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5655c6b0b36f62c0b83987203b5c392e
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1993-1
Faculté de Droit et de Science Politique d'Aix-Marseille
��UNIVERSITÉ DE DROIT, D’ECONOMIE ET DES SCIENCES
D'AIX-MARSEILLE
1993-1
CENTRE DE DROIT SOCIAL
Les Presses Universitaires d’Aix-Marseille et la Faculté de Droit
déclinent toutes responsabilités à la fois quant aux opinions émises par les auteurs
et quant aux informations les concernant (grade - titre - affectation) ; ces dernières
sont toujours, sauf erreur matérielle, celles fournies par les auteurs eux-mêmes.
Le Code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article
L. 122-5, 2° et 3° a), d’une part, que les "copies ou reproductions strictement
réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective”
et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et
d'illustration, "toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite
sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite"
(art. L. 122-4).
Celte représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit,
constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 335-2 et suivants
du Code de la propriété intellectuelle.
© PRESSES UNIVERSITAIRES D'AIX-MARSEILLE - 1994
LABORATOIRE DE DROIT PÉNAL INTERNATIONAL
ET DE CRIMINOLOGIE COMPARÉE
INSTITUT D'ÉTUDES JUDICIAIRES
0 9 A 095849 3
P R E S S E S U N IV E R SIT A IR E S D’A IX -M A R SE ILLE
FACULTÉ DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE D'AIX-MARSEILLE
�Ce premier numéro du Bulletin
d'Aix est chaleureusement dédié à notre
collègue le doyen Fernand Boulan qui par son
enthousiasme et sa compétence a beaucoup
contribué à l'éclosion de ce Bulletin.
A. SERIAUX
�ANALYSES
DE JURISPRUDENCE
��- A 1 LE DROIT À L'IMAGE DE SES BIENS
PROPRIÉTÉ (DROIT DE) / ÉTENDUE / IMAGE DU
BIEN / , UTILISATION / DROIT, POUR LE
PROPRIETAIRE, DE S'Y OPPOSER / PROPRIÉTÉ
INTELLECTUELLE / CONCEPTEUR / DROIT SUR
L'IMAGE CONÇUE / IMAGE INCORPORÉE DANS
UNE MAISON D'HABITATION / DIVULGATION /
AUTORISATION DU PROPRIÉTAIRE / NÉCESSITÉ
Aix - 1ère ch. A - 18 janvier 1993 - n° 42 - Président, M. Hugues
- Avocats, Mes Guasco, Drujon d'Astros
Si la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et
artistique confère à l'auteur d'une œuvre de l'esprit, le droit de
divulguer cette œuvre librement, cependant, aux termes de
l'article 29 de cette loi, la propriété incorporelle est indépendante
de la propriété de l'objet matériel définie elle-même par l'article
544 du Code civil comme le droit de jouir et de disposer des
choses de la manière la plus absolue ; ce caractère, qui ne connaît
d'autres limites que celles apportées par les lois et les règlements,
confère particulièrement au propriétaire d'un objet matériel la
faculté de s'opposer discrétionnairement à toute utilisation par des
tiers non seulement du bien lui-même mais aussi de l'image de ce
bien.
L'existence d'un droit du concepteur sur l'image de sa
conception ne le dispense pas, lorsque cette conception s'est
matérialisée dans la construction d'un immeuble propriété d un
tiers, d'obtenir l'autorisation de ce dernier pour en publier la
reproduction photographique.
Faits et procédure :
Par déclaration du 24 août 1989, Monsieur Christian
Guibert et son épouse ont relevé appel principal limité d un
jugem ent, rendu le 22 juin 1989 par le Tribunal de Grande
Instance d'Aix-en-Provence, dans un procès les opposant à la
"Société des Maisons Phénix Provence" ; et cette dernière a relevé
appel incident.
La décision entreprise contient l'exposé des faits de la
cause, des dem andes originaires des parties, et des moyens
proposés à leur soutien.
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Son texte est le suivant :
A la suite de la publication de la photocopie de leur villa,
sise à Aix-en-Provence, dans l'hebdomadaire "Télé 7 jours"
(numéro du 26 septembre au 2 octobre 1987) puis dans d'autres
journaux publicitaires de la région ("Le 84" ; "Plus hebdo"), les
époux Guibert, par acte du 20 juin 1988, ont fait assigner la
Société Maisons Phénix pour voir ordonner sous astreinte la
somme de 1 000 francs par jour de retard la cessation de la
publication et pour obtenir, outre 200 000 francs à titre de
dommages-intérêts, 5 000 francs sur le fondement de l'article 700
du NCPC ;
Ds font valoir que la photographie et sa publication ont été
réalisées sans leur consentement ; que cette maison est une
construction originale sans ressemblance avec les m odèles
habituellement proposés par la société Phénix, et qu'à la suite de
la parution de cette publicité la vente projetée de la villa n'a pu se
réaliser, leur causant par là un grave préjudice.
La Société Maisons Phénix, concluant au rejet des
prétentions émises, répond qu'elle n'a commis aucun abus en
usant d'un droit à l'image qui appartient non pas au propriétaire
mais au concepteur ; que, de plus, s'agissant de m aisons
industrielles distribuées à de multiples exem plaires, la villa
photographiée n'est pas identifiable comme étant celle des époux
Guibert ; qu'enfin, la preuve du préjudice allégué n'est pas
rapportée notamment en ce qui concerne l'éventuelle restitution
d'un acompte de 100 000 francs (sur le prix de vente convenu de
1 700 000 francs) à l'acquéreur, M. Sieille.
La défenderesse demande au Tribunal de lui donner acte
de ce qu'elle a retiré le cliché litigieux de sa photothèque et
réclame 5 000 francs en venu de l’article 700 du NCPC ;
En réplique, les époux Guibert soutiennent que la
publication constitue une faute (au sens de l'article 1382 du Code
civil) en une atteinte à leur droit de propriété (selon l'art. 544 du
même code). Ils maintiennent leur demande au principal mais
sollicitent 10 000 francs pas application de l'article 700 du
NCPC, et ils demandent au Tribunal de constater que la Société
Phénix n'a pas répondu aux mise en demeure adressées pour
faire cesser le trouble.
Motifs :
1°) Sur la responsabilité :
Attendu que la Société Maisons Phénix ne conteste pas
que la photographie litigieuse porte sur la villa des époux
Guibert ; qu'elle se prévaut néanmoins du droit de propriété
incorporelle dont dispose le concepteur sur son œ uvre, en
l'espèce sur les constructions réalisées.
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Attendu en effet, que la loi du 11 mars 1967 sur la
propriété littéraire et artistique confère à l'auteur d'une œuvre de
l'esprit le droit de divulguer cette œuvre librement.
Attendu cependant que, aux termes de l'article 29 de la loi
précitée la propriété incorporelle est indépendante de la propriété
de l'objet matériel définie elle-même par l'article 544 du Code
civil comm e le droit de jouir et de disposer des choses de la
manière la plus absolue.
Attendu qu'ainsi le droit de propriété incorporelle tend à
réserver les droits du créateur sur l'œuvre immatérielle et
accessoirem ent sur les réalisations concrètes qui en traduisent
l'existence, telles que notamment selon l'article 1er de la loi du 11
mars 1967, les "plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à
l'architecture", mais en aucun cas sur le bien corporel lui-même
dès lors que ce bien, en l'espèce une maison individuelle à être
régulièrement cédée à un tiers et que l'image qui est utilisée est
celle non de la création initiale mais d'une maison habitée.
Attendu, en effet, que l'article 544 du Code civil donne à
son titulaire un droit dont le caractère absolu a constamment été
réaffirmé par la jurisprudence et qui ne connaît d'autres limites
que celles accordées par les lois ou règlements qu'il confère
particulièrement au propriétaire d'un objet matériel la faculté de
s'opposer discrétionnairement à toute utilisation par des tiers non
seulement du bien lui-même mais aussi de l'image de ce bien.
Attendu que les époux Guibert disposaient de ce droit dès
la réception de l'ouvrage en 1976 ; que la publicité a été réalisée
en 1987, soit postérieurement.
Attendu que la Société Maisons Phénix, à peine de porter
atteinte au caractère absolu du droit de propriété des requérants,
se trouvait ainsi dans l'obligation de recueillir le consentement
des époux Guibert préalablement à la prise de la photographie et à
l'utilisation de l'image de leur villa, mais qu'elle ne justifie pas
avoir contenu cette autorisation ; que de plus, le contrat de
construction (n° 1/1372) passé entre les parties ne comporte
aucune stipulation en ce sens ; qu'en outre aucune autorisation
tacite ne peut être déduite de l'existence de relations de travail
entre la Société Phénix et Mme Guibert, employée comme cadre
au moment de la construction.
Attendu, également, que des améliorations importantes
ont été apportées au projet initial sur la demande des époux
Guibert ; qu'ainsi M. Yves Girod, Chef du bureau d'études de
cette société jusqu'en 1984 atteste que des produits et des
techniques nouvelles ont été expérimentées à cette occasion,
notamment un enduit en ciment projeté, des génoises en double
bâti, une couverture de toit en vieilles tuiles, un auvent de sept
mètres avec une poutre importante.
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Attendu par suite que cette maison, même dérivée d'un
modèle dit "Durance plus" couramment proposé à la vente, se
trouve dotée de caractéristiques techniques qui lui confèrent une
originalité certaine au regard des m aisons in d u strielles
habituellement conçues et réalisées par Maisons Phénix ;
Attendu donc qu’en réalisant puis en diffusant sans
autorisation la photographie, à des fins publicitaires, de cette
construction originale, et par suite identifiable, au moins par le
voisinage, la Société Maisons Phénix a comm is une faute ;
qu'ainsi les requérants sont fondés à demander réparation du
préjudice résultant de cette atteinte à leur droit de propriété.
Attendu que par ces motifs pertinents et détaillés que la
Cour adopte le tribunal a parfaitement caractérisé l'existence et la
nature de cette faute ;
Qu'il suffit de souligner, pour répondre à l'argumentation
de la société en appel, que l'existence d'un droit du concepteur
sur l'image de sa conception ne le dispose pas, lorsque cette
conception s'est matérialisée dans la construction d'un immeuble
propriété d'un tiers, d'obtenir l’autorisation de ce dernier pour en
publier la reproduction photographique, ce qui n'a pas été fait en
l'espèce.
2°) Sur la détermination du préjudice :
Attendu que par des motifs pertinents et une estim ation
exacte que la Cour entend également adopter, le jugement a fixé à
5 000 francs au jour où il a été rendu le préjudice causé aux
époux Guibert ;
Que, d'une part, ils ne prouvent pas que la défection d'un
acquéreur, au motif de la publicité incriminée, ait pu constituer un
motif valable de résolution d'une vente qu'ils pouvaient donc
faire passer par acte authentique si elle avait été conclue déjà par
compromis ;
Que, d'autre part, ils ne prouvent pas que le défaut de
cette vente leur ait causé un préjudice de trésorerie réel dans leurs
affaires parce qu'ils auraient été contraints de la vendre ensuite à
un moindre prix ;
Mais que la société ne saurait, de son côté, nier la réalité
du préjudice causé aux époux G uibert par sa publicité
intempestive et non autorisée, pouvant faire croire aux amis et
clients de ses adversaires soit qu'ils n'étaient pas les propriétaires
de leur bien présenté comme construit par d'autres, soit qu'ils se
prêtaient, contre rémunération, à cette discutable publicité, alors
que telle n'était pas le cas ;
Attendu que ce préjudice ayant été fixé à 5 000 francs le
22 juin 1989 date du jugement confirmé, il conviendra seulement
de préciser que cette somme portera intérêts de droit depuis cette
date, où a été exactement fixé le préjudice indemnisé ;
OBSERVATIONS :
Pour qui en douterait, il paraît néanmoins certain que le
hasard ne fait jam ais mal les choses. Les mêmes questions
juridiques, jusque là fort peu discutées, jaillissent à l'impromptu,
à quelques mois de distance, devant des juridictions aussi
géographiquem ent éloignées que celles, hier, de Metz (26
novem bre 1992, D. 1993, IR 83, J.C.P. 1983, I, 3707, n° 1,
obs. H. Péri net-Marquet) et aujourd'hui d'Aix-en-Provence.
En ces temps où règne la communication par l'image, il
n'est en effet guère surprenant de voir des propriétaires se
plaindre de l'utilisation par un tiers des "traits" de leurs biens,
m eubles ou imm eubles à des fins variées. En 1988 déjà, le
tribunal de Bordeaux (T.G.I. Bordeaux 19 avril 1988, D. 1989,
Somm. 93, obs. D. Amson) avait eu à connaître de l'exhibition,
par un copropriétaire dans une assemblée générale, de la
photographie de la terrasse de son voisin, sur laquelle du linge
était régulièrem ent étendu pour y sécher, afin d’obtenir
l'autorisation de surélever la séparation mitoyenne. A Metz, il
n'était pas question de photographie mais du graphisme d'un
immeuble inséré dans les documents commerciaux de la société
constructrice. A Aix, cette fois, il s'agissait de la publication, par
la société M aisons Phénix, d'une villa de sa conception dans
l'hebdomadaire "Télé 7 jours", à des fins publicitaires, alors que
cette villa avait été vendue aux requérants en 1976 et que la
publicité a été réalisée onze ans plus tard, en 1987.
Au lieu de se placer, comme ils auraient pu tâcher de le
faire, sur le terrain de leur droit à la tranquillité consacré par
l'article 9 du Code civil, les propriétaires imaginèrent plus
justem ent de fonder leurs demandes sur l'article 544 du même
Code : la propriété "physique" d'un bien s'entend également de la
propriété de l'image de ce bien ; par suite, seul le consentement
du propriétaire peut justifier la captation et la diffusion de
ladite image par un tiers. Le tribunal de Bordeaux adopta ce
raisonnem ent en spécifiant bien que "le droit à l'image est un
attribut du droit de propriété". La Cour d'appel de Metz, tout en
suivant grosso modo le même raisonnement, se contente de
décider que "le droit de propriété autorise le propriétaire à mettre
obstacle à ce qu'un tiers utilise l'image de son immeuble à des
fins com m erciales sans son autorisation, (...) l'utilisation
commerciale de l'image de sa maison étant un attribut du droit de
propriété". La Cour d'Aix, adoptant les motifs du Tribunal de
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grande instance d'Aix-en-Provence, affirme cette fois que le droit
de propriété confère au propriétaire "la faculté de s'opposer
discrétionnairement à toute utilisation par des tiers non
seulement du bien lui-même mais aussi de l'image de son bien".
A partir de là, deux remarques s'imposent, semble-t-il.
Le droit de propriété ne fait pas a priori obstacle à la
captation de l’image de la chose d'autrui ; il en interdit
seulement l'utilisation. La captation, en effet, ne saurait être
comme telle interdite : toute personne a, nous sem ble-t-il,
parfaitement le droit de photographier, de peindre ou de dessiner
les objets qui sont licitement (sans transgressions des barrières
physiques ou psychiques : la vie privée !) à la portée de sa vue,
dès lors que la reproduction, colorée ou non, de tels objets ne
constitue pas une atteinte à l'honneur ou à la réputation de leurs
propriétaires. Cette limite d'ailleurs doit être interprétée
restrictivement : si un propriétaire expose aux yeux de tous une
statue obscène le représentant, comme Picasso le fait dans la cour
de son château de Vauvenargues (cour fermée : il faut, pour le
constater, regarder par le trou de la serrure du portail), il ne
saurait se plaindre de ce que la reproduction de cette statue
constitue une atteinte à son honneur ; ce n'est que si le
propriétaire n'a pas accepté par avance ce chamboulement de sa
réputation qu'il pourra éventuellement obtenir récupération de
l'image de son bien, meuble ou immeuble. Quant à l'utilisation,
cette fois, il semble que la position aixoise mérite d'être plus
nuancée. Ce n'est pas "toute" utilisation qu'un propriétaire a le
droit d’interdire mais plus exactement, pensons-nous, toute
divulgation dans le public quelle qu'en soit la finalité (comp.
G. Cornu, Droit civil, Les personnes. Les biens, 6e éd., n° 1038,
qui, lui, préférerait prohiber les seules utilisations à des fins
commerciales : notre opinion recoupe la sienne, mais nous
paraît plus précise et, peut-être, plus précieuse dans la mesure où
nous englobons toute finalité, aussi noble soit-elle ; par exemple,
le propriétaire d'une belle demeure pourrait s'opposer à ce qu'un
peintre en expose la reproduction dans une galerie d'art, fût-ce à
titre gratuit).
Le droit de propriété confère au propriétaire le droit de
s'opposer discrétionnairement à l’utilisation de l'im age de
son bien. La Cour d'Aix adopte ici une position sur laquelle la
Cour de Metz paraissait plus réticente. L'éventuel abus de son
droit par le propriétaire avait été bel et bien envisagé par cette
dernière ... pour le rejeter, dans le cas qui lui était présenté, faute
de volonté manifeste de nuire. A vrai dire, la position aixoise
nous paraît excessive. Dans une société bien policée, il ne devrait
plus y avoir de droits discrétionnaires. Certes, l'expression "abus
de droit" est mal venue (celui qui s'est vu reconnaître un droit ne
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peut en a b u ser... puisque, justement, il est dans son droit), mais
il reste que l'exercice de tout prétendu droit doit être justifié ...
sans quoi il n'y a pas de droit ! (cf. A. Sériaux, Droit des
obligations, n° 103).
Au résultat, le droit au propriétaire de s'opposer à toute
divulgation publique de l'image de son bien devra s'exercer de
façon raisonnable, c'est-à-dire être justifié par des raisons
suffisam m ent sérieuses, quelles qu'elles soient. C'est par ce
genre de raisonnements au fil du discours juridique que l'on
grignote efficacement, au cas par cas et avec l’opportune souples
se les prétentions régaliennes des petits tyrans domestiques.
L ’on rem arquera pour conclure que, dans l’affaire
aixoise, le défendeur avait eu l’ingénieuse idée d’invoquer son
droit de propriété intellectuelle sur l’imm euble construit.
Toutefois, de la reproduction de l’idée par le concepteur, en ellemême tout-à-fait légitime, à la reproduction de la concrétisation
matérielle de cette idée, il n’y a certes qu'un pas, mais il n'est pas
bon de le franchir quand cette idée concrétisée constitue le
prolongem ent naturel de la personnalité d'autrui : sa maison,
décorée à son goût, entourée de ses jardins et autres bosquets. Le
constructeur d'une villa est au service de son futur propriétaire, et
non le contraire. Une fois encore l'im m euble d'habitation,
principale ou secondaire, bénéficie d'un traitement juridique
particulier qui ne cesse, bon an mal an, de s'étayer. C'est là l'un
des aspects majeurs d'un mouvement plus profond et plus large :
celui de la progressive extra-patrim onialisation des biens
patrimoniaux.
Alain SERIAUX
�18
- A2 LA GARANTIE AUTONOME, ACTE CIVIL ?
GARANTIE À PREMIÈRE DEMANDE / NATURE
CIVILE / GARANTIE DONNÉE
PAR
UN
DIRIGEANT POUR LES DETTES DE SA SOCIÉTÉ /
DIRIGEANT NON COMMERÇANT / CARACTÈRE
COMMERCIAL DE LA DETTE GARANTIE /
CIRCONSTANCE INDIFFÉRENTE / INTÉRÊT
PERSONNEL DU GARANT DANS L'AFFAIRE /
CIRCONSTANCE
INDIFFÉRENTE
/
INCOM PÉTENCE
DE
LA
JURIDICTION
COMMERCIALE /
Aix, 8° ch., 15 avril 1993, n° 252
Président : M. Badi - Avocats : SCP François, Me Gas
Eu égard à l'autonomie de la garantie par rapport au
contrat de base, l'obligation quelle fait naître à charge du garant
qui n 'est pas commerçant est purement civile.
Le caractère commercial de la dette de In société garantie
est sans influence sur la nature de l'obligation du garant en raison
même de l'autonomie de la garantie souscrite par rapport au
contrat de base.
"Attendu en fait qu'accessoirement à un contrat de créditbail souscrit par la Sté Barzetti France le 02.12.1988 et dont la Sté
Provence Distribution a pris la suite le 28.12.1990, M. Gérard
Slama a signé un engagement de garantie autonome stipulant qu’il
sera tenu, à première demande écrite du bailleur, au paiement
immédiat de toutes sommes dues ou restant dues à ce dernier aux
termes du contrat de crédit-bail du 28.1.1990 dont les
caractéristiques sont mentionnées dans le corps de la garantie
autonome ; qu'eu égard à l’autonomie d'une telle garantie par
rapport au contrat de base, l'obligation qu'elle fait naître à charge
du garant qui n'est pas commerçant est purement civile sauf si
elle procède d’un acte de commerce ; qu'en se constituant garant à
première demande de la dette de la Sté Provence Distribution
envers la Sté Compagnie Générale de Crédit-Bail, M. Slama, qui
n'a pas la qualité de commerçant, n'a pas accompli un acte de
commerce ou un acte réputé tel par l'article 632 du Code de
commerce ; que le caractère commercial de la dette de la société
garantie est sans influence sur la nature de l’obligation du garant
en raison même de l'autonomie de la garantie souscrite par
19
rapport au contrat de base ; qu'il importe peu dès lors que le
gérant ait ou non un intérêt patrimonial personnel, en sa qualité
d ’associé minoritaire de la société garantie, au paiement de la
dette de cette société ; qu’en conséquence c 'est à bon droit que
les prem iers juges ont accueilli l'exception d'incom pétence
matérielle soulevée par M. Slama qui revendiquait la compétence
du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence dans le ressort
duquel il est domicilié".
OBSERVATIONS :
Si le cautionnem ent est en principe un acte civil, la
garantie à première demande, trouvaille de l'usage des affaires,
apparaît comme un acte très généralement commercial. C'est dire
avec quel intérêt on lit la réponse donnée par la Cour d'appel
d'Aix-en-Provence à cette question "a priori" simple - la garantie
à première demande de la dette d'une SARL donnée à titre
personnel par son gérant-associé minoritaire, relève-t-elle de la
compétence du tribunal de commerce ? L'intérêt est d'autant plus
grand que la réponse de la Cour est : non, au terme d'un
raisonnement tout aussi simple. En raison de l'autonomie de la
garantie par rapport au contrat de base, le caractère commercial de
la dette garantie est indifférent, et de même l'intérêt patrimonial
du garant dans l'affaire garantie (argument habituel s'il s'agissait
d'un cautionnement). Seuls importent la qualité de commerçant
du garant ou le caractère commercial de l'acte de garantie luimême. Dirigeant de SARL, le garant n’avait pas la qualité de
commerçant, ce qui suffit à la Cour pour confirmer la décision
d'incompétence rendue par le juge consulaire.
En opportunité, l'arrêt commenté offre autant d'avantages
que d'inconvénients. Les avantages pour le garant, notamment
dans l'exercice de son recours après paiement, ne sont pas
négligeables, puisque, pour son action récursoire, il bénéficiera
en principe de l'option et pourra plaider au choix la juridiction
consulaire ou civile. En revanche, il ne pourra stipuler de clause
compromissoire, ce qui n'est pas forcément une bonne chose, car
le recours à un arbitre peut s'avérer salutaire pour une garantie au
régime aussi particulier que la garantie à première demande. Il est
vrai que le garant aurait toujours la ressource d'accepter un
compromis d'arbitrage, une fois le litige né. Mais il est douteux
que le créancier, fort de l'automatisme de la garantie, lui en
propose un ! Au regard des voies d'exécution, la solution prônée
par la Cour d'Aix pourrait bien, d'ailleurs, constituer un tracassin
pour le créan cier désireux de recourir à des m esures
conservatoires contre un garant, qu'il soupçonnerait par exemple
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de vouloir "faire de la résistance", voire de s'appauvrir
frauduleusement à ses dépens. En vertu de l'art. 211 al. 2 du
décret n° 92-755 du 31 juillet 1992, "si la mesure tend à la
conservation d'une créance relevant de la com pétence d'une
juridiction commerciale, elle peut être autorisée, avant tout
procès, par le président du tribunal de commerce "du lieu où
demeure le débiteur". Mais quelle "créance" s'agirait-il alors de
conserver, et à l'encontre de quel "débiteur" ? Si l’on suit la Cour
d’Aix, le créancier devra prendre garde qu'il sollicite une mesure
conservatoire contre le garant, et que la compétence dépend donc,
non de la dette issue du contrat de base, mais de la dette issue du
contrat de garantie, dette qui, dans une espèce semblable à celle
commentée, relèverait du juge de l'exécution.
Il n'en demeure pas moins que le raisonnement suivi par
la Cour d'Aix est d'une grande cohérence. Tout au plus pourraiton regretter que les circonstances de l'affaire ne lui aient pas
donné l'occasion de préciser dans quels cas elle considérerait que
la garantie relève du tribunal de commerce parce qu'elle "procède
d'un acte de commerce", en d'autres termes parce que le garant a
accompli un acte de commerce en la donnant, alors même qu'il
n’aurait pas personnellement la qualité de commerçant. S'agiraitil des garanties données à l'occasion d'un acte de commerce par
nature, garantie à première demande du paiement d'une lettre de
change ou du prix d'une vente de fonds de com m erce par
exemple ? On ne le pense pas, car ce qui est comm ercial par
nature, c'est là encore le contrat (ou l'effet de comm erce) "de
base", et non l’acte de garantie. Sans doute l'acte de garantie
serait-il qualifié en lui-même d'acte de commerce, si le garant
faisait ce type d'actes de façon habituelle et intéressée (rapp.
Corn. 14 nov. 1989, Bull. Joly 1990, 67, note Le Cannu, à
propos de cautionnement ).
Quoiqu'il en soit, la stricte orthodoxie de la décision
aixoise, au regard de l'autonomie de la garantie, n’est pas niable.
Quand il s’agit d'appliquer l’art. 631 C. de com., la Cour d’appel
creuse l'écart entre la garantie à prem ière dem ande et le
cautionnement, puisque la Cour de cassation décide que "la
compétence des tribunaux de commerce, régie par l'art. 631,
s'étend à la caution qui, n'ayant pas la qualité de commerçant, a
néanmoins un intérêt patrimonial personnel à la dette contractée
par le débiteur commerçant, et par elle cautionnée" (formule
reprise par Com. 16 mars 1993, RJDA 7/1993, n° 643, Bull.
Joly 1993, § 154, p. 559, note Delebecque). Mais cet écart
correspond à la nature de la garantie indépendante. Au
demeurant, il est peut-être à se réduire. Certaines décisions de
juges du fond se montrent plus réticentes que par le passé à
admettre la comm ercialité du cautionnem ent pour intérêt
21
personnel de la caution dans l'affaire (Paris, 10 juil. 1991, Rev.
Banque et droit 1992, n° 22, p. 64 ; v. à ce propos, Mestre et
Faye, Lamy sociétés commerciales 1993, n° 2122). Strictement
contrôlé dans le cautionnement, écarté de la garantie à première
demande, le critère de l'intérêt personnel pourrait s’avérer en
déclin.
Un rapprochement entre garantie autonome et cautionne
m ent se conçoit surtout à propos d'autres textes. Ce sera
certainement le cas de l'art. 109 C. de com. puisqu'il n'admet la
liberté de preuve des actes de comm erce qu'"à l'égard des
commerçants", ce qui vaut aussi bien pour le commerçant caution
(cf. notamment, Com. 21 juin 1988, J.C.P. 1989, II, 21170,
note Delebecque ; 15 nov. 1988, D.1990, 3, note Ancel ; 11 déc.
1990, D. 1991, 584, note Bandrac) que pour le commerçant
garant à première demande (Nîmes, 27 sept. 1989, D. 1990,
somm. 200, obs. Vasseur. De même, l'exigence de mention
manuscrite de l'art. 1326 C. civ. ne devra être écartée que si la
caution (Com. 21 Juin 1988, préc. ) ou le garant à première
demande (Dijon 26 fév. 1992, D. 1992, somm. 399, obs. Fortis
; Rouen, 19 fév. 1992, D. 1993, somm. 108, obs. Vasseur) ont
la qualité de commerçants.
La rigueur de la garantie indépendante ju stifierait
d'ailleurs un contrôle particulièrement vigilant de la connaissance
par le garant de l'étendue et de la portée de son engagement,
même s'il est commerçant (rappr. Paris, 5 fév. 1992, D. 1992,
IR 129 et D. 1993, somm. 107, obs. Vasseur ; toutefois la
Cour de cassation semble disposée à admettre des garanties à
prem ière demande d'un m ontant indéterm iné, en dépit des
réserves de la doctrine : Com. 3 nov. 1992, J.C.P. 1993, 1,
3680, n° 12, chron. Simler et Delebecque ; J.C.P. 1993, II,
22082, note D elebecque). Si le garant est une banque,
professionnel censé connaître la portée de son engagement,
(Paris, 18 déc. 1991, D. 1993, somm. 106, obs. Vasseur) ce
contrôle se justifie évidemment moins.
Emmanuel PUTMAN
N.B. : Le présent arrêt fera également l'objet d'une note, à paraître aux Petites
Affiches.
�22
- A3 QUI DOIT SUPPORTER, EN CAS DE VOL
DE CARTES BANCAIRES LES INSUFFISANCES
DU SYSTÈME D’OPPOSITION PENDANT
LES JOURS FÉRIÉS ?
BANQUE / RESPONSABILITÉ BANCAIRE (oui) /
CARTE BANCAIRE / VOL / CODE CONFIDENTIEL /
NÉGLIGENCE DU TITULAIRE / OPPOSITION /
EFFICACITÉ IMMÉDIATE (non) / JOURS FÉRIÉS /
ABSENCE DE SYSTÈME D’ENREGISTREMENT ET
DE MISE EN ŒUVRE / CARENCE FAUTIVE /
PROXIMITÉ DE LA CAUSE
Aix-en-Provence 24 février 1993 - 1lème chambre - n° 139
Président : M. Michelangeli - Avocats - Mes Carissimi et Fabre
La cause directe des retraits frauduleux est non pas le vol
du sac contenant la carte magnétique et le numéro du code secret
mais la non efficacité de l'opposition régulière. Selon le système
de la proximité de la cause, qui se complète assez bien avec des
considérations d'ordre moral, la faute antérieure du titulaire de la
carte aurait été sans incidence si l'opposition avait donné effet
immédiat.
Sur la motivation :
Attendu que Madame Garenne a ouvert avec son mari un
compte joint à la Caisse d'Épargne des Bouches du Rhône de
Tarascon, qu’il était prévu la faculté d'utiliser, un distributeur
automatique de billets au moyen d’une carte magnétique et que
c'est ainsi que les époux Garenne sont devenus détenteurs d'une
carte de crédit lui permettant quotidiennement un retrait de 2 000
francs par jour, dans une agence de la Caisse d'Épargne autre que
celle où le compte est ouvert.
Attendu qu'il est manifeste que Colette Lefer veuve
Garenne a fait preuve d'imprudence en laissant dans son sac qui
lui fut volé ses cartes de crédit et divers papiers dont un répertoire
téléphonique dans lequel était noté parmi les numéros d'appel
téléphonique celui de son code secret, ce d'autant plus que
l’intimé en ouvrant son compte a accepté les conditions générales
de fonctionnement et notamment dans le cadre de l’utilisation
d'un distributeur automatique de billets "conserver soigneuse
ment sa carte magnétique et à tenir secret son code confidentiel
23
qui ne devra être retranscrit ni sur la carte ni sur un document
gardé avec cette dernière".
Attendu que toutefois dans le cas d'espèce, il n'est pas
contesté qu aussitôt après le vol de son sac le 6 mai 1989 vers
11 h 50, Colette Lefer déposa plainte le même jour à 12 heures et
téléphona en début d'après-midi, l'agence étant ferm ée, à
Monsieur Akerman Directeur de l'agence de Tarascon, lequel lui
répondit qu'il ne pouvait rien faire pour bloquer ses comptes
avant mardi matin 9 mai 1989, étant donné la ferm eture de
l'agence le samedi, le dimanche et le lundi 8 mai 1989,
anniversaire de l'armistice.
Attendu que la Caisse d'Épargne n'a pas mis en place un
système pour permettre à ses clients, de faire produire les effets
de l'opposition avant le mardi suivant ; que c'est cette
discordance qui peut être reprochée à la Caisse d'Épargne qui
délivre des cartes permettant des retraits quotidiens dans la limite
de 2 000 francs chacun et que délivrant de telles cartes se devait
de mettre en place un dispositif permettant à ses clients de faire
opposition imm édiatem ent et d'interdire immédiatement tous
retraits.
Attendu que dans un tel contexte, il est sans intérêt de
rechercher si Colette Lefer a commis une imprudence étant donné
quelle a fa it diligence pour faire opposition ; en effet, la discus
sion sur la responsabilité doit être centrée sur le terrain de la
causalité étant précisé que la cause directe des retraits frauduleux
était non pas le vol du sac contenant la carte magnétique et le
numéro du code secret mais la non efficacité de l'opposition
régulière formulée par Colette Lefer : que si cette opposition avait
donné effet immédiat la faute antérieure de l'intimée se serait ipso
facto révélée sans incidence.
Attendu qu'en bref la responsabilité ne s'attache qu'à un
dommage qui est la suite immédiate et directe du fait dommagea
ble ; qu'en ne donnant pas effet à l'opposition, l'abstention de la
Caisse d'Épargne est la cause immédiate du préjudice : que
d'ailleurs le système de la proximité de la cause se complète assez
bien avec les considérations morales puisque le dommage n'est-il
pas imputable à celui qui a eu la dernière chance d'éviter sa
réalisation ?
Attendu que toutefois, il faut admettre que même si
l'appelante avait mis en place un système d’enregistrement des
oppositions immédiates, le temps de réaction de la victime du vol,
n'aurait pu empêcher les trois retraits frauduleux d'un montant
global de 3 800 francs effectuée à Salon le 6 mai 1989 à 12h53,
12h54 et 12h55 et dans l'heure qui a suivi le vol ;
Attendu que par contre la Caisse d'Épargne remboursera à
sa cliente, les autres retraits frauduleux effectués plus tard dans la
�24
journée du 6 mai 1989 et le 8 mai 1989 pour un montant de 7 400
francs ;
Attendu que dans ces conditions, il y a lieu de réformer le
jugement déféré, la motivation de la Cour substituant celle du
premier juge, en ce qui concerne la responsabilité et le montant de
la somme accordée à Colette Lefer à titre principal (3 800 francs)
et de la confirmer en ce qui concerne l'application de l'article 700
du Nouveau code de Procédure Civile (2 500 francs) et les
dépens ; qu'il est par ailleurs équitable d'accorder à l'intimé la
somme de 4 000 francs au titre des frais irrépétibles engagés en
cause d'appel.
ANALYSE :
Qui doit supporter, en cas de vol de cartes
bancaires, les insuffisances du système d'opposition
pendant les jours fériés ? La Cour d'appel d'Aix adopte une
position sévère à l’égard des banques. Il est perm is de
s’interroger sur le bien-fondé de la responsabilité de la banque,
qui devrait nécessairement être rapportée à la teneur de la
convention liant le client à l'établissement du crédit émetteur (I).
Imposer à la banque de réduire au minimum le délai entre le vol et
une opposition efficace aboutit à ce que les conséquences d'un
manquement du client à son obligation de confidentialité sur le
code secret soit supportées, non par ce dernier, mais par la
banque; Il n'en demeure pas moins que la responsabilité de la
banque pourrait être recherchée, dans d'autres circonstances,
pour manquement à une obligation de diligence en m atière
d'opposition (II).
I
- En l'espèce, la responsabilité bancaire est
regrettablement appréciée hors du cadre contractuel
qui sert de base juridique aux relations entre client et
banque émettrice de la carte bancaire. Or, toute carte
permettant l'utilisation d'un distributeur automatique de billets
repose sur un contrat dit "adhérent" ou "porteur" qui règle les
services qu'elle offre mais aussi les conditions d'utilisation (L.
M. Martin, Traité de droit commercial, Juglart et Ippolito, t. 7,
Banque et bourse, Montchrestien 1991, n° 481). De façon
générale, le porteur s'engage à garder secret le numéro de code
qui en permet l'utilisation. Cela suppose concrètement que le
porteur s'abstienne de conserver par écrit ce numéro de code sur
un papier à proximité de la carte bancaire. Malheureusement, cette
obligation de ne pas faire est très souvent violée, par crainte
25
d'une mémoire défaillante. On le constate en l'espèce : la cliente
avait noté sur un répertoire téléphonique le numéro confidentiel et
l'avait rangé dans son sac à mains où se trouvait sa carte
bancaire, ce qui avait permis au voleur de sac d ’utiliser
frauduleusement ladite carte.
Ce manquement à l’obligation de confidentialité explique
que le porteur ait à assumer la charge des retraits effectués avant
son opposition (ainsi, Com. 18 avril 1989, Bull. IV, n° 111).
Au-delà de la mise en œuvre de l'opposition, les retraits sont à la
charge de la banque. Cependant, une clause du contrat réserve
habituellem ent au banquier la faculté de rechercher la
responsabilité du porteur, même après l'opposition, en cas de
faute du porteur dans la garde de la carte ou du code confidentiel
(Rev. dr. banc, bourse janv./fév. 1991, p. 20). La négligence
fautive du titulaire crée incontestablement un trouble, voire un
préjudice grave, pour la banque. Bien que mathématiquement les
chances de réussir à décoder une carte soient quasi-nulles (Figaro
Économ ie spécial cartes, 24 sept. 1990, p. 29) et que par
conséquent l'utilisation frauduleuse après un vol laisse entendre
que le code n'ait pas été tenu au secret, la Cour de cassation a
récemment censuré un arrêt accueillant cette présomption (Com. 8
oct. 1991, D. 1991, p. 581, Vasseur). Il appartient à la banque
de "démontrer la violation, par le titulaire de la carte, de cette
obligation contractuelle de moyens".
T elle n'était pas la situation dans notre affaire de
Tarascon. La cliente avait elle-même reconnu sa négligence fauti
ve et c’était d'ailleurs dans son strict intérêt que de l'avoir fait : le
titulaire de la carte engage sa responsabilité s'il se contente de
signaler le vol, sans préciser que la mention écrite du code secret
l'accom pagnait (Aix 24 avril 1990, Juris-data n° 043584). La
responsabilité due au silence gardé sur sa négligence est certaine
ment plus lourde -en raison des conséquences sur les mesures
que doit prendre le banquier- que celle due à la seule négligence
fautive tenant à l'inscription du code secret. Néanmoins, il ne faut
pas oublier que cette dernière responsabilité demeure.
C 'est pourquoi il apparaît singulier de rechercher la
responsabilité de la banque pour un délai trop long dans la mise
en œuvre de l’opposition. En présence d'une négligence fautive
du titulaire de la carte, cette opposition n'est plus susceptible de
décharger ce dernier des retraits frauduleux. Nonobstant l'oppo
sition, la banque peut poursuivre le titulaire.
Cette analyse a été "omise" dans un jugement du 15 juin
1990 rendu par le Tribunal d’instance de Dijon : le titulaire ayant
dès l'opposition signalé la perte de son code confidentiel, "il
appartenait à la banque d'utiliser tous les moyens utiles pour
éviter les retraits abusifs" (Rev. dr. banc, bourse, janv./fév.
�26
1991, p. 20). Sans connaître les circonstances de la cause, le
reproche est équivalent à celui de la Cour d'appel d'Aix qui
stigmatise la banque pour ne pas avoir organisé, pendant les jours
fériés, un système d'enregistrement et de mise en œuvre des
oppositions.
Si la Cour de cassation a pu elle aussi form uler ce
reproche (Corn. 8 oct. 1991, Rev. dr. banc, bourse Janv./fév.
1992, p. 28), elle ne se prononçait pas sur le même cas de figure
que celui de la faute commise par le titulaire de la carte. Au
demeurant, une recommandation de la Commission européenne
du 17 novembre 1988 précise sur ce point un certain équilibre
dans les relations contractuelles entre client et établissem ent
émetteur d'une carte bancaire (Rev. dr. banc, bourse janv./fév.
1991, p. 20). Le titulaire contractant est normalement dégagé de
toute responsabilité dès qu'il a avisé utilement l'ém etteur... sauf
à considérer que ce titulaire contractant a fait preuve d'une
négligence extrême ou a agi frauduleusement.
Il
est regrettable que la Cour d'appel n'ait pas examiné les
obligations réciproques des parties au contrat de carte bancaire.
L'obligation de la banque en matière d'efficacité rapide du
système d'opposition ne peut s’apprécier indépendam m ent de
celle relative à la confidentialité du code d'accès au distributeur.
Et surtout, l'obligation de la banque ne saurait être renforcée -par
une exigence d'efficacité quasi immédiate- à seule fin de limiter
les conséquences pour le porteur de sa propre défaillance en
matière d'obligation de confidentialité.
La mise en perspective du cadre contractuel pour l'utilisa
tion de la carte bancaire prive de toute force l'argum entation
relative à la proximité de la cause et aux considérations d'ordre
moral. Au surplus, invoquer la proximité de la cause en de telles
circonstances sous-tend une lecture trop littérale de l'article 1151
du Code civil sur "la suite immédiate et directe" de l'inexécution
d'une obligation. Le droit positif s'attache, quoiqu'il en soit, à
rechercher la cause ayant joué un rôle prépondérant : n’était-ce
pas la négligence fautive du porteur qui créait véritablement le
risque de retraits frauduleux ? Enfin, les considération d'ordre
moral ne commandent-elles pas de sanctionner l'auteur d'une
négligence grossière plutôt que d'imputer à son cocontractant la
charge du préjudice ?
Certes, l'organisation d'un système d’enregistrement et de
mise en œuvre automatique des oppositions formées pendant les
jours fériés n'est pas insurmontable sur le plan technique. Mais
elle a un coût qui, inévitablement, est récupéré sur le prix des
services bancaires. Chaque utilisateur est donc concerné. Les
banques sem blent avoir trouvé la parade en proposant
massivement une assurance spéciale couvrant "tout désagrément"
27
en cas de vol de cartes bancaires, assurance qui elle-même a un
coût. Ainsi se trouve encore une fois vérifié l’effacement de la
faute derrière l'assureur.
II - La responsabilité bancaire peut, cependant,
être retenue dans d'autres circonstances pour défaut
de diligence dans la mise en œuvre d'une opposition.
Le principe en a été rappelé par la Cour de cassation (Com. 8 oct.
1991, préc.). En filigrane, elle impose à la banque l'obligation de
mettre en place une organisation pour l'information immédiate de
l'ensemble des distributeurs, quelles que soient les contraintes
techniques qui pourraient en résulter. La Cour d'appel de Douai
reprend la formule, mais sans qu'il soit possible de connaître la
défaillance de la banque après l’opposition (Douai 16 mai 1991,
Juris-data n° 050978). Il est certain, en tous les cas, que la
banque ne saurait trouver prétexte à ne pas justifier de la bonne
suite de l'opposition par l'absence d'une déclaration officielle de
vol soi-disant indispensable pour donner plein effet à l'opposition
(Paris 10 janv. 1991, Juris-data n° 020 438). Qui plus est, il y a
lieu à un partage de responsabilité pour moitié à la charge de la
banque, lorsque le titulaire de la carte a communiqué dans sa
déclaration d'opposition un numéro de code erroné, sans que la
banque ne puisse détecter cette erreur en dépit de l'état
d'avancement de la technique informatique (Paris 21 mars 1990,
Juris-data n° 020536).
dès lors que le titulaire de la carte n'a pas manqué à l'une
de ses obligations propres, l'opposition a pour effet indiscutable
de le dégager de toute responsabilité à l’égard de retraits
frauduleux. On conçoit parfaitement que l'obligation de diligence
de la banque dans la mise en œuvre de l'opposition soit alors
appréciée avec fermeté.
Catherine PRIETO
�28
29
- A4 LA JURISPRUDENCE SEIKO NE DONNE-TELLE PAS L’HEURE JUSTE EN MATIÈRE
DE DISTRIBUTION SÉLECTIVE ?
DISTRIBUTION SÉLECTIVE / VALIDITÉ DES
CONTRATS DE DISTRIBUTION SÉLECTIVE (oui) /
CHOIX DES REVENDEURS SELON DES CRITÈRES
OBJECTIFS / INTÉRÊT FINAL DU CONSOMMA
TEUR / CONCURRENCE DÉLOYALE (oui) /
RÉSEAU DE DISTRIBUTION SÉLECTIVE / OPPO
SABILITÉ AUX TIERS / COMMERCIALISATION DE
PRODUITS
PROTÉGÉS
/
AGISSEMENTS
PARASITAIRES (oui)
Aix-en-Provence 10 juin 1993, 2ème chambre n° 491,
Président : Carrie, Avocats : Mes Lazarus, Meyer.
La licéité du réseau de distribution sélective est établie au regard
du droit interne et du droit communautaire tant par l'amélioration
de la commercialisation que par une lettre de classement de la
Commission Européenne.
Un réseau de distribution sélective est un fa it juridique
opposable aux tiers. Le revendeur non agréé qui, en parfaite
connaissance de cause de l'existence d'un tel réseau,
commercialise des produits protégés, sans justifier d'un accord
du fabricant, commet un acte constitutif de concurrence déloyale.
Motifs de la décision :
Sur l'existence et la
distribution sélective :
licéité
du
réseau
de
Le marché des produits horlogers se caractérise, sur le plan
national et communautaire, par une vive concurrence entre les
fabricants, compte tenu de leur nombre.
Le principe de la distribution sélective est conform e au
droit communautaire et à la législation interne. Il appartient
toutefois à la société CGH de prouver l'existence et la licéité de
son réseau.
Il ressort des pièces versées aux débats par la société
CGH qu'elle est le distributeur exclusif pour la France de
montres et pendulettes de marque Seiko.
Elle commercialise ses produits par l'interm édiaire de
revendeurs agréés, comme l'établissent un exemplaire du contrat
L'existence d’un réseau de distribution sélective est donc
patente.
Les produits Seiko sont d'une haute qualité technologique
et présentent un caractère luxueux comme le révèlent les
documents techniques.
Ils ne peuvent être comparés à des articles similaires de
bas de gamme.
Le contrat de distribution exige :
- que la surface de vente soit située dans une artère commerciale
ou un centre commercial ;
- que le fonds de commerce soit consacré en permanence à la
vente au détail de produits horlogers, notamment de haut de
gamme, et, le cas échéant, d'autres articles de luxe avoisinant
traditionnellement le commerce d'horloger, bijouterie, joaillerie,
orfèvrerie (et non uniquement d'horlogerie comme le soutient la
société Di Step) ;
- que le distributeur dispose d ’un stock représentatif de la
gamme, d'un service de conseil, d'une compétence technique
nécessaire pour assurer l'entretien et la réparation des produits
Seiko, et maintienne un stock de pièces détachées ;
- que toute campagne publicitaire soit préalablement soumise à
l'agrém ent de la société CGH, afin de préserver l'image
prestigieuse de la marque ;
- qu'enfm, le distributeur agréé ne cède pas ses produits Seiko à
l'un de ses confrères qui ne ferait pas partie du réseau.
En contrepartie, la société CGH met à la disposition de
l'horloger bijoutier agréé des conseils en architecture, décoration
de m agasin et présentation des produits, des conseils
commerciaux sur la composition des stocks et les nouveautés
technologiques, et assure par des campagne publicitaires la
promotion de la marque Seiko.
L'analyse des pièces ne révèle aucune stipulation de
nature à limiter la liberté des distributeurs de fixer leur prix de
vente.
Les m em bres du réseau sont choisis en fonction de
critères objectifs de caractère qualitatif : aménagement du point de
vente, qualification professionnelle du distributeur à même de
conseiller le client et de procéder à l'entretien et la réparation des
articles, exigence d'un stock de pièces assurant une intervention
rapide.
Les obligations réciproques résultant de l'accord de
distribution visent, à l'évidence, à améliorer la commercialisation
des produits dans l'intérêt de l'utilisateur final et n'a pas pour
résultat d'imposer aux entreprises des restrictions qui ne seraient
pas indispensables aux objectifs ainsi poursuivis.
�30
31
De surcroît, la société CGH a obtenu de la Commission
des Communautés Européennes une lettre de classem ent
mentionnant : "les modifications que vous avez apportées à la
demande de la Commission au contrat-type en cause peuvent être
considérées comme satisfaisantes au regard des règles de
concurrence communautaires
La licéité du réseau de distribution sélective est donc
rapportée tant au regard du droit communautaire que du droit
interne.
Il n'y a pas lieu de saisir la Cour de Justice des
Communautés Européennes de la question préjudicielle proposée
par la société Di Step.
Sur la concurrence déloyale :
Un réseau de distribution sélective est un fait juridique
opposable au tiers.
Le revendeur non agréé qui, en parfaite connaissance de
l'existence d'un tel réseau, commercialise des produits protégés,
sans justifier d'un accord du fabricant, commet un acte fautif
constitutif de concurrence déloyale, la preuve de l'illicéité de son
approvisionnement étant ainsi rapportée.
En l'espèce, la société Di Step qui reconnaît s'être
approvisionnée sur le marché parallèle, ne peut sérieusem ent
prétendre avoir ignoré l'existence du réseau de distribution
sélective des produits Seiko.
Elle ne saurait faire grief à la société CGH de n'avoir pas
pris les mesures propres à assurer l’étanchéité de son réseau.
D’une part, les contrats de distribution interdisent aux
membres de revendre à un distributeur n'y appartenant pas,
d'autre part, la société Di Step ne peut se prévaloir de sa propre
turpitude.
La circonstance que des montres Seiko soient vendues
dans des boutiques Duty Free des aéroports n'établit pas le
caractère discriminatoire du choix des revendeurs, dès lors qu'il
n'est pas démontré que ces magasins ne correspondent pas aux
critères exigés par la société CGH.
De surcroît, le fait de commercialiser un produit protégé
dans des conditions portant atteinte à son prestige, sans être
soumis aux contraintes habituelles des distributeurs agréés, en
bénéficiant, en outre, de la valeur publicitaire de la marque pour
développer sa propre commercialisation, constitue un acte de
concurrence déloyale.
En l'espèce, il ressort du procès verbal de constat dressé
le 2 mars 1990 que le magasin de la société Di Step est situé au
fond d'une zone industrielle, entouré de constructions et de
terrains vagues. La route d'accès n'est pas recouverte de bitume.
La société Di Step n'est pas spécialisée en matière
d'horlogerie, mais dans la vente de petits matériels électroniques
et de gadgets.
L'examen des publicités tapageuses parues à l'occasion de
l'ouverture de son magasin révèle qu'elle offrait en vrac à la vente
des montres Seiko, Citizen, Casio, Sanyo, etc. ... à partir de dix
francs pièce, aucune distinction qualitative n'étant faite entre
lesdits produits.
La vendeuse sollicitée par l'huissier a été dans l'incapacité
d'ajuster le bracelet de la montre Seiko objet de la vente à la taille
du poignet de l'acquéreur, ce qui démontre le défaut de
qualification du personnel concernant ce produit.
Les encarts publicitaires comportaient la photographie
d'une seule montre de marque Seiko, alors qu'il est indiqué que
le m agasin détient plus de six cents modèles de montres de
diverses marques, ce qui avait pour but de permettre à l'ensemble
des produits de bénéficier du prestige de la marque Seiko.
Ainsi, les conditions dans lesquelles les montres Seiko
sont vendues par la société Di Step avilissent le produit.
C es agissem ents parasitaires sont constitutifs de
concurrence déloyale à l'égard de la société CGH.
Il convient donc, réformant le jugement déféré en recevant
la société CGH en son appel incident, d'interdire à la société Di
Step la vente des montres de marque Seiko, sous astreinte de
1 000 francs par produit mis à la vente.
Il n'y a donc pas lieu, en conséquence, de statuer sur les
dem andes subsidiaires de la société CGH tendant à voir
réglem enter la garantie offerte par la société Di Step et en
liquidation de l'astreinte ordonnée par le jugement réformé.
Sur le préjudice :
La société CGH a subi du fait de ces agissements un
dommage résultant de l'impossibilité de contrôler les conditions
de vente de ses produits, de l'atteinte portée à la cohésion de son
réseau de distribution, de l'avilissement des produits.
Au vu des éléments d'appréciation soumis, notamment le
procès verbal de constat, les documents publicitaires, la notoriété
des produits Seiko, il convient de condamner la société Di Step à
payer à la société CGH 50 000 francs de dommages et intérêts.
Il apparaît équitable d'allouer à la société CGH 10 000
francs au titre des frais non répétibles supportés en première
instance et en cause d'appel.
�32
ANALYSE :
La jurisprudence Seiko ne donne-t-elle pas
l'heure juste en matière de distribution sélective ? Sans
nul doute pour ce qui concerne la licéité de ces réseaux : la
solution est somme toute classique en étant rivée au critère global
de l'amélioration de la commercialisation des produits dans
l'intérêt de l'utilisateur final (I). En revanche, la discussion est
ouverte pour ce qui est de la protection de ces réseaux et de la
sanction encourue par les tiers revendeurs. La Cour de cassation
a certes infléchi ses exigences en matière d'action en concurrence
déloyale, mais sans reconnaître que la com m ercialisation de
produits relevant d'un réseau de distribution sélective constituait à
elle seule une faute. Il semble pourtant que ce soit les pendules de
la Cour de cassation qui retardent, plus que celles de la Cour
d’appel d’Aix qui avancent (D).
I • Les conditions de licéité des
distribution sélective au regard du
concurrence
contrats de
droit de la
Une argumentation de fond est examinée dans les détails par la
Cour d'appel pour apprécier la conformité du contrat-type de
distribution sélective au droit interne (A). Mais s’agissant de sa
conformité au droit communautaire, elle se borne à viser une
lettre de classement émanant de la Commission européenne (B).
A - Des restrictions à la libre concurrence justifiées
par l'absence de tout caractère arbitraire et par leur
intérêt pour l'utilisateur final. Les produits de luxe ou de
haute technicité ont depuis longtemps fait l'objet d'un régime de
faveur. Il est désormais acquis que leur spécificité justifie des
restrictions de concurrence à seule fin d'assurer "un m eilleur
service au consommateur" (Crim. 3 nov. 1982, D. 1983, IR,
211, Gavalda et Lucas de Leyssac, en matière de parfum). Il reste
à vérifier la qualification de produit de luxe ou de haute technicité.
La question n'est pas négligeable : de nom breuses affaires
révèlent un embarras. Où s'arrête le luxe ? (Achach, L’évolution
du cadre juridique de la distribution sélective à travers le cas
"Christine Laure", Rev. Conc. Cons. 1988, n. 41 : la notoriété
d'une marque semble parfois suffire). Qu'est-ce que la haute
technicité ? (Crim. 26 nov. 1984, Bull. Crim., p. 968, à propos
de semence de maïs ; Versailles 16 juin 1989, D. 1989, IR, p.
240, à propos de planches à voile). Ën l'espèce, la Cour d'appel
d'Aix-en-Provence ne connaît aucun atermoiement. Elle affirme
avec assurance que les produits Seiko sont à la fois "d’une haute
qualité technologique et qu'ils présentent un caractère luxueux".
Sa motivation repose sur une comparaison sommaire avec des
articles de bas de gamme. L'opposition semble être flagrante et
suffisante.
Cette qualité de produit de luxe et/ou de haute technicité
n’ouvre pas la voie, cependant, à toutes les restrictions de
concurrence. Il importe de vérifier d'une part l'existence de
critères objectifs évitant toute discrimination arbitraire entre les
distributeurs (pour un exemple d'exigence incluse dans un contrat
de type de distribution sélective et appliquée de manière
discriminatoire d'où un refus de vente privé de toute justification,
cf. Paris 31 oct. 1991, affaire Rollex, Cont. Conc. Cons. mars
1992, n. 50) et d'autre part le caractère nécessaire de ces
restrictions pour une amélioration de la commercialisation du
produit dans l'intérêt du consommateur. Tout ceci tient dans
l'expression consacrée de "critères objectifs de caractère
qualitatif'. C'est au regard de ces exigences qu’est examiné le
contrat-type de distribution sélective élaboré par le distributeur
exclusif en France des produits Seiko.
Le premier critère de sélection a trait à la localisation du
point de vente. La difficulté habituelle porte souvent sur les
grands m agasins qui desservent dans certains cas l'image de
marque du produit (T. Com. Nanterre 13 fév. 1990, Gaz. Pal. 17
mars 1990, p. 17 in Lamy Droit économique 1993, n. 6061).
Mais le distributeur exclusif de Seiko se contente ici d'un point de
vente dans une artère commerciale ou dans un centre commercial.
Le deuxième critère de sélection concerne l'activité du fonds de
commerce. D doit être consacré en permanence à la vente au détail
de produits horlogers. De toute évidence, cette disposition est
destinée non seulem ent à renforcer une qualification
professionnelle du distributeur, mais aussi à permettre la fixation
d’une clientèle sur ces produits. La vente d'autres produits est
admise dans la mesure où ils sont des articles de luxe voisins
comme la joaillerie ou l'orfèvrerie. Ceux-ci ne pourront que
mettre en valeur la distribution des produits Seiko. Le troisième
critère de sélection est d'ordre purem ent technique. Le
distributeur doit être doté d'une compétence technique adéquate
pour assurer l'entretien et la réparation des produits Seiko et
s'engager à m aintenir un certain stock de pièces détachées. Le
service après-vente est un critère habituel (Lamy Droit
économique 1993, ibid.) et tout à fait adapté à la finalité globale
de l'intérêt du consom m ateur. Si la licéité des obligations
relatives au stock est souvent discutée (Bonet et Mousseron,
Donner et retenir ne vaut II, Cahier de l'entreprise 1993, p. 23,
n. 12), elle semble ici acquise en raison du caractère raisonnable
de cette obligation, délimitée par les besoins du service après-
�35
vente. Le quatrième critère de sélection tient à l'engagement de
soumettre à l'agrément du distributeur exclusif toute campagne
publicitaire. Cette précaution répond à un souci de parfaite
maîtrise de l’image de marque des produits Seiko : la
commercialisation du luxe dépend du prestige et une campagne
publicitaire, ayant pour objet le fonds de com m erce du
distributeur agréé, qui s'avérerait de mauvais goût ne manquerait
pas de rejaillir sur les produits Seiko. Le cinquième et dernier
critère de sélection assure l'étanchéité du réseau de distribution
sélective par l’engagement de ne pas céder les produits à des
revendeurs étrangers à ce réseau. Ce point est crucial et l'on
comprend que cette disposition devienne désormais une clause de
style dans les contrats de distribution sélective ; c'est même "par
nature l'obligation inéluctable de la distribution sélective" (M. et
J.-M. Mousseron, Le bonheur retrouvé de la distribution
sélective, RJDA 1993, p. 7, n. 13). En définitive, com m e le
souligne la Cour d’appel, tous ces critères témoignent autant de
l’objectivité de la sélection des distributeurs que de la recherche
d'une amélioration de la commercialisation des produits Seiko.
Ce dernier aspect est encore renforcé par les obligations
auxquelles s’engagent, en contrepartie, le distributeur exclusif. Il
fournit au distributeur agréé des conseils en matière d'agencement
du magasin et de présentation des produits, mais aussi des
conseils commerciaux et une information sur les nouveautés
technologiques. Ces obligations réciproques, outre le fait qu'elles
servent l'intérêt commun des parties au contrat de distribution
sélective, participent indéniablement de l'intérêt final du
consommateur. Il n'est donc pas étonnant que la Cour d'appel
reconnaisse la licéité de ce réseau de distribution sélective en
infirmant le jugement rendu par le tribunal de com m erce de
Cannes. Ce réseau est licite, dit-elle, tant au regard du droit
interne que du droit communautaire.
B - La valeur d'une lettre de classement de la
Commission de la Communauté Européenne. L a
conformité du réseau de distribution sélective Seiko au droit
communautaire est examinée de manière lapidaire. Cela peut
s'expliquer par le fait que, sur le fond, droit interne et droit
communautaire sont très proches. Le droit com m unautaire a
largement influencé le droit interne dans la définition d'un cadre
juridique propre à la distribution sélective, en posant les bases
d'une certaine légitimité (Klotz, La distribution sélective des
produits de luxe sous l'influence du droit com m unautaire,
Cahiers du Droit de l’entreprise 1992, Distribution et concur
rence, p. 1). Ainsi doit-on au fameux arrêt Métro l'expression
consacrée des "critères objectifs de caractère qualitatif' (CJCE 25
oct. 1977, aff. Métro I, Rec. 1977, p. 1875). On retrouve donc
dans le droit communautaire la même exigence tenant à l'absence
de discrimination dans la sélection des distributeurs agréés. On
retrouve de la même manière la finalité de l'intérêt du consom
mateur (CJCE 15 déc. 1975, aff. Saba, JOCE 3 fév. 1976, n° L
28, p. 19). Dans ces conditions, les développements relatifs au
droit interne valent aussi pour la conformité du réseau de
distribution Seiko au droit communautaire.
Cette conformité au droit communautaire était pourtant
discutée, non sans mauvaise foi, sur le point de savoir si le
distributeur exclusif de Seiko était ou non fondé à priver de toute
garantie contractuelle les clients des revendeurs non agréés. Le
revendeur non agréé soutenait qu'en cas de doute il était opportun
que la Cour d'appel saisisse d'une question préjudicielle la Cour
de Justice de la Communauté Européenne. Mais la Cour d'appel
n'a pas opté pour un renvoi préjudiciel en interprétation (Sur cette
notion d'interprétation, cf. Bergeres, Contentieux communau
taire, Collection Droit fondamental 1992, n. 223). Elle s'est
emparée d'une lettre de classement pour considérer qu'était ainsi
établie la licéité du réseau de distribution sélective au regard du
droit communautaire.
Il convient de s'interroger sur la nature et la valeur de ces
lettres de classement (Sur la typologie des lettres émanant de la
Com m ission, cf. Pellistrandi, La qualification juridique des
lettres de la Commission en matière de concurrence, Gaz. Pal.
1991, 8 juin 1991). Ce ne sont pas des "décisions" stricto sensu
(CJCE 10 ju illet 1980, affaires Guerlain, Rochas, Lanvin et
Ricci, Rec., p.2927), dont elles se distinguent par le critère
formel de la non publication (Gavalda et Parleani, Traité de droit
communautaire des affaires 1992, n. 786 ; V° toutefois Schapira,
Le Tallec et Biaise, Droit européen des affaires, PUF Thémis
1992, p. 374, citant le Xlème rapport sur la politique de la con
currence, p. 55 selon lequel les lettres de classement peuvent être
publiées au JO : c'est une faculté et non une obligation qui mérite
d'être vérifiée dans sa fréquence). Elles ne doivent donc pas être
confondues avec les attestations négatives par lesquelles la
Commission déclare que l’accord entre entreprises n'entre pas
dans le champ d'application des articles 85 paragr. 1 et 86 CEE.
Elles ne doivent pas davantage être confondues avec les exemp
tions individuelles par lesquelles la Commission déclare l'entente
comme étant bénéfique, après bilan entre effets positifs et
négatifs. En définitive, la lettre de classement est une forme de
repli que la Commission a dû se résoudre à adopter tant elle était
subm ergée par les dem andes d'exem ption individuelle
(Dekeuwer-Defossez, Droit commercial, Montchrestien 1993, n.
590). Mais la Commission la présente de manière positive comme
étant indispensable à une bonne gestion de la politique de la
�36
concurrence (Schapira, Le Tallec et Biaise, préc., ihid., citant le
Xème rapport sur la politique de la concurrence). La Commission
peut, en effet classer sans suite soit parce que les élém ents de
faits recueillis sont insuffisants pour fonder une poursuite, soit
parce que les entreprises ont accepté des modifications substan
tielles dans l'accord litigieux. C'est sous ce dernier aspect que les
lettres de classement constituent une incitation tout à fait
bénéfique. Le présent arrêt en témoigne. Les termes de la lettre de
classement, tels que rapportés par la Cour d'appel, révèlent que
des modifications ont été introduites dans le contrat-type sur la
demande de la Commission. Malheureusement, la teneur de ces
modifications n'est pas précisée.
Il reste à apprécier la valeur de ces lettres de classement.
En aucune façon une lettre de classement ne vaut une décision
d'inapplicabilité. Elle ne lie ni les autorités communautaires, ni
les autorités nationales (Gavalda et Parleani, préc., n.628;
Schapira, Le Tallec et Biaise, préc., p. 330). Ces dernières
restent libres d'apporter une appréciation différente sur les
accords en cause. Ainsi, une lettre de classement n'interdirait pas
aux juridictions nationales de poursuivre pour refus de vente
l'entreprise destinataire de ce classement (CJCE 10 juillet 1980,
L'Oréal, Rec. 1980, p. 3775). Néanm oins, ces lettres de
classement sont des faits dont les juges nationaux peuvent tenir
compte. La Cour d'appel de Paris a récemment tiré parti de cet
"élément d'appréciation permettant de présumer la validité de
l’accord litigieux" dès lors que le contrat apparaissait prima facie
conforme aux conditions de licéité (Paris 9 déc. 1992, ContratsConcurrence-Consommation janv. 1993, n. 7, obs. Vogel). La
Cour d’appel d'Aix est moins précise dans sa motivation. Elle se
borne à constater que la licéité est ainsi rapportée au regard du
droit communautaire. Il est permis de penser que les juridictions
nationales auront tendance à s'en tenir à ce constat. La lettre de
classement de suite peut donc, de facto, avoir la même valeur que
les attestations négatives ou les exemptions individuelles, tout en
n’en partageant pas la nature ni la force juridique.
La licéité étant acquise, le contrat-type de distribution
sélective mérite une protection efficace contre toute atteinte des
tiers à l'étanchéité du réseau.
II - La nécessaire protection des contrats de
distribution sélective par l'action en concurrence
déloyale
Il serait tout à fait regrettable d'affirm er la liberté
d'organiser un réseau de distribution sélective -liberté dérivée de
la liberté du commerce, dans la mesure de la conformité du réseau
aux exigences de la concurrence- sans donner à cette liberté les
37
moyens de son efficacité (Bonet et Mousseron, Donner et retenir
ne vaut I, Cah. de l'entrep. 1989, p. 12). A cet égard, la Cour
d'appel d'Aix accentue de manière appréciable l'infléchissement
de la Cour de cassation, préalablement trop exigeante sur le bienfondé de l'action en concurrence déloyale.
A - L'affirmation d'une faute constituée par la
seule commercialisation, en connaissance de cause, de
produits relevant d'une distribution sélective.
L'évolution de la jurisprudence en matière de distribution
exclusive a malheureusement rejailli sur la distribution sélective.
Alors que le droit positif semblait fixé sur le fait que violer le
réseau d'autrui constituait une faute (Pirovano, V° Concurrence
déloyale, Rép. dr. Com. Dalloz 1973, n. 207), la Cour de
cassation a admis la licéité de la commercialisation de produits
malgré des contrats de distribution exclusive (Com. 16 février
1983, Gaz. Pal. 1983, II, 206, Dupichot et Com. 12 juillet 1983,
D. 1984, 489, Ferrier). La solution valant pour un contrat par
définition plus strict que le contrat de distribution sélective, elle a
été étendue à ce dernier (Com. 13 déc. 1988, in Bonet et
Mousseron, Donner et retenir ne vaut I, n. 48). Ainsi, le seul fait
d’avoir com m ercialisé des produits relevant d'un réseau de
distribution sélective ne constituait plus un acte de concurrence
déloyale. Le demandeur en concurrence déloyale devait établir
que le distributeur non agréé avait irrégulièrement acquis ses
marchandises. Ce dernier bénéficiait par là-même d'un traitement
de faveur incongru, tant était difficile pour le distributeur de
rapporter la preuve de l'origine de la "fuite" dans son réseau et
des moyens utilisés.
Les critiques vigoureuses de la doctrine (Bonet et
Mousseron, ibid.) ont été entendues (Conclusions M. Raynaud,
A vocat G énéral, RJDA 1/93, p. 17), sans être pourtant
parfaitement suivies (Com. 27 octobre 1992, huit arrêts, RJDA
1/93 ; in "Donner et retenir ne vaut II, Bonet et Mousseron Cah.
entrepr. 1993, p. 29 et s.). En effet, la Cour de cassation a
maintenu son analyse de base : le seul "fait de commercialiser des
produits relevant d'un réseau de distribution sélective ne constitue
pas en lui-même un acte fautif' (aff. Azzaro, arrêt n° 1576). En
revanche, elle assouplit sa rigueur dans la charge de la preuve
établissant une acquisition irrégulière. Elle admet désormais que
"le caractère frauduleux est révélé par le refus de justifier leur
provenance".
A l'évidence, l'analyse de la Cour d'appel est plus
audacieuse, mais aussi plus juste dans son appréciation concrète
des atteintes à la distribution sélective. Son postulat de base est
bien différent : la commercialisation de produits protégés est en
elle-même un acte fautif constitutif de concurrence déloyale. La
�38
preuve de l'illicéité de l'approvisionnement est im plicitem ent
démontrée par l'absence d'accord du distributeur L élém ent
intentionnel de la faute est établi par le sim ple fait que le
distributeur non agrée avait connaissance de 1existence du reseau
de distribution sélective.
,
Il semble que la Cour de cassation s achemine peu a peu
vers cette analyse. Dans un arrêt récent, elle retient que le lait de
mettre sur le marché un produit portant la mention ne peut être
vendu que par des distributeurs agréés" est une faute constitutive
de concurrence déloyale (Com. 23 févr. 1993, Cont. Conc.
Cons. avril 1993, n. 71). Cette solution de bon sens s'appuie sur
un solide fondement
B - Une faute fondée sur l'opposabilité aux
tiers du contrat et sur la responsabilité délictuelle du
tiers contribuant à la violation du contrat. La Cour
d’appel d’Aix déclare en observation liminaire : "un réseau de
distribution sélective est un fait juridique opposable aux tiers".
Cette affirmation puise toute sa valeur dans la théorie générale des
obligations. Tout réseau est constitué par un ensemble de contrats
liant, sur le modèle d'un contrat-type, un distributeur à des
revendeurs agréés. Or, il est désormais acquis que le principe de
l'effet relatif des contrats doit se concilier avec une nécessaire
efficacité de l'obligation impliquant son opposabilité aux tiers en
tant que situation de fait (Malaurie et Aynès, Les obligations,
Cujas 1992, n. 653 ; Mazeaud et Chabas, Obligations, théorie
générale, Montchrestien 1991, n. 758). Cette opposabilité a été
spécifiquement rappelée à propos des contrats de distribution
sélective (Mestre, RTDCiv. 1988, p. 128). Il en résulte que le
tiers ne saurait participer à la violation d ’une obligation
contractuelle sans engager sa responsabilité délictuelle. Cette
conséquence est bien connue (Starck, Des contrats conclus en
violation des droits contractuels d'autrui, JCP 1954, I, 1990,
Viney, La responsabilité, Conditions, LGDJ 1982, n. 202).
L acquisition de produits protégés, en l'absence d'autorisation,
participe incontestablement de la violation de la clause par laquelle
le distributeur agréé s'interdit toute revente à un non agréé (clause
qui est présentée comme étant de l'essence de la distributivité
sélective, cf. I, A in fine). La faute délictuelle ainsi dégagée ouvre
donc la voie à une action en concurrence déloyale.
On ne peut que se féliciter que la Cour d'appel ait su, avec
un souci de cohérence mais aussi de justice, poser les bases
appropriées de la discussion juridique relative à l’efficacité de la
distribution sélective, dans le prolongement des conditions de sa
licéité.
Catherine PRIETO
DROIT DU TRAVAIL
�A5
LA CONNAISSANCE DU PRÉJUDICE
DÉFINITIF RESULTANT DE LA FAUTE
DU SALARIÉ NE CONSTITUE PAS
LE POINT DE DÉPART DE
LA PRESCRIPTION DISCIPLINAIRE
CONTRAT DE TRAVAIL / RUPTURE / LICENCIE
MENT DISCIPLINAIRE / FAUTE GRAVE (NON) /
CAUSE RÉELLE ET SÉRIEUSE (NON) / PRES
CRIPTION DES FAITS / ARTICLE L. 122-44
ALINÉA 1 C. TRAV.
Aix - 9° chambre sociale - 29 mars 1993 - Mutuelle familiale des
cheminots de Nice et Région c./ Puverel Marie
Employée à compter du 1er juillet 1977 par la Mutuelles
des travailleurs indépendants puis par la Mutuelle familiale des
cheminots de Nice et région, en qualité de décompteuse, Marie
Puverel, qui a été licenciée pour faute grave par lettre en date du
10 novembre 1986 a saisi le Conseil de Prud'hommes de Nice
d'une dem ande tendant à la condamnation de son ancien
employeur à lui payer les sommes suivantes :
- 12.210 F à titre d'indemnité de préavis ;
- 30.520 F à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;
- 109.890 F à titre de dommages intérêts pour licenciement sans
cause réelle et sérieuse ;
- 57.312 F à titre de rappel de salaires ;
- 5.000 F en vertu de l'article 700 du NCPC.
Le Conseil de Prud'hommes, suivant jugement rendu le
14 novembre 1989, a condamné l'employeur au paiement des
sommes suivantes :
- 12.210 F à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
- 30.662,40 F à titre d'indemnité de licenciement ;
- 36.624 F à titre de dommages intérêts pour licenciement
injustifié ;
- 5.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Le 13 décembre 1989 l’employeur a régulièrement relevé
appel de cette décision.
L’employeur fait valoir que la salariée a commis une faute
grave en n’adressant pas en temps utile, et ce de manière répétée,
les bordereaux d’entente préalable à la Sécurité Sociale, ce qui a
concerné 114 dossiers de mutualistes. Il ajoute que par des
décisions de juin 1986 la C.P.A.M. a rejeté les demandes
�42
d'entente préalable pour non respect de l’article 7 de la nomencla
ture générale des actes professionnels dont l’inobservation faisait
obstacle à l'exercice du contrôle médical de la Caisse. Elle
indique que sur ces 114 dossiers la reconstitution des dossiers
rejetés par la Caisse a permis le règlement de 74 dossiers et
qu'elle a subi une perte sur les 40 dossiers restant, ce qui
représente une somme de 64.655,35 F.
L'appelante conclut à la réformation du jugem ent déféré,
au rejet des demandes de la salariée et à la condamnation de cette
dernière, conjointement avec Madame Uribelarrea, autre salariée
responsable de ce retard de transmission des dossiers, à
rembourser la somme de 64.655,35 F. Elle demande en outre la
condamnation de Mme Puverel à payer en outre la somme de
10.000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de
Procédure Civile.
La salariée réplique que les faits qui remontent au mois de
mai 1986 sont prescrits puisque l'employeur ne l'a convoquée à
un entretien préalable que le 4 novembre 1986 soit plus de deux
mois après avoir pris connaissance de ces faits. Elle estime que
dans ces conditions son licenciement est injustifié. Elle conclut à
la condamnation de l'appelante à lui verser ies sommes suivantes:
- 12.210 F à titre d'indemnité de préavis avec intérêts à compter
du mois de novembre 1986 ;
- 30.520 F à titre d'indemnité conventionnelle de licenciem ent
avec intérêts à compter du 1er février 1987 ;
- 159.890 F à titre de dommages intérêts pour licenciement sans
cause réelle et sérieuse ;
- 57.312 F à titre de rappel de salaires sur 3 ans
- 150.000 F à titre de dommages intérêts ;
- 14.232 F en application de l'article 700 du NCPC.
- 20.000 F à titre de dommages intérêts pour procédure abusive et
dilatoire.
Motifs de la décision :
Attendu que selon les dispositions de l'article L. 122-44
du Code du Travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu, à lui
seul, à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà du délai
de deux mois après que l'employeur en ait eu connaissance ;
Attendu qu'à la suite de l'envoi tardif, du 10 juin 1986, de
demandes d'entente préalable qui ont été rejetées par des
décisions de la Sécurité Sociale de juin 1986, l'employeur a eu
connaissance de ces faits dès le 1er juillet 1986 ; qu'en effet le
Directeur de la Mutuelle écrivait dans une lettre en date du 12
septembre 1986 adressée au Service Contentieux de la C.P.A.M.:
"Le Mardi 1er juillet 1986, suite à notre entrevue, nous vous
avions exposé nos difficultés occasionnées par l'application plus
43
stricte des mesures concernant les délais de validité des deman
des, d'entente préalable dont l'importance nous avait échappée.
Alors que nos adhérents avaient effectué leur demande dans les
délais réglementaires, nous vous avons fait parvenir demandes
d'ententes préalables avec retard, ce qui a entraîné le rejet du
règlement de ces dossiers
Attendu que l'un des Conseillers Rapporteurs désigné par
ordonnance du 10 décembre 1986 a, pour remplir sa mission,
adressé le 22 juillet 1987 au Médecin Chef du Service Médical
une lettre par laquelle il lui était demandé de préciser si les
bordereaux refusés étaient parvenus par un même envoi le 10 juin
1986 ; que sur ce point précis aucune réponse n'a été apportée par
le D irecteur de la C.P.A.M. dans sa correspondance du 8
septembre 1987 ; que ce dernier n'a, sur l'interrogation qui lui
avait été faite, nullement prétendu que les bordereaux avaient fait
l'objet de plusieurs envois postérieurement au mois de juin 1986 ;
Attendu que la Mutuelle ne dépose devant la Cour que les
bordereaux correspondant à l'envoi du mois de juin 1986 ; que
n'est produit aux débats aucun bordereau ayant fait l'objet d'un
envoi postérieur à juin 1986 ;
Attendu que dès lors n'est pas établie la réalité de
l'indication se trouvant dans les conclusions de la C.P.A.M.,
devant le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale, sur l'envoi de
bordereaux qui se seraient succédés durant la période de juin à
octobre 1986 ;
Attendu qu'après les notifications des décisions de rejet
sur demande d'entente préalable rendues au mois de juin 1986 la
Commission de Recours Amiable de la C.P.A.M. maintenait ces
refus par décision du 21 octobre 1986 ; que cependant cette
décision importe peu dans la mesure où l'employeur connaissait
déjà dès le 1er juillet 1986 le comportement de la salariée
consistant à avoir envoyé le 10 juillet 1986 de manière tardive des
bordereaux à la Sécurité Sociale ;
Attendu que n'étant pas démontré que d'autres faits se
sont produits postérieurement au mois de juin 1986, l'envoi du
10 juin 1986, seul dont la réalité est prouvée, ne peut plus être
invoqué dans la mesure où l'employeur a attendu plus de deux
mois à compter de la connaissance qu'il en avait dès le 1er juillet
1986, pour engager les poursuites en envoyant à la salariée une
lettre datée du 4 novembre 1986 pour la convoquer à un entretien
préalable devant se tenir le 7 novembre 1986 ;
Attendu qu'en conséquence le licenciement de la salariée,
qui reposait sur l'invocation d'un fait prescrit, est dépourvu de
cause réelle et sérieuse
Sur la demande de rappel de salaire : sans intérêt...
�44
Par ces motifs :
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en
matière prud'homale.
Déclare recevable l'appel.
Réformant le jugement entrepris,
Condamne la Mutuelle familiale des cheminots de Nice et
région à verser à Marie Puverel les sommes suivantes :
- 12.209,12 F à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
- 29.123,83 F à titre d'indemnité conventionnelle de licencie
ment,
ces deux sommes portant intérêts de droit à compter du 6 mars
1989;
- 80.000 F à titre de dommages intérêts pour licenciem ent sans
cause réelle et sérieuse ;
- 4.000 F pour ses frais irrépétibles d'appel en application de
l’article 700 du NCPC.
Confirmant pour le surplus la décision déférée, déboute
les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Condamne la Mutuelle des cheminots de Nice et région
aux entiers dépens.
ANALYSE :
Cet arrêt rendu par la 9° chambre sociale de la Cour
d'appel d'Aix-en-Provence constitue une illustration parfaite de
l’application jurisprudentielle de la prescription édictée en matière
disciplinaire par l'article L. 122-44, alinéa 1er du code du travail.
Aux termes de ce texte, «aucun fait fautif ne peut donner
lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà
d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu
connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même
délai à l'exercice de poursuites pénales».
Dans l'espèce soumise aux juges aixois, la salariée,
engagée en qualité de décompteuse par la mutuelle familiale des
cheminots de Nice et Région, avait été licenciée pour faute grave
le 10 novembre 1986. L'employeur lui reprochait de ne pas avoir
adressé au mois de mai 1986, en temps utile, les bordereaux
d'entente préalable à la sécurité sociale concernant 114 dossiers
de mutualistes, retard qui avait finalement abouti au rejet du
règlement de 40 dossiers, ce qui représentait une som m e de
64.655,35 francs que la mutuelle avait dû prendre à sa charge.
La salariée avait alors saisi le Conseil de prud'hommes de
Nice afin d’obtenir la condamnation de l'employeur à lui verser
différentes indemnités de rupture, ainsi que des dom m agesintérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Les
45
premiers juges ayant fait droit à sa demande, l'employeur interjeta
appel de ieur décision mais la Cour d'appel confirma le jugement
du conseil de prud’hommes en considérant le licenciement
dépourvu de cause réelle et sérieuse au motif qu'«il reposait sur
l'invocation d'un fait présent», et qu'«il n'était pas démontré que
d'autres faits se soient produits postérieurem ent». Cette
motivation appelle deux observations quant au régime juridique
de la prescription de l'article L. 122-44 al. 1 :
Si un licenciement ne peut être prononcé pour des faits
dont l'em ployeur a eu connaissance plus de deux mois
auparavant (I), en revanche la prescription ne joue pas en cas de
fautes répétées ou de faute continue (II).
I - Point de départ de la prescription et connaissance
des faits reprochés par l'employeur
Deux mois au plus doivent donc s’écouler entre la
connaissance par l'employeur des faits et l'engagement des
poursuites disciplinaires. Si le point de départ de la prescription
réside bien dans la connaissance par l'employeur des faits et non
dans la réalisation de ceux-ci, il semble toutefois que la Cour de
cassation fasse peser sur l'employeur une présomption (simple
cependant), de la connaissance des faits à la date de leur
commission. Elle considère en effet que lorsqu'un fait fautif a été
commis plus de deux mois avant l'engagement des poursuites
disciplinaires, il appartient à l'employeur de rapporter la preuve
de ce qu'il n'en a eu connaissance que dans les deux mois ayant
précédé l'engagement de ces poursuites (1).
La jurisprudence considère que ce délai de 2 mois
concerne bien l'engagement des poursuites disciplinaires et non le
prononcé de la sanction elle-même (2). En outre par «engagement
des poursuites», il convient d'entendre la convocation à
l'entretien préalable pour les sanctions soumises à cette procédure
en vertu de l'article L. 122-41 du code du travail et la notification
de la sanction elle-même pour celles considérées comme n'ayant
pas d'incidence directe sur la relation de travail (comme par
exemple l'avertissement). De même, le prononcé d'une mise à
pied conservatoire dans l'attente d'une sanction définitive est
considéré comme marquant l'engagement des poursuites (3).
( 1 ) Cass. soc. 24.03.1988. Bull., V, n° 203, p. 132 ; voir dans le même sens,
C.A Paris, 21.09.1990, 2T ch., S.A Zurich cl Piager, R.J.S 2/91. n* 182, p. 102,
1ère espèce.
(2) Cass. soc. 17.12.1987, Bull., V, n* 741 ; B.S.F.L 1/88, p. 36. n* 59.
(3) Cass. soc. 13.10.1993, R.J.S 3/93, n* 277, p. 169 ; C.S.B.P n* 49. p. 98. B.
57. En revanche, la Cour de cassation a refusé d'admettre que la lettre retirant à un
salarié les pouvoirs qui lui avaient été conférés dans l'attente d'une décision du
�46
Dans notre espèce, la faute reprochée à la salariée avait été
commise au mois de juin 1986, l'envoi tardif ayant donné lieu au
rejet des dossiers par la sécurité sociale étant daté du 10 juin
1986. Or les juges relèvent que l'em ployeur avait eu
connaissance de ces faits dès le premier juillet suivant puisque
c'est à cette date qu’il avait reçu notification de la décision de la
Caisse Primaire d'Assurance Maladie de rejet des dem andes
d'entente préalable pour dépassement des délais réglementaires.
Or la convocation de la salariée à un entretien préalable ayant été
effectuée le 4 novembre 1986, il apparaît évident que le délai de 2
mois prévu à l'article L. 122-44 alinéa 1 du code du travail était
écoulé et que les faits motivant le licenciem ent étaient (4)
prescrits. On aurait pu cependant prendre en considération le fait
que la mutuelle avait exercé un recours contre ces décisions de
rejet devant la Commission de recours amiable de la C.P.A.M et
que ce n’est que le 21 octobre 1986 que celle-ci avait rendu sa
décision de maintenir ces refus. Il semble incontestable que c'est
bien cette décision de rejet qui en réalité a entraîné le
déclenchement de la procédure de licenciement à l'encontre de la
salariée puisque la convocation à l'entretien préalable est presque
immédiatement consécutive. Il est probable que l'em ployeur
attendait de connaître de façon définitive les conséquences de la
faute de la décompteuse pour prendre sa décision. On peut en
effet gager que s'il eût obtenu une décision favorable de la
commission, il eût adopté vis-à-vis de la salariée une attitude plus
clémente.
Cependant les juges aixois n'ont pas été sensibles à cet
argument puisqu'ils déclarent que «cette décision (celle de la
commission) importe peu dans la mesure où l'em ployeur
connaissait déjà dès le 1er juillet 1986 le comportem ent de la
salariée..»
Cette solution nous semble tout à fait conforme à l'esprit
du texte et à l'interprétation qu’en donne la Cour de cassation.
En effet, si la jurisprudence considère que le délai de deux
mois prévu par l’article L. 122-44 du code du travail ne
chef d'entreprise interrompait la prescription édictée à l'article L. 122-44, al. 1 c.
trav. : Cass. soc. 7.01.1992, Bull.. V, n° 3. p. 2. R.J.S 2/92, n° 148, p. 107 ; Dr.
trav. 1992, nc 2, p. 8. n 79 ; Dr. soc. 1992, p. 192 ; Jurisp. soc. UIMM, n° 92550, p. 233 ; JCP éd. G. 1992. IV. 689 ; B.S.F.L 2/92 ; inf. 188, p. 84 ; S.S.
Lamy 1992, n’ 586, flash ; D. 1992,1.R 44.
(4) La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que la prescription édictée à
l'article L. 122-44 s'applique non seulement aux sanctions disciplinaires mais
également aux licenciements pour faute :. soc. 28.06.1990, Mijoint cl SA T.F.E,
Bull., V, n' 327, p. 195 ; R.J.S 8-9/90, p. 454 ; JCP éd. E. 1990, I, 20354 ;
B.S.F.L 8-9/90, inf. 874, p. 409 ; JCP éd. G, 1990, IV, p. 325 ; C.S.B.P, n° 23.
p. 209, B 102 ;. soc. 18.10.1990, Bull., V, n° 486, p. 295 ; C.S.B.P, n° 25, p.
282, S. 177 ; JCP éd. G, 1990, IV. 401 ; D. 1990, I.R 259.
47
com m ence à courir que du jour où l'em ployeur a eu une
connaissance exacte de la réalité de la nature et de l'ampleur des
faits fautifs reprochés au salarié (5), on ne saurait admettre que
cette prescription soit suspendue jusqu'à ce que l'employeur soit
informé de l’étendue réelle du préjudice résultant de la faute. Il en
résulte que le point de départ de la prescription se situe au jour de
la connaissance par l’employeur des circonstances précises de la
faute et de la possibilité pour ce dernier d'en apprécier toutes les
im plications et conséquences potentielles (6). Cette solution
s'inscrit tout à fait dans la logique de la jurisprudence selon
laquelle l'appréciation de la gravité d'une faute n'est pas subor
donnée à l'existence et à l'étendue du préjudice qui en découle
pour l'entreprise.
Dès lors, il apparaît clairement que dans l'espèce qui nous
intéresse c'est bien à la date du premier juillet 1986 que doit être
fixée la connaissance par l'employeur des faits fautifs, point de
départ de la prescription de deux mois. En effet, c'est à ce jour
que la m utuelle a été informée du rejet par la C.P.A.M. des
dossiers de demandes d'entente préalable en raison de leur envoi
tardif. Elle pouvait dès lors envisager le préjudice potentiel
résultant de la faute de la salariée, à savoir l'obligation de prendre
à sa charge le règlement des dossiers rejetés. La convocation à un
entretien préalable aurait donc dû intervenir dans le délai de deux
mois à com pter de cette date et l'employeur n'aurait pu se voir
ultérieurem ent reprocher une sanction disproportionnée si la
commission de recours amiable avait finalement admis les deman
des, la gravité des faits devant être appréciée indépendamment du
préjudice qui en découle.
Le fait d'avoir attendu la décision de la commission de
recours (sans doute dans un esprit de magnanimité) pour prendre
la sienne, se retourne contre l'employeur puisque par le jeu de la
prescription de l'article L. 122-44 al. 1 du code du travail, le
licenciement est réputé dépourvu de cause réelle et sérieuse (outre
la perte de 64.655,35 francs subie du fait de l'envoi tardif des
dossiers, la mutuelle devra verser à la salariée des indemnités de
rupture et des dommages-intérêts s'élevant pour le tout à la
somme de 121.332,95 francs).
(5) Cass. soc. 17.02.1993, Broca c/ crédit du Nord, R.J.S 4/93. n" 394, p. 239 ;
C.S.B.P n° 49, p. 105, A.26 ; JCP éd. G. 1993, IV. 995 ; JCP éd. E. 1993, pan.
502 ;. soc. 4.10.1990, C.S.B.P n‘ 24. p. 255, S. 159 ; T.A Paris. 7* section. T
ch., 5.03.1990, B.S.F.L 6/90, inf. 579, p. 295 ; C.A Aix-en-Provence, 14 ch.
soc., 23.11.1988, n° 1146, inédit. Centre de Droit Social ; C.A Aix-en-Provence,
18° ch. soc., 01.02.1989, n° 143. inédit. Centre de Droit Social.
(6) voir pour une illustration parfaite de ce principe C.A Aix-en-Provence, 18°
ch. soc. 15.09.1992, Guillon c/ ent. S.T.B, R.J.S 11/92, n 1260, p. 66 ; Centre
de Droit Social, n° 772.
�49
II - PRESCRIPTION ET RÉPÉTITION DE FAUTE
PAR LE SALARIÉ
L’employeur invoquait en outre à l'encontre de la salariée
d'autres envois tardifs postérieurs à celui du 10 juin et qui se
seraient succédés durant la période de juin à octobre 1986. Si
cette allégation a été écartée par les juges c'est en raison de
l'absence de preuve de la réalité de celle-ci. Cependant, dans
l'hypothèse inverse, la Cour d'appel aurait alors écarté la
prescription dans la mesure où la répétition des faits ou la
survivance du comportement fautif autorise l'em ployeur à
prendre en considération des faits antérieurs à deux mois.
En effet, l'article L. 122-44 al. 1 C. trav. dispose
qu «aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul...».
L’interprétation littérale du texte doit donc conduire logiquement à
admettre que si un fait unique ne peut donner lieu à des
poursuites disciplinaires après écoulement du délai de deux mois,
en revanche cette prescription ne joue pas lorsque le
comportement fautif du salarié s'est poursuivi ou que d'autres
fautes ont été commises postérieurement
C'est cette analyse qu'a retenue la ju risp ru d en c e
puisqu'elle admet qu'un fait antérieur à deux mois peut être pris
en considération dans la mesure où le comportement du salarié
s'est poursuivi dans ce délai (7), ou lorsque ce fait est invoqué à
l'appui d'une sanction d'un fait commis dans le délai de deux
mois (8).
En réalité, dans cette hypothèse la sanction ne s'applique
pas à un seul fait, mais à l'ensemble des griefs reprochés au
salarié et il paraît logique de permettre à l'employeur pour asseoir
sa décision de prendre en considération les diverses fautes
successives, y compris celles commises plus de deux mois avant
le déclenchement des poursuites disciplinaires. Les juges devront
d'ailleurs tenir compte de l'ensemble de ces griefs lorsqu'ils
apprécieront le caractère proportionné ou non de la sanction
infligée (9).
(7) Cass. soc. 7.05.1991. Bull., V, n° 218, p. 134 ; R.J.S 6/91. n° 706, p. 378 ;
junsp. soc. UIMM, n* 90-527, p. 107 ; C.S.B.P. n° 19, p. 107 ; D. 1991. I.R
149;. soc. 5.11.1992, Laurisse c/ C.P.A.M. de Paris. D P.S. Bull. 462 du
30.11.1992, p. 842.
(8) Cass. soc. 12.01.1993. R.J.S 2/93, n‘ 150, p. 106 ; C.A Aix-en-Provence,
14* ch. soc. 1.07.1992, inédit. Centre de Droit Social, n’ 795.
(9) article L. 122-43 c. trav. Pour une application, voir C.A Aix-en-Provence, 9°
ch. soc. 14.12.1988, inédit. Centre de Droit Social, n' 1330. qui admet la
possibilité pour l'employeur d'invoquer des griefs antérieurs à deux mois pour
justifier une mise à pied disciplinaire de trois jours infligée à la suite d'une
nouvelle faute commise dans le délai de deux mois.
Toutefois la question se pose de savoir si les griefs
invoqués doivent être de même nature, avoir un lien entre eux, ou
si au contraire on doit admettre la possibilité d'invoquer des
fautes totalement diverses. D semble que la jurisprudence ait à cet
égard une position assez extensive, contrairement à celle adoptée
par la circulaire du 15 mars 1983 (10).
De m ême, lorsque c'est le même comportement qui
persiste dans le temps, l'employeur est en droit de le sanctionner
même si ce comportem ent a débuté plus de deux mois avant
l'engagem ent de la poursuite disciplinaire, dès lors qu'il a
perduré au cours de ce délai. Dans ce cas, on se trouve en
présence d'une «infraction continue» (11) et la prescription ne
com m encera alors à courir qu'à com pter du jour où le
comportement cesse.
Toutefois, une telle hypothèse rebondit alors sur une autre
débat : celui de la tolérance de l'employeur. Peut-on admettre que
ce dernier décide brutalement de sanctionner un comportement
qu'il a jusque là toléré pendant plusieurs mois ?
Véronique DONSIMONI
Chargée d'Enseignement à la Faculté
Centre de Droit Social
(10) Cire. D.R.T, n° 5-83 du 15.03.1983, n' 2331.
(11) formule empruntée au droit pénal.
�50
- A6 LA FAUTE LOURDE
D'UN CLERC D’HUISSIER
(application des critères dégagés par la Cour
de cassation)
LICENCIEMENT / FAUTE LOURDE / INTENTION
DE NUIRE / CLERC D’HUISSIER ASSERMENTÉ
Aix - 1ère chambre sociale A - 8 janvier 1993, audience de renvoi
Faits et procédure :
Norbert Perez a été engagé à compter du 1er août 1964 à
l'étude d'huissier de Bagnols sur Cèze par Maître Roux, titulaire
de la charge qui devait être reprise en 196... par Maître Raoux.
Alors qu'il exerçait les fonctions de clerc assermenté il a été
licencié le 6 octobre 1981 pour faute lourde.
Le 26 février 1982 il a saisi le Conseil de Prud'hommes
de Montpellier aux fins de condam nation de son ancien
employeur à lui verser le prorata de la prime de fin d'année 1981,
une indemnité de préavis équivalente à trois mois de salaire, une
indemnité conventionnelle de licenciement, et des dommagesintérêts pour licenciement abusif.
A la suite du dépôt du rapport de Monsieur Capestan qui
avait été commis en qualité d'expert par jugement en date du 25
mars 1983, le Conseil de Prud'hommes de Montpellier suivant
jugement rendu le 20 décembre 1985, estimant que les griefs
invoqués par l'employeur constituaient des fautes lourdes, a
rejeté l'ensemble des demandes du salarié.
Sur appel de Norbert Perez la Cour d'A ppel de
Montpellier, suivant arrêt du 4 février 1988, considérant que les
faits ne pouvaient être qualifiés que de cause réelle et sérieuse, a
fait droit à toutes les demandes de l'appelant à l'exception de la
demande de dommages-intérêts pour licenciement injustifié.
Sur pourvois de Jean-Louis Raoux, qui ont été joints, la
Cour de cassation, par arrêt en date du 3 mai 1990, a cassé et
annulé en toutes ses dispositions l’arrêt rendu le 4 février 1988,
entre les parties, par la Cour d'Appel de Montpellier, et a renvoyé
les parties devant la Cour d'Appel d’Aix-en-Provence.
La Cour de cassation rendait cette décision au m otif qu'en
statuant ainsi alors qu'elle avait relevé qu'il était établi que
Monsieur Perez avait encaissé personnellement des chèques en
blanc et que cinq jours avant le licenciement, le salarié avait
proposé à un client de l'étude, à plusieurs reprises, d'encaisser
51
des impayés "sans passer par l'étude", la Cour d'Appel n'avait
pas tiré de ses constatations les conséquences légales qui en
découlaient.
Le 25 septembre 1990 Norbert Perez a saisi la Cour
d’Appel de céans.
Prétentions et moyens des parties :
Norbert Perez fait valoir qu'en l’absence de preuve et de
gravité, ne peuvent être retenus, comme de nature à justifier le
licenciem ent, les faits invoqués par l'employeur qui sont les
suivants : l'exercice depuis 1963 d'une activité commerciale par
son épouse ; l'exercice par son fils d'une profession concurrente,
pour partie, à l'étude d'huissier en étant employé par l’agence de
recouvrement AGIR ; un détournement de clients, à son profit
personnel, venus à l'étude de Maître Raoux ; la fourniture de
conseils juridiques à des adversaires des clients de maître Raoux,
et une négligence dans le suivi des dossiers.
Il soutient que la preuve n'est pas établie de ce qu'il aurait
commis des détournements consistant à procéder à des encaisse
ments pour le compte de l'étude sans les reverser. Ce grief tardif
est, estime le salarié, dépourvu de vraisemblance car il n’est pas
possible que pendant plusieurs années Maître Raoux n'ait pas
découvert ces prétendus détournements. Les débiteurs de l'étude
qui ont témoigné pour Maître Raoux sont suspects dans la mesure
où ils ont un intérêt évident à affirmer qu'ils ont payé leurs dettes.
Norbert Perez affirme que l'employeur ne pouvait retenir,
comme grief de licenciement, des actions en recouvrement diri
gées à l'encontre de son employé dans la mesure où ces poursui
tes remontaient à plusieurs années, et où Maître Raoux en avait eu
connaissance puisqu'elles avaient été diligentées par son étude.
Le salarié indique que ne pouvait lui être reprochée une
poursuite pénale selon assignation du Procureur de la République
de Nîmes, assignation dont la délivrance avait été confiée à
l'étude Raoux le 31 juillet 1981 et qui avait été délivrée le 5
octobre 1981. Il estim e qu'en effet l'employeur connaissait
depuis la fin du mois de juillet cette poursuite, qui a d'ailleurs
abouti à un jugement de relaxe.
N orbert Perez affirme que c'est dans l'intérêt de son
employeur qu'il a mis au service de ce dernier son propre compte
bancaire personnel pour encaisser et reverser à l'étude les
chèques non datés et ne portant pas le nom du bénéficiaire qui lui
avaient été remis par Monsieur Brémond. Il ajoute qu'à la fin de
l'année 1990 l'affaire Brémond était entièrement soldée et qu’à
cette époque Maître Raoux n'avait pris aucune sanction à son
encontre.
�52
53
Il soutient qu'il suivait en effet, personnellement mais non
point pour son propre compte, certains dossiers ou clients de
l'étude selon une pratique généralisée ;
Estimant que dans ces conditions son licenciem ent est
injustifié, Norbert Perez demande à la Cour de condamne Maître
Raoux à lui payer les sommes suivantes :
- 938 francs au titre de prorata de prime de fin d'année ;
15.396 francs à titre d'indemnité conventionnelle de
préavis équivalente à trois mois de salaires ;
- 10.600 francs à titre d'indemnité conventionnelle de licencie
ment ;
- 100.000 francs à titre de dommages-intérêts pour licenciement
abusif ;
- 20.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code
de procédure Civile. Jean-louis Raoux conclut au débouté de
l’appel relevé par Norbert Perez et, formant appel incident,
demande la condamnation de ce dernier à lui verser les sommes
suivantes :
- 50.000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation du
préjudice subi du fait des agissements du salarié ;
- 10.000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure
abusive ;
- 20.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code
de Procédure Civile.
L'intimé soutient que constitue une faute lourde le fait
pour le salarié de s'être fait remettre par M onsieur Brémond,
client de l'étude, dix chèques signés en blanc, d'être resté
plusieurs mois sans assurer le dépôt de ces chèques à l'étude et
d'avoir conservé et utilisé à son profit deux de ces chèques.
L'employeur fait valoir également que le salarié a tenté de
détourner des clients de l'étude ainsi que cela résulte de
l'attestation de Monsieur Reboul.
Motifs de la décision :
Sur la procédure :
Attendu que les parties ne discutent pas la régularité
formelle des appels, que rien au dossier ne conduit la Cour à le
faire d’office, et qu'il y a lieu de les recevoir ;
Sur le fond :
Attendu que Vincent Reboul, par une attestation en date
du 1er octobre 1981, c'est-à-dire cinq jours avant le licenciement,
déclare que s'étant présenté à l'étude de Maître Raoux, pour des
affaires le concernant, il avait rencontré chaque fois M onsieur
Norbert Perez ; et que ce dernier lui avait indiqué qu'il serait prêt
à s'occuper à titre personnel d'encaisser ses factures sans passer
par l'étude que l'attestant a bien précisé que ces propositions lui
avaient été faites à plusieurs reprises par Monsieur Perez ;
Attendu que cette attestation établit sans équivoque que
Norbert Perez, de manière réitérée, a proposé à Monsieur Reboul
de s'occuper de ses affaires en dehors de l'étude ;
Attendu que même si l'expert a constaté qu'il n'était pas
arrivé à déterminer s'il y avait eu détournement de clientèle, il
n'en demeure pas moins que le fait pour un salarié de proposer
ses services, et ce à plusieurs reprises à un client de son
employeur, constitue un comportement fautif ;
Attendu que ce fait qui a été connu quelques jours avant le
congédiem ent du salarié fait revivre les griefs anciens qui
n'avaient pas été sanctionnés en leur temps par l'employeur ;
qu'ainsi est inopérant le moyen du salarié selon lequel l'affaire
Brémond ne peut plus être invoquée pour justifier le licenciement
intervenu en 1981 ;
Attendu que le salarié prétend sans contester la réalité des
faits, avoir cru pouvoir mettre au service de son employeur son
propre com pte bancaire personnel ; que cependant cette
explication ne peut être retenue car l'étude de Maître Raoux ayant
un compte bancaire, ainsi que cela ressort du rapport d'expertise
de Monsieur Capestan on ne voit pas quel service aurait pu rendre
le salarié à son employeur en agissant ainsi ;
Attendu qu'il est établi par le rapport d'expertise ce qui
contredit les allégations de Monsieur Perez, que ce dernier a
déclaré à l'expert qu'il avait cru bon de passer par son compte
personnel, sachant que Maître Raoux était opposé aux modalités
de règlement proposées par Monsieur Brémond, et à la remise de
chèques en blanc non datés ;
Attendu qu'ainsi le salarié, de son aveu même, a agi
sciemment à l'encontre de l'avis de son employeur ;
Attendu que l'expert note que Norbert Perez, entre février
et septembre 1980 n'a reversé aucune somme sur le compte de
son employeur ;
Attendu qu’en septembre 1980 Norbert Perez était encore
en possession de deux chèques de l.(XX) francs, ainsi que le note
l'expert, sur lesquels il a remboursé 500 francs le 16 septembre
1980;
Attendu qu'au surplus le 10 décembre 1983, date de la
clôture de son rapport, l'expert indiquait que le second chèque
n'avait pas été remboursé et que le remboursement devait être
opéré entre les mains de Monsieur Brémond qui avait depuis les
faits entièrement soldé son compte à l'étude de Maître Raoux ;
Attendu que Norbert Perez n'a donc pas désintéressé
l'ancien client de l'étude, ce qui est de nature à diminuer le crédit
de son employeur auprès de la clientèle ;
�54
55
Attendu que ces faits, allégués par l'employeur sont donc
établis ;
Attendu que, d’une pan, en offrant, à plusieurs reprises, à
un client de son employeur de s'occuper, en dehors de l'étude, de
son dossier et d'autre pan en se faisant remettre des chèques en
blanc par un autre client, chèques qu’il versait sur son compte
personnel, le salarié a commis des actes traduisant une intention
de nuire à son employeur, actes qui dès lors sont constitutifs de
fautes lourdes ;
Attendu qu'en conséquence, sans q u ’il soit besoin
d'examiner les autres griefs invoqués par l'employeur, Norbert
Perez sera débouté de ses demandes d'indemnités de préavis et de
licenciement ainsi que de dommages-intérêts pour licenciement
abusif ;
Attendu que le salarié qui quitte l'entreprise en cours
d’année ne peut prétendre à un versement "prorata temporis" de la
prime de fin d'année qu'au cas de disposition du contrat de travail
ou de la convention collective le prévoyant, ou lorsqu'existe un
usage en ce sens ;
Attendu que Norbert Perez, ne rapportant pas la preuve de
l'existence d'une disposition conventionnelle ou d'un usage, sera
débouté de sa demande de paiement de prorata de prime de fin
d'année ;
Attendu que les agissements du salarié, constitutif de
fautes lourdes, ont créé un préjudice à l'employeur, préjudice qui
sera réparé par l'allocation à Jean-Louis Raoux d'une somme de
10.000 francs que Norbert Perez sera condamné à lui verser à
titre de dommages-intérêts ;
Attendu que Jean-Louis Raoux n'ayant pas subi de
préjudice distinct de celui qui a été réparé par la somme susvisée,
ou distinct encore des frais de justice réclamés à un autre titre, il
sera débouté de sa demande de dom m ages-intérêts pour
procédure abusive ;
Sur les dépens et l'article 700 du Nouveau Code
de procédure civile :
Attendu que l'équité en la cause com m ande de
condamner, en application de l'article 700 du Nouveau Code de
procédure civile, Norbert Perez à payer à Jean-Louis Raoux une
somme de 10.000 francs au titre des frais que ce dernier a
exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens ;
Attendu que Norbert Perez qui succombe sur l'essentiel
du litige sera condamné aux dépens qui comprendront les frais de
l'expertise Capestan, et sera débouté de sa demande fondée sur
l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.
Par ces motifs :
La Cour,
Statuant publiquement, contradictoirement, en audience
solennelle après renvoi de cassation et en matière prud'homale.
Reçoit les appels.
Confirme le jugement rendu le 20 décembre 1985 par le
Conseil de Prud'homm es de Montpellier et déboute Norbert
Perez de toutes ses demandes.
Et y ajoutant.
Condamne Norbert Perez à verser à Jean-Louis Raoux les
sommes suivantes :
- 10.000 franc(dix mille francs) à titre de dommages-intérêts ;
- 10.000 francs (dix mille francs) en vertu de l'article 700 du
Nouveau Code de procédure civile.
Déboute Jean-Louis Raoux de ses demandes plus amples
ou contraires.
Condamne Norbert Perez aux dépens qui comprendront
les frais de l'expertise diligentée par Monsieur Capestan.
ANALYSE :
Le fait pour un clerc assermenté d'huissier de proposer à
plusieurs reprises ses services personnels à un client de l'étude
dont il est l'em ployé et de s'être fait remettre des chèques en
blanc par un autre client, en en encaissant certains, en dépit de
l'opposition de son employeur, caractérise-t-il "l'intention de
nuire à l'employeur" ?
En répondant à cette question, l'arrêt de la Cour d'appel
d'Aix-en-Provence, rendu sur renvoi après cassation, présente
l'intérêt d'alim enter le contentieux assez rare de la faute lourde
des salariés d'offices ministériels (12).
Débouté par le Conseil de prud'hommes de Montpellier de
sa demande tendant à la condamnation de son employeur pour
licenciem ent abusif au m otif que les griefs qui lui étaient
reprochés étaient bien constitutifs d'une faute lourde, le salarié
interjeta appel devant la Cour d'appel de Montpellier. Dans un
arrêt du 4 février 1988, cette dernière fit droit à sa demande en
jugeant que les faits en question n'étaient constitutifs que d'une
cause réelle et sérieuse. Sur pourvoi de l'employeur, la première
chambre civile de la Cour de cassation, le 3 mai 1990, a cassé et
annulé en toutes ses dispositions l'arrêt d'appel et renvoyé les
parties devant le Cour d'appel d'Aix.
(12) sur le licenciement pour faute grave d'un sous-principal clerc de notaire qui
avait mis en jeu sa crédibilité et causé un préjudice à son employeur en ne
remboursant pas un prêt souscrit auprès d'un client de l'étude, soc. 14 janv. 1992,
rep. du notariat Defrénois, 1992, p. 1266, note G.P Quêtant.
�56
Saisie de la qualification de la faute du salarié, la Cour
d'Aix, dans son arrêt du 8 janvier 1993 Perez c. Raoux, confirme
le jugement prud'homal en constatant que "le salarié a commis
des actes traduisant une intention de nuire à l'employeur, actes
constitutifs de fautes lourdes".
Le clerc d’huissier se trouve ainsi condamné. Les juges
d'appel, en caractérisant ici l'intention de nuire, se réfèrent à la
définition restrictive donnée récemment par la chambre sociale en
la matière (I). La faute lourde retenue, ses conséquences
financières sont redoutables pour le salarié (II).
I - LA NOTION DE FAUTE LOURDE DU SALARIÉ
Malgré la référence à la faute lourde du salarié
dans le code du travail (13), le législateur s'est gardé d'en donner
une définition. Appréciée au cas par cas, les juges retenaient la
gravité des faits, plaçant l'acte litigieux au som m et de la
hiérarchie des fautes, en la qualifiant de plus grave encore que la
faute grave (14).
Cependant, avec la loi du 13 juillet 1973, l'exigence d'une
faute "sérieuse" pour que le licenciement puisse être prononcé, a
rendu nécessaire le relèvement du niveau à partir duquel la faute
grave et plus encore la faute lourde peuvent être retenues.
Ainsi, soucieuse d'apporter aux juges du fond des
directives précises sur cette graduation, la Cour de cassation,
dans une série d’arrêts rendus à partir de 1990, a retenu le critère
de l'intention de nuire comme élément de la faute lourde (15).
La faute lourde en droit du travail n'est plus équipollente
au dol, elle suppose la volonté de nuire à l'em ployeur ou à
l'entreprise. Sans intention de nuire, la faute n'est plus lourde.
Exerçant un véritable contrôle de la qualification des faits,
la Cour de cassation exige des juges du fond qu'ils vérifient la
réalité de l'intention de nuire à partir des éléments factuels soumis
à leur appréciation (16). Et même, pour la prem ière fois,
reprenant en matière sociale un principe juridique traditionnel
selon lequel si les faits sont l'affaire des parties, le droit est
(13) Art. L. 521-1 : faute lourde du salarié gréviste ; art. L. 223-14 : faute lourde
privative de l'indemnité compensatrice de congés payés.
(14) Y. Saint-Jours. La faute en droit du travail : l'échelle et l'escabeau, D. 1990,
chr. p. 113.
(15) Soc. 5 mai 1990, Bull. civ. V. n° 175, p. 106 ; soc. 31 mai 1990, Bull. civ.
V, n‘ 260. p. 156 ; soc. 16 mai 1990, Bull. civ. V, nc 228, p. 138 ; soc. 29 nov.
1990, Bull. civ. V., n 599, p. 360, JCP éd. E 1991, I, 55, n’ 11 ; V. rapport de la
Cour de cassation 1990, p. 267 ; V. G. Couturier, La faute lourde du salarié, Dr.
soc 1991, p. 105 ; V. sur la définition de la faute grave, soc. 26 févr. 1991, Bull,
civ. V, n* 97, p. 60.
(16) Soc. 10 avr. 1991. Bull. civ. V, n’ 129, p. 81 ; soc. 16 juin 1993, C.S.B.P
1993, A.49, p. 207.
57
l'affaire du juge, la Cour Suprême a admis l'office du juge en
permettant qu'il requalifie en faute lourde des faits commis à
l'occasion d'une grève à la suite d'une erreur de qualification par
l'employeur (17).
A la suite de cette jurisprudence, il est permis de se
demander si la requalification ainsi opérée par les juges du fond
pour des faits comm is à l'occasion d'une grève pourrait être
étendue à l'ensemble du contentieux relatif à la faute lourde.
En l'espèce, la Haute Juridiction reprochait à la Cour
d'Appel de Montpellier de ne pas avoir tiré de ses constatations
les conséquences légales qui en découlaient. Il revenait donc à la
Cour d'Appel d'Aix-en-Provence, sur renvoi, de procéder à cette
qualification.
Deux griefs étaient reprochés au clerc assermenté
d'huissier.
Tout d'abord, d'avoir proposé ses services de manière
réitérée à un client de l’étude (encaisser des impayés) et ce, sans
passer par celle-ci. Les juges relèvent que même si le détourne
ment de clientèle n'avait pu être démontré par l'expert commis à
cet effet, il n'en demeurait pas moins que cet agissement révélait
un comportement fautif du clerc. Effectivement la proposition de
services personnels par un salarié aux clients de son employeur
constitue une manoeuvre tendant à un tel détournement contraire à
l'obligation de fidélité pesant sur ce dernier lors de l'exécution de
son contrat (18). Or, le manquement à l'obligation de fidélité par
une action concurrentielle est normalement considéré comme
caractérisant la faute lourde.
S 'agissant du second grief (chronologiquem ent le
premier), le salarié contestait sa réalité en raison du délai mis par
l'employeur à l'invoquer. Par cet argument, le salarié tentait de
faire admettre la tolérance de l'employeur, qui a pour effet de lui
retirer la possibilité d'invoquer la faute lourde, voire le licencie
ment (19), les agissements demeurant néanmoins constitutifs
d'une cause réelle et sérieuse (20). Les juges aixois rejettent cette
argumentation au m otif que le premier grief, connu quelques
jours avant le licenciement, et qui plus est de même nature, a fait
revivre le second.
(17) Requalification en faute lourde d'une faute simplement qualifiée de grave dans
la lettre de rupture alors que l'employeur avait tiré les conséquences de la faute en
licenciant immédiatement les salariés grévistes, ce qui n'est possible qu'en cas de
faute lourde : soc. 30 juin 1993, jurisp. soc. UIMM, sept. 1993, n* 93-564, p.
313, R.J.S 8-9/93, n1 856.
(18) Soc. 4 nov. 1987, Cah. prud'h. 1988. p. 118.
( 19) Infra II.
(20) Rouen 8 mars 1990, Ets. Michel Grancher c. Tsaropoulos. Juris-Data, n‘
041367.
�58
En se faisant remettre des chèques en blanc non datés sans
en assurer le dépôt à l’étude, alors qu'il connaissait l'opposition
de son employeur à ce mode de règlement, les juges relèvent que
"le salarié a agi sciemment à l'encontre de l'avis de son
employeur". Par l'utilisation du terme "sciemment", la Cour fait
ressortir le caractère intentionnel des agissements du salarié. En
ne remboursant pas les sommes et en en encaissant certaines, le
salarié n'a pas libéré le client de sa dette, qui depuis les faits avait
soldé son compte à l’étude, "ce qui est de nature à dim inuer le
crédit de l'employeur auprès de sa clientèle".
La Cour conclut que le comportement fautif du salarié
traduit une intention de nuire à l'employeur, attitude qui, dès lors,
est constitutive de fautes lourdes.
La nécessité d'une intention de nuire à l'employeur pour
caractériser la faute lourde du salarié s'explique par la rigueur des
conséquences qui s'y attachent.
II - LES CONSÉQUENCES DE LA FAUTE LOURDE
DU SALARIÉ
Nombreuses sont les conséquences découlant de la
qualification de faute lourde donnée à des faits reprochés à un
salarié. La faute lourde justifie d'abord le licenciement immédiat
du travailleur fautif sans qu'il puisse prétendre à aucune indem
nité, ni même à l’indemnité compensatrice de congés payés se
rapportant aux droits en cours d'acquisition (art. L. 223-14) ; elle
justifie ensuite l'action en responsabilité de l'employeur contre le
salarié en réparation du préjudice causé par sa faute (21); elle peut
en outre exclure la réintégration des représentants du personnel
dans le cadre d'une loi d'amnistie (loi du 20 juillet 1988, art. 15
II) (22) ; elle est enfin retenue par la loi comme condition du
licenciement d'un salarié gréviste (art. L. 521-1) (23).
Dans l'affaire soumise à la Cour d'appel d'Aix, deux de
ces conséquences ont été retenues : d'une part, le licenciement
disciplinaire du salarié en le privant de l'ensem ble de ses
indemnités, de préavis et de licenciement, et d'autre part, sa
condamnation au paiement de dommages et intérêts en réparation
du préjudice subi par son employeur.
(21) Soc. 27 nov. 1958. D. 1959, J. p. 20 note Lindon. JCP 1959. II. 11143,
note Brethe de la Gressaye.
(22) pour une application récente de cette exclusion : soc. 3 févr. 1993, R.J.S
3.93. n* 256.
(23) Sur la question de savoir si la faute lourde justifiant le licenciement des
salariés grévistes doit elle aussi être caractérisée par l'intention de nuire à
l'employeur ou à l'entreprise, v. notamment J. Savatier, note sur soc. 4 nov. 1992
France Glace Findus. JCP éd. E. 1993, II. 420.
59
Le licenciement, en premier lieu, est la sanction la plus
élevée dans l'échelle des peines disciplinaires pouvant être
prononcée contre un salarié auteur d'une faute.
S'agissant de la procédure disciplinaire, il est à noter que
le salarié plaidait l'inertie de l'employeur quant à certains actes
qui lui étaient reprochés (v. supra I). Les faits s'étant déroulés
antérieurement à la loi n° 82-689 du 4 août 1982 (24), les juges
du fond ne pouvaient donc se fonder sur ce texte. Il n'en demeure
pas moins qu'à l'époque des faits, la jurisprudence appliquait
déjà les mêmes principes en précisant que si l'employeur, après
avoir eu connaissance de la faute commise par le salarié,
demeurait sans réaction pendant un délai appréciable, il ne
pouvait s'en prévaloir ultérieurement pour fonder une décision de
licenciement (25). Néanmoins, le délai écoulé entre la faute et la
sanction ne privait pas celle-ci de sa justification. En l'espèce, la
Cour d'appel fait une exacte application de ces principes et décide
que les autres faits ayant été connus quelques jours avant le
licenciement ont permis de faire revivre les griefs qui n'ont pas
été sanctionnés en leur temps. Le licenciement du clerc était donc
régulier en la forme.
En second lieu, les agissements du clerc ayant causé un
préjudice à son employeur, celui-ci pouvait engager sa responsa
bilité contractuelle. En effet, en l'état actuel de la jurisprudence,
seule la faute lourde avec intention de nuire est de nature à
justifier un tel recours. Aucune clause du contrat, de la conven
tion collective ou du règlement intérieur ne peut déroger à cette
règle d'ordre public (26). Cette conception restrictive de la faute
lourde du salarié assure une quasi-impunité de ses auteurs
puisque seule la volonté de nuire la caractérise et fonde par
conséquent le recours de l'employeur contre le salarié. Une telle
définition "bouscule" les fondements de la responsabilité contrac
tuelle selon lesquels faute lourde et faute volontaire sont bien
distinctes (27). On justifie cette restriction par la subordination
juridique du salarié en soutenant que la survenance de dommages
(24) introduisant l'art. L. 122-44 alinéa 1er dans le code du travail selon lequel :
"aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites
disciplinaires au-delà de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu
connaissance..." Il est en revanche permis de les invoquer posterieurement à ce
délai en cas de nouvel agissement fautif : v. soc. 7 mai 1991, R.J.S 6-91. n" 706 ;
soc. 12 janv. 1993, R.J.S 2-93, n* 150.
(25) Soc. 12 oct. 1977, Bull, civ., V, n‘ 527, p. 420.
(26) Soc. 31 oct. 1989, Bull, civ., V, n° 624, p. 376 ; soc. 23 janv. 1992, JCP
éd. G 1993. II, 22000, note Ph. Delebecque ; soc. 9 juin 1993. R.J.S 7-93. n°
719 ; v. aussi J. Deprez, Droit commun des obligations et spécificité du régime de
responsabilité civile du salarié dans la jurisprudence sociale. R.J.S 1-93, p. 3.
(27) F. Taquet, note sur soc. 12 mars 1991, JCP éd. E 1991, II. 180.
�60
61
résultant de l'activité du salarié fait partie des risques de
l'entreprise devant peser sur l'employeur (28).
Cependant, tout comme la fraude fait obstacle à toutes les
règles, la faute de malveillance doit faire obstacle à toutes les
causes d'irresponsabilité (29).
En l'espèce, la faute de malveillance du clerc a justifié
l’octroi de 10 000 francs de dommages et intérêts à son
employeur en raison du préjudice qu'il a subi.
Au-delà de l'arrêt rendu par la Cour d'appel d'Aix, on
doit donc admettre l'impossibilité d'aménagements convention
nels quant à la notion de faute lourde du salarié.
Il est toutefois permis de le regretter dans certains
hypothèses, compte tenu de l'hétérogénéité des contrats de travail
et des degrés divers dont est susceptible le lien de subordination
juridique, tels ceux admettant une indépendance professionnelle
et technique (par ex. : exercice d'une profession libérale dans le
cadre du salariat (30)). De tels aménagements auraient le mérite
d’adapter la faute à la spécificité de ces contrats et d'être plus
respectueux du statut de ces "indépendants-salariés". Or, en l’état
actuel de la jurisprudence, on peut se demander com m ent se
confirmera la pleine indépendance dans l'exercice des fonctions
voulue par le législateur, si cette indépendance n'est pas liée à une
responsabilité entière !
Virginie RENAUX
Allocataire de Recherche
Centre de Droit Social
(28) R Giraud-Jacquême. La responsabilité limitée du salarié. Dr. soc. 1966, p.
145 ; G. Couturier, Responsabilité civile et relations individuelles de travail. Dr.
soc. 1988. p. 407.
(29) J. Deprez, Vers une évolution du régime de responsabilité pécuniaire du
salarié envers l'employeur. R.J.S 5-92, pp. 319 et s. spéc. n* 7.
(30) voir notamment la loi n° 90-1259 du 31 déc. 1990 introduisant le salariat
dans les professions d'avocat et de notaire.
- A7 UN CRITÈRE INHABITUEL ENTRE
UN CONTRAT DE TRAVAIL À DURÉE
INDÉTERMINÉE ET UN CONTRAT
DE TRAVAIL À DURÉE DÉTERMINÉE :
LA "CLAUSE DE CONCURRENCE"
QUALIFICATION DU CONTRAT DE TRAVAIL /
DISTINCTION ENTRE UN CDD ET UN CDI /
TRAVAIL INTERMITTENT / CRITÈRE SUBSIDIAI
RE TIRÉ D UNE "CLAUSE DE CONCURRENCE" /
RÉFÉRENCE À L ’OBLIGATION DE LOYAUTÉ DES
SALARIÉS
Aix - 18° cham bre sociale - 23 juin 1993 - ASSEDIC 13 c ./
Robaglia
Procédure et moyens des parties :
Par citation en date du 3 août 1989, l'ASSEDIC des
Bouches du Rhône a fait assigner Monsieur Pascal Robaglia
devant le T ribunal d'instance de Marseille pour obtenir le
rem boursem ent de la somme de 14.613,06 frs au titre de
prestations indûment payées avec les intérêts de droit, les frais et
les dépens outre 4.000 frs sur le fondement de l'article 700 du
nouveau Code de procédure civile.
L 'A S SE D IC des B ouches-du-R hône exposait que
M onsieur R obaglia, avait perçu indûment des allocations
chômage du 1er mars au 30 juin 1984 alors qu'il bénéficiait à
compter du 1er mars 1984 d'un contrat de travail avec la Société
Robot Coupe.
Par un jugem ent en date du 28 mars 1990, le Tribunal
d'instance de M arseille déboutait l'ASSEDIC des Bouches du
Rhône de ses demandes et la condamnait à payer à Monsieur
Robaglia la somme de 2.000 frs au titre de frais irrépétibles outre
les dépens au m otif que le contrat signé le 1er mars 1984 par
M onsieur Robaglia n'était pas un contrat de travail à durée
indéterminée, mais prévoyait seulement la possibilité pour les
deux parties de conclure des contrats à durée déterminée.
L'A SSED IC des Bouches-du-Rhône a régulièrement
interjeté appel de cette décision en exposant qu'elle a payé à
Monsieur Robaglia des allocations d'un montant de 14.613,06
frs pour la période allant du 1er mars 1984 au 30 juin 1984 alors
�62
que celui-ci était titulaire d’un contrat à durée indéterminée auprès
de la Société Robot Coupe depuis le 1er mars 1984.
Elle précise que c'est à tort que le premier juge a invoqué
les dispositions de l'article L 212.4.9 du code du travail
(ordonnance du 11 août 1986) qui n'était pas applicable à la date
du contrat du 1er mars 1984 et que le contrat de travail liant les
parties était un contrat à durée indéterminée.
Monsieur Robaglia conclut à la confirmation du jugement
entrepris et sollicite le paiement de la somme de 7.000 frs au titre
de dommages intérêts pour résistance abusive et 3.558 frs au titre
de frais irrépétibles.
Il soutient qu'il avait conclu avec la Société Robot Coupe
un contrat cadre par lequel l'employeur prévoyait l'exclusivité de
ses emplois éventuels à un ou plusieurs prom oteurs dont le
concluant
Il ajoute qu'il n'était pas lié par un contrat de travail à
durée indéterminée, mais était un travailleur intermittent, accom
plissant des missions ponctuelles qu'il pouvait refuser, sans lien
de subordination permanent avec la Société Robot Coupe.
Discussion :
Attendu que, le 1er mars 1984, Monsieur Robaglia signait
un contrat avec la Société Robot Coupe en qualité d'agent de
promotion pour une durée indéterminée ;
Attendu que ce contrat stipulait que la Société devait
communiquer à l'agent de promotion des dates et des lieux
d’affectation possible, étant précisé que chacune de ces
affectations constituait un contrat particulier et donnant lieu à un
écrit précisant les conditions propres à chaque mission ;
Qu’il était loisible à Monsieur Robaglia de refuser cette
mission sans être tenu de donner les motifs de son refus ;
Que le refus, sauf abus manifeste ne pouvait être une
cause de résiliation du contrat ;
Attendu que Monsieur Robaglia se voyait reconnaître
contractuellement la possibilité d’être employé par une autre
entreprise pendant la durée du contrat et notamment d'accomplir
des tâches de promotion identiques à celles qui lui étaient confiées
par la Société Robot Coupe ;
Attendu que la rémunération était arrêtée tous les ans pour
chaque type de démonstration, étant ajouté quelle comportait une
indemnité de fin de mission ;
Attendu que Monsieur Robaglia produit de très nombreux
contrats de travail à durée déterminée concernant la vente des
produits de la Société Robot Coupe pour des m issions de
démonstration en des lieux déterminés pour des périodes dont la
durée était précisée ;
63
Qu'il joint une attestation de la Société Robot Coupe qui
précise qu'elle l'employait depuis le 26 septembre 1980 en qualité
de dém onstrateur interm ittent et qu'il ne percevait aucune
indemnité en dehors de ses périodes de travail ;
Attendu qu'aux termes du règlement du Régime d'Assurance Chôm age en ses articles 1 et suivants, le salarié privé
d'emploi peut prétendre à un revenu de remplacement et notam
ment les salariés arrivés en fin de contrat à durée déterminée ;
Attendu que le contrat litigieux ne peut s'analyser en un
contrat à durée indéterminée dès lors qu'il n'établissait entre
M onsieur Robaglia, libre à tout moment de refuser le travail
proposé ou de travailler sous les ordres d'un autre employeur, et
la Société Robot Coupe aucun lien constant de subordination et
qu'il ne prévoyait que la possibilité de conclure des contrats à
durée déterminée dont seules la nature et la rémunération étaient
préalablement convenues ;
Qu'en conséquence l'ASSEDIC des Bouches du Rhône
ne peut en se fondant sur l'existence d'un contrat de travail à
durée indéterm inée en cours lors du paiement des allocations
chôm age litigieuses, en réclam er le remboursement, qu'il
convient de confirm er le jugement entrepris qui l'a déboutée de
ses demandes ;
A ttendu que l'appel interjeté par L'ASSEDIC des
Bouches du Rhône n'est pas manifestement abusif alors que ne
sont démontrées ni la mauvaise foi, ni l'existence d’un préjudice
subi par Monsieur Robaglia du fait de cette procédure ;
A ttendu qu'il est inéquitable de laisser à Monsieur
Robaglia le montant des frais irrépétibles qu'il convient de porter
à la somme de 3.000 frs ;
Attendu que L'ASSEDIC des Bouches du Rhône, qui
succombe, doit être déboutée de sa demande en paiement d'une
indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de
procédure civile et doit supporter la charge des dépens d’appel
conformément aux dispositions de l'article 696 du nouveau code
de procédure civile ;
Par ces motifs :
La Cour, statuant en matière prud'homale publiquement et
contradictoirement,
C onfirm e le jugem ent entrepris en élevant à 3.0(X) frs
(trois mille francs) le montant de l'indemnité allouée par le
premier juge sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code
de procédure civile.
Y ajoutant,
Déboute les parties de leurs autres demandes.
�64
ANALYSE :
C’est la première fois, à notre connaissance, que les juges
retiennent une singulière «clause de concurrence» autorisant
expressément le salarié à concurrencer son employeur, comme
élément de qualification d'un contrat de travail.
Les faits, en apparence simples, s'accom pagnaient de
circonstances originales. Un salarié, engagé en qualité d'agent de
promotion d'une société de distribution, était chargé de la
démonstration et de la vente des produits de l'entreprise.
L'intéressé travaillait en effet par affectations intermittentes, en
des lieux et pour des périodes prédéterminés. Par ailleurs, il avait
signé un accord de base, dénommé "contrat cadre", dans lequel
certaines conditions d’emploi étaient précisées. L'alternance de
périodes travaillées et non travaillées avait conduit le salarié à
demander aux ASSEDIC le bénéfice des prestations de chômage.
Après avoir fait droit à cette requête, l'A ssedic des
Bouches-du-Rhône se ravisa et demanda au prestataire de lui
rembourser les sommes qu'elle estimait avoir versées de manière
indue. Le refus du salarié fut à l'origine d'un litige opposant
l'organisme à l'intéressé.
Pour refuser au salarié le droit aux indemnités de remplace
ment, l'ASSEDIC prétendait que le contrat cadre n'était autre
qu'un engagement à durée illimitée, suspendu durant les périodes
d'inactivité. Le fondement de sa demande était parfaitem ent
cohérent. En effet, seuls les salariés privés d'emploi peuvent
bénéficier des prestations de chômage (31). Par conséquent, tant
que le lien contractuel subsistait, fût-il interrom pu par des
périodes non travaillées, le droit à ce type de prestations n'était
pas ouvert. On comprend dès lors que pour des considérations de
trésorerie, l'Assedic ait eu intérêt à plaider l'existence d’un seul et
même contrat et non celle d'une série d'engagements à durée
déterminée, à chaque fois rompus par l'arrivée du terme.
La contestation portait en définitive sur le problèm e
classique de la détermination de la nature du contrat de travail.
S'agissait-il d'un engagement à durée déterminée ou à durée
indéterminée ?
Pour les salariés, l'intérêt de la distinction entre ces deux
types de contrats dépend de l'objet du litige. Lorsque la demande
porte sur des droits afférents à l'ancienneté, le contrat à durée
indéterminée rencontre à l'évidence la faveur des intéressés (32).
Mais en l'espèce, contrairement à l'idée suivant laquelle le contrat
de droit commun serait globalement plus avantageux que les
contrats dits atypiques, le salarié prétendait avoir conclu un
(31) art. L. 351-1 C. Trav.
(32) Au lerme de l'art. L. 212-4-10 C. Trav. "pour la détermination des droits liés
à l'ancienneté, les périodes non travaillées sont prises en compte en totalité".
65
contrat cadre de base prévoyant le recours à des contrats à durée
déterminée, en vertu duquel il avait accepté de nombreuses mis
sions ayant toutes une durée limitée. Il entendait ainsi bénéficier
de l'indemnité de chômage à l'expiration du dernier contrat.
Les premiers juges comme ceux de la Cour d'appel d'Aix
donnèrent raison au salarié et décidèrent que les cocontractants
avaient été liés par des engagements à durée déterminée, à l'issue
desquels le bénéfice de l'allocation de chômage devenait légitime.
La question de savoir si l'employeur avait respecté les
règles lim itant les possibilités de recourir au contrat à durée
déterminée n'a pas été posée aux juges, ce qui est sans doute
préférable. En effet, il n'est pas certain que la convention des
parties respectait en l'espèce les règles de fond et de forme
requises pour ce type de contrat. Bien que l'arrêt ne le précise
pas, il semble que le texte applicable à l'époque des faits soit
l'ordonnance n° 82-130 du 5 février 1982. Or à cette date, les cas
de recours à cette forme d'emploi étaient lim itativement
énumérés. Les juges se sont donc contentés d'interpréter les
éléments de fait portés à leur connaissance, pour conclure à
l'absence de "lien constant de subordination" (33).
Parmi les indices retenus, l’un d'entre eux semble avoir été
déterminant. Il figure en effet dans l’attendu principal de la
décision. Les juges ont ainsi relevé la présence d'une clause, aux
termes de laquelle le salarié était libre "de travailler sous les
ordres d'un autre employeur". Cette disposition, insérée dans le
contrat de travail perm ettait au surplus au représentant de
concurrencer son em ployeur, en "accomplissant des tâches
identiques à celles qui lui étaient confiées par la société". En
l'espèce, le soin avec lequel cet employeur s'est appliqué à
permettre au salarié de le concurrencer correspond à une situation
sans précédent. En pratique, les clauses s'attachent en effet
davantage à restreindre la liberté du travail qu'à la favoriser, par
une clause de non-concurrence ou une clause d'exclusivité.
La stipulation litigieuse étant, à notre connaissance,
jusqu'ici inconnue du contentieux, n'a pas reçu d'appellation. On
pourrait la nommer "clause de concurrence".
C'est notamment à la lumière de cette clause particulière,
que la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a conclu à l'existence
d'un contrat à durée déterminée. La solution semble parfaitement
justifiée lorsqu'il s'agit de rechercher les critères de qualification
de ce type d'engagement (I). Mais sa portée s'avère plus discuta
ble au regard du critère nouveau : la «clause de concurrence» (II).
(33) Selon les termes de l'arrêt commenté.
�66
67
I • LES CRITÈRES DE QUALIFICATION
DU CONTRAT DE TRAVAIL À DURÉE
DÉTERMINÉE : UNE SOLUTION JUSTIFIÉE
Dans l'espèce commentée, la succession de périodes
travaillées et chômées avait débuté en 1980 et s'était étalée sur
plusieurs années (34). Cette situation correspond à ce que l'on
nomme communément le travail intermittent.
Bien que les juges d'appel ne se soient pas prononcés sur
ce point, la notion de travail à temps alterné peut recevoir une
qualification juridique spécifique. Il existe en effet un contrat de
travail intermittent légal qui, aux termes de l'article L. 212-4-9 du
code du travail «est un contrat à durée indéterm inée». Il est
conclu pour des emplois qui «par nature, com portent une
alternance de périodes travaillées et non travaillées» (35). Ces
dispositions sont issues de l'ordonnance n° 86-948 du 11 août
1986, qui régit notamment le travail interm ittent. Cette
réglementation n'était pas encore applicable à l'époque des faits et
l'on comprend pourquoi la Cour n’a pas cherché à vérifier si la
prestation correspondait à l'hypothèse légale, d'autant que l'un
des cocontractants, l'employeur, n'était pas partie à l’action.
Au demeurant, la pratique pouvait correspondre, semble-til, à deux cas de figure : soit un contrat à durée illimitée assorti
d'une clause d'intermittence, soit des contrats à durée limitée "à la
demande", lesquels étaient courants avant l'intervention de
l'ordonnance de 1986 (36). Par le biais d'un faisceau d'indices,
le juge a en l’espèce, opté pour la seconde hypothèse.
Les critères classiques de distinction entre un
contrat de travail à durée déterminée et un contrat
de travail à durée indéterminée
A -
A l'époque des faits, l'inobservation des règles de fond et
de forme prescrites par l'ordonnance du 9 février 1982 relative au
contrat à durée déterminée pouvait entraîner une requaiification de
la relation en contrat à durée indéterminée, au titre des articles L.
(34) Au vu des indices fournis par l'arrêt, la rémunération était arrêtée tous les ans
et l'entreprise employait le salarié depuis plus de 4 ans au jour de la contestation.
(35) Art. L. 212-4-8 C. Trav. Tel est le cas des activités d'enseignement qui par
nature, comportent des périodes d'inactivité en raison des vacances scolaires. En
ce sens, voir soc. 26 mai 1993. 2 esp. R.J.S 1993. n‘ 7, inf. 725. p. 431.
(36) Cf. V. Donsimoni, Le travail intermittent, mémoire DEA Droit Social,
1986, Aix-Marseille III ; J. Pélissier, Le travail intermittent. Dr. soc. 1987, p.
93. Même après l'intervention de l'ordonnance de 1986, bon nombre d'entreprises
continuent à pratiquer le travail à la demande, en marge des textes d'application
difficile en raison de leur rigidité. Par conséquent, la question laissée en suspens
n'a pas perdu de son intérêt.
122-3-1 et L. 122-3-14 du code du travail alors applicables (37).
Cette question n’a pas été soulevée en l'espèce (38). Par ailleurs,
on peut se dem ander pourquoi la Cour d'appel n'a pas dénié
l'intérêt à agir de l'Assedic, en se fondant sur une jurisprudence
bien établie et antérieure au jugement. Selon cette construction
prétorienne, seul le salarié est en mesure de se prévaloir de la
requalification. Les juges ont, en l'espèce, préféré se cantonner à
une interprétation de la volonté des parties (39). Par le biais de
critères subsidiaires ou substantiels, ils ont découvert l'existence
d'un contrat à durée limitée.
1°
-
Les
critères subsidiaires
Fidèle à sa méthode traditionnelle, le juge du contrat de
travail s'est appliqué à vérifier les conditions réelles d'exécution
du travail (40). Cette technique l'a conduit à rendre inopérante
une disposition qui qualifiait la relation de contrat à durée indé
terminée, dès lors qu'un certain nombre d'éléments prouvaient le
contraire.
D'une part, le salarié avait conclu autant de contrats qu'il
avait de représentations à effectuer, comportant chaque fois une
nouvelle négociation des conditions de travail et de rémunération,
tous indices en opposition avec la stabilité du contrat à durée
indéterminée, même intermittent. D'autre part, la prévision d'une
indemnité de fin de mission pouvait faire penser à l’indemnité
légale de fin de contrat à durée déterminée, visée à l'article L.
122-3-4 du code du travail. Cet élément n'avait toutefois qu'un
caractère indicatif, puisque l'employeur pouvait aussi bien verser
une somme au titre d'un avantage supplémentaire accordé au
salarié.
(37) Selon l'art. L. 122-3-1 c. trav., à défaut d écrit, le contrat «est présumé
conclu pour une durée indéterminée». Au terme de l'article L. 122-3-14 «tout
contrat conclu en méconnaissance des dispositions des articles L. 122-1 à L. 1223, L. 122-3-12 et L. 122-3-13 est réputé à durée indéterminée».
(38) Pour une application de la requalificalion. voir soc. 13 nov. 1986, Dr. soc.
1987, p. 412 et la note de J. Savatier, La requalification des contrats à durée
déterminée irréguliers, Dr. soc. 1987, p. 407-410 ; C. Roy-Loustaunau,
Réflexions sur le rôle du juge dans la requalification-sanction du contrat de travail
à durée déterminée après la loi du 12 juillet 1990, JCP 1991. éd. E, I. 101.
(39) Soc. 16 juil. 1987, D. 1988, som. p. 97 obs. J.M Béraud, soc. 13 févr.
1991, Dr. soc. 1991, p. 418 obs. J. Savatier. Cependant, la jurisprudence de 1987
ne prive pas l'employeur de toute possibilité d'agir, cf. C. Roy-Loustaunau,
commentaire de cass. soc. 27 mars 1991, Le double visage de la requalificalion du
contrat dans le contrat de travail à durée déterminée : requalification-interprétation
et requalification-sanction, R.R.J 1992, n° 3, p. 861-870.
(40) En ce sens, voir soc. 17 avril 1991, Dr. soc. 1991, p. 516. C.S.B.P 1991,
A.37 : «l'existence d'une relation de travail salarié ne dépend ni de la volonté
exprimée par les parties ni de la dénomination quelles ont donné à leur
convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des
travailleurs».
�68
69
L’argument suivant ne laissait, quant à lui, subsister aucune
hésitation.
2
-
Les critères substantiels
L'intéressé avait, aux termes de son contrat, la faculté de
refuser les missions proposées. Cette disposition inhabituelle ne
peut se comprendre que dans le cadre d'une pluralité de relations
à durée déterminée. A défaut, le comportement du salarié serait
qualifié de faute professionnelle justifiant au moins une cause
réelle et sérieuse de licenciem ent (41). C lassiquem ent,
l’inexécution de la prestation, considérée com m e un acte
d'indiscipline (42) est en effet constitutive d’une faute grave
privative des indemnités de rupture. Dans la présente espèce, les
juges ont, au contraire relevé que «le refus, sauf abus manifeste,
ne pouvait être une cause de résiliation du contrat».
A ce stade de l'analyse il apparaît que la solution adoptée
par la Cour aixoise était incontestable. On était sans nul doute en
présence d'un contrat de travail à durée déterminée. Était-il par
suite nécessaire de relever un autre indice, tout à fait marginal eu
égard aux critères traditionnels ?
B • Le critère tiré de la «clause de concurrence»
Selon la Cour d'appel, le contrat de travail ne pouvait être à
durée indéterminée dès lors notamment, que le salarié avait la
faculté de travailler sous les ordres d'un autre em ployeur en
vendant des produits concurrents (43). Ainsi la stipulation
contractuelle servait de critère pour rejeter la thèse du lien
constant de subordination. Il semblerait donc qu'aux yeux des
juges, la «clause de concurrence» ne pouvait recevoir application
pendant la vie du contrat de travail.
Cette solution est implicite et suppose de découvrir en
filigrane, le cheminement du raisonnement suivi par la Cour. Il
semble que seule la référence à l'obligation de loyauté puisse
justifier la décision.
En l'espèce, la concurrence directe du salarié pendant
l'exécution de son contrat de travail aurait été contraire au bon
(41) Cf. soc. 7 juin 1979. Bull., V, n° 491, p. 363 ; soc. 4 déc. 1980, D. 1981,
I.R, p. 266.
(42) Ainsi en est-il du refus d'un salarié d'accomplir les tâches qui lui incom
baient ; soc. 24 janv. 1980. Bull., V, n° 74, p. 53 ; soc. 1er déc. 1982. Cah.
prud'h. 1983, n 3. J.P p. 35. Caen 25 févr. 1988. Cah. prud'h. 1988, n” 4, J.P, p.
73 ; du refus permanent d'accomplir consciencieusement son travail : soc. 3 oct.
1980, Bull., V, n1 700, p. 518 ; de l’inexécution du travail consécutive à un
abandon de poste : 17 janv. 1980, Bull., V. n' 54. p. 38.
(43) «attendu que le contrat litigieux ne peut s’analyser en un contrat à durée
indéterminée dès lors qu’il n’établissait, entre M. Robaglia, libre... de travailler
sous les ordres d un autre employeur, et la société Robot-Coupe aucun lien
constant de subordination».
sens. Il paraît en effet peu vraisemblable que l'employeur ait pu
autoriser le salarié à vendre des produits concurrents, alors même
que son contrat de travail n'était pas rompu. Le glissement vers
des pratiques déloyales aurait été d'autant plus aisé que la
spécificité des fonctions de représentation permettait au salarié
d'accéder directement au fichier clients.
Par ailleurs, l'admission d'une telle pratique aurait heurté
les règles applicables en matière d’obligation de loyauté. Comme
dans tout contrat, les parties sont en effet tenues d'exécuter leurs
obligations en toute bonne foi. En droit du travail, la bonne foi
contractuelle prend la forme du devoir de loyauté, qui pèse sur
chacune des parties (44). Pour le salarié, il ne s'agit pas seule
ment de respecter les termes de l'engagement, l'obligation se tra
duit d'abord par un devoir général de ne pas nuire à l'employeur.
C'est sans doute dans le domaine de la concurrence que le
problème du manquement au devoir de loyauté se pose avec le
plus d'acuité. Les actes de concurrence sont souvent vécus en
entreprise comme une sorte d'«infidélité conjugale», une trahison
(45). Pour cette raison, les juges ont élaboré une jurisprudence
ancienne et constante, suivant laquelle un salarié ne peut, durant
l'exécution de son contrat de travail, exercer une activité concur
rente à celle de son employeur (46). A défaut, les agissements
justifient un licenciement pour faute grave (47) ou encore pour
faute lourde (48).
Il apparaît par suite, que l'idée de nuisance était sousjacente dans la décision commentée. Conscients de l'intérêt qu'il
(44) Pour une application remarquée de l’obligation de bonne foi à la charge de
l'employeur, voir soc. 25 févr. 1992, Dr. soc. 1992, p. 379. Sur ce fondement,
l'employeur est tenu «d'assurer l'adaptation des salariés à l'évolution de leurs
emplois».
(45) J.E Ray, Fidélité et exécution du contrat de travail, Dr. soc. 1991, p. 376.
(4 6 ) Com. 5 févr. 1965, Bull., IU. n° 96. p. 81 ; soc. 5 mai 1971, Bull.. V, n°
327, p. 276 ; soc. 2 juin 1977, Bull. V, n°
370, p. 294 ;
soc. 21 févr. 1980,Bull.,
V, n” 171, p. 129 ; soc. 26 févr. 1985, B.S.F.L 1985, n’ 6, inf. 669, p. 256 ; soc.
16 juil. 1987, Bull., V, n° 491, p. 312 ; Paris 24 nov. 1989. Bull., inf. c. de cass.
1990, n £ 302, inf. 506, p. 31 ; soc. 16 oct. 1991, Cah. prud'h. 1992. n° 2, J.P p.
27.
(47) Soc. 22 févr. 1978, Cah. prud’h. 1979, n" 3, JP p.
35 ; soc. 27 janv.1982,
cah. prud'h. 1982, nc 8, JP p. 142 ; soc. 7 déc. 1983, B.S.F.L 1984. n° 2. inf.
158, p. 77 ; soc. 17 avril 1985, cah. prud'h. 1985, n° 9. JP p. 175 : soc. 28 janv.
1988, cah. prud'h. 1989, n° 5, JP p. 8 ; soc. 20 mars 1990, SSL 1990, n" 20,
flash. ; soc. 15 juin 1991, cah. prud’h. 1992, n° 2, JP p. 26 ; soc. 24 févr. 1993,
JP soc. UIMM 1993, n' 563, p. 256.
(48) Soc. 28 mai 1975, Bull., V, n° 282, p. 247 ; soc. 19 oct. 1978, cah. prud'h.
1979, n° 3, JP p. 35 ; soc. 26 nov. 1981, cah. prud'h. 1982, n‘ 5. JP p. 92 ; soc.
25 janv. 1984, D. 1984, I.R p. 445 ; soc. 4 nov. 1987 et 29 nov. 1987, cah.
prud'h. 1987, n° 7, JP p. 119 ; Aix, 9° ch. 18 sept. 1991, Juris-Data, Centre de
Droit Social, Aix-Marseille III, inédit, Aix, 1° ch. 8 janv. 1993, Juris-Data,
Centre de Droit Social. Aix-Marseille III, inédit.
�70
71
y a à préserver la clientèle de l'entreprise, les juges du contrat de
travail paraissent avoir voulu limiter la portée de la clause qui
permettait au salarié de travailler pour des entreprises rivales.
Pour ce faire, ils ont dû estimer que la disposition litigieuse ne
pouvait recevoir application qu'après expiration du contrat de
travail. Par conséquent, la clause ne pouvait avoir été insérée
dans un contrat de travail à durée indéterminée. En pareil cas, elle
aurait produit effet pendant les périodes travaillées et chômées. Là
encore, cette pratique aurait heurté une ju risp ru d en c e
traditionnelle suivant laquelle la suspension du contrat laisse
subsister le devoir de loyauté du salarié. Il en va ainsi de sa
manifestation première : celle d'interdiction de concurrence (49).
En opportunité, il semble qu'il fallait interpréter la clause
comme l'a fait la Cour d'appel d'Aix-en-Provence. Cependant, si
la solution se justifiait en fait, sa portée reste incertaine au regard
du seul critère tiré de la «clause de concurrence».
II - LA PORTÉE INCERTAINE DU CRITÈRE TIRÉ
DE LA 'CLAUSE DE CONCURRENCE"
Pour qualifier la convention des parties de contrat de travail
à durée déterminée, la Cour a implicitement estimé que la "clause
de concurrence" ne devait s'appliquer qu'à l'issue des relations
contractuelles. Cette appréciation est discutable. En effet, la
stipulation litigieuse pouvait parfaitement produire effet en
l'espèce, pendant l’exécution du contrat de travail (A). Par
ailleurs, en relevant notamment que le salarié avait la faculté de
travailler pour des employeurs concurrents, les juges d'appel ont
érigé subsidiairement une clause non essentielle dans la
convention des parties, en critère de distinction entre deux types
de contrats. Si cette démarche jurisprudentielle n'est pas
nouvelle, elle n'est pas exempte de critique (B).
A - L'intérêt de la «clause de concurrence» pendant
l'exécution du contrat de travail
Il semble que dans l'esprit des juges, la clause de libre
concurrence ne pouvait trouver à s'appliquer qu'à l'expiration des
relations puisque pendant l'exécution de son contrat, le salarié ne
peut exercer d'activité concurrente. Si un tel raisonnem ent a
effectivement motivé la solution, l'arrêt est alors discutable.
(49) L'obligation de non concurrence subsiste pendant un congé individuel de
formation, Paris, 26 févr. 1988, B.S.F.L 1988, nc 5, inf. 667, p. 246 ; pendant un
congé sabbatique, Paris, 3 mai 1988, B.S.F.L 1988, n° 7, inf. 1051, p. 341 ; dans
le même sens soc. 27 nov. 1991, 2 esp. JP soc. UIMM, n° 92-546. p. 48 et s., Dt.
trav. 1992, janv. inf. 17, p. 10 et 11.
En effet, à l'expiration des relations, le salarié peut, sauf
clause de non concurrence, se livrer à l'activité de son choix.
Cette faculté joue de plein droit, sans qu'il soit nécessaire
d'insérer une clause en ce sens (50). Par conséquent, si la clause
s'applique au terme du contrat, elle ne présente aucun intérêt. Or
elle peut présenter une utilité. On peut d'une part imaginer que
l'employeur ait consenti une faveur au salarié et l'ait autorisé à
démarcher simultanément des produits concurrents, comme c'est
le cas dans le cadre spécifique de la représentation. Il existe en
effet une catégorie de professions dont la pluriactivité a été
consacrée de façon légale : les voyageurs représentants placiers
multicartes. Au vu de l'article L. 751-1 du code du travail, ces
derniers doivent exercer le métier exclusif de VRP, mais peuvent
travailler pour le compte de plusieurs employeurs (51). La vente
de produits concurrents est donc expressément autorisée.
D'autre part, contrairement à une opinion dominante, il
n'est pas certain que l'interdiction des cumuls d'emplois soit un
principe général et absolu. Selon une jurisprudence constante,
l'interdiction des cumuls constitue en réalité l'exception, et
l'autorisation la règle en vertu de la liberté du travail (52). Par
conséquent, à moins qu'il ne soit lié par une clause d’exclusivité,
le salarié aura tout le loisir d’être pluriactif (53).
D'une manière générale, le cumul d'activités identiques est
tout à fait licite et courant. C'est ce qui ressort par exemple des
faits d'un arrêt en date du 11 juillet 1960 (54). Il s'agissait d'un
salarié engagé comme directeur technique dans une entreprise
spécialisée dans le tissage de la soie, dans la région lyonnaise. Au
vu de la form ulation de la décision, il apparaît que le salarié
accomplissait en parallèle la même activité mais pour son propre
compte, en qualité de commerçant (55). L'affaire ne portait en
aucune manière sur un problème de pluriactivité déloyale (56).
(50) En ce sens, Versailles, 26 juil. 1989, inf. c. de cass. 1990. n‘ 297, inf. 135 :
«la liberté du travail et de la concurrence implique que le salarié qui retrouve son
indépendance soit en droit de s’établir à son compte, à moins qu'il ne soit lié par
une clause de non-concurrence».
(51) Art. L. 751-1 1° et 2° c. trav.
(52) Cf. soc. 11 juil. 1960, D. 1961, JP p. 91, note J. Brethc de la Gressaye ;
Aix, 18° ch., 20 nov. 1986, Juris-Data, Centre de Droit Social, Aix-Marseille III,
inédit ; Paris 3 mars 1987, B.S.F.L 1987, n* 5, inf. 479, p. 224.
(53) Pour quelques applications jurisprudentielles de l'interdiction d'être pluriactif
en raison d'une clause d'exclusivité, voir soc. 11 janv. 1978. Cah. prud'h. 1978,
n' 7, J.P p. 129 ; soc. 27 janv. 1982, Cah. prud'h. 1982, n" 8. J.P, p. 142 ; soc. 6
juil. 1983, Cah. prud'h. 1984, n° 1, J.P p. 10.
(54) soc. 11 juil. 1960, précité.
(55) «Un commerçant peut fort bien utiliser une partie de son activité comme
salarié en dehors de son commerce».
(56) L'objet de la demande portait sur la compétence du Conseil de Prud'hommes.
�72
L'hypothèse peut être transposée à d'autres catégories. On
la rencontre fréquemment chez les médecins qui travaillent à la
fois en libéral et au sein d'un service organisé (57), dans le
monde agricole lorsqu'un petit exploitant loue ses services dans
une entreprise de plus grande taille, dans la fonction publique
lorsque des enseignants dispensent leurs cours dans des
établissements privés (58).
Par conséquent, en l'espèce, la "clause de concurrence"
aurait pu s'appliquer pendant l'exécution de la prestation à durée
indéterminée. Elle était donc inadaptée pour la recherche des
éléments de distinction entre les deux formes d'emploi.
B - L’intérêt de la «clause de concurrence» comme
critère de distinction entre un contrat de travail à
durée déterminée et un contrat de travail à durée
indéterminée
L'arrêt d’Aix exclut que la "clause de concurrence" puisse
recevoir application dans un contrat de travail à durée indéter
minée. L'affirmation est surprenante car la disposition litigieuse
n'est pas de l'essence même du contrat de travail. Elle ne devrait
donc pas influer sur la détermination du type de contrat.
Il semble que la décision commentée s'inscrive dans la
mouvance d’un courant doctrinal portant sur la licéité des clauses
restrictives à la liberté du travail, eu égard à la nature du contrat
de travail. Dans le souci de favoriser l'emploi, certains auteurs
estiment en effet, que dans un contrat atypique ou précaire, la
présence d'une clause d'exclusivité serait inacceptable (59).
D'une manière générale, qu'il s'agisse d’une "clause de concur
rence", de non concurrence ou d'exclusivité, aucune d'entre elles
n'est de l'essence même du contrat.
Parmi les décisions rendues en ce domaine, il semble que
les juges du fond souhaitent se rallier à cette opinion doctrinale.
C'est ce qui ressort en particulier d'un arrêt de la Cour d’appel de
Pau (60). Une salariée contestait la validité de la clause de non
concurrence qui la liait, au motif qu’elle avait été engagée par
contrat d’adaptation à un emploi. La Cour d’appel ne fit pas droit
(57) Ass. plén. 25 févr. 1985. D. 1985. J.P p. 249 ; concl. J. Cabannes ; soc. 14
juin 1989, Bull., V. n 450, p. 274 ; soc. 22 févr. 1990, R.J.S 1990, n° 4. inf.
337. p. 250.
(58) Soc. 8 févr. 1990, B.S.F.L 1990, n* 3. inf. 263, p. 147 ; soc. 20 juin 1990,
Dr. du irav., juil. 1990, inf. 306.
(59) Telle est par exemple l'opinion de M. J. Pélissier. La liberté du travail,
précité p. 23, "doivent donc être considérées comme nulles et de nul effet, toutes
les clauses qui interdisent à un salarié à temps partiel toute autre activité
professionnelle rémunérée".
(60) Pau. 23 févr. 1990, Cah. de J.P d'Acquitaine, 1990, n“ 2, p. 296, note J.
Lagarde.
73
à la requête, au m otif qu'il s’agissait d'un contrat à durée
indéterm inée. Elle précisa néanmoins qu'en présence d'une
relation à durée limitée, la clause aurait risqué "de priver un jeune
salarié de la possibilité de trouver un emploi stable une fois le
contrat arrivé à son terme" (61). Dans le même esprit, la Cour
d'appel de Paris a pu annuler une clause de non concurrence
jugée excessive dans un contrat à durée déterminée. La décision
fut censurée par un arrêt de cassation rendu par la chambre
sociale (62).
Jusqu'à présent, la Cour de cassation n'a pas rendu de
décision significative. Cependant, au détour d'un arrêt, elle a
parfois souligné la présence d'un emploi à temps plein, à l'appui
d'une argum entation en faveur de la licéité d'une clause
d'exclusivité (63).
A l'heure du partage du travail, du développement des for
mes d'emplois atypiques et de la réduction du temps de travail, la
question de la licéité des clauses restrictives à la liberté du travail
va sans doute se poser. Le débat qui porte sur les clauses qui ne
sont pas de l'essence du contrat reste par conséquent ouvert.
Isabelle CORIATT
Attachée Temporaire d'Enseignement
et de Recherche
Centre de Droit Social
(61) En l’espèce, la clause "n'[apparaissait] pas contraire à l'objectif poursuivi
par le législateur puisque le salarié [bénéficiait] d'un emploi stable".
(62) Soc. 27 sept. 1989, C.S.B.P 1989, n° 14, p. 213.
(63) cf. soc. 16 janv. 1975, Cah. prud'h. 1975, n* 4, J.P p. 77 : Dès lors que les
salariés étaient "employés à temps plein"... "la clause... était licite et n'empiétait
pas sur leur vie privée..."
�74
75
- A8 LE LICENCIEMENT D’UN SALARIÉ
ATTEINT DU SIDA
SIDA / LICENCIEMENT / NULLITÉ
Observations sur l'affaire NARDIN1 : Conseil de Prud'hommes
de Marseille, Départition, 15 mars 1990 (Cah. prud’homaux
1990 p. 99 s.) et Cour d'appel d'A ix-en-Provence, 9° ch.
sociale, 6 juin 1992 (inédit)
Sur ce :
Attendu qu'il convient d'une part de rappeler qu'aux
termes des articles L. 122-14-4 et L. 122-14-5 du Code du
Travail, la faculté pour le tribunal de proposer la réintégration
d'un salarié licencié est réservée au seul salarié ayant au moins
deux ans d'ancienneté dans l’entreprise ;
Que tel n'est pas le cas de M. Nardini, que cette nouvelle
demande, totalement infondée en droit doit être rejetée ;
Que toutefois, devant être considérée comme subsidiaire,
elle n'implique pas renonciation à la demande en nullité du
licenciement sur laquelle il sera statué ;
Attendu d'autre part qu’il ne peut être fait grief à la Caisse
d'Épargne des Bouches-du-Rhône de ne pas avoir indiqué dans
sa lettre de licenciement les motifs de celui-ci, la mention des
motifs n'ayant été rendue obligatoire dès la notification du
licenciement que par la loi du 2 août 1989, non applicable à
l'époque des faits ;
Attendu enfin qu'il échet de déclarer recevable en leur
intervention, le syndicat CGT de la Caisse d'É pargne des
Bouches-du-Rhône et de la Corse, et la Fédération Nationale
CGT des personnels des secteurs financiers ;
Qu'en effet, si un syndicat local n'a pas norm alem ent
vocation à représenter l'intérêt collectif de l'ensem ble d'une
profession, il n'en n'est pas moins fondé à agir en raison du
préjudice éventuellement causé par l'interprétation donnée par
l'employeur des dispositions statutaires ou conventionnelles
régissant l'ensem ble du personnel de l’entreprise ; que
l'intervention du syndicat CGT de la Caisse d'Epargne des
Bouches-du-Rhône est ainsi recevable ;
Qu’au surplus, la légitimité du licenciement d'un salarié
contaminé par le V.I.H. (virus de l’immunodéficience humaine)
constitue en l'état une question de principe, susceptible d'exercer
ses effets hors du cadre local de la Caisse d'Épargne des
Bouches-du-Rhône et de la Corse et dont la solution est de nature
à intéresser directem ent ou indirectement l'ensemble de la
profession ; que l'intervention de la Fédération Nationale CGT
des personnels des secteurs financiers est recevable à ce titre ;
Attendu qu'à l’appui de leurs demandes respectives en
nullité du licenciement, M. Philippe Nardini et les deux syndicats
intervenants soutiennent que le licenciement est intervenu en
raison de l'état de santé du salarié et plus précisément de sa
séropositivité, ce que conteste formellement l’employeur en
soutenant que le m otif du licenciement est la mésentente de M
Nardini avec le personnel ;
Attendu qu'il est constant que la maladie n'est pas en tant
que telle une cause de rupture du contrat de travail, et que dans
les relations de travail il n'y a pas lieu de traiter le sida
différemment des autres affections ;
Qu'il en résulte qu'un salarié infecté par le V.I.H. ne peut
être licencié que s'il existe un motif légitime de licenciement lié à
ses aptitudes ou à sa conduite, ou fondé sur les nécessités de
fonctionnement de l'entreprise, ou encore d’une façon générale
sur un motif prévu par la loi ;
Attendu qu'en l'espèce il importe de noter qu'aucune
pièce m édicale établissant la séropositivité de M. Nardini n'est
versée au dossier, que cependant, cet état n'est pas contesté par la
partie défenderesse ;
Attendu que n'est pas non plus établi l'état de santé exact
du demandeur à l'époque du licenciement, ni s'il était séropositif
asymptomatique, ou présentait des signes de la maladie ;
Attendu qu'en tout état de cause, il n'est pas allégué que
M. Nardini ait du s'absenter pour cause de maladie, et que son
aptitude physique à son poste résulte de la fiche de visite dressée
le 19 mai 1989 par le médecin du travail M. P. Buisson ;
A ttendu qu'il convient dès lors en premier lieu de
rechercher le motif du licenciement et de vérifier son caractère réel
et sérieux, au travers des pièces du dossier fournies par les
parties, avant de répondre à la demande de nullité ;
I - Sur le motif du licenciement
Attendu que M. Nardini et les syndicats intervenants
allèguent l'inexactitude du motif du licenciement énoncé par
l'em ployeur en invoquant à la fois un certain nombre
d'irrégularités commises par ce dernier, et des considérations de
fond.
A - Sur les irrégularités invoquées
1) Sur l'irrégularité du licenciement pour défaut de
consultation du conseil de discipline
Attendu que le salarié soutient que la Caisse d'Épargne a
violé les dispositions de la convention collective en ce que sa
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révocation, sanction du second degré nécessitait la consultation
préalable du conseil de discipline.
Attendu que les articles 36 et suivants de l'ancien statut du
personnel des Caisses d'Épargne et de Prévoyance, maintenus en
vigueur en venu de l'article 18 de la loi n° 83-557 du 1er juillet
1983 portant réforme des Caisses d'Épargne et de Prévoyance,
prévoient des garanties particulières en cas de prononcé d'une
sanction disciplinaire ; qu'aux termes de ces dispositions, les
sanctions du second degré ne sont applicables qu'après un avis
du conseil de discipline saisi dans les conditions prévues aux art
37 et suivants ; que les sanctions du second degré comprennent le
retard dans l'avancement, la rétrogradation, la mise à la retraite
d'office, et la révocation ; que cette dernière ne peut être pronon
cée qu'au cas de manquement grave au devoir professionnel, ou
en cas de condamnation pour un délit de droit commun qui rend
impossible le maintien de l'agent à son poste ;
Mais attendu que l’employeur n'était pas tenu en l'espèce
de consulter le conseil de discipline ;
Attendu d’une part qu'un avis de la commission paritaire
nationale du 11 décembre 1975 exclut du champ d'application de
l'article 36 les stagiaires non titularisables n'ayant pas encore
terminé avec succès leur année de stage ;
Que M. Nardini qui n'était stagiaire que depuis le 1er
janvier 1989 et titularisable après 6 mois ne rem plissait pas
encore à l'époque de son licenciement intervenu le 3 mai 1989,
les conditions pour bénéficier des garanties de la procédure
disciplinaire ;
Attendu d’autre pan que l’employeur, qui reste libre de
reprocher ou non au salarié une faute disciplinaire et de prononcer
une sanction disciplinaire, n’était pas tenu de mettre en œuvre la
procédure de l'article 36, dès lors qu'il n'entendait pas licencier le
salarié pour un manquement à la discipline ou pour une faute
professionnelle ;
Attendu enfin que la révocation au sens de l'article 36 du
statut suppose nécessairement une faute grave de l’agent alors
que l'employeur se prévaut en l'espèce seulement, d'une cause
réelle et sérieuse fondée sur la mésentente avec le personnel ;
Attendu qu'ainsi le licenciement du dem andeur n'est
entaché à cet égard d'aucune irrégularité ;
2) Sur la régularité du contrat à durée déterminée
Attendu que tant le salarié que les syndicats contestent la
régularité de l'embauche de M. Nardini par contrat à durée
déterminée en 1987 ; que le premier prétend sans s'en expliquer
autrement que le contrat était totalement illicite au regard de la loi
et de l'accord collectif du 19 décembre 1985 régissant les Caisses
d'Épargne ;
77
Que les syndicats prétendent que l'objet du contrat ne
répondait pas aux prescriptions de l'article L. 122-1 du Code du
Travail ;
Attendu, en l'état des éléments fournis par les parties que
les deux renouvellem ents du contrat sont régulièrem ent
intervenus au regard de l'article L. 122-1 dans sa rédaction issue
de l'ordonnance du 11 août 1986 ;
Attendu qu'en ce qui concerne les mentions devant figurer
au contrat en vertu de l'accord du 19 décembre 1985,
l'employeur a régularisé la situation des salariés concernés, dont
celle de M. Nardini, en précisant, par un avenant accepté, le
niveau d'emploi et le coefficient de rémunération par référence à
l'article 13 de l'accord susvisé, et en appliquant la rémunération
globale garantie, conform ément à l'arrêt de la Cour d'appel
d'Aix-en-Provence du 26 janvier 1989 statuant en référé ; que le
salarié ne pouvait se méprendre sur la nature de son contrat ;
Attendu en ce qui concerne l'objet du contrat, que selon
les demandeurs, celui-ci n'aurait pas été conclu pour une tâche
précise et non durable, et l'indication de "difficultés passagères
d'organisation liées à la réforme des structures en cours dans
l'établissement", ne serait pas conforme à la réalité ;
Attendu qu'il est en effet soutenu que M. Nardini n'aurait
pas exercé les fonctions de guichetier mais des tâches relevant du
service de communication ainsi qu'en attesteraient notamment
quelques articles rédigés pour la revue des Caisses d'Épargne et
une attestation collective de neuf salariés indiquant que M.
Nardini : "durant son emploi de guichetier assurait différents
travaux spécifiques qui l'obligeaient à s'absenter de son poste de
travail" ;
Mais attendu que les divers articles culturels ont pu être
rédigés par le salarié en sus de ses fonctions, ou dans le cadre du
doctorat ès-Lettres qu'il poursuivait, ou en vue d'obtenir par la
suite un changement d'affectation au service communication ;
Que le docum ent dressé, d'ailleurs tardivement, le 26
janvier 1990 par les neuf salariés n’établit nullement quels étaient
les motifs des déplacements de M. Nardini ;
Qu'il contient en outre des réserves et ne répond à aucune
des conditions de forme requises par les dispositions de l'article
202 du NCPC, que comme les articles journalistiques non com
muniqués à la partie adverse, ils doivent être écartés des débats ;
Attendu que l'objet du contrat à durée déterminée de M.
Nardini n'apparaît donc nullement contraire à l'article L. 122-1
du Code du Travail et qu'en toute hypothèse une éventuelle
requalification du contrat n'aurait pas pour effet de modifier la
cause du licenciement intervenu ni d'entraîner la mise en œuvre
de la procédure de l'article 36 du statut inapplicable en l'espèce ;
�78
79
B - Sur le fond du litige
Attendu que M. Nardini et les syndicats intervenants font
état de deux contradictions dont il résulterait que le motif énoncé
du licenciement est inexact et que le vrai m otif serait la
séropositivité du salarié ;
Attendu que la première contradiction relevée aurait trait à
l'entretien préalable marqué par l'absence de tout reproche,
contrairement à ce qui est énoncé dans la lettre de l'employeur du
18 mai 1989 ;
Mais attendu que cette allégation est formellement contre
dite par les termes de l'attestation de M. Patrick Giansily, qui
assistait le demandeur à l'entretien préalable ;
Qu'en effet, après avoir déclaré :
"J’ai demandé les griefs retenus contre M. Nardini, Nous
n'avons pu constater qu'aucun élément ne figurait au dossier et
qu'il y avait une certaine gêne de la part de la direction à invoquer
le motif du licenciement : incompatibilité d'humeur",
M. Giansily a ajouté :
"Le dossier de M. Nardini, lors de cet entretien,
comportait :
- son curriculum vitae,
- les différents C.D.D. et C.D.I.,
- quatre évaluations de ses supérieurs hiérarchiques.
J'ajoute que l'employeur avait dans son dossier une
photocopie d'une lettre de démission de son poste de travail que
M. Nardini avait adressée à son chef de service.
Attendu qu’il
ressort clairement de ce texte que le dossier de M. Nardini
comportait lors de l'entretien préalable l'ensemble des pièces sur
lesquelles la Caisse d'Épargne a fondé sa décision de licencie
ment et notamment les évaluations des supérieurs hiérarchiques ;
Attendu que les demandeurs reprochent encore à la Caisse
d'Epargne d'avoir tiré parti d'une contradiction existant au niveau
du rapport d'évaluation du 17 octobre 1988 dont la synthèse
d'appréciation ne correspondrait pas aux notes, excellentes,
contenues dans ledit rapport ;
Mais attendu qu’il ressort de la lecture complète de ce
rapport, que si M. Deloye, chef de service, a en effet confirmé
ses appréciations favorables antérieures sur le salarié quant à sa
présentation générale, sa façon de s'exprimer, son exactitude,
son sens de l'engagement, de l'effort personnel de sa productivité
et de la qualité du travail fourni, il a par contre porté des apprécia
tions différentes et défavorables sur la sociabilité du demandeur ;
Qu'en effet sur les différents critères distinctifs il s'est
exprimé en ces termes :
Sociabilité équipe : "Le passage dans plusieurs unités
différentes du centre a permis de constater un manque total de
sociabilité. N ardini se rejette lui-m êm e du groupe. Son
comportement est identique avec la hiérarchie. Les raisons ne
sont jamais connues. Un très gros problème comportemental".
Équilibre ém otif - dynamisme : "Des réactions parfois
inconsidérées et peu en rapport avec la gravité des cas vécus".
S ociabilité clientèle: "Des réactions parfois aussi
incompréhensibles que soudaines à l'égard de la clientèle sur des
motifs futiles".
Or attendu que la synthèse de ces appréciations est ainsi
rédigée:
Synthèse et commentaires : "Mon premier jugement très
favorable envers M. Nardini doit être revu aujourd'hui. Son
comportement est déroutant Je n'ai pas pu apporter d'éléments
concrets à ses sautes d'humeur. Très difficilement gérable il est la
cause de m ésententes au niveau des unités auxquelles il est
affecté. Son approche intellectuelle des problèmes ne le destine
surtout pas à un rôle commercial. Il représente un cas à la marge
qu'avec beaucoup de bonne volonté et de patience, je n'arrive pas
à diluer dans l'effectif.
Que cette synthèse n'apparaît nullement en contradiction
avec les appréciations susvisées données sur chaque critère ; que
sans en déformer leur sens, elle reflète le comportement général
du salarié ;
Que les deux contradictions invoquées n'existent donc
pas ;
Attendu que les demandeurs énumèrent également divers
faits qu'ils im putent à l'employeur, tendant à démontrer la
mauvaise foi de ce dernier et par-là même, de nature à établir que
la rupture du contrat de travail est due à l'état de santé de M.
Nardini ;
M ais attendu qu'ils ne justifient nullement de leurs
allégations, c'est-à-dire du comportement fautif de l'employeur
dans le déroulement des faits ;
Qu'il n'est ainsi pas établi,
- ni de ce que la Caisse d'Épargne aurait imposé "sur-le-champ"
dix jours de congé au salarié lorsqu'elle aurait été avisée de son
état de séropositivité,
- ni des éventuelles difficultés qui auraient opposé M. Nardini à
ses cam arades de travail, ou d'un phénomène quelconque de
rejet, alors que les membres du département, avisés le 27 octobre
par le président du directoire ont tous déclaré accepter de
poursuivre leur travail avec Philippe Nardini (attestation Rousset
du 28 novembre 1989),
- ni de ce qu'il aurait été "déchargé" de tout travail dans
l'entreprise à partir du mois de février 1990,
�80
81
- ni de ce que les dirigeants de la Caisse d'Épargne auraient
"monté le personnel" à l'encontre du salarié, la note de service
divulguée le 27 avril 1989 par le directoire n'étant qu'une réponse
à la diffusion de tracts et à une campagne de presse menée avant
même le prononcé du licenciement par l'organisation syndicale
CGT de l'entreprise ;
Attendu par con séq u en t que
demandeurs ne sont pas établies ;
le s
a llé g a t io n s
des
Attendu par contre, que la chronologie des faits démontre
que l'employeur n'a pas utilisé la connaissance récente qu'il
venait d’avoir de l'état de santé du salarié pour mettre un terme à
leurs relations contractuelles en laissant venir à expiration le
C.D.D. qui les liait jusqu'au 30 novembre 1988 ;
Qu'il y a lieu de constater que l'employeur a renouvelé
une seconde fois le contrat sans qu'il n’y soit nullement contraint
tel que cela a été précisé plus haut, qu'il a accepté de modifier son
affectation, qu'il a ensuite procédé à l'intégration du salarié dans
le cadre du personnel permanent de la caisse malgré les réserves
sérieuses déjà avancées dans le rapport de M. Deloye précité du
17 octobre 1988, qu'il lui a offert d'effectuer un stage à Paris en
janvier 1989 en même temps que d'autres camarades (ce que M.
Nardini a d'ailleurs refusé), qu'enfin lorsque ce dernier a donné
la démission de son poste en précisant : "les circonstances
décident pour moi et je pense que c'est la solution la meilleure
pour la bonne marche de l'entreprise", l'employeur n'en a pas
tenu compte et a accepté une nouvelle fois sa dem ande de
changement de poste ;
Attendu qu'il ressort ainsi de l'ensemble de ces éléments
que la décision de licenciement n'est pas liée à l'état de santé du
salarié ;
Que d'ailleurs les syndicats CFDT, FO, et le syndicat
Unifié représentant plus de 80 % de l'ensemble du personnel de
la caisse, tout en critiquant le défaut de consultation du conseil de
discipline, n'ont pas repris le terme emprunté par le syndicat
CGT de la violation par l'employeur du droit au travail fondé sur
un licenciement lié à l'état de santé ;
Que les tracts diffu sés par ces sy n d icats portent en
exergue et en m ajuscules "NON L'ÉTAT DE SANTÉ DE PHILIPPE
NARDINI N A RIEN A VOIR AVEC SON LICENCIEMENT" ;
Que la CFDT déclare : "Une mise au point s'im pose",
ajoutant : "bien au contraire Philippe Nardini a plutôt bénéficié de
la bienveillance du directoire et d'un début de carrière
exceptionnelle" ;
Qu'enfin pour le syndicat Unifié, il s'agit d'une affaire de
licenciement qui ressort du droit commun, sans lien avec l'état de
santé de M. Nardini ;
Attendu dès lors qu'il convient de vérifier le caractère réel
et sérieux du motif du licenciement invoqué par l'employeur.
II - Sur le caractère réel et sérieux du motif du
licenciement
Attendu qu'il ressort de l'examen du dossier qu'après un
premier rapport en date du 26 février 1988 très élogieux sur les
aptitudes professionnelles de Philippe Nardini, le qualifiant :
"d'excellent élém ent ... à conserver", est intervenu un second
rapport dressé par le même chef de service M. Deloye, le 17
octobre 1988 dont l'essentiel a été exposé ci-dessus et qui met en
évidence un : "très gros problème comportemental", "déroutant",
"incompréhensible", "difficilement gérable", amenant M. Deloye
à réviser son premier jugement ;
Qu'il est important de relever que ce rapport est antérieur à
la révélation faite le 26 octobre 1988 par le salarié lui-même de
son état de santé, qu'il n'a donc pu être influencé par cet élément ;
Qu'il résulte d'ailleurs de l’attestation régulière en la
forme émise le 30 juin 1989 par M. Yves Tajana, chef de région,
qu'ayant également travaillé avec M. Nardini de mars à juin 1988
il a lui aussi, été déconcerté par le comportement et les propos de
Philippe Nardini, et qu'il avait fait part à M. Deloye de sa
"déconvenue quant au constat de changement de comportement
de M. Nardini" ;
Que M. Tajana précise dans son témoignage que "petit à
petit", M. Nardini lui avait fait état de ses difficultés relationnelles
au sein de l'équipe d'agence de Saint-Joseph et d'un sentiment
d'incompréhension, que ces éléments auraient été confirmés par
certains de ses collègues de travail : "M. Nardini les ignore, ne
leur parle pratiquement plus, s'énerve à la moindre remarque, est
irascible", et que sur l'agence de Saint-Louis, le climat s'était
détérioré de façon identique ;
Attendu qu'ainsi les difficultés relationnelles présentées
par M. Nardini étaient bien antérieures à la révélation de sa
maladie ;
Attendu qu'il est également établi que le 13 février 1989
Philippe Nardini a déclaré à l'un de ses collègues de travail,
Christian Péraldi, qu'il avait enregistré une cassette audio des
conversations qui se tenaient dans le service à l'insu du
personnel ;
Qu'à la suite de cette déclaration, M. Péraldi, inquiet
devant les "m enaces de chantage" du demandeur qui s'était
"immiscé dans la vie privée des gens", a alerté le chef du
département communication M. Rousset (attestation Péraldi du 9
août 1989 et lettre de M. Rousset au directoire du 27 avril 1989) ;
�82
Que certes, au cours de la confrontation qui a eu lieu le
jour même devant M. Rousset, Philippe Nardini a affirmé
l'inexistence de la cassette audio et a regretté son comportement ;
Qu'il n'en résulte pas moins qu'une telle attitude jugée
inqualifiable par son camarade de travail était de nature à semer le
trouble et la perturbation au sein de toute l'équipe de travail et de
tous les salariés de l'entreprise avec lesquels M. Nardini selon
ses propres écritures entretenait déjà des rapports difficiles en
raison notamment et selon lui de la nature même de ses fonctions
qui en faisaient un représentant de la direction ;
Qu’à l'évidence un tel comportement ne pouvait qu'accen
tuer les difficultés relationnelles du demandeur ou sa mésentente
avec l'ensemble du personnel ;
Attendu qu'il résulte enfin du troisième rapport d'évalu
ation établi le 31 mars 1989 par M Rousset que le comportement
de M. Nardini ne s'était pas amélioré ;
Que M. Rousset s'exprime en ces termes :
"Après une première appréciation favorable portant sur
une période relativement courte, plusieurs événem ents liés au
comportement de M. Philippe Nardini me conduisent à répondre
favorablement à sa demande de ne plus faire partie du départe
ment communication.
Plusieurs entretiens personnels de mise au point et
plusieurs réunions avec l’ensemble de l'équipe ne lui ont pas
permis de créer les conditions satisfaisantes à la poursuite d'une
collaboration que ses qualités intellectuelles pouvaient laisser
supposer.
Le travail qu'il a fourni a subi de fortes perturbations liées
au contexte relationnel difficile qu’il crée et qu'il déplore ensuite.
Ses brusques changements de com portem ent aussi
imprévisibles que brutaux dont il est mal aisé de déterm iner les
raisons sont générateurs de déstabilisation et nuisent à l'efficacité
et à l'homogénéité de l'équipe dans laquelle il évolue".
Attendu qu'ainsi, sans dénier les qualités intellectuelles du
salarié, M. Rousset déplore son comportement perturbateur qui
nuit à son efficacité et à la bonne marche du service ;
Attendu par conséquent que la mésentente invoquée par
l'employeur résulte clairement des différents rapports de chefs de
service rédigés de manière objective, mesurée, qu'elle est en
outre reconnue tant par les syndicats CFDT - FO et syndicat
Unifié que par le demandeur lui-même, qui l'a regrettée lors de sa
démission, et plus tard l'a déplorée (attestation Rousset) et qui
enfm aujourd'hui l'impute mais sans en justifier à la nature de ses
fonctions ;
Attendu que la mésentente invoquée par l'em ployeur est
donc amplement établie ;
83
Or attendu qu'il est de jurisprudence constante que la
mésentente aussi bien avec les supérieurs hiérarchiques qu'avec
le reste du personnel est un motif légitime de licenciement ;
Qu'il a été ainsi jugé que le manque d'affinité d'un salarié,
une incom patibilité persistante de caractère ou d'humeur, son
opposition marquée avec une partie importante du personnel,
autorise un licenciement justifié alors même que la qualité du
travail du salarié n'est pas en cause, et que ses attitudes ne consti
tuent pas des fautes au sens classique du terme, ou une insuf
fisance professionnelle (Cass, soc., 23 juin 1976, Droit Social
77, page 22, Social 19 juin 1985 bulletin Cass. V 344, Cass,
soc., 20 mars 1985 Haye d Sari Porchage Express Expansion) ;
Qu'il a encore été jugé que dès lors que les faits sont
établis, qu'ils sont imputables au salarié, au moins pour partie et
qu'ils développent un climat nuisible au bon fonctionnement de
l'entreprise, l'em ployeur peut prononcer le licenciement (C.A.
Aix-en-Provence, 9e chambre, 18 juillet 1985, n° 681, 18 mars
1987, n° 345 et 18e chambre, 17 avril 1987, n° 400) (C.A. Paris,
24 octobre 1988, 21e chambre, Dame Sestre c/ Ste Kolnische
Ruck) ;
Attendu que tel est le cas en l'espèce ;
Que les difficultés relationnelles créées par M. Nardini, et
relevées avant même la révélation de sa séropositivité, se sont
manifestées dans chacun des services ou il a été affecté, qu'elles
ont persisté en s'aggravant et en développant un climat nuisible
au bon fonctionnement de l'entreprise ;
Qu'elles étaient donc de nature à justifier son licenciement
qui sera par conséquent déclaré comme reposant sur une cause
réelle et sérieuse ;
III - Sur la nullité du licenciement
Attendu qu'au soutien de leur demande en réintégration, le
salarié et les syndicats intervenants prétendent que le licenciement
est atteint de nullité en raison de la violation des articles L. 12245 du Code du Travail, 1131 du Code civil et de divers principes
fondam entaux de valeur constitutionnelle ou d'ordre public,
garantissant la liberté du travail, le droit au travail, le droit à la
santé et le respect de la vie privée des salariés ;
Mais attendu que par la présente décision il vient d'être
jugé que la séropositivité et l'état de santé du salarié n'étaient pas
la cause du licenciem ent ou son motif déterminant au sens de
l'article 1131 du code civil ;
Attendu que c'est donc de manière surabondante qu'il sera
répondu qu'en tout état de cause, l'article L. 122-45 du Code du
Travail qui a un caractère limitatif, ne mentionne pas l'état de
santé comme élément de discrimination interdit ;
�84
Que la nullité ne sanctionne les licenciements irréguliers
ou illégitimes que dans les domaines particuliers où elle est
expressément prévue ;
Qu'en effet le législateur qui assure la mise en œuvre du
droit à la santé par un nombre considérable de dispositions, n'a
pas prévu la nullité d'un licenciement pour violation du droit à la
protection de la santé à l'exception des cas particuliers des
salariés victimes d’un accident du travail ou de m aladie
professionnelle ;
Qu'aucun texte en l'état actuel du droit positif ne prévoit
l'interdiction de discrimination sur la base de la santé ou de la
maladie ;
Attendu, en ce qui concerne la contam ination par le
V.I.H. et la séropositivité asymptomatique, situation considérée
comme une maladie par le salarié contrairement aux syndicats
intervenants, qu'aucune des directives, résolutions ou recomman
dations d’origine internationale visant à orienter l'action des États
et des partenaires sociaux ne prévoient la nullité ; que la charte
des principes fondamentaux applicables au milieu professionnel
élaboré en 1988 au sein du Conseil Supérieur de la Prévention
des Risques Professionnels considère comme illégitimes certains
licenciements prononcés en raison de la séropositivité, le statut
sérologique ou la maladie déclarée du salarié mais que tel n'est
pas le cas en l’espèce ; que ce texte par ailleurs dépourvu de
valeur juridique obligatoire, précise que "rien ne justifie que le
problème posé par l'infection par le V.I.H. soit abordé d'une
façon spécifique différente des autres cas de m aladies longues
dont l'évolution est incertaine et peut avoir des incidences
variables sur l'exécution du contrat de travail en fonction du
temps et de la nature des activités" ;
Attendu qu'en ce qui concerne les textes et principes
fondamentaux invoqués par les demandeurs, il appartient au
législateur de décider si et dans quelles conditions ils doivent être
sanctionnés par la nullité du licenciement ;
Attendu qu’en outre, la déclaration des D roits de
l’Homme et du Citoyen de 1789 où la Convention Européenne de
Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondam en
tales invoquées en l'espèce n'ont pas de rapport avec la liberté ou
le droit au travail ni le droit à la protection de la santé ;
Attendu enfin qu'en ce qui concerne la violation de la vie
privée du salarié, il est constant que l'employeur ne peut utiliser
les éléments de la vie extraprofessionnelle du salarié sans rapport
avec la nature de l'emploi ou certains impératifs de fonctionne
ment de l'entreprise ;
Qu'en l'espèce, l'employeur ne s'est pas fondé sur l’état
de santé du demandeur pour procéder au licenciement ;
85
Qu’on ne saurait présumer le contraire du seul fait que le
salarié a révélé et imposé à son milieu professionnel et au public,
par une médiatisation organisée, des éléments de sa vie privée qui
ont dès lors cessé de l'être ;
Attendu par conséquent que M. Nardini sera débouté de
l'ensemble de ses demandes et qu'il en sera de même pour les
syndicats intervenants ;
Que les dépens de l'instance demeureront à la charge des
demandeurs qui succombent en leurs prétentions ;
Par ces moritfs :
Le Conseil statuant publiquement, contradictoirement et
en premier ressort ;
- Déclare recevable en leurs interventions le Syndicat CGT
de la Caisse d'Épargne des Bouches-du-Rhône et de la Corse et
la Fédération N ationale CGT des Personnels des Secteurs
Financiers ;
- Au fond, les déboute de leurs demandes en paiement de
la somme de 1 F à titre de dommages et intérêts au profit de
chacun d'eux ;
- Dit que la Caisse d'Epargne des Bouches-du-Rhône et
de la Corse en licenciant M. Philippe Nardini, n'a pas porté
atteinte au droit au travail et au droit à la santé ;
- Dit que le licenciement de Philippe Nardini repose sur
une cause réelle et sérieuse, indépendante de son état de santé ;
- En conséquence
D éboute Philippe Nardini de l'ensem ble de ses
prétentions ;
Dit que les dépens de l'instance seront à la charge
intégrale des demandeurs.
Ainsi jugé et prononcé en audience publique, à Marseille,
le 15 mars 1990.
✓
O B S E R V A T IO N S :
L'employeur peut-il licencier un salarié atteint du Sida ?
Telle était la délicate question de principe soumise aux
deux juridictions régionales dans des conditions particulièrement
difficiles. D 'abord en raison des circonstances agitées qui
devaient entourer la décision prud’homale rendue sous la prési
dence du juge départiteur : comités de soutien, manifestations
syndicales publiques organisées par la CGT, campagne de
sensibilisation par voie de presse etc., sans compter les pressions
de la doctrine officielle de l'époque apparemment plus soucieuse
d'assurer, au nom de nobles principes, la protection des malades
relevant de l’idéal type homosexuel - toxicomane - salarié que de
�86
se préoccuper des milliers d’hémophiles et de transfusés tranquil
lement assassinés dans un silence bien organisé.
Sur le terrain juridique, les choses n'étaient guère plus
simples : pas de texte décisif, aucun précédent judiciaire - et,
aujourd'hui encore, à peine quelques décisions des juges du
fond, généralement non publiées - ni de décision de la Cour de
cassation, une doctrine divisée (64) ou strictement militante, sans
compter un législateur aux aguets prêt à briser toute décision
défavorable aux malades comme ce fut précisément le cas 4 mois
plus tard avec la promulgation de la loi du 12 juillet 1990 relative
à la protection contre les discriminations liées à l'état de santé et
au handicap (65).
Les faits étaient eux-mêmes assez complexes et soule
vaient de nombreux problèmes juridiques latéraux qu'on ne
retiendra pas ici. La Caisse d'Épargne Écureuil des Bouches du
Rhône avait en septembre 1987 embauché M. N. par contrat à
durée déterminée en qualité de guichetier. Après une première
note d'appréciation favorable, son contrat était renouvelé pour 7
mois, mais avant ce terme une nouvelle note du chef de service
relevait un ''manque total de sociabilité" et un grave "problème
comportemental". Quelques jours plus tard, le salarié révélait sa
séropositivité à son employeur. La réaction com préhensive de
l'employeur fut de l'affecter temporairement à un autre service
puis de l'intégrer à compter du 1er janvier 1989 comme stagiaire
titularisable au bout de 6 mois au sens du statut du personnel des
Caisses d'Épargne. Mais une suite d'incidents devait conduire à
son licenciement : enregistrement des conversations du personnel
à leur insu, démission de son poste suivie de rétractation,
nouvelle note d'appréciation faisant état de perturbations diverses
liées à son comportement. Une longue lettre de licenciem ent
relevait en fin de compte les circonstances d'un comportement à
(64) D. Berra. Aspects juridiques des problèmes posés par le sida dans les
relations de travail. Semaine Sociale Lamy 1988. supplément n° 416 ; J.M
Verdier. Droit du travail et sida, in sida. Droit et Libertés, p. 93. colloque Aides et
médecins du monde, déc. 1987 ; sida et libertés, la régulation d'une épidémie dans
un État de droit, article L. Khaïat, p. 61, éd. Actes Sud 1991 ; Droit et sida, une
maladie et rien d'autre.... Actes, Cahiers d'action juridique, n' 71-72, juin 1990 ;
P. Le Cohu, L'emploi, le droit du travail et le sida, p. 43 ; Le droit social à
l'épreuve du sida, article Ph. Auvergnon. Le droit des relations de travail interrogé
par le sida. p. 53 s., éd. Maison des Sciences de l'Homme d'Aquitaine 1992.
(65) Les travaux préparatoires montrent clairement que le législateur entendait
briser la jurisprudence du Conseil de prud’hommes de Marseille et celle du
licenciement admis par la Cour d'appel de Paris - mais ensuite cassé - dans l’affaire
du sacristain homosexuel sidéen ; sur cette dernière affaire v. note A. Sériaux. JCP
1991 éd. G, n‘ 21724, p. 303 ; D. Berra. Le licenciement d'un salarié homosexuel
séropositif, Rev. Prévenlique 1990, n' 35. p. 17 s. ; J. Hauser, obs. Rev. trim.
civ. 1991, p. 706.
87
l'origine de graves difficultés relationnelles et de mésentente avec
le personnel.
Le salarié demandait alors à la justice, à titre principal la
nullité d'un licenciement motivé par son état de santé et en consé
quence sa réintégration, subsidiairement des dommages et intérêts
pour son licenciement sans cause réelle et sérieuse. L’employeur
soutenait au contraire que le licenciement reposait sur le motif
légitime tiré de la mésentente avec le personnel.
Le Conseil de Prud'hommes débouta le salarié et les
syndicats intervenants de toutes leurs demandes en considérant
que le licenciement n'était pas en fait motivé par la séropositivité
du salarié mais par son comportement personnel. En appel, sur
une demande totalement différente soutenue par les héritiers du
salarié, la Cour d'Aix-en-Provence condamna l'employeur pour
un licenciement disciplinaire insuffisamment motivé. Intéressant
sur d'autres points, cet arrêt n'avait désormais plus aucun rapport
avec la question initialement posée. A cet égard, seul le jugement
du Conseil de prud'hommes mérite de retenir l'attention moins
sur le détail de diverses questions qu'il tranche au passage que
sur certaines affirmations essentielles, susceptibles d'être modi
fiées par la nouvelle loi du 12 juillet 1990 : la banalisation du sida
(I), le droit de l'employeur de licencier pour une cause autre que
l'état de santé (II) et la nullité du licenciement (III).
I - LA BANALISATION DU SIDA
De toutes les difficultés provoquées par l'irruption du sida
dans les relations de travail, la plus importante fut d'emblée celle
de la rupture du contrat de travail et singulièrement celle du
licenciement. En dehors des causes habituelles - absentéisme
prolongé du malade nécessitant son remplacement - la tentation
existait de licencier dans l'intérêt de l'entreprise soit en cas de
rejet du malade par la clientèle ou par le personnel, réaction plus
ou moins inspirée par la crainte d'un risque de contamination,
soit plus sim plem ent en raison des particularités du statut
sérologique du salarié alors même qu'il conservait l'aptitude à
son emploi. On pouvait aussi tirer prétexte du comportement du
salarié et invoquer objectivement sa mésentente avec le personnel.
La séropositivité et le sida pouvaient donc devenir en euxmêmes une cause spéciale de licenciement. La question avait été
rapidement posée : fallait-il réintégrer le sida dans la probléma
tique habituelle de la maladie ? En d'autres termes fallait-il
banaliser le sida ? (66).
(66) v. Aspects juridiques des problèmes posés par le sida dans les relations de
travail, précité.
�88
Le jugement du Conseil de Prud'hommes de Marseille est
semble-t-il la première décision à l'affirmer sans équivoque :
"attendu (...) que dans des relations de travail il n'y a pas lieu de
traiter le sida différemment des autres maladies".
Par là, le jugement se rallie au courant de pensée décidé à
lutter contre la maladie et non contre le malade sur le fondement
des droits fondamentaux de l'homme exprimés en l'espèce par le
triple refus de la stigmatisation sociale, de l'exclusion et surtout
de la discrimination. Cette idéologie sida, directement puisée dans
l'approche Nord-américaine (sous influence hom osexuelle),
véhiculée par l'OMS et les organisations internationales (B.I.T,
Conseil de l'Europe, CEE) avait été affirmée très tôt de manière
péremptoire par l’article 1er de la Déclaration Universelle des
droits des malades du sida et des séropositifs due au groupe
Aides-Médecins du Monde : «au regard de la loi et de la
médecine, le sida est une affection comme une autre».
En France, la Charte des principes juridiques fondamen
taux applicables aux relations de travail (67) postulait en 1988
qu'il n’existe aucun risque de contamination dans les relations de
travail sauf cas exceptionnel, que la séropositivité n'est pas une
maladie et que l'employeur ne peut procéder au licenciement, sauf
en raison des conséquences liées à la maladie.
Depuis lors, quelques décisions judiciaires inspirées du
souci de banalisation, ont tiré de cette idée des conséquences très
opposées, ce qui ne saurait surprendre. Dans les relations de
travail, le droit de la maladie est à la fois source de protection - le
contrat de travail étant seulement suspendu - et cause d’affaiblis
sement du contrat puisque celui-ci peut être rompu lorsque
l'absentéisme répond à certaines conditions (absences longues ou
répétées, nécessitant le remplacement définitif du salarié). De là
un double courant de jurisprudence.
Le premier tient pour abusif le licenciement du salarié.
Dans l'affaire M. Devilaine cl Burke Marketing Research, la Cour
d'appel de Paris (10 avril 1991) en a tiré la conséquence que
l'employeur ne peut refuser de réintégrer le salarié après un arrêt
maladie (68). Le second fait des absences répétées du salarié
malade une cause légitime de licenciement ; une vendeuse en
pharmacie devenue séropositive à la suite d'une transfusion a pu
être licenciée en raison de ses fréquentes absences qui
(67) Charte sans valeur obligatoire particulière élaborée par le Conseil Supérieur
de la Prévention et des risques professionnels.
(68) Cons. Prud’h. Bobigny 24 oct. 1989 et Paris 10 avril 1991 condamnant
l'employeur pour rupture abusive résultant de la discrimination et du refus de
réintégrer le salarié après un arrêt de maladie. JCP éd. E. 1991. n* 225, p. 299.
note A Chevillard adde : T.G.I Paris 7 juin 1989 (condamnation de l'employeur
pour atteinte à la vie privée du salarié).
désorganisaient l’officine pharmaceutique (Versailles 2 juin 1992,
Cah. Prud'homaux 1992, p. 123 s.). Le jugement du Conseil de
prud'hommes de M arseille se rattache à ce courant : aucune
discrimination en pareil cas puisque le salarié est traité comme
n'importe quel autre malade.
M ais cette jurisprudence est-elle compatible avec la
nouvelle loi du 12 juillet 1990 précisément destinée à protéger les
victimes du sida par un renforcement du droit commun de la
protection des malades ?
II - LE LICENCIEMENT DU MALADE EST-IL
DISCRIMINATOIRE ?
C 'est en ces term es qu’il faut désormais poser plus
précisément la question du licenciement. L'article L. 122-45 C.
Trav., modifié par la loi de 1990 puis par celle du 31 décembre
1992 concernant l'embauchage dispose désormais : «aucune
personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement,
aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié en raison de son
origine, de son sexe, de ses moeurs (...), de ses opinions
politiques (...) ou, sauf inaptitude constatée par le médecin du
travail, en raison de son état de santé ou de son handicap».
En allongeant la liste des discriminations interdites, le
législateur a-t-il voulu désormais prohiber tout licenciement sauf
en cas d'inaptitude physique à l'emploi constatée par le médecin
du travail selon la procédure prévue pour les maladies ordinaires
non liées à une maladie professionnelle ou à un accident du
travail ?
On pourrait le croire à la simple lecture directe du texte,
d'autant que la loi a manifestement voulu mettre un frein à la
jurisprudence naissante, en permettant cette fois d'annuler le
licenciement Certains auteurs semblent le penser (69) et d'autres
constatent que le nouveau principe assorti de la sanction de la
nullité "rapproche sensiblement le régime de la maladie ordinaire
de celui de la maladie professionnelle" (70) (qui interdit presque
tout licenciement pendant la période de la suspension du contrat
jusqu'à consolidation). En ce cas la jurisprudence précitée serait
périmée. L’idée de banalisation du sida ne rendrait plus compte
du droit positif, ce qui suppose que ses inspirateurs entendaient
moins interdire les discriminations qu'assurer une surprotection
au salarié malade. En pareil cas l'employeur aurait perdu tout
pouvoir quel que soit le type de licenciement, même pour motif
économique.
(69) J.P Laborde, Quelques observations à propos de la loi du 12 juillet 1990
relative à la protection des personnes contre les discriminations en raison de leur
état de santé ou de leur handicap, Dr. social 1991, p. 617.
(70) B. Teyssié. Droit du travail, tome l, 2e éd. n° 1032.
�90
Cette interprétation absolue ne sem ble pourtant pas
pouvoir être retenue en l'état des déclarations du secrétaire d'Etat
qui, lors des travaux préparatoires, a form ellem ent réservé le
«régime actuel des absences pour maladie tel qu’il résulte d'une
jurisprudence bien établie de la Cour de cassation» (71 ).
Bien que de portée pratique limitée en raison des exigen
ces récentes de la cour de cassation, la réserve est importante au
plan des principes. L’interdiction de la discrimination n'a pas une
portée absolue, elle ne concerne que les décisions qui sont
directement causées par la santé du travailleur (72). La distinction
entre la prise en considération (directe) de l’état de santé et des
seules conséquences de la maladie (absences) fait toujours partie
du droit positif.
La jurisprudence des juges du fond semble, pour l'heure,
s'inspirer de cette distinction classique. C'était déjà le cas, mais
sans référence expresse à la loi - non applicable aux faits
antérieurs - dans l'affaire Devilaine précitée, où l'employeur, "se
fondant sur la crainte quasi obsessionnelle d'une maladie qui
justifiait à ses yeux une mesure d'isolement" prise malgré l'avis
contraire du corps médical, avait commis une discrim ination
abusive (73).
Un arrêt récent et inédit de la Cour d'appel de Paris du 8
janvier 1993 (Michel c/ SARL Le Parnasse) a fait, semble-t-il
pour la première fois, application du nouvel article L. 122-45 en
déclarant illicite le licenciement fondé sur le motif de la santé d'un
maître d'hôtel séropositif, écarté pour avoir refusé une
modification, d'ailleurs non prouvée, de ses horaires de travail à
la suite d'une transaction annulée pour absence de concession de
l'employeur (indemnités d'un faible montant).
La jurisprudence sera-t-elle tentée d'aller plus loin comme
l'a fait le Conseil de Prud'hommes de Toulouse par un jugement
du 28.05.1991 en admettant le licenciement d'une gardienne
d'enfant à domicile qui avait omis de déclarer à ses employeurs
une maladie dermatologique très contagieuse, peu important
l'éventualité de sa bonne foi. En l'espèce le juge a admis que
l'appréhension des employeurs était en soi un m otif suffisant de
licenciement (74). Les relations particulières de confiance et
l'intuitu personae inhérents à ce genre de travail peuvent expli
quer la solution, sans compter que des maladies même moins
graves que le sida peuvent être contagieuses à la différence de ce
(71 ) Gillibert, Ass. J.O Deb. Ass. Nat. 20.06.1990. p. 2643 et 29.06.1990. p.
3100.
(72) J. Pélissier, D. 1991. Som. commentés, p. 149.
(73) Charte sans valeur obligatoire particulière élaborée par le Conseil Supérieur
de la Prévention et des risques professionnels.
(74) Cons. Prud'b. Toulouse 28 mai 1991, Cah. prud'homaux 1992. p. 48.
dernier. Il n'empêche q u ’en l'espèce le licenciement avait pris
directement en considération l'état de santé du salarié. La solution
eût sans doute été différente en cas d'intervention du médecin du
travail. En application de la loi de 1990, un avis d'inaptitude
aurait permis le licenciement ; au contraire un avis d'aptitude
aurait entraîné l’annulation du licenciement fondé sur un risque
hypothétique de contagion (75).
De m êm e, le licenciem ent pour mésentente avec le
personnel, reste-t-il possible ? On peut le penser dès lors que
cette cause de licenciement ne prend pas directement en cause
l'état de santé du salarié, mais seulement certaines de ses
conséquences. Le jugem ent du Conseil de prud’hommes de
Marseille qui avait bien pris soin de relever que le comportement
du salarié était antérieur à la révélation de sa séropositivité
conserverait ainsi son intérêt.
On serait donc fondé à penser que restent possibles divers
licenciem ents sans lien avec l'état de santé (licenciement
économique) ou fondés sur une cause personnelle tenant au
salarié voire sur un m otif disciplinaire prenant seulement en
considération les conséquences de la maladie.
La Cour de cassation devra se prononcer sur ce délicat
problème. Mais l'invocation de l'intérêt de l'entreprise ne paraît
plus en tout cas être un motif suffisant
III - LA NULLITÉ DU LICENCIEMENT
Sur ce point le jugement du Conseil de Prud'hommes de
M arseille a perdu son intérêt. Par une série d'arguments
solidement fondés et par ailleurs surabondants, il avait réfuté un à
un tous les arguments en faveur de la nullité avancés par le salarié
et les syndicats. L'illicéité de la cause (motif déterminant) ? Elle
était inopérante puisque la séropositivité et l'état de santé n'étaient
pas la cause du licenciem ent. L'article L. 122-45 C. Trav ?
Également inopérant en raison du caractère limitatif des discrimi
nations sanctionnées par la nullité, à une époque où le texte ne
mentionnait pas encore l'état de santé. La Charte des principes
fondamentaux de 1988 ? Sans valeur juridique obligatoire... La
Déclaration des Droits de l'Homme de 1789, la Convention
Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme ? Sans
rapport avec le droit du travail et le droit à la protection de la
santé. La violation de la vie privée du salarié (son état de santé en
l'espèce) ? Sur ce point, tout en réservant l'interdiction pour
l'employeur de tenir compte des éléments de la vie extraprofes(75) ainsi l'appréciation personnelle d’un risque de contagion de la tuberculose
devient hypothétique en l’absence d’avis du médecin du travail ; soc. 2 février
1993, Jurisp. Sociale n° 93-564, p. 295.
�92
sionnelle du salarié, le juge répondit habilement sur le terrain de
la preuve : la révélation de son état de santé par le salarié, qui l'a
imposée à son milieu professionnel et au public ne saurait faire
présumer que l'employeur en a tenu compte. Au surplus, la
révélation voulue ou organisée par le salarié fait disparaître le
caractère privé de l'état de santé. Sur le terrain de la preuve
l'argument n'est pas sans pertinence, en lim itant les procès
d’intention faciles adressés à l'employeur.
Tous ces arguments ont aujourd'hui perdu leur valeur :
l’article L. 122-45 C. Trav. prévoit la nullité de plein droit de
toute disposition ou tout acte (sanction, licenciement) méconnais
sant l’interdiction des discriminations fondées sur l'état de santé.
Encore faudra-t-il établir que l'employeur s'est fondé sur
cet élément. Sur ce point en revanche, le jugement du Conseil de
Prud'hommes conserve son intérêt
Daniel BERRA
Professeur à la Faculté de Droit d'Aix-Marseille III
Directeur du Centre de Droit Social
�96
-
Cl
■
LE SURENDETTEMENT DES PARTICULIERS
Il nous a paru intéressant de prendre la mesure locale du
droit du surendettement des particuliers. Comment, en d'autres
termes, la 15e chambre de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence
applique-t-elle la loi n° 89-1010 du 31 décembre 1989 relative à la
prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement
des particuliers et des familles {J.O. 2 janvier 1990 et comm. J.L.
Valens, A.L.D. 1990.87)7
1. CHAMP D'APPLICATION DE LA LOI.
EXCLUSIONS PROFESSIONNELLES.
L'état de faillite commerciale exclut-il la situation de
surendettement? Un arrêt du 10 mars 1993 (Aix-en-Provence,
15e ch., n° 11) livre cette étonnante réponse: s"'il est constant que
Mme X. était commerçante en nom personnel, qu'elle a fait
l'objet d'une procédure collective et se trouve en l'état d'un
jugement de liquidation judiciaire prononcé par le Tribunal de
commerce d'Aix-en-Provence le 19 septem bre 1990, cette
situation ne suffit pas en elle-même à l'exclure des dispositions
de la loi du 31 décembre 1989. Il appartenait au premier juge de
rechercher si elle ne se trouvait pas en situation de surendettement
en raison de ses dettes non professionnelles (Cour de cassation 1ère Chambre Civile - 31 mars 1992 - Faffe c/ Banque de
France)".
La première remarque à faire est de relever la propension
croissante (cf. aussi infra n° 3 et 4) des magistrats aixois à se
référer aux décisions rendues par la Cour de cassation. Si la
méthode est à encourager, encore faut-il que la référence soit
justifiée, sous peine de détournement de jurisprudence. Or, que
nous dit l'arrêt du 31 mars 1992 (Bull. civ. I, n° 108, J.C .P.
1992.11.21942, n. G. Paisant)? Seulement -sous le visa des
articles 1er, alinéa 1er, et 17 de la loi du 31 décembre 1989- que
"le fait d'être marié avec une commerçante n'est pas, à lui seul,
une cause d'exclusion des procédures prévues par la loi susvisée"
et que le juge aurait dû rechercher "si M. Faffe n'était pas en
situation de surendettement à raison de ses dettes non pro
fessionnelles". En d'autres termes, l'apport de cette décision est
de lever partiellement le voile sur le sort à réserver au conjoint du
surendetté. En effet, alors que l'intitulé de la loi de 1989 vise le
surendettement des particuliers et des familles , "la personne
surendettée est considérée comme célibataire et l’existence d'un
éventuel conjoint n’est pas envisagée" (G. Paisant, note préciî. ).
Il est dès lors intéressant d'apprendre que le fait d'être conjoint
de comm erçant, d'artisan ou de commerçant n'est pas, "à lui
seul", une cause d’exclusion du bénéfice de la loi Neiertz (mais
quid du régim e m atrim onial des époux?). C'est là ouvrir la
possibilité d'une coexistence entre les procédures collectives de la
loi du 25 janvier 1985 au bénéfice de l'époux commerçant et de la
loi du 31 décembre 1989 au profit de son conjoint (cf. en ce sens
Nancy, 6 décembre 1991, RTD com. 1992.235, obs. G. Paisant,
considérant que la juxtaposition des deux procédures ne créait pas
"une situation différente de celle qui résulte de l'absence d'ex
tension de la procédure com m erciale au conjoint non
commerçant, dans la mesure où le redressement judiciaire civil
ne s'applique qu'aux dettes non commerciales"). En revanche, il
n'est nullem ent question d'admettre une telle conjonction des
procédures collectives sur une même tête.
La com binaison des articles 1er et 17 de la loi exclut
suffisamment un tel cumul. De deux choses l'une en effet: soit le
débiteur n'est pas un professionnel relevant des procédures
collectives instituées par les lois du 1er mars 1984, du 25 janvier
1985 ou du 30 décem bre 1988 (art. 17), et il y aura lieu
d'appliquer le critère résiduel de la nature des dettes (art. 1er), qui
conduit à écarter du champ d'application de la loi Neiertz les
personnes physiques qui, bien que ni commerçants, ni artisans,
ni agriculteurs, sont en situation de surendettement à raison de
leur activité professionnelle (membres des professions libérales,
dirigeant social, associé...); soit, au contraire, le débiteur relève
de l'une des autres procédures collectives visées, et le critère
principal tiré de la qualité du débiteur (art. 17) conduit à le
soustraire, en cette seule qualité, de la faillite civile, quelle que
soit l'origine de ses dettes, même si son passif domestique se
révélait supérieur à son passif professionnel.
Cette articulation des deux critères d'exclusion de la
procédure de règlem ent amiable ou de redressement judiciaire
civil -la seule d'ailleurs qui soit en harmonie avec le principe
d'unité du patrim oine; la seule encore qui permette une
combinaison cohérente de la loi de 1989 avec celle du 25 janvier
1985, dont l'article 4 prévoit que la "procédure peut également
être ouverte sur l'assignation d'un créancier, quelle que soit la
nature de sa créance "- a été proposée par les premiers
commentateurs de la loi nouvelle (J.C. Vallens, op. cit. , n° 10 et
s.; Ph. Merle, RTD com. 1990.469; Y. Chaput, "Surendettement
des particuliers et des familles", J. Cl. civ. art. 1905 à 1908,
fasc. 10, n° 10; A. Gourio, "L'exclusion des activités profes-
�97
sionnelles de la loi sur le surendettement des particuliers". Gaz.
Pal. 1991.l.doctr. 12). Elle a été adoptée pareillem ent par la
jurisprudence, tant des juridictions du fond (cf. not. Paris, 8
novembre 1990, RTD com. 1991.654, obs. G. Paisant:
"l'exclusion prévue par l'article 17 de la loi du 31 décembre 1989
vise les débiteurs qui relèvent de la loi commerciale de 1985 et
sont à ce titre soumis à un seul régime pour la totalité de leurs
dettes, quelle qu'en soit la nature") que de la Cour de cassation
(en ce sens not. Cass. civ. 1, 19 novembre 1991, D. 1992.1.R.3,
RTD com. 1992.234, obs. G. Paisant).
En dernier lieu, on en retrouve passablement la logique au
travers de la motivation de deux décisions récentes rendues sous
le visa des articles 1er, alinéa 1er, et 17 de la loi de 1989: "Le
bénéfice des procédures de règlement amiable et de redressement
judiciaire civil est réservé aux débiteurs qui sont dans l'impos
sibilité manifeste de faire face à l'ensemble de leurs dettes non
professionnelles exigibles et à échoir. Néanmoins, l'existence de
dettes professionnelles n'exclut pas le débiteur, qui ne relève pas
d'une des procédures mentionnées à l'article 17, du bénéfice de
cette loi et ces dettes doivent être prises en considération lors de
l'élaboration du plan de règlement amiable et au cours de la
procédure collective de redressement" (Cass. civ. 1 ,3 1 mars
1992, Sever c/ Banque de France, Bull. civ. I, n° 111);
"L'existence de dettes professionnelles n'exclut pas du bénéfice
de la procédure collective de redressement judiciaire civil le
débiteur en situation de surendettement au regard de ses seules
dettes non professionnelles" (Cass. civ. 1, 16 juin 1993, J.C.P.
1993.IV.2125, D. 1993.I.R.172).
2. CHAMP D’APPLICATION DE LA LOI.
BONNE FOL
On sait que la pratique judiciaire et doctrinale (v. not. F.
Osman, "Bonne foi et surendettement des particuliers". Gaz. Pal.
1 et 2 avril 1992, p. 5) de la loi du 31 décembre 1989 s'est
d'abord abondamment concentrée sur la définition de la bonne
foi, condition subjective d'ouverture de la procédure de règlement
amiable et de redressement judiciaire civil (art. 1er, al. 1er, et art.
10). Rapidement, la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 4 avril
1991, D. 1991.307, n. B. Bouloc; RTD. com. 1991.446, obs.
G. Paisant) a posé deux importants principes directeurs: la bonne
foi requise pour l'ouverture de la procédure collective civile se
présume; son absence est souverainement appréciée par les juges
du fond. Le débat sur la recevabilité de la demande se résume
alors essentiellement à la question de la caractérisation de la
mauvaise foi qui, procéduralement, s'analyse en une fin de non-
98
recevoir (Cass, civ 1,31 mars 1992, Bull. civ. I, n° 104, J.C.P.
1992.IV.1663, Rev. pro. coll. 1993.39, obs . P.M. Le Corre).
Or, au silence gardé par le législateur sur la notion de
bonne foi-condition d'ouverture, répondent trois cas de
déchéance du bénéfice des dispositions du titre premier de la loi,
qui caractérisent la mauvaise foi du débiteur. L'article 16 prévoit
en effet qu"’est déchue du bénéfice des dispositions du présent
titre: 1° Toute personne qui aura sciemment fait de fausses décla
rations ou remis des documents inexacts en vue d'obtenir le
bénéfice des procédures de règlement amiable ou de redressement
judiciaire; 2° Toute personne qui, dans le même but, aura
détourné ou dissimulé, ou tenté de détourner ou de dissimuler,
tout ou partie de ses biens; 3° Toute personne qui, sans l'accord
de ses créanciers ou du juge, aura aggravé son endettement en
souscrivant de nouveaux emprunts ou aura procédé à des actes de
disposition de son patrimoine pendant l'exécution du plan ou le
déroulem ent des procédures de règlement amiable ou de
redressement judiciaire".
La difficulté -encore une difficulté d'articulation, non plus
entre les articles 1er et 17 (cf. supra n° 1), mais entre les articles
1er et 16 de la loi- se présente dès lors en ces termes: doit-on
apprécier la recevabilité de la demande du débiteur surendetté au
regard de sa "bonne foi contractuelle", celle qui a présidé en
particulier à la souscription des différents crédits, ou, au
contraire, en vertu -ou, plutôt, en contre-pied- de sa "bonne foi
procédurale" mesurée au moment de la saisine de la commission
départementale d'examen des situations de surendettement des
particuliers ou du juge d'instance? En faveur de la seconde thèse,
la facilité: plutôt que l'incertitude d'une notion de "bonne foi
contractuelle" non définie par le législateur, il est préférable de
considérer que le débiteur sera de mauvaise foi, et donc sa de
mande irrecevable, toutes les fois qu'il aura triché sur l'état de ses
revenus, de ses avoirs ou de ses dettes afin de bénéficier du
dispositif légal. Pour la première thèse, la plus élémentaire
rigueur juridique: admettre une telle acception de la bonne fois
"reviendrait en effet à confondre les conditions de recevabilité de
l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989 avec les causes de
déchéance prévues par l'article 16" (G. Paisant, RTD com.
1991.447 et 652).
Partant, on se réjouira que la Cour d'Aix (15e ch., 23 juin
1993, n° 945) ait choisi résolument la voie de la raison: "La
notion de bonne foi prévue par l'article 1er de la loi du 31
décembre 1989 ne doit pas être interprétée au regard des
dispositions limitatives de l'article 16 de ce même texte. Le juge
doit se référer aux conditions dans lesquelles les contrats passés
par le débiteur avec les créanciers ont été conclus ou ont été
�99
exécutés. En l'espèce, le Tribunal d'instance de Nice, après voir
noté que M. X avait caché auprès du Crédit municipal de Nice
qu'il sollicitait pour obtenir un prêt, des emprunts antérieurs qu'il
avait souscrits, a pu à juste raison déclarer qu'il se révélait ainsi
débiteur de mauvaise foi".
On le voit, les dissimulations dont s'est rendu coupable le
débiteur pourront caractériser sa mauvaise foi, à condition
toutefois qu'elles soient mesurées antérieurement à la demande
d'ouverture de règlement amiable ou de redressement judiciaire.
Cela n’exclut pas pour autant que son comportement ultérieur soit
aussi pris en compte, son absence de bonne foi étant
souverainement appréciée par le juge "au vu de l'ensemble des
éléments qui lui sont soumis et au jour où il statue" (Cass. civ. 1,
31 mars 1992, Bull. civ. I, n° 109, J.C.P. 1992.IV .1672, RTD
com. 1992.864, obs. G. Paisant, Rev. pro. coll. 1993.40, obs.
P.M. Le Corre. Comp. Cass. civ. 1, 14 mai 1992, RTD com.
ibid.).
Cela étant dit, si l'attitude frauduleuse du débiteur est
prise en compte, c'est que, plus largement, elle m anifeste le
caractère délibéré du surendettement. On trouverait là le critérium
de la bonne foi, rejoignant par là la répartition des fautes
contractuelles dégagée par un auteur (A. Sériaux, D roit des
obligations , PUF, 1992, n° 67): la vocation de la loi de 1989 est
de protéger seulement le "sot", l'inconscient ou l’imprévoyant,
c'est-à-dire, au terme d'une appréciation in abstracto, celui qui
ignore quelque chose alors que, compte tenu des circonstances, il
pouvait ou devait ne pas l'ignorer; au contraire, le "méchant"
-celui (appréciation in concreto ) qui sait pertinemment quelque
chose mais passe outre est de mauvaise foi- n'est pas digne de
protection (comp. G. Paisant, RTD com. 1991.652).
On trouve d'ailleurs l'illustration de ce qui vient d’être dit
dans un arrêt de la Cour d'appel d’Aix-en-Provence du 14 avril
1993 (15e ch., n° 47), qui relève que l'état de surendettement des
intéressés "n'est pas la conséquence d'une mauvaise évaluation
de leurs possibilités financières ni de circonstances malheureuses
qui leur seraient extérieures mais la suite logique du recours
systém atique au crédit dans des conditions telles qu'ils
n'ig n o raien t pas qu'ils ne pouvaient en a ssu re r le
remboursement, ce qui les conduisit même à l'attitude dolosive
soulignée par certains de leurs créanciers et, notam m ent, la
Société générale à laquelle ils dissimulèrent, pour obtenir un
nouvel emprunt, l'état précis de leurs engagements antérieurs".
100
3.
SURENDETTEMENT. REDRESSEMENT
JUDICIAIRE CIVIL. APUREMENT DU PASSIF.
Quelle est la finalité de la procédure collective de redresse
ment judiciaire civil des difficultés financières du débiteur qui se
trouve en situation de surendettement? Les dispositions de
l'article 12 visent-elles l’apurement de la situation de surendette
ment? La possibilité d'apurer les dettes est-elle, à côté de
l'exigence de bonne foi, une condition de recevabilité supplémen
taire de la demande? Le redressement doit-il au contraire s'en
tendre d'un réaménagement de la charge financière pesant sur le
débiteur, quelque soient ses facultés de paiement? Ne serait-il
qu'un "super" article 1244-1 du Code civil (selon l'expression de
G. Paisant, RTD com. 1993.372)?
A toutes ces questions, un arrêt rendu par la Cour d'Aix le
9 juin 1993 (15e ch., n° 835) nous livre les éléments de réponse
suivants: "le juge saisi d'une procédure de redressement judiciaire
civil n'est pas tenu d'assurer le redressement de la situation du
débiteur dans un quelconque délai. Il ne dispose pas seulement
du pouvoir d'accorder un échelonnement ou une réduction du
taux d'intérêt. Il peut aussi reporter tout ou partie de ces der
nières, étant observé qu'aucune disposition n'exige au surplus
que la situation de l'intéressé soit apurée au terme des mesures
qu'il peut prendre".
Et les magistrats aixois de faire expressément référence à
deux décisions de la Cour de cassation du 27 janvier 1993, ayant
respectivem ent jugé q u ’"aucune disposition n'exige que la
situation d'endettement du débiteur bénéficiaire d'une procédure
de redressement judiciaire civil soit apurée au terme des mesures
de report ou de rééchelonnement que le juge peut prononcer; que
dès lors, en subordonnant l'ouverture de la procédure à la pos
sibilité d'apurer la situation des débiteurs dans les délais limitant
la durée de ces mesures, une cour d'appel ajoute une condition à
la loi et, partant, viole les articles 10 et 12 de la loi n° 89-1010 du
31 décembre 1989 par refus d'application" (Cass. civ. 1, 27
janvier 1993, Époux Bracq c/ Franfinance crédit et autres, Bull,
civ. I, n° 41, D. 1993.343, n. J.P. Bonthoux, RTD com.
1993.370, obs G. Paisant); et que le "juge saisi du redressement
judiciaire civil, qui n'est pas tenu d'assurer le redressement de la
situation du débiteur dans un quelconque délai, ne dispose pas
seulement du pouvoir d'accorder des délais de paiement ou de
réduire le taux des intérêts des échéances reportées ou
rééchelonnées (...) [il doit aussi] envisager l'application des
autres mesures de l'article 12 de la loi du 31 décembre 1989, et,
notamment, le report de tout ou partie des dettes du débiteur,
pour lui perm ettre de faire face à ses obligations avec ses
�101
ressources" (Cass. civ. 1, 27 janvier 1993, Époux Rousselet c/
Société Cetelem et autres, mêmes réf ).
Quels enseignements tirer de cette jurisprudence? Tout
d'abord, elle semble conforme à l'esprit du législateur, qui inscrit
la loi de 1989 dans une perspective de redressem ent, sans lui
accoler une procédure de liquidation (en ce sens, J.P. Bonthoux,
note précit.). Elle permet en outre de résoudre ce paradoxe
majeur, que la procédure collective mise en place risquait de ne
pouvoir profiter à ceux auxquels elle était pourtant destinée, à
savoir les plus faibles. Ensuite, les délais légaux prévus à l'article
12 ne placent pas le juge dans l’alternative d'apurer, à leur terme,
l'endettement ou de débouter les débiteurs de leur demande.
Enfin, non seulement le juge n’a pas pour mission d'apurer le
passif du débiteur, mais encore il n'est plus "tenu d'assurer le
redressement de sa situation dans un quelconque délai". Est-ce à
dire qu'il doive seulement envisager de permettre à l’intéressé de
"faire face à ses obligations avec ses ressources" (en ce sens, G.
Paisant, RTD com. 1993.370)? On n'en est pas convaincu à la
lumière des décisions qui vont maintenant être examinées.
4. SURENDETTEMENT. REDRESSEMENT
JUDICIAIRE CIVIL. CUMUL DES MESURES
DE L’ARTICLE 12.
La faveur manifestée pour les débiteurs les plus
surendettés ne se limite pas à l'extension du champ d'application
de la loi du 31 décembre 1989. Elle rejaillit inévitablement sur les
moyens propres à assurer le redressement du débiteur.
En témoigne un arrêt de la Cour d'appel d ’Aix-enProvence du 9 juin 1993 (15e ch., n° 845) qui, après avoir débuté
sa motivation en des termes identiques à ceux adoptés le même
jour dans la décision précitée (cf. supra n° 3), tire la conséquence
suivante: lorsque le débiteur "a accumulé un nombre important de
dettes rendant très difficile l'apurement de ces dernières (...) il
n'existe d'autres solutions pour redresser sa situation financière
que de lui faire bénéficier de la totalité des mesures prévues par la
loi du 31 décembre 1989, à savoir le report à 60 m ois du
paiement de la moitié des dettes de l'intéressé, le rééchelonnement
de l'autre moitié, l'abaissement en-dessous du taux légal des
intérêts dus et la réduction des clauses pénales manifestement
excessives".
Cette décision appelle deux séries d'observations. Elle
illustre tout d'abord un double retour à une certaine orthodoxie
dans l'application de la loi Neiertz, que l'on pouvait croire trop
malmenée par l'arrêt Rousselet précité (cf. supra n° 3). D'une
part, les m agistrats rappellent positivem ent que, lorsque
102
l'apurement du passif s'avère très difficile, ils ont au moins pour
mission d ’assurer le redressement de la situation financière du
débiteur (comp. Cass. civ. 1, 16 juin 1993, D. 1993.1.R .172,
RTD com. 1993.571, obs G. Paisant).
La Cour prévoit, d'autre part, un cumul raisonnable des
mesures prévues à l'article 12 de la loi. Il y a certes, dans le
silence de la loi, des cumuls possibles entre les trois séries de
mesures proposées par les alinéas 1, 2 et 4 (cf. en ce sens Cass,
civ. 1, 16 juin 1992, Bull. civ. I, n° 186, D. 1992.I.R.234, RTD
com. 1992.867, admettant un cumul du rééchelonnement de la
dette, de la réduction du taux de l'intérêt et de la diminution de la
fraction du prêt restant due après la vente du logement du
débiteur. Leur combinaison se heurte néanmoins à la lettre du
texte des alinéas 1 et 2, qui prévoit la conjonction alternative "ou"
entre le report et le rééchelonnement des dettes (en ce sens G.
Paisant, RTD com. 1991.657 et 1992.867). On pouvait
cependant craindre que l'arrêt Rousselet , à la suite d'un avis
rendu par la Cour de cassation sur l'interprétation à donner de sa
décision du 16 juin 1992 {Bull. inf. C. cass., 1er novembre
1992, p. 27: il semblait découler de cet arrêt que "le report de la
dette pouvait se com biner avec son échelonnement"), ne
s'affranchisse de cette logique alternative (cf. G. Paisant, RTD
com. 1993.373). Cette crainte est ici dissipée, les juges aixois
accordant le report du paiement de la moitié des dettes et le
rééchelonnement de l'autre moitié, tout en doublant chacune de
ces mesures de la réduction du taux des intérêts. L'alternative est
alors respectée si l'on considère qu'il faut raisonner dette par
dette et non pas appréhender le passif globalement (comp. G.
Paisant, RTD com. 1992.868 et 1993.372. Adde: Cass. civ. 1, 5
avril 1993, D. 1993.I.R .119, J.C.P. 1993.IV.1514: "C’est dans
l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que le juge du
redressement judiciaire civil détermine pour chacune des dettes
quelles sont les mesures prévues par l'art. 12 de la loi n° 89-1010
du 31 déc. 1989 qui sont propres, dans l'espèce qui lui est
soumise, à assurer le redressement de la situation du débiteur.
Pouvant notamment prendre en compte les circonstances qui ont
entouré la conclusion des contrats de prêts, le juge n'est pas tenu
d'assurer une égalité de traitement entre les créanciers. Dès lors,
n’encourt pas la critique la cour d'appel qui reporte à cinq ans le
paiement de la seul dette du débiteur envers un créancier tandis
que le paiement de certaines des autres dettes était échelonné sur
cette durée").
Mais si la "cohésion interne" de la loi semble respectée,
peut-on en dire autant de sa "cohésion externe"? En d'autres
termes, le juge de la procédure collective peut-il, toujours par
faveur pour le débiteur en difficulté, cumuler les mesures de
�103
l'article 12 avec d'autres dispositions du droit com m un et,
notamment comme en l’espèce, réduire le montant d'une pénalité
contractuelle en vertu de l’article 1152, alinéa 2, du Code civil?
Les réponses apportées par les Cours d’appel saisies de cette
question apparaissent contradictoires (v. les arrêts inédits cités
par G. Paisant, RTD com. 1992.679). La réform e des
procédures civiles d'exécution opérée par la loi du 9 juillet 1991
et confiant le traitement du surendettement au juge de l'exécution
rend encore plus difficile tout raisonnement fondé sur la compé
tence du juge. Quant à un éventuel argument d'analogie, on sait
seulement que dans un arrêt du 16 décembre 1992 (RTD com
1993.174, obs. G. Paisant), la Cour de cassation a censuré la
Cour de Grenoble (RTD com. 1992.236, obs G. Paisant), qui
avait cru pouvoir ajouter les deux ans du délai de grâce de l'article
1244 du Code civil aux cinq années de report ou de
rééchelonnement prévues par l'article 12, au m otif que "les
dispositions spéciales de la loi du 31 décembre 1989 dérogent au
droit commun exprimé par l'article 1244 du Code civil". Peut-on
en conclure que la Haute juridiction entend par là couper court à
toute velléité judiciaire d'échapper au cadre restrictif de l'article
12? Rien n'est moins sûr.
Pierre STORRER
104
- C 2 L’INDEMNISATION DES VICTIMES
POST-TRANSFUSIONNELLES DU SIDA
"Le sang humain ne circule plus seulemeni dans les
vaisseaux de celui dont il entretient la vie. Prélevé
hors de ces vaisseaux, il révèle, à qui le scrute, les
secrets de l'homme. Surtout, il coule plus loin, pour
être conduit, tel quel, ou dans ses éléments, vers les
vaisseaux d’autres hommes. A travers tout ce circuit,
il entre dans le domaine du droit".
R. Savatier,
D e sa n g u in e ju s
, D . 1954.chron.XXV
Par deux arrêts rendus le 12 juillet 1993 (Aix, 1° Ch. civ.,
Sect. B, GAN c/ Association Centre de transfusion sanguine des
Alpes-Maritimes et autres, n° 457 et 458, publiés pour partie in
D. 1993.1.R .216), la Cour d'appel d’Aix-en-Provence se
prononce, pour la première fois à notre connaissance, sur la
délicate, et dramatique, question de l'indemnisation des victimes
contaminées par le virus du SIDA ensuite d'une transfusion
sanguine (v. à cet égard Y. Lambert-Faivre, "L'indemnisation
des victimes post-transfusionnelles du SIDA: hier, aujourd'hui et
demain..., Rev. trim. dr. civ. 1992.1). Il est à peine besoin de
souligner l'importance des présentes décisions: la réunion de la
première cham bre civile sous l'autorité du Premier Président,
l'objet du litige (les enjeux majeurs de la responsabilité civile en
cette m atière sont débattus) ainsi que le soin apporté à leur
motivation en attestent d'eux-mêmes.
Les faits des deux espèces sont dramatiquement banals: à
la suite de transfusions sanguines, respectivement subies en avril
(2e esp.) et septem bre ( le esp.) 1984 lors d'opérations
chirurgicales réalisées dans un même institut médical (si on peut
encore le qualifier tel), un homme se révèle atteint par le virus
d'immuno déficience humaine (VIH) en 1990, lequel contamine
son épouse dont l'infection est décelée en janvier 1991; un autre
décède le 10 septem bre 1990 des suites d'un syndrome
d'immuno-dédicience acquise (SIDA) (2e esp.).
Victim es et/ou ayants droit décident alors d'assigner en
responsabilité le Centre de transfusion sanguine des Alpes-
�105
Maritimes (CTS AM), en présence de la Caisse primaire
d'assurance maladie des A lpes-M aritim es (C PA M ). La
Compagnie groupe des assurances nationales (G A N ) est
intervenue volontairement à l'instance en qualité d 'a ssu reu r du
centre de transfusion.
Par deux jugements du 27 juillet 1992, le Tribunal de
Grande Instance de Nice a statué comme suit: rejet du moyen
d'irrecevabilité soulevé par le CTS AM et le GAN, le régime légal
d'indemnisation des victimes d'une contamination par le SIDA à
la suite d’une injection de produits sanguins, institué par la loi du
31 décembre 1991, laissant à la victime la faculté de saisir la
juridiction de droit commun; responsabilité du CTS AM du chef
de la contamination, et du décès, causée(s) aux victimes;
constatation de la garantie solidaire du GAN à concurrence de
l’indemnisation mise à la charge de son assuré, le moyen tiré de
la limitation conventionnelle de sa garantie à 5 000 000 F étant
rejeté; condamnation in solidum du CTS AM et du GAN à payer,
avec intérêts légaux à compter de la décision, les sommes sui
vantes: 2 000 000 F à chacun des époux X en réparation de leur
préjudice moral spécifique et 150 000 F à chacun de leurs trois
enfants en réparation de leur préjudice moral (le esp.); 2 000 000
F à la succession du défunt Y en réparation de son préjudice
moral spécifique, 250 000 F à sa veuve en réparation de son
préjudice moral, 100 000 F à leur fils en réparation de son
préjudice moral et 40 000 F à chacun de leurs trois petits enfants.
La Cour d'appel d'A ix-en-Provence, dans les deux
espèces rapportées, devaient statuer sur cinq chefs différents,
qu'il importe d'analyser successivement.
1. LA RECEVABILITÉ DE L’ACTION.
Sans doute effrayés par le poids de leur responsabilité (v.
en dernier lieu les trois premiers arrêts rendus par le Conseil
d'Etat sur la question de la responsabilité administrative de l'État
du fait de la contamination d'hémophiles par le virus du Sida:
Cons. d'État, 9 avril 1993, req. n. 138652, 138653 et 138663,
J.C.P. 1993.11.22110, n. Ch. Debouy, D. 1993.312, concl. H.
Legal), voire de leur culpabilité, dans T 'affaire du sang
contaminé", on sait que les pouvoirs publics ont choisi, à l'instar
de l’indemnisation des victimes d'attentats terroristes, la voie de
la solidarité nationale mise en oeuvre par un fonds
d'indemnisation issu de l’article 47 de la loi n° 91-1406 du 31
décembre 1991 portant diverses mesures d'ordre social (sic )
(A.L.D. 1992.96 et com m entaire, J.M . P ontier, A . L . D .
1992.35. Adde: A. Sobel, "Le fonds d'indem nisation des
victimes du sang contaminé", Rev. fr. domm. corp. 1993.305).
106
S'est dès lors très vite posée la question du caractère
optionnel ou exclusif de l'action en responsabilité devant les
ju rid ictio n s de droit com m un de cette voie spéciale
d'indem nisation, question sur laquelle les magistrats aixois
avaient à prendre partie. Se conformant à une jurisprudence
désormais solidement acquise (v. not. T.G.I. Bordeaux, 6e Ch.,
Ord., 24 avril 1992, Resp. civ. et assur. 1992.177; T.G.I.
Périgueux, Ord., 28 avril 1992, D. 1993.322, n. J.J. Taisne;
T.G.I. Nice, 3e Ch., 27 juillet 1992, D. 1993.38, n. D. Vidal; et
Paris, le Ch. B, 12 mars 1993, Gaz, Pal. 14-16 mars 1993, p.
40), leur réponse était attendue: "si l'article 47 de la loi n° 911406 du 31 décembre 1991 a institué un régime particulier
d'indemnisation au profit des victimes d'une contamination par le
virus d'im m uno-déficience humaine (VIH) consécutive à une
transfusion de sang ou à une injection de produits dérivés du
sang, aucune disposition de ce texte et de son décret d'application
n° 92-183 du 26 février 1992 ne confère à ce régime un caractère
impératif et n'interdit aux victimes d'agir devant les juridictions
de droit commun".
Plus originaux sont en revanche le soin apporté à la
motivation subséquente - exégèse du texte de loi ("l'obligation
pour les victimes d'informer, en vertu de l'article 47-VI de la loi
du 31 décembre 1991, soit le fonds d'indemnisation, soit le juge
en cas de saisine de l'un ou de l'autre, implique la dualité des
procédures") mais aussi exposé de la ratio legis au travers des
travaux préparatoires à l'Assemblée Nationale (J.C. Boulard,
rapporteur, 3e séance du 9 décembre 1991) et au Sénat (J.
Thyrard, rapporteur pour avis, séance du 16 décembre 1991)- et,
surtout, cette considération finale d'opportunité, que devraient
méditer les conseils des victimes post-transfusionnelles du SIDA:
"si l'on peut déplorer les conséquences d'un défaut de saisine du
fonds d'indemnisation après sa création, plaçant les victimes dans
l'obligation d'établir la responsabilité selon les règles rigoureuses
du droit comm un, et les exposant au risque d'insolvabilité du
centre de transfusion en cas de non garantie ou de dépassement
du plafond de garantie de leur assureur, il convient d'observer
qu'en l'espèce leur avoué a été invité par note du Conseiller de la
Mise en État du 24 mai 1993 à les aviser personnellement des
dangers d'un choix qu'elles ont maintenu en connaissance de
cause" (comp. Communication de M. Y. Jouhaud, Président du
fonds d'indemnisation, ancien Président de la première chambre
civile de la Cour de cassation, destinée à l'information des juges:
"L'indem nisation des transfusés et hémophiles victimes de
contamination par le virus d'immuno-déficience humaine Doctrine adoptée par la commission du fonds d'indemnisation,
Bull. inf. Cour cass. 1er octobre 1992, p. 6 et s.).
�108
2 L’IMPUTABILITE DE LA CONTAMINATION.
Les deux décisions contiennent un motif identique: "M. X
[ou Y] ayant reçu le sang de plusieurs donneurs dont l'un au
moins s'est révélé atteint par le virus du SIDA [comme en atteste
une lettre du directeur du CTS AM] et le prem ier juge ayant
constaté à juste titre qu'il ne présentait aucun facteur de risque de
contamination par ses antécédents médicaux ou son mode de vie,
ces circonstances sont constitutives de présom ptions suffi
samment graves, précises et concordantes pour établir la preuve
de l’imputabilité de la contamination au sang transfusé en
provenance du CTS AM”. Le même raisonnement est suivi dans
la première espèce, relativement à la contamination de l’épouse:
"Mme X. ne présentait également aucun facteur de risque de
contamination ainsi que l’établit un certificat d’un centre
hospitalier, ni par son mode de vie dont les attestations produites
excluent toute cause d’exposition au danger d’infection par le
VIH, tandis que sa cohabitation avec un conjoint dont elle a
ignoré la séropositivité jusqu'à son diagnostic en décembre 1990
constituait une cause suffisante de transmission de la maladie.
Ces circonstances sont constitutives de p résom ptions
suffisamment précises, graves et concordantes pour établir la
preuve d'une relation de causalité directe et certaine entre la
contamination de M. X et celle de son épouse".
La preuve directe du lien de causalité entre la transfusion
sanguine et la contam ination par le VIH se révélant,
techniquement, très difficile à rapporter, les juges (v. not. T.G.I.
Bobigny, 19 décembre 1990, Gaz. Pal. 1991.1.233; Rennes, 23
octobre 1990, Gaz. Pal. 1991.1.232; T.G.I. Paris, 1er juillet
1991, Gaz. Pal. 1991.2.568, J.C.P. 1991.11.21762, n. M.
Harichaux; Paris, 28 novembre 1991, D. 1992.85, n. A.
Dorsner-Dolivet, J.C.P. 1992.11.21797, n. M. Harichaux, Gaz.
Pal. 16 février 1992, concl. Benas, n. J.G. m. et A. Paire;
Montpellier, 13 février 1992, J.C.P. 1992.IV .2094; T.G.I.
Bordeaux, 17 février 1992, Resp. civ. et assur. 1992.comm.198;
Toulouse, 9 juin 1992, D. 1992.1.R.203; T.G.I. Toulouse, 16
juillet 1992. J.C.P. 1992.11.21965, n. X. Labbe; T.G.I. Nice,
27 juillet 1992, op. cit. ; Paris, 12 mars 1993, Gaz. Pal. 12 mai
1993, p. 15) se satisfont d'une présomption d'imputation de la
contamination à la transfusion, classiquement fondée sur l'article
1353 C. civ., et étayée essentiellement par la mise en évidence de
quatre facteurs: transfusion à une date correspondant à la
diffusion du virus, soit entre 1980 et octobre 1985 pour les
produits sanguins chauffables (les produits dits "labiles"
présentant la particularité de ne pouvoir être inactivés par
chauffage, la contamination par leur intermédiaire a perduré et se
poursuit encore marginalement...); pluralité de transfusions lors
de l'intervention chirurgicale; preuve que l'un des donneurs au
moins appartenait, au moment du don de sang, à un groupe à
risque ou était séropositif; et absence de facteurs de risque dans
les antécédents médicaux ou le mode de vie du transfusé.
Il est à rem arquer que cette appréciation libérale de la
causalité vient de recevoir, par deux fois, l'aval de la Cour de
cassation. Par un arrêt du 17 février 1993 (Masson c/ Biheauro et
autre, Rev. trim. dr. civ. 1993.589, obs. P. Jourdain. Adde, du
même auteur, cette Revue 1992.117), le premier à statuer sur la
responsabilité civile consécutive à la contamination par le VIH, la
première chambre civile a en effet rejeté un pourvoi formé contre
une décision du 16 mai 1991 de la Cour d'appel de Dijon (D.
1993.242, n. E. Kerckove) ayant retenu l'imputation de la
contamination à des transfusions sanguines consécutives à un
accident de la circulation, alors pourtant que la victime,
hémophile, recevait des transfusions de produits sanguins depuis
son enfance. Le doute introduit dans la relation causale n'a pas
empêché la Haute juridiction déjuger que "dans l'exercice de son
pouvoir souverain d'appréciation des éléments du rapport
d'expertise concernant la disproportion des produits sanguins
transfusés après l'accident par rapport aux produits administrés
antérieurem ent, la cour d'appel avait pu considérer que la
contamination était la conséquence des transfusions massives
reçues après l'accident". Pareillement, un arrêt délibéré par la
deuxième chambre civile de la Cour de cassation (Groupe Azur
assurances m utuelles de France c/ C... et a.- pourvoi contre
Toulouse, 5 novembre 1991, J.C.P. 1993.IV.2416) a estimé
qu'"une Cour d'appel, pour accorder une provision à la victime,
a pu déduire que l'obligation du centre régional de transfusion
sanguine au sens de l'article 809, alinéa 2, du Nouveau Code de
procédure civile n'était pas sérieusement contestable, le lien de
causalité entre la transfusion et la contamination ne pouvant être
discuté en l'absence de preuve que la victime ait été contaminée
pour d'autres causes".
3. LA RESPONSABILITÉ.
Il ne fait aujourd'hui plus aucun doute que les centres de
transfusion sanguine, en leur qualité de fabricants et fournisseurs
des produits sanguins, sont à l'origine de la contamination par le
VIH (sans com pter la "menace d'un nouveau cyclone médicojuridique, celui de l'hépatite C post-transfusionnelle", selon les
termes d'Y. Lambert-Faivre, "L'hépatite C post-transfusionnelle
et la responsabilité civile", D. 1993.chron.LXXVI. Adde: R.
Lefèvre, "Les hépatites post-transfusionnelles", Rev. fr. domm.
�109
corp. 1993.35. Il y aurait en effet, selon le rapport Micoud sur
l'état de l'hépatite C en France, entre cent mille et quatre cent
mille personnes dont l'infection pourrait être d'origine
transfusionnelle, chiffre autrement plus important que celui des
victimes du SIDA). La cause doit en être certainement recherchée
dans cette sorte de nébuleuse du "service public du sang humain"
(selon l'expression du Doyen Savatier, De sanguine ju s , D.
1954.chron.XXV, p. 142) qui, organisée par une loi du 21 juillet
1952 (art. L. 666 à L. 677 C. santé publ.), associe,
curieusement, un Centre national de transfusion sanguine, simple
association, avec un réseau de plus de 180 centres de transfusion
sanguine autonomes, ayant tantôt le statut d’établissements privés
agréés par arrêté du ministre de la santé, tantôt celui de services
publics départementaux ou municipaux (v. le jugement sans appel
porté sur ce "système hybride" par Y. Lambert-Faivre, op. cit. ,
p. 11-12). Plus aberrant encore, la loi de 1952 prévoyait
seulement une responsabilité, même sans faute, des centres à
l'égard .... des donneurs, les risques encourus par les receveurs
étant oubliés (simple inadvertance? On en doute lorsque l'on sait
que la responsabilité encourue à l'égard des receveurs est à
nouveau invraisemblablement absente de la loi n° 93-5 du 4
janvier 1993 portant réforme de la transfusion sanguine). Les
conditions de mise en jeu de la responsabilité civile à leur égard
devaient donc être progressivement découvertes et affinées par la
jurisprudence. Celle-ci semble parvenue à maturité. Nos deux
décisions aixoises en témoignent, là est leur principal intérêt.
La motivation des arrêts débute par une appréciation de la
nature juridique du sang humain, "chose hors du commerce" au
sens de l'article 1128 du Code civil, dont la distribution est
autorisée, aux termes des articles L. 666 et suivants du Code de
la Santé Publique, seulement "à des fins strictem ent thérapeu
tiques médico-chirurgicales". La Cour semble viser ici seulement
ce que l'on appelle les produits sanguins labiles (comme le
confirme un motif subséquent: "La directive communautaire n°
85.374 du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité du produc
teur ou du fabricant du fait des produits défectueux n'est pas
applicable en l'espèce, indépendamment de son défaut d'incorpo
ration au droit interne, le fait générateur du dom m age étant
antérieur à sa promulgation et le CTS n'ayant pas la qualité de
producteur ou de fabricant des produits labiles destinés aux
transfusions sanguines, livrés sans traitem ent préalable"),
"comprenant notamment le sang total, le plasma et les cellules
sanguines d'origine humaine" (art. L. 666-8-1° nouveau, C.
santé publ.), et qui présentent la particularité d'être à durée de
conservation courte et de ne pouvoir être inactivés par une
technique comme celle du chauffage (v. à ce sujet, Y. Lambert-
110
Faivre, op. cit. , p. 3 et 25). Il y a lieu de soulever en
conséquence la question primordiale de la nature juridique du
sang, du moins de ses dérivés plasmatiques stables traités
industriellement à partir de pools de milliers de donneurs: "sang
vivant" (selon l'expression du Doyen Savatier, op. cit. , p. 142)
ou médicament? L'enjeu de la qualification est de taille lorsque
l'on sait que "ces dérivés stables, obtenus par fractionnement
industriel du plasma, étaient considérés comme des médicaments
par les pays étrangers, ce qui implique un développement clinique
rig o u reu x , une in fra stru c tu re lourde de co n trô les
pharmaceutiques et la validation de l'installation de production.
En France le mythe du sang empêchait jusqu'ici de considérer ces
dérivés comme des "produits" industriels" (Y. Lambert-Faivre,
op. cit. , p. 25-26). Jusqu'ici car, désormais, la loi n° 93-5 du 4
janvier 1993 relative à la sécurité en matière de transfusion
sanguine et de médicament (J.O. 5 janvier 1993, p. 237) introduit
dans notre droit interne le contenu de la directive 89/381/CEE du
14 juin 1989 relative aux spécialités pharmaceutiques et
prévoyant des dispositions spéciales pour les médicaments
dérivés du sang ou du plasma humain (J.O.C.E. n° L. 181/44,
28 juin 1989). Ainsi, les articles L. 666-8-2° et L. 670-1
nouveaux du C ode de la santé publique disposent que les
"produits stables préparés industriellement à partir du sang et de
ses composants constituent des médicaments dérivés du sang",
dont la sécurité est assurée notamment par une agence du
médicament (art. L. 567-1 à L. 567-13 C. santé publ.) et un
laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (art.
L. 670-1 à L. 670-5 C. santé publ.).
Relativement au fondement de la responsabilité encourue,
les m agistrats aixois poursuivent par l'affirmation, désormais
classique (v. déjà à propos de la transmission sanguine de la
syphilis: Cass. civ. 2, 17 décembre 1954, J.C.P. 1955.11.8490,
n. R. Savatier, D. 1955.269, n. R. Rodière), d'une stipulation
pour autrui implicite entre l'établissement de soins (stipulant), le
centre de transfusion sanguine (promettant) et le malade (tiers
bénéficiaire) (v. en ce sens not. Paris, 28 novembre 1991,
précit. ; et Toulouse, 9 juin 1992, précit. ). Cette qualification
préalable aboutit au raisonnement suivant: "Conformément aux
articles 1121 et 1135 du Code civil, les ayants droit de la victime
sont fondés à agir directement contre le CTS en réparation du
préjudice résultant de l'inexécution de son obligation de sécurité,
qui, distincte de la garantie légale des vices cachés, ne relève pas
du régime du bref délai prévu par l'article 1648 du Code civil. La
nature indécelable du virus VIH à l'époque des faits n'exonère
pas le CTS de sa responsabilité, s'agissant d'un vice interne du
sang fourni, ne présentant pas le caractère d'extériorité de la force
�111
majeure". Le centre de transfusion sanguine, en sa qualité de
promettant, est ainsi débiteur d’une obligation de sécurité spéci
fique et autonome (dont la nature juridique reste encore à étudier)
couvrant, semble-t-il, le "risque de développem ent" de la
transfusion sanguine, c'est-à-dire le "défaut d'un produit qui
pouvait paraître irréprochable lorsqu'il a été mis en circulation,
mais dont les risques et les vices se sont révélés ultérieurement du
fait du développement des connaissances scientifiques et
techniques" (Y. Lambert-Faivre, op. cit. , p. 26. Adde: J. Huet,
"Le paradoxe des médicaments et les risques de développement",
D. 1 9 8 7 .c h ro n .X IV ;
M .L .
M o ra n ç a is -D e m e e s te r,
"C ontam ination par transfusion du v iru s du SIDA:
responsabilités et indemnisation", D. 1992.chron.XXXIX. 191;
J.F. Krieg, "L'obligation de sécurité: de sa m aturation à
l'admission du risque de développem ent (à propos de la
responsabilité m édicale)", Gaz. Pal. 23-24 avril 1993; F.
Memmi, "Sida et responsabilité civile". Gaz. Pal. 25-27 avril
1993. Comp. les motivations de Toulouse, 9 juin 1992, précit. et
de T.G.I. Toulouse, réf., 16 juillet 1992, précit. ).
4. LE PRÉJUDICE.
Le droit de l'indem nisation des victim es du sang
contaminé connaît ce qu'il est convenu d'appeler aujourd'hui le
"préjudice spécifique de contamination" (cf. I. Bessières-Roques,
"Le préjudice spécifique de contam ination: un nouveau
préjudice?", Rev. fr. domm. corp. 1993.79. Sur le caractère
certain du préjudice résultant de la survenance du SIDA: v. en
dernier lieu Cass. civ. 2, 20 juillet 1993, pourvoi c/ Paris, 27
novem bre 1992, D. 1993.526, n. Y. C hartier). Il a été
précisément défini par le Fonds d'indem nisation com m e "le
préjudice personnel et non économique de contamination par le
VIH qui recouvre l'ensemble des troubles dans les conditions
d'existence entraînés par la séropositivité et la survenance de la
maladie déclarée. Le préjudice spécifique inclut ainsi, dès la
phase de séropositivité, tous les troubles psychiques subis du fait
de la contamination par le VIH: réduction de l'espérance de vie,
incertitude quant à l'avenir, crainte d'éventuelles souffrances
physiques et morales, isolement, perturbations de la vie familiale
et sociale, préjudice sexuel et la cas échéant de procréation. Il in
clut en outre les différents préjudices personnels apparus ou qui
apparaîtraient en phase de maladie avérée, souffrances endurées,
préjudice esthétique et l'ensemble des préjudices d'agrément
consécutifs".
Le fait marquant est que l'évaluation judiciaire dudit
préjudice a été initiée à une hauteur exceptionnelle par l'arrêt
112
Courtellemont du 27 juillet 1989 {Gaz. Pal. 1989.2.752, concl.
Pichot), par lequel la Cour de Paris accordait une indemnité de 2
300 000 F à une victime âgée de 63 ans. Au risque de faire
exploser les garanties financières des assureurs (cf. infra , n° 5),
cette évaluation devait raisonnablement être revue à la baisse.
Les indem nités allouées en première instance aux
victimes, 2 000 000 F à chacune, étaient à cet égard
m anifestem ent excessives. Dès lors, leur montant devait
logiquement être réduit en appel aux sommes de 1 150 000 F
pour chacun des époux (le esp.) et 800 000 F pour la victime
décédée (2e esp.). Que signifient-elles? Pour le savoir, il importe
de les comparer au barème indicatif d'évaluation élaboré, après
une m oyenne arithm étique des indemnités allouées par les
juridictions judiciaires ou administratives entre octobre 1990 et
mars 1992, par la Commission du fonds d'indemnisation: "ce
barème [dégressif avec l'âge atteint par la victime à la
contamination] aboutit à une indemnité qui, pour la totalité du
préjudice personnel de contamination (séropositivité + SIDA),
atteint 2 000 000 F à dix-huit ans et moins, 1 614 000 F à trente
ans, 1 293 000 F à quarante ans, 988 000 F à cinquante ans,
pour s'établir ensuite à 461 000 F à l'âge de soixante-dix ans, par
exemple" (cf. Communication de M. Y. Jouhaud, op. cit. , p. 9.
Comp. Y. L am bert-Faivre, "Principes d'indemnisation des
victimes post-transfusionnelles du SIDA, Cour d'appel de Paris,
27 novembre 1992 (20 arrêts)", D. 1993.chron.XV; et Cl.
Rousseau, "L'évaluation médico-légale en droit commun du
dommage en rapport avec une séropositivité HIV", Rev. fr.
domm. corp. 1993.311). Sachant que, dans la première espèce,
l'âge des victim es à la date de la contamination était
respectivement de 52 ans (mari, actuellement âgé de 61 ans et au
stade IV-C de la classification OMS/CDC) et 56 ans (femme,
actuellement âgée de 58 ans et au stade III de ladite classifi
cation), et, dans la seconde, de 61 ans (décès à l'âge de 67 ans),
la somme de 1 150 000 F paraît relativement généreuse (peut-être
s'explique-t-elle par le "double" drame vécu par le couple?),
comme celle d'ailleurs de 800 000 F, étant donné que si le
caractère patrim onial, et donc sa transmission héréditaire, du
préjudice personnel de contamination est admis, son évaluation
posî mortem est généralem ent très inférieure (en ce sens.
Communication de M. Y. Jouhaud, op. cit. , p. 10. Comp.
Paris, 22 janvier 1993, D. 1993.1.R.117: "Pour l'évaluation de
ce préjudice [spécifique de contamination], s'il peut être tenu
compte de données générales et abstraites et de références,
l'appréciation des troubles effectivement ressentis par la victime
dans ses conditions d'existence et objectivement causés doit être
faite en considération de la situation concrète, personnelle et
�113
individuelle de celle-ci, en fonction des éléments de fait portés à
la connaissance du Fonds d'indemnisation des transfusés et
hémophiles contaminés par le VIH ou de la juridiction").
Quant aux préjudices moraux des proches, mentionnons
seulement qu'ils ont aussi été revus à la baisse en appel: les trois
enfants majeurs des époux X., dont rien n'établit la cohabitation
avec leurs parents, ont bénéficié de 80 000 F chacun (le esp.), le
conjoint du défunt de 200 000 F, son fils m ajeur, dont rien
n'établit non plus la cohabitation au même foyer, de 80 000 F, et
ses trois petits-enfants, dont deux sont m ineurs, de 20 000 F
chacun (2e esp.).
5. LA LIMITATION DE GARANTIE.
Terminons la lecture des décisions aixoises par cette
question: qui va payer le coût des indemnités ainsi allouées aux
victimes? C'est là aborder le terrain du droit économ ique des
assurances. Le GAN faisait valoir, en l’espèce, une limitation de
sa garantie à due concurrence, en deniers ou quittance, d'une
somme totale de 5 000 000 F au titre de l'ensemble des sinistres
afférents à l'année 1984. Cette double limitation de garantie par
année d'assurance et par sinistre se fondait cum ulativem ent sur
les conditions générales et particulières de la police d'assurance
de la responsabilité civile souscrite par le CTS AM.
Les juges d'appel devaient recevoir cette argumentation,
en décidant qu'"il résulte des dispositions complém entaires des
conditions générales et particulières respectant la réglementation
en vigueur que le plafond de garantie, d'un minimum légal de 2
500 000 F porté en l'espèce à 5 000 000 F, constitue la limite de
l’indemnisation pouvant être due par l'assureur pour une même
année d'assurance, quels que soient le nombre et la nature des
sinistres, chaque indemnité étant prélevée sur ce montant jusqu'à
épuisem ent". Mais quid une fois cet épuisem ent réalisé
(rappelons que les victimes confondues sont ici créancières à
hauteur, si nous avons bien compté, de 3 680 000)?
Il conviendrait peut-être, pour pallier de lege ferenda tout
danger d’"inassurabilité" du risque de co n tam in atio n
transfusionnelle, d'en diluer encore la charge par le recours à la
solidarité, en doublant l'assurance responsabilité civile obligatoire
de tous les établissements et professions de santé par l'établisse
ment d'un "Fonds de garantie des dom m ages corporels
accidentels qui prendrait en charge les indemnisations supérieures
au plafond ou postérieures à la durée de la garantie mais
antérieures à la prescription de l'action en réparation de la
victime" (Y. Lambert-Faivre, op. cit. , p. 31).
114
Nous laissons aux spécialistes de l'assurance le soin de
mesurer leur réponse. Mais il ne nous semble pas que le poids
financier de l'indemnisation des victimes post-transfusionnelles
du SIDA puisse servir d'assise à une contestation (qui reste à
faire, certes, mais en une autre occasion) de l'objectivation de la
responsabilité civile. Un auteur a en effet pu écrire que, "sans
renier les acquis et mérites de la responsabilité objective dans cer
tains domaines (les accidents automobiles par exemple), il est
temps de s'interroger sur ses limites et ne plus la considérer
comme la panacée réparatrice de tous les drames humains (...) La
légitime prise en considération du sort de la victime n'impose pas
un passage obligé par des pseudo responsabilités qui ne mettent
en cause le comportement ou l'activité du responsable que pour
les besoins de l'indemnisation" (Cl. Delpoux, "Contamination
par transfusion sanguine: jurisprudence, loi et assurance",
R.G.A.T. 1992, p. 37. Comp. F. Chapuisat et F. Chaumet, "Le
juge, l'assu re u r de responsabilité civile et les fonds
d'indemnisation", R.G.A.T. 1992.787).
Outre le fait que la matière des accidents de la circulation
nous paraît précisément idoine à mener une réflexion critique sur
l'évolution contemporaine de la responsabilité, on peut douter
que la responsabilité des centres de transfusion sanguine, tout
comme celle de l'État, soient de véritables responsabilités
objectives, encore moins des pseudo responsabilités. Car, à
l'origine de cette triste histoire, il y a bien des fautes.
L'indemnisation ne saurait faire oublier la responsabilité.
Pierre STORRER
�SOMMAIRES
DE
JURISPRUDENCE
�PREMIÈRE PARTIE
CIVIL - COMMERCIAL
�120
FAMILLE
MARIAGE
SI - Contribution aux charges du mariage / Activité
au foyer de la femme
Aix - 6ème ch - 9 mars 1993 - n° 191
Président, M. SAINTE - Avocat, Me LAZARIDES
L'épouse peut s'acquitter de sa contribution aux charges
du mariage par son activité au foyer.
Observations : Par cet arrêt, la C.A. d'Aix rappelle que la
contribution aux charges du mariage peut être en nature et non
pas seulement pécuniaire. La suppression par la loi du 11 juillet
1975 de la formule selon laquelle la femme pouvait s'acquitter de
sa contribution aux charges du mariage par son activité au foyer
ou sa collaboration à la profession du mari n'entraîne pas
l’impossibilité d'une contribution active (Paris, 1ère ch., 26 mars
1987, Juris-Data n° 21697) mais permet de bilatériser ce qui
n existait auparavant qu'en faveur de l'épouse.
D.V-B
S2 - Contribution aux charges du mariage / Nature et
fixation
Aix - 6ème ch - 23 mars 1993 - n° 247
Président, M. SAINTE - Avocats, Mes FEBBRARO, TEISSIER
La contribution aux charges du mariage distincte par son
fondement et par son but de l'obligation alim entaire, doit
cependant être considérée comme une dette d'aliments au sens de
l'article 79-3, al. 1, de l'ordonnance n° 58.1374 du 30 décembre
1958 et prendre dès lors la forme d'une pension payable à
échéance régulière.
Observations : L'obligation découlant de l'article 214 est
distincte par son fondement et son but de l'obligation alimentaire
des articles 205 à 211. Cette dernière représentant l'exécution
d'un devoir reposant sur la proche parenté suppose du
demandeur qu'il soit dans le besoin et son montant sera limité à la
fourniture des choses nécessaires à la vie. Au contraire,
l'obligation aux charges du mariage, conséquence directe du
mariage repose sur l'idée que les deux époux doivent avoir le
même train de vie ; elle est due même si le conjoint n'est pas dans
le besoin et elle peut inclure les dépenses d'agrément (Cass. civ.
1, 20 mai 1981, Bull. civ. 1, n° 176 ; Paris, 1ère ch, 25 avril
1983, Juris-Data, n° 25784). Malgré leur différence de nature,
leur régime présente certains points communs (sanction pénale de
l'abandon de famille, procédure de paiement direct ou encore
indexation, Cass. civ. 1, 16 juillet 1986, Bull. civ. 1, n° 208 ; 31
mai 1988, D.S. 1988, Inf. rap. 174) comme entre-autres la forme
d'une pension payable à échéance régulière.
D.V-B
DIVORCE
S3 - Divorce pour faute / Caractère instable et
acariâtre de la femme / Adultère / Absence
d'excuse du comportement du mari
a) Aix - 6ème ch - 9 mars 1993 - n° 167
Président, M. SAINTE - Avocats, Mes MONTENON, VALERA
L’adultère et l'abandon du domicile conjugal commis par
le mari constituent une violation trop grave de ses obligations
conjugales pour pouvoir être excusés par l'humeur acariâtre et le
"comportement en général" de son épouse.
oOo
Séparation de corps pour faute / Eloignement
volontaire du domicile conjugal pour vivre avec sa
maîtresse / Refus par la femme de suivre son époux /
Absence de sommation
b) Aix - 6ème ch - 1er avril 1993 - n° 383
Président, M. SAINTE - Avocats, Mes DARMON, DELISLE
Si le fait pour le mari d'avoir abandonné le domicile
conjugal pour s'installer avec sa maîtresse constitue une violation
grave et renouvelée des obligations nées du mariage, le refus
pour l'épouse de suivre son mari ne peut être considéré comme
telle lorsque le mari n'a pas d'une façon ou d'une autre mis son
épouse en demeure de le rejoindre.
oOo
Séparation de corps pour faute / Refus du devoir
conjugal par la femme / Adultère du mari
c) Aix - 6ème ch - 13 janvier 1993 - n° 32
Président, M. SAINTE - Avocats, Mes MAYOUX, JAYET
Le défaut de relations sexuelles entre époux ne peut être
considéré comme une attitude injurieuse que s'il est établi qu'il
provient d'une volonté bien déterminée de l'une des parties de
�121
cesser tout contact avec l'autre partie. L'attitude de la femme est
excusée par le comportement grossier du mari qui la trompait
avec sa propre employée et ce ouvertement
Observations : Quelle que soit la cause du divorce invoquée,
elle peut se trouver atténuée, voire excusée par l'existence de torts
à la charge de l'époux demandeur. En cas d'adultère, le principe a
été posé par la Cour de cassation, Civ. 2, 5 février 1986 : "C'est
dans l’exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la
Cour d'appel a estimé que l'adultère de l'épouse n'avait pas eu
d'influence sur la rupture du lien conjugal et que le comportement
du mari lui enlevait le caractère de gravité qui aurait pu en faire
une cause de divorce". Mais les torts de l’époux demandeur ne
sont pas forcément considérés comme suffisamment graves pour
excuser toujours ceux de l'époux défendeur (Cass. civ. 2 , 14
décembre 1960, Bull. civ. II, n° 765 ; 21 juin 1961, Bull. civ. II,
n° 474) particulièrement en matière d’adultère.
D.V-B
54 • Divorce / Fixation de la pension alimentaire de
la femme / Concubinage de la femme /
Possibilité pour la femme de travailler
Aix - 6ème ch - 5 février 1993 - n° 140
P résident, M. SAINTE - A v o cats,
CAMPESTRE
M es
T E S N IE R E ,
Le concubinage n'étant pas une situation stable et
l'oisiveté de la femme n'étant pas le résultat de sa volonté de ne
pas travailler, ces deux arguments sont indifférents pour la
fixation de la pension alimentaire.
D.V.-B.
55 -
Divorce pour faute / Droit de visite et
d'hébergement / Détention du père dans une
maison d'arrêt
Aix - 6ème ch - 30 mars 1993 - n° 358
Président, M. SAINTE - Avocats, Mes MOULIN, PIETRI
Une Maison d'arrêt n'est certes pas un lieu idéal pour un
enfant mais un père possède un droit imprescriptible de pouvoir
être en relation avec son enfant même si ces relations doivent se
dérouler en milieu carcéral. De fait, les Maisons d'Arrêt actuelles
sont pourvues d'un équipement pour ce genre de visite et la
présence du personnel pénitentiaire est une garantie de sécurité.
Observations : Les rencontres entre le parent non gardien et
l'enfant découle d'un véritable droit reconnu par la jurisprudence
122
(Cass. req. 24 juillet 1878, D.P. 78, 1, 471 ; T.G.I. Paris 24
nov. 1970, Dr. enfance et fam. 1970, 84) et consacré par la loi
(art. 288, al. 2). Seuls des motifs graves comme l'hostilité du
parent (Cass. civ. 2, 4 janvier 1964, Bull. civ. n° 2), les doutes
du père concernant sa paternité (Cass. civ. 7 mars 1900, D.P.
1901, 1, 452), les risques d’enlèvement (Cass. civ. 2, 7 déc.
1977, Gaz. Pal. 78, I, somm. 76) peuvent justifier le refus de
droit de visite. Q uant à l'incarcération, les décisions
jurisprudentielles sont contradictoires (pour la qualification de
motif grave : Versailles, 26 février 1988, Juris-Data, n° 040302 ;
contra Paris, 12 juin 1987, Gaz. Pal. 1988, 2 , somm. 369).
D.V.-B.
56 • Divorce pour faute / Droit de visite et
d'hébergement par les grands-parents paternels
Aix - 6ème ch - 5 février 1993 - n° 145
Président, M. SAINTE - Avocats, Mes BOISNEAULT,
CAND AS-NICOLAS
Le maintien des relations personnelles de l'enfant avec ses
grands-parents doit être protégé et organisé par le juge sauf
motifs graves. L'étendue de ces relations doit le cas échéant être
appréciée en fonction de ce que le père se trouve empêché d'exer
cer son droit de visite et d'hébergement et de maintenir lui-même
les relations entre ses parents et son enfant.
Observation : L'article 288 institue un droit de visite au profit
des seuls père et mère. L'article 371-4 organise ce même droit à
l'égard des grands-parents. (Cf. Jurisclasseur civil, fasc. 70, n°
153 à 155). L'impossibilité du père non gardien d'exercer son
droit de visite renforce la nécessité de protéger l'exercice du droit
de visite des grands-parents paternels.
D.V.-B.
57 - Divorce / Droit de visite et d'hébergement du
père / Contribution paternelle à l'entretien et à
l'éducation de l'enfant
Aix - 6ème ch - 23 mars 1993 - n° 250
Président, M. SAINTE - Avocats, Mes BRUNET, BAYETTI
Il échet de tenir compte pour le calcul de la contribution
paternelle de l’éloignement entre le domicile maternel et paternel
et des frais supplém entaires qu'il entraîne pour le père à
l'occasion de l'exercice de son droit de visite.
Observations : La détermination du montant de l'obligation
d'entretien est fonction de deux éléments : les besoins de l'enfant
�123
et les ressources des deux parents. Mais le droit de visite et
d'hébergement peut d’une manière indirecte influer sur le montant
de l’obligation d’entretien. Ainsi, le parent soum is à des frais
conséquents du fait de l’exercice de son droit de visite peut
bénéficier d’un allégement de son obligation alim entaire. La
jurisprudence a même précisé que dans l’hypothèse où le parent
non gardien serait si démuni qu’il se trouverait dans l’incapacité
d’exercer son droit de visite, le parent gardien devrait lui verser
une aide financière.
D.V.-B.
ADOPTION
S8 - Adoption plénière / Disparition légale du lien de
filiation entre la famille paternelle et l'enfant /
Art. 371-4 du Code civil / Droit de visite et
d'hébergement accordé aux grands-parents /
Intérêt de l'enfant
Aix - 6ème ch - 18 mars 1993 - n° 211
Président, M. SAINTE * A vocats, M es O B ERTH U R,
MAGNAN Du seul point de vue juridique, s'il résulte d'une adoption
pleinière par le nouveau mari la disparition légale du lien de
filiation avec la famille paternelle, rien n'interdit de considérer la
réalité de cette parenté comme constitutive d'une situation excep
tionnelle au sens de l'article 371-4 du Code civil et d'accorder
aux grands-parents paternels un droit de visite et d'hébergement
si toutefois tel est l'intérêt de l'enfant. Cependant, s'il est certes
possible que l’enfant éprouve dans les années à venir le désir de
connaître sa famille par le sang, il le ferait alors par une démarche
spontanée et beaucoup moins traumatisante que celle résultant
d'une réglementation autoritaire.
Observations : D'après l'art. 356, l'adoption plénière confère à
l’enfant une filiation qui se substitue à sa filiation d'origine. Il
s'agit là d'une rupture complète des liens avec la famille
d'origine. Cependant dans des cas exceptionnels, certaines
juridictions inférieures contrairement à notre espèce reconnaissent
le droit de maintenir certains liens en accordant notamment un
droit de visite à des grands-parents par le sang (Pau, 21 avril
1984, D.S. 1984, 109, note Hauser ; Rennes, 6e ch, 13
décembre 1982, Juris-Data n° 43107).
D.V-B
124
SUCCESSIONS
S9 - Libéralités / Testament / Nullité du testament
pour insanité d'esprit / Article 901 du Code
civil / Testament rédigé avant le jugement
d'ouverture de la tutelle du disposant / Article
503 du Code civil : Conditions de mise en
œuvre / Notoriété de la cause d'ouverture de la
tutelle / Assimilation de la connaissance par le
légataire de l'état mental du disposant
Aix - 1ère ch B - 23 Juin 1993 - n° 396
Président, M. LORIFERNE - Avocats, Mes ESCLAPEZ,
FAIVRE
Aux termes de l'article 901 du Code civil, il faut être sain
d'esprit pour tester.
Selon l'article 503 du Code civil, les actes de la personne
protégée antérieurs au jugem ent d'ouverture de la tutelle, en
principe valides, même si la personne était déjà placée en
curatelle, pourront être annulés si la cause qui a déterminé
l'ouverture de la tutelle existait notoirement à l'époque où ils ont
été faits.
L'emploi du verbe "POURRONT" dans l'article 503 du
Code civil ne consacre pas une possibilité d'appréciation du juge
sur l’opportunité de l'annulation sollicitée selon les circonstances
de la cause, mais doit s'entendre, par rapprochement avec les
dispositions de l'article 502 qui prévoient la nullité de plein droit
des actes passés postérieurement au jugement d'ouverture de la
tutelle, comme introduisant par exception pour les actes antérieurs
à cette ouverture une extension du régime de cette nullité lorsque
certaines conditions se trouvent réunies, ce dont il résulte que le
juge ayant constaté leur réunion devra déclarer cette nullité.
En l'espèce, il y a lieu de relever que, contrairement aux
indications de la légataire, le certificat médical du 22 mars 1985
"fourni en vue de l'ouverture d'une tutelle" mentionne bien que
cette mesure était imposée par l'état d'insanité mentale de la
disposante et non seulement par le fait que les exigences liées à la
gestion de son patrimoine se combinaient mal avec les pouvoirs
limités d'un curateur.
Le testam ent du 29 juin 1985 ayant été rédigé
postérieurement à la date de rédaction de ce certificat, il apparaît
donc que les causes d'ouverture de la tutelle existaient au moment
où la défunte a établi ce testament, ce que le légataire, proche de
la disposante et qui l'assistait régulièrement, ne pouvait ignorer
pour ce motif.
�125
Cette dernière circonstance devant être assim ilée à la
notoriété prévue par l'article 503 du Code civil, il se déduit des
éléments précédents que les conditions d'annulation prévues par
ce texte sont réunies en l'espèce.
Observ ations : Pour une interprétation identique de la condition
de notoriété imposée par l'article 503 du Code civil, cf. Cass,
civ. 1, 9 mars 1982, J.C.P. 1983, II, n° 19996, note P. Rémy ;
Cass. civ. 1, 5 mai 1987, J.C.P. 1988, II, 21109, note T.
Fossier.
Inversement à la solution retenue, la nullité de l'article 503
du Code civil est généralement présentée com m e ayant un
caractère facultatif. Cf., entre-autres, Cass. civ. 1, 25 avril 1989,
Bull. I, n° 170, p. 112 ; J. Massip, "L'article 503 du Code civil",
Rép. Def. 1985, art. n° 33541, spéc. p. 742.
M. B
S10 - Libéralités / Testament / Legs universel /
Clause d'inaliénabilité / Portée / Interdiction
de toute aliénation volontaire / Interprétation
de la volonté du testateur
Aix - 1ère ch B - 9 avril 1993 - n° 225
Président, M. RANSAC - Avocats, Mes BENSA, MOSCANI
La volonté de la testatrice, à la lecture du testament
litigieux, apparaît comme ayant été d'im poser à la SPA une
charge, à savoir celle de créer un refuge, sur le terrain dont elle
était propriétaire, et de renforcer la pérennité de cet établissement
par l'interdiction de toute aliénation volontaire, sans limitation de
durée, disposition néanmoins valable car si l'article 900-1 du
Code civil impose en principe le caractère temporaire pour toute
clause d’inaliénabilité, il est fait exception à cette règle par l'alinéa
2 de cet article pour les libéralités consenties à des personnes
morales, sauf à préciser que celles-ci ne sont pas privées de la
possibilité de demander la révision judiciaire de cette charge dans
les cas prévus par le premier alinéa de cet article.
Il s'en déduit que la défunte ne prévoyait la sanction de
cette clause d’inaliénabilité que dans les cas où l'aliénation
volontaire de l'immeuble par la SPA constituerait un obstacle à la
création du refuge ou à son maintien ultérieur, et que la volonté
de la disposante n'était pas de priver la SPA de son legs dans
l'hypothèse où la vente serait déterminée par un autre motif,
puisqu’elle a par ce testament conféré à cet organism e une
vocation à l’universalité de ses biens et non à l’attribution d'un
legs particulier.
126
Or, il est établi en l'espèce que l'impossibilité de créer le
refuge procède des dispositions du P.O.S. (qui étaient d'ailleurs
déjà en vigueur à la date du testament) si bien que l'aliénation
projetée n'entre pas dans le champ de l’interdiction d'aliéner telle
que la testatrice l'avait conçue.
Observations : Sur l'interprétation des clauses d'inaliénabilité,
cf. Juris-classeur civil, art. 900-1, par A. Sériaux, n° 17 et s.
M.B.
S ll -
*
Libéralités / Donations entre époux / Epoux
séparés de biens / Donation de deniers en vue
d 'a cq u isitio n s im m obilières indivises /
Articles 1099 alinéa 1er et 1099-1 du Code
civil / Preuve de la donation / Défaut de
preuve de l'intention libérale / Volonté de
rémunérer la collaboration professionnelle du
conjoint (1ère espèce) / Exécution du devoir
de secours entre époux (2ème espèce)
a) 1ère espèce : Aix - 1ère ch B - 8 juin 1993 - n° 347
Président, RANSAC - Avocats, Mes COUTELL1ER, GASS1ER
Il incombe au mari, marié sous le régime de la séparation
de biens, qui prétend avoir intégralement financé les acquisitions
immobilières et avoir ainsi fait donation à son épouse des deniers
ayant servi à l'acquisition de la moitié indivise revenant à celle-ci,
de démontrer, d'une part qu'il a seul supporté la dépense, et
d'autre part qu'il a agi dans une intention libérale.
Il est constant que pendant la durée du mariage l'épouse
n’avait pas de ressources personnelles et que les fonds ayant
servi aux acquisitions litigieuses provenaient du compte
personnel de l'époux, mais il résulte des décisions rendues dans
le cadre de la procédure de divorce, des témoignages versés aux
débats et du rapport d'expertise, qu'outre l'éducation des enfants
communs et l'entretien du ménage, la femme a prêté son
concours au fonctionnement de l'agence exploitée par son mari,
et ce de juillet 1956 à août 1978, qu'elle y assurait une présence
assidue et se voyait reconnaître de nombreuses responsabilités en
rapport avec la qualité d'agent d'assurances obtenue par elle en
1969, sans percevoir pour autant la moindre rémunération, de
telle sorte que son mari faisait ainsi l'économie de l'embauche
d'un agent de maîtrise ou d’un cadre.
Dans ces conditions, l'époux ne fait nullement la preuve
d'une intention libérale, alors que les achats faits pour moitié au
nom de la femme avec des fonds provenant du compte du mari,
avaient pour cause la volonté de ce dernier de rémunérer la
collaboration professionnelle apportée par son épouse pendant de
�127
nombreuses années, laquelle dépassait très largement la simple
obligation de contribution aux charges du mariage.
128
S12 -
b) 2e espèce : Aix - 1ère ch B - 16 juin 1993 - n° 371
Président, M. LORIFERNE - Avocats, Mes GODEFROY,
CHABR1ER
Selon l'article 1099 du Code civil, le mari, qui prétend
qu'une acquisition faite au nom de son épouse séparée de biens
constitue une donation déguisée, doit rapporter la preuve de ce
déguisement et de l'intention libérale qui l'a animé.
Cette dernière n'existe pas si l'acquisition a eu en réalité
pour but d'indemniser l'épouse de sacrifices personnels et
d'efforts excédant la contribution norm ale qu'elle doit aux
charges du mariage, ou d'un travail effectué dans les mêmes
conditions sans rémunération lorsqu’ils ont permis de constituer
des économies ou de dégager des ressources em ployées pour
l'acquisition du bien considéré, laquelle n'est plus alors que la
contrepartie des précédents.
Le mari ne rapporte pas la preuve de cette intention
libérale, dès lors qu’il ne verse aux débats aucune pièce
permettant d’apprécier le train de vie et les moyens d'existence du
ménage et ne précise pas non plus com m ent celle-ci a été
organisée au plan financier alors même qu'une séparation de fait
est intervenue sept ans avant le prononcé du divorce, période
pendant laquelle l’épouse a assumé seule l'éducation matérielle et
morale des enfants.
L'épouse soutient que la prise en charge par le mari des
règlements en vue de l'acquisition de l'appartem ent indivis
correspondait dans son esprit à une contrepartie pour cet effet
particulier et une lettre émanant de l'époux confirme le fait qu'en
procédant à ces règlements, il avait essentiellement conscience
d'assurer l'exécution de son devoir de secours, plutôt que de
gratifier son conjoint.
Observations : Voici deux illustrations de la notion de
"donation rémunératoire". Sur celle-ci, cf. A. Sériaux, Les
successions, les libéralités, P.U.F. 2e éd. 1993, n° 60, p. 104 et
n° 97, spéc. p. 188. Les juges du fond disposent d'un pouvoir
souverain pour apprécier l'existence de l'intention libérale. Cf.
Cass. civ. 1, 2 octobre 1985, Rép. Def. 1987, art. 33846, p. 85,
obs. A. Breton. Cf. également, S. Piédelièvre, "Réflexions sur
l'achat pour autrui entre époux", J.C.P. 1991, l,n° 3484, spéc.
n° 5 et 10.
M. B
Libéralités / Donations entre époux / Donation
au second conjoint après remariage / Faculté
de substitution offerte aux enfants du premier
lit / Article 1098 du code civil / Volonté
contraire et non équivoque du disposant /
Preuve rapportée (non)
Aix - 1ère ch B - 24 mars 1993 - n° 188
Président, M. R A N SAC - Avocats, Mes SCHWEITZER,
LASTELLE, PETITET
Aux termes de l'article 1098 du Code civil, si un époux
remarié a fait à son second conjoint une libéralité en propriété,
chacun des enfants du premier lit a, "sauf volonté contraire et non
équivoque du disposant", la faculté de substituer à l'exécution de
cette libéralité l'abandon de l'usufruit de la part de succession
qu'il eut recueillie en l'absence de conjoint survivant. Il appartient
au disposant qui veut s'opposer à la substitution ouverte par la
loi, de le spécifier expressément dans l'acte contenant libéralité au
profit de son conjoint ; en l'espèce, le disposant qui n'était pas
juriste et qui ignorait vraisemblablement à la fois l'existence des
dispositions légales autorisant la substitution et la faculté pour lui
de s'y opposer par avance, a exprimé dans son testament le voeu
que sa succession soit réglée dans un climat d'harmonie et selon
ses dernières volontés, ce qui est sans doute le désir de tout
testateur ; mais la formulation utilisée ne peut s'analyser comme
une volonté expresse et non équivoque d'interdire après son
décès l'exercice par son fils issu de sa première union de la
faculté de substitution.
O b servations : Sur les modalités de l'expression d'une
"volonté contraire et non équivoque du disposant", propre à
écarter la faculté de substitution de l'article 1098 du Code civil,
cf. déjà Aix, 1ère ch, 15 janvier 1974, J.C.P. 1975, II, n° 18052;
et plus indirectement, Cass. civ. 1, 4 octobre 1988, Rép. Def.
1989, art. 34424, note G. Morin.
M.B
S13 -
S u c c e ssio n
/
P artage
/
A ttrib u tion
préférentielle / Exploitation agricole / Article
832-1 du Code civil / Conditions relatives à la
personne du demandeur / Défaut de capacité
physique / Défaut de volonté d'exploiter /
Rejet de la demande
Aix - 1ère ch B - 12 mai 1993 - n° 275
P résident, M. RAN SA C - A vocats, Mes GARNERO,
GIAUFFRET
�129
Le fils de la défunte est fondé à invoquer le bénéfice de
l'attribution préférentielle de droit prévue par l'article 832-1 du
Code civil, dans la mesure où la superficie de l’exploitation ne
dépasse pas les limites autorisées. Mais les prem iers juges ont
rejeté ajuste titre sa demande dès lors qu'il a reconnu aux termes
de nombreuses correspondances versées aux débats la vocation
de terrain à bâtir des parcelles, précisant notam m ent par lettre
adressée à sa soeur : "mon but n'est plus de cultiver mais
d’arriver à faire de ces terrains des terrains à bâtir".
Agé de 65 ans et se disant malade, n'ayant ni la capacité
physique, ni la volonté d'exploiter, il ne saurait en fraude des
dispositions de l’article 832-1 du Code civil, obtenir l'attribution
préférentielle de terrains dans le seul but avoué de réaliser une
opération spéculative.
Observations : Bien que le texte de l'article 832-1 du Code civil
précise que l'attribution préférentielle qu'il organise est de droit,
les juges semblent se réserver un certain pouvoir d'appréciation
en la matière. Sur ce point, cf. Cass. civ. 1, 23 avril 1985, Bull.
I, n° 126, p. 116 ; Juris-classeur civil, art. 815-842 fasc. XI, par
P. Catala, n° 22 et s.
M.B
130
RESPONSABILITÉ CIVILE
ACCIDENTS
ROUTIERE
S14 -
DE
LA
CIRCULATION
R esp on sabilité civile / Accident de la
circulation / Loi du 5 juillet 1985 / Prêteur
victime / Faute inexcusable (non)
Aix - lOème ch - 17 mai 1993 - n° 27
Président, M me BERRA - A vocats, Mes FLECHER,
BERNARDI, COHEN
Attendu qu'il ressort de la procédure établie par les
services de police de Toulon que M. X traversant à pied la place
Noël Blache à hauteur de l'avenue François Fabie est venu
heurter en son milieu un autobus de la RMTT qui circulait dans
son couloir réservé ;
Attendu qu'en application de la loi du 5 juillet 1985 et
particulièrement de son article 3, les victimes non conductrices
d'un accident impliquant un véhicule terrestre à moteur doivent
être entièrement indemnisées de leur préjudice sauf si elles ont
commis une faute inexcusable, et exclusive ou volontaire ;
Attendu que seule est inexcusable au sens de ce texte la
faute volontaire d'une exceptionnelle gravité exposant sans raison
valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience ;
Attendu que M. X a traversé la chaussée en dehors du
passage protégé ;
Que soumis à un dépistage d'alcoolémie il a présenté un taux
d'alcool dans le sang de 1 gr pour mille ;
Attendu que selon le témoin Y, qui se trouvait dans l'auto
bus, la victime a marché directement sur la chaussée en direction
du trottoir opposé à celui sur lequel il se trouvait, puis est venu
heurter le milieu du bus, qui "était déjà largement passé" ;
Attendu qu'en agissant ainsi, M. X n'a pas commis une
faute d’une exceptionnelle gravité l'exposant sans raison valable à
un danger dont il aurait dû avoir conscience ;
Qu'au contraire, il y a très certainement eu de la part de la
victime une m auvaise appréciation du temps nécessaire à
l’autobus pour dégager complètement la partie de la chaussée où
circulait M. X.
Attendu que c'est à bon droit que le Premier juge a
considéré que M. Z, la RMTT et la Compagnie d'assurances
devaient être tenus de réparer l'intégralité du dommage subi par la
victime".
�132
Observations : A propos des rares arrêts adm ettant la faute
inexcusable du piéton, v. Cass. civ. 2, 15 Juin 1988. Bull. civ.
II, n° 138 ; 7 juin 1989, Bull. civ. II, n° 120 ; 28 juin 1989, Bull,
civ. ü, n° 137 ; 7 mars 1990, Bull. civ. II, n° 53.
J.-M.R
Observations : Sur la nécessité de la preuve d’une faute de
fonction, v. Cass. civ. 2, 4 juin 1980, J.C.P. 1981, II, 19599 ;
février 1981, G.P. 1981, 2, pan. 206 ; Cass. civ. 1, 7 mars
1989, Bull. civ. 1, n° 116.
JM.R.
DIVERS
S15 -
Responsabilité civile / R esponsabilité des
instituteurs / Rencontre sportive / Preuve
d'une faute d'organisation et de surveillance
(non)
Aix - lOème ch - 17 mai 1993 n° 329
Président, Mme BERRA - Avocats, Mes CAPPONI, CHARLES
Au cours d'un match de basket, organisé par un collège
entre deux classes de 4e, un des élèves a été blessé par un de ses
camarades. Les parents de la victime ont basé leur action d'une
pan sur la faute de l'enseignant ayant organisé le match opposant
des enfants de deux classes de même niveau m ais d'âges
différents et, d’autre part, sur le défaut de surveillance au cours
de la rencontre.
Sur le premier moyen, la Cour souligne : "on ne peut
considérer qu'une différence d'âge de deux années entre des
adolescents se traduit obligatoirement par une disproportion dans
leur force et leur développement physique ; que le match étant
organisé entre deux classes de même niveau, on ne peut, sans
simplifier à l'extrême la situation, considérer que l'une des
classes était exclusivement composée d'élèves physiquement
forts et l'autre, d’élèves physiquement faibles... Le match ayant
été organisé au sein d’un même collège entre deux classes de 4e,
il ne peut être reproché au professeur d’avoir commis une faute
en organisant ce match."
Sur le second moyen, il apparaît "qu'il n’est nullement
établi que X (auteur du dommage) se soit livré à un ou plusieurs
gestes violents avant ce match, attitude qui aurait pu conduire les
enseignants à surveiller particulièrement cet élève". De plus, "le
compte rendu d'accident perm et d'établir que X n'a pas
volontairement porté un coup à Y, mais l'a involontairement
blessé au cours d'une action de jeu ; l'enseignant ayant organisé
le match se trouvait sur le terrain de jeu puisqu'il était arbitre du
match ; il n'a pas pu intervenir pour éviter l'accident, celui-ci
étant survenu de façon imprévisible".
La Cour en déduit qu'aucune faute ne peut être reprochée
aux enseignants dans l'organisation et la surveillance du match au
cours duquel l'accident s'est produit.
RESPONSABILITÉ DES PROFESSIONNELS
S16 -
R esponsabilité civile / Responsabilité du
prêteur / Chose dommageable / Prêteur
professionnel / Présomption de connaissance
du vice / Article 1147 / Obligation de moyensécurité (oui)
Aix - lOème ch - 8 avril 1993 - n° 262
Président, Mme BERRA - Avocats, Mes CENAC, BERNARDI
Dans une espèce dans laquelle un poste de télévision prêté
par une société de réparation a implosé, provoquant le décès d'un
jeune garçon, la Cour d'appel a souligné les points suivants :
- La responsabilité du prêteur étant contractuelle, le principe de
non cumul interdit le recours aux règles de la responsabilité
délictuelle ou quasi-délictuelle, de sorte que l'emprunteur ne peut
se prévaloir, à l'égard du prêteur, des articles 1382 et suivants du
Code civil et spécialement de l'article 1384 al. 1er afférent à la
garde de la structure.
- Si l'article 1891 du Code civil prévoit que lorsque la chose
prêtée a des défauts, tels qu'elle puisse causer un préjudice à celui
qui s'en sert, le prêteur est responsable s'il connaissait les défauts
et n'en a pas averti l'emprunteur ; la jurisprudence présume
cependant que le prêteur connaissait le vice infectant la chose s'il
s'agit d'un professionnel, par analogie avec les solutions admises
en matière de vente ; le prêteur professionnel, comme le vendeur
professionnel, est tenu de connaître les vices et de ne prêter que
des produits exem pts de tout défaut de fabrication de nature à
créer un danger pour l'emprunteur ou les tiers ; il lui appartient de
vérifier ou de faire vérifier par des techniciens que l'appareil de
remplacement qu'elle prêtait ne recelait aucun vice.
- L'intérêt des deux parties autorisant le retour à l'application du
droit commun de la responsabilité contractuelle et la société
défenderesse ayant failli à son obligation de moyen-sécurité en
prêtant un poste usagé affecté d'un vice interne dont elle est
responsable, il y a lieu de déclarer l'entière responsabilité du
prêteur sur le fondement de l'article 1147 du Code civil.
JM.R
�133
S17 - Notaire / Manquement à son devoir de conseil
(oui) / Fausses informations d'ordre fiscal
a) 1ère espèce : Aix - 1ère ch B - 6 avril 1993 - n° 215
Président, M. RANSAC - A vocats, M es CA M PESTRE,
DESPLATS
Aux termes d'un acte authentique, une SCI consent à une
SARL un bail à construction ; le preneur déclare dans l'acte opter
pour la soumission du bail à la TVA selon le régime du terrain à
bâtir et s'engage à effectuer les travaux nécessaires à la
construction d’un immeuble et à acquitter la TVA sur les
encaissements. Quatre ans plus tard l'administration des impôts
notifie un redressement à la SCI aux motifs que le terrain, objet
du bail, étant placé dans le champ d'application de la TVA
immobilière, l'option pour l'assujettissement volontaire à la TVA
devait être exercée par le bailleur dans l'acte, et que la TVA était
exigible dès la passation de l'acte sur le m ontant cumulé des
loyers au taux effectif de 13,02 % alors que la SCI avait, à tort,
déclaré la TVA au fur et à mesure des encaissements au taux de
18,6 %, suite à une option form ulée trois m ois après la
conclusion de l'acte authentique. La SCI est condamnée à payer
des indemnités de retard dont elle obtient, devant la Cour,
rem boursem ent par le notaire, sur le fo n d em en t d'un
manquement à son obligation de conseil.
b) 2ème espèce : Aix - 1ère ch B - 9 avril 1993 - n° 235 Président, M. RANSAC - A vocats, M es FR A N CK ,
GODEFROY
A l'occasion de la revente d’une villa en viager l'acheteur
avait obtenu un prêt auprès de particuliers, afin de régler l'apport
initial et la rente viagère. L’emprunt avait été notamment garanti
par l’affectation hypothécaire de la villa, le crédit rentier
intervenant à l'acte de prêt pour consentir à la cession
d'antériorité de l'inscription de son privilège de vendeur et action
résolutoire.
Le notaire sur la lecture d'un état hypothécaire vierge
s'était dessaisi des fonds à la signature de l'acte. Il s'avéra par la
suite que le Trésor public avait inscrit une hypothèque légale
quatre jours après la signature de la vente, et pour une somme
supérieure à plus du double de la valeur du bien. L'hypothèque
conventionnelle des prêteurs ne put donc que prendre le 2ème
rang, contrairement aux souhaits des parties. L'emprunteur étant
défaillant, les prêteurs le poursuivirent ainsi que le notaire.
La Cour observe qu'aucune disposition légale ne confère
un caractère subsidiaire à la responsabilité notariale régie par le
droit commun.
134
Elle estime que le notaire a manqué à son obligation de
prudence en se dessaisissant des fonds et que sa faute a eu pour
conséquence directe de rendre inefficace la garantie hypothécaire.
Elle le condamne donc à réparer le préjudice résultant de la perte
des capitaux prêtés, des intérêts échus et des pénalités
conventionnelles.
Observations : Où il est question de la responsabilité des
notaires, dans des espèces toutefois fort différentes :
1 - Dans le premier arrêt, il est reproché au notaire de ne
pas avoir maîtrisé les questions, complexes, de l'assujettissement
à la TVA. C'est par référence à la notion de devoir de conseil,
dégagé par la jurisprudence et la doctrine depuis plusieurs années
(Rép. civil Dalloz, Notaire, n° 230 et s. et 246 ; Cass. civ. 1, 6
mars 1984, BC.P n° 87, pour des questions fiscales), que le
professionnel est condamné. La solution n'est pas surprenante
même si l'on conçoit qu'il n'est pas toujours facile, pour un
notaire, d'être spécialiste de droit fiscal.
Parce que l'inform ation d'ordre fiscal va se trouver
répercutée dans l'acte, (en l'espèce, l’assujettissement du bailleur
à la TVA) elle prend corps sous la responsabilité du rédacteur de
l'acte.
Il en résulte que si le notaire a un doute, il doit consulter
ou conseiller à ses clients de le faire, avant de passer l'acte.
2 - Dans le deuxième arrêt, il est reproché au notaire un
manquement à une obligation de prudence dans l'exécution de sa
mission. Ce n'est pas le contenu de l’acte qui est en cause mais
les diligences du professionnel à l'occasion de l'inscription d'une
hypothèque. La faute ici doit cependant être bien comprise : ce
n'est pas le rang de l'hypothèque qui est directement en cause.
Dans le laps de temps qui s'écoule entre la prise de renseigne
ments hypothécaires et l'inscription, il est toujours possible
qu'un autre créancier s'immisce ; le notaire le plus diligent ne
peut y échapper.
En revanche, le notaire ne doit pas se dessaisir des fonds
tant qu'il n'a pas vérifié, au moyen d'un état hypothécaire pris
après inscription, que l'objectif poursuivi par les parties est
atteint. En l'espèce, ne venant qu'en second rang, les prêteurs ne
bénéficiaient que d'une garantie illusoire. Le fait de s'être dessaisi
prématurément des fonds les privait donc de tout recours effectif
contre l'emprunteur.
Ainsi, la faute d'imprudence du notaire prive-t-elle les
prêteurs de l'exercice d'une saisie sur les fonds prêtés.
A l'occasion de cette décision, la Cour d'appel confirme
qu'aucune disposition légale ne confère un caractère subsidiaire à
la responsabilité du professionnel : il est codébiteur des sommes
�135
dues par l'emprunteur, et est à ce titre tenu à réparation intégrale
du dommage dès lors que la preuve est rapportée à son encontre
d'une faute ayant concouru à sa production.
518 -
Banque
et o p éra tio n s
de
b anq ue
/
Responsabilité civile du banquier / Fourniture
de renseignements / Renseignements erronés /
Analyse générale de la situation d'un client /
Faute (non)
Aix - 2ème ch - 28 janvier 1993 - n° 92
Président, M. CARRIE - Avocats, Mes S1TRI, S.C.P. BOLLET,
LE ROUX
"Il appartient à la SARL X. de démontrer l'inexactitude
des renseignements fournis, le fait que cette inexactitude est
consécutive à une faute du banquier et, en cas de réponse
positive, la relation causale entre le comportem ent fautif et le
préjudice.
Le caractère erroné des informations du 9 septembre 1988
selon lesquelles la société Y tenait bien ses engagements et avait
une situation financière correcte résulte à suffisance de la mise en
redressement judiciaire de cette dernière le 7 octobre 1988 et de la
fixation d'une date de cessation des paiements au 1er janvier
1988.
Cela dit, le seul fait d'avoir fourni des précisions qui se
sont révélées inexactes n'est pas en lui-m êm e reprochable.
Comme le souligne BPPC, la société X se contente d'une analyse
générale et imprécise, n'invoquant aucune circonstance particu
lière aucun document de nature à établir que la banque connaissait
effectivement la situation de sa cliente ou aurait dû la déceler en
faisant preuve d'une diligence accrue à l'occasion de la demande
qui lui était présentée. Rien ne dément les affirmations de BPPC
selon lesquelles nul incident de paiement n'avait été constaté sur
le compte de Y tandis que celle-ci avait d'autres comptes ayant
permis de dissimuler provisoirement les difficultés, cette dernière
indication étant au demeurant corroborée par une lettre de
COGEMA faisant état d’une mobilisation de créance Y par la
Société Marseillaise de Crédit le 9 septembre 1988".
S.F.
519 -
Banque et o p éra tio n s
de
banq ue /
Responsabilité civile du banquier / Octroi
d'un prêt / Montant excessif
Aix - 1ère ch B - 23 février 1993 - n° 127
Président, M. RANSAC - Avocats, Mes NASSER, MAIRIN
136
L’examen de la composition des revenus des époux X et
de leur fiche fam iliale perm ettait de vérifier la nécessaire
diminution de leurs ressources par la réduction puis la perte des
allocations familiales lorsque les enfants atteindraient la majorité,
alors que corrélativem ent les échéances du prêt augmentaient
progressivement et absorberaient puis dépasseraient, notamment
lors de la retraite de Monsieur X, la totalité des ressources du
couple, ainsi que l’ajustem ent observé le Tribunal.
En sa qualité de professionnel du crédit, la CRCAM des
Bouches du Rhône était en mesure d’apprécier pleinement cette
situation de sorte qu’elle a commis une faute en acceptant de leur
accorder le prêt litigieux au lieu de leur conseiller de ne pas
excéder leur capacité de remboursement ; que cette faute de la
banque a, avec celle commise par les époux X qui ont emprunté
inconsidérément sans tenir compte de la variation prévisible de
leurs ressources, concouru à la réalisation du préjudice consécutif
à l’endettement excessif des débiteurs à l’origine de leur éviction
que la procédure de saisie immobilière rend inéluctable, en l’état
de leur incapacité à s'acquitter de leur dette.
S.F.
�137
CONTRATS EN GÉNÉRAL
S20 -
Contrats et obligations / Formation du contrat
/ Théorie de l'émission
Aix - 2ème ch - 4 février 1993 - n° 122
Président, M. CARRIE * A vocats, M es M A R O N G IU ,
NAKACHE
L’offre de préemption et l’acceptation de celle-ci ne sont
soumises en l'occurrence, faute de dispositions contractuelles à
ce sujet, à aucune forme particulière. Elles obéissent donc aux
règles régissant la formation des contrats consensuels : la
pollicitation expresse ou tacite peut être retirée tant qu'elle n'a pas
été acceptée sauf si elle est accompagnée d'un délai d’acceptation
; l'acceptation doit se manifester expressément ou tacitement ; la
rencontre des volontés se réalise, en l'absence de stipulation
contraire, non par la réception m ais par l'ém ission de
l’acceptation.
S. F.
138
CONTRATS SPÉCIAUX
S21 - Contrats spéciaux / Contrat de recrutement /
Secrétaire de rédaction bilingue / Obligation de
moyens / Faute du cabinet de recrutement
(non)
Aix - 2ème ch - 7 janvier 1993 - n° 19
Président, M. CARRIE - Avocats, Mes BRUSCHI, ROUSSEL
"Attendu qu'en s'engageant à recruter une secrétaire de
rédaction bilingue anglais, la société AMS Sélection a contracté à
l'égard de la société La Journée Vinicole une obligation de
moyens ;
Qu'il convient donc de rechercher si la société AMS
Sélection a effectué les diligence nécessaires pour sélectionner un
candidat apte à occuper le poste offert ;
Attendu que la société AMS Sélection a fait paraître une
annonce dans la presse mentionnant les qualités requises du
candidat ;
Que la candidate sélectionnée était titulaire d'une licence
d'anglais, d'un DUT d'information et communication, avait
effectué divers séjours aux États-Unis et au Canada, des stages
auprès de plusieurs journaux et possédait une expérience
professionnelle ; qu a l'issue d'une période d'essai de deux mois,
la société Journée Vinicole a prolongé cette période d'un mois, en
indiquant "devant les difficultés de mise en place de votre
fonction qui ne nous ont pas permis de juger pleinement et
objectivement vos compétences... ;
Que ceci démontre, d'une part, que les connaissances de
cette candidate n’étaient pas manifestement insuffisantes, d'autre
part, que le poste venait d'être créé et que les fonctions attribuées
à son titulaire étaient encore mal définies ; que ceci confirme
l'observation faite par la société AMS Sélection dans son courrier
du 17 octobre 1988 par lequel elle relève qu'une analyse des
besoins de la société La Journée Vinicole laisse apparaître qu'un
tel poste n'est pas nécessaire ;
Attendu que la société AMS Sélection a rempli ses
obligations ; qu'il convient de réformer la décision déférée.
S.F.
�139
S22 - Contrats spéciaux /Contrat de publicité / Faute
de l'agent / Parution d'un texte comportant de
graves anomalies / Exception d'inexécution /
Annonceur fondé à refuser le paiement des
factures (oui)
Aix - 2ème ch - 28 janvier 1993 - n° 93
Président, M. CARRIE - Avocat, Me SORBA DURIEUX
"L’appelante démontre le com portem ent fautif de la
société X qui a de toute évidence pris l’initiative de faire publier
un texte comportant des anomalies sur des points si essentiels
qu elles n’ont pu et en tous cas n'auraient pas dû lui échapper.
C'est dès lors à juste titre, sur le fondem ent de l'exception
d'inexécution ou de la responsabilité contractuelle ouvrant droit à
réparation, qu’elle a refusé d'honorer les factures litigieuses".
S.F.
140
SÛRETÉS
S23 -
Cautionnement / Caution solidaire / Perte
d'une sûreté (oui) / Nantissement du fonds de
commerce du débiteur principal / Résiliation
du bail commercial / Subrogation rendue
impossible du fait du créancier (oui) / Fait du
créancier (abstention) / Décharge de la caution
(oui) / Art. 2037 du Code civil
Aix - 1ère ch A - 24 mai 1993 - n° 336
Président, M. HUGUES - Avocats, Mes GARÇON, ITEY
La société nantie qui a négligé tout recours aux moyens
qui lui étaient donnés pour permettre de sauvegarder la valeur du
nantissem ent, et notam m ent qui n'a pas relevé appel de
l'ordonnance de référé constatant la résiliation de plein droit du
bail commercial, (appel qui aurait nécessairement abouti à la
réformation de cette ordonnance par application de l'article 38 al.
1 de la loi du 25 janvier 1985) a, par son abstention privé de tout
effet le nantissement dans lequel elle avait obligation de subroger
la caution. La résiliation du bail commercial qui entraîne une perte
quasi totale de la valeur du fonds de commerce est de nature à
empêcher le jeu normal de la subrogation et opère décharge de la
caution dès lors qu'elle est intervenue par le fait du créancier.
L'article 2037 du Code civil est alors applicable et les cautions se
trouvent déchargées de leurs obligations.
Observations : L'article 2037 C. civ. prévoit que la caution est
déchargée lorsque, par le fait du créancier, la subrogation aux
droits, hypothèque et privilège du créancier ne peut plus s'opérer
en faveur de la caution.
En quoi consiste le "fait du créancier" ? Il est admis que le
créancier n'est déchu de son action contre la caution que si la
perte de sûretés ou de droits préférentiels lui est imputable (cf. P.
Simler et Ph. Delebecque, Les sûretés éd. Dalloz 1989, n° 155).
Dès lors que le créancier a commis une faute, la question
de l'imputabilité de la perte de la sûreté ne se pose pas : qu'il
s’agisse d'une faute intentionnelle ou d’une simple négligence
(cf. par exemple : Civ. 3, 12 nov. 1974, Bull. civ. III, n° 408,
J.C.P. 1975.11.18182, 1ère espèce, note Simler).
M ais la sim ple abstention du créancier peut aussi
contribuer à la perte des sûretés, comme dans l'espèce rapportée,
et la solution est constante (cf. Civ. 1,24 février 1982, Bull. civ.
I, n° 89, Rép. Déf. 1982, art. 32972, p. 1626, obs. Aubert ; Civ.
1, 6 octobre 1971, D. 1973.316, note Ivainer ; Civ. 3, 12
�141
novembre 1974, J.C.P. 1975.11.18182, 1ère espèce, note Simler
et, pour une espèce plus proche de celle com m entée : Corn. 3
novembre 1975, J.C.P. 1978.11.18891, note Simler).
J.C .
524 - Cautionnement / Caution solidaire / Garantie
d'un contrat de créd it-b ail / Gage /
Connaissance par la caution de l'existence du
gage (oui) / Défaut d'inscription du gage /
Bénéfice de l'article 2037 C. civ. (oui) /
Conséquences / Décharge de la caution (oui) /
Limites
Aix - 2ème ch - 10 juin 1993 - n° 487
Président, M. CARRIE - Avocat, Me TROEGELER
Lorsqu'une personne se porte caution solidaire des
engagements d’un crédit preneur et a connaissance de la clause du
contrat de crédit-bail qui prévoit que le véhicule, objet du contrat,
sera affecté en gage au profit du crédit-bailleur, elle peut
légitimement penser que le créancier assurera sa préservation par
son inscription. En l'absence d'une telle inscription, la caution
peut revendiquer le bénéfice de l'article 2037 C. civ.
Toutefois l'application des dispositions de l'article 2037
C. civ. ne décharge la caution de son engagement que dans la
mesure du préjudice subi, qui doit être fixé à la somme qu’aurait
procuré la vente du bien gagé.
O bservations : La décharge de la caution doit être à la mesure
du préjudice subi : si la subrogation n'a pas été rendue
impossible, mais si les avantages que la caution pouvait en
escompter ont été amoindris, elle est seulem ent partielle. A
rapprocher de l'arrêt de la première Chambre civile de la Cour de
cassation qui précise que la mesure du préjudice doit être prise
non à la date de la faute reprochée au créancier, mais à celle de
l'exigibilité du cautionnement.
J.C.
525 - Conventions / Cautionnement / Disposition des
articles 1326 et 2015 du Code civil / Actes
irréguliers (oui) / Engagement / Étendue /
Connaissance par la caution de la nature et la
portée de son engagement (oui : le - 2e - 3e
esp.) / (non : 5e esp.) / Conséquences sur la
validité de l'acte
a) 1ère espèce : Aix - 2ème ch - 10 février 1993 - n° 133
Président, M. CARRIE - Avocat, Me MIMRAN-VALENSI
142
b) 2e espèce : Aix - 2ème ch - 24 février 1993 - n° 180
Président, M. CARRIE - Avocat, Me MIMRAN-VALENSI
c) 3e espèce : Aix - 2ème ch - 19 février 1993 - n° 167
Président, M. CARRIE
d) 4e espèce : Aix - 2ème ch - 3 mars 1993 - n° 202
Président, M. CARRIE - Avocats, Mes ABEGG, MIMRANVALENSI
e) 5e espèce : Aix - 2ème ch - 26 février 1993 - n° 189
Président, M. CARRIE - Avocat, Me DUREUIL
Il résulte de la combinaison des articles 1326 et 2015 du
Code civil que l'acte juridique constatant un cautionnement doit
comporter, de la main de son auteur, une mention exprimant la
volonté de s'engager et une conscience certaine de la nature et de
la portée de son engagement.
Pour apprécier cette volonté et cette conscience, il doit être
tenu compte non seulement des termes employés, mais également
de la qualité, des fonctions et des connaissances de la caution, de
ses relations avec le débiteur et le créancier de l'obligation
cautionnée, ainsi que de la nature et des caractéristiques de cette
dernière.
La Cour d'appel a estimé qu'avaient eu une connaissance
de la nature de leurs engagements les personnes suivantes :
- Les gérants de deux SARL qui s'étaient portés caution des
engagements de leur société qui avait pris un bien en crédit bail
lorsque les deux actes figuraient sur un seul document (1ère
espèce et 2e espèce).
- Le gérant d'une SCI qui se porte caution solidaire pour le
paiement des fournitures pour la société que la SCI a chargée des
travaux, dès lors qu'il occupe au sein de la société cautionnée les
fonctions d'agent commercial (3e espèce).
- L'épouse divorcée du dirigeant d'une entreprise de maçonnerie
qui a collaboré avec son époux durant la vie commune et qui se
chargeait du secrétariat et de la comptabilité de l'entreprise. Ces
fonctions, dont le caractère occasionnel n'est pas démontré,
impliquent nécessairement de la part de l'intéressée une parfaite
connaissance de la portée de ses engagements (4e espèce ).
En revanche, est nul l'engagement de la caution qui ne
respecte pas les mentions des articles 1326 et 2015 du Code civil,
lorsqu’il est établi qu'au moment de l'engagement, la signataire
souffrait de graves troubles neurologiques entraînant une difficul
té de la concentration intellectuelle et de la lecture et une impossi
bilité d'écrire. Ces troubles, consécutifs à un accident dont
l'intéressée avait été victime quelque temps avant la signature de
�144
l'acte de caution rendent inconcevable la connaissance de la
caution de l'étendue et de la nature de son engagement.
Observations : "Le contentieux de la mention manuscrite en
matière de cautionnement s'essouffle mais ne disparaît pas
encore, malgré le développement d’une jurisprudence unifiée et
désormais fixée..." fait observer M. Aynès dans un récent
commentaire en matière de cautionnement. (Cf. D. 1993, somm.
p. 309, n° 5). Il apparaît désormais clairement que si la mention
manuscrite qu'exige l’article 1326 C. civ. n'existe pas, ou est en
contradiction avec le texte de l'engagement, il faut considérer que
le vice n'atteint que l'instrumentum : l'acte n'a plus la force
probatoire d'un écrit et constitue un commencement de preuve par
écrit, qui peut être complété par un élément extrinsèque. Cet
élément peut consister dans la signature par la caution elle-même
de l'acte d'où est issue l'obligation quelle garantit (cf. le et 2e
esp.).
Cette jurisprudence est désorm ais établie : voir par
exemple : Com. 15 janv. 1991, Bull. civ. IV, n° 24 ; Com. 29
janv. 1992, Bull. civ. IV, n° 42 et D. 1991, som. 383, obs. L.
Aynès et Com. 12 mai 1992, Bull. civ. IV, n° 177 ; et Civ. 1, 20
oct. 1992, D. 1993, som. p. 310 ; Com. 22 juin 1993, D. 1993,
som. p. 310.
J.C .
S26 -
Convention / Qualification / Garantie à
première demande (non) / Cautionnement (oui)
/ Conséquences
a) 1ère espèce : Aix - 8e ch A - 19 mai 1993 - n° 326
Président, M. DRAGON - Avocat, Me LE GOFF L'acte intitulé "garantie autonome" par lequel un dirigeant
de société s'engage vis-à-vis d'un équipement informatique pris
en location par la société et qui porte la mention manuscrite "je me
porte garant des sommes dues aux termes du contrat à première
demande du bailleur" doit être qualifié de contrat de cautionne
ment dès lors que l'exécution de cet engagement est expressément
subordonnée à la défaillance du débiteur principal. Cette
circonstance établit le caractère accessoire de l'engagement exclut
la qualification de garantie autonome.
La recevabilité de l'appel n'est pas discutée. Rien dans les
dossiers des parties ne conduit la cour à le faire d'office. Le
recours est donc recevable.
Par sa nature et son régime juridique la garantie à première
demande est un obligation tout à fait distincte du cautionnement.
Plus spécialement utilisée dans les rapports internationaux elle est
indépendante de l'engagement du débiteur principal et interdit au
garant d'opposer au bénéficiaire aucune autre exception
d'inexécution que celles résultant d'une clause de ladite garantie.
Il résulte des termes mêmes de l'engagement de M.
BOULLET que son exécution est expressément subordonnée à la
défaillance de la société MEGA LOISIRS. Il s'ensuit, nonobstant
l'intitulé de la convention et de l'emploi de l'expression "à
première demande", qu'il n'y a pas autonomie de l'engagement
litigieux à l'égard du contrat de base, M. BOULET ayant
uniquement accepté de régler la dette de la débitrice principale
dans le cas où celle-ci n'y satisferait pas elle-même. Son
obligation, accessoire de celle de la SARL MEGA LOISIRS,
s'analyse bien dès lors en un cautionnement.
En vertu de l'article 2036 du Code civil, la caution peut
opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au
débiteur principal et qui sont inhérentes à la dette ; Il est avéré en
l'espèce que C.G.L. n'a pas déclaré sa créance au passif de la
SARL précitée, en liquidation judiciaire. Cette créance est donc
éteinte en application de l'article 53 de la loi du 25 janvier 1985 et
m. Boulet déchargé par là-même de toute obligation envers la
bailleresse. Les prétentions de cette intimée doivent en consé
quence être rejetées. Le jugement querellé sera réformé de ce
chef.
L'appelant ne formulant plus aucune demande à l'encontre
de M. DESEINE, la décision déférée sera en revanche purement
et simplement confirmée sur ce point
Il n'existe pas de m otif d'équité justifiant de faire
application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société C.G.L. acquittera les dépens exposés par M.
BOULET, celui-ci conservera à sa charge ceux de M. DESEINE.
b) 2e espèce : Aix - 2ème ch - 8 juin 1993 - n 0 470
Président, M. DEGRANDI - Avocats, Mes GAS, ROBERT
L'acte par lequel une société se porte garantie "à première
demande" des engagem ents d'une autre société vis-à-vis du
crédit-bailleur d'un matériel d’équipement doit être qualifié de
cautionnement dès lors que cet engagement est subordonné à une
défaillance dans l'exécution du contrat de base. Dès lors, la
validité et l'étendue des engagements de la société garante
s'apprécie au regard des règles qui régissent le cautionnement.
Il n'est pas discuté par l'appelante que CEGEBAIL,
déférant à la som m ation lui ayant été faite à cet égard par
conclusions du 2 avril 1993, a produit l'original de l'acte
d'engagem ent du 17 novembre 1988, du procès-verbal de
réception du matériel et du justificatif du paiement du prix de ce
matériel entre les mains du fournisseur PAVAILLER.
�145
L'objection tirée, d'ailleurs tardivement, par la société
DURAND de la non communication en original, des documents
susvisés, est donc devenue sans objet.
Il convient d'exam iner successivem ent les moyens
d'appel soutenus par la société DURAND après avoir, eu égard
au différend entretenu sur la qualification de l'engagement du 17
novembre 1988, tranché liminairement cette question.
1 - Sur la qualification de l'engagem ent du
novembre 1988
17
Pour prétendre que cet acte co n stitu erait non un
cautionnement mais une garantie autonome, CEGEBAIL excipe
essentiellement de la terminologie même de l'acte, d'ailleurs ainsi
intitulé, et de la référence y étant faite du paiement immédiat "à
première demande du bailleur" des sommes dues.
Cette analyse ne peut être adoptée dans le mesure où,
d'une part, la nature juridique intrinsèque d'un acte est indépen
dante de l’apparence de l'instrumentum le juge tenant toujours de
l’article 12 du nouveau Code de procédure civile le pouvoir de
restituer aux actes leur véritable qualification et où, d'autre part et
surtout, l'existence d’une mention prévoyant que le garant devra
payer à première demande n'est pas à elle seule déterminante
puisqu'une telle stipulation peut s’interpréter, en droit interne où
la garantie personnelle usuelle est le cautionnement, comme une
simple renonciation au bénéfice de discussion.
Par ailleurs, la caractéristique essentielle de la garantie
autonome est son indépendance par rapport au contrat de base,
circonstance faisant défaut en l’espèce puisque l'acte fait
référence de façon précise aux conditions chiffrées du crédit-bail
et puisque la mise en jeu de l'obligation contractée est subor
donnée à une défaillance dans l'exécution du contrat de base ainsi
que l’illustre l'énumération non exhaustive des cas de garantie
stipulée dans l'acte ainsi libellé : "Je serait tenu (...) au paiement
immédiat de toutes sommes dues et/ou restant dues à ce dernier
aux termes du contrat de crédit bail, notamment en cas de cessa
tion de paiement, procédures de redressement ou de liquidation
judiciaires touchant le preneur, également en cas d'impayé ou de
résiliation du contrat imputable à ce dernier".
Le caractère accessoire au contrat principal de l'engage
ment souscrit apparaît ainsi indiscutable et interdit d'analyser
l'acte dont s'agit en un engagement personnel distinct de l'obli
gation du débiteur principal.
Il s'ensuit que s'agissant d'un cautionnem ent, comme
l'avait d'ailleurs appréhendé l’intimé en prem ière instance, la
société DURAND est en droit d'opposer tant les exceptions
146
inhérentes au contrat garanti que les règles afférentes au
cautionnement.
2 - Sur la nullité du cautionnement
a) Sur la validité formelle de l'acte
Si la société DURAND fait état d'un "doute" sur la
signature figurant sur l'acte, PM. Victor DURAND ne
"reconnaissant pas sa signature, une telle position de caractère
dubitatif ne saurait être regardée comme une dénégation formelle
de la signature en cause, laquelle apparaît au demeurant à
l’examen de la signature de M. Victor DURAND sur différents
documents de la cause (relevé du 28 juin 1990, carte d'identité du
2 septembre 1985 ...) conforme à celle de l'intéressé.
La question de l'authenticité de la formule manuscrite
figurant sur l'acte qui, elle, est formellement contestée par la
société DURAND apparaît dénuée de portée eu égard au caractère
commercial du cautionnement souscrit qui permet d'écarter les
exigences prescrites par les articles 1326 et 2015 du Code civil eu
égard à la liberté de la preuve en matière commerciale.
La société DURAND, minotier, a, en effet, à l'évidence,
en donnant sa garantie à GIM ENEZ, boulanger, pour
l'acquisition de matériel professionnel, agi dans le strict cadre de
ses activités commerciales en cherchant à s'attacher la clientèle
exclusive de GIMENEZ. Il est d'ailleurs établi que l'appelante
livrait régulièrem ent de la farine à GIMENEZ, circonstance
démontrant l'intérêt patrimonial visé par la société DURAND
dans l'opération.
Outre la signature du gérant de la société DURAND,
figure sur l'acte du 17 novembre 1988 le tampon de la société
appelante, qui ne fournit aucune explication sur cet élément
démonstratif de la réalité de l'engagement contracté.
L'acte com portant de façon claire et précise tant les
conditions financières du crédit-bail que les conditions de mise en
jeu de la garantie, la société DURAND a eu une parfaite connais
sance de la nature et de la portée de l'engagement souscrit de sor
te qu'elle ne peut valablement arguer l'acte de nullité de ce chef.
b) Sur le vice du consentement
V isant, par l'effet d'une erreur de plume manifeste,
l'article 2110 du Code civil alors qu'elle entendait à l'évidence
faire référence à l'article 1110 du même code, la société
DURAND prétend que son consentement est vicié pour erreur sur
la solvabilité du débiteur principal et tromperie sur la valeur des
biens livrés.
Concernant la solvabilité du débiteur principal, force est
de relever que l'acte de cautionnement indique que l’appelante
�147
reconnaît "s'être renseignée sur la solvabilité du preneur",
circonstance lui interdisant d'émettre toute objection opérante à
cet égard, observation étant faite que la société DURAND ne
pouvait ignorer la surface économique effective d'un de ses
clients habituels. Elle ne saurait donc utilement mettre en avant la
position de simple locataire gérant de GIMENEZ ni la déconfiture
ultérieure de ce dernier.
Concernant le matériel livré, la société DURAND se borne
à soutenir, sans apporter le moindre élém ent véritablement
probant, que le matériel aurait été "changé quelque temps après la
livraison à la parfaite connaissance de CEGEBAIL".
Cette assertion n'est en effet établie par aucune pièce du
dossier prouvant que l'intention manifestée par GIM ENEZ dans
sa lettre du 25 septembre 1989 de changer le matériel ait été suivie
d'effet, la facture pro-forma du 30 octobre 1989 invoquée en ce
sens par l'appelante n'ayant, en raison même de sa nature, pas
plus de portée.
Il doit donc être tenu pour acquis que le matériel cautionné
est bien celui objet de la facture PAVAILLER du 16 novembre
1988 (Four G 24 T, pétrin P 90 ...) pour un montant de 350.069
francs effectivement réglé à ce fournisseur par CEGEBAIL le 30
novembre 1988.
La nullité de l'engagem ent de l'appelante tirée d'un
prétendu vice du consentement ne peut donc prospérer.
3 - Sur l'extinction du cautionnement
Se prévalant de l'article 2037 du Code civil, la société
DURAND fait grief à l'intimé d'avoir négligé de récupérer le
matériel, ce qui aurait conduit à l'impossibilité de réaliser celui-ci.
Cette argumentation est contraire aux données de fait de la
cause dans la mesure où il est constant :
- que CEGEBAIL a, dès le 23 octobre 1989, présenté requête
pour appréhender le matériel dont il s'agit, requête ayant
normalement abouti ;
- qu'un commissaire-priseur a été mandaté (Maître HOURS) pour
effectuer la vente aux enchères publiques du matériel après qu'il
eut d'ailleurs été fait offre à l'appelante de trouver acquéreur puis
de racheter elle-même le four ;
- que l'impossibilité de vendre le matériel n'est, aux termes de la
lettre de Maître HOURS du 9 juillet 1991, aucunem ent la
conséquence d'une faute de CEGEBAIL mais tient uniquement
de la nature du matériel.
C'est donc à tort que la société DURAND invoque la
prétendue extinction du cautionnement par application de l'article
2037 du Code civil.
148
4 - Sur la créance de CEGEBAIL
Alléguant la nécessité de conclure sur le quantum de la
créance de CEGEBAIL, la société DURAND demande le renvoi
de l'affaire à cette fm.
Pareille position en peut être admise dans la mesure où la
créance de l'intim ée fait l'objet d'un décompte détaillé dont
l'appelante ne remet en question aucune des composantes. Ce
décompte apparaissant dès lors conforme tant aux stipulations
contractuelles qu'aux données résultant de l'exécution du contrat
par le débiteur principal, il n'y a pas lieu à procéder à un
quelconque supplément d'instruction du dossier sur ce point.
Compte tenu de ce qui précède, le jugement déféré sera
confirmé dans l'ensemble de ses dispositions, y compris celle
relative à l'application de l'article 700 du nouveau Code de
procédure civile.
L'équité commande d'allouer, en outre, à l'intimée sur ce
même fondement, une indemnité complémentaire de 3.000 francs
pour ses frais irrépétibles de procédure en cause d'appel.
Les dépens qui suivent la succombance incomberont
intégralement à l'appelante dont l'ensemble des prétentions a été
rejeté.
Observations : La qualification des conventions par lesquelles
des personnes déclarent se porter garantes des obligations d'un
débiteur continuent à faire difficulté.
La Cour d'appel d'Aix avait déjà eu l'occasion de se prononcer
sur ce point par un arrêt du 29 octobre 1992 (Bulletin des arrêts
de la Cour d'Aix, 1992, p.8, n° 2, observations critiques B.S.) et
avait alors retenu la qualification de garantie à première demande
pour l'engagement d'un dirigeant de G.I.E. qui avait porté, sur
un acte séparé, la mention manuscrite suivante : "je me porte
garant des som m es dues aux termes du contrat à première
demande du bailleur".
La 8ème chambre B de la Cour d'Aix avait déduit de cette
circonstance que l'engagement ne pouvait être qu'une garantie
autonome. Cette rapidité d'analyse, alors justement critiquée (cf.
note précitée) est aujourd'hui encore commune à différentes
Cours d'appel, qui continuent à s'en tenir à ce que M. Simler
appelle "la form ule magique" de l'engagement de payer à
première demande (M. Simler, J.C.P. (E) 1993, 1, 3717, n° 10
et Amiens, 11 décembre 1992, Juris-Data, n° 047892 ; Paris, 3e
ch B, 18 décembre 1992, Juris-Data, n° 024249).
Les deux décisions rapportées reviennent à une définition
claire de la notion de garantie autonome.
La Cour rappelle que dès lors que l'engagement de payer
à la place du débiteur principal est subordonné à une défaillance
�149
de ce dernier, la qualification de garantie à première demande est
exclue. Il ne peut y avoir de garantie autonom e lorsque le
caractère accessoire de l'engagement se déduit des termes de la
convention, nonobstant toute formule tendant à suggérer le
caractère autonome de rengagement
Le doute sur le caractère accessoire ou autonom e de
l’engagement est d’autant plus fréquent que les clauses sont
moins claires, parfois contradictoires. Ainsi, lorsque le corps de
l'acte fait état d'une obligation de payer à prem ière demande
toutes sommes dues par la société débitrice, mais que celui qui
s'engage a écrit "bon pour caution solidaire à concurrence de la
somme de cinq cent mille francs" la Chambre commerciale de la
Cour de cassation retient la qualification de cautionnem ent (D.
1993, Somm. p. 313, obs. M. Aynès).
Sans s'arrêter à la lettre du contrat, la Cour a donc
recherché l'intention des parties, et a établi que le caractère
accessoire de l'engagement se déduisait des termes employés. Ce
faisant, elle est allée moins loin qu'un arrêt de la Cour de Paris
que l'on a trouvé excessif (cf. Simler note précitée) et qui a
affirmé que la garantie par une personne physique des obligations
d'un crédit-preneur ne peut être qu'un cautionnement, quelle que
soit la qualification indiquée par le créancier dans le document
soumis à l'adhésion du garant (Paris, 26 janvier 1993, D. 1993,
I.R. 93).
J.C.
S26 - Banque et opérations de banque / Taux
d’intérêt / Fixation / Accord préalable par écrit
/ Article 1907 du Code civil / Loi du 28
décembre 1966 et décret du 4 septembre 1985
a) 1ère espèce : Aix - 1ère ch B.- 28 décembre 1992 - n° 2
Président, M. FAYOLLE - Avocat, Me JAUFFRET
"Attendu qu’il résulte des dispositions de l'article 1907,
al. 2 du Code civil, de l'article 4 de la loi du 28 décembre 1966 et
du décret du 4 septembre 1985, que depuis la promulgation du
décret du 4 septembre 1985, faute d'accord préalable et par écrit
des parties portant mention de l'intérêt produit par le solde d'un
compte bancaire, ce taux est celui de l'intérêt légal.
Attendu que cette règle, prescrite pour la validité même de
la stipulation d'intérêt est d'application générale et qu'il ne peut y
être dérogé, sauf à ce que ses effets ne remontent pas au-delà de
la date d'entrée en vigueur du décret du 4 septembre 1985, qui a
déterminé le mode de calcul du taux effectif global lorsqu’il s’agit
d’un découvert en compte.
Attendu que l’absence de contestation par le titulaire d'un
compte bancaire des taux d'intérêts pratiqués ne saurait être
150
assimilée à un acquiescement tacite, conscient et dépourvu de
toute ambiguïté.
Attendu que les dispositions de l'article 1906 du Code
civil ne peuvent pas non plus trouver à s'appliquer dans une telle
hypothèse, s'agissant d'intérêts, non pas payés spontanément par
le client de la banque, mais retenus par cette dernière pendant le
fonctionnement du compte".
b) 2e espèce : Aix - 1ère ch B.- 19 janvier 1993 - n° 14
Président, M. RANSAC - Avocats, Mes SIMON, GUERIN
"Attendu que ni la convention d'ouverture de compte
courant établie le 28 mai 1986 entre le CCF et les Ets X ni les
actes de cautionnem ent ne précisent le taux d'intérêt et le taux
effectif global applicables pendant le fonctionnement du compte ;
Qu'en application des articles 2013 et 2036 du Code civil,
les cautions, dont les obligations ne peuvent excéder celles du
débiteur principal, sont fondées à opposer au CCF l'exception
inhérente à la dette résultant du défaut de fixation du taux des
intérêts par écrit en violation des articles 1134 et 1907 du Code
civil, 4 de la loi du 28 décembre 1966 et 2 du décret du 4
septembre 1985 déterminant le mode de calcul du taux effectif
global en matière de découvert en compte ; que le CCF s'abstient
de se prévaloir à l'encontre des cautions solidaires de l’autorité de
la chose jugée d'un jugem ent du Tribunal de commerce de
Marseille du 30 novembre 1988 ayant condamné les Ets X au
paiement du solde débiteur litigieux en principal et agios
bancaires, aucune justification du caractère définitif de cette
décision n'étant au demeurant produite.
Attendu que la banque ne rapporte pas la preuve qui lui
incombe d'une acceptation tacite du taux des intérêts par le débi
teur principal, en l'absence de tout élément établissant la réception
par ce dernier de relevés de compte non produits devant la Cour
mentionnant le montant des agios ainsi que du taux effectif global
et n'ayant fait l'objet de sa part d'aucune réclamation.
Que les agios judiciairement réclamés n'ayant pas été
acquittés, les dispositions de l'article 1906 du Code civil ne
peuvent recevoir application en l'espèce, étant observé qu'elles ne
sauraient faire obstacle à la répétition d'intérêts imputés à tort en
violation des dispositions d'ordre public de la loi du 28 décembre
1966".
c) 3e espèce : Aix - 1ère ch B.- 3 février 1993 - n° 84
Président, M. RANSAC - Avocat, Me COUTELIER
"Attendu que la convention d'ouverture de compte courant
établie le 27 juin 1986 entre la banque d’une part, les consorts X
d'autre part, ne précise pas le taux d'intérêt et le taux d'effectif
�151
global applicables pendant le fonctionnem ent du compte, en
violation de l'article 1907 du Code civil et de l'article 4 de la loi
du 28 décembre 1966 dont les dispositions étaient devenues
applicables depuis l'entrée en vigueur du décret du 4 septembre
1985 déterminant le mode de calcul du taux effectif global en
matière de découvert en compte.
Attendu qu'à défaut de fixation du taux de l'intérêt
conventionnel et du taux effectif global dans la convention, la
banque ne justifie pas avoir satisfait à l'exigence légale de leur
indication écrite dans les relevés de com pte et d'agios, les
premiers faisant état d'une somme globale sans précision de taux
et les seconds comportant sous la rubrique "taux" la seule
mention "TTB + 6,45%" outre celle du taux des commissions et
de la TVA ;
Que ces éléments sont insuffisants pour déterminer
aisément le taux d'intérêt, le taux effectif global, le taux de base
bancaire variant selon chaque établissem ent et n'étant pas
nécessairement connu de ses clients tandis que l'incidence de la
TVA comme la pratique bancaire des jours de valeurs imposent
des calculs complexes pour déterminer ie taux réellement appliqué
; que le taux légal d'intérêt est en conséquence seul exigible sur
les découverts en compte".
S.F.
152
DROIT DES TRANSPORTS
527 -
T ransport maritim e de marchandises /
C om m ission de transport / Action du
mandataire substitué contre le mandant (oui) /
Application des règles du mandat au contrat de
commission chaque fois qu'une disposition
spéciale ne déroge pas à celles-ci
Aix - 2ème ch - 1er juin 1993 - n° 448
Président, M. DEGRANDI - Avocats, Mes CAMPANA, GODIN
L'article 94 du Code de commerce dispose que "les
devoirs et les droits du commissionnaire qui agit au nom du com
mettant sont déterminés par le Code civil, livre III, titre XIII".
C'est dire que les règles du mandat s'appliquent au contrat
de commission chaque fois qu'une disposition spéciale ne déroge
à celles-ci.
Or, si le premier alinéa de l'article 1994 ne présente pas
d'intérêt au regard des articles 97 à 99 du Code de commerce
instituant la garantie du commissionnaire en raison du fait des
substitués, dont le commissionnaire intermédiaire, aucun texte ne
conduit à écarter le second alinéa prévoyant que "dans tous les
cas, le mandant peut agir directement contre la personne que le
mandataire s'est substituée".
L'action directe du commettant contre le commissionnaire
ou contre le transitaire substitué n'a pas d'autre fondement.
Celui-ci donne au substitué, commissionnaire ou transitaire, une
action personnelle et directe contre le commettant pour obtenir le
rem boursem ent de ses avances et frais et le paiement de la
rétribution qui lui est due.
Ch. T.
528 -
T ransport m aritim e de marchandises /
R ecevabilité de l'action en responsabilité
contre le transporteur (oui) / Qualité pour agir
(oui) / Chargeur réel / Partie au contrat de
transport subissant seule le préjudice résultant
du transport
Aix - 2ème ch - 15 juin 1993 - n° 499
Président, M. DEGRANDI - Avocats, Mes ROINE, DE
THURMENY
L'action pour pertes et avaries contre le transporteur
maritime appartient au dernier endossataire, au cessionnaire des
�153
droits de la personne dénommée ou au porteur, selon que le
connaissement est à ordre, nominatif ou en blanc, ainsi qu'à toute
partie au contrat de transport qui justifie subir seule le préjudice
résultant du transport.
Ainsi la personne, dont la qualité de chargeur réel n’est
pas discutée et qui démontre être la victim e exclusive du
dommage consécutif à la disparition de colis, dispose d'une
action propre contre le transporteur maritime.
Observations : Cet arrêt ci-dessus rapporté exprime la position
actuelle de la jurisprudence française sur ce point.
Cette solution avait été adoptée par la même Cour dans un
arrêt du 10 mai 1983. Cependant l'action alors ainsi reconnue au
chargeur avait, dans un premier temps, été rejetée par la Chambre
commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 25 juin
1985 qui considérait alors que la Cour d'appel d'Aix avait violé
l'article 49 du décret de 1966.
La Cour de Montpellier saisie sur renvoi de la Cour de
cassation avait adopté la même position qui fut confirmée par un
arrêt de l’assemblée plénière du 22 décembre 1989 dans lequel la
Cour suprême retenait que "si l'action en responsabilité, pour
pertes ou avaries, contre le transporteur maritime, n'appartient
qu'au dernier endossataire du connaissement à ordre, cette action
est ouverte au chargeur lorsque celui-ci est seul à avoir supporté
le préjudice résultant du transport", (voir la note du Professeur
Bonassies au D.M.F. 1990, p. 29) (v. également, précis Dalloz
"Droit maritime", 1le éd., n° 381 et s. ).
Ch.T.
S29 - Transport routier de marchandises / Forclusion
de l'action en resp o n sa b ilité (non) /
Acceptation tacite des réserves apposées en
présence du préposé du transporteur sur le
document de transport
Aix - 2ème ch - 5 mai 1993 - n° 362
Président, M. CARRIE - A vocats, Mes PERRA CHON ,
BENKEMOUN, DEBEAURAIN, SCAPEL GRAIL
Il est de principe que la formalité de l'article 105 du Code
de commerce n'est pas nécessaire lorsque le docum ent de
transport porte des réserves motivées du destinataire n'ayant pas
suscité de réaction du transporteur dans la mesure où le simple
fait pour le chauffeur de ne pas contester ou contredire les
réserves apposées en sa présence par le destinataire sur le
document de transport constitue une acceptation non équivoque
de ces réserves.
154
Par ailleurs, l'assertion selon laquelle ces réserves seraient
illisibles est totalement gratuite, leur lecture pouvant être aisément
faite et la circonstance qu'elles n'aient pas été portées dans
l'encart réservé à cet effet est tout aussi inopérante dans la mesure
où elles sont parfaitement apparentes.
Observations : Cet arrêt exprime un principe jurisprudentiel
déjà ancien, selon lequel les formalités de l'article 105 du Code
de commerce cesse de recevoir application lorsque des réserves
ont été formulées par le destinataire au moment de la livraison et
que ces réserves ont été, expressément ou tacitement, acceptées
par le transporteur. Le délai de forclusion de l'article 105 du
Code de commerce trouve dans l'expression de ce principe une
atténuation importante qui apparaît équitable du point de vue du
destinataire. (Voir développements sur les formalités de l'article
105 in Lamy transport, t.l, année 1993, n° 257).
Ch.T
�155
DROIT DE LA CONSTRUCTION
S30 - Construction / Contrat de construction de
maison individuelle / Garanties dues par le
constructeur / Garanties de remboursement et
de livraison au prix convenu / Article R 231-8
du Code de la construction et de l'habitation /
Existence des garanties / Modalités de preuve
du contrat de cautionnem ent assurant la
garantie de livraison (1ère esp èce) /
Justification nécessaire des garanties au
moment de la conclusion du contrat à peine de
nullité (2ème espèce)
a) 1ère espèce : Aix - 17e ch - 12 janvier 1993 - n° 17
Président, Mme FAYOLLE - Avocats, Mes NYST, TROLLIET
La garantie de remboursement et la garantie d'achèvement
au prix convenu ne constituent pas un co n trat global.
L'acceptation de la première par un organisme habilité ne fait pas
présumer l’acceptation de la seconde.
En application de l’article R 231-11 alinéa 1 du Code de la
construction et de l’habitation, la caution s'oblige à compter de la
date d’ouverture du chantier en délivrant dans les huit jours de la
notification de la déclaration d'ouverture du chantier une
attestation de caution au maître de l'ouvrage. Il ne peut être
contesté en l'espèce que si la caution a délivré un certificat de
garantie de remboursement, elle n'a jamais délivré le certificat de
garantie de livraison à prix convenu, dans l'attente de documents
techniques que devait lui remettre le constructeur relativement au
chantier.
En l'absence de preuve de la conclusion du contrat de
cautionnement, et de l'encaissement d'un chèque relatif à ce
chantier précisément, le maître de l'ouvrage doit être débouté de
sa demande de mise en oeuvre de la garantie de livraison.
b) 2e espèce : Aix - 17e ch - 28 juin 1993 - n° 246
Président, Mme FAYOLLE - A vocats, M es DUREUIL,
MASCHI
Aux term es de l'article L. 231-1 du C ode de la
construction et de l'habitation, tout contrat de construction de
maison individuele doit comporter (h) : "la garantie apportée par
la personne qui s'est chargée de la construction pour la bonne
exécution de sa mission", l'article R 231-8 du même code
précisant à cet égard que cette garantie est double, remboursement
et livraison au prix convenu et l'article R 231-11 en prévoyant les
modalités par la constitution d'une caution.
156
Il résulte des faits de l'espèce et particulièrement du
contrat de construction que le constructeur a déclaré justifier
d'une convention de cautionnement, mais n'en justifie pas, même
actuellement, et qu’il ne pouvait être dispensé de cette obligation,
par application de l’article R 231-15, comme l'ont cru à tort les
premiers juges, dans la mesure où la somme versée à la signature
dépassait 3 % ; il convient en conséquence, appliquant les
dispositions de l'article L 231-3 du Code de la construction qui
prévoit que les règles de l'article L 231-1 du même code sont
d'ordre public, de prononcer la nullité du contrat, seule décision
de nature à assurer la protection du maître de l'ouvrage qui doit
bénéficier des garanties imposées au constructeur au moment de
la réception des premiers fonds.
Observations : Les deux décisions illustrent bien une difficulté
éventuellement liée au formalisme protecteur entourant le contrat
de construction de maison individuelle. Selon les textes, les
garanties doivent certes être acquises, dès la signature du contrat.
(Cf. Cass. civ. 3, 8 décembre 1988, Bull. III, n° 175, Rép. Def.
1989, p. 783). Mais en pratique, les banques n’acceptent souvent
que de fournir un accord de principe à ce stade quant à la garantie
de remboursement. (Cf. P. Malinvaud et P. Jestaz, Droit de la
promotion immobilière, Précis Dalloz 1991, n° 650-17, p. 508).
La loi du 19 décembre 1990 réformant la matière propose
désormais une solution permettant d'éviter cet inconvénient :
l'article L. 231-4 e) du Code de la construction et de l'habitation
permet de conclure le contrat sous la condition suspensive de
l'obtention de la garantie de livraison (elle-même remodelée ).
De façon générale, l'article L.231-2 du même code
indique dans sa nouvelle rédaction (alinéa K) que les attestations
des garanties de remboursement et de livraison, établies par le
garant, doivent être annexées au contrat.
M.B.
S31 -
Construction / Contrat de construction de
maison individuelle / Régime antérieur à la loi
du 19 décembre 1990 / Requalification d'un
contrat intitulé contrat de louage d'ouvrage en
contrat de construction de maison individuelle
/ Nullité du contrat pour violation de l'article
I. 231-1 du Code de la construction et de
l'habitation
Aix - 17ème ch - 28 juin 1993 - n° 233
Président, Mme FAYOLLE - Avocats, Mes DUREUIL,
GAGLIANO, LEVRAUD
�157
Si le contrat litigieux est intitulé "contrat de louage
d'ouvrage" et stipule que les prestations de la société cocontrac
tante ne concernent que "l’étude, le conseil ou l'assistance dans le
domaine de la construction de maisons individuelles" il résulte
néanmoins des éléments d'appréciation soumis à la Cour que la
société se présente dans ses documents publicitaires comme un
constructeur "de maisons individuelles haut de gamme" ; le
contrat, apparemment limité à la conception du projet de l'ouvra
ge, à la préconisation d’un architecte et d'entreprises, à la surveil
lance de l’exécution et à la réception, prévoit, pour ces diverses
prestations, une rémunération de 14 % du prix de la construction
projetée. Les honoraires de l'architecte préconisé par la société
s’élèvent à la somme de 8.690 F., ce qui contraint pratiquement
les cocontractants à se voir imposer l'architecte préconisé ; il en
est de même des entreprises dont le choix par le maître de
l’ouvrage est purement théorique, dès lors que le contrat précise
que le client bénéficiera de conditions préférentielles lorsqu'il est
présenté par la société.
Il résulte de ces éléments que la société se chargeait en
fait, de la construction d'un immeuble à usage d'habitation
d’a près un plan qu'elle faisait proposer et qu'elle avait ainsi la
qualité de constructeur de maison individuelle soum is à la
législation du 11 juillet 1972. Pour tenter d'échapper aux
contraintes légales, la société a cherché à modifier les apparences
juridiques ; c'est donc à bon droit que les premiers juges ont
qualifié le contrat litigieux de véritable contrat de construction et
prononcé sa nullité pour violation des dispositions de l'article L.
231-1 du Code de la construction.
Observations : Pour une opération de requalification du contrat
intervenue dans des circonstances très voisines, cf. Cass. crim. 9
janvier 1992, J. C. P. 1992, IV, n° 1291, p. 140 et R.D.I.
1993/1, p. 90. Cf. également déjà Aix, 1ère ch. A, 11 juin 1990,
ce Bull. 1990/2, n° 70, p. 40.
M.B.
S32 -
Construction / Contrat d'entreprise / Paiement
des travaux / Facture contestée par le maître de
l'ouvrage / Modalités de preuve de l'obligation
au paiement du maître de l'ouvrage
Aix - 3ème ch - 27 mai 1993 - n° 178
Président, M . PIZZETTA - A vocats, Mes DESOM BE,
MONTENON, DOUARINOU
Un maître d'ouvrage est condamné à payer une facture
correspondant à des travaux nouveaux, différents de ceux prévus
158
au devis initial et déjà réglés. La Cour d'appel confirme le raison
nement des premiers juges en y ajoutant les motifs suivants :
- l'existence d'un devis préalable aux travaux n'est pas
indispensable et, s'il est conseillé pour la sécurité des parties, il
ne s'imposait pas en l'espèce entre personnes ayant déjà contracté
de bonne foi ;
- les paiements successifs ont créé la confiance chez l'entre
preneur qui n'a pas exigé d'autre provision pour poursuivre
d'autres travaux ;
- le fait qu'une facture ait été établie un jour férié n'a rien d'anor
mal pour une petite entreprise familiale, où il est bien connu que
les jours fériés sont ceux consacrés à la comptabilité et aux
formalités, la semaine étant remplie par l'activité professionnelle
elle-même ;
- le fait que l'entreprise ait attendu plusieurs années pour assigner
n’a pas de signification particulière, si ce n'est une longue patien
ce à l'égard de clients qui avaient été de bonne foi et pouvaient
avoir des difficultés de trésorerie.
Observations : L'entrepreneur qui réclame le paiement de
travaux supplémentaires doit démontrer selon le droit commun
(article 1341 du Code civil) l'accord préalable du maître de
l'ouvrage à leur sujet. Cf. Dictionnaire permanent de la construc
tion, J. Sarrut, v° marchés privés, n° 85. L'arrêt illustre l'inciden
ce que peuvent avoir sur ce point les habitudes prises par les
parties dans leurs relations d'affaires antérieures.
M B.
S33 -
C o n stru ctio n
/ A rchitecte /
C ontrat
d 'arch itecte / 1) Existence du contrat
d 'arch itecte / Exigence d'un écrit ad
validitatem (non) / Modalités de preuve /
Articles 1341 et 1347 du Code civil / Preuve
rapportée (non) / 2) Conclusion du contrat
d 'a r c h ite c te
/ Sim ples pourparlers /
Commande ferme et définitive (non)
a) 1ère espèce : Aix - 3e ch - 3 juin 1993 - n° 192
P résident, M.
CONTENCIN
PIZ Z E T T A
- A vocats, Mes VOLFIN,
Le respect des dispositions de l'article 11 du décret du 20
mars 1987 précisant que tout engagement de l'architecte doit faire
l'objet d'une convention écrite préalable, n'est pas une condition
de validité du contrat, mais une simple obligation déontologique.
Un acte authentique ou sous seing privé n’est donc
nécessaire q u ’au-delà de 5.000 F., sauf commencement de
preuve par écrit, corroboré par d'autres preuves.
�159
En l’espèce, les relations entre le propriétaire de
l’immeuble à rénover et l'architecte se sont nouées dans le cadre
d'une opération programmée de l'am élioration de l'habitat,
réalisée à la diligence du Bureau de l'Habitat de la ville d'Arles.
Compte tenu de cette initiative adm inistrative, les croquis et
esquisses versés aux débats par l'architecte et la participation
alléguée par ce dernier du propriétaire à ces travaux ne prouvent
pas un quelconque accord des parties sur un travail rémunéré .
b) 2e espèce : Aix - 1 7e ch - 29 juin 1993 - n° 260
Président, Mme FAYOLLE
En l'espèce, aucun contrat d'architecte n ’a été signé
contrairement aux usages de la profession, bien que le projet soit
très important. La lettre adressée à l'architecte, par la société qui
projetait la réalisation d'un golf et d’un ensemble para-hôtelier,
est rédigée en des termes très imprécis quant au contenu de la
mission envisagée, mission susceptible d'être d'ailleurs partagée
avec d'autres hommes de l'art, et elle ne contient en outre aucune
précision quant au mode et au calcul de la rémunération ; elle ne
peut en conséquence être considérée comme une lettre valant
commande ferme et définitive.
Il ressort des multiples correspondances produites que des
pourparlers avancés ont été entrepris pour définir les missions de
chaque participant au projet, mais qu'il n'en est résulté aucun
accord, ce qui a motivé l'envoi de la dernière lettre par laquelle la
société signifiait à l’architecte que, compte tenu du désaccord sur
les conditions de la réalisation du projet, elle ne pouvait lui
confier aucune mission.
Observations : Sur la conclusion du contrat d'architecte, cf. G.
Liet-Veaux, droit de la construction, Litec 1991, p. 272. Plus
spécialement sur l'application de l'article 1341 du Code civil en
ce domaine, cf . Cass. civ. 1, 24 mars 1987, D. 1988, p. 297,
note A . Gourio.
M.B.
160
du promoteur à la cliente / Promesse de
prestations supplémentaires (2ème espèce)
a) 1ère espèce : Aix - 17e ch - 16 mars 1993 - n° 107
Président, Mme FAYOLLE
Une simple attestation du maître d'oeuvre ne suffit pas à
établir le nombre de jours d'intempéries, dès lors qu'il n'est
justifié d ’aucune interruption réelle du chantier. La double
condition posée par le contrat de vente en l'état futur
d'achèvement n'est en effet pas remplie puisque celui-ci prévoyait
que le délai de livraison serait éventuellement majoré des jours
d'intempéries au sens de la réglementation du travail sur les
chantiers de bâtiment et dûment constatés par une attestation du
maître d'oeuvre du programme immobilier.
b) 2e espèce : Aix - 17e ch - 23 mars 1993 - n° 118
Président, Mme FAYOLLE - Avocat, Me PONCHARDIER
La terrasse recouverte de dalles de gravillons lavés n'est
pas conforme à la terrasse carrelée promise par une lettre du
promoteur adressée à la cliente. Si la couverture des terrasses était
prévue en gravillons lavés dans un descriptif, ce dernier était
réservé à l'usage des seuls entrepreneurs et il convient de
considérer que le promoteur de la construction a entendu faire
bénéficier sa cliente seule de prestations supplémentaires en lui
promettant une terrasse carrelée.
Observations : Les deux décisions témoignent de la vigilance
avec laquelle les m agistrats aixois s'assurent de la bonne
exécution des engagements du vendeur d'immeuble en état futur
d'achèvement. Sur le premier point, cf. dans le même sens,
Paris 12 mai 1989, R.D.I. 1990, p. 500 ; sur le second point, cf.
déjà Aix, 17e ch, 4 septembre 1990, ce Bull. 1990 /3-4, n° 117,
p. 46.
M.B
S35 S34 -
C onstruction / Vente en l'éta t futur
d'achèvement / Interprétation des dispositions
et documents contractuels / Clause relative au
délai de livraison / Prévision d'une cause de
majoration du délai / Jours d'intempéries /
Définition / Respect de la double condition
contractuellem ent prévue (1ère espèce) /
Obligation de délivrance conforme du vendeur
/ D éfinition des docum ents perm ettant
d'apprécier les obligations du vendeur / Lettre
C o n s tr u c tio n
/
R e sp o n sa b ilité
des
constructeurs / Réception / Article 1792-6 du
Code civil / Réception tacite / Conditions
obstacles / Caractère inacceptable des travaux
(1ère espèce) / Importance des désordres
(2ème espèce)
a) 1e espèce : Aix - 3e ch - 25 février 1993 - n° 68
Président, M. PIZZETTA - Avocats, Mes BARTHELEMY,
CALS, TEISSIER La réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage
déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves.
�161
En l’espèce, la volonté du maître de l'ouvrage a été
clairement exprimée par une lettre recommandée avec avis de
réception, par laquelle il signifiait à l’entrepreneur de reprendre
d’urgence les travaux qui s'imposaient au vu du rapport dressé à
leur demande par un expert, énonçant les graves malfaçons
affectant les travaux.
L'avis de l'expert judiciaire concorde donc avec celui de
l'expert amiable, et la Cour ne peut que constater que les travaux
n'ont pas fait l'objet d'une réception, non pas seulem ent parce
qu'ils n’étaient pas achevés, mais parce qu'ils n'étaient pas
acceptables.
Dès lors, c'est à tort que le premier juge a cru pouvoir
admettre une réception, même tacite ; car autant affirm er que la
réception ne peut intervenir que lorsque l'ouvrage est achevé est
ajouter une condition que la loi ne comporte pas, autant refuser la
réception parce que les travaux sont inacceptables, est conforme à
la définition légale de la réception.
b) 2e espèce : Aix - 3e ch - 6 mai 1993 - n° 144
Président, M. PIZZETTA - Avocats, Mes ASSUS JUTTNER,
NOBLESMASTELLONE, QUENTIN, BREGI, TARTANSON
L ’importance des désordres exclut que le m aître de
l'ouvrage ait pu accepter de recevoir tacitement l'immeuble à la
date à laquelle il fut contraint d'en prendre possession en raison
de la nécessité de libérer l'habitation qui était la sienne
jusqu'alors.
Observations : La première espèce s'aligne sur la jurisprudence
de la Cour de cassation, admettant désormais la possibilité de
détacher la réception de l'achèvement de la construction. Sur ce
point, cf. D. Guevel, La réception des travaux inachevés, Gaz.
Pal. 1989, D, p. 737 ; les observations critiques de P. Malinvaud
et B. Boubli, R.D.I. 1992, p. 71 et 1993, p. 224.
Néanmoins, les deux décisions maintiennent la nécessité
de prendre en considération l'état de la construction dans la
caractérisation de la réception. Mais il ne s'agit plus d'une
appréciation en quelque sorte quantitative, relative au degré
d'avancement des travaux ; l'ouvrage doit être qualitativement en
état d'être reçu. Si la condition ainsi mise en valeur est distinguée
de l'achèvement, elle se rapproche d'un autre critère essentiel de
la réception : la volonté du maître de l'ouvrage. Celle-ci ne
pourrait valablement s'exprimer dans les circonstances décrites,
faute d'objet pertinent. Cf. déjà Aix, 3e ch B, 6 mars 1989, ce
Bull. 89/1, n° 21, p. 41 ; égalem ent en ce sens, H. PerinetMarquet, "La réception des travaux : état des lieux", D. 1988, p.
287, spéc. n° 13 in fine.
M.B.
162
S36 -
Construction / Responsabilité du fabricant /
Action directe du maître de l'ouvrage contre le
fabricant / Transm ission au maître de
l'ouvrage des droits et actions attachés à la
chose / O pposabilité de la prescription
décennale de l'article 189 bis du Code de
commerce au maître de l'ouvrage (oui)
Aix - 17ème ch - 1er mars 1993 - n° 75
Président, Mme FAYOLLE - Avocats, Mes AUGEREAU,
LECOMTE
L'action intentée par le maître de l'ouvrage en vue de
rechercher la responsabilité du fabricant de tuiles avec lequel il
n'a aucun lien de droit direct suppose un défaut de conformité du
m atériau incrim iné. Elle trouve son fondement dans la
transmission au maître de l'ouvrage "des droits et actions attachés
à la chose qui appartenait à son auteur".
En l'espèce, l'action prend sa source dans la vente initiale
passée entre le fabricant et le vendeur du fournisseur de
l’entrepreneur. Le fabricant est fondé à opposer au maître de
l'ouvrage les moyens qu'il pouvait opposer à son cocontractant
direct et, en particulier, la prescription de l'article 189 bis du
Code de commerce applicable entre commerçants.
O b ser v a tio n s : Voici une nouvelle application de la
jurisprudence dégagée par l'assemblée plénière de la Cour de
cassation dans son arrêt du 7 février 1986, assortie d'une
précision quant au régime de l'action directe. Sur ces points, cf.
A. Sériaux, Droit des obligations, P.U.F. 1992, n° 53, p. 198 et
s. Pour d'autres applications, cf. Cass. civ. 1, 23 juin 1993, D.
1993, I.R. p. 182 et la chronique de P. Jourdain, R.T. 1993/1,
p. 131. Sur la responsabilité du fabricant de tuiles, cf. déjà Aix,
3e ch. A, 26 avril 1989, ce B u ll., 1989/2, n° 67, p. 36.
M. B
�163
DROIT DE LA CONSOMMATION
537 -
Droit de la con som m ation
/ Champ
d'application de la loi du 10 janvier 1978
relative à l'information et à la protection des
consommateurs dans le domaine de certaines
opérations de crédit (non) / Achat d'un
véhicule destiné à l'exercice d'une activité
professionnelle / Conséquence / Prescription
de l'article 27 inapplicable
Aix - 1ère ch B. - 24 février 1993 - n° 133
Président, M. RANSAC - Avocats, Mes ITRAC, CONSOLIN
La lecture du contrat de financement révèle de manière
certaine que le véhicule était destiné à une activité professionnelle
d’importation de poissons, ce qui le place hors du champ
d'application des dispositions de la loi du 10 janvier 1978 (article
3 de ce texte).
Les moyens développés par Madame X au soutien de son
appel, parce qu'ils sont fondés sur l'application de ce texte, au
surplus dans sa rédaction résultant de la loi du 31 décembre 1989
postérieure au contrat, se révèlent ainsi sans pertinence .
Le moyen tiré de la prescription de l'article 27 de la loi du
10 janvier 1978 serait également dans cette hypothèse mal fondé,
la prescription de l'action contre la caution étant nécessairement
régie par le droit commun, l'incident qui a donné naissance à
l’action ainsi que l'assignation étant intervenus antérieurement à
la date d’entrée en vigueur de la loi du 23 juin 1989 qui a modifié
l'article 27 de la loi du 10 janvier 1978".
S.F.
538 -
D roit de la con som m ation
/ Champ
d'application de la loi du 13 juillet 1979
relative à l'information et à la protection des
emprunteurs dans le domaine immobilier (oui)
/ Charge de la preuve du caractère spéculatif
de l'opération / Preuve incombant au vendeur
Aix - 1ère ch B. - 16 février 1993 - n° 107
Président, M. RANSAC - Avocats, Mes RICORD USER,
DAHAN
Le jugement entrepris procède d'une exacte analyse du
contrat et des dispositions des articles 16, 17 et 18 de la loi du 13
juillet 1979.
164
C'est également à bon droit que Monsieur X fait observer
que la charge de la preuve du caractère spéculatif de l'opération,
susceptible de placer cette dernière hors du champ d'application
de ce texte, incombe aux époux Y et non à lui-même en raison de
la finalité protectrice de cette loi d'ordre public, et que cette
preuve n'est nullement rapportée.
S. F.
�165
BIENS
COPROPRIÉTÉ
S39 -
Copropriété / Parties communes / Droit de
jouissance privative d'une partie commune /
Limites de ce droit / Possibilité d'entreprendre
des travaux dans le sol indivis (non) /
Nécessité d'une autorisation à la double
majorité de l'article 26 de la loi du 10 juillet
1965
Aix - 4e ch A - 19 mai 1993 - n° 252
Président, M. CROZE - Avocats, Mes ROUSSE, GISBERT
Le droit de jouissance privative d'une partie commune ne
comporte pas tous les attributs prévus de l’article 544 du Code
civil et notam m ent celui d'affouiller le sol indivis afin
d'entreprendre des travaux réalisant une emprise sur les parties
communes. En conséquence, l'éventuelle décision de l'assemblée
générale des copropriétaires autorisant le titulaire d'un droit de
jouissance exclusive sur une partie commune, à y construire une
piscine -adjonction nécessairement privative- ne peut être prise
qu'à la double majorité de l'article 26 de la loi du 10 juillet 1965
et à la condition que les travaux projetés soient également confor
mes à la destination de l'immeuble, faute de qui l’unanimité sera
requise.
Observations : II est fréquent que le règlement de copropriété
stipule que les propriétaires de certains lots sont titulaires d’un
droit de jouissance exclusive sur certaines parties de l'immeuble
que ce même règlement qualifie de parties com m unes. Ces
dernières conservent bien leur nature juridique de parties com
munes (CA Lyon, 12 février 1974, J. C. P. 1974, IV, p. 430).
Cependant, la jurisprudence a eu à connaître du droit de
construire sur ces parties communes affectées d'un droit de
jouissance exclusive. Il ressort qu'un copropriétaire bénéficiant
du droit de jouissance exclusif sur un terrain partie commune, ne
peut y édifier une construction (en l'espèce une piscine) sans y
avoir été expressément autorisé (Cass. civ. , 22 juin 1987, D.
1987, IR p. 187). La Cour d'appel d'Aix dans sa décision du 19
mai 1993 s'inscrit dans cette voie.
B.L.
166
S40 - Copropriété / Parties communes / Atteinte aux
parties communes (oui) / Emprise sur les
p arties
com m unes / A utorisation
de
l'assem blée générale des copropriétaires
conformément à l'article 25 de la loi du 10
juillet 1965 (non) / Copropriété / Parties
privatives / Article 9 de la loi du 10 juillet
1965 / Changement d'affectation des parties
privatives / Transformation de caves en
appartement
Aix - 4e ch. A - 16 février 1993 - n° 70
Président, M. CROZE - Avocats, Mes MARRO, GIANNELLI
Porte atteinte aux parties communes la personne qui, sans
autorisation de l’assem blée générale des copropriétaires
conformément à l'article 25 de la loi du 10 juillet 1965, effectue
divers travaux transformant des parties communes en parties
privatives.
C onstitue un changem ent d'affectation des parties
privatives le fait pour une personne de transformer des caves en
un appartement. En effet, il n'est pas contestable que sans ces
travaux lesdites caves ne se prêtaient guère à un changement
d'affectation, le règlement de copropriété leur donnant cette
destination et exprimant l'intention véritable des copropriétaires
de conserver l'usage de cave aux lots en question .
Observations : Bien que l'article 9 de la loi du 10 juillet 1965
affirme que chaque copropriétaire "use et jouit librement" de son
lot. Il précise cependant que cet usage ne peut s'effectuer qu'à "la
condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres
copropriétaires, ni à la destination de l'immeuble". Le présent
arrêt de la Cour d'appel d'Aix illustre les multiples détournements
dont les parties comm unes et privatives d'une copropriété
peuvent faire l'objet. Ainsi, peut-il advenir qu'un copropriétaire
s'approprie les parties communes juxtaposant son lot (T.G.I.
Paris, 16 mai 1976, D. 1976, I.R. p. 313 : "Privatisation" de
paliers).
De même, le changement d'affectation d'une partie
privative peut-il être opposé à la destination initiale que lui
assignait le règlement de copropriété et contraire à l'intérêt des
autres copropriétaires. (Sur la notion de destination, cf. : J.R.
Boyeure, La destination de l'immeuble en copropriété, A.J.P.I.
1968, p. 300 ; C. Atias, Propriété et communauté de la propriété
des immeubles bâtis, J.C.P. ,1980, Doct. 2971).
B.L.
�167
541 - C opropriété
/ N u llité
d 'une
décision
d'assemblée générale (oui) / Inobservation des
form alités prescrites pour la tenue de
l'assemblée générale (oui) / Article 11-4 du
décret du 17 mars 1967 / Défaut de notification
aux copropriétaires d'un devis pour la
réalisation de travaux
Aix - 4e ch A - 7 janvier 1993 - n° 10
Président, M. CROZE - A vocats, M es T IX IE R , DCP
BERENGER BLANC-BURTEZ - DOUCEDE
En application de l'article 11-4 du décret du 17 mars
1967, l'assemblée des copropriétaires qui est appelée à approuver
un devis pour la réalisation de travaux, ne délibère valablement
que si la notification du devis a été faite "au plus tard en même
temps que l'ordre du jour". L'urgence ne saurait justifier
l'absence totale d’information des copropriétaires quant au coût
des travaux à entreprendre. La sanction d'une telle violation est la
nullité de la délibération approuvant le devis.
Observations : Cette décision de la Cour d'appel d'Aix rappelle
l'étendue du formalisme attaché à la convocation des assemblées
générales de copropriétaires. Ainsi, s'il est traditionnel, en vertu
des articles 9 et s. du décret du 17 mars 1967, de convoquer les
différents copropriétaires par écrit au m oins quinze jours à
l'avance en mentionnant les lieux, date, heure de la réunion ainsi
que l'ordre du jour, il convient également de ne pas oublier de
joindre les divers docum ents destinés à perm ettre aux
copropriétaires d'émettre un vote éclairé à l'assemblée et ce, qu'il
y ait ou non urgence. (Sur ce point, cf. : CA Paris, 11 mai 1973,
G.P. 1973, II, 734 ; CA Paris, 24 avril 1975, D. 1975, Som.
102 ; J. Lafond, Les documents à notifier aux copropriétaires lors
de la convocation d'une assemblée, Inf. rap. Coprop. ,oct. 1990,
p. 291 et s. ).
B.L
542 -
C opropriété / Syndic de copropriété /
Responsabilité civile du syndic de copropriété
(oui) / Responsabilité envers le syndicat des
copropriétaires (oui) / Défaut d'information
sur la gestion
Aix - 4e ch A - 14 janvier 1993 - n° 36
Président, M. CRÔZE - Avocats, Mes DAVIN, PIERI
Le syndic qui au mépris de ses obligations les plus
élémentaires, laisse les copropriétaires dans l’ignorance totale de
168
sa gestion et ne finit par établir les comptes de la copropriété que
sous la contrainte, engage sa responsabilité. Cette carence cause
un préjudice au syndicat des copropriétaires en privant ses
membres pendant cette période de toutes les informations
requises sur l'état de leur situation personnelle.
Observations : Comme le rappelle cette décision de la Cour
d'appel d'Aix du 14 janvier 1993, le syndic joue le rôle de
com ptable de la copropriété. A ce titre, il doit effectuer
annuellem ent la reddition des comptes devant l'assemblée
générale des copropriétaires, mais il doit également tenir pour le
syndicat une comptabilité séparée faisant apparaître la situation
comptable de chaque copropriétaire. A défaut, le syndic considéré
comme mandataire, répond de sa gestion devant le syndicat (art.
1992 C. civ.). (Sur l'ensemble de cette question, cf. : Vigneron,
La gestion financière de la copropriété, J.C.P. 1976, éd. N, 1,
12811 ; D. Cordier, La vérification des comptes de copropriété,
Inf. rap. Coprop., Juin 1991, p. 201 ; Ch. Levinson, compte
unique ou compte séparé en copropriété, Inf. rap. coprop. , Oct.
1990, p. 285 et s.).
B.L.
�169
PROCÉDURE CIVILE
S43 -
Procédure / Conventions : C rédit-bail et
cautionnem ent / Clauses attribu tives de
com pétence / Q u alité
des
p a rties /
Commerçants (non) / Gérant de société /
Validité de la clause / Intérêt personnel (oui) /
Compétence d'attribution du tribunal de
commerce (oui) / Dérogation conventionnelle
aux règles de compétence territoriale (non)
a) 1ère espèce : AIX - 2ème ch - 19 février 1993 - n° 169
Président. DEGRANDI - Avocats, Mes FLOIRAS, MIMRANVALENSI
b) 2e espèce : AEX - 2ème ch - 23 février 1993 - n° 172
Président, M. DEGRANDI - Avocats, Mes ABOUDARAM,
MIMRAN-VALENSI
L orsqu’un contrat de crédit-bail et un contrat de
cautionnement signés par le gérant de la SARL crédit-preneuse
contiennent une clause très apparente selon laquelle les parties
déclarent attribuer compétence au Tribunal de comm erce de
Marseille pour tous les litiges à naître de ces contrats ou de leurs
accessoires, il y a lieu de réputer la clause non écrite,
conformément à l'article 48 du N.C.P.C. dès lors que le gérant
qui a contracté ne possédait pas la qualité de comm erçant et n'a
pu contracter à ce titre.
Le fait que le gérant ait eu un intérêt personnel au
paiement de la dette commerciale garantie entraîne que son
cautionnement constitue un acte de comm erce relevant de la
compétence d'attribution des tribunaux de com m erce mais ne
permet pas de déroger aux règles de com pétence territoriale,
desquelles seuls les commerçants peuvent s'affranchir.
Observations : L'article 48 du N.C.P.C. vise seulem ent les
clauses dérogeant à la compétence territoriale et non à celles ayant
trait à la compétence d'attribution (cf. Aix, 26 juin 1979, Bull.
Aix 1979/3, n° 252).
Ainsi la clause par laquelle une partie non commerçante
opte en faveur de la juridiction commerciale de son domicile n'est
pas contraire à la règle de l’art. 48 N.C.P.C. (Aix, 3 avril 1979,
Bull. Aix 1979, 2, n° 126).
Elle le serait si, comme en l'espèce, elle concernait à la
fois la compétence d’attribution et la compétence territoriale, dont
seuls les commerçants ayant contracté en cette qualité peuvent
s'affranchir.
170
Il convient donc de renvoyer l'affaire aux Cours d'appel
respectivement compétentes, c'est-à-dire, celles dont relèvent les
tribunaux de commerce du domicile des appelants. (Cf. aussi :
Rouen, 2 mai 1979, Gaz. Pal. 1980.1, somm. 81 ; Paris, 25
février 1980, Bull. ch. avoués, 1980.3.24 et RTDCiv.
1980.804, obs. Normand. A rappr. : Corn. 16 oct. 1978, Bull,
civ. IV, n ° 229 ; RTDCiv. 1979.676, obs. Perrot).
J.C .
S44 -
Procédure engagée sous une dénomination
juridique erronée / Nullité de fond (oui) /
Affectation de toute la procédure (oui) / Acte
de malice (oui) / Amende civile (oui)
Aix - 8ème ch - 10 juin 1993 - n° 480
Président, M. BIHL - Avocats, Mes MASSE, DORJO
Les arrêts de condamnation à des amendes civiles sont
assez rares pour que soient présentés en détail les faits qui ont
conduit la 8e chambre à prononcer cette sanction.
Une société X assigne une société E.T.L. devant le
tribunal de commerce ; elle est déboutée et la sté E.T.L. obtient
-reconventionnellement- la condamnation de la demanderesse,
avec exécution provisoire. Lorsque la sté E.T.L. tente d'exécuter,
elle apprend que sa débitrice n'est pas une personne morale,
l'entreprise étant exploitée par une dame V, sous l’enseigne X.
L'appel contre le jugem ent du tribunal de commerce ayant
toutefois été formé par la "société X", E.T.L. appelle en cause la
dame V.
La Cour, après avoir constaté l'inexistence de la société X
n'étant que le nom commercial sous lequel Mme V exerce son
activité, en déduit que la nullité affectant la procédure depuis
l'origine est une nullité de fond ne pouvant donc être couverte par
la mise en cause de la dame V en appel.
Elle sanctionne cependant la dame V, pour avoir engagé
une procédure sous couvert d'une société inexistante : il s'agit
d'un acte de m alice, en l'espèce caractérisé par un P.V.
d'huissier, établi à l'initiative de Mme V, deux mois avant qu'elle
n'introduise l'instance au nom de la société et destiné à établir
qu'elle exerce en nom personnel.
O b se r v a tio n s : 1 • Sur la nullité affectant toute la
procédure.
L'art. 117 du N.C.P.C. énumère les irrégularités touchant
au fond des actes de procédure et susceptibles d'en affecter la
validité ; ce sont celles qui affectent non la rédaction de l’acte,
mais l’opération procédurale elle-même :
- défaut de capacité d'ester en justice,
?
�171
- défaut de pouvoir d’une partie ou d'une personne figurant au
procès comme représentant soit d'une personne m orale, soit
d'une personne atteinte d'une incapacité d'exercice
- défaut de capacité ou de pouvoir d'une personne assurant la
représentation d'une partie en justice.
La formulation pourrait laisser penser que la liste est
limitative. La doctrine majoritaire admet cependant des extension
(J. Vincent et S. Guinchard, Procédure civile, Dalloz 1991, n°
478 et s. ; D. Desdevises, "M oyens de défense", Juriscl.
Procédure, Fasc. 128, n° 32 et n° 73) et l'art. 119 qui dispose que
les exception de nullité fondées sur l’inobservation des règles de
fond doivent être accueillies "alors même que la nullité ne
résulterait d'aucune disposition expresse", confirme cette lecture
extensive.
En l’espèce, c'est plus qu'un défaut de capacité ou de
pouvoir qui est reproché ; la nullité découle ici de l'inexistence
juridique du demandeur. Cette nullité ne peut donc être couverte
par l’appel en cause de la débitrice devant la Cour puisque la
procédure est viciée dès l'origine, c’est-à-dire dès l'assignation
introductive. (Sur l’appel en cause voir les conditions de l'art.
555 du N.C.P.C. et la notion d'évolution du litige : Giverdon et
Avril, G.P. 1986, 1, Doctrine p. 121).
2 - Sur l'amende civile
L'art. 321 du N.C.P.C. dispose que "celui qui agit en
justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une
amende civile de 100 F à 10.000 F sans préjudice des dommages
et intérêts qui seraient réclamés". Pour la jurisprudence l’exercice
d'une action en justice ne dégénère en faute, pouvant donner lieu
à des dommages-intérêts, que s'il constitue un acte de malice ou
de mauvaise foi (J. Viatte, "L'amende civile pour l'abus de la
faculté d'agir en matière de procédure civile", G.P. 1978, D.
305). Cet arrêt nous en fournit une belle illustration puisque la
demanderesse avait volontairement (elle ou son conseil ?) engagé
la procédure sous une fausse dénomination alors qu'elle avait pris
soin, deux mois auparavant, de faire constater par huissier qu'elle
exerçait son commerce en nom personnel. Sans aucune gêne, elle
versait l’acte aux débats. La malice ici, confinait à la bêtise...
A.L.
S45 - Convention de Bruxelles du 27 septembre
1968 / Jugement par défaut / Délai pour
comparaître insuffisant (oui) / Exequatur (non)
Aix - 1ère ch B - 26 mai 1993 - n° 334
Président, M. RANSAC - Avocats, Mes BIGIAOUI, BARTOLI
172
En application des articles 27-2° et 46-2° de la Convention
de Bruxelles du 27 septembre 1968, une décision rendue par un
T.G.I. néerlandais ne peut être reconnue et déclarée exécutoire en
France, dès lors que l'acte introductif d'instance n'a pas été
notifié à la défenderesse défaillante en temps utile pour qu'elle
puisse se défendre ; le délai de huitaine dont elle a disposé en
l'occurrence étant insuffisant pour lui permettre de comparaître à
l'étranger en assurant sa représentation par un avoué.
Observations : La notion de temps utile pour se défendre (art.
27 al. 2) a été conçue par les négociateurs de la convention
comme une question de fait. L'appréciation du juge doit donc être
fonction des circonstances objectives qui concernent une affaire.
Ici le délai était manifestement trop court pour trouver un avoué et
élaborer une défense. A noter également que le défendeur
défaillant est doublement protégé par la Convention de Bruxelles :
la juridiction du fond doit vérifier d'office sa propre compétence
si le défendeur est domicilié dans un autre État contractant, ainsi
que la régularité de la citation et le temps utile laissé au défendeur
pour préparer sa défense. Cette dernière vérification (temps utile),
incombe également au juge de l'État requis pour l'exequatur.
A.L.
S46 -
Saisie-arrêt / Signification de l'exploit au
dom icile du tiers saisi / Présomption de
domicile élu (oui) / Absence de grief (oui) /
Nullité de fond (non)
Aix - 8ème ch - 27 mai 1993 - n° 413
Président, M. BIHL - Avocats, Mes LARCENA, SANGLADE
La signification de l'exploit de saisie-arrêt faite au
domicile du tiers saisi et non au siège social du saisi n'emporte
pas nullité de la procédure de saisie-arrêt pratiquée, dès lors que
l’on peut déduire des éléments de l'espèce que le saisi avait fait
élection de domicile auprès du tiers-saisi, son correspondant
habituel en France, et que le défaut de signification au siège social
n'avait causé aucun préjudice au saisi.
Observations : En l'espèce, la société saisie avait son siège
social au Cameroun ; en vertu de l'art. 684 du N.C.P.C. la
signification aurait dû être effectuée à Parquet. Le créancier
l’ayant effectuée au domicile du tiers saisi, la Cour estime la
signification valable en estimant que le saisi y avait fait
implicitement élection de domicile. En outre, l'acte lui ayant été
transmis à temps, le saisi avait pu assurer sa défense et la nullité
était donc couverte puisqu'aucun préjudice ne pouvait être
invoqué. Si l'art. 682 du N.C.P.C. admet effectivement que
�lorsqu'une partie demeure à l'étranger, la notification d’un
jugement est valablement faite au domicile élu en France, le saisi
n'avait pas explicitement désigné un domicile élu. Pouvait-il se
déduire des faits ? La question ne semble pas s'être déjà posée en
jurisprudence. S'agissant d’une question de fait, la solution de la
Cour peut être approuvée compte tenu des circonstances : l'acte
avait été remis au saisi, qui ne subissait aucun préjudice. Même si
on estimait que la signification était nulle, l'irrégularité ne causait
pas grief. Or, l'art 649 du N.C.P.C. prévoyant que la nullité des
actes d'huissier est réglée par les dispositions qui gouvernent la
nullité des actes de procédure, il n’y avait pas lieu à conclure à
une nullité en l’absence de préjudice, ne s'agissant manifestement
pas d'une nullité de fond. (Voir Vincent et Guinchard, Procédure
civile, Dalloz 1991, n° 481 et s.).
A.L
�;
DEUXIÈME PARTIE
PÉNAL
�178
DROIT PÉNAL SPÉCIAL
INFRACTION CONTRE LES PERSONNES
547 -
Droit pénal de la famille / Non représentation
d'enfant / Obstacle au droit de visite (oui) /
Manquement du débiteur à son obligation
d'adopter attitude active.
Cour d'appel d'Aix-en-Provence - 13ème CH A M BRE - 13
janvier 1993 n° 40
Président : PANCRAZI - Avocats : EYRIGNOUX-LUCIAN1
Le débiteur du droit de visite ne peut se retrancher derrière
l'absence du tiers, désigné dans l'ordonnance du JAM , comme
devant être présent lors des visites du père à l'enfant, pour
s'exonérer des poursuites pour non représentation d'enfant, sous
prétexte qu'il ne serait tenu de représenter l'enfant que dans les
conditions définies par l'ordonnance du juge civil, et que
l'absence du tiers ne pouvait lui être imputable. Le débiteur est
tenu d’adopter une attitude active. Il lui appartenait donc en
l'espèce, de contacter la tierce personne dont la présence était
nécessaire à l'exercice du droit de visite par le père partie civile,
ou de saisir la juridiction civile au fin d'interprétation de
l'ordonnance. Le manquement à cette obligation devant être
assimilée à une carence volontaire, donc coupable. La Cour
devait toutefois préciser que l’obligation du débiteur ne
contredisait pas la diligence à laquelle le créancier demeure tenu.
Qu'ainsi, en n'ayant pas tenté de suppléer à la carence de la mère,
le père qui n'a pu exercer son droit de visite, ne pouvait se
prévaloir que d'un préjudice de principe.
R. B.
548 -
Droit pénal de la famille / Non représentation
d'enfant / Ajournement du prononcé de la
peine / Mesure probatoire / Rétablissement du
droit de visite suspendu par ordonnance du
JME / Excès de pouvoir du juge répressif
(non) / Intérêt de l'enfant.
Cour d'appel d'Aix-en-Provence - 13ème Chambre - 13 janvier
1993, n ° 38
Président : PANCRAZI - Avocat : N'KAOLIA
Le JAP peut-il, dans le cadre du régime probatoire dans
lequel la condamnée pour non représentation d'enfant se trouve
placée, jusqu'au prononcé de la peine [(Art. 469-3) CPP],
ordonner la représentation de l'enfant au père, alors même que le
droit de visite de ce dernier a été suspendu par ordonnance du
JME, sans excéder ses pouvoirs ? Oui, devait répondre la Cour,
dès lors que la mesure a été prise dans l'intérêt de l'enfant et
répondait bien aux finalités de la mise à l'épreuve. S'agissant de
l'intérêt de l'enfant, il était apparu aux juges de la Cour, comme
au JAP, que le prétendu refus de l'enfant de revoir son père
n'était dû qu'à l'influence néfaste de la mère. Que contrairement à
ce qu'avait décidé le juge civil, il convenait non pas de capituler
"devant la peur panique de l'enfant de revoir son père", en
suspendant le droit de visite, mais au contraire, de la surmonter
en organisant des rencontres entre le père et l'enfant, sous le
contrôle de la Médiation familiale. Le fait que ces rencontres aient
permis le rétablissement d'un lien entre le père et l'enfant devait
donner raison en définitive aux juges répressifs quant à la mesure
la mieux appropriée à servir l'intérêt de l'enfant. Quant à la
compatibilité de la mesure ordonnée avec les finalités de la
probation, il est clair que l'obligation de représentation est la plus
appropriée à assurer la disparition du trouble causé par
l'infraction de non représentation d'enfant, et à réparer le
dommage subi par le créancier du droit de visite.
R. B.
S49 -
Infraction contre les moeurs / Provocation ou
excitation de mineurs à la débauche (non) /
Elément constitutif / Défaut d'identification de
la ou des victimes mineurs.
Cour d'appel d'Aix-en-Provence - 7ème Chambre - 1er Février
1993 n° 130
Président : V IA N G A LLI - Avocats : ARAGONES HAWADIER
M essagerie rose, envoi sur écran minitel d'images
obscènes et de messages érotiques, faits matériels conduisant à
accomplir des actes dont l'obscénité est sans ambiguïté, condition
suffisante à caractériser le délit (non). Nécessité d'identifier la ou
les victim es, connaissance de leur âge indispensable à la
constitution du délit.
R. B.
�179
180
INFRACTIONS CONTRE LES BIENS
S50 - Vol / Soustraction frauduleuse (non) / Absence
d'élément intentionnel.
Cour d’appel d'Aix-en-Provence - 13ème Chambre - Arrêt du 16
juin 1993.
La directrice d'une résidence hôtelière, constatant qu'une
de ses locataires ne parvenait pas à régler à l'avance son loyer
comme elle s'y était engagée, confisquait la clé du studio et
procédait au déménagement des affaires personnelles de la jeune
fille, (vêtements, etc...) en garantie de sa créance. Citée devant le
Tribunal correctionnel de Grasse pour avoir frauduleusement
soustrait divers objets à sa locataire, ce dernier la relaxait. Selon
les premiers juges, elle avait justifié avoir agi non pas avec la
volonté de s'emparer de la chose d'autrui, mais exclusivement en
usant du droit conféré à l'hôtelier par le privilège légal sur la
garantie de ses fournitures. Sur appel du ministère public et de la
partie civile, la Cour d'Aix estimant que l'élément intentionnel,
constitutif de l'infraction de vol étant absent, confirme le premier
jugement.
Cet arrêt est curieux puisque le mobile aussi honorable
qu'il puisse être, est indifférent à la constitution de l'infraction et
ne supprime pas l'élément intentionnel existant dans la conscience
de substituer la chose d'autrui. Elément qui était caractérisé en
l’espèce. De plus il est de jurisprudence constante que nul ne peut
se faire justice à lui-même et qu'en particulier l'excuse d'un droit
ne vaut pas fait justificatif.
C. S.
LOIS PÉNALES ANNEXES
DROIT PÉNAL
ROUTIERE
DE
LA
CIRCULATION
S51 - Droit pénal de la circulation routière /
H om icid e
in v o lo n ta ire
/
Im prudence
inobservation des règlements / Contribution à
la création d'un risque suffisant et certain
pour la victime
a) Cour d'appel d'Aix-en-Provence - 7ème Chambre
9 Février 1993, n° 162
Président : VIANGALLI - Avocats : BERDA - RAFFAELLI PISELLA - DAYDE
Il est de jurisprudence traditionnelle que l'homicide
involontaire ne peut être retenu à l'encontre d’un prévenu que s'il
est établi un lien certain, fut-il indirect et non exclusif entre sa
faute, prise au sens de l'article 319 du CP, et le dommage. Il
semble que les juges aient décidé de pallier à l'impossibilité
d'établir un tel lien, par l'introduction d'un nouveau concept : "la
participation à un risque suffisant et certain pour la victime". Les
automobilistes étaient poursuivis pour homicide involontaire
survenu dans le cadre d'un accident de la circulation routière. Des
fautes de conduite avaient été retenues à l'encontre de chacun
d'entre eux. L 'expertise s'était toutefois révélée incapable
d'établir si la victime était encore en vie au moment du passage
respectif de chacun des quatre conducteurs sur le corps de ladite
victime, ou si elle était déjà morte, laissant planer ainsi une
présomption de survie (bien que les juges n'aient pas retenu cette
terminologie). Dès lors, il ne faisait plus de doute que les fautes
de conduite imputées aux prévenus (défaut de maîtrise, conduite
inadaptée au flux, non respect des distances) aient été de nature à
créer un risque suffisant, purement éventuel pour les tiers, mais
certain pour le piéton dont le décès trouvait son origine dans
l'accident de la circulation.
On retrouve cette notion de "participation à un risque
grave pour la victime" dans une autre espèce.
R.B.
b) Cour d’appel d'Aix-en-Provence - 7ème Chambre - 8 Février
1993
Président : VIANGALLI - Avocats : MONIER - LIONS TOUILLER
�182
Le corps de la victim e, un cy clom otoriste avait
successivement été heurté par deux automobilistes, auxquels il fut
reproché des infractions au Code de la circulation routière. Il fut
impossible aux experts d'établir lequel des deux passages s'était
trouvé à l'origine du décès, mais ils admirent que si le premier eut
pu suffire à entraîner la mort de la victime, il n'était pas exclu
qu'une partie des lésions ait été occasionnée par le second. Forts
de cette "probabilité de survie", les juges estim èrent que le
comportement fautif de chacun des deux prévenus, était suffisant
à établir leur participation respective à la création d ’un risque
grave pour la victime.
R. B.
EXERCICE ILLÉGAL DE LA PROFESSION
S52 - Exercice illégal de la profession de chirurgiendentiste-prothésiste / Prise d'empreinte et pose
de prothèse / Acte médical ou paramédical.
Application de la jurisprudence de la Cour de
justice des com m unautés européennes /
Application de la loi nationale en l'absence
d'harm onisation législative / L égislation
française / Acte relevant de l'art dentaire
réservé aux docteurs en médecine
Cour d'appel d'Aix-en-Provence - 5ème Chambre - 4 Mars 1993
n° 181
Président : BUJOLI - Avocats : BELLALI - MALINCONI FRUCTUS - AUTISSIER
Un prothésiste s'était vu poursuivi pour exercice illégal de
la chirurgie dentaire, pour avoir pratiqué une prise d'empreinte et
posé une prothèse mobile. Pour le prévenu, l'infraction devait
s'apprécier au regard de la qualification médicale ou paramédicale
donnée par le droit communautaire aux actes incriminés, d'où sa
demande de sursis à statuer jusqu’à interprétation par la Cour de
justice des communautés européennes. La question préjudicielle
fut rejetée, la juridiction européenne ayant déjà eu l'occasion
d ’énoncer "qu'en l’absence d'h arm o n isatio n , au niveau
communautaire, des législations relatives aux activités relevant
exclusivement de l’exercice de fonctions médicales, l’article 42
du Traité de la CEE ne s'opposait pas à ce qu'un État membre
réserve une activité param édicale aux seuls détenteurs d'un
diplôme de docteur en médecine" (CJCE 30 octobre 1990). Une
telle harm onisation n’existe précisém ent pas en m atière de
denturologie, les deux directives communautaires du 25/07/1978,
n'ayant pas pour objet de consacrer cette harmonisation dont elle
constate expressément l'absence. De sorte que c'est au regard de
la loi française que l'infraction doit s'apprécier. La prise
d'empreinte et la pose de prothèse, en tant qu'il nécessitent un
examen et un diagnostic, sont des procédés prothésiques relevant
de la pratique de l'art dentaire, réservé aux seuls docteurs en
médecine. Le fait que les actes incriminés n'avaient en l'espèce
nécessité ni examen ni traitement, pour avoir été pratiqués sur une
bouche saine et édentée ne fut pas retenu par la Cour, et c'est
heureux, car raisonner in concreto aurait été ouvrir la voie à des
querelles d'experts à l'intérieur d'un contentieux qui n'aurait pas
manqué de s'alourdir.
R.B.
DROIT PÉNAL FISCAL
S53 -
D roit pénal fiscal / Fraude fiscale /
Soustraction à l'établissement et au paiement
de l'impôt sur le revenu / Dissimulation des
recettes par le centre comptable agréé /
R esponsabilité pénale du contribuable /
Conscience personnelle de la fraude
Cour d'appel d’Aix-en-Provence - 5ème Chambre - 25 Février
1993 n° 154
Président : ELLUL - Avocat : REBUFFAT
Le contribuable est pénalement responsable de la
dissimulation fiscale par minoration comptable des recettes de
l’établissement exploité par lui, quand bien même la minoration
aurait été le fait du centre comptable agréé chargé de la
com ptabilité commerciale, dès lors qu'il a lui-même reporté
l'évaluation frauduleuse des recettes sur sa propre déclaration. Le
caractère intentionnel, de ne pas avoir eu conscience de la fraude,
en retranscrivant sur sa déclaration une somme ne correspondant
pas à la réalité des recettes faites par lui.
Sur la conscience personnelle de la fraude, voir dans
le même sens :
Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 5ème Chambre, 15 avril 1993
n° 328
Avocats : LUCCIANI - GUBERNATIS - NORMAND
La prévenue poursuivie pour soustraction volontaire à
l'établissement et au paiement de l'impôt faisait valoir que c'est
son époux qui avait rempli la déclaration de revenus, elle-même
s'étant sim plem ent contentée de la signer, aucun élément
intentionnel ne paraît lui être reproché. La Cour devait pourtant
bien retenir "sa conscience personnelle de la fraude". Dotée de
�183
quelques connaissances juridiques, pour avoir fait des études de
droit, gérante d'un commerce en déficit et alimenté par les fonds
de son époux dentiste, consciente du train de vie de leur ménage,
il était impossible qu'elle n'ait pu ignorer que "l'absence de
revenus" telle que mentionnée par son époux dans la déclaration
qu’elle avait signée, avait un caractère mensonger.
R.B.
DROIT PÉNAL DE L'URBANISME
554 -
Droit pénal de l'urbanisme / Construction sans
permis / Contestation sur la portée juridique
de l'autorisation écrite du Maire / Permis de
construire ou sim ple accord / Question
préjudicielle
Cour d’appel d'Aix-en-Provence - 5ème Chambre - 25 février
1993, n° 153
Président : ELLUL - Avocat : LEROUX
Une lettre écrite du Maire, par laquelle il autorise la
réalisation des travaux énumérés dans la demande de permis de
construire, peut-elle valoir autre chose qu'un perm is de
construire?. Pour le prévenu, poursuivi pour construction sans
permis, cette lettre du Maire valait permis. Pour la DDE en
revanche, elle ne pouvait valoir que simple accord, le Maire
n'ayant pas compétence pour accorder un permis s'agissant d'une
construction implantée sur le domaine public maritime (Article
L. 146-4-111 du Code de l'urbanisme). Quant au Maire entendu
comme témoin, il devait affirmer n'avoir jam ais voulu par sa
lettre accorder un permis, mais seulement exprim er un simple
accord. Le fait est que rien dans cette lettre n'indiquait qu'elle ne
valait pas permis.
La Cour devait trancher par un sursis à statuant, renvoyant au
juge administratif le soin d'apprécier de la légalité d’un tel acte
administratif individuel contenant une autorisation de construire.
Ce faisant, elle reconnaissait implicitement qu'un tel acte valait
bel et bien permis de construire dont seule l'illégalité permet
d’obtenir annulation.
R. B.
555 - Droit pénal de l'urbanisme / Construction sans
permis / Responsabilité pénale du vendeur
pour les travaux accomplis par l'acquéreur du
fait de sa carence / Responsabilité pénale du
vendeur pour les travaux irréguliers acceptés
par l'acquéreur
184
Cour d'appel d'Aix-en-Provence - 5ème Chambre - 1er Avril
1993, n ° 271
Président : ELLUL - Avocats : BREGI - LECA - FERREBOEUF
La contestation portait sur l'étendue de la responsabilité
pénale du vendeur pour des travaux exécutés en partie par lui, en
partie par l'acheteur, et d'autres entièrement réalisés par lui, mais
acceptés en connaissance de cause par l'acheteur. L'ensemble de
ces constructions étant bien entendu litigieuses pour avoir été
réalisées sans permis préalable ou en non conformité avec le
permis délivré. S'agissant des premiers travaux, l'engagement
exprès souscrit par le vendeur auprès de l'acheteur de les exécuter
(il s'agissait en l'espèce d'une piscine) et la réalisation des
opérations de terrassement devaient suffire à fonder sa culpabilité
en qualité de co-auteur. S'agissant des autres travaux, le fait
qu'ils aient été décrits dans le contrat de vente, auquel était joint le
permis obtenu, mettant ainsi l'acheteur en mesure d'apprécier de
leur non conformité, et que le contrat de vente ait en définitive été
accepté par l'acquéreur, ne devait pas avoir pour effet de
transférer la responsabilité pénale du vendeur, auteur des travaux
à l’acheteur ; la mention relative, et de pure forme, à la conformité
du permis ne pouvant par ailleurs exonérer l'acquéreur de sa
responsabilité pénale en qualité de bénéficiaire des dits travaux.
R. B.
S55' - Droit pénal de l'urbanisme / Permis tacite /
Notification tardive de refus de permis
Cour d'appel d'Aix-en-Provence - 5ème Chambre - 18 Février
1993, n° 136
Président : BUJOLI - Avocat : TERRANCLE
La lettre du Maire indiquant qu'à défaut de réception
d'une décision avant la date fixée dans la présente, celle-ci
vaudrait permis de construire, vaut permis tacite à dater de
l'expiration du délai butoir. Le refus de permis, notifié après
expiration de ce délai, ne peut être assimilé à un retrait de permis,
le permis tacite ne pouvait plus être retiré que dans le cas où il
serait entaché d'illégalité (Article R.421-12 du Code de
l'urbanisme). L'exception d'illégalité n'ayant pas été invoquée, le
permis demeure valable, de sorte que l'infraction de construction
sans permis ne saurait être constituée, les travaux ayant été
entamés à l'expiration de la date butoir, et en conformité avec la
déclaration de travaux et le permis tacite.
R. B.
�185
186
DROIT DE LA PRESSE
S56 -
Droit pénal de la presse / Défense de la théorie
révisionniste / Provocation à la discrimination
raciale (non) / Requalification / Contestation
de crime contre l'humanité / Exercice de la
liberté d'expression et d'opinion (non)
Cour d'appel d'Aix-en-Provence - 7ème Cham bre - 7 Janvier
1993, n° 14
Président : VIANGALLI - Avocats : BERTOSI - OUAKNINE PICARD
Diffusion de tracts énonçant "Faurisson a raison,
chambres à gaz bidon, ... la rum eur d'A uschw itz...". Tracts
d'idéologie révisionniste. Révisionnisme constitutif du délit de
contestation de crim e contre l'hum anité, contestation de
l'holocauste des juifs établi et jugé par le Tribunal de Nuremberg
comme crime contre l'humanité. Autorité de la chose jugée.
Révisionnisme protégé par le principe de la liberté d’expression et
d'opinion (non). Limite à la liberté d'expression imposée par les
nécessités d'assurer la protection des fondements d’une société
démocratique. Lutte contre toutes les formes de racisme faisant
partie de tels fondements.
R. B.
PROCÉDURE PÉNALE
557 •
Action civile / Irrecevabilité / Absence de
préjudice direct / Escroquerie / Usage de
poinçon (Articles 142 et 405 du Code pénal)
Cour d'appel d'Aix-en-Provence - 5ème Chambre - Arrêt du 17
juin 1993.
Suite à des investigations permettant d'établir que certains
bracelets gagés par deux individus au Crédit Municipal de
Marseille, en échange d’un prêt, présentaient un poinçon suspect,
le Tribunal correctionnel les a déclarés coupables d'usage de
poinçon et d'escroquerie pour avoir déposé comme étant en or
massif ces dits ouvrages contre rémunération. Mais l'intérêt de
l'affaire portait sur la possibilité qu'avaient sept commissaires
priseurs de se constituer partie civile. Ceux-ci soutenaient qu'ils
avaient mal estimé la valeur des objets gagés en raison des
agissements frauduleux des prévenus et qu'ainsi ils engageaient
leur responsabilité vis à vis du Crédit Municipal. Aussi bien les
premiers juges que les juges d'appel ont rejeté cette constitution.
Pour la Cour d'appel, notamment, les commissaires priseurs
n'avaient pas qualité pour agir puisqu'ils n'avaient pas payé les
bracelets. Seul le Crédit Municipal, remettant l'argent lors du
dépôt des bijoux subissait un préjudice découlant directement de
l'infraction.
Cet arrêt est une illustration supplémentaire de la règle
selon laquelle l'exercice de l’action publique est un droit
exceptionnel et limité par les conditions posées par l'article 2 du
Code de procédure pénale. Il ne peut être reconnu qu'à ceux qui
ont été personnellement et directement lésés par l'infraction1.
C. S.
558 - Procédure pénale / Action civile / Jugement sur
action civile / Omission de statuer sur action
civile / Irrégularité de la rectification portant
sur le renvoi de l'affaire pour statuer sur
intérêt civil
Cour d'appel d ’Aix-en-Provence - 13ème Chambre - Arrêt du 4
octobre 1993.
* Cf. Cnm. 11 mars 1965. JCP 1965-11-14251 note J.A. ; Crim. 29 novembre
1966, JCP 1967-11-14979 note P C. ; Cnm 11 décembre 1969, D.1970. 156 ;
Crim. 5 février 1970, D.1970, Som. 141 ; Crim. 14 novembre 1974, Bull. n°333,
�187
Un individu poursuivi sur la base de l'article R 38-5 du
Code pénal du chef de bris de clôture, était condam né par le
Tribunal de police de Nice le 21 janvier 1991 à une amende. Les
prem iers juges recevaient la constitution de partie civile.
Cependant le problème se posait de savoir si ces derniers avaient
ou non renvoyé l'affaire à une audience ultérieure pour statuer sur
les intérêts civils. En effet, les dispositions dactylographiées sur
la copie du jugement mentionnant le renvoi, ne figuraient pas
dans le plumitif de la décision.
Le Tribunal de Nice ne se considérant pas dessaisi, dans
une seconde décision, allouait une certaine somme à titre de
réparation à la partie civile. Sur appel des parties, la Cour d'Aixen-Provence confirme la recevabilité de l'action civile et multiplie
par deux le montant à verser à la victime. Le prévenu fait alors
opposition à cet arrêt, au motif que le tribunal le 21 janvier 1991,
statuant seulement sur l'action pénale, sans renvoi pour l'action
civile, s'était dessaisi de l'affaire. Les juges d'appel vont faire
une application de la jurisprudence constante en la matière, selon
laquelle, les tribunaux bien qu'ayant la possibilité de procéder à la
rectification des erreurs purement matérielles2 contenues dans les
décisions n'ont cependant pas le pouvoir de m odifier la chose
jugée, de restreindre ou d'accroître les droits consacrés par ces
derniers3. En l'espèce, la rectification de la mention "avec renvoi"
en ce qui concerne les intérêts civils dans la copie du jugement,
ne figurant pas dans le plumitif modifiait complètement celui-ci.
C'est pourquoi, la Cour d'Aix infirme la décision du Tribunal de
Nice et déclare irrecevable la demande sur intérêts civils.
C. S.
S59 •
Procédure pénale / Nullité du procès verbal
d'interpellation (non) / Délit flagrant (oui) /
Fuite du véhicule / Refus d'obtempérer / Fuite
des passagers au moment de l'immobilisation
du véhicule
Cour d'appel d'Aix-en-Provence - 13ème Chambre - Arrêt du 6
octobre 1993.
JCP 1975-D-18062 noie P. CHAMBON ; Crim. 9 juin 1980. Bull. n°179 ; Crim. 2
février 1982, Bull. n°35. JCP 1983-11-19985 note P. CHAMBON.
2 Article 710 du CPP.
3 Cf. Crim. 29 juin 1966. Bull. n°187 ; Crim. 7 janvier 1975, Bull. n°5 ; Crim. 21
juin 1977. Bull. n°228. D.1977. IR. 425. Obs. PUECH ; Crim. 9 mai 1978,
D.1978. IR. 346. Obs. ROUJOU DE BOUBEE ; Crim. 5 novembre 1981. Bull.
n°296 ; Crim. 10 mai 1983. D.1983, IR. 475, Bull. n°135 ; Crim. 26 juin 1984,
Bull. n°242 ; Crim. 12 mai 1986, Bull. n°159 ; Crim. 22 juillet 1986, Bull. n°159
; Crun. 22 juillet 1986. Bull. n°240 ; Crim. 12 avril 1988. Bull. n°153 ; Crim. 5
décembre 1989, Bull. n°464.
188
Le conducteur d'un véhicule refusant d'obtempérer aux
sommations de la police prend la fuite. Après une course
poursuite, celle-ci réussit à immobiliser l'automobile. Ses
occupants tentent alors d'échapper aux gardiens de la paix. L'un
deux, simple passager, est cependant arrêté.
Poursuivi pour vol et recel de vol du véhicule devant le
Tribunal correctionnel de Marseille, celui-ci constatant la nullité
du procès-verbal d'interpellation du prévenu et de la procédure
subséquente, ordonne la mainlevée de son mandat de dépôt. Le
raisonnement des premiers juges était le suivant : les articles 53 et
73 du Code de procédure pénale, relatifs aux infractions
flagrantes ne pouvaient être appliqués au prévenu puisque simple
passager et non conducteur du véhicule, il n’avait à ce titre pas
commis le délit de refus d'obtempérer. Sur appel du ministère
public, la Cour d'Aix-en-Provence va étendre la procédure de
flagrance à cet individu en considérant que la fuite de
l'automobile après sommation de la police de s'arrêter, puis la
tentative de ses occupants après l'immobilisation du véhicule,
d'échapper aux agents de la paix, constituaient un ensemble
d'indices objectifs suffisants, justifiant l'intervention sur la base
des articles 53 et suivants du Code de procédure pénale.
L'exception de nullité n'étant ainsi pas fondée, le prévenu était
condamné à un mois de prison pour recel et relaxé du chef de vol.
Cet arrêt illustre la règle selon laquelle est une infraction
flagrante celle dont l'existence est révélée par des indices
apparents constatables extérieurement par la police judiciaire,
indices qui tendent à faire croire à la présence d'un comportement
délictueux4. C'était bien le cas de ce passager qui était "complice"
du refus d'obtem pérer et qui avait tenté de fuir une fois le
véhicule immobilisé.
C. S.
S60 -
Procédure pénale / Démarchage financier
illicite / Irrecevabilité de la constitution de
partie civile du prêteur / Cause illicite et
immorale
Cour d'appel d'Aix-en-Provence - 5ème Chambre - 8 Février
1993, n° 134
Président : ELLUL - Avocats : VANGION1 - AYACHE - TIRAT
Les plaignants, à l'occasion d'un démarchage financier,
avaient consenti un prêt important, à des conditions qui en
4 Cf. Crim. 4 janvier 1982. Bull. n°2 ; Crim. 30 mai 1980. Bull. n°165, D.1981,
note W. JEANDIDIER ; Crim. 21 juillet 1982. Bull. n°196. D.1982. 642. note
BERR ; Crim. 8 octobre 1985, Bull. n°301 ; Crim. 2 février 1988, Bull. n°52
�189
principe auraient dû se révéler très avantageuses pour elles, si
l'emprunteur n'avait pas décidé très tôt d’interrompre le paiement
des intérêts, et de refuser de rembourser le capital. Bien qu'elle
condamna l'emprunteur pour démarchage financier illicite (Article
9 et 15 de la loi du 28 décembre 1966) la Cour déclara irrecevable
la constitution de partie civile des prêteurs, estim ant que le
préjudice allégué, le détournement de capital, trouvait son origine
non pas dans l'infraction commise par l'emprunteur, mais dans la
volonté même de "ses victimes", de consentir un prêt dans de
telles conditions, soit à des taux m anifestem ent usuraires (107r
par mois), et dans des conditions clandestines.
"Nemo auditur propriam turpitudinem allegans", l'application de
l'adage est rare dans le procès pénal, pour ne pas manquer de
souligner la décision.
R. B.
�TROISIÈME PARTIE
DROIT DU TRAVAIL
■ ■
�194
561 -
Médecin salarié / Indépendance limitée à
l'exercice de sa profession / Sanction
disciplinaire / Blâme / Pouvoir du juge
C.A. Aix en Provence, 18e ch soc., 12 janvier 1993, n° 21
Le juge ne peut substituer sa propre appréciation des faits
à celle de l'employeur en diminuant la gravité de la sanction
infligée. Il ne peut donc qu'annuler éventuellement la sanction de
blâme mais ne saurait la requalifier en avertissement simple.
Se trouve justifiée la sanction disciplinaire de blâme
infligée à un médecin salarié des services médicaux du travail qui,
sans en informer sa direction, a pris l'initiative de provoquer une
réunion avec les dirigeants de la société dont il était chargé
d’assurer la surveillance médicale du travail du personnel afin de
résoudre directement un différend sérieux qu'il avait avec elle
quant à la fixation de l'horaire minimal d'exercice de la médecine.
En effet, si tout m édecin exerce, vis-à-vis de son
employeur, son métier en toute indépendance sur le plan médical
il ne peut agir de même sur le plan administratif. Il est tenu de
respecter en tant que salarié le pouvoir de direction de son
employeur.
V.D.
562 - Contrat de travail / Qualification / Convention
collective / Clause imposant la qualification du
contrat : Application par le juge / Contrat de
travail à durée déterminée : Ordonnance du 11
août 1986 / Contrat saisonnier (non) /
Présomption irréfragable de contrat à durée
indéterminée en l'absence d'écrit imposé par la
convention collective : D isposition plus
favorable que le régime légal (oui)
Aix - 9ème ch - 7 avril 1993 - n° 371
Président, M. BERTRAND - Avocats, Mes SANGUINETTI,
CENACAucun contrat écrit n'ayant posé la durée déterminée du
contrat d'un salarié engagé chaque année pour la période de 6 à 8
mois en qualité d'ouvrier agricole, ce contrat doit être qualifié de
contrat à durée indéterminée affecté de périodes de suspension
dépassant les périodes de congés payés annuels. Ceci résulte de
la convention collective du personnel d'exécution des exploita
tions agricoles du département des Bouches-du-Rhône étendue,
plus favorable au salarié en ce qu'elle institue une présomption
irréfragable de contrat à durée indéterminée en l'absence d'écrit
par rapport à l'article L. 122-3-1 issu de l'ordonnance du 11 août
1986 qui n'institue qu’une présomption simple.
Observations : Se trouve clairement posée ici la question de
l'application par le juge d'une clause d'une convention collective
imposant une qualification précise à un contrat de travail.
L'arrêt mérite attention : le contentieux est particulièrement
rare en la matière (cf. cependant, Aix, 14e ch, 12 novembre
1991, Cannes balnéaire, S.A. Casino Palm Beach c/ Sarrebeyroux, inédit. Fichier Centre de Droit Social, citée in R.R.J.
1992-3 PU AM, p .870, note 32 citée par l'auteur).
Dans l'affaire ci-dessus, la convention collective du per
sonnel d’exécution des exploitations agricoles du département des
Bouches du Rhône du 12.02.1986, étendue le 16.05.1986, pré
voyait une présomption irréfragable de contrat à durée indétermi
née en l'absence d'écrit, pour les ouvriers agricoles embauchés
chaque année pour une période donnée comprise entre 6et8mois.
La clause conventionnelle bien plus favorable que le
régime légal de la présomption simple de l'ordonnance du 11 août
1986 (et des textes antérieurs) trouvait tout naturellement applica
tion en l'espèce en vertu du principe de la hiérarchie des normes
en droit social. (Pour une application de cette présomption
simple : Soc. 25 sept. 1990, Bull. inf. C. Cass. 1° déc. 1990, p.
9, n° 1372).
Dès lors, la Cour d'appel, très logiquement, en tire la
conclusion que la rupture du contrat litigieux, justifiée unique
ment par la seule échéance du terme du contrat, (alors qu'il s'agit
d'un contrat à durée indéterminée), prive le licenciement de cause
réelle et sérieuse.
Désormais, la loi du 12 juillet 1990 (n° 90-613, JO 14
juillet, p. 8322 ; D. et A.L.D. 1990.328) instaure à son tour un
régime de présomption irréfragable dans son nouvel article L.
122-3 du Code du travail : "le contrat de travail à durée
déterminée doit être établi par écrit et comporter la définition
précise de son motif ; à défaut, il est réputé conclu pour une durée
indéterminée"... (v. Poitiers, 3 février 1993, R.J.S. 1993, p.
505, n° 847 : pour une première application du texte). Si la nature
juridique de la présomption ne semble pas discutée, sa portée en
revanche est beaucoup plus incertaine. La violation de l'une des
nombreuses mentions obligatoires de l'article L. 122-3-1 alinéa 2
imposées aux utilisateurs dans le contrat écrit va-t-elle être aussi
sanctionnée par la requalification-sanction "automatique" en
contrat de travail à durée indéterminée ? Un formalisme exagéré
ment pointilleux va-t-il priver le juge de tout pouvoir d'apprécia
tion ? Nous ne le pensons pas, mais le débat reste ouvert (v. sur
la problématique : C. Roy-Loustaunau, "Réflexions sur le rôle du
juge dans la requalification-sanction du contrat de travail à durée
déterminée après la loi du 12 juillet 1990, J.C.P. 1991, éd. E., p.
513).
C.R.L. (Centre de Droit Social)
�196
TABLE DES MATIERES
ANALYSES DE JURISPRUDENCE
SOMMAIRES DE JURISPRUDENCE
1ère P A R T IE - C IV IL - C O M M E R C IA L
FAMILLE (S. 1 à 8 )..................................................
- mariage (S. 1 à 2 )...................................................
- divorce (S. 4 à 7 ) ...................................................
- adoption (S. 8 ) ........................................................
119
119
Al - Le droit à l’image de ses biens (Aix 1ère ch.,
18 janvier 1993), note A. SERIAU X ................................. Il
SUCCESSIONS (S. 9 à 13)............................
124
A2 - La garantie autonome, acte civil ? (Aix 8ème ch. A,
15 avril 1993), note E. PU T M A N ......................................18
R ESPO N SA B ILITÉ C IV IL E ............................
- accidents de la circulation routière (S. 14).....
- divers (S. 15 à 1 6 )..................................................
- responsabilité des professionnels (S. 16 à 19)
130
130
131
132
CONTRATS EN GÉNÉRAL (S. 2 0 ) .....................
137
CONTRATS SPÉCIAUX (S. 21 à 2 2 ) ..................
138
SÛRETÉS (S. 23 à 2 6 ) ............................................
140
TRANSPORT (S. 27 à 2 9 )......................................
152
CONSTRUCTION (S. 30 à 3 6 ) .............................
155
CONSOMMATION (S. 37 à 3 8 ) ............................
163
A5 - La connaissance du préjudice définitif résultant de
la faute d’un salarié ne constitue pas le point de départ
de la prescription disciplinaire (Aix 9ème ch.,
29 mars 1993), note V. DONSIM ONI...............................41
BIENS (S. 39 à 4 2 ).......... ...............................
- copropriété...............................................................
165
165
PROCÉDURE CIVILE (S. 43 à 4 6 ) ......................
169
A6 - La faute lourde d’un clerc d’huissier, application
des critères dégagés par la Cour de cassation (Aix 9ème
ch., 28 janvier 1993), note V. R E N A U X ..........................50
2ème P A R T IE - PÉN A L
DROIT CIVIL - DROIT COMMERCIAL
A3 - Qui doit supporter, en cas de vol de cartes bancaires,
les insuffisances du système d’opposition pendant
les jours fériés ? (Aix 1 lèm e ch., 24 février 1993),
noteC. PRIETO.................................................................... 22
A4 - La jurisprudence SEIKO ne donne-t-elle pas l’heure
juste en matière de distribution sélective ? (Aix 2 ch.,
10 juin 1993), note C. PR IE T O ......................................... 28
TRAVAIL
A7 - Un critère inhabituel de distinction entre contrat de
travail à durée indéterminée et contrat de travail
à durée déterminée (Aix 9ème ch. 23 juin 1993),
note 1. CORIAT......................................................................61
A8 - Le licenciement d ’un salarié atteint du SIDA (Aix 9ème
ch., 26 juin 1992), note D. B ER R A .............................74
CHRONIQUES
123
DROIT PÉN A L SP É C IA L ................................
- infraction contre les personnes (S. 47 à 49)...
- infraction contre les biens (S. 5 0 ).........................
177
177
179
LOIS PÉNALES A N N EX ES..................................
- droit pénal de la circulation routière (S. 51).........
- exercice illégal de la profession (S. 52)........
- droit pénal fiscal (S. 53).........................................
- droit pénal de l’urbanisme (S. 54 à 55)................
- droit pénal de la presse (S. 5 6 ) .............................
180
180
181
182
183
185
PROCÉDURE PÉNALE (S. 57 à 60)....................
186
3ème P A R T IE - T R A V A IL (S. 61 à 62)
193
C l - Le surendettement des particuliers par P. STO RR ER...... 95
C2 - L ’indemnisation des victimes post-transfusionnelles
du SIDA par P. STO R R ER ........................................104
120
�198
INDEX
(renvoi aux numéros des rubriques)
- A Abandon du domicile conjugal : S. 3
Accidents de la circulation
- et responsabilité civile : S. 14
- et responsabilité pénale : S. 51
Action civile : S : 57, S : 58
Adoption plénière
- et droit de visite des grands-parents : S. 8
Adultère : S. 3
Ajournement
- du prononcé de la peine : S. 48
Amende civile
- et acte de malice : S. 44
Apurement du passif
- et surendettement : C. 2
Architecte : S. 33
Assemblée générale de copropriétaires
- - autorisation de T: S. 40
- nullité d’ une décision de T: S. 41
- B
Bail commercial
- résiliation du : S. 23
Banque : A. 3
- opération de : S. 18, S. 19
Blâme : S. 61
Bonne foi
- et surendettement des particuliers : C. 2
- contractuelle : C. 2
- procédurale : C. 2
-
C
-
Captation
- de l’ image : A. 1
Carte bancaire
- vol de : A. 3
- code confidentiel de : A. 3
Cause
- proximité de la : A. 3
- réelle et sérieuse de licenciement : A. 7
Caution
- et connaissance de l’engagement : S. 25
- décharge de la : S.23, S.24
- solidaire : S. 23, S. 24
Cautionnement : S. 23, S. 24, S. 25, S. 26, S. 43
- et existence du gage : S. 24
- et qualification : S. 26
- et validité : S. 25
Centre de transfusion sanguine : C. 1
Chirurgien-dentiste : S. 52
Clause attributive de compétence : S. 43
Clause de concurrence
- et qualification du contrat de travail : A. 7
Clause d’inaliénabilité
- et libéralités : S. 10
Clerc assermenté d’huissier : A. 6
Collaboration professionnelle
- du conjoint : S. 12
Commande
- ferme et définitive : S.33
Commerçant
- qualité de : S. 43, A. 2
Commercialisation
- de produits protégés : A. 4
Commission de transport
- et mandat : S. 27
Compétence
- d’attribution : S. 43
Compétence territoriale
- et dérogation conventionnelle : S. 43
Concepteur : A. 1
Concubinage : S. 4
Concurrence déloyale : A. 4
Consentement
- du propriétaire : A. 1
Consommateur
- information et protection du : S. 37
Consommation : S. 37, S. 38
Constitution de partie civile : S. 60
Construction : S. 30, S. 31, S. 32, S.33, S. 34, S. 35, S. 36
- sans permis : S. 54, S. 55
Contamination du VIH
- présomption de : C. 1
Contrat de construction
- et contrat d’architecte : S. 33
- et contrat de cautionnement : S. 30
- et contrat d’entreprise : S. 32
- et contrat de louage d’ouvrage : S. 31
- de maison individuelle : S. 30, S. 31
Contrat de distribution sélective : A. 4
Contrat de publicité : S. 22
Contrat de recrutement : S. 21
Contrat de travail
• qualification du : A. 7, S. 62
�199
- rupture du : A. 7. S. 62
Contribution aux charges du mariage
- et activité au foyer : S. 1
- nature et fixation de la : S. 2
t
Contribution à l'entretien et l'éducation de 1 enfant : S. 7
Convention collective : S. 62
Copropriété : S. 39, S. 40. S. 41, S. 42
- syndic de : S. 42
Cour de justice des communautés européennes . S. 52
Crédit-bail : S. 24, S. 43
Crime contre l’humanité : S. 56
- D Débauche
- provocation à la : S. 49
Délai
- pour comparaître : S. 45
Délivrance
- obligation de - conforme : S. 34
Démarchage financier illicite S. 60
Dettes
- d’aliments : S. 2
- - professionnelles : C. 2
Devoir conjugal
- refus du : S. 3
Devoir de conseil
- et notaire : S. 17
Devoir de secours
- entre époux : S. 2, S. 11
Discrimination raciale
- et théorie révisionniste : S. 56
Distribution sélective
- contrats de : A. 4
- réseau de : A . 4
Divorce pour faute : S. 3, S.4, S. 5, S. 6
- et adultère : S. 3
- et abandon du domicile conjugal : S. 3
Domicile élu
- présomption de : S. 46
Donation
- entre époux : S. 11, S. 12
- en vue d’acquisition immobilière indivise : S. 11
- rémunératoire : S. 11
- preuve de la : S. 11
Droit
- sur l’ image conçue : A. 1
Droit de la consommation : S. 37, S. 38
Droit de jouissance privative
- d’une partie commune : S. 39
- limite du : S. 39
200
Droit pénal
- de la circulation routière: S. 51
- de la famille : S. 47, S.48
- fiscal : S. 53
- de la presse : S. 56
- de l’urbanisme : S. 54, S. 55
Droit de propriété littéraire et artistique : A. 1
Droit de visite et d’hébergement :
- et adoption plénière : S.8
- et détention du père : S.5
- et fixation de l’obligation d’entretien : S. 7
- des grands-parents : S. 6
- obstacle au : S. 47
- rétablissement du - par JME: S. 48
- E -
Écrit
- exigence ad validatem d’un -: S. 33
Émission
- théorie de 1’ : S. 20
Emprunteur
- information et protection de 1’ : S. 38
Escroquerie : S. 57
Exequatur : S . 45
. F Fabricant
- responsabilité du : S. 36
Faute
- et contrat de publicité : S. 22
- de fonction : S. 15
- grave : A. 7
- inexcusable du piéton : S. 14
- lourde des officiers ministériels : A. 6
- d’organisation et de surveillance : S. 15
- et vol de carte bancaire : A. 3
Faillite commerciale
- et surendettement : C. 2
Flagrance : S. 59
Fonds d’indemnisation : C. 1
Forclusion
- de l’action en responsabilité : S. 29
Formation
- du contrat : S. 20
Fraude fiscale : S. 53
- G -
Gage : S. 24
Garantie à première demande : A. 2, S. 26
- autonomie de la : A. 2
�201
- nature de la : A. 2
Grands-parents
- droit de visite des : S. 6, S. 8
Gnef
- absence de : S. 46
. H Homicide involontaire : S. 51
-
I
-
Image
- captation d’une : A. 1
- droit sur 1’: A. 1
Imputabilité
- de la contamination du VIH: C. 1
Indemnisation
- des victimes contaminées par VIH : C. 1
Information
• et devoir de conseil : S. 17
- et syndic de copropriété : S. 42
Infraction contre les moeurs : S. 49
Inobservation des règlements : S. 51
Instituteurs
- responsabilité des : S. 15
Intention de nuire : A. 6
Intention libérale : S. 12
Intérêt de l’enfant : S. 8, S. 48
- L -
Legs universel : S. 10
Libéralités : S. 9, S. 10, S. 11, S. 12
- et faculté de substitution: S. 12
Liberté d’expression et d’opinion : S. 56
Licenciement
- abusif : A. 6
- disciplinaire : A. 7
- nullité du : A. 8
• et SIDA : A. 8
Livraison
- délai de : S. 34
- M Maître de l’ouvrage
- action directe du : S. 36
- et accord sur des travaux supplémentaire ; S. 32
- et obligation de paiement: S. 32
Médecin salarié : S. 61
Mesure probatoire : S. 48
- N
Nantissement du fonds de commerce : S. 23
Non-représentation d’enfant : S. 47, S. 48
Notaire
- et devoir de conseil : S. 17
- et responsabilité civile : S. 17
Notification des devis
- aux copropriétaires : S. 41
Nullité
- et dénomination juridique erronée : S. 44
- de fond : S. 46, S. 44
- du testament : S. 9
°
.
-
Obligation de moyen : S. 16, S. 21
- et responsabilité du prêteur : S. 16
Obligation de pmdence
- et notaire : S. 17
Obligation de renseignement
- et banquier : S. 18
Obligation de sécurité
- des centres de transfusion sanguine : C. 1
Opposition
- et carte bancaire : A. 3
- efficacité de Y: A. 3
-
P Parties communes
- emprise sur les : S. 40
Parties privatives
- changement d’affectation des : S. 40
Pension alimentaire : S. 4
Permis de construire
- défaut de : S. 55
- tacite : S. 55
- et autorisation du maire : S. 54
Pourparlers : S. 33
Préemption
- offre de : S. 20
- acceptation de : S. 20
Préjudice
- direct : S. 57
- spécifique de contamination du VIH : C. 1
Prescription
- en matière disciplinaire : A. 7
- décennale : S. 36
- de l’art 27 loi 78 : S. 37
Présomption
- d'imputation de la contamination du VIH : C. 1
- de connaissance du vice : S. 16
�204
Prestation compensatoire : S. 4
Prêt : S. 19
Prêteur professionnel
- responsabilité du : S. 16
Procédure
- civile : S. 43, S. 44, S. 45, S. 46
- pénale : S. 57, S. 58, S. 59, S. 60
Procès verbal d’interpellation nullité du : S. 59
Produits sanguins labiles : C. 1
Profession
- exercice illégal de la : S. 52
Promesses
- de prestation supplémentaires : S. 34
Propriété
- de l’ image du bien : A. 1
- incorporelle : A. 1
- intellectuelle : A. 1
- de l’objet matériel : A. 1
Prothèse
- nature de l’acte : S. 52
Provocation
- à la débauche : S. 49
- à la discrimination raciale : S. 56
Publicité
- contrat de : S. 22
- Q -
Question préjudicielle : S. 54
- R Réception des travaux
- tacite : S. 35
Recrutement
- contrat de : S. 21
- cabinet de : S. 21
Redressement judiciaire civil : C. 2
Refus d’obtempérer : S. 59
Rencontre sportive
- et responsabilité civile : S. 15
Reproduction photographique : A. 1
Réseau de distribution sélective
- licéité des : A. 4
Responsabilité bancaire : A. 3
Responsabilité civile
- et accidents de la circulation : S. 14
- et banquier : S. 18, S. 19
- des centres de transfusions sanguines : C.
- et contamination par VIH : C. 1
- des constructeurs : S. 35
- des fabricants : S. 36
- et forclusion : S. 29
- des instituteurs : S. 15
- des notaires : S. 17
- du prêteur : S. 16
Responsabilité pénale
- et construction : S. 55
- des contribuables : S. 53
Revendeurs
- choix des : A. 4
Risque
- suffisant et certain pour la victime : S. 51
-
S
-
Saisie-arrêt : S. 46
Sanction disciplinaire : S. 61
Séparation de corps : S. 3
SIDA : A. 8, C. 1
Signification de l’exploit
- au domicile : S. 46
- au siège social : S. 46
Stipulation pour autrui
- implicite : C. 1
Subrogation : S. 23
Succession : S. 13
Surendettement des particuliers : C. 2
- et diminution de la fraction du prêt : C. 2
- et échelonnement des taux d’intérêts : C. " 2
- et réduction des clauses pénales manifestement excessives : C. 2
- rééchelonnement de la dette : C. 2
Syndicat des copropriétaires : S. 42
Syndic de copropriété
- et responsabilité civile : S. 42
- T
-
Taux d’intérêts
- fixation préalable des : S. 26
Testament : S. 10
- nullité du : S. 9
Transport
- et acceptation des réserves : S. 29
- commission de : S. 27
- et mandat : S. 27
- maritime de marchandise : S. 27, S. 28
- et préjudice : S. 28
- routier de marchandise : S. 29
Transporteur
- action en responsabilité contre le : S. 28
Travaux
- caractère inacceptable des : S. 35
- dans le sol indivis : S. 39
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Université de Droit, d'Economie et des Sciences d'Aix-Marseille
Tutelle
- et notonété de la cause d’ouverture : S. 9
- et testament : S. 9
- U Usage de poinçon : S. 57
Utilisation commerciale
- de l’image d’un bien : A.l
-
V
-
Véhicule
- achat de : S. 37
Vente
- en l’état futur d’achèvement : S. 34
Victime
- identification des : S. 49
- post-transfusionnelle du SIDA : C. 1
Vol
- de carte bancaire : A. 3
- et élément intentionnel : S. 50
�Les Presses Universitaires d’Aix-Marseille et la Faculté e
oi
déclinent toutes responsabilités à la fois quant aux opinions émises par es auteurs
et quant aux informations les concernant (grade - titre - alfectation) , ces e
sont toujours, sauf erreur matérielle, celles fournies par les auteurs eux m mes
U Code de la propriété intellectuelle n autorisant. au» termes de ïartrcle
L 122-5, 2 ' et 3° a), d'une part, que les 'copies ou reproducuona •*!
réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une uü isa
et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un u
.. ^ lc
jtiit.—*— •
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renenHiichnn întéarâle ou partielle,
(art. L. 122-4).
quelque procédé que ce soit,
Cette représentation ou reproduction, par
les articles 335-2 et suivants
constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par
du Code de la propriété intellectuelle.
© PRESSES UNIVERSITAIRES D AIX-MARSEILLE - 1994
�UNIVERSITÉ DE DROIT, D’ÉCONOMIE ET DES SCIENCES D'AIX-MARSEILLE
{(<*)
(U 0fl0,T«« ^
Bulletin
d'Aix
1993-2
CENTRE DE DROIT SOCIAL
Directeur : M. le Professeur D, BERRA
Équipe de recherche : J. Colonna,, I. Coriatt, V. Donsimoni,
V. Rénaux, C. Roy-Loustaunau
IN STITUT D ÉTUDES JUDICIAIRES
D irecteur : M. le Professeur A. SERIAUX
Équipe de recherche : M. Barrier, J. Cayron, S. Famocchia,
C. G iovanangelli, B. Lassalle, A. Leborgne, C. Prieto, E. Putman,
J.-M . Roux, Ph. Stoffel-M unck, P. Storrer, C. Tremisi,
D. Viriot-Barri al
LABORATOIRE DE DROIT PÉNAL INTERNATIONAL
ET DE CRIMINOLOGIE COMPAREE
Directeur : M. le Professeur R. GASSIN
Équipe de recherche : R. Bourhala, C. Silvestre
094 0 9 5 8 5 0
9
PRESSES U NIVERSITAIRES D’AIX-M ARSEILLE
FACULTÉ DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE D’AIX-MARSEILLE
�LE BU LLETIN d'AIX, issu de la collaboration
entre le L a b o ra to ire de D roit Pénal International et de
C rim in o lo g ie C om parée, le C entre de D ro it Social et
l'In stitu t d 'É tu d es Judiciaires, reprend sous une nouvelle
fo rm e le B u lletin des arrêts civils et com m erciaux de la
C our d 'a p p el d'A ix-en-P rovence.
Le
nouveau
b u l le t in
a ura
un
cham p
d 'in v e stig a tio n p lu s éten d u : le droit civil et le droit
com m ercial mais aussi le droit du travaily le droit pénal ,
la procédure civile ou pénale.
Ce n o u v e a u b u lle tin , éd ité d éso rm a is p a r les
P resses U n iversita ires d'A ix-M arseille, sera sem estriel ce
qui p e rm e ttra a u x p ra ticien s de connaître dans un délai
rela tivem en t b r e f l'é ta t de la ju risp ru d en ce aixoise. Il a
été conçu com me un instrument susceptible d'éclairer
les praticiens dans leur travail quotidien.
L 'In stitu t d'É tudes Judiciaires
L e C entre de D roit Social
Le L a b o ra to ire d e D roit Pénal International
et de C rim inologie Comparée
�PREMIERE PARTIE
NOTES
DE JURISPRUDENCE
�LE DÉBUT DE LA FIN :
LA NOUVELLE POSITION AIXOISE
SUR LE TRANSSEXUALISME
Etat des personnes / Sexe / Transsexualisme / État civil /
Changement (oui) / Droit au respect de la vie privée /
Nom - prénom / Transsexualisme / État civil / Prénoms /
Changement (oui) / Droit au respect de la vie privée
Aix, 1ère Chambre A - 6 décembre 1993 n°651
Président : M. HUGUES - Avocat : Me VERNIERS
Lorsqu'à la suite d'un traitement médico-chirurgical subi
dans un but thérapeutique, une personne présentant le syndrome
de transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son
sexe d'origine et a pris une apparence le rapprochant de l'autre
sexe, auquel correspond son comportement social, le principe du
respect dû à la vie privée justifie que son état civil indique
désormais le sexe dont elle a l'apparence ;le principe de l'indis
ponibilité de l'état des personnes ne fa it pas obstacle à une telle
modification. Dès lors que l'intéressée pouvait être considérée
comme transsexuelle d'après les critères de classification actuels,
justifie par ailleurs avoir subi des interventions chirurgicales lui
conférant l'apparence du sexe quelle revendique et qu'il est enfin
attesté par des témoignages que son comportement social est celui
d'une personne du sexe masculin, cette situation, devenue
irréversible, appelle en conséquence la normalisation juridique
que perm ettront les mesures de rectification de son acte de
naissance sollicitées (changement de sexe et de prénoms).
Faits et procédure : Par déclaration du 24 octobre 1991, Nadine
A. a relevé appel d'un jugement rendu le 2 octobre 1991 par le Tribunal de
Grande Instance de Marseille et qui l'a déboutée de sa demande tendant à être
déclarée de sexe masculin et à être autorisée à porter le prénom de Franck
Johan.
Sur son appel, Nadine A. demande à la Cour de réformer le jugement
entrepris ; de dire qu'à compter de la décision à intervenir, elle devra être
déclarée de sexe masculin et qu'à son prénom de Nadine sera substitué celui de
Pierre-Jean ; de statuer ce que de droit sur les dépens.
Elle fait valoir à l'appui de son recours que l’experuse judiciaire dont
elle a fait l'objet a établi qu'elle constituait un cas de transsexualisme vrai, et
�10
qu elle a subi le 15 septembre 1993 une intervention chirurgicale lui donnant
une apparence qui la rapproche du sexe masculin.
Le MINISTÈRE PUBLIC indique dans le dernier état de ses écritures
s'en rapporter à l'appréciation de la Cour, sous réserve qu’il soit justifié de
l'opération évoquée dans les conclusions de Nadine A..
Motifs de la décision : Attendu que les parties ne discutent pas de
la recevabilité de l'appel ; que rien au dossier ne conduit la Cour à le faire
d'office et qu'il y a lieu de le recevoir ;
Attendu, sur le fond, que lorsque, à la suite d'un traitement médicochirurgical subi dans un but thérapeutique, une personne présentant le
syndrome de transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son sexe
d'origine et a pris une apparence le rapprochant de l'autre sexe, auquel
correspond son comportement social, le principe du respect dû à la vie privée
justifie que son état civil indique désormais le sexe dont elle a l'apparence ;
que le principe de l'indisponibilité de l'état des personnes ne fait pas obstacle
à une telle modification ;
Attendu en l'espèce que la réalité du syndrome transsexuel invoqué par
Nadine A. est établie par l'expertise judiciaire diligentée par le Professeur
CODACCION1, le Docteur GIRAUD et le Docteur GUILLOT, qui ont
conclu que l'intéressée, marquée par des signes d'hyperandrogénie apparus à la
puberté associés à un développement pubertaire féminin normal et dont
l'évolution psychologique et sociale s'est effectuée dans le sens masculin,
pouvait être considérée comme transsexuelle d’après les critères de
classification actuels.
Que Nadine A. justifie par ailleurs avoir subi le 15 septembre 1993
une hystérectomie, une ovariectomie et une phalloplastie lui conférant
rapparence du sexe qu elle revendique ;
Qu il est enfin attesté par les témoignages et courriers produits que son
comportement social est celui d'une personne de sexe masculin ;
Attendu que cette situation, devenue irréversible, appelle en conséquen
ce la normalisation juridique que permettront les mesures de rectification de
son acte de naissance sollicitées par Nadine A. ;
Attendu que les dépens de la procédure de première instance et d'appel,
diligentée dans l’intérêt exclusif de l'appelante, devront être cependant
supportés par cette dernière ;
-
P ar ces motifs : LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Reçoit l'appel ;
Réformant le jugement entrepris,
Dit que Nadine A. devra, à compter du présent arrêt, être dite de sexe
masculin ;
L'autorise à porter désormais le prénom de Pierre-Jean ;
Dit en conséquence que dans son acte de naissance seront substitués aux
mots "sexe féminin" les mots "sexe masculin" et au prénom de Nadine,
celui de Pierre-Jean.
11
OBSERVATIONS :
"Chat échaudé craint l'eau froide". L'Assemblée plénière de
la Cour de cassation ayant, le 11 décembre 1992 (1), condamné
par deux fois la cour d'appel d'Aix-en-Provence pour la position
qu'elle adoptait face au transsexualisme, celle-ci a cru bon, à la
toute prem ière occasion, de modifier sa jurisprudence en
l'alignant mot pour mot sur celle de la Haute juridiction.
Bien que constituant, tant la matière a fluctué, un exercice
difficile, l'historique de la question est trop connu pour qu'on le
reprenne. B ornons-nous a rappeler que, jusqu'en 1990, la
première chambre civile de la Cour de cassation s'était, par un
biais ou par un autre, montrée hostile aux demandes de
changements de sexe juridique émanant même de transsexuels
avérés (2). Après une longue période de valse-hésitation sur la
justification de cette hostilité, quatre arrêts du 21 mai 1990 (3)
avaient fini par affirmer, à fort juste titre pensons-nous (4), que
"le transsexualisme, même lorsqu'il est médicalement reconnu,
ne peut s'analyser en un véritable changement de sexe, le
transsexuel, bien qu'ayant perdu certains caractères de son sexe
d'origine, n'ayant pas pour autant acquis ceux du sexe opposé".
Ainsi, à nombre de juridictions du fond qui préconisaient une
appréciation d’ensemble de l'identité sexuelle, dans sa double
composante psychosomatique, pour en tirer cette conséquence
que les aspects psychosociaux devaient prévaloir sur les aspects
morpho-biologiques, la première chambre civile de la Cour de
cassation répondait clairement que, cette prédominance fût-elle
avérée en fait, il ne s'en suivait pas pour autant que l'individu
transsexuel appartint pour le tout à l'autre sexe. Nul n'était donc
en droit de leur attribuer un tel sexe.
Depuis longtem ps déjà, par ailleurs, les transsexuels
arguaient qu'en leur interdisant de changer juridiquement de sexe
les juges français violaient tant l'article 8 (droit au respect de la
vie privée) que l'article 12 (droit de se marier) de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales. Mais la Cour de cassation faisait la sourde oreille
(5). Quant à la Cour européenne des droits de l'homme, ses
(1) JCP 1993, n, 21991. concl M JÉOL, noie G. MEMETEAU ; Defrénois 1993,
art. 35505, noie J MASSIP ; RTD civ. 1993. 97. obs. J HAUSER.
(2) V. A. SERIAUX. Les personnes, PUF. "Que sais-je T n°2680, 1992, p.38 et s.
(3) JCP 1990. U. 21588. rapp. J. MASSIP.
(4) Comp. M GOBERT. "Le transsexualisme ou la difficulté d'exister", JCP 1990,
I. 3475.
(5) V. pour l'article 8, en dernier lieu : Civ. 1er, 21 mai 1990, précité, 3ème et
4éme affaires ; pour l’article 12 : Civ. 1er. 10 mai 1989, Bull. civ. I, n°189.
�12
arrêts Rees (1) et Cossey (2), rendus il est vrai à propos de
demandes émanant de transsexuels britanniques, ne paraissaient
guère leur donner plus de chances d'être entendus. Aussi, les
juristes français furent tout de même assez interloqués de voir un
peu plus tard la France condamnée par cette même Cour, le 25
mars 1992 (3), pour avoir violé le seul article 8 de la Convention
en refusant aux transsexuels le changement de sexe désiré. Fût-ce
un revirem ent de jurisprudence ? On en débat encore (4).
Toujours est-il qu'il est en revanche bien certain que notre Cour
de cassation, elle, a fait volte-face se rangeant, apparemment sans
trop d'états d'âme (5), à la position adoptée par la Cour
européenne. Prise en Assemblée plénière, cette nouvelle orienta
tion ne pouvait manquer d'influencer la politique juridique des
juges du fond. L'arrêt ci-dessus de la Cour d'Aix-en-Provence en
est, à notre connaissance, la première preuve palpable.
La littérature juridique de notre pays fut, sur ce thème, si
abondante (6) qu’il serait bien étonnant q u ’il restât encore
quelque chose à dire. Il paraît pourtant surprenant de constater
que la doctrine française a cru bon d'adopter profil bas face à
l'arrêt de l'Assemblée plénière. Les rares comm entaires sur cette
sentence (7) se sont ou bien bornés à l'enregistrer pour se
demander ce qu'il était bon de faire à présent (8), ou bien achar
nés - acharnement thérapeutique ? - à dém ontrer que la nouvelle
direction imprimée par la Haute Assemblée ne faisait que s'ins
crire dans le droit fil de notre droit français d'hier, d'aujourd'hui,
de toujours (9). Les grandes voix se sont tues (10), éberluées
(1) 17 octobre 1986. Série A. n°106.
(2) 27 septembre 1990. Série A, n°184.
(3) D 1993. TOI. note JP MARGUENAUD.
(4) Pro : Ph. MALAURIE. Les personnes. Les incapacités 2ème éd. 1992. n°5,
note 27 ; contra M. JÉOL, concl. précitées. Nous partageons ce second point de
vue.
(5) Elle a à peu près suivi les conclusions de son premier avocat général M
Michel JÉOL.
(6) V. le rappel des principaux écrits doctrinaux effectué par M G. MEMETEAU,
note précitée in limine.
(7) Les arrêts de l'Assemblée plénière n'ont même pas été annotés au Dalloz, l'un
des principaux hebdomadaires juridiques français
(8) V. par ex. J. HAUSER, obs. précitées.
(9) V. G. MEMETEAU. note précitée - ce qui laisse tout de même un vague arrièregoût de scepticisme
(10) Celle de madame le professeur M. GOBERT ; celle aussi, tard venue mais
dénotant un sérieux agacement de monsieur le professeur C. LOMBOIS, V. "La
position française sur le transsexualisme devant la Cour européenne des droits de
l'homme", D 1992 chr.323. V aussi: J RUBEUN-DEVICHI. RTD Civ. 1989.
721 ; J. MASSIP. rapp. sous Civ. 1er 21 mai 1990, précité.
13
(1) ou accablées (2). Pour aussi menue qu'elle paraisse la nôtre,
du moins, ne s'éteindra pas . Il n'est même pas improbable que
dans cinquante années encore - si Dieu nous prête vie - nous
marmonnions toujours le même refrain : la solution nouvelle est
injuste et, partant, inutile. Même par souci d'apaisement, la cour
d'appel d'Aix-en-Provence n'aurait pas dû l'adopter.
Passons rapidement sur la question des changements de
prénoms. Les autoriser n'est pas nouveau. Des juges du fond
l'avaient déjà fait (3) et la Cour de cassation a, en 1990, paru
corroborer cette attitude (4). En visant l'article 57 du Code civil,
l'Assemblée plénière, dans ses deux arrêts du 11 décembre
1992, renforce encore le recours à cette solution que la Cour
européenne avait nettement appelée de ses voeux (5). Avant les
arrêts de l'Assemblée plénière, il s'agissait d’une solution de
fortune, d'une sorte de demi-mesure qui offrait au moins l'avan
tage de ne pas renvoyer les transsexuels les mains vides : se
voyant refuser le changement de sexe demandé, ils pouvaient tout
de même obtenir une certaine adéquation entre leur sexe apparent
et leur sexe mental. Maigre consolation : le choix du prénom
n'était point libre ; il leur fallait porter un prénom "neutre",
lesquels, tout de même, ne courent pas les rues (6). Depuis les
arrêts de l'Assemblée plénière, les perspectives ont changé.
L'attribution du prénom de leur choix, sexué ou non, est désor
mais de droit pour les transsexuels puisque ceux-ci sont déjà
autorisés à changer de sexe juridique. Il y a là forcément un
intérêt légitime au sens du nouvel article 60 du Code civil (loi
du 8 janvier 1993). C'est ainsi que dans l'affaire aixoise, il est
décidé que Nadine A se prénommera dorénavant Pierre-Jean, ce
qui correspond à ses desiderata. En un ultime effort pour "faire
comme les autres sans renoncer à être nous", un auteur avait
suggéré d'attribuer aux transsexuels non autorisés à changer de
sexe n'importe quels prénoms souhaités, motifs pris que rien
dans nos lois ou nos instructions ne fait la moindre allusion à la
nécessité d'un prénom sexué et que la Cour de cassation avait au
(1) Nous ne l'avons pas consultée mais nous aimons assez à croire, la connaissant
un peu. que notre collègue Michelle GOBERT, si favorable à la défense de l'identité
"ontologique" des transsexuels, dut être quelque peu surprise par l'appel de la Cour
suprême au droit au respect de la vie privée.
(2) Compte tenu de sa brillante, quoiqu'un peu clinquante à notre goût, apologie de
l'identité française, nous songeons à M. LOMBOIS.
(3) V. Fans 24 février 1978. JCP 1979. D. 19202, note J. PENNEAU ; TGI SaintEtienne, 26 mars 1980, D.1981, 270.
(4) V. Civ. 1er. 21 mai 1990, JCP 1990, II. 21588, 4ème esp.
(5) CEDH. 25 mars 1992, précité. §58.
(6) L'on pourrait y voir une sorte de vexation, comme l'a plus ou moins fait la
Cour européenne des droits de l'homme
�14
15
surplus, au moins une fois (1), trouvé l'occasion de dire que
l'indication du sexe n'était pas consubstantielle au prénom (2).
Cette solution était, pensons-nous, fort discutable pour la bonne
et simple raison qu'une coutume unanime a, depuis bon nombre
d'années, adopté praeter legem une autre ligne de conduite. Or, la
coutume n'est-eile pas la meilleure interprète des lois (3) ? Les
transsexuels en étaient d'ailleurs si conscients que l'adoption
d’un prénom sexué leur paraissait indispensable. Ils ont obtenu
gain de cause. La satisfaction de cette petite revendication serait
certainement juste si la grande l'était. Or, tel n'est pas à notre avis
le cas.
Aux transsexuels qui se fondaient sur l'article 8 de la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et
des libertés fondamentales pour obtenir le droit à un changement
d'identité sexuelle, ni la Cour européenne (4), ni la Cour de
cassation (5) n'ont donné gain de cause. On les comprend.
Affirmer de but en blanc que le droit au respect de la vie privée
donne droit de changer d'identité, même lorsque cela est justifié
par des motifs d'ordre thérapeutique, reviendrait tout bonnement
à faire de l'article 8 de la Convention et de son équivalent national
l'article 9 du Code civil, une sorte de bombe atomique au sein de
n'importe quel ordre juridique (6). Mais ces deux juridictions ont
en revanche cru bon de juger que le droit au respect de la vie
privée rendait parfaitement légitime un changem ent juridique de
sexe à l'état civil pour éviter les intrusions indiscrètes dans la vie
privée des transsexuels. C'est la motivation "basse" que rappelait
M onsieur le Premier Avocat général M ichel JÉOL dans ses
conclusions devant l’Assemblée plénière (7). Or, un tel raisonne
ment est à notre sens doublem ent critiquable : au stade de ces
prémisses, d'une part, et de sa conclusion, de l'autre.
Au stade des prémisses, tout d'abord, pour que ce raison
nement soit fondé il faut de toute nécessité supposer que le
(1) Civ. 1er. 22 février 1972, D.1972, 317. noie R. LINDON.
(2) V. C. LOMBOIS. art. précité, in fine.
(3) Optima legum interpres : V. en ce sens a.27 du Code de droit canonique de
1983 ; et, déjà, dans une perspective laïque. Saint THOMAS D'AQUIN, Somme
théologique Ia-IIae, q 97. art.3 - adde : A. SERIAUX. "Réflexions sur ce pouvoir
normatif de la coutume en droit canonique", Droits, 1986, n°3, p 63 et s.
(4) Cf. les bonnes analyses de M. le premier avocat générai M. JÉOL, précitées.
(5) Malgré, cette fois, les suggestions de M. M. JÉOL qui. sans aller jusqu'à
proposer la solution du droit à la reconnaissance de l'identité sexuelle, préconisait
quand même la thèse selon laquelle l étal civil ne serait que le reflet de "l'image
sociale" des personnes ; or. en l'occurrence, cette image devait globalement être
celle d'une personne de l'autre sexe. Nous ne somme pas loin du droit à l'identité
(6) Cf. A. SERIAUX, op. cit., p.l 15 et s.
(7) Concl. précitées in fine.
transsexuel s'est volontairement (1) livré au préalable à des
opérations chirurgicales et à des traitements hormonaux transfor
mant son anatomie. Pour susciter les curiosités jugées malsaines,
le transsexuel doit en effet avoir un sexe apparemment différent
de celui qui est inscrit sur ses papiers d’identité (2), sur son
numéro de sécurité sociale voire sur ses fiches d'état civil. Or,
c'est là que le bât commence à blesser. Ces transformations
corporelles sont obtenues en faisant fi, non du principe d'indis
ponibilité de l'état des personnes qui, effectivement, n'a rien à
voir dans l'affaire (3), mais de cet autre principe qualifié naguère
lui aussi d'ordre public par l'Assemblée plénière (4) qu'est le
principe d'in d isp on ib ilité du corps humain. Qu'on le
veuille ou non le transsexuel qui se soumet à des opérations
chirurgicales ou à des traitements hormonaux dispose de son
corps. Médecins aidant, il en fait ce qu'il en veut. Certes, il ne
l'abdique pas au profit d'autrui - signification stricte du principe
-, mais il s'en octroie la maîtrise complète, au moins dans la
mesure de factuellement possible (5). Or, une telle attitude paraît
également condam née par le principe ci-dessus rappelé (6).
O bjectera-t-on im m édiatem ent qu'un tel principe, qui n'a
d'ailleurs pas que des amis (7), n'interdit pas tout et q u ’à
l'appliquer à l'aveuglette l'on aboutirait à interdire toute interven
tion médicale thérapeutique sur le corps humain ? Nous répon
drons que, pour exacte dans son principe, cette objection pêche
par excès dans le cas qui nous occupe. Elle présuppose en effet
que les transformations physiques en vue d'une adéquation au
sexe mental ont une finalité réellement thérapeutique. Or, c'est
(1) Cette volonté est toujours nécessaire, en vertu de la grande règle du droit
médical selon laquelle le patient -lorsqu'il est lucide • doit toujours donner son
consentement à l'opération pratiquée sur lui.
(2) Sur la carte d'identité européenne
(3) Les vrais transsexuels n'entendent pas disposer de leur état. Au contraire, ils
subissent, contre leur volonté, le sentiment d'appartenir à l'autre sexe et se
bornent à souhaiter que ce sentiment soit pns en considération par le juge. Cf. G.
FAURÉ, "Transsexualisme et indisponibilité de l'état des personnes", Rev. Dr.
sanit. et soc. 1989, 1 et s. Il est excessif en revanche de soutenir, comme le fait
M. FAURÉ, qu'au nom du dit principe les transsexuels aient droit à un changement
de sexe.
(4) V. Ass plén. 31 mai 1991, D.1991, 417, rapp. Y. CHARTIER, note D.
THOUVENIN ; JCP 1991, II. 21752, comm. J. BERNARD, concl. H.
DONTENWILLE, note F. TERRÉ.
(5) Les interventions sur les gènes sont en effet actuellement exclues, en l'état de
la science.
(6) Cf. A. SERIAUX, op. cit., p. 122. Il ne s'agit là que d'un aperçu. Nous y
reviendrons en long et en large, en hauteur et en profondeur, dans un article
ulténélir en préparation.
(7) V. M. GOBERT, "Réflexions sur les sources du droit et les principes
d'indisponibilité du corps humain et de l'état des personnes", RTD civ. 1992, 489
et s.
�16
ce dont nous doutons fortem ent Au sens strict, une thérapeutique
est un moyen de guérison d'une m aladie (1). M ais, ici, le
changement "médical" d'apparence ne guérit strictement rien. Le
transsexuel est un malade psychique ou, peut-être, génétique qui,
sauf à le soigner sur un plan psychique ou génétique, ne guérira
jam ais (2). En réalité les "traitements" chirurgicaux et autres
appartiennent à ce que l'on peut appeler une médecine du
"détour" dont il est d'autres exem ples à l'heure actuelle (3).
Plutôt que de soigner la m aladie, le "m édecin" trouve plus
expédient et, sauf respect, plus gratifiant (4) d'abonder dans le
sens du malade. "Vous souhaitez mourir ? qu'à cela ne tienne !
Suicidez-vous : je vais vous y aider", voilà le raisonnement
implicitement suivi, restitué dans toute sa nudité et sa cruauté (5).
Dans ces conditions, le principe d'ordre public d'indisponibilité
du corps humain doit prohiber rigoureusement de telles pratiques.
Il en va, pensons-nous, à bien des égards de l'avenir de
l'humanité, si tant est que ce mot signifie encore quelque chose
aujourd'hui, n est en tout cas intellectuellement triste de constater
que l'Assemblée plénière après avoir, sans trop de courage il est
vrai (6), posé un tel principe, démontre quelques mois après ne
plus même y songer. A-t-elle même su exactement ce qu'elle fai
sait en le posant ? Tout paraît conduire à en douter sérieusement.
Au stade des conclusions, ensuite, qui ne voit qu'adopter,
toujours selon les expressions de M. JÉOL (7), la motivation
"basse" ou la motivation "haute" sur l'identité sexuelle revient en
définitive du pareil au même? Dans tous les cas, les demi-mesu
res auxquelles certains ont pu songer sur un plan administratif
(modification du système d'identification sociale des individus,
absence de mention du sexe sur les fiches individuelles d’état
civil, etc.) (8) sont totalement écartées au profit de la solution
draconienne qui consiste à permettre aux transsexuels de changer
(1) Dictionnaire Robert, V. Thérapeutique : "qui concerne l'ensemble des actions
et pratiques destinées à guérir, à traiter les maladies ; apte à guérir".
(2) Le changement juridique de sexe est-il une thérapeutique digne de ce nom ?
Beaucoup de médecins sérieux le nient. Il est en tout cas faux d'affirmer, comme le
fait M. JÉOL (concl. précitées) que la Cour de cassation n'a jamais pns en compte
un tel argument. V. Civ. 1er, 7 juin 1988, Bull. civ. I. n°176.
(3) Procréations médicalement assistées, notamment.
(4) Sans connotation défavorable : le "gratifiant" vise ici la satisfaction morale
ou plutôt sentimentale d'apporter un certain bien-être au patient.
(5 C est exactement ce raisonnement que suivent les médecins qui, en France,
avouent avoir pratiqué l'euthanasie active
(6) Il n'y avait, en effet, en l'étal de l'opinion publique, guère d'audace à condamner
solennellement la pratique des maternités de substitution. L'avant-projet de loi
Braibant avait fait de même auparavant ; les parlementaires d’aujourd'hui en sont
aussi tombés d'accord.
(7) Concl. précitées in fine.
(8) V. les concl. précitées de M. JÉOL.
totalement de sexe juridique auprès de l'état civil. Et, dès lors, les
sem piternels problèm es d'accès au mariage (1) voire au
concubinage (2) des transsexuels, du maintien ou de la disso
lution (3) de l'union conjugale de transsexuels déjà mariés avant
d'obtenir un changement juridique de sexe à l'état civil, de
l'adoption d'enfants par un couple de transsexuels, vont imman
quablement se poser de toute façon. Or, ces problèmes touchent
très directement, n'en déplaise à la Cour européenne des droits de
l'homme (4), à des questions d'ordre public au sens le plus
noble du terme : aux fondements mêmes de toute vie sociale (5).
Au total, qui fera les frais d'une telle "jurisprudence" ? Tout
bonnement les transsexuels eux-mêmes. La Cour de cassation,
qui s'érige ici en législateur divin (6), leur ouvre une porte à la
voie la plus folle : celle de la réalisation de leurs fantasmes. Mais
c'est une voie sans issue (7). L'autre, d’apparence plus modeste
mais pourtant bien plus sûre, eût été de maintenir notre ordre
juridique en l'état. A quoi aurait-elle abouti ? Tout simplement à
enseigner aux transsexuels que jusqu'à nouvel ordre (8) iis
doivent faire preuve de patience et d'humilité : d'acceptation de
soi, tel qu'on est avec ses qualités et avec ses défauts. Le
transsexualisme, il y a fort à parier, n'est pas un phénomène
nouveau. Il plonge sans doute ses racines dans la nuit des temps.
Ce qui est nouveau, c'est la manière dont on cherche à y
(1) Le mariage est par nature hétérosexuel. Mais cela ne peut se comprendre que si
on admet que le mariage est, également par nature, orienté vers la procréation. Or,
rien dans notre arsenal législatif ou judiciaire ne permet d'étayer directement une
telle affirmation. L'art. 12 de la Conv. europ. évoque bien le droit de se marier et
de fonder une famille” ; mais quel sens donner à ce "et" ?
(2) Le concubinage est aussi par nature hétérosexuel. La Cour de cassation l'a dit
(Soc. 11 juillet 1989, D.1990, 582, note Ph. MALAURIE, JCP 1990, II. 21553,
note M. MEUNIER. Gaz. Pal. 1990, 1. 216, concl. M. DORWLJNG-CARTER).
Mais, ici encore, cela ne préjuge en rien de son attitude face à une hétérosexualité
de façade.
(3) Par divorce ou par annulation.
(4) Pourtant l’art. 8 de la Conv. europ. énumère bien, en son alinéa 2, toute une
séné de cas, se ramenant peu ou prou à l'ordre public, où le droit au respect de la
vie privée peut être légitimement enfreint. Mais, avec son système d'appréciation
globale, la CEDH en grignote petit à petit la portée.
(5) La distinction et la complémentarité entre les sexes constitue à ce titre le
fondement du fondement de toute vie sociale.
(6) Il faudra un jour étudier sérieusement les pouvoirs réels de la Cour de cassation
par rapport au législateur. Mais de toute façon, il paraît clair que même le
législateur "ne peut changer un homme en femme" Affirmer le contraire, c'eat le
prendre pour Dieu.
(7) Comment peut-on sans sourciller faire croire aux transsexuels qu'ils vont après
avoir changé officiellement de sexe, mener une vie normale ? C'est soit de
l'hypocrisie, soit de la bêtise. Par respect pour le corps médical, nous choisissons
la seconde solution.
(8) C'est-à-dire jusqu'à ce que l'on soit réellement capable de les soigner au plan
psychique eu plus profondément encore, au plan génétique.
�18
19
remédier. Notre époque est celle de toutes les revendications,
même les plus surhumaines, au nom justem ent des trop fameux
droits de l'homme (1). Leur perm ettre d'aboutir constitue la
solution de facilité, leur faire obstacle oblige au contraire à une
authentique charité (2). Mais cette vertu si belle et si profonde (3)
est-elle encore comprise (4) et de mise (5) aujourd'hui ?
- N 2 -
LA MÉSALLIANCE PEUT-ELLE FONDER
UNE OPPOSITION A MARIAGE ?
Mariage / Formation du mariage / Opposition / Motifs /
Empêchement légal / Mainlevée
Alain SERIA UX
Professeur à la Faculté de Droit
et de Science Politique d'Aix-Marseille
Aix - le ch. A - 22 novembre 1993 - n° 604
Président, M. Hughes - Avocats, Mes Chadoutaud, Chambraud
Une opposition à mariage ne peut reposer que sur
l'existence d'un empêchement prévu par la loi et non sur des
motifs d'ordre moral ou familial.
Faits et procédure : Par déclaration du 17 août 1993, Madame
Françoise F., M. Émile F. et son épouse ont relevé appel d'un jugement
rendu le 13 juillet 1993 par le Tribunal de Grande Instance de Nice dans un
procès qui les oppose à Monsieur Fabrice F. et Madame Michèle L.
Il est renvoyé à la décision entreprise reproduite ci-après pour l'espèce
de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties.
(1) Nous ne le dirons jamais assez : la philosophie des droits de l'homme quelle
qu'en sou la source d'inspiration (chrétienne, marxiste, panthéiste, illuministe,
maçonnique...) constitue une erreur fatale, un dramatique et contagieux
malentendu V. A. SERIAUX, Le droit naturel, PUF, coll. "Que sais-je ?", n#2806,
1993, passim
(2) Qui revient à l'occurrence à savoir entourer, aider, encourager, consoler les
transsexuels, qui souffrent réellement. Cette ardente obligation s'impose d'abord à
( entourage immédiat, ensuite aux médecins appelés à les rencontrer.
(3) Elle est très exactement aussi profonde que la divinité. “Dieu est amour",
paraît-il.
(4 )Entre autre, la chanté authentique ne peut jamais servir à justifier une injustice
(5) On n a jamais autant parlé de chanté ou de solidanté qu'aujourd'hui. Elle paraît
pourtant être la grande absente de notre vie sociale. El nous savons de quoi nous
parlons
Exposé du litige : Par déclaration du 14 juin 1993, Madame Françoise
F. a fait opposition au mariage de son fils Fabrice avec Madame L„ Divorcée
E.î
Par ordonnance du 18 juin 1993, Monsieur le Président du Tribunal de
Grande Instance de Nice a autorisé Fabrice F. et Madame L. à assigner à jour
fixe en mainlevée de cette opposition;
Par acte du 24 juin 1993, Fabrice F. et Madame L. ont fait assigner à
jour fixe. Madame Françoise F. et Monsieur l'Officier d'état Civil de la ville
de Nice aux fins de prononcer la mainlevée de l'opposition au mariage;
Le dossier a été transmis au Parquet de Nice pour avoir son avis;
L'opposition au mariage faite par la mère fait état de ce que :
• Fabrice âgé de 22 ans a depuis peu abandonné ses études de droit et a changé
de fréquentation;
• Fabrice a connu sur Minitel puis a rencontré Madame L. âgée de 49 ans, et
semble être totalement sous influence, "ayant perdu toutes facultés de
discernement";
- Les grands-parents, comme elle-même, n'ont aucun renseignement sur
l'identité de la future épousée;
- Un seul appel téléphonique de son fils l'a avertie pour annoncer le mariage
et dire qu'il allait quitter la France le lendemain de celui-ci;
Dans leur assignation, et par voie de conclusion, Fabrice F. et
Madame L. font valoir qu'il n'existe aucun motif prohibitif ou dirimant
susceptible d’empêcher le mariage;
Us soutiennent que toutes les conditions requises pour contracter ma
riage sont réunies (âge; consentement; aucun lien de parenté);
�20
Qu'aux termes des articles 172 et suivants du Code civil et de la juris
prudence en la matière, l'opposition au mariage ne peut être fondée sur des
motifs d'ordre moral ou familial;
Que l'opposante au mariage invoque de simples allégations sans preu
ve, n'acceptant pas que son fils unique épouse une femme plus âgée que lui;
Monsieur le Procureur, entendu en ses explications orales, estime qu'il
n'existe aucun motif légal de s'opposer au mariage et conclut à la mainlevée
de l’opposition; (...)
Motifs : (...) Il résulte des pièces versées et des explications des
parties, que les conditions des articles 144 et suivants du Code civil pour
pouvoir contracter mariage sont réunies en l’espèce;
Aux termes de l'article 173 du Code civil, les ascendants sont habilités
à faire opposition au manage d'un des descendants;
La jurisprudence peu abondante en l'espèce, et même rare, retient ce
pendant quelques critères, à savoir "un motif prohibitif ou dirimant", des
vices ou l'absence de consentement, des liens de parenté;
Des motivations d'ordre moral et familial ne sauraient motiver une
décision d'opposition; seul l'arrêt de la Cour d'Appel de Douai, rendu il y a 50
ans, alors que la morale et les moeurs ont évolué depuis, fait état de motifs
valables de convenance personnel;
L’acte d’opposition est un acte grave entraînant de graves conséquences
et il n'est pas admissible que de simples considérations de différence d'âge, de
jalousie ou d'autres sentiments, puissent le justifier.
En l'espèce, l'opposante au mariage a invoqué de simples allégations
dénuées de preuve et qui. même si elles étaient fondées, ne seraient pas sus
ceptibles de constituer un motif sérieux d'opposition,
(...) De même, les grands parents, intervenants volontaires, n'ont fait
qu'alléguer sans démontrer de faits précis susceptibles de prohiber un tel ma
nage;
L opposition non fondée doit en conséquence être levée;
(...) Sur leur appel, Madame Françoise F. et Monsieur et Madame
Émile F. demandent à la Cour de réformer le jugement entrepris, de maintenir
les effets de l'opposition à mariage en date du 15 juin 1993; subsidiairement,
de débouter les intimés de leurs demandes en dommages-intérêts et au titre de
l'articles 700 du Code civil; de les condamner aux entiers dépens.
Ils font valoir au soutien de leur recours :
- que Fabrice F. a rencontré Madame L. après l'avoir contacté par Minitel ce
qui est interdit tant par la charte télématique des TELECOM que par le
règlement de l'employeur de Madame L., la société VIDEOTEX, par ailleurs
condamnée pour proxénétisme aggravé, et qu'il n'avait vraisemblablement pas
connaissance des activités professionnelles de la future épousée lorsqu'il a
donné son consentement au mariage;
- que les ascendants doivent avoir pouvoir de s'opposer au mariage dès lors
qu'ils invoquent des motifs sérieux;
- que l'article 179 du Code civil écarte expressément pour les ascendants des
condamnations à des dommages-intérêts;
Monsieur Fabrice F. et Madame Michèle L. demandent à la Cour de rejeter
les conclusions signifiées le 9 novembre 1993; de confirmer la décision
déférée; de condamner les appelants aux entiers dépens.
Ils soutiennent à l'appui de leur thèse :
21
- que les conclusions déposées après l'expiration du délai prévu par l'article
178 du Code civil sont tardives;
- qu'ils justifient remplir les conditions pour contracter mariage et qu'aucun
empêchement prohibitif n'a d'ailleurs été invoqué; si bien que l'opposition ne
peut prospérer.
Le Ministère Public, à qui la procédure a été communiquée, conclut à
la confirmation de la décision entreprise.
Motifs de la décision : (...) Attendu que le délai de dix jours
prévu par l'article 178 du Code civil n'étant assorti d'aucune sanction, les
conclusions déposées par les appelants après l'expiration de ce délai doivent
être accueillies;
Attendu, sur le fond, qu une opposition à mariage ne peut reposer que
sur l'existence d'un empêchement prévu par la loi, et non sur des motifs
d'ordre moral ou familial;
Qu'il s'ensuit que le fait que Monsieur Fabrice F. ait fait la connais
sance de Madame L. par Minitel, en violation des dispositions de la charte
télématique des TELECOM, la condamnation de l'employeur de la future
épouse pour proxénétisme aggravé ou la différence d'âge existant entre les
intimés ne peuvent pas utilement fonder l'opposition à leur mariage émanant
de Madame Françoise F., ces fautes n'étant par ailleurs pas de nature à carac
tériser un vice susceptible d'affecter par avance le consentement du futur
époux à ce mariage;
Que c'est en conséquence à bon droit que le Tribunal, dont la décision
doit être confirmée, a prononcé la mainlevée de cette opposition.
OBSERVATIONS :
La matière des oppositions serait aujourd'hui en léthargie
(1). Il en est même pour dire qu'elle se meurt (2). Pourtant, une
question l'agite périodiquem ent et, finalement, lui assure sa
survie : la mésalliance peut-elle fonder une opposition à mariage
émanée des père et mère ou ascendants ?
Déjà, sous l’ancien régime, la pratique du droit d'oppo
sition, ouvert à toute personne et pour tout motif, donnait lieu à
de nombreux abus, non pas tellement lorsque la famille entendait
faire obstacle à la célébration d'un mariage qui ne remplissait pas
les conditions requises, mais quand elle prétendait s'opposer à
une mésalliance. (3)
A l’aube du Code civil, la Cour de cassation eut à se
prononcer sur l'esprit de la nouvelle législation qui, tout en ayant
restreint le nombre de personnes capables de former opposition et
les motifs qu’elles pouvaient avancer, avait cependant exclu les
(1) Cf. J. Carbonnier, Droit civil, T
(2) Cf. G Cornu, Droit civil, T 2,
184.
(3) V. à ce sujet J. Cl - Civ., Art.
Lamboley, n* 1. A dde : Rép. civ.
Lemouland, n° 641.
2. La famille, Thémis. 16e éd., 1993, n° 50.
La famille, Montchrestien, 3e éd., 1993, n°
172 à 179, Mariage - Oppositions, par A.
Dalloz, V. Mariage, par J. Hauser et J.J.
�22
ascendants de la rigueur de sa réglementation. Un père pouvait-il
valablement s’opposer au mariage de sa fille, pourtant majeure,
avec le dénommé Phallier Blondeau, lequel, forçat libéré entré au
service de la famille en qualité de domestique, avait abusé de la
circonstance pour la séduire ? L'arrêt Maupou jugea alors, en
termes de principes : "si l'article 172 du Code civil accorde aux
ascendants le droit de former opposition au mariage de leurs
enfants, sans être obligés d'en déduire les motifs, encore bien
qu'ils aient atteint l'âge de 25 ou 30 ans, suivant leur sexe, il ne
s’ensuit pas qu'une telle opposition puisse néanm oins être
accueillie par les tribunaux, si elle est fondée sur aucun motif ca
pable de former un empêchement légal au mariage projeté" (1).
En somme, "la loi a dispensé les ascendants d'appuyer leur acte
d'opposition sur des motifs légaux : elle ne les a dispensé nulle
ment d'en avoir, pour que leur opposition soit maintenue" (2).
La rupture avec l’ancien droit était consommée. Les ascen
dants ne pourront désormais plus -a fortiori depuis que la loi du 8
avril 1927 a imposé l'indication du motif légal d’opposition dans
l’acte, même émané des père et mère (C. civ., art. 176 nouveau)prétendre se servir de l’opposition "comme d'un mécanisme neu
tre, propre à faire valoir, en dehors des empêchements légaux,
des empêchements de moralité, de tradition, de bienséance" (3).
L'arrêt de la cour d’Aix, dans la tradition de quelques
autres (4), et nonobstant une dissonance contingente demeurée
isolée (5), est, à cet égard, des plus orthodoxes, lorsqu’il rappelle
(1) Cass, civ., 7 novembre 1814, S. 1815, I. 245.
(2) G Baudry-Lacanunerie et M Houques-Fourcade, Traité théorique et pratique de
droit civil - Des personnes. Pans. 3e éd., 1908, n° 1637, p. 269
(3) J. Carbonnier, ibid.
(4) V cités par A. Lamboley. op ci/., n° 52 et 53 : Pau, 18 juin 1867, D P 1868,
2, 44, Lyon, 4 janvier 1868, D P 1868, 3. 32; Lyon. 16 mai 1906, D P 1907,
2, 21; Poitiers, 29 juin 1927, Gaz Pal. 1927, 2. 545, S. 1927, 2, 149; Tnb. civ.
Seine. 29 juin 1948, Gaz Pal. 1948. 2, 196. D 1948, 545, Rev. trim. dr. civ.
1949. 73; Trib civ. Dinan. 29 avril 1952. D. 1952, 446; Trib inst
Sarreguemines, 16 avril 1959, D 1959, somm 102; Paris. 4 juillet 1959, D
1960, 15; Pans. 6 juillet 1963. D. 1964, somm. 37; Ai*. 5 juin 1979, Bull. Aix
1979/3. n° 186
(5) Celle de Douai, 27 août 1943. Gaz. Pal. 1943. 2, 212 qui, à propos de
l'opposition au manage d’un jeune homme contraint de se rendre en Allemagne
pour y travailler, conformément à la législation en vigueur, jugea que 1*article
176 C. civ. qui prescrit la mention, dans l'acte d'opposition à mariage, du texte
visant le motif invoqué, a laissé subsister le droit pour les père et mère de faire
opposition au manage de leurs enfants pour toute raison juste et suffisante, et par
conséquent aussi pour des motifs de convenances personnelles et non seulement
pour des motifs personnels Si les raisons invoquées par les père et mère ne sont
prévues par aucun texte spécial de la loi. leur acte d'opposition peut n'en
mentionner aucun, et, en visant seulement l'art. 173 C. civ. qui, d'une manière
générale, donne aux père et mère le droit de faire opposition au manage de leurs
enfants, il a pleinement satisfait au voeu de la loi et aux exigences de l'art. 176”.
23
qu"'une opposition à mariage ne peut reposer que sur l'existence
d'un empêchement prévu par la loi, et non sur des motifs d'ordre
moral ou familial". Pas plus, aujourd'hui, une passion soudaine
sur fond de Minitel que, hier, l'amour d'un transsexuel (1) ou
d’un étranger en vue de faciliter, par exemple, son droit de séjour
ou son changement de nationalité (2), ne sont des motifs valables
d'opposition de la part des ascendants.
Certes, parmi les motifs légaux, il sera toujours loisible aux
parents qui désapprouvent la folle passion de leur enfant de
gagner du temps, sans risquer d'encourir une responsabilité pour
abus du droit d'opposition (C. civ., art. 179), en alléguant sa
démence. Or "le temps est une grande ressource contre les
déterminations qui peuvent tenir à la promptitude de l'esprit, à la
vivacité du caractère ou à la fougue des passions" (3). Mais c'est
alors condam ner l'opposition à n'être q u ’un pur procédé
dilatoire.
Comment, d'ailleurs, l'opposition pourrait-elle valablement
être autre chose lorsque sa raison - la notion d’empêchement à
mariage, legs du droit canonique (4) - est ignorée du Code civil ?
Comment, dès lors, est-il raisonnablement possible de fonder une
opposition à mariage sur un empêchement prévu par une loi qui
n'en connaît aucun (5) ? Le temps est en tout cas bien révolu - et
l'arrêt Maupou est à ce titre "historiquement remarquable" (6) où Portalis pouvait proclam er qu"'une société n'est point
composée d'individus isolés et épars ; c'est un assemblage de
familles (...) Les familles sont formées par le mariage (...) il a
une trop grande influence sur la destinée des hommes, et sur la
(1) Cf. Trib. gr. inst. Paris, 13 décembre 1983 et Paris, 14 février 1984, D.S.
1984, J. 350, n. Rassat, Rev. trim. dr. civ. 1985, 135, obs. Rubellin-Devichi.
(2) Cf. Versailles. 15 juin 1990, D S. 1991, J. 268. n. J. Hauser, J.C.P.
1991 U.21759, n. F. Laroche-Gisserot.
(3) Locré, Exposé des motifs, Lég., IV, p. 501, n° 36, cité par G. BaudryLacantinene et M. Houques-Fourcade, ibid.
(4) Les canons 1083 à 1094 (Code de Droit canonique de 1983) prévoient ainsi
douze empêchements dirimants qui rendent une personne inhabile à contracter
mariage, et donc le mariage nul ; l'âge, l'impuissance d'accomplir l'acte conjugal,
le lien d'un mariage antérieur, la disparité de culte, l'ordre sacré, les voeux
religieux, le rapt, le conjugicide, la consanguinité, l'affinité, l'honnêteté publique
et la parenté légale venant de l'adoption. V. à ce sujet Mariage civil et mariage
canonique, Téqui, 1985, not. Mgr N. Fomo, "La conception du mariage selon le
Code de Droit canonique", p. 103 et s., et M. l'abbé P Branchereau, "Les nullités
du manage en droit canonique", p. 136 et s.
(5) Le jugement de première instance n'est-il pas, à cet égard, révélateur, qui ne
mentionne nulle part le terme d'empêchem ent" et ne fait état, comme gêné, que
d 'une jurisprudence peu abondante en l'espèce, et même rare, (qui) retient
cependant quelques critères (sic), à savoir un motif prohibitif ou dirimant, des
vices ou l'absence de consentement, des liens de parenté" ? On connaît des
motivations plus fermes...
(6) J. Carbonnier, ibid
�25
24
propagation de l'espèce humaine, pour que les législateurs
l’abandonnent à la licence des passions” (1).
Pierre STORRER
Attaché temporaire d'enseignement
et de recherche
. N 3 -
LES NÉGLIGENCES MÉNAGÈRES
DE LA FEMME, CAUSE DE DIVORCE
POUR FAUTE
Divorce / Divorce pour faute / Cause du divorce /
Négligences m énagères / Torts de la femme (oui).
Aix - 6ème chambre - 14 octobre 1993 - n°1023
Président : M. SAINTE Avocats : Mes AUBRY, ABOUDARAM
(1) J.E.M Poruhs. 'Discours de présentation du Code civil prononcé le 3 frimaire
X". in Discours, rapports et travaux inédits sur le Code civil, Paris Jouberl,
1844, p. 103.
Par jugement en date du 19 septembre 1991, le Tribunal de Grande
Instance de Draguignan a prononcé le divorce des époux C. -K. aux torts
exclusifs du mari, confié à la femme l'exercice de l'autorité parentale sur trois
enfants nés en 1975, 1977 et 1979, mis à la charge du père le paiement d'une
part contributive de 1.500 F et alloué à la femme une prestation
compensatoire sous la forme d'un capital de 250.000 F.
Le mari a relevé appel de cette décision.
11 demande à la Cour de prononcer le divorce aux torts partagés des
époux, d'attribuer aux deux parents l'exercice conjoint de l'autorité parentale,
de débouter la femme de ses demandes de prestation compensatoire et
dommages-intérêts, offre de verser une part contributive de 1.500 F par enfant
et demande 5.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de
Procédure Civile.
L'intimée a conclu à la confirmation et demande 7.000 F sur le
fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Sur la demande de la femme : Attendu que la décision des Premiers
Juges prononçant le divorce aux torts du mari ne faisant l'objet d'aucune
demande de réformation, la Cour ne peut que confirmer le jugement déféré sur
ce point.
Sur la demande du mari : Attendu qu'à l'appui de sa demande
reconventionnelle en divorce, le mari reproche à la femme ses négligences
ménagères et son mauvais caractère ;
Que pour établir le grief invoqué, il a versé aux débats en cause d'appel
plusieurs attestations.
Attendu que le sieur T., beau-frère du mari, indique qu'il a constaté au
cours de vacances passées chez les époux C. que la femme était apathique ;
qu elle négligeait son intérieur où régnait par endroit un fouillis et laissait les
enfants à l'extérieur sans aucune surveillance ;
Que le sieur Roland P. indique avoir constaté à chacune de ses visites
que l'intérieur de la maison des C. était particulièrement en désordre ;
Que la dame C. indique également que la femme ne s'intéressait pas à
la tenue de son intérieur et qu'il lui arrivait de bouder le mari pendant des
jours, voire des semaines ne lui adressant pas la moindre parole ;
Que les très faibles qualités de femme d'intérieur sont également
décrites par la mère du mari et la dame Patricia T. ;
�26
27
Que bien quémanant des proches parents du mari, les divers témoi
gnages versés aux débats établissent la négligence ménagère de la femme
constitutifs (sic) d'une violation grave renouvelée des devoirs et obligations
du mariage rendant intolérable le maintien de la vie commune.
Sur l'autorité parentale : Attendu que le climat conflictuel existant
entre les parties et le fait qu'ils soient géographiquement séparés, le mari
habitant dans la Vienne et la femme dans le Var rend inopportune l'attribution
conjointe de l'autorité parentale.
Sur le droit de visite et d'hébergement : sans intérêt.
Sur les dommages-intérêts ; sans intérêt
Sur la prestation compensatoire. sans intérêt.
Déboute l'appelant et l'intimée de leurs demandes faites sur le
fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
Fan masse des dépens et dit qu'ils seront partagés par moitié entre les
parties et recouvrés par les avoués de la cause.
OBSERVATIONS :
Cet arrêt peut a priori surprendre, voire choquer, en ce qu'il
semble imposer une vision rétrograde de la vie en couple où la
femme aurait seule le devoir de s'acquitter - et de bien s'acquitter
- des tâches ménagères, à tel point que son inaptitude sur ce plan
serait cause légitime de divorce au profit du mari. En somme,
voir l'épouse disposer et mettre en oeuvre des qualités de femme
d'intérieur serait le minimum conjugal auquel aurait droit tout
mari. Tel n’est pourtant pas le sens du présent arrêt. Sur le plan
strictement juridique, la recherche du fondem ent légal de
l'obligation de s'acquitter des tâches m énagères permet de
constater que loin de consacrer une inégalité entre les époux la
présente espèce ne fait qu'illustrer l'exigence d'une participation
égalitaire de chaque conjoint aux charges du mariage (I). Pour
autant, il est également certain que sur un plan sociologique,
l'arrêt rapporté témoigne, parmi d'autres, de la persistance d'une
répartition des tâches au sein du ménage que les adversaires de
tout sexisme ne manqueront pas de déplorer (II).
I - Fondement légal de l'obligation de s'acquitter
des tâches m énagères
Il est connu que pour constituer une cause de divorce, les
faits soulevés doivent répondre à une double condition : d'une
part constituer une violation grave et renouvelée des obligations
nées du mariage et, d'autre part, rendre intolérable le maintien de
la vie commune,
O est classique de considérer que les négligences ménagères
persistantes constituent une violation du devoir d’assistance qui
incombe aux conjoints (1). On peut également rapprocher cette
carence de l'article 214 du Code civil qui vise une contribution
égalitaire des époux aux charges du mariage (2). La rédaction de
cette disposition a évolué linéairement au cours de ce siècle :
partie d'une discrimination très nette selon laquelle seul le mari
était tenu des charges du mariage, elle en est arrivée à proclamer
l'égalité parfaite des époux de ce chef. Dans la foulée a été admis
que la femme pouvait s'acquitter de cette contribution en nature,
de par son activité domestique plus particulièrement (3). C'est
donc au moins de cette manière que la femme peut s'acquitter de
sa contribution lorsqu'elle n'a ni profession ni fortune person
nelle alors que son mari travaille. Telle était la situation dans
l'espèce rapportée, et on ne s’étonnera plus guère dans ces condi
tions que les juges aient pu trouver fautive la paresse de l'épouse.
On peut en revanche s'interroger sur le point de savoir si de
simples négligences ménagères sont à même de satisfaire la
seconde condition posée par l'art. 242, c'est-à-dire de rendre
intolérable le maintien de la vie commune.
En effet, à moins que ce ne soit la femme qui mette
activement du désordre dans la maison, ce n'est pas en soi la
mauvaise tenue de l'intérieur qui rend intolérable la vie commune
car le mari peut toujours mettre lui-même la main à la pâte ou
prendre une aide ménagère, et s'il ne le peut pas, on ne voit pas
pourquoi une fois célibataire, il vivrait dans un intérieur mieux
tenu. Or celui qui tolère son désordre seul peut bien le tolérer à
deux. Ce n’est donc pas tant le désordre que ce qu'il révèle qui
est à même de rendre intolérable le maintien de la vie commune.
C'est alors plutôt au manque de respect que subit quotidienne
ment le conjoint en rentrant dans le caphamaüm conjugal que va
venir porter remède le divorce. Le désintérêt dont la femme
témoigne vis-à-vis de la tenue du foyer révèle en effet le peu de
cas qu'elle fait du bien être du mari et - en l'espèce - de
l’éducation des enfants. Une telle attitude peut sans nul doute
constituer une injure permanente pour le conjoint, ce qui rend
intolérable le maintien de la vie commune. Ceci s’admettra
d'autant plus facilement qu'il s'agissait en l'espèce, rappelons-le,
de prononcer le divorce aux torts partagés, le principe du divorce,
prononcé aux torts exclusifs du mari en première instance,
n'ayant pas été contesté en cause d'appel.
(1) voy. Jurisclasseur civil, art. 242 à 246. Fisc. 20. n°28 s par Y. Buffelan
Lanore
(2) V en ce sens F. Dekeuwer-Defossez. "Impressions sur les fautes causes de
divorce", D 85. chr. p. 219 et s., spécialement p. 221.
(3) Voy. M. Borysewicz, "Travail et enrichissement sans cause dans les relations
de famille", in Mélanges Beguet, 1985, p.39 s. et spécialement p.48 ainsi que la
jurisprudence citée.
�28
29
Pour conclure, il faut souligner que l'analyse juridique qui
permet de qualifier de cause de divorce les négligences ménagères
est dénuée de tout sexisme. Elle pourrait parfaitement s'appliquer
au cas d'un mari oisif qui laisserait chaque soir sa femme rentrer
de son travail dans un foyer repoussant de désordre. L'hypothèse
s'est d'ailleurs déjà présentée et a été logiquement sanctionnée par
le prononcé du divorce aux torts du mari (1). Force est pourtant
de constater que cette solution est exceptionnelle : les
commentaires de la doctrine, les solutions jurisprudentielles et
l'attitude des plaideurs elle-même laissent en effet deviner que,
conformément aux idées reçues, c'est en tout premier lieu sur la
femme que pèse le devoir de s'acquitter des tâches ménagères.
S'il est théoriquement parfaitement concevable que le mari
inactif soit fautif de ne pas s'occuper de la tenue du foyer, il
n'apparaît que très rarement que ce grief soit retenu à son
encontre. De toute la jurisprudence consultée le cas ne se produit
qu’une seule fois, et encore les juges du fond ont-ils pris soin de
souligner au renfort de leur solution les tendances alcooliques du
mari qui rendaient son comportement particulièrement insuppor
table à la femme (2). En revanche très nombreux sont les arrêts
qui retiennent les négligences m énagères à l'encontre de la
femme. Paradoxalement on relève en outre que si dans le célèbre
arrêt Magniaux, fondateur de cette jurisprudence (3), est souligné
T é tâ t de saleté invraisemblable'' dans lequel se trouvait la
maison, "qui avait pour effet de faire le vide autour du ménage et
empêchait le mari de recevoir", le présent arrêt, rendu à 33 ans
d'intervalle, se contente de viser l'état de désordre particulier
dans lequel la femme laissait son intérieur. Il semble dès lors
qu’on puisse être presque d'accord avec Madame le Professeur
Dekeuwer-Defossez lorsqu'elle écrit que "conform ément à la
jurisprudence la plus traditionnelle l'obligation ménagère pèse
exclusivem ent sur l'épouse" (4). Tel était le cas dans la
jurisprudence de la Cour d'Aix-en-Provence il y a vingt ans (5),
tel semble être toujours le cas.
La jurisprudence semble donc plus encline à considérer les
négligences ménagères de la femme que celles du mari. Il y a là
une réalité sociologique remarquable que semblent même partager
les plaideurs eux-mêmes. Il n'est en effet pas fréquent que la
femme reproche au mari sa passivité ménagère, elle aurait plutôt
tendance à lui reprocher de ne pas chercher avec suffisamment de
réussite des revenus qui permettront de "faire bouillir la marmite"
(1). Apparemment, la vision traditionnelle d'une répartition des
fonctions par sexe au sein du couple a la vie dure et trouve encore
une résonance juridique au sein du prétoire. Comme l'écrit
Monsieur le Doyen Carbonnier, "il est probable que même à notre
époque on retrouve les 3 K : Küche, Kirche, Kinder" quand il
s'agit de définir ce dont la femme doit spécialement s'occuper au
sein du foyer (2).
De même certains auteurs, et non des moindres, ont-ils pu
écrire que "la femme a le droit de n'être que ménagère parce
qu'elle a pour premier devoir de l'être" (3), ou encore que
"l'activité au foyer (...) est le mode naturel de contribution de la
femme aux charges du mariage" (4).
Enfin, le législateur lui-même, pourtant promoteur constant
de l'égalité des époux au sein du mariage, se laisse parfois aller à
des formules qui indiquent que n'a pas totalement disparu de son
esprit l'idée de la femme "naturellement" femme au foyer. Ainsi,
lorsqu'il s'est agi d'évoquer la rémunération du conjoint qui
resterait au foyer et s'occuperait des enfants (voilà 2 K sur 3) riat-on parlé que de salaire "maternel" ou de rémunérer l'activité de
"la femme" au foyer : Quid du mari ?
En conclusion, il semble que l'arrêt rapporté ne puisse, sur
le plan abstrait du droit, être taxé de sexisme dans la mesure où le
mari pourrait en principe succomber sous les mêmes griefs. En
revanche, un élargissement de la perspective permet de remarquer
qu'il se situe dans la ligne d’une tendance à mettre plutôt sur les
épaules de la femme que sur celles du mari le fardeau des tâches
ménagères. Point n'est dans notre propos de juger cette tendance,
nous ne faisons que la constater. Il faut pourtant souligner que
son écho juridique contrevient au voeu d’égalité qui transparaît
dans la politique législative en droit de la famille. Mais, ainsi que
l'écrivait Monsieur le Doyen Carbonnier, "la famille est institu-
(1) Rennes. 6ème chambre A, 15 juin 1992, Juns Data n°046045
(2) Rennes. 6ème chambre A. 15 juin 1992. JD n°046045 précité.
(3) Civ.. 2 mai 1958. D. 58 p. 509, n. Rouast.
(4) Dekeuwer-Defossez. art précité, p.229.
(5) Voy. l'étude de M. Arnaud. "Autopsie d'un juge, étude sémiologique de la
jurisprudence aixoïse", in Archives de philosophie du droit. 1974. T. XIX, p. 196
et suivantes, spécialement p.204
(1) Voy. Dekeuwer-Defossez. art. précité, p.224 et Arnaud, art précité, p 203.
(2) Carbonnier, Flexible droit, 7ème édition, LGDJ, 1993, p.229 : cette théorie
attribuée à Otto de Bismarck définissait les trois pôles d'activités dont devait
s'occuper toute femme "convenable" dans nos sociétés occidentales : La cuisine
(Kücbe), l'Eglise (Kirche) et les enfants (Kinder). Son caractère anachronique à
l'époque des femmes d'affaire et d'une politique législative foncièrement égalitaire
en matière familiale ne lui enlèverait donc pas toute valeur sociologique.
(3) Carbonnier, note sous TGI Alès, 9 novembre 1966, D.68 p.328
(4) Borysewicz. art précité. Mélanges Beguet, 1985, p.59
II - Répartition jurisprudentielle des tâches
au sein du foyer.
�31
30
tion de moeurs autant que de droit" (1), et nul ne s’étonnera que
celles-là n’évoluent pas au même rythme que celui-ci ni que dans
l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation le juge en
tienne, même inconsciemment, compte.
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La lettre selon laquelle un vendeur assure son
correspondant de son accord pour la vente d'une parcelle lui
appartenant pour un prix déterminé, y ajoutant qu'un compromis
pourrait être signé dans le mois qui suit, doit s'analyser comme
une promesse unilatérale de vente à la condition toutefois que le
futur acquéreur se préoccupe des démarches nécessaires à son
aboutissement.
Dès lors que celles-ci ont été réalisées et nonobstant
l'absence de signature d'un compromis, il est certain que cette
promesse de vente doit être considérée comme une vente
synallagmatique conformément aux dispositions de l'art. 1589 du
Code civil.
(1) Carbonnier. Flexible droit, précité, p.236
Sur la motivation : 11 est constant que les époux CA1ETTA avait
en 1988 proposé à Monsieur ARNOUX d'acquérir 1.000 m2 à prendre sur un
terrain lui appartenant situé à LA CIOTAT. Dans un premier temps
Monsieur ARNOUX par lettre en date du 29 juin 1988 autorisait les époux
CAEETTA a entamer une procédure en vue de la délivrance d’un permis de
construire sur les 1.000 m2 qu'ils souhaitaient acquérir En effet, à cette date
il apparaissait que la parcelle Q2 114 de laquelle devait être détachée la
parcelle litigieuse était inconstructible.
Avant que les parties aient l'assurance que le terrain soit constructible,
par lettre du 15 octobre 1988 Monsieur ARNOUX assurait les époux
CAIETTA "de son accord pour céder 1.000 m2 sur la parcelle B2 114 au prix
de 320.000 francs". Il ajoutait que le compromis pourrait être signé à LA
CIOTAT entre le 27 octobre et le 7 novembre 1988.
En réalité aucun compromis ne fut établi. Toutefois les époux
CAŒTTA ont poursuivi leurs démarches et ont le 15 novembre 1988
sollicité un certificat d'urbanisme qu'ils ont reçu le 27 décembre 1988.
Parallèlement ils ont par arrêté municipal du 16 décembre 1988 obtenu un
permis de construire sur la parcelle.
�32
Par lettre du 25 mars 1989, alors que les époux CAIETTA avaient
obtenu le 24 mars 1989 l'accord des services du logement pour solliciter un
"P.A.P ", Monsieur ARNOUX leur fait connaître "qu'après mûre réflexion il
n envisage pas de donner suite aux différents entretiens visant à la possibilité
de vendre 1.000 m2 du terrain de sa propriété".
De ce qui précédé il ressort que la lettre du 15 octobre 1988 s'analyse
comme une promesse unilatérale de vente à la condition que les époux
CAIETTA se préoccupent des démarches nécessaires à son aboutissement. Il
n est pas contesté qu'ils se sont effectivement chargés de toutes les démarches
et qu'ils les ont faites aboutir puisqu'ils ont bénéficié d'un permis de
construire et de l'accord des services du logement pour l'obtention d'un prêt
"P.A.P ". Dans ces conditions nonobstant l'absence de signature d’un
compromis, il est certain que la promesse de vente doit être considérée
comme une vente synallagmatique conformément aux dispositions de l'article
1589 du Code civil.
Dans ces conditions la Cour confirmera la décision du Tribunal sur le
principe de la responsabilité.
Pas plus que devant le Tribunal, les appelants ne rapportent la preuve
de débours pour rétablissement des plans et tirages.
Par ailleurs ainsi que l'a retenu le Tribunal, il n'est pas démontré que
la perte du prêt du crédit foncier avec aide de l'État soit définitive ; En effet,
l’octroi de ces aides est lié à la réalisation d’un projet précis.
Enfin la perte de treize mois pour la recherche d'un autre terrain ne
saurait donner lieu à réparation dés lors qu elle ne présente pas le caractère
direct et certain en liaison avec la non réalisation de La vente projetée.
En définitive la Cour confirmera le jugement qui lui est déféré et
condamnera les appelants aux dépens de leur recours, ainsi qu'au paiement de
la somme de 3.000 francs représentant les frais non compris dans les dépens
exposés par les intimés à l'occasion de l'appel.
OBSERVATIONS :
Face à l'inflation législative qui aujourd'hui transforme la
liberté contractuelle en une liberté formelle, le présent arrêt
pourrait détonner, dans la mesure où il consacre le principe du
consensualisme dans un domaine où on avait presque oublié qu'il
pouvait subsister, celui de la vente d’immeuble.
En l'espèce les magistrats aixois qualifient de promesse
unilatérale de vente, l'engagement constaté par simple lettre
missive, d’un propriétaire acceptant d'une part de vendre un
terrain indivis non constructible pour un prix déterminé sans que
soit mentionnée une durée de l'option de la promesse et d'autre
part autorisant dans un acte antérieur le futur bénéficiaire de cette
offre à effectuer les démarches adm inistratives nécessaires à
obtenir sa constructibilité.
Or l'originalité de cet arrêt réside dans le fait qu'il oblitère
implicitement les éléments constitutifs de la promesse unilatérale
33
que sont le délai d'option (I) et l'obligation pour son bénéficiaire
de l'enregistrer impérativement une fois qu'il l'a acceptée (II).
I - L'exigence d'un délai d'option.
La promesse unilatérale de vente a pour objet principal
l'option donnée au bénéficiaire de l'offre pendant une certaine
durée. Si le promettant est d'ores et déjà définitivement engagé, le
bénéficiaire reste libre d'acquérir ou de renoncer à la vente. C'est
donc l'existence de cette option qui caractérise la promesse
unilatérale de vente et la distingue de la promesse synallagmatique
(1), et ce n'est qu'au moment où le bénéficiaire lève l'option que
la promesse unilatérale se transforme instantanément en une vente
synallagmatique.
A l'incertitude liée à la levée d'option vient parfois se
greffer à la promesse unilatérale une condition suspensive telle
l'obtention d'un prêt destiné à financer l'acquisition ou la
délivrance d'un permis de construire. Mais cette condition qui est
insérée dans une promesse unilatérale peut se situer à différentes
étapes : une première étape où elle affecte uniquement l'engage
ment du promettant à l'avant contrat et l'acceptation de la
promesse par son bénéficiaire et une deuxième étape où elle
subordonne le consentement du promettant à la vente et à la levée
de l'option.
Cette distinction (2) entre le contrat de promesse condition
nel et les conditions suspensives affectant la vente future permet
de déterminer la nature exacte du droit dont va disposer le béné
ficiaire de la promesse : si le droit du bénéficiaire est pur et
simple, il lui permettra d'exiger la réalisation de la vente, en
revanche si le droit d'opter est lui-même conditionnel, le
bénéficiaire ne pourra rien exiger du promettant puisque c'est la
condition qui subordonne la naissance du droit.
En l'occurrence les circonstances de l'espèce laissaient
apparaître que la condition suspensive interprétée comme telle par
la Cour était rattachée au contrat de promesse unilatérale et non
aux modalités de la vente future. Néanmoins une rédaction
maladroite des motifs de l’arrêt pouvait laisser supposer que la
Cour a assimilé la réalisation de la condition suspensive à la levée
de l'option.
( 1) Civ. 3, 23 janvier 1991, Bull. III n°39, D. 1992, 457, note I. Najjar ; I. Najjar,
Le droit d'option, contribution à l'élude du droit protestait/ et de l'acte unilatéral,
Thèse Pans 1967, p.2l et s.
(2) Sur la distinction et ses conséquences : F. Collard-Dutilleul, Les contrats
préparatoires à la vente d'immeuble, Ed. Immobilier, droit et gestion, Sirey Dalloz
1988. n°68 et s.
�34
On lit en effet "la lettre du 15 octobre 1988 s'analyse
comme une promesse unilatérale de vente à la condition que les
époux CAIETTA se préoccupent des démarches nécessaires à son
aboutissement”.
Paradoxalement la Cour ne s'interroge pas sur le moment
de la levée de l’option qui pourtant est la seule manifestation
permettant de caractériser l'accord du bénéficiaire à la vente.
Mais y avait-il eu en l'espèce un délai d'option stipulé dans
l’engagement du promettant ?
Certes le caractère conditionnel lié à la promesse unilatérale
résultait des termes d'un précédent courrier dans lequel le pollicitant autorisait son bénéficiaire à entamer les démarches adminis
tratives nécessaires pour obtenir l'assurance d'une constructibilité
du terrain, mais l'acte (lui-m êm e) qualifié par la Cour de
promesse unilatérale restait muet sur les modalités du maintien de
l'offre de contracter, envisageant seulement l'expectative de la
signature d'un compromis à quinzaine.
On sait ce qu'il advint, aucun compromis ne put être signé
dans la période envisagée ; et pour cause ! les modalités affectant
le caractère conditionnel de la promesse, requérant du temps, ne
purent aboutir que quelques mois plus tard.
Or si l'acceptation d’une promesse unilatérale n'est en
principe soumise à aucune forme à défaut de stipulations contrai
res (1), encore faut-il que la volonté du bénéficiaire de contracter
puisse être déterminée par l'existence et la date de la levée
d'option ; quand celle-ci est imprécise ou ambiguë, la jurispru
dence (2) décide qu'il appartient au juge de la préciser.
C'est ainsi que lorsqu’il n'a rien été prévu dans la promes
se, la levée d'option pourra être déduite des circonstances (3) ce
qui soulève les difficultés habituelles de l’interprétation des
volontés implicites. En règle générale l’efficacité de la levée
d'option est subordonnée au paiement du prix afin de protéger le
vendeur contre l'insolvabilité de l'acquéreur (4) et si le prix n'est
pas payé l'option devient caduque (5).
En l'espèce l'obtention d’un permis de construire et celle
d'un prêt P.A.P. ont constitué sem ble-t-il les circonstances
permettant aux juges de déterminer l'acceptation de la promesse
par son bénéficiaire et par voie de conséquence la réalisation de la
levée d'option.
On pourra néanmoins observer que celle-ci s'est réalisée
après la date initialem ent requise pour l'établissem ent du
(1) Civ. 3. 7 janvier 1987, Bull. IH. n°7.
(2) Com. 14 février 1984. D 1985. 220. note F Benac-Schmidt.
(3) Civ 25 mai 1949. D 1949. 391.
( 4 ) MaJaune. Aynès. Contrats spéciaux. T.8. éd. Cujas 1994, n°120.
(5) Civ 3. 10 décembre 1986. JCP 87. D. 20857 ; D 87. IR. 4.
35
compromis. Normalement lorsqu'il en est ainsi la jurisprudence
(1) décide que si l'option est levée après le délai pour lequel elle
était consentie, le bénéficiaire ne peut plus exiger la réalisation de
la vente, car la promesse est devenue caduque.
Mais en l'espèce, on ne peut assimiler le délai prévu pour la
signature du comprom is au délai d'option, cela conduirait à
induire que les deux délais (d'option et de jeu de la condition) ne
coïncidaient pas, situation assez rare en pratique, mais cela
impliquerait également que le délai d'option précède celui du jeu
de la condition ce qui aboutirait à une incohérence.
Reste alors le problème de savoir si en l'absence d'un délai
déterminé, la levée de l'option telle qu'elle résulte des circons
tances de l'espèce n'était pas trop tardive. Là encore la jurispru
dence a pallié cette incertitude en décidant que lorsque la durée de
l'option est indéterminée l'offre devait être maintenue pendant un
délai raisonnable (2) qui pourrait s'éteindre par prescription
trentenaire si d'ici là le promettant n'a pas mis le bénéficiaire en
demeure de choisir (3).
Enfin si cette levée de l'option scelle définitivement la
vente, cette dernière peut-elle néanmoins survivre au défaut
d'accomplissement des formalités d'enregistrement de la promes
se conformément aux dispositions de l'art. 1840 du CGI ?
II - L'exigence du form alism e fiscal
de l'art. 1840 du CGI.
Afin de lutter contre la dissimulation d'une partie du prix de
la vente à intervenir, l'art. 1840 CGI impose à peine de nullité
l'enregistrement de la promesse unilatérale de vente d’immeuble,
de fonds de commerce ou de certains droits sociaux dans des
sociétés immobilières, dans les 10 jours de l'acceptation de la
promesse (et non de la levée d'option) par son bénéficiaire (4).
Cette disposition fiscale qui transforme l'engagement
unilatéral du pollicitant en un acte solennel est cependant inter
prétée avec réticence par la jurisprudence qui ne l'applique qu'aux
promesses, conférant à son bénéficiaire une faculté de substi
tution (5) et qu'aux promesses conditionnelles (6).
(1) Civ. 3. 15 juin 1982, Déf 82. art. 32972, n°100, p.1631, note G. Vermelle.
(2) Civ. 3, 21 octobre 1975, Bull. III, n°52, p.44 ; Com 6 février 1973, Bull. IV,
n°65, p.57 ; cf. J. Ghestin, Traité de droit civil. Formation du contrat, 3° édition
LGDJ n°315.
(3) Malaurie. Aynès, Contrais spéciaux, T.8. éd. Cujas 1994, n°116, note 22.
(4) Com.. 15 décembre 1987. Bull. IV. n#274 ; D 87. IR. 16 ; JCP. 90, II, 15702
(5) Civ. 3. 27 mai 1987. Bull. DI n° 111 ; JCP. 87, IV, 266.
(6) Com . 15 décembre 1987, Bull. IV n°274 ; JCP 90. II. 15702 ; Dalloz 87, IR,
16.
�36
37
La Cour de cassation a eu récemment l'occasion de rappeler
(1) qu'une promesse unilatérale de vente faute d'avoir été
enregistrée dans le délai légal était nulle et par conséquent
insusceptible d'être établie par quelque mode de preuve que ce
soit. Cette nullité étant d'ordre public (2).
Comment dès lors concevoir pourquoi en l'espèce cette
promesse conditionnelle non enregistrée ait pu échapper à la
censure de la Cour si ce n’est de l’expliquer une fois encore par
une décision de la Cour suprême (3) qui a rendu inapplicable les
dispositions de l'article 1840 A du CGI lorsque la convention est
devenue synallagmatique du fait de la décision du bénéficiaire
acceptant à la fois la promesse unilatérale comme telle et levant
l'option ce qui rendait la vente parfaite. Hypothèse qui par analo
gie pourrait être appliquée de la même façon aux faits rapportés.
On le voit cet arrêt suscite beaucoup d'hypothèses et de
nombreuses interprétations pour expliquer pourquoi malgré le
formalisme de la loi, les juges ont pu reconnaître l'existence d’un
contrat.
Il illustre parfaitement les conclusions d'une excellente
thèse écrite en la matière (4) où l’auteur démontrait que le juge a
un rôle de plus en plus actif dans la formation du contrat à tel
point qu'elle formulait l’hypothèse audacieuse, mais vérifiée en la
circonstance, que le contrat semble parfois être non plus l'oeuvre
des parties mais celle du juge.
On pourra regretter néanmoins qu’après tant d'acrobaties
juridiques pour reconnaître l'existence du contrat, les juges aient
été aussi frileux pour n'accorder aucun dom mages-intérêts au
créancier de l’obligation qui avait préféré choisir la réparation
pour inexécution plutôt que l’exécution forcée du contrat. Le
plaideur risque de trouver la pilule un peu amère, si le juriste, lui,
se trouvera satisfait au plan du principe de l'existence du contrat.
Il n'empêche que cet arrêt qui aurait pu "détoner" n'est plus
que pétard mouillé". Il n'en méritait pas moins d'être publié.
Christian G IO VAN NAN G ELI
Attaché de recherche
(1) Civ. 3. 2 juin 1993. BuU. ID n°80. D 93. IR. 166.
(2) Civ. 3. 7 juillet 1982. JCP éd. N . 1983. U. 39. note DF
(3) Civ. 3. 12 juillet 1976, D.I976, 657. note Poulnais.
(4) La reconnaissance par le juge de l'existence d'un contrai par Anne Laude, Préf.
J Mestre. Presses universitaires d'Aix-Marseille, 1992, n#855 et s.
- N 5 -
LA LIQUIDATION BANCAIRE
OPPOSÉE AU REDRESSEMENT JUDICIAIRE
*
Banque / Etablissem ent de crédit / Retrait d'agrém ent /
Liquidation b an caire / C essation des p a iem en ts/
Redressem ent ju d ic ia ir e / Plan de co n tin u a tio n /
Adoption / C essation des fonctions du liq uidateur
bancaire / Com pétence du tribunal de commerce (non)/
Plan de c o n tin u a tio n / C o m p a tib ilité avec la
liquidation bancaire (non)
cour d’appel d'Aix-en-Provence, 8ème chambre A, 21 juillet
1993, n°447
Président : BADI - Avocats : MANCEAU, PARIS, LANZARO,
SEXER, LOLIVIER - Réformation du jugement rendu le 2 avril
1993 par le tribunal de commerce de Nice.
La liquidation bancaire d'un établissement de crédit, dont l'activité est
exercée par une société commerciale n'ayant pas comme objet exclusif l'exer
cice d'une activité d'établissement de crédit, n'apparaît pas en soi incompatible
avec l'application au profit de cette société des solutions de redressement
instituées par la loi du 25 janvier 1985 pour ce qui concerne ses activités
autres que celles définies aux articles l à 6 de la loi 24 janvier 1984 et
exercées dans le cadre de la dérogation prévue par l'article 7 de cette même loi.
Toutefois, l'adoption d'un plan de continuation de la société
commerciale en cause ne saurait conduire le tribunal à mettre fin aux
fonctions du liquidateur bancaire par lequel la Commission bancaire exerce
son contrôle sur l'établissement de crédit en liquidation. En outre, le plan de
continuation en cause doit être rejeté en ce qu'il s'avère incompatible, en
l'occurrence, avec les impératifs de la liquidation bancaire de l'établissement
de crédit. En effet, le plan de continuation destiné à relancer l'activité de
location de longue durée de biens d'équipement doit être financé par la cession
d’actifs constitués par un portefeuille-crédits et par un prélèvement sur
l’actuelle trésorerie. Or, ceci aboutit à une distraction des biens et de la
trésorerie qui nuit à la liquidation bancaire.
"Attendu que la liquidation d'un établissement de crédit auquel
l'agrément a été retiré est impérative aux termes de l'article 19 de la loi du
24.01.1984, et implique la présence du liquidateur nommé par la commission
bancaire jusqu'à l'apurement complet de la situation de l'établissement ; que si
l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société
commerciale qui exerçait une activité d'établissement de crédit, quel que soit
l'initiateur de cette procédure et y compris le liquidateur bancaire spécialement
habilité par la loi à cet effet, implique la désignation d'organes divers, et
notamment le cas échéant, celle d'un administrateur judiciaire, cette procédure
ne peut, à quelque stade qu elle se trouve et quelle que soit sa solution, avoir
pour conséquence de soustraire la liquidation de l'établissement de crédit au
contrôle de la commission bancaire et du liquidateur qu'elle a nommé; que ce
dernier n'étant cependant investi d'aucun pouvoir de représentation de la
�38
personne morale, et le redressement judiciaire de celle-ci n'emportant son
dessaisissement qu'en fonction de la mission conférée par le juge à
l'administrateur judiciaire éventuellement désigné l'apurement de la situation
de l'établissement de crédit doit être conduit conformément aux dispositions
d'ordre public de la loi du 25.01.1985 qui régissent la réalisation des actifs de
l’entreprise et le réglement collectif de son passif, que celui-ci intervienne
dans le cadre d'une solution de redressement ou en conséquence de la
liquidation judiciaire ; que c'est donc à tort et en commettant un excès de
pouvoir que le tribunal a constaté que la remise in bonis de la SNC HELLE
FINANCES par l'effet de l'arrêt du plan de continuation mettait fin à la
mission du liquidateur bancaire, dés lors que l'arrêt du plan ne mettait pas un
terme à l'apurement de la situation de l'établissement de crédit mais ne réglait
que les modalités de réglement du passif global de la personne morale.
Attendu que le prononcé de la liquidation judiciaire et subsidiairement
l'arrêt du plan de continuation auxquels conclut le Ministère Public impli
quent en l'état de la demande de confirmation de la SNC HELLE FINANCES
et de Maître CAUZETTE REY, la détermination des conséquences de la
liquidation de l'établissement de crédit prescrite par l'article 19 de la loi du
24.01.1984, dans le cas où le retrait de l'agrément est prononcé à titre de
sanction disciplinaire par la commission bancaire en application de l'article
45 de cette loi, sur la situation de la personne morale au regard des modalités
de réglement des difficultés des entreprises prévues par la loi du 25.01.1985
relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises.
Attendu qu'en énonçant que les établissements de crédit sont des per
sonnes morales qui effectuent à titre de profession habituelle des opérations de
banque, l'article 1er de la loi du 24.01.1984 a posé le principe de l'exclusion
des personnes physiques de l'exercice de l'activité ainsi définie, mais n'a pas
institué une assimilation totale de la personne morale à l'entreprise qui se
livre à une activité d'établissement de crédit ; que si une telle assimilation
avait été voulue par le législateur, quelle que soit la forme juridique de l'entre
prise, elle aurait pour conséquence soit de limiter l'activité de la personne
morale à celle exclusive d'établissement de crédit, soit de soumettre la
personne morale à objet social multiple aux dispositions de la loi bancaire,
même en ce qui concerne la réalisation d'un objet social étranger à l'activité
d établissement de crédit ; or. attendu d'une part, qu'il s'évince des dispositions
de l'article 7 que le législateur a expressément prévu la possibilité pour un
établissement de crédit d'exercer à titre habituel une activité autre que celles
visées aux arucles 1 à 6 en soumettant celle-ci aux conditions définies par le
Comité de la réglementation bancaire, et que d'autre part, il a investi le
Comité des établissements de crédit du pouvoir de vérifier l'adéquation de la
forme juridique de l'entreprise demanderesse de l'agrément en prenant en
compte le programme d'activités de celte entreprise ; qu’il en résulte que la
personne morale qui se livre à une activité d'établissement de crédit agréé en
qualité de société financière peut fort bien exercer une activité autre que celles
définies aux articles 1 à 6. et qu’en l'absence d'obligation d'exercice exclusif de
ces activités il ne saurait y avoir une assimilation totale de l'établissement de
crédit à la personne morale, la circonstance que l'exercice de cette autre
activité soit soumis au réglement édicté par le Comité de la réglementation
bancaire n'affectant en aucune manière le principe même de cette absence
d'obligation d'exercice exclusif.
39
Attendu par ailleurs, que si l'article 19 prescrit la liquidation de tout
établissement de crédit dont l'agrément a été retiré, il en a précisé le contenu
en énonçant que l'entreprise ne peut effectuer que des opérations strictement
nécessaires à l'apurement de sa situation tout en demeurant soumise au
contrôle de la commission bancaire, et a ainsi implicitement exclu l'applica
tion des lois et principes qui gouvernent la liquidation des sociétés (articles
1884.9 du Code civil, 390 et suivants de la loi du 24.07.1966) ; qu'alors en
effet que les opérations de liquidation d'une société tendent à la liquidation de
tous les droits et obligations à caractère social, y compris ceux des associés
relatifs au partage de l'actif éventuel, la liquidation d'un établissement de
crédit est limitée à l'apurement de sa situation en tant que tel et ne concerne
donc pas la liquidation de la totalité des droits et obligations à caractère social
de la personne morale vis à vis des tiers et des associés.
Attendu que la liquidation d'un établissement de crédit est donc une
institution spécifique qui obéit à des règles propres et qui, contrairement à ce
que soutient M. DELA VALLEE, n'atteint pas l'être moral, puisque le retrait
d'agrément ne constitue pas en lui-même une cause de dissolution de la
personne morale mais n'entraîne qu'un obstacle juridique à la réalisation de
son objet social et que, dans la mesure où l'activité d'établissement de crédit
est l'unique objet de la personne morale, c'est l'impossibilité de réalisation de
cet objet qui constitue une cause de dissolution et qui exclut dès lors toute
continuation ou cession de l'entreprise selon les modalités de redressement
prévues par la loi du 25.01.1985.
Attendu en conséquence, que la liquidation bancaire d'un établissement
de crédit, dont l'activité est exercée par une société commerciale dont l'objet
n'est pas exclusivement l'exercice d'une activité d'établissement de crédit,
n'apparaît pas incompatible avec l'application au profit de cette société des
solutions de redressement instituées par la loi du 25.01.1985 mais seulement
en ce qui concerne ses activités autres que celles définies aux articles 1 à 6 de
la loi du 24.01.1984, quand bien même seraient-elles exercées dans le cadre de
la dérogation prévue par l'article 7 ; que la solution contraire aboutirait en
l'espèce, à étendre les effets de la sanction disciplinaire prononcée à une autre
activité de la personne morale au sens du dit article, alors que seules les
conditions de l'exercice de cette activité relèvent du réglement du Comité de la
réglementation bancaire et que n'est alléguée aucune violation de ce réglement
susceptible d'être sanctionnée disciplinairement en vertu de l'article 45.
- Sur l'application de la loi du 25.01.1985 à la SNC HELLE
FINANCES
Attendu que l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire est
destinée à permettre la sauvegarde de l'entreprise, le maintien de l'activité et
l'emploi et l'apurement du passif, et que le redressement est assuré par un
plan qui prévoit soit la continuation de l'entreprise, soit sa cession ; qu'il
n'est procédé à la liquidation judiciaire que lorsque aucune de ces solutions
n'apparaît possible.
Attendu que l'ensemble des engagements souscrits par une personne
morale en redressement judiciaire et qui sont nécessaires au redressement de
l'entreprise par voie de continuation constitue l'élément essentiel de
l'appréciation du juge appelé à arrêter le plan ; que si le jugement paraît
contenir une contradiction, au demeurant induite par les termes de
propositions d'apurement du passif que la SNC HELLE FINANCES a
�40
déposées et intitulées "cession de la branche d'activité financière" qui sont
repris dans la disposition suivante du dispositif "autorise la cession de la
branche d'activité financière", il ne fait aucun doute que la disposition qui y
fait suite "dit que cette cession porte sur l'ensemble des actifs constituant le
portefeuille crédits..." lève toute ambiguïté ; qu'il apparaît en effet que c'est
bien une cession partielle d'actifs prévue par l'article 79 de la loi du 25.01.85
que le tribunal a autorisée et qu'il a tenu compte, pour arrêter le plan de
continuation, du moyen de financement de l'entreprise que constituait l'apport
immédiat de fonds consécutifs à cette cession ; que ce faisant, il a
nécessairement admis que le financement de l'entreprise de location soit assuré
par la trésorerie générée par l'activité d'établissement de crédit et la cession du
portefeuille crédit de cet établissement, et que cette trésorerie soit affectée en
tout ou partie à des investissements au profit de l'activité location et à
1apurement du passif global de la SNC HELLE FINANCES.
Attendu que l'arrêt d’un tel plan de redressement est incompatible avec
les impéraufs de la liquidation bancaire de l'établissement de crédit, laquelle
tend exclusivement à l'apurement de la situation de cet établissement sans
pouvoir englober la liquidation des droits et obligations à caractère social de
la SNC HELLE FINANCE qui ne sont pas strictement liés à l'activité
d'établissement de crédit, tels les engagements de cautionnement de la dette
fiscale, ceux résultant exclusivement de l'activité de location et ceux envers
les associés ; qu'en effet, l'apurement de la situation de l'établissement de
crédit, induit par sa liquidation impérative en vertu de la loi bancaire, ne
saurait souffrir une quelconque distraction de la trésorerie disponible et du
produit de la cession des actifs de l'établissement au profit d'une autre
entreprise de la personne morale dont celle-ci et ses associés proposent le
redressement dans le cadre de la loi du 25.01.1985.
Or. attendu que le plan de continuation proposé par la SNC HELLE
FINANCES repose sur la disposition immédiate de la trésorerie à hauteur de
6.600.000 F et du produit de la cession des actifs (portefeuille crédits) de
l'établissement de crédit et envisage le financement initial qu elle qualifie ellemême d'important des investissements indispensables au développement de
l'activité de location au moyen d’un prélèvement de 3.000.000 F sur la
trésorerie ; qu'il est donc manifeste que l'exécution des engagements souscrits
par la SNC HELLE FINANCES dans le cadre du plan implique la distraction
de trésorerie sus-spécifiée que la liquidation bancaire de l'établissement de
crédit rend impossible ; que le jugement déféré doit en conséquence être
réformé, et qu'en l'absence d'offre de cession de la branche d'activité location,
la liquidation bancaire s'impose....
Par ces motifs : La Cour, Statuant publiquement et contradic
toirement, après communication au Ministère Public,
En la forme, reçoit les appels du Procureur de la République, de M.
Delavallée et de Maître Roaldes.
Au fond, réforme les jugements du 02.04.1993 et statuant à nouveau,
Rejette le plan de continuation de la SNC HELLE FINANCES, de la
société WERNER et de Mme Maria Helle.
Prononce la liquidation judiciaire des susnommées."
La compatibilité d'une procédure de liquidation bancaire avec un plan
de redressement de la société financière concernant ses seules activités extra
bancaires.
41
OBSERVATIONS :
La société en nom collectif Helle Finances était bénéficiaire
du statut de société financière dans les conditions de l’article 18
de la loi du 24 janvier 1984. Son retrait d'agrément d'établisse
ment de crédit ayant été prononcé le 15 avril 1992, cette société
Helle Finances fait partie des 3 établissements les plus sévère
ment sanctionnés par la Commission bancaire pour cette année-là
(1). Le présent arrêt de la Cour d'Aix envisage le sort de la
société prêtant sa structure juridique à l'établissement de crédit.
Cette société peut-elle prétendre bénéficier d'un plan de continua
tion ? Il faut préciser qu'il ne s'agit pas, en l’espèce, de la pour
suite de l'activité d'établissement de crédit proprement dite. En
soi, cette possibilité n'est pas à exclure puisque l'on sait que le
redressement judiciaire n'entraîne pas forcément le retrait de
l'agrément bancaire (2). Au demeurant, lorsque l'agrément ban
caire a été retiré avant ou après l'ouverture du redressement, l'oc
troi d'un nouvel agrément peut être sollicité à seule fin de rendre
possible un plan de continuation ou de cession de l'activité d'éta
blissement de crédit (3). L'élaboration d'un plan de continuation
ou de cession de l'activité bancaire est toutefois délicate (4) et les
risques d'échec sont élevés comme en témoigne l'affaire de la
filiale française de la Lebanese Arab Bank (5).
L'originalité de l'arrêt étudié (6) est de poser l'hypothèse
d'un plan de continuation sans agrément bancaire. Cette affirma
tion est paradoxale. Sans agrément, l'objet social ne devrait plus
pouvoir être poursuivi, ce qui devrait conduire nécessairement à
la liquidation judiciaire (7). L'habileté de la Cour d'Aix est de se
fonder sur l'article 7 de la loi du 24 janvier 1984 qui ouvre une
faculté d'exercer des activités extra-bancaires. Le plan de
(1) Banque octobre 1993, p.60.
(2) T. com. Rodez 9 juin 1992, préc.
(3) PELTTER. J.Cl. Banque ei crédit. Structures, Réglementation et contrôle public
des professions bancaires, fasc.60, 1990, n 90
(4) Pour une expérience, semble-t-il. viable, cf. T. com Rodez 9 juin 1992 et
Montpellier 29 juillet 1992, D.1992, somm. p.357, VASSEUR, affaire Majore!
(plan de cession partielle de la banque au profit d'une autre banque).
(5) VASSEUR sous Paris 2 mars 1990, D. 1990, p.569.
(6) V. aussi VASSEUR. D 1994. p.201.
(7) Pau 22 avril 1980, D 1981.121. GAVALDA et IR. 182, VASSEUR. V.,
toutefois, une décision très singulière admettant un plan de cession en l'absence
d agrément, cf. T. com Paris 22 janvier 1991. affaire de la United Banking
corporation, D 1992, somm. p.355, VASSEUR: le plan de cession était présenté
par l'association de défense des déposants de l'UCB et portait sur la poursuite de
l'activité de l'établissement en tant que simple "organisme de recouvrement de
créances"; ce plan s'apparentait davantage à une situation de liquidation, "hors le
cadre de la liquidation judiciaire", qu'à un véritable redressement auquel est rattaché
le plan de cession par l'article 81 de la loi du 25 janvier 1985, comme l'observe
l'annotateur.
�42
43
continuation porte donc sur une activité qui échappe au champ
des opérations bancaires. Mais cette argum entation théorique
n'empêche pas la cour de constater, dans les circonstances de la
cause, que le plan de continuation retenu portait atteinte à la
liquidation bancaire. En outre, elle reconnaît d'emblée que le
tribunal a commis un excès de pouvoir en m ettant fin aux
fonctions du liquidateur bancaire. A ces deux titres, elle infirme le
jugem ent du tribunal de commerce de Nice et prononce la
liquidation judiciaire de la société Helle Finances.
Il se dégage de cette décision deux préoccupations majeu
res, l’une venant apporter de sérieuses nuances à l'autre. La
première tend à préciser les points d'articulation entre la procé
dure bancaire et la procédure de redressement judiciaire, de sorte
qu’apparaît une véritable coexistence entre les deux procédures
(I). La seconde tend, en revanche, à sonder les limites de cette
coexistence dans les faits. La spécificité du débiteur conduit à
faire prévaloir les exigences de la liquidation bancaire (II). Aussi
faut-il convenir qu'un plan de continuation pour les activités
extra-bancaires reste une voie difficile à explorer. L'apurement du
passif bancaire prend le pas sur la sauvegarde de l'entreprise et le
maintien de l'activité, ce qui amène à renverser la hiérarchie dans
les finalités posées par l'article 1er de la loi du 25 janvier 1985.
I - La coexistence de la liquidation bancaire avec
le redressem ent jud iciaire.
Le mérite de la cour d'appel d'Aix est de présenter
clairement certains points d'articulation entre la procédure de
liquidation bancaire et la procédure de redressement et liquidation
judiciaires. Elle le fait, à l'amont, en précisant leurs objets
respectifs et le rôle de leurs organes (A). Elle le fait aussi et de
manière audacieuse, à l'aval, en précisant de quelle manière leurs
aboutissements respectifs peuvent être conciliés (B).
A - Les objets et organes de chacune des procédures.
La Cour d'Aix ne se contente pas d'affirm er que "la
liquidation est une institution spécifique qui obéit à des règles
propres". Elle s'efforce aussi de caractériser la liquidation
bancaire dans son objet et dans son organe, par rapport à d'autres
procédures.
a) des objets distincts.
Avant d ’être com paré à l'objet de la procédure de
redressement, l’objet de la liquidation bancaire est distingué de
celui de la liquidation sociétaire. La liquidation bancaire ne peut
concerner que les seules obligations de l'établissement de crédit à
l'égard des tiers, dans l'objectif d'un apurement de sa situation en
tant que tel. La liquidation sociétaire est, quant à elle, de plus
grande envergure: elle porte non seulement sur la totalité des
droits et obligations de la personne morale à l'égard des tiers,
mais encore sur les rapports entre associés en vue d'un partage
ou d'une contribution aux pertes. Le point est d'importance.
Selon le liquidateur bancaire, la liquidation bancaire par suite de
retrait d’agrément atteignait l'être moral lui-même. Mais l'article
19 de la loi du 24 janvier 1984 ne vise que "l'entreprise" et non la
société commerciale qui offre une structure juridique à l'activité
d'établissement de crédit. Assimiler les deux procédures revien
drait à considérer que le retrait d'agrément bancaire est un cas de
dissolution d'une société commerciale. Cette analyse est vigou
reusement critiquée (1). La Cour d'Aix écarte cette assimilation
excessive en l'absence d'un renvoi exprès à l’article 360 de la loi
du 24 juillet 1966. Quant à l’objet de la liquidation judiciaire, il
apparaît qu'il est lui aussi plus étendu que celui de la liquidation
bancaire, du moins virtuellement. Les deux procédures portent
certes sur un apurement du passif. Mais la liquidation bancaire a
pour objet de liquider les seules obligations contractées en tant
qu'établissement de crédit. Cela annonce déjà, implicitement et a
contrario, que la société, structure de l'établissement de crédit,
peut contracter des obligations étrangères à cette activité.
b) des organes aux pouvoirs distincts.
La cour d'appel circonscrit les pouvoirs du liquidateur
bancaire en affirmant qu'il n'est "investi d'aucun pouvoir de
représentation de la personne morale" au détriment des dirigeants
sociaux ou des organes de la procédure collective. S’agissant de
l'articulation de ses pouvoirs avec ceux des représentants légaux,
le débat s’est d'abord focalisé sur le pouvoir de déclarer la
cessation des paiements (2). Pour écarter toute hésitation, la loi
du 26 juillet 1991 a modifié l'article 46 de la loi du 24 janvier
1984 en attribuant expressém ent au liquidateur bancaire le
pouvoir de déclaration de cessation des paiements (3). La décla
ration de créances effectuée par le liquidateur bancaire de la
société Helle Finance était donc parfaitement régulière. L'apport
(1) VASSEUR, sous Pans 2 mars 1990. D.1990, n. 12; PELTIER. "Faillite
bancaire et les pouvoirs des mandataires de la Commission bancaire”, RD bancaire
et bourse mars/avril 1991, p.39.
(2) C'est ainsi qu'a commencé l’affaire de la Lebanese Bank, cf. Paris 2 mars 1990,
préc. Mais il faut surtout retenir de cette affaire que, le liquidateur bancaire ne
représentant pas la personne morale, l'appel du jugement d'ouverture interjeté par
le président du conseil d'administration était recevable. V. encore Trib. prem.
instance de Monaco 14 février 1991. affaire de la Banque industnelle de Monaco,
appliquant la loi du 24 janvier 1984, RD bancaire et bourse mars/avril 1991,
PELTIER
(3) Cette disposition doit être comprise non comme une faculté de représenter la
personne morale, mais bien plutôt comme une extension des pouvoirs du
mandataire de la Commission bancaire.
�44
45
de la Cour d'Aix est de préciser l'articulation des pouvoirs du
liquidateur bancaire avec ceux des organes de la procédure. De
manière générale, le liquidateur doit exercer ses fonctions en se
coulant dans le moule de la procédure collective: "l'apurement de
la situation de l'établissem ent de crédit doit être conduit
conformément aux dispositions d'ordre public de la loi du 24
janvier 1985". C'est l'administrateur judiciaire qui est le "maître
d'oeuvre de la procédure collective", et non le liquidateur ban
caire (1). Il ne saurait non plus supplanter le représentant des
créanciers, ni même le liquidateur judiciaire. Le liquidateur
bancaire est certes bien placé pour vérifier le passif bancaire et
organiser son apurement, mais il peut y avoir un passif extrabancaire. En outre, il n'a pas l'objectivité ou l'indépendance d'un
organe désigné dans le jugement d'ouverture du redressement ou
dans le jugement de liquidation judiciaire: il est avant tout le
représentant et le mandataire de la Com mission bancaire. Au
demeurant, de cet élément aussi, la Cour d'Aix tire toutes les
conséquences.
Elle préserve sa fonction, avec une égale fermeté, en recon
naissant que seule la Commission bancaire pouvait y mettre fin.
Le tribunal de la faillite ne pouvait pas s'arroger cette compé
tence. Il résulte des articles 19, 45 et 46 de la loi du 24 janvier
1984 que "la liquidation d'un établissem ent de crédit est
impérative et implique la présence du liquidateur jusqu'à l'apure
ment complet de la situation de l'établissement". Même au stade
de l’adoption d'un plan de continuation ou de cession, le contrôle
de la Commission bancaire ne perd pas son utilité. Le plan de
continuation ayant été arrêté, il n'y a pas en tant que tel apurement
du passif, car seules les modalités de cet apurement sont établies.
En l'espèce, le plan prévoyait pour les créanciers n'ayant pas
accepté une remise un paiement étalé sur une durée de 6 ans. Le
liquidateur bancaire aurait normalement dû voir ses fonctions se
prolonger jusqu'au terme de ces 6 ans pour être à même de
vérifier l'apurement effectif de ce passif bancaire. On comprend
que l'éviction du liquidateur bancaire ait incité non seulement
celui-ci mais aussi le Procureur de la République à former un
appel. Sur ce point, ils ont été entendus et suivis dans leur
argumentation. Ils ne l'ont pas été, en revanche, à propos de leur
hostilité de principe à l'adoption d'un plan de continuation.
B - La compatibilité virtuelle entre la liquidation
bancaire d'un établissement de crédit et le plan de
continuation de sa structure sociale.
La cour d'appel d'Aix fait sienne une hypothèse soulevée
par la doctrine et tenant à la non-exclusivité de l'activité
(1) VASSEUR,
so us
Paris 2 mars 1990. préc.. n.13.
d'établissement de crédit. Elle l'exploite dans les perspectives
propres au redressement judiciaire. De la sorte, elle parvient à une
solution de principe originale.
a) L'activité d'établissem ent de crédit n'absorbe pas
l'intégralité de l'objet social.
L'article 1er de la loi du 24 janvier 1984 exclut les
personnes physiques de l'exercice de l'activité d'établissement de
crédit. Ceci répond au postulat selon lequel seules des sociétés
commerciales pourront réunir des capitaux suffisants pour offrir
toutes les garanties de surface financière. Pour ces mêmes
raisons, l'octroi de l'agrément bancaire aurait pu être subordonné
à l'exercice exclusif de l’activité d'établissement de crédit. En
effet, la spécialisation des établissements de crédit vise à protéger
les créanciers et les déposants de l'établissement de crédit contre
les risques de perte de capitaux qu'engendreraient des opérations
non bancaires (1). Mais le législateur a pris le parti d'une
spécialisation sans prohiber purement et simplement de toute
autre activité. On relève seulement une disposition restrictive dans
l'article 7: "les établissements de crédit ne peuvent exercer à titre
habituel une activité autre que celles visées aux articles 1 à 6 que
dans des conditions définies par le comité de réglementation
bancaire". L'habileté de la Cour d'Aix est de s'emparer d'une
disposition restrictive et de lui donner une véritable substance,
alors qu'a priori celle-ci devrait être insignifiante. Il est vrai que,
ce faisant, elle fait écho à une opinion qui avait présenté cette
hypothèse comme une raison supplémentaire en faveur de la
dissociation entre établissement de crédit et personne morale (2).
Pour illustrer cet article 7, l'auteur prenait l'exemple d'une
banque ayant un important patrimoine immobilier exploité en
location. La société Helle Finances, quant à elle, exploitait une
activité de location de longue durée de biens d'équipement qui,
semble-t-il, n'entrait pas dans la catégorie des activités annexes
visées par l'article 5 et soumises en tant que telles à l'agrément
bancaire (3).
(1) GAVALDA et STOUFFLET. Droit bancaire, Litec 1992, n.68. La spécialisation
est présentée comme une contrepartie du monopole bancaire. Celui étant assorti de
dérogations visées dans les articles 11 et 12 de la loi du 24 janvier 1984, on
comprend que la spécialisation soit elle-même assortie d'un tempérament comme
celui introduit par l'article 7.
(2) VASSEUR, préc.
(3) Encore faudrait-il savoir si cette société Helle Finances était ou non habilitée à
effectuer des opérations de crédit-bail ce qui a pour conséquence, en application de
l'article 5-6°, de rendre connexes les opérations de location simple de biens
mobiliers ou immobiliers.
�46
Cependant, un règlement du Comité de la réglementation
bancaire (1) est venu préciser les activités dites "autres" au sens
de l'article 7. Y sont mentionnées les activités de mandataire,
courtier et commissionnaire, l'activité de gestion d'un patrimoine
immobilier non affecté à l'exploitation de l'établissement de crédit
et dont il est propriétaire, l'activité de prestation de services qui
constituent l'utilisation accessoire de moyens principalement
affectés à l'exploitation bancaire, l'activité d'apport à la clientèle
de services qui tout en n'étant pas connexes constituent le
prolongement d'opérations de banques. Il eût fallu s'interroger
sur l'adéquation de l'activité de location longue durée de biens
d'équipement, exercée par la société Helle Finances, à cette
énumération. Il est certes permis de s'interroger sur la légalité de
la limitation ainsi opérée dans le cham p de ces activités dites
''autres''. L'article 7 renvoie au Comité de réglementation pour
préciser des conditions d'exercice et non pour définir ces activités
dites "autres". En tout état de cause, la question méritait d'être
posée et tranchée. Mais, sous cette réserve de l'adéquation audit
règlement, il est acquis que l'activité d'établissem ent de crédit
n'épuise pas l'intégralité de l'objet social de la société commer
ciale. Ajoutons que l'article 7 de la loi bancaire assigne à cette
activité extra-bancaire "une importance limitée", fixée précisément
à 10 % du produit net bancaire par le règlement
b) La liquidation bancaire ne recouvre pas tout le champ du
redressement judiciaire.
Une activité extra-bancaire représentant tout au plus 10 %
du produit net bancaire peut y échapper ! Partant, le retrait
d'agrément n'entraîne pas ipso facto la liquidation judiciaire. Le
liquidateur bancaire ne pouvait ignorer la teneur de cet article 7
mais il prétextait que cette faculté d'activité extra-bancaire était
néanmoins soumise à agrément dans la mesure où ladite activité
était soumise aux conditions de l'article 7. Cette argumentation,
on le voit, n'était pas convaincante. Elle est écartée par la Cour
d'Aix qui retient que "la solution contraire aboutirait à étendre les
effets de la sanction disciplinaire à une autre activité de la person
ne morale". Dès lors qu'il existe la possibilité de poursuivre
l’objet social, ne serait-ce que très partiellement, la liquidation
judiciaire n'est donc plus une issue inévitable. Il importe alors
d'utiliser pleinement les outils de la période d'observation pour
rechercher les moyens d'un redressement. En soi, la liquidation
bancaire n'est plus alors incompatible avec cette recherche. Un
plan de continuation peut, en principe, être élaboré pour les
(1) Règlement n°86-21 du 24 nov. 1986. homologué par arrêté du (11 déc. 1986)
(J.O. 18 déc. 1986). V. aussi RIVES-LANGE et CONTAMINE-RAYNAUD, Droit
bancaire. Précis Dalloz, n.39.
47
seules activités extra-bancaires de la société en redressement
judiciaire.
Malgré l'intérêt de la démonstration théorique, la compatibi
lité virtuelle entre l'absence d'agrément bancaire et un plan de
continuation résiste mal aux faits. En pratique, un plan de conti
nuation sera extrêmement difficile à élaborer sans compromettre
les chances d'apurement du passif bancaire.
II - La prépondérance de la liquidation bancaire
sur le redressement judiciaire.
Cette prépondérance n'est pas affirmée expressément dans
le présent arrêt, mais elle apparaît en filigrane. L'article 1er de la
loi du 25 janvier 1985 est généralement interprété comme
énonçant une hiérarchie dans les finalités poursuivies par le
législateur (1). Mais l'article 19 de la loi du 24 janvier 1984, qui
pose l'exigence de la liquidation bancaire, revêt un caractère
impératif. Relevant de dispositions spéciales, et par application de
l'adage specialia generalibus derogant, l'apurement du passif
bancaire devient alors une priorité pour une société exploitant un
établissement de crédit à qui l'agrément bancaire a été retiré, et
cela nonobstant l'ouverture d'un redressement judiciaire. Dès
lors, l'élaboration d'un plan de continuation pour une activité
extra-bancaire de la société en redressement ne saurait contrarier
les exigences de la liquidation bancaire (A). Ceci tend à mettre en
valeur le rôle du liquidateur bancaire dans le déroulement de la
procédure de redressement (B). Son rôle est en effet essentiel
pour déterminer la marge de manoeuvre de l'administrateur dans
la recherche d'un redressement possible.
A - L'incompatibilité, en l'espèce, entre la liquidation
bancaire et le financement du plan de continuation.
Le tribunal de commerce de Nice avait adopté un plan de
redressement qui péchait moins par la nécessité d'un agrément
bancaire, pour permettre la "cession d'activité financière" accom
pagnant le plan de continuation, que par une "distraction" des
fonds normalement destinés à la liquidation bancaire.
a) La cession partielle d'actifs ne semblait pas porter sur
une activité relevant de l'agrément bancaire.
Le Procureur de la République reprochait au tribunal de
commerce d'avoir ordonné la cession d'une branche d'activité
financière alors que depuis le retrait d'agrément il ne pouvait plus
(1) DERRIDA. GODE et SORTAIS, Redressement et liquidation judiciaires des
entreprises, Dalloz 1991, note 39.
�48
49
exister d'activité financière cessible. La critique paraît sérieuse.
Mais le Procureur fournissait lui-même le moyen de l'esquiver,
puisqu'il proposait une requalification en cession de créances. La
cession portait sur "l'ensem ble des actifs constituant le
portefeuille - crédits", à savoir des créances. Ceci rejoignait, au
demeurant, l'analyse de la banque genevoise cessionnaire qui
précisait que l'offre d'achat de portefeuille crédit donnerait lieu à
l'établissement d'actes de cession de créances individuelles
soumis aux formalités de l'article 1690 du Code civil. La Cour
d'Aix en déduit qu'il ne peut pas s'agir de la cession d'une
activité financière, exigeant en tant que telle l’agrément bancaire.
En cédant de simples créances destinées à être recouvrées au
profit du cessionnaire, la société Helle Finances ne cédait qu'une
activité de recouvrement. On en déduit que l'octroi de crédit est
une activité bancaire autonome, tandis que le recouvrement des
créances n'est qu'une activité démembrée. On retient donc, même
si ceci n'emporte pas pleinement conviction, que des cessions de
créances issues d’un portefeuille de crédits ne requièrent pas le
maintien de l'agrément bancaire chez le cédant.
On ne peut manquer de rapprocher ces cessions de créances
de celles qui faisaient l'objet d'un plan de cession au sens de
l'article 81 de la loi du 25 janvier 1985 dans l'affaire de la
Lebanese Bank. Par suite du retrait de son agrément, le tribunal
de commerce de Paris avait considéré que l'UCB n'était plus
"qu'un organisme de recouvrement de créances" (1). Que cette
activité de recouvrement puisse faire l'objet d'un plan de cession
n'a pas manqué de surprendre, et encore plus que le cessionnaire
soit une association de défense des déposants : "le plan de ces
sion n'était autre en fait qu'une liquidation" (2). Mais on pouvait
concevoir une certaine souplesse dans l'application des textes,
dans la mesure où le plan de cession tendait à servir "la bonne
cause", à savoir le sort des déposants et donc le bon déroulement
de la liquidation bancaire (3). Le plan de continuation de la
société en nom collectif HELLE FINANCES n'appelait pas la
même indulgence, bien au contraire, puisqu'il privait l'apurement
du passif bancaire d'une partie de ses moyens.
b) Le financem ent du plan de continuation ne doit pas
distraire des fonds normalement destinés à l'apurement du
passif bancaire.
La cession des créances issues du portefeuille crédits était
destinée en partie à financer le plan de continuation ayant pour
objet une activité extra-bancaire. A cet égard, l'article 79 de la loi
du 25 janvier 1985, relatif à la cession partielle d'actifs, mérite
examen. Il dispose que le prix est versé à l'entreprise, c'est-à-dire
au profit de la continuation de l'entreprise . En cela, il se
distingue de l'article 92 selon lequel le prix est réparti entre les
différents créanciers dans le cadre du plan de cession. Cependant
rien n'empêche que l'entreprise bénéficiant du plan de continu
ation ne se préoccupe de l'apurement du passif en affectant une
partie du produit de la cession des actifs au paiement des
créanciers. Ce point n'apparaît pas clairement dans la motivation
de l'arrêt, mais il semblait pourtant que la cession envisagée dans
le plan permettait à la fois de régler le passif bancaire et de
financer le plan de continuation. Il est vrai que l'apurement du
passif bancaire était incomplet et prolongé dans le temps : les
créanciers payés immédiatement avaient préalablement acceptés
des remises de 45 %, les autres ne pouvaient compter être réglés
que par des mensualités étalées sur 6 ans. En soi, ce mode
d'apurement du passif paraît tout à fait conforme à l'article 74 de
la loi du 25 janvier 1985 selon lequel le tribunal donne acte des
délais et remises acceptés par les créanciers. Mais il est sûr,
qu'avec l'intégralité du produit de la cession, le passif bancaire
pouvait être couvert dans des conditions plus honorables. Il
semble donc que le caractère impératif de la liquidation bancaire
fait obstacle à ce que le tribunal donne acte des remises et délais
acceptés par les créanciers de l'établissement bancaire, lorsqu'il y
a continuation d'une activité extra-bancaire. Cette constatation
singularise encore davantage le traitement de la défaillance d'un
établissement de crédit
En tout état de cause, il est choquant que des actifs issus de
l'activité bancaire de crédits, à savoir les créances, soient cédés
en vue de financer la continuation d'une activité extra-bancaire de
location (1). Pour renforcer cette impression de "détournement",
le plan de continuation devait encore être financé par une mise à
disposition de la trésorerie pour un montant de 6.000.000 F. Sur
ce point aussi, on aurait pu imaginer un procédé acceptable : la
mise à disposition de la trésorerie au profit de l'activité de
location dans le respect de la proportion de sa valeur par rapport
au produit net bancaire, sachant que celle-ci est limitée à 10 % de
(1) Il en serait allé tout autrement si les biens cédés étaient issus de l'activité
extra-bancaire, "sacrifiés” pour les besoins d'un renforcement du noyau de cette
activité.
�50
ce produit net bancaire. A défaut de ce type de précaution, on
conçoit que la distraction de ces fonds ne soit pas admise, en
raison de la nature impérative de la liquidation bancaire. Il en
résulte que celle-ci exige l'affectation exclusive des biens
résultant de l'activité bancaire à l'apurement du passif bancaire.
c) Les possibilités sérieuses de redressement à travers la
continuation de l'activité de location étaient discutables.
Le caractère sérieux des chances de redressem ent de
l'entreprise est un critère majeur pour le tribunal dans sa décision
d'adoption du plan, comme l'énonce l'article 69 de la loi du 25
janvier 1985. Ce point n'apparaît pas dans la motivation de rejet
du plan, certainement parce qu'il était superfétatoire. Cependant,
il mérite d'être souligné tant il révèle la difficulté d'établir un plan
de continuation pour une activité extra-bancaire. Le liquidateur
bancaire soulevait un argument de fait à l'encontre de la viabilité
du plan de continuation. Jusqu'alors, l'activité de location n'avait
été financée que par des emprunts interbancaires auxquels la SNC
n'avait accès que du fait de son agrém ent. Seule sa qualité
d'établissement de crédit lui octroyait des facilités de financement
pour mener à bien l'activité de location. Il n'y avait donc pas un
cloisonnement étanche de l'activité extra-bancaire. La dissociation
juridique entre l'établissement de crédit et les autres activités de la
personne morale, au sens de l'article 7, cède alors le pas devant
une interpénétration financière.
B - La prépondérance du mandataire de la Commission
bancaire sur les organes du redressement judiciaire.
Les liquidateurs bancaires ont pu être présentés en tant
qu"'interfaces essentielles entre les autorités judiciaires et les
autorités bancaires" (l). On savait qu'ils étaient les plus aptes à
déterminer l'étendue du passif bancaire. Mais ils sont aussi les
garants d’un bon apurement du passif bancaire. En l'espèce, le
liquidateur bancaire a pu dénoncer les failles d'un plan de
continuation, qui empêchait un apurem ent optimum du passif
bancaire. En pratique, l'administrateur judiciaire se trouve donc
très dépendant de la collaboration avec le liquidateur bancaire.
Aucune solution ne peut être envisagée sans qu'il ait délivré son
satisfecit sur les modalités d'apurement du passif. On doit même
retenir qu'il peut critiquer des remises et délais alors qu'ils ont été
acceptés par les créanciers. Il serait chargé en quelque sorte de
protéger contre eux-mêmes des créanciers trop conciliants.
Pour finir, 1 apparaît que son pouvoir de critique se traduit
par la recevabilité de son appel contre le jugement arrêtant un plan
(1) PELTIER, "Faillite bancaire, les pouvoirs des mandataires de la Commission
bancaire". RD bancaire et bourse mars/avril 1991, p.39.
51
de continuation, alors même qu'il ne figure pas sur la liste
énoncée par l'article 171 de la loi du 25 janvier 1985. Il pourra se
prévaloir d'un excès de pouvoir du tribunal, et partant des voies
de recours selon le droit commun, chaque fois que le tribunal
portera atteinte à sa mission d'ordre public. Celle-ci exprime
incontestablement un renversement radical de la hiérarchie des
finalités assignées au redressement judiciaire.
A travers les fonctions du liquidateur bancaire, l'apurement
du passif bancaire revêt donc un caractère d'intérêt public majeur.
De la sorte, l'ordre public bancaire s'immisce dans l'ordre public
des procédures collectives. La cour d'appel d'Aix s'est efforcée
d'en prendre la juste mesure. A cet effet, elle a écarté la facilité
d'une motivation lapidaire, mais s'est engagée dans un débat
théorique très serré. Avec un souci didactique évident, elle a tenté
de rechercher les bornes de l'ordre public bancaire et sa concilia
tion avec le déroulement normal des procédures collectives.
N'est-il pas alors paradoxal de retenir une solution délibérément
favorable à la liquidation bancaire ? Les faits le commandaient et,
en cela, la cour d'appel a su témoigner de son discernement, car
le sens de l'ordre public a été respecté (1). Toutefois, elle a su
dégager préalablement une issue théorique dont les financiers
sauront peut-être s'emparer dans la pratique. Faisons confiance à
leur imagination créatrice pour tirer parti d'une issue jusqu'alors
inédite et résultant d'une dissociation juridique confirmée entre
établissement de crédit et personne morale. Leur acharnement
thérapeutique dans la recherche d'un plan de continuation viable
et compatible avec la liquidation bancaire dépendra, en définitive,
de l'enjeu représenté par 10 % du produit net bancaire ! A défaut
d'interdiction formelle, la présente argumentation juridique invite
à des initiatives sur un chemin qui demeure malgré tout balisé par
la logique de l'ordre public bancaire.
Catherine PRIETO
Maître de Conférences
à la Faculté de Droit d'Aix-Marseille
(1) A cet égard, elle est à la hauteur des espérances initialement formulées par un
auteur: plutôt que de recommander une intervention législative, il est préférable de
faire confiance à la jurisprudence pour démêler l'écheveau des rapports entre le
liquidateur bancaire et les organes de la procédure, cf. VASSEUR, préc., n. 15.
Comp. PELTIER, sous T. co. Paris 1991, préc., sur la nécessité de définir un
régime particulier pour la faillite bancaire; GAVALDA et STOUFFLET, JCP E
1993, 3686, n .l, sur l'extrême urgence d'un réforme européenne en matière
d'assainissement de liquidation des établissements de crédit ; en dernier lieu,
VASSEUR, sous le présent arrêt, D 1994, p.207, n.10.
�52
- N 6 -
RECOURS EN INTERPRÉTATION D’ARRÊT
Objet du recours (1ère espèce) / Interprétation d'un
arrêt interprétatif (2ème espèce)
1ère espèce : AIX - 1ère ch A - 18 novembre 1993 - n°580
Président : M. HUGUES - A vocats : Mes AMSELEM,
BOMPARD, RAYNAUD, WALICKI
2ème espèce : AIX- 1ère ch A - 10 décembre 1993 - n°675
Président : M. RANSAC - A vocats : M es BARTOLI,
USANNAZ-JORIS
Le recours à la procédure d'interprétation suppose que les
dispositions de la décision concernée soient entachées de
contradiction ou d'ambiguïté en sorte que les parties ne pourraient
en déterminer la portée sans le concours du juge ( 1ère esp.).
Bien que l'art. 461 nouveau Code de procédure civile
n'exclue pas l'interprétation incidente d'une décision par une
juridiction autre que celle qui l'a prononcée, il n'en va pas ainsi
lorsque la Cour saisie de l'incident a renvoyé l'affaire devant celle
qui a rendu l'arrêt à interpréter. Ce renvoi s'impose aux parties et
au juge de renvoi en application de l'art. 96 al. 2 nouveau Code
de procédure civile.
La demande en interprétation d'un arrêt lui-même
interprétatif est recevable dans la mesure où elle tend à en préciser
le sens. Tel n'est pas le cas en l'espèce où la controverse entre les
parties sur la notion d'exécution procède d'une difficulté, réelle
ou artificielle, de mise en oeuvre de ses dispositions claires et
précises, étrangère à leur contenu (2e esp.).
1ère espèce :
I - Faits et procédure : Par requête enrôlée le 22 février 1993,
Messieurs Antoine, Armand et Philippe TRIPODI ainsi que Madame Yvette
GONNARD Veuve TRIPODI ont demandé à la Cour d’interpréter l'arrêt rendu
le 2 avril 1992 sous le numéro 157 par la Première Chambre Section A dans
un procès qui les oppose aux époux FOTI, aux frères BRUNO et aux époux
CACACE.
Ils lui demandent de préciser que les mentions du dispositif suivant la
formule "confirmant pour partie le jugement en ses dispositions attaquées, le
réformant pour le surplus et y ajoutant" constitue l'ensemble de la décision de
fond prise par la Cour sur l'appel ; sans que les condamnations qui les visent
doivent venir "s’ajouter'' à celles de la décision entreprise de façon intégrale,
ce terme ne s'appliquant qu'à la majoration qu'elles comportent par rapport
aux condamnations originaires.
53
Dans leurs conclusions en réponse les époux FOTI soutiennent au
contraire que l'interprétation littérale du terme "y ajoutant" doit conduire non
pas à une simple majoration de certaines condamnations adverses mais à une
addition de celles-ci avec les condamnations du Tribunal. Ils réclament en
conséquence le rejet de la requête, la condamnation des consorts TRIPODI à
leur payer 20.000 F de dommages et intérêts pour procédure abusive, ainsi
qu'aux dépens.
Les frères BRUNO déclarent qu'ils ne sont pas concernés, réclamant
leur mise hors de cause et la condamnation des consorts TRIPODI à leur
payer 5.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
ainsi qu'aux dépens de l'incidenL
Les époux CACACE déclarent enfin s'en rapporter à justice.
II • motifs de la décision de la Cour : Attendu qu'il n'y a pas
lieu d'interpréter l'arrêt du 2 avril 1992, la simple lecture de son dispositif
permettant de trancher entre les thèses opposées, dont aucune n'est correcte,
bien que la solution de ce différend soit celle que proposent les consorts
TRIPODI.
Attendu qu'en tête de son dispositif sur le fond lorsqu'il emploie la
formule "confirmant pour partie le jugement, le réformant pour le surplus et
y ajoutant", l'arrêt se contente de préciser sa portée par rapport à la saisine des
premiers Juges et à celle de la Cour, les termes employés ne s'appliquant pas
en effet à telle disposition précise, mais au "jugement" qui est frappé d'appel ;
Que quand la Cour déclare vouloir "confirmer" pour partie celui-ci et
"le réformer pour le surplus" elle annonce des décisions sur les points que le
Tribunal a pu déjà connaître et sur lesquels il a statué ;
Qu'au contraire, quand la Cour déclare "ajouter" quelque chose audit
jugement (et non pas à l'une ou l'autre des décisions qu'il avait déjà prises et
qu'elle va soit confirmer, soit réformer), elle annonce des décisions sur des
points dont le Tribunal n'avait pas eu à connaître, mais dont elle vient
d'admettre qu'ils constituent des demandes recevables dans la partie du
dispositif qui précède, et qui est consacrée aux incidents de procédure, telle que
la demande incidente des époux CACACE, que les demandes complémentaires
et les moyens nouveaux des autres parties, ou que le sort des dépens d'appel.
Attendu par conséquent que cette annonce générale ne fait que reclasser
juridiquement par rapport à la saisine, les décisions de fond qui la suivent,
sans pouvoir modifier en quoi que ce soit leur énoncé parfaitement clair,
correspondant en outre aux motifs de l'arrêt dont la lecture confirme que rien
ne doit s'ajouter à elles ni s'en retrancher, le terme "y ajoutant" ne s'y
rapportant pas ;
Attendu que les époux FOTI dont la fausse interprétation du texte,
pourtant claire, du dispositif a rendu nécessaire l'incident, doivent en
supporter les dépens, et doivent être pour ce motif déboutés aussi de leur
demande pour abus de procédure dirigée contre les consorts TRIPODI.
Attendu que ces derniers, qui avaient conformément au Nouveau Code
de Procédure Civile appelé les autres parties à l’instance en interprétation, ne
doivent pas non plus supporter en équité les frais irrépétibles que les frères
BRUNO leur réclament, ces derniers devant être en conséquence déboutés de
leur demande au litre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
�54
2ème espèce :
I - Faits et procédure : Attendu que par arrêt en date du 24
novembre 1986, la Cour de ce siège, désignée comme Cour de renvoi après
cassation de l'arrêt rendu le 22 novembre 1983 par la cour d'appel de Bastia, a
statué comme suit :
- Responsabilité du CREDIT LYONNAIS à l'égard des consorts
CANNEBOTIN du chef des conséquences dommageables de la fourniture
de renseignements inexacts sur la solvabilité de SIEGEL.
- Condamnation du CREDIT LYONNAIS à payer aux consorts
CANNEBOTIN:
• le montant des condamnations prononcées à leur encontre, en
principal et intérêts, au titre des effets tirés sur SIEGEL, par arrêt de la
cour d’appel de Bastia du 22 novembre 1983 ;
• la somme de 200.000 F à titre de dommages-intérêts ;
• la somme de 5.000 F en application de l'article 700 du Nouveau
Code de Procédure Civile.
Attendu que saisie par le CREDIT LYONNAIS d'une requête en inter
prétation de cette décision, la Cour a, par arrêt du 30 juin 1987, dit que la
"condamnation... de la Société du CREDIT LYONNAIS à payer aux consorts
CANNEBOTIN le montant des condamnations prononcées à leur encontre en
principal et intérêts, au titre des effets tirés sur SIEGEL, par arrêt de la cour
d'appel de Bastia du 22 novembre 1983, doit être interprétée comme s'appli
quant dans la mesure où ces condamnations ont été ou seront exécutées".
Attendu que le 29 juillet 1988 le CREDIT LYONNAIS a fait assigner
les consorts CANNEBOTIN devant le Tribunal de grande instance de Bastia
en restitution de sommes versées en exécution de l'arrêt du 24 novembre
1986, dont le caractère indu résulte de l’arrêt interprétatif du 30 juin 1987.
Attendu que par jugement du 31 octobre 1989 le Tribunal de grande
instance de Bastia a fait droit à cette demande, après avoir rejeté les moyens
d'incompétence soulevés par les consorts CANNEBOTIN au profit de la Cour
de ce Siège, par eux considérée comme seule compétente pour statuer sur une
difficulté d'exécution et d'interprétation de son arrêt du 30 juin 1987.
Attendu que sur l'appel des consorts CANNEBOTIN, la cour d'appel de
Bastia, par arrêt du 27 juin 1991, a dit que le Tribunal de grande instance de
Bastia n'avait pas compétence pour interpréter comme il l’a fait l'arrêt
interprétatif du 30 juin 1987 et a renvoyé la cause et les parties devant la
Cour de ce siège aux fins d'interprétation de cet arrêt.
Attendu qu'en exécution de cet arrêt de renvoi, le CREDIT LYON
NAIS a conclu au débouté des demandes des consorts CANNEBOTIN et à
leur condamnation au paiement de la somme de 10.000 F en application de
l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, en demandant à la Cour
d'interpréter l'arrêt interprétatif du 30 juin 1987 en rédigeant le dispositif à
partir du 4ème alinéa de la manière suivante :
Dire que le CREDIT LYONNAIS sera dans l'obligation de restituer aux
consorts CANNEBOTIN, non seulement les fonds reçus de ces derniers,
mais encore les fonds qu'ils pourraient recevoir de tiers, notamment de
tiers saisis à la suite de mesures d'exécution ;
- Dire enfin que les condamnations (condamnations exécutées) ne peuvent
concerner que les fonds reçus par le CREDIT LYONNAIS et non pas les
55
sommes simplement mentionnées dans une condamnation, sans que cette
dernière soit suivie d'un paiement effectif'.
Que la Banque a notamment fait valoir au soutien de sa requête qu'aux
termes de l’arrêt interprétatif du 30 juin 1987 elle devait indemniser les
consorts CANNEBOTIN du montant des seules condamnations effectivement
exécutées à leur encontre et que tel n'était pas le cas d'une saisie-arrêt prati
quée entre les mains de l’ONIVIT au préjudice des consorts CANNEBOTIN,
validée par jugement du 27 juin 1984 du Tribunal de commerce de Bastia
mais n'ayant donné lieu à aucun règlement avant sa mainlevée amiable le 22
janvier 1987, en sorte qu'elle est fondée à obtenir répétition des sommes
indûment versées aux consorts CANNEBOTIN antérieurement à l'arrêt
interprétatif.
Attendu que les consorts CANNEBOTIN ont conclu aux fins
suivantes :
- Irrecevabilité de la demande d'interprétation, aux motifs d'une part que
l'article 461 du Nouveau Code de Procédure Civile ne prévoit pas la
possibilité d'interpréter une décision interprétative, d'autre part qu'aucune
erreur ou omission n'autorise la rectification, conformément à l’article
462 du Nouveau Code de Procédure Civile, de l'arrêt interprétatif qui
n'était susceptible que d'un pourvoi en cassation, sa teneur ne pouvant
être modifiée sans méconnaître l'autorité de la chose jugée.
- Subsidiairement, rejet de la demande qui doit être déclarée infondée, le
jugement de validation de saisie-arrêt emportant exécution complète dès
lors qu'il attribue au saisissant les sommes dues à son débiteur par le tiers
saisi, ce qui constitue un paiement.
- Très subsidiairement, rejet des moyens du CREDIT LYONNAIS relatifs
à la répétition de l'indu, étrangers à la demande d'interprétation.
- Condamnation du CREDIT LYONNAIS à leur payer la somme de
23.720 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure
Civile.
II • M otifs de la décision : Attendu que, bien que les
dispositions de l'article 461 du Nouveau Code de Procédure Civile n'excluent
pas l'interprétation incidente d'une décision par une juridiction autre que celle
qui l'a prononcée, la Cour de Bastia ayant déclaré la Cour de ce siège seule
compétente pour procéder à l'interprétation de son arrêt interprétatif du 30 juin
1987, cette désignation s’impose aux parties et au Juge de renvoi, en
application de l'article 96 alinéa 2 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Attendu que la demande en interprétation est recevable sur le
fondement de l'article 461 du Nouveau Code de Procédure Civile, dans la
mesure où, concernant l'arrêt interprétatif du 30 juin 1987 qui s'incorpore à
l'arrêt du 24 novembre 1986, elle tend à préciser le sens de cette décision
interprétée ;
Mais attendu que le recours à la procédure d'interprétation suppose que
les dispositions de la décision concernée soient entachées de contradiction ou
d'ambiguïté, en sorte que les parties ne pourraient en déterminer la portée sans
le concours du Juge ; que tel n'est pas le cas en l'espèce, où nul ne peut se
méprendre sur le sens de la condamnation du CREDIT LYONNAIS à payer
aux consorts CANNEBOTIN le montant des condamnations qui "ont été ou
seront exécutées" à leur encontre au titre des effets tirés sur SIEGEL, par arrêt
de la cour d'appel de Bastia du 22 novembre 1983 ;
�56
Que si la notion d'exécution a pu être différemment analysée par
chacune des parties, notamment en ce qui concerne les effets d'une saisie-arrêt
validée, cette controverse ne procède pas d'une obscurité des termes de l'arrêt
rectifié mais d'une difficulté, réelle ou artificielle, de mise en oeuvre de ses
dispositions claires et précises, étrangère à leur contenu ;
Attendu qu'il n'y a donc pas lieu à interprétation, et qu'en application
de l’article 570 du Nouveau Code de Procédure Civile l'exécution de l'arrêt du
24 novembre 1986 rectifié le 30 juin 1987 n'appartient pas à la Cour de ce
siège, dès lors qu elle ne l'a pas expressément retenue ;
Attendu qu'aucune considération d'équité ou tirée de la situation
économique des parties ne justifie l'application de l'article 700 du Nouveau
Code de Procédure Civile et que les dépens doivent demeurer à la charge du
CREDIT LYONNAIS en raison de sa succombance sur le principe de la
demande d'interprétation.
OBSERVATIONS :
Le lieu de l'interprétation est bien ce crépuscule du sens, cet
"entre-deux", déserté par l'oiseau de M inerve, où l'obscur et le
clair ont échangé leurs parts. Ainsi voit-on un interprète, invité à
s'interpréter lui-même, éclairer les parties sur les raisons pour
lesquelles, en l'espèce, "interprétation sur interprétation ne vaut",
et donner chemin faisant le sens de la procédure en interprétation
d'arrêt, c'est-à-dire, somme toute, interpréter l'interprétation (2e
esp.). Ainsi voit-on encore un interprète, afin d'expliquer com
ment un arrêt, en "ajoutant" au jugem ent de première instance,
n'y a en vérité rien "ajouté" du tout, interpréter l'arrêt pour
montrer qu’il n'y a pas lieu à l'interpréter (le esp.)...
On en vient alors à se demander si en droit, le "clair" n'est
pas de l'ordre de la divination, si "dire le clair" n'est pas une
sorte de mission delphique. En ces deux espèces, la partie
succombante dans le principe de l'interprétation n'est assujettie
qu'aux dépens, aucune condamnation n'étant prononcée au titre
de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Est-ce
parce que la Cour a pensé qu'il n'était pas équitable de
sanctionner outre mesure la partie qui n'a pas su voir le clair,
même le "parfaitement clair" (selon les termes du premier arrêt) ?
Le clair, semble-t-il, n'est pas évident.
Rien n'est plus... "clair", pourtant, en apparence, que les
principes gouvernant la requête en rectification d’arrêt. La
seconde décision commentée rappelle ces principes de manière
toute pédagogique : "le recours à la procédure d'interprétation
suppose que les dispositions de la décision concernée soient
entachées de contradiction ou d'am biguïté, en sorte que les
parties ne pourraient en déterminer la portée sans le concours du
Juge". C'est interpréter une décision que dissiper une contra-
57
dicüon entre deux chefs de son dispositif (1) voire rétablir dans le
dispositif ce qui y était im plicitem ent mais nécessairement
compris (2). La procédure en interprétation d'arrêt n'a pas pour
mission de trancher une controverse juridique supposée ou réelle,
de prendre parti sur une notion de droit, surtout lorsque les
parties ne sont pas censées en méconnaître la définition (3). Dire
le clair n'est pas dire le droit.
En d'autres term es, l'interprétation d'un arrêt a lieu
exactement dans les mêmes cas et avec les mêmes limites que
l'interprétation d'un contrat. Il n'y a lieu à interpréter que les
dispositions obscures ou ambiguës de la décision, non celles qui
sont claires et précises (4). La parenté des méthodes d'inter
prétation dans les deux cas est patente. De même que les
stipulations contractuelles s'éclairent souvent les unes par les
autres, le premier arrêt ici commenté se livre à une interprétation
"contextuelle" de la formule "confirmant pour partie le jugement,
le réformant au surplus et y ajoutant". Il n'empêche. Pour
conclure à la parfaite clarté de l'arrêt à interpréter, la Cour est
contrainte de se livrer à une analyse détaillée afin de faire
comprendre aux parties que l'expression "y ajoutant" ne vise pas
une opération "arithmétique" (d'addition ou de majoration des
chiffres de condamnation) mais "juridique" (d'examen de chefs
de demandes, nouveaux par rapport à la décision de première
instance, mais néanmoins recevables). Pour dire qu'il n'y a pas
lieu à interprétation, les magistrats sont donc bel et bien obligés
"d'interpréter" le terme "ajouter". Dire ce qu'il y a lieu (ou ce
qu'il n'y a pas lieu) à interpréter, c'est déjà interpréter !
En d'autres termes encore, il ne faut pas que, sous prétexte
d'interprétation, d'un jugem ent rendu, les parties essayent
d’obtenir une nouvelle décision constitutive ou attributive de
droits. Il ne s'agit pas d’obtenir une "modification d'arrêt" (5).
L'arrêt interprétatif n'ajoute -ni, d'ailleurs, ne retranche- rien à
l'arrêt interprété : il l'explique (6). Le recours en interprétation est
un très proche parent du recours en rectification d'erreur
matérielle, même si l'un concerne en quelque sorte le "negotium"
(1) Civ. I, 3 juillet 1979. JCP 1979. IV. 302 ; 25 mai 1983, Bull. Civ. I n°154.
(2) en ce sens Civ. D. 7 juin 1978. Gaz. Pal. 1979, 1, 24, note VIATTE ; Corn. 9
janvier 1990, Gaz. Pal. 1990. 2, pan. 14). En revanche, la demande
d'interprétation qui ne présente qu'un intérêt "doctrinal" n'est pas recevable (Crim.
8 novembre 1962, D. 1963, 432.
(3) rappr. Aix 10 décembre 1993. ci-dessus reproduit, et Com. 7 octobre 1981,
Bull. Civ. IV, n°349.
(4) Civ. I, 5 décembre 1962. Bull. Civ. I, n°522 ; Soc. 18 novembre 1982, Bull.
Civ V n°628.
(5) Paris 3 avril 1978, Bull, avoués 1979. n°70, p.30 ; Civ. II, 3 mai 1990, JCP
1990, IV, 244.
(6) Civ. I. 8 novembre 1976, Bull. Civ. I, n°332.
�58
tandis que l'autre regarde T instrum entum ". Le recours en
interprétation doit être cantonné à ce qu'on pourrait appeler la
"rectification d'obscurité intellectuelle". Les recours des a rt 461
et 462 du Nouveau Code de Procédure Civile sont d'ailleurs
tellement voisins (1) que le jugement interprétatif se réfère parfois
à une omission matérielle dans le jugement interprété (2).
Il est bon de rappeler que le recours en interprétation a
malgré tout une autonomie par rapport au recours en rectification,
ne serait-ce que par ses conditions (comp. art. 461 a l.l NCPC,
tout juge peut interpréter sa décision si elle n'est pas frappée
d'appel ; art. 462 al. 1 : le juge peut rectifier ses erreurs
matérielles même si sa décision est passée en force de chose
jugée). Mais il n'en demeure pas moins que l'objet du recours
doit être limité. Il ne consiste qu'à interpréter une "décision”, non
à interpréter une "règle" ou une notion juridique. Il restitue le
sens et la portée de la sentence, mais ne recherche pas le sens et la
portée de la loi. Force est cependant de constater que les parties
ont énormément de mal à le comprendre, comme en témoigne le
second arrêt rapporté, où, une première décision interprétative
n’ayant pas suffi à convaincre l'un des plaideurs, celui-ci
recherchait, sous couvert d'une nouvelle interprétation de cet arrêt
interprétatif, à obtenir la définition d'une notion juridique, celle
d"’exécution", notamment en ce qui concernait les effets d'une
saisie-arrêt validée. La Cour refuse de dispenser aux parties un
cours de droit (qui aurait été bien utile... aux professeurs de
droit, car la notion d'exécution est un sujet de perplexité, peutêtre même un sujet de thèse). Mais les justiciables sont-ils si
coupables de demander au juge, qui connaît le droit, de le leur
expliquer ? D'autres affaires ont montré que la frontière entre
interprétation de la décision et interprétation de la règle n'est pas
si nettement tracée. Par exemple, est un arrêt interprétatif celui qui
précise que la juridiction, en employant l'expression "décision
définitive" a voulu parler d'une "décision irrévocable passée en
force de chose jugée" (3). Pourtant, il y avait bien là définition
d'une notion juridique et explication d’une règle de droit (relative
à la qualification et aux effets des jugements).
Aussi ne retiendra-t-on pas seulement des arrêts commentés
les enseignements qu'ils apportent quant au régime du recours en
interprétation. Ces enseignements ne sont pas négligeables. A
savoir, que la compétence du juge qui a rendu la décision n'exclut
pas l'interprétation incidente par une autre juridiction (4) sauf
(1) V. A. Dorsner-Dolivet. "A propos du recours en rectification". Rev. trim. dr.
(civ. 1989, p.205 et s., spéc. p.222.)
(2) rappr. Com. 20 février 1985. Bull. Civ., n° 76.
(3) Com. 19 janvier 1981. Bull. Civ IV. n°36, D.1982, IR 168, obs. Julien.
(4) - cf. Civ. I. 18 janvier 1989. Bull. Civ. I, n°22.
59
lorsque celle-ci s'estime incompétente et renvoie l'affaire au juge
"auteur" de la décision, ce renvoi s'imposant au juge et aux
parties en vertu de l'art. 96 al.2 NCPC (1). A savoir encore (2)
que la partie succombante, condamnée aux dépens, n'est pas
forcément l'auteur du recours en interprétation déclaré sans objet,
mais celle "dont la fausse interprétation a rendu nécessaire
l’incident", celle autrement dit, à qui le dérangement causé à la
juridiction, est imputable. A savoir enfin que le recours en
interprétation d'un arrêt lui-m êm e interprétatif n'est pas
totalement exclu. L'une des parties le prétendait dans la seconde
espèce, mais la Cour déclare ce recours recevable, et, si elle dit
n'y avoir lieu à interprétation, c'est uniquement en raison des
circonstances propres à la cause.
Cependant, c'est au regard de la notion même d'interpré
tation selon l'art. 461 NCPC que ces arrêts sont surtout
révélateurs. Leur "interprétation" de la notion d'interprétation est
d'un classicisme irréprochable (3). Mais il est inquiétant qu'il
faille au juge des efforts aussi souvent répétés pour faire
comprendre aux plaideurs quel doit être le bon usage d'une voie
de droit dont les bornes sont, en principe, "clairement" posées.
La seule explication honnête de cette incompréhension est que le
recours en interprétation, s'avère une procédure sinon "obscure",
du moins foncièrement "ambiguë".
Emmanuel PUTMAN
Professeur à la Faculté de Droit
d'Aix-Marseille
(1) Aix 10 décembre 1993
(2) Aix 18 novembre 1993.
(3) rappr. Soc. 7 juillet 1983, Bull. Civ. V. n°433 ; Civ. Il, 16 juillet 1980, Bull.
Civ. II, n°185.
�60
- N 7 -
DE L’INCIDENCE DE LA FAUTE
DE LA POSTE SUR LA VALIDITÉ DE
LA SIGNIFICATION PAR VOIE D’HUISSIER
1. Acte de procédure / Signification d'un jugement /
Mentions de signification / Formule préimprimée /
Vérifications de pure forme (non) / Enonciations
précises distinctes d'une formule stéréotypée.
2. Signification Art. 659 du NCPC / Lettre
recommandée non réexpédiée / Nouvelle adresse
inconnue / Faute des services postaux (oui) /
Incidence sur la validité de la signification (non) /
Appel tardif (oui).
Aix - 1ère chambre B, 13 octobre 1993, n°538
Président : M. RANSAC - Avocats : Mes LOUNIS, MIMRANVALENSI
"Le fa it que des mentions puissent être préimprimées ou
avoir été portées à l'aide d'une imprimante type traitement de
texte, ne saurait être retenu comme un élém ent suffisant pour
considérer qu'elles seraient de p u re fo rm e , s'agissant
d'énonciations précises qui se différenciaient d'une formule
stéréotypée exclusive de toute précision de nature à permettre
l'exercice d'un contrôle sur la nature et le nombre des diligences
réellement exécutées".
"S'il est établi que la lettre recommandée (Art. 659 du
NCPC) n'a pas été réexpédiée à la nouvelle adresse, inconnue de
l'huissier, mais présentée à l'ancienne et retournée avec la
mention "non réclamée retour à l'en vo yeu r", circonstance
révélant une erreur des services postaux, celle-ci est toutefois
indépendante des formalités prescrites par l'art. 659 du NCPC, et
au surplus postérieure chronologiquement ; elle ne saurait donc,
pour ces motifs, avoir d'incidence sur leur validité et justifier
l'annulation de la signification sollicitée".
Faits et procédure : Par acte du 29 mai 1992 Madame LEPILLER
a relevé appel d'un jugement rendu le 9 mars 1992 par le Tribunal de Grande
Instance d'Aix-en-Provence dans une instance qui l'opposait à Monsieur DI
NARDO.
Par ordonnance en date du 13 mai 1993 le Conseiller de la Mise en
Etat a déclaré cet appel irrecevable comme tardif, la signification de la
décision entreprise ayant été effectuée le 24 avril 1992.
61
Par requête en date du 25 mai 1993 enrôlée le 28 mai 1993 Madame
LEPILLER a déféré cette ordonnance à la Cour lui demandant de la réformer
au motif que l'acte de signification est entaché de nullité et qu'il n'a pu, pour
cette raison, faire valablement courir le délai d'appel à son encontre.
A l'appui de son recours Madame LEPILLER fait valoir :
- Que la signification a été faite en la forme prévue à l'article 659 du
nouveau Code de procédure civile alors qu'elle avait régulièrement porté à la
connaissance de la poste sa nouvelle adresse et déposé un ordre de réexpédition
de son courrier le 19 août 1991.
- Qu’elle en justifie par une attestation du receveur.
- Qu'on ne s'explique pas, dans ces conditions, comment l'huissier n'a
pu parvenir à découvrir sa nouvelle adresse, et que la décision du Conseiller de
la Mise en Etat a pour effet de lui faire supporter les conséquences d'un
mauvais fonctionnement du service postal.
- Qu'il n'est pas justifié de l'envoi de la lettre prévue par l'article 659
du nouveau Code de procédure civile dans le délai fixé par ce texte à peine de
nullité, ni de la réalité des diligences effectuées autrement que par le visa de
mentions pré-imprimées.
Monsieur DI NARDO a conclu à la confirmation de la décision déférée
en faisant observer que l'acte de signification :
- Mentionne expressément la nature des recherches effectuées.
- A donné lieu à l'envoi de la lettre recommandée avec accusé de
réception prévue, qui est en date du 25 avril 1992.
Il soutient que le fait que les services postaux n'aient pas fait suivre le
courrier de Madame LEPILLER à sa nouvelle adresse n'est pas imputable à
l'huissier et ne constitue pas une cause de nullité de son acte qui satisfait aux
dispositions de l'article 659 du nouveau Code de procédure civile et doit être
reconnu parfaitement valable.
Monsieur DI NARDO conclut enfin à la condamnation de Madame
LEPILLER à lui payer la somme de 3.000 F pour frais irrépétibles.
Motifs : L’examen de l'acte de signification permet de vérifier que
l'huissier a mentionné les vérifications auxquelles il s'est livré pour
rechercher le nouveau domicile de Madame LEPILLER, et le fait que les
mentions puissent être pré-imprimées, ou avoir été portées à l'aide d'une
imprimante type traitement de texte, ne saurait être retenu comme un élément
suffisant pour considérer qu'elles seraient de pure forme, s'agissant en effet
d'énonciations précises, qui se différencient d'une formule stéréotypée
exclusive de toute précision de nature à permettre l’exercice d’un contrôle sur
la nature et le nombre des diligences réellement exécutées.
Il convient à cet égard de relever que Madame LEPILLER ne soutient
nullement qu elles n’auraient pas été exécutées ni n'apporte d'élément de
preuve qui permettrait de déceler une erreur, ou une omission de l'huissier
instrumentaire dans leur réalisation.
Les seuls points de critique véritable portent :
- Sur la date d'envoi de la lettre recommandée.
- Sur les conséquences à tirer de son défaut d'acheminement par les
services de la poste au nouveau domicile de Madame LEPILLER malgré
l'ordre de réexpédition dont elle justifie.
En ce qui concerne le premier point, il importe de relever que l'acte
précise que la lettre recommandée a bien été expédiée à la dernière adresse
�62
connue le 24 avril 1992, mention faisant foi jusqu'à inscription de faux, si
bien qu'en l'absence d'une telle procédure le moyen de nullité doit être rejeté.
En tout état de cause il ressort du cachet figurant sur l'enveloppe de
cette lettre qu'elle a été oblitérée le 25 avril 1992, soit dans le délai prescrit
par l’article 659 du nouveau Code de procédure civile, la signification étant en
date de la veille.
Sur le second point, il est établi que cette lettre n'a pas été réexpédiée à
la nouvelle adresse de Madame LEPILLER, inconnue de l'huissier, mais
présentée à l'ancienne le 27 avril 1992 et retournée avec la mention "non
réclamée retour à l’envoyeur ", circonstance révélant une erreur des services
postaux.
Celle-ci étant toutefois indépendante des formalités prescrites par
l'article 659 du nouveau Code de procédure civile, et au surplus postérieure
chronologiquement, elle ne saurait, pour ces motifs, avoir d'incidence sur leur
validité et justifier l'annulation sollicitée par Madame LEPILLER.
C'est en conséquence à bon droit que le Conseiller de la Mise en Etat a
rejeté les conclusions déposées par Madame LEPILLER à cette fin et déclaré
son appel irrecevable comme tardif.
ii'rt
hh
O B SER V A TIO N S :
A chaque fois que cela est possible, la signification doit être
effectuée à personne. C'est le principe posé à l'art. 654 du
NCPC, duquel découle un contrôle strict des investigations effec
tuées par l'huissier pour y parvenir. Toutefois, à l'impossible nul
n'étant tenu, il arrive que l'huissier ne puisse connaître ni le
domicile, ni la résidence ni le lieu de travail du destinataire de
l'acte. Le décret du 20 juillet 1989 (1) a abandonné la signifi
cation à Parquet (2) au profit d'une procédure plus simple et plus
efficace (3).
L'art. 659 prévoit désormais que l'huissier de justice dresse
un procès-verbal relatant avec précision les diligences qu'il a
accomplies pour rechercher le destinataire et le même jour, ou au
plus tard le premier jour ouvrable suivant, envoie à la dernière
adresse connue, par lettre recommandée avec demande d'avis de
réception, une copie du procès-verbal, à laquelle est jointe une
copie de l'acte objet de la signification. Le jour même, l'huissier
avise le destinataire, par lettre simple, de l'accomplissement de
cette formalité.
Par ce système, le bon père de famille ne devrait pas igno
rer l'acte même s'il n'est plus dom icilié à l'adresse que
connaissait le requérant. D'abord parce que l'huissier en allant
(1) E. BLANC, nouveau Code de procédure civile commenté dans l'ordre des
articles. Librairie du journal des instances et des avocats, p.428.
(2) Elle ne subsiste que pour les personnes demeurant dans les territoires Outre
mer : art 660 NCPC.
(3) Pour une appréciation défavorable : Pb. BERTIN, Encore du nouveau pour le
nouveau Code de procédure civile. G.P. 1986, 1, doctr. p.258.
63
signifier doit préalablement chercher à retrouver le destinataire ;
pour cela il a questionné les voisins, le gardien s'il en existe un,
l'employeur s'il le connaît. Ces diligences seront relatées, avec
précision, exige le décret, sur le procès-verbal qui sera dressé
lorsque les recherches s'avéreront infructueuses ou ne permet
tront pas à l'huissier de procéder lui-même à la signification
(parce qu'il ne serait plus territorialem ent compétent par
exemple). Il est donc possible que l'huissier découvre la nouvelle
adresse ce qui permettra de tenter une signification à personne. La
protection du destinataire est ensuite assurée par l'envoi de deux
courriers à la dernière adresse connue ; l'un recommandé avec
demande d'avis de réception, l'autre simple.
Les rédacteurs du décret ont ici cherché à couvrir toutes les
éventualités, y compris celle d'un destinataire aux abois ou négli
gent qui refuse le recommandé ou oublie d'aller le retirer, mais
ouvrira une lettre simple. Toutefois ces courriers n'ont une
chance de toucher le destinataire que tout autant, qu'en bon père
de famille, il a déposé auprès des services postaux un ordre de
réexpédition. Si son objectif était de disparaître sans laisser de
traces, la signification ne pourra le toucher, mais le procès-verbal
art. 659 établira les efforts du requérant pour réaliser la signi
fication et lui perm ettra de s'en prévaloir. Le système est
susceptible de donner lieu à des contestations de deux ordres,
relatives respectivement, à la réalité des diligences effectuées par
l'huissier et à l'efficacité des courriers envoyés à la dernière
adresse connue. L'arrêt du 13 octobre illustre ces deux questions.
Une dame relève appel d'un jugement une fois le délai expiré. Le
conseiller de la mise en état le déclare irrecevable et l'ordonnance
est déférée à la Cour au m otif que l’acte de signification est
entaché de nullité. L'appelante invoque deux arguments :
- Elle reproche à l’huissier de n'avoir pu découvrir sa nouvelle
adresse alors que les services postaux la connaissaient
puisqu'elle avait déposé un ordre de réexpédition.
- Elle conteste en outre que la lettre recommandée avec
demande d'avis de réception ait été envoyée dans le délai de
l'art. 659, et que les diligences attestant des recherches de
l'huissier soient réelles car elles se résument au visa de
mentions pré-imprimées.
I - La Cour va com m encer par écarter le grief fait au
contenu de l'acte de signification. L'étude de la jurisprudence
révèle en effet l'exigence de réelles investigations que ce soit à
l'occasion d'une signification à personne ou d'un art. 659 (1) et
le rejet par certaines juridictions de formules de style imprimées à
(1) Four approuver ces exigences. R. PERROT, RTD civ. 1981, p.206, 897 ; RTD
civ. 1984. 362.
�65
l'avance et cochées ou non par une croix (1). Cependant,
l'appréciation de la réalité des investigations de l'huissier est une
question de fait ; l'emploi d'une formule préimprimée constate la
Cour, ne permet pas d’affirmer que les vérifications auxquelles
l'huissier s'est livré avaient été de pure forme. En l'espèce la
lecture de l'acte faisait apparaître des énonciations précises
différentes, estime la Cour, d'une formule stéréotypée exclusive
de toute précision de nature à permettre un contrôle sur la nature
et le nombre des diligences réellement exécutées (2). Le détail de
ces investigations n'est pas repris dans l'arrêt et il nous faut donc
nous en tenir à l’appréciation de la Cour. Il est clair cependant
que le réel travail de recherche des l'huissier ne doit pas être
contesté sous prétexte qu'il ne relate plus à la main ses diligences,
ni même qu'il les fait taper. Le cadre pré-imprimé, si ses termes
sont bien pensés, peut faire gager du tem ps sans exclure
l'effectivité ; l'indication du nom des voisins ou du gardien
interrogés en attestera. La Cour note ici que l'acte contenait des
énonciations précises permettant un contrôle de la réalité des
diligences effectuées.
Autre reproche qui se rattache au contenu de l'acte de
signification : la date d'envoi de la lettre recommandée. L'art. 659
impose, en effet, cet envoi le jour même du procès-verbal, ou, au
plus tard le premier jour ouvrable suivant ; cette exigence est
posée à peine de nullité de l'acte, dispose l'art. 659, et cette
sanction est réaffirmée à l'art. 693 du NCPC. Com ment établir le
respect par l’huissier de ce délai ? Lorsqu'un recommandé est
adressé avec demande d’avis de réception, les services de la poste
font retour à l'expéditeur de cet avis, une fois celui-ci délivré ou
une fois expiré le délai accordé au destinataire pour retirer la
lettre. Sur l'avis figure toujours le cachet d'expédition et
éventuellement la signature du destinataire qui reçoit la lettre ainsi
que la date de réception ou de délivrance. Le texte de l'art. 659
évoque la date d'envoi de la lettre, c'est-à-d ire la date
d'accomplissement de l'obligation qui peut donc être différente
du cachet de la poste. S'agissant d'un acte d'huissier la question
de la preuve est toutefois simplifiée : le procès-verbal indique
toutes les diligences accomplies par l'huissier, recherches et
envoi des courriers. Les m entions font donc foi jusqu'à
inscription en faux (3). En l'espèce, l'acte de signification daté du
(1) Civ. 2°. 10/12/1985. B.C. II. p.265 ; Civ. 2°. 18/03/1981, B.C. U. n°68,
p.44 ; Paris 22/11/1990. Bull. Avoués 1990, 4, 119 ; Rennes 12/11/1987, G.P.
86, 341.
(2) Contra. Aix 1° chambre A, 18/11/1993, Bull. Aix 1993-2, pour une hypothèse
où de la formule pré-imprimée ne ressortaient pas les diligences effectuées.
(3) Jurisclasseur procédure, fasc. 626, n°17 ; Cass. civ. II, 20/11/1991, B.C. Il
24 Avril faisait référence aux courriers expédiés le même jour et
le cachet de la poste était du lendemain. Le problème pourrait se
poser plus délicatement si l'acte portait une date très antérieure au
cachet de la poste ; le destinataire aurait-il alors des arguments
pour s'inscrire en faux ? (1)
Une fois déclarée la signification, art. 659, conforme aux
dispositions du décret, restait la question du changement
d'adresse.
Il • Le reproche fait par l’appelante était le suivant :
La nouvelle adresse avait été portée à la connaissance de la
poste par un ordre de réexpédition ; l'huissier n'aurait donc pas
dû faire une signification art. 659, il aurait dû parvenir à
découvrir la nouvelle adresse.
La Cour, quant à elle, résume l’argumentation ainsi : il faut
chercher les conséquences du défaut d'acheminement de la lettre
au nouveau domicile, malgré l'ordre de réexpédition.
Or les deux présentations des faits ne sont pas identiques :
Pour l'appelante l'huissier est en tort parce qu'il a signifié
selon l'art. 659. On ne peut cependant lui en faire grief. Se
présentant à l'ancienne adresse il apprend que la dame n'y réside
plus mais ne peut découvrir sa nouvelle adresse. La signification
art. 659 s'impose (2), et avec elle l'envoi des deux lettres. Une
fois les lettres expédiées se greffe une difficulté. Si les services
postaux avaient bien fait leur travail, les deux lettres auraient
touché leur destinataire et sur le retour de l'avis de réception
l'huissier aurait appris la nouvelle adresse. Or la lettre, nous dit la
Cour, a été présentée à l'ancienne adresse, l'avis de passage y a
été laissé et la lettre est finalement revenue à l'huissier avec la
mention "non réclamée". Ainsi la faute des services postaux est
certaine et elle est peut être double. C’est à la fois le facteur qui
est en tort pour ne pas avoir, lors de la tentative de remise de la
lettre recommandée, constaté que la dame n'habitait plus à
l'adresse indiquée, et le service de tri qui a commis une faute
puisque les courriers n'ont pas été réexpédiés.
Le retour de l'avis est effectué "faute de réclamation" et non
"N.P.A.I." (n'habite pas à l'adresse indiquée), ne permettant pas
à l'huissier d'apprendre le déménagement. Fort justement, la
Cour distingue entre le comportement de l'huissier et celui de la
poste. Les obligations de l'art. 659 sont respectées ; l'art. 659
s'imposait faute d'information sur l'adresse nouvelle. L'erreur de
la poste est "indépendante des formalités de l'art. 659". Il serait
(1) Jurisclasseur procédure, fasc. 626 n°52 et s. ; Paris 12/2/1991, ord. CME et sur
déféré Paris 29/5/1991, Bull. Avoués 91. 2, 50.
(2) Sur le problème de réexpédition et du secret professionnel auxquels sont
assujettis les agents de l'Administration des Postes, voir rép. Q.E. n° 15399, JCP
87, IV, 269.
�67
plus exact de dire d'ailleurs que l'acheminement du courrier est
indépendant du travail de l'huissier. Dès lors, les modalités de cet
achem inem ent sont sans incidence sur la validité de la
signification.
La signification est valable, il n'en dem eure pas moins
qu'elle est ici inefficace. La protection instaurée par l'art. 659 n'a
pas joué.
Faut-il le déplorer ? On pourra toujours arguer de ce que
l'appelante est en droit d'agir en responsabilité contre la poste qui
ne l'a pas mise en mesure d'exercer son recours en temps utile
alors qu'elle avait fait ce qu'il fallait pour que son courrier lui soit
transmis à sa nouvelle adresse.
En l'occurrence, le jugement a été rendu le 9 mars 1992 et
l'ordre de réexpédition, donc le déménagement, est en date du 19
août 1991. L’engagement que prennent les services postaux de
réacheminer le courrier est limité dans le temps à un an. En mars
1992 les services postaux étaient toujours tenus de leur obliga
tion. Il est alors anormal que, lors du tri, les lettres de l'huissier
n'aient pas été réaiguillées vers la nouvelle adresse. A cette faute
s'ajoute en outre celle du facteur qui a laissé un avis alors que le
destinataire n'habitait plus à l'adresse indiquée. Cependant,
n'appartenait-il pas à cette dame, partie à un procès, d'aviser son
adversaire de son changement d'adresse ? Elle fut diligente en
son temps en déposant un ordre de réexpédition de son courrier
mais elle ne pouvait prévoir la durée de la procédure de première
instance et donc l'époque du délibéré. La r&xpédition du courrier
pendant un an était-elle une mesure suffisante ?
Enfin, dernière considération de fait : la signification est en
date du 24 avril 1992, le délai d'appel a donc expiré le 24 mai
1992 ; or le recours est exercé le 29 mai 1992. Comment le
jugement a-t-il été finalement connu par la dame ? L’arrêt n'y fait
pas allusion. Est-ce que la lettre simple lui est parvenue ? Est-ce à
la suite d'une tentative d'exécution qu'elle a appris la teneur du
jugement ? (tentative dont il faudrait souligner la célérité !). De la
date à laquelle elle a finalement eu connaissance de la décision
pouvait se déduire la négligence de l'appelante, voire l'absence de
préjudice (1).
En tout état de cause, on ne peut qu'approuver la solution
de la Cour. Les dispositions de l'art. 659 ne prétendent pas
assurer à tout coup une signification à personne : elles combinent
protection du destinataire de l'acte et droit du requérant à se
prévaloir d'une signification lorsqu'ont été accomplies, à la fois
(1) Or la nullité encourue ici est une nullité de forme, art. 114 du NCPC, qui
nécessitait en outre la démonstration d'un grief.
les investigations habituelles, et les formalités d'envoi de
courriers.
Le système peut avoir des faiblesses, notamment parce
qu'il fait intervenir un tiers à l'acte, les services postaux, mais la
validité de l’acte ne peut dépendre que des diligences de
l'huissier. Il était bon de l'affirm er et d'attirer l'attention des
parties à un procès sur l'intérêt qu'il y a pour elles d'informer
leur adversaire de leur changement d'adresse, faute de quoi, seule
demeure la protection de l'art. 659 ... avec ses limites !
Anne LEBORGNE
Maître de Conférences
Faculté de Droit d'Aix-Marseille
�68
69
- N 8 -
LA LÉGITIMITÉ DE LA CLAUSE
DE NON-CONCURRENCE
(Une des premières applications du critère dégagé
par la Cour de cassation)
Contrat de travail / Clause de non-concurrence /
Validité (oui) / Intérêts légitimes de l'entreprise /
Importance des fonctions du salarié / Vendeur très
qualifié.
Clause pénale / Office du juge / Réduction / Préjudice
partiellement réparé par des dommages et intérêts dus
par l'employeur complice.
Aix - 9° chambre - 16 juin 1993 - n° 531
Battaglio Gérard c/ S.A.R.L. Autoban
I - F aits, p ro c é d u re et m oyens des parties :Gérard
BATTAGLIO a été embauché le 7 janvier 1985 en qualité de livreur par la
S.A.R.L. AUTOBAN. A la suite de sa démission, survenue le 1er janvier
1990, son ancien employeur a saisi le Conseil de Prud'hommes de Grasse,
demandant la condamnation de son ancien employé à lui payer la somme de
52 040,00 F à titre de dommages et intérêts pour non respect de la clause de
non-concurrence et celle de 2 000,00 F, sur le fondement de l’article 700 du
nouveau Code de procédure civile.
Par jugement du 5 novembre 1990, le Conseil de Prud'hommes a fait
droit à l'intégralité des demandes.
De ce jugement, notifié le 16 novembre 1990, BATTAGLIO a
régulièrement relevé appel le 7 décembre 1990. Il conclut à la réformation de
la décision entreprise au motif que la clause de non-concurrence serait illicite
ou, à tout le moins, excessive dans ses conséquences et conclut
subsidiairement à la limitation du montant des dommages et intérêts réclamés
par la société intimée. Cette dernière conclut à la confirmation de la décision
entreprise et à la condamnation de l’appelant à lui payer la somme de
8 000,00 F sur le fondement de l'article 700 précité.
II • Motifs et décision de la C our : Attendu que BATTAGLIO
a, lors de son engagement par contrat à durée indéterminée du 7 janvier 1985,
en qualité de livreur, pris connaissance de la clause de non-concurrence,
insérée audit contrat et rédigée en ces termes :
«En cas de rupture du présent contrat, quelle qu'en soit la cause,
BATTAGLIO s'interdit de s'intéresser directement ou indirectement, ou pour
le compte d ’un tiers, à une entreprise concurrente de vente ou de
représentation de pièces détachées pour autos et motos, ou d'entrer au service
d’une telle entreprise en qualité d'employé ou de représentant ou tout aune
titre. Cette interdiction s'appliquera pendant les deux années commençant à
courir au jour de la rupture du contrat. Elle est limitée à la région des Alpes
Maritimes. En cas de contravention aux dispositions relatives à l'interdiction
de la concurrence, BATTAGLIO sera redevable envers la Société AUTOBAN
d'une somme égale à la rémunération perçue par lui pendant les deux
premières années avec un minimum de 10 fois son salaire perçu le dernier
mois, sans préjudice du droit pour AUTOBAN de faire cesser la concurrence
par tous les moyens légaux».
Attendu que pour critiquer la décision des premiers juges qui ont
déclaré la clause de non-concurrence sus énoncée applicable aux actes de
concurrence déloyale reprochés au nouveau salarié de la Société STOP AUTO
vis-à-vis de son ancien employeur, l'appelant prétend que sa faible
qualification de magasinier, alors qu'il n'aurait eu ni n'aurait aucun rapport
avec la clientèle rendrait illicite ladite clause quant à sa généralité et à son
étendue territoriale et qu'il appartient "au juge" d'en apprécier la portée au
regard de la commune intention des parties ;
Attendu que l'appelant soutient également que selon les dispositions de
l'article 1229 du Code civil, la Société intimée ne pouvait à la fois réclamer
le paiement d'une clause pénale et l'exécution forcée de l'obligation principale
dont l'inexécution est sanctionnée par l'application de cette clause pénale ;
Attendu, enfin, qu'il soutient que cette clause est manifestement
excessive eu égard au préjudice subi par la Société et par rapport aux facultés
de l'appelant ; qu’il conviendrait, en tout état de cause, de modérer l'indemnité
contractuelle prévue pour non respect de la clause de non-concurrence ;
Attendu que la clause de non-concurrence sus énoncée ne présente
aucun caractère de généralité ni d’étendue territoriale ou dans le temps pouvant
faire prendre à cette clause un caractère excessif quant aux interdictions
convenues, et qu'en conséquence ce moyen sera rejeté ;
Attendu qu’il est constant qu'après avoir travaillé pour la Société
AUTOBAN pendant plus de 5 années, Gérard BATTAGLIO, ainsi que
plusieurs autres anciens employés de cette même société, ont été embauchés
par la Société STOP AUTO, exerçant une activité commerciale identique, et
connaissant parfaitement la clause de non-concurrence qui liait ce salarié ; que
Gérard BATTAGLIO ne conteste pas avoir exercé une activité professionnelle
similaire à celle précédemment exercée ;
Que, contrairement aux prétentions de l'appelant, ce dernier n'avait pas
la simple qualification de magasinier mais celle de vendeur très qualifié ainsi
qu'en attestent les bulletins de paye versés aux débats ; qu'ainsi l'argument
selon lequel il n'aurait eu aucun contact avec la clientèle est infondé, et qu'il
doit être considéré qu'en raison des fonctions du salarié la clause de nonconcurrence a pu conventionnellement être estimée comme indispensable à la
protection des intérêts légitimes de l'entreprise, qu'en conséquence le
jugement sera confirmé en ce qu'il a constaté la violation de la clause de nonconcurrence ;
Attendu qu'en ce qui concerne les conditions d'application des
dispositions de l'article 1229 du Code Civil, la seule obligation qui était faite
au salarié était de ne pas commettre d'actes de concurrence déloyale, dans la
région des Alpes Maritimes, pendant une période de deux années après la
cessation de ses relations contractuelles avec son ancien employeur, actes
pour lesquels la Société STOP AUTO, nouvel employeur de l'appelant a par
ailleurs été condamnée par arrêt de la Cour de Céans en date du 17 juin 1992,
versé aux débats, non sérieusement contestés, et que cette obligation n'ayant
�70
pas été respectée, après mise en demeure, la clause pénale, compensation des
dommages et intérêts pour inexécution de l'obligation principale, pouvait
recevoir application et que dès lors ce moyen sera rejeté ;
Attendu que la Société AUTOBAN qui prétend à la confirmation de la
décision entreprise, ne conclut pas sur la demande de modération de
l'indemnité contractuelle convenue en cas de non respect de la clause de nonconcurrence qui n'est pas destinée à réparer les conséquences dommageables de
l'inexécution d'une obligation mais qu'en vertu des dispositions de l'article
1152 du Code civil, le juge, même d'office, peut modérer eu égard à son
caractère manifestement excessif ;
Qu'il convient d'observer que l'arrêt de la Cour de Céans sus visé a
pour les mêmes actes de concurrence déloyale condamné la Société STOP
AUTO à payer à la Société AUTOBAN la somme de 40 000,00 F à titre de
dommages et intérêts ; que manifestement la somme de 52 040,00 F au
paiement de laquelle l'appelant a été condamné est excessive eu égard à
l'importance du préjudice, réellement subi par l'employeur, compte tenu de
l’arrêt du 17 juin 1992, et de l'obstacle particulièrement important que le
montant forfaitaire convenu impose au salarié pour pouvoir retrouver du
travail ; que la décision des premiers juges sera réformée de ce chef, la Cour
fixant à 5 000,00 F le montant de l’indemnité due à la Société AUTOBAN ;
Attendu qu'eu égard à la différence de ressources respectives des parties,
il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la société intimée les
frais irrepétibles qu elle a dû engager pour assurer la défense de ses intérêts
devant la Cour et qu'en raison de sa succombance l'appelant sera débouté de sa
demande présentée sur le même fondement et condamné aux entiers dépens ;
Par ces motifs : La Cour, statuant publiquement, contradictoire
ment, et en matière prud'homale,
Confirme le jugement sauf en ce qui concerne le montant de
l'indemnité due par Gérard BATTAGLIO à la Société AUTOBAN que la Cour
réduit à 5 000,00 F ;
Déboute les parties de leurs demandes respectives fondées sur les
dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Condamne Gérard BATTAGLIO aux entiers dépens.
OBSERVATIONS :
Voici sans doute, l'une des premières applications par les
juges du fond de la nouvelle jurisprudence sur la légitimité d'une
clause de non-concurrence dégagée il y a peu par un arrêt de
principe de la chambre sociale.
En l'espèce, M. B., salarié démissionnaire de son emploi,
était embauché par un concurrent de son employeur, au mépris
d'une clause de non-concurrence inscrite au contrat de travail.
Condamné par un jugement du conseil de prud'hommes de Nice
au paiement de l'indemnité contractuelle prévue au contrat, le
salarié interjetait appel devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence
et invoquait l'illicéité de la clause d'abord, les conséquences
excessives de la pénalité contractuelle ensuite.
La cour d'appel confirme partiellem ent la décision des
premiers juges : elle constate d’abord qu'"en raison des fonctions
71
du salarié, la clause de non-concurrence a pu conventionnelle
ment être considérée comme indispensable à la protection des
intérêts légitimes de l'entreprise". Elle diminue par ailleurs le
montant de l'indemnité due par le salarié.
La cour se prononce ainsi au vu des circonstances
particulières de l'espèce sur la légitimité de l'insertion d'une telle
clause pour l'employeur, démarche qui se situe dans la lignée du
critère de licéité imposé à l'avenir par la Cour de cassation (I).
Elle contrôle également, très concrètement, la rigueur pour le
salarié des pénalités dont est assortie la violation de la clause
licite, usant ainsi du pouvoir modérateur classiquement reconnu
au juge en matière de clause pénale (II).
I - La légitimité de la clause de non-concurrence
pour l'employeur
A - La Cour applique le nouveau critère de «l'intérêt
légitime de l'entreprise»
Dans son arrêt du 16 juin 1993, la cour d'appel d’Aix-enProvence fait application du nouveau critère de licéité des clauses
de non-concurrence récemment dégagé par la Cour de cassation.
On sait qu'en vertu de la liberté du travail, promue au rang
de norme constitutionnelle (1), le salarié recouvre à l'expiration
des relations contractuelles, une pleine et entière liberté pour
entreprendre une activité indépendante (liberté d'établissement)
ou se mettre au service d'une entreprise (liberté de réembaucha
ge), sauf à se rendre coupable des faits de concurrence déloyale.
D se peut néanmoins que la concurrence développée par un ancien
salarié se révèle gravement préjudiciable pour une entreprise.
C'est la raison pour laquelle les praticiens ont inséré dans les
contrats de travail des clauses visant à restreindre cette liberté
post-contractuelle (2). En l'absence d'intervention législative en
la matière (3), la jurisprudence a consacré la validité de principe
des clauses de non-concurrence (4).
(1) Principe dont l'origine remonte au décret d'Allarde des 2 et 17 mars 1791
toujours en vigueur : art. 7 : "il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou
d’exercer telle profession, art ou métier, qu'elle trouvera bon".
(2) Pour l'insertion d'une clause de non-concurrence dans une transaction, V. cass.
soc. 5 janv. 1994. JCP éd. E. 1994. pan. 188.
(3) Réserve faite du droit local d’Alsace et Moselle. Pour les autres départements,
on noiera toutefois l'interdiction introduite par la loi n" 90-1259 du 31 déc. 1990
de stipuler une clause de non-concurrence dans les contrats de travail des avocats
salariés (art. 7 al. 5) ; V. not. Y. Serra, "La prohibition des clauses de nonconcurrence dans la nouvelle profession d'avocat". D. 1992, chr. p. 60.
(4) Sur une étude des clauses de non-concurrence, V. G. Cas, R. Bout, Lamy droit
économique. Concurrence - Distribution - Consommation, spéc. n* 1294 et s. et
1344 et s.
�72
La licéité d'une clause de non-concurrence suppose que
l'entreprise soit effectivement exposée au jeu de la concurrence de
son salarié. A défaut, elle serait nulle pour défaut de cause (1).
Pour autant, rares étaient les références jurisprudentielles à la
légitimité de la clause. Cette notion n'était consacrée que de
manière irrégulière ou considérée comme superflue (2), ce qui
permettait à un auteur de considérer qu"’à la passer trop sous
silence, on risque d'oublier qu'elle seule justifie la validité de
cette obligation (de non-concurrence)" (3).
Pourtant, la Cour de cassation m anifesta longtemps sa
totale opposition à cette manière d'appréhender la validité des
clauses (4). Sur le fondement de la liberté contractuelle visée à
l'article 1134 al. 1 du Code civil, elle dénia aux juges du fond le
pouvoir de substituer leur "appréciation de l'utilité pour l'em
ployeur de l’obligation imposée au salarié à la force obligatoire de
la convention des parties" (5). Ainsi, selon la chambre sociale,
aucune place ne devait être faite, dans l'appréciation de la licéité
de la clause, à l'examen de son utilité pour le créancier : elle est
légitime dès lors qu'elle a été librement consentie par les parties.
Devant la critique de la doctrine (6), les décisions des juges
du fond soumettant la validité des clauses de non-concurrence à la
vérification de l'existence d'un intérêt légitime se multiplièrent
(7). C'est dans ce contexte que la cour d'appel d'Agen, dans un
arrêt rendu le 19 septembre 1989, donnait l’occasion à la chambre
sociale de la Cour de cassation de "franchir le pas" (8), opérant
(1) V. en ce sens, les opinions de M. G. Lyon-Caen, "Les clauses restrictives de
la liberté du travail", Dr. soc. 1963. 88 et note sur cass. soc. 8 mai 1967, D.
1967, J 690 ; M. J. Pélissier, "Droit civil et contrat individuel de travail", Dr.
soc. 1988, 387, et la liberté du travail. Dr. soc., 1990, 19 ; Mme J. Amiel-Donat,
Les clauses de non-concurrence en droit du travail, Litec, 1988, spéc. p. 28 et s. ;
M. B. Teyssié, Droit du travail, 1 - Relations individuelles de travail, 2* éd., Litec,
1992, spéc. n* 641 et s.
(2) Sur la référence à la notion d'intérêt légitime : cass. soc. 4 janv. 1962, JCP
1962, D. 12522, note R. Lindon ; cass. soc. 4 mars 1970, Bull. civ. V, n' 155, p.
121 ; cass. soc. 25 sept. 1991. Bull. civ. V, n" 379, p. 236 ; en sens inverse,
notant son caractère superflu : cass. soc. 17 mai 1973, Bull. civ. V, n* 309, p.
279.
(3) Y. Tassel, "L'obligation de non réembauchage", Dr. soc. 1977, 180, spéc. n'
14.
(4) Cass. soc. 13 oct. 1988, Bull. civ. V, n° 494.
(5) Et ceci alors même que l'éventuel passage du salarié, conducteur de travaux, à
la concurrence ne présentait aucun risque concurrentiel particulier pour
l'entreprise.
(6) V. not. J. Amiel-Donat, note sur l'arrêt précité, JCP éd. E, 1989, D, 15474 ;
Y. Serra, sur le même arrêt, D. 1989, J, 122 et La non-concurrence en matière
commerciale, sociale et civile, Dalloz 1991, p. 177, n* 243.
(7) V. not. Poitiers, 6 févr. 1990, D. 1990, som. 332, obs. Y. Serra.
(8) Selon l'expression de M. G. Couturier, Droit du travail, 1 - Les relations
individuelles de travail, P.U.F, 1993, p. 319, n’ 191.
73
ainsi un revirement spectaculaire de jurisprudence le 14 mai 1992
(1). Pour la première fois, la Cour de cassation reconnaît de
manière explicite la légitimité de la clause de non-concurrence
comme condition de validité soulignant qu'"en raison des fonc
tions du salarié, la clause de non-concurrence n'était pas indis
pensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise".
Intéressante à plusieurs égards, cette décision présente
d'abord l'intérêt de mettre notre droit en harmonie avec les
législations étrangères (2). Elle présente ensuite l'avantage de
mettre un terme à la généralisation abusive des clauses de nonconcurrence dans les contrats de salariés, indépendamment de
leur qualification et du risque couru par l'entreprise (3). En effet,
la chambre sociale insiste bien sur le lien qui doit exister entre les
fonctions du salarié et l'intérêt de l'entreprise. Elle contribue,
enfin et surtout, à apprécier la validité des clauses par rapport à
leur fonction et non pas seulem ent par rapport à leurs
conséquences sur la situation du salarié. Certes, les conditions de
limitation spatiale, temporelle et quant à l'activité prohibée
demeurent, mais l'absence d'intérêt de l'employeur suffit à les
rendre illicites. Parce qu'elle porte atteinte à une liberté
fondamentale, les juges ont désormais la possibilité et le devoir
de vérifier si cette restriction correspond à un b eso in
indiscutable de l'entreprise. Il s'agit en somme, cas par cas, de
réaliser un nouvel équilibre entre l'intérêt de
l'employeur et la liberté du travail du salarié. C'est
justement à cet exercice de contrôle que se sont livrés les juges
aixois dans le litige opposant le sieur Battaglio à la Société
Autoban.
B - L'employeur a un intérêt légitime à imposer une
clause de non-concurrence à un vendeur qualifié
Appelés à la demande du salarié à vérifier la validité de la
clause, les juges du fond ont appliqué le nouveau critère dégagé
par la Cour de cassation. La clause était-elle indispensable à la
protection des intérêts légitimes de l'entreprise et était-elle
(1 ) Cass. soc. 14 mai 1992, Godissart c/ Soulhiol, RJS 6-92, n" 735, p. 404 ;
JCP éd. G. 1992, II, 21889, note J. Amiel-Donat ; D. 1992, J, 350, note Y. Serra ;
D. Corrignan-Carsin, "Validité des clauses de non-concurrence et protection des
intérêts légitimes de l'entreprise", Dr. soc. 1992, 967 ; confirmée depuis lors par
cass. soc. 8 juil. 1992, JCP éd. E. 1992, pan. 1423.
(2 ) V. par ex. 74 du Code de commerce allemand, également applicable en
Alsace-Lorraine : "La convention restrictive de concurrence n'est pas obligatoire
si elle ne sert pas à la protection des intérêts légitimes de l'employeur".
(3) Sous réserve de dispositions conventionnelles existantes restreignant cet
usage. En ce sens, convention collective des industries métallurgiques interdisant
l'introduction d'une clause de non-concurrence dans le contrat des mensuels classés
aux niveaux I et II.
�74
suffisamment limitée pour permettre au salarié d'exercer une
activité conforme à son expérience ?
Arguant d'abord de la généralité de l'interdiction de la con
currence, le salarié soutenait que la clause était insuffisamment
limitée. Sur ce point les juges rejettent de façon lapidaire l'argu
mentation du salarié, estimant que l'interdiction ne présentait pas
un caractère excessif. En effet, limitée au département des AlpesMaritimes pour une durée de 2 ans, elle lui faisait interdiction de
s'intéresser à une entreprise concurrente de vente ou de repré
sentation pour autos et motos en qualité de vendeur, de
représentant ou à tout autre titre. Pour la Cour, la précision de la
clause excluait une interdiction générale et absolue empêchant le
salarié d'exercer une activité conforme à sa formation ou son
expérience (1).
Outre ce critère classique de validité, les magistrats aixois
ont été conduits à rechercher l'intérêt de l'employeur à stipuler
une telle restriction. Ils ont pour cela analysé la relation
contractuelle passée et les incidences qu'elle pouvait avoir sur
l'entreprise.
Le salarié, minorant volontairement ses fonctions, soutenait
qu'en raison de sa faible qualification de magasinier, il n'avait eu
aucun rapport avec la clientèle et n’en aurait pas davantage dans
son nouvel emploi, dont il ne contestait d'ailleurs pas la
similitude avec l’ancien. Par cet argument, il entendait se placer
dans la ligne des premières applications de la nouvelle jurispru
dence, qui semble surtout réservée à des fonctions subalternes, et
démontrer ainsi l'absence d'incidence de ses nouvelles fonctions
sur les intérêts de l'entreprise. Il semble en effet que seuls les
salariés détenteurs d'un savoir-faire particulier ou de contacts
antérieurs avec la clientèle sont susceptibles de présenter un
risque particulier pour leur ancienne entreprise. Aussi bien les
premières décisions des juges du fond ont-elles dénié le droit
d'imposer une clause à un simple agent de maîtrise chargé de la
maintenance et du dépannage d'installations téléphoniques (2),
d'un laveur de vitres (3), ou encore d'une secrétaire dactylo
graphe dont les fonctions étaient de pure exécution (4).
Pour intéressante que soit cette constatation, il n'en
demeure pas moins que toute systématisation ne sera peut-être
pas toujours applicable dans la pratique. Ainsi, en l'espèce,
invités à une appréciation concrète des fonctions exercées par le
demandeur, les juges aixois ont recherché la qualification réelle
(1) V. sur ce principe, cass. civ. 2 juil. 1900, D.P 1901, p. 294 ; cas*, soc. 18
oct. 1952, Bull. civ. IV. n* 736.
(2) Poitiers, 6 févr. 1990, préc.
(3) Cass. soc. 14 mai 1992, préc.
(4) Lyon (5* ch.) 30 nov. 1992. RJS 3-93. n* 273.
75
figurant sur ses bulletins de paye. Ils constatèrent ainsi que,
contrairement à ses prétentions, le salarié avait la qualité de
"vendeur très qualifié" et rejetèrent l'argument suivant lequel il
n'aurait eu aucun contact avec la clientèle. Quel qu'ait été son
indice ou son degré de responsabilité, le poste de vendeur tenu
par le salarié lui permettait en effet de recevoir les clients et, de
manière générale, d'être en contact avec elle, ce qui permettait à
son ancien em ployeur de craindre son embauche dans une
entreprise de même nature et située dans le même secteur
géographique.
Tirant les conséquences de leurs constatations, les juges en
conclurent qu'"en raison des fonctions du salarié, la clause de
non-concurrence a pu conventionnellement être estimée indispen
sable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise",
reprenant ainsi à la lettre la formule consacrée par la Cour de
cassation, mais pour adopter une solution contraire.
La validité de la clause litigieuse reconnue, la violation de
ses obligations par le salarié emportait la mise en oeuvre de
sanctions prévues au contrat.
II - La rigueur des pénalités pour le salarié
Les parties au litige avaient pris le soin de prévoir une
clause pénale (1), usant pour cela de leur faculté de fixer à
l'avance le montant de l'indemnité due en cas d'inexécution de
l'obligation de non-concurrence. Il était en effet prévu, en cas de
contravention, que le salarié serait "redevable envers la société
d'une somme égale à la rémunération perçue par lui pendant les 2
premières années avec un minimum de 10 fois son salaire du
dernier mois, sans préjudice du droit pour la société de faire
cesser la concurrence par tous les moyens légaux" (2).
La stipulation d'une clause pénale présente un double
avantage pour le créancier : outre la dispense pour celui-ci de
démontrer le préjudice subi, elle présente un caractère dissuasif
en raison du montant élevé de la peine prévue, rôle qu'elle n'a
pas su jouer en l'espèce. En effet, démissionnaire de son emploi,
le salarié était entré au service d'une entreprise concurrente
exerçant une activité commerciale identique dans le département
des Alpes-Maritimes. Connaissant parfaitement l'existence de
l'obligation de l'appelant, le concurrent fautif avait été, de ce
chef, condamné au paiement de 40 000 francs de dommages et
intérêts par un arrêt rendu le 17 juin 1992 (3).
(1) V. D. Mazeaud. La notion de clause pénale, thèse Paris XII, 1990.
(2) On remarquera que la présente clause fixe un plafond (2 années de salaire) et un
plancher (10 fois le dernier mois de salaire).
(3) Connaissance qui est parfois assimilée au délit de débauchage réprimé par
l'article L. 122-15-3* du Code du travail.
�76
Le salarié considérait néanmoins la clause excessive et
entendait pour cela, d'une part, dénier à l'employeur le droit de
cumuler les dommages et intérêts octroyés par l'arrêt de 1992
avec le montant de la clause pénale, et d'autre part, demander aux
juges d'user de leur pouvoir de modération de la peine.
A - Le cumul de la clause pénale et des dommages et
intérêts.
Selon un premier argument, le salarié entendait obtenir
l'application des dispositions de l'article 1229 du Code civil aux
termes desquelles : "la clause pénale est la compensation des
dommages et intérêts que le créancier souffre de l'inexécution de
l'obligation principale. Il ne peut en même temps demander le
principal et la peine, à moins qu'elle n'ait été stipulée pour le
simple retard". Pour l'appelant, l'employeur ne pouvait à la fois
prétendre aux dommages et intérêts obtenus lors de l'action
dirigée contre son concurrent fautif et au montant de la peine
prévue. Cette argumentation n'a pas convaincu la juridiction
aixoise.
S'il résulte en effet de l'article 1229 al. 2 du Code civil que
le créancier qui réclame la peine (clause pénale) ne peut en même
temps demander le principal (exécution forcée de l'obligation),
rien n'empêche en revanche les parties d'écarter les règles de
non-cumul, car les dispositions précitées ne sont pas d'ordre
public. Il est seulement indispensable que cette volonté soit
clairement exprimée (1). Tel était bien le cas en l'espèce puisque
la clause prévoyait in fine "... sans préjudice du droit pour la
société de faire cesser la concurrence par tous les moyens
légaux". Liés par cette volonté, les juges du fond ne pouvaient
que rejeter l'argument du salarié, l'employeur étant en droit de
cumuler les deux sanctions. Et la Cour de préciser curieusement
que, "la seule obligation qui était faite au salarié était de ne pas
commettre des actes de concurrence déloyale" (2). Ce cumul n'est
cependant pas demeuré sans incidence sur leur pouvoir
d'appréciation de la clause pénale.
(1) V. en ce sens, cass. soc. 20 févr. 1975, D. 1976, J, 142, note Y. Serra ; cass
soc. 21 mars 1985, D. 1985, I.R, 478, obs. Y. Serra.
(2) A noter que les juges semblent assimiler les faits relevant de la clause de nonconcurrence et ceux relevant de la concurrence déloyale. Or, le salarié qui
méconnaît une clause de non-concurrence, agit sans droit et engage sa
responsabilité contractuelle quels que soient les moyens utilisés, alors que dans la
concurrence déloyale, il fait seulement un usage excessif de sa liberté et engage sa
responsabilité délictuelle dès que la preuve des moyens déloyaux est rapportée ; v.
en ce sens, P Roubier, Le droit de la propriété industrielle, t. 1. p. 482. Pour
autant, en l'espèce, les mêmes faits pouvaient relever à la fois de la concurrence
déloyale et de la concurrence anti-contractuelle.
77
B • L'appréciation du montant de la clause pénale (1).
Afin d'éviter les abus de clauses pénales excessives, deux
lois ont permis au juge de modérer ou d'augmenter la peine (loi
n° 75-597 du 9 juil. 1975) et de procéder de la sorte même
d'office (loi n° 85-1097 du 11 oct. 1985) ajoutant ainsi un alinéa
à l'article 1152 du Code civil (2).
Condamné en première instance au paiement d'une indem
nité de 52 040 francs en application de la clause pénale (3), le
salarié demandait en appel la mise en oeuvre par les juges de leur
pouvoir de modération. Constatant que l'employeur ne concluait
pas sur cette demande, ceux-ci ont usé de leur office pour
apprécier le montant de la peine. Pour donner satisfaction au
salarié, la cour d'appel réforme partiellement le jugement prud'
homal, en tenant compte de la situation respective des parties.
En premier lieu, elle prend en considération l'importance du
préjudice subi par l'employeur. Elle rappelle à ce titre que son
concurrent fautif avait été condamné au paiement de dommages et
intérêts pour concurrence déloyale. On sait en effet qu'en
embauchant sciemment un salarié lié par contrat, le tiers se rend
complice de la violation de l'obligation stipulée et peut ainsi
engager sa responsabilité délictuelle à l'égard de la victime de
l'infraction (4).
Sur ce point, l'affaire soumise à l'examen des magistrats
aixois rappelle un arrêt rendu par la cour d'appel d'Angers (5).
Elle considérait que le montant des dommages et intérêts réclamés
au nouvel employeur devait être limité parce que le préjudice subi
par le demandeur avait été globalement réparé à l'occasion du
premier litige (6).
Procédant à une démarche similaire, c'est par référence à
l'octroi de 40 000 francs de dommages et intérêts au défendeur
que les juges aixois ont considéré que la somme de 52 040
francs due par le salarié était excessive eu égard au préjudice subi
(1) V. J. Deprez, «Les clauses pénales dans les relations de travail et leur révision
par le juge», B.S.F.L 7-85, p. 267.
(2) Art. 1152 : «lorsque la convention porte que celui qui manquera de l'exécuter
paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à
l'autre partie une somme plus forte, ni moindre. Néanmoins, le juge peut même
d'office modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue si elle est
manifestement excessive ou dérisoire, toute stipulation contraire sera réputée non
écrite».
(3) Somme dont on peut supposer qu elle constituait le plancher stipulé à la clause
pénale (10 fois le salaire du dernier mois).
(4) Sur le délit de débauchage, v. note (21).
(5) Angers (3* ch.) 6 mars 1989. Bruneau et autres c/ SARL Musterring
International, RJS 10-89, n“ 766 ; B.S.F.L 10-89, inf. 997, p. 446.
(6) Le salarié avait déjà fait l'objet, devant la juridiction prud'homale, d'une
condamnation pour violation d'une obligation de non-concurrence en application
d'une clause pénale.
�78
79
par l'employeur. Celui-ci avait été, en quelque sorte, globalement
réparé à l'occasion de ce litige.
En second lieu, ils justifient la modération de la clause
pénale "par l'obstacle particulièrement important que le montant
forfaitaire convenu imposait au salarié pour retrouver un travail".
Dans le silence de l'arrêt, on peut supposer que, outre sa
condamnation au paiement de dommages et intérêts, le second
employeur avait également été condamné à mettre un terme à sa
collaboration avec le salarié (1). C'est donc par référence à la
situation économique en général, et professionnelle en particulier,
du salarié que les magistrats décident de modérer la pénalité. En
période de crise économique, on ne peut pénaliser outre mesure
un travailleur. Par conséquent, les juges aixois réduisent à 5 000
francs le montant de l’indemnité conventionnelle due à
l'employeur (au lieu de 52 040 francs en première instance).
En conclusion, s'il est vrai que le contrôle judiciaire de la
légitimité des clauses de non-concurrence peut parfois porter
atteinte aux prévisions contractuelles et accroître l'insécurité
juridique, il n'en demeure pas moins que cette jurisprudence était
depuis longtemps attendue, faute d’intervention législative.
Il reste qu'à l'instar des autres pays européens (2), l'ultime
pierre à porter à l'édifice de la validité des clauses de nonconcurrence serait, selon certains, de prévoir, à titre obligatoire,
une contrepartie pécuniaire comme cause de l'obligation du
salarié.
Virginie RENAUX
Allocataire de Recherche à la Faculté de Droit
Centre de Droit Social
(1) A noter que cette obligation forcée en nature est généralement prononcée sous
astreinte.
(2 ) V. par ex. art. 2125 du Code civil italien selon lequel l'engagement de nonconcurrence est nul s'il n'a pas été convenu d'indemnité en faveur du salarié.
-N9 -
UNE PREUVE INEDITE DU CONTRAT
VERBAL : L’ENVELOPPE REMISE
AU SALARIE
Contrat de travail / Preuve / Ecrit (non) / Commence
ment de preuve par écrit / Preuve testimoniale /
Recevabilité (oui)
Aix - 14° chambre - 20 septembre 1993 - n° 785
HAMMOU Ahmed d MARTIN Jean-Claude
I • Faits et procédure : Soutenant avoir travaillé comme ouvrier
agricole du 11 juillet 1989 à fin juin 1991 chez M. Martin Jean-Claude,
exploitant agricole à Mouriès (BDR), M. Hammou Ahmed avait saisi le
Conseil des Prud'hommes d’Arles d'une demande en paiement d'une somme de
63 694 F à titre de rappel de salaires ;
Ayant été débouté de sa demande M. Hammou Ahmed a relevé appel de
ce jugement et par arrêt avant dire droit du 7 septembre 1992, la cour d'appel
de ce siège a ordonné la vérification d'écriture de M. Martin ;
Cette mesure d’instruction s'est effectuée le 26 novembre 1992, devant
le conseiller désigné et devant M. Giessner, expert en écriture qui a déposé
son rapport le 16 février 1993 ;
L'appelant conformément à sa demande initiale soutient que la preuve
de son contrat résulte des attestations produites et de la production de quatre
enveloppes contenant des sommes que son employeur lui a réglées et sur
lesquelles il en a, de sa main, inscrit le montant ;
II demande à la Cour de condamner M. Martin à lui payer :
- deux mois de préavis
- 63 694 F à titre de rappel de salaire
- 6 mois de salaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- à lui restituer son passeport sous astreinte de 500 F par jour et à lui verser
une somme de 3 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de
Procédure Civile ;
M. Martin a repris ses précédentes conclusions tendant à la
confirmation du jugement frappé d'appel et au versement de deux indemnités
de 5 000 F en application des articles 1382 du Code civil et 700 du NCPC.
Par jugement du 15 janvier 1993, le tribunal de commerce de Tarascon
a prononcé le redressement judiciaire de M. Martin Jean-Claude et a désigné
Maître Bringuier en qualité de représentant de créancier. Celui-ci
régulièrement mis en cause devant la Cour n'a pas comparu ;
L’Assedic des Bouches du Rhône, en qualité de gestionnaire de l'AGS,
demande à la Cour de déclarer son arrêt opposable dans les limites de garantie
prévues aux articles L. 143-11-1 et suivants du Code du travail.
�80
II * Les motifs de la décision : M. Hammou Ahmed soutient
qu'il a été embauché verbalement en 1989 pour des travaux agricoles ;
Des attestations versées aux débats rédigées par Messieurs Madani
Belkacem, Harechi Ahmed, Maama Abderslam et Airouche Boujima, il se
déduit que pendant cette période M. Martin a fait travailler M. Hammou
Ahmed sur sa propriété ;
Les déclarations des témoins, eux-mêmes ouvriers agricoles à Mouriès,
font état également des réclamations de M. Hammou Ahmed concernant le
versement intégral de son salaire ;
La preuve du contrat de travail dont la charge incombe à M. Hammou
Ahmed qui invoque l'existence d'une relation salariale est régie par l'article
1341 du Code civil ; cependant en l'état du commencement de preuve par écrit
que constitue la production d'enveloppes paraphées par l'employeur la preuve
testimoniale reste recevable ;
En conclusion de son rapport et après avoir comparé l'écriture figurant
sur des enveloppes dans lesquelles M. Hammou Ahmed précise que son
employeur avait placé des sommes d'argent et des spécimens d'écriture des
époux Martin, M. Giessner indique :
1*) la somme de Q.3 (6.500 F) ne peut être attribuée ni à Jean-Claude
Martin ni à Mme Martin
2‘) il apparaît possible que la somme Q.l (7.000 F) soit de la main de
Mme Martin ;
3‘) les sommes de Q.2 (7.000 F) et Q.4 (5.000 F) sont de la main de
Jean-Claude Martin.
M. Hammou Ahmed produit également un cahier lui appartenant sur
lequel il a noté tous ses horaires de travail et les acomptes reçus depuis son
embauche ;
La mesure d'expertise a permis de confondre M. Martin qui contre toute
évidence prétendait n'avoir jamais embauché M. Hammou Ahmed ;
A défaut de contestation valable des prétentions émises sur ce point de
la part de l'employeur, il convient de faire droit à sa demande quant au
paiement des heures travaillées non payées ;
En revanche la demande concernant la restitution du passeport dont il
n'est pas établi qu'il ait pu à un moment quelconque être confié à
l’employeur, ne peut qu'être rejetée ;
Il convient également de rejeter comme mal fondées, faute pour le
demandeur de fournir à la Cour le moindre élément concernant les
circonstances de la rupture qui ne sont même pas évoquées dans ses
conclusions, les demandes tendant au versement des dommages intérêts pour
licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'une indemnité de préavis ;
Par ces motifs : La Cour, statuant publiquement, par arrêt réputé
contradictoire, en matière prud'homale
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. Hammou Ahmed de
sa demande tendant au versement de salaires ;
- confirme ledit jugement en ses autres dispositions non contraires au
présent arrêt ;
Statuant à nouveau
Vu l'article 48 de la loi du 25 janvier 1985
Fixe à la somme de 63 694 F la créance dont peut se prévaloir M.
Hammou Ahmed sur M. Martin Jean-Claude ;
81
Déclare le présent jugement opposable à Maître Bringuier représentant
des créanciers et à l'Assedic des Bouches du Rhône
Déboute les parties de toutes autres demandes
Condamne l'intimé aux dépens d'appel qui seront passés en frais
privilégiés de redressement judiciaire.
OBSERVATIONS :
Contrat consensuel, le contrat de travail est "constaté dans
les formes qu'il convient aux parties contractantes d'adopter"
(art. L. 121-1 C. Trav.). Hormis le cas des contrats de type
particulier pour lesquels un écrit est exigé (1), il n'est soumis à
aucune condition de forme et peut être verbal, voire tacite. En
revanche, un écrit devient, en principe, nécessaire dès lors qu'il
s'agit d'en prouver l'existence ou le contenu (2). Par application
des règles du droit commun auxquelles il reste soumis (art. L.
121-1 C. Trav.), sa preuve ne peut en être rapportée que par un
écrit établi en double exemplaire (art. 1325 C. Civ) dès lors que
le montant des salaires est supérieur à 5000 francs (art. 1341 al. 1
C. Civ.).
Cette règle est cependant source de difficultés lorsque,
comme cela arrive encore souvent dans les petites entreprises et
surtout dans les exploitations agricoles, le contrat de travail est
passé verbalement. C'est précisément à une difficulté de ce type
qu'était confrontée, en l'espèce, la 14° chambre de la cour
d'appel d'Aix-en-Provence. Un ouvrier agricole, qui prétendait
avoir été embauché verbalement et qui ne pouvait donc fournir
aucun écrit à l'appui de sa demande, réclamait à l'exploitant chez
lequel il soutenait avoir travaillé en qualité de salarié, un rappel de
salaire ainsi que des indemnités de préavis et de licenciement sans
cause réelle et sérieuse. Après avoir rappelé que la preuve du
contrat de travail, dont la charge incombe à celui qui invoque
l'existence d'une relation salariale est régie par l'article 1341 du
Code civil, la Cour, se fondant sur l'article 1347 du même Code,
énonce que la production d'enveloppes comportant la mention
écrite de la main de l'exploitant du montant des sommes versées
au demandeur, constitue un commencement de preuve par écrit et
rend la preuve testimoniale recevable.
(1) Contrat d'apprentissage, art. L. 117-12 C. trav., contrat à durée déterminée,
art. L. 122-3-1 C. Trav., contrat de travail à temps partiel, art. L. 122-3-1 C. Trav.
(l'obligation d'établir par écrit le contrat de travail à temps partiel est désormais
assortie de sanctions pénales, cf. art. R. 261-3-1 nouveau du Code du travail),
contrat de travail temporaire, art. L. 124-4 C. Trav., contrat d'engagement
maritime, art. 4 C. trav. maritime etc.
(2) L'exigence d'un écrit pour prouver le contenu du contrat est discutée. V. J.
Ghestin et G. Goubeaux. Traité de droit civil, introduction générale, L.G.D.J, 3*
éd., 1990. n° 599. p. 564 ; D. Veaux, J-cl. civ. art. 1341-1348, fasc. I.
�82
83
La solution ne surprendra pas. Il y a bien longtemps que le
juge, et singulièrement le juge du contrat de travail, vient "au
secours de celui qui n'a aucune preuve écrite du contrat" (1) et
réduit à peu de chose l'exigence de l'écrit formulée par l'article
1341 du Code civil (2). L'arrêt n'en mérite pas moins de retenir
l'attention parce que la jurisprudence est relativement rare en cette
matière, dans la mesure où le plus souvent ce n'est pas
l'existence du contrat qui est contestée mais sa qualification de
contrat de travail au regard de qualifications voisines (contrat
d'entreprise, de mandat etc.). Or, dans ce dernier cas la preuve à
rapporter est celle d'une situation de fait - l'existence d'un lien de
subordination - et elle se fait par tous moyens (3). C'est
précisément ce qui, ajouté aux circonstances particulières de
l'espèce, fait tout l'intérêt de cet arrêt, dont la solution est, par
ailleurs, conforme aux principes traditionnels en matière de
preuve du contrat de travail (I). Mais on peut se demander si la
solution est toujours actuelle et si "l'accroissement du formalisme
contractuel" (4) imposé par une directive européenne du 14
octobre 1991 (5) ne va pas la réduire à l’état "d'espèce" en voie
de disparition (II).
1 • Une solution traditionnelle
L'exigence d'un écrit préconstitué a toujours paru inadaptée
au contrat de travail (6) essentiellement en raison de l'état de "présubordination" du candidat à l'emploi qui lui interdirait d'exiger
de son futur employeur la rédaction d'un écrit (7). Aussi, la
jurisprudence sociale a-t-elle trouvé le moyen de "neutraliser" (8)
cette règle et de lui "substituer (...) un régime de liberté de
preuve" (9) en interprétant de façon particulièrement extensive les
(1) Planiol, Ripert et Boulanger. Traité élémentaire de droit civil, U, n* 2279,
cité par J. Flour, "Quelques remarques sur l'évolution du formalisme", mélanges
Ripert, Tome I, L.G.D.J, 1950, p. 93, spéc. p. 109.
(2) J. Flour. préc., p. 109.
(3) En ce sens. F Favennec-Hery, La preuve en droit du travail, Thèse Paris X
1983, p. 579 ss
(4) B. Teyssié, Droit du travail, T. I, Litec, 2* éd., 1992, p. 50 ; sur la
"renaissance du formalisme ", V J. Ghestin. Traité de droit civil, la formation du
contrat, 3* éd. 1993, n° 373 ss, p. 336 ss. ; rappr. J. Mestre, "L'approche par le
juge du formalisme légal", obs. R T D.Civ., 1988. pp. 329-335.
(5) V. infra II* partie.
(6) A. Brun, La jurisprudence en droit du travail, Sirey, 1967, p. 174.
(7) G.H. Camerlynck, "Les modes non formels d'expression de la volonté en droit
français", in travaux de l’association H. Capitant, T. XX. 1968, p. 157, spéc. p.
159-160 ; Traité de droit du travail, T. I. Le contrat de travail, Dalloz, 2* éd. 1982,
n* 188, p. 209.
(8) G.H Camerlynck. art. préc., p. 574.
(9) M. Despax et i. Pélissier, La gestion du personnel, aspects juridiques, Cujas,
1974, p. 198-199.
exceptions légales aux dispositions de l'article 1341 du Code civil
et, notam m ent, celles tirées soit de l'existence d'un
commencement de preuve par écrit (art. 1347 C. Civ.), soit de
l'impossibilité de se procurer une preuve littérale (art. 1348 C.
Civ.). Si cette "dissolution" de l'exigence de l’écrit s'explique
largement en droit du travail par la particularité des rapports entre
employeur et salarié (1), elle ne s'en inscrit pas moins dans un
mouvement plus général du droit de la preuve qui, même en
matière civile, tend à conférer à la preuve libre un domaine plus
large que celui de la preuve légale (2).
Ainsi, les dispositions de l'article 1341 du Code civil
n'étant pas d'ordre public, la jurisprudence en écarte l'application
lorsqu'elles n'ont pas été invoquées par les parties (3) ou qu'elles
y ont renoncé, fût-ce implicitement (4). C es dispositions sont
encore écartées lorsque l'employeur a la qualité de commerçant
(art. 1341 al. 2 C. Civ.). Le contrat de travail relève alors de la
catégorie des actes mixtes et son caractère commercial à l'égard
de l'employeur permet au salarié d'en rapporter la preuve par tous
moyens (art. 109 C. Com.) (5). L'impossibilité morale de se
procurer un écrit (art. 1348 C. Civ.) a également été utilisée en
présence de relations familiales entre l'employeur et le salarié (6),
d'un usage (7), ou plus sim plem ent en raison de l'état de
subordination du salarié qui le met dans l'impossibilité morale de
réclamer un écrit (8). Cette dernière justification a surtout été
utilisée au profit d'ouvriers agricoles, elle aurait pu être utilisée
dans la présente espèce qui concernait précisément un ouvrier
agricole.
Mais celui-ci, qui disposait de quatre enveloppes compor
tant la mention écrite de la main de l'agriculteur, du montant des
sommes d'argent qu'il prétendait avoir reçues en rémunération du
travail accompli à son service en qualité de salarié, a choisi
d'invoquer l'existence d'un commencement de preuve par écrit,
autre procédé de neutralisation de l'article 1341 du Code civil,
assez largement utilisé en matière de preuve du contrat de travail.
( 1) F. Favennec-Hery, Thèse préc., p. 574.
(2) J. Flour, art. préc., p. 109 ; F. Terré, Introduction générale au droit, Précis
Dalloz. 1991, n* 593, p. 458.
(3) Cass. soc. 9 avril 1970. Pem>t c/ Dame Collet, V, n* 234, p. 188.
(4) même décision.
(5) V. pour un exemple récent, cass. soc. 5 mars 1992, SARL Colisée Voyages cJ
Godeau, D. 92. I.R 117.
(6) V. pour un exemple récent, Aix, 9° ch., 25 janvier 1994, Delannoy c/
Kiecken, Fichier Centre de Droit Social : salariée mère de l'employeur.
(7) V. par ex. Montpellier. 4 mars 1993, Bou d Puig, Juris-Data, n’ 034539.
(8) Cass. soc. 28 avril 1955, Consorts Duverger c/ Defrance, IV, n* 345, p.
257 ; cass. soc. 7 décembre 1961, Bonnetti c/ Gambararo, IV, n* 1005, p. 803 ;
Aix, 17* ch., 8 février 1989, Claudel d Éraud, Fichier Centre de Droit Social.
�84
En le suivant sur ce terrain, la Cour ne s'écarte pas de la ligne
jurisprudentielle qui a toujours retenu une interprétation libérale
du commencement de preuve par écrit tant en droit du travail (1),
qu'en droit civil (2).
On sait que l'article 1347 du Code civil subordonne
l'existence d'un commencement de preuve par écrit à la réunion
de trois conditions : il faut, en principe, un écrit, qui émane de
celui contre lequel la demande est form ée et qui rende
vraisemblable le fait allégué. Les deux premières conditions ne
soulevaient pas de difficulté particulière en l'espèce. On était bien
en présence d'un écrit, certes réduit à sa plus simple expression l'inscription sans autre précision de chiffres sur une enveloppe mais la jurisprudence s'est toujours montrée "excessivement
large" (3) à cet égard, n'exigeant pas que l'écrit soit signé (4) et
se contentant même d'une simple note inscrite sur une feuille
volante (5). Et si le prétendu employeur déniait avoir écrit ces
sommes de sa main, il suffisait de procéder à une vérification
d'écriture dans les règles prévues aux articles 287 et suivants du
nouveau Code de procédure civile. Celle-ci, réalisée par un
expert, a établi que sur quatre enveloppes deux avaient été écrites
par lui et qu'il apparaissait possible qu'une troisième fût de la
main de son épouse. Bien que n'émanant pas matériellement de
lui ce dernier écrit pouvait sans doute lui être opposé, dans la
mesure où, s'agissant d'exploitants agricoles, il était vraisem
blable qu'il y ait eu entre eux un mandat aux fins d'accomplir les
actes d’exploitation concernant les besoins de l'exploitation (6).
La troisième condition suscitait, en revanche, l'interro
gation. Ces quelques enveloppes, sur lesquelles figurait seule
ment le montant manuscrit d'une somme d'argent, rendaient-elles
vraisemblable l'existence d’un contrat de travail entre l'auteur de
cette inscription et leur détenteur ? Ne le rendaient-elles pas
seulement possible ? En effet, si l’on ne peut attendre du
commencement de preuve par écrit qu'il établisse l'existence du
contrat de travail, au moins doit-il comporter la preuve d'un fait
dont le juge pourra déduire la probabilité et non la seule
(1 ) B. Teyssié, op. cil.. n° 463, p. 247.
(2) G. Goubeaux, et P Bihr. Rép. civ., V* Preuve, n° 352, p. 36.
(3) H. Mazeaud. La conception jurisprudentielle du commencement de preuve par
écrit de l'article 1347, thèse Lyon 1921, p. 9. La condition de l'écrit a d'ailleurs
quasiment été supprimée. V. p. 81 ss.
(4) Cass. civ. 1. 27 janvier 1971, Viguié c/ Consorts Le Nestour. I, n° 34, p. 26.
(5) Cette tendance est loin d'être nouvelle : V. cass. civ. 30 juillet 1855,
Danloux-Dumesnil d Héritiers Ballin. D. 1855, I, p. 332 ; cass. crim. 27 mars
1934, Adriani. D.H 34, p. 238.
(6) Art. 789-1 C. rural. P. Malaurie et L. Aynès, Les régimes matrimoniaux,
Cujas. 2* éd. 1991, n* 55. p. 47.
85
possibilité de l'existence de ce contrat (1). Le commencement de
preuve par écrit s'analyse en une "reconnaissance" - un "demiaveu" - de "la réalité du fait dont on veut tirer argument contre
lui", de la part de "celui-là même contre qui on veut faire la
preuve" (2). Il faut donc que la relation entre le fait établi et
l'existence d'un contrat de travail "saute aux yeux" (3).
Or, que pouvait-on déduire de la production de ces enve
loppes qui ne comportaient même pas l'indication de leur destina
taire ? Sans doute qu'elles avaient contenu une somme d'argent
correspondant au montant indiqué. Mais le fait qu'elles étaient
détenues par l'intéressé n'impliquait pas nécessairement qu'elles
lui étaient destinées, il pouvait tout aussi bien les tenir d'un autre
salarié. Et quand bien même, les aurait-il reçues de l'exploitant, il
serait seulement possible que ce fût en rémunération d'un travail
salarié. Et, ce d'autant qu'une des enveloppes étant d’origine
inconnue, cela pouvait prêter à interprétation. Force est de
constater que ces documents ne comportent pas le même degré de
probabilité de l'existence d'un contrat de travail que les éléments
habituellement retenus par la jurisprudence : un bulletin de salaire
(4), un échange de correspondance (5), une lettre d'engagement
signée par le seul employeur (6), une photocopie du contrat de
travail (7), ou encore l'exemplaire unique du contrat de travail ne
satisfaisant pas à la règle du double original (8).
En réalité, il semble qu'au vu de l'ensemble des éléments
de la cause et, notamment, de la mauvaise foi de l'exploitant qui
niait avoir écrit de sa main les sommes figurant sur les
enveloppes (9), les juges ont acquis la conviction qu’un contrat
de travail avait bel et bien existé entre les parties et qu'en
conséquence ils n'ont pas voulu empêcher le salarié d'en établir
l'existence pour le seul m otif que les documents produits
présentaient un caractère ambigu. Cette démarche est conforme à
(1) G. Goubeaux et F. Bihr, op. cit., n° 1142, p. 90.
(2) H. Mazeaud, thèse préc., p. 82-83.
(3) Ibid., p. 68.
(4) Cass. soc. 7 mars 1962, Dubrac c/ Dlle Leroy, IV, n* 261, p. 195 ; cass. soc.
18 décembre 1975, Traoré c/ Société Générale des Transports Maritimes Fabre, V,
n* 620, p. 521.
(5) Cass. soc. 9 novembre I960, Morlier c/ Dame Rousseau Malou, IV, n* 998, p.
766.
(6) Versailles, 11° ch. soc. 20 février 1990, Roussel d Sari EMCB, Juris-Data, n°
050339 ; Aix, 18° ch., 8 décembre 1993, S.A Autocars Bonnot d Memran,
Fichier Centre de Droit Social.
(7) Rouen, ch. soc. 9 mai 1989, Prévost c/ S A Eurofeu Extincteur, Juris-Data, n°
052071.
(8) Cass. soc. 29 mai 1963. Pépin c/ Biaise, IV, n° 438, p. 359 ; Chambéry, ch.
soc., 21 mai 1991, Giner d SARL Le Roc Club, RJS 2/92, n* 213, p. 141 : à
propos d'un CDD.
(9) "Contre toute évidence" précise la Cour.
�86
87
une attitude habituelle des juges, qui tirent de circonstances
extrinsèques la pertinence d'un docum ent fourni à titre de
commencement de preuve par écrit, bien que le fait établi ne rende
pas vraisemblable le fait allégué (1). Mais si, en matière civile,
une jurisprudence dominante n'admet pas, sauf exception, que la
preuve de faits d'exécution du contrat, qui peut se faire par tous
moyens, constitue une preuve de son existence (2), dans le
domaine du contrat de travail, ces circonstances extrinsèques
résultent le plus souvent de la preuve de l'exécution d'un travail
sous la subordination de l'employeur (3).
Ces solutions traditionnelles sont-elles toujours d'actualité ?
Ne vont-elles pas être remises en cause avec la généralisation, par
la directive européenne du 14 octobre 1991, de l'obligation pour
l'employeur de remettre un document écrit au salarié ? C'est ce
qu'il nous faut, à présent, vérifier.
II - Une solution toujours actuelle
Déjà prévue par un grand nom bre de conventions
collectives, ainsi que par un nombre important de textes législatifs
et réglem entaires relatifs à certains contrats particuliers,
l'exigence d'un écrit devrait être généralisée par l'introduction en
droit interne de la directive n° 91/533 du 14 octobre 1991
«relative à l'obligation de l'employeur d'inform er le travailleur
des conditions applicables au contrat ou à la relation de travail»
(4). Adoptée dans le cadre de la mise en oeuvre de la charte
communautaire des droits sociaux fondam entaux (art. 9), et
fondée sur l'article 100 du Traité de Rome (5), elle met à la
charge de l'employeur une obligation générale d'information
écrite, dans le double but, social et économ ique, d'assurer une
m eilleure protection des salariés contre une éventuelle
méconnaissance de leurs droits et d'assurer une plus grande
transparence du marché du travail, c'est-à-dire de lutter contre le
travail clandestin (6). Elle prévoit, ainsi, l’obligation pour
(1 J. Carbonnier, Les obligations, Thémis, PUF, 15* éd. 1991, n* 101, p. 190 ;
H. Mazeaud, thèse préc., p. 80.
(2) J. Ghestin et G. Goubeaux, op. cit., n* 598, p. 563.
(3) En ce sens. F. Favennec-Hery. thèse préc., p. 582 ss. ; V. par ex. cass. soc. 7
novembre 1990, L.. d Mlle C... Cah. soc. du Barreau de Paris. 1990, n* 25. S.
173, p. 280 : pour admettre l'existence d'un contrat de travail, les juges ont retenu
que "l'employeur" avait fait paraître une offre d'emploi et que l'intéressée avait
accompli les tâches qui y étaient proposées en contrepartie d'une rémunération et
dans une situation de subordination.
(4) J.O .C E., L. 288. 18 octobre 1991, p. 32 ; D. 1991, p. 455 ; JCP 1991, DJ,
65122.
(5) C'est-à-dire adoptée à l'unanimité.
(6) Cf. 2* considérant ; l'ambiguïté de ces deux finalités a été soulignée par J.C
Javillier. "Le droit du travail communautaire : un droit en construction 7" in
Mélanges Savatier. PUF 1992, p. 221, spéc. p. 233.
l'employeur de remettre au salarié (1), au plus tard dans les deux
mois de l'em bauche, un écrit - contrat de travail, lettre
d'embauche ou tout autre document - contenant des informations
sur les éléments essentiels du contrat ou de la relation de travail
qu'elle énumère : identité des parties, lieu de travail, qualification
professionnelle, date d'embauche, durée du contrat, durée du
travail, des congés payés et du préavis, rémunération, convention
collective régissant les conditions de travail (art. 2 et 3) (2).
Aucune mesure de transposition n'est encore intervenue, alors
que le droit interne aurait dû être mis en conformité avec les
dispositions de la directive au plus tard le 30 juin 1993 (3).
Cette directive soulève un certain nombre de questions (4)
et, notamment, celle de son incidence sur les règles de preuve du
contrat de travail. Il ne devrait cependant, en résulter aucun
bouleversement. En effet, alors que la proposition de directive
élaborée par la commission (5) instituait une preuve écrite du
contrat de travail en prévoyant l'obligation de remettre au salarié
un document écrit "constituant un élément de preuve des
conditions essentielles de la relation de travail" (4° considérant),
le texte définitif ne comporte plus qu'une obligation d'informa
tion du salarié et précise qu'il n'a pas pour effet de porter atteinte
aux législations et pratiques nationales en matière de forme et de
preuve du contrat de travail (art. 6). Dans ces conditions, on ne
peut pas affirmer que l'écrit est "nécessaire à la validité du
contrat" et que son absence devrait entraîner sinon la nullité, du
moins la requalification de ce contrat (6). Alors, d'une part, qu'il
résulte précisément des travaux préparatoires que c'est la crainte
exprimée par le comité économique et social de voir l'écrit
devenir une condition de validité du contrat de travail qui a
(1) qu'il ait été recruté par contrat à durée déterminée ou indéterminée.
(2) Cette obligation peut être écartée en raison du caractère purement occasionnel
des relations de travail ou de leur brièveté (art. 1). Elle est renforcée à l'égard des
travailleurs expatriés (art. 4).
(3) La loi n* 91-1383 du 31 décembre 1991 complétant l'article L. 620-3 C. Trav.
avait fait un demi pas en ce sens en imposant à l'employeur de remettre
immédiatement au salarié lors de son embauchage un document écrit, mais la loi n*
92-1446 du 31 décembre 1992 a supprimé cette obligation, l'employeur devant
seulement effectuer préalablement à toute embauche une déclaration nominative
aux organismes sociaux. Selon certains auteurs, le bulletin de paie pourrait
satisfaire aux exigences de la directive. V. J. Rivero et J. Savatier, Droit du
travail, Thémis, PUF, 13* éd. 1993, p. 434-435.
(4) J.C Javillier. art. préc., p. 233.
(5) Proposition de directive relative à un élément de preuve du contrat de travail, 5
décembre 1990, J.O.C E.. C. 24, 31 janvier 1991, p. 3.
(6) G. et A. Lyon-Caen, Droit social international et européen. Précis Dalloz, 8*
éd. 1993, p 289. Dans le cas d'un contrat de travail à durée indéterminée on ne
peut que s'interroger sur le sens de celte requalification.
�89
88
entraîné ce changement d'orientation de la directive (1) et, d'autre
part, que le formalisme imposé a seulement pour objet d'informer
le salarié sur ses droits et ses conditions de travail (2).
En réalité, sur le terrain de la preuve du contrat de travail,
deux situations doivent être envisagées. Soit l'employeur se
conforme à l'obligation de délivrer le document écrit et le salarié
n'aura aucune difficulté à rapporter la preuve de l'existence d'un
contrat de travail, car même dans le cas où il ne disposerait pas
d'un contrat en bonne et due forme et en double exemplaire, ce
document constituera un com m encem ent de preuve par écrit.
Dans cette hypothèse, bien que l'objet de la directive ne soit pas
d’instituer une preuve écrite du contrat de travail, elle aura pour
effet d'en faciliter la preuve par le salarié. Soit l'employeur
n'exécute pas son obligation. Dans ce cas, la directive affirme
que le salarié lésé doit pouvoir faire valoir ses droits en justice
(art. 8) sans préciser qu'elle en sera la sanction. Il pourra
certainement obtenir du juge qu'il ordonne la délivrance d'un
document répondant aux exigences de la directive (3) et qu'il lui
octroie des dommages-intérêts si le manquement de l'employeur
lui a causé un préjudice (4). Mais si le salarié doit rapporter la
preuve de l'existence ou du contenu d'un contrat de travail, celleci devra se faire dans les conditions habituelles, sauf à imaginer
qu'à titre de sanction, et seulem ent dans le cas où le litige
porterait sur une des mentions que doit com porter le document
écrit, on procède à un renversement de la charge de la preuve.
Si
les dispositions de la directive avaient été applicables en
l'espèce, la situation de notre ouvrier agricole n'en aurait pas été
modifiée. Il aurait encore dû recourir à ces fameuses enveloppes.
C'est dire que la solution du présent arrêt a encore de beaux jours
devant elle.
Joël COLONNA
Chargé d'Enseignement à la Faculté de Droit
Centre de Droit Social
(1) Avis du comité économique et social 91/C. 159/12, J.O.C.E., C. 159, 17 juin
1991, p. 32, spéc. p. 33. n" 1.4 ; V. sur ce point C. Morin, mémoire DEA de Droit
Social. Aix-en-Provence. 1992, p. 18.
(2) En ce sens, M. Vericel, "Le formalisme dans le contrat de travail". Droit
Social 1993, p. 818, spéc. p. 824. L'auteur estime que même en ce qui concerne les
contrats spéciaux la requalification automatique du contrat ou ïa présomption
simple de contrat de droit commun paraissent disproportionnées.
(3) Soit devant le bureau de conciliation (art. R. 516-18 C. Trav.), soit en
s'adressant à la formation de référé (art. R. 516-31 C. Trav.). En ce sens. M.
Vericel, art. préc., p. 824.
(4) Ibid. ; Adde G et A. Lyon-Caen. op. cit., p. 289.
- N 10 -
CONTRAT DE TRAVAIL SAISONNIER :
LES DIFFICULTES D’APPLICATION DANS
LE CAS DE CULTURES SOUS SERRES
Contrat de travail à durée déterminée / Cas de recours/
Emplois saisonniers (non) / Caractère permanent de
l'emploi / A ctivité indépendante de la saison /
Maraîcher effectuant des cultures sous serres /
Succession de cultures s'étendant sur une période de
huit mois ou plus / Requalification / Contrat à durée
globalement indéterminée.
Aix - 14ère chambre - 3 mars 1993 - n° 274
MANELLI Henry d DE RB ALU Allai
I - Faits et procédure - prétentions des parties : Embauché
par plusieurs contrats à durée déterminée au cours des années 1985 à 1988, en
qualité d'ouvrier agricole, par Henri Manelli, Allai Derbalii a saisi le Conseil
de Prud'hommes d'Arles, afin d'obtenir selon ses dernières demandes, la
requalification des contrats successifs en un contrat à durée indéterminée, et la
condamnation de son ancien employeur à lui payer les sommes suivantes,
selon dernières demandes :
- 8.022,00 F à titre d'indemnité de préavis
- 1.604,40 F à titre d’indemnité de licenciement
- 933,46 F à titre de rappel de prime d'ancienneté
- 20.000,00 F à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans motif
réel et sérieux
II a demandé en outre la condamnation sous astreinte de 50 F par jour
de retard à compter de la décision, à la remise d'une lettre de licenciement et
d'un certificat de travail conforme ainsi que de bulletins de salaire et
d'attestation ASSEDIC rectifiés.
Le 28 septembre 1990, Henri Manelli a régulièrement inteijeté appel
du jugement rendu le 25 septembre 1990 par le Conseil de Prud'hommes, qui
a fait droit à l'intégralité des demandes.
L'appelant conclut à l'infirmation du jugement entrepris, et au débouté
de son ancien salarié de ses demandes.
Il estime que les contrats saisonniers n'ont pas pu créer un contrat de
travail à durée globalement indéterminée et il reproche aux premiers juges
d'avoir fait application des dispositions de l'article L. 122-13-11 du Code du
travail, alors que ce texte lui-même prévoit qu'il ne s'applique pas dans l'un
des cas mentionnés au 2e paragraphe de l'article L. 122-1-1 du Code du
travail, ce qui correspond au cas d'espèce.
Il demande la condamnation de l'intimé à lui payer la somme de 6.000
F, en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
�90
Allai Derballi conclut à la confirmation du jugement déféré.
Il fait valoir qu'en l'espèce et à une exception près, tous les contrats
dits saisonniers se sont étendus sur une durée supérieure à 8 mois et se sont
renouvelés chaque année pendant 4 ans, ce qui justifie qu'ils soient considérés
comme ayant une durée globalement indéterminée.
II - Motifs et décision de la C o u r : Attendu qu'en application
des dispositions des articles L. 122-1, L. 122-1-1 et L. 122-3-11 alinéa 2 du
Code du travail, dans leur rédaction résultant de l'ordonnance du 11 août 1986,
le contrat de travail à durée déterminée peut être conclu pour un emploi à
caractère saisonnier, et qu'à son expiration, il peut être renouvelé, sans qu'il
soit nécessaire de respecter la période légale prévue par l'alinéa 1er de l'article
L. 122-3-11.
Attendu que l'activité saisonnière est celle qui est normalement
appelée à se répéter chaque année à une date à peu près fixe, et qui ne dure
qu'une partie de l'année.
Attendu qu'en l'espèce, les parties ont été liées de 1985 à 1988 par
divers contrats dits "saisonniers" conclus de date à date, et, précisément :
- En 1985, un contrat de travail saisonnier d'une durée de 5 mois débutant
le 25 février 1985 et se terminant le 31 juillet 1985 a été signé, suivi
d'un deuxième contrat d'une durée de trois mois et demi à compter du 1er
août 1985 jusqu'au 15 novembre 1985 ;
- Pour l'année 1986, un contrat d'une durée de 6 mois, du 31 mars 1986
au 31 août 1986, a été signé, puis un nouveau contrat à durée de deux
mois est intervenu le 1er septembre 1986, se terminant le 25 octobre
1986;
- Pour l'année 1987, un contrat de 6 mois a commencé le 3 mars 1987 et
s'est terminé le 31 août 1987, suivi d'un contrat de deux mois et demi du
premier septembre 1987 au 13 novembre 1987 ;
- Pour l’année 1988, est intervenu, le 1er mars 1988, un contrat d’une
durée de 6 mois se terminant le 31 août 1988, suivi d'un deuxième contrat
du 1er septembre 1988 jusqu'au 31 octobre 1988.
Attendu qu'il en ressort que des contrats ont été conclus chaque année
entre les parties à des dates à peu près fixes, pour une durée ininterrompue
variant de 8 mois à 8 mois et demi.
Attendu que l'activité déclarée par l'employeur, est celle de maraîcher,
avec la précision qu'il effectue des cultures sous serres.
Attendu que les cultures maraîchères varient selon les saisons, et que
l'utilisation de serres, permet notamment de prolonger ou d'avancer certaines
de ces cultures, pendant la mauvaise saison.
Qu'il n'est donc pas possible de considérer que la succession des
cultures ainsi réalisées, lorsqu'elle s'étendent sur une période de 8 mois ou
plus, s'inscrit dans le cadre d'une même saison ;
Que par conséquent, le caractère saisonnier de l'emploi occupé par le
salarié n'est pas établi, et qu'il convient de dire que l'ensemble des contrats
conclus entre les parties de 1985 à 1988, constitue un contrat globalement à
durée indéterminée, qui ne pouvait être rompu par l’employeur, sauf pour un
motif réel et sérieux ;
Attendu qu'en l'espèce, aucun motif de rupture n'étant allégué, il
convient de dire que le salarié a fait l'objet d'un licenciement sans cause réelle
et sérieuse et de confirmer le jugement entrepris.
91
Attendu qu'en raison de sa succombance, Henri Manelli doit être
débouté de sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du Nouveau
Code de Procédure Civile, et condamné aux entiers dépens.
P a r ces m otifs : La Cour,
statuant publiquement,
contradictoirement, en matière sociale,
Confirme le jugement entrepris,
Rejette les demandes plus amples ou contraires au présent dispositif
Condamne Henri Manelli aux entiers dépens.
OBSERVATIONS :
Point de saison, point de "contrat saisonnier" ! La
décision ci-dessus illustre bien ce truisme. Pourtant au-delà de
cette apparente sim plicité, ce type de contrat de travail
indéniablement tributaire de la notion de saison (I) n'est pas
toujours aisé à qualifier et bon nombre d'employeurs se trouvent
sanctionnés au moment de la rupture (II) pour n'avoir pas su,
comme en l'espèce, respecter la réglementation d'ordre public du
contrat de travail à durée déterminée.
I - La notion de saison et la conclusion du contrat
Le contrat de travail à durée déterminée, contrat
d'exception depuis l'ordonnance du 5 février 1982 (1), n'est
autorisé que dans les cas expressément prévus par la loi ; c'est
ainsi que le contrat peut être conclu pour "des emplois à caractère
saisonnier" (2). Or, ni la saison, ni l'emploi à caractère saisonnier
n'ont été définis par la loi ; seules les différentes circulaires
administratives ont apporté une utile contribution en la matière en
précisant notamment que «les travaux saisonniers sont ceux qui
sont normalement appelés à se répéter chaque année à date à peu
près fixe, en fonction du rythme des saisons ou du mode de vie
collectif, et qui sont effectués pour le compte d’une entreprise
dont l'activité obéit aux mêmes variations...» (3). Même si la
jurisprudence a par la suite décidé que la notion d'emploi saison
nier ne saurait être limitée à certains secteurs d'activités (4) le sec
teur agricole est traditionnellement et principalement concerné par
(1 ) B. Teyssié. Droit du travail. "Relations individuelles. Litec", 2° éd. 1992, p.
17.
(2) Article L. 122-1-1-3° (loi du 12 juillet 1990).
(3) Notamment cire. DRT n° 21-88, 26 déc. 1988 (B.O.M.T, 89/3, p. 143) ; cire.
DRT n° 18/90 du 31 oct. 1990 non publié au J.O ; B.O.M.T n° 90/24, texte n°
567 ; JCP 90. éd. E, III, 64328. Dr. trav. déc. 1990. p. 2-3 ; légis. soc. n° 6447,
l, p. 9 ; cire. DRT n* 92/14 du 29 août 1992, R.J.S 25-92, 15 ; comp. Note
Ministre de l'agriculture, D.E.P.S.E, n° 7008 du 6 février 1989 in B.S.F.L 89, n°
5, 556/561.
(4) Soc. 10 janvier 1990, R.J.S 1991. p. 164 (hôtesse interprète aux Galeries
Lafayette).
�92
les activités saisonnières : les cultures, les récoltes, le condition
nement des produits obéissent aux lois de la nature et du climat.
Or, dans l'affaire ci-dessus rapportée, s'il s’agissait bien
d'une activité maraîchère, ordinairem ent liée à la saison du
printemps et de l'été ; le mode particulier de l'exploitation sous
serres, pratiqué par l'em ployeur perm ettait d'obtenir des
prim eurs et des légumes presque toute l'année, "en toutes
saisons". L'embauche d'un ouvrier agricole dans un mas de la
Crau, pendant huit mois et plus ne pouvait donc se faire par
contrat de travail à durée déterminée dit "saisonnier" comme le
soutenait l'employeur, qui prétendait ainsi se dispenser de toute
indemnité lors de la rupture à la "mauvaise saison".
L'apport de l'arrêt s’ordonne autour de deux propositions
parfaitement complémentaires. D'une part, la saison s'inscrit
dans le cadre temporaire d'une durée limitée ; dans le secteur
agricole, celle-ci peut être rythmée par des conditions climatiques
bien différentes selon les régions et les produits traités (saison
des pommes, des vendanges...). La référence à l'usage local peut
ici s'avérer nécessaire (1). Mais, une saison ne saurait durer huit
mois et demi. L'adm inistration l'a d'ailleurs précisé (2), la
jurisprudence aussi (3). Au surplus, le salarié doit être affecté à
une tâche spécifique et non durable, elle-même en liaison étroite
avec une saison (les vendanges, la cueillette des pommes ou des
cerises, la taille des arbres fruitiers) (4). A cette condition, la
succession de contrats à durée déterminée d'une saison à l'autre,
sans délai de carence, est possible et le contrat conserve sa nature
juridique originelle. Il en résulte qu'un ouvrier agricole
polyvalent, occupé, à l'exception de la morte saison, par une
entreprise pratiquant la polyculture, ne saurait être valablement
engagé par CDD (5) car cet em ploi n’a pas de "caractère
saisonnier". Le salarié doit en pareil cas être embauché par contrat
à durée indéterminée, imposé chaque fois que l'emploi proposé
est permanent et stable (6).
(1) Aix, 18’ Ch. 5 mai 1992, n“ 428. Fichier Centre de Droit Social, La taille des
arbres fruitiers est limitée à une période de quelques jours à deux mois seulement
(2) Cire. DRT 86/6 du 14 mars 1986, Liaisons, soc. 1986, légisL; n* 5788.
(3) Aix 9 “ Ch. 24 janvier 1994, n* 71, inédit, Fichier Centre de Droit Social
(période de 9 mois).
(4) Aix. 18* Ch. 1er octobre 1990. n" 919, inédit. Fichier Centre de Droit Social :
ouvrier agricole travaillant pour deux membres de G.F.A sur des parcelles
distinctes, l'une constituée en vignobles et en serres, l’autre en arbres fruitiers.
(5) Aix, 18' Ch. 23 mai 1989, n* 405. inédit. Fichier Centre de Droit Social ; add.
Aix, 18* Ch. 5 mai 1992, n’ 428, inédit, Fichier Centre de Droit Social. L'ouvrier
n'avait pas été employé uniquement à la taille des arbres fruitiers mais aussi à la
cueillette des pommes.
(6) V. Préambule. Accord interprofessionnel du 24 mars 1990 relatif au contrat de
travail à durée déterminée et au travail temporaire, étendu et élargi par deux arrêtés
du 9 octobre 1990 (J.O 14 oct.).
93
D'autre part, pour qu'une période soit considérée comme
une saison, il convient que sa périodicité comme sa durée soient
soumises à des éléments indépendants de la seule volonté de
l'employeur. La saison ne saurait varier en fonction d'éléments
purement subjectifs inhérents au choix particulier du mode de
gestion ou d 'ex p lo itatio n décidés par l'em ployeur (en
l'occurrence, la culture sous serres) en dehors de toute contrainte
extérieure, technique ou naturelle. Pour être moins connue, cette
solution n'en est pas moins parfaitement logique. La chambre
sociale l'a d'ailleurs précisée dans une hypothèse inverse du
présent arrêt, dans laquelle l'employeur avait délibérément choisi
(par opportunité) d'organiser la répartition du temps de travail et
de la production de son entreprise de maroquinerie sur quelques
mois de l'année seulement (1). Cependant dans des secteurs
autres qu'agricoles, cette exigence n'est pas toujours facile à
mettre en oeuvre. En effet, la politique commerciale ou
publicitaire adoptée dans l’entreprise dépend en grande partie de
la volonté de l'employeur (soldes, salons, expositions...).
En définitive, en l'espèce, l'embauche pour des périodes
ne coïncidant pas avec une ou plusieurs saisons, excluait la
qualification de CDD. La rupture des relations contractuelles à la
"morte saison" devait donc s'analyser en un licenciement
II - «Le contrat à durée globalement indéterminée»
et la succession de contrats distincts
Le salarié avait été occupé régulièrement de 1985 à 1988,
sur l'exploitation agricole, à des dates à peu près fixes, pour des
durées ininterrom pues de 8 mois à 8 mois et demi. Cette
succession de contrats distincts pendant quatre ans, a été
requalifiée par le juge en "contrat à durée globalement indétermi
née". L'arrêt d'Aix fait ici application de la "relation globale à
durée indéterminée", création prétorienne classique (2) bien anté
rieure aux interventions législatives de 1982-1990, qui continue
de prospérer aujourd'hui sans raison, en marge des textes.
Combinant les avantages du contrat à durée déterminée et
ceux du contrat à durée indéterminée, cette construction hybride
inconnue du Code du travail offre au salarié la garantie d'emploi
du premier et les indemnités de rupture du second. Chaque
période considérée isolément est traitée comme un contrat à durée
déterminée dont la rupture anticipée expose l'employeur à
d'importants dommages et intérêts. Mais lors du non renouvelle
ment du contrat à l'issue de la dernière période, l'ensemble est
rétrospectivement assimilé à un contrat à durée indéterminée et la
(1) Soc. 4 mai 1993, Flash jurisprudence. Semaine Sociale Lamy 1993, n* 650.
(2) G. Couturier, Droit du travail. Les relations individuelles de travail, P U.F
1993, pp. 158-159 et 178.
�94
rupture traitée comme un licenciement, assorti le cas échéant,
d'indemnités de préavis, de licenciement et de rupture abusive.
Bien que cette construction laisse subsister nombre
d'incertitudes, en particulier dans son application au "contrat
saisonnier", elle peut être regardée comme un contrat à durée
indéterminée "à exécution successive séparé par des périodes
d'inactivité" (1), qui n'est pas sans évoquer le contrat de travail
interm ittent Quoi qu'il en soit, les périodes de "morte saison"
peuvent être considérées comme des périodes de suspension d'un
seul et même contrat de travail. L'avantage est décisif lorsque le
salarié cherche à obtenir des indemnités de rupture. Le salarié
conserve l'ancienneté acquise au titre des différentes périodes
effectives de travail, notamment pour l'ouverture de certains
droits comme l'indemnité de licenciem ent et de préavis. Mais
surtout, le salarié occupé de façon saisonnière pendant de
nombreuses années peut espérer de substantiels dommages et
intérêts dans le cas d'un licenciement sans cause réelle et
sérieuse. Car, pour obtenir le minimum des 6 mois de salaire
visés à l'article L. 122-14-4, l'ancienneté se calcule alors en
term es de «lien d'appartenance à l'entreprise» : le salarié
additionne avantageusement les périodes d'activité et les périodes
d'inactivité au titre de son ancienneté dans l'entreprise (2). En
tout état de cause, la rupture intervenue au seul motif de la fin
de la saison constitue un licenciement injustifié. En l'espèce, le
licenciement abusif relevait de l'article L. 122-14-5 du Code du
travail en raison de la petite taille de l'entreprise agricole, et le
juge apprécia souverainement les dommages et intérêts à hauteur
du préjudice subi.
A priori, cette solution a de quoi surprendre puisque
depuis l'ordonnance du 5 février 1982, les textes autorisent la
conclusion avec le même salarié de contrats à durée déterminée
successifs dans le cas d'emplois à caractère saisonnier (3). Dès
lors, le contrat conclu dans une entreprise agricole pour la durée
d'une saison reste à durée déterminée même s ’il est renouvelé
pour les saisons suivantes (4). Or, depuis bien longtemps, et de
(1) Aix, 9’ Ch. 20 nov. 1990. n* 1056, inédit. Fichier Centre de Droit Social ; v.
sur le problème particulier du chômage "saisonnier”, article 28 du règlement
Unédic du 1er janvier 1993 ; cir. Unédic n* 93/8 du 19 mars 1993.
(2) Pour une application à un Directeur occupé pendant 11 ans dans un clubrestaurant ouvert 6 mois de l'année à Cannes, et appartenant à une importante
société, Aix, 9* ch., 20 nov. 1990, n* 1056, inédit. Fichier Centre de Droit
Social ; add. Vallée, La notion d'ancienneté en droit du travail français, Dr. soc.
1982, p. 871 et s.
(3) Art. L. 122-3-10 du Code du travail (loi du 12 juillet 1990).
(4) Soc. 26 mai 1988, Belloc cl Amar Mikki, doc. Juris-Data, n* 001034 : «le
contrat conclu dans une entreprise agricole pour la durée d'une saison reste à durée
déterminée, mime s'il est renouvelé pour les saisons suivantes» ; comp. pour la
95
manière constante, la chambre sociale apporte une importante
exception à cette règle légale en décidant «que la conclusion de
contrats de travail à durée déterminée successifs pendant toute
la durée d'ouverture d'un établissement établit entre les
parties «une relation de travail d'une durée globale indéterminée
alors même que les contrats ont été qualifiés de saisonniers» (1).
Cette jurisprudence n’est d'ailleurs pas propre au domaine
agricole (2), elle s'étend aux contrats temporaires selon l’usage
(3) qui concernent, entre autres, l'hôtellerie, la restauration (4), le
thermalisme (5), l'enseignement (6), les casinos (7) etc.
Cette solution justifiée traditionnellement par application
de la théorie générale des contrats et par la disparition du terme du
contrat initial, pourrait aujourd'hui trouver un fondement
renouvelé dans l'article L. 122-1 du Code du travail. Dans la
mesure en effet où un travailleur saisonnier est embauché par une
entreprise elle même saisonnière, il en devient le salarié perma
nent. Or, le texte d'ordre public en la matière est net : «un contrat
de travail à durée déterminée ne peut avoir ni pour objet, ni pour
effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et
permanente de l'entreprise».
Ceci étant, si cette qualification hybride de "contrat à
durée globalement indéterminée" devait subsister, il faut se
demander si elle est justiciable de la «requalification-sanction»
organisée de façon autonome, avec procédure accélérée et
sanction spécifique, par le nouvel article L. 122-3-13 du Code du
saison du football, v. soc. 31 mai 1989, Bull. civ. V, n* 406 ; La convention
collective peut toutefois prévoir une clause de reconduction pour la saison
suivante : Aix, 14° Ch. 14 sept. 1992, n° 871, inédit. Fichier Centre de Droit
Social, pour un perchman, dans une station de montagne ; add. L. Casaux, "Le
contrat saisonnier non précaire ?". Dr. soc. 1988, p. 175.
(1 ) Soc. 22 janvier 1991, R.J.S 1991, p. 166 (en matière de thermalisme).
(2) Aix, 9” Ch., 21 février 1989, n" 217, inédit. Fichier Centre de Droit Social
(ouvrier agricole occupé à la culture légumière de plein champs).
(3) Les contrats temporaires selon l'usage dans les secteurs visés à l'article D.
121-2 ont sensiblement le même régime juridique que les contrats saisonniers.
(4 ) V. supra note 13.
(5) Soc. 5 juin 1986, Bull, civ., V. n° 285, jurisprudence constante, v. supra note
16.
(6) Soc. 11 déc. 1991, n“ 4462. Semaine sociale Lamy 1992, n‘ 584, Flash de
jurisprudence: professeur de patinage occupé pendant trois ans.
(7) Soc. 19 nov. 1987. Cah. Prud'h. 1988, p. 149, «si la relation de travail ayant
existé entre les parties était d'une durée globale indéterminée elle n'ouvrait pas
droit pour le salarié à la poursuite des relations contractuelles sans solution de
continuité mais seulement au renouvellement du contrat pour la période
correspondante de l'année suivante...» ; Aix, 14* Ch. 26 sept. 1988, n* 852,
inédit. Fichier Centre de Droit Social.
�%
travail issu de la loi du 12 juillet 1990 (1). La question est pour
l'heure sans réponse jurisprudentielle.
Claude ROY-LOUSTAUNAU
Professeur à la Faculté de Droit
Directeur-Adjoint du Centre de Droit Social
DEUXIÈME PARTIE
CHRONIQUES
(1 )C . Roy-Loustaunau, «Réflexions sur le rôle du juge dans la requalificationsanction du contrat de travail à durée déterminée après la loi du 12 juillet 1990»,
JCP éd. E, 1991, I. 101 et s.
�L’APPRÉCIATION DE LA FAUTE
INEXCUSABLE PAR LA lOème CHAMBRE
DE LA COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
INTRODUCTION
"Seule est inexcusable au sens de la loi du 5 juillet 1985, la
faute volontaire d'une exceptionnelle gravité, exposant sans
raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir
conscience".
Par cette définition rigoureuse donnée dans une série de
onze arrêts (1), la Cour de cassation a voulu non seulement
donner son interprétation de l'une des notions fondamentales
pour la mise en oeuvre de la loi relative à l'indemnisation des
victimes d'accidents de la circulation, mais également démontrer
aux juges du fond qu'elle n'abandonnait pas cette notion à leur
pouvoir souverain en contrôlant la gravité de la faute (2).
On se souvient que le Garde des Sceaux Robert
BADINTER à l'origine du texte de 1985 avait laissé le soin à la
jurisprudence de définir les critères de la faute inexcusable
permettant de fixer les limites du droit à une indemnisation auto
matique des victimes non conducteur. Il nous a alors paru inté
ressant de nous pencher sur la jurisprudence aixoise en matière de
faute inexcusable afin d'observer dans quelle mesure l'inter
prétation de l'article 3 telle qu'exposée par la Haute juridiction
était suivie par les juges d'appel.
La tendance qui se dégage de l'étude des décisions rendues
sur une période allant de 1988 à 1993 révèle une relative adéqua
tion de la position de la lOème chambre civile de la cour d'appel
d'Aix avec l'attitude adoptée par la Cour de cassation, à savoir
d'une part une définition très étroite de la faute inexcusable (I) et
d'autre part, ce qui découle directement du facteur précédent, une
excessive rareté des cas dans lesquels le comportement de la
victime fait resurgir sa responsabilité (II).
I - Une conception restrictive de la faute inexcusable.
Parmi les conditions posées pour caractériser la faute
inexcusable, deux d'entre elles font l'objet d une attention
O) Cass. Civ. 2ème. 10 juillet 1987, Bull. civ. D n°160 et s.
(2) R. BOUYSSIC. "La faute inexcusable au sens de la loi du 5 juillet
Rapport de la Cour de cassation 1987, p.24.
�100
particulière de la part des juges d'appel : l'exceptionnelle gravité
de la faute et la conscience du danger auquel la victime s'est
exposée.
• Quant à l'appréciation de l'exceptionnelle gravité.
La sévérité dont fait preuve la C our de cassation dans
l'admission d'une gravité substantielle de la faute se retrouve au
stade du second degré. Elle conduit ainsi à ne pas retenir des
comportements qui s'inscrivent dans la lignée des imprudences,
inattentions ou négligences qui sont comm ises tous les jours par
un grand nombre de piétons ou de cyclistes. Bien qu'il y ait
violation du Code de la route dans la plupart des cas, nous nous
trouvons dans la limite de "l'acceptable" ou du "pardonnable".
Tel est le cas du piéton traversant en courant la chaussée en
dehors de tout passage protégé (1), de l'erreur d'attention d'un
piéton tournant le dos aux véhicules (2), du piéton ne s'assurant
pas qu'il pouvait traverser sans danger (3), ou encore du piéton
préférant emprunter la chaussée plutôt qu'un tunnel d'autopont
dépourvu d'éclairage (4). Dans le même ordre d'idée, une attitude
équivoque de la victime non conducteur au m om ent de sa
translation sur la chaussée n'apparaît pas excessivement grave ou
en tous cas de nature à exclure son indemnisation (5).
Outre le piéton et le cycliste, le passager transporté bénéfi
cie du même traitement de faveur comme le montre une décision
en date du 11 octobre 1990 dans laquelle les juges ont admis
l'indemnisation totale des dommages subis par les ayants droit
d'une personne mortellement blessée après avoir été éjectée du
plateau d'une camionnette. Selon les termes de l'arrêt, même si la
victime a commis une imprudence fautive en montant sur cette
partie du véhicule alors qu'elle pouvait prendre place dans la
cabine, on ne peut y voir une faute de nature à exclure toute
réparation (6). Une décision rendue à la suite d'une demande
d'indemnisation d'un passager transporté a néanm oins retenu
notre attention. Les faits étaient les suivants : M onsieur L
passager transporté d'un deux roues a été blessé le 30 novembre
1986 au cours de la collision entre le vélom oteur conduit par
Monsieur B et une automobile pilotée par M adame T. Il s'avère
que le cyclomoteur en question avait été volé par B et L. Le TGI
de M arseille saisi de l'affaire prononce le 5 octobre 1990
(1) DRESH/DEGAIN. 6 septembre 1990 n°496.
(2) DELPUECH/GREGORI, 11 juin 1990 n°265.
(3) PISANI/GATTO, 28 juin 1990 n°397.
(4) MANGEMATIN/EV A. 23 mai 1990 n°228.
(5) HADDAD/BESSE. 23 mai 1990 n°231 à propos de l'hésitation d'un piéton
achevant sa progression ; MATRONE/BERTRAND, 13 septembre 1990 n°575 à
propos d'un brusque mouvement de recul d'un piéton.
(6) LA CA ABEILLE PAJX/PAYAN, 11 octobre 1990 n°717.
101
l'indemnisation totale à la charge de B des conséquences domma
geables de l'accident dont L a été victime. Interjetant appel de
cette décision, la compagnie d'assurance du conducteur du vélo
moteur soutient que si l'article 3 de la loi de 1985 prévoit une
large indemnisation des victimes autre que les conducteurs de
véhicules terrestres à moteur, il ne fait cependant pas obstacle aux
principes généraux du droit au titre des quels figure l'adage nemo
auditur propriam turpitudinem allegans. La question posée était
double. La participation à un vol au cours duquel le passager du
véhicule dérobé a été blessé est-elle d'une exceptionnelle gravité
au point d'exclure la réparation du dommage subi par le coauteur
de l'infraction ? Ensuite, la règle nemo auditur peut-elle être prise
en compte pour exclure l'indemnisation de la victime protégée par
la loi de 1985 ? La Cour d'Aix répond globalement par la néga
tive, dans la mesure où, selon les termes de l’arrêt "l'accident n'a
pas été directement provoqué par le vol ou le comportement
délictueux de la victime mais exclusivement par l'imprudence
fautive du conducteur B qui s'est engagé imprudemment dans
l’intersection (1). Au vu d'une telle motivation, il y a lieu d'en
conclure qu'une faute, si grave soit-elle, ne peut être prise en
considération pour éluder le droit à réparation qu'en ce qu'elle
constitue la cause "adéquate" du dommage subi par la victime. Le
caractère indemnitaire de la loi de 1985 a tendance ici à s'effacer
au profit d'une notion plus classique, à savoir la cause génératrice
au sens de l'article 1384 alinéa 1er. Faut-il y voir la réintro
duction d'un raisonnem ent que l'on pourrait qualifier de
"causaliste" ou plutôt, et nous le pensons, la prise en compte des
circonstances de fait particulière à l'espèce ? Toujours est-il que
cette position, favorable à la victime, lui permettra de voir son
préjudice réparé. De plus l'argument tiré de l'adage nemo auditur
ne semble pas avoir emporté l'adhésion des juges, du moins
lorsque la victime n'est pas à l'origine directe de l'accident. A ce
propos, un auteur a proposé que l'on tienne compte de
"l'indignité" de la victime dans le cas où celle-ci (dont la vie ou
l'intégrité corporelle a été atteinte) s'est, par une faute grave,
placée dans une situation sans laquelle le dommage ne se serait
pas produit (2). Il aurait peut-être été plus judicieux en effet,
d'exciper de l'absence d'un intérêt légitime juridiquement protégé
ne permettant pas l'apparition d'un droit à réparation au profit
d'un voleur qui n'a subi un préjudice qu’en raison de son
(1) MATMUT/LATAMNA. 18 février 1993 n°149, JCP 1994, éd. G., IV, 628, JD
n°045424.
(2) CHABAS note sous C.A. Paris 28 février 1992, Gaz. Pal. 1992, II, juris. 539 ;
v. également MAZEAUD et CHABAS, Leçons de droit civil, T. 2, vol. 1 1991,
n®546-2, p.600.
�102
com portem ent délictueux. C ette position n'a pas, à notre
connaissance, trouvé écho pour l'instant en jurisprudence.
• Quant à la conscience du danger couru par la
victim e.
La quasi unanimité de la doctrine est d'accord pour affirmer
que la conscience du danger doit s'interpréter in abstracto eu
égard à la formule employée par la Cour de cassation (la Haute
juridiction parle du danger dont l'auteur de la faute "aurait dû
avoir conscience") (1). Cette lecture de l'article 3 alinéa 1
implique notamment que ne puissent se voir reprocher une faute
inexcusable les personnes dépourvues de discernement comme
les aliénés ou les enfants en bas âge (2). Si ce problème n'est pas
encore venu devant les juges de la Cour d'Aix, en revanche s'est
posée plusieurs fois la question de savoir si le défaut de
discernement dû à l'ingestion d'alcool pouvait ou non altérer la
conscience du danger que pouvait avoir eu la victime. La position
des juges aixois se distingue de celle adoptée par les autres
juridictions du fond en ce sens que si l'on constate une tendance
des magistrats du premier et du second degré des autres ressorts à
considérer que l'état d'ivresse de la victime constitue une faute
inexcusable (3), la lOème chambre civile de la cour d'Aix se
rapproche davantage de la Cour de cassation estim ant que la
victime non conducteur en état d'ébriété devait voir son préjudice
réparé (4). A plusieurs reprises, il a été jugé que l'état alcoolique
de la victime ne pouvait participer, à lui seul, d'une faute
inexcusable. Si l'on semble se situer ici encore au stade de
l'appréciation de la gravité de la faute (ce qui est vrai dans une
certaine mesure), une lecture plus attentive des décisions révèle à
chaque fois que la victime n'a pas vu le véhicule qui allait la
percuter (5) ou ne s'est pas suffisam m ent rendu compte de la
dangerosité de la circulation au moment de l’accident (6). On peut
( t ) SERIAUX. Droit des obligations. PUF 1992. n°l40, p.481 ; TERRE *
LEQUETTE - SIMLER, Les obligations, Dalloz 5ème éd. 1993, n°931, p.710.
(2) Tel n'est pas cependant la position de la Cour de cassation notamment dans un
arrêt du 7 juin 1989 D.1989. juris. 539 note AUBERT. JCP 1990, U. n°21451,
note BARBIERI. RTD civ. 1989, p.766 obs. JOURDAIN.
(3) S. BORRIES, "les confins de l'irresponsabilité de la victime d'un accident de la
circulation ou la faute inexcusable devant le juge du premier degré", Gaz. Pal.
1992, 2, doct. 679 et s., voir décisions citées ; CA Reims, 19 octobre 1989 cassé
sur pourvoi Cass. civ. 2ème, 24 mai 1991, Bull. civ. U, n°152, p.81.
(4) Cass. civ. 2ème, 13 février 1991, Bull. civ. II, n°50, p.26 ; 8 janvier 1992,
Bull. civ. Il, n°l, p.l. V. cependant Cass. civ. 2ème, 16 novembre 1988 (2ème
arrêt. Bull. civ. II n°217, p.l 17).
(5) LEROY/JUNG 16 janvier 1992 n°61 ; MATMUT/ISOLDA 12 mais 1992 n°219.
(6) BOUDJEDJA/FABER 21 mai 1990 n°222 dans le cas d'une circulation
particulièrement dense ; COLARULLO/DESAVES 6 septembre 1990 n°493, la
configuration des lieux impliquait un manque de visibilité.
103
d'ailleurs douter de la conscience du danger lorsque la victime se
trouve en état d'ivresse caractérisé, comme le révèlent deux
décisions dans lesquelles les victimes (toutes deux décédées)
présentaient respectivement des taux de 2,43g/00 et 2,99g/°° ! (1).
Il y a lieu de rapprocher ces espèces d'un arrêt rendu par la 2ème
chambre civile de la Cour de cassation du 10 avril 1991 jugeant
que la victime, dans un état alcoolique proche du coma éthylique,
ne pouvait avoir commis une faute inexcusable au sens de la loi
de 1985, l'altération de la capacité de discernement étant par trop
importante (2). En présence de pareille désorientation de la
victime, soulignons qu'un autre élément de la faute inexcusable
fait défaut, à savoir le caractère volontaire de l'acte à l'origine du
préjudice.
Si, comme on l'a vu, l'étroitesse de la définition de la faute
inexcusable conduit à écarter son admission dans l'immense
majorité des cas, il arrive parfois que les juges fassent usage du
premier alinéa de l'article 3 de la loi de 1985 pour caractériser le
comportement de la victime.
II - Le caractère exceptionnel de l'admission
de la faute inexcusable.
Si l'on se penche sur les décisions qui retiennent
effectivement la faute inexcusable, force est de constater qu'elles
ne sont pas légion ; loin s'en faut. Depuis 1988, seuls cinq arrêts
ont reconnu l’existence d'une telle faute, la dernière étant datée du
20 décembre 1989. Nous pouvons d'ores et déjà dire à cet égard,
que les objectifs du législateur ont été atteints en ce qu'il désirait
mettre en place un statut privilégié en faveur des victimes non
conducteur, lequel ne serait occulté qu'exceptionnellement
Quels sont donc les comportements des piétons ou des
cyclistes de nature à exclure toute action en réparation du
préjudice à l'encontre de l'auteur du dommage ? Peut-on dès lors,
essayer de dégager des idées ou des critères directeurs permettant
d'appréhender la démarche des juges confrontés à l'appréciation
de la faute ?
• Exposé circo n sta n ciel
d'inexcusables.
des
fau tes
qualifiées
Avant toute chose, il est possible de remarquer que sur les
cinq décisions post-citées, trois seulement aboutiront à l'absence
totale de réparation, les deux autres relevant que la faute n'était
pas la cause exclusive de l'accident.
(1) GARNIER/RESENTERA 18 ociobre 1990 n°756 ; ATTAU/LA RATVM 29
novembre 1989 n°883.
(2) Cass. civ. 2ème. 10 avril 1991, Bull. civ. 11 n°115, p.62.
�104
Voici brièvement résumées les situations de fait ayant
conduit à l'application positive de l'article 3 alinéa 1er de la loi de
1985.
* Alors qu'il m archait la nuit sur le bas côté d'une
autoroute, un piéton qui avait fait une fugue d'un hôpital, a
brusquem ent traversé la chaussée en tournant le dos aux
véhicules et a été heurté par un semi-remorque (1).
* A l'approche d'une intersection, un cycliste qui circulait à
une vitesse élevée a brusquement tourné à gauche nonobstant un
panneau de signalisation lui interdisant cette manoeuvre. Il a été
renversé par le flot de véhicules arrivant en sens inverse,
bénéficiant du feu vert (2).
* Au moment où il traversait en courant une chaussée à
trois voies en dehors de tout passage protégé et malgré la densité
de la circulation, un piéton a été blessé par un autobus qu'il
n'avait pas aperçu lors de son slalom entre les véhicules (3).
* Un automobiliste circulant sur une route nationale a
renversé un piéton qui, sans regarder autour de lui, a débouché
en courant de l'arrière d'un bus en stationnement sans emprunter
le passage protégé se trouvant à proximité (4).
* Après avoir franchi un grillage et les glissières de
protection, un piéton qui s'était engagé volontairem ent sur une
autoroute à la sortie d'une courbe alors que la circulation était
dense, a été blessé mortellement par une automobile circulant sur
la voie de gauche (5).
Toutes les décisions, à l'exception d'une seule, confirment
l'appréciation des juridictions du prem ier degré. Doit-on en
déduire une certaine cohérence ou une uniformité des juridictions
situées dans le ressort de la Cour d'A ix-en-Provence ? Cela
mériterait une étude plus large et plus profonde du contentieux.
Nous pouvons essayer toutefois de dégager les points de
convergence des arrêts rendus en cette matière.
• Essai d'une typologie des critères de qualification
de la faute inexcusable.
Lorsque l'on se penche sur les données concrètes des
espèces, notamment les circonstances de temps et de lieu, on est
frappé de découvrir un certain nombre de constantes ayant
concouru à la réalisation du préjudice.
Tout d'abord, la victime a systém atiquem ent réalisé un
cum ul de violations du Code de la route, au m épris de la
(1) BERRAHMA/FUSCO 19 avril 1988 lOème chambre section B.
(2) NJELLEM/GASTALDI 22 novembre 1988 lOème chambre section B.
(3) SANTIAGO/CIAM 13 septembre 1989 n°571.
(4) BOUCHOUICHA/GAUTHIER 17 octobre 1989 n°731.
(5) SPADARO/SIMON 20 décembre 1989 n#1000.
105
prudence la plus élémentaire. Si l'on peut pardonner les moments
d'inattention ou d'étourderie que commet "monsieur tout le
monde", le non-respect répété des prescriptions du Code de la
route (traversée de la chaussée en dehors du passage protégé,
violation de la signalisation, franchissement de grillage ou de
murets, circulation a contresens, présence en un endroit interdit,
...) est un indice du comportement, sinon asocial, du moins
hautement imprudent de la victime (1).
Ensuite, le caractère soudain et imprévisible de la présence
du piéton ou du cycliste est presque toujours l'une des causes de
l'accident (ce qui n'est pas sans rappeler, dans une certaine
mesure, la force majeure, pourtant exclue expressément par
l'article 2 de la loi). Le caractère brutal ou encore la vitesse à
laquelle se déplaçait la victime a rendu malaisée au conducteur
d'un véhicule terrestre à moteur la possibilité de l'éviter voire de
prévoir sa présence. Le piéton traversant en courant ou le cycliste
roulant à vive allure ajoute à la dangerosité des conditions de la
circulation. La visibilité réduite au moment des faits a pu
contribuer à rendre la vision de la victime encore plus soudaine
(la nuit, sortie de courbe, véhicule masquant la victim e,...).
Enfin, la plupart du temps, la faute inexcusable est relevée à
l'encontre de comportements de non conducteur sur des auto
routes ou des voies à grande circulation impliquant une circula
tion dense et/ou une vitesse élevée des véhicules. Il est à noter
que les rares arrêts de la Cour Suprême refusant l'indemnisation
des victimes font très souvent référence à cette configuration des
lieux où, la plupart du temps, les automobilistes ne peuvent légiti
mement s'attendre à rencontrer un piéton (2). L'exceptionnelle
gravité de la faute sera d'autant plus flagrante qu'elle se produit
en un lieu où les risques de dommage sont accrus. Il est en effet
des endroits où, comme l'a exprimé le Doyen CARBONNIER,
les conducteurs exercent une souveraineté sans partage (3). La
seule présence d'un "intrus" dans ces espaces "réservés" serait
alors considérée comme une faute inexcusable (4). La Cour d'Aix
(1) V. à ce propos G. LEGIER, "La faute inexcusable de la victime d'un accident de
la circulation régi par la loi du 5 juillet 1985", D.1986 Chron. p.97, spécialement
n°19.
(2) Cass. civ. 2ème, 7 juin 1989, Bull. civ. Il n°120, p.61 ; 28 juin 1989, Bull,
civ. B n°137, p.69, JCP 1989, IV. 330 ; 7 mars 1990, BuU. civ. U n°53, p.29 ; 13
février 1991, Bull. civ. Il n°50, p.26, D.1992, som. cass. 208 obs. COUVRAT et
MASSE ; 8 janvier 1992, Bull. civ. Il n°l, p.l, références au Dalloz idem ; Cass,
crim. 12 mai 1993, JCP 1993, IV. n°2049.
(3) CARBONNIER, Droit civil, Les obligations, T. IV, n°28l.
(4) Cass. civ. 2ème, 13 février 1991 et 8 janvier 1992 précités.
�106
sem ble partager une telle opinion lorsqu'elle vise la haute
probabilité du danger auquel s'exposait la victime (1).
CONCLUSION
TROISIEME PARTIE
••
On le voit l'accueil de la faute visée par l’article 3 alinéa 1
implique l'accumulation d'un certain nom bre de circonstances
caractérisant l'acte particulièrement blâm able auquel faisaient
référence les auteurs de la loi. La position de la dixième chambre
civile de la cour d'appel d'A ix-en-Provence est relativement
orthodoxe en ce qu'elle suit assez fidèlem ent la définition
élaborée le 20 juillet 1987 par la Cour de cassation. Le rôle du
juge n'en est pas moins délicat lorsqu'il s'agit de mettre en
oeuvre concrètement les critères conduisant à la reconnaissance
d'une faute inexcusable privant la victim e de son droit à
réparation. Encore faut-il que cette faute ait été la cause exclusive
du dommage, mais ceci est une autre histoire...
SOMMAIRES
DE JURISPRUDENCE
Jean-Marc ROUX
Attaché temporaire d’enseignement
et de recherche
(1) Décisions précitées du 19 avril 1988 et 10 décembre 1989. Il est à noter que la
décision du 19 avril 1988 a fait l'objet d'un pourvoi devant la Cour de cassation,
laquelle a entériné la position des juges du second degré dans un arrêt du 8 janvier
1992 paru au Bulletin civil II n°l, p.l.
�DROIT CIVIL
DROIT COMMERCIAL
�FAMILLE
CONCUBINAGE
SO - Concubinage / Relations patrimoniales.
Aix - 1ère chambre A - 14 octobre 1993 - n°462
Président : M. HUGHES - Avocats : Mes BERNARDI-ATTAL,
LOMBARD
Le concubinage, même prolongé, n 'emporte pas par lui-même création
d'une société de fait. Il faut, pour qu'il ail existé entre des concubins une telle
société, que soient réunis les éléments du contrat de société, à savoir des
apports de part et d'autre en vue d'une activité commune, l'intention des
concubins de participer aux bénéfices et aux pertes, ou tout au moins la
volonté de profiter d'une économie, et ïaffecto societatis.
Observations : On sait que l'existence d’une société de
fait entre concubins est l'une des techniques du droit commun
permettant au juge de "démêler, fini le concubinage, des intérêts
pécuniaires enchevêtrés par des années de vie commune" (J.
CARBONNIER, Droit civil, La famille, T.2, Thémis, 16 e éd.
1993, n°231. Sur les autres mécanismes du droit commun : v. A.
PROTHAIS, "Le droit commun palliant l'imprévoyance des
concubins dans leurs relations pécuniaires entre eux", JCP 1990,
I, 3440). Mais le seul fait que les concubins ont fait ménage
commun ne suffit pas à caractériser l'existence d'une société de
fait (cf. Crim., 13 octobre 1981, D.1982, IR, 96).
Encore faut-il, aux termes d'une jurisprudence désormais
classique (par ex. : Civ. 1, 23 juin 1987, D.1987, IR, 169 ;
Paris, 9 novembre 1992, Rev. trim. droit civil 1993, 330) que les
trois éléments essentiels d'une société - apports réciproques,
participation aux résultats, intention de s'associer - soient réunis.
Pierre STORRER
DIVORCE
SI - Divorce pour faute / Effets / Prestation
compensatoire / Fixation / Moment d ’évaluation /
Évolution de la situation des époux en cours de
procédure d ’appel
Aix - 6ème ch - 12 octobre 1993 - n°994
_ _ TXÎ
Président, M. SAINTE - Avocats, Mes GUISANO, MARTINULET
�112
113
Par jugement du 5 juin 1990, le TGI de Marseille a prononcé le
divorce des époux F. et a sursis à statuer sur la demande de prestation
compensatoire de la femme. Par jugement en date du 21 février 1991, le TGI
a fixé la prestation compensatoire à 1500 F pendant 5 ans. Dont appel.
S'il existait une disparité entre les époux, “à l ’heure actuelle ” le mari a
vu sa situation se dégrader en raison de sa maladie alors que la femme a vu sa
situation s ’améliorer. Il n ’existe plus aucune disparité et il convient de
supprimer la prestation compensatoire.
Observations : Voici apparemment un arrêt rebelle, mais
il est des rébellions qui se com prennent. Il est connu qu’en
application des articles 260 et 271 du Code civil, le juge doit fixer
la prestation com pensatoire en fonction de la disparité des
niveaux de vie des époux telle qu’elle existe à la date où le
prononcé du divorce acquiert force de chose jugée (Voy. Juris
Classeur Civil, Art. 264-1 à 285-1, Fasc. 20 par Jean Hauser, n°
13, 1992). En conséquence, lorsque l’appel porte aussi bien sur
le prononcé du divorce que sur la prestation compensatoire, les
juges du second degré peuvent - et doivent - tenir compte des
évolutions de niveaux de vie des parties survenues depuis la
décision de première instance (Voy. par exemple, Civ. 2ème, 28
janvier 1987, D. 87, p. 497, n. B ianco-B run; Civ. 2ème,
4 juillet 1990, BC II, n° 160). En revanche, lorsque seule la
question de la prestation compensatoire se trouve critiquée, la
date où le prononcé du divorce est devenu irrévocable étant la
date où les délais d ’appel de la décision de première instance sont
éteints, les évolutions postérieures ne doivent pas être considé
rées par les juges du second degré. Ainsi en a décidé la Cour de
cassation (Voy. Civ. 2ème, 11 décembre 1991, BC U, n° 338, D.
92, IR 9). autrement en décide aujourd’hui la cour d'appel d’Aixen-Provence. Dans l’arrêt rapporté, les juges apprécient en effet
la disparité “à l’heure actuelle” alors que la dissolution du mariage
a acquis force de chose jugée depuis 1990.
L ’arrêt risque dès lors la censure, mais son refus de suivre
la logique de la Cour de cassation ne manque pas d ’arguments.
En effet les évolutions dans la situation des parties peuvent être
très sensibles entre le prononcé irrévocable du divorce et la date
où il sera définitivement statué sur la prestation compensatoire, il
semble peu raisonnable de les ignorer et de statuer en fonction
d ’une disparité devenue à l’évidence fictive au moment de la
décision. Pire, il a été soutenu (Bianco-Brun, note précitée, p.
499) que ces évolutions, même d ’une exceptionnelle gravité, ne
pourraient être retenues ultérieurement pour fonder une demande
de révision de la prestation au titre de l’article 273 du Code civil,
cette procédure supposant un changement dans la situation des
parties qui, par hypothèse, ne pourrait se situer q u ’après la date
où la prestation com pensatoire est née. Sans nécessairement
partager une telle opinion, il demeure que, la procédure de
l’article 273 étant exceptionnelle, il appartient au plaideur
prudent, en l’état de la jurisprudence de la Cour de cassation,
d’interjeter systématiquement appel de la décision prononçant le
divorce s ’il entend critiquer celle fixant la prestation
compensatoire. C ’est le seul moyen dont il dispose en pratique
pour être certain que la cour d'appel tiendra compte de l’évolution
de ses ressources en cours de procédure. Voilà qui aboutit à
maintenir artificiellement le lien conjugal et risque de compliquer
la vie des parties. La solution adoptée par l’arrêt rapporté évite ce
genre de problèmes, il serait dès lors regrettable que la Cour de
cassation continue à imposer la solution contraire.
Philippe STOFFEL-MUNCK
S2 - Divorce pour faute / Prestation compensatoire /
Appréciation des besoins du créancier / Appauvris
sement volontaire
Aix - 6ème ch - 16 novembre 1993 - n° 1411
Président M. SAINTE - Avocats, Mes DELISLE, BALDO
La femme, demanderesse à la prestation, a hérité en propre d ’un
immeuble d'une valeur locative de 1500 F. par mois. La donation à laquelle
rien ne l'obligeait - de ce bien à l ’enfant commune et l ’appauvrissement qui
en est résulté pour elle-même ne sauraient préjudicier à son époux dans
l ’appréciation du montant de la prestation compensatoire, dès lors qu’un tel
appauvrissement a été entièrement volontaire de sa part.
-
Observations : Il est classiquement admis en matière de
dette alimentaire que l’appauvrissement volontaire du débiteur ne
peut préjudicier au créancier lors de la fixation du montant de ses
droits (Voy. notamment J. Cl. civil, art. 205 à 211, fasc. 10 par
Laurent Leveneur, n° 62 s., 1992; Encyclopédie Dalloz civil, V°
Aliments, par Marie Komprobst, n° 180 s., 1992). La Cour de
cassation a admis que la solution soit étendue à la question de la
contribution aux charges du mariage à l’occasion d’une espèce
dont les faits sont largement analogues à ceux de l’arrêt ci-dessus
rapporté (Civ. 1ère, 7 novembre 1984, BC I n° 296, Rép. Def.
1985, p. 696, art. 33535, n. Massip). Il s ’agissait d’un mari qui,
postérieurement à l’introduction de l’instance, avait donné à ses
enfants nés d’un premier lit plusieurs immeubles productifs de
revenus, ‘‘avec l’intention manifeste d’échapper au versement
d’une contribution aux charges du mariage que ses ressources
antérieures lui permettaient de régler”, indique la Cour.
L ’arrêt rapporté étend le raisonnement à la question de la
prestation compensatoire. On remarquera cependant que les juges
�114
115
du fond ne caractérisent pas l’intention frauduleuse de la débitrice
de la prestation mais relèvent simplement que rien ne l’obligeait à
effectuer la donation litigieuse. C ’est peut-être ouvrir bien grand
la porte aux réintégrations de revenus dans l’estimation des
ressources du débiteur! On regrettera dès lors que les magistrats
n’aient pas visé des circonstances complém entaires de nature à
révéler une intention de fraude, à défaut de quoi ce sont toutes les
libéralités consenties dans le passé q u ’il faudrait fictivement
réintégrer dans le patrimoine du conjoint dont on va apprécier les
facultés contributives. Une telle conception serait sans doute
excessive.
Philippe STOFFEL-MUNCK
S3 - Divorce pour faute / Prestation compensatoire /
Consistance / Usufruit
Aix - 6ème ch - 25 mai 1993 - n° 567
Président, M. SAINTE - Avocats, Mes ACQUAVIVA, SEMPE
Il existe entre les niveaux de vie des époux une disparité certaine qu’il
échet de compenser en allouant à la femme une rente mensuelle de 1800 F. à
titre viager. Il échet en revanche de la débouter de sa demande tendant à
bénéficier de l’usufruit d ’un bien commun, le dit usufruit empêchant de
réaliser le bien immobilier et laissant entre les époux divorcés un lien
d’intérêt
Observations : L ’article 275 §2 du Code civil dispose
que l’une des form es que peut prendre l’attribution d’une
prestation compensatoire en capital consiste en l ’abandon “de
biens en nature, meubles ou im m eubles, mais pour l’usufruit
seulement’’. La jurisprudence a en outre précisé que cet usufruit
pouvait indifféremment porter sur des im m eubles propres ou
communs (Civ. 2ème, 1er avril 1992, JCP G 92, IV, 1638).
L'espèce rapportée souligne les inconvénients pratiques que pose
le recours à la technique de l'usufruit, difficultés reconnues par
ailleurs en doctrine (Voy., par exem ple, Hauser, RTDC 94, p.
85), mais occulte com plètem ent le fait que les formules
d'attribution en capital de la prestation compensatoire bénéficient,
en principe, d'une préférence légale. On peut se demander, en
regard de l’arrêt rapporté, si cette technique ne se trouve pas
désormais primée par l’attribution de la prestation compensatoire
sous forme de rente, et s'interroger sur ce qu'il reste alors de
l'article 285 §2 du Code civil.
Philippe STOFFEL-MUNCK
S4 - Divorce pour faute / Prestation compensatoire /
Variations futures / Age de la retraite
a) Aix - 6ème ch - 4 novembre 1993 - n° 1279
Président, M. SAINTE - Avocats, Mes BAFFERT-SAVON,
LOMBARD
La prestation compensatoire indexée allouée à la femme sera diminuée
de 25% du montant qu'elle aura atteint lorsque le mari sera admis à faire
valoir ses droits à la retraite.
b) Aix - 6ème ch - 4 novembre 1993 - n° 1280
Président, M. SAINTE - Avocats, Mes SANGUINETTI,
BRINGUIER
Il échet d'allouer à la femme une prestation compensatoire de 2000 F.
par mois à titre viager mais de dire quelle sera diminuée de 25% de la somme
qu'elle aura atteinte le jour où le mari sera admis à la retraite.
c) Aix - 6ème ch - 16 novembre 1993 - n° 1402
Président, M. SAINTE - Avocats, Mes DAUMAS, POUPON
Sera versée à la femme une prestation compensatoire de 6000 F. par
mois devant être réduite à 80% de sa valeur lorsque le mari sera admis à la
retraite.
d) Aix - 6ème ch - 25 mai 1993 - n° 548
Président, M. SAINTE - Avocats, Mes SAFFARES, DAGNIER
Les parties connaissent à l'heure actuelle une situation quasi-identique.
S'il est certain qu 'à l'âge de 60 ans, lors de sa mise en retraite, la situation de
la femme sera moins intéressante en raison du peu d'années de travail qu'elle a
accomplies, il est impossible de dire que b prestation compensatoire sera due
à compter de cette date, laquelle est d'une part hypothétique et les ressources
des parties à cette époque étant, d'autre part, actuellement inconnues.
Observations : L ’article 271 du Code civil dispose que la
prestation compensatoire doit être fixée en fonction de la situation
respective des parties à la date du divorce et de leur évolution
“dans un avenir prévisible”. Il est depuis longtemps admis à ce
titre que les juges tiennent compte de la diminution de ressources
du créancier de la prestation qui accompagnera sa prochaine mise
à la retraite (Paris, 25 avril 1978, JCP G 79, II, 19187, n.
Lindon). Parallèlement, les juges aixois soulignent aujourd’hui
qu’il échet de tenir également compte de cette circonstance dans
l’appréciation de l’évolution prévisible des ressources du
débiteur. La Cour d ’Aix retient pour ce faire une technique
relativement fixe : amputation de la prestation d’environ 25% de
sa valeur à la date de la retraite du débiteur. Si les formules
fluctuent légèrement pour indiquer précisément la date à partir de
laquelle la diminution pourra jouer, il convient sans doute de
considérer que ce n ’est q u ’au jour où le débiteur prendra
effectivement sa retraite que la réduction devra avoir lieu. D serait
�116
117
a) Aix - 6ème ch - 21 septembre 1993 - n° 829
en effet paradoxal que celui qui poursuit son activité puisse
bénéficier d ’un tel allégement au seul m otif q u ’il a atteint l’âge
théorique à compter duquel il pounrait prendre sa retraite. Enfin, il
reste à relever qu’en cas de disparité future, certaine mais non
prévisible dans son quantum, les juges du fond n’hésitent pas à
se servir du pouvoir souverain d’appréciation que leur a reconnu
la Cour de cassation pour refuser la prestation (Civ. 2ème, 24
octobre 1990, Juris Data n° 003008).
Les pièces produites par la femme sont insuffisantes pour faire jouer la
clause de dureté, sans que la sincérité du sentiment religieux de l’appelante ne
soit mis en doute, et ce, d’autant que la dissolution du mariage civil par le
divorce ne peut porter atteinte aux convictions que l’un des époux peut avoir
de l’indissolubilité du mariage religieux.
Philippe STOFFEL-MUNCK
Président, M. SAINTE - Avocats, Mes COLOMBANI,
MOLARD
S5 - Séparation de corps / Griefs / Preuves /
Témoignages irrecevables / Descendants / Conjoints et
concubins des descendants
“L’appelante affirme sa sincère aversion du divorce, et fait spéciale
ment état de ses convictions catholiques (...). Mais si elle se trouve aussi
bien informée qu'elle le dit de la position de l’Église catholique, l’appelante
ne peut ignorer que celle-ci ne jette aucune opprobre sur l’époux qui n’a ni
demandé ni même accepté le divorce sollicité par son conjoint, ce que
l’intimé établit d’ailleurs en produisant une consultation de l’Archevêque de
Paris.”
Aix * 6ème ch - 8 juin 1993 - n° 589
Président, M. SAINTE - Avocats, Mes LE MAUX, AYACHE
Il convient d ’écarter des débats les attestations des conjoints ou
concubins des descendants en raison de la prohibition faite par Particle 205 du
Nouveau Code de procédure civile aux descendants de témoigner sur les griefs
invoqués par les époux à l’appui de leur demande en divorce ou en séparation
de corps.
Observations : Le champ d’application de la prohibition
de l’article 205 du Nouveau Code de procédure civile ne cesse de
s’étendre, le mouvement se constate égalem ent ailleurs (Voy.
Pau, 2ème ch., 5 avril 1993, C ahiers de Jurisprudence
d ’A quitaine, 1993-2, p. 216, n°3282, note Jean-Jacques
Lemouland) mais est loin de faire l’unanimité des juridictions du
fond (Voy. les décisions citées par J. Rubellin-Devichi, Juris
Classeur procédure civile, Divorce, preuves, fasc. 910-8, n° 31).
Si la Cour de cassation a admis que l’interdiction concerne les
conjoints des descendants des époux (Civ. 2ème, 24 mai 1991,
JCP G 91, IV, 277), elle semble en revanche plus réservée en ce
qui concerne les concubins (Cas où le témoignage a été admis
comme recevable : Civ. 2ème, 25 novembre 1992, JCP G 93,
IV, n. 317 p. 37). Comme cela a été avancé (Lemouland, note
précitée), l’extension de la prohibition à ce type d ’hypothèse tient
peut-être au degré de solidité du concubinage considéré.
L’analogie avec le sort du conjoint se justifierait alors mieux.
Philippe STOFFEL-MUNCK
S6 - Divorce pour rupture de la vie commune / Clause
d’exceptionnelle dureté / Sentiments religieux
Président, M. SAINTE - Avocat, Me GRUGNARDI
b) Aix - 6ème ch - 16 novembre 1993 - n° 1377
Observations : C ’est singulièrement limiter les chances
de voir jouer la clause de dureté de l’article 240 du Code civil
pour des motifs religieux que de considérer que le divorce civil
n’a pas d ’incidence sur le plan religieux ! Cette vision restrictive
des choses n ’est d ’ailleurs pas propre à la Cour d ’Aix-enProvence. On la retrouve, par exemple, dans la jurisprudence de
la Cour de Paris (Paris, 7ème chambre, 19 septembre 1991, D.
93, p. 193, note Villacèque. Adde Bordeaux, 6ème chambre, 28
juin 1990, Juris Data n° 043761 ; ainsi que Amiens, 31 janvier
1992, RTDC 94, p. 82, obs. Hauser). La controverse n’est pas
nouvelle (Voy. TGI Perpignan, 29 février 1984, D. 84, p. 520,
n. Sériaux et V illacèque; Civ. 2ème, 9 juillet 1986, et
Montpellier, 16 février 1987, D. 88, p. 5, n. Villacèque; Colmar,
23 novembre 1990, JCP G 91, II, 21764, n. Villacèque). On
pouvait penser qu’elle avait été tranchée par la Cour de cassation
qui, si elle n’admettait naturellement pas qu’il suffise de faire état
de convictions religieuses avérées pour bénéficier du jeu de
l’article 240 du Code civil, semblait exiger que les juges se
déterminent en une telle hypothèse par “motifs spéciaux’’ (Civ.
2ème, 23 octobre 1991, D. 93, p. 193, n. Villacèque). Il avait été
déduit de cet arrêt que les juges du fond devaient, en particulier,
se pencher sur l’activité de l’intéressé au sein de sa paroisse et
admettre le jeu de la clause de dureté si la femme est une
"militante" fervente de sa foi, évoluant dans un milieu social
attentif au respect des règles canoniques, et dont elle se serait ellemême sentie exclue par son divorce (Voy. Amiens, 31 janvier
1992, précité. Adde Carbonnier, Droit civil, la famille, PUF
1992, n° 129, qui relève "l’avantage" dont bénéficierait "les
�118
militants sur les contemplatifs"). Or, en l'espèce, les magistrats
aixois n'évoquent nullem ent le degré d'engagem ent de la
défenderesse dans la profession de sa foi. C 'est un premier
reproche, assez formel il est vrai, qu'on pourrait leur adresser.
Mais sur le fond la prise en compte du militantisme religieux n'est
qu'une des m ultiples illustrations possibles du raisonnement
auquel la Cour de cassation invite les juges du fond lorsqu'elle
leur impose de statuer par motifs spéciaux. En effet, s'il en était
autrement, on pourrait facilement combattre le jeu de la clause de
dureté dans l'hypothèse d'un engagem ent religieux actif en
soutenant une nouvelle fois que le divorce civil étant de nul effet
sur le plan canonique, il n'y a aucune raison de penser que le
statut de la femme au sein de sa paroisse s'en trouvera altéré.
En réalité, la Cour de cassation semble imposer aux juges
du fond d'apprécier in concreto les conséquences qu'aurait le
divorce sur la vie sociale et la santé morale de la femme. Dans
cette optique le critère du "militantisme" religieux n’est finalement
plus qu'un élément de preuve de l'attachement de l'intéressé aux
idéaux chrétiens qui l'animent. Or l'atteinte à ces idéaux peut
exister concrètem ent même s ’il est vrai q u ’abstraitement le
divorce civil n’affecte en rien le mariage religieux. En effet, le
divorce est la reconnaissance par le Droit, par la société, de la
dissolution de l’union. A ce titre, il est bien plus porteur de
signification q u ’une sim ple séparation de fait. De cette
officialisation de la rupture du lien conjugal peut résulter un
traumatisme réel, et ce n’est que sur la dureté de ce traumatisme
que doivent se pencher les juges, pas sur son fondement logique.
Il est dès lors inexact de refuser que joue l’article 240 du Code
civil sous le seul prétexte que théoriquement le mariage religieux
est autonome par rapport au mariage civil.
On remarquera d ’ailleurs la motivation prudente du second
arrêt qui énonce un peu plus loin q u ’il convient de ne pas
seulement se placer sur un plan objectif mais qu’il faut également
rechercher sur un plan subjectif si le prononcé du divorce ne
serait pas ressenti avec une telle émotion par l’appelante que sa
santé physique ou psychique en serait gravem ent altérée. Il faut
alors regretter que les m agistrats ne tirent pas tout à fait les
conséquences de leur raisonnement et se bornent à énoncer que
les troubles ressentis par l’appelante sont normaux pour son âge
(71 ans) et “qu’il est banal de constater que les contrariétés
aggravent les troubles antérieurs’*. Ce faisant, les juges retombent
dans une appréciation objective des choses au lieu de se
demander simplement si pour l’appelante la douleur générée par
le divorce ne serait pas insupportable par rapport à ses capacités
personnelles de résistance.
Philippe STOFFEL-MUNCK
S7 - Divorce / Procédure / Droit des enfants à être
entendus / art. 12 convention de New-York / Inter
ventions volontaires / art. 388-1 nouveau du Code
civil
Aix - 6ème ch - 18 mai 1993 - n° 521
Président M SAINTE
Avocats, Mes BESSARD DU PARC, GUILLAUMONT BRUN,
CLARAMUNT
L'article 1115 du Nouveau Code de procédure civile interdit
l'intervention des enfants dans la procédure de divorce de leurs parents.
L'article 12 de la convention internationale des droits de l'enfant adoptée par
l'ONU le 20 novembre 1989 et ratifiée par la France n'accorde à l'enfant la
possibilité d'être entendu dans une procédure judiciaire que "de façon
compatible avec les règles de procédure de la législation nationale". En outre,
la loi du 8 janvier 1993, précisément prise pour accorder le Code civil
français avec la Convention internationale, dispose en son article 53 (devenu
l'article 388*1 nouveau du Code civil) que "l’audition du mineur ne lui confère
pas la qualité de partie à la procédure". Les interventions volontaires sont
donc irrecevables.
O bservations : On sait qu’aux termes de l’article 12 de la
convention de New-York l’enfant doué de discernement doit
pouvoir être entendu librement sur toute question l’intéressant.
L’article 53 de la loi n° 93-22 du 8 janvier 1993 (JORF, 9 janvier
1993, p. 495; ALD 1993, p. 179) tente d ’organiser la mise en
oeuvre de ce principe en introduisant dans le Code civil un article
388-1 nouveau. Le texte n ’indique cependant pas quels sont les
moyens techniques qui garantissent à l’enfant de pouvoir mettre
ce droit nouveau en oeuvre. La circulaire du 3 mars 1993 relative
aux droits de l’enfant n ’est pas plus explicite à cet égard (JORF,
24 mars 1993, p. 4551; D. 93, p. 290. La circulaire indique
pourtant clairement que la disposition nouvelle “consacre un droit
nouveau pour le m ineur’’ et “ne constitue pas une simple
extension’’ de la règle qui permettait au juge de l’entendre en vertu
de l’article 290-3 du Code civil). Dès lors on peut se demander si
d’un “droit de l’enfant à être entendu” on ne passe pas à une
“faculté pour le juge d’entendre l’enfant”; ce qui ne représenterait
pas une grande avancée! C ’est, semble-t-il, dans ce sens restrictif
qu’ont statué les magistrats aixois dans l’espèce rapportée. Quelle
autre voie que l’intervention volontaire pourrait en effet garantir à
l’enfant le droit de se faire entendre? D’ailleurs, nombreuses sont
les juridictions du fond qui ont admis la recevabilité d’une telle
intervention (Pau, 2ème chambre, 2 mars 1993, Cahiers de
jurisprudence d'Aquitaine, 1993-2, n° 3286, p. 217, n. J. J.
Lemouland ; voy. également Lyon, Ordo. du conseiller de la mise
en état, 28 novembre 1991, JCP G 92, II, 21801; Lyon, Ordo.
�121
de référé, 3 avril 1991, GP 91, 2, somm. 412;TGI Lille, Ordo
JAM, 14 mai 1991 et 18 juillet 1991 - Lyon, 2ème chambre, 30
avril 1991 - Paris, 12 juillet 1991, ensem ble : D. 93, p. 176, n.
Fenaux). Pourtant, la Cour d ’Aix ne fait que se placer dans la
ligne de la jurisprudence de la Cour de cassation qui a dénié toute
effet direct en droit interne à la convention de New-York (Civ.
1ère, 10 mars 1993, voy. Neirinck et M artin, Un traité bien
maltraité, JCP G 9 3 ,1, 3677 ; adde Civ. 1ère, 15 juillet 1993, D.
94 p. 191, n. Massip). Devant les protestations de la doctrine sur
le raisonnement utilisé par la Cour de cassation à cette occasion
(Voy. Neirinck et Martin, précité), on saluera l’habileté des
magistrats aixois qui, pour arriver à la même solution, déplacent
le débat sur le terrain de la procédure. Ils remarquent simplement
que l’intervention volontaire conférant la qualité de partie au
litige, ce n ’est pas par ce biais que peut être entendu l’enfant
puisque l ’article 388-1 nouveau du C ode civil précise
expressément que “l’audition du m ineur ne lui confère pas la
qualité de partie à la procédure’’.
Philippe STOFFEL-MUNCK
ALIMENTS
S8 - Contribution aux charges du mariage / Fixation /
Appréciation des ressources du débiteur de la
contribution / Appauvrissement volontaire.
Aix - 6ème ch - 19 octobre 1993 - n° 1037
Président, M. SAINTE - Avocats, Mes LECLERC, LATIL,
DRAGON
La Cour estime que l'article 214 du Code civil impose aux époux de
contribuer aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives,
ce qui implique notamment l'obligation de ne pas s'appauvrir sciemment pour
satisfaire une passion personnelle, fut-elle celle, noble entre toutes, de la
profession d'avocat dont le mari n'a que tardivement éprouvé la vocation (à
l'âge de la retraite) ; le déficit résultant de cette activité sera donc partiellement
réintégré dans les revenus du mari servant de base au calcul du montant de sa
contribution aux charges du mariage.
Observations : Voici une nouvelle application du
principe selon lequel l’appauvrissement volontaire du débiteur ne
peut préjudicier aux droits de son créancier d ’alim ents (Voy.
observations sous Aix, 16 novembre 1993, au présent bulletin,
S2). On remarquera simplement que n’est plus ici visée la fraude
du débiteur, mais, plus largem ent, son devoir de ne pas
s ’appauvrir sciemment au détrim ent de son conjoint. Voilà qui
constitue une singulière limite au droit de profiter de son
patrimoine, qui rappellera la méfiance de notre Droit envers les
prodigues. Pourtant, la prodigalité n’est pas sanctionnée de la
sorte chez le créancier d’aliment, puisqu’il est de jurisprudence
constante que peu importe la cause pour laquelle celui-ci s’est
trouvé dans le dénuement (Bordeaux, 20 janvier 1927, DP 27, 2,
95, cité par Marie Komprobst, in Encyclopédie Dalloz civil,
Aliments, n° 171, 1992).
Philippe STOFFEL-MUNCK
S9 • Contribution aux charges du mariage / Mariage
polygamique / Elément inopérant
Aix - 6ème ch - 18 mai 1993 - n° 500
Président, M. SAINTE
L'obligation pour le mari de contribuer aux charges du mariage est une
règle fondamentale de l'ordre public français auquel le mari ne saurait se
soustraire en invoquant son statut personnel. La deuxième épouse d'un
mariage polygamique régulièrement célébré à l'étranger a donc des droits
alimentaires.
Observations : Dans l'espèce rapportée, le mari avait
délaissé sa seconde épouse pour ne plus vivre qu'avec la
première. Il est clair qu'il s'acquittait de sa contribution aux
charges du mariages vis à vis de cette dernière. Pour autant il doit
continuer à s'acquitter d’une telle contribution vis à vis de l'autre.
La solution est dans la ligne de la jurisprudence classique qui
débuta avec l’arrêt Chemouni (Civ. 1ère, 28 janvier 1958,
RCDIP 1958, n. Jambu-Merlin; JCP G 58, II, 10488, n. LouisLucas) qui admit le droit à pension alimentaire en France de la
seconde épouse d ’un mariage bigamique régulièrement célébré à
l’étranger. Il faut donc croire que si le mari entendait se défaire,
matériellement, de sa seconde épouse, il aurait dû le faire par les
voies légales en vigueur dans son pays de nationalité. Mais
encore faudra-t-il que ces "voies légales" ne heurtent pas notre
ordre public international, une simple répudiation serait donc
vraisem blablem ent de nul effet en France. En somme, la
polygamie coûte cher (Voy. sur l’ensemble de la question, F.
Monéger, La polygamie en question..., JCP, G, I, 3460; Gilles
Endréo, Bigamie et double ménage, RTDC 91, p. 263 s.) !
Philippe STOFFEL-MUNCK
�122
123
S10 - Obligation alimentaire à l'égard de l'enfant /
Fixation / Appréciation des ressources du débiteur de
la pension / Absence d'éléments précis / Estimation.
S ll - Obligation alimentaire vis à vis de l'enfant /
Révision / Changement d'emploi / Motifs inconnus /
Appauvrissement volontaire (non)
Aix - 6ème ch - 23 novembre 1993 - n° 1449
Président, M. SAINTE - Avocats, Mes LECA, VERNIERS
Aix - 6ème ch - 18 mai 1993 - n° 510
Président, M. SAINTE - Avocat, Me DRAGON
Le père ne justifie de ses ressources personnelles qu'entre Août 1992 et
Janvier 1993, période pendant laquelle il a perçu le RMI et une allocation
logement. Attendu que le père ne fournit aucune autre indication sur sa
situation et notamment sur sa qualification professionnelle, sur ses emplois
passés et ses recherches d'emplois futurs, alors qu'il est tenu de contribuer à
l'entretien de son fils en proportion de ses facultés réelles de travail. Il y a
lieu de fixer sa contribution à 800 F. par mois.
Le retour en métropole de la mère, créancière de la pension, lui a fait
perdre le bénéfice de la majoration de traitement de 40% pour les emplois
publics Outre-mer. Le changement de poste de la mère, pour des motifs et
dans des circonstances inconnus de la Cour, ne peut s'assimiler à un
appauvrissement volontaire. Il doit donc être tenu compte de la diminution de
ses facultés contributives et il échet d'augmenter le montant de la pension due
par le père.
O bservations : Le principe mis en oeuvre par cet arrêt est
des plus classiques, l’insolvabilité artificielle du débiteur ne
saurait préjudicier au créancier d ’aliments. Ainsi que Monsieur
Leveneur l’écrit, “nul ne peut se prévaloir de sa paresse pour se
soustraire à ses devoirs alimentaires envers ses proches” (Juris
Classeur civil, art. 205 à 211, fasc. 10, 1992, n° 65). Dès lors,
une personne inactive, qui se trouve avoir refusé un emploi
correspondant à ses compétences, verra-t-elle fictivement intégrés
dans l’estim ation de ses ressources les revenus indûment
repoussés (Versailles, 15 juin 1987, D. 87, IR 175). La règle
n ’est pas d’une sévérité aveugle dans la mesure où, d ’une part, il
est admis qu’on ne saurait exiger de celui qui a déjà un travail
q u ’il en change pour une profession plus lucrative (Paris, 13
novembre 1962, JCP G 62, II, 12964), et où, d ’autre part, n’est
pas sanctionné celui qui, malgré de réelles recherches et des
capacités certaines, n’arrive pas à trouver d ’emploi (Pau, 27
octobre 1989, Juris Data n° 046638).
L ’intérêt de l’arrêt rapporté consiste à préciser comment se
fait l’estimation des ressources de celui qui, apparemment dénué
de revenus, n’apporte aucun élément d ’information sur l’effec
tivité de sa volonté d’améliorer sa situation. On constate alors que
la Cour d ’Aix tend à considérer que celui qui n ’apporte pas la
preuve de sa lutte contre son indigence prétendue voit ses res
sources estimées à l’aune de “ses facultés réelles de travail”, Le
de ses potentialités de revenus. La solution est simple, laisse
toute latitude à l’appréciation souveraine reconnue aux magistrats
en la matière (Civ. 2ème, 17 novembre 1982, BC II, n° 148),
mais pourrait se heurter à la censure de la Cour de cassation qui
exige en effet qu’en matière de pension alimentaire les juges du
fond recherchent positivem ent quelles sont les ressources des
parties (Civ. 2ème, 17 octobre 1985, BC II, n° 157; RTDC 87,
303).
Observations : L ’arrêt rapporté retient l’attention à
double titre. Tout d’abord, sur un plan purement factuel, il admet
que la réduction de traitement résultant du retour en métropole
d’un fonctionnaire constitue bien un fait nouveau susceptible
d’entraîner une variation de la dette alimentaire (Voy. dans le
même sens, Poitiers, 13 mai 1987, Juris Data n° 045293).
Ensuite, et surtout, l’arrêt indique sur qui semble devoir peser la
preuve du caractère volontaire de l’appauvrissement du
demandeur d ’aliments. On sait que si ce dernier a provoqué luimême une diminution de ses ressources, les juges du fond
peuvent ne pas en tenir compte et réintégrer la perte dans ses
revenus (Pour des illustrations de cette hypothèse, voy. au
présent bulletin : Aix, 16 novembre 1993, S2; et Aix, 19 octobre
1993, S8). En revanche, les éléments d ’information ne sont pas
fréquents sur le point de savoir qui doit prouver. Pour la Cour
d’Aix, il semble donc que ce soit à celui qui prétend que
l’appauvrissement est volontaire qu’il incombe d’en rapporter la
preuve. La solution paraît naturelle dans la mesure où la fraude ne
se présume pas et où un appauvrissement volontaire destiné à
modifier le montant d ’une dette d’aliments apparaît clairement
comme une manoeuvre frauduleuse (Voy. en ce sens Bénabent,
Droit civil, La famille, Litec, 1993, n° 654). La solution apparaît
comme moins évidente si on considère que pèse sur le débiteur
ou le créancier d ’aliments un devoir de ne pas s’appauvrir
sciemment, auquel on ne pourrait se soustraire que pour des
motifs légitimes. C ’est entre ces deux conceptions qu’il convient
de trancher et la position de la Cour d’Aix ne semble pas
nettement fixée (Voy. les arrêts rapportés au présent bulletin en
S2 et S8 et les observations), ainsi que le démontre l’espèce
rapportée (La débitrice ne pouvait en l’espèce ignorer que son
rapatriement réduirait ses ressources, or on ne s’interroge même
pas sur le point de savoir si c ’est elle qui l’a demandé ou s’il lui a
été imposé. Dans la première hypothèse il n’est guère contestable
Philippe STOFFEL-MUNCK
�124
125
q u ’elle se soit “sciemment appauvri”). Une solution de synthèse
pourrait être trouvée si on considère que la Cour, par une
appréciation in abstracto, distingue entre les appauvrissements
volontaires normaux et ceux qui ne le sont point (Un professeur
de m athém atique qui se lance dans une carrière d ’avocat,
nécessairem ent déficitaire, à l ’âge de la retraite s ’appauvrit
volontairement et anormalement, à l’inverse d ’une fonctionnaire
de 42 ans qui demanderait son retour en métropole). Force est
alors de constater que quand la dégradation de la situation du
débiteur ou du créancier d’aliments apparaîtra a priori comme
n o rm ale, la p reuve du c a ra c tè re ré p ré h e n sib le de
l’appauvrissement sera bien difficile à rapporter.
Philippe STOFFEL-MUNCK
S12 - Obligation alimentaire vis-à-vis de l'enfant /
Durée de l'obligation.
a) Aix - 6ème ch - 24 juin 1993 - n° 679
Président, M. SAINTE - Avocat, Me COUTANT
b) Aix - 6ème ch - 4 novembre 190B - n° 1289
Président, M. SAINTE - Avocats,ÎMes BIANCHI, NERON
VJk
c) Aix - 6ème ch - 4 novembre 1993 - n° 1291
Président, M. SAINTE - Avocat, Me MEUNIER
d) Aix - 6ème ch - 23 novembre 1993 - n° 1431
Président, M. SAINTE - A vocats, M es ABOUDARAMCOHEN, LEVY
e) Aix - 6ème ch - 23 novembre 1993 - n° 1446
Président, M. SAINTE - Avocats, Mes LAUGA, ROUSSEAU
Dispositif commun : “La pension alimentaire sera due jusqu’à l’âge de
18 ans et même au-delà et au plus tard ju sq u ’à l’âge de 25 ans sur
justification du parent qui en assume la charge que l’enfant ne peut
normalement subvenir lui-même à ses besoins, notamment en raison de la
poursuite de ses éludes.
Au contraire cette pension cessera d ’être due si l’enfant vient à
subvenir lui-même à ses besoins en ayant des ressources personnelles au
moins égales à la moitié du SMIC.”
Observations : S ’il est de jurisprudence constante que
l’obligation de contribution à l ’entretien et à l’éducation de
l’enfant peut se poursuivre après la majorité, il est remarquable
que la Cour d ’Aix fixe de la sorte une espèce de durée de vie
normale de l’obligation et détermine le seuil de ce qu’on pourrait
appeler la “majorité financière” de l’enfant avec autant de
précision. Voilà qui est susceptible d’éviter bien des contentieux
et des demandes de suppression avant l’heure.
Philippe STOFFEL-MUNCK
S13 - Obligation alimentaire vis-à-vis de l'enfant /
Maintien / Condition / Ressources de l'enfant
a) Aix - 6ème ch - 12 novembre 1993 - n° 1312
Président, M.
GALISSAIRES
SA IN TE
- A vocats, Mes CHETRITE,
L’enfant dispose de ressources personnelles de l’ordre de 3400 F. par
mois, provenant tant de revenus mobiliers propres que de la bourse d’études et
de l’allocation logement qui lui sont versées. Son père étant décédé, il
convient de condamner sa mère à lui verser par application de l’article 203 du
Code civil une pension alimentaire de 1300 F. par mois avec indexation.
b) Aix - 6ème ch - 19 octobre 1993 - n° 1083
Président, M. SAINTE - Avocats, Mes BERTOLA, BRUSCHI
L’enfant, au décès de sa mère, a perçu un capital décès de 96000 F. et
une pension mensuelle de 3400 F. par mois jusqu’à l’âge de 21 ans. Elle est
actuellement dépourvue de ressources et se trouve, à l’âge de 21 ans révolus,
en classe de Terminale. S’il est constant qu’à la suite de la perception de ces
sommes elle ne se trouvait ni dans le dénuement ni dans le besoin, tel n’est
plus le cas aujourd’hui et l’obligation alimentaire du père doit recevoir
application.
Observations : Voici deux espèces susceptibles de venir
éclairer le fonctionnement de la règle posée par la Cour d’Aix
pour déterminer la durée normale de l’obligation d ’entretien et
d’éducation qui incombe aux parents (Voy. le présent bulletin,
S12). Il ressort de la première espèce que les ressources à partir
desquelles on doit contrôler si l’enfant ne gagne pas au moins la
moitié du SMIC semblent ne pas inclure les allocations à caractère
social. En effet, dans l’hypothèse inverse la Cour se contredirait
dans la mesure où un revenu mensuel de 3400 F. par mois est
bien supérieur à la moitié du SMIC, les choses devenant
différentes si on déduit de cette somme le montant de la bourse
d’études et de l’allocation logement.
De même, il semble que peu importe que l’enfant qui
disposa d ’un revenu très considérable n’ait su le conserver ou le
faire fructifier et, ayant tout dilapidé ou perdu, se trouve par la
suite dénué de toutes ressources. On trouve là une application
classique de la jurisprudence traditionnelle en matière alimentaire
selon laquelle il est indifférent au regard de ses droits alimentaires
que l’indigent soit dans le besoin par sa faute (Bordeaux, 20
�126
janvier 1927, DP 1927, 2, 95; Encyclopédie Dalloz civil, V°
Aliments, par Marie Komprobst, 1992, n° 171).
CONTRATS EN GENERAL
Philippe STOFFEL-MUNCK
AUTORITÉ PARENTALE
S14 - Exercice de l'autorité parentale sur l'enfant
légitime / Exercice conjoint de l'autorité parentale /
Violences du mari contre la femme / Elément inopérant
Aix - 6ème ch - 2 novembre 1993 - n° 1219
Président, M. SAINTE
L'autorité parentale sur l'enfant légitime est de par la loi exercée en
commun. Si le père était un mauvais mari faisant subir des violences à la
femme, aucune pièce ne permet de dire qu'il était mauvais père. Il n'y a donc
pas ici cause grave permettant d'enlever à l'exercice de l'autorité parentale son
caractère normalement conjoint.
Observations : La volonté de distinguer l'état des
relations conjugales de l'état des relations parent/enfant s'est
constamment renforcée depuis la loi du 11 juillet 1975 qui brisait
le lien entre les torts de l'époux et la dévolution de la garde. Dans
cette perspective le loi n° 93-22 du 8 janvier 1993 consacre le
principe de l'autorité parentale conjointe après le divorce (article
287 nouveau du Code civil). D’après la circulaire explicative du 3
m ars 1993 (Voy. D. 93, p. 290 et suivantes), seule une
motivation circonstanciée fondée sur l'intérêt de l'enfant pourrait
justifier la solution contraire. On ne s'étonnera guère dès lors que
les seules violences du mari contre son épouse ne puissent
suffire. D avait même été admis sous l'empire de la loi du 2 juillet
1987 que dans une telle situation l'autorité parentale pouvait
même être confiée au seul père : l'enfant se rangeait de son côté
quand il battait la mère (Versailles, 12 juin 1987, Juris Data n°
042914).
Philippe STOFFEL-MUNCK
S16 - Formation du contrat / Pourparlers (projet de
campagne publicitaire) / Rupture abusive des
pourparlers (non) / Absence de faute et de préjudice /
Intention de nuire ou mauvaise foi (non).
Cour d'appel d'Aix - 8ème chambre B - 16 septembre 1993 n°604
Président : M. BIHL - Avocats : Mes CHAUVET, VOLETAI
Ne commet pas de faute l'entreprise qui accepte d'une société de
publicité l'établissement de maquettes, de documents publicitaires et qui, un
devis partiel étant produit, décide de ne plus donner suite au projet faute de
moyens financiers suffisants. L'intention de nuire ou la mauvaise foi
(notamment l'absence d'intention sérieuse de contracter) n'étant pas établie, il
apparaît qu'il n'y a pas eu rupture abusive des pourparlers. Le coût d'un devis
ou d'une étude préalable entrant dans les frais généraux des entreprises, la
société publicitaire devra supporter les dépenses résultant des négociations
n'ayant pas abouti.
Observations : L'échec des négociations n'est pas en luimême source de responsabilité. En effet, le grand principe reste
celui de la liberté de négocier c'est-à-dire de conclure ou non le
contrat. Il peut cependant advenir qu'une faute caractérisée soit
commise par celui qui a brisé les négociations. Cette dernière sera
alors source de responsabilité, le critère de la faute résidant dans
la mauvaise foi du partenaire à la négociation (sur cette question :
C. Cass, civ., 12 avril 1976, Bull, civ., I, n°122 ; RTD civ.
1977, p.127, obs. G. Durry ; C. Cass, corn., 21 mars 1972,
Bull. civ. IV, n°93 ; RTD. civ. 1972, p.780, obs. G. Durry). Il
faut remarquer que la faute précontractuelle est appréciée de
manière différente suivant les personnes concernées. Lorsque les
pourparlers ne rassemblent que des professionnels, il semble que
les tribunaux engagent plus difficilement les responsabilités : "On
ne saurait sans porter gravem ent atteinte à la sécurité
commerciale, admettre à la légère qu'un commerçant puisse être
responsable pour ne pas avoir donné suite à des pourparlers..."
(CA de Pau, 14 janvier 1969, D, 1969, p.716).
Le dommage réparable est lui-même apprécié de manière
particulière vis-à-vis du professionnel puisque les tribunaux
refusent de réparer les dépenses liées aux plans et devis fournis :
"Les plans et devis ne sont que des accessoires de l'offre,
destinés à mettre en pleine lumière les avantages de celle-ci ; les
frais qu'ils peuvent occasionner tombent dans les frais généraux
�128
129
que toute maison de comm erce et d'industrie est obligée de
supporter pour triompher de ses concurrents" (CA de Colmar, 5
décembre 1928, Rev. jur. Alsace-Lorraine 1929, p.364 ; C.
Cass, com., 30 novembre 1971, Bull, civ., IV, n°288).
Bérengère LASSALLE
CONTRATS SPÉCIAUX
S18 - Mandat / Mandat apparent / Circonstances
autorisant le tiers à ne pas vérifier l'étendue de
pouvoir du mandataire / Croyance légitime (oui).
S 17 - Formation des contrats / Acceptation de l'offre
(oui) / Retrait de l'offre possible.
Aix- 2ème Chambre - 17 février 1993 - n°156
Président : M. CARRIE - Avocats : Mes KAROUBY, KLEIN
Aix- 2ème Chambre - 21 octobre 1993 - n°765
Président : M. CARRIE - Avocats : Mes FRANÇOIS, GIRAUD
Le contrat de publicité a été signé par la société MIRABEL
CHAMBAUD et comporte la mention : "commande à facturer à SOLSUD Rue Vacanson, 07200 AUBENAS".
Certes, ce contrat a été conclu par un représentant de la société
MIRABEL CHAMBAUD.
Cependant, il convient de remarquer que la société MIRABEL
CHAMBAUD et la société SOLSUD sont deux sociétés relevant de l'activité
du bâtiment, que M. Georges MIRABEL CHAMBAUD, PDG de la première
de ces sociétés est administrateur de la seconde et qu'un autre membre de la
famille MIRABEL CHAMBAUD, Jean Marie MIRABEL CHAMP AUD, est
administrateur de SOLSUD, que la publicité a été faite pour le compte de
SOLSUD qui n'a élevé aucune protestation contre sa diffusion et que le
contrat de publicité conclu constitue un acte normal de l’activité de la société
SOLSUD.
Ces circonstances autorisaient la société ATELIERS 2 H à ne pas
vérifier l'étendue des pouvoirs de la société MIRABEL CHAMBAUD et
créaient une croyance légitime à l'existence d'un mandat de celle-ci pour
représenter la société SOLSUD.
Les conditions générales de vente de la société RDD AFFICHAGE
stipulent que toute réservation d'emplacements doit faire l'objet d'un ordre
écrit. Pour être valables, les ordres doivent faire l'objet d'un accusé de
réception.
L'engagement pris par la société PARC ZOOLOGIQUE DE LA
BARBEN s'analyse en une offre d'achat, le contrat ne devenant parfait que par
l'acceptation de la société RDD AFFICHAGE.
Les conditions générales de vente ne soumettent l'acceptation du
vendeur à aucun formalisme particulier.
Or, en apposant, immédiatement après l'offre, son tampon commercial
et la signature de son représentant sur les ordres d'affichage, la société ADD
AFFICHAGE a manifesté son acceptation et le contrat est devenu parfait.
La société PARC ZOOLOGIQUE DE LA BARBEN ne pouvait donc,
fut-ce quelques heures plus tard, retirer son offre, et l'annulation du contrat ne
pouvait intervenir que dans les conditions contractuellement prévues qui
n'étaient pas réunies en l'espèce.
Serge FARNOCCHIA
Observations : Sur le mandat apparent, cf. Plén 13
décembre 1962, JCP 1963, 13105 note ESMEIN. Cass. civ.
1ère 29 avril 1969, JCP 1969, II, 15972, obs. LOUSSOUARN.
Adde Cass. civ. 1ère 22 mai 1991, Contrats - Concurrence
- Consommation, nov. 1991, n°220, obs. L. LEVENEUR. Cass,
com. 7 janvier 1992, Bull, civ., IV, n°6. Cass. com. 12 juillet
1993, JCP 1993, éd. G. IV, 2387.
Serge FARNOCCHIA
S19 - Dépôt / Obligations du dépositaire / Art. 1927,
1928 et 1933 du Code civil / Garagiste / Vol de
véhicule / Force majeure (non).
Aix- 1ère Chambre B - 9 Avril 1993 - n°243
Président : M. R ANS AC - Avocats : Mes TAGUELMINT, DI
MARINO
�130
131
Attendu qu'en application des articles 1927, 1928 et 1933 du Code
civil le garagiste BERNARD, en sa qualité de dépositaire salarié, est tenu de
prouver qu'il est étranger au vol du véhicule déposé dans son garage en vue
d'une réparation, en établissant soit avoir apporté à ce véhicule les mêmes
soins qu'à la garde des choses lui appartenant, soit avoir été victime d'un
accident de force majeure.
Attendu qu'il ne rapporte pas la preuve d'une absence de négligence, le
stationnement d'un véhicule de grande valeur dans une cour clôturée par un
grillage et un portail à claire-voie, où les photographies annexées au constat
d'huissier du 29 mars 1989 démontrent qu'il était exposé aux regards et aux
convoitises, constituant une imprudence, alors qu'il n'aurait pas manqué
d'abriter son propre véhicule dans les bâtiments clos du garage.
Que le vol d'un tel véhicule sur une aire extérieure à un garage
inoccupé, sans personnel de surveillance, ne saurait être considéré comme
imprévisible et irrésistible, son abri dans les locaux de l'atelier étant possible,
et ne présente donc pas les caractères de la force majeure.
Observations : Sur la responsabilité du garagiste
dépositaire, cf. Ph. REMY, RTD civ. 1984, p. 119.
Sur le vol qui n'est pas considéré comme une hypothèse de
force majeure, cf. Cass. com. 22 novembre 1988, Bull, civ., IV,
n°316, RTD civ. 1989 p.328, obs. JOURDAIN.
Serge FARNOCCHIA
S20 - Vente de matériel informatique / Logiciel /
Garantie des vices cachés / Art. 1648 Code civil /
Bref délai (non).
Aix- 2ème Chambre - 19 octobre 1993 - n°753
Président : M. DEGRANDI - Avocat : Me INGLESE
Les deux logiciels ont été acquis en mai 1988. Certes, la mise en
place d'un service infonnatique s'avère souvent difficile et il est fréquent que
le matériel acquis ne donne pas immédiatement satisfaction II ne saurait être
reproché à la société ATN de ne pas avoir intenté une action en annulation de
ces ventes dès l'apparition des premières difficultés. Cependant, le 22 août
1989, la société ATN écrivait à la société COPI pour lui exprimer son
mécontentement et la mettait en demeure de lui rembourser le coût des
logiciels et de l'assistance technique et en cas de non exécution, la menaçait
de poursuites judiciaires. Ce courrier qui succédait à un autre du 4 août 1989 à
la société EASY INFORMATIQUE, fournisseur des logiciels envers la
société COPI, pour qu'elle intervienne auprès de celle-ci, montre que la
société ATN ne désirait plus poursuivre sa collaboration avec cette société et
qu'à cette date, elle avait découvert les vices cachés dont elle se plaint.
Ce n'est qu'à l'audience du 8 novembre 1990 sur la demande en
paiement de la société COPI, que la société ATN invoquera les vices cachés
des logiciels. Cette action formée plus d'un an après leur découverte n'a pas
été intentée dans le bref délai de l'article 1648 du Code civil et doit être
déclarée irrecevable.
Serge FARNOCCHIA
S21 - Locations d'installations téléphoniques /
Novation par changement de débiteur (non) / Art.
127S du Code civil / Déclaration expresse du bailleur
(non) / Simple silence ne valant pas acceptation.
Aix - 2ème Chambre - 26 octobre 1993 - n°774
Président : M. DEGRANDI - Avocats : Mes TEITLER,
MIMRAM
A l'issue d’une procédure engagée par la société LOCUN1VERS à
l'encontre de la SARL STILL & SAXBY, aux fins d'obtenir paiement de la
somme de 39.113,32 francs représentant des loyers impayés et l'indemnité de
résiliation dus en vertu d'un contrat de crédit bail signé par les parties le 28
octobre 1987, le tribunal de commerce de MARSEILLE a rendu le 11
décembre 1990 une décision réputée contradictoire à l'égard de STILL AND
SAXBY qui la condamne au paiement de la somme réclamée avec intérêts au
taux d'escompte de la BANQUE DE FRANCE majoré de cinq points à
compter de la demande en justice.
La SARL STILL & SAXBY, qui a relevé appel de cette décision,
conclut à la réformation en faisant valoir que si elle a bien passé avec la
société LOCUNIVERS un contrat de location concernant une installation
téléphonique, elle a averti cette société par lettre du 23 février 1989 que, du
fait de la fermeture de l'agence de SAINT DE BRAYE et de la reprise du
matériel par une société CHENES SEAU, le contrat de location en cours
devait être transféré à cette dernière.
Selon l'appelante, la demande de transfert du contrat de location à son
successeur, la SA CHENESSEAU, et l'absence de réaction du bailleur
pendant dix-huit mois démontreraient la novation par changement de débiteur
dont elle se prévaut
Pareille thèse méconnaît les dispositions de l'article 1275 du Code
civil selon lesquelles le créancier doit expressément déclarer qu'il décharge le
débiteur ayant fait la délégation. Il va de soi au regard de ce texte que le
simple silence de la société LOCUNIVERS ne démontre pas l'acceptation
requise de sorte que le moyen tiré de son intention de nover est en l'occurrence
inopérant.
O b serv atio n s : Sur la novation par changement de
débiteur, cf. MARTY - RAYNAUD - JESTAZ, Les obligaüons,
le régime, Sirey, 1989, n°414.
Sur le contentieux des installations téléphoniques, cf. :
Paris 30 mai 1980, Juris data n°0572 ; Paris 12 décembre 1980,
Jurisdata n°1064 ; Paris 5 octobre 1984, Juris data n°025850 ;
Cass. com. 20 octobre 1975, inf. rap., p.260 ; Cass. civ. 3ème,
2 juin 1982, Juris data n°00!228 ; Paris 16 janvier 1989, D.
1989, inf. rap., p.59.
Serge FARNOCCHIA
�132
133
S22 - Contrat de publicité / Révision judiciaire de la
rémunération de l'agence de publicité / Affichage
publicitaire / Exception d'inexécution.
Aix - 2ème Chambre - 2 novembre 1993 - n°803
Président : M. DEGRANDI - Avocats : Mes FINE, ROUX
Pour établir la bonne exécution de son contrat, la société PIM
PUBLICITÉ indique que l'ASSOCIATION DU FESTIVAL DE JAZZ lui
avait commandé la location de 250 à 300 panneaux et que l'affichage a été
effectué sur 284 de ceux-ci.
Si les bons de commande de l'ASSOCIATION DU FESTIVAL DE
JAZZ mentionnent bien 250 à 300 panneaux, la société PIM PUBLICITÉ
dans sa lettre du 11 juillet 1989 à la société AFFICHAGE GIRAUDY se
plaint que l'affichage n'ait pas été effectué sur 330 panneaux, chiffre qu'elle
reprend dans son courrier du 13 juillet 1989 au responsable de
l'ASSOCIATION DU FESTIVAL DE JAZZ.
Sa facture du 4 octobre 1989 porte sur 306 panneaux.
Ces documents démontrent que malgré les indications des bons de
commande, elle s’était engagée envers son client à apposer plus de 300
affiches.
Au surplus, dans ses conclusions devant la Cour, elle écrit que lors
d'une tournée de vérification des panneaux, son gérant, accompagné des
membres de l'ASSOCIATION DU FESTIVAL DE JAZZ, a pu constater que
certains emplacements commandés par elle à la société AFFICHAGE
GIRAUDY, n'étaient pas affichés.
Cela ainsi que ses courriers constituent l'aveu de la non exécution
partielle de son obligation envers l'ASSOCIATION DU FESTIVAL DE
JAZZ.
Le défaut d'exécution, en diminuant la publicité du festival de jazz, a
fait perdre à l'association organisatrice, une chance de succès de sa
manifestation. Les éléments d'appréciation soumis, dont le nombre d'afficbes
apposées mais également la circulation gratuite de camions publicitaires pour
compenser partiellement cette perte, permettent de réparer celle-ci par
l'allocation d'une indemnité de 20.000 francs.
Ainsi, après compensation avec le solde impayé de sa facture,
l'ASSOCIATION DU FESTIVAL DE JAZZ se trouve débitrice de la somme
de 27.900 francs (47.900 - 20.000).
O bservations : Sur le pouvoir de révision judiciaire de la
rémunération trop élevée réclamée par le prestataire de services,
cf. F. COLLARD-DUTILLEUL et Ph. DELEBECQUE, Contrats
civils et commerciaux, Dalloz, 2ème éd. n°652 et 734.
Cf. la loi du 29 janvier 1993 sur la transparence de la vie
économique qui clarifie les règles en m atière de contrat de
publicité.
Serge FARNOCCHIA
S23 - Contrat / contrat de distribution / accord
d'exclusivité / résiliation / résiliation concomitante à
l'élaboration d'un réseau de franchise / candidature
implicite au réseau de franchise / éviction / éviction
abusive (oui)
Aix 16 septembre 1993 - 2ème chambre
Président : M. C A RR IE - A vocats : Mes HOFFMAN,
FORCIOLICONTI
La société Pôles est spécialisée dans la création de vêtements en prêt-àporter qu'elle diffuse sous les marques verbales et figuratives "Pôles".
L'EURL Bankise bénéficiait d'un accord d'exclusivité pour le magasin
exploité à Lille. Par ailleurs, la société Pôles approvisionnait aussi son
magasin à Nice, depuis son ouverture, à hauteur des 2/3 de ses achats. Par
lettre du 31 décembre 1989, la société Pôles a informé 1EURL Bankise de la
réalisation d'un réseau de franchise et de l'existence d'un candidat à Nice
empêchant la poursuite de livraisons postérieures pour la saison automnehiver 1990-1991.
La Cour d'Aix constate : "si l'EURL ne peut se prévaloir d'aucune
convention d'exclusivité pour Nice, elle n'en avait pas moins, par courrier du
2 octobre 1987, sollicité de Pôles l'octroi d'une telle situation, démarche
devant à l'évidence être regardée comme une candidature à une franchise". La
cour poursuit en constatant que les conditions dans lesquelles l'EURL
Bankise a été écartée du réseau de distribution à Nice ne répondent pas à des
critères objectifs et non discriminatoires. En effet, la société Pôles tentait
vainement de prétexter a posteriori, pour justifier l'éviction, des incidents de
paiement et des ventes effectuées dans des conditions dévalorisantes. Ayant
écrit à 1EURL Bankise, qu'elle "ferait le maximum pour les autres points de
vente à Lille et à Cannes", la société Pôles exprimait ainsi qu'elle ne
considérait pas cette société comme un mauvais payeur. Le second argument
n'était pas plus sérieux car il visait des soldes effectuées bien après le refus de
vente. Quant à l'emplacement géographique, le choix de l'autre société ne
procédait pas d'une recherche de localisation plus prestigieuse puisque les
deux magasins n'étaient éloignés que d'une vingtaine de mètres.
L'exclusion de 1EURL Bankise du réseau de distribution sur Nice est
donc confirmée dans son caractère abusif du fait du comportement fautif de la
société Pôles.
La réparation du préjudice est évaluée à 400.000 F à partir des
éléments suivants: un compte de résultat faisant apparaître des achats de
marchandises composées aux deux tiers par des produits Pôles ; un chiffres
d'affaires faisant apparaître la part prépondérante des produits Pôles (70%); la
durée de la collaboration commerciale entre les deux parties; la proximité
géographique immédiate du magasin choisi sur Nice au détriment de 1EURL
Bankise.
O bservations : Sur les conditions de licéité des réseaux
de distribution au regard du refus de vente, cf. Bull. Aix 1993-1,
analyse sous Aix 10 juin 1993, p.28. En l'espèce, on notera que
la cour analyse une demande de convention d'exclusivité en une
�134
135
candidature implicite au réseau de distribution que la société
sollicitée mettait en place. On peut aussi considérer que l'examen
de cette candidature pour un magasin à Nice appelait un examen
d'autant plus sérieux que la collaboration était poursuivie dans
d'autres villes. Les échappatoires de la société Pôles n'en
apparaissaient que plus dérisoires. Enfin, on peut aussi souligner
que les éléments d'appréciation du préjudice étaient suffisamment
précis et incontestables pour que la cour ait pu évaluer par ellemême le montant de la réparation, sans recours à un expert.
Catherine PRIETO
RÉGIME DES OBLIGATIONS
S24 - Action oblique / Article 1166 du Code civil /
Donation / Clause d'inaliénabilité / Article 900-1 du
Code civil.
Aix - 1ère chambre A - 4 novembre 1993 - n°541
Président : M. HUGUES - Avocats : Mes LATIL, BLANC
Aux termes de l’article 1166 du Code civil, les créanciers peuvent
exercer tous les droits et actions de leur débiteur, à l’exception de ceux qui
sont exclusivement attachés à la personne. Le droit ouvert au donataire par
l'article 900-1 du Code civil n'entrent pas dans cette dernière catégorie, les
créanciers ont, ainsi que le prévoit ce texte, la possibilité de demander la levée
de l'inaliénabilité stipulée par un acte de donation, aux lieu et place de leur
débiteur gratifié. Il incombe dans ce cas au créancier agissant par la voie de
l'action oblique de démontrer, ainsi que l'exige l'article 900-1 du Code civil,
soit que l'intérêt qui avait justifié la clause d'inaliénabilité a disparu, soit
qu'un intérêt plus important exige qu'il soit passé outre.
Observations : La jurisprudence est hésitante sur le point
de savoir si le droit d'obtenir la main levée de l'inaliénabilité, sur
le fondement de l'article 900-1 du Code civil, est ou non rattaché
à la personne du gratifié et, par conséquent, si ses créanciers
peuvent ou non agir à sa place par la voie oblique. En faveur de la
solution aixoise : TGI Cherbourg, 13 février 1974, D. 1975, 30,
N. J.F. Vouin ; Lyon, 19 mai 1981, JCP 1983, éd. N., Prat.
208 ; Contra : TGI Bressuire, 1er juin 1976, Gaz. Pal. 1977, 1,
297, n. L.C. ; JCP 1976, IV, 307, obs. J.A. ; Defrénois 1977,
art 31550, p.464, n.43, obs. G. Champenois. Sur la question :
v. J. cl. civ., art. 900-1, Donations et testaments - dispositions
générales - clauses d'inaliénabilité, par A. Sériaux, n°23.
Pierre STORRER
�136
137
SÛRETÉS
S26 - Sûretés / Cautionnement / Information de la
caution / Article 48 de la loi du 1er mars 1984 /
Application (oui) / Ordre public (oui) / Renonciation
conventionnelle (non)
S25 - Sûretés / Cautionnement du gérant de société /
Garantie d'un contrat de crédit-bail / Nature de l'en
gagement / Garantie autonome (non) / Cautionnement
(oui) / Procédure collective à l'encontre de la société
débitrice / Effets pour la caution / Exigibilité de la
dette à l'égard de la caution (oui) / Application de la
loi du 31 décembre 1989 (non) / Surendettement d'un
particulier (non)
Aix, 10 décembre 1993, 2ème chambre JC
Le gérant d'une société qui déclare dans un contrat de crédit-bail " je
me porte garant des sommes dues aux termes de la présente à première
demande du bailleur " souscrit un engagement de caution. Il ne peut s'agir
d'une garantie autonome, car l'indépendance par rapport au contrat principal
fait ici défaut puisque l'acte fait expressément référence aux conditions
chiffrées du crédit-bail.
L'ouverture d'une procédure collective à l'encontre de la société
cautionnée n’interdit pas les poursuites contre la caution. L' article 19 VII de
la loi du 31 décembre 1989 repris de l'article 7.4 de la loi du 10 janvier 1978
ne s'applique qu'aux opérations de crédit prévues par cette loi. Le
cautionnement donné pour les besoins d’une activité professionnelle est exclu
du champ d'application de ces mesures.
Observation : La nature juridique de l'engagement du
gérant ne faisait pas difficulté, malgré la tentative du créancier de
le qualifier de garantie à première demande. Dès lors que l'acte
fait référence aux conditions du contrat principal et ne prévoit
l'intervention du garant qu'en cas de défaillance de la société
garantie, il ne peut plus s'agir d'une garantie autonome, le
caractère accessoire de la garantie faisant échec à la qualification.
Sur la question de la qualification de ces garanties, voir les arrêts
de la Cour d'Aix des 8 juin 1993 et 19 mai 1993, publiés au
Bulletin d'Aix 1993-1. Sommaire 26, p.143 et svt.
Sur le champ d'application des dispositions de la loi n° 891010 du 31 décembre 1989 et l'exclusion des dettes profession
nelles, voir l'étude complète de la jurisprudence aixoise, Bulletin
d’Aix 1993-1, Chronique Pierre Stomer p.95.
Jocelyne Cayron
1ère espèce : Aix, 30 novembre 1993, 2ème ch. JC
Le banquier qui ne procède pas à l'information de la caution dans les
conditions qu'impose l'article 48 de la loi du 1er mars 1984 est déchu des
intérêts ayant courus sur les comptes entrant dans le champ d'application du
cautionnement.
Pour s'exonérer de cette obligation, le banquier ne saurait arguer d'une
clause par laquelle la caution déclarait dispenser la banque de l'informer de la
situation du débiteur principal, autrement que dans les formes et conditions
légales. Si la clause invoquée n'affectait en rien l’obligation de renseignement
prévue par le législation, il convient de noter que le caractère d'ordre public de
l'article 48 de la loi du 1er mars 1984 rend nul tout renoncement éventuel de
la caution, sans restriction fût-ce pour une caution "initiée" (gérant de la
société cautionnée), ou censé l'être - conjoint du débiteur principal )
2ème espèce : Aix, 9 novembre 1993, 2ème ch. FC
Le défaut d'information de la caution par le banquier du montant total
du passif garanti, est sanctionné par la déchéance du droit aux intérêts, sans
que le banquier ne puisse opposer le caractère commercial du cautionnement.
L'article 48 de la loi du 1er mars 1984 est d'ordre public et s'applique à
tous les cautionnements civils et commerciaux, y compris lorsque l'une des
cautions a la qualité de dirigeant de la société garantie.
Le banquier doit donc recalculer sa créance en déduisant l'intégralité des
intérêts échus entre la date à laquelle aurait dû être donnée la première
information (à savoir le 31 mars de l'année suivant celle de l'engagement) et
la date de la clôture du compte.
3ème espèce : Aix, 29 septembre 1993, 1ère ch. B
Des époux qui se portent caution solidaire de deux prêts consentis l'un
à une société, l'autre à son gérant ne peuvent invoquer le défaut d'information
de l'article 48 de la Loi du 1er mars 1984, que pour le prêt consenti à la
société, les concours financiers apportés à des particuliers étant exclus du
champ d'application de cette loi.
4ème espèce : Aix, 14 décembre 1993, 2ème ch. FC
L'article 48 de la loi du 1er mars 1984 ne s'applique pas au
cautionnement par une personne physique des engagements qu'une société a
pris, en vertu d'un contrat de crédit-bail. Ce contrat prévoit seulement, en
contrepartie de la jouissance du matériel, le paiement d'un loyer.
Observations : Les deux premières décisions vont dans
le même sens : le caractère d'ordre public de l’article 48 de la loi
du 1er mars 1984 ne permet pas au banquier de s'exonérer de
l'inexécution de son obligation de renseigner la caution, quelles
que soient les fonctions occupées par la caution, ou les stipula
tions particulières du contrat de cautionnement.
�138
Mais quelle est l'étendue de cette obligation faite au
banquier d'informer la caution ? Faut-il systématiquement exiger
du banquier que cette information soit fournie, alors même que la
caution, compte tenu des fonctions qu'elle exerce au sein de la
société cautionnée ne pouvait pas ignorer l'étendue et l'évolution
de la dette ? En définitive que doit-on prendre en compte : le fait
que la caution ait eu connaissance, par quelque moyen que ce
soit, des informations ou le fait que le banquier lui ait ou non
personnellement transmis ces informations ?
La cour d'Aix consacre ici une lecture stricte de l'article 48
de la loi du 1er mars 1984. Cette disposition légale fait naître à la
charge du banquier une obligation personnelle dont il doit
s'acquitter, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon les fonctions
occupées par la caution, ou selon son degré d'implication dans la
vie de la société cautionnée. Cette interprétation va dans le sens
d'une accentuation des obligations du professionnel qui bénéficie
de la garantie personnelle que lui donne une personne physique.
Pourtant elle ne fait pas l'unanimité dans les cours d'appel : c'est
ainsi qu'il a été jugé, dans des espèces sim ilaires, que les
dispositions de l'article 48 n'avaient pas à s'appliquer lorsque la
caution, dirigeant de la société cautionnée, ne pouvait ignorer le
montant des engagements de la société puisque sa qualité de
gérant le rendait destinataire des relevés de compte et lui permet
tait de connaître la position du débiteur principal. ( Montpellier 3
mai 1990, et Toulouse 9 octobre 1990, Revue Banque 1991.92,
obs. Rives-Lange )
La position de la Cour de cassation a été récemment préci
sée : " les dispositions de l'art. 48 de la loi du 1er mars 1984
s'appliquent à toute caution, fût-elle dirigeante de la société
cautionnée " ( Corn. 5 oct. 1993, D.1993.1.R.230 )
Les autres arrêts précisent les limites de cette obligation
faite aux établissements financiers. La première de ces limites
concerne la personne du débiteur cautionnée : la loi de 1984 a
pour finalité de protéger non pas toute personne qui se porterait
caution, mais toute personne qui prendrait cet engagement pour
garantir la dette d'une société: il ne peut y avoir de dérogation,
même dans le cas ou une même personne est caution à la fois des
dettes de la société et de celle de son gérant : la banque ne doit
cette information que pour la part de la dette concernant la société.
L'autre limite concerne la nature de l'engagement principal
pris par la société, et pour lequel un cautionnement a été donné
par une personne physique. L'article 48 prévoit que l'obligation
d'information pèsera sur les "établissements de crédit ayant
accordé un concours financier à une entreprise". Sans que la
motivation de la cour d'Aix soit très explicite, il est clair qu'elle
refuse d'appliquer cette définition aux sociétés financières
139
pratiquant le crédit-bail. Cette position se justifie en droit, malgré
un aspect économique discutable. La loi du 2 juillet 1966 qui
définit le contrat de crédit-bail, lui donne expressément la
qualification de contrat de bail assorti d'une promesse unilatérale
de vente. Ainsi le crédit-bailleur n'accorde pas un "concours
financier" : il donne à bail. Le Garde des Sceaux, interrogé sur
cette question, avait conclu a l'exclusion du crédit-bail du champ
d'application de l'article 48 : "Si pour garantir le paiement du prix
du loyer et du prix de vente un cautionnement a été consenti,
l'article 48 ne peut être appliqué, et ce d'autant plus que la
location d'un bien ne donne pas lieu par elle-même au versement
d'intérêts" (Réponse du Ministre de la Justice à M. Étienne
Dailly, n° 24875 du 4 juillet 1985, J.O. Débats Sénat, 3 octobre
1985, p. 1857).
La Cour d'Appel de Paris s'est aussi prononcée pour
l'inapplicabilité au crédit-bail de l'article 48, dans un arrêt du 3
janvier 1991 (J.C.P. (E) 1991.Panorama 404) ; Voir cependant la
position de la Cour de Riom qui ne formule pas une exclusion de
principe du contrat de crédit-bail (Riom, 15 juin 1988, G.P.
1989.1.147, note E.M. Bey).
Jocelyne Cayron
�141
TRANSPORT
S27 - Transport routier de m archandises /
Qualification de la convention en contrat de transport
(oui) / Déplacement objet principal de la prestation
(oui) / Trajet d'une centaine de métrés.
Aix 2ème chambre - 7 octobre 1993 - N°719
Président : M. CARRIE - Avocats : Mes HASCOET, DEUR
Le contrat de transport est la convention par laquelle un professionnel
s'engage à déplacer une certaine quantité de marchandise d'autrui moyennant
un prix déterminé.
Le déplacement doit constituer l’objet principal du contrat et ne doit
pas présenter un caractère accessoire par rapport aux autres prestations
fournies.
Par ailleurs, le contrat de transport n'exige le parcours d’aucune
distance minimale et un trajet d'une centaine de mètres, comme en l'espèce,
est suffisant.
O bservations : En l'espèce une société avait eu recours à
un professionnel du transport pour faire déplacer une marchan
dise d'un atelier à un autre. Le déplacement qui constituait l'objet
principal du contrat couvrait une distance d'une centaine de
mètres et fut réalisé à l'aide d'un véhicule du type clark.
Bien que le transporteur ait désigné la prestation comme
une opération de manutention, le contrat litigieux était un contrat
de transport puisque le déplacement était l'objet principal de la
prestation à exécuter.
Quant à la distance effectuée, celle-ci n'est pas considérée
par la jurisprudence comme une condition pouvant avoir un effet
quelconque sur la qualification du contrat de transport.
Cet arrêt est l'occasion de rappeler que "le contrat de démé
nagement", lorsqu'il aura pour objet essentiel le déplacement des
meubles de son client, sera qualifié de contrat de transport et
devra donc se soumettre à ses règles, même si le déplacement est
effectué sur une très courte distance.
Il est néanmoins concevable, toujours dans le cadre du
déménagement où le déplacement serait l'objet principal du
contrat, d'envisager une autre hypothèse qui est celle de la com
mission de transport
Cette dernière qualification sera retenue lorsque "le démé
nageur" n'effectuera pas lui-même le transport mais le fera
exécuter par d'autres.
Sur la définition du contrat de transport de marchandise,
voir précis Dalloz "Droit des transports terrestres et aériens" de
MM. Rodière et Mercadal, 5ème édition n°128 et s. ; voir aussi
Lamy transport 1994, Tome 1 n°l et s. et sur le contrat de
déménagement n°604 et s.
Christophe TREMISI
S28 - Transport maritime de marchandises / Avarie /
Responsabilité du transporteur (non) / Article 3-3 de
la convention de Bruxelles du 25 Août 1924 /
Emission de réserves valides / Renversement de la
charge de la preuve (non) / Vice propre de la
marchandise (oui).
Aix 2ème chambre - 16 septembre 1993 - N°644
Président : M. CARRIE - Avocats : Mes PELLIER, TASSY,
FOLIN
L’article 3-3 de la convention de Bruxelles du 25 Août 1924 autorisant
le transporteur à refuser l'insertion au connaissement de déclaration "dont il a
une raison sérieuse de soupçonner qu'elles ne représentent pas exactement les
marchandises reçues par lui ou qu'il n'a pas eu les moyens raisonnables de
vérifier" n'exclut nullement la faculté d'accompagner la prise en charge de la
marchandise de l'émission de réserves.
En revanche des réserves valides n'ont pas pour effet de renverser la
charge de la preuve mais seulement de faciliter l'administration par le
transporteur de la preuve d'une cause d'exonération de responsabilité.
Observations : Le transporteur maritime est présumé
responsable des pertes ou avaries et supporte donc la charge de la
preuve.
L'article 3-8 de la convention de Bruxelles de 1924 dispose
que "toute clause, convention ou accord dans un contrat de
transport exonérant le transporteur ou le navire de responsabilité
pour perte ou dommage concernant des marchandises... ou
atténuant cette responsabilité autrement que ne le prescrit la
présente convention, sera nulle, non avenue et sans effet...".
Il découle de ces dispositions que les réserves émises par le
transporteur et portées sur le connaissement ne peuvent lui
permettre de s'exonérer par avance de toute responsabilité.
Les réserves ne p ourront donc "que" faciliter
l'administration de la preuve par le transporteur.
Cependant l'absence de réserve, n'interdit pas au
transporteur d'établir que le dommage est dû à l'une des causes
de nature à l'exonérer de sa responsabilité et en particulier au vice
propre de la marchandise. (Cassation commercial 16 février
1988, semaine juridique 1989, édition G., II, 21200 note R.
Achard).
�143
Attention cependant à l'absence de réserve en cas de
dommages apparents notamment en Droit français (a rt 20 de la
loi du 18 juin 1966). Voir sur ce point, Cour d'Aix, 10 décembre
1993, Bulletin d'Aix 93-2 sommaire).
Christophe TREMISI
S29 - Transport maritime de marchandises / Clause
attributive de compétence / Opposabilité au destina
taire / Preuve de l'acceptation lors de la formation du
contrat / Exigence de la signature du chargeur (non) /
Compétence des juridictions et lois chinoises.
Aix 2ème chambre - 28 octobre 1993 - N°798
Président : M. CARRIE - Avocats : Mes MAGNAN, SCAPEL
La clause contenue dans le connaissement et attribuant compétence à
une juridiction étrangère pour les litiges nés de l'exécution de la convention
est, dès lors qu elle est reconnue valide entre le chargeur et le transporteur,
opposable non seulement au destinataire des marchandises qui, en acquérant le
connaissement, a succédé au chargeur dans ses droits et obligations, mais
également aux assureurs subrogés dans les droits du destinataire.
Pour être opposable, la clause attributive de compétence doit avoir été
agréée par le chargeur et il appartient à la partie qui s'en prévaut de rapporter
la preuve de cette acceptation lors de la formation du contrat Ni la
convention de Bruxelles ni la loi française n'exigent que le connaissement
soit signé du chargeur. Le transporteur peut donc démontrer par tous moyens
que les chargeurs ont adhéré à la clause litigieuse.
O bservations : Contrairement à la jurisprudence domi
nante qui a tendance, le plus souvent, à étendre au plan inter
national les règles de l'article 48 du NCPC pour régler le sort des
clauses attributives de compétence territoriale, la cour d'appel
d'Aix-en-Provence (depuis un arrêt du 14 Mars 1985 au DMF
1986, p.214) refuse de faire application de ces dispositions dans
le cas d'une clause attribuant com pétence à une juridiction
étrangère.
Elle utilise cependant les mêmes critères, comme le relève
M. Bonassies (DMF 87, p. 138 n°63), auxquels les juges se
réfèrent pour appliquer l'article 48. Ainsi la clause doit permettre
de déterminer la juridiction choisie, elle doit être apparente et elle
doit avoir été acceptée par le chargeur au moment de la formation
du contrat Quant à la condition tenant à la qualité de commerçant
des parties, l'absence de référence à l'article 48 constitue le risque
de la position de la Cour d'Aix dans les rares hypothèses où le
chargeur ne serait pas un commerçant (cf. sur ce point la note du
Professeur Bonassies, DMF 87 p.138 et la note sous l'arrêt du
14 mars 1985, précité).
En l'espèce l'acceptation du chargeur découlait essentielle
ment du fait que le transporteur était en relation d'affaires suivies
avec les chargeurs. Quant à la détermination de la juridiction
choisie, la Cour de cassation laisse en principe le soin aux juges
du fond d'apprécier, dans chaque espèce, si la clause est assez
explicite pour permettre de désigner exactement la juridiction
choisie (Cass. com. 7 juillet 1987, DMF 88 p.612). Sur ce point,
l'arrêt dont il est question ici, apparaît bien moins intransigeant
que celui rendu par la même juridiction le 4 juin 1986 (DMF 88,
p.615 et DMF 89, p. 168) qui refusait alors le renvoi à "la
juridiction du Pinée" sans autre précision sur la dénomination et le
siège de la juridiction.
Dans cette affaire, les parties avaient souhaité soumettre le
problème de la responsabilité du transporteur à la convention de
Bruxelles du 25 août 1924. Cependant l'arrêt d'appel qui
reconnaît la validité de la clause attributive de juridiction risque,
par là même, de supprimer tout effet à la clause paramount
En effet, bien que, comme la Cour le relève, le défendeur
ne rapporte pas la preuve que "le droit applicable en République
de Chine populaire est l'objet de nombreuses incertitudes",
l'application de la convention de 1924 n'en est pas certaine pour
autant.
Christophe TREMISI
1°) Transport maritime de marchandises /
Régime juridique / Application de l'article 16 de la loi
du 18 juin 1966 / Dispositions d'ordre public / Clause
Paramount renvoyant à la convention de Bruxelles du
25 août 1924.
2°) Article 20 de la loi de 1966 / Réserves
volontairement omises par le transporteur.
S30 -
Aix 2ème chambre - 10 décembre 1993 - N°927
Président : M. DEGRANDI - Avocats : SCP SCAPEL et autres,
THIBIERGE, GUERIN
1°) La ratification d’une convention internationale confère à celle-ci de
par la constitution une valeur supérieure à la loi française dans le domaine
d'application qu elle définit. Elle perd en revanche toute force contraignante
hors de son champ d'application. Et si, conformément à ce que prévoit
l'article 1124 du Code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu
de loi à ceux qui les ont faites, c'est à la condition de ne pas déroger à des
dispositions impératives de la loi française telles que celles de l'article 16 de
la loi du 18 juin 1966.
�144
Ainsi la volonté des parties ne peut permettre d'écarter la loi française
par l'effet d'une clause Paramount se référant à la convention de 1924 alors
que celle-ci ne prévoit pas pareille faculté.
2°) Par ailleurs, selon l'article 20 de la loi du 18 juin 1966, lorsqu'une
réserve volontairement omise concerne un défaut de la marchandise dont le
transporteur avait ou devait avoir conscience, ce dernier ne peut se prévaloir
de ce défaut pour éluder sa responsabilité et ne bénéficie pas de la limitation
de responsabilité prévue par la loi.
O bservations : 1°) Une clause Param ount peut-elle
efficacement renvoyer à la convention de Bruxelles de 1924 (non
modifiée) alors que celle-ci ne prévoit pas pareille faculté ?
Telle était l'une des questions qui se posait à la Cour, étant
observé, qu'il s'agissait d'un transport effectué au départ du
Venezuela (État non contractant) et à destination d'un port fran
çais. L'article 10 de la convention dispose, dans son texte initial
que : "Les dispositions de la présente convention s'appliqueront à
tout connaissement créé dans un des États contractants".
Cette convention n'était donc pas en principe applicable à
l’espèce.
Ce n'est qu'avec l'adoption du protocole de 1968 que la
convention verra son champ d'application élargi aux cas où : art.
10-c "Le connaissement prévoit que les dispositions de la
présente convention ou de toute autre législation les appliquant ou
leur donnant effet régiront le contrat, quelle que soit la nationalité
du navire, du transporteur, du chargeur, du destinataire ou de
toute autre personne intéressée".
En l'espèce, la clause litigieuse ne paraissait pas pouvoir
souffrir d'autre interprétation que celle retenue : les parties sem
blaient donc s'être accordées sur l'application de la convention de
1924 dans son texte initial.
Cependant l'article 16 de la loi du 18 juin 1966 est expli
cite : Puisque le transport était hors du cham p d'application
d'une convention internationale et qu'il était à destination d'un
port français, il convenait de soumettre le litige aux dispositions
de la loi française.
Le renvoi à la convention de 1924 (non modifiée) par le
biais d'une clause Paramount reste néanmoins concevable dans la
mesure où cette disposition (seulement) contractuelle n'entre pas
en conflit avec les dispositions d'un autre texte ayant un caractère
impératif comme cela était le cas en l'espèce.
2°) Le deuxième point soulève le problème de l'absence de
réserve portée au connaissement alors que le bord devait avoir
connaissance de la défectuosité des fûts embarqués.
En effet le bon d'embarquement (Mate's receipt) émis par le
transporteur comportait des m entions sur ces défectuosités
145
établissant un défaut de la marchandise, défaut qui n'avait pas fait
l'objet de réserves sur le connaissement.
Cependant le dommage ne résultant de ces défauts que pour
partie (l'autre partie étant le fait du vice propre de la marchandise)
le transporteur ne sera condamné que partiellement et sans
bénéfice de la limitation de responsabilité.
C h risto p h e TREMISI
�146
147
CONSTRUCTION
S31
-Construction / Architecte / Responsabilité /
Architecte chargé de la conception d'un projet original
de villa / Erreur de conception / Manquement de
l'architecte à son devoir de conseil.
Cour d'appel d'Aix-en-Provence - 3ème Chambre - 1er juillet
1993 n°240
Président : PIZZETTA - Avocats : KREMER - BOUSQUET AUGEREAU - CASTILLON - GENOVESE.
Un architecte ne peut valablement arguer du fait que sa mission était
limitée à la conception originale de la construction pour rejeter la
responsabilité de l'échec du projet sur son confrère, chargé de l'exécution sur
le terrain, et sur le maître de l'ouvrage.
Il est établi qu'ayant avant tout le souci d'entretenir son image
d'architecte de renommée internationale, ce professionnel a attendu le procès
pour se rendre compte "de l'incurie des constructeurs incapables de réaliser son
esquisse", oubliant qu'il était lui-même l'un des constructeurs, alors qu'il
aurait pu et surtout dû, de par le contrat moral qu'il avait accepté, intervenir
au cours des travaux pour autant qu'il s'intéresse encore à l'habitation
quotidienne des hommes. Si certains ingénieurs ont précisé que l'étude des
plans de conception établis ne soulevait aucune difficulté technique et que le
travail de l'architecte de conception était parfaitement défini quant à l'esprit
architectural, d'autres ont par contre estimé que le logement était inutilisable,
même si la construction avait été conduite à son terme, et irréparable.
Considérant que le maître de l'ouvrage avait demandé à l'architecte de
concevoir une maison d’habitation à 100 mètres de la mer, et non une
habitation de troglodyte du 21ème siècle ou un prototype de musée, la Cour
estime que ce professionnel est responsable d'un projet inhabitable, et qu'il a
donc commis une faute de conception à l'origine du préjudice subi par son
client et a totalement manqué à son devoir de conseil au cours de l'édification.
Observations : Si la responsabilité de l'architecte varie
selon l'étendue de la mission qui lui est confiée, il est en toute
hypothèse tenu d'un devoir de conseil envers le maître de
l'ouvrage. Sur ce point cf. M. Huet, Droit de l'architecture,
Economica 2ème éd. 1990, p.480.
Pour le reste, ni la créativité, ni la renommée de l'architecte
ne peuvent exclure un minimum de bon sens, voire de conscience
professionnelle. Ainsi pourrait être résumée l'admonestation
adressée à l'homme de l'art par les magistrats de la Cour d'Aix.
Sur les erreurs de conception, cf. M. Huet précité, p.484.
Martine BARRIER
S32 • Construction / Responsabilité des constructeurs
/ Garantie décennale / Article 1792 du Code civil /
Champ d'application / Notion d'ouvrage.
a) 1ère espèce : Cour d'appel d'Aix-en-Provence - 3ème
Chambre - 16 septembre 1993 n°288
Président : PIZZETTA - Avocats :GASSIER - SORBADURIEUX.
Une véranda, adossée à un immeuble, comprenant des éléments
mobiles et fixes en bois et en matériaux métalliques et de vitrerie représente
un ensemble composé d'une structure, d'un clos et d'un couvert ; elle
constitue un ouvrage au sens de la garantie décennale.
b) 2ème espèce : Cour d'appel d'Aix-en-Provence - 3ème
Chambre - 28 octobre 1993 n°372
Président : PIZZETTA - Avocats :MAUREL - GARNERO CENAC.
L'entrepreneur, qui avait été chargé d’effectuer des réparations
importantes sur une toiture de 490 mètres carrés de superficie, et en
particulier de découvrir toutes les rangées de tuiles, de les contrôler, de
remettre en état la charpente, de refaire les faîtières et de replacer les tuiles
avec un chevauchement régulier, a réalisé un ouvrage au sens de l'article 1792
du Code civil, même s'il a utilisé la majeure partie des tuiles de la couverture.
c) 3ème espèce : Cour d'appel d'Aix-en-Provence - 17ème
Chambre - 2 novembre 1993 n°365
Président : FAYOLLE - Avocats :NASSER - LASSALLEFUSILIER.
La garantie décennale doit s'appliquer aux travaux ayant porté sur la
rénovation totale de la toiture et de la charpente.
Observations : La notion d'ouvrage, critère d'application
de l'article 1792 du Code civil, est entendue souplement par la
jurisprudence comme en témoignent à nouveau les arrêts
présentés. Le cas de la véranda a déjà été tranché de manière
identique par la Cour de cassation (cf. Cass. civ. III, 4 octobre
1989, Bull. III, n°179, p.98). La qualification des travaux de
rénovation est plus délicate. Les avis demeurent partagés sur
l'hypothèse de la réfection d’une toiture (cf. déjà Aix, 3ème ch.
B, 18 avril 1989, ce Bull. 89/2, n°65, p.32). L'envergure des
travaux entrepris reste finalement seule déterminante. Sur ce point
cf. J.P. Karila "Les responsabilités des locateurs d'ouvrages
immobiliers après exécution et réception des travaux
surexistants", JCP 1991, éd. NI, p.147 et s., spéc. n°21.
Martine BARRIER
�148
S33 - Construction / Vente d'immeuble à construire /
Contrat préliminaire de réservation / Impossibilité de
réaliser la vente aux conditions prévues par le contrat
préliminaire / Conséquences / Réalisation forcée de la
vente (non) / Conditions de restitution du dépôt de
garantie / Dommages et intérêts.
1ère espèce - Cour d'appel d'A ix-en-Provence - 17ème
Chambre - 11 octobre 1993 n°331
Président : FAYOLLE - Avocats : PEETRA - BRESSON.
Dès lors que le réservataire renonce à son projet d'acquisition, la
somme déposée en garantie est acquise au réservant en application des
stipulations du contrat préliminaire de vente d'immeuble à construire.
Pour se soustraire à ses obligations, le réservataire ne peut se prévaloir
de l'augmentation de plus de 5% du coût des travaux alors que celle-ci est due
aux transformations qu'il a lui-même demandées.
11 ne peut non plus prétendre que le contrat initial a fait l'objet d'une
novation, la nouvelle convention étant soumise à un accord définitif sur le
coût total des travaux. En effet les travaux d'embellissement non prévus au
contrat initial ont été à l'origine de tractations destinées à la conclusion d'un
second contrat distinct du premier. Mais aucune condition suspensive n'a été
incluse dans la première convention et la signature de l'acte définitif n'a pas
été subordonnée à un accord ultérieur sur le coût des travaux restant à
déterminer. Il n'y a pas eu de novation, mais deux contrats successifs et
indépendants, les conditions de la conclusion du second n'ayant pas fait l'objet
d'un accord.
Le réservant ne peut prétendre obtenir le paiement des travaux qu'il a
réalisés conformément aux souhaits du réservataire, alors que ceux-ci n'ont
fait l'objet d'aucune commande écrite. Le réservant a exécuté ces travaux à ses
risques en l'absence de signature de l’acte définitif.
2ème espèce - Cour d'appel d’A ix-en-Provence - 17ème
Chambre - 25 octobre 1993 n°345
Président : FAYOLLE - Avocats : néant.
Constatant les contradictions existant entre les divers documents
accompagnant la conclusion du contrat de réservation d'une villa à construire,
les uns, imprimés, mentionnant un garage, l'autre, manuscrit, un parking, la
Cour retient que les réservataires ont ainsi pu être induits en erreur et que le
réservant a fait preuve de légèreté en établissant les différents documents
soumis à ses cocon tractants.
En tout état de cause, la signature d'un contrat préliminaire de vente ne
constitue pas une promesse de vente et ne peut se résoudre qu'en dommages et
intérêts en cas d'inexécution. En conséquence il ne peut être fait droit à la
demande principale des réservataires tendant à obtenir la livraison de la villa
avec un garage par le réservant En revanche, outre la restitution du dépôt de
garantie, ils sont en droit d'obtenir l'indemnisation du préjudice que leur a
causé l'inexécution du contrat celle-ci étant due à la faute initiale du
réservant.
149
Observations : Quel peut être le dénouement d'un contrat
préliminaire de vente d'immeuble à construire lorsque les parties
ne s'accordent pas sur la conclusion de l'acte définitif aux
conditions initialement prévues ? En aucun cas le réservataire ne
peut forcer la main au réservant récalcitrant. Cf. par exemple
Cass. civ. III, 3 juin 1987, Bull. III n°l 14, p.68. La solution est
bien établie, seules les circonstances dans lesquelles elle est ici
appliquée présentent quelque originalité : la vente était d'autant
moins envisageable que son objet même n'était ni clairement
déterminé, ni déterm inable. Si, par essence, le contexte
préliminaire peut supporter une part d'incertitude (cf. Paris, 28
novembre 1991, RDI 1992, p.332), l'article L.261-15 CCH
exige cependant qu’il comporte les indications essentielles à la
consistance de l'immeuble.
Il faut par ailleurs régler le sort du dépôt de garantie. La
restitution s'impose lorsque l’échec du projet est imputable au
vendeur, éventuellem ent accom pagnée du versement de
dommages et intérêts. Elle peut encore intervenir lorsque le refus
de conclure la vente émane du réservataire, à condition que celuici soit légitime. La première espèce renvoie implicitement à
l'interprétation des justes motifs de retrait du réservataire énoncés
par l’article R.261-31 CCH.
Martine BARRIER
S34 - Construction / Responsabilité solidaire du
fabricant / Article 1792-4 du Code civil / Champ
d'application / Produit assimilable à une partie
d'ouvrage ou à un élément d'équipement (non).
Cour d'appel d'Aix-en-Provence - 17ème Chambre - 7 décembre
1993 n°419
Président : FAYOLLE - Avocats : TOYRIONT - MOSCONI.
La présomption de responsabilité de l'article 1792-4 du Code civil
n’est pas applicable au fabricant d'un film utilisé pour le ravalement des
façades, ce produit ne pouvant être assimilé ni à une partie d'ouvrage, ni à un
élément d'équipement.
Observations : La Cour d'Aix illustre à son tour la
tendance jurisprudentielle à définir restrictivement le champ
d'application de la responsabilité du fabricant fondée sur l'article
1792-4 du Code civil. Pour des rejets comparables de la
qualification d'EPERS, cf. à propos d'un enduit de façade,
Versailles 21 avril 1989, RDI 1989, p.364 ; au sujet d'un
revêtement d'étanchéité liquide, Paris 30 mai 1990, RDI 1990,
�150
151
p.376 et Cass. civ. IV, 26 mai 1992, Bull. civ. n°167, p.101 et
RDI 1992, p.522, obs. P. Malinvaud et B. Boubli.
Martine BARRIER
S36 - Construction / Installation d'une cheminée /
Contrat de vente de fournitures distinct du contrat
d'entreprise relatif à la pose (non) / Contrat de louage
d'ouvrage (oui) / Obligation de résultat pesant sur
l'installateur (oui).
S35 - Construction / Contrat de construction de
maison individuelle / Contrat conclu sous la condition
suspensive de l'obtention d'un prêt / Refus du prêt/
Refus imputable au maître de l'ouvrage (non).
Cour d'appel d'Aix-en-Provence - 3ème Chambre - 16 décembre
1993 n°425
Président : PIZZETTA - Avocats : DRUJON D’ASTROS QUENTIN.
Cour d'appel d'Aix-en-Provence - 17ème Chambre - 7 décembre
1993 n°422
Président : FAYOLLE - Avocat : MATTEI
Dans le cadre d'un contrat de construction de maison individuelle
conclu sous la condition suspensive de l'obtention d'un prêt, la société de
construction ne rapporte pas la preuve que c'est en raison de la carence et de la
faute du maître de l'ouvrage que le prêt n'a pas été obtenu. Elle ne peut
reprocher à son cocontractant de ne pas lui avoir donné les documents
nécessaires à la demande de prêt alors que le contrat ne précise pas que le
constructeur devait exclusivement s'occuper de cette demande. Elle ne peut
pas non plus se prévaloir de ce que le maître de l'ouvrage aurait caché ses
possibilités d'apport personnel aux banques sollicitées pour obtenir des
attestations de refus de prêt alors que le contrat n'indique ni l’existence, ni le
montant d'un tel apport.
Observations : Conformément au principe de l'article
1178 du Code civil, la condition est réputée accomplie lorsque
c'est le débiteur lui-même qui en a empêché l’accomplissement.
Le mécanisme ne doit pas permettre en effet au maître de
l'ouvrage de se débarrasser à bon compte d'engagements dont il
réalise un peu tard l'importance. Cf. Cass. civ. I, 16 juillet 1991
et Lyon, 16 avril 1992, RDI 1993 p.91, obs. J.C. Groslière et C.
Saint Alary Houin.
La possibilité de conclure un contrat de construction de
maison individuelle avec fourniture de plan sous la condition
suspensive de l'obtention de prêts est désormais indiquée par
l'article L.231-4-1 du CCH, résultant de la loi du 19 décembre
1990. Sur ce point cf. P. Malinvaud et P. Jestaz, droit de la
promotion immobilière, Dalloz 5ème éd. 1991, n °6 5 0 -ll, p.504.
Martine BARRIER
Ce n’est qu'en apparence que la société concessionnaire des cheminées
René Brisach a conclu une simple vente de fournitures avec son client et que
celui-ci a eu recours à un maçon indépendant pour la pose de la cheminée. En
réalité la société a contribué à l'installation des éléments "René Brisach", qui
ne peuvent être utilisés sans que soient construits un conduit et une hotte,
avec une souche de cheminée adaptée. Elle a fait modifier cette souche et a
proposé (sinon imposé) son installateur. Le paiement séparé de la pose fait
par le client au maçon ne suffit pas à caractériser deux contrats distincts. De
même, les mentions pré-imprimées du bon de commande, relatives à la
garantie de tirage et à "la pose de la cheminée avec hotte et staff lisse sans
peinture" tendent à prouver que la société est bien un installateur, tenu à une
obligation de résultat comme tout locateur d'ouvrage.
Observations : De façon générale, la distinction du
louage d'ouvrage et de la vente peut tenir soit à l'importance
respective du travail et de la fourniture, soit à l'exigence d'une
fabrication spécifique. Cf. pour la qualification de louage
d'ouvrage appliquée au contrat d'installation d'une cuisine, Cass,
com. 13 mai 1981, Gaz. Pal. 1981, II, pan. p.360.
Martine BARRIER
�152
153
BIENS
COPROPRIÉTÉ
S37 - 1ère espèce : Copropriété / Syndic de la
copropriété / Responsabilité à l'égard de chaque
copropriétaire / Conditions : preuve d'une faute et
justification d'un préjudice personnel / Preuve
rapportée (non) / Abus de droit du copropriétaire
(oui).
Cour d'appel d'Aix - 4ème chambre civile A - 30 novembre 1993
- n°556
Président : M. CROZE
Avocats : Mes JAUFFRES, CHABRIER.
Si le syndic est responsable à l'égard de chaque copropriétaire des
fautes commises dans l'accomplissement de sa mission, sans qu'il y ait à
chercher si la faute est ou non détachable de ses fonctions, encore faut-il que
la preuve d’une faute soit rapportée ainsi que la justification d'un préjudice
personnel. L’acharnement d'un copropriétaire contre le syndic alors qu'aucune
faute ne peut être reprochée à ce dernier relève, par sa vindicte gratuite, de
l'abus de droit
2ème espèce : Copropriété / Syndic de copropriété /
Responsabilité à l'égard du syndicat des copro
priétaires / Manquement à son rôle de gestionnaire
(oui) / Responsabilité engagée (oui).
Cour d'appel d'Aix - 4ème chambre civile A - 16 décembre 1993
- n°567
Président : M. CROZE - Avocats : Mes GNAGNERI,
SAFFORES.
Le syndic peut voir sa responsabilité engagée vis -à-vis du syndicat des
copropriétaires dès lors qu'il a commis une série de négligences pouvant nuire
aux copropriétaires. Tel est le cas si le compte de gestion au nom de la
copropriété se trouve débiteur du fait d'appels de fonds insuffisants. Tel est
également le cas si dans les trois années de son mandat, il a omis de tenir des
assemblées générales pour informer les copropriétaires du problème rencontré.
Observations : Dans ces deux espèces, la cour d'appel
d'Aix se prononce sur les différentes facettes de la responsabilité
civile du syndic (M.C. Ruffet, "La responsabilité civile du
syndic", inf. rap. coprop., 1990, p. 180 et s.).
Traditionnellement, la responsabilité contractuelle du syndic
est mise en jeu par le syndicat de copropriété (espèce n°2). En
effet, comme tout mandataire, le syndic est responsable du dol et
des fautes qu'il commet dans sa gestion. Ainsi, le syndic engage
sa responsabilité s'il omet de convoquer l'assemblée générale une
fois par an (C. Cass., 7 février 1990, administrer, novembre
1990, p.25, obs. Guillot ; Loyers et copropriété, 1990, n°195).
La responsabilité délictuelle du syndic peut être également
retenue. On a admis en effet, que le syndic soit responsable à
l'égard de chaque copropriétaire des fautes délictuelles ou quasidélictuelles qu'il a pu commettre sans qu'il y ait à rechercher si
cette faute est ou non détachable de ses fonctions (C. Cass., 6
mars 1991, Loyers et copropriété, 1991, n°231).
Le copropriétaire devra cependant établir conformément à
l'article 1382 cc que le syndic a commis une faute et qu'il a subi
un préjudice personnel (C. Cass., 7 février 1990, Loyers et
copropriété 1990, n°195). La cour d'appel d'Aix précise qu'un
acharnement injustifié de l'un des copropriétaires contre le syndic
constitue un abus de droit.
Bérengère LASSALLE
S38 • Copropriété / Action en nullité d'une décision
d'assemblée générale / Condition de recevabilité /
Forclusion du délai pour agir de l'article 42 alinéa 2
de la loi du 10 juillet 1965 / Nature de ce délai / Délai
préfix (oui) / Insusceptible de suspension ou
d'interruption / Non interruption du délai du fait
d'une assignation irrégulière.
Cour d'appel d'Aix - 4ème chambre civile A - octobre 1993 n°458
Président : M. CROZE - Avocats : Mes GIORGIO, LIBERAS
Il résulte des termes de l'article 42 de la loi du 10 juillet 1965 que le
délai de deux mois imparti aux copropriétaires opposants ou défaillants pour
introduire une action en contestation des décisions de l'assemblée générale
l'est à peine de déchéance. Il s'agit non d'un délai de prescription mais d'un
délai préfix, insusceptible d'interruption, de suspension et auquel les
dispositions de l'article 2246 du Code civil sont inapplicables. Ainsi, une
assignation entachée de nullité en vertu de l'article 752-2 du NCPC ne peutelle interrompre le délai de deux mois.
Observations : Le présent arrêt de la cour d'appel d'Aix
s'est prononcé sur la nature du bref délai instauré par l'article 42
alinéa 2 pour contester les décisions d'assemblée générale. A
peine de déchéance, l'action en nullité du copropriétaire doit être
introduite dans les deux mois à compter de la notification de la
décision. Ce délai, n'est pas un délai de prescription mais un
délai préfix (C. Cass., 27 mai 1974, Bull, civ., III, n°223 ; JCP,
74, éd. G., II, 17836 note Guillot ; Defrénois 1974, art. 30756,
�154
155
obs. Souleau). A ce titre, il ne peut donc être ni suspendu, ni
interrompu (Paris, 2 avril 1973, D.1973, somm. 158 ; Revue des
loyers 1973, p.343 ; Paris, 20 octobre 1982, Administrer, mars
1983, p.22, comm. Guillot).
Bérengère LASSALLE
S39 - Copropriété / Charges communes / Article 10
Alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1965 / Répartition
proportionnelle des charges / Clause d'aggravation
des charges / Licéité (oui) / Location d'un lot à usage
de discothèque / Augmentation corrélative du coût de
l'assurance des parties communes de l'immeuble /
Paiement par le propriétaire du lot de cette surprime
(oui).
Cour d’appel d'Aix - 4ème chambre A - 28 septembre 1993 n°404
Président : M. CROZE - Avocats : Mes MAYNARD, LATIL
La clause d’aggravation des charges prévue par le règlement de
copropriété au détriment des copropriétaires qui "aggraveraient les charges
générales par leur fait et celui de leurs locataires" est parfaitement licite. Elle
autorise le syndicat à leur faire supporter les frais et dépenses ainsi
occasionnés à condition que le copropriétaire en soit bien responsable. Ainsi
le copropriétaire qui loue son lot à usage de discothèque et qui par là même
entraîne une augmentation du coût de l'assurance des parties communes de
l’immeuble, est-il tenu de la surprime qu'il occasionne.
Observations : Certains règlem ents de copropriété
comportent des clauses dites "d'aggravation de charges". Ces
clauses précisent que les copropriétaires qui aggravent par leur
fait ou leur négligence les charges communes, devront seuls
supporter le supplément de charges. Elles sont, comme le
réaffirme la cour d'appel d'Aix, reconnues licites (cf. sur ce
problème : Paris, 30 octobre 1977, administrer, janvier 1978,
p.56 note Guillot ; Paris 29 avril 1981, D. 1982, IR, p.141,
n°34 ; Versailles, 23 novembre 1983, Revue de droit immobilier,
1984, p.447, obs. Givord et Giverdon). Encore faut-il cependant
que la preuve de la responsabilité du copropriétaire mis en cause
soit effectivem ent rapportée. Une décision de l'assemblée
générale en ce sens est insuffisante (Versailles, 21 janvier 1983,
RTD civ., 1983, p.365, obs. Giverdon).
Bérengère LASSALLE
BANQUE
S40 - Banque / Responsabilité civile du banquier /
octroi de crédit / faute (non) / obligation de conseil /
obligation de moyen / financement de l'achat d'un
fonds de commerce / rentabilité suffisante pour
remboursement du prêt / mandat d'investigation
spécifique / preuve non rapportée.
Aix 28 octobre 1993 - 2ème chambre - n°795
Président, M. CARRIE - Avocats, Mes CANAVESE, DANIEL
La société Le Paradis a acheté à la société La Mélodie un fonds de
commerce de restauration pour un prix de 2.200.000 F, payé quasi
intégralement moyennant un prêt consenti par l'Union Bancaire du Nord pour
lequel M. Cartano et Mme Mathurin se sont portés caution. Or, moins d'un
an après l'octroi du prêt, la société Le Paradis a dû déposer son bilan. Il s’est
avéré que, lors de la vente du fonds de commerce, la société La Mélodie se
trouvait en cessation de paiement. Les cautions reprochent donc à la banque
qui avait étudié le financement projeté d'avoir commis une faute en
distribuant un crédit sans un contrôle sérieux de la qualité de l’opération et de
la capacité de remboursement de l'emprunteur. En d'autres termes, la banque
aurait dû vérifier si la rentabilité du fonds était ou non aléatoire pour assurer
le remboursement du prêt. C’est son devoir de conseil qui est mis en cause.
La cour d'appel rappelle que le devoir de conseil du banquier est une
obligation de moyens et qu'il incombe à celui qui l'invoque de rapporter la
preuve d'une faute. Les cautions invoquent une étude de financement qui
aurait été confiée à un employé de la banque, précisément sur la rentabilité du
fonds de commerce en vue du remboursement du prêt. Cependant, elles ne
sont pas en mesure de rapporter la preuve de cette demande.
Force alors est de constater que la banque a pris les précautions
d'usage : le greffe du tribunal a délivré un certificat négatif de redressement
judiciaire, de liquidation judiciaire et de faillite personnelle concernant la
société Mélodie ; l'état relatif aux inscriptions des privilèges et publications
de celles-ci s'avérait négatif sauf un nantissement du fonds de commerce d'un
montant de 400.000 F ; l'extrait du registre de commerce de la société
Mélodie ne révélait aucune anomalie.
La banque, qui ne devait pas s’immiscer dans les affaires de
l'emprunteur et se substituer à lui dans la conduite de ses affaires, n'avait pas
à procéder à des investigations plus approfondies sur la solidité financière de
la société Mélodie.
Observations : La Cour d'Aix subordonne la faute de la
banque à la preuve d'une obligation particulière: l'emprunteur
avait-il ou non demandé une étude pour savoir si la rentabilité du
fonds serait suffisante au remboursement du prêt ? Pourtant, une
obligation générale propre au devoir de discernement du banquier
tend à ce que le crédit soit ajusté aux capacités de remboursement
�156
157
de l'emprunteur (Rives-Lange et Contam ine-Raynaud, Droit
bancaire. Précis Dalloz 1990, n.547). En l'espèce, la banque
avait dû vérifier et constater que les capacités de remboursement
n'existaient que dans l'hypothèse d'une rentabilité du fonds pour
l'achat duquel le prêt était sollicité. Cette rentabilité du fonds
revêtait donc un caractère essentiel pour l'octroi du p rêt La cour
d'appel a cependant confirmé la décision des premiers juges dans
la mise à l'écart de la recherche de cette rentabilité, nonobstant
l'obligation générale de discernement et de prudence à laquelle
elle se rattacherait
Catherine PRIETO
S41 - Banque / effet de commerce / lettre de change /
opposabilité des exceptions / mauvaise foi du tiers
porteur / connaissance de l'exception (oui) / absence
du nom du bénéficiaire lors de l'escompte / incitation
à la prudence / régularisation ultérieure prévue par le
tireur / régularisation subordonnée à la livraison du
matériel.
Aix 21 septembre 1993 - 2ème chambre - n° 651
Président, DEGRANDI - Avocats, AUBE-MARTIN-BOTTAI,
MARTELLY-MAYNARD
"S'il est de principe comme le souligne la Sa Banque Bonnasse que
celui qui reçoit un effet de commerce lors de l'endossement est censé ne pas
connaître les lacunes que ce titre pouvait présenter lors de sa création par le
tireur ou de son acceptation par le tiré, force est en l'occurrence de constater
que la traite litigieuse ne comportait pas à la date de remise à l'escompteur le
nom du bénéficiaire. Elle était donc intrinsèquement irrégulière..."
"Le banquier escompteur ne pouvait donc qu'avoir conscience des
lacunes de l’effet lors de la création et de l'acceptation. Il se devait dès lors de
vérifier la volonté du tiré avant d'apposer son nom et d’escompter. Or,
précisément, il est avéré que la volonté de l'accepteur n'a jamais été de
s'engager dans la loi du change, les motifs des premiers juges étayés par les
protestations épistolaires de SCM (le tiré) et la précaution prise par cette
dernière en photocopiant le titre lors de son émission révélant que l'omission
de mentions essentielles à la validité procédait de l'intention de subordonner la
régularisation de l'effet à la livraison du matériel commandé."
Observations : Sur la connaissance de l'utilisation par le
remettant de traites en blanc préacceptées et des difficultés
d'exécution, cf. Corn 24 mars 1992, Bull. IV, n.130 et D.1992,
somm. 340, Cabrillac. Rappelons, qu’en principe, est opposable
à tout porteur l'exception tirée d'un vice apparent du titre : "il est
légitime d'attendre de celui qui reçoit une lettre de change un
examen sommaire de l'effet qui ne peut manquer de lui révéler
l'irrégularité; s'il n'y procède pas ou passe outre, il ne mérite pas
la protection légale", cf. Gavalda et Stoufflet, Droit du crédit, t.2,
Litec 1991, Effets de commerce, chèque et cartes de paiement et
crédit, n.53.
Catherine PRIETO
S42 • Banque / bourse / opérations d'achat de titres /
mandat de gestion de portefeuille de titres (non) /
simple remisier / obligation de vérification / vérifi
cation de la teneur de l'ordre transmis à l'agent de
change / risque majeur d'erreur d'interprétation.
Aix 9 décembre 1993 - 1ère chambre - n° 655
Président, HUGUES - Avocats, TIODET, CARISSIMI
"Un tel mandat emportait à la charge du mandataire, même s'il se
cantonnait dans le rôle de simple remisier, l'obligation de contrôler que les
ordres pouvaient recevoir exécution normale et ne comportaient pas dans leur
libellé une imprécision de nature à provoquer une erreur de l'agent de change
chargé de les exécuter".
En effet, M. Bouthier avait donné à la Caisse d'Épargne un ordre
portant sur un achat de titres de la CFTI, précisant qu’il s'agissait à la suite
d'une augmentation de capital d'actions nouvelles à la valeur nominale de 10
F. "Mais un tel ordre d'achat ne pouvait pas normalement être exécuté, les
dites actions nouvelles à 10 F n'étant pas offertes au public. La preuve est
ainsi rapportée que cet ordre ne pouvait dès lors être exécuté sans risque
majeur d'erreur d'interprétation".
"En transmettant ces ordres qui ont donné lieu à l'achat litigieux alors
qu'ils ne pouvaient pas recevoir exécution correcte, sans contrôle, ni
information préalable de M. Bouthier profane en matière boursière, la Caisse
d'Épargne a commis, sans préjudice de son éventuel recours contre l'agent de
change, une faute engageant sa responsabilité contractuelle de remisier à
raison du préjudice prévisible causé par l'achat de titres ne correspondant pas à
l'ordre de M. Bouthier". En dernier lieu, la cour précise que le seul préjudice
direct tient à la suppression des intérêts résultant de son compte débiteur et à
la somme de 5.000 F.
O bservations
: M. B outhier est qualifié de
"boursicoteur" par les premiers juges: du seul fait qu'il lise "Les
échos" et "La lettre de l'expansion", on ne saurait déduire qu'il
soit un initié de la Bourse, au courant des règles du marché. Par
ignorance ou lecture trop rapide, il commit une lourde bévue.
Apprenant l'augm entation de capital de la société CFTI, et
appréciant la bonne tenue de ses actions, il décida d'en acheter
600 au cours de 10 F. Mais il n'avait pas compris que les
nouvelles actions émises à 10 F étaient réservées aux repreneurs
de la CFTI et n'étaient pas offertes au public. Le cours normal
était en réalité à 75 F, ce qui explique le débit de son compte.
�158
De son côté, la banque prétendait qu'elle n'avait pas à
informer son client des risques qu'il encourt lors d'opérations
boursières, ni des événements qui peuvent affecter la vie d'une
société intéressant le client. Il est vrai que ce type d'information
ne saurait être exigé d'un simple dépositaire du portefeuille de
titres.
La Cour d'Aix a été sensible à l'exigence de cohérence dans
un ordre transmis. L'opération ordonnée était impossible, les
actions nouvelles au cours de 10 F ne pouvant être acquises. On
déduit de la solution qu'elle aurait dû s'informer de la réalité du
marché des actions CFTI et de l'adéquation de leur cours à celui
mentionné dans l'ordre d'achat. Il semble bien pourtant que cette
vérification incombe au premier chef aux sociétés de bourse (qui
ont succédé aux agents de change), et non à la banque.
En effet, les sociétés de bourse se voient reconnaître le
monopole de négociation des valeurs mobilières (MARTIN,
Traité de droit commercial de Juglart et Ippolito, Banques et
Bourse, n.623). On ne s'étonnera pas qu'elles aient à leur charge
une obligation d'inform ation des clients très renforcée
(MARTIN, ibid., n.628). Or, les banques ne sont que "des traits
d'union" entre leurs clients, qui leur donnent mandat, et les
sociétés de bourse, qui réalisent effectivement l'opération. Il en
résulte qu'a priori le client devrait agir directement contre l'agent
de change lorsque son ordre est mal exécuté et ce serait à ce
dernier de supporter le coût des intérêts dus par le client sur son
compte débiteur. Néanmoins, il est soutenu que les banques
demeurent responsables des ordres transm is et de leur
surveillance (MARTIN, ibid., n.632) et qu'elles sont même
redevables d’une obligation de conseil avant de transmettre
l'ordre d'opération en Bourse (MARTIN, ibid., n.526). Elles ne
sauraient, en conséquence, transmettre un ordre impossible ou
présentant un risque d'ambiguïté.
Rappelons, pour conclure, que les relations du client et de
la banque -simple transmetteur d'ordres de bourse- sont dans le
collimateur de la Cour de cassation. Sous le visa de l'article 1147
du Code civil, celle-ci vient de déclarer : "quelles que soient les
relations contractuelles entre un client et une banque, celle-ci a le
devoir de l'informer des risques encourus dans les opérations
spéculatives sur les marchés à terme, hors le cas où il en a
connaissance", cf. Corn. 18 mai 1993, D.1994, p.142. Il
apparaît que le simple fait de "boursicoter" ne confère pas cette
connaissance. En l'espèce, la banque avait ouvert trois titres de
compte à un étudiant "boursicoteur", en mal d'initiation. Elle
avait ensuite "liquidé" ses titres faute pour lui de n'avoir pu
reconstituer la couverture normalement exigée, malgré sa mise en
demeure. V. aussi Paris 25 janvier 1993, Banque juin 1993,
159
p.97: "l'obligation d'information et de conseil à laquelle est
astreint l’établissement teneur de compte doit permettre à la cliente
d'apprécier les risques inhérents à la nature des obligations
envisagées".
En matière de bourse, l'heure est à la rigueur pour les
banquiers.
Catherine PRIETO
�160
161
SOCIÉTÉS
S43 - Société / SARL / Cession de parts sociales /
Vente de fonds de commerce (oui) / Application de la
loi du 29 juin 1935 (oui) / Omission de mentions
informatives / Nullité (oui).
Aix - 1ère ch. B - 5 octobre 1993 - n°509
Président, M. RANSAC - Avocats, Mes MENESTRIER,
ESTRADIER, RAFFAELLI
Les cessions successives de la totalité des pans sociales de la SARL
impliquent nécessairement le transfen du fonds de commerce constitutif de
l'objet social. Dès lors, les actes constatant la vente du fonds de commerce,
sous la forme d'un autre contrat, relevaient des prescriptions de la loi du
29 juin 1935 et devaient comporter les mentions exigées par son anicle 12.
L'acquéreur des parts sociales est autorisé à agir en nullité dès lors que sa
demande a été formée dans l'année de sa demande et qu'il prouve que cette
omission a vicié son consentement et lui a fait grief.
La situation arrêtée par l'expert comptable était insuffisante pour
pallier le défaut des précisions relatives au chiffre d'affaires et aux bénéfices
commerciaux. De plus, s'il a acquis en connaissance d'un passif de
1.500.000 F expressément pris en charge par conventions séparée, cette seule
circonstance n'implique pas qu'il ait été exactement informé de la situation
réelle de la société, nécessairement compromise dès l'époque de la cession,
comme il résulte du report de la date de cessation des paiements.
L'inobservation de ces prescriptions légales procède d'une réticence
dolosive des vendeurs qui a été déterminante du consentement de l'acquéreur.
Celui-ci s'étant trouvé privé de toute exploitation du fonds, les premiers juges
ont à juste titre prononcé l'annulation des cessions.
O bservations : Le transfert du fonds de commerce peut
être constaté sous la forme d'un autre contrat que le contrat de
vente, auquel il convient par voie de conséquence d'appliquer les
mentions informatives prescrites par la loi du 25 juin 1935. La
cession de parts sociales est ainsi assimilée à la vente du fonds de
commerce. Cette analyse n'est pas nouvelle et est invoquée de
manière récurrente par les juges du fonds (Bordeaux 8 novembre
1989, Bull. Joly 1990, n. 47, p. 180, LE CANNU ; Paris 18
février 1992, Bull. Joly 1992, n. 174, p.546). La Cour de
cassation reste cependant très ferme : la cession de droits sociaux
ne constitue pas une cession de biens sociaux (Com. 13 février
1990, Bull. Joly juillet 1990, p.659, n.186, JEANTIN ; Com.
22 janvier 1991, Bull. Joly avril 1991, p.398, n.128, D.L.).
L’associé n'est pas titulaire d'un droit réel sur un bien de l'actif
social mais d'un simple droit de créance, qui plus est éventuel,
sur les bénéfices à venir et sur le partage de l'actif (RIPERT et
ROBLOT, par GERMAIN, Traité de droit commercial, LGDJ
1993, n°763). Bien qu'empreint d'un certain réalisme, cet arrêt de
la Cour d'Aix est donc en dissonance avec la jurisprudence et la
doctrine majoritaires.
Néanmoins il convient de rappeler que, indépendamment de
l'application de la loi du 29 juin 1935 et de ses exigences en
matière d'information, le vice du consentement propre au droit
commun des contrats joue un rôle régulateur dans la cession des
parts sociales. C 'est le cas notamment avec l'admission de
l'erreur sur les qualités substantielles des parts ou actions
acquises. Un arrêt remarqué a retenu la nullité de la cession dès
lors que les acquéreurs avaient ignoré une convention antérieure
par laquelle la société avait cédé son fonds de commerce, ce qui
aboutissait à priver la société de la possibilité même de réaliser
son objet social (Com. 1er octobre 1991, Bull. Joly 1991,
p. 1004, ROCA, JCP E 1992, II, n.277, VIANDIER, Rev. soc.
1992, p.497, DIDIER, RTD Civ. 1992, p.80, MESTRE).
L'erreur sur la viabilité économique de la cession de parts
sociales peut se frayer un chemin vers l'annulation, dès lors
qu'elle atteint un degré de gravité tel que toute exploitation sociale
est impossible. Serait-ce le cas lorsque la cession des parts a lieu
alors même que la société est en cessation de paiements, comme
en l'espèce ? Cette voie mériterait d'être exploitée et semble, en
tout cas, plus adéquate que l'application forcée de la loi du 29
juin 1935 sur les mesures de protection propres à la vente du
fonds de commerce.
Catherine PRIETO
S44 - Société / Associé / Concurrence déloyale (non) /
Cumul de la qualité d'associé avec un contrat de
travail / Licenciement / Constitution d'une autre
société dans la même branche / Incompatibilité de la
qualité d'associé dans les deux sociétés concurrentes
(non).
Aix 24 novembre 1993 - 2ème chambre - n° 888
Président, M. CARRIE - Avocats, BLANCHOT, BANET
DUCLOS, BONNAUD
Un associé est libre de faire partie d'une autre société, mais il est tenu,
en vertu de l'affectio societatis, d'une obligation de loyauté. L'associé en
cause, Raphaël Esposito, était porteur de 49 % des parts de la société TTNP.
Il exerçait la fonction salariée de chef de travaux et fut licencié. Ce
licenciement a été déclaré abusif par un arrêt antérieur de la cour d'appel.
Il ne saurait être fait grief à Raphaël Esposito, alors qu'il était privé
d'emploi, d'avoir cherché à retrouver une activité dans sa branche
�162
professionnelle, dès lors qu'il n'était pas tenu statutairement ni
contractuellement d'une interdiction de rétablissement.
Dans la société ST ART nouvellement créée et concurrente de la
société TTNP, Raphaël Esposito détenait 20% des parts. Son gérant, Jean
ORCIER, qui avait été licencié par la société TTNP pour raison économique,
en détenait 40%. On observe qu'il n’y a pas eu volonté délibérée des deux
anciens salariés de quitter la société TTNP pour créer une entreprise
concurrente, puisqu'ils ont été tous deux licenciés. Par ailleurs, aucune
précision n’est fournie sur l'activité exacte exercée par Raphaël Esposito au
sein de la société ST ART, de sorte que rien ne permet de supposer qu'il y
joue un rôle prépondérant, incompatible avec son statut d'associé de la société
TTNP. La société TTNP, qui se borne dans les écritures à invoquer les
principes généraux, ne cite aucun fait précis susceptible de constituer un
comportement concurrentiel déloyal ou illicite de la part de Raphaël Esposito.
Il en est de même à l'égard de la société START à laquelle il est reproché de
s'être rendue complice d'une faute commise par Esposito et de détourner la
clientèle de la société TTNP, alors qu'aucun acte concret n'est susceptible de
constituer une concurrence déloyale.
O bservations : La qualité d'associé confère-t-elle une
obligation de non-concurrence ? Deux raisons militent en faveur
d'une réponse positive. La première est fondée sur le contrat de
société auquel est attachée une obligation de bonne foi, comme
dans l'exécution de toute convention; la seconde est fondée sur
l'intérêt commun des associés expressément énoncé par l'article
1133 du Code civil (VIANDIER sous Com. 6 mai 1991,
D.1991, 609). L'affectio societatis créerait une obligation
d'abstention qui incomberait à tout associé. Mais il faut bien
convenir que cette affectio societatis a une intensité plus ou moins
dense selon les sociétés et que, par conséquent, la réponse
relative à l'existence d'une obligation de non-concurrence doit
être fortement nuancée (VIANDIER, préc. et GUYON sous
Com. 6 mai 1991, Rev. soc. 1991, p.760). On ne peut avoir les
mêmes exigences à l'égard de l'associé minoritaire d'une société
cotée qu’à l'égard de l'associé en nom collectif (comp. les
sociétés civiles professionnelles et les sociétés d'exercice libéral
où la loi impose aux associés une activité exclusive). S'agissant
des SARL et des sociétés anonymes, l'obligation de nonconcurrence est plutôt l'exception et, en tout cas, concerne
seulement les associés majoritaires et les dirigeants (GUYON,
préc.). En l'espèce, Raphaël Esposito détenait 49 % des parts,
mais sa situation de salarié le plaçait d'une situation de
dépendance, confirmée par son licenciement. Toute hésitation
aurait été écartée si une clause de non-concurrence avait été
insérée dans les statuts ou avait été contractée par l'associé en
cause dans une convention particulière, notam m ent dans son
contrat de travail. Un engagem ent exprès est vivement
163
recommandé à la pratique et c'est pourquoi la cour d'appel a
recherché si cette précaution avait été prise par la société TTNP.
A défaut d'une clause spécifique dans les statuts ou dans le
contrat de travail, il ne restait plus qu'à envisager la faute
délictuelle résultant d'une concurrence déloyale. Mais pour cela il
faut invoquer des faits précis (cf. Versailles 20 déc. 1990, Juris
data n°49138: l'associé, après avoir constitué une entreprise
concurrente, avait démarché la clientèle de sa société). Dans notre
affaire, la cour d’appel ne pouvait que constater que la société
TTNP n'était pas en mesure d'établir un reproche concret, ni
contre son associé, ni contre la société constituée par lui.
C atherine PRIETO
�164
165
REDRESSEMENT JUDICIAIRE
S45 - Redressement judiciaire / Sanctions contre les
dirigeants sociaux / Procédure et droits des créanciers
dans le redressement judiciaire ouvert personnelle
ment contre le dirigeant social.
a) 1ère espèce : Cour d'appel d'A ix-en-Provence - 8ème
Chambre A - 23 septembre 1993 n°512
b) 2ème espèce : Cour d'appel d'A ix-en-Provence - 8ème
Chambre A - 23 septembre 1993 n°513
Président : M. BADI - Avocat : Me LOPRESTI - Avoués : SCP
JOURDAN et TOUBOUL
Selon l'article 166 du décret du 27 décembre 1985, lorsque le
redressement judiciaire est prononcé en application de l'article 182 de la loi du
25 janvier 1985 contre un dirigeant déjà soumis à une procédure de
redressement judiciaire, le déroulement de la procédure se poursuit devant le
tribunal qui a déjà prononcé le redressement judiciaire à l'égard du dirigeant
(1ère et 2éme espèces).
Le juge-commissaire du redressement judiciaire déjà ouvert contre le
dirigeant est donc radicalement incompétent pour suivre le déroulement de la
procédure ouverte en vertu de l'article 182 (2ème espèce).
Au surplus en l'état de l'admission de plein droit dans le redressement
judiciaire du dirigeant, des créanciers admis dans le redressement judiciaire de
la personne morale (art. 166 al. 2, D. 27 décembre 1985) il n'est nul besoin
d’une décision du juge-commissaire pour consacrer les droits de créances déjà
ainsi reconnus (1ère et 2ème espèces).
Dès lors, en effet que ce juge-commissaire ne dispose d'aucun pouvoir
pour apprécier ou modifier lesdits droits, leur mise en oeuvre peut s'opérer
sans son intervention, par mention sur l'état des créances de la procédure du
dirigeant des décisions passées en force de chose jugée qui les ont consacrés.
Il appartient au représentant des créanciers ou aux créanciers eux-mêmes
d'adresser une expédition de ces décisions au greffier du tribunal (1ère espèce).
L'admission de plein droit prévue par l'art. 166 al. 2 D. 27 décembre
1985, bénéficie également aux créanciers de l'art 40 de la loi du 25 janvier
1985 figurant sur la liste dont le dépôt est prescrit par l'art. 61 D. 27
décembre 1985. L'inscription sur cette liste est attributive de droits et confère
aux créanciers, après expiration du délai de contestation de la liste, les mêmes
droits qu'aux créanciers visés à l'art. 166 al. 2 D. La communication de la
liste de l'art 61 suffit donc à assurer la sauvegarde des droits des créanciers
(2ème espèce).
Observations : "L'extension de la faillite au maître de
l’affaire", comme on disait autrefois, est, pour reprendre le mot
cher à Arsène Lupin (sous la plume de Maurice Leblanc) une
extension sans l'être, et ne l'est pas tout en l'étant
- C'est une extension sans l'être : procéduralement, le
redressement judiciaire ouvert contre le dirigeant pour une des
causes énumérées par l'art. 182 L 1985, est distincte de la
procédure ouverte contre la personne morale. C'est déjà vrai dans
la situation ordinaire, celle où il n'y a "que" deux procédures : le
dirigeant doit faire l'objet d'un redressement judiciaire, sa
liquidation judiciaire immédiate n'est pas possible, même si la
personne morale est elle-même en liquidation judiciaire (Com. 16
mars 1993, JCP 1993, I, 3704, obs. Cabrillac et Petel). C'est
d'autant plus vrai lorsque, dans la situation particulière visée par
l'art. 166 du décret du 27 décembre 1985, il y a non pas deux,
mais trois procédures : une première procédure contre le dirigeant
en qualité de commerçant individuel, une deuxième contre la
personne morale, une dernière contre le dirigeant "ès-qualité".
C'était le cas dans les espèces rapportées, où une dame exploitait
en nom personnel une boutique de décoration à Cannes et était à
Grasse l'associée unique d'une EURL de fabrication de meubles.
C'est donc le tribunal de Cannes, qui l'avait déjà mise à titre
personnel en redressem ent judiciaire, qui a été chargé de la
procédure ouverte contre elle au titre de l'art. 182 L 1985, et non
le tribunal de Grasse... Le moins qu'on puisse dire est que l'unité
de "tribunal de la faillite” n'y gagne pas, et que, si "redressement
judiciaire sur redressem ent judiciaire vaut", c'est au prix de
quelques entorses aux règles habituelles de la procédure collec
tive, comme en témoigne la "mise à l’écart" des compétences du
juge-commissaire en matière de vérification du passif.
- Mais ce n'est pas une extension tout en l'étant. En effet, le
passif du redressement judiciaire du dirigeant ouvert au titre de
l'art. 182 L 1985 comprend outre le passif personnel, le passif de
la personne morale. Les deux arrêts rapportés font de façon
exemplaire oeuvre de pédagogie quant aux modalités de prise en
compte de ce dernier passif. Mais cette "extension du passif' de
la personne morale au dirigeant pose un problème : les créanciers
de la personne morale sont-ils admis de plein droit au passif du
redressement judiciaire du dirigeant, avec leurs qualités et
sûretés, et en particulier leurs privilèges ? La doctrine s'y montre
plutôt hostile (v. D errida, Godé, Sortais, Redressement et
liquidation judiciaires des entreprises n°584). Au contraire, la
Cour d'Aix impute au dirigeant le "passif de l'article 40" de la
personne morale, et, quoiqu'elle ne le dise pas expressément, elle
semble bien le faire avec le bénéfice du privilège institué par ce
texte. En l'espèce, c'est choquant au regard de la chronologie :
l'entreprise personnelle de la dirigeante était bien antérieure à son
entreprise sociétaire, mais le redressement judiciaire de l'EURL
avait été ouvert en mars 1987 alors que le redressement judiciaire
de l'entreprise personnelle datait d'avril 1987 (et le redressement
�166
167
judiciaire "article 182" de la dirigeante, de juillet 1990). Donc, à
un mois près, une partie du "passif de l'article 40" de l'EURL
pouvait être antérieure à la procédure collective personnelle de
l'associée unique : comment concilier cette éventualité avec
l'article 40 lui-même, qui se limite aux créances nées "après" le
jugement d'ouverture ?
Emmanuel PUTMAN
S46 - Redressement et liquidation judiciaires / Voies
de recours contre les décisions intervenues dans le
cadre de la procédure collective / Notion de jugement
"statuant sur une revendication".
Cour d'appel d'Aix-en-Provence - 8ème Chambre B - 14 octobre
1993 n°693
Président : BIHL - Avocats : TALAM ON - Avoués : SCP
BLANC et TOUBOUL
L'article 173 de la loi du 25 janvier 1985 dispose notamment que ne
sont pas susceptibles d'appel les jugements par lesquels le tribunal statue sur
le recours contre les ordonnances rendues par le juge-commissaire dans les
limites de ses attributions, à l'exception des jugements statuant sur les
revendications.
N’est pas un jugement statuant sur une revendication, et n'est donc pas
susceptible d'appel, la décision du tribunal rejetant une opposition à une
ordonnance du juge-commissaire qui avait ordonné la vente publique de
matériels non revendiqués ayant fait l'objet de contrats de crédit-bail, dès lors
que sous couvert de cette opposition, la société de crédit-bail a tenté d'exercer
l'action en revendication qu'elle n'avait pas entreprise en temps utile, et que le
tribunal n'a donc pas eu à statuer au fond sur le bien fondé d'une
revendication, puisqu'il s'est borné à constater que cette action n'était plus
possible.
Observations : La pilule de l'article 115 de la loi du 25
janvier 1985, enfermant les revendications dans un délai de
forclusion de trois mois, est amère à avaler pour les sociétés de
crédit-bail depuis que la Cour de cassation a décidé sans
équivoque que le texte leur était applicable (Com. 15 octobre
1991, D.1991, 632 ; JCP 1992, I, 3595, obs. Cabrillac et Petel,
et II, 21805 ; Com. 17 mars 1992, Liaisons juridiques et fiscales
10 avril 1992, p.2 ; JCP 1993, I, 3686, obs. Cabrillac et Petel ;
Com. 20 octobre 1992, D.1993, 19, JCP 1993, I, 3672, obs.
Cabrillac et Petel). Les sociétés de leasing essayent donc par
différents moyens de tourner autour du couperet que fait tomber
le délai préfix : par exemple en jouant sur les termes de l'article
173-2 de la loi (sur ce texte v. Com. 11 décembre 1990, JCP
1991, II, 21712 note Behar-Touchais ; Com. 19 mars 1991,
Petites affiches 22 janvier 1992) qui leur permet de faire appel
des jugements "statuant sur les revendications". Un peu agacée
peut-être, la Cour d'Aix rétorque qu'il s'agit là d'une manière de
profiter du double degré de juridiction pour faire juger une action
en revendication forclose. On ne peut que comprendre la réaction
de la Cour, prompte à déjouer un détournement de procédure,
d'autant qu’en l'occurrence il n'y avait pas eu stricto sensu
opposition devant le tribunal contre une ordonnance du jugecommissaire rejetant une revendication, mais contre une
ordonnance prescrivant la vente de matériels non revendiqués.
Néanmoins, la motivation du présent arrêt est sans doute trop
restrictive, dans la mesure où, à la lettre, elle semble considérer
qu'est un jugement "statuant sur une revendication", seulement le
jugement se prononçant au fond sur cette prétention. Il paraît
pourtant difficile de considérer qu'un jugement constatant la
tardiveté d'une revendication n'est pas un jugement "sur la
revendication". C'est, nous semble-t-il, confondre la nature de
l'action avec ses conditions de recevabilité. Quoique prescrite ou
forclose, l'action n ’en a pas m oins pour objet une
revendication... La Cour en a d'ailleurs été consciente car le
dispositif de son arrêt ne déclare pas l'appel irrecevable (comme
sa motivation le laissait attendre) mais déboute simplement la
société de crédit-bail.
Emmanuel PUTMAN
S47 -Redressement judiciaire / Etendue de la
compétence du juge-commissaire / Voies de recours
contre ses décisions.
a) 1ère espèce : Aix - 8ème Chambre A - 23 septembre 1993 n°514
Président : M. B ADI - Avocats : Mes USANNAZ-JORIS,
CARREGA - Avoués : SCP BLANC et COHEN
Le juge-commissaire, en application de l'article 101 de la loi du 25
janvier 1985, ne pouvait que décider l’admission ou le rejet des créances, sans
apprécier le bien fondé d'une contestation procédant d’une demande implicite
en compensation judiciaire. Mais il n’avait pas à se déclarer incompétent pour
le tout. En effet, si la formulation par le débiteur de griefs tendant à établir la
responsabilité d'une banque créancière, et à faire admettre le principe d'une
créance indemnitaire du débiteur, n'entre pas dans le cadre de la procédure de
vérification et d'admission des créances, l'incompétence du juge-commissaire
sur ce point n'entame pas son pouvoir de décider de l'admission des créances
déclarées, même dans l'hypothèse où la contestation du débiteur serait
susceptible d'aboutir à l’extinction totale ou partielle des créances de la
banque.
�168
b) 2ème espèce : Aix - 8ème Chambre A - 30 septembre 1993 n°520
Président : M. B ADI - Avocats : Mes USANNAZ-JORJS
Sur la base de l'article 101 de la loi du 25 janvier 1985, le jugecommissaire ne peut que décider de l'admission ou du rejet total ou partiel de
la créance ou constater soit qu'une instance est en cours soit que la
contestation ne relève pas de sa compétence ; si la créance fait l'objet d'une
instance en cours le jour où il statue, l'ordonnance qu'il rend pour constater ce
seul fait ne se prononce pas sur la compétence au sens de l'article 80 NCPC
et n'est pas susceptible de contredit. Cette ordonnance n'a pas d'autre
conséquence que le dessaisissement du juge-commissaire et dans le cas où la
matière est de la compétence du tribunal qui a ouvert le redressement
judiciaire, elle est susceptible d'un appel, ouvert aux personnes mentionnées à
l'article 102 al. 1 de la loi du 25 janvier 1985 et qui rapportent la preuve de
l'inexactitude du fait (instance en cours) qui a motivé le dessaisissement du
j uge-comm issaire.
Observations : Selon l'article 101 al. 1 loi du 25 janvier
1985, "au vu des propositions du représentant des créanciers, le
juge-commissaire décide de l'admission ou du rejet des créances
ou constate soit qu'une instance est en cours, soit que la
contestation ne relève pas de sa compétence". Ce texte délimite en
matière d'admission des créances une compétence et des pouvoirs
d'interprétation stricte, fortement dérogatoires au droit commun
de la procédure civile, ce qui fait apparaître des vides juridiques
que la jurisprudence n'a pas fini de combler. En voici deux
exemples.
a) Selon l'article 70 al.2 NCPC, la demande reconvention
nelle en compensation est toujours recevable sauf au juge à la
disjoindre si elle risque de retarder à l'excès le jugem ent sur le
tout. Mais sur la base de l'art. 101 L.1985, le juge-commissaire
est incompétent pour connaître d'une demande reconventionnelle
en compensation formulée par le débiteur qui se prétend lui-même
créancier du créancier : il n'a à admettre ou à rejeter que les droits
du créancier. La Cour d'Aix en tire cette conséquence qu'il doit
se déclarer partiellement incompétent, mais non pas incompétent
sur le tout. Le recours contre sa décision d'incompétence totale
est-il un contredit ? Il devrait l'être en vertu de l'article 80
NCPC, puisque la décision du juge-com m issaire ne s'est
prononcé que sur la compétence. Mais l'art. 80 NCPC est écarté
par l'article 102 de la loi du 25 janvier 1985, qui prévoit, soit un
recours devant la cour d'appel, lorsque la m atière est de la
compétence du tribunal qui a ouvert le redressement judiciaire
(art. 102 al. 1 : c'est le cas en l'espèce) soit, dans le cas contraire,
un recours devant la juridiction compétente (art 102 al.3).
Le juge-commissaire n'avait-il pas une autre possibilité,
celle de surseoir à statuer sur l’admission de la créance dans
l'attente d'une décision relative à la dette prétendue du créancier .
Cette fois l'art. 70 al.2 NCPC inciterait lui-même à une réponse
négative puisque son esprit est de favoriser le jugement sur le tout
ou du moins le jugement immédiat sur la demande principale. Qui
plus est en l'occurrence, le procès envers le créancier n’est encore
qu'éventuel au moment où le juge-commissaire se prononce : tout
report de sa décision est donc inutile.
La solution est strictem ent orthodoxe... mais on se
demande à quoi sert le débat contradictoire que la jurisprudence
demande au juge-commissaire de respecter (art. 101 al.2 L.1985,
v. Rouen 22 octobre 1987, Rev. proc. Coll. 1988, 87 obs.
Dureuil ; Nancy 20 février 1989, Banque et Droit 1989, 184 ;
Bordeaux 14 mars 1991, D.1992 somm. 281 obs. Derrida), si le
débiteur ne peut pratiquement pas y formuler de demande recon
ventionnelle. La réponse est qu'il s'agit d'un débat judiciaire
partiel, limité aux "observations" du débiteur (recueillies au
préalable par le représentant des créanciers, art. 100, L.1985) et
du créancier (même si celui-ci n'a pas répondu au représentant
des créanciers qui l'avait avisé de la discussion de sa créance par
le débiteur conformément à l'art. 54 L.1985, Bordeaux 14 mars
1991 préc.). Débat qui risque d’être quelquefois assez formel.
Cf. le cas du créancier n'ayant pas répondu au représentant : il
assiste au débat contradictoire, mais si le juge-commissaire
confirme la proposition du représentant, il n'a aucun recours, a n
102 al.2 L.1985 !
b) Dans le cas où une instance est en cours et où le jugecommissaire le constate, de quel recours son ordonnance est-elle
susceptible ? Dans le silence des textes, un arrêt s'est prononcé
en faveur du contredit (Lyon 6 décembre 1991, D.1992, somm.
253 obs. Derrida). La Cour d'Aix écarte ce précédent, qui était
invoqué devant elle par la partie créancière. Là encore, le
raisonnement de la Cour serre les textes au plus près : le contredit
supposerait une décision du juge-commissaire se prononçant sur
sa compétence. L'hypothèse où il constate que l'instance est en
cours est différente, aux termes mêmes de l'art. 101 al. 1 L.1985,
de celle où il constate que la contestation n'est pas de sa
compétence. Il n'y a donc pas lieu à contredit mais aux recours de
l'art. 102 al.l ou de l'art. 102 al.3 selon que la matière relève du
"tribunal de la faillite" ou d'une autre juridiction. Comme dans
l'espèce précédente, nous nous trouvons dans la première de ces
deux hypothèses, celle où le recours (que les magistrats aixois
qualifient "d'appel", quoique cette terminologie ne soit pas celle
de la loi) est porté devant la cour d'appel. Mais, dans la seconde
hypothèse, il n'y aurait pas contredit non plus (l'art. 102 al.3
prévoit alors la "saisine" de la juridiction compétente dans un
�170
171
délai de deux mois). On conclut en suivant le raisonnement de la
cour d'appel d'Aix, que le contredit n'est jam ais possible, sauf
peut-être dans l'hypothèse où le juge-comm issaire s'estimerait à
tort compétent, alors que les parties ont la conviction que la
matière relève bien de la compétence du "tribunal de la faillite" (v.
sur ce point les hésitations de D errida, Godé et Sortais,
Redressement et liquidation judiciaires des entreprises, n°220).
La Cour d'Aix rappelle un dernier point en ce qui concerne
la nature de la décision du juge-commissaire en présence d'une
"instance en cours" : c'est une décision de dessaisissem ent En
effet les "instances en cours" visées par l'art. 101 L. 1985 sont les
instances de l'article 47 L.1985 que le jugem ent d'ouverture du
redressement judiciaire avait suspendues et qui, en vertu de l'art.
48 L.985, ont été reprises aux fins de constatation du montant
des créances, devant les juridictions initialement saisies. Après
que celles-ci se soient prononcées, le dossier ne revient pas
devant le juge-commissaire : les décisions rendues sont portées
sur l'état des créances (Derrida, Godé, Sortais, n°216). Le jugecommissaire n'a donc pas à surseoir à statuer dans ce cas ; en
revanche, telle sera parfois la nature de son ordonnance (comp.
Paris 29 mai 1991, Rev. proc. coll. 1991, 414 obs. Dureuil). Par
exemple si un procès pour soutien abusif de crédit, intenté par le
représentant des créanciers contre le créancier fautif, est en cours
au moment où le juge-commissaire se prononce, il s'agit alors
d'une "instance en cours" autre que celles de l'a rt 47. Dans ce
cas, il semble bien qu'une ordonnance de sursis à statuer jusqu'à
décision au fond sur la faute du créancier dans l'aggravation du
passif serait possible.
Emmanuel PUTMAN
PROCÉDURE CIVILE
S48 -Procédure civile / Signification / Exigences des
art. 654 et 655 du NCPC / Procès-verbal pré-imprimé
/ Vérification du nom sur la boîte aux lettres /
Absence de questionnement des voisins / Diligences
insuffisantes / Irrégularité de la signification (oui).
Aix- 1ère Chambre A - 18 novembre 1993 - n°586
Président : M. HUGUES - Avocats : Mes BARBE, BOYERJAUSSAUD
Les articles 654 et 655 du NCPC, dont les prescriptions doivent être
observées à peine de nullité aux termes des dispositions de l'an 693 du même
Code, disposent que la signification d'un acte d'huissier doit être faite à la
personne de son destinataire et qu'elle ne peut l'être au domicile de ce dernier
que si cette signification à personne s'est révélée impossible. Il appartient en
pareille hypothèse à l'huissier instrumentaire de mentionner dans son acte les
diligences qu'il a effectuées pour parvenir à le remettre à la personne de son
destinataire et dont le caractère infructueux justifie l'impossibilité d'y
parvenir. Tel n’est pas le cas lorsque le procès-verbal se présente sous une
forme pré-imprimée dont l'huissier s'est borné à cocher les cases prévues à cet
effet, à l'exclusion de toute autre mention particulière des circonstances de fait
qui l'ont conduit à faire les constatations précédentes, en sorte qu'il ne peut
être vérifié qu'il aurait effectué d'autres diligences que le simple relevé cidessus pour tenter de découvrir le destinataire.
L'huissier aurait pu se livrer à d'autres diligences que le seul relevé du
tableau des occupants, de la boîte aux lettres et de la plaque de la porte, par
exemple se livrer au questionnement des voisins ce qui entre dans le cadre des
diligences qu'il lui appartenait de faire en en relevant le résultat sur l'acte."
Il résulte donc des constatations précédentes que la signification
litigieuse ne satisfait pas aux exigences des art. 654 et 655 du NCPC et
qu'elle est, pour ce motif, irrégulière.
Observations : La signification d'un acte de procédure
présente pour le destinataire des garanties que n'offre pas la
notification en la forme ordinaire. Le corollaire de ces avantages
est le respect d'un formalisme complexe (Jurisclasseur procédure
civile, fasc. 141 par N. FRIGERO) prévu aux art. 653 et
suivants du NCPC.
Le principe (art. 654 al. 1) est que la signification doit être
faite à personne : en conséquence l'huissier qui ne peut parvenir à
remettre l'acte au destinataire doit justifier avoir tout tenté pour
réussir cette délivrance à personne. Pour cela il doit relater ses
diligences infructueuses. Cette exigence n'est pas posée par tous
les textes qui ne mettent à la charge de l’huissier que l'obligation
de laisser un avis de passage daté au destinataire l'avertissant de
�172
173
la remise de la copie (art. 655). Mais il est question à l'art. 656
des vérifications faites par l'huissier, dont il doit être fait mention
dans l'acte de signification lorsque personne ne veut recevoir
copie de l'acte. Et la jurisprudence a imposé aux huissiers la
démonstration de la réalité de leurs recherches établissant
l'impossibilité de remettre l'acte à personne pour toutes les
significations (Voir J. sous art. 655 et 656 du NCPC).
Compte tenu du volume d'actes signifiés quotidiennement,
les huissiers ont pris l'habitude de recourir à des formulaires de
signification pré-imprimés, et de cocher les cases correspondan
tes. Cette pratique n'est pas nécessairement contestable dès lors
qu'elle permet aux juges d'exercer un contrôle sur le respect par
l'huissier de ses obligations, et donc sur la validité de l'acte.
Tel n'est pas le cas lorsque la signification ne comporte que
la mention préimprimée faisant état de l'impossibilité de délivrer
la copie à personne (CA Paris 29/11/88, D.89, IR 1 ; Paris
26/06/911, Juris-data n°022913 ; Aix-en-Provence 19/09/90,
Juris-data n°051896) ou que l’huissier se contente d'affirmer une
délivrance conforme aux dispositions légales (Rouen 28/01/87,
GP 89-1, som. 203), ou encore d'apposer une croix en face
d'une mention pré-imprimée (Cass. civ. I 12/01/88, GP 89-2318, note GUINCHARD et MOUSSA, RTD civ. 89, 6133, obs.
PERROT).
Toutefois, le recours à un formulaire préimprimé n'est pas
sanctionné en lui-même (Pour une appréciation positive voir,
Bull. Aix 1993-2 1ère partie, Titre "De l'incidence de la faute de
la poste sur la validité de la signification par voie d'huissier"). Ce
qui est recherché c'est la réalité des diligences. Or celle-ci peut
résulter du formulaire tout autant qu'il est bien rédigé et que
l'huissier rend bien compte de ses diligences.
Tel n'était pas le cas en l'espèce : l'huissier avait coché les
cases indiquant que la réalité de l'adresse était vérifiée par lecture
du tableau des occupants, boîte aux lettres et portes. Or il s'était
avéré que la destinataire n'habitait plus là à l'époque de la
signification ce que l’huissier aurait appris s'il avait interrogé les
voisins. Il ressort de cet arrêt que pour la Cour d'Aix une
signification régulière, à défaut de remise à personne, passe non
seulement par la vérification du nom du destinataire sur les
portes, boîtes et tableau d'occupants, mais encore par questionne
ment des voisins, cette diligence pouvant confirmer ou infirmer
les constatations visuelles de l'huissier et permet donc de vérifier
qu'il a bien accompli des diligences efficaces. Rien cependant
n’interdit à l'huissier de préétablir son procès-verbal de significa
tion en incluant une case pour l’interrogation des voisins.
Anne LEBORGNE
S49 - Saisine du juge des référés après ordonnance
sur requête / Objet : Débat contradictoire / Saisine
définie dans les limites de l'objet de la requête.
Aix- 15ème Chambre - 4 novembre 1993 - n°477
Président : M. FRANÇOIS - Avocats : Mes MATHIASMURAOUR, COUTELIER
Si l'art. 497 du NCPC donne au magistrat qui a été appelé à statuer
par ordonnance sur requête la possibilité de modifier ou de rétracter son
ordonnance, cette instance en rétractation a pour seul objet de soumettre à la
vérification d'un débat contradictoire des mesures antérieurement ordonnées à
l’initiative de l'une des parties en l'absence de son adversaire. La saisine du
juge doit donc être nécessairement définie dans les limites de son objet
O bservations : Les art. 14 et s. du NCPC affirment le
principe du contradictoire que l'art. 17 tempère lorsque la loi le
permet et la nécessité le commande : une mesure peut alors être
ordonnée à l'insu d'une partie, et pour l'obtenir, le juge sera saisi
par voie de requête (Sur la procédure elle-même : Art. 493 et s.
du NCPC, voir Jurisclasseur procédure civile, Fasc. 239 par Ph.
BERTIN et E. DU RUSQUEC, "Ordonnances sur requête et
représentation", GP 86 , 2, D.643). Selon que la requête est
rejetée ou non, le recours différera : appel lorsque la requête est
rejetée, saisine du juge des référés quand il y est fait droit. Le
magistrat a alors la faculté (art. 197) de modifier ou de rétracter
son ordonnance. Ce référé est donc le "recours approprié", prévu
par l'art. 17 du NCPC, afin que soit rétabli le contradictoire (Sur
la nature spécifique de ce recours, voir L. CADIET, Procédure
civile, Litec 1993, n°1024). L'atteinte à ce principe, en effet, ne
doit être que temporaire ; le référé afin de rétractation a pour effet
de saisir contradictoirement des difficultés de l'affaire le juge qui
avait rendu l'ordonnance au vu des seules explications du
demandeur. Le juge doit donc reconsidérer la mesure qu'il a
ordonnée en tenant compte des objections soulevées. Du caractère
spécifique du "recours" en rétractation en tant que moyen
d'établir le contradictoire, plus que véritable recours, il résulte
que l'ordonnance rétractant l'ordonnance sur requête est
susceptible d'appel (Jurisclasseur procédure civile, fasc. 239
n°43 par Ph. BERTIN).
La Cour en déduit également une limitation quant à la
saisine du juge : elle doit être définie dans la limite de cet objet ;
c'est-à-dire, dans l'espèce en cause, s'agissant d'une requête aux
fins de désignation d'un huissier que, le juge ne pouvait
qu'apprécier les difficultés concernant la désignation dudit
huissier.
�174
175
Cette solution est conforme à la jurisprudence (Paris
16/12/83, D.84, IR 68 ; Cass. civ. II, 8/12/89, JCP 89, éd. G.,
IV, 133) qui estime que le juge ne doit statuer que sur le mérite de
la requête. Elle a toutefois suscité des réserves en doctrine : le
"recours" en rétractation, plus qu'un véritable recours serait le
moyen de provoquer le débat contradictoire qui n'a pas eu lieu et
donc devrait permettre une assez large marge d'initiative des
parties à l'instance en rétractation (PERROT, RTD Civ. 84, 367 ;
Ph. BERTIN, JCP 84 éd. G., I, 3146).
Anne LEBORGNE
S50 - Arbitrage commercial interne / Respect du
contradictoire par l'arbitre / Conditions.
Cour d'appel d'Aix-en-Provence - 8ème Chambre B - 30
septembre 1993 n°649
Président : M. BIHL - Avocats : Mes DEBEAURAIN,
BAFFERT - Avoués : SCP TOUBOUL, BLANC, AUBEMARTIN ; Me LATIL
L'article 1460 NCPC n'impose pas la tenue de débats au cours d'une
audience de plaidoirie, son deuxième alinéa ne déclarant applicables à
l'instance arbitrale que les art. 4 à 10, 11 al. 1, 13 à 21 NCPC, et non les an.
22 et 23 relatifs aux débats oraux. Les arbitres qui n'ont pas tenu d'audience
des plaidoiries mais ont permis aux parties de présenter leurs explications à
plusieurs reprises et d'échanger leurs mémoires et leurs pièces, n'ont pas violé
le principe du contradictoire.
Observations : L'arbitre doit certes respecter le principe
du contradictoire (v. par exemple, Paris 24 octobre 1991, Rev.
arbitrage 1993, 110 : violation du contradictoire par l'arbitre qui
indique qu'un dossier lui a été remis par une partie mais ne fait
pas état d'une communication de ces pièces à l'autre partie). Mais
la contradiction est assouplie dans le procès arbitral (jugé ainsi
que le tribunal arbitral peut sans violer le principe, déléguer à l'un
de ses membres le soin d'effectuer seul certaines mesures
d'instruction, Paris 26 avril 1985, Rev. arbitrage 1985, 311 ; v.
aussi art. 1468 NCPC : l'arbitre peut, s'il le demande, tenir
compte des notes en délibéré, mais pourvu qu'elles soient
communiquées entre les parties, il n’a pas à réouvrir les débats :
Paris 10 novembre 1989, 25 et 31 janvier 1991, Rev. trim. dr.
com. 1992, 589). Sur l'ensemble de la question, v. Perrot,
L'application à l'arbitrage des règles du NCPC, Rev. arbitrage
1980, 642.
Emmanuel PUTMAN
S51 - Avocat / Réinscription après radiation / Principe
de la réinscription (oui) / Condition : preuve d'un
amendement / Preuve non rapportée/ Attestations de
moralité insuffisantes / Refus de réinscription.
Aix- 1ère Chambre B - 10 septembre 1993 - n°33D
Président : M. PECH - Avocat : Me KEITA, Ministère public
Si la réinscription d'un avocat radié et réhabilité de droit apparaît
juridiquement possible, cette autorisation est soumise à la preuve de
l'existence d'un amendement du requérant
La preuve de l'amendement n’est pas suffisamment rapportée par la
production d'attestations affirmant la bonne moralité, la bonne réputation, les
qualités morales sur le plan professionnel et privé et la probité du requérant
O bservations : La loi du 31 décembre 1971, modifiée
par la loi du 31 décembre 1990, qui réglemente l'accès à la
profession d'avocat impose, outre l'obtention du CAPA, des
conditions de moralité (art. 11). L'art. 185 du décret du 27
novembre 1991 dispose qu'un avocat radié ne peut être inscrit au
tableau ni sur la liste du stage d'aucun autre barreau, et ni la loi,
ni le décret ne semblent envisager l'hypothèse d'une réinscription
après radiation et réhabilitation. Toutefois, doctrine (J.
HAMELIN et A. DAMIEN, Les règles de la profession d'avocat,
6e éd. Dalloz, 1989, n°382) et jurisprudence (Cass. req.
3/05/377, DHH 19377, 316 ; Paris 20/07/49, S. 1950, 193 ;
Cass. Civ. 1°, 1/007/86 JCP 8 6 , IV, 265, D.877, som. 64)
l'admettent mais en exigeant que le requérant fasse la preuve de
son amendement. Le problème pratique résulte de l'appréciation
de l'amendement et de la distinction qu'il convient d'opérer avec
l'exigence d'une bonne m oralité, condition d'accès à la
profession.
Lors de l'inscription cette condition est appréciée au regard
des activités passées du postulant : il convient de s'assurer que
celui-ci présente des garanties suffisantes pour exercer dignement
la profession. Le plus souvent, on se contente d'attestations de
moralité et de la production d'un extrait de casier judiciaire
vierge.
Lors de la réinscription après radiation il est entendu que le
passé du postulant a dém ontré son indignité à exercer la
profession d'avocat ; seul son amendement peut permettre son
retour auprès de ses pairs, mais comment l'apprécier ? Pour la
Cour d'Aix produire des attestations de moralité, de bonne
réputation et de probité ne suffit pas.
S’amender cela signifie devenir meilleur. Quand on a
commis des fautes il faut donc déjà ne pas avoir récidivé, mais
encore ? Comment établir cet amendement autrement qu'en
�176
177
produisant des attestations, et que peuvent-elles contenir d'autre
que des indications sur le comportement, professionnel et privé
du postulant ? La bonne moralité, la bonne réputation, la probité
d'un homme pendant les 10 ans qui ont suivi les faits qui avaient
conduit à sa radiation ne suffisent-elles pas ?
Il était aisé à la Cour d'Aix d'affirm er que les éléments
produits étaient insuffisants, s'agissant d'une question relevant
de son pouvoir souverain d'appréciation ; Il aurait été plus
constructif de dessiner les contours de l'amendement, d'en établir
les critères afin d'apporter une pierre à la construction
jurisprudentielle de la réinscription après radiation. La solution
(rendue sur appel du Ministère public de la décision du conseil de
l’ordre des avocats du barreau d'Aix-en-Provence ayant autorisé
la réinscription) ainsi formulée, laisse à penser que le refus peut
être discrétionnaire.
Anne LEBORGNE
S52 - n°l - Avocats / Procédure de contestation
d'honoraires / Premier Président / Application des
articles 14 et 16 du NCPC (oui) / Art. 175 du Décret
du 27/11/91 / Violation du contradictoire (oui) /
Nullité de la décision du Bâtonnier.
Premier Président - Cour d'Appel d'Aix-en-Provence- 26 juillet
1993 - n°207
Magistrat : M. SAINTE - Avocats : Mes OLLU, MOUREN
Aux termes de l'art. 14 du NCPC, définissant l'un des principes
directeurs du procès, et comme tel applicable à la procédure de contestation
d'honoraires des avocats, comme à toute autre, nulle partie ne peut être jugée
sans avoir été entendue ou appelée ; aux termes de l’art. 16 NCPC le juge
doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de
la contradiction ; aux termes de l'art 175 du Décret du 27/11/91 le Bâtonnier
ou le rapporteur qu'il désigne recueille préalablement les observations de
l'avocat et de la partie. Si ces textes n'énoncent pas directement de sanction
découlant de leur violation, il résulte du caractère essentiel dans notre droit du
principe de la contradiction des débats et de celui du respect des droits de la
défense que leur méconnaissance ne peut qu'entraîner une nullité de fond et
d'ordre public insusceptible d'être couverte par l’accomplissement ultérieur
d'une quelconque formalité.
n°2 -Procédure de contestation d'honoraires / A rt 700
NCPC (oui) / Dommages et intérêts (non).
Prem ier Président - Cour d'Appel d'A ix-en-Provence- 21
novembre 1993 - n°303
Magistrat : M. SAINTE - Avocats : Mes MONNIER, COHEN
Si à l'occasion d'une contestation d'honoraires, une demande en
dommages et intérêts ne peut être formée que devant la juridiction de droit
commun, les dispositions de l'art. 700 du NCPC sont en revanche
applicables devant toutes les juridictions, y compris celle du Premier
Président
n°3 - Procédure de contestation d'honoraires /
Honoraires / Prescription Art. 2273 du Code civil
(non) / Prescription de droit commun (oui) /
Compensation entre honoraires et une autre créance
(non).
Premier Président - C our d'Appel d'Aix-en-Provence- 7
décembre 1993 - n°317
Magistrat : M. SAINTE - Avocats : Mes LEGOUIC, VAILLANT
Il n’entre pas dans la limite de la compétence particulière du Premier
Président de constater ou de prononcer la compensation entre les honoraires
d'un avocat et une autre créance, honoraires qui en tout état de cause se
prescrivent par 30 ans, les dispositions de l'art. 2273 du Code civil ne
s'appliquant qu'aux frais et émoluments taxables des avocats.
O bservations : Le décret du 27/11/91 réglemente les
contestations en matière d'honoraires aux art. 174 et s. Les
réclamations sont tout d'abord soumises au Bâtonnier qui doit
alors recueillir les observations de l'avocat et de la partie (art.
175).
Ainsi, une décision rendue par le Bâtonnier (n°l) qui ne
visait aucune démarche tendant à provoquer les observations du
client contestant le montant des honoraires de son avocat, et le
condamnait à payer la somme de 380.000 F doit être déclarée
nulle. Pour l'annuler, le premier président vise non seulement le
décret de 1981 mais encore les principes directeurs du procès, les
art. 14 et 16 sur le contradictoire (Jurisclasseur procédure civile,
fasc. 114 par G. COUCHEZ). Par là il confirme le caractère
contentieux de la procédure de contestation d'honoraires et la
qualité de juridiction du premier président
Toutefois cette procédure demeure spécifique : si le Premier
Président admet encore la condamnation d'une partie au titre des
dispositions de l'art. 700 du NCPC, les demandes en dommages
et intérêts ne sont pas reçues (n°2 ), pas plus que les demandes de
compensation (n°3). Ces demandes sont en effet étrangères à
l'objet du litige qui est de régler la contestation. S'agissant de
l'art. 700 du NCPC, le caractère général de sa formulation (qui
envisage ''toutes les instances") (Sur ce texte, voir jurisclasseur
procédure civile, fasc. 522-2B par G. DI MARINO n°13 et s. qui
note la généralité mais ne cite toutefois pas cette juridiction) ne
semble pas exclure, a priori, son application devant cette
juridiction spéciale (Contra. TGI Paris 7/09/87, GP 87, 641).
Anne LEBORGNE
�DROIT PÉNAL
�181
DROIT PÉNAL GÉNÉRAL
S53 -Responsabilité civile / Coups et blessures
volontaires commis par adulte handicapé mental confié
au CAT géré par une association / Responsabilité
civile de l'association du fait d'autrui (non) / Inap
plication de la jurisprudence civile / Responsabilité
civile de l'association en qualité de commettant du fait
de son préposé (non) / Faits commis sans autorisation
hors le cadre de ses fonctions et à des fins totalement
étrangères à ses attributions.
Cour d'appel d'Aix-en-Provence - 13ème Chambre - 5 Mai 1993
n°556
Président : PANCRAZI - Avocats : MAGNAN - AUDA BRUNET - TARTANSON
Dans son arrêt en date du 29 mars 1991, rendu en Assemblée plénière,
la Cour de cassation a estimé qu'une association chargée de la gestion du
CAT (Centre d'Aide par le Travail) devait répondre des dommages causés par
l'un des pensionnaires de ce centre, au sens de l'article 1384 alinéa 1 du Code
civil.
Dans la présente affaire, semblable à celle soumise à la Cour de
cassation portant plus précisément sur des faits de coups et blessures
volontaires portés à un pensionnaire du centre par un autre pensionnaire ayant
lui-même la qualité d'adulte handicapé mental, il convient de ne pas appliquer
la jurisprudence susvisée. En effet, l'arrêt de la Cour de cassation du 29 mars
1991 a été rendu en matière civile, l’article 1384 al. 1 du Code civil ne
pouvant être invoqué devant une juridiction correctionnelle statuant dans une
procédure de coups et blessures volontaires, soit en dehors du cadre des
articles 370-1 et 388-1 du Code de procédure pénale.
Ainsi, le seul moyen qui pourrait permettre d'engager la responsabilité
civile de l'association gérant le centre, serait de lui reconnaître, sur la base de
l'article 1384 al. 5 du Code civil, la qualité de commettant vis à vis du
prévenu, dans la mesure où ce dernier pourr être considéré comme son
préposé. Tel peut être le cas en l'espèce, puisqu'il existe bien un lien de
subordination entre le prévenu et le centre. Toutefois, s'il apparaît que les
violences ont bien été commises par le préposé dans le centre, soit sur son
lieu de travail, il n'est pas moins vrai que celui-ci a agi en l'espèce, sans
aucune autorisation, hors les fonctions auxquelles il était employé, et à des
fins totalement étrangères à ses attributions. Dès lors, l'association doit être
exonérée de la présomption de responsabilité qui pesait sur elle en sa qualité
de commettant, et doit donc être mise hors de cause.
Observations : Cet arrêt de la cour d'appel est sans doute
1une des toutes premières décisions rendues par une juridiction
répressive postérieurement à l'arrêt de l'Assemblée plénière du 29
mars 1991 (voir Dalloz 1991, 324, note Lamouret. Cette décision
a par ailleurs fait l'objet de multiples notes et commentaires).
�182
183
Son intérêt réside, au-delà, dans le contenu même de sa
solution. Si l'on suit la Cour, la jurisprudence issue de l'arrêt du
29 mars 1991 ne s'applique pas, devant les juridictions répres
sives statuant en dehors du cadre des articles 370-1 et 388-1 du
CPP, parce que c'est une jurisprudence civile, et ce pour deux
raisons.
- La première est que cet arrêt de la Cour de cassation a été
rendu sur pourvoi contre un arrêt d'une cour d'appel statuant en
matière civile. A cela on pourrait objecter que l'arrêt de la Cour de
cassation n'en a pas moins été rendu par l'Assemblée plénière.
- La deuxième tient au fait que l'arrêt du 29 mars 1991
touche à l'interprétation de l'article 1384 alinéa 1 du Code civil,
texte que le juge répressif n'a pas à connaître, nous dit la Cour,
celui-ci ne statuant que sur les dispositions de l'article 1384 alinéa
5 du Code civil. Mais précisément, l'incompétence des juridic
tions répressives pour connaître des dispositions de l'article 1384
alinéa 1 ne résultait-elle pas de l'absence de responsabilité civile
générale du fait d'autrui ? Or l'arrêt du 29 mars 1991 nous dit
justement qu'il convient de comprendre désormais l'article 1384
alinéa 1 du Code civil comme instituant une responsabilité civile
générale du fait d’autrui. Persister, comme le fait la cour d'appel,
à vouloir méconnaître l'article 1384 alinéa 1 du Code civil, c'est
contredire la jurisprudence de l'arrêt du 29 mars 1991, c'est
oublier aussi la fonction de l'alinéa 1 de l'art. 1384, qui est
d'introduire et d'annoncer les alinéas suivants, notamment
l'alinéa 5, texte que les juges répressifs, nous dit justement la
Cour, sont habilités à appliquer.
Ainsi donc, ni la fonction, ni le contenu de l'article 1384
alinéa 1 ne parait justifier la solution de la cour d'appel d'Aix. Un
pourvoi a été formé par une partie civile. Affaire à suivre...
Rachida BOURHALA
S54 - Peine / Prise en compte de l'opinion publique /
Inopportunité d'une peine sévère / Risques de tous
ordres.
Cour d'appel d'Aix-en-Provence - 13ème Chambre - 12 Mai
1993 n°586
Président : PANCRAZI - Avocat : SERVEL
Il apparaît que la prévenue "avec une mauvaise volonté sans faille", a
régulièrement fait obstacle au droit de visite et d'hébergement du père naturel
de son enfant. Elle ne s'est pas laissée impressionner par la multiplication des
condamnations pénales intervenues depuis 1991 pour les mêmes faits et son
reclassement est loin d'être acquis. Pourtant sur la sanction, "le climat
d'extrême tension et de passion" entourant cette affaire (se traduisant même
par une campagne de presse en faveur de la prévenue), et les risques de tous
ordres qu'elle ne peut manquer d'engendrer ne rendent certainement pas
souhaitable, en l'état, le prononcé de la peine d'un an d'emprisonnement et la
délivrance du mandat d'arrêt requis par le Ministère Public. D y a lieu pour ces
raisons de confirmer purement et simplement la peine prononcée par les
premiers juges.
Observations : On connaissait comme critère de
détermination de la sanction, la gravité de l'infraction et la
personnalité de son auteur. Désormais il y a l'opinion publique,
et derrière elle, la presse dont il convient parfois de tenir compte
(preuve que cette question préoccupe beaucoup les pénalistes, elle
a fait l'objet des débats du XII 0 colloque de l'AFDP, organisé à
Aix les 17 et 18 Mars 1994 sur le thème "Presse et droit pénal").
La justice n'y gagne pas toujours. Il fallait en tout cas oser une
telle motivation.
Rachida BOURHALA
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185
DROIT PÉNAL SPÉCIAL
INFRACTIONS CONTRE LES PERSONNES
S55 - Homicide involontaire / Imprudence /
Autorisation de baignade en un lieu interdit / Création
d'un risque mortel hautement prévisible.
Cour d'appel d'Aix-en-Provence - 7ème Chambre - 25 Mai 1993
n°544
Président : VIANGALLI - Avocats : FORNO - DRAP
Le délit d'homicide involontaire est constitué dès lors que la mort
trouve sa cause dans une maladresse, imprudence... Il n'est pas nécessaire que
cette cause soit directe et immédiate, ni même exclusive, pourvu qu'elle soit
certaine. L'absence de certitude sur les conditions exactes du décès, le médecin
ayant conclu à la noyade par syncope primitive (le médecin légiste à la
noyade vraie), est insuffisante à faire admettre l'absence de lien de causalité
entre la faute, résidant dans le défaut de surveillance des baigneurs, et le
dommage. En tout état de cause, et quelle que soit l'origine exacte du décès,
les prévenus, par leur imprudence, ont créé pour l'enfant un risque mortel
hautement prévisible, eu égard à sa situation personnelle (ne savait pas nager
et venait d'être déplâtré) et aux conditions de la baignade (lieu expressément
interdit à la baignade et sans surveillance, eaux profondes et boueuses...). Ils
sont par ailleurs directement responsables de l'absence de soins à la victime,
du fait des conditions de l'eau (eaux boueuses ayant compliqué les recherches
par les plongeurs), et l’ont ainsi privée de toute possibilité de survie.
S56 - Abandon de famille / Non paiement de la
pension alimentaire / Abstention volontaire (oui) /
Procédure de paiement direct / Cause d'exonération de
la responsabilité pénale du débiteur (non) /
Changement de situation de l'enfant / Fait justificatif
(non) / Nécessité d'une décision judiciaire.
Cour d'appel d'A ix-en-Provence - 13ème Chambre - 1er
Décembre 1993 n°1306
Président : PANCRAZI - Avocats : MALINCONI - BARAULT
La procédure de paiement direct, mise en oeuvre par le créancier
d'aliment, ne saurait constituer pour le débiteur une cause d'exonération de sa
responsabilité pénale. Il lui incombe personnellement de faire en sorte que les
aliments dus soient intégralement et régulièrement payés au créancier. La
CPAM ayant directement versé au prévenu le rappel de sa pension
d'invalidité, c'est donc à lui qu'il appartenait d'assurer le règlement de la
pension alimentaire due à son ex-épouse.
Le fait que sa fille soit devenue majeure ne saurait davantage justifier
l'arrêt du paiement de la pension alimentaire la concernant II appartenait au
débiteur, s'agissant de la survenance d'une situation de nature à fonder une
diminution du montant de la pension ou un arrêt de son versement non
d'interrompre le paiement de son propre chef, mais de saisir la juridiction
civile, seule habilitée à statuer.
Observations : Deux points méritent d'être soulignés :
Observations : Cette décision confirme l'élaboration par
la jurisprudence de la notion de "création ou participation à la
création d'un risque grave ou mortel, certain ou hautement
prévisible" pour la victime (CA Aix 9 février 1993, chambre 7,
CA Aix 8 février 1993, chambre 7), qui permet dès lors que des
fautes peuvent être imputées aux personnes poursuivies, de
passer outre l'absence de certitude sur les causes exactes du
décès.
Cette jurisprudence se trouve du reste aujourd'hui consa
crée pour la loi, à travers l'article 121-4 du NCP, qui instaure une
responsabilité pénale délictuelle, en cas de "mise en danger
délibérée de la personne d'autrui".
Cette affaire est de plus l'occasion de prendre conscience de
l'augmentation notable du contentieux de la responsabilité pénale
des responsables ou employés de centres de loisir, centres aérés
organisés ou de plein air, du fait du décès survenu à certains de
leurs usagers, à l'occasion d'activités proposées par ces centres.
- On retiendra en prem ier lieu, le maintien de la
responsabilité pénale du débiteur principal d'aliment, même si le
non paiement résulte d'un dysfonctionnement de l'organisme
chargé du paiement direct. Pourtant le délit d'abandon de famille
exige, pour être constitué, une "abstention volontaire" de
paiement, ce qui suppose donc un élément intentionnel. On peut
alors se demander dans quelle mesure il est possible de retenir un
tel élément intentionnel à la charge du débiteur principal, lorsque
l'interruption de paiement a été "commise" par le tiers saisi. La
réponse est sans doute dans le fait qu'en la matière, l'élément
intentionnel se présume (Crim. 6 décembre 1983, M. VERON,
DPS "Les abandons de familles", Masson 3° éd. 1988, p.262) et
que seul un événement assimilable à la force majeure peut
permettre au débiteur de faire valoir sa bonne foi.
- On soulignera en second lieu, l'alignement de la cour
d'appel, sur la jurisprudence classique (Crim. 14 octobre 1985,
cour d'appel Aix, 24 novembre 1993) au terme de laquelle, le
débiteur ne peut se dispenser, de sa propre initiative, du paiement
de la pension alimentaire due pour son enfant, sous le seul
prétexte que celui-ci aurait atteint l'âge de la majorité, la seule
possibilité qui lui est offerte, étant de saisir la juridiction civile.
Rachida BOURHALA
Rachida BOURHALA
�186
S57 -Infraction à la législation sur les stupéfiants /
Trafic / Peine / Relèvement de l'interdiction définitive
du territoire français (non) / Interruption du délai de
résidence habituelle en France / Expulsion pour
condamnation antérieure pour trafic de drogue.
Cour d'appel d'Aix-en-Provence - 13ème Chambre - 6 Mai 1993
n°470
Président : PANCRAZI - Avocat : BISMUTH
La résidence habituelle en France depuis plus de 15 ans ou depuis au
plus l'âge de 10 ans, situation visée à l'article 27 alinéa 6 et 7 de la loi du 31
Décembre 1991, et selon lequel l’étranger qui s'y trouve, bien que reconnu
coupable du trafic de drogue, ne peut plus être condamné à l'interdiction
définitive du territoire national, s'entend, sans discontinuité. En l'espèce,
l'intéressé a fait l'objet d'un arrêté d'expulsion faisant suite à une première
condamnation pour trafic de drogue, cet arrêté a été exécuté en Février 1988,
ce qui a eut pour effet de mettre fin à sa situation antérieure de résidant
habituel en France depuis au plus l'âge de 10 ans. Dès lors, sa résidence
habituelle en France dont il peut se prévaloir, doit s'apprécier à compter du
retour sur le territoire national, soit à compter de Mars 88.11 s'en suit que les
conditions de délais ne sont pas remplies pour que le requérant puisse
prétendre devoir être relevé de l'interdiction définitive du territoire français.
Observations : Cette décision, qui semble en apparence
aller de soi, soulève en réalité une interrogation : ne pouvait-on
pas considérer que l'article 27 de la loi du 31 décembre 1991,
d'application rétroactive puisque plus douce, à l'égard de
certaines catégories d'étrangers condamnés pour trafic de drogue,
puisse avoir pour effet d'annuler les conséquences de l'expu
lsion, dont le requérant a fait l'objet, du moins en ce que cette
expulsion a pu interrompre la résidence habituelle en France, dès
lors que l'arrêté d'expulsion a été motivé par l'une des condam
nations pour lesquelles les dispositions bienveillantes de l'article
27 précité, s'appliquent, et que le condam né, au jour de
l'expulsion, entrait dans la catégorie des étrangers protégés par le
dit texte ?
De cette interrogation découlent deux problèmes :
- Le premier tient au flou qui entoure le concept de
"résidence habituelle en France", sur lequel le requérant fondait
son action. Il résulte de la jurisprudence que l'emprisonnement de
l'étranger dans un établissement pénitentiaire, en France, n'inter
rompt pas la résidence habituelle en France, lorsque cet empri
sonnement est étranger aux faits ayant entraîné la condamnation à
l'interdiction définitive du territoire (CA Aix 22 février 1993
chambre 13, ALLALI ; CA Aix 24 mai 1993 chambre 13, BEN
ABDELHAFID). Il en va autrement de l'emprisonnement pour
les faits ayant abouti au prononcé de l'interdiction définitive du
187
territoire, qui lui interrompt bien la résidence habituelle en
France, la durée de celle-ci devant alors s'apprécier au jour du
placement en détention (CA Aix 5 avril 1993 chambre 13,
MASTOURI). Il en résulte que le critère de la présence physique
de l'étranger, sur le territoire français, n'a pas un caractère
exclusif dans la définition du concept juridique de "la résidence
habituelle en France". Cette observation confère à l'interrogation
posée plus haut, sa pertinence. Ce d'autant plus que la solution
adoptée par la cour d'appel aboutit en définitive, à situation égale,
à favoriser l'étranger qui se serait soustrait à l'exécution de
l'arrêté d'expulsion et contre lequel n'aurait pu être opposé
aucune interruption de la résidence habituelle en France.
- Néanmoins, et c'est là le deuxième problème, interdiction
du territoire et expulsion, appartiennent à deux domaines
distincts, la première étant une condamnation judiciaire, la
seconde une mesure administrative. Or l'article 27 de la loi de
1991 ne vise que l'interdiction du territoire, et l'autorité judiciaire
n'a pas de compétence sur la mesure d'expulsion, d'où il est
difficile de concevoir que les dispositions bienveillantes de
l'article 27 susvisé, puissent emporter des effets sur une mesure
d'expulsion, d'autant que certains des cas d'exclusion à
l'interdiction du territoire visés à l'article 27 de la loi du 31
décembre 1991, fonctionnent depuis déjà longtemps comme cas
d'exclusion à l'expulsion (loi du 29 octobre 1981, art. 25 de
l'ordonnance du 2 novembre 1945) ce qui démontre bien le
cloisonnement des deux types de mesures.
C'est en définitive sur ce fondement, plus que sur la notion
de "résidence habituelle en France", que repose la cohérence de la
décision de la Cour, qui aurait mérité une plus éloquente
motivation que celle contenue dans l'arrêt.
Rachida BOURHALA
S58 - Dénonciation calomnieuse (non) / lettre à
l'Inspection du travail d'un salarié contre son
employeur / Réclamation (non) / Dénonciation (oui) /
Imputation de se livrer au travail au noir / Caractère
calomnieux de la dénonciation (non) / Imprécision sur
le contenu de la réclamation et l'identité du salarié
dans la lettre transmise par l'Administration du travail
au Juge d'instruction.
Cour d'appel d'Aix-en-Provence - 7ème Chambre - 27 septembre
1993 n°872
Président : VIANGALLI - Avocats : MONCHOT - DI VIER
�189
La mise en cause par un salarié de son employeur, devant l'Inspection
du travail, par une lettre l'accusant de se livrer au "travail au noir", fait
susceptible de sanctions administratives voire pénales, ne s'analyse pas
comme une simple réclamation, expression du droit légitime de tout salarié à
réclamer contre son employeur, mais comme une dénonciation au sens de
l'article 373 du Code pénal (aujourd'hui article 226-10 du NCP). En revanche,
le caractère calomnieux de la dénonciation, élément constitutif de l'infraction
susvisée, suppose que la fausseté des faits dénoncés résulte suffisamment de
la décision de classement sans suite prise par l'Inspection du travail. Par
suite, ne saurait être reconnu coupable de ladite infraction, le salarié prévenu,
lorsqu'il résulte de la lettre relative au fait dénoncé, transmise par l'Inspection
du travail au Magistrat, que ni le contenu de la réclamation, ni l'identité du
salarié, n'ont été clairement définis, de telle sorte que rien ne permet de
s'assurer que le contrôle général de ! entreprise par l'Inspection du travail,
contrôle qui n'a pas permis de faire droit à la "réclamation" du salarié, ait eu
un lien certain avec les faits dénoncés par l'employé.
O bservations : On retiendra en premier lieu le choix de la
Cour quant à la qualification à donner à la lettre du salarié contre
son employeur, transmise à l'Inspection du travail. A la
qualification de simple "réclamation", revendiquée par l'Inspec
tion du travail et le prévenu salarié, les juges préfèrent celle de
"dénonciation", ce qui devait avoir pour effet de faire de cette
lettre, l'élément matériel du délit de dénonciation calomnieuse. La
dénonciation étant, contrairement à la réclamation, passible de
poursuites pénales, il aurait été judicieux de la part de la Cour, de
définir les frontières séparant l'une de l'autre. Il ne semble pas
que le choix des juges ait été inspiré par une jurisprudence
antérieure, si tel avait été le cas, on peut penser qu'ils n'auraient
pas manqué de la viser expressément. Il reste que l'on peut
craindre qu'une telle solution dissuade les salariés de s'adresser à
l’Inspection du travail, même s'ils ont le sentim ent d'une
violation manifeste de leurs droits par leur employeur.
L’approche de la question délicate de la preuve du caractère
calomnieux de la dénonciation, n'est pas non plus sans intérêt. Le
délit, pour être constitué, suppose un élément matériel, la dénon
ciation, et un élément intentionnel, le caractère calomnieux de la
dénonciation, qui réside lui-même dans la connaissance de la
fausseté des faits dénoncés au jour de la dénonciation. La Cour
décida que l'élément intentionnel n'était pas ici établi, au motif
que la fausseté des faits dénoncés ne résultait pas suffisamment
de la décision de classement sans suite par l'Inspection du travail.
Cette motivation reflète en fait la jurisprudence constante selon
laquelle "si les faits dénoncés sont susceptibles d'une sanction
pénale ou disciplinaire, leur fausseté que les juridictions correc
tionnelles n'ont pas qualité pour apprécier, résulte du classement
sans suite de la dénonciation, par l'autorité compétente" (voir
notamment CA Aix 8 février 1993 chambre 7). Concrètement,
c'est en raison de l'absence, dans la lettre transmise par
l'Inspection du travail, au Magistrat, d'une définition claire de
l'identité du prévenu salarié et du contenu de sa dénonciation, que
la Cour devait souverainement estimer que l'articulation entre les
faits dénoncés et le classem ent sans suite ne pouvait être
suffisamment établie. Il aurait été intéressant de savoir
précisément en quoi la lettre de l'Inspection du travail a manqué
de clarté !
Rachida BOURHALA
�190
191
LOIS PÉNALES ANNEXES
DROIT
PÉNAL
DE
LA
CIRCULATION
ROUTIERE,
S59 - Coups et blessures involontaires (art. 319, 320,
et R.40-4) / Circulation routière (art R6 et R.232).
Aix - 7ème ch - 19 octobre 1993 - n°953.
Président, M. VÏANGALLI - Avocat, Me MONIER
Eu égard à la vitesse manifestement excessive de la victime et de son
absence d'éclairage, aucune faute ne peut être reprochée à la prévenue.
Une collision s'est produite le 13 février 1992 entre deux véhicules :
l'un s'étant engagé sur la route où circulait alors, au même moment, une
autre automobile. La conductrice du premier véhicule est ainsi poursuivie
devant le Tribunal correctionnel de Grasse pour blessures involontaires et
changement de direction sans s’assurer qu elle pouvait le faire sans danger. Par
jugement du 4 février 1993 elle est reconnue coupable des chefs de la
poursuite et condamnée à des amendes. Sur son appel et celui du parquet qui
requiert l'application de la loi, les magistrats de la Cour d'Aix-en-Provence,
eu égard à la vitesse manifestement excessive de la victime et à son absence
d'éclairage, estimèrent qu'aucune faute ne pouvait être reprochée à la
conductrice. La décision du Tribunal de Grasse est donc, le 19 octobre 1993,
infirmée et la prévenue renvoyée des fins de la poursuite.
Observations : le présent arrêt ne concerne que la
responsabilité de la prévenue : il s'agissait en effet de savoir si
elle avait commis la faute d'imprudence, laquelle est constitutive
du délit de blessures involontaires. La question de la
responsabilité civile n'était pas posée à la Cour. On signalera
toutefois à ce sujet : l'arrêt de la cour d’appel d'Aix-en-Provence
(7° chambre, n°966) du 21 octobre 1993 : la faute commise par la
victime (décédée) devait limiter à concurrence d'un tiers le droit à
indemnisation de ses ayants-droit et l'arrêt de la cour d'appel
d'Aix-en-Provence du 21 octobre 1993 (7° chambre, n°964) : le
prévenu n'établit pas que la victime, partie civile, ait commis une
faute.
Caroline SILVESTRE
S60 -Contraventions pour blessures involontaires et
pour défaut de maîtrise / Délit de fuite (art. L-2 du
Code de la route).
Aix - 7ème ch - 13 avril 1993 - n°425.
Président, M. VÏANGALLI - Avocat, Me DUREUIL.
Aucun acte interruptif de prescription n'étant intervenu entre la date de
clôture de l'enquête préliminaire et le mandement de citation, il convient de
constater la prescription des contraventions. Aucun élément matériel ne
venant corroborer les affirmations de la plaignante, il n’est pas démontré que
le prévenu ait tenté d'échapper à la responsabilité pénale ou civile qu'il
pouvait avoir encourue.
Après une plainte déposé le 7 février 1991 par une automobiliste,
blessée au niveau des vertèbres cervicales, contre le conducteur d’un véhicule
qui l’avait heurté tout en poursuivant sa route, le Tribunal correctionnel
d'Aix-en-Provence, saisi de l'affaire condamnait, par jugement du 13 octobre
1992, le conducteur dudit véhicule à un emprisonnement d'un mois avec
sursis pour délit de fuite ainsi qu'à des amendes pour les contraventions de
blessures involontaires et de défaut de maîtrise. Sur appel notamment du
prévenu, pour prescription des contraventions et absence d'éléments
constitutifs du délit de fuite, la cour d'appel d'Aix-en-Provence le 13 avril
1993 a infirmé le jugement. D'une part, en ce qui concerne les contraven
tions, relevant qu’aucun acte interruptif de prescription n'était intervenu entre
la date de la clôture de l’enquête (25 mars 91) et la citation du 19 mai 92, la
cour décide que l’article 9 du Code de procédure pénale relatif à la prescription
de l'action publique devait s'appliquer. D'autre part, en ce qui concerne le délit
de fuite, estimant que les seules déclarations de la plaignante étaient
insuffisantes pour démontrer que le prévenu avait tenté d'échapper à sa
responsabilité (pénale ou civile) la cour prononce la relaxe.
Observations : en ce qui concerne le délit de fuite, cf.
notamment l'arrêt du 19 octobre 1993 de la cour d’appel d'Aixen-Provence (7° chambre) :"...il se déduit des dégâts importants
à son propre véhicule et de ses propos qu'il a nécessairement eu
conscience qu'il avait causé ou occasionné un accident...". Pour
information : les contraventions pour blessures involontaires et
défaut de maîtrise sont prévues et réprimées aux articles : R-40-40
du Code pénal ; L-14 al. 1-2°, L-16, R-232-20, R-232, R-266-40,
R-10 al.6 , R -11 al. 1, R -11 -1, L -14, L -16 du Code de la route.
Caroline SILVESTRE
DROIT PÉNAL DE
INTELLECTUELLE
LA
PROPRIÉTÉ
S 61 - Délit de contrefaçon (article 425 CP).
Aix - 5ème ch - 12 janvier 1994 - n°25
Président, M. ELLUL - Avocats, Mes H ANC Y, GRENON.
Le délit de contrefaçon peut être poursuivi à la seule initiative du
ministère public. Le prévenu qui ne conteste pas avoir reproduit les
�192
photographies et qui ne rapporte pas la preuve de sa bonne foi laquelle ne se
présume pas à donc été à juste titre retenu dans les liens de la prévention.
Un individu publie et diffuse dans un magazine diverses photographies
déjà parues dans une autre revue. Sur plainte avec constitution de partie civile
de la société éditrice de cette revue il est poursuivi sur le fondement de
l'article 425 du CP pour contrefaçon en violation des droits d'auteurs
réglementés par la loi du 11 mars 1957. Le Tribunal correctionnel de Grasse,
le 9 mars 1992, le déclare coupable et le condamne à verser à la société des
dommages et intérêts. Le prévenu inteijette appel aux motifs que les
publications litigieuses ne manifestaient pas "l'effort intellectuel" de leur
auteur et que la société éditrice n'avait pas qualité pour se constituer partie
civile parce qu'elle n'avait pas subi de préjudice direct. La société demande eo
appel la confirmation de la condamnation aux dommages et intérêts. La cour
d'appel d'Aix-en-Provence statue le 12 janvier 1994 sur cette affaire. Tout
d'abord, elle rappelle que le délit peut être poursuivi par le parquet et que dés
lors peu importe que la société n'ait pas eu qualité pour agir. Ensuite,
relevant, que les oeuvres de l'esprit sont protégées par la loi indépendamment
de toute considération d'ordre esthétique ou artistique et que le prévenu n'avait
pas rapporté la preuve de sa bonne foi", cette dernière ne se présumant pas en
cette matière, elle confirme le jugement sur l'action publique. Enfin,
constatant que la société plaignante n'était pas titulaire ni même cessionnaire
des droits protégés par la loi, elle la déboute de sa demande et infirme la
décision déférée sur l'action civile.
O b serv atio n s : en ce qui concerne l'absence de la
présomption de bonne foi relative au délit de contrefaçon : cf„
crim. 20 avril 1934 ("en cette matière spéciale, la bonne foi ne se
présume pas et c'est au contrefacteur qu'il incombe d'en
administrer la preuve.") in DH 1935, somm. 11. Il est possible
de critiquer ces présomptions dites de responsabilité sur le
fondement de l'article 6§2 de la CEDH relatif au principe de la
présomption d'innocence (sur ce point : cf., les arrêts de la Cour
EDH dans des affaires concernant le domaine des présomptions
légales en matière douanière : Salabiaku/France du 7 novembre
1988 (série A n°141 A) ; Pham-Hoang/France du 25 septembre
1992 (série A n°243) et Crémieux, Miailhe, Funke/France du
25 février 1993 (série A n°256 a, b, c) ; ég. cf., sur la
présomption d'innocence en général, les arrêts de la Cour EDH :
Adolf/Autriche du 26 mars 1982 (série A n°49) ; Minelli/Suisse
du 25 mars 1983 (série A n°62). Enfin il est intéressant de
constater que la loi n°93-2 du 4 janvier 1993 (relative à la réforme
de la procédure pénale) a introduit dans le Code civil un article 91 selon lequel : "chacun a droit au respect de la présomption
d'innocence". Notons que le délit de contrefaçon est désormais
régi par l'article 335-2 du Code de la propriété intellectuelle.
Quant à la protection des droits d'auteurs (loi du 11 mars 1957),
la loi du 3 juillet 1985 y inclut les oeuvres photographiques (sur
ce point cf., crim.. 18 février 1960, D1960, 278, rapport : L.
193
Damour : "la protection s'étend aux photographies mais à
condition qu'elles portent la marque de l'effort intellectuel de leur
auteur, indispensable pour leur donner le caractère de création
artistique.").
C aro lin e SILVESTRE
DROIT PÉNAL PU TRAVAIL
S62 - T rav ail c la n d e stin / C om plicité de frau d e aux
allocations réserv é es aux p erso n n es privées d'em ploi
(art. L365-1 du C ode du trav ail).
Aix - 7ème ch - 16 décembre 1993 - n°1263.
Président, M. VIANGALLI.
S'il est exact que la prévenue, n'ayant pas elle-même perçu les
allocations, ne peut-être retenue en tant qu’auteur principal du délit de fraude,
il résulte de la procédure et de ses propres aveux qu'elle s'est rendue complice
par aide et assistance du fait d'obtention indue d'allocations.
Le 2 mars 1990, opérant un contrôle dans un centre de massage, un
inspecteur du travail, constate que trois employées y travaillent clandes
tinement et que l'une d'entre elles reçoit, en outre, des allocations d'aide aux
travailleurs privés d'emplois au su de son employeur. Cette personne est
poursuivie devant le tribunal correctionnel de Toulon en même temps que sa
patronne. La première, est reconnue coupable du délit de fraude aux
allocations. La seconde est relaxée de ce délit mais condamnée pour travail
clandestin. Le parquet fait appel à l'encontre de celle-ci afin de la voir
sanctionner pour délit de fraude aux ASSEDIC. La cour d'appel d'Aix-enProvence est saisie de l'affaire. Dans son arrêt du 16 décembre 1993 elle
estime qu'il est certes exact que la prévenue n'a pas elle-même perçu les
allocations et ne pouvait donc être l'auteur principal du délit de fraude. Mais
elle considère qu’ayant été avertie des agissements de son employée elle
s'était, par la même, rendue complice par aide et assistance de l'infraction.
Ainsi les magistrats aixois confirment le jugement sur la culpabilité de
travail clandestin et, requalifiant les faits relatifs à la fraude aux allocations,
déclarent la prévenue coupable de complicité du délit de perception indue
d’indemnités.
O bservations : En principe l'aide ou l’assistance, pour
pouvoir être réprimée au titre de la complicité, suppose un acte
positif. Mais une partie de la doctrine et certains tribunaux
considèrent que lorsqu'il y a adhésion morale l'acte est
caractérisé. C'est le cas, par exemple, lorsqu'un policier laisse
son collègue commettre une infraction. Cet arrêt de la cour
d'appel d'Aix-en-Provence du 16 décembre 1993, a priori
contestable, car l'agissement reproché à l'employeur est purement
passif, peut se justifier en invoquant ce courant doctrinal et
�195
PROCÉDURE PÉNALE
S63 - Procédure pénale / Administration de la preuve /
Relevé des appels téléphoniques / Violation de la loi
informatique et liberté du 6 Janvier 1978 (non).
Cour d'appel d'Aix-en-Provence - 13ème Chambre - 12 Janvier
1994 n°44
Président : PANCRAZI - Avocats : MARCEAU - AUDA
Une enquête avait été diligentée, en la forme préliminaire, à la suite
d'une plainte pour coups et blessures volontaires, pour harcèlement
téléphonique (Art. 309 CP). Le relevé informatique des appels téléphoniques
du poste du prévenu, permit d’établir qu'il était bien l'auteur d'appels
tendancieux.
C'est en vain que le prévenu soutint l'irrecevabilité, comme élément de
preuve, du relevé informatique des appels téléphoniques obtenu après
surveillance de sa ligne, sous prétexte qu'un tel relevé informatique nominatif
était illégal, au sens de l'article 41 de la loi du 6 Janvier 1978, pour avoir été
constitué sans son consentement. En effet, la loi autorise les
télécommunications à mettre en place, sans que le consentement des
intéressés n'ait à être sollicité, un fichier informatique permettant la
facturation détaillée et le règlement des contestations relatives à cette
facturation. Or c'est du Fichier qu'ont été extraites les informations figurant
sur le relevé d'appels.
Le moyen tiré de la divulgation illégale du dit relevé, sanctionnée à
l'article 43 alinéa 2 de la loi précitée, pour avoir été faite sans le
consentement de l'intéressé, à des personnes n'ayant pas qualité, ne put
davantage prospérer. En effet, la communication du relevé a été faite
directement par les TELECOM aux gendarmes, qui se sont personnellement
chargés de son analyse et de son annexion au dossier de la procédure. Or ces
personnes, qui ont la qualité d'officier de police judiciaire, ont agi dans
l'exercice de leur fonction, dans le cadre d'une enquête conduite sous le
contrôle étroit du Procureur de la République.
Observations : Soulignons en premier lieu que cette
affaire n'intéresse en rien le problème des écoutes téléphoniques.
En effet, le moyen de preuve contesté ne résulte pas de la
transcription de correspondances téléphoniques captées à
l'occasion d'une mise sur écoute autorisée par la loi du 10 juillet
1991, mais consiste dans le relevé informatique nominatif des
appels téléphoniques, document établi par les Télécommu
nications, pour assurer le bon fonctionnement de leurs services
auprès des usagers.
L'intérêt de cette espèce, et c’est là la deuxième obser
vation, est de mettre en évidence le conflit entre les dispositions
protectrices de la loi du 6 janvier 1978, dite "informatique et
liberté", et les exigences de l'enquête judiciaire. La loi de 1978
�196
interdit de recourir au traitem ent inform atique de données
nominatives sans le respect de formalités préalables (Article 41 de
la loi, aujourd'hui art. 226-16 du NCP). Les TELECOM, comme
l'ont rappelé les juges, bénéficient pour l'établissement et le
traitement de leur fichier d'une dérogation à ces dispositions. La
question est alors de savoir si cette dérogation peut s'étendre aux
officiers de police judiciaire (OPJ) pour le traitement des dits
fichiers sachant que la loi, dans son article 43 (aujourd'hui Art.
226-22 du NCP), sanctionne la "divulgation à des tiers n'ayant
pas qualité...". La Cour a tranché le conflit, en admettant
implicitement que les pouvoirs des OPJ devaient l'emporter sur
les dispositions de la loi de 1978. On notera toutefois qu'elle n'a
visé aucun texte du Code de procédure pénale relatif aux pouvoirs
des OPJ dans la conduite des enquêtes, pour justifier sa solution.
On peut néanmoins penser qu'elle s'est inspirée du principe
général selon lequel les lois spéciales dérogent aux lois générales.
"Le pouvoir de prendre connaissance", conféré à l'article 43 de la
loi de 1978, constituait ainsi une exception aux compétences
générales reconnues au OPJ par le Code de procédure pénale.
En tout état de cause, c'est l'absence de consentement
préalable du prévenu, titulaire de la ligne, qui était à la base de
l'exception d'irrecevabilité du relevé informatique des appels
téléphoniques.
Or, l'obtention du relevé, par les OPJ, n'a pas résulté d'une
perquisition et saisie, au domicile du prévenu, mais d'une
transmission par les TELECOM. Il s'ensuit que si celle-ci n'avait
pas eu lieu et qu'une perquisition aurait été nécessaire, elle aurait
concerné les locaux des TELECOM. De sorte que si un consen
tement s'était avéré nécessaire à la régularité de la perquisition
(dans le cas de l'enquête préliminaire), il n'aurait pu s'agir que de
celui de la direction des TELECOM, "personne perquisitionnée"
et non de celui du prévenu.
R ach id a BOURHALA
S64 - Action publique éteinte / Incompétence de la
juridiction répressive pour connaître de l'action
civ ile.
Aix - 7ème ch - 17 décembre 1993 - n°1270.
Président, M. ALLESSANDRA - Avocats, Mes PLANTARD,
DRUJON.
Lorsque le décès du prévenu se produit avant toute décision sur le fond,
la juridiction correctionnelle devient incompétente pour connaître de l'action
civile.
197
Après une procédure, dont les faits ne sont pas relatés dans le présent
arrêt, engagée le 13 janvier 1993, le Tribunal correctionnel de Grasse
déclarait, par jugement du 4 février 1993, l'action publique éteinte en raison
du décès du prévenu intervenu le 16 juin 1992 mais recevait cependant la
constitution de partie civile de la personne lésée en lui accordant des
dommages et intérêts. La compagnie d'assurances du prévenu (décédé) ainsi
que le ministère public faisaient appel de cette décision au motif notamment
de l'incompétence des premiers juges à connaître d'une telle action. Dans son
arrêt du 17 décembre 1993 la cour d'appel d'Aix-en-Provence réforme le
jugement du 4 février en rappelant le principe selon lequel le décès de la
personne poursuivie et ce avant toute décision sur le fond rend les juridictions
répressives incompétentes pour statuer sur les intérêts civils.
Observations : il est de jurisprudence constante que le
décès du prévenu avant toute décision au fond, interdit aux
juridictions répressives de statuer sur les intérêts civils (crim., 15
juin 1977, D 1977, IR p355 ; crim. 3 février 1965 bull. crim.
n°32 ; crim. 9 décembre 1991 JCP 1991.2.21722, obs. Pannier ;
crim. 18 février 1915, DP 1919.1.71 ; crim. 8 avril 1991 bull,
crim. n°166 ; comp. : crim. 7 novembre 1946, D 1947 p29 ;
crim. 5 août 1952, D 1952 p654. Crim.. 7 mars 1936, DH 1936,
p238).
Caroline SILVESTRE
S65 - Action civile d'un co-prévenu jointe à l'action
publique / Principe : "electa una via".
Aix - 5ème ch - 13 janvier 1994 - n°36.
Président, M. ELLUL - Avocats, Mes CRUON, PARRACONE.
En sa qualité de co-prévenue, la propriétaire ne peut joindre son action
à celle du Ministère public. En vertu du principe "electa una via", la
propriétaire, ayant déjà porté son action devant la juridiction civile ne pouvait
la porter par la suite devant la juridiction pénale.
Le locataire d'un terrain exécute des travaux de construction immobi
lière sans autorisation préalable. La propriétaire saisit le tribunal civil pour
demander son expulsion et la remise en état des lieux. Par la suite le locataire
et la propriétaire sont poursuivis devant le Tribunal correctionnel de Grasse,
pour construction immobilière illicite. La dite propriétaire, malgré les
poursuites dont elle est l'objet, se constitue partie civile devant le tribunal
correctionnel afin d'obtenir également de ce dernier la remise en état des lieux.
Sur l'action publique, le tribunal relaxe la propriétaire, mais condamne le
locataire pour construction sans permis, sans toutefois faire droit à la
demande du parquet d'ordonner la destruction de la construction. Sur l'action
civile, il déboute à son tour la propriétaire de sa demande de remise en état des
lieux. Elle fait alors appel sur ce point. A défaut d'appel du parquet sur
l'action publique, la Cour d’Aix-en-Provence le 13 janvier 1994, n'a à se
prononcer que sur les intérêts civils. D'une part, elle estime qu'en sa qualité
de co-prévenue devant le tribunal, la propriétaire ne pouvait joindre son action
�198
199
civile à l'action publique du parquet D'autre part, elle relève qu'en vertu du
principe "e le c ta u n a via ", la propriétaire ayant préalablement agi devant le
tribunal civil, ne pouvait, par la suite, saisir la juridiction pénale. Ce faisant,
la Cour confirme le jugement en ce qu'il avait débouté la partie civile de sa
demande.
Observations : en ce qui concerne la possibilité de se
porter partie civile cf. : crim.. 4 juillet 1929 (bull. n°239) : "...
aucun texte de loi n'interdisant à un prévenu de se porter partie
civile contre ses co-prévenus". Pour information : l’infraction
pour construction immobilière sans avoir obtenu de permis de
construire préalable est prévue et réprimée par les articles :
L 480-4, L 421-1, L 480-5 al. 1-2 du Code de l'urbanisme.
Quant à l'adage "electa una via, non datur recursus ad alteram"
(une fois choisie une voie, on ne peut plus s'engager dans
l'autre) il est consacré par l'article 5 du Code de procédure pénale
(cf. : crim.. 11 juin 1846, D, 1846, 1, 282).
Caroline SILVESTRE
S66 - Procédure pénale / Extinction de l'action
publique / Autorité de la chose jugée en France d'une
décision rendue par une juridiction pénale étrangère.
Cour d'appel d'Aix-en-Provence - 5ème Chambre - 9 Septembre
1993 n°606
Président : ELLUL - Avocat : MATHERON.
Si le droit international n'impose pas à la France d'attacher de manière
générale l'autorité négative de la chose jugée, à une décision étrangère ayant
statué sur une infraction commise sur le territoire français, la France, depuis
le 4 Février 1991 est liée par le Pacte International relatif aux droits civils et
politiques du 19 Décembre 1966 dont l’article 14 alinéa 7 stipule "nul ne peut
être poursuivi ou puni en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été
acquitté ou condamné par un jugement définitif, conformément à la loi et à la
procédure pénale de chaque pays". Il importe de préciser que la notion
d'infraction ne recouvre pas une qualification mais des faits. C'est donc en
vain que la société demanderesse, dont l'actionnaire majoritaire était l'Etat
Algérien, cherche à faire un "distinguo" entre l’abus de biens sociaux et l'abus
de biens publics, dans la mesure où la condamnation définitive par le
Tribunal Criminel d'Alger pour "détournement de deniers publics" au
préjudice de ladite société et "défaut d'initiative relevant de sa compétence afin
d'éviter tout détournement, dissipation, rétention ou soustraction de deniers
publics ou privés" a visé non seulement l'atteinte aux intérêts publics, mais
également l'atteinte aux intérêts privés de la société.
O bservations : L'intérêt de cette espèce tient en premier
lieu dans la rareté des décisions relatives à l'application de
l'autorité de la chose jugée en France, des décisions rendues par
les juridictions pénales étrangères. Il tient aussi dans la référence
au Pacte International de New-York, pourtant rarissime chez le
juge pénal français plus enclin à invoquer la Convention
Européenne des Droits de l'Homme, convention qui pouvait
d'ailleurs tout à fait s'appliquer en l'espèce (Article 4-1 du
Protocole n°7).
Sur le fond on retiendra l'interprétation donnée par la Cour
à la notion "d'infraction". Il convient selon elle de distinguer
entre les faits et leur qualification juridique, pour ne retenir que
les premiers, quelque soit la qualification juridique qui en aura été
donnée par la loi ou la jurisprudence étrangère. On remarquera
toutefois qu'après avoir énoncé ce principe, la Cour s'est tout
simplement contentée de reprendre la qualification juridique sous
laquelle les faits incrim inés avaient été sanctionnés par la
juridiction criminelle étrangère. Il est vrai que cette qualification
était fort explicite quant à la nature des faits auxquels elle
s'appliquait.
Rachida BOURHALA
��§67 - Procédure collective / Association pour la
gestion du régime d'assurance des créances des
salariés (A.G.S) / Qualité pour agir en requalification
d'un contrat de travail (non) / Contrat de travail à
durée déterminée / Contestation de la durée déterminée
du contrat / Personne pouvant demander la
requalification / Employeur (non) / A.G.S (non)
Aix - 18ème Ch - 16 novembre 1993 - n° 759
Les dispositions des articles L. 122 et suivants du Code du travail sont
édictées dans le souci de protection du salarié, qui peut seul se prévaloir de
leur inobservation ; l'employeur ne peut donc pas contester le caractère
déterminé du contrat dont la durée a été constatée par écrit. Le régime
d'assurance prévu à l'article L. 143-11-1 du Code du travail est mis en oeuvre
par une association désignée sous le sigle AGS qui a été créée par les
organisations nationales professionnelles d'employeurs les plus
représentatives ; cette association est gérée par les ASSEDIC qui doivent
utiliser les fonds qu elles détiennent au titre de leurs garanties obligatoires
pour en faire l’avance aux liquidateurs des sociétés en redressement judiciaire ;
l'AGS-ASSEDIC venant aux droits et obligations de l’employeur ne peut pas
plus que lui soulever l'irrégularité du contrat, sauf a en démontrer
l'inexistence ou la collusion du salarié et de l’employeur ;
Observations : Droit des procédures collectives, contre
ordre public social ? L'A.G.S a-t-elle qualité pour demander la
(re)qualification d'un contrat de travail à durée déterminée en
contrat à durée indéterminée ?
En répondant par la négative la cour d'appel privilégie la
règle de droit du travail (dans le même sens, Aix 18° Ch. 28
octobre 1992, n° 980), tandis que la question divise les
différentes chambres de la Cour d'Appel de Paris (dans le même
sens, Paris 22° Ch. C 12 novembre 1992, RJS 1/93, p. 26,
n° 11 ; Paris, 21° ch., 5 mars 1992, RJS 5/92, p. 335, n° 587 ;
contra, Paris, 21° Ch. C, 18 décembre 1990, RJS 3/91, p. 166,
n° 315). En l'espèce, l'employeur avait été déclaré en liquidation
de biens. Le salarié, embauché par contrat "d'un an renouvelable
chaque 1er mois de part et d'autre" se considérait lié par un
contrat à durée déterminée et demandait au liquidateur des
indemnités de rupture anticipée et de fin de contrat. Celui-ci
s était refusé à inclure cette créance sur le relevé de comptes et à
les réclamer à l'Assedic-AGS. Condamnés en première instance,
le liquidateur et l'AGS soutenaient l'irrégularité d'un contrat,
dont "le motif de recours" n'était pas précisé ainsi que 1exigent
les textes et ils en demandaient la requalification en contrat de
travail à durée indéterminée, avec une indemnité de licenciement
bien moins avantageuse pour le salarié.
�204
La difficulté et l'hésitation proviennent d'une création
prétorienne de la chambre sociale de la Cour de cassation depuis
les arrêts de principe qui reconnaissent au seul salarié le droit de
se prévaloir de la législation sur les contrats de travail à durée
déterminée édictée dans son seul intérêt (soc. 16 juillet 1987,
Bull. civ. V, n° 481, p. 306 ; 29 novembre 1989, FUS 1990, p.
71, n° 94). L'employeur n'a pas qualité pour invoquer la
requalification d'un contrat irrégulier en la forme, ou illicite au
fond, pour s'exonérer des indemnités de rupture d'un tel contrat
(dommages et intérêts pour rupture anticipée, indemnité de fin de
contrat égale à un pourcentage du salaire brut touché par le
salarié). C'est cette jurisprudence qu'applique ici la cour d'appel
d’Aix, en se fondant sur le rôle de l'A.G.S, qui «vient au droits
et obligations de l'employeur». En clair, la solution se fonde sur
le jeu classique de la subrogation légale, en réservant le cas de la
collusion frauduleuse entre employeur et salarié : l’A.G.S, venant
aux droits de l'employeur, ne peut pas non plus soulever
l'irrégularité du contrat. La solution inverse avait été admise par
la Cour de Paris qui au contraire reconnaissait la qualité de tiers
au G.A.R.P (Paris 21° ch. C, 18 décembre 1990, précit).
Le débat en cours vient de se clore par une
décision de la chambre sociale rendue en forme d'arrêt de
principe : «Les articles L. 143-11-1 et suivants ont institué un
régime spécial de garantie des salaires qui obéit à des règles
propres tant en ce qui concerne la procédure à suivre que le
principe et l'étendue de la garantie qui est due ; qu'il s'ensuit que
l'AGS peut se prévaloir des dispositions du Code du travail
pour demander que le contrat soit requalifié...» (soc. 1er déc.
1993, RJS 1/94, n° 8 , p. 28). L'arrêt fait prévaloir une règle
constante des procédures collectives dégagée depuis quelques
années ; "celle du droit propre de l'AGS à discuter les conditions
et l'étendue de sa garantie (soc. 3 mai 1978, Dr. soc. 1979, chr.
F. Derrida ; H. Biaise, AGS panorama de jurisprudence récente,
Dr. soc. 1982, p. 190 ; add. B. Teyssié, Droit du travail, 1 Relations individuelles de travail, 2° éd., Litec, p. 535, n° 963).
Elle donne à ce droit propre «autonome» de l'A.G.S une vocation
très large à s'appliquer. Elle ne distingue pas selon la cause de la
contestation : les (re)qualification-interprétation des contrats de
type classique (article 12 NCP), comme les «requalificationssanction» d'un comportement illicite de l'employeur (art. L. 1223-13, loi du 12 juillet 1990) devraient ainsi être visées. Ce droit
propre de l'AGS ne saurait être entravé par d'autres
considérations fussent-elles tirées de l'ordre public social.
En définitive, on constate qu'aujourd'hui s'accroît le
nom bre de personnes recevables à intenter l'action en
requalification du contrat de travail à durée déterminée : la loi du
205
12 juillet 1990, accorde au syndicat le «droit de substitution»
dans ce cas (art. L. 122-3-16 c. trav.) ; la jurisprudence de la
chambre sociale reconnaît désormais un "droit propre" de
l'A.G.S à agir. L'arrêt commenté de la 18° chambre de la cour
d'appel d'Aix-en-Provence n'est plus d'actualité.
Claude ROY-LOUSTAUNAU
S68 - Contrat de travail / Contrat de retour à l'emploi
(C.R.E) / Loi des 13.01 et 19.12.1989 / Salarié
rencontrant des difficultés particulières d'accès à
l'emploi / Nature juridique / Contrat de travail à durée
déterminée / Art. L. 122-2 du Code du travail /
Régularité (oui) / Terme / Contrat arrivé à échéance /
Salarié victime d'un accident du travail / Préavis
(non) / Application de L. 122-32-7 du Code du travail
(non)
Aix - 18° Ch. - 7 décembre 1993 - n° 818
Le contrat de retour à l’emploi conclu pour une durée déterminée de 6
mois dans le cadre d'une convention passée entre l'Etat et l'employeur en vue
de la réinsertion des personnes rencontrant des difficultés particulières d'accès
à l'emploi est un contrat à durée déterminée. Les contrats de retour à l'emploi
créés en application des lois des 13 janvier et 19 décembre 1989 ne
contreviennent en rien aux contrats de travail à durée déterminée, dès lors
qu'ils sont expressément prévus aux termes de l'article L. 122-2. La salariée,
analphabète et étrangère, recrutée en qualité de femme toutes mains, était
parfaitement informée de la nature et de la durée de son contrat qui est venu
régulièrement à échéance. Elle doit être déboutée de ses demandes de préavis et
dommages et intérêts fondés sur l'article L. 122-32-7.
Observations : Depuis plus d'une décennie, les contrats
spéciaux en droit du travail fleurissent comme près au printemps !
On pénètre alors dans la jungle des sigles pour initiés, C.E.S,
(contrat emploi solidarité), C.R.E comme ici (contrat de retour à
l'emploi) contrat d'adaptation, de qualification, local d'orientation
etc., le C.I.P (contrat d'insertion professionnelle)) en étant le
dernier exemple médiatique, sans parler des anciens T.U.C,
S.I.V.P, P.I.L aujourd'hui disparus. 11 en résulte que les
utilisateurs ne maîtrisent pas toujours le régime juridique de la
formule choisie. Ces contrats, qui ont eu jusqu'ici toutes les
faveurs des législateurs successifs sous-tendent diverses
politiques de l'emploi : initiation, adaptation des jeunes au monde
du travail, réin sertio n p rofessionnelle de personnes
particulièrement vulnérables devant l'emploi etc. Ces formules
d'embauche s'accompagnent ou non d'opérations de formation
�206
pour le salarié et de mesures incitatives pour l'employeur (aides et
exonérations).
L'arrêt commenté a le mérite de préciser la nature juridique
du C.R.E, dont le contentieux est resté assez rare jusqu'ici.
Institué par une loi du 19 décembre 1989, il a pour objet
d'encourager l'insertion professionnelle de personnes sans
emploi rencontrant des difficultés particulières d'accès à l'emploi,
principalement les chômeurs de longue durée, les bénéficiaires de
l'allocation de solidarité spécifique ou du revenu minimum
d'insertion, les travailleurs reconnus handicapés, les bénéficiaires
de l'obligation d'emploi prévue à l'article L. 323-1 du Code du
travail, ou encore des femmes isolées assumant ou ayant assumé
des charges de famille. Il faut croire que la formule a fait ses
preuves puisque plusieurs textes successifs - loi du 3 janv. 1991,
du 29 ju illet 1992, Décr. 18 nov. 1992 - sont venus
régulièrement accroître le nombre des bénéficiaires.
Or, si le contrat s'accompagne toujours d'une convention
passée entre l'employeur et l'Etat, la relation contractuelle entre
l'employeur et le salarié peut être soit à durée indéterminée
(pour des exemples : Montpellier 28 septembre 1993, JCP éd. G,
1994, II, 22218, note critique Y. Saint-Jours ; Add. Aix, 18°
Ch., 24 juin 1992, n° 642, Fichier Centre de Droit Social) soit à
durée déterminée, ce qui ne manque pas de poser de délicats
problèmes de qualification, comme dans l'affaire rapportée.
L'enjeu était ici de taille : la salariée, victime d'un accident du
travail quatre mois après l'embauche, entendait bénéficier de la
protection spécifique de l'article L. 122-32-7 du Code du travail
(qui vise le licenciement intervenu pendant la période de
suspension du contrat), et obtenir ainsi les substantielles
indemnités prévues dans ce cas. Or, conclu pour une durée de six
mois, le C.R.E avait pris fin au terme prévu, c'est-à-dire deux
mois après l'accident, sans que la suspension des relations
contractuelles ne fasse obstacle à l'échéance. La Cour
applique ici les lois du genre, dans la mesure où le C.R.E est
parfaitement régulier. Le contrat cesse de plein droit à l'échéance
du terme, sans procédure ni indemnité de préavis. Le jeu de
renvoi aux textes du CDD, par l'article L. 122-2 du Code du
travail implique cette solution logique, qui se révèle défavorable
au salarié victime d'un accident du travail. Ce dernier se trouve
exclu de l'indemnisation particulièrement avantageuse, non liée
de surcroît à l’ancienneté (article L. 122-32-7). Salarié atypique,
il est bien moins protégé que dans le contrat de travail de droit
commun. Le C.R.E sous forme de contrat de travail à durée
indéterminée obéit quant à lui à un régime juridique hybride
puisque l'employeur ne peut rompre le contrat pendant les 6
premiers mois de l'embauche, sauf faute grave ou force majeure
207
comme dans un C D D , sans toutefois que les règles
d'indemnisation de la rupture anticipée injustifiée propres à ce
type de contrat ne trouvent application (art. L. 122-3-8 du Code
du travail ; pour une application, v. Aix 18° Ch., 24 juin 1992,
précit).
On constate donc une très grande complexité des modes de
rupture dans ce type de contrat. La déclaration de la cour d'appel
selon laquelle la salariée "étrangère" et "analphabète" était
"parfaitement informée de la nature et de la durée de son contrat
paraît assez utopique.
Claude ROY-LOUSTAUNAU
S69 - Transfert d'entreprise / Article L. 122-12 du
Code du travail / Maintien des contrats en cours /
Portée / Obligations réciproques / Démission abusive
du salarié qui refuse de poursuivre le contrat /
Dommages et intérêts / Préjudice prouvé de
l'employeur / Baisse du prix de vente du fonds en lien
direct avec le départ du salarié
Aix - 18° Ch. - 7 décembre 1993 - n° 803
Le courrier recommandé adressé par la salariée à l'employeur
l'informant de l'arrêt de son activité à la fin du mois s'analyse sans ambiguïté
en une démission pure et simple, révélant qu’elle n'entendait pas poursuivre
les relations contractuelles au service de l'acquéreur, et ce, en violation de
l'article L. 122-12, dont les dispositions d'ordre public s'imposent à toutes les
parties. L'employeur rapporte la preuve que la démission de la salariée a
contribué en partie à la diminution du prix de vente de l'entreprise et qu'il
subit un préjudice que la Cour fixe à 15 000 F.
Observations : Voici une application de ce qu'un ancien
auteur a pu appeler "l'envers" de l'article L. 122-12 du Code du
travail (Schaeffer, L'envers de l'article 23 al. 8 , JCP 1963, I,
1753). Le maintien automatique des contrats de travail exigé par
l'article L. 122-12 lors d ’un transfert d'entreprise s'impose tant
aux salariés qu'aux employeurs. Le principe, pour être classique,
n'en est pas moins quelquefois "oublié" par les salariés. Si le
salarié refuse de poursuivre l'exécution du contrat avec la
nouvelle direction, la rupture lui incombera et il ne pourra obtenir
aucune indemnité (soc. 12 février 1991, Bull, civ., V, n° 59, p.
37 ; soc. 10 octobre 1990, Dr. soc. 1991, 255). Mais surtout, sa
démission peut être abusive. La règle est claire, même si le
contentieux est peu nourri. L'application qui en est faite ici est
originale, contraire aux jeux de rôle habituels. Car, les faits de
l'espèce révélaient de manière implicite mais certaine la tentative
de fraude du salarié. Tel est pris qui croyait prendre.
�209
Le salarié représentant - négociateur d'une agence
immobilière cédée demandait des indemnités de rupture injustifiée
à son employeur, vendeur de son agence. Les juges, usant ici de
leur pouvoir souverain, mettent à nu "l'évidente mauvaise foi" et
ses calculs assez douteux du salarié. Le rapprochement des dates
et la chronologie des faits permettaient de reconstituer le scénario.
Après le compromis de vente du fonds - qui mentionnait la
reprise des contrats de travail par l'acheteur - la salariée avait
envoyé une lettre indiquant à son employeur qu'elle «cesserait
toute activité à la fin du mois». Or, dès le mois suivant, elle créait
et immatriculait sa propre agence immobilière, ce qui fait dire à la
Cour que «le projet qui était manifestement déjà en gestation à la
date de la démission en a constitué le mobile». La mauvaise foi
du salarié était d'autant plus évidente que c'est seulement à la
veille du point de départ de son exploitation personnelle qu'elle
écrivait à son employeur en prétendant mettre la rupture à la
charge de ce dernier. Et les juges de préciser que «si l'acte
authentique ne prévoyait plus la reprise de son contrat, c'était
qu'elle avait donné sa démission depuis déjà plus de deux mois,
et s'était déjà installée un mois auparavant dans une rue adjacente
pour y exercer une activité directement concurrente de celle de
l'acquéreur».
L'attitude de la salariée est assez significative d'un certain
état d'esprit à l'égard de la cession d’entreprise et de l'article L.
122-12 du Code du travail : le d ro it à être licencié et à quitter
l'entreprise avec indemnité ; l'aspiration, en quelque sorte, à une
«clause de conscience» généralisée. Il n'en demeure pas moins
que «l'envers de l'article L. 122-12 assure la stabilité de
l’entreprise, sa continuité par-delà le changem ent d'employeur
sans que certains travailleurs puissent en tirer prétexte pour se
retirer» (B. Teyssié, Droit du travail, relations individuelles de
travail, 2° éd. Litec, p. 612, n° 1095). Tel est bien le cas ici où le
départ inattendu de la salariée en pleine négociation de la vente de
l'entreprise cause un préjudice important à l'employeur, puisque
l'acquéreur tirait alors argument de la perte du chiffre d'affaires
qu'entraînait le départ de la négociatrice pour reconsidérer le prix
de cession. On connaît en effet le rôle déterm inant dans la
profession de l'immobilier de la négociatrice expérimentée d'une
agence qui ne comporte de surcroît que deux salariés. L'abus de
droit de rupture est donc manifeste. Les dommages et intérêts
appréciés à hauteur de 15 000 F ne couvrent cependant pas la
diminution du prix de vente (40 000 F).
Quoiqu'il en soit, l'em ployeur aurait pu exiger en sus
l’indemnité compensatrice de préavis. Il ne semble pas en effet
ressortir des faits, qu'il ait dispensé cette salariée "concurrente"
de l'exécution de son préavis.
Claude ROY-LOUSTAUNAU
S70 : Licenciement / Cause réelle et sérieuse (oui) /
Vol d'un sachet de chocolat en poudre / Valeur
minime / Faute grave (non) / Moyens de preuve /
Barman d'un wagon-restaurant
Aix - 9° Ch - 8 novembre 1993 - n° 837
En raison de la valeur minime du sachet de chocolat détourné par le
salarié pour son compte, il y a lieu de considérer son licenciement fondé sur
une cause réelle et sérieuse et non sur une faute grave, un tel fait ne rendant
pas impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du
préavis.
O bservations : Le vol d'un sachet de chocolat en
poudre constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement On
est loin de l’affaire du «vol de quatre bouquets de mimosa»
qu'avait connue cette même cour il y a quelques années déjà,
dans laquelle un chef d'escale avait subtilisé des fleurs d'une
valeur de deux cent seize francs pour les offrir à des hôtesses.
Cet homme galant avait été condamné pour faute lourde fonctions de responsabilité obligent - et la chambre sociale avait
approuvé (soc. 22 juillet 1986, R. Borriglione et Air Azur, SS
Lamy 1986, p. 585). Mais une telle condamnation ne serait plus
aujourd'hui d'actualité avec l'exigence de «l'intention de nuire»,
qui doit caractériser la faute qualifiée de lourde.
Reste alors la faute grave, celle qui rend intolérable le
maintien des relations contractuelles même pendant le préavis.
Très souvent invoquée et quelquefois admise (affaire fameuse du
vol de la paire de lacets) à propos des manquements à la probité
sur les lieux de travail, on peut constater une certaine
indulgence des juges lorsque le larcin est mineur et le fait
unique. En témoigne la présente espèce dont les circonstances
étaient peu banales : il s'agissait d'un salarié affecté au bar du
wagon-restaurant sur le train Bordeaux-Marseille auquel il était
reproché d'avoir encaissé cinq tasses de chocolat, alors que
quatre sachets en poudre seulement avaient été utilisés, et d'avoir
ainsi détourné le dernier sachet à son profit (Comp. soc. 15 déc.
1993, SA 65 F Atlantis c/ Oulladi, Liaisons sociales légis. soc. n°
70005, selon lequel, ne constitue ni la faute grave, ni même une
cause réelle et siérieuse le licenciement d'un ouvrier - nettoyeur
affecté au ramassage des caddies, pour avoir pris une pièce
�210
211
oubliée par un client dans le monnayeur d'un caddie, alors qu'il
s'agissait d'un fait isolé).
En pratique, l'em ployeur rencontre les plus grandes
difficultés pour établir la preuve du vol de son salarié. Les
moyens utilisés doivent bien sûr être licites, mais surtout fiables
(pour le refus d'une caméra-vidéo susceptible de trucage, Aix,
18° Ch., 4 janvier 1994, n° 9). Ici la preuve d’un pareil larcin
s'avérait diabolique en raison tout autant de l'autonomie d'action
et de la difficulté de surveillance d'un salarié "roulant", que de la
minceur de l'objet détourné. L’employeur, après avoir retrouvé le
sachet litigieux dans la poche du barman indélicat, avait déployé
des trésors d'ingéniosité : non seulem ent, il avait produit le
rapport circonstancié des agents d'un organisme de contrôle selon
lequel il était établi que deux chocolats avaient été fabriqués avec
un seul sachet, mais encore l'analyse très scientifique des deux
tasses de chocolat faite par un savant et officiel centre
universitaire (Centre de recherche et de valorisation des produits
de consommation de l'Université d’Aix-Marseille III), qui avait
conclu à l'utilisation d'une demi dose par tasse. «Beaucoup de
bruit pour rien» ? peut-on se demander, en plagiant le grand
auteur. On peut conjecturer que l'em ployeur avait de bonnes
raisons de croire que ce barman malhonnête n’était peut-être pas à
son coup d'essai, d'où la mise en place de cet impressionnant
dispositif probatoire, sûrement très onéreux pour l'entreprise, et
la valeur exemplaire de la sanction à l'avenir pour tout le service
de wagon restaurant. N'est-il pas connu en effet que le secteur de
la restauration est particulièrement touché par le fléau du vol ?
Claude ROY-LOUSTAUNAU
S71 - Contrat de travail / Contrat de qualification /
Rupture anticipée pour force majeure (non) / Baisse
de commande de l'entreprise (1ère espèce) / Défaut
d'enneigement d'une station de sport d'hiver (2‘
espèce) / Odeur de transpiration intolérable d'une
femme de chambre d'un hôtel (3* espèce)
1ère espèce - Aix 18° Ch - 7 décembre 1993 - n° 791
Le motif économique tenant à la baisse des commandes ne suffit pas
en soi à présenter les caractères d’un cas de force majeure justifiant la rupture
anticipée du contrat de qualification de la secrétaire.
2ème espèce - Aix 14° Ch - 30 septembre 1993 - n° 976
La rupture anticipée du contrat de qualification d'un salarié conducteur
de voyage fondée sur le manque d'enneigement est abusive dès lors que le
manque d'enneigement, nullement imprévisible, ne constitue pas un cas de
force majeure.
3ème espèce - Aix 18° Ch - 16 novembre 1993 - n° 761
La rupture anticipée du contrat d'une femme de chambre justifiée par
une odeur de transpiration rendant impossible le contact avec la clientèle est
abusive. En effet, en l'absence de pièce médicale, les attestations produites par
l'employeur sont insuffisantes pour justifier une inaptitude réelle à l’emploi,
d'autant qu'aucune remarque quelconque n'avait été faite à la salariée pendant
l'essai. Dans ces conditions, le caractère insurmontable du handicap invoqué
ne constitue pas un cas de force majeure.
Observations : I - La conciliation entre le droit du
travail et les critères civilistes de la force majeure n'est pas
toujours chose aisée (v. Antonmattei, Contribution à l'étude de la
force majeure, Biblio. dr. privé, t. 220, 1993, préf. B. Teyssié).
En effet, à l'occasion de la rupture des relations contractuelles, le
salarié se trouve privé de toute indemnité : d'une part de l'indem
nité de licenciement et de préavis dans un contrat de travail à
durée indéterminée (v. pour une application : soc. 5 mars 1993,
SS Lamy du 1er juin 1993, n° 650, flash de jurisprudence),
d'autre part, de l’indemnité de rupture anticipée et de fin de
contrat, dans le contrat de travail à durée déterminée. La chambre
sociale vient de rappeler récemment cette solution moins connue
en matière de contrats précaires (soc. 24 nov. 1993, SS Lamy du
13 déc. 1993, n° 675, p. 15). Ceci dit, la force majeure figure
expressément au nombre des cas légaux autorisés de rupture
anticipée dans l'article L. 122-3-8 alinéa 1 du Code du travail.
C'est pourquoi, bien que rarement admise (v. contra
pour une force majeure reconnue : les conséquences de la guerre
du golfe sur le contrat d’une danseuse nue des folies bergères,
Paris 18° Ch. 16 mars 1993, JCP éd. E, 1993, n° 912), la force
majeure se trouve aujourd'hui fréquemment invoquée par des
employeurs soucieux de se dégager de liens de longue durée
comme dans ces trois espèces où les salariés étaient embauchés
par contrat de qualification. Dans la première, l'employeur
invoquait la diminution des commandes d'une société pour
justifier la rupture du contrat de la secrétaire (qui avait d’ailleurs
refusé une proposition de travail à temps partiel). Dans la
seconde, le défaut d'enneigement de la station de ski motivait
celle du conducteur de car de voyageurs, et dans la troisième,
l'odeur "intolérable de transpiration" expliquait le congé donné à
la femme de chambre d'un hôtel de la Côte d'azur. Dans ces trois
situations, la force majeure n’a pas été retenue en l'absence du
caractère imprévisible du fait invoqué pour l'une (défaut
d'enneigement de la station), du caractère irrésistible pour les
deux autres (la baisse des commandes, et l'odeur de transpiration
laquelle aurait dû être détectée pendant la période d'essai...).
�212
II - Au-delà de leur côté anecdotique, ces décisions très
classiques posent au fond de réels problèmes de gestion, non
seulement des contrats de formation en alternance proprement dit,
mais aussi, plus généralement, des contrats à durée déterminée.
* Tout d'abord, il est de jurisprudence constante que les
difficultés économiques ne sont pas un cas de rupture anticipée
autorisée du contrat de travail à durée déterminée (soc. 11 mai
1988, Bull. civ. V, p. 187, n° 283 ; 20 mars 1990, Bull. civ. V,
n° 70, n° 121). Les employeurs se méprennent trop souvent sur
la nature juridique réelle des contrats de qualification qui ne les
autorisent pas à "licencier pour motif économique" ; ce
régime de rupture est totalement étranger au contrat à durée
déterm inée. L’ouverture d'une procédure collective dans
l'entreprise n'est pas d'avantage un cas de force majeure (v. soc.
24 nov. 1993, précit.). C'est dire que, les circulaires administra
tives (DRT 18/90 du 30 octobre 1990, reprise par celle DRT 92/4
du 29 juillet 1992), qui précisent que la réorganisation de
l'entreprise peut être un juste m otif de rupture du contrat de
travail à durée déterminée de remplacement, sont parfaitement
illégales et particulièrement dangereuses pour les employeurs (v.
C. Roy-Loustaunau, La réorganisation de l'entreprise peut-elle
mettre fin au contrat de travail à durée déterminée du remplaçant ?
Commentaire de la circulaire DRT du 30 octobre 1990, JCPéd.
E, 1992, p. 335 et s.).
* Ensuite, s'il est admis traditionnellement que des con
ditions climatiques exceptionnelles (pluies diluviennes, cyclo
nes...) peuvent, même en droit du travail, constituer des cas de
force majeure, le défaut d'enneigement dans une station de ski
fait partie des "heurs et malheurs" habituels des saisons touris
tiques. La 14° chambre confirme ainsi une position déjà adoptée
par la 9° chambre de cette même cour dans des circonstances
identiques (Aix, 9° Ch. 2 nov. 1992, n° 464, inédit, Fichier
Centre de Droit Social). Ceci illustre d'ailleurs la difficulté de
mise en oeuvre du "contrat saisonnier" (art. L. 122-1-1 3°) et du
choix délicat proposé à l'employeur entre le terme certain ou
incertain, car la durée de la saison reste trop souvent aléatoire.
* Enfin, le dernier arrêt met l'accent sur un problème
aujourd'hui non résolu de la rupture du contrat de travail à durée
déterm inée pour inaptitude physique du salarié à son
poste de travail. Si dans un passé encore récent (comp. soc.
23 juin 1988, Bull. civ. V, n° 385, p. 243 a contrario),
l'invalidité définitive pouvait être considérée comme une force
majeure, cause légitime de rupture d'un CDD, il semble qu'il
n'en n'est plus rien aujourd'hui, compte tenu de l'évolution
actuelle du droit positif (v. nouvel article L. 122-24-4 issu de la
loi du 31 décembre 1992 et la jurisprudence antérieure) dans le
213
domaine voisin du contrat de travail à durée indéterminée. En
effet, dans un tel contrat l'inaptitude physique n'est plus
désormais une cause de "rupture non imputable" et l'employeur
doit appliquer le droit du licenciement (G. Couturier, Droit du
travail, relations individuelles de travail, PUF 1993, p. 300 et s.
et 323 et les références). Cet abandon progressif de la force
majeure implique logiquement semble-t-il la même démarche en
matière de contrat de travail à durée déterminée (sauf à admettre
une notion hétérogène de la force majeure). Cette voie étant
fermée, l'action en résiliation judiciaire fondée sur l'article 1184
du Code civil - hors de toute inexécution fautive - pourrait être
alors "l'issue de secours" possible pour l’employeur (cf. à V.
Cottereau, Dr. soc. 1985, p. 25 et s.). Le débat reste ouvert en
l'absence de toute décision sur ce point.
Claude ROY-LOUSTAUNAU
S72 - Cumul d'un contrat de travail et d'un mandat
social / Fonctions techniques distinctes (oui) / Salarié
inventeur / Lien de subordination (oui) / Salarié
licencié pour insubordination
Aix - 18° Ch - 9 novembre 1993 - n° 739
Le technicien dans une société anonyme, qui a occupé des fonctions
épisodiques de mandataire social, a valablement cumulé son contrat de travail
avec un mandat social. D’une pan, sa formation d'origine et ses inventions
caractérisent l'exercice (le fonctions techniques distinctes de celles
d'administrateur. D'autre part, le grief d'insubordination, invoqué par la
société à l'appui du licenciement révèle l'existence d’un lien de subordination.
Observations : L'arrêt d'Aix du 9 novembre 1993
applique une solution classique à des faits originaux, à l'occasion
d'un problème de licéité du cumul d'un contrat de travail et d'un
mandat social.
En l'espèce, les fonctions salariées sont-elles bien réelles
et distinctes de celles d'administrateur de société anonyme ?
En vertu de l'article 93 de la loi du 24 juillet 1966, l'activité
salariée doit correspondre à un «emploi effectif». Cette exigence
n'a d'ailleurs pas disparu avec la loi du 11 février 1994, relative à
l'initiative et à l'entreprise individuelle (art. 12 de la loi n° 94-126
du 11 février 1994, J.O du 13 févr.).
D'une manière plus générale, quel que soit le type de
mandat exercé dans l'une quelconque des sociétés commerciales
visées par la loi de 1966, le salarié doit exercer des fonctions
techniques distinctes de celles qui correspondent au mandat
social, sous la subordination de l'employeur (jurisprudence
constante, Cf. soc. 30 mars 1977, D. 1977, I.R p. 248 ; soc. 8
oct. 1980, D. 1981, J. p. 257, note Y. Reinhard, soc. 17 nov.
�214
1988, rev. stés 1989, J.F p. 232, note B. Petit ; soc. 13 nov.
1990, cah. Prud'h. 1991, n° 8 , J.P p. 121, Paris 16 juin 1993,
R J.S 1993, n° 8-9, inf. 961, p. 559).
Ces deux conditions permettent d'éviter que le contrat de
travail ne devienne une fiction juridique. Dans le droit des
sociétés, il s'agit d'éviter que le contrat fictif ne fasse échec à la
règle d'ordre public de la révocabilité ad nutum des mandataires
sociaux qui est de principe dans les sociétés commerciales, à
l'exception d'un gérant d'une S.A.R.L. (an. 55) et des membres
du directoire d'une SA (art. 121) : dans ces deux cas, la
révocation suppose de vérifier l'existence d'un «juste motif». Par
ailleurs, cette exigence évite que de faux salariés ne bénéficient
indûment des prestations servies au titre du salariat (Cf. le
contentieux mené par les ASSEDIC. Ces associations versent les
allocations de chômage et gèrent l'AGS pour le paiement des
som m es dues en cas d'insolvabilité de l'entreprise en
redressement judiciaire).
En l'espèce, le mandataire revendiquait sa qualité de salarié.
L'entreprise, de son côté, contestait celle d'em ployeur et
soulevait par conséquent, l'exception d'incom pétence du juge
prud'homal au profit du tribunal de com m erce (Cf. sur la
compétence d'attribution du conseil de prud'hommes, soc. 30
mars 1977, D. 1977, I.R p. 248 ; soc. 25 avril 1979, D. 1979,
I.R p. 439 ; soc. 2 juin 1988, Bull. civ. V, n° 338, p. 220).
Selon la Cour, M. Gessalin avait tout à la fois la qualité de salarié
et de mandataire social, dès lors que les deux critères dégagés par
la jurisprudence sont vérifiés.
Le critère tiré de la technicité des fonctions salariées,
s'apprécie généralement par référence à la nature de l'emploi
occupé dans l'entreprise. Tel est le cas pour un mécanicien, soc.
21 janv. 1982, D. 1982, I.R, p. 250 ; un métreur, soc. 16 mai
1990, Bull. inf. c. de cassation 1990, n° 308, inf. 903, p. 6 ; un
tôlier, soc. 29 janv. 1992, RJS 1992, n° 3, inf. 361, p. 214) et
les juges ne se contentent pas de fonctions mal définies (Cf. soc.
16 févr. 1989, T esp., J.P soc. UIMM 1989, n° 515, p. 187 ;
soc. 10 oct. 1990 et 12 déc. 1990, cah. Prud'h. 1991, n° 8, J.P
p. 120 et 121). En l'espèce, non seulement le salarié avait une
formation spécifique de carrossier, mais il avait prolongé son
activité en réalisant plusieurs inventions brevetées. Il avait ainsi
conçu des casques de motos, activité hautement technique et très
distincte de celles épisodiques de mandataire social. Cet indice,
tiré de la qualité de salarié inventeur est original et sans précédent,
semble-t-ii.
Quant au critère tiré du lien de subordination, il se
caractérise par deux éléments de fait. D'une part, en envoyant à
M. G essalin une lettre de licenciem ent, la société s'est à
215
l'évidence comportée comme un employeur. Elle a exercé en effet
son pouvoir de sanction. La jurisprudence sur ce point est
rarissime (pour un exemple, voir soc. 29 janv. 1992, RJS 1992,
n° 3, inf. 361, p. 214). D'autre part, l'argumentation fallacieuse
des dirigeants de l'entreprise n'a sans doute pas échappé aux
juges du fond. L'employeur ne pouvait en effet reprocher au
salarié son insubordination et lui dénier dans le même temps sa
qualité de subordonné. Or paradoxalement, M. Gessalin était
licencié pour avoir refusé d'obéir aux ordres reçus.
Isabelle CORIATT
S73 - Licenciement / Incendie d'un bureau / Absence
de cause réelle et sérieuse / Absence de preuve d'une
faute d'imprudence de la salariée / Application de
l'article L. 122-43 du Code du travail : le doute
profite au salarié
Aix - 9° Ch - 14 décembre 1993 - n° 1002
La certitude du fait que l'incendie ait pris naissance dans la corbeille à
papiers d'une salariée partageant le bureau avec deux autres salariées ne suffit
pas à établir l’existence d’une faute d'imprudence commise par celle-ci. Dès
lors, par application de l'article L. 122-43 du Code du travail aux termes
duquel le doute profite au salarié, le licenciement est dépourvu de cause réelle
et sérieuse.
Observations : Cet arrêt mérite l'attention en raison du
nombre relativement restreint de décisions faisant application de
la règle selon laquelle le doute profite au salarié (voir notamment
Aix, 18° Ch., 29.03.1988, n° 327 ; Aix, 9° Ch., 14.02.1991, n°
128, inédits, Fichier Centre de Droit Social ; Rennes, 8 ° Ch. A,
23.05.1991, D.O 1991, p. 421).
Initialement instituée en matière disciplinaire par la loi du
4 août 1982 (article L. 122-43 du Code du travail) puis ultérieu
rement étendue au contentieux du licenciement, disciplinaire ou
non, par la loi du 2 août 1989 (article L. 122-14-3 alinéa 2 du
Code du travail), cette règle qui n'est pas sans rappeler le principe
de droit pénal in dubio pro reo selon lequel le doute profite à
l'accusé, déroge au droit commun de la preuve. Ayant pour effet
de faire supporter à l'employeur le «risque de la preuve», elle
traduit la volonté de ramener l'équilibre dans l'administration de
la preuve en opérant une répartition égale de la charge de la
preuve entre les deux parties (A. Supiot, L'équitable dans la
preuve, SS Lamy, n° 410 du 24.05.1988, D. 62 et s.). De plus,
la procédure revêt un caractère inquisitorial puisque les textes pré
voient qu'en cas de litige, le juge prud'homal «forme sa
conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin
après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles». Toutefois,
�216
la pratique prud'homale révèle une sous-utilisation des pouvoirs
d'investigation accordés aux conseillers (F. Venin, Etude statisti
que : le contentieux disciplinaire devant le conseil de prud'
hommes, décembre 1989, La documentation Française, 1990, p.
67 et s. ; G. Favenec-Hery, Licenciement : le dénouement de
l'imbroglio probatoire, Dr. soc. 1990, p. 178), le juge se conten
tant généralement d'évoquer l'existence du doute pour appliquer
la règle. Cette situation aboutit ainsi à faire supporter à l'em
ployeur la carence du juge dans sa mission et par voie de
conséquence à opérer un véritable renversement de la charge de la
preuve. L'arrêt de la 9° chambre de la cour d'appel d'Aix en date
du 14 décembre 1993 s'inscrit dans la ligne de cette pratique
jurisprudentielle.
En l'espèce, un incendie s'était déclaré dans le bureau
d'une entreprise dans lequel travaillaient trois salariées. Le rap
port d'expertise dressé à la demande de la compagnie d'assur
ances ayant établi avec vraisemblance que l'incendie avait pris
naissance dans la corbeille à papiers d'une des salariées dans
laquelle avait dû être vidé un cendrier où se trouvait un mégot mal
éteint, l'employeur, après s'être livré à une enquête auprès du
personnel, avait licencié pour faute grave cette salariée.
Estimant son licenciement injustifié, celle-ci saisit les
juridictions prud'homales d'une demande tendant à l'octroi d'une
indemnité conventionnelle de licenciement et d'une indemnité
pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Confirmant la décision des premiers juges, la cour d'appel
d'Aix a considéré que si le fait que l'incendie avait pris naissance
dans la corbeille à papiers de la salariée apparaissait certain, il
était insuffisant à établir que celle-ci avait commis une faute
d'imprudence en vidant, avant son dépan du bureau, son cendrier
contenant peut être un mégot mal éteint dans ladite corbeille. Iis
en ont déduit que, par application de l'article L. 122-43 du Code
du travail, le doute devait profiter à la salariée et que le
licenciement était donc dépourvu de cause réelle et sérieuse.
On notera par ailleurs qu'en visant expressément l'article
L. 122-43 du Code du travail, texte spécifique au droit discipli
naire, et non l'article L. 122-14-3 du même Code qui prévoit
pourtant une règle identique en matière de licenciement, les juges
admettent implicitement le caractère disciplinaire d'un licencie
ment fondé sur une faute d'imprudence du salarié. Cette décision
alimente ainsi l'idée que tout licenciement motivé par une faute
quelconque du salarié relève aujourd’hui du domaine du droit
disciplinaire (voir notre thèse, Le droit disciplinaire dans l'entre
prise depuis la loi du 4 août 1982, thèse dactyl, Aix, 1994, p.
243 et s.).
Véronique DONSIMONI
INDEX
(RENVOI AUX NUMEROS DES RUBRIQUES)
- A Abandon de famille : S.56
-et changement de la situation de l'enfant : S. 56
- et non paiement de la pension alimentaire : S.56
Abus
-du droit de copropriétaire : S . 37
-du droit d'opposition : N. 2
Acceptation
-d'une clause attributive de compétence : S. 29
- de l'offre d'achat : S. 17
Accident du travail : S. 68
Accord d'exclusivité : S. 23
Acte de naissance : N. 1
rectification de 1'- : N. 1
Acte de procédure : N. 7
Action civile
-jointe à l'action publique : S. 65
Action en nullité
-et délai : S. 38
- d'une décision d'assemblée générale : S. 38
- et recevabilité : S. 38
Action oblique : S. 24
Action publique : S. 64
- et action civile d'un co-prévenu : S. 64
- et décés du prévenu : S. 64
extinction de 1' - : S. 64
Adage "nemo auditur
: N. 10
Administrateur judiciaire : N.4
Affichage publicitaire : S. 22
Agrément bancaire : N . 5
Appel tardif : N. 7
Apurement du passif bancaire : N. 5
Arbitrage
- commercial interne : S. 50
-etcontradictoire : S. 50
Architecte : S . 31
- et devoir de conseil : S. 31
- et projet original de villa : S. 31
responsabilité de 1'- : S. 31
Arrêt interprétatif : N. 6
interprétation d'un - : N. 6
Association pour la gestion du régime
d'assurance des créances des salariés : S. 67
Associé : S.44
- et salarié : S.44
�219
218
-de deux sociétés concurrentes : S.44
Automobiliste : N. 10
Autorité de la chose jugée
- et jugement étranger : S. 66
Autorité parentale : S. 14, S. 15
- et concubinage stable : S. 14
- et droit de visite du père : S . 14
exercice unilatéral de 1’- : S. 14
Avocat : S. 51, S.52
- et amendement : S. 51
- et attestation de moralité insuffisante : S.51
- et contestation d’honoraires : S. 52
- et réinscription après radiation : S. 51
- B Banque : N.5, S.40, S. 41, S. 42
Banquier :
- et mandat d'investigation spécifique : S. 40
obligation de conseil du - : S.40
responsabilité civile du - : S. 40
Bourse : S. 42
- C Cause réelle et sérieuse de licenciement
- et faute grave : S. 70
-et preuve : S. 70
- vol d'un sachet de chocolat en poudre : S. 69
Caution
information de la - : S. 26
Cautionnement : S.25, S. 26
- du gérant de société : S. 25
- et procédure collective : S. 25
Crédit bail : S. 25
garantie d'un contrat de - : S. 25
Cessation de paiement : N.5
Cession partielle d’actif : N.5
Charges communes : S. 39
clause d'aggravation des - : S. 39
répartition proportionnelle des - : S. 39
Circulation routière
droit pénal de la - : S. 59, S.60
- et faute inexcusable : N. 10
Clause attributive de compétence : S. 29
-et acceptation : S. 29
-et opposabilité : S. 29
Clause d'exceptionnelle dureté : S.6
- et sentiment religieux : S. 6
Clause d’inaliénabilité : S.24
-et donation : S. 24
Clause de non-concurrence
- et légitimité : N.8
8
- et protection des intérêts légitimes de l'entreprise : N.
- et qualification du salarié : N. 8
Clause pénale : N.8
- et dommâges et intérêts : N.8
montant de la - : N. 8
Commission bancaire : N. 5
mandataire de la - : N.5
Compétence
- des juridictions et lois chinoises : S. 29
Complicité
4 e fraude aux allocations : S. 62
Concubinage
-et relations patrimoniales : S. 0
- et société : S. 0
et transsexualisme : N. 1
Concurrence déloyale : S. 44
Condition suspensive
- d'obtention d'un prêt : S. 35
Consensualisme : N. 4
Construction : S. 31, S. 32, S. 33, S. 34, S.35, S. 36
Constructeur : S. 32
responsabilité des - : S. 32
Contestation dhonoraires
-et compensation : S. 52
-et contradictoire : S. 52
-et prescription : S. 52
Contradiction
- dans le dispositif : N.6
Contradictoire
-et arbitrage : S. 50
et contestation d'honoraires : S. 52
Contrat
formation du - : S. 16, S. 17
Contrat consensuel : N. 9
Contrat de construction de maison individuelle : S. 35
- et obtention du prêt : S. 35
Contrat de distribution : S .23
- et réseau de franchise : S. 23
résiliation du - : S. 23
Contrat préliminaire de réservation : S. 33
*et exécution de la vente : S. 33
Contrat de publicité : S. 22
Contrat de qualification : S. 71
Contrat de retour à l'emploi
*et préavis : S. 68
-et régularité : S. 68
-et terme : S. 68
Contrat de transport : S. 27
qualification du - : S. 27
�220
Contrai de travail : N. 8, N. 9, N. 10
- intermittent : N. 10
- et mandai social : S. 72
preuve du - : N. 9
requalification du - : N. 10, S. 67
- saisonnier : N. 10
* et succession de contrats distincts : N. 10
Contrat de travail à durée
-déterminée : N. 10, S. 67, S. 68
-globalement indéterminée : N. 10
Contrat de vente de fourniture : S. 36
- et contrat d'entreprise : S. 36
- et contrat de louage d'ouvrage : S. 36
Contrefaçon
délit de - : S. 61
Contribution aux charges du mariage
- et appauvrissement volontaire : S. 8
fixation de la - : S. 8
- et mariage polygamique : S. 9
- et tâches ménagères : N. 3
Convention européenne des droits de l'homme : N . 1
Convention internationale des droits de l'enfant : S. 7
Copropriétaire : S. 37
Copropriété : S. 37, S. 38, S. 39
syndic de - : S. 37
Coups et blessures involontaires : S. 59, S. 60
Coups et blessures volontaires : S. 53
Crédit-bail
- et garantie : S. 25
Cultures sous serres
- et contrat de travail : N. 10
- D Danger
conscience du - : C. 1
Débat contradictoire : S. 49
Défaut de maitrise du véhicule : S . 60
Délai d'une action en nullité
- et interruption
nature du - : S. 38
- préfix : S. 38
Délai d'otion
- d'une promesse de vente : N. 4
Délit de fuite : S. 60
Démission
- abusive : S. 69
Dénonciation calomnieuse : S. 58
- et identité de l'auteur : S. 58
- et imputation de se livrer au travail noir : S. 58
* et lettre à l’inspection du travail : S. 58
Dépôt
- et force majeure : S. 19
- et vol de véhicule : S. 19
Dépositaire
- garagiste : S. 19
obligation du - : S . 19
Directive
- et information du salarié : N. 9
Divorce
- et droit des enfants à être entendus : S. 7
Divorce pour faute
- et griefs : S. 5
- et prestation compensatoire : S. 1, S. 2, S
- et tâches ménagères : N. 3
- et témoignage : S. 5
Divorce pour rupture de la vie commune
- et clause d'exceptionnelle dureté : S. 6
- et sentiment religieux : S. 6
Donation : S. 24
Droit au respect de la vie privée : N. 1
Droit pénal
- de la circulation routière : S. 59, S. 60
- de la propriété intellectuelle : S. 61
- du travail : S. 62
Dommages et intérêts : S. 33
- E Ecrit pré-constitué
- et preuve : N.9
Effet de commerce : S . 41
régularisation de 1'- : S. 41
Elément d'équipement : S. 34
Empêchement
- et mariage : N. 2
Emploi
- à caractère saisonnier : N. 10
- à caractère permanent : N. 10
Erreur de conception
- et construction : S. 31
Etablissement de crédit : N. 5
Etat des personnes : N. 1
indisponibilité de 1'- : N. 1
Etat civil
changement d '- : N.l
Exception
connaissance des - : S . 41
opposabilité des - : S. 41
Exception d'inexécution : S. 22
Expulsion
- du territoire français : S. 57
�222
- FFabricant
responsabilité du - : S. 34
Faute
- et rupture abusive des pourparlers : S. 16
des services postaux : N. 7
Faute inexcusable
- et conscience du danger couru par la victime : C. 1
- et critères : C.l
- et exceptionnelle gravité : C. 1
- et imprudence : N. 10
- et loi du 5 juillet 1985 : C. 1
Force majeure
-et baisse de commande de l’entreprise : S. 71
- et défaut d'enneigement d'une station de ski : S. 71
- et dépôt : S. 19
- et odeur de transpiration d'une femme de chambre : S. 71
Formalisme fiscal
- et promesse de vente : N. 4
Formule pré-imprimée : N. 7
Fraude
aux allocations : S. 62
- G Garantie autonome : S. 25
Garantie décennale : S. 32
Garantie des vices cachés
- et délai pour agir : S. 20
- H Harcèlement téléphonique : S. 63
Homicide involontaire : S. 55
Huissier
diligence de 1'- : N. 7
procès verbal de 1'- : N.7
-IImprudence : S. 55, S. 59
- et autorisation de baignade en un lieu interdit : S. 55
Indisponibilité
- du corps humain : N. 1
de l'état des personnes : N. 1
Instance en rétractation : S. 49
Interdiction définitive du territoire : S. 57
relèvement de 1’- : S. 57
- et résidence habituelle en france : S. 57
Intérêt légitime
- de l'entreprise : N. 8
Interprétation
- d’un arrêt interprétatif : N. 6
223
-J Juge commissaire
compétence du- : S. 47
Juge des référés
saisine du - : S. 49
Jugement
- statuant sur une revendication : S. 46
- L Lettre de change : S. 41
Liquidateur bancaire
cessation des fonctions du - : N. 5
pouvoirs du - : N. 5
Liquidation bancaire : N. 5
- et redressement judiciaire : N. 5
Liquidation judiciaire : N. 5
Liquidation sociétaire : N. 5
Licenciement : S. 44
- et cause réelle et sérieuse : N. 10, S. 70, S. 73
- et contrat saisonnier : N. 10
- pour insubordination : S. 72
Location d'installations téléphoniques : S. 21
Loi informatique et liberté : S. 65
- M Mésalliance : N. 2
Mandat
-apparent : S. 18
- et croyance légitime : S. 18
Mandat de gestion
- de portefeuille de titres : S. 42
Mandat d'investigation spécifique : S. 40
Maraîcher : N. 10
Mariage
- et empêchement : :N. 2
formation du - : N. 2
opposition à mariage : N. 2
Mauvaise foi : S. 16
-des tiers porteurs : S. 41
- N Nom : N 1
Novation
- par changement de débiteur : S. 21
- et silence : S. 21
- O -
Obligation alimentaire
- et appauvrissement volontaire : S. 11
- et changement d'emploi : S. 11
�224
durée de 1'- : S. 12
- à l'égard de l'enfant : S. 10, S. 11, S. 12, S. 13, S. 14
estimation de 1'- : S. 10
maintien de 1'- : S. 13
révision de 1' - : S. 11
Obligation de conseil
et financement de l'achat d'un fonds de commerce : S. 40
Obligation générale d’information
- par l’employeur : N. 9
Obligation de moyen : S. 40
Obligation de résultat
pesant sur l'installateur : S. 36
Obligation de vérification
- en matière d'achat de titre : S. 42
Office du juge : N. 8
Offre
acceptation de 1'- : S. 17
retrait de 1'- : S. 17
Opération d'achat de titres : S. 42
Opposabilité
des exceptions : S. 41
Opposition
à mariage : N. 2
Ordre public bancaire : N. 5
Ouvrage
notion d '- : S. 32
partie d * : S. 34
- P Parts sociale
cession de - : S. 43
Peine
- et inopportunité : S. 54
- et opinion publique : S. 54
- et presse : S. 54
Pension alimentaire : S. 56
Piéton : N. 10
Plan de continuation
adoption du - : N. 5
Pourparlers
rupture abusive des - : S. 16
Prénom : N. 1
changement de - : N. 1
présomption
- de responsabilité : S. 61
Prestation compensatoire
- et appauvrissement volontaire : S. 2
- et besoin du créancier : S. 2
* et évolution de la situation des époux : S. 1
- et fixation : S. 1, S. 2
- et moment d'évaluation : S. 1
- et retraite : S. 4
- et usufruit : S. 3
- et variation futures : S. 4
Prêt
refus du - : S. 35
Preuve
administration de la - : S. 63
commencement de - par écrit : N. 9
- du contrat de travail verbal : N. 9
liberté de - : N. 9
- et relevé informatique nominatif des appels : S. 63
renversement de la charge de la - : S. 28
• testimoniale : N. 9
Principe "electa una via .. S. 65
Procédure civile : N. 6, N. 7, S. 48 à S. 52
acte de - : N. 7
Procédure collective : S. 67
- et caution : S. 25
Procédure de contestation d'honoraire
- et contradictoire : S. 52
- et dommages et intérêts : S. 52
- et prescription : S. 52
Procédure de paiement direct : S. 56
Procédure pénale : S. 63 à S. 66
Promesse de vente
- et enregistrement : N. 4
- d'immeuble : N. 4
option de la - : N. 4
- unilatérale : N. 4
Propriété intellectuelle
droit pénal de la - : S. 61
- R Réalisation
- forcée de la vente : S. 33
Recours
- en interprétation d'arrêt : N. 6
Rectification d'erreur matérielle : N. 6
Redressement judiciaire : N. 5, S. 45, S. 46, S. 47
- contre le dirigeant social : S.45
- et droits des créanciers : S. 45
Règlement
■du comité de la règlementation bancaire : N. 5
Régularisation
- de l’effet de commerce : S.41
Rémunération
révision judiciaire de la - : S.22
Renonciation conventionnelle : S. 26
- et information de la caution : S. 26
�Requête
- en rectification d'arrêt : N. 6
Réseau de franchise : S. 23
éviction abusive du - : S. 23
Réserve
- et transport : S. 28, S. 30
Résidence habituelle
- et expulsion : S. 57
Résiliation : S. 23
Responsabilité
- des copropriétaires : S. 37
- solidaire du fabricant : S. 34
Responsabilité civile : S. 53
- d'une association : S. 53
- du fait d'autrui : S. 53
- du fait de son préposé : S. 53
Responsabilité pénale
- du débiteur de la pension alimentaire : S.56
exonération de la - : S. 56
Restitution
- du dépôt de garantie : S . 33
Retrait d'agrément : N. 5
Révision judiciaire
- de la rémunération : S. 22
Risque mortel hautement prévisible : S.55
Rupture abusive des pourparlers
- et faute : S. 16
- et intention de nuire : S. 16
Rupture anticipée pour force majeure
- et contrat de travail : S.70
- S Saison
- et qualification du contrat de travail : N. 10
Salarié
fonction du - : N.8
- et insubordination : S. 72
- inventeur : S. 72
qualification du - : N.8
Sanctions
- contre les dirigeants sociaux : S. 45
Séparation de corps
- et témoignage : S . 5
Sexe : N.l
Signification : N. 7, S .48
- et diligences insuffisantes : S .48
- et formules pré-imprimées : N. 7
irrégularité de la - : S. 48
• d'un jugement : N. 7
mention de la - : N.7
- et lettre recommandée : N. 7
- et nouvelle addresse : N.7
- à parquet : N. 7
- à personne : N.7
- et procès verbal pré-imprimé : S. 48
- et questionnement des voisins : S. 48
- et vérification du nom sur la boîte aux lettres : S.48
Sociétés
- concurrentes : S. 44
- et concubinage : S. 0
- à responsabilité limitée : S. 43
Stupéfiants
infraction à la législation des - : S. 57
trafic de - : S. 57
Surendettement
- d'un particulier : S. 25
Sûretés : S.25, S. 26
Syndicat de copropriétaires : S. 37
Syndicat de copropriété
- et manquement à son rôle de gestionnaire : S. 37
- et responsabilité : S. 37
- T Tâches ménagères
- et devoir d'assistance : N. 3
- divorce pour faute : N. 3
Témoignage
- des concubins des descendants : S. 5
- et divorce : S. 5, S. 7
Traites en blanc : S. 41
Transfert d'entreprise
- et démission abusive du salarié : S. 69
- et dommages et intérêts : S. 69
- et maintien des contrats en cours : S. 69
Transport maritime de marchandises : S. 28, S. 29, S. 30
- et avarie : S. 28
- clause attributive de compétence ; S. 29
- et clause Paramount : S. 30
et réserves du transporteur : S. 30
Transport routier de marchandises : S. 27
Transporteur
responsabilité du - : S. 28, S. 29
transsexualisme : N. 1
- et concubinage : N. 1
- et mariage : N. 1
Travail clandestin : S. 62
Tribunal de commerce
compétence du - : N. 5
�228
- V Vente de fonds de commerce : S. 43
* et mentions informatives : S.43
Vente d'immeuble
promesse de - : N.4
Vente d'immeuble à construire : S. 33
Vente de matériel informatique : S. 20
- et garantie des vices cachés : S. 20
Vie privée
droit au respect de la - : N. 1
Voies de recours
- contre les décisions du juge commissaire : S. 47
- contre les décisions intervenues dans le cadre
de la procédure collective : S.46
TABLE DES MATIÈRES
PREMIÈRE PARTIE
NOTES DE JURISPRUDENCE
NI -
Le début de la fin : la nouvelle position aixoise
sur le transsexualisme (Aix 1ère ch., 6 décembre
1993), note A. SERIAUX......................................... 9
N2 -
La mésalliance peut-elle fonder une opposition à
mariage ? (Aix 1ère ch., 22 novembre 1993),
note P. STO R R ER .......................................................... 19
N3 -
Les négligences ménagères de la femme, cause
de divorce pour faute (Aix 6ème ch., 14 octobre
1993), note P. STOFFEL-MUNCK..............................25
N4 -
Le principe du consensualisme en matière
de promesse de vente d'immeuble (Aix 1lème ch.,
9 décembre 1993), note C. GIOVANNANGELI....... 31
N5 -
La liquidation bancaire opposée au redressement
judiciaire (Aix 1ère ch., 21 juillet 1993),
noteC. PR IETO ............................................................. 37
N6 -
Recours en interprétation d'arrêt : objet du recours,
interprétation d'un arrêt interprétatif (Aix 1ère ch.,
18 novembre 1993 et Aix 1ère ch., 10 décembre
1993), note E. PU TM A N ..............................................52
N7 -
De l’incidence de la faute de la poste sur la validité
de la signification par voie d’huissier (Aix 1ère ch.,
13 octobre 1993), note A. LEBORGNE..................60
N8 -
La légitimité de la clause de non-concunence
(Aix 9ème ch., 16 juin 1993), note V. RENAUX...... 68
N9 -
Une preuve inédite du contrat verbal : l'enveloppe
remise au salarié (Aix 14ème ch., 20 septembre
1993), note J. COLONNA............................................. 79
�231
N 10 - Contrat de travail saisonnier : les difficultés
d'application dans le cas de cultures sous serres
(Aix 14ème ch., 3 mars 1993),
note C. ROY-LOUSTAUNAU............................
DROIT PÉNAL
.89
DEUXIEME PARTIE
CHRONIQUES
C1-
L'appréciation de la faute inexcusable par
la lOème chambre de la Cour d'appel d'Aixen-Provence par J.M. ROUX........................
DROIT PÉNAL GÉNÉRAL (S53 à S54).................................181
DROIT PÉNAL SPÉCIAL
- infractions contre les personnes (S55 à S 5 8 )........................ 184
LOIS PÉNALES ANNEXES
- droit pénal de la circulation routière (S59 à S60).................. 190
- droit pénal de la propriété intellectuelle (S61)........................191
- droit pénal du travail (S62)...................................................... 193
PROCÉDURE PÉNALE (S63 à S66 - ...................................... 195
.99
DROIT SOCIAL
(S67 à S73)................................................................................. 203
TROISIEME PARTIE
SOMMAIRES DE JURISPRUDENCE
DROIT CIVIL - DROIT COMMERCIAL
FAMILLE
-
concubinage (S 0 )........................................................................111
divorce (SI à S 7 )....................................................................... 111
aliments (S 8 à S 13).....................................................................120
autorité parentale (S 14 à S 15)................................................... 126
CONTRATS EN GÉNÉRAL (S16 à S17)......................... 127
CONTRATS SPÉCIAUX (S 18 à S 2 3 ).....................................129
RÉGIME DES OBLIGATIONS (S24)........................................135
SÛRETÉS (S25 à S 2 6 )................................................................ 136
TRANSPORT (S27 à S30)...........................................................140
CONSTRUCTION (S31 à S 3 6 ).................................................. 146
BIENS
- copropriété (S37 à S 3 9 )..............................................................152
BANQUE (S40 à S42).................................................................. 155
SOCIÉTÉS (S43 à S44)........................................................160
REDRESSEMENT JUDICIAIRE (S45 à S 4 7 )......................... 164
PROCÉDURE CIVILE (S48 à S52).................................... I71
�
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Publication en série imprimée
Description
An account of the resource
Périodiques imprimés édités au cours des 18e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
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Title
A name given to the resource
Bulletin d'Aix
Subject
The topic of the resource
Cour d'appel
Jurisprudence après 1789
Description
An account of the resource
Jurisprudence commentée de la Cour d'appel d’Aix-en-Provence (année numérisée : 1993)
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Centre de droit social (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône). Éditeur scientifique
Laboratoire de droit pénal international et de criminologie comparée (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône). Éditeur
Institut d'études judiciaires (Marseille). Éditeur scientifique
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote KP 16 Réserve
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Presses universitaires d'Aix-Marseille (Aix-en-Provence)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1993-
Rights
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soumis à copyright
restricted use
Relation
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Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/253805945
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/KP-16_Bulletin-Aix-vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
pagination multiple
24 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
publication en série imprimée
printed serial
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/284
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 19..
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
Bulletin des arrêts civils et commerciaux de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence (Suite de)
Abstract
A summary of the resource.
"Le Bulletin d’Aix, issu de la collaboration entre le Laboratoire de Droit Pénal International et de Criminologie Comparée, le Centre de Droit Social et l'Institut d'Études Judiciaires, reprend sous une nouvelle forme le Bulletin des arrêts civils et commerciaux de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence.
Le nouveau bulletin aura un champ d’investigation plus étendu : le droit civil et le droit commercial mais aussi le droit du travail, le droit pénal, la procédure civile ou pénale.
Ce nouveau bulletin, édite désormais par les Presses Universitaires d'Aix-Marseille, sera semestriel ce qui permettra aux praticiens de connaitre dans un délai relativement bref l’état de la jurisprudence aixoise. Il a été conçu comme un instrument susceptible d'éclairer les praticiens dans leur travail quotidien.
L'Institut d'Études Judiciaires
Le Centre de Droit Social
Le Laboratoire de Droit Pénal International et de Criminologie Comparée".
Editorial du n° 2, 1993
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Provenance
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Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Droit civil -- Jurisprudence -- Périodiques
Droit commercial -- Jurisprudence -- Périodiques
Droit du travail -- Jurisprudence -- Périodiques
Droit pénal -- Jurisprudence -- Périodiques