Le vendeur dirait en vain que l’ache
teur a pu facilement changer l’échantillon, il est licite de se
confier à la foi d’autrui, et si le dol n’est pas prouvé, le mar
ché doit recevoir sa pleine exécution (*).
Cette doctrine, qui se fait remarquer par sa rationalité, la
Cour de Caen la consacrait en jugeant, le 29 avril 1873, que
l’échantillon remis à l’acheteur doit servir de type pour la
livraison des marchandises vendues, même dans le cas où,
l’échantillon n’étant pas cacheté, l’acheteur a pu le changer,
si le vendeur n’établit pas que le changement a eu lieu (2).
La nécessité de prouver son allégation imposée au ven
deur est la conséquence du principe \ aclori vmeumbit omis probandi. Il est acqnis en effet que celui qui oppose une excep
tion devient quant à ce demandeur reus excipiendo fit actor.
Ce qu’on comprend, c’est la difficulté de satisfaire à cette
nécessité. Mais le vendeur peut-il se plaindre de cette diffi
culté, lui qui a dû la prévoir et qui a pu la prévenir en pre
nant les précautions que le droit, que la raison, que son inté
rêt lui prescrivaient impérieusement. Il ne peut donc s’en
prendre qu’à lui-même de la triste situation dans laquelle il
est placé.
Au reste, ce qui atténue la difficulté, c’est que l’admissibiVENTES SUR ÉCHANTILLON
(') T r . d. d r . com., t. 5, n “ 144.
(=) J. du P . , 1873, 1244.
�ACHATS ET VENTES
180
lité de la preuve testimoniale permet aux juges de tenir
compte des présomptions dont l’appréciation leur est souve
rainement déférée. Comme nous venons de le dire, ils auront
pour éléments de cette appréciation la moralité des parties,
leur position commerciale, l’intervalle entre la réception de
la marchandise et les réclamations pour défaut de confor
mité, le plus ou moins de spontanéité de ces réclamations.
Un autre élément qui pourrait être d’une grande impor
tance serait le prix auquel la vente a été consentie. Si ce
prix se référait à peine à une qualité inférieure, et que l’échan
tillon produit offrit une marchandise de première qualité,la
substitution acquerrait un haut degré de vraisemblance qui
pourrait être admise pour peu que les autres présomptions
vinssent l’appuyer.
171. Quelques-unes des opinions émises ci-dessus relative
ment aux effets de la réception et à la preuve par témoins
delà constitution d’un échantillon ne doivent être acceptées
qu’avec la plus grande réserve. Justes en soi si l’on veut, la
preuve testimoniale étant de règle en matière commerciale,
infra, n° 428) leur application ne sera jamais qu’exceptionnelle.
Tout d’abord précisons bien ce qu’on entend par l’échan
tillon avec lequel la marchandise livrée doit présenter une
identité parfaite. Il est peu de marchés à l’occasion desquels
le vendeur, son commis voyageur ou son représentant, n’ait
pas montré à l’acheteur la marchandise qu’il lui demande
d’acquérir : on lui envoie ou on lui fait remettre une bouteille
d’huile ou de vin, un petit sac d’amandes, une demi-balle de
farines, etc., etc. Ces denrées sur le vu desquelles le marché
aura été conclu et qui sont couramment appelées échantillons
ne constituent pas des échantillons véritables. Aucune pré
caution n’est prise pour assurer leur identité: quand on veut
préciser leur nature et leur but on les appelle des échantil
lons-montre.
Le caractère d’une vente sur échantillon n’est reconnu
qu’au marché à l’occasion duquel les parties ont fixé irrévo
cablement le type de la marchandise en faisant l’objet et en
prenant toutes les précautions pour qu’une partie de cette
marchandise, considérée comme type ne disparaisse pas et
�V O T E S SUit ÉCHANTILLON
181
puisse ultérieurement être comparée à la denrée livrée. Aussi
cette partie est cachetée et revêtue du sceau du vendeur et
de l’acheteur ou de leurs représentants (Nantes, 25 juillet
1890, G. P.T., 1897-1902, v° Vente comm.,n°317 ; — Marseille,
22octobre 1902, M. 1903.1.26 et22avril 1904. M. 1904.1.243).
«Attendu,dit un arrêt d’Aix du 3 août 1889 (Rec. Aix, 1889.1.
308), qu’un échantillon ne peut être opposé par une partie à
l’autre qu’autant qu’il a été cacheté et marqué du sceau de ce
lui à qui il estopposé.»Nous lisons encore dans un jugement
de Marseille du 8 octobre 1900 confirmé par arrêt du 30 avril
1902«qu'il ne pourrait être procédé ainsi(comparer la mar
chandise livrée avec l’échantillon aux mains de l’acheteur)
que si la vente avait eu lieu sur un échantillon dûment ca
cheté et déposé; que la vente dont s’agit n’a pas eu lieu sur
un échantillon ayant ce caractère mais sur un type ou mon
tre n’ayant aucun des caractères prescrits pour constituer un
échantillon. » Généralement l’échantillon régulier est cons
titué à double ou à triple exemplaire, l’un à chacune des
parties, le troisième entre les mains du courtier. Parfois il
n’y a qu’un exemplaire unique remis alors d’accord commun
à un tiers qui doit l’exhiber en cas de difficulté. Sur certai
nes places et pour certaines marchandises (à Bordeaux par
exemple pour les cafés) il est d’usage de considérer le cour
tier comme le dépositaire conventionnel de l’échantillon
dressé en un seul exemplaire sans être cacheté ni scellé.Dans
ces conditions la foi due au courtier représentant le sachet
qu’il affirme lui avoir été remis à titre d’échantillon vérita
ble doit être suivie (Bordeaux, 19oct. 1898, G. P. T., 1897-1902,
v° Vente comm-, n05 322-324). Mais ces usages locaux ne sont
que des dérogations à la règle générale exigeant le cachet et
le sceau, et cette jurisprudence on le voit, repousse la preuve
par témoins si facilement admise par Bédarride et la cour
de Caen.
172. La conformité avec l’échantillon est la condition es
sentielle du contrat. Si donc les parties allèguent que la vente
conclue l’a été sur échantillon, mais qu’aucune précaution
n’a été prise pour garantir son authenticité et si le moindre
doute peut s’élever à cet égard, on en induit qu’une com
�ACHATS ET VENTES
182
dition essentielle n'a pas été accomplie, ou tout au moins
que son accomplissement ne peut pas être prouvé et la nul
lité delà vente s’ensuit (Jurispr. constante du trib.de Marseille,
voirnotammont 6 novembre 1883,M.84.1.36 et 21 juillet 1896,
M. 96.1.271;—29 avril 1904. M. 1904.1.243). On supposera
d'ailleurs bien difficilement que l’échantillon dont l’existence
ne sera affirmée que par l’une des parties ait été accepté
comme tel sans être ni scellé ni cacheté. On admettra juste
ment, dans des cas semblables qu’il ne s’est agi que d’un
échantillon-montre. Donc sauf des circonstances bien anor
males, une correspondance bien probante, une allégation
paraissant fort vraisemblable de mauvaise foi ou d’imprudence
à l’encontre du dépositaire qui l’aurait fait ou laissé dispa
raître,.le tribunalne devra pas autoriser la preuve testimoniale
pour établir l’existence de l’échantillon (Mars, 23 sept. 1898,
M. 99.1.9).
173. Pourquoi egalement relever l’acheteur des conséquen
ces de la réception ? Pourquoi en matière de vente sur échan
tillon se montrer moins rigoureux envers lui que s’il s’agit d’un
autre marché! C’est une vente à l’essai, lit-on au numéro 169,
parce que la marchandise ne peut être comparée au type voulu
qu’après sa remise aux mains de Pacheteur ? Parce qu’il faut
que l’acheteur ait reçu pour pouvoir ensuite comparer? Mais
dans toute espèce de vente, même dans celles qui n’ont pas
été conclues sur le vu d’un simple échantillon-montre, un
argument semblable peut être produit. Lorsqu’un courtier
précise les qualités et la provenance delà denrée vendue,la
seule différence existant à ce point de vue entre un pareil
marché et un marché avec échantillon, c’est qu’à l’arrivée
la marchandise doit être comparée pour savoir si elle est de
recette, non pas avec une partie dûment spécialisée, mais
avec la marchandise de même provenance, ayant les mêmes
qualités, marchandise qui a été envisagée par les parties
comme un type général, auquel doit être conforme celle livrée.
Dans ce cas-là on pourrait aussi soutenir qu’une telle véri
fication ne peut se faire qu’après réception. 11 nous paraît
donc plus vrai de dire qu’il faut appliquer encore ici la règle
générale d’après laquelle une réception normalement effec-
�183
tuée éteint toute action, à moins que la denrée remise ne
contienne un vice caché, qu’elle ne soit frauduleusement
mélangée ou adultérée ou que l’acheteur ne puisse fournir
une preuve évidente de l’identité de la marchandise reçue
avec celle expédiée ; or cette garantie d’identité ne paraît
pas avoir été recherchée dans l’espèce' qui a donné lieu à
l’arrêt de Bordeaux (voir infra, n"B379, 409).
474. L’usage de régler la différence par une bonification
sur le prix (voir infra, nf 316) peut-il être appliqué dans les
ventes faites sur échantillon ?
La négative, à notre avis, ne saurait donner lieu à un
doute. Celui qui achète sur échantillon détermine et précise
ce qu’il entend, ce qu’il veut acheter, pour se conformer aux
convenances de son commerce, aux exigences de sa clientèle.
On ne saurait donc le contraindre à recevoir autre chose
sans violer à son préjudice la loi du contrat. Qu’importe
rait pour lui une bonification, quoique élevé que pût en être
le taux, si l’e défaut absolu de conformité avec l’échantillon
devait lui enlever toute possibilité de placer la marchandise
chez ses acheteurs habituels ?
D’autre part, on doit croire que celui qui vend sur échan
tillon est possesseur de la marchandise dont l’échantillon
forme un prélèvement, et si celle qu’il offre n’est pas conforme,
il aura donc envoyé une denrée autre que celle réellement ven
due. Il y aura de sa part imprudence et parfois fraude et
dans les deux cas l’acheteur pourra demander la résiliation.
La Cour de Rouen réformant un jugement du tribunal du
Havre a consacré cette doctrine par un arrêt du 22 juillet
1872 (J. P. 1873, 1086) :
« Attendu, y est-il dit, que lorsque,.comme dans le marché
dont s’agit, le vendeur a formellement promis, et l’acheteur
expressément stipulé une marchandise conforme à l’échan
tillon, le premier ne peut offrir et le second ne peut être
tenu d’accepter une autre marchandise dissemblable comme
qualité ; qu’en pareil cas livrer une chose non conforme,
c’est en réalité livrer autre chose que ce qui a été promis;
— que la convention litigieuse doit être entendue en ce sens
VENTES SCR É IHANTI LL ON
�184
ACHATS ET VENTES
et de la même manière que si les parties avaient ajouté les
mots « et non autrement », et que la simple formule de
vente conforme à l’échantillon n’est pas moins significative,
en ce que, impliquant la garantie de la conformité, elle est
par là-même et nécessairement exclusive de ce qui serait
non conforme..... que si dans les ventes de marchandises à
livrer par navires.....(on a pu admettre) que des différences
de qualité d'ailleurs peu considérables doivent se résoudre
en de simples réparations, c’est que la situation des deux
contractants est égale par rapport à la marchandise, en ce
sens que le vendeur ne la connaît pas plus que l’acheteur, que
tous deux traitent sur le vu de lettres ou de dépêches trans
mises au vendeur des pays lointains d’où se fait l’expédi
tion; qu’il en est tout autrement lorsque la vente se fait sur
échantillon transmis par le vendeur ; que celui-ci qui a pré
levé léchantillon a nécessairement la marchandise à sa dis
position ; qu’il peut et doit l’expédier conforme alors sur
tout que,comme il a été dit ci-dessus, les termes du marché
impliquent la garantie de conformité. »
Le pourvoi dirigé contre cet arrêt a été rejeté le 20 jan
vier 1873 (J. P. 1873, 1161), à cause du pouvoir souverain
des juges du fait pour interpréter et appliquer les conven
tions des parties.
Cette jurisprudence est parfaitement juste.La doctrine con
traire aboutirait à ce résultat de faire de la vente sur échan
tillon un dangereux piège pour l’acheteur. Le vendeur qui vou
drait se défaire d’une marchandise ne répondant en rien aux
exigences de l’acheteur, et qui serait sûr de s’en débarrasser
moyennant'une bonification sur le prix, ne manquerait pas
d’envoyer un échantillon de tous points conforme à ces exigen
ces,et d’obtenir ainsi l’assentiment de l’acheteur abusé.
La concession d’une bonification sur le prix ne créerait
aucun obstacle à cette manœuvre, le prix fixé sur l’échan
tillon préparé serait évidemment bien supérieur à celui que
vaudrait la marchandise plus ou moins viciée. Les experts
réduiraient donc à ce dernier prix, et leur appréciation, dans
bien des cas, laisserait encore au vendeur un surcroît de béné
fice (Cf. Dijon, 14 décembre 1892, D.93.2.74 ; — Douai, 22 dé-
�183cembre 1891 ;D. 92.2.86 ; — Trib. de comm. du Havre,29avril
1902, Rec. du Havre, 1902.1.185).
175. Certaines décisions ont néanmoins ordonné la récep
tion sous bonification lorsque la différence de qualité n’ex
cédait pas les proportions admises par l’usage (Mars., 20 dé
cembre 1899. M. 1900.1.95; — Bordeaux,7juillet 1852,J.T.C.,
7,2482) (voir infra, n° 179).Elles sont regrettables. Le juge
ment du 20 décembre 1899 peut être d’ailleurs considéré comme
une défaillance passagère, le tribunal de Marseille ayant tou
jours jugé jusque-là que, dans une vente de marchandises,la
clause de conformité à un échantillon et sans atténuation dans
cette clause même, donne à l’acheteur le droit de ne recevoir
que des marchandises réellement conformes à l’échantillon
convenu;—etqu’au casoùlaconformitén’existerait pas,lemarché doit être résilié, sans qu’il puisse être suppléé pardosbonificationsaux différences existant entre l’échantillon et lamarchandise (Mars., 15 juin 1883, M. 1883.1.230).Le tribunal est
d’ailleurs revenu à cette jurisprudence en jugeant le 15 juin
1900 (M. 1900.1.299)que l’échantillon étant réputé avoir été
détaché de la marchandise vendue, il en résulte que faute de
conformité suffisante la résiliation doit être acquise à l’ache
teur sans bonification possible, et le 15 juillet 1902, qu’une
faible différence suffit pour entraîner la résiliation. Les cours
d’Aix [infra, nos 177 et 178) et de Douai (30 juillet 1897,
J. T.C., 47, n” 14.301) paraissent accepter cette doctrine.
176 Le vendeur sur échantillon n’est pas seulement tenu
de livrer une marchandise conforme, il doit de plus ne
transmettre qu’un échantillon de tous points conforme à la
qualité et à la provenance exigées par l’acheteur. S’il agit
autrement, il engage gravement sa responsabilité.
Sans doute il n’a rien à craindre s’il a avisé l’acheteur de
la provenance réelle de la marchandise, ou si. sur le vu de
l’échantillon, il a été impossible de se méprendre à ce sujet.
Mais qu’en serait-il si l’acheteur ne reçoit aucun avis, et si
l’échantillon ne pouvant l’éclairer il a dû croire et a cru que
la marchandise était de la provenance qu’il avait demandée ?
Cette question se présentait aux tribunaux dans les circons
tances suivantes:
VENTES SUR K '.HANTILLON
�ACHATS HT VENTES
186
Le sieur Gitton-Deschamps, marchand de grains à Tours,
vendit une quantité importante de graines de chènevis à un
sieur Rousseau-Godard, marchand de graines de chènevis à
Parisis-au-Bois.
Celui-ci revendit cette graine à divers agriculteurs qui l’àctionnaient en dommages-intérêts pour la raison que lagraine
livrée était d’origine russe, tandis qu’ils avaient entendu ache
ter de la graine de Tours. Actionné à son tour, Gittonse défend
en soutenant que la vente à Rousseau-Godard ayant eu lieu sur
échantillon, il avait rempli toutes ses obligations en livrant
une marchandise conforme à cet échan tillon.
Le tribunal de commerce de Chauny se prononça ence sens.
Accueillant les demandesprincipales contre Rousseau-Godard,
il débouta celui ci de ses fins et conclusions contre GittonDeschamps.
Appel,et par arrêt du 18 mai 1872, la Cour d’Amiens infirme
le jugement sur ce dernier point et accueille la demande en
garantie par les motifs suivants :
« Attendu qu’il résulte de la correspondance échangée entre
les parties, que Rousseau a demandé à Gitton des graines de
son pays, première qualité ; que, par conséquent, l’objet, du
contrat a été nettement précisé; que si Gitton a répondu qu’il
vendait 45 francs les 100 kilogrammes les graines pareilles
à l’échantillon, il était nécessairement sous-entendu que c’était
un échantillon de graines du pays de Tours, dont il livrait la
qualité à l’appréciation de Rousseau, et qu’il n’est pas fondé
à soutenir qu’il s’est affranchi de toute garantie quant à la.
nature de la chose vendue, au moyen de l'échantillon fourni
« Que du moment où Gitton pouvait savoir que les graines
par lui offertes ne provenaient pas, de son pays, ou même du
moment qu’il n’avait pas la certitude qu’elles en provinssent,
il était tenu d’avertir Rousseau qu’il entendait livrer sa mar
chandise telle qu’il la présentait et sans garantie de* la j>ro^
venance ;
«Attendu que, provoqué par Rousseau à s’expliquer sur cette
provenance,par la lettre du 17 mai 1870,il a répondud’une
manière évasive et avec des réticences calculées qui trahis
saient sa mauvaise foi.
�187
« Attendu d’ailleurs que la graine de chanvre de Russie
n’étant pas en usage ni dans le département de l’Aisne, ni
dans les départements voisins, Rousseau, en admettant que
le contenu des sacs ait été conforme à l’échantillon, a pu ne
pas reconnaître sur cet échantillon que c’était de la graine
de chanvre de Russie qui lui était livrée. »
Cette espèce offre un exemple de la déloyauté que, dans le
butde sedéfaire et à un bon prix d’une marchandise plus ou
moins embarrassante, certains commerçants ne craignent pas
desepermettre.Certes Gitton ne pouvait ignorer quesa graine
de chanvre était de la graine de Russie. Cependant lorsque
Rousseau, sans parler d’échantillon, demande de la graine
de Tours première qualité, il transmet un échantillon avec
réponse qu’il vendra la marchandise conforme à 45 francs
les 100 kilogrammes. Mais de la qualité, de la provenance
surtout, pas un mot, et lorsqu’il est provoqué à s’expliquer à
ce sujet,il répond d’une manière évasive et s’entoure de réti
cences plus ou moins calculées ; c’est qu’il lui importe que
Rousseau croie à la provenance qu’il avait indiquée, car du
jouroùlecontraireluiserait démontré, il retirerait sademande
et la vente projetée échouerait. 11fallait donc que celle-ci sor
tît à effet ; et puis lorsque instruit plus tard l’acheteur réclame?
on lui répond : vous avez reçu une marchandise conforme à
l’échantillon, vous n’avez rien à exiger de plus.
Contre des fraudes de cette nature, la justice ne doit avoir
qu’un parti, celui de les condamner et de les proscrire sévè
rement, comme n’hésite pas à le faire la Cour d’Amiens, et
comme le fait à son tour la Cour de Cassation.
En effet, et par arrêt du 28 avril 1873, celle-ci rejette le
pourvoi dont l’arrêt d’Amiens avait été l’objet (S; 1873.1.317).
La Cour de Cassation rejette, comme ne pouvant être prérsentée pour la première fois devant elle, la fin de non rece
voir tirée de L’acceptation de la marchandise sans protestations
ni réserves. Si cette fin de non recevoir avait été invoquée
devant la Cour d’Amiens, aurait-elle du être accueillie ?
Nous ne le pensons pas. Le silence, l’inaction de Rousseau
était la conséquence de l’erreur dans laquelle l’a vaient jeté
et entretenu les manœuvres frauduleuses du sieur Gitton. Or,
V O T E S SUR ÉCHANTILLON
�ACHATS KT VENTES
188
pouvait-il être loisible à celui-ci de se faire un titre de ces
manœuvres et d’en tirer un profit.
Cette fausse croyance n’avait pu céder que devant l’action
en dommages-intérêts intentée à Rousseau par ses propres
acheteurs. Or, ceux-ci auraient-ils pu se plaindre avant d’avoir
expérimenté la graine et en avoir constaté la qualité vicieuse.
Quel préjudice avaient-ils éprouvé jusque-là, et sur quoi au
raient-ils basé les dommages-intérêts qu’ils réclamaient ?
Donc, alors même que Gitton eût invoqué la réception sans
protestations ni réserves devant la Cour d’Amiens, celle-ci
lui eût répondu comme elle lui répondait :
« Considérant qu'il est suffisamment établi que les graines
fournies par Gitton, ou n’ont pas levé, ou n’ont engendré
que des produits de mauvaise qualité ; qu’il est responsable
dès lors du préjudice éprouvé par les cultivateurs qui ont
actionné Rousseau, et qu’il doit indemniser ce dernier de tou
tes les condamnations prononcées contre lui. »( CF. Rouen,
7 mars 1900, G. P. T., 97-902, v° Vente comm., n° 337.)
177. Il en est toujours ainsi lorsque l'échantillon contient
un mélange frauduleux ou un vice caché qu’une inspec
tion superficielle n’a pas permis à l’acheteur de reconnaître
au moment où il l’a accepté. « L’échantillon remis à un
acheteur dans une vente d’huiles de graines n’est pas, d'après
l’usage, analysé par cet acheteur. Il n’a pour but que de
déterminer la couleur et la limpidité des huiles vendues et
non leur qualité intrinsèque. En conséquence malgré la
conformité avec l’échantillon, l’acheteur est en droit de refu
ser l’huile offerte en livraison, s'il est reconnu qu’elle est
mélangée dans une certaine proportion(7 0/0) avec de l’huile
d’une autre espèce (Aix, 10 février 1885. Gonf. Marseille,
22 av. 1884. M. 84.1.277 et 85.1.92). La même Cour a encore
proclamé, le 25 novembre 1898, que les principes posés par
la jurisprudence pour les ventes sur échantillon (obligation
de recevoir lorsqu’il y a conformité avec l’échantillon) ne
sauraient être méconnus lorsque la marchandise est con
forme à l’échantillon et lorsque aucune difficulté ne peut
s’élever sur son identité, sauf au cas de fraude ou de vice
caché ne pouvant être révélé que par l’analyse. »
�189
178. Pour atténuer les rigueurs de ces règles, les parties
mentionnent souvent que la marchandise sera non pas sim
plement conforme mais «moralement » conforme à l’échan
tillon. La Cour d’Aix a jugé à bon droit en confirmant un
jugement du tribunal de Marseille que même dans .ce cas
la clause de conformité à l’échantillon est une clause essen
tielle déterminant un genre spécial de marché, et que s’il
n’est pas nécessaire que la conformité soit complète quand
le vendeur ne s’est obligé qu’à une conformité morale, il
faut cependant que la marchandise offerte diffère peu de
celle qui a été prise pour type. Notamment en matière de
vente de grains, doit être annulée la vente de blés dont les
experts déclarent la valeur notablement inférieure à celle
de l’échantillon et qui présente, comparée à ce type, 15 à
16 0/0 de différence dans les proportions'entre les grains
durs et les grains tendres (Aix,23 mars 1881. M. 81.1.115,
ici. Marseille, 18 mars 1885. M. 85.1.185).
179. Mais dans l’examen de toutes ces questions il serait
puéril de se dissimuler que la question de fait jouera un
rôle bien souvent déterminant. La fâcheuse tendance de la
Cour de Cassation d’éviter autant que possible l’affirmation
de principes inéluctables laisse une grande latitude — trop
grande à notre avis — aux tribunaux et aux cours d’appel
et leur arbitraire pourra se donner librement carrière sans
rencontrer un contrôle suffisant. C’est ainsi que la Cour do
Cassation après avoir rejeté un pourvoi à l’encontre d’un
arrêt de la Cour d’Alger constatant que l’acheteur sur échan
tillon peut demander la résiliation d’un contrat si la mar
chandise n’est pas conforme (1er mars 1892, D. 93.1.235),
a le 21 mars 1893 rejeté encore un pourvoi dirigé contre
un arrêt de la même Cour duquel il résulte que si l’ache
teur sur échantillon a droit à la résiliation, la rigueur du
principe peut subir divers tempéraments soit en raison de
l’insignifiance de la non-conformité,soit à raison d’une cer
taine latitude accordée au vendeur par la commune inten
tion des parties, alors surtout qu’il s’agit de marchandises
susceptibles de manipulations, dans lesquelles il n’est pas
toujours facile d’arriver du premier abord à une certitude
VENTES SUR ECHANTILLON
�ACHATS ET YESTES
190
mathématique (dans l’espèce, degré alcoolique devins vinés)
(D. 94. 1. 324). Les deux pourvois ont été repoussés parce
que les constatations des juges du fait, et l'interprétation
donnée par eux au contrat étaient souverain es.L’est aussi ce
qui résulte de l’arrêt du 20 janvier 1873 cité au numéro 174.
ISO. En somme et malgré ce véritable laisser-aller delà
Cour de Cassation, nous croyons qu’on peut résumer l’état
général de la doctrine et de la jurisprudence en indiquant:
1“ Que l’acheteur ale droit d’exiger une marchandise abso
lument conforme à l’échantillon et qu'une différence, quelle
qu’elle soit, sauf celles inhérentes aux altérations inévita
bles d’une marchandise (Mars.., 5 janvier 1882. M. 82.1.69),
lui donne le droit de demander la résiliation;
2° Qu’exceptionnelleinent le vendeur pourra obliger à la
réception, si la différence est des plus minimes, est autori
sée par les usages de la place où le marché a été conclu, ou
provient des manipulations que la marchandise devra néces
sairement subir avant d’être livrée,manipulations envisagées
nécessairement au moment du contrat et dont le résultat a été
accepté ainsi par avance.
181. Des ventes en disponible. — Les articles du Code civil
que nous venons d’examiner abandonnent dans certains cas
le sort du marché à la volonté de l’acheteur. Les négociants
ont imaginé des types de ventes, s’appliquant à toute espèce
de marchandises, et où l’acquéreur aura toujours le droit
de refuser la chose offerte,pourvu que ce refus se manifeste
dans un certain délai. Ce sont donc des ventes soumises à une
condition potestative de la part de l’acheteur (D. S.,v° Vente,
n° 97). Elles s’appellent à Marseille (où elles sont surtout
usitées) et à Nantes, ventes en disponible, à Bordeaux on
les appelle « ventes gré dessus » et à Paris « ventes avec vue
fiessus ».
182.
Ellesoutpourobjet une marchandise dont le vendeur,
ainsi que le nom l’indique, a le droit de disposer immédia
tement ou presque immédiatement (marchandise en cours
de débarquement ou même dont le débarquement est immi
nent) et dont la qualité n ’est pas indiquée au contrat, ou a
fortiori n’a pas été précisée par la constitution d’un ëchan-
�191
tillon. Dans ces conditions on ne comprendrait pas en effet
pourquoi l’acheteur aurait la faculté d’un refus acl nutum.
On rentrerait évidemment dans l’application des règles.géné
rales, et il ne serait fondé à réclamer que si la denrée offerte
û’était pas conforme à l’échantillon ou à la qualité convenue.
Il en serait de même si la marchandise avait été simplement
stipulée comme devant être loyale, marchande et de recette
sans autre spécification de qualité. Les parties, dans ce cas,
ont eu nécessairement en vue une marchandise devant répon
dre au type généralement accepté, eu égard à son prix,sans
que le goût personnel de l’acheteur puisse intervenir d’une
façon décisive (Marseille, 9 juillet 1878, M. 78.1.216;—8 no
vembre 1880, M. 81.1.35; — 28 avril 1892, M.92.1.198; —
5 septembre 1899, M. 99. 1. 408; — 3 novembre 1891, M.
92.1.60; — 11 janvier 1905, M. 1905.1. 137, L.R., 147). Mais
le genre, la provenance et même le poids (sauf pour les mar
chandises où la qualité n’est constituée que par le poids,
(Mar., 5 juillet 1880, M. 1880. 1. 244) peuvent être précisés
sans enlever à la vente, son caractère de vente en disponible
(Mar.,24 avril 1899, M. 99.1.279 ; — ,30 avril 1900,M.906.
1. 247). Il est bien entendu que les expressions n’ont rien de
sacramentel et que les tribunaux en l’absence des mots « dis
ponible » ou «vue dessus » rechercheront quelle est la nature
du contrat (Mar., 25 octobre 1883, M. 84.1.34).
183. On comprend que la faculté accordée ainsi à l’ache
teur serait des plus dangereuses pour le vendeur s’il lui était
laissé un temps assez long pour manifester son intention :il
pourrait attendre paisiblement que l’état du marché fût bien,
assis et se décider suivant la hausse ou la baisse. Aussi ce délai
n’est-il que de trois jours. L’usage l’a même réduit à vingtquatre heures s’il s’agit de cafés, marchandise sur laquelle les
fluctuations des cours sont parfois incessantes (Mars., 24 juin
1889, Conf. sur ce point par Aix, 4 juin 1890).
La même raison fait que ce délai n’est pas franc ; le jour de
la vente et les jours fériés y sont donc compris. Une serait
prolongé que si,.au moment du contrat,le vendeur n’était pas
en état de livrer immédiatement. Dans ce cas, si l’acheteur
ne s’était pas prévalu de ce défaut de disponibilité, le point
VENTE EN DISPONIBLE, GRÉ OU VUE DESSUS
�ACHATS KT VESTES
192
de départ serait reporté à la fin de la livraison (Aix, 4 février
1892,M. 94. 1. 258).
184. L’acheteur peut manifester son refus par lettre.Mais
il ne serait pas valable si écrivant le troisième jour il n’avait
pas mis sa lettre à la poste assez tôt pour qu’elle dût être
distribuée le jour même. Il serait forclos si la lettre levée
dans les conditions normales ne parvenait au destinataire
que le lendemain, soit le quatrième jour (Mars., 14juin 1892,
M. 92. 1.263; — 12 janvier 1893, M. 93.1.80; - 23 mars
1900, M. 900.1.210).
185. Si c’est par la faute du vendeur que l’acheteur n’a pas pu
vérifier dans les trois jours, celui-ci doit, sous peine de forclu
sion, protester et faire constater l’empêchement dans ce délai.
11 en serait autrement dans le cas où, passé ce délai, il articu
lerait un fait dont la preuve serait encore possible et duquel
il résulterait que la marchandise n’a pas été mise à sa dis
position, s’il alléguait, par exemple, que la partie vendue n’était
pas alors entièrement débarquée (Aix, 4fév. 1892. M. 94. 1.
258. — Mars., 23 mars 1900. M. 1900. 1. 210).
186. L’acheteur qui ne so présente pas dans les trois jours
ne peut plus- exercer son droit de refus. La marchandise
offerte est présumée agréée par une véritable présomption
juris et de jure. Mais il serait recevable à établir que la mar
chandise était infectée d’un vice ou d’une avarie préexistante
au contrat, ou tout au moins au jour de l’expiration du délai,
car le vendeur doit toujours offrir une marchandise saine
(Mars., 11 juin 1875, M. 75.1.268; — 10mail881,M. 81.1.197).
187. Le vendeur ne peut pas exiger que l’acheteur exa
mine la totalité de la marchandise offerte : celui-ci en effet,
pouvant refuser sans donner aucune raison, peut manifester
son refus après un examen superficiel d’une partie seulement.
Cela va de soi (Cf. Rennes, 25 mars 1905, G. P. 1905,2, v° Vent,
comm., n° 27).
188. Bien que la marchandise doive être mise sans délai à
la disposition de l’acheteur, le vendeur conserve néanmoins le
droit d’y faire subir les manipulations et criblages autorisés
par les usages et ce pendant toute la livraison, pour rame-
�193
nerpar exemple le blé au minimum de poids stipulé (Mars.,
5 fév. 1873, M. 73. 1. 127).
189. Puisque le vendeur doit mettre immédiatement l’ache
teur en possession,il semble que celui-ci devrait sans aucun
délai faire transporter la marchandise dans ses magasins ou
supporter le paiement des frais de magasinage à partir tout
au moins du moment où il a accepté. Mais l’usage lui ac
corde, pour opérer l’enlèvement, un délai qui à Marseille
est de cinq, et à Nantes (en matière de grains) de dix jours.
L’acheteur qui n’a pas excédé ce délai n’a donc rien à suppor
ter pour frais de magasinage (Mars., 27 nov. 1899, M. 900.1.
56 ; Nantes, 4 avril 1900, G.P.T., 97-902, v° Vent, comm., n» 192).
PROMESSE DE VENTE
SECTION il
DES PROMESSES DE VENTE
SOMMAIRE
190.
191.
192.
193.
194.
195.
196.
197.
198.
199.
200.
201.
202.
203.
204.
Caractère de la promesse de vente. Ses conditions.
Définition qu’en faisait Pothier.
Droit ancien sur la promesse unilatérale.
Merlin enseigne qu’elle est nulle. Arrêts dans ce sens.
Doctrine contraire de Troplong. Son caractère juridique.
Opinion de Bédarride.
Espèces des arrêts des Cours de Bourges et Rennes. Doc
trine et jurisprudence actuelles.
Importance de l’acceptation. Quand doit-on la supposer.
Comment sa règle le droit du promettant de discéder du
marché, lorsqu’un délai a été assigné pour l’acceptation.
M. Duranton exige une mise en demeure. Réfutation.
Quid si aucun délai n’a été déterminé ?
Effets de la promesse régulière et parfaite.
Exception édictée par l'article 1690 du Code civil. Promesse
avec arrhes.
Conditions qu’exige son applicabilité.
Nature de la difficulté que les tribunaux auront à résoudre.
Elément de solution.
A chats et ventes
13
�194
205.
206.
207.
208.
209.
210.
211.
212.
213.
214.
215.
216.
217.
218.
219.
220.
221.
222.
223.
224.
225.
ACHATS ET VESTES
Arrêt de la Cour de Dijon, du 15 janvier 1845.
Appréciation.
Ellets du contrat régulier.
La stipulation d’arrhes est-elle admissible dans la vente pro
prement dite.
Droit romain avant et depuis Justinien.
L’aflirmative s’induit des articles 1589 et 1590.
Opinion contraire de MM. Malleville, Pardessus, Delvincourt et Duranton.
Distinction que propose M. Troplong.
Réponse de M. Duvergier.
Examen et discussion.
Conclusion. Conditions de l’admissibilité. Doctrine actuelle.
Comment les tribunaux doivent apprécier à défaut de sti
pulation écrite, lorsque la vente est sous condition sus
pensive.
Dans le cas de condition résolutoire, casuelle ou potesta
tive.
Dans cette dernière hypothèse,la rupture du marché ne peut
être poursuivie que par l’acheteur, en perdant les arrhes.
Effets de la condition résolutoire légalement sous-entendue.
La dation et la réception des arrhes font-elles perdre au
vendeur le droit de faire maintenir le contrat ? Raisons
pour l’affirmative.
Avis contraire de M. Troplong.
Caractère de sa doctrine.
Examen des motifs sur lesquels elle s’étaye.
Ses conséquences.
Conclusion.
190. L’usage de la promesse de vendre, disait l’orateur du
tribunat, est aussi ancien que la vente. Sa conservation ne
peut entraîner aucun inconvénient. L’article 1589 du Code
civil prouve que le Conseil d’Etat partagea cette opinion. Il
est ainsi conçu : la promesse de vente vaut vente lorsqu'il y
a consentement réciproque sur la chose et le prix.
Donc la promesse de vente vaut vente, mais à condition
qu’il y aura concours des volontés sur la chose et sur le prix.
En pareil cas, disait Portalis, on trouve effectivement tout
ce qui est de la substance du contrat de vente. C’est parce
�195
que la promesse de vente sera faite par l’un, acceptée par
l’autre, qu’il y aura accord sur la chose et sur le prix que la
promesse vaudra vente. Pouvait-il en être autrement lorsque,
aux termes de l’article 1583, il y a vente parfaite dès que ces
trois circonstances sont acquises.
On ne pouvait donc être plus exigeant pour la promesse
que pour la vente, mais on n’a pas voulu l’être moins, et
avec toute raison, puisqu’on identifiait les deux contrats quant
aux effets, on devait leur tracer des conditions identiques.
L’article 1589 ainsi entendu conduit à cette conséquence :
le législateur n’admet de promesse de vente régulière et obli
gatoire que celle résultant d’une convention synallagmati
que renfermant les conditions exigées par l’article 1583,
191. Pothier comprenait autrement la promesse de vente,
il la définissait : la convention par laquelle quelqu’un s’obli
geait envers un autre à lui vendre une chose à un prix dé
terminé. Pothier avait raison, il n’y a réellement simple pro
messe que dans l’engagement unilatéral du détenteur de la
chose proposant et s’obligeant de la vendre à un prix déter
miné. Dès que cette proposition est acceptée par celui à qui
elle est faite, il n’y a plus seulement promesse, il y a vente
parfaite et définitive, dont l’exécution peut être réciproque
ment exigée et ordonnée par justice.
192. Aussi le droit ancien avait-il paru autoriser la pro
messe unilatérale. Sa validité était admise par les juriscon
sultes. On ne s’était divisé que sur les effets qu’elle devait
et pouvait produire.
Les uns soutenaient que l’acte unilatéral n’était qu’une pro
messe de vendre qu’il dépendait de son auteur de tenir ou
de rétracter ; ils déniaient aux tribunaux le droit de le con
traindre, en se fondant sur la maxime nemo potest cogi ad
factum ; ils estimaient en conséquence que tout devait se
résoudre en une allocation de dommages-intérêts.
Les autres, et parmi eux Pothier, répondaient que la ma
xime nemo potest et celle que les obligations quæin faciendo
consistant se résolvent nécessairement en des dommagesintérêts, n’étaient applicables que lorsqu’il s’agissait de faits
extérieurs et corporels, telle que l’obligation de celui qui se
PROMESSE 1>E VENTE
�ACHATS ET VENTES
190
serait engagé à copier mes cahiers ; lesquels faits ne peuvent
se suppléer que par une condamnation à des dommages-in
térêts. Mais que lorsque le fait qui a donné lieu à la pro
messe n’est pas un fait extérieur et corporel de la personne
du débiteur, il peut être suppléé par un jugement. Ils esti
maient en conséquence que le bénéficiaire de la promesse,
faute par le promettant de passer l’acte, pouvait obtenir un
jugement qui en tiendrait lieu et lui transférerait la propriété
de la chose dont la vente était promise, et dont il pourrait
ensuite poursuivre la livraison réelle et effective.
D’autres enfin soutenaient que le bénéficiaire de la pro
messe unilatérale pouvait, en offrant le prix indiqué, agir
recta via, et demander l’exécution delà vente et la délivrance
de la chose.
La validité de la promesse unilatérale admise, cette der
nière opinion était plus rationnelle, elle faisait éviter le cir
cuit d’actions autorisé par la seconde, et qui 11e pouvait en
traîner que des longueurs et des frais.
193. Qu’en est-il sous l’empire de notre droit actuel?
Merlin se prononce pour la nullité radicale et absolue de
la promesse unilatérale, à laquelle il refuse tout effet. Il dé
duit cette conclusion des termes de l’article 1589. Sa doc
trine a été consacrée par la Cour de llennes, le 25 mai 1820 et
par la Cour de Bourges, le 2 avril 1821. (Rec. gén. Dev. et
Carr. 6.2 p. 266 et 396).
Il est certain que la promesse de vente, qui n’est pas con
forme aux prescriptions de l’article 1589, ne vaudra pas vente.
S’ensuit-il qu’elle ne renferme ni obligation ni droit ? Nous
ne saurions l’admettre.
19 4. La promesse unilatérale, enseigne M.Troplong, quoi
que n’ayant pas acquis le caractère de vente, n’en vaudra pas
moins comme promesse obligatoire, il n’y a en elle aucun vice
de nature à délier le promettant. La bonne foi veut au con
traire qu’elle soit exécutée, à moins qu’on ne dise que le Code
s’est montré moins moral que l'ancienne jurisprudence.Enconséquence le promettant sera obligé de tenir sa parole, et, en cas
de refus, il pourra être contraint par jugement, soit à passer
contrat comme le veutPothier, soit à faire recta via délivrance
�197
de la chose, ce qui paraît plus direct et non moins légal (‘).
Le caractère juridique de cette doctrine nous parait incon
testable. Il s’induit non seulement des principes généraux
de droit en matière d’obligations, mais encore de la règle
que les nullités ne peuvent se suppléer. Or, l’article 1589 dit
bien ce que doit être la promesse valant vente, mais il ne
statue rien sur le sort de celle qui ne réunit pas les condi
tions qu'il exige. Dès lors la déclarer absolument nulle et de
nul effet, c’est ajouter à sa disposition une peine qui ne s’y
trouve pas édictée ; et cela, au moment précisément où ses
exigences se trouvent par le fait réalisées.
Le bénéficiaire de la promesse n’en poursuivra l’exécution
que parce qu’il l’a acceptée. Donc, au moment où le litige
sera porté en justice, l’acceptation aura rendu la promesse
synallagmatique en réalisant le concours de volontés sur la
chose et sur le prix.
195. Mais ce résultat est subordonné à une condition, à
savoir : que l’acceptation aura été réalisée et connue du pro
mettant avant toute rétractation de sa part. En effet, la pro
messe unilatérale n’est en réalité qu’une offre, qu’une propo
sition voulant être agréée. Son auteur fait connaître son
intention de vendre et les conditions qu’il exige.
Tant que celui à qui s’adresse la promesse n’a pas de son
côté manifesté sa volonté d’acheter et l’acceptation pure et
simple des conditions, il n’y a pas de contrat, et la rétracta
tion de la promesse le rendrait impossible dans l’avenir. C’est
ce qu’on décide pour la vente elle-même. Pourrait-il en être
autrement pour la promesse de vente.
Donc, il n’y a en réalité promesse unilatérale pouvant être
rétractée que jusqu’à acceptation. Celle-ci donnée et reçue,
il y a engagement réciproque, contrat synallagmatique, cha
cune des parties étant en position et en mesure d’en contrain
dre l’exécution.
196. Permettre la rétractation de la promesse après l’accep
tation serait donc non pas appliquer, mais violer l’article 1589
lui-même. Or, ce n’est pas ce que consacrent les Cours de
PROMESSE DE VENTE
(■ *) N° 116
�ACHATS ET VENTES
198
Rennes et de Bourges dans leurs arrêts de 1820 et 1821.
La Cour de Bourges ne fait qu'appliquer notre doctrine.
Elle déclare, en effet, qu’une promesse de vente par laquelle
l’acquéreur a la faculté de devenir propriétaire dans un cer
tain temps, moyennant un prix déterminé, devient nulle, si
le vendeur révoque son consentement avant que l’acquéreur
se soit expliqué.
Devant la Cour de Rennes, l’espèce était plus favorable
encore. Le promettant avait sommé le créancier de régulari
ser la vente et d’en payer le prix. Cette mise en demeure
étant restée sans effet, il l’avait ajourné pour voir déclarer
la promesse nulle et de nul effet. Ici il y avait eu non pas
seulement défaut d’acceptation, mais encore refus formel
qui avait par son seul fait anéanti la promesse. Celle-ci, en
effet, n’est jamais faite que sous condition d’être agréée par
celui à qui elle s’adresse. Le refus de celui-ci rendant cette
condition irréalisable, la promesse se trouve naturellement
révoquée. La Cour de Rennes ne pouvait donc prononcer
autrement qu’elle ne le faisait, le réavisé tardif du créancier
n’avait pu faire revivre l’engagement du débiteur, conditio
semel defectci non restauratur. Aujourd’hui d’ailleurs la doc
trine et la jurisprudence sont d’accord pour reconnaître que
dès que la promesse a été acceptée, elle cesse d’être une sim
ple pollicitation et devient obligatoire pour le promettant
(Cass., 10 déc. 83, D. 84.1.134, B.L.S., n° 63.)
19 7.
En pareille matière, tout réside dans la conduite
du créancier; tant qu’il n’a pas formellement accepté,le pro
mettant peut se rétracter. Il est dégagé de plein droit par le
refus d’acceptation.
Celle-ci, donnée avant toute rétractation, rend la promesse
définitive et obligatoire, lui enlève son caractère unilatéral.
Il y a désormais engagement réciproque, concours de volon
tés sur la chose et sur le prix et par conséquent vente parfaite.
La cour de Paris jugeait, le 10 mai 1826, que l’acceptation
n’a pas besoin d’être expresse ; qu'elle peut résulter notam
ment de la remise et de la réception delà promesse écrite et
signée. C’est là une pure question de fait.
Le traité, dans cette espèce, ayant eu lieu entre les parties
�199
directement, on pouvait considérer l’acceptation de la pro
messe comme un agrément. A quoibon, en effet, sa réception,
si celui-ci n’était pas dans l’intention des parties?Présentes
l’une et l’autre, elles avaient pu s’entendre, et c’est parce
qu’elles s’étaient entendues qu’il y avait eu remise de la pro
messe d’un côté, réception de l'autre.
Mais on comprend que ce double fait serait sans importance
dans l’hypothèse d’une promesse entre.absents, faite par cor
respondance. L’envoi n’est alors fait qu’à titre de proposition,
et la réception ne saurait par elle-même en constituer l’ac
ceptation ; celle-ci ne serait acquise que si, en réponse, le
bénéficiaire de la promesse avait déclaré la donner.
Cette manifestation de volonté, indispensable entre absents,
peut l’être également entre présents, par exemple si elle a
été la condition de la promesse ; je promets de vous vendre
telle chose à telprix,si vous vous engagez à l’accepter. Pour
rais-je dans ce cas rétracter ma promesse tant que vous ne
vous serez pas expliqué ?
198. Une distinction nous paraît nécessaire. Sien exigeant
votre déclaration j’ai fixé le délai dans lequel elle doit être
donnée, je me suis interdit le droit de me rétracter avant son
expiration, je ne pourrais donc le faire légalement pendant
toute sa duree.
Mais celle-ci épuisée sans que vous vous soyez expliqué, je
suis dégagé de plein droit, je rentre dans la libre disposition
de ma chose, et votre acceptation ultérieure ne saurait faire
revivre le contrat.
199. M. Duranton admet ce résultat, mais seulement après
une mise en demeure, conformément à l’article 1139 du Code
civil. Cette exigence ne nous paraît pas admissible. Comment,
en effet, recourir à l’article 1139, spécial au débiteur lors
qu’il s’agit du créancier;lorsqu’il est question non de l’exécu
tion du contrat, mais de sa constitution.
D’ailleurs, s’il fallait recourir aux principes généraux du
droit, c’est l’article 1146 que nous invoquerions, et nous con
sidérerions comme légalement en demeure le créancier qui,
tenu de s’expliquer dans un certain temps, a refusé ou omis
de le faire.
PROMESSE DE VENTE
�200
ACHATS KT YKXTKS
La promesse, eneffet,ne peut être prise que dans son ensem
ble. Toutes les cLauses en sont corrélatives et indivisibles.
Libre de contracter ou non, le promettant a pu subordonner
son engagement aux conditions que ses convenances lui ont
paru exiger, et s'il a formellement déclaré ne vouloir être
obligé que pendant un certain temps, rien ne saurait faire qu’il
l'ait été, ou qu’il ait pu l’être au delà.
D’autre part, le créancier n’a pas d’autre titre que la pro
messe elle-même, il ne peut évidemment s’en prévaloir que
dans les conditions qu’elle stipule. Comprendrait-on qu’il pût
la scinder, en revendiquer le bénéfice en en répudiant les char
ges ? Une prétention pareille n’aurait aucun fondement ni en
raison ni en droit. Elle serait donc infailliblement repoussée.
L’assignation d’un délai pour la manifestation delà volonté
du bénéficiaire de la promesse produit donc cette double con
séquence :
1°Le promettant s’est obligatoirement lié pour toute la durée
du délai imparti, il ne peut donc, avant son expiration, reve
nir sur son engagement et rétracter la promesse.
2° Le bénéficiaire de celle-ci esttenu de s’expliquer dans le
délai fixé;son expiration, sans qu’il Fait fait, rétracte la pro
messe, et de plein droit délie son auteur de tout engagement.
(Sic B.L.S., n° 70. — Cass., 8 mai 1882, D. 82. 1. 316).
200. Si la promesse ne détermine aucun délai, le promet
tant n’est exonéré de son obligation que par une rétractation,
mais il peut valablement la réaliser tant que Facceptation n’a
pas été donnée.
A défaut de cette rétractation, sera-t-il indéfiniment tenu,
alors même que l’acceptation se réaliserait à une époque fort
reculée? Nous ne le pensons pas. La nature de la vente pour
rait et devrait, dans certains cas, faire considérer le silence
gardé par le créancier comme un refus ayant déterminé la
rétractation de la promesse.
Au reste, indépendamment du droit de révoquer lui-même sa
proposition,le promettant a lafacultéde sortir de l’indécision
dans laquelle le place le silence du créancier, il peut toujours
le mettre en demeure de s'expliquer en le sommant d’avoir à le
faire, à défaut de quoi la promesse se trouverait rétractée.
�PROMESSE UE VENTE
20 t
L’effet de cette mise en demeure ne serait pas douteux, le
silence que le créancier continuerait de garder serait consi
déré comme un refus, et lé promettant rentrerait dans la libre
disposition de sa chose.
Faut-il que la mise en demeure donne un délai quelcon
que au créancier, et ce délai le promettant est-il libre de le
fixer à son gré ?
Sous l’empire de l’ordonnance, Pothier enseignait la néga
tive. Suivant lui, le délai devait être déterminé par la jus
tice. Il ne reconnaissait donc au promettant que le droit de
faire condamner le créancier à se prononcer dans le délai
fixé par le jugement lui-même. (Sic. B.L.S., n° 70.)
Une poursuite de cette nature n’aurait aujourd’hui rien
d’illégal, mais elle n’est pas obligatoire. Comme l’observe
M.Troplong,la simple mise en demeure suffit, et celui qui la
reçoit est tenu de se prononcer dans le délai qu’elle lui laisse.
Cela est surtout incontestable en matière commerciale, car
le temps consacré à la poursuite de l’instance, et celui que
consommerait le délai accordé par le juge pourraient, par
Jes variations des cours, occasionner au promettant un pré
judice considérable, auquel il serait injuste de l’exposer. Le
créancier devrait donc fournir sa réponse, lui fût-elle deman
dée au bas de la sommation.
201. La promesse synallagmatique ou unilatérale réguliè
rement acceptée valant vente, le promettantne saurait se sous
traire à l’obligation de la délivrance pas plus que l’acheteur la
refuser. Ils peuvent mutuellement se contraindre, sous peine
de dommages-intérêts. Le droit de l’acheteur à demander sa
mise en possession effective ne saurait être ni méconnu ni con
testé puisqu’il est devenu propriétaire au moment de son ac
ceptation. (Sic. B.L.S.,n°6G, Cass., 10mars 1886, D. 87.1.261.)
Mais l’exercice de ce droit peut rencontrer en commerce
un obstacle invincible. Sa réalisation dans la vente civile tient
surtout à ce qu’il s’y agira ordinairement d’un immeuble, ou
d’un meuble certain et déterminé. Il exige donc pour la vente
commerciale qu’elle porte à son tour sur un corps certain
et déterminé, par exemple telle marchandise se trouvant à
bord de tel navire ou dans tel magasin.
�202
ACHATS ET VENTES
Si la chose vendue n’est déterminée que par ses espèce et
quantité, cent hectolitres blé, cinquante balles laines, par
exemple, il n’existe aucun moyen d’obliger le vendeur à la
livraison réelle et effective. Son refus ne laisse à l’acheteur
d’autre droit que celui de se faire allouer des dommagesintérêts.
Ces dommages-intérêts sont naturellement indiqués parla
nature du contrat ; destinés à donner aux parties la position
que leur aurait faite l’exécution du marché,ils comprennent
toute la différence qui peut exister entre le prix convenu et
le cours du jour où la livraison devait s’opérer.
La promesse unilatérale d’acheter est également valable et
devient obligatoire dès qu’elle a été acceptée par le vendeur
(B.L.S., n» 79).
202. Le principe qu’on ne peut discéder d’une promesse
de vente valant vente reçoit exception dans le cas prévu par
l’article 1590 du Code civil: si la promesse a été faite avec
des arrhes, chacun des contractants est libre de s’en départir :
celui qui a donné les arrhes en les perdant, celui qui les a
reçues en restituant le double.
Le fondement rationnel de cette disposition réside dans
l’intention des parties. Chacune d’elles a entendu se réserver
la faculté de revenir sur son engagement, sans autres domma
ges-intérêts que les arrhes données et reçues. Si l’intention
des parties, disait M. Faure, n’eût pas été de se ménager cette
alternative, la stipulation d’arrhes n’avait point d'objet.
203. Les termes de l’article 1590 ne permettent auoun
doute sur l’intention réelle du législateur. La dation et la
réception des arrhes ne conférant la faculté de résoudre le
contrat que s’il s’agit d’une promesse de vente, l’article 1590,
disait M. Malleville, ne statue que pour les arrhes données
sur la simple promesse de vente, et non pour celles données
la vente une fois faite. Celles-ci, en effet, ne sont plus qu’un
acompte sur le prix, c’est-à-dire que l’exécution de la vente
elle-même. On ne pourrait donc discéder du contrat soit en
perdant la somme donnée, soit en restituant le double de ce
qui a été reçu.
204. Cette nuance importante fait suffisamment prévoir le
�203
caractère des difficultés que les tribunaux auront le plus sou
vent à résoudre dans les litiges que soulèvera l’application
do l’article 1590.
Celui-ci soutiendra qu’il n’a entendu faire ou accepter qu’une
promesse, qu’un simple projet, celui-là prétendra au contraire
qu’ils’estagid’une vente convenue et acceptée etquela somme
donnée en a été l’exécution. On comprend l’importance de la
solution. Le marché, résoluble dans le premier cas par le sacri
fice des arrhes, devra, dans le second, être exécuté sous peine
de dommages-intérêts pour la réparation du préjudice pou
vant résulter de l’inexécution.
Un litige de cette nature offre à résoudre une question inten
tionnelle. Comme élément d’appréciation, les tribunaux auront
à consulter les circonstances, la nature et le caractère du mar
ché, le chiffre des arrhes eu égard à son importance.
205. Ainsi la Cour de Dijon jugeait, le 15 janvier 1845, que les
arrhes de 25 francs, à l’occasiondubaild’un bois dont le fer
mage était,indépendamment de certaines redevances en nature,
d’une somme de 2.300 francs, doivent être réputées n’avoir eu
pour but que de témoigner de la perfection du contrat et de
son irrévocabilité ; qu’en conséquence le bailleur ne saurait
se désister du contrat en restituant le double des arrhes reçues.
« Attendu, dit l’arrêt, que les arrhes données par les intimés
n’ont aucune espèce de rapport avec l’importance de la con
vention, puisqu’elles ne consistent que dans la modique somme
de 25 francs, tandis que les canons du bail avaient ôté fixés par
les parties à 2.300 francs par an, indépendamment d’un grand
nombre de prestations en nature qui étaient encore à la charge
des fermiers ; qu’en présence de pareilles circonstances, il est
impossible d’envisager les arrhes comme la représentation des
dommages-intérêts en cas d’inexécution, puisque, en règle
générale,les dommages-intérêts doivent comprendre la répa
ration du préjudice causé et l’indemnité des gains qu’on aurait
pu faire, réparation et indemnité qui, dansl’espèce et eu égard
à la valeur des choses qui faisaient l’objet du contrat, auraient
évidemment atteintpour deux années d’inexécution du bail un
chiffre infiniment plus élevé que celui de 25francs, que dès lors
une somme aussi minime n’est certainement qu’une espèce
ARRHES
�ACHATS ET VENTES
204
d’étreime, c’est-à-dire une libéralité qui a étéfaite au moment
de la conclusion définitive du contrat pour témoigner de sa
perfection et de son irrévocabilité» (J. P., 1845.2.582.)
206. L’arrêt insiste sur la disproportion de la somme don
née et reçue avec l’importance de la convention, mais il relève
en même temps d’autres circonstances qui, convergeant au
même but, tendent à fixer l’intention réelle des parties, et c’est
avec juste raison à notre avis.
Ilnous paraît en effet difficile que, prise isolément, la mini
mité de la somme pût déterminer la solution. Sans doute la
perte des arrhes représente les dommages-intérêts en cas
d’inexécution;sans doute encore cesdommages-intérêts se com
posent de la perte qu’on a faite et du gain dont on a été privé.
Mais cette règle de l’article 1149 du Code civil n’est applica
ble que lorsque rien n’a été réglé relativement à l’indemnité.
S’il existe une convention, elle devient la loi unique et exclusive
du juge comme des parties elles-mêmes.
Or cette convention, l’article 1590 l’induit des arrhes don
nées et reçues. Ne disposant rien quant à leur quotité, il s’en
réfère à l’accord des parties, en accepte le résultat.
On comprend que les parties se soient arrêtées à une somme
relativement fort minime. Au moment où elles traitent, elles
ignorent de la part de qui viendra la rupture. Chacune d’elles
consentira donc facilement à recevoir peu pour se ménager la
chance d’avoir peu à donner.
La disproportion des arrhes avec la valeur réelle de la
matière du contrat n’est donc pas suffisante à elle seule pour
trancher la question, mais,réunie à d’autres circonstances dans
un sens ou dans l’autre, elle peut et doit exercer une grande
influence.
207. La coïncidence du caractère de simple promesse et
de la dation et réception des arrhes amène à ce résultat que
le sort de la convention et son exécution ne sont plus qu’une
faculté laissée à l’une et à l’autre des parties.Chacune d’el
les a le droit de reprendre son consentement, celle qui a
donné les arrhes en les perdant ; celle qui les a reçues en
restituant le double. C’est là la peine unique de l’inexécution.
Ce caractère de pénalité donné à la perte des arrhes con-
�205
duit à cette conséquence, qu’elle n’est encourue et acquise
que dans l’hypothèse où l’inexécution est purement volon
taire ; qu’elle a lieu contre et malgré l’une des parties.
Dès lors si la chose promise a péri ; si un événement de
force majeure vient créer un obstacle à l’exécution du con
trat ; si d’accord commun les stipulations sont révoquées par
les parties, chacune d’elles est remise dans la même position
qu’avant le marché. Les arrhes ne sont ni perdues ni acqui
ses, celui qui les a reçues les restitue purement et simple
ment à celui qui les a données.
208. Nous venons de dire que l’article 1590 ne dispose
que dans l’hypothèse d’une promesse de vente,d’où M.Malleville concluait qu’il est inapplicable au cas d’une vente
parfaite ; qu’alors la somme donnée et reçue est présumée
l’avoir été soit à titre d’acompte, soit à titre d’étrennes,
comme le décidait la Cour de Dijon.
Est-ce là la conclusion à tirer nécessairement de l’arti
cle 1590? Est il vrai que les arrhes proprement dites répu
gnent à la vente, et que leur stipulation ne confère pas le
droit de discéder du contrat, soit en les perdant, soit en les
doublant ?
209. Le droit romain avant Justinien se prononçait pour
l’affirmative, il ne voyait, dans les arrhes données à l’oecasion d’une vente, qu’un témoignage de la perfection du con
trat : Quod arræ nomine datum, argumentum est emptionis
et vendilionis contractas.
Justinien avait-il modifié et abrogé cette règle? Cette ques
tion avait soulevé une vive controverse parmi les interprètes
du droit romain. Si nous étions obligé d’opter pour l’une ou
l’autre opinion, nous nous prononcerions pour la négative
avec Cujas, Voët, Pothier, Despeisses, etc...
Gomment en effet admettre le contraire lorsque, ouvrant
les Institutes, nous rencontrons cette déclaration:dira sunt
argumentum emptionis vendilionis contractas, c’est-à-dire la
disposition textuelle de l’ancien droit.
Il est vrai que plus loin Justinien confère le droit de dis
céder du contrat en perdant ou en doublant les arrhes. Mais
il n’accorde cette faveur que dans l’hypothèse d’une vente
ARRIIIÎS
�ACHATS ET VENTES
206
encore imparfaite,c’est ce qui ressort nettement du texte des
Institutes.
Justinien, après avoir tracé les conditions exigées pour la
perfection de la vente, ajoute : Donec enim aliquis deest ex
his, et penitentiæ locus est, et potest emptorvel venditorsine
pœna recedere ab emptione. lia tamen impune eis recedere
concedimus, nisi jam arrarum nomine aliquid fuerit datum.
Hoc etenim subsecuto sive in scriptis, sive sine scriptis venditio celebrata est, is qui récusai adimplere contractum, si
quidemest emptorperdit quod dédit, si vero venditor duplum
restituere compellitur licet super arris nihilexpressum est (1).
Ainsi la vente dont on peut discéder est uniquement celle
qui, manquant d’une de ses conditions essentielles, n’avait
pas encore acquis toute sa perfection. On pouvait donc en
refuser l’exécution sans être tenu de rien, sine pœna.
Mais cette impunité cessait si des arrhes avaient été don
nées et reçues.Dans ce cas, l’imperfection du contrat nesuffisait plus, on ne pouvait en discéder qu’en perdant ou en
doublant les arrhes. Or, en restreignant cette faculté à l’hy
pothèse d’une vente imparfaite, on l’excluait dans l’hypothèse
contraire, déjà rangée sous l’empire de la règle arræ sunt
argumentum emptionis venditionis contracta?.
210 . Le Code civil n’a pas fait cesser la controverse. Cepen
dant son texte diffère si essentiellement de celui des Institu
tes, qu’il semble qu’il ne devrait exister aucun doute sur
son intention de permettre ce que celles-ci prohibaient. On
pourra bien, à l’appui de l’opinion contraire, faire remarquer
que l’article 1590 ne statue que dans l’hypothèse d’une pro
messe de vente. Mais cette promesse est celle que l’arti
cle 1589 assimile à la vente. Or, faire résulter des arrhes la
faculté de discéder d’une promesse valant vente, n’est-ce pas
concéder cette faculté pour la vente elle-même.
Tel est, d’ailleurs, le sens que M. Grenier donnait à l’arti
cle 1590.Les idées,disait-il danssondiscoursau Corpslégislatif, n’étaient pas fixées à ce sujettes usages variaient. Ilne
pourra plus, à l’avenir, y avoir de difficultés. La délivrance
et la réception des arrhes déterminent le caractère et l’effet
(*) In st.,
de Em pt. vend.
�207
de l’engagement, en le réduisant à une simple promesse de ven
dre, dont on pourra se désister sous les conditions établies
par le Code.
Ainsi, quelle que soit la nature de la convention, si son
exécution est renvoyée à une époque ultérieure et garantie
par des arrhes, il n’y a pas à distinguer. La stipulation de
.celles-ci imprime au marché le caractère de promesse, en
subordonne l’effet à la persistance de la volonté réciproque
dos parties.
211. Toutefois, et à l’exemple de Malleville, MM. Pardes
sus, Delvincourt et Duranton n’admettent pas cette interpré
tation de l’article 1590. Lorsqu’il s’agit d’une vente, ensei
gnent-ils, cette vente, accompagnée d’une stipulationd’arrhes,
n’en est pas moins définitive ; il n’est plus au pouvoir des
parties de se désister ; les arrhes seraient considérées comme
un acompte sur le prix ; comme un gage de la sûreté du
payement, si elles consistaient en un corps certain. C’est ce
que la Cour de Colmar consacrait le 15 janvier 1813.
212. M.Troplong distingue entre la vente conditionnelle et
la vente pure et simple. Il estime que cette dernière échappe à
l’application de l’article 1590.La vente est parfaite, dit-il; elle
fait passer recta ma la propriété sur la tête de l’acheteur; elle
le saisit de plein droit et sans le secours d’aucun acte émané des
parties. Se désister, ce serait donc abdiquer la propriété et 4a
faire repasser sur la tête du vendeur. Maisl’acheteur pourra-til opérer cette rétrocession de la propriété?Ne faudrait-il pas
que le consentement du vendeur vînt s’ajouter au sien?Lnfin,
on se dédit d’un engagement,mais on ne se dédit pas d’un droit
de propriété. Se dédire d’un droit acquis et consommé impli
que contradiction (*).
213. Dans tous les cas,répond M.Duvergier,cette contradic
tion est écrite dans la loi. Qu’on songe que d’après l’article 1589
la promesse de vente vaut vente; qu’elle renferme un droit. Or,
quel qu’il soit, droit de propriété ou simple jus ad rem, l’arti
cle 1590 permet de s’en départir. On peut donc se départir d’un
droit acquis (2).
ARRHES
(l) N» 140.
(*) N° 144.
�208
ACHATS ET VENTES
Nous ne concédons pas les prémisses de M. Troplong et
moins encore sa conséquence. La vente réellement contractée
avec arrhes ne sera parfaite et définitive que par l’exécution que
les parties lui donneront..Jusque-là il n’y a qu’un engagement
de la part du vendeur de livrer, de la part de l’acheteur de
recevoir la chose vendue et achetée ; refuser de l’exécuter, c’est
donc se départir d’un engagement plutôt que d’un droit acquis.
S’agit-il d’un droit, de celui de propriété, pourquoi ne pour
rait-on pas s’en départir si les parties s’en sont formellement
réservé et concédéla faculté. Or, cette réserve et cette conces
sion résultent de plein droit de la stipulation des arrhes, et
cette stipulation n’est-elle pas le consentement à ce que la
faculté qu’elle concède soit exercée? Donc, en admettant que
cet exercice fût la rétrocession de la propriété,nous rencontre
rions ce consentement du vendeur exigé par M. Troplong.
Remarquons enfin que M.Troplong ne se préoccupe que du
refus fait par l’acheteur. Or, ce refus peut provenir duvendeur,
qui se dispensera d’exécuter soit en perdant les arrhes qu’il a
données, soit en doublant celles qu’il a reçues. Il peut donc
reprendre la propriété qu’il aurait transférée, comment pour
rait-il dès lors s’opposer à ce que l’acheteur l’abdiquât à son
tour aux mêmes conditions.
214. Le tort de l’opinion que nous repoussons est de sup
poser une hypothèse qui ne saurait se réaliser. On ne comprendraitpas que des arrhes fussent stipulées, si la vente rece
vait immédiatement son exécution, c’est-à-dire si la chose qui
en fait la matière était livrée et reçue au moment du contrat.
On n’a recours à cette stipulation que parce que cette exé
cution est nécessairement renvoyée à un temps plus ou moins
prochain, donc la vente n’est que conditionnelle. Sa perfec
tion exige le secours du fait personnel des parties, car elle
ne vaudra que si chacune d’elles a persisté dans la volonté
qu’elle a manifestée à l’origine du traité.
Contestera-t-on le droit qu’ont les parties de traiter à cette
condition? Mais, comme les autres contrats, la vente est
susceptible de toutes les conditions qu’il plaît aux parties de
stipuler, pourvu qu’elles ne blessent ni l’intérêt public, ni
la morale, ni les bonnes mœurs. Hésiterait-on à valider la
�209
vente sous réserve de se dédire pendant un certain délai ?
Or, la stipulation d’arrhes n’est, pas autre chose que cette
réserve que la loi induit de la nature du contrat.
215. Nous pensons donc que l’article 1590 est applicable
à la vente comme à la simple promesse de vente, et cela par
le motif que M. Grenier relevait dans son discours. La déli
vrance et la réception des arrhes déterminent, le caractère
légal du contrat en le réduisant à une simple promesse do
vendre et d’acheter qu’il est loisible à chaque partie de ne pas
tenir. Leur refuser cette liberté serait violer le contrat en lui
enlevant son effet le plus essentiel, c’est-à-dire cette alter
native sans laquelle, comme l’observait M. Faure, la stipula
tion d’arrhes n’avait point d’objets.
Ainsi, quelle qu’ait été la nature du contrat dans l’inten
tion des parties, la certitude qu’il a été fait avec arrhes le
place sous l’empire de l’article 1590. L’unique effet qui s’in
duira de ce qn’il s’est agi d’une vente, sera de rendre plus
difficile à admettre la prétention de faire considérer comme
arrhes la somme donnée et reçue. La probabilité étant qu’elle
l’a été en déduction du prix, on n’admettra le contraire que
si le doute n’était pas permis, dans le cas par exemple où
un traité écrit indiquerait le véritable caractère de l’opéra
tion. (Sic B. L. S., n° 84, Guillouard 1, n° 20).
216. A défaut de preuve écrite s’offrent, pour les juges con
sulaires, la preuve testimoniale, les présomptions. Celles-ci
s’induiront non pas seulement du fait de la remise et de la
réception d’une somme quelconque, mais encore et surtout du
caractère du traité.
Si les parties ont positivement vendu et acheté, on présu
mera difficilement l’existence du contrat régi par l’arti
cle 1590. La somme donnée et reçue paraîtra bien plutôt
un à-compte sur le prix, une preuve de la perfection de la
vente qu’une arrhe proprement dite. On n’admettra le con
traire que si aucun doute ne s’élevait sur le sens et l’inten
tion de ces remise et réception.
Si l’effet de la vente a été subordonné à une condition,
c’est par la nature de celle-ci qu'on résoudra la difficulté.
ABRHIOS
A chats
e t ventes
14
�210
ACHATS ET VENTES
L’article 1590 devrait être appliqué si la condition, soit ca
suelle, soit potestative était, suspensive.
La somme alors donnée et reçue ne peut l’avoir été qu'à
titre d’arrhes, par la raison, observe fort judicieusement
M. Troplong, que la vente étant encore incertaine, et rien
n’indiquant si elle se purifiera par l’échéance de la condition,
vous n’avez pu entendre payer par anticipation un prix qui
peut-être n’aura jamais été dû et acquis (*).
Cette incertitude conduit donc à ce résultat que ce qui a
été donné et reçu avant l’échéance de la condition n’a été
dans l'intention commune des parties que la peine du dédit
dont on s’est réservé la faculté, précisément parce qu’on en
réglait les effets.
2 1 7 . La condition résolutoire n’enlève à la vente rien de
sa perfection, le contrat existe légalement jusqu’à l’événement
qui peut le faire résoudre, on peut donc, en prévision de
son maintien, solder le prix en tout ou en partie, sauf à s’en
faire rembourser, le cas échéant. On ne saurait donc exciperde
la conditionpour soutenir qu’il y a arrhes plutôt qu’un acompte.
Mais il n’en est ainsi que lorsque la condition résolutoire
est purement casuelle, et elle n’aura pas toujours ce carac
tère. En commerce, elle peut être potestative, par exemple
la vente d’une chose pour un prix déterminé, avec obligation
de livrer ou de retirer dans un tel délai, passé lequel la vente
sera résiliée. Il est évident que le sort du contrat est laissé
à la volonté de la partie. Sa résolution résulte du refus de
livraison de la part du vendeur, du défaut de retirement de
la part de l’acheteur.
Dans cette hypothèse, plus encore que dans celle d’une
vente sous condition suspensive, la somme donnée et reçue
au moment du contrat doit être considérée comme l’indem
nité conventionnelle due par celui qui par son fait occasion
nera la rupture du contrat. Il n’y aura là que des arrhes qui
seront perdues ou doublées, suivant que celui qui se dédit
les aura données ou reçues.
2 1 8 . Dans l’exemple que nous supposons,la condition résop) No 102.
�ARRHES
211
lutoire potestative existe en faveur des deux parties. Mais le
contrat peut ne la déférer qu’à l’une d’elles, par exemple la
vente faite sous condition par l’acheteur d’opérer le retirement dans un délai, sous peine de résiliation. Il est évident,
dans ce cas, qu’à l’égard du vendeur la vente est pure et sim
ple. Il ne pourrait donc refuser la livraison qui lui serait
demandée dans le délai convenu, en offrant de restituer le
double de ce qu’il a reçu. En consentant à la condition réso
lutoire potestative en faveur de l’acheteur et en omettant de
sé la réserver, il a renoncé expressément à la réciprocité que
la loi attache à la convention d’arrhes pure et simple (Troplong, n° 413).
Supposez que le contrat se horne à stipuler que la livrai
son sera effectuée dans tel délai, à peine de résiliation, les
rôles seront changés. La vente, conditionnelle pour le vendeur,
sera parfaite et définitive pour l’acheteur. Le premier en sera
quitte par la restitution du double de ce qu’il a reçu; le second
ne serait pas délié par la perte de ce qu’il a donné.
2 1 9 . La faculté concédée par l’article 1590 peut-elle être
exercée dans la vente conditionnelle après que l’événement
prévu est venu en assurer la perfection? On jugera de l’inté
rêt que présente la solution de cette question par la contro
verse qui s’est élevée à son sujet.
On sait que la clause résolutoire est toujours sous-entendue
dans les contrats synallagmatiques pour le cas où l’une des
parties ne remplit pas son engagement. Mais le droit d’en
poursuivre les effets est une faculté et non une obligation.
Celui qui pourrait s’en prévaloir est toujours libre d’y renon
cer et d’opter pour l’exécution du contrat.
Loin de modifier le principe dans son application à la vente
des denrées et effets mobiliers, l’article 1657 du Code civil l’a
consacré plus formellement encore, en faisant résulter, de
plein droit, la résolution du contrat, au profit du vendeur,
et sans qu’il soit besoin d’une mise en demeure, de l’expira
tion du délai convenu pour le retirement. {Infra, n° 401).
Mais, en ne consacrant la résolution que contre l’acheteur,
cet article a laissé subsister dans son entier le droit du ven
deur. On ne saurait donc lui refuser l’option qui lui appartient
�212
ACHATS ET VENTES
et lui contester la faculté de s'en tenir à l’exécution de la
vente.
Mais si l’acheteur persiste dans son refus, l’exécution maté
rielle est impossible,le vendeur n’a plus à demander et à obte
nir que des dommages-intérêts représentant la perte qu’il fait
et le gain dont il est privé. Or, n’est-ce pas la détermination
de ces dommages-intérêts que la convention a faite lorsque
des arrhes ont été données et reçues ?
220. C’est en se plaçant à ce point de vue qu’on a soutenu
que le vendeur avait perdu l’option qui lui appartenait, qu’il
ne peut, à quelque époque que se réalise l inexécution, exiger
rien autre, ni au delà des arrhes. La réception des arrhes, a-ton dit, a modifié le caractère de la vente qu’elle a fait sortir
du droit commun. En les recevant et en consentant à les rete
nir en cas d’inexécution,le vendeur est présumé avoir renoncé
à exiger l’accomplissement de la vente, c’est comme s’il avait
déclaré que la résolution, avec le gain des arrhes, était ce qu'il
préférait. Donc, en lui interdisant toute autre action, on ne fait
que lui appliquer la loi qu’il s’est lui-même imposée.
221. 11 semble que ces considérations sont sans réplique,
et qu’elles s’induisent du texte et de l’esprit de la loi, cepen
dant M. Troplong les repousse comme inadmissibles. Elles
ne reposent, dit-il, que sur une présomption fautive. La
réception des arrhes ne peut, sans forcer le sens des actes,
être assimilée à une renonciation. Le vendeur a deux droits
parallèles que la loi met à sa disposition,il ignore encore celui
qu’il choisira, car son élection dépend des circonstances. La
baisse ou la hausse imprévue des marchandises pourra seule
le déterminer à opter. Est-il présumable dès lors qu’il ait
abandonné d’avance et à l’aveugle ce droit précieux? N’est-il
pas plus raisonnable de conclure qu’il n’a accepté les arrhes
qu’éventuellement et pour le cas où la résolution de la vente
serait pour lui le parti le plus convenable ? (‘)
222. M. Troplong s’occupe beaucoup trop du vendeur et
pas assez de l’acheteur. Les arrhes, cependant, sont surtout
dans l’intérêt de ce dernier, puisque, déterminant la peine
(!) N° 145.
�213
de l'inexécution, elles sont pour lui une garantie que, si son
intérêt est d’y recourir, il ne sera jamais tenu au delà de la
somme qu’il a d’avance livrée dans ce but. C’est là d’ailleurs
ce qui est textuellement écrit dans l’article 1590.
Ce droit de l’acheteur, le système de M. Troplong le mé
connaît et le refuse. Que devient dès lors l’article 1590, si
la faculté de discéder du contrat moyennant la perte des
arrhes est subordonnée à la volonté du vendeur ?
Ce qui résulterait de là, c’est que celui-ci, en cas de baisse,
ne manquerait pas de réclamer le maintien et l’exécution du
marché, et d’obtenir ainsi des dommages-intérêts au delà
des arrhes, c’est-à-dire que l’acheteur sera privé du béné
fice qu’il a entendu se ménager, au moment précisément de
l’événement en prévision duquel il l’a stipulé.
223. Ce système ne serait admissible que si l’article 1590
ne pouvait s’appliquer à la vente comme à la promesse de
vente. Aussi M. Troplong l’induit-il de ce que la vente ayant
transféré la propriété, cette propriété ne peut faire retour
au vendeur que par un nouveau contrat que son refus rend
impossible. La vente n’est ébranlée que d’un seul coté, tan
dis qu’il faudrait un mutuel dissentiment pour l’anéantir.
Nous croyons avoir suffisamment établi que l’article 1590
régissait la vente comme la promesse de vente. Il est impos
sible, en effet, que la stipulation d’arrhes ne produise pas pour
l’une l’efïet qu’on lui reconnaît dans l’autre. Sa raison d’être
n’est et ne peut être, dans tous les cas, que la réserve de dis
céder du contrat, suivant que l’intérêt ou les convenances
des parties l’exigeront.
Nous répétons avec M. Faure, si l’intention des parties
n’avait pas été de so ménager l’alternative d’exécuter ou de
rompre le marché, la stipulation d’arrhes n’avait point d’ob
jet. Comment dès lors la vente elle-même pourrait-elle échap
per à la loi que les contractants se sont volontairement im
posée ?
Sans doute, la baisse survenant, le vendeur aurait plus
d’intérêt à l’exécution dumarchéqu’à l’acquisition des arrhes.
Mais c’était là une éventualité qu’il ne lui était pas.difficile
de prévoir, il pouvait en répudier la chance en refusant de
ARRHES
�ACHATS ET VENTES
214
traiter dans les conditions qui lui étaient proposées. Leur
acceptation lui enlève le droit de se plaindre, car le préjudice
qu’il alléguerait provient de, son propre fait autant que de
celui de son adversaire.
224. D’ailleurs, la loi qu’on lui impose, si elle lui est pré
judiciable en cas de baisse, lui sera avantageuse en cas de
hausse, puisqu’en doublant les arrhes, il se dispensera délivrer
et s’attribuera ainsi le bénéfice d’une nouvelle vente à un
prix plus avantageux.
M. Troplong ne pouvait sans inconséquence reconnaître au
vendeur le droit de ne pas livrer la chose, aussi le lui refuset-il.
Ainsi, d’après lui, le contrat est définitif et obligatoire pour
tous. Mais alors à quoi bon la stipulation d’arrhes? Elle a eu
cependant un objet, elle devait évidemment, dans l’intention
des parties, produire un effet quelconque. N’en tenir aucun
compte n’est-ce pas substituer contre la volonté de l’une des
parties une convention à celle qui avait été mutuellement
acceptée ?
225. Nous avions donc raison de le dire : l’unique consé
quence à tirer de ce qu’il s’est agi d’une vente et non d’une
promesse sera de rendre plus difficile l’admission des arrhes.
A moins d’une convention expresse, on considérera la somme
donnée et reçue comme l’exécution de la vente et le paye
ment partiel du prix. C’est ce qu’a décidé la Cour de Lyon
par appréciation de la volonté des parties(25 janv. 1899, G.
P. T., 1897-1902, v° Vente, n° 154).
Mais si cette convention existe, si elle est avouée ou
établie, l’opération, quelle que soit la qualification qui lui a
été donnée, n’est plus, comme le disait M. Grenier, qu’une
simple promesse de vente dont l’exécution est laissée à la
volonté libre des parties. Chacune d’elles a consenti à subir
la volonté de l’autre et déclaré d’avance que la résolution avec
le gain des arrhes était ce qu’elle préférait. Elle a donc for
mellement renoncé à l’option que le droit commun lui confé
rait, et à la faculté de contraindre son cocontractant à l’exé
cution du contrat, c’est-à-dire la réception ou la livraison
matérielle de la chose vendue. Le ffain des arrhes est la seule
�CONDITIONS SUSPENSIVE ET RÉSOLUTOIRE
215
indemnité qu’elle puisse réclamer. Le tribunal de commerce
de Marseille a paru adopter cette doctrine en jugeant le
20 octobre 1892 que lorsque à la conclusion d’une vente, des
arrhes ont été remises par l’acheteur à son vendeur sans que,
les parties aient expliqué si c’était à titre de dédit ou d’a
compte sur le prix, c’est à titre de dédit qu’elles doivent être
présumées remises : l’acheteur a dans ce cas le droit de se
dégager de son obligation en les abandonnant (M. 1893.1.15).
Les termes du contrat, la correspondance, les circonstan
ces diverses dans lesquelles la vente a été conclue auront
naturellement la plus grande influence sur la solution et l’ap
préciation du j uge du fait pourra s’exercer sans aucun contrôle.
SECTION III
DES VENTES ET PROMESSES DE VENTE CONDITIONNELLES
SOMMAIRE
226. Les ventes et promesses de vente peuvent être conditionnel
les. Caractère de la condition.
227. Effets de la condition résolutoire.
228. Effets de la condition suspensive.
229. Les obligations et les droits de l’acheteur passent à ses héri
tiers et à ses créanciers.
230. Effets de la seconde vente faite par le propriétaire dans l’in
tervalle de la suspension.
231. Utilité de la condition suspensive dans les ventes commerciales.
232. Ventes par navire désigné ou à désigner. Définition.
233. Abus qui résulteraient conLre l’acheteur d’une vente maritime
conditionnelle. La désignation y remédie.
234. Le vendeur peut se réserver un délai pour cette désignation.
235. Si aucun délai n’a été fixé, le tribunal peut l’impartir.
236. Interprétation rigoureuse des accords contre le vendeur.
237. L’obligation de désigner dans le délai est substantielle. Elle
doit porter sur un navire non encore arrivé.
238. Désignation par lettre. Navire dans le port. Faculté pour le
vendeur à Marseille de faire une autre désignation.
�216
Jurisprudence contraire du Havre.
Calcul de la différence pouvant être due par le vendeur.
Expiration du délai. Lettre.
Précision de l’époque de l’embarquement et de l’arrivée.
Clauses substantielles.
2-13. Non arrivée du navire. Justification du chargement à faire par
le vendeur.
214. Onpeutdésigner un navire non chargéet qui même n’est pas
arrivé au port de charge. Voyage direct.
245. Transbordement interdit.
246-247. Effets de la désignation. Individualisation de la chose.
Risques pour l’acheteur. Faculté de proroger accordée à
l’acheteur.
248. Pluralité des marchés. Déficit.Exécution des marchés d’après
leurs dates.
249. Le dernier acheteur supporte donc le déficit.
250. Indivisibilité de la vente pour le vendeur. Il ne peut offrir
une quantité moindre.
251. Exécution sans réserve lorsqu’il y a un déficit. Conséquences.
Clause « Environ ».
252. Le vendeur doit, au moment du chargement, être proprié
taire de la quantité vendue.
253. Vente de partie d’un lot. Validité de l’offre du solde pour
compléter la quantité.
254. Jurisprudence contraire du Havre.
255. Erreur sur l’époque du chargement: l’acheteur n’encourt
aucune forclusion.
256. Si la vente a été faite sans échantillon, le défaut de qualité
ne donne lieu en principe qu’à une bonification.
257. Ventes sur embarquement. Définition. Délai du chargement.
Obligation substantielle. Non indication du nom du navire.
Conséquences. Désignation d’un navire ou de plusieurs
navires déjà arrivés.
258. Interprétation rigoureuse contre le vendeur. Embarquement
réel. Indivisibilité.
259. Transbordement. Connaissement direct.
260. Chargement avant le délai. Nullité. Clause « Embarquement
jusqu’à telle date. »
26 t .- Précision de l’époque de l’arrivée : obligation substantielle.
262. Interdiction de substituer un voilier à un vapeur ou un vapeur
à un voilier.
to IS
39.
40.
2 4 l.
2-12.
ACHATS . ET VENTES
�CONDITIONS SUSPENSIVE ET RÉSOLUTOIRE
263.
264.
265.
266.
267.
217
Clauses « embarquement immédiat ».
Clause « embarquement prompt ».
Délai pour offrir la marchandise après l’arrivée.
Conversion en marché ferme. Prorogation tacite.
Preuve de la date du chargement. Connaissement. Foi qui
lui est due.
268. L’acheteur peut fournir la preuve contraire. Le vendeur ne
le peut pas.
269-270. Jurisprudence. Critique d’un arrêt d’Aix.
271. Fraude:responsabilitécommune du capitaine et du chargeur.
272. Délai du chargement. Force majeure. Offre d’une marchan
dise de même provenance.
273. Différence. Jour auquel elle est due. Droit d’option de l’ache
teur.
274. Faux connaissement. Pas de forclusion pour l’acheteur.
275. Clause : livrable franco le long du bord, l’acheteur conserve
le droit de vérifier à l’arrivée.
276. Transformation du marché en vente par navire désigné.Con
séquences, mesures sanitaires, grèves.
277. Liberté des conventions. Amalgames des divers contrats.
278. Vente, coût, fret, assurance (caf ou cif). Définition.
279. Paiment. Traite documentée ou documentaire.
280. La traite doit-elle être acceptée ?
281. Usage d’après lequel l’acheteur paie le fret à l’arrivée. Dimi
nution proportionnelle de la facture et de la traite. Con
séquences en cas de perte en cours de voyage.
232. Livraison au port d’embarquement. Individualisation de la
marchandise. Connaissement et police distincts. Marchan
dise à prendre sur un lot. Navire indirect.
282 bis. Délai de la remise des documents après l’arrivée.
283. Différence entre la réception au lieu d’expédition et l’agré
ment au lieu d’arrivée. Délai des réclamations.
284. Lieu où doit s’effectuer l’experlise.
285 . Acheteur représenté par un commissionnaire.
286. L’acheteur peut-il demander la résiliation ou seulement une
bonification ?
287. Droits de douane.
287 bis. Mesures sanitaires.
288. Caractères essentiels delà ventecaf.seuls retenus par lajurisprudence.
289. Vente à terme (à livrer). Son caractère.
�218
ACHATS ET VENTES
290. Facilité qu'elle offre pour le jeu sur la hausse ou la baisse. Ce
qui en était résulté. Loi du 28 mars 1885. Son application
par la jurisprudence.
291. Marchés à prime : leur légalité.
292. Marchés à double prime. Interversion des positions.
293. Ventes par Filières. Leur mécanisme. Ordre de livraison trans
mis successivement.
294. Difficultés pour le paiement résultant delà différence des cours
et des prix.
295. Règlements existant sur certaines places. A défaut application
des usages.
29ô. Peu importe que le vendeur ait créé lui-même la filière ou l’ait
acceptée.
297. La filière ne constitue pas un contrat unique. Distinction des
ventes et reventes successives.
298. Le premier vendeur ne peut donc agir que contre son acheteur
direct.
299. Jurisprudence du tribunal de Marseille. Son caractère.Juge
ments rendus au profit du vendeur originaire opposables à
tous lesfiliéristes.
300. Mais étant donnéladistinctiondes marchés, les jugements ren
dus au profit du vendeur originaire ne sont pas toujours oppo
sables à tous les vendeurs et acheteurs successifs. Arrêts
contradictoires de la Cour d’Aix. Règlements de Paris. Arrêts
contradictoires delà Cour de Paris. Liberté de la Défense.
301. Comment s’opère le paiement. A qui et par qui il est dû.
302. Jurisprudence de la Cour d’Aix.
303. Affaire Savine. Jugement de Marseille et arrêt d’Aix.
304. Principe qui s’en dégageile réceptionnaire ne peut payerson
vendeur tant que le livreur n’est pas désintéressé. L’échange
des factures ne libère pas le réceptionnaire. Conséquences.
305. Clause « payable comptant». Délai de dix jours.
306. Le réceptionnaire paierait valablement son vendeur si le
livreur ne poursuivait qu’à l’expiration des dix jours.
307. Qui peut se prévaloir du retard et l’opposer comme fin de
non-recevoir. Acheteur du vendeur originaire.
308. Négligence du livreur. Jurisprudence de Marseille.
309. Le droit du livreur d’exiger le paiement du réceptionnaire est
personnel, non transmissible par subrogation aux acheteurs
et vendeurs successifs.
310. Arrêt d’Aix en ce sens.
�CONDITIONS SUSPENSIVE ET RÉSOLUTOIRE
2ia
311. Le vendeur qui a réglé les différences ne peut exiger de son
acheteur au delà du prix dû par celui-ci si le réceptionnaire
ne se présente pas.
312. Résumé.
313. La faculté pourlesdeux partisquantauxconditions delà vente
est illimitée. Conséquences.
314. Ce qui est vrai pour la vente,l’est aussi pour la promesse de
vente,
315. Difficultés que peut faire surgir la vente alternative: com
ment on doit les résoudre.
2 2 6 . En matière de ventes et de promesses de vente, les
contractants jouissent, quant aux stipulations du contrat, de
cette liberté entière et absolue que la loi confère pour les
conventions en général. Cette liberté n’a d’autres limites que
le respect dû à la loi, que les exigences de l’ordre public,
de la morale et des bonnes mœurs. Il ne pouvait venir à l’es
prit de personne de méconnaître et de contester ce principe,
néanmoins le législateur a voulu qu’il prît place dans ses
dispositions.
Aux termes de l’article 1584 du Code civil, la vente peut
être faite purement et simplement ; sous une condition sus
pensive ou résolutoire ; avoir pour objet deux ou plusieurs cho
ses alternatives. Dans tous les cas, son effet est réglé par les
principes généraux sur les conventions.
Dans la vente conditionnelle, la détermination du carac
tère de la condition est d’une haute importance, car son effet
différera essentiellement, suivant qu’elle sera résolutoire ou
suspensive.
2 2 7 . La vente faite sous condition résolutoire est parfaite
dès sa conclusion. Elle n’éprouve dans son exécution d’autre
retard que celui que la convention stipulerait pour la livrai
son. Celle-ci réalisée effectivement ou fictivement, la chose
se trouve aux risques de l’aclieteur et périt pour son compte.
L’événement de la condition a pour unique effet de remet
tre les parties dans l’état où elles étaient avant le marché.
Le vendeur perd le droit d’exiger le prix ou le rembourse
s’il l’a reçu; l’acheteur restitue la chose.
De là cette conséquence que, si cette restitution était
�220
ACHATS KT V1CMTI5S
impossible parce que la chose a péri, la vente produirait
tout son effet, malgré que le fait qui devait la résoudre se
fût accompli. Le droit qui naît de cet accomplissement est
nécessairement subordonné à la possibilité de remettre les
parties dans leur position d’avant la vente. Cette possibilité
n’existant plus, tout est définitivement acquis et consommé.
228. La vente sous condition suspensive est, quant à son
exécution, subordonnée à l’événement de la condition. Elle
est parfaite en ce sens que, dans l’intervalle du contrat à
cet événement, les parties demeurent engagées, sans qu’il
leur soit permis de discéder du marché. Elles n’en acquer
raient la faculté ni par la mort, ni par la faillite.
En pareille occurrence, comme l’observe Cujas, il faut,
quant à la capacité des parties, considérer non pas l’époque
de l’échéance de la condition, mais celle de la conclusion du
contrat. C’est à ce moment que rétroagit l’événement de la
condition, même à l’égard des tiers. La vente purifiée par
cet événement, l’acheteur est seul propriétaire de la chose
du jour qu’il a traité, aussi la recevrait-il franche et libre de
tous droits dont l’acheteur l’aurait grevée dans l’intervalle.
2 2 9 . Les obligations et les droits du vendeur et de l’ache
teur passent à leurs héritiers et à la masse de leurs créanciers.
Rien ne dispenserait les héritiers de ce dernier du devoir
d’exécuter le contrat, de se livrer de la marchandise et d’en
payer le prix. Les héritiers du vendeur ne pourraient, de
leur côté, refuser de faire la délivrance dans les conditions
auxquelles leur auteur aurait dû l'opérer.
La faillite n’est pas une cause de résiliation des marchés
en faveur de ceux qui ont traité avec le failli. Le vendeur,
obligé de livrer à celui-ci, serait également tenu de le faire
en faveur de la masse, sous peine de dommages-intérêts.
Mais dans ce cas les syndics seraient tenus en recevant
la chose d’en payer intégralement le prix. Ils ne pourraient
faire considérer le vendeur comme un créancier ordinaire ne
devant recevoir que le dividende que la liquidation offrira.
Si celui qui a traité et qui est tombé depuis en faillite est
le vendeur, l’acheteur pourra exiger la délivrance. Mais la
faillite a frappé d’indisponibilité l’actif du failli, et par cou -
�221
séquent créé un obstacle invincible à l’exécution matérielle
du marché. Aussi le refus des syndics ne laisserait à l’ache
teur d’autre recours que celui de se faire allouer des dom
mages-intérêts en indemnité de l’inexécution ; que de faire
ordonner la restitution de ce qu’il pourrait avoir payé en
acompte et en déduction du prix. Mais il ne serait, à raison
de cette restitution comme des dommages-intérêts alloués,
que simple créancier chirographaire, soumis à la loi que les
autres devraient subir.
La faillite n’est pas sans influence sur les traités sous con
dition suspensive dont l’événement est encore incertain au
moment de la cessation de payements. La partie qui est
encore integri status a le droit d’exiger que la masse déclare
si elle entend maintenir ou non le traité, et en cas d'affir
mative de l’obliger à donner caution ponr la garantie de son
exécution. Si la masse renonce au traité ou refuse la cau
tion, la résiliation immédiate devrait être prononcée l.
2 3 0 . La vente sous condition suspensive est donc parfaite
(piant à l’engagement et à l’obligation de l’exécuter, la con
dition prévue se réalisant. Mais jusque-là elle demeure sans
effet. Elle n’a pu notamment transférer la propriété à l’ache
teur qui ne l’acquerra peut-être jamais. Son existence, dit la
Cour de Cassation, est subordonnée à la réalisation de la con
dition suspensive et si cette condition est devenue irréalisable,
aucune des parties ne peut soutenir que l’autre est engagée
aux termes d’un contrat sans effet possible (20 oct. 1908.
G. P., 1908.2.380).
Le vendeur pourrait, abusant de sa position, revendre à
un tiers la chose qui est encore en sa possession. Le sort de
cette seconde vente ne serait pas douteux si, étant pure et
simple, elle avait été suivie de tradition. Son bénéficiaire ne
pourrait être dépossédé, alors même cjue l’événement de la
condition serait venu purifier la première.
Si, malgré la seconde vente, la chose est encore aux mains
du vendeur au jour de cet événement, elle appartient au pre
mier acheteur. L’échéance de la condition lui en a de plein
CONDITIONS SUSPENSIVE ET UKSOLÜTOIHK
( 1) Notre
Comm. des faill., f l"
li64 etsuiv.
�222
ACHATS ET VENTES
droit transféré la propriété; et comme cet effet remonte au
jour du contrat, la seconde vente aurait été faite a non domino;
ou plutôt elle n’aurait eu pour objet qu’un droit résoluble.
Son bénéficiaire serait donc repoussé en vertu de la règle
resoluto jure dantis, resolvitur et jus accipientis. Il n’aurait
que le droit de se faire allouer contre le vendeur les domma
ges-intérêts que l’acheteur précédent aurait à réclamer dans
le premier cas.
231. La vente commerciale ne sera que rarement contrac
tée sous condition résolutoire. Les obligations qui en nais
sent sont peu compatibles avec les usages et les besoins com
merciaux, avec l’intérêt réel des parties.
La rentrée des marchandises dans-les magasins dont elles
sont sorties donnerait lieu à des frais et exposerait à des
pertes qu’on aurait évités. D’autre part la nécessité de les
conserver, pour les restituer le cas échéant, empêcherait de
profiter de la hausse momentanée du cours, et l’échéance de
la condition se réalisant en temps de baisse, on rencontrerait
une perte au lieu du bénéfice qui s’était offert. Nous le répé
tons, il n’est ni dans les usages ni dans l’intérêt du commerce
de courir une pareille chance.
La condition suspensive, au contraire, est un des auxiliai
res les plus énergiques du commerce. Elle permet une foule
d’opérations impossibles sans son secours. Quel est, en effet,
le commerçant qui oserait vendre une chose qui n’est pas
encore en sa possession, qui n’y arrivera peut-être jamais,
s’il lui était interdit de se ménager le moyen de s’affranchir
de tous dommages-intérêts en cas qu’il ne puisse tenir son
engagement ?
On sait par exemple les dangers sans nombre que courent
les marchandises qu’il faut aller chercher au delà des mers.
Leur arrivée est toujours incertaine, et si l’importateur était
obligé de l’attendre pour en disposer, combien de fois ne
rencontrerait-il pas une perte au lieu du profit qu’il eût réa
lisé en vendant dans l’intervalle ?
Un pareil résultat, tendant à restreindre les spéculations
dans un cercle étroit et limitant l’essor du commerce, était un
danger pour l’Etat lui-même; l’intérêt public s’unissait donc
�223
à l’intérêt privé pour en faire repousser toute possibilité.
Les négociants l’ont ainsi compris et de tout temps les
ventes maritimes ont été accompagnées de conditions, quel
ques-unes inhérentes, on peut le dire, à ces sortes de mar
chés et aux aléas qu’ils comportent. Nous allons donc traiter
des trois types de ventes les plus usitées en reproduisant ici
l’étudè que nous avons publiée dans la R evue in tern a tio n a le
de d ro it m a ritim e , tome 23, pages 133 et suiv.
232. V entes p a r n a vire désigné ou à désigner. — Dans la pre
mière moitié du siècle dernier, les ventes maritimes ont sur
tout consisté dans les marchés appelés ainsi. Elles ont l’avan
tage tout en diminuant les risques du vendeur, de protéger
dans une mesure suffisante les intérêts de l’acheteur.
En effet, si un importateur comptant recevoir la cargaison
d’unnavire aune certaine époque, vend cette cargaison livra
ble à cette époque et qu’un événement quelconque empêche la
marchandise d’être à la disposition de l’acheteur au jour con
venu pour la délivrance, celui-ci pourra exiger soit un rem
placement onéreux, soit la résiliation avec dommages-inté
rêts. Pour se garantir contre ces éventualités les vendeurs
ont imaginé de vendre sous une condition suspensive celle
de l’heureuse arrivée du navire porteur de la marchandise
dans un délai fixé. De cette façon si le navire n’arrivait pas
au moment voulu, le marché était simplement résilié ou plu
tôt annulé faute d’accomplissement de la condition, mais le
vendeur n’était jamais astreint au paiement d’une indemnité.
2 3 3 . Un contrat fait dans ces termes pouvait donner lieu
aux plus grands abus, et, en réalité, son exécution était en
tièrement abandonnée à la bonne foi du vendeur. L’acheteur
ignorait le nom du navire sur lequel la marchandise avait
été embarquée. Or avec les irrégularités et les incertitudes
de la navigation à voiles, comment aurait-il pu contrôler les
affirmations du vendeur au sujet du chargement et des ha
sards de la traversée ? Il était à craindre qu’en cas de baisse
le navire arrivât toujours, et qu’en cas de hausse il ne parvînt
jamais au port de destination.
Avec l’obligation pour le vendeur de désigner le navire
transporteur, cet inconvénient si grave disparaît. L’acheteur
VENTES PAR NAVIRE DÉSIGNÉ
�ACHATS ET VENTES
224
connaissant ainsi le navire qui doit lui apporter la denrée
vendue, peut par cela même se tenir au courant des circons
tances du voyage et le suivre en quelque sorte à chacune de
ses escales : toute fraude du vendeur devient impossible.
2 3 4 . Le nom de cette vente — par navire désigné <m.par na
vire à désigner — indique suffisamment que le vendeur n’est
pas tenu de nommer le navire au moment même du contrat.
Il peut se réserver un délai.
235. Si pourtant aucun délai n’a été fixé, Bédarride [Achats
et ventes, éd. préc., n° 215) estime que la justice ne saurait sup
pléer au silence de la convention et que le droit du Vendeur de
faire la désignation se prolongerait jusqu’au moment de l’ar
rivée du navire. Le savant auteur invoque un arrêt d’Aix du
25 janvier 1840 réformant un jugement du tribunal de Mar
seille du 11 septembre 1839, qui, sur la demande de l’acheteur avait imparti un délaiau vendeur. Mais cet arrêt (M.1840.
1. 151) ne se préoccupe pas des conditions des ventes par
navire. 11 constate simplement qu’il s’agit en l’espèce d’un
pacte purement aléatoire dont l’acheteur avait seulement le
droit de demander la résiliation au cas où la marchandise ne
serait pas arrivée à destination à une époque déterminée. La
solution du tribunal de Marseille reste donc intacte, la Cour
s’étant placée dans une hypothèse bien différente.
Pour nous, nous approuvons la thèse du tribunal. Bédar
ride nous dit que le vendeur aura le droit de désigner jus
qu’au moment fixé par l’arrivée 1 Pourquoi ? Si rien n’a été
précisé à cet égard faudra-t-il permettre au vendeur d’atten
dre indéfiniment qu’une baisse se soit produite pour se pro
curer et désigner un bâtiment ?
236. Il est d’ailleurs de règle dans les ventes maritimes
plus encore que dans les autres, d’interpréter les accords
avec une rigueur extrême contre le vendeur, dans le sens le
plus étroit. Si donc l’intention des parties est douteuse, c’est
la prétention de l’acheteur qui sera accueillie (Havre, 20 janv.
et 15 mars 1892, B.D. M., VII, 423 et 683; id., 8 nov. 1893, ib.,
IX, 525).
2 3 7 . La désignation doit être faite dans le délai convenu :
c’est là une obligation absolue, substantielle. Une désigna-
�225
tion antérieure ou postérieure serait sans valeur. Le vendeur
ne peut donc la réaliser la veille du premier jour de ce délai
(Mars., 16 mars 1875 et 7 déc. 1876 ; M 75. 1. 172 et 76.
1. 276). Elle ne peut porter que sur un navire non encore
arrivé et l’on considère comme arrivé celui qui est entré
dans le port à un moment tel qu’il devait se trouver en vue
au moment de la désignation (Mars., 17 déc. 1861, ib.,
6 1. 1. 270).
2 3 8 . Lorsque la désignation est faite par lettre mise à la
poste la veille du premier jour du délai et parvenue au desti
nataire dans la matinée du lendemain, cette désignation est
nulle si, à l’heure de la remise de la lettre, le navire se
trouvait dans le port depuis quelques heures ; et, en règle,
on ne peut désigner un navire arrivant dans le port le pre
mier jour du délai à une heure tellement matinale qu’il est
impossible, sans sortir des usages commerciaux, de faire par
venir à l’acheteur une désignation antérieure à cette heure.
Dans ce cas le tribunal de Marseille refuse à l’acheteur le
droit de résilier immédiatement et laisse au vendeur la faculté
de faire dans le délai une autre désignation, celle-là régu
lière (17 déc. 1876, ib., 76. 1. 276).
2 3 9 . La jurisprudence du Havre est contraire (8 nov. 1895,
R. D.M.,1X, 525) et selon nous s’accorde mieux avec le principe
définitivement admis que lorsque le vendeur n’a pas fait de
désignation utile, la vente n’est plus conditionnelle, dépendant
de l’arrivée d’un bâtiment. Elle est alors convertie en mar
ché ferme et l’acheteur a le droit, en cas de baisse, de faire
prononcer la résiliation, en cas de hausse d’exiger la livraison
immédiate ou le paiement de la différence. C’était aussi la
jurisprudence du tribunal de Marseille avant le jugement de
1876(29 oct. 1855 et 26 mars 1858, M. 55.1. 321 et 58. 1.122).
D’ailleurs, en pratique, les acheteurs se réservent souvent le
droit de proroger le marché pendant une période déterminée.
2 4 0. La différence est calculée en prenant pour base le
cours soit du jour de la demande on justice, soit du jour où
le navire chargé normalement aurait dû arriver, soit du jour
où le chargement aurait dû être effectué s’il a été fixé parla
convention. L’acheteur a le droit de choisir l’époque la plus
VENTES PAR NAVIRE DÉSIGNÉ
A c h a t s f , t vf -.n t f . s
15
�226
ACHATS HT VhXTliS
favorable à ses intérêts (Aix, 17 mai et 10 juin 1840, M. 47.1.
138; Mars., 7 août 1878,13 avril 1880,'lGnov. 1880; ib., 78.1.
242, 80. 1. 183, 81. 1.153, infrà, n° 273).
2 4 1 . ILfaut que la lettre contenant la désignation parvienne
à l’acheteur avant l’expiration du délai. La désignation est
tardive et inefficace lorsque cette lettre mise à la poste le soir
du dernier jour u’arrive normalement à l’acheteur que le len
demain matin. Le vendeur en pareil cas encourt la résilia
tion avec dommages-intérêts.
2 4 2 . Si le contrat précise soit l’époque de l’embarquement,
soit celle de l’arrivée du navire, chacune de ces clauses est
également substantielle et le vendeur reste soumis à leur exé
cution et aux conséquences de l’inexécution dans des condi
tions identiques à celles qui ont trait à la désignation.
2 4 3 . Au cas de non-arrivée du navire désigné, l’acheteur
a le droit d’exiger du vendeur la justification qu’il avait réel
lement mis à bord, en temps voulu, la chose vendue. A dé
faut de ces justifications la désignation est nulle (Mars.,6 fév.
1895, R. D.M.,X, 792; Lyon-Caen et Renault, De la Vente,
nos 181 et s.).
2 4 4 . Mais il n’est pas nécessaire que le chargement soit réa
lisé, ni même que le navire se trouve dans le port de charge
au moment où la désignation est faite (Aix, 11 mai 1836, conf.
Mars., 9 mars 1836, M. 1836. 1. 239). Seulement si le navire
périt dans un port où il s’était rendu en faisant un voyage
intermédiaire et d’où il devait relever pour aller charger les
marchandises à livrer, cette perte ne saurait être rangée au
nombre des risques dont l’acheteur est tenu de subir les con
séquences. En pareil cas et malgré la non-arrivée du navire,
le vendeur demeure obligé à la livraison, sous peine de dom
mages-intérêts (Mars., 14 juin 1860, M.1860.1.174). Mais si
le navire s’était perdu en allant directement au lieu de charge
du port où il se trouvait au moment des accords, la vente
serait annulée purement et simplement (Mars., 29 oct. 1855,
M. 1855. 1.321).
2 4 5 . De même si le contrat ne prévoit aucun transborde
ment, le vendeur commet une faute en chargeant sur un navire
qui doit transborder en cours de route, et l’acheteur à qui
�227
ce fait crée des difficultés avec la Douane est en droit de laisser
pour compte la marchandise (Havre, 26 juillet 1004, R. D. M.,
XX, 227).
2 4 6 . La désignation individualise la chose vendue. A par
tir de ce moment le vendeur ne peut offrir et l’acheteur exi
ger que la marchandise se trouvant à bord du navire désigné.
Une autre conséquence de la désignation c’est de faire passer
à l’acheteur la responsabilité des risques de route. Mais le
marché n’est définitivement acquis, réalisé, que par l’arrivée
du navire au jour de la livraison. A défaut le marché se trou
verait résilié sans indemnité de part ni d’autre, à moins que
l’acheteur n’use, le cas échéant, de la faculté de proroger, et
il est censé en user s’il garde le silence lorsque le navire n’est
pas arrivé à l’époque fixée.
2 4 7 . Il en serait encore ainsi si l’acheteur ayant le droit
de renouveler sa prorogation avait commencé par déclarer
qu’il prorogeait le marché pendant un certain temps. L’omis
sion de renouveler sa prorogation ne donne pas au vendeur
le droit de considérer la vente comme annulée (Mars., 14 mai
1860, M. 1860.1.144).
2 4 8 . Il peut se faire que le même vendeur ait passé plu
sieurs marchés avec divers acheteurs pour diverses quantités
de marchandises semblables, confondues dans un môme char
gement, et livrables à l’arrivée du navire désigné comme en
étant porteur: ces ventes doivent recevoir leur exécution dans
l’ordre de leurs dates.
2 4 9 . En conséquence, si le chargement arrive diminué par
une avarie et qu’il ne puisse suffire aux diverses livraisons
dont il devait être l’aliment, il y a lieu, non pas de répartir
le déficit entre les divers acheteurs, mais de le faire suppor
ter par le dernier en date, et cela sans distinguer si l’avarie
s’est produite à fond de cale ou dans d’autres parties de la
cargaison. Le vendeur doit donc subir la résiliation avec dom
mages-intérêts envers ce dernier acheteur vis-à-vis de qui il
n’a pas rempli son obligation (Mars., 10 mai et 1erjuin 1860,
■ Tour, de Mars., 1860. 1. 155).
2 5 0 . Le vendeur devant charger la marchandise qu’il a ven
due, il s’ensuit encore qu’il ne peut offrir à l’arrivée du
VENTES PAR NAVIRE DÉSIGNÉ
�228
ACHATS ET VENTES
navire une quantité moindre que celle stipulée. La vente,
on ce qui le concerne, est indivisible. L'acheteur est donc
fondé à obtenir la résiliation pour le tout même si une par
tie a été embarquée et expédiée dans le délai (Rouen, 12 décem
bre 1887,R.D.M., 111, 539; Mars.,18 août 1847; M. 1847.1.343,
ici., 8 mars 1895, R.D.M, X, 792 ; Mars., 9 janvier 1907, Joürn.
de Mars., 1907, 1. 165). Iln’en serait autrement que si le défi
cit, peu important d’ailleurs, devait être attribué à des causes
purement accidentelles telles que le transbordement,le débar
quement, la manipulation de la marchandise, et nullement à
un acte volontaire et prémédité du vendeur (Aix, 6 août 1857,
M. 1857. 1. 226).
2 5 1 . Mais si le vendeur a livré et si l’acheteur a accepté
sans réserve de part ni d’autre, une-quantité moindre, aucune
des parties ne peut ultérieurement olîrir ou réclamer la frac
tion manquante. Le marché est présumé avoir été définiti
vement exécuté avec cette modification (Marseille, 21 oct. 1907.
M. 1908. 1. 71).
Le vendeur fait ajouter parfois à l’indication de la quan
tité la clause « environ ». Dans ce cas il est autorisé à livrer
un chargement moindre, mais il ne peut pas en user pour
ne pas donner toute la quantité vendue quand celle-ci se
trouve réellement à bord (Marseille, 25 nov. 1907. M. 1908.
1 . 108).
2 5 2 . Le chargement et le transport doivent, sauf conven
tions contraires, être effectuées parle vendeur lui-même ou
par son ordre (Aix, 7 déc. 1892, R.D.M.,VIÎI, 323) ; il doit au
moins être propriétaire de la marchandise au moment de la
désignation. S’iln’en possédait qu’une partie, il ne pourrait la
compléter en achetant le solde du chargement (Aix, 17 janv.
1901, R.D. M., XVI, 481). Ilne pourrait pas, a fortiori, offrir
une quantité embarquée sur un autre navire (Havre, 26 fév.
1888, R. D. M., 111, 704).
2 5 3 . Mais si la vente ne comprenait qu’une partie du lot
embarqué, il pourrait offrir en cas d’insuffisance et en com
plément une autre partie de ce même lot. A Marseille, on a
constamment jugé que le vendeur peut offrir tout le charge
ment à son acheteur pour n’appliquer à la vente que la par-
�VENTES PAll NAVIRE DÉSIGNÉ
221)
lie trouvée conforme aux accords jusqu’à concurrence de
la quantité vendue. En conséquence, si la partie supérieure
du chargement d’abord offerte en livraison et refusée pour dé
faut de qualité est reconnue après expertise n’être pas de la
qualité convenue, le vendeur a le droit de la retirer et de la
remplacer par telle autre partie du chargement remplissant
les conditions de la vente sans que l’acheteur puisse préten
dre que le droit du vendeur a été épuisé par sa première
offre (Mars., 29 mai 1860, 25 sept. 1862, 23 août 1864, M,,
1860. 1. 337, 1862.1. 289, 1864. 1. 225).
2 5 4. Le tribunal du Havre nous paraît avoir jugé avec
un rigorisme excessif en décidant que lorsque le vendeur a
vendu une quantité de 200 balles à prendre sur un lot de 500,
ce lot de 500 balles forme un corps certain qui doit avoir
été embarqué en totalité sur le navire, et qu’à défaut du lot
original, l’acheteur est en droit de refuser en application au
marché 200 balles provenant d’un autre lot. Cette décision,
il est vrai, paraît ne pas constituer un jugement de principe.
Le tribunal la justifie par des constatations tirées du fait et
de la commune intention des parties (15 mars 1892, R.Ü.M.,
VII, 683).
2 5 5 . 11 se peut que l’acheteur croyant que le navire a été
chargé en temps voulu déclare résilier purement et simple
ment faute de son arrivée dans le délai convenu. Mais si
plus tard il acquiert la preuve de son erreur et peut démon
trer que le chargement n’a pas été réalisé à l’époque indi
quée, il a le droit de recourir contre son vendeur en dom
mages-intérêts sans que celui-ci lui oppose aucune forclusion
(Mars., 7juin!894,conf. par Àix, 25 mars 1896, M., 1897.1.34).
Nous examinerons en étudiant la vente sur embarquement
comment ou peut établir ou contester la date du charge
ment (infra, n° 267).
2 5 6 . Si la marchandise vendue par navire désigné avait
été vendue sans échantillon, les différences de la qualité ne
pourraient en principe donner lieu qu’à une réfaction. C’est
là un usage généralement suivi et notamment en ce qui
concerne les blés exotiques. Toutefois le taux de cette boniqcation ne doit pas dépasser un certain chiffre au-dessus
�230
ACHATS ET VENTES
duquel la marchandise ne serait plus marchande et de recette
et pourrait être refusée par haçheteur(Rennes, 15 déc. 1898,
G. P., 99. 1. 215. Cf. infra, n° 317).
II
2 5 7 . Ventes, sur embarquement. — Les ventes par navire
désigné ou à désigner sont bien moins fréquentes aujourd'hui
qu’elles ne l’étaient il y a trente ou quarante ans. La substitution
des vapeurs aux voiliers, la fréquence et l’abaissement du fret,
la rég ularité et la périodicité des traversées, le développement
de la télégraphie électrique assurant la rapidité des commu
nications, ont amené le commerce à préférer, dans bien des
cas, un autre type de marché, la vente sur embarquement,
offrant plus de souplesse, plus de facilités en faveur du ven
deur, facilités que les conditions nouvelles de la navigation
ont rendues sans péril pour l’acheteur. Par ce contrat le ven
deur ne prend que l’engagement d’embarquer dans un délai
convenu la marchandise qui en fait l’objet, marchandise qui
sera remise à l’acheteur à l’arrivée du navire ou des navires
qui l’auront transportée. La condition substantielle ici réside
dans l’obligation de charger dans le délai imparti (Marseille,
5 janvier 1887. M.87.1.89,6 avril 1908,R.D.M.,22, 843), sans
que le vendeur soit tenu d’indiqüerle navire au moyen duquel
il l’accomplit. Il suit de là que, contrairement à ce que nous
venons de voir à propos d’une vente par navire désigné, il
pourra attendre pour offrir lamarcliandise que le navire soit
arrivé auport de destination (Mars.,4 juill.'1883,Havre,23janv.
1883, M., 83. 1.257 et 85.2.83). 11 pourra même ne faire l’of
fre qu'après uncertain déLaià partir de l’arrivée dunavire.En
outre, n’étant pas obligé à charger sur un bâtiment unique,
il peut fractionner à son gré les expéditions pourvu que chacun
des chargements distinctifs ait été réalisé dans le délai prévu
aux accords. S’il a usé de cette faculté,il pourra attendre l’ar
rivée du vapeur apportant le solde du marché, pour offrir
toute la quantité vendue,sauf,bien entendu, convention con
traire. Ce sont là de grands avantages pour le vendeur: mais
�231
aussi il supporte les risques de route caria marchandise n’est
individualisée qu’au moment de son offre.
2 5 8 . L’interprétation des accords doit encore ici être rigou
reuse contre le vendeur.S’il n’accomplit pas à la lettre l’obli
gation de charger dans le délai, l’acheteur a ipso facto droit
à la résiliation, sans qu’il soit astreint à une preuve autre que
celle du retard ou du défaut d’embarquement. Le vendeur ne
pourrait l’éviter ni en affirmant qu’il a remis la marchandise
à une Compagnie de navigation devant charger dans le délai
et qui ne l’a pas fait,ni, si une partie a été embarquée,que la
résolution ne doit porter que sur le solde.L’acheteur a stipulé
un embarquement effectif et non pas projeté et le marché
est considéré comme indivisible {supra, n° 13) (Rouen,12 dé
cembre 1887,R.D.M. III, 539). Mais une fois la marchandise à
bord, le vendeur n’est pas responsable du retard dans le dé
part du navire (Mars., 1" mai 1905, R.D.M. XX,890).
259. Encourt également la résiliation le vendeur qui a
chargé dans le délai fixé pour un port intermédiaire avec un
connaissement n’indiquant pas la destination définitive, si la
marchandise a été transbordée sur un autre navire, une tois
le délai expiré, avec un nouveau connaissement distinct du
qiremier. 11 en serait autrement si la marchandise avait été
chargée avec un connaissement direct du port de départ au
port de destination (Mars., 19 nov. 1903, Rec., XIX, 564).
260. Le chargement avant le délai entraîne les mêmes con
séquences que l’embarquement tardif : la résiliation est donc
acquise à l’acheteur si le navire est parti'avant l’époque fixée
(Havre, 10 mai 1892, M.,03.2. 219). Mais si les parties ont
seulement stipulé « embarquement jusqu’à telle date» l’offre
d’une marchandise déjà chargée au moment du contrat doit
être validée. L’acheteur n’est pas fondé à soutenir que cette
formule constitue le elles a rjuo et que, par conséquent, le
point de départ du délai est la date du contrat (Aix, 14 juin
1899, conf. Mars., 13 juillet 1898, R.D. M, XV, 40).
261. Les contrats mentionnent souvent et l’époque del’embarquement, et le délai dans lequel la marchandise doit arri
ver. Cette deuxième indication constitue aussi une condition
substantielle. L’acheteur peut donc refuser la marchandise
VENTES SUR EMBARQUEMENT
�Al HAIS KT VKJiTKS
232
embarquée en temps voulu,mais arrivée avant l’époque fixée
pour la livraison. Dans ce cas le vendeur a le droit d’offrir
ultérieurement une autre marchandise conformément à la dou
ble conditionstipulée.Iln’estpasforclospar la première offre
(Mars.,22 sept. 1881,M.,81.1.289).
2 6 2 . Si te contrat porte embarquement par vapeur, le ven
deur ne peut pas donner en aliment une marchandise chargée
sur un voilier (Havre, 15 juin 1897, R. D. M., XIII,84) ni subs
tituer un vapeur à un voilier si c’est le voilier qui a été con
venu (Aix,G février 1892, conf. Mars.,29 juillet 1891,inédit).
2 6 3 . Au lieu de préciser l’époque de l’embarquement les
contrats contiennent parfois des clauses un peu vagues telles
que «embarquement immédiat » ou « embarquement prompt ».
Par la première, le vendeur est réputé avoir la marchandise
à sa disposition immédiate, il est donc obligé de la mettre à
bord, en totalité dans le plus bref délai possible, sous peine
de résiliation avec dommages-intérêts (Mars.,23-mai 1892 et
7 juin 1899, M. 92.1.239 et 99.1.331).
2 6 4 . La clause « embarquement prompt », au contraire,
laisse au vendeur un certain délai : il n’est tenu qu’à justi
fier de ses diligences, et il suffit qu'on ne puisse lui repro
cher d’avoir négligé une occasion favorable pour expédier
sans retard (Mars., 26janv. 1892,M.92.1.136) .Mais ce délai
d’après l’usage de Marseille ne peut dépasser vingt et un jours
(Mars., 18 déc. 1903, ici., 1904.1.90).
26 5. Le vendeur pouvant n’offrir qu’après l’arrivée du na
vire transporteur, il importait pourtant de limiter à un délai
relativement court le temps pendant lequel il pourrait réalisersonoffre.sous peinede sacrifier les intérêts de l’acheteur.
Le vendeur, en effet, aurait pu, dans certaines circonstances,
attendre le jour où les fluctuations du marché lui auraient
donné un bénéfice certain. Aussi le tribunal appréciera
suivant les espèces si une limite raisonnable n’a pas été dé
passée. 11 a été jugé, par exemple, que le vendeur qui n’offre
que le douzième jour fait une offre tardive et encourt la résilia
tion (Mars., 3 août 1898, conf. par Aix,25 juillet 1899, R.D.M.
XIV, 139).
11 peut être dérogé expressément ou tacitement à cette
�233
règle : la dérogation s’induirait notamment de ce que le ven
deur se serait réservé de livrer à quai dans le but de pou
voir vérifier et trier la marchandise pour n’en livrer que la
partie saine (Mars., 3 nov. 1901, conf. par Àix, 12 nov. 1902,
inédit).Dans ce cas, l’offre faite onze jours après l’arrivée du
vapeur, mais le lendemain du jour où le débarquement a été
terminé, doit être validée, le vendeur devant forcément atten
dre la fin du débarquement pour opérer le triage.
VENTES SDH EMBARQUEMENT
2 6 6. Gomme la vente par navire d ésign é, la vente sur em
barquem ent est convertie en m arché ferm e faute d ’exécution
de la part du vendeur.
Elle est tacitement prorogée jusqu’au moment où l’une des
parties manifeste par une mise en demeure son intention d’y
mettre fin.Ge droit appartient aux deuxparties.Le vendeur peut
toujours arrêter la prorogation tacite en offrant à l’acheteur
lerèglement immédiat des différences déjà encourues (Mars.,
21 avril 1896, M. 96.1.180).
L’acheteur peut ne pas se prévaloir du défaut d’embar
quement dans ledélai.Sa renonciation peut être tacite ets’induire des circonstances : si, par exemple, ayant reçu un ordre
de livraison sur un navire évidemment chargé après le délai,
il l’a gardé sept jours sans protester. Cette longue inertie rend
irrecevable toute réclamation (Mars., 15 déc. 1904 et 17 janv,
1906, M. 1905. 1 .1 0 0 et 1906.1.134).
26 7. Le connaissement fournira d’ordinaire la preuve de
la date du chargement. 11 n’en résulte pourtant qu’une pré
somption que les intéressés peuvent faire tomber par une
preuve contraire fournie par des documents dont l’appréciationest abandonnée au tribunal (Rouen, 15déc. 1883. M. 1886.
2.113 ; Aix, 24 déc. 1896, R.D.M., XII, 446). Ordinairement
cette preuve est administrée par des renseignements puisés
soit dans les documents de Douane, soit dans les indications
du Lloyd, soit dans le rapport de mer ou le livre de bord (Àix,
27 mars 1896,conf. Mars.,7 juinl894et 12avril 1899,conf.
Mars., 9 nov. 1898,inédits ; Havre, 23 sept. 1897, R.D.M.,XIII,
651).
26 8. L’acheteur est admis à prouver contrairement aux
énonciations du connaissement parce qu’il n’est pas compris
�ACHATS ET VENTES
234
parmi les personnes entre lesquelles le connaissementfaitfoi
aux termes de l’article283 du Code decommerce.il est etran
ger à la charte partie, et il ignore souvent jusqu’à la dernière
heure le nom du navire choisi par le vendeur pour opérer le
transport de la marchandise. Il n’est donc pas l’une des parties
intéressées au chargement visées par cet article, qui d’ailleurs
applique simplement à un cas particulier la règle générale
posée à l’article 1322 du Code civil: lorsque le connaissement
est signé par le chargeur ou dûment accepté par lui (dans la
pratique la remise du connaissement au chargeur et son exé
cution, c’est-à-dire la mise à bord delà marchandise, tiennent
lieu très fréquemment de la signature), il constitue un acte
sous seing privé légalement reconnu ayant la même foi que
l’acte authentique entre ceux qui l’ont souscrit, mais entre
ceux-là seulement.
Quant au vendeur, il suit de là qu’il ne doit jamais être
entendu s’il prétend, lorsqu’on lui oppose l’irrégularité del’embârquement, que la date du connaissement est fausse et s’il offre
de prouver qu’en fait le chargement a été opéré à l’époque
voulue : c’est ce qui est enseigné par la doctrine sans la moin
dre hésitation;Béd., D r. m a r ., n03 698, 699, Desjardins, t. IV,
n° 928, Lyon-Caen et Renault, t. V, n° 708).
269. Lajurisprudence paraissaitdéfinitivementfixée dans ce
sens (Mars., 7 janv. 1896, M. 1896. 1.88; Havre, 27 nov. 1895,
R.D.M.,X1, 439). L’arrêt d’Aix du 27 mars 1896 avait fait
siens ces motifs du jugement : « Attendu que la date du char
gement telle qu'elle figure au connaissement n’est pas oppo
sable à B... et C“-qui ne son t p o in t p a rties a n con na issem en t
créé par le capitaine ; qu’il n’est pas douteux que les tiers
q u i ne sont p a s p a rties au co n na issem en t peuvent le débattre
et enétablir la fausseté par toutes sortes demoyens », il parais
sait donc que la Cour n’aurait pas autorisé la contradiction
delà partde ceux qui sont parties au connaissement! Demême
on pouvait induire d’un arrêt de la Cour de Cassation que le
connaissement ne pouvait être incriminé parceux quiy avaient
participé : « Attendu que le connaissement f a i t se u l la loi
entre les chargeurs et les tra n sp o rteu rs. » (21 nov. 1887, R.
D.M., 111,404.)
�VENTES SUIt EMBARQUEMENT
235
2 7 0 . Il semblait donc que les règles ainsi posées étaient à
l’abri de toute atteinte : maisle tribunal de commerce de Mar
seille a jugé à propos d’innover et le 20 février 1902 a déclaré
que le vendeur faisant la preuve par un certificat de douane
que la marchandise avaitété embarquée dans les délais et non
pas comme l’indiquait le connaissement en dehors du délai,
l’acheteur refusant de recevoir était mal fondé dans sa résis
tance parce que « la date d’un connaissement ne constitue
« entre vendeurs et acheteurs qu’une présomption simple qui
« cède à la preuve contraire » (Journ. de Mars., 1902. 1.180.)
Appel fut interjeté. 11 semblait, en effet, bien difficile que
ce principe affirmé avec tant d’assurance, sans que le tribunal
se fût préoccupé le moins du monde d’en démontrer la raison
d’être, sans qu’il eût paru se douter de la portée, consacrée
pourtant par ses propres décisions antérieures, des articles 283
du Code de commerce et 1322 du Gode civil fût admis parla
juridiction supérieure. Ici, en effet, on ne pouvait pas l’im
pressionner en lui parlant d’usages commerciaux puisque ces
usages étaient catégoriquement démentis par des jugements
datant à peine de six et sept ans, et il semblait qu’on pouvait
attendre avec confiance le redressement d’une erreur de droit
aussi manifeste : la Cour d’Aix a pourtant confirmé purement
et simplement le 7 janvier 1903 (inédit).
Ces décisions méritent d’être signalées pour témoigner de
la fragilité des jurisprudences.
2 7 1 . Si le capitaine s’était entendu avec le chargeur pour
l’apposition d’une fausse date au connaissement, il serait per
sonnellement responsable vis-à-vis de l’acheteur et pourrait
être condamné à luipayer des dommages-intérêts en répara
tion du préjudice ainsi causé. 11 y a là une vérité si évidente,
qu’on s’étonne qu’elle ait pu être discutée (Rouen, 22 mars
1893 et Cass., 4 juin 1894, R. D. M.,1X, 152etX, 152).
2 7 2 , Le vendeur pourra opérer l’embarquement jusqueset
y compris le dernier jour du délai : si le contrat porte, par
exemple, embarquement août, il pourra charger jusqu’au
31 août à minuit. Mais à cette heure il faudra que tout soit
terminé. En conséquence si, au dernier moment, mais alors
qu’il restait un temps suffisantpour réaliser l’embarquement,
�230
ACHATS ET VENTES
ua événement de force majeure empêche cet embarquement
le vendeur est dégagé, et, dans ce cas, l’acheteur ne peut pas
l’obliger à se procurer et livrer une marchandise se trouvant
au port d’arrivée et embarquée dans le délai stipulé, si le ven
deur s’était engagé à livrer seulement une marchandise char
gée par lui ou pour son compte (Aix, 7 déc. 1892 et sur pour
voi rej., 5 nov. 1894, R. I). M., VIII, 320 et X, 388).
Mais en principe et sauf convention contraire, le vendeur
a la faculté de livrer une marchandise de même provenance
et qualité que celle spéciliée au contrat: il doit donc subir la
résiliation lorsque, mis dans l’impossibilité, par un cas de
force majeure, de livrer la partie qu’il avait en vue au mo
ment du contrat, il refuse de la remplacer par une autre rem
plissant les conditions du marché (Aix,8 juin 1903, R.D.M.,
XIX, 370). D’ailleurs la force majeure ne peut délier le ven
deur de son obligation que si elle résulte dun fait que toute
la vigilance humaine n’a pu prévoir, et tel n’est pas le cas,
par exemple, de la fermeture des ports du Danube en novem
bre et décembre par suite du gel fid.).
2 7 3 . Au casdenon changement dans le délai, l’usage très
rigoureux sanctionné jusqu’à aujourd'hui par le tribunal de
commerce de Marseille, accorde à l’acheteur le droit de récla
mer la différence soit au jour extrême où rembarquement
devait être effectué, soit au jour où serait arrivé le navire s’il
avait été chargé dans le délai, en tenant compte delà durée
moyenne de la traversée, soit au jour de la mise en demeure
(Mars., 24 mai 1896 et 23 décembre 1898, M. 1896. 1. 147,
1899. 1. 57 ; Aix, 12 juin 1899, R.D.M., XV, 37ysuprà, n°236).
274. Le vendeur qui a produit un faux connaissement sur
le vu duquel l’acheteur a pris livraison a commis soit un dol
caractérisé, soit une faute lourde assimilable au dol. Il ne
pourrait donc s’opposer à une réclamation de l’acheteur for
mée ultérieurement par celui-ci après la découverte de l’er
reur dont il a été victime (Mars., 27 nov. 1905, M, 1906.1. 6 6 ).
2 7 5 . Les contrats sont parfois rédigés avec la clause :
« marchandises livrables franco le long du bord ». Dans ce cas
l’acheteur qui en fait n’a pas vérifié aü moment de Rembar
quement dans un port où il n’avait aucun représentant, con-
�VENTES s r n K.MItA11QElOlENT
237
serve le droit de contester à l’arrivée la qualité sans q'u’on
puisse lui opposer que le capitaine a agréé la marchandise
à titre de mandataire légal dos intéressés absents (Rouen,
26 juillet 1899. R. D. M., XV, 408, voir infra, n° 283).
2 7 6 . Le vendeur sur embarquement peut avoir intérêt à ne
pas attendre l’arrivée du navire pour offrir la marchandise.
Si en effet, il désigne le navire qui en est porteur, il la spé
cialise et dès ce moment les risques sont pour l’acheteur. D’au
tre part, celui-ci peut être bien aise de connaître au plus tôt
le nom du navire : il peut alors surveiller sa marche, orga
niser ses affaires en connaissant le jour probable de son arri
vée, le moment à peu près certain où la marchandise lui sera
livrée. Dans ce cas le marché est transformé en vente par
navire désigné et on lui applique toutes les règles que nous
avons exposées ci-dessus. Ainsi la désignation lie les parlies d’une façon définitive et irrévocable et l’acheteur a le
droit de refuser la marchandise et d’obtenir la résiliation si
elle arrive par un navire autre (Mars, 20 mars 1908.M. 1908.
1. 269). Par contre, si le débarquement au port d’arrivée du
navire ainsi désigné est interdit par mesure sanitaire, l’ache
teur est obligé de subir la résiliation ou de supporter les frais
supplémentaires occasionnés par le transport des marchandises
du port où il a été possible de les débarquer au port de desti
nation (Mars., 4 mars 1897, R.D.M.,XII, 728). Il en serait de
même si l’obstacle au débarquement provenait d’une grève
empêchant d’une façon absolue touteopérationauportd’arrivée(Mars.,5juin 1901, R. D. M., XVII, 337).
Mais pour que ces résultats puissent se produire il faut que
l’acheteur ait accepté, au moins tacitement, la désignation faite
par l’acheteur. 11 en serait ainsi s’il avait laissé sans réponse
la lettre l’avisant du nom du navire transporteur (Mars.,
3 juin 1903, Douai, 19 fév. 1903,R.D.M., XIX, 237 et la note),
mais non s’il avait déclaré noter la désignation seulement à
titre d’indication (Mars., 23 juin 1903, ib., 395).
277. Les parties combinent parfois au mieux de leurs inté
rêts des contrats renfermant des clauses se rapportant aux
ventes par navire désigné et d’autres applicables aux ventes
sur embarquement. Par exemple, on vendra « à l’heureuse
�ACHATS ET VENTES
2-38
arrivée du navire le Charlemagne, embarquement jeudi pro
chain ». Dans ce cas, les tribunaux doivent faire produire aux
accords les effets cumulés des deux sortes de vente toutes les
fois qu’ils peuvent se concilier. Ainsi si, dans notre espèce,
le Charlemagne n’a pu embarquer en temps voulu par suite
d’un événement de mer, le vendeur sera exonéré de son obli
gation et la vente sera résolue sans dommages-intérêts pour
l'acheteur (Mars., 11 janv. 1902, R.D.M., XVIII, 352). L’ache
teur, bien entendu, supporte alors les risques à partir du jour
où le chargement a été effectué, s’il a eu lieu dans le délai
imparti (Aix, 17 nov. 1902, ib. 352).
III
278. Ventes, coût, fret, assurance. —Les ventes sur embar
quement sont fréquemment accompagnées de ces mentions :
« Marchandise vendue coût, fret, assurance Marseille » si
Marseille est, par exemple, le port de destination. Que signi
fie cette formule ? Quels en sont les effets ?
Lorsqu’un négociant achète une marchandise dont la déli
vrance doit lui être faite au port d’embarquement, c’est là
que s’opère le transfert de la propriété, et, par voie de consé
quence des risques de la chose vendue. Il est donc obligé à:
1 ° payer le prix convenu; 2 ° s’entendre avec un navire pour
faire transporter lachose,achetée au port où il désire la rece
voir ; 3° signer une police d’assurances le protégeant contre
les dangers de la traversée.
On comprend que dans certains cas cet acheteur doit éprou
ver de sérieux embarras. Malgré le télégraphe et le téléphone
il peut ne pas lui être très commode de trouver sur place un
fréteur se chargeant de faire embarquer la marchandise. Cela
sera toujours plus facile au vendeur qui n’a qu’à aller sur le
port pour voir les navires qui s’y trouvent et s’entendre avec
le capitaine, et si aucun navire n’e^t prêt à charger pour la
destination voulue, le vendeur saura toujours mieux que l’a
cheteur,par les agences locales,quels sont les navires atten
dus et dans quelles conditions ils pourraient accepter le
chargement. Aussi l’usage s’est-il introduit de constituer le
�239
vendeur mandataire de l’acheteur à l’effet de soigner —c’est
le mot consacré—le transport et l’assurance dont le pris, pour
simplifier, sera compris dans le prix stipulé en apparencepour
la marchandise elle-même. De telle façon que ce prix glo
bal comprend en réalité trois éléments distincts : 1 ° le prix
proprement dit, c’est-à-dire la représentation de la valeur
de la marchandise, son coût; 2 °le montant de la prime d’assu
rance; 3° le prix du transport, le fret ; pour abréger on ap
pelle dans la pratique ces sortes de ventes, les ventes caf ou
cif en formant un mot composé avec les initiales des trois
mots français (Goût, Assurance, Fret) ou anglais (Cost, Insu
rance, Freight) désignant les trois éléments du prix.
Le vendeur ajoute donc à sa qualité de vendeur celle de man
dataire del’acheteur: il est tenu des obligations dérivant des
deux et les difficultés se résoudront en appliquant au marché
les règles et de la vente et du mandat. Rien ne paraît plus
simple ; rien n’est plus eompliqwé etplus incertain étant donné
les usages dont plusieurs n’ont pas la fixité désirable et les
variations de la jurisprudence.
2 7 9 . Livrant à son domicile, le vendeur est fondé en prin
cipe à exiger le paiement immédiat, au moment de l’enlève
ment, « argent sur balle » (art. 1612, G. civ.). Dans l’usage
un délai est toujours accordé à l’acheteur, mais dans des con
ditions telles que les intérêts du vendeur n’auront jamais à
en souffrir. Le vendeur, au moment de l’embarquement, tire
sur son acheteur une traite dite documentaire ou mieux docu
mentée h laquelle il épingle le connaissement, et la police d’as
surance (documents),et il remet cette traite à son banquier
avec ordre de la transmettre parla voie la plus rapide à un
de ses correspondants habitant la même place que l'acheteur
afin qu’elle soit présentée à l’acceptation de cet acheteur. Si
la traite est acceptée, tout est bien : cette acceptation équi
vaut à paiement puisque l’acheteur lié par sa signature ne
pourra à l’échéance soulever aucune difficulté, et le banquier,
comme contre-partie de cette acceptation, lui remet ie con
naissement au moyen duquel il se fera livrer la marchandise
à l’arrivée, et la police afin de réclamer, s’il y a lieu, le règle
ment aux assureurs. Si,par contre, l’acheteur refuse d’accepVENTES, COUT, FRET, ASSURANCE
�ACHATS ET VENTES
240
ter, le banquier garde les documents ù la disposition du ven
deur qui, restant alors nanti du connaissement est toujours par
cela même en possession du chargement. Souvent le banquier
lui-même s’entremet pour trouver dans ce cas un autre ache
teur à qui, sur son acceptation de la traite, il remet connaisse
ment et police sauf au vendeur à réclamer la différence s’il y
en a une, à l’acheteur originaire à titre de dommages-intérêts.
280. Il paraissait définitivement admis que l'acceptation
de la traite forme une condition inhérente à la vente caf,
qu’elle ne saurait être refusée sous aucun prétexte et que le
tribunal doit, dans tous les cas, y contraindre l’acheteur (Aix,
27 nov. 1883 et 15 mars 1892inédits;Mars., 14 janv. 1896, M.
1896.1.96; Havre, 8 juillet 1891 yib-, 1892.2.10 ; Mars.,10 déc.
1903, ib., 1904. 1.83; ïrib. Bordeaux, 9 mars 1903,R.D.M.,
XIX,394).jMais la Cour de Rouen a jugé le4 marsl903 (R.D.M.,
XVIII, 804) que L’acheteur peut suspendre, à ses risques et pé
rils, l’acceptation de la traite, s’il prétend que la marchan
dise est de qualité inférieure et réclame une expertise pour
faire constater cette infériorité. Nous admettrions à la rigueur
cette solution lorsque la traite n’est présentée à l’acceptation
qu’au moment de l’arrivée de la marchandise (telle paraît
être l’espèce jugée à Rouen) et qu’une vérification est possi
ble sur l’heure. Mais il ne devrait jamais en être ainsi lorsque
la traite est parvenue bien avant l’arrivée du navire trans
porteur et que l’acheteur, pour se soustraire à son obligation,
allègue la possibilité d’une erreur ou d’une fraude du vendeur.
Si ce raisonnement devait être suivi, il vaudrait mieux juger
catégoriquement que l’usage en vertu duquel l’acceptation est
due a cessé d’exister et que l’acheteur ne peut jamais y être
contraint, sauf convention expresse. Ce serait plus franc et
plus net.
Il faut pourtant reconnaître que les décisions ci-dessus rap
pelées sauvegardent complètement les intérêts du vendeur
mais que ceux de l’acheteur par contre ne sont pas suffisam
ment protégés.
L’acheteur, en effet, peut avoir d’excellentes raisons qiour
refuser l’acceptation. La marchandise expédiée n’a pas été
vue par lui au départ. Au débarquement il peut y découvrir
�241
une avarie, un vice propre antérieur au chargement dont le
vendeur doit supporter la responsabilité. 11 peut même sc
faire qu’elle ne soit pas conforme, qu’il ait demandé du blé
blanc et qu'on lui aitjenvoyé du blé rouge, etc. Or, comme
il est lié par l’acceptation de la traite, il est toujours obligé
de la payer à l’échéance. Il pourra bien intenter une action,
faire condamner le vendeur cà lui payer des dommages-inté
rêts, obtenir même et suivant les cas, la résiliation : mais
pourra-t-il exécuter le jugement qui aura fait droit à sa ré
clamation ? Si son adversaire habite à l’étranger, lui serat-il facile de se faire accorder l’exequatur ! Même chez les
nations entre lesquelles existent les traités les plus clairs, la
chose n’est pas toujours aisée. Enoutre, cevendeur ne sera-t-il
pas devenu insolvable ? Il y a là une série d’aléas bien fâ
cheux ! Aussi pour essayer d’en restreindre la portée dom
mageable on stipule d’ordinaire que la traite ne sera tirée
que pour une partie du prix facturé, 75 0/0 ou 80 0/0; l’ache
teur gardera ainsi en mains 20 à 25 0/0 le garantissant jus
qu’à due concurrence. Mais cette précaution, on le comprend,
est souvent bien insuffisante.
281. La facture et la traite qui en est le paiement doivent
être créées,en principe, pour une somme unique, globale, com
prenant les trois éléments du prix. Mais il arrive fréquem
ment que le chargeur ne règle pas le fret aumomentdu départ.
11 ne devra être exigé qu’à l’arrivée parle capitaine qui a le
droit de retenir la marchandise jusqu’à ce qu’il ait reçu son
paiement. Aussi ordinairement le vendeur indique le prix glo
bal sur sa facture, et puis en déduit le montant du fret et ne
tire sa traite que pour la somme ainsi réduite. L’acheteur
paiera le solde du'prix[stipulé en réglant le capitaine à l’ar
rivée.
A ce sujet une difficulté fort curieuse a été débattue. Si le na
vire transporteur subit des événements de mer ayant entraîné
la perte de la marchandise, il ne peut plus rien réclamer pour
un transport qui, en réalité, n’a pas été effectué (art. 302, C.
com.). Donc l’acheteur n’a pas à lui verser la somme déduite
de la facture et de la traite et formant le complément de son
prix. Dans ce cas peut-il refuser au vendeur de lui en tenir
A chats et ventes
îfi
VENTES COUT, FRET, ASSURANCE
�ACHATS ET VENTES
242
compte, alors qu’en fait saperte à lui acheteur sera bien ré
duite, puisque les assureurs lui rembourseront la valeur des
marchandises envoyées ?
Le tribunal de Marseille et la Cour d’Aix se sont prononcés
en faveur de l’acheteur.
Le prix, dit le tribunal, a été définitivement réglé par l’ac
ceptation de la traite et l’obligation assumée par l’acheteur de
désintéresser le capitaine. Donc le paiement ayant été définitif,
l’acheteur est définitivement libéré et a reçu quittance du ven
deur. Un événement de mer postérieur n’a pu modifier cette
situation voulue par les parties et autoriser l’une d’elles à reve
nir sur sa décharge.
On objecte que la perte du navire n’avait pas été prévue et
que les parties avaient envisagé son heureuse arrivée? Oui,dans
un sens : mais les accidents d’une traversée sont aussi dans
leurs prévisions puisque le vendeur doit soigner l’assurance.
Si donc pour un motif quelconque le vendeur n’a pas payé
le capitaine au moment du départ et s’il a convenu de se faire
décharger par l’acheteur de l’obligation de ce paiement, il
doit accepter toutes les conséquences d’une situation ainsi créée.
D’ailleurs en fait l’acheteur n’est jamais indemne par suite de
l’assurance : il supporte les franchises et perd le bénéfice qu’il
aurait retiré de son marché.
Ces raisons sont des plus sérieuses. La Cour y a encore
ajouté un motif qui nous paraît absolument décisif :
« Attendu, dit-elle, que le contrat de vente coût, fret, as
surance établit entre le vendeur et l’acheteur un véritable
forfait qui met à la charge de ce dernier tous les risques ;
que le vendeur payé qu’il est du prix convenu et n’étant
plus propriétaire des pièces documentaires définitivement
transmises à son acquéreur n’a plus ni intérêt, ni droit de se
préoccuper des risques ultérieurs ; que comme conséquence
de cette situation, il ne saurait exciper de la perte du navire
porteur de la marchandise pour réclamer la restitution du
fret non acquis au capitaine par l’effet de ce sinistre ; que
cet événement ne peut plus concerner que l’acheteur qui a
seul à en subir les résultats ou à en bénéficier ; que différem
ment ce serait permettre au vendeur de revenir sur un règle-
�243
ment définitif entre luietracheteur)Mars.,2 mars 1880 et Aix,
7 janvier 1801 ; M. 1880. 1 . 226 et 1801. 1. 281).
LaCour de Rouen avait antérieurement incliné vers la thèse
contraire en déclarant que l’acheteur étant étranger au taux
du fret, toutes les circonstances qui peuvent l’augmenter ou le
diminuer restent à la charge ou au profit du vendeur (Rouen,
1" juillet 1878, Journ. de Mars., 1879. 2. 97). Dans cette es
pèce le capitaine avait résilié la charte-partie, et les vendeurs
avaient pu s’entendre avec un autre transporteur à un prix
moindre. L’acheteur, mis au courant, avait refusé d’accepter
la traite. La Cour prend bien soin de faire remarquer que si
le second transporteur avait exigé un prix supérieur, le ven
deur n’aurait pas été fondé à réclamer un supplément de prix,
il était donc juste que la diminution lui profitât. Une conci
liation est possible entre la théorie d’Aix et celle de Rouen: là,
en effet, il n’y avait eu aucun règlement définitif, l’acheteur
ayant même refusé l’acceptation.
282. La marchandise étant livrée au port d’embarquement
et les risques étant dès ce moment à la charge de l’acheteur
(Rordeaux, 12 novembre 1806 ; Rev. cle Bord., 1807. 1. 30;
Havre,25 fév. 1908.R.D. M.,XXIV, 42; Rordeaux, 12 nov.1906,
J. T. C.,57,17616), le vendeur est dans la nécessité de l’indivi
dualiser par un connaissement distinct (*) et une police d’assu
rance distincte. A défaut de cette spécialisation il est difficile
de supposer un transfert de propriété. Appliquant cette règle,
le tribunal de Marseille avait toujours jugé que si le connais
sement, bien que distinct,indiquait une marchandise àprendre
sur un lot plus important, le vendeur n’avait pas rempli son
obligation, et que dans ces conditions le connaissement équi
valait en réalité à un simple bon de livraison. Mais ces raisons
n’ont pas convaincu la Cour qui a réformé en décidant que s’il
s’agit d’une marchandise transportée en grenier, il suffit qu’elle
soit l’objet d’un connaissement distinct et d’une police par
ticulière, ces documents permettant au destinataire d’en dis
poser, et, dès lors, le vendeur n’était pas tenu de spécialiser
VENTES COUT, FRET, ASSURANCE
(l) Connaissem ent régulier, signé par le capitaine.' L’acheteur aurait le droit
de refuser un connaissem ent signé par le courtier m aritim e et d ’obtenir en con
séquence la résiliation (M ars., 13 août 1907. M. 908. 1. 42).
�ACHATS ET VENTES
244
la chose vendue en l’emmagasinant à part dans les cales du
navire. (Mars., 4 août 1807, réformé par Aix, 20 janv. 1898,
R.D.M., XIII, 132 et 623). Dans une longue note mise au pied
de cet arrêt nous avons critiqué cette décision (ib.). Il sem
ble, en effet, bien facile de répondre à la Cour que l’acheteur
n’a pu devenir dans ce cas propriétaire d’une marchandise
restant mélangée avec une autre de même nature et de môme
qualité. Il ne saura ce qui est à lui qu’après le décharge
ment alors que le lot ayant été pesé ou mesuré la portion
qui lui est affectée sera mise à part, séparée de l’excédent.
Jusque-là il est créancier de son vendeur et a simplement le
droit d'exiger de celui-ci qu’il lui transfère la propriété d’une
chose ne pouvant être transformée en corps certain qu’après
une opération, une manipulation préalable qui n’a pas été
faite au lieu d’expédition. Ne peut-il aussi arriver qu’au dé
chargement tout le lot soit avarié et que l’acheteur puisse être
forcé de subir une perte qu’il aurait évitée si sa marchandise
avait été mise à part à l’abri de toute contamination? N’estil pas étonnant de voir un tribunal de commerce faire mieux
qu’une Cour la distinction entre l’objet certain et le corps
certain ?
Comme s’il comprenait la fragilité de ses motifs,l’arrêt, il est
vrai, se justifie en invoquant les usages commerciaux. Sur ce
point iipeut être irréprochable.Si les usages sont tels,ilfaut,
sans hésitation possible, les appliquer. Seulement on se de
mande comment la perspicacité des juges d’appel a pu décou
vrir ces usages ignorés du tribunal de commerce, et si la Cour,
d’aventure, n’aurait pas considéré comme des parères devant
faire pleine foi, des certificats délivrés par les importateurs,
tous intéressés à faire fléchir en ce qui les concerne les règles
rigoureuses de pareils marchés?
Les risques de route étant à la charge de l’acheteur, le
vendeur ne peut les aggraver : il encourrait donc la résilia
tion s’il chargeait sur un navire indirect, alors qu’il existe des
courriers directs entre les ports d’embarquement et de desti
nation (Mars., 24 janvier 1908. M. 1908.1.179).
282ûî’s .L e s documents, quels qu’ils soient,peuvent être re
mis, d’après le tribunal de Marseille, après l’arrivée du navire,
�245
mais toujours avant l’ouverture des panneaux. Sans cela le
vendeur pourrait abusivement imposer à l’acheteur les ris
ques d’une marchandise dont il aurait constaté l’avarie (Mars.,
10 avril 1893 ; M. 1894.1.194, id., 13 décembre 1905, ib.,
1900.1.93, id., 23 mars 1906, ib., 1906.1.218). Cette règle est
absolue et la résiliation serait prononcée même à l’encontre
d’un vendeur de bonne foi (Mars., 25 août 1896, R.D.M., XII,
336), à Nantes on est plus rigoureux. La remise est exigée dès
l’arrivée du navire (11 avril 1896, ib., 318). En tous cas la re
mise est sans effet lorsque la lettre du vendeur bien qu’écrite
avant l’ouverture des panneaux ne parvient pas au destina
taire par suite d’une erreur d’adresse (Mars., 25 fév. 1907 ;
M. 1907.1.201). Si le vendeur n’a reçu les documents apportés
par le même navire qu’après l’ouverture des panneaux et ne
les a transmis à l’acheteur que vingt-quatre heures après cette
réception, cette transmission tardive constitue une négligence
grave impliquant de la part du vendeur inexécution de ses
obligations et lui faisant encourir la résiliation (Havre, 19 fé
vrier 1908, R. D. M., XXIII, 822).
Mais l’acheteur est irrecevable àexciper de cette clause de
résiliation, lorsqu’il reçoit en connaissance de cause un ordre
de livraison, qu’il va vérifier la qualité de la marchandise
et qu’il accepte une expertise amiable (Mars., 23 mars 1906,
M. 1906.1.218).
2 8 3 . En principe, la délivrance étant réalisée au lieu d’ex
pédition, c’est là que légalement doivent s’opérer la réception
et l’agrément de la marchandise. Mais le plus souvent l’ache
teur n’y a pas de représentant , ou bien dans le cas contraire,
son agent serait plus soucieux de plaire au vendeur avec qui
11 a des rapportsjournaliersqu’à son commettant occasionnel.
Aussi pour protéger équitablement les intérêts de l’acheteur,
la pratique distingue la réception entraînant les effets de droit
(transfert de propriété, risques à l’acheteur) de Yagrément
impliquant la reconnaissance de la part de l’acheteur que la
marchandise est bien conforme aux accords et cet agrément
est réservé à l’acheteur jusqu’au moment où il peut, en fait,
vérifier la denrée expédiée et constater son état. Il pourra donc
toujours, le cas échéant, faire entendre à l’arrivée une réclaVENTES COUT, FRET, ASSURANCE
�ACHATS HT VENTES
246
mation utile etprovoquer une expertise (Havre, 12 juillet 1876;
Rouen, 5 août 1880 ; Mars., 1er fév, 1887; Nantes,28déc. 1878,
R.D.M., II, 575 et la note, supra, n° 275). Il n’en serait autre
ment que s’il avait été convenu que l’état de la marchandise
serait dûment constaté au départ, par exemple, par un cer
tificat officiel qui, dans ce cas, ferait la loi des parties (Paris,
29 déc. 1886, R, D. M., II, 654). La solution serait la même si
les parties avaient stipulé que l’état et la qualité seraient cons
tatés par expert à rembarquement (Mars., 6 mai 1907, R.D.M.,
XXII, p. 814). Sauf bien entendu le droit pour l’acheteur d’éta
blir que la vérification stipulée n’a été ni sincère ni réelle
et que le certificat produit est le résultat d’un dol (Paris,
20 mai 1887, R.D.M., III,271), ou bienque la marchandise était
atteinte d’un vice caché antérieur ayant pu échapper à l’at
tention des experts (Mars., 6 mai 1907).
L’acheteur nepeutpasattendreindéfinimentpourexiger une
vérification. Il doit donc, lorsqu’il a fait des réserves au cours
du débarquement, au moment delà livraison effective, laréclamer dans un délai qui à Marseille ne doit pas excéder dix jours
à partir du jour où la livraison est terminée (Aix, 17 juillet
1903, conf. Marseille, 10 déc. 1901, inédit).
284. L’expertise doit, en règle, avoir lieu au port d’expédi
tion, là où la livraison doit s’effectuer, le vendeur étant tou
jours présumé s’en être référé dans ce cas aux usages de sa
place, lesquels peuvent être mal appréciés au port de desti
nation.C’est ce qu’avaient paru d’abord poser en thèse intan
gible le tribunal de Marseille et la Cour d’Aix aux termesd’un
jugement du 4 février 1879, confirmé le 25 mars suivant (M.
1879.1.104 et 226). Pourtant le tribunal adopta la doctrine
contraire le 30 septembre 1886 (R. D.M., II, p. 333) : il revint
à sa première jurisprudence le 5 août 1891. Mais à cette occa
sion ce fut la Cour qui rétracta son arrêt de 1879 en réfor
mant par arrêt du 5 mars 1892 (in.). Cette décision rappelle
bien que dans les ventes caf, la livraison ayant lieu au port
d’embarquement, c’est là qu’il convient en principe de faire
les vérifications nécessaires. Mais elle ajoute « qu’il est néan« moins des cas où cette règle ne saurait être appliquée » et
« que les juges quiont recoursàune mesure d’instructionpour
�247
« s’éclairer sur l’état d’une marchandise et savoir dans quelle
« mesure elle est conforme aux accords des parties, ont le droit
« absolu de prescrire les moyens les plus efficaces pour obte« nirle résultat qu’ils recherchent. >>En conséquence, la Cour
juge, par des motifs défait, que l’expertise aura lieu à Cette,lieu
d’arrivée, et non pas à Trieste,lieu d’expédition, comme l’avait
décidé le tribunal.
Si donc le principe reste sauf il sera permis aux tribunaux
d’y déroger toutes les fois qu’ils jugeront à propos de confir
mer la règle par une exception (Cf. Havre, 17 août 1870 ; Paris,
23 mars 1881 ; Caen, 26 janvier 1881 ; R.D.M., II, 333 en note).
2 8 5 . Si en fait l’acheteur avait fait procéder à une expertise
à laquelle aurait participé non pas un simple agent dé l’ex
péditeur, mais son commissionnaire, le vendeur ne pourrait
protester contre une mesure à laquelle aurait adhéré un man
dataire évidemment autorisé(Aix,30mai 1883, conf. Marseille,
27 sept. 1882 ; M. 1884.1.252).
286. Suivantlesprincipesgénéraux(art. 1644,C.civ.d’ache
teur peut, suivant les cas, demander soit la résiliation, soit une
bonification. Mais pendant bien longtemps le tribunal de Mar
seille etlaCour d’Aix avaient tenu la mainà l’application rigou
reuse d’un usage d’après lequel dans les ventes maritimes et
surtout dans les ventes c a f il ne pouvait y avoir lieu à résilia
tion que si la marchandise expédiée était autre que celle ache
tée,d’une autre provenance ou frauduleusement altér.ée(Mars.,
31 janv.1884 ;id ., 20 août 1 8 9 0 16nov. 1883,conf. par Aix,
25 oct. 1886 ; ic/.,2 0 sept.l 8 8 8 , conf. par Aix, 3 avril 1889 ; M.
1881.4.109,1890.1.291,1886.1.31,1888.1.168).Lel3décembre
1894,le tribunal avait cru pouvoir sans danger se référer à
cette longue série de décisions:
« Attendu, dit-il, qu’il est de ju risp ru d e n c e a b so lu m en t
« constante que dans les ventes c a f la résiliation ne peut être
« encourue par le vendeur qu’en cas de fraude, ou si lamar« chandise n’est ni de l’espèce, ni de la provenance convenue ;
« qu’un défaut de qualité ne donne droit qu’à une bonifica« tion. » Mais cette fois-ci cette constatation ne fut pas ad
mise par la Cour malgré la consécration qu’elle lui avait don
née en 1886 et en 1889. Le jugement fut réformé. L’arrêt
VENTES COUT, FRET, ASSURANCE
�ACHATS ET VENTES
248
déclare que « si la faveur accordée aux ventes c a f a fait ad« mettre l’usage d’après lequel la simple différence de qua« lité ne peut entraîner la résiliation et doit se résoudre en
« une bonification, cet usage ne saurait aller jusqu’à faire
« repousser la résiliation même au cas où l’infériorité de
« qualité est assez grande pour rendre la marchandise impro« pre à l’usage auquel elle est destinée; — spécialement celui
« qui achetant des noisettes destinées à la confiserie a soin
« de stipuler qu’elles seront de la dernière récolte, saines,
« marchandes et de recette, doit obtenir la résiliation lors« qu'il lui a été offert une marchandise mêlée en proportion
« considérable de noisettes vieillies avec des morceaux pi« qués, et la clause portant que la marchandise sera de la
« dernière récolte doit être considérée comme substantielle
« et ayant eu aux yeux des contractants la même importance
« que celle fixant l’espèce et la provenance.» (Aix,2 fév. 1890,
R.D.M., XI, 740.) Ici encore la Cour rappelle l’usage pour trou
ver une raison de fait d’en discéder. Le tribunal a suivi la
Cour et a lui aussi modifié sa jurisprudence en jugeant ulté
rieurement que « la demande en résiliation peut être admise
« toutes les fois qu’on se trouve en présence d’une infériorité
« si importante qu’elle dénature pour ainsi dire la marchan
de dise et la rend impropre à l’usage auquel elle est destinée. »
(Mars., 8 déc. 1896, 14 février et 10 juillet 1899; M. 1897.
1 . 74, 1899. 1. 185 et 354.) Mais le même Tribunal a jugé le
19 juin 1906 (R.D.M., XXII, p. 70) que la simple différence de
qualité se résout en une bonification.
Voilà donc sur ce point encore le sort des litiges aban
donné à l’appréciation, c’est-à-dire à l’arbitraire des juges.
Pour nous, nous aurions préféré le maintien partout et tou
jours d’un principe placé en dehors de toute, discussion, les
parties sachant alors lorsqu’elles adoptent un type de contrat à
quoi elles s’obligent en ayant d’ailleurs la faculté de convenir
des dérogations au gré de leurs intérêts. Mais il faut recon
naître que la jurisprudence inaugurée à Aix par l’arrêt de
1896 cadre mieux avec les règles dérivant du droit commun,
admises en matière d’obligations commerciales, et que la plu
part des tribunaux paraissent avoir adoptées (Trib. Bordeaux,
�249
15 sept. 1887 ; Havre, 16 juillet 1902 et sur appel Rouen,
4 mars 1903, R. D. M„ III, 577, XVIII, 57 et 804).
2 8 7 . Le prix fixé par le vendeur comprend tous les frais à
faire pour livrer la marchandise au lieu fixé par le contrat,
mais rien au delà. L’acheteur supporte donc les droits de
douaneau portdedébarquement(Mars., 26janv. 1897,R.D.M.,
XIII, 550). Il n’en serait autrement que si, contrairement à
l’usage, le vendeur s’était engagé à livrer à quai auport d’arri
vée. Dans ce cas il supporte les risques et les droits jusqu’à la
livraison effective (Nantes, 6 fév. 1901, R.D.M., XVII, 328).
287 bis. De même les mesures sanitaires interdisant le dé
barquement au lieu d’arrivée ne concernent que l’acheteur.
C’est lui qui supportera comme un cas de force majeure les
conséquences de l’envoi du navire au port libre le plus voi
sin (Mars., 10 mai 1897, R.D.M., XII, 734). Mais le vendeur
ne peut pas envoyer le navire à un port éloigné sans prendre
l’avisdel’acheteur (Mars., 4 mars 1897, R.D.M., XII, 731).
2 8 8 . En résumé, après avoir passé en revue toutes ces dé
cisions, on peut affirmer que les seuls caractères essentiels
de la vente caf sont que la marchandise voyage aux risques
de l’acheteur dont elle devient la propriété dès le moment du
contrat, et que par suite le vendeur doit la spécialiser avant
l’arrivée du navire ou tout au moins avant l'ouverture des
panneaux (Bordeaux, 12 novembre 1906, Rec. de Bordeaux,
1907. 1 . 39; Mars., 13 novembre 1905, M. 1906. 1. 93)mais
on ne peut aller au delà et il faut reconnaître que même le
mode de spécialisation n’est pas définitivement fixé [supra,
n" 282).
Donc toutes les fois qu’une difficulté amènera les parties à
la barre, il sera impossible de prévoir dans quel sens l’équité
du juge — mot pompeux pouvant servir de manteau aux dé
cisions les plus regrettables — fera pencher la balance.
2 8 9. Ventes à term e(à livrer). —Nous venons d’examiner des
ventes faites sous condition. Les parties sont également libres
de vendre à terme en retardant jusqu’à une époque déterminée
l’exécution de leurs obligations. Enprincipe de pareils marchés
semblent ne pouvoir soulever aucune difficulté. lien est peu
néanmoins qui aient donné lieu à plus de procès. En effet il
VENTE A LIVRER
�250
ACHATS KT TEXTES
s’agit ici, dans presque tous les cas, de la vente de la chose
d’autrui:bien rarement le vendeur à terme est propriétaire de
la chose vendue, au moment où il s’engage à lalivrer aune épo
que ultérieure. Un négociant a reçu par exemple des nouvelles
de Russie ou de l’Inde lui annonçant une excellente récolte de
blé : donc une fois cette récolte faite, l’abondance de la mar
chandise amèneraune baisse. Le négociant, ainsi averti, cher
chera alors un acheteur à qui il vendra sinon au cours du jour,
du moinsàun cours presque égal, une certaine quantité de blé,
mais il ne prendra l’engagement d’opérer la délivrance que
dans les mois qui suivront la récolte. A cette époque la mar
chandise ayant baissé sûrement, du moins il le,croit, il lui sera
facile de se procurer la quantité qu’il doit livrer à un prix infé
rieur à celui de la vente, et il gagnera ainsi la différence.
D’autre part, l’acheteur à qui il s’adressera- aura reçu des nou
velles contradictoires : pour lui, la récolte sera mauvaise :
c’est la hausse qui interviendra. Il croit donc avoir tout intérêt
à s’assurer par avance les denrées dont il aura besoin dans
quelques mois à un prix moindre que celui qu’il prévoit. Ces
ventes à terme sont appelées communément ventes ou marchés
à livrer, bien que cette expression, par sa généralité, puisse
embrasser d’autres sortes de transactions, celles par exemple
étudiées aux numéros précédents.
La vente à livrer peut n’être de la part de l’acheteur qu’une
spéculation sur les variations des cours. 11 revendra donc bien
souvent avant l’échéance du délai stipulé, soit pour réaliser
un bénéfice si la hausse s’est produite, soit, en cas de baisse,
pour éviter une perte plus considérable, lorsqu’il prévoit des
cours encore inférieurs.
290. Sous ce rapport, 1a. vente à livrer se prête admira
blement au jeu sur la hausse ou la baisse. Ce que vèndeur et
acheteur auront eu en vue, c’est de recevoir ou de payer une
différence selon qu’au jour indiqué pour la livraison le cours
sera supérieur ou inférieur au prix convenu entre eux. Aussi
a-t-on été jusqu’à solliciter sa prohibition.
Mais quelque prochain, quelque regrettable que fût l’abus,
le remède aurait été pire que le mal. On ne pouvait, pour
atteindre le jeu, interdire la spéculation sérieuse qui est
�251
Pâme du commerce et qui imprime à ses opérations ce déve
loppement qui contribue si puissamment à la prospérité
publique.
On s'est donc avec raison refusé non seulement à prohiber
la vente à livrer, mais encore à lui imposer certaines condi
tions qui pouvaient en contrarier l’essor, et laissé aux tribu
naux le soin de reconnaître et d’annuler celles qui, sous des
apparences innocentes, dissimuleraient un pari sur la hausse
ou la baisse.
Aujourd’hui d’ailleurs la controverse est close. La loi du
28 mars 1885 dispose que « tous marchés à terme sur effets
publics ou autres, tous marchés à livrer sur denrées et mar
chandises sont reconnus légaux. Nul ne peut, pour se sous
traire aux obligations qui en résultent, se prévaloir de l’arti
cle 1965 du Gode civil, lors même qu’ils se résoudraient par le
paiement d’une simple différence.» L’exception de jeu néan
moins n’est pas effacée de nos lois puisque l’article 1965 du
Code civil n’est pas abrogé. Mais toutes les spéculations étant
déclarées licites, il faudrait pour les atteindre à l’aide de ce
moyen et suivant une expression très juste (L. R. n° 173) appor
ter une preuve écrite excluant toute livraison, attestant que les
parties n’ont voulu se livrer qu’à un simple pari. A défaut d’un
document pareil, dont il est presque impossible de supposer
l’existence, la vente sera validée, et le négociant de mauvaise
foi aura perdu tout prétexte pour se soustraire au paiement.
Certaines cours avaient méconnu le caractère de cette loi en
s’obstinant à annuler les marchés, lorsque les circonstances
delà cause rendaient l’exception de jeu admissible (Nancy,
30nov. 1896, G. P., 97.1.360, Bordeaux, 14 février 1898. D.
98.2.290). C’était là une erreur manifeste, abroger la loi nou
velle, et continuer d’appliquer les règles antérieures.Mais deux
arrêts de la Cour de cassation du 22 juin 1898 (G. P. 98.2.66)
et du 19 mars 1900 (D , 1901.1.437) ont décidé nettement que
la loi du 28 mars 1885 est conçue en termes essentiellement
impératifs (sic),— qu’elle a entendu que lorsque les opérations
ont pris la forme de marchés à terme ou à livrer, les partics ne
peuvent opposer l’exception de jeu, et a interdit aux juges de
rechercher leur intention.
VENTE A LIVRER
�ACHATS ET VENTES
252
291. Cette loi a consacré par cela même la légalité des
marchés à prime, très sérieusement contestés auparavant,bien
qu’on puisse les ra ttacher à l’article 1590 du Code civil sur les
arrhes. Dans ces marchés dits aussi« à option » l’acheteur peut
obliger le vendeur à renoncer à leur exécution moyennant le
paiement d’une somme fixée à l’avance et appelée « prime ».
Dans ces sortes de ventes,le vendeur stipule d’ordinaire un
prix légèrement supérieur au cours du jour en compensation
del’aléa qu’il accepte d’encourir. Au cas où le marché est exé
cuté la prime, d’après un usage courant et sauf convention con
traire, est payée en supplément du prix.
On peut d’ailleurs stipuler aussi la prime en faveur du ven
deur et convenir qu’il pourra à son gré se dispenser de livrer
en payant une somme déterminée à titre de dédit.
292. Il y a aussi des marchés à double prime moyennant
laquelle un spéculateur peut se réserver advenant le jour de
l’échéance, non seulement de se refuser à l’exécution de ses
obligations,mais encore de prendre une position inverse,c’està-dire de se transformer à son gré d’acheteur en vendeur ou de
ven deur en acheteur et d’obliger son cocontractant à subir cetté^
situation. Par exemple si Pierre a vendu à Paul cent balles de
farines livrables fin octobre, advenant le 31 octobre, Paul aura
la faculté soit de prendre livraison, soit de renoncer à l’exécu
tion du marché, soit de se porter vendeur de ces cent balles et
d’obliger son vendeur à les recevoir en devenant acheteur de
vendeur qu’il était et de lui payer le prix stipulé. Il pourra
dénoncer son intention par une lettre écrite et envoyée le jour
de l’expiration du délai, même au cas où cette lettre ne par
vient au destinataire que le lendemain (Mars., 15 juillet 1891.
M. 91.1.243).
293. Ventespar filières. — Nous avons dit (n° 289) que l’ache
teur revend fréquemment la marchandise dans l’intervalle
qui sépare la conclusion du contrat de l’époque de la livrai
son. Celui à qui il a revendu peut avoir de bonnes raisons pour
céder ensuite cette même marchandise dont son propre ache
teur jugera à propos de se défaire à son tour. Il peut donc se
faire que la denrée, objet de la première vente, forme l’uni
que aliment d’une série de marchés successifs, et que le der-
�253
nier do ces acheteurs se succédant les uns aux autres qui seul
en définitive devra se mettre à l’échéance en possession de
l’objet vendu, soit absolument inconnu et du premier vendeur
qui doit opérer la délivrance ct qu’on appelle pour cela le livreur
etdes vendeurs intermédiaires. Faudra-t-il donc que cet ache
teur qui désire recevoir en réalité (d’où le nom de réception
naire) s’adresse à son propre vendeur, lequel s’adressera à ce
lui qui lui a vendu cà lui-même et ainsi de suite jusqu’au ven
deur primitif qui délivrera à son acheteur, lequel délivrera à
son acheteur à lui, etc., de façon que la marchandise n’arri
vera au réceptionnaire qu’après avoir ainsi passé de mains
en mains ?
Cette multiplicité de réceptions et de livraisons ne serait
pas sans danger pour la chose elle-même.Elle donnerait lieu
à une aggravation considérable des frais et pourrait réduire
les vendeurs successifs à l’impossibilité de remplir utilement
leur obligation, par exemple si le vendeur primitif ne livrait
que le dernier jour et à la dernière heure du délai.
On s’est donc arrêté à un mode d’exécution de nature à satis
faire tous les intérêts: le premier vendeur, le livreur, remet
un ordre de livraison à son acheteur direct, qui l’endosse à
l’ordre de son propre acheteur; celui-ci le transmet à son tour
au négociant à qui il a vendu, et de mains en mains cet ordre
arrive à celui qui doit l’exécuter, c’est-à-dire au dernier ache
teur, au réceptionnaire qui, muni de cet ordre va se faire
remettre la marchandise par ceux que le premier vendeur
a constitués dépositaires et qui doivent la donner sur le vu de
son ordre, à celui qui en est porteur, à qui il a été endossé.
Ce titre passant ainsi demains en mains étant communé
ment appelé filière, l’usage a donné à ces sortes de ventes le
nom de ventes par filières.
2 9 4 . Silesprix de ces reventes successives étaient tous égaux
et si, au moment de la délivrance, tous les acheteurs intermé
diaires étaient solvables, il n’y aurait jamais de difficulté sé
rieuse au sujet de leur exécution.
Mais en pratique chacune dos reventes, à cause de la fluc
tuation incessante des cours, est consentie à un prix différent,
les uns parfois plus bas, les autres plus haut que le prix stiVENTES PAR FILIÈRES
�254
ACHATS ET VENTES
pulé au premier marché. En outre un acheteur intermédiaire
peut, avant le moment de la livraison, tomber en faillite : il
peut donc se produire une série de complications donnant
naissance à des questions multiples.
Aussi s’est-on demandé en quoi consistait cette sorte de
transaction. Avait-elle des règles spéciales ? Suffirait-il pour
résoudre toutes les difficultés de s’en référer aux principes
généraux?
295. Tout d’abord il convient de remarquer que sur certaines
grandes places, notamment Paris, des règlements de bourse
édictent un ensemble de dispositions régissant les filières sur
les principales denrées: farines, sucres, blés, etc. (*). Dans ce
cas les parties, sauf convention contraire, sont toujours présu
mées s’être conformées à ces usages. Les tribunaux devront
donc les leur appliquer comme ils appliqueraient un texte de
loi. Cela est bien évident et c’est peu t-être parce qu’on l’a par
fois un peu perdu de vue qu’on a été amené à généraliser des
exceptions usitées seulement dans telle ou telle Bourse.
A défaut de règlements écrits, il faudra appliquer les usa
ges bien certains de la place où a été créée la filière. Cela
va encore de soi, et l’hésitation ne pourrait exister que sur
l’existence d’un usage assez constant pour qu’il fût devenu ré
glementaire.
296. La filière, par rapport au vendeur, existe dans deux
cas : il peut avoir voulu créer une filière en traitant avec la
certitude que l’aliment de son contrat deviendra l’objet d’une
série de marchés successifs ; ou bien il aura vendu à terme
purement et simplement, la filière aura été créée en dehors
de lui par son acheteur et il l’ignorera jusqu’à la dernière
heure. Les effets de ces deux situations seront les mêmes visà-vis du vendeur originaire. Dès qu’une filière lui aura été
révélée, et sauf refus clairement manifesté de l'accepter, les
conséquences vis-à-vis de lui seront semblables à celles qui
existeraient s’il avait lui-même dès le début accusé l’état de
filière. Notons pourtant qu’à Paris les seules filières autorisées
par les règlements sont celles inscrites sur des formules im(*) V o ir su r ces so rte s d e v e n te s à P a r is le Répertoire Général du Droit
et d u S a in t, v° Vente commerciale, n ° s 421 e t su iv .
français, de C a rp en tier
�255
primées indiquant les règles devant être suivies pour leur exé
cution et sur lesquelles le vendeur primitif mentionné toutes
les indications nécessaires sur sa personnalité,la marchandise
et le prix d’émission, c’est-à-dire le prix stipulé avec son ache
teur direct (D. Supp., v° Vente, n° 114, citant Levé, n°544).
2 9 7 . Ces principes posés, la doctrine et la jurisprudence
dominantes aujourd’hui nous paraissent pouvoir se résumer
en ceci :
Les ventes et reventes successives ne forment pas un ensem
ble, un bloc, un contrat spécial, ayant des règles particuliè
res. Chacune de ces reventes constitue un marché distinct. Il
suit de là qu’il n’y a de rapports directs qu’entre ceux des
membres de la filière qui ont été parties à la même vente.
Les contrats, les marchés se suivent, mais ne se mélangent
pas. Chaque vente doit être considérée isolément et en cas de
difficultés on doit appliquer à chacune de ces ventes les règles
de droit commun : les droits et actions engendrés par cha
cune d’elles sont des droits et actions séparées. La vente par
filière n'est donc qu’un mode d’exécution du marché consis
tant pour le vendeur à délivrer la marchandise à un tiers à
lui désigné par l’acquéreur originaire (Seine, 13 décembre
1882. J. T. C., 32. 10.240). Il n’y a pas (nous disent L. R.,
n° 191) une espèce spéciale de vente, le mode de livraison a
seul un caractère particulier (Paris, 22 janvier 1884 et 6 mars
1885, D. 85.2.161 et la note Levillain ; — ici., 12 juin 1886. J. T.
C., 36.11.136. Mars.,17 nov. 1896,M. 97.1.59 et 16 août 1904,
M. 1904.1.375. Conf. par Aix, 1" fév. 1905, M. 1906.1.221,
Marseille, 6 janvier 1908. M. 1908.1.161). Deux arrêts de la
Cour de Cassation du 25 juillet 1887 (D. 88.1.21) paraissent in
cliner dans ce sens.
Il n’est donc pas vrai de dire avec une chambre de la Cour de
Paris (10 avril 1885, D. 85.2.161) que la filière est un contrat
innommé (ce qui ne signifie pas grand’cliose) régi par les règle
ments de place. Oui, si ces règlements existent, non s’ils n’exis
tent pas et dans ce cas le droit commun reprend son empire.
Mais ce qui est très exact c’est que ces règlements ou les
usages également obligatoires peuvent modifier les principes
applicables aux marchés ordinaires, et dans certains cas créer
VENTES PAR FILIÈRES
�ACHATS ET VENTES
256
des rapports entre des parties qui devraient être complète
ment étrangères les unes aux autres.
298. Il suit de là que si Je réceptionnaire retarde ou refuse
de se livrer, et que le premier vendeur soit obligé de recou
rir à justice pour faire ordonner la vente aux enchères et le
paiement de la différence entre le produit de cette vente et
le pi’ix convenu, ce premier vendeur ne peut agir que contre
son acheteur direct, bien que cette différence doive, en fait,
être à la charge du dernier acheteur.
Comment en effet s’adresserait-il aux acheteurs successifs
et surtout au dernier? 11 ne les connaît pas, n’est pas tenu de
les connaître et le plus souvent se trouve dans l’impossibi
lité de réaliser leur mise en cause.
Mais ils n’en sont pas moins présents dans l'instance et le
jugement ordonnant la vente contre le premier acheteur a
contre eux toute son autorité. En effet ce premier acheteur
aura d’ordinaire fait refluer la sommation à lui signifiée sur
son acheteur, celui-ci sur le sien et ainsi de suite. Tous les
intéressés ont donc pu se présenter pour faire valoir leurs
droits, et,s’ils ne l’ont pas fait, ils sont censés avoir consenti
à être représentés par le premier acheteur.
299. Ainsi le tribunal de commerce de Marseille jugeait, le
1" décembre 1870, que lorsqu’une marchandise a été l’objet
de plusieurs ventes successives et que les divers vendeurs et
acheteurs ont connu, par les sommations signifiées, que leur
marché avait pour objet la même marchandise à recevoir du
même livreur, il y a lieu de décider, comme dans le cas où
un ordre de livraison aurait circulé entre leurs mains, que le
jugement intervenu entre le vendeur primitif et son acheteur
direct pour ordonner la vente aux enchères faute de récep
tion, réfléchit contre tous ceux qui ont acheté la marchan
dise et leur est opposable, bien qu’ils n’y aient pas été par
ties (M. 71.1.46).
Le 26 avril 1871, le tribunal de commerce de Marseille
jugeait à nouveau : que le jugement qui autorise un vendeur
à faire vendre une marchandise aux enchères, faute par son
acheteur de recevoir, est opposable par tout vendeur subsé
quent à son acheteur direct, bien qu’aucun jugement ne soit
�TU
intervenu entre eux, si, du reste, par un ordre de livraison
ou autrement, cet acheteur savait qu’il avait à recevoir d’un
autre que de son vendeur direct (M. 1871.1.137).
Enfin, persistant dans sa jurisprudence, le même tribunal
décidait, le 9 août 1870, que: lorsqu’un jugement a ordonné
la vente aux enchères faute de réception d’une marchandise
successivement revendue à plusieurs, la sommation faite par
le premier vendeur au premier acheteur a son effet contre tous
les intéressés à la filière et rend la vente régulière à l’égard de
ceux à qui le temps n’aurait pas permis de signifier une som
mation pareille (M. 1876.1.243, arrêt Aix, conf. 18 avril 1877.
l\I. 77.1.201).
Cette jurisprudence a son fondement juridique dans ce dou
ble fait : d’abord que le vendeur primitif ne connaît, ne peut
pas connaître ni le nombre de ventes qui ont suivi la sienne,
ni ceux en faveur de qui elles ont été consenties. Souvent ce
n’est que lorsque le dernier acheteur viendra prendre livrai
son qu’il saura que la marchandise par lui vendue a fait l’ob
jet d’une filière.
Ensuite que tous ceux qui ont participé à celle-ci n’ont pu
ignorer qu’ils avaient à recevoir d’un autre que de leur ven
deur. En effet, ce qu’ils recevront de celui-ci, c’est le marché
qu’ilavaitreçu lui-même de son vendeur, et au bénéfice duquel
il le substitue comme il y avait été substitué lui-même.
Dès lors, à défaut de prise de livraison, le premier vendeur
ne peut s’adresser qu’à son acheteur direct. Où serait cepen
dant l’utilité de ce droit sile jugement, vingt fois frappé d’op
position par les acheteurs successifs, ne pouvait produire son
effet qu’après avoir été vingt fois confirmé ?
11 serait d’autant plus irrationnel de le consacrer ainsi qu’en
définitive le vendeur primitif, en se bornant à recourir contre
son acheteur direct, a fait tout ce qu’il lui était possible de
faire, qu’aucune faute ne saurait lui être imputée.
Les acheteurs successifs, au contraire, devaient s’assurer si,
à l’échéance, le bénéficiaire définitif du marché avait pro
cédé à l’enlèvement des marchandises vendues et au besoin y
procéder eux-mêmes. C’estleur inaction qui a rendu nécessaire
une instance dans laquelle ils sont libres d’intervenir. Ils ne
VENTES PAll FILIÈRES
A chats et ventes
17
�ACHATS ET VENTES
258
sauraient en conséquence récuser l’autorité d’un jugement
ordonnant la vente pour compte de qui de droit, et qui les
atteignait conditionnellement.
30 0. Il ne faut pas exagérer pourtant les conséquences du
principe ci-dessus.
Chaque vente et revente formant un marché distinct, le sort
de ces différents marchés peut être différent. Dans l’un ce
pourra être le vendeur qui sera impuissant à remplir ses obli
gations, dans l’autre ce sera l’acheteur. Il ne faut donc pas
admettre que le jugement rendu au profit du vendeur originaire
contre son acheteur direct sera toujours applicable à tous les
vendeurs et acheteurs à la suite, et que ceux-ci pourront sup
porter les effets d’une condamnation résultant d’un jugement
auquel ils seront restés étrangers. Gela serait d’autant plus fâ
cheux que le vendeur originaire n’a pas pour mettre son ache
teur en demeure à l’échéance du terme à faire signifier de som
mation. Sauf convention contraire, la résolution lui est acquise
de plein droit à l’expiration du terme convenu pour le retirement(art. 1657, C. civ., voir infra, n°8401 et s.). Ainsi la Cour
d’Aix a jugé que lorsque le règlement d’une vente se fait par fi
lière, le jugement rendu au profit de celui qui est en tête n’est
pas opposable àtousceuxquifontpaftiede lamême filière, mais
seulement, à ceux qui ont été préalablement mis en demeure.
Notamment lorsqu’un jugement ordonnant la vented’une mar
chandise aux enchères pour compte de qui de droit, est rendu
à une date où cette vente a déjà eu lieu en vertu d’un jugement
pareilrendu entre d’autres parties formant la tête de la filière,
les résultats de cette vente ne peuvent être opposés à l’ache
teur contre qui ce jugement postérieur a été rendu, s’il n’a pas
été mis en demeure antérieurement à la vente : il en est sur
tout ainsi lorsqu’il apparaît des circonstances que l’acheteur,
mis en demeure en temps utile,aurait pu recevoir ou faire rece
voir la marchandise (Aix, 10 déc. 1885réform. Mars., 20 mai
1885. M. 88.1.10 et 85.1. 195). Mais il faut reconnaître que
cet arrêt peut paraître difficilement conciliable avec la déci
sion rendue par la même Cour le 18 avril 1877 (M. 77.1.261).
On peut encore invoquer dans le même ordre d’idées un ju
gement rendu parle tribunal de Marseille le 15janvier 1891
�250
décidant que si la résiliation doit être prononcée avec dom
mages-intérêts contre tous les vendeurs au profit deleursacheteurs directs lorsqu’ils n’ont pas offert la marchandise dans
les vingt-quatre heures de leur mise en demeure, ellenesauraitl’être auprofitdes acheteurs dont les vendeurs ont offert
la marchandise au réceptionnaire désigné dans les vingt-qua
tre heures de la sommation par eux reçue. Il en serait ainsi
même si ce réceptionnaire ayant sommé son vendeur direct
depuis plus de vingt-quatre heures serait en droit de ne plus
recevoir et d’obtenir la résiliation axrec dommages-intérêts ; en
effet le livreur qui a offert dans les vingt-quatre heures de la
sommation à lui signifiée a rempli son obligation vis-à-vis de
son acheteur direct, et faute de réception c’est à son profit con
tre son acheteur que la résiliation doit être prononcée (M.91.
1.172). (Seulement dans cette espèce l’acheteur ne pouvait
pas invoquer la résolution de plein droit dont le vendeur seul
peut profiter aux termes de l’article 1657 (*) que la Courd’Aix
a peut-être un peu perdu de vue lors de son arrêt du 10 dé
cembre 1885).
Les règlements de certaines places et notamment ceux de
Paris édictent, afin d’éviter toute difficulté quant à ce, qu’à
défaut pour le réceptionnaire de prendre livraison, le livreur
est autorisé après l’avoir avisé seul et avoir fait afficher cet
avis en hourse, à vendre la marchandise en hourse sans même
avoir besoin de prévenir de celte vente son acheteur direct.
Cet usage a été à bon droit sanctionné par la Cour de Paris
le 12juinl886 (J. T. C., 36, p. 343) et nous ne nous expliquons
pas pourquoi la même Cour aadopté quelques jours après une
doctrine contraire en déclarant que cet usage ne saurait équi
valoir à une mise en demeure et en produire les effets juri
diques (Paris, 21 juin 1886, J. T. C., 34, p. 345).
En résumé lorsqu’il faudra résoudre une difficulté de cette
nature le juge, selon nous, devra s’inspirer de deux idées maî
tresses :
1° Il faut que la liberté de la défense soit sauvegardée. On
ne peut donc condamner ni directement ni indirectement les
absents lorsqu’ils n’ont pas été dûment avertis ;
VENTES PAU FILIÈRES
C) V o ir n o ta m m e n t S e in e , 14 m a rs 1906. J . T . C ., ann,ée 1908, p a g e 49.
�ACHATS HT YHATES
250
2° On ne peut enlever à une partie les droits que lui confère
sa position de vendeur ou d’acheteur, abstraction faite de l'état
de filière.
Le tout bien entendu sous réserve des règlements de place
ou d’usages contraires bien constatés.
3 0 1 . Après avoir réglé ce qui se réfère à la livraison et à
l’enlèvement de la chose vendue, il fallait déterminer de quelle
manière devait se réaliser le paiement, à qui et par qui il de
vait être opéré.
Quel que soit le nombre des membres de la filière, c’est le
vendeur primitif qui, livrant ce qui a fait l’objet de la vente,
doit en recevoir l’équivalent, c’est-à-dire le prix. Les vendeurs
successifs n’y auraient droit qu’à la charge, après l’avoir reçu,
de le restituer au livreur, ou que si ayant payé celui-ci ils ont
été subrogés à ses droits.
C’est le dernier acheteur qui procédant à l’enlèvement des
marchandises sera débiteur du prix, qu'il est dès lors seul
réellement et légalement obligé de payer.
Il devait donc en être du paiement comme de la transmis
sion de l’ordre de livraison. Chaquevendeurpourrait sansdoute
se faire payer par son acheteur, mais cette multiplicité d’en
caissements ou de décaissements n’est ni dans l’intérêt, ni dans
les usages du commerce, et de même qu’il ne doit y avoir
qu’une seule réception, de même il suffit d’un seul paiement
qui, fait par le réceptionnaire et reçu par le livreur, entraîne
de plein droit la libération de tous ceux qui ont pris part à la
filière.
Mais les prix des ventes n’étant jamais égaux, on peut le dire,
il peut arriver que le réceptionnaire ayant acheté en baisse
doive une somme moindre que le prix stipulé au contrat ori
ginaire. Si par contre il y a eu hausse, chaque vendeur ayant
vendu à un prix plus élevé que celui auquel il a acheté luimême devra recevoir cette différence, et si, le réceptionnaire
ayant payé plus cher que tous les acquéreurs qui l’ont pré
cédé, verse son prix d’achat au livreur, celui-ci encaissera en
réalité plus qu’il ne lui est dû. Aussi l’usage a-t-il imaginé
une méthode de règlement expliquée par Ripert (p. 194) avec
tant de clarté qne nous nous contentons de le reproduire : « Ce
�VENTES PAR FILIERES
201
« règlement n’a pas toujours lieu de la même manière: tan« tôt la liquidation de la filière est faite par les parties elles« mêmes, tantôt elle est confiée à des agents spéciaux et sa« lariés appelés fîliéristes.
« A-t-on adopté, comme c’est l’usage à Marseille, le pre« mier mode de procéder : le vendeur primitif remet sa fac« ture acquittée à son acheteur qui, au lieu de lui en payer
« le montant, lui donne sa facture sur son sous-acheteur en
« se faisant tenir compte de la différence; en échange delà
« facture du premier acheteur, le second confie à son tour
« au livreur sa facture sur le troisième en exigeant aussi la
« différence, de telle sorte qu’après avoir réglé toutes les diffé« rences dues aux divers endosseurs de l’ordre, le vendeur pri« mitif finit par avoir en mains la facture payante sur le
« réceptionnaire qui lui en acquitte le montant. Nous verrons
« plus loin qu’il n’est pas même obligé à cet échange de fac« tures, la jurisprudence lui accordant une action directe ex
« persona sua contre celui qui prend livraison. Rien n’em« pêcherait d’ailleurs quel’opération inverse n’eùtlieu,c’est-à« dire que le dernier acheteur, passant dans les bureaux du
« livreur, lui payât le prix de la première vente, sauf à solder
« ensuite les différences dues aux vendeurs subséquents. C’est
« le procédé en usage sur la place de Rouen.
« Les parties se sont-elles adressées à des filiéristes, ceux« ci au moment de l’échéance avertissent les membres de la
« filière par des lettres de prévention de se tenir prêts à régler
« par différences. Ils se rendent ensuite chez chacun d’eux,
« en observant l’ordre des reventes, lui paient la diffé« rence due et se font remettre en retour sa facture acquit« tée ; à l’aide de la dernière de ces factures, ils encais« sent le prix du réceptionnaire et le versent en mains du
« livreur. »
Le livreur qui ne veut pas recourir à ce mode de paiement,
s’il a des doutes par exemple sur la solvabilité d’un ache
teur intermédiaire, a action directe tant contre son acheteur
direct que contre le réceptionnaire de la marchandise. Sans
doute il n’a concouru en rien à la formation du contrat qui
lie celui-ci, mais c’est entre eux que ce contrat a reçu son exé-
�ACHATS ET VENTES
262
cution, et il est naturel qu’en échange de sa chose il reçoive
le prix de la main de celui qui consent à la recevoir. La déli
vrance crée donc entre eux un lien de droit qui engendre une
obligation et une action directe.
La livraison de la marchandise, dit-on généralement, opère
un quasi-contrat en vertu duquel le réceptionnaire doit tenir
son prix à la disposition de celui chez qui il prend la mar
chandise. On peut trouver la racine de cet usage, de cette
théorie, dans l’article 1612 du Gode civil autorisant le ven
deur cà ne livrer la chose que contre paiement, sauf conven
tion contraire.
En conséquence, le réceptionnaire ne peut refuser de payer
le livreur, et si, sous un prétexte quelconque, il se libère aux
mains d’un autre, fût-ce son vendeur lui-même, il serait
exposé à payer deux fois.
C’est ce que le tribunal de commerce de Marseille n’a cessé
de proclamer : c’est ce qu’il jugeait notamment les 6 mai 1839,
15 novembre 1843, 30 juin et 24 août 1847 (M. 39.1.26; —
49.1.2;— 47.1.177 et 179).
Dans l’espèce du dernier jugement, le réceptionnaire pré
tendait échapper à l’action du livreur, parce que, créancier de
son vendeur d’une somme équivalente au prix dont la vente
l’avait constitué débiteur, la compensation avait de plein droit
éteint la créance et la dette ; qu’on ne pouvait donc faire rer
vivre celle-ci au profit de qui que ce fût. Cette prétention, qui
avait motivé un appel contre le jugement quil’avaitrepoussée,
reposait sur une confusion. Pour que la compensation opère
son effet légal, il faut que la même personne soit également
créancière et débitrice du même individu, Or, dans l’espèce le
réceptionnaire, s’il était créancier de son vendeur, était débi
teur du livreur, et aucune compensation n’avait pu s’opérer.
3 0 2. Aussi et par arrêt du 12 février 1848, la Cour d’Aix
confirmait-elle le jugement par les motifs suivants :
« Attendu que Rodocanachi fils et Cie, vendeurs primitifs
d’une marchandise payable comptant, la détenaient encore
lorsque Désiré Hugou, à qui Christian l’avait revendue, s’est
présenté pour en prendre livraison ;
« Attendu qu’en la recevant Hugou a bien su qu’elle lui
�263
était remise par Rodocanachi et Cie, auxquels il devait par
conséquent en payer le prix au lieu et place de Christian,
dont il était en ce moment le représentant et l’ayant-cause ;
« Que le paiement, aux termes de l’article 1612 du Code
civil, est la condition sine qua non delà délivrance qui lui a
été faite;qu’il ne peut donc s’y soustraire en excipant d’une
compensation qu’il aurait à opposer à son vendeur immé
diat, des mains duquel il n’a pas reçu la marchandise (M.48.
1.183).
Ce que la Cour décidait en 1848, elle le consacrait en 1858
par arrêt du 12 décembre, qui condamne à payer une seconde
fois le réceptionnaire qui s’est libéré aux mains de son ven
deur, attendu que l’acheteur d’une marchandise à livrer qui
consent à la recevoir d’un autre que de son vendeur, s’oblige
par là à en payer le prix à son livreur (M. 59.1.49).
3 0 3. Un troisième arrêt, rendu le 29 août 1863, consacre
de plus fort cette doctrine. Un commerçant, M. Savine, avait
vendu une certaine quantité de blé et cette vente avait donné
naissance à une filière. M. Montanaro, acheteur de Pernessin, avait reçu la marchandise des mains de Savine, qui lui
faisait présenter sa facture acquittée le surlendemain de la li
vraison. Montanaro répond qu’ilapayéPernessin, son vendeur.
Par ménagements et par égard pour les convenances, Sa
vine, au lieude poursuivre judiciairement Montanaro, fait pro
céder, par l’agence de liquidation des filières, à l’échange des
factures. Mais Pernessin étant tombé en faillite et tout espoir
d’être payé par lui s’étant évanoui, Savine revient contre Mon
tanaro et lui demande le paiement.
Cette demande est repoussée par le tribunal de commerce
de Marseille, non pas que le tribunal revienne de sa jurispru
dence relativement à l’obligation du réceptionnaire de payer
le livreur, mais parce que, en recourant à l’échange des fac
tures, Savine avait renoncé à son droit vis-à-vis de Monta
naro, et avait consenti à s’en tenir à sa créance contre Roger
et Cie, ses acheteurs directs ; qu’en acceptant, en échange de s a
facture sur ceux-ci, celle sur Perbost Trouchet, à qui ils avaient
revendu les blés, puis celle de Perbost Trouchet sur Pernessin,
il n’avait pas agi comme ayant des droits personnels contre
VENTES P.VIl FILIERES
�ACHATS ET VENTES
264
les acheteurs autres que Roger et C'% mais comme exerçant
contre chacun de ces autres acheteurs les droits de chaque
vendeur.
Dans une consultation délibérée à l’appui de l’appel qui
avait été émis contre ce jugement,nous établissions d’abord(‘)
le droit direct de Savine, livreur des blés, contre Montanaro
qui les avait et reconnaissait les avoir reçus directement de
lui. Examinant ensuite la lin de non recevoir accueillie par
le jugement, nous faisions remarquer que le tribunal avait
fait résulter l’abandon du droit de l’acte qui aboutissait à en
provoquer et à en motiver l’exercice.
En effet, l’échange desfactures, et c’est le tribunal lui-même
qui va nous le dire, n’a pas d’autre but que celui d’arriver
au dernier acheteur et de le contraindre à payer. Voici com
ment, dans son jugement du 9 juillet 1846,l’établissait le tri
bunal :
« Attendu que dans les ventes par filière, lorsqu’un ordre de
livraison sur le vendeur primitif est successivement transmis et
endossé par les vendeurs divers à leurs acheteurs, le premier
acheteur revendeur qui a délivré l’ordre de livraison à son
acheteur immédiat, a une action,non seulement contre celui-ci,
mais encore contre chacun des autres acheteurs compris dans
la filière et endosseurs de l’ordre, soit pour qu’il lui remette
sa facture acquittée sur l’endosseur subséquent, en échange de
la facture acquittée par son propre vendeur, afin d’arriver ainsi
jusqu’au dernier acheteur qui a reçu la marchandise, soit pour
le paiement de la différence en moins entre la facture remise
et celle reçue en échange (M. 46. 1. 2).
Il est donc juridiquement impossible de considérer l’échange
des factures comme la renonciation au droit contre le récep
tionnaire, dès que cet échange doit au contraire faire arriver
jusqu’à ce réceptionnaire celui qui peut exiger ce paiement de
la marchandise, ou déterminer le chiffre vrai de ce paiement,
en liquidant la différence soit en plus, soit en moins qui peut
exister entre les divers marchés.
Pourquoi d’ailleurs, dans l’espèce, tant que Pernessin étant
(>') M . B é d a rrid e .
�203
integri status, on pouvait croire à la possibilité d’un paiement
de sa part, Savine n’aurait-il pas recouru à un moyen qui le
dispensait de soutenir un procès, et sauvait Montanaro luimême d’une poursuite ? D’ailleurs il usait d’un droit incontes
table, et l’exercice d’un droit ne saurait ni préjudicier, ni nuire
à celui qui s’y livre.
La Cour d’Aix n’hésite donc pas à infirmer le jugement, et
voici les remarquables motifs qui déterminent cette infirma
tion :
« Attendu que la première question qui se présente est celle
relative à Montanaro, le réceptionnaire de la marchandise ;
« Attendu que d’après l’usage, en matière de ventes par filière
et d’après la nature même des choses, Savine fils, vendeur pri
mitif d’une marchandise successivement revendue à diverses
personnes etfinalementàMontanaro,avait le droit,enlalivrant
à ce dernier, d’en exiger de lui le paiement, et qu’il ne pouvait
perdre ce droit que par une renonciation expresse ou tacite, ou
en tant qu’ayant laissé ignorer sa qualité dé livreur au récep
tionnaire, celui-ci aurait, dans cette ignorance, payé le prix à
son vendeur immédiat ;
« Attendu que Montanaro, acheteur direct de Pernessin, n’a
pu ignorer,en recevant la marchandise, qu’elle lui était remise
par Savine, vendeur primitif, puisqu’il l’a reçue sur des billets
de poids portant : vendu par Savi7ie, acheté par Montanaro, et
puisqu’à cette occasion il a acheté directement de Savine le
reste de la cargaison du navire Golfe-Juan où la livraison des
blés était faite ;
« Attendu que, par une conséquence nécessaire de ce mode
de livraison, il a su aussi que le livreur de la marchandise
n’en avait pas encore reçu le prix et que c’était au réception
naire qu’incombait la charge de le payer ;
« Attendu que les premiers juges ont eu tort de considérer
Savine comme ayant renoncé à son droit en remettant sa
facture sur Roger et Cio, ses acheteurs directs, et en rece
vant ensuite, au moyen des échanges, celle de Perbost Trouchet, vendeur de Pernessin ; qu’on ne saurait induire cette
renonciation tacite d’aucun de ces faits ni d’aucun autre acte
de la conduite de Savine ; que, en effet, si Savine, qui avait
VENTES PAR FILIERES
�206
ACHATS ET VENTES
livré le blé le 26 octobre 1861, jour de samedi, a attendu le
surlendemain pour en demander le prix à Montauaro, et si,
sur la réponse de celui-ci qu’il avait déjà payé Pernessin, Savine, au lieu de le poursuivre immédiatement en justice, a
fait procéder à la liquidation de la filière par l’échange des
factures, afin d’amener entre ses mains la facture payante
due soit par Pernessin, soit par Montanaro lui-même, il n’a
montré par là qu’une intention, celle d’être payé par l’un des
acheteurs intermédiaires ou par le réceptionnaire, ce qui en
traînait suspension dans l’exercice de son droit contre celuici, mais nullement l’abandon de ce droit, ce qui d’ailleurs
était conforme aux usages du commerce qui admettent un cer
tain délai entre la livraison et le paiement, malgré la clause
payable comptant ;
« Attendu que la liquidation de la filière n’a pu être menée
à bonne fin, parce que l’échange des factures s’est arrêté à
Pernessin qui, au moment de tomber en faillite, ayant reçu
le prix des mains de son acheteur avant d’avoir lui-même
payé la marchandise, n’a plus eu ni argent ni facture acquit
tée à remettre à Perbost, Trouchet et Cio,ses vendeurs directs ;
que cette fraude de Pernessin, vendeur aux enchères des blés
qu’il n’avait encore ni reçus ni payés, aurait manqué son effet
si Montanaro, mieux avisé, n’avait pas commis la faute de
payer promptement Pernessin sans s’être assuré que le livreur
avait été désintéressé, alors même que tout tendait à lui dé
montrer le contraire; qu’il ne peut invoquer pour son excuse
la clause du cahier des charges qui soumettait l’acheteur à
payer dans les vingt-quatre heures, cette clause n’étant obli
gatoire pour lui qu’en tant que Pernessin lui aurait livré luimême la marchandise, ou aurait justifié de l’acquittement du
prix;
« Attendu que Montanaro a trop tôt payé Pernessin pour
pouvoir dire qu’il a été induit à faire ce paiement par le re
tard qu’a mis le livreur à l’exercice de son droit, et pour pou
voir y puiser une fin de non recevoir contre l’action de Savine ;
qu’il ne doit donc qu’à son imprudence l’obligation où il se
trouve de payer une seconde fois;
« Attendu qu’il est juste de le condamner en lui faisant
�267
application de ce principe salutaire sanctionné par la juris
prudence de la Cour : que tant que le livreur ri a pas été dé
sintéressé, le réceptionnaire ne peut payer son vendeur, prin
cipe qu’il faut appliquer sévèrement si l’on veut maintenir
l’honnêteté dans les ventes faites par filières et rassurer le
commerce contre le retour de la fraude dont le dernier ven
deur s’est rendu coupable dans celle qui nous occupe. »
Montanaro se pourvut en cassation, mais vainement. Son
pourvoi était rejetépar arrêt du 30 janvier 1865 (J. P., 1865,
p. 1058).
304. Ce qui se dégage de cette jurisprudence c’est d’abord
ce principe dont la Cour d’Aix recommande la sévère appli
cation: quê tant que le livreur n’a pas été désintéressé le récep
tionnaire ne peut payer son vendeur. Celui-ci, en effet, s’il
recevait sans vouloir ou sans pouvoir payer le livreur, s’en
richirait de la chose d’autrui, et celui qui lui en fournirait
l’occasion commettrait une immoralité qu’on ne saurait ni
encourager ni récompenser.
Qu’importe que le réceptionnaire n’ait pas traité avec le
vendeur primitif. C’est à lui qu’il demandera la marchan
dise, c’est de lui qu’il la recevra. Pourrait-il refuser de le
payer si, s’en tenant strictement à la clause payable comp
tant, il exigeait le prix avant de livrer la chose? Il importe
donc peu, qu’obéissant aux usages, il ait accordé un délai.
Son droit n’a subi aucune atteinte. Le fait de la livraison a
rendu le réceptionnaire son obligé direct, tant qu’il n’aura
pas expressément ou tacitement consenti à le relever de cette
obligation.
La renonciation tacite ne saurait résulter de l’échange des
factures. C’est là aussi un mode de paiement auquel le livreur
a recours si peu pour libérer le réceptionnaire qu’il n’aura
d’autre résultat que de le faire arriver jusqu’à lui et lui four
nir le moyen de le contraindre. C’est donc avec infiniment
de raison que la Cour d’Aix voit dans l’échange des factures,
non l’abandon du droit, mais la suspension de son exercice.
Le fait de n’avoir pas exigé le paiement immédiat, alors
que la marchandise était vendue payable comptant, sera-t-il
l’origine d’une fin de non-recevoir ? Le réceptionnaire seraitVENTES l'A il FILIERES
�268
il fondé à dire, puisque la marchandise m’était livrée pure
ment et simplement, j’ai dû croire qu’elle avait été payée?
Ce n’est pas sur une présomption dont il est d’ailleurs si
facile de s’assurer du plus ou moins d’exactitude qu’on doit
s’étayer pour se faire un titre de la complaisance qui aurait
consommé une fraude aussi inique que celle d’un acheteur
s’appropriant le prix d’une marchandise qui ne lui appartient
encore à aucun titre, ce qu’on doit en pareil cas, parce qu’on
le peut, c’est de s’assurer si le livreur a été oui ou non désin
téressé, et d’agir en conséquence.
305.
Il est d’usage que malgré la clause « paiement comp
tant » un certain délai est laissé à l’acheteur pour payer son
prix, délai qui à Marseille est de dix jours. Donc tant que ce
délai n’est pas expiré le réceptionnaire ne peut pas opposer
qu’il a cru que le vendeur avait été désintéressé au moment
du marché et s’il payait son propre vendeur avant de s’être
assuré de la réalité de ce paiement il commettrait une faute
lourde l’obligeant à payer une seconde fois (Marseille, 14 avril
1875, M. 75.1.207) — (pour les effets de la clause «paiement
comptant » dans les rapports entre le vendeur et son propre
acheteur et son efficacité malgré l’usage du paiement à dix
jours infra, n°427).
3 0 8 . Le jugement du 14 avril 1875 semble décider impli
citement qu’après l’expiration du délai de dix jours le récep
tionnaire qui paierait son vendeur immédiat se libérerait vala
blement. Il est certain que si le livreur n’a pas réclamé le
paiement dans ce délai et que le réceptionnaire soit encore
débiteur du prix, il pourra toujours se faire régler par lui. Sur
ce point pas de difficulté. Mais la question se pose lorsque
le réceptionnaire croyant de bonne foi que le silence du ven
deur originaire s’explique par le paiement qui lui aurait été
effectué, se libère entre les mains de son vendeur après les
dix jours et que ce vendeur est insolvable ; dans ce cas le ven
deur originaire sera-t-il forclos et nepourra-t-ilplusrien récla
mer à l’acheteur ayant payé dans ces conditions? Sa réclama
tion serait évidemment écartée comme tardive. Le réception
naire ne peut pas se montrer plus soucieux des intérêts du ven
deur primitif que ce vendeur lui-même, et en l’absence de toute
achats
et
ventes
�289
demande de sa pareil n’a pas à rechercher s’il a été oui ou non
désintéressé. C’est ce qu’a admis le tribunal de Marseille les
29 août 1887 et 19 avril 1901 (M. 1901.1.256 et 87.1.301).
3 0 7. Si le livreur n’a pas obtenu paiement du réception
naire il aura toujours le droit de le réclamer à son acheteur
direct, celui qui par le contrat est tenu d’y pourvoir vis-àvis de lui.
En ellet l’acquit donné par le vendeur originaire sur sa fac
ture en échange de celle dressée par l’acheteur contre son
sous-acquéreur ne libère pas celui-ci. Cette remise ne vaut que
comme indication de paiement et n’opère pas novation. Ni
l’intervention du liquidateur de la filière, ni le mandat tacite
imposé par l’usage au livreur de mettre le réceptionnaire en
demeure de prendre livraison, ne modifient la nature et les
conditions de la vente. En conséquence le premier acheteur
reste, nonobstant les transmissions survies du bon de livrai
son, directement obligé envers son vendeur à lui payer le prix
si ce prix n’est pas acquitté par le réceptionnaire et si la re
vente en bourse n’a produit qu’une somme inférieure (Paris,
22 janvier 1884,6 mars 1885,7 mars 1885,10 avril 1885,3 juin
1885,D.85.2.161 et note Levillain, Cass., 27 juillet 1887 (2 ar
rêts). D. 88. 1. 10).
3 0 8 . Si c’est par la négligence du livreur que son recours
contre le réceptionnaire est devenu illusoire, l’acheteur origi
naire actionné en paiement d’un prix dont il ne recouvrirait
jamais l’équivalent aura le droit de résister à la réclamation
en soutenant que c’est en définitive par sa faute qu’il n’a
pas été payé et que s’il n’avait pas commis cette faute luimême ne pourrait être recherché. Le livreur a donc commis
un fait préjudiciable dont il répond aux termes de l’article
1382 du Code civil et l’acheteur est fondé alors à refuser le
paiement.
Le tribunal de commerce de Marseille n’a pas hésité à se
prononcer dans ce sens. 11jugeait, le 2 avril 1873, que lors
que, suivant l’usage de la place de Marseille, le vendeur reçoit
de son acheteur la facture de ce dernier sur le sous-aclieteur
réceptionnaire de la marchandise, il est tenu de faire dili
gence pour l’encaissement de cette facture ; qu’en conséVENTES PAU FILIÈRES
�ACHATS ET VENTES
270
quence, si, le vendeur étant resté un temps plus longquele
délai moral et d’usage pour cet encaissement, le sous-acheteur
vient à suspendre ses paiements, le vendeur ne peut recou
rir contre son acheteur direct à raison du défaut de paiement
de la facture remise.
« Attendu, dit le jugement, que la facture acquittée remise
par Olivieri à Tardif et Signoret, sur le sieur Trouchet, récep
tionnaire, était encore en mains desdits Tardif et Signoret le
28 janvier, époque où le sieur Trouchet a suspendu ses paie
ments :
« Attendu que les sieurs Tardif et Signoret ont eu le tort de
laisser écouler vingt-cinq jours depuis lalivraison et dix-sept
jours depuis l'échange des factures sans exiger le paiement
dû par le sieur Trouchet, ou sans prévenir le sieur Olivieri
des difficultés qu’ils rencontraient ;
« Qu’ils sont donc responsables de leur négligence envers ce
lui-ci, et que cette responsabilité doit entraîner la déchéance
de toute action de leur part contre le sieur Olivieri (M. 73. 1.
179).
Par application du même principe, le tribunal jugeait, lé,
22 octobre 1875, que lorsque dans une filière le réception
naire n’offre au livreur que le prix qu’il doit lui-même à son
vendeur et que ce prix est inférieur à celui qui est dû au li
vreur, ce dernierdoit en prévenir immédiatement son acheteur
direct et exiger de lui la différence ; qu’il en est du moins ainsi
quand l’ordre porte la clause : payable avant enlèvement ;
Qu’en conséquence si le livreur, se contentant provisoire
ment de l’offre du réceptionnaire, ne prévient pas son ache
teur, il est responsable des suites de l’ignorance où il laisse
ce dernier touchant ce fait; que notamment il ne peut lui ré
clamer ultérieurement la différence lorsque le second ache
teur, qui devait une différence pareille et qui aurait pu la
payer s’il eût été poursuivi en temps utile, tombe en faillite
dans l’intervalle pendant lequel le premier acheteur est resté
inactif par suite de la croyance où il était que le livreur avait
été désintéressé (M. 70. 1. 04).
11 est évident que le réceptionnaire ne doit que le prix sti
pulé dans son traité, et que le livreur a droit à l’intégralité
�271
de celui auquel il a vendu. C’est donc à son acheteur qu’il
doit s’adresser exclusivement pour être payé de la différence
en moins que laisse le réceptionnaire.
Si cet acheteur a lui-même vendu au réceptionnaire à un
prix inférieur à celui qu’il a donné lui-même, il est parfaite
ment au courant de la différence et sait qu’elle ne doit être
payée que par lui. Dès lors, quelque retard que son vendeur
ait mis à le poursuivre, il ne pourra jamais croire que celui-ci
a été désintéressé et se prévaloir d’un retard qui, loin de lui
être préjudiciable, lui a été avantageux en le laissant plus
longtemps en position d’utiliser ses fonds.
Il n’en est plus ainsi si le premier acheteur ayant revendu
à un tiers, c’est la vente consentie par ce tiers qui détermine
la différence. Dans ce cas cette différence, qu’il doit à son ven
deur, lui est due par son acheteur, contre lequel il ne man
quera pas de recourir le cas échéant.
Mais ce recours il ne pourra l’exercer qu’en tant qu’il sera
poursuivi lui-même. Que pourrait-il demandera son acheteur
lorsque son vendeur ne lui réclame rien ? Il doit d’autant
mieux induire de ce silence que celui-ci a été complètement
désintéressé, qu’étranger à la revente réalisée par son ache
teur, il ignore la différence qui existe entre cette revente et
celle qu’il avait réalisée lui-même.
Dès lors, si le premier vendeur ne rompt le silence qu'après
que le recours de son acheteur est devenu illusoire, parce que
dans l’intervalle le second acheteur est tombé en faillite, il y
a faute, mais de la part du premier vendeur exclusivement,
il est juste dès lors d’en laisser les conséquences à sa charge,
quelque préjudiciables qu’elles puissent être.
3 0 9 . La situation de l’acheteur qui aura désintéressé le li
vreur ne sera pas absolument semblable à celle de ce livreur.
Le droit de celui-ci d’exiger le paiement du réceptionnaire
en s’adressant directement à lui et en passant par-dessus tous
les acheteurs intermédiaires, est un droit personnel ne se trans
mettant pas à l’acheteur par voie de subrogation.
3 1 0 . Le tribunal de Marseille avait pourtant le 14 juin' 1887
renoncé à unejurisprudeneequ’il avaitprécédemment affirmée
maintes fois et’avait jugé « que l’état de filière librement acVENTES I’AH FILIÈRES
�272
ACHATS ET VENTES
ceptépar les parties intéressées place ces parties dans une situa
tion de fait à laquelle l’usage sanctionné par la jurisprudence
fait produire certains effets juridiques particuliers ; l’un de ces
effets consiste à donner à la marchandise, objet unique des ven
tes successives, une affectation spèciale, à la faire considérer
comme une sorte de provision garantissant au vendeur inter
médiaire qui a désintéressé le livreur, le remboursement de
ses avances jusqu’à concurrence du prix dû par le réception
naire à son propre vendeur. » Ce principe de la provision for
mait en cette matière une innovation fâcheuse que la Cour n’a
pas voulu sanctionner. Elle a réformé par un arrêt du 21 fé
vrier 1888 décidant, conformément 4 une pratique constante,
que le droit du livreur d’exiger le prix du réceptionnaire est
attaché à la qualité de livreur et à la détention de la mar
chandise (M. 89.1.148). Cette dernière raison nous paraît déci
sive: elle est l’explication de ce qui, à première vue, peut pa
raître une exception à la règle de la distinction des marchés,
et on ne peut l’invoquer au profit d’un autre que le livreur.
311.
Nous avons dit (n° 301) que le vendeur originaire se
fait remettre toutes les factures des vendeurs intermédiaires
auxquels il règle à ce moment la différence qui leur est due
en cas de majorations successives du prix qu’il a lui-même sti
pulé. Si le réceptionnaire se présente pour recevoir et paie son
prix, le livreur rentrera dans son découvert puisque ce prix
représentera, dans la plupart des cas tout au moins, le prix ori
ginaire augmenté du montant de toutes les majorations. Mais
si le réceptionnaire ne se présente pas ou ne paie pas, le ven
deur qui aura réglé toutes les différences ne trouvera-t-il per
sonne pour le rembourser? Deux Chambres de la Cour deParis
(6 février et 10 avril 1885, D.85.2. 161)ont imaginé de le faire
rembourser par son acheteur direct : le premier acheteur, di
sent-elles, devra, dans ce cas, non seulement son prix mais
encore toutes les sommes déboursées par le vendeur, s’étant
par la transmission du bon de livraison constitué garant de
tous les acheteurs intermédiaires !Cette théorie admirablement
réfutée par Levillain dans la note au pied de ces arrêts ne nous
paraît pas défendable, étant donné le principe de la distinction,
v de la séparation des différents marchés. L’acheteur primitif ne
�273
VENTES TAU FILIÈRES
doit jamais que son prix et quand il l’a versé à son vendeur
celui-ci n’a plus aucune créance contre lui. Nous croyons avec
Levillain (loc. cit.) que le vendeur a certainement le droit de
se faire restituer les différences dont il aurait versé le montant
entre les mains des endosseurs intermédiaires, mais comme il
les a payées en vertu du mandat tacite conféré par ceux qui
en étaient réellement débiteurs, il n’aura le droit d’en exiger
le remboursement que de ses mandants, à la décharge de qui
il a réglé, conformément au droit commun. 11 en est de même
du liquidateur si c’est par son entremise que le règlement a
été opéré.
312. En dernière analyse la vente par filière est trop avan
tageuse au commerce pour qu’un doute puisse s’élever sur
l’approbation qu’elle doit rencontrer delà part des tribunaux.
Le premier vendeur a pour obligés directs et personnels
son acheteur et le réceptionnaire, qui ne peut se libérer vala
blement qu’entre ses mains ; pour obligés indirects tous ceux
qui, comme acheteurs et vendeurs, participent à la filière con
tre qui il peut recourir mais par l’action oblique seulement
(Levillain, loc. cit.).
Celle-ci se liquide ou par une demande en paiement contre
le premier acheteur, ou par l’échange des factures qui fait ar
river aux mains du livreur celle du dernier vendeur sur le
réceptionnaire seul et vrai débiteur. On n’a pas à craindre
qu’aucun des intéressés refuse d’échanger sa facture, car,
obligé de payer celle de son vendeur, la remise de sa facture
sur son acheteur est un mode de paiement fort avantageux,
puisqu’il le dispense de puiser dans sa caisse de quoi étein
dre son obligation. Si l’échange des factures n’aboutit pas,
chaque vendeur rentre dans ses droits contre son acheteur
et peut le contraindre à lui payer le prix stipulé entre eux.
L’échange des factures ne peut jamais fournir au réception
naire une fin de non-recevoir contre la poursuite du livreur,
pas plus que le retard que celui-ci aurait mis à réaliser cette
poursuite (‘). Ce retard ne peut être opposé au livreur que par
l’intéressé dont il aurait rendu nul et sans effet le recours qui
lui était acquis contre son acheteur, soit pour le prix intégral
(') Voir le n° 306.
A chats bt ventes
18
�274
ACHATS ET VENTES
du marché, soit pour la différence entre le prix de l’achat et
celui de la revente.
31 3. Enumérer une à une les conditions dont la vente est
susceptible était une tâche difficile pour ne pas dire impossi
ble. Justinien l’avait entreprise en voulant préciser les pactes
qui pouvaient suspendre, modifier ou résoudre la vente (*). Mais
sa nomenclature est loin d’être complète.
Notre législation n’est pas entrée dans ce détail, elle s’est
contentée d’indiquer le caractère que peut revêtir la condi
tion et d’en déterminer les effets. Elle ne s’occupe nommé
ment que de celles qui, par leur spécialité, pouvaient paraître
déroger aux principes généraux de la vente, et qu’il devenait
dès lors utile et nécessaire de réglementer. Dans les condi
tions suspensives, la vente au poids, au nombre ou à la mesure,
celle avec dégustation, essai ou arrhes ; dans les conditions
résolutoires, le pacte commissoire, la clause de réméré. Mais
dans l’une et l’autre catégorie les parties ont la plus entière
liberté et peuvent stipuler toutes les modalités qui leur parais
sent utiles ou convenables. C’est surtout de la vente commer
ciale qu’on peut dire qu’elle peut se plier à toutes les condi
tions, sans autres exceptions que celles qui résulteraient d’une
disposition de loi prohibitive, ou des exigences de l’ordre, de
la morale ou des bonnes mœurs.
3 1 4 . Ce qui est vrai pour la vente, ne pouvait pas ne pas
l’être pour la promesse. On ne saurait, en effet, contester au
promettant le droit absolu et illimité de subordonner son en
gagement à toutes les conditions que son intérêt ou ses conve
nances paraissent exiger.
Celui qui reçoit la promesse est à son tour libre de repous
ser les conditions, de les faire modifier, mais il ne peut jamais
isoler celle-ci de celles-là. L’acceptation de la promesse
entraînerait virtuellement celle de toutes les conditions qui
y auraient été apposées.
3 1 5 . La vente alternative ne saurait offrir de difficultés
que sur son caractère, et celui-ci reconnu et admis, que rela
tivement à la partie à laquelle le choix a été déféré, et aux
risques de la chose dans l ’intervalle du contrat à l’exécution.
(*)
Cod. de Partis, inter emp. et vendit.
�275
VESTE ALTERNAT!VE
Il est difficile de confondre la vente alternative de telle ou
telle chose avec la vente cumulative de l’une et de l’autre. La
disjonctive ou, écrite dans le contrat, lèverait toute difficulté.
Mais la vente n’est pas toujours constatée par écrit : et si
l’accord est verbal, l’une des parties soutiendra avoir traité
sous la conjonctive et, tandis que l’autre se prévaudra de la
disjonctive ou.
Il appartient au juge de résoudre cette difficulté. Un élé
ment essentiel résultera du prix stipulé. La vente sera décla
rée cumulative ou alternative' selon qu’il représentera la juste
valeur des deux choses, ou de l’une d’elles seulement.
Dans la vente alternative, la convention doit déterminer à
qui du vendeur ou de l’acheteur appartiendra le choix; dans
le silence de la convention, ce choix ne saurait être contesté
au vendeur : Si ita distrahatur ilia aut ilia res, utram eliget
venditor, hæc erit empta (*).
Quant aux risques, il n’y a pas à distinguer. Que le choix
ait été laissé au vendeur ou déféré à l’acheteur, le résultat
est le même. La chose qui périt la première, périt pour le
compte du vendeur, celle qui reste, demeure in obligatione,
et il est obligé de la livrerMais si celle-ci périt à son tour, ou si le même accident
les détruit l’une et l’autre, le vendeur est libéré de son obli
gation et l’acheteur reste débiteur du prixQ).
SECTION IV
DES OBLIGATIONS DU VENDEUR ET DE
§ I.
l ’a CIIETEUR
D es o b l i g a t i o n s d u v e n d e u r .
SOMMAIRE
316. Obligations du vendeur de livrer la chose. Quand doit-elle
être remplie?
317, Qualités que doit réunir la chose offerte. L’usage commercial
(*) L . 25, D ig. de Cont. empt,
{ ') L . 34, § 6, D ig . Ejusd. tit. P o th ie r, n° 3 1 3 . T ro p lo n g j n° 407.
�276
318.
319.
320.
321.
322.
323.
324.
325.
326.
327.
328.
329.
330.
331.
332.
333.
334.
335.
336.
337.
338.
339.
340.
ACHATS ET VENTES
de compenser certaines différences par une bonification sur
le prix ne doit pas être suivi d’une façon absolue. Excep
tions qu’il comporte. Jurisprudence.
Réfactions résultant de la loi des 13-20 juillet 1866.
Caractère de la délivrance. Peut être réelle ou virtuelle.
Difficultés que celle-ci peut offrir dans la vente d’une coupe
de bois.
Jugement du tribunal civil de Gray, et arrêt de la Cour de
Besançon, statuant entre deux acheteurs d’une même coupe.
Caractère juridique de ces deux décisions, préférant celui qui
a été mis le premier en possession.
De quels actes doit-on induire la tradition ou la mise en pos
session.
Importance de la tradition contre les créanciers du vendeur.
Peut résulter dans le commerce des bois de l’empilage et de
l’apposition de la marque de l’acheteur. Jurisprudence.
Lieu de la délivrance. La remise au commissionnaire de
roulage constitue-t-elle la tradition?
Doit-on distinguer le cas où le commissionnaire a été indi
qué par l'acheteur de celui où il a été choisi par le ven
deur? Raisons pour l’affirmative.
Réfutation.
Conclusion.
Temps et lieu de la délivrance prévus au contrat
L’obligation de livrer au lieu convenu est impérieuse et
absolue.
Effets du défaut de délivrance.
Une grève constitue-t-elle un cas de force majeure? Nouvelle
* jurisprudence qui l’admet.
.La force majeure empêchant la livraison à la date indiquée
ne résout pas le contrat, si cette date n’est pas une condi
tion substantielle.
De même l’augmentation des impôts et des droits de douane.
Délai dans lequel la délivrance doit être opérée après somma
tion. Gomment il se calcule. Dimanches et jours fériés.
Formes de la sommation.
La résiliation doit être prononcée en justice. Conséquences
fâcheuses admises par la Cour de Cassation.
La faculté d’accorder un délai édictée par l’article 1184 du
Code civil est-elle applicable à la vente commerciale ?
Conditions dans lesquelles elle pourrait être appliquée.
�OBLIGATIONS DU VENDEUR. DÉLIVRANCE
277
341. Caractère des arrêts de Bordeaux et d’Aix invoqués pour son
applicabilité.
342. Ne pourrait l’être lorsqu’il s’agit d’accorder un délai de grâce.
Pourquoi.
343. Ni lorsque le traité renferme la clause résolutoire expresse.
Arrêt contraire d’Aix.
344. Son caractère.
345. Cas où la clause expresse est facultative pour l’acheteur.
346. L’acheteur n’est pas tenu de mettre le vendeur en demeure
de livrer lorsque la clause expresse est formelle, ou qu’il
y a lieu à appliquer l’article 1146 du Code civil.
347. Droit de l’acheteur de demander sa mise en possession. Carac
tère et effet du jugement qui l’autorise.
348. Impossibilité de la mise en possession dans les ventes où la
chose n’est déterminée que par son espèce et sa quantité.
Différence à payer.
349. Mais l’acheteur est autorisé à demander son remplacement.
350. Celui-ci peut-il être accordé lorsque la chose devant être impor
tée, l’exportation a été prohibée par le gouvernement local.
Distinction.
351. Peu tse faire en une qualité similaire, si la chose vendue n’existe
pas sur le marché.
352. Effets du remplacement contre le vendeur. Quelle est la diffé
rence qu’il doit payer.
353. Jugement du tribunal de Marseille, admettant seulement la
différence entre le prix convenu et le cours du jour où la
livraison devait être effectuée.
354. Arrêt réformalif de la Cour d’Aix.Son caractère.
355. Comment s’opère le remplacement lorsqu’il doit se faire en cas
d’une baisse.
356. Jurisprudence du tribunal de commerce de Marseille.
357. Résumé.
358. L’acheteur qui s’est directement remplacé doit être intégra
lement remboursé de tout ce qu’il a payé, sans qu’on puisse
le soumettre au prix moyen du marché.
359. Quid s’il a acheté au delà du cours réel.
360. L’acheteur agira prudemment en sollicitant un remplacement
par autorité de justice.
361. Faculté pour le vendeur de faire une offre nouvelle avant que
le remplacement ait été opéré.
362. Le vendeur dont l’acheteur refuse de se livrer doit s’adres
ser au tribunal pour obtenir l’autorisation de vendre aux
�278
ACHATS ET VENTES
enchères publiques avec condamnation à la différence.
Une vente amiable ne serait pas opposable à l’acheteur.
Faculté pour l’acheteur de recevoir tant que la vente n’aurait
pas été effectuée.
363. Nécessité pour le vendeur d'individualiser la denrée offerte
s’il s’agit d’un objet certain.
36i. Marchandises vendues« au fu^et à mesure de la fabrication »
jusqu’à une date déterminée.
365. Clauses portant simplement « au fur et à mesure de ma fabrica"
tion » « livrable au fur et à mesure de mes besoins » « livra"
ble à ma demande ». Stipulation d’un délai.
366. Peut-on encore conclure à la résiliation après avoirdemandé
soit le remplacement si l’on est acheteur,soit la vente aux
enchères si l’on est vendeur ?
367. Le vendeur peut-il offrir une livraison partielle? Divisibilité
des ventes à livrer par fractions. Chaque livraison forme
en principe un contrat distinct.
368. Droit du vendeur qui a vendu au comptant, de ne livrer que
contre paiement du prix. Nature de ce droit.
369. Si la vente est à terme, la livraison est forcée, à moins de
déconfiture ou de faillite de l’acheteur.
370. Le cautionnement du prix entraînerait dans ce cas la néces
sité de la livraison.
371. Le droit d’exiger ce cautionnement est perdu s’il y a eu tra
dition réelle ou feinte.
372. Arrêt de la Cour de Cassation dans ce sens.
373. Le vendeur doit posséder la chose vendue au moment fixé
pour la délivrance. Par sa sommation le vendeur se met
virtuellement en demeure de livrer.
374. Prorogation des marchés à livrer par quantités échelonnées
dans le silence des parties.
Cumul des livraisons partielles au jour delà dernière échéance.
Application équitable de cette règle.
374 bis. Droit du vendeur à la résiliation lorsque l’acheteur ne
commence pas la réception réellement dans les vingt-qua
tre heures de la sommation.
375. Vendeur à livrer dans le courant d’un mois déterminé. Livrai
son sur sommation le mois suivant.
376. Le vendeur-ne peut dénoncer le marché en offrant la diffé
rence au jour de sa déclaration.
377. Quantité vendue. Clause « environ ».
378. Le vendeur garantit les troubles et évictions.
�OBLIGATIONS IIU VENDEUR. DÉLIVRANCE
279
379. Les défauts cachés et les vices rédhibitoires.
380. Le déficit sur la quantité constitue-t-il un vice caché? Non,
d’après la Cour de Bordeaux.
381. Il motive au moins une diminution proportionnelle du prix.
382. L’arrêt de Bordeaux se justifie seulement en fait. Sa cri
tique.
383. Applicabilité en principe au déficit de l’article 1641.
384. Inapplicabilité des articles 105, 106 et 435 du Code de com
merce entre vendeurs et acheteurs.
385. Quid des taches et trous pouvant déprécier la marchandise.
386. Effets de l’existence du vice caché. Articles 1644 et 1648.
Délai.
387. Ventes et échanges d’animaux domestiques. Maladies conta
gieuses et vices rédhibitoires. Lois des 2 août 1884,21 juin
1898 et 23 février 1905. Code rural.
388. Quelles maladies sont contagieuses. Dispositions du Code
rural. Prescriptions de police.
389. L’énumération de la loi est limitative. Nullité de la vente
d’un animal infecté, même si le vendeur est de bonne foi.
Il peut seulement être exonéré de dommages-intérêts.
390. La nullité doit être prononcée si l'animal a été enfoui et non
séquestré.
391. C’est à l’acheteur à prouver la maladie.
392. La prescription de quarante-cinq jours peut être interrompue
d’après les règles ordinaires.
393. Vices rédhibitoires. Enumération limitative.
394. Dérogations facultatives et cas de dol réservés. Mais l’ache
teur doit prouver la dérogation. Faculté pour l’acheteur
de ne demander qu’une bonification.
395. Ces règles sont applicables aux animaux vendus pour la bou
cherie. Usages contraires.
396. Délai de l’action. Expertise. Mort de l’animal. Litiges infé
rieurs à 100 francs.
397. Action régulièrement intentée.Existence de la maladie.Pré
somption juris et de jure.
398. Ventes successives. Délai.
399. Les clauses simplement extensives de la garantie ne s’éten
dent pas au délai.
400. Applicabilité des articles 1642 et 1643 du Code civil.
400 jbis. Compétence des tribunaux de commerce.
400 ter. Loi du 8 déc. 1907. Vente des engrais.
�280
ACHATS ET VENTES
316; Nous avons examiné, en suivant l’ordre du Code civil,
les obligations et les droits des parties contractantes à l’oc
casion de certaines ventes spéciales. Il nous reste à étudier
ces obligations d’une façon générale enprécisant les règles
applicables à toutes les ventes, sauf convention contraire.
Le vendeur a deux obligations principales : celle de déli
vrer et celle de garantir la chose qu’il vend (art. 1603, C. civ.).
Voyons comment dans la pratique elles sont accomplies et
précisons les obligations accessoires qui ont toutes leur racine
dans ces engagements primordiaux (‘).
31 7. Le vendeur ne remplit sa première obligation que si la
chose par lui offerte réunit toutes les qualités stipulées par l’a
cheteur et en vue desquelles il a traité. Mais le développe
ment et la sécurité des transactions commerciales, la nécessité
de se prémunir contre la mauvaise foi d’un acheteur qui dès
la baisse venue saisirait le moindre prétexte pour réclamer
l’annulation d’un contrat onéreux, ne permettent pas de faire
dépendre cette annulation de la moindre différence entre la
chose promise et la chose livrée. Ona pensé avec raisonque l’a
cheteur n’achetant que pour s’assurer un bénéfice provenant
d’une revente, il suffirait dahs la plupart des casque le ven
deur abandonnât une fraction du prix équivalente à la moinsvaluedelachoseolferte. L’acheteur tirera certaine ment un prix
inférieur de la revente, il fera un bénéfice moindre: mais que
luiimporte puisqu’ilrécupérerasur sonpropre vendeur le com
plément du gain espéré ?
Le marché, dans ce cas, aura produit le résultat envisagé à
l’origine. De même si un agriculteur achète un engrais ne contenantpas la quantité voulue dematières fertilisantes, aura-t-il
le droit de se plaindre, si cet engrais étant utilisable dans une
mesure presque complète, le vendeur lui remet le prix de la
substance faisant partiellement défaut pour qu’il puisse ainsi
la compléter sans bourse délier?
Sauf en matière de vente sur échantillon (supra, 174 ets.),
c’est là un usage certain: mais pour son application il faut
que la différence reprochable se renferme dans certaines limi(*.) S u p r a , fonds de commence, n° 19, brevets, n- 197.
�281
tes. On ne doit pas imposer à l’acheteur une réception, même
avec réfaction ou bonification (les deux expressions sont em
ployées communément l’une pour l’autre) lorsque ladifférence
dépasse une juste proportion et qu’il ne pourrait faire servir
la chose à l’usage auquel il la destinait ou même si la revente
en était particulièrement difficile.
La pratique commerciale ne pouvait se tromper sur l’énor
mité d’un pareil résultat. Elle ne pouvait le tolérer. Outrant
même l’application d’un principe éminemment juste, la Cour
de Rouen a jugé « que si dans certaines circonstances où
l’équité domine, et pour certaines marchandises qui, comme
celles de la cause (graines de trèfle), n’ont pas été vendues sur
échantillon, les usages du commerce permettent de ne pas
appliquer avec rigueur les principes du contrat synallagma
tique, et si l’on peut chercher alors dans ces usages, quand
ils sont certains, généraux et invariables, l’interprétation de
la volonté des parties qui ont traité sous l’influence d’usages
qui leur étaient bien connus, la justice ne peut, en l’absence de
tout usage ayant les caractères ci-dessusspécifiés, refuser à un
acheteur l’application rigoureuse des principes qu’il réclame »
et a prononcé parsuitelarésiliationcontrele vendeur (IBjanv.
1845, J. P. 45.1.271).
Si la doctrine de cet arrêt était suivie, il faudrait en con
clure que l’acheteur ne peut être contraint de recevoir avec
bonification qu’au cas où le vendeur prouve l’existence de
l’usage et son étendue par rapport à l’objet vendu, usage qui
doit être général. Mais aujourd’hui on admet que les tribu
naux auront à appliquer les usages de la place où le marché
. aété conclu, et, à défaut d’usages bienprécisés, à juger d’après
ce qui leur paraîtra équitable (Bordeaux, 5 avril 1897, G.P.T.
97-902, v° Vente comm., n° 132).
Certains tribunaux ont d’ailleurs limité cette faculté d’ap
préciation de façon à lui enlever toute nocuité, en décidant
que la bonification n’est imposée qu’au-dessous d’une certaine
limite. Ainsi la résiliation doit toujours être prononcée lorsque
la bonification à allouer dépasse 5 0/0 (Mars., 20 déc. 1899, M.
1900.1. 95. — Aix, 8 août 1872, J. P. 73. 1088 et 20 déc. 1905.
Dans ce dernier arrêt la Cour déclare que la règle constamment
OBLIGATIONS DU VENDEUR. DÉLIVRANCE
�282
ACHATS ET VENTÉS
observée est qu’il y a lieu à laisser pour compte toutes les fois
que le défaut de qualité de la marchandise dépasse le 5 0/0).
11y aurait en tous cas lieu à résiliation si on atteignait le 10 0/0
(Havre, 11 av. 1899, G.P.T. 1897-1902, v° Vente com., n° 134).
Pourtant quelques Cours semblent proclamer leur pouvoir illi
mité d’appréciation (Montpellier,25 mai 1895, G.P. 95.1.778.
— Toulouse, 29 oct. 1902,G.P. 1902.2. 632; de même Nantes,
17 déc. 1890, R.D.M. 6.679). LaCour de Cassation admet que ce
sont là des questions de fait abandonnées en dehors de son
contrôle à/Parbitraire des tribunaux, qui pourront apprécier
en toute liberté les espèces à eux déférées.
3 1 8. La loi du 15-20 juin 1866 (supra, nos 74 et suiv.) a pré
cisé les réfactions obligatoirespour une série de marchandises,
sauf convention contraire (fanons do baleine, 2 0/0 pour bar
bes et crasses, nitrates de potasse et de soude pour corps étran
gers au delà de 4 0/0 au titrage, poivre ou cubèbepour lapousse
lorsqu’elle excède 2 0/0, etc.).
3 1 9 . Lalivraison opère le transport de la chose vendue en
la possession et puissance de l’acheteur (art. 1604, C, civ.).
Elle s’opère ou par la tradition réelle ou par la remise des
clefs du bâtiment qui la contient, ou même par le seul consentemeiyf si le transport ne peut s’en faire au moment de la
vente, ou si l’acheteur l’avait déjà en son pouvoir à un autre
titre (art. 1610). La loi met donc sur la même ligne la tra
dition matérielle et effective et la tradition feinte, virtuelle et
intellectuelle.
L’article 1610 n’a d’ailleurs rien de limitatif. 11 faut y ajou
ter tout acte permettant à l’acheteur de se mettre en pos
session et enlevant au vendeur le moyen de s’y maintenir.
Par exemple la remise des titres bien qu’elle ne soit men
tionnée dans l’article 1605 qu’en ce qui a trait aux immeubles.
Il est courant que le vendeur accomplit son obligation parla
remise à l’acheteur du bulletin ou récépissé constatant le
dépôt des marchandises vendues dans un dépôt public, l’en
dossement d’un connaissement à ordre ou la remise s’il est au
porteur, celle de la lettre de voiture, d’un ordre de livrai
son, etc., etc.
3 2 0 . Aucun doute ire saurait s’élever dans l’hypothèse de
�283
la remisç des clefs des magasins ou dépôts, non plus que
dans celle où l’acheteur étant déjà nanti, le contrat vient
fixer le titre en vertu duquel il possédera désormais.
Mais d’où résultera la tradition, et à quelles conditions de
vra-t-on l’admettre lorsque la chose n’est susceptible, au mo
ment de la vente, ni de transport réel, ni de transport fictif,
par exemple la vente d’une coupe de bois non encore détachés
du sol?
L’intérêt qui s’attache dans ce cas à la solution est surtout
saisissable si le propriétaire ayant vendu deux fois la même
coupe, il s’agit de décider lequel des acquéreurs doit être ad
mis à l’exploiter.
Dans une espèce de ce genre, l’acheteur, second en date,
soutenait que dans tous les cas, ayant été mis en possession,
il avait par cela même acquis la propriété. 11 faisait résulter
sa possession de ce qu’il avait commencé l’exploitation, éta
bli un garde-vente, payé les impositions.
Tout cela, répondait le premier acheteur, ne peut exercer
aucune influence, ce n’est qu’en matière de meubles que la
possession vaut titre. Or il résulte de l’article 521 du Gode
civil que les coupes ordinaires de bois taillis ou de futaie mis
en coupes réglées ne deviennent meubles qu’au fur etàmesure
que les arbres sont abattus. Dès lors la propriété en est trans
férée par le titre seul, d’autant plus qu’il ne peut exister d’au
tre mode de tradition, dès lors aussi le titre le plus ancien en
date doit l’emporter.
3 2 1 . Le tribunal de Gray et, sur l’appel, la Cour de Besan
çon repoussent cette prétention. Le jugement, confirmé avec
adoption des motifs, considère qu’une coupe de bois taillis en
usance est un objet purement mobilier, surtout dès que le bois
a acquis l’âge de l’exploitation ; c’est un fruit qui est meuble
par sa nature et sa destination ; qu’il reste tel surtout dès que
le propriétaire en dispose séparément du fonds; que son im
mobilisation est une exception à sa nature, et n’a lieu que
dans le cas où sa propriété est confondue avec celle du sol
dans une même personne, ou dans une même hérédité ; que
c’est dans le cas seulement où la disposition du sol entraîne
celle des fruits que l’article 521 est applicable ; mais que si ce
OBLIGATIONS I)U VENDEUR. DÉLIVRANCE
�284
ACHATS ET VENTES
fruit est séparé du sol par une disposition du propriétaire, la
fiction cesse et le fruit doit être considéré comme un meuble
suivant son état naturel.
Cette appréciation fut déférée à la Cour de Cassation comme
violant les articles 520 et 521 du Code civil. Mais loin de l’ad
mettre ainsi, la Cour, par arrêt du 21 juin 1820, déclare qu’il
en a été fait une juste, une exacte application, par la raison
que l’interprétation qui en avait été consacrée était juridique
et seule admissible.
« Attendu, dit la Cour suprême, que les dispositions des ar
ticles 520 et 521 du Code civil étant conformes à celles de plu
sieurs coutumes, et notamment à l’article G2 de celle de Paris,
lequel réputait immeubles les bois sur pied, récoltes pendan
tes par racines et les fruits attachés aux arbres, ne peuvent re
cevoir de plus saines application et interprétation que celles
qui résultent de la doctrine presque générale des auteurs les
plus estimés, et de la jurisprudence qui avaient restreint l’ap
plication de ces dispositions au seul cas où il s’agissait de régler
les droits des propriétaires, des usufruitiers ou des héritiers
entre eux ».
322. Cette interprétation doctrinale des articles 520 et 521
soustrait à leur empire les débats que fera naître la coexistence
de deux ventes delà même coupe. Le droit des acheteurs doit
donc se régler par le droit commun en matière de ventes mobi
lières. Or, on sait que pour ce qui les concerne, non nudis pactis, sed traditionibus dominia transferuntur.
Dans le système contraire, il faudrait, pour être conséquent,
soutenir que la vente d’une coupe de bois devait être transcrite
et en subordonner l’efficacité, à l’égard des tiers, à l’accom
plissement de cette formalité. Or,personne, que nous sachions,
n’a jamais songé à soutenir cette exigence, et moins encore à
y satisfaire dans la pratique.
Mais alors, comment une vente qui ne reçoit aucune publi
cité légale pourrait-elle être un titre suffisant pour celui qui
l’a tenue secrète contre celui qui, ayant acheté la même coupe,
s’en est publiquement et ostensiblement mis en possession ?
Il ne peut exister de controverse sérieuse sur le principe.
�OBLIGATIONS DU VENDEUR.' DÉLIVRANCE
285
On ne peut prévoir des difficultés que sur les conditions aux
q u elles on devra reconnaître l ’entrée en p ossession ?
323. Or, à défaut de titre, dans l ’im possib ilité de rencontrer
une tradition réelle de la m ain à la m ain, on s'attachera à l ’ex é
cution que la vente a reçue.
A insi, dans l ’esp èce, c’est à bon droit que le tribunal de Gray
et la Cour de B esançon faisaient résulter la prise de posses
sion par le second acheteur de l ’établissem ent d ’un garde, du
paiem ent des im positions et surtout du com m encem ent d ’ex
ploitation déjà opérée au m om ent de la revendication du pre
m ier acheteur, sur une étendue de 13 hectares.
Que pouvait faire d é p lu s et de m ieux le second acquéreur,
alors surtout q u ’il ne rencontrait ni opposition ni réclam a
tions ? E tait-il p ossib le d ’adm ettre qu’en agissant ainsi, le se
cond acheteur n ’avait acquis que la p o ssessio n des arbres abat
tus et non celle de ceux qui étaient encore debout ?
Mais l ’abatage, quelque m inim e qu’il eût été d ’ailleurs, ne
pouvait être iso lé de la cause qui en donnait le droit, cette
cause n ’était autre que la vente qui portait in d ivisém en t sur
toute l ’étendue ind iq uée au contrat. Il n ’était donc pas p o ssi
ble d ’en scinder l ’effet, son in d iv isib ilité rejaillissait sur l ’exé
cution qui lu i était donnée, et qui était la preuve et la con
firm ation de la ven te.
A lui seu l le com m encem ent de l ’exploitation était donc dé
cisif. Il était, de la part du Arendeur qui l ’avait autorisé, la tra
dition réelle et effective ; de la part de l ’acheteur, une prise de
possession qui devait le faire préférer, m algré la postériorité
de son titre, aux term es de l ’article 1141 du Code civil.
3 2 4 . La qu estion de savoir s’il y a eu ou non tradition et
prise de p o ssessio n n ’est pas seulem ent u tile pour déterm iner
le droit entre acheteurs, elle peut, dans d’autres circonstan
ces, offrir un intérêt aussi actu el, aussi considérable.
L’actif du debiteur est le gage de tous ses créanciers. La sai
sie faite par l'un d’eux com prendrait évidem m ent tout ce qui
serait en la possession du déb iteu r,et par conséquent les cho
ses qu’il aurait vend ues, m ais non encore liv rées, soit réelle
m en t, so it fictivem ent.
A insi, dans l ’espèce que nous venons d’exam iner, la saisie
�du sol aurait porté sur les arbres qui y auraient étéradiqués.
Mais la certitude de la tradition, qui ferait préférer le second
acheteur, aurait légitimé et fait accueillir la demande en dis
traction de la coupe vendue.
325. L’acheteur a donc, dans tous les cas, le plus haut inté
rêt à établir qu’il y a eu livraison. Cette preuve n’est pas tou
jours facile. 11 est, en effet, des marchandises qui, ne pouvant
être livrées de la main à la main, sont insusceptibles également
d’un emmagasinage, permettant leur tradition fictive.
On a donc dû, par respect pour les droits légitimes, dans
l’intérêt du commerce, considérer certains actes comme cons
tituant celle-ci et en produisant les effets.
Nous avons déjà examiné et résolu la question desavoir si
l’apposition de la marque de l’acheteur sur la chose vendue
constituait la prise de livraison, en nous prononçant pour l’af
firmative, même pour les choses sujettes à dégustation (sitprà
n* 153).
A plus forte raison l’admettrions-nous ainsi pour les mar
chandises qui, en fait, ne comportent pas d’autres modes de
livraison et de réception,par exemple les bois et poutres dont
l’enlèvement exige un certain temps.
Il est impossible d’admettre que l’acheteur n’ait pas le moyen
d’établir son droit, et de se le conserver dans l’intervalle entre
la conclusion du marché et son exécution effective. Or,de tous,
le plus énergique n’est-il pas l’apposition de sa marque ?
Le doute ne pouvait exister, et n’a jamais existé. La contro
verse qui s’élevait en droit romain sur l’effet de cette appo
sition dans l’hypothèse de choses sujettes à dégustation, ne
s’était jamais étendue au delà, et la règle tracée par le juris
consulte Paul, consistant à considérer comme livrées trabes
quas emptor signasset, était unanimement admise.
Cette doctrine, dont la rationalité résulte de la nature des
choses elles-mêmes, a été consacrée par la pratique commer
ciale. Cette pratique constituant l’usage, s’imposait aux tribu
naux qui n’ont pas hésité à l’accueillir. Aussi, la Cour de Dijon
et avec elle la Cour de Cassation jugeaient-elles que la tradi
tion réelle résulte suffisamment, dans le commerce des bois,
de l’empilage fait par l’acheteur et de l’apposition desamar-
�287
que sur les bois vendus gisant encore sur le terrain (Cass.,
13 janv. 1828, D.R., v° Vente, n° 617). La Cour de Dijon a jugé
que le martelage ne peut pourtant pas être considéré comme
une mise en possession alors qu’il a été accompli dans des con
ditions telles que les tiers ont dû y voir plutôt une opération
préliminaire de la vente de la coupe, que la prise de possession
delà coupe déjà vendue (28 mars 1876, D.78.2.261). Cet arrêt,
justifié par des constatations de fait, ne contredit pas le prin
cipe posé.
326. L’article 1247 du Code civil relatif au paiement porte
que « le paiement doit être exécùté dans le lieu désigné par la
convention. A défaut de désignation,lepaiementlorsqu’il s’agit
d’un corps certain et déterminé doit être fait dans le lieu où
était, au temps de l’obligation,la chose qui en fait l’objet. »Ap
pliquant le principe ainsi posé à la vente,l’article 1609 dispose
que « la délivrance doit se faire au lieu où était au temps de la
vente la chose qui en fait l’objet s’il n’en a été autrement con
venu. » L’usage procédant de ces règles veut que la déli
vrance s’opère au domicile du vendeur, à moins qu’expressément ou tacitement, les parties n’aient manifesté une intention
contraire. Au cas où elles habitent dans des lieux différents,
leur volonté est réputée favorable à la livraison à ce domicile
(L,R., n° 108). C’est ainsi que lorsqu’une vente à livrer est
conclue avec la clause rendu parité dans telle ville, cette
clause donne à l’acheteur le droit de désigner comme gare
de destination toute gare à son choix et c’est au domicile du
vendeur que s’opère la livraison conformément aux articles
1247 et 1609 du Code civil (Douai, 2 juillet 1908. G. P. 1908.
2.370 et la note).
D’après l’article 100 du Code de commerce «la marchandise
sortie des magasins du vendeur ou de l’expéditeur voyage, s’il
n’y a convention contraire, aux risques et périls de celui à qui
elle appartient, sauf son recours contre le commissionnaire et
le voiturier chargé de transport. » Il en résulte que la remise
de la chose vendue au commissionnaire chargé delà transpor
ter équivaudra à la tradition effective en faveur de l'acheteur
toutes les fois que conformément à la règle générale, la chose
sera livrable au domicile du vendeur. Si au contraire il a été
OBLIGATIONS DU VENDEUR. DÉLIVRANCE
�488
ACHATS ET VENTES
convenu que la livraison sera effectuée au domicile de l'ache
teur, la marchandise n’étant alors confiée au commissionnaire
qu’en exécution de l’obligation prise par le vendeur delà faire
parvenir à sa destination, la livraison n’en sera effectuée que
par la mise à la disposition du destinataire à l’arrivée.
3 2 7 . On a essayé à ce sujet de distinguer. Il y a livraison, at-on dit, lorsque le commissionnaire recevant la marchandise
a été choisi et indiqué par l’acheteur ; non, dans l’hypothèse où
le choix en a été laissé, et a été fait par le vendeur. Dans ce der
nier cas, en effet, c’est ce dernier qui emballe la marchandise
et traite avec le commissionnàire qu’il charge de la transpor
ter; seul il est responsable de l’emballage etdel’expédition.La
vente rte peut donc être parfaite et consommée que du jour de
l’arrivée de la marchandise. C’est ainsi qu’aux termes de l’arti
cle 101 du Code de commerce la lettre de voiture formeuncontrat entre l’expéditeur et le voiturier seuls, et non entre ce der
nier et le destinataire; c’est ainsi encore qu’en cas de faillite
l’expéditeur peut revendiquer la marchandise tant qu’elle n’est
pas entrée dans les magasins du failli; preuve quejusqu’àcetinstantla propriété réside toujours enla personne de l’expéditeur.
3 2 8 . Il est impossible, en raison comme en droit, de recon
naître à ces arguments un caractère sérieux.
Lorsqu’on achète ailleurs qu’à son domicile, et. qu’on ne sti
pule pas que la marchandise y sera livrée, faut-il bien qu’elle y
parvienne cependant. Or,dans ce cas,la marchandise sortie des
mains du vendeur est aux risques de l’acheteur, et cela seul
prouve que la propriété en a été transférée.
Le mode de transport, le choix de la personne par l’intermé
diaire de laquelle il doit s’opérer, est un droit que personne ne
contestera à l’acheteur, mais il peut renoncer à l’exercer, s’en
remettre à un mandataire, et c’est ce qu’il fait réellement lors
qu’il refuse ou omet de faire connaître ses intentions.
Dès lors, si le vendeur répond encore de l’emballage et de
l’expédition, c’est non comme propriétaire, ilne l’est plus ; mais
parce que, volontairement constitué mandataire de l’acheteur,
il garantit l’exécution du mandat et accepte la responsabilité
de la négligence, de l’imprudence et à plus forte raison des fau
tes qu’on aurait à lui reprocher.
�280
OBLIGATIONS OU V E S W S IU » . DÉLIVRANCE
Ainsi ou l’acheteur aura désigné le commissionnaire,ou il se
sera contenté de donner l’ordre d’expédier. Comme cet ordre
exige l’intervention d’une tierce personne, il suppose le pou
voir de l’élire. Conséquemment le vendeur n’est plus en réalité
qu’un mandataire, et ce qu’il fait en cette qualité est réellement
tait par l’acheteur lui-même: Quis mandat ipse fecissevide tur ('■ ).
Il est vrai que l'article 101 du Code de commerce déclare la
lettre de voiture un contrat entre l’expéditeur et le voiturier. Il
ne pouvait en être autrement. Dans l’origine, le voiturier ne
traite pas avec le destinataire qui ne figure point au contrat, qui
ne sera tenu de rien s’il refuse de recevoir. Dans la prévision de
ce refus, il fallait que le voiturier pût demander son paiement
à quelqu’un, et ce quelqu’un ne pouvait être que l’expéditeur.
Voilà ce que l’article a voulu consacrer et consacre.
Mais contrat entre celui-ci et le voiturier,la lettre de voi
ture est destinée à revêtir ce caractère entre le voiturier et le
destinataire. Si celui-ci accepte et reçoit la marchandise, il est
lié et tenu de payer le voiturier; les indications de la lettre
de voiture, quant au prix du transport, au délai du voyage,à
la retenue en cas de retard, deviennent la loi en sa faveur et
contre lui, comme en faveur et contre le voiturier (3).
Enfin si la lettre de voiture est un contrat avec l’expédi
teur, c’est non pas parce que celui-ci est propriétaire de la
chose remise au voiturier, mais uniquement parce qu’il en est
l’expéditeur ; qu’il a traité en son nom quoique pour le compte
<l'un tiers auquel il demandera raison de ce qu’il a dû payer
au voiturier. Le commissionnaire n’a jamais été propriétaire
de ce qu’il expédie en cette qualité, en sera-t-il moins tenu
envers le voiturier s’il a souscrit 1a. lettre de voiture ?
Quant à l’argument tiré de la faculté de revendiquer la mar
chandise encore en voyage, en cas do faillite de l’acheteur,
il ne saurait avoir aucune portée. Cette faculté existe aussi bien
dans le cas où le commissionnaire a été choisi par l’acheteur
que dans celui où il a été choisi par le vendeur. Or, on recon
naît que dans le premier la propriété a été transférée, et si ce
(’) P a ris , 18 m a rs 1829. B e sa n ç o n , 25 m ai 1904. J . , T . C . 55, 16937, C onf.
Supra 125 1er.
(s) N o ire c o m m , de l’a r t. 101.
A chats et v en tes
10
�290
ACHATS ET VEATES
transfert n’est point un obstacle à la revendication, c’est que
celle-ci est indépendante des effets attachés à la vente, elle
suppose même que celui qui l’exerce a perdu la propriété. On
ne revendique en effet que ce qui a cessé de nous appartenir.
Pourquoi demanderait-on la restitution d’une propriété qu’on
n’aurait jamais ni aliénée ni perdue.
Au reste la faculté de revendiquer n’existe que si la mar
chandise en cours de voyage n’a pas été revendue sur factures,
connaissements ou lettres de voiture. En autorisant et en vali
dant cette revente, la loi a explicite ment reconnu que l’acheteur
était propriétaire de la marchandise expédiée, et l’article 570
du Code de commerce ne distingue nullement l’expédition faite
par le commissionnaire désigné par l’acheteur de celle faite
par le commissionnaire du choix du vendeur. ,
329. Nous persistons donc à croire que la désignation du
commissionnaire ne peut exercer aucune influence sur la ques
tion de savoir si la remise en ses mains de l’objet vendu
équivaut à la tradition. Cette question ne peut être tranchée
que par la stipulation du contrat relativement au lieu où de
vait se faire la délivrance. Si la marchandise était livrable
au domicile de l’acheteur, la tradition ne pouvant avoir lieu
qu’après son arrivée, on consacrera la négative. L’affirmative
serait de rigueur si l’absence de toute stipulation, ou une sti
pulation expresse, fixait le lieu de la livraison au domicile
du vendeur. La Cour d’Aix (11 décembre 1871 et sur pourvoi
Cass., 7 mai 1872 (M. 72.1.6 et 73.2.147) ont paru discéder
de ces principes. Elles ont admis que le siège de Paris et la
cessation des communications en résultant ont constitué un
cas de force majeure entraînant la résiliation d’une vente de
produits manufacturés faite par un fabricant de province à un
acheteur de Paris, et qu’en conséquence un marché de farines
livrables en gare de Marseille devait être résilié.
La Cour d’Aix précise, il est vrai, que les parties avaient eu
en vue en contractant l’approvisionnement de Paris, résultat
devenu impossible. Mais en quoi cela importait-il puisque la
livraison avait été faite régulièrement, à l’époque voulue, à la
gare indiquée. Le motif n’eût été déterminant que si la vente
avait été subordonnée à la condition que les farines arriveraient
�291
assez à temps à Paris pour y être utilisées. A défaut le ven
deur soutenait avec raison cpi’ayant livré aux temps et lieu
voulus, il n’était pas tenu des événements ultérieurs (Voir la
critique énergique et très sensée de ces arrêts, II. p. 90-97).
330. La délivrance est l’exécution de la vente ; à ce titre, et
sauf quelques cas exceptionnels, elle ne pourrait impunément
être refusée par le vendeur. Lorsque le temps et le lieu où
elle doit être effectuée ont été convenus, ces précisions s’im
posent aux parties ; à leur gré et suivant leurs convenances,
ce lieu peut être le domicile du vendeur ou celui de l’acheteur,
ou ni l’un ni l’autre (suprà, n" 320).
Il peut arriver, en effet, que l’acheteur n’ait traité que pour
se procurer ce cpi’il a déjà vendu, et ce qu’il doit livrer dans
un lieu convenu.il est naturel, en ce cas, qu’en contractant
l’achat, il en stipule la livraison au lieu où il a besoin de
faire arriver la chose qui en fait la matière. C’est là une éco
nomie de temps et de frais qu’un commerçant intelligent ne
manquera pas de se ménager.
Dans d’autres circonstances, l'acheteur qui n’a pas encore
revendu peut avoir l’intention de le faire sur telle ou telle
place, en conséquence se réserver la faculté d’indiquer ulté
rieurement le lieu où devra se faire la livraison. Il importe
que la désignation soit faite assez à temps pour que la mar
chandise arrive et soit livrée au jour convenu, à défaut et
l’échéance arrivée, le vendeur pourrait contraindre à prendre
livraison à son domicile.
331. L’obligation de livrer au temps et au lieu convenus
est impérieuse et absolue. Le vendeur,comme l'acheteur, est
fondé à exiger son exécution stricte. Le contraire a été sou
tenu en faveur des acheteurs. II était allégué, en leur nom,
que la clause stipulant la livraison franco à leur domicile
avait été insérée dans leur seul intérêt, qu’ils avaient par con
séquent le droit d’y renoncer et de réclamer la livraison au
domicile du vendeur, celui-ci pouvant d 'autant moins se plain
dre qu’il économisait ainsi les frais de transport. Accueilli par
la Cour d’Aix(2“Chambre,par un arrêt du 17 novembre 1903)
ce système fut définitivement rejeté par elle, (1” Chambre),
ultérieurement. Un second arrêt du 8 novembre 1905 adopta
OBLIGATIONS DU VENDEUR. DÉLIVRANCE
�21)2
ACHATS ET VENTES
les motifs d’un jugement de Marseille du 17 novembre 1904
(M. 1906.1.184) proclamant que « la clause (de livraison en
milieu déterminé) peut aussi bien être stipulée dans l’intérêt
du vendeur que dans celui de l’acheteur, il arrive constam
ment, dans la pratique des affaires,qu’un vendeur pour faire
connaître ou prendre sa marque dans une région déterminée
où il a à lutter avec des concurrents, consent aux acheteurs
de cette région des prix plus bas que ceux qu’il fait habi
tuellement à ses acheteurs sur place ; qu’il ne saurait donc
appartenir à l’acheteur d’une marchandise vendue franco gare
d’Alais de changer à son gré les conditions du marché en im
posant à son vendeur une livraison à Marseille, et que la clause
d’un marché fixant le lieu de la livraison est une des condi
tions substantielles des accords à laquelle il n’est permis à
aucune des parties de déroger sans le consentement de l’au
tre. »Ces raisons sont décisives. On pourrait encore y ajouter
que fréquemment un fabricant veut se réserver la clientèle
du lieu où fonctionne son usine, où est installée sa maison,
et ne peut pas être présumé avoir voulu se créer une con
currence à lui-même, par ses propres produits, en livrant à
des intermédiaires de la place à un prix leur permettant de
les revendre aux détaillants meilleur marché que ce qu’il leur
compte lui-même;
Dans le même ordre d’idées, il a été jugé que le vendeur
sous palan ne serait pas admis à offrir une marchandise mise
à quai (Mars., 19 janv. 1897,M. 97.1.123).
3 3 2 . L'inobservation de son obligation, ou le retard que met
trait le vendeur à son accomplissement confère àl’acheteur le
droit de demander, à son choix, la résiliation de la vente ou
sa mise en possession s’il s’agit d’un corps certain et déterminé;
l’autorisation de se remplacer, en cas contraire, en espèce et
quantité [infra, nos 349 et suiv.).
L’article 1610 du Code civil met une condition à l’exercice
de ce droit, à savoir : que le retard ne vienne que du fait du ven
deur. Larésiliation ouleremplacementmettra le vendeur dans
la nécessité de payer-une différence ; la mise en possession en
traînera elle-même l’obligation de réparer le préjudice que le
retard aura occasionné. C’est donc, danstouslcs cas, une peine
�293
qn’il s’agit d’infliger. Or, une peine n’est juste que lorsqu’elle
est méritée, et elle n’est méritée que lorsqu’elle est la consé
quence d’une faute, d’une négligence, d’une imprudence ; on
la comprend si le vendeur n’a pas fait, en temps opportun,
-ce qu’il devait faire, ou s'il anégligé les précautions et les soins
qu’exigeaient la sécurité et, la rapidité du voyage que la chose
vendue devait accomplir.
11 était donc rationnel d’en exempter celui cjui, sans repro
che à cet égard, ne subit que l’effet d’une force majeure qu’il
lui était impossible de prévoir et d’empêcher. Cette consé
quence, qui s’induisait d’ailleurs des articles 1610et 1148, aété
•enseignée par les auteurs, consacrée par la jurisprudence. Ainsi
la Cour de Cassation jugeait, le 8 octobre 1807, que le défaut
de délivrance au terme convenu peut ne pas donner lieu à la
résiliationde la vente, lorsqu’il est constant que la délivrance
n’a été retardée que par une cause indépendante de la volonté
du vendeur (Troplong, n° 294).
Mais le vendeur excipant de la force majeure pour repous
ser l’action de l’acheteur est tenu d’enjustifier. Or, comme nous
l’avons déjà indiqué, la force majeure dépend moins delà ma
térialité de l’obstacle que de la cause à laquelle on doit l’attri
buer. Si l’événement n’est pas purement accidentel, s'il a pu
être prévu, le vendeur a tort de ne pas l’avoir pris en considé
ration, et de n’avoir pas calculé son obligation sur l’éventua
lité qu’il créait.
C’est ce que décidait le tribunal de commerce de Marseille
•lorsque, le 20 février 1860, il résiliait la vente parce que le
navire désigné n’était pas arrivé àl’époquc que le vendeur avait
garantie (supra, n” 244).
Une autre application du principe nous est fournie par un
arrêt de Paris du 24 janvier 1811, jugeant que le négociant
qui, en vendant des marchandises, s’est engagé à les livrera
une époque fixe, ne peut s’excuser, sur la difficulté des routes,
de n’avoir pas rempli son obligation ; qu’en conséquence, le
défaut de délivrance au jour convenu donne lieu à la résilia
tion avec dommages-intérêts.
Certes, la difficulté de parcourir la route que doit suivre la
chose vend ue pour arriver au lieu de la livraison est un obstacle
OBLIGATIONS BU VENDEUR. DÉLIVRANCE
�294
ACHATS ET VENTES
matériel devant ralentir et retarder le voyage,mais elle pouvait
être vaincue par l’augmentation des moyens de traction, ou en
réalisant plus tôt l’expédition.
Dans tous les cas, les chances ordinaires de la navigation,
les difficultés de la route ne sont et ne peuvent être ignorées de
personne. Le vendeur est donc en demeure et en position de
les prendre en considération lorsqu’il s’agira de déterminer
l’cpoque à laquelle il consent de livrer. Manquer à ce devoir
c’est se rendre coupable d’imprudence et assumer la responsa
bilité des conséquences.
Il est impossible d’assimiler ces' chances ou ces difficultés à
l’obstacle résultant, pour le voyagedo terre, d’une inondation,
del’écroulement deponts ; pour la navigation fluviale, des gros
ses eaux qui l’ont empêchée. C’est dans cette dernière hypothèse
quela Cour de Cassation rendit son arrêt du 8 octobre 1807.
11n’y a donc aucune contradiction entre cet arrêt et celui de
la Cour de Paris de 1811. S’ils diffèrent dans la solution, c’est que
la force majeure, certaine dans l’espèce du premier, n’existait
pas dans l’hypothèse du second.
333. Il avait été jugé pendant fort longtemps qu’une grève
d’ouvriers ne constituait pas un cas de force majeure, permet
tant au vendeur de retarder lalivraison ou de demander la ré
siliation. En effet à cette époquelagrèven’aflcctait qu’une usine,
et, en payant un peu plus cher,le fabricant pouvait toujours se
procurer la main-d’œuvre nécessaire : l’exécution de son con
trat lui était simplement rendue plus onéreuse. Il avait eu tort
de ne pas faire entrer dans le calcul des bénéfices envisagés des
réclamations toujours possibles de lapart do son personnel ou
vrier, et qui bien souvent constituent les revendications le s plus
légitimes. La Cour de Paris a encore jugé dans ce sens le 14 mai
1891 (J.T.C., 41, page 373).
Mais le développement et la multiplicité des syndicats, le
sentiment de la solidarité entre tous les ouvriers d’une même
industrie ou même entre les ouvriers d’une séried’industriesdc
plus en plus accusé, imposent aujourd’hui, dans la plupart des
cas, une solution opposée. Les grèves délibérées par les corps
d’état sont fréquemment générales en ce sens qu’elles sont
déclarées dans toutes les fabriques, les mines, les entrepri-
�295
ses similaires d’une région et d’ordinaire, le travail n’est
repris cjue silos chefs d’exploitation adhèrent tous aux con
ditions mises à cette reprise. Un patron, fît-il des sacrifices
même excessifs, est donc dans l’impossibilité de trouver des
ouvriers par cela seul qu’un collègue plusentôté ou moins humainrésiste aux de mandes faites. A Marseille par exemple,dans
le courant de l’année 1900, au moment d’une grève de soutiers
et chauffeurs, une délibération de laBoursedu Travail fut prise
en faveur de la Compagnie Transatlantique ayant dès le pre
mier jour accepté les revendications des inscrits maritimes,
mais tout en la couvrant d’éloges, elle déclara en même temps
que le travail ne serait repris chez elle que lorsque tous les
autres armateurs auraient suivi son exemple. Dans ces condi
tions il y a évidemment une impossibilité absolue d’exécu
tion, provenant d’un fait extérieur et suivant les cas le ven
deur obtiendra soit un délai, soit la résiliation (Voir: Mars.,
24 aoûtlOOO, M. 1900.1.379, confirmé par Aix, 21 nov. 1901,
R.D.M , 17,307.— Mars.,3oct. 1904,5 et 17 oct.,30 déc. 1904;
11 janv. 1905., M. 1905, 1.11,16.19.130 ; id., 16 mai 1905 ; M.
1906.1.115. Cass., 31 oct. 1905, R.D.M., 21,287).
L’acheteur mis par une grève dans l’impossibilité de rece
voir aurait évidemment le droit d’invoquer lui aussi la force
majeure.
Maisl’excuse neserait pas admise si le contrat avait été passé
alors que la grève avait déjà commencé, ou même la veille du
jour où elle acommencélorsqu’il est vraisemblable que lesparties devaient la prévoir. Dans ce cas en effet elles ne peuvent être
relevées de leur imprudence et d’ailleurs elles ont dû compter
avec cet événement (Marseille,3 avril'1906, M. 1906.1.223).
3 3 4 . Si la date de la livraison n’a pas été une condition essentielledu contrat, laforceinajeurequiTaempêchée àladate
indiquée n’entraîne pas de plein droit la résolution et le juge
peut,sur la demande de l’acheteur,imposer au vendeur un nou
veau délai pour l’exécution du marché, aux mêmes conditions
de prix, sous contrainte d’une condamnation à des dommagesintérêts déterminés d’avatice, même quand une hausse sensible
s’est produite (Rouen, 26 janv. 1871 et sur pourvoi rej., 13 fév.
1872,0.72.1.186).
. OBLIGATIONS DU VENDEUR. DÉLIVRANCE
�230
A .11ATS i:T VI M I S
335. L’augmentation d’impôts ou de droits de douane sur la
chose vendue n’est pas un cas de force majeure dispensantle ven
deur de délivrer au moment voulu (Caen,8juil. 1852. — Bor
deaux,26 août 1852,D. 53.2.105 et 126. — Rouen,30 janv.1872,
M.73.2.35. — Cass.,27 janv. 1875, 13.75.1.264).
Lcsparties ont tou jours dû prévoir une modification possible
des lois fiscales ou des traités de commerce. Le vendeur doit
donc supporter tous les droits grevant la marchandise jusqu’à
lalivraison. A partir de ce moment ils sont à la charge de l’ache
teur (Alger, 27 nov. 1872 et sur pourvoi rej., 28 juil. 1873, lM.74.
2.53. —Marseille,29 juin 1874, M.74.1.221 ; id., 12 avril 1894 ;
ib. 94.1.203).
33 6. L’acheteur qui n’a pas reçu livraison àl’époque conve
nue et quipeut demander samise en possession,peut à plus forte
raison proroger le délai dans la mesure qui lui paraît utile et
convenable. Bien donc ne s’oppose à ce qu’ilsignifie à son ven
deur une sommation d’avoir à réaliser la livraison dans un
délai déterminé, soit d’un ou de plusieurs jours,soit de vingtquatre heures.
Ce délai court du moment de la sommation et se compte
d’heureà heure, par exception à l’article 1033 du Code de procédurecivile. Cette exception trouvesajustification dans ce fait
que l’expiration du délai conventionnel donnait à l’acheteur le
droit de poursuivre la résiliation.Dès lors si au lieu d’user de ce
droit il accorde un nouveau délai, il est le maître d’en fixer lalimite et d’en imposer les conditions, celle notamment de faire
courir ce délai d’heure à heure.
La difficulté pourrait être de constater son intention à ce su
jet, maiscette intention s’induit nécessairement de cefaitque la
sommation indique l’heureà laquelleelle est signifiée. Cette in
dication,en effet, n’aurait aucun sens sil’acheteur entendait se
conformer à la règle tracée par l’article 1033 du Code de procé
dure civile.
Dans une espèce oû la sommation avait été donnée à une
heure de relevée, la Cour de Paris jugeait que l’offre de livraisonfaite lelendemain après une heure de relevée,était tardive
et sans effet.
« Considérant,disait l’arrêt, qu’en matière de marchés ali-
�297
vrer, les délais stipuléspar la convention des partiessont de ri
gueur, et quel’inexécution en ce pointrésilie de plein droit le
marché aveclesconséquencesdesdommages-intérêts résultant
d’un rachat ou d'une différence dans les cours;
« Considérant que si dans les usages du commerce il a été
admis que, pour les marchés à livrer dans le mois, une som
mation pourrait être faite après l’échéance, cette sommation
contient un délai de grâce qui doit être restreint dans les limi
tes rigoureuses précisées par celui qui l’accorde ; qu’on doit,
en conséquence, lorsque la sommation porte l’heure du jour
où ellëest faite, calculer ledéiai de vingt-quatre heures accordé,
de cette heure à l’heure correspondante du lendemain. »
Le pourvoi dont cet arrêt avait été l’objet était rejeté le 13juin
1876 (J. P. 1877,413).
La Cour de Paris, dans ce dernier arrêt, confirmait la doc
trine qu’elle avait consacrée déjà. En effet, elle avait jugé, le
12 août 1870, que dans les ventes do marchandises à livrer,
le vendeur, d’après les usages du commerce,n’avait que vingtquatre heures pour eflectuer la livraison, à partir de la mise
en demeure, et que ce délai se comptait d’heure à heure ;
Qu’en conséquence, si la mise on demeure a eu lieu avant
midi,l’acheteur est endroit de refuser les offres qui lui seraient
faites le lendemain à deux heures, et de demander la résilia
tion avec dommages-intérêts (J. P. 1872, 754).
Le caractère juridique de cette doctrine n’a pas besoind’être
démontré. La rationalité si évidente de ses fondements la
recommande aux tribunaux et aux jurisconsultes (Cass., Sic
13 juin 1876, J.T.C. 26, page 393). C’est celle presque toujours
suivie par le tribunal de Marseille et la Cour d’Àix (Mars.,
18 mars 1894, M.94.1.135. — Aix, 19 juin 1897, ib., 97.1.123).
Il est pourtant des cas exceptionnels où le délai ne doit pas
être compté de minute à minute. C’est ainsi qu’il a été jugé
([ue le vendeur qui, sommé de livrer, déclare qu’il livrera tel
jour, à telle gare à 8 heures du matin, remplit son obligation
lorsqu’il se présente avec la marchandise à 8 heures 14 minu
tes et l’acheteur qui prétend faire constater le défaut de
livraison à 8 heures 10 minutes et se retire à ce moment mal
gré les assurances à lui données par un employé du vendeur
OBLIGATIONS DE VENDEUR. DÉLIVRANCE
�"298
ACHATS ET VENTES
que la marchandise va arriver, est en route, doit subir la
résiliation du marché (Mars., 25 oct. 1905, M. 1906. 1. 46).
Dans certains cas en effet une application rigoureuse, stricte,
delà règle cjui veut que le délai soit compté de momento ad
momenïum pourrait favoriser la mauvaise foi d’une partie
bien aise de voir rompre un marché devenu onéreux en s’at
tachant aux plus misérables prétextes pour s’y soustraire. C’est,
ce cpii est très bien indiqué dans ce jugement du 25 octo
bre 1905. Mais les tribunaux ne devront entrer dans cette
voie qu’avec la prudence la plus extrême, car en pareille
matière il faut, pour la sécurité des transactions commercia
les, que tout soit de droit étroit.
Les dimanches et autres j ours fériés ne sont pas comptés dans
le délai de vingt-quatre heures; — à défaut il serait parfois
bien facile de le rendre illusoire ; on n’aurait qu’à signifier
une sommation le samedi à 6 heures du soir pour mettre l’ache
teur ou le vendeur dans l’impossibilité d’y satisfaire (Mars.,
3 nov. 1887, Conf. par Aix, 16 janv. 1888).
3 3 7 . Sauf dans le cas où le vendeur, bien que non mis ré
gulièrement en demeure avait déjà été sous le coup de
réclamations incessantes de l’acheteur (Aix, 20 déc. 1907,
Conf. 4 avril 1906, M. 908. 1. 189), la sommation doit être
très explicite mais n’a pas besoin d’être signifiée par huissier.
Elle peut résulter de tout acte, de toute démarche suffisam
ment claire et précise, d’une lettre missive (Cass., 4 déc. 1900,
1). 901.1.518). La citation en résiliation vaut, par elle-même,
sommation. Une offre valable pourrait donc être faite dans
les vingt-quatre heures (Mars., 4 avril 1906, M. 906.1. 225).
3 3 8 . La résiliation de la vente contre le vendeur pour dé
faut de délivrance doit être ordonnée par justice. C’est là une
règle générale, d’où, par conséquent on a déduit l'a faculté
pour les tribunaux d’apprécier si elle doit être prononcée. La
Cour de Cassation a jugé que cette appréciation comportait
une certaine latitude (23 fév. 1898, D. 98.1. 159) eî la Cour de
Paris a ajouté qu’il fallait statuer d’après les circonstances
de fait (15 avril 1902, D. 903.5. 783).
Nous ne partageons pas cette opinion qui fausse, par une
application de l’article 1184 à des cas pour lesquels il n’a pas
�299
6tô fait,toutes les transactions commerciales.Gomment donner
au commerce La sécurité,condition première de son dévelop
pement, si le juge du plus petit tribunal peut à son gré moditier les accords très clairs des parties et substituer à la date
indiquée l’époque que sa fantaisie lui fera trouver plus équi
table. Dire que le tribunal pourra apprécier si la date envisa
gée pour l’exécution d’un marché est oui ou non substantielle,
c’est, le plus souvent, aller à l’encontre de la commune inten
tion des parties, mettre à néant la base essentielle d’une spé
culation honnête et loyale. Toutes les stipulations d’une vente
commerciale doivent, d’après nous, être suivies à la lettre,
rigoureusement. Le vendeur atoute liberté pour fixer les con
ditions auxquelles il lui convient de céder la marchandise ;
comment pourrait-il se réserver une prorogation de délai à
laquelle, sauf exception, il n’aura jamais songé avant de com
paraître devant le tribunal ?
On dit que l’article 1184 est formel,qu’il dispose d’une façon
générale, absolue ; que si le tribunal doit toujours pronon
cer la résolution, il est inutile de s’adresser à lui, que c’est
supprimer tout débat pour le transformer en chambre d’en
registrement. Mais les tribunaux ne sont créés que pour cons
tater, enregistrer les accords des parties et en authentiquer
les clauses et les conséquences. Qu’ils interprètent dans les
cas douteux, qu’ils recherchent si une date d’exécution est
suffisamment précisée, s’il n’y a pas de mentions contradic
toires, équivoques, dont il faut fixer le sens à l’encontre
de la signification proposée pour l’une des parties, rien de
mieux. Mais lorsque le vendeur s’est engagé formellement à
faire la délivrance à une époque nettement déterminée et que
l’acheteur, par une mise en demeure, a affirmé ne pas vouloir
reporter le délai, le juge n’a qu’à s’incliner devant une volonté
ainsi manifestée, sans qu’il puisse modifier un contrat libre
ment consenti. Ces vérités si simples sont fort mal comprises
de nos jours.La tendance de plus en plus accusée des Cours
d’appel et de la Cour de Cassation est de réduiretous les procès
à une question d’espèce afin d’excuser par là les arrêts les
plus divergents. C’est avec ce système qu’on encourage les
commerçants de mauvaise foi à tenter l’aventure d’un procès
OBLIGATIONS OU VENDEUR. DÉLIVRANCE
�300
ACHATS ICI VK.NTKS
dont, la solution peut paraître abandonnée à l’humeur d'un
tribunal !
3 3 9 . La jurisprudence est allée encore plus loin dans cette
voie fâcheuse. Appliquant l’article 1184 à tous les contrats
dans toutes ses conséquences, elle a autorisé le juge,à accor
der suivant les circonstances un délai au défendeur. C’est ce
qu’ont décidé les Cours de Bordeaux et d’Aix, les 8 août 1829
et 4 mai 1832 (D. R. v° Vente, 688 et 674).
A l’appui de cettedoctrine on a invoqué l’opinion de M. Troplong. Il est vrai que ce célèbre jurisconsulte enseigne que la
faculté concédée par l’article 1184 est absolue, et ne reçoit
exception que lorsqu’il a été expressément convenu que le dé
faut de livraison au temps fixé résilierait la vente de plein
droit (293).
Mais M. Troplongne s’occupe que des ventes ordinaires, et
au point de vue d u d roit commun ; il n’examin e pas la question
de l’applicabilité de celui-ci aux matières commerciales, il ne
pouvait donc conclure autrement qu’il ne le fait sans méconnaî
tre le véritable caractère de l’article 1184.
Ce qui a fait consacrer sa disposition, c’est que dans la vente
ordinaire la prorogation du délai de la livraison n’offrira pres
que jamais de graves inconvénients, et n’entraînera souvent le
moindre préjudice. Aussi, n’est-ce que dans cette hypothèse
que les juges devront user du pouvoir qui leur est laissé. La
preuve que telle a été la pensée du législateur, c’est qu’il fait
de ce pouvoir une faculté et non un devoir, ce qui permet d’en
répudier l’exercice toutes les fois qu’il pourrait en naître un
danger ou un préjudice.
Or, ce qui n’est qu’une exception plus ou moins rare pour
la vente ordinaire, se produira presque toujoursdansla vente
commerciale. Les variations du cours pourront déterminer
ce résultat que la baisse, à l’échéance de la prorogation, aura
remplacé la hausse qui existait au jour conventionnellement
fixé pour la livraison, et qu’ainsi l’acheteur subira une perte
au lieu du bénéfice que l’exécution du contrat lui eût assuré.
3 4 0 . On ne saurait avec justice imposer à qui que ce-soit,
l’obligation de courir contre son gré une pareille chance.
Nous croyons donc que les tribunaux de commerce ne doi-
�301
vent user de la faculté autorisée par l’article 1184 que dans
le cas où il y a certitude qu’il ne.saurait en résulter aucun
inconvénient. 11 s’agit moins pour'eux de proroger le délai,
que de juger si l’inexécution dont se plaint l’acheteur a assez
de gravité pour faire consacrer la résiliation.
Ainsi, la Cour de Cassation jugeait,le 15 avril 1845, que le
défaut de livraison de la marchandise à l’époque fixée par la
convention n’entraîne pas nécessairement au gré de l’ache
teur, et en l’absence de clause résolutoire expresse, la réso
lution du marché ; qu’en ce cas les juges restent libres d’exa
miner les faits et actes constitutifs de l’inexécution, ainsi que
la conséquence qu’elle a pu entraîner, et de refuser la rési
liation s’ils estiment que le retard apporté à la livraison n’a
occasionné aucun préjudice (J. P., 45. 1.305).
Dans cette espèce, une caisse de rubans, qui devait être
livrée à Paris le 15 mars,était offerte le 10, dans la matinée.
L’acheteur la refuse et demande la résiliation de la vente,
avec dommages-intérêts.
Accueillie par le tribunal de commerce, sa prétention est
repoussée par la Cour de Paris, dont l’arrêt était sanctionné
par la Cour de Cassation.
'Mais cette jurisprudence n'est pas à proprement parler fon
dée sur l’article 1184 du Code civil. Il ne s’agissait pas, en
effet, de proroger le délai de la livraison et d’imposer à l’ache
teur la chance d’une baisse dans le cours. C’était sur Le carac
tère et les effets de l’inexécution que portait le litige, et l’on
comprendqu’unretardde quelques heures,n’ayant occasionné
et ne pouvant occasionner aucun préjudice, n’a pas paru suf
fisant pour entraîner la résiliation.
341. A vrai dire, même les arrêts de Bordeaux et d’Aix,que
nous avons indiqués comme appliquant l’article 1184, ne sont
en réalité que des applications du droit d’appréciation que
laGourde Cassation reconnaît aux tribunaux. La solution qu’ils
consacrent est plutôt en fait qu’en droit, et se trouvait en quel
que sorte commandée par les circonstances.
Ainsi, dans l’espèce de l’arrêt de Bordeaux, le vendeur ne
se bornait pas à soutenir que le délai de la livraison pouvait
être prorogé, il ajoutait que cette prorogation avait été accepOBLIGATIONS Dll VK.NDEüll. DKLlVllAiNGIO
�ACHATS ET VENTES
302
tée et consentie par l’acheteur. Il induisait cette adhésion de
ce que celui-ci, avisé du retard qu’éprouverait la livraison et
des motifs qui l’occasionnaient, loin de protester,n’avait pas
même répondu à la lettre d’avis, ce qui était l’acceptation
tacite de la prorogation réclamée.
De son côté, la Cour d’Aix avait à décider si l’acheteur avait
ou non accepté la livraison qui lui avait été offerte en réponse
à son ajournement.
On soutenait donc dans l’une et l’autre espèce, non pas
que l’article 1184 permet de proroger la livraison, mais que
l’acheteur était non recevable à faire résilier le contrat, et
c’est ce que les deux arrêts consacrent.
3 4 2 . Mais de cette jurisprudence ne ressort pas pour les
tribunaux le pouvoir de proroger arbitrairement le délai de
la livraison, et d’imposer à l’acheteur la chance de la perte
qui pourrait résulter d’une baisse. La condition que la Cour
de Cassation met au refus de la résiliation est l'absence de
tout préjudice pour l’acheteur.Or,comment admettre ce ré
sultat si on accorde au vendeur huit jours, quinze jours au
delà du terme stipulé.par la convention?
Nous pensons donc que lorsque le vendeur n’a pas livré au
temps voulu, que, poursuivi en résiliation, il n’olïre pas de
livrer actuellement, qu’il a besoin d’un délai pour le faire,
sans justifier que le retard est dû à une force majeure, la rési
liation doit être accordée. L’application du pouvoir laissé par
l’article 1184, faveur pour l’un, serait une injustice pour l’au
tre. Le tribunal de Toulon ayant prononcé en sens contraire,
son jugement fut réformé avecraisonpar arrêtde la Courd’Aix,
du 2 août 1847 (Féraud-Giraud, ./m\ de la Cour d’Aix, y0 Vente
de marchandises, n° 37).
3 4 3 . Dans tous les cas, l’article 1184 ne régit que l’hypo
thèse d’une clause résolutoire tacite, on ne saurait donc y
recourir si la convention porte expressément qu’elle sera réso
lue en cas de non livraison dans le délai fixé. Le droit de
l’acheteur est acquis par le fait seul de l’expiration du délai,
et la résiliation avec dommages-intérêts ne saurait lui être
refusée.
Un arrêt de la Cour d’Aix, du l°r décembre 1818, juge le
�OBLIGATIONS DU VENDEUR. DÉLIVRANCE
303
contraire, et admet que nonobstant la clause résolutoire ex
presse,^ délai de la livraison peut être prorogé s'il y a cause
légitime de le faire, mais à la charge parle vendeur de désin
téresser l’acheteur de tout le préjudice que lui aura occa
sionné le retard (D. B., v° Vente, n° 090).
34 4. Ainsi la Cour d’Aix refuse la résiliation, mais accorde
les dommages-intérêts. Ce tempérament peut couvrir l’intérêt
de l’acheteur, mais est-il légal? Nous ne le croyons pas.
La clause résolutoire expresse impose au vendeur la respon
sabilité de l’événement qui motive l’inexécution, de quelque
nature qu’il soit. La Cour le reconnaît si bien que, malgré la
légitimité de la cause, elle accorde des dommages-intérêts. Or
ceux-ci ne sont que la conséquence de cette responsabilité.
Dès lors,si l’acheteur ayant besoin de la marchandise au temps
convenu s’est remplacé, quelle justice y a-t-il de le contrain
dre à se surcharger et à accepter une chose qui lui est désor
mais inutile, qui lui deviendra onéreuse s’il ne trouve pas à
la placer immédiatement, car le vendeur lui paiera bien la
différence entre le cours du jour où il livre, et celui du jour
où il devait livrer, mais il ne répondra pas de la baisse qui
pourra survenir pendant que la marchandise sera aux mains
de l’acheteur. C’est là une chance dont celui-ci a voulu s’exo
nérer en stipulant la résiliation à défaut de livraison, et on ne
peut la lui imposer sans méconnaître et violer la loi du contrat.
3 4 5 . De l’ensemble de l’article 1184, il résulte que le légis
lateur considère la clause résolutoire sous-entendue comme
facultative pour les tribunaux, pour la partie elle-même, qui
a le choix entre la résolution et l’exécution.
En ce qui concerne celle-ci, la clause résolutoire expresse
peut revêtir le meme caractère, par exemple si après avoir
stipulé la résiliation à défaut de livraison, le contrat réserve
à l’acheteur le droit de renoncer à son bénéfice et d’exiger
l’exécution.
En l’état d’une clause de cette nature, l’expiration du délai
sans que la livraison ait été faite ou offerte n’entraîne pas ipso
facto la résiliation du marché. Cet effet n’est acquis que lors
que, usant du droit qu’il s’est réservé, l’acheteur aura déclaré
vouloir en recueillir le bénéfice.
�ACHATS ET VENTES
304
De là la conséquence que l’offre de livrer laite après cette
expiration, mais avant que l’acheteur ait signifié sa volonté,
serait bien obvenue, et créerait un obstacle invincible à toute
résiliation ultérieure. C’est ce que la Cour d’Aix consacrait
par arrêt du 4 mai 1841 (Bail, des arrêts, année 1841,p. 270).
3 4 6 . Mais quelle que soit la clause impliquant la résilia
tion pour défaut de livraison à l’échéance, l’acheteur devra
toujours mettre en demeure le vendeur. 11 n’en serait dis
pensé que si le contrat était conçu en termes assez formels
pour exclure le plus léger doute et impliquer nécessairement
l’application de l’article 1139 du Code civil. L’acheteur, nous
l’avons vu, est maître de proroger le délai. Le vendeur sera
donc autorisé à croire que son silence est la conséquence de
sa volonté à cet égard,et, pour le détromper,un avertisse
ment formel est indispensable (Cass.,29 novembre 1880, J .T.C.
30, p . 006), réserve faite néanmoins des dispositions de l’article
1140 du Code civil lorsqu’il s’agira de choses ne pouvant être
données que pendant un certain temps que le débiteur aura
laissé passer. 11 a été jugé en ce sens que lorsque le marché à
livrer sur une commande est de telle nature que la livraison
pour être utile, doit avoir lieu dans un délai déterminé (dans
l’espèce un coffre réfrigérant), ce délai est de rigueur indépen
damment de toute stipulation à ce sujet, et le marché doit être
résilié par cela seul que l’époque convenable à l’utilisation de
cette commande est arrivée sans que la livraison ait été effec
tuée encore bien qu’aucune mise en demeure n’ait été notifiée
(Paris, 2 novembre 1872.J.T.C., 21,page241).
3 4 7. L’article 1010 du même Code, prévoyant le cas où la
résiliation serait préjudiciable à l’acheteur,l’autorise non seu
lement à contraindre l’exécution de la vente, mais encore à
demander d’être mis en possession de la chose qui en faisait
l’objet.
Le jugement qui ordonne cette mise en possession tient lieu
de la délivrance que le vendeur aurait dû faire et qu’il n’a pas
faite. Son exécution peut être ordonnée à peine du paiement
d’une somme plus ou moins forte par chaque jour de retard,
et contrainte etiarri manu militari, car ce n’est plus ici une obli
gation de faire se résolvant en dommages-intérêts, il s’agit
�305
(l’une obligation de donner qui doit s’accomplir par la dépos
session réelle du vendeur (Troplong, n° 293).
C’était là la conséquence forcée du caractère et des efîets
légaux de la vente. Puisque la propriété de la chose vendue
est transférée dès qu’il y a concours des volontés sur la chose
et sur le prix, le vendeur qui conserve cette chose en sa pos
session après le moment où il devait s’en dessaisir, n’est plus
que le détenteur illégitime de lapropriété d’autrui. On ne sau
rait donc l’autoriser à la conserver contre la volonté de celui
à qui elle appartient, quand bien même il offrirait de le désin
téresser pécuniairement.
3 4 8 . Ce fondement du droit d’être mis en possession en ré
duit forcément l’exercice au cas où l’identité de la chose ne
peut faire surgir ni difficultés ni doutes. C’est ce qui ne man
quera pas de se réaliser dans la vente immobilière. Dans les
ventes mobilières, dans celles entre commerçants surtout, cet
exercice ne pourra avoir lieu que lorsqu’il se sera agi d’un
corps certain et déterminé au moment du contrat.
Comment concevoir, en effet, une mise en possession, lors
que l’objet de la vente n’est déterminé que par son espèce ou
([ue par son espèce et sa qualité, par exemple un cheval de
tel haras ou de telle écurie, cinquante balles de laine, cinq
cents hectolitres blé, etc.
Une vente de cette nature, parfaite quant aux droits et obli
gations qui en naissent, laisse la chose nécessairement incer
taine jusqu’à la livraison, au pesage, comptage ou mesurage.
La propriété n’a pas cessé jusque-là de résider sur la tête du
vendeur.
Le défaut de détermination de la chose excluant toute idée
de propriété chez l’acheteur est donc un obstacle invincible
à toute prétention de mise en possession réelle et effective.
Cependant, il lui est dù compte de l’inexécution du contrat
dont il peut dès lors demander la résiliation avec dommagesintérêts. Ceux-là se composent naturellement de la différence
entre le prix convenu au contrat et le cours du jour où la li
vraison devait être effectuée (infrà n° 427 bis),
3 4 9 . L’indemnité allouée en cas de résiliation sauf cas excep
tionnels, ne doit consister qu’en la différence des cours. Si donc
OBLIGATIONS DU \TNDKIM . DÉLIVRANCE
A chats et ventes
20
�300
:
le prix de la marchandise n’avait subi aucune.fluctuation il
ne serait accordé à titre de dommages-intérêts que les dépens
de l’instance (Aix, 23 novembre 1904, conf. Marseille, 30 jan
vier 1903).
On peut cependant prévoir que cette différence n’indemniserapas toujours l’acheteur du préjudice que lui cause l’inexé
cution, par exemple si, comptant sur la marchandise promise,
il avait vendu lui-même à livrer à une époque postérieure à
celle où il devait recevoir. 11serait donc obligé de se pourvoir
ailleurs, mais la hausse depuis survenue rendrait la différence
qui lui est due insuffisante pour le couvrir do celle qu’il aurait
à payer.
line pouvait pas être que le tort do son vendeur devînt pour
lui l’origine d’un préjudice plus ou moins considérable. Au
lieu donc de poursuivre la résiliation de la vente, il en deman
dera l’exécution, et à défaut d’une mise en possession impos
sible, il se fera autoriser à se remplacer aux frais et risques
du vendeur, c’est-à-dire à racheter au compte du vendeur la
marchandise que celui-ci n’a pas livrée {supra, n" 332).
3 5 0 . Cette faculté n’a en principe soulevé aucune objection
ni excité la moindre controverse en doctrine et en jurispru
dence. Quelques difficultés ont seulement surgi relativement
au cas où elle doit être accordée, et aux conséquences qu’elle
peut et doit produire. L’acheteur est-il recevable à en reven
diquer le bénéfice si, s’agissant d’une marchandise devant être
importée d’un lieu désigné à celui du marché, l’exportation
en a été prohibée par le gouvernement du pays ?
Cette question trouve sa solution dans la nature du marché.
Si la livraison a été subordonnée à l'arrivée du ou des navires
devant charger au lieu de production, il n’existe qu’un mar
ché à livrer conditionnel, et la prohibition d’exportation qui
a empêché le chargement rend l’inexécution la conséquence
d’une force majeure.
liés lors, non seulement il n’y aurait pas lieu à autoriser
le remplacement, mais encore à allouer des dommages-inté
rêts. La vente serait purement et simplement résiliée sans in
demnité en faveur de l’une des parties (Cass., 5 novembre
1894, D. 95.1.244).
ach ats
jt
ventes
�307
On ne pourrait admettre le contraire que si le ou les navires
qui devaient porter la marchandise, étant sortis avant la dé
fense d’exportation, avaient pu charger la marchandise et ne
l’avaient pas fait. La résiliation du marché serait la consé
quence, non de cette défense, mais du défaut de chargement ;
et celui-ci, constituant le vendeur en état de faute, le rend
responsable de ses conséquences.
Si le traité est un marché ferme, la prohibition d’exporter
n’exercerait aucune influence sur son exécution. L’obligation
prise parle vendeur de livrer au temps convenu est absolue ;
vainement sê prévaudrait-il de ce que le traité indiquerait la
provenance de la chose vendue. Cette indication, disait le tri
bunal de Marseille, appelé à résoudre cette question, est alors
employée moins pour désigner le lieu d’où la chose doit arri
ver, que pour déterminer sa qualité. En conséquence, et par
jugement du 20 avril 1847, il repousse l’exception de force
majeure tirée de la défense d’exportation, et autorise l’ache
teur à se remplacer (M. 47. 1. 140). 11 en serait autrement
si le vendeur avait pris l’obligation d’importer la chose ven
due en allant la chercher dans la région d’où il serait de
venu impossible de la faire sortir. C’est encore là, on le
comprend, une question de pur fait.
3 5 1 . Le remplacement ne peut s’exercer que par l’achat
d’une chose en tout pareille à celle que le vendeur avait pro
mise. Mais cette chose peut ne pas exister sur la place. Devrat-on dans ce cas refuser la demande de l’acheteur?
Non, répond le tribunal de commerce de Marseille, le 6 no
vembre 1855. Rien ne peut annihiler le droit de l’acheteur de
poursuivre l’exécution du marché, dès lors il doit être auto
risé à se remplacer en une qualité similaire.
Dans l’espèce, le traité portait sur des sucres d’Egypte d’une
qualité convenue au type n° 10. Le jugement décide qu’à défaut
: de sucres d’Egypte, l’acheteur se remplacera par des sucres
d’une autre provenance dans le type n° 10 (M. 1855. 1.348).
3 5 2. Le remplacement a pour effet de mettre à la charge du
vendeur en demeure de livrer la différence entre le prix du
contrat et celui auquel l’acheteur s’est remplacé. À quelque
époque qu’il ait été opéré, et quoi qu’il en ait coûté, ce derOBLIGATIONS OU VENDEUR. DÉLIVRANCE
�ACHATS ET VENTES
308
nier doit être remboursé de cette différence. En laisser une
part quelconque à sa charge, ce serait attenter à son droit, le
méconnaître et le violer. Le remplacement est le maintien et
l’exécution du contrat, il doit donc être ce que celle-ci aurait
été, c’est-à-dire que la chose vendue doit arriver en la posses
sion de l’acheteur sans qu’il soit tenu de la payer une obole
de plus que le prix promis et accepté.
Dès lors, la hausse survenue dans l'intervalle du jour de
l’exigibilité de la livraison à celui du remplacement est à la
charge du vendeur; ce qu’il doit, en effet, c’est non la valeur
au jour où il devait livrer, mais le remboursement intégral
de ce qu’il en a coûté pour opérer le remplacement.
3 5 3 . Le tribunal de commerce de Marseille, qui avait d’a
bord jugé dans ce sens, avait cru devoir plus tard revenir de
cette jurisprudence. En conséquence et par jugement du 11 dé
cembre 1840, il avait réduit l’obligation du vendeur au paye
ment de la différence entre le prix convenu et le cours du
jour auquel la livraison devait s’opérer.
Cela eût été parfaitement juridique si, comme le prétendait
le vendeur, la vente eût dû être résiliée avec dommages-inté
rêts, mais, usant de son droit, l’acheteur en exigeait l’exé
cution. Or, la conséquence inévitable de celle-ci n’était-elle
pas la possession par le vendeur de la chose vendue au prix
qu’il s’était engagé de payer. Pouvait-il se faire que la résis
tance illégitime du vendeur l’obligeât à payer plus cher?
3 5 4 . Le jugement consacrait donc un principe dont il con
damnait les conséquences, c’est ce que devant la Cour d’Aix
lui reprochait l’appelant, qui se plaignait avec raison de ce
qu’en reconnaissant son droit, on lui déniait les moyens de le
faire sortir à effet.
Le tribunal, ajoutait-il, a violé la loi en n’accordant pas les
dommages-intérêts dans la limite qu’elle trace. Ces domma
ges-intérêts devant comprendre la perte éprouvée et le gain
dont on a été privé, doivent nécessairement se composer de
la différence totale entre le prix du remplacement et celui
porté dans le traité. C’est ainsi que le tribunal le jugeait luimême le 18 janvier 1839 (M. 1839. 1.96.)
Ces considérations devaient prévaloir et prévalurent en
�OBLIGATIONS DU VENDEUR. DÉLIVRANCE
301)
effet. Par arrêt du 13 mai 1841, la Cour réforme le jugement
sur ce chef :
« Attendu que toute personne est tenue à la réparation en
tière du dommage qu’elle a occasionné ;
« Que si, dans l’espèce, le vendeur avait acquiescé à la de
mande de l’acheteur et n’eût pas prolongé, par sa résistance,
la privation que ce dernier a éprouvée de la marchandise
par lui acquise, le règlement quant à la différence du prix
se serait naturellement opéré, conformément à l’article 1610
du Code civil, sur le prix du jour où la livraison devait être
faite et où la demande avait été réalisée;
« Mais attendu que la résistance du vendeur, le temps
qu’elle a pris pour en faire apprécier le fondement ayant ex
posé l’acheteur au préjudice que peut lui causer l’attente pro
longée de sa marchandise, celui qui avait promis de la lui
livrer, et qui ne remplit pas son engagement, doit le relever
de tout préjudice souffert par suite de ce retard. » (76.,1841.
1.83.)
Indépendamment de son caractère juridique au point de
vue de l’article 1382 du Code civil, cette solution puise un fon
dement rationnel dans cette considération : le remplacement
n’est jamais demandé et autorisé que faute par le vendeur d’a
voir livré lui-même dans le délai qui lui est imparti. Le ven
deur est donc tout d’abord condamné à faire cette livraison.
Or, supposez qu’obéissant à la condamnation il l’ait exécutée,
il aura donné la valeur au cours actuel, soit que, fournissant,
une marchandise déjà en sa possession, il se soit interdit le
moyen de la vendre à ce cours, soit qu’obligé de se la procu
rer il ait lui-même payé ce cours.
Peut-il être qu’il puisse faire sa condition meilleure, unique
ment parce qu’il a résisté à la justice et refusé d’exécuter ses
mandements. Accorder ainsi une prime à une pareille con
duite, ce serait l’encourager, la rendre en quelque sorte inévi
table, contre toutes les exigences de l’ordre social, de la dignité,
de la justice.
Tout se réunit donc pour recommander la solution de la Cour
d’Aix. Le remplacement que Tacheteur fera, à défaut de livrai
son delà part du vendeur, doit avoir pour celui-ci les consé-
�310
ACHATS ET VENTES
quences qu’entraînerait cette livraison (Cass.,G janvier 1809,
D. 69. 1. 207).
355. Leprincipe cpie l’inexécution du contrat par le vendeur
ne saurait lui profiter résout la question dans l'hypothèse in
verse de celle que nous venons d’examiner, à savoir : celle où
au moment du remplacement la marchandise est en baisse
relativement au cours du jour où la livraison devait s’opérer.
Cette baisse serait préjudiciable à l’acheteur s’il devait en
subir les effets. Sans doute il avait le moyen d’y échapper en
faisant résilier le contrat avec dommages-intérêts, mais elle
peut n’être survenue qu'après l’introduction de l’instance en
remplacement, que postérieurement au jugement qui l’a con
sacrée. L’acheteur devra-t-il en subir fatalement les consé
quences ?
La raison et les principes protestent contre une solution af
firmative. Laloi et la justice ne pouvaient autoriser le vendeur
à se faire un titre de sa déloyauté, ni refuser à l’acheteur la po
sition que lui eût faite la fidèle exécution du contrat.
Dans notre hypothèse donc le remplacement se fera par dif
férence, alors même que le vendeur offrirait et réaliserait la
livraison en nature. Il devrait dès lors tenir compte de la dif
férence entre le prix du marché et celui que la marchandise
valait le jour où elle aurait dû être livrée.
Cette conséquence puise son fondement légal dans l’article
1611 du Code civil, le remplacement équivaut à la mise en pos
session. Or, aux termes de cet article, celle-ci n’exonère pas le
vendeur de l’obligation d’indemniser l’acheteur du préjudice
qu’il éprouve du refus ou du retard de la livraison.
Que, dans notre hypothèse, l’acheteur éprouve un préjudice
c’estcequi ne saurait être méconnu ni contesté. S’il eût reçu la
chose achetée au jour où elle devait lui être remise, il pouvait
en la revendant réaliser un bénéfice. Au lieu de celui-ci, il su
bira une perte peut-être sur son prix d’achat. Or, absence de
profit ou perte, le résultat est le même, le préjudice est certain.
Dès lors, son droit à en être indemnisé est acquis, consa
cré par la loi, il ne pourrait être dénié par la justice.
356. C’est ce que le tribunal de Marseille a consacré dans
maintes circonstances, et notamment les 11 et 15 juillet
�311
1830, en admettant en principe que le vendeur qui, sur la
demande en remplacement, oflre délivrer, est tenu, soit qu’il
réalise cette offre, soit qu’il ne l’exécute pas, de bonifier à
l’acheteur, à titre de dommages-intérêts, la différence de prix
qui peut exister par suite de la variation subie par marchan
dise (M. 1836.1. 84 et 89).
Ainsi, dans l’espèce du jugement du 11 juillet, la livraison
ayant été réalisée, le tribunal établit la différence à la charge
du vendeur sur le prix courant en hausse à l’époque où la
livraison aurait dû être faite, relativement au prix courant
en baisse à l’époque où elle s’était réalisée.
Dans l’espèce du jugement du 15 juillet, la livraison étant
encore à faire, le tribunal déclare que la différence sera réglée
sur le cours au jour où elle aura lieu, comparé avec ce que
valait la marchandise à l’époque où elle devait être livrée.
3 5 7 . On peut juger par là l’intérêt que l’acheteur peut
avoir à demander à se remplacer. Cet intérêt est évident. Dès
qu’au jour convenu pour la livraison, le prix de la marchan
dise est supérieur à celui du contrat, c’est ce prix supérieur
qui lui est acquis lorsque depuis une baisse est venue le mo
difier ; et si la hausse l’a encore élevé, il en profitera,puisque
par le remplacement il obtiendra la chose achetée en espèce
et quantité, sans avoir rien à ajouter à ce qu’il a promis de
payer.
Cette doctrine, on le voit, fait la plus complète abstraction
des convenances et de l’intérêt du vendeur, et c’est avec juste
raison. On ne pouvait lui permettre, au mépris du contrat,
d’améliorer sa position au détriment de l’acheteur ;il fallait
que l’inexécution qu’il se permet pût lui nuire, lui profiter
jamais. Ce résultat n’a rien d’exorbitant et de regrettable, il
ne peut que déterminer la loyale exécution des marchés, et, à
ce titre, il se recommandait à la sollicitude des tribunaux.
(Voir dans le même ordre d’idées un jugement du tribunal de
Marseille décidant même que le vendeur peut suivant les cir
constances, être forcé à faire venir et à se procurer d’une autre
place la marchandise vendue, au cas où le remplacement est
impossible sur la place même, 2 déc. 1884, M. 85. 1.57).
OBLIGATIONS DU VENDEUR, DÉLIVRANCE
3 5 8 . L’acheteur qui a opéré lu i-m êm e le rem p lacem en t,
�312
ACHATS ET VENTES
laute (le livraison de la part du vendeur, doit être remboursé
du prix dont il justifie le paiement, par traités passés par
l’intermédiaire de courtiers. L’olfre que ferait le vendeur de
payer sur la mercuriale ne serait ici ni satisfactoire ni admis
sible.
On sait, en effet, que le prix courant officiel ne représente
qu’une moyenne établie sur les variations du cours pendant
la durée de chaque marché. Qu’on recoure à. ce prix courant
lorsqu’il s’agit d’une opération non consommée, c’est ration
nel et juste. L’achat, s’il eût été opéré à l’époque où il devait
l’être, pouvait être contracté au plus bas comme au plus haut
cours, et cette incertitude appelle et justifie un règlement par
moyenne qui, tenant compte de l’un et de l’autre, concilie et
sauvegarde tous les intérêts.
Mais lorsqu’il s’agit d’un marché recevant son exécution
actuelle et immédiate, on ne peut plus se demander à quel
prix il eût pu être contracté, il n’y a plus à rembourser que le
prix qu’il en a réellement coûté, qu’il soit supérieur ou infé
rieur à la moyenne ayant servi de base au cours officiel.
35 9.
S’ensuit-il que l’acheteur sera fondé à se faire rem
bourser intégralement, alors même qu’il aurait payé la mar
chandise fort au delà de ce qu’elle valait le jour où il s’est,
remplacé?Non, disait la Cour d’Aix, dans un arrêt du 31 mai
1858. L’acheteur autorisé à se remplacer est en quelque sorte
appelé à gérer l’affaire d'autrui, et doit apporter à cette ges
tion tous les soins qu’il aurait apportés à sa propre chose. Dès
lors, il doit s’enquérir du cours de la place et ne pas dépasser
les prix auxquels se faisaient alors les achats de la marchan
dise convenue; s’il est juste de ne pas s’en tenir au cours moyen
établi par le syndicat des courtiers, puisque ce cours n’est
déterminé que fictivement, eu égard à des affaires faites réel
lement à des prix plus bas et plus élevés, on ne saurait admet
tre des prix qui s’en écarteraient trop, bien que justifiés par
traité de courtiers, parce que, en supportant un pareil écart,
l’acheteur a montré, dans l’acceptation des conditions que lui
faisaient les nouveaux vendeurs, une facilité tellement excessivequ il ne peut en faire retomber les conséquences sur ce
lui aux risques de qui se faisait le remplacement.
�313
Ainsi on no pourra pas objecter à l’acheteur qui se serait
remplacé, soit au commencement, soit à la fin de la bourse,
qu’il aurait traité à meilleur prix s’il se fût moins ou plus
hâté ;mais s’il l’a fait à un prix supérieur ou plus élevé que
celui payé pendant toute la durée de la bourse, on pourrait
laisser à sa charge soit ce qui excéderait celui-ci, soit toute
autre partie que les juges croiraient convenable de lui faire
supporter.
3 6 0 . Mais il sera toujours prudent à l’acheteur de ne pas opé
rer le remplacement lui-même et d’en solliciter l’autorisation
du tribunal qui commettra un courtier pour y procéder. En agis
sant ainsi, il préviendra toute difficulté ultérieure. Bien qu’en
cos matières les tribunaux aient le pouvoir absolu d’appré
cier si les conditions d’un remplacement présentent des garan
ties suffisantes de sincérité et de régularité, le tribunal de Mar
seille juge constamment que les remplacements opérés par
L’acheteur faute de livraison ne sont pas opposables au ven
deur, s’ils n’ont pas été autorisés par justice, alors même que
l’acheteur a fait précéder ce remplacement de mises en de
meure (Mars., 4 avril 1908, M. 1906.1.225, confirmé par Aix,
20 déc. 1907,M. 1908.1.189). Cette jurisprudence procède de
cette idée que nul ne peut se faire*justice à soi-même et que la
pratique contraire pourrait couvrir les plus graves abus.
36 1. Le vendeur contre qui le remplacement a été ordonné
faute de livraison est recevable à offrir la marchandise vendue
tant que le remplacement n’a pas été effectué (Mars., 15 oct.
1895, M. 1896.1.14).
3 6 2 . Si c’est l’acheteur qui refuse de se livrer en temps voulu,
le vendeur peut par une juste réciprocité le mettre en demeure
d’avoir à prendre livraison et à défaut se faire accorder par le
tribunal la différence entre le prix stipulé et le cours actuel en
cas de baisse, ou bien obtenir l’autorisation de vendre aux
enchères publiques avec condamnation de l’acheteur à lui
payer la différence pouvant exister entre le prix et le produit
net des enchères. Si le vendeur avait vendu amiablement il
serait forclos et jusqu’à aujourd’hui le tribunal de Marseille et
la Cour d’Aix ont toujours jugé qu’il fallait qu’une vente dans
ces conditions fût entourée de toutes les garanties des ventes
OBLIGATIONS DU VENDEUR. DÉLIVRANCE
�314
ACHATS KT VENTES
en justice. C’est un des cas bien rares où nous n’avons à noter
aucune divergence (voir notamment Marseille, 20 juil. 1898,
confirmé par Aix, 29nov. 1900). L’acheteur contre qui est ainsi
poursuivie l’exécution forcée du marché peut se présenter
utilement pour recevoir même après qu’un jugement aura or
donné la vente aux enchères, tant que cette vente n’a pas eu
lieu (Mars., 6 juil. 1898, M. 1898.1.376.)
3 6 3. Lorsque le marché porte sur un objet certain, une quan
tité déterminée par sa qualité, sa provenance, la date de rem
barquement, etc., le vendeur devra individualiser la marchan
dise en faisant signifier une offre: il se fera ensuite autoriser à
vendre cette denrée ainsi déterminée si l’acheteur persiste dans
son refus.
3 6 4 . Lorsqu'il a été vendu une quantité considérable de
marchandises à recevoir au fur et à mesure de la fabrication
jusqu’à telle époque, l’acheteur qui jusqu’au terme du mar
ché n’a reçu que des parties insignifiantes et qui se présente
à l’expiration de ce terme en demandant brusquement tout le
solde,ne peut obtenir la résiliation en se basant sur ce que
le vendeur ne lui en montre qu’une partie. lien est du moins
ainsi quand non seulement le solde réclamé, mais encore la
partie offerte est trop considérable pour être retirée en un
jour. Le vendeur en pareil cas remplit suffisamment son obli
gation en fournissant à son acheteur toute la quantité qui
peut être enlevée en une journée. Cette quantité, quand il
s’agit de coques d’arachnides, peut être fixée à 35.000 kilo
grammes (Mars., 18 août 1880. M. 80.1.273). En pareil cas
on est fondé à croire que l’acheteur a voulu mettre son ven
deur dans l’embarras par une réclamation inopinée afin
de se soustraire aux conséquences d’un marché devenu oné
reux. La loyauté qui doit présider aux rapports commer
ciaux s’oppose à ce que les tribunaux sanctionnent de telles
entreprises. Des raisons semblables, nous l’avons vu(n° 336),
ont amené le tribunal de Marseille à apporter un tempé
rament à la règle d’après laquelle il faut obéir à la som
mation de livrer dans le délai de vingt-quatre heures compté
de minute à minute.
3 6 5 . U arrive fréquemment que les contrats ne stipulent
�315
pas une époque ferme (le livraison. Le fabricant fait inscrire
la clause « livrable.au fur et à mesure de ma fabrication »,
l’acheteur celle « livrable aü fur et à mesure de mes besoins »
ou « livrable à ma demande. »
Dans le premier cas si l’acheteur tarde longtemps à se pré
senter il ne peut reprocher au vendeur de n’avoir pas mis en
réserve la marchandise fabriquée, mais d’en avoir au contraire
disposé. Il en est du moins ainsi lorsqu’il s’agit d’une mar
chandise de peu de valeur et d’un grand encombrement (dans
l’espèce coques d’arachides). L’acheteur ne peut en ce cas
obtenir la résiliation, mais reste tenu de recevoir la partie
vendue à mesure qu’elle sera fabriquée (Aix, 27 décembre 1879,
M. 80.1.116).
Dans le second et le troisième cas il a été jugé avec raison
que la clause ne saurait avoir pour effet de faire dépendre
l’exécution du contrat de la volonté arbitraire de l’acheteur
et de lui permettre de retarder indéfiniment la réalisation
du marché. Elle doit être entendue dans un sens raisonnable,
conforme à la commune intention des parties, comme laissant
à l’acheteur le droit de fixer lui-même la date à sa conve
nance pour la livraison, mais sous réserve de ne pas retarder
cette prise de livraison au delà d’un délai normal résultant
des usages. Le défaut par l’acheteur d’avoir demandé la
livraison dans ces conditions autorise le vendeur à poursuivre
l’exécution d’office et les tribunaux peuvent fixer un délai
après lequel l’acheteur sera tenu de recevoir (Mars., là juin
1892, M.92.1.281. — Paris, 26 juinl901, G. P. 1901.2.561. —
Rouen, 5 avril 1905, G. P. 1905.1.683).
Parfois ces clauses sont accompagnées de la fixation d’un
délai, par exemple « marchandise livrable aux besoins de l’a
cheteur du jour du contrat au 1er avril prochain ». Dans ce
cas la Cour de Besançon a jugé que cette clause donne à l’ache
teur le droit de se livrer quand bon lui semble dans le délai
imparti, et au vendeur celui d’exiger que le retirement inté
gral de la marchandise soit terminé à la date fixée sans qu’on
puisse lui opposer de nouveaux échelonnements. Mais le ven
deur n’aurait pas le droit de livrer par contingents mensuels,
et l’acheteur peut prendre ses dispositions selon les nécessités
OBLIGATIONS DU VENDEUR. DÉLIVRANCE
�ACHATS ET VENTES
31G
de son commerce (Besançon, 9 décembre 1905. J. T. G.. 54,
p. 852. — Rouen, 1er juin 1906. G. P., 1906.2.134).
La Cour de Paris a décidé d’une façon générale que le ven
deur ne pourrait refuser la livraison demandée en soutenant
que son acheteur n’a pas en réalité besoin de la marchan
dise réclamée (22 juin 1901. J. T. G., 51, p. 420).
Le tribunal de Marseille et la Cour d’Aix ont pourtant jugé
que lorsqu’une clause est ainsi conçue : « livrable aux besoins
de l’acheteur à raison de 100 balles sur chacun des mois de
janvier, février et mars prochain» il faut en conclure que les
parties ont voulu écarter les règles rigoureuses des marchés
à terme, et que si l’acheteur peut demander la marchandise
selon ses besoins et à son gré avant l’expiration mensuelle du
terme, à une date quelconque du mois, le vendeur sommé de
livrer n’est pas obligé d’obtempérer à. cette sommation dans
le délai d’usage de vingt-quatre heures, et qu'il doit seulement
faire diligence : le tribunal ayant plein pouvoir pour apprécier
si, eu égard aux circonstances, la livraison a été offerte dans un
délai assez court pour que l’acheteur ne soit pas fondé à deman
der la résiliation (jugement du 13 avril 1905 confirmé par ar
rêt du 17 janvier 1907).
Il nous parait que ces décisions méconnaissent absolument
le contrat et arrivent en définitive à faire profiter le vendeur
d’une clause insérée par l’acheteur dans son seul intérêt. L’ar
rêt de Besançon est plus logique et plus vrai.
En tous cas, si cette jurisprudence se maintient, ce sera
encore là une question dont la solution pourra varier dans
chaque espèce,augré dujnge, appréciant icique le vendeura
fait diligence,et là que ses diligences ne sont pas suffisantes.
La porte du prétoire sera donc largement ouverte aux plai
deurs et il sera impossible à l’esprit le plus expérimenté de
prévoir le résultat du litige.
36 6. Le vendeur et l’acheteur peuvent-ils après avoir de
mandé au tribunal, l’un l’autorisation de vendre aux enchères
publiques, l’autre celle de se remplacer,transformer leurs de
mandes et. conclure à la résiliation avec paiement de la diffé
rence ? La jurisprudence leur en accorde le droit, et dans ce
cas, on prend pour fixer le cours sur lequel la différence doit
�OBLIGATIONS BU VENDEUR. DÉLIVRANCE
a 17
être calculée, le cours du jour où est notifiée la demande en
résiliation (Mars., 5 nov. 1895, M. 96.1.42 ; id., 3 nov. 1897 ;
ib., 98.1.84). Mais la différence serait calculée au jour de la
réclamation originaire si l’acheteur avait été contraint d’y
substituer la demande en résolution par la résistance et l’iner
tie du vendeur (Aix,4 mars 1896, M. 96.1.250).
367. Le vendeur échapperait-il à la résiliation en offrant
une livraison partielle?
En principe les marchés à livrer par fractions constituent
autant de contrats distincts qu’il y a de livraisons successives
bien que toutes ces livraisons soient effectuées en vertu d’un
traité unique. La nullité ou la résiliation prononcée relative
ment à l’une de ces livraisons n’affecterait donc que la quan
tité en ayant fait l’aliment et n’entraînerait pas la nullité ou
la résiliation des livraisons subséquentes nidu traité lui-même
(Aix,19juin 1892,M. 92.1.92.—Rouen, 18janvier 1893,R.D.M.,
10,401. —Mars., 31 janv.1894,M. 94.1.111. — Douai, 12 nov.
1891,D. 92.2.86).11 n’en serait autrementquesi,enfait,les par
ties avaient considéré le marché comme indivisible, s’appli
quant à des marchandises formant un bloc et l’échelonnement
des livraisons n’ayant été stipulé que pour faciliter les opéra
tions de la délivrance, qui, au point de vue légal, continuerait à
être considérée comme unique. Dans cette hypothèse le défaut
de livraison à une seule échéance entraînerait la résiliation
pour toutes les livraisons restant à effectuer (Paris, 15 mars
1876 et Cass., 15mai 1877, D. 78.1.36).
Les tribunaux pourront donc là encore apprécier les diver- .
ses circonstances desquelles ils induiront la volonté des con
tractants. D’après les tendances de la jurisprudence actuelle,
on peut néanmoins indiquer que l’indivisibilité constitue l’ex
ception ; mais elle doit être plus facilement reconnue au
profit du vendeur réclamant la résiliation totale à l’encontre
d’un acheteur ayant refusé la première livraison sans motifs
sérieux, qu’au profit de l’acheteur qui, sur le défaut d’offre du
vendeur à la première échéance, demande à être dispensé de
recevoir les livraisons ultérieures.
3 6 8 . L’oh ligation pour fe vendeur de livrer à l ’époque con
venue ne.com p orte d’autre exception dans la vente au com p-
�IIP
m
«
:
tant, que celle tirée du défaut de paiement actuel et immédiat
du prix convenu. Celui qui vend de cette manière a suffisam
ment manifesté son intention de ne donner la chose qu’en re
cevant le prix, et rien ne saurait le contraindre à renoncer au
bénéfice de cette condition, que l’acheteur a formellement
acceptée. Le droit de rétention est d’ailleurs consacré par l’ar
ticle 1612 du Code civil(Cass.,12déc. 1882.1). 83.1.446).
Toute prétention de l’acheteur, tendant à revenir sur son
obligation ou à la modifier, ne serait ni recevable ni fondée, il
ne pourrait par exemple, s’il n’offrait qu’une partie du prix,
exiger une livraison proportionnée à sonmontant. Laventequi
porte indivisément sur une quantité convenue et déterminée
est indivisible dans son exécution, et le vendeur, se retran
chant derrière les accords et la stipulation du contrat, a tou
jours le droit de répondre fièrement, sint ut sunt aut non
sint.
Ce droit absolu ne recevrait aucune atteinte même par la
mort de l’acheteur. Ses héritiers ne pourraient prétendre que
tenu pour sa part et portion seulement, chacun d’eux peut,
en offrant cette part du prix, exiger la délivrance proportion
nelle de la chose vendue, alors même que sa divisibilité ne
pourrait être méconnue.
369. Lorsque le vendeur a consenti terme et délai pour le
paiement, il ne peut faire de sa réalisation la condition de la
livraison : il doit l’opérer quelque éloignée qu’elle puisse
êtrede l’époque où le prix sera exigible. L’article 1613 du Code
civil appliquantà la vente le principe général de l’article 1188
le dispense de l’obligation d’effectuer la délivrance, quand
même il aurait accordé un délai pour le paiement, si depuis
la vente l’acheteur est tombé en faillite ou en état de décon
fiture en sorte que le vendeur se trouve en danger imminent
de perdre le prix, à moins que l’acheteur ne lui donne caution
de payer au terme.
La Cour de Douai a justement décidé que lorsque l’acheteur
n’est ni en faillite ni en déconfiture, le vendeur est obligé à la
délivrance et que les mots « en sorte que le vendeur se trouve
en danger imminent de perdre le prix»ne créent pas une troi
sième hypothèse propre à justifier la non-délivrance (Douai,
____________________________________________
�319
18 mai 1905. G. P., 1905.2.415. —Cass., 8 août 1870, D. 71.1.
331.B.L.S., n° 307).
La faillite ou la déconfiture doit être survenue depuis la
vente. Le vendeur traitant avec un négociant dont il connaît la
fâcheuse situation n’a pas à être restitué contre sa propre im
prudence. Mais si sa confiance avait été entraînée par une appa
rence de crédit créée par des artifices, il pourra demander
l’annulation pour cause de dol.
Pour un commerçant, la déconfiture pourra être facilement
établie, car elle s’annoncera par des faits sur la signification
desquels il sera impossible de se méprendre, des refus de paie
ments, des protêts, des poursuites en justice, un atermoiement.
Or, l’article 1613, en limitant l’exception au cas de déconfiture
ou de faillite, en a suffisamment déterminé le caractère, elle
n’est acquise que si l'imminence du danger que courrait le ven
deur ne saurait être ni méconnue ni sérieusement contestée.
Des craintes vagues, des rumeurs sourdes sans fondement
apparent et réel ne suffiraient donc pas pour autoriser le re
cours à l’article 1613 et en motiver l’application.
Au reste,l’exception autorisée par lui est d’une nature fort
délicate on matière commerciale. Reprocher à un négociant
un état de déconfiture, c’est compromettre son existence, lui
faire perdre tout crédit et le condamner fatalement à la fail
lite. On ne saurait donc, en pareille matière, agir avec trop de
prudence et de circonspection,ne fût-ce que pour échapper à
la nécessi té de réparer l’immense préjudice que causerait une
accusation imméritée et légèrement articulée et soutenue.
370.
L’unique but du législateur, dans l’article 1613, a été
d’autoriser le vendeur à conjurer le danger do non-paiement
résultant de l'insolvabilité désormais certaine de l’acheteur.
Mais, ce but n’exigeait pas la résiliation du contrat, qui n’était
rationnelle et juste que s’il ne pouvait être atteint autrement.
Or, quelle que soit la position réelle del’acheteur,le danger
a cessé pour le vendeur dès que le paiement à l’échéance est
garanti par une caution rescéante et solvable. L’offre de cette
caution pourrait bien soulever des difficultés quant à son ca
ractère et à sa solidité,mais celle-ci admise ou reconnue, le
OBLIGATIONS DU VENDEUR, DÉLIVRANCE
�ACHATS CT VCNTCS
320
vendeur ne serait ni recevable ni fondé à persister dans son
refus de livrer.
Ainsi la déconfiture de l’acheteur, eût-elle motivé une dé
claration de faillite, ne résilie pas les achats antérieurement
contractés. Dans la dernière hypothèse, la masse, substituée
au failli, jouirait du droit qu’il aurait pu exercer lui-même,
c’est-à-dire que les syndics pourront faire maintenir le mar
ché, en contraindre l’exécution en donnant caution pour la
garantie du paiement à l’échéance du terme convenu, c’est ce
que la Cour de Bordeaux décidait avec raison par arrêt du
16 juillet 1840 (J. P., 1840.2.363).
371. L’article 1613 consacre en réalité, en faveur du ven
deur, un droit de rétention en cas de déconfiture ou de fail
lite de l’acheteur. De là cette conséquence que son bénéfice
ne saurait être invoqué qu’à la condition que la chose vendue,
n’ayant pas encore été livrée, se trouve légalement en posses
sion du vendeur. Comment en effet retenir ce dont on s’est
déjà dépouillé (Cass., 9 juillet 1877, D. 77.1.417).
Ace sujet peut-on distinguer entre la tradition réelle et la
tradition feinte ? La Cour de Cassation avait d’abord admis
l’affirmative, en conséquence elle jugeait, le 10 mai 1809, que
le vendeur d’une coupe de bois était fondé à se refuser à
exécuter le contrat si, après la vente, l’acheteur est tombé en
déconfiture, à moins que celui-ci offrit une caution pour la
sûreté du prix non intégralement payé.
Nous avons déjà dit qu’en matière de ventes de coupes de
bois il ne saurait exister de tradition réelle et effective ; qu’on
ne saurait concevoir la mise en possession de l’aelieteur au
trement que par le commencement de l’exploitation (Sup.,
n° 321).
Or, cette circonstance s’était réalisée dans l’espèce de l’ar
rêt que nous rappelons, ce qui lui attribue la signification
que nous lui assignons.
372. Mais la question s’étant représentée à la Cour suprême,
relativement à une marchandise ordinaire, a été par elle ré
solue en sens inverse. On avait vendu des avoines déposées
dans un magasin dont les clefs avaient été remises à l’ache
teur ; celui-ci étant tombé en faillite avant leur enlèvement
�321
total, le vendeur se fit restituer les clefs, et, excipant de sa
possession, il. se prétend autorisé à ne livrer le solde que les
syndics revendiquaient que si on lui donnait caution pour
sûreté du prix.
Mais la Cour de Caen le déboute de sa prétention, et décide
que la tradition s’induisant de la remise des clefs a créé un obs
tacle invincible à l’application de l’article 1013. Le vendeur
s’étant pourvu en cassation, son pourvoi était rejeté le 1er mai
1832.
Cette décision est juridique et rationnelle. La tradition réelle
et effective ou feinte a dessaisi le vendeur. L’acheteur est en
possession et c’est pour lui que la chose périrait. L’action du
premier n’est donc plus qu’une action en revendication que
l’article 1613 n’a ni voulu ni entendu autoriser.
Il est vrai que dans l’espèce la restitution des clefs avait re
mis le vendeur en possession, mais cette mise en possession
était illégale et nulle, elle n’était en quelque sorte qu’un paie
ment en marchandises, prohibé aux approches de la faillite, et
à plus forte raison depuis.
Supposez, en effet, qu’après tradition réelle, l’acheteur ces
sant ses paiements eût rendu la marchandise. Cette restitution
aurait bien conféré au vendeur la possession de fait, mais pour
la masse des créanciers il n’y aurait qu’un dépôt dont le sort se
rait subordonné à la capacité du failli au moment où il a été
réalisé.
Ainsi le vendeur ne peut se prévaloir du droit que lui confère
l’article 1613 que s’il n’apas encore livré soit réellement,soit
fictivement. Dcans cette hypothèse, ce droit est absolu et son
exercice recevable pour la partie restant à livrer comme pour le
tout. En dehors de cette condition, tout recours à l’article 1613
est impossible. L’effet de la tradition est définitivement acquis,
le vendeur a suivi la foi de l’acheteur, il n’est plus que son
créancier pour le montant du prix, et comme tel soumis à la loi
que subissent tous les autres.
Mais tant que la livraison n’est pas définitivement accom
plie, le droit subsiste : une machine, par exemple, n’est déli
vrée au sens juridique du mot que lorsque, mise en place chez
l’acheteur, elle y a été ajustée en état de fonctionner. Sicile a
OBLIGATIONS I)U VENDEUR. DÉLIVRANCE
A chats et ventes
21
�ACHATS ET VENTES
322
été amenée et non posée, le fabricant peut en cas de faillite de
l’acheteur exiger du syndic la résiliation impliquant la resti
tution, à moins qu’il ne lui soit donné de sûreté pour le paie
ment du prix au terme convenu (Caen, 6 juin 1870, D. 72.2.95).
373. Le vendeur doit être en possession de la chose vendue
au moment où il doit faire la délivrance. (Cf. supra, n” 130).
Sinon peu importerait que l’acheteur fût en demeure et dans
l’impossibilité de recevoir. On ne pourrait lui reprocher de ne
pas prendre livraison d’une marchandise que le vendeur est
impuissant à mettre à sa disposition. Un vendeur peu soucieux
de remplir ses engagements, apprenant que pour un motif
quelconque son acheteur ne peut se mettre en règle, pourrait
abuser de cette révélation et obtenir de son cocontractant des
dommages-intérêts alors que lui-même, dans des circonstan
ces normales, se serait vu dans la nécessité de refuser la den
rée promise. Il a été jugé que le vendeur qui fait sommation à
son acheteur de recevoir, doit se trouver virtuellement prêt à
livrer sans aucun délai. Par cette sommation ilse met lui-même
en demeure vis-à-vis de son acheteur. Si donc celui-ci se pré
sente pour recevoir dans le délai d'usage de vingt-quatre heu
res et fait constater le défaut de la marchandise, l’impossibi
lité du vendeur de la lui livrer, c’est au profit de l’acheteur
que la résiliation sera prononcée (Aix, 15 juill. 1896, conf.
Marseille, 30 juill. 1895 ; id., 3 mars 1897, conf. Marseille,
12 mai 1896, Mars., 19 janv. 1898, M. 98.1.213, Mars.,2 sept.
1904, M. 1904.1.386).
374. Dans les marchés à livrer par quantités échelonnées,
il est de règle que si les deux parties gardent le silence aux
échéances successives,le marché est prorogé et l’effet de cette
prorogation est de faire additionner toutes les livraisons par
tielles et de les reporter globalement au jour de la dernière
échéance de façon qu’advenant cette date un vendeur peut
sommer son acheteur de recevoir, ou un acheteur peut som
mer son vendeur de lui livrer la totalité (Aix, 22 juin 1900,
conf. Nice,31 oct. 1899. Mars., 19 janv. 1905. M. 1905.1.144).
Appliqué avec trop de rigueur, cet usage pourrait favoriser
la mauvaise foi des négociants, plus désireux de poursuivre
une résiliation que l’exécution loyale de leurs accords. On dé-
�323
eide généralement que la partie sommée d’avoir à exécuter le
contrat obtempère suffisamment à cette sommation en com
mençant la réception ou la livraison dans le délai et en justi
fiant qu’elle fait toutes diligences pour livrer ou recevoir sans
désemparer (Mars., 1er mai 1899, M. 99.1.291.— Aix, 13 nov.
1905. M. 906.1.174. Cf. supra, n° 304).
Si même il s’agit d’unemarchandisenon susceptible de res
ter accumulée à la disposition de l’acheteur, mais qui doit être
fabriquée au fur et à mesure des livraisons (des savons dans
l’espèce) l’acheteur qui a cessé de recevoir pendant quelque
temps et à qui son vendeur n’a pas fait d’offres, a le droit de
considérer le marché comme tacitement prorogé et d’en ré
clamer ultérieurement l’exécution ; mais il ne saurait deman
der la livraison immédiate de toutes les livraisons arriérées.
Le vendeur, en pareil cas, peut obtenir pour le solde du mar
ché les mêmes échelonnements que ceux qui avaient été con
venus à l'origine (Mars., 2 mai 1902. M. 1902.1.273). Il en
serait autrement si au lieu des produits d’une fabrication il
s’agissait d’une marchandise courante et abondante, telle que
le blé par exemple que le vendeur peut toujours se procurer
sur le marché. Dans ce cas le vendeur est tenu sur la mise
en demeure de l’acheteur de livrer immédiatement tout l’ar
riéré (Aix, 20 avril 1904, conf. Marseille, 28 juill. 1903,
M. 1904.1.192).
374 bis. Mais le vendeur a droit à la résiliation contre l’a
cheteur qui dans les vingt-quatre heures de la sommation se
contente d’écrire qu’il accepte de recevoir et demande un ordre
lui permettant de prendre des échantillons pour les faire exa
miner. L’acheteur ainsi mis en demeure doit commencer la
réception dans les vingt-quatre heures sauf à la continuer en
suite sans désemparer (Mars., 22oct. 1895, M. 96.1.25).
375. Le vendeurd’une marchandise h livrer dansle courant
d’un mois déterminé qui reçoit dans les premiers jours du
mois suivant sommation de livrer immédiatement, accomplit
suffisamment son obligation en présentant à son acheteur la
quantité vendue, encore bien que l’heure soit trop avancée
pour que celui-ci puisse commencer matériellement la récep
tion le même jour (Aix, 2 janv. 1877, M. 78.1.114).
MARCHES A LIVRER. PROROGATION
�324
ACHATS ET VENTES
376. Le vendeur d’une marchandise à livrer n’a pas le droit
de mettre un terme à son marché on dénonçant à l’acheteur
qu’il est dans l’impossibilité de l’exécuter et en offrant de
payer Indifférence au cours du jour de cette déclaration. L’icheteur n’est pas tenu d’accepter cette offre ; il reste libre de
faire signifier à l’échéance une mise en demeure et dans ce
cas c’est à cette date seulement que sera réglée la différence
(Mars., 25 oct. 1893, M. 94.1.18; id., 25 mai et 13 juil. 1903 ;
ib., 1903.1.87 et 354).
377. Les contractants ne précisent pas toujours la quantité
vendue et font suivre sa détermination par un chiffre du mot
« environ ». Il est admis que cette clause comporte une lati
tude de 5 0/0 en plus ou en moins.
Le tribunal de Marseille a jugé que le mot environ était
inopérant lorsque les accords ont spécifié la marge laissée au
vendeur en indiquant par deux chiffres la limite maxima et
minima. Dans ce cas le vendeur est tenu de livrer le minimum
ainsi fixé sans qu’il soit admis à prétendre que la clause « en
viron » l’autorise à livrer 5 0/0 au-dessous de ce minimum
(Mars., 30 janv. 1906, M. 1906.1.144).
378. Le vendeur estobligé àla garantie des troubles et évic
tions que l’acheteur est dans le cas de souffrir. Il répond donc,
en matière de ventes immobilières, de l’éviction totale ou par
tielle.
Les meubles et effets mobiliers n’ayant pas de suite, on
ne saurait prévoir l’éviction que dans les cas visés à l’arti
cle 2279 du Code civil, en le supposant applicable à la vente
commerciale, ou dans celui d’une marchandise prise en mer
et déprédée sur un Français ou bien lorsque la vente portera
sur des navires prescriptibles seulement par 30 ans (R. 426).
Nous n’avons donc pas à insister sur les principes et les rè
gles applicables à la garantie de l’éviction, dont on aura si
rarement à s’occuper en matière de ventes commerciales. 11
est évident que là comme ailleurs l’obligation du vendeur est
absolue, et que l’acheteur, dépouillé de quelque manière que
ce fût, aurait un recours non seulement pour se faire rembour
ser du prix, mais encore pour être indemnisé du préjudice que
lui causerait sa dépossession.
�325
3 7 9 . Ce qui, dans notre matière, se présentera plus usuelle
ment, sera la question de garantie, pour défauts cachés et vices
rédhibitoires. Or, la responsabilité des uns et des autres ne
saurait être récusée par le vendeur.
L’article 1041 du Gode civil, qui édicte ce principe, trace les
conditions auxquelles il en subordonne l’application; il faut
que le défaut ou le vice soit caché, qu’il soit tel qu’il rende la
chose impropre à l’usage auquel elle est destinée, ou diminue
tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou
n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il l’eût connu. Cette
dernière condition est admise de plein droit pour les vices
rédhibitoires dans les ventes ou échanges d’animaux domes
tiques.
Il n’y a de caché que le défaut que l’acheteur ne pouvait ac
tuellement découvrir, qui ne devait se manifester que dans
l’emploi de la chose qui le recèle. La première condition exi
gée par la loi n’existe donc pas, si le défaut, quoique non ap
parent, pouvait être facilement connu et.constaté.
Le premier devoir do l’acheteur est de vérifier et d’examiner
soigneusement la chose qu’il se propose d’acheter. A défaut
de connaissances spéciales, il doit recourir à des personnes ca
pables et expérimentées et n’agir qu’après leur examen. S’il
manque à ce devoir, dont l’accomplissement eût amené la dé
couverte du défaut ou du vice, il s’est mis dans le cas d’être
accusé de légèreté et d’imprudence, et tenu des conséquences
plus ou moins fâcheuses qui en résulteraient pour lui; la doc
trine et la jurisprudence sont unanimes à cet égard (Voir
infra nos 409 etsuiv.).
3 8 0 . Le déficit sur la quantité ne remplit aucune des condi
tions de l’article 1641,1e pesage, comptage ou mesurage en
divulguera nécessairement l’existence ; ensuite il n'intéresse
ni la substance ni la qualité (Troplong, n° 559; Duvergier,
n° 390).
La Cour de Bordeaux pouvait dès lors dire, comme elle le
faisait dans un arrêt du 25 avril 1828, que ce défaut de quan
tité ne seraitpas rédhibitoire parce qu’il est apparent, et que
son existence devait résulter d’une simple vérification.
La conséquence qu’en tirait la Cour, c’est que l’article 1641
GARANTIE
�326
ACHATS. ET VENTES
étant absolument inapplicable, l’acheteur n’avait pas même à
réclamer la restitution du prix pour le montant du déficit.
Cette conséquence pourrait être admise daos la vente immo
bilière, faite en corps et non en mesure, ou en l’absence de ga
rantie expresse de la contenance indiquée. L’une et l’autre cir
constances font présumer que l’acheteur a vérifié avant de
conclure, dans tous les cas il devait le faire, et sa négligence le
rendait irrecevable à se plaindre.
381. Mais nous n’hésiterions pas à la repousser dans la vente
commerciale, comme irrationnelle, inj uste, dangereuse même.
Sans doute le déficit sur la quantité ne peut constituer un vice
rédhibitoire et entraîner la résiliation de la vente (‘), mais
comment lui dénier l’effet de motiver une diminution propor
tionnelle du prix ? Serait-il juste que l’acheteur qui n’a pas
reçu la totalité de ce qu'il a acheté payât cette totalité.
Il est vrai que le déficit sera forcément connu par la men
suration mais cette mensuration est-elle dans les usages, dans
les possibilités du commerce? Comment y procéder dans l’a
chat par correspondance réalisé à une distance plus ou moins
grande du domicile de l’acheteur.
Celui-ci est donc obligé de s’en rapporter aux indications
que chaque pièce contient relativement à l’aunage, et l’on ne
saurait lui reprocher d’avoir omis de déplier et mesurer cha
que pièce avant de procéder à leur réception.
Ajoutons que pour certains objets, et les plus précieux, les
soieries notamment, cette double opération ne pourrait être
tentée qu’au risque d’altérer leur fraîcheur et par conséquent
de leur faire subir une dépréciation.
382. On ne saurait donc en commerce déployer la rigueur
que comportent les ventes immobilières. L’acheteur négociantest obligé de s’en remettre à la foi du vendeur, on ne sau
rait donc le punir de cette nécessité, ni encourager la fraude
qui ne manquerait pas de se produire sur une large échelle. La
bonne foi commerciale exige impérieusement qu’on ramène
le contrat à l’exécution loyale qu’il devait recevoir ; que l’a(1) N ous allons plus loin que M. Bédarride. Le défaut de livraison de la quan
tité prom ise autoriserait dans certains cas l'acheteur à demander la résiliation,
si, par exem ple, la quantité offerte était dérisoire ( S u p r a 2 48-250, 2 58, 282).
�327
cheteur ne soit pas contraint de payer ce qu’il ne reçoit pas.
Si la Cour de Bordeaux admet le contraire, c’est qu’elle se
trouvait en présence de circonstances telles que toute autre
solution était à peu près impossible. C’est deux ans depuis
l’achat, et après que les marchandises en faisant l’objet avaient
été expédiées et vendues à l’étranger, que l’acheteur venait se
plaindre d’un déficit sur la quantité, en preuve duquel il n’ap
portait d’ailleurs que sa seule allégation.
Qu’auraient fait les magistrats si la réclamation se fût pro
duite à une époque contemporaine ou voisine de la vente? Si
la marchandise encore intacte entre les mains de l’acheteur,
le fondement de cette réclamation eût pu être vérifié et cons
taté? La réponse, à notre avis, ne peut être douteuse, une véri
fication eût été ordonnée, et le déficit reconnu, l’acheteur eût
obtenu une diminution du prix à due concurrence.
383. Ce qui s’induit de l’arrêt de Bordeaux, en l’état des
faits sur lesquels il intervient, c’est non l’inapplicabilité abso
lue de l’article 1641, mais la déchéance que l’acheteur peut
avoir encourue quant à la faculté de s’en prévaloir. Dans les
litiges de la nature de celui que nous supposons, il s’agit de
rechercher s’il y a eu ou non déficit. Les éléments de cette re
cherche sont laissés à l’appréciation souveraine des juges. Or,
comment accueilleraient-ils la prétention de l’acheteur, si elle
n’est même pas vraisemblable.
Le vendeur qui livre une quantité moindre que celle qu’il
doit livrer, commet un délit s’il a agi sciemment ; une erreur
s’il a été de bonne foi. Dans ce dernier cas, il est de son devoir
de réparer loyalement le préjudice qu’il a involontairement
causé. Sa résistance ferait à bon droit suspecter cette bonne
foi dont il exciperait, et rendrait dès lors d’autant plus néces
saire la diminution proportionnelle du prix réclamé par l’a
cheteur; ce résultat, s’il ne pouvait s’étayer de l’article 1641,
se légitimerait par les principes spéciaux à la délivrance. Il
est évident que le vendeur qui ne livrerait pas tout ce qui est
convenu au contrat, se rendrait coupable d’une inexécution
partielle, on devrait donc le contraindre à compléter son obli
gation ou à réparer le préjudice qui naîtrait de l’inexécution.
384. Aussi ce qui est contesté en pareille matière, c’est non
GARANTIE
�328
AIJUATS ET VENTES
le principe, mais son application. On soutient, par applica
tion, des articles 103 et 435 du Gode de commerce, et par ana
logie, que la réception et le paiement ont éteint le droit du des
tinataire et rendu non recevable toute réclamation ultérieure.
Sans doute le paiement, s’il est postérieur à la réception de
la marchandise, pourrait faire supposer que cette marchan
dise était ce qu’elle devait être soit en qualité, soit en quan
tité. Mais il était impossible de convertir cette supposition
en principe, d’abord par la raison que nous venons d’indiquer,
à savoir : que le déficit ne pourra dans certains cas être dé
couvert et constaté qu’après un certain temps, ensuite parce
que très souvent et pour les achats contractés à l’étranger, le
vendeur expédiant la marchandise et transmettant la lettre
de voiture ou le connaisse ment, fournit des traites que l’ache
teur accepte, et qu’il est ainsi bien obligé de payer aux tiers
porteurs, alors même qu’à son arrivée la marchandise ne fût
pas conforme, en qualité ou en quantité, à celle qui devait
être livrée. Comment dès lors faire de ce paiement le sujet
d’une déchéance sans violer la règle contra non valentem agere
non curritprescriptio, surto ut si les traites viennent à échéance
avant l’arrivée des marchandises ? N’en serait-il pas de même
pour les ventes au comptant, lorsque, avant sa sortie des ma
gasins du vendeur, la marchandise est payée ou réglée en
valeurs ?
L’application des articles 103 et 433 du Code de commerce
entre vendeurs et acheteurs pourrait entraîner de graves in
convénients. Lorsque cette application se restreint entre le
destinataire etle voiturier ouïe capitaine, rien n’est plus facile
que de s’assurer si l’un ou l’autre rend le poids qui lui a été
confié, de vérifier les avaries extérieures dont la marchandise
peut être atteinte. C’est cette facilité qui a seule motivé la lin
de non recevoir consacrée par la loi. Le réceptionnaire qui
accepte sans réclamation et paye le prix du transportsans s’as
surer s’il reçoit tout ce qu’il doit recevoir, sans avoir égard à
l’état extérieur indiquant une avarie, agit avec une légèreté
dont onpouvait justement laisser les conséquences à sachargc,
et même dans ce cas la loi du 11 avril 1888 complétant les dis
positions du Code de commerce lui accorde un délai de trois
�329
jours à partir de la réception et du paiement, pour émettre
une protestation utile.
La Cour de Cassation s’est d'ailleurs catégoriquement pro
noncée. Elle a jugé : que les articles 103 et 433 11e sont pas
applicables dans les rapports du vendeur et de l’acheteur
(3 mars 1863. J.P. 1863,346 ; id., 10 janv. 1870 ; ib., 70,319 ;
1" avril 1873; ib., 73, 309; mars 1892 et sur renvoi Àix,
Ch. réunies, 21 déc. 1892 M. 93.1.208. Cas., 15 juil. 1907.
D. 1908.1.31). Donc on ne peut opposer dans ce cas à l’ache
teur aucune fin de non recevoir édictée par la loi. Il sera tou
jours recevable dans la réclamation, à condition de la formu
ler assez à temps et dans des circonstances telles qu’il puisse
la justifier sans être présumé y avoir renoncé (infra n°s 409
et s., la jurisprudence sur ce point).
GARANTIE
38 5. Doit-on considérer com m e vices réd hibitoires les tach es
dont l ’étoffe peut être m aculée à l'in térieu r des p ièces, et les
trous ou déchirures qui la déprécien t?
MM. Pardessus et Troplongep&eignent l'affirmative; cesont
là, disent-ils, des défauts cachés qui offrent la condition de
la loi romaine, àpeu près reproduite par l’article 1641, usum,
ministeriumque rci impediunt.
M. Duvergier se prononce en sens contraire. A son avis, rien
de plus apparent que les taches et les trous. Il est donc im
possible de les considérer comme des défauts cachés.
M. Duvergier pourrait avoir raison dans les ventes au dét ail.
Celui qui achète une quantité déterminée de marchandises,
sous les.yeux duquel on la déplie et onia mesure, peut et doit
en vérifier l’état et reconnaître les taches et trous qui la dé
précieraient.
Mais comment admettre sa doctrine pour l’achat en gros ?
Ce que nous avons dit relativement au déficit sur la quantité,
est vrai également pour l’état matériel. L’achat traité le plus
ordinairement par correspondance,ce n’est qu’à l’arrivée de la
marchandise qu’on peut en verilier l’état, et, en pratique com
merciale, cette vérification se borne à l’état apparent des piè
ces. Les masses que l’acheteur en gros traite et reçoit ne per
mettent pas autre chose, à moins de le condamner à passer
sa vie à déplier et à replier, au détriment de la marchandise,
�330
ACHATS ET VENTES
qui ne comporte pas toujours une pareille manipulation.
Il y aurait rigueur et injustice à lui prohiber le droit de
réclamer lorsque, ayant l’occasion de se défaire de la mar
chandise, et la dépliant devant le client qui viendra en ache
ter une partie, il découvrira les taches ou les trous qui en
empêchent la revente. On doit donc l’autoriser à se pourvoir
contre son vendeur, et lui accorder la réparation du préju
dice auquel il est exposé par son fait, toujours bien entendu
lorsque l’identité sera certaine.
La Cour de Bordeaux n’a pas hésité à le consacrer ainsi, en
conséquence elle jugeait, le 25 mai 1841, que suivant l’usage
de la place de Bordeaux,les farines en barils se vendant, pour
être exportées dans les colonies, de confiance et sur l’estam
pille du fabricant, et étant immédiatement et sans vérification
préalable transbordées sur le navire qui doit les transporter,
si, au moment du déchargement au lieu de destination, il est
constaté que ces farines sont avariées, non par fortune de mer,
mais par un vice propre, le vendeur est, malgré la livraison,
tenu du vice caché, et, que l’acheteur peut exercer contre lui
l’une oul’autre desactions accordées par l’article 1644 duCode
civil (J. P. 1841. 2. 2440).
Or, il n’est nulle part d’usage de déplier et de vérifier les
pièces de toile, de drap, de soie, etc. L’acheteur n’en apas l’o
bligation, parce que le plus souvent il n’en a pas les moyens,
On ne saurait donc lui reprocher de ne pas l’avoir fait.
Il est évident cependant que s’il avait connu l’existence des
taches ou des trous, il n’aurait pas acquis la marchandise, ou
n’en aurait donné qu’un moindre prix. 11 est donc dans les con
ditions voulues par l’article 1641, et des lors fondé à se pré
valoir de l’article 1644.
386. La découverte du vice caché donne à l’acheteur le droit,
ou de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de
retenir l’une et d’exiger la réduction de l’autre. Cette réduc
tion doit comprendre la dépréciation résultant de l’existence
du vice, dépréciation qui est déterminée par experts, faute
par les parties de s’en entendre entre elles.
L’article 1644 du Code civil, qui autorise l’action, ne fixe
�331
aucun délai à son exercice (‘). Sa tardiveté ne saurait donc léga
lement être invoquée comme fin de non recevoir, mais elle
pourrait revêtir ce caractère des circonstances de fait,rendant
invraisemblable le reproche articulé. Nous en avons vu un
exemple dans l'arrêt de Bordeaux, du 25 avril 1828.
387.
Ventes et échanges d’animaux domestiques. — Il en est
autrement de l’action pour vices rédhibitoires dans la vente
ou échange d’animaux domestiques. Pour ce qui la concerne
l’article 1048 du Code civil exigeait son exercice dans un bref
délai, suivant la nature des vices rédhibitoires et l’usage des
lieux où la vente avait été faite.
Pendant longtemps cette matière si importante n’a eu d’au
tres règlements que les usages locaux, non seulement pour le
délai dans lequel l’action devait être intentée, mais encore
sur la nature des maladies constituant les vices rédhibitoires.
On comprit enfin la nécessité de mettre un terme aux tiraille
ments naissant d’un pareil état de choses, et la loi du 20 mai
1838 vint établir sur tous les points une règle précise et uni
forme.
Bien que rendant encore de signalés services cette loi n’était
plus d’accord avec les progrès de la science. Elle a été rem
placée par des lois successives dont nous allons indiquer briè
vement les dispositions (Voir le Traité si complet de B.L. S.
nos 442 et suivants),
La loi de 1838 contenait la nomenclature d’une série de
maladies constituant des vices rédhibitoires donnant ouverture,
dans de certaines conditions, à l’action en garantie de l’ache
teur. La loi du 21 juillet 1881 sur la police sanitaire des ani
maux, votée dans un intérêt public, vint régler les mesures à
prendre relativement aux animaux atteints de maladies con
tagieuses. Elle les place en réalité hors du commerce et par
VESTES D’ANIMAUX DOMESTIQUES
(i) Non plus que l’article 1648 im posant à l’acheteur un bref délai. Ces expres
sions sont fort vagues et lorsqu’une loi spéciale ou les usages n’ont pas fixé ce
délai, il appartient aux tribunaux, dans chaque espèce, d ’en déterm iner la durée
d’après la nature des vices cachés et eu égard aux circonstances (Cass , 12 n o v .
1884, D. 85.1.357 ; id., 27 juin 1887 ; ih., 8S.1.308, B .L .S ., n° 441). La Cour
de M ontpellier a rejeté com m e tardive une demande en résiliation intentée plus
de huit m ois après la vente et la connaissance du vice (8 déc. 1904.D. 19.06,2.194).
�332
ACHATS CT VENTES
son article 13 prononce la nullité cle toute vente dont ils
seraient l’objet [infra, n° 389).
On ne s’était pas aperçu que la loi nouvelle classait comme
maladies contagieuses certaines maladies déclarées à la loi
de 1838 vices rédhibitoires. Pour mettre d’accord les deux
textes on légiféra de nouveau et la loi du 2 août 1884 abro
geant et remplaçant celle de 1838, mit les dispositions sur
les vices rédhibitoires en harmonie avec la loi de 1881. Elle
ne retint comme constituant ces vices que les maux non con
sidérés comme maladies contagieuses.
On voulut ensuite combler certaines lacunes de la loi de
1881 et une loi du 31 juillet 1895 ajouta quatre paragraphes
à l’article 13.
Trois années après fut promulguée la loi du 21 juin 1898
sur le Code rural, dans laquelle on avait incorporé (art. 29 à 64)
les 41 articles formant la loi du 21 juillet 1881. Seulement
quand on en vint à copier l’article 13 pour en former l’arti
cle 41 de la loi nouvelle, on le copia dans son texte primitif,
oubliant les quatre paragraphes de la loi de 1895. Il n’y avait
pas grand inconvénient puisque la loi de 1881 n’était pas abro
gée et que toutes ses dispositions subsistaient, cette abrogation
ayant été formellement renvoyée au moment où seraient con
fectionnées les dernières lois complétant le Code rural dont
la loi de 1898 ne forme qu’une partie (D. 1898.4.129, note 2,
in fine). Mais comme cet oubli n’en était pas moins fort sin
gulier on y a remédié par une dernière loi, celle du28 février
1905, qui ajoute à l’article 41 du Code rural les paragraphes
complémentaires de l’article 13 de la loi du 21 juillet 1881 et
qui modifie en même temps l’article 2 de la loidu 2aoûtl884.
En définitive la vente des animaux domestiques est régie
actuellement par les dispositions suivantes:
S’il s’agit de maladies contagieuses, par le Code rural (loi
du 21 juin 1898) ;
S’il s’agit de vices rédhibitoires, par la loi du 2 août 1884.
Ces deux lois complétées par celle du 23 février 1905.
Leurs dispositions sont applicables au commerce.
Le Code rural constitue, dans cette partie, une loi de police
obligeant tous ceux qui habitent le territoire et la loi de 1884
�333
est connue dans les termes les plus généraux. On le décidait
ainsi d’ailleurs sous l’empire de la loi de 1838 qu’elle a rem
placée (Ripert, p. 105).
La législation nouvelle distingue donc les maladies conta
gieuses dos vices rédhibitoires.
388 .Maladies contagieuses. — L’article 1erde la loi du 21 juil
let 1881 donne une énumération des maladies contagieuses.
L’article 2 laissait à undécret du Président de la République
rendu sur le rapport du ministre de l’Agriculture et du Com
merce après avis du Comité consultatif des épizooties, le
soin de compléter cette nomenclature. Un décret dans ce sens
a été en effet promulgué le 28 juillet 1888. L’article 29 du
code rural a réuni les dispositions de l’article 1er de la loi de
1881 et celles du décret de 1888. Sont donc aujourd’hui répu
tées maladies contagieuses : 1° la rage dans toutes les espè
ces ; 2° la peste bovine dans toutes les espèces de ruminants ;
3" la péripneumonie contagieuse, le charbon emphysémateux
ou symptomatique et la tuberculose dans l’espèce bovine ;
4" la clavelée et la gale dans les espèces ovine et caprine ; 5° la
fièvre aphteuse dans les espèces bovine, ovine, caprine et por
cine ; G" la morve et le farcin, la dourine dans les espèces
chevaline, asine et leurs croisements ; 7° la fièvre charbon
neuse ou sang de rate dans les espèces chevaline, ovine,bo
vine et caprine ; 8° le rouget, la pneumo-entérite infectieuse
dans l’espèce porcine. Cette énumération peut être complétée
par décret présidentiel, l’article 38 reproduisant l’article 2 de
la loi de 1881.
Les articles 31 à 40 du Code rural édictent une série de
prescriptions de police.Les articles 31,33,41 et 42 rentrant
dans notre sujet sont ainsi conçus : Article 31: Tout proprié
taire, toute personne ayant à quelque titre que ce soit la garde
ou la charge des soins d’un animal atteint ou soupçonné d’être
atteint de l’une des maladies contagieuses prévues par les arti
cles 29 ou 30 est tenu d’en faire immédiatement la déclaration
au maire de la commune où se trouve l’animal. L’animal
atteint ou soupçonné d’être atteint d’une maladie contagieuse
doit être immédiatement et avant même que l’autorité admi
nistrative ait répondu à l’avertissement, séquestré, séparé et
VENTES D'ANIMAUX DOMESTIQUES
�334
ACHATS ET VENTES
maintenu isolé autant cjue possible des autres animaux sus
ceptibles de contracter cette maladie. La déclaration et l’iso
lement sont obligatoires pour tout animal mort d’une maladie
contagieuse ou soupçonnée contagieuse ainsi que pour tout
animal abattu en dehors des cas prévus par le présent article
qui à l’ouverture du cadavre est reconnu atteint ou suspect
d'une maladie contagieuse. Sont également tenus de faire la
déclaration tous vétérinaires appelés à visiter l’animal vivant
ou mort. Il est interdit de transporter l’animal ou le cadavre
avant que le vétérinaire sanitaire l’ait examiné. La même
interdiction est applicable à l’enfouissement à moins que le
maire, en cas d’urgence, n’en ait donné l’autorisation spéciale.
Art. 33.— Après la constatation de la maladie, le préfet...
prend, s’il est nécessaire, un arrêté portant déclaration d’in
fection. Cette déclaration peut entraîner dans le périmètre
qu’elle détermine l’application des mesures suivantes : 1“ l’i
solement, la séquestration, la visite, le recensement et la
marque des animaux et troupeaux dans ce périmètre ; 2° la
mise en interdit dans ce même périmètre ; 3° l’interdiction
momentanée ou la réglementation des foires et marchés, du
transport et de la circulation du bétail ; 4° la désinfection
des écuries, étables, voitures ou autres moyens de transport^
la désinfection ou même la destruction des objets à l’usage
des animaux malades ou qui ont été souillés par eux, et géné
ralement des objets quelconques pouvant servir de véhicule
à la contagion. Un règlement d’administration publique déter
mine celles de ces mesures qui sont applicables suivant la
nature des maladies.
Art. 41. — (Complété par la loi du 23 février 1903) : L’expo
sition, la vente ou la mise en vente des animaux atteints ou
soupçonnés d’être atteints de maladie contagieuse sont inter
dits. Le propriétaire ne peut s’en dessaisir que dans les con
ditions déterminées par le règlement d’administration publi
que prévu à l’article 33 (*). Ce règlement fixera pour chaque
espèce d’animaux et de maladies le temps pendant lequel l’in
terdiction de vente s’appliquera aux animaux qui ont été
(') Édicté par décret du 6 octobre 1904.
�333
exposés à la contagion, — et, si la vente a eu lieu, elle est
nulle de droit, que le vendeur ait connu ou ignoré l’existence
de la maladie dont son animal était atteint ou suspect.
Néanmoins aucune réclamation de la part de l’acheteur ne
sera recevable pour raison de ladite nullité lorsqu’il se sera
écoulé plus de trente jours en ce qui concerne les animaux at
teints de tuberculose, et plus de quarante-cinq jours en ce qui
concerne les autres maladies, s’il n’y a poursuite du minis
tère public. Si l’animal a été abattu, le délai est réduit à dix
jours à partir du jour de l’abatage, sans que toutefois l’action
puisse jamais être introduite après l’expiration des délais cidessus. En cas de poursuite du ministère public, la prescrip
tion 11e sera opposable à l’action civile, comme au paragraphe
précédent, que conformément aux règles du droit commun.
Toutefois eneequi concernela tuberculose, sera seulerecevable l’action formée par l’acheteur qui aura fait au préalable la
déclaration prescrite par l’article 31. S'il s’agit d’un animal
abattu pour la boucherie reconnu tuberculeux et saisi, l’action
11e pourra être intentée que dans le cas où cct animal aura fait
l’objet d’une saisie totale ; dans le cas de saisie partielle por
tant sur les quartiers, l’acheteur 11e pourra intenter qu’une ac
tion en réduction du prix à l’appui de laquelle il devra produire
un duplicata du procès-verbal de saisie, mentionnant la nature
des parties saisies et leur valeur, calculée d’après le poids, la
qualité de la viande et le cours du jour.
Art. 42. — La chair des animaux morts de maladies conta
gieuses,quelles qu’elles soient, ou abattus comme atteints de la
peste bovine, de la morve ou farcin, des maladies charbonneu-'
ses, du rouget et de tarage 11e peut être livrée à la consomma
tion. Les cadavres des animaux morts ou abattus comme at
teints de maladies contagieuses doivent au plus tard, dans
les vingt-quatre heures, être détruits par un procédé chimique,
ou par combustion, ou enfouis recouverts préalablement de
chaux vive et de telle sorte que la couche de terre au-dessus du
cadavre ait au moins 1 mètre d’épaisseur. Les cadavres des
animaux morts de maladies charbonneuses, ceux des animaux
morts ou ayant été abattus comme atteints de peste bovine ne
peuvent être enfouis qu’avec la peau tailladée. Les conditions
VENTES U ANIMAUX DOMESTIQUES
�336
dans lesquelles devront être exécutés le transport, la destruc
tion ou l’enfouissement des cadavres, sont déterminées parle
règlement d’administration publique prévu à l’article 33.
389. La jurisprudence qui s’était formée sur l’application
des lois de 1881 et de 1893 peut être invoquée pour expliquer
les dispositions du Code rural, puisqu’elles ne sont que lareproduction des articles de ces deux lois.
Les maladies contagieuses et les espèces auxquelles elles
s’appliquent sont limitativement énoncées. Il ne sera permis
d’ajouter à l’article 1" que celles qui par la suite pourraient
être reconnues par les décrets qui y sontprévus.
Les prescriptions ci-dessus mettent hors du commerce les
animaux quren sont l’objet dès qu’ils sontsuspectés d’être at
teints par une maladie déclarée contagieuse. La vente qui en
aurait été faite serait donc radicalement nulle, même si le ven
deur était d’une bonne foi absolue et n’eût à se reprocher au
cune imprudence (Angers, 11 juillet 1904, Droit, 12nov. 1904.
— Cassat., 24 fév. 1904, G. P. 1904. 1.432). Néanmoins l’ache
teur peut renoncer à se prévaloir de cette nullité.
11 a été jugé que le vendeur de bonne foi ne peut être con
damné à des dommages-intérêts ; il n’est donc pas tenu àla répa
ration du dommage que l’animal malade a pu causer dans l’écu
rie de l’acheteur en communiquant son mal à d’autres bêtes
(Mars., 10 fév. 1899, M. 99. 1. 204). Mais il devrait toujours le
remboursement des frais de contrat et de nourriture (Nancy,
4 fév. 1898, — Paris, 29 avril 1898, D. 98.2.381-382).
390. L’action en nullité n’est pas soumise à la condition nccessaire que la séquestration existât au moment de la vente. La
nullité doit être prononcée lorsque l’animal aura été séquestré
ultérieurement,mais préalablement à l’action on nullité intro
duite dans les délais légaux. Et même au cas oùl’animal ayant
été conduit à l’abattoir, son enfouissement a été ordonné après
l’abatage, l'enfouissement devra être assimilé à la séquestra
tion (Cass., 28déc. 1904 et 23janv. 1905, D. 1905. 1.133 et 194).
391. Lorsque l’action a été intentée dans les délais prévus
il n’y apourtant pas présomption que l’animal était, au moment
de la vente, atteint de la maladie. L’acheteur doit, conformé
ment aux principes généraux, administrer la prèuve de l’exisa c h a t s
et
v e n t e s
�337
tence de la maladie au moment du marché. Le rapport fait à
la Chambre par M. Mougeot ne laisse aucun doute à ce sujet
(B.L.S.,n° 450, Aix,9 mai 1900,D. 1901.2.113.— ConfraMar
seille, 26 mars 1896, M. 96.1.157).
3 9 2 . La prescription de quarante-cinq jours s’applique à tou
tes les actions en dommages-intérêts à raison du préjudice oc
casionné par la vente d’un animal atteint d’une maladie con
tagieuse. Elle peut être interrompue conformément au droit
commun (Trib. civ. Dijon, 31 déc. 1901, S. 1902.2.249).
3 9 3 . Vices rédhibitoires. — Les vices rédhibitoires sont
eux aussi énumérés limitativement par l’article 2 de la loi du
2 août 1884 modifié par l’article 2 de la loi du 23 février 1905.
Il est ainsi conçu :
« Sont réputés vices rédhibitoires et donneront seuls ouver
ture aux actions résultant des articles 1641 et suivants du Code
civil sans distinction des localités où les ventes et les échan
ges auront lieu, les maladies ou défauts ci-après, savoir: pour
le cheval, l’âne et le mulet, l’immobilité, l’emphysème pulmo
naire, le cornage chronique, le tic proprement dit, avec ou sans
usure des dents,lesboiteries anciennes intermittentes, lafluxion
périodique des yeux ; pour l’espèce porcine, la ladrerie. »
IJonc en dehors des racesetdes maladies ainsi formellement
prévues il n’y a plus d’action en garantie possible de la part de
l’acheteur (Cass., 21 juil. 1891, D. 92.1.134. — Dijon, 27 oct.
1891,D.93.2.318.— Trib.civ. Seine, 23 avril 1903,G.T.,1903.2.
2.468. — Marseille, 5 mai 1903, M. 1903.1.277. — Contra
Alger, 13 avril 1896, M., 97.2.73).
3 9 4 . L’article l “ de cette loi apporte à cette règle deux tem
péraments qui se seraient imposés, même au cas de silence du
législateur. Il permet toutes les conventions contraires et ré
serve l’action de dol. Mais il faut remarquer que la loi de 1884
formant le droit commun, l’acheteur qui alléguerait un accord
de cette nature devrait en apporter une preuve catégorique
(Cass., 20 déc. 1887, D. 88.1.84. Voir l’arrêt dont la rubrique
paraît exagérer la portée, et 12 mai 1903, D. 1904.1.248). Il
nous paraît aussi évident qu’indépendamment de l’action de
dol la partie pourrait opposer les règles générales du droit
sur le défaut du consentement : violence, erreur.
VENTES D’ANIMAUX DOMESTIQUES
A chats et ventes
�ACHATS ET VENTES
338
L’article 3 autorisant l’action en réduction du prix a mis fin
à une ancienne controverse sur le point de savoir si dans ce cas
l’acheteur pouvait exercer cette action au lieu de demander la
résolution: mais le vendeur pourra la paralyser en offrant de
reprendre l’animal vendu avec restitution du prix et des frais
occasionnés par la vente.
395. La loi disposant d’une façon absolue s’applique même
aux animaux vendus pour la boucherie (Cass., 12 mai 1903, D.
1904.1.248 et Nantes, 7 nov. 1903, Rec. Nantes, 1904.1.197).
Malgré les termes de l’article 2 semblant bien proscrire tous
usages locaux contraires et de l’article 12 déclarant abrogés
tous règlements imposant une garantie exceptionnelle aux ven
deurs d’animaux destinés à la boucherie, le tribunal de Mar
seille a pourtant jugé qu’il est d’usage à Marseille que les ani
maux destinés à la boucherie sont vendus avec la convention
tacite de garantie que la viande sera propre à la consommation,
et que cet usage équivaut à la convention contraire autorisée
par la loi de 1884 (Mars., 20 janv. 1904, M. 1904.1.135).
3 9 6 . L e d élai pour intenter l ’action sera de neuf joursfra,n cs;
non com pris celu i fixé pour la livraison . Il est porté cà trente
jours francs s’il s’agit de lafluxion périodique des yèu x(art. 5).
Au cas où la livraison a été effectuée hors du lieu du domi
cile du vendeur, comme au cas dutransport de l’animal après
la livraison hors du lieu de ce domicile, le délai sera augmenté
à raison des distances conformément au droit commun, mais
à condition dans le second cas que le transport ait été effec
tué dans les délais de l’article 5, c’est-à-dire neuf ou trente
jours suivant la maladie (art. fi).
Sil’animalaété conduit en plusieurs endroits, il faudrait calculerledélai suivantlelieu où il se trouve au moment oùl’action est intentée. C’est ainsi qu’on le décidait sous l’empire de
la loi del838 (B.L.S., n° 475).
Ilestmanifestequeles constatations nécessaires doivent être
faites avec la plus grande rapidité.Ilnesuffira doncpas àl’acheteur de citer dans les délais impartis, il faudra encore que dans
les mêmes délais, mais sans augmentation à raison de la dis
tance,augmentation quipourune pareille procédure aurait peu
sa raison d’être, il présente requête au juge de paix du lieu où se
�339
trouve l’animal pourfaire nommer des experts chargés de l’exa
miner. La réquisition pourra être verbale. Le juge devra en in
diquer ladate dans sonordonnance nommant un ou trois experts
qu’il pourra autoriser en cas d’urgenceou d’éloignement à pro
céder en l’absence du vendeur après serment prêté. Si le ven
deur doit être appelé, il faudra le sommer d’assister aux opéra
tions de l’expertise dans les délais des articles 5 et G, avec
augmentation par conséquent à raison des distances. Dans ce
bas, l’acheteur peut ne lancer sa citation qu’après la clôture du
procès-verbal ; cette citation sera alors signifiée dans les trois
jours de cette clôture et devra contenir entête copie de ce pro
cès-verbal : cette prescription n’est pas pourtant édictée à
peine de nullité. On pourra y suppléer même en cours d’ins
tance par une simple communication (B.L.S.,n°461). Mais sile
vendeur n’a pas été appelé à l’expertisela demande devra être
faite dans les délais fixés par les articles 5 et 6 (art.7 et 8).
La Cour de Cassation ajugé que l’action rédhibitoire est irre
cevable si dans le délai fixéenprincipe à neufjours francs l’ache
teur n’a pas formé sa demande etprovoqué la nomination d’ex
perts, et en outre si danslemême délai iln’apas cité le vendeur
à l’expertise, à moins que le juge de paix n’enait ordonnéautrement à raison de l’urgence et de l’éloignement (10juillet 1905,
G,P., 4905.2.360).
La Cour de Paris a jugé le contraire le 13 mars 1906 (G.T.,
1906.2.2,122) : elle déclare que la loi n’ayant pas prescrit la
citation du vendeur à l’expertise à peine denuliité, aucune sanc
tion n’est attachée au manquement à ce qui n’est qu’une indi
cation delaloi.
Le tribunal civil de la Seine aadopté un système mixte: les
tribunaux auront un pouvoir souverain pour apprécier si les
droits du vendeur, défendeur à l’action rédhibitoire, ont été
suffisamment sauvegardés etsien fait l’acheteur n’a pas rendu
impossible l’assistance du vendeur àl’expertise (29 avril 1908,
G.P., 1908.2.174, voir la note).
Si l’animal vient à périr,le vendeur ne serapastenu de lagarantie à moins que l’acheteur n’ait intenté une action régulière
dans le délai légal et ne prouve que la perte de l’animal provient
VENTES D’ ANIMAUX DOMESTIQUES
�ACHATS ET VENTES
340
de l’une des maladies spécifiées à l’article 2 (art. 10) (juge
ment ci-dessus du 29 avril 1908).
L’article 11 ayant trait àdesmaladiesclasséesdcpuiscomme
maladies contagieuses est abrogé de fait.
Pour ne pas multiplier les procès de cette nature l’article 4
déclare non recevable toute action en garantie ou en réduc
tion de prix à l’occasion des ventes ou d’échanges lorsque le
prix en cas de vente ou la valeur en cas d’échange ne dé
passe pas cent francs. Enfin l’article 9 édicte que la demande
sera portée devant les tribunaux compétents et, dispensée du
préliminaire de conciliation.
3 9 7 . Contrairement à ce que nous avons vu à propos des ac
tions intentées pour maladies contagieuses, ily a ici, lorsque
l’action a été régulièrement intentée danslesdélais, présomp
tion juris et de jure que la maladie existait au moment de la
vente (Rapport de M. Labiche au Sénat, B-L.S., n° 480).
3 9 8 . En cas de ventes successives d’un animal domestique,
en l’espèce un cheval, c’est à partir de la première vente que
court le délai de neuf jours dans lequel le premier acheteur
doit provoquer l’expertise et former sademande récursoireen
garantie. Le délai imparti pour provoquer l’expertise n'étant
pas susceptible d’augmentation à raison des distances, le der
nier acquéreur ne peut sauvegarder les droits des acquéreurs
intermédiaires que s’il a présenté sa requête à fin d’expertise
clans le délai légal de neuf jours à partir delà vente primitive
(Nancy trib., 2 janvier 1905, G. P., 1905.1.205 et la note. —
Cass.,29 mars 1898, D. 98.1.417).
399.
Lorsque les parties usant de la faculté à elles laissées
auront simplement étendu la garantie légale, sans parler de
délais,faudra-t-il pour l’exercice de cette garantie convention
nelle s’en référer aux principes généraux ou bien suivre les
prescriptions de la loi de 1884? Il est répondu à cette question
avec tous les développements qu’elle comportcautraitéB.L.S.,
n°490. Les savants auteurs estiment que la loi de 1884 étant
la loi générale doit être strictement appliquée sur tous les
points où les contractants n’y ont pas formellement dérogé.
En conséquence les délais de la garantie conventionnelle se
ront les mêmes que ceux de la garantie résultant de la loi.
�341
Mais c’est là encore une pure question de fait (Cass.,21 nov.
1900, S. 1906.1.279).
400. L’article 2 renvoyant aux articles 1041 et suivants du
Code civil,il s’ensuit nécessairement que l’on doit continuera
appliquer aux ventes d’animaux domestiques soit l’article 1642
aux termes duquel le vendeur n’est pas tenu de vices appa
rents (Cass., 11 nov. 1890, D. 91.1.429, dans l’espèce usure des
dents déclarée apparente par les experts), soit l’article 1643
sur la stipulation de non garantie.
400 àts.Laloi du 12 juillet 1906 sur la compétence des ju
ges de paix ordonne dans son article 6 que «les juges de paix
« connaissent également sans appel jusqu’à la valeur de 300 fr.
« et à charge d’appel à quelque valeur que la demande puisse
« s’élever... 4°de toutes demandes relatives aux vices rédhi« bitoires dans les cas prévus par la loi du 2 août 1884,soit
« que les animaux qui en sont l’objet aient été vendus, soit
« qu’ils aient été échangés, soit qu’ils aient été acquis par tout
« autre mode de transmission. »
Quelle est la signification de ce texte ? Le juge de paix serat-il compétent dans tous les cas même lorsque la vente sera
intervenue entre deux commerçants et aura vis-à-vis de cha
cun d’eux un caractère commercial incontesté ? L’article 6
de la loi de 1905 a-t-il abrogé l’article Ode la loi du 9 août
1884 réservant expressément la compétence des tribunaux de
commerce ?
Malgré l’autorité du commentaire de la loi nouvelle par
M. Gruppi, la Cour de Besançon a adopté l’opinion con
traire suivant arrêt du 16 janvier 1907. La note mise à la suite
dans la Gazette des Tribunaux (1907.1.2.240) approuve cette
solution et fait remarquer que la question a déjà été préju
gée dans ce sens par la Chambre des requêtes : elle a en effet
admis un pourvoi contre un jugement du tribunal de Libourne
qui s’était déclaré compétent, sur appel d’une décision du
juge de paix, au sujet d’une action intentée à une compagnie
de chemin de fer par un commerçant à raison du transport
de bagages renfermant des marchandises faisant l’objet de
son commerce, bien que, comme le fait le paragraphe 4 pour
les vices rédhibitoires,le paragraphe 6 de l’article 6 de la loi
VENTES D’ANIMAUX DOMESTIQUES
�ACHATS ET VENTES
342
de juillet 1905 attribue au juge (le paix la connaissance de
ces contestations (Réq., 30 oct. 1906. Gaz. desTrib., numéro
du 1er nov. 1906). L’arrêt de la Chambre civile, quand il sera
rendu,fixera donc la jurisprudence sur ce point controversé.
En ce qui nous concerne,nous adhérons absolument à la
théorie de l’arrêt de Besançon. Bien que les travaux prépa
ratoires delaloi surles justices de paix puissent être invoqués
dans une certaine mesure par les partisans de la thèse ad
verse, il nous paraît qu’un texte bien précis serait indispen
sable pour dessaisir ainsi les tribunaux de commerce, juges
naturels des commerçants, au profit d’une juridiction excep
tionnelle comme celle des juges de paix et qui est loin, mal
gré certains abus, de présenter les mêmes garanties d’indé
pendance et do connaissances pratiques des affaires.
400 ter. Vente des Engrais. — Les articles 1674 et suivants
du Code civil permettent à l’acheteur d’un immeuble d’obtenir
réparation d’une fraude dont il pourrait être victime, en lui
donnant !e droit de demander la rescision de la vente lors
qu’il a été lésé déplus des sept douzièmes.Ces dispositions sont
inapplicables aux ventes mobilières, à cause de l’incertitude
qui existe le plus souvent sur le prix réel, la valeur exacte
d’une denrée. Les raisons de convenance d’ailleurs que peut
avoir une partie à réaliser une acquisition, la décident par
fois à payer plus que la marchandise ne vaut, et admettre,
surtout dans les transactions commerciales, une pareille cause
de résiliation, c’était risquer de multiplier les procès et de
donner bien souvent une prime à la mauvaise foi (supra
n° 42). Néanmoins la protection de l’agriculture a amené le
vote de la loi du 8 juillet 1907.D’après son article l”rla lésion
de plus du quart dans l’achat des engrais, des amendements,
ou bien des substances destinées à la nourriture des animaux
de ferme, donne à l’acheteur une action en réduction de prix
et en dommages-intérêts. Elle doit être intentée dans le délai
franc de quarante jours à dater de la livraison, et elle reste
recevable malgré l’emploi partiel ou total des matières li
vrées (art. 2).
La lésion dont il est ainsi question consiste dans une exa
gération supérieure à un quart non pas du prix strict, de lava-
�343
leur intrinsèque, mais de la valeur commerciale, en y ajou
tant les frais divers et le bénéfice légitime du commerçant et
en tenant compte aussi des frais généraux dans lesquels seront
compris les éléments de terme, de crédit, de risque,etc. (dé
clarations du rapporteur à la Chambre et observations faites
au Sénat. D. 1907.4.173, note 3, n° 2).
Il peut paraître bien difficile que l’action réussisse lorsque
la marchandise aura été totalement employée par l’ache
teur : il sera donc toujours prudent, au moment de l’arri
vée, de faire prélever des échantillons réguliers.
L’action est de la compétence du juge de paix (*) du domicile
de l’acheteur, quel que soit le chiffre de la demande, sous ré
serve du droit d’appel au-dessus de 300 francs,et toute con
vention contraire est nulle de plein droit (art. 3).
Ce sont là, on le voit, de graves dérogations au droit com
mun. A tort ou à raison elles ont paru indispensables pour
protéger les agriculteurs contre les entreprises du commerce
malhonnête.
VENTE DES ENGRAIS
II.
Des o b l i g a t i o n s de V a c h e t e u r .
SOMMAIRE
-101. Obligation de l’acheteur de payer le prix et d’opérer le retirement au temps et au lieu convenus. Article 1657 du
Gode civil édictant la résolution de plein droit, sans som
mation au profit du vendeur de denrées et d’effets mobi
liers faute de retirement.
402. Cet article est applicable à la vente commerciale.
403. Tempéraments dérivant soit de la nature du contrat, soit
des usages.
404. Influence de l’usage. Impossibilité matérielle de livrer résul
tant de la malice de l’acheteur.
405. Marchandise livrable à quai, au débarquement.
406. Lorsque le contrat ne précise pas le lieu ni le jour du reti(l) C o ntrh lorsque le débat s'agite entre com m erçants (Laon, 29 juin 1908,
G. P ., 1908.2.390).
�344
ACHATS ET VENTKS
renient, le vendeur ne peut la tenir pour résolue ipso facto
après une sommation les indiquant.
407. L’acheteur est fondé à ne pas se livrer lorsque le vendeur
lui offre une marchandise non conforme.
408. C’est à lui à prouver celte non-conformité.
409. Conséquences : 1° l’acheteur peut renoncer à s’en prévaloir
même d une façon tacite. Réception pure et simple. Ses
effets. Identité de la marchandise.
410. Les effets de la réception sont annulés en cas de vice caché ou
de fraude du vendeur. Identité de là marchandise établie.
411. 2° L’acheteur doit provoquer une expertise régulière ; à dé
faut il doit recevoir et payer. La destruction par l’auto. rité des marchandises reconnues par elle impropres à la
consommation tient-elle lieu d’expertise ?
412. La présence de l’agent du vendeur, sauf mandat spécial, ne
couvre pas l'irrégularité d’une expertise. L’expertise nulle
peut valoir à titre de renseignements.
412 h (S.Lieu où l’expertise doit être ordonnée..
413. Clauses: livraison telle quelle et refusable en aucun cas.
414. Livraison au domicile du vendeur. L’acheteur doit y venir
agréer.
416. Effets du défaut de paiement du prix. Résiliation.
417. Impossibilité d’ordonner la résiliation dans la vente de mar
chandises déterminées seulement par leur espèce et quan
tité.
418. Lorsque l’acheteur a revendu.
419. Ou lorsqu’il est tombé en déconfiture.
420. Faut-il dans ce cas que la faillite ait été judiciairement dé
clarée.
421. Appréciation des deux arrêts de Paris.
422. Objection contre notre système. Réponse.
423 Hypothèses dans lesquelles l’article 1651 recevra son en
tière exécution dans la vente commerciale.
424. Droit du vendeur à terme d’exiger le paiement immédiat, si
depuis l’acheteu r est tom bé en déconfiture.
425. Caractère du droit de poursuivre la résolution. Effets de
celle-ci.
426. En quelle monnaie le prix est payé: Effets de commerce.
427. Délai du paiement. Clause « paiement comptant ». Escompte.
427 bis. Différence à payer par l’une ou l’autre des parties. A quel
jour doit-elle être fixée ? Mise en demeure, citation.
�345
401. La principale obligation de l’acheteur est de payer
le prix au jour et au lieu réglés par la vente (art. 1650, G.
civ.).
S’il n’a rien été réglé à cet égard lors de la vente, l’acheteur
doit payer au lieu et dans le temps où doit se faire la délivrance
(art. 1651). Le refus de l’acheteur ou le retard apporté par
l’acheteur au retirement de la marchandise entraînerait contre
lui la nécessité de réparer le préjudice qui en serait résulté.
Ainsi la perte survenue postérieurement, les dépenses d’en
tretien et de conservation seraient à sa charge.
De plus, dans la vente ordinaire, l’article 1657 édicte qu’en
matière de ventes de denrées et d’effets mobiliers, la résolu
tion aura lieu de plein droit et sans -sommation au profit du
vendeur, après l’expiration du terme convenu pour le retire
ment.
Cet article régit-il la vente commerciale ?
402. Cette question n’en est plus une aujourd’hui. Une ju
risprudence compacte, une doctrine où l’on rencontre une
seule dissidence (Aubry et Rau, 4e édition, IY, p. 395, note 5)
ont adopté l’affirmative, contrairement à l’opinion émise par
Bédarride dans les précédentes éditions. La thèse adverse, en
effet, ne peut invoquer que les déclarations faites au Conseil
d’Etat au moment delà discussion do cet article. Mais quel
que catégoriques qu’elles soient elles ne peuvent prévaloir sur
le texte même de l’article 1657 dont la généralité embrasse
toutes les espèces (Cass., RJfévrier 1873,1). 73.1.301 ; 11 juil
let 1882, D. 83.1.340:17 février 1903, J. T.C.,52, p. 650.—
Douai, 6 novembre 1895, D. 96.2.112. — Rennes, 31 décem
bre 1894, Rec. Nantes, 94.2.368. — Paris, 16 janvier 1901,
J. T. G.,50,p. 564, R. p. 129, B.L.S., n”396; L. R.,n° 121).
11 ne faudrait pas équivoquer sur les termes d’un arrêt
rendu par la Cour de Cassation le 25 novembre 1903 (J. T. G.,
53, p. 6171 pour soutenir qu’il n'en est ainsi que lorsque le
terme a été stipulé dans l’intérêt commun du vendeur et de
l’acheteur, cet arrêt a simplement reproduit l’espèce d’aprèles constatations des juges du fait. L’article 1657 est applis
cable sans qu’il y ait lieu soit de distinguer au profit de qui
le terme a été indiqué, soit de se préoccuper de la nature
OBLIGATIONS DE L’ ACHETEUR. RETIRERENT
�ACHATS ET VENTES
des objets vendus (voir notamment Paris, 10 février 1901).
Le vendeur peut toujours renoncer soit expressément, soit
tacitement, à se prévaloir de ce droit; il ne peut plus le re
prendre et en exciper lorsqu’il ne s’en est pas prévalu au
moment de l’échéance du marché (Paris, 13 décembre 1899,
J. T. G.,49, p. 453. Cf. Cass., 20janv. 1908, D. 908.1.125).
403. Dans la pratique, cette règde est soumise à des tempé
raments nécessaires résultant soit de la nature du contrat,
soit des usages.
Le vendeur ne peut évidemment se prévaloir do l’arti
cle 1657 que si l’acheteur a commis la faute de ne pas se pré
senter pour recevoir au jour et au lieu convenus. 11 faut donc
que le contrat précise ce jour et ce lieu et que la marchan
dise étant quérable, le vendeur n’ait pas autre chose à faire
qu’à attendre la venue de l’acheteur. Si donc la marchandise
est portable, le vendeur ne pourra, en s’abstenant de la trans
porter, invoquer l’article 1657. (Rouen, 5 août 1908, G. P.,
1908.2.482 et la note). Dans ce cas, il devra faire signifier
une mise en demeure renfermant une offre régulière avant
de pouvoir invoquer la résiliation (Marseille, 25 janvier 1882,
M. 82.1.78, L. R.,n° 126). L’article 1657 contenant une dispo
sition exceptionnelle dérogeant au droit commun il faut, en
effet, l’interpréter avec la plus grande rigueur et ne jamais
l’étendre aux cas douteux (B.L.S., n° 597).
404. Mais dans le silence de la convention, les parties sont
toujours présumées s’en être référées à l’usage. Si donc il
existe un usage de place, l’acheteur qui ne s’y est pas con
formé encourt la résiliation de l’article 1657 (B.L.S., n“598).
11 en sera de même si, dans le but de l’éviter, l’acheteur d'une
marchandise à livrer par lots dans le délai d ’un mois, en ré
clame malicieusement la livraison totale le dernier jour du
délai, alors qu’il est matériellement impossible à son vendeur
de l’effectuer complètement dans la journée (Cass., 19 février
1873, D. 73.1.301 ; voir supra n° 374 sur la prorogation ta
cite des marchés à livrer par quantités fractionnées).
405. Si une marchandise a été stipulée livrable par frac
tions mensuelles à quai, au débarquement d’un vapeur, etc.,
l’article 1657 serait inapplicable faute de précision suffisante
�347
du moment du retirement. J ugé qu’une pareille vente est régie
par l’usage général (du moins à Marseille) réputant le contrat
tacitement prorogé pour les fractions non livrées, tant qu’une
des parties n’a pas mis l’autre en demeure (Mars., 11 juillet
1887, M. 87.1.271).
406. Lorsqu’un contrat manque ainsi de précision à ce su
jet, et en l’absence de tout usage certain, le vendeur pourrat-il, après avoir fait signifier une sommation indiquant un lieu
et un délai, tenir la vente pour résolue ipso facto,par cela seul
que l’acheteur n’aura pas obéi à cette mise en demeure ? Con
trairement à l’opinion adoptée dans les précédentes éditions,
nous pensons que dans ce cas-là il faut s’adresser au tribunal
qui aura à apprécier le caractère et du contrat et de la somma
tion. Il suit de là que l’acheteur peut se présenter pour rece
voir utilement avant que le jugement soit prononcé, en offrant
bien entendu de payer les frais causés par son inertie (Cass.,
17 décembre 1879, D. 80.1.133,134 ; ici., 14 avril 1886, J. P.,
O0.1#*38,B.L.S., n°597.—Contra, Douai, 8janvier 1846, J. P.,
46.1.487, Troplong, n° 679; Béd., 2” éd., n° 309).
407. Dans tous les cas, la résiliation pour défaut de reti
rement n’est acquise que si l’inexécution est imputable au
fait personnel et volontaire de l’acheteur et elle ne peut ja
mais être invoquée par le vendeur lorsqu’elle a sa cause dans
un manquement à ses obligations.
Si donc la marchandise offerte n’est pas conforme aux
accords, l’acheteur sera bien fondé à refuser la livraison et
à réclamer à sa convenance, soit la résiliation, soit le rempla
cement, soit une bonification (suprà, 317 et suiv.). La mar
chandise offerte peut, en dehors de toute spécification au con
trat, présenter des défectuosités obligeant l’acheteur à la
refuser, bien que la bonne foi du vendeur soit entière. Un
importateur aura vendu du blé blanc de l’Inde : son propre
vendeur lui aura expédié non pas le blé stipulé mais un mé
lange de blé blanc et de blé rouge, etc., etc. Dans le langage
du commerce on dit que la marchandise offerte doit être
loyale, marchande et de recette et on l’apprécie suivant des
types consacrés par l’usage, avec lesquels la conformité est
toujours sous entendue. Mais, pour la plupart des marchandiNON CONFORMITE. PREUVE
�348
ACHATS KT VENTES
ses, le vendeur a le droit, avant de livrer, de procéder à des
manipulations usitées en tant qu’elles sont loyalement prati
quées, dans le but d’améliorer la marchandise soit pour lui
faire atteindre le poids promis, soit pour la dépouiller des
corps étrangers (Mars., 3 novembre 1887, conf,par Aix,lG janv.
1888, blé tendre du Danube).
408. La Cour de Cassation a jugé par un arrêt qui a mis
fin à toute controverse (22 juillet 1878, M. 1880.2.18) que
l’acheteur refusant de recevoir par la raison que la marchan
dise offerte est défectueuse, soulève en réalité une exception
dans laquelle il devient demandeur, et dont il a la charge de
la preuve conformément au principe général : les Cours d’ap
pel et presque tous les tribunaux de commerce se sont ral
liés à cette jurisprudence.
De ce principe découlent, au point de vue pratique, les
plus graves conséquences :
409.1° L’acheteur peut renoncer à se prévaloir des défec
tuosités de la chose. Elles sont parfois de si minime importance
que la bonification allouée ne compenserait pas les ennuis
et les dépenses d’un procès. En outre, dans certaines circons
tances, un acheteur peut avoir intérêt à ménager un vendeur
qui lui fait de longs crédits, accepte des renouvellements, etc.
Donc, bien qu’aucune fin de non recevoir ne soit inscrite
dans la loi, et que l’article 103, ainsi que nous l’avons vu
(supra, 384) soit inapplicable dans les rapports des vendeurs
et des acheteurs, la jurisprudence admet facilement que la
réception sans protestation ne permet plus à l’acheteur de
formuler ultérieurement iine réclamation utile. On présume
en effet que l’acheteur a reconnu ainsi que la marchandise
livrée réunissait les qualités voulues, ou que le défaut ne valait
pas la peine d’une observation et, en principe, toute prise de
livraison sans réserve équivaut à l’acceptation des marchan
dises et la vente devient par ce fait exécutée à l’égard du ven
deur (Gomm. Seine,30 sept. 1905, J.T.G.,56,17039). Une autre
raison vient le plus souvent corroborer cette présomption.
Lorsque l’acquéreur a fait entrer la chose vendue dans ses
magasins, ou bien lorsqu’elle a été transférée à son nom dans
un dépôt public, elle est à sa disposition exclusive. Il peut
�349
l’altérer, la mélanger sans aucun contrôle et sans qu’on puisse
se douter de ces pratiques. Comment donc pourrait-il prouver
que la marchandise au sujet de laquelle il élève une réclamation
tardive est identiquementlamêmoque celle qui lui aété livrée?
Il ne faut donc pas être surpris des sévérités de la juris
prudence vis-à-vis de l’acheteur. Se montrer trop facile pour
lui ce serait bien souvent sacrifier les intérêts les plus res
pectables du vendeur. L’acquéreur d’ailleurs n’a à s’en pren
dre qu’à lui des conséquences d’une réception pure et sim
ple qu’un peu d’attention et de prudence lui aurait fait éviter
(Mars., 27 novembre 1883, M. 83.1.193 ; id., 27 novembre
1884; ib., 85.1.38; id., 27 novembre 1895, conf. par Aix,
22 juin 1895. — Dijon, 25 avril 1865, D. 65.2.115.— Paris,
20 décembre 1872, D. 73.2.183. — Cass., 10 février 1877,
D. S. V° Vente, nu312.) La réception partielle ale même effet
que la réception de la totalité, (Mars., 23 septembre 1903,
conf. par Aix, 19 février 1904, M. 1904.1.14) (*).
4 1 0 . Cette irrecevabilité étant fondée sur la présomption
de l’agrément définitif de l’acheteur cède àla preuve contraire.
En cas de vice caché elle n’est pas opposable (2) à l’acheteur
qui s’est livré à une vérification normale quoique superfi
cielle lorsque le vice dont la chose est infectée ne peut être
révélé que par un examen minutieux, une analyse en dehors
des usages ou même ne peut être connu qu’aprèsun certain
temps (Rouen, 28 avril 1858, M. 58.2.5, Mars., 31 juillet
1874, conf. par Aix, 9 janv. 1875; ib., 75.1.249. — Cass.,
29 mai 1900, D. 900.1.454 ; Cass., 26 avril et 26 déc. 1906.
— D; 1907.1.279. — S. 1906.1.180 — Lyon, 1" juin 1857-,
D. 58.2.20). La Cour de Bordeaux a jugé que la loi du 11 juil
let 1891 interdisant de vendre des vins plâtrés au-dessous de
2 grammes par litre sans avertir les acheteurs par une indi
cation portée sur les fûts en gros caractères et reproduite
sur les factures et lettres de voiture, l’absence de cette indi
cation constitue un vice caché entachant de nullité la vente
■ NON CONFORMITÉ. PREUVIi
(*) C f. supra, effets de la ré c e p tio n en m a tiè re (le v e n te s a u p o id s, n ” 115.
avec d é g u sta tio n , n° 15U ; s u r é c h a n tillo n , n° 173.
ta) C f. supra , n»s 319-385.
�350
ACHATS HT VENTES
des vins ainsi plâtrés et dont l’acheteur peut se prévaloir
en tout état de cause (13 novembre 1900. S. 1907.2.244).
Dans ce cas en effet le réceptionnaire n’a pas pu renoncer
à se prévaloir d’une infériorité qu’il ignorait, ni reconnaître
comme loyale et marchande une chose qxii en était infestée.
Il en est ainsi, a fortiori, si l’acheteur offre de prouver, un
mélange, une adjonction frauduleuse constitutive, soit d’une
tromperie réprimée par les lois des 1" et 6 août 1905 sur les
fraudes dans les ventes de marchandises, les falsifications des
denrées alimentaires et produits agricoles et les fraudes sur
les vins, soit même d’un simple quasi-délit (Lyon et Rouen cidessus. — Aix, 27 mars 1897. — Bordeaux, 11 janv. 1886, D.
89.2.11. — Mars., 21 mars 1888,M. 88.1.211 ; ici., 8 fév. 1899;
ib., 99.1.183. — Angers, 3 fév. 1897, D. 98.2.107. — Cass.,
13 déc. 1904, G. P. 1905.1.28).Mais ilfaut, toujours que l’iden
tité ne puisse être sérieusement contestée.
Si par contre l’identité était certaine, s’il s’agissait par exem
ple de plateaux de bois portant des marques apparentes et faci
les à reconnaître, iln’y aurait pas de raison, en principe, pour
repousser la demande de l’acheteur et l’admettre à prouver
par une expertise le défaut de qualité malgré le fait de la ré
ception (Mars., 29 sept. 1896, Mars., 98.1.5). Les tribunaux
apprécient en toute liberté les circonstances desquelles l’ac
quéreur entend faire découler la preuve que la présomption
qu’on lui oppose n’existe pas (Rouen, 7juillet 1877 et surpour
voi, Cass.,13 mars 1878, D. 78.1.471). (Voyez pour l’échantil
lon frauduleusement composé,supra n° 177).
411.2° L’acheteur ayant à prouver la défectuosité alléguée,
c’est à lui qu’il appartient de provoquer l’expertise (Aix,
11 mars 1889 ; conf. Marseille, 11 déc. 1888,M. 89.1.87 et 90.
1.223). Si l’expertise est impossible ou si une première exper
tise ayant été annulée on ne peut procéder à une seconde,
l’acheteur a commis une faute en n’accomplissant pas le né
cessaire en temps voulu et en conséquence comme il ne peut
fournir la preuve à laquelle il est tenu, doit être condamné à
recevoir et à payer le prix (Arrêt du 11 mars 1889 et encore
Aix, Ch.réun.,21déc. 1892, M.93.1.208. — Mars.,7déc. 1898,
M. 99.1.7 et 25 nov. 1905, M. 1906.1.64). Il en serait ainsi
�351
même au cas où l’acheteur ayant protesté par lettre contre la
qualité, dès l’arrivée de la marchandise n’a pas fait procé
der à la constatation régulière de son état(Paris,16 juin 1888,
J.T.G., 38, 11606). On ne peut opposer à cette jurisprudence
un autre arrêt de Paris du 26 juillet 190i(ié., 54,16431), qui
admet la résiliation contre le vendeur dans une espèce où
l’acheteur semble avoir reçu sans protestation et n’avoir songé
àprélever les échantillons sur lesquels a porté l’expertise que
fcinq jours après la réception. En lisant cette décision, on voit
que les parties s’étaient mises d’accord pour opérer, malgré
la livraison, un prélèvement contradictoire des échantillons
et pour constituer une expertise. Le vendeur avait donc ad
mis l’identité de la marchandise et reconnu en même temps
qu’elle n’avait jamais été définitivement acceptée.
La Cour d’Aix a jugé par deux arrêts du 2 juillet 1901 con
firmant deux jugements rendus par le tribunal de Marseille
le 4 mars précédent que l’acheteur ne fait pas légalement la
preuve vis-à-vis de son vendeur du vice reproché, alors même
que la marchandise ayant été réexpédiée par lui a été saisie à
l’arrivée par la police et détruite en vertu des prescriptions
sanitaires. Ges mesures prises en dehors du vendeur et sans
sa contradiction ne peuvent pas lui être opposées. Pour nous
nous n’acceptons qu’avec réserve cette doctrine : si la mar
chandise avait été réexpédiée sans avoir jamais pénétré dans
les magasins de l ’acheteur, si elle était restée sous les hangards dos compagnies chargées du transport dans des con
ditions impliquant l’impossibilité pour l’acheteur de l’adul
térer, si la durée et les conditions du transport du lieu de
départ au lieu de destination, avaient ôté normales et qu’il
fût impossible d’y attribuer le mauvais état de la denrée, si
enfin l’acheteur-expéditeur ou le destinataire avaient fait
dès l’arrivée toutes réclamations nécessaires auprès des auto
rités compétentes pour éviter la destruction et que ces pro
testations eussent été inutiles, on devrait, paraît-il, décider
qu’il y a là un ensemble de présomptions suffisant pour faire
admettre que la marchandise était contaminée au moment où
le vendeur l’a adressée à son acheteur. Mais la plus légère,
la plus lointaine supposition que la denrée a pu être infecNON CONFORMITÉ. liREUVE
�ACHATS KT VENTES
352
tée en cours de route indépendamment de tout vice propre
préexistant, fermerait la porte à toute réclamation.
412. Le vendeur est souvent représenté au lieu d’arrivée
par un agent qui, sauf démonstration contraire, n’a d’autre
mandat que d’offrir aux négociants delà place la marchandise
dont son commettant peut disposer, d’indiquer les conditions
du marché qu il propose et de transmettre les commandes ou
les offres qu’il reçoit. Sa participation à une expertise irré
gulière, son adhésion à une procédure irrégulière, sa recon
naissance môme d’un défaut de conformité ne peuvent donc
pas être opposées au vendeur (Aix, 6 déc. 1888, M. 00.1.223. —
Marseille, 13 mai 1904; ib., 1904. 1. 264. — Nantes, 22 janv.
1887, R.D.iVI.,2,693) (l). Maissile représentant, excédant son
mandat, adonné un certificat constatant le mauvais état de la
marchandise, il ne suffira pas au tribunal pour écarter cette
attestation de déclarer qu’elle émane d’un mandataire sans
qualité, il devra indiquer pourquoi elle lui paraît inopérante
(Cass., 4 juin 1891, U. 91.1.135). En effet, les affaires commer
ciales peuvent toujours être jugées d’après les présomptions,
et un certificat quelconque pouvant suffire à former la con
viction du juge, il faut que celui-ci se prononce sur la valeur
de ce document en lui-même : quelque peu sérieux qu’il lui
paraisse, il est tenu de s’en expliquer.
C’est en vertu de la même règle qu’il a été jugé qu’une ex
pertise nulle, ou aux opérations de laquellele vendeur n’apas
pu être appelé, peut être consultée par le tribunal à titre de
renseignements et est par conséquent opposable au vendeur
à la seule condition que les renseignements qu’on y puise pa
raissent corroborés parles autres documents du procès (Cass.,
29 mars 1876, D. 76. 1.489. —Grenoble, 17 fév. 1893, D. 93.
2. 295. — Aix, Ch. réunies, 21 déc. 1392, M. 93. 1. 208). On
pourrait reprocher à cette jurisprudence aujourd’hui bien
assise qu’elle tourne la loi, on supprimant toutes les garan
ties qu’elle a voulu donner aux parties à propos des expertises.
412 bis. Ainsi que nous l’avons vu à propos de la vente càf
( j i ° 284), l’expertise doit en principe avoir lieu à l’endroit où
O II p o u rra it en ê tre a u tre m e n t du c o m m issio n n a ire ,
supra n" 285
�353
la marchandise est livrable. Le vendeur eu effet s’il l’a sti
pulée livrable à son domicile, est toujours considéré comme
s’étant référé aux usages du lieu d’expédition ; de même l’a
cheteur en exigeant qu’on livrât chez lui est présumé avoir
entendu que les difficultés, s’il s’en élevait, seraient appréciées
suivantles habitudes de sa place (Voir notamment Aix,4 mars
1890, conf. Marseille, 18 juin 1895, M. 1895.1.251 et 1896.1.
250). Mais dans la pratique, lorsque les tribunaux du lieu de
l’arrivée sont légalement saisis, ils choisissent souvent leurs
experts habituels en leur donnant pour mandat de recher
cher les usages du lieu du départ.
413. Il importe à laloyauté commerciale d’interpréter avec
une rigueur nécessaire les clauses d’un marché à l’aide des
quelles un négociant peu scrupuleux pourrait avoir en vue
de manquer à ses engagements. C’est ainsi que la qualité loyale
et marchande est toujours sous-entendue et fait la base néces
saire des transactions (Havre, 29 juil. 1890,R.D.M.,6, 428.—
Rouen,6fév. 1895,R. D.M.,11,36).Par exemple dans une vente à
livrer la clause « qualité telle quelle» ou «refusable en aucun
cas » n’empêche pas l’acheteur de réclamer une marchan
dise qui soit toujours loyale et marchande et, à plus forte rai
son, de refuser un chargement frauduleusement composé.
414. Lorsque la marchandise est livrable au domicile du
vendeur, celui-ci est en droit d’obliger l’acheteur sous peine
de résiliation à l’y venir agréer avant le départ ou à la faire
agréer par un mandataire dûment autorisé (Marseille, 20 sept.
1902, M. 1903. 1. 12). Mais s’il n’use pas de ce droit, l’ache
teur est encore recevable à exciper du défaut de qualité à
l’arrivée (Mars., 9déc. 1890,Mars., 91.1. 58). La livraison sti
pulée au domicile du vendeur n’en a pas moins une grande
importance. Elle met les risques à la charge de l’acquéreur
et sert à fixer le tribunal compétent. (Voir supra, n° 283,1a
différence entre la réception et l’agrément).
415. Le paiement du prix de la manière et au temps con
venu est pour l’acheteur une autre obligation non moins capi
tale.
La question de savoir où doit se faire le paiement a une im
portance réelle au point de vue du tribunal devant lequel ceAGRÉMENT
A chats et ventes
23
�354
ACHATS ET VENTES
paiement peut être poursuivi. On sait que l’article 420 du Code
de procédure civile attribue juridiction au juge du lieu où le
paiement doit être effectué. Sous ce rapport donc il n’est pas
inutile d’entrer dans quelques détails que nous renvoyons au
chapitre suivant pour ne pas scinder notre commentaire de cet
article.
416. Le refus ou le défaut de paiement du prix laisserait la
vente sans la contre-valeur qui en caractérise l’essence. Il était
donc naturel et juste de permettre au vendeur, soit de se refu
ser à tenir son engagement, soit à revenir contre l’exécution
qu’il lui aurait déjà donnée. C’est ce que consacre l’article 1654
du Code civil.
On a prétendu que cet article ne disposait que pour la vente
immobilière; que, par conséquent, on ne pouvait l’appliquer
aux ventes mobilières, et à plus forte raison aux transactions
commerciales. Mais cette prétention a été à bon droit repous
sée par la doctrine, condamnée par la jurisprudence (Troplong,
n“ 645, Paris, 18 août 1829 et 20 juil. 1831 ; D. R. v° Vente,
nos 1335 et 1338).
417. Ce qui est vrai, c’est que dans la vente commerciale
la résiliation ne sera pas toujours possible. Son effet étant de
faire rentrer le vendeur dans la possession de la chose dont il
s’est dessaisi, son exercice suppose nécessairement l’existence
intacte et distincte de celle-ci entre les mains de.l’acheteur.
Or, comment rencontrer cette condition, lorsque la chose
vendue, déterminée seulement par l’espèce et la quantité, est
venue se mêler et se confondre dans les magasins de l’acheteur
avec les choses de même nature qui y étaient déposées? Rési
lier la vente avec les conséquences que la mesure entraîne
serait donc autoriser le vendeur à s’introduire dans le magasin
de l’acheteur, et à prendre sur le tas de ses marchandises une
quantité de mesures égales à celle qu’il a livrée, alors même
que par le mélange la chose vendue eût doublé de valeur. Un
pareil résultat pourrait-il raisonnablement se concevoir ?
418. La résiliation serait plus impossible encore si, ayant
acheté pour revendre, le commerçant avait en effet revendu;
celui qui tiendrait de lui les marchandises, ne pourrait en être
dépouillé par le vendeur primitif non payé. Vainement lui
�355
opposerait-on la maxime resoluto jure dantis, resolvitur et jus
accipientis, les meubles n’ont pas de suite, et leur revendica
tion contre le détenteur actuel n’est autorisée qu’en cas de
perte ou de vol.
Donc, dans nos hypothèses, le vendeur primitif non payé n’a
évidemment que l’action en paiement contre son acheteur, non
qu’il ne fût fondé à demander la résiliation, mais parce que
son action à cet effet serait sans issue possible, et que la resti
tution ordonnée par j ustice ne pourrait être contrainte, la chose
ayant été dénaturée ou étant régulièrement sortie des mains de
l’acheteur.
Mais toutes les fois qu’on ne se trouvera pas en présence de
ces difficultés, l’article 1654 sera parfaitement applicable.
Supposez, en effet, que la chose vendue, reposée dans un ma
gasin dont le vendeur a remis les clefs, n’ait pas encore été
enlevée, la résiliation devant empêcher tout enlèvement ulté
rieur, son utilité et par conséquent le droit de la faire pronon
cer ne sauraient être ni méconnus, ni contestés.
Il en serait de même si la chose vendue n’avait pas encore
été livrée ou ne l’avait été que partiellement. La résiliation,
dans ce dernier cas, si elle ne pouvait déterminer la restitution
des livraisons consommées, dispenserait de l’obligation de
réaliser celles restant à faire, et rendrait au vendeur la libre
disposition des choses devant en faire l’objet, sans préjudice
des dommages-intérêts qui pourraient lui être dus.
419. A l’impossibilité de fait de la résiliation de la vente
commerciale pour défaut de paiement du prix dans la plu
part des cas lorsqu’il y a eu livraison, èe joint une impossi
bilité de droit, lorsque ce défaut de paiement est le résultat
de la faillite de l’acheteur, [supra, nos 368-369). La résilia
tion, dans ce cas, serait une véritable revendication. Les motifs
qui ont fait repousser celle-ci feraient donc nécessairement
repousser celle-là, soit que les marchandises fussent dans les
magasins du failli, soit qu’elles se trouvassent dans ceux du
commissionnaire chargé de les vendre.
420. Le bénéfice de l’article 576 du Code de commerce est
acquis aux ayants droit dès qu’il y a déconfiture et cessation
de paiements. L’absence d’un jugement déclaratif de faillite ne
PAIEMENT DU PRIX
�3o0
ACHATS ET VENTES
créerait aucun obstacle au rejet delà demande en résiliation.
On le sait, en effet ; ce qui constitue la faillite, c’est la ces
sation des paiements que ce jugement ne fait que constater.
Aussi, est-il admis en doctrine et en jurisprudence que l’ab
sence de jugement déclaratif ne lie en aucune manière les tri
bunaux civils ou criminels, ils peuvent et doivent au contraire
appliquer les règles spéciales de la faillite lorsqu’ils recon
naissent et constatent la cessation de paiements.
421. L’opinion contraire pourrait invoquer un arrêt de la
Cour de Paris du 20 juillet 1831, qui admet Ja résiliation par
iaraison que la faillite n’avaitpas été judiciairement déclarée.
Comme principe, cet arrêt ne saurait être ni approuvé ni
suivi, il constate lui-même que le débiteur avait abandonné
son domicile. Or, de tous les temps cet abandon a dû être et a
été considéré comme l'indice le plus formel de l’état de fail
lite.
Ce qui explique jusqu’à un certain point la solution qu’il
consacre, c’est la qualité des parties litigantes. Un seul
créancier contestait la résiliation comme délégataire du prix
que devait produire la revente des marchandises à l’occasion
desquelles la résiliation était poursuivie.
Or, le tribunal avait déclaré que cette délégation n’était pas
sérieuse et avait été faite en fraude des droits du vendeur ; et
la Cour ajoutait que dans tous les cas on n’avait pas à s’en
occuper, puisqu’elle ne pouvait être acquittée que sur le prix
de la revente, qui ne pouvait avoir lieu par suite de la rési
liation.
Ce créancier ainsi écarté, et la résiliation n’étant contestée
par aucun autre, on comprend sa consécration, mais ce que
nous ne saurions admettre, c’est l’inapplicabilité de l’arti
cle 576, en l’absence d’un jugement déclaratif. Cet article, en
effet, dispose pour le cas de faillite, et celle-ci ne saurait être
contestée dès qu’il y a cessation de paiements.
Un autre arrêt de la même Cour, du 18 août 1829, admet et
consacre la résiliation, malgré que la faillite eût été judiciai
rement déclarée.
Il s’agissait dans cette espèce d’un fonds d’hôtel garni, et la
Cour déclarait que l’acheteur était déjà en état de complète
�357
insolvabilité au moment de la vente, elle la résilie donc par
infirmation du jugement qui avait refusé de le faire.
Le silence que le Code de commerce gardait sur le privilège
du vendeur d’un meuble incorporel non payé pouvait sembler
en permettre la consécration. L’article 550 de la loi de 1838
en interdit désormais toute possibilité, lîn refusant expressé
ment non seulement la revendication, mais encore tout privi
lège, le législateur n’assigne au vendeur non payé, après fail
lite de l’acheteur, que la position et les droits d’un créancier
ordinaire.
En réalité donc la résiliation, en la supposant possible en
fait, ne peut être poursuivie que contre l’acheteur personnel
lement, et pendant qu’il est integri status. Sa déconfiture, ju
diciairement déclarée ou non, ne laisse au vendeur que l’ac
tion en paiement du prix, et le soumet, quant à ce paiement,
à la loi que subiront tous les autres créanciers. Ces derniers,
pour déterminer ce résultat, u’ont à établir que la cessation
de paiements en fait.
422. On pourrait objecter que les conséquences de ce sys
tème arrivent à faire de la résiliation un droit plutôt apparent
que réel, puisqu’il en rend l’exercice impossible. En effet, le
commerçant qui ne paye pas le prix de ce qu’il a acheté est
en état de cessation de paiements, et le vendeur sera non
recevable à agir, précisément au moment où il est appelé à
le faire.
C’est ce qui a donné naissance à l’opinion que nous indi
quions tout à l’heure, l’inapplicabilité de l’article 1054 à la
vente commerciale. Cette disposition, a-t-on dit, ne concerne
que la vente immobilière, car elle n’a d’efficacité que pour
ce qui la concerne. Tant que l’immeuble vendu existe, la rési
liation, à défaut de paiement du prix, ne saurait rencontrer
aucun obstacle sérieux. On comprend donc que la loi se soit
uniquement et exclusivement préoccupée de ce cas.
423. Cette opinion, nous l’avons dit, n’a été admise ni en
doctrine ni en jurisprudence. L’impossibilité d’application de
l’article 1054 aux ventes commerciales qui en fait la base
n’est pas absolue et ne se réalisera pas dans tous les cas, Le
refus de payer le prix peut tenir à tout autre chose qu’à l’inPAIEMENT DU PUIS
�358
ACHATS ET VENTES
solvabilité absolue, il peut être déterminé par des difficultés
sur le caractère ou la nature de la vente, sur le mode de son
exécution, sur une g'êne passagère. Dans ce cas, ou les pré
tentions de l’acheteur sont fondées, et la résiliation réclamée
par le vendeur serait repoussée, ou ces prétentions seront
condamnées, et la résiliation sera la juste peine d’une résis
tance illégale.
Il est encore une hypothèse où la faillite, même judiciai
rement déclarée, ne créerait aucun obstacle à la résiliation,
par exemple, si la vente étant à livrer, l’époque de la livraison
avait été échelonnée à des termes divers.
Le vendeur non recevable à faire résilier le contrat pour les
livraisons déjà opérées serait fondé à se faire exonérer de l’obli
gation de réaliser les livraisons futures. La masse elle-même
ne saurait résister à la résiliation qu’en offrant, soit une cau
tion, soit le paiement intégral non seulement de tout ce qui
resterait à livrer, mais encore de tout ce qui l’a été avant la
faillite.
On ne saurait en effet scinder le contrat : refuser le paiement
pour une partie, l’accorder pour une autre ; le vendeur se re
trancherait avec raison derrière son indivisibilité, et sa pré
tention de le faire exécuter pour le tout ou d’en faire pronon
cer la résiliation ne pourrait être raisonnablement repoussée.
C’est le cas ou jamais d’appliquer la fameuse devise : Sint ni
sunt, aut non sint.
424. La déconfiture, qui tout à l’heure nuisait au vendeur,
tourne ici à son avantage, elle lui assure ou l’exécution entière
du contrat, ou la disposition des quantités restant à livrer, et
par conséquent, en cas de hausse, le moyen de réaliser un bé
néfice qui atténuera d’autant la perte qu’il a à subir sur le prix
des livraisons déjà opérées.
Le même avantage se produit pour le vendeur à un autre
point de vue. Nous avons déjà dit que la déconfiture notoire
de l’acheteur l’autorise, s’il n’a pas encore livré, à refuser de
le faire, à moins d’un paiement immédiat ou d ’une caution sol
vable, malgré le terme qu’il a accordé. La résiliation de la
vente qui serait la conséquence forcée du refus de l’un ou de
l’autre, même contre la masse des créanciers, le met à couvert
�359
du préjudice que pourrait lui occasionner la déconfiture ou la
faillite de l’acheteur.
425. Au reste, il enest de la résiliation pour défaut de paie
ment du prix, comme de celle pour refus de retirement, elle
est exclusivement en faveur du vendeur, qui ne saurait jamais
être contraint à en poursuivre ou à en subir les effets. Il n’a
d’autre règle à suivre que son interet et ses convenances, il
peut donc demander l’exécution puro et simple du contrat,
faire condamner l’acheteur au paiement du prix, et l’y con
traindre sur sa personne et sur ses biens.
Il peut, si la chose vendue est encore en sa possession, en
faire ordonner ou le dépôt en mains tierces, ou la vente aux
enchères, aux risques et périls de l’acheteur ; et dans ce dernier
cas, retenir le produit de la vente en compensation du prix,
sauf à se faire indemniser de la différence en moins entre l’un
et l’autre.
Cette différence est due même on cas de résiliation, elle cons
titue alors les dommages-intérêts pour l’inexécution du con
trat. Elle se calculerait sur le prix convenu et le cours officiel
du jour de la résiliation.
426. Le prix doit être payé en la monnaie stipulée, or, ar
gent ou papier. Si les parties sont convenues d’un paiement
en espèces monnayées àl’étranger, livres sterling, marks, lires,
dollars, etc., l’acheteur sera astreint à fournir non pas la mon
naie même qui a été précisée, mais un nombre de pièces d’or
ou d’argent françaises représentant exactementla somme cal
culée en monnaie étrangère (R. p. 113). On devrait déclarer
nulle toute convention excluant des billets dont le cours en
France aurait été déclaré forcé (Aix, 23 nov. 1871, D.72.2.51).
Dans la pratique le prix est ordinairement payé au moyen
de valeurs négociables —: lettres de change acceptées,billets
à ordre régulièrement souscrits ou endossés— à des échéan
ces variant de trente à quatre-vingt-dix jours. L’acceptation
de ce mode de règlement n’emporte pas novation et, en cas de
non-paiement à l’échéance, le vendeur conserve tous les avan
tages que la loi peut lui accorder à ce titre, à moins, bien en
tendu, que la créance n’ait été régulièrement passée en compte
PAIEMENT DU PUIX
�360
ACHATS 10T VENTES
courant; elle devient alors un article de ce compte dont la ba
lance seule pourra être réclamée (R. p. 115).
427. Lorsqu'aucune convention n’a fixé le délai dans lequel
la marchandise serait payée, on applique les dispositions des
articles 1247 et 1651 du (iode civil; donc, en principe, le paie
ment doit se faire au moment de la délivrance « argent sur
balle». Mais l'usage de presque toutes les places de commerce
donne à l’acheteur un court délai qui à Marseille est de dix
jours. Sur d’autres places les délais, à défaut de stipulations
contraires, varient suivant la nature des marchandises. En
matière de vente de fonds de commerce,on ne paie ordinai
rement qu’après huit (Marseille) ou dix jours (Paris). Ces sor
tes de ventes sont en effet suivies d’habitude de publications
ayant pour but de laisser aux créanciers du vendeur un certain
temps pour notifier des oppositions (B.L.S.,nos 497-498).
Mais dans toutes les ventes si la clause « paiement comp
tant» avait été insérée au contrat, l’acheteur ne serait pasfondé
à prétendre qu’on s’en est référé à l’usage, et la clause doit
être appliquée rigoureusement(Marseille,9 février 1898 con
firmé par Aix, 17 novembrel899 et 17 janvier 1908, M. 908.1.
172, suprà, n° 368). Si cette clause est muette sur l’escompte,
il faudra décider que les parties s’en sont rapportées sur ce
point à l’article 9 de la loi de 1866 (précisant que dans les
ports de mer toutes les marchandises autres que les articles
manufacturés se vendent sur le pied de 2 0/0 d’escompte au
comptant, et lorsque le vendeur consent à convertir tout ou
partie de l’escompte en terme, il se règle à raison de 1/2 0/0
par mois), et là où la loi de 1866 n’est pas applicable, aux
usages de la place. La loi n’a parlé que des ports à cause de
la multiplicité et de la variété des usages dans les villes de
l’intérieur.
427 bis. À quel jour doit être fixé le cours du jour sur lequel
doit être basé le calcul de la différence à payer par l’une ou
l’autre des parties en cas de résiliation ? La partie au profit
de qui elle sera prononcée aura le choix de prendre la date
de la mise en demeure ou de la citation en justice, suivant
Celle qui lui sera la plus profitable. (Cf. supra, nos 240 et
273).
�PREUVE UE LA VENTE
361
SECTION V
DE LA PREUVE DE LA VENTE
DD TRIBUNAL COMPÉTENT
SOMMAIRE
428. L’écrit n’a jamais été requis pour la validité de la vente en
principe. Droit ancien. Quid s’il en a été dressé un ? Non
application de l’article 1325 du Code civil.
429. Caractère du bordereau de l’agent de change ou courtier.
430. Ses effets sous le droit ancien.
431. Le Code ne lui reconnaît le caractère de preuve que s’il est
signé par les parties. Ses motifs. Discussion au Conseil
d’Etat.
432. L’absence de signature n’annule pas nécessairement la vente.
433. La signature n’est requise qu’en tant qu’il n’y a pas eu encore
livraison.
434. L’acceptation de la facture prouve la vente.Motif du silence
gardé sur l’acceptation de la marchandise.
435. Exception si celui qui la reçoit ne doit agir que comme com
missionnaire.
436. De quoi résultera la preuvequ’il n’areçu qu’en cette qualité.
437. Influence de la stipulation et de la concession d’un dû croire.
438. Effet de l’envoi de la facture contre le vendeur.
439. La vente peut être prouvée par la correspondance. Son effi
cacité.
440. Le vendeur est-il toujours tenu de produire l’original de
l’acceptation ?
441. Explications diverses du défaut de réponse :
La partie qui reconnaît avoir reçu la lettre non répondue est
toujours liée.
Il en est de même si prétendant n’avoir pas reçu la lettre,
celle-ci est confirmée par la correspondance ultérieure,ou
ei, étant la dernière, elle a été transcrite régulièrement au
copie de lettres de l’expéditeur,
442. Article 420 du Code de procédure civile. Tribunal compé
tent pour résoudre les litiges possibles.
�302
ACHATS ET V EN TES‘
443. Est-il applicable en cas de dénégation du marché par l’une
des parties ? Non si la dénégation est sérieuse. Litispen
dance.
444. Conditions de la compétence lorsque l’article 420 est appli
cable.
445. Lieu de la promesse et de la livraison.
A).— Promesse.— Marché par correspondance.
446. Marché traité par commis-voyageur.
447. B). — Livraison. — Si la convention est nulle on applique
l’article 1247 du Code civil. Clause « rendu parité ». Mar
chandises voyageant aux risques de l’acheteur. Clauses
« livrable sous vergues, franco à bord, sur wagon départ,
livrables au débarquement, livrables à quai, livrables aux
docks, poids, étal sain garanti à Vembarquement ».
447j&Ês.La promesse et la livraison doivent-elles avoir lieu dans la
même ville ou dans la même circonscription judiciaire ?
448. C). — Lieu du paiement. — Quid au cas de silence de la
convention ?
448-450. Quid si le vendeur livre sans exiger le prix?
451 . Applicabilité de l’article 1247 aux ventes à terme.
452. Indications de la facture. Elles lient l’acheteur qui n’a pas
protesté.
453-454-455-456-457-458. Examen de la jurisprudence.
459. Si la facture mentionnant le paiement chez le vendeur
annonce l'émission d’une traite, cette indication n’est pas
dérogatoire.
460. Les mentions de la facture n’annulent pas la clause du con
trat antérieurement consenti fixant le lieu du paiement.
461. Protestation de l’acheteur seulement à l’arrivée de la mar
chandise. Distinction.
462. Raison d’être de la jurisprudence favorable au vendeur.
463. En cas de vente au comptant on applique l’article 1651 du
Code civil.
464. Mesures d’instruction. Tribunal compétent.
465. La preuve de la vente s’induit des livres des parties.
466. Pouvoirs du juge à cet égard.
467. Utilité de cette mesure.
468. Quels sont les livres dont on peut demander la représenta
tion ?
469. La preuve testimoniale esl-elle admissible dans l’achat et la
vente entre un commerçant et un non commerçant ?
�PREUVE DE LA. VENTE
363
470. Le non commerçant qui a d’abord opté pour une juridic
tion, peut il plus tard investir l’autre ?
428. En la forme la vente n’a jamais exigé l’écriture. Si à
l’origine la question avait paru douteuse en matière civile à
cause des termes de l’article 1582, l’article 109 par contre est
très clair. Il met la preuve par témoins au même rang que la
preuve littérale, acte authentique ou privé, en laissant au tri
bunal la faculté d’apprécier si elle doit ou non être déclarée
admissible. D’ailleurs en matière commerciale la preuve testi
moniale est de droit commun;les restrictions de l’article 1341
du Code civil sont ici inapplicables et le tribunal, sauf dans
quelques cas exceptionnels, peut toujours ordonner une en
quête. On peut donc lui demander d'entendre des témoins
même lorsqu’on ne produit aucun commencement de preuve
par écrit, quelle que soit la somme en litige, et même s’il
s’agit de prouver outre et contre le contenu aux actes (R. p. 239 ;
L.R.t.3,n° 78; Paris,13 juin 1894,M.95.2.29. — Cass.,11 juil
let 1892 et 3 mars 1894, S. 92.1.508 ; 94.1.413. Cass., 25 nov.
1903. D. 1904.1.183)(‘). De mômelorsqu’un écrit a été dressé,
il n’est pas nécessaire pour qu’il soit accepté comme preuve
qu’il réunisse toutes les conditions requises en matière civile,
il pourrait, par exemple, n’avoir pas été dressé en double
contrairement aux prescriptions de l’article 1325 du Code
civil.
Mais dans la pratique, surtout lorsqu’il s’agit de marchés à
livrer, de ventes maritimes, il est bien rare que les parties
n’écrivent pas leurs accords à double original, chacune gar
dant un exemplaire ; quant à l’acte notarié, il n’est jamais
employé. Sauf en matière de ventes de fonds de commerce—
et encore bien exceptionnellement — il ne nous en a jamais été
soumis. S’il en était pourtant passé un, et que les formes requi
ses pour sa perfection n’eussent pas été observées, sa nullité
n’aurait aucune influence sur la vente elle-même. L’acte nul
comme acte authentique vaudrait comme acte sous seing privé
( 1) Saul' b ien e n te n d u le c a s où il s ’a g ira it de p ro u v e r c o n tre les m e n tio n s d ’u n
a c te a u th e n tiq u e n e p o u v a n t ê tre a tta q u é e s q u e p a r l’in sc rip tio n de fau x .
�364
ACHATS IÎT VENTES
s'il étaitsigné parles parties (art.1318,C. civ.jet, à défaut, le
contrat pourrait être prouvé par l’un des modes autorisés par
l’article 109.
429. L’article 109 admet comme preuve de la vente le bor
dereau ou arrêté d’un agent de change ou courtier.
C’est qu’en effet la vente n’est pas toujours convenue direc
tement par les parties. Bien souvent elle aura été conclue par
l’intermédiaire légal ouconventionnelà qui ce soin est attribué.
Pour la vente et l’achat des effets publics, tout se passe
entre agents de change, sans que les parties se connaissent
entre elles. Il n’en est point ainsi des marchandises. Si la con
clusion du marché peut être convenue par les courtiers, l’exé
cution ne peut être que le fait des parties qui seules sont
appelées à la consommer. Or, il était facile de prévoir que
cette exécution demandée par l’un,refusée par l’autre,met
trait en question l’existence de la vente.
Il était donc naturel de demander la solution de la diffi
culté à l’officier public ou au mandataire par le ministère
duquel l’opération s’était traitée.
430. Mais quel devait être le caractère du bordereau déli
vré par l’agent de change ou le courtier ? Fallait-il le con
sidérer comme faisant foi par lui-même de l’existence de la
vente en faveur ou contre les parties ?
Le caractère public de ces intermédiaires avait paru, sous
notrë ancien droit, devoir faire admettre l’affirmative. En
conséquence, un arrêt du conseil, du 24 septembre 1734,
déclarait que les agents de change ayant foi et serment en jus
tice, leurs livres faisaient preuve des négociations dont ils
s’étaient mêlés. Get arrêt était devenu le droit commun de la
matière.
431. Dans la préparation du Code de commerce, la com
mission avait cru devoir suivre ces errements, elle proposait,
en conséquence, la consécration et le maintien de ce droit.
Le commerce, presque unanime,repoussait cette proposition
dont il signalait les inconvénients et les dangers ; il dépen
drait d’un agent de change ou d’un courtier, disait-on de toute
part, de ruiner un commerçant, s’il voulait abuser du pouvoir
qu’on propose de lui donner;il pourrait s’entendre avec un
�305
prétendu acheteur et consacrer les marchés les plus ruineux,
si son témoignage était admis comme preuve irrécusable.
Outre qu’il est dangereux,il est encore injuste que ce témoi
gnage d’un intermédiaire puisse devenir une preuve juridique,
il ne peut être admis s’il y a dénégation du marché ; il peut
l’être seulement lorsque la contestation ne porte que sur les
conditions du marché (l).
Touchée de ces objections, la commission modifia le projet
et proposa de n’accorder foi au bordereau que lorsqu’il
serait revêtu de la signature des parties.
Mais cette modification souleva une vive discussion au Con
seil d’Etat. MM.Merlin et Jaubertlui reprochaient : 1° de déna
turer le ministère des courtiers, puisque le marché ne se con
sommerait plus par eux, et que les parties auraient la faculté
de se rétracter;2° de rendre inutile l’obligation détenir des
livres de suite et sans blancs suffisants pour déjouer la fraude;
3° enfin d’être impossible là où il y a un grand mouvement
d'affaires.
MM. Régnault de Saiut-Jean-d’Angely et Cambacérès ap
puyaient la proposition de la commission, en opposant les
dangers signalés par le commerce qui devaient résulter du
rejet de la condition. Sur leurs observations, la nouvelle
rédaction fut maintenue et devint le droit commun (a).
Ainsi, le bordereau du courtier ne fait preuve de la vente
que si les parties l’ont respectivement signé ; il semble dès
lors que l’exigence de cette condition dispensait le législateur
de s’en expliquer,car le bordereau signé parles parties est
moins une attestation, un témoignage, qu’un véritable acte
de vente, dont les signataires ne pourraient récuser l’autorité.
Mais le silence de la loi eût pu autoriser la prétention de
voir, dans le bordereau émané exclusivement du courtier, la
preuve de la vente, et comme le législateur ne l’entendait pas
ainsi, il a voulu prévenir toutes difficultés en formulant et
précisant sa pensée.
PRKUVIi DK LA VKNTI5
4 3 2 . L’absence de la signature des parties sur le bordereau
cn tra în e-t-elle fatalem ent le rejet de la prétention fondée sur
( ’) Analyse raisonnée des observations des I r i h p. 4 t.
( 2) P ro c è s -v e rb a l du 20 ja n v ie r 1807, n oS 33 e t su iv . L o c ré , t . 17, 241.
�366
ACHATS ET VENTES
l’existence de la vente, de telle sorte que les juges ne puis
sent reconnaître celle-ci, et en prescrire l’exécution ?
L’affirmative méconnaîtrait la pensée du législateur et irait
au delà de son intention. Son but unique, comme l’exprimait
le prince archichancelier, a été de proscrire toute règle ab
solue, liant tellement le juge qu’il ne lui serait plus permis
d’écouter et de suivre les inspirations de sa conscience, les
exigences de l’équité.
Il s’en rapporte donc dans cette circonstance, comme dans
toutes les hypothèses où il s’agit d’une question de fait, à son
appréciation souveraine. De là l’ensemble de l’article 109 fai
sant une si large part dans la détermination des éléments de
cette appréciation; d’ailleurs, l’admissibilité de la preuve tes
timoniale entraîne celle de la preuve par présomptions. Donc,
si indépendamment du bordereau non signé par les parties,
il en existe de graves, précises et concordantes, comprendraiton que le juge dût les méconnaître et en récuser l’autorité?
Ainsi, l’irrégularité du bordereau n’a pas d’autre résultat
que celui-ci. La signature des parties lui eût donné le carac
tère de preuve positive, l’existence de la vente en eût été la
conséquence immédiate, forcée, sans qu’il fût nécessaire de
fournir d'autre preuve à l’appui.
L’absence de signature lui enlève toute force probante.La
vente reste en l’état dépuré allégation de lapart de celui qui
s’en prévaut, il sera dès lors obligé de l’établir par tout autre
mode de preuve admis par l’article 109, notamment par la
preuve testimoniale.
La partie pourra donc en appeler au témoignage de l’in
termédiaire qui a négocié le marché, tout au moins étayer la
sincérité du bordereau sur des présomptions ou des preuves
extrinsèques, et si les circonstances donnent au juge la con
viction de la réalité et de la sincérité de l’opération, son de
voir sera d’en reconnaître et d’en constater l’existence; d’en
ordonner l’exécution (Orléans,31janvier!817,D. Rép., v° Vente
102-1°). Il a été aussi jugé, dans cet ordre d’idées, que le
bordereau de l’agent de change par qui une opération de
bourse a été conclue peut, bien que non signé par la partie
intéressée, fournir contre celle-ci une présomption suffisante
�367
pour justifier de l’existence et des conditions de cette opé
ration (Cass., 16 juin 1884 ; D. 86.1.153 et la note). La
jurisprudence décide néanmoins que le courtier ne pourra
pas être entendu en qualité de témoin (Douai, 21 avril 1878,
M.80.2.7). Si une partie le met en cause à l’effet de lui défé
rer le serment décisoire, le juge devrait ne pas s’y arrêter;
il devrait se borner à constater qu’il n’y a là qu’un moyen
d’éluder la prohibition et refuser la délation du serment (Mars.,
9 février 1881 et 28 avril 1896, M. 81.1.101 et 96.1.190).
433. M. Défermon proposait de n’exiger la signature des
parties sur le bordereau que lorsqu’il n’y a pas eu encore li
vraison, car, disait-il, il ne faut pas que le bordereau irrégulier
puisse détruire la vente.
Cela était si naturel et s’induisait tellement du fait, qu’on
n’avait pas à l’exprimer dans la loi. Lorsque la chose vendue
a été livrée d’un côté, reçue de l’autre, à titre de vente, il ne
peut plus s’agir du plus ou moins de régularité du bordereau.
La preuve delà vente qu’on voudrait y chercher ne résulte-telle pas de l’exécution qui lui a été donnée ?
Le réceptionnaire prétendra-t-il qu’il ne s’est agi que d’une
consignation ou d’un dépôt? Son allégation ne pourrait être
accueillie que s’il en prouvait la réalité et la sincérité. Il est
difficile d’admettre qu’une opération de cette naturelle laisse
pas quelques traces, soit dans la correspondance, soit dans le
caractère des précédentes relations, soit dans les énonciations
delà facture accompagnant l’envoi, ou l’ayant précédé ou suivi.
434. La loi fait résulter la prouve de la vente de l'accep
tation de celle-ci, soit, en pratique, de sa réception sans
protestation. L’on pourrait s’étonner qu’elle n’ait pas atta
ché le même effet àcellc de la marchandise. Mais cela s’expli
que par la nature des choses, par le désir de prévenir la
fraude.
Supposez un envoi en consignation ou en dépôt. Une baisse
considérable venant à se réaliser, l’expéditeur aurait pu vou
loir faire considérer l’opération comme une vente, en consé
quence, adresser une facture dans ce sens après l’arrivée do
la marchandise aux mains du destinataire.
Si la réception de celle-ci avait été considérée comme
PREUVE DE LA VENTE
�3(38
ACHATS HT VHiNTES
preuve de la vente, ce destinataire se trouverait acheteur avant
d’avoir été mis en demeure de protester contre cette qualité,
et de donner à l’opération son véritable caractère.
Cette mise en demeure, en effet, ne peut résulter que delà
réception de la facture. Ses indications divulguent les pré
tentions de l’expéditeur et, en donnant le moyen de le con
tredire, en imposent le devoir.
Celui, en effet, qui n’a rien acheté et à qui on vient dire, je
vous ai vendu telle chose, ne saurait hésiter. La vue de la mar
chandise annoncée et expédiée ne lui révélera pas l’inexis
tence du contrat, il n’a donc pas à l’attendre.
On conçoit jusqu’à un certain point la conduite contraire
lorsqu’il s’agit du mode d’exécution à donner à une vente cer
taine et reconnue. iMais si son existence est déniée, la qualité
plus ou moins avantageuse de la marchandise est fort indif
férente. Qu’importe, en effet, que la marchandise expédiée
soit bonne ou mauvaise, lorsqu’enfait le destinataire n’a rien
demandé, rien acheté ? Or, comment pourra-t-il le prétendre
si, recevant facture à un achat qu’il ne pouvait même soup
çonner, il ne s’empresse de réclamer de protester immédia
tement et en quelque sorte courrier par courrier? S’il garde
le silence jusqu’à l’arrivée des marchandises, le refus qu’il en
ferait constituerait une difficulté sur l’exécution du contrat,
mais ne saurait annuler l’effet de la reconnaissance tacite de
son existence, résultant de la réception de la facture sans ré
clamation ni protestation.
435. Cette règle estsusceptible d’être modifiée par lanature
réelle de l’opération, par la qualité des parties.
Le commissionnaire à la vente, quoique agissant ensonnom
personnel, n’en estpas moins un simple mandataire àl’égard
de son commettant. Or, il arrive souvent que celui-ci, qui
ignore au moment de l’expédition des marchandises quels en
seront les acheteurs, les facture simplement au nom du com
missionnaire, qui paraît ainsi un acheteur ordinaire.
Pourra-t-il, la baisse Survenant, lui attribuer cette qualité
et l’induire de l’acceptation de la facture ? Non évidemment,
car ce serait l’autoriser à dénaturer le contrat ; non encore,
parce que l’acceptation de la facture de la part du commis-
�ÜG9
sionnaire n’a été et n’a pu être que l’exécution donnée à la mis
sion qui lui était confiée.
436. Mais on comprend que la réalité de cette mission doit
être acquise ou prouvée par celui qui en allègue l’existence.
S’il est rationnel et juste que le commissionnaire ne puisse
être réputé acheteur, au gré de l’intérêt du commettant, Userait
inique que l’acheteur pût à sa convenance répudier cette qua
lité et se parer de celle de commissionnaire.
Les juges ne doivent donc se prononcer qu’à bon escient, et
sur la preuve faite du caractère réel de l’opération. Cette
preuve résulterait naturellement des termes de la conven
tion, si les parties avaient constaté leurs accords par écrit.
A défaut, on pourra l’induire de la nature du commerce
des parties ; de la qualité du commissionnaire chez le récep
tionnaire ; des précédents; de la correspondance ; du règle
ment des comptesde ventes antérieurement opérées, qui énon
ceraient et admettraient soit une commission, soit un t/wcroire.
En effet, de l’acheteur au vendeur la bonification convenue
et acceptée ne constituera qu’un escompte, et figurera sous
cette qualification. 11 ne peut venir à la pensée de l’un d’exi
ger, à celle dë l’autre d’accorder un droit de commission qui
ne peut être que le salaire des peines et soins de l’intermé
diaire ayant rapproché les parties et amené la conclusion du
marché; la stipulation de ce droit est donc exclusive de la qua
lité d’acheteur.chez son bénéficiaire.
437. Ce qui est vrai pour le simple droit de commission,
l’est à plus forte raison pour le ducroire, celui-ci n’est en effet
que le prix en échange duquel le commissionnaire garantit la
solvabilité des acheteurs avec lesquels il a traité de la marchan
dise du commettant.
Sa stipulation, acceptée par celui-ci, ne permettrait pas d’hé
siter sur sa qualité ; comment concilierait-on le dû croire avec
la prétention de l’expéditeur qui lui a promis cette commis
sion complémentaire d’avoir été vendeur? Car s’il était ven
deur, il demeurait absolument étranger à la revente et n’avait
ni à s’enquérir ni à s’inquiéter de la solvabilité des acheteurs,
pourquoi donc en exige-t-il et en paye-t-il la garantie ?
Nous avons donc raison de le dire, la concession d’un droit
PREUVE DE LA VENTE
A c h a t s et ventes
24
�370
/
ACHATS ET V ENTES
de com m ission, celle d ’un dû croire, fixe le caractère du con
trat, la qualité des parties. L’expéditeur n ’est qu’un com m et
tant', le destinataire qu’un com m issionnaire, quels que soient
d ’ailleurs les term es de la facture. D onc l ’acceptation pure et
sim p le de celle -c i, tout com m e la réception de la m archan
dise, ne saurait constituer l ’un vendeur, l ’autre acheteur, et
donner lieu par conséquent à l’app lication de l ’article 109.
4 3 8 . Le lég isla teu r, qui règ le pour l ’acheteur l ’effet de la
réception de la facture, se tait sur celu i que son envoi pro
duirait contre le vendeur, c’est qu’il ne pouvait être qu’on prévît que celu i-ci, après cet envoi, dénierait l ’existence de la
vente. Toute tentative dans ce sens serait vain e, et viend rait
fatalem ent échouer devant la preuve écrite du contraire q u ’il
aurait lu i-m êm e fournie.
La facture, en effet, si elle ne fait foi contre l ’acheteur qu’après son acceptation, lie obligatoirem en t son auteur dès que,
l ’ayant revêtue de sa signature, il l ’a en voyée au destinataire.
Pour ce qui le concerne donc, on ne saurait sans m entir à
l ’évidence refuser à lafacture le caractère d ’un titre dans le sens
que la lo i attache à ce m ot.
4 3 9 . A défaut de titre, en l ’absence de bordereau régulier
ou de facture accep tée, la preuve de la vente peut se puiser
dans la correspondance et résulter de ses indications.
Les transactions com m erciales ayant lieu , le plu s souvent,
d ’une place sur l ’autre, il est difficile d’adm ettre qu’on ne
pourra pas en saisir la trace dans les lettres dont elles seront
devenues l’occasion. La correspondance ne pouvait donc être
om ise dans l ’énum ération des m odes de preuve adm issib les.
E lle en est, en réalité, le p lu s pérem ptoire, le p lu s décisif,
car on pourra y saisir l’opération dans son origine, dans ses
con d ition s, et en déterm iner le véritable caractère.(C î.su prà,
n 03 100 et s.).
4 4 0 . E st-il ind isp ensable que celui qui se prévaut de la cor
resp on dan ce et qui ju stifie par son copie de lettres, soit de
son acceptation, soit de la dem ande, produise l’origin al de
la réponse ou de la proposition de son adversaire ?
Il est évident que la vente n ’est parfaite que par le co n -
�371
cours des volontés ; que par conséquent celui qui excipe de
l’une doit établir l’autre.
Mais il ne faudrait pas que celui qui reçoit une demande
pût, en négligeant de répondre, se ménager le moyen d’exciper de la vente en cas de baisse ultérieure, de la dénier en
cas de hausse. La loyauté commerciale lui fait un devoir de
s’expliquer, et l’inobservation de ce devoir pourra, dans cer
tains cas, le faire considérer comme ayant consenti et accepté
la proposition : Qui tacet consentira videtur.
On n’a jamais hésité en commerce à appliquer cette règle
et à tenir comme acceptée la lettre non répondue dans le
délai normal.
On pourrait vouloir expliquer le défaut de réponse par la
non-réception de la lettre, mais l’usage commercial a en quel
que sorte prévu cette excuse et a tracé les conditions de son
admissibilité.
441. Le défaut de réponse peut être expliqué de différentes
façons :
1° La partie à laquelle on l’oppose reconnaît avoir reçu la
lettre lui annonçant la conclusion du marché. Mais elle pré
tend que n’ayant rien acheté ou rien vendu elle n’avait pas à
répondre : elle a considéré la lettre comme le résultat d’une
erreur dont elle n’avait pas à se préoccuper.
Dans ce cas, pas de doute. Le défaut de protestation im
plique acceptation. On ne peut admettre qu’un négociant
garde en mains une lettre liant définitivement un vendeur ou
un acheteur, et qu’il se réserve, par son silence, le droit de
s’appliquer ou de dénier le marché suivant les fluctuations
des cours (Mars., 15 janv. 1881 confirmé par Aix, 19 nov.
1881) Il en serait de môme si celui qui a reçu la lettre pré
tendait n’avoir que verbalement protesté auprès du représen
tant placier de l’autre partie (Havre, 0 janv. 1897, G. P. T.,
97-902 v° Vente coinm., nos 36 et 37.)
2° Elle prétend que la lettre ne lui est jamais parvenue. On
ne saurait, sans lui imposer une preuve impossible, soumettre
celui qui en excipe à prouver non seulement qu’il l’a écrite,
mais encore qu’elle a été reçue. La jurisprudence a donc for
mulé les règles suivantes :
PREUVE DE LA VENTE
�372
ACHATS ET VENTES
A. — Si la lettre prétendue non parvenue à destination a
été, suivant les usages du commerce, confirmée dans des let
tres ultérieures sûrement reçues, pas de doute encore. Le
marché est lié et doit recevoir son exécution (Havre, 14 janv.
1840. conf. par Rouen, 9 mars 1840, J. P., 1840, p. 686).
3“ La lettre est unique ou la dernière de la correspondance.
Admettra-t-on que le négociant à qui on l’oppose l’a reçue
et le déclarera-t-on obligé par son contenu?
Ici on peut établir difficilement une règle générale. Le juge
aura un pouvoir d’appréciation absolu : il se décidera d’après
la situation commerciale des parties, leur bon renom, les fluc
tuations du marché. On décide généralement que lorsqu’un
négociant honorable apporte à un tribunal un copie de let
tres régulièrement tenu sur lequel la lettre, objet de la déné
gation du destinataire, aura été pressée à sa date et sur un
feuillet distinct, à la place qu’elle doit normalement occuper,
il y a présomption que cette lettre a été envoyée et a été re
çue. H serait impossible, en effet, de vouloir astreindre les
négociants à ne correspondre que par lettres recommandées
(Toulouse, 18 nov.1899, J. T. G., 1901,p. 740. —Seine, 1"sept.
1900, G. P., 1900. 2.871. — Marseille, 16 nov. 1898 et 18 janv.
1899, M. 99.1.73; id., 2 janv. 1900; ib., 900.1.125).
442. Compétence. — L’effet que l’article 109 attache à
l’acceptation de la facture amène tout naturellement à exa
miner les questions relatives à la compétence. L’article 420
du Code de procédure civile indique ainsi quel est le tribu
nal compétent pour connaître des difficultés se rattachant à
un contrat commercial :
« Le demandeur pourra assigner à son choix devant le tribunaldu domicile du défendeur, devant celui dans l’arrondis
sement duquel la promesse a été faite et la marchandise li
vrée, devant celui dans l’arrondissement duquel le paiement
devait être effectué. »
Laissant de côté la répétition de la règle générale actor
forum sequitur rei examinons les deux autres situations vi
sées par cet article.
Mais tout d’abord dans quel cas pourra-t-il être appliqué?
443. Dans les premières éditions ila été indiqué que le juge
�373
420 I>R. CIV.
saisi en vertu de cet article ne devait pas connaître du litige dès
que Tune des parties déclarerait formellement que le marché
n’existe pas : la compétence de l’article 420 étant exception
nelle ne peut se vérifier que dans les conditions exigées par
eet article lui-même, c’est-à-dire qu’il faut que l’existence de
l’opération et la détermination du lieu de paiement soient ac
quises et établies.
Ainsi posé le principe reste exact. Mais la jurisprudence y
a apporté un tempérament nécessaire.
En effet s’il suffisait à la partie citée devant un tribunal com
pétent d’une dénégation audacieuse pour obtenir son renvoi,
l’article 420 eût été inutile, tant son application eût été rare
dansla pratique.lia doncétéjugéavecraison qu’ilfalLait pour
pouvoir décliner utilement lacompétence que la dénégation du
contrat fût sérieuse, et que les tribunaux avaient à ce sujet un
pouvoir d’appréciation illimité. Dans la recherche des faits
qui doivent les déterminer à retenir ou renvoyer la cause, ils
seront amenés presque nécessairement à se prononcer au
moins implicitement sur le fond. Cette conséquence ne doit pas
les arrêter. Il n’y a là aucun excès de pouvoirs, mais l’examen
obligatoire des moyens soutenus par le défendeur. Ils ont
même le droit d'ordonner une enquête pour avoir la preuve
du fait de l’existence duquel dépend leur compétence (Cass.,
24 fév. 1903, D. 1903.1.189. —Bordeaux, 23 juin, 1893, M. 93.
2.221. —Cass., 22 oct. 1897, G. P.,97.2.494; id., Gnov. 1871,
M. 72.2.32.— Rouen lor juin 1906, G.P., 1905.2.134), ce sont
là d’ailleurs des questions de lait qui échappent au contrôle
de la Cour de Cassation.
Ilpeutse faire que chacune des parties aitassigné devant un
tribunal différent. Dans ce cas le tribunal second saisi ne doit
pas renvoyer la cause s’il reconnaît que sa compétence est
exclusive de celle du tribunal déjà investi (Cass., 8 août 1864,
D. 64.1.464. — Aix, 12 déc. 1874, Bull. jud. d’Aix, 75.280).
444. Lorsque la dénégation aura été repoussée comme
n’étant pas sérieuse, le tribunal aura alors à vérifier si les con
ditions de l’article 420 se trouvent accomplies. Est-il le tri
bunal du lieu de la promesse et de la livraison? ou celui du
lieu du paiement ?
COMPÉTENCE. ART.
�374
ACHATS ET VENTES
4 4 5 . Lieu de la promesse etde la livraison. —A). Promesse.—
Nous avons déjà indiqué (supra n° 105) la difficulté relative à
la détermination du lieu où l’accord des parties se réalise lors
qu’il s’agit d’un marché par correspondance. N’est-il parfait
que par l’arrivée de la lettre d’acceptation en mains de celui
qui a fait l’offre, ce sera alors dans ce lieu que la promesse
sera réputée faite. Si au contraire il est censé passé au lieu
d’où est datée la lettre portant acceptation des conditions pro
posées, ce sera celieu qu’on devra envisager pour fixer la com
pétence.
Le tribunal de Marseille et la Cour d’Aix (‘) ont Jusqu’à au
jourd’hui, jugé constamment d’après le premier système(Aix,
14 mai 1872, M. 73.1.66; Mars.,19 déc. 1884, 17 sept. 1885;
25 juin 1888 ; 29 mars 1895 ; 20 avril 1899 ; 30 janv. 1900, M.
84.1.293; 86.1.5; 88.1.324 ; 95.1.179; 99.1.273; 1900 1.141.
Àix,23 novembre 1908,G.T.,n° 7 décembre (s). —Sic Lyon,
11 mars 1896, J. T. C., 46, p.667. — Bourges, 19 janv. 1866,
J. T. C., 15, p. 117. — Paris, 15 janv. 1880 ; ib., 29, p. 215).
Mais actuellement la plupart des arrêts ont adopté la thèse
contraire (Caen, 15 juin 1871, D. 72.5. 111. — Rennes, Ofév.
1875,D.75.2.224. — Rouen,28fév. 1874,D. 77.2.222. — Douai,
15 mars 1886, D. 88.2.37.—Poitiers, 21 janv. 1891, D. 92.2.249.
— Lyon, 12 avril 1892, D. 93.2,324. — Limoges, 2 mars 1894,
D. 95.2.257. — Sic L. R., t. 3, n° 27).
Nous rappelons que la Cour de Cassation ne voit là qu’une
question de pur fait dont la solution dépend entièrement de
l’appréciation des tribunaux sans qu’elie puisse exercer aucun
contrôle (supra notc,n°105 et encore 17janv. 1898,D.98.1.79).
Quelle est au point de vue delà compétence la doctrine devant
avoir notre préférence ?
Dans la deuxième édition, Bédarride se rattachait au second
système par ces considérations:
L’ignorance de l’acceptation ne produit que l’effet que nous
avons signalé, à savoir: la faculté pour les parties de se rétrac
ter. Mais si lorsque l’acceptation arrive la rétractationn’apas
eu lieu, elle ne peut plus être effectuée, et le contrat a acquis
U) S a u f u n a rrê t d u 18 ju in 1391 (Rec.. A ix , 9 1 .1 .2 3 3 ).
(a) E n c o re A ix , 28 d é c e m b re 1908.
�375
toute sa perfection. Cette perfection c’est l’acceptation qui la
lui a donnée, il fautdoncse reporter au lieu où celle-ci s’est réa
lisée, et ce lieu n’est et ne peut être que le domicile <le l’ac
ceptant, ainsi que l’a jugé la Cour de Colmar le 17 février 1840
(J. P., 1840.2.184).
Nous avouons que toutes ces raisons ne peuvent nous con
vaincre et que nous préférons, malgré tous ces arrêts, la doc
trine du tribunal de Marseille et de la Cour d’Aix. L’écriture,
l’envoi de la lettre d’acceptation par l’acceptant, ne cons
titue en réalité vis-à-vis de celui à qui elle est destinée,
qu’une pensée non exprimée. L’acceptant n’est lié que
s il ne se rétracte pas avant que cette lettre soit parvenue à
destination. (Toulouse, 13 juin 1901, J. T. G., 52, p. 675). Il
ne consent donc que sous condition et cette condition d’où
dépend l’existence même de la convention n’est accomplie
qu’à l’instant où le proposant qui n’a reçu aucun contre-ordre,
ouvre la lettre d’acceptation. Jusque-là il n’y a pas contrat,
mais plutôt projet de contrat. Si donc le marché n’est obliga
toire pour chacune d’elles qu’au moment de la lecture de la
lettre d’acceptation,n’est-ce pas aulieuoù est lue cette lettre
qu’il doit être réputé accompli? (Voir tous les éléments de
cette controverse: D. Rép., v° Vente,n° 86, et Supp. n° 31-35.)
446. La vente traitée par commis-voyageur a donné lieu à
une difficulté semblable.Elle a cela de particulier qu’elle est
toujours provoquée par le vendeur. L’offre est transmise par
mandataire au lieu de l’être par lettre.
Il est évident que si le mandataire a pleins pouvoirs pour
engager sa maison,l’offre étant définitivement faite et accep
tée au domicile de l’acheteur, c’est à ce domicile qu’aura été
passé le contrat.Mais dans la pratique les commis-voyageurs
n’ont pas la faculté d’engager ferme le négociant qu’ils repré
sentent. Ils transmettent seulement les commandes qui sont
toujours soumises à la ratification du vendeur. Dans ce cas le
marché est-il réputé passé au domicile de l’acheteur qui a
accepté les offres sauf ratification, ou au domicile du ven
deur qui recevant l’ordre donné à son mandataire a écrit à
l’acheteur la lettre de confirmation? Fort heureusement la
Cour de Cassation moins timide que pour l’hypothèse précéI’HOMËSSE ET LIVRAISON
�dente a clos toute controverse par un arrêt très net (25 fév.
1879, D. 79.1.102) jugeant que si l’ordre pris par un repré
sentant est sujet cà ratification, « cette ratification rétroagit
au jour de la convention qui en est l’objet et dont la date
ainsi fixée, détermine le lieu où le contrat a été passé ». C’est
donc en ce lieu et non au domicile du commettant que le mar
ché se trouve conclu dans le sens de l’article 420. La plupart
des cours et tribunaux se sont ralliés à cette jurisprudence
(Mars., 3 sept. 1888 et 21 juil. 1896, M. 89. 1. 37 et 96.1.296.
— Bordeaux, 8 fév. 1881, M. 83.2.158. — Bourges, 11 fév. 1896,
J.T.C.,46, p. 625). — Toulouse, 27 mars 1884, D. 85.2.52).
447.
B) Livraison. — Nous avons vu que si rien n’a été con
venu quant au lieu de la livraison on suit les règles de l’ar
ticle 1247 du Code civil, même quand on a stipulé la clause
« rendu parité » (suprà, n° 326).
Toutes les fois que la marchandise voyage aux risques de
l’acheteur, qu'il supporte les frais de transport, la chose est
bien évidemment livrable au domicile du vendeur (Cass.,
13 mars 1878, D. 78.1.311).
Les clauses livrables sous vergues, franco à bord, sur toagon
départ,impliquent également la délivrance au lieu d’expédi
tion. Par contre les cia ânes livrables au débarquement, livra
bles à quai, livrables aux docks indiquent clairement que la
marchandise est livrable au lieu d’arrivée (B.p.93).
La mention poids, état sain garanti à /'embarquement ne
suffit pas pour démontrer que les parties ont voulu placer la
livraison à ce moment, cette clause n’ayant d’autre effet dans
l’intérêtdes vendeurs que de répudier les conséquences éven
tuelles des risques de mer, et laissant subsister l’obligation
d’opérer la livraison aulieu de destination (Rouen, 19 juillet
1893, B. D, M., IX, 170).
4 4 7 bis. Le tribunal de commerce de Marseille a jugé le
29 août 1884 (M. 84.1.279)que la double circonstance de la
promesse et delà livraisonnécessaire pour fixer lacompctence
aux termes de l’article 420 doit s’être réalisée rigoureusement
dans le même lieu. Par exemple cet article ne serait pas ap
plicable à une vente conclue à Meudon, alors que la marchan
dise qui en fait l’objet devrait être livrée à Versailles ! Nous
�377
croyons que le tribunal a dénaturé le sens de l’article 420.
Celui-cion effet ne parle pas de ville, ni de lieu. Il édicte que
le demandeur pourra assigner «devant le tribunal dans l'ar
rondissement duquel la promesse a été faite et la marchan
dise livrée». Donc, tous les points de cet arrondissement (syno
nyme évidemmentde circonscriptionjudiciaire)sont également
visés. Il n’est pas dit que la promesse et la livraison devront
se produire à un endroit unique d’un même arrondissement.
Cela nous paraît l’évidence même !
4 4 8 . C) Paiement. — Aucun doute et par conséquent au
cune difficulté ne saurait s’élever, quel que soit le caractère
de la vente, si les parties ont expressément déterminé le lieu
du paiement; c’est le tribunal de ce lieu qui est compétent,
encore bien qu’il ne fût le domicile d’aucune des parties.
Si la convention est muette, on distingue: ou la vente a été
faite au comptant, ou elle est faite à terme.
Dans le premier caslarègle générale est que le paiement
doit être effectué au lieu où s’opérera la délivrance et nous
avons déjà dit que le vendeur au comptant peut se dispenser
de livrer si l’acheteur ne paie pas immédiatement (suprà,
n* 427).
4 4 9 . Or, dès qu’il s’agit d’une faveur, il est évident que le
vendeur a la faculté d’en répudier le bénéfice. S’il a cru devoir
le faire, s’il a livré la chose sans en exiger le prix au moment
delà délivrance, pourra-t-il actionner en paiement devant le
tribunal du lieu de la délivrance ?
M. Delvincourt se prononce pour l’affirmative, il ne voit
dans la conduite du vendeur qu’un acte de condescendance
qui ne peut modifier ni altérer son droit : Nemini officium
suam debet esse damnosum.
M. Duvergier soutient l’opinion contraire. L’article 1247
du Code civil, enseigne-t-il, reprend son empire lorsque,même
sans accorder un délai expressément, le vendeur a bien voulu,
ne fût-ce que par complaisance, ne pas exiger le paiement au
moment de la délivrance (n° 447).
4 5 0 . Il est de fait que le vendeur au comptant, qui livre sans
se faire payer, s’en remet à la foi de l’acheteur,il lui fait en
réalité un prêt. Sa position est tellement modifiée que, défenPAIEMENT. FACTURE
�378
ACHATS ET VENTES
deur obligé à l’action en délivrance, il s’est réduit à la néces
sité d’agir comme demandeur en paiement.
Mais l’article 420 base ses prévisions non sur le fait du paie
ment, mais sur la convention arrêtée sur le lieu où il devait
s’opérer. Ainsi il déclare compétent le tribunal dans l’arron
dissement duquel le payement
être effectué.
Hésiterait-on, si en vendant à terme le vendeur avait sti
pulé que le paiement se ferait à son domicile ? Or, cette sti
pulation la loi la sujipose et la fait résulter du fait que la vente
est faite au comptant. Donc, quelle qu’ait été la conduite du
vendeur, il n’en sera pas moins certain qu’à l’origine du con
trat, et dans l’intention commune des parties, le paiement
devait être effectué au lieu de la délivrance. Dès lors la con
dition exigée par l’article 420 du Code de procédure civile
étant acquise, son effet ne peut être ni méconnu, ni contesté.
4 5 1 . Dans la vente à terme, l’article 1247 du Code civilrégit
exclusivement les parties. Donc, en l’absence de convention,
et s’il ne s’agit pas d’un corps certain et déterminé, le paie
ment doit être fait au domicile du débiteur. D’où la consé
quence que si la promesse a été faite dans un arrondissement
et la livraison dans un autre, le tribunal de l’acheteur sera
seul compétent pour connaître non seulement de l’action en
paiement, mais encore de toutes les difficultés que l’exécution
du contrat pourrait faire surgir.
4 5 2 . L’application de la règle tracée par la loi dans la vente
au comptant, comme dans la vente à terme, est subordonnée
à la volonté des parties, toujours libres de convenir du con
traire. Or, dans la vente commerciale, il n’y a le plus souvent
d’autre traité que la facture elle-même qui, en manifestant
l’exécution du marché, fournit en quelque sorte la preuve de
son existence et en mentionne les conditions.
Ses indications, notamment celle relative au lieu du paie
ment, lient-elies l’acheteur?
En principe, la facture est l’œuvre exclusive du vendeur.On
ne saurait dès lors considérer ses énonciations que comme des
prétentions purement personnelles à son auteur.
Mais la facture est nécessairement transmise à l’acheteur,
sa réception, en lui faisant connaître les conditions qu’on lui
d e v a it
�379
impose, le met en mesure de les discuter, de les repousser, si
elles s’écartent des conditions sous la foi desquelles il a traité.
Il est évident que si, usant de son droit, il a protesté contre
l'indication du domicile du vendeur, désigné comme lieu du
paiement, il n’y a jamais eu de convention à ce sujet,et cette
indication, œuvre unique de celui-ci, n’a dérogé ni pu déro
ger en rien à la règle tracée par l’article 1247 du Gode civil.
Le contraire se réalise si l’acheteur, mis au courant de la
prétention du vendeur, s’abstient de toute protestation,detoute
réserve, ou garde seulement le silence. Sa conduite n’est alors
que l’aveu qu'il a réellement traité à la condition énoncée, tout
au moins qu'il y consent. Dès lors, proposée par l’un, accep
tée par l’autre, la loi de la facture est obligatoire et doit sor
tir à effet.
453. Le principe en lui-même est trop rationnel pour qu’il
soulevât des difficultés sérieuses. Il en est autrement de son
application. A quelle époque l’acheteur sera-t-il censé avoir
accepté?Faut-il qu’il proteste dès la réception de la facture
et avant l’arrivée des marchandises?Peut-il surseoir jusquelà à s’expliquer, parce qu’il ne saura qu’alors s’il doit ou non
prendre les marchandises pour son compte ?
La Cour de Cassation s’est prononcée dans ce dernier sens.
Elle jugeait, le 3 mars 1835, que la convention qui indiquerait
pour le paiement un lieu autre que le domicile de l’acheteur
ne peut résulter de l’acceptation de celui-ci, sans réclamation
immédiate, d’une facture délivrée par le vendeur, et portant
que le paiement sera fait à son domicile, si plus tard, lors
que les marchandises lui parviennent, l’acheteur les refuse
comme n’étant pas conformes à la commission.
La Cour de Colmar se rangeait à cette doctrine, en jugeant,
le 1“ décembre 1840, que le vendeur, qui, en expédiant des
marchandises, a envoyé à l’acheteur une facture portant que
le montant en sera payable au lieu de l’expédition, ne peut
se prévaloir de cette mention qu’autant qu’elle a été expres
sément acceptée par le destinataire ; qu’à cet égard le silence
que celui-ci a gardé depuis la réception de la facture jusqu’à
l’arrivée de la marchandise ne suffit pas pour faire présumer
son acceptation (J.P., 1841. 1.374).
PAIEMENT. FACTURE
�380
ACHATS UT VKNTCS
4 5 4 . L’opinion contraire a été consacrée par laCour de Nancy,
le 5 juillet 1837, et par celle d’Aix, le 24 juin 1842. L’une et
l’autre déclarent que lorsque la facture a été envoyée assez
longtemps avant l’arrivée de la marchandise pour que l’ache
teur ait pu protester contre la mention que le paiement devait
être fait au domicile du vendeur, le silence gardé à ce sujet
équivaut à l’acceptation de la condition, qui est dès lors cen
sée résulter du traité lui-même (J.P., 1838.1.329, 1842.2.195).
4 5 5 . Il importe de remarquer que dans l’espèce de ces
arrêts tous les tribunaux de commerce s’étaient prononcés
dans ce dernier sens.
Cette unanimité des tribunaux est un fait considérable. Elle
prouve en effet que la nécessité de s’expliquer dès la réception
de la facture n’est repoussée ni par les possibilités, ni par les
exigences de la pratique.
Pour nous, cette nécessité se justifie parfaitement au point
de vue des principes. La question de savoir si la marchandise
estloyale, marchande, conforme à la commission, nepeut naî
tre que dans l’exécution du marché, dont la difficulté ellemême établit et prouve l’existence, il ne s’agit donc que de
savoir à quel tribunal est dévolu le droit de la résoudre.
Or, pour déterminer la compétence au point de vue de l’ar
ticle 420 du Code de procédure civile, il faut s’en référer non
à l’exécution que le traité reçoit ou doit recevoir, mais aux
conditions arrêtées et convenues au moment de sa conclusion,
et à défaut de convention écrite, il faut nécessairement, quant
à ces conditions, s’en référer à la facture.
Donc, dès qu’elle arrive en ses mains, l’acheteur est en de
meure, et par conséquent dans la nécessité de s’expliquer, de
contrôler les prétentions du vendeur, d’en établir 1 inexacti
tude ; il le doit surtout en prévision des difficultés que l’exécu
tion peut faire naître, s’il a intérêt, le cas échéant, à les faire
vider par le juge de son domicile.
En conséquence, l’acceptation pure et simple de la facture,
ou soit sa réception sans protestation, contrairement à cet
intérêt, ne peut être que la reconnaissance de la sincérité des
conditions qu’elle énonce, reconnaissance dont le bénéfice,
désormais acquis au vendeur, ne saurait lui être enlevé par
�381
la prétention ultérieure clc se refuser à la consommation du
marché.
4 5 6 . Nous pensons donc, avec les Cours de Nancy et d’Aix,
que si le temps écoulé entre la réception de la facture et celle
de la marchandise a été tel que l’acheteur a été plus que suf
fisamment à même de protester contre l’indication du domi
cile du vendeur comme lieu de paiement, il a été dans la
nécessité de le faire ; que son silence a donné à cette indica
tion le caractère et l’autorité d’une convention, que le refus
ultérieur de recevoir la marchandise ne pouvait ni modifier,
ni altérer.
A plus forte raison le décidera-t-on ainsi lorsque non seu
lement la facture, mais encore la marchandise elle-même a
été reçue et agréée. Le marché est dès lors consommé, et l’ab
sence de toute protestation contre l’indication de la facture
entraîne cotte conséquence: ou que la condition a été réel
lement convenue à l’origine du contrat, ou que, exigée ensuite
par le vendeur, elle a été acceptée par l’acheteur.
On a cependant soutenu le contraire. Quelques rares arrêts
l’ont même consacré. Mais la grande majorité des tribunaux et
cours le repoussent et le condamnent.
Vainement, en effet, objecte-t-on que les formules des fac
tures étant préparées et imprimées longtemps à l’avance, on
ne pouvait les considérer comme relatant les conditions d’un
marché qui n’est formé que bien plus tard ; que leurs indica
tions étant le fait exclusif du vendeur ne sauraient dès lors
lier obligatoirement l’acheteur.
Cela est vrai en principe, et tant que ce dernier ne pourra
être censé y avoir acquiescé. Ce n’est, certes, pas être très exi
geant que de le soumettre à protester pour qu’il en soit ainsi.
Donc, s’il reçoitla facture d’abord, les marchandises ensuite,
sans faire entendre la moindre réclamation, sa conduite ne
saurait s’interpréter que dans le sens que nous venons d’indi
quer, c’est-à-dire qu’il en résultera ou qu’il reconnaît que les
conditions que fait le vendeur sont bien celles dont on était
convenu au moment du contrat, ou qu’il a consenti à les accep
ter depuis. Dans l’un et l’autre cas, il n’est ni recevable ni
fondé à en récuser plus tard l’autorité.
PAIEMENT. F A C T O K
�382
ACHATS ET VENTES
457.
La Cour de Bordeaux consacrait le principe et l’appli
quait même dans le cas où la chose vendue doit être livrée par
parties et à des époques différentes. En conséquence, elle
jugeait, le 31 juillet 1839, que lorsqu’un marché conclu au
domicile de l’acheteur ne contient aucune convention relati
vement au lieu où le paiement doit être effectué, si l’acheteur
reçoit, sans protestation, une partie des marchandises avec
une facture indiquant un lieu de paiement, il accepte par cela
même la juridiction du tribunal indiqué ; que dès lors, si le
vendeur refuse de livrer le restant des marchandises, c’est
devant ce tribunal qu’il doit l’assigner (J, P., 1840.1.16). Cet
arrêt est juridique. L’exécution partielle de la vente régit le
contratquantauxconditionsauxquelleselle a eu lieu.Lemode
d’exécution ne modifie en rien le traité. Divisible quant à ce
mode,il nepeut se diviser quant aux conditions sous l’empire
desquelles il a été contracté.
Celui-là donc qui, en recevant une partie de la chose ven
due a reconnu devoir la payer en un lieu déterminé, a par
cela même accepté l’obligation d’en agir de même pour tout
ce qui reste à livrer.
4 5 8 . Depuis que Bédarride a écrit les lignes ci-dessus, une
jurisprudence compacte a consacré son opinion (Cf. notamment
Dijon,22mars 1897, J. T. C.,47, p. 730. — Lyon,21 mars 1893 ;
ib., 43,p. 692. — Paris, 30 déc. 1890, ib., 40, p.530.— Cass.,
30 juil. 1888, ib., 38, p. 656. — Cass., 14 nov. 1892;*è., 42,
p.609. — Cass., 26 déc. 1898; ib., 48, p. 638). Le tribunal de
Marseille et la Cour d’Aix ont toujours jugé dans ce sens :
« Attendu, est-il dit dans un jugement du 20 janvier 1905,
« confirmé par arrêt du 20 février 1906, que Reggio a adressé
« une facture stipulante condition depaiement dansMarseille
« sans dérogation au cas de paiement par traite; qu’en, ne
« protestant pas contre cette clause de la facture Nicot a ac« cepté conformément à une jurisprudence aujourd’hui cons« tante, l’attribution de compétencefaiteautribunalde céans;
« qu’ilne peut se soustraire à cette attribution de compétence
« par le motif que la confirmation du 30 juillet 1903 ne fait
« pas mention du lieu du paiement. »
4 5 9 . Cet arrêt solutionne aussi deux questions accessoires.
�383
La facture tout en indiquant le paiement au domicile du ven
deur annonçait à l’acheteur le tirage d’une traite payable à
son propre domicile ; d’ordinaire une mention imprimée porte
que ce n’est là qu’une facilité accordée à l’acheteur, le ven
deur n’entendant pas renoncer par là au bénéfice de la con
dition de paiement dans un lieu déterminé. Dans ce cas, il ne
saurait, à vrai dire, y avoir de difficulté (Cass., 1er août 1888,
J.T. C., 38, p. 656, Dijon, 27 mars 1897, S. 98.2.9 et la note).
Mais lorsque cette mention a été omise, on a prétendu que
la clause de paiement au domicile du vendeur, et l’émission
d’une traite sur l’acheteur étant contradictoires, il fallait
alors suivre la règle générale et considérer le paiement
comme devant être fait au domicile de l’acheteur. Nous ne
saurions partager cette opinion. Aucun négociant n’ignore
l’importance de la clause fixant le lieu de paiement. Un grand
importateur,un fabricant ne sera pas facilement présumé y
avoir renoncé et s’être soumis ainsià lajuridiction du tribunal
dans l’arrondissementduquel ilexpédiesa marchandise.il est
ainsi d’usage de considérer dans ce cas le tirage de la traite
comme une gracieuseté faite par le vendeur mais n’impliquant
aucune dérogation aux cond itions du marché fixées par la fac
ture (Aix, 6 juillet 1872, M. 73. 1.285. — Mars., 29 juin 1898,
G.7P., 98. 2. 110. — Coin. Saint-Étienne, 8 nov. 1898 ; Mon.
jud.Lyon, 23 déc. 1898). lien serait de même si la facture por
tait que le prix suit en remboursement (Cass., 1“ août 1888,
D. 89. 1. 252 et 29 mars 1892, D. 92. 1. 236).
460. Néanmoins s’il avait été formellement convenu aumoment d’un marché que le paiement aurait lieu au domicile
de l’acheteur, ou, ce qui revient au même, qu’il serait réalisé
au moyen de traites fournies par lui, à son domicile, ou chez
unbanquier désigné, cette condition ne peut être réputée mo
difiée par la clause indicative d’un autre lieu de paiement
insérée à la facture que si l’acheteur l’aformellement acceptée.
Ici l’adhésion tacite résultant d’un défaut de protestation se
rait insuffisante (Mars., 4 mars et 29 avril 1881, M. 81. 1. 143
et 169;.îG?.,lerfé v . 1899;zô,, 99. 1.168.— Rennes, 16 juin 1893,
ib., 94. 2.49). Mais si le contrat portait seulementque Je paie
ment aurait lieu en un mandat à trente jours, il a été jugé
PA IEM EN T. FACTURE
�ACHATS CT V1ÎN.TES
384
que cette clause est indicative du terme, mais non du lieu du
paiement (Mars., 19 nov. 1890, M. 91. 1. 40). U en serait de
même de la simple indication que le paiement aura lieu à
terme (soi. implicite, Mars., 30 juil. 1895. M. 95. 1. 303).
4 6 1 . Si l’acheteur après avoir reçu lal'actureproteste à l’ar
rivée de la marchandise mais en ne visant dans sa protesta
tion que le défaut de qualité, le tribunal compétent reste celui
du lieu du paiement porté à cette facture (Mars., 24 fév. 1899,
M. 99.1.194). Devrait-il en être autrementsi le refus de l’ache
teur n’était pas spécifié et s’il protestait d’une façon générale
contre l’exécution donnée au contrat parle vendeur? Quelques
décisions l’ont admis (Angers, 2 déc. 1878, D.78.2.214). Mais
il est plus sage de résoudre la difficulté par une distinction :
S’ils’est écouléentre le moment où la facture est parvenue
à l’acheteur et l’arrivée des marchandises un temps assez long
pour faire supposer que si cette marchandise avait été trouvée
conforme l’acheteur n’eût rien dit, il sera évidemment pré
sumé avoir accepté l’indication du lieu du paiement (Cass.,
30 juillet 1888, D. 89.1.191).
il en serait autrement si la marchandise avait suivi de très
près la réception de la facture dans ce cas il faudrait le dé
clarer recevable dans une protestation englobant toutes les
conditions du marché (cf. Cass., 10 déc. 1884. D. 85.1.117 ;
29 déc. 1885; ib., 86.1.418).
4 6 2 . En somme cette jurisprudence est favorable au ven
deur : elle est fondée sur les nécessités du commerce, sur le
honsens. Comprendrait-on, comme nous l’indiquons plus haut,
qu’un fabricant, un importateur, livrant ses marchandises sur
tous les points du territoire, voulut s’exposer, pour la moin
dre difficulté à aller plaider devant dix, vingt, trente tribu
naux différents ? Evidemment non. Il aura le plus grand et
le plus légitime intérêt à ne comparaître assisté de ses con
seils habituels, que devant des juges connaissant mieux que
d’autres les usages de son commerce, et à éviter la juridic
tion de petits tribunaux trop soumis aux influences locales.
4 6 3 . S’il s’agit d’une vente au comptant on appliquera l’ar
ticle 1651 disposant que le prix doit être payé là où doit
se faire la délivrance, c’est-à-dire sauf stipulation contraire,
�385
au domicile du vendeur (Mars., 20 fév. 1894/M. 94.1.126).
4 6 4 . Le tribunal compétent pour juger le fond est en prin
cipe seul compétent pour ordonner toutes les mesures d’ins
truction destinées à éclairer le juge et à préparer la solution.
Mais certaines décisions ont admis que letribunaLdulieu où
une marchandise doit être débarquée et livrée est compétent
pour en ordonner l’expertise bien que son incompétence quant
aufond soitacquise(Trib. Rouen, 29nov. 1886. —Paris,29déc.
1886, R.D.M., 2.556 et 654).
Nousne pouvons adhérer àune telle jurisprudence. En ma
tière d’achats et ventes un tribunal de commerce n’est jamais
forcé de recourir à une expertise : il peut juger sur présomp
tions, sur certificats, sur témoignages. Comment donc le tribu
nal autre que celui qui est compétent pourra-t-il préjuger
qu’une expertise est nécessaire et l’imposer en quelque sorte
aux magistrats chargés déjuger (Havre, 28 août 1882, Rec. du
Havre, 82.1.198. — Mars., 18 février 1870, M. 70.1.86). 11n’en
serait autrement que si l’expertise était régulièrement deman
dée conformément à l’article 106, c’est-à-dire alors que le
transporteur n’estpas encore déchargé. Dans ce cas elle serait
opposable à toutes les parties.
4 6 5 . L’article 109 inscrit les livres des parties au nombre
des éléments de preuve des achats et ventes. L’obligation
faite aux commerçants d’avoir des livres, d’y inscrire jour
par jour toutes les opérations rendait ces livres des docu
ments qu’il n’était pas possible de négliger. Comment en
effet hésiter, si la convention alléguée était mentionnée dans
les livres respectifs des parties.
La disposition de l’article 109, en ce qui concerne les liè
vres, était d'ailleurs la conséquence forcée de l’article 12 du
Code de commerce ; celui-ci, en effet, confère aux juges la
faculté d’admettre les livres pour faire preuve entre commer
çants pour faits de commerce. Or, l’article 109 ne s’occupe
que des achats et ventes de négociants ànégociants. Il ne fait
donc en réalité que consacrer la facultédéjà concédée par l’ar
ticle 12.
46 6. Toutefois, l’exercice de cette faculté ne peut s’étendre
au delà des limites tracées par l’article 14 du Code de comMESURES D'INSTRUCTION. LIVRES
A c :iats
et ventes
25
�ACHATS ET VENTES
38(5
merce. La communication des livres ne peut être demandée
et ordonnée que dans les cas qui y sont prévus. Nous avons
déjà établi le caractère limitatif et restrictif de sa disposi
tion (l).
Dans tous les autres cas, le droit des juges se restreint à
ordonner la représentation des livres pour en extraire ce qui
concerne le différend. Nous renvoyons à nos observations sur
les règles à suivre dans l’exécution de cette mesure (2).
La communication dans les cas prévus, la représentation
dans les autres n’a pas besoin d’être provoquée, elle peut être
ordonnée d’office par le juge. Elle n’est en réalité qu’une
voie d’ingtruction dont il eût été irrationnel de lui interdire
l’initiative. Lui seul, en effet, est dans le cas d’en apprécier
l’utilité, de juger de sa nécessité. 11 était donc juste de lui
permettre de suivre à ce sujet les inspirations de sa conscience
et de se procurer ainsi les moyens d’éclairer sa religion.
467. Reconnaissons toutefois que les livres, utilement invo
qués lorsque le marché a reçu un commencement d’exécution,
seront d’un mince secours lorsqu’il s’agira de statuer sur
l’existence de la vente. Bien souvent, en effet, l’acheteur ne
l’y inscrira qu’à la réception de la marchandise, et le vendeur
qu’au jour de l’expédition, soit de celle-ci, soit de la facture.
De telle sorte que si l’un refuse de recevoir, l’autre d’expé
dier, les écritures seront nécessairement muettes.
Le contraire peut cependant se réaliser. Le journal doit
constater jour par jour toutes les opérations au fur et à me
sure qu’elles se consomment. On pourra donc, soit sur le jour
nal, soit sur le brouillard qui sert à le rédiger, trouver la
trace soit de la commande, soit de la promesse.
Il peut se faire, en outre, que le contrat ait amené un paie
ment anticipé de tout ou de partie du prix, tout au moins la
création et la remise de traites en règlement. Dans cette hy
pothèse, la preuve de la vente résultera du livre ou du brouil
lard de caisse mentionnant le paiement, ou du livre des trai
tes et remises constatant l’entrée ou la sortie de celles données
ou reçues.
(1) Notre comm. de l’art. 14.
(*) Ib id ., art. 15 et 16.
�387
4 6 8 . Que les parties aient droit de demander la représen
tation du livre-journal et du brouillard, c’est ce qui ne saurait
souffrir ni difficulté ni doute. Le journal est obligatoirement
prescrit par la loi. La prétention de n’en avoir aucun serait
donc inadmissible.
D’a utre part, le brouillard est le véritable journal. C’est
lui qui contiendra les opérations journalières qui sont ensuite
transcrites sur le livre, et souvent plus ou moins longtemps
après. Il pourrait donc se faire que le désir de discéder de
l’eng’agement eût fait scierumen t ome 11re l’indieat ion du b r oui1lard.
Celui-ci est donc le contrôle naturel du livre et le refus
de le produire ferait avec juste raison présumer la fraude.
La loi n’a nulle part prescrit ni le livre de caisse, ni celui
des traites et remises. L’exigence de leur représentation offri
rait plus de difficultés. Le refus d’y satisfaire sera le plus
souvent étayé sur l’affirmation de n’en avoir tenu aucun.
On ne saurait légalement rien conclure de ce refus, ni pres
crire la représentation,si l’excuse alléguée était exacte et
vraie. Mais si le contraire était acquis, rien ne pourrait empê
cher d’ordonner cette représentation et dispenser le commer
çant d’y satisfaire. L’existence certaine des livres imprime
rait au refus de les représenter un caractère de déloyauté qui
ferait naître les plus justes soupçons. La persistance dans
cette voie pourrait donc faire consacrer l’action, ou tout au
moins autoriser le juge à déférer le serment à l’autre partie.
La preuve de l’existence des livres auxiliaires est laissée à
l’arbitrage des tribunaux. Elle peut résulter de la position de
la partie ; de la nature et de l’importance de son commerce ;
de documents émanés d’elle, et qui rendraient cette existence
vraisemblable ; enfin des témoignages oraux (*).
46 9. Nous avons déjà dit à propos de la preuve testimo
niale, dernier mode de preuve admis par l’article 109, qu’elle
est de droit commun en matière commerciale (supra 428).
Qmefdans l’hypothèse d’une convention entre un commer
çant et un non-commerçant ?
NON-COMMERÇANT. OPTION. PREUVE
(') V . notre com m entaire des articles 15 et 16 il» 309. Caen, 24 juin 1828.
�ACHATS ET VENTES
388
Ce dernier, vendant ses récoltes ou achetant pour ses be
soins propres et personnels et pour ceux de sa famille, ne fait
pas acte de commerce, il ne peut dès lors être traduit, comme
défendeur, que devant le tribunal civil, et n’est régi que par
le droit commun. Il est donc recevable et fondé non seulement
à exiger une preuve écrite, mais encore à réclamer la nullité
de l’acte fait en contravention des dispositions des articles
1325 ou 1326.
Comme demandeur, le non-commerçant a le droit d’inves
tir la juridiction ordinaire ou de citer devant le tribunal de
commerce. La compétence de celui-ci est admise par la doc
trine et la jurisprudence, elle a son fondement dans la com
mercialité de l’acte que le négociant accomplit.
Si le non-commerçant s’adresse au tribunal de commerce,
il peut invoquer le bénéfice de la législation spéciale et justi
fier de son droit par tous les modes de preuves, même par
témoins, quel que soit le chiffre de la demande.
Mais par une juste et nécessaire réciprocité, le défendeur
commerçant jouira, quant aux exceptions dont il se prévaut,
du même privilège, il pourra donc en justifier même par la
preuve testimoniale.
11 répugnerait à la raison de distinguer entre les parties ; de
régir l’une par le droit spécial, l’autre par le droit commun.
Ce serait là créer une inégalité qui n’est admissible ni en
équité ni en droit.
Aussi la prétention contraire a-t-elle été repoussée dans
l’hypothèse suivante :
Un commerçant, poursuivi devant la juridiction consulaire
en paiement du blé qui lui avait été vendu et livré, soutient
qu’ayant acheté toute la récolte, il ne pouvait être tenu au
paiement qu’après livraison entière. Sur la dénégationde l'im
portance de la vente, il offre de l’établir par témoins.
Le vendeur repousse cette offre comme non recevable,
s’agissant d’une somme de plus de 150 francs.
Jugement qui repousse la fin de non recevoir :
« Attendu qu’il s’agit d’une vente de blé entre deux indivi
dus dont un est commerçant, l’autre propriétaire ;
�389
« Attendu que les parties ne sont pas d’accord sur la quan
tité de blé vendu;
« Attendu que le demandeur Bonnet, en appelant le sieur
Quillot devant le tribunal de commerce, s’est soumis à sa ju
ridiction ;
« Attendu que le sieur Bonnet a soutenu que sa partie ad
verse n’avait pas le droit de faire contre lui la preuve orale
d’un fait contesté et sur lequel repose tout le procès;
«Attendu que si on admettait une pareille prétention le droit
du défendeur se trouverait limité, et que ce dernier ne serait
pas dans un rapport égal envers la justice ; qu’il en résulte
rait d’ailleurs que le sieur Bonnet, après avoir librement
appelé son adversaire devant la juridiction commerciale, dé
clinerait en partie cette juridiction, ce qui serait une contra
diction. »
Appelée à prononcer sur le mérite de ce jugement, la Cour
d’Agen le confirme purement et simplement, avec adoption
des motifs, par arrêt du 6 janvier 1828.
Ces décisions sont équitables etjuridiques, le non-commer
çant puise dans sa qualité l’avantage et le droit de choisir la
juridiction à laquelle il lui convient de déférer le litige, et
de déterminer ainsi la législation qui doit le régir.
Mais ce choix fait, il doit en subir les conséquences ; si,
dans le but de se ménager la preuve testimoniale, il s’adresse
au tribunal de commerce, il rend cette faculté commune à
son adversaire. La prétention de vouloir l’exercer tout en la
contestant à celui-ci, n’a évidemment et ne saurait avoir au
cun fondement en raison et en droit.
Cette opinion nous paraît hors de doute.
La règle de l’article 1341 n’est pas d’ordre public. Il est tou
jours loisible aux parties d’y déroger, et cette dérogation peut
être tacite. Il suffit qu’elle résulte d’actes incompatibles avec
la volonté de se soustraire à la preuve par té moins (Cass., 1“ juin
1893, D. 93.1.445). Or, quel acte plus formel en ce sens que
la citation lancée devant une juridiction où cette prouve est do
droit commun par celui qui avait la liberté d’ajourner devant
un tribunal où cette preuve-est exceptionnelle ?
La Cour de Cassation n’a pas jugé encore cette question in
NON-COMMERÇANT. OPTIOX. PK IiüV B
�390
ACHATS ET VENTES
terminis : mais on. peut induire de l’arrêt du 8 août 1860 (S.
61.1.535) qu’elle ne répugne pas à cette solution. Elle décide
en effet « que la juridiction, commerciale entraînait pour toute
la cause le recours aux modes de preuve adinîs devant cette
juridiction». 11 est vrai que ce considérant vientaprès le rap
pel des constatations des juges du fait, d’après lesquelles, s’agis
sant d’un règlement de comptes, les demandes formées par
chacune des parties, tant principales que reconventionnelles,
étaient indivisibles, ce qui en affaiblit un peu la portée doctri
nale.
Mais si la partie non commerçante a ajourné devant le tri
bunal civil, pourra-t-elle réclamer à l’encontre du commer
çant, son adversaire, une enquête àl’effet de prouver soit l’exis
tence, soit les conditions du marché, l’étendue des obligations
contractées envers elle ?
L’affirmative est aujourd’hui incontestée. L'admissibilité de
la preuve testimoniale est en matière de commerce indépen^dante de la juridiction: devant laquelle l’affaire est portée (D.
lïép. Supp., v° Obligation,xv 2036). Ainsi le vendeur non com
merçant, pourra tout comme devant le tribunal de commerce,
obtenir uneenquête àl’effetd’établir sa réclamation contre un
acheteur commerçant. Mais alors, cet acheteur, pourra-t-ilde
son côté faire appel à'des témoignages pour démontrer, par
exemple, soit qu’il n’a jamais acheté, soit qu’il a acheté des
quantités moindres, soit qu’il s’est libéré.
Il nous paraît qu’il faut ici distinguer.
Si la vente et le prix sont prouvés, indépendamment de tout
témoignage, l’acheteur ne pourrait pas demander à établir
par témoins salibération. Cela estévident (Cass., 11 novembre
1862, D. 62.1.472. — Rouen, 8 mars 1878, S. 78.2.247),
Mais, si la vente,étant admise, reconnue en dehors de toute
enquête, le vendeur demandait à prouver par témoins soit
les conditions, soit le prix stipulé, soit que l’acheteur lui doit
l’intégralité du prix, celui-ci ne serait-il pas recevable à s’em
parer d’une partie favorable à sa défense dans les déposi
tions entendues, et à prouver, même en faisant une demande
reconventionnelle,que s’il avait promis de payer le prixindiqué par les témoins, c’était, par exemple, parce que le ven-
�391
deur avait pris l’engagement corrélatif de conclure un autre
marché, et ne pourrait-il pas réclamer en conséquence l’exé
cution de cette obligation ? 11 nous semble bien que oui et
que là encore l’initiative prise par le non-commerçant en sol
licitant une enquête devrait être considérée comme une déro
gation tacite à la règle de l’article 1341. A défaut le juge
pourrait être réduit à consacrer des prétentions dont les témoi
gnages recueillis attesteraient l’iniquité.
Il ne faut donc pas proclamer que lorsque l’acte n’est
commercial que de la part de l’une des parties la preuve
testimoniale n’est admissible que contre cette partie et ne
l’est pas contre le non-commerçant ; il est indispensable
d’ajouter sauf les cas où par la nature du litige, par la façon
dont le débat a été conduit, par les articulations mêmes four
nies par le non-commerçant qui demande à produire des
témoins, on pourra induire qu’il a renoncé à exciper de la
régie de l’article 1341. Le pouvoir d’appréciation qu’il im
porte de laisser aux magistrats en cette matière, leur per
mettra, en en usant bien entendu avec une sage réserve, de
corriger dans la pratique ce que pourrait avoir de choquant
une telle inégalité entre les plaideurs.
La Cour de Cassation n’a eu, étant donné les arrêts qui lui
étaient déférés, qu’à rappeler le principe incontesté : « At
tendu, dit-elle, que lorsqu’une convention est commerciale à
l’égard de l’une des parties, civile à l’égard de l’autre,elle est
soumise relativement à cette dernière aux dispositions du
droit civil, qu’ainsi l’extinction totale ou partielle de l’obli
gation du commerçant ne peut être prouvée que suivant
les régies ou droit commun » (31 mars 1874, D. 75.1.229).
« Attendu, lit-on dans un dernier arrêt du l'r juillet 1908
(G. P., 1908.2.24-6) que si Pacte n’est commercial que de la
part de l’une des parties, la preuve testimoniale est receva
ble contre cette partie.» Tout cela est bien certain, mais n’in
firme en rien les raisons données pour l’admission, dans
certains cas, de la preuve testimoniale à l’encontre du noncommerçant qui l’aura lui-même provoquée.
470.
Le non-commerçant qui a d’abord investi une juri
diction, peut-il reporter l’action à l’autre ?
NON-COM IIERÇANT. O PTIO N . PREUVE
�392
ACHATS ET VENTES
Aucun doute ne saurait naître, si la juridiction d’abord in
vestie, appréciant le litige, avait définitivement statué au
fond. Le jugement intervenu a épuisé le droit et l’a par con
séquent anéanti. Or le droit du non-commerçant est de sai
sir, ou le tribunal civil ou le tribunal de commerce, il n’a
qu’une seule action, et ce serait lui en concéder deux si, ayant
succombé devant le tribunal civil, on lui permettait de sai
sir le tribunal de commerce ou réciproquement.
Donc, après jugement définitif, la position des parties est
fixée ; le droit est éteint, et toute action ultérieure se trou
verait repoussée par l’exception de la chose jugée.
Qu’en serait-il si, après l’introduction de l’instance, mais
avant jugement, le demandeur, se désistant valablement de
sa citation, ajournait devant l’autre tribunal?
Nous ne voyons pas sur quoi on se fonderait pour contes
ter la régularité de l’agissement, et comment on pourrait
faire repousser la nouvelle action.
Les déchéances sont de droit étroit et ne doivent être ad*
mises que lorsqu’elles se trouvent expressément édictées par
la loi.
Qu’on repousse l’action nouvelle si elle est inconciliable
avec celle d'abord intentée, nous le comprenons. La loi nous
en fournit un exemple, lorsque, dans l’article 26 du Gode de
procédure civile, elle déclare le demandeur au pétitoire non
recevable à agir au possessoire. Gela se comprend, se pour
voir au pétitoire c’est avouer en quelque sorte que l’adver
saire est en possession, et le refus de revenir contre cet aveu
est naturel et légitime.
Mais que péut-on induire de l’introduction de l’instance
devant le tribunal civil contre le recours au tribunal de com
merce après désistement régulier ou réciproquement ? Rien
évidemment qui soit inconciliable avec ce recours. Elle ne
saurait donc lui faire obstacle, en l’absence de toute disposi
tion de la loi à ce sujet.
Excipera-t-on de la règle electa una via non datur régres
sas ad alleram ? Gette règle, hors le cas prévu par l’article 26
du Code de procédure civile, n’a qu’un objet : empêcher que
celui qui a succombé dans la voie qu’il a prise puisse renou-
�393
veler sa-prétention devant un autre juge et contraindre son
adversaire à subir de nouveaux débats.
Or, se désister d’une demande et s’adresser à un autre juge,
ce n’est pas se placer dans ces conditions, ni aspirer à cette
faculté. Le désistement d’instance qui dessaisit le juge laisse
le droit intact. La prétention de le soumettre à une autre
juridiction ne saurait donc être ni raisonnablement contestée,
ni légalement repoussée comme non recevable.
NON' COMMERÇANT. OPTIO N. PREUVE
FIN
��TABLE DES MATIÈRES
N")
1. Titre V il du Gode de com m erce.'A rticle 109................................................
1 bis. Importance des achats et ventes. — Caractère de l’article 109........
2 . M otifs du laconism e du Gode de com m erce errce qui les concerne..
3. Caractère de la législation com m erciale. C onséquences............................
4. Recours au Droit C om m un.......................................................................................
5 . M esure de ce recours...................................................................................................
6 . U sages com m erciaux....................................................................................................
7 . Loi du 13 juin 1866.......................................................................................................
8. Analyse de cette lo i.......................................................................................................
9 . L es parties peuvent y déroger.............................................................................
10. Ses dispositions sont im pératives............................................................................
11. A quelles conditions les achats et ventes revêten t-ils le caractère
com m ercial?.................................................................................................................
12. Celle de l’achat réside dans l ’intention de revendre..........................
13. Q uid de celle de la vente ? .......................................................................................
14. Objet du com m entaire..................................................................................................
PaSes
5
6
6
6
8
9
10
10
11
Il
12
12
12
13
15
SECTION PREMIÈRE
DE LA VENTE, SES CONDITIONS, SES EFFETS
15. Caractère et conditions du contrat.................. ...................................................... 23
16. Tout ce qui a une valeur vénale peut faire l ’objet d'une vente. F ond s
de com m erce................................................................................................................. 23
17. En droit com m ercial le nom d’un individu peut-il être acheté ou
v e n d u ? ................................................................
23
18. D istinctions à faire dans ce c a s.............................................................................. 24
19. L ’acheteur a-t-il le droit d’em pêcher le vendeu r d’ouvrir un nouvel
établissem ent du m êm e gen re?.....................................................
25
20. Le vendeur peut s ’en réserver la faculté.............................................................. 27
20 bis. Incertitudes et contradictions de la jurisprudence. Pourtant on peut
en dégager quelques règ les.................................................................................. 27
20 1er. L’acheteur doit-il prouver dans ce cas le dom m age résultant de la
concurrence?....................
29
"21. La vente de la chose d’autrui est autorisée en com m erce (doctrine
et jurisprudence en note)....................................................................................... 29
22. L ’acheteur est à l’abri de toute revendication m êm e en cas de perte
et de vol (en note, hésitations et jurisprudence)....................................... 31
23. R evendication des choses prises en m er et déprédées sur un Fran
çais. O rdonnance de 1638 ...................................................................................... 33
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1, -, >x’ 7 ; P'Vt
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396
TAULE DES MATIÈRES
24. L’article 1601 annulant la vente lorsque la chose vendue n’existe plus
au m om ent du contrat est inapplicable aux ventes co m m erciales..
2 5. Cette inapplicabilité est-elle absolue et sans exception?.............................
26. Conditions de l’achat ou de la vente à forfait ou à tous risques.........
27. H ypothèses de Delamarre et l.ep oitvin ..............................................................
28. Choses dont la vente est prohibée par la loi. Nullité du contrat...........
2 9. N écessité d'une prohibition expresse de la loi française. Article 1133
du Code civil. Contrat portant cum ulativem ent sur des choses pou
vant être vendues et des choses prohibées. Droits de l'ach eteu r...
30. Droits du vendeur. Com m ent et à quelles conditions il peut faire
maintenir la vente............................... .....................................................................
31. On peut vendre une chose future...........................................................................
32. Effets de l ’im possibilité de livrer lorsque la vente a pour objet tout
ce qui sera fabriqué pendant un temps con ven u ......................................
33. La vente peut porter sur une récolte. Ses effets.........................................
34. Q uid si elle est faite en bloc et pour un prix déterm iné?.......................
35. Aléa du contrat dans la vente d ’un coup de filet, etc................................
36. Déterm ination de la chose vendue. Individualisation des marchan
d ises..................................................................................................................................
37. Doit-on annuler la vente pour om ission de désignation de la qualité?
Arrêt de Metz adoptant l ’affirm ative...............................................................
38. Examen et discu ssion ...................................................................................................
39. La vente qui n’aurait pas de prix est nulle. E lém ent du prix com
m ercial.............................................................................................................................
40. Conséquences quant au juste prix.........................................................................
41. Il suffit qu’il soit sérieux. P rix vil (en n o te ) .................................................
42. Le prix peut-il cire supérieur à la valeur réelle de la chose vendue?
M ajorations scandaleuses.......................................................................................
43. En quoi le prix doit consister...................................................................................
44. P eut il être stipulé en denrées ou en m archandises?................................
45. Importance du véritable caractère du contrat en m atière com m erciale.
46. Le prix stipulé en argent et plus tard reçu en nature n ’im prim e pas
au contrat le caractère d’un éch ange................................................................
47. Q uid s’il consiste partie en argent et partie en m archandises?............
48. Le prix doit être certain et déterm iné. Il est tel s’il est établi par
relation d'époques ou de c h o ses.........................................................................
4 9 . On peut vendre au prix que des tiers auront donné ou il celui que le
vendeur paiera lui-m êm e........................................................................................
5 0 . Ou au prix que la chose vaudra à tel m arché................................................
51. Ou au prix qu’elle sera vendue de tel m ois à tel autre. Comment
alors on le déterm ine. Si celte déterm ination est im possible, la
vente est nulle..............................................................................................................
5 2 . Controverse sur la faculté de déférer à un tiers la déterm ination du
prix. Elle existe en m atière com m erciale......................................................
53. Rareté de son application...........................................................................................
54. Les parties sont libres de suivre leurs convenances il ce su jet.............
55. P eut-on nom m er plusieurs exp erts?....................................................................
56. D oit-on les désigner dans le contrat à peine de n u llité? ........................
57. Opinion pour l ’affirmative de Delvincourt et T roplong.............................
58. Caractère des arrêts invoqués par ce dernier..................................................
36
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66
66
67
�TABLE DES MATIÈRES
59.
60.
61.
62.
63.
397
Discussion.......................................
68
Opinion de Casaregis, Lucca, Ansaldus.................................................... 69
Doctrine de Pothier....................................................................................... 69
Le Gode civil n’a pas voulu le contraire.............................-.................. 69
Réfutation de l'opinion qui l'ait du choix futur des experts une condi
tion potestative........................................................................................... 70
64. Le recours à la justice est interdit lorsque les experts ont été nom
més >1 l'acte. Arrêts de Riom et de Cassation..................................... 70
65. Il est ouvert dans le cas contraire. Doctrine de l’École italienne........ 72
66. Doctrine. Jurisp. contraire à l’opinion émise........................................ 73
67. Le remplacement des experts nommés après et en exécution de la
convention peut être poursuivi et ordonné en justice........................ 75
68. Dans quel cas doit-on nommer le tiers si les experts sont partagés.
Par qui il peut être nommé. (Note contraire)..................................... 76
69. Caractère de la vente d’une chose au prix qu'elle vaut. Comment se
détermine le prix....................................................................................... 77
70. Quid de celle faite pour le juste prix?..................................................... 78
71. L’expertise peut-elle être attaquée pour exagération ou insuffisance. 79
72. Caractère delà vente au prix qu’on m ’en offrira.Doctrine de Pothier. 80
73. Nature des objections et du reproche que font Delamarre elLepoitvin. 81
74. Une convention de ce genre peut valoir comme promesse de la pré
férence. Conséquences.............................................................................. 82
75. Cas dans lequel la règle sine pretio cei-lo nulla. vendilio recevrait
exception...................................................................... ............................. 84
76. Distinction ïi faire si le prétendu acheteur a revendu la chose. A
quoi il est tenu s’il n’était que dépositaire ou consignataire............ 84
77. Prix qu’il doit s’il a revendu avant de déterminer celui de l’achat.. 85
78. Comment se régleraient les fournitures faites en compte-courant?... 86
79. Le prix peut être stipulé en services ou travaux. A quelles conditions.
Conséquences.............................................................................................. 86
80. Importance de la détermination du caractère del’acte......... ................. 87
81. Nécessité du consentement respectif des parties. Sur quoi il doit
porter............................................................................................................ 90
82. Effets de la divergence de volontés sur lecaractèredu contrat............ 90
83. Nécessité de s’entendre sur la chose....................................................... 91
84. Et sur le prix.Quid si celui offert par l’acheteur est supérieur à celui
demandé par le vendeur?......................................................................... 92
85. Le concours des volontés doit-il intervenir dès l’origine sur les
clauses-conditions delà vente?............................................................. 93
S6. Distinction entre les pactes essentiels elles pactes accessoires. Défi
nition de ces derniers................................................................................ 94
87. On peut renvoyer il s’en entendre plus tard. Effet de cette stipulation
sur la vente...................... .....................................................-,................... 97
88. Seeùs pour les pactes substantiels.Leur caractère.................................... 98
89. Effet du dol, de la fraude, de la violence, de l’erreur sur le consen
tement........................................................................................................... 98
90. Dans quels cas et à quelles conditions l’erreur ferait-elle annuler la
vente............................................................................................
9®
91. Comment s'apprécie le caractère del’erreur.............................................. 99
92. Importance des circonstances qui ont précédé, accompagné et suivi
�398
TABLE DES MATIÈRES
le contrat. Objets d’art. Arrêt de Paris qui en fait résulter l'irrece
vabilité de la demande. Vice caché...................................................... .101
93. Caractère de cet arrêt. Conséquences de sa spécialité........................... 102
94. Arrêt de Douai repoussant la fin de non-recevoir tirée de ce que
,l’acheteur a omis de vérifier la qualité................................................. 103
95. Gel arrêt fait une juste application des principes. Jurisprudence.... 104
96. Loi du 9 février 1895 sur les fraudes eu ces matières........................... 105
97. La vente d’une invention brevetée est entachée d’erreur substantielle
si la découverte ne produit pas les résultats promis ou .n’était pas
susceptible d’être brevetée....................................................................... 1°0
98. Opinions de Pouillet et de Pataille. Jurisprudence..................... .
.106
99. Effets de la déchéance et de la résiliation................................................ 107
100. Comment se détermine l’époque à laquelle le contrat a acquis sa
perfection lorsque le marché a été conclu par correspondance........ 109
101. Caractère de la lettre missive. Conséquence pour la faculté de
rétracter l’offre tant qu’elle n’est pas arrivée à celui qui doit la
recevoir............................................................................................... .
109
102. La rétractation arrivant après la réception de l’offre n’eu produit pas
moins ses effets... ................................................................................... 110
103. L’offre même acceptée peut être rétractée tant que la lettre d’accep
tation n’a pas été reçue et lue................................................................. 111
104. Distinction que Duranton fait à ce sujet.................................................. 112
105. Examen et réfutation..................................................................................... 112
106. Si celui à qui on demande par lettre une marchandise l'expédie, la
vente doit sortir à effet. Opinion de Pothier..................................... . 113
107. Motifs donnés par Pardessus..................................................................... 115
108. Dans tous les cas l'expéditeur doit être remboursé de tousles frais. 115
109. Difficultés que peut faire surgir l’existence de laproposition.............. 116
110. L ’envoi du prix courant n’est pas l’offre de vendre.............................. 116
111. Distinction de Pardessus quant à l’envoi de circulaires....................... 116
112. Caractère de celle doctrine .: son inadmissibilité................................... 117
113. La lettre annonçant q u ’on veut vendre est l’offre de vendre,............ 118
114. Secus si on déclare « je voudrais vendre » ........................................... 119
115. Effets de la perfection de la vente quant aux risques de la chose
vendue.................................................................
119
116. Effet acquis au cas de vente d’un corps certain et déterminé............ 120
117. Dans la vente d’une chose déterminée seulement par son espèce et
qualité, les risques restent au vendeur jusqu'au pesage, comptage
ou mesurage .............................................................................................. 121
118. Exception autorisée par l’article 1.586 dans la vente en bloc............ 121
119. Difficultés que peut soulever le caractère de la vente......................... 122
120. Règles à consulter et à suivre,...........................................
122
121. Doctrine et jurisprudence........................................................................... 123
122. Critique par Duvergier de l’arrêt de la Cour de Cassation du 24 août
1831.......................................................
124
123. Réfutation....................................................................................................
124
124. La vente au poids ou à la mesure a-t-elle transféré la propriété à
l’acheteur. Arrêt affirmatif de la Cour de Cassation.......................... 128
125. Doctrine contraire de Troplong, son caractère juridique.................. 133
125 bis. Caractère de l’article 1585 du Code civil. Conséquences................ 137
�TABLE UES MATIÈRES
399
125 1er. Jurisprudence sur la question de savoir si le pesage non csontradicloire effectué au lieu de l’expédition précise suffisamment l’objet
v e n d u ..............., . ................................................................................... 141
125 qaater. Disposition de la loi du 13-20 juin 1866 relativement au poids. 142
126. Quand doit être opéré le pesage, comptage oumesurage........... ......... 143
127. Effets de la mise en demeure dans la vente au poids ou à la mesure
contre l’acheteur....................................................................................... 143
128. Quelle est l’indemnité due au vendeur ? .................................................. 144
129. Son obligation de prouver l’existence du préjudice......................
144
130. Et qu’il était en mesure de fournir la chose............................................ 145
131. Résumé....................................................... , . . . . ........................................ 145
132. Règle de l’article 1587 quant à la dégustation préalable dans cer
taines ventes. Huiles, graisses poids (en note;................................... 146
133. La Cour de Metz refuse à l’acheteur qui n’agrée pas la chose le droit
d’en réclamer une autre..................... .. .......................................
147
134. Discussion et réfutation........................................................... ...........147
135. Critique de Duvergier.. ..................
148
136. Droit du vendeur de contraindre à la dégustation ; son caractère,
son utilité............................... .................. ......................................... ..
150
137. Importance de la question de savoir si la dégustation est livrée à
l’acheteur ou déférée à un tiers. Éléments de solution.................... 150
138. Règle à suivre dans la vente ordinaire,..................................................... 151
139. Exception qu’elle comporte.......................................................................... 151
140. Règle pour la vente commerciale............................................................... 153
141. Opinion de Pothier.............. ..............................................................
153
142. Doctrine de Pardessus.................................................................................. 154
143. Avis de Troplong conforme........................................................................ 155
144. La rationalité de cette doctrine prouvée par l’usage.............................. 155
145. Arrêts contradictoires de la Cour deCassation.......................................... 157
146. A la charge de qui restent les risques de la chose. Droit du vendeur
de contraindre la dégustation.................................................................. 158
147. Effets de la mise en demeure si la chose estrestéeintacte................... 158
148. Si la chose a péri depuis.............................................................................. 159
149. Effet de la renonciation à la dégustation. Soncaractère......................... 161
150. Elle ressort de la prise de livraison............................... .......................... 161
151. Quid si celle-ci ne résulte que de la remise au commissionnaire de
transports ?.................................................................................................... 162
152. La prise de livraison virtuelle produit le même effet que la livraison
réelle et effective....................................................................................... 163
153. La prise de livraison résulte de l’apposition de la marque de l'ache
teur sur la chose vendue. Effets quant à la dégustation.................... 164
154. Différences entre la vente à l’essai et celle sous dégustation.............. 165
155. Comment l’article 1588 qualifie cette vente. Fondement de sa disposi
tion................................................................................................................ 166
156. Critique de Troplong. Réponse...................................................... ........... 167
157. Position de l’acheteur à l’endroit des risques............................
169
158. Difficultés que peut faire naître le caractère de la vente. Doit résulter
de la convention....................................................................
169
159. Opinion de Duvergier. Réponse............, . . . ............................................ 169
�400
TABLE DES MATIÈRES
160. Conséquences quant à la vente civile en cas de silence de la conven
tion ........................................................•...................................................... 170
161. L’aveu de l’acheteur est indivisible s’il porte sur la vente et sa conditionalité.............................
171
162. Arrêt de cassation dans ce sens..........................
171
163. Droit du vendeur si aucun délai n'a été fixé........................................... 172
164. Si un délai a été déterminé. Son observation est de rigueur. Consé
quences................................................
173
165. Le vendeur peut-il exciper de la déchéance pour discéder du marché? 173
166. Le droit de l’acheteur passe à ses héritiers.............................................. 174
167. A quelle condition peut-il être renié par lamasse de la faillite............ 175
168. Importance que le fait de la faillite donne à la question de savoir s’il
y a eu ou non renonciation à l’essai.................................................... 175
169. Caractère et effets de la vente sur échantillon ...................................... 175
170. L’échantillon remis sans être scellé ni cacheté sert de type pour la
livraison dela marchandise....................................................................... 178
171. Réserve au sujet de cette appréciation de Bédarride. Différence en
tre l ’échanlillon-nionlre et l'échantillon-type .................................. 180
172. Conséquences de l’absence de précautions îi l’effet de garantir l’au
thenticité de l’échantillon. La preuve testimoniale ne devra être ad
mise qu’exceptionnellement...................................................................... 181
173. Ce n’est aussi qu’exceptionnellement que l’acheteur devra être relevé
des conséquences de la réception.......................................................... 182
174. En cas de différence avec l’échantillon le vendeur peut-il obliger
l’acheteur à recevoir moyennant une bonification ? On doit adopter
la négative. Jurisprudence....................................................................... 183
175. Décisions contraires...................................................................................... 185
176. L’échantillon doit offrir les conditions de qualité et de provenance
exigées par l’acheteur. Conséquences.................................................... 185
177. Échantillon frauduleusement composé. L’acheteur, dans ce cas, peut
refuser la marchandise malgré la conformité...................................... 188
178. Clause d’atténuation : marchandise stipulée moralement conforme.. 189
179.. Importance de la question de fait. Jurisprudence de la Cour de Cas
sation............................................................. .......... , .......................! ... 189
180. Résumé de la doctrine et de la jurisprudence. Règles qui s’en dé
gagent......................................................................................................... 190
181. • Ventes « en disponible » « gi-è dessus » ou « avec vue dessus ».. 190
182. Leur objet : marchandise dont le vendeur peut disposer et dont la
qualité n’est pas spécifiée.................................................................
190
183. Délai dans lequel l’acheteur est tenu de dire s’il accepte ou refuse la
marchandise offerte.......................................................
191
184. Dans quel délai doit parvenir au vendeur la lettre notifiantle refus, 192
185. Nécessité d'une protestation si c’est par la faute du vendeur que l’a
cheteur ne peut vérifier dans le délai.................................................... 192
186. Faute de refus dans le délai la marchandise est présumée acceptée
par une présomption ju r is et de j u r e ................................................... 192
187. L’acheteur peut n’examiner qu’une fraction de la partie offerte.......... 192
188. Le vendeur conserve le droit de procéder aux manipulations et cri
blages autorisés par l’usage............................ ......, ..................... ...... 192
�1,89. L’usage accorde à l'acheteur un délai pour le transport de la mar
chandise dans ses magasins.................................................................... 193
SECTION II
DES PROMESSES DE VENTE
190.
19t.
192.
193.
194.
195.
196.
197.
198.
Caractère de la promesse de vente. Ses conditions...............................
Définition de Pothier.....................................................................................
Droit ancien sur la promesse unilatérale..................................................
Merlin enseigne qu'elle est nulle : arrêts dans ce sens........................
Doctrine contraire de Troplong : son caractère juridique....................
Opinion de Bédarride.................................................................................
Arrêts anciens. Doctrine et Jur. actuelles...............................................
Importance de l’acceptation. Quand doit-on la supposer ?....................
Comment se règle le droit du promettant de discéder du marché,
lorsqu’un délai a été assigné pour l'acceptation.................................
199. Duranlon exige une mise en demeure. Réfutation................................
200. Quid si aucun délai n'a été déterminé.....................................................
201. Effets de la promesse régulière et parfaite..............................................
202. Exception de l’article 1690 du Code civil. Promesse avec arrhes....
205. Conditions qu’exige son applicabilité.......................................................
204. Nature de la difficulté que les tribunaux auront à résoudre. Eléments
de solution.........................................................
205. Arrêt de Dijon.................................................................................................
206. Appréciation.............................................................
207. Effets du contrat régulier.............................................................................
208. La stipulation d’arrhes est-elle admissible dans la vente proprement
dite.........................................................
209. Droit rom ain..................................................................................................
210. L’affirmative s'induit des articles 1589 et 1590......................................
211. Opinion contraire de Malleville, Pardessus, Delvincourt......................
212. Distinction proposée par Troplong.............................................................
213. Réponse de Duvergier...................................................................................
214. Examen et discussion...................................................................................
215. Conclusion. Condition del'admissibilité....................................................
216. Commentles tribunaux doivent apprécier à défautde stipulation écrite
lorsque la vente est sous condition suspensive .................................
217. Dans le cas de condition résolutoire, casuelle ou potestative .............
218. Dans cette dernière hypothèse la rupture du marché ne peut être
poursuivie que par l’acheteur en perdant ses arrhes........................
219. Effets de la condition résolutoirelégalement sous-entendue..................
220. La dation et la réception' des arrhes font-elles perdre au vendeur le
droit de faire maintenir le contrat? Raisons pour l’affirmative........
22t. Avis contraire de Troplong........................................................................
222. Caractère de sa doctrine...............................................................................
223. Examen de ses motifs....................................................................................
221. Ses conséquences............................................................................................
225. Conclusion.......................................................................................................
A chats et ventes
20
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195
195
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212
213
214
214
�402
TAULE UES MATIÈRES
SECTION III
DES VENTES ET PROMESSES DE VENTE CONDITIONNELLES
226. Les ventes et promesses de vente peuvent être conditionnelles. Carac
tère de la condition..........................................................................
227. Effets de la condition résolutoire .............................................................
228. Effets de la condition suspensive ............................. ................................
229. Les obligations et les droits de l'acheteur passent à ses héritiers et à
ses créanciers...................................................................................... ..
280. Effets de la seconde vente laite par le propriétaire dans l'intervalle
de la suspension............................................................ .........................
231. Utilité de la condition suspensive dans les ventes commerciales....
232. Ventes par navire désigné ou à désigner. Définition............................
233. Ahus qui résulteraient contre l'acheteur d’une vente maritime condi
tionnelle. La désignation y remédie......................................................
234. Le vendeur peut se réserver un délai pour cette désignation..............
235. Si aucun délai n’a été fixé, le tribunalpeut l’impartir............................
236. Interprétation rigoureuse des accords contrele vendeur.......................
237. L’obligation de désigner dans le délai est substantielle. Elle doit por
ter sur un navire non encore arrivé......................................................
238. Désignation par lettre; navire dans le port, faculté p.our le. vendeur
à Marseille de faire une autre désignation... -....................................
239. Jurisprudence contraire du Havre............................................................
240. Calcul de la différence pouvant être due par levendeur........................
241. Expiration du délai. Lettre.........................................................................
242. Précision de l’époque de l’embarquement et de l’arrivée. Clauses
substantielles...............................................................................................
243. Non arrivée du navire: justification du chargement à faire par le
vendeur.................................................................................... » .................
244. On peut désigner un navire non chargé et qui même n'est pas encore
arrivé au port de charge.Voyage direct..............................................
245. Transbordement interdit..............................................................................
246-247. Effets de la désignation : individualisation de la chose. Risques
pour l’acheteur.Faculté deproroger accordée à l’acheteur...............
248. Pluralité de marchés. Déficit. Exécution des marchés d'après leurs
dates..............................................................................................................
249. Le dernier acheteur supporte donc le déficit...........................................
250. Indivisibilité de la vente pour le vendeur : il ne peut offrir une quan
tité moindre., ..............................................................................................
251. Exécution sans réserve lorsqu’il y a un déficit. Conséquences. Clause
« environ »............................................. .....................................................
252. Le vendeur doit, au moment du chargement, être propriétaire de la
quantité vendue.........................................................................................
253. Vente de partie d’un lot: validité de l’offre du solde pour compléter
la quantité....................................................................................................
254. Jurisprudence contraire du Havre.............................................................
255. Erreur sur l’époque du chargement ; l’acheteur n’encourt aucune for
clusion ...............
219
219
220
220
221
222
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223
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224
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228
228
229
229
�TABLE DES MATIÈRES
403
256. Si la vente a été faite sans échantillon le défaut de qualité ne donne
lieu en principe qu’à une bonification........ ......................................... 229
257. Ventes sur embarquement. Définition. Délai du chargement. Obli
gation substantielle. Non-indication du nom du navire. Conséquen
ces. Désignation d’un navire ou de plusieurs navires déjà arrivés. 230
258. Interprétation rigoureuse contre le vendeur. Embarquement réel.
Indivisibilité................................................................................................. 231
259. Transbordement. Connaissement direct...........................................'. . . . 231
260. Chargement avant le délai. Nullité. Clause « embarquement j u s
q u’à telle date » ................................... ................................................... 231
261. Précision de l'époque de l’arrivée. Obligation substantielle . .............. 231
262. Interdiction de substituer un vapeur à un voilier ou un voilier à un
vapeur........................................................................................................... 232
263. Clause « embarquement immédiat ».......................................................... 232
264. Clause « embarquement prompt ».............................................................. 232
265. Délai pour offrir la marchandise après l’arrivée.................................... 232
266. Conversion en marché ferme. Prorogation tacite.................................. 233
267. Preuvede la date du chargement. Connaissement. Foi qui lui est due. 233
268. L’acheteur peut fournir la preuve contraire. Le vendeur ne le peut pas. 233
269-270. Jurisprudence. Critique d’un arrêt d’Aix.................................. 234-235
271. Fraude : responsabilité commune du capitaine et du chargeur............ 235^
272. Délai du chargement. Force majeure. Offre d’une marchandise de
même provenance............................................. ...................................... 235
273. Différence. Jour auquel elle est due. Droit d’optionde l’acheteur.. . 236
274. Faux connaissement: pas de forclusion pour l’acheteur'....................... 236
275. Clause « livrable franco le long du bord »............................................... 236
276. Transformation du marché en vente par navire désigné. Conséquen
ces : mesures sanitaires, grèves............................................................. 237
277. Liberté des conventions. Amalgames des divers contrats.................... 237
278. Vente, coût, fret, assurance (Gaf ou Cif).Définition.......................... 238
279. Paiement traite documentée ou documentaire........'................................ 239
280. La traite doit-elle être acceptée ?..........................................
240
281. Usage d’après lequel l’acheteur paie le fret à l’arrivée. Diminution
proportionnelle de la facture et de la traite. Conséquences en cas
de perte en cours de voyage.................................................................... 241
282. Livraison au port d’embarquement. Individualisation de la marchan
dise. Connaissement et police distincts. Marchandise à prendre sur
un lot. Navire indirect............................................................................. 243
2S2 bis. Délai de la remise des documents après l’arrivée......................... 244
233 Différence entre la réception au lieu d’expédition et l’agrément au
lieu d’arrivée. Délai des réclamations.................................................... 245
284. Lieu où doit s’effectuer l’expertise............................................................ 246
285. Acheteur représenté par un commissionnaire........................................ 247
286. L’acheteur peut-il demander la résiliation ou seulement une bonifi
cation ?...................
247
287. Droits de douane..................................................................................
249
287 bis. Mesures sanitaires.................................................................................. 249
288. Caractères essentiels de la vente Caf seuls retenus par la jurispru
dence.......... ' ................ .................................................................................. 219
289. Vente à livrer. Son caractère.................................................................... 249
�404
t a h u
:
d es
m a t iè r e s
290. Facilité qu'elle offre pour le jeu sur la liausse ou sur la baisse. Ce
qui en était résulté. Loi du 28 mars 1885. Son application par la
jurisprudence...............................................................
250
291. Marchés'à prime. Leur légalité................................................................. 252
292. Marchés à double prime. Interversion des positions........... ................. 252
293. Ventes par filière. Leur mécanisme. Ordre de livraison transmis
successivement............................................................................................ 252
294. Difficultés pour le paiement résultant de la différence des cours et
des prix.....................................
253
295. Règlement existant sur certaines places. A défaut il faut appliquer les
usages...................................................................................................
254
296. Peu importe que le vendeur ait créé la filière ou l'aitacceptée.......... 254
297. La filière ne constitue pas un contrat unique. Distinction des ventes
et des reventes successives...................................................................... 255
298. Le premier vendeur ne peut donc agir que contre son vendeur
direct........................................................................................•................... 256
299. Caractère de la jurisprudence de Marseille. Jugements rendus au
profit du vendeur originaire opposables à tous lesfiliéristes.............. 256
300. Mais étant donné la distinction des marchés, les jugements rendus
au profit du vendeur originaire ne sont pas toujours opposables à
tous les vendeurs et acheteurs successifs. Contradictions dans la
jurisprudence de la Cour d’Aix. Règlements de Paris. Arrêts de
Paris contradictoires. Liberté de la défense...................................... 258
301. Comment se règle le paiement. A qui et par qui il est dû................. 260
302. Jurisprudence de la Cour d’Aix................................................................. 262
303. Affaire Savine. Jugement et arrêt...................................................... .>... 263
304. Principes qui s’en dégagent ; le réceptionnaire ne peut payer son
vendeur tant que le livreur n’est pas désintéressé. L’échange des
factures ne libère pas le réceptionnaire.. Conséquences..................... 267
305. Clause payable comptant. Sa signification à Marseille : délai de dix
jours............................................................
268
306. Le réceptionnaire paierait-il valablement son vendeur si le livreur
ne poursuivait qu’après l’expiration des dix jours ? ........................ 26S
307. Qui peut se prévaloir du retard et l’opposer comme fin de non-rece
voir ? Acheteur du vendeur originaire................................................ 269
308. Jurisprudence de Marseille.......................................................................... 269
309. Le droit du livreur d'exiger le paiement du réceptionnaire esl un
droit personnel non transmissible par subrogation aux acheteurs
et vendeurs successifs........................................................................... 271
310. Arrêt dans ce sens de la Courd'Aix............................... ........................ 271
311. Le vendeur qui a réglé les différences ne peut les exiger de son
acheteur au delà du prix dû par celui-ci, si le réceptionnaire ne
se présente pas........................................................................................... 272
312. Résumé........................................................................................................... 273
313. La faculté pour les parties quant aux conditions de la vente est illi
mitée. Conséquences................................................................................. 274
314. Ce qui est vrai pour la vente l’estaussi pour la promesse de vente.. 274
315. Difficultés que peut faire surgir la vente alternative. Comment on
doit les résoudre. . . . *............................................................................... 274
�TABLE DES MATIÈRES
405
SECTION IV
DES OBLIGATIONS DU VENDEUR 1ÎT DE l ’ a CIIETEUR
A. — Obligations du vendeur.
■ 316. Obligation du vendeur de livrer la chose. Quand doit-elle être rem
plie................................................................................................................ 28CT
317. Qualités que doit réunir la chose offerte. L'usage de compenser cer
taines différences par une bonification sur le prix ne doit pas être
suivi d’une façon absolue Exception qu'il comporte. Jurispru
dence............................................................................................................ 281
318. Réfactions résultant de la loi des 13-20 juin 1866.................................. 282
319. Caractère de la délivrance. Peut-être réelle ou virtuelle...................... 282
320. Difficultés que celle-ci peut offrir dans une vente de coupe de bois.. 282
321. Jugement de Gray et arrêt de Besançon statuant entre deux ache
teurs d'une même coupe........................................................................... 283
322. Caractère juridique de ces décisions préférant celui qui a été mis le
premier en possession.............................................................................. 284
323. De quels actes doit-on induire la tradition ou la mise en possession. 285
324. Importance de la tradition entre les créanciers du vendeur................. 285
325. Peut résulter dans le commerce des bois de l’empilage et de l’appo
sition de la marque de l’acheteur. Jurisprudence................................ 286
326. Lieu où doit se faire la délivrance.. Clause rendue parité dans telle
ville. Dans quels cas la remise de la chose vendue aux mains du
commissionnaire de roulage constitue-t-elle latradition.................. 287
327. Doit-on distinguer le cas où le commissionnaire a été indiqué par
l’acheteur de celui où il a été choisi par le vendeur ? raison pour
l’affirmative.................................................................................................. 288
328. Réfutation........................................................................................................ 288
329. C onclusion...,............................................................................................... 290
330. Temps et lieu de la délivrance prévus au contrat............................. .. 291
331. L'obligation de livrer au lieu convenu est impérieuse et absolue.. .. 291
332. Effets du défaut de délivrance................................................................... 292
333. La grève constitue-t-elle un cas de force majeure ? Nouvelle juris
prudence qui l’admet................................................................................ 294
334. La force majeure empêchant la livraison à la date indiquée ne résout
pas le contrat si cette date n’est pas une condition substantielle.. 295
335. De même l’augmentation des impôts ou desdroits de douane.............. 296
336. Délai dans lequel la délivrance doit être opérée après sommation.
Dimanches et jours fériés........................................................................ 296
337. Formes de la sommation. La citation en résiliation vaut sommation.
Conséquences............................................. .............................................. 298
338. La résiliation doit être prononcée en justice. Conséquences fâcheuses
admises par la Cour de Cassation............................................................ 298
339. La faculté d’accorder un délai admise par l’article 1184 du Code civil
est-elle applicable i la ventecommerciale ?.......................................... 300
�406
TABLE DES MATIÈRES
340. Conciliions dans lesquelles elle pourrait être appliquée........................
341. Caractère et arrêts de Bordeaux et d’Aix invoqués pour son applica
bilité...............................................................................................................
342. Ne pourrait l'être lorsqu’il s’agit d’un délai de grâce...........................
343. Ni lorsque le traité renferme la clause résolutoire expresse. Arrêt con
traire d’Aix..................................................................................................
344. Son caractère. ................................................................................................
345. Cas ou la clause expresse est facultative pour l’acheteur^..................
346. L’acheteur n’est pas obligé de mettre le vendeur en demeure de
■ livrer lorsque la clause expresse est formelle ou qu'il y a lieu d’ap
pliquer l'article 1146 du Code civil.......................................................
347. Droit de l’acheteur de demander sa mise en possession. Caractère et
effet du jugement qui l’autorise................
348. Impossibilité de la mise en possession dans les ventes où la chose
n’est, déterminée que par son espèce et. sa quantité. Différence à
payer.....................
349. Mais l’acheteur est autorisé à demander son remplacement..............
350. Celui-ci pent-il être accordé lorsque la chose devant être importée,
l’exportation a été prohibée par le gouvernement local? Distinction.
351. Peut se faire en une qualité similaire si la chose vendue n’existe pas
sur le marché.... .....................................................................................
352. Effets du remplacement contre le vendeur. Quelle est la différence
qu’il doit payer ?.......................................................................................
353. Jugement de Marseille admettant la différence entre le prix convenu
et le cours du jour où la livraison devait être effectuée....................
354. Arrêt réformatif d’Aix. Son caractère......................................................
355. Comment s’opère le remplacement quand il doit se faire au cas d’une
baisse....................................................................................................... ..
356. Jurisprudence de Marseille.........................................................................
357. Résumé................................................................................ ; .........................
358. L’acheteur qui s’est directement remplacé doit être intégralement
remboursé de tout ce qu’il a payé sans qu’on puisse lui opposer le
prix moyen du marché.............................................................................
359. Quid s’il a acheté au delà du ,cours réel ? ...........
360. L’acheteur agira prudemment en sollicitant un remplacement par
autorité de justice............................................................................
361. Faculté .pour le vendeur de faire une offre nouvelle avantquele rem
placement ait été opéré.................................. .„ .....................................
362. Le vendeur dont l’acheteur refuse de se livrer doit s’adresser au tri
bunal pour obtenir l’autorisation de vendre aux-enchères publiques
avec condamnation à la différence. Une vente amiable ne serait
pas opposable à l’acheteur. Faculté pour l’acheteur de recevoir tant
que la vente n’a pas été effectuée........................................................
363. Nécessité pour le vendeur d’individualiser la denrée offerte s’il s’agit
d’un objet certain....................................................................................
364. Marchandises vendues « au fu r et à mesure de la fabrication » jus
qu’à une date déterminée........................................... ............................
365. Clauses portant simplement « au fu r et à mesure de ma fabrica
tion », « livrable au f u r et à mesure de mes besoins », « livra
ble à ma demande ». Stipulation d’un délai.....................................
300
301
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314
�TABLE DES MATIÈRES
407
366. Peul-on encore conclure à la résiliation après avoir demandé soit le
remplacement si l’on est acheteur, soit la vente aux enchères si
316
l’on est vendeur ?...............................
367. Le vendeur peut-il offrir une livraison partielle?Divisibilité des ven
tes il livrer par fractions. Chaque livraison forme en principe un
contrat distinct............................................................................................ 317
368. Droit du vendeur au comptant de ne livrer que contre paiement du
prix. Nature de ce droit............................................................- ........... 317
369. Si la vente est à terme la livraison est forcée à moins de déconfiture
ou de faillite de l’acheteur.........................................................
318
370. Le cautionnement du prix entraînerait dans ce cas la nécessité de la
.livraison.....................................................
319
371. Le droit d’exiger ce cautionnement est perdu s’il y a eu tradition
réelle ou feinte...................................................................................
320
372. Arrêt de cassation dans ce sens................................................................. 320
373. Le vendeur doit posséder la chose vendue au moment fixé pour la
délivrance. La sominalion à l'acheteur 1e'met lui-même virtuelle
ment en demeure delivrer........................................
322
374. Prorogation des marchés à livrer par quantités échelonnées dans le
silence des parties. Cumul des livraisons partielles au jour de la
dernière échéance. Application équitable de cette règle.................. 322
374 bis. Droit du vendeur à la résiliation lorsque l’acheteur ne commence
pas la réception réellement dans les vingt-quatre heures de la
sommation..........................................................................................
323
375. Vendeur à livrer dans le courant d’un mois déterminé. Livraison sur
sommation le moissuivant........................................................................... 323
376. Le vendeur ne peut dénoncer le marché en offrant la différence au
jour de sa déclaration................................................................................ 324
377. Quantité vendue. Clause « environ »..............................................
324
378. Le vendeur garaniit les troubles et évictions.......................................... 324
379. Les défauts cachés et les vices rédhibitoires............................................ 325
380. Le déficit sur la quantité constilue-t-il un vice caché ? Non d’après
Bordeaux..................................... . . ............................................................. 325
381. Il motive au moins une diminution proportionnelle de prix............. 326
382. L’arrêt de Bordeaux se justifie seulement en fait. Sa critique........... 326
383. Applicabilité du principe au déficit de l’article 1641 du Code civ il... 327
384. Inapplicabilité desarticles 105, 106et 435du Code de commerce entre
vendeurs et acheteurs................................................................................. 327
385. Quid des taches et trous pouvant déprécier la marchandise................ 329
386. Effets de l’existence du vice caché. Articles 1644 et 1648, délai.......... 330
387. Vente et échange d'a,nimaux domestiques. Maladiesconiagieuses et
vices rédhibitoires. Lois des 2 aoûl 1884, 21 juin 1898 et 23 février
1905. Code rural...........................................
331
388. Quelles maladies sont contagieuses. Disposition du Code rural. Pres
criptions de police..................... . .................................; ......................... 333
389. L’énuméralion de la loi esllimitative. Nullité de la vente d’un animal
infecté même si le vendeur est de bonne foi. Il peut seulement être
■ exonéré des dommages-intérêts...................
336
390. La nullité doit être prononcée si l’animalaété enfoui et non .séquestré. 336
391. C’est à l'acheteur h prouve,!’ la maladie.......................... . . ..........., . .. 336
�408
TABLE DUS MATIÈRES
392. La prescription de quarante-cinq jours peut être interrompue suivant
les règles ordinaires.................................
337
393. Vices rédhibitoires. Enumération limitative............................................ 337
394. Dérogations facultatives et cas de dol réservés. Mais l’acheteur doit
prouver la dérogation. Faculté pour l’acheteur de ne demander
qu’une bonification..................................................................................... 337
395. Ces règles sont applicables aux animaux vendus pour la boucherie.
Usages contraires........................................................................................ 338
396. Délai de l'action. Expertise. Mort de l’animal. Litiges inférieurs à
100 francs.........................
338
397. Action régulièrement intentée. Existence de la maladie. Présomption
j u r i s e l d e j u r e .......................................................
340
398. Ventes successives. Délai............................................................................ 340
399. Les clauses simplement extensives de la garantie ne s’étendent pas
au délai........................
340
400. Applicabilité des articles 1642 et 1643 du Code civil (vices apparents
et stipulation de non garantie.................................................................. 341
^00 bis. Compétence des tribunaux de commerce............................................. 341
400 ter. Loi du 8 décembre 1907. Vente des engrais et des substances des
tinées à l’alimentation des animaux de la ferme................................ 342
B .— Obligations de l'acheteur.
401. Obligation de l’acheteur de payer le prix et d’opérer le relirement au
temps etau lieu convenu. Article 1657 du Code civil édictant la ré
solution de plein droit et sans sommation au profit du vendeur
faute de retirement.....................................................................................
402. Cet article est applicable à la vente commerciale..................................
403. Tempérament dérivant soit de la nature du contrat, soit des usages.
404. Influence de l’usage. Impossibilité matérielle de livrer résultant de
la malice de l'acheteur............................................. , .............................
405. Marchandises livrables à quai, au débarquement..................................
406. Dans la vente ne précisant pas le lieu ni le jour du retirement, le ven
deur ne peut la tenir pour résolue ipso facto après une sommation
les indiquant........ ......................................................................................
407. L’acheteur est fondé à ne pas se livrer lorsque le vendeur lui offre
une marchandise non conforme................................................................
408. Mais c'est à lui à prouver la non-conformité...........................................
409. Conséquences: 1° l’acheteur peul renoncer à s’cn prévaloir, môme
tacitement. Réception pure et simple. Ses effets. Identité...............
410. Les effets de la réception sont annulés aux cas de vice caché ou de
fraude du vendeur. Identité de la marchandise prouvée...................
41L. 2° L’acheteur doit provoquer une expertise régulière. A défaut il doit
recevoir et payer. La destruction par l’autorité des marchandises
reconnues par elle impropres à la consommation tient-elle lieu
d'expertise i ...............................................................................................
412. La présence de l'agent du vendeur, sauf mandat spécial, ne couvre
pas l’irrégularité d’une expertise. L’expertise nulle peut valoirà titre
de renseignements......................................................................................
412 bis. Lieu où l’expertise doit être ordonnée.. ..............................................
345
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�TABLE DES MATIÈRES
413.
414.
415.
416.
417.
Clauses « lelle quelle » el« refusable en aucun cas ».............................
Livraison au domicile du vendeur : l’acheteur doit y venir agréer...
Obligation de l’acheteur de payer le prix................................................
Effets du défaut de paiement du prix. Résiliation de la vente...........
Impossibilité de l'ordonner dans la vente de marchandises détermi
nées seulement par leur espèce et leur quantité.................................
418. Lorsque l’acheteur a revendu.......................................................................
419. Ou lorsqu’il est tombé en déconfiture.........................................................
420. Faut-il dans ce cas que la faillite ait été judiciairement déclarée ? ...
421 Appréciation de deux arrêts de Paris.......................................................
422. Objections contre noire système. Réponse...............................................
423. Hypothèses dans lesquelles l’article 1654 recevra son entière exécution
dans la vente com m erciale...................................................................
424. Droit du vendeur à terme d’exiger le paiement immédiat si depuis
l’acheteur est tombé' en déconfiture.......................................................
425. Caractère du droit de poursuivre la résolution. Effels de celle-ci....
426. En quelle monnaie le prix est payé. Effets de commerce....................
427. Délai du paiement. Clause « Paiement comptant ». Escompte..........
427 bis. Différence à payer au cas de résiliation par l’acheteur ou le vendeur.
409
353
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360
SECTION V
DE LA PREUVE DE LA VENTE. --- DU TRIBUNAL COMPÉTENT
428. L’écrit n’a jamais été requis pour Invalidité de la vente en principe.
Droit ancien. Q a id s’il en a été dressé un? Non-application del'article 1325 du Gode civil.............................................................................
429. Caractère du bordereau de l’agent de change ou courtier....................
430. Son effet sous le droit ancien.....................................................................
431. Le Code ne lui reconnaît le caractère de preuve que s’il est signé par
les parties. Ses motifs. Discussion au Conseil d’État.......................
432. L’absence de signature n’annule pas nécessairement la vente.............
433. La signature n’est requise qu’en tant qu’il n’y a pas eu encore livrai
son..................................................................................................................
434. L’acceptation de la facture prouve la vente. Motif du silence gardé
sur l’acceptation de la marchandise. . ....................................................
435. Exception si celui qui la reçoit ne doit agir que comme commission
naire ...............................................................................................................
433. De quoi résultera la preuve qu'il n'a reçu qu’en cette qualité...........
437. Influence de la stipulation et de la concession d’un du croire ............
438. Effet de l’envoi de la facture contre le vendeur.......................................
439. Lavente peut toujours être prouvée par la correspondance. Son effi
cacité .............................................................................................................
440. Le vendeur est-il toujours tenu de produire l’original de l’acceptation.
441. Explications diverses du défaut de réponse :
1° La partie qui reconnaît avoir reçu la lettre non répondue est tou
jours lié e .............................................
363
364
364
364
365
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3)7
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442.
443.
444.
445.
446.
447.
TABLE DES MATIÈRES
2° II en esl de même si, prétendant n’avoir pas reçu la lettre, celle-ci.
est confirmée par la correspondance ultérieure, ou si, étant la
dernière, elle a été transcrite i-égulièrement au copie de lettres
de l’expéditeur.........................................................................................
Article 420 du Code de procédure civile. Tribunal compétent pour
résoudre les litiges possibles...................................................................
Est-ilapplicableaucasdedénégation du marché par l’une des parties?
Non si la dénégation esl sérieuse. Litispendance...............................
Conditions de la compétence lorsque l’article 420 est applicable....
Lieu de la p r o m e s s e et de la liv r a is o n .
A) P ro m esse Marché par correspondance.......................................
Marché traité par commis voyageur...........................................................
B ) L iv ra iso n . Si la convention est muette, on applique l'article 1247
du Gode civil. Clause « r e n d v p a r ité ». Marchandises voyageant
aux risques de l’acheteur. Clauses liv r a b le so u s v e r g u e s, fra n c o à
b o r d , s u r w a g o n d é p a r t, liv r a b le s au d é b a r q u e m e n t, liv r a b le s à
à q u a i, liv r a b le s a u x d o c k s, p o id s é ta l sa in g a r a n ti à l'e m b a r
q u e m e n t ....................................................................................................
371
372
372
373
374
375
376
447 b is . La promesse et la livraison doivent-elles avoir lieu dans la même
ville ou dans la même circonscription judiciaire ?............................. 376
448. C) L ieu de p a ie m e n t. Q u id au cas du silence de la convention?... 377
449-450. Q u id si le vendeur livré sans exiger le prix ?................................ 377
451. Applicabilité de l’article 1247 aux ventes à terme.................................. 378
452. Indications de la facture. Elles lient l’acheteur qui n’a pas protesté.. 378
453-458. Examen de la jurisprudence............................................................ 379-382
459. Si la facture mentionnantle paiementchez le vendeur annonce l’émis
sion d'une traite, cette indication n’est pas dérogatoire..................... 382
460. Les mentions de la facture n'annulent pas la clause du contrat anté
rieurement consenti fixant le lieu de-paiement................................... 383
461. Pi’otestations de l’acheteur seulement à l'arrivée de la marchandise.
Distinctions................................................................................................ 384
462. Raison d’être de la jurisprudence favorable au vendeur................... 384
463. En cas de vente au comptant on applique l’article 1651 du Gode civil. 384
464. Mesures d'instruction. Tribunal compétent............................................. 384
465. La preuve de la vente s’induit des livres des parties........................... 385
466. Pouvoirs du juge h cet égard...................................................................... 3S5
467. Utilité de cette mesure....................................................
386
468. Quels sont les livres dont on peut demander la repi-ésenlation ?........ 387
469. La preuve testimoniale est-elle admissible dans l’achat et la vente
entre un commei’çanl et un non-commerçant?................................... 387
470. Le non-commerçant'qui a d’abord opté pour une juridiction peut il
plus tard investir l’autre ?......................................................................... 391
�TABLE SOMMAIRE ALPHABETIQUE
Les chiffres renvoient aux numéros des paragraphes.
Accessoire. — Le defaut de livraison (de 1') n’annule pas le contrat, 30.
Achats. — Voyez Vente.
Acheteur. — Ses obligations, paiement du prix, retirement, 401 et suiv.
; peut
ne pas se livrçr au cas d'offre d’une marchandise non conforme ; a la charge
de la preuve, 407 et suiv. Acheteur mettant malicieusement le vendeur dans
l’impossibilité de livrer, 404. Effets de la réception, vice caché, fraude, 410.
Défaut de paiement, faillite, déconfiture, 415 et suiv. Monnaie, effets de com
merce, escompte 426. Aveu indivisible, 161. Voyez Prix.
Acte de commerce (Vente et achat constituant un), 10-13.
Acte public. — Acte sous seing privé. Voyez Preuve.
. Action. — Que peut exercer le non-commerçant traitant avec un commerçant,
juridiction, 469-470. Preuve testimoniale, ih.
Agréages ou agrément.—Se distingue de la réception, 263,' acheteur contraint
d’y procéder au domicile du vendeur, lieu de la livraison, 414.
Ancienneté. — Condition substantielle, 96.
Anim aux domestiques. — Voyez Ventes d'animaux domestiques.
Arrhes. — Promesse de vente, caractère des arrhes, 202-206 ; vente pure
et simple, comporte-t-elle des arrhes, 208-216 ; quid dans la vente sous
condition, 216-219 ; le vendeur a-t-il perdu le droit de contraindre à l’exécu
tion du marché, 220-225.
Bloc (Vente en). — Ses effets quant aux risques de la chose, 118. Difficultés
que son caractère peut faire surgir, règles à suivre, 119 et suiv.
Bonification. — Au cas de vente sur échantillon, 174-175 ; au cas de vente par
navire désigné, 256 ; de vente caf, 286 ; usages commerciaux, si l’infériorité
dépasse certaines limites il faut résilier, 317 ; loi 13-20, juin 1866, 318.
Bordereau. — Voyez Preuve.
Brevet d'invention.— Invention non brevetable ou ne donnant pas les résultats
promis, erreur substantielle, 97-98. Déchéance, résiliation, effets, 99.
Chose. — Toute chose ayant une valeur vénale peut être vendue, 16 ; chose
d’autrui, 21 ; chose n’existant plus, 24 ; choses déprédées sur un Français,23;
choses dont la vente est prohibée, nullité, conditions,28-30; choses futures,31.
Circulaires. — Envoi, offre de vendre III.
Clauses « environ », 251, 377 ; « embarquement jusqu’à telle date », 260 ;c em
barquement immédiat, embarquement prompt », 263-264 ; « livrable franco
le long du bord», 275 ; « payable comptant », 305, 427; « au fur et à mesure
�412
TABLE SOMMAIRE ALPHABÉTIQUE
de la fabrication », « livrable an fur et à mesure de mes besoins », « livrable
à la demande », 364-365 ; « telle quelle », « refusable en aucun cas », 413 >
« livrables sous vergues, franco il bord, sur wagon départ, livrables au débar
quement, livrables à quai, livrables aux docks, poids état sain garanti il rem
barquement », 405, 447 « rendue parité dans telle ville », 326, 447.
Commissionnaire. — Sa présence couvre la nullité d'une expertise, 285.
Commissionnaire de transport. — Effets de la livraison il lui faite de la chose
qui doit être dégustée, 151 ; de la remise entre ses mains des choses vendues,
326-329 ; effets de l’acceptation qu’il ferait de la facture le désignant comme
acheteur, 435.
Compétence.— Art. 420 Pr. civ., 442; marché dénié, 443; lieu de la promessecorrespondance, commis voyageur, 444-445 ; lieu de la livraison, clauses
diverses le fixant, 447-447 bis ; lieu du paiement, mentions de la facture, 448,
460 ; protestations nécessaires, 461 ; mesures d’instruction, 464 ; traité entre
un non-commerçant et un commerçant, 469-470 ; vices rédhibitoires, Code
rural, 400 bis ; vente d’engrais, 400 1er et note.
Compte courant (Règlement des fournitures faites en), 78.
Condition. — Résolutoire, 227 ; suspensive, 228 ; seconde vente faite pendant
la durée de la suspension, 230 ; liberté des parties de fixer les conditions à
leur gré, 313 ; effets de la condition résolutoire expressément stipulée, 343 >
si elle n’est pas facultative, 345 ,■ effets pour la mise en demeure, 346 ; appli
cabilité de l'article lt84, 339 et suiv.
Consentement. — Sa nécessité, 81-84 ; doit-il exister dès l'origine sur toutes
les clauses ? distinctions, 85-88. Causes qui le vicient. Voyez Dol, erreur,
fraude, violence.
Correspondance.—A
quel moment la vente par correspondance est-elle conclue,
rétractation d’une lettre non encore répondue, 100-105, 444-445 ; quid en cas
d’expédition de la marchandise demandée par lettre, 103-109 ; envoi de prix
courant, 110; offre par lettre, «je voudrais vendre», 113-114. Voyez Preuve.
Déconfiture. — De l’acheteur, 419 ; vente à terme, paiement du prix, 424.
Déficit. — Dans la vente par navire désigné entraîne larésiliation contre le ven
deur, 250 ; pluralité des marchés, quel acheteur le supporte, 248-249 ; résilia
tion contre le vendeur, vente sur embarquement, 258; vente caf , 282; consti
tue-t-il un vice caché, 380-383.
Délai.— Promesse de vente, délai pour l'acceptation, 197-200; prorogation, par
l’acheteur, sommation de livrer,336-337 ; le vendeur doit livrer dans les vingtquatre heures,ib.,dimanches et jours fériés,ib. ,1a justice peut-elle lui accorder
un,délai de grâce, 338-344 l'acheteur doit aussi se livrer dans les vingt quatre
heures de la sommation du vendeur, 374 bis ; prorogation des délais des mar
chés à livrer dans le silence des parties, cumul des livraisons partielles, 374 ;
délai de livraison dans le courant d’un mois, report au mois suivant, 375 ;
vente à l’essai, 164 ; vente en disponible, 183 ; animaux domestiques,
maladies contagieuses, nullité de la vente, délai de l'action, 388 et 392 ; vices
rédhibitoires ; délai pour intenter l'action, 396 ; ventes successives, 398; exten
sion facultative, 399. Délai que comportent les clauses au fur et à mesure de
la fabrication, â mes besoins, etc., 334-365.
Délivrance. — Obligation de livrer, 316. Qualités que doit posséder la chose
offerte, 317-318 ; caractère de la délivrance, 319 ; vente d’une coupe de bois,
320-322; de quels actes s’induit la tradition et la mise en possession, clause
« rendue parité dans cette ville ». commissionnaire, créanciers, 322-329 ; où
�TABLE SOMMAIRE ALPHABÉTIQUE
413
et quand elle doit avoir lieu, 330-331 ; défaut de délivrance, effets, 332 ; force
majeure, grève, 333-334 ; délai après sommation (Voy. Délai) ; l’acheteur peut
demander sa mise en possession, 347 ; ventes portant sur des objets certains,
348 ; individualisation, 363 ; le vendeur peut-il offrir une livraison partielle,
367 ; le vendeur ne peut se soustraire à l’obligation de livrer en dénonçant le
marché avec offre de la différence, 376 ; il doit être propriétaire de la chose
vendue au moment du chargement, 252, et de la délivrance, 373 ; délivrance
contre paiement du prix, 368-369 ; échelonnements, cumul des livraisons
partielles au jour de la dernière échéance, 373.
Différence. — Au cours de quel jour doit-elle être fixée, 240, 273, 427 bis.
Divisibilité. — Des ventes à livrer par fractions. Chaque livraison forme un
marché distinct, 367.
Dol. — Ses effets sur le consentement, 81, 89.
Dù croire. — Influence de sa stipulation sur la nature de l’opération, preuve de
la vente, 437.
Échantillon. — Voyez Vente sur échantillon.
Echange. — Caractère, 46.
Echelonnements. — Prorogation, cumul des livraisons, tempéraments, 374.
Emballages. — Peut constituer une condition substantielle, 91
Erreur. — Viciant le consentement, 81, 89; sur la substance 90-91; objets d'art
loi du 9 février 1895, 92-96. Voyez Brevet.
Éviction. — Garantie du vendeur, 378.
Expertise. — Lieu de l’expertise, vente caf, 284-285 ; vente à livrer, 412 bis ;
doit être provoquée par l’acheteur, 411 ; nullité, présence de l’agent du ven
deur, du commissionnaire, 412, 285 ; vaut à titre de renseignement, 412 ;
tribunal compétent pour l’ordonner, 464 ; inapplicabilité dans les rapports du
vendeur et de l’acheteur de l’article 106 du Gode de commerce, 384 ; animaux
domestiques, 396.
Facture. — Voyez Compétence et Preuve.
Faillite. — Obligations et droits de la masse dans les ventes au poids, 125. A
essai, 167-168. Sous-condition, 329. En cas de prix consistant en travaux,
caution, 370. S’oppose à la demande en résiliation pour défaut de paiement,
419 et suiv. Echange, 45. Revendication, 349, 372, et résiliation 419-420.
Filière. — Ventes par filière. Leur mécanisme, ordres de livraisons successive,
ment transmis, les ventes et reventes successives sont distinctes, conséquen
ces, règlements de place, usages, 293-298 ; jugements rendus au profit du
vendeur originaire opposables ou non aux autres contractants, 299-300 ; paie
ment, comment il s’opère, délai de dix jours pendant lequel le vendeur origi
naire peut l’exiger du réceptionnaire, 301-308 ; droit personnel au vendeur,
309-310; le vendeur ne peut rien exiger de son acheteur an delà de son prix,
311 ; clause payable, délai admis par l’usage, 305.
Fonds de commerce. — Sa vente forme un bloc. Règles uniques, 16 ; interdic
tion de se rétablir, 18-20.
Force majeure. — Livraison au domicile du vendeur, siège de Paris, résolution
du contrat, critique des arrêts d’Aix et de Cassation, 329 ; doit être prouvée
par la partie qui l’oppose, 332 ; grève, 333 ; défaut de fixation d’une date de
livraison, 334 ; n’est pas constituée par l’augmentation des impôts ou droits de
douane, 335.
Fraude. — Vice du consentement, 89 ; responsabilité commune du capitaine et
du chargeur, 271.
�414
TABLE SOMMAIGE ALPHABÉTIQUE
— L’acheteur qui a reçu ne peut plus réclamer l’identité ne pouvant
plus être établie, 409; exception, 410.
G ara n tie. — Voyez D éficit, éviction., vices cachés, vices r é d h ib ito ire s.
G raisses et h u ile s. — Indication du poids. Décret du 11 mars 1908, 132 en
note.
Législation. — Caractère de la législation commerciale, application des règles
du droit civil, 2-5 ; loi des 13-20 juin 1866 sur les usages commerciaux,
7, 3t8 ; du 9 février 1885 sur les fraudes en matière artistique, 96 ; du.28 mars
1885 sur les marchés à terme, 290; lois des 2 août 1884, 21 juin 1898, 23 fé
vrier 1905 sur les ventes d’animaux domestiques, 387 ; du 8 décembre 1907
sur la vente des engrais et substances destinées à l’alimentation des animaux
de ferme, 400 ter.
L e ttre m issive . — Voyez C o rrespo nda nce et com p éten ce.
L iv ra iso n . — Voyez D é livra n ce , c o m p éten ce, d éla i, so m m a tio n .
L iv re s. — Voyez P reu v e.
M aladies c ontagieu ses. — Voyez V en te d 'a n im a u x d o m e s tiq u e s .
M a rque. — Effets de l’apposition de la marque de l’acheteur sur la chose ven
due, 153.
M ise en d e m eu re. — Ses effets dans la vente au poids, au compte ou à la me
sure, 127 ; dans celle sous dégustation, 147 ; la mise en demeure du vendeur
résulte virtuellement de sa sommation de prendre livraison, il se met ainsi
lui-même en demeure de livrer, 373 ; dispense d’en signifier une lorsque la
clause résolutoire a. été expressément stipulée ou dans le cas de l’article 1146,
346 ; cumul des livraisons partielles au jour de la dernière échéance, 374 ;
article 1657 du Code civil applicable en matière commerciale, usages, 401-403.
N o m . — Vente du nom, 17-18.
O b jets d 'a rt. — Qualités substantielles, erreur, loi du 9 février 1895, 92-96.
O ffre (par lettre). — Voyez C o rresp o n d a n c e; si on écrit : qu’on veut vendre,
113 ; je voudrais vendre, 114 ; vente par navire désigné, offre du solde d’un
lot, 253 ; vente sur embarquement, délai pour offrir la marchandise après l’ar
rivée du navire, 265 ; offre d’une marchandise de même provenance, 272 ;
offre nouvelle avant que le remplacement ait été opéré, 361; offre d’une
livraison partielle, 367.
P actes. — Essentiels et accessoires, distinctions, 86-88, 91.
P a ie m e n t. — Lieu du paiement. Voyez C o m pétence. Défaut de paiement, rési
liation, 416 ; q u id au cas de ventes d’objets certains, lorsque l’acheteur a
revendu, est en déconfiture ou en faillite, 417-419 ; l'aut-il une faillite judi
ciairement déclarée, 420-422 : article 1654 du Gode civil, effets de la résolu
tion, 423-425.
P o id s. — Voyez V en te a u p o id s, au co m p te ou à la m e su re ; loi du 13 juin
1866, 125 q u a le r ; huiles et graisses, décret du 11 mars 1908, 132 en note.
P re u v e . — Testimoniale, par écrit, inutilité, conditions, 428 ; bordereau d’agent
de change ou courtier, 429-433 ; par la facture, acceptation, commissionnaire,
dû croire, 434-438 ; correspondance, défaut de réponse, production du copie
de lettres, 439-441 ; par les livres, représentation, 465-468 ; la preuve testimo
niale est admise contre le commerçant et dans certains cas contre le noncommerçant au cas de traité entre un commerçant et un non-commerçant,
469-470.*
P r ix . — Condition essentielle de la vente, 39-40;doil être sérieux, prix vil, 41 ;
supérieur à la valeur de la chose vendue, 42 ; stipulé en denrées, 43-44-47 ;
Id e n tité .
�TABLE SOMMAIRE ALPHABÉTIQUE
415
doit être certain, détermination par des tiers, 48-52-68 ; vente au prix de tel
marché, au prix que la chose vaut, au juste prix, au prix qu'on m’en offrira-,
48-51, 69-70 ; exception, 75-77 ; obligations de l’acheteur relative au paiement
du prix, 415 ; défaut de paiement, conséquences, 416 ; vente d’objets certains,
417; revente par l'acheteur, 418 ; sa déconfiture, 419-424; monnaie, effets de
commerce, escompte, 425-427 ; prix stipulé comptant, 368, 427 ; utilité de la
distinction entre l’échange et la vente, faillite de l’acheteur, 45.
P rix c o u r a n t. — Son envoi n’est pas une offre de vendre, 110.
P rom esse de la p ré fé re n c e . — Conséquences, 74.
P rom esse de v en d re. — Caractère, conditions, promesse unilatérale, validité,
190-195; acceptation, délai, 197-200; promesse parfaite, effets, 207; arrhes
202-207.
Q ualité. — Omission, nullité, 37-38 ; substantielle, 91, 96.
R écep tio n . — Effets, vente au poids, 115 ; virtuelle, faits desquels elle résulte,
153-154. Voyez D élivran ce ; légitimité du refus de recevoir par l’acheteur à qui
on offre une marchandise non conforme, etc. Voyez A c h e te u r . Ses effets,
vices apparents, vices cachés, questions d’identitc de la marchandise, 409-410.
R écolte. — Vente, effets, 33.
R éd u ctio n du p r ix . — Au cas où la livraison partielle est permise. 30.
R éfa c tio n . — Voyez B o n ific a tio n .
Remplacement. — Droit de le demander à défaut de délivrance par le vendeur,
349; ses conditions et ses effets, 350-354; comment il s’opère, 355-359; doit
être effectué par autorité de justice, 360 ; offre par le vendeur tant que le rem,placement ordonné n'a pas été opéré, 361.
R ésiliation . — De plein droit, au profit du vendeur faute de retirement, art. 1657
du Code civil, 401-402 ; usages, malice de l’acheteur, non-précision du jour
du. retirement, 403-406; excuses de l’acheteur, non-conformité, charge de la
preuve, vice caché, 407-412; le vendeur a droit à la résiliation faute de récep
tion effectuée dans les vingt-quatre heures de sa sommation, 374 b is; droits
du vendeur de faire ordonner la vente aux enchères publiques avec condam
nation de l’acheteur au paiement de là différence, 362 ; dans ce cas, l’acheteur
peut encore recevoir tant que la vente n’a pas été effectuée, 364; résiliation
contre l’acheteur pour défaut de paiement du prix, 416.
R éso lu tio n . — Voyez R é silia tio n .
R e tire m e n t. — Voyez R éc ep tio n , d é liv ra n c e .
R ev en d ic a tio n . — En cas de perte et de vol, 22 ; choses prises en mer et déprédées sur un Français, 23.
R isq u es. — Vente parfaite, corps certain, vente au poids, 115-116 ; vente de
choses déterminées par leur espèce et qualité, 117 ; en bloc, 118 ; soumises à
la dégustation, 157;'à l’essai, 157; par navire désigné, 246-247, 276; C a f, 2S2.
Som m a tio n . — De livrer, 336. Voyez D élai, d é liv ra n c e ; formes, citation en ré
siliation, 337; époques de livraison non fixées au contrat, effets, 406.
Taches et tro u s . — Dépréciant la marchandise, 385.
Usages c o m m e rc ia u x . — Application, 6 ; loi des 13-20 juin 1866, 7-10.
V endeur. — Ses obligations, il doit livrer avec les qualités voulues, bonifications,
usages, loi du 13 juin 1866, 316-318 ; délivrance réelle ou virtuelle, etc. Voyez
D élivrance, d éla i, g a ra n tie , o ffre s, re m p la c e m e n t, ré s ilia tio n , vices ré d h i
b ito ire s.
V ente. — Généralité, son importance, caractère de l’article 109,. recours au droit
commun, 1-6 ; acte de commerce, 9-13 ; caractère et condition du contrat,
choses qui peuvent être vendues, 15-16; vente d’une chose future, 31,
�416
TABLE SOMMAIRE ALPHABÉTIQUE
V ente a léa toire. — Espèces diverses, 35.
V ente a lte rn a tiv e . — Difficultés sur son caractère, 315.
V ente avec a rrh e s. — Voyez A rrh e s.
V ente en b lo c . — Voyez B loc.
V ente de choses p r o h ib é e s. — Nullité, 28 ; loi étrangère,
vente de choses
prohibées, et non prohibées, 29 ; ventes maintenues, 30.
V en te c o n d itio n n e lle . - Voyez C o ndition s.
V en te avec d é g u sta tio n . — Caractère, effets. 132-135 : droit du vendeur de con
traindre à la dégustation, 136 ; la dégustation est-elle confiée à l’acheteur ou à
un tiers, règles à suivre et exception, 137-145; risques de la chose, mise en
demeure, 146-148; renonciation à la dégustation, effets de la prise de livraison,
de quoi elle résulte. 149-153.
V en te avec essai. — Différence avec la vente avec dégustation, 154 ; caractère,
effets, risques, 155 162 ; délai, 163-165; droit du vendeur transmissible aux
héritiers, à la masse de la faillite, 166-168.
V ente à fo r fa it et à tous risques, 26.
V ente au p o id s, au c o m p te ou à la m e su re . — Réception, effets, achat pur et
simple, 115 ; risques, 116-117; vente en bloc, 118 ; caractère, 119-123; trans
fert de propriété, 121-125 b is ; pesage non contradictoire au départ, effets,
125 b is ; au lieu d’expédition, 125' 1er ; loi du 13 juin 1866, 125 q u a le r ;
quand doit-il Être procédé au pesage, etc., mise en demeure, risques, indem
nité pouvant être due. 123-131.
V ente à te rm e , à liv re r. — Caractère, 289; jeu, loi du 28 mars 1885, 290; mar
ché h prime, interversion de position, 291-292.
V ente en d isp o n ib le , g r é d essu s ou avec v u e d essu s. — Objet, 182; délai
d’acceptation pour l’acheteur, lettre, 183-184; protestation nécessaire en cas
d’empêchement par le vendeur, 185; faute de refus, présomption d’acceptation,
186; l’acheteur peut n’examiner qu’une partie du lot offert, 187; manipulations
usuelles, 188; délai accordé il l’acheteur pour le transport, 189.
V ente su r é c h a n tillo n . — Caractère de l’échantillon, doit être scellé et cacheté,
controverse, différence entre l'é c h a n tillo n m o n tre et l'é c h a n tillo n ty p e , 170171; admission mais seulement exceptionnelle de la preuve testimoniale pour
reconstituer l’échantillon, 172; réception, effets, 173 ; résiliation au cas de dif
férence avec l’échantillon, pas de bonification possible, 174-175; composition de
l’échantillon, fraude, effets, 176-177 ; clause « moralement conforme», 178;
jurisprudence, règles, 179-180.
V en te s à m on opo le. — Prix excessif, nullité 42.
V entes m a ritim e s. V en te p a r na vire d é sig n é ou à d é sig n e r. — Définition, la
désignation protège l’acheteur, 232-233 ; délai de la désignation, le tribunal, à
défaut de fixation par les parties, peut en impartir un, 234-235; application
rigoureuse contre le vendeur, obligation substantielle, 236-237 ; navire déjà
arrivé, lettre, faculté pour le vendeur de faire une seconde désignation, déci
sions contradictoires, 238-239 ; expiration du délai, lettre. 241 ; indication des
époques d’embarquement et d’arrivée, clauses substantielles, 242 ; non arrivée
du navire, justification à faire du chargement, 243 ; désignation d’un navire
non chargé, non encore parvenu au port de charge, voyage direct, 244; trans
bordement interdit, 245 ; effets de la désignation, risques, faculté de proroga
tion, 246 247; pluralité de marchés, déficit, 248-249; indivisibilité de la vente
pour le vendeur, 250 ; exécution sous réserve au cas de déficit, effets, clause
« environ », 251 ; le vendeur doit être propriétaire de la marchandise au moment
du chargement, 252; vente de partie d’un lot, offre du solde, décisions contra-
�417
TABLE SOMMAIRE ALPHABÉTIQUE
dicloires, 253-25 A; erreur commise par l’acheteur sur l’époque du chargement,
pas de forclusion pour lui, 255 ; non-résiliation, bonification, 256.
V ente s u r e m b a rq u e m e n t. — Définition, délai du chargement, obligation sub
stantielle, non-indication du nom du navire, faculté de désigner un ou plusieurs
navires déjà arrivés, 257; interprétation rigoureuse contre le vendeur, embar
quement réel, indivisibilité, 25S; transbordement, connaissement direct,259;
délai du chargement, 269, 272; clause « embarquement jusqu’à telle date », 260;
époque de l’arrivée, obligation substantielle, 261 ; défense de substituer un
voilier à un vapeur et inversement, 262 ; clause « embarquement immédiat,
prompt », 263-264; délai de l’olTre après l’arrivée, 265; conversion en marché
ferme, prorogation, 266; prouve de la date du chargement, connaissement,
foi duc, 267-270; fraude, responsabilité du capitaine et du vendeur, 271; diffé
rence, jour auquel elle est due, 273; faux connaissement, conservation des
droits de l'acheteur, 274; clause « livrable franco le long du bord », 275; trans
formation en vente par navire désigné, conséquences, 276; liberté des con
ventions, fusion des divers contrats, 277.
V entes coût, fr e t, a ssu ra n ce, c a f ou c if. — Définition, 278; traite documentée
ou documentaire, cacepiaiion, 279-280; paiement du fret à l’arrivée, consé
quences en cas de perte de navire, 281 ; livraison au port d'embarquement,
individualisation delà marchandise, 282; remise des documents, délai, 282 b is ;
réception et agrément, 288; expertise 2S4-285 ; résiliation, bonification, 286 ;
droits de douanes, mesures sanitaires, 287-287 bis;caractères essentiels seuls
retenus par la jurisprudence, 288.
V entes d 'a n im a u x d o m e stiq u e s. — Maladies contagieuses, vices rédhibitoires,
lois applicables, 387 ; maladies contagieuses, mesures de police, énumération
limitative, vente nulle, vendeur de bonne foi, 380; animal non séquestré,
enfoui, 390 ; charge de la preuve à l’acheteur, 391 ; prescription de quarantecinq jours, interruption, 392 ; vices rédhibitoires, énumération limitative,393,
dérogations facultatives, dol, l’acheteur peut ne demander qu’une bonification,
394; animaux pour la boucherie, usages, 395; délai de l’action, expertise, mort,
litiges moindres de 100 francs, 396 ; action intentée, existence de la maladie,
présomption, 397 ; ventes successives, délai, 398; clauses extensives, 399 ;
articles 1612 et 1643du Code civil, 400 ; tribunal compétent, 401.
V entes d ’e n g ra is et de su b sta n ce s d e stin ées à l'a lim e n ta tio n des a n im a u x de
la fe rm e . — Réduction du prix, lésion de plus d’un quart, délai, convention
contraire, nullité, compétence, 400 1er.
Vices cachés. — Garantie du vendeur, art. 1641 du Code civil, 379; n’existe pas
pour les vices apparents, ih ., objets d’art, 92 ; effacent les effets de la récep
tion, 386, 409-410.
Vices ré d h ib ito ire s. — Voyez V en tes d ’a n im a u x d o m e stiq u e s.
Violence. — Vice du consentement, 81, 89.
V entes et a ch a ts
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Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Droit commercial. Commentaire du Code de commerce. Livre premier, titre septième, Des achats et ventes, nouv. éd.
Subject
The topic of the resource
Droit commercial
Description
An account of the resource
Nouvelle édition revue, complétée, mise au courant de la doctrine et de la jurisprudence par Benjamin Abram, docteur en droit, avocat à la Cour d’appel d’Aix
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Bédarride, Jassuda (1804-1882)
Abram, Benjamin (1846-1938 ; avocat). Éditeur scientifique
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES 31829
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Libr. de la Société du Recueil J.-B. Sirey et du Journal du Palais (Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1909
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/234486597
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-31829_Bedarride_Achats_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
417 p.
22 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/337
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 19..
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
Des achats et ventes
Abstract
A summary of the resource.
Nouvelle édition revue, complétée, mise au courant de la doctrine et de la jurisprudence par Benjamin Abram, docteur en droit, avocat à la Cour d’appel d’Aix
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Achats -- Droit -- France
Droit commercial -- France
Vente -- Droit -- France