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B arthélem y
PROFESSEUR
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FACULTÉ
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DROIT
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L 'U N IV E R S IT É
D 'A lX -M A R S E IL L E
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LA LOI N ATURELLE
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ÉCONOMIE POLITIQUE
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L’IDÉE
EN
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ÉCONOMIE
NATURELLE
POLITIQUE
�RAYNAUD
B arthélemy
PROFESSEUR
A
LA
FACULTÉ
DE
DROIT
DE
L 'U N IV E R S IT É
D 'A lX -M A R S E IL L E
LA LOI NATURELLE
EN ÉCONOMIE
POLITIQUE
I
L’IDÉE
EN
DE
LOI
ÉCONOMIE
NATURELLE
POLITIQUE
PARIS
« É D ITIO N S D O M A T -M O N T C H R E S T IE N .
F.
LO V IT O N
ET
Ci*
160, Rue Saint-Jacquee
�INTRODUCTIO N
Le problème de la loi naturelle en Economie Poli
tique présente un double intérêt qui paraît indéniable.
Du point de vue pratique d'abord, le problème de la
réalité des lois naturelles et de l’intervention dans les
faits économiques s'est posé à toutes les époques, mais
plus spécialement peut-être de notre temps où aux
anciennes discussions sur l'Intervenlionisme se sont
substitués les problèmes de l'Economie dirigée. Quelle
que soit la direction, qui que soient les dirigeants, un,
problème préalable se pose : y a-t-il une direction
possible, y a-t-il une action possible cl à quelles condi
tions sur les faits économiques ?
Du point de vue', théorique ensuite la question de la
loi naturelle en Economie Politique n ’est à tout pren
dre qu'un aspect du problème philosophique beaucoup
plus large du Déterminisme. Y a-t-il un ordre dans les
choses et comment concevoir cet ordre économique ? Au
surplus l’ancienneté des discussions sur ce point est une
preuve que la question a depuis longtemps préoccupé
beaucoup de bons esprits.
Mais si le problème est ainsi doublement intéressant,
il ne laisse pas de présenler\de réelles et gravées diffi
cultés. Que de points de vue impliqués dans son énoncé,
que de connaissances nécessaires à l'imprudent qui
osera l'aborder !
Cependant le lecteur excusera peut-être la hardiesse
de l'entreprise s il veut bien considérer que je m y suis
consacré depuis une trentaine d ’années. Quelques étu
des jadis publiées sur ce point, 1 plusieurs cours de
doctorat consacrés ci la loi naturelle, ' enfin une orien1 R aynaud. Les discussions sur l ’o rd re n atu rel au X t IIIe siè
cle. De l ’E cole du D roit n atu rel aux P hysiocrates, par Cum ber
land, Rev. d’E. P. 1905, p. 231 et p. 3542 E n dernier lieu: Années scolaires 1931~3-> 1933'34-
�—
8
—
tation générale de lectures et d'études vers ce point
central constituent une préparation, à tout prendre
partielle, mais une préparation cependant aux deux
volumes qui en donneront un substantiel aperçu.
Au surplus et à l'envisager dans son ensemble le pro
blème de la loi naturelle en Economie Politique se
subdivise en deux problèmes bien distincts :
Le premier est le problème de l'idée de loi naturelle,
elle-même dans son développement historique depuis
l’antiquité la plus reculée jusqu'il l'époque toute contem
poraine. Il fera l'objet du présent volume intitulé : La loi
naturelle en Economie Politique.
Mais celle première élude, pour vivante et décisive
quelle soit par la solution cherchée et proposée, serait
forcément incomplète sans une autre recherche. Quelles
sont les lois naturelles que VEconomie Politique a for
mulées et parmi celles-ci quelles lois peuvent être
retenues comme acceptables et valables. Celle deuxième
recherche fera, s'il plaît à Dieu, l'objet d ’un second
volume qui aura pour titre : Les lois naturelles
économiques.
Une conclusion naturellement placée à la fin de ce
second volume tentera de dégager les résultats défi
nitifs de la double recherche entreprise.
Une délicate question de méthode se posait pour
l’étude du premier problème : l'idée de loi naturelle en
Economie Politique. Deux voies étaient possibles : ou
bien une étude synthétique de chaque auteur et l'affir
mation doctrinale de la position par lui adoptée sur la
question ; ou bien une élude analytique, basée sur les
textes authentiques, permettant de suivre jusque dans
ses détails la pensée de chaque économiste.
C'est celte seconde voie qui a été délibérément choi
sie : elle a sans nul doute le grave inconvénient d'alour
dir le texte par des citations peut-être trop nombreuses,
mais elle paraissait la seule vraiment scientifique, la.
seule donnant des preuves pour reconstituer une évolu
tion détaillée de la notion même de loi naturelle. Grâce
à celle méthode, on ne se contente pas d’affirmer, on
prouve.
— 9 —
Peut-être est-il permis de demander d’avance pardon
au lecteur bienveillant des aspérités et des duretés de la
roule, mais le but êi atteindre — la lumière sur une
question de capitale importance — vaut bien, semble-lil'} quelque peine et quelques efforts. 1
Aix-en-Provence, 17 février 1034.
1 B ibliographie g én érale :
L. L eseine: In tro d u ctio n g én érale à l ’étude de l’économie
politique. 2 vol., P aris, A lcan, 1911. S urtout le tome I.
P ierre S tru v e: L ’idée de loi n atu re lle dans la science écono
mique. R e v . d 'E co n o m ie P o litiq u e 1921, p. 294 et p. 463.
B audin: L a loi économique. R ev. d 'E co n o m ie P o litiq u e 1924,
P- 635.
F .-J. N eum ann. W irth sch aftlich e Gesetz nach früherer und
jetzig er A ufassunq. — V ahrbücher fur N ationalôkonom ie und
Statistik. 3 F. Ién a 1899.
F .-J. N eum ann N aturgesetz und W irthschaftsgesetz. Zeits
chrift fur die gesam te S taatw issenschaft i i i. 1892.
F. E n len b u rg . N aturgesetze und soziale Gesetz. Archiv für
Sociahvissenschaft und Sozialpolitik. X X X I-X X X II. 1910-1911.
De Johannis A rturo. Le leggi n atu ra li ed i fenomeni economici. R evista di filosophia scientifica. 1883 et 1884.
Soda (Kirchiro). Die logische N atu r der W irtschaftsgesetze.
T ü b in g er staatw iss. A bhandl, hgq v. C. G. Fuchs, 17 H.
S tu ttg a rt, E nke, 1911 (XVI 130 p. in-8°).
�CHAPITRE PREMIER
La Trafllilon du Droit D a H 1,1
Il est bien inutile de rechercher une notion positive
de l’ordre naturel et des lois naturelles, c’est-à-dire
l ’idée d ’un ordre de phénomènes déterminé par des
causes indépendantes de la volonté humaine soit dans
les théories économiques de l ’Antiquité, 2 soit dans
celles du Moyen-Age, 3, soit dans la doctrine mercanti
liste au début des temps modernes. 1
11 existe par contre pendant ces longs siècles une
puissante tradition du Droit naturel. Elle introduit d'une
part 1 idée de loi naturelle mais avec des particularités
que l’on peut pour plus de commodité résumer dans
l’expression de loi-précepte 5 et d ’autre part, on le verra
plus loin, c’est de cette tradition du droit naturel que
se dégagera plus tard ce qu'il est permis d'appeler la
Li-constatation. 0
1 B ibliographie g én érale:
Dubois. L ’évolution de la notion du D roit n atu rel an térieu
rem ent aux P hysiocrates. P aris, Rivière, 1908.
2 Souchon. Les doctrines économiques de la Grèce antique.
j vol., P aris, 1898.
J B rants. Les théories économiques a u XIIIe et XIVe siè cles.
L ouvain, 1895. P aris, Lecoffre.
4 L ’évolution même des idées des m ercantilistes qui ne m odi
fient jam ais que les moyens, le but à attein d re restan t cons
tam m ent le même, est une illu stratio n frap p an te de l’incom pa
tibilité absolue du système avec l ’idée d ’ordre naturel.
5 P a r Loi -précepte, j ’entends la loi n atu re lle envisagée comme
un ordre, un précepte donné à l ’homme et q u ’il est dans l'obli
g atio n d ’observer et d ’accom plir: par exem ple: il faut aim er ses
p aren ts, il faut aim er sa patrie, etc...
0
P a r lo i constatation j ’entends la loi n atu relle envisagée au
co n traire comme l’expression d ’une succession de faits toujours
la même, constante, qui n ’im plique plus l’idée d’une obliga
tion à rem p lir p ar exemple: la loi de l’offre et de la demande,.
�Il importe, vu relie double importance, d’en suivre
rapidement les principales étapes.
I. L a T radition du D roit N a t u r el dans l ’A ntiquité
On n’est pas absolument lixé sur l’origine exacte de
celte tradition du Droit Naturel.
Certaines études récentes 1 prétendent la faire
remonter jusqu'au \T siècle avant Jésus-Christ. Hera
clite serait le précurseur des Stoïciens et le fondateur de
la vôaoç, de la loi naturelle.
Par réaction contre les lois humaines, il instaura une
loi supérieure et divine : il serait ainsi, sinon l’inven
teur, au moins le premier auteur qui insiste sur la loi
naturelle précepte.
Quoiqu il en soit on retrouve chez Sophocle déjà une
expression véritablement dramatique et belle de celte
croyance aux lois naturelles, aux lois non écrites.
Antigone, qui a transgressé les prescriptions de
Créon, lui réplique : « Oui, car ce n’est pas Zeus qui a
promulgué pour moi cette défense, et Dikè, celle qui
habile avec les dieux souterrains, n’a pas établi de
telles lois parmi les hommes : je ne croyais pas non
plus que ton édit eut assez de force pour donner à un
être mortel le pouvoir d'enfreindre les décrets divins,
qui n’ont jamais été écrits et qui sont immuables : ce
n’est pas d ’aujourd’hui, ni d’hier qu’ils existent : ils
sont éternels et personne ne sait à quel passé ils
remontent. » 2
Les Stoïciens 3 formulent et systématisent cette notion
de Droit Naturel : tout ce qui existe dépend pour eux
d’une loi générale qui est à la base de l’univers. Toute
l’activité humaine est réglée par le droit naturel qui
comporte les lois naturelles auxquelles il faut obéir.
1
Rudolf Hirzel. Thémis, Dike und Verwandter. Ein Beitrag
zur Geschichte der Rechtsidee bei den Griechen. Leipzig, 1907,
s. s. 392-394.
Solovine. H eraclite d ’Ephèse. 1 vol., Paris, Alcan, 1931.
5 V. 450-457- Antigone. Sophocle, t. I. E dit. Budé. P aris,
Société d'édition Les Belles Lettres, 1922, p. 92.
3
Cf. W ilhelm Hasbach. Die algemeinen philosophiscen
G rundlagen der von François Quesnay und Adam Smith
begnindeten politischen Œ konom ie, Leipzig, 1890.
C icéron , plus tard, résumait la pensée Stoïcienne 1 :
« Prima est enim conciliatio hominis ad ea quæ sunt
secundum naturam, viditque rerum agendarum ordinem et, ut ila dicam, concordiam ; multi eam plus
æslimavit quam ea ilia quæ primum dilexerat. »
Il fait l’éloge de cette loi naturelle : « Vera lex, recta
ratio, naturæ congruens, diffusa in omnes, constans
sempiterna. » 2
Les jurisconsultes Romains 3 accueillent la conception
Stoïcienne et lui font place.
Ulpien 4 définit ainsi le droit naturel : « Jus nalurale
est quod nalura omnia animalia docuit, nam jus istud
non humani generis proprium, sel omnium animalium,
quæ in terra, in mari nascuntur, avium quoque
commune est. »
« Le Droit Naturel est celui que la nature a enseigné
à tous les animaux : car ce droit n’est pas spécial au
genre humain mais commun à tous les animaux, terres
tres ou maritimes et aux oiseaux. »
Justinien répète ce qiua dit Ulpien. 5
Ils accueillent ainsi la règle du droit, « comme une
règle de conduite formulée par une autorité compé
tente, par une autorité supérieure. » 6
II.
L a T radition du D roit N a t u r e l chez l e s C anonistes 7
Les Canonistes et en particulier Saint Thornasd’Aquin acceptent avec quelques nuances la tradition
du droit naturel.
1 De F in ih u s. L ivre I I I , n° 21.
2 De Republica, I I I , 17.
3 Cf. V erm ond. De ju re rerum corporalium privatarum . Vol. I,
p. i2 et suiv., 2 vol. P aris, de Boccard, 1928.
1 U lpien. Loi 1. 552. De ju stitia et jure. Liv. I, titre I.
* Ju stin ien , Und., au D igeste I, 1, 1, 3-4.
6 V erm ond, Ibid., p. 17. D ’autres comme B oucaud, Les pro
blèmes du Droit n atu rel. M élanges, Gény, t. I, p. 226, 3 vol.
Libr. Rec. Sirey, 1934, adm ettent q u ’il y a de plus un D roit
n atu rel spécial aux sociétés hum aines.
7 Sertillanges. L a philosophie m orale de Saint T hom as
d ’A quin, 2® édit. 1922, surtout chap. V, p. 127-159 et chap. V II.
�Saint-Thomas 1 justifie l’existence de la loi naturelle
dont la loi humaine n’est que l’application : la loi divine
est au surplus nécessaire.
Elle laisse intacte, comme telle, la loi naturelle
pure qui est la même pour tous, immuable dans ses
principes généraux ; elle ne pourrait être supprimée du
cœur de l'homme, d'elle dérivent les lois posées par
l’humanité, le tout s’imposant sans l’intervention d’élé
ments surnaturels. 2
Voici d'ailleurs le passage essentiel de saint Thomas
sur la loi naturelle :
« Pour tous, ceci est droit, et vrai qu’il faut agir selon
la raison. Or, de ce principe il suit, comme conclusion
que les dépôts doivent être rendus dans la plupart des
cas ; mais il peut arriver quelques cas où il serait dan
gereux et par conséquent déraisonnable de rendre un
dépôt, par exemple si le déposant réclame un dépôt
pour combattre sa patrie. Et la conclusion paraîtra de
plus en plus défaillante à mesure qu’on descendra à des
détails plus particuliers, par exemple si l’on disait que
les dépôts doivent être rendus avec telle précaution eu
de telle manière. Plus on énumérera de conditions par
ticulières, plus il y aura de chances qu’il n’y ail plus
de certitude, soit à rendre, soit à ne pas rendre. 11
faut donc dire que, pour certains principes propres
qui sont des conclusions de principes communs la loi
naturelle est la plupart du temps la même pour t( us
et selon sa certitude et selon la connaissance qu'en ent
les hommes : mais dans un certain nombre de cas, clic
peut n’être plus aussi droite, ni aussi connue. » 3
1 Summa theologica. la Ilæ. Qu. XCI art. 2-5. Qu. X CIV art.
5-6. Qu. XCV art. 2.
H a Ilæ Qu. L V II art. 1-3. Qu. L V III art. 11.
2 Gény: Laïcité du D roit naturel. Archives de philosophie du
D roit, 1933, n° 3-4, p. 16.
3 Saint Thomas. Sum. theol. la Ilæ Qu. XCIV art. 4.
III. L a T radition
du
D roit N a t u r el au début
DES TEMPS MODERNES
Un certain nombre d’auteurs — assurément la majo
rité — reconnaissent et acceptent cette tradition du
Droit Naturel.
B o d in 1 par exemple en France s ’y rallie : la société
à ses yeux a pour but l’observation de la justice et les
républiques sont ordonnées de Dieu selon une loi de
nature. 2 Cette loi est d’ailleurs une loi d’ordre moral
mais qui s ’impose à tous : princes et sujets y sont éga
lement soumis : elle est universelle. 3
G rotius 1 admet également que le Droit Naturel est
une règle qui nous est suggérée par la droite raison
d’après laquelle nous jugeons nécessairement qu’une
action est injuste ou morale selon sa conformité ou sa
non-conformité avec la nature raisonnable et qu’ainsi
Dieu, qui est l’auteur de la nature, défend l’une et
commande l’autre. 4
P uffendorf 6 soutient
des idées sensiblement
analogues. 7
A cette époque la sanction des lois naturelles réside
surtout dans le sentiment d’approbation ou de désap
probation qui se produit contre ceux qui respectent
ou ceux qui violent les règles du Droit Naturel.
Une petite minorité d’auteurs se montrait au contraire
sceptique à l’égard du Droit Naturel et des lois
naturelles.
M ontaigne s le premier attaque la conception tradi
tionnelle et courante :
« Ils sont plaisants, quand pour donner quelque cer
titude aux Lois, ils disent qu’il y en a aucunes fermes,
perpétuelles et immuables, qu’ils nomment naturelles,
qui sont empreintes en l’humain genre par la condition
1 1529-1596.
2 Bodin. Les Six L ivres de la République. Ed. 1576., p. 16.
3 Bodin. Ib id ., chap. IX . De la souveraineté, p. 219.
* 1583-16455 De ju re bel 1i ac pacis. 1638. Liv. I, chap. I, § 10.
11 1632-1694.
7 De Officio horninis et civis. 1644.
8 , 533'I593-
�de leur propre essence : et de celles-là qui en fait le
nombre de trois, qui de quatre, qui plus, qui moins :
signe que c'est une marque aussi doubteuse que le
reste. »*
Il insiste sur les nombreuses contradictions que rece
vait en fait, ce droit naturel et se plaint de ne pas ren
contrer la seule enseigne vraisemblable de leur exis
tence, c’est-à-dire runiverselle approbation. Puis par
un très juste sentiment de la question à résoudre, il
ajoute : « Car ce que nature nous aurait véritablement
ordonné, nous 1’envisagerions sans doute d’un commun
consentement : et non seulement toute nature, mais tout
homme particulier, ressentirait la force et la violence
que lui ferait celuy qui voudrait pousser au contraire
de cette Loy. Ou’ils m’en montrent pour voir, une de
cette condition. » *
Ainsi et pendant de longs siècles domine seulement
et exclusivement ce que nous avons appelé la loi
précepte.
La loi naturelle est alors universellement conçue
comme un commandement à accomplir par l'homme.
Encore, on l’a vu, à la fin, quelque scepticisme appa
raît sur le fondement de cette loi naturelle.
En tout cas, il n’est nullement question de la loi
constatation.
CHAPITRE II
Vers V loi cmstaiailon
c u m i
.
Les précurseurs
Un second courant d ’idées et de doctrines peut être
dégagé au début des temps modernes : il constitue d’une
manière générale une anticipation de la loi constatation.
Le mouvement à cet égard est double :
il y a d’abord la position des plus originales et des
plus suggestives de Cumberland ;
il y a ensuite un assez grand nombre de précurseurs
qui font pressentir la notion nouvelle de loi constata
tion sans qu’elle soit encore expressément et théorique
ment formulée.
Il les faut étudier successivement.
§ I. L ’oeuvre de C umberland
C’est de la tradition éthique elle-même retracée au
chapitre précédent qu’allait sortir, par une de ces bizar
reries dont .l'histoire des idées offre maint exemple,
l’idée moderne de loi constatation.
Cumberland 1 est d ’ailleurs assez peu connu dans
l’histoire des doctrines économiques. 2
1 1631-1718.
2 Jam es B onar dans son grand ouvrage Philosophy and Political Econom y, lui consacre (p. 145), une sim ple note où il
accorde que cet au teu r peut m arquer ia trad itio n du droit naturel
qui aboutit des Stoïciens aux Physiocrates.
Gide et Rist (H istoire des D octrines Econom iques, 4e éd. 1922.
Paris. Libr. du Rec. Sirey), ne le m entionnent pas.
R. C onnard (H istoire des D octrines E conom iques, nouv. éd.,
1930. P aris, Lib. V alois), est égalem ent m uet sur cet auteur.
J ’avais essayé de m arquer cette influence, à mon sens très
im p o rtan te: Raynaud. Les D iscussions sur l ’ordre n aturel au
XVIIIe s. Rev. d ’E. P. 1905, p. 231 et p. 354.
�Il importe de lui rendre la place à laquelle il a droit.
Il est facile d’étudier :
a) le problème tel qu’il se posait alors ;
b) la solution de Cumberland ;
c) l’influence de Cumberland.
a) Le problème tel qu'il se posail pour Cumberland
C’est la question du fondement de la loi naturelle qui
se posail alors 1 dans toute son ampleur.
Deux opinions étaient alors en présence : les uns fon
daient la loi naturelle sur une autorité civile, les autres
la basaient sur l’autorité divine.
La première opinion était surtout représentée par
Hobbes. 2 II attaque la valeur des lois naturelles :
celles-ci ne peuvent selon lui avoir force de loi parmi les
hommes sans l’autorité d'un Législateur.
En effet, dans l’état de nature, les lois naturelles ne
sauraient obliger : car nous ne sommes pas assurés que
les autres observeront ces lois en ce qui regarde notre
propre conservation : « Toute l’espérance que chacun a
de sa sûreté et de sa conservation consiste à pouvoir
prévenir les autres par sa force ou son adresse propre,
soit en les attaquant ouvertement ou en leur dressant
des embûches. » *
On peut donc faire des actions extérieures contraires
à ces lois. Ce n’est que dans un Etat civil, lorsque cette
crainte a disparu, qu elles retrouvent leur force obliga
toire ; car alors, une fois le magistrat établi, tout ce
qu’il prescrit doit être regardé comme autant de maxi
mes de la droite raison qui imposent une obligation
indispensable.
Ainsi la loi naturelle emprunte son autorité au Pou
voir civil.
A l’inverse Selden 1 fondait l’autorité des lois naturel
les sur le pouvoir législatif de Dieu. Pour lui, les lois
1 C’était l’époque de la publication des ouvrages de:
Grotius: De jure belli ac pacis, 1638.
Sharrock: De finibus et officiis secundum n atu ræ jus. 1658.
Pufendorf: De jure naturæ et gentium . 1672.
2 Hobbes: De Cive. 1642.
3 De Cive. Chap. I I I .
1 De jure naturali et gentium juxta disciplinam E brœ orum ,
1640. Lib. I, cap. 6.
-,n*—
—
19
—
naturelles n2acquièrent force de loi que par la publica
tion que Dieu en a faite, d’une part publication expresse
à Adam et à Eve (transmission qui s’est poursuivie par la
tradition) et d’autre part accessoirement par la connais
sance que les âmes raisonnables en ont grâce à l’enten
dement pratique. La publication des lois naturelles s’est
donc faite par la tradition non écrite des doctrines du
peuple juif et à cause de cette promulgation tous les
peuples sont tenus de les observer.
Ainsi la loi naturelle est alors fondée sur une autorité
externe, civile ou divine. Faiblesse dans un cas, connais
sance imparfaite dans l’autre, tel est le double écueil.
Cumberland se propose de résoudre le problème du
fondement des lois naturelles.
b) La solution de Cumberland
Il publie en 1672 1 un gros traité intitulé : De legibus
naturæ disquisitio philosophica, in qua earum forma,
summa capila, ordo, promulgatio et obligatio a rerum
natura investiguntur ; quin etiam elemenla philosophiæ
Hobbesianæ cum moralis et civilis considerantur et
refutantur.
Pour lui, « la sanction intrinsèque par laquelle Dieu
a manifestement attaché certaines peines et certaines
récompenses naturelles à la violation ou à l’observation
de ces maximes, sont la source et le fondement de leur
autorité. » 3
Il faut insister quelque peu sur l’idée fondamentale du
livre de Cumberland : car à notre sens c’est avec lui que
s’accomplit l’évolution doctrinale qui va donner nais
sance à l’idée de loi naturelle scientifique ; il jette, si
l’on peut dire, le pont de l’idée de loi précepte à l’idée
de loi constatation.
Le point de départ est pour Cumberland la proposi
tion, à son sens inexacte de Ilobbes, qu’il faut pour les
lois naturelles, l’autorité d ’un législateur qui lui donne
1 L ’ouvrage fut ensuite trad u it en français
beyrac sous le titre : T ra ité philosophique des
Les citations ci-dessous sont faites d’après
Leide, chez T héodore H aak.
3 T ra ité des Loix n atu relles. Disc, prélim . §
en 1744 par Barlois naturelles.
l ’édition de 1757.
IV. E d. citée p. 6.
�—
—
20
force parmi les hommes, « quoique les philosophes qui
les proposent dans leurs livres, les eussent apprises par
des réflexions sur la nature des choses. » 1
Cumberland répond à Hobbes : « Il est clair que, si
les loix prescrites par l’auteur de la nature, sont de véri
tables loix, il n’est pas besoin d ’une nouvelle autorité
qui fasse qu’elles deviennent des loix, quand elles sont
écrites, qui que ce soit qui les propose par écrit. » a
Dès lors le dessein de Cumberland est bien net : il
s’agit de trouver quelque chose d'objectif pour établir
l’autorité de ces lois, les fonder en nature et en raison :
et c’est l’objet de tout son traité.
Ce fondement, il le cherche dans ce que nous pour
rions appeler aujourd'hui la sanction naturelle, c’est-àdire dans les conséquences nécessaires qu’entraîne
l’observation ou la violation de ces lois elles-mêmes :
ainsi sera-t-il établi que « les préceptes de la morale ne
sont nullement une invention des ecclésiastiques ou des
politiques, qui aient voulu s’en servir à tromper le
genre humain. » 3
Cumberland possède en effet la notion de détermi
nisme physique qu’il résume avec une netteté parfaite :
« Les mouvements de tous les corps viennent originai
rement de la Force que le premier moteur leur a impri
mée : et ils sont perpétuellement déterminés selon certai
nes lois par celte impression constamment continuée. » 1
Mais il s’agit ici de préceptes de philosophie morale :
l'originalité de notre auteur va précisément consister à
les déduire de la contemplation de la nature.
La méthode nouvelle tentée par Cumberland peut être
comparée, comme il l’indique lui-même, 5 à la manière
dont les animaux sont naturellement instruits de ce qui
peut leur être profitable ou nuisible : c’est par un méca
nisme automatique que la nature leur enseigne qu’ils
doivent se nourrir d’aliments et respirer l’air pour
entretenir la circulation du sang et par là la santé géné1 Ib id .,
2 Ib id .,
* Ib id
4 Ib id .j
5 Ib id .j
p.
p.
p.
p.
p.
5.
5.
5.
9.
25.
21
—
—
raie de tout le corps. La nécessité de la loi morale
est parfaitement analogue à la nécessité de la loi
physiologique.
Elle peut même être rapprochée, et Cumberland n ’y
manque pas 1 de la nécessité des propositions mathéma
tiques. Un peut tirer ou ne pas tirer trois lignes droi
tes, mais si t ’ 0 1 1 a déterminé les traces, elles font néces
sairement un triangle. De même bien que ce soit très
librement que l’on accomplit les préceptes de l ’ordre
moral, on 1 1 e peut éviter les conséquences attachées à
leur accomplissement ou à leur violation : l’éternité et
la nécessité de ces deux sortes de propositions sont pour
lui rigoureusement égales.
Cumberland indique tout ce que pour lui « la nature
des choses peut fournir à nos esprits qui soit propre
en quelque manière à établir les idées de la vertu. » *
L’examen complet n ’est pas terminé : le lecteur peut le
poursuivre. Cumberland veut seulement donner la
méthode. 3
Pour lui tout se résume dans cette proposition qu’il
qualifie lui-même de fondamentale: « Le soin d ’avancer
autant qu’il est en notre pouvoir le Bien commun de tout
le système des agents raisonnables, sert à prouver,
autant qu’il dépend de nous le bien de chacune de ses
parties, dans lequel est renfermée notre propre félicité,
puisque chacun de nous est une de ces parties. D’où il
s ’en suit que les actions contraires à ce désir, produisent
des effets opposés et par conséquent entraînent notre
misère, aussi bien que celles des autres. » 1
Ainsi bonheur et malheur, selon que nos actions sont
ou non conformes au bien général. "
11 faut noter au surplus qu’il 1 1 e s’agit pas ici seule
ment du simple remords ou de la simple joie morale,
1 I b id v p. 33.
2 I b id ., p. 35.
3 « T oute la philosophie m orale et toute la science des lois
naturelles se réduisent o rig in airem en t à des observations phy
siques, connues p ar l'expérience de tous les hommes, ou à des
conclusions que la vraie physique reconnaît et établit. » Ib id .,
page 41.
4 Disc, prélim , p. ix.
6 Voir tout le développem ent: T ra ité des loix n atu relles p. 216.
�c’est une suite fatale et nécessaire, une relation de cause
à effet, de l'acte à la sanction : on peut découvrir, comme
on démontre en physique les répercussions de tel mou
vement « ce qui sera nuisible à la vie d ’un homme, au
bon état ou à l’intégrité de ses membres, à la faculté
qu'il a de se mouvoir ou même aux biens qu’il fonde et
au contraire ce qui tournera à l'avantage de quelqu’un
ou de plusieurs. » 1
Ainsi Cumberland justifie la notion qu’il admet des
lois naturelles : « certaines propositions d’une vérité
immuable, qui servent à diriger les actes volontaires de
notre âme dans la recherche des biens ou dans la fuite
des maux et qui nous imposent l'obligation de régler nos
actions externes d’une certaine manière, indépendam
ment de toute loi civile et mises à part les conventions
par lesquelles le gouvernement est établi. » 2
La notion de loi-précepte subsiste mais la notion de
loi constatation est déjà ici sous-jacente.
Le point de vue éthique continue de dominer : la loi
constatation n'est point envisagée en elle-même mais
seulement pour le résultat moral qu’elle permet
d'obtenir. s
Cumberland est véritablement un précurseur de mar
que : il constitue un chaînon important dans l’évolution
des idées sur la loi naturelle.
c) L'influence de Cumberland
Au point de vue philosophique, on a fait observer 4
que pour avoir ainsi ramené toutes les autres lois natu
relles à la seule bienveillance envers tous les autres êtres
raisonnables, Cumberland n’avait peut-être pas trouvé le
fondement nécessaire qu’il cherchait : c’est là une idée
contingente à laquelle on pourrait opposer l’idée de jus
tice et ce n’est peut-être au fond qu’un retour déguisé ?u
système de Hobbes qui repose sur le bonheur.
1 Ib id .j p. 216.
5 T raité des Lois naturelles. Ed. cité p. 38.
3 Cf. Un curieux passage (p. 17) où l ’au teu r oppose les vérités
de la géométrie aux vérités de la m orale.
* Laviosa. Ea filosofia scientifica del d iretto in In g h ilte rra ,
p. 296.
Toujours est-il qu’après lui d ’autres auteurs ont
recommencé la discussion sur les lois naturelles et repris
le scepticisme de Montaigne. Ainsi Bentham écrit : 1
« Les auteurs ont pris ce mot comme s’il y avait un
Code de lois naturelles ; ils en appellent à ces lois ; ils
les citent ; ils les opposent littéralement aux lois du
législateur et iis ne s ’aperçoivent pas que ces lois natu
relles sont des lois de leur invention. » 2
Cependant cette interprétation et cette critique ne
tiennent peut-être pas suffisamment compte de la notion
exacte de bienveillance telle que la donne Cumberland.
Pour lui elle repose sur la nature même ; elle s’impose
sans discussion : « Dès que le contrôleur suprême de
l’univers a suffisamment fait connaître qu’il veut Je bien
public il indique ce qui tend à l’avancer, il commande
assez de faire de telles actions. »
Peu importe d ’ailleurs pour l’objet qui nous préoc
cupe le succès philosophique de Cumberland. Il n ’en
reste pas moins acquis que la notion d’ordre naturel, la
loi constatation est maintenant élaborée : il suffira et ce
sera le travail des générations suivantes de l’isoler de
son support éthique pour aboutir à la notion scientifique
de loi naturelle économique.
Au surplus les Physiocrates ont très certainement connu
l’œuvre de Cumberland. L ’auteur d’un article anonyme
paru dans les Ephémérides du Citoyen 3 et qui est pro
bablement Dupont de Nemours, après avoir résumé la
thèse de Cumberland sur la bienveillance universelle,
ajoute : « ü n voit qu’il ne manquait à celte doctrine que
d’expliquer par l’ordre physique comment s’opère le
bien de tous. Le bon évêque de Peterborough est un
des plus dignes précurseurs de la science. »
’§ IL L es p r é c u r se u r s de la loi constatation
Cependant, presque à la même époque où Cumberland
préparait le passage de la loi précepte à la loi consta
tation, d’autres penseurs l'atteignaient directement, ou
1 P rincipes de législation, chap. X II, cité p ar G. May. In tro
duction à la science du D roit, 1 vol. P aris, G iard, 1920.
�—
-
....
.
I. William Pethj. 1
Cet auteur est l'un des précurseurs de la statistique.
Il a l'idée d'une régularité et d’une constance dans les
phénomènes économiques puisqu’il se propose avec la
statistique, dans sa Political Arilhmetic, de leur appli
quer la mesure.
A plusieurs reprises il formule la nécessité d’étudier et
d'observer les lois naturelles : « Nous devons considérer
en général que si les médecins les plus sages ne se mêlent
pas trop de l’état de leur patient, observant et suivant
les mouvements de la nature plutôt que de les conduire
en administrant des remèdes violents, en politique et en
économie, on doit agir de même car naturam expellas
furca, licet usque recurit. » 5
Ailleurs il critique les lois faites pour limiter le taux
de l’intérêt comme inefficaces et vaines : « Je me suis
déjà expliqué, écrit-il, sur l’inutilité et la stérilité des
lois civiles positives contre les lois naturelles. » 0
1
Celles-ci d’ailleurs dem eurent à l ’état frag m en taire et
dispersé.
- On a justem ent rem arqué (A. Schatz: L ’in dividualism e éco
nomique et social, i vol., P aris, Colin, 1907, p. 30 et suiv.),
que ce travail de préparation de la notion nouvelle est concom ittant du travail de réaction contre les idées m ercantilistes
alors encore dom inantes et régnantes.
3 Cf. E. S trangeland. P re M althusian D octrines of P o p u la
tion. New-York, The M acm illan Com pany, 1904. Vol. X X I.
N° 3. Etudes in history, économie and public law Colum bia
University.
1 1623-1687.
Les œuvres économiques de Sir W illiam Petty, 2 vol., G iard
et Brière, Paris, 1905.
5 T raité des Taxes. 1662, chap. V I, n° 17, 50. Voici le texte
anglais: <1 W e must consider in general that, as w iser Physicians tamper not excessively with their p atien t, rath e r observing
and complyng w ith the motions of nature, them co n trad ictin g it
with vehement adm inistration of their ovvn; so in politiks and
oconomicks the same m ust be used : for n atu ram expellas furca,
licet usque recurit ». T rad. franç. t. I, p. 64.
6 T raité des Taxes, chap. V, n° 3. T he Econom ie w ritings of
Sir W illiam Petty, par Ch. H enry H u ll, 1899, p. 48.
25
Dans deux autres de ses ouvrages, Petty revient à la
notion d’ordre naturel.
C’est, d’abord dans sa préface à la Polilical Arithmelic
qui est de 1690 : « Trop de matières, dit-il, ont été régle
mentées par la loi, que la nature, la coutume et le
consentement universel devraient seulement régir. » 1
C,’est ensuite dans son Ouanlulumcumque (1695). Il
vient de critiquer la théorie mercantiliste : aussi l'inter
locuteur demande :
« O. 22 : Celle doctrine peut mener à une libre expor
tation de la monnaie et du métal, ce qui est contraire à
nos lois. Nos lois ne sont donc pas bonnes ?
Rép. — Peut-être sont-elles contre les lois de la nature
et dès lors non susceptibles d’application : car nous
voyons que les pays (pii abondent en monnaie et en
toutes sortes d ’autres commodités, n ’ont pas suivi de
telles lois : au contraire les pays qui ont prohibé les
exportations sous les plus graves pénalités, sont à la
fois dépourvus de monnaie et de marchandises. » 2
Ainsi les lois positives qui contrarient les lois natu
relles produisent les plus funestes effets.
Petty ne doute pas de l’existence des lois naturelles,
c'est-à-dire de rapports dans la réalité indépendants de
notre action, il n’insiste pas d ’ailleurs sur cette notion
à laquelle il se réfère à plusieurs reprises.
Petty est bien un premier el intéressant précurseur de
la loi constatation.
IL Boisguillebert.
Boisguillebert3 lui aussi croit à un ordre naturel que
l’on a tort de contrarier par de multiples interventions.
Chez lui d ’ailleurs la conception de la nature est quel
que peu anthropomorphique, si elle agit en liberté, elle
produit la perfection et on a tort de se défier « d’une
Déesse qui sait procurer des richesses immenses. » 4
1 Ec. w ritings Petty. E d. H u ll, p. 243.
2 Ec. w ritings Petty. E d. H u ll, p. 445.
3 1646-1714.
1 B oisguillibert. D issertation sur la natu re des richesses, 1707,
chap. V. Econom istes financiers du xvin* s. P aris, G uillaum in,
1843, P- 402.
�—
Pourquoi, se demande-t-il, une police pour faire
observer la concorde et les lois de la justice parmi les
hommes ?... « Mais c’est à la nature seule à y mettre cet
ordre et à y entretenir la paix : toute autre autorité gâte
tout en voulant s’en mêler, quelque bien intention
née qu'elle soit. La nature même, jalouse de ses opéra
tions, se venge aussitôt par un déconcertement général,
du moment, qu’elle voit que, par un mélange étranger,
on se délie de ses lumières et de la sagesse de ses
opérations. » 1
On retrouve chez cet auteur la conception classique
du xvui siècle de la nature éminemment bonne. « Sa
première intention est que tous les hommes vivent
commodément de leur travail, ou de celui de leurs ancê
tres : en un mot elle a établi qu'il faut que chaque métier
nourrisse son maître ou qu’il doit fermer boutique et
s’en procurer un autre. Comme elle ne peut pas aimer
les hommes moins qu'elle ne fait les bêtes, et qu’elle
ne met point au monde une seule de ces dernières qu elle
ne l’assure de sa pitance en même temps, elle agit pareil
lement à l ’égard des hommes partout où l ’on s’en
rapporte à elle. » 2
Pourquoi la troubler par exemple en entretenant entre
Je prince et son peuple des médiateurs pour le paiement
des impôts. Ceux-ci se taillent injustement leur part.
Un seul remède est de cesser d’agir : ce qui n ’exige
qu’un instant. « Et aussitôt cette même nature mise en
liberté, rentrant dans tous ses droits, rétablira le
commerce et la proportion des prix entre toutes les den
rées, ce qui leur faisant s ’entre donner naissance et
s’entre soutenir continuellement par une vicissitude per
pétuelle, il s’en formera une masse générale d'opulence,
où chacun puisera à proportion de son travail ou de son
domaine. » 3
Ainsi BoisguilJibert est optimiste et confiant : il a déjà
la conception quelque peu idyllique de la loi naturelle
qui reparaîtra au xixe siècle chez Bastiat.
27
—
Ses théories d’ailleurs reposent plus encore sur un
sentiment et une foi que sur une certitude d ’ordre
scientifique.
On retrouve chez lui l’idée de la nature telle que le
xvm° siècle tout entier l’a comprise, quelque peu mysté
rieuse et très personnelle, bien plus encore que l'idée
scientifique de loi constatation que nous attendions. 1
111. Canlillon.
On doit également inscrire Cantillon au nombre des
précurseurs. 2
A prendre son Essai sur le Commerce (1755), 3 on y
trouve l ’idée d’un ordre naturel, admise implicitement
bien que non expressément formulée. Elle s’y manifeste
plus par des vues de détail que par une conception
d ’ensemble.
Toute la première partie de l’Essai tend à établir que
« la valeur réelle de toutes choses à l’usage des hommes,
est leur proportion à la quantité de terre employée pour
leur production et pour l’entretien de ceux qui leur ont
donné la forme. » 1 C’est bien là l’énoncé d’une loi natu
relle dont fauteur cherche vérification et démonstration.
De même, à l’occasion d’une approximation sur la
quantité d ’argent en circulation, Cantillon dégage bien
l’existence d ’une vérité économique indépendante et
objective. Voici le passage :
L’auteur, vient d’indiquer que ce n’est, là qu’une sup
position. 11 ajoute : « Cependant je la crois utile quand
même elle ne se trouverait pas physiquement vraie
dans aucun Elat. Elle suffit si elle approche de la vérité,
et si elle empêche les conducteurs des Etats de se former
des idées extravagantes de la quantité d’argent qui y
circule : car il n ’est point de connaissance où Ton soit si
1 II y a encore ce texte: « L a n atu re... ne tarde guère à p unir
la rébellion que l ’on fait à ses lois, comme on n ’en a que trop
fait l ’expérience ». D issertation sur la nature des richesses,
chap. V. E d. D aire, p. 411.
3 Vers la fin du XVIIe s. — 1734.
3 L ’ouvrage fut écrit d ’abord en an g lais, puis trad u it en fran
çais par l ’au teu r lui-m êm e pour l ’usage d ’un de ses amis. Essai
sur le com merce, rep rin ted for H arv ard U niversity. Boston, 1892,
1 Essai sur le commerce, p. 15 1, édition citée.
�— 29 —
sujet à s ’abuser que dans celle des calculs, lorsqu’on les
laisse à la conduite de 1 imagination : au lieu qu’il n’y
a point de connaissance plus démonstrative, lorsqu’on
les conduit par un détail de faits. » 1
Plus loin c'est la fixation de l’intérêt de l’argent
comme les prix qui pour Cantillon « se règle naturelle
ment par la proportion numérique des porteurs et des
emprunteurs. » 2
Enfin, à l’occasion de la monnaie, 3 Cantillon énonce
la théorie quantitative, en tenant compte de la vitesse et
de la lenteur de la circulation et prend le plus grand
soin de montrer que les augmentations ou diminutions
dans la valeur nominale des espèces n ’infirment pas,
malgré les apparences, les principes qu'il vient de poser.
C’est toujours l’idée de loi naturelle implicitement
admise. 4
I
IV. Forlbonnais. 5
Fortbonnais, lui non plus, n ’a pas sur l’ordre naturel
et sur les lois naturelles, un exposé d ’ensemble mais il
en a le sentiment et l’idée implicites.
A plusieurs reprises dans ses Principes Economiques
(1754), il laisse transparaître cette notion.
Pour lui la valeur se trouve fixée par quatre rapports:
1° le profit sans lequel la production ne se ferait pas ;
2° le rapport général fondé sur la combinaison ordi
naire de la production et de la consommation ;
3° le rapport relatif au bénéfice et aux dépenses des
agents de l’échange ;
4° le rapport établi par la convenance du prêt et la
promptitude de l’échange.
Tous ces rapports varient eux-mêmes sous l’action de
la concurrence.
Et Fortbonnais conclut :
« Ainsi aucune loi ne pourra fixer ces rapports sans
1 Essai sur le commerce. E d. citée, p. 174.
3 I b id ., p. 295. Cf. p. 264.
3 Ib id .} p. 371.
4 II envisage même, p. 382, l’action du gouvernem ent semblant
entraver le jeu d’une de ces lois.
6 1722-1800.
T
déranger l’harmonie de la circulation. Tout est dans
l'ordre tant que ces rapports se combinent librement
entre eux, suivant la juste proportion qui leur appar
tient, c’est-ù-dire tant que Futilité de la production et
Futilité des agents qui coopèrent à sa distribution suffi
sent pour les entretenir réciproquement dans l’activité :
car le profit est la mesure de toute espèce de travail et de
concurrence, de manière qu’aucun excès ne peut se sou
tenir dans ce genre : il se détruit lui-même par le cours
naturel des choses qui enchaîne ensemble les effets avec
les causes et les causes avec les effets. » 1
De même plus loin à propos de la cherté de certaines
denrées provenant de leur rareté naturelle, l’auteur
explique comment l’équilibre se rétablira : d’abord la
consommation diminuera. Mais « tant que des familles
resteront occupées, ce ne sera qu’un changement de
nom. Tout au plus le passage d ’un travail à l’autre
pourra-t-il alarmer un instant quelques-unes des profes
sions qui ont un rapport avec celle-là. Tout rentrera
promptement dans son ordre naturel par la force même
des choses qui commande de travailler et une bonne
administration y mettra des facilités. »
Il faudrait enfin pour être complet citer encore les
œuvres de Rousseau, 3 de d’Alembert. 4 de Diderot et de
Condorcet. 3
L ’idée de la nature vivifie et domine toute l’œuvre de
ces penseurs du xvm° siècle.
Ainsi de l’observation même des faits, plusieurs pré
curseurs très directs de l’idée de loi naturelle constata
tion ont dégagé certaines régularités, certaines constan
ces : ils ont implicitement l’idée de la loi naturelle éco
nomique sous sa forme moderne.
1 P rincipes économiques. E d. D aire. P aris, G uillaum in, p. 1S3.
p. 184.
3 Discours sur l ’o rig in e et le fondem ent de l ’inégalité parm i
les hommes, 1751.
4 E ncyclopédie, 1750-1770.
3 E squisse d ’un tableau historique du progrès de l’esprit
hum ain. P aris, 1795N otam m ent un texte formel à propos de la 9e époque. « Quelles
sont les lois suivant lesquelles ces richesses se form ent ou se
p artag en t, se conservent ou se consom m ent, s’accroissent ou se
dissipent?... »
2 Ib id .j
�CHAPITRE III
line une de geôle : Montesquieu
On prèle d’ordinaire à Montesquieu la véritable notion
de la loi naturelle moderne. Est-ce bien exact ?
Avec Montesquieu, 1 nous sommes en présence d’un
concept général de loi qui est bien voisin de l’idée
actuelle :
« Les lois dans la signification la plus étendue, sont
les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des
choses. » 2
Cette définition célèbre reconnaît bien à la loi scientifi
que les deux caractères que les modernes lui attribuent :
fatalité et constance. 3
Mais ce qui nous importe c’est, de savoir dans quelle
mesure Montesquieu l’étend aux lois morales, aux « lois
du monde intelligent. »
Ici la loi n’est, plus fatale : « Car quoique le monde
intelligent ait aussi ses lois qui par leur nature sont
invariables, il ne les suit pas constamment comtne le
monde physique suit les siennes. » Cela tient à deux
causes : d ’une part, l’ignorance et d’autre part la liberté.
Aussi, pour retrouver les lois de la nature, « ainsi
nommées parce qu’elles dérivent uniquement de la cons
titution de notre être », 1 faut-il considérer l’homme
avant l’établissement des Sociétés.
1 1689-1755.
2 M ontesquieu: E sp rit des lois 1748-1749. Chap. I, Liv. V.
3 « Ces règles sont un rap p o rt constam m ent établi ». Mon
tesquieu. Ib id .
4 Ib id . p. 6,
�I
mI
h
I
Montesquieu donne alors comme lois naturelles, la loi
de conservation, la paix, l’attrait social, le désir de vie
en société. 1 Ces lois sont identiques pour tous les
hommes, puisqu’elles reposent sur les caractères fonda
mentaux de la nature humaine.
Au contraire les lois positives sont éminemment
variables. 3
Ainsi la notion de loi naturelle se développe avec
l’auteur de VEsprit des Lois, mais ce n'est guère que
comme être physique que l’homme est gouverné par des
lois invariables : « comme être intelligent, il viole sans
cesse les lois que Dieu a établies et change celles qu’il
établit lui-même. » 3
Montesquieu, dès le début de son ouvrage 4 déclare
expressément :
« Les êtres particuliers intelligents pourront avoir
des lois qu’ils ont faites, mais ils en ont aussi qu’ils n’ont
pas faites. Avant qu’il y eut des êtres intelligents, ils
étaient possibles ; ils avaient donc des rapports possi
bles, par conséquent des lois possibles. Avant qu’il y eut
des lois possibles, il y avait des rapports de justice pos
sibles. Dire qu’il n’y a rien de juste que ce qu’ordonnent
ou défendent les lois positives, c’est dire qu’avant qu’on
eut tracé de cercle, tous les rayons n ’étaient pas égaux.
Il faut donc avouer des rapports d’équité antérieurs
à la loi positive qui les établit...
Mais il s’en faut bien que le monde intelligent soit
aussi bien gouverné que le monde physique ; car, quoi
que celui-là eut aussi des lois qui, par leur nature, sont
invariables, il ne les suit pas constamment comme le
monde physique suit les siennes. La raison en est que
les êtres particuliers intelligents sont bornés par leur
nature et par conséquent sujets à l’erreur ; et d’un autre
côté, il est de leur nature qu’ils agissent par euxmêmes ».
La loi naturelle économique pour Montesquieu
demeure une loi précepte : il n ’étend pas la notion de
loi constatation qu’il a si exactement dégagée aux faits
économiques.
Dans ce domaine, Montesquieu reste essentiellement
législateur. Pour lui il faut sans cesse intervenir :
l’homme peut et doit combattre pour faire exécuter la loi
naturelle.
« Quand la puissance physique de certains éléments
viole la loû naturelle des deux sexes et celle des êtres
intelligents, c’est, au législateur à faire des lois civiles
qui forcent la nature du climat et rétablissent les lois
primitives. » 1
Ailleurs, toujours à propos de l’influence du climat, il
oppose les mauvais législateurs qui ont favorisé les
vices du climat et les bons qui s’y sont opposés : « plus
les causes physiques portent les hommes au repos, plus
les causes morales les en doivent éloigner. » 2
Maintes fois nous rencontrons l’opposition ou la
conformité de la loi naturelle et de la loi civile et Mon
tesquieu est toujours partisan de l’accord : mais il ne
faut pas oublier que pour lui cette loi naturelle est essen
tiellement d ’ordre moral et contingent.
La conception d’ailleurs de loi naturelle économique
reste implicite et fragmentaire : ce point de vue éthique
du droit naturel continue à dominer tous les développe
ments de l’auteur.
Aussi est-ce à tort selon nous que l’on 3 a cherché une
contrariété et une opposition entre Montesquieu partisan
des lois naturelles et Montesquieu législateur convaincu.
Alors même que Montesquieu eût été davantage le
sociologue positiviste, le naturaliste historien et politi1 E sp rit des Lois. L ivre X V I, cliap. X II, p. 242.
2 E sp rit des Lois. L ivre X IV , cliap. V. Cf. Liv. V, chap. 8.
3 Faguet. Le XV II Ie s. M ontesquieu, p. 159: « Il arriv era, consé
quence assez piquante, que l ’inventeur même, en F rance, de la
sociologie fataliste, sera le plus déterm iné et le plus m inutieux
des législateurs, l’homme qui dira le plus souvent : « les légis
lateurs doivent faire ceci », comme s’il n ’était pas contradictoire
qu’ils eussent quelque chose à faire »,
�que qu’on relève si finement, il aurait pu tout aussi bien
et en meme temps sans aucune contradiction être le
législateur, l’interventioniste qu’il a été. On ne saurait
trop le redire, croire que la nature obéit à des lois,
n’empêche nullement d’intervenir : au contraire, c’est
un motif de plus d’intervention puisque l’on peut agir
à coup sur.
Mais ce serait voir l’Esprit des Lois à travers le cours
de Philosophie positive que de prêter à Montesquieu
une attitude scientifique aussi marquée au point de vue
social. Il reste avant tout moraliste comme ses devan
ciers, il est juriste avant que d’être savant et l’idée de
justice domine sa pensée.
Malgré les apparences, la loi naturelle chez Montes
quieu n’a pas changé de caractère : il apporte seulement
une formule qui s’adaptera parfaitement par la suite à
la notion de loi constatation que nous attendons : luimême, réserve le rapport nécessaire au monde physique
sans l’étendre au monde moral.
Les Physiocrates en ont d’ailleurs le sentiment très
exact. Voici comment Dupont de Nemours 1 apprécie
l’œuvre de Montesquieu : « Songez que Montesquieu luimême, si digne à tous égards d’instruire solidement le
genre humain, nous a dit, comme un autre, que les
principes du gouvernement doivent changer selon la
forme de sa constitution et que, sans nous apprendre
quelle est la base primitive, quel est l’objet commun de
toute constitution du gouvernement, vous avez vu cet
homme sublime employer presque uniquement la finesse
extrême, la sagacité supérieure de son esprit pour cher
cher, pour inventer des raisons particulières à des cas
donnés. »
Celte interprétation de la position exacte de Montes
quieu dans l'évolution de l’idée de loi naturelle est
encore confirmée par l’un des derniers commentateurs
de Montesquieu, Lanson : a
« Sans doute Montesquieu n ’a distingué ni séparé
1 Origine et progrès d ’une science nouvelle. E d. Daire,
P’ 337* Lanson. Le Déterm inism e historique.
R^vue de métaphysique et de m orale, 1916, p. 188.
comme fera plus tard Auguste Comte, les deux étapes
de l’activité scientifique ; en premier lieu l’élaboration
désintéressée des vérités, indifférente à tout ce qui n’est
pas l’exactitude de la connaissance spéculative ; en
second lieu l’application pratique de la vérité où la
connaissance, tout cà l’heure fin suprême, fin unique du
savant, est mise au service de futilité sociale et devient
un moyen d’améliorer la vie, un instrument de bonheur.
Un peu hâtivement, un peu fiévreusement, avec une
belle impatience de l’intelligence et du cœur, Montes
quieu a confondu les deux étapes. Au risque de prendre
parfois ses conceptions pour des faits, ses aspirations
pour des lois et de mêler même, dans les témérités de
son idéalisme, des éléments moins précis, préjugés de
caste ou intérêts de classe, il n’a pas plus tôt entrevu les
vérités sociales qu’il s ’est précipité vers les applications,
sans s’arrêter longuement aux vérifications critiques,
aux autres preuves nécessaires... Il a voulu de la science
ébauchée des lois tirer un art de faire les lois.
Dans le monde moral la nécessité n’explique pas
l’existence. Les rapports nécessaires qui résultent de la
nature des choses ne se réalisent pas toujours, même
quand aucune impossibilité physique n’est constatée : il
dépend de la volonté humaine de les réaliser ou de ne
pas les réaliser. Le fait est souvent contraire à la loi et
la loi demeure vraie quand tous les faits la démentent. »*
Ainsi Montesquieu a bien formulé la loi constatation
moderne pour les sciences physiques : il n ’a pas cru
pouvoir en donner l’application dans les sciences mora
les, parce qu’il restait dominé par la loi naturelle
précepte.
Du point de vue de l’évolution qui nous préoccupe ici,
la fameuse formule la loi rapport nécessaire est une
sorte de trompe-l’œil : son œuvre est une impasse qui
n’aboutit pas à la loi constatation en matière économi
que et sociale.
1
Plus loin Lanson ajoute ces deux form ules intéressantes :
ainsi la nature c’est au sens physique « l'ensem ble des phénom è
nes, tout ce qui est, et au sens m oral l ’ensemble des rapports
idéaux, ce qui doit être et souvent n ’est pas »,
�CHAPITRE IV
La Loi naturelle chez les myslocrates
Pour bien comprendre l’apport des Physiocrates, il
importe, semble-t-il, d ’étudier successivement :
§ I. L’œuvre des Physiocrates,
i§ IL Les adversaires des Physiocrates.
i I . L ’O E u v r e des P hysio crates 1
L’œuvre originale des physiocrates lut précisément
de fondre intimement ces deux idées de l’ordre naturel,
de source différente, l’idée morale et ridée scientifique.
11 nous faut étudier maintenant dans leur œuvre cette
combinaison nouvelle et voir comment ils y ont réussi.
L’idée d’ordre naturel est, comme on le sait, une des
pièces fondamentales du système physiocratique. Trois
des principaux économistes de cette école y ont parti
culièrement insisté. 2
C’est d’abord Quesnay 3 dans un travail paru en 1765
dans le Journal de l’agriculture.
1 Cf. W eulersse. Le m ouvem ent physiocratique en F rance,
*756-1770. 2 vol. P aris, A lcan, 1910, surtout tome II, p. 111.
2 Nous ne parlons ici ni de l’abbé B audeau, Introduction à
la philosophie éco n o m iq u e,— ni de L etrosne: De l’intérêt social
par rapport à la valeur, à la circulation, à l ’industrie et au com
merce extérieur ou intérieur, où la notion d ’ordre n aturel tou
jours présente, comme chez tous les physiocrates, est exposée
d’une m anière beaucoup moins systém atique.
3 Quesnay, 1694-1774.
�—
38
—
39
—
C’est ensuite Mercier de la Rivière 1 dans son ouvrage
L'ordre naturel et essentiel des sociétés politiques, 17G7.
C’est enfin Dupont de Nemours 2 dans le petit traité
intitulé : De l'origine et du progrès d'une science
nouvelle, 1768.
La théorie est d’ailleurs la même chez ces trois
auteurs : nous la rappellerons brièvement en prenant
pour guide surtout Dupont de Nemours, dont la conci
sion remarquable facilitera cet exposé.
Il ne sera pas inutile de faire remarquer tout d ’abord
que la science nouvelle, c'est l’économie politique dont
il s'agit, doit reposer précisément sur la connaissance
de l’ordre naturel. Dupont de Nemours l’indique formel
lement dans l’article préliminaire qu’il publie en sep
tembre 1765 comme préambule à l'article de Quesnay
sur le droit naturel.
« Nous l’avons dit dans notre préface, c’est la connais
sance de l’ordre et des lois physiques et naturelles qui
doit servir de base à la science économique. Nous ne
saurions trop le répéter à nos lecteurs, car cette grande
vérité fondamentale fait disparaître tous les préjugés vul
gaires et tous les raisonnements captieux que de fausses
combinaisons et des intérêts mal entendus ont introduits
dans une science où l'erreur est si dangereuse. Et pour
peu qu’on se livre à la réflexion, on sent évidemment que
les lois souveraines de la nature confirment les principes
essentiels de l’ordre économique ». Le travail de Ques
nay y est présenté comme la base solide qui doit porter
tout l’édifice.
Les physiocrales supposent volontiers les hommes à
l’état de nature, avant l’existence de la société civile.
Mais une sensibilité involontaire au plaisir et au mal
physique les avertit perpétuellement qu’ils ont un devoir
essentiel à remplir : celui de pourvoir à leur subsistance.
Or « pour remplir ce but essentiellement marqué par la
1 Mercier de la Rivière, 1720-1793.
* Dupont de N em ours, 1739-1817.
nature »*, leur constitution physique leur indique qu’il
n ’y a qu’un seul moyen : « Car il ne peut rien y avoir
d’arbitraire dans des actes physiques tendant à une fin
déterminée » 2. Il y a une roule nécessaire pour atteindre
ce but. 11 y a donc conclut Dupont de Nemours, « un
ordre naturel essentiel et général, qui renferme les lois
constitutives et fondamentales de toutes les sociétés ».
Ainsi la société — et par là les physiocrales entendent
à la manière de Rousseau la convention entre les hommes
— se trouve posée d’une manière fatale par l’existence
même de l’ordre naturel, « cet ordre, dit Dupont de
Nemours, duquel les sociétés ne peuvent s’écarter sans
être moins sociétés, sans que l'état politique ait moins
de consistance... » et qu’on ne peut abandonner entière
ment sans risquer la disparition de la société et même
la destruction absolue de l’espèce humaine.
Cet ordre, les physiocrales du moins le prétendent et
nous aurons à examiner si l’assertion est exacte, est
entièrement fondé sur les lois physiques 3.
Mercier de la Rivière le définit ainsi : « L ’ordre
essentiel à toutes les sociétés particulières est l'ordre des
devoirs et des droits réciproques dont l ’établissement
est essentiellement nécessaire à la plus grande multipli
cation possible de productions, afin de procurer au genre
humain la plus grande somme possible de bonheur et la
plus grande multiplication possible ». 1
Voici donc maintenant qu’on nous parle de droits et de
devoirs : c’est que la fusion dont nous parlions s'est
opérée : la loi naturelle physique implique la loi morale,
par le seul fait de son existence. On connaît sur ce point
les célèbres définitions de Quesnay :
« On entend ici par loi physique le cours réglé de tout
événement physique de l’ordre naturel évidemment le
plus avantageux au genre humain. s
1 A rticle dans le prem ier num éro du jo u rn al Y A gricu ltu re, du
comm erce et des finances. — Cf. O ncken, Œ u v res économiques
■et philosophiques de F . Q uesnay, p. 362.
2 D upont de N em ours. O rigine et progrès d ’une science nou
velle, éd. D aire, p. 337.
3 Ib id ., loc. cit.
4 Cf. D upont de N em ours, loc. cit., p. 338.
6 Quesnay. D roit n atu re l, éd. O ncken, p. 374.
�40
#
—
On entend ici par loi morale la règle de toute action
humaine de l’ordre moral conforme à l’ordre physique
évidemment le plus avantageux au genre humain. »
L’un et l’autre — qui forment la loi naturelle, — sont
immuables et irréfragables. Si ces lois sont violées, car
les ignorants ont le pouvoir physique de tomber dans de
grandes erreurs, les hommes éclairés et raisonnables
étant au contraire guidés par l’évidence, « elles sou
mettent les contrevenants à des punitions très sévères
inévitablement attachées à ces erreurs ». 1 Aussi bien
les nations s ’exposent-elles aux plus grands malheurs
si elles croient pouvoir se gouverner ou être gouvernées
arbitrairement, car « la nature nous a environnés de lois
suprêmes, et d ’un enchaînement physique et inviolable
de causes et d’effets qui ne laissent à notre intelligence
et à notre liberté que le soin de les étudier et d’y confor
mer notre conduite, pour profiler des avantages qu’elles
nous offrent, et éviter les maux qu’elles nous attireraient
inévitablement si nous refusions ou si nous négligions
de nous éclairer sur l'ordre qu’elles constituent et de
nous soumettre à ce qu'il nous prescrit ». 2
Comment cet ordre comprend en première ligne la
propriété avec ses corollaires de liberté et de sécurité,
comment toutes les théories physiocratiques sur le pro
duit net de l’agriculture et sur l’impôt en découlent, c’est
ce qu’il est superflu de rappeler ici.
Nous achèverons seulement cet exposé quelque peu
ardu de tordre naturel chez les physiocrales en insis
tant sur le caractère d’évidence. « Les lois positives ne
doivent être que des manutentions relatives à l’ordre
naturel évidemment le plus avantageux au genre
humain » s. Le souverain doit seulement porter à la
connaissance de tous, déclarer les lois essentielles de
l'ordre social : il ne les fait pas.
1 D upont de Xemours. O rigine et progrès d ’une science nou
velle, éd. D aire, p. 351.
s « La loi de propriété établie sur l'ordre physique et dont la
connaissance évidente est donnée par la nature à tous les hom
mes, renferm e en son entier l ’ordre essentiel des sociétés ».
M ercier de la Rivière, Ordre essentiel des sociétés, éd. D aire,
p. 607.
3 Quesnay. D roit naturel, éd. Oncken, p. 375.
—
41
***
Telle est bien, croyons-nous, l’attitude originale des
physiocrales dans la discussion sur l’ordre naturel. Elle
résulte de l’exposé même de leurs théories sur ce point.
U y a plus : ils en ont eu assez nettement conscience
et c’est ce qu’il faut essayer d’indiquer maintenant.
Nous en trouvons la preuve dans la série d’articles
parus dans les Ephémérides du citoyen à propos d’un
ouvrage contemporain : L ’histoire moderne du droit
naturel, par Ilubner.
Dans l’un de ces articles, l'auteur, qui est probable
ment Dupont de Nemours, reproduit l'analyse de tous
les auteurs principaux qui ont parlé du droit naturel,
Grotius, Selden, Pufendorf, Hobbes, Cumberland.
Après avoir résumé la thèse de ce dernier, en indiquant
qu’il établissait pour fondement de ses principes, la
bienveillance universelle envers tous les êtres raisonna
bles, naturelle à l’homme, abrégé de ses devoirs et
source de tous ses biens, l’auteur ajoute celte apprécia
tion significative :
« On voit qu’il ne manquait à cette doctrine que
d ’expliquer par l’ordre physique comment s:opère le bien
de tous. Le bon évêque de Pelerborough est un des plus
dignes précurseurs de la science » \
De même à propos de Ilubner lui-même qui avait
défini le droit naturel : « L’assemblage des règles obli
gatoires que la seule raison nous prescrit, pour nous
conduire sûrement à la félicité, considérée comme autant
de Loix que l’Etre suprême impose aux hommes »,
l'auteur remarque :
» Il ne lui fallait plus qu’un pas : il parait même
aujourd’hui peu difficile à faire, depuis que le maître
(c’est de Quesnay qu’il s ’agit) nous l’a montré : il fallait
voir que la félicité des hommes suppose ce grand et
unique fondement, subsistances abondantes, c’est-à-dire
propriété et liberté, que c’est sur ces lois physiques,
1 E p h ém érid es du cito yen , II, p. 181, éd. 1767. L ’article a pour
titre: E ssai sur l ’histoire du droit n atu rel ». C ritique de la
seconde partie qui traite de l ’histoire moderne.
�visibles et palpables, constantes et inaltérables, que
l’Auteur de la nature a fondé l’ordre évidemment le plus
favorable à l'espèce... » que la raison n’a qu’à recon
naître cet ordre naturel, qu!à développer ses conséquen
ces évidentes ; qu’à les appliquer par une suite non
interrompue à toutes les variétés physiques, pour en
tirer avec une certitude entière toutes les règles du droit
social, du droit national et du droit des gens \
Enfin, à propos de tous les théoriciens du droit naturel
dans leur ensemble, la même réflexion se retrouve
encore : le problème était de ramener la science à l’ordre
physique, aux moyens d’assurer et de multiplier les sub
sistances au cours sensible de la nature, aux démons
trations visibles et palpables qui sont sur la terre.
Et ce n ’est pas sans une grande fierté que l’auteur
constate le déplacement des points de vue : la nouvelle
science, puisqu’elle porte sur les biens réels dont
l’homme est le plus occupé, est la plus intéressante,
« comme elle est la plus facile et la plus sûre, n’étant
fondée que sur l’observation des règles permanentes que
suit la nature dans la naissance de ses productions » 2.
Sans doute il ne s’agit ici que d:une interprétation
isolée et on tentera peut-être de dissocier le côté écono
mique de l’œuvre des physiocrates de son aspect moral
et juridique. Cependant Dupont de Nemours occupe une
place assez considérable, sinon dans la formation, au
moins dans la diffusion des idées de l'école, pour qu’il
soit légitimement permis de s ’appuyer sur son œuvre
pour retrouver le lien cherché entre les théories du droit
naturel et la conception nouvelle.
Letrosne, d ’ailleurs, laisse également voir le même
point de vue : « On a fait prévaloir sur l’intérêt social,
des intérêts très subordonnés et souvent très contraires,
et ces fausses opinions ont conduit à blesser en même
temps les lois de la reproduction et celles de la justice,
dont l’accord forme l’ensemble des lois sociales » s.
1 Ib id .j II, p. 12 1.
2 Ib id ., II, p. 118.
s Le Trosne. De l ’intérêt social, 1777, introduction, éd. D aire,
p. 888. — M. Denis. Hist. des systèmes économiques et socialis
tes, p. 76, rapporte un autre texte de Le T rosne encore plus
Ainsi, à n’en pas douter, dJaprès les textes nombreux
que nous avons rapportés, la loi naturelle pour les phy
siocrates est à la fois morale et scientifique, morale parce
que scientifique et peut-être aussi scientifique parce que
morale.
Mais la fusion est-elle acceptable ?
Si l’on cherche à préciser de quelle manière les lois
naturelles s ’imposent dans le système physiocratique, on
constate que c’est au fond par un acte de foi en leur
bonté : les lois naturelles sont les meilleures possibles
pour le genre humain, parce qu’elles émanent directe
ment de la divinité, du législateur suprême, qui a tout
organisé pour que le meilleur résultat s ’ensuive pour
quiconque les observe.
C’est là un point qui n’a pas toujours été assez mis
en lumière 1 dans le système physiocratique, c’est cepen
dant à notre sens, un point certain.
Ceci résulte d’abord de nombreux textes des physio
crates où ce caractère de leur bonté certaine à cause de
leur origine est nettement affirmé.
« Nous voici donc, écrit Mercier de la Rivière 2, sons
aucun effort parvenus à la connaissance suprême du
juste et de l'injuste absolus ; nous possédons le premier
principe de tous les devoirs réciproques qui nous sont
imposés par un ordre immuable, qui est la raison uni
verselle ; nous connaissons celle loi qui est écrite dans
tous les cœurs, dans ceux même qui sont assez malheu
reux pour être privés du jour que répand le flambeau de
la foi ; cette loi qui nous est enseignée par la nature et
dont on ne peut s’écarter sans crime ; cette loi dont
l'institution est l’ouvrage d ’une sagesse qui gouverne
l’univers par des règles invariables ; cette loi qui est
significatif dont nous n ’avons pu retrouver la référence exacte.
<( C ’est cette liaison entre la loi de justice qui renferm e les
d oits et les devoirs de l’homme social, et les lois de la repro
duction et de la distribution des subsistances que les philosophes
n ’ont pas saisie, et c ’est en cela que la science économique est
vraim ent nouvelle ».
1 Cf. C ependant Denis. H ist. des syst. économiq. et socialistes.
2 O rdre n aturel des soc. politiques, éd. D aire, p. 612. T out ce
texte est nourri de citations de saint P aul et de saint Thomas
expressém ent indiquées.
�—
44
—
moins un présent de la divinité, que la divinité ellemême ; de manière que pécher contre la loi, c'est pécher
contre la Divinité ».
A défaut de textes aussi formels que celui-ci et qui sont
nombreux dans l'o uvre des physiocrates \ celle bonté et
celte origine divine de la loi naturelle résulteraient
encore du caractère d’éternité et d’universalité de ces
lois constamment admis.
Toutes les nations seraient gouvernées par des lois
parfaitement semblables dans ce qirelles ont d’essentiel
si toutes s ’étaient élevées à la connaissance du juste et
de l’injuste absolus, à la connaissance de cet ordre
immuable par lequel l’auteur de la nature s’est proposé
que les hommes fussent gouvernés dans tous les lieux
et dans tous les temps et auquel il a attaché leur meilleurétat possible 2.
Dupont de Nemours 3 déclare que ce sont les lois
nécessaires de gouvernement fait pour l’homme, « et
propre à l’homme de tous les climats et de tous les
pays ». L'abbé Baudeau affirme 1 que ces lois existent
éternellement, d’une manière implicite, dans un code
naturel, général, absolu, qui ne souffre jamais d’excep
tions, jamais de vicissitudes.
Mais quelle est la valeur de celte affirmation, au point
de vue scientifique ; les lois naturelles existent et sont
obligatoires parce qu'elles sont les meilleures possible.
11 faut bien l'avouer : cette assertion, au point de vue
de la science moderne, n’a jamais eu et ne saurait avoir
l’allure scientifique : les lois naturelles des physiocrates
sont au fond plus près de l’idée de Cumberland que de
celle de Montesquieu.
Sans doute pour une part ces lois sont des lois néces
saires, puisqu'elles reposent sur la nature physique :
ainsi la double donnée du besoin physique de subsis
tance et de la productivité de l’agriculture sont même
1 M ercier de la Rivière, ib id ., p. 628, 638, éd. D aire ; Abbé
Baudeau. Introduction à la philosophie économique, éd. D aire,
p. 798.
! M ercier de la Rivière, éd. D aire, p. 526.
3 Orig-ine et progrès d ’une science nouvelle, p. 364.
4 Introduction à la philosophie économique, éd. D aire, p. 789.
—
45
—
des lois d ’ordre physique. Mais à pousser plus loin, à
reprendre toute la déduction par laquelle à partir de
ces bases, les physiocrates édifient tout l’ordre naturel,
on s ’aperçoit qu’on quitte bien vite le terrain des faits,
des constatations nécessaires pour arriver à celui des
déductions et des hypothèses. La loi sociale, d’une cons
tatation, devient un vœu : elle perd par là-même cette
force d’évidence dont on la croyait armée.
Ainsi la fusion des deux notions de loi naturelle ne
s ’est faite qu’artificiellement : l’idée scientifique de
rapport nécessaire masque tout l’ordre naturel qu’on
prétend lui faire supporter, mais l'édifice déborde singu
lièrement les fondations : la science n ’a pas encore
triomphé des éléments éthiques qu’on prétendait
éliminer.
Aussi malgré leur étonnement, les physiocrates ont
des adversaires et des contradicteurs à propos de l’ordre
naturel : il est curieux de voir comment Dupont de
Nemours constate avec indignation que certains échap
pent à l’évidence du système.
« Croirait-on cependant que, malgré l’évidence des
vérités souveraines qui nous manifestent les lois de ce
gouvernement physiocratique, il se trouve encore des
hommes, il se trouve encore des écrivains et des écri
vains qui prétendent avoir étudié ces vérités » et qui
mettent en doute soit l’existence de l’ordre naturel, soit
la possibilité de connaître, soit la nécessité de s’y sou
mettre ? « Non sans doute, ou ne le croirait pas, et la
postérité qui ne verra point leurs écrits, sera surprise
d’apprendre qu’il en fut jusqu'à trois que je pourrais
citer » h
On ne peut pousser plus loin la confiance en la bonté
et la vérité de sa doctrine.
Malgré tout la postérité 3 a vu les écrits de ces adver
saires et il nous faut maintenant les suivre dans leurs
discussions sur l’ordre naturel.
1 D upont de N em ours. O rigine et progrès d ’une science nou
velle, éd. D aire, p. 365.
2 K. Marx. (Le C a p ita l , p. 89), écrit: « L ’erreu r des P hysiocra
tes ne consiste q u ’à avoir conçu la loi n atu relle d ’un stade social
historique donné comme une loi abstraite régissant égalem ent
toutes les formes de la société. »
�—
III. L es
adversaires des ph ysiocrates
Ces trois adversaires, que Dupont de Nemours eût pu
citer, étaient vraisemblablement : Mably, Galiani et
Linguet. 1
Mably semble avoir envisagé la question de l’ordre
naturel dans son ensemble. Aussi bien a-t-il la prétention
de répondre directement à Mercier de la Rivière.
Il publie en 1768 ses Doutes proposés aux philosophes
économistes sur l'ordre naturel et essentiel des Sociétés
politiques 2.
Les précautions sont très habiles et le ton de la dis
cussion des plus enjoués. L’évidence est sans doute un
obstacle, mais l ’auteur ne s’y arrête pas 3 ; très habile
ment. c’est au nom de l’évidence elle-même que l’auteur
prétend parler :
« Ce s doutes que je prends la liberté de vous proposer
paraîtront peut-être ne pas mériter votre attention ; mais
ce qui est obscur pour moi peut n’être pas assez clair
pour un grand nombre de lecteurs ; il importe à l’évi
dence destinée à jouer un si grand rôle dans le système
de notre ordre social que rien ne puisse retarder son
triomphe ».
Dans le désordre apparent où elles se présentent, les
objections de Mably peuvent se ramener à trois idées
principales :
1° L’ordre naturel, tel que les physiocrates le décri
vent, ne lui paraît pas conforme à la nature ; en un mot,
il discute la consistance même de cet ordre ;
2° Mably conteste que cet ordre soit un ordre pure
ment physique ;
3° L’évidence et le despotisme légal lui paraissent des
moyens inefficaces pour la réalisation de cet ordre
naturel.
Insistons quelque peu sur cette simple critique qui
semble confirmer historiquement l’appréciation portée
1 Mably 1709-1785. G aliani 1728-1787. L inguet 1736-1794.
5
Œ uvres complètes de l ’abbé de M ably.Paris, D esbrière, t. X I,
éd. de 1794-1795.
3
<f Je vois cju’on y parle beaucoup d'évidence et il me semble
que rien n ’y est évident. J ’ai lu, j ’ai relu et loin de voir se
dissiper mes doutes, je les ai vus se m ultiplier »,
47
—
ci-dessus de la notion de loi naturelle chez les
physiocrates.
L’auteur des Doutes sur l’ordre naturel rappelle très
exactement la thèse physiocratique sur l’union intime des
trois formes de propriété — personnelle, mobilière, fon
cière. Mais cette dernière est. pour lui une institution
établie postérieurement et aussitôt, comme pour les phy
siocrates, l’objection se présente :
« Je demande pourquoi une institution arbitraire des
hommes et qu’ils auraient pu ne pas établir ne peut être
changée sans ruiner l’ordre même de la nature » \
Telle est la thèse qui est amplement développée dans
les deux premières lettres ; tout concourt à accentuer
l’opposition : d’une part, le caractère artificiel de la
propriété foncière (celle-ci n’existe pas partout) ; d’autre
part, les troubles el les désordres amenés par l’existence
de celte même propriété (celle-ci entraîne à sa suite de
criantes inégalités). « Que je crains, conclut Mably, que
notre ordre naturel soit contre nature ! » 11 se refuse
à trouver l’ordre naturel et essentiel de la société dans
ce qui en fait précisément le désordre.
Ce désaccord se produit d ’ailleurs sur bien d’autres
points 3.
Et l’auteur serait assez tenté de lui substituer un autre
ordre naturel, le sien, qui serait l’égalité dans le commu
nisme par un retour à l’égalité voulue par la nature.
L ’ordre naturel de Mably ne s’impose pas d’ailleurs,
pas plus que celui des physiocrates, puisque comme lui
il est a priori et déduit d’un idéal éthique.
En second lieu, Mably conteste que l’ordre naturel soit
un ordre purement physique. Et ici, faisant un usage
très habile de certains textes de Mercier de la Rivière
lui-même, il n’a pas de peine à montrer que des causes
morales ont très certainement concouru à la formation
de la société ; l’appétit des plaisirs et l’aversion des
douleurs sont les qualités morales qui ont dû réunir les
hommes en société ; s’il est manifeste qu’il nous est phy1 Doutes sur l ’ordre naturel des sociétés politiques, éd. citée,
page 5.
2 Ib id .j p. 10.
3 Cf. p. 33.
�—
siquemenl impossible de vivre sans subsistance, il n’est
pas moins évident que nous ne pourrons être en société
sans qualités morales. « Pourquoi, dès lors, séparer ce
que la nature a joint pour ne faire qu’un tout moitié
physique et moitié moral » ? 1
Sur ce second point, la critique de Mably paraît égale
ment fondée : sans doute, la manière dont il la développe
est peu profonde et on croirait en apparence à une pure
question de mots, mais au fond des choses, il a bien vu,
par sentiment plutôt que par raison, que l’ordre des
physiocrates n'est pas purement physique : en restituant
les éléments moraux, « les vertus sociales qui serviront
de base au bonheur de la société », c'est toute la discus
sion qui est ouverte, c’est toute la nécessité prétendue
qui s ’effondre.
Enfin — et c’est la troisième idée à laquelle on peut
ramener ses critiques — Mably conteste que l’ordre natu
rel une fois connu tende à s’établir par la seule force de
l’évidence.
C’est la thèse de l’évidence qui est ici attaquée tout
entière : « Je nie tout cela, Monsieur, premièrement,
quand on présenterait aux hommes le véritable ordre de
la nature qui, selon moi, consiste dans la communauté
des biens et légalité des conditions, je conviens très
franchement qu’il ne ferait aucune impression sur leur
esprit : des barrières insurmontables nous séparent pour
jamais de ce bonheur.
« En second lieu, je soutiens que quand le système de
notre auteur offrirait tout ce qu’on peut imaginer de plus
sage pour remédier à la situation déplorable où la pro
priété foncière nous a jetés, ces grandes vérités ne
seraient point l’objet de l’ambition des hommes » \
En un mot, l’ordre naturel, pour bon cl excellent qu’il
soit, n’a pas en lui-même de quoi s’établir ; il n’est pas
nécessaire, dirions-nous aujourd’hui.
II n’est pas nécessaire parce qu’il va contre le senti
ment naturel que chacun possède : on ne peut faire croire
1 « Permettez-moi à présent de vous dem ander si l’ordre essen
tiel auquel la nature appelle les hommes est celui que nous pré
sente notre auteur ». Ib id ., p. 13.
* Ib id . , p. 24.
49
—
aux hommes qui n’ont rien, qu’ils sont dans l’ordre où
ils peuvent trouver la plus grande somme possible de
jouissance et de bonheur. La comparaison que chacun
fait de sa fortune à celle de son voisin empêche qu’on
parvienne à lui démontrer qu’une erreur est une vérité.
Il n’est pas nécessaire, parce qu’on n’a pas tenu
compte de la nature, de la force, de la ruse et de l’auto
rité des passions : « celles-ci vont renverser tout l'édifice
qu’on veut élever avec la baguette de l’évidence » *.
Et, par une très juste critique, avec de grands ména
gements de forme, l’auteur montre que l’évidence n’a
point la force qu’on lui prête ; c’est l’opinion qui a
l’empire qu’elle revendique. Par là même, le despotisme
légal qui devait assurer la réalisation de l’ordre naturel
est lui-même aiteint ; d ’ailleurs la nécessité même de
cet ordre n’est-elle pas un premier argument contre la
force de l’évidence ? *
Avec toutes ces critiques de détail, Mably a parfaite
ment touché le point faible de l’ordre naturel, tel que
le concevaient les physiocrates ; il ne s ’impose ni à la
science, ni à l’action ; nous savons pour quelles raisons.
Mais, il faut bien y insister en terminant avec Mably,
nulle part il n’attaque de front pour la ruiner l’idée même
de cet ordre naturel ; il admet même formellement l’exis
tence de ces lois naturelles, « ce n’est certainement pas
une vérité nouvelle que les lois positives ne doivent
être que le développement des lois naturelles, et ne servir
qu’à en faire l’application aux différentes circonstances
dans lesquelles les hommes se trouvent successivement »'.
En un m ot il a entrevu, plus encore qu’il ne les a
directement visées, les lacunes de la théorie physiocratique, mais il en conserve l’idée maîtresse en la rame
nant fortement vers l’idée morale d’où elle procédait en
partie.
Galiani touche moins directement en apparence à la
question de l’ordre naturel, mais sa critique va, par
contre, beaucoup plus loin.
1 Ib id . , loc . cit . , p. 37.
3 Ib id . , loc . cit . , p. 45.
3 Ib id . , p. 56.
�—
C’est dans le huitième de ses célèbres dialogues sur le
commerce des blés \ que la discussion est habilement
amenée par un de ces détours à la fois si gracieux et si
imprévus dont ce livre est rempli, sur la nature et la
confiance que nous pouvons avoir en elle. Le chevalier
qui représente ici l’auteur interrompt le président au
moment où il vient d’affirmer qu’il faut laisser agir la
nature.
« La nature I ne vous y fiez pas » a !
La discussion prend aussitôt une allure plus philoso
phique que proprement économique.
En un langage élevé il oppose la nature, ce quelque
chose d’immense, d ’indéfini, digne ouvrage de son Créa
teur, à la faiblesse de l’homme, un atome, un insecte, un
rien. La disproportion est trop grande ; il ne faut pas
faire alliance avec la nature, le métier de l’homme ici-bas
est de la combattre. « Avec notre petit art et l’esprit que
Dieu nous a donné, nous livrons bataille à la nature, et
nous parvenons souvent à la vaincre et à la maîtriser en
employant ses forces contre elle. Combat singulier et qui,
par là, rend l’homme l’image de son créateur » *.
Tandis que le président se déclare partisan du système
physiocratique avec ses trois points fondamentaux :
nature, liberté, équilibre, le chevalier déclare :
« Rien n’est si vrai, rien n’est si faux. Que la nature
en liberté tende à l’équilibre, c’est une vérité lumineuse
dans la tête d’un métaphysicien ». C’est une vérité parce
que l’on voit alors les causes et les effets, on fait des
compensations et on prend des termes moyens. Mais
pour un praticien celle assertion devient très fausse,
« parce que l’homme, lorsqu’il agit, devient aussi petit,
aussi faible qu’un animal de cinq pieds doit être, parce
qu’il sent alors le frêle de sa structure, le court espace
de sa vie, l’instantanéité de ses besoins et qu’il ne peut
rien compenser, rien abattre sans souffrir et sans
mourir ». *
—
L’idée s’éclaire par l’application qui en est faite au
commerce des blés. Il est certain, d’une part, que les
prix des blés laissés en liberté tendent à se mettre en
équilibre, à cause du jeu de l’offre et de la demande.
Mais ceci ne se fait pas en un instant : il faut du temps
pour envoyer par poste les demandes de blé, il faut du
temps pour que le blé arrive et si cet espace est de
quinze jours et que vous n ’ayez des provisions que pour
une semaine, la ville reste huit jours sans pain, et cet
insecte appelé homme n’en a que trop de huit jours de
jeûne pour mourir : ce qui n’était pas à faire.
Ainsi le théorème va bien, mais le problème va fort
mal l. Cette discussion, éclairée d ’ailleurs par l’idée
d’ensemble qui se dégage de tous les dialogues, idée
d’essentielle contingence et de variété presque indéfinie
des circonstances, nous permet de préciser l'attitude de
Galiani vis-à-vis des physiocrates.
Pour lui, l’ordre naturel est essentiellement théorique :
il repose sur des moyennes et des compensations. Il ne
correspond pas à la réalité d’aujourd’hui ou de demain.
Du terrain scientifique, nous sommes vite raipenés sur
le terrain de la politique sociale, qui n’est autre que la
science de prévenir ou de parer les mouvements instan
tanés qui se font par des causes extraordinaires.
Sans doute, comme on le voit, la critique est surtout
faite au point de vue de la liberté économique : mais
cet intervenlionisme possible et même nécessaire, pour
employer un terme contemporain, n’implique-t-il pas
comme conception scientifique quelque chose de plus
souple et de moins rigide que l’ordre naturel physiocralique, quelque chose qui nous écarte notablement
d ’une idée de loi naturelle absolue et nécessaire : l’action
économique et politique reparaît au premier plan comme
au temps du mercantilisme ou plus exactement peut-être
l’ordre naturel, s’il existe, est tellement général, telle
ment lointain, tellement large, qu’il laisse toute possi
bilité d ’action aux forces de l’homme.
1 1770. D ialogues sur le com merce des blés, éd. D aire, M élan
ges, t. X, de la Collection des g ran d s économ istes.
* Ed. citée, p. 153.
* G aliani, loc. cit., p. 153.
* Ibid.,, p. 154.
51
1 Ibid., loc. cit., p . 156 ,
�Galiani semble avoir enfoncé comme un coin entre les
deux aspects de la notion d'ordre naturel physiocratique : la fusion tentée n’était pas bien solide.
Le troisième adversaire des physiocrates est moins
connu : c’est Simon-Nicolas-Henri Linguet.
Il avait publié, en juin 1709, un ouvrage intitulé :
Théorie des lois civiles ', dans lequel il indique comment
pour lui c’est la société qui a produit des lois et non les
lois qui ont produit la société. La thèse s ’oppose direc
tement à celle des physiocrates. Pour Linguet, la loi est
une pure convention civile faite apres coup par les
hommes. La manière dont il établit ce point fondamen
tal ne manque pas d’originalité : la loi, comme règle
commune, suppose des rapports qu’elle vient de régler ;
mais ces rapports eux-mêmes doivent préexister aux
lois pour qu’on pense à les réglementer. « L ’alliance,
c’est-à-dire la société, existait avant qu’on s ’avisât de la
jurer : elle était réelle avant qu’on eût pensé à y join
dre ni formalités ni conditions » *.
On pense bien qu’une pareille théorie devait soulever
de multiples controverses de la part des Economistes.
Devant leurs attaques d ’autant plus vives (pie Linguet
avait pris le ton d’une polémique de presse, il réplique
par des Lettres sur la théorie des loix, publication parue
comme anonyme en juin 1769. Dupont de Nemours, dans
les Ephémérides, Delaharpe, dans le Mercure de France
lui répondent et la polémique se poursuit. En 1771, Lin
guet réplique par une « Réponse aux docteurs modernes
ou apologie pour l'auteur de la théorie des loix et des
lettres sur celle théorie arec la réfutation du système
des philosophes économistes » s.
Nous négligeons ici tout le côté polémique de l'ou
vrage 4 qui est cependant fort curieux, pour ne retenir
1 Théorie des lois civiles ou principes fondam entaux de la
société. Londres, 1767. — Cet ouvrage, assez rare, est à la Biblio
thèque N ationale sous la cote: Inventaire F. 25605.
1 Théorie des lois civiles, éd. citée, I, p. 236.
* 2 vol., 1771, Bib. N at., R. 21096-7.
4
Linguet traite les économistes d ’anabaptistes de la philoso
phie, il les com pare à une secte: « Vous n ’étes pas une secte !
mais n'avez-vous pas un cri de ralliem ent? N ’avez-vous pas des
(jue la réfutation de Linguet sur la question de l’ordre
naturel.
C’est d ’abord une critique d ’ensemble : il vient de
rappeler l’ordre naturel pour lequel les Economistes sont
si enthousiastes ; belle utopie !
« Quel est l’homme assez sol pour croire de bonne foi
que l’ordre, la science et tous les docteurs du monde
ôteront aux grands leurs passions, aux petits leurs
besoins, au travail la peine qui l’accompagne, au luxe
les vices qui en sont inséparables, à la société l’inconvé
nient qui en fait le caractère fondamental, celui de ne
consister qu'en privations et en jouissances » 1 ?
Comment parler d’ordre sans désordre, de production
sans destruction, de lois sans abus ? Tout cela n ’est
qu’un aspect des choses et la réalité est bien différente :
« Toutes ces sottises romanesques sont bonnes dans l’ile
d ’Eldorado ; mais est-ce à des hommes réels, à des
hommes raisonnables qu’on doit présenter de pareils
fantômes » 3 ?
Les physiocrates appuient l’ordre naturel sur l’évi
dence et c’est à celle-ci que Linguet s'attaque ensuite.
Il la discrédite d’abord par une ironie mordante ; grâce
à elle, un chasseur de Royal Soubise ne se prêtera plus
à une maraude ; les grenadiers, soutiens de l’ordre, en
seront les apôtres. « Il faudra bien que cela soit un jour,
ou tous vos beaux livres, sages maîtres de la doctrine,
ne seront que des complications d absurdités » s.
D’ailleurs celte évidence n’existe pas et ne saurait
exister à cause de la diversité des esprits, tout aussi
grande que celle des yeux. Avec les particularités pro
pres à chacun, chacun aurait bientôt son évidence.
Enfin l’évidence, toujours invoquée par les réformaenscignes? N ’avez-vous pas une m arche? Ne vous êtes-vous pas
m unis d'une trom pette, comme le lion m archant en guerre, et
n ’est-ce pas vous en p articulier, m onsieur D upont, qui rem plis
siez ce poste honorable où la force des poumons est plus retiuise
que la justesse du jugem ent ou la délicatesse du goût ». Ib id ...
X I, p. 120. Ceci pour donner le ton de cette polém ique violente
et très moderne.
1 Vol. II, p. 18.
* Ibidem .
3 Vol. II, p. 20.
�—
54
—
leurs, est insuffisante pour gouverner les hommes, pour
tenir lieu de lois ou les faire accepter *. Que se passe-t-il,
en effet, dans l'histoire de toutes les sectes et de toutes
les dctrines ? Les novateurs commencent par demander
la liberté, mais bientôt après avoir développé des opi
nions, ils prétendent avoir le droit de prêcher des dog
mes. C’est 1histoire générale et ce sera bientôt celle des
physiocrates dont l'attitude et la polémique montrent
trop clairement les intentions.
L’ordre naturel qu’on nous propose n ’a rien de
commun avec la nécessité mathématique. On la cite tou
jours « comme s’il y avait la moindre analogie entre les
principes toujours variables, toujours incertains, tou
jours dépendants du caprice et du hasard, qui forment
ce qu’on appelle la politique, et ces axiomes constants,
irréfragables, démontrés par les faits qui composent la
science du calcul » 2. Cette nécessité fuit sans cesse :
aussi bien le tableau économique sert-il d’ « élixir de la
science » au cas où la foi d’un économiste vacille. Pour
la ranimer, pour éviter les défaillances, pour échapper
aux « vertiges des réflexions », — le mot est des plus
jolis — « une prise du tableau » suffit : on retrouve
aussitôt l’évidence disparue, la « confiance heureuse dans
laquelle on aperçoit évidemment les choses comme il
faut les voir » *.
La critique est jolie, elle est de plus très profonde : il
est certain que le caractère dogmatique de l’école,
accentué encore dans les polémiques du genre de celle à
laquelle nous assistons, est une preuve certaine que l’on
est quelquefois assez loin de la loi physique.
Enfin les physiocrates, devant ces critiques, vont sans
doute se décider et répondre par l’instruction et la néces
sité d’éclairer le peuple. L’évidence n ’est pas pour eux :
elle devient. Sur ce point encore, Linguet les serre de
1
D’ailleurs on affirme sans cesse au lieu de discuter; c ’est le
caractère du chapitre de Dupont de Nemours sur l ’évidence.
« Aussi il n’y a pas un mot, dans ce chapitre, qui ne peut donner
lieu à des discussions et à des réfutations très évidentes ». Ib id .,
p. 24.
* Ibid., p. 25.
3 Ibid., p. 27.
55
—
—
près et n ’accepte pas l’échappatoire. D’abord « ce zèle
pour la liberté est un peu suspect »‘. La tolérance n ’est
que provisoire : on en arrivera vite à imposer ce qu’on
n’aura pas enseigné. « Votre conduite dément trop votre
langage : de même que l’impossibilité de croire à ce que
vous appelez l'évidence détruit les inductions que vous
en tirez, de même aussi votre procédé envers vos adver
saires annonce combien vous croyez au fond la liberté
dangereuse et incompatible avec l’établissement d’aucun
dogme, surtout du vôtre ». D’ailleurs cette élévation de
tous par l’instruction pour en faire des philosophes éco
nomistes serait néfaste : tous ne sont pas faits pour la
science et pour les trois quarts des hommes, c’est assez
de savoir obéir : avec une instruction généralisée, on
arriverait aux pires absurdités sociales.
Sur tous ces points nous retrouvons, sous une forme
plus incisive et plus violente, des critiques déjà rencon
trées chez les autres adversaires des physiocrates.
Linguet maintient-il quelque idée d ’un ordre naturel :
il est difficile de l'affirmer ; sans doute, en plusieurs
endroits, il prétend parler d ’après les faits et non
d’après les raisonnements *. A l’idée tfévidence, il
substitue l’idée d ’humanité qui est son idole à lui : « Je
présente aux malheureux individus qui forment la der
nière classe de la société et qui en portent tout le poids,
l’idée consolante que leur état n’est pas naturel, que c’est
une usurpation de leurs droits, et que, si eux ou leur
postérité ont le courage un jour de se ressaisir, rien ne
les en empêchera ». En un mot il est réformiste, sans
qu’une idée scientifique d'ensemble paraisse le guider :
l’ordre naturel pour lui, c’est l’ordre social, contingent,
établi par les conventions civiles et rien ne s’oppose à
ce qu’on le modifie sans se gêner.
On pourrait sans doute trouver encore parmi les nom
breux adversaires des physiocrates bien d’autres cri-
1 Ib id ., p. 34.
2 Cf. II, p. 116. Le lecteur voudra bien excuser ces citations
peut-être un peu multipliées; elles sont nécessaires cependant
pour ressaisir exactement dans le détail l ’évolution histori
que qu’il s’agit de retracer.
�liques de détails à leur conception fondamentale sur
l’ordre naturel. C’est ainsi que Condillac, par exemple,
a été présenté connue leur contradicteur sur ce point. 1
Mais comme pour ces auteurs l’opposition est plus impli
cite que directement énoncée, on nous permettra de les
négliger dans cette revue d’ensemble.
En somme les adversaires des physiocrates, surtout
préoccupés des conséquences pratiques de leur œuvre et
des problèmes de politique économique, n ’ont pas systé
matisé leurs attaques : ils ont eu cependant, comme nous
l'avons vu, le sentiment très juste et très exact du point
faible de la théorie nouvelle, ils discutent le prétendu
ordre naturel parce qu'il ne s ’impose pas : l’évidence
les laisse sceptiques précisément parce que, sans s ’en
rendre compte, les économistes avaient construit en
partie par déduction cet ordre naturel : quoi qu’il en
parût, la loi physique ne supportait pas tout l ’ordre
naturel et celui-ci contenait ce que la raison de ses
auteurs y voulait bien mettre.
Malgré ces réserves, les discussions sur l’ordre naturel
au xviii* siècle ne furent pas stériles : les physiocrates
léguaient au xix® siècle une conception de la loi natu
relle que celui-ci devait transformer encore, mais qui
allait servir de base à de nouvelles spéculations.
Cette conception, nous la rencontrons chez Jean-Bap
tiste Say : la loi naturelle en économie politique est pour
lui parfaitement analogue à la loi naturelle dans les
autres sciences.
11 est vrai que chez lui encore les lois seront des lois
d’ordre général qui dominent la réalité des faits plus
encore qu’elles ne l’expriment : à cause de la complexité
des phénomènes, « la science ne peut prétendre à faire
connaître toutes ces modifications qui se renouvellent
1 Cf. Lebeau. Condillac économ iste, i vol. Paris, Guillaumin,
1903, p. 65 s. — C ’est surtout en s’appuyant sur le caractère en
quelque sorte positiviste avant la lettre et à l’aide de textes sur
le caractère de la science économique, que l ’opposition peut être
établie.
chaque jour et varient à l’infini ; mais elle en expose les
lois générales et les éclaircit par des exemples dont
chaque lecteur peut constater la réalité » '. Ainsi, chez
J.-B. Say, il s’agit encore d'un ordre naturel, c’est-àdire d ’un ensemble de propositions que la déduction
pose et que 1 expérience doit confirmer, plutôt que d ’une
loi positive directement imposée par les faits.
L>e l’œuvre des physiocrates, J.-B. Say et lécole clas
sique retiendront un autre aspect de capitale impor
tance : la bonté des lois naturelles et comme corollaire
l’abstention de toute intervention humaine, la politique
de la liberté sur le terrain de l’art social. 1
Mais, il faut y insister, cette conclusion ne saurait être
directement appuyée sur l’idée de loi naturelle : elle im
plique un élément éthique qu’il est facile de mettre en
lumière : en elïet, si les phénomènes économiques obéis
sent à certaines lois nécessaires qui les régissent, il ne
s’ensuit nullement que l inlervention soit impossible : au
contraire, tous les jours et de mille manières, l’homme
agit sur la nature en se conformant à ses lois et nul n ’a
jamais songé à prétendre qu’il lui suffit de laisser faire
et de laisser passer : sur ce point la vieille idée de Bacon,
savoir c’est pouvoir, reste la conséquence naturelle de la
loi scientifique : les découvertes modernes d’applications
industrielles en seraient au besoin la plus éloquente
confirmation.
Si donc les physiocrates, et après eux toute l’école
libérale, prennent une autre altitude, s’ils déduisent
l’idée de liberté de l’idée de loi naturelle, c’est qu’à leur
insu iis s ’appuient sur un postulat moral : la bonté de
ces lois et leur harmonie spontanée en dehors des inter
ventions humaines. Le caractère éthique de la loi natu
relle chevz les physiocrates a dominé ainsi l’économie
politique pendant une très grande partie du xl\* siècle.
Ce n’est guère qu’avec Auguste Comte qu’apparaît l’idée
1 Ib id ., loc. cil., p. 14.
* Cf. Gaet. F ilan gieri (1752-1788). Il publie en 1780 un ouvrage
D ette teggi politiche ed econom iche, reproduit dans le Scrittori
classici Ita lia n i. Milano, 1884. Vol. X X X II.
L ’ouvrage fut traduit en anglais en 1794 par W illiam Ken
dall- Il accepte la notion de la loi physiocratique.
�—
58
—
scientifique de la loi naturelle dans toute sa pureté : pour
lui la loi sociale n’est plus un vœu, un rapport favorable
des phénomènes, mais l’expression neutre des faits
observés avec une parfaite impartialité.
Ainsi influence profonde et directe de la conception du
xvm0 siècle sur toute une partie des spéculations écono
miques au xix® siècle ; telle est la conclusion qui se
dégage de celle étude sur les Physiocrates.
Elle soulève de plus un autre problème d’ordre plus
délicat que nous voudrions seulement esquisser :
le côté éthique, malgré les apparences, domine
encore chez les physiocrates, et l’économie politique
reste pour eux une science morale, quoiqu’ils aient pré
tendu en faire une science exclusivement naturelle. N’eslce pas là une nécessité absolue et faut-il jamais espérer
que l’économie politique pourra dépouiller absolument
cet aspect éthique qu’elle lient de ses origines ? Grave
et difficile problème, dont l’examen nous entraînerait
bien loin, hors des limites de cette étude historique, et
qui n’est autre que la question même de l'avenir de la
science économique.
Peut-être le départ toujours rêvé entre l’idée morale
et l’idée scientifique pure est-il tout simplement impos
sible, pour cette seule raison que l’homme tout entier
est à la fois l’objet et l’auteur de la science économique.
On continue bien à affirmer le contraire et un livre 1
vient encore de renouveler la thèse ; c’est un puissant
effort pour faire rentrer dans la nature, objectivement et
scientifiquement connaissable, l’homme et sa morale ;
l’esprit positif pénétrera et renouvellera le domaine de
la réalité morale comme il a pénétré et renouvelé tous
les autres domaines. La science des mœurs doit progres
sivement absorber la morale ; la pratique, pour être effi
cace, ne peut que suivre la connaissance des faits et des
lois. Pour l’auteur, c’est en connaissant et en comprenant
le déterminisme de la nature que nous pouvons agir sur
lui.
1 M. Lévy Brülh. La morale et la science des m œ urs, i vol.
faris, Alcan, 1903.
59
—
Mais ce déterminisme existe-t-il de la même manière
dans l’ordre physique et dans l’ordre moral ? 11 ne le
semble pas. Les physiocrates ont attribué aux lois des
phénomènes économiques le caractère d’une véritable
prescription impérative, immuable et inéluctable, et c’est
sur ce type que l’on conçoit depuis eux la loi écono
mique. Mais si, comme de récents travaux tendent à le
démontrer, la loi naturelle n'est plus ce fatum antique,
mais seulement l’expression indicative de certaines ten
dances générales, certaines constances posées par rap
port à notre action et pour la faciliter, il semble bien que
sur ce modèle nouveau il soit plus possible d ’arriver à
une notion générale de la loi naturelle, aussi bien dans
le domaine de la nature physique, que dans celui de la
nature morale : ce serait alors l’élément purement natu
rel que nous avons distingué dans la conception physiocratique qui serait à nouveau absorbé, mais d’une autre
manière, par l’élément éthique ; la loi naturelle en éco
nomie politique ne serait au fond et en dernière analyse
que certaines constances relevées après notre action et
qui, loin de l’entraver, ne serviraient au contraire qu’à
la mieux diriger.
�CHAPITRE V
La loi naturelle chez les représentants
anglais et français ne l'Ecole liberale classique
Il faut suivre maintenant la notion de loi naturelle
chez les représentants de l’Ecole Libérale classique à
la lois dans la branche anglaise et dans la branche fran
çaise..
§ L La
loi n a t u r elle chez l e s r eprésen tan ts
DE
L’ÉCOLE LIBÉRALE ANGLAISE
Adam Smith. 1
11 n ’y a rien de particulièrement saillant à signaler
relativement à la notion de la loi naturelle dans l’œuvre
d Ad. Smith. On peut dire comme appréciation générale
que cet auteur admet implicitement l’existence des lois
naturelles sans insister en aucune manière sur la dite
notion.
Deux textes classiques d ’ailleurs en donneront une
idée.
G est d abord un passage de la Théorie des sentiments
moraux, publiée en 1759. Ad. Smith parle d’un inven
teur de systèmes et critique son invention :
“ Il croit, dit-il, qu’on peut disposer librement des dif
férentes parties du corps social aussi librement que des
pièces d’un jeu d ’échecs : il oublie que les pièces d ’un
jeu d’échecs n’ont d ’autre principe de mouvement que
la main qui les déplace et que dans le grand jeu des
sociétés humaines, chaque pièce a un principe de mou
vement qui lui est propre et qui est absolument différent
1723-1700.
�-
62
-
de celui dont le législateur a fait choix pour le lui
imprimer. Quand ces deux principes de mouvement coïn
cident et ont la même direction, le jeu de la machine
sociale est facile, harmonieux et prospère ; s ’ils sont
opposés l’un à l'autre, le jeu est discordant et funeste,
et la machine sociale est bientôt dans un désordre
absolu. » 1
On pourrait encore chercher dans l’Histoire de l’Astro
nomie d ’Ad. Smith, publiée après sa mort, des pré
cisions sur ses idées louchant la loi naturelle. Il y insiste
sur la liaison des choses, l’interruption éventuelle de
cette liaison dans un ordre différent et l'hypothèse domi
nante de l’ordre à maintenir. « La philosophie est la
science des principes de la liaison des choses. » 3
Il n’y a d’ailleurs dans ces développements philoso
phiques aucune originalité véritable.
C’est ensuite le passage fameux sur la liberté naturelle
qui sert de conclusion à la critique du système mercan
tiliste et physiocratique :
« Ainsi, en écartant entièrement tous ces systèmes
de préférence ou d’entraves, le système simple et facile
de la liberté naturelle vient se présenter de lui-même et
se trouve établi. Tout homme, tant qu’il n’enfreint pas
les lois de la justice, demeure en pleine libel lé de suivre
la route que lui montre son intérêt et de porler où il lui
plaît son industrie et son capital, concurremment avec
ceux de toute autre classe d ’hommes ». 3
Ad. Smith admet donc implicitement l’ordre naturel :
la notion de loi naturelle demeure chez lui teintée forte
ment d’optimisme comme chez les physiocrales.
Malthus, 4 d’une manière analogue, insiste seulement
sur une loi spéciale de l’économie politique, la loi de
population.
1 Théorie des sentiments moraux. Traité VI. Section II. Cha
pitre II. Edition Guillaumin, 1860, p. 273.
* Essais philosophiques (t. II, p. 1), traduction P. Prévost,
2 vol., Paris, 1797.
3
Ad. Smith. Recherche sur la nature et les causes de la richesse
des nations. 1776. Ed. Guillaumin, t. II, p. 327.
* 1776-1834.
Ricardo, 1 dans la Préface de son ouvrage: Des Princi
pes de l'Economie Politique el de l'Impôt 1817, indique
le but de la science économique : « Déterminer les lois
qui règlent celle distribution, voilà le principal problème
en économie politique ». 2 On sait quelle place il y
donne à deux lois, la loi du rendement moins que pro
portionnel et la loi de la rente foncière. Il n ’insiste pas
autrement sur la notion de loi naturelle.
Ailleurs, 3 dans une lettre à Malthus, Ricardo écrit à
propos des lois de la répartition toujours: « Aucune loi ne
peut être formulée touchant les quantités, mais une loi
relativement exacte peut être formulée sur les propor
tions respectives. »
On 4 a exactement montré comment cette conception
de la loi naturellle domine en Angleterre après la publi
cation de l’ouvrage de Ricardo (1817).
Elle s’accuse dans la création du Club d ’Economie
Politique, Political Economy Club, et dans la publication
de l’ouvrage de James Mill : Eléments d'Economie
Politique. *
Le Club se propose de procurer la diffusion des « jus
tes principes d’économie politique ». L’ouvrage de James
Mill donne l’Economie Politique comme une science dont
les principes essentiels sont connus, peuvent être déga
gés des points de vue étrangers et exposés dans leur
ordre logique. C’est un manuel (school book) « s ’adres
sant aux personnes des deux sexes d’intelligence
ordinaire ».
Senior * systématise encore la construction de l’ordre
naturel et prétend déduire toute la science économique
de quatre propositions fondamentales. 7
* 1772-1823.
2
Ricardo. Œ uvres complètes. Traduction Constancio et
Fonteyrand. Paris, Guillaumin, 1882, p. 1.
s Cité par Ghio. La formation de l ’Economie Politique, i vol.
Paris, Rivière, 1926, p. 158, note 2.
4 Ashley. The présent position of political economy. The Eco
nomie journal. Déc. 1907, p. 468.
5 /âmes M ill. Eléments d’ Economie Politique. Londres, 182».
* 1790-1864.
7 Senion. Principes fondamentaux de l’Economie Politique, 1836.
�f
-
64
—
—
Stuart Mill, 1 le premier dans l’Ecole anglaise, intro
duit une distinction importante entre les lois de la pro
duction qui demeurent pour lui des lois naturelles et les
lois de la distribution qui sont exclusivement humaines.
Voici d’abord à ce sujet les textes d’ailleurs classiques
des Principes d’Economie Politique (1848).
« Les lois et les conditions de la production des riches
ses partagent le caractère des vérités physiques. Ces
lois n’ont en elles-mêmes rien de facultatif ou d’arbi
traire. Tout ce qui est produit par l'homme doit l’être
d’après les modes et les conditions imposées par la
nature constituante des choses extérieures et par les
propriétés physiques et intellectuelles inhérentes à sa
propre nature... Les opinions et les voeux qui peuvent
exister sur ces diverses matières n’exercent aucune
influence sur les choses elles-mêmes... » *
« Il n’en est pas de même à l’égard de la distribution
des richesses. C’est là une institution exclusivement
humaine. Les choses étant créées, l’espèce humaine,
individuellement et collectivement, peut en agir avec
ces choses comme elle l’entend. Elle peut les mettre à
la disposition de qui elle veut et aux conditions quelle
veut... La distribution des richesses dépend donc des
lois et coutumes de la société. Les règles qui déterminent
celte distribution sont ce que les font les opinions et
les sentiments de la partie dirigeante de la société et
varient considérablement suivant les différents siècles et
les différents pays ; elles pourraient varier encore davan
tage si les hommes en décidaient ainsi. » 3
Ashley 4 a exactement montré quelle importance
St. Mill lui-même attachait à cette affirmation du carac
tère différent des lois de la production et des lois de
la répartition. 3
1 1806-1873.
* Stuart Mill. Principes (l’Economie Politique. Liv. Il, chap. I,
§ i-
Ed. Courcelle-Seneuil, 1873, t. I, p. 232.
3 St. Mill. Principes. Ed. Courceile-Seneuil, t. I, p. 233.
4 Préface à l’édition des Principles of Political Economy.
Londres, Longmans Green, 1909.
s Autobiography, p. 246. — Correspondance avec Aug. Comte,
1844, lettres publiées par M. Lcvy Brühl. Paris, Alcan, 1894.
65
—
Voici les plus importants de ces textes :
Je n ’ai pas appris 1 d’elle Je côté scientifique de
l’Economie politique : mais ce fut son influence qui
a donné au livre ce ton général qui le distingue de
tous les exposés antérieurs d’économie politique qui
avaient la prétention d ’être scientifiques... Ce ton
consiste surtout dans l’introduction d’une différence
entre les lois de la Production des Richesses, qui sont
des lois réelles de la nature et des modes de leur Répar
tition qui soumises à des conditions certaines, dépendent
de la volonté humaine. Le courant habituel des écono
mistes les confond toutes sous la désignation de lois
économiques, qui leur semblent impossibles à vaincre
ou à modifier par l’effort de l’homme ; ils affirment
la même nécessité de choses dépendant des conditions
immuables de notre existence terrestre et des choses
qni, n’étant que les suites nécessaires de certains
arrangements sociaux, ne durent qu’autant que ces
arrangements ; étant donné certaines institutions et
coutumes, les salaires, les profits et la rente seront
déterminés par certaines causes ; mais cette catégorie
d ’économistes supprime l’hypothèse indispensable et
affirme que ces causes doivent par une nécessité fatale
contre laquelle les moyens humains ne peuvent rien,
déterminer les parts que dans la division des produits
recueillent cultivateurs, capitalistes et propriétaires.
Mes Principes d’Economie Politique ne le cèdent à
aucun de mes devanciers en suivant l’action exacte de
ces causes, sous les conditions qu’elles présupposent,
mais ils donnent l’exemple de ne pas prendre ces condi
tions comme immuables. Du moment que les généralisa
tions économiques ne dépendent pas de nécessités natu
relles mais de conditions résultant des arrangements
actuels de la société, il faut les traiter comme provi
soires et comme susceptibles d’être modifiées par le déve
loppement du Progrès social. J ’ai tiré en partie cette
manière de voir des pensées éveillées en moi par les
1 Autobiography, p. 246, à propos de l ’influence de Mme Tay
lor, qui devint sa femme en avril 1851. Cité Ashley préface,
p. X X I.
s
�-
doctrines des St Simoniens ; mais elle devint un prin
cipe vivant envahissant et vivifiant tout l’ouvrage sous
l’influence de ma femme. »
Enfin il y a encore d'importants fragments de sa cor
respondance avec Auguste Comte. 1
Lettre à Aug. Comte, 3 avril 1844. 2
« Je sais ce que vous pensez de l’économie politique
actuelle : j’en ai une meilleure opinion que vous, mais
si j’écris quelque chose là-dessus, ce sera en ne perdant
jamais de vue le caractère purement provisoire de toutes
ses conclusions concrètes, et je m ’attacherais surtout à
séparer les lois générales de la production, nécessaire
ment communes à toutes les sociétés industrielles, des
principes de la distribution et de l’échange des riches
ses, principes qui supposent nécessairement un état
de société déterminée, sans préjuger que cet état
dure, ou même qu’il puisse durer indéfiniment,
quoiqu’en revanche il soit impossible de juger les divers
états de la société sans prendre en considération les lois
économiques qui leur sont propres. Je crois qu’un pareil
traité peut avoir surtout ici, une grande utilité provi
soire et qu’il servira puissamment à faire pénétrer l’esprit
positif dans les discussions politiques. »
Réplique d'Auq. Comte. Lettre du 1er mai 1844. 3
Il approuve ce projet d’ouvrage.
« Bien que l’analyse économique proprement dite ne
me semble pas devoir finalement être connue ni cultivée,
soit dogmatiquement, soit historiquement, à part de
l’ensemble de l’analyse sociologique, soit statique, soit
dynamique, cependant je n ’ai jamais méconnu l’effica
cité provisoire de celte sorte de métaphysique actuelle,
surtout élaborée par un aussi bon cerveau que le
vôtre. »
Réponse de St. Mill. 6 juin 1844. 4
« Je ne me sentais pas auparavant suffisamment
assuré de votre adhésion à ce projet qui pouvait vous
1 Lettres inédites de J . St .M ill à Aug. Comte. Publiées par
M. Lévy-Brühl. Paris, Alcan, 1899.
2 Lévy-Bruhl, p. 3O9.
* Lévy-Brühl, p. 314.
* I b i d p. 322.
67
-
paraître essentiellement antiscientifique, et qui le serait
en effet, si je 1 1 ’avais le plus grand soin de bien établir
le caractère purement provisoire de toute doctrine sur
les phénomènes industriels qui fasse abstraction du
mouvement général de l’humanité. »
Réplique de Comte. Lettre du 22 juillet 1844. 1
« Ainsi présentée ou du moins connue avec la destina
tion purement préliminaire et l’office provisoire que lui
assigne l’ensemble de l’appréciation historique, l’écono
mie politique perd ses principaux dangers actuels et peut
devenir fort utile : car les sympathies qu’elle excite
encore, sans être communément fort éclairées, ont cer
tainement un caractère progressif. »
Plus récemment Bœhm Bawerk, dans une dissertation:
Macht ôder okonomisches Geselz (Puissance ou loi éco
nomique) a repris la position de St. Mill, affirmant que
les lois économiques ne déterminent pas la répartition.
Spencer 2enfin, quoique sociologue, est à inscrire dans
ce même courant libéral.
Dans son ouvrage : L'individu contre l’Etal, 3 il stig
matise violemment l’intervention de l’Etat et les « péchés
des législateurs » : il entend « parler de ces péchés des
législateurs qui ne sont pas le fruit de leurs ambitions
ou des intérêts de classe, mais qui proviennent de la
négligence de cette étude à laquelle ils sont moralement
obligés de se livrer pour se préparer à leur tâche ». 4
Celte révolte contre la loi de concurrence vitale lui
paraît tout à fait condamnable.
« Le législateur qui ne connaît ou qui connaît peu ces
masses de faits qu’il est de son devoir d'examiner avant
que son opinion sur une loi proposée puisse être de quel
que valeur, et qui néanmoins aide à faire passer cette
loi, ne peut pas plus être absous si celle-ci augmente la
misère et la mortalité, que le garçon droguiste ne peut
être absous, si le remède qu’il prescrit par ignorance,
cause la mort. » 3
1
*
3
*
8
Ib id , p. 338.
1820-1903.
1 vol. Londres, 1885. Trad. franç. Paris, Alcan, 18S8.
Ib id ., p. 69.
Ib id ., p. 115.
�Il serait intéressant d’étudier l’influence de celte
conception de l’Ecole Anglaise : elle ne va pas sans une
certaine dose de fatalisme.
Témoin cette anecdote rapportée par Quack et repro
duite par M. Paul Gautier. 1
Lors d’une grande enquête anglaise où déposait
M. Nasmylh, grand fabricant de machines, celui-ci affir
mait que pour un industriel il était désirable de pouvoir
compter sur une grande masse d’ouvriers en quête
d’ouvrage.
Comme on lui demandait ce que devenaient, eux et
leurs familles, ceux qui n’avaient pas de travail.
« Je n’en sais rien, répondit-il, je laisserais cela à
l’action des lois naturelles de la société. » 3
§ II. L a
loi n a t u r elle chez l e s r ep r ésen t a n t s
de l ’ E cole lib é r a l e fr ançaise
J.-B. Say. 3
Cet auteur, vulgarisateur comme on sait des doctrines
de l’Ecole libérale, accepte la notion alors courante de
loi naturelle : il insiste même sur son analogie, mieux
sur son identité avec la loi naturelle dans les autres
sciences.
« De même, écrit-il, 4 les lois générales dont se compo
sent les sciences politiques et morales existent en dépit
des disputes. Tant mieux pour qui saura découvrir ces lois
par des observations judicieuses et multipliées, en mon
trer la liaison, en déduire les conséquences. Elles déri
vent de la nature des choses tout aussi sûrement que
les lois du monde physique ; on ne les imagine pas, on
les trouve ; elles gouvernent les gens qui gouvernent les
autres, et jamais on ne les viole impunément. »
Aussi bien J.-B. Sav intitule-t-il son ouvrage : Traité
d'Economie Politique ou simple exposition de la manière
dont se forment, se distribuent et se conservent les
richesses. »
1 Die Socialisten. Vol. I. Introduction.
* Mouvement philosophique. La Réforme Sociale. R evu e Bleue,
26 février 1910, p. 279.
* 17 6 8 -18 3 2 .
i J.-B . Say. Traité d’Economie Politique, 1803. Discours pré
liminaire. Ed. Daire, p. 30.
11 est vrai d ’ailleurs que chez J.-B. Say encore les lois
sont des lois d'ordre général qui dominent la réalité des
faits plus encore qu elles ne l’expriment à cause de la
complexité des phénomènes. « La science ne peut pré
tendre à faire connaître toutes ces modifications qui se
renouvellent chaque jour et varient à l ’infini : mais elle
en expose les lois générales et les éclaire par des
exemples dont chaque lecteur peut constater la réalité.» 1
Ainsi pour J.-B. Say les lois naturelles apparaissent
comme des propositions que la déduction pose et que
l’expérience doit confirmer, bien plus que comme des
lois scientifiques directement imposées par les faits.
Un Economiste Russe, //. Storch, 2disciple de J .-B. Say,
accuse plus nettement encore cette même tendance. 11
définit l’économie politique « la science des lois natu
relles qui déterminent directement la prospérité des
nations, c’est-à-dire leurs richesses et leur civilisation ».
Il distingue deux sortes de faits: les faits généraux ser
vant de base aux lois générales, les faits particuliers
formant exception à ces lois. 11 n ’y a d ’ailleurs point de
calcul ni d’appréciation rigoureuse pour les lois écono
miques : car l’Economie Politique reste une science
morale.
H. Storch introduit la notion classique de loi natu
relle dans la définition même qu’il donne de l’économie
politique : « L’économie politique est la science des lois
naturelles qui déterminent la prospérité des nations,
c'est-à-dire leur richesse et leur civilisation ». Et l’auteur
cite aussitôt après la phrase de J.-B. Say sur les lois qui
ne sont pas l’ouvrage de l’homme. 4
Bastiat s est lui aussi un adepte fervent de l existence
des lois naturelles économiques avec une nuance très
marquée d’optimisme qu’accuse le passage suivant :
« Ne condamnons pas ainsi l’humanité avant d’en
avoir étudié les lois, les énergies, les tendances. Depuis
1Ibid.j p. 14.
a 1766-1825.
3 Cours d’Economie Politique. 2 vol.
p. 21, t. I.
* Cf. ci-dessus, p. 68.
8 1801-1850.
Paris, Aillaud,
1823,
�70
—
qu'il eût reconnu l’attraction, Newton ne prononçait plus
le nom de Dieu sans se découvrir. Autant l’intelligence
est au-dessus de la matière, autant le monde social est
au-dessus de celui qu'admirait Newton : car la méca
nique céleste obéit à des lois dont elle n ’a pas la cons
cience. Combien plus de raison aurions-nous de nous
incliner devant la Sagesse éternelle, à l’aspect de la
mécanique sociale où vit aussi la pensée universelle... »l
Couicelle-Seneuil 2 dans son Traité d ’Economie Poli
tique publié en 1858-59, adopte les idées courantes de
l'École Française : par l’étude de la science économi
que, « loin de s’abaisser, les idées et les sentiments s’élè
vent : le spectacle des lois naturelles qui régissent les
actes économiques des individus et des peuples lait
prendre en pitié les prétentions des arrangeurs de
société... » 4
A. de Metz Noblal 4 se rallie à la conception très clas
sique des lois naturelles : elles sont plus ou moins faci
lement observables selon les milieux mais demeurent
certaines.
Là (en temps calme) il n’y a qu’à ouvrir les yeux
vour voir que les lois économiques sont tout aussi cer
taines que les lois du monde physique et que les laits
ne s’y peuvent pas plus soustraire que les corps ne peu
vent échapper à la gravitation. 4
Et ailleurs :
Les lois économiques étant des lois naturelles provi
dentielles, c’est en vain que les lois humaines se mettent
en révolte contre elles. Jamais on n ’en sent plus dure
ment le joug que lorsqu’on cherche à y échapper.
—
71
—
Les idées de Le Play 1 sur la loi naturelle sont assez
originales, encore que la notion qu’il adopte soit exac
tement la notion de l’Ecole classique. 2
11 y a des lois pour les sociétés humaines comme pour
les sociétés animales mais 1 homme peut obéir à la loi
ou la violer. Comme conséquence « la prospérité ou
l’harmonie, la décadence ou l’antagonisme, voilà, en
définitive, Je critérium qui permettra d’apprécier la
valeur des différentes constitutions sociales. » 4
Au point de vue critique et sur les successeurs
d’Ad. Smith et des physiocrates, on trouvera chez
H. Denis 4 une appréciation sévère de la position de ces
auteurs : « Les représentants de 1Ecole classique assi
gnent à ces lois des phénomènes économiques le carac
tère d ’une v é r it a b l e prescription im pérative , excluant
toute intervention autre que celle qui consiste à les
laisser opérer d ’elles-mèmes : ils les qualifient d’immua
bles, inéluctables autant que bienfaisantes. Or, dans
aucune science les lois naturelles n’ont et ne peuvent
avoir ce caractère : elles sont partout I’ expression indi
cative de certaines tendances g én ér a les , de certains
rapports constants. Rien de plus. C’est cette confusion
qui a été funeste et qui lient au caractère théologicométaphysique que la science a trop longtemps conservé
et dont l’ont pénétrée, malgré leur génie, ses immortels
fondateurs. »
L’auteur indique ensuite que « le caractère le plus
décisif et le plus général que présentera l’évolution de
l’Economie politique après Adam Smith, ce sera sa con
quête définitive par l’esprit de la philosophie positive.»4
1 Bastiat. Harmonies économiques, 1848, p. 24.
* 1813-1892.
» Traité d’ Economie Politique, p. 27.
*
18 2 0 - 18 7 1.
5 A. de Metz Noblat. Les lois économiques, 1867. Résum é d’un
cours d’Economie Politique fait à la Faculté de Droit de Nancy.
2e éd. avec une introduction de Claudio Jannet. Paris, Pedone,
1880. Cl. Jannet observe dans sa Préface: « Les hommes qui sui
vent le mouvement de la science contemporaine aimeront à voir
la position très nette prise par l ’ auteur au milieu des divisions
d**-! écoles modernes et à trouver dans son livre la rigoureuse
démonstration des lois naturelles, qui règlent d’ une façon perm a
nente l ’ordre général des sociétés humaines, lois que l ’on a entiè
rem ent contestées dans ces derniers tem ps ». P. IV.
1 1806-1882.
* Surtout dans la Constitution essentielle de l ’humanité. 1 vol.
Paris, 1881. Exposé des principes et des coutumes qui créent la
prospérité ou la souffrance des nations.
* Auburtin.F. Le Play. Economie Sociale. 1 vol.Paris, Guillau
min. Préface p. X X L
1 Histoire des systèmes économiques et socialistes. 2 vol.
Paris, Giard, 1904, t. I, p. 348.
5 Ib id ., p. 351.
�CHAPITRE VI
La loi naturelle constatation
La conception moderne de la loi naturelle constatation
se dégage sous une triple influence :
1° l’influence d ’Auguste Comte et du Positivisme ;
2° l'influence de l’Ecole historique ;
3° l’influence de la Statistique.
Elles feront l’objet des trois paragraphes de ce chapitre.
«§ I. L ’in flu en ce d 'A uguste C omte et du P ositivisme
11 importe de résumer en quelques mots les résultats
acquis : où en était l’idée de loi naturelle au moment où
paraît Auguste Comte ?
La loi naturelle est bien pour les Physiocrates et les
représentants anglais et français de l’Ecole classique un
enchaînement régulier des faits économiques.
Mais ces lois sont pour eux les meilleures possibles et
en conséquence il faut bien se garder d ’intervenir.
Ceci posé, l’œuvre du Positivisme va être triple :
a) il va d ’une part expurger l’idée de loi naturelle de
cet élément optimiste
b) il va appuyer avec une énergie singulière sur le
caractère positif de la loi naturelle, c’est-à-dire la conce
voir de plus en plus comme la simple succession de la
cause et de l’effet, sur le type des lois physiques ;
a comme conséquence l’intervention en connaissance
de cause et à l’aide même des lois, demeure possible.
Celle réaction fut l’œuvre d ’Auguste Comte et de son
disciple Pierre Laffitte.
Il les faut étudier successivement.
�I. L'œuvre d'Auguste Comte. *
t a position fondamentale d’Auguste Comte 2 a été
heureusement retrouvée 3 dans une série d ’opuscules
antérieurs au Cours de Philosophie Positive.
C’est d’abord un opuscule : Plan des travaux scienti
fiques nécessaires pour organiser la société, 1822. *
Aug. Comte y souligne comment dans la marche de la
civilisation le rythme seul ou la vitesse seule de la loi de
progrès peut être inodiliée : « La loi fondamentale qui
régit la marche naturelle de la civilisation prescrit rigou
reusement tous les étals successifs par lesquels l'espèce
humaine est assujettie à passer dans un développement
général. D’un autre cùte, cette loi résulte nécessaire
ment de Ja tendance instinctive de l’espèce humaine à
se perfectionner. Par conséquent elle est autant au-dessus
de notre dépendance que les instincts individuels dont
la combinaison produit cette tendance permanente.
Comme aucun phénomène connu n ’autorise à penser
que l’organisation humaine soit sujette à aucun chan
gement principal, la marche de la civilisation qui en
dérive est donc essentiellement inaltérable quant au
fond. En termes plus précis, aucun des divers inter
médiaires quelle fixe ne peut être franchi et aucun
pas rétrograde véritable ne peut être fait.
Seulement la marche de la civilisation est modifia
ble en plus ou en moins, dans sa vitesse, entre cer
taines limites, par plusieurs causes physiques et mora
les susceptibles d’estimation.
Au nombre de ces causes sont les combinaisons poli
tiques. Tel est le seul sens dans lequel il soit donné à
l’homme d’influer sur la marche de sa propre
civilisation. » 8
1
i 797-**S 7 * Sur Aug. Comte. Cf. Lévy Brühl. La philosophie d’Auguste
Comte, i vol. Paris, Alcan, 1900.
R. Mauduit. Auguste Comte et la science économique. 1 vol.
Paris, Alcan, 1929.
1 Lévy Brülh, op. cit., p. 270.
* Publié en Appendice au t. IV du Système de Politique posi
tive. Ed. 1854.
* Plan des travaux scientifiques, loc. cit, p. 92.
C’est aussi une lettre à Valat du 8 septembre 1824, 1
où Aug. Comte écrit : « Je ferai sentir par le fait même
qu'il y a des lois aussi déterminées pour le dévelop
pement de l’espèce humaine que pour la chute d une
pierre. »
Ces antécédents étaient utiles à produire tant pour
fixer la dale où se forme la pensée d ’Aug. Comte (18221824) que pour en dégager la tendance essentielle, qui
est la tendance positive.
C’est naturellement dans le Cours de Philosophie
Positive 2 (1830-1842) que celte pensée est le plus lon
guement développée. Le tome IV est presque tout entier
consacré à la science sociale ou sociologie.
Auguste Comte part de cette constatation initiale et
fondamentale : la science sociale s n’est pas encore
aujourd’hui constituée à l’état de science positive.
L’auteur montre la nécessité et l’opportunité de cette
transformation au point de vue pratique, il montre
comment les problèmes pratiques et politiques sont
dominés par les problèmes scientifiques.
« Ne voyons-nous pas, au contraire, ce même esprit
actuel, si vainement accusé de tendre au scepticisme
absolu, accueillir toujours, avec un avide empresse
ment, la moindre apparence de démonstration positive,
lors même qu’elle est encore prématurée*? Pourquoi en
serait-il autrement envers les notions sociales où le
besoin de fixité doit être encore mieux senti si, en effet,
elles peuvent être enfin dominées par l’esprit positif.
Le sentiment fondamental des lois naturelles invaria
bles, fondement primitif à toute idée d’ordre relative
ment à des phénomènes quelconques, pourrait-il n’avoir
plus la même efficacité philosophique, aussitôt que,
complètement généralisé, il s ’appliquera ainsi aux phé
nomènes sociaux désormais ramenés à de pareilles
lois ? » 4
1
J
3
*
Lévy Brühl, op. cit., p. 270.
Cours de Philosophie positive. Edition Littré de 1854.
On sait que pour lui l ’ Economie Politique en fait partie.
Edition citée, t. IV , p. 139.
�Vient ensuite l’examen des tentatives faites jusqu’à
ce jour pour constituer la science sociale en science
positive.
Au surplus il existait jusqu’à présent une impossi
bilité fondamentale pour réaliser cette constitution : un
premier obstacle était la complexité des faits sociaux
et la nécessité d’avoir au préalable constitué les autres
sciences en sciences positives ; 1 un second obstacle était
le manque d'une base expérimentale suffisante, 2 il y
fallut aussi l’idée de progrès social apportée par la
Révolution.
Auguste Comte relève trois tentatives principales,
abstraction faite de l’antiquité qui lui paraît négligeable:
a) la première tentative sérieuse est celle de Montes
quieu dans son Esprit des Lois : il a même dégagé l’idée
générale de loi pour tous les domaines — ce qui est un
grand mérite. Mais il n ’a pas réalisé son projet fonda
mental : dans le cours de 1 ouvrage, les faits politiques
ne sont nullement rapportés au moindre aperçu de ces
lois fondamentales. 11 aboutit à une stricte accumulation
de faits : il est cependant un vrai précurseur. 3
b) la seconde est celle de Condorcet dans son Esquisse
d ’un tableau historique du progrès de l’esprit humain.
11 a fait faire un pas important à la sociologie : il lui a
fourni la notion scientifique, vraiment primordiale, de
1
« Le degré supérieur de complication, de spécialité et en
même temps d’intérêt, qui caractérise les phénomènes sociaux
comparés à tous les autres phénomènes naturels.... constitue sans
doute d’après les principes généraux de la hiérarchie scientifi
que établie dans l ’ensemble de ce traité, la cause la plus fonda
mentale de l ’imperfection de l ’étude des phénomènes sociaux ».
Ib id ., p. 166.
3 (( Cette considération consiste en ce que par la nature d’une
telle étude, notre intelligence ne pouvait réellement, avant
l ’époque actuelle, y statuer sur un ensemble de faits assez étendu
pour diriger convenablement ses spéculations rationnelles à
l ’égard des lois fondamentales des phénomènes sociaux ». Ib id .,
p. 166.
3 Le mérite principal de l ’Esprit des Lois, c’est « la tendance
prépondérante qui s y fait partout sentir à concevoir désormais
les phénomènes politiques comme aussi nécessairement assu
jettis à d’invariables lois naturelles que les autres phénomènes
quelconques ». {Ibid., p. 178).
progrès de l’humanité. Mais ici encore l'exécution ne
fut pas à hauteur du dessein.
c) enfin la tentative des Economistes, c’est-à-dire des
Physiocrales. Us ont réalisé une tentative fragmentaire
de science sociale.
A propos de ces tenlatives, l’auleur remarque que
tous ces travaux sont sortis des rangs des avocats et
des littérateurs, qui n’avaient point la méthode scien
tifique. Leurs travaux 1 sont des débats scolastiques sur
la valeur, l’utile, la production.
L’Economie Politique cependant a eu son rôle dans
celte évolution de l’esprit humain : au point de vue his
torique « elle a participé à cette immense lutte inlellecluelle (entre les deux esprits métaphysique et scientifi
que) en discréditant radicalement l’ensemble de la poli
tique industrielle a lo r s régnante et nuisible à l’essor de
l’industrie moderne. >» 2
En somme les tentatives faites en économie politique
ne son! qu’un symptôme caractéristique du besoin d’éri
ger la physique sociale en science positive.
Auguste Comte revient ensuite à la démonstration
détaillée du fait que la science sociale n’est pas encore
aujourd’hui science positive.
Trois traits le montrent : ce sont :
1° Quant à la méthode, la prépondérance fondamen
tale de l’imagination sur l’observation ;
2° Quant à la doctrine, la recherche exclusive des
notions absolues *
1 A l’exception, dit Aug. Comte, de ceux d’Ad. Smith.
2 I*. 199. E lle a cependant i< érigé en dogme universel l ’absence
nécessaire de toute intervention législative quelconque » et par
là elle ne peut répondre aux plus urgents besoins de la pratique.
3 Aug. Comte remarque que les lois naturelles de la science
sociale seront relatives: «< Toute étude de la nature interne des
êtres, de leurs causes premières et finales... doit évidemment
être toujours absolue, tandis que toute recherche des seules
lois des phénomènes est éminemment relative, puisqu’elle sup>pose immédiatement un progrès continu de la spéculation subor
donnée au perfectionnement graduel de l ’observation sans que
l’exacte réalité puisse être jamais, en aucun genre, parfaitement
dévoilée: en sorte que le caractère relatif des conceptions scien
tifiques est nécessairement inséparable de la vraie notion des lois
naturelles, aussi bien que la chimérique tendance aux connais-
�79
d’où résulte doublement 3° pour la destination finale
de la science, la tendance inévitable à excuser une action
arbitraire et indéfinie sur des problèmes qui ne sont
point regardés comme assujettis à d’invariables lois
naturelles.
Il y aura au contraire pour l’avenir prévision ration
nelle : celle-ci est le critérium de la positivité
scientifique.
Il faudra arriver à « la subordination des diverses
conceptions sociales à d’invariables lois naturelles, sans
lesquelles les événements politiques ne sauraient évi
demment comporter aucune véritable prévision ».
Aujourd’hui il n’existe qu’une action arbitraire : il
faudra dans l’avenir lui substituer la prévision ration
nelle : la puissance effective de l’homme pour modifier
à son gré des phénomènes quelconques, mais cette puis
sance ne pourra « jamais résulter que d’une connais
sance réelle de leurs propres lois naturelles ». 3
Suit alors une exposition sommaire de l’esprit géné
ral de la physique sociale.
Auguste Comte développe ici le point essentiel :
« Tout le principe philosophique d’un tel esprit se
réduit nécessairement, d’après les explications précé
dentes, à concevoir toujours les phénomènes sociaux
comme inévitablement assujettis à de véritables lois
naturelles, comportant régulièrement une prévision
rationnelle. » 3
Il indique alors la distinction, depuis lors fameuse, des
lois économiques en lois sialiques qui comprennent
« l’étude fondamentale des conditions d’existence de la
société » et en lois dynamiques, c’est-à-dire « les lois
de son mouvement continu. » 4
sances absolues accompagne spontanément l’emploi quelconque
des fictions théologiques ou des entités métaphysiques. » Ibid..,
p. 2l0.
1 Ib id ., p. 227.
2 Ibid., p. 220.
3 Ib id . , p. 230.
1 Ibid., p. 231. Aug. Comte indique au surplus qu’ il ne faut
pas pour cela scinder le travail sociologique, le travail de la
constitution de la science. Ce sont simplement deux aspects posi
tifs applicables à l’ analyse continue de chaque théorie sociale.
—
Il faudra éliminer J’optimisme : « Cette tendance sys
tématique est d ’origine évidemment théologique, puis
que l’hypothèse d’une direction providentielle, conti
nuellement active dans la marche générale des événe
ments peut seule conduire à l’idée de perfection néces
saire à leur accomplissement graduel. » 1
L’auteur indique ensuite comment la philosophie posi
tive est au contraire favorable à l’intervention : « elle
en provoque au contraire éminemment la sage et active
application, à un plus haut degré que pour tous les
autres phénomènes possibles, en représentant directe
ment les phénomènes sociaux comme étant par leur
nature, à la fois les plus modifiables de tous, et ceux qui
ont le plus besoin d’être utilement modifiés d’après les
rationnelles indications de la science. » J
Celle intervention devra naturellement se faire en se
conformant aux lois naturelles : « il s ’agit de contem
pler l’ordre, afin de le perfectionner convenablement,
et nullement de le créer, ce qui serait impossible. » *
Les modifications possibles diffèrent d’ailleurs selon
qu’il s ’agit de l’ordre statique ou de l’ordre dynamique :
Il y a pour l'ordre statique modification possible
« dans l’intensité plus ou moins prononcée des tendances
spontanément propres à 1ensemble de chaque situation
sociale, sans qu’on puisse ni produire ni dénaturer les
tendances. » 3
Au contraire dans l’ordre dynamique l’évolution fon
damentale de l’humanité devra être ainsi conçue,
comme seulement « modifiable à certains degrés déter
minés quant à sa simple vitesse » 4 sans qu’on puisse
renverser cet ordre, ni sauter aucun intermédiaire
important.
Aug. Comte conclut : Puisque, en effet, notre inter
vention politique quelconque ne saurait, en aucun cas,
avoir de véritable efficacité sociale, soit quant à l’ordre
ou quant au progrès, qu’en s ’appuyant directement sur
1
*
3
*
Ib id .,
Ib id .,
Ib id .,
Ib id .,
p.
p.
p.
p.
247.
24Q.
252.
283.
�—
les tendances correspondantes de l’organisme et de la
vie politique, afin d’en seconder par de judicieux arti
fices le développement spontané, il faut donc, à cette
fin, connaître avant tout, avec autant de précision que
possible, ces lois naturelles d’harmonie et de
succession. » 1
Ainsi et en résumé, pour Aug. Comte, il existe un
certain ordre naturel.
Cet ordre est d’ailleurs imparfait : « il faut complé
ter la notion de cet ordre « par la considération simul
tanée de son inévitable perfection. » 1
Enfin l’homme peut et doit agir : « l’homme ne pré
tend point gouverner les phénomènes mais seulement
en modifier le développement spontané » 2 : ce qui exige
qu’il en connaisse les lois.
Tel est l’apport précieux d’Aug. Comte : il a précisé
ment introduit — avec toutes les conséquences ci-dessous
relevées au point de vue de l’intervention possible - la loi constatation en sociologie et donc en économie
politique.
II. L'œuvre de Pierre Laffitte. 3
Pierre Laffitte est un des principaux disciples
d'Auguste Comte. 11 a continué dans son Cours de philo
sophie première 4 l’œuvre du maître en insistant à son
tour sur la notion de Loi.
Les développements de Laffitte louchant la loi natu
relle se groupent en trois thèmes successifs :
A) De la notion de loi
B) Etablissement du principe des lois immuables
C) Institution sujective de dogme des lois immua
bles.
» Ib id ., p. 291. Le développement se poursuit alors sur les
moyens scientifiques possibles pour l’établissement de la socio
logie positive (p. 295-383).
* Ib id ., p. 326.
3 1823-1857.
* Pierre Laffitte. Cours de philosophie première. Paris, Bouil
lon, édit., 1889. L ’ouvrage est divisé en deux tomes : t. I,
Théorie générale de l’entendement; t. II, Les lois universelles
du monde.
81
-
Il les faut analyser soigneusement :
A) De la notion de Loi. 1
L’auteur part de la croyance générale que le monde
est régi par des lois : mais la philosophie a élaboré cette
notion.
L’idée de loi se présente aujourd’hui sous deux
formes :
« Sous une première forme, elle apparaît comme la
dépendance régulière d’un phénomène par rapport à
un autre phénomène. Ou mieux comme la mesure sui
vant laquelle les variations d’un phénomène sont gou
vernés par les variations de l’autre. » *
L’auteur remarque comment en présence de la compli
cation des phénomènes supérieurs, où la véritable dépen
dante peut dépendre de beaucoup d ’autres indépendan
tes, notre esprit ne s’attaque jamais à plus de deux
variables : nous étudions une influence isolée en négli
geant toutes les autres. *
La loi d’un phénomène n’est plus alors que « son
rapport particulier avec le plus important des phéno
mènes auxquels il est lié, avec sa principale variable
indépendante. » 4
Mais « il faut savoir alors qu’en dehors de deux varia
bles il existe un élément spécial, concret, expérimen
tal. étroitement lié aux deux variables et que l’on appelle
la constante. » 8 Ainsi sous une deuxième forme « la loi
consiste ù saisir la constance au sein du changement. »*
1 T. I., 5* leçon, p. 166.
1 E x.: Cire. R = 2 tc R, p. 169: rayon et circonférence sont deux
variables qui se com m andent l'u n l'au tre mais la relation,
c’est-à-dire la loi, qui lie les deux phénomènes dem eure toujours
identique.
* « Le plus hum ble fait social ou moral dépend d ’une telle
quantité de conditions de tous genres sociologiques, m orales,
biologiques ou physiques et ces conditions, pour la plu p art, sont
tellem ent hors de notre portée, que nous devons renoncer à
jam ais découvrir sa loi, c ’est-à-dire la résultante exacte de toutes
ses dépendances particulières. Force nous est de nous accom
moder d ’à-peu près. » (Ibid., p. 172).
* Ib id ., p. 172.
5 Ibid., p. 173. L ’exem ple de cette deuxième forme est alors
Cire. R
— — = 2 tc = 2 x 3 , M«9-
6
�— 83
Les développements qui suivent exposent comment
à la première forme de la loi, rapport entre deux varia
bles, répondent les lois de succession et à la seconde
forme de la loi, constance dans la variation, les lois
de similitude.
« Les vraies lois, ajoute Laffitte, les lois proprement
dites sont les lois de succession ; c’est à elles que la
notion de loi s’applique dans sa plénitude. Les autres
les préparent et les complètent mais ne les remplacent
pas. » 1
La biologie et la chimie en sont encore aux lois de
similitude. Le rêve serait de tout ramener aux lois
mathématiques. Mais « il est facile de reconnaître que
la loi, en s’étendant à tous les ordres de phénomènes,
perd de la netteté et de la précision qu’elle possède
dans l’ordre le plus simple, dans l’ordre malhématique.»*
Le développement s’achève sur l’histoire de la notion
de loi. 3 II restera toujours pour lui une place à la
volonté et il cite Aug. Comle : « Pour compléter les
lois, il faut des volontés. Et les phénomènes sociaux,
ceux où la prescription est le plus nettement indiquée,
se prêtent d’autant mieux à la subir, qu’ils sont entre
tous les plus modifiables. »
Tel est le développement de P. Laffitte sur la notion
de Loi.
régulière du monde extérieur ou objectif et une certaine
stabilité régulière du monde intérieur ou subjectif. Le
dedans et le dehors se sont associés, l’homme et le
monde ont fourni leur part et l’évolution sociale a cou
ronné l’œuvre.
L’auteur analyse les conditions subjectives et objec
tives de celte élaboration. Il y a eu concordance et har
monie entre les deux. 1
Il y a eu une lente élaboration de cette notion de loi. *
A la limite « le monde est désormais soumis dans
l’ensemble de ses phénomènes à des lois immuables qui
dirigent les nombres aussi bien que les sociétés ; l’esprit
de doute a perdu son dernier prétexte et l’homme
courbé devant l’évidence croit enfin à sa raison. » 3
Il est piquant du point de vue critique de retrouver
au sein même du Positivisme qui a tant fait pour la loi
constatation et qui devait servir à fonder le Détermi
nisme, un germe aussi marqué de relativisme qui sera
repris par le mouvement contemporain en faveur de la
contingence des lois naturelles. 4 La réaction contempo
raine contre le Scientisme et le Déterminisme pourrait
légitiment invoquer l’autorité de P. Laffitte sur ce point.
Ce relativisme s’affirme encore davantage avec le
point de vue suivant.
« Le principe des lois immuables n’est pas absolu.
C’est un principe relatif, dépendant à la fois de la
nature du monde et de la nature de notre cerveau, c’està-dire de conditions objectives et subjectives. »
Il résulte de l’action de nos fonctions cérébrales sur
des éléments fournis par le monde extérieur, ce qui a
exigé un concours suffisant entre une certaine stabilité
C) Institution subjective du dogme des lois immuables.
La recherche des lois ainsi réalisée par l’humanité,
le dogme des lois immuables doit être mis au service
de l’humanité. 5
Le principe sera alors le suivant : « construire les
lois opportunes avec le degré d’approximation que
commandent les circonstances. »
L’auteur critique ensuite la conception d’une loi
trouvée nécessairement vraie : « La loi était ou n’était
pas. »>
' Ibid.., p.
* Ib id ., p.
* Ib id ., p.
M ontesquieu:
modifications
1 Ib id ., p.
1 « Les lois réelles étaient suffisam m ent sim ples pour être
accessibles à nos moyens d ’investigation, >» Ib id ., p. 186.
a Ib id ., p. 189.
3 Ib id ., p. 190.
4 Cf. in lra , p. 137.
8 Ib id ., p. 191.
B) Elablissement du principe des lois immuables. 4
177.
180.
181. Laffitte y rap p elle lui aussi la ten tativ e de
il a vu l ’o rd re social, l ’ordre n atu rel au m ilieu des
dues à la volonté.
183.
�« Nous sommes, écrit-il, aujourd’hui revenus d’une
aussi étrange présomption. Toutes les lois ne sont pas
absolument vraies et partant nécessaires, comme le
voulait Montesquieu, mais il ne s’ensuit nullement
qu’elles ne contiennent pas un certain degré de vérité.»1
Elles n'ont qu’un degré relatif de vérité et comme
nous ne pourrons jamais espérer atteindre la vérité
absolue, il nous devient permis dès lors de nous arrê
ter dans leur recherche au degré de réalité qui semble
le mieux correspondre aux besoins pratiques. 2
Ainsi pour Laffitte les lois ne sont pas absolues :
elles sont contingentes.
De même on les avait crues toutes simples : peu le
sont et « Plus nous tendons vers la réalité, plus la sim
plicité nous échappe ».
Enfin tout ce passage se termine par un développe
ment montrant l’influence de ce dogme des lois immua
bles sur l’avenir de l’humanité au triple point de vue
intellectuel, pratique et moral :
Au point de vue intellectuel, ce dogme domine toutes
nos aspirations mentales et nous mène à l’idée de l’ordre
universel ;
Au point de vue pratique, il nous permet l’action :
« Pour modifier l’homme et la société », il faut connaître
d ’abord les lois naturelles qui les régissent et savoir
ensuite que toute notre influence sur elles consiste à
faire varier leur intensité sans rien pouvoir contre leur
nature. 3
Au point de vue moral ce dogme doit inspirer à
l’homme l’humilité devant l’ordre mais aussi la con
fiance en sa propre personne.
En résumé P. Laffitte insiste d’une part sur la notion
de loi naturelle positive mais chose infiniment curieuse,
tout en accueillant la notion nouvelle insiste sur sa rela
tivité et sa contingence en soulignant l’institution
subjective du dogme des lois immuables.
1 Ib id ., p. 193.
* Ibid., p. 193.
* Ibid., p. 195. On reconnaît là les term es même de la pensée
d ’Aug. Com te: « Les lois hum aines, ajoute P. L affitte, ne sont
ou plutôt ne doivent être q u ’un com plém ent des lois naturelles.
La légalité doit se rapprocher de la légitim ité. »
§ IL L ’I n flu en ce
de l ’E cole historique
La seconde influence moderne qui aboutit à ia loi
constatation est celle de lEcole historique.
Un sait que l’Ecole historique s’attache à une méthode
exclusivement inductive et prétend grâce à cette méthode
édifier la science.
11 faut suivre l’apport de cette Ecole sur la notion de
loi naturelle successivement chez Hildebrand, chez
Knies, chez Schmoller, chez Wieser.
Hildebrand 1 publie en 1848 un ouvrage important,
intitulé Oie National Œ konomic der Gegenwart und
Zukunft.
Il affirme très nettement 1 attitude de l’Ecole histori
que : on la trouvera exprimée dans le passage suivant :
« Smith et son école partent du principe que toutes
les lois économiques étant fondées sur les rapports
entre les hommes et les choses, elles planent au-dessus
du temps et de l’espace et restent fixes et immuables :
ils oublient absolument qu’en tant qu'être social,
l’homme est l’enfant de la civilisation et le produit de
l ’histoire et que ses besoins, sa culture, ses relations
particulières avec les choses et les autres hommes ne
restent jamais les mêmes, mais varient avec le milieu
géographique, qu’ils se modifient au cours de 1:his
toire et progressent avec la civilisation collective de
l’humanité. » a
Ainsi Hildebrand nie l’existence des « lois immuables
partout identiques » : les lois économiques sont seule
ment Jes lois du développement économique des nations.
Karl Knies 3 donne plus de développements qu’Hildebrand à la critique de la loi naturelle classique.
11 publie en 1853 un ouvrage intitulé : 4 Die politische
1 H ildebrand (1812-1878).
2 L ’Econom ie politique du Passé et de l ’Avenir, cité par
Schüller. Les Econom istes classiques et leurs adversaires. P. 4
et 5.
3 K arl Knies. 1821-1898.
Sur K nies cf. D efourny: K arl Knies. Rev. d ’E. P. 1906, p. 159
et p. 281.
4 Braunschw eig, t™ édition 1853, 2e édition: B erlin, 1881-18S3.
�OEkonomie voni Standpunkte der Geschichtlichen
méthode. 1
Knies fait la critique de l'absolutisme de J'ancienne
économie politique. 11 entend par là « la prétention de
donner aux problèmes économiques des solutions in
conditionnées, valables pour tous les temps et tous les
lieux, pour tous les pays et toutes les nationalités ».
Pour lui les théories sont un moment de la vérité éco
nomique, celle qui correspond à l’époque et à l’endroit
où elles sont nées.
« Les théories de l’Economie politique, tout comme
les faits économiques eux-mèmes, quelles que soient
leur forme, leur manière d:argumenter et leurs résul
tats, sont un produit du développement historique ;
elles sont en union vivante avec l’organisme total d ’une
période de l’histoire générale et de l ’histoire nationale ;
elles reflètent les conditions de temps, de lieu, de natio
nalité dans lesquelles elles sont nées ; elles vivent et se
transforment avec elles ; elle trouvent dans la vie histo
rique la base de leur argumentation : leurs conclusions
doivent avoir le caractère de solution historique.Même
ses lois générales, VEconomie Politique ne peut les
représenter que comme des explications historiques et
des manifestations progressives de la vérité ; elles ne
sont, à chaque degré d’avancement, que la généralisa
tion des vérités reconnues jusqu’à ce moment-là. Elles
ne peuvent jamais être considérées ni dans leur source,
ni dans leur formulation, comme absolument définiti
ves. L’absolutisme de la théorie, au moment où il surgit
dans l’histoire, n’est lui-même qu’un fils de son temps
et caractérise une époque du développement historique
de l’économie politique ». 3
Knies combat ensuite le cosmopolitisme de 3a loi
naturelle, c'est-à-dire la tendance à considérer les faits
et les théories comme indépendants du pays ; il s ’atta
que au perpétualisme, c’est-à-dire à la tendance à
considérer les théories régnantes comme indépendantes
du temps : il s’en prend enfin à 1absolutisme qui les
‘ L ’Economie Politique envisagée du point de vue historique.
?
édition: 1853, p. 19, trad u ctio n D efourny, art. cité.
considère comme indépendantes des deux à la fois, du
pays et du temps.
Pour ce qui est d ’abord du cosmopolitisme, l’auteur
affirme qu’on ne peut établir une vérité économique
bonne pour tous les peuples, d’abord parce que l’éco
nomie nationale d ’un peuple est distincte de celle de
tous les autres : forces naturelles, climat, qualités et
étendue du territoire, position par rapport aux routes
commerciales, etc., sont autant d ’éléments différents ;
ensuite parce que chaque peuple a son caractère natio
nal : celui-ci est différent à tous points de vue : force
corporelle, endurance naturelle, qualités spirituelles,
etc...
Le cosmopolitisme est donc à écarter.
Pour ce qui est du perpétualisme qui consiste à décla
rer que les vérités économiques sont bonnes pour tous
les temps, Knies indique comment l'état économique est
fonction du temps : il insiste sur les changements nota
bles dans l’utilisation des territoires, sur l’évolution du
caractère national, sur l’évolution des manifestations
sociales (état de paix ou de guerre, influence de l’Etat,
faits religieux), qui ont toutes leur répercussion sur les
faits économiques.
Chaque économie nationale est un type sui generis
et la science se réduit à une pure description.
La science devra se borner à constater des analogies
entre les diverses économies nationales : elles sont de
deux sortes :
a) l’identité dans l’espèce entière de la nature
humaine en général, sorte de protoplasme partout
identique ; 1
b) la multiplicité des relations commerciales entre
peuples qui propagent les mêmes inventions et les
mêmes méthodes de travail. 1
Il n’y a pas de lois de l’histoire, parce que la position
des peuples dans le mouvement de l’histoire générale
est dissemblable : « On ne peut méconnaître qu’il y
ait des analogies, mais des analogies seulement dans
�—
le mouvement historique de l’économie nationale chez
les divers peuples. L’identité des manifestations est
rendue impossible par ceci que les raisons susceptibles
d’être considérées comme égales chez les diverses
nations ne peuvent arriver à se manifester que concur
remment avec d ’autres forces partout différentes, spé
cifiques pour chaque peuple et chaque période ». 1
Ivnies en vient enfin à Yabsolulismc qui consiste à
admettre des théories économiques valables pour tous
les temps et tous les lieux à la fois.
Pour lui ni les lois présidant aux forces naturelles, ni
les lois présidant aux formes humaines ne sont des lois
économiques : les premières, — par exemple le degré de
fertilité des terrains en raison de leurs éléments chimi
ques, la nourriture rationnelle du bétail, — sont du
ressort de la physique, de la chimie ou de la zoologie ;
les secondes ne sont pas davantage des lois économi
ques : on a voulu bâtir sur l’intérêt personnel aussi
sûrement que sur des faits naturels 3 mais il y a bien
d’autres motifs des actions humaines dont on fait abs
traction : Il n ’y a rien de nécessaire ou d ’universel dans
les lois économiques déduites de l’égoïsme.
En conclusion il ne peut donc être question de
lois naturelles en économie politique : 3 celle-ci s ’appuie
sur la psychologie collective et l’histoire : la méthode
sera l’observation : elle montrera « que les mêmes phé
nomènes peuvent avoir des caractères différents selon
les temps et les lieux. » *
L’économie politique ne peut établir que des lois
d’analogie : il n’y aura que des points communs indis
solublement liés à des traits différents. 5 On obtiendra
quelques indications pour l’art social, en tout cas il
n’y a plus de prévision possible.
Ainsi Knies apporte une contribution originale à la
1 I b i d p. i22. L 'auteu r donne ici la com paraison avec une
même graine, soumise à l'action d 'u n e pluie, d ’un soleil et
d ’un sol différents.
3 Ib id ., p. 239.
* Ib id ., p. 239.
4 Ib id .j p. 286. Ici encore un relativism e très form el.
8 Ib id ., p. 346.
89
—
formation de la loi constatation : sans doute, on l’a vu,
il n’est pas personnellement partisan de lois absolues
et à-vrai dire il n’admet pas de lois constatation. Mais
— et c’est là i essentiel — il donne une contribution
des plus utiles contre l’absolutisme des lois classiques :
son travail est en ce sens parallèle à celui du Positi
visme.
On peut rapprocher de la critique de Knies celle de
Labriola : les lois découvertes par TEcole classique
sont les lois de l’homme dans la société capitaliste, le
capitaliste, le propriétaire foncier et l’ouvrier : « Si
toutes les lois découvertes par l’économie politique se
réfèrent à ces trois personnages du drame moderne,
comment pourraient-elles être considérées comme
absolues et éternelles ? » 3
Karl Menger 3 en réaction il est vrai contre l’Ecole
historique sur le point de vue de la méthode, conserve
cependant un certain relativisme dans la conception de
la loi naturelle :
« Du point de vue du réalisme empirique, on ne peut
pas plus arriver à des lois naturelles exactes qu’à des
lois exactes des phénomènes sociaux. » 4
Il a contribué cependant à formuler les lois de l’Ecole
psychologie autrichienne.
Schmoller 4 comme représentant de l’Ecole histori
que prend également parti contre la loi naturelle de
Jecole classique et admet des lois empiriques.
Son œuvre la plus précise à cet égard est un article
publié en 1897 dans le Yahrbuch, intitulé : Théories
changeantes et vérités stables dans le domaine des
Sciences sociales et de T Economie polili<iue actuelle. *
1 L ab rio la: D evenir Social. 1895,
L , P- 845 et suiv.
* Art. cité p. 848.
3 1840-1921.
4 U ntersuchungen liber die M éthode der Socialwissenschaften
uud der politische Œ conom ie insbesondere. Leipzig, 1883.
A nhang V. p. 260.
5 1838-1917.
8 R eproduit dans P olitique Sociale et Economie Politique,
1 vol., trad. franç. P aris, 1902, G rand chap. X III, p. 425-436,
sous le titre : Les R ég u larités et les Lois. Je citerai d ’après
celte traduction française.
�Il part dans le dit article de la constatation des régu
larités dans la nature qui ont amené à la notion de loi.
« L’ancienne économie politique s ’est proposé de
dégager quelques-unes des formes typiques de l’organisalion el de l’activité sociale et les modifications et les
mouvements réguliers qui s ’orientent au sein de ces
formes, de les dégager de l’état social de l’ouest de
l’Europe et principalement des conditions sociales de
l’Angleterre et de la France de 1750 à 1850. » 1
On généralisa « comme ayant toujours existé et chez
tous les peuples » ces formes d’un temps. On les appela
des lois.
On a exagéré ces « lois naturelles innombrables. » *
Schmoller critique alors cette idée et cette partie de
l’Ecole classique.
Il y a, dit-il, plusieurs sens du mol loi :
la loi c'est toute constatation de propriétés el carac
téristiques toujours analogues ;
la loi c’est tout rapport de causalité ;
la loi ce sont les relations et les causes qu’on peut
mesurer et nombrer.
Mieux vaut ne pas généraliser ce sens du mot loi.
« On donne ainsi en les qualifiant de lois à certaines
opinions une apparence de nécessité qu’elles ne possè
dent pas, ou bien on donne à des vérités d ’ordre secon
daire un rang plus élevé, et on trompe ainsi celui qui
s’en sert ensuite. » *
Il y a plusieurs catégories de lois : « le but prati
que c’est qu’on arrive ainsi à prévoir les événements et
à s ’en rendre maîtres. » 4
Si la loi s’entend seulement de causes immuables, il
n’y a pas de lois économiques et sociales.
Il y aurait à tout le moins des lois empiriques. « Celui
qui évite l’expression ne peut méconnaître que nous
1 Art. cité, p. 426.
5
<( On ne voyait pas que même a u jo u rd ’hui, dans les théo
ries les plus avancées on n ’a découvert q u ’un nom bre très res
treint de véritables lois, que toute loi nouvelle fait époque. »
Ibid., p. 427.
sommes en présence d’un vaste ensemble de régularités,
de causes connues, qu’il y a là possibilité d’arriver à
une masse de vérités générales et de jugements de
théories. » 1
Ces lois empiriques suffisent pour prévoir l’avenir
et éviter des dangers menaçants.
« Plus on bornera ses études à un état de civilisa
tion déterminé et si on considère cet état comme stable,
ce qui est un artifice méthodologique permis, plus on
arrivera facilement à saisir les causes les plus impor
tantes, les causes prédominantes de nature psychique
ou aulre, à en déduire les formes typiques de l’organi
sation el à expliquer les mouvements élémentaires du
processus économique, qui se reproduisent d ’une façon
typique. On n’arrivera ainsi qu’à des généralisations
approximatives, plus ou moins grossières, qui ne tien
nent pas compte des circonstances accessoires et des
modifications secondaires. Qu’on les appelle des lois
ou des vérités hypothétiques, ce sont, si on en fait un
usage sagace, d’importants instruments de connaissance
et c’est sur elles que doit s!appuyer toute bonne politique
comme toute bonne administration. » *
Ainsi Schmoller admet les lois empiriques de succes
sion ou de coexistence mais les causes ne sont pas ordi
nairement mesurables. s
L ’Ecole historique avec lui 4 accepte la loi constata
tion, avec toutes les réserves qu’imposait la méthode
exclusivement inductive.
1 Ib id . A rt. cité, p. 430.
3 Ib id . A rt. cité, p. 431.
3 Schm oller adm et aussi des am bitions plus grandes, la recher
che de la form ule g énérale du progrès économique comme loi
de synthèse. M ais il fait alors toutes réserves sur le succès
possible et affirm e que ces lois n ’égaleront jam ais les lois dans
les sciences de la nature.
4 Cf. Les conclusions de Defourny. Art. cité. Rev. d’E .P ., 1906,
p. 302.
�A. Wagner * adopte une position sensiblement analogue:
« Les lois économiques expriment donc, écrit-il, 2 de
simples tendances de la production réelle des phénomè
nes réels et les expriment d'une façon plus large que
les lois causales élémentaires ne le font dans des scien
ces naturelles. »
Dans un long chapitre consacré à la question, il
refuse d’admettre en économie politique des lois prin
cipales et des lois secondaires, des lois de mouvement
et des lois dévolution. La différence fondamentale entre
les lois économiques et les lois de la nature est l’inter
vention des mobiles psychologiques pour ces dernières.
Au surplus c’est là un avantage pour celles-ci : « Si
les lois économiques sont moins exactes que les lois de
la nature, cela tient au système des mobiles qui les occa
sionnent, mais grâce à ce système, elles sont aussi plus
compréhensibles, plus faciles à déterminer. » 8
Les lois sont obtenues par déduction : l'observation
doit ensuite les vérifier.
Sur ce dernier point, il se sépare assez nettement des
autres représentants de l’Ecole historique.
Wieser * comme représentant de l’Ecole historique,
apporte 8 une conception curieuse de la loi naturelle : les
lois naturelles seraient les lois économiques qui s’éta
bliraient dans une société limite, complètement
égalitaire.
régularités fixes, à des constances régulières qu’ils ont
mises en lumière.
Il s ’agit ici spécialement de Quételet, de Cournot, de
Gossen. Il les faut étudier successivement.
Quételet. 1
Quételet était un économiste Belge : son principal
ouvrage, du point de vue de notre recherche, est inti
tulé : Sur l'homme et le développement de ses facul
tés : 2 il a paru en 1835.
Dès l’introduction de cet ouvrage, l’auteur pose la
question : « Les actions de l’homme sont-elles soumises
à des lois ? » 4
« Il est impossible, répond-il, de résoudre une pareille
question à priori : si nous voulons procéder d’une
manière sûre, c’est dans l’expérience qu’il en faut cher
cher la solution. » *
Pour l’établissement de la science, il faut faire prédo
miner le point de vue collectif : « considérer l’homme
comme une fraction de l’espèce. » 4 « En le dépouillant
de son individualité, nous éliminons tout ce qui n’est
qu’accidentel et les particularités individuelles qui n’ont
que peu ou point d’action sur la masse, s ’effaceront
d ’elles-mèmes et permettront de saisir les résultats
généraux. » 4
II faut éliminer cet accidentel par une grande série
d ’observations : « Plus le nombre des individus que
l’on observe est grand, plus les particularités indivi
duelles soit physiques soit morales s’effacent et laissent
prédominer la série de faits généraux en vertu desquels
la société existe cl se conserve. » *
On obtient ainsi les causes et les modes d ’action ou
lois générales.
« Ces lois, par la manière même dont on les a déter1 1796-1876.
3 Q uételet. Sur l’homme et le développem ent de ses facultés
ou essai de physique sociale. Paris, Bachelier, 1835. Bib. N atio
nale. In v en taire R. 47.843.
3 Ed. citée p. 3.
A Ed. citée p. 3.
4 Ed. citée p. 4.
* Ed. citée p. 12,
�minées, ne présentent plus rien d ’individuel, et par
conséquent on ne saurait les appliquer aux individus
que dans de certaines limites. Toutes les applications
qu’on voudrait en faire à un homme en particulier
seraient essentiellement fausses ; de même que si l’on
prétendait déterminer l’époque à laquelle une personne
doit mourir en faisant usage de la table de mortalité. »
Ce sont les lois du corps social : ces lois ne sont pas
d'ailleurs essentiellement invariables : elles peuvent
changer avec la nature des causes qui leur donnent
naissance : ainsi les progrès de la civilisation ont fait
changer les lois relatives à la mortalité. On voudrait
faire changer les tables construites sur l’intensité du
penchant au crime aux différents Ages et il peut y avoir
ici de graduelles modifications.
« Comme membre du corps social, l’homme subit à
chaque instant la nécessité des causes et leur paie un
tribut régulier : mais, comme homme usant de toute
l’énergie de ses facultés intellectuelles, il maîtrise en
quelque sorte ces causes, modifie leurs effets et peut
chercher à se rapprocher d’un état meilleur. » 2 L ’action
demeure donc possible.
Ouételet aboutit ainsi à admettre des causes naturel
les, des causes perturbatrices et leur action réciproque.
Quételet se propose donc de constater « les faits et
les phénomènes qui concernent l’homme et d ’essayer
de saisir par l’observation, les lois qui lient ces phéno
mènes ensemble. » *
Tout l’ouvrage est une recherche des lois naturelles
concernant l’homme moyen. 4 II étudie pour la nais
sance l’influence des causes naturelles (sexes, âge, lieux,
année, saisons, heures du jour) sur le nombre des nais
sances, t’influence des causes perturbatrices (profes
sion, nourriture, moralité, institutions civiles et reli
1 Ed. citée p. 14.
3 Ed. citée p. 15.
3 Ed. citée p. 16.
4 Q uételet le définit : «< Ce sera, si l ’on veut, un être fictif
pour qui toutes les choses se passent conform ém ent aux résu l
tats moyens obtenus pour la société. »
gieuses). De même l’influence des unes et des autres sur
les décès, etc.
Il aboutit à deux conclusions importantes :
« Il ne faut pas confondre, dit-il, 1 les lois de dévelop
pement de l’homme moyen à telle ou telle époque avec
les lois de développement de l'humanité, »
Pour l’avenir il compte, après son esquisse qu’il
déclare incomplète du vaste travail qui reste encore à
faire, sur une science plus complète en étudiant surtout
les écarts et en les mesurant. 2
En résumé Quételet compte sur le développement de
la statistique pour perfectionner la découverte des lois
naturelles. Il s’agit bien pour lui, avec les nuances
ci-dessus indiquées, de la loi constatation.
Cournot. *
Cournot 4 se rattache à une tradition d ’auteurs,
Donnant (1809), Dufau (1840), Quételet (1835), Moreau
de Jonnès (1847), qui ont fait de la statistique une science
ayant pour objet la découverte de toutes les lois qui
peuvent se dégager des chiffres fournis par le
dénombrement.
Son principal ouvrage, au point de vue qui nous inté
resse est intitulé : Exposition de la théorie des chances
et des probabilités et a été publié en 1843.
Il donne * la définition suivante de la statistique :
C’est « la science qui a pour objet de recueillir et de
coordonner des faits nombreux dans chaque espèce,
de manière à obtenir des rapports numériques sensi
blement indépendants des anomalies du hasard et qui
dénotent l’existence des causes régulières dont l’action
s’est combinée avec l’action des causes fortuites. »
Ainsi la statistique préparerait l’étude des relations
causales. *
1 Ed. citée p. 271.
* Ed. citée p. 296.
3 1801-1877.
4 Sur C ournot Cf. F. F aure. Les idées de Cournot sur la sta
tistique. Rev. de m étaphysique et de m orale. 1905, p. 394.
3 P. 182.
�II la fonde sur la loi des grands nombres. 1 Grâce à
cette loi les variations sont pour lui moindres pour
les phénomènes sociaux que pour les phénomènes
physiques.
Cournot remarque que l’astronomie est devenue
science parfaite en dépouillant l ’idée de force et en la
ramenant par une définition formelle à n’être que
l’expression d’une loi mathématique. « De même et par
une analogie frappante, on peut dire que la théorie des
richesses n’afleint à la précision scientifique que quand
il est possible de dégager l’idée d’une loi mathémati
que à travers les combinaisons innombrables auxquelles
donne lieu le jeu des forces et des fonctions de la vie
dans (ouïes les parties du corps social. Il ne s!agit plus
que de savoir dans quels cas et dans quelle mesure on
peut se permettre un tel isolement, une telle abstrac
tion, sans sortir des conditions de la réalité el sans
rendre inapplicables les déductions de la théorie. » 3
Cournot dégage l’idée de loi naturelle et la science
économique de tout lien avec les applications pratiques.*
« Certaines parties de la théorie des richesses, el par
cela même certaines parties de la science de l’économie
sociale acquèreront de la sorte une rigueur scientifique
qui les recommanderait à la curiosité du philosophe,
lors même que l’on ferait abstraction de toute utilité
pratique. » 4
Ainsi pour Cournot comme pour Quételet c’est la
statistique qui permettra de formuler la loi constatation.
Gossen. 4
Il publie en 1854 un livre important : Enlwickelung
der Geselze der menschlichen Verkehrs und des daraus
fliessenden Rerjeln fur mensliches Uandeln. 6
1 Voir sur ce point le tome II de cet ouvrage : Les lois n atu
relles économiques.
* Cournot. Principes de la théorie des Richesses. Ed. H achette,
1863, P- 22.
3 Cf. Aupetit. Rev. de m étaphysique et de m orale, 1905, p. 377.
1 Cité par Aupetit art. ci-dessus, p. 380.
5 1810-1858.
0 W alras. (Un Econom iste inconnu. Jo u rn a l des E conom is
tes, 1885 (I p. 68) traduct : Exposition des lois de l ’échange et
des règles de l ’industrie qui s’en déduisent.
L’idée générale de l’ouvrage est la suivante : la Pro
vidence a soumis le monde social à des lois bienfaisan
tes qu’il suffit de connaître et de suivre pour atteindre
au bonheur.
La loi constatation y est mise en œuvre avec quelque
orientation vers l’économie mathématique.
Ainsi et avec ce troisième courant s’achève l’élabora
tion de la loi constatation.
Celle-ci a désormais pénétré en Economie Politique,
comme dans les autres sciences.
Elle est surtout avec Auguste Comte et le Positivisme
définitivement expurgée de l’élément éthique et opti
miste qu’elle tenait de ses origines.
�CHAPITRE VII
les conceptions actuelles
le la loi naturelle economique
L’étude des conceptions actuelles de la loi naturelle
économique doit, pour donner une idée exacte de
l’ensemble, distinguer deux aspects nettement tranchés
qui feront l’objet des deux paragraphes de ce chapitre :
§ I. La négation de la loi naturelle.
§ IL Les attitudes des diverses Ecoles économiques
contemporaines en face de l'idée de loi naturelle.
§ I. L a négation de la loi naturelle
Celte négation fut l’œuvre d ’Emile de Laveleye. 1 Elle
est énoncée dans les Eléments d'Economie Politique
publiés 2 par cet auteur en 1882 : elle a donné lieu
d’ailleurs a une discussion passionnée.
Il faut étudier l’une et l’autre.
A) La négation.
« L’Economie Politique, écrit de Laveleye est affaire
de législation... On peut définir l’Economie Politique la
science qui détermine quelles sont les lois que les
hommes doivent adopter, afin qu’ils puissent, avec le
moins d’efforts possibles, se procurer le plus d ’objets
utiles à la satisfaction de leurs besoins, en les répartissanl conformément à la justice et en les consommant
conformément à la raison. » *
1 1822-1892.
3 E lém ents d ’Econom ie Politique par E. de Laveleye. Pans,
H achette, 1882.
* O p . c it .j p. 2 et 3.
�« On appelle généralement les lois économiques des
lois naturelles : c’est à tort. Les lois de la nature, celle
de la gravitation ou les affinités chimiques, s ’imposent
à l’homme comme au reste de l’univers. Il doit s ’effor
cer de les connaître pour en tirer parti, ainsi qu’il le
fait déjà dans la plupart des industries et notamment
dans l’emploi de la vapeur et de l’électricité. Mais les
lois dont s'occupe l’économie politique ne sont pas celles
de la nature, ce sont celles qu'édicte le législateur. 1 II
lire parti des premières en y obéissant, des secondes en
les améliorant. Les unes échappent à la volonté de
l’homme, les autres en émanent. » *
B) La discussion. 3
Pareille affirmation ne pouvait pas manquer de sus
citer une vive émotion chez les représentants de l’Ecole
libérale.
Il faut suivre les péripéties de cette discussion en
elle-même assez intéressante.
L’affaire fut amorcée par le compte rendu critique
1 Dans un ouvrage an térieu r, Le S ocialism e contem porain
(î™ édition, Bruxelles, 18S1, chapitre I), L aveleye écriv ait déjà:
« J e cherche dans le dom aine de l ’Econom ie P o litiq u e ces lois
naturelles dont on parle toujours, et je ne les découvre pas. Je
com prends qu ’on em ploie ces mots quand il s’ag it de phéno
mènes de l ’univers physique, qui, en effet, d ’après l’infinim ent
peu que nous en savons, paraissent obéir à des lois im m uables...
C’est avec raison q u ’on a reproché à l ’économie politique offi
cielle d ’ém ettre comme des vérités absolues des propositions,
qui, dans la réalité, sont dém enties p ar les faits, comme si,
en mécanique on form ulait les lois du m ouvem ent, sans tenir
compte des résistances et des frottem ents. »
* Op. cit.j p. io.
3
On en trouvera les docum ents dans le Journal des Econo
m istes , année 1883.
Ce sont:
i° U n compte rendu critique de C ourcelle-Seneuil.
Journal des E c., fév. 1883, t. I, p. 325;
20 U ne réponse de de Laveleye: Les lois n atu relles et l ’objet
de l ’Economie Politique.
Journ. des E c., avril 1883, t. II, p. 92;
30 U ne note de D am eth : Q uelques mots de réponse à M. de
Laveleye au sujet des lois naturelles.
Jo u m . des E c., m ars 1883, t. II, p. 260;
4° Une note de M aurice Block sur la même question.
Journ. des E c., mai 1883, t. II, p. 264.
de l’ouvrage de de Laveleye publié en février 1883 par
Courcelle Seneuil. L’auteur critique la thèse de de La
veleye : voici l’essentiel de son exposé.
Après avoir rappelé la thèse : l’Economie politique
est affaire de législation, Courcelle Seneuil écrit : « En
effet, on peut considérer à ce point de vue certaines
études économiques, mais elles ne sont pas la science :
tout au plus ont-elles pour objet d’en chercher les appli
cations en vue d ’une fin déterminée. M. de Laveleye
compare l’économiste au médecin. Que dirait-il d’un
médecin qui soutiendrait la non existence de l’anato
mie et de la physiologie. Nous craindrions fort qu’il
ne traitât ce médecin d ’empirique.
Est-ce que l’économie politique n’est pas précisément
une part considérable de la physiologie de la société ?
N'a-t-elle pas constaté des lois naturelles, qui ne dépen
dent pas plus de la volonté des individus que celles qui
régissent la circulation du sang, la respiration ou la
digestion. Quand on a reconnu ces lois, on peut aborder
avec fruit l’étude des problèmes d’application ; mais si
on les ignore, on les méconnaît, ce qui est tout un, on
ne peut discuter ces problèmes que dans une causerie
plus ou moins brillante, plus ou moins agréable, plus
ou moins sensée, mais aboutissant constamment à des
solutions arbitraires, inspirées par la fantaisie. » 1
Ainsi le représentant de l’Ecole libérale, Courcelle
Seneuil maintenait la thèse traditionnelle de celle-ci.
De Laveleye a reprend dans les mêmes termes la
thèse exposée dans son ouvrage et systématise les argu
ments propres à la justifier.
En voici le résumé :
1° C’est la tradition d’Adam Smith et des Physiocrates ; *
2° C’est d’ailleurs conforme à l’étymologie. Econo
mie politique vient de trois mots grecs : 6txo;,
vouo;,
I Journ, des E co n ., fév. 1883, p. 326.
* Journ. des E c., avril 1883, p. 92.
II a repris cet article dans un volume in titu lé: Essais et étu
des, 3* série, 1883-1802, p. 1. Je citerai d ’après ce volume.
3 Essais et études, édit, citée p. 2 et p. 16.
�ïtôXi;. C'est l’art d’administrer la richesse dans les
sociétés, c’est-à-dire l’affaire du législateur ;
3° C’est aussi conforme à l’opinion des anciens et
des auteurs des xvn® et xvin® siècles ;
4° L’Economie politique fait partie des sciences mora
les et politiques, leur caractéristique est de s ’occuper
de ce qui doit être. La morale, le droit, la politique
reposent sur cette base ;
5° Encore l’Economie Politique réduite à sa plus sim
ple expression « laissez faire, laissez passer », constitue
comme une prescription impérative en matière de
législation ;
6° Enfin de Laveleye reprend de plus la démonstra
tion pour les différentes lois naturelles de l’Economie
Politique :
la loi de l’offre et de la demande est un « truisme
constaté par toutes les cuisinières » ;
les lois de la répartition sont des lois humaines : ex.
liberté testamentaire, partage égal ;
les lois de la consommation sont aussi artificielles,
humaines.
L ’auteur conclut : « Ce sont toutes ou de purs
truismes, ou des faits empruntés à un ordre d ’observa
tion tout autre que celui dont s ’occupe l’économiste.
Il n’y a pas de loi, car il n’y a pas enchaînement néces
saire, « prévoyable » (sic) des phénomènes.
Ce texte très net donne bien idée de la position prise
par de Laveleye :
« Les lois naturelles ou de la nature sont celles qui
nécessitent invinciblement les corps, parce qu’elles en
sont l’essence. Elles sont l’objet des sciences naturel
les. L’économiste doit en tenir compte mais il n’a pas
à les étudier. Les lois dont s ’occupent les sciences mora
les et politiques — et l’économie politique en fait partie
— sont au contraire des lois rationnelles : lois morales,
juridiques, économiques, que la raison découvre et qui
s'imposent à un être libre, l’homme, non invinciblement
mais comme prescription et devoir.Si l’homme y obéit,
il est récompensé par le bien-être et le bonheur ; sfil y
contrevient, il est puni par les tribunaux, par le dénue
ment ou par la déchéance. » 1
On croirait entendre Cumberland. *
Les réponses de Dameth et de Maurice Block n’ont
pas de peine à réfuter la théorie de de Laveleye : elles
reprennent les divers arguments ci-dessus énumérés et
on ne peut que leur donner raison :
1° En ce qui concerne l'argument d’autorité invo
quant Ad. Smith et les Physiocrales, Dameth rappelle
que les Physiocrales admettaient « un ordre le plus
avantageux aux hommes réunis en société » et qu’Ad.
Smith de même était partisan d’un certain ordre
naturel ; a
2° L'argument d ’éhjmologie est douteux et un peu
tendancieux;
3° L'argument d'autorité invoquant les auteurs de
l’ancien et du nouveau Testament, les prophètes d ’Israël
et les pères de l’Eglise est inefficace parce qu’à leur
époque le problème n’était pas posé dans les mêmes
termes ;
4° L ’argument de l’Economie politique, science de ce
qui doit être, n’est pas pertinent. Dameth indique, en
surprenant une concession de Laveleye sur les lois éco
nomiques et la sanction, qu’il y a donc un type, un idéal
auquel doit se conformer la législation ;
5° Enfin Vargument du laissez faire, laissez passer,
envisagé comme prescription impérative de législation,
n’est vraiment pas sérieux.
Dameth conclut : 4
« M. de Laveleye aura beau se livrer à « l’éreintement » des lois naturelles de ^économie sociale, les
traiter de « truismes constatés par toutes les cuisiniè1 E ssais et E tudes. E d. citée p. 15.
2 Cf. ci-dessus, p. 17.
3 II écrit (Journ. des E c ., t. II, 1883, p. 262): « T ransform er
l ’homme qui a fait un tel livre (L a R ichesse des Nations) en
docteur du Socialism e d ’E ta t et en négateur des lois naturelles
de la science, cela sur un sim ple nombre de phrases, voilà qui
est plus que hardi. Un membre de la police, sous le Prem ier
E m pire, d isait: « Donnez-moi deux lignes d ’un homme et je me
charge de les faire pendre. »
4 jo u rn . des E c m ai 1883, p. 264.
�—
res », cela ne prouvera qu’un point, c’est qu’il n ’a jamais
pris la peine de les étudier à la Smith, c’est-à-dire sincè
rement et sérieusement, ce qui réduit, malgré tout son
talent, à en parler, suivant le dicton populaire, comme
un aveugle parle des couleurs. »
C’est là une appréciation un peu dure mais en somme
méritée.
Laveleye n’avait pas triomphé dans sa négation des
Lois Naturelles. 1 La position qu ’il a adoptée paraît
vraiment intenable du point de vue scientifique.
Un autre publiciste contemporain Draghicesco
prend une position analogue mais plus subtile : les lois
économiques et le déterminisme social ne sont qu’à l’état
de devenir : elles ne seront possibles que lorsque 'évo
lution sera achevée.
« La Société se trouve dans sa phase actuelle, par
rapport au laps de temps que les conditions physiques
lui permettent de durer, dans l’état de développement
où se trouverait un enfant de dix mois au début d’une
vie longue d ’une centaine d ’années. Ce qui manque au
déterminisme, c’est l’àge. » 2
La position négative de Laveleye a été récemment
reprise par un économiste allemand, K. Diehl. 3 11 écrit:
« Ce que nous contestons, c’est l’existence de pré
tendues lois économiques, qui seraient soustraites à
toutes les puissances de la constitution économique :
nous n’admettons pas de telles lois et particulièrement
ces prétendues lois de la valeur qui s’imposeraient
comme un élément essentiel dans n’importe quelle orga
nisation et dans n’importe quelle constitution écono
mique... » *
1 Cf., cependant M ichotte. Les théories économ iques en Belgi
que. i vol. Louvain, J904, p. 298.
* Draghicesco. De la Possibilité des Sciences Sociales. Reviie
philosophique, oct. 1905, p. 374.
8 K. Diehl. Z urechnungstheorie und W erteilu n g steh re. (Théo
rie de l ’im putation et théorie de la répartition).
Yahrbücher per N ational (Economie und S tatistik . 131 B. F.
I II. 76, B 1929, II p. 641.
Cf. H. Delpech. Essai sur la théorie au trichienne de l'im p u ta
tion. 1 vol. Rec. Sirey 1934, p. 158.
105
—
Pour être surtout dirigée contre les lois de la répar
tition, c’est là tout de même une négation formelle, nou
velle à l’époque contemporaine, des lois économiques.
§ IL L e s attitudes des diverses éco les économiques
CONTEMPORAINES EN FACE DE L IDÉE DE LOI NATURELLE
La très grande majorité des Economistes contempo
rains admet l’existence des lois naturelles économiques
mais bien entendu avec des nuances très importantes.
Il faut passer en revue ces conceptions contemporai
nes en les classant par Ecoles :
Section
I. L'Ecole libérale ;
Section
IL L ’Ecole mathématique ;
Section III. Les Ecoles socialistes ;
Section IV. Les Ecoles d’Economie nationale ;
Section
V. Les Ecoles intervenlionistes ;
Section VI. L ’Ecole anarchiste ;
Section VIL Les Ecoles sociologiques.
Section I. L ’Ecole libérale
D’une manière très générale, les Economistes libé
raux contemporains reproduisent les conceptions de
l’Ecole libérale classique sur la loi naturelle : elle est
en général pour eux absolue, fatale et inéluctable. Quel
ques citations permettent d'en juger.
C’est d ’abord de Molinari 1 dans un ouvrage spécia
lement consacré à la question. 2 L’auteur dans sa préface
explique 1 idée du livre : « Dans une série d ’ouvrages
publiés depuis quarante ans, nous avons entrepris de
démontrer, à l’exemple de nos devanciers, les écono
mistes du xviu® siècle, que l’existence de l’homme, la
constitution des sociétés et le développement de la civi
lisation sont gouvernés par des lois naturelles. Cette
démonstration nous venons de la résumer et de la
compléter. » 3
1 1819-1912.
3 Les lois n atu relles de l ’Economie Politique, 1887.
* P our de M olinari il y a trois lois essentielles : loi de
l’économie des forces, loi de la concurrence, loi de la pro
gression des valeurs. Cf. compte rendu Rev. d ’E. P. 1887, P- *28.
�—
ï ►
106
—
11 y donne ensuite celle déclaration de principe :
« Nous disons que les lois naturelles gouvernent la
production el la distribution de la richesse de la manière
la plus utile, c’esl-à-dire la plus conforme au bien géné
ral de l'espèce humaine ; qu'il suffit de les observer, en
aplanissant les obstacles naturels qui s’opposent à leur
action et surtout en n’y ajoutant point d’obstacles arti
ficiels, pour que la condition de l’homme soit aussi
bonne que le comporte l’état d’avancement de ses
connaissances el de son industrie, c’est pourquoi, notre
évangile se résume en ces quatre mots : laissez faire,
laissez passer. » 1
C’est ensuite Léon Say 2 qui insiste sur la notion de
lois fatales et inéluctables : 3
« Vous savez que les lois naturelles, quand elles sont
violées, ne trouvent pas leur sanction dans nos Codes...
Leur sanction ne se trouve que dans le désordre social...
Et plus loin : Au point de vue de la politique inté
rieure et de la politique étrangère, il nous suffit donc
de savoir attendre et pour attendre fructueusement, il
nous suffit de travailler à préciser la nature des lois
économiques et des effets inévitables de la violation de
ces lois sur la richesse publique et privée. » 4
C’est également Paul Leroy-Beaulieu. 5
Dans son Traité d’Economie Politique il donne cette
définition de l’Economie Politique : l’ensemble des lois
générales qui déterminent l’activité et l’efficacité des
efforts humains pour la production et la jouissance des
biens que la nature n ’accorde pas spontanément à
l’homme. » *
Il admet dans une large mesure la prévision : « La
prévision néanmoins est possible dans beaucoup de cas
quand il s’agit de phénomènes très importants, très
accentués, bien circonscrits. » 1
Il ne faut pas toutefois assimiler les lois économiques
à des dogmes :
L’universalité des lois économiques est quelque chose
de tout à fait différent de l’universalité de dogmes éco
nomiques : la première existe el la seconde n’existe pas.
Le tort-des demi-savants et des esprits légers, ç a etc de
vouloir transformer des lois économiques en dogmes
économiques : des lois, ce sont des forces qui agissent
toujours également et conformément, mais qui peuvent,
dans la complexité des phénomènes être modifiées,
accrues, annulées, par l’intermédiaire des forces d’une
autre nature : des dogmes, ce sont en quelque sorte des
formules universelles el immuables auxquelles on pré
tendrait ramener les phénomènes, quelle qu’en fut la
complexité. » *
Alfred Jourdan 3 dans son Cours analytique d'Economie Politique * insiste sur la notion de loi naturelle dans
les sciences et à propos d ’une comparaison avec la
pathologie conclut : « L’économie politique ne possède
pas des remèdes, des spécifiques pour tous les maux
dont souffre la société ; mais en dévoilant les causes
dont ils découlent, elle suggère le seul moyen d'en atté
nuer les tristes effets qui est de faciliter le libre jeu des
1 rces économiques. C’est le grand précepte de Bacon.
« On ne commande à la nature qu’à condition de se
conformer à ses lois. Naturæ non imperatur nisi
parendo. »
C’est aussi Yves Guyol, 4 longtemps directeur du
j urnal des Economistes.
Dans son ouvrage intitulé la Science Economique * il
écrit : « L Economie politique est la science des lois
* I b i d p. 25.
* Ibid.., t. 1. p. 37.
8 1825-1891.
* i r® édition 1882.
2e édition. P aris, Rousseau, 1890, p. 13.
8 1843-1928.
« Yves Guyot. La Science économique. Ses lois inductive*.
1 vol. P aris, 1901.
�________ _ _ ______
_
_______ ____________________ _____
—
108
—
—
109
—
générales et immuables conformément auxquelles se
font les échanges et s’établissent les valeurs. »
La même conception optimiste et classique d'Yves
Guyot se trouve encore très nettement affirmée dans le
résumé d’une discussion à la Société d’Economie Politi
que de Paris du 5 novembre 1913 : 1 « Les fondateurs
de la science économique et leurs continuateurs ont
cherché à déterminer les rapports généraux et immua
bles des phénomènes entre eux et ils ont pu constater
les sanctions inévitables qui sont la preuve des lois
scientifiques. Ceux qui essaient de se dérober aux lois
économiques sont aussi certainement frappés que ceux
qui essaient de se dérober à la loi de la pesanteur. »
M. Bloch 3 restreint le nombre des lois économiques
applicables à tel ou tel pays mais leur conserve le carac
tère absolu que leur a marqué l’Ecole classique libé
rale : « Le nombre des lois économiques qui fonction
nent dans un pays dépend de la civilisation de ses
habitants. Une loi ne peut se manifester que là où les
conditions nécessaires se trouvent réunies... Mais ces
lois existent d’une manière latente, comme les lois de
l’électricité à un moment où il n ’y a pas d’orage. 11
peut y avoir des lois d’une existence temporaire, comme
il y en a qui ne trouvent à se manifester que dans des
lieux déterminés, seulement ces lois là ont également
ce caractère distinctif d'être « universelles » c’est-à-dire
d’apparaitre chaque fois que la cause de leur action
existe. » *
Joseph llambaud accepte avec quelques nuances la
conception classique.
« Sous ce rapport les lois économiques affectent le
caractère de lois physiques. >» * Cependant elles diffèrent
de celles-ci. « Les premières s’appliquent à des actes
de jugement et de liberté, à des faits sur lesquels la
volonté de l’homme est à même de s’exercer : les secon
des, au contraire, ne commandent que la matière inin
telligente et passive. D’où il suit que les tentatives de
révolte contre les lois économiques sont possibles de la
part de l'homme quoiqu'elles soient impuissantes, tan
dis que de la part de la matière nulle révolte, même
simplement essayée, ne se conçoit contre les lois de la
physique ou de la chimie. » 1
D'E ichlal3 apporte des réserves verbales mais l’opi
nion est au fond identique.
Dans un ouvrage publié en 1906, * il écrit : *< L’Eco
nomie Politique arrive à des constatations et des règles
qui ont une valeur scientifique indiscutable et qui peu
vent servir de base de prévision au législateur et au
politique, ce qui est l’objectif principal de toute science
sociale. » 4
Et en note : « C’est à dessein que j’évite ici d’employer
l’expression de lois naturelles. Que les faits économi
ques comme tous les aulres soient régis par des lois,
ce qui est incontestable, puisque rien dans l’univers
n’est livré au hasard et que les objets sur lesquels
s ’exerce l’action économique soient strictement assujettis
dans leur existence aux lois physiques, sociologiques,
etc... Mais dans l'ordre économique proprement dit,
pourrions-nous saisir l’application de ces lois avec une
certitude suffisante pour justifier l’appellation ? Il y fau
drait une invariabilité dans la succession des phénomè
nes qui, l’un étant donné, permette la prévision à coup
sûr des suivants. C est lorsqu’une prévision de ce genre
est possible que nous sommes autorisés à appliquer la
notion et le mot de loi naturelle, dans son sens scienti
fique et absolu. »
1 Ec. F r. 1913, t. II, p. 789.
3 1816-1901.
8 M. Block. Les Progrès de la Science E conom ique depuis
Ad. Smith. 2e édition. P aris, 1890, p. 292.
4 Cours d ’Econom ie Politique. 2 vol. Paris. Libr. de la Société
du Recueil Sirey, 1910, t. I, p. 23.
1 Ibid.., t. I, p. 24. Sur cette opposition cf. Claudio Jannet. Réf.
Soc. 1891, t. I, p. 444* 1844-1904.
3 La Form ation des Richesses et ses conditions sociales
actuelles. 1 vol. P aris, Alcan, 1906.
4 Préface p. X II.
�—m —
M. Colson 1 se rallie à la même affirmation commune :
« Nous sommes convaincus qu’il y a des lois économi
ques, que ces lois ne changent point, tant que les
hommes eux-mêmes ne sont point transformés, que ni
les peuples ni les particuliers ne les méconnaissent
impunément et que dès lors, il importe à tout homme
cultivé de les étudier, non seulement pour s ’instruire
mais aussi pour y conformer la direction des affaires qui
dépendent de lui. »
Plus récemment M. Colson 2 écrivait dans le même
sens : « Une loi est une relation constatée entre les
variations de certaines grandeurs, lorsqu’aucune des
autres données qui agissent sur ces grandeurs n’est
modifiée. » 3
Ch. Bodin, plus récemment encore, adopte la concep
tion de l’Ecole libérale contemporaine : « Susceptibles
de transgression comme les lois morales, elles (les lois
naturelles économiques) leur ressemblent encore en ce
quelles impliquent des sanctions. Leur violation porte
atteinte à un ordre établi et entraîne, à plus ou moins
longue échéance, de funestes conséquences, auxquelles
les individus échappent parfois à cause de la brièveté
de leur existence, mais dont les sociétés sont toujours
les victimes. » 4
M. André Liesse 5 maintient la conception classique
avec une remarque sur la psychologie des critiques :
« La tendance à nier l’action des lois économiques
vient de cette conception fausse que ces lois doivent tou1 Cours d'Econom ie politique. 6 vol. 1915-1918. E d ition défini
tive. Paris, G authier-V illars et Alcan. T . I. T héorie générale
des phénom ènes économiques, p. 197.
* Colson. De la m onnaie de papier à l’étalon-or.
Rev. polit, et parlem ., 10 mai 1927, p. 165.
3 L ’auteur ajoute: « Mais en laissant croire au public que les
lois économiques les mieux établies ne sont vraies q u ’en gros
et pas à peu près, on le dispose à penser que l ’économie poli
tique n ’est pas une science, alors que ses lois connues ou encore
inconnues sont aussi vraies que toutes les autres lois du monde
inorganique ou organique, c’est-à-dire vraies toutes choses égales
d ’ailleurs. »
1 Principes de Science économique. 1 vol. Libr. du Recueil
Sirey, 1926, p. 35.
5 1854 -
L
jours avoir des résultats bienfaisants. Le jour où ces
résultats, au contraire, ne répondront plus aux désirs
de ceux qui ignorent la nature de ces lois, lorsqu’elles
pèsent lourdement sur la vie économique de toute la
force de sanctions inévitables : les railleurs ignorants
se répandent en ironies amères sur la faillite de la
science économique. » 1
A l’étranger la même notion se retrouve chez les repré
sentants de l’Ecole libérale contemporaine :
En Italie chez Ciccone 2 et chez Majvrana Calabrano.3
Aux Etats-Unis H. Georges * en dépit de son collecti
visme agraire adopte, à peu de chose près, la notion
de la loi naturelle classique. *
En Angleterre Nicholson 6 occupe une position
éclectique.
Dans ses Principles of political economy admet * plu
sieurs séries de lois économiques :
Quelques-unes sont analogues aux lois physiques, par
exemple la loi des rendements décroissants.
D’autres sont modifiables telles les lois de la distri
bution des richesses.
D’autres encore sont simplement hypothétiques : ainsi
la loi que le papier-monnaie amène la hausse des prix.
D’autres enfin sont de simples généralisations telles
les lois des diverses espèces de tenures.
Il fait un mérite à la vieille école anglaise d’avoir
maintenu la distinction subtile entre la loi économique
et l’idéal moral.
La loi économique véritable demeure une loi absolue.
Celte notion de lois fatales et inéluctables est encore
exagérée par certains adeptes de l'Ecole libérale :
1 Décamps. Les dangers etrangers. Avec préface de
M. A. Liesse. 1. vol. P aris, A lcan, 1921.
3 Antonio Ciccone (1808-1S90).
Mémoire sur les lois n atu relles de l ’Economie.
3 Le leggi n atu rale, d ’E ll’Econom ia publica. Rome, Florence
et Gênes, 11890, 1 vol.
Cf. Compte rendu Rev. d ’E. P. 1891, p. 667.
4 1839-1S97.
5 T he condition of Labour, an open letter to *the Pope
Léon X III. N ew-York, 1891, p. 92 et suiv.
" 1850-1927.
7 1 vol. Londres. Adam and Ch. Black. 1S9V
* P. 17.
�—
112
—
Les deux citations suivantes en donneront une idée.
,4. Carneggie écrit : « Il y a certaines grandes lois
auxquelles il faut obéir ; la loi de l’offre et de la demande,
la loi de la concurrence, les lois des salaires et des béné
fices. Toutes ces lois sont expliquées dans les livres.
Et rappelez-vous qu’il n'est pas moins impossible de
lutter contre ces lois que d’aller contre les lois de la
nature qui déterminent l’humidité de l’atmosphère ou de
la révolution de la terre sur son axe. » 1
La presse libérale et en particulier le journal le Temps
insistent dans le même sens :
« Qu’ils soient d ’extrême-droite ou d’exlrême-gauche,
les socialistes se placent dans l’absolu. La « matéria
lité des faits », pour reprendre l’énergique expression
de M. Honoré, leur semble une chose méprisable.
Insouciants de toute réalité et se plaçant fort au-dessus
des lois économiques qu’ils ignorent ou qu'ils dédai
gnent, ils décident, légifèrent, bouleversant les condi
tions de la production et des échanges. Si leur influence
devenait jamais prépondérante, ils auraient vite accu
mulé les ruines sous prétextes de combattre la misère. »3
« Les faits, que ce soit dans l’ordre économique ou
dans l’ordre politique, ont une logique inexorable. Sous
l’apparente complexité et ces illusions contradictoires
que la brièveté de notre existence nous porte souvent
à prendre en eux pour du désordre, ils maintiennent des
lois qui triomphent bientôt des conceptions arbitraires
et brisent l’ambitieuse impuissance des créations de
1esprit de parti. » *
Les Débats ne sont pas moins attachés à la concep
tion des lois naturelles inéluctables et sachant au besoin
se venger : un texte entre bien d’autres.
A propos des malaises économiques contemporains,
M. A. Artaud, alors président de la Chambre de
Commerce de Marseille, et chroniqueur social écrivait :
1 L ’E m pire des affaires. Ed. franç., p. 82. Cf. I b id ., p. 86:
« Les lois qui tiennent les cap italistes dans leur inexorable
étreinte. »
* T em ps, 29 novem bre 1910, art. non signé : « U n projet de
réglem entation du travail des femmes à dom icile ».
3 T em ps, 28 décem bre 1924. On p o u rrait m u ltip lie r ces
citations.
(( Voilà la revanche des lois économiques. Ne consi
dérons pas les événements par lesquels elles se mani
festent comme des faits divers et n’apprécions pas comme
des éventualités impossibles à prévoir les cours actuels
du blé et du sucre. Nous ne récoltons que ce que nous
avons semé, ou plutôt nous ne récoltons pas parce que
nous avons empêché de semer. On ne s'oppose pas impu
nément à l’action des lois économiques, et le seul moyen
de limiter au minimum les conséquences fâcheuses de
leur méconnaissance est de les dégager au plus tôt et
de s’y soumettre... Il n’est que temps pour l’Etat de
faire son mea culpa et de s ’avouer bien petit et bien
impuissant en présence des forces économiques, aussi
fatales et aussi écrasantes encore dans leur action que
les forces physiques. » 1
Seul dans ce concert à peu près unanime, l’économiste
anglais Cairnes 3 adopte une position originale.
Il l’expose dans son ouvrage The character and logical metliod of Political Economy. 3
La thèse est la suivante : les lois naturelles de l’Eco
nomie politique sont des lois hypothétiques et l’Econo
mie Politique elle-même est une science hypothétique :
« Une loi économique exprime, non pas l’ordre dans
lequel les phénomènes se présentent, mais une tendance
à laquelle ils obéissent ; lorsqu’elle s’applique à des
événements extérieurs, elle est donc vraie seulement en
l’absence de causes perturbatrices ; en conséquence elle
représente une vérité hypothétique et non positive ;
étant déduite par conséquence nécessaire de certains
principes mentaux et physiques, elle ne peut être établie
que si l’on établit l’existence des principes supposés et
que si l’on montre que par une nécessité logique ils
impliquent la tendance supposée : et elle ne peut être
réfutée que si l’on prouve que les principes n’existent
pas ou que le raisonnement est vicieux. » 4
1 Débats. Décembre 1919.
Cf. Sém aphore, 6 jan v ier 1920. J. Q uantin. Où l'E tatism e nous
a conduit.
1 1824-1875.
3 1 vol. Londres, 1875. T rad u it en français par G. Y alran.
Le caractère et la méthode logique de l ’Econom ie Politique.
1 vol. P aris, G iard, 1902.
* Op. cit., p. 130.
�-
A cet égard la loi économique est strictement analo
gue aux lois de la nature physique mais elle en diffère
en ce qu’elle ne comporte pas « une expression numé
rique exacte pour le degré de force suivant lequel agit
la tendance en question. » 1
Cairnes insiste ailleurs sur cette même notion de loi
hypothétique : « Les phénomènes ne sont pas des fan
taisies arbitraires de l’esprit, formées sans rapports
avec l’existence concrète comme celle des mathémati
ques... Ses prémisses représentent des faits positifs,
tandis que ses conclusions comme celle de ces scien
ces * peuvent correspondre ou peuvent ne pas corres
pondre aux réalités de la nature extérieure et doivent
donc être considérées comme représentant seulement la
vérité hypothétique. » *
Dans un assez long développement, Cairnes réfute
les objections que l’on pourrait faire :
a) la science portant sur l’irréel, sera sans attrait ;
b) il y a tendance à oublier ce caractère hypothétique
et à raisonner sur les prémisses arbitraires comme sur
des propositions vraies ;
c) on peut aboutir ainsi à des conclusions invraisem
blables.
Pour lui, toutes ces objections tombent, car l’Econo
mie Politique n’est pas une science hypothétique par ses
prémisses, mais par ses conclusions : comme telle elle
garde toute sa valeur.
En résumé les lois sont établies « toutes choses égales
d’ailleurs »: mais on n ’est jamais certain de ne pas
omettre certaines circonstances essentielles parce qu’il
est à peine possible de les connaître toutes. La loi n’est
vraie qu’en l’absence de causes perturbatrices.
Seul Cairnes représente un elïorl appréciable pour
s ’écarter du caractère absolu des lois naturelles. Il
demeure d ’ailleurs isolé ù cet égard dans l Ecole libérale.
La solution libérale est très exactement rappelée par
M. A. Deschamps dans sa communication « La Science
1 Op.
cit , p. 132.
* Pour lui il n ’y a ici, comme dans les sciences physiques,
vérité, c ’est-à-dire correspondance aux faits, q u ’ « en l ’absence
de causes perturbatrices. » Ib id ., p. 49.
a Op. cit, p. 63.
115
—
et les Doctrines en économie politique » à la Société
d’Economie Politique de Paris : 1
« La science économique ou plus exactement l’effort
scientifique en Economie Politique remonte, si l’on
néglige les précurseurs, aux Physiocrates et à Adam
Smith. Or les uns et les autres ne faisaient pas de la
science pour la science, ils poursuivaient essentielle
ment un but d’art... Chez les Physiocrates et chez
Ad. Smith la compénétration était, semble-t-il, incons
ciente entre les données de caractère scientifique et les
raisonnements d’art, cela formait un tout si intimement
uni que, lorsque nous le voulons analyser, ce n'est pas
sans difficulté que nous parvenons à en dissocier les deux
éléments composants. Et comme ces premiers économis
tes concluaient à la supériorité d’un régime de liberté, il
arriva très naturellement que « économistes » et « libé
raux », « économie politique » et « libéralisme économi
que », en fin de compte « science économique » et « libé
ralisme » ces expressions et mêmes ces notions furent
même chose dans l’opinion, comme sans doute dans la
pensée des premiers économistes eux-mêmes. »
Au total l’Ecole libérale tout entière maintient aujour
d’hui la conception classique de lois naturelles fatales,
inexorables et absolues : la conclusion demeure la
même : en face de ces lois, « il faut laisser faire, laisser
passer ».
Seul 2 l’économiste anglais Cairnes échappe à cette
contagion et soutient la thèse des lois naturelles hypo
thétiques qui n ’a d’ailleurs pas eu grand succès.
1 Ec. F r. 1913, t. II, p. 788.
2 Cf. cependant Baudin. La loi économique.
Revue d ’E. P. 1904, p. 635. M algré une affirm ation (p. 636) de
la loi n atu relle comme un rapport qui n ’existe que si certaines
conditions sont réalisées, l ’auteur conclut . « Ce degré de p er
m anence et de certitude des lois économiques n'est pas différent
de celui des lois physiques. L ’étude de l'homo œconomicus ne
doit pas être abandonnée sous prétexte d ’abstraction et d ’irréalité.
Les lois statiques classiques ne doivent pas être rejetées a priori
comme un legs encom brant et inutile du passé. »
�Section I I . L'Ecole mathématique 1
Deux idées importantes se dégagent, semble-t-il de
l'Ecole mathématique contemporaine :
C’est d’une part la notion de loi fonction ;
C’est d’autre part l’affirmation de la complexité du
réel.
A) La notion de loi fonction.
Elle semble avoir été pour la première fois nettement
formulée par Stanley devons dans son ouvrage Theory
of Political Economy, publié en 1871. *
« Il me semble, écrit S. Jevons, que notre science doit
être nécessairement mathématique, simplement parce
qu’elle traite de quantités. Toutes les fois que les cho
ses dont on traite sont suceptibles d ’étre plus grandes
ou plus petites, les lois et les relations doivent être
mathématiques. Les lois ordinaires de l’offre et de la
demande traitent uniquement de quantités de produits,
demandées ou offertes et expriment la manière dont
les quantités varient en raison des prix. La conséquence
de ce fait est que ces lois sont mathématiques. Les éco
nomistes ne peuvent en modifier la nature en leur en
refusant le nom : ils pourraient aussi bien chercher à
modifier la lumière rouge en l’appelant lumière bleue. » *
Léon Walras 4 souscrit formellement à ce texte dans
un article 4 : Economique et Mécanique. *
On pourrait rattacher ici comme occupant d ’ailleurs
une place en marge, le nom et l’œuvre d ’Auguste Wal1
Bib. : J. Moret. L ’em ploi des m athém atiques en Economie
Politique. Thèse. P aris, G iard, 1915.
F. Simiand. Rem arques sur l ’économie m athém atique en géné
ral. Année Sociologique, t. X I (1906-1909).
Edgew orth : Recent contribution to m athem atical économies.
Econom ie Jo u rn a l , m ars 1915.
* L ’ouvrage a été trad u it en français par B a rra u lt et Alfassa.
Théorie de l ’Economie Politique. P aris, G iard, 1909.
* S. Jevons, op. cit., chap. 1, p. 56.
* 1834-1910.
® B ulletin de la Société V audoise des Sciences N aturelles,
T. XV. Lausanne, 1909, p. 166.
* M. A ntonelli (L. W alras. Rev. d ’H istoire des doctrines écono
miques 1910, p. 187), écrit en ce sens: « Le plus g ran d mérite
de W alras, c ’est d ’avoir étudié le prem ier un cas d ’équilibre
économique général et d ’avoir mis ainsi en pleine lum ière le
principe de la dépendance de tous les phénom ènes économiques.»
ras (1801-1866), le père de Léon Walras, qui publie en
1832, dans le Hecueil de la Société libre d'agriculture de
l'Eure, une élude intitulée « De la nature de la loi ».
Il écrit : « Tout est lié, tout se tient, tout est rapport,
nous disent les philosophes, par conséquent tout est loi
dans l’univers. Si tout est loi, tout est limite... Sans elle
(la limitation) il n’y aurait ni force, ni matière, ni mou
vement, ni vie, ni substance, ni qualité, ni cause, ni
effet, ni être phénomène, ni unité, ni pluralité, ni vérité,
ni réalité, ni somme, ni nature, ni moi, ni non-moi...
La science considérée dans son ensemble n’est autre
chose qu’un tableau de toutes les limites qui, par une
espèce de superpositions successives produisent cette
énorme variété d ’êtres et de phénomènes qui consti
tuent l’univers ». 1
Les autres économistes mathématiciens acceptent
également celle notion de la loi fonction qui est imposée
par leur point de vue. 3
Vilfredo Pareto 3 affirme 1qu’il existe en économie poli
tique des uniformités que l’on appelle des lois : «Une loi
ou une uniformité n’est vraie que sous certaines condi
tions qui nous servent précisément à indiquer quels sont
les phénomènes que nous voulons détacher de l’ensem
ble. » 4 Pour lui, à rigoureusement parler, ces lois ne
comportent pas d’exceptions : « Lorsque nous considé
rons une de ces uniformités et que ses effets sont modi
fiés ou cachés par les effets d’autres uniformités, nous
disons, d’ordinaire, mais l’expression est impropre, que
la loi ou uniformité considérée souffre des exceptions.»4
Un Economiste Italien contemporain A. Graziani, a
exactement mis en relief cette notion de la loi fonction
dans un article intitulé : « De la corrélation et de la
causalité dans les faits économiques ». T 11 écrit : « Les
1 Cité par Modeste Leroy: A uguste W alras. L ibrairie géné
rale de D roit, 1923, p. 28-29.
a V. V olterra. Les m athém atiques dans les sciences biolo
giques et sociales. Rev. du Mois, janv. 1906, p. 2.
3 1848-1923.
* M anuel d ’Econom ie P olitique, trad. franç. A. Bonnet, 1 vol.
P aris, G iard, 1909, p. 5 et suiv. L ’interpolation dans la recherche
des lois n atu relles en Econom ie. G iornale degli Economisti.
Mai 1907 et jan v ier 1908.
5 Ib id ., p. 9.
6 Ib id ., p. 8.
y G iornale degli Econom isti, 1907, p. 1029.
�écrivains, les auteurs qui suivent la méthode mathéma
tique ont particulièrement attiré l’attention sur la corré
lation qui existe entre les divers éléments et sur la for
mation et la rupture d’un état d’équilibre. » 11 en donne
quelques exemples d'ailleurs bien choisis.
Painlevé 1 souligne également cet apport de l’Ecole
mathématique : « En définitive des schémas grossière
ment simplifiés et artificiellement quantitatifs des phé
nomènes réels, mais par ces schémas les influences réci
proques, contraires, enchevêtrées des causes économi
ques bien mises en évidence ainsi que leurs tendances
qualitatives ; la critique et l’esprit scientifique introduits
par cette voie, sous forme plus précise, dans l’écono
mie politique et par contiguité dans les diverses bran
ches de la sociologie : voilà l’œuvre de cette science
nouvelle qu’on peut appeler l’économie mathématique.»
M. J. Rueff * se rattache à une conception très voisine
de la loi de l'Ecole mathématique, la loi statistique.
« Par là, écrit-il, 4 nous sommes renseignés sur la
véritable nature des lois économiques et le caractère de
leur nécessité. Faites d’une infinité de phénomènes élé
mentaires, eLles ne sont pas des lois absolues, suscep
tibles d’èlre ou non vérifiées, mais des lois limites,
d’autant plus vraies que les conditions dans lesquelles
elles ont été établies sont mieux réalisées. »
B) L'affirmation de la complexité du réel.
Elle résulte de la tendance de l’Ecole à distinguer
l’Economie pure et ^Economie appliquée qui est aujour
d'hui traditionnelle et courante. 4
Elle ressort très nettement aussi d'affirmations for
melles de plusieurs représentants de celte Ecole.
Cournot avouait déjà que « ses modestes prétentions
1
Préface à l ’édition française du livre de Stanley. Jevons.
La théorie de l ’Econom ie politique, i vol. P aris, G iard, 1909.
* Rueff. L ’Econom ie Politique science statistique. Rev. de
méta. et de m orale, 1925, p. 475.
* Art. cité, p. 482.
4 L. W alras. E lém ents d ’Econom ie politique p ure 1874-1877.
E tude d ’Economie appliquée 1896.
Pantaleoni. P rincipii de E conom ica p u ra 1889.
étaient, non d’accroître de beaucoup le domaine de la
science proprement dite, mais plutôt de montrer tout
ce qui nous manque pour donner la solution vraiment
scientifique de questions que la polémique quotidienne
tranche hardiment. » *
Stanley Jevons affirmait qu’ « un avantage de la théo
rie de l’Economique soigneusement étudiée sera de nous
rendre très prudents dans nos conclusions quand la
matière ne sera pas de la nature la plus simple. » 1
Vilfredo Pareto multiplie les affirmations analogues.
11 affirme : « Le phénomène économique est excessive
ment complexe et il y a de grandes difficultés pour
connaître les théories de ses différentes parties. » *
Dans le Cours d ’Economie Politique, 4 Pareto avait
déjà reproché aux historiens de confondre la science
chronologique avec la loi scientifique. « En général, dans
les livres de l ’école historique, la partie descriptive est
bonne, et souvent précieuse pour servir de base aux
théories économiques. Au contraire la partie déductive,
surtout quand elle veut sélever aux principes généraux
est parfois extrêmement faible. Mais ce qui est pis, c est
quand, dans le dessein d éviter de recourir à la méthode
déductive qu’on confond bien à tort avec la méthode
métaphysique, on veut se borner à un pur empirisme en
répétant l ’ancien sophisme : « post hoc, ergo propter
hoc ».
Section III. Les Ecoles Socialistes 4
Les Ecoles Socialistes contemporaines marquent une
évolution assez sensible depuis la conception assez
fuyante d’ailleurs de K. Marx jusqu’à la loi envisagée
comme très relative d ’aujourd hui.
Pour ce qui est d’abord de la conception de K. Marx,
on peut citer des textes divergents :
Les uns sont dans le sens de la loi fatale : « Il s ’agit
1 Cité sans référence M oret, op. cit._, p. 59, note 2.
1 Cité sans référence M oret, op. cit., p. 60 en note.
3 V. Pareto. M anuel d ’Ec. P olitique, trad. franç. Bonnet.
P aris, G iard, 1909, p. 23.
4 Cours d ’Econom ie P olitique 1896-1897, t. I l, p. 4.
3 Bib. Lr Rabbeno. Li leggi economische e il Socialismo.
R evista di filosophia scientitica. 1884, vol. I I I , fasc. 5.
�dit K. Marx, en partant des lois naturelles de la pro
duction capitaliste, de ces tendances qui se manifestent
et se réalisent avec une nécessité de fer. » 1
« La détermination de la valeur des marchandises à
travers les rapports d’échange par le temps de travail
socialement nécessaire à leur production est a l’effet
d ’une loi naturelle régulatrice » comparable à la loi de
la gravitation.
Les autres semblent admettre une moindre contrainte
et une plus forte abstraction :
On peut « abréger et adoucir » les maux de l’enfante
ment des phases de l’évolution naturelle. »
Dans l’analyse des formes économiques, nous ne pou
vons nous servir ni de microscope, ni des réactifs chi
miques. La force d’abstraction en tient lieu. *
Cependant la loi fatale semble dominer dans l’ensem
ble du système.
Enfin dans le Capital1 il revient sur le problème à pro
pos de l’examen d’objections faites par ses adversaires :
pour lui il n’y a pas de lois absolues au sens des vieux
économistes analogues aux lois de la physique et de la
chimie : avec les différents développements de la force
productrice, les rapports sociaux changent de même que
leurs lois régulatrices : il y a cependant des lois du déve
loppement historique de l’humanité.
Rodherlus * adopte la conception classique alors cou
rante de la loi naturelle, il écrit : *
« Vous m’accorderez, en effet, que dans une théorie
économique où l’on suppose la pleine liberté des rela
tions, il ne s ’agit que des principes généraux, des lois
fondamentales. Dans l’océan tumultueux du marché
actuel, il y a sans nul doute des phénomènes qui ne se
1 Le C apital, t. I, i*r A vant-propos.
* Le C apital, chap. I, § 4.
8 Cité par M. E. M ilhaud. L a Science économ ique, 1 vol.
Paris, 1902. Société nouvelle de librairie.
*
M a r x . L e C a p it a l.
P o s t fa c e .
T r a d u c t io n
R o y , p . 349-
5 1805-1875.
* Zur E rkenntniss unserer staatw irth ch aftlich en Z ustânde
1842, reproduit dans Rodhertus : Le C ap ital, trad . franç. C hâ
telain, 1 vol. P aris, G iard, 1904, p. 25.
ramènent pas à ces principes, mais qui sont dûs à des
accidents, à des causes incidentes. Mais se contenter de
constater ces mouvements superficiels et d'en discerner
les causes prochaines, ce serait comme si on voulait
expliquer le phénomène général du flux et du reflux par
les mouvements particuliers des vagues. »
Ce sont là pour lui des lois de tendance (Gravitationsgesetze).
Ainsi la théorie éonomique est rattachée à l’action. 1
Déjà chez Lassalle * on trouve des déclarations for
melles dans le sens de la contingence, témoin celle-ci :
« L’erreur commune des économistes bourgeois est de
considérer le capital ainsi que toutes les autres catégo
ries économiques comme des catégories logiques éter
nelles. Les catégories économiques ne sont point des
catégories logiques, mais des catégories historiques. » *
Engels accuse la même orientation : pour lui les lois
naturelles ne sont rien moins qu’éternelles, elles varient
avec les temps. 11 y a évolution et tout est lié à 1histoire.4
Jean Jaurès * semble se rattacher à la même concep
tion. 11 écrit :
« Il est permis de sourire avec une certaine mélan
colie quand on traite les collectivistes de révolution
naires : ils le sont si peu... Ils se contentent de modifier
la surface sociale des phénomènes ; ils n'en sauraient
modifier les lois internes et profondes : n’est pas révo
lutionnaire qui veut... » *
Effertz 7 marquerait une oscillation dans le sens de
la loi fixe et stable : l’économie politique pure est pour
lui la science des conditions économiques qui subsis
tent indépendamment des variations de l’état social.' Un
certain nombre de faits et de relations entre ces faits
1 Cf. op. cit. Préface C hâtelain, p. X I.
* 1825-1864.
3 C apital et trav ail, trad. franç., p. 246.
* Socialism e utopique et Socialism e scientifique, p. 22.
3 1859-1914.
* J. Jaurès. L ’O rganisation Socialiste. Rev. Socialiste 1895,
t. X X II, p. 155.
7 1859-1922.
8 Cf. art. d ’A ndler sur Effertz. Rev. de M étaphysique et de
M orale, 1906, p. 597.
�—
122
—
sont vrais dès qu’il y a des hommes qui essaient de
suffire à leurs besoins économiques... On devra donc par
un premier travail d’abstraction dégager les éléments
simples. Puis « on rétablira les conditions adventices
qui constituent un certain milieu historique d ’échange
et un régime juridique donné. »
//. Ferri 1 revient à la notion de la loi relative, de la
loi catégorie historique. « Les lois établies par l’éco
nomie politique classique sont des lois propres au
moment historique actuel de l'humanité civilisée, donc
relatives au moment où elles ont été analysées ; et de
même qu elles ne correspondent plus à la réalité des
choses si on veut les étendre au passé historique et plus
encore aux temps préhistoriques et antéhisloriques, de
même elles ne peuvent avoir la prétention de pétrifier
l’avenir social. » 3
G. S o re l3 accepte ce point de vue 1 avec quelque ori
ginalité sur l'origine pratique de la loi naturelle.
Bernstein, 4 au contraire, inclinerait davantage vers
la conception d’une loi relative et contingente: ce qui
avec le Néo-Socialisme lui permet de rneltre au premier
plan la lactique et l’évolution.
Au total les Ecoles socialistes à l’époque contempo
raine adoptent plutôt dans l’ensemble l’idée d ’une loi
naturelle contingente et relative.
1 1856-1929.
3 Socialisme et positivism e, p. 87.
* Cf. P ierre Lasserre. G. Sorel, théoricien de l ’im périalism e.
Rev. des Deux-M ondes, ier Septem bre 1927, p. 151 : « Voici
l ’idée de loi n atu relle telle q u ’elle s’est établie dans la science
m oderne à la suite des résu ltats de la physique m athém atique
et comme conclusion générale de ses résu ltats. Sorel observe
une analogie entre la déterm ination rigoureuse des phénom ènes
physiques selon cette conception si fortem ent établie et l ’inévi
table précision avec laquelle s’exécutent les ordres royaux dans
la m onarchie absolue. C ’est à l ’exem ple de cette précision p ra ti
que qu ’a été conçue la m oderne idée de loi n atu re lle q u ’un ré
publicain sans doute n ’au ra it pas conçue. »
* Introduction à l ’économie m oderne, passim .
6 1847-1922.
Socialisme théorique et sociale dém ocratie p ratiq u e, 1 volume,
1902, Paris.
—
123
—
Section IV. Les Ecoles d'Economie Nationale
Le fondateur de l’Economie Nationale, F. List 1 avait
admis dans son Nationale System der politischen QEkonomie ‘ la notion de loi naturelle alors régnante, celle de
l’Ecole libérale : il opposait l’économie privée à l’écono
mie sociale et dans celle-ci l’économie politique ou natio
nale et l’économie cosmopolite ou humanitaire. Ces
deux branches devaient être élaborées scientifiquement.
En général les Ecoles contemporaines d ’Economie
Nationale acceptent la loi constatation : leur point de
vue dominant, l’idée d'Economie Nationale et son rôle
clans la constitution de la science économique, ne les
prédisposent point à des recherches prolongées sur
notre problème.
Il est possible cependant d’analyser à cet égard la
notion de loi naturelle admise par Cauwès 3 qui est, on
le sait, un des principaux représentants de l'Ecole d'Eco
nomie Nationale Française.
A plusieurs reprises 4 Cauwès fut amené à préciser la
notion de loi naturelle qu'il admettait.
11 écarte la notion de loi donnée par l'Ecole histori
que : la recherche scientifique ne sera pas seulement
une recherche historique.
11 s ’oppose également à la notion de loi absolue : on
n ’obtiendra pas, avec les lois économiques, les formules
générales de l’évolution : ce serait ramener la science
à la métaphysique et à l à priori.
La notion de loi admise par Cauwès est une notion
franchement positive : la loi établit la relation de cause
à effet entre des phénomènes : mais elle sera relative et
tiendra compte de la perpétuelle transformation des
faits.
1 List. 1789-1846.
* P ublié en 1841. T rad. franç. par Richelot, 1851. Système
national «/Econom ie politique.
3 Cauwès. 1843-1917.
* Cours d ’Econom ie Politique, t. IV, en appendice.
Cours à la F acu lté de D roit de l’U niversité de P aris (19091910).
Cf. V. F unk. La notion de loi chez Comte et son influence.
Thèse. P aris, 1907.
�La loi doit être obtenue, si elle peut l’être, après une
observation scientifique, guidée par l’hypothèse et pour
suivant la constatation d’une série de rapports d’ana
logie, de coexistence ou de succession entre les faits
envisagés.
Grâce à la méthode réaliste, on pourra ainsi formuler
des lois empiriques qui auront un certain degré de certi
tude, à mesure que l’observation aura réalisé le rappro
chement d’un nombre de faits de plus en plus grand.
Après ces lois empiriques, on pourra même, dans une
certaine mesure, dégager des lois causales.
Enfin la possibilité d’une certaine expérimentation
dans les sciences sociales 1 facilitera la tâche du savant
dans cette élaboration de la loi économique.
M. Brocard s ne discute qu'incidemment le problème
de la loi naturelle, â propos du matérialisme historique
et à propos du Déterminisme philosophique.
11 suffira de noter ce passage :
« Quant aux objections 3 tirées de l’existence des lois
économiques et scientifiques, elles limitent la liberté
mais ne la suppriment pas, puisque dans les systèmes de
forces dont ces lois ne sont que les résultantes, figure la
volonté, dont les fluctuations et les orientations diver
ses exercent nécessairement sur les résultantes, une
certaine influence. C’est même une des raisons qui expli
quent la distinction établie par les économistes entre
l’Economie pure et l’Economie appliquée : la première
. qui étudie l'activité économique, telle qu’elle serait sous
l’influence du seul mobile hédonislique et la seconde,
qui, tenant compte de la psychologie humaine tout
entière, ne peut aboutir qu’à des lois plus ou moins
contingentes. » 4
Ainsi pour les Ecoles d ’Economie Nationale il faut
admettre la loi constatation, mais une loi contingente.
1 Expérience individuelle : par ex. effet de la réduction du
temps de travail sur la productivité... ou expériences sociales:
effets de la législation sociale.
* Principes d'Econom ie N ationale et In tern atio n ale, 3 vol.
Libr. du Rec. Sirey 1929-1931. S urtout t. I., p. 471 e t suiv.
8 A la liberté humaine.
* Brocard. Principes d ’Ecq N at. et In te rn ., t. 1, p. 472.
Section V. Les Ecoles Interventionnistes
D’une manière générale les Ecoles Interventionistes
admettent l’existence de lois naturelles, mais celles-ci
sont formulées avec des conditions et la connaissance de
ces conditions n ’impose pas l’abstention, elle commande
au contraire l'action.
Ce point de vue nous paraît très exactement dégagé
par l’Economiste Américain J.-B. Clark.
Aux Etats-1 nis, c’est J.-B. Clark 1 qui a le plus longguemenl insisté sur la notion de loi naturelle dans son
ouvrage Essentiels on économie theory. 2
Dans son résumé des Conclusions 3 l’auteur remar
que que le fait le plus saillant de la vie moderne est son
perpétuel changement. Les modifications sont si profon
des qu’on s ’est demandé s ’il existait des lois économi
ques valables pour une certaine durée. L’Economie
descriptive est valable : l’économie théorique est stable:
elle admet certains principes exacts pour toutes les
époques et tous les lieux : ce sont les lois statiques qui
à diverses époques agissent pour donner un résultat
identique. Il existe aussi les lois dynamiques qui affec
tent la structure sociale.
Clark conclut : « Au total on peut laisser les forces
naturelles de l’industrie agir d’elles-mêmes, mais nous
avons passé le point où l’on peut laisser en sécurité à
leur propre régularisation les charges de la carrière
commune, la conduite des groupements de monopole et
certaines parties du travail organisé... Partout notre
avenir est entie nos mains et sera d'autant meilleur
(jue nous connaîtrons mieux les lois économiques et
mettrons plus d'énergie à les appliquer. La surproduc
tion industrielle d'une manière générale peut être évitée,
et les traits essentiels du système économique créés par
l'évolution peuvent être préservés ; mais pour mettre le
1 1847-1926.
2 Un vol. Londres et New-York. The M acm illan Cy. 1906.
Cf. com pte rendu Rev. écon. intern. Déc. 1907, p. 696.
Th. Yeblen. Professeur C lark ’s Economies. The Q uaterly Jo u r
nal of Econom ies. Feb. iq o 8 , p. 147-196.
3 P- 555-
�—
126
—
système à l'abri de maux insupportables, il faut de la
pari du peuple, un rare mélange d ’intelligence et de
volonté. Il faut une polilique ouverte qui ne soit ni gênée
ni excitée par les ébullitions du sentiment populaire,
mais marche guidée au travers des difficultés de l'action
par la connaissance de la loi naturelle. » 1
Ainsi la science par l'action, tel semble être le point
de vue de l’Economiste américain.
Weblen 3 dans l’article précité en souligne la nouveauté
et l’originalité : il s’agit de se rapprocher de l’état
d’équilibre parfait qui n’est pas une position de repos
mais un mouvement sans aucun flottement.
Clark peut et doit être rangé parmi les intervention
nistes, des plus modérés peut-être, mais un interven
tionniste tout de même par opposition aux classiques.
A la lumière de cette idée: la loi constatation mais une
loi subordonnée à plusieurs conditions, il est possible
d’indiquer par quelques textes la position des diverses
Ecoles Interventionnistes.
Comme représentant de l'Ecole Solidarisle et Coopé
rative, Ch. Gide 4 a nettement formulé son altitude.
« L’e:wstence de lois naturelles n’est donc aucune
ment incompatible avec l’initiative et l’activité indivi
duelle, et tout au contraire elle est la condition sine qua
non de leur efficacité ? Comment l’homme pourrait-il
agir utilement sur les faits si ceux-ci n ’étaient liés entre
eux par une chaîne de rapports connus et constants. » 4
L’auteur souscrit à celle définition de Marshall : « Une
loi de la science sociale, c’est l’affirmation que les
hommes appartenant à un groupe social se conduiront
d’une certaine façon sous certaines conditions. » 4
« Gide a justement comparé les lois naturelles de
1 P. 562.
2 W eblen insiste sur la norm alité ou l ’em pire de la loi n atu
relle, mise en avant par l ’Ecole classique: il s ’agit ici de l ’em pire
des lois (taxonomy).
3 1847-1932.
4 Cours d ’Economie Politique, 10® éd. 2 vol. P aris. Libr. du
Rec. Sirey, 1930 et 1931, t. I, p. 13.
Cf. t. I, p. 29, note 1. La citation d ’Aug. Com te dans le
même sens.
8 Ib id .j p. 13, note 2.
l’économie polilique aux lois du feu : constater que le
feu tend à monter, à se propager pour telles et telles
raisons, ne donne pas le droit de dire qu’en fait notre
maison brûlera, encore moins qu’elle doit brûler. » 1
Donc loi naturelle contingente avec possibilité de
l’action individuelle et de l’action de l’Etat.
L'Ecole Sociale Catholique accepte une notion de loi
naturelle permettant l’action et l’intervention.
Celte intervention par la foi est formellement souhai
tée par Léon XIII dans l’Encyclique Rerum Novarum :
il y énumère une série d’éventualités sociales et conclut:
« Dans tous ces cas, il faut absolument appliquer, dans
de certaines limites, la force et l’activité des lois (il s’agit
ici des lois civiles) ; les limites seront déterminées par
la fin même qui appelle le secours des lois, c’est-àdire que celles-ci ne doivent pas s ’avancer ni rien entre
prendre au-delà de ce qui est nécessaire pour réprimer
les abus et écarter les dangers. » 3
Le Code Social, 4 esquisse d’une synthèse sociale
catholique, a un chapitre IV : La Vie Economique où il
est traité du domaine propre de la vie et des lois écono
miques.
En voici l’essentiel :
70. Les économistes appellent « loi économique »
l’expression d’un rapport de succession ou de conco
mitance entre des faits économiques.
Les lois économiques ne doivent pas être confondues
avec les lois physiques qui ont des répercussions
économiques.
Les lois économiques se rapportent à des actes
humains. C’est la psychologie, l’histoire et l'observa
tion des faits qui permettent de dégager ces lois.
Les lois économiques peuvent entraîner, d’après les
conditions d ’activité qu’on leur fournit, telles conséquen1 A. Fouillée. Le Socialism e est-il scientifique ? Revue des
Deux-Mondes, 15 m ars 1909, p. 284.
* Encyclique Rerum N ovarum , 16 m ars 1891
L ettres apostoliques de Léon X III, t. I II , p. 49. Paris, Roger
et Chernovitz.
Code Social p u b l i c p a r l ’ U n i o n i n t e r n a t i o n a l e d’études socia
le s , 2* éd. E d . S p e s , 19 34 , P- 30-
�— 129 —
ces malfaisantes ou injustes. L ’offre trop considérable
d’un produit ou d’un service entraîne sa dépréciation.
Il est donc souvent nécessaire de prévenir, par une
organisation appropriée, l’application de telle ou telle
loi économique. L’inflation monétaire a des suites iné
luctables : mais l’inflation elle-même peut être évitée.
71. On ne saurait attendre du libre jeu de la concur
rence l’avènement d ’un régime économique bien
ordonné.
Si utiles que puissent être les effets de la concurrence,
quand elle est contenue dans de justes limites, elle ne
saurait servir de principe régulateur de la vie
économique.
La dictature économique ne saurait davantage rem
plir cette fonction : elle a besoin d ’une sage direction
qu’elle ne trouve pas en elle-même.
C’est à la justice et à la charité sociales... qu’il faut
demander de gouverner les puissances économiques. »
Ainsi l’Ecole Sociale Catholique admet une notion
de loi naturelle économique assez souple pour permettre
l’intervention en face de ces lois : 1 celte intervention se
fait au nom de la justice et de la charité.
Le Protestantisme social accepte lui aussi une notion
implicite de la loi naturelle qui permet l’intervention
de l’Etat quand il la juge nécessaire ou opportune.
Certains comme Kingslev préfèrent l’action person
nelle pour les améliorations sociales.
Le pasteur Stocker admet l’intervention de l’Etat. 2
Enfin le mouvement récent qui a pour organe en
‘ C ependant la conception de la loi absolue a encore été
m aintenue chez quelques représentants de cette Ecole.
Cf. Cousin. Catéchism e d’Econom ie sociale et politique, i vol.
W itte, édit, nouv., édition refondue, 1934, p. 28: « D. — P o u r
riez-vous indiquer un caractère spécial qui d istingue les lois
form ulées par la science ? R. — E n voici un très im portant :
ces lois s’accom plissent indépendam m ent de notre volonté ; sou
vent notre raison peut les découvrir, mais ce serait une erreu r de
croire q u ’elles puissent être violées ou tournées par ignorance
ou par caprice, vous avez établi un m ur sur des colonnes trop
faibles: ne croyez pas avoir violé ou tourné les lois scientifi
ques qui exprim ent les conditions de la solidité des construc
tions, car votre m ur tom bera par le jeu meme de ces lois. »
* Conférence donnée à Genève en 1891.
France le Christianisme social et surtout le mouvemenC
du groupement international des Protestants sociaux 1
se rattachent à la même tendance.
Section VI. L'Ecole Anarchiste
L’Ecole Anachiste se rallie assez généralement à
la conception absolue de la loi naturelle telle que l’a
formulée l’Ecole classique.
Le discours suivant de Malatesta, au nom des anar
chistes Italiens, au Congrès socialiste de Berne, pro
noncé le 2G octobre 1876, le montre assez nettement : *
« La société n ’est pas l’agrégation artificielle opérée
par la force ou par un contrat d ’individus naturellement
réfractaires. C’est un corps organique vivant, dont les
hommes sont les cellules concourant solidairement à la
vie et au développement du tout. Elle est régie par des
lois immanentes, nécessaires, immuables comme toutes
les lois naturelles. Il n ’existe pas un pacte social, mais
bien une loi sociale. Qu’est donc alors l’Etat ? Une
superfétation qui vit aux dépens du corps social et qui
1 1 ’a d'autre
but et d ’autre effet que d’organiser et de
maintenir l’exploitation des travailleurs. C’est pourquoi
nous voulons détruire l’Etat. Comment s’organisera
ensuite la société ? Nous ne pouvons le savoir. Nous
nous défions de toutes les solutions utopiques. Nous ne
voulons plus du socialisme artificiel, fantastique, antiscientifique, du socialisme de cabinet et nous le combat
trons comme réactionnaire. Notre seul but doit être
de détruire l’Etat. Ce sera au fonctinnement libre et
fécond des lois naturelles de la société à accomplir les
destinées de l’humanité. »
Kropotkine, Elisée Reclus, Jean Grave et les autres
admettent une idée analogue. 1
1 Cf. L ile and w o rk , organe de la Fédération Internationale
des organisations du christianism e social.
* Cité par Laveleye: G randeur et décadence de l ’Internatio
nale. Rev. des Deux-Mondes, 15 m ars 1881.
3
G onnard. H istoire des D octrines économiques, 2* édit. P aris,
Libr. Valois, 1930, p. 564-567.
9
�Les Ecoles Sociologiques contemporaines apportent,
elles aussi, leur contribution à la notion de loi naturelle.
C’est incidemment d'ordinaire et de biais si l’on peut
dire que la question est en général abordée.
Quelques sociologues cependant — et ce sont ceux
que nous retiendrons — donnent à notre problème des
développements plus conséquents.
De Greef, 1 un sociologue Belge, se rattache très
directement aux idées d’Aug. Comte sur la Sociologie.
Dans un volume, les Lois Sociologiques, * il retient
la conception de la loi constatation et affirme que « les
phénomènes sociologiques peuvent se ramener à des
phénomènes psychiques et physiologiques, ceux-ci à des
lois chimiques, lesquelles peuvent être réduites à des
lois purement physiques et finalement astronomiques
et même simplement numériques et géométriques. » ’
Tout l’ouvrage est un essai de démonstration de cette
affirmation. Ces lois sociologiques sont d’ailleurs pro
gressives ou régressives selon qu’elles amènent le
progrès ou la régression des sociétés.
Durkheim 4 consacre tout un volume aux « Règles de
la Méthode Sociologique. » 5
D’une part l'auteur constate que pour le présent les
lois naturelles sont peu nombreuses et ont surtout le
caractère de conseils de sagesse pratique.
« Les lois proprement dites y sont peu nombreuses :
même celles qu’on a l’habitude d’appeler ainsi ne méri
tent généralement pas cette qualification, mais ce ne
sont que des maximes d’action, des préceptes prati
ques déguisés. >» *
Il prend comme exemple « la fameuse loi de l’offre et
de la demande qui n’a jamais été établie inductivement,
comme expression de la réalité économique... » 7 « Cette
1 1842-1914.
2 Cf. de Greef. Les lois sociologiques, i vol. Paris, Alcan, 1893.
* Op. cit . , p. 43* 1858-1917.
8 1™ éd. Paris, A lcan ; 2* éd. Paris, Alcan, 1901.
6 Op. cit . ,
p. 34.
1 Op. c il., p. 34.
nécessité toute logique ne ressemble en rien à celles
qui présentent les vraies lois de la nature. Celles-ci
expriment les rapports suivant lesquels les faits s’enchaî
nent réellement, non la manière dont il est bon qu’ils
s ’enchaînent. »
Ce que nous disons de cette loi peut être répété de
toutes les propositions que l’Ecole orthodoxe qualifie de
naturelles et qui, d ’ailleurs, ne sont guère que des cas
particuliers de la précédente. Elles sont naturelles, si
l’on veuf, en ce sens qu’elles énoncent les moyens qu’il
est ou qu’il peut paraître naturel d’employer pour attein
dre telle fin supposée; mais elles ne doivent pas être appe
lées de ce nom, si, par loi naturelle, on entend toute
manière d’être de la nature inductivement constatée.Elles
ne sont en somme que des conseils de sagesse pratique
et si l’on a pu, plus ou moins spécieusement, les pré
senter comme l’expression même de la réalité, c’est que,
à tort * ou à raison, on a cru pouvoir supposer que ces
conseils étaient effectivement suivis par la généralité
des hommes et dans la généralité des cas ». *
D’autre part, et pour l’avenir, Durkheim envisage
l’instauration de véritables lois dans une science sociale
objective, en éliminant plus encore qu’Auguste Comte,
tout concept psychologique.
« La loi consiste exclusivement, écrit-il, à établir des
rapports de causalité, qu’il s ’agisse de rattacher un
phénomène à une cause, ou nécessairement une cause
à un effet utile. » *
C’est bien la loi constatation, la loi positive qu’il pres
crit. Qn sait comment il s’efforce d’éliminer à cet égard
tout élément psychologique : 4
« Quelle (pie soit la technique spéciale à laquelle il
a recours, il est une règle que le sociologue ne doit
jamais perdre de vue : il faut qu’avant de se mettre à
1
Rem arque des plus contestables qui ne parait pas dénoter
chez l ’au teu r une connaissance exacte des notions de la loi n atu
relle chez les divers Econom istes.
3 Ib id ,
p. 34.
3 Règles de la m éthode sociologique.
* Durkheim . La méthode dans les sciences. 1 vol. Paris,
Alcan, 1909. Sociologie et Sciences Sociales, p. 2S4.
�l’élude d’une catégorie déterminée de phénomènes
sociaux, il commence par faire table rase des notions
qu’il a pu s ’en former au cours de sa vie : il faut qu’il
prenne pour principe qu’il ne sait rien d’eux, de leurs
caractères comme des causes dont ils dépendent ; il
faut en un mot qu’il se mette dans l’état d ’esprit où
sont physiciens, chimistes, physiologues et même aujour
d’hui psychologues quand ils s ’engagent dans une
région encore inexplorée. »
Ainsi une loi positive entièrement objective 1 aura
seule, pour Durkleim, une véritable valeur scientifique.*
Tarde 3 accepte la loi constatation pour l’utiliser aux
fins propres de sa sociologie.
« Ainsi la science consiste à considérer une réalité
quelconque sous ses trois aspects : les répétitions, les
oppositions et les adaptations qu’elle renferme, et que
tant de variations, tant de dysymétries, tant de dyshar
monies empêchent de voir. Ce n’est pas en effet le rap
port de cause à effet qui, à lui seul, est l’élément propre
de la connaissance scientifique. » 4
La sociologie doit s’engager dans cette voie.
Et ailleurs : « On peut formuler des considérations
générales. Appelons-les des lois si I on tient à ce voca
ble un peu abusif, commode d’ailleurs comme tous les
monosyllabes, à propos des diverses formes de l’adap
tation, de la répétition, de l’opposition. » s
M. Douglé accepte une notion plus contingente :
1
II ne se dissim ule pas d ’ailleu rs la difficulté de l ’en trep rise:
nous croyons tenir avec les idées tout l ’essentiel des choses aux
quelles elles se rapportent. Le m oraliste ne se donne pas beau
coup de peine pour exp liq u er ce que c ’est que la fam ille, les
parents, le pouvoir paternel, le c o n tra t; l ’économ iste ne pro
cède pas autrem ent pour ce qui concerne la v aleu r, l’échange,
la rente, etc... Ib id . De la méthode dans les sciences. Op. cit.,
p. 284.
1
On sait q u ’une réaction toute contem poraine commence à
se dessiner en sociologie contre cette tendance à notre sens
excessive.
3 1843-1904.
4 Cf. T arde. Les lois sociales, 1 vol. P aris, A lcan, 2* éd.,
1899, p. 10.
8 C f . T arde. Psychologie économ ique, 2 vol. P aris, A lcan, 1902,
t. I , p. 38. Cf. p. 45-
« Donnerons-nous, écrit-il, 1 aux lois économiques le
titre de lois naturelles ? Ce serait méconnaître le carac
tère historique et psychologique imposé à l’économie
politique comme à toutes les sciences sociales. Si exac
tes que puissent être leurs déductions en théorie, elles
ne s'adaptent jamais absolument à la réalité... Le mode
d ’action des forces psychologiques n ’est pas absolu
ment déterminé d'avance. La complication même des
motifs de notre activité laisse un certain jeu à l’indéter
mination et ne permet pas aux lois économiques d’attein
dre à la précision des lois naturelles. » *
C. U iviera3 accepte également une notion contin
gente : pour lui le déterminisme sociologique se distin
gue des autres formes du déterminisme par la notion
de ses lois (ses normes ont un fondement moral) mais
c’est un déterminisme et puisque la science postule le
déterminisme, la sociologie peut se constituer comme
science.
Simiarid 1 accepte lui aussi la notion de loi consta
tation en développant plus particulièrement la causa1 Bougie. Les Sciences sociales en A llem agne, p. 86.
* Un peut de cette conception rapproener celle de Saleilles.
« E t lorsque je p arle des lois sociologiques et économiques vous
entendez bien que je ne prétends pas taire allusion par là à des
lois de caractère absolu, à la iaçon des lois physiques... Je
n 'ig n o re pas que l ’économie politique depuis la fondation ne
l ’école historique, est enün revenue de cette erreur et qui, si
la sociologie comme toute science qui débute, a peut-être la
naïveté de s engager dans la même voie des cunstructions abstrai
tes, ce n ’est la q u ’un procédé provisoire qui déjà commence
à s ’attén u er... » 11 insiste sur la psychologie sociale, différente
de la somme des psychologies individuelles et conclut: « 11 est
donc im possible de p arler, en cette m atière, de lois absolues et
im m uables. Mais il n ’en reste pas moins, à chaque époque don
née, une prédom inance de tel ou tel facteur essentiel de la
psychologie sociale, qui, tant q u 'il prédomine, devient la loi
directrice du mouvem ent social pris dans son activité contin
g ente... C ’est à ce point de vue q u ’il est vrai de p arler des lois
sociales et des lois économiques dont le droit a le devoir de
tenir com pte, s ’il veut rester un élém ent de vie sociale, au lieu
de n ’être q u ’un idéal individuel, abstrait et syllogistique. »
Ex. Les méthodes d ’enseignem ent du droit et l ’éducation in tel
lectuelle de la jeunesse. Rev. intern. de l ’enseignem ent, 15 octo
bre 1902, p. 322.
3 D eterm inism o sociologico. 1 vol. in-8°. I.rrscher, Rome, 1903.
4 1872-1935.
�—
lité en histoire. 1 II insiste sur la distinction de la
cause et de la condition et montre comment celte expli
cation par la cause doit éliminer les explications par
l’individu, les explications finalistes, les explications
par facteurs psychologiques généraux. a
M. Landry insiste particulièrement sur le danger
d’éliminer le temps dans les lois économiques :
« Bien que les phénomènes économiques développent
leurs effets dans le temps, on a pu légitimement jus
qu'ici négliger celui-ci. Dans l ’énoncé des lois scienti
fiques, lesquelles expriment des rapports constants de
succession, on ne fait pas mention du temps qu’il faut à
ces successions pour se produire, comme on laisse aussi
de côté forcément des intermédiaires plus ou moins
nombreux qui dans la réalité font la transition entre
les deux termes unis par la loi. » *
« C’est là une des causes de l’inadéquation au réel des
lois du réel, inadéquation qu’on ne saurait reprocher
au savant, puisqu’elle découle nécessairement de l’idée
même de loi. » 4
Dans une étude récente s M. Maurice Halbwachs,
professeur à la Faculté des Lettres de Strasbourg, abou
tit à une conclusion analogue : « C’est de ce point de
vue purement objectif ou positif et non d’un point de vue
métaphysique ou de psychologie introspective, que nous
considérons comme l’objet propre de la sociologie les
lois ou relations régulières auxquelles obéissent les
consciences collectives. » *
John Rushin 7 peut être lui aussi rangé au nombre
1 La C ausalité en histoire. B ulletin de la Société française de
philosophie, 1906, p. 244.
2 « E n tre les différents antécédents d ’un phénom ène, celui-là est
la cause qui peut être lié avec lui par la relatio n la plus
générale. »
3 L ’utilité sociale de la propriété individuelle. T hèse. Lettres.
P aris, 1901, p. 185.
* I b id ., p. 186, note r.
5
L a lo i en s o c i o l o g i e d es S c i e n c e s et lo i
thèse. 1 v o l . P a r i s , A l c a n , 19 3 4 , P- '7 3 - 1 9 6 .
8 Ibid.,
p. 196.
1 1819-1900.
5* semaine de syn
135
—
des critiques de l’idée libérale, encore qu’il ait donné
cette critique de façon fragmentaire et incidente. 1
Dans son ouvrage, IJnto Ihis last 2 il attaque au nom
de la morale la loi de l’offre et de la demande et la loi
de la concurrence.
Pour la première il cite des cas où elle ne fonctionne
pas. Il s ’élève contre ceux qui lui donnent un caractère
sacro saint : axiome radicalement faux. Il souligne
l’influence des volontés individuelles.
Pour la seconde, elle aussi ne s ’applique pas dans
certains domaines : gages des domestiques. *
Les seules lois immuables sont les lois de la morale.
m
*♦
Telles sont les attitudes, à bien des égards diverses,
des différentes écoles économiques en face de l’idée de
loi naturelle.
1 Cf. J. Bardoux. John Ruskin. Thèse F. Lettres. Paris, 1900,
1 vol. Coulom m iers, B rodard, p. 374.
* 1 vol. 1860. U nto this last. Q uatre essais sur les premiers
principes d'économ ie politique, p. 144-146.
* A illeurs (Qui judicatis terram dans U nto this last, p. 102), il
l’appelle loi de m o rt
�CHAPITRE VIII
La notion contemporaine de la loi naturelle
dans les sciences, tiers ta contingence
L'idée contemporaine de Joi économique est tout natu
rellement influencée par la loi scientifique : une impor
tante évolution s’est produite à cet égard dans ces
trente dernières années. Il importe d ’en retracer briè
vement les principales étapes. 1
Le terme en est assez heureusement marqué par
M. Emile Picard, 2 il écrivait :
« Nos théories scientifiques se succèdent avec une
rapidité parfois déconcertante, prenant un caractère de
plus en plus formel et symbolique. L’Histoire des scien
ces est pleine de ruines, et comme les livres, les théories
ont leur destin. Notre notion de loi naturelle a prodi
gieusement varié depuis cinquante ans. C’est ainsi que
la théorie des « quanta » est venue modifier nos idées
sur la continuité. D’autre part le calcul de probabilités
prend une grande importance dans les sciences physi
ques : de ce point de vue, les lois de la nature n’appa1 lissent qu'avec un caractère de probabilité, et n’ont plus
avec la rigidité familière à nos prédécesseurs. Laissons
à leur dogmatisme ceux qui font de la science une idole.
Certes, comme le disait déjà Montaigne, c’est un grand
1
Bib. générale. Boutroux. De la Contingence des lois de la
nature. 4® éd. P aris, Alcan, 1902.
H. Poincaré. La Science et l ’Hypothèse. 1 vol. P aris, F lam
m arion, 1902.
Duhem. La théorie physique. 1 vol. Paris. Chevalier et Ri
vière, 1906.
* E nquête du F ig a ro reproduite dans les E tudes, 5 ju illet
1926, tome 188, p. 24.
�►
—
138
—
ornement que la science et un outil de merveilleux
service ; niais nous devons reconnaître ses limites et
1 1 e pas nous
illusionner sur ce qu’on peut attendre
d’elle. »
C’est en somme une évolution vers la contingence.
Beaucoup d’auteurs y ont contribué : il importe de
fixer, avec autant de précision que possible, Rapport de
chacun.
Emile Boulroux 1 est le philosophe qui, le premier
et le plus profondément, a indiqué la nouvelle
orientation. 3
Dans une élude postérieure, 3 l’auteur définit la contin
gence : « Contingence, c’est le caractère du fait pur
et simple, lequel isolé reste inexpliqué, et semble, dès
lors avoir pu également se produire ou ne pas se
produire. »
O1 1 se rappelle comment à propos des lois naturelles
dans les diverses sciences, Boutroux étudie leur nature,
leur objectivité et leur signification.
Il résume lui-même dans sa conclusion le résultat
de cette analyse. 4
Les lois mathématiques sont contingentes en ce sens
que la nécessité logique ne se retrouve pas dans les
choses...
« La mécanique céleste implique en définitive l’idée
même de loi naturelle, en tant que distincte de la rela
tion simplement mathématique à savoir en tant que
rapprochant l’un de l’autre deux termes dont l’un ne
peut en aucune façon se tirer de l’autre. » 8
« Déjà la physique, 4 en tenant le travail pour supé
rieur à la chaleur, fait ouvertement appel à la notion
de qualité. La chimie repose sur ce postulat qu’il
existe et se trouve des éléments de différentes espèces.
1 1845-1921.
2 De l'idée de loi natu relle dans la science et la philoso
phie contem poraines. Cours en Sorbonne 1892-93, publies dans
la Revue des Cours et Conférences. 1 vol. P aris, A lcan, 1895.
s E. Boutroux. H asard ou Liberté. C onférence à l ’U niversité
H arvard, Rev. de M étaphysique et de m orale, 1910, p. 138.
* De l ’idée de loi n atu relle, p. 138.
* Ibid, .,
p. 138.
* lb id .t p.
13 9
.
ïü
L’acte réflexe de la biologie n’est pas une simple réac
tion mécanique, puisqu’il a pour propriété d’assurer la
conservation, l’évolution et la reproduction d’une orga
nisation déterminée. La réaction psychique est quelque
chose de plus puisqu’elle tend à procurer à un individu
la science des choses, c’est-à-dire la connaissance des
lois et par là une faculté indéfinie de les utiliser pour
des fins prises pour lui. Enfin, en sociologie, laction du
milieu ne suffit pas pour expliquer les phénomènes ;
il y faut joindre l’homme, avec sa faculté de sympathie
pour les autres hommes et ses idées de bonheur, de
progrès, de justice et d'harmonie.
Ansi les objets des différentes sciences ne se laissent
pas entièrement pénétrer par les mathématiques, et les
lois fondamentales de chaque science nous apparaissent
comme les compromis les moins défectueux que l’esprit
ail pu trouver pour rapprocher les mathématiques de
l’expérience. »
Au terme de ce résumé, Boutroux conclut :
« 11 y a donc, d ’une manière générale, deux sortes de
b is : 1 les unes, qui tiennent davantage de la liaison
mathématique et impliquent une forte élaboration et
épuration des concepts ; les autres, qui sont plus voi
sines de l’observation et de l’induction pure et simple.
Les premières expriment une nécessité rigoureuse,
sinon absolue, mais restent abstraites et incapables de
déterminer le détail et le mode de réalisation effective
des phénomènes. Les secondes portent sur le détail et
sur les relations qu’ont entre eux les ensembles com
plexes et organisés : elles sont donc beaucoup plus déter
minantes que les premières ; mais n’ayant d ’autre fonde
ment que l’expérience et reliant entre eux des termes
tout à fait hétérogènes, elles ne peuvent être tenues pour
nécéssitantes... Ainsi nécessité et détermination sont
choses distinctes. Notre science ne parvient pas à les
fondre en une unité. » 1
Par suite la prévision et l’action restent possibles.
« Ce que nous appelons les lois de la nature est l’ensem
ble des méthodes que nous avons trouvées pour assi
�miler les choses à noire intelligence et les plier à
l’accomplissement de nos volontés. » 1
Telle est l’œuvre admirable du philosophe de la
contingence.
On trouvera encore un excellent exposé de la position
de Boutroux sur notre problème dans ce court passage
de sa conférence à Harward, Hasard ou Liberté : 2
« La science ramène à un petit nombre de grandes
lois les uniformités de coexistence ou de succession, en
apparence si multiples et diverses que nous présente la
nature. Or, outre que ces réductions demeurent imparfaites et expriment des fins idéales plutôt que des résul
tats précisément acquis, ces grandes lois elles-mêmes
résistent énergiquement à l'identification... Si donc les
lois que la science formule affectent la forme de la
nécessité, celles qui résident dans la nature elle-même
apparaissent, au contraire, comme marquées d ’un
caractère de contingence. »
Boutroux insiste enfin sur la notion de loi naturelle
qu’il admet dans un court opuscule « Science et
Religion. » 3
« La science, écrit-il, est aujourd’hui essentiellement
expérimentale : et par là même il apparaît que la forme
de déterminisme mécanique que l'on croyait inhérente
aux lois de la nature, elle-même n’était qu’un copcepl
abstrait, ajouté, du dehors, par l’esprit métaphysique
dogmatique, aux lois effectives des choses. Une science
qui affirme le déterminisme mécanique comme étant dans
les choses elles-mêmes et non pas seulement dans une
certaine conception métaphysique des choses, cesse
d’être simplement expérimentale ; c’est une certaine phi
losophie de la science : ce n’est pas la science toute
nue. »
Et plus loin :
« L’idée que la religion est essentellement la croyance
à une puissance qui tantôt laisse la nature suivre son
1 Ibid.., p. 142.
2 Art. cité, su pra , p. 137.
3 Bulletin de la Société française de philosophie. Février 190g,
p.
29
.
cours, tantôt se jette à la traverse, est solidaire d’une
conception de la science suivant laquelle il nous serait
donné de connaître certaines lois naturelles comme
absolument simples, premières et universelles. Cette
manière d'entendre les lois nalurellcs n’esl autre chose
qu'une assimilation des lois de la nature à des lois édic
tées par un législateur. La loi, ici, est édictée d ’abord :
elle est ensuite obéie ou violée.
Mais les lois scientifiques ne sont pas antérieures aux
faits, elles les résument. Si une loi est violée, ce n'est
pas qu’une puissance contrariante soit intervenue, c’est
ou que loi en question n’avait pas la généralité qu’on
lui attribuait, ou que quelqu’autre loi s ’est trouvée impli
quée dans le phénomène, ou que le phénomène sort de
nos cadres scientifiques actuels. Les lois sont imaginées
pour expliquer des faits ; les faits ne sont pas comme
ces exemples des anciennes grammaires, qui nous mon
traient la langue, docile en général, parfois rebelle aux
prescriptions des grammairiens. »
Ainsi deuxième et précieux apport de la philosophie
de Boutroux : la loi naturelle ne doit plus du tout être
conçue comme une loi qui peut être violée. Le dernier
élément de la loi précepte qui encombrait encore
l ’idée de loi constatation est ainsi définitivement écarté.
En résumé contingence et loi exclusivement expli
cative des faits, telles sont les deux contributions de
BoutroUx à la notion contemporaine de loi naturelle dans
les sciences.
II. Poincaré 1 par son œuvre tout entière, 3 s ’associe
à ce mouvement général de la philosophie contempo
raine qui critique le Déterminisme universel.
Il apporte lui aussi des éclaircissements précieux sur
la notion de loi scientifique qu’il convient d’admettre :
« Si nous envisageons une lui particulière quelconque,
nous pouvons être certain d’avance qu’elle ne peut être
qu'approximative. Elle est, en effet, déduite de vérifica
tions expérimentales et ces vérificalons n’étaient et ne
pouvaient être qu’approchées... De plus l’énoncé d’une
1 1854-1912.
2 Surtout la V aleur de la Science. 1 v. Taris, Flam m arion, 1905.
�—
112
—
loi quelconque est forcément incomplet. Cet énoncé
devrait comprendre rém unération de tous les antécédents
en vertu desquels un conséquent devra se produire... Or
il est clair qu'une pareille description ne saurait se
trouver dans l’énoncé de la loi : si on le faisait d ’ailleurs,
la loi deviendrait inapplicable ; si on exigeait à la fois
tant de conditions, il y aurait bien peu de chances pour
qu’à aucun moment elles fussent jamais toutes réalisées.
Alors, comme on ne sera jamais certain de n ’avoir pas
oublié quelque condition essentielle on ne pourra pas
dire, si telles et telles conditions sont réalisées, tel phé
nomène se produira ; on pourra dire seulement : si telles
et telles conditions sont réalisées, il est probable que
tel phénomène se produira à peu près. » 1
Ainsi et pour H. Poincaré les lois scientifiques
deviennent seulement approximatives. « Les lois conçues
comme formules analytiques ne sont plus immédiate
ment liées aux données de fait. Elles ne peuvent plus
être posées comme des réalités objectives. » 1
Cette notion de loi est en parfaite harmonie d’ailleurs
avec l’ensemble du système exposé dans la Valeur de la
science. a
M. II. Berc/son * par l’ensemble de sa philosophie, se
rattache très directement à ce mouvement vers la
contingence :
M. Bergson enregistre d ’ailleurs la notion courante
de loi scientifique : « La loi, dit-il, au sens moderne
du mot, est justement l’expression d’une relation cons
tante entre des grandeurs (pii varient. » a
11 insiste surtout sur la différence qui sépare les deux
ordres, l’ordre de la nature inerte et l’ordre de la vie.
« La ressemblance entre individus d ’une même espèce
aurait ainsi un tout autre sens, une tout autre origine
1 La V aleur de la Science, p. 248.
1 H. Brunschwigg. H. Poincaré. Le Philosophe. Kev. de Méta.
et de M orale, «913, p. 593.
* L ’auteur affirme d ’ailleu rs à deux reprises (La V aleur de
la Science p. 7 et p. 159) que c ’est l ’A stronom ie qui nous a
appris qu ’il y a des lois.
*
*859
5 H. Bergson. L ’énergie spirituelle. 1 vol. P aris, Alcan, 1920,
P- 75-
que la ressemblance des effets complexes obtenus par
la même composition des mêmes causes. Mais dans un
cas comme dans l’autre, il y a ressemblance et par
conséquent généralisation possible. Et. comme c’est là
tout ce qui nous intéresse dans la pratique, puisque notre
vie quotidienne est nécessairement une attente des
mêmes choses et des mêmes situations, il était naturel
que ce caractère commun, essentiel au point de vue de
notre action, rapprochât les deux ordres l’un de l’autre,
en dépit d’une diversité toute intime qui n’intéresse
que la spéculation. De là l’idée d’un ordre général de
la nature, le même partout planant à la fois sur la
vie et sur la matière. De là notre habitude de désigner
par le même mot et de nous représenter de la même
manière l’existence des lois dans la matière inerte et
celle des genres dans le domaine de la vie. » 1
M. Bergson dans son ouvrage récent a insiste sur les
rapports étroits de la loi précepte et de la loi constatation:
« Les lois que la société édicte et qui maintiennent
l’ordre social, ressemblent d’ailleurs par certains côtés
aux lois de la nature, .le veux Lien que la différence soit
radicale aux yeux du philosophe. Autre chose, dit-il,
est la loi qui constate, autre chose celle qui ordonne...
Sans doute mais il s ’en faut que la distinction soit aussi
nette pour la plupart des hommes. Loi physique, loi
sociale ou morale, loule loi est à leurs yeux un comman
dement... Les deux idées, se rencontrant dans notre
esprit, y font des échanges. La loi prend au comman
dement ce qu’il a d ’impérieux : le commandement
reçoit de la loi ce quelle a d ’inéluctable. I ne infraction
à l’ordre social revêt ainsi un caractère antinaturel :
même si elle est fréquemment répétée, elle nous fait
l’effet d ’une exception qui serait à la société ce qu’un
monstre est à la nature. >» s
Tel est l’apport du grand philosophe fiançais à la
notion de loi naturelle.
1 H Bergson. L ’E volution créatrice, i volume. Paris, Alcan,
1907, p. 246.
3
H. Bergson. Les Deux Sources de la M orale et de la R eli
gion. P aris, Alcan, 1932.
* H. Bergson, op. cit.j p. 4 et 5.
�—
144
—
—
W. James 1 n’esl pas moins relativiste.
« Le développement des sciences a fait naître et
grandir celte idée que la plupart de nos lois, toutes nos
lois peut-être, sont de simples approximations. Ces
lois, d’ailleurs, se sont multipliées au point que le nom
bre en est incalculable. Et puis, dans toutes les bran
ches de la science, il se rencontre tant de formules riva
les, que les chercheurs se sont faits à l’idée qu’aucune
théorie n’esl la reproduction absolue de la réalité, mais
que, du reste, il n’y en a point qui ne comporte d ’être
utile à quelque point de vue. Le grand service qu’elles
rendent c’est de résumer les faits déjà connus et de
conduire à en connaître d’autres. Elles ne sont
qu’un langage inventé par l’homme, une sténographie
comptable comme on l’a dit, un système de signes abré
gés par lesquels nous symbolisons nos conceptions sur
la nature : or les langues, tout le monde le sait, admet
tent une grande liberté d’expression et comportent de
nombreux dialectes.
Voilà comment la nécessité divine s’est vue rempla
cée, dans la logique scientifique, par ce qu’il y a d ’arbi
traire dans la pensée humaine. » *
Telle est la philosophie pragmatique : la loi devient
une formule commode pour l’action.
Boutroux dans son élude sur le philosophe Améri
cain, 3 résumait d ’ailleurs ainsi la position de \Y. James:
« Les lois naturelles sont des barrières que le sujet ne
saurait sans folie vouloir enfreindre, mais en deçà
desquelles une place demeure toujours possible pour
l’action libre. »
M. le duc de Broglie dans un discours prononcé à
Nancy en juillet 1931, au nom de l’Association fran
çaise pour l’avancement des sciences, reprenant la
question de la loi naturelle dans les sciences, se deman
dait s’il faut changer la signification traditionnellement
attachée à l’idée de loi naturelle ; il indiquait pour les
lois physiques, que celles-ci ne sont plus infaillibles,
' 1842-1910.
a W. James. Le Pragmatisme, trad. franç. Le Hrun. 1 vol.
Paris, Flammarion, 1911, P- 66.
2 Boutroux. W. James, i vol. Paris, Colin, 1911, p. 1 1 1.
145
n’expriment plus que des probabilités, se rapportant à
des valeurs moyennes. 1 II concluait cependant en faveur
de l’ancienne loi de causalité, en tenant compte des
marges de l’incertitude.
Plus récemment enfin, du 29 mai au 3 juin 1933, la
Semaine de Synthèse 2 tenait sa cinquième réunion
annueflle : le sujet en était la notion de loi dans les diffé
rentes sciences.
M. Abel Rey étudiait en une introduction générale les
origines de la notion de loi dans la pensée humaine 3 et
son évolution de l’antiquité à nos jours. * MM. Abel Rey
et Paul Langevin, dans une conclusion générale, insis
taient. sur les enseignements de la Semaine de Synthèse :
une sorte de désespoir momentané, qui se traduit par
le principe d’indétermination, c’est-à-dire la négation du
déterminisme scientifique.
M. J. Segond, dans une élude récente : « Le hasard
et la chance » 8 enregistre la notion courante en
3’accentuant :
« Que sont les lois, écrit-il ?... Les lois sont comme
les habitudes que prennent les atomes en se combinant
de la sorte : ce sont les résultats d ’une immense quan
tité d’expériences particulières ; ce sont — j'introduis
déjà ici le mot, quoiqu’il ne se trouve pas chez les Epi
curiens eux-mèmes — ce sont les moyennes entre
toutes les contingences. » *
1 Cf. Discours de réception à l ’Académie Française, par
L. Barthou. T em p s, ier février 1935.
1 Cf. R. Bouvier. La Ve Semaine de Synthèse. Revue de
Synthèse, oct. 1933, p. 217.
Europe Nouvelle, n° du 17 juin 1933. P. Abraham. La Semaine
de Synthèse, p. 578.
3 « L ’idée de loi, écrivait-il, est très complexe malgré son
apparente simplicité. E lle est également très confuse en dépit
de la formulation nette qu'une simplification exagérée de la
vision du monde permettait d’en donner vers la fin du XIX* s. ».
4 LTne série de spécialistes étudiaient la loi dans chaque caté
gorie de sciences, notamment M. Wallon en psychologie et
Simiand en sociologie.
5 Publiée dans la Revue des Cours et Conférences. Année 1034.
* 2* leçon. D éterm inism e et jeux de hasard. Revue des Cours
et Conférences >933-34, p. 622. Cf. Ib id ., p. 624 et 625.
10
�—
146
—
Il indique même : « il n ’y a qu’une seule loi des choses
et il se trouve d’une façon assez fréquente que celle loi,
on l ’a souvent appelée la loi des choses qui n’en ont
pas d’autres. C’est ce que l’on appelle la loi des grands
nombres. » 1
La question de la loi naturelle dans les sciences a été
récemment reprise au premier Congrès international de
philosophie scientifique (15-23 septembre 1935). 2
A en juger par des comptes rendus de presse assez
sommaires jusqu’à ce jour publiés, l’effort du Congrès
pour éliminer toute métaphysique aurait considérable
ment restreint la valeur des discussions sur la loi natu
relle : il s ’agit surtout d ’un problème de logique des
sciences sans possibililé de prendre parti sur la valeur
objective de la loi.
Ainsi, et pour conclure, une partie importante du
mouvement philosophique contemporain est orienté vers
la contingence de la loi naturelle. Le rigoureux déter
minisme universel a été battu en brèche. « Les lois scien
tifiques nous apparaissent de plus en plus comme des
hypothèses provisoires considérées comme vraies aussi
longtemps qu elles paraissent expliquer tous les phéno
mènes connus de même ordre. » *
Cetle évolution des idées qui est particulièrement
importante aura sans doute son influence sur la loi
naturelle économique. C’est ce qu’il nous restera à
rechercher dans un chapitre suivant. 4
1
Ibid.., p . 6 2 5 .
2 T em ps, 20 et 26 septem bre 1935.
3 Monod. De la méthode dans les sciences. 1 vol. P aris, Alcan,
1909, p. 321.
4 C f. infra, chap. X.
CHAPITRE IX
tuioor de rEconomie dirigée
Un autre grand problème contemporain est de nature
à exercer une action certaine sur l’idée de loi naturelle
économique : c’est le problème de l’économie dirigée. 1
Je voudrais ici brièvement esquisser :
§ I. Les origines du problème.
§ II. Les termes du problème.
§ III. Ses rapports avec le problème de la loi naturelle.
§ IV. Les solutions à ce jour envisagées.
§ I . L es
o r ig in e s du p r o b l è m e
C’est la pratique américaine d’une part et la crise
économique mondiale de l’autre qui ont posé le nouveau
problème.
On sait comment l’Economie dirigée débuta par la
monnaie dirigée. 2 (1927-1931) : on voulait « toutes les
1 Bib. g én érale: de Leeneer. L ’Economie libérale et l ’écono
mie dirigée. R apport au Congrès des Econom istes de Langue
F ran çaise 1933- H a été publié dans les T ravaux du Congrès
des Econom istes de langue française 1933. 1 vol. Paris. DomatM ontchrcstien, 1933, p. 13-46.
De Jouvenel. L ’Econom ie dirigée. Paris, Lib. Valois, 1928.
H enri de Man. Réflexions sur l ’Economie dirigée. ParisBruxelles. L ’E g lantine, 1932.
L ’Econom ie dirigée: expériences et plans. Revue d'Econom ie
Politique, n° de sept-oct. 1934.
L ’Econom ie dirigée. Conférence par la Société d ’anciens
élèves et d ’élèves de l ’Ecole libre des Sciences Politiques, i vol.
P aris, Alcan, 1934.
A. P hilip. La crise de l ’économie dirigée. 1 vol. Paris. Editions
de Cluny, 1935.
* Cf. M. Ch. Rist. Discussion au Congrès des Ec. de L angue
F rançaise, 1933, v° b cité P- 67.
�fois que l’or menaçait de quitter l’Amérique, recréer
du crédit pour une quantité au moins égale, au moyen
d’achats de titres sur le marché. »
On sait aussi comment la crise économique mondiale
a provoqué dès l’arrivée de M. Roosevelt au pouvoir,
une politique de plans de nature à remédier à la crise :
de là cette politique s ’est répandue dans d’autres pays,
notamment en France et en Belgique.
Ainsi ce sont avant tout des considérations de fait qui
ont posé le problème.
Cette origine accuse assez nettement les termes tout à
fait pratiques dans lesquels il s’est posé : peut-on faire
quelque chose, diriger l’économie pour éviter la crise ? 1
§ II.
L e s t e r m e s du p r o b l è m e
Par sa position même, le problème ne touchait que
très indirectement à la question de la loi naturelle éco
nomique.
Ce n’est qu’après coup que la liaison a été aperçue
lorsqu’on a voulu préciser les termes de ce problème.
On s’est demandé d’abord — et sur ce point les opi
nions sont divergentes — si ce n’était pas sous une autre
forme le vieux problème de l intervention de l’Etat qui
était à nouveau formulé.
M. de Leeneer 2 écrit à ce sujet : « Il n’est pas douteux
pour nous borner au cas de la France et sans parler
de l’antiquité, que l’économie dirigée ait été jadis lar
gement consacrée sous la forme du Colbertisme. *
Le même, dans la discussion, semble d ’avis opposé :
« Je ne voudrais pas affirmer qu’il n’y eut pas des faits
d’économie dirigée dans le passé. Il en est de nombreux,
mais qui malgré tout sont plutôt restés exceptionnels et
qui, à tout prendre, ont été contenus dans des limites
imposées par des circonstances particulières. » *
1
Je néglige les hum oristes qui affirm ent que nous vivons
sous un « régim e d'économ ie dirigée sans direction » — l ’expres
sion est du professeur Moritz Bonn, cité par M. H au ser: La
Paix Econom ique, i vol. P aris, Colin 1935, p. 146.
* Rapport cité, p. 17.
3 Cf. dans le même sens. M. T ruchy, p. 72.
* O p. cit ., p. 50,
Quelques réserves sont faites à cet égard par d’autres
membres ayant pris part à la discussion. 1
Il me parait que s'il y a en réalité quelques analogies
avec des expériences passées, l’ampleur du problème
posé — c’est toute l’économie qui est mise en question —
suffit à caractériser l’originalité du nouveau problème.
Qu’est-ce alors que l’économie dirigée et comment la
définir ?
Les opinions ici divergent encore :
M. de Leeneer écrit : « De tout ce que j’ai dégagé des
études que j’ai lues, l’économie dirigée semble devoir
consister en un système de politique économique dans
lequel les entreprises privées resteraient entreprises
privées : elles resteraient indépendantes dans ce que
j ’appellerais volontiers leur gestion journalière ; mais
elles seraient tenues de se contenir dans les limites d ’un
cadre, lequel serait déterminé soit par l’Etat, soit par
des personnes déléguées de l’Etat. » 2
D’autres, notamment AL Truchy, 3 insistent sur l’idée
de direction, que celte direction soit donnée par l'Etat
ou qu’elle le soit par les entreprises privées.
M. Noyelle, dans une élude récente, 4 accepte cette
même idée et l’appuie sur les diverses expressions cou
rantes : Economie organisée, orientée, ordonnée,
planée. *
Pour AL Pirou, ‘ l’économie dirigée se caractérise par
l ’introduction de l’idée d ’un plan dans un système qui
par ailleurs conserve le principe de la propriété privée.
1 M. Allix, p. 70; M. Landry, p. 78; M. Perreau, p. 83.
1 R apport résum é de la discussion, p. 50.
M. Allix, président, résume ainsi; « E n ce qui concerne la
définition de l’économie dirigée, M. de Leener nous a indiqué
que c ’était un régim e qui laisse subsister les forces économiques
privées, mais dans lequel le plan économique est établi par
l ’E ta t qui oblige les forces à s ’y soum ettre et à agir dans le
sens q u ’il déterm ine ». Op. cit, p. 65.
3 Op. cit., p. 72 et suiv.
4 N o y e l l e . U t o p i e li b é r a l e . C h i m è r e S o c i a l i s t e . E c o n o m i e
gée.
1 v o l. P a r i s , L i b r . du R e c . S i r e y , 1934-
5 E n ce même sens M. P erreau, op. cit., p. S4.
Conférence à l ’In stitu t agronom ique, 6 mars 1935.
Diri
�—
Pour d ’autres enfin, M. Rueff, 7 l’économie dirigée est
avant tout le contraire de ^économie libérale.
En résumé: « Ou’esl-ce que l’économie dirigée? Nous
ne sommes pas sûrs de le savoir. La terminologie est
flottante, les définitions sont multiples, donc douteuses,
les mesures équivoques. Par contre toutes les épithètes
s ’accordent avec l’idée que l'Economie nouvelle ne sera
plus livrée, abandonnée aux initiatives individuelles
concurrentes. 11 y a là un sens moyen, un contenu
minimum. » 2
Au total c’est à la direction des phénomènes écono
miques que l’on songe avec la nouvelle expression si
fort à la mode.
§ III. L e s
ra ppo rts
de
l ’é c o n o m ie
d ir ic é e
AVEC LE PROBLÈME DE LA LOI NATURELLE
Ces rapports n’ont pas jusqu’à présent été nettement
et clairement dégagés.
Simiand les a aperçus dans son intervention dans
la discussion précitée :
« Nous pouvons partir, dit-il, d ’une comparaison avec
la physiologie et la médecine : rappelons-nous que
selon un processus régulièrement observé, je crois, dans
toutes les disciplines modernes, on a commencé par
faire de la médecine avant de faire de la physiologie, et
on en comprend les raisons. Cependant la médecine n’est
proprement scientifique que dans la mesure où elle est
fondée sur une physiologie dûment établie. Aujourd’hui
je crois que dans le domaine économique aussi nous
pouvons faire un effort, pour distinguer nettement entre
physiologie et médecine. » *
Simiand montre ensuite comment il existe des
précisions basées sur les résultats proprement scienti
fiques des connaissances économiques.
11 conclut : « Nous dirons que dans tel ou tel cas nous
conseillons, nous, d’abord et tout simplement, de s ’abs1
Rev. Bleue. 2 février 1935. La crise du capitalism e. L ’article
de M. Rueff suivi des réponses a p aru sous le même titre en
volume à la Revue Bleue. P aris 19 35 .
* Noyelle, o f. c i t p. 34.
3 Economie libérale et Ec. dirigée. Discussion au Congrès des
Economistes de langue française, 1933, p. 86.
151
—
tenir, faute de bases jusqu’ici suffisamment établies.
Mais si l’on ne peut, pas s’en tenir à cette attitude, nous
pourrions envisager certaines possibilités ou certaines
probabilités, toujours en spécifiant les conditions aux
quelles l’une ou l’autre de ces possibilités ou proba
bilités paraissent s’appliquer au mieux. » '
Et plus loin : « Donc il n ’est pas interdit d’intervenir :
mais il faut le faire, soit à la nécessité, du mieux qu’on
peut, soit sur une analyse proprement scientifique et
d ’une science qui en elle-même n'a visé ni telle fin ni
telle autre. » 2
Ainsi c’est le problème de l’intervention basé sur des
données scientifiques qui a été en réalité posé et qui
reste ouvert par les discussions contemporaines sur
l’économie dirigée.
M. René Carmille dans un livre récen ts écrit : « Les
deux exemples que nous venons de citer ne sont pas les
seules questions économiques pour lesquelles une
connaissance exacte des faits appuyée sur des recher
ches vraiment scientifiques amènerait des améliorations
extrêmement sensibles en permettant d’éviter de lourdes
erreurs. »
Il est clair que la solution de ce problème de la direc
tion à donner à l’économie dirigée dépend avant tout de
la notion admise pour la loi naturelle économique.
Les lois sont-elles comme l'a pensé longtemps l’école
libérale, fatales, nécessaires, inexorables. L’économie
dirigée apparaît comme un non-sens et une absurdité :
c’est la solution à laquelle aboutit M. Rueff dans l’article
précité : « Le choix entre tous les possibles, choix qui
est la base nécessaire de tous les systèmes d ’économie
dirigée, ne peut être raisonné. Et puisque malgré cela
ce choix ne peut être évité, il devra être arbitraire. C’est
la conclusion essentielle qui fixe le caractère politique
des régimes qui prétendent s ’affranchir de la dictature
des prix ». On 1 1 e peut, on ne doit pas violer l’ordre
naturel.
1 Ibid.., p. 88.
a Ib id ., p. 91.
3 Vues d ’Econom ie objective. 1 vol. Libr. du Recueil Sirey,
' 935, P- 47-
�—
i■
tï’
Les lois sont-elles au contraire, comme l’admettent
beaucoup d’esprits aujourd’hui, contingentes; présententelles un ensemble de conditions sur lesquelles il est pos
sible d ’agir, cette économie dirigée est concevable,
admissible et possible, pourvu qu’elle soit rationnelle.
M. Courtin dans un article récent de la revue d'écono
mie Politique, 1 a exactement souligné le rapport de
l’économie dirigée et de la loi naturelle. 11 caractérise
surtout l'opinion libérale à cet égard : « Avec un simplicisme semblable, les libéraux ont opposé la question
préalable à tout projet constructif. Puisque les lois de
l’activité spontanée doivent être considérées comme
bienfaisantes, puisqu’aucun déséquilibre n ’est conce
vable, toute intervention, quelles qu’en soient la nature
et les modalités, doit être impitoyablement rejetée. » *
Ainsi — et c’est là un point de vue essentiel — derrière
le problème contemporain de l’économie dirigée, il y a,
sous jacent et inévitable, le problème de la loi naturelle
et de l'ordre naturel...
§ IV.
L e s s o l u t io n s a c e j o u r e n v is a g é e s
Le problème n ’ayant pas été nettement posé dans les
termes où il est esquissé ci-dessus, il n’y a rien d ’étonnant à ce que les solutions soient à tout prendre aussi
confuses et aussi divergentes que les données du pro
blème lui-même.
11 suffira de rappeler ici les deux attitudes dominantes
à ce jour adoptées.
Les uns, et ce sont en général soit les libéraux
convaincus, soit les économistes à tendance libérale, ont
tendance à admettre que l'économie dirigée est mauvaise,
que toujours et dans tous les cas elle aboutit à des mé
comptes. M. de Leener formule cette opinion dans la
153
—
conclusion de son rapport : « L’économie libérale vaudra
enfin plus dans t’avenir qu’elle ne vaut aujourd'hui, si
les hommes procèdent désormais plus en conformité avec
la foi dans la liberté et avec le sens de la responsabilité
individuelle. Partout où l’Etat intervient à des fins écono
miques d’intérêt particulier, leur abaissement est certain,
parce qu’ils perdent la foi dans la première et se débarras
sent du fardeau de la seconde. Toutes les atteintes portées
à l’économie libérale ont contribué à ce double avilis
sement. Un redressement est nécessaire. Dans la mesure
où il s ’accomplira, l’économie libérale rendra à l’huma
nité plus de services, sans qu’elle puisse lui assurer ni
proscription certaine, constante et universelle de la
misère, ni garantie contre les aléas d’un sort inégal. » 1
Les autres, par un sentiment plus ou moins obscur
des véritables termes du problème, admettent que l'éco
nomie dirigée est possible.
Certains spécialistes, M. A. Siegfried, 3 M. W. Oualid * admettent que l’expérience américaine en cours
a donné des résultats. M. Lescure 4 aboutit à des conclu
sions analogues pour l’expérience russe.
M. Paul Decharme 5 résumant les conférences de l’Ins
titut National agronomique sur les expériences d’éco
nomie dirigée au point de vue agricole conclut : « Il
resterait beaucoup à faire en Russie soviétique, mais
l importance de l’effort accompli permettrait de bien
augurer de l’avenir. »
Certains voudraient avec raison une formule d ’éco
nomie dirigée dans le cadre du régime capitaliste :
« N’y a-t-il pas lieu de se demander s'il est possible de
trouver une formule d ’économie dirigée dans le cadre
du régime capitaliste, sans que cette formule fasse écla
ter le cadre dans lequel on veut l’introduire et ne nous
conduise directement au plan quinquennal et au régime
collectiviste proprement dit ? » *
1
4
*
*
Ed.
4
0
Econom ie libérale et Economie dirigée, p. 46.
L ’expérience Roosevelt. France-A m érique, février 1935.
Revue d ’Econom ie Politique, janv.-fév. 1935.
Le Bolchevisme de Staline. Le régim e des plans. Paris,
D om at-M ontchrestrien, p. 198.
T em p s, 21 mai 1935.
*
M. A lüx. Econom ie libérale et économie dirigée, p. 125.
�M. Harold Butler, Directeur du Bureau international
du travail, dans son rapport pour 1935 exprime exacte
ment la même opinion : « A la croyance fatale dans le
jeu bienfaisant des lois économiques, succédait partout
une demande d’action collective méthodique... 1 S’il
(l’ancien système d ’ajustement automatique) ne remplis
sait pas ce rôle, il appartenait à l'Etat d’intervenir dans
l’intérêt général de la société et particulièrement, dans
l’intérêt des branches de l’industrie et de l’agriculture
les plus durement atteintes par la dépression. » a
M. de Michelis s expose dans le même sens un plan
d’économie dirigée internationale : il s’agit par une
coopération internationale de diriger et de coordonner
t’œuvre du perfectionnement social de l’humanité.
Ainsi le problème de l’Economie dirigée, 4 envisa
geant les questions sur le terrain de l’Art social et de
la Politique économique, aura contribué indirectement
mais sûrement à renouveler de nos jours le problème
de la Loi naturelle économique.
Le seul fait qu’il ait pu être posé montre le recul
des idées de lois absolues, fatales et nécessaires.
La question de l ’action en face des lois naturelles n’a
pas d’ailleurs été nettement précisée.
Ce problème contribuera cependant à influencer 'a
notion de loi naturelle dans l’avenir qu’il nous reste à
examiner dans un dernier chapitre.
CHAPITRE X
L'avenir de l'idée de loi naturelle
en Economie politique
Une dernière question se pose au terme de la longue
évolution précédemment étudiée : quel peut être l’avenir
de la loi naturelle en Economie Politique ?
Pour en juger il semble que trois questions distinctes
se posent maintenant : quelle sera éventuellement la
notion de loi économique ? avec la dite notion, la prévi
sion est-elle possible? OlI^he sera enfin avec cette notion
l’action possible sur les faits économiques ?
Nous les étudierons en trois paragraphes :
I. La notion de loi ;
IL La prévision en matière économique ;
III. L’action sur les faits économiques.
§ I. L a N otion de loi
1
1 R apport du D irecteur. Genève, 1935, p. 7.
* Ib id ., p. 8.
3 Giuseppe de M ichelis. La Corporazione nel M undo. 1 vol.
M ilan, Bompiani, 1934.
O uvrage traduit en français: La C orporation dans le Monde.
Economie dirigée internationale. P aris, Denoël et Steele, 1935.
4 M. Th. Simon (La Crise du C apitalism e. Conclusion. Revue
Bleue, 4 mai 1935, p. 300), écrit exactem ent: « L ’Econom ie d iri
gée est née de ces constatations. Si le jeu du prix et l ’autom a
tisme ne sont plus suffisants pour am ener l ’ad ap tatio n de la pro
duction à la consommation dans un m onde économ ique où
l’homme a été chassé au profit de groupem ents et de collecti
vités, il faut trouver autre chose. L ’E ta t pour certain s, la p ro
fession organisée pour les autres, sont sollicités de p ren d re en
main l’organisation de l’Economie et de substituer à l’anarchie
actuelle un système aussi strict que possible de prévisions. »
La notion de loi est aujourd’hui, pourrait-on dire,
à un carrefour : sera-t-elle pour l’avenir encore sur le
le type de la loi physique ou au contraire acquerra-telle quelque chose de nouveau et d’original qui en serait
comme la caractéristique ?
La loi scientifique évolue et se trouve aujourd’hui
en un stade de transformation marquée : sans vouloir
préjuger ici du lendemain et des résultats de cette
évolution nouvelle 1 il semble que cette orientation vers
ce que l’on pourrait appeler un «< ordre automatique »
soit difficile en matière économique et sociale.
1 Cf. ci-dessus, p. 137.
�Il semble que de plus en plus ' la loi naturelle s’orien
tera vers l’idée d’un « ordre voulu. » 2
« Les lois, écrit M. Bergson 3 sont intérieures aux
faits et relatives aux lignes qu’on a suivies pour décou
per le réel en faits distincts. »
On rejoint ainsi la conception de Marshall : « Une
loi de science sociale, c'est l'affirmation que les hommes
appartiennent à un groupe social se conduisant d une
certaine façon sous certaines conditions. » ‘
Tel est l’ultime résidu de la loi précepte qu’il semble
possible de retenir dans la notion de demain. 8
Telle quelle, la loi naturelle économique de demain
conserve ainsi un double caractère sur lequel il faut
insister :
elle est explicative ;
elle est provisoire.
Elle est d'abord explicative.
« On ne doit pas oublier d ’ailleurs, écrit M. Lan
glois, 6 que les synthèses historiques comme les syn
thèses ou lois scientifiques sont des vues de l’esprit qui
ne peuvent avoir d ’autre prétention que de coordonner
et d’expliquer les faits connus et de servir de point de
départ et de directive pour des recherches nouvelles.
Elles sont un instrument de découverte autant, qu’un
procédé de classification. »
On trouverait7 dans les disciplines voisines, la Litté1 Cf. Gény. Science et technique en D roit privé positif. In tro
duction. i vol. Paris. Libr. de la Société du Recueil Sirey, 1914,
n° 14, F- 432 Cf. Bergson. L ’évolution créatrice, p. 200 et suiv. 1 vol.
P aris, Alcan, surtout p. 242, les deux espèces d ’ordre.
3 Ibid.., p. 213. Cf. H. Bergson. Les Deux Sources de la
M orale et de la Religion. P aris, Alcan, 1932. C hap. I : L ’Obli
gation morale.
4 P rinciples of Economies. 1890. T rad . fr. P aris, G iard, 1909.
sEn un sens plus accentué le système qualifié d ’universalism e
de M. Otto Spann. Cf. D r Spann. A nathèm e ou bénédiction. U n
jugem ent sur l’ordre économique et les doctrines qui ont essayé
d ’en rendre compte. Revue d ’Econom ie Sociale et R urale, avril
«935» F- 67.
6 De la M éthode dans les sciences, p. 395.
7 Cf. G. Lanson. L ’histoire littéraire et la sociologie. Rev.
de M étaphysique et de M orale, 1904, p. 634 et suiv.
—
157
rature par exemple, une notion analogue, assez timide
même de la loi explicative.
Lanson écrit en parlant de la loi en littérature : « N’y
mettons que le fait et n’entendons rien autre chose par
ce mol de lois sinon que dans une pluralité de cas,
certaines conditions étant données, les choses se sont
passées de telle façon. Ce sont des ombres de lois plu
tôt que des lois. Car nous ne savons pas toujours si
nous apercevons bien les conditions suffisantes et
nécessaires. »
A ce caractère de la loi naturelle d ’être explicative,
se rattache l’importante question du rôle de l’expéri
mentation en Economie Politique.
La généralité des auteurs dénie la possibilité ie
l’expérimentation en économie politique ; quelques
autres plus rares, dont Simiand 1 l’admettent. Pour lui
une série d ’opérations intellectuelles sont de véritables
succédanés de l’expérimentation : l’observation des
ensembles et le point de vue dynamique par exemple.
La loi sera par là même et par voie de conséquence,
provisoire, c’est-à-dire quelle est intimement liée au
développement de la science qui se modifie par renou
vellement interne.
L’exemple de la physique contemporaine est à cet
égard particulièrement édifiant : il se peut que l'écono
mie politique ail à ajouter ou à retrancher à la liste
des lois naturelles proposées. *
Les expériences qui se poursuivent d’économie diri
gée sur le plan national et demain peut-être sur le plan
international seront de ce point de vue particulièrement
suggestives.
La loi de demain est appelée à se modifier et à se
transformer.
1 Cf. Sim iand. Le Salaire, l ’évolution sociale et la monnaie.
Essai de théorie expérim entale du salaire. Paris, Alcan, 3. vol.
gr. in-8°, 1932.
A nalyse de cet ouvrage signée C. B. dans Annales Sociolo
giques. Série A. Sociologie générale. Paris, Alcan, 1035, p. 83.
2 Cf. R aynaud. Les lois naturelles économiques, t. II (en
préparation).
�—
158
—
On arrive ainsi pour la future notion de loi naturelle,
à une comparaison qui s ’impose et qui précisera encore
notre position :
Les lois naturelles économiques dans le monde
seraient assez analogues à ce que sont en psychologie
les lois du rêve. 1
Celles-ci existent incontestablement mais accusent
nettement la contingence dans le rêve : la contingence
dans le rêve réside dans le fait que le conséquent ne
peut être sûrement, déduit de l’antécédent.
De même les lois économiques existent, affirmant une
certaine régularité mais ici non plus de l’antécédent posé
ne peut être sûrement déduit le conséquent.
Ceci nous amène donc au second problème : celui
de la prévision.
§ II. L a P r é v i s i o n e n m a t i è r e é c o n o m i q u e
D’après J’adage fameux de Bacon, « Savoir c’est pré
voir et prévoir c’est pouvoir », le second problème posé
par la notion future de loi économique est la question
de la prévision. 3
Je voudrais brièvement étudier ici les trois problè
mes suivants :
a) quel a été le sort de la prévision dans le passé ?
b) quels sont l’état et le succès de la prévision dans
le présent ?
c) comment est-il possible de l’envisager dans l'avenir?
a) La prévision dans le passé.
D’une manière générale les économistes ont été très
réservés en ce qui concerne les prévisions possibles.
Il suffira de rappeler brièvement les principales atti
tudes des Economistes à cet égard.
1 On pourrait aussi rapprocher les règles du jeu de bridge
et la m arche d'une partie de ce jeu.
2 F. V irgilii. La prévision économique. Scientia, ju ille t 1933.
Supplém . p. 25.
V. Pareto. Quelques exemples d ’application des m éthodes
d ’interpolation à la statistique. Jo u rn al de la Société de S ta
tistique de P aris, nov. 1897.
Dr W agem ann. Les méthodes m odernes des études de la con
joncture. Rev. écon. in tern ., avril 1935, p. 5.
—
159
—
Les Physiocrales envisageaient une telle évidence de
l’ordre économique qu’ils avaient découvert que tous les
hommes, convaincus de sa beauté et de son excellence,
devraient certainement s’v confirmer et le suivre.
Clément Juglar dans ses études sur les crises 1 avait
cherché les symptômes remarquables en matière de crise
et cherché par là même à en connaître la périodicité et
à en prévoir Je retour.
De Fovillc 2 avait traduit dans une représentation
graphique colorée les variations symptômatiques de
l’économie et cherché par là même à préciser les ins
truments de prévision économique.
Marshall, 3 est beaucoup moins optimiste : « Il est
vrai qu’un économiste comme tout autre personne, peut
donner son propre jugement sur la meilleure solution
des problèmes pratiques variés, de même qu’un ingé
nieur peut donner son opinion sur la meilleure méthode
de faire aboutir le canal de Panama. Mais dans des cas
de ce genre, le conseil n’a que l’autorité de la personne
qui le donne, ce n’est pas la voix même de la science
qui se fait entendre. »
Paul Leroy-Beaulieu affirme : « La prévision des
phénomènes futurs, par l’observation des phénomènes
passés et présents, n ’est pas impossible, dans une cer
taine mesure toutefois, à l’économiste. » 1 II donne entre
autres exemples la prédiction de la baisse du taux de
l’intérêt à la fin du x i\e siècle avec références à l'appui.4
Ch. Gide affirme lui aussi la possibilité des prévisions
en économie politique : « La loi économique comporte
aussi des prévisions tout comme les lois du monde phy
sique » 6 et plus loin : « Si nos prévisions en fait d ’Economie Politique sont toujours incertaines et à contre
1 1S56-1857. Reprises dans C. Ju g lar. Des crises commerciales.
P aris, 1889.
2 La m étélogie économique dans le Jo u rn al de la Société de
S tatistique. P aris, ju illet 1888.
3 The présent position of Econom ies, p. 45.
4 T ra ité théorique et pratique d ’Economie Politique. 3* édition.
P aris, G uillaum in, 1900, t. I, p. 23.
5 I b id ., p. 27, note 1.
8
Cours d ’Econom ie Politique, 10* éd., 2 vol. Paris, Libr. du
Rec. Sirey, 1930, t. 1, p. 14-
�ri ;
R > f1
6H I
—
160
—
—
sens, il n’en faut donc point conclure que les faits éco
nomiques ne relèvent que du hasard, mais seulement
que les mobiles qui déterminent les actes des hommes
sont, trop inextricablement embrouillés pour que nous
puissions toujours en démêler l’écheveau. Mais si un
jour les hommes pouvaient devenir infiniment sages, il
est vraisemblable que la prévision économique s’exerce
rait pour leurs faits et gestes, avec autant de sûreté que
pour les corps célestes. » 1 II ne s’agit d’ailleurs de
prédire que la conduite des hommes considérés en
masse.
Enfin on a beaucoup critiqué les défauts dans les
prévisions des économistes au moment de la grande
guerre 1914-1918. 3
Les Economistes — on dit : l’Economie Politique —
s’étaient trompés sur de nombreux points avant 1914 ;
ils avaient prédit une guerre courte, un arrêt total de
la vie économique, l’impossibilité de soutenir pendant
de longs mois l’effort financier de la guerre, etc... Sur
tous ces points et bien d’autres, les faits ont apporté un
cruel démenti aux prévisions d ’avant-guerre.
Voici les textes des prévisions de Paul Leroy-Beau
lieu sur la durée de la guerre : il avait écrit :
« D'où vient ce préjugé qu’une grande guerre serait
nécessairement courte ? A moins d ’une défaillance
imprévue tout tend à prouver qu’une grande guerre entre
nations Européennes de premier ordre, luttant non plus
pour la prépondérance, mais pour l’existence, serait
fort longue. Un an 3 peut-être plus. » *
On voit que la prédiction était un peu vague : elle
161
—
était de plus basée sur la doctrine et le plan de guerre
alors en vigueur. Elle supposait l’arrêt complet de la
production économique.
Elle constitue, par rapport aux événements une erreur
peut-être excusable, mais une erreur certaine.
Sur les finances de guerre.
« Avec quel argent pourrait-on y faire face? Nous avons
toujours pensé et écrit à l’encontre de 3’opinion com
mune et nous nous appuyons dans cette pensée sur
toute notre expérience financière qu’une grande guerre
peut se faire et se soutenir avec peu d’argent. Il faut
beaucoup d’argent, avant, pour la préparation, beau
coup d ’argent, après, pour payer les frais accumulés.
Il faut relativement peu d’argent au cours de la guerre
elle-même : les événements sont tout à fait décisifs sur
ce point. On vit sur les réquisitions dans le pays, soit
le sien, soit l’autre qui est le théâtre de la lutte. On
prend tout l ’or des Banques, on émet des billets, on
ajourne, moyennant une élévation de prix, le paiement
des factures des fournisseurs, puis on place des bons du
Trésor... une nation comme la France... ne reculerait, le
cas échéant, devant aucun moyen pour conserver ces
biens sacrés. » 1
Les événements ici semblent montrer que Paul LeroyBeaulieu avait vu juste à quelques détails près.
b) La prévision dans le présent.
C’est surtout dons la période de l’après-guerre 3 et
par la méthode des courbes statistiques que la prévision
économique a été de nouveau tentée.
Le mouvement débuta aux Etats-Unis en 1919 avec le
service du Harward Universitv Committee on économie
research. 3 Ce service publie des lettres hebdomadaires,
une revue mensuelle, la «< Review of Economie Statistics », et s ’efforce de retracer le mouvement des affai1 Ib id . Art. cité.
* Il y au ra it des précédents français à cet effort dans les indices
m ensuels publiés dès 1908 dans le Bulletin du M inistère du T ra
vail et dans le Bulletin de L égislation com parée du M inistère des
Finances.
* F ondé p ar Persons et Bullock.
11
�—
res, la courbe A traduisant l’allure de la spéculation en
Bourse, la courbe B exprimant l’évolution des prix et
la courbe C la marche du crédit.
Celles-ci paraissent permettre la prévision. 1
Aux Etats-Unis toujours, le Fédéral Reserve Bulletin
publié par le Fédéral Reserve Board, informe les Ban
ques Américaines du mouvement des affaires. a
La crise Américaine porte un coup terrible à ces
essais de prévision.
En Europe le mouvement se poursuit :
En Allemagne création de l’Institut fur Konjuncktur
forschüng ; en Angleterre création du London Economie
service ; en Belgique apparition du Bulletin trimestriel
de conjoncture de l’Université de Louvain, en Italie, à
Rome, le Prospettive economiche, en France le Bulle
tin de la Statistique générale de la France et depuis
1930 la Conjoncture économique et financière de M. Jean
Dessirier.
C’est la méthode dite des baromètres économiques. 3
Elle est à l’heure actuelle quelque peu discréditée.
On a fait avec raison remarquer * qu ’en ces matières
le document publié ne suffit pas et que rien ne
peut remplacer l’expérience personnelle de l’homme
d ’affaires. *
On peut donc légitimement affirmer que la prévision
économique avait été plusieurs fois retenue comme
1 Sur la valeur de la méthode. Cf. I. F isch e r: O ur instable
dollar and the Socalled Business cycle. Jo u rn a l of A m erican
statistical Association. Ju in 1925.
2 II faut m entionner aussi le Surw ey of C u rren t Business du
m inistère du Commerce, la S tatistical o rg an isatio n de W ellesley,
les indices de la Babson, sous les auspices de M itchel, les publi
cations du N ational Bureau of Econom ie R esearch, les courbes
de l'A nnalist, etc...
* W agem ann (Les méthodes m odernes de la conjoncture. Rev.
écon. intern. Avril 1935, p. 7), insiste sur ce qui constitue à son
sens l ’originalité de l ’in stitu t q u ’il d irig e : « il faut coordonner
les réactions économiques avec les différents types d ’org an i
sation de l’économie ».
4 Cf. J. Lescure. Des crises gén érales et périodiques de sur
production. 4® éd., 2 vol. P aris. E d it. D om at-M ontchrestien,
1932. Surtout vol. II, p. 553 et suiv.
5 Lescure. Ib id ., p. 577.
Cf. Conclusions analogues dans l ’article précité de V irgilii,
P 34.
163
—
une conséquence nécessaire de l’existence des lois
économiques.
c) Lai prévision dans l'avenir.
On envisage avec raison — en ce qui concerne les
méthodes modernes de prévision, un perfectionnement
des observations : « C’est au perfectionnement de
l’observation plutôt qu’à la pondération et â l’ajustement
des chiffres que nous confierions plus volontiers l’avenir
de la prévision très délicate du mouvement des affaires et
des crises. » 1
Pour revenir au problème d’ensemble 1 de la prévi
sion économique, il faut d’une part ranger au nombre
des questions qui ne sont plus discutées, la question de
l’influence perturbatrice de la liberté humaine dans ces
prévisions : ce sont des prévisions de masse et la loi
des grands nombres permet d’éliminer l’influence per
turbatrice de la liberté.
Il faut d ’autre part revenir au problème de l'économie
dirigée et plus généralement au problème de la rationa
lisation de l’économie qui pourrait à la limite faire dis
paraître le problème même de la prévision économique.
En régime de liberté économique complète, l’obstacle
presque insurmontable aux succès de la prévision
économique est le fait que la réversibilité n’existe pas
dans les faits humains, les prévisions ne sont jamais
faites que sous la réserve expresse que les variables se
présenteront dans le futur comme elles se sont présen
tées dans le passé et de cela on n’est jamais sûr. 3
En régime d’économie dirigée, Faction et la prévision
se confondent : on déclanche un mécanisme connu et on
en attend les résultats.
Mais ceci nous conduit naturellement au troisième
problème : l’action en face des lois naturelles écono
miques.
1 J. Lescure, op. cit., p. 577.
* Cf. La Prévision en sociologie. II® Congrès de l ’Institut inter
national de Sociologie. Genève, oct. 1933.
Com pte rendu publié dans les Archives de Sociologie. JuinDécembre 1933.
3
On avait justem ent opposé (Virgilii art. cité) la prévision éco
nomique et la prévision météréologique, la première serait pres
byte, c’est-à-dire ne verrait les événem ents que de loin, alors que
la seconde serait myope, ne voyant que de près.
1
■■■■■■■■■
-
�Il est certain que l’action sur les faits économiques
est en étroite corrélation avec la notion acceptée de la
loi économique.
La loi telle que l’entendaient les Physiocrates et
l’Ecole classique ne comportait, dans le domaine de
l’action éventuelle, que la règle : « Laissez faire, laissez
passer ».
H. Denis a exactement exprimé cette liaison :
« Les représentants de l’Ecole classique assignent à
ces lois des phénomènes économiques le caractère d ’une
véritable prescription impérative excluant toute inter
vention autre que celle qui consiste à les laisser opérer
d’elles-mêmes : ils les qualifient d'immuables, inéluc
tables, autant que bienfaisantes.
Or dans toutes les sciences, les lois naturelles ne
sont que l’expression indicative de certaines tendances
générales, de certains rapports constants, rien de
plus. » 1
de Molinari dans une page curieuse 3 affirme que le
« laissez faire, laissez passer » ne mène nulle part :
« Mais à quelle fin s’est construit, sous l’impulsion
des lois naturelles, l’édifice de la civilisation ? Ces lois
que l’homme n’a point faites lui ont imposé les progrès
qui ont augmenté successivement sa puissance sur la
nature. Dans quel but ? Serait-ce en vue de son bonheur?
Hélas ? si ces progrès ont diminué la somme des souf
frances et augmenté celle des jouissances de l’espèce
humaine, considérée dans son ensemble et sa durée, on
ne saurait dire qu’ils aient eu pour résultat l’accroisse
ment du bonheur de ceux-là même qui en sont les arti
sans, au contraire : ils ont, le plus souvent, causé un
mal actuel pour procurer un bien futur. La diminution
des souffrances et l’augmentation des jouissances peu
vent être la conséquence du progrès. Elles n ’en sont
pas le but. Ce but, c’est l’accroissement de la puissance
1 H. Denis. H istoire des systèmes économ iques et socialistes.
I. p. 269.
* O rganisation politique et économique de la société future.
I vol. P aris, 1899.
de l’espèce humaine, en vue d ’une destination qui nous
est inconnue. »
Sombre perspective foncièrement teintée de pessi
misme I
D’autres insistent sur les conséquences de cette abs
tention au point de vue de Laction. Un prédicateur
contemporain 1 affirme : « Tous ceux qui, par exemple,
dans les milieux chrétiens, avaient cru pouvoir hier
adhérer sans réserve aux dogmes fondamentaux du libé
ralisme économique, avaient-ils pris garde aux consé
quences de cette adhésion confiante aux postulats d ’une
doctrine partiellement erronée ? Avaient-ils pris garde
qu’à tenir pour néfaste et dangereuse toute tentative d in
tervention dans le jeu des lois économiques tenues ellesmêmes pour inéluctables et inscrites dans la nature des
choses, ils se trouvaient tout naturellement conduits, en
vertu même de leurs traditionnelles et chrétiennes habi
tudes de pensée, à tenir également pour fatales, inévi
tables, faisant partie de l’ordre voulu par Dieu, les
conséquences qu’elles entraînaient : la situation précaire
et pénible dans laquelle elles laissaient les multitudes
ouvrières, les crises douloureuses de chômage aux
quelles périodiquement elles aboutissaient et même
parfois l’injuste exploitation des travaux des travail
leurs à laquelle trop souvent elles conduisaient ? ». 1
Au contraire, avec Auguste Comte et ses disciples, la
possibilité d ’une action éventuelle de l’homme sur les
faits économiques est nettement posée.
Dans l’avenir, affirme A. Comte, « la puissance effec
tive de l’homme pourra modifier à son gré des phéno
mènes quelconques, mais cette puissance ne pourra
jamais résulter que d’une connaissance réelle de leurs
propres lois naturelles. » *
Ainsi avec la notion de loi constatation se trouve
1 R. P. Coulet. Le Catholicism e et la Civilisation en péril.
1 vol. Paris, Spes, 1934, P- 165.
3
Cf., op. cit., p. 209. Les conseils donnés pour une action
opportune.
3 Cours de philosophie positive, t. IYT, p. 227. Ed. citée.
Cf. Pierre Laffitte. Cours de philosophie prem ière, t. I, p. 197.
�Contingence des lois économiques
Boutroux a fort bien exposé le point de vue que
l’on peut qualifier de nouveau sur la notion moderne
de loi.
Au moment de partir, en 1910, donner des confé
rences à l’Université de Ilarward sur la philosophie
française, il exposait ainsi sa thèse fondamentale à un
rédacteur du Journal des Débats : 1
« La série de huit conférences est intitulée : Contin
gence et liberté. J ’y résumerai telles que je les conçois
aujourd’hui, les raisons qui m’ont fait soutenir, il y a
quelque trente-six ans, que les lois réelles de la nature
sont dans leur essence différentes de celles que formule
la science. La science vise à construire un système de
rapports exacts, logiquement réductibles les uns aux
autres, symboles d’unité, d ’immutabilité et de néces
sité radicales ; tandis que, dans la nature elle-même,
l’uniformité et le déterminisme qui, certes, ont leur
valeur relative, ne représentent pas le fond des choses,
mais recouvrent de leur rigidité apparente une puis
sance inaliénable de vie et de création. Certes, il y a
des espèces et des lois dans la nature : mais elles ne
sont pas, à proprement parler : elles ne sont que
l’étape d’un devenir, et leur devenir continue. Ce n’est
pas la nature des choses, supposée immuable, qui est
le principe : c’est leur histoire. La nécessité est un fait,
une forme acquise, non une cause première : elle
repose sur la contingence et ne peut l’abolir. Les lois
de la nature sont ses habitudes. »
Ainsi, à adopter ce point de vue, la notion de la loi
déduite d’un déterminisme rigoureux, serait aujourd’hui
périmée, dans toutes les sciences et particulièrement en
économie politique.
S ection I.
très largement posé le problème de l’action sur les
faits économiques.
Les précisions sur le caractère éventuel de notre
action sur les faits économiques manquent dans l’ensemble et la littérature économique contemporaine
est assez pauvre à cet égard.
Voici, me semble-t-il, comment on pourrait esquisser
les grandes lignes du problème :
a) les lois économiques ne sont pas la traduction
fidèle et adéquate de la réalité (section I) ;
b) c’est du côté de la vie et de l’action qu’il faut
chercher pour se rapprocher du réel (section II) ;
c) dès lors notre action demeure possible : elle sera
cependant limitée (section III).
Le problème de l’action est posé de façon plaisante
par Molière dans sa comédie des Femmes Savantes : 1
Philaminle à Lépine :
— Allons, petit garçon, vite de quoi s ’asseoir 1
(Lépine se laisse tomber.)
Philaminle :
— Voyez l’impertinent ! Est-ce que l’on doit choir,
Après avoir appris l’équilibre des choses ?
Bélise :
— De ta chute, ignorant, ne vois-tu pas les causes,
Et qu’elle vient d’avoir, du point fixe, écarté
Ce que nous appelons centre de gravité ?
Lépine :
— Je m’en suis aperçu, Madame, étant par terre.
Ainsi la loi naturelle méconnue amène de fâcheuses
conséquences...
II. La vie économique
Mais alors comment concevoir le monde économique 0
Boutroux dans le document précité, poursuivait :
« Au jugement de la raison, nous trouvons en nousmême une source de la connaissance, autre que l’obserS ection
1 N° du 24 février 1910.
�—
vation objective et la déduction mécanique des sciences,
à savoir la conscience, en laquelle l’idée et la connais
sance ne se séparent pas. Et l’être inhérent à la cons
cience est foncièrement vivant par le sentiment, ordon
nateur par l'intelligence, libre et créateur par l’activité.
Il peut donc rationnellement rendre compte, et de l’ètre
contingent, et de l’ordre, et de la création qui appa
raissent dans les choses.
C’est ainsi que dans la vie économique de demain,
l’homme apparaît comme un collaborateur, comme un
agent, comme un animateur.
11 s ’insère dans les faits économiques pour y jouer
son rôle, pour les diriger.
III. Caractères et limites de notre action
Dès lors notre action en face des faits économiques
apparaît avec les trois caractères fondamentaux sui
vants : elle est possible, elle est limitée, elle est une
collaboration.
a) elle est possible : le déterminisme une fois écarté,
la véritable tradition scientifique reprend son empire :
« Savoir c’est prévoir, et prévoir c ’est pouvoir ».
b) elle est limitée.
Elle est limitée d ’abord par les facteurs d ’ordre
physique, technique et psychologique. 1 L’inégale répar
tition des matières premières et des gisements miniers,
la présence ou l’absence de beau, la confiscation des
territoires, les différences de climat influent sur la
culture et indirectement sur toute la production.
La technique pose des bornes à notre action en même
temps qu’elle lui donne de nouvelles possibilités. Enfin
la psychologie marque aussi devant notre intervention
éventuelle des limites qu’elle ne saurait dépasser.
Elle est en second lieu limitée par des fadeurs d'ordre
humain qui agissent soit du point de vue de la quantité,
S ection
1 Cf. Sur tous ces points la géographie hum aine d ’a u jo u rd ’hui.
D em angeon. G éographie hum aine. P aris, Colin, 1929, t. I et
t. II.
Ratzel. Politische géographie. 1 vol. 1897. O ldenbourg. M unich
et Leipzig.
J. Brunhes. La G éographie hum aine. 3 vol. P aris, A lcan, 1925.
169
—
soit du point de vue de la qualité. Pour la quantité il
y a lieu de faire état de la densité de population mon
diale et nationale ; pour la qualité, les aptitudes au
travail des individus et des peuples modifient le rende
ment et contribuent à des inégalités au moins momen
tanées.
Elle est en troisième lieu limitée par des facteurs
juridiques : l’Etat, son organisation et les règlementa
tions qu ’il impose.
c) elle est une collaboration.
L’action humaine doit s’insérer dans la vie écono
mique, il faut partir des connaissances acquises pour
une action dirigée et d’après le résultat de ces expé
riences modifier, au besoin en les rectifiant et en les
élargissant, les connaissances acquises. La science
économique demeure en perpétuelle transformation et
par là même en perpétuelle formation.
Ainsi nous apparaît l’action en face des faits
économiques. 1
Les lois naturelles sont ainsi les expressions appro
chées des sanctions de nos actes, le résultat et la coor
dination des expériences de l’humanité, en vue de
nouvelles actions et d ’un nouveau progrès en avant.
On peut remarquer en terminant sur ce problème de
l’action, que cette position doctrinale répond à tout
prendre à celle des inventeurs des principales lois éco
nomiques : ils n’ont pas, on l'a vu, insisté sur le côté
prévision : ils ont plutôt donné leurs lois comme une
expérience acquise dont il fallait savoir profiter en vue
de l’action.
L’évolution de l’idée de loi naturelle en Economie
Politique nous a ainsi conduits de la loi précepte à la
loi constatation.
Cependant, au terme même de cette évolution, la
vie reste plus riche que la science, un rigoureux déter
minisme s ’est effondré et de nouveaux problèmes,
1 Cf. A. D andieu. La Révolution nécessaire. Paris, Grasset,
‘933-
�TABLE ALPHABÉTIQUE
DES NOMS D'AUTEURS CITÉS
Les chiffres indiquent les pages où sont mentionnés les
au teu rs: les chiffres en caractères gras correspondent aux pages
où l ’exposé des idées de l ’auteur sur la question de la loi n atu
relle est donné plus ou moins longuement.
A
A lem bert (d’), 29.
A lfassa, 116.
A llain, 135 n. 3.
A llix, 149 n. 1.
A ndler, 121 n. 9.
A rtaud (A.), n i . .
A upetit, 96 n. 3.
B
Bacon, 158.
B arbeyrac, 19 n. 1.
B ardoux, 135 n. 1.
B a rra u lt, 116 n. 2.
B arthou (L.), 145 n. 1.
B astiat, 26, 69.
B andeau, 37 n. 2, 44.
B audin, 9 n. 1, 115 n. 2.
B ergson, 142, 156.
B ernstein, 122.
Block (M aurice), 100 n. 3, 103,
108.
Bodin, 15.
Bodin (C harles), 110.
B oisguillebert, 25.
B onnard, 17 n. 2.
B onnard, 17 n. 2.
B oucaud, 13 n. 6.
Bouglé, 132.
B outroux, 138, 167.
Bouvier (C.), 145 n- 2 B ian ts, n n. 3.
Brocard, 124.
Broglie (de), 144.
Brunhes (Jean), 168 n. 1.
Brunswig, 142 n. 2.
Buttler (Harold), 154.
C
Cairnes, 113.
Canonistes, 13.
C antillon, 27.
Carm ille, 151.
Carneggie, n i .
Catabrano, n i .
Cauwès, 123.
Cicone, n i .
Cicéron, 13.
C lark, 125.
Colson, 109 n. 4, n o .
Comte (A.), 57 n. 2, 66, 73, 97,
»3>, '65.
Condorcet. 79.
Coulet, 105.
Courcelle-Seneuil, 70, 76, 101.
Cournot, 95, 116.
Courtin, 152.
Cousin, 128 n. 1.
Cum berland, 7 n. 1, 17, a ï .
D
Dameth, 100 n. 3, 103.
D andieu, 169 n. 1.
Decamps, n i n. 1.
�—
Jam es (W illiam ), 144.
Ja n n et (Claudio), 70 n. 5, 108
n. 7.
Jau rès, 121.
Jevons (Stanley), 116, 129.
Johannis (de A rturo), 9 n. 1.
Jo u rd an (Alfred), 107.
Jouvenel (de), 147 n. 1.
Ju g la r, 159.
Ju stin ien , 13.
K endall, 57 n. 2.
K ingsley, 128.
Knies, 85.
K ropotkine, 129.
173
M an (de), 117 n. 1.
M arsh u ll, 159.
M artin (H enri-G erm ain), 160
n. 2.
M arx, 15, 119.
May, 23 n. 1.
M enger (Cari), 89.
M ercier de la Rivière, 38, 39,
43,
44
n-
1.
M etz-N oblat (de), 70.
M ichelis (de), 154 n. 3.
M ichotte, 104 n. 1.
M ill (Jam es), 63.
Mill (Stuart), 64.
M olière, 166.
M olinari (de), 105, 164.
Monod, 146 n. 3.
M ontaigne, 15.
M ontesquieu, 31, 76.
M oret, 116 n. 1, 118 n. 5.
N
F aguet, 33 n. 2.
F au re (F.), 95 n. 4
F erri (Enrico), 122.
F ilan g eri, 57 n. 2.
Fischer, 162 n. 1.
Fortbonnais, 28.
F ouillée, 127 n. 1.
F oville (de), 159.
G aliani, 46, 49.
G autier (Paul), 67.
Gény,
14, 156.
Gide (Charles), 17 n
159.
G onnard (René), 17 n. 2, 129
n. 3.
Gossen, 96.
Grave (Jean), 129.
Graziani, 117, 160 n. 2.
Greef (de), 130.
G rotius, 15, 41.
Guyot (Yves), 107.
L abriola, 87 n. 2, 89.
Laffitte (Pierre), 80.
L andry, 134.
L angevin, 145.
L anglois, 156
Lanson, 34 n. 2, 35 n. 1, 156
n. 7.
Laveleye (de), 99, 122 n. 2.
L aviosa, 22 n. 4.
Lebeau, 56 n. 1.
L een er (de), 147 n. r, 148, 152.
Léon X II I , 127.
Le P lay, 41.
Leroy-Beaulieu (Paul), 106, 159,
160.
Leroy (Modeste), 117 n. 1.
Lescure (Jean), 9 n. 1, 123 n. 3,
162 n. 4.
Letrosne, 37 n. 7, 42.
Lévy-Brühl, 58 n. 2, 64 n. 6,
71 n. 2, 3, 75 n. 1.
Liesse (André), 110.
L inguet, 46, 52.
L ist (Frédéric), 123.
N asm yth, 68.
N eum ann (G.), n. 1.
N icholson, n i .
N oyelle, 119 n. 4.
O
O ncken, 33 n. 1.
O ualid, 158.
P
P ain lev é, 118.
P areto (Vilfredo), 117, 119, 158
n. 2.
P erreau , 149 n. 1., n. 5.
P etty, 24.
P icard (E.), 137.
P h ilip , 147 n. 1.
P hysiocrates, 7 n. i, 37, 53, 77,
101, 103.
P iro u , 149.
P oincaré (H.), 137 n. 1, 141P uffendorf, 15, 41.
Q
Q uesnay, 37, 38, 39 n. 5, 40 n.
3, 4 i.
Q uételet, 93.
R
Ram baud (Joseph), 108.
Rabbeno, 119 n. 4.
—
Ratzel, 168 n. 1.
Reclus (E.), 129.
Rey, 145.
Ricardo, 63.
Rist (Ch.), 17 n. 2, 197 n. 2.
Riviera, 133.
Rodbertus, 120
Roosevelt, 148.
Rousseau (J.-J.), 29.
Rueff, 118, 150.
Ruskin (John), 134.
S
Say (J.-B.), 57, 68.
Say (Léon), 106.
S c h a t z , 24 n. 2.
Schmoller, 85, 89.
Segond, 145.
Senior, 63
Selden, 18, 41.
Serrigny, 160 n. 1.
Sertillanges, 13 n. 7.
Sharrock, 18 n. 1.
Siegfried (André), 157.
Simiand, 116 n. 1., 133, 150,
152 n. 1.
S i m o n , 154 n. 4 S m i t h (A d a m ) , 61, 7 1 , 77 n - G
«oi, «03, 115.
Soda, 9 n. 1.
Sophocle, «2.
Sorel (Georges), 122.
Souchon, 11 n. 2.
Spann, 156 n. 3.
Spencer, 67.
S t a l i n e , 152 n.
S t o ï c i e n s , 17.
4-
Stocker, 128
Storch, 69.
Strangeland, 24 n. 3.
S t r u v e , 9 n. 1.
T
T arde, 132
Thomas d ’Aquin, 13, 14
Truchy, 148 n. 3, 149-
U
Ulpien, 13.
V
Y alran (Gaston), 113 n- 4Yermond, 13 n- 3> ^
�— 174 —
V irgilii, 158 n. 2, 162 n. 4.
V olterra, 117 n. 2.
W
W agem an, 158 n. 2.
W agner (A.), 92.
145 n-
4-
T
W allo n ,
W alras (Auguste), 116.
W alras (Léon), 96 n. 6, 116,
118 n. 4.
W eblen, 126.
W eulerse, 37 n. 1.
W ieser, 92.
I n t r o d u c t io n
.................................................................................
I. La Tradition du Droit Naturel........
I) dans ^antiquité ........................................
II) chez les Canonistes .................................
III) au début des temps modernes ...............
C hapitre II. Vers la loi constatation .................
KI L’œuvre de Cumberland ..............................
§
II Les précurseurs .......
C hapitre III. Une vue de génie : Montesquieu...
C hapitre IV. La loi naturelle chez les Phvsiocraies ................................................
§ 1 L’œuvre des Physiocrates ...........................
§ II Les adversaires des Physiocrates .............
C hapitre V. La loi naturelle chez les représen
tants anglais et français de l'Ecole
libérale classique ...........................
§ I La loi naturelle chez les représentants de
l’Ecole libérale anglaise ........................................
§ II La loi naturelle chez les représentants de
l’Ecole libérale française ........................................
C hapitre VL La loi naturelle constatation..........
§ I L’influence d’Auguste Comte et du positivisme
§ II L ’influence de l’Ecole h istorique.................
§ 111 L’influence de la Statistique .....................
C hapitre VIL Les conceptions actuelles de la loi
naturelle économique ...................
§ I La négation de la loi naturelle .................
C hapitre
7
11
12
13
15
17
17
23
31
38
38
46
61
61
68
73
73
85
92
99
99
�§ II Les attitudes des diverses Ecoles économi
ques contemporaines en face de l’idée de loi
naturelle .....................................................................
Section I. L’Ecole libérale ..................................
Section IL L’Ecole mathématique ..................
Section III. Les Ecoles Socialistes ..................
Section IV. Les Ecoles d’Economie Nationale.
Section V. Les Ecoles Intervenlionistes ..........
Section VI. L’Ecole anarchique ......................
Section VIL Les Ecoles Sociologiques ............
C hapitre VIII. La notion contemporaine de loi
naturelle dans les sciences : Vers
la Contingence ................................
C hapitre IX. Autour de l'Economie dirigée . . . .
§ I Les origines du problème ............................
§ II Les termes du problème ............................
§ III Les rapports de l’économie dirigée avec le
problème de la loi naturelle .................................
§ IV Les solutions à ce jour e n v isag ées..........
C hapitre X. L ’avenir de l’idée de loi naturelle
en Economie Politique ..................
§ I La notion de loi .............................................
§ II Les prévisions en matière économ ique---§ III L’action sur les faits économiques ..........
Table alphabétique des noms d ’auteurs cités
Table des matières .................................................
�^
______________________________
#
ÉDITIONS
DOMAT-MONTCHRESTIEN
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Title
A name given to the resource
Loi (La) naturelle en économie politique. I, L'idée de loi naturelle en économie politique
Subject
The topic of the resource
Economie politique
Description
An account of the resource
L’idée de loi naturelle dans son développement historique depuis l’antiquité jusqu’à l’époque contemporaine
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES 259187/1
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Editions Domat-Montchrestien (Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1936
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
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Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-259187_Raynaud-Loi-naturelle_Vol1-vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
176 p.
25 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/289
Abstract
A summary of the resource.
Le problème de la loi naturelle en économie politique présente un double intérêt, selon Barthélemy Raynaud, qui lui consacre les trois présents volumes. D’un point de vue théorique, la loi naturelle s’inscrit dans le cadre philosophique plus large du déterminisme, posant la question d’un ordre des choses en matière économique. D’une manière plus immédiate, la réalité possible des lois naturelles dans les faits économiques accuse et nourrit les discussions sur l’interventionnisme et à plus forte raison sur l’économie dirigée : en effet, « quelle que soit la direction, qui que soient les dirigeants, un problème préalable se pose : y a-t-il une direction possible, y a-t-il une action possible et à quelles conditions sur les faits économiques ? » Raynaud, déjà auteur de plusieurs études sur ce point, et appuyé sur une trentaine d’années de recherches, envisage d’abord l’idée de loi naturelle dans son développement historique depuis l’antiquité jusqu’à l’époque contemporaine, puis étudie les lois générales et les lois spéciales qui ont pu être formulées pour en apprécier la validité.
(Luc Bouchinet)
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Raynaud, Barthélemy (1876-1948)
Droit -- Philosophie
Droit naturel
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/290/RES-9118_Raynaud-Loi-naturelle_V2.pdf
f1a45cc6bb46b151d4123a970a5b1113
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RAYNAUD
B arthélem y
DOYEN
DE
LA
FA C U LTÉ DE
DROIT
DE
L ’U N I V E R S I T É
D 'A IX -M A R S E IL L E
LA LOI NATURELLE
en Eco no m ie
POLITIQUE
II
LES LOIS NATURELLES ECONOMIQUES
LES LOIS GÉNÉRALES
P A R IS
ÉDITIONS DOMAT-MONTCHRESTIEN
F. LOVITON ET O
158-160, Rue Saint-Jacques
19 3 8
0
094
172?57 4
��91 f S
RAYNAUD
B arthélem y
DOYEN
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F A C U L T É DE
DROIT
DE
L 'U N IV E R SIT É
D 'A IX -M A R S E IL L E
LA LOI NATURELLE
EN ÉCONOMIE
POLITIQUE
/<■ > 'F.,i
V
il
LES LOIS NATURELLES ÉCONOMIQUES
LES LOIS GÉNÉRALES
P A R IS
ÉDITIONS DOMAT-MONTCHRESTIEN
F.
LOVITON ET O
160, Rue Saint-Jacques
19 3 8
�INTRODUCTION
Après l'étude de la notion de loi naturelle en Econo
mie politique \ il s'agit maintenant d'aborder l'étude
des lois économiques elles-mêmes à ce iour formulées.
Ce second problème, pour très différent qu'il soit du
précédent, ne manque pas de soulever lui aussi de nom
breuses difficultés.
Il
sera facile de les exposer ici : elles sont au nombre
de trois :
1° des formules à retenir ;
2° de l'ordre dans lequel il les faut étudier ;
3° du cadre de chaque élude séparée.
I. Des formules à retenir.
Il existe aujourd'hui plus de trente formules qui pas
sent pour des lois économiques. Existe-t-il un critérium
a priori permettant de discriminer les vraies lois et les
fausses lois ?
Une loi n étant que la constatation d'une régularité
vérifiée par les faits, il n'est point d'autre critérium de
la loi économique que la vérification de cette loi par
l'observation.
Il faudra donc provisoirement faire le plus large cré
dit aux formules proposées, n'en écarter aucune a priori
et les examiner une à une et successivement.
Il y aura donc lieu — et c'est l'objet de cette seconde
élude — de foire un tri sérieux entre les lois naturelles
1 Qui a fait l ’objet du tome I de cet ouvrage.
�—
8
—
économiques valables el les prétendues lois économi
ques.
On étudiera donc ici toutes les lois qui, à des titres
bien divers, ont été formulées par leurs auteurs : seul
un travail critique, la confrontation avec les faits, la
vérification de la loi, permettra d'éliminer les lois faus
ses pour ne retenir que les lois exactes et vraies.
II. De l'ordre dans lequel il les faut étudier.
Plusieurs classifications sont a priori possibles pour
l'élude des lois économiques :
On pourrait songer tout d'abord à une classification
historique : les diverses formules dont il s'agit ont vu le
jour à des dates très diverses et il serait possible au
jourd’hui avec le progrès de l'histoire des Doctrines
économiques, de les présenter dans l'ordre historique
de leur apparition.
Cette solution présenterait sans doute le précieux
avantage de fournir une base solide et un ordre
rationnel.
Mais chacune de ces lois ou prétendues lois
depuis
son apparition, évolué et du point de vue actuel l'origine
de la loi perd beaucoup de son importance en présence
de ces nombreuses transformations.
On pourrait encore s'arrêter à une classification des
lois d’après les Ecoles économiques qui les ont formu
lées.
On aurait ainsi les lois formulées par l'école libérale,
les lois dues aux Ecoles Socialistest les lois de l'Ecole
Autrichienne, etc...
Ce procédé, du point de vue de l'histoire des idées,
aurait le grand avantage de rendre à chacun son dû et
de permettre de dresser un tableau de l'apport de cha
que Ecole dans la constitution de la science économique.
Mais ici encore le fait de l'évolution de chacune des
formules enlève une partie de son intérêt à celte solu
tion : uric fois versées dans le trésor commun de la
science économique, le droit d’auteur, si j'ose dire, de
chaque Ecole sur sa découverte s'est perdu et c'est le
— 9 —
patrimoine commun de la science économique qui est
devtnu le bien de tous.
Enfin une dernière solution demeure possible et
c'est une classification des lois économiques d après leur
portée et leur objet.
En effet certaines de ces lois peuvent être qualifiées
de lois générales, c'est-ù-dire dominant la vie économi
que toute entière : d'autres peuvent être dénommées lois
spéciales, c’est-à-dire ne concernant qu’une catégorie
de faits économiques.
Du point de vue critique qui est ici le nôtre, cette
classification a le grand avantage de présenter la science
économique contemporaine comme un tout vivant et de
permettre le départ entre les formules valables à retenir
et les formules fausses à écarter.
C'est la solution que nous adopterons. Il y a donc
lieu d’envisager successivement :
l r£ partie : Les Lois générales :
Ce deuxième volume leur sera consacré.
On les peut d'ailleurs aisément classer en‘ trois grou
pes fondamentaux :
d'abord les lois de la Vie Economique, j'entends par
là celles qui concernent la vie économique en général, ce
sont :
I la loi du matérialisme historique,
Il la loi de la concurrence,
III la loi des grands nombres,
IV la loi de l’effet proportionnel
V la loi du déplacement de l'équilibre,
VI la loi du moindre effort,
VII les lois de population\
VIII la loi de l'extension croissante des fonctions de
l'Etat,
IX la loi des crises,
ensuite les lois de la Valeur, savoir X la loi de la
Valeur travail et XI la loi de Vutilité finale.
enfin les lois des Prix qui sont :
XII la loi d’indifférence,
�— 11 —
XIII
XIV
XV
XVI
XVII
XVIII
la loi de l'offre el de la demande,
la loi des prix en régime de commerce,
la loi des prix en régime de monopole.
la loi de Gregonj King,
la loi du coûl de production,
la loi de compensai ion des changements de prix.
2* partie : Les Lois spéciales \
Pour les présenter, le plus simple et le plus commode
sera sans doute de conserver le cadre traditionnel de la
science économique française et d'envisager succincte
ment :
les
les
les
les
lois
lois
lois
lois
de
de
de
de
la production,
la circulation,
la répartition,
la consommation.
par l'observation 1 ou au contraire fausse et à rejeter
parce que contredite par la réalité.
Une fois ces divers problèmes résolus pour chaque loi,
il ne restera plus qu'à dégager une double conclusion :
faire le bilan d'abord des lois économiques véritables el
insister sur le caractère logique des dites lois ; confron
ter ensuite les résultats ainsi obtenus avec ceux qui se
dégagent du tome I et conclure enfin sur la nature
exacte de la loi économique.
D'avance il est permis de demander au lecteur beau
coup de patience et d'indulgence : la route à parcourir,
d'après le schéma ci-dessus indiqué, est sans nul doute
longue et dfficile.
Mais nous sommes au cœur même de la science éco
nomique. Celle-ci est-elle vraiment digne de ce nom ?
Tel est au fond le problème vital qui est ici posé.
Théoule, le 26 juillet 1935.
III. Du cadre pour l’étude de chaque loi séparée.
Enfin un dernier problème reste à résoudre : dans
quel cadre présenter l'élude séparée de chaque loi.
Il semble nécessaire d'envisager, ici et pour chacune
des formules proposées :
a) origine et évolution de la loi ;
b) formule actuelle ;
c) vérification par les faits.
L ’origine et l'évolution de la loi permetlront de fixer
incidemment quel auteur• quelle Ecole est responsable
de la loi et de donner ainsi les indications sommaires
qu'une classification complètement historique ou com
plètement doctrinale eut mieux mis en relief.
La formule actuelle de la loi fixera sur la valeur
scientifique qui lui est accordée et permettra une mise
au point nécessaire du contenu scientifique de l'Eco
nomie politique contemporaine.
Enfin la vérification par les faits demeure naturelle
ment l’essentiel : la loi est-elle vraie parce que vérifiée
1 Elles feront l’objet d'un tome III (en préparation).
1 Ici se pose la question de l ’expérimentation en Economie
Politique.
�BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE
Les ouvrages englobant les lois naturelles économiques sont
rares. On peut citer cependant :
De Metz Noblat. Les lois économiques (1867), résumé d’un
cours d’Economie Politique fait à la Faculté de Droit de
Nancy. 2e édition avec une introduction de Clavidio Jannet. Pa
ris, Pedone, 1880.
J.-B. Clark. Essentials
Macmillan, 1907.
of Economie
Theory.
New-York,
Traduit en français par \Y. Ouaîid et O. Leroy. Principes
d’Economique dans leur application aux problèmes modernes
de l ’industrie et de la politique économique avec préface de
W. Oualid. Paris, Giard, 1911.
Madami-Lâmé. Les Fondements de l ’Economie dirigée et ses
applications pratiques. Thèse Droit. Grenoble, 1936.
�CHAPITRE I
LA LOI DU MATÉRIALISME HISTORIQUE
La loi du matérialisme historique a été dans le passé
et est encore aujourd’hui présentée comme une des lois
générales de l’Economie politique.
Comme notion approchée et comme point de départ,
encore, on le verra qu’on ait mis sous ce mot des choses
bien différentes, on peut dire que le matérialisme histo
rique, c’est le déterminisme dans l’histoire avec prépon
dérance des facteurs matériels.
Il faut ici étudier :
1° l’histoire de la loi (§ I) ;
2° les formules actuelles (§ II) ;
3° l’examen critique (§ III).
§ I. H istoire
de la loi
(1)
C’est à Karl Marx (2) et à Engels (3) qu’il faut remonter
pour trouver les origines de notre loi.
La notion de matérialisme est diffuse dans l’œuvre
de K. Marx (4).
(1) Bib. Trumer. Le Matérialisme historique chez K. Marx et
F. Engels. Thèse Droit. Paris, 1933.
(2) 1818-1883.
(3) 1820-1895.
(4) Pour cette raison quelques auteurs ont en quelque manière
fait évanouir cette notion même:
D'abord V. Pareto estime qu’il y a une interprétation vul
gaire du matérialisme historique qui consiste à tout interpréter
en dernière analyse par les conditions économiques du peuple.
�— 16 —
Dans le Manifeste du parti communiste, K. Marx dit
déjà : Les conceptions théoriques des communistes ne
reposent nullement sur des idées. Elles ne sont que
l’expression, en termes généraux, des conditions réelles
d’une lutte de classes existante, d’un mouvement his
torique évoluant sous nos yeux (5).
C’était déjà le germe de l’affirmation du matérialis
me historique.
Plus tard, dans sa Critique de l’Economie Politique (6)
K. Marx est plus explicite : « Ma recherche m’amène à
penser que les rapports juridiques et les formes politi
ques ne peuvent être compris par eux-mêmes, ne peu
vent s’expliquer non plus par le soi-disant développe
ment général de l'esprit humain. Ces rapports et ces
formes prennent leur racine dans les conditions de la
vie matérielle dont l’ensemble constitue ce que Hegel
appelle, avec les Anglais et les Français du xvm® siè
cle, la société civile, c’est dans l’économie politique
qu’il faut chercher l’anatomie de la société civile. »
Et plus loin (7) : « l’ensemble des rapports de produc
tion constitue la structure économique de la société,
c'est-à-dire la base réelle sur laquelle s’élève une super
structure politique et juridique, et à laquelle répondent
des formes sociales et déterminées de conscience ».
Le mode de production*de la vie matérielle détermine
en général le processus social, politique et intellectuel
de la vie. Ce n’est pas la conscience de l’homme qui
détermine sa manière d’être, mais sa manière d’être
sociale qui détermine sa conscience. »
Il y voit d’ailleurs une erreur. Pareto admet une interprétation
scientifique qui sera discutée plus loin.
G.-G. Pirou. Les théories de l’équilibre économique. L Walras
et V. Pareto, i vol. Ed. Domat-Montchrétien, 1934, p. 361 et s.
Ensuite G. Sorel, dans une communication en date du 20 mars
1902, à la Société française de philosophie (Bulletin de la Société
Française de philosophie, 1902, p. 91.)
Ces interprétations n’ont pas été retenues.
(5) Manifeste du parti communiste par K. Marx et Engels.
Trad. Andler. Paris, 1925, Giard et Brière, p. 27.
(6) Zur Critik der politischen Œkonomie. Préface Critique de
l ’ Economie politique, traduction française L. Rémy, Paris, pu
bliée en 1859. Schleicher, 1899. Préface p. III et IV,
(7) Préface p. IV et V.
— 17 —
Enfin dans sa Misère de la philosophie (8) K. Marx
développe sa pensée par des exemples :
« M. Proudhon, l’économiste a très bien compris que
les hommes font le drap, la toile, les étoffes de soie,
dans des rapports déterminés de production. Mais ce
qu’il n’a pas compris, c’est que ces rapports sociaux
sont aussi bien produits par les hommes que la toile,
le lin, etc. Les rapports sociaux sont intimement liés
aux forces productives. En acquérant de nouvelles for
ces productives, les hommes changent leur manière de
production et en changeant le mode de production, la
manière de gagner leur vie ; ils changent tous leurs rap
ports sociaux.Le moulin à vent vous donnera la société
avec le suzerain ; le moulin à vapeur, la société avec
le capitaliste industriel. El les mêmes hommes qui éta
blissent les rapports sociaux conformément à leur pro
ductivité matérielle, produisent aussi les principes, les
idées, les catégories conformément à leurs rapports
sociaux. »
Ainsi pour M. K. Marx, le matérialisme historique
consiste à affirmer que tout est dominé par la tech
nique de la production. Toute la vie sociale est sous
l’étroite dépendance des conditions économiques (9).
F.
Engels arrive à une notion du matérialisme his
torique sensiblement identique :
Sa thèse est surtout formulée dans son AntiDuhring (10).
(8) Misère de la philosophie. Réponse à la philosophie de la
misère. 1 vol., Paris, Giard et Brière, 1S96. Chap. II § I La
Méthode, 2me observation, p. 151-152.
(9) Cf. Ch. Turgeon. La conception matérialiste de l’histoire
d’après Marx et Engels. Travaux juridiques et économiques de
l ’Université de Rennes, 1908-1909, t. II, p. 1-112, surtout p. 5.
Il précise que la pensée de Marx oscille entre deux points
extrêmes: point de départ très large et très vague, l’influence
prépondérante des facteurs naturels; un point d’arrivée très pré
cis et très étroit : le machinisme est la force créatrice des sociétés
modernes.
(10) F. Engels. Hern Eugen Dürings Umvâlzung der Wissenchaft. Einleitung, 3e éd., p. 12.
Traduction française par Laura Lafargue. Ere Nouvelle, mai
1894.
On a publié "divers passages de l ’œqvre de F. Engels qui
illustrent ces textes:
«( L ’existence et les copflits de classes sont conditionnés par
a
�« La structure économique de la société est toujours
le fondement réel par lequel s’explique en dernière ins
tance la superstructure des institutions juridiques et
politiques, et des conceptions religieuses, philosophi
ques et autres. »
« Les causes dernières de tous les changements so
ciaux et des évolutions politiques ne doivent pas être
cherchées dans les têtes des hommes, mais dans les
changements des formes de la production et de l’é
change. »
Ainsi pour Fr. Engels « la nécessité qui se fait jour
à travers tous les hasards, c’est finalement la nécessité
économique » (11).
Un double mouvement s’est ensuite dessiné :
l’un cherche à préciser et à réviser peut-être la pensée
des auteurs du matérialisme historique ;
l’autre, d’inspiration néo-Marxiste est franchement
critique et révisionniste.
Labriola (12) dans son Essai sur la conception maté
rialiste de l’histoire (13) précise ainsi la conception ma
térialiste qu’il veut faire adopter : « Il s’agit seulement
d’expliquer «en dernière instance» (14) tous les faits his
toriques par le moyen de la structure économique sousjacente. »
le degré de développement de leur état économique, par leur
mode de production, enfin par le mode d’échange qui dérive de
ce dernier. » Préface de F. Engels à la 3'® édition du X V III Bru
maire de Louis-Bonaparte. Trad. franç. Olivier. Paris, 1928,
p. 189.
Les conditions économiques sont finalement décisives. » Lettre
du 21 septembre 1890.
« Les rapports économiques, si influencés qu’ils paraissent
être par les autres rapports politiques et idéologiques sont en
dernière instance les rapports décisifs et forment le fil conduc
teur qui permet seul de comprendre l’histoire. » Lettre du 25 jan
vier 1894.
Lettres d’Engels publiées par Labriola en Appendice II
(p. 242), à son ouvrage Socialisme et philosophie.
(n) Lettre du 25 janvier 1894. Ibid.
(12) 1843-1904.
(13) 2® éd. Trad. franç. Bonnet. 1 vol. Paris, Giard et Brière,
1902.
(14) Expression employée par Engels dans une lettre à Labriola
du 21 sept. 1890. Appendice II du Socialisme philosophique,
p. 241.
« Tout ce qui est arrivé dans l’histoire est l'œuvre de
l’homme, mais ce ne fut que très rarement le résultat
d’un choix critique ou d’une volonté raisonnable » (15).
La loi devient ainsi beaucoup plus contingente: Karl
Marx et Engels auraient dit : « explique » et non
« détermine » (16).
Il y a révision de la pensée des auteurs du matéria
lisme historique.
Le mouvement critique s’affirme d’autre part avec
Bernstein, G. Sorel et Loria.
Bernstein (17) dans son ouvrage Socialisme théorique
et Socialdémocratie pratique (18) met en avant les quatre
arguments suivants :
a) il y a eu une évolution de la théorie chez Marx et
ses disciples : ils sont de moins en moins affirma
tifs (19).
b) il y a pluralité de facteurs, matériels et idéologiques
sans qu’on puisse « affirmer d’où, dans un cas donné,
émane la plus considérable force d’impulsion. »
c) il faut avoir la compréhension des lois de l’évo
lution.
d) il faut faire leur place aux facteurs idéologiques.
L’auteur conclut (20): la conception historique marxiste
n’est pas déterminée et elle n’attribue pas aux bases
économiques de l’existence des peuples une influence
déterminatrice inconditionnelle sur les formes de cette
existence.
G.
Sorel (21) dans un article « La polémique pour l’in
terprétation du marxisme » (22) après des développements
analogues à ceux de Bernstein, affirme : « Les néces(1 5) Op. cit.} p. 120 et p. 133.
(16) CL Ch. Andler. La conception matérialiste de l ’histoire de
Labriola. Rev. de métaphysique et de morale, 1897, P- ^49(17) Bernstein, 1850.
(18) Socialisme théorique et socialdémocratie pratique, trad.
franç. Cohen. Paris, Stock, 1900, p. 7-23.
(19) Il rapporte notamment une lettre de F. Engels datée de
1890, publiée dans le Sozial Academikes oct. 1895: « Nous
avons envers nos adversaires à prouver le principe essentiel par
eux nié et alors nous n’avons pas toujours le temps, la faculté
et l’occasion pour faire suffisamment ressortir les autres fac
teurs participant à l ’action réciproque. »
(20) Op. cit.j p. 23.
(21) 1847-1922.
(22) Revue intern, de Sociologie, 1900,
�sités de l’évolution technico-économique déterminent
de moins en moins l’évolution des institutions socia
les. »
Le Néo Marxisme avec Benedetto Croce (23) dans son
ouvrage Matérialisme historique et Economique mar
xiste (24) et R. délia Vol ta dans un article de la Revue
d’Economie Politique (25) abandonne de plus en plus
les positions initiales.
Loria (26) dans un article intitulé La Terre et
le Système social (27) admet bien que l’infrastructure éco
nomique se puisse expliquer par l’appareil de la pro
duction, mais pour lui ce n’est qu’une explication in
suffisante : « elle laisse inexpliquée la nécessité et l’im
possibilité de leur substituer simplement selon l’inté
rêt général une forme plus convenable (28).
Ainsi depuis K. Marx et Engels, la loi du matéria
lisme historique a beaucoup évolué vers moins de ri
gueur et partant plus de contingence.
§ II. — F ormules
actuelles
A l’époque actuelle le Matérialisme historique est
certainement en recul (29).
La majorité des auteurs rejette la formule :
Ch. Gide (30) écrit: « Cependant ce serait à tort qu’on
verrait dans ce déterminisme marxiste une sorte de
fatalisme musulman ou un retour au laisser faire de
l’école manchestérienne, car même si l’évolution sociale
(23) 1866.
(24) Trad. franç. Bonnet. 1 vol. Paris, Giard, 1901.
(25) Rev. d’Ec. Pol. 1904, p. 117.
(26) 1857(27) Revue d^Economie Politique, 1892, p. 696.
On retrouve ce même point de vue dans Le base economiche
délia Constituzione Sociale. Turin, Bocca, 3* éd., 1902. 1 vol.
1900, trad. franç. La constitution sociale. Paris, Giard et
Brière, 1900.
(28) On sait que pour Loria c’est dans le régime des terres
que repose en dernière analyse l’explication suprême de
l'évolution.
(29) M. Trumer. Le Matérialisme historique chez K. Marx et
Engels. Thèse. Paris, 1933, surtout p. 100 et suiv.
(30) Cours d’Economie Politique, 10e éd. 2 vol. Paris, Libr. du
Rçc. Sirey, 1930, t. I, p. 33.
est déterminée par le moulin à vapeur substitué au
moulin à bras, il ne faut pas oublier que l’un rt l’au
tre moulin, sont des produits de l’industrie humaine, et
que par conséquent l’action collective de l’homme est
elle-même le premier facteur de cette évolution qui l’en
traîne et le dépasse. »
M. Heboud (31) résume ainsi l’état doctrinal actuel : après
avoir rappelé la position de K. Marx, il ajoute : « Mais
ses commentateurs protestent contre cette interpréta
tion qu’ils qualifient de vulgaire et d’absurde. La théorie
matérialiste de 1histoire, d’après eux, n’est qu’une réac
tion contre l’interprétation idéologique de l’histoire,
contre la thèse d’après laquelle la question sociale ne
serait qu’une question morale. »
M. Cli. Turgeon en deux volumes importants (32) fait
successivement la critique du matérialisme en tant que
thèse marxiste et du même matérialisme historique en
tant que non solidaire du marxisme.
Du premier point de vue, il expose le matérialisme
chez ses principaux représentants collectivistes et mon
tre qu’il a été à tort lié à un système directement collec
tiviste.
Du second point de vue, il critique la thèse marxiste,
la thèse déterministe, la thèse proprement matérialiste.
Le Matérialisme historique subsiste d’une part com
me thème de réunion publique pour les orateurs collec
tivistes. u La question sociale est une question de ven
tre ». Celte formule de Schalïle peut servir de thème
à des développements oratoires, mais le matérialisme
historique, même chez les écrivains collectivistes, pa
rait avoir perdu toute valeur vraiment scientifique (33).
D’autre part, quelques rares auteurs retiennent en(31) Précis d'Economie Politique. 2 vol. Paris, Lib. Dalloz,
6® éd. 1934, t. I, p. 69, note 2.
(32) Ch. Turgeon. Critique de la conception socialiste de l ’his
toire. 1 vol. Paris, 1930.
Ch. Turgeon. Critique de la conception matérialiste de l'his
toire. 1 vol. Paris, 1931. Libr. du Recueil Sirey.
(33) V. Parcto. Les systèmes socialistes. 2 vol. Paris, Giard.
1902, t. II, p. 385 et suiv.
Séligman. L ’interprétation économique de l’histoire. 1 vol.
Paris, Rivière, 19 11, p. 45.
�— 23 —
core non sans quelques modifications, la formule avec
de multiples adjonctions et réserves.
Ainsi Achille Loria dans l’article précité de la Revue
d'Economie politique (34), écrit: « Etant donné un mo
ment de structure des moyens de la production, un sys
tème correspondant de production s’établit, et ce sys
tème créé des rapports économiques qui déterminent à
leur tour un état social. »
Ainsi encore Paul Lafargue (35) reste fidèle disciple de
K. Marx.
On peut en mentionner quelques autres comme :
en Russie, George V. Plekhanov (36), Boukharine (37)
et Lénine (38).
en Allemagne, K. Kautsky (39), Frenz, Mehring (40) et
H. Cunow (41).
Au total abandon presque complet à l’époque actuelle
de la loi du matérialisme historique.
§ III. — E xamen
critique
facilités plus ou moins grandes données par la nature
pour le transport de biens produits et bien d’autres
choses encore.
b) les facteurs économiques déterminent sans doute
les faits sociaux mais ceux-ci, à leur tour réagissent sur
les causes qui leur ont donné naissance : telles les
Ligues sociales d’acheteurs, les mutualités, les syndi
cats, etc...
c) à préciser l’influence des facteurs matériels, quelle
est leur action ; servent-ils à déterminer, à expliquer, à
rendre possibles les institutions sociales.
M. Landry conclut : « Les facteurs économiques ont
toujours joué un grand rôle dans l’évolution de l’hu
manité : ils ne l’expliquent pas à eux seuls, tant s’en
faut » (43).
Ainsi la loi du matérialisme historique n’est pas va
lable : elle ne doit pas être inscrite au nombre des lois
scientifiques de l’Economie Politique.
Etant donné ce recul marqué dans l’adoption de la
loi, l’examen critique de sa valeur, la vérification de la
loi par les faits perd beaucoup de son intérêt.
Cependant on peut avec Landry (42) résumer comme
suit les démentis donnés par les faits à la thèse collec
tiviste :
a) il y a incertitude sur les « conditions économi
ques » et la « structure économique » déterminante :
état d avancement de la technique productive, abon
dance plus ou moins grande des richesses naturelles,
(34) Ach. Loria. Rev. d'Ec. Politique, 1892, p. 696.
(35) P. Lafargue. Le Déterminisme économique de K. Marx.
Recherches sur l’origine des biens, de l ’âme et de Dieu. Paris,
1909.
(36) Le Matérialisme militant. Paris, 1930. Trad. Engelson.
(37) La théorie du matérialisme historique. Paris, 1927.
(38) Matérialisme et empiriocriticisme. Paris, 1928.
(39) Die materialitishe Geschichtanfassung. Berlin, 1920.
(40) Lessing Legende. Appendice. 1 vol. Stuttgart. 1893.
U 0 Die Marxsche Geschichts-Gesellschaft und Staatheorie.
Berlin, 1920.
(42)
Manuel d’Economique. r vol. Paris, Giard, 1908, p. 19 et
suivantes.
(43) Op. cit.j p. 2i.
�CHAPITRE II
LA LOI DE LA CONCURRENCE
Il s’agit ici de la loi de la concurrence, plus encore
que de l’idée de concurrence (1). Celle-ci a évolué, on le
sait, de la notion de liberté à la notion de lutte pour
la vie et les formules de la loi suivent les changements
de l’idée.
On étudiera ici comme de coutume :
1° l’histoire de la loi, § I ;
2° les formules actuelles, § II ;
3° l’examen critique, § III.
§ I. — H istoire
de la loi
Les Physiocrates (2) envisagent la concurrence comme
une pièce essentielle de l’ordre naturel qu’ils préconi
sent.
Quesnay (3) écrit : « C’est la plus grande concurrence
possible, sans nulle restriction ni sur le temps, ni sur
les personnes, qui est la seule et unique règle du com
merce : la seule justice qu’il doit demander au gou
vernement, c’est de ne mettre aucun obstacle à cette
(1) Cf. B. Raynaud. L ’idée de concurrence en Economie Po
litique. Rev. d’Economie Politique, 1903, p. 769.
E. Sella. La Concorrenza. 2 vol. Turin, 1914 et 1916.
(2) Avant eux D. Hume envisage (Ed. Say, p. 55), cette concur
rence qui diminue les bénéfices du commerce en même temps
qu’elle accroît le commerce lui-même et cet effet, conforme
au progrès social, est dû seulement à l’abaissement du prix
qu’elle réalise. Cf. A. Schatz. L ’œuvre économique de D. Hume.
1 vol,, Paris, 1902.
�— 26
plus grande concurrence possible : tout ce qui la gêne,
est inique et absurde. Les seules faveurs qu’il puisse
espérer d’une bonne administration, ce sont des faci
lités qui augmentent partout cette concurrence : des
chemins, des canaux, des rivières navigables, des trans
ports : sûreté, liberté pour la production, les acheteurs,
les façonniers, les vendeurs et les consommateurs. Voilà
toute la législation qui s’exprime en ce peu de mots,
la plus grande concurrence possible » (4).
Lelrosne (5), dans son ouvrage de l'Intérêt Social (6)
affirme: « Elle seule (la concurrence) peut établir les pro
ductions à leur prix naturel, de manière qu’elles
n’éprouvent que les variations de l’ordre physique,
qu elle rend même bien moins pénibles. »
Enfin Mercier de la Rivière (7) dans l’Ordre naturel et
essentiel des sociétés politiques (8) affirme que la concur
rence aboutit à établir le produit net maximum.
« Les reprises des cultivateurs ne sont jamais que ce
qu’elles doivent être nécessairement, quand le gouver
nement se trouve conforme à l’ordre, c’est-à-dire
quand la liberté sociale est telle que l’ordre veut
qu’elle soit : alors, sans le secours d’aucune autorité
civile, l’autorité naturelle de la concurrence, qui se
trouve entre les cultivateurs, détermine la mesure
essentielle de leurs reprises, et les maintient dans la
proportion nécessaire quelles doivent avoir avec les
bénéfices de toutes les autres professsions ».
Ainsi la concurrence est pièce essentielle de l’ordre
naturel.
Ad. Smith (9) traite de la concurrence (10) pour montrer
comment sous son action le prix du marché gravite
autour du prix naturel (11) et conclut dans une autre par
tie de son ouvrage (12): « L’effort naturel de chaque indi
(4) Lettres sur le langage économique, 1767.
(5) 1728-1780.
(6) De l’intérêt social. Ed. Daire, p. 955.
(7) 1720-1793.
(8) Ed. Daire, p. 459.
(9) 1723-1 790(10) Recherches sur la Nature et les Causes de la Richesse des
Nations, 2 vol., Paris, Ed. Guillaumin.
T. I. Liv. I, chap. V II. *
(11) Cf. infra.
112) T. II. Liv. IV, chap. II, p. 36.
27 —
vidu pour améliorer sa condition, quand on laisse à cet
effort la faculté de se développer avec liberté et con
fiance, est un principe si puissant, que seul et sans
autre assistance, non seulement il est capable de con
duire la société à la prospérité et à l’opulence, mais
qu’il peut encore surmonter mille obstacles absurdes
dont la sottise des lois humaines vient souvent embar
rasser sa marche, encore que l’effet de ces entraves soit
toujours plus ou moins d’attenter à sa liberté ou d’atté
nuer sa confiance » (13).
La concurrence d’un mot, pour Ad. Smith, c’est tout
le système de la liberté naturelle qu’il préconise.
Ainsi la concurrence envisagée comme la liberté des
professions, est pour les économistes libéraux de la pre
mière époque une pierre angulaire de l'ordre écononvque qu’ils préconisent.
Cependant bientôt la notion de concurrence se trans
forme : elle tend à devenir la lutte pour la vie et la
position des économistes vis-à-vis de cette notion et de
ses effets est naturellement bien différente.
Le premier Simonde de Simondi se livre, dans ses
Nouveaux principes d’Economie Politique (14), à une cri
tique approfondie de la concurrence. Il insiste sur les
troubles sociaux que produit la concurrence libre et
demande comme remède l’intervention de l’Etat.
Fourier (15) entrevoit déjà la concurrence biologique
devenir la concurrence économique : il y veut substituer
l’association.
Proudhon (16) lui aussi accuse les méfaits de la con
currence au sens de liberté économique.
L. Blanc ensuite dans son Organisation du travail (17),
publiée en 1845 (18), affirme : « La concurrence est pour
le peuple un système d’extermination. »
(13) Nouveaux principes d’Economie Politique, i vol. Paris,
1829. I. chap. V II, livre IV.
(14) Nouveau Monde industriel, 1929, préface p. io.
(15) Contradictions économiques, 1848, chap. V, t. I, p. 179.
Edition Flammarion.
(16) 1811-1882.
(17) P. 6 et suiv.
(18) Dès 1841 dans son ouvrage Droit au travail et Organisation
du travail, il décrivait les effets fâcheux de la concurrence en
montrant le travail mis aux enchères par un entrepreneur et
�Il conclut après de superbes développements sur les
effets néfastes de cette concurrence :
« Les fabriques écrasant les métiers ; les magasins
somptueux absorbant les magasins modestes ; l’artisan
qui s’appartient remplacé par le journalier qui ne s’ap
partient pas ; l’exploitation par la charrue dominant
l’exploitation par la bêche et faisant passer le champ du
pauvre sous la souveraineté honteuse de l’usurier ; les
faillites se multipliant ; l’industrie transformée, par
l’extension mal réglée de crédit, en jeu, où le gain de la
partie n'est assuré à personne, pas même au fripon :
et enfin ce vaste désordre, si propre à éveiller dans l’àme
de chacun la jalousie, la défiance, la haine, éteignant
peu à peu toutes les aspirations généreuses et tarissant
toutes les sources de la foi, du dévouement de la poésie:
voilà le hideux et trop véridique tableau des résultats
produits par l'application du principe de la concur
rence » (19).
V. Considérant (20) dans sa Destinée Sociale,
/?. Owen (21) dans son Nouveau Monde Moral, expri
ment des idées très analogues.
La personne et l’œuvre de St. Mill se placent au
confluent en quelque manière des deux courants et des
deux notions précédemment analysées.
Stuart Mill (22) occupe dans cette évolution une place
originale : il admet bien (23) la concurrence comme la
liberté au sens traditionnel du mot (24) mais « ce serait
bien mal comprendre la marche actuelle des affaires
baissant selon les prétentions décroissantes des prolétaires. « La
concurrence qui est la base du régime, est-elle un moyen d’as
surer du travail aux pauvres ? Mais poser la question de la sorte,
c’est la résoudre ». (Op. cil., p. 56).
(19) Ibid.., p. 65-66.
(20) Ibid. Destinée Sociale, 3e série, 1848. T. I, p. 59.
(21) Ibid. Nouveau Monde Moral, chap. III, p. 12.
(22) St. Mill. Principes d’Economie Politique, publiés en 1848.
Trad. franç. Dussard et Courcelle Seneuil. 3e éd., 2 vol. Pajis,
Guillaumin, 1873, L L P- 281.
(23) « En tant que les rentes, les profits, les salaires, les prix
sont déterminés par la concurrence, on peut lui assigner des
lois. Supposez que la concurrence soit leur unique régulateur,
et l’on pourra poser des principes d’une généralité étendue et
d’une exactitude scientifique qui les régiront ». Ibid., p. 281.
(24) Ibid., p. 282.
humaines que de supposer que la concurrence exerce
réllement celle influence d’une façon illimitée » : ce sont
la coutume ou l'usage qui interviennent comiue facteurs:
« la concurrence ne se manifestant alors d’aucune ma
nière, ou produisant ses effets d’une manière toute dif
férente de celle qu’on suppose ordinairement lui être
naturelle. »
« Ces observations doivent être admises comme un
correctif général à appliquer, qu’il soit ou non men
tionné expressément aux conclusions contenues dans
les parties suivantes de ce traité » (25). C’est le point de
vue de l’art social.
Mais du point de vue scientifique « nos raisonnements
doivent s’enchaîner en général, comme si les effets
connus et naturels de la concurrence étaient réelle
ment produits par elle, dans tous les cas où elle n'est
pas arrêtée par quelque obstacle positif » (26).
Les années suivant 1850 marquent l’apparition de
deux œuvres importantes, celle de Darwin (27) : De l'ori
gine des espèces par voie de sélection naturelle (28) et
celle de Spencer (28), Social Slatics (30).
Ch. Darwin (31) dans les deux chapitres de son Origine
des Espèces (32) intitulés: De la lutte pour l’existence et de
la sélection naturelle, expose, en l’appliquant à l'espèce
humaine comme aux autres espèces, l'importance de la
lutte pour la vie : « C'est grâce à cette lutte que les
variations si minimes qu’elles soient d’ailleurs, et quelle
qu’en soit la cause déterminante, tendent à assurer la
conservation des individus qui les présentent et les
transmettent à leurs descendants, pour peu qu elles
soient à quelque degré utiles et avantageuses à ces
membres de l’espèce, dans leurs rapports si complexes
(25) Ibid., p. 288.
(26) Ibid., p. 288.
(27) Ch. Darwin, 1809-1882.
(28) De l’origine des espèces par voie de sélection naturelle. 1S59.
(29) 1820-1903.
(30) Social Statics. 1850.
(31) Dans une note de son Introduction à la science sociale
publiée en 1871 (p. 871), H. Spencer réclame la simultanéité de
l ’apparition de l’idée chez lui et chez Darwin.
(32) L ’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle de
la lutte pour l ’existence dans la nature. Trad. franç. Moulinié.
1 vol., Paris, Reinwald, 1873, p. 65 et p. 84.
�- 31 —
avec les autres êtres organisés et les conditions phy
siques dans lesquelles ils se trouvent » (33).
H. Spencer dans ses Principes de Sociologie distin
gue deux types de sociétés : le type militaire ou auto
ritaire à coopération forcée et le type indviduel ou con
tractuel à coopération volontaire.
Dans ce second type la concurrence des échanges est
absolument libre et chacun est rémunéré à proportion
de ses mérites.
Cependant une loi nouvelle la lutte pour la vie —
régit toutes les sociétés : son action est d’ailleurs
multiple :
Elle éliminera les sociétés qui ne sont pas conformes
au type industriel et assurera le triomphe des sociétés
de ce type.
Au nom de celle-ci elle assurera le triomphe des indi
vidualités supérieures (34).
Le nouveau courant de la concurrence lutte pour la
vie fut suivi par de nombreux biologistes et sociologues:
Elisée Reclus (35) dans son ouvrage intitulé: Evolution
et Révolution (36) affirme l'empire souverain de la lutte
pour la vie : « C’est bien en effet le droit du plus fort
qui triomphe par l’accaparement des fortunes. Celui
qui est le plus apte, matériellement, le plus favorisé par
sa naissance, par son instruction, par ses amis, celui
qui est le mieux armé et qui trouve devant lui les enne
mis les plus faibles, celui-là a le plus de chances de
réussir, mieux que d’autres ; il part se bâtir une citadelle
du haut de laquelle il méprisera ses frères infortunés.
Ainsi en décide le grossier combat des égoïsmes en
lutte. »
Benjamin Kidd (37) adopte dans son Evolution So
ciale (38) une théorie analogue : la guerre seule, la
guerre à outrance est le facteur du progrès.
(33) ib ii., p. 66.
(34) Cependant H. Spencer admet une atténuation à ce principe
de la concurrence lutte pour la vie par le développement de
l’altruisme qui en corrige les maux.
(35) 1830-1905.
(36) L ’évolution, la révolution et 1 idéal anarchique. 1 vol. Pa
ris, 1896.
(37) 1858-1916.
(38) L ’évolution sociale, trad. Le Monnier. Paris, 1896.
Deux sociologues adoptent à cet égard une posi
tion divergente.
B. Wallace (39) remarque que la sélection naturelle est
insuffisante à expliquer l’évolution des sociétés : il faut
tenir compte de la coopération, de la solidarité et de
la division du travail qui assurent dans une certaine
mesure la conservation des faibles (40).
C. Laveleye (41) substitue pareillement dans le Socia
lisme contemporain (42) à la sélection naturelle la sélection
artificielle : « Dès qu’un embryon d’organisation sociale
prend naissance, dès qu’un germe de concurrence so
ciale, obscure et vague tout d’abord fait son apparition,
cet organisme, par ses représentants, change les condi
tions de la lutte, les accommode à ses fins, fait ce que
les hommes ont fait avec les animaux et les végétaux.
La sélection, de naturelle quelle était, devient artifi
cielle ».
La majorité des Economistes après 1850 se rallient
à la nouvelle idée de la concurrence lutte pour la vie.
De Molinari (43) dans son ouvrage L évolution écono
mique au xixe siècle (44) constate qu’avec l’avènement de
la grande industrie le monde économique moderne n’a
cesse d’évoluer, en dépit de tous les obstacles, vers un
régime de concurrence illimitée qui amène progressive
ment un ordre merveilleux avec une justice distribu
tive plus exacte. « Est-ce à dire, ajoute-t-il, que l’avène
ment de la concurrence doive inaugurer l’âge d’or du
repos et des tranquilles jouissances ? Non, la concur
rence, c’est la lutte, c’est la forme civilisée de la guerre,
qu’elle est destinée à supprimer en la remplaçant » (45).
Le même auteur, dans un important article intitulé
(39) 1818-1870.
(40) La Sélection Naturelle, trad. de Candolle.
(41) 1822-1892.
(42) Le Socialisme contemporain, 1896. Appendice II.
(43) 1819-1912).
(44) 1 vol. 1880, p. 84.
(45) Et ailleurs (p. 88): « La lutte pour l’existence ne s’impose
plus seulement à une classe dominante, elle s’impose à tout le
monde
industriel, agriculteur, simple ouvrier libre, sont
tenus de déployer toutes leurs forces physiques et morales,
sous peine de succomber tôt ou tard dans la lutte pour
l ’existence. »
�— 33 —
« La fonction régulatrice des lois naturelles de la con
currence et de la valeur » (46), énonce ainsi ce qu’il dé
nomme la loi de concurrence :
« Comment les lois naturelles de la concurrence et de
la valeur agissent, en ce cas, pour fixer au niveau des
frais et du profit nécessaire de la production, et l’y
ramener aussitôt qu'il s’en écarte, on se l’explique en
examinant l’opération combinée de ces lois ».
Il expose alors le mécanisme de gravitation écono
mique qui fait cadrer le prix de marché avec le prix
naturel.
Il retrace aussi l’action de cette même loi pour la
répartition et pour l’équilibre de la population.
Il Ireconnaît néanmoins l’existence d’obstacles qui
faussent le mécanisme et souhaite la réalisation d’un
milieu vraiment libre « où les lois naturelles pourront
remplir avec une pleine efficacité leur rôle de régula
teur ».
Le Nouveau Dictionnaire d’Economie Politique (47)
enregistre comme définitive la notion nouvelle : « On
appelle concurrence toute compétition s’établissant
entre individus qui aspirent aux mêmes avantages et
qui s’efforcent à l’envi de les obtenir. Ces compétitions
sont à tout instant innombrables et se renouvellent sans
cesse, de telle sorte que la concurrence apparaît comme
une modalité presque inévitable de toute activité
humaine. »
Paul L e ro y Beaulieu (48) dans son grand traité (49)
donne la définition suivante de la concurrence :
(46) Journal des Economistes, mai 1905, p. 169.
(47) Léon Say et Joseph Chailley. 2 vol. Paris, 1890-1892.
(48) 1843-1916.
(49) Traité théorique et pratique d’Economie Politique, 4 vol.,
3e édition. Paris, Guillaumin, 1900, t. I, p. 624.
Ailleurs (t. IV, p. 705), l’auteur affirme bien : « C’est une
fausse interprétation que de confondre la concurrence économi
que avec ce que l’école Darwinienne entend par concurrence
vitale entre les espèces ».
Il vient d’écrire cependant quelques lignes plus haut: « La
concurrence relègue à des rangs subalternes les gens peu capa
bles, mais elle ne prive personne du droit et des moyens de
vivre, et en accroissant l ’actif général, elle rend au contraire
« Quand les diverses libertés humaines se mêlent, sont
en contact et aux prises les unes avec les autres, sans
aucune limitation artificielle du dehors, c’est-à-dire sans
aucune restriction imposée par l’autorité, on a le phé
nomène très complexe, dominateur en économie poli
tique, que l’on appelle la concurrence ».
Ainsi entendue, la concurrence joue un grand rôle :
« Son action se fait sentir sur toutes les parties de
l’économique : sur la production des richesses, sur la
distribution des forces et des efforts, sur le partage des
produits dans la répartition, sur la circulation et le cré
dit, sur les consommations elles-mêmes. »
Au fond et sauf l’élimination complète des incapables,
Leroy-Beaulieu admet la concurrence lutte pour la vie.
Cette adoption de la concurrence lutte pour la vie
amène d’ailleurs des examens critiques intéressants.
Par exemple le Dr B. Foldes, dans un article inti
tulé : Examen théorique de la libre concurrence (50),
relève trois séries des critiques principales :
a) il y aurait une tendance de la concurrence à se dé
truire elle-même: après l’élimination des faibles, il y a
entente entre les forts et le monopole se substitue à la
concurrence ;
b) elle tend, même là où elle est possible, à s’éliminer
avec le temps, par suite de l’effort de chacun pour s’en
débarrasser.
c) souvent la concurrence est immorale et coûteuse
(concurrence déloyale, réclame, etc.)...
L’auteur conclut: « La supposition que la concurrence
existe partout est donc fausse. L’idée qu’elle est un
principe absolument efficace est faux. La croyance
qu’elle garantit le meilleur ordre de l’économie sociale
est fausse » (51).
On trouvera une critique ironique de la loi de la
meilleure la situation même des gens qui sont aux derniers
échelons ».
Il y aurait donc lutte, survivance des plus aptes, sans élimi
nation totale des incapables.
(50) Revue d’Economie Politique, 1905, p. 937.
(51) Ibid., p. 941.
)
�— 35 —
concurrence lutte pour la vie dans une lettre de Karl
Marx à Kugelmann du 27 juin 1870 : (52)
« M. Lange est l’auteur d’une grande découverte.
Toute l’histoire peut se ramener à une seule grande loi
naturelle.Cette loi naturelle se résume dans l’expression:
struggle for life, lutte pour l’existence (ainsi appliquée
la formule de Darwin n’est plus qu’une formule creuse)
et le contenu en est la loi de la population ou plutôt
de la surpopulation de Malthus. Au lieu d’analyser les
manifestations de ce struggle for life dans les diverses
formes sociales, il ne reste donc plus qu’à substituer à
toutes les luttes concrètes la phrase struggle for life et
à cette dernière la fantaisie malthusienne sur la popu
lation. Convenons-en, cette méthode est très convain
cante... pour l’ignorance suffisante et emphatique qui
se donne des airs, et pour la paresse intellectuelle. »
Très rares sont ceux qui veulent rejeter la notion
nouvelle et revenir à la concurrence entendue au sens
de liberté seulement.
Marshall, en Angleterre et Schmoller, en Allemagne,
voudraient conserver la liberté économique en combat
tant la lutte pour la vie.
Marshall (53) dans ses Economies of industrÿ (54),
affirme vouloir conserver la première et rejeter la
seconde.
Schmoller (55) dans ses Principes d’Economie Poli
tique (56), a cherché lui aussi les « barrières salutaires
autant que nécessaires » posées à l’acte de la concur
rence lutte pour l’existence.
Dourguin (57) écrit excellemment : « A cet égard on a
donc raison de dire que le principe de vie et de progrès,
(52) K. Marx. Lettres à Kugelmann, p. 147.
"Bib. marx. n° 11. E. S. I.
Citée dans M. Prenant. Biologie et Marxisme. 1 vol. Paris.
Edit. Sociales Internationales, p. 221, 1935.
(53) 1842-1924.
(54) 1 vol. Londres, 1906, surtout p. 160 et p. 263.
Cf. Principes d’Economie Politique. Trad. franç. SauvaireJourdan. 1 vol., Paris, Giard, 1907.
(55) 1838-1917.
(56) 5 vol. Paris, Giard. Surtout t. III, p. 100-141, trad. franç.
Polack, le chap. intitulé: la Concurrence.
(57) Les systèmes socialistes et l ’évolution économique. 1 vol.
Paris, Colin, iri éd., 1904, p. 303.
pour les sociétés comme pour les organismes se trouve
dans la coordination, la coopération et l’équilibre des for
ces, et non dans la lutte meurtrière et la subordination des
plus faibles... les mesures de contrainte et de protection
qui défendent l’individu, loin de porter atteinte à l’in
dividualisme, sont des mesures de salut qui préservent
les sources de l’activité individuelle. »
Ch. Gide (58) dans une conférence intitulée : Concur
rence ou Coopération (59) énonce très nettement son point
de vue : « ... ce que du moins je vois clairement, c’est
que la concurrence se présente sous deux aspects, l’un
celui de la liberté du travail, l’autre celui de la lutte
pour la vie... Eh bien ! le premier nous l’acceptons, le
second nous le rejetons » (GO).
§ II. L es F ormules A ctuelles
Un triple travail s’accomplit à l’époque contempo
raine : d’une part, on dénie que la concurrence lutte
pour la vie soit une des lois des sociétés (Section I).
d’autre part on s’ingénie à conserver la concurrence
liberté en rejetant la concurrence lutte pour la vie
(Section II).
Et enfin d’autres reprochent à l’économie politique
contemporaine d'être trop exclusivement basée sur la
concurrence (Section III).
S ection I
La concurrence lutte pour la vie
est-elle à conserver comme loi des sociétés ?
L’évolution qui a amené à douter que la loi de con
currence lutte pour la vie fût la loi souveraine des
sociétés s’est faite si l’on peut dire en trois étapes :
(58) 1847-1932.
(59) Ch. Gide. La Coopération. Conférence de propagande. Pa
ris. Société du Rec. Sirey, 1900, p. 230.
(60) Cf. Principes d'Economie Politique. 25e éd., 1926. Paris,
Lib. du Rec. Sirey, p. 158.
Cours d’Economie Politique. 2 vol., 10® éd. 1930. Paris, Libr,
4 u Rec, Sirey, t. I, p. 210,
�— 37 -
d’abord, avant la guerre 1914-1918, par un examen
critique des théories biologiques ;
ensuite, pendant la guerre, par de nombreuses dis
cussions avec les Allemands ;
enfin, après la guerre et à une époque tout à fait
contemporaine, par un renouveau assez complet de la
discussion.
A) La critique des théories biologiques.
Le mouvement d’après un spécialiste compétent (61)
s’analyse en deux aspects caractéristiques :
A partir des développements de Darwin et des exa
gérations de Hœckel sur la concurrence lutte pour la
vie. on tenta d’établir que d’une part la sélection naturelle
n’implique pas la guerre. « La lutte pour l’existence,
dont parle Darwin, résume H. de Varigny, c’est la lutte
pour la pâture quotidienne, c’est le mouvement qu’il
faut, se donner pour trouver à manger, à boire, à éta
blir son nid, à rfêtre ni gelé, ni noyé, ni brûlé, ni écrasé,
ni mangé. C’est l’ensemble des obstacles à l’existence
accumulés par la nature » (62).
Et d’autre part on tend à admettre que la sélection
naturelle n’est qu’une hypothèse, de plus en plus rem
placée aujourd’hui par la théorie des variations brus
ques (63).
Ainsi dès avant 1914, il y avait déjà des doutes nom
breux sur la loi de concurrence lutte pour la vie, sur
le terrain biologique lui-même.
B) Les discussions pendant la guerre 1914-1918 (64).
Elles eurent pour point de départ les affirmations
d’auteurs allemands prédisant au nom de la théorie
(61) H. de Varigny. La guerre est-elle justifiée par le Darwi
nisme? Rev. hebdomadaire, 1917, n° 7, p. 187-209.
Ibid.j n° 3, p. 190.
(62) Cf. R. Berthelot. Le Darwinisme n’est pas l ’évolutionisme.
Bulletin de la Société française de philosophie, 1905, p. 249-270.
(63) Hugo de Vries. Die Mutationstheorie. 2 vol. Leipzig, Veit
et C°, 1901-1903.
Hugo de Vries. Espèces et variétés. Leur naissance par muta
tion. Traduction BLaringhem. Paris, Alcan, 1909.
Blaringhem. Les transformations brusques des êtres vivants.
Paris, Flammarion, 1911.
(64) La bibliographie sur ce point est très abondante: on indi-
de la lutte pour la vie et de la sélection naturelle, le
triomphe de l’Allemagne (65).
L’ouvrage précité de Chalmers réalisa une réfuta
tion victorieuse des thèses allemandes ; la loi de la con
currence lutte pour la vie n’est pas applicable à l’hu
manité ; pour celle-ci la conscience, qui en est le carac
tère distinctif, supprime la guerre dans la lutte pour
la vie : « L’homme n’est pas sujet aux lois de l’incons
cient et ce n’est pas par elles qu’on doit juger sa con
duite, mais par l’harmonie qu’elle présente avec l'édi
fice moral que l’homme a construit à travers les âges. »
Boutroux, dans la préface à la traduction française
du livre de Chalmers, souligne de la manière la plus
nette :
« En fait, la lutte pour la vie et la sélection naturelle
n'ont pas eu dans l’édification des organismes et dans
leur perfectionnement l’influence décisive que leur prê
tent certains savants allemands. Sans doute les lois
naturelles sont souveraines, elles dominent la matière
même lorsqu’elle est engagée dans des êtres vivants,
même lorsque cet. être vivant est l’homme.Mais elles ont
amené chez lui l’évolution d’une faculté par laquelle il
s’élève au-dessus de tous les êtres vivants, par laquelle
il dirige faction des lois naturelles, en corrige les effets,
asservit la matière, domine toutes les forces et se do
mine lui-même. C’est de cette raison que l’on peut dire
— et non de la guerre — qu elle est d’essence divine... »
« C’est pourquoi la guerre est immorale au premier
chef et ceux qui ont le triste courage de la provoquer
quera seulement: Chalmers. Evolution and the war. 1 vol.
Londres, John Murray, 1916, traduit en français sous ce titre:
Le Darwinisme et la guerre. 1 vol. Paris, Alcan, 1916.
H.
de Varigny. La guerre est-elle justifiée par le Darwinisme?
Rev. hebdomadaire 1917, n° 2, p. 187.
William Osler. Science and the war.
Ed. Perrier. La lutte pour la vie et la guerre. Causerie scien
tifique. Temps, 28 octobre 1916.
(65)
Quelques affirmations de Cari Schrœder reproduites en juin
1915, dans le New-York World, reproduites par de Varigny (art.
cité) donnant le ton de la discussion: « Combien il est insensé
pour les ennemis de l ’Allemagne de s’imaginer vouloir la con
quérir ... Les Allemands ne sont-ils pas les plus capables en
tout... » Aussi, nous autres Allemands, disons-nous que les cha
rognes pourrissent, il n’y a d’hommes nobles que les Allemands.»
�— 38 —
sont d’autant plus criminels, quelque excuse qu’ils puis
sent invoquer, qu’elle met aux prises un plus grand
nombre d'hommes. »
Au surplus la victoire de 1918 donne raison à Chaîmers et à Boutroux.
Ç) Les discussions tout à fait contemporaines.
Elles se résument en un livre très important de M.
Gérald lieard (66).L’auteur repousse l’idée que la nature
primitive est brutale, « une nature aux griffes et aux
crocs sanglants ».
Il insiste sur des exemples de bêtes, notamment au
Zoo de Londres, qui ont répondu à l’appel de bonté de
l’homme. 11 revient sur la question de l’origine de
l’homme qui pour l’auteur ne descend pas du singe. La
science moderne répudierait, dit-il, avec l’idée de la
fixité des espèces, l’immutabilité de l’instinct, la violence
devenant règle de la nature et le triomphe du plus lourd
et du plus fort.
La loi de la concurrence lutte pour la vie ne serait
ni celle de la jungle, ni celle des sociétés humaines.
Ainsi et par certains revirements de la Biologie, la
concurrence, à l’époque actuelle, ne saurait être rete
nue comme la loi des sociétés humaines.
II
L'aménagement de la concurrence
S ection
Il s’agit en somme de conserver la concurrence liberté
économique et de supprimer la concurrence lutte pour
la vie.
Un double travail s’impose : quel sera ou quels sont
les critériums de l’une et de l’autre.
(66) Science in the Making. i vol.Londres, Faberet Faber, édit.
1934. Ce livre est, paraît-il, un remaniement d’une série de cau
series scientifiques radiodiffusées en 1934, qui eut un grand
Hetentissement.
Cf. R. L. Cru. Lettre d’Angleterre. Réaction entre les théo
riciens de la force. Temps, 25 août 1935.
(67) Bib. B. Raynaud. Concurrence lutte pour la vie ou liberté
économique. Rev. d’Economie Politique, 1910.
S. Stevens. Unfair compétition. Political Science Questerly,
1914, janv., p. 282-307.
— 39 —
A quels résultats concrets aboutira l’application de
ce critérium ?
A) Le critérium ou les critériums.
On en peut envisager trois :
1°) Il y a concurrence si le résultat de l'émulation est
le profit commun ; il y a lutte pour la vie si le conflit
tourne à l’intérêt exclusif de l’un des combattants.
2°) La concurrence est toujours publique ; la lutte
pour la vie dissimule et cache ses procédés.
3°) La concurrence opère heureusement sur le ter
rain professionnel, la lutte pour la vie opère dans le
domaine extraprofessionnel.
Sans doute l’application de l’un ou de ces trois cri
tériums est délicate et la pratique peut révéler une infi
nité de cas où le départ et la discrimination sont diffi
ciles.
L’essentiel est que le principe d’un aménagement de
la concurrence soit acquis.
B) Leur application.
L’application de cet aménagement de la concurrence
se pratique partiellement encore il est vrai à l’époque
contemporaine. Il suffira ici de rappeler quelques exem
ples :
a) le développement du contrat collectif ou plus exac
tement de la convention collective est un effort méritoire
pour ramener la concurrence sur le seul terrain où elle
soit acceptable, le terrain professionnel (68).
b) Les progrès du salaire minimum (69) établi par la
loi marquent une autre direction de ce même effort.
On connaît les progrès de la réalisation du salaire
(68) Cf. Raynaud. Le Contrat collectif du travail, i vol. Paris,
Rousseau, 1901. Thèse de la Faculté de Droit de Paris.
Raynaud. Le Contrat collectif en France, i vol. Paris, Rous
seau, 1921.
Raynaud. Le Contrat collectif à l’étranger, i vol. Paris,
Rousseau, 1929.
(69) Raynaud. Vers le salaire minimum. 1 vol. Lib. du Rec.
Sirey. Paris, 1913.
Raynaud. Manuel de Législation Industrielle. 1 vol. Paris,
de Boccard, 1922. Edition mise à jour en 1937, p. 130, et sup
plément, p. 16.
�— 41 —
minimum, tant en France qu’à l’étranger, soit par la
convention collective, soit par la loi (70).
c)
Le mouvement contemporain dit de rationalisation
de l’économie (71).
Ce passage de Simiand résume bien du point de vue
américain le problème et l’œuvre de rationalisation :
« Mais la grande idée du ministère H'oover s’est pro
posée d’aller encore plus loin et plus vite, en arrivant
par une action plus large et plus directe, à supprimer à
sa source même une des causes majeures des gaspilla
ges de la vie économique moderne ; cette idée est qu’à
l encontre du dogme traditionnel, la libre concurrence
illicite aboutissait plutôt à des gaspillages de matières
premières, de main-d’œuvre, à des productions qui n’é
taient pas susceptibles de se réaliser au meilleur coût,
dans les meilleures conditions de rendement...
Au contraire une entente, un groupement des produc
teurs plus ou moins contraint, mais efficace, permet de
concentrer la production sur un nombre de types bien
choisis, bien étudiés, mais moins nombreux, et de les
produire en bien plus grande quantité chacun et donc
de pouvoir arriver pour un même objet à un meilleur
prix de revient. » (72)
Plus récemment M. Coutrot, dans un ouvrage intitulé
L'Humanisme économique (73), revenait à une affirma
tion analogue :« La concurrence ne sera pas supprimée,
mais limitée et humanisée, il n’y a pas d’autre solution
que la sincérité : constituer immédiatement des ententes
limitant la concurrence entre les entreprises qui accor
dent des salaires accrus et s’appuyer sur les forces jeu
nes de l’organisation donnée pour garantir le bon fonc
tionnement des dites ententes » (74).
(70) Pour la France. Loi du 10 juillet 1915 sur le salaire mini
mum des ouvriers de l ’industrie du vêtement — depuis lors
étendue à l ’ensemble des travailleurs (ouvriers et ouvrières) du
travail à domicile.
(71) F. Simiand. La Rationalisation économique. Cours professé
au Conservatoire des Arts et Métiers (1928-1929), publié sous
forme de notes polycopées. Edit. Domat-Montchrestien, 1931.
(72) Op. cit., p. 11.
(73) Paris. Centre polytechnicien d’études économiques, 12, rue
de Poitiers.
(74) Cité par L. Naudeau. La Grande Contradiction de notre
temps. Illustration 29 août 1936, p. 510.
M. Laurent Dechesne affirme : « En somme la con
currence est une force précieuse, mais d’un maniement
délicat ; sans doute elle est un moteur tellement puissant
de l’activité économique que l’on ne conçoit point d’or
ganisation sociale qui ne lui laisse une large place.
Mais, de même que pour éviter des désastres, nous dis
ciplinons les forces naturelles dont nous nous servons,
de même la concurrence, cette puissance naturelle de
l’homme, doit être judicieusement étudiée, surveillée,
dirigée en vue du bien général, si l’on veut éviter les
écarts funestes » (75).
Ainsi la concurrence doit être dirigée et rationalisée.
III
Critiques de la concurrence lutte pour la vie
S ection
La volonté nette de ne plus accepter la concurrence
lutte pour la vie était heureusement exprimée par M.
Flandin dans son discours du 27 novembre 1934, au
banquet de la Confédération des groupements commer
ciaux et industriels de France :
« Le concept de libre concurrence s’inscrit dans le
cadre de la civilisation humaine. Cela ne peut pas être
la loi de la jungle. La plus grande conquête humaine,
c’est l’amélioration du sort de la grande masse des tra
vailleurs. Sous prétexte d’égalisation des prix, faudraitil que le paysan français soit ramené aux conditions mi
sérables d’existence de certains de ses concurrents dans
le monde, faudrait-il que l’ouvrier, la femme et l’enfant
de chez nous soient traités sur la base du plus faible
salaire et du plus fort travail dans le monde ? Régres
sion absurde qui vient à l’encontre même de notre
idéal. » (76)
M. André Lalande, dans un discours à la séance pu
blique de l’Académie des Sciences Morales et Politiques,
pose ainsi le problème :
« C’est l’idée que le grand ressort du progrès a été
(75) Le Capitalisme, la libre concurrence et l ’économie dirigée,
1 vol. Paris, 1934, P- 80.
(76) Cité par M. A. Pose. Retour au libéralisme. Rev. polit, et
parlementaire, 10 avril 1935, p. 55.
�et reste la lutte pour la vie. Effort de chaque être pour
avoir et jouir davantage, pour devenir le maître ou le
parasite d’autrui, guerres et carnage, voilà ce que l’op
timisme religieux d'un Darwin considérait comme une
admirable organisation providentielle, aboutissant à la
floraison des êtres supérieurs ; et l’on s’est empressé,
pour des raisons faciles à comprendre, de transporter
ces idées commodes de la concurrence vitale au domaine
économique et militaire, de l'histoire naturelle à l’his
toire et à l’avenir humains. Oui donc, parmi les philo
sophes contemporains et les savants éclairés, voudrait
encore souscrire à ces rêves béats de progrès néces
saire ? Et combien d’hommes, pourtant, restent sous
la suggestion de ces doctrines agonistiques dont ils
n’admettent plus le principe ? Combien d’éducateurs,
pleins de bonnes intentions, croient avoir rempli leur
tâche s’ils forment des enfants « bien armés pour la
lutte » ? On commence à savoir que la guerre des peu
ples civilisés, la guerre proprement dite, celle des ca
nons et des avions, est un désastre presque aussi grand
pour le vainqueur que pour le vaincu ; mais dans la
vie quotidienne, les hommes ne manifestent-ils pas bien
souvent, par leurs relations, par leur concurrence au
couteau, qu'ils croient arriver à la supériorité et au
bonheur en traitant les autres comme des clients à ex
ploiter, ou comme des rivaux à abattre ? » (77)
Rares sont aujourd’hui les tenants de l’ancienne
conception la concurrence lutte pour la vie. Quelquesuns cependant la maintiennent intégralement.
Tel M. Emile Coni, professeur à l’Université de
Buenos-Aires. Dans un article récent (78) l’auteur
conclut (79) :
« Protéger les faibles en attaquant les forts, sans dis
tinguer la faiblesse de l’incapacité, c’est simplement
pratiquer une sélection à rebours, favoriser la prolification des incapables en diminuant le nombre des ca
pables. Une société qui pratique pendant un certain
(77) Temps. 16 déc. 1935.
(78) Rev. économique intern. Août 1935. Sur la nécessité de ne
pas confondre le libéralisme politique avec le libéralisme éco
nomique, p. 397.
(79) P. 407.
temps cet original système de sélection, s’anémie, s’atro
phie, puisqu’elle limite ou détruit ses élites, sa propre
aristocratie, sans laquelle une société ne mérite même
pas ce nom. »
D’autres vont plus loin encore et se demandent si la
concurrence n’est point une pure hypothèse même envi
sagée comme liberté des professions.
Les économistes de l'Ecole mathématique et en par
ticulier V. Parelo (80) construisent la science économique
sur l’hypothèse de la libre concurrence.
Pour lui la libre concurrence se caractérise par le
fait que l’échangiste subit les prix du marché sans
essayer de les modifier de propos délibéré. Elle réalise
l’équilibre économique.
Il reconnaît d’ailleurs que c’est là une construction
idéale.
Barone, dans de nombreux articles (81) du Giornale degli Economisii, adopte une position semblable.
Henry L. Moore (82) adopte le point de vue de l’hypo
thèse, non sans montrer qu elle renferme d’assez nom
breux paradoxes.
C’est un économiste italien, Ugo Spirito, qui a le
plus énergiquement adopté ici une attitude critique.
Dans une série d’articles, aujourd’hui réunis en vo
lume (83), Spirito reproche à ses prédécesseurs Pareto et
Barone (84) de construire toute la science économique sur
l’hypothèse de la libre concurrence. De fait cette hypo
thèse est de moins en moins réalisée dans la vie écono
mique contemporaine. Dès lors une économie politique
basée sur celte hypothèse est une science qui s’éloigne
du réel, une science vaine (85).
(80) 1848-1923.
(81) Voir Pareto. Cf. G. Pirou. Les théories de l’équilibre éco
nomique. L. Walras et V. Pareto. Les Editions Domat-Montchrestien. Paris, 1934, p. 255 et suiv.
Giornale degli Economisé, 1924, p. 25.
(82) Paradoxes of Compétition. The Quaterly Journal of Econo
mies. Feb., 1906, p. 211.
(83) Articles parus dans les Nuovi Studi dont Spirito est rédac
teur en chef.
(84) La critique de l'économie libérale, 3 vol., 1930, surtout le
t. I intitulé Les sophismes de l'économie pure.
(85) Cf. ci-dessus p. 38, l’aménagement de 1^ concurrence.
�On peut mentionner encore dans le même sens un
économiste italien comme F. Carli.
Celui-ci dans un ouvrage* Teoria generale délia economia politica nazionale (86) écrit : (87)
« L’équilibre général n’a pas seulement le défaut
d’être hypothétique et statique : il ne peut pas être
rendu semblable à un équilibre réel ou mobile, parce
qu’à mesure qu’on le rapproche de la réalité, on détruit
toute l’armature de suppositions sur lesquelles il re
pose. » 11 suffit de rechercher les conditions dans les
quelles les fonctions réelles conduisent à l’équilibre
mobile. « C'est la concurrence dans le sens fondamental
du mot et il n’est nullement besoin d’invoquer une
précision irréelle de libre concurrence absolue ni d’ad
mettre une condition hypothétique statique dans un
équilibre stable. »
Ainsi et pour résumer, la concurrence a été très
diversement interprétée par les économistes, pour les
uns c’est la liberté, pour les autres c’est la lutte pour
la vie. Son rôle est dans les deux cas très différent.
On pourrait citer encore bien d’autres manifestations
de ce même aménagement de la concurrence, par exem
ple la législation moderne entre les trusts, la réglemen
tation de la patente des grands magasins, plusieurs réa
lisations de la politique d’économie dirigée dans divers
pays, etc...
Il en a été assez dit pour montrer comment par une
évolution aussi riche que vivante la distinction entre
la concurrence liberté économique et la concurrence
lutte pour la vie se développe de plus en plus à l’épo
que contemporaine.
En résumé les formules contemporaines dans leur
grande majorité semblent revenir à la véritable notion
de la concurrence — la concurrence liberté économique,
la seule qui sera retenue plus loin pour tenter la vérifi
cation critique de la loi.
(86) x vol. Milan, 1931.
(87) Op. cit., p. 75. Cité par Perroux dans Schumpeter.Théorie
de l ’évolution économique, 1 vol. Dalloz, 1935.Introduction P- 77-
§ III. — E xamen
critique
L’examen critique de la loi de concurrence liberté se
présente comme particulièrement délicat et difficile, en
raison du fait que la concurrence est loin d’être tou
jours parfaite et que par suite il est facile d’imputer aux
obstacles que rencontre cette concurrence l’absence des
effets attendus et la non vérification de la loi.
Aussi la seule méthode possible pour tenter cet exa
men paraît être de procéder par vues d’ensemble et de
chercher des impressions de masse, à défaut de vérifi
cation de détails impossible.
D’une manière générale et de ce point de vue, on peut
dire cependant que la loi de la concurrence liberté sem
ble vérifiée au moins dans ses grandes lignes.
Pour tenter d’établir que la loi est exacte, on envisa
gera ici :
1° l’action de la concurrence dans le temps (Section I),
2° l’action de la concurrence dans l’espace (Section II).
S ection I
L'action de la concurrence dans le temps
Deux époques qui se font antithèse peuvent être ici
retenues pour étudier l’action de la concurrence enten
due au sens de liberté des professions :
a) la fin du xvm° siècle et le début du xix° siècle carac
térisés par l’abolition des réglementations existantes et
la réalisation des effets de la concurrence.
b) la période de guerre, période d’un accroissement
de réglementation — interventions multiples de l’Etat et
régime des consortiums : a contrario l’absence de con
currence supprime les effets ordinaires de celle-ci.
a) L'abolition des réglementations (88).
La fin du xviu® siècle et le début du xix* siècle sont
marqués dans l’histoire économique par la réalisation
de la liberté des professions.
On sait comment après une première et éphémère
(88)
P. Pic. Traité élémentaire de législation industrielle, 6® éd.
Paris, Rousseau, 1930, p. 67 et suiv., p. 135 et suiv,
�— 47 —
abolition du régime corporatif en France par Turgol
(1776), la suppression définitive est réalisée en France
par la loi des 2-17 mars 1791, portant, suppression des
maîtrises et jurandes.
L’art. 7 de cette loi porte : « A compter du 1er avril
prochain il sera libre à toute personne de faire tel né
goce ou d’exercer telle profession, art ou métier qu'elle
trouvera bon, mais elle sera tenue de se pourvoir aupa
ravant d’une patente, d'en acquitter le prix suivant les
taux ci-après déterminés et de se conformer aux règle
ments de police qui sont ou pourront être faits ».
A l’étranger (89) un mouvement analogue (90) se déve
loppe au cours du xix® siècle : suppression des corpora
tions en Autriche (1859), en Wurtemberg et en Saxe en
1861 et 1862, dans l’Allemagne du Nord (1869).
Les effets au point de vue économique semblent bien
avoir été dans l’ensemble ceux que prévoyait la formule
théorique : abaissement du prix, développement de la
production, etc...
b) La période de guerre: recrudescence de réglementa
tion (91).
La multiplication des interventions de l'Etat dans tous
les pays belligérants, la création du régime des consor
tiums marquent au contraire une régression de la
concurrence.
Les effets ne tardent pas à se faire sentir : hausse
des prix et diminution de la production.
Ainsi et à prendre une vue d’ensemble dans le temps,
il semble bien par la double constatation relevée cidessus que la loi de concurrence soit exacte.
(89) Cf. Pic, of. cit.j p. 68.
(90) Seule l’Angleterre avait devancé la France sur ce point.
Cf. Mantoux. La Révolution industrielle au XVIII* siècle, 1 vol.
Paris, 1907.
(91) Bib. Et. Clémentel. La France et la politique économique
interalliée. 1 vol. Paris. Les Presses Universitaires, 1931.
Publication de la dotation Carnegie pour la paix interna
tionale, p. 39.
Ch. Gide et W. Oualid. Le Bilan de la guerre pour la France.
1 vol. Paris. Les Presses Universitaires, 1931.
Publication de la dotation Carnegie pour la paix internatio
nale.
II
L'action de la concurrence dans l’espace
S ection
Un double examen s’impose de ce point de vue :
a) entre pays, ceux où la concurrence est le mieux
observée semblent les plus prospères.
b)
dans chaque pays, à comparer les diverses profes
sions, celles où règne la liberté des professions accu
sent aussi les heureux effets de cette concurrence.
a) Comparaison des pays.
Certains pays, comme les Etats-Unis jusqu’à la crise
actuelle, la Hollande, dans une certaine mesure l’An
gleterre peuvent être considérés comme des pays de
liberté.
On y retrouve les heureux effets prévus par les for
mules ci-dessus examinées des effets de la concurrence.
A l’inverse certains autres pays, comme la Russie
Soviétique, les Etats-Unis d’aujourd’hui, l’Italie fas
ciste, fournissent la contre-épreuve dans cet examen.
b) Comparaison par professions.
On pourrait dans chaque pays relever les professions
où règne la complète liberté d’action (92), celles où au
contraire s’est instaurée une limitation à la liberté
d’accès (93) et une règlementation.
Et encore le contraste qu’on peut observer dans les
faits permet grosso modo de vérifier les énoncés de la
théorie et l’action de la concurrence.
Ainsi pour conclure, dans la mesure où l’examen cri
tique par les faits est possible, il est permis d’affirmer
que la loi de concurrence liberté est vérifiée et par
suite doit être retenue au nombre des lois économiques
valables.
(92) En généra] professions industrielles et commerciales.
(93) Professions d’avocat, d’agent de change, etc., avec les
mouvements de réforme contemporaine pour la profession de
médecin, de journaliste, etc,
�CHAPITRE III
LA LOI DES GRANDS NOMBRES
On peut prendre comme point de départ la formule
approchée de la loi des grands nombres que donne
M. Landry : (1)
« On constate une certaine uniformité dans la fré
quence de tels et tels événements lorsqu’on l’envisage
par grandes masses. »
Il est vrai qu’avec cette loi, nous envisageons ici plu
tôt une loi statistique qu’une loi économique : cette
dernière cherche des rapports de cause à effet : la pre
mière ne marque que la résultante probable des
causes (2).
Néanmoins, le rôle joué par cette loi justifie l’étude
suivante qui sera d’ailleurs faite dans le cadre habituel.
Il faut successivement étudier :
§ I. L’histoire de la loi,
§ IL Les formules actuelles,
§ III. Vérification critique.
§ I. H istoire
de la loi
Elle se résume en deux principaux courants :
un courant d’idées dû surtout aux mathématiciens
(Sect. I), entièrement favorable à la loi ;
une certaine réaction tendant à diminuer son rôle et
son importance (Sect. II).
(1) Manuel d’Economique. i vol. Paris, Giard, 1907, p. 398.
(2) Sur cette différence. Cf. M. Block. Traité théorique et
pratique de Statistique. 1 vol. Paris, Guillaumin, p. 120-121.
2® éd. 1886,
�— 50
S ection I
Les partisans convaincus
C’est Bernouilli, contemporain de Leibnitz (3). qui
peut être justement regardé comme le précurseur de
notre loi.
De l’ensemble de ses œuvres (4) résultent deux théo
rèmes fondamentaux sur la probabilité :
I.
En multipliant les expériences, le rapport des évé
nements de diverse nature approche plus de celui de
leurs possibilités respectives que de tout autre rapport
spécifié ;
IL On peut toujours assigner un nombre d’expérien
ces assez grand pour atteindre une probabilité, aussi
voisine de la certitude qu’on voudra, pour que la diffé
rence entre les deux rapports, celui des événements
et celui de leurs possibilités, tombent dans des limites
données, quelques petites qu’on les suppose.
C’est dans cette deuxième proposition que se trouve
le germe de la loi des grands nombres.
Süssmilch (5) a le premier formulé véritablement la
loi dans son ouvrage « L’ordre divin », publié en 1741.
Il était pasteur dans une des paroisses de Berlin, sa
ville natale, et s’était livré à des études très complètes
sur les facteurs de la population : mariages, naissan
ces et décès.
Il avait remarqué une permanence dans le nombre
de ces naissances, mariages, décès : cette permanence
était pour lui une loi supérieure d’ordre divin.
Il insiste longuement dans son ouvrage sur cette per
manence qu’il qualifie loi. Voici un texte entre beau
coup d’autres :
« C’est ainsi que nous trouvons dans l’état actuel du
monde, que l’un dans l’autre, mariage fécond et ma
riage stérile, ont en moyenne quatre enfants dans un
pays, un peu plus dans un autre, un peu moins selon
les circonstances locales. La loi actuelle de la mort est en
(3) Bernoulli (1654-1705).
(4) Ars conjectandi, publication posthume en 1713. Baie. Trad.
franç. par Vastel. Paris, 1801. Specimen theoriæ novæ de mensura sortis, 1730-1731.
Jacobi a publié Genèse, 1744, les Bernouilli opéra, 2 volumes
in-40.
($) 1707-1767,
moyenne, villages et villes inclus et dans les années
ordinaires, de 1/36 (6).
Süssmilch s’adresse au mathématicien Euler pour
poursuivre ses travaux, mais il a posé le principe en
matière de population que tout est réglé selon des nom
bres et. des proportions définies.
Laplace (7) généralise dans deux ouvrages impor
tants (8) la théorie précédemment formulée.
Il écrit: « Il suit encore de ce théorème (de l'influence
de la multiplicité des événements) que dans une série
d’événements indéfiniment prolongés, l'action des cau
ses régulières et constantes doit l’emporter, à la lon
gue, sur celle des causes irrégulières. »
Il généralise le calcul des probabilités et l'applique
aux décisions des tribunaux, aux résultats des élections
populaires, à l’influence des peines sur la répression
des crimes, etc... (9)
Son ouvrage a eu une influence considérable.
Denis Poisson (10) mathématicien, a l’honneur
d’avoir baptisé notre loi « loi des grands nombres ».
Il écrit : (11) « Dans les domaines qui sont du domai
ne de la statistique, c’est à l’aide des grands nombres,
ou des nombres plus ou moins grands qu’on distingue
ce qui est constant de ce qui est variable ou acciden
tel ; en d’autres termes qu’on établit des lois ou du
moins une règle qui dans la pratique peut en tenir
lieu ».
Poisson s’efforce de calculer la grandeur de l’erreur
admissible.
(6) Die Gôttliche Ordnung in den Verânderungen des menschlichen Geschleets aus der Geburt, dem Tode und der Fortpflanzung derselben erwiesen. Edition de 1765.
Cf. Etude sur Süssmilch du Dr Frederick S. Crum, publiée par
l’American Statistical Association. 1901.
(7) I 749' I^27(8) Théorie analytique des probabilités, 1S12.
Essai philosophique sur la probabilité, 1816.
(9) Essai, p. 76.
(10) 1781-1840.
(11) Recherches sur la probabilité des jugements en matière
criminelle et en matière civile, précédée des règles générales du
calcul des probabilités. Paris, 1837.
On désigne souvent l’ouvrage soqs le titre; Théorie du calcul
des probabilités,
�Voici ce calcul de Poisson, formule simplifiée par
OEsteilen : (12)
En 1825 il est né en France 904.494 enfants légitimes,
soit 468.151 garçons et 436.443 filles : cela fait sur
10.000 naissances 5.175 garçons : de sorte qu'à chaque
naissance la probabilité en faveur d’un enfant mâle est
de 0,5175.
Il s’agit de déterminer de combien ce nombre peut
dépasser la moyenne réelle ou de combien il peut être
au-dessous.
Calculons la probabilité :
Soit m le nombre de cas où le fait s’accomplit, c’està-dire où un garçon est né,
soit n le nombre de cas où il ne s’accomplit pas,
soit fx le nombre total de ces deux groupes de cas.
On obtient
468.151
= 0,5157
904.594
436.443
= 0,4823
904.594
La formule de Poisson, destinée à calculer l’écart
admissible, est la suivante : (13)
m n
Ce qui avec les chiffres ci-dessus donne le nombre
0,0015. L’écart sera donc de 0,0015 en plus et en moins.
Quételet (14) dans sa « Physique Sociale » (15) re
prend la loi des grands nombres (16) et dans des passa(12) Block, op. cit.j p. 132.
(13) Avec cette formule on obtiendra un critérium pour
apprécier si un chiffre est ou non un grand nombre. On opère
sur diverses séries d’années et si on obtient des résultats par
trop différents, c’est que les nombres n’étaient pas assez grands.
(14) 1796-1874.
(15) T. L P- 98.
(16) « Ainsi les phénomènes moraux quand on observe les
masses, entreraient en quelque sorte dans l ’ordre des phénomè
nes physiques ; nous sommes conduits à admettre comme prin-
ges vraiment dithyrambiques affirme que tout le monde
moral et soumis à cette loi.
11 indique encore que la précision des résultats croît
comme la racine carrée du nombre des observations.
Wagner, dans « Recherches statistiques et anthropo
logiques sur les lois naturelles qui agissent dans les
acte des hommes, en apparence les plus arbitraires
1864, se montre enthousiaste de l’œuvre de Quételet et
souscrit à ses conclusions.
Telle est la série des partisans convaincus.
II
Les critiques et les partisans de réserves
S ection
Cournot (17) dans sa Théorie des chances et des
probabilités (28), écrit : « Lorsqu’on considère un grand
nombre d’épreuves du même hasard, le rapport entre
le nombre des cas où le même événement s’est produit
et le nombre total des épreuves, devient sensiblement
égal au rapport entre le nombre des chances favorables
à l’événement et le nombre total des chances, ou à ce
qu’on nomme la probabilité mathématique de l’évène
ment... En ce sens pareillement la probabilité mathé
matique exprime un rapport subsistant hors de l’esprit
qui le conçoit, une loi à laquelle les phénomènes sont
assujettis et dont l’existence ne dépend pas de l’exten
sion ou de la restriction de nos connaissances sur les
circonstances de leur production. »
Il ajoute plus loin : (19) <c Si le nombre des épreuves
d’un même hasard croissait à l’infini, elle (la probabilité
mathématique) serait déterminée exactement, avec une
certitude comparable à celle de l’événement dont le
contraire est physiquement impossible.
cipe fondamental que plus le nombre d’individus que l’on observe
est grand, plus les particularités individuelles, soit physiques,
soit morales, soit intellectuelles, s’effacent et laissent prédomi
ner la série de faits généraux en vertu desquels la société existe
et se conserve. »
(17) 1801-1877.
(18) A. A. Cournot. Le problème de la théorie des chances çt
des probabilités. Paris, Hachette, 1843J p. 437 et suiv.
(19) Ibid., p. 439.
�Lorsque le nombre des épreuves est peu considéra
ble. les formules données communément pour l’évalua
tion des probabilités, a posteriori deviennent illusoires :
elles n’indiquent plus que des probabilités subjectives,
propres à régler les conditions d'un pari, mais sans ap
plication dans l'ordre de production des phénomènes
naturels. »
Ainsi il existe une loi des grands nombres.
Cournol dans divers ouvrages mais surtout dans un
« Traité de l'Enchaînement des idées fondamenta
les » (20), fait quelques réserves sur le caractère de loi
à assigner à la loi des grands nombres (21). La loi n’est
que « l’ordre dans les successions régulières » (22) mais
la série des observations n’est, pas propre à nous donner
l’idée de loi (23).
Ailleurs, dans T « Essai sur les fondements de nos
connaissances », il avait écrit : « Si au contraire la loi
présumée ne se soutient pas dans les résultats des obser
vations nouvelles, il faudra bien l’abandonner par la
suite et reconnaître qu’elle ne gouverne pas l’ensemble
de la série : mais il ne résultera pas de là nécessaire
ment que la régularité affectée par les observations
précédentes soit l’effet d’un hasard ; car on conçoit très
bien que des causes constantes et régulières, agissent
pour une portion de la série et non point le surplus ».
E. Rhenisch consacre deux articles à notre loi (24) et
combat la position de Quételet. Il n’y a pas régularité,
constance absolue : les résultats obtenus ne sont que
les moyennes du groupe d’années qu’on envisage.
M. Block (25), dans son ouvrage (26), critique la va
leur absolue accordée à la loi des grands nombres :
« La loi, ou mieux l’effet d’un grand nombre, n’est
pas absolue : quelque grand que soit le nombre des faits
qui se présentent à la fois ou successivement, s’ils sont
(20) 1861.
(21) et (22) Enchaînement, t. I, p. 64.
(23) 1851. § 42.
(24) Zeitschrift f. Philos, und phil. kritik, t. L X V III et L X IX .
(25) 1816-1901.
(26) Traité théorique et pratique de Statistique. 1 vol. Paris,
Guillaumin. 2® éd. 1886, p. 136.
influencés par des causes variables d’une égale force,
peut-être contradictoires, il ne pourra jamais se déga
ger de loi ni de règle. Celle-ci, loi ou règle, ne se mani
feste que s’il y a dans le nombre une cause dominante
ou constante, accompagnée des causes plus faibles,
agissant en sens divers, se contrariant et se compensant
parfois. »
Il donne comme exemple la durée moyenne de la vie
humaine fixée à 35 ans. Il y a pour lui compensation des
causes secondaires.
Rumelin {21) critique surtout l’expression loi des
grands nombres : c’est là, dit-il, une expression malheu
reuse parce qu’elle semble laisser échapper la généralité
essentielle de la loi, pour une pensée d’ailleurs exacte
en soi.
« Les grands nombres n’expriment immédiatement
qu’un fait social ou historique. C’est la régularité cons
tatée qui est intéressante. La loi obtenue n’aura plus
rien à faire avec le grand nombre, sinon que celui-ci a
servi à le découvrir et peut encore aider à la démon
trer. »
§ II. L es
formules actuelles
A l’époque contemporaine, nous retrouvons assez
nettement les^deux courants précédemment distingués
dans l’histoire de la loi.
Il y a d’une part les partisans de la loi sans réserve,
il y a d’autre part les auteurs qui l’admettent avec diver
ses restrictions.
Parmi les premiers figure surtout Paul Leroy-Beau
lieu. Voici comment il prend position à l’égard de
notre loi : (28)
« Ici intervient aussi une influence bien connue,
(27) 1861-1931.
(28) Paul Leroy-Beaulieu. Principes
T. III, p. 59-
d’Economie
Politique,
�quoique assez mystérieuse, celle qu’on appelle la loi des
grands nombres :
Quoique chaque homme soit absolument libre de
s’abandonner à sa fantaisie, on sait que tous les princi
paux phénomènes de l’activité de l’homme offrent une
certaine régularité, parfois même une régularité qui
paraît merveilleuse. Qand on considère un groupe
d'hommes très étendu, et plus il est étendu, on voit dis
paraître en quelque sorte comme noyés dans l’ensem
ble et n’exerçant sur lui aucune action perceptible, les
actes de pure fantaisie individuelle. Les hommes et les
sociétés se modifient, de même les besoins et les désirs
humains, mais en général, comme la nature, sans faire
de sauts, par gradations insensibles ».
Parmi les partisans de réserve on peut surtout citer
F. Faure (29) ; dans ses Eléments de statistique (30) il
donne, comme formule de la loi, la suivante :
« Plus les nombres sont grands, plus grande est la
probalité des prévisions qu’ils autorisent » (31).
Il rappelle la mesure de probabilité adoptée par les
statisticiens : la probabilité croîtrait comme le carré
des observations mais ajoute « Une mesure aussi pré
cise nous semble bien difficile à justifier. »
Il demande : Combien de chiffres faut-il pour cons
tituer un grand nombre ? — Beaucoup de chiffres. Mais
encore combien ?
Cette loi est une notion variable et relative qui ne se
laisse pas renfermer dans une formule rigoureuse.
§ III.
V é r ific a t io n c r it iq u e (32 )
On est quelque peu embarrassé pour procéder à la
vérification de cette loi, étant donné son ampleur et sa
portée très large.
Cependant, d’une manière générale, les progrès de
(29) 1841-1899.
(30) 1 vol. Paris. Larose. 1906, p. 54.
(31) Ibid., p. 55.
.
(32) Pierre Daure, professeur à la Faculté des Sciences de
Bordeaux.
Réflexion sur l’évolution monétaire et l’application de la loi
des grands nombres aux phénomènes sociaux. 1 broch. Lib. du
Rec. Sirey, 1936.
la statistique dans les temps modernes semblent la
confirmer.
Il suffira de mettre ci en lumière quelques séries de
faits particulièrement importants.
On peut envisager :
Section I. Les statistiques démographiques ;
Section IL Les problèmes d’assurances ;
Section III. Quelques autres constations.
S ection 1
Les Statistiques démographiques (33)
D’une manière générale il existe une relative stabi
lité dans les facteurs natalité, mortalité, mariages.
Au cours du xixe siècle, le taux moyen de natalité (34)
a été calculé à 36 pour 1.000.
Voici les chiffres pour l’Allemagne par périodes :
1841-1850
1851-1810
1811-1870
1871-1875
1876-1880
1881-1885
1886-1890
1891-1895
1896-1900
36,1
35,3
37,2
38,9
39,2
37,0
36,5
36,3
36,0
De même le taux de mortalité (35), au xix® siècle tou
jours, paraît dans certains pays à peu près constant : il
est en France en moyenne de 25 pour 1.000.
(33) Bib. E. Levasseur. Population française. 3 vol. Paris,
Rousseau (1889-1892).
Landry. Manuel d’Economique. 1 vol. Paris, Giard, 1899.
Hi’ber. Bunle et Boverat. La populaation de la France. Son
évolution et ses perspectives. Paris, Hachette, 1937.
(34) C ’est le rapport entre le nombre des naissances N et la
population totale, soit N ramené à 1.000 habitants.
P~
(35) C’est le rapport entre le nombre desjdécès D et l ’effectif
de la population P, soit D ramené à 1.000 habitants.
�— 59 —
Voici à litre d'indication quelques chiffres :
1861 23,2
1801 27,8
1866 23,2
1806 26,9
1870 28,3
1810 24,6
1876 22,6
1815 25,8
1881 22
1821 24,3
1886 22,5
1826 26,3
1891 22,8
1831 24,6
1896 20,2
1836 22,3
1910-1912 18,4
1841 23,2
1920-1922 17,5
1846 23,2
1925-1929 15,9
1851 22,3
1931-1935 15,7
1856 23,1
Les progrès de l’hygiène amènent cependant une
baisse assez notable de ce taux de mortalité.
Encore le taux de nuptialité (36) présente une relative
constance.
Au xix® siècle, en France, il a été en moyenne entre
7, 8 et 8, 3 pour 1.000.
Voici les détails :
1801
1806
1810
1815
1821
1826
1831
1836
1841
1846
1851
7,3
7,2
7,9
8,3
7,3
7,8
7,5
8,2
8,2
7,6
8
1856
1861
1866
1870
1876
1881
1886
1891
1896
7,9
8,2
8
7,2
7,9
7,5
7,4
7,5
7,6
Au xx* siècle
1936 13,4
1906-:1910 15,8
15.
est
supérieur
à
jusqu’en 1930 i1
(36) C'est le rapport du nombre annuel des nouveaux maria
ges célébrés à la population P, soit M ramené à la population
pour 1.000 habitants.
p
D’autres facteurs peuvent encore être considérés
comme constants : (37)
l'âge moyen du mariage qui oscille entre 30, 25 (18511855) et 29,65 (1896-1900) pour les hommes, entre 26
(1851-1855) et 25, 20 (1896-1900) pour 1.000.
la natalité légitime par mariage qui se maintient au
tour de 3 naissances pendant une grande partie du
xixe siècle.
II
Les problèmes d'assurances
S ection
Trois séries de faits importantes peuvent, semble-t-il
servir à vérifier la loi des grands nombres.
a) l’essor des assurances au xix° siècle pour les divers
risques coïncide avec l’établissement de la loi des
grands nombres.
b) le développement de chaque assurance en particu
lier coïncide avec l’établissement des tables de fréquence
des divers risques.
Il y a développement très poussé des AssurancesIncendie et vie,
il y a développement moyen des diverses assurances
sociales,
il y a développement plus difficile pour certains ris
ques moins bien connus : grêle, épizootie, mortalité du
bétail,
il y a développement impossible pour certains autres
risques : inondations, tremblement de terre, choléra,
etc...
c) enfin autre corollaire bien connu servant de vérifi
cation indirecte, les grands établissements sont restés
leurs propres assureurs : on sait que tous ceux qui pos
sèdent un nombre d’unités suffisant et assez diversifié
comme situation d’objets soumis à la cause déterminée
d’un sinistre, pour que la loi des grands nombres s’y
applique, n’ont aucun avantage à contracter des assu
rances et doivent être eux-mêmes leurs propres assu
reurs.
(37) Cf. Levasseur. Population française. T. III^ p. 150.
�— 60 —
II
Quelques autres constatations
S ection
Avec ces données concernant la population et les assu
rances, la liste des vérifications de la loi des grands
nombres n’est pas close.
On peut citer encore quelques autres cas curieux.
C’est ainsi que le nombre de lettres mises à la poste
sans avoir écrit, l’adresse est relativement constant (38).
D'autres comme P. Leroy-Beaulieu (39) ont affirmé
dans le même sens une relative stabilté dans l’ensem
ble des besoins humains. « Les hommes et les sociétés
se modifient, de même les besoins et les désirs humains,
mais en général, comme la nature, sans faire de sauts,
par gradations insensibles. » (40)
CHAPITRE IV
LOI DE DÉPLACEMENT DE L'ÉQUILIBRE
Ainsi la loi des grands nombres peut et doit être ins
crite au nombre des lois valables, des lois à retenir de
l'Economie Politique.
Le développement historique de cette loi a cepen
dant souligné qu’elle aussi comptait une certaine
contingence.
La loi moderne qui porte le nom de loi Le Châtelier
(1886) est une loi très générale applicable dans toutes
les sciences physiques et chimiques.
Elle s’énonce ainsi :
« Dans un système en équilibre isolé, lorsqu’une cause
agit sur un des facteurs de l’équilibre, celui-ci se dé
place dans le sens qui annule les effets normaux de cette
cause ».
On l’a appelée (1) loi « du déplacement de l’équi
libre ».
Ainsi en généralisant la loi affirme :
« La modification d’une quelconque des conditions
pouvant influer sur l’état d’équilibre d’un système pro
voque une réaction dans un sens tel quelle tende à ame
ner une variation de sens contraire à la condition
extérieure modifiée. » (2)
On a souligné à ce propos, qu’à côté des facteurs
mathématiques à l’aide desquels la loi joue, il existe
(38) Cf. Ch. Gide.
(39) Op. cit.j t. III, p. 60.
(40) Loi des Petits Nombres.
Un économiste allemand, L. von Bortkewitsch, avait parlé il
y a quelques années de la loi des petits nombres. (Das Gesetz der
Kleinen Zahlen. Leipzig. Tenbner. 1898). Il entendait par là le
fait généralisé que des phénomènes qui arrivent rarement s’uni
formisent aux chiffres normaux du calcul des probabilités. Un
économiste italien, Giori (La legge dei picoli numeri. Giornale
degli Economist, i Sept. 1907, f. 758) a très fortement contesté
l'existence de cette loi et depuis lors à ma connaissance la for
mule n'a pas été reprise : on peut donc la négliger et ne pas
la compter, car elle ne paraît apporter rien d’ original, au nom
bre des lois scientifiques de l ’Economie Politique.
(1) On en pourrait donner de multiples exemples:
en chimie, lorsqu'on dissout du sucre dans l’eau, la tempéra
ture de l ’eau s’abaisse et il y a diminution de la solubilité du
sucre,
en physique, tout courant induit dans un circuit par un cou
rant, ou par déplacement dans un champ électrique, est de sens
tel que ses effets s’opposent à la cause qui l’a produit. (Loi de
Lenz).
Note sur les lois numériques des équilibres chimiques. C. R.
Académie des sciences. 1885, t. 102, p. 1005.
Cf. Vezès. Leçons ae chimie physique, 1 vol. Vuibert, 1927,
p. 442.
(2) Citée sans référence dans Bousquet. Institutes de Sciences
économiques, Rivière, 1930, t. I. Introduction, p. 227.
(3) H. de Varigny, chronique citéç col. 2,
CONCLUSION
�— 63 —
aussi des facteurs psychologiques : peur, égoïsme, pa
triotisme, sentiment, etc., qui peuvent momentanément
en contrarier l’action.
M. Dubuisson formule même les deux lois suivantes:
Loi Le Chatelier : Quand un phénomène économi
que ne dépend que de facteurs pondérables, l’effet de la
cause produit une réaction qui tend à diminuer l’intensité
de la cause. (4)
2e La Loi Chatelier (inverse) : Quand un phénomène
économique ne dépend que de facteurs ou paramètres
psychologiques, l’effet, de la cause produit une réaction
qui tend à accroître l’intensité de la cause. »
On a voulu trouver de multiples applications de cette
loi à la vie économique.
MM. G. et Ed. Guillaume, dans une étude récente (6),
l’admettent comme loi générale : « Mais on conçoit
qu’un léger déplacement de l’équilibre, suite d’une telle
incidence, déclanche les réactions propres à la loi si
générale du déplacement de l’équilibre de Le Chatelier,
lesquelles ramènent ainsi le système à une position
très voisine de la première. C’est en Economique le jeu
de la contreprestation, d’où découle en particulier le
phénomène du fait accompli.
D’abord dans le domaine de l'échange.
« Si. écrit M. Vallon (7), le prix d’échange d’une mar
chandise s’écarte, pour une raison quelconque, du prix
(4) Pour l ’application de cette deuxième loi, l’auteur cite le
cas du trafic postal augmenté par l’abaissement des tarifs.
Normalement (première loi) l ’effet devrait être le suivant, avec
un budget postal constant, le public écrirait plus mais les frais
d'exploitation restant fixés, l'Administration viendrait à un relè
vement des tarifs.
Mais le public augmente son budget postal : en ce cas avec
une augmentation de tarif, l ’Administration peut songer à une
nouvelle baisse des tarifs.
(5) H. de Varigny. Revue des Sciences, Journal des Débats, 7
décembre 1922. Le Puits qui parle (revue des élèves de l’Ecole
des Mines), 1922, art. de M. Dubuisson. Le rôle de la loi Le
Chatelier dans l’Economie.
(6) Cf. L. Vallon, Socialisme expérimental. Edition du Centre
pol)ùechnicien d’études économiques, n° 2, 1936, p. 45.
(6) C. et Ed. Guillaume. Economie rationnelle. Edition du Cen
tre Polytechnicien d’ études économiques, 1 vol., Paris, 1937,
p. 26.
(7) Op, cit. p. 45.
défini par les équations d’équilibre, et se trouve, par
exemple, supérieur à ce prix, la production de cette
marchandise a tendance à croître et à ramener le prix
à sa position d’équilibre. »
Dans le concret, de Varigny présentait ainsi cette
action : « L’avoine est chère ; on en produit plus : elle
baisse. Le frêt diminue, d’où accroissement de trans
port bientôt suivi d’augmentation du fret. »
Il est possible que cette tendance existe, mais elle
peut être contrariée par de nombreux autres facteurs.
Ensuite dans le domaine de la production.
Le même auteur (9) écrit à ce sujet :
« Dans une société sans endettement, il peut y avoir
des déséquilibres passagers, entre les prix des diverses
branches de la production et leurs valeurs à l’état d’é
quilibre, mais il n’y a jamais déséquilibre d’ensemble: le
pouvoir d’achat provenant de l’échange des marchan
dises permet de racheter l’ensemble des valeurs produc
tives : au contraire, dans une société connaissant l’en
dettement, ce dernier introduit, et cela durablement, un
déséquilibre entre le pouvoir d’achat disponible pendant
une période donnée et la valeur globale de la produc
tion au cours de cette période. » (10)
Enfin l’Ecole classique a elle aussi plusieurs lois (11),
plusieurs lois d’équilibre automatique qu'il sera néces
saire d’étudier en leur temps : loi de l’équilibre des
changes de Ricardo, loi de la coïncidence du coût de
production et du prix de marchés, etc...
Plus récemment que M. Aftalion dans son ouvrage
L'Equilibre dans les relations économiques internatio
nales (12), fait des réserves sur cette tendance au réta
blissement de l’équilibre. « Le déséquilibre ne se cor
rige pas spontanément de manière qu’on puisse à coup
sûr attendre, les bras croisés, l’effet bienfaisant des ac
tions régulatrices. La volonté des hommes, l’effort per(8) Chronique citée, supra première col.
(9) Op. cit. p. 46.
(10) Cf. pour les détails, pp. 47 et suiv.
(11) Cf. t. III, les lois spéciales.
(12) 1 vol., Paris, Ed. Domat-Montchrestien, 1937.
Cf. Ch. Rist, Rev. d’E. P., 1937, p. 381.
�CHAPITRE V
LA LOI DE L'EFFET PROPORTIONNEL
C’est à une époque tout à fait contemporaine, exacte
ment en 1931, que fut proposée pour la première fois
cette nouvelle formule.
Il suffira donc d’étudier ici :
§ I. Les formules actuelles ;
§ II. Vérifications critiques.
ütWl&Cï&C
§ I. F o rm u les A c t u e l l e s
En 1931 M. R. Gibrat consacrait un important ou
vrage (1) à la loi qu’il affirmait et à sa vérification, la
loi de l’effet proportionnel.
L’auteur prend comme point de départ une loi natu
relle du domaine des sciences : la loi de Gauss (ou de
Laplace) qui affirme la répartition des écarts des gran
deurs observées — dans une série de phénomènes ob
servés — est comprise (2), par rapport à la moyenne,
entre certaines limites vis-à-vis de cet écart. (3)
Il affirme que cette loi est applicable aux divers phé
nomènes économiques.
(1) R. Gibrat, Les inégalités économiques ; application aux iné
galités des richesses, à la concentration des entre prises, aux po
pulations des villes , aux statistiques des familles, etc... d'une loi
nouvelle: la loi de l'effet proportionnel, i vol., Paris, Sirey,
!93L
(2) D’autres travaux avaient été faits pour préciser -et mo
difier la loi de Gauss: Marcel Ollivier. Les nombres indices de la
variation des prix, 1927.
Marcel Lenoir. Cf. art. Carminé cité p. 277.
(3) Sur une application de la loi de Gauss aux prix, cf. Bau
din, La Mesure et la formule des prix, première partie, les élé
ments, 1 vol. Sirey, 1936, t. VI du Traité d’Economie Politique
publié sous la direction de M. H. Truchey, p. 324.
5
�Mais il précise les particularités de cette application
et c’est alors qu'il formule la « loi de l’effet proportion
nel », « l’effet d’une cause sur la grandeur des phéno
mènes est proportionné à cette grandeur. »
IVauteur donne ici des développements spécialement
mathématiques dans lesquels nous ne le suivrons pas.
Peu d’années après, M. Carmille dans un article im
portant (4) souscrivait à la formule proposée.
§ II.
CHAPITRE VI
LA LOI
DU MOINDRE EFFORT
V ér ific a t io n s C r it iq u e s
M. Gibrat, dans l’ouvrage précité a multiplié les ob
servations pour établir l'exactitude de la loi formulée.
11 en fait application aux salaires, à la concentration
des entreprises, à l'inégalité des revenus.
« Dans 600 groupements choisis par hauteur le gra
phique de distribution relevé d'après les données statis
tiques, coïncide, parfois jusqu’à l'identité absolue, avec
la courbe calculée. » (5)
Il y a donc une loi de dispersion des phénomènes éco
nomiques autour de la moyenne : l’auteur paraît avoir
fait faire un grand pas à la science économique à cet
égard.
La précision plus grande des statistiques permettra
peut-être quelque jour de préciser encore (6).
On peut donc, provisoirement peut-être, accepter celte
loi comme valable en économie politique.
(4) Moyens statistiques et Science économique. Revue Politi
que et Parlementaire, 1933, p. 271.
(5) M. Carmille, cité p. 279.
(6) Ibid., Carmille, cité pp. 283 et 284,
Il est une autre loi générale que l’on peut provisoire
ment formuler : « L'homme cherche toujours à attein
dre le résultat le plus considérable avec le moindre
effort » qui joue un grand rôle dans la vie économique.
La loi du moindre effort passe avec raison pour une
des lois les plus importantes de l’Economie Politique.
M. J. Lescure, professeur à la Faculté de Droit de
l’Université de Paris, s’exprime ainsi (1) à son sujet :
« Notre science part d’un axiome, tiré de l’expérience,
analogue par son évidence à l’axiome de la ligne droite
et que nous appelons la loi du moindre effort. Tout en
découle, les lois de la production et les lois de la répar
tition. Une formule les résume : beaucoup produire et
au moindre coût, puis beaucoup répartir — et bien ré
partir pour beaucoup produire. »
Deux questions préalables doivent être ici esquis
sées : l’une et l’autre tendent à nier le caractère éco
nomique de cette loi.
On (2) a d’abord remarqué que cette loi très générale
joue dans bon nombre d’autres domaines que le do
maine proprement économique : elle a son rôle en pho
nétique et en sémantique ; elle joue dans la vie intellec
tuelle, dans la vie sociale (M. Lebureau), dans la vie
judiciaire.
(1) J. Lescure. Il n’y a qu’une économie rationnelle. Revue
de Paris, 15 juillet 1936^ p. 299.
(2) L. Dugas. Le moindre effort et le travail. (Psychologie
collective et Sociologie). Rev, de l’Institut de Sociologie, juil
let 1290, p. 33.
�— 69 —
Tes constatations sont exactes mais cela n’enlève rien
cà la valeur économique de la loi : elle joue aussi en
matière économique et comme telle mérite ici une
étude.
On (3) a ensuite affirmé que la loi du moindre effort
au lieu d’èlre une loi économique, serait une loi sociologique et à ce second point de vue on serait tenté d’en
interdire l’étude à l’économie politique.
IJ est vrai que la loi est une loi sociologique, mais
elle est aussi une loi économique : la preuve en est
qu’une des plus importantes lois économiques, la loi
de Gresham (4) est précisément basée sur la loi du
moindre effort.
11 n'y a donc pas lieu de s’arrêter à ces deux ques
tions préalables : il faut maintenir l’étude de la loi du
moindre effort comme loi économique.
Il faut étudier ici dans le cadre ordinaire,
1° 1histoire de la loi (§ I),
2° les formules actuelles (§ II),
3° l’examen critique (§ III).
L ’H ist o ir e de la L oi
On peut distinguer, dans l’histoire de la loi, un dou
ble courant d’idées, d'ailleurs parallèle, un courant
économique et un courant philosophique. 11 les faut
exposer successivement :
A) Le courant économique.
Ce sont surtout les économistes de l'Ecole libérale
qui ont insisté sur la constatation (5) en lui donnant
d'ailleurs comme d’habitude une valeur absolue.
Ouesnay a le premier sans doute formulé notre loi :
« Obtenir la plus grande jouissance avec le minimum
d’efforts possible, c’est la perfection de la conduite éco
nomique.
Courcelle Seneuil (6) dans le « Nouveau Dictionnaire
d’Economie Politique » (7), écrit : « Comme la géomé
trie élémentaire a des axiomes, l’économie politique a
les siens : l’homme s’efforce d’obtenir le plus de ri
chesse qu’il peut au prix du moindre travail possible. »
En d’autres termes, l’homme cherche la richesse et
fuit le travail. Cet axiome lui-même a trouvé des contra
dicteurs, mais peu fermes. Dans les études suivantes,
la contradiction est moindre, mais peu d’esprits suivent
l’exposition avec une attention suffisante et on discute
facilement à côté. »
Roscher (8), représentant de l’Ecole historique alle
mande, souscrit à la notion classique : « L’effort sys
tématique de tout individu raisonnable dans l’adminis
tration de ses affaires, tend à obtenir avec un minimum
de sacrifice de plaisirs et d’énergie, le maximum de
satisfaction de ses besoins. » (9)
M. Block (10), dans son ouvrage Les Progrès de la
Science économique (11), affirme : « Le principe du
moindre effort qui est fondé sur ces particularités de la
nature humaine
1° d’être très sensible à la peine et au plaisir,
2° d’employer l’intelligence pour éviter l’un et se
procurer l’autre,
explique le phénomène économique peut-être mieux
que l’égoïsme qui a été si longtemps mis en avant en
pareil cas. »
Yves Guyol (12), dans sa Science Economique,
souscrit lui aussi (13) : « Non seulement l’homme veut
acquérir, mais il veut acquérir avec le moins de peine
possible. En un mot, au point de vue économique,
l’homme obéit à deux impulsions : le désir d’utilités et
l’aversion du travail. » (14)
(6) 1843-1892.
(7) V° Economie Politique, t. I, p. 768, 2 vol., Paris.
(8) 1817-1894.
(9) National Economie der Gegenwart, 1S48.
(10) 1816-1901.
(11) 2 vol., Paris, Guillaumin, 1890, t. I, p. 275.
(12) 1843-1928.
(13) 1 vol., Paris, Schleicher, 4* éd., 1911, p. 5.
(14) Par ailleurs, dans son livre sur l ’Economie de l’Effort
�— 70 —
Paul Leroy-Beaulieu (15), dans son Traité théorique
et pratique d'Economie politique (16), recueille sans ob
servation notable cette tradition bien établie :
« Le principe de la moindre action, c’est-à-dire du
moindre effort, pour obtenir un résultat déterminé,
ainsi que le principe de l’économie de frais qui n’en est
que l’extension, dominent toute la vie économique. »
L.
Cossa (17), dans son Histoire des Doctrines écono
miques, admet sans restrictions notre loi ; il écrit, en
parlant de l’agriculture et de son travail technique :
« Il s'inspire au contraire de critères économiques
quand il prépare et exécute les travaux agricoles de
façon à obtenir la plus grande utilité avec la moindre
somme d’efforts, de sacrifice et de risques. » (18)
Pantaleoni (19), dans ses Principii di Economia pura (20), reprend la loi du moindre effort en ces termes:
« Les hommes agissent poussés exclusivement par le
désir d’atteindre la plus grande satisfaction possible de
leurs besoins ou moyen du plus petit sacrifice indivi
duel possible. »
Déjà dans ce courant économique on relève un cou
rant de réserves et de critiques :
Ad. Wagner (21), dans ses Principes d'Economie po
litique, admettant la formule courante (maximum de
satisfaction pour minimum de sacrifice) affirme que ce
principe doit être souvent appliqué : ce qui implique
une réserve sur sa portée absolue. (22)
Cohn (23), accepte le principe du moindre effort dans
(i vol., Paris, Colin, 1906), il revient sur cette loi à laquelle
toute l’histoire humaine obéit : « L ’homme cherche la moindre
résistance: plus il est ingénieux, plus il cherche à diminuer son
effort. »
(15) 1843-1916.
(16) 3* éd., Guillaumin, Paris, 4 vol., 1900, t. I, p. 145.
(17) 1831-1896.
(18) 1 vol., Paris, Giard, 1899, p. 12,
(19) 1837-1924.
(21) 1 vol., Firenze, 1887, p. io.
(21) 1835-1917.
(22) Lehrbuch der pol. Ækonom. Grundlegung. 1879. Leipzig
et Heidelberg. 2® éd., 1879, P- 10(23) 1840-1919.
— 71 —
les rapports de l’homme avec la nature, mais le déclare
contestable dans les rapports entre les hommes. (24)
Edgeworth (25), économiste anglais, précise la loi du
moindre effort dans ses « Mathematical psychics ». (26)
B) Le courant philosophique.
Deux grands noms sont ici à retenir, ceux de Rosmini et de Ribot.
Antoine Rosmini (27) est d’une part l’auteur de la
dénomination donnée à la loi (28) et l’envisage comme
la généralisation d’un principe plus général des scien
ces. (29)
Ribot (30), dans son ouvrage intitulé La vie incons
ciente et les mouvements (31) constate qu’il y a des
hommes actifs, haïssant le repos, pour qui le remue
ment ou l'agitation est un besoin, il ne faut pas parler
pour eux de la loi du moindre effort ; cependant pour
la généralité des autres hommes « la tendance au moin
dre effort est la règle. En ce sens, la tendance est une
loi. »
Les philosophes (32) acceptent donc la loi du moin
dre effort.
§ IL L es F ormules A ctuelles
Deux attitudes peuvent être finalement relevées parmi
les économistes contemporains :
Les uns se rallient à la théorie traditionnelle et clas
sique (Section /).
(24) System der Nationalôkonomie, t. I, p. 198, Stuttgart,
F. Enke, 1885.
(25) 1845-1926.
(26) P. 24.
(27) 1797-1835(28) Teodicea. 2 vol. Torino 1857, t. II, livre III, chap. V II,
p. 46.
(29) Le principe d’inertie du domaine physique, l ’axiome de
Maupertuis (quantité d’action la plus petite possible en astro
nomie) la loi d’économie et de parcimonie de Miln Edwards en
biologie, les difficultés de l ’attention en psychologie, etc...
(3°) 1839-1916.
(31) 1 vol., Paris. Chap. IV. Le moindre effort en psycholo
gie. L ’ article a paru séparément. Rev. Philosophique, octobre
1910, p. 361.
(32) Cf. à titre de curiosité, L. Ferrero. Les lois psychologi
ques du Symbolisme. 1 vol., Paris, Alcan, 1895.
�— 73 —
M. .4. Schalz, dans son ouvrage « L’individualisme
économique et social » (38), adopte une définition de
l’individualisme qui sous-entend la loi du moindre
effort : L’individualisme économique peut donc être dé
fini une doctrine qui, partant du réel pour ne viser que
le possible, voit dans les aptitudes psychologiques de
l'individu le principe nécessaire et suffisant de l’orga
nisation économique et cherche à réaliser le progrès
social par le complet développement des individus qui
composent la société et par l’extension de la liberté qui
est le principal agent de leur perfectionnement (34).
Ch. Gule (35), dans son Cours d’Economie Politique
écrit : « En tout cas présentement, tout homme qui tra
vaille est soumis à l’action de deux forces opposées :
d une part le désir de se procurer une jouissance quel
conque ; d'autre part le désir de se soustraire à la peine
que le travail lui cause. Naturellement toute l’ingéniosité
de l’homme depuis l’âge de pierre s’est appliquée à
obtenir le maximum de satisfaction avec le minimum
de peine : c’est « la loi du moindre effort. »
M. Reboud, dans son Précis d’Economie Politique (36)
énonce sans aucune réserve la loi du moindre effort :
« Obtenir le maximum de satisfaction avec le minimum
d'efforts » et ajoute : « On donne parfois à ce principe
le nom de principe hédonistique. »
S ection II
Les critiques
Politique (38) demande pour l’énoncé de la loi si c’est
ce qui est ou ce qui paraît d’avantage le plus grand qui
est poursuivi avec la moindre somme d’efforts.
Et. plus loin (39) : « Cette création continue, c’est la
loi du moindre effort qui la commande, mais seulement
si l’homme est placé dans des conditions telles qu’il soit
contraint au travail. Si l'homme est placé dans des con
ditions politiques et sociales qui lui permettent d’échap
per au travail, la loi du moindre effort, au lieu de le
conduire à la création économique, le porte au pillage
et au gaspillage des biens accumulés. »
Ainsi la loi serait en quelque sorte une arme à deux
tranchants selon les conditions de milieu dans lesquel
les elle joue.
■M. G. Valois (40) dans son Economie Nouvelle (41)
institue une critique plus détaillée de la loi du moindre
effort.
« L’homme, écrit-il, est un être dont l'énergie, comme
toute énergie, suit la voie de la moindre résistance, du
moindre effort, dont la sensibilité recherche la moindre
fatigue, la moindre douleur et que son instinct de con
servation dirige vers le moindre risque. »
« La loi du moindre effort, qui porte les hommes à
la guerre dans l’état de nature ou dans un état social
faible, les porte au plus grand effort et au progrès
technique dans un état social bien organisé. La connais
sance de cette loi est d’une importance considérable
dans l’organisation des nations selon que l’on tient
compte de son existence ou qu’on la méconnaît, les so
ciétés vont à la prospérité ou à la décadence. » (42)
Ainsi la-s!oi est excitatrice de l’intelligence, créatrice
d’inventions...
§ III.
E xamen critiq ue
On peut, pour tenter un examen critique de la loi du
Simiand (37) dans sa Méthode positive en Economie
(38) La méthode positive en Science économique, 1 vol., Paris,
Alcan, 1912, p. 24.
(39) Ibid,., p. 141 (40) i vol., Paris, Nouvelle Librairie Nationale, 1919, p. 127
et suiv.
(41) lbid.} p. 127.
(42) Ibid., p. 137.
�la loi du moindre effort dans la production des ri
chesses, Section 1,
la loi du moindre effort dans la circulation des ri
chesses, Section II,
la loi du moindre effort dans la répartition des ri
chesses, Section III,
la loi du moindre effort dans la consommation des
richesses, Section IV.
Il faut, en présentant cette division d’ailleurs classi
que, remarquer une fois de plus le rôle très général
de la loi en matière économique : dans tous les domai
nes, son action est présentée, surtout par l’Ecole clas
sique, comme éminemment bienfaisante.
S ection I
La loi du moindre effort dans la production
des richesses
D’une manière générale la loi du moindre effort
trouve dans le domaine de la production une vérifica
tion à peu près constante.
Le développement du machinisme (43) et les appli
cations modernes du système Taylor (44) en sont des
manifestations éclatantes.
Cependant une exception à cette application de la loi
du moindre effort dans la production a été formulée
par la constatation du « chômage technologique » (45).
On entend par là un chômage dont la cause immé
diate est un progrès technique insuffisamment com
pensé par de nouveaux emplois offerts à la maind’œuvre.
Les exemples donnés par M. Duboin (46) sont parti
culièrement impressionnants : exemples individuels iso
lés par l’industrie des vins en Tchécoslovaquie: mille
ouvriers au lieu de 8.000 parviennent à fabriquer deux
fois plus de bouteilles.
Deux hommes au lieu de deux mille pour actionner
aujourd’hui les charriots roulants dans les usines,
4.000 ouvriers en 1865 pour creuser le canal de Suez,
5 ouvriers seulement pour le canal de Welland au Ca
nada il y a quelques années.
' exemples tirés de moyennes : augmentation de la
puissance productrice d’un ouvrier en Allemagne de
1925 à 1929 : dans l’industrie de la houille 33 %, dans
l’industrie de la potasse 39 %, dans l’industrie de la
fonte et de l’acier 50 %, dans la manipulation du coke
67 %.
Aux Etats-Unis, en huit années d’après guerre, la
production d’un ouvrier moyen a augmenté de 88 %
dans le raffinage du pétrole, 97 % dans l’industrie au
tomobile, 139 % dans les hauts fourneaux, 163 % dans
les hauts fourneaux.
M. Belin dans une étude récente, « La Position du
Syndicalisme Français devant les problèmes éconoini-
(45) Bib. :Mantoux. La Révolution industrielle en Angleterre
au XVIIIe siècle. 1 vol., Paris, Colin, 1902.
Khérian. Le chômage technologique. Rev. d’E. P. JanvierFévrier 1932.
B. I. T. Les aspects sociaux de la rationalisation. 1 vol., Ge
nève, 1931.
J . Duboin. La grande relève des hommes par la machine. 1 vol.,
Paris, 1933.
V. Delacroix. Rationalisation et chômage. Thèse, Paris, 1933.
Vigreux. Sismondi et le progrès technique du machinisme.
1 vol., Paris.
J. Weiller. La crise et les controverses sur le progrès techni
que. Annales du Droit et des Sciences Sociales, n° 1.
(46) Duboin, op. cit ., pp. 30 et suiv.
�— 77 —
ques actuels cite de nombreux faits à l’appui du chô
mage technologique (47).
En Grande-Bretagne, de 1932 à septembre 1936,
l’indice de la production industrielle a passé de 83 à
117, soit une hausse de 41 % ; le pourcentage des chô
meurs est descendu de 20 % à 12,1 %, la reprise était
de 9,8 %.
Aux Etats-Unis, de 1933 à octobre 1936, l’indice de
la production industrielle passe de 70 à 98 % soit une
baisse de 40 % ; le pourcentage de la main-d’œuvre
utilisée passait de 75,7 à 88,8 %, soit une hausse de
17,3 %.
Il conclut : « Nous venons donc à cette conclusion,
c’est qu’en quatre ans les progrès techniques, la ratio
nalisation introduite dans les entreprises ont permis une
reprise de la production réellement massive, sans qu’il
y eut une reprise correspondante dans l’emploi. C’est
là un chômage qui a une origine technologique. »
Ici donc le chômage technologique au lieu d’amener
dans la production le maximum de résultats avec le
minimum d’efforts, amènerait un résultat fâcheux, la
surproduction et la mévente, le suroutillage et la crise
à l’état permanent.
On a justement remarqué (48) que le chômage tech
nologique n’était pas un mal général que l’on puisse
constater dans tous les pays : la France, 1 Italie, la Bel
gique, le Japon en seraient exempts.
On a noté aussi que des compensations se produi
sent par de nouveaux apports à la main-d’œuvre pour
la fabrication, le transport et l’installation de l’outillage
moderne et que sans cet outillage perfectionné bon nom
bre de travaux n'auraient pas été entrepris.
Ainsi le chômage technologique n’a qu’une portée
limitée.
Ainsi envisagé constitue-t-il une exception véritable
à notre loi ?
A vrai dire il ne le semble pas : même avec le chô-
mage technologique, on obtient bien le maximum de
résultats avec le minimum d’efforts.
Ce qu’il faut noter ici, c’est que les conséquences de
l’applicalion de cette loi peuvent être dommageables
au point de vue individuel et au point de vue social :
perte d’emploi ici et là développement du nombre des
sans-travail.
C’est seulement un point de vue nouveau, certes des
plus valables, qui a été ainsi mis en lumière (49), il
n’infirme cependant pas la valeur scientifique de la loi
du moindre effort.
II
La loi du moiridre effort dans la circulalion
des richesses
S ection
Ici encore le développement de la circulation maté
rielle et le développement de la circulation juridique à
l’époque contemporaine sont des illustrations valables
de notre loi.
Seule la situation du commerce de détail dans les
divers pays apporterait un démenti à la formule : il y
aurait ici maximum de satisfaction avec maximum
d’efforts.
L’explication de ce paradoxe tient, on le sait, à la
multiplilé des commerçants de détail qui augmentent
beaucoup le prix de revient des produits.
Un mouvement de rationalisation du commerce en
général (50) et du commerce de détail en particulier est
en plein développement de nos jours.
S ection I II
La loi du moindre effort dans la répartition
des richesses
Le principe de la répartition, l’équivalence en utilité
(49) On comprend toute l’importance de ce nouveau point de
vue pour juger de la valeur du remède à la crise mondiale,
consistant dans un nouvel accroissement de la production et de
l’activité économique !
(50) Cf. Economie internatiornale, juin 1933, p. 2.
Un bureau international pour l’étude de la Distribution fonc
tionne depuis quelques années: le Secrétariat du bureau inter
national est à Paris: 38, cours Albert-Ier.
�— 78 —
sociale, aboufit pratiquement grâce à la loi du moin
dre effort :
La répartition des richesses peut et doit être envi
sagée comme un échange d'utilités : sur le marché des
produits et des services, chaque fndividu apporte le
résultat de son activité et ce résultat est librement ap
précié par ceux qui s’en veulent rendre acquéreurs.
La concurrence joue ici comme ailleurs, elle produit
alors ces deux résultats importants suivants :
a) au point de vue individuel, mis en concurrence les
uns par rapport aux autres, chaque individu tâchera de
réaliser une diminution du coût de production de son
effort, marchandise ou service : ainsi se réalise le pro
grès économique ;
b) du point de vue social cette libre estimation des uti
lités offertes est conforme à la justice telle que l'enten
dent les Economistes de l’Ecole libérale.
Telle est la thèse formulée par les libéraux (51).
Du seul point de vue critique qui est ici le nôtre, il
paraît possible de faire les deux réserves fondamentales
suivantes.
D’abord en fait il ne semble pas, surtout dans ce do
maine de la répartition, que la concurrence produise les
heureux effets annoncés : en fait, il ne semble pas, à
en juger par certaines rémunérations excessives, que la
concurrence aboutisse à une réduction dans le coût de
production des marchandises offertes et des services
offerts. Sans qu’il y ait sur ce point de statistiques pré
cises, on a nettement l’impression d’une élévation à
l’époque contemporaine, surtout pour l’après guerre,
du coût des services et des marchandises, abstraction
faite, bien entendu, de l’aspect monétaire du problème.
Ensuite et en droit — cette justice sociale selon la
conception libérale paraît à certains égards très défec
(51)
Cf. Deschamps. Cours d’histoire des doctrines économi
ques, professeur à la Faculté de Droit de Paris, 1903-1904.
Cf. Perreau. Cours d’ Economie Politique. T. II, p. 207, 50 éd.
Paris, 1934. Pichon et Durand Auzias.
Bodin. Principes de Science économique, 1 vol. Paris, Libr.
du Rec. Sirey, 1926. p. 570 et suiv.
Truchy. Cours d'Economie Politique, 3e éd. Paris, Libr. du
Rec. Sirey, 1934, t. II, p. 139.
tueuse (52). Sans doute le postulat initial — la justice
c’est, tout, ce qui est conforme à l’équivalence en utilité
sociale — permet de repousser à priori toute considéra
tion critique.
Cependant il est permis d’affirmer que les jugements
de l’opinion, qu’enregistrent les variations des prix et
des services, ne sont pas toujours conformes à une idéale
justice : par exemple des cachets très élevés accordés
à des artistes de café-concert ou de cinéma sont-ils'véri
tablement en conformité avec l’intérêt social. N’est-il
pas d’autres services plus importants, ceux des hommes
d’Etat, du médecin, des avocats, etc...
Ainsi dans ce domaine de la répartition des riches
ses, il est permis d’affirmer que sans doute dans l’en
semble la loi du moindre effort se trouve vérifiée mais
qu’elle est loin de réaliser tous les effets heureux que
ses partisans ont affirmés à prioii.
IV
La loi du moindre effort dans la consommation
des richesses
S ection
C’est peut-être de tous les domaines de l’économie
politique celui où l’application de la loi du moindre
effort, semble le moins apparente.
Il ne parait pas vrai d’affirmer que tous les objets de
consommation sont obtenus aujourd’hui pour produire
le maximum de satisfaction avec le minimum d’efforts.
Deux théories célèbres qui ont le caractère commun
de ne pas se placer au seul point de vue économique
donnent l’explication de cette anomalie apparente.
Ce sont la théorie des consommations vicieuses et .a
théorie des consommations de luxe.
En vertu de la première l’homme aime à consommer
(52)
Cf. Vidal, précurseur français du Socialisme Scientifique,
écrivait dans son ouvrage: La Répartition des richesses ou de la
justice distinctive, 1846, p. 79: « Ils (les économistes libéraux),
proclament que la science doit se borner à décrire les faits, à
constater des phénomènes, puis à laisser faire et ils ont en effet
décrit le mécanisme de leur production et de la distribution dans
nos sociétés, mais jamais ils ne se sont demandé si la produc
tion était convenablement organisée, si les produits étaient ré
partis d’après la justice. »
�-
80
—
certains produits : tabac, alcool, opium... qui consti
tuent ce qu’on a justement appelé des consommations
vicieuses : pour se les procurer, l’individu ne regarde
pas à la dépense.
En vertu de la seconde, le consommateur des pro
duits de luxe ne regarde pas non plus à la dépense et
ce sera même pour lui une forme de snobisme que de
payer les produits à un prix relativement assez élevé,
plus cher qu'ils ne valent réellement.
Mais dans l’un et l’autre cas, on quitte le terrain pro
prement économique pour passer sur le terrrain psy
chologique : tout compte fait il y a tout de même une
jouissance qui atteint son maximum pour un effort qui
n’est peut-être pas le moindre au point de vue absolu,
mais qui du point de vue individuel très relatif donnera
un minimum d'efforts par rapport à la consommation
obtenue.
On pourrait encore chercher, du point de vue criti
que, une vérification de la loi du moindre effort dans le
développement de la vie économique internationale
contemporaine.
Comme l’écrit exactement Brocard (53) : « Toutes ces
formes solidaires d'élargissement du cercle se ratta
chent à une cause initiale d’ordre économique. Elles ne
sont que la manifestation de cette grande loi du moin
dre effort, qui régit toutes les formes de la vie, qui les
pousse, en même temps à réduire l’effort et à en accroî
tre le rendement en l’utilisant mieux, c’est-à-dire, dans
le cas qui nous occupe à substituer, au travail indivi
duel et isolé le travail de plus en plus divisé, concen
tré, critiqué. »
Il est donc permis, après cet examen, de conclure
que la loi du moindre effort s’applique dans l’ensemble
des faits économiques et par suite que cette loi doit
être retenue pour figurer au nombre des lois exactes
que proclame la science économique.
I. La loi de Malthus,
II. Les lois contemporaines sur la croissance de la
population,
III. Les lois démographiques sur les détails des
mouvements de la population.
I. L a
loi de
Malthus
On envisagera ici, dans le cadre habituel :
1° l’histoire de la loi (§ I) ;
2° les formules actuelles (§ II) ;
3° l’examen critique (§ III).
On peut prendre comme formule approchée celle-ci :
« La population tend à croître en progresssion géomé
trique, quand la subsistance ne croît qu’en progression
arithmétique ».
(i) René Gonnard. Histoire des Doctrines de la Population.
I vol.. Paris, Lib, Nationale, 1923.
6
�— 83 —
On a trouvé de nombreux précurseurs à Malthus (2).
D’abord Machiavel (3) déclare que la fertilité plus ou
moins grande du sol el la quantité des subsistances
opposent des limites à l’accroissement de la popula
tion (4
Ensuite Beccaria (5) dans ses Eléments d’Economie (6)
conseillait de développer la subsistance plus que la po
pulation.
Encore James Steuart (7) publie en 1767 un volume
intitulé « Recherche des principes d’économie politi
que » (8). Le premier livre est consacré à l’étude de la
population et de l’agriculture.
Voici les principaux passages intéressant notre pro
blème :
« Le principe fondamental de la multiplication de tous
les animaux et. par conséquent des hommes est la géné
ration ; ensuite la nourriture : la génération donne
l'existence ; la nourriture la conserve. » (9)
Dans tous les pays... si l’on examine l’état des ani
maux, on verra que leur nombre est proportionné à la
quantité de nourriture, que la terre produit régulière
ment dans le cours d’une année, pour leur subsis
tance. » (10)
La faculté génératrice produira... son effet naturel en
en résultera
la nature était moins libérale qu’à l’ordinaire, l’espèce
s’en ressentirait ; il pourrait survenir une épidémie
qui enlèverait un nombre plus grand que celui qui serait
proportionné à la disette de la saison. Que résulte-t-il de
là ? Que ceux qui ont échappé, trouvant des vivres en
plus grande abondance, deviennent plus vigoureux,
plus forts ; la génération donne la vie à un plus grand
nombre, la nourriture la conserve, jusqu’à ce que le
nombre primitif soit rétabli. (11)
La population doit donc être, à mon avis, en raison
des vivres et elle ne s’arrête pas jusqu’à ce que l’cquilibre soit à peu près établi (12).
La faculté génératrice, la tendre sollicitude et l’amour
que nous avons pour nos enfants, nous excitent d’abord
à multiplier et nous engagent ensuite à partager avec
eux. La suite de ces divisions et subdivisions, dans un
pays où la quantité d’aliments est limitée, est que les
habitants sont nourris dans une progression décrois
sante régulière depuis l’abondance jusqu'à la disette,
quelquefois même jusqu’à la famine... Les autres degrés
de besoin occasionnent des maladies et une langueur
qui éteint, la faculté génératrice, ou du moins l’affaiblit
au point qu’on n’engendre que des enfants faibles ou
malsains.
Comment proposer un remède à cet inconvénient sans
gêner les mariages ? Et comment gêner les mariages
sans révolter l’esprit du temps. Je l’ignore : ainsi je
laisse le champ libre aux spéculations des politi
ques » (13).
Benjamin Franklin (14) publie en 1751 ses observa
tions sur l’accroissement de la population et le peuple
ment. des pays. 11 y énumère les causes agissant sur la
population et affirme que la population s’accroît avec
î’aisance.
Encore Arthur Young, dans son «Voyage en France»
(11) Ib id ., pp. 35-36.
(12) Steuart est relativiste et admet quelque différence entre
la théorique et la pratique.
Malthus est beaucoup plus absolu.
Cf. Titres de leurs ouvrages. Steuart. Recherches des prin
cipes de l ’E. P.
Malthus. Essai sur le principe de population.
(13) P. 284.
(14) 1706-1790,
�— 84 —
(1792) considère la France comme surpeuplée et. attribue
le fait à une division excessive de la propriété foncière.
Enfin G. Ortès, dans ses « Réflexions sur la popula
tion de la nation par rapport à l’Economie natio
nale » (16), envisage les deux fameuses progressions,
arithmétique et géométrique.
Malthus a-t-il connu ses prédécesseurs directs : Fran
klin, Arthur Young et Steuart ?
Il affirme n’en avoir pris connaissance qu’après la
publication de la première édition de son essai.
C’est étonnant, car il y a grande ressemblance des
idées. Malthus a été professeur d’histoire et d'écono
mie politique (17).
C’est en 1798 que Malthus (18) publia son Essai (19)
sur le principe de population. (20)
A se borner à l'essentiel, la théorie de Malthus com
porte deux points fondamentaux :
1°) la loi de population,
2°) les obstacles au jeu de la loi.
a) /’énoncé de la loi :
La population a une tendance à augmenter plus rapi
dement que les subsistances.
La première, la population, tend à croître selon une
progression géométrique : « Nous pouvons donc, écritil après quelques développements sur certaines obser
vations, en particulier sur l’Amérique du Nord, tenir
pour certain que, lorsque la population n’est arrêtée
(1 5 ) 1713-179°-
(16) Reflessioni sulla populazione dette Nazione per rapporto
ail economia nazionale, 1790.
(17) M. Hersch appelle Malthus l ’Améric Vespuce du Malthu
sianisme.
(«8) 1766-1834.
(19) On sait comment cet ouvrage eut plusieurs éditions: la
première anonyme parut en 1798. écrite un peu à la hâte. La
seconde publiée en 1803, beaucoup plus complète et plus docu
mentée qu’il est plus raisonnable de tenir comme l ’expression
de la pensée définitive de l’auteur.
On sait aussi quelle fut l ’occasion de cette publication, la
réfutation de Godvvin.
Sur tous ces points Cf. Connard, op. cil., p. 260 et suiv.
(20) « An Essay on the principle of Population as it affects
the future improvement of Society, with remarks on the spécu
lations of Godvvin, Condorcet and other writers, »
— 85 —
par aucun obstacle, elle va doublant tous les vingtcinq ans et croît, de période en période, selon une pro
gression géométrique. » (21)
La seconde, les subsistances, augmente selon une
progression arithmétique. « Nous sommes donc en état
de prouver, en partant de l’état actuel de la terre habi
tée, que les moyens de subsistance, dans les circonstan
ces les plus favorables à l’industrie, ne peuvent jamais
augmenter plus rapidement que selon une progression
arithmétique » (22).
b) le iea des obslacles.
Mais l’action de la loi est pour Malthus paralysée par
deux séries d’obstacles. (23)
Les obstacles répressifs, ce sont toutes les causes qui
tendent à abréger la durée de la vie humaine par le vice
ou par le malheur. (24)
L’obstacle préventif qu’il dénomme la contrainte mo
rale et qu’il définit « l’abstinence du mariage jointe à la
chasteté. » (25)
Ainsi « le principe de population l’emporte tellement
sur le principe productif des subsistances que, pour main
tenir le niveau, pour que la population existante trouve
des aliments qui lui soient proportionnels, il faut qu’à
chaque instant une loi supérieure fasse obstacle à ses
progrès, que la dure nécessité la soumette à son empire,
que celui, en un mot, de ces deux principes, dont l’ac
tion est si prépondérante, soit contenu dans certaines
limites. »
Telle est la loi de Malthus, une tendance de la po
pulation à dépasser les subsistances, combattue par le
jeu des obslacles répressifs et préventif (26).
(21) Op. oit., 2® édition, p. 8.
(22) Ibid., p. 10.
(23) P. 19 et 20.
(24) Ibid., p. 14.
(25) Ibid., pp. 27-28.
(26) Sur l’importance respective de cette double série d’obs
tacles, Malthus écrit:
Sur les obstacles répressifs: « Les obstacles qui agissent cons
tamment avec plus ou moins de force dans toutes les sociétés
�Après Malthus (27), les économistes se partagent en
deux groupes :
les partisans, d’ailleurs les plus nombreux, de la loi
de Malthus :
Quételet ; (28)
Ricardo ; (29)
J.-B. Say ; (30)
J. Stuart Mill ; (31)
\V. Roscher ; (32)
M. Block ; (33)
Rumelin ; (34)
Schàffle ; (35)
A. Wagner ; (36)
G. Cohn ; (37)
humaines et qui y maintiennent le nombre des individus au
niveau des moyens de substances ». Ibid., p. 19.
Sur l’obstacle préventif: « On a dit... que je n’avais pas donné
assez d’importance à l ’effet préventif de la contrainte morale
et à l ’influence de cette disposition pour prévenir l ’accroisse
ment de la population. Mais je crains bien qu’on ne trouve
que j'ai eu raison d’envisager l’action de cette cause comme
étant aussi peu active que je l’ai représentée. Je m’estimerai
heureux de croire que je me suis trompé à cet égard. » Ibid .,
pp. 24-25, note.
(27) J. Z. Spengler. French population Theory since 1800.
The journal of political economy. Oct. 1936, p. 577.
..Denis. Histoire des Systèmes économiques et socialistes, 2 vol-,
Paris, t. II, p. 59.
Brentano. The Doctrine of Malthus and the increase of popula
tion during the last decader.
The Economie Journal. Sept. 1910, p. 371.
(28) Physique Sociale. Paris, 1835.
(29) Ricardo. Principes de l’Economie Politique et de l ’Impôt,
1817.
(30) J.-B. Say. Cours d’Economie Politique, 1828. V Ie partie,
chap. V.
(31) St. Mill. Principes d’Economie Politique, 1848, t. II,
P- 3 *7(32) System der Volkswirthschaft. 4 vol. Stuttgart, 1854-1894.
Principes d’Ec. Politique, trad. Wolovski. 2 vol., Paris, 1857,
t. II, p. 275 et suiv.
(33) M. Block. Progrès de la Science Economique depuis
Ad. Smith, 1890, p. 539.
(34) Problèmes d'Economie Politique et de statistique, traduct.
Riedmatten, 1 vol., Paris, Guillaumin, 1896, p. 173.
(35) Die Nationalôkonomie. Tubingue, 1861.
(36) Wagner. Grundlagen. 2® édit., p. 439.
(37) Cohn. System der Naturalœkonomie.
Sir John Bird Summer ; (38)
Kautsky ; (39)
Il faut dans cette rapide revue faire une place spé
ciale à un économiste anglais, William Crooks, (40) qui
fut un partisan convaincu de la loi de Malthus.
Une première fois en 1871 il affirmait péremptoire
ment la valeur de cette loi.
Une seconde fois, en 1900, il reprit sa prophétie et
fixait à une échéance relativement prochaine (1931) la
date où l’humanité commencerait vraiment à mourir
de faim.
Il y a d’autre part les adversaires de la loi, par exem
ple :
Ernest Engel ; (41)
Sismondi ; (42)
Bastiat ; (43)
List ; (44)
Carey ; (45)
Doubleday ; (46)
H. Georges ; (47)
K. Marx ; (48)
Fr. Oppenheimer ; (49)
Cauwès ; (50)
Un publiciste allemand contemporain, Moritz Bonn,
affirme même que domine de nos jours une « loi de
(38) Archevêque de Cantorbéry.
(39) Der Einfluss der Volksvermehrung auf dem Fortschutt
der Gesellschaft, 1880.
(40) Assez peu connu d’ailleurs.
(41) Statisticien allemand.
(42) Nouveaux principes de l ’Economie politique, 1819, II,
1. V.
(43) Bastiat. Harmonies économiques. Œuvres de Bastiat.
Edition Guillaumin, 1854, t. III, chap. X V I, p. 448 et suivv
(44) Système national d’Economie Politique, 1841.
(45) The Unity of law, t. II, p. 347.
Principes de Science sociale, t. III, p. 295.
(46) The true law of population, 1853, p. 20.
(47) Progrès et Pauvreté, 1879.
(48) Le Capital, 1867, t. I.
(49) Fr. Oppenheimer. Une nouvelle loi de population. Rev.
d’E. P., 1903.
(50) Cours d’Ec. Politique, 3e édit., Paris, 1893, t- M» PP- 9)
32, 44, 46, 64, 69.
�—
88
—
Malthus à rebours » : croissance géométrique de la
production des subsistances, croissance purement arith
métique de la population. {51)
On sait enfin comment un groupe important de suc
cesseurs de Malthus déforme sa doctrine sous le nom
de Néo Malthusianisme (52). Ces auteurs font entrer en
ligne de compte tous les motifs qui peuvent prévenir la
procréation de l’enfant, tels que l’avortement, les pra
tiques anticonceptionnelles, l’infanticide, etc.
C’est là une déformation certaine de la théorie de
Malthus.
§ II.
:
L e s formules actuelles
On peut affirmer d'une manière générale que rares
sont aujourd’hui les fidèles disciples de Malthus.
Quelques contemporains affirment que Malthus n’a
pas été réfuté.
Par exemple, Charles Gide écrit : (53)
« Est-ce à dire, comme on le répète sans cesse dans
tous les livres sur la matière, que les lois de Malthus
aient été démenties par les faits ? — Non, point ses
lois, qui demeurent intactes, mais seulement les prévi
sions qu’il en a tirées. »
Un économiste américain contemporain, Warren
Thompson, dans son ouvrage : Population, a study on
Mallhusianism (54), conclut à une confirmation géné
rale par les faits de la loi de Malthus pour tous les pays
à l’exception de la France.
Un autre courant contemporain revient à Malthus en
le modifiant, c’est le courant du « Birth Control » (55).
M. Pearl, Mlle Marguerite Sanger en sont les princi
paux représentants ; un congrès de la population mon
diale. Genève, 1927, en fut une des principales mani
festations. (56)
Se basant sur la thèse de Malthus, on veut instaurer
la limitation de la population, même par les moyens
que prohibait Malthus.
III. E tude
critique de la loi de
Malthus
Comme l’a bien montré Ch. Gide (57), la vérification
critique de la loi de Malthus est des plus difficiles.
Il s’agit, en effet, on l’a vu, d’une tendance à des
accroissements divers de la population et des subsis
tances, tendance que viennent contrarier les divers
obstacles.
11 ne peut être question d’interpréter les statistiques
de population et de subsistances pour montrer que les
premières ne réalisent pas la progression géométrique,
ni les secondes la progression arithmétique.
Il faut cantonner la discussion comme l’a voulu Mal
thus, sur le terrain des tendances à l’accroissement.
De ce point de vue, il semble possible d’établir
d’après les chiffres, que l’hypothèse de Malthus encore
une fois en tant que tendance, est contraire à la réalité
des faits.
Ainsi, à prendre les statistiques américaines d'abord
pour les Etats-Unis, on trouve à comparer les périodes
1871-1875 et 1901-1905 que l’accroissement de la popu
lation a été, brut, de 93 % ; déduction faite de l’émi
gration il ressort à 63 % (58).
Pendant ce même temps la récolte annuelle de fro
ment a passé de 74,5 millions de quintaux (année
moyenne 1871-1875) à 180,6 millions de quintaux
(année moyenne 1901-1905), soit un accroissement de
142 %.
Ces deux données de fait : accroissement de la popu(56) Cf. H. Brenier. Le Congrès de la population à Genève et
la Conspiration bis Malthusienne. Art. Correspondant. 1927.
(57) Cours d'Economie Politique, t. II, p. 538 et suiv. io* éd.
Paris, Libr. du Recueil Sirey, 1931.
(58) Sundbârg. Aperçus statistiques internationaux. Stockholm,
1908, p. 55.
�— 91 —
lation 63 %, accroissement des subsistances 142 %,
rendent invraisemblables les affirmations de Malthus.
Pour l’Europe on trouve aux mêmes périodes 18711875 et 1901-1905 un accroissement de la population de
310 à 610 millions d'habitants, soit un accroissement
de 32 % (59) et dans le même temps la récolte moyenne
de froment passe de 329 millions de quintaux à 469 mil
lions de quintaux, soit un accroissement de 41 %. (60)
Ces deux données de fait, accroissement de la popu
lation, 32 % ; accroissement des subsistances, 41 %,
vont à l'encontre des tendances à l’accroissement posées
par Malthus.
Enfin on pourrait d’une manière générale tirer un
argument analogue de l'allure des statistiques de popu
lation à l'époque contemporaine qui accuseraient toutes
une série descendante comparée à l’allure des statisti
ques des subsistances qui accuseraient au contraire
toutes une série ascendante. (61)
Il ne semble donc pas, dans la mesure où la discus
sion est possible, que la loi de Malthus ait été confirmée
par les faits. Elle n’est pas à retenir au nombre des lois
économiques valables.
II. L es
lois contemporaines sur la croissance
DE LA POPULATION
1 n trait commun réunit les lois contemporaines sur
la population : elles cherchent en général à expliquer
la dépopulation, c’est-à-dire le défaut d’accroissement
de la population dans les temps modernes.
On peut énumérer comme particulièrement à signa
ler les lois suivantes :
(59) Sundbârg, Ibid., p. 55.
(60) Sundbârg. Ibid.., p. 209.
(61) Par ex. de 1913 à 1918 augmentation de la population du
globe, estimée à 10 % augmentation de la production du blé
18 %. Cf. H. Hauser. La concurrence internationale. Rev. écon.
intem . Avril 1397, p. 17, les autres références indiquées.
A) La loi de la capillarité sociale.
C’est dans deux ouvrages (62) que M. Arsène Dumont
expose la formule qu’il a ainsi baptisée :
L’homme tend à s’élever dans la société des fonc
tions inférieures aux fonctions supérieures : or, de ce
point de vue l’enfant apparaît comme un obstacle au dé
veloppement individuel : s’il a trop d’enfants, l’indi
vidu pourra moins facilement réaliser son maximum de
développement personnel. Donc — et c’est la formule
de la loi —* « Le progrès de la natalité est en raison
inverse de la capillarité sociale » (63).
La loi de Dumont a été favorablement accueillie à
l'époque par P. Leroy-Beaulieu (64) et d’autres écono
mistes français et étrangers (65).
Du point de vue critique, il semble que la généralité
croissante à l’époque moderne de la dépopulation dans
tous les pays contemporains, comporte quelques réser
ves à faire en face de la loi de capillarité sociale. Cer
tains pays, même ceux à régime socialiste, comme la
Russie soviétique, apportent des démentis consacrés par
les statistiques à la formule générale de M. Dumont.
B) La loi de P. Leroy-Beaulieu.
Cet auteur écrit dans son Traité théorique et pratique
d’Economie Politique :
« La vraie loi de population est toute différente du
principe de Malthus : elle se traduit par la tendance à
une prolifîcité décroissante : la civilisation arrivée à un
certain degré de bien-être et d’idées ou de sentiments
démocratiques achemine vers l’arrêt de l’accroissement
de la population ».
(62)
Dépopulation et Civilisation. Etude démographique. Pa
ris, 1890.
Natalité et Démographie. Paris, 1898.
(6j) L ’auteur ajoute que le jeu de la loi de capillarité sociale
est particulièrement intense dans les sociétés démocratiques et
individualistes modernes, en particulier pour la France de 1890.
Il admet d’ailleurs qu’on peut combattre cet excès d’individua
lisme.
(64) P. Leroy-Beaulieu. La question de la dépopulation et la
civilisation démocratique. Rev. des Deux-Mondes, 15 oct. 1897.
(65) Cf. R. Gonnard. Dépopulation et Législateurs. Rev. d’Éc.
Pol., 1902 et 1903.
�-
La civilisation réduit irrémédiablement la natalité,
ce sont les causes d’ordre moral qui sont en l’espèce
prédominantes (66).
C) La loi de Nilti (67).
« Dans toute société où l’individualité sera fortement
développée et où le progrès de la socialisation ne dé
truira pas toute activité individuelle, dans toute société
où la richesse sera largement subdivisée et où les causes
sociales d’inégalité seront éliminées, grâce à une forme
élevée de la coopération, la natalité tendra à s’équili
brer avec les subsistances, et les variations rythmiques
de (l’évolution démographique n’auront, plus rien
d’effrayant pour l'humanité » (68).
D) La loi d'Oppenheimer (69).
Dans un ouvrage publié en 1901 (70), le docteur
Oppenheimer cherchait à prouver qu’au xvm® siècle et
antérieurement l’accroissement de la richesse et des
moyens de subsistance avait été plus grand que celui
de la population. La surpopulation n’est pas une cause
de misère sociale mais la garantie d’une augmentation
de bien-être. La misère lient pour lui à des causes dif
férentes (71).
Ce sont donc plus une négation de la loi de Malthus
que de nouvelles formules proprement dites.
E) La loi de Cauderiier (72).
Dans un article de la Revue internationale de Socio
logie (73), intitulé Les lois de la Population, Cauderiier
(66) 3* édit. Paris, Guillaumin, 1900, t. IV, p. 613.
(67) 1851-1905.
(68) La population et le système social. Trad. franç. Paris,
Giard, 1897.
(69) 1864(70) Das Bevôlkerungsgesetz de Maltusand der neueren Nationalœkonomie, 1901, Berlin.
(71) Voir la controverse engagée:
J.
Wolf. Une nouvelle loi de la population. Rev. d’Ec. Pol.,
1902, p. 499
et la réponse: J. Oppenheimer. Une nouvelle loi de la popu
lation. Rev. d'Ec. P., 1903, p. 363.
(72) Cf. discussion à ce sujet dans le journal de la Société de
Statistique, 1901.
(73) Année 1903, p. 108.
93 —
estime que la loi fondamentale de la population est la
suivante :
« La nécessité et les facilités de satisfaire aux besoins
de la vie règlent tous les mouvements de la population
dans leur totalité et leurs éléments essentiels.» En appe
lant P la population, R les ressources et B les besoins,
il donne la formule algébrique suivante : P = R (74).
Il y ajoute des lois spécialement démographiques sur
la mariabilité, la fécondité et la mortalité (75) qui, dit-il,
ont une valeur maximum constante (76).
11 ne semble pas que cette formule ait été accueillie
par d’autres économistes et sociologues : il ne paraît
pas non plus qu’elle soit, du point de vue critique, véri
fiable par l’observation.
III. L es
lois démographiques sur les détails
DES MOUVEMENTS DE LA POPULATION
(77)
Je les mentionnerai brièvement.
Il s’agit de lois concernant :
A le taux de natalité,
B le taux de nuptialité,
C le taux de mortalité,
D la fécondité conjugale,
E la proportion des sexes.
A) Le taux de natalité.
On a étudié les variations du taux de natalité et cons
taté, dans tous les pays, une tendance à la baisse de ce
(74) Pour la démonstration il renvoie à ses ouvrages: Les lois
de la Population avec leur application en Belgique et Les lois
de la Population en France.
(75) Voir infra , p. 94.
(76) Pour celle-ci toutefois les conditions de l’hygiène modi
fient le coefficient de mortalité.
(77) Levasseur. La Population Française. 1 vol., Paris, Rous
seau, 3 vol., 1889-1892.
Bib. Dublin et Lotka. Length of life. A study of the life table.
1 vol. in-8° New-York. The Ronald press Company, 1936.
Huber, Bunle et Boverat. La Population de la France. Son
Evolution et ses perspectives. 1 vol., Paris, Hachette, 1937.
Encyclopédie Française, t. V II, L ’Espèce humaine.Paris, 1936.
�faux avec le développement du bien-être, de l'instruc
tion, des idées démocratiques et nouvelles (78).
Les statistiques contemporaines (79), tant pour la
France que l’étranger, confirment une baisse continue
de la natalité.
En France le nombre des naissances a été en :
1920
1921
1925
1929
1930
1932
1936
834.000
812.000
770.060
730.060
749.953
732.371
630.059
Le taux de natalité est en 1936 de 153 pour 10.000
habitants.
A l’étranger même abaissement du taux de natalité.
La situation est en 1936 la suivante, pour 10.000 hab.
Japon, 316.
Roumanie, 307.
Portugal, 192.
Pays-Bas, 202.
Irlande, 195.
Allemagne, 189 (80).
Finlande, 185.
Tchécoslovaquie, 179.
Ecosse, 178.
Danemark, 177.
France, 153.
Angleterre, 147.
Norvège, M6.
Suède, 138.
Autriche, 132.
(78) Cf. Leroy-Beaulieu. Traité d’Economie Politique, i vol.,
Paris, Guillaumin, 3e éd., 1900, t. IV, p. 583 et suiv.
(79) Rapport sur le mouvement de la population en 1936 par le
Directeur de la Statistique générale et de la Documentation.
/. Off. 13 juin 1937.
(80) De 276 (pr 10.000 h.) en 1913 le taux de natalité passe
à 147 en 1933 et remonte à 180 en 1 9 3 4 , >89 en 1935 et 1 5 0
en 1936.
Des études démographiques plus récentes (81) ont
substitué à l’étude des taux de natalité, l’étude des deux
autres taux, le taux brut de reproduction et le taux net
de reproduction.
Le taux de reproduction est le rapport entre le nom
bre annuel des naissances et la population en supposant
le taux de mortalité constant et constant aussi le nom
bre moyen d’enfants par famille (82).
On peut le calculer comme taux brui de la reproduc
tion, en supposant qu’il n’y a point de décès au-dessous
de 50 ans.
Voici pour 1933 les taux bruis de reproduction dans
quelques pays (83).
Angleterre
Allemagne
Autriche
Suède
France
Danemark
Australie
Bulgarie
0,84
0,8
0,8
0,83
1
1,04
1,06
1,8
Si l’on fait intervenir les décès au-dessous de 50 ans,
on obtient le taux net de reproduction (84).
Les chiffres de ce taux net en 1933 étaient :
0,735
Angleterre
0,7
Allemagne
0,67
Autriche
0,73
Suède
(Si) Cf. R. F. Harrold. La menace de la dénatalité en Europe
Occidentale et aux Etats-Unis. Economie Internationale, juin
•937, P- 47(82) Cf. les œuvres du Dr Kuczynski.
Encyclopédie Française, t. V II, pp. 8. 88. 12.
(83) Avec un taux égal à i, la population serait stationnaire
avec un taux de reproduction égal à 1.5 la population augmen
terait de 50 % par génération; avec un taux égal à 0,5, la popu
lation diminuerait de 50 % en une génération.
(84) Celui-ci ne définit le rapport du nombre d’enfants à la
population effectivement féconde et s’exprime : T = n, T étant
1000
le taux net de reproduction, ni le nombre de naissances réelleç
par rapport au nombre de naissances possibles,
�-
%
France
Danemark
Australie
Italie (1931)
Portugal
Bulgarie
Etats-Unis (1930)
0,82
0,91
0,97
1,7
1,3
1,3
1,08
On voit que malgré ces correctifs, la recherche abou
tit à enregistrer d’une autre manière la diminution
presque générale de la population particulièrement en
Europe Occidentale et aux Etats-Unis.
B) Tawc de nuptialitéOn a pareillement étudié le taux de nuptialité. Sa ca
ractéristique principale est d’être assez variable.
En voici un aperçu pour la France :
pour 1.000
1817 7
1818 7,2
1819 7,2
1820 6,9
1821 7,3
1815-1869 taux assez élevé
1870 6,2
1871 7,2
1872 9,8
1873 8,9
1874 8,3
1875 8,2
1876 7,9
1890 7,01
1906-1910 15,8
1915 4,2
1920 31,2
1928 16,5
1936 13,4.
C) Le taux de mortalité.
On a pareillement étudié les variations dans le temps
et dans l’espace du taux de mortalté et on a mis en
relief la décroissance de ce taux.
Pour la France, par exemple, de 1815à 1830 ce taux
moyen était de 25,18 pour 1.000 hah,
Roumanie
Portugal
Japon
Cf. France
Espagne
Hongrie
Irlande
Pologne
Italie
Autriche
Tchécoslovaquie
Ecosse
Belgique
Suisse
Finlande
Allemagne
Angleterre
Suède
Danemark
Norvège
Autriche
Pays-Bas
Nouvelle-Zélande
Cependant on a cherché
(85) 1930: j 5,6 ; 1931: 16,2
; ' 935: ‘ 5,7 et 1936: 15,3,
212
176
168
157
155
153
141
140
139
136
135
132
128
121
120
118
117
117
110
102'
95
87
82
à corriger ces taux bruts de
i932 :
iS,8 ;
1933:
15,S ;
1934:
15,1
7
�— 99
mortalité par l’application à une même population type
des taux par âge déterminé dans chaque pays.
On trouve avec cette correction que la France a un
taux de mortalité plus faible que l’Autriche, l’Italie,
l'Eslhonie, la Tchécoslovaquie, la Lithuanie, la Hon
grie et la Pologne, le Japon, le Portugal et la Rouma
nie et plus élevé que les pays de l’Europe septentrionale.
D) Loi de la fécondité conjugale.
On a cherché à donner des précisions sur la fécon
dité des deux époux (86).
« Pour la femme, écrit M. Korosï (87), la fécondité de
la femme arrive d'emblée, c’est-à-dire dès 18 à 19 ans,
à son maximum et elle décroit ensuite en ligne régu
lièrement descendante (88) jusqu’à Page de 45 à 50 ans,
où elle arrive à son terme. »
Les hommes atteignent au maximum de leur fécon
dité à 25-26 ans, elle est à cet âge de 35 %, à 35 ans
elle tombe à 23 %, à 45 ans à 9 1/2, à 55 ans à 2,2, à
65 ans à 1/2 %.
Le même auteur donne pour ce qu’il appelle la fécon
dité bigène les tableaux suivants :
Pour 100 femmes des âges suivants, la probabilité
de naissances dans l’année varie avec l’âge de l’homme
dans les proportions ci-contre :
Age du père
Age de la mère
25 à 29
30 à 34
35 à 39
40 à 44
45 à 49
50 à 54
25 ans
35,6 %
31,2 %
27,5 %
))
»
))
30 ans
25 %
23,6 %
21,8 %
16,7 %
14,4 %
))
35 ans
21,2 %
19,9 %
19.4 %
14,0 %
10,9 %
10,9 %
(86) Il s’agit de la fécondité conjugale effective, c’est-à-dire
mesurée par les statistiques et non de la fécondité physique qui
demeure inconnue.
(89) Korosi. De la Mesure et des Lois de la fécondité conju
gale. Revue d’Economie Politique, janvier 1895, P- 8.
(88) D’après le même auteur, à 25 ans, 32 % ; à 30 ans, 24 % ;
à 35 ans, 17 % ; à 40 ans, à peine, 10 % ; à 45 ans, 1,7 % ; à
50 ans, de 0,1 %.
Age de la mère
Age du père
25 ans
au-dessous de
20 ans
de 20 à 24 ans
de 25 à 29 ans
de 30 à 34 ans
de 35 à 39 ans
de 40 à 44 ans
35 ans
45 ans
55 ans
»
»
31,3 % 16 %
»
27,3 % 18,5 %
23,7 % 14,4 % 8,1 %
18,9 % 11,8 % 6,7 %
3 %
6 % 6,1 %
Bodio (89) établit des comparaisons internationales
qui aboutissent, à des constatations analogues.
49 %
43 %
30,8 %
35,5 %
»
»
E) Loi de la proportion des sexes.
On s’est demandé s’il existait une loi de la propor
tion des sexes (90).
La loi d’Hofacker et Sadler prévoit qu’il naîtra plus
de garçons quand le père sera plus âgé, plus de filles
quand ce serait la mère et que le maximum de garçons
serait atteint quand les deux époux ont le même âge.
Les faits semblent la confirmer (91).
CONCLUSION
Que conclure sur les lois de la population ?
La loi de Malthus, dans la mesure très limitée, où
l’on peut en poursuivre la vérification, ne nous a pas
paru possible à retenir comme loi.
Les autres lois, dans l’effort commun de leurs au(89) Movimento delta Populazione, confronti contemazionali,
Berne, 1894.
(90) Cf. Ed. Périer. Natalité et Biologie. Causerie scientifique.
Journal des Débats, 30 avril 1917.
M. Halbwachs. Recherches statistiques sur la détermination des
sexes à la naissance. Journal de la Société de Statistique de Pa
ris, Mai 1933.
Dr Charles Willigens. Sur la proportion des sexes dans les
naissances en Suisse (1876-1925). Journal de Statistique et Revue
économique suisse. 1927, fasc. 2.
Encyclopédie française, t. V II, p. 7. 82. 5.
(91) Ibid.j Encyclopédie Franç., t. V II, p. 7. 82. 14.
�leurs, pour expliquer la dépopulation ou mieux la dimi
nution de population à l’époque contemporaine n'ont
pas paru, non plus, apporter des formules à retenir
comme lois économiques.
Par contre les lois démographiques sur les détails des
mouvements de population, avec la précision statistique
qui les caractérise, ont paru pour la plupart valables,
au moins d une manière approchée.
C’est donc dans le sens de ces dernières lois qu’il
faut souhaiter voir se continuer les recherches démo
graphiques.
CHAPITRE VIII
LOI DE L’EXTENSION CROISSANTE
DES FONCTIONS DE L’ÉTAT
Le développement de la vie économique moderne et
la part chaque jour croissante qu’y joue l'Etat ont pro
voqué l’affirmation d’une nouvelle loi naturelle : la loi
de l’extension croissante des fonctions de l’Etat.
Il faut étudier ici, dans le cadre ordinaire :
l’historique de la loi (§ I),
les formules actuelles (§ II),
l’examen critique (§ III).
§ I. H istorique
de la loi
Il se résume assez brièvement en deux noms :
un précurseur Dupont White,
un créateur A. Wagner.
Dupont White (1), fut, on le sait, un des précurseurs
de la doctrine interventionniste. 11 semble donc avoir
formulé et aussi énoncé d’une manière, il est vrai, un
peu vague et imprécise, la loi en question :
Il écrit : (2)
« Toute société qui se perfectionne doit avoir un
gouvernement plus fort, par la même raison qu’elle a
une langue plus riche. Les idées ne s’expriment pas
seulement. Elles se réalisent.
A plus de vie il faut plus d’organe ; à plus de for(1) 1807-1878.
(2) Dupont White. L ’ Individu et l’Etat, 3* édit., p. 64.
�ces, plus de règles : or la règle et l'organe d’une so
ciété c’est l’Etat. »
Ainsi est énoncée formellement celte idée qu’avec le
développement de la société, l’Etat voit son rôle
s’accroître.
Plus loin (3) l’auteur développe assez heureusement
sa pensée :
« L'Etat trouve un principe d’attribution, non seule
ment dans les nouveaux devoirs, mais dans les moyens
de finances, dont il ne peut se passer pour les accom
plir. L’action de l’Etat dans les temps modernes est
surtout une charge du fisc, parce que cette action est
surtout la tutelle du faible relevé et protégé, non seu
lement par des droits politiques ou par des pénalités,
mais par le surcroît de bien-être et de lumière que
l’Etat met à sa portée. »
Ce sera donc un accroissement nécessaire des dé
penses.
« En général on peut dire que plus la société se
civilise, plus le gouvernement est dispendieux (4).
D’abord le gouvernement prend à son compte certains
besoins de l’individu, il crée pour cela les services pu
blics et transforme ainsi les dépenses privées en dépen
ses d’Etat. En outre les anciens services publics ne
peuvent pas tenir dans leur cadre d’autrefois : or l'épa
nouissement des services publics n’est pas pour rien,
la civilisation a son prix : tout cela finalement aboutit
à une plus grosse demande d’impôts.
Mais l’impôt est odieux, il importe de le varier, de
le déguiser, même à une société qui s’enrichit. L’Etat
s’imagine alors à demander de l’argent, non à titre de
souverain, mais comme vendeur de services, en sup
plantant l’individu dans certains modes d’activité qu’il
exerce ou qu’il aliène. Tout concourt ainsi à mettre
dans la main de l'Etat de nouveaux moyens d'action
et d'influence » (5).
Ainsi et chez ce précurseur une vue très nette de
l’extension croissante des fonctions de l’Etat.
(3) Ibid.., p. 83.
(4) C’est nous qui soulignons: on peut trouver dans cette
phrase une première formule approchée de la loi en question.
(5) C’est nous qui soulignons encore.
Il est à noter que ces pages ont été écrites en 1859,
à une date où le grand mouvement d’interventionisme
moderne n’avait pas encore commencé.
A. Wagner (6) a le double mérite dans ses nombreux
ouvrages (7), d’une plus grande précision et de la for
mule même de loi qu’il affirme très nettement.
Wagner étudie l’évolution historique des ressources
de l’Etat : celles-ci peuvent prendre trois formes
possibles :
a) l’Etat peut se procurer les biens matériels dont il
a besoin volontairement ;
b) l’Etat peut encore se procurer les biens matériels
dont il a besoin en produisant lui-même ;
c) l’Etat peut enfin se procurer les biens matériels
dont il a besoin par contrainte et sans compensation.
L’évolution se fait en faveur de c : le rôle de l’Etat a
été en augmentnt surtout au xix° siècle par suite du
développement du point de vue de politique sociale.
Il y a extension du rôle de l’Etat et par suite aug
mentation des besoins financiers de l'Etat.
L’auteur arrive ainsi à des formules très nettes d’une
véritable loi : il la dénomme « loi d’extension crois
sante de 1activité de l’Etat » (8).
Il a écrit :
« En toutes circonstances, le rôle de fEtat devient
nettement plus important, aussi bien pour l’économie
politique en général que pour 1individu en particulier :
c’est lui qui satisfait une quotité croissante et de plus
en plus importante des besoins généraux d’un peuple
progressif : il y a donc augmentation du caractère
communautaire de toute l’économie politique » (9).
(6) 1835-1917.
(7) Wagner. Finanzwissenschaft, t. II, traduit en français.
Wagner: Die directen Steuern dans Handbuch der politischen
Œkonomic de Schonberg.
Wagner: Finanzwissenschaft und Staatsozialismus dans Zeits
chrift fur die Gesamte Staatwissenschaft 1877.
Wagner. Uber Soziale Finanz und Steuerpolitik, dans Archiv
für soziale Gesetzgelung und Statistik, vol. IV, 1891.
(8) « das Gesetz der wachsenden Ausdehnung der Staatstatigkeiten. »
(9) Wagner. Wolkwithschaftlehre Grundlagen, t. I, p. 260.
�..........
........
— 105 —
Et plus loin : (10)
« La connaissance des faits nous permet de déclarer
qu’il existe en économie politique une loi d’extension
croissante des services de l’Etat, loi qui se traduit en
économie financière par la loi corrélative d’exten
sion toujours croissante des besoins de l’Etat » (11).
Ainsi Wagner affirme très nettement la loi d’exten
sion croissante des fonctions de l’Etat.
§ II. F ormules actuelles
La loi de Wagner n’a pas connu à l’époque moderne
un très grand succès et rares sont les auteurs qui la
reprennent et l'adoptent.
Cette rareté s’explique par la prédominance en
France et à l’étranger des théories de l’Ecole libérale
pour laquelle ces interventions de l’Etat étaient acci
dentelles et mauvaises : le principal effort théorique
chez de nombreux auteurs contemporains se fait dans
le sens inverse, pour établir la nécessité de réprimer
voire même de supprimer ces interventions de l’Etat.
Quelques rares auteurs cependant acceptent la for
mule nouvelle.
§ III. E xamen
critique
(12))
Trois séries de faits permettent de conclure en fa
veur de l’exactitude de la loi de Wagner.
Ce sont :
1° la progression marquée des budgets modernes
(Section 1)) ;
2° l’élude du rapport entre l’annuité successorale et
l’impôt (Section II) ;
(10) Ibid..j p. 262.
(11) Plus loin Wagner développe le rôle croissant de l’Etat :
non seulement fonctions de justice, du pouvoir, de la dépense
publique de commandement des armées: action préventive de
l’Etat pour empêcher crimes et guerres mais surtout action de
l’Etat dans ses attributions d’ordre politique et social, sur le ter
rain de la législation et de l’administration.
(12) Bib. André Rendu. La loi de Wagner et l’accroissement
des dépenses dans les budgets modernes. Thèse, Paris, 1910,
1 vol., Rousseau.
3° l’examen spécial des catégories de dépenses de
l’Etat qui ont le plus augmenté (Section III).
I
La progression marquée des budgets modernes
S ection
La progression marquée des budgets des divers
Etats modernes est un fait bien connu : il suffira de
donner quelques chiffres.
Le budget de la France passe de 2.722 millions en
1872, à 3.686 millions en 1892, 3.699 millions en 1902,
plus de 5 milliards depuis 1914 et plus de 50 milliards
après 1930 (14).
Les budgets des Etats étrangers suivent une pro
gression analogue.
II
L’annuité successorale et l'impôt
S ection
On a étudié (15) les variations comparées de l’an
nuité successorale et de l’impôt.
Pour l’avant-guerre l’impôt qui représente 53 % de
l’annuité successorale en 1820 augmente progressive
ment jusqu’à représenter 61 % de cette annuité en 1906
et 78 % en 1913.
Le rapport du total des impôts à l’annuité successo
rale qui était, on l’a dit, de 78 % en 1913, atteint 334 %
en 1927, ce qui représente le coefficient 5 : le chiffre
a quintuplé (16).
(13) Francs de 1928. Ce total global correspond donc approxi
mativement à 10 milliards de francs or d’ avant-guerre.
(14) Nombre des fonctionnaires en France:
1914: 467.000 ;
i ç ' 2 : 625.000 ;
1932: 857.000.
Rapport de M. Gaston Doumergue, cité par C. Rousseau. An
nales de Droit et des Sciences Sociales, 1934, numér. 2-3, p. 208.
(15) Colson. Cours d’Economie Politique. Livre V. Les finan
ces publiques et le budget de la France. Paris, Gauthier-Villars
et Alcan, 1909, p. 468.
(iO) Colson. Cours d’Economie Politique, édition définitive,
Paris, Gauthier-Villars, 1931, livre V, p. 426.
�/L
— 107 —
III
Examen spécial des catégories
de dépenses de l'Etat qui ont le plus augmenté
S ection
A prendre enfin l'augmentation des dépenses des
Etats par catégories on trouve que ce sont les dépenses
correspondant au développement de la civilisation et
aux interventions de l’Etat qui accusent l’augmenta
tion la plus sensible (17.)
En France par exemple pour l’avant guerre, les dé
penses pour le commerce, l'industrie, les colonies,
l’agriculture et les travaux publics, passent de 111 mil
lions en 1871 à 322 millions en 1890 ; celles des servi
ces d'assistance sont déjà de 47 millions en 1906.
Le mouvement est sensiblement le même dans les
Etats étrangers (18).
On pourrait encore, semble-t-il, trouver une confir
mation de notre loi dans la récente réforme économi
que aux Etats-Unis (19) et dans ce que l'on a appelé
l’expérience Roosevelt.
M. Oualid résume exactement les choses : « L’Amé
rique était prête pour l’interventionisme étatiste. Ce
dernier atteignit tout de suite un niveau jusqu’alors
inconnu. Les moyens employés pour résoudre les pro
blèmes qui se posaient furent, en effet, extrêmement
nombreux » (20).
Il faudra voir seulement si cet accroissement des
fonctions de l’Etat est durable et permanent.
Une dernière question se pose à propos de cet exa
men critique : celle de la contingence de cette loi.
(17) Cf. A. Rendu, op. cil., tableau général, p. 71, et détails
pp. 130, 140, 146, 151, 157, 163 et 170.
L. Trotabas. Précis de Science et de Législation financière, 4e
édit., Paris, Libr. Dalloz, 1935, p. 8 et 9.
Colson, op. cit. Edition définitive, Livre V, 1937, p. 217.
(18) Cf. Rousseau. Réforme administrative. Annales du Droit
et des Sciences Sociales, 1934, numér. 2-3, p. 180 et suiv.
(19) Cf. particulièrement W. Oualid. La réforme économique
aux Etats-Unis. Rapport au Congrès des Economistes de langue
française 1935, suivi de discussion. Travaux du Congrès des éco
nomistes de langue française, Paris, Edit. Domat-Montchrestien,
*935, P- 97 et suiv.
(20) Oualid, op. cit., p. 147.
Certains auteurs, comme M. André Rendu (21) sem
blent après une approbation de principe de la loi,
apporter des réserves si importantes à cette loi que
celle-ci ne peut plus être considérée comme une loi éco
nomique sur le terrain de l’art social, ils concluent
pour des raisons nombreuses qu’ils exposent, en fa
veur d’une limitation de l'interventionisme.
Ces développements datent de 1910 et la limitation
souhaitée ne s’est pas réalisée : serait-ce que la loi est
plus réelle et plus vraie qu’ils ne le pensaient...
CONCLUSION
Ainsi la loi de l’extension croissante des fonctions de
l’Etat semble vérifiée par les faits et comme telle doit
être inscrite au nombre des lois économiques.
(21) o p . cit., p. 177.
�CHAPITRE IX
LA LOI DES CRISES
La question des crises fait l’objet d’une littérature
économique très importante (1). Il s’agira ici bien en
tendu non pas des théories explicatives des crises mais
seulement de la loi des crises.
Il la faut étudier dans le cadre ordinaire et envisa
ger successivement :
§ I. Histoire de la loi ;
§ IL Formules actuelles ;
§ III. Examen critique.
§ I. H istoire
de la loi
C’est Clément Juglar (2) qui, le premier en France,
cherche à formuler une véritable loi des crises en 1862.
Deux points essentiels caractérisent les résultats des
recherches de Juglar :
d’abord la périodicité des crises.
Par l’observation des crises en France, crises de
1810, 1818, 1825, 1830, 1837, 1847, 1857, 1867, 1877 et
(1) Cf. surtout J. Lescure. Des crises générales et périodiques
de surproduction, 2 vol., 4e édit., Paris, Lib. du Rec. Sirey, 1932.
(2) Economiste libéral.
(3) Clément Ju glar: Des crises commerciales et de leur retour
périodique en France, en Angleterre et aux Etats-Unis, à l ’occa
sion d’un concours à l’Académie des Sciences Morales et Poli
tiques dont le sujet était: décrire les crises, en rechercher l'évo
lution en France, en Angleterre et aux Etats-Unis. Le Mémoire
couronné par l ’Académie fut publié en 1S62 (Paris, Guillaumin).
L ’auteur en donna une 2e édition en 1889: Cf. notamment, p. 27
et suiv., p. 68 et suiv., p. 255 et suiv,
�—
111
—
110 —
1882, l’auteur aboutit à la constatation de leur pério
dicité.
Ensuite le cycle même parcouru par la crise : (4)
abaissement du taux de l'escompte — hausse de
l'encaisse — période de prospérité,
hausse des taux de l’escompte, diminution de l’en
caisse, phase de dépression.
La crise éclate au moment précis où les deux varia
tions inverses changent de sens (5).
Cl. Juglar suit les deux mouvements comparés de
l’encaisse et de l’escompte : ces deux mouvements sont
d’ailleurs inverses l’un de l’autre : pendant que le por
tefeuille augmente, l’encaisse baisse et réciproquement
l’encaisse augmente quand le portefeuille baisse.
« Les chiffres extrêmes auxquels on arrive après une
série d’années de hausse ou de baisse se rencontrent au
même moment où à une année près, l’explosion de la
crise coïncidant avec le moment où le maximum de
l’escompte a été atteint ; autrement dit, les crises écla
tent aux époques de grande élévation du portefeuille
et de réduction proportionnelle de l'encaisse » (6)).
On peut agir d’ailleurs, estime CL Juglar, pour, si
non supprimer, du moins adoucir les crises.
Stanley Jevons (7) admet, lui, une périodicité de dix
ans (8) et rattache les crises aux taches du soleil (9).
Le début de la période d activité commerciale coïn
cide souvent avec des récoltes favorables et celles-ci
sont directement sous la dépendance des taches du
soleil (10).
(4) Cf. Bulletin de Science et Législation financières 1908,
p. 335, un bon résumé des théories do Juglar.
(5) Cf. P. Beauregard. Notice sur la vie et les travaux de
C. Juglar. Bulletin de l’Académie des Sciences Morales et
Politiques. Fév. 1909, p. 153.
(6) Les Indices économiques et les crises.
Bulletin de Statistique et de législation comparées du ministère
des Finances, 1908, p. 335.
(7) Cf. t. I, p. 116.
(8) 1825, 1836, 1847, 18857, J866.
(9) The solar period and the price of corn. Londres, 1875
The periodicity of commercial crises and its physical expianation, 1878.
(10) La théorie a été reprise par Stanley Jevons fils dans un
article de la Contemporary Review (août 1909) sur la chaleur
solaire et l’activité industrielle.
J. Siegfried (11) dans un article intitulé : L’alter
nance des crises commerciales et des périodes de pros
périté (12), reproduit à peu près sans changements la
théorie précédente.
Il admet pour les crises une périodicité de neuf ans,
vérifiée par l’observation quoique non expliquée scien
tifiquement.
Il maintient aussi qu’à tracer un tableau où seraient
teintées de hachures noires les années de krach et de
hachures légères les années de reprise, « le tableau
que nous obtiendrions ainsi nous montre que la co
lonne des krachs correspond toujours à l’élévation la
plus grande du portefeuille et en même temps de
l’encaisse la plus basse » (13).
Inversement la colonne de la reprise de la prospérité
coïncide avec le portefeuille le plus réduit et en même
temps l’encaisse la plus basse (14).
« Il en résulte (15) clairement que c’est l’écart entre
le portefeuille et l’encaisse qui constitue le baromètre
commercial et financier dont la formule peut s’énoncer
ainsi : la crise est proche quand la course du porte
feuille s’élève considérablement pendant que la ligne
de l’encaisse s’abaisse de son côté ; la reprise n’est plus
éloignée quand au contraire c’est le portefeuille qui
est très réduit. »
Paul Leroy-Beaulieu (16) dans son Traité théorique
et pratique d’Economie Politique (17) distingue :
a) les crises commerciales ou financières pour les
quelles il admet que les recherches de Juglar et de
Jevons ont un certain fonds de vérité.
(u) Economiste libéral.
(12) Revue des Deux-Mondes, 15 décembre 1906, p. 823.
(13) Ibid., p. 837.
(14) Il en déduisait ce pronostic:« La crise est proche quand
la courbe du portefeuille s’élève considérablement pendant que
la ligne de l’encaisse s’abaisse de son côté, la reprise n’est plus
éloignée quand au contraire c’est le portefeuille qui est le plus
réduit. »
(15) Chose curieuse, écrit-il, que n’explique aucun raisonne
ment et qui peut n’être qu’une coïncidence, chacune des périodes
dure neuf ans, si l ’on en juge par le passé ». C’est encore inex
pliqué scientifiquement.
(16) 1843-1916.
(17) 4 vol., 3e édit. Paris, Guillaumin, 1900, t. IV, p. 404.
�K
—
112
—
b) Les crises économiques générales pour lesquel
les il élabore une théorie nouvelle, se rattachant à la
surproduction.
Ainsi une tradition nettement établie sur la pério
dicité des crises et la prépondérance des phénomènes
de crédit pour les expliquer, telle est en raccourcis
l'histoire de notre loi.
§ II. F o rm u les a c t u e l l e s
D'une manière générale l’époque contemporaine
semble avoir retenu, au moins jusqu’aux années 19291930 (18), l’idée qu’il existait une loi des crises (19).
Malgré leur extrême diversité, les théories modernes
d’alors conservaient les deux points ci-dessus indiqués:
une certaine périodicité — d’une dizaine d’années
environ,
un certain cycle, toujours le même, parcouru par la
crise.
Les attitudes des auteurs contemporains sur la loi
des crises sont assez diverses.
On peut pour plus de clarté les classer approximati
vement ainsi :
a) les traditionalistes,
b) les novateurs,
c) les chercheurs de la conjoncture,
a) Les traditionalistes.
On peut dénommer ainsi ceux qui avec quelques
nuances adoptent les formules précédemment dégagées
dans l’histoire de la loi.
Ch. Gide (20) souscrit à la périodicité des crises d’une
dizaine d’années environ. Après un exposé des diver
ses théories explicatives il semble conclure en faveur
de la théorie de la surcapitalisation (21).
JJ
(18) Dates du début de la grande crise économique mondiale
actuelle.
(19) Cf. Jean Lescure. Des crises générales et périodiques de
surproduction, 40 éd. Paris, Les Editions Donat-Montchrestien,
1932, surtout le tome II, Causes et remèdes.
(20) Principes d’Economie Politique, 2 vol., 10e édit, Paris,
Libr. du Rec. Sirey, t. II, p. 220 et suiv.
(2!) P. 3 2 2 ,
— 113 —
M. P. Reboud dans son Précis d’Economie Politi
que (22) adopte d’une part avec quelques réserves le
principe de la périodicité : « Il ne s’agit nullement,
écrit-il, d’une véritable périodicité mathématique, ra
menant toujours les mêmes phénomènes, avec une
môme grandeur, à des intervalles fixes. Appliqué aux
grandes crises économiques, le mot « périodiques »
doit s’entendre dans un sens plus large, simplement
pour indiquer qu’elles se sont reproduites dans le
passé, avec une régularité approximative, puisqu’au
xrx° siècle et au début du xxe siècle, l’intervalle entre
deux crises consécutives n’a varié qu’entre des limites
assez rapprochées, six ans au minimum et onze ans
au maximum. »
D’autre part et à propos de la généralité des crises,
M. Reboud introduit quelque contingence dans l’accep
tation de la loi des crises : (23) celle-ci Rendait surtout
aux différences des divers auteurs dans le détail de la
constatation des crises.
C’est ainsi qu’il y a une tendance contemporaine à
admettre une certaine durée plus courte entre les cri
ses : aujourd’hui on croirait plutôt à un intervalle de
sept ans, tandis qu’au début on admettait un intervalle
de dix ans environ (24).
C’est ainsi encore qu’il y a un mouvement tendant à
admettre une atténuation dans la violence des crises,
due sans doute à leur mécanisme mieux connu (25).
b) Les Novateurs.
On peut entendre par ce mot ceux qui modifient les
termes ordinaires de la loi des crises.
M. Aftalion.* (26) propose une nouvelle explication
des crises périodiques de surproduction : l’appât des
hauts profits en régime capitaliste incite les entrepre(22) 2 vol., 4° édition. Paris, Dalloz, 1934, t. II, p. 293 et suiv.
(23) Cf., p. 301.
(24 et 25) Cf. R. Gonnard. Un point de vue sur la crise.
L ’orientation économique, 4 avril 1936, p. 263.
(26) Articles Revue d’Economie Politique, 1908, p. 696. 1909,
p. 81. 1909, p. 241. 1927, p. 845.
Les crises périodiques de surproduction, 2 vol., Paris, 1913.
Cf. Bouniatian. Les crises économiques, 1 vol., 1908, trad. fr.
1926.
8
�— 114 —
i
neurs à transformer et à développer leur outillage : ce
qui exige du temps. Pendant ce temps, les hauts prix
se maintiennent, provoquant de nouvelles commandes
d'outillages. Il y a surproduction, accumulation des
stocks : la crise éclate. On suspend alors les nouvelles
commandes d’outillage jusqu’à ce que les produits an
térieurs s’écoulent. Apparaît alors une nouvelle exten
sion des besoins qui détermine à son tour un développe
ment nouveau des moyens de production.
M. Lescure (27), propose comme explication des cri
ses, les écarts du taux des profits des entrepreneurs.
Celui-ci se réduit pendant la période de prospérité,
d’où affaibissement de l’esprit d’entreprise et détourne
ment de l’épargne qui abandonne des emplois cessant
d etre rémunérateurs: la crise éclate. Elle se résout par
l’abaissement des coûts de production, résultant de la
réduction survenant dans la demande des capitaux de
toutes catégories. Reprise de la confiance et appel au
crédit : relèvement des prix, nouvel essor industriel et
nouvelle période de prospérité.
Par une tentative plus récente, M. D. Lavergne don
ne une nouvelle formule, à lui personnelle, de la théorie
psychologique des crises.
« La crise est le moment précis où, raisonnable
ment, la volonté de grève du consommateur finit par
l'emporter sur son désir d’achat » (29).
Il ajoute : « Telle est, à notre avis, l’explication fon
damentale de toute crise. En dernière analvse, comme
raison fondamentale des crises, la théorie psychologi
que de la valeur, le facteur dominant de la hausse
comme de la baisse des prix de vente, ce sont les dis
positions du public qui consacre tantôt une moindre,
tantôt une plus forte partie de son revenu à l’accumu
lation de l’épargne, qui par conséquent apporte volon
tairement au marché un pouvoir d’achat très variable ».
Affirmation qui au surplus ne semble pas démontrée.
L’Economiste américain Mitchell, de l’Université
(27) Op. cit.j p. 457, t. II.
(28) B. Lavergne. La Dépression actuelle et la théorie psy
chologique des crises. Rev. polit, et parlem, iq fév. 1937, p. 264.
(29) Art. cité, p. 272.
Columbia, New-York, dans son Business Cycles (30),
renonce à l’idée de périodicité à la suite de la distinc
tion des économistes américains concernant les cycles
en cycles séculaires, cycles majeurs, cycles saisonniers.
Un Economiste hollandais, le docteur Hamburger (31)
introduit la notion « d’oscillation de relaxation » (32)
dans l’explication des crises économiques.
Il constate que les amplitudes des oscillations éco
nomiques sont beaucoup plus constantes que les pé
riodes elles-mêmes et conclut : « Je suis d’avis que
seule une conception des cycles économiques conçus
comme les oscillations de relaxation, peut donner une
base rationnelle et suffisante pour une explication de
ces importants phénomènes.
C) Les chercheurs cle la conjoncture (33).
On doit tout d’abord signaler que ce troisième cou
rant dans le sens d’une recherche de la conjoncture en
matière de crises n’est qu’une partie d’un mouvement
plus général de prévision en matière économique (34).
11 ne sera ici traité que la seule conjoncture en matière
de crise (35).
(30) Encyclopedia of Social Sciences.
V° Business Cycles, p. 100-106, 1913. — Wesley C. Mitchell.
Business Cycles. The Problem and its Setting. New-York, 1927.
(31) Cf. sur cet auteur: L. Vallon. Socialisme expérimental,
p. 129. Edit, du Centre Polytechnicien d’ Etudes économiques.
Document n° 2. Paris, 1936.
(32) On dénomme ainsi un type d’oscillations périodiques, dif
ferent de la forme sinusoïdale ou pendulaire, qui se produit
chaque fois qu’un mécanisme contenant une source d’énergie
continue, permet à un phénomène périodique peu connu de se
répéter un nombre indéfini de fois, par exemple l’oscillation du
niveau de l’eau dans un appareil à chasse automatique.
(33) Bib. A. Aftalion. Le problème des prévisions économi
ques aux Etats-Unis. Revue d’Economie Politique, 1927, p. 833.
(34) Raynaud. La loi naturelle en Economie Politique, t. I :
L ’idée de loi naturelle-en Economie Politique, p. 161.
Cf. Pourquié. Le traitement rationnel des Problèmes écono
miques. X Crise des 29-30 février-mars-avril 1936. Centre poly
technicien d’études économiques, p. 25 et suiv.
(45) Sur l’ensemble du problème. Cf. Heilperin. Les instituts
de conjoncture économique dans leurs rapports avec l'évolution
contemporaine de la réalité et de la théorie économique. Rev.
éc. intern, Sept. 1937, p. 475’
�C’est d’abord le professeur H. L. Moore qui a pu
blié à ce sujet deux livres importants :
Economie Cycles, Their law and eauses, 1014.
Forecasting the yield and the price of cotton 1917.
Il y dégage la courbe de la production pour de nom
breux produits et essaie de prévoir les prix de certaines
denrées agricoles ou de certaines matières industriel
les (36).
Il aboutit ainsi à la notion de cycles économiques.
Les cycles sont pour lui de huit ans. La pluie et la
planète Vénus jouent un grand rôle dans l’évolution de
ces cycles.
A sa suite d'autres chercheurs s’engagèrent dans la
même voie.
Le Comité de recherches économiques de l’Universilé de Harward a poursuivi le travail (37). On connaît
les trois courbes fondamentales :
la courbe A de la spéculation (38) (spéculation), courbe
des prix ;
la courbe B des affaires (39) (business) de l’activité
des échanges ;
la courbe C du taux de l’escompte (money) (40).
Il y a variations cycliques de ces trois courbes avec
décalage entre elles. La crise commence avec la baisse
de la courbe A, suivie de la baisse successive des cou
ches B et C.
On aurait ainsi un baromètre des affaires.
On a pu ainsi prévoir la crise de 1920, mais pas celle
de 1929.
Après le début en 1929-1930 de la crise mondiale ac
tuelle, des doutes ont été émis sur le maintien éventuel
d’une loi des crises (41).
(36) Cf. infra , chap. La loi de l ’offre et de la demande.
{37) Cf. E. Lacombe. La prévision en matière de crises éco
nomiques, 1 vol., Paris, Rivière, 1925.
(38) C’était les indices des cours des actions industrielles.
(39) C ’était d’abord les compensations et ce sont aujourd’hui
les débits des banques dans 140 villes en dehors de New-York
City.
(40) Ce sont les deux courbes du taux de l’escompte concer
nant le papier à court terme.
(41) Cf. D. de Bernonville. Les Indices statistiques du mou
vement économique dans X crise. Organe du Centre Polytech
nique d’études économiques. Oct.-nov., déc. 1935, p. 40.
Cependant les travaux scientifiques ont continué sur
les cycles et les crises du point de vue de la conjonc
ture (42).
Un Economiste autrichien, Morgenstern, dans un ou
vrage intitulé Wirthschaftsprognose (43), étudie l’in
fluence de la prévision des crises sur les crises ellesmêmes. Il aboutit à cette théorie que la prévision des
crises tend à les intensifier plutôt qu’à les adoucir (44).
Simiancl (45) dans la brochure intitulée « Les Fluc
tuations économiques à longue période et la crise mon
diale » (46) prend parti sur l’explication générale des
crises et sur la crise actuelle.
Sur le premier point, il admet que « les fluctuations
économiques à longue période existent, et importantes,
centrales même dans le développement économique mo
derne et contemporain ».
Il insiste sur le rôle de l’expression monétaire des
biens économiques ou prix qui joue un rôle pour lui
prépondérant dans l'explication des crises : l’accrois
sement. du stock des moyens monétaires précède la
phase A, phase de prospérité, tout de même que la res
triction de cet accroissement précéda la phase B, phase
de restriction (47).
Sur le second point, la crise mondiale actuelle en
même temps qu’un tournant entre la phase d’expan
sion et la phase de resserrement d une fluctation intradécennale, est un tournant entre deux phases relevant
de l’une de ces grandes fluctuations à longue période
intradécennale, sinon séculaires, déjà rencontrées. » (48)
(42) Cf. les précisions données par M. Huber. lbïd.} X Crise,
oct., nov., déc. 1935, p. 57 et suiv.
(43) Vienne, 1928.
(44) Cf. X Crise, oct., nov., déc. 1935, p. 59.
(45) '872-1935.
(46) 1 vol., Alcan, Paris, 1932. Cette brochure est le résumé des
recherches de l’auteur poursuivies dans son grand ouvrage: Le
Salaire, l’Evolution Sociale et la Monnaie », 3 vol., Paris, 19331935.
(47) Résumé par L. Vallon. Socialisme expérimental, p. 123,
1 vol., Paris, 1936. Editions du Centre polytechnicien d’études
économiques.
(48) Ibid. Vallon, p. 123
�§ III.
E xamen C ritiq ue
On peut s’en rapporter ici aux conclusions de M. J.
Lescure (49) qui affirme :
« Malgré les perturbations profondes ayant boule
versé, depuis la guerre, le monde économique, la crise
de 1920 et celle de 1929 démontrent la survivance de
notre phénomène. »
En effet, la crise actuelle a, en raison de sa durée et
de son intensité, entraîné quelques doutes sur la valeur
rigoureuse de la loi des crises. On tâche d’expliquer
ces deux particularités par la concordance d’une crise
non périodique et par des facteurs psychologiques tels
que l'intervention des générations d’après-guerre, moins
informées et plus téméraires.
La prévision des phénomènes économiques jointe
surtout à l’expérience personnelle se perfectionne,
l’avenir permettra de mieux lutter contre les crises
économiques.
Les crises sont donc générales et périodiques. Il est
des moyens de les prévoir et des remèdes possibles à y
apporter.
M. Wagemann dans un article récent (50) est plus
sceptique ; il écrit : « Dans plusieurs pays, la reprise
économique présente déjà les signes d’une vraie pros
périté. Ne pouvait-on pas être tenté d’admettre que
cette période de relèvement se terminera de nouveau
suivant la cadence de huit années, c’est-à-dire en 1937 ?
Ce ne serait là qu’une foi superstitieuse dans la magie
des nombres ; et ce qui serait pire encore, ce serait
perdre de vue que la périodicité en question ne vaut
que par la moyenne d’une assez longue période (51). »
(49) Op. cil., t. II, p. 555. Tout 1-6 tome I de l ’ouvrage est
consacré à une étude minutieuse des crises qui aboutit à une
confirmation de notre loi.
Cf. Gonnard. Un point de vue sur la crise. L ’ Orientation
économique, 4 avril 1936, p. 263.
(50) Dr E. Wagemann. L ’Economie mondiale en 1937. Rev.
écon. intern. Février 1937, p. 219.
51 Op. cit., p. 223.
Il semble qu’on pourrait induire des dispositions ana
logues chez l’auteur du livre de M. le baron Mourre (52)
— un certain scepticisme — de la présentation même
du texte où les observations l’emportent de beaucoup
sur les systématisations doctrinales.
La loi des crises est donc à conserver parmi les lois
valables de l’Economie Politique.
(52) Baron Mourre. Les fluctuations de l’activité économique de
longue durée et les crises. 1 vol., Paris. Libr. du Rec. Sirey,
>937Cf. Le compte rendu de l’ouvrage par M. Marc Aucuy. Rev.
d’Ec. I. 1937, p. 204.
�DEUXIÈME
PARTIE
Les Lois de la uaieur
�LES LOIS DE LA VALEUR (1)
Elles sont au nombre de deux :
la loi de la valeur travail ;
la loi de l’utilité finale.
Il les faut étudier successivement
(i)
Bibliographie générale; Ch. et Ch. H. Turgeon. Etudes
sur la Valeur, t. I. La valeur, d’après les économistes anglais
et français depuis Ad. Smith et les physiocrates jusqu à nos
jours. 1925.
.
, .
,
T. II. La Valeur, Critique des doctrines anglaises et fran
çaises relative à la valeur, aux prix et à la monnaie. i 927T. III. La Valeur, son origine et son caractère psychologiques.
Ses conditions, ses formes et ses variations. 1927. 3 vol. Libr.
du Rec. Sirey, Paris.
�CHAPITRE X
LA LOI DE LA VALEUR TRAVAIL
Parmi les explications de la valeur, l’explication par
le travail est une des directions prises par la pensée
économique. Il existe de ce chef une loi de la valeur
travail.
Il en faut examiner le caractère scientifique toujours
dans le même cadre.
§ I. Histoire de la loi ;
§ II. Formules actuelles ;
§ III. Examen critique.
§ I. H istoire
de la loi
On est généralement d’accord pour faire remonter à
Karl Marx l’origine de la Valeur travail.
N’aurait-il pas eu cependant à cet égard des pré
curseurs ?
On a voulu les voir en la personne d’Adam Smith et
de Ricardo.
Ad. Smith écrit : (2) « Il est tout simple que ce qui
est d’ordinaire le produit de deux heures de travail
vaille le double de ce qui n’exige ordinairement qu’une
heure de travail. »
Et ailleurs : « Le prix réel de chaque chose, ce que
chaque chose coûte réellement à celui qui veut 1acqué
rir, c’est la peine et le trouble de 1acquérir... Le travail
(2) Richesse des Nations. Livre I, chap. 16.
�—
126
—
127 —
est donc la mesure réelle de la valeur échangeable de
tous les biens » (3).
Mais malgré ces affirmations et devant les difficultés
de cette solution (comment mesurer le travail et le tra
vail ne suffit pas seul à la fabrication des objets), Smith
réserve sa solution pour les seules sociétés primitives
et l'abandonne pour les sociétés aujourd’hui dévelop
pées (4).
Ricardo a dit aussi : « Je considère le travail comme
la source de toute valeur et sa quantité relative comme
la mesure qui règle presque exclusivement la valeur
relative des marchandises » (5).
On a justement interprété ce passage en affirmant
que la valeur pour Ricardo est déterminée par le coût
de production (6).
Ad. Smith et Ricardo ne sont donc pas des précur
seurs authentiques de la loi de la Valeur Travail.
K. Marx (7) est l'authentique auteur de la Valeur
travail.
Il écrit : « La valeur d’usage des marchandises une
fois mise de côté, il ne leur reste plus qu’une qualité
commune : celle d’être les produits du travail — non
plus le produit du travail du tourneur, du maçon, de
n’importe quel travail déterminé — il ne leur reste plus
que le caractère commun de ces travaux. Ils sont tous
ramenés à une dépense de force humaine sans égard à
la forme particulière sous laquelle cette force a été
dépensée » (8).
Et ailleurs il précise : « ce qui caractérise l'époque
capitaliste, c’est que la force de travail acquiert la forme
d'une marchandise... Cette marchandise de même que
toute autre, possède une valeur. Comment la déter
mine-t-on ?
Par le temps nécessaire à sa production. « Le temps
nécessaire à la production de la force de travail se
résout dans le temps de travail nécessaire à la pro
duction des moyens de subsistance de celui qui la met.
en jeu » (9).
Le temps de travail socialement nécessaire finit tou
jours par s’imposer comme loi naturelle régulatrice
dans les rapports d’échange actuels et toujours varia
bles.
Cette théorie et cette loi de la Valeur travail ont été
acceptées par la plupart des auteurs socialistes.
Bernstein (11) affirme après critique que la thèse de
Marx sur la valeur travail n’est qu’une hypothèse, une
abstraction.
Il faut signaler en passant la théorie de Bastiat qui
prétend que la valeur correspond à du travail épargné
pour l’acquéreur de la chose (12).
La valeur pour lui aurait pour cause et pour mesure
un service rendu.
La théorie d’ailleurs n’aboutit à aucune précision et
n’est pas soutenable (13).
Bœhm Bawertc énumère les différentes propriétés
communes aux marchandises : rareté, utilité, objets
de transaction ; appropriation : présence d’un élément
fourni par la nature et conclut : « Pourquoi le prin
cipe de la valeur ne pourrait-il pas résider dans l'une
de ces cinq propriétés communes aussi bien que dans
celle d’être le produit du travail ? » (14).
(3) Richesse des Nations. Liv. I, chap. IV, p. 32 et 33.
(4) Cf. Gide et Rist. Histoire des Doct. écon. i vol. Paris,
4e éd., 1922. Libr. du Rec. Sirey, p. 89.
(5) Principes de l’Economie Politique et de l ’ Impôt. Chap. I,
Section 2.
(6) Gide et Rist. H. D. E., éd. citée p. 175.
Gide. Principes d'Ec. Politique. Ed. citée, tome I, p. 68,
note 2.
(7) 1818-1883.
(8) Le Capital. Paris 1867, p. 23.
(9) Ibid.., Le Capital, p. 73.
C’est d’ailleurs le temps de travail socialement nécessaire qui
détermine, on le sait pour K. Marx, cette valeur travail.
(10) Le Capital, traduction fr. Roy, p. 83.
(11) Socialisme théorique et social démocrate pratique. 1 vol.
Paris, trad. franç. 1900, p. 66.
(12) Harmonies économiques. Œuvres complètes. Ed. Guil
laumin 1893, t. VI, p. 195.
(13) Cf. Gide. Principes d’Ec. Politique, t. I, p. 72, notç 1,
(14) Intérêt du capital, trad. franç., p. 95.
§ IL F ormules
actuelles
La quasi unanimité des auteurs contemporains aban
donne nettement la loi de la valeur travail.
Quelques brèves références suffiront ù le prouver :
�— 128 —
Ch. Gide (15) écrit : « C’est surtout sous la forme
extrême, celle formulée par K. Marx, que la théorie
de la valeur semble inadmissible ».
M. P. Reboud affirme : « Cette thèse est aujourd'hui
discréditée même parmi les collectivistes » (16) et
ailleurs : « la théorie de la valeur sur laquelle elle (la
thèse de la plus value) s’appuie, qui en forme la pierre
angulaire, ne résiste pas à l’examen » (17).
M. C. Perreau n’est pas moins affirmatif :
« Quelle que soit, écrit-il, la forme qu’elle ait pu
revêtir, la théorie qui fait du travail la substance et la
mesure de la valeur d’échange, soulève de multiples et
sérieuses objections » (18).
§ III.
— 129 —
5° la Société n’a pas besoin de choses ayant coûté du
travail, mais présentant une véritable utilité sociale,
ex.: arbalètes ou armes du Moyen Age.
CONCLUSION
La loi de la Valeur travail est donc à rejeter du nom
bre des lois valables de l’Economie Politique (20).
E xamen c ritiq u e
On peut remarquer que la loi de la valeur travail
n’est pas acceptable pour les diverses raisons suivan
tes : (19)
1° Si la valeur était du travail cristallisé, la valeur
devrait être immuable, ce qui n’est pas ;
2° Il y a des biens qui ont une valeur avant tout tra
vail, carrières, sites naturels, etc. ;
3° Il est des biens qui augmentent de valeur (vin qui
se bonifie en vieillissant, plus values immobilières), sans
que le travail effectivement dépensé et le travail socia
lement nécessaire aient changé.
4° il y a des biens ayant coûté même travail qui sont
de diverses valeurs
(15) Principes d’Ec. Politique, éd. citée, t. I, p. 71.
(16) Précis d’Economie Politique. 6e édit., 2 vol., 1934- Lib.
Dalloz, t. I, p. 69.
(17) T. II, p. 494(18) Cours d’Economie Politique. 6® éd. Paris, 1935. Libr.
générale de Droit et de jurisprudence, t. I, p. 333.
(19) Cf. art. Lehr. 2 articles.
Vierteljahrschrift. T. X L. 1886. Berlin. Herbig.
Adler. Die Grundlagen der Karl Marxschen Kritic bestehenden Volkswirth schaft Tubingen. Laupp. 1887.
(20)
Sans doute scientifiquement cette loi n’est plus admise,
mais elle garde une certaine importance comme base latente de
toutes les théories collectivistes. C ’est cette importance qui a
motivé 1 examen ci-dessus que d’aucuns trouveront peut-être
superflu.
9
�CHAPITRE XI
LA LOI DE L’UTILITÉ FINALE
Une des lois importantes concernant la valeur (I) est
la loi de l’ulilité finale (2).
Il faut ici encore étudier :
1° l’histoire de la loi (§ I) ;
2° les formules actuelles (§ II) ;
3° l’examen critique (§ III).
§ I. H ist o ir e de la L oi
La loi est d’ordinaire et avec raison attribuée à Karl
Menger. Il a cependant quelques précurseurs à bien
des égards intéressants.
Les plus notables sont Condillac et Gossen.
Condillac publie en 1776 un ouvrage intitulé : « Le
Commerce et le Gouvernement considérés relativement
l’un à l’autre », où l’on peut trouver l’origine de la
théorie psychologique de la valeur.
Deux points sont exactement mis en relief par cet
auteur :
(1) Bibl. Petit. Etude critique des différentes théories de la
valeur. Thèse. Paris, 1897.
Guilhol. Théorie de la Valeur d’après l’école Autrichienne.
Thèse. Lyon, 1907.
B. Lavergne. La Théorie des marchés économiques. Thèse.
Paris, 1910.
Cornélissen. Théories de la Valeur. Paris, Schleicher, 1903.
G. Pirou. L ’utilité marginale. Ed. Domat-Montchrestien. Pa
ris, 1932.
(2) On prendra ici comme formule approchée de la loi, la sui
vante: « la valeur d’un bien est déterminée par la valeur du bien
servant à satisfaire le dernier besoin satisfait ».
�— 133 —
d'abord que la valeur est. fondée sur l’utilité (3) ;
ensuite que la quantité du bien influe sur sa valeur (4).
Gide et Rist (5) concluent exactement : « Impossible
de mieux dire, même aujourd'hui. Toute la théorie
Jevonienne et Autrichienne de la valeur était là en germe
mais ne s’épanouira que longtemps après. » (6)
Gossen ensuite dans un ouvrage intitulé : « Dévelop
pement des lois de l'échange humain, 1854 » (7) donne
une analyse précieuse des besoins et formule lui aussi
les idées essentielles de la théorie moderne.
Après ces précurseurs, la loi de l’utilité finale est
formulée en 1871 simultanément (8), mais indépendam
ment fun de l'autre, par deux économistes, Stanley
Jevons et Karl Menger.
Stanley Jevons (9) dans son ouvrage « Theory of
political Economv » (10) reproduit les thèmes princi
paux de sa théorie (11).
(3) « La valeur est moins dans les choses que dans l ’estime
que nous en faisons et cette estime est relative à notre besoin :
elle croît et diminue comme notre besoin croît et diminue luimême ». Op. cil.j p. 15.
(4) « Or puisque la valeur des choses est fondée sur le besoin,
il est tout naturel qu’un besoin moins senti leur en donne
une moindre. Elle peut même dans l’abondance diminuer au
point de devenir nulle. Un bien surabondant, par exemple,
sera sans valeur, toutes les fois qu’on n’en pourra faire aucun
usage, puisqu’il sera tout à fait inutile. » Ibid.., chap. I, pre
mière partie.
(5) Histoire des Doctrines économiques, 4e éd. Paris, Lib.
du Rec. Sirey, 1922, p. 56.
(6) Un autre précurseur Dupint (1844. Mémoire sur l’Utilité
des Travaux publics, 1849. Utilité des voies de communication),
approuve lui aussi que la valeur est fondée sur la notion d’uti
lité.
(7) Entwicklung der Gesetze der menlichen Verkehrs.
Cf. L, Walras. Un économiste inconnu, Hermann Henri
Gossen. Journ. des Economistes, 1885.
(8) Sur la question de priorité Cf. G. Pirou, op. cil., p. 53.
Stanley Jevons aurait reconnu l’antériorité de Walras.
Cf. les déclarations de Walras. J. des Econ. 1874, t. 34, p. 417.
(9) 1835-1882.
(10) Theory of political economy. London and New-York,
Macmillan 1871. 2e édit. Londres 1879.
Traduit en français par Barrault et Alfassa.
La théorie de l ’Economie Politique. 1 vol. Paris, Giard, 1909.
Je citerai d’après cette traduction.
(11) Déjà donnée dans une communication faite par lui à la
Par une assez longue analyse (12), il traite de l’uti
lité, en étudie les variations avec courbes mathémati
ques et aboutit à cette conclusion (13) : le degré final
d’utilité est celte fonction autour de laquelle tourne la
théorie de l’Economique... Nous pouvons établir com
me une loi générale que le degré d’utilité varie avec la
quantité de produit et linalemerü décroît de la même
manière que cette quantité croît.
K. Menger (14) publie en 1871 également un ouvrage
intitulé « Grundsatze des Volkswirtschaftslehre » (15).
Fondements de l’économie politique : il y insiste sur
tout sur la valeur. Il y affirme que les mesures de la
valeur d’une unité d’un bien dépend de la satisfaction
du dernier besoin qui risque detre ou de netre pas
satisfait, suivant que l’on a ou que l'on a pas cette
unité de bien.
C'est vrai aussi bien pour l’individu isolé que dans
la vie sociale concrète.
La théorie ainsi formulée fut accueillie et reprise
avec quelques nuances par de nombreux économistes
en divers pays.
En Autriche : Bœhm Bawerk, Sax et Wieser.
En Angleterre : Edgeworth.
En France : Léon Walras.
En Italie : Pantaleoni et Pareto.
Aux Etats-Unis : J. B. Clark.
Un rapide coup d’œil sur celte merveilleuse diffusion
permettra de fixer les nuances légères qui séparent ces
divers auteurs.
En Autriche, Bœhm Bawerk (16) dans son ouvrage
« Kapital und Kapitalismus » (17) adopte les positions
de K. Menger, notamment celle-ci : « la valeur est
Société de Statistique de Londres en 1866, reproduite dans La
théorie de l’économie politique, éd. citée. Appendice p. 395.
(12) Trad. franç.; p. 96-140.
(13) Ibid., p. 112.
(14) 1840-1921.
(15) Vienne 1871.
(16) 1851-1914.
(17) publié en allemand de 1884 à 1889.
La partie qui concerne l’utilité finale a paru en français sous
le titre Théorie positive du capital. 1 vol. Paris, Giard, 1929.
�— 135 —
fondée sur l'utilité de la dernière unité du stock. » (18)
C’est lui qui dresse avec des exemples numériques
systématiques le tableau des divers besoins humains
et fournit les exemples devenus classiques des seaux
d'eau et des sacs de blé.
Von Wieser (19) reproduit pour partie les thèses de
K. Menger et de Bœhm Bawerk et précise la notion
d’utilité limite (Grentsnuntzen) (20).
En Angleterre (21) Edgeworlh souscrit à la formule
de l’utilité finale.
Pantaleoni et Vilfredo Pareto en Italie sont aussi des
partisans de la loi d’utilité linale.
Léon \Valras en France et en Suisse (22) affirme dans
sa Théorie de la Monnaie : « L'intensité du dernier
besoin satisfait par une quantité de marchandise con
sommée... est une grandeur qui décroît à mesure que
la quantité consommée croît. » (23)
11 donne dans ses « Eléments d’Economie Politique
pure » (24) une longue analyse du dernier besoin sa
tisfait et formule la loi de décroissance de l’utilité en
fonction des quantités possédées : des graphiques et
des courbes illustrent sa théorie (25).
Aux Etats-Unis J. B. Clark (26) dans un article (27)
(18) (( Plus grande sera la quantité de biens disponible d’une
certaine espèce, plus petite deviendra, toutes les autres circons
tances restant tes mêmes, la valeur de chaque espèce en particu
lier et inversement. » Capital, t. II, p. 161.
(19) 1851-1926.
Uber den Ursprung und die hauptgesetze der Wirtschaftlichen
werter (sur l’origine et les lois principales dç la valeur écono
mique), 1884.
Der Naturliche Wert (La valeur naturelle 1889) (non traduit
en français.
(20) Cf. G. Pirou, op. cit.j p. 124 et suiv.
(21) Voir aussi un bon résumé de la théorie dans Smart: In
troduction to the theory of value.
(22) On sait que Léon Walras dont l ’économie mathématique
fut mal accueillie à l ’époque en France, était professeur à l ’Uni
versité de Lausanne (Suisse).
(23) Théorie de la Monnaie. Lausanne, 1886, p. 30.
(24) Lausanne, 1874-1877, p. 74.
(25) Cf. Théories de l ’équilibre économique, 1 vol. Pa
ris. Ed. Domat-Montchrestien, 1934, p. 86 et suiv.
(26) 1847-1926.
(27) A universal law of économie variation.
Quaterly journal of Economies. Boston. Avril 1894, p. 261.
publié en 1894, écrit que cette loi embrasse tout. « La
valeur dépend de l’utilité finale et l’importance des po
sitions dans la répartition dépend de la productivité fi
nale. Le taux de l’actuel est déterminé par le produit
de la dernière fraction infiniment petite ajoutée au ca
pital ; et les salaires se déterminent par le produit de la
dernière fraction infiniment petite de travail. La va
leur des biens d’une part et les gains des hommes qui
produisent ces biens de l’autre dépend de la même loi
générale. »
A côté de ce premier courant qui en somme continue
St. Jevons et K. Menger, il y a un courant critique qu’il
importe de présenter brièvement.
Ces critiques proviennent des auteurs suivants : Neu
mann (28), E. Petit (29), C. Cornelissen (30) et Hobson (31).
On peut sans entrer dans l’exposé détaillé de chacun
de ces auteurs, présenter comme suit la critique d’en
semble de la loi de l’utitilé finale :
Première objection (32) : Certains biens exislanl en
quantité surabondante ont cependant de la valeur, par
exemple l'argent qui conserve sa valeur quelle que soit
la quantité possédée par l’individu, par exemple encore
le soleil, le ciel bleu de la Côte d’Azur, etc...
On répond pour l’argent (33) qu’il est la seule richesse
qui ait la propriété de répondre non à un besoin défini
mais à tous les besoins possibles et que par conséquent
il ne cesse d’être désiré qu’au moment où tous les désirs
sont satisfaits, ce qui recule la limite jusqu’à l’infini.
On répond pour le soleil que ce n’est pas le bien dans
sa totalité inaccessible, mais une partie seulement de ce
bien, la chaleur du soleil entrant dans une pièce expo
sée au midi qui a de la valeur.
Deuxième objection : Les besoins des hommes ne
(28) Neumann. Grundlagender Wolkwirthschaftlehre. Tubingen 1889, p. 58 et suiv.
(29) E. Petit. Etude critique des différentes théories de la
valeur. Thèse. Paris 1897, p. 277.
(30) C. Cornelissen. Théorie de la valeur. Paris 1903, p. 27.
J31) Hobson. Economies and ethics. Macmillan, Londres, 1930.
(32) Cornelissen, op. cit.} p. 27, n. 1.
(33) Gide. Principes d’Ec. Polit. Paris. Libr. du Rec. Sirey,
»9°U P- SU n. 1.
�— 137 —
sont pas susceptibles d'être mesurés quantitativement
et la prétention de les lier par des équations mathéma
tiques est inconciliable avec le libre arbitre.
La réponse de la théorie autrichienne est la suivante:
elle ne dit pas que tel homme sera forcé de vendre ou
d'acheter un produit, mais seulement que s’il le fait,
il le fera à telles ou telles conditions (34).
Troisième objection (35) : Il y a pour un même bien
des valeurs d'usage différentes pour un même consom
mateur. La valeur d’usage personnelle de différentes
quantités déposées d’un bien se détermine, pour cha
cune d'elles en particulier, par le plaisir ou l'avantage
que le consommateur pourra en tirer personnellement.
Cetle valeur variera communément jusqu'à l'infini. Par
exemple les pierres de construction.
On peut répondre que la théorie autrichienne est très
souple et qu elle a su distinguer une infinité d’hypothè
ses distinctes.
Simiand (36) prend aussi violemment parti contre
notre loi : elle est indépendante de l’état social, mais
dans un état social donné elle n’est d’aucune utilité pour
expliquer les phénomènes économiques. « Dès qu’il
faut passer d’un besoin à un autre besoin et comparer
entre eux des besoins différents, ou bien la loi reste
purement verbale ou lantologique, mais elle a besoin
d’être complétée par des apports de fait qui indiquent
les valeurs comparatives effectivement établies et ces
éléments de fait dépendent des états sociaux et des
diversités de temps et de milieu. »
Ainsi pour lui la loi n’a pas une valeur absolue et
universelle.
Ch. Gide (37) dans son « Cours d’Economie Politi
que » (38) affirme : « Et voici le second théorème qui
constitue la véritable découverte de cette Ecole : c’est
que l’utilité finale de la dernière portion disponible dé
termine la valeur de n’importe laquelle des autres por
tions. »
M. Colson dans son « Cours d’Economie Politi
que » (39) déclare : « L’utilité finale des Autrichiens,
qui n’est, autre chose que la valeur d’usage pour
l’acheteur et pour le vendeur, de la dernière unité sur
laquelle ont transporté les transactions, est encore une
valeur et non une utilité. Seulement cette valeur d’usage
présente un intérêt exceptionnel, puisque c’est elle
qui constitue le prix courant. » (39)
M. Heboud dans son « Précis d’Economie Politi
que » (40), écrit : « La valeur du bien est l’expression
de l’utilité marginale de ce bien : elle varie comme
elle. »
On trouverait cependant dans la littérature écono
mique contemporaine une réaction contre ce que
M. G. Pirou appelle le Marginalisme, c’est-à-dire l’orien
tation des études d’économie marginale. Elle est due à
l’économiste américain Veblen (41).
Trois grands griefs sont relevés par Veblen : l’éco
nomie marginaliste se borne à classer au lieu d’expli
quer : sa psychologie est trop individualiste et pas assez
sociale ; sa philosophie est une construction opti
miste qui ne correspond pas à la réalité exacte.
Etant donné le caractère très général de cette cri
tique, on comprendra qu’il est superflu d’insister sur
§ IL F ormules A ctuelles
(37) i 847-i 932.
.
.
(38) Cours d’Economie Politique, 2 vol. Paris. Libr. du Rec.
Sirey, 10® éd., 1930, t. I, p. 59 et p. 64.
Il maintient cependant qu’on ne peut faire abstraction pour
expliquer la valeur du plus ou moins de difficulté à produire
la richesse. Ibid.} p. 67.
(39) Cours d'Economie Politique. 6 vol. Ed. définitive. Paris.
Alcan et Gauthier-Villars, 1915-1920, t. I, p. 213. Cf. p. 225
et suiv.
Il propose même de la dénommer « loi de satiabilité ».
(40) Précis d’Economie Politique, 2 vol. 1934. Paris. Dalloz,
6® éd., t. I, p. 33 et suiv. surtout p. 40.
(41) 1857-1929.
La majorité des auteurs contemporains accepte la
loi de l'utilité finale.
(34) L. Walras. Economie Politique privée: « Jamais nous
n'avons essayé de calculer les décisions de la liberté humaine:
nous avons essayé seulement d’en exprimer mathématiquement
les effets ».
(35) Cornelissen, op. c i t p. 5.
(36) Année Sociologique, t. 10, 1905-06, p. 512, à propos d’une
analyse de l’ouvrage d'Effertz.
�— 139 —
les développements (42) de Veblen. Il importait cepen
dant de signaler cette orientation nouvelle, à l’époque
contemporaine, d’une partie de la science américaine.
§ III. E xamen
critique
On peut pour l’examen critique de notre loi se placer
à un double point de vue (43) :
a) déterminer la sphère d’application de la portée
de la loi (Section I) ;
b) dans cette zone limitée préciser de quelle manière
la loi s’applique (Section II).
I
Sphère d'application de la loi
S ection
On est en général d’accord pour reconnaître que la
loi de l’utilité finale ne s’applique pas aux capitaux pro
ducteurs (44) mais au contraire serait vérifiée dans le
triple domaine suivant :
a) les biens qui constituent le marché des produits
achevés ;
b) le marché du capital argent ;
c) le marché des services producteurs.
a) Les biens qui consliluenl le marché des produits
achevés, sont dans tous les produits achevés, naturels,
récoltés ou fabriqués qui sont prêts à être livrés à la
consommation du public.
b) Le marché du capital argent.
Il s’agit ici de toutes les formes d’investissement du
capital argent.
(42) Cf. Veblen. The place of Science in modem Civilisation.
1 vol. 1915. Huebsch New-York.
Sur tous ces points cf. G. Pirou. Les nouveaux courants de la
théorie économique aux Etats-Unis.
Fascicule I, Paris. Ed. Domat-Montchrestien, 1935, p. 31 et
suiv.
(43) Cf. Petit. Thèse citée, p. 249 et p. 255.
B. Lavergne. La théorie des marchés économiques, 1928.
(44) Lavergne. La théorie des marchés économiques.
G. Pirou. L ’utilité marginale, p. 103.
c) Le marché des services producteurs.
11 s’agit ici de tous les services producteurs qui pré
sentent une utilité sociale.
II
Vérification darts cette zone limite
S ection
On remarque d’une manière générale que la théorie
paraît d’autant plus exacte et la loi d’autant plus ri
goureuse qu’il s’agit de produits ou d’objets rares,
c’est-à-dire dont la quantité est limitée (45).
I. Marché des biens constituant les produits achevés
On trouve en général que la loi de l’utilité finale est
vérifiée pour les produits de consommation, produits ali
mentaires, vêtements, etc..., et pour les immeubles
d’habitation, les jardins, les parcs.
M. Colson (47) insiste notamment sur les produits de
luxe par l'exemple suivant : « Tel particulier achè
terait les meubles précieux et les objets d’art néces
saires pour donner à son salon un minimum de déco
ration, même s’il fallait les payer un prix fort élevé ;
il n’ajoutera d’autres ornements dans ce même salon,
il n’en mettra dans sa salle à manger, puis dans sa
chambre, puis dans les autres chambres et dans les
escaliers, que s’il les peut acquérir à des prix de plus
en plus bas ; enfin un moment viendra, où possédant
à satiété tous les objets décoratifs susceptibles d’être
placés dans ses appartements, il faudrait des occasions
bien exceptionnelles, pour qu’il en achetât davantage
(45) Sciama. La dernière unité. Sa notion en Economie Poli
tique. Thèse Droit. Paris 1932.
L ’auteur estime que la dernière unité n’apporte aucun éclair
cissement véritable à la complexité des problèmes en jeu (op.
cit., p. 240) et qu’il faut « envelopper soigneusement la théorie
dans le linceul d’indifférence où dorment les théories mortes ».
(Ibid., p. 251).
(46) On a même cherché à mesurer mathématiquement cette
utilité marginale. Cf. Moret. Méthodes nouvelles pour mesurer
l’utilité marginale. Rev. d’E. P., 1932, p. 1.
(47) Cours d’Economie Politique, 6 vol. Ed. définitive.
T. I. Théorie générale des phénomènes économiques. Paris,
1915, p. 226.
�r
— 140 —
à quelque prix que ce fut, si ce n’est pour un moin
dre. »
L’exemple n’est peut-être pas excellent, certains
nouveaux riches achetant tout à la fois.
Il n’infirme pas d’ailleurs la valeur de âa loi de
l'utilité finale.
II. Marché du capital argent
Il s’agit de la fixation du taux de l’intérêt.
On a essayé d’établir (Lavergne, op. cil., p. 118) que
le taux d'intérêt général est le rapport de la plus value
brute marginale et du capital d’emprunt, obtenu en
échange.
On suppose des millions disponibles : c’est la plus
value formée par l’utilisation du dernier million dispo
nible.
III. Le Marché des services producteurs
On peut vérifier notre formule :
Le prix des services producteurs sera exactement le
coefficient d’utilité reconnu par le consommateur à la
dernière unité du service.
Nous retrouverons pour le travailleur la loi de Futilité
finale en matière de salaires.
Il s’agit de vérifier pour les autres services :
Professions libérales, médecins, avocats, etc...
Il est difficile de décomposer ces services en unités
successives.
Pour les fonctionnaires il y a l’intervention perturba
trice de la législation qui fixe les traitements.
C’est ici peut-être le domaine où la loi peut le plus
difficilement être trouvée exacte : elle l’est en gros seu
lement.
Il est donc permis de conclure, sous les réserves cidessus exprimées, que la loi de l’utilité finale doit être
inscrite au nombre des lois économiques valables.
TROISIÈME
PARTIE
Les Lois des Pris
�LES LOIS DES PRIX (1)
Ce sont :
la
la
la
la
la
la
la
loi d’indifférence ;
loi de l’offre et de la demande ;
loi des prix en régime de concurrence ;
loi des prix en régime de monopole ;
loi de Gregory King ;
loi du coût de production ;
loi de compensation des changements de prix.
(i)
Bib. générale: Il n’existe pas d’études d'ensemble sur les
lois de prix. On trouverait des vues intéressantes cependant
dans les ouvrages suivants:
Houques-Fourcade. Eléments d’Economie Politique. La Cir
culation. Monnaie et Crédit, i vol. Toulouse. Soubirou, 1923.
Cornélissen. Théoiie de la Valeur. Paris, Schleicher, 1903.
�CHAPITRE XII
LA
LOI
D’INDIFFÉRENCE
I ne première loi est à relever en matière de prix,
la loi d’indifférence qui s’énonce : « Il ne peut y avoir
sur un marché donné à un moment donné pour des
produits similaires qu’un prix unique. »
C’est Stanley Jevons (1) assez tardivement (2) qui
passe avec exagération pour l’inventeur de cette loi (3).
II en donne (4) la formule suivante sur le même mar
ché libre, à un moment donné, il ne peut y avoir deux
prix pour le même article et propose de l’appeler la
« loi d’indifférence ».
Pour l etablir, il part de la constatation suivante :
« Lorsqu’un produit de qualité est parfaitement uni
forme ou homogène, n’importe laquelle de ses par
ties peut remplacer indifféremment une autre partie
égale : d’où sur le même marché et au même moment,
toutes les parties doivent être échangées dans le même
rapport » (5).
II montre d’ailleurs (G) que lorsque « les échanges
sont faits sur une grande échelle, ce résultat sera véri
fié en pratique. »
(0
183-1-1910.
(2) Theory of political economy. Londres, 1871.
Traduit en français par Barrault et Alfassa sous ce titre:
Théorie de l'Economie Politique. 1 vol. Paris, Giard, 1909.
(3) Ricardo (1772-1823). Principes de l’Economie Politique et
de l’ Impôt 1817, avait déjà, il est vrai, à propos de sa théorie
de la rente, posé le principe de l’unité de prix pour un même
objet sur un même marché.
(4) Traduction française, p. 159.
(5) Ibid., p. 158.
(6) Ibid.j p. 160.
10
�— 146 —
Il formule même une équation pour exprimer ladite
loi.
La proposition de dénommer loi d’indifférence cette
loi de l'uniformité des prix n a trouvé qu’un succès
limité à l’époque contemporaine.
Ch. Gide (7) y souscrit.
Paul Leroy-Beaulieu (8) la tient également pour cer
taine.
M. Houques Fourcade (9) se range à la même opinion.
Marshall (10) et Colson (11) s’y rallient de même.
Un Economiste Américain contemporain J. M. Clark
(12) prend dans son ouvrage intitulé The économies of
overhead Costs (13) (l’économie des coûts existants)
une attitude originale sur l’application de la loi de
l’unicité des prix.
Il affirme que la loi n’a été vraie que dans une pé
riode du xix° siècle, au début de l’industrialisme : la
concurrence aboutissait alors à l’unité de prix.
Mais avant cette période la fixation des prix ne com
porte nullement l’unité : les prix dans les bazars et les
souks en sont la preuve. Ici le prix est fonction de
1 habileté respective des deux parties en présence.
De même à l’époque actuelle réapparaît à nouveau
la diversité des prix sur un même marché : l’auteur
l’explique par le risque d’une capacité de production
inemployée (14).
Ainsi d’après une théorie nettement affirmée, la loi
ne serait vraie que pour une période déterminée.
(7) Principes d'Economie Politique, 2 vol., 10e éd. Paris,
Libr.du Rec. Sirey, 1930, t. I, p. 577.
(8) Paul Leroy-Beaulieu. Traité d’Economie Politique, 4 vol.,
3® éd. Paris, Guillaumin, 1903, t. I, p. 703 et p. 721.
(9) Honques-Fo^cade. (Eléments d’Economie ^Politique. La
Circulation Valeur humaine et Crédit, 1 vol. Toulouse. Soubirou, 1923, p. 47.
(10) Traité d’Ec. P., t. II, p. 13.
(11) Colson. Cours d’E. Pol., 20 éd. 1907, t. I, p. 74 et 83.
(12) 1884(13) 1 vol. New-York, 1923.
(14) Cf. pour la critique Sanders, Quaterly Journal of Econo
mies (1923-24).
Cf. G. Pirou. Les nouveaux courants de la théorie économi
que aux Etats-Unis, fasc. I. Paris, Ed. Domat-Montchrestien
1935, p. 91 et suiv,
— 147 —
En ce qui concerne enfin la valeur et la vérification
de la loi, on a remarqué (15) qu’il fallait bien évidem
ment un cours, une concurrence entre vendeurs et ache
teurs. C’est pourquoi dans la vente d’objets rares où il
n’y a en présence qu’un seul vendeur et parfois un seul
collectionneur, il n’y a pas de loi du prix, l’objet, comme
le dit l’expression courante, n’a pas de prix. Le prix de
l’objet dépendra alors dé la richesse de l’acheteur, du
savoir faire du vendeur : il pourra y avoir deux prix
sur un même marché pour un objet au fond identique.
Une difficulté spéciale au point de vue de la vérifi
cation de la loi d’indifférence concerne la distribution
du courant électrique.
On sait qu’il y a pluralité de tarifs et des tarifs ré
duits aux heures du jour et aux périodes de l’année
où la consommation est réduite. 11 y a discrimination
des tarifs (16).
On sait aussi que ces tarifs variables ont pour but
d’atténuer ou d’éliminer la discordance entre les diver
ses heures de consommation.
Ceci posé il faut, semble-t-il, maintenir même en ce
cas la loi d’indifférence.
C’est toujours un prix unique qui existe pour les
consommateurs placés dans les mêmes conditions ; il
y a en réalité pluralité de marchés et aussi pluralité
de moments, si l’on peut dire, pour un même marché.
On pourrait encore examiner le régime des prix dans
les industries qui subissent une irrégularité dans la
demande, une irrégularité saisonnière.
Les objections paraissent ici en gros les mêmes : il
semble y avoir pluralité de prix sur un même marché.
Les réponses seraient aussi les mêmes : il y a en
réalité marchés différents et surtout moments différents
d’un même marché (17).
(15) Ch. Gide, o-p. cit., t. I, p. 578, n. 1.
(16) Cependant une clause de style dans les cahiers des char
ges pose le principe de l ’égalité de traitement des consom
mateurs de même catégorie, c’est-à-dire. au fond la règle de
l’unité de prix.
(17) Cf. encore Ansiaux. Traité d'Economie Politique, t. II,
p. 196-197, d’autres exemples cités.
�— 148 —
Comme conclusion, la loi d’indifférence est à retenir
parmi les lois valables de l’économie politique avec
l’énoncé rigoureux qui lui a été ci-dessus donné : « Sur
un marché libre, pour un produit donné et à un moment
donné ». En réalité le même marché a une très courte
durée.
CHAPITRE XIII
LA LOI DE L'OFFRE ET DE LA DEMANDE (1)
De toutes les lois des prix, la loi de l’offre et de la
demande est certainement à la fois la plus ancienne et
la plus connue.
Ce double caractère lui donne une originalité parti
culière.
Il faut ici, comme à l’ordinaire, étudier successive
ment :
§ I. L'histoire de la loi,
§ II. Les formules actuelles,
§ III. Examen critique.
La notion approchée dont il est permis de partir est
la suivante :
« Les produits sont d’autant plus chers qu’ils sont
plus demandés et moins offerts ».
§ I. H istoire
de la loi
On peut pour plus de clarté dans cet historique dis
tinguer quatre aspects :
Section I. De l’offre et de la demande envisagées
exclusivement comme cause du prix.
Section IL Essai de formules mathématiques.
Section 111. Critique de la première formule.
(i)
Bibliographie. Ch. Turgeon. Etude critique de la loi de
l’offre et de la demande. Journal des Economistes, 15 juillet 1925,
p. 25-50.
Cf. Luftalla. Essai critique sur la détermination statistique
des courbes d’offre et de demande.
Annales Sociologiques. Série D. Sociologie économique, 1 vol.
Paris, Alcan, 1935, p. 85.
�— 151 —
Section IV. Un aspect nouveau : 1offre et la demande
sont elles-mêmes fonction des prix.
I
De l'offre ef de la demande envisagées exclusivement
comme cause des prix
S ection
Cet aspect du problème et celte conception de l’offre
et de la demande sont les plus anciens.
D'une manière générale toute l'Ecole classique, à la
fois chez ses fondateurs et ses principaux représentants
se rallie à ce point de vue.
Il faut envisager la notion et l’application de la loi
chez trois représentants importants de l’Ecole Anglaise :
Ad. Smith, Ricardo, Stuart Mill.
I. Ad. Smith.
A replacer d’abord la théorie d’Ad. Smith à cet égard
dans l'ensemble de son œuvre, il faut souligner que
cette loi n’est pour lui qu’une partie du mécanisme des
prix.
C’est à propos de la tendance du prix du marché (2) à
un équilibre automatique autour du prix naturel
qu’Ad. Smith s’explique très nettement sur notre
problème.
Ad. Smith distingue nettement à cet égard trois hypo
thèses :
A) L'offre est inférieure à la demande : il
des prix.
« Quand la quantité d’une marchandise
amenée au marché, se trouve au-dessous de
effective (3), tous ceux qui sont disposés
y a hausse
quelconque
la demande
à payer la
(2) Le prix du marché c’est pour lui le prix courant, le prix
« auquel la marchandise se vend communément ».
« Lorsque le prix d’une marchandise n’est ni plus ni moins
que ce qu’il faut payer, selon leurs taux naturels et le fermage
de la terre, et les salaires du travail, et les profits du capital
employé pour produire cette denrée, la parfaire et la conduire
au marché, alors cette marchandise est vendue ce que l’on
peut appeler le prix naturel ». C’est en somme le prix de
revient.
(3) On sait que l’auteur distingue la demande absolue, c’est-àdire le désir d’avoir la chose et la demande effective, c’est-à-
valeur entière des fermages, salaires et profits qu’il
en coûte pour mettre cette marchandise sur le marché,
ne peuvent pas se procurer la quantité qu’ils deman
dent. Plutôt que de s’en passer tout à fait, quelquesuns d’entre eux consentiront à donner davantage. Une
concurrence s’établira entre eux, et le prix du marché
s’élèvera plus ou moins au-dessus du prix naturel, sui
vant que la grandeur du déficit, la richesse ou la fan
taisie des concurrents viendront animer plus ou moins
cette concurrence » (4)
Ainsi la hausse est due à la concurrence des ache
teurs, elle-même soumise à de nombreux facteurs éco
nomiques ou psychologiques (5).
B) L'offre est supérieure à la demande : il y a baisse
des prix.
« Lorsque la quantité mise sur le marché excède la
demande effective, elle ne peut être entièrement vendue
à ceux qui consentent à payer la valeur collective des
fermages, salaires et profits qu’il en a coûté pour
l’y amener. Il faut bien qu’une partie soit vendue à
ceux qui veulent payer moins que cette valeur entière et
le bas prix que donneront ceux-ci réduit nécessairement
le prix du tout. Le prix du marché tombera alors plus
ou moins au-dessous des prix naturels, selon que la
quantité de l’excédent augmentera plus ou moins la con
currence des vendeurs ou suivant qu’il leur importera
plus ou moins de se défaire sur le champ de la mar
chandise. » *vd)
Ainsi la baisse est due ici encore à la concurrence
des vendeurs, soumise elle-même à de nombreux fac
teurs économiques et psychologiques (7).
dire « la demande capable de faire arriver la marchandise sur le
marché pour satisfaire le désir de l ’individu ».
(4) Ad Smith. Richesse des Nations. Trad. Germain Garnier,
5° éd., t. I, P- 69. Paris, Guillaumin,
(5) Ad. Smith remarque que pendant le siège d’une ville ou
dans une famine il pourra y avoir élévation exorbitante dans le
prix des choses nécessaires à la vie.
(6) Ad. Smith. Ibid, t. I, p. 70.
(7) Ad. Smith cite le cas des denrées périssables — importa
tion d’oranges — pour lesquelles la concurrence sera beaucoup
plus vive et la baisse beaucoup plus accentuée.
�F
— 153 —
C) L'oflre est égale à la demande : le prix de marché
coïncidera arec le prix naturel.
« Lorsque la quantité mise sur le marché suffit tout
juste pour remplir la demande effective, et rien de
plus, le prix du marché se trouve naturellement être
avec exactitude du moins autant qu'il est possible d’en
juger, le même que le prix naturel. »
En effet, « toute la quantité vendue sera débitée à ce
prix et elle ne saurait l’être à un plus haut prix. La
concurrence des différents vendeurs les oblige à accep
ter ce prix, mais elle ne les oblige pas à accepter
moins. »
Ainsi dans ce troisième cas l’équilibre exact entre
l’offre et la demande assure la coïncidence du prix de
marché et du prix naturel.
En résumé chez Ad. Smith, la discordance entre
l’offre et la demande amène une baisse ou une hausse
de prix mais qui n’est pas proportionnelle aux varia
tions quantitatives de l’offre et de la demande.
De plus et pour l’amplitude des variations, elles va
rieront selon les circonstances (8).
Enfin Ad. Smith parle dans son développement de
demande effective mais par ailleurs il indique comment
« la quantité de chaque marchandise mise sur le mar
ché se proportionne naturellement d’elle-même à la
demande effective » (9).
Avec Ad. Smith on a bien une formule de la loi de
l’offre et de la demande dont la caractéristique fonda
mentale paraît être la contingence.
IL Ricardo :
Ricardo à son tour relient la loi de l’offre et de la
demande formulée par Ad. Smith mais en restreignant
encore le rôle de cette loi.
(8) Plus loin, p. 72, il indique que les variations sont plus am
ples pour les prix du blé qui est un produit dont les quantités sont
très variables que pour les prix du drap et de la toile dont les
quantités produites sont sensiblement constantes.
(9) Ad. Smith. Ibid.j t. 1, p. 70.
Pour lui ce sont les frais de production qui ont une
influence dominante sur les prix : (10)
« Ce sont les frais de production qui règlent en der
nière analyse le prix des choses et non, comme on l a
souvent avancé, le rapport entre l’offre et la demande.
Ce rapport à la vérité modifie pour quelque temps la
valeur courante d’une chose, selon que la demande peut
avoir augmenté ou diminué et jusqu’à ce que l'appro
visionnement en devienne plus ou moins abondant ;
mais cet effet n’a qu’une durée passagère. »
Il n’admet pas de variation proportionnelle aux
quantités (11) et sa formule est simplement la suivante :
(( Les produits baissent à proportion qu’on les offre
en plus grande quantité et ils haussent avec le désir
que montrent les acheteurs de les acquérir. »
Enfin Ricardo, quant aux biens régis par l’offre et la
demande, indique que cela est surtout vrai « pour les
produits dont un particulier ou une Compagnie ont le
monopole. »
Il conclut de la même manière qu’il a commencé :
« Mais quant aux choses qui sont sujettes à la concur
rence parmi les vendeurs et dont la quantité peut s'aug
menter dans des bornes modérées, leur prix dépend en
définitive non de l’état de la demande et de l’approvi
sionnement, mais bien de l’augmentation ou de la dimi
nution des frais de production. »
Ainsi effet de la loi limité dans le temps,
pas de variation proportionnelle aux quantités,
action surtout pour les produits monopolisés :
telles sont les trois traits caractéristiques de notre
auteur (12).
III. Stuart Mill.
La position de St. Mill est sensiblement analogue.
(10) Ricardo. Principes de l'Economie Politique et de l’im
pôt. Œuvres complètes de Ricardo. Traduction Constancio et
Fonteyraud. Ed. Guillaumin, 1882. Chapitre 30: « De l’influence
que l’offre et la demande ont sur les prix, p. 318.
(11) Cf. infra , p. 156.
(12) J. B. Say (Cours complet d’Economie Politique 1828, t. III,
p. 528), adoptera une position analogue: il accepte la loi de
�Dans son chapitre : « De l’offre et de la demande
dans leurs rapports avec la valeur » (13), St. Mill dis
tingue trois catégories d’objets :
aj les choses dont la quantité est limitée d’une ma
nière absolue, telles les vins de certains crûs, les sta
tues antiques, les tableaux de maîtres ;
b) les choses qui existent en quantité limitée : coton
nades, lainages ;
c) les choses qui ne peuvent être augmentées en quan
tités qu’avec élévation des frais de production : les pro
duits agricoles, par exemple.
Pour la première la loi de l’offre et de la demande
constitue la loi de la valeur.
Pour la seconde la valeur est déterminée par le coût
de production.
Pour la troisième la loi de l’offre et de la demande
est également déterminante mais surtout pendant le
temps nécessaire pour que la production se règle.
A) Jeu de l'offre et de la demande pour les choses dont
la quantité est limitée d'une manière absolue.
St. Mill définit les termes employés :
l’offre : « cette expression indique la quantité qu’on
offre de vendre la quantité que peuvent acquérir ceux
qui désirent acheter en un temps et un lieu don
nés » (14) ;
la demande — c’est pour lui le désir de posséder (de
mande absolue) combiné avec le pouvoir d’acheter ;
on l’appelle parfois demande effective.
Son effort va ensuite consister à remplacer la notion
de rapport de l’offre et de la demande par la notion
d’équation.
St. Mill envisage successivement les deux hypothèses:
1 J la demande d’un article excède l'offre.
l'offre et de la demande, mais celles-ci ne sont qu’ un effet des
prix et c’est le coût de production qui a un rôle prépondérant
dans la fixation des prix.
(13) Principes d’Economie Politique, i vol. Paris, Guillau
min, 1848. Livre III, chap. IV.
(14) SI. Mill rappelle ici la position de J. B. Say, le prix
est un effet de la demande et la demande est un effet du prix.
Comment expliquer ce paradoxe? J. B. Say l’a expliqué. Il faut
reprendre cette explication.
Il y aura élévation du prix — une élévation de prix
qui ne sera pas proportionnelle (15).
« À quel point s’arrêtera donc la hausse ? Au point
quel qu’il soit, où l’offre et la demande se trouveront
en équilibre, au prix qui fera retirer un tiers de la
demande ou qui fera venir une offre d’un tiers de plus.
Lorsque d’une manière ou de l’autre, ou des deux ma
nières à la fois, la demande se trouvera exactement
égale à l’offre, la hausse n’ira pas plus loin » (16).
Ainsi hausse jusqu’au moment où l’équation de l’offre
et de la demande arrête cette hausse.
2 ° l'offre excède la demande.
Il y aura baisse du prix (17) surtout sensible sur les
objets de première nécessité et les objets de luxe et de
goût destinés à une classe peu nombreuse de consom
mateurs :
« Oue l’offre et la demande soient égalisées par une
augmentation de la demande à la suite de l’abaisse
ment des prix ou par le retrait d’une partie de l’offre,
le résultat est le même, l’égalité. »
Ainsi baisse jusqu ’au moment où l'équation de
l'offre et de la demande arrête cette baisse.
St. Mill conclut :
« Ainsi nous voyons que l’idée de rapport entre l’offre
et. la demande serait déplacée et n’a rien à faire ici :
s’il faut chercher un terme dans le langage des mathé
matiques, il convient d’employer celui d’équation.
Il faut que l’offre et la demande, la quantité offerte
et la quantité demandée soient égalisées. S’il se produit
une inégalité, elle est couverte par la concurrence, et
la chose a lieu par la baisse ou la hausse de la valeur.
Si la demande augmente, la valeur s’élève ; si la de-
(16) Ibid., p. 515.
(17) <( La concurrence agira sur les vendeurs: la quantité excédente ne pourra trouver des acheteurs qu’à la condition que l’on
provoque une demande supplémentaire égale à elle-même. On
n’y parvient que par le bon marché: la valeur s’abaisse et met
l ’article à la portée d’un plus grand nombre de consomma
teurs, on décide ceux qui existent déjà à faire des achats plus
considérables ».
�— 157
l’autre, et la valeur n’est autre que celle qui, sur ce mar
ché, détermine une demande suffisante pour absorber
toutes les quantités offertes ou attendue
Telle est la loi de la valeur pour toutes les marchan
dises qui Ae peuvent être multipliées à volonté. »
B) Jeu temporaire de l'offre et de la demande pour les
choses ne pouvant être augmentées en quantité
qu'avec élévation des frais de production.
La valeur en ce cas est déterminée par l’offre et la
demande mais seulement pendant le temps nécessaire
pour que la production se règle.
Ainsi pour St. Mill deux modifications importantes
sont à retenir :
d’abord au rapport de l'offre et de la demande, il
substitue l’expression d’équation ;
ensuite il cantonne à deux séries d’objets le jeu de
notre loi, d’une manière permanente et prépondérante
aux marchandises qui ne peuvent être multipliées à
volonté ; d’une manière accessoire et temporaire aux
choses qui ne peuvent être multipliées que par accrois
sement du coût de production.
Beaucoup de libéraux contemporains, on le verra plus
loin (18), ont retenu à peu de chose près, la position de
St. Mill.
Mais cette formule a rencontré surtout de nombreux
critiques.
On peut citer :
Ricardo (19) qui récuse la formule mathématique et
se rallie à la formule suivante : les produits baissent à
proportion qu’on les offre en plus grande quantité et ils
haussent avec le désir que montrent les acheteurs de
les acquérir ».
Cournot qui insiste le premier sans doute sur les
erreurs de cette formule.
Dans son ouvrage, Principes de la théorie des Ri
chesses (20) il critique successivement les deux parties
de la formule :
« Les pf’ix varient en raison inverse de la quantité
offerte. »
« C’est trivial, écrit-il si on a simplement voulu dire
que l’offre avilit la marchandise.
C’est une théorie fausse, si les mots « en raison in
verse » sont pris au sens rigoureux et mathématique.
Il faudrait donc qu’un marchand qui dans ses affai
res est pressé de liquider, et qui veut écouler en huit
jours ses marchandises, fît varier ses prix du simple
au décuple : alors qu'il aurait dix mille ou seulement
mille articles du même genre cà écouler : ce qui est visi
blement absurde. »
« Les prix varient en raison directe de la quantité
demandée ».
<( C’est chose encore plus fausse et plus dépourvue de
sens :
fausse, si l’on veut dire que le prix doublera ou tri
plera quand la quantité se débitera effectivement en
quantité double ou triple ;
dépourvue de sens, si l’on n’entend par demande qu’un
désir vague d’acheter la1chose au cas qu’on puisse l’avoir
à très bon marché : ce qui conduit dans les encans tant
de gens qui n’achètent pas.
Donc, conclut Cournot, de quelque côté qu’on envi(19) Principes de l’Economie Politique et de l’Impôt. Œuvres
complètes. Paris, Guillaumin, p. 318.
(20) Cournot. Principes de la théorie des richesses, 1 vol.
Paris, 1833, p. 94.
�— 159 —
sage la prétendue formule, elle n'offre qu’un sens faux
ou l'absence de tout sens intelligible. Aussi ceux qui
se sont accordés à la mettre en avant, se sont-ils pareil
lement accordés à n’en faire aucun usage » (21).
Ailleurs encore dans une Revue sommaire des doctri
nes économiques (22) Cournot raille le mécanisme de
l’offre et de la demande : « Imaginons, dit-il, deux cré
maillères verticales s'engrenant à la même roue, l'une à
droite, l'autre à gauche, de manière que l’une monte
quand l'autre descend ou descende quand l'autre monte,
selon le sens dans lequel on fait tourner la manivelle.
Si l’une des crémaillères dépasse l’autre en hauteur, on
les ramènera toujours au niveau en faisant jouer conve
nablement la manivelle. L’une des crémaillères repré
sente l’offre, l’autre la demande et la variation de prix
fait l’effet de la manivelle. Pour que le prix se fixe, d
faut que l’offre soit précisément au niveau de la de
mande. »
La critique a été depuis lors plusieurs fois reproduite
par les économistes modernes :
Landry (23) écrit : « ils (un certain nombre d’auteurs)
.ne se préoccupent pas de nous apprendre comment, une
certaine offre et une certaine demande étant données
pour une certaine marchandise, la valeur de cette mar
chandise s’établira. »
Edgeworth (24) arrive lui aussi à une formule mathé
matique mais qui n’est pas celle ci-dessus étudiée, va
riations de prix proportionnelles aux quantités.
11 met en équation les données du problème.
S ection H t
Critiques de la première formule
On trouve d'intéressantes critiques de la première
formule classique : l’offre et la demande sont la cause
du prix successivement chez K. Marx, chez Karl Knies,
chez Bœhm Bawerk.
(21) Ibid. Cournot, p. 95.
(22) 1 vol., Paris, 1877, p. 163.
(23) Manuel d'Economique, j vol., Paris, Giard, p. 494.
(24) Mathematical Psychies, p. 41 et La théorie mathéma
tique de l'offre et de la demande. Rev. d’Ec. P., 1891, p. 10.
K. Marx (25) écrit sommairement : « Dès que l’offre et
la demande se font équilibre, les variations de prix
qu’elles avaient provoquées cessent, toutes les autres
circonstances restant les mêmes, mais dans ce cas l’of
fre et la demande cessent aussi d’expliquer quoi que ce
soit. »
Proudhon (26) affirme que la loi de l’offre et de la
demande est presque toujours entachée d’une double
fourberie : dans la pratique odieuse des enchères, dans
le marchandage qui procède d’intentions malhonnêtes,
celle de surfaire le prix du côté des vendeurs, celle de
le rabattre du côté de l’acheteur.
Karl Knies (27) remarque que la loi de l’offre et de la
demande dans la théorie classique suppose quatre sé
ries de circonstances :
1°) que vendeurs et acheteurs sont deux forces pure
ment égoïstes ;
2 ° que pleine liberté est laissée à chacun de réaliser
ses buts égoïstes ;
3° qu’ils ont tous deux une capacité intellectuelle suf
fisante pour être parfaitement et infailliblement infor
més sur l’état réel des marchandises offertes et deman
dées, connaître les exigences à maintenir et les conces
sions à faire ;
4° qu’ils ont le loisir de différer la transaction et d’at
tendre une occasion plus favorable.
Autant de conditions qui ne sont jamais réalisées.-«La
règle sombre sous des constellations d’exceptions. La
loi des prix est vraie sous ces présuppositions, mais
celles-ci visent un monde qui n’est pas le nôtre. »
Enfin Bœhm Bawerk institue une critique très détail
lée de la loi de l’offre et de la demande.
Il classe les auteurs qui ont adopté la loi de l’offre et
de la demande en deux catégories :
a) ceux qui se contentent de déterminer les facteurs
de l’offre et de la demande ;
(25) Le Capital, t. I, chap. X V II, p. 549.
(26) Proudhon. De la capacité politique des classes ouvriè
res, 1 vol., Paris, p. 107 et 108.
(27) 1821-1898. L ’Economie politique envisagée du point de
vue historique. i r* édition, 1853, traduction Defourny.
Cf. Defourny. Karl Knies, Rev, d’Ec. P. 1906, p. 296.
�—
160
—
b) ceux qui allant plus loin essaient d’en prévoir la
combinaison.
Les seconds, Rau et St Mill sont également dans l’er
reur. Rau en affirmant que quand il y a égalité d’offres
et demandes le prix tend à être moyen, c’est-àdire avan
tageux pour les deux parties ; Rau et St Mill en affir
mant que le prix est fixé quand les demandes et les of
fres se font équilibre. La formule est loin d’être irré
prochable : parle-t-on de la quantité des offres et des
demandes ou de leur intensité ?
Les premiers ont fait des analyses de l'offre et sur
tout de la demande en grande partie inexactes.
Pour la demande, ils ont bien distingué les quantités
des demandes et leur intensité : en ce qui concerne la
quantité, ces auteurs reconnaissent eux-mêmes que tou
tes les demandes ne sont pas efficaces : seules influent
les demandes effectives, c’est-à-dire des acheteurs qui
ont la possibilité de payer le prix. Mais il y a des de
mandes même effectives qui sont sans influence sur le
prix : ce sont celles des acheteurs non échangistes.
Quant à l’intensité il y a aussi insuffisance d’analyse
exacte.
Pour l’offre de même la quantité est parfois sans
influence ; l'intensité est aussi insuffisamment analysée.
Bœhm Bawerk conclut (29) :
« Faisons maintenant le bilan de cette théorie :
« Il est vrai mais trop vague de dire que le rapport
de l’olïre et de la demande fixe les prix. 11 est exact,
mais avec une certaine ambiguité, que le prix se fixe
quand l’offre et la demande se font équilibre. Il est vrai
que la puissance de l’offre et de la demande dépend de
leur quantité et de leur intensité. Mais quant à la quan
tité, il est exagéré de tenir compte de toutes les quan
tités effectivement offertes ou demandées ; quant à l’in
tensité, on a raison de tenir compte de la valeur respec
tive pour chaque partie de ces marchandises et du prix,
mais on a tort de faire intervenir leur solvabilité et sur
tout on erre absolument quand on détermine la valeur
(28) Ibid. K ni es, p. 240.
(29) Résumé présenté par H. St-Marc. Revue d’Ec. Pot. 1888,
p. 226.
de la marchandise pour le vendeur par son coût de pro
duction.
« En définitive, moitié vraie, moitié fausse, équivo
que et incomplète, telle est la loi de l’offre et de la
demande. »
S ection IV
Un aspect nouveau : l'offre et la demande
sont elles-mêmes fonction du prix
Au lieu d’affirmer que l’offre et la demande sont cause
du prix, un autre courant moderne beaucoup plus im
portant affirme que l’offre et la demande sont fonction
des prix.
On trouve cette formule d’abord chez Cournot (30).
Elle signifie d’abord pour lui que lorsque la demande
croît, le prix croît aussi ; mais il admet aussi que d’au
tres variations possibles de la demande peuvent être
fonction d’autres éléments, chiffre de la population,
goût des consommateurs, facilités de transport, etc.
La fonction est d’ailleurs pour lui continue, mais
avec des exceptions.
Une affirmation analogue se retrouve dans l’œuvre de
Walras (31). Ce dernier envisage en effet la détermina
tion non plus d’un prix, mais de tous les prix qui pour
lui sont en mutuelle dépendance.
» Les prix ou les rapports d’échange, écrit L. Wal
ras (32) sont égaux aux rapports divers des quantités de
marchandises échangées : ils sont réciproques les uns
des autres. »
La demande ou l’offre effective d’une marchandise
contre une autre est égale à l’offre ou à la demande ef
fective de cette autre multipliée par son prix en la
matière. » (33)
Des formules mathématiques et des courbes illustrent
ses théorèmes.
(30) Cournot. Principes de la Richesse, i vol., Paris, 1S3S,
p. 94 et suiv.
Cf. G. Pirou. Les théories de l’équilibre économique. I . Wal
ras et V. Pareto. 1 vol., Paris. Ed. Pomat-Montchrcstien 1934,
p. 113 et suiv.
(31) Eléments d’Economie Politique pure, 1874-1877.
(32) Elém., p. 49.
(33) Elém. p. 50.
�— 163 —
§ II.
L es F o rm ules A c t u e l l e s
DF, LA LOI DE L ’OFFRE ET DE LA DEMANDE
On peut classer les auteurs contemporains en ce qui
concerne la loi de l’offre et de la demande en quatre
groupes :
a) les auteurs qui attachent à la loi de l’offre et de
la demande une importance exceptionnelle. Sect. I :
Le Dithyrambe ;
b) les auteurs qui tiennent compte de l’évolution cidessus retracée, acceptent une loi de portée limitée.
Sect. II : L’affirmation modérée.
c) les auteurs qui la repoussent en reprenant les cri
tiques ci-dessus rapportées. Sect. III : La critique né
gative ;
d) quelques-uns reprennent sur de nouvelles bases
le problème et formulent des lois séparées de l’offre,
des lois séparées de la demande. Section IV : Un nou
vel effort constructif.
S ection
I
Le Dithyrambe
Paul Beaurcgard et Paul Leroy-Beaulieu sont à peu
près isolés et adoptent presque seuls cette première at
titude.
Le premier, dans un article du « Monde Economi
que » (34), donne un exposé de la loi fameuse .
« Quel est en effet le jeu de la loi de l’offre et de la
demande ?
Il est fort simple. Il consiste à éliminer dans l’échan
ge ceux des vendeurs et des acheteurs qui ne peuvent
pas trouver leur contre partie. Tel vendeur se retirera
jugeant les prix offerts insuffisants, tel acheteur aug
mentera sa demande pour profiter d’une bonne occasion
ou réciproquement.
Finalement le commerce ne laisse en présence (35)
que ceux des acheteurs et des vendeurs qui consentent
(34) Monde Economique. 4 septembre 1897, t. II, p. 289.
Erreur économique: la loi de l’offre et de la demande.
(35) Trop vague souvenir de l’analyse de l’Ecole Autrichienne.
à payer ou à recevoir le meme prix. C’est à ce prix que
se fixe l’échange et l’on dit qu’il est déterminé par la loi
de l’offre et de la demande. »
P. Beauregard remarque que la loi n’est donc pas un
simple rapport de quantités (36) ; il affirme que tous les
sentiments qui entrent en jeu dans l'âme humaine trou
vent ici leur place (37).
Il conclut :
« La loi de l’offre et de la demande enferme donc en
elle tous les éléments susceptibles d’influencer la va
leur. C’est dès lors une hérésie que de prétendre qu’elle
n’explique pas tout. Elle explique tout, parce qu elle
comprend tout et que à tout ne saurait s’adapter quel
que chose (38). »
Du point de vue critique pareil lyrisme paraît suffi
samment jugé par son énoncé même !
Paul Leroy Beaulieu (39) est, avec moins d'exagéra
tion formelle, assez sensiblement de la même opinion.
Dans son Traité d’Economie politique, il affirme :
« Une valeur tend d’autant plus à la hausse qu’elle
est plus demandée ; elle tend d’autant plus à la baisse
qu’elle est plus offerte. »
C’est de la combinaison de la demande et de l’offre
que ressort la valeur d'échange.
Il insiste sur la portée générale et non scientifique de
cette loi (40), critique la formule mathématique et con
clut :
« Il n’en résulte pas le moins du monde que la loi de
l’offre et de la demande en soit infirmée. C'esl la loi
(36) « En réduisant la loi de l’offre et de la demande à un
simple rapport de quantités, on l’anéantit. î\ul en effet ne sau
rait isoler des autres l’un quelconque des éléments qui influent
sur la demande. Tous agissant en même temps, il est impossible
de déterminer l ’influence spéciale de l’un quelconque d’entre
eux. »
(37) Dans le même article l’auteur affirme que la loi équi
vaut au principe d’ équivalence en utilité sociale.
(38) Plus loin encore: « C’est la loi profonde qui permet aux
sociétés humaines d’évoluer dans le sens de la liberté indivi
duelle, de l’affranchissement des initiatives, du développement
de la personnalité ».
(39) Traité d’Economie Politique, t. III, p. 62.
(40) « Elle a cours dans les milieux les plus obscurs et les
plus impénétrables aux enseignements scientifiques ».
�— 165 —
— 164 —
souveraine (41), la loi ultime. C’est elle qui détermine
toutes les valeurs. »
Il ajoute assez naïvement d’ailleurs : « Cette loi, tou
tefois, ne donne en elle-même que des indications géné
rales, qui ne laisseront pas que d’être un peu vagues. »•
Ainsi chez P. Leroy-Beaulieu, dithyrambe moins
exalté, mais dithyrambe tout de même.
S ection II
L'affirmation modérée
La plupart des économistes contemporains, surtout
ceux de l’Ecole libérale, acceptent la loi de l’offre et
de la demande, mais avec quelques réserves.
d Eichial (42) affirme :
« L'idée la plus simple qui est venue à l’esprit des
observateurs, parce qu elle résultait d’une constatation
souveraine de faits réels et fréquents, est que l’offre (43)
varie presque exclusivement suivant ce qu’on appelle
la loi de l’offre et de la demande, c’est-à-dire en propo
sition inverse de l’affluence des offres d'un même ob
jet. »
Il repousse la forme mathématique de la loi, constate
que la quantité des objets offerte influe bien sur leur
valeur, mais cette mesure est très variable. Elle dé
pend à la fois de 1 intensité des désirs au moment de
l’échange, parfois des conditions de la possibilité de
satisfaction des désirs. »
Et d’Eichtal conclut : « C’est bien la loi de l’offre et
de la demande qui a agi. mais vue par l’esprit humain,
c’est-à-dire modifiée par les facultés de jugement qui
sont propres à l’esprit humain (44). »
Ch. Turgeon (45) accepte la formule classique :
(41) C ’est nous qui soulignons.
(42) d’Eichtal. La Formation des Richesses. 1 vo.l, Paris, 1906,
p/76.
(43) Sans doute l ’auteur veut-il dire le prix.
(44) 11 propose en note un nouveau nom: « La loi de l’offre
et de la demande devrait s’appeler la loi des offres récipro
ques et inverses ».
(45) Ch. Turgeon. Etude critique de la loi de l ’offre et de
la demande. J. des Economistes 15 juillet 1925, p. 25-50,
(46) P. 46.
• <
« Il est inévitable que, si les demandes dépassent les
offres, les prix tendent à monter et qu'inversement,
si les offres excèdent les demandes, les prix tendent à
baisser (47).
,
Il insiste sur le caractère de la loi « qui n’a rien de
la nécessité des lois naturelles, ni de l'obligation des
lois civiles (48). Mais il s’agit bien d’une loi qui, en révé
lant les fluctuations des prix, influe sur les détermina
tions des hommes et partant sur la direction des mar
chés (49).
M. Colsori (50) adhère en ces termes à la loi de l’offre
et de la demande :
u Ainsi, ce que les économistes veulent dire, quand
ils enseignent que la loi de l’offre et de la demande
règle seule les prix, c’est que l’offre et la demande
résument et englobent (51) les effets de toutes les influ
ences susceptibles de modifier les prix, que ces in
fluences n’agissent réellement que dans la mesure où
elles modifient les conditions de l’offre ou celles de la
demande, en sorte que les conditions déterminent, seu
les, pour chaque marchandise et chaque service, le prix
de vente et la quantité vendue, à une époque et dans
un lieu donnés. »
Ch. Gide dans ses ouvrages (52) affirme :
« Pour sortir de ce cercle, les économistes abandon
nant la recherche vaine de savoir si c’est l’offre et la
demande qui déterminent le prix ou le prix qui déter
mine l’offre et la demande, s'attachent seulement à pré
ciser les rapports qui existent entre ces divers faits,
et cette analyse à été poussée à fond par les économis
tes contemporains. »
M. Camille Perreau adopte une attitude analogue (53).
Les philosophes aussi, M. Bergson en particulier,
auraient une particulière sympathie pour notre loi.
(47, 48 et 49) Ibid., p. 47.
(50) Cours d’Economie Politique. Edition définitive, 6 vol.,
•91 5~l9i8, t. I, p. 50. — Cf. t. 1, p. 307.
(51) En italiques dans le texte.
(52) Cours d’Economie Politique, t. I, p. 574. io* édition,
Libr. du Rec. Sirey, Paris, 1930.
(53) Cours d’Economie Politique, 2 vol. Paris, Libr. gén. de
Droit e’t de jurisprudence, t . I, 6e édit. 1935, p. 339.
�— 1G7 —
M. Halbwachs disait à cet égard dans une récente
conférence (54) : « M. Bergson qui fut mon professeur
de philosophie, avait l’habitude de nous dire — il est
très anglo-saxon d’esprit et restait très près d’Adam
Smith : Parmi les sciences sociales (il n'aimait pas
beaucoup la sociologie) il n’y en a qu’une qui soit
vraiment constituée, c’est l’économie politique, parce
quelle a trouvé une loi, la loi de l’offre et de la de
mande. »
Les hommes d’Etat s’y réfèrent couramment : lisons
à litre d’exemple ce passage d’un discours de M. Léon
Blum, président du Conseil, à Chartres, le 21 février
1937 (55) : « Par le jeu mécanique de la loi que vous
connaissez bien, aux causes légitimes de hausse vien
nent s’ajouter ces éléments de hausse qui tiennent pré
cisément au jeu de l’offre et de la demande (56). »
V. Pareto (57) nous peut servir de transition entre les
écrivains de ce groupe et ceux du suivant.
Pour lui la loi n’est vraie que dans un cas spécial,
dans le cas où « il s’agit de marchandises telles que
l’ophélimité de chacune d’elles ne dépend que de quan
tités de celle marchandise et reste indépendante des
quantités consommées des autres marchandises. »
Dans tous les autres cas la loi n’est pas exacte.
S ection I I I
La Critique négative
Un certain nombre d’économistes contemporains re
tiennent les critiques ci-dessus exposées de la loi de
l’offre et de la demande, au point de rejeter la valeur de
cette loi.
G. Tarde (58) critique « la fameuse loi de 1offre et de
(54) Les méthodes en science économique. Le point de vue
sociologiques dans X crise. Centre polytechnicien d’études écono
miques. Fév. 1937, p. 28.
(55) Temps, 23 février 1937.
(56) Et l’auteur affirmait qu’à cette date: « C’est le produc
teur qui fait la loi, et c’est le producteur qui impose à la con
sommation des prix, dans bien des cas, exagérés et illégitimes ».
(57) Manuel d’Economie Politique. 1 vol. Paris, Giard, 19
p. 159.
(58) Psychologie économique, 2 vol. Paris, t. I, p. 47.
la demande qui a été regardée si longtemps comme la
clef d’or de la théorie de la valeur. »
« Cette loi est une formule à la fois vague et com
mode, — commode parce qu’elle est vague et de là son
immense succès — de la manière dont s’opèrent les va
riations des prix, mais elle ne donne nullement les cau
ses de ces variations. »
L’auteur reprend les critiques ci-dessus exposées :
il n’existe aucune proportionnalité entre l’augmentation
de l’offre et de la demande et le degré de hausse ou de
baisse ; la loi ne tient pas compte du taux où se fixent
les prix ;
enfin — et c’est pour lui la critique fondamentale,
l’offre et la demande avec leurs variations devraient
être connues des parties pour avoir leur effet.
L’augmentation ou la diminution des offres et des
demandes qui a une action véritable sur les prix n’est
pas l’augmentation ou la diminution réelle, mais l’aug
mentation ou la diminution crue ou imaginée.
En dernière analyse c’est donc l’opinion qui demeure
maîtresse des prix et par là pour Tarde s’opère le
retour des éléments psychologiques.
A la loi de l’offre et de la demande classique, Tarde
substitue la loi de l’Ecole Autrichienne, la fixation des
prix par le couple limite.
De Tarde (59) repousse la loi de l’offre et de la de
mande comme formule nouvelle :
« Si la loi de l’offre et de la demande, par exemple,
peut être conçue comme une tendance générale, cepen
dant l’effet de cette loi est très variable suivant les mar
chés, c’est-à-dire suivant l’état psychologique commun
aux acheteurs de chaque marché. Sur celui-ci une dé
pression trop brusque des prix amène un retrait, une
réaction belliqueuse de l’offre ; sur tel autre il n’amène
rien du tout qu’une soumission passive ; chez tel peu
ple novateur, la baisse du prix d’un objet étend sa
consommation ; chez tel autre elle est accep
tée comme un bénéfice et ne provoque que lentement
l’accroissement de la consommation. On voit combien
il est hasardeux de donner une formule universelle à
(59) L'idée de juste prix. 1 vol. Paris, 1907, p. 254.
�— 168 —
— 169 —
celle soi-disant loi (60), et surtout une formule mathé
matique, laquelle n’est et ne peut être qu'insignifiante
ou fausse ».
F. Simiand (61) affirme que la loi de l’offre et de la
demande n'a qu’une valeur hypothétique.
Dans l’Année Sociologique l’argumentation de Si
miand comporte les critiques suivantes :
1° « d’abord la loi de l’offre et de la demande ne fixe
pas le prix ab inlegro : elle ne fait que tendre à ramener
le prix du marché d’un produit au niveau du prix réel
ou de la valeur de ce produit dans le milieu donné »
ainsi elle suppose une estimation sociale préexistante ;
2° ensuite elle suppose aussi un état social donné assez
avancé et assez spécial : elle suppose une appro
priation préalable, une propriété susceptible d’aliéna
tion à la volonté du propriétaire ;
3° encore elle suppose nécessairement que les deux
échangistes en présence aboutissent à conclure. Or c’est
là une hypothèse gratuite et illégitime ;
4° enfin elle suppose un marché libre défini par l’Ecole
mathématique ; ce qui n'est pas toujours, ce qui n’est
même jamais absolument réalisé.
La loi n'a donc qu’une valeur hypothétique : elle
n’est pas une loi de la réalité économique observable.
M. Maurice Ilalbwachs, professeur à la Sorbonne,
dans une récente causerie (62) appréciait ainsi la loi de
l’offre et de la demande :
« Si on regarde d’un peu près cette loi, cependant,
elle paraît quelque chose d’extrêmement simple. Si
vous appelez l’offre le contenant, la demande le contenu,
et que vous augmentiez le contenu, le niveau, c’est-àdire le prix, hausse et inversement le contenant,
c’est-à-dire l’offre, restant le même. C’est une vérité
élémentaire et c’est une vérité qui n’est même pas d’or
dre social et humain. Comment, avec une proposition
de ce genre, aurait-on pu expliquer toute la réalité
économique. C’est le type d’une loi strictement
vide. » (63)
Enfin L. Dechesne (64) observe que le mécanisme dé
crit est fort éloigné de la réalité : « Dans ce domaine,
comme dans bien d’autres, l’économie politique s’est
encore insuffisamment dégagée de l’obscurité des abs
tractions métaphysiques, accrue encore par le déchaî
nement vertigineux des raisonnements mathématiques.
On se contente trop souvent, après avoir pris des
hypothèses fort éloignées de la réalité, de déclancher
la mécanique des syllogismes : s’élevant alors vers les
hauteurs de la spéculation on a vile achevé de perdre
de vue la société terrestre. »
Et il cite l’exemple du marché aux légumes de Liège:
<( La nuit qui précède le marché, les maraîchers se réu
nissent dans les cafés du voisinage et fixent d’avance
les prix minimum qu’ils s’engagent à observer pendant
toute la durée du marché... Ils ne peuvent consentir
des rabais qu’au moment de la clôture avant de s’en
aller, afin d’épuiser leur stock. Dans les halles les prix
sont également réglés par des ententes préalables. »
Encore G. Valois (65) trouve cette loi erronée : « elle
n’a guère plus de valeur scientifique que les vérités de
M. de la Palice. » (66)
(60) C’est nous qui soulignons.
(61) Simiand. Analyse de l’ouvrage d’Effertz. Année Sociolo
gique, t. X, 1905-06, p. 513.
Revue de Métaphysique et de Morale. Nov. 1908, p. 900.
(62) La Méthode en sciences économiques. Le point de vue
sociologique dans X crise. Centre polytechnicien d’études éco
nomiques. Fév. 1937, p. 28.
IV
L'effort constructif
S ection
D’autres auteurs contemporains se livrent à un nou
vel effort constructif. Il y a tendance à envisager sépa
rément la loi de l’offre et de la demande.
(63) Il y oppose les alternances de prospérité et de crise
d’après les recherches de Simiand, qui constituent pour lui une
« régularité » ou une « répétition » autrement réaliste.
(64) Le Capitalisme, la libre concurrence et l’économie diri
gée. 1 vol. Paris, 1934, p. 84 et suiv.
(65) L ’Economie Nouvelle. 1 vol. Paris, p. 76-79.
(66) Cf. Laveleye, qui y voyait le « truisme des cuisinières ».
�— 170 —
A) La loi de la demande.
C’est Marshall (67) qui l’un des premiers s’engagea
dans cette nouvelle voie : la quantité d’un bien de con
sommation, vendue sur un marché et dans un telnps
déterminé, varie en sens inverse du prix.
D’où il résulte que si le prix augmente, toutes choses
égales d’ailleurs, la quantité demandée à ce prix, la
quantité qui trouve un débouché à ce prix diminue et
inversement si le prix diminue, la quantité augmente.
Marshall donne de sa loi une représentation géomé
trique et il construit les courbes de la demande (68).
A sa suite et plus récemment Umberto Ricci pré
cise avec des calculs malhématiques, le fondement psy
chologique de la loi de la demande (69).
D’autres études également mathématiques dues à
M. Henri Schulz ont précisé davantage encore et vérifié
la loi de la demande (70).
Moore (71) donne deux nouvelles formules séparées
de ce qu’il appelle d’une part la loi de la demande et
d’autre part la loi de l'offre.
La loi de la demande (72) qu’il prétend formuler doit
être plus en contact avec le réel que les lois abstraites
et statiques des théoriciens de l’équilibre économique.
Pour y parvenir, il définit deux taux dont il fait un
usage nouveau : l’élasticité de la demande et la flexi
bilité du prix.
67) 1842-1924.
Principles of Economies. Londres, ir® édit. 1890, t. II, 1919,
t. III, 1923.
Traduction fr. par Sauvaire Jourdan, sous Ce titre: Principes
d'Economie Politique. 2 vol. Paris, Giard, t. I, 1907, t. II, 1909.
(68) On en trouvera une reproduction acceptable dans l’article
de Umberto Ricci, la loi de la demande individuelle et la rente
du consommateur. Rev. d'E. D. 1926, p. 10.
(69) U. Ricci. The psychological foundation of law of
Demand. The journal of political Economy. 1932 april, p. 145.
(70) H. Schulz. Interrelations of demand. The journal of poli
tical economy. 1933, August, p. 433.
H. Schulz. Interrelation of demand and Income, Ibid. 1935
April, p. 433(71) Cf. G. Pirou. Les Nouveaux Courants de la théorie éco
nomique aux Etats-Unis, fasc. I. Paris, Ed. Domat-Montchrestien 1935, p. 280 et suiv.
(72) Synthetic (Economies. 1 vol. New-York. Mac Millan,
1929, chap. V.
— 171 —
L’élasticité de la demande, c’est pour lui le rapport du
changement dans les quantités demandées au change
ment dans les prix. C’est en somme la modification de
la demande pour changement du prix.
La fléxibilité des prix c’est le rapport du changement
dans le prix au changement dans les quantités deman
dées. C’est donc le prix se modifiant par suite du chan
gement dans la demande.
C’est ensuite par l’étude des prix et des graphiques
des prix qu’il arrive a une loi nouvelle : il opère ainsi
sur les pommes de terre pour la période 1881-1900 —
article où le prix est fonction de la production.
Il dégage la notion de Irend, c’est-à-dire la tendance
générale du mouvement d’ensemble des variations :
la notion de price ralio, c’est-à-dire le rapport du
prix au trend,
la notion de production ralio, c’est-à-dire le
rapport de la production au trend.
Il en dresse les trois courbes.
Il établit alors que lorsque la production est en des
sus du trend de tant, le prix est au-dessus du trend de
tant et inversement (73).
Ainsi la loi de la demande — valable d’ailleurs pour
un produit, une époque, un pays —■donne pour ce pro
duit les variations du prix en fonction de la demande
seule.
M. René Roy (74) dans une autre direction, a cher
ché à établir un lien entre la consommation d’un article
et ses prix. 11 distingue d’ailleurs les consommations
relatives aux objets de première nécessité et les autres.
Il arrive ainsi à une formule mathématique (75) qu’il
dénomme « expression différentielle de la loi de la
demande.
(73) Moore développe ensuite l’application de sa loi dans un
cas plus compliqué avec plusieurs variables indépendantes et
la résout par des équations mathématiques très savantes.
(74) Les lois de la demande. Rev. d’E. P. 1931, p. 119-. Com
munication au Congrès international des mathématiciens de
Bologne. Metron, rev. intern. de statistique.
(75) L ’élasticité de la demande. Rev. d’E. P. 1934, p. 1178,
soit p le prix, exprimé en variation de la valeur initiale
de l’index, q la quantité exprimée également en variation de
�— 173 —
Il donne dans l’article précité d’assez nombreux exem
ples qui pour lui semblent vivifier sa formule, encore,
dit-il, qu’il ne prétende pas être parvenu à des conclu
sions définitives.
Parmi les disciples de Moore, il faut citer H. Schultz
(76), qui applique la méthode au sucre, au blé, à l’avoi
ne, aux pommes de terre, au foin, au riz, à l’orge et au
sarrazin.
Mme Gilby l'applique au café, au cuivre, aux expor
tations et aux importations britanniques, au lait et au
beurre (77).
Les résultats (78) semblent confirmer la loi de l’offre
et de la demande.
Moore et ses disciples ont essayé de tirer des prévi
sions de leurs formules (79) prévisions que les faits
n’ont pas toujours confirmées.
En résumé l’œuvre de Moore et de ses disciples immé
diats apporte confirmation certaine à la loi de l’offre
et de la demande.
B) La loi de l offre.
Marshall de môme donne de la loi de l’offre une for
mule sensiblement symétrique à la formule de la loi
de la demande :
El ici nous rencontrons un exemple de cette loi pres
que universelle à savoir que : un accroissement dans la
quantité demandée fait hausser le prix d’offre normal
d’une courte période » (80).
la valeur initiale de l’index de quantité, À le coefficient de
proportionalité ou d’élasticité, on aurait la relation
q = X p
Par ex. une augmentation de prix de io % entraîne une réduc
tion de consommation de 3 %.
(76) M. H. Schulz. Statistical Caus of demand and supply,
with spécial application to sugar. Chicago 1928.
(77) M. Gibboy. The Leontuf and Schultz méthode of deriving demand curves. Quaterly journal of Economies fév. 1931.
— Studies in demandes: milk and butter.
(78) M. Ricci. Elasticita dei bisogni, délia demanda e dell’
offerta. Giornale degli Economisti Août et oct. 1924. Substitue
aux courbes de la demande les courbes de dépenses.
(79) Cf. Aftalion, op. cit., p. 236.
(80) Principes d'Economie Politique.Paris, Giard, 1909, 2 vol.,
trad. fr. Sauvaire-Jourdan, t. II, p. 60.
Il y a d’ailleurs des hypothèses plus complexes (81).
Pour un travail analogue et par des schémas sem
blables à ceux utilisés par la loi de la demande, Moore
étudie en second lieu la loi de l'offre.
L’essentiel est alors pour lui l’élasticité de la produc
tion, c’est-à-dire le rapport du changement relatif dans
les quantités au changement dans les prix.
Il étudie de ce point de vue la pomme de terre encore
pour la période 1900-1913.
Il souligne l’influence des prix d’une année sur la
production de l’année suivante.
Il arrive ainsi à une loi de l’offre, toujours spéciale à
un produit, à un pays et à une période.
En résumé un effort analytique pour dégager à l’aide
,des statistiques et des courbes, l’influence de la produc
tion sur le prix (loi de la demande) et l’influence des prix
sur la production (loi de l’offre).
B) Les conlinualeurs de Moore.
Le point commun des continuateurs de Moore est un
élargissement du problème.
M. Léontieff (83), au lieu des courbes d'offres et de
demandes réelles, substitue les courbes d’offre et de
demande les plus probables.
Les résultats qu’il obtient sont contestés.
M. Pigou (84) entre dans le détail des conditions de
vente : il remarque que les prix enregistrés au cours
d'une semaine ne se confondent pas avec les prix des
marchandises livrées au cours de la même semaine qui
l’ont été en vertu de contrats antérieurs. Il entre alors
(81) Voir le graphique, p. 32.
(82) Ainsi pour le prix d’offre des biens employés dans une
production quelconque, on trouve la formule suivante:
« Le prix qui sera offert pour une chose quelconque employée
dans la production d’une marchandise, est, pour chaque quan
tité séparée de la marchandise, limité par l ’excédent du prix
auquel cette même quantité de la marchandise peut trouver
des acquéreurs sur l ’ensemble des prix auxquels s'élèveront les
offres correspondantes des autres choses nécessaires la produc
tion de cette marchandise ».
(83) Wassily Léontief. Em Versuch zur statistichen Analyse
von Angebot und Nachfrage Weltwirtchafliches Archiv. Band
X X X Heft I, juillet 1929.
(84) The statistical détermination of demand curves. Econo
mie journal. Sept. 1930.
�— 175 —
dans l’étude des facteurs d’influence possible. Il obtient
des résultats sensiblement différents dans la construc
tion des courbes.
Le mouvement se poursuit dans le sens d’une compli
cation croissante des facteurs étudiés.
En résumé les travaux contemporains (85) sur la loi
de l’offre et de la demande par l’étude des courbes con
firment l’exactitude mais aussi la relativité de cette loi.
11 faut noter encore dans cet effort constructif une
théorie plus amorcée qu’achevée (86) sur l'offre
conjointe. C’est le cas de deux ou plusieurs biens ayant
des marchés différents, mais produits en même temps,
avec un coût de production global unique.
Ainsi pour le bétail, la viande, la peau, les os et les
cornes, pour la houille, le gaz d’éclairage et les autres
produits de la distillation.
« Les prix sont alors déterminés par le prix de re
vient de l’ensemble. La proportion dans laquelle chaque
produit vendu est obtenu est déterminée par les condi
tions techniques de la production ; le développement de
cette production est réglé par les conditions que la tota
lité des produits puisse être vendue à un taux rémuné
rateur, le prix de vente respectif de chacun d’eux
résultant de la demande qui lui est propre » (87).
§ III. E x a m e n critique
Il s’agit maintenant de vérifier la loi de l’offre et de
la demande retenue sous sa formule la plus courante :
Les produits sont d’autant plus chers qu’ils sont plus
demandés et moins offerts.
On peut pour suivre cet examen, distinguer trois
aspects :
Il y a d’abord ce que l’on peut appeler le jeu nor
mal de l’offre et de la demande. Section 1 ;
il y a ensuite une certaine action exercée soit sur
(85) Cf. Norman Silberling.
Les Représentations graphiques des lois des prix. American
Economie Review. Sept. 1924.
(86) Colson, op. cit., t. I, p. 242 et suiv.
G. H. Bousquet. Institutes de science économique. Paris,
Rivière, t. III. La Production et son marché, p. 274.
(87) Colson, op. cit., p. 244, t. I.
l’offre soit sur la demande : c’est ce que l’on a dénommé
dans le langage moderne la valorisation. Section II ;
il y a enfin un effort scientifique assez récent pour
examiner minutieusement les courbes de prix et y cher
cher une confirmation ou une infirmation de notre loi.
Section III.
I
Le jeu normal de l'offre et de la demande
S e c t io n
Très nombreuses sont de ce point de vue les obser
vations soit sur le plan national soit sur le plan inter
national.
Sur le plan national et sans entrer ici dans de trop
nombreux détails, il paraît certain que la raréfaction
de l’offre amène bien une hausse des prix comme la
multiplicité de la demande ; de même l’abondance de
l’offre et la rareté de la demande provoquent une baisse
des prix.
Les principaux et plus significatifs exemples peuvent
être tirés soit en régime normal (88) des variations de
prix dues aux fluctuations saisonnières de la produc
tion, en matière des primeurs par exemple — soit en
régime de crise, notamment pendant la grande guerre
1914-1918 : la raréfaction des produits alimentaires
comme des biens nécessaires à la guerre tendent à ame
ner une hausse et amena de fait une hausse des prix
que l’on s’efforça d’enrayer (89).
Sur le plan international, il suffira d’évoquer ici deux
séries de faits bien connus :
D’abord et pendant la grande guerre, la hausse des
prix des objets d’alimentation et matière nécessaire à la
conduite de la guerre qui se dessina après 1914 et
avant l’entrée en guerre des Etats-Unis (90).
(88) On cite encore comme cas typique la détaxe du sucre
en France (à la suite de la Conférence de Bruxelles de 1902)
qui provoqua un relèvement de 34 % dans la consommation
française du sucre, au point d’étonner les producteurs euxmêmes.
(89) On peut mentionner aussi la pratique courante des mar
chés et des bourses soit de valeurs, soit de marchandises.
(90) Cf. Publication de la Dotation Carneggie pour la paix.
�Ensuite et pendant la crise économique mondiale la
surproduction pour de nombreux produits qui amena à
une baisse quasi verticale des prix (91).
II
La Valorisation
S ection
Il s’agit ici d’actions consenties ou voulues assez sou
vent sur la demande, plus ordinairement sur l’offre qui
ont reçu l'appellation de valorisation. On entend par là
un effort pour régulariser le cours de certaines mar
chandises en agissant soit sur l’offre le plus souvent,
soif sur la demande plus rarement.
La caractéristique de cette série de faits est ici
l’intervention voulue soit sur l’offre soit sur la demande:
il y a expérience (92).
On peut pour plus de facilité, passer successivement
en revue les principaux produits pour lesquels a été
tentée cette valorisation : le blé, le café, les raisins secs,
les agrumes (citrons et oranges), le soufre, le caout
chouc, la soie, le colon...
I. Le blé el quelques produits agricoles (93).
On peut affirmer que dans beaucoup de pays, notam
ment en France, la politique suivie par les gouverne
ments, est une politique de valorisation indirecte.
Sans entrer ici dans les détails de la législation fran
çaise contemporaine, la politique actuelle (94) qui con
siste à pratiquer un prix national différent du prix du
marché libre, implique dans une certaine mesure une
politique de valorisation, qui s’affirme par la réduction
des emblavures.
(91) Aftalion. L ’Equilibre dans les Relations économiques inter
nationales. 1 vol., Paris, Ed. Domat-Montchrestien, 1937, p. 102
et suiv.
(92) P. Clerget. Les récentes expériences de valorisation (café,
souffre, raisins secs, agrumes). Questions pratiques de législa
tion ouvrière, p. 21-29, J9°7*
A. Andréadès. Une nouvelle expérience économique: la crise
de surproduction des raisins de Corinthe. Rev. écon. intern.
avril 1909.
(93) Cf. Philip. La crise et l’économie dirigée. 1 vol. Paris.
Ed. de Cluny, 1935, p. 65 et suiv.
(94) La France économique (annuel) numéro spécial de la
Revue d'Economie Politique, depuis 1932.
Nogaro. Les prix agricoles mondiaux et la crise. 1 vol. Lib.
gén. du Droit et de jurisprudence. Paris, 1936.
Il existe aussi en Tchécoslovaquie un office des
céréales (95) créé en 1934, qui paraît par les méthodes
de valorisation avoir obtenu des résultats jusqu’ici assez
satisfaisants.
Pour la première année de son activité (30 juin 1934
au 30 juin 1935) l’Office tchécoslovaque des céréales a
racheté 1.807.668 tonnes métriques de céréales ainsi
réparties :
Froment735.042 tonnes métriques
Seigle
385.357
»
Orge
418.467
»
Avoine
218.013
»
Maïs
50.769
»
Les prix semblent avoir été heureusement relevés.(96)
Dans de nombreux pays, il n’y a pas eu valorisa
tion par réduction directe des emblavures, mais seu
lement par mesures tendant à ce résultat.
En Grande-Bretagne, la subvention prévue par la
loi sur le blé de 1932 n’est versée intégralement jus
qu’en 1937 que pour une production limitée (27 millions
de c. w. t.).
En France, à partir de 1932, on procède à des achats
de blé en vue de la dénaturation, pour rendre le blé
impropre à la consommation humaine et on donne de
nombreuses facilités d’emmagasinage avec système de
reports et garantie d’un prix minimum.
Il faut mentionner dans le même sens les mesures
aux Etats-Unis depuis 1933 pour les produits agricoles:
elles sont contenues dans l’Agricultural adjustement act
prises après que celui-ci eut été déclaré contraire à la
constitution, mesures destinées à équilibrer la pro
duction.
Les premières consistent surtout en des primes et
indemnités versées aux producteurs s’engageant à ré
duire leurs ensemencements de blé el de maïs, en des
achats de truies et de porcs destinés à l’abatage : dans
(95)
Europe Nouvelle. 28 septembre 1935, p. 940: Ladislav
Feierabend. Les résultats obtenus par l ’offre des céréales.
(9,6) Cf. Laufenburger. Le Commerce et l’organisation des mar
chés. 1 vol., Paris. Ed. Domat-Montchrestien, 1938, p. 575.
�—
178
—
les deux cas on dégage heureusement le marché et on
réalise une hausse de prix.
Les secondes sont moins orientées dans le sens d’une
restriction de la production mais dans le sens d’une
adaptation selon la qualité du terrain.
De même aux Pays-Bas on constate une valorisa
tion des produits agricoles par restriction de la pro
duction : limitation des ensemencements — limitation
de la production des pommes de terre : réduction de
l’élevage des bêtes à cornes et des porcs : limitation de
l’incubation des œufs autorisé pour les seuls produc
teurs détenteurs de produits spéciaux ; réductions sen
sibles pour la production des légumes, des petits fruits
et des fromages.
De même encore au Danemark, relèvement du prix
opéré par l'Etat grâce à l’achat et à l’abatage du bé
tail et même pour la réduction de l’élevage des
porcs (97
—
179
-
abondante provoque un effondrement désastreux des
cours.
Après divers essais d’ailleurs inefficaces pour en
rayer la production (100), l’expérience de valorisation
débuta en 1906.
Elle est d’abord menée séparément dans chacun des
Etats producteurs associés (101).
Les trois Etats Brésiliens de Sao Paulo, de Bio de
Janeiro et de Minas Geraes passent l’accord suivant :
les trois Etats s’engagent à acheter sur les marchés
du Brésil la quantité de sacs nécessaires pour dégager
le marché, pour équilibrer l’offre et la demande et main
tenir les cours à un taux rémunérateur. Les cafés ainsi
achetés sont warrantés sur les grands marchés du
monde et mis en vente progressivement (102).
Les résultats pour cette première période paraissent
avoir été favorables : l’Etat de Sao Paulo retire pro
gressivement de la circulation environ sept millions de
sacs, qu’il entrepose au Brésil et dans les divers ports
d’Europe. Les prix remontent à partir de 1908. On
essaye alors d’évaluer la consommation mondiale
annuelle (103).
En 1911, après quelques récoltes moins abondantes,
les stocks sont à peu près liquidés.
(100) Par exemple un impôt prohibitif sur les plantations dans
l'Etat de San Paulo (zone du Santos).
(101) Pour apercevoir l’intérêt vital de l’opération, on peut
indiquer que pour le seul Etat de Sao Paulo, le capital absorbé
par ia culture du café était de 4 milliards de francs, le nombre
de propriétaires ayant des plantations couvrant le quart du
teiritoire était de 15.800 et le nombre d’ouvriers agricoles occu
pés atteignait 450.000. (Temps du 17 décembre 1907).
(102) Au point de vue financier, les avances nécessaires à
l ’opération sont réalisées par des opérations de crédit effectuées
conjointement par les trois Etats et gagées sur un impôt à la
sortie des ports de Rio et de Santos qui fut d’abord de 3 fr. par
sac, puis (sept. 1908) de 5 fr. par sac: il est augmenté d’un
droit additionnel de 20 %, sur tous les cafés expédiés au delà
d’un maximum fixé: 9 millions de sacs la première année, 9 mil
lions et demi la deuxième année et 10 millions les années
suivantes.
(103) Celle-ci de 17 millions de sacs en 1906 est supposée aug
menter de 3 %, soit 500.000 à 600.000 sacs par an: la Commis
sion internationale chargée de l’administration des cafés valo
risés et warrantés met en vente chaque année précisément cette
quantité.
�—
180
—
—
Deux nouvelles valorisations, également favorables,
ont lieu en 1907-1919 et 1921-1924.
On aperçoit les heureux résultats de cette expérience
dans le tableau suivant : (104)
EN SACS
A n n ie
ilïfl
ISfifl
ï»! ! 1
H
m oyenne
P r o d u c ti o n m o n d ia le
1900-1905
16.392.000
1905-1910
17.896.000
1910-1915
17.156.000
17.139.000
1905-1920
1920-1925
19.778.000
puis la surproduction reparaît :
1925-1929
24.048.000
C o n a o m m a tio n m o n d ia l*
15.295.000
17.393.000
18.398.000
17.303.000
19.977.000
22.376.000
En 1924 le mécanisme se perfectionne : l’Etat de Sao
Paulo constitue un Institut de défense permanente de
café (105).
Une politique analogue à la précédente est poursui
vie : raréfaction de la quantité de café offerte sur le
marché.
Cette fois encore les prix s’élèvent rapidement. Mais
celle hausse des prix rend la production de plus en
plus avantageuse : de nouvelles plantations sont faites
et en 1927 la récolte est de près de 2 millions de tonnes
atteignant à elle seule le total de la consommation
mondiale.
L’Institut de valorisation multiplie les avances et
relire du marché des quantités croissantes de café, les
stocks atteignent 860.000 tonnes en octobre 1930.
En 1931 il fallut abandonner cette politique de valori
sation, les cours s’écroulent à nouveau et 12 millions de
sacs sont jetes à la mer.
Depuis cette date la politique de la valorisation est en
tre les mains du Deeparlement National du Café (106)
qui la poursuit en agissant à la fois pour régler la pro
duction et accroître la consommation.
181
11 semble que les conclusions de cette expérience sont
les suivantes :
la politique de valorisation réussit par suite de la
loi de l’offre et de la demande et la raréfaction de l’offre
amène bien une hausse momentanée des prix.
Mais le mieux est l’ennemi du bien. Cette hausse du
prix provoque à son tour une augmentation de la
production et c’est de nouveau l'effondrement des
cours (107).
III. Les Raisins secs.
C’est en Grèce et avant 1914 que fut tentée une expé
rience de valorisation des raisins secs.
Ceux-ci constituaient une importante production en
traînant une considérable exportation pour la Grèce.
Cependant cette production grecque se trouva fort
en peine à la fin du xixe siècle, particulièrement du
fait de la fermeture du marché français (108).
Après diverses mesures inopérantes pour restreindre
la production ou retrouver de nouveaux débouchés, une
loi du 8 juillet 1905 institue « une Société privilégiée
pour favoriser la production des raisins de Corinthe »•
La convention conclue pour trente ans passée entre
cette Société et l’Etat était la suivante : la Société s’en
gage à acheter du 15 juin au 1er août toutes les quan
tités de raisins secs qui pourraient lui être offertes aux
prix de 115, 130 et 145 drachmes (109) la livre véni
tienne : (110) le producteur reste libre d’ailleurs de ven
dre ailleurs. Comme compensation à ces charges, la
Société devient propriétaire de 35 % en nature de la pro
duction exportée : elle perçoit un droit de 7 drachmes
par 1.000 livres vénitiennes exportées, achetées par
elle ou mises en gage dans ses magasins : enfin elle est
chargée de veiller à l’application de la loi de 1904 inter
disant de nouvelles plantations.
(107) Cf. B. Nogaro. Les prix agricoles mondiaux et la crise.
1 vol. Paris. Lib. gén. de Droit et de jurisprudence 1936, sur
tout p. 102 et p. 164.
(108 De 1889 à «893 les exportations de Grèce en France pas
sent de 70.000 tonneaux à 3.187 tonneaux.
(109) La drachme valait alors 1 franc
(110) De 480 grammes environ.
�—
182
—
Les résultats de cette diminution de l’offre et de cette
régularisation du marché furent alors assez favorables :
la Société réussit à obtenir une hausse des prix sur les
marchés étrangers en trouvant de nouveaux débouchés
en Angleterre et aux Etats-Unis : elle développe aussi
les industries nationales de transformation : pâte de
raisins secs, moûts concentrés, confitures, en un mot
des produits spéciaux et aussi la transformation en
alcool.
Ce fut encore une expérience de valorisation qui
réussit.
IV. Les Agrumes (111).
Il y avait vers 1908 surproduction en Italie pour les
agrumes dont la production annuelle était de 40 % su
périeure à la consommation mondiale.
Une loi du 5 juillet 1908 institue en Sicile une Cham
bre des Agrumes pour protéger et sauvegarder les
intérêts de la production et du commerce des citrons
et oranges, etc., ainsi que pour trouver des débouchés
(vente de fabrication).
Le système est moins perfectionné que les précé
dents : la Chambre fournit des renseignements, faci
lite la vente directe et garantit la valeur des produits
par l'émission de certificats d’analyse obligatoire pour
les produits divers : citrate de chaux, aigre de limon
cuit... Elle accorde des anticipations pour les 2/3
de la valeur des produits déposés (112) ; elle effectue
des ventes sur l’ordre et pour le compte des déposants
en suivant l’ordre de dépôt des marchandises ; elle fixe
des prix minima pour les marchandises vendues.
Depuis lors le système de la valorisation pour les
agrumes semble s’être généralisé.
M. Jacques Faugeras, dont un livre récent (113) écrit
au sujet des agrumes : « En cas de forte récolte, ou de
(m ) On entend par là les citrons, les oranges, les manda
rines, les pamplemousses.
(1 1 2) Les déposants reçoivent lors de la vente un à-compte
sur l'estimation minima; le prix de vente effectif est liquidé
à la fin de chaque semestre.
(1 13) Jacques Fangeras. Les Fruits à grumes. 1 vol. Paris,
1937-
— 183 —
faible demande, les quantités nécessaires pour empêcher
la baisse des cours sont retirées du marché mondial.
L’expérience a prouvé l’efficacité de celte mesure qui
est devenue une doctrine ainsi conçue : il est erroné
de développer les vergers et leur production aux fins
de faire absorber celle-ci par les industries marginales,
qui ne constituent pas toujours un débouché rémunéra
teur sans limites : en revanche il y a intérêt à limiter
les tonnages disponibles pour les marchés de fruits
frais, en n’y consacrant que les qualités qui donnent
un profit et en transformant le solde en sous produits
qui ne concurrenceront en aucune façon les fruits
frais. » (114)
V. Le Soufre.
La situation pour ce produit en Italie dans les pre
mières années du xxe siècle était fort analogue : il y
avait crise de surproduction, due à une augmentation
de l’offre et une diminution de la demande. On fonda
alors un consortium obligatoire pour tous les exploi
tants de soufre : il emmagasine la production et avec
l’appui de l’Etat donne au producteur une fraction du
prix de son minerai (115). Ce prix d’estimation s’obtient
en défalquant du prix de vente le montant des dépenses
ou de prêts payés par le consortium, plus une réserve
fixe de 7 livres par tonne (116).
Les résultats furent assez favorables : grâce au sys
tème les prix purent être maintenus à un certain niveau.
Cependant, à cause de la concurrence américaine, le
consortium sicilien 11’est pas maître du marché. Une
loi de 1900 le charge cependant de la vente de la pro
duction tout entière.
Cette expérience a deux graves défauts : la vente
(114) Par exemple l ’industrie de la pectinerie. Cf. Tempes,
13 décembre 1937. Il y a de ce chef une certaine stabilité dans
la production des agrumes.
(115) Chaque producteur pouvait obtenir, pour chaque tonne
de soufre, une avance égale aux 4/5 d’un certain prix d’estima
tion pourvu qu’il ne dépassât point 60 lires.
(116) Ces lires vont pour moitié constituer un fonds de ré
serve: le reste est réparti entre les producteurs au moment
du bilan.
�— 185 —
Pour ce produit, le résultat cherché — le maintien ou
la hausse du prix — a été poursuivi aussi bien par une
raréfaction immédiate de l’offre, c’est-à-dire du caout
chouc disponible, qui par des mesures à lointaine
échéance tendant à diminuer la production.
Le plan Stevenson (1925-1928), un second accord in
ternational signé en 1931 et applicable de 1935 à 1938
raréfiaient l’offre en diminuant selon les variations des
prix, les quota d’exportation : ces accords — qui ont
ainsi réalisé une valorisation du produit — n’ont eu
qu’un effet limité, parce que leurs signataires ne repré
sentèrent qu’une partie seulement de l’ensemble des
producteurs.
VII. La Soie.
Sur le plan national, il faut citer les efforts du gou
vernement japonais en 1928 pour stabiliser les prix de
la soie : le gouvernement japonais met à la disposition
des exportateurs une somme de 37 millions de yens : ce
qui permit de retirer 50.000 balles du marché (118).
VIII. Le Colon.
Le gouvernement égyptien promit des avances aux
producteurs et se porte acheteur à la Bourse à des prix
fixés.
Il y eut des tentatives analogues aux Etats-Unis.
On pourrait continuer l'étude de cette série de valo
risation pour divers produits en parlant encore de la
sardine fraîche à Paris, des noix en Californie, etc. (119)
Ainsi la valorisation consiste à restreindre la pro
duction ou à retirer une partie des stocks, en un mot à
agir sur l’offre. Elle constitue une vérification exacte de
la loi de l’offre et de la demande.
On pourrait symétriquement envisager une action
voulue sur la loi de l’offre et de la demande, en agis
sant sur la demande. M. M. Laufenburger a dénommé
cette politique consommation dirigée. Elle se retrouve
surtout actuellement en Allemagne où par une politique
systématique allant de la taxation et du contingente
ment aux simples conseils, le gouvernement a tâché
d’agir sur la consommation.
L’expérience est assez complexe (120).
Pour autant qu’on la puisse actuellement apprécier,
elle semble, comme la politique dite de valorisation
pour l’offre, confirmer l’exactitude de la loi de l’offre
et de la demande.
S e c t io n
III
La vérification par l'étude
des courbes de l'offre et de la demande
Depuis une vingtaine d’années, un nouveau courant
d’études intéressant directement la loi de l’offre et de
la demande consiste à déterminer pour divers produits
les courbes de l’offre et de la demande et à observer
minutieusement lesdites courbes pour y trouver une
confirmation au une infirmation de la loi de l’offre et
de la demande (121).
Dans l’ensemble les recherches ont été en se compli
quant : on est d’abord parti de l’interprétation directe
des courbes (Moore) puis on a introduit quantité d’élé
ments nouveaux pour les expliquer.
(120) Il s’y mêle des considérations d’économie nationale et
d’autarchie.
(121) Bib. Les sources essentielles à consulter sur ce point
sont:
Moore. Economie. Cycles: their law and cause. New York,
1914.
Cf. Luftalla. Essai critique sur la détermination statistique
des courbes d’offre et de demande. Annales Sociologiques. Sé
rie D, 193;, p. 87.
H. Schulz. Statistical laws of demand and supply, with spécial
application to sugar Materials for the study of business. Chi
cago, 1928, XIX-228 p.
On négligera ici le côté mathématique et méthodologique des
procédés employés pour s’attacher seulement aux résultats des
études précitées.
**
�— 187 —
A) Les recherches de Moore.
Moore dès 1914, dans l’ouvrage précité (116), posait
nettement le problème de la vérification statistique : la
théorie économique affirme que les prix varient en sens
inverse de l’offre et dans le même sens que la demande,
toutes choses égales d’ailleurs. Que donne la vérifica
tion statistique ?
Pour les produits agricoles, la loi semble vérifiée.
Moore arrive aux résultats suivants :
Soit y les prix et x le rendement des récoltes.
maïs
y = 7,8 — 0,89 x
avoine y = 6,93 — 1,045 x
foin
y = 3,61 — 0,764 x
pommes de
terre y = 15,75 — 1,22 x
Les prix augmentent quand la récolte diminue et
inversement.
La loi théorique, conclut Moore, est confirmée, avec
deux supériorités dues à la statistique :
a) il n’y a plus lieu d’insérer la réserve : toutes cho
ses égales d’ailleurs ;
b) on peut mesurer les augmentations et diminutions
de prix, ce que ne faisait pas la loi théorique.
Pour les produits industriels, l’observation des cour
bes donne à première vue une infirmation de la loi.
Soit toujours y le prix et x la production pour la
fonte, l’observation donne
y = 4.58 + 0,52 x
Si donc la production augmente de 30 % on a
y = 4.58 + (0,52 x 30) x
y = 4.58 + 15,6 x
y = 11 x
Les prix augmentent de 11 %.
On a justement fait observer (123) que ce n’est là
qu’une exception apparente : Si le prix s’élève en même
( 122) Sur les recherches de Moore et leurs résultats.
Cf. Aftalion. Cours de Statistique, 1928. Presses Universitaires
de France, p. 211 et p. 236.
{123) Aftalion, loc. cit.
temps que la production pour les matières industriel
les, c’est que pour ces matières la demande agit en
même temps que la production et en sens contraire.
L’influence de la demande vient masquer celle de
l’offre.
L’augmentation de la demande accroît à la fois les
prix et la production : la loi théorique demeure vérifiée.
On trouvera dans de nombreux ouvrages (124) la con
firmation, à l’aide de graphiques, de la vérification de
la loi de l’offre et de la demande par les courbes.
On a insisté'sur « l'élasticité » de la demande varia
ble selon les produits (125) : on entend par là « le rap
port du changement relatif de la demande au change
ment relatif du prix ».
D’une manière générale les statistiques et les gra
phiques dressés d’après les courbes de l’offre et de la
demande confirment la loi.
CONCLUSION
On peut affirmer pour conclure que :
1° la loi de l’offre et de la demande existe ;
2° elle ne nous apprend pas à quel taux s’établira
le prix ;
3° elle nous donne seulement des indications vagues
(126) sur le sens de variation des prix.
On peut sous ces réserves, inscrire cette loi au nom
bre des lois de l’économie politique.
(124) Société des Nations. L ’alimentation dans ses rapports
avec f’ hygiène, l’agriculture et la politique économique. Rap
port définitif du Comité mixte de la Société des Nations. 1 vol.
Genève 1937, p. 204 et suiv.
Cf. p. 232 un graphique schématique assez complet.
(125) Rapport définitif du Comité mixte de la Société des
Nations. Op. cit.j p. 211.
(126) M. Landry admet (Manuel d’Economique, 1 vol. Pa
ris, Giard 1908, p. 495), qu’il y a même un cas où la formule
mathématique est exacte: pour les marchandises périssables dont
il faut se débarrasser à n’importe quel prix, la valeur variera
parfois en raison inverse de l'offre, sans qu’il en soit de même
pour la demande.
�CHAPITRE XIV
LA LOI DES PRIX EN RÉGIME DE CONCURRENCE
La loi des prix en régime de concurrence est la loi de
fixation par le couple limite le moins échangiste et
cependant échangiste.
Etudions comme d'habitude,
1° l’histoire de la loi (§ I) ;
2° les formules actuelles (§ II) ;
3° l’examen critique (§ III).
§ I. H istoire
de la
L oi
La loi du couple limite est justement (1) attribuée
Boehm Bawerk (2) dans son article : Fondement de
la théorie de la valeur des biens économiques.
La théorie des prix de concurrence chez Boehm
Bawerk suppose un état idéal qui n'est pas toujours
réalisé dans la pratique. Il suppose :
a) des transactions portant sur une série d’objets
identiques ;
à
(1) On ne connaît pas de précurseurs.
(2) 1851-1914.
(3) Grundjuge der Théorie des Wirthschaftilichen Güterwerts.
Iéna 1886 — publiée dans les Yahrbücher fur Nationalôkonomie und statistik. 47 II. F. 13. 1886, p. 1-86, 477-541.
Saint Marc a donné de l ’œuvre de Bœhm Bawerk sur ce
point une excellente analyse: Revue d’Economie Politique 1888,
p. 219. Un résumé de Bœhm Bawerk a paru dans la Revue
d Economie Politique 1894, p. 503, sous le titre: « Essai sur
la Valeur ».
Cf. Guilhot. La théorie de la valeur d’après l ’Ecole autri
chienne, thèse, Lyon 1907.
�- 190 b) un contact réel établi entre vendeurs et acheteurs ;
c) une publicité complète des transactions (4).
Notre auteur dégage ensuite les trois principes sui
vants :
1° On n’échange que lorsqu’on y trouve avantage ;
2° Dans l’échange, on tâche d’obtenir un avantage
aussi grand que possible ;
3° Mais du moment qu’il y a avantage, on préférera
échanger avec un petit avantage à ne pas échanger du
tout.
La théorie se construit par application de ces prin
cipes aux divers cas possibles :
Première hypothèse : Un' seul vendeur — un seul
acheteur : la marchandise vendue est un cheval.
La condition essentielle pour qu’il y ait échange,
c’est que l'acheteur estime la marchandise plus que ne
l’estime le vendeur : par exemple le vendeur estime 30,
l’acheteur 50.
Le prix se fixera entre 30 et 50 suivant l’habileté des
adversaires entre les limites à partir desquelles et jusqu’auxquelles les deux contractants sont disposés à
l’échange, sont échangistes.
Deuxième hypothèse : Un seul vendeur et plusieurs
acheteurs.
Soit V qui a le monopole d’une marchandise et
l'estime 30 fr.
Soient A qui l’estime 35 fr.
A 1 qui l’estime 40 fr.
A a qui l’estime 45 fr.
A * qui l’estime 50 fr.
Il y aura échange : car il y a avantage pour tous. La
compétition s’établira entre acheteurs :
A1, A*, As élimineront A en offrant à V un prix
supérieur à 35 fr. et inférieur à 40 fr.
A* et As élimineront A1, en offrant à V un prix com
pris entre 40 et 45 francs.
As éliminera A* en offrant à V un prix compris entre
45 et 50 francs.
(4)
Ce sont les Bourses soit de commerce, soit dç valeurs qui
réalisent le mieux ces conditions idéales.
- 191 Resteront en présence V et A* : on retombe sur l’hy
pothèse précédente.
Donc dans ce cas :
1° l’acheteur le plus échangiste, c'est-à-dire celui qui
par rapport au prix apprécie le plus haut la marchan
dise, vient seul à l’échange ;
2° le prix se fixera entre deux limites : une limite
inférieure déterminée par la valeur subjective de la
marchandise pour le plus échangiste des acheteurs
exclus et une limite supérieure qui est celle de la valeur
subjective d’usage pour l’acheteur le plus échangiste
qui vient à l’échange.
Troisième hypothèse : un seul acheteur et plusieurs
vendeurs.
On a ici :
A qui est seul et qui estime la marchandise 50 fr.
Du côté vendeur, on a :
V qui l’estime 30 fr.
V1 »
»
35 fr.
V* »
»
40 fr.
V* »
»
45 fr.
Il y aura échange car il y a avantage pour A et pour
les cinq vendeurs.
La compétition s’établira entre les vendeurs :
V*, V' et V élimineront V’ en proposant un prix supé
rieur à 35 fr.
V1 et V élimineront V* en proposant des prix infé
rieurs à 40 fr. mais supérieurs à 35 fr.
V enfin proposera un prix entre 30 et 35 fr. pour éli
miner V1. On aura donc en présence un seul acheteur
et un seul vendeur : ce qui fait retomber dans la pre
mière hypothèse.
Donc ici : 1° le vendeur le plus échangiste V, c’est-àdire celui qui personnellement apprécie le moins haut
la marchandise vient seul à l’échange ;
2° le prix se fixera entre les deux limites — une limite
inférieure déterminée par la valeur subjective qu’a la
marchandise pour le vendeur le plus échangiste et une
limite supérieure déterminée par la valeur subjective
de la marchandise pour le plus échangiste des vendeurs
exclus,
�— 192 —
—
Quatrième hypothèse. De part et d'autre plusieurs
acheteurs et plusieurs vendeurs.
Soient au début :
A1 estiment un cheval 300 fr.
»
» 280 »
A2
»
» 260 »
A®
»
» 240 »
A*
»
» 220 »
A®
))
» 210 »
A6
»
» 200 »
A7
»
» 180 »
A®
»
» 170 »
A*
»
» 150 »
A10
part V1 estimant un 1cheval
»
»
V2
»
»
V3
v*
»
»
»
»
V*
y
»
»
»
»
V7
v»
»
»
100
110
150
170
200
215
250
260
fr.
»
»
»
»
»
»
»
Deux phases sont à distinguer :
a) l’élimination des acheteurs et des vendeurs,
h) la fixation du prix.
а) élimination des acheteurs et des vendeurs :
Il se produira par le jeu de la concurrence une exclu
sion des acheteurs le moins échangistes et un appel des
vendeurs dans l’ordre où ils sont disposés à l’échange
— où ils sont échangistes.
Ainsi resteront en présence dans le tableau ci-dessus
cinq couples susceptibles d’échanges : A1— As du côté
des acheteurs, V* — V* du côté des vendeurs.
Viennent donc à l’échange les couples formés par les
acheteurs et les vendeurs par rang d’aptitude à l’échan
ge, tant que les estimations des vendeurs sont inférieu
res à celles des acheteurs. Tous les autres couples sont
écartés.
б) fixation du prix.
On montre que le prix ne peut jamais être supé
193
—
rieur à l’estimation du moins échangiste des acheteurs
venant à l’échange (limite supérieure) ni être inférieure
à l’estimation du moins échangiste des vendeurs venant
à l’échange (limite inférieure).
Donc le prix se fixera entre les estimations des deux
membres du couple limite visant à l'échange, c’est-àdire du vendeur le moins échangiste et cependant échan
giste ici V® et telle de l’acheteur le moins échangiste
et cependant échangiste ici A*.
Le prix se fixera entre 220 et 200.
Ainsi est dégagée la formule. Le prix de concurrence
est déterminé par le couple le moins échangiste et ce
pendant échangiste.
L’exposé de Bœhm Bawerk se complète par deux
remarques :
1° Tout dépend des estimations des deux couples —
le couple de l’acheteur et du vendeur le moins échan
giste et cependant échangiste et le couple acheteur —
vendeur exclu.
Cette dernière estimation servant de limite maxima à
l’estimation qui est donnée par le premier couple (5) ;
2° Bœhm Bawerk indique qu’il y a six éléments au
moins pouvant agir sur les estimations et les prix :
a) le chiffre des demandes,
b) l’estimation de la valeur subjective de la mar
chandise pour les demandeurs,
c) l’estimation des prix par les memes,
d) le chiffre des marchandises offertes (6),
e) la valeur subjective de ces marchandises pour les
vendeurs,
f) la valeur subjective des prix pour les mêmes.
Les éléments c et f influant seuls directement sur les
prix.
(5) C ’est pourquoi dans les livres de vulgarisation on fait par
fois disparaître l’action de ce second couple exclu.
(6) Ce chiffre variera (en supposant qu'il puisse être aug
menté) selon que « la valeur du produit dépassera ou ne dépas
sera pas le coût de production »>. Celui-ci chez Bœhm Bawerk
détermine donc seulement le chiffre des marchandises offertes.
»}
�- 101 -
§ II. F ormules
actuelles
La plupart des ailleurs contemporains acceptent la
formule des prix de concurrence posée par Bœhm
Bawerk.
Ch. Gide (7) écrit, après avoir affirmé que le prix sera
déterminé par le couple limite : « Il faut rendre hom
mage à ce qu'il y a d’ingénieux et de vrai dans cette
analyse psychologique du mécanisme de l’échange. »
M. Ch. Brouilhet (8) admet lui aussi notre loi.
M. P. Rebond (9) accepte la formule en faisant re
marquer : « Ainsi, au contraire de ce qu'on pourrait
croire, c’est le couple formé par le vendeur le plus exi
geant et par l’acheteur le plus exigeant (le vendeur qui
exige le prix le plus haut et l’acheteur qui ne veut ache
ter qu’au prix le plus bas) qui fixe le prix momentané ».
M. Houques Fourcade (10) souscrit lui aussi sans ré
serve à la formule de l'Ecole Autrichienne.
Plus rares sont ceux aujourd’hui qui semblent n’at
tacher qu’une importance secondaire à notre loi.
Tel M. Camille Perreau (11) qui écrit : « Il ne semble
pas toutefois que les constructions un peu subtiles de
l’Ecole Autrichienne en dehors de l’intérêt doctrinal
qu’elles peuvent présenter, aient jusqu’ici exercé sur
l’ensemble de la science économique une influence bien
sensible » et il n’expose pas dans son cours, ouvrage
de vulgarisation, la théorie du couple limite.
Au point de vue critique, un certain nombre d’au
teurs contemporains retiennent les critiques ci-dessus
exposées sur le rôle insuffisant du coût de production
dans la loi du couple limite.
Simiand dans son article remarqué, La Méthode po(7) Cours d'Economie Politique, 2 vol. Paris, Lib. du Rec.
Siney, jo 8 édition, 1930, t. I, p. 580.
(8) Précis d’Economie Politique, 1 vol., Paris, p. 544.
Cf. du même auteur un article sur la question dans la « Vie
contemporaine », 1908.
(9) Précis d’Economie Politique, 2 vol. Collection Petits Pré
cis Dalloz, Paris, 6e édition, 1934, t. I, p. 411.
(10) Eléments d’Economie Politique La Circulation. Valeur
Monnaie et Crédit, 1 vol., Toulouse, Soubirou, 1923, p. 54.
(11) Cours d’Economie Politique, 5* édition, 2 vol., Paris,
Lib, générale de droit et de jurisprudence, 1931-1934, t. I, p. 23.
-
195
-
sitive en science économique (12), adresse d’assez nom
breuses objections à la théorie des prix en régime de
concurrence : les principales sont les suivantes :
1° « Cette théorie laisse, entre ces limites, le prix
indéterminé ou si elle veut nous expliquer la détermi
nation qui pourtant se produit, ses explications ne sont
que des défaites » (13) ;
2° Cette théorie suppose que les prix existent déjà (14)
ce qui constitue un cercle vicieux ;
3° « Le vice radical de cette théorie est donc finale
ment qu’elle veut expliquer un phénomène de nature
sociale par des phénomènes individuels qui justement
dérivent de ce phénomène social lui-même et n’exis
tent que par lui » (15).
§ III. E xamen
critique
On est généralement d’accord pour admettre que la
loi des prix de concurrence a été formulée pour un mar
ché idéal comportant les trois conditions ci-dessus
indiquées :
a) des transactions portant sur une série d’objets
identiques ;
b) prix coûtant réel établi entre vendeurs et acheteurs;
c) une publicité complète des transactions.
Ces conditions ne sont nulle part intégralement réa
lisées. Les Bourses soit de commerce, soit de valeurs
s’en rapprochent.
C’est donc dans ces deux milieux spéciaux seulement
qu’on peut chercher soit une infirmation soit une
confirmation de notre loi.
Mais la spéculation introduit sur ces deux séries de
marchés où elle joue effectivement un élément de com
plication.
(12) Revue de Métaphysique et de Morale, 190$, p. 889.
(13) Ibid., p. 900.
(14) Dans l ’estimation initiale des vendeurs et acheteurs ve
nant au marché.
(15) Ib id ., p. 907.
�196 —
Malgré cela, on peut admettre (16) que la vérification,
en gros tout au moins, est réalisée sur ces deux mar
chés : il y a, peut-on dire, tendance à la fixa tio n des
p r ix selon la fo rm u le de la loi des p r i x de co n c u rre n c e .
La loi est à
Politique.
co n se rv e r com m e loi v a la b le en E co n o m ie
CHAPITRE XV
LA LOI DES PRIX DE MONOPOLE
Tout autre est le système en cas de monopole (1).
11 faut ici et comme d’ordinaire étudier :
1° l’histoire de la loi (§ I) ;
2° les formules actuelles (§ II) ;
3° l’examen critique (§ III).
§ I. H istoire
de la loi
On trouvera dans l’ouvrage de M. G. Leduc tous les
détails sur l’histoire de cette loi.
Il suffira de rappeler ici un triple apport : d’abord
celui de l’Ecole mathématique :
Cournot en 1838, dans ses « Principes de la théorie
des richesses » (2), l'ingénieur François Dupuy (3), dans
deux Mémoires en 1844 et 1849, insérés aux .Annales
des Ponts et Chaussées, L. Walras enfin dans ses Elé
ments d’Economie Politique Pure (4) apportent une
première contribution à la théorie des prix de mono
pole, basée sur le prix du produit brut maximum ;
Cournot en pose le principe, Dupuy étudie la multi-
(16)
Cf. Reboud. Précis d’ Economie Politique, 2 vol., Editjoq
Dalloz, 1935, t. I, p. 411,
(1) Bib. G. Leduc. La théorie des prix de monopole, thèse,
Aix, 1927.
(2) Principes de la théorie des richesses, 1 vol., Paris, Ha
chette, 1863.
Cette 2e édition est dépouillée de l'appareil mathématique.
(3) Mesure de l ’utilité des travaux publics. Annales des Ponts
et Chaussées, 1844.
De l ’influence des péages sur l’utilité des voies de communi
cation. Annales des Ponts et Chaussées, 1849.
(4) Eléments d’Economie Politique pure, 1874-1877, 4* livre,
p. 431 et suiv.
�198 —
plicité des prix en cas de monopole, Walras insiste sur
les différences fondamentales avec les prix de concur
rence.
Un second apport est celui des Economistes de
l’Ecole Autrichienne, K. Menger (5) d’abord.
Il distingue deux hypothèses :
a) Le monopole porte sur un bien unique et indivi
sible.
En ce cas trois formules générales :
1° Le bien de monopole reviendra à celui pour qui il
représente l’équivalent de la plus grande quantité de
biens offerts en échange ;
2° le prix se tiendra entre les limites fixées par les
équivalences de biens des deux concurrents les plus
désireux d’échanger ou économiquement les plus forts ;
3° entre ces limites le prix se fixera comme au cas
d’échange isolé (6).
b) Le monopole porte sur une quantité de biens divi
sibles ou une pluralité de biens indivisibles.
Par une longue analyse et la distinction de soushypothèses les formules (7) sont alors les suivantes :
1° Les quantités vendues du bien monopolisé iront
au consommateur pour qui elles représentent l’équivalent
subjectif des plus grandes quantités de biens offertes
en échange. Les autres en seront exclus.
2° La répartition de l’entière quantité du bien mono
polisé entre les concurrents qui viennent à l’échange
se fait de telle manière que pour chaque acheteur, après
l’échange effectué, chaque unité du bien acquis devient
l’équivalent d’une égale quantité du bien donné.
3° Le prix se fixe entre les limites déterminées par
l’équivalence d’une unité du bien monopolisé pour le
concurrent le moins fort qui réussit à échanger et pour
le concurrent le plus fort qui est exclu de l’échange.
(5) Grundsâtze der Volkwirtschaftlehre 1871 (Fondements de
l’Economie Politique) non encore traduits en français. Il y a
une traduction italienne: Principii fondamentali di economia,
Roma 1907-1909.
(6) J ’emprunte ces formules à M. G. Pirou dans son ouvrage:
L'utilité marginale, 1 vol., Paris, Ed. Domat-Montchrestien,
1932, p. 39.
(7) Je les emprunte encore à M. Pirou, op. cit.j p. 41.
— 199 -
4° Plus grande est la quantité de biens vendus par
le monopoleur, plus petit est le nombre des concurrents
exclus et plus complet est l’approvisionnement des au
tres.
5° Plus grande est la quantité mise en vente, plus
bas sera le prix en raison de la nécessité de descendre
à des groupes de plus en plus faibles économiquement.
En résumé, pour K. Menger, une théorie très poussée
comme analyse qui se rapproche de celle de Cournot.
Bœhm Bawerk (8) deuxième représentant de l’Ecole
Autrichienne précise l’analyse du Monopole bilatéral
et du monopole unilatéral portant sur un objet unique.
L’Ecole autrichienne considère surtout les choses
abstraction faite de l’élément monnaie.
Enfin un troisième apport beaucoup moindre d’ail
leurs, est celui des Economistes non mathématiciens.
F. Faure (9) énonce plutôt des tendances du monopo
leur à propos des prix de monopole qu’il ne formule
une véritable loi.
Paul Leroy-Beaulieu (10) tourne plutôt autour du
problème au lieu de l’aborder franchement.
M. Landry (11) seul donne un exposé complet de la
loi des prix de monopole (12).
Marshall (13) perfectionnera l'étude des courbes du
revenu des monopoles et se préoccupe de 1intérêt so
cial.
(8) Die théorie des objectiven Tauschwertes. Jahrbücher fur
Nâtionalœkonomie. 18S6, X III. j* cahier.
Etude reprise et publiée par l ’auteur dans la Revue d’Economie politique, 1894, sous le titre: <« Essai sur la Valeur ».
(9) Dictionnaire d'Ec. Politique de Léon Say et Chailley, t. II,
P- 323, v° Monopole.
(10) Traité d’Economie Politique, 4 vol., 6* édition, Paris,
Alcan, 1914, t. I, p. 660.
(11) Landry. Manuel d’Economique, 1 vol., Paris, Giard et
Brière, 1908, p. 507.
(12) M. Couvrat-Desvergnes. Recherches sur les principes éco
nomiques qui doivent servir de base à l’établissement du tarif de
transport. Thèse, Paris, 1912, p. 12, écrivait: « La valeur d'une
marchandise monopolisée et son prix ne sont plus soumis à au
cunes lois économiques. »
(13) Principes d’Lconomie Politique, 2 vol., trad. SauvaireJourdan et Bouyssy, Paris, Giard, 1909, t. II, liv. V, p. 39-
�—
Edgeworth (14) approfondit la théorie de Cournot.
Ce ne sont que des perfectionnements et précisions
apportés à la théorie dont les grandes lignes provien
nent des Ecoles mathématique et autrichienne.
Ainsi l’histoire de la loi nous a permis de dégager les
différents apports dans la théorie moderne de la loi des
prix du monopole.
La plupart des auteurs contemporains (15) acceptent
sur ces bases la théorie des prix de monopole.
§ II. F ormules Actuelles
La théorie telle qu’elle est actuellement présentée (16)
comporte deux hypothèses fondamentales :
a) monopoles sans frais de production assujettis seu
lement à des frais généraux, par exemple le vendeur de
bouteilles d’eaux minérales.
La théorie comporte ici deux thèmes fondamentaux :
1° Le prix d'équilibre dune marchandise en mono
pole est le prix du produit brut maximum.
Soit l’exemple précité du vendeur d’eaux minérales :
A un prix de 1 franc il vendra 500.000 litres : soit un
produit brut de 500.000 francs.
A un prix de 1 fr. 50 il ne vendra plus que 300.000
litres, soit un produit brut de 450.000 francs.
Le monopoleur choisira la combinaison du prix de
1 franc qui lui assure le produit brut maximum.
2° Le prix du bénéfice maximum est indépendant des
frais fixes.
(14) Mathematical Psychics, London 1881.
Lei teorica pura del monopolio. Giornale degli Economisti
1897. Juillet, Oct. et Nov.
(15) Cf. Reboud. Précis d'Economie Politique. Dalloz, 1934,
t- I, P- 435Ansiaux, p. 169.
P i e r s o n : T r a i t é d ’ E c o n o m ie P o lit iq u e , t r a d u c t io n S u r e t , P a r i s ,
G ia r d , t. I , p. 409Ch. Gide: Cours d’Economie Politique, 2 vol., P a r i s , Libr. du
Recueil Sirey, 10® édit., t. I, p. 581.
C. Perreau: Cours d’Economie Politique, 2 vol., 6® édit., 1935,
Paris, Libr. gén. de droit et de jurisprudence, t. I, p. 347.
(16) G. Leduc. La théorie des prix de monopole. Thèse, Aix,
1927, p. 125 et suiv.
201
—
b) Monopoles à frais de production croissants (17).
En ce cas le prix du produit net maximum est supé
rieur au prix correspondant au produit brut maximum :
la différence est plus grande ou plus petite, suivant les
cas que les frais par unité de produit.
C’est par des approximations successives que sera
déterminé le prix de monopole.
Il faut signaler encore une étude théorique impor
tante dans le cas de monopole partiel.
M. A. J. Nichol (18) étudie théoriquement (19) dans
quelle mesure et dans quelles conditions un des concur
rents peut réussir à établir le contrôle des prix : il y
réussit dans le cas d’une production à prix de revient
décroissant ; il y réussit encore dans le cas d’une pro
duction à prix de revient fixe à certaines conditions. Il
n’y parvient pas en cas de produit à rendement décrois
sant. Il examine aussi le cas de deux contrôleurs.
§ III. E xamen
critique
A confronter la théorie de la loi des prix de mono
pole avec la réalité, il semble possible d’établir :
a) que dans bon nombre de cas les faits directs (la
constatation du prix du monopole) ou indirects confir
ment les formules précitées ;
b) que cependant les monopoleurs pratiquent plu
sieurs prix de monopole sur un même marché en dis
tinguant plusieurs couches successives de consominateurs. C’est encore une autre application de la théorie
mais une vérification tout de même.
A) Cas du prix unique.
M. Leduc (20) a rapporté bon nombre cTexemples où
les faits confirment exactement la formule : la vente des
livres, les tarifs de chemins de fer en sont les cas prin
cipaux.
(17) Y compris le cas où les frais seraient plus que propor
tionnels au nombre d’unités produites.
(18) Il avait été au service de la Standard Oil.
(19) Partial Monopoly and Price Leadership. Thèse, Columbia
Umversity, 1930.
(20)
O p . cit.
p. 159.
�On peut également tirer argument du cas de l’impôt
frappant les bénéfices d’une industrie monopolisée.
Si la redevance est fixe, elle n’a aucune action sur le
prix de vente, elle agit comme les frais fixes, par exem
ple certains impôts sur une banque d’émission dotée du
monopole.
Si la redevance est proportionnelle, ses effets seront
les suivants :
Assise sur le produit net, elle ne le modifie pas : il
y a partage du bénéfice entre le monopole et le fisc ;
Assise sur le nombre des objets vendus ou sur le pro
duit brut, la taxe élève le prix, comme les frais propor
tionnels à la quantité fabriquée.
B) Cas de plusieurs prix de monopole.
En cette hypothèse assez fréquente en pratique, le
monopoleur envisage les consommateurs divisés en plu
sieurs couches ou tranches et applique à chacune d’elles
la règle du produit brut maximum (21).
Par exemple les divers tarifs de chemins de fer pour
des transports identiques ;
Par exemple encore des éditions successives de livres
à des prix décroissants.
Malgré ces vérifications certaines et valables, on ob
serve cependant des frottements ou des obstacles à l’ap
plication du prix de monopole.
Tantôt c’est du côté du monopoleur qui ne connaît
pas toujours son véritable intérêt ou bien qui ne veut
pas épuiser d’un coup tout le gain possible.
Tantôt c’est l'Etat qui impose certains prix au mono
poleur (homologation des tarifs de chemins de fer par
l’Etat).
Ces exceptions confirment la règle, peut-on dire, puis
que la formule du rendement brut maximum n’a pas été
appliquée.
En résumé l’observation des faits semble à tous
égards confirmer la loi du prix de monopole et oblige
à inscrire celle-ci au nombre des lois valables de l’éco
nomie politique.
(21) On observe deux conséquences importantes: cette discri
mination des prix étend largement le bénéfice du monopoleur
£t fait disparaître la rente du consommateur.
CHAPITRE XVI
LA LOI DE GREGORY KING
Une autre loi des prix, spéciale au blé, est la loi de
Gregory King.
Comme formule approchée, on peut partir de la sui
vante : le prix croît plus vite que ne diminuent les
ventes.
Il faut ici encore étudier :
L’histoire de la loi (§ I) ;
Les formules actuelles (§ II) ;
L’examen critique (§ III).
§ I . H is t o i r e d e l a L oi
Gregory King (1) héraut du duché de Lancaster en
Angleterre, secrétaire de la Commission de comptabi
lité publique, s’occupait dès cette époque de statistique.
Il publia en 1696 un ouvrage intitulé : « Observations
naturelles sur l’état et la condition de l’Angleterre » (2),
dans cet ouvrage il formule d’après l'observation les
constatations suivantes :
Pour le blé un déficit de récolte de 1/10 fait monter
le prix de 3/10 ; un déficit de récolte de 2/10 fait mon
ter le prix de 8/10 ; un déficit de récolte de 3/10 le fait
monter de 16/10 ; un déficit de récolte de 4/1Ô le fait
(1) 1628-1712.
(2) Natural and political observations upon the State and
conditions of England. Imprimée seulement un siècle après la
mort de l ’auteur en 1810.
Surtout le chapitre intitulé: « The several sorts of lands in
England with the value and produit thereof. »
�205
—
monter de 28/10 ; un déficit de récolte de 5/10 le fait
monter de 45/10.
C’est là pour lui une constatation empirique : il n’en
cherche pas l’explication.
Inversement King observe des baisses de prix supé
rieures aux excédents constatés dans les quantités.
D’où cette première formule de la loi due à King ;
la valeur totale de la récolte de blé dans un pays fermé
au marché extérieur est d’autant plus considérable que
la quantité l’est moins, et d’autant moins que la quantité
l’est plus.
Quelques années plus tard Davenant (3), auteur de
deux ouvrages importants (4) attire l’attention sur la
fameuse loi de King.
Ricardo (5) dans un opuscule on protection to Agriculture(6), et Tooke (7) dans son « History of Prices » (8)
souscrivent à la même formule.
Lord Lauderdale (9) dans son ouvrage : « The nature
and origine of public wealth » (10) utilise la loi de King
sans la modifier.
Enfin en Angleterre toujours, Thorold Rogers (11),
dans son ouvrage : « Interprétation économique de
1histoire », confirme par ses observations (12) la loi de
King et songe même à l’étendre (13) à toutes les mar
chandises, à la hausse comme à la baisse. « Elle s’ap
plique à toutes les marchandises, mais la baisse est plus
accentuée en cas de surproduction de produits d’un
usage facultatif, et la hausse est plus rapide en cas de
déficit de marchandises d’un usage indispensable » (14).
Stanley Jevons (15) plus tard affirme que les prix du
blé varient en raison inverse du taux des quantités of
fertes (16).
de Molinari (17), en présence des prix de famine de
1847, formule la loi de la manière suivante :
« Lorsque le rapport des quantités de deux denrées
offertes en échange varie en proportion arithmétique, le
rapport des valeurs de ces deux denrées varie en pro
portion géométrique » (18).
Il en donne l’explication suivante : « A mesure que
la quantité d’une chose augmente, la rareté et l’utilité
qui sont les parties constituantes de la valeur de cette
chose, diminuent à la fois. »
Yves Guyol (19) accepte la loi de King et de Davenant.
Il remarque toutefois qu’en 1910 la loi n’a pas joué en
France pour le blé : le prix du blé en France était en
1909 de 24 francs le quintal métrique ; il est en novem
bre 1910 de 28 francs, soit une augmentation de 16,66 %.
Cependant la récolte de blé en France est inférieure de
26,5 % à celle de 1909 (20).
M. Bouniatian, dans son ouvrage : « Crédit et Con
joncture » (21) admet la loi de King qui, dit-il, reflète
(3) 1606-1668.
(4) Essay on the East India trade (1696-1697).
Essay upon the probable méthode of making a people gainers
in the balance of trade (1699).
(5) 1772-1823.
(6) Section IV. Ed. Mac. Culloch, p. 465-466.
(14) Op. cit. chap. III, p. 63. Cf. chap. X II, p. 222 et suiv.
(15) 1835-1882.
(16) Stanley Jevons et J. Delewsky. La valeur mathématique
de la loi de King. Rev. d’Ec. Politique, 1923, p. 481.
(17) Questions de politique et de Droit public, 2 vol., Bru
xelles, 1861, t. I, p. 35.
(18) Journal des Economistes, 15 juin 1851.
Cf. de Molinari. Cours d’Economie Politique, 2 vol., 2e édit.,
1863.
(19) La Science économique. 30 édition, Paris, p. 107-109.
Faits et prévisions. Journal des Economistes, 15 décembre
1910, p. 362.
(20) Chiffres absolus: 1909. 97.752.000 quintaux;
1910. 71.827.000 quintaux.
(21) 1 vol., Paris, Libr. générale de droit et de jurisprudence,
1933, p. 125 et suiv.
Cf. du même auteur: La loi des variations de valeur et les
mouvements généraux des prix. Paris, Libr. générale de Droit
et de jurisprudence, 1927.
(7) 1774 -1858 .
(8) Vol. I, chap. II.
(9) 1616-1682.
(10) 2e édit., Londres, 1819, chap. II.
(11) 1823-1890.
(12) History of agriculture and prices in England. 8 volumes,
1866-1892.
(13) Il arrive à cette formule: « Le prix de tout bien, exigé
en plus grande quantité qu’il n’existe à un moment donné, croît
dans une autre proportion que celle dans laquelle varie la quan
tité manquante et inversement dans le cas d’un excédent. »
The économie interprétation of history, London 1888.
Interprétation économique de l ’histoire. Ed. Guillaumin, 2b
édit., Paris, 1891, p. 251, 1892, chap. III , p. 63.
�—
206
—
la loi générale des variations de l’intensité de tous nos
besoins en fonction de la quantité de biens appliquée
à leur satisfaction.
§ II. F o rm u les A c t u e l l e s
D'une manière générale la loi de King quoiqu’un peu
oubliée est acceptée par la majorité des économistes
contemporains.
Tout récemment M.Michaël Manoïlesco, ancien minis
tre de Roumanie, lui donnait une adhésion complète (22).
»M. Courtin dans son étude « Essai sur la thérapeuti
que des crises » (23) lui reconnaissait également une
valeur scientifique. Des expériences nombreuses et des
études statistiques récentes ont établi que la loi de King
présentait une très grande généralité : le prix croît plus
vite que ne diminuent les ventes (23 bis).
\1. Nogaro (24) donne la formule suivante à propos
du blé (25) : « Les variations du prix du blé semblent
liées à celles des stocks : mais ces variations sont pro
portionnellement plus fortes que celles des stocks euxmêmes. »
§ I I I . VÉRIFICATION CRITIQUE
On relève pour le passé d’assez nombreuses vérifica
tions de la loi de King.
En France, dans la première moitié du xixe siècle,
les prix du blé auraient assez sensiblement vérifié la loi
de King (26).
En France, au milieu du xix6 siècle, à chaque pour
centage de la diminution de la récolte de blé aurait
—
—
correspondu une hausse de 2.5 % sur le prix moyen
de l’année (27).
Aux Etats-Unis, pendant la période 1879-1913, la va
leur marchande totale des récoltes de 12 principaux pro
duits se mouvait dans la direction contraire aux quan
tilés récoltées (28).
De même aux Etats-Unis toujours, pour la période
1866-1911, Henry Moore affirmait (29) qu'un déficit de
10 %, 20 %, 30 % de la récolte du maïs provoquait des
hausses de prix de 15 %, 40 % et 72 %, tandis que des
excédents de récoltes de 10 %, 20 % et 30 % entraî
naient des baisses de prix de 8 % et de 14 %.
L’article précité de M. Manoïlesco contient deux ta
bleaux (30) qui semblent vérifier assez complètement la
loi de King.
Dans le cas de déficit on a les deux séries suivantes :
Déficit de blé exprimé en % de la quantité initiale:
S i tu a tio n
in itia l*
%
S itu a tio n
fin a l*
S i tu a tio n » ancoaasiTea
—
IO
%
—
20
%
—
30
%
—
40
%
—
50
%
Valeur de la quantité de blé en rapport avec la valeur de la
quantité initiale :
1
1,17
1,4 4
1,82
2,26
2,75
Dans le cas d’excédent :
Excédent de blé exprimé en % de la quantité initiale:
S i tu a t io n
in itia l*
%
S itu a tio n
fin a l*
S i tu o t io n a a u e ca a a ira a
+ 20
%
+
40
%
+
ÔO
%
+
80 %
+
IOO %
Valeur de la quantité de blé exprimée en rapport avec la valeur
de la quantité initiale:
I
(22) M. Manoïlesco. Contribution technique à la compréhen
sion de la crise mondiale. Rev. écon. intern. Février 1933, p. 393.
(23) Revue d’ Economie Politique, 1935, p. 1268 et suiv.
(23 bis) Cf. René Roy. Etudes économiques. Paris, Libr. du
Recueil Sirey, 1935.
(24) Les Prix agricoles mondiaux et la Crise. 1 vol., Paris,
Libr. générale de droit et de jurisprudence, 1936, p. 63, note 1.
(25) Vp. cit. p. 63.
(26) Briaune. Des prix des grains, du libre échange et des
réserves, 1857.
207
0,82
0,66
0,53
0,43
0,36
II conclut : « Nous ne pouvons pas prétendre, ni que
(27) Engel. Die Getreidepreise und der Getreidehandel im
preussischen State.
Zeitschrift d e r p r e u s s is c h e n S t a t i s t A m ts . J u i lle t - A o û t 1S61,
p. 276.
(28) R e v ie v v o f é c o n o m ie s t a t is t ic s 1921, p. 34(29) Economie cycle, 1914, p. 173.
(30) Rev. Econ. intern. Février 1933, p. 395 et 397.
�—
208
-
la loi de King est parfaitement exacte, ni qu’elle est
réversible, mais dans son sens qualitatif elle est vérifiée
par l'expérience, de même que dans son sens qualitatif,
la loi de King inversée est de même certifiée par l’expé
rience » (31).
M. Courtin admet in globo l’exactitude de la loi avec
de longues explications sur son mécanisme.
Un expert américain, M. Broomball estimait qu’une
diminution de récolte (du blé) de 15 % se traduisait par
une hausse de 24 % (33).
MM. Warren et Pearson souscrivent également dans
un ouvrage récent (34) à l’exactitude de la loi de Gregory King.
M. de Hevesy dans ses études sur le blé ((34 bis) se
rallie à la même opinion.
On a encore songé (35) à utiliser la formule de King
pour expliquer les variations de prix du vin en France :
Récoltes :
Prix moyen de l’hect. :
1925 : 65 millions d’hectolitres 7 fr. (Déc. 1925).
1926 : 40,7 millions d’hectol 20 fr. (Déc. 1926) et
22 fr. (Janv. 1927).
et les variations des prix du coton aux Etats-Unis :
Récoltes :
Prix de la laine :
1925 : 16.104.000 balles
20,45 cents (Déc. 1925).
1926 : 18.309.000 balles
13,05 cents (Déc. 1926).
(hausse : 14,2 %)
(baisse : 32 %)
Il semble que l’on puisse inscrire la loi de G. King
sur le prix du blé au nombre des lois valables de l’Eco
nomie Politique.
(31) Art. cité p. 397.
(32) Essai sur la thérapeutique de crise. Rev. d’ Ec. Pol. 1935,
p. 1268.
(33) Cité par Nogaro, o-p. cit. p. 63, n. 1.
(34) Interrelationship of supply and price. Cité ibià. par No
garo.
(34 bis) Le Problème mondial du blé, p. 60.
(35) Bouniatian. Essai de morphologie et théorie des crises
économiques et périodiques. 1 vol., Giard, 1930, p. 125, note
CHAPITRE XVII
LA LOI DU COUT DE PRODUCTION
Il est enfin une autre loi en matière de prix, que
l’on peut dénommer la loi du coût de production. On
peut dire, comme expression approchée de cette loi,
que le prix d’une marchandise tend a coïncider avec le
coût de production de cette marchandise. 11 faut, dans
le cadre accoutumé, étudier ici :
L’histoire de la loi (§ I) ;
Les formules actuelles (§ II) ;
Examen critique (§ III) (1).
§ I. H ist o ir e de la L oi
Cette histoire se résume en des formules assez abso
lues chez les premiers auteurs qui ont énoncé la loi
et une double évolution vers la contingence, d’abord en
restreignant la portée de la loi, ensuite, par des criti
ques plus profondes, en établissant à ccMé de l'action
du coût de la production sur le prix, une réaction du
prix sur le coût de production.
A) Les formules absolues.
Deux auteurs, Ad. Smith et Ricardo, ont donné la
loi comme absolue.
Ad. Smith (2) dans ses Recherches sur la Nature et
les Causes de la Richesse des Nations définit les deux
(1) Bib. Houques Fourcade. Eléments d'Economie Politique,
La Circulation Valeur, Monnaie et Crédit. 1 vol., Toulouse,
Soubirou, 1923, p. 73 et suiv.
(2) i 723- ' 79°-
�prix : (3) « Le prix réel de chaque chose, ce que chaque
chose coûte réellement à celui qui veut se la procurer,
c’est le travail et la peine qu’il doit s’imposer pour l’obtenir » (4). Il l’appelle aussi (5) le prix du marché. Le
prix naturel n’est autre chose que le prix de revient :
« Lorsqu’une marchandise n’est ni plus ni moins que
ce qu'il faut payer, suivant leurs taux naturels, et le
fermage de la terre, et les salaires du travail, et les pro
fits du capital employé à produire cette denrée, la pré
parer et la conduire au marché, alors cette marchandise
est vendue ce qu’on peut appeler son prix naturel » (6).
Cette distinction établie, Ad. Smith affirme : « Le prix
naturel est donc, pour ainsi dire, le point central vers
lequel gravitent continuellement les prix de toutes les
marchandises » (7).
11 en esquisse la démonstration (8) par l’action de la
concurrence (9).
11 remarque toutefois : « Différentes circonstances
accidentelles peuvent quelquefois la tenir (la marchan
dise) un certain temps élevée au-dessus, et quelquefois la
forcer à descendre un peu au-dessous de ce prix » (10).
Toutefois il conclut : « Mais, quels que soient les
obstacles qui les empêchent de se fixer dans ce centre
de repos et de permanence, ils ne tendent pas moins
constamment vers lui » (11).
Ainsi pour Ad. Smith, le prix de marché tend cons
tamment à coïncider avec le prix naturel, avec le coût
de production » (12).
Hicardo est non moins affirmatif.
Il écrit dans ses Principes (14) : « C’est donc l’envie
qu’a tout capitaliste de détourner ses fonds d’un em
ploi déterminé vers un autre plus lucratif, qui empêche
le prix courant des marchandises de rester longtemps
beaucoup au-dessus ou beaucoup au-dessous de leur
prix naturel ». Il montre lui aussi l’action de la concur
rence pour réaliser ce retour à l’équilibre.
Il admet toutefois comme Ad. Smith, des « causes
momentanées ou accidentelles » (15) qui peuvent déran
ger cet équilibre.
Ricardo est donc partisan d’une loi de coût de pro
duction à caractère absolu.
Mac Culloch (16), Senior (17) et Stuart Mill (18) accep
tent la donnée du coût de production comme élément
régulateur des prix.
Bœhm Bawerk (19) dans plusieurs études (20) accepte
la loi en question et la qualifie de « loi empirique des
coûts ». Il insiste sur l’ajustement du prix au coût de
production: si le prix s’élève au-dessus du coût, la marge
de plus grands profits incitera les producteurs à étendre
leurs affaires et encouragera de nouveaux entrepreneurs
à entrer dans le même genre d’affaires. L’augmentation
de production ainsi réalisée amènera un abaissement du
prix. Inversement si le prix s’abaisse au-dessous du
coût, les producteurs réduiront leur production et par
le jeu de l’offre et de la demande, le prix s’élèvera.
B) L'évolution doctrinale.
Après ces affirmations des deux représentants illus-
(14) Principes de l’Economie Politique et de l’ Impôt, 1S17,
dans Ricardo. Œuvres complètes. Traduction Contancio et Fonteyraud. Paris, Guillaumin, 1882, p. 58.
(15) Ibid., p. 58.
(16) The works of Ricardo. Londres, 1846. Trad. franç. par
A. Fonteyraud, Paris, 1847.
(17) 1790-1864. An outline of the science of political economy.
1836, dans l’Encyclopœdia Metropolitana.
(18) Principles of Political Economy. Ed. Ashley, 1921, p. 452
et p. 478.
(«9) 1851-1914.
(20) The Positive theory of Capital, 1S91, p. 223.
The Ultimate Standard of value dans Annals of the American
Academy of Political and Social Science, 1894, p. iyS,
�très de l'Ecole classique, une double évolution se pro
duit :
a) on limite la portée de la loi ;
b) on discute la loi elle-même.
a) Discussions sur la portée de la loi.
On tend à limiter aux seules marchandises dont la
production est libre et dont le coût est constant quelle
que soit la quantité produite, la coïncidence des prix
de marché et du coût de production. Pour celle-là la
loi de gravitation précédemment exposée continue de
s’appliquer, avec cependant des variations autour de
ce prix normal (21).
Mais la loi n’est plus exacte, semble-t-il, pour les
marchandises, dont le coût de production tend à s’élever
avec les quantités produites, par exemple pour les pro
duits des industries agricole, extractive et constructive.
En ce cas c’est le prix de l’unité la plus coûteuse qui tend
à dominer (22).
De même pour les produits dont le coût de production
diminue par suite des avantages de la concentration, pour
les produits manufacturés par exemple. Ici c’est le coût
de production le plus bas qui tend à dominer (23).
La loi du coût de production est déclarée inopérante
encore dans le cas des objets dont la quantité est limi
tée, par exemple les objets de collection et les œuvres
d'art (24) : il n’y a plus ici le régulateur du coût de
production. C’est le prix moyen qui est ici dominant (25).
Donc il y a limitation du nombre des marchandises
pour lesquelles la loi s’applique.
b) Discussions sur la loi elle-même.
Elles ont porté sur trois points :
1° un raisonnement doctrinal ;
2° l’analyse du coût de production ;
3° l’action respective des deux facteurs : coût de pro
duction et prix.
1° Raisonnement doctrinal.
Il a paru à l’examen que l’analyse de Smith et de
Ricardo manquait de rigueur : on (26) a objecté que ce
raisonnement constituait un cercle vicieux : le prix est
en effet expliqué par les éléments du coût de produc
tion : salaires, intérêts, profits et les prix de ces élé
ments eux-mêmes dépendent forcément du prix des
marchandises.
2° L'analyse du coût de production.
Ce coût de production ou prix de revient était une
notion vague et insuffisamment précise.
Diverses analyses ont été faites par Marshall et par
Bourguin.
Marshall (27) dans son Traité d’Economie Politi
que (28) décompose les frais de la production en coût
spécial et en coût supplémentaire.
Bourguin les classe dans sa Mesure de la Valeur en
frais généraux et en frais spéciaux :
les premiers comportent le loyer, l’intérêt, l’entre
tien et l’amortissement du capital fixe, les primes d’as
surances incendie, les frais de bureau et d’administra
tion, les impôts généraux, etc.... Ils sont relativement
constants ;
les seconds sont le prix des capitaux circulants (ma
tières premières, combustibles, etc.), les salaires, les
primes d’assurances accidents, les impôts sur le chiffre
d’affaires, etc... Ils sont en général variables selon le
développement de la production.
De là un nouveau caractère pour chacune de ces caté
gories de frais :
(26) Petit. Etude critique des différentes théories de la valeur.
Thèse, Paris, 1897, p. 110.
de Tarde. L ’idée de juste prix. Thèse, Paris, 1906, p. 126, 136
et 145.
(27) 1842-1924.
(28) Marshall. Principes d’Economie Politique, 2 vol., Paris,
Giard. Trad. franç. S. Jourdan, t. II, p. 48.
(29) Bourguin. La Mesure de la Valeur et la Monnaie, 1 vol.,
Paris, 1896, p. 234.
�les uns sont essentiels et entrent néanmoins dans le
coût de production : ils sont incompressibles.
les autres sont accidentels : on peut momentanément
ne pas en tenir compte dans la fixation du prix de
revient (30).
Ainsi le coût de production après cette analyse n’est
plus qu’une notion abstraite, en tout cas tous ses élé
ments n’ont pas la même action dans la fixation des
prix de vente (31).
M. Colson élabore la théorie du prix de revient par
tiel (32) et la substitue à la notion du prix de revient.
Il entend par là la dépense supplémentaire à faire
pour obtenir chaque unité de produit, à l’exclusion des
frais permanents.
« Quand on produit de très petites quantités, c’est
la partie constante des frais qui joue le rôle prédomi
nant : le prix de revient total de chaque unité s’obtient
alors, à très peu de chose près, en divisant par la quan
tité produite, le montant des frais permanents, auxquels
le prix de revient partiel n’ajoute qu’une somme négli
geable. Au contraire, quand la production devient très
grande, c’est la partie constante des frais qui devient
négligeable, et le prix de revient total ne diffère plus
sensiblement du prix de revient partiel. »
C’est, dit-il, le cas à peu près de toutes les entre
prises.
3° Action respective des deux fadeurs :
coût de production et prix
Par une dernière critique, la plus grave faite à la
loi, plusieurs auteurs (33) ont noté qu’au lieu d’une
action dans un seul sens du coût de production sur le
(30) Bourguin, op. cit. p. 241.
(31) Bourguin a la priorité pour cette analyse en France.
(32) Cours d’Econ. Politique. Ed. définitive, t. I, Liv. I, chap.
III, p. 270.
La théorie avait été formulée dans la première édition. Paris,
1898, Gauthier-Villars, Liv. I, chap. VI.
(33) Bourguin, op. cit. p. 245.
Marshall, op. cit. p. 63, IL
Pareto. Cours d’Economie Politique, 1896, I, numéros 593
et 694.
prix, il y avait action et réaction des deux facteurs : les
changements du marché peuvent amener des hausses
ou des baisses du coût de production. 11 y a donc mu
tuelle dépendance de ces deux facteurs.
L’évolution doctrinale aboutit donc à contester très
fortement le caractère absolu de la loi, à en limiter
grandement la portée et meme tout à l’extrémité de cette
succession de critiques, à nier la valeur de la loi.
§ II. FORMULES ACTUELLES
A la suite de ce travail critique, bien rares sont les
auteurs contemporains qui maintiennent les formules
absolues d’Ad. Smith et de Ricardo.
La plupart des auteurs enregistrent, en en tenant
grand compte, les critiques précédemment rapportées.
Houques Fourcade (34) écrit : « Il y a relation de
dépendance entre le coût de production et la valeur,
qui agissent et réagissent constamment l’un sur l’au
tre... Quoique troublé sans cesse, par tout ce qu’il y
de mouvant dans les besoins, dans l'état de la techni
que et dans celui de la concurrence, il (l’équilibre de
l’offre et de la demande) n’en représente pas moins, avec
le prix normal, l’élément de la stabilité du marché. » (34)
Ch. Gide (35), dans son Cours d’Economie Politi
que (36) écrit : « On peut même affirmer que sous un
régime de libre concurrence, la coincidence serait par
faitement réalisée. C’est là une des lois les plus impor
tantes de l’Economie Politique.
Mais en fait cette coïncidence ne se réalise jamais
parce que la concurrence n’agit jamais qu’imparïaitement : il rfy a guère d’entreprise qui ne jouisse d'un
monopole plus ou moins accentué, tenant soit à la situa
tion, soit à des brevets, soit à des droits protecteurs,
soit à une coalition expresse ou tacite, ce qui lui permet
de maintenir un prix de vente supérieur au prix de
revient et de réaliser ainsi un profit. »
(34)
(35)
(36)
Sirey,
Op. cit., p. 86.
i 847-i 933-
Cours d’Econ. Politique, 10* édit., Paris, Libr. du Rec.
1930, p. 202.
�—
216
—
Et plus loin (37) l’auteur montre que même en dehors
des cas de monopole, il y a de nombreux cas où le prix
de vente ne coïncide pas avec le prix de revient : cas
des frais de production inégaux et alors le prix se main
tient d’une façon permanente au-dessus du coût de
production ; cas de progrès industriel : le prix est alors
ramené au coût de reproduction soit au-dessous du
coût de production primitif.
M. Rebond ne fait plus qu’une place très restreinte à
la formule de la loi du coût de production : « Le prix
normal, prix d'équilibre, coïncide avec le coût margi
nal de production, tandis que le prix du marché peut
se tenir tantôt au-dessus et tantôt au dessous du prix
normal (38). 11 examine la série très longue de ces diffé
rents cas.
M. Truchy (39) écrit : « Le coût de production déter
mine le prix de vente mais on peut renverser la for
mule et dire que le prix de vente détermine le coût de
production. »
Divers économistes contemporains, surtout Améri
cains, ont repris en les complétant les analyses ci-des
sus rapportées de Bourguin.
On peut citer en ce sens :
John Maurice Clark (40) formule la théorie des
« Overhead cosls », (41).
W. C. Mitchell (42) distingue (43) deux sortes d’élé(37) Note 1, p. 202.
(38) Précis d’Economie Politique, t. I, p. 430, 6« édit., 1934,
Paris, Dalloz.
Cf. p. 433: Si l’on réfléchit au nombre immense des marchan
dises qui sont produites soit par les cultivateurs, soit par les
industriels, au cours d'opérations simultanées, on comprendra
combien est vaste le domaine où la règle que le prix d’ une mar
chandise tend à coïncider à la longue avec son coût de produc
tion ne s’applique pas, même dans l’hypothèse de libre concur
rence. »
(39) Cours d’Economie Politique, 4e édit. Paris, Libr. du Rec.
Sirey, 1936, t. I, p. 497.
(40) 1884(41) The économies of overhead cost. 1923.
Cf. Pirou. Les nouveaux courants de la théorie économique
aux Etats-Unis, fasc. I, Ed. Domat-Montchrestien, 1935, p. 94.
(42) 1875(43) Business Cycles, ire édit. 1913, 1 vol. ; 2* édit. 1927, 2
vol.; i™ édit., p. 476.
ment du coût : le coût primaire (prime cost) et le coût
supplémentaire (supplementary cost): les premiers sont
variables avec le montant de la production, ex. : salai
res, matières premières, les seconds ne varient pas avec
le montant de la production : ex. dépense d’installa
tion de machines, frais généraux.
Schlichter (44) dans un récent ouvrage (45) conteste,
par l’examen de la réalité économique, que la concur
rence engendre, comme l’enseigne la théorie, la
compression du prix de revient. Il montre comment un
prix de revient élevé n’entraîne pas nécessairement la
disparition de l’entreprise, comment un chef d’entre
prise peut se débarrasser d’un élément du prix de re
vient en le rejetant sur d’autres personnes.
Enfin un Economiste Américain contemporain,
M. Vernon A. Mund, dans un article important (46)
ajoute à ce qu’il dénomme l’ajustement technologique
du prix au coût qui serait pour lui le seul envisagé
par Bochm Barwerk, un ajustement financier, Basé
sur un réajustement des frais généraux et donne de cet
ajustement plusieurs exemples d’ailleurs intéressants
tirés de faits américains.
Un autre Economiste Américain, Willis L. Hotchkiss,
dans un ouvrage récent (47) a par une nouvelle analyse
du coût de production tenté une nouvelle formule sur
l’action des salaires dans le coût de production. Il for
mule ainsi la régularité qu’il dénomme « loi de l’action
du salaire » : « Quand une matière première est l’objet
d’une ou plusieurs opérations mécaniques, un accroisse
ment plus grand dans le prélèvement annuel, payé par
la production de la matière première et des opérations
successives mécanique et commerciale, n’aura qu’un
effet relativement faible sur le coût des produits finis. »
(44) 1892(45) L ’organisation et le contrôle de l’activité économique.
Cf. G. Pirou. Les nouveaux courants de la théorie économique.
Fasc. III. De l ’économie statique à l'économie dirigée, 1 vol.,
Paris, Ed. Domat-Montchrestien, 1938, p. 171.
(46) The flnancial adjustement in the empical law of Cost,
The American Economie Review. 1936, p. 74.
(47) The law of Wage action.
Cleaveland. Eaton. Pub. Co 1936.
�La critique (48) a facilemnt montré que l’auteur s’était
trop spécialement attaché à certaines périodes de pros
périté d’après guerre : il n’eut pas pu conclure de
même par exemple pour la période 1896-1912. La for
mule n’a donc pas été retenue comme complément de
détail de la loi du coût de production.
III. Examen critique
Il paraît chimérique de vouloir procéder à l’examen
d’une loi dont la doctrine contemporaine a ainsi res
treint la portée.
Cependant, avec la majorité des auteurs contempo
rains (49) il est possible de distinguer trois hypothèses
nettement distinctes :
a) les produits à coût constant ;
b) les produits à coût croissant ;
c) les produits à coût décroissant.
a) les produits à coût constant.
Il s’agit, selon la formule de M. Reboud, de marchan
dises « dont les matières premières abondent dans la
nature, dont la fabrication n’exige aucun emplacement
spécial et pour lesquelles les avantages de la production
en grand cessent dès que les entreprises atteignent cer
taines dimensions facilement réalisables. » (50)
Elles seraient d’ailleurs en fait assez rares (51).
Pour elles, le prix normal tend bien à coïncider avec
le coût de production : le premier est sans cesse ramené
au second par le jeu de la concurrence.
b) les produits à coût croissant.
Ce sont toutes les marchandises dont le coût de pro
duction augmente, avec une production accrue, en gé
néral les produits agricoles.
Le prix de vente est en général dominé par le coût le
plus élevé dans les entreprises approvisionnant le
marché.
Ce n’est donc que le coût de production le plus élevé
qui est ici dominant.
c) les produits à coût décroissant.
C’est le cas de la plupart des produits industriels : le
coût de production diminue avec l’augmentation de la
production.
C’est alors le coût de production le plus élevé parmi
ceux des entreprises fournissant le marché qui est
dominant.
Cependant à la longue et par le jeu de la concurrence
des entreprises produisant plus cher ou bien s’adap
tent ou bien sont éliminées.
Dans ces deux derniers cas à vrai dire c’est le coût
de reproduction qui est dominant (52).
De cet examen résulte cette vue générale : la loi
reste théoriquement vraie mais avec la complexité du
réel, comme il n’y a pas unité de coût de production,
les choses se passent de façon beaucoup plus complexe
que ne l’avaient imaginé les premiers auteurs de la loi :
la vérification de leur hypothèse simple est en fait au
jourd’hui excessivement rare.
CONCLUSION
(48) L ’auteur base sa démonstration sur de nombreuses expé
riences aux Etats-Unis, notamment sur la production des barres
de fer (pig-irons). Cf. American Economie Review. 1936, p. 719.
(49) Reboud. Principes d’Economie Politique, t. I, p. 417.
L. Baudin. La monnaie et la formation des prix. Pre
mière parie. Les éléments, 1 vol., Paris, 1936, p. 102 et suiv.
t. IV du Traité d’Ec. Polit, publié sous la direction de M. H.
T ruchy.
(50) Reboud. Op. cit.} t. I, p. 421.
(51) Truchy. Cours d’Ec. Polit., t. I, 4* édit., Libr. du Rec.
Sirey, 1936, p. 500.
Que faut-il conclure après l’étude de cette loi géné
rale ?
Il faut sans doute maintenir à la loi du coût de
production le caractère de loi économique mais on a
(52)
Il faudrait ici étudier les complications extrêmes qu’en
traîne l ’instabilité des prix en cas de perturbations monétaires.
�vu combien cette loi avait perdu son caractère absolu :
elle est limitée à un petit nombre de cas : elle est contin
gente au suprême degré, puisque les conditions de son
application sont très nombreuses et rarement réalisées
en pratique.
CHAPITRE XVIII
LA
LOI
DE
C O M P E N S A T IO N
DES CHANGEMENTS DE PRIX
Cette dernière loi n’a pas d’histoire : car elle tout à
fait contemporaine.
11 suffira donc d’exposer ici :
les formules actuelles (§ I),
l’examen critique (§ II).
§ I. F o r m u le s a c t u e l l e s (1)
La loi est due à un économiste Autrichien Wicksell.
Il affirme qu’un changement du niveau général du prix
a toujours pour corollaire une modification monétaire :
car chaque hausse ou baisse particulière de prix est
confirmée par une baisse ou une hausse correspondante
d’une ou de plusieurs autres marchandises.
Il appelle cette loi : loi de la compensation des chan
gements de prix : « Gesetz der kompensatorischen
Preisànderungen. »
La démonstration tentée par l'auteur pour établir la
loi est la suivante :
lorsque le prix d’une marchandise, le blé, par exem
ple, augmente pour des raisons spéciales à cette mar(i) Wicksell. Geldzins und Güterpreise.
Wicksell Vorlesunger üher Nationalôkonomie.
Analysées par M. Pierre Raynaud. Les notions du taux natu
rel de l’intérêt et son utilisation. Rev. de S. et de Lég. financ.
Janvier 1937.
Cf. Pierre Raynaud. Essai sur la Monnaie neutre, I. Monnaie
neutre et Economie réelle. Rev. d'E. P., 1937, p. 1192.
�—
chandise, récolte déficitaire par exemple, les consom
mateurs doivent dépenser de plus grandes quantités de
monnaie pour acquérir cette marchandise. Mais,
comme la quantité de monnaie est supposée invariable,
ils auront moins de disponibilité pour se procurer les
autres marchandises. Il y aura donc hausse des prix
pour une ou plusieurs de ces denrées. Le niveau du prix
restera constant.
Au contraire lorsque le prix d’une marchandise bais
sera, un certain pouvoir d’achat sera libéré et se
portera sur d’autres marchandises. Le prix de ces mar
chandises montera et le niveau général des prix restera
cette lois encore identique.
La loi a donné lieu dès son apparition à des contro
verses très vives :
Les adversaires de la loi l’ont qualifiée de truisme
parce qu’elle suppose la quantité de monnaie en circu
lation constante, la valeur de circulation de cette mon
naie identique, l’épargne constante et l’élasticité de la
demande égale à un (2).
D'autres ont fait des réserves sur l’enregistrement du
fait énoncé par la loi qui implique des indices de prix
correctement établis (3).
D’autres enfin (4) ont montré que dans une économie
courante, où l’élasticité de la demande n’est pas égale à
un, la loi n’est plus vraie.
Cependant un certain nombre de disciples de Wicksell, approche l’Ecole Néo-Wicksellienne, G. Haherler,
Mahr, Morgenstern, Stirgl, Ropke, en général Autri
chiens, ont maintenu avec quelques nuances l’affirma
tion du maître.
§ IL
E xamen critiq u e
L’examen des faits amène à une conclusion défavo
rable à la loi.
(2) Par élasticité de la demande, on entend aujourd’hui « le
rapport du changement relatif de la demande au changement
relatif du prix. » Cf. ci-dessus p. 170.
(3) Cf. sur ce point G. Haberler. Der Sinn der Indexzahlen.
Türbingen, 1927.
(4) P. Raynaud. Art. Rev. d’E. P., 1 9 3 7 , p. 1201.
223
—
Elle ne serait vraie que si l’élasticité de la demande
était pour tous les produits égale.
M. Pierre Reynaud (5) en fait l’exacte constatation :
« Pour le comprendre, supposons un ensemble éco
nomique composé seulement de trois individus à la fois
producteurs et consommateurs. Chacun d’eux achète
pour 100 unités de monnaie à chacun des deux autres,
il vend également à ceux-ci ses propres produits pour
100 unités de monnaie. Il achète donc pour 200 unités
et revend pour 200 unités de monnaie. Supposons que
la marchandise vendue par A soit du blé et qu’il y ait
une mauvaise récolte : A aura dépassé 200, comme
d’habitude, mais il ne retirera pas forcément 200 de
sa vente, si sa récolte a diminué de moitié, il sera con
traint de doubler ses prix pour en tirer le même revenu.
Mais en agissant ainsi il risquera d’éloigner une cer
taine partie de sa clientèle et de ne pas écouler la tota
lité de sa récolte. Selon que l’élasticité de la demande
du produit vendu par A sera supérieure, égale ou infé
rieure à 1, le revenu de celui-ci diminuera, sera stable
ou augmentera. Ainsi, suivant les cas, l’augmentation
du prix de A libérera du pouvoir d’achat ou en absor
bera. La loi des changements de prix compensés ne
se vérifiera donc que si 1élasticité de la demande pour
la marchandise considérée est égale à 1. Dans tous les
autres cas elle sera fausse. »
On pourrait encore au point de vue de la vérification
de la loi et de son application à la réalité économi
que, remarquer que jamais les conditions qu’elle impli
que ne se trouvent réalisées.
Il n’y a jamais à la fois dans un monde économique
réel constance de la monnaie en circulation, valeur de
la circulation de la monnaie identique, épargne cons
tante et élasticité de la demande égale à un.
CONCLUSION
Il faut donc rejeter cette loi que l’on a en vain voulu
ajouter au nombre des lois économiques vraiment
scientifiques.
(j) Rev. d’ E. P., art. cité. p. 1201.
�CONCLUSION
Au terme de cette étude des lois générales de l’éco
nomie politique, il est permis de formuler quelques
conclusions provisoires (1).
Deux problèmes paraissent devoir être ici précisés :
a) le caractère des lois générales de l’Economie Poli
tique ;
b) l’avenir de ces lois économiques.
a) caractère des lois générales de /’Economie Politique.
L’Ecole historique (2) avait envisagé la loi économi
que comme valable seulement pour une époque déter
minée et un milieu donné : c’étaient, pourrait-on dire,
les lois d'une époque et d’un pays.
Il ne semble pas que l’étude précédente confirme celle
anticipation déjà ancienne : formulées peut-être à l’oc
casion d’une période ou d’un milieu où elles étaient par
ticulièrement apparentes, les lois économiques telles
que les ont envisagées leurs auteurs, ont toujours
été données avec un caractère de généralité indéniable
et la vérification critique de chacune de ces lois semble
confirmer ce caractère.
Il est vrai que les historiens contemporains semblent
avoir modifié la conception initiale.
M. Marc Bloch dans une conférence récente (3) don
nait les suggestions suivantes :
« Peut-on espérer qu’un jour l’étude du passé nous
amène à établir des lois d’évolution ? Que ces lois nous
permettent de déterminer certaines ruptures régulières
d'équilibre, certaines successions de phases, et, par
suite, alors que nous nous trouverons dans une phase
donnée, de prévoir en quelque mesure et surtout de
préparer la phase suivante ? Cela, bien entendu, sauf à
maintenir comme un solide garde-fou le fameux prin
cipe de « toutes choses égales d’ailleurs ». Car il devra
toujours être nettement spécifié que la loi n’est valable
(1) Sous réserve des conclusions que pourra motiver l’étude
des lois spéciales (tome III en préparation).
(2) Cf. tome I, p. 85.
(3) Les Méthodes en Science économique. Que demander à
l’histoire? X Crise. Centre polytechnicien d’études économiques.
Février 1937, p. 21,
que pour un milieu répondant à certaines conditions
données, et que, si ces conditions fondamentales vien
nent à manquer, la périodicité cesse de s’appliquer ».
Ce serait ainsi la loi dégagée par l’histoire mais vala
ble comme loi générale, sous la réserve toutes choses
égales (d'ailleurs.
Nos recherches précédentes semblent permettre
d’approuver cette suggestion qui corrige heureusement
le relativisme exagéré des anciens représentants de
l’Ecole historique. Oui les lois économiques confirment
ce caractère de généralité qu’aujourd’hui les historiens
eux-mêmes ont tendance à leur conférer.
Mais on peut peut-être aller un peu plus loin et affir
mer que les lois économiques ne comprennent pas seu
lement des lois d’évolution, comme tendraient à l’ad
mettre certains de nos contemporains. Elles compren
nent aussi des lois statiques dont l’étude précédente
nous a fourni plusieurs spécimens : loi du moindre
effort, lois des prix en régime de concurrence, loi des
prix en régime de monopole, etc...
Toutes d’ailleurs semblent contingentes : elles ne sont
vraies que toutes choses égales d’ailleurs, c’est-à-dire
que pour autant que les conditions de la loi se trouvent
réalisées : ce qui, on l’a vu, est loin d etre fréquent.
Ainsi la loi économique est une loi générale et une
loi contingente,tels sont les deux traits dominants qui
en déterminent le caractère.
b) l’avenir des lois économiques.
Deux constatations semblent ici s’imposer : D'abord
on peut et on doit admettre que toutes les lois écono
miques ne paraissent pas avoir été formulées à ce jour,
il reste un vaste champ ouvert aux observateurs et aux
chercheurs. Nous ne connaissons encore qu’un nombre
limité de ces lois : il doit y en avoir d'autres que l'ave
nir nous apportera.
Ensuite et comme direction de recherches, j’admet
trais pour ma part que bon nombre des lois existantes
— je parle bien entendu et seulement des lois géné
rales étudiées dans ce volume — présentent ce carac
tère commun d’être des explications par l’individuel —
ce qui est évidemment un point de vue trop abstrait
�el par là même critieable. Il semble souhaitable de cher
cher pour l'avenir l’explication de la réalité par le
social, au moins autant, sinon plus que par l’indivi
duel (4).
Les lois existantes notamment les lois du prix pour
raient être complétées et vérifiées par ce point de vue
fécond ; l’estimation commune a certainement sa part
dans la fixation des prix.
'D’autres lois sans doute pourront être découvertes
grâce à ce nouveau point de vue.
Il devra être naturellement conservé et utilisé pour
la solution du problème de l’Action en face des lois
naturelles.
On peut ainsi se rapprocher comme base de l’affir
mation de l’économiste Marshall (6) : une loi de science
sociale, c’est l’affirmation que les hommes appartenant
à un groupe social se conduisent d’une certaine façon
sous certaines conditions. »
La loi précepte était à l’origine avant la loi constata
tion {7). Elle semble ainsi devoir être réintégrée avec
de notables transformations il est vrai, dans la notion
d’avenir de la loi naturelle.
Puisque l’action reste possible dans certaines condi
tions nous devons encore agir.
La loi économique a ainsi une originalité propre qui
la différencie assez nettement de la loi scientifique
ordinaire.
Telles sont nos conclusions provisoires.
Aix-en-Provence, le 7 Mars 1937.
(4) Cf. Conférence de M. Marc Bloch précitée p. 29, où
l ’auteur expose très judicieusement à ce sujet l ’orientation
défendue par le regretté Simiand.
(5) Cf. tome II, p. 168.
(6) Citée par Gide. Cours d’Economie Politique, ire édition,
t. I, p. 7, note 1.
(7) Cf. t. I, p. 11.
Aftalion, 63, 113, 115 (n. 35),
176 (n. 32), 136 (n. 122), 187
(n. .123).
Alfassa, 147 (n. 17).
Andler, 13 (n. 16).
Andréadès, 176 (n. 32).
Ansiaux, 200 (n. 15).
Aucuy, 119 (n. 52).
Barone, 43.
Barrault, 132 (n. 10).
Bastiat, 87.
Baudin, 65 (n. 3), 78 (n. 31).
Beauregard (P.), n o(n . 5), 162.
Beccaria, 82.
Bellet (D.), 74 (n. 43).
Bergson, 165, 166.
Bernouville (de), 116 (n. 41).
Bernouilli, 50.
Bernstein, 19-127.
Berthelot, 36 (n. 62).
Blanc (Louis), 27.
Blaringhem, 36 (n. 63).
Bloch (Maurice), 49 (n. 2), 52
(n. 12), 54, 63, 86.
Block (Marc), 224.
Blum, 166.
Bodio, 99.
Bœhm Bawerk, 123,
189, 199, 211.
Bortkewitsche, 60 (n. 40).
Bouniatian, 113 (n. 26), 205.
Bourguin, 43, 213.
Bousquet, 174 (n. 86).
Boutroux, 37.
Boverat, 57 (n. 33), 93 (n. 77).
Brentano, 86 (n. 27).
Brenier, 89 (n. 56).
Briaune, 206 (n. 26).
Brocard, 80.
Broomhall, 208.
Brouilhet, 194.
Buchanan, 156.
Bunle, 57 (n. 33), 93 (n. 77).
Burton, 181 (n. 105).
Carey, 87.
Carli (F.), 44Carmille, 66.
Cauderlier, 92.
Cauwès, 87.
Chailley (Joseph), 47.
�— 228 —
Chalmers (36 (n. 64).
Clark (M.), 216.
Clementel, 46 (n. 91).
Clerget, 176 (n. 92).
Cohn, 70, 86.
Colson, 105 (n. 15) (n. 16),
n. 80), 137, 139, 146,
272 (n. 22 et 25).
Coni (Emile), 42.
Considérant, 28.
Cornélissen, 131 (n. i),
136 (n. 32), 142 (n. 1).
Cossa (Luigi), 70.
Cournot, 53, 157, 161,
200.
Courtin, 206.
Courcelle-Seneuil, 69.
Coutrot, 40.
Couvrat-Desvergnes, 199
12).
Croce (Benedetto), 20.
Crooks, 87.
Cru, 38 (n. 66).
Culloch (Mac.), 211.
Eichtal (D’), 164.
Engel, 87.
Engels, 15, 17 (n. 10).
174
165,
135,
197,
(n.
D
E
1 1 7 (n - 42 ).
F
Daure, 56 (n. 32).
Darwin, 29, 36.
Davemant, 204.
Dechesne (L.), 41, 169.
Defourny, 159 (n. 25).
Delacroix, 75 (n. 45).
Delewsky, 203 (n. 16).
Denis, 81 (n. 2), 86 (n. 27).
Deschamps, 788 (n. 51).
Doubleday, 87.
Doumergue, 105 (n. 14).
Drysdale, 88.
Dubuisson, 62.
Dubouin, 75 (n. 45 et n. 46).
Dugas, 67 (n. 2).
Dumont, 91.
Dupuy, 197.
Edgeworth, 71, 133, 134.
Houques Fourcade, 143 (n. 1),
194, 209 (n. 1), 215.
Huber, 57 (n. 33), 93 (n. 77),
Hume, 25 (n. 2).
Faure (F.), 56, 199.
Faugeras, 1S3 (n. 113).
Feierabend, 177 (n. 95).
Fiamingo, 6S (n. 3).
Foldes, 33.
Fourier, 27.
Franklin (B.), 83.
J
Jevons (Stanley), 110, 132, 135,
i 45, 2° 5Juglar, 109.
K
G
Georges (Henri), 87.
Gibrat, 65, 66.
Gide (Charles), 20, 35, 46
91), 72, 88, 112, 126 (n.
128, 137, 146, 147 (n165, 194, 200 (n. 15),
(n. 12), 215, 226 (n. 6).
Gilby (Mme), 172.
Godwin, 84 (n. 19).
Gonnard, 81 (n. 1), 113 (n.
118 (n. 49).
Guilhol, 131 (n. 1), 132.
Guilhot, 189 (n. 3).
Guillaume (Ed.), 62.
Guillaume (G.), 62.
Guyot (Yves), 69, 205.
Letrosne, 26.
Levasseur, 57 (n. 33), 58 (n.
37), 93 (n- 77)List, 87.
Loria, 1.9, 20, 22.
Luftalla, 149 (n. 1), 186 (n.
121).
(n.
4),
IS),
210
Kautsky, 87.
Khérian, 75 (n. 45).
Kidd (Benjamin), 30.
King (Grégory), 203, 206.
Knies, 158, 159.
Korosi, 98.
Kugelmann, 34.
Kuczynski, 95 (n. 82).
L
24),
H
Haberler, 222.
Halbwachs, 99 (n. 90).
Hamburger, 115.
Harold, 95 (n. 81).
Hauser, 88 (n. 51), 90 (n. 61).
Heard (Gerald), 38.
Heilperin, 115 (n. 45).
Hersch, 82 (n. 2).
Hévesy, 208.
Hobson, 135.
Hoeckel, 36.
Hoover, 40.
Hotchkiss, 217.
Labriola, 18.
Lacombe, 116 (n. 37).
Lafargue, 22.
Lalande, 41.
Landry, 22, 49, 57 (n. 33), 188
n. 126).
Laplace, 51.
Lauderdale, 156, 204.
Laufenburger, 177 (n. 96), 185.
Laveleye, 31, 169 (n. 66).
Lavergne, 114, 131 (n. 1), 138
(n. 43).
Le Châtelier, 61.
Leduc, 197, 200 (n. 16), 201.
Leontieff, 173.
Leroy-Beaulieu (Paul), 32, 55,
60,
70,
9 L 94 (n . 78),
m ,
140, 162, 163, 199.
Leroy, 12.
Lescure, 67, 109, 112 (n. 19),
118.
M
Machiavel, 82.
Madami-Lâmé, 12.
Malthus, 81.
Manoîlesco, 206-207.
Mantoux, 461 (n. 88), 74 (n.
43), 75 (n- 45)Marc (St), 160 (n. 29), 189 (n.
3)Marschal, 34, 146, 170, 172,
199, 212 (n. 21), 213, 226.
Marx (Karl), 15, 16, 21, 34, 87,
125, 126, 158, 159.
Menger (Karl), 132, 133, 135,
198, 199.
Mercier de la Rivière, 26.
Metz-Noblat (de), 12.
Mill (Stuart), 28, 86, 153, 160,
211.
Mitchell, 114, 216.
Molinari (de), 31, 205.
Moret, 139 (n. 46).
Morgenstern, 117, 222.
Moore (H. L.), 43, 116, 170,
i 72, 1 73, l86, 2° 7Moure, 119.
Mund, 217.
N
Naudeau, 40 (n. 74).
Neumann, 135.
Nichol, 201.
Nitti, 92.
Nogaro, 76 (n. 48), 176 (n. 94),
181 (n. 107), 206
�— 230 —
O
Oesteinlein, 52.
Ollivier (M.)> 65 (n. 2).
Oppenheimer, 87, 92.
Ortès, 84.
Osler, 36 (n. 64).
Oualid, 12, 46 (n. 91), 106.
Owen, 28.
P
Pantaleoni, 70.
Pareto, 15 (n. 1), 21 (n. 33), 43)
133, 166, 214 (n. 33).
Pearl, 88.
Pearson, 208.
Perreau, 78 (n. 51), 128, 165,
194, 200 (n. 15).
Périer, 36 (n. 64), 99 (n. 90).
Perroux, 44 (n. 87).
Petit, 131 (n. 1), 135, 138 (n.
43), 213 (n. 26).
Philip, 176 (n. 93).
Physiocrates, 9, 25.
Pic, 45 (n. 88).
Pierson, 200 (n. 15).
Pigou, 173.
Pirou, 15 (n. 4), 131 (n. 1), 134
(n. 20), 137, 138 (n. 44), 146
(n. 24), 161 (n. 30), 198 (n. 6),
216 (n. 41), 217 (n. 45).
Poisson (D.), 51.
Pose, 41 (n. 76).
Proudhon, 17, 27, 159.
Q
Quesnay, 25, 68.
Quételet, 52, 86.
R
Ramhaud, 68 (n. 5),
Rau, 160.
Raynaud (P.), 221 (n. 1), 223.
Reboud, ai, 72, 113, 128, 137,
194, 196 (n. 16), 200 (n. 15),
216, 218.
Reclus (Elisée), 30.
Rendu, 104 (n. 12), 106 (n. 17),
107.
Rhenisch, 54.
Ribaud,, 71.
Ricci, 170.
Ricardo, 86, 125, 126, 145 (n.
3), «52, 157, 204, 205, 210,
217 (n. 24), 215.
Rist, 63 (n. 12), 126 (n. 4), 132,
210 (n. 12).
Rogers (Thorold), 204.
Roosevelt, 106.
Rôpke, 222.
Roscher, 69, 86.
Rosmini, 71.
Rousseau, 106 (n. 18).
Roy (René), 171.
Rumelin, 55, 86.
S
Sadler, 99.
Sanders, 146 (n. 14).
Sanger, 88.
Sax, 133.
Say (Léon), 32 (n. 47).
Say (J.-B.), 86.
Scella, 25 (n. 1).
Schlitcher, 217.
Schatz, 25 (n. 2), 72.
Schâffle, 86.
Schmoller, 34.
Schumpeter, 44 (n. 87).
Schultz, 170, 172, 186 (n. 21).
Sciama, 139 (n. 45).
Seligman, 21 (n. 33).
Senior, 211.
S. D. N., 178 (n. 97), 187 (n
127).
Siegfried (J.), 11 1.
Simiand, 40, 72, 117, 136, 168
194, 226 (n. 4).
Sismondi, 27, 87.
Smith (Adam), 26, 125, 126,
150, 209, 215.
Sorel (G.), 15 (n. 1), 19.
Spencer, 30.
Spengler, 86 (n. 27).
Strangleland, 82 (n. 2).
Spirito, 43Stevens, 38 (n. 67).
Stevenson, 184.
Steuart, 82.
Stirgl, 222.
Sundbarg, 89 (n. 58).
Sünner, 87.
Süssmilch, 50.
T
Tarde (G.), 166.
Tarde (de), 167, 213 (n. 26).
Tarlé (de), 186.
Taylor, 74.
Thomson, 88.
Trotabas, 106 (n. 17).
Truchy, 78 (n. 51), 212 (n. 25),
216, 218 (n. 51).
Trumer, 15 (n. 4), 20 (n. 29).
Turgeon (L.), 17 (n. 1), 21, 123
(n. 1), 14 9 (n - 0 , l 64 Turgeon (Ch. H.), 123 (n. 1).
V
Valois, 73.
Varigny (de), 36, 61 (n. 3), 62
(n. 5), 63Vallon, 62 (n. 6), 67, 117 (n.
47)Veblen, 137.
Vezès, 61 (n. 1).
Vidal, 79 (n. 52).
Vigreux, 75 (n. 47).
Vries (de), 36 (n. 63).
Volta (délia), 20.
W
Wagner (A.), 53, 70, 103.
Wagemann, 118.
Walras (Léon), 15 (n. 1), 132,
i 33) ! 34, i 36 (n- 34), 161, *97Wallace, 31, 72.
Warren, 208.
Weiller, 75 (n. 45).
White (Dupont), 101.
W ie s e r , 13 3 - 13 4 -
Wicksel, 221.
Willigen, 99 (n. 90).
Y
Young, 83.
Yovanowitch, 74 (n. 44).
�TABLE DES MATIÈRES
I ntroduction ........................ . ..........................................
7
P R E M IE R E P A R T IE
L es
lois de la
V ie E conomique ................................
13
C H A P IT R E I. L a loi du M atérialisme historique
15
§ I. H is to ire de la loi ...........................................
§ IL F o rm u le s a c tu e lle s .........................................
§ I I I . E x am ,en c ritiq u e ..............................................
15
20
22
C H A P IT R E IL L a loi de la concurrence ............
25
§
§
I. H is to ire de la loi ............................................
IL F o rm u le s a c tu e lle s ...........................................
S e c tio n I. L a c o n c u rre n c e lu tte p o u r la vie estelle à c o n s e rv e r co m m e loi d es so ciétés ? ............
S e c tio n IL L ’A m é n a g e m e n t de la c o n c u rre n c e .
S e c tio n I I I . C ritiq u e s de la c o n c u rre n c e lu tte
p o u r la v ie .................
§ IV . E x a m e n c r i t i q u e ..................... ..........................
25
35
at
38
41
45
S e c tio n I. A ctio n d e la c o n c u rre n c e d a n s le
te m p s .........................................................................................
S e c tio n II. A ctio n de la c o n c u rre n c e d a n s l ’es
p a c e ..................................................................................
47
C H A P IT R E I I I . L a
49
§
I. H is to ire
loi des grands n o m b r e s -------
................................................... .
..
45
49
�— 235 —
— 234 —
Section I. Les partisans convaincus ..............
Section II. Les critiques et les partisans avec
réserves ............................................................
§ IL Les formules actuelles ..............................
§ III- Vérification critique ..................................
Section I. Les statistiques démographiques.
Section IL Les problèmes d’assurance ..........
Section III. Quelques autres co n statatio n s----
63
55
56
57
59
60
CHAPITRE IV. L a loi de déplacement de l ’équi
libre
.................................................................
61
CHAPITRE V. La loi de l ’effet proportionnel
§ I. Formules actuelles ...................................
§ IL Vérification critique .................................
65
65
66
CHABITRE VI. La loi du moindre e f f o r t ..........
§ I. Histoire de la loi ......................................
§ IL Formules actu elles......................................
Section I. Les continuateurs des classiques..
Section IL Les critiques ......................................
67
68
71
72
72
§ III. Examen critique ........................................
Section I. La loi du moindre effort dans la pro
duction des richesses ................................................
Section IL La loi du moindre effort dans la cir
culation des richesses ..............................................
Section III. La loi du moindre effort dans la
répartition des richesses ........................................
Section IV. La loi du moindre effort dans la
consommation des ric h e ss e s ....................................
73
CHAPITRE VIL L es lois de la population . . . .
I. La loi de M alth u s................................................
§ III. Etude critique ............................................
§ I. Histoire de la loi ........................................
§ II. Les formules actuelles ..............................
II. Les lois contemporaines sur la croissance
fie la population .............................................. ......
50
74
77
77
79
81
81
89
82
88
90
A) la loi de la capillarité sociale ...................
91
B) La loi de P. Leroy-Beaulieu .....................
91
C) La loi de Nitti .............................................
92
D) La loi d’Oppenheimer ...............................
93
E) La loi de Cauderlier .................................
93
III.
Les lois démographiques sur les détails du
mouvement de population ..........................................
93
A) Le Taux de natalité ...................................
93
B) Le Taux de nuptialité ...............................
96
C) Le Taux de mortalité ...............................
96
D) La loi de la fécondité c o n ju g ale ..............
98
E) Loi de la proportion des sexes •..............
99
Conclusion ......................................................................
99
CHAPITRE VIII. Loi de l ’extension croissante
DES FONCTIONS DE L’ETAT ..................................... 101
§ I. Historique ......................................... t. .....
§ IL Formules actuelles ......................•............
§ III. Examen critique .......................................
Section I. La progression marquée des budgets
modernes .....................................................................
Section II. L’annuité successorale et l’im pôt..
Section III. Examen spécial des catégories de
dépenses de l’Etat qui ont le plus augmenté........
10 1
104
105
CHAPITRE IX. L a loi des Crises.........................
§ I. Histoire de la loi .....................................
§ II. Formules actuelles ......................................
a) les Traditionalistes .....................................
b) les Novateurs ..................................................
c) les Chercheurs de la conjoncture ............
§ III. Examen critique ..............................
109
109
112
112
113
115
105
105
106
118
DEUXIÈME PARTIE
L es lois de la V a l e u r ........ ......................................
CHAPITRE X. La loi de la Valeur T ravail. . . .
§ I. Histoire de la loi .......................................
121
125
125
�§ II. Formules actuelles ....................................
§ III. Examen critique ........................................
Section I. Sphère d’application de la lo i---Section II. Vérification dans cette zone limitée.
I. Marché des biens constituant des produits
achevés ........................................................
II. Marché du capital argent ...........................
III. Marché des services producteurs .............
127
128
139
139
134
140
140
TROISIÈME PARTIE
L es lois du peux ........................................................
141
CHAPITRE
145
XII. La loi d’indifférence ..............
CHAPITRE XIII. La loi de l ’offre et de la
DEMANDE ..................................................................
147
§ I. Histoire de la l o i ............................................ 147
Section I. De lo’ffre et de la demande envisagées
exclusivement comme cause du prix ................ 150
Section II. — Essais d’une formule mathéma
tique ..................................................... .................... 156
Section III. Critiques de la première formule
158
Section IV. Un aspect nouveau : l’offre et la
demande sont elles-mêmes fonction du p rix .......... 161
§ IL Les Formules actuelles ..............................
Section
I. Le Dithyrambe ..............................
Section II. L’Affirmation modérée ................
Section III. La Critique négative ......................
Section IV. L’Effort c o n stru ctif..........................
A) La loi de la d em an d e....................................
B) La loi de l’o ff re ..............................................
§ III. Examen critique ........................................
Section I. Le jeu normal de l’offre et de la de
mande ...........................................................................
Section IL La Valorisation ................................
I. Le Blé et quelques produits agricoles.
IL Le Café ....................................................
III. Les raisins secs ....................................
IV. Les A g ru m e s...................................
162
162
164
166
169
170
172
174
175
176
176
178
181
182
V. Le Soufre ...........................................
VI. Le
Caoutchouc ..............
VII. La
Soie .......................................
VIII. Le
Coton ..................
Section III. La vérification par l’étude des
courbes de l’offre et de la demande ...................
183
184
184
184
185
CHAPITRE XIV. L a l o i d e s p r i x e n r é g i m e d e
CONCURRENCE ......................................................
189
§ I. Histoire de la loi ....................... ■........... 189
§ II. Formules actuelles................................. 194
§ 111. Examen critique ................................... 195
CHAPITRE XIV. La l o i d e s p r i x d e m o n o p o l e . .
§ I. Histoire de la loi ..................................
§ II. Formules actuelles ...............................
§ III. Examen critique ..................................
197
197
200
201
CHAPITRE XVI. L a l o i d e G regory K l\ g ...........
§ I. Histoire de la loi ..................................
§ II. Formules actuelles ................................
§ III. Vérification critique ..............................
203
CMAPURE XVII. L a l o i d u c o û t d e p r o d u c t i o n .
§ I. Histoire de la loi ..............................
A) Formules absolues.............................
B) Evolution doctrinale .........................
209
§ III. V é rific a tio n c ritiq u e .......................................
a) L es p ro d u its ù co û t c o n s ta n t .........................
b) L es p ro d u its à co û t c ro issa n t .......................
218
218
219
219
c) L es p ro d u its à coût d i m i n u a n t .......................
C H A P IT R E X V III. L a
lo i
de
c o m p e n s a t io n
203
206
206
d es
.......................................................
221
§ I. F o r m u le s a c tu e lle s .........................................
§ II. E x a m e n c ritiq u e ................................................
221
222
ch angem ents de
C onclusion
a )
b)
p r ix
c a ra c tè re des lois g é n é ra le s .........
a v e n ir d es lois é c o n o m iq u e s .........
224
225
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I. — Economie politique. — L'étalon-or et son avenir
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II. — Economie sociale. — Le chômage et ses
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et plus particulièrement des programmes de travaux publics
1 vol. in-8 raisin ................................................... 80 francs
T
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om es
III et V paraissant en un seul volume. — Section. III.
Histoire économique. Les antécédents historiques de
l'économie dirigée. — Section V. Economie coloniale.
La coopération des indigènes et des européens dans la
mise en valeur des pays coloniaux.
I
'<
*<T
vol. in-8 raisin ..................................................
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�
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Loi (La) naturelle en économie politique. II, Les lois naturelles économiques, les lois générales
Subject
The topic of the resource
Economie politique
Description
An account of the resource
Après l'étude de la notion de loi naturelle en économie politique dans le 1er volume, l'auteur aborde l'étude des lois économiques elles-mêmes.
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-9118
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Editions Domat-Montchrestien (Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1938
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
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Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/104450924
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-9118_Raynaud-Loi-naturelle_V2-vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
237 p.
25 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/290
Abstract
A summary of the resource.
Le problème de la loi naturelle en économie politique présente un double intérêt, selon Barthélemy Raynaud, qui lui consacre les trois présents volumes. D’un point de vue théorique, la loi naturelle s’inscrit dans le cadre philosophique plus large du déterminisme, posant la question d’un ordre des choses en matière économique. D’une manière plus immédiate, la réalité possible des lois naturelles dans les faits économiques accuse et nourrit les discussions sur l’interventionnisme et à plus forte raison sur l’économie dirigée : en effet, « quelle que soit la direction, qui que soient les dirigeants, un problème préalable se pose : y a-t-il une direction possible, y a-t-il une action possible et à quelles conditions sur les faits économiques ? » Raynaud, déjà auteur de plusieurs études sur ce point, et appuyé sur une trentaine d’années de recherches, envisage d’abord l’idée de loi naturelle dans son développement historique depuis l’antiquité jusqu’à l’époque contemporaine, puis étudie les lois générales et les lois spéciales qui ont pu être formulées pour en apprécier la validité.
(Luc Bouchinet)
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Raynaud, Barthélemy (1876-1948)
Droit -- Philosophie
Droit naturel
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/299/RES-259187_Raynaud_Loi-naturelle_V3.pdf
a1a0289ae71a282ac0af180dc5a54ccc
PDF Text
Text
BIBLIOTHÈQUE DE L'UNIVERSITÉ D'AIX-MARSEILLE
BARTHÉLEMY
DOYEN
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RAYNAUD
MONORAIRE
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LA LOI NATURELLE
EN ÉCONOMIE
POLITIQUE
III
LES LOIS NATURELLES ÉCONOMIQUES
LES LOIS SPÉCIALES
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19\ Cours du Vieux-Port, 19b
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LES LOIS NATURELLES ÉCONOMIQUES
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EN ÉCONOMI E P O L I T I Q U E
LES LOIS NATURELLES ECONOMIQUES
LES LOIS SPECIALES
�■i.
_______
�INTRODUCTION
Deux volumes précédemment parus ont abordé le problème de la
loi naturelle en Econom ie Politique. 1
Après l’idée de loi naturelle, après las lois générales, il s’agit ici des
lois spéciales. 2
I l a précédemment été discuté3 des formules à retenir, de l’ordre
dans lequel il les faut étudier.
La solution indiquée pour l’étude des lois générales,4 toutes les
formules présentées, chaque loi considérée isolément, sera ici main
tenue. I l s’agit d’étudier successivement :
1r' partie
Zm° partie
3me partie
4m,: partie
:
:
:
;
Lesloisde la production,
Les loisde la circulation,
Lesloisde la répartition,
Leslois de ta consommation.
Sans doute, ce cadre traditionnel de la science économique fran
çaise a beaucoup vieilli et, dès lors, il pourra sembler inopportun à
quelques esprits de le voir utiliser ici. Cependant la commodité qu’il
présente dépasse, et de beaucoup, les inconvénients qu’il comporte. 5
Seul le cadre ( Histoire de la loi, formules actuelles, vérification
critique) pour l’étude de chaque loi séparée subira quelques modi
fications. Il est maintenu comme ordre logique du développement,
mais ce cadre sera moins constamment accusé en la forme dans ce
tome troisième que dans le tome second. Cette modification, légère
d’ailleurs dans la présentation, tient au fait suivant : la multiplicité de
1 Barthélemy Raynaud : L a loi naturelle en Economie Politique. I. L ’idée de
loi naturelle en Economie Politique. 1 v o l., Paris, Domat-Montclirestien, 1936.
IL Les lois naturelles économiques. Les lois générales. 1 v o l., Paris, DomatMontchrestien, 1938.
2 Q u ’il me soit permis de remercier l’Université d ’Aix-Marseille de son bien
veillant patronage et de son précieux concours.
3 Raynaud : La loi naturelle en Economie Politique. T. IL Les lois générales,
1 vol., Domat-Montchrestien, 1938, p. 7.
» Ib id ., T. II, p. 10.
5
Ces mouvements sont surtout d’ordre doctrinal et n’ont pas grande impor
tance au point de vue de l’étude des lois naturelles économiques.
�-
8
—
ces lois spéciales et dans une certaine mesure aussi la particularité que
certaines empiètent pour ainsi dire les unes sur les autres rendent
plus difficile, pour ne pas dire impossible, la division ordinaire : ori
gine et évolution de la loi, formules actuelles, examen critique. I l n’y
a là d’ailleurs qu’une différence minime dans la présentation qui n’a
en rien modifié l’objet fondamental de l’auteur qui est demeuré le
même : dégager les lois valables de l’Econom ie politique.
Une brève conclusion permettra de préciser les solutions qui
semblent résulter de l’ensemble des recherches poursuivies tout au
long de ces pages. *
Aix-en-Provence, 24 Juin 1938.
6
L a guerre actuelle a sensiblement retardé la publication de cette étude : elle
a été mise au point en 1944 dans la limite où le permettait‘l’arrivée très restreinte
des publications récentes.
�PREM IERE P A R T IE
LES LOIS DE LA PRODUCTION
Il faut étudier ici, en les classant, les lois se rapportant à l’ensem
ble de la production (A ) et les lois concernant des points parti
culiers (B).
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L
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L
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L
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L
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L
a
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B) : La
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;
;
ou lo i du minimum
L
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L
a
lo i
V ésulienne
;
;
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en matière de forêts .
'W>vM
.
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�C H A P IT R E PR EM IER
LA LOI DE CONCENTRATION
La loi de concentration est une des plus discutées en économie
politique. 1
Comme point de départ, on peut prendre cette formule empruntée
à Souchon 2 : « Il y a une nécessité fatale contre laquelle les meilleurs
efforts seraient une puérilité et qui assure le triomphe de la grande
contre la petite production. »
On étudiera ici comme d’ordinaire :
I. H isto ire
de la lo i
;
IL F ormules actuelles ;
III. VÉRIFICATION CRITIQUE.
1. H IS T O IR E DE L A LO I
On est en général d’accord pour attribuer à K. Marx la paternité
de la loi de concentration.
Cependant, il existe, avant lui, au moins des précurseurs.
Sismondi, dans ses Etudes sur l’Economie politique,3 donne une
description exacte de la concentration sans affirmer d’ailleurs à son
sujet le caractère d’une loi générale d’économie-politique :
1 Bibliographie générale :
Bernstein : Socialisme théorique et social-déniocratie pratique. Traduction fran
çaise, Paris, Giard, 1900.
M. Bourguin : Les systèmes socialistes et l’Evolution économique. 1 vo l., P a
ris, Colin, 1901.
A. Souchon : La situation économique actuelle des petits et moyens industriels
■et commerçants. Réf. Sociale, 1er oct. 1910, p. 257.
H. Bourgin : Le Socialisme et la Concentration industrielle. 1 v o l., Rivière,
Paris, 1912.
E .-A .-G . Robinson : The structurs of Compétition Industry, Londres, 1931.
A. Pigou : Economies of W elfare. Marmillan, 2me éd„, 1924.
3 Art. cité, p. 259.
3 2 vo l., 1837-1838, Paris. Introduction, p. 39.
�11 —
« Tous les travaux de l’Angleterre, dont on évalue la surface a
34.250.000 acres, étaient accomplis en 1831 par 1.055.982 cultiva
teurs et l’on espère en réduire encore le nombre. Non seulement tous
les petits fermiers sont descendus à la condition des journaliers, mais
encore un grand nombre de journaliers ont été forcés de renoncer
aux travaux des champs...
L ’industrie des villes a adopté le principe de l’union des forces,
de l’union des capitaux, avec plus de vigueur encore que celle des
campagnes... Les manufactures qui travaillaient sur un fonds de
1.000
livres sterling ont disparu les premières de l’Angleterre ; bien
tôt celles qui travaillaient sur 10.000 livres sterling (250.000 francs)
ont été estimées petites et trop petites ; elles ont été ruinées ; elles
ont cédé la place aux grandes ; aujourd’hui, celles qui travaillent sur
100. 000 livres sterling sont estimées parmi les moyennes et le moment
n’est peut-être pas éloigné où celles-là seulement seront en état de
soutenir la concurrence qui travaillent sur un million de livres
sterling. »
K. M arx4 formule très nettement la concentration comme
une loi : 5
« Ce qui est maintenant à exproprier, ce n’est plus le travailleur
indépendant, mais le capitaliste, le chef d’une armée ou d’une
escouade de salariés. »
Cette expropriation s'accomplit par le jeu des lois immanentes
de la production capitaliste, lesquelles aboutissent à la concentration
des capitaux.
Toutefois, il ajoute : 6 « Le régime industriel des petits produc
teurs indépendants, travaillant à leur compte, exclut la concentra
tion. » Elle n’arrive qu’avec le capitalisme.
« D’opulents marchands en détail ont ouvert leurs immenses
magasins dans les grandes capitales, et ils ont offert, à l’aide des rapi
des moyens de transport nouvellement inventés, d’approvisionner chez
eux les consommateurs jusqu’aux extrémités de chaque empire. Ils
sont en chemin de supprimer ainsi tous les marchands en gros, tous
les marchands en détail, tous les petits boutiquiers qui peuplaient les
provinces, et ils remplacent ces hommes indépendants par des com
mis, des hommes gagés, des prolétaires. »
Il résulte des textes ci-dessus un énoncé assez net de la loi de
concentration en régime capitaliste.
4 18184883.
5 Le Capital, trad. Roy. Livre I, chap. 32, p. 341, 1 v o l., Paris, Lachatre, 1875.
9 Ibid, p. 341.
�—
12
—
La position doctrinale de K. Marx sur la Concentration a été
plusieurs fois mise en question par les continuateurs de sa doctrine.
Les Marxistes fidèles au système de K. Marx maintiennent la posi
tion de Marx, mais ceux que l’on a appelés les Néo-Marxistes y appor
tent d’assez nombreux remaniements sur certains points de détail,
notamment sur le problème qui nous occupe.
Bernstein 7 occupe, à ce point de vue, une place importante : 8
Voici d’abord sa position d’ensemble :
« De là aussi cette polémique fiévreuse contre les chiffres que j’ai
donnés pour prouver que dans l’industrie et le commerce où la Con
centration est un fait indiscutable, elle n’est pas encore si avancée que
le suppose la doctrine, que dans l’agriculture nous assistons même
dans plusieurs pays à un processus de décentralisation, et que, dans la
distribution des fortunes, la réalité diffère de beaucoup de l'idée d’une
concentration ininterrompue des capitaux dans les mains d’une classe
toujours moins nombreuse de grands capitalistes. » 9
Bernstein maintient d’une part l’affirmation de la concentration
dans l’industrie et le commerce.
« L ’échelle des revenus et l’échelle des entreprises révèlent dans
leur gradation un parallélisme assez nettement caractérisé, surtout
en ce qui concerne les degrés moyens. Nulle part nous ne constatons
une diminution de ceux-là ; mais, au contraire, presque toujours une
extension. Ce qui leur est enlevé par en haut est par eux recomplété
par en bas et pour ce qui de leur rang tombe en bas, ils sont dédom
magés par en haut. Si l’effondrement de la société moderne dépend
de la disparition des échelons moyens entre le sommet et la base de la
pyramide sociale... » 10
Toutefois, il constate partout un réel développement des grandes
entreprises, mais aussi une persistance des moyennes et des petites,
« aucune classe d’entreprises n’a encore disparu. » 11
11 explique d’ailleurs cette perpétuation et ce renouvellement de
la petite et de la moyenne industrie par trois raisons : adaptation de
la moyenne et de la petite industrie — proximité du consommateur —
création par la grande industrie de nouvelles industries petites et
moyennes.
D'autre part, il constate en agriculture un arrêt ou une diminution
directe des dimensions des entreprises :
7 Bernstein. 1847-1922.
8 Bernstein : Socialisme théorique et social-démocratie pratique.
Cohen, Paris, Stork, 1900.
9 Bernstein : Ibid. Préface à l’édition française, p. XXI,.
10 Bernstein : Ibid, p. 114.
11 Ibid, p. 94.
Traduction
�13 —
« La concentration ne procède pas ici par une absorption toujours
s’accentuant de terrains par l’entreprise individuelle, comme le
croyait Marx, mais simplement par une condensation des entreprises
et par le passage soit à un autre genre de culture (exigeant plus de tra
vail par unité de superficie) soit à l’élevage du bétail. »
• Ainsi Bernstein est très modéré dans son affirmation sur la Con
centration.
Kautsky, 12 dans diverses publications,13 prend position sur le
problème de la concentration dans l’agriculture.
11 explique d’abord que celle-ci se présente dans des conditions
particulières : .« La disparition de plusieurs petites exploitations est
ainsi la condition préalable nécessaire de la formation d’une grande
exploitation. » 14 II y a aussi la difficulté que les petites exploitations
expropriées ne forment pas une surface continue.
Il montre aussi, en maintenant la thèse marxiste, comment il y a
absorption de ces petits et moyens producteurs agricoles par le régime
capitaliste. Ceux-ci sont de plus en plus dans la dépendance finan
cière des grands capitalistes. » Cette propriété l’empêche de trouver
les meilleures occasions de gagner plus comme travailleur. Elle aug
mente sa dépendance et son assujettissement, elle est moyen d’escla
vage. » 15
Labriola 16 dans un ouvrage de critique 17 est lui aussi un des
adversaires de la loi de concentration ; il explique pourquoi la concen
tration, qui jouait du temps de K. Marx, ne joue plus :
« Marx n’a pas su évidemment déterminer la nature exacte de la
production mécanique. Et comme il a exagéré le principe de l’hété
rogénéité. .. il en est arrivé à admettre que toujours, dans tous les
cas, l’agrandissement de la production devait se traduire en avan
tages pour le producteur et, par suite, conférer au producteur qui
pouvait produire sur un pied plus large un avantage sur ses concur
rents. Nous savons que cet avantage n’existe que jusqu’à un certain
point à partir duquel la grande entreprise, bien loin de l’emporter sur
l’entreprise moyenne, succombe. »
12 1854-1897.
13 Kautsky : L a question agraire. Traduction française, Paris, Giard, 1900.
Kautsky : Disparition de la petite production et de la petite propriété. Ere Nou
velle, 1893.
14 La question agraire, p. 217.
13 Ere Nouvelle, 1893, art. cit.
16 1843-1874.
17 Labriola : K. Marx, l’Economiste, le Socialiste. Traduction B erth., Paris,
Rivière, 1910, p. 237.
*
�M. B ourguin18 dans son ouvrage justement célèbre1’ se pro
nonce en faveur de la concentration :
« La concentration dans l’industrie manufacturière, les trans
ports, le commerce de détail, les banques, les assurances, e tc ., est un
fait si universellement connu, si fortement établi par des observations
nombreuses et concordantes, qu’il est devenu banal de le constater. »
Et ailleurs : « La cause du mouvement universel de concentration
capitaliste est bien connue : c’est la supériorité des grandes entreprises
dans la concurrence qui le provoque, avec la force irrésistible d’une
loi naturelle. » 20
Toutefois Bourguin admet une double limite à la loi de concentra
tion : d’abord la persistance du petit métier et du petit com m erce21
ensuite l'agriculture. Il écrit à ce point de vue : 22
« L ’étude la plus attentive des statistiques ne permet pas de con
clure à un mouvement général de concentration des exploitations
agricoles ; ces mouvements se produisent en sens divers dans les
différents pays, et il semble difficile, au milieu de cette confusion, d’en
découvrir la loi. »
Une des sources les plus curieuses et encore incomplètement
utilisées sur cette histoire de la loi se trouve dans les interpellations
parlementaires ; 23 souvent les tenants des deux thèses, partisans et
adversaires de la concentration, se livraient à de véritables joutes ora
toires pour soutenir leurs thèses à coups de statistiques.
Ainsi l’histoire de la loi nous montre en résumé un énoncé très
absolu chez K. Marx et des réserves de plus en plus nombreuses chez
les auteurs postérieurs à K. Marx.
IL FORM ULES AC TU E LLE S
La pensée économique contemporaine a 21 par la recherche des
causes de la concentration, précisé tout à la fois les conditions et la
portée de la loi de concentration.
18 1856-1910.
18 M. Bourguin : Les systèmes socialistes et l’évolution économique. 1 v o l., P a
ris, Colin, 1904, p. 134. Cf. p. 132.
20 Ibid, p. 142.
21 Ibid, p. 181.
22 Ibid. p. 195.
23 Une interpellation Jaurès sur la crise agricole. J. O. Ch. des Députés. Déb.
parlem. 19, 26 juin, 3, 10 juillet, 6, 13 et 20 novembre 1897.
— Discussion à la Cham bre des Députés. Séance du 9 décembre 1909 entre
Compère-Morel et Ruan. J. O. Déb. parlem ., 1910, p. 3.016.
24 De Rousiers : Les grandes industries modernes. 5 v o l., Paris, Colin, 492428, T. II principalement.
�— 15 —
La théorie moderne se résume en cette formule : si la grande
exploitation est plus avantageuse que la moyenne et la petite exploi
tation, il y a concentration sous la double forme de croissance d’un
seul établissement ou de coalition des producteurs.
Ces causes sont d’ordre technique et d’ordre économique.
Les causes techniques sont une économie de travail, une économie
de capitaux, une économie d’emplacement, une économie de frais
généraux.
Les causes économiques sont : du point de vue de l’achat, de meil
leures conditions pour les prix du fait de l’achat par grandes quanti
tés ; du point de vue de la vente, de nombreuses supériorités soit pour
la recherche des débouchés, soit pour l’aménagement de la vente.
Il y a aussi parfois des causes financières, par exemple en France
le régime de l’impôt sur le chiffre d’affaires qui a prescrit jusqu’en
1936 la taxe à la production. Cf. Patouillet et Bourrel, Taxes à la pro
duction, Dalloz, 1939.
Ces causes expliquent le caractère très général de la concentra
tion à l’époque moderne et son développement dans la plupart des
pays.
Deux cas assez nets apparaissent où cette supériorité de la grande
exploitation sur la moyenne et la petite exploitation n’apparaît pas ou
apparaît à un moindre degré ; ce sont :
a) le cas de l’artisanat ;
b) le cas de l’agriculture.
L ’explication de la première limite à la concentration (artisanat)
doit être cherchée dans la supériorité de la production à la main sur
la production mécanique pour un certain nombre d’objets de luxe ou
de modèles spéciaux ; 25 dans le désir persistant du consommateur de
s’approvisionner à proximité pour certains objets de consommation et
dans la résistance organisée des artisans qui tâchent de survivre.
L ’explication de la deuxième exception (agriculture) est double26
d’une part, la petite exploitation supporte beaucoup mieux la compa
raison avec la moyenne et la grande en agriculture que dans l'indus
trie et le commerce. D’autre part, les avantages de la grande exploi
tation se retrouvent en grande partie grâce à l’association des petits et
25 Cf. Debré : L ’artisanat, classe sociale. Thèse Droit, Paris, 1934, pp. 37-38.
A. Siegfried : L a production de qualité. Rev. de Paris, 1er fév. 1939.
26 Souchon : La crise de la main-d’œuvre agricole en France. 1 vol., Paris,
Rousseau, 1913.
Souchon : L a situation économique actuelle des petits et moyens industriels et
commerçants. Réî. S o c ., 1er oct. 1910, p. 258.
Argenton : Les doctrines agraires du Marxisme. Thèse Droit, Paris, 1934.
M. Gerrv ; L ’économie agricole et la socialisation du sol. Thèse Droit, Paris,
1930.
�moyens exploitants et aussi à l’amour de l’exploitant moyen ou petit
pour le sol dont il est propriétaire.
M. Reboud paraît sceptique sur la rigueur de la loi de concen
tration. Il écrit :
« De ces faits doit-on tirer une conclusion générale et faut-il y
voir les premiers résultats d’une loi fatale (la loi marxiste de la
concentration) par le jeu de laquelle les petites et les moyennes entre
prises disparaîtraient peu à peu de tous les domaines de la production
et du négoce ?
« Le régime de la concurrence entre un grand nombre de petites
entreprises indépendantes, qui fut l’ancien régime, doit-il se transfor
mer par des concentrations successives en un régime de monopole
partagé entre quelques rares entreprises géantes ? Rien n’est moins
prouvé. » 27
M. James2' prend également une position modérée vis-à-vis de
la loi de concentration en insistant sur les limites de cette loi.
« D’après certaines doctrines, les grands établissements industriels
auraient tendance à grandir sans cesse : mieux outillés que leurs con
currents plus petits, ils les élimineraient peu à peu leur prenant leurs
débouchés. On reconnaît aujourd’hui que cela est excessif... Si cer
taines de ces difficultés (les difficultés de gestion des grands établisse
ments) ont pu être éliminées par une meilleure technique et une meil
leure organisation administrative, il est pourtant probable que la
croissance continuelle des grands établissements a des limites. »
Les formules actuelles de la loi précédemment étudiée nous amè
nent à conclure que la pensée économique contemporaine se prononce
pour l’adoption de la loi de concentration mais comme loi contin
gente.
III. V E R IF IC A T IO N C R ITIQ U E
La concentration qui est la réunion de l’activité économique dans
les mêmes mains se présente sous deux aspects fondamentaux :
A ) La croissance d’un seul établissement ;
B) La coalition de producteurs.
C’est sous ces deux aspects et à ces deux points de vue qu’on peut
essayer une vérification critique de la loi.
A ) C roissance d’ un seul établissement
On envisagera ici le mouvement en France, le mouvement à
l'étranger.
21 Reboud : Précis d’Economie Politique. 2 v o l., Paris, Dalloz, 8me é d ., 1939,
T. I, p. 272.
28
James : Les formes d’entreprise, t v o l., Paris, Libr. Rec. Sirey, 1938, T. III
du Traité d’Economie politique publié sous la direction de’ M. Truchy, p. 72.
�17 —
I. Le mouvement en France. 23
On peut donner un tableau de la concentration en France 3* en
relevant, d’après les Recensements professionnels,81 la répartition des
établissements de diverses grandeurs à diverses époques.
Voici ces tableaux par catégories d’activités économiques : 32
INDUSTRIE
Répartition en % des Etablissements suivant leur grandeur
Nom bre dEtablissements
1896
Etablissements occupant
de l à 10 salariés........
de 11 à 100 salariés........
plus de 100 salariés........
85,03
13,08
1,29
100
1906 1921
1926 1931
32
27
41
21
21
58
22
29
49
20
30
50
100
100
100
100
29 E. Allix : L a concentration industrielle dans le volume : Les forces produc
trices de la France. 1 v o l., Paris, Colin, 1909.
M. Bourguin : Les systèmes socialistes et l’évolution économique. 1 v o l., Paris,
Colin, 1904.
P. de Rousiers et autres : L a concentration des entreprises industrielles et com
merciales. 1 v o l., Paris, Alcan. 1912.
P. de Rousiers : Les grandes industries modernes. 5 v o l., Paris, Colin, 19241928.
M. Aucuy : Structure industrielle dans le numéro D e la France d’avant-guerre
à la France d'aujourd’hui. Revue d’E. P . , 1939, p. 152.
G. Pirou : Traité d’Economie Politique. I. Les cadres de la vie économique.
1 v o l., Paris. Domat-Montchrestien, 1940, p. 136 et suiv.
30 O n a justement relevé les imperfections de ces documents statistiques, insuf
fisantes distinctions entre les catégories d’entreprises ; calcul du nombre des établis
sements et non du nombre des entreprises ; adoption des notions du personnel pour
classer les entreprises. Cf. Pirou et Byé. Traité d’Ec. Politique, Paris, Libr. du Rec.
Sirey, 1941, T. I. L ’industrie, p. 139. L ’Agriculture, L e Commerce, p. 214. Bien en
tendu les chiffres reproduits ci-dessous ne sont donnés que sous ces réserves.
31 Ministère du Commerce : Résultats statistiques du recensement des indus
tries et professions du 29 mars 1896. 4 v o l., Paris, lmp. N at., 1901.
— Statistique générale de la France. Recensement 1926. 4 v o l., Paris, lmp.
N at., 1931, T. 5, 3m6 partie.
— Résultats statistiques du recensement général de la population du 8 mars
1931, Paris, Impr. N a t., 1935, T. I, S"10 partie..
32 Les résultats du recensement de 1936 n’ont point été totalement publiés. M. I.
Denuc (Structure des entreprises. Rev. d’E. F. 1939, p. 224), a tiré quelques conclu
sions d’une communication partielle des résultats pour quelques départements : elles
semblent prématurées.
2
�18 —
Personnel employé dans les établissements occupant
1896
1901
1906
1926
1931
27,7
7,8
64,5
24,6
6,7
68,7
24,6
7,2
68,2
15,5
6,4
78,1
15,5
6,4
78,1
de 1 à 5 salariés . . .*..
de 6 à 10 salariés . .. ..
plus de 10 salariés . ..
COMMERCE
Répartition en % des Etablissements suivant leur grandeur
Nombre d’Etablissements
Etablissts occupant
de 1 à 5 salariés . .
de 6 à 50 salariés . . .
plus de 50 salariés . .
1896
1906
1921
1926
1931
51
49
49
92,65
7,08
0,27
89,73
9,67
0,60
88,39
10,88
0,73
87,37
11,81
0,82
100
100
100
100
100
Personnel employé dans les établissements occupant
1896 1901 1906 1921 1926 1931
de 1 à 5 salariés......
de 6 à 10 salariés......
plus de 10 salariés ......
55,6 50,3
12,3 11,7
32,1 38
54,4
11,5
34,1
40,2 36,4 34,1
10,9 10,9 11,10
48,9 52,9 54,8
AGRICULTURE
Répartition en % des Etablissements suivant leur grandeur
Nombre d’Etablissements
Etablissements occupant :
de 1 à 5 salariés ...........
de 6 à 50 salariés ...........
plus de 50 salariés ...........
1906
1921
1926
1931
96,58
3,41
0,01
96,82
3,17
0,01*
96,96
3,02
0,02
97,04
2,94
0,02
�— 19 —
Personnel employé dans les établissements occupant
de 1 à 5 salariés ......
de 6 à 10 salariés ......
plus de 50 salariés ......
1906
1921
1926
1931
84,1
9,8
6,1
85,3
8,7
8,3
84,9
8,3
6,8
84,2
8
7.8
On peut, de ces tableaux, tirer les constatations suivantes :
Dans l’industrie, il y a concentration puisque le nombre des éta
blissements occupant plus de 50 salariés est passé de 1,29 % de l’en
semble en 1896 à 50 % en 1931 et que le personnel employé dans les
établissements de plus de 10 salariés a passé entre les mêmes dates de
64,5 % à 78 %.
Dans le commerce, il y a également concentration puisque le
nombre des établissements occupant plus de 50 salariés a passé de
0,27 % en 1906 à 0,82 % en 1931 et que le personnel employé dans les
établissements de plus de 10 salariés a passé entre les mêmes dates de
38 % à 54 %. 33
Enfin, dans l’agriculture, la concentration est beaucoup moindre
et presque inexistante : les pourcentages sont de 0,01 en 1906 et de
0,02 en 1931 pour les établissements de plus de 50 salariés et dans les
mêmes établissements occupant plus de 10 salariés le personnel repré
sentait 6,1 % de l’ensemble en 1906 et 7,8 % en 1931.
Il y a donc eu concentration dans l’industrie et le commerce,
presque pas dans l’agriculture. 31
II. Le mouvement à l’étranger.
Allemagne. 35
A comparer d’abord les deux recensements de 1882 et de 1895,
on trouve les changements suivants :
33 II y a aussi concentration assez marquée dans les Banques. Cf. sur ce point,
Pirou et Byé, Traité d’Ec. Politique. Le Crédit, 1 vol., Paris, Recueil Sirey, 1943,
p. 144 et suiv., p. 320 et suiv.
34 On sait que pour l’agriculture les faits s’expliquent par des avantages de
concentration beaucoup moins substantiels et par la possibilité de regagner, grâce à
l’association, la supériorité de la grande production sur la moyenne et la petite pro
duction.
35 Statiskik des Deutschen Reichs Neue Folge. Band 119. Gewerbe und Handel
des Deutschen Reichs, nach der gewerblichen Betriebzahlung vom 14 (uni 1895, Ber
lin. Putkammer, 1899.
�N ombre
des
E xploitations
Petites exploitations (1 à 5 pers. ) .......
Moyennes
»
(6 à 50 pers. ) .......
Grandes
»
(plus de 50 pers. ) .......
P ersonnel
I ndustrie
C ommerce et
T ransports
— 8,6 %
+ 64,1 %
+ 89,3 %
+ 33,9 %
+ 85,7 %
+ 107,3 %
— 2,4
+ 71,5
+ 87,2
+ 48,9 %
+ 94,1 %
+137,8 %
occupé
Petites exploitations (1 à 5 pers. )
Moyennes
»
(6 à 50 pers. )
Grandes
»
(plus de 50 pers. )
%
%
%
A suivre ensemble le mouvement de 1895 à 1907, 36 on constate
une progression marquée dans l’effectif ouvrier moyen par entreprise
qui étant
de 2,7 en 1882,
de 3,7 en 1895,
passe à
5,2 en 1907.
On relève ainsi l’accroissement inégal du personnel employé dans
les diverses catégories d’entreprises :
Sur 1.000 personnes :
399 en 1895 étaient employées
200 en 1907
238 en 1895 étaient employées
260 en 1907
363 en 1895 étaient employées
455 en 1907
dans les petites exploitations
(1 à 5)
dans les moyennes exploitations
(6 à 50)
dans les grandes exploitations
(plus de 50)
De 1907 à 1925, on constate encore37 la continuation du mouve
ment de concentration :
N ombre D’E tablissements
1907
1925
Petites exploitations.......
Moyennes exploitations ..
Grandes exploitations . ..
3.124.198
267.410
32.007
3.109.194
337.081
43.000
36 Somhart : Der moderne Kapitalismus. Munich, l re édit. 1919. S®6 édition
1924-25, T. II, p. 340.
i
37 Statistiches Jahrbuch fiir das Deutsche Reich.
�21
P ersonnel
occupé
Petites exploitations.......
Moyennes exploitations . .
Grandes exploitations . . .
1907
1925
5.353. 576
3.644. 415
5.350.025
5.360.122
4.537.876
8.851.585
Enfin, la comparaison des recensements de 1925 et de 1933, rendue
difficile par l’adoption d’un nouveau classement introduit en 1933,
accuse un recul de la moyenne et de la grande exploitation due sans
doute à la crise économique mondiale qui a commencé en 1929.
Sous cette légère réserve, l’Allemagne accuse en général un mou
vement de concentration très marqué. 38
Etats-Unis. 38
Le xix” e siècle accuse un mouvement de concentration accentué :
dans bon nombre d’industries, le nombre moyen des ouvriers par
exploitation est en large progression :
N ombre
moyen des ou vriers
PAR EXPLOITATION
Industrie des machines a g rico les.......
Industrie des tapis ............................
Cotons ................................................
Fers et A c ie r s .....................................
Ensemble de l’industrie .....................
1850
1900
5
53
84
53
7
65
214
282
333
11
Dans la même période, la moyenne du capital par établissement,
qui était de 4. 335 dollars en 1850, passe à 19.1% dollars en 1900.
Pour la période 1914-1929, à chercher le pourcentage des établis
sements des diverses catégories ici classées d’après l’importance de
leur production, on trouve les changements suivants :
%
1914
1921
1929
Etablissements d’une production
de $
5.000 à
20.000 ........
de % 20.000 à
100.000 ........
de $ 100.000 à 1.000.000 ........
de plus de $ 1.000.000 ........
48,9
31,9
17
2,2
36,2
36,8
23,3
3,7
32,9
35,7
25,8
5,6
38 J. Lemoine : L ’évolution de la concentration industrielle en Allemagne.
Rev. écon. intern. août 1926, p. 323.
39 Census — depuis 1849 — enquête décennale jusqu’en 1899 ; quinquennales de
1899 à 1919 ; biennales depuis 1919. Elles ne concernent que les etablissements d’une
production annuelle supérieure à 5.000 dollars.
�—
22
—
Depuis lors et d’après de bons observateurs,40, le mouvement se
serait poursuivi, accusé surtout par la prédominance des corporations,
grosses sociétés économiques au nombre de 200 : leur actif représente
la moitié environ de la richesse totale des sociétés des Etats-Unis.
Quant à l’agriculture,41 on constate sans doute une progression
partant de 1880-1900 dans le nombre des grandes exploitations supé
rieures à 400 hectares, qui était de 28. 678 en 1880 et de 47. 276 en 1900.
Mais la prédominance reste aux petites et moyennes exploita
tions : en 1900, les domaines pouvant être mis en exploitation sans
le concours de la main-d’œuvre salariée sont encore de 40 % de l’en
semble du sol cultivé.
Cependant, de 1910 à 1920, l’accroissement reprend pour les gran
des exploitations (201 à 400 hectares, + 1,1 % ; supérieures à 400 hec
tares, + 4,1 %) ; les autres catégories diminuent.
D’autres pays, la Grande-Bretagne,42 la Belgique,43 accusent un
mouvement analogue.
B ) C o alition
des producteurs
44
Le second aspect du mouvement de concentration est représenté
par la coalition des producteurs.
FRANCE.
On sait comment le mouvement à cet égard fut freiné par l’article
419 du Code Pénal ; on connaît aussi les heureuses atténuations appor
tées par la jurisprudence à cette prohibition qui ne fut que partielle.
Il n’existe pas de données statistiques en hausse sur le nombre des
coalitions de producteurs en France.
40 Berle et Means : The M odem Corporation and Private Property. New-York,
Macmillan, 1934, analysé par G. Pirou : Les Nouveaux Courants, 2me édit. Paris,
Domat-Montchrestien, 1939, T. II, p. 97.
11 Pirou et Byé : Traité d’Ec. Politique. Rec. Sirey, 1941, T. I. Les cadres de la
vie économique, fasc. 2, L ’Agriculture, L e Commerce, p. 49 et suiv.
42 Sénéchal : L a concentration industrielle et commerciale en Angleterre. Thèse
Droit, Paris, 1909.
Com. Balfour : Rapport final, 1929.
43 Ansiaux : Traité d Economie Politique, 3SW éd. 1936, Paris, Libr. Générale
de Droit, T. I, p. 267 et suiv.
44 Bibl. R. Auscher : Les Ententes économiques en France et à l’étranger,
Paris, 1935.
P. de Rousiers : Les Cartells et les Trusts, Genève, S. D. N . , 1927.
Lifmann : Les formes d’entreprise, Giard, Paris, 1924.
Razous : Cartells, trusts et diverses ententes de producteurs, Paris, Dunod, 1935.
Ballande : Essai d’études monographique et statistique sur les ententes éco
nomiques internationales. Thèse Droit, Paris, 1936.
�— 23 —
P A Y S E T R A N G E R S : Allemagne. 45
On constate une rapide progression du nombre des cartels en
Allemagne.
Voici, d’après l’enquête allemande,46 la progression des cartels
en Allemagne :
1865 .......
1875 .......
1879 .......
4
8
14
1885
1890
1894
90
210
260
1898
1905
1924
310
400
500
Etats-Unis47
Bourguin estimait,48 d’après Littlefield, le nombre des trusts
existant aux Etats-Unis en 1903 à 443.
En 1914, ils étaient au nombre de 500.
Depuis lors, il n’a pas été donné d’estimation plus récente.
C A R T E L S E T TR U S T S IN T E R N A T IO N A U X 49
Une indication donnée par Bourguin 50 accuse 41 ententes inter
nationales en 1897.
Mme Ballande 51 en dénombre 104 en 1936.
On voit par ces deux chiffres le progrès de la concentration sous
cette forme.
15
Wagenfuhr : Kartelle in Deutschland. Nuremberg, 1931.
W . -F. Bruck : Social and Economie History of Germany from William II to
Hitler, Londres, 1938.
46 Kontradiktorische Verhandlungen über Deutsche Kartelle. Berlin, 1913.
47 Paul de Rousiers : Les industries monopolisées aux Etats-Unis. Paris, Colin,
1898.
E. Teilhac : L ’évolution juridique des trusts et sa portée. Paris, Alcan, 1927.
Jenks : The trust problem. New-York, 1907.
Eliot Jones : The trust problem in the United States. New-York, 1922.
48 Bourguin : op. cit., p. 405.
49 Ballande : op. cit.
Oualid : Les ententes industrielles internationales. Genève, 1926.
Kypriotis : Les cartels internationaux. Thèse Droit, Paris, 1936.
Ch. de Corn, internationale : Ententes internationales. Congrès de Berlin, 1937.
Ententes internationales : Revue publiée par le Bureau des Ententes Industriel
les internationales.
50 Bourguin : op. cit., p. 401.
61 Ballande : op. cit., p. 305.
<
�CONCLUSION
Ainsi la vérification critique aboutit à une confirmation de la loi
de concentration. 52
Elle apparaît, elle aussi, comme une loi contingente, c’est-à-dire
expressément subordonnée à une supériorité réelle de la grande
exploitation sur la moyenne et la petite exploitation.
•: •••...d
.1
52 O n avait à un moment donné voulu isoler dans ce mouvement général un
aspect isolé et particulier de loi d’intégration. Cf. Dolléans : L a loi d’intégration du
travail. Rev. d’E. P . , 1902, p. 906.
O n entendait par là la réunion en une seule unité économique de plusieurs
entreprises appartenant à des stades différents et successifs d’une même production.
Il n’y a pas lieu, à notre sens, d’isoler cet aspect spécial de la concentration.
�C H A P IT R E II
LA LOI DE LA DIVISION DU TRAVAIL
1
Toute une littérature économique très abondante existe sur la
division du travail : on cherchera ici seulement à élucider comment
et de quelle manière la division du travail a été affirmée par les éco
nomistes comme constituant une loi naturelle.
Il s’agit ici de la division du travail sous toutes les formes sous
lesquelles on l’a envisagée : division du travail sexuelle, division du
travail professionnelle, division du travail technique, division du tra
vail internationale. Cf Ch. Gide, Cours d’Econ. Politique, ÎO™6 édit.,
2 v o l., Paris, Libr. du Rec. Sirey, t. I, p. 256 et suiv.
On peut sur ce point accepter la définition de Schmoller (Principes
d’Ec. Politique, trad. Platon, 4 v o l., Paris, Giard, 1905, t. II, p. 255) ;
« C’est l’adaptation constante de la plus grande part des forces de tra
vail de l’homme à certaines tâches et certaines activités spéciales que
l’individu exerce non pour lui, mais pour un grand nombre, pour le
peuple et même pour l’étranger. »
Pour ce faire, j’étudieraj dans le cadre habituel :
I. L ’ histo ire de
L es formules
II.
III.
L
a
la lo i
;
actuelles
;
v érificatio n critiq u e .
I. H IS T O IR E DE L A LO I
C’est à Adam Smith que l’on fait de façon traditionnelle remonter
les premiers développements d’ordre scientifique sur la question. 2
1 Bibliographie générale :
Bouglé : Revue générale des théories récentes sur la division du travail. Ann.
Sociologique, 1901-1902, T. VI, p. 73, avec une abondante bibliographie, p. 73, note 1.
2 On a signalé cependant (note d’Adolphe Blanqui. Recherches sur la nature
et les causes de la Richesse des Nations. 2 vol., Paris, Guillaumin, 1881, T. I, p. 6,
note 2), qu’il avait eu comme précurseur le publiciste Beccaria dans un cours d’Eco-
�—
26
—
Adam Smith 3 décrit d’abord les formes de la division du travail :
il cite trois exemples, celui de la manufacture d’épingles, celui du clou
du forgeron, celui de l'habillement du journalier.
Il en détermine ensuite le principe 4 qu’il trouve dans « le pen
chant qui porte les hommes à trafiquer, à faire des trocs et des échan
ges d’une chose pour une autre. »
Il en marque enfin 5 la limite :
« Puisque c’est la faculté d’échanger qui donne lieu à la division
du travail, l’accroissement de cette division doit, par conséquent, tou
jours être limitée par l’étendue de la faculté d’échanger, ou, en d’autres
termes, par l’étendue du marché. »
Ainsi semble-t-il, pour Ad. Smith, la loi de la division du travail
consiste surtout dans la limitation qu’elle reçoit de l’étendue du
marché. 6
Il précise ailleurs : 7
« Si un pays étranger peut nous fournir une marchandise à meil
leur marché que nous ne sommes en l’état de l’établir nous-mêmes,
il vaut bien mieux que nous la lui achetions avec quelque partie du
produit de notre industrie, employée dans le genre dans lequel nous
avons quelque avantage. »
Après Smith, tous les économistes de l’Ecole libérale 8reprennent
sans grands changements les affirmations du maître.
List, dans son Système national d’Economie politique 9 publié en
nomie politique publié à Milan en 1769. Ch. Gide (Cours d’E. P. T. I, p. 256, note
t, Sirey, 1930) indique comme autre précurseur (? !), Platon dans L a République.
D ’autres, Bûcher par ex. (Etudes d’Histoire et d’Econ. Politiques, 1 vol., Paris, Alcan,
1901, p. 250) affirment qu’Ad. Smith a puisé ses idées essentielles dans Adam Fergusson. Essay on the history of civil society, 1767.
Voici quelques extraits typiques de Fergusson :
« L ’artisan trouve que plus il peut concentrer son attention sur une partie parti
culière de son ouvrage, plus il devient parfait, plus aussi il peut en produire. Tout
entrepreneur manufacturier trouve que, plus il peut subdiviser la tâche de ses ou
vriers, plus il peut employer de travailleurs pour des articles séparés, plus ses frais
diminuent et ses gains augmentent... chaque métier peut occuper l’attention tout
entière d’un homme et a ses secrets qu’on ne saisit qu’après un apprentissage régu
lier ». (Fergusson, Edition de Basel, 1789, p. 277).
3 Op. cit., T. I, chapitre I, p. 6.
' Op. cit., T. II, chapitre II, p. 16.
5 Op. cit., T. I, chapitre III, p. 20.
6 Ailleurs (op. cit., T. III, Liv. IV, chap. II, p. 37). Ad. Smith développe la
division du travail internationale, mais ce développement n ’ajoute rien aux affirma
tions ci-dessus rapportées au texte.
7 Richesse des Nations, T. II, p. 37.
8 J.-B. Say : Cours complet, l re partie, chap. 15-17.
St. Mill : Principe d’Economie Politique, I. 8.
4
9 Traduction Richelot, Paris, 1851, 1™ édition, p p .. 63-70.
�— 27
1841, affirme : « Le principe de la division du travail n’a été jusqu’ici
compris qu’imparfaitement. La productivité tient beaucoup moins au
partage des diverses opérations d’une industrie entre plusieurs indi
vidus qu’à l’association morale et matérielle de ces individus pour un
but commun. »
En conséquence, .il l’étend à toute la vie économique.
Cela ne change rien d’ailleurs au fait lui-même de la division du
travail.
Karl Marx écrit : 10 « La coopération qui est fondée sur la division
du travail acquiert sa forme classique dans la manufacture. »
Il l’envisage surtout du point de vue qui est le sien, comme
« moyen d’exploitation civilisée et raffinée ».
Paul Leroy-Beaulieu n’insiste pas sur le caractère de loi pour la
division du travail : il y voit seulement11 le fondement de l’économie
politique, on pourrait dire de la société humaine. 12
Paul Cauivès 13 considère la division du travail comme la « coopé
ration sociale » et en analyse les effets.
La position de Durkheim 14 dans cette évolution historique est la
suivante :
L ’auteur y voit bien une lo i15 mais une loi générale de toute la vie
sociale : « La division du travail n’est pas spéciale au monde écono
mique. On en peut observer l’influence croissante dans les régimes
les plus différents de la société. » 16 Elle a surtout une fonction
morale. 17
M. Bougie 18 se demande si la théorie d’Ad. Smith est « défini
tive, à la fois aussi complète et aussi précise qu’on peut le souhaiter » ?
Il répond : « La conception d’Ad. Smith est donc en réalité trop
étroite. Il n’a vu qu’un des milieux et une des formes de la division
du travail ; et nous comprenons aujourd’hui qu’il faut les passer tous
et toutes en revue si l’on veut obtenir enfin une théorie à la fois pré
cise et complète. »
Avec la liaison établie par Ad. Smith entre la division du tra10 Le Capital. T. I, chap. fi. K. Marx. Le Capital. Edition populaire par Julien
Borchardt. Rieder, Paris, 1935, p. 75, p. 89.
11 Traité théorique et pratique d’Economie Politique, 4 vol., 30le édition, Paris,
Guillaumin, 1900, T. I, p. 322 et suiv.
12 Op. cit., p. 323.
13 Cours d’Ec. Politique, 4 vol., Paris, Larose 1881, T. I, p. 44.
11 Durkheim : De la division du travail social. l re édition, 1893. 2me édition,
1902, Paris, Alcan.
15 Op. cit., p. 1.
16 Op. cit, p. 2.
17 Op. cit., pp. 1-32.
a
18 Bouglé : Revue générale des théories récentes sur la Division du travail.
Ann. Sociologique, T. VI, 1901-1902, p. 74.
�vail et l’échange, la division du travail deviendrait un phénomène his
torique. « La sphère de la division du travail est singulièrement plus
vaste que celle des calculs utilitaires. Elle s’étend jusqu’aux sociétés
les plus simples et jusqu’aux êtres vivants. »
C’est encore un économiste allemand, G. K oh n ,19 qui a mis en
doute que la division du travail soit une loi. Il écrit : « De deux choses
l’une, la division du travail est un principe, ou elle n’en est pas un.
Or, comme dans tous les actes humains, il s’agit toujours des principes
moraux, c’est-à-dire de règle pour la réalisation du raisonnable, il n’est
pas possible d’admettre ici une loi naturelle qui a besoin après coup de
freins moraux. Il s’agit seulement de bien saisir le principe. »
Cette position doctrinale se rattache au système général de
l’auteur sur la morale. 20
C ’est surtout Sim iand21 qui a fait une des critiques les plus appro
fondies de la position doctrinale d’Ad. Smith.
L ’auteur relève les conditions ou limites posées par Ad. Smith luimême à la division du travail : pleine utilisation de chaque travail
leur, extension du marché, extension de l’atelier, et remarque que ces
conditions ne sont pas toujours remplies.
Il ajoute aussi que ces extensions comportent des difficultés plus
grandes et des risques à courir.
Il conclut : « Ainsi ces quelques observations nous permettent de
voir que la division du travail, formule traditionnelle facile, ne cons
titue pas par elle-même une supériorité théorique, elle ne s’applique
pas à elle seule à toute l’évolution moderne ; elle n’est pas une loi
générale dominante pour se suffire à elle-même. » 22
IL FORM ULES AC TU E LLES
La plupart des économistes contemporains parlent de la division
du travail sans bien préciser s’il s’agit d’une loi.
On relèvera ici seulement les positions prises par les seuls éco
nomistes qui se soucient de ce problème.
B rocard23 envisage lui aussi la division du travail d’un point de
vue très général : « Ainsi, dans tous les domaines de l’activité
humaine, la division du travail progresse à pas de géant. » 24
19 System der National Œkonomie. Stuttgart. Enke, T. I, 1885, p. 323.
20 Cf. M. Block : Les progrès de la science économique depuis Adam Smith.
2 v o l., Paris, Guillaumin, 1890, T. I, p. 449.
21 Simiand : Cours d’Economie Politique, 1928-29. 1 v o l., Paris, Ed. Dom atMontchrestien, p. 65 et suiv.
22 Cf. A . Graziani : Instituzioni di economia politica, p. 148 et suiv.
23 Brocard : Les Conditions générales de l’activité économique. Traité d’Ec.
Politique sous la direction de M. H. Truchy, T. II, Paris, Sirey, 1934, p. 76 et suiv.
24 Op. cit., p. 85.
�— 29 —
Il en donne du point de vue économique une description assez com
plète et ne semble pas lui attribuer l’importance d’une véritable loi
économique : toutefois ses développements sur l’économie complexe
laisseraient croire qu’il accorde à la division du travail une réelle
importance. La division internationale du travail coexiste avec l’éco
nomie complexe.
M. P. Reboud écrit : 23
« La division du travail est une loi qui s’impose à toute activité
humaine quel que soit le domaine (scientifique, politique, économique)
où elle s’exerce, parce que les forces intellectuelles et physiques d’un
homme doivent, pour donner leur rendement maximum, être consar
crées à une tâche unique et non dispersées entre plusieurs, et aussi
parce que la diversité de ces forces suivant les individus s’adapte mieux
à la diversité qu’à Puniformité des tâches à accomplir. »
Ainsi appliquée en économie politique, la loi de la division du tra
vail n'est à tout prendre qu’une loi très générale de toute activité
humaine.
MM. G. Pirou et B y é 2’’ reviennent, à peu de choses près, à la
position d’Ad. Smith : « La division du travail est fonction de l’éten
due du marché. » Ils relèvent le progrès de cette division du travail
jusqu’à l’époque hellénistique, son recul au Moyen Age et, depuis, une
reprise très marquée.
III. V E R IF IC A T IO N C R ITIQ U E
A retenir la formule actuelle, la plus courante, la « division du tra
vail est fonction de l’étendue du marché », il est permis de rechercher
maintenant si cette formule est vérifiée par les faits.
Beaucoup de recherches ont été entreprises en ce sens ; on ne
retiendra ici que les principales. 27
B ûcher28 insiste sur la division du travail entre les professions ;
il écrit : « Chaque nouveau procédé de production, chaque progrès de
la technique et de la science est soumis à l'universelle division du tra
vail et force des êtres raisonnables et sentants à se préoccuper d’inté
rêts professionnels les plus mesquins parfois. »
p réc;s d’Economie Politique. 2 vol., Paris, Balloy, 1939, T. I, p. 167.
26 Cours d’Economie Politique. Les Cadres de la vie économique, T. I, 1er fasc.,
p. 16.
27 Bibliographie :
Schmoller : La Division du travail au point de vue historique. Revue d’Econo
mie Politique, 1889, p. 567 et 1890, p.
Schwiedland : Les Formes de l’Industrie. Rev. d’E. P . , 1892.
28 Bûcher : Die Enstehung der Volkwirthschaft. l re éditioç, 1893. 2me é d ., 1896.
K. Bûcher : Etudes d’histoire et d’économie politique, Paris, Alcan, 1901 (tra
duction de la 2mo édition allemande) surtout pp. 43-115 et 249-285.
25
�Il relève une progression notable entre les deux recensements alle
mands des modes d’activité professionnels : ceux-ci étaient en 1882 de
6.179 ; ils sont en 1895 de 10. 298, soit donc un accroissement de 4.119.
P etren z29 a comparé pour Leipzig depuis 1751 les livres d’adresses
de la ville. Il a pu compter de 1751 à 1890, pour 46 formations de pro
fession et 43 sectionnements de la production, 72 créations et 300 sub
divisions de profession.
Le mouvement est particulièrement sensible après 1860 : entre
1830 et 1860, l’auteur ne compte que 25 créations et 68 subdivisions ;
entre 1860 et 1890, il dénombre 42 créations et 176 subdivisions.
Grâce à ces recherches, il est permis de conclure que la division
du travail est ainsi prouvée par les faits étudiés.
Dans une tout autre direction des recherches, M. E. Guernier 30
aboutit, en ce qui concerne la coordination des transports, à ce qu’il
dénomme une loi.
« Jusqu’ici, écrit-il, presque partout le camion a « vaincu » l’Afri
que. Mais il doit céder à une loi fatale que l’expérience permet de
formuler ainsi :
« a) Pour tous trafics inférieurs à 50 tonnes par jour sur une dis
tance inférieure à 100 kilomètres, une simple piste aménagée est suf
fisante : le camion léger individuel sera l’outil de transport ;
« b) Pour tous trafics inférieurs à 200 tonnes par jour et sur une
distance inférieure à 200 kilomètres, la route s’impose : le tracteur
lourd à remorques multiples remplacera le camion léger ;
« c) Partout où le trafic est supérieur à 200 tonnes par jour et pour
tout itinéraire long, le rail est roi.
« Et cette loi trace elle-même les grandes lignes de la division du
travail entre le wagon et le camion. » 31
Sans vouloir prendre ici parti sur l’exactitude des critériums pro
posés, il y a dans cette vue d’ensemble le premier aspect de nouvelles
recherches basées sur la technique et l’économie, qui devront aboutir
à de nouvelles précisions.
C O N C L U S IO N
Ainsi la loi de la division du travail sera à inscrire au nombre des
lois valables de l’économie politique. Il y a lieu de souligner le carac
tère contingent de cette loi : elle est en somme fonction de l’élargis
sement du marché.
29 O . Petrenz : Die Entwicklung der Arbeitsteilur.g in Leipziger G ew erbe von
1751 bis 1890, Leipzig. Duncker, 1901.
Cf. Bougie : art. cit. p. 85.
30 E. Guernier : L ’équipement ferroviaire de l’Afrique. Revue d’Economie
contemporaine, 1942, n° 3, p. 24.
31 Ibid, p; 30.
�C H A P IT R E III
LA LOI DU RENDEMENT MOINS QUE PROPORTIONNEL 1
II est possible de partir pour cette étude de la formule suivante :
« Lorsque sur une quantité donnée de terre, on dépense des quantités
croissantes de capital et de travail, les produits n’augmentent pas dans
la même proportion que le capital et le travail. » 2
On étudiera ici :
I.
"...
• >fÇ ... =
y* r l . ï ' . f ï C
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H istoire
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II. F ormules actuelles ;
III. VÉRIFICATION CRITIQUE.
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I. H IS T O IR E DE L A LO I
On peut marquer avec Cannan 3 une double origine française et
anglaise à notre loi, sans d’ailleurs qu’un lien ou une communication
ait été établi entre ces deux courants.
En France, c’est T u rg o l1 qui semble le premier s’être avisé de la
loi. Il écrit : 5
1 Bib. : Cannan : The origin of the law of diminishing returns. The Economie
Journal, Mars, 1892, p. 55.
Bib. : J. Hitier : L a tendance de l’agriculture à s’industrialiser. Revue d’E. P . ,
1901, pp. 105, 392, 429 et 630.
S.-J. Chapman : L a w of increasing and decreasing returns in production and
consomption. Ec. Journal, Mars, 1908, p. 52.
Byé : Les lois des rendements non proportionnels. Thèse Lyon, 1928. Paris,
Libr. du R ec., Sirey, 1928.
W itkowsky : Le Rendement des entreprises et leur direction rationnelle. Thèse
Nancy, 1932.
2 Fromont : La loi des rendements non proportionnels. Revue d’E. P. 1928,
Juillet, p. 1074.
* Art. cité. Ec. Journal, 1892, T. II, p. 65.
4 Turgot, 1727-1781.
5 Observation sur le Mémoire de M. de Saint-Péravy en faveur de l’impôt (176768). Paris, Guillaumin, 1844. Ed. Daire, Collection des principaux Economistes.
2 vol., vol. I, p. 420.
�— 32
« La production suppose des avances ; mais des avances égales
dans des terres d’une inégale fécondité donnent des productions très
différentes et c’en est assez pour faire sentir que les productions ne
peuvent être exactement proportionnelles aux avances ; elles ne le
sont même pas, dans le même terrain, et l’on ne peut jamais supposer
que des avantages doublés donnent une production double. La terre
a certainement une fécondité bornée et, en la supposant labourée,
fumée, marnée, fossoyée, arrosée, sarclée autant qu’elle peut l’être,
il est évident que toute dépense ultérieure serait inutile et que telle
augmentation pourrait même devenir nuisible. »
Et dans les pages suivantes,6 Turgot donne de nombreux exem
ples : 7
Ainsi donc, Turgot avait pressenti notre loi.
En Angleterre, les précurseurs sont Malthus et West.
Malthus,s dans ses Principes d’Economie politique,9 écrit :
« Les frais essentiels de fabrication et la quantité de travail et de
capital nécessaire pour produire une quantité déterminée d’objets
manufacturés tendent habituellement à diminuer, tandis que la quan
tité de travail et de capital nécessaire pour obtenir le dernier supplé
ment de produit agricole qu’on obtient dans un pays riche et un état
de prospérité, a une tendance constante à augmenter. » 10
W est,11 dans son œuvre principale,13 a dit également :
« Le principal objet de cet essai est la publication d’un principe
d’économie politique qui s’est présenté à mon esprit, il y a quelques
années, et qui me paraît résoudre bien des difficultés de cette science
que je ne saurais expliquer autrement.
« Le principe est simplement celui-ci : que dans le progrès de
l’amélioration de la culture, la production des produits naturels devient
6 II faut signaler avant lui Boisguilbert qui donne une expression vague de la
loi : Traité des grains. . Chap. III. Influence du prix du blé sur la culture et l’étendue
des terres en rapport, 1904.
7 Marshall (Principes d’Ec. Politique, trad. Sauvaire-Jourdan. Paris, Giard,
1907, T. I, p. 330) se prononce nettement pour la priorité de Turgot.
8 1766-1834.
9 Principes d’Economie Politique, 1820, trad. Monjean, Paris, Guillaumin, p. 167.
10 Ailleurs encore (P rin c ., Livre I, chap. I), il écrivait : « L ’amélioration des
terres stériles serait une œuvre de temps et de travail : il est évident pour celui qui
a les plus légères connaissances des sujets agricoles, qu’à mesure que la culture
s’étend, les additions qui pourraient annuellement être faites au produit moyen pré
cédent, doivent aller graduellement et régulièrement en diminuant ».
Cannan (Ec. Journ. 1852, T. II, p. 51) remarque qu’il est dit seulement « en
diminuant » et conteste que Malthus eut été partisan de notre loi.
Dans son Essai sur le Principe de population, 1798, Malthus fait encore de
simples allusions à la loi. Liv. I, chap. I, passim.
11 1782-1828.
12 Essay on the application of Capital to Land, 1815, p. 1.
�— 33
progressivement plus coûteuse, ou, en d’autres termes, le rapport du
produit net de la terre à son produit brut diminue continuellement. »
West indique une enquête menée en 1813-14 par la Chambre des
Communes sur l’élévation des prix du blé et les mesures à prendre
et affirme y avoir puisé le principe qu’il met en lumière. 13
Ricardo a lui-même formellement avoué l'antériorité de ses deux
prédécesseurs,14 en ce qui concerne la théorie de la Rente.
Ricardo 15 admet dans toute son œuvre 16 la loi du rendement
moins que proportionnel comme un postulat implicite.
Voici l’un des textes les plus formels : il se réfère à la première
hypothèse : rente provenant de terres diverses :
« Il arrive souvent qu’avant de défricher les terrains n° 2, n° 3,
n° 4, ou les terrains de qualité inférieure, on peut employer les capitaux
d une manière plus productive que dans les terres déjà cultivées. Il
peut arriver qu’en doublant le capital primitif employé dans le n° 1,
le produit, quoiqu’il ne soit pas doublé ou augmenté de 100 quarters,
augmente cependant de 85 quarters... » 17
Ainsi Ricardo indique, en passant et sans la démontrer, la décrois
sance de productivité des capitaux successivement incorporés dans
le sol. Pour lui, la loi est sous-entendue.
Stuart M iU ,ls dans ses Principes19 publiés en 1848, apporte une
nouvelle précision à l’énoncé de la loi ; voici le texte :
« Après une certaine période peu avancée dans le progrès de l’agri
culture, aussitôt qu’en réalité l’espèce humaine s’est adressée à la
culture avec quelque énergie et y a appliqué des instruments passa
bles, la loi de la production résultant de la terre est telle que, dans
tout état donné d’habileté et de production agricole, 20 le produit ne
s’accroît pas dans une proportion égale ; en doublant le travail, on ne
double pas le produit ; on peut exprimer la même chose en d’autres
13 Ibid Essay, pp. 1-2. Il indique ailleurs que la loi est prouvée par les faits
communément observés qui apparaissent à toutes les pages du Comité pour les blés
(Essay p. 27) qu’elle est d’évidence pour les hommes d affaires (Essay p. 30).
14 Principes de l’Economie Politique et de l’Impôt.
Ricardo : Œuvres Complètes, trad. Fontevraud, Paris, 1882, Guillaumin. Pré
face p. 1. Cf. Letters of Ricardo to Malthus. Ed. Bonar. Lettre du 6 fév r.. ., p. 59.
15 1772-1883.
16 Principes de l’Economie Politique et de l’Impôt.
Ricardo : Œuvres. Collect. des Principaux Economistes, T. X III, Paris, Guil
laumin, 1847.
17 Op. cit. p. 37.
18 1806-1873.
19 Principes d’Economie Politique, trad. Dussard et Coqrcelle-Seneuil, Paris,
Guillaumin, 2 v o l., 1843, T. I, p. 203.
20 C ’est nous qui soulignons.
3
�termes : « Tout accroissement de produit s’obtient par un accroisse
ment plus que proportionnel dans l’application du travail à la terre.
Cette loi générale de l’industrie agricole est la proposition La plus
importante de l’Economie politique. »
Ainsi donc la loi peut être neutralisée par les forces du progrès ;
il y a alors suspension momentanée de la loi, puis reprise de la loi. 21
Après St. Mill, les économistes se divisent en deux groupes :
Les uns admettent la loi sans discussion :
Senior,22 Rossi,23 Garnier,24 Loria,25 W alker,26 Roscher,2r
Clark 28 et Wieser 29 lui donnent une adhésion entière.
Quelques économistes, Clark,30 Fetter,31 Marshall,32ont étendu la
loi des rendements décroissants à toutes les variétés d’activité écono
mique.
Clark écrit : 33 « Dans une manufacture d’une certaine dimension,
avec certaines méthodes de production, un montant limité de capital
et de travail peut seulement être utilisé. Après qu’un certain point est
atteint, un rendement décroissant se manifestera. »
C arver34 mentionne la loi aussi à propos du travail de direction.
Seligmann 35 affirme : « La loi des rendements décroissants est
universelle. »
21 Ibid, p. 203. « Même après que la terre a été cultivée avec assez de soin pour
que la simple application d’un nouveau travail ou d’une quantité additionnelle d’en
grais ne rapporte pas un revenu proportionné à la dépense, il peut arriver que l’ap
plication d’une quantité nouvelle beaucoup plus considérable de travail et de capital
en vue d'améliorer le sol soit au moyen de drainage et d’amendements, soit aussi
libéralement récompensé par le produit qu’une portion quelconque du capital et du
travail déjà employé ».
22 Lectures V ° Proportion, Londres, 1852.
23 Cours d Economie Politique. 4 v o l., Paris, Joubert, 1843, 1, p. 115.
21 Traité d’Economie Politique, 7me é d ., p. 90, Paris, 1860, p. 90.
25 Loria : La rendita fondiaria, p. 2, Milano, 1880, p. 2.
26 W alk er : Land and its Rent, p. 13, p. 13.
27 Roscher : Traité politique d’économie rurale. Trad. Vogel, Paris, Guillaumin,
1888, § 33, p.
124.
28 Clark : Distribution of wealth, pp. 208-210.
2 9 Wieser
: Der naturliche Wœrth, Vienne, 1889, p. 96.
30 Principes d’Economie, p. 359.
31 Principles of Economies, New-York, 1904. Century C °, p. 191.
32 Principles of political Economy, Londres. Trad. franç. Principes d’Ec. Poli
tique. 2 vol. trad. Sauvaire-Jourdan, Paris, Giard, 1906, T. I, p. 328.
33 Clark : Principles of Political Economy, T. I, p. 159. Trad. française, Paris.
Giard, 1910.
34 Carver : Distribution of wealth, N ew -York 1908. L a répartition des riches
ses. Trad. franç. R. Picard, Giard, 1910, p. 80.
35 Principles of Economies, New-York. 3me édit. 1908 ( l r<) édit. 1905).
Principes d’Economique, T. I, p. 206. Trad. franç, par L e Carpentier, Paris,
Giard, 1927.
�— 35 —
■
Paul Leroy-Beaulieu 36 adopte vis-à-vis de notre loi une attitude
assez curieuse. 37 II l’admet en théorie mais en ajourne presque indéfi
niment l’application pratique :
« La loi de Ricardo sur la diminution du rendement relativement
au surcroît de travail et de capital employé au delà d’une certaine
somme de l’un et de l’autre n’est vraie qu’en supposant une technique
agricole stationnaire. » 38
La loi, « tout en trouvant son application dès maintenant dans un
certain nombre de cas, sera bien loin, de longtemps, d’avoir une
influence générale sur la production rurale où même sur la plus
grande partie. » 39
Enfin, Stanley Jevons 10 donne à la loi son allure mathématique41
et J. Bâtes Clark 42 veut n’y voir 13 qu’une manifestation particulière
de la productivité finale.
Ce dernier écrit : Ce principe est « un des principes universels
qui régissent la vie économique à tous les stades de son évolution.
Celui des deux facteurs que l’on emploie, dans des proportions crois
santes, concurremment avec une quantité fixe de l’autre agent, est
soumis à une loi de rendement décroissant. L ’utilité finale du facteur
croissant produit moins que les unités antérieures de la série. Cela ne
veut pas dire qu’à un moment quelconque une unité produit moins
qu’une autre, car elles sont toutes également productives à un moment
donné. Cela veut dire que la dixième unité produit moins que ne le
faisait la neuvième, quand il n’y avait que neuf unités employées. »**
D’autres entreprennent la critique de la loi :
Jones 45 écrit : « Il est incontestable que la puissance de produc
tion du sol a une limite, non définie du reste et susceptible d’être
reculée avec le progrès de la culture. Mais de ce que cette limite existe,
on n’est pas en droit de conclure que l’homme, avant de l’atteindre et
38 1843-1916.
37 Traité théorique et pratique d’Economie Politique, 3f“ édition, Paris, Guillau
min, 1900.
38 Ibid,
39 Ibid,
T . I , p. 488.
T . ï, p. 490.
40 1835-1882.
41 The Theory of Political économy, 1871, Londres et New-York, Macmillan
and C°. L a Théorie de l’Economie Politique, trad. franç., Paris, Giard, 1909, chap.
V I , p . 303.
42 I I appelle la loi « Loi universelle de variations économiques ». Distribution
of wealth, p. 108.
43 Distribution of Wealth, New-York, 1899, pp. 191-204. Essentials of Economies,
1907, Trad. franç. Oualid. Principes d’Economique, Paris, Giard, 1910.
44 Principes d’Economique, p. 135.
43 An Essay on the distribution of Wealth and on the sources of taxation. Lon
dres, 1831, p. 201.
�au fur et à mesure qu’il s’en rapproche, voit nécessairement ses efforts
n’obtenir qu’une rémunération décroissante. »
Ainsi une critique portant sur le moment où le revenu devient
décroissant, telle est la situation de cet auteur qui n’infirme pas la loi.
Valenti46 insiste dans le même sens : 47 il admet l’existence d’une
limite, mais jusqu’à ce qu’elle soit atteinte, le rendement ne va pas
nécessairement en décroissant. Il arrive à la formule d’un rendement
proportionnel jusqu'à la limite de saturation.
M. A n ton elli48insiste sur l’impossibilité où l’on se trouve de déter
miner exactement le sens et la portée de la loi agronomique des ren
dements décroissants.
Chapman49 admet deux lois, l’une des rendements croissants,
l’autre des rendements décroissants.
H obson50 avait tenté une critique de la loi en faisant remarquer
qu’il est impossible dans une exploitation quelconque de séparer l’in
fluence des doses successives de capital et de travail employées parce
que l’influence de chacune s’exerce en même temps sur toutes les
autres.
On a justement répondu que l’augmentation infinitésimale pou
vait être considérée grâce aux procédés de la méthode mathématique.
C’est à propos de notre loi qu’un historien anglais le Docteur
Clapham 51 comparait lés lois économiques à des boîtes vides.
II. FORM ULES AC TU E LLES
Les économistes contemporains se divisent également en deux
groupes : les partisans et les adversaires de notre loi.
Parmi les premiers, il faut inscrire :
M. T ruchy52 dans son Cours d’Econoinie Politique, écrit :
« Le rendement décroissant est un fait d’ordre technique dont
l’importance est bien grande en matière agricole. A vrai dire, c’est un
fait qui n’est pas propre à l’agriculture : on peut le constater aussi
dans n’importe quelle catégorie d’exploitation. »
46 Spécialiste italien en économie agraire.
47 L a base agronomica délia teoria délia rendita, Bologne, 1896, p. 79.
Giorn. d’E con ., 1895, pp. 233-324, 1896, p. 1 et p. 238.
48 Note sur la loi du rendement non proportionnel. Revue d ’E. P . , 1910, p. 545.
49 L a w of increasing and decreasing returns on production and Consumption,
Econ. Journ., 1908, p. 52.
59 Economies, pp. 132-137, 143, 149-154, 157.
61 O n Empty Economie Boxes. Economie journal, 1922, p. 305. Cf. une ré
ponse de Pigou. Ibid. 1922, p. 458, et une réplique de Clapham. Ibid. 1922, p. 560.
< 62 Truchy : Cours d’Economie Politique. 2 v o l., 47116 édit., Paris, Libr. Recueil
Sirey, 1936, T. I, p. 124.
�— 37
M. B rou ilhet53 écrit : « Il n’y a nullement à craindre que l’avenir
soit limité par la trop célèbre loi du rendement moins que propos
tionnel, hypothèse rapidement acceptée qui a joué, dans l’histoire des
doctrines économiques, un rôle bien au-dessus de sa vraie valeur. »
Ch. Gide, 54 dans son Cours- d’Economie Politique,55 est lui aussi
partisan de la loi et de l’application générale de celle-ci. Il écrit :
« La loi du rendement non proportionnel n’est pas d’ailleurs spé
ciale, comme on l’imaginait dans l’économie politique classique, à
l’industrie agricole ou extractive. C’est une loi générale de la produc
tion qu’on peut formuler ainsi : Tout accroissement de rendement
exige un accroissement plus que proportionnel de force. »
M. Camille Perreau 56 écrit : « Il semble d’ailleurs que l’on puisse
aisément trouver dans l’observation des faits la confirmation de la loi
du rendement non proportionnel... Observons que la loi du rende
ment non proportionnel s’applique aux industries extractives comme
à l’agriculture elle-même. »
M. Reboud,57 dans son Manuel aujourd’hui classique, admet que
« la loi du rendement décroissant domine toutes les branches de la
production » avec des nuances particulières à chacune d’entre elles.
Hitier donne son adhésion à la loi :
Il y a obstacle dans l’augmentation de la productivité du sol : dans
le domaine agricole, on n’obtient pour un terrain donné un accrois
sement de productivité qu’au prix de sacrifices proportionnellement
plus considérables que le résultat acquis et, de ce chef, se trouvent
plus que neutralisés les heureux effets du machinisme et de la divi
sion du travail. 58
Mais il montre la part restreinte de vérité qu’elle contient et la
possibilité de reculer le moment où s’appliquera ce rendement moins
que proportionnel.
M. B. Nogaro 59 admet lui aussi notre loi : « La loi du rendement
décroissant apparaît comme une expression unilatérale d’une loi plus
compréhensive qui pourrait être formulée à propos de chacun des
facteurs de la production et qui, appliquée à leur ensemble, pourrait
53 Précis d’Economie Politique, Paris, Roger, 1912, p. 212.
51 1847-1932.
55 Ch. Gide : Cours d’Economie Politique, HP113 édit., 2 vol., Paris, Libra. Rec.
Sirey, 1930, T. I, p. 124.
56 Camille Perreau : Cours d’Economie Politique, G"16 édition, 2 v o l., Paris.
Libr. générale de droit et de jurisprudence, 1935, T. I, p. 97.
57 Précis d’Economie Politique, S11118 édition, 2 vol.., Paris, Dalloz, 1939, T. I,
p. 218.
58 Hitier : L ’agriculture moderne et sa tendance à s’industrialiser. Rev. d’E. P . ,
1901, p. 392.
59 Principes de théorie économique, 1 v o l., Paris. Libr. générale de D ' et de
jurisprudence, 1943, p. 51 et suiv.
�— 38 être dénommée loi des proportions définies. » 60 II est d’accord sur les
précisions extensives ci-dessus signalées.
Certains économistes ont même proposé une dénomination nou
velle pour la loi du rendement moins que proportionnel ainsi géné
ralisée :
Bullock 61 admet que, dans l’industrie, l’existence d’une entreprise
est limitée par la force des choses : à un certain point elle n’a plus inté
rêt à s’accroître quand bien même elle le pourrait habituellement.
On a alors parlé de loi d’ « économie dans l’organisation ». 62
C ’est surtout M. Landry, dans son Manuel d’Economique,63 qui
a pris une attitude critique.
Il affirme qu’à propos de la loi des rendements décroissants, on a
commis deux confusions :
a) Confusion d’abord entre la question de savoir, « un moyen pro
ductif d’une certaine grandeur étant donné, dans quelle proportion il
faut combiner avec ce moyen productif les moyens productifs d’autres
sortes » 61 et la question de savoir « quelle grandeur les moyens pro
ductifs de chaque sorte doivent avoir pour donner le rendement le
plus fort » 65 ;
b) Confusion ensuite, en opposant les rendements croissants de
l’industrie et les rendements décroissants de l’agriculture, « on est
préoccupé parfois des effets différents qu’entraîne, dans l’industrie et
l’agriculture, l’accroissement de la demande » 66 : pour l’industrie,
l’accroissement de la demande a pour conséquence l’accroissement du
rendement ; pour l’agriculture, le même accroissement de la demande
entraîne un abaissement du rendement. 67
III. V E R IF IC A T IO N C R ITIQ U E
Les essais de vérification critique de la loi de rendement décrois
sant sont nombreux : 68 on rapportera ici seulement les plus signifi
catifs.
60 Cf. infra p. 57.
111 Bullock : The variations of productive forces. Quaterly Journal of Economies,
T. X V I, pi>. 484-489.
62 Bullock : art. cité, p. 487.
“3 Landry : Manuel d’Economique, Paris, Giard, 1908, p. 194.
ct 63 Ibid. , p. 200.
116 Ibid., p. 202. L ’auteur renvoie principalement à Marshall à ce point de vue.
1,7 Cf. Frézouls : La théorie de la Rente. Thèse Droit, Montpellier, 1908, p. 85.
Cf. Byé : op. cit. p. 26 et suiv.
E. Cahnette : L a loi des rendements non proportionnels au point de vue agri
cole. Thèse Toulouse, 1925.
�Daniel Zolla, dans sa monographie de Fresne,89 donne l’exemple
suivant : en 1850, 135 hectares avec l’ancienne culture triennale à base
de jachères donnaient 40 à 42. 000 francs, soit 300 francs par hectare ;
les frais étaient de 260 francs : ce qui donnait un bénéfice de 5 à
600 francs.
Plus tard, la production brute atteint 104.000 francs, soit 770
francs par hectare ; les frais atteignent 87.000 francs, soit 645 francs
par hectare. Le bénéfice est alors de 1. 700 francs.
Un autre cas typique rapporté par Marshall70 est donné par une
station expérimentale de l’Arkansas :
Quatre morceaux de terre d’un acre chacun, traités exactement
de la même façon, sauf au point de vue du labourage et du hersage,
ont donné les résultats suivants :
Terre n° 1, labourée une fois
Terre n° 2, labourée une fois, hersée une fois.
.........................
16 bushels par an
»
»
18 7; »
Terre n° 3, labourée deux fois, hersée une fois.
217- »
»
»
Terre n° 4, labourée deux fois, hersée deux fo.is.
23 7 »
»
»
Le rendement est donc moins que proportionnel.
On pourrait citer encore d’autres cas pour l’agriculture. 71
Les vérifications dans l’industrie et le commerce 72 sont plus dif
ficiles encore :
Des nombreux tableaux publiés par M. Byé, notamment pour les
mines de charbon, il semble bien ressortir que la loi du rendement
moins que proportionnel s’applique à l’industrie et au commerce.
Une étude approfondie de cet aspect du problème partirait utile
ment des travaux de Brocard,73 Simiand74 et Secr.ist. 75
69 D. Zolla
: L ’agriculture moderne, 1 v o l., Paris, Flammarion, 1920, p. 163.
70 Marshall : Principes d’Ec. Politique. Trad. franç. Sauvaire-Jourdan. 2 vol.,
Paris, Giard, 1907-1909, T. I, p. 307, note 2 (d’après le Times du 18 nov. 1889).
71 J’avais personnellement demandé à M. Blanchard, alors professeur d’agri
culture pour l’arrondissement d’Aix, quelques précisions, li me communiqua les deux
suivantes : Essai, Ventabren 1906. Pas d’engrais : 396,50. Superphosphate nitrate, 500.
Superphosphate nitrate, sulfate de potasse, 534. Rendement supplémentaire : 103,50
et 34 francs.
72 Cf. Byé : op. cit. p. 479 et suiv.
73 Brocard
: L a grosse métallurgie en France.
Revue d’Histoire Economique,
1922.
74 Simiand : Le salaire des mineurs dans l’industrie du charbon, Paris, 1903.
75 Secrist : Expenses profits and losses in retail méat shores. Northwestern
IJniversity School of Commerce. Bureau of Business Research, III, n° 9.
�CONCLUSION 76
L ’étude précédente aboutit à cette double conclusion :
a) La loi du rendement moins que proportionnel, quelles que
soient les controverses qu’elle a soulevées, est à retenir au nombre des
lois valables de l’Economie politique ;
b) le moment où le rendement devient moins que proportionnel
est variable selon les diverses formes d’activité économique : le point
de saturation apparaît en général plus tôt en agriculture, plus tard
dans l’industrie et le commerce. Par là même apparaît assez nette
ment le caractère contingent de notre loi.
76
O n avait proposé de dénommer loi d’économie dans l’organisation la consé
quence de la loi du Rendement moins que proportionnel en ce qui concerne la crois
sance des entreprises. Cf. Bullock : The variation of productrice forces. Ouaterly
Journal of Economies, T. X V I, pp. 484-489.
Marshall : op. cit., T. XI. 2. (360).
Pareto : Cours d Economie Politique.
Il
ne semble pas que ce changement d’appellation sirhpose : la terminologietraditionnelle et usuelle paraît préférable.
�'-7; ■ ... r ■ '
wm
C H A P IT R E IV
LA LOI DE L ’ACTION REGULATRICE DES PRIX
SUR LA PRODUCTION
Comme première formule approchée, il paraît possible de partir
de celle-ci :
Le mécanisme des prix en régime de liberté assure d’une manière
automatique l’adaptation de la production à la consommation.
On étudiera ici :
75-.7-ï*w
«7 r
I. L ’ h istoire de la lo i ;
I L L es formules actuelles ;
III. L a vé r ificatio n critique .
■i->7
. ^ V 7 - - u ' . v . - , 7..
7-,
I. H IS T O IR E DE L A L O I
C ’est progressivement avec les divers représentants de l’Ecole
libérale classique, définitivement avec l’Ecole mathématique que fut
formulée cette loi.
Chez Ad. Smith, c’est de biais seulement, si l’on peut dire, et à
propos de la loi de l’offre et de la demande, que le problème est
envisagé.
Voici cependant quelques affirmations pertinentes.
« La quantité de chaque marchandise amenée sur le marché se
proportionne naturellement d’elle-même à la demande efficace... » 1
« Le prix naturel est donc, pour ainsi dire, le prix central vers
lequel gravitent continuellement les prix de toutes les marchandises.
Différentes circonstances accidentelles peuvent quelquefois les tenir
élevés beaucoup au-dessus et quelquefois les forcer à descendre quel
que peu au-dessous de ce prix. Mais, quels que soient les obstacles qui
les empêchent de s’établir dans ce centre de repos et de permanence*
mm
1 Richesse des Nations. Liv. t, chap. VI. Du prix naturel et du prix de marché
des produits. Trad. franç. Garnier, T. ï, p. 73.
*
�Ils tendent constamment vers lui. La somme totale d’industrie
employée annuellement pour mettre au marché une marchandise se
proportionne ainsi naturellement à la demande efficace. » 2
Le point de vue est sensiblement le même chez Stuart Mill. 3
Dans ses Principes,4 c’est à l’occasion de l’équation de l’offre et
de la demande,5 pour les marchandises qui peuvent être multipliées
à volonté, qu’il aperçoit, à l’arrière-plan en quelque manière, l’effet
d’adaptation de la production à la consommation.
« Si, à un moment donné, il se produit une inégalité (entre l’offre
et la demande), elle est corrigée par la consommation au moyen d’un
ajustement de la valeur. Si la demande s’accroît, la valeur hausse ;
si la demande diminue, la valeur baisse ; de même, si l’offre hausse,
la valeur hausse et elle baisse si l’offre s’accroît. La hausse ou la
baisse continue jusqu'à ce que l’offre et la demande soient de nouveau
égales l’une et l’autre ; la valeur à laquelle une marchandise s’élève
sur le marché n’est autre que celle qui, sur ce marché, détermine une
demande juste, suffisante pour absorber l'offre existante ou attendue. »
Paul Leroy-Beaulieu 6 insiste sur les obstacles au jeu de la concur
rence, mais se prononce en faveur de la réalité de la loi et de son
excellence :
« Même dans ces cas de services exigeant par la nature des choses
une autorisation de la puissance publique ou une délégation des droits
des nationaux (l’expropriation) que celle-ci est seule à prendre, s’il ne
peut être question de concurrence au sens absolu du mot, on verra
que le meilleur régime est en général celui qui se rapproche le plus de
ce que serait la concurrence et qui impose à celle-ci la moindre limi
tation. »
D e Foville, 7dans un ouvrage de vulgarisation,8compare le méca
nisme de la loi au régulateur centrifuge qui ressemble à un grand
compas dont les pointes seraient remplacées par des globes de fer.
Il écrit : « L ’écart du prix de revient et du prix de vente joue,
dans le mouvement des prix, un rôle analogue à celui que joue, dans
les machines, l’écartement des deux boules symétriques. Par l’effet
produit sur la production et la consommation, la hausse prépare la
2 Cf. Raynaud : Loi naturelle. T. II, p. 150.
3 1806-1870.
4 Principes d’Economie Politique. 1 v o l., Paris, 3™“ édition, Guillaumin, 1861,
T . I, p. 515.
5 Cf. Raynaud : Loi naturelle, T. II, p. 153.
6 Traité théorique et pratique d’Economie Politique, 3®“ édition, 4 col., Paris,
Guillaumin, 1900, T. I, p. 638.
7 De Foville : 1842-1913.
8 La Monnaie. 1 v o l., Paris, Lecoffre, 1907, p. 154/
�■■■■
— 43 —
baisse, la baisse prépare la hausse. Et plus la poussée ascendante ou
descendante aura été forte, plus la réaction s’imposera. »
C’est donc une comparaison destinée à mieux faire comprendre 9
le mécanisme qui est l’apport propre de l’auteur.
L'E cole mathématique apporte des formules que l’on peut consi
dérer comme sensiblement définitives.
Cournot, 10 dans ses divers ouvrages11 étudiant la demande fonc
tion du prix, admet le mécanisme classique :
« Le prix règle la consommation, ou, comme on dit, la demande
et, à son tour, la demande règle la production. » 13
Il admet lui aussi que le principe comporte quelques exceptions.
Léon IVal ras 13 expose le mécanisme en plusieurs passages de ses
ouvrages, mais plus expressément dans son Economie politique pure.
Il envisage l’état d’équilibre de la production, état idéal et non
réel. Il ajoute :
« Mais c’est l’état normal en ce sens que c’est celui vers lequel les
choses tendent d’elles-mêmes sous le régime de la libre concurrence
appliqué à la production comme à l’échange. Sous ce régime, en
effet, si, dans certaines entreprises, le prix de vente des produits est
supérieur à leur prix de revient en services producteurs, ce qui consti
tue un bénéfice, les entrepreneurs affluent ou développent leur pro
duction, ce qui augmente la quantité des produits, en fait baisser le prix
et réduit l’écart ; et si, dans certaines entreprises, le prix de revient des
produits en services producteurs est supérieur à leur prix de vente, ce
qui constitue une perte, les entrepreneurs se détournent ou restrei
gnent leur production, ce qui diminue la quantité des produits, en fait
hausser le prix et réduit encore l’écart. » 14
Ainsi, avec Walras, le mécanisme est soigneusement décrit, mais
donné comme un état idéal d’équilibre.
9 L ’appareil est à la fois avertisseur et régulateur. « Si la machine va trop vite
ou trop lentement, le compas s’ouvre ou se referme, et l’action de la vapeur se trou
vant par cela seul réduit ou élargi, la marche des pistons va d’elle-même se ralentir
ou s’accélérer ». Ibid., p. 155. .
10 1801-1877.
11 Recherches sur les principes mathématiques de la théorie des richesses, 1838.
Paris, Hachette. Chap. V de la loi du débit.
Principes de la Théorie des Richesses. Paris, Hachette, 1863.
Revue sommaire des doctrines économiques. Paris, Hachette, 1877.
12 Principes de la Théorie des richesses. Liv. I, chap. V I de la loi de la de
mande, p. 93.
13 1834-1910.
14 Eléments d’Economie politique pure ou théorie de la richesse sociale. — 18r
leçon. Eléments et mécanisme de la production, i re édit., 2me faSc. Lausanne Corbaz,
Paris Guillaumin, Bâle Georg. 1874-1877, 2m' édit. 1889, 3“ e édit. 1896, pp. 210-215.
J
�— 44 —
II. FORM ULES AC TU E LLE S
M. Rebond 15 donne sa pleine adhésion à la théorie classique :
« Sous le régime de la liberté industrielle et commerciale, la pro
duction est réglée par le mécanisme des prix. » La hausse ou la baisse
des prix, et leur répercussion sur les profits, constituent un régulateur
automatique.
Il admet d’ailleurs, en constatant l’existence des crises, qu’il y a
tantôt surabondance, tantôt insuffisance des produits, mais cela tient
à l’insuffisante mobilité du capital et du travail.
Ch. G id e '6 écrit : « Cette loi régulatrice est incontestable, mais
parce qu’elle opère en fait, il faut beaucoup de conditions qui ne sont
que rarement remplies : l’offre ne répond pas immédiatement à la
demande, pléthore dans certaines professions, action des inter
médiaires, etc.
Brocard, dans son livre « Les conditions générales de l’activité
économique » , 17 admet le mécanisme, en rappelle les frottements et
conclut en sa faveur : « L ’étude du régime capitaliste au xix“ e siècle
nous offre le spectacle d’une réussite prodigieuse, sans exemple dans
le passé et qui s’explique, à n’en pas douter, par le jeu des mécanismes
que nous avons analysés. »
M. Jacques Rueff,18 dans une étude sur la crise du capitalisme,
expose ainsi le mécanisme régulateur des prix :
« Un tel équilibre, si improbable dans sa complexité, ne pouvait
être fortuit. S’il existait, c’est qu’il était le résultat d’un mécanisme
tendant à en assurer l’existence et l’on admettait avant la guerre que
ce mécanisme n’était et ne pouvait être que le mécanisme des prix.
« Un produit était-il plus demandé qu’offert, aussitôt son prix
augmentait sur le marché, ce qui tendait, en écartant les demandes
les moins pressantes et en augmentant les offres, à rétablir l’équilibre
antérieur. Et la variation des prix ne pouvait pas ne pas être entière
ment efficace, puisqu’elle ne pouvait pas ne pas se prolonger jusqu’à
disparition de la cause qui l’avait provoquée.
15 p ri>cis ^ Economie Politique, 2 v o l., 8™e édition, Paris, Dalloz, 1939, T.
p. 239.
16 Cours d’Economie Politique, 10me édition, 2 v o l., Paris, Libr. du
rey, T. I, p. 208.
17 Brocard : Les conditions générales de l’activité économique. 1
Rec. Sirey, 1934. T. II du Traité d’Ec. Politique publié sous la direction
chy, p. 209.
18 L a Crise du Capitalisme. Communication à l’Académie des Sc.
Politiques. Séance et travaux, 1935, p. 394.
I,
Recueil Si
vol., Paris,
de M. TruMorales et
�— 45
« Ainsi le mécanisme des prix gouvernait l'activité des hommes,
mais sans porter atteinte à leur liberté de décision. » 18
On a, dans l’après-guerre, paralysé ce mécanisme des prix (taxa
tion et économie dirigée) et ainsi aggravé la crise économique.
M. T ruchy, dans la discussion, 20 prend ainsi position sur le méca
nisme des prix :
« Il est chimérique de penser que le libre jeu du mécanisme des
prix pourra suffire à gouverner le monde. Jamais il n’a fonctionné
d’une façon parfaite, même à la plus belle époque du libéralisme. Du
fait même des changements de structure qui se sont produits, et cela
par l’évolution spontanée du capitalisme, son fonctionnement est
exprimé dans des limites qui se sont sensiblement resserrées : il ne
peut plus assurer seul la dose de continuité et d'hommes dont la vie
économique a besoin. »
M. Jacques Rueff, dans un rapport au Congrès international des
Sciences économiques, Paris 1937,21 insiste sur le mécanisme qui n’est
pas un effet du hasard. « Il suffit de poser la question pour se rendre
compte que cet équilibre ne peut résulter du hasard et que, puisqu’il
existe, c’est qu’un mécanisme approprié en assure à chaque instant
l’existence et le maintien. »
Il l’expose comme suit :
« Supposez qu’une certaine année, les acheteurs de blé consa
crent à leurs achats 500. 000 francs et qu’il y ait 1. 000 tonnes de blé à
vendre. Le prix du blé sera de 500 francs la tonne. Si, l’année suivante,
il y a 2. 000 tonnes de blé qui s’offrent sur le marché et si les ressour
ces des acheteurs n’ont pas changé, le prix du blé tombera à 250 francs
la tonne et il ne pourra matériellement en être autrement, puisque la
hausse du prix du blé ne pourra pas ne pas continuer jusqu’à ce que
tout le blé ait été vendu. » 22
L ’auteur voit là : « un mécanisme absolu et inévitable et d’une
efficacité qui ne peut être mise en doute, puisqu’il ne cesse de fonc
tionner que lorsque l’effet à obtenir a été obtenu. » 23
19 xxx citant Rueff. (Pourquoi malgré tout je reste libéral. Bulletin 14-15,
1933-34 cité dans X Crise n° 26, sept. 1935, p. 32) rattache cette loi à la loi du dépla
cement de l’équilibre (Cf. Raynaud, T. II, p. 61). « Cette loi du prix n’est qu'un cas
particulier de la grande loi du déplacement de l’équilibre, dégagée par Le Châtelier et
Van t’Hoff, loi que Rueff qualifie de « embêtement maximum », de façon qu’elle
sauvegarde dans le domaine économique l’intérêt général par la difficulté qu’éprouve
chacun à assurer la satisfaction de ses propres besoins.
20 Ibid., p. 420.
21 Congrès international des Sciences économiques. Travaux du Congrès.
4 vol., Paris, 1937, édit. Domat-Montchrestien, T. 1, p. 275. (
22 Ibid., p. 282.
23 Ibid., p. 283.
�M. Camille Perreau 24 conclut son exposé sur le mécanisme en
question par l’appréciation suivante :
« La concurrence ne saurait prétendre, croyons-nous, à toutes les
vertus que lui prêtent ses défenseurs ; elle ne mérite pas, d’autre part,
tous les reproches qui lui sont adressés par ses adversaires. La vérité
paraît être dans un moyen terme. »
Donc, pour lui comme pour les précédents, le système fonctionne
mais avec obstacles et frottements.
Ainsi l’examen des formules actuelles de la loi chez quelques
économistes contemporains nous amène à cette constatation : avec
des nuances individuelles, la loi de la fixation des prix en régime de
liberté est généralement acceptée comme un idéal bienfaisant dont
le mécanisme, malheureusement, ne fonctionne pas toujours en fait.
M. Richard V. S lriçjl25 donne, sous le sous-titre « Le mécanisme
de la loi des coûts », un exposé plus nuancé que voici :
« La loi des coûts exprime le fait que, dans une économie qui
n’est soumise à aucune contrainte opposée à ses effets naturels, la
tendance à adapter les prix des produits au niveau des coûts se fera
sentir parce que chaque divergence entre un prix de vente et un prix
de revient — que ce soit vers le haut ou vers le bas •— entraînera des
changements qui agiront sur la fixation du prix de revient des pro
duits en question. »
Il ajoute d’ailleurs : cc Et avec cela, il n’est pas encore dit que ces
modifications aboutissent à une adaptation complète. Il reste la possi
bilité de voir intervenir, avant cette adaptation, de nouveaux change
ments qui auront pour effet de déplacer l’adaptation vers un nouveau
prix. » 26
Enfin, la loi ne peut agir que lorsque son effet ne rencontre aucun
obstacle.
« Enfin, pour terminer, la loi des coûts contient une condition
relative à la mentalité du producteur, condition qui n’est pas relevée
spécialement dans nos formules mais n’en existe pas moins. C’est
que les producteurs soient guidés par le désir de gagner, qu’ils s’effor
cent d’éviter les pertes et que, s’il existe quelque part une possibilité
de réaliser un bénéfice, ils cherchent à l’exploiter. » 27
Ainsi, un exposé très nuancé, tenant compte de toutes les contin-
24 Camille Perreau : Cours d’Economie Politique, 5me édition, 2 v o l., Paris,
Libr. Générale de Droit et de Jurisprudence, 1931, T. I, p. 169.
25 Introduction aux principes fondamentaux de l’Economie Politique. 1 v ol.,
Paris, Libr. de Médicis, 1940, p. 62.
26 Ib id ., p . 63.
�gences que, depuis plusieurs années, l’examen de la loi a permis de
mettre en relief.
Ceci nous amène à la vérification critique.
III. V E R IF IC A T IO N C R ITIQ U E
Le problème de la vérification critique de la loi en question paraît,
en l’état des doctrines ci-dessus rapportées, particulièrement délicat
à résoudre.
L ’alternative est, en effet, la suivante :
Dans tous les cas où le régime de fixation des prix par voie de
liberté aboutit à l’adaptation de la production à la consommation, les
partisans de la loi triomphent ;
Dans tous les cas où le résultat attendu ne se produit pas, les
adversaires de la loi triomphent tandis que les partisans de la loi exciperont d’une insuffisante et incomplète liberté dans la fixation des
prix.
La constatation directe des faits, si tant est quelle soit possible,
ne permet pas, le problème étant ainsi posé, d’aboutir.
Le plus simple alors est d’exposer :
a) les résultats favorables ;
b) les cas de non-application en précisant autant que possible les
conditions particulières de ces cas.
a) Les cas d’application de la loi.
C’est M. Aftalion 28 qui a surtout envisagé le problème, avec cette
nuance cependant qu’il envisage surtout une certaine uniformité des
prix dans le monde.
La conclusion de l’auteur est toute en faveur des facteurs psycho
logiques. Il écrit : « Les théoriciens de l’équilibre automatique... ont
trop facilement admis que tout en notre sujet obéissait à des forces
mécaniques. Aussi n’a-t-il pas suffi de substituer un autre mécanisme
aux mécanismes classiques. Il a fallu renoncer à toute foi dans un
mécanisme régulateur efficace. Un jeu de forces beaucoup plus com
plexes domine la matière. A côté des actions mécaniques, on aper
çoit à l’œuvre un dynamisme de forces psychologiques, économiques,
politiques, susceptibles d’aboutir aux résultats les plus variés. » 29
Il admet toutefois que la réalité se venge si l’on ne respecte pas
cette réalité diverse et multiple. « A tous s’impose une grande pru
dence, une extrême modestie. » 30
29 A. Aftalion : L ’équilibre dans les Relations économiques internationales.
1 v o l., Paris, Domat-Montchrestien, 1937, surtout Livre V, p. 377. L ’équilibre mon
dial des prix.
29 Aftalion : op. cit., p. 452.
'. =• Ibid., p. 455.
�Il n’y a pas de loi automatique et constante, il faut voir dans notre
loi une simple tendance.
b ) Les cas de non-application de la loi.
Ils se groupent assez aisément en deux séries :
a ) La suppression complète du mécanisme ;
b ) Le jeu imparfait de la loi en régime capitaliste.
a ) La suppression complète du mécanisme : 3
1
Le mécanisme de la fixation des prix en régime de liberté a com
plètement disparu en Russie Soviétique et en Allemagne, partiellement
en Italie. Voici, d’après M. Lescure, les résultats :
En Russie Soviétique, l’auteur étudie les prix des produits agrico
les, les prix de gros des produits industriels, les prix de détail.
Pour les premiers, « le prix est déterminé par l’Etat au moment de
l’achat des quantités de denrées indispensables au ravitaillement des
villes, quantités fixées d’autorité par l’Etat. Les prix sont ici extrê
mement bas (prix durs) » 32 Subsistent d’ailleurs partiellement des
prix contractuels pour les quantités supplémentaires de vivres ache
tées aux paysans et aux kolkoses.
Pour les seconds, « ils sont fixés d’après le coût de production,
comprenant essentiellement les matières premières, l’amortissement,
les salaires et le profit. La détermination du prix paraît assez indiffé
rente à l’Etat. » 33
« Des erreurs de ce genre (prix fixés trop bas) très nombreuses
nous sont signalées par Hubbard dans son ouvrage sur la monnaie
soviétique. Il nous indique qu’en 1934, environ 40 % des entreprises
russes étaient en perte. 31
Enfin, pour les prix de détail qui sont extrêmement variables, le
mécanisme automatique a été remplacé par le jeu des plans en ce qui
touche l’offre qui est-fixe et une action sur la demande réduite par
l’élévation des prix. 35
« Cette politique des prix, conclut M. Lescure, écrase le consom
mateur, incapable au surplus de se procurer une marchandise, quel
que soit le prix qu'il est disposé à payer. L ’offre est limitée. 36
Ainsi donc, en Russie, le mécanisme automatique n’a été que très
imparfaitement et très partiellement remplacé : l’adaptation de la
production à la consommation est loin d’être toujours réalisée.
31 Ch. Jean Lescure :
régimes totalitaires. 1 v o l.,
32 Lescure, op. cit., p.
33 Lescure, op. cit., p.
34 Lescure, op. cit., p.
35 Lescure, op. cit., p.
36 Lescure, op. cit., p.
Etude sociale comparée des régimes de liberté et des
Paris, Ed. Domat-Montchrestien, 1940.
291.
293.
295.
A
298.
299.
�— 49
En Allemagne, c’est depuis 1933 seulement que le système de
liberté des prix est supprimé.
M. Lescure résume ainsi la politique des prix : « L ’on opérera
certaines corrections dans le niveau des grandes catégories de prix.
On provoquera une hausse des prix agricoles, une diminution des
prix industriels. On surveillera les autres prix. » 37
Aussi bien, la politique a-t-elle marqué un certain échec, et l’indice
général des prix en Allemagne, jusqu’en 1936, est orienté à la hausse,
sans que cette hausse atteigne d’ailleurs des proportions bien consi
dérables. » 38
Depuis lors, les prix ont été stabilisés. M. Lescure conclut :
« Concluons : par des méthodes administratives, inspirées de la
théorie classique de l’offre et de la demande, l’Allemagne a réussi à
stabiliser son change, à stabiliser ses prix. Le mark est devenu un
instrument d’échange à l’intérieur, une monnaie de compte dans le
calcul des pr.ix et des changes. Il cesse d’être mesure de la valeur.
Ainsi, on aboutit à une conclusion analogue pour l’Allemagne.
Le mécanisme automatique n’a pas été remplacé.
En Italie, enfin, le contrôle des prix depuis 1935 a laissé subsister
dans ses grandes lignes la formation libre des prix. Un Comité cen
tral de surveillance des prix établit des prix maxima de gros et de
détail qui servent de ligne directrice pour un grand nombre de
produits.
M. Lescure conclut : 39 « La politique du gouvernement est
cependant, comme la politique allemande, une politique de stabilité.
Mais les lois économiques sont plus fortes que le gouvernement. » 40
En résumé, là où il a été supprimé, le mécanisme n’a pu, malgré
de louables efforts, être complètement remplacé.
Ces expériences permettent de conclure à la valeur de notre loi.
b ) Le jeu imparfait d e la loi en régime capitaliste.
On pourrait trouver de nombreux exemples de cette imperfec
tion, notamment dans les pays qui, pendant la guerre actuelle, n’ont
pas, comme la France, complètement supprimé le régime capitaliste.
Il est trop tôt pour pouvoir poursuivre la vérification dans ses
détails. Le récent ouvrage de M. Cluseau41 nous en donne de nom
breux exemples. L ’auteur écrit : 42 « Le non-respect de la liberté éco37 Lescure, op. cit., p. 310.
38 Lescure, op. cit., p. 316.
39 Lescure, o p., cit., p. 320.
40 Lescure, op. cit., p. 322.
41 Taxation, Rayonnement et Science économique, 1 v o l., Paris, Librairie de
Médicis, 1943.
<
42 p. 212.
4
�nomique du producteur, tout comme celui de la liberté du consomma
teur est la conséquence logique de l’unité du sujet économique qui
caractérise l’économie autoritaire. »
11 y a cependant une certaine résistance qui est la preuve indirecte
du mécanisme supprimé.
M. Max Cluseau, dans cette étude récente,43 après un examen des
marchés actuels pour la volaille, le lait et la viande dans la région
toulousaine, conclut en faveur de l’adaptation théorique, souligne que
l’ajustement de la production ne se fait jamais d’une façon aussi par
faite et ajoute : « Il n’en reste pas moins que cette tendance au retour
à l’équilibre persiste et sert de boussole et d’unique boussole à la pro
duction dans l’économie d’échange monétaire. »
CONCLUSION
Il semble, d’après l’examen précédent, que l’on pourra retenir la
loi de fixation des prix en régime de liberté réalisant l’adaptation de
la production à la consommation comme une des lois valables de
l’Economie politique.
Celle-ci aussi est une loi au plus haut degré contingente puisque
les conditions qu’elle implique sont loin d’être toujours réalisées dans;
les faits.
t3 Taxation, Rationnement et Science Economique, 1 v o l., Paris, 1943, p. 111-
�C H A P IT R E V
LA LOI DE LA PRODUCTION PAR MASSE
Colson, dans son grand ouvrage,1 formule ainsi la loi :
« Nous appelons prix de revient partiel les dépenses supplémen
taires à faire dans ce cas, indépendamment des frais permanents, pour
obtenir chaque unité du produit dont il s’agit.
« Quand on produit de très petites quantités c’est la partie cons
tante des frais de production qui joue le rôle prédominant : le prix de
revient total2 de chaque unité s’obtient alors, à très peu de choses
près, en divisant par la quantité produite le montant des frais perma
nents, auxquels le prix de revient partiel n’ajoute qu’une somme négli
geable. Au contraire, quand la production devient très grande, c’est la
partie constante des frais qui devient négligeable et le prix de revient
total ne diffère plus sensiblement du prix de revient partiel. »
Un Economiste contemporain, M. W. R ôpke,3 professeur à
l’Institut Universitaire des Hautes Etudes Internationales, donne les
précisions mathématiques suivantes sur la loi de production de
masse :
« On peut formuler d’une manière générale les différents points
de la façon que voici : Si nous désignons par K les frais de production
par pièce, la quantité de production par p, les frais généraux par g et
les frais spéciaux par s, nous aurons l’équation suivante :
g
K = s + —
P
« Mais comme les frais généraux (s) restent égaux, sans égard à la
1 Colson : Cours d’Economie Politique. 6 v o l., Edit, définitive, 1915-1918,
Paris, Gauthier-Villars et Alcan, Livre premier, p. 270.
2 En italiques dans le texte de l’auteur. En une note {Ibid., T. I, p. 271, note 1),
l’auteur donne la formule mathématique et construit la courbe qui représente la loi.
3 W . Rôpke : Explications économiques du monde moderne. Traduction Paul
Bastier, 1 v o l., Paris, Librairie de Médicis, 1940, p. 182. Cf. p. 219.
�52 —
quantité de production, les frais par pièce (K ) doivent diminuer tou
jours davantage à mesure que la quantité de production (p ) devient
9
plus grande, attendu que le quotient — devient toujours plus petit.
\>
Les prix par pièce se rapprochent asymptotiquement des frais
spéciaux. »
L ’auteur ajoute : « Dans la réalité, tout est beaucoup plus com
pliqué », « la supposition que les frais spéciaux restent constants sera
rarement réalisée et même ils auront souvent un caractère légèrement
dégressif. »
Il conclut : « Surtout, il faut se garder de croire que la loi de
production massive soit d’une efficacité sans limite.
« Ce sont, d’une part, des questions techniques, d’autre part, des
questions de coordination et de surveillance qui interviennent
alors. » 4
Ainsi, d’après la loi de la production par masse, dans certain cas
et pour une période assez longue, une augmentation de la demande
peut provoquer une baisse de prix, dans l’industrie automobile par
exemple.
Quelques ouvrages de vulgarisation contemporains enregistrent,
sans toujours la dénommer loi de production par masse, les consé
quences de cette constatation.
M. P. R ebou d 5 affirme que « le prix de revient total aura dimi
nué par l’accroissement de la production ; le prix de revient total de
Futilité se sera rapproché de son prix de revient partiel ; il se confon
drait presque avec lui si le nombre des unités produites était
extrêmement grand. »
Il ajoute cependant6 qu’il n'est guère vraisemblable que les frais
généraux restent les mêmes en cas d’accroissement considérable des
quantités produites.
Ainsi donc pour conclure, la loi de production par masse sem
ble exacte, mais elle est, comme les autres, une loi contingente.
4 Cf. G. Robinson : The Structur of Compétition Industry, Londres, 1935.
5 P. Reboud : Précis d’Economie Politique. 2 v o l., Paris, Datlos, 8me édit..
1939, T. I, p. 228.
'• Ibid., T. I, p. 229, note 1.
�C H A P IT R E VI
LA LOI DE LA LU TTE DES CLASSES
1
C’est une formule qui est due à K. Marx. 2
On s’est demandé s’il avait à cet égard des précurseurs.
Il paraît résulter des recherches faites à ce sujet3 que plusieurs
publicistes du xvm“ e siècle, surtout Bolingbroke en Angleterre, Hol
bach en France avaient eu l’idée de lutte des classes, apercevant cer
tains antagonismes, sans aller jusqu’à la loi de la lutte des classes.
K. Marx expose surtout sa thèse dans le Manifeste communiste. 4
Les principaux passages sont les suivants :
« Toute l’histoire de la société humaine jusqu’à ce jour est l’his
toire de la lutte des classes. » 5
« . . . De plus en plus, la société entière se partage entre deux
grands camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement oppo
sées l’une à l’autre : la bourgeoisie et le prolétariat. » *
« . . . Le progrès de l’industrie, dont la bourgeoisie est l’agent sans
volonté ni résistance, substitue à l’isolement des ouvriers par la
concurrence leur union révolutionnaire par l’association. Avec le
développement de la grande industrie, la bourgeoisie voit donc se
dérober sous ses pieds le fondement même sur lequel elle produit et
s’approprie les produits. Elle produit avant tout ses propres fos
soyeurs. La chute de la bourgeoisie et la victoire du prolétariat sont
également inévitables. » 7
1 Comme il a été dit dans l’Introduction du tome II, p. 7, l’ensemble des lois
naturelles ou prétendues telles font l’objet d’un examen impartial.
2 1818-1883.
3 Cf. Cahen : L ’idée de lutte des classes au X V IIImo siècle. Revue de synthèse
historique, 1906, l or sem, p. 44.
4 En collaboration avec Engels. Manifest der Kommunistichen Partei, 1848.
Trad. franç. Molitor-Costes, Paris, 1934, dans les Œuvres complètes de K. Marx.
5 Op. cit., p. 54.
6 Op. cit., p. 55.
7 Op. cit., p. 79.
�— 54 —
Dans « Le Capital », il n’y a que quelques brèves allusions à la loi
de la lutte des classes. 8
Engels,9 dans la préface au X V III Brumaire de K.
souscrit à la loi de Marx.
M arx,10
« Marx découvrit le premier la grande loi du mouvement histori
que, loi suivant laquelle toutes les luttes historiques, menées sur le
terrain politique, religieux, philosophique ou sur tout autre terrain
idéologique, ne sont, en fait, que l’expression plus ou moins exacte des
combats que se livrent entre elles les classes sociales, loi en vertu de
laquelle l’existence de ces classes, ainsi que leurs conflits, sont condi
tionnées par le degré de développement de leur état économique, par
leur mode de production et enfin par le mode d’échange qui dérive de
ce dernier. Cette loi, en histoire, a autant d’importance que la loi de
la transformation de l’énergie dans les sciences naturelles. » 11
Un certain nombre de disciples de K. Marx adhèrent sans réserves
à la loi formulée par le fondateur du Collectivisme.
Deville 12 écrit encore : 13 « Les éléments nouveaux ont à réagir
violemment contre l’état de choses qui les a élaborés et que, pour pou
voir continuer leur évolution, ils doivent briser, de même que le pous
sin doit briser la coquille dans l’intérieur de laquelle il vient de se
former. »
Ramsay Macdonald 11 affirme : « Marx et Engels firent leur l’opi
nion radicale, commune du xvm me siècle... la lutte des classes qu’ils
rendirent plus féconde en la mettant en contact avec la dialectique
hégélienne. » 15
K. Kautsky16 semble admettre lui aussi sans réserve l’affirmation
marxiste : « Pour Marx, la lutte de classes n’est au contraire qu’une
forme particulière de la loi générale de l’évolution naturelle qui ne
peut rien avoir de pacifique. A ses yeux, l’évolution est dialectique,
c’est-à-dire le produit d’une lutte entre les antinomies qui se mani
festent nécessairement. Mais toute lutte entre éléments inconciliables
8 P a r e x ., Livre I, chap. X X IV , § 7. Trad. franç. Roy, chap. X X X II.
9 1820-1895.
10 Der Achtzenhte Brumaire des Louis-Bonaparte f l852), 3îne édition allemande,
Stuttgart, 1914. Trad. franç., Paris, Schleicher, 1900, p. 189.
11 Cette loi est par là même en très étroite relation avec la loi du matérialisme
historique. Cf. Raynaud : L a loi naturelle en Economie Politique, T. II, p. 15 et suiv.
12 Deville, socialiste français.
13 Principes Socialistes, 1 v o l., Paris, 1898.
14 Ramsay Macdonald, né en 1866.
_
15 Le Socialisme et la Société, 1905, p. 156.
A
16 L a question agraire et le Socialisme, 1912. Le Socialisme agraire, 1920.
�— 55 —
ne peut manquer de se terminer par la défaite de l’un des antagonis
tes, c’est-à-dire par la catastrophe. » 17
Depuis l’apparition de la fameuse thèse marxiste, les critiques se
sont multipliées contre la prétendue loi. 18
Les deux principales critiques formulées ont été les suivantes :
Tout d’abord le caractère abstrait et théorique de la notion
Marxiste des classes qui ne correspond pas à la réalité et, par suite, la
non-uniformité de cette classification des classes avec la réalité : il
y avait, avant Marx, dans l’économie classique, au moins trois classes :
les entrepreneurs, les propriétaires fonciers et les travailleurs
manuels. 19
Ensuite la vanité en face des faits, même pour la période moderne,
de l’affirmation de lutte des classes.
La critique de la thèse marxiste a été reprise par M. G. Valois. 20
Celui-ci, dans l’Economie Nouvelle,21 affirme que c’est là un faux
dogme marxiste, un « pauvre roman historique ».
D’une part, il montre comment K. Marx considère « que les pou
voirs économiques ne sont pour les classes que les moyens d’exploi
ter le prolétariat, qu’ils ne jouent aucun rôle productif. » 22
D’autre part, .il affirme que « là où Marx a cru découvrir des luttes
de classes, il n’y a que des luttes de partis et le mouvement engagé
sous le nom de lutte des classes, pour le compte des classes ouvrières,
n’est encore qu’un mouvement de parti. » 23
Pour toutes ces raisons, il est permis de conclure que la lutte des
classes ne saurait être inscrite au nombre des lois valables de l’Eco
nomie politique. 24
17 Préface aux œuvres complètes de K. Marx. Trad. Molitor, 1 vol., Paris, A.
Costes, 1926, T. I, p. X V III.
18 Cf. F. Perroux : Les classes chez M arx et dans la Vie. Semaine Sociale de
France. 31me session, Bordeaux, 1939, p. 133.
19 O n insiste avec raison sur le cas du paysan propriétaire qui ne peut rentrer
et ne rentre pas en fait dans la classe des salariés.
20 G. Valois : L Economie nouvelle, Paris, Nouvelle librairie nationale, 1919.
21 Ibid., p. 42 et suiv.
23 Ibid. , p . 42.
28 Ibid., p . 53.
24 O n pourrait ajouter que la loi de la lutte des classes n’étant que le corollaire
du matérialisme historique, la non acceptation de celle-ci coqime loi économique
(Cf. Supra, T. II, p. 22) entraîne nécessairement le rejet de la prétendue conséquence
qui en découle.
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, , ''.J
:
C H A P IT R E V II
LA LOI DE L ’ACCUMULATION CAPITALISTE
C’est Karl Marx qui est l’auteur de cette loi.
On lui chercherait en vain des précurseurs.
Dans le « Capital » et en de nombreux passages, K. Marx revient
en termes très explicites sur la formule qui lui est chère :
« Si, au lieu d’être dépensée, la plus-value est avancée et employée
comme capital, un nouveau capital se forme et va se joindre à l’an
cien. On accumule donc en capitalisant la plus-value. » 1
Et plus loin :
« Le procès de production capitaliste est en même temps de par
sa nature un procès d’accumulation. » 2
« Les mêmes causes qui déterminent la tendance à la hausse du
taux général du profit provoquent une accélération de l’accumulation
de ce capital et, par conséquent, une augmentation de la masse abso
lue de son travail (plus-value, profit) accaparée par ce capital. » 5
On négligera ici les conséquences que Marx tire de cette formule,
elle est au centre même de la construction collectiviste.
Deville donne une formule qui traduit bien la pensée de K. Marx :
« Si le prolétaire est une machine à produire de la plus-value, le
capitaliste n’est qu’une machine à capitaliser cette plus-value. » 4
Au point de vue critique, la généralité des auteurs modernes,5
même quelques écrivains collectivistes,6 ont abandonné la formule
marxiste.
On a justement remarqué que cette accumulation est loin de se
réaliser en fait : la condition des salariés, loin de s’aggraver, s’est
améliorée.
En conséquence, il ne paraît pas possible d’inscrire la loi de
K. Marx sur l’accumulation capitaliste au nombre des lois valables de
l’Economie politique.
1 L e Capital. Livr. I, p. 24.
2 Ibid., Livre III, p. 13.
3 Ibid., Livre III, p. 13.
4 Deville : Principes Socialistes, Paris, 1898, p. 263.
5 Aftalion : L a théorie socialiste de l’exploitation. Revue d’histoire des doctri
nes économiques et sociales, 1922.
* Ramsay Mac Donald : L e Socialisme et la Société, p. 16.
�C H A P IT R E V III
LA LOI DES PROPORTIONS DEFINIES
1
La loi des proportions définies se présente avec une curieuse phy
sionomie dans l’ensemble des lois naturelles ici étudiées.
Une tradition assez confuse d’abord, une adhésion éclatante don
née par Vilfredo Pareto, puis une négation formelle par ce même
auteur.
I. L A T R A D IT IO N CONFUSE
Vilfredo Pareto2 y fait allusion en ces termes :
« Or, la plupart des économistes qui font usage de la théorie des
proportions définies paraissent croire qu’il existe certaines proportions
en lesquelles il convient de combiner les facteurs de la production
indépendamment du prix de ces facteurs. » 3
C’est sans doute chez 1Vdiras 1que l’on trouve l’exposé le plus net
de cette tradition.
Dans ses Eléments d’Economie Pure,5 le problème de la pro
duction est problème d’équilibre, question de proportion entre le
travail, la terre et le capital.
IL L ’AD H ESIO N E C LA TA N TE
Vilfredo Pareto 6 écrit : « Dans un état donné de connaissances
techniques, .il existe entre les quantités des différents services per1 Bibl. générale, Byé :'L es lois des rendements non proportionnels, leur évolu
tion et leurs formes modernes. Thèse Droit, Toulouse, 1928, p. 231 et suiv.
2 1848-1923. Manuale di economia politica, Milan, Societa éditrice, 1906.
3 Vilfredo Pareto : Manuel d’Economie Politique. Trad. franç. A. Bonnet,
Paris, Giard, 1909, p. 327.
Léon W alras, 1854-1910.
5 Eléments d’Economie Pure, 1874-1877. 4me édition, 1900. Lausanne, Rouge et
Paris, Pichon, 1900, p. 176.
Cf. Léon W alras : Abrégé des éléments d’Economie, Paris, publié par G. Leduc,
Lausanne, Rouge et Paris Pichon, 1 v o l., Paris, 1938, p. 213 et suiv.
6 Cours d’Economie Politique. Rouge, Lausanne et Pichon,* Paris, 2 v o l., 1897,
T. II, n° 738.
�sonnels et des services mobiliers, certaines proportions qui assurent le
maximum d’ophilianté. »
Et plus loin : 7 « Avec des quantités données de services mobiliers,
on ne peut employer que des quantités de services personnels com
prises dans d’étroites limites ; car, si l’on sortait de ces proportions,
on produirait moins d’ophélimité qu’il n’en faut pous maintenir les
capitaux personnels. »
Après Vilfredo Pareto, B arone8 donne son adhésion à la loi des
proportions définies dans les termes suivants : 9
« Cette vérité que, avec une quantité donnée d’un facteur de pro
duction, on ne peut, par adjonction des autres, indéfiniment accroître
le produit, se vérifie non seulement lorsque, dans la combinaison, le
facteur limite en quantité est la terre ou d’autres agents naturels
(forces motrices, par exemple), mais toujours, quel qu’il soit. »
Clarck, dans son ouvrage fondamental « Essentials of Econo
mies »,10 accepte cette loi des « proportions des facteurs » en la ratta
chant d’ailleurs à la loi de l’utilité finale.
Gide et R is t11 prennent la position suivante : « A vrai dire, il ne
s’agit là que d’une image : la combinaison des facteurs de la produc
tion dans l’entreprise n’est pas si rigide que celle de l’oxygène et de
l’hydrogène dans la composition de l’eau. On peut obtenir le même
résultat avec plus de main-d’œuvre et moins de capital ou, au con
traire, avec plus de capital et moins de main-d’œuvre. Disons simple
ment qu’il y a une proportion optjma pour chacun d’eux qui permet
d’obtenir le maximum d’utilisation. »
III. L A N E G A TIO N FO RM E LLE
Le même Vilfredo Pareto, dans son Manuel d’Economie Poli
tique, 12 écrit expressément :
« Une autre théorie complètement erronée est celle dite des pro
portions définies. Cette dénomination est singulièrement mal choisie,
car elle est empruntée à la chimie, laquelle, en effet, a reconnu que
les corps simples se combinent en des proportions définies ; mais,
bien au contraire, les facteurs de la production de l’économie politi7 Ibid., n° 738.
8 Barone ; 1850-1924.
9 Principi di Economia Politica. Athenœum, Roma, 1913, p. 11.
10 Essentials ol Economies, 1907. Trad. franç. par Oualid sous le titre Principes
d’Economique, 1 v o l., Paris, Girard, 1910, p. 123.
11 Histoire des Doctrines économiques, 4“ e édition, Paris, Libr. du Rec. Sirey,
1922, p. 639. Le texte (note 1, p. 639) relève la négation dont il sera parlé ci-après.
12 Op. cit., p. 326.
�que peuvent, en de certaines limites, se combiner en des proportions
quelconques. »
Plus loin,13 l'auteur, visant la théorie des proportions définies,
ajoute : « C’est faux. Là où la main-d'œuvre est bon marché et les
capitaux mobiliers sont chers, la main-d’œuvre remplacera les machi
nes et vice-versa. Il n’existe aucune propriété objective des facteurs
de production correspondant à des proportions fixes en lesquelles il
convient de combiner ces facteurs : il existe seulement des propor
tions, variables avec les prix, lesquelles donnent certains maximums
soit de bénéfice en monnaie, soit en ophélimité. »
Enfin, l’auteur ajoute que les rapports entre facteurs de la produc
tion sont non seulement variables avec les prix des facteurs de la pro
duction, mais encore avec toutes les circonstances de l'équilibre éco
nomique.
C est donc un désaveu formel de la loi précédemment admise.
CONCLUSION
II ne peut être, bien entendu, question d’entreprendre ici une
vérification critique d’une loi aussi incertaine.
Il y a cependant de nombreuses présomptions pour que la loi soit
fausse, par exemple celle-ci :
On a calculé14 le rendement moyen de la journée de travail dans
diverses exploitations : ce rendement va en augmentant à mesure que
s’accroît la dimension des exploitations : 1,7 jour de travail par quin
tal de blé dans une petite exploitation ; 0,57 dans une grande ; 0,25
dans une très grande utilisant des machines. La différence vient en
effet de l’emploi des machines et des engrais.
Il ne semble donc pas qu’il y ait lieu de retenir la loi des propor
tions définies au nombre des lois valables de l’Economie politique
scientifique.
ls Ibid., op. cit., p. 327.
11 M. R. Dumond : Misère et prospérité paysannes, 1 v o l., Paris, p. 137.
�C H A P IT R E IX
LA LOI DES COUTS CONSTANTS
1
On s’est préoccupé de cette formule à deux points de vue de bien
inégale valeur.
T. -N. Carver2 affirmait que le coût, n’étant pas un antécédent
constant, ne saurait être un antécédent causal.
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'
: ■
■' !
I
M. B. Nogaro a justement fait remarquer 3 que la règle logique
ne vaut que dans le cas d’un antécédent unique : dans le cas de plu
sieurs facteurs agissant sur la cause, l’absence peut-être momentanée
d’un de ces facteurs ne permet pas de conclure à une absence causale.
Ce point de vue ne saurait donc être retenu.
D’autres1 ont signalé le cas où l’ajustement du prix de marché au
coût se fait selon un processus spécial : « Plutôt que de vendre à
perte, certains vendeurs se retirent, l’offre s’en trouve réduite et les
acheteurs, ressentant alors davantage l’utilité du produit, consentent
à payer le prix voulu. » 5
C’est là une discussion autour du marginalisme qui ne paraît pas
intéresser directement le problème d’une loi économique.
1 Sur le coût de production. Cf. B. Raynaud : Les lois générales, T. II, p. 209.
1 vol., Paris, 1938. Sur les études plus récentes. Cf. Perroux, Cours d’E. P . , Paris,
Domat-Montchrestien, T. III, p. 122.
2 L a Répartition des Richesses, 1 v o l., Trad. franç., p. 33.
Sur la critique de ce point de vue. Cf. B. Nogaro : La méthode de l ’Economie
Politique, 1 v o l., Paris, 1939. Librairie générale de I ) ' et de jurisprudence, p. 102.
3 Nogaro : Principes de théorie économique, 1 v o l., Paris, Libr. générale de
droit et de jurisprudence, Paris, 1943, p. 219.
«
4 Stanley .levons : Theory of political economy, p. 179.
5 Cf. Nogaro : Principes de théorie économique, 1 v o l., Paris, 1943 p. 213.
�C H A P IT R E X
LA LOI DU MINIMUM
1
C'est à Liebig,2 le grand chimiste allemand, qu’est due la formule
de cette première loi technique.
Il écrit : 3
« Il faut aux plantations un certain nombre d'éléments et entre
les-quantités de ces différents éléments qui leur sont nécessaires, il y
a des rapports fixes. La fertilité d’une terre est déterminée par la
quantité que le sol de cette terre contient de l’élément dont relative
ment il est le plus pauvre. C’est la loi dite du minimum. »
La loi s’applique aux éléments nutritifs proprement dits et égale
ment à l’eau.
A. Grégoire 4 donne son adhésion à cette loi que « toutes les
recherches ultérieures ont confirmée et même étendue considérable
ment, la loi du minimum. »
Il cite les expériences de Rothanisted5 pour montrer comment,
par une augmentation du capital engrais, le rendement a été augmenté :
sur un champ d’expérience établi en 1841 par Lawes et Gilbert, les
rendements moyens à l’hectare ont été :
15,4 hectolitres pendant la période 1844-1851
»
»
14,3
»
1852-1861
»
»
»
1862-1871
13,0
»
»
))
1872-1881
9,3
)>
»
))
1882-1891
11,3
))
)>
)>
1892-1901
10,9
1 Bib. : A. Grégoire : L a conservation du sol. Rev. écon. intern., juin 1911,
j). 360.
A. Landry : L'utilité sociale de la propriété individuelle, 1 vol., Paris, 1901,
p. 481.
3 1803-1873.
3 Rentabler Rabbau, culture vampire, disait-il, p. 275. J. -B. Liebig : Die Chemie in ihrer Anwendung auf Agricultur und Physiologie, 1862. Trad. A. Scheler,
Bruxelles, Terlier.
4 Art. cité, p. 374.
3 Cf. A .-D . Hall : Le sol en agriculture, Paris, Baillière, p. 159. Trad. Demolen.
A. -D. Hall : The Book of the Rothanisted exporiments, London. John M ur
ray, 1905. p. 36.
�62
—
Les rendements, après une dépression rapide, deviennent à peu
près constants. 6
>
On a souligné que cette loi était formulée seulement du point de
vue technique, sans tenir compte du point de vue économique.
C O N C L U S IO N
La loi semble donc de peu d’intérêt du seul point de vue écono
mique qui est ici le nôtre. On n’en peut retenir que ceci : la formule
de la loi du minimum est à la base de toute la Chimie agricole et de
l’Economie rurale modernes pour justifier l’apport nécessaire des
engrais variés.
6 Otto Effertz aurait admis la position de Liebig. Cf. Landry : op. cit., p. 482.
�C H A P IT R E X I
LA* LOI DE RESTITUTION
Cette seconde loi technique, également due à Liebig, peut être
considérée comme une conséquence de la précédente.
On 1 estime cependant que sous l’influence de Liebig (Lettre sur
la Chimie, 1840), Pierre Leroux aurait retenu, dès 1848, la formule. 2
C’est dans les ouvrages mêmes où il avait formulé la loi du
maximum 3 que Liebig en donne l’énoncé formel : il estime néces
saire la restitution des éléments fertilisants du sol pour éviter la cul
ture vampire, la culture épuisante.
Il est donc nécessaire de restituer au sol les éléments fertilisants
qu’on lui enlève.
« L ’agriculture, écrit Liebig,4 ne peut continuer à faire de bonnes
affaires et à s’assurer des récoltes élevées qu’en restituant à la terre,
sous forme d’engrais, ce qu’elle lui a enlevé sous la forme de
produits. »
Et l’auteur insiste longuement sur la portée de cette formule qu’il
considère comme une véritable loi.
Dans une première période, la loi de restitution connut un grand
succès.
Divers savants se consacrent à la diffusion des engrais chimiques
soit pour la fixation directe de l’azote comme G. V ille,5 soit par le
processus de nitrification comme Berthelot, Hellr.iegel et Willfaith.
1 H. Denis : Histoire des Systèmes économiques et socialistes. 2 vol., Paris,
Giard, 1907, T. I, p. 105.
2 Malthus et les Economistes, t vo l., Paris, 1848, p. 220.
3 Liebig : Lois naturelles de l’agriculture. Trad. franç., Paris, 1862, p. 103.
Liebig : Die Chemie in ihrer Amverdung auf Agricultur und Physiologie, 1862.
Trad. franç. Ad. Scheler, Bruxelles, Tarlier.
G. Grégoire : La Conservation du sol. Rev. écon. intern., nov. 1911, p. 368.
4 Liebig : op. cit. : Lois naturelles de l’agriculture, T. I, p. 166.
5 G. Ville : Le propriétaire et sa ferme délaissée, Paris, 1884.
�— 64 —
Bientôt déjà, quelques savants indiquent la difficulté de l’appli
cation de la loi de restitution avec la concentration de la population
dans les villes. 6
Après cette période d’éclatant succès théorique et pratique de la
formule de Liebig, la tendance contemporaine est plutôt vers une
critique de cette loi de restitution. 7
D’abord le calcul du nombre de récoltes qu’un sol donné iteut
produire est erroné : il y a certaines plantes (trèfles, luzernes, sainfoin)
qui ont des racines profondes au delà de 10 mètres en terre et qui
puisent là de nouveaux éléments nutritifs.
Ensuite l’eau elle-même, existant dans les profondeurs, remonte
en certaines saisons et ramène avec elle de nouvelles matières
minérales.
Enfin, la loi n’a guère qu’une portée technique,s on l’a vu dou
teuse, et néglige par trop le point de vue économique.
Pour toutes ces raisons, jl ne paraît pas possible d’inscrire la loi
île restitution de Liebig au nombre des lois valables de l’Economie
Politique.
6 Dusart et Proost, Petermann, Masson. Congrès international d’agriculture.
'La Haye, 1891.
Babut, Dumarcs, Remde : L a situation agricole de la Belgique, 1884.
7 Grégoire : art. cité.
Hall : Le sol en agriculture. Trad. Demolen, Paris, Baillière, p. 159 et suiv.
s Cependant beaucoup d’économistes l'admettent* sans discussion, par ex. :
Brouilhet (Précis d’Economie Politique, 1 v o l., Paris, Roger, 1912, p. 211).
�C H A P IT R E X II
LA LOI VESULIENNE EN MATIERE DE FORETS
1
Il s’agit ici d’une loi établie vers le début du xxme siècle par les
Forestiers de l’Etat.
La formule en serait : « La valeur des tailles s’accroît comme le
carré de l’âge. »
Ainsi une coupe vaudrait 300
600
900
et 1. 200
francs
francs
francs
francs
à
à
à
à
20
25
30
35
ans,
ans,
ans
ans.
A vrai dire, d’après une enquête partielle menée personnellement
auprès de quelques forestiers, j’ai eu l’impression que c’était là une
tradition à laquelle on n’accordait pas aujourd’hui grand intérêt.
Dans l’impossibilité à la fois de se documenter sur la loi et de la
vérifier, j’ai voulu toutefois la signaler au moins à titre de curiosité.
1
Bibl.
: Algan
: Comment d’une taille simple on lait une taille sous futaie.
Bulletin de l’Office Forestier du Centre et de l’Ouest, 1908, p. 205.
Roulleau
: L ’aménagement de valeur des tailles simples aux différents âges.
Bulletin de l’Office Forestier du Centre et de l’Ouest, 1909, p. 305.
5
�66
CONCLUSION SUR LES LOIS DE LA PRODUCTION
Ainsi les lois de la production, dont s’achève ici l’étude, sont d’iné
gale valeur : alors que le plus grand nombre d’entre elles doit être
considéré comme lois valables, certaines, nous l’avons vu, sont à
écarter.
De toute façon, le caractère contingent de la loi économique sous
son aspect moderne s’affirme de la façon la plus nette comme ressor
tant de l’ensemble des analyses précédentes.
�DEUXIEME P A R T IE
LES LOIS DE LA CIRCULATION
Une division différente de celle ci-dessus utilisée pour l’étude des
lois de la production donne ici la classification suivante : lois concer
nant la circulation matérielle (A ) et lois portant sur la circulation
juridique (B).
On peut les grouper dans l’ordre suivant :
A ) L O IS D E LA C IR C U L A T IO N M A T E R IE L L E :
Loi
des débouchés
Loi
Loi
Loi
Loi
Loi
de l ’ équilibre automatique de la balance des comptes
;
des balances du commerce et des comptes
;
des échanges dans le commerce international
de la concentration des frets
;
;
;
de l ’ in f l u e n c e du m o u v e m e n t c o m m e r c ia l e t de l a co n jo nc
ture
SUR LES MARIAGES.
«
B) L O IS D E LA C IR C U L A T IO N J U R ID IQ U E :
à) L ois
Loi
Loi
Loi
Loi
JSLl}'
de
relatives a la monnaie
:
G resham ;
de la théorie q u antitative
;
de la baisse de v a le u r de la monnaie
;
des dépôts en banque.
b) Lois
relatives au crédit .
c) Lois
relatives au change
:
Lois du change formulées pa r l ’E cole libérale classique ;
Loi r e lativ e a l ’ action du change sur le commerce extérieur ;
Lois du change modernes avec la prépondérance du facteur
psychologique .
�C H A P IT R E PR EM IER
LA LOI DES DEBOUCHES
1
O n 2 a voulu voir un précurseur de J. -B. Say en la personne d’un
Physiocrate, Le Trosne.
Celui-ci aurait écrit dans cc L ’Intérêt Social » 3 que la vente n’est
que la moitié d‘un échange.
Il faut avouer que c’est là un précurseur bien insuffisant et qui
ne saurait être retenu.
C ’est dans son Traité d’Economie Politique publié en 1803 4 que
./. -B. Say formule la loi des débouchés.
On en trouve 5 plusieurs affirmations successives :
La première, après un court développement sur le producteur qui
croirait qu’il y a des débouchés autres que ceux qui produisent euxmêmes, est la suivante : « De toute manière, l’achat d’un produit ne
peut être fait qu’avec la valeur d’un autre. » 6
Il en tire quatre conséquences :
a)
Dans tout Etat, plus les producteurs sont nombreux et la pro
duction multipliée, plus les débouchés sont faciles, variés et vastes ;
1 Bibl. générale : Bergmann : Geschichte der national ôkomischen Krisentheorien. Stuttgart, 1895, p. 67 et suiv.
Milksch : Gibt es eine allgemeine Uberproduktion. Iéna, 1899, p. 11 et suiv.
Teilhac : L ’œuvre économique de J. -B. Say, Paris, 1927.
Art. Spiethoff V ° Crises. Handwôrterbuch der Staatwissenschaft V I, 78.
Hans Neisser : General overproduction : a study of Say’s L a w of Markets. In
journal of political economy, August, 1934, p. 433.
E. Meunier : Essai sur la théorie des débouchés de J. -B. Say. Thèse, T ou
louse, 1942.
2 Ram baud : Histoire des Doctrines Economiques. 1 v o l., Paris, Larose, 2ma
édit., 1902, p. 260.
3 Ed. Daire, p. 903, chap. I I , § 2.
4 Paris, 1803.
5 Traité d ’Economie Politique ou simple exposition de la manière dont se for
ment, se distribuent et se consomment les richesses. 6<ne édition, Paris, Guillaumin,
1841. C ’est à cette édition que se rapportent nos références.
6 Op. cit., p. 141, Livre I, chap. XV .
�— 69
b) Chacun est intéressé à la prospérité de tous ;
c) L ’importation des produits étrangers est favorable à la vente
de produits indigènes ;
d) La consommation pure et simple ne contribue point à la
richesse du pays.
Ces corollaires de la première affirmation n’entrent point dans la
discussion même de la formule.
Un peu plus loin ,7 on trouve cette autre formule :
« L ’argent ne remplit qu’un office passager dans ce double
échange ; et les échanges terminés, il se trouve toujours qu’on a payé
des produits avec des produits. » s
Enfin, et avec plus de précision, un peu plus loin encore : « On
voit donc que le fait seul de la formation d’un produit ouvre, dès l’ins
tant même, un débouché à d’autres produits. »
En résumé, on peut accepter comme expression de la pensée de
J. -B. Say la formule connue : « Les produits s’échangent contre
les produits, »
Une controverse s’éleva sur la loi des débouchés après la publi
cation du traité de J. -B. Say. 9
Dans ce débat, Lauderdale 10 d’abord, Malthus11 ensuite, affirment
que l’excès d’épargne peut entraîner une surproduction.
Sismondi affirme la théorie de la sous-consommation12 à laquelle
J.-B. Say répond par un article « sur la balance des consommations
avec les productions. » 13
Tout ce débat est assez confus et ne modifie pas les positions de
J. -B. Say et de ses adversaires.
Mieux vaut étudier, parce que plus explicite et plus cohérente, la
double série des partisans avec ou sans réserves de J. -B. Say et des
adversaires du même auteur.
7 Ibid,
p. 141.
8 On remarquera la déformation de ce passage dans la formule attribuée à
J. -B. Say et qui n’est pas rigoureusement de lui : les produits s’échangent entre
les produits.
9 Ibid.,
p.
142.
10 Sur cette controverse Cf. Gide et Rist. Histoires des Doctrines économiques.
1 v o l., Paris, 4me édition, 1922. Libr. du Rec. Sirey, p. 134, n° 5.
11 Lauderdale : Recherches sur la nature et l’origine de la richesse publique.
Trad. fr. Lagentie de Lavaïsse, Paris, Dentu, 1808, p. 154.
12 Principes d’Economie Politique, 1820.
Cf. 2me édition, trad. franç., Paris, Guillaumin, 1866, p. 278.
13 Rev. encyclopédique, 1824.
�.
-
70 —
I. LES P A R T IS A N S DE J.-B. S A Y
Paul Leroy-Beaulieu, dans son célèbre Traité, donne son assen
timent à la loi de J. -B. Say, avec quelques réserves cependant.
Après l’avoir reproduite en sa formule courante « les produits
s’échangent contre les produits », il ajoute : « Ce raisonnement est
très juste au point de vue absolu et -universel... mais, dans la pra
tique, il en sera autrement d’une manière temporaire au moins ;
tout d ’abord le marché n’est jamais absolument universel ; il faut
tenir compte d'une foule d'obstacles et de frottements : ceux des
douanes, ceux des habitudes. Il faut tenir compte aussi de l’interven
tion, de la monnaie qui, sans altérer substantiellement le phénomène
de l’échange, peut modifier l’immédiateté des équivalences de l’offre
et de l’achat. Enfin, il faut tenir compte de la loi de la décroissance
de la valeur au delà d’un certain degré de satisfaction. »
Ainsi la loi est vraie, mais elle comporte de sérieuses réserves.
Ch. Gide est lui aussi à l’époque moderne un partisan de la loi
des débouchés.
Dans ses Principes d’Economie Politique,14 il expose sommaire
ment la loi de J. -B. Say et il la formule, pour sa part, de la façon sui
vante : « Chaque produit trouve d’autant plus de débouchés qu’il y a
une plus grande variété et abondance d’autres produits. »
Il en expose les conséquences : « En somme donc, la théorie des
débouchés tend simplement à prouver que l’excès de production n’est
jamais un mal, toutes les fois que l’accroissement, de la production
s’opère simultanément et proportionnellement dans toutes les bran
ches. » Il ajoute qu’on peut supposer un accroissement parallèle de
la monnaie et conclut : 15
« La théorie des débouchés est donc parfaitement fondée en
tant que théorie pure, mais en fait l’accroissement de la production
ne se manifeste jamais dans les conditions voulues par la dite théo
rie. Il n’y a pas une chance sur un million de voir un accroissement
simultané et égal dans toutes les branches de la production... Voilà
pourquoi la loi des débouchés, quoique vraie en principe, n’empêche
pas d’incessantes ruptures d’équilibre dans l’échange, lesquelles pro
voquent des crises. »
Ainsi une adhésion de principe à l’exactitude de la loi, un soi
gneux relevé des contingences dans son application, telle est, en bref,
l’attitude de Charles Gide.
14 Traité théorique et pratique d’économie politique. 4 vol. , 3me édition, Paris,
Guillaumin, 1900, T. IV, p. 419.
15 25me édition, Paris. Libr. du Rec. Sirey, 1926, p. 164 et suiv.
�71
M. Teillia c,16 encore qu’il résume toute l’œuvre de J.-B. Say
•dans la loi des débouchés, ne semble pas adresser d’objection person
nelle à l’exactitude de ladite loi.
M. Baudin 17 semble, lui aussi, souscrire à l’exactitude de la loi
des débouchés.
11 conclut ainsi une étude d’ensemble sur la loi économique 18 :
« Quant à la loi des débouchés, elle commande la théorie des
crises et celle du commerce international. D ’une part, elle conduit à
cette conclusion que les crises générales de surproduction sont impos
sibles, puisque toute marchandise est à elle-même son propre débou
ché et que la puissance d’acquisition sociale est exactement égale au
montant de la production sociale. Or, ces crises semblent exister en
fait et infirmer la loi. A l’analyse, on s’aperçoit que la production d’une
période peut être reportée sur une autre période et que le pouvoir
d’achat peut être épargné ; l'équilibre momentanément rompu entre
ces deux éléments doit reparaître si l'on envisage un certain nombre
d’années. La crise peut donc éclater sans que la loi soit détruite. »
L ’auteur fait un raisonnement analogue sur les conséquences de
la loi en matière de commerce international. 19
Il conclut : « Ainsi, qu’il s'agisse des crises ou du commerce inter
national, la loi des débouchés n’est point contredite par les faits pour
celui qui veut regarder au delà du terme de l’année. » 20
M. Lescure, dans son remarquable ouvrage « Des crises générales
et périodiques de surproduction », se rallie à la thèse de J. -B. Say.
Il écrit : 21
« La loi des débouchés de J. -B. Say nous paraît devoir être main
tenue malgré les critiques qui lui ont été adressées. Toutefois, la for
mule de la loi doit être modifiée ; au lieu d’affirmer : les produits
s’échangent contre les produits, nous préférons dire : les valeurs
s’échangent contre les valeurs. 22 Nous admettons aussi que le remède
conçu par J. -B. Say, en cas de surproduction partielle, une augmen
tation de la production partout ailleurs est plus théorique que prati
que. En fait, la surproduction provoque une rupture d ’équilibre géné
ralisée. Mais sous cette réserve, nous tenons pour fondée la thèse de
l’impossibilité d’une surproduction générale. » 23
18 Ibid, p. 166.
17 Op. cit., p. 368.
18 Art. La loi économique. Rev. d’E. P ., 1924, p. 635.
19 Op. cit., p. 645.
20 Cf. infra, p. 85.
21 5 m
e édition, 2 v o l., Paris. Ed. Domat-Montchrestien, Piiris, 1938.
22 T. II, p. 571.
23 En italique dans le texte.
�M. Nogaro 24 accepte la loi de J. -B. Say avec quelques réserves.
11 écrit : « Tel est le principe d’équilibre entrevu par J. -B. Say. C’est
une vue ample, mais aussi très sommaire du sujet. S’agit-il, en effet,
pour maintenir l’équilibre, à travers le temps, entre les diverses bran
ches de la production, de maintenir les proportions existant entre les
quantités produites ? Si telle était la condition à réaliser, il faudrait
d’abord tenir compte des possibilités techniques de production ; or.
la production n’est pas également extensible dans toutes les
branches... »
II. LES A D VE R SA IR E S DE J.-B. SA Y
Hans Neisser, dans l’article déjà cité,25 résume ainsi les considé
rations dominantes soutenues par ces adversaires :
Les uns affirment l’impossibilité d’un abaissement général des
prix, condition de la loi, critiquant, de ce fait, la loi des débouchés.
Les autres, raisonnant sur le principe du profit, qui gouverne l’éco
nomie capitaliste, affirment que ce principe peut entraîner une con
traction du pouvoir d’achat sous certaines conditions et provoquer
un engorgement général des marchés. 26
Pour une raison ou l’autre, nombreux sont, aujourd’hui, ceux qui
abandonnent l’affirmation de la loi de J. -B. Say.
CONCLUSION
Il est possible de conclure en acceptant la loi comme loi contin
gente : la loi est idéalement vraie, mais les conditions d’application et
de fonctionnement sont infiniment rares, pour ne pas dire toujours
inexistantes, dans le monde économique contemporain.
24 II y a bien d ’autres économistes contemporains qui ont adhéré à la loi des
débouchés sans que leur position doctrinale puisse être ici analysée. Cf. P. Reboud ;
Précis d’Economie Politique, 2 v o l., 6me édition, Paris, Libr. Dalloz, 1939, T. I, p. 247.
25 Nogaro : Principes de théorie économique. 1 v o l., Paris, Libr. générale de
Droit et de jurisprudence, p. 288.
26 General overproduction : a study of Say’s L a w of markets. The journal of
political Economy. Chicago, Aug. 1934, p. 465.
27 Pour les détails, voir l’article précité avec les références. ,
�LA LOI DE L ’ EQUILIBRE AUTOMATIQUE
DE LA BALANCE DES COMPTES
I. H ISTO IR E S E T FORM ULES AC TU E LLES
La loi de l’équilibre automatique de la balance des comptes est
traditionnellement attribuée à Ricardo. 1
Cependant, on la trouve assez précisément formulée chez
Thornlon. 2
Ce dernier dit formellement : 3
« Il apparaît donc que « les allées et venues de l’or ne dépendent
pas entièrement (comme le dit M. Locke et comme il est supposé
dans l’objection au début de ce chapitre) de la balance commerciale.
Elles dépendent de la quantité de l’instrument de circulation qui a été
émise ; ou elles dépendent, je le concède, de la balance commerciale,
à condition d’admettre que cette balance elle-même dépend de la
quantité de l’instrument de circulation émise. »
Si l’on cherche, dans l’œuvre de Ricardo, 4 l’expression de la loi,
voici exactement ce qu’on trouve : 5
: u ;1
1 M. Charles Rist affirme : « Voilà donc formulée bien avant Ricardo toute la
doctrine de l’équilibre des prix internationaux et des exportations d’or de pays à
pays ». Histoire des Doctrines relatives au crédit et à la monnaie. 1 v o l., Paris, Domat-Montchrestien, 1938, p. 103.
2 Thornton, contemporain de Ricardo.
3 A n Enquiry into the Nature and Effects of the Paper Crédit of Great Britain,
1802. Traduction française, p. 277.
4 Conant : The Gold Exchange Standard in the light Expérience. Economie
journ., 1909, p. 197.
Polier : Revue du mois, 15 janvier 1910.
A. Aftalion : L ’Equilibre dans les Relations Economiques Internationales.
1 vol., Paris, Ed. Domat-Montchrestien, 1937.
J. W eiler : Les Echanges internationaux et la critique des automatismes. Rev.
Econ. intern., nov. 1937, p. 211.
5 O n a cru cependant trouver d’autres auteurs, plus anciens ou contemporains.
Angell : Theory of international prices, p. 56 et suiv.
�— 74 —
■ .
'.A.',
V-A'!
D’une part, dans son Traité de l’Economie Politique et de l’Impôt,
Chapitre VII, Du Commerce extérieur, l’affirmation suivante :
« L ’or et l’argent ayant été choisis comme agents de la circulation,
la concurrence du commerce les distribue parmi les différentes nations
du monde, dans des proportions qui s’accommodent au trafic naturel
qui aurait eu lieu si de tels métaux n’existaient pas et si le commerce
de pays à pays se bornait à l’échange de leurs produits respectifs. »
D’autre part et dans le même chapitre, Ricardo esquisse la
démonstration, surtout par des exemples concrets, de l’équilibre auto
matique de la balance des comptes. 6
Sans présenter cette démonstration comme Ricardo par des
exemples concrets, il est facile d’en reproduire l’argumentation essen
tielle. 7
Si la balance des comptes devient défavorable, c’est-à-dire si les
dettes l'emportent sur les créances, il y aura, par exportation des mon
naies, réduction du stock national de monnaie. Cette réduction, par
application de la théorie quantitative, entraîne un abaissement des prix
tle toutes les marchandises sur le marché intérieur. Cet abaissement
des prix constituera un appel pour les achats de l’étranger : ce qui
entraînera une augmentation des exportations et par là même une
augmentation des créances sur l'étranger. 8
A l'inverse, si la balance des comptes devient favorable, c’est-àdire si les créances l’emportent sur les dettes, il y aura symétriquement
importation de monnaie, hausse des prix et, par suite, augmentation
des importations.
En résumé, un mécanisme automatique dont les rouages essen
tiels sont les mouvements du numéraire, leurs répercussions sur les
prix et, par ceux-ci, une variation des importations ou des expor
tations.
Stuart M ill9 s'est rallié avec quelques nuances à la même thèse de
l'équilibre. 10
6 Œuvres complètes île Ricardo. Paris, Guillaumin, 1882.
Ibid., p. 98 et suiv.
7 Ricardo écrit : « Pour simplifier, j’ai supposé jusqu’ici que le commerce entre
ÿ
"A- < ;,J
deux pays se bornait à deux articles, quoique personne n’ignore combien sont nom
breux et variés les objets qui composent la liste des exportations et des importations.
Le numéraire, en sortant d’un pays pour aller s’accumuler dans un autre, amène un
changement dans les prix de toutes les marchandises ; cela favorise l’exportation de
beaucoup d’articles autres que le numéraire et rend bien moins sensible l’effet qui eut
été produit autrement sur la valeur de l'argent dans les deux pays ». Œuvres com
plètes, p. 188, Guillaumin, Paris, 1882.
8 Cf. Polier, art. précité.
9 1806-1873.
10 Principes d’Economie Politique. 2 vol., Guillaumin, 1861, T. II, p. 147.
Sur Stuart Mill. Cf. de Leener : Théorie et politique du commerce internatio
nal, Bruxelles, 1933.
�— /.■> —
« Tous les échanges sont en substance et en réalité des trocs. » 11
C’est d’ailleurs la totalité des importations et des exportations d’un
pays qu’il envisage. 12
Mais c’est toujours par l’influence des prix et de la quantité de
monnaie que se réalise l’équilibre.
Cette théorie a été progressivement abandonnée par l’économie
politique postérieure à Ricardo.
On lui a justement reproché d’être trop simpliste et trop éloignée
des faits : dans la réalité, les complications de la vie économique entra
vent le jeu des forces escomptées.
On a surtout souligné que, grâce aux multiples combinaisons de
crédit et à l’intermédiaire des banques, les variations de la balance
des comptes sont loin de réagir toujours sur les stocks numéraires
en circulation.
Ch. Gide, 13 dans son Cours d’Economie Politique,14 reproduit,
sans écrire le nom de Ricardo, la théorie de celui-ci sur l’équilibre de
la balance des comptes. Il ajoute cependant qu’aujourd’hui les faits
se sont compliqués, l’explication a dû se compliquer aussi et il donne
le change comme régulateur de la balance des comptes.
M. Rehoud rappelle 15 également la théorie classique de Ricardo
et de Stuart Mill et écrit : « Ce sont les métaux précieux qui servi
raient de régulateur et le mécanisme de redressement national de la
balance des comptes jouerait conformément à la théorie quantita
tive. » Lui aussi admet plus loin que « les facteurs qui déterminent les
mouvements internationaux de l’or se confondent avec les causes des
variations des changes. » 16
Un économiste anglais moderne, Conant, a cependant repris 17 la
loi de Ricardo au moins comme loi de tendance.
L ’auteur établit d’abord qu’il y a une limite naturelle au drainage
possible du fonds d’échange : en fait, cette diminution du stock moné
taire ne saurait descendre au-dessous d’un certain niveau.
Ceci posé, l’auteur affirme : « Aucun pays ne peut être réduit à
11 Ibid., p. 158, T. II.
12 « Un pays échange la totalité de ses importations contre la totalité de ses
exportations, et non ses importations d’un pays contre ses exportations pour le même
pays ». Ibid., T. II, p. 149.
13 1847-1932.
11 Cours d’Economie Politique, 10™11 édition, 2 vol. , Paris, Libr. du Rec. Sirey,
1931, T. II, p. 13.
j5 p I(îcis d’Economie Politique, 2 v o l., 6me édition, Paris, Dalloz, 1939, T. II,
p. 110.
10 Ibid., p. 112.
17
Conant : The gold Exchange Standard in the light of eiperience. Economie
journal, juin, 1909, p. 197.
Conant : Monnaie et banques, trad. franc., Paris, Giard.
�— 76
une détresse telle qu’il soit obligé de se séparer de sa circulation moné
taire entière ou même de la moitié. Au contraire, toute influence qui
tend à restreindre la circulation tend à créer une condition qui rend
plus difficile toute réduction ultérieure. Le taux de l’intérêt des capi
taux est touché, les prix des marchandises importées sont influencés,
les importations diminuent et les exportations augmentent et infail
liblement sur le marché monétaire local d’aujourd’hui, l’équilibre est
rétabli, souvent avec quelque perturbation considérable mais néan
moins sans ébranler les piliers de la construction financière. 18
L ’auteur fournit à l’appui de ses dires l’expérience de l’Inde qui
en serait la vérification.
Ainsi loi de tendance pour Conant.
M. P o lie r19 souligne à ce propos le caractère spécial de l’expé
rience invoquée : dans un régime de Gold Exchange Standard, toutes
les opérations de la Caisse de conversion ont leur répercussion immé
diate et prévue sur le volume de la circulation monétaire intérieure.
Ce serait un cas particulier où la position de Ricardo serait exacte,
dans les applications modernes du Gold Exchange Standard.
Il faut encore signaler les recherches de l’Ecole Mathématique30
pour formuler les conditions de l’équilibre à l’époque moderne.
On en trouvera un exemple dans la formule suivante reproduite
par M. Byé dans son étude « Observations sur la méthode d’analyse
des courants d’échanges internationaux » : 21
« La condition nécessaire et suffisante pour qu’à tout moment
l’équilibre soit norm alem ent conservé dans la balance des comptes,
c’est que toute cause tendant à modifier l’équilibre de l’un des élé
ments dans un sens soit compensé par une cause tendant à modifier
l’équilibre des autres éléments de façon équivalente dans un autre.
On peut donc, en appelant Pe et Pi les prix d’exportation et d’im
portation, Er l’élasticité du solde commercial, Ri et Re le revenu des
capitaux importés et exportés, Ec l’élasticité du solde des capitaux,
Ei l’élasticité du solde des rémunérations reçues et versées pour des
emprunts antérieurs, écrire : 22
Pe
Ri
Re
—
Er = ----- Ec + ------ Ei. 23
Pr
Re
Ri
18 Conant : art. cité, p. 198.
19 Art. précité.
20 Kreps : Import and Export Prices in the U. S. and the Ternis of Interna
tional Trad, 1880-1914. Ouaterly Journal, 1926.
Boggs : The international Trade Balance in Theory and Fractice, New-York,
Marmillan, 1922.
21 Mélanges Truchv. 1 vol., Libr. du Rec. Sirey, 1938, p. 71.
22 Ib id .,
p.
77.
23 Cl. d’autres formules.
Ibid.,
p. 79.
�— 77 —
Il faut mentionner aussi l’exposé très lumineux donné récemment
par M. Jenny dans une étude remarquée : « Le Retour à l’Etalon
d’or ». 24
L ’auteur explique25 comment la liberté des mouvements de l’or
constitue la règle du jeu. « Pour que la stabilité soit assurée d’une
manière durable, il faut, en outre, que la direction de ces mouvements
d’or stabilisateur puisse être modifiée, lorsque la persistance de cou
rants défavorables menace d’appauvrir dangereusement les réserves
métalliques d’un pays, ce qui se produit lorsque le pays en question
souffre d’un déséquilibre chronique de la balance des comptes. Cette
modification ne peut résulter, cela va de soi, que de la disparition
dudit déséquilibre. Afin de l’obtenir, il est nécessaire de laisser les
sorties de métal se répercuter sur la quantité de monnaie en circula
tion, de renchérir en même temps le crédit par l’élévation du taux
de l’escompte et au besoin de le raréfier. Alors les prix intérieurs ten
dent à hausser, les importations se trouvent par là même réfrénées et
les exportations stimulées. »
Inversement, la persistance de courants favorables doit conduire
à une expansion de la circulation et du crédit, à la baisse du taux de
l’intérêt et à la hausse des prix, facteurs propres à favoriser les sorties
de capitaux et les entrées de marchandises et de rendre plus malaisées
les exportations. »
Tout l’exposé de l’auteur respire une confiance totale dans la
valeur complète du système automatique à condition de maintenir
une entière liberté à tous égards. 26
En résumé, à étudier, comme on vient de le faire, l’histoire de la
loi et les formules actuelles, on constate que la loi de Ricardo est loin
de rallier aujourd’hui l’unanimité des suffrages : la majorité des
auteurs la passe sous silence ou la trouve seulement d’ordre théori
que ; rares, nous l’avons vu, sont ceux qui l’acceptent encore.
IL V E R IF IC A T IO N C R ITIQ U E
La vérification critique ici peut être brève.
Il résulte, en effet, de la belle étude de M. Aftalion 2r que cet équi
libre automatique est loin de correspondre à la réalité.
21 Congrès International des Sciences Economiques, Paris, 1937. Travaux du
Congrès, T. I. L ’Etalon d’or et son avenir, p. 175.
25 Op. cit., p. 176.
26 Cf. une attitude identique de M. Jacques Rueff dans Défense et illustration
de l’étalon d’or. Travaux du Congrès, T. I, p. 286 et suiv. .
27 A. Aftalion : L ’Equilibre dans les Relations Economiques Internationales.
1 v o l., Paris, 1937. Ed. Domat-Montchrestien.
�Celui-ci, dans sa conclusion,23 résume ainsi le résultat de ses
recherches :
Sur l’examen critique des théories : « Mais, malgré ces mérites,
la confrontation avec les faits contemporains des théories de l’équi
libre automatique, oblige à les rejeter. Le vice capital de plusieurs
d’entre elles dérive des vices de la théorie quantitative29 de la mon
naie qui lui sert de fondement. Et le démenti que les faits leur infli
gent frappe en même temps la théorie quantitative sur laquelle elles
s’appuient. Le mécanisme imaginé par ces théories ne joue pas ou ne
conduit pas au résultat annoncé. »
Sur l’étude positive des faits : « Lorsque, après l’examen critique,
nous avons abordé l’étude positive de la question, nous avons exposé
que ce que le déséquilibre de la balance des comptes peut faire naî
tre spontanément, c'est un simple stimulant ou régulateur. »
On trouvera 30 de nombreux exemples — Etats-Unis après 1920.
Allemagne, 1933-1934, et France depuis 1927 — de manque total de
réadaptation ou de retour à l’équilibre.
M. Nogaro s’est livré lui aussi à des recherches sur cet équi
libre. 31
Il en résume les résultats dans un de ses récents ouvrages. 32
« Ainsi, en dépit de son allure syllogistique, la théorie ricardienne
de l’équilibre du commerce international repose sur toute une série
d’ « à peu près », résultat d’une série de substitutions. A ces notions
d’augmentation de la demande, qui repose sur un principe admis, on a
substitué celle d’augmentation de la vente, puis de la vente à l’étran
ger. A la notion de quantité de marchandises demandées, vendues,
exportées, on a ensuite substitué celle de la valeur des dites quantités.
On peut d’ailleurs faire des observations analogues en ce qui con
cerne l’action présumée des prix sur l'importation. Enfin, il convient
de retenir que l’augmentation vaut surtout pour l’équilibre de la
balance commerciale, qui n’est qu’un élément — le plus important
sans doute — de la balance des comptes. La théorie ricardienne de
l’équilibre du commerce international correspond donc à un enchaî
nement des faits qui n’est pas assuré, mais seulement possible, si un
ensemble de conditions favorables sont réunies. »
CONCLUSION
Il résulte de ces critiques pertinentes que cette loi ne saurait être
retenue comme loi scientifique valable de l’Economie politique.
28 Op. cit., p. 449.
20 Sur cette loi Cf. infra, p . ..
30 Ibid., p. 46 et suiv.
31 Nogaro : Le Rôle de la monnaie dans le commerce international et la théorie
quantitative. 1 v o l., Paris, 1904, p. 159.
32 Cours d’Economie Politique, II, Ed. Domat-Montchrestien, Paris, 1943, p. 375,
�C H A P IT R E III
I A LOS CES BALANCES DU COMMERCE ET DES COMPTES
1
On peut, comme point de départ, partir de la formule suivante
qui paraît résumer assez exactement la loi dont il s’agit :
A pays prêteur à l’étranger, balance du commerce défavorable ;
A pays emprunteur de l’étranger, balance du commerce favorable.
La balance des comptes serait l’inverse de la balance du com
merce dans les deux cas.
I. FORM ULES A C T U E L L E S 2
C’est F. Faure3 qui est l’auteur de la loi ; 1il l’exprime ainsi :
« Les pays riches, à capitaux abondants et faisant des placements
1 Bib. F. Faure : Le Mouvement international des Capitaux.
Rev. économ. intern., oct. 1911, p. 7.
Neymark. Rapport et discussion à la Société d’Economie Politique. Journ. des
E con., janv. 1912, p. 140.
D ’Eichtal : Mouvement des capitaux et des marchandises. Journ. des E con .,
février 1912, p. 292.
Lescure : L a puissance d’Epargne de la France et les placements à l'étranger.
Rev. polit, et parlera., 1912, février, p. 303.
2 I I n’y a pas lieu d’envisager ici l’histoire de la loi, parce que celle-ci date de
1912.
3 Communication à la Société d’Ec. Polit. J. des Econom ., janv. 1912. Des
rapports entre le mouvement international des capitaux et celui des marchandises.
d O n trouverait d’ailleurs les précurseurs à F. Faure.
P a r exemple, P. Leroy-Beaulieu (Traité théorique et pratique d’Economie P o
litique. 4 v o l., 3me édition, Paris, Guillaumin, 1900, T. I V , p. 186), exprime très nette
ment l’idée que « la plupart des vieux pays très avancés en civilisation et ayant une
ample richesse acquise, peuvent avoir d’une façon constante sans en souffrir, une
somme d’importations dépassant énormément la somme de leurs exportations ».
Il l’admet d’ailleurs avec des exceptions possibles : « Si le pays contracte actuelle
ment au dehors de gros emprunts, soit publics, soit privés », il pourra avoir momen
tanément un excédent des importations sur les exportations.
« A l’inverse tout vieux pays, débiteur de l’étranger, de tout pays neuf, s’étant ins
tallé et développé en partie avec des capitaux pris de l'étranger, doit avoir, naturelle
ment, un excédent des exportations sur les importations ». (Ibid., p. 189).
�80 —
à l’étranger, ont des exportations de marchandises plus faibles que
leurs importations. Il est facile de s’expliquer en effet que ces pays
peuvent acheter des produits à l’étranger, tandis que ceux qui sont
dans une situation opposée emploient une partie des excédents de
leurs exportations sur les importations à payer les intérêts des
emprunts qu'ils font à l’étranger ; mais est-ce là une loi économique ? »
Dans la communication précitée, et en vue de la vérification de la
loi, F. Faure montre en face de quelles difficultés on se trouve placé :
Pour le mouvement international des marchandises, il y a des sta
tistiques, mais celles-ci ne sont pas sans défauts : ce sont des statisti
ques fiscales ; les statistiques douanières ne sont pas comparables
entre elles dans les différents pays, enfin elles ne donnent pas exacte
ment les déplacements de numéraire provoqués par le mouvement
des marchandises.
Pour le mouvemént international des capitaux, il n’y a pas de
statistique d’ensemble, mais seulement des renseignements fragmen
taires, en particulier les émissions de valeurs mobilières.
Malgré ces réserves, l’auteur tente d’établir un rapport précis
entre les deux séries de faits.
La communication reçut à la Société d’Economie Politique un
accueil sympathique, mais réservé quant à l’exactitude absolue de la
formule. La Société, par l’organe de son Président, Paul LeroyBeaulieu, hésitait à prononcer le mot loi.
IL V E R IF IC A T IO N C R ITIQ U E
Pour plus de clarté, il sera possible d’envisager ici deux périodes :
a) la période d’avant 1914 ;
b ) la période postérieure à 1914.
a) Période antérieure à 1914
En suivant pour cette période les développements de F. Faure,
la loi semble vérifiée.
Première partie de la formule : A pays prêteur à l’étranger,
balance du commerce défavorable.
France. — Dans cette période, la France a effectué d’importants
placements à l’étranger. 5
Pendant le même temps, la balance du commerce demeure cons
tamment défavorable : — 1. 500 millions de francs en 1880 ; — 461 mil
lions de francs en 1909.
5
L ’importance de ces placements aurait passé de 15 à 25 milliards francs or
Germinal pour les années 1898 à 1908 à 25 à 34 milliards fl ancs or Germinal de 1908
à 1911.
�81 —
Angleterre. — On constate un rapport semblable.
Le montant des capitaux placés à l’étranger par l’Angleterre est
estimé de 75 à 80 milliards de francs Germinal. Dans le même
temps, la balance du commerce, devenue défavorable, évoluait de
— 2 milliards de francs Germinal en 1887 à — 5 milliards de francs
Germinal en 1907.
Allemagne. — La situation est la même pour les capitaux placés à
l'étranger par l’Allemagne, et sont évalués à 25 milliards de francs
Germinal.
Dans le même temps et surtout depuis 1888, la balance commer
ciale allemande est défavorable d’une manière constante, avec une
marche ascendante de l’excédent d’importations après 1904.
Belgique. — Ce pays présente aussi une balance des comptes
favorable en même temps qu’une balance du commerce défavorable :
l’excédent d’importations, qui était de 290 millions de francs en 1888,
passe à 924 millions de francs en 1907.
Ainsi et pour l’avant-guerre, la première partie de la formule
paraît vérifiée par les faits.
Deuxième partie de la formule : A pays emprunteur de l’étran
ger, balance du commerce favorable.
A prendre à l’inverse la liste pour cette période des grands pays
emprunteurs : Italie, Espagne, Russie, Etats-Unis, République Argen
tine, Brésil, on trouve que dans ces pays, à ces emprunts à l’étranger;
correspond une balance de commerce favorable.
Pour la Russie, par exemple,une dette totale en 1909 de 11. 743 mil
lions de roubles en capital et 371. 782.000 roubles comme intérêts
était à peu près également partagée en deux parties égales : une moitié
placée dans le pays même, l’autre moitié placée à l’étranger : c’était
donc une somme de l’ordre de 186 millions de roubles que la Russie
devait alors payer à l’étranger comme intérêts annuels. Dans les
10 ans (1880-1890), l’excédent annuel moyen des exportations sur les
imjKjrtations est de plus de 200 millions de roubles.
Les Etats-Unis présentent alors une situation semblable. Balance
des comptes défavorable avec une charge de 1. 600 millions de francs
à payer annuellement à l’étranger 6 et balance du commerce favora
ble : l’excédent moyen des importations sur les exportations est de
476 millions de dollars, soit environ 2. 400 millions de francs Germinal.
Un seul pays, d’après F. Faure toujours, présente une raison de
douter de l’exactitude de la formule étudiée.
6
On sait que dès cette époque, les Etats-Unis, débiteurs pour capitaux, deman
dent à l’étranger, commencent à devenir créanciers pour capitaux placés à l’étranger,
évalués alors (1911) à quelque 10 milliards de francs or Germindl.
6
�La Turquie a une dette à l’étranger considérable 7 et donc une
balance des comptes défavorable et elle présentait une balance de
commerce défavorable. 8 F. Faure y voyait une raison de douter.
D’Eichtal9 proposa une explication qui venait, au contraire, con
firmer la loi proposée : ce seraient, disait-il, les particuliers qui impor
tent et l’Etat qui emprunte. Celui-ci payerait l’intérêt de ses emprunts,
non par des excédents de marchandises, mais par des taxes prélevées
sur les particuliers.
L ’exception ne serait donc, pour d’Eichtal, qu’apparente : la loi
des échanges internationaux sur les balances ne comportant pour lui
aucune dérogation.
Ainsi et dans l’ensemble pour la période d’avant-guerre, la loi
proposée serait vérifiée.
b) Période d’après-guerre (1914-1918)
‘h U:
A l'inverse et pour cette période, la vérification de la loi paraît des
plus douteuses.
Première partie de la formule : A pays prêteur à l’étranger,
balance du commerce défavorable.
Si l’on reprend ici les pays pour lesquels la loi se vérifiait dans
l’avant-guerre : France, Angleterre, Allemagne, Belgique, on ne trouve
plus la même concordance. Ils sont passés pays emprunteurs et leur
balance du commerce est défavorable.
France : Pour les variations de la balance des comptes en
France, M. Aftalion 10 distingue 5 périodes :
1919-1920
1921-1924
1925-1931
1931-1933
1934-1935
:
:
:
:
:
balance des comptes largement défavorable ;
retour à l’équilibre :
balance favorable ;
faibles déficits ;
retour à l’équilibre et légers excédents.
Or, pendant ces années, la balance du commerce reste, on le sait,
constamment défavorable, sauf en 1927 : + 2 milliards de francs.
7 Le montant de la Dette totale de la Turquie était alors (1910) de 120 millions
de livres turques : on ignorait le montant exact de la part de cette Dette placée à
l’étranger, mais on savait qu’il était considérable.
8 Rev. financière universelle, 15 janv. 1912, p. 70.
9 Excédent d’importations 51.520.000 livres turques, soit 1.100 millions francsor Germinal pour les années 1897, 1898, 1899, 1900, 1901 et 1900, soit annuellement
180 à 200 millions francs.
*° Aftalion : op. cit., p. 204.
A
�Déficit de la balance du commerce :
1928
1929
1930
1931
:
:
:
:
2
8
10
12
milliards
milliards
milliards
milliards
de
de
de
de
francs
francs
francs
francs
;
;
;
;
1932 : 60 milliards de francs; 11
1937 : 488 millions de dollars ;
1938 : 266 millions de dollars. 12
Il en est de même pour l’Angleterre, l’Allemagne et la Belgique. 13
L ’Angleterre est, comme les autres belligérants de la guerre 19141918, largement débitrice des Etats-Unis pour les emprunts de guerre.
Elle est, par contre, créancière des autres alliés auxquels elle a con
senti de nombreux prêts pendant la même guerre. Au total, elle reste
pays prêteur de l’étranger.
Pour elle, se maintiennent les excédents d’importations.
Voici les chiffres toujours d’après les mêmes sources :
1929 : 1.858
1932 : 997
1937 : 1. 260
1938 : 1.122
millions
millions
millions
millions
de
de
de
de
dollars ;
dollars ;
dollars ;
dollars.
Pour YAllemagne,11 une balance commerciale favorable
1931 : +
3 milliards RM. ;
1932 : +
1 milliard RM. ;
1933 : + 688 millions RM.
coïncide bien pour quelques années avec une balance des comptes
défavorable.
Mais, à partir de 1934, celle-ci persiste et il y a un déficit de la
balance commerciale de 284 millions RM. en 1934. 15
Depuis lors, la politique d’autarcie allemande et l’absence des
documents rend bien difficile, disons tout à fait impossible, la
recherche.
Il faudrait, à la liste des Etats précédents, ajouter pour l’aprèsguerre les Etats-Unis, dont la situation se caractérise par une balance
des comptes favorable et une balance du commerce également favo
rable.
11 Aftalion : op. cit., p. 275, n° 1.
12 Société des Nations. Aperçu général du commerce mondial, 1938, tableau II,
p. 20.
13 Ibid., Société des Nations, même tableau.
14 Société des Nations. Ibid . , tableau II, p. 20.
A
15 Aftalion : op. cit., p. 53.
�— 84 —
Les excédents d’exportation sont pour les Etats-Unis :
1929 : 3. 818- millions de
1932 : 231 millions de
1937 : 170 millions de
1938 : 653 millions de
dollars
dollars
dollars
dollars.
;
;
;
16
Deuxième partie de la formule : A pays emprunteur de l’étranger,
balance du commerce défavorable.
Le renversement n’est pas aussi marqué ; certains pays : Italie,
Turquie, Espagne, restés débiteurs de l’étranger, semblent avoir con
servé là situation d’antan quant à leurs balances du commerce ; les
Etats-Unis, on l’a vu ci-dessus, ont leurs deux balances favorables ; le
Brésil a une balance du commerce favorable ainsi que l’Argentine. 17
En conclusion, le point d’iiiterrogation que l’auteur de la loi, F.
Faure, ajoutait à la formule demeure.
Il ne paraît pas possible, en l’état de ces vérifications critiques,
d’inscrire la loi de F Faure au nombre des lois valables et exactes de
l’Economie Politique.
16 Ibid. Société des Nations. Aperçu général du commercé mondial, 1938, ta
bleau II, p. 20.
17 Même tableau, Société des N at., op. cit., p. 20.
�C H A P IT R E IV
LA LOI DES ECHANGES
DANS LE COMMERCE INTERNATIONAL
1
C’est là une question des plus classiques.
On se contentera ici de rappeler brièvement une évolution bien
connue pour insister surtout sur les aspects actuels de la pensée con
temporaine à cet égard.
I. H IS T O IR E DE L A L O I
C’est avec Ricardo 2 que débute l’histoire de la loi.
Il affirme : « Dans un seul et même pays, les profits sont, en géné
ral, toujours au même niveau ou diffèrent seulement en ce que le
capital peut être consacré à un emploi plus ou moins sûr et agréa
ble. Il n’en est pas de même entre deux pays différents. »
Et plus loin, après de longs exemples sur l’exportation du vin de
Portugal en Angleterre, l’auteur établit que ce « n’est pas le coût res
pectif du même produit dans les deux pays, mais dans un même pays
le coût respectif des deux produits, celui qui est importé et celui qui
est exporté3 qui détermine le mouvement commercial. 4
Ricardo donne ensuite l’exemple célèbre des échanges entre Por
tugal et Angleterre :
Soit en Angleterre une unité de drap coûtant 100 heures de tra
vail et une unité de vin coûtant 120 heures de travail.
1 Bibl. : Gide et Rist : Histoire des Doctrines Economiques, 4me Edition, Paris,
Libr. du Rec. Sirey, 1932, p. 428 et suiv.
H. Denis : Le sens et la portée du principe des coûts comparés. Revue d’Ec.
P o l., 1940, p. 16.
Damalas : Essai sur l’évolution du Commerce international, Paris, Alcan, 1940.
2 Principes d’Economie Politique et de l’Impôt, chap. V II D u Commerce exté
rieur. Traduction française Constancio et Fonteyraud, Paris, 1847, p. 105.
2 Cf. J. Bastable : L a Théorie du commerce international. Traduction fran
çaise Sauvaire Jourdan et introduction, 1 v o l., Paris, Giard, 1900.
1 Cf. Nogaro : Le rôle de la monnaie dans le commerce international et la
théorie quantitative. Thèse Droit, Paris, 1904.
�Soit au Portugal une unité de drap coûtant 90 heures de travail
et une unité de vin coûtant 80 heures de travail.
L ’Angleterre, sans aucun doute, achètera du drap et du vin au
Portugal.
Mais le Portugal pourra aussi acheter du drap en Angleterre : en
effet, avec les 90 heures de travail employées à produire du drap et
consacrées désormais à produire du vin, il obtiendra 1,2 unité de vin
par exemple. Ce vin envoyé en Angleterre obtiendra par exemple
1,5 unité de drap. Ainsi le bénéfice pour le Portugal sera de 0,3 imité
de drap.
En résumé, chaque pays va se spécialiser dans la production pour
laquelle il est le plus avantagé ou le moins désavantagé ; il achètera au
contraire à l’étranger la marchandise pour laquelle il est le moins
avantagé ou le plus désavantagé. 5
C’est la loi des coûts comparés, comme on la baptisera plus tard.
On s’est demandé 8 s’il y avait bien là une loi économique : la
réponse affirmative à la question s’impose pour Ricardo, mais celuici n’envisage que le seul mouvement de marchandises à l’exclusion
des autres créances et dettes non commerciales entre pays. On peut
remarquer aussi que du point de vue des individus, c’est le prix et non
le coût comparé qui déclenchera les achats chez le consommateur.
Mais, sur ce dernier point, l’équilibre automatique de la balance des
comptes, autre théorie Ricardienne, fait tomber l’objection. 7
Ainsi et pour Ricardo, c’est bien le coût respectif des deux pro
duits (produit importé et produit exporté) qui est déterminant. 8
Stuart M ill,9 dans ses Principes,10 expose11 une autre formule ;
la voici :
« La loi que nous venons d’exposer peut être appelée exactement
l’Equation de la Demande Internationale (The Equation of Interna
tional Demand). Elle peut être établie en peu de mots de la façon
suivante : les produits d'un pays s’échangent contre les produits des
autres pays à la valeur qui est requise pour que la somme des expor-
6 Denis : art. cité, p. 29.
G Denis : art. cité, p. 29.
7 Cf. la discussion complète à cet égard, Denis, art. cité p. 30 et suiv.
8 On trouve la critique du théorème de Ricardo dans Nogaro, Le Rôle de la
Monnaié dans le Commerce international. Thèse Droit, Paris, 1904.
Par contre M. Mises (L a crise dans la division internationale du travail, pp. 288298, publiée dans le volume L a Crise Mondiale, Ed. de l’Institut des Hautes Etudes
internationalès, Zurich, 1938) admet que la théorie de Ricardo est pleinement valable.
9 1806-1873. •.
10 Principes d’Econoniie Politique, trad. Dussard et Courcelle-Seneuil, Paris,
Guillaumin, 1861, Liv. III, chap. X V III, § in fine.
11 II avait déjà esquissé le sujet dans ses « Essais sur quelques questions non
résolues d’Economie Politique ».
�tâtions de ce pays puisse payer exactement la somme de ses importa
tions. Cette loi des valeurs internationales n’est que l’extension de la
loi plus générale de la Valeur que nous avons nommée l’équation de
l’offre et de la demande. » 12
Ainsi donc, pour St Mill, l’échange international a lieu à la valeur
requise pour que la somme des exportations d’un pays paye exacte
ment la somme de ses importations.
C’est ce qu’il appelle « la loi des valeurs internationales ».
Cairnes 13 critique 14 la théorie de ses devanciers en disant qu’à
certains égards elle n’est pas irréprochable et y substitue sa théorie
personnelle.
Il revient cependant à admettre que c’est la différence des prix
absolus qui est la raison dernière de l’échange international.
Sa thèse peut se résumer dans ce texte : « Pour que le commerce
existe entre deux pays, la condition nécessaire et suffisante est une
différence dans ces deux pays dans le coût de production des deux
marchandises faisant l’objet de ce commerce. 15
Bastable,16 à son tour, modifie une fois de plus la loi en question.
Il insiste surtout sur deux conditions de ce commerce internatio
nal : une condition positive qui est la circulation libre de toute entrave
et soustraite à toute résistance, à la fois du travail et du capital dans
les limites d’un territoire ; une condition négative qui est l’immobilisa
tion dans certaines limites du travail et du capital, c’est-à-dire l’ab
sence de toute circulation de leur part entre ce territoire et tout
autre. 17
II. FORM ULES A C T U E L L E S 18
M. DamalasI!> semble abandonner la loi classique ; il écrit :
« L ’analyse précédente a démontré que le principe des coûts com
parés représente une proposition de relation, une proposition apparte12 Ailleurs (Principes, Liv. 111, chap. V III, S 3) il dit aussi nettement : « En
tout pays la valeur d’une marchandise étrangère dépend de la quantité des produits
indigènes contre laquelle elle a été échangée ».
13 1824-1875.
11 Some leading principles o£ poütical économe newly expounded, L. III, ch. II
§ 1, p. 282, Londres, Macmillan, 1874.
15 Op. cit., p. 471.
18 Professeur à 1Université de Dublin.
17 The theory of international trade with some of its applications to économie
policy, 2me é d ., Londres, Lcngmans, 1888.
18 Bibl. De Leener : Théorie et politique du commerce international, Bruxel
les, Lamertin, 1933.
19 Op. cit., p. 228.
�—
88
—
nant aux lois formelles de la pensée, équivalent dans tous les cas et
valable d'une façon permanente. Cependant il ne faudrait pas sup
poser que la permanence du principe des coûts comparés nous auto
rise à lui donner un contenu quelconque et d’effectuer le calcul éco
nomique en unités représentant une matière fantaisiste.
M. Oulès 20 se montre aussi très sceptique sur la démonstration
à son sens non encore faite de la même loi.
M. de Leener marque un retour aux théories classiques : il
dénomme la loi « loi des coûts comparés ».
Il souligne l’idée d’une inégalité dans les coûts de produits com
pensée par une inégalité dans les niveaux de v ie...
Le passage suivant de ses conclusions fixera exactement sa posi
tion r
« On ne peut contester que l’analyse des lois du gain du commerce
international est extrêmement subtile. Certains de ses postulats ont
été critiqués, mais aux lois classiques que nous avons exposées, d’au
tres lois n’ont pas été opposées. Aussi doit-on continuer à les tenir
pour vraies en dépit des contestations partielles dont elles ont été
l’objet... » 21 ce Les mêmes théories classiques ont permis de mesurer
ces effets dans la simplicité d’un petit nombre d’hypothèses fondées
sur les réalités du monde économique. » 22
Mais c’est une théorie complétée et corrigée, encore que conforme
aux principes classiques, qu’il défend.
Il rétablit alors des modifications importantes dans le cas de pro
duction obéissant à la loi du rendement moins que proportionnel et de
production soumise à la loi du rendement plus que proportionnel. » 2S
D’autres auteurs à l’époque moderne, Gottfried von Haberler24 et
M. Henri Denis2S ont essayé de reconstruire la théorie des coûts
comparés, mais à partir du coût de substitution.
Voici cette notion : « Deux marchandises A et B sont produites
dans un pays. Si l’on produit une unité de moins de A, des facteurs
de production seront rendus libres. Supposons qu'on les utilise à la
production de.la marchandise B. La quantité de B produite augmen
tera d’un nombre d'unités X. On peut dire que le coût de substitu
tion d'une unité de A est X unités de B ou inversement. » 26
20 Le problème du commerce international, 1 v o l., Paris, p. 35.
21 D e Leener, op. cit., p. 77.
22 Ibid., p. 78.
23 Ib . , p. 69 et suiv.
24 Der Internationale Handel, trad. anglaise, International Trade.
25 L e sens et la portée du principe des coûts comparés. Rev. d’Ec. P o l., 1940.
p. 43 et suiv.
28 Ibid., p. 43.
�89
Dès lors, « le coût de substitution d’une marchandise dans un
pays, par rapport à une autre marchandise, adoptée comme type,
exprime donc les avantages naturels dont jouit le pays considéré dans
la production de cette marchandise par rapport aux avantages natu
rels dont il jouit pour la marchandise type. » 37
On aboutit ainsi à une formule qui tient compte des éléments cidessus négligés, mais à une formule qui ne donne les avantages qu’à
un moment donné : « Toute modification dans les mouvements des
marchandises entre les deux pays modifie les avantages compara
tifs. »
La nouvelle formule perd donc ainsi toute portée pratique ; elle
conserve, affirment ses auteurs, une valeur scientifique, comme moyen
de compréhension et comme moyen d’exposition.
La tendance moderne la plus répandue est de bâtir une théorie
beaucoup plus complexe du commerce international. De très nom
breux facteurs, par exemple les forces productives de la nature, les
progrès de la technique, le perfectionnement des moyens de trans
ports, les degrés d’industrialisation, le besoin de matières premières,
les différenciations régionales à l’intérieur d’un pays, etc., en seraient
la cause.
De plus en plus aujourd’hui la loi des valeurs internationales appa
raît comme un jeu de l’esprit correspondant de très loin à la réalité
des faits.
III. V E R IF IC A T IO N C R ITIQ U E
En présence de la variation successive des formules des divers
auteurs, on èst singulièrement embarrassé lorsqu’il s’agit de la véri
fication critique.
Peut-être trouvera-t-on une part de vérité dans chaque formule
en se reportant aux faits contemporains. Ce serait un long et difficile
travail dont la peine ne vaudrait pas le résultat obtenu.
Une deuxième difficulté résulte du fait suivant : libre-échangistes
et protectionnistes ont tiré à eux, selon qu’elle leur paraissait favo
rable à leur théorie, telle ou telle des formules précédentes :
Ainsi la thèse de Ricardo a été utilisée par les libre-échangistes de
son époque ;
La thèse de St. Mill a été utilisée par les protectionnistes qui
déclarent : S’il est vrai que les avantages du commerce international
sont déterminés par la loi de l’offre et de la demande, chaque pays, en
développant la demande de ses produits par le bon marché du prix,
pourra se servir avec profit de la prétendue loi. St. Mill a d’ailleurs
27 Ibid.,
28 Ibid.,
A
p.
45.
p.
49.
�- 90
résisté aux affirmations de List sur la protection éducative : « Les
droits sur l’importation, lorsqu’ils ont pour but d’encourager quelque
membre de l’industrie nationale, sont simplement malfaisants. Ils
empêchent une économie de travail et de capitaux qui, si on avait
permis qu’elle se réalisât, serait partagée dans une proportion quelcon
que entre le pays qui importe et le pays qui achète ses produits. » 25
Enfin, troisième difficulté — et celle-là je la crois décisive — la
vérification à tout prendre — surtout si l’on s’en dent à la dernière
formule étudiée (formule de Haberler et-Henri Denis) — est irréali
sable.
Il s’agit, on l’a vu, de vérifier des avantages naturels. 30
Pour toutes ces raisons, .il ne semble pas que la loi des valeurs
internationales soit à conserver au nombre des lois économiques
valables : elle est plutôt une longue suite de recherches qui n’a pas
encore abouti à une formule acceptable.
29 Principes. Liv. V, chap. 4, § (i.
20 O n trouverait encore d’autres formules touchant le commerce extérieur, en
particulier la formule d’un économiste italien, A. de Stéfani.
Celui-ci, dans une brochure Contributo alla revisione di un preguidizio, Florence,
1935, parle d’une « loi de décroissance de l’utilité du commerce extérieur » ijp. 9).
Cette loi résulterait de la diffusion des techniques et de la tendance à l’établissement
d’un coût standard mondial pour un grand nombre de produits. Il admet d’ailleurs
que cette loi n’est pas à ce point universelle ou intense au point que les échanges
ne présentent plus dès aujourdhui d’intérêt. M. F. Perroux, dans sa brochure A u
tarcie et Expansion, Empire ou Empires (Paris, Librairie de Médicis, 1940) n’y attache
pas une grande importance. L a loi ne semble pas avoir» été accueillie avec grand
succès : elle paraît plutôt un argument un peu tendancieux pour justifier l’autarcie.
Il nous a paru utile toutefois de la signaler.
�C H A P IT R E V
LA LOI DE CONCENTRATION DES FRETS
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I
Il s’agit ici d’une formule où le mot concentration prend un sens
très réel et très objectif ; il signifie groupement.
C’est Paul de Rousiers,1 dans une étude d’avant-guerre,2 qui la
formule en ces termes :
« A notre époque de puissants navires, le fre t3 tend à se grouper
dans les grands carrefours maritimes qui lui assurent des départs fré
quents et réguliers pour des destinations diverses. Et le navire se
dirige volontiers vers un port où ses chances de chargement augmen
tent en raison des marchandises qui y affluent.
« Toutes choses égales d’ailleurs, un port exerce sur le fret et sur
le navire une attraction proportionnelle au tonnage des marchandises
qu’il reçoit et qu’il expédie. » 4
A vrai dire et a priori, cette formule paraît d’une simplicité limpide
et d’une évidence certaine.
Cependant on peut, me semble-t-il, formuler à son sujet les deux
remarques suivantes qui sont de nature à la faire écarter comme loi
économique :
a)
D’abord et d’un point de vue pratique, il semble, à regarder de
près la réalité, que ce groupement des frets en un même point —- celui
qui a le plus de facilités de transport — est entravé dans la réalité
par deux séries de circonstances :
D’un côté, l’existence des tramps par opposition aux liners qui,
comme on sait, peuvent trouver n’importe où un chargement complet
et constituent par là un élément gravement perturbateur du groupe
ment affirmé.
1 Economiste français.
*
2 P. de Rousiers : Les Grands Ports de France. 1 v o l., Paris, Colin, 1909.
3 O n peut définir le fret avec M. le Doyen Georges Ripert (Droit maritime,
2 vol., 1914, Paris, Rousseau, T. II, p. 175) « le prix de transpqrt des marchandises
par mer ».
4 Op. cit., p. 247.
�— 92 —
De l’autre, la dure concurrence, en particulier dans la période
d’après-guerre, ainsi que les ententes et coalitions qui y remédient,
ont de même un effet à ce point perturbateur par rapport au groupe
ment considéré ou à la concentration des frets, qu’il est permis de se
demander si celle-ci existe encore.
Donc des contingences pratiques qui entravent constamment
l’application de la formule.
M. André Siegfried 5 montre, à propos des courants commerciaux
méditerranéens, la complexité de la question des frets « qui relèvent
moins de la géographie physique et de la distance que d’un équilibre
profond des échanges complémentaires, dans lequel le courant aller
crée par une sorte de nécessité le courant retour. »
b)
Ensuite, et d’un point de vue théorique, il est permis de se
demander, à analyser de très près la formule de de Rousiers, si elle
ne revient pas à une application de la formule de la loi de l’offre et de
la demande, pour constater une fois de plus que l’offre attire la
demande et réciproquement la demande attire l’offre. 11 n’y aurait
donc tout au plus qu’un cas particulier de la loi de l’offre et de la
demande.
Pour ces diverses considérations, la loi ne me paraît pas devoir
être retenue comme loi valable de l’économie politique.
5
Vue générale de la Méditerranée. 1 vol., Paris, Galimard, 1943, p. 158. L ’au
teur écrit : « L ’importance des taux des frets dans la détermination des courants
économiques est plus grande encore. Ce taux ne s’établit pas comme celui des tarifs
de chemins de fer. Il est conditionné, soit par l’existence< de courants de marchan
dises fortement et naturellement articulés, soit par la possibilité de trouver sûrement
. un fret de retour ».
�C H A P IT R E VI
LOI DE L ’INFLUENCE SUR LES MARIAGES
DU MOUVEMENT COMMERCIAL ET DE LA CONJONCTURE
Cette loi ou peut-être seulement cette régularité est une curieuse
constatation moderne.
C’est M. Bovvley 1 qui semble en être l’inventeur. Il compare les
courbes qui traduisent le mouvement du commerce extérieur, c’est-àdire le montant des importations et des exportations par tête dans un
même pays et la moyenne des mariages annuels dans chaque pays et
souligne : « Quand les exportations et les importations augmentent
de valeur, le commerce est stimulé ; et malgré la hausse des prix, les
personnes en âge de se marier espèrent avec confiance que la prospé
rité durera et que les prix baisseront. Mais, quand les prix baissent, les
profits et revenus baissent aussi et les gens en âge de se marier sont
plus prudents. »
A l'inverse, mais cela marque bien la liaison entre les deux faits,
un économiste allemand, M. Wagemann,2 dans une étude sur le
rythme des affaires en Allemagne de 1825 à 1913, affirme : « La série
des données les plus importantes, pour l'étude du mouvement d’en
semble de l’économie allemande, qui nous soient accessibles, est
fournie par la statistique des mariages... Elle semble refléter assez
bien les variations du revenu réel, car la possibilité de contracter des
mariages est en rapport avec le bien-être de la population. »
Enfin, M. Halbwachs, dans son étude « La loi en sociologie » , 3
souscrit avec quelque réserve (« il serait bien impossible de formuler
une première réserve à cet égard dans chaque cas individuel » ) à la
formule de Bowley et de Wagemann : « On a constaté, dit-il, que dans
1 Bowley : Eléments of Statistics, 2'1I1(! édition, 1902, p. 175.
2 W agem ann : Introduction à la théorie du mouvement des affaires.
velle Bibliothèque économique, Paris, Alcan. 1932, p. 40.
Nou
3 Halbwachs : L a loi en sociologie dans Science et Loi, Cinquième semaine in
ternationale de synthèse, 1 vol., Paris, Alcan, 1934, p. 176.
�— 94 —
un même pays, cette moyenne (la moyenne des mariages) varie en
même temps que le mouvement du commerce extérieur, c’est-à-dire
en même temps que le montant des importations et des exportations
par tête dans le même pays. » Le rapport constaté entre les deux
variables conduit ici à reconnaître l’existence d’une tendance col
lective au mariage.
Il semble y avoir quelque part de vérité dans cette nouvelle for
mule. Peut-être faudrait-il trouver surtout la loi dans la relation
entre les variations de la conjoncture et les variations du nombre
moyen des mariages.
A
�C H A P IT R E V II
LA LOI DE GRESHAM
On étudiera ici :
I.
H istoire
de la lo i
;
II. F ormules actuelles ;
III. E xamen critique .
I. H ISTO IR E DE L A L O I 1
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La loi dite loi de Gresham est, comme on sait, l’aboutissant d’une
longue tradition monétaire qu’il importe tout d’abord de retracer au
moins dans ses grandes lignes.
Cette tradition remonte à Aristophane.
C ’est dans la bouche d’un de ses personnages de la comédie
« Les Grenouilles » qu’Aritophane met la tirade suivante :
« Nous avons souvent remarqué que dans cette ville (Athènes) on
en use à l’égard des honnêtes gens comme à l’égard de l’ancienne
monnaie. Celle-ci est sans alliage, la meilleure de toutes, la seule bien
frappée, la seule qui ait cours chez les Grecs et chez les Barbares,
mais, au lieu d’en user, nous préférons de méchantes pièces nouvelle
ment frappées et de mauvais aloi.
« Il en est de même des citoyens : ceux que nous savons être bien
nés, modestes, justes, probes, habiles aux exercices de la palestre, à la
danse, à la musique, nous les outrageons ; tandis que nous trouvons
bons à tout des infâmes, des étrangers, des esclaves, des vauriens de
mauvaise famille, des nouveaux venus, dont autrefois la ville n’eût pas
même voulu pour victimes expiatoires. » 2
1 Bib. Giffen. Gresham ’s law. Economie Journal, I, p. 304. Laurent Henri : La
loi de Gresham au Moyen Age. 1 v o l., Bruxelles, 1933. Editions de la Revue de
PlJniversité de Bruxelles.
R. Gonnard : Histoire des Doctrines monétaires, T. I, Libr. du Rec. Sirey,
Paris, 1935.
•
»
2 Aristophane : Les Grenouilles, V, p. 718 et suiv., traduction d’Artaud.
�%
—
Ainsi une comparaison littéraire, rapprochant les habitudes des
démocraties des habitudes du public en matière de monnaie.
Il n'en reste pas moins que l'auteur comique décrit exactement
le fait de la mauvaise monnaie préférée à la bonne monnaie : pour lui,
la première est la monnaie « nouvellement frappée » de mauvais
aloi ; la seconde est « l’ancienne monnaie, sans alliage », etc.
Des textes attribués à Nicole Oresme font de celui-ci un conti
nuateur de la tradition monétaire que nous cherchons à retracer. “
Le premier est extrait du Traité de la première invention des mon
naies : 4
« L ’or et l'argent disparaissent du royaume et, malgré toutes les
précautions prises, gagnent les pays où l’on en donne un plus haut
prix. Car les hommes s’efforcent naturellement de porter leurs mon
naies aux lieux où ils savent qu’elles auront le plus haut cours. » 5
Al. Bridrey estime qu’il s’agit ici des métaux précieux et non pas
seulement de la monnaie : ces métaux vont à l’étranger parce qu’on
en donne un plus haut prix.
Mac Leod donnait un long commentaire de ce texte qu’il attri
buait à Oresme.
Un second texte longtemps attribué à Oresme est tiré du « Prolo
gue du Translateur » :
« Il est à doubter de plusieurs inconvénients moult dommaigeables comme des matières, à savoir or et argent, être transportez en
pais voisins, là où le cours est plus hault et par ce diminuer le royaume
au préjudice du premier et de ses subjects. Par laquelle évacuation de
matières, les marchans souffriroient détriment en leurs marchandises
et denrées et n’auraient cours audit royaume ainsi évacué de pécune.
Ht encore qui est pire chose, les changeurs et banquiers qui savent
où l’or a cours plus hault pris, chacun en sa figure, ilz par secrètes
cautelles en diminuent le pays et l’envoient ou vendent dehors aux
marchans, en recevant diceulx autres pièces d’or, mixtes et de bas
aloy, desquels ils emplissent le pays. » 6
3 Bibl. E. Bridrey : L a Théorie de la Monnaie an X IV lac siècle. Nicole Oresme.
Thèse, Caen, 1906.
H. Dnnning Mae Leod : La loi de Gresham et ses rapports avec le Bimétallisme.
Rev. d’E. P . , 1897, p. 201.
4 Ed. AVolowski c. 20, p. 123. Rursum aurum et argentum propter taies mutationès minorantur in regno, quia non obstante custodia, deferuntur ad extra, ubi carius allocantur. Hommes enim eonantur suam monetam portare ad loca, ubi credunt eam ni agis valere.
J Art. cité, p. 201.
.
A
11 Le Prologue du Translateur, p. III, 1366.
�M. Bridrey voulait voir dans ce texte, qu'il affirme n’être pas
d’Oresme, une véritable expression de la loi dite de Gresliam. 7
En résumé, un texte du xiv™6 siècle très probant, mais qui ne peut
être en toute sécurité attribué à Nicole Oresme. 8
Nicolas Copernic, 9 dont les œuvres ont été, à l’époque moderne,
longuement étudiées, s’explique à deux reprises sur la tradition moné
taire existante : 10
Dans son traité de Estimatione Monetæ (1519), il parle de la circu
lation de la bonne et de la mauvaise monnaie et écrit : « Là où on
désire introduire une nouvelle monnaie, il importe de retirer de la
circulation les anciennes espèces et d’échanger à la Monnaie les
anciennes espèces qu’on y apporte contre les nouvelles, niais cela non
pas sur la base de l’estimation antérieure de la mauvaise monnaie,
mais au prorata de l’argent qu’elles contiennent. Là où il ne sera pas
procédé de la sorte, l’ancienne monnaie gâtera l’estimation de la
nouvelle. » 11
Quelques années plus tard, il généralise sa théorie :
Dans une deuxième édition de son De Estimatione Monetæ, il
écrit : « Par conséquent, il vaudra toujours mieux prohiber la circu
lation de l’ancienne monnaie du moment que la nouvelle aura été
introduite. Chacun sans se plaindre doit consentir à subir, une fois
pour toutes, la petite perte qui en résultera, si on peut appeler perte
quelque chose qui est appelé à procurer de grands profits, et d’où
résultera de la stabilité dans la faculté d’usage, alors que, d’autre part,
il en découlera pour la République un accroissement de richesses. » 12
7 Une solution moderne est en faveur d’un texte d’Oresme mais interpolé. Cf.
H. Laurent : Les traductions françaises du Traité des Monnaies d’Oresme dans les
Pays-Bas Bourguignons. Revue d’histoire économique et sociale, 1933, u° 1, p. 13..
Dans le même sens Baudin : L a Monnaie et les Prix, T. I, p. 224, n° 1. 1 vol., Paris.
Libr. du Rec. Sirey, 1936. Gonnard, op. cit., T. 1, p. 112.
8 Quelques années plus tard l’Université de Paris se plaint en corps au roi C har
les V I de ce que « la bonne monnaie était expulsée, grâce aux étrangers et aux
Lom bards qui cueillaient tout le bon or et qui faisaient paiement de mauvaise mon
naie », cité par J. Rambaud. Histoire des Doctrines Economiques. 1 v o l., Paris,
2mo édition. Libr. du Rec. Sirey, p. 69.
- 9 1473-1542.
10 Cf. Jan Dmochowski : Copernic économiste. Revue d’Econ. Politique,
1895, p. 101. On trouvera p. 102 et suiv. une bonne bibliographie.
11 Voici le texte latin : Quotiens ergo nova fieri debet, opéré pretium est antique
usum interdicere omnino, et eam inferebles in argentariam ofiicicinam recipiant
novam, qua argenti quantasque in antiqua est, admodum compensetur. Quod si neglectum fuerit inficiat antiqua nove monete dignitatem.
12 Voici le texte latin : « Ilaque melius semper erit veterem monetam in reparatione recentis penitus abolere. Oportebit enim tantillum damnum, semel equanimiter
pati, si modo damnum dici » possit, unde uberior fructus et utilitas magis constans
nascitur ac respublica incrementum sumit.
7
�98
Ainsi se rencontre très nettement chez Copernic une nouvelle
affirmation de la loi dite loi de Gresham.
Sir Thomas Gresham 13 n'a fait au fond que retrouver et mettre
en forme plus nette la tradition monétaire ci-dessus retracée.
La situation monétaire qu’il cherche à expliquer était la suivante :
la circulation était encombrée de quantités très abondantes de pièces
altérées et dépréciées, alors que lés bonnes pièces disparaissaient. “
L’altération des monnaies vient compliquer la situation. 15
C’est dans une brochure intitulée « Information concernant la
chute du change », adressée à la reine Elisabeth, que Gresham
s’explique :
« Money of less value drives out money of more value ». Ce qui
peut se traduire : la monnaie de moindre valeur chasse la monnaie
de valeur supérieure. 16
A la suite de cet avis, Gresham provoqua la proclamation du 15
septembre 1560 par laquelle la reine Elisabeth ramenait la valeur
légale des espèces altérées frappées sous Henri V III à leur valeur en
métal fin.
Ainsi, à la formule près qui est mieux frappée, c’est la constata
tion maintes fois faite antérieurement que Gresham donne une fois
de plus.
Un mercantiliste français, Henri Poullain, dans un écrit de 1608,17
affirme expressément : « Les mauvaises espèces étouffent et chas
sent les bonnes parce que, dans l’Etat, elles tiennent bien et servent
autant que les bonnes. » 18
On retrouve encore la formule de la loi de Gresham dans un
pamphlet de 1696 : 19
13 1519-1579.
14 On infligeait des peines sévères (mutilation et mort) à ceux qui exportaient
ces bonnes pièces.
15 Sous Edouard I er, roi d’Angleterre, on frappa d'abord avec une livre d’argent
243 pièces de 1 penny, bientôt après avec le même poids d'argent, 744 pièces de
1 penny.
16 Information touching the fall of exchainge, 1558, réimprimé par les soins de
E. de Laveleye dans les Yahrbucher fur Nat. <Ek. de Hildebrand, 1882, vol. IV,
p p . 117-119.
Il y aurait eu un précédent immédiat dans un dialogue de John Haies écrit en
1549. Cf. Cossa. Histoire des Doctrines E con ., 1 vol., Paris, Giard, 1899, p. 191.
17 Sur Poullain. Cf. Harsin : Les Doctrines monétaires et financières de la
France du XVI™e au X V I H™e siècle, Paris, 1928.
18 Gonnard : op. cit., p. 204.
19 Replv to the Defence of the Bank setting forth the, un reasonableness of their
slow payments. Londres, 1696. Cité par Mac Leod. Bimétallisme, p. 20. Art. Rev.
d’E. P . , 1897, p. 205. .
�99 —
« Lorsque deux sortes de pièces de monnaie sont en circulation
dans le même pays de la même valeur par dénomination mais non
intrinsèquement, c’est-à-dire comme prix marchand, celles qui ont
la moindre valeur resteront dans la circulation et les autres seront
autant que possible retirées. » 20
Il faut attendre jusqu’au xixme siècle pour trouver avec Mac
Leod."1 l’auteur de la dénomination Loi de Gresham.
Mac Leod donna cette appellation dans un article de son Diction
naire d’Economie Politique.
Après avoir rappelé les circonstances dans lesquelles Sir Thomas
Gresham présenta à la reine son explication de la disparition de la
bonne monnaie, il ajouta : « Ainsi, il semble avoir été le premier à
déclarer que la sortie de la monnaie de base était la cause de la dispa
rition de l’or. Ainsi, nous pouvons avec raison appeler cette affirma
tion la loi de Gresham de la circulation. » 22
Dans un article ultérieur,23 Mac Leod reprend la question.
11 propose cette formule de la loi :
« La plus mauvaise forme de monnaie en circulation règle la
valeur de la monnaie tout entière et rejette tout autre espèce de mon
naie hors de la circulation. » 24
Il expose ensuite les cas d’application de la loi : cas de monnaie
d’un seul métal, cas de monnaies de deux métaux, monnaie métalli
que et papier-monnaie.
Il présente encore l’explication de la loi -t motif psychologique —
et son fonctionnement (thésaurisation, exportation, usages indus
triels).
Il affirme enfin l'universalité de la loi de Gresham : « Cette loi
n’est pas limitée aux pays considérés isolés ; elle n’est pas limitée
dans le temps, ou dans l’espace, elle est absolument universelle. » 23
Ainsi une dénomination nouvelle, tel est exactement l’apport de
Mac Leod.
A côté de Mac Leod et peu de temps après lui, un autre écono
miste anglais, Mac Culloch, 2S se prononce dans le même sens.
20 W h em two sorts of coins are current in the same nation of like value by déno
mination but not intrinsically, that what has the least value will be current and
the other as much as possible well be hoarded.
21 Mac Leod, économiste anglais.
22 Dictionary of Political Economy. 1 v o l., Londres, 1857, p. 464, § 123, cité par
Laveleye dans les Conrad Yahrbucher, 1882, T. IV, p. 116.
23 Mac Leod : L a loi de Gresham dans ses rapports avec le Bimétallisme. Rev.
d’E. P . . 1897, p. 201.
24 Ib id ., p. 205.
A
25 Ibid. , p. 206.
26 Mac Culloch, économiste anglais.
�Il estime que c’est bien Gresham « qui a eu le grand mérite
autant que nous pouvons le découvrir, d’avoir été le premier à décou
vrir la grande et fondamentale loi de la circulation à savoir que la
bonne et la mauvaise monnaie ne pouvaient circuler ensemble. » Il
précise qu’on avait, avant Gresham, constaté le fait, mais ce fut
Gresham qui établit « qu’un fait était la cause de l’autre : la fuite de
la bonne monnaie tenait à l’altération de la monnaie par
Henri V III. 27
Enfin, Macaulay, 28 dans son Histoire d’Angleterre, affirme aussi
que l’on peut appeler la loi loi de Gresham. 29
Telle est dans ses aspects successifs l’histoire de la loi de
Gresham.
Ainsi une longue tradition monétaire, dont Gresham n’est à tout
prendre qu’un moment et une appellation peut-être scientifiquement
suggérée mais tardivement par Mac Leod : tel est, brièvement
résumé, le résultat des investigations sur l’histoire de notre loi.
II. FORM ULES AC TU E LLES
Après l’étude de l’histoire de la loi, il faut maintenant rechercher
quelles sont les formules actuelles30 qui en sont données.
Trois idées directrices apparaissent dans cette évolution contem
poraine :
On cherche à préciser encore la formule ;
On approfondit les conditions et le mécanisme de la loi ;
D’autres enfin insistent sur le caractère contingent de la loi en
lui adressant des critiques.
Mais si telles sont les idées générales qui éclairent les recherches
qui vont suivre, il faut rendre à chacun le sien et examiner successi
vement, dans l’ordre chronologique, les positions prises par les éco
nomistes contemporains sur la loi de Gresham.
On peut prendre comme point de départ de cette nouvelle recher
che la formule de Seligm ann31 dans ses Principes : 33
« Autant que la mauvaise monnaie a valeur légale concuremment avec la bonne, les individus peuvent faire des bénéfices en fon27 The éléments of political economy. Londres, Longmans, 1858. Op. cit., p. 476.
28 Macaulay, 1737-1806.
29 Macaulay : History of England, T. IV , chap. 21.
30 II reste entendu que ce mot actuel est pris au sens large et couvre les années
passées du XX"116 siècle (1900-1939) en remontant à Toccasion un peu en arrière.
31 Selig'""'nn économiste américain.
32 Principles of Economies, 1906.
�101 —
dant ou en exportant cette dernière et en se libérant avec la pre
mière. » 33
A rnauné, 31 dans le Dictionnaire d’Economie Politique, résume
ainsi sa position :
« Lorsque la loi attribue à deux monnaies de valeur inégale une
force libératoire égale, la monnaie légalement dépréciée est exportée,
la monnaie légalement surévaluée reste seule dans la circulation. » 35
L ’auteur ajoute aussitôt : « La loi de Gresham n’a pas la rigueur
absolue d’une loi physique ou chimique. Deux monnaies d’inégale
valeur peuvent coexister pour un temps dans la circulation, bien que
la loi leur assigne un pouvoir d’achat équivalent. »
11 indique enfin la condition pour que la bonne monnaie s’écoule
à l’extérieur : « Il faut que le commerce ait intérêt à l’exporter pour
faire un paiement, le papier à ce moment étant plus cher. »
Robert Giffen, dans un important article de l’Economie Journal,36
constate le point de vue souvent mis en avant que l’exportation est
une partie fondamentale de la loi.
Il affirme que Gresham a formulé sa loi dans le cas de monnaies
de même métal et n’a pas fait allusion aux deux autres cas, bimétal
lisme et circulation papier-monnaie et monnaie métallique. Dans ces
deux derniers cas, la loi peut ne pas jouer.
Il analyse les cas où elle joue et montre que même alors l’expor
tation n’a pas toujours lieu.
Paul Leroy-Beaulieu, dans son Traité,37 après avoir rappelé les
formules ci-dessus rapportées de Gresham et d’Aristophane, ajoute :
« Pour être formulée d’une façon plus scientifique et plus technique,
la loi de Gresham n’est pas plus nette ni plus décisive que cette
réflexion d’Aristophane. Cette loi a été constamment vérifiée. » 38
De Fomlle, dans son petit volume La Monnaie,39 adopte une
formule et une position sensiblement analogues aux précédentes.
Il donne la formule suivante :
« Lorsque, dans un pays, deux monnaies différentes peuvent léga
lement servir à payer ce qu’on doit, s’il en est une qui par elle-même
33 Op. cit., p. 467.
34 1865-1926.
35 Dictionnaire d’Ec. Politique de J. Chailley, Paris, Guillaumin, 1906, V ° Mon
naie, T. II, p. 306.
Robert Giffen, économiste anglais.
36 R. Giffen : The Gresham law Econ. Journal, 1891, T. I, p. 304.
37 Traité théorique et pratique d’Economie Politique. 4 vol., 3mo édition, Paris,
Guillaumin, 1900, T. III, p. 262.
38 Dans le passage suivant (p. 263), l’auteur y voit une application de la loi du
moindre effort.
*
39 L a Monnaie. 1 v o l., Paris, Lecoffre, 1907.
�mérite d’être préférée à l’autre, on la verra tôt ou tard disparaître
soit qu’on l’exporte, soit qu’on la cache, soit qu’on la refonde et l’autre
circulera seule. » 40
Colson, dans
analogue. 41
son
Traité,
émet
une
opinion
sensiblement
S clim oller,42 dans son grand Traité d’Economie Politique,4,1
s’exprime ainsi : « Et quand l’esprit commercial est assez développé
pour permettre ces différences de valeur, toute personne qui aura un
paiement à effectuer y emploiera, autant qu’il dépendra d’elle, la
monnaie surtariffée dans la loi monétaire, mais dépréciée dans la
circulation, et conservera la monnaie dont la valeur nominale est
au-dessous de la valeur réelle, pour ne la céder que contre un agio ou
pour la dépenser à l'étranger, où aucune loi monétaire ne l’empêchera
de bénéficier de sa plus-value. » 44
Ainsi, affirmation très nette du point de vue psychologique chez
cet auteur.
Ch. Gide, 45 dans son Cours d’Economie Politique,46 résume à
l’usage des étudiants les thèses précédentes.
il donne la formule suivante : « Dans tous les pays où deux mon
naies sont en circulation, la mauvaise monnaie chasse toujours la
bonne. » 47 II en explique le fondement qui est la loi du moindre effort
ou principe héclonistique, en décrit le mécanisme, thésaurisation,
paiements à l’étranger, vente au poids. Il dégage enfin les trois cas
suivants d’application :
1° Toutes les fois qu'une monnaie usée se trouve en circulation
avec une monnaie neuve ;
10 Op. cit., p. 54.
Un peu plus loin (p. 55) il ajoute : « Il n’est même pas besoin du double étalon
pour que la loi de Gresham fonctionne. Quand un pays a des remises d’or à payer à
l’étranger, comme les pièces usées ne seraient prises qu’au poids, le trébuchage s’or
ganise dans les banques et chez les changeurs. L ’or neuf, l’or lourd prend le chemin
de la frontière et l’or usé reste. Si la mauvaise monnaie n’a pas positivement chassé
la bonne, elle l’a, du moins laissée partir ».
41 Colson : Cours d’Economie Politique. 6 vol. Edition définitive, Paris, 19171920, T. IV , p. 91.
43 Schmoller, 1838-1917.
43 Grundriss der Volkswerthschaftlehre, 1904.
Principes d’Economie Politique. Trad. franç. Polack, Paris, Giard, 1904-1908.
44 Op. cit., T. III, 203.
45 1847-1932.
16 Ch. Gide : Cours d’Economie Politique. 10,ne é d ., 2 vol., Libr. du Rec. Si
rey, Paris, 1930, T. I, p. 421 et suiv.
�2° Toutes les fois qu’une monnaie faible se trouve en circulation
avec une monnaie droite, ou même toutes les fois qu’une monnaie
droite se trouve en circulation avec une monnaie forte ;
3° Toutes les fois qu’une monnaie de papier dépréciée se trouve
en circulation avec une monnaie métallique. 18
M. P. Reboud, dans son Précis d’Economie Politique,19 apporte
des développements analogues sur la consistance de la bonne et de la
mauvaise monnaie et le fonctionnement de la loi.
Voici sa formule : « Lorsque dans un pays circulent deux mon
naies dont l’une est considérée par le public comme bonne et l’autre
comme mauvaise, la mauvaise monnaie chasse la bonne. » 50
On soulignera ici le côté psychologique de l’appréciation du
public introduit dans le texte même de la loi.
M. Reboud expose ainsi les trois cas :
Premier cas : Il s’agit de pièces de monnaie formées toutes d’un
même métal ;
Deuxième cas : Il s’agit de pièces de monnaie formées les unes
d ’un métal et les autres d’un autre métal ;
Troisième cas : L ’une des monnaies se compose de papier-mon
naie déprécié. 51
M. Ansiciux, dans son Traité d’Economie Politique,52 propose
comme nouvelle formule de la loi de Gresham la suivante : « La mon
naie surévaluée envahit la circulation et en expulse la monnaie sousévaluée par rapport à la première, si les deux sont généralement accep
tées. »
11 me paraît que cette formule est supérieure, par la précision de
la langue économique, à la formule courante : « La mauvaise mon
naie chasse la bonne. »
M. Baudin, dans son récent ouvrage, se rallie avec des précisions
aux thèses admises par les auteurs précédents ; il donne cette formule :
« Lorsque deux monnaies liées par un rapport fixe d’échange circu
lent concurremment dans un pays, celle qui est tenue pour la meil
leure tend à disparaître. » 53
Il détaille soigneusement les conditions du jeu de la loi de
Gresham :
1° Les monnaies doivent être concurrentes, donc acceptées ;
48 Ibid., pi>. 424 et 425.
49 P. Reboud : Précis d'Econonrie Politique. 8me édit., Paris, Dalloz, 1939, 2 vol..
T. 1, p. 250.
50 Op. cit., p. 250.
11 Ibid., pp. 250 et 251.
52 2 vol., Paris, 1927. Giard, T. II, p. 223.
53 L a Monnaie et la formation des prix, T, I, Paris, Libr., du Rec. Sirey, 1936,
:p. 518.
�— 104 —
2° Le rapport des deux monnaies en jeu est naturellement varia
ble ;
3° Il ne faut pas que la disparition de la bonne monnaie raréfie la
circulation au point de créer une gêne.
Ainsi, de l’étude des formules actuelles, il est permis, semble-t-il,
de dégager les deux points fondamentaux suivants :
A ) Les notions de bonne et de mauvaise monnaie sont des notions
relatives qui varient à la fois en raison du point de vue psychologique
chez le possesseur de monnaies et du régime monétaire en vigueur ;
B ) Il existe d’assez nombreuses conditions pour le fonctionne
ment de la loi : on peut indiquer en une synthèse dans laquelle, bien
entendu, les auteurs ne sont point d’accord sur l’importance à accor
der à tel ou tel facteur :
a) Il doit y avoir liberté de la frappe ;
b) Les deux monnaies en concurrence doivent avoir toutes deux
force libératoire (cours légal) ou, plus généralement, remplir le même
rôle dans les paiements ;
c) Le montant total des deux monnaies, bonne ou mauvaise, doit
dépasser les besoins du pays ;
d) Un esprit commercial assez développé pour prouver la diffé
rence de valeur entre les deux rponnaies, sans quoi, la coutume et
l’opinion publique peuvent parfois imposer la circulation de la bonne
monnaie.
Il était utile de dégager cet aspect contingent de la loi à l’époque
contemporaine avant de passer à la vérification critique de la loi qu’il
faut maintenant tenter.
III. V E R IF IC A T IO N C R ITIQ U E
DE L A LO I DE GRESHAM
Deux problèmes préalables sont à présenter ici :
1° Problème de méthode : Quelles sont les conditions de la véri
fication de la loi ?
2° Problème de classification : Dans quel ordre étudier et pré
senter les cas très nombreux où s’applique la loi de Gresham ?
1° L e p r o b l è m e
de m é t h o d e
La vérification de la loi est en réalité plus compliquée qu’il ne
peut paraître dès l’abord.
M. Bertrand Nogaro, dans une récente étude,54 l’a bien montré
dans un cas particulier qu’il est facile de généraliser.
54
B. Nogaro : La Méthode en Economie Politique. 1 y o l., Paris, Libr. généralede droit et de jurisprudence, 1939, p. 149.
�— 105
L ’auteur montre, à propos des variations de valeur entre l’or et
l’argent sous le régime du bimétallisme, combien, par exemple, la
notion de prime de l'or ou de prime de l’argent est en somme
fuyante « parce qu’il n’y a pas seulement un prix théorique de l’argent
en or, mais deux prix-limites effectifs assez voisins l’un de l’autre et
sensiblement équidistants du pr.ix théorique. » 55 II affirme que
« l’explication présentée sous sa forme logique doit être traitée comme
une hypothèse donnant lieu à vérification. » 56
Ainsi donc et profitant de cet excellent conseil, il faudra, pour la
vérification de la loi, partir de l’hypothèse et la comparer avec les
faits envisagés dans toute leur complexité pour tenter de la vérifier.
2° L e
pro blèm e
de c l a s s if ic a t io n
En second lieu, on doit se demander dans quel ordre étudier la
série très nombreuse des faits qui sont en cause.
A ce point de vue, .il semblera permis d’adopter la classification
suivante :
I)
On s'attachera d’abord au cas le plus apparent et le plus facile,
l’application de la loi de Gresham dans tous les cas de bimétallisme ;
On en viendra ensuite aux autres cas, en se référant ici aux
deux séries suivantes :
II) I >oi de Gresham entre monnaies d’un même métal ;
III) Loi de Gresham entre monnaie métallique et papier-monnaie.
I. L a
VÉRIFICATION DE LA LOI DE GRESHAM DANS LES CAS DE BIMÉTALLISME
Les expériences bimétallistes sont assez nombreuses ; on les peut
classer comme suit :
a) L ’expérience bimétalliste française ;
b) L ’expérience bimétalliste de l’Union Latine ;
c) Les autres expériences bimétallistes.
a) L ’expérience bimétalliste française
Dans tout ce qui va suivre, on supposera connus les principes du
bimétallisme parfait et les mesures prises en 1864-65 et en 1876-78 qui
le transformèrent en bimétallisme imparfait et boiteux.
On partira, pour simplifier, de l’énoncé même de la loi de
Gresham : « La mauvaise monnaie chasse la bonne », et, pour plus
de clarté, on distinguera trois périodes : 57
55 Op. cit., p. 153.
56 Op. cit., p. 157.
57 Bib. Aupetit. Essai d’une théorie générale de la Monnaie. Thèse Droit, P a
ris, 1901:
�1° Des origines 1803 à 1864-63 où c’est l'argent qui est bonne
monnaie ;
2° La période 1864-65 à 1876-78 où c’est l'or qui est bonne mon
naie ;
3° La période 1876-78 à 1927 où l’or est toujours bonne monnaie
et où cependant les effets de la loi de Gresham dans l’utilisation des
deux monnaies se font plus sentir.
1° Période de 1803 à 1864-65
On trouvera pour cette période et pour la suivante un excellent
exposé du mécanisme de la spéculation dans le remarquable ouvrage
de M. Bourguin. 58
On en retiendra ici les résultats à utiliser pour la vérification
cherchée.
Bourguin établit, par une démonstration des plus claires, que
toutes les fois que le rapport commercial sera supérieur au rapport
légal de 1 à 15,57 39 c’est l’argent qui est bonne monnaie et qui aura
tendance à disparaître. 69
Inversement, toutes les fois que le rapport commercial sera infé
rieur au rapport légal, c’est l’or qui est bonne monnaie et qui aura
tendance à disparaître. 61
Il faut noter aussi les observations et précisions apportées par
M. Nogaro dans un ouvrage récent82 sur les variations des rapports
de valeur entre l’or et l’argent sous le signe du bimétallisme.
L ’auteur remarque d’abord que le marché des métaux et le cours
du métal argent exprimé en monnaie d’or à Londres se trouve affecté
par une ambiance de bimétallisme. 63 « Il existe, dit-il, dans un pays
58 L a mesure de la Valeur. 1 vol., Paris, Larose, 1896, p. 87 et suiv.
59 Le rapport 1 à 15,57, différent du rapport légal 1 à 15,50 est établi en tenant
compte des frais de frappe différents pour les monnaies de l’un ou de l’autre métal :
Bourguin l’appelle le rapport du Bimétallisme français et c’est celui qui sert de base
à ses calculs.
60 Bourguin quantifie par le détail le bénéfice de la spéculation dans ce premier
cas et l’établit à 24 fr. 35 pour 15 k. 45 d’argent exporté à un cours commercial de
1 à 15,45.
61 De même Bourguin quantifie pareillement par le détail le bénéfice de la spé
culation dans ce second cas et l’établit à 5 fr. 35 par kilogramme d’or exporté à un
cours commercial de 15,61.
Il établit aussi que pour des variations du rapport commercial dans le premier
cas entre 15,57 et 15,53 et dans le second cas entre 15,57 et 15,61, le bénéfice de l’opé
ration se trouve absorbé par les frais de l’opération (frais de transports, intérêts
intercalaires, assurances) et qu’entre ces limites assez étroites de variations du rap
pel, la spéculation ne joue pas.
62 Nogaro : La Méthode en Economie Politique. 1 v o l., Paris, Libr. générale
de Droit et de Jurisprudence. Paris, 1939, p. 149 et suiv. «
63 Op. cit., p. 150.
�— 107 —
bimétalliste un prix théorique constant de l'argent en or résultant :
1° de ce que le métal argent est transformable, poids par poids, en
pièces d’argent, représentant une somme définie d’unités monétaires ;
2° de ce que chaque pièce d’argent a, relativement à une pièce d’or,
un rapport d’échange permanent, résultant du nombre d’unités moné
taires contenu dans l’une et dans l’autre . »
M. Nogaro souligne ensuite qu'il ne s’agit pas seulement d’un prix
théorique de l’argent en or, mais de deux prix limites effectifs assez
voisins l’un de l’autre et semblablement équidistants du prix théo
rique. 64
Il explique enfin les primes alternatives de l’or et de l’argent de la
façon suivante : « Il y a prime de l’argent, c’est-à-dire hausse du cours
au-dessus du prix théorique, quand la nécessité de recourir au stock
des pays bimétallistes oriente le cours du métal blanc vers le prix
maximum correspondant aux frais de cette opération ; il y a prime
de l’or — autrement dit baisse du cours de l’argent au-dessous du prix
théorique — quand la nécessité d’écouler l’excédent du métal blanc
offert oriente les cours vers le prix minimum qui comporte la réduc
tion des frais d’exportation et de transformation du métal. » 65
Ces précisions66 devaient être mises en lumière avant d’aborder
l’analyse des périodes.
La période 1803-1864-65 comporte deux phases assez nettement
distinctes :
Pour la phase 1803-1850, il y a, d’une manière générale, dépré
ciation de l’argent inférieure à 10 % et, en général aussi, exportation
légère de l'or.
Les variations du rapport commercial sont assez faibles : le
minimum est de 16,08 en 1808 et le maximum de 15,26 en 1802
et 1815. 67
Le jeu de la lo.i de Gresham est très intermittent.
Au contraire, la phase 1850-1864-65 est marquée par une prime
beaucoup plus forte de l’argent, de 25 à 35 %, et une exportation à
peu près continue de l’argent : la loi de Gresham joue à peu près
constamment pour l'argent bonne monnaie. 08
c4 Op. cit., p. 154. L ’auteur indique ensuite comment la balance des comptes
influe sur ces mouvements du métal argent (p. 55 et suiv. ).
65 Op. cit., p. 153.
“6 Cf. Aupetit, op. cit., p. 267 et suis-.
61 Sœtbeer : Edelmetal Traduction, p. 130, reproduit dans Aupetit : Essai sur
la théorie générale de la monnaie. Thèse Droit, Paris, 1901, p. 229.
68 Le rapport (même tableau) oscille entre un maximum de 15,19 (1859) et un
minimum de 15,70 (1850) : il est sauf l’année 1852, 15,59, constamment au-dessus de
15,57.
�Deux preuves indirectes sans doute, mais valables peuvent être
fournies pour cette double phase du jeu de la loi de Gresham se mani
festant par l’exportation de l’argent.
Cette exportation de l’argent se manifeste de deux manières ; en
premier lieu, par l'importance proportionnelle des frappes d’or, 69
en second lieu par les recensements monétaires.
a)
Par la frappe.
Dans le tableau publié à ce sujet dans l’ouvrage de Aupetit,
tandis que, à prendre les moyennes annuelles par périodes de cinq ans
de la période 1821-1850, celles-ci avaient été toujours inférieures à
32 millions de francs, pour cette phase les chiffres sont : 70
1851-1855 : 316 millions
1856-1860 : 539
—
1861-1865 : 179
—
Quant au nombre de pièces frappées, il atteint, pour la période
1850-1860, 173. 700. 000 pièces de vingt francs. 71
De 1851 à 1867, l’ensemble des pièces d’or frappées atteint
5. 800 millions de francs et seulement 380 millions de pièces d’argent. 72
b)
Par les recensements monétaires.
D’une manière générale,73 les recensements monétaires, qui ne
sont d’ailleurs que des sondages, la proportion des pièces recensées
d’un même métal diminue sensiblement pour les années précédant
l’exportation de ce métal.
D’après le recensement de 1891, il y a seulement 7,42 % 71 de
pièces de 20 francs-or d’un millésime antérieur à 1850 et 60,60 % 75
de pièces de 5 francs-argent d’un millésime antérieur à 1850 : ce qui
permettrait de conclure à une exportation de l’or. 76
69 On sait que la spéculation reposait alors sur la réintroduction de For lingot
à transformer en pièces.
70 p.
270.
71 De Foville : Le Recensement monétaire du 15 sept. 1897. Ec. P . , 1er sem .,
p. 165.
72 R. Perroux : Cours d’Ec. Polit. Edit. Domat-Montchrestien, Paris, 1939,
fascicule III, p. 64.
73 De Foville : Le Recensement monétaire du 15 septembre 1897. Ec. F r., 1er
semestre 1898, pp. 67, 163 et 201.
74 Exactement 32.355 pièces de 20 francs sur 436. 090 recensées et sur 855.672
pièces de 5 fr. recensées, 516. 456 ont un millésime antérieur à 1850.
75 D e Foville : art. cité, p. 202.
76 On sait comment les mesures françaises de 1864-65 tentèrent d’y mettre
fin et y réussirent partiellement.
�D’après le recensement de 1897, on compte, pour la période 18571866, 561. 900 pièces drargent de 5 francs recensées, alors que ce même
nombre, pour la période 1847-1856, est beaucoup moins élevé : 209. 600
pièces d'argent de 5 francs.
En somme, pour cette première période, après des mouvements
faibles de 1803 à 1850, il y a, au contraire, de 1850 à 1864-65, expor
tation de l'argent bonne monnaie.
2° Période de 1864-65 à 1876-78
Cette deuxième phase est marquée, surtout vers sa fin, par une
exportation de l’or, bonne monnaie.
Le rapport commercial des deux métaux oscille entre un maxi
mum de 15,43 en 1866 et un minimum de 17,92 en 1878. 77
On peut pareillement trouver des preuves indirectes de l'expor
tation de l’or par les deux preuves suivantes :
a)
Par la frappe. 78
Les frappes d’argent par moyenne annuelle d’une période de cinq
ans sont :
1861-1865
:
4 millions de francs ;
1866-1870
: 84
»
»
1871-1873
: 41
»
»
1873(seule): 154
»
,, '9
Le nombre des pièces d’argent (5 francs), pour les périodes 18671878, atteint 125.100. 000 pièces. 80
b)
Par les recensements monétaires.
Au recensement monétaire de 1897, on trouve pour la période
1867-1878 et pour les écus de cinq francs, un rapport assez élevé,
R
4,49 pour 1.000, comme valeur du rapport —, c’est-à-dire du nombre
F
des pièces recensées aux pièces frappées, beaucoup plus élevé que
dans toutes les périodes antérieures ; ce qui est bien la preuve indi
recte, par la frappe de l’argent, de l’exode de l’or. 81
En résumé, cette deuxième période est nettement caractérisée
en ce qui concerne la loi de Gresham par l’exportation de l’or.
77 Sœtbeer : Edelmetall Production, p. 136, reproduit par M. Aupetit, op. cit.,
p. 229.
78 Aupetit : op. cit., p. 270.
79 Sœtbeer cité par Bourguin : op. cit., p. 109, note 1.
*
80 D e Foville : art. cité, p. 202.
81 De Foville : art. cit., p. 202.
�—
110
3° Période de 1876-78 à 1927
Cette troisième période du bimétallisme français est marquée par
le non-fonctionnement de la loi de Gresham depuis les mesures prises
en 1876-78.
L ’argent reste toujours mauvaise monnaie, mais la spéculation
de la période précédente ne se produit plus.
L ’argent reste toujours mauvaise monnaie.
Si l’on prend, en effet, les variations du rapport com m ercial53
pour cette période, on constate qu’il oscille entre un maximum qui
fut de 16,88 en 1878 et un minimum qui atteignit 36,71 en 1894.83
En même temps, les statistiques 84 accusent une prime croissante
de l’or à Paris qui passe de 0,44 % en 1878 à 4,30 % en 1887.
Et cependant l’or bonne monnaie ne fuit pas et reste dans la cir
culation française en même temps que l’argent mauvaise monnaie.
L ’explication de ce fait est la mise en application des mesures de
1876-1878 concernant la suspension — déclarée provisoire, mais qui
dure toute la période — de la frappe de l’argent. On sait comment
cette suspension était totale pour les particuliers, à la fois pour les
écus de cinq francs et les monnaies divisionnaires.
b) L ’expérience bimétaMiste de l’Union Latine (1865-1927)
D’une manière générale, l’histoire de l’Union Latine confirme de
façon très précise le jeu de la loi de Gresham et son application.
Les exemples abondent : il suffira de retenir ici les plus carac
téristiques.
On négligera — car cette histoire ne ferait que reproduire les
deux dernières périodes ci-dessus décrites pour la France — l’his
toire des pays de l’Union Latine autres que la France, donc la Bel
gique, la Grèce, l’Italie et la Suisse. 85
Mieux vaut insister sur les trois séries de faits suivants :
1° Le régime du cours forcé en Italie et les mesures prises par
la Convention de 1893 pour y remédier :
82 Cf. tableau général IV.
Dans l’ouvrage présenté de M. Bourguin : La Mesure de la Valeur et la mon
naie Annexes.
83 Abstraction faite de la période 1914-1927 où la question change d’aspect. Cf.
infra, p. 111.
84 Cf. Aupetit : op. cit., p. 261.
85 On envisagera ici seulement les remèdes au jeu (le la loi Gresham dans le
cache de l’Union Latine : pour l’origine du mal, le cours forcé dans les deux premiers
cas. Cf. infra p. 117.
�—
111
—
2° Le régime du cours forcé en Grèce et les mesures prises par
la Convention de 1908 pour y mettre fin ;
3° Le jeu de la loi de Gresham accumulant l’argent en Suisse
après la guerre et les Conventions de 1920 et 1921. 86
i. La loi de Gresham et l'Italie.
C’est avant 1893 que l’Italie, par suite d’un régime de papiermonnaie, vit son or, ses écus et sa monnaie divisionnaire fuir —
bonnes monnaies par rapport au papier-monnaie, mauvaise monnaie
vers les autres Etats de l’Union Latine.
Après les avoir rapatriés par deux fois, elle demanda et obtint
que les pays adhérents à l’Union Latine excluent toute la monnaie
italienne de leur circulation (Convention de 1893).
U. La loi de Gresham et la Grèce.
Peu avant 1908, la Grèce voyait, pour des raisons analogues, fuir
de même ses monnaies divisionnaires d’argent ; elle obtint des pays
de l’Union Latine que ces monnaies n’auraient plus cours dans leurs
territoires respectifs (Convention du 4 novembre 1908).
ni. Enfin, après la Grande Guerre 1914-1918, les pièces d’argent
des pays de l’Union Latine s’étaient accumulées par le jeu de la loi
de Gresham sur le territoire de la Suisse.
Le stock accumulé en Suisse atteignait, en 1920, 231 millions de
francs au total, soit 225 millions d’écus de l’Union Latine et 6 mil
lions de pièces divisionnaires d’argent, surtout belges.
Deux conventions successives, l’une du 23 mars 1920, l’autre du
9 décembre 1921, mirent fin à cet état de choses.
Sans entrer ici dans l’analyse détaillée de ces deux conventions, il
suffira d’indiquer :
Pour la convention du 23 mars 1920, une clause spéciale aux rap
ports entre la France et la Suisse prévoyant la restitution réciproque
l’une à l’autre des pièces divisionnaires d’argent ;
Pour la seconde convention du 9 décembre 1921, les quantités
dénommées, 231 millions de francs de monnaie d’argent de l’Union
Latine, étaient réparties en deux parts : 166 millions étaient repris par
les Etats d’origine ; le reste devait être fondu et transformé en écus
de la Fédération Helvétique.
86
Ce ne sont là d ailleurs que les faits principaux du jeu de la loi de Gresham
dans l'Union Latine. Il y a bien d’autres faits de détails en dehors de ceux mention
nés au texte, par exemple une affluence de l’or français et une pénurie de l’or suisse
dans la Confédération Helvétique (Temps, 18 févr. 1909).
�c) Les autres expériences bimétallistes
Il y a, en dehors du bimétallisme français et de l’Union Latine,
bien d’autres expériences bimétallistes.
La loi de Gresham se fit toujours sentir dans ces cas assez
nombreux.
On ne retiendra ici, à titre d’exemples, que les deux cas suivants :
1° Dans l’expérience bimétalliste des Etats-Unis (1793-1857), on
peut, parallèlement avec Laughlin,87 distinguer deux phases :
Dans une première phase antérieure à 1834, le rapport légal étant
de 1 à 15 et le rapport commercial baissant de 1 à 16 et 1 à 20, c’est
l’or qui disparaît et l'argent mauvaise monnaie qui reste dans la cir
culation : on en a la preuve par l’abondance de la frappe de l’argent ;
Dans une seconde phase postérieure à 1834, c’est l’inverse : le
rapport légal modifié a été porté à 1 à 16 ; le rapport commercial lui
est supérieur, 1 à 15,93 et 1 à 15,19. C ’est l’or mauvaise monnaie qui
reste dans le pays et l’argent qui est exporté. On a pareillement la
preuve par l’accroissement de La frappe de l’or. 88
2° Il y a, en second lieu, l’expérience bimétalliste au Chili. 89
Le bimétallisme fut établi au Chili le 19 janvier 1851, avec tous
les traits d’un bimétallisme complet : rapport légal 1 à 16,39, cours
légal aux monnaies des deux métaux, frappe libre et illimitée.
Ici encore, on peut distinguer deux périodes :
à) De 1851 à 1875 : c’est l’argent qui est bonne monnaie avec un
rapport commercial supérieur au rapport légal. On frappe alors plus
de pesos-or que de pesos-argent. Après 1860, l’argent a pratiquement
disparu ;
b) Après 1875, c’est l’inverse : le rapport commercial (1 à 17 et
plus bas) est inférieur au rapport légal ; à ce moment, il y a une ten
dance bien nette de l’or à sortir de la circulation, l’argent entre seul
dans cette circulation.
Ces deux exemples suffisent pour permettre de conclure que,
dans cette nouvelle série de cas, la loi de Gresham est vérifiée.
En résumé et pour ce premier cas d’expériences bimétallistes, la
loi de Gresham, à condition qu’existe la liberté de la frappe, est plei
nement vérifiée.
87 Laughlin : Principles of Money. New-York, 1907, p. 427.
88 Pour la période postérieure Cf. sur les Bland Allison et Shermann Acts de
1878 et 1890 : Sonie neglected aspects of Gresham’s Law . ,Quaterly journal of Econo
mies. Mai 1932, p. 494.
85 Laughlin : op. cit., p. 427.
�n. L
a v é r i f i c a t i o n de l a l o i de
G
r e s h a m e n t r e m o n n a ie s d ’ u n m êm e m é t a l
On les présentera ici, autant que possible, dans l’ordre chrono
logique en insistant sur les particularités propres à chaque cas.
a) L ’histoire monétaire de l’Angleterre présente, comme d’ailleurs
celle des autres Etats avant l’époque moderne, de nombreux exemples
du jeu de la loi de Gresham.
En voici, à titre d’exemple, un spécimen soigneusement décrit
par le grand historien anglais Macaulay. c°
Il s’agit du règne du roi Guillaume III d’Angleterre.
A cette époque, comme à beaucoup d’autres, deux sortes de mon
naies étaient en circulation : les anciennes monnaies, disques irrégu
liers de métal, frappées avec les anciens procédés (métal partagé avec
tles ciseaux, façonné et recevant l’empreinte au marteau), de poids
assez inégal, assez souvent rognées malgré les peines, les mêmes que
pour le faux-monnayeur, pour cette pratique ; les nouvelles pièces,
rondes, frappées au moulinet, avec légendes sur la tranche, ce qui ne
permettait plus de les rogner.
Macaulay écrit :
« Les financiers de cette époque semblent avoir été pénétrés de
cette idée que la nouvelle monnaie, qui était excellente, ne tarderait
pas à remplacer l’ancienne, qui était fort dégradée. Pourtant, il suffit
du plus simple bon sens pour comprendre que là où l’Etat traite sur
le même pied la monnaie parfaite et la monnaie inférieure, ce n’est
pas la première qui excluera l’autre de la ciculation mais elle qui en
sera exclue. » C’est ce qui arriva.
Macaulay détaille 91 la lutte entreprise contre les rogneurs : pen
daison, amendes, fer rouge, potence, bûcher.
Le mal cessa lorsqu’un bill de 1696 vint supprimer toutes les
monnaies rognées et ordonner leur refonte.
Ainsi, réelle application de la loi de Gresham.
h) La loi de Gresham au Japon (1858).
Cette deuxième observation montre l’importance du point de vue
psychologique dans la détermination de la bonne et de la mauvaise
monnaie.
C ’était en 1858, au Japon, lors du traité entre la Grande-Bretagne,
les Etats-Unis et le Japon qui ouvrait en partie ce dernier pays aux
marchandises européennes.
ao Macaulay
p. 527 et suiv.
: Histoire d’Angleterre. Traduction Richelot,( Paris, 1861, T.
VI,
91 Ibid., pp. 331-348.
8
�La monnaie japonaise était alors le kobang, disques d'or épais»
longs de 2 pouces (0 m. 0253) et larges de 1 pouce y2, pesant 200 grains»
soit 128 milligrammes, ornés d’une manière tout à fait primitive.
Le kobang valait au Japon 4 itzebus.
Or, la parité anglaise était la suivante :
1 kobang = 18 s. 5 d.
1 itzebus = 1 s. 4 d.
Ainsi les Japonais estimaient la monnaie d’or seulement au tiers
de sa valeur réelle, selon le rapport des deux métaux dans les autres
pays.
Les marchands européens profitèrent de l’aubaine et achetèrent
les kobangs au taux fixé par les indigènes : ils triplaient ainsi leur
fond de roulement.
Mais bientôt les indigènes s’aperçurent du fait et retirèrent de
la circulation tout l’or qui y restait. 02
c) La loi de Gresham aux Etats-Unis (1793-1857).
En 1792, par une disposition prise le 2 avril, les Etats-Unis établi
rent une monnaie nationale, le dollar, monnaie d’argent. 93
On prend comme modèle la monnaie alors courante dans le pays,
le peso ou la piastre : on crut que le dollar espagnol contenait seule
ment 371 1/4 grains d’argent fin, alors qu’en réalité il en contenait
377 1/4, 374 à 373 1/2.
La loi de Gresham fonctionna avec l’exportation des dollars amé
ricains, monnaie forte ; on l’échangeait contre les dollars espagnols
que l’on présentait à la Monnaie.
En 1806, Jefferson ordonna la suspension de la frappe du dollar
d'argent et, pendant 30 ans, on n’en frappe plus.
Cet exemple illustre bien le cas d’une monnaie forte en circula
tion avec une monnaie faible, mais il semble bien que la loi de
Gresham soit en partie retournée. Par suite de l’erreur commise,
c’est la mauvaise monnaie qui est ici exportée, mais on la prenait pour
de la bonne monnaie.
d) La loi de Gresham au Mexique (1905-1907). 94
Le* Mexique opéra une réforme monétaire par une loi de 1904.
La vieille piastre mexicaine d'argent, qui valait 5 fr. 43 lorsque
92 Laughlin : op. cit., p. 423.
.levons. Money and Mechanism of Exchange. Traduit en français L a Monnaie et
le mécanisme de l’échange, Paris, 1875, p. 84.
93 De 1793 à 1857 on frappa 2.675.550 dollars d’argent, soit une moyenne de41. 806 par an.
„
94 De Foville : L a Réforme monétaire au Mexique. Rev. écon. intern., févr.
1905, p. 227.
�— 115 —
l’argent était au pair, ne valait que 2 francs en 1903 : la loi mexicaine
l’assimila au demi-dollar d’or, soit une valeur de 2 fr. 59. La nou
velle parité était donc de 2 piastres mexicaines pour 1 dollar-or.
Mais assez rapidement, par suite de la hausse de l’argent métal,
la piastre mexicaine vint à dépasser la valeur du demi-dollar-or à
laquelle la loi l’assimilait.
La loi de Gresham commence à jouer : l’argent mexicain, bonne
monnaie, s’expatrie,95 alors que le dollar-or afflue dans le pays.
Du 1er mai 1905 au 22 octobre 1907, il a été exporté pour 85 mil
lions 956.202 dollars de vieilles piastres mexicaines, remplacées par
de l’or. Cet or a d’ailleurs été enfoui dans les réserves des banques,
qui ont émis à sa place des billets représentant le numéraire.
e) La loi de Gresham aux îles Philippines96 (1903). 97
Elle se place au moment du Philippine Currency Act du 2 mars
1903.
Les îles Philippines, avant 1903, date de la conquête américaine,
usaient des monnaies espagnoles et de leurs succédanés les monnaies
mexicaines, monnaie d’argent. La situation, à l’arrivée des Améri
cains, se complique des variations dues aux changements de la valeur
de l’argent et d’une communication réelle entre le marché monétaire
philippin et les marchés étrangers.
Pendant la période antérieure à 1903, on constate d’assez fortes
variations dans la valeur du dollar mexicain (de 46,6 cents en 1898 à
50,5 cents en octobre 1900 et 37,8 cents en décembre 1902) et aussi
une forte exportation des monnaies mexicaines vers la Chine, sur
tout en 1900 pour satisfaire aux demandes des armées européennes
en 1900.
La loi du 2 mars 1903 crée aux Philippines une nouvelle monnaie
qui est mise en circulation le 23 juin 1903 ; les prix restent fixés en
dollars mexicains ; ceux-ci, mauvaise monnaie,98 restent dans la
circulation, tandis que la nouvelle monnaie est exportée.
Après diverses mesures inefficaces, on en vint, le 31 décembre
1903, à la démonétisation des monnaies espagnoles et au rachat de
95 Ratt A ndrew : The End of the Mexican Dollar. Quaterly journfd of Econe
mies, Mai 1904.
96 Cet exemple n’est qu’un cas particulier d ’une expérience plus large de cette
même loi dans l’ensemble des pays qui ont adopté le Gold exchange standard.
Cf. Polier : Le problème monétaire et ses aspects actuels. Revue élu mois, 10
janvier 1911.
Conant : Monnaie et Banque, trad. franç.
97 Report of Jeremiah W . Jenks spécial commissionner Selected to carry on
the work in the Far East, p. 32 et suiv.
«
99
L a piastre Philippine nouvelle était déclarée égale à 30 cents de Monnaie Am é
ricaine, alors que la piastre Mexicaine ne valait que 40 à 45 cents.
�— 116 —
ces pièces à une valeur d’environ 10 % supérieure à leur valeur métal
lique. On en prohibe l’importation. On établit un impôt sur l’usage de
ces anciennes monnaies.
Malgré quelques difficultés, la réforme finit par réussir.
f) La crainte de voir jouer la loi de Gresham en France après 1928
empêche la reprise de la circulation de la monnaie d’or. 99
La loi monétaire du 25 juin 1928 avait prévu expressément le
retour au régime normal comportant la libre circulation des pièces
d’or.
La Banque de France, chargée de la circulation monétaire, avait
commencé la frappe dès avril 1936 en même temps que, dans le rap
port annuel 1936, le Directeur de la Banque souhaitait le mise en cir
culation de ces pièces.
La crainte de voir jouer la loi de Gresham en même temps que
des difficultés de politique intérieure et extérieure empêchèrent la
mise en circulation des pièces d’or.
M. Leduc avait exactement écrit dans l’article précité : a Trans
former en pièces les lingots qui sommeillent dans les souterrains de
notre Institut d émission, puis lancer ces pièces dans la circulation, ne
serait-ce pas s’exposer à une disparition quasi-instantanée de ces
nouveaux « louis d’or » si opportunément offerts à l’appétit des thé
sauriseurs ou même simplement aux réflexes de conservation des
épargnants les plus modestes et dont des événements encore trop
récents se sont chargés d’éduquer la psychologie économique ? »
Pour ce second groupe de cas, il est permis de conclure que
l’observation et l’expérience monétaires confirment l’exactitude de
la loi de Gresham contingente telle que l’a révélée l’analyse des for
mules modernes.
ni. L a
v é r ific a tio n de la loi de
G resham
ENTRE MONNAIE MÉTALLIQUE ET PAPIER-MONNAIE
Dans ce troisième groupe d’observations, on peut dire d’une
manière générale que toujours entre deux monnaies, dont l’une est la
monnaie métallique, bonne monnaie, et l’autre le papier monnaie,
mauvaise monnaie, la seconde chasse la première.
Les exemples abondent : il suffira de mentionner ici les plus
typiques, dans l’ordre chronologique toujours. 100
99 G. Leduc : Reverrons-nous les louis d’or ? L'Orientation économique, indus
trielle et financière, 7 mars, 1936.
100 O n assiste même dans l’Etat de Californie après 1862 à une lutte directe —
inefficace d ’ailleurs contre le jeu de la loi de Gresham : Convention entre commer
çants s’engageant à ne pas payer et à ne pas enfin payer en. billets (legal tender notes),
législation sur les contrats faits en monnaie déterminée par paiements en or en 1863),
etc... toutes mesures aussi inefficaces d’ailleurs les unes que les autres.
�— 117 —
a) Les expériences de papier-monnaie au X IX ‘ siècle.
On sait qu’elles furent, par contraste avec le xxme siècle, assez
rares.
Cependant, les pays qui, à diverses époques, furent au régime du
papier-monnaie, République Argentine, Brésil, Chili, Bolivie, les EtatsUnis pendant la guerre de Sécession et les autres jusqu’en 1879, voient
leur monnaie métallique fuir devant la monnaie de papier à cours
forcé. Il faut mentionner aussi l’Italie et la G rèce,101 l’Autriche et la
Russie.
b) L ’expérience de cours forcé en France après 1914.
-
.
■’’ -r > j
Le cours forcé des billets fut imposé en France par une loi du
2 août 1914. A partir de cette date, on constate la fuite de la monnaie
métallique qui disparaît devant le billet à cours forcé. 102
M. Baudin affirme à ce sujet une spéculation désastreuse de l’Etat
français pendant la guerre, rachetant sur le marché anglais les pièces
d’argent françaises valant en France 222 francs le kilo et à l’étranger
600 francs. Les interdictions d’exportation ne furent pas respectées. 103
On a souligné aussi une reprise de l’application de la loi à chaque
nouvelle dévaluation du franc dans les années toutes contemporaines.
CONCLUSION
De cet ensemble de vérifications critiques, il est permis de cons
tater que la loi de Gresham possède une véritable valeur scientifique.
Dans les trois séries d’hypothèses envisagées, les cas d’application
sont nombreux et variés.
Au surplus — et l’expérience monétaire française postérieure à
1878 est particulièrement significative à cet égard —- il est, par contre,
d’assez nombreux cas où la loi de Gresham n’a pas joué.
On se trouve ainsi amené à conclure que la loi de Gresham est
à la fois contingente et psychologique.
Contingente en ce sens qu’elle est subordonnée à un certain nom
bre de conditions nécessaires à son fonctionnement ; 104
Psychologique 105 en ce sens que la bonne monnaie comme la
mauvaise sont celles qui sont crues telles par leurs porteurs.
"
‘S
>
'3
101 Cf. ci-dessus p . ..
102 La loi du 12 février 1916 frappait de peines sévères (amende et prison) celui
qui établissait une différence entre le franc or et le franc papier, soit par échange
d’une monnaie contre l’autre, soit par fixation de prix différents entre les deux mon
naies dans la vente ou le louage.
103 Baudin : op. cit., p. 522.
101 Cf. ci-dessus, p. 104.
1(15 Cf. Nogaro : L ’expérience bimétalliste du X IX mo siècle èt la théorie générale
de la monnaie. Revue d’Economie Politique, oct. 1908, p. 641.
�118
—
On peut donc, en terminant, préciser quel est l’objet exact de
la loi.
S’agit-il d’un effet automatique de la mauvaise monnaie faisant
disparaître la bonne ?
S’agit-il d’une préférence manifestée par les porteurs en faveur
de la mauvaise monnaie en concurrence avec la bonne ?
C’est, à mon sens, incontestablement le second aspect de la loi
qui est à retenir et qui en explique à la fois le fonctionnement et les
applications diverses.
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C H A P IT R E V III
LOI DE LA THEORIE QUANTITATIVE
1
La théorie quantitative apparaît dans l’histoire des Doctrines
Economiques, au même titre que la loi de Gresham, comme une
longue tradition monétaire, mais à la différence de la précédente,
elle a grandement évolué.
On étudiera ici, dans le cadre habituel :
I.
II.
III.
H
is t o ir e de l a l o i
F orm ules
E xam en
actuelles
c r it iq u e
I. H ISTO IR E DE L A LO I
On peut et on doit avant Jean Bodin, à qui on attribue la pater
nité de la loi, signaler quelques précurseurs.
Xénophon, 1bIS en qui Monroë avait voulu voir un précurseur, n’a
qu’une conscience très vague de ce qui est aujourd’hui la théorie
quantitative.
Nicole Oresme n’apporte que des textes bien vagues sans appré
ciation directe de l’augmentation des signes monétaires. 2
1
Bibl. R. Gonnard : Histoire des Doctrines monétaires, T. I, de l’Antiquité au
XVII™6 siècle, 1 vol. Libr. du Rec. Sirey, 1935, p. 194 et suiv.
J. Pose : Esquisse de l’évolution de la théorie quantitative. Revue d’Histoire
Economique et Sociale, 1926, p. 152
L. Baudin : L a Monnaie et la formation des prix, l re partie. Les Eléments.
1 v o l., Paris, Rec. Sirey, 1936, p. 456 et suiv.
Le Branchu : L a théorie quantitative de la Monnaie au X V Ime siècle. Rev. d’E.
P . , juillet 1934, p. 1247.
Pose : D e la théorie monétaire à la théorie économique. 1 v o l., Paris, Libr.
Rec. Sirey, 1930.
1 bis Monroë : Monetary theory before Ad. Smith, p. 8.
Dubois : Précis de l’histoire des Doctrines Economiques. 1 v o l., Paris, Rousseau,
1903, p. 52.
^
; v
v;
2 Traité de la Première Invention des Monnaies. Edition W olowsky, Paris, 1864.
Cf. Bridrey : La théorie de la monnaie au XVI'me siècle, Nicole Oresme. Thèse
Droit, Caen, 1906.
�—
120
—
Copernic, dans son Traité de la Monnaie, écrit : « Leur prix (des
choses) augmente ou diminue proportionnellement à la monnaie,
surtout celui des métaux précieux que nous estimons, non en airain ou
en cuivre, mais en or et en argent. »
Ce serait une première anticipation, évidemment confuse, de
la Théorie quantitative.
On a réclamé 3 aussi pour Davanzati, économiste italien, le titre
d’avoir le premier formulé la théorie quantitative.
11 l’aurait exprimée ainsi :
« Et quand tout l’or de ces contrées (c’est-à-dire de l’Amérique)
sera versé sur les nôtres, il conviendra, l’or étant complètement avili,
de trouver autre chose de plus rare pour faire de la monnaie ou de
revenir à l'ancien troc. » 4
On peut, avec MM. Gonnard et P ose,5 trouver l’allusion à la
théorie quantitative bien faible.
M. Le Branchu 6 essaye —- en vain à notre sens —- de donner
dans d’autres textes une affirmation plus nette de la loi.
Davanzati est, comme ses devanciers, un précurseur assez faible.
Jean Bodin 7 affirme très nettement dans sa réponse aux Para
doxes de M. Malestroit,8 que ce sont les importations considérables
d’or provenant de l’Amérique qui provoquèrent partout une énorme
hausse des prix : « La principale et presque seule (cause de la cherté
de la vie) est dans l’abondance d’or et d’argent. » 9
Sur la valeur de cette affirmation comme expression de la théo
rie quantitative, les opinions sont partagées :
Les uns y voient une expression nette de cette théorie. 10
D’autres n’y trouvent qu’une illustration de la théorie. "
3 M. Arias : Les Précurseurs de l’Economie monétaire en Italie : Davanzati et
Montanari. Rec. d’E. P . , 1922, p. 733.
4 Lezione délia Moneta, 1588. Collection dei Scrittori classici italiani di Economia politica, parte antica, Milan, T. II, p 47.
Cité par M. Limousin. Discussion à la Société d’Ec. Politique de Paris, août
1895.
5 Art. cité.
“ Art. cité p. 1250. L ’auteur mentionne aussi un certain Gom ara qui, vers 1557,
aurait toujours aussi vaguement d’ailleurs, formulé la théorie quantitative.
7 1547-1626.
8 L a Response de Jean Bodin à M. de Malestroit. Edition Hauser, Paris, 1932.
9 11 est vrai que dans la 2™e édition du même ouvrage (1578) Bodin ajoute les
mutations comme nouvelle cause de la cherté de la vie.
10 H. Hauser : L a Response de Jean Bodin à M. de Malestroit. Introduction,
Paris, 1932.
11 R. Gonnard : Histoire des Doctrines monétaires, T I, p. 194. Germain M a r
tin, Rev. d’Histoire Economique et Sociale, 1909, p. 21.
�—
121
—
D’autres enfin 12 remarquent non sans raison que la formulation
de la théorie est peu nette et surtout que le facteur de la proportion
nalité entre prix et quantité de numéraire n’est pas exprimé.
La question du véritable créateur de la loi est, on le sait, délicate
à élucider. On pourrait, semble-t-il, admettre que plusieurs précur
seurs ont été, à des degrés divers,, sur la voie de la formule complète.
David Hume 13 est souvent aussi donné comme l’inventeur de la
théorie quantitative. 14
Mais on peut remarquer que pour les deux textes invoqués à
l’appui de cette opinion, le premier déclare : « Bien que le haut prix
des marchandises soit une conséquence nécessaire de l'augmentation
des quantités d’or et d’argent, cependant il ne suit pas immédiate
ment cette augmentation ; il faut un certain temps pour que l’argent
circule dans tout l’Etat et fasse sentir ses effets dans tous les rangs
de la population. » C’est donc une négation en même temps qu’une
affirmation.
Le second 15 est le suivant :
« Supposons que les quatre cinquièmes de toute la monnaie de la
Grande-Bretagne soient anéantis en une nuit et que la nation se
trouve réduite à la même condition en ce qui concerne les espèces
qu’au temps des Henry et des Edouard, quelle en serait la consé
quence ? Le prix de tous les travaux et de tous les produits ne bais
serait-il pas en proportion et toutes choses ne seraient-elles pas ven
dues aussi bon marché qu’elles l’étaient à ces époques ? »
Comme le remarque justement M. Charles R ist,16 « il vise simple
ment à faire comprendre l'impossibilité d’imaginer un pays se vidant
longtemps de sa monnaie », il n’est pas un résumé de la théorie quanti
tative.
David Hume, lui aussi, n’est qu’à peine un précurseur.
Locke, 17 dans ses considérations sur la valeur et l’intérêt de l’ar-
13 A. Pose, op. cit., p. 13. Le Branchu, art. cité, p. 1247.
Harsin : Les Doctrines monétaires et financières du X V Irae siècle au X V III“ e
siècle. Paris, 1928, p. 41.
13 1711-1776.
14 Essays and Treatises on Several subjects. Londres, 1753-1754. Trad. franç.
Gemalhing. Les Grands Economistes. Libr. Rec. Sirey, 1925, p. 70, n. 5.
15 Essays moral, political, etc., 2mo partie. Essay V D e la balance du commerce
dans Philosophical works of David Hume, Green et Goose, 1889, p. 332, T. XV.
Collection Principes Economistes, Paris, Guillaumin, 1847, p. 88.
Cf. Gemalhing, op. cit., p. 69.
16 Histoire des Doctrines relatives au crédit et à la monnaie depuis John Law
jusqu’à nos jours. 1 v o l., Paris, Libr. Rec. Sirey, 1938, p. 102. „
1T 1632-1704.
�—
122
—
gent,18 donne un exposé assez complet de la loi sur la théorie quan
titative.
La somme totale de numéraire existant dans un pays est pour lui
l’équivalent de la somme de marchandises existant dans ce pays à
la même époque. Ce sont les deux plateaux de la balance se faisant
équilibre. 19
M. Pose 20 affirme que, malgré une base fragile, la théorie quan
titative apparaît nettement dans son œuvre.
Cantillon, 21 dans son Essai sur la Nature du Commerce en géné
ral, accepte la théorie quantitative en se référant à Locke :
« M. Locke pose comme une maxime fondamentale que la
quantité des devises et marchandises proportionnée à la quantité de
l’argent sert de règle au marché... Il a bien senti que l’abondance
de l’argent renchérit toute chose, mais il n’a pas cherché comment
cela se fait. » 22
L ’auteur, plus loin,23 indique que cette abondance du numéraire
agit de deux manières : d’une part l’or nouveau constitue sur le mar
ché monétaire et financier un capital nouveau ; d ’autre part, les
exploitants de mine font des dépenses supplémentaires. C ’est l’aug
mentation de la commande qui produit par degrés l’augmentation
des prix. Ce deuxième procédé est plus influent que le premier.
Il insiste aussi sur la vitesse de circulation de la monnaie qui a
le même effet qu’un accroissement de quantité : « J’ai déjà remarqué,
écrit-il24 entre autres, qu’une accélération ou une plus grande vitesse
dans la circulation de l’argent vaut autant qu’une augmentation d’ar
gent effectif, jusqu’à un certain degré ».
Paris-Duverney adhère à la théorie quantitative et lui donne25
une forme rigoureusement proportionnelle : « Depuis le règne de
Louis XII, si l’augmentation du prix des denrées a été de 1 à 22, étant
donné que l’augmentation de la valeur intrinsèque des espèces a été
de 1 à 5 11/10 fois plus d’argent, c’est qu’il y a maintenant dans le
royaume 3 79/81 fois plus d’argent qu’il n’y en avait alors. » 26
18 Some considérations of the conséquences of the lowering oî interest, Lon
dres, 1691.
19 Roscher souligne : « Toute augmentation de la quantité de monnaies, alors
que la somme de marchandise reste la même, devant amener une diminution corres
pondante dans la valeur de chaque pièce de monnaie ».
20 Pose, op. cit., p. 13.
21 ?-1850.
22 Publié en 1755. Nouvelle édition par Henry Higgs. Londres, 1931. p. 160.
23 Ibid., p . 162.
24 Essai. Edit. Mac Millan, p. 231,
25 Réponse aux réflexions politiques de Dutot, 2 vol , Paris, Droz, 1935.
26 V oir aussi les positions de Dutot, Fortbonnais.
*
Gonnard, op. cit., p. 86, p. 98.
�L ’auteur conclut : « Le prix des denrées augmente avec le temps,
à proportion de la valeur numéraire des espèces, et il baisse aussi avec
le temps et ne baisse que dans le même rapport, pourvu qu’il reste
dans le royaume une somme égale d’or et d’argent et que les récoltes
ne soient ni trop modiques, ni trop abondantes ».
Montesquieu, 27 dans son Esprit des Lois, accepte la loi de la théo
rie quantitative comme indiscutable. Il écrit :
« Si, depuis la découverte des Indes, l'or et l’argent ont augmenté
en Europe d’un à vingt, le prix des denrées et marchandises aurait dû
monter en raison d’un à vingt. » 28
Il admet cependant qu’en raison de l’augmentation de la produc
tion, ce prix ne soit monté que de un à dix.
Il y a donc d’autres facteurs des prix, à côté du facteur quantité
de monnaie. 29
Adam Smith 10 donne, dans son ouvrage principal,81 un exposé
assez net de la théorie quantitative :
■
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« Quand des mines plus abondantes viennent à être découvertes,
une plus grande quantité de métaux précieux est apportée au mar
ché ; et la quantité des autres choses propres aux hommes et aux
commodités de la vie contre laquelle ils doivent s’échanger étant la
même qu’auparavant, des quantités égales de ces métaux s’échange
ront nécessairement contre des quantités plus petites de ces choses. » 32
Il est vrai qu’Ad. Smith basait la valeur des biens sur la quan
tité de travail qu’ils ont coûtée ; il établit la liaison par ce passage :
« La quantité de travail que chaque unité de monnaie peut acheter
ou dont elle peut disposer, ou encore la quantité d’autres biens contre
lesquels elle s’échange, dépend toujours de la richesse ou de la pau
vreté des mines qui sont connues à l’époque où s’effectue l’échange ».
Le facteur quantité de travail est ainsi ramené au facteur quantité de
monnaie. 33
C’est donc une adhésion assez peu explicite à la théorie quanti
tative sous-entendue qui est la position exacte d’Ad. Smith. 34
K\':
27 16894 755.
28 Esprit des Lois. Livre X X II, chap. 8.
29 Sur la critique de Montesquieu par Thornton. Cf. Rist, op. cit., p. 95.
Gonnard : Histoire des Doctrines monétaires, T. II, p. 91.
30 17234 790.
31 Recherches sur la nature et les causes de la Richesse des Nations. Trad.
franç. Germain Garnier. 2 vol., Paris, Guillaumin, 1881.
32 T. II, p. 235.
33 Cf. A. Pose, op. cit., p. 17.
*
34 Cf. Ch. Rist., op. cit., p. 67.
�— 124
Rieur do 35 est partisan lui aussi de la théorie quantitative : il y
fait entrer seulement la monnaie de papier au même titre que la mon
naie métallique :
« Une circulation de papier inconvertible ne diffère en rien par ses
effets d’une circulation métallique dont l’exportation serait interdite,
la loi étant supposée effective. » 38
Et ailleurs : 37
« Quoique le papier monnaie n’ait pas de valeur intrinsèque, la
limitation de sa quantité peut lui donner la même valeur d’échange
qu’une monnaie métallique de la même dénomination. » 38
Stuart M i i l 30 enfin critique dans la théorie quantitative les subti
lités de la monnaie instrument de crédit.
« La proposition que nous avons posée sur le rapport qui fait
dépendre les prix en général de la quantité de monnaie en circulation
doit être comprise comme s’appliquant à un état de choses dans lequel
la monnaie d’or ou d’argent serait l’instrument exclusif des échanges
et passant de main en main à chaque vente, le crédit sous toutes ses
formes étant inconnu. » 40
Ainsi, adhésion de principe à la théorie quantitative.
Il ajoute immédiatement :
« Lorsque le crédit intervient comme un moyen d’acquérir sur
tout de la monnaie actuellement existante, le rapport qui existe entre
le prix et la somme de monnaie est moins direct et moins intime. On
ne peut plus donner aux rapports qui existent une expression simple
et unique. » 41
Ainsi sur le point dè savoir si la monnaie de papier joue comme
la monnaie métallique au point de vue de la théorie quantitative,
Stuart Mill est très réservé. 42
La plupart des Economistes libéraux adoptent le point de vue
classique.
On doit citer :
Michel Chevalier ; 43
35 1772-1823.
36 Ricardo : Economie Essays by David Ricardo, publiés par M. Gonner. Lon
dres. Belle and Sons, 1926. 2me essai, High price... Appendice.
37 Cf. Ch. Rist : Histoire des Doctrines relatives au Crédit et à la Monnaie.
Libr. Rec. Sirey, 1938, p. 125 et suiv.
38 Principes (l’Economie Politique, ch. X X V II, § 126.
39 1806-1873.
40 Principes d’Economie Politique. Trad. franc. Courcelle-Seneuil. 2 vol. „
Paris, T. II, p. 73. Livr. III, chap. V III, § 3. Cf. p. 13.
41 Ibid., Ci. chap. X X IV ..
42 Sur le sens exact des réserves de St. Mill. Cf. Pose, op. cit. 27 et suiv.
43 Cours sur la Monnaie, 1850. Bruxelles, Méline, Cans et Comp.
�— 125 —
'■V
Emile Levasseur qui écrit : « . . . Nous disons que la valeur des
métaux précieux a pour fondement le coût de production et pour
régulateur l’offre et la demande, c’est-à-dire le rapport qui existe
entre la quantité des métaux actuellement disponibles multipliée par
la rapidité de circulation et la somme totale des marchandises et du
travail actuellement en vente multipliée par la rapidité de la circula
tion et diminuée de toute la quantité achetée par le moyen du cré
dit » ; 44
New m arch45 adhère avec des nuances à la théorie traditionnelle ;
De Foville avec d’importantes réserves sur la proportionalité
rigoureuse de la formule ; 46
De Laveleye ; 17
Et Cl. Juglar. 18
Arthur Raffalovich,
dans deux articles de l’Economiste Fran
çais, 50 a particulièrement insisté sur les effets de l’inflation entraînant
une hausse des prix.
Il souscrit à l’affirmation de l’économiste anglais Nicholson (Dis
cussion à la Société Royale de Statistique de Londres, 1917) : « On
peut dire sans offenser personne que, même en temps de guerre, les
mêmes causes produisent les mêmes effets. Si l'inflation monétaire
continue, les hausses de prix continueront aussi. »
Il faut signaler, à côté de Levasseur, un autre Economiste, l'An
glais Warren M. Persons, comme précurseur de la mise en formule
de la théorie quantitative.
Celui-ci, dans un article intitulé : 51 « The quantity theorv as tested
by Kemmerer », fait l’hypothèse idéale suivante : une société com44 La question de l'or. 1 v o l., Paris, 1858, p. 118.
Levasseur arrive à la formule algébrique suivante : « Soit T la somme totale du
travail et des marchandises, C la rapidité de la circulation générale, C r le crédit sous
toutes ses formes, M. la quantité de métaux précieux, R la partie de ces métaux qui
est fixée ou réservée, C ' la rapidité de la circulation particulière des métaux, nous
dirons que la valeur des métaux est égale à
T C
.
■
;
^
(M — R ) C ' + Cr
...s a n s avoir la prétention de donner à des termes aussi difficiles à préciser une
rigueur mathématique ».
15 Newmarch ; Took and Newmarch. Historv of Prices, T. VI.
46 De Foville : La Monnaie. 1 v o l., Paris, Lecoffre, 1907, p. 140.
41 De Laveleye : Le marché monétaire. 1 vol., Paris, p. 128.
48 Cl. Juglar : Du change et de la liberté d’émission. Paris, p. 2.
49 1855-1921.
50 L'inflation et les prix. Economiste Français, 1917, 2me sem. pp. 491 et 589.
51 The quaterly journal of Economies. Vol. X X II, n° 2, févr. 1908, p. 274.
�—
126
—
plètement isolée, possédant un système d’échange et point de crédit ; la
monnaie consiste en 10. 000 pièces toutes semblables et toutes émi
ses par le gouvernement seul.
Appelant alors M
R
N
E
P
la quantité de monnaie en circulation,
le nombre de fois que la monnaie est employée,
le nombre d’objets échangés,
le nombre de fois qu’ils sont échangés,
leur prix.
Persons pose l’équation MR = NEP
MR
ou
P = -------NE
Après les partisans, il faut étudier maintenant les adversaires et
les critiques de cette fameuse théorie. 52
T ooke, 53 à propos des faits monétaires en Angleterre après les
guerres napoléoniennes, conteste l’exactitude de la théorie quantita
tive.
On peut, avec Barrault,54classer les adversaires de la théorie quan
titative en deux groupes distincts :
a) Critiques modérées ;
h) Critiques radicales.
a) Critiques modérées.
Tel, par exemple, Paul Leroy-Beaulieu. 55
Cet auteur, dans son grand traité théorique et pratique d’Economie Politique,56 écrit :
« Lorsque la monnaie augmente dans un pays à production et à
échanges stationnaires, les changements de prix doivent être, à la
longue, strictement proportionnels à l’augmentation de l’instrument
monétaire : nous disons à la longue parce que diverses influences,
comme l’état des crédits, ont aussi, en dehors de la monnaie propre
ment dite, une influence sur les prix, mais cette influence du crédit
52 Bibl. H. -E. Barrault : Le sens et la portée des théories antiquantitatives de
la monnaie. Revue d’Histoire des Doctrines Economiques, 1910, p. 373.
53 1774-1858. Sur les détails, Ch. Rist, op. cit. p. 168 et suiv.
A History of Prices and of the state of Circulation during the years, 1793-1856
l re partie, 1838 2!ne partie. Edition Gregory, 1928.
54 Art. précité.
55 1843-1916.
56 Traité théorique et pratique d’Economie Politique. 3v>e é d ., 4 v ol., Paris,
Guillaumin, 1900, T. III, p. 148.
�sur les prix est surtout sensible dans les périodes anormales ; dans
les conditions normales et habituelles du crédit, tout changement
dans la quantité de monnaie doit se traduire par une hausse ou une
baisse proportionnelle des prix. » 57
En somme, la critique de Leroy-Beaulieu consiste à rétablir cer
tains facteurs comme le crédit et d’autres encore comme l’accroisse
ment de la production ou des échanges.
Le moins qu'on puisse dire, c’est que la doctrine de Paul LeroyBeaulieu manque 58 de rigueur scientifique.
b) Critiques radicales.
Ce groupe d’économistes admet que la théorie est absolument
fausse.
Il faut citer :
Laughlin dans ses Principles of Money ; 59
Mongin dans un article : Des changements de la valeur de la
monnaie ; 60
Conant dans son ouvrage : Monnaie et Banque ; 61
Wesley Mitchell dans une étude : Quantity theory of value of
money ; 63
Ivinley dans un ouvrage : Money ; 63
Et enfin, M. Nogaro dans plusieurs articles et ouvrages. 64 Le
point de vue de ce dernier est une confrontation de la théorie avec les
expériences monétaires contemporaines qui la contredisent.
II. FORM ULES AC TU E LLES
Une précision mathématique, suivie d’une discussion mathéma
tique, a été apportée de nos jours par M. Irwing Fischer. 65
57
M. Pose (op. cit. ) explique que les libéraux français s’occupaient surtout de
la politique à laquelle conduisaient les théories par eux acceptées.
68 Cf. Taylor, chap. On Money, pp. 209 et 236-,
59 Londres, John Murray. 1 v o l., 1903.
60 Rev. d’Ec. P o lit., 1887, p. 138.
Cf. du même. De l'abondance de la monnaie métallique. Rev. d’E. P . , 1888,,
li. G67.
81 Trad. franç. R .-G . Lévy. 1 vol., Paris, 1907, p. 179.
82 Journal of Political Economy. Mars 1896, p. 146.
83 1 v o l., New-York, Mac Millan, 1904, p. 143.
61 L ’expérience bimétalliste au X IX me siècle. Rev. d ’E. P . , 1908, p. 667.
Contribution à une théorie réaliste de la monnaie. Rev. d’E. P . , 1906, p. 692.
La monnaie et les phénomènes monétaires contemporains. 1 v o l., Libr. Générale de
Droit et de Jurisprudence, 2mc édit., 1935, p. 235 et suiv.
65 II aurait eu pour précurseur Simon Newcomb, 1885. Principles of political
economy.
�—
I
o f
128
—
Celui-ci, dans un ouvrage intitulé
Money : 66
:
The perchasing power
Soit M la quantité de monnaies métalliques et de billets de banque
en circulation,
M’
V
V’
T
P
On a
la
la
la
la
le
masse des dépôts en banque,
vitesse de circulation de M,
vitesse de circulation de M’,
masse des transactions,
prix moyen de chaque transaction.
:
MV
+
M’V ’ . = T P 67
MM. Pigou et Keynes ont donné leur complète adhésion à la
théorie de M. Irving Fisher.
■' W
-V " «
.'»
m
Pour prouver la théorie quantitative, M. Irving Fisher remarque
que si M varie, M’ variera dans le même sens ; V et V ’ ne doivent
normalement pas changer : T ne saurait donc être affecté que par
une variation de M.
D'après l'auteur, la théorie quantitative est exacte parce que
quelles que soient les conditions de la technique industrielle et du
perfectionnement dans la civilisation, les dépôts tendent toujours à
se fixer dans un rapport stable ou normal à la monnaie en circulation. Dans ses effets définitifs, le doublement de M équivaut donc au
doublement similaire de M et de M’ » 68
«
«
La théorie quantitative, conclut M. Irving Fisher, est exacte
en ce sens que l’effet normal d’un accroissement dans la quantité de
monnaie en circulation est une hausse rigoureusement proportion
nelle dans le niveau général des prix. » 69
L ’auteur admet toutefois que la théorie n’est pas rigoureusement
vraie dans les périodes de transition. 70
M. Keynes arrive à une formule assez sensiblement différente.
66 1 vol. Trad. franç. Roger Picard et Bontoux. Le pouvoir d’achat de la mon
naie. t v o l., Paris, Giard, 1926.
67 On a justement remarqué que cette équation ne saurait être contestée, mais
q u ’elle ne saurait par elle-même ni confirmer ni infirmer la théorie quantitative.
(Pose, op. cit., p. 34).
68 Sur l’action des autres facteurs, Cf. Pose, art. cité p. 171.
' ' '
:
■"
'
"
'
-■
l
69 Op. cit. Trad. franç. p. 181.
70 Op. cit., p. 186.
*
�129
Soit n le nombre des unités monétaires en circulation,
p le prix de l’unité de consommation,
k le nombre des unités de consommation que le public se
propose d’acquérir au moyen de la monnaie liquide,
K ’ le nombre des unités de consommation que le public se
propose d'acquérir au moyen des dépôts effectués
auprès des banques,
r les réserves monétaires des banques maintenues liquides
pour faire face aux engagements,
L ’auteur arrive
à
la formule : 71
n = p (k + r k’)
Cari Snyder continue le courant doctrinal de Fisher. 72
Dans une série d’articles intitulés : « Nouvelles mesures dans
l’équation de l’échange 73, « Structure et inertie des prix » 71 et « Sta
bilité monétaire et économique75, l’auteur prend comme point de
départ la formule de Fisher, mais oriente son étude sur les dépôts
en banque et parmi eux surtout sur les « demand deposits ». Il per
fectionne l’évaluation des différents facteurs et en particulier de celui
du prix.
Après cette longue série de recherches, il conclut en faveur de la
théorie de Bodin et de Ricardo. Il présente d’ailleurs sa solution
comme élaborée sur des bases nouvelles qui se trouvent rejoindre
les anciennes.
M. Trucliy, entre autres économistes français, accepte dans les
termes suivants, la loi de la théorie quantitative :
« La théorie quantitative étant une simple identité, est une certi
tude logique. Mais la vérification expérimentale en est souvent incer
taine, en raison de la multiplicité des éléments en jeu. » 76
71 Cf. F. Perroux : Cours d’Economie politique, Paris, éd. Domat-Montchrestien, 1939, T. III, p. 35 où est signalée l’originalité de la nouvelle formule.
72 Sur Snyder et sa position en face de la théorie quantitative.
Cf. G. Pirou : Les nouveaux courants de la théorie économique aux EtatsUnis. Fasc. III, Paris, Edit. Domat-Montchrestien, 1938, p. 197 et suiv.
73 American Economie Review, décembre 1924.
71 American Economie Review, juin 1934.
75 Quaterly journal of Economies, février 1936.
76 Cours d’Economie Politique.
p. 517.
4™e édition. Libr.
du Rec* Sirey, 1936, T. I,
9
�Et plus loin : « Il ne faut pas demander à la théorie quantitative
plus qu’elle ne peut donner ». 77 L ’auteur explique alors que la théorie
rend compte des mouvements généraux des prix, « les marées des
prix » mais « pas des fluctuations quotidiennes ou des fluctuations de
courte durée » . 78
François Simiand 79 n’aborde que de biais le problème dans son
étude : La Monnaie, réalité sociale 80 ; il prend néanmoins position
dans le clan des antiquantitativistes.
Sa critique est surtout théorique : les variations des prix ne sont
pas exactement proportionnelles aux variations des quantités de mon
naie. Il établit le point de vue psychologique. Au surplus, voici résu
mée par lui-même sa position doctrinale :
« Qu’est-ce à dire, sinon que cette thèse quantitative se montre
radicalement erronée en pensant tirer d’un rapport entre des quan
tités physiques une valeur économique : si cette valeur économique
varie alors, elle varie seulement par le fait du retentissement de ces
mouvements physiques dans l’esprit et sur les actions ou réactions
des hommes ; et disons plus : dans l’esprit et sur les actions et réac
tions des hommes, non pas comme individus, mais des groupes fonc
tionnels, des classes, des nations, de la société tout entière ». 81
M. Bertrand Nogaro, après un examen critique dont il sera parlé
plus loin 82, admet la l o i 88 avec réserve dans les termes suivants :84
« Sur un marché soumis à la concurrence, les prix, à supposer
l'offre constante, tendent à s’élever si la quantité de mopnaie que tra
duit la demande s’accroît et à baisser dans le cas contraire. »
La loi peut être considérée « comme généralement vérifiée dans
les cas extrêmes » et justifiée « dans la mesure où une variation de la
demande correspond à une variation de l’économie, et autant qu’elle
explique la hausse des prix, à partir du moment où celle-ci dépasse la
limite correspondant à un accroissement possible de la production. » 81
77 Ibid., p.
78 Ibid., p.
517.
517.
79 1872-1935.
80 Annales Sociologiques. Série D. Sociologie économique. Fascicule 1, Paris,
Alcan, 1935.
81 Op. cit., p. 43.
82 Cf. infra, p. 136.
83 B. Nogaro : Monnaie, prix et change. Expériences récentes et théorie. Paris,
Libr. du Rec. Sirey, 1927.
B. Nogaro : La monnaie et les phénomènes monétaires contemporains. 2me édi
tion, Paris, Libr. Générale de Droit et de Jurisprudence,*1935.
84 2 me édition, p. 159.
�131 —
En résumé, une corrélation, mais pas une corrélation mathéma
tique.
M. Nogaro, en théoricien remarquable, a même cherché et réussi
à préciser sur certains points la théorie quantitative.
Dans une brillante intervention au Congrès International des
Sciences Economiques, Paris, 1937,85 il a, pour éclaircir un point
de la discussion, « cherché à remonter jusqu’aux fondements de la
théorie quantitative. »
« La théorie quantitative me paraît reposer sur deux sortes de
fondements. D'abord un souvenir général et un peu vague des grandes
variations dans le stock monétaire, notamment dans les périodes dites
d’inflation et de grandes variations de prix concomitantes. Ensuite,
sur un fait d’observation courante et constamment répété : la hausse
de prix que nous constatons sur un marché où la monnaie afflue, la
baisse qui se produit dans le cas contraire. » 80
L ’auteur ajoute : « Mais lorsqu’on formule cette théorie comme
une loi de la monnaie, on la projette en quelque sorte dans l’abstrait.
On l’étend du domaine limite et bien défini d’un marché de produits
finis fonctionnant sous le régime de la concurrence, au domaine beau
coup plus étendu d’une économie nationale ou de l’économie mon
diale. » 87
Et dans ces nouveaux domaines « on dépasse d’un seul coup les
données de l’expérience courante » . 88 II y a alors de multiples élé
ments d’indétermination. Et l’auteur conclut qu’on peut donc « affir
mer ce qui est au total, dans le dynamisme d’une économie, à un
moment donné l’influence d’une variation de la quantité de monnaie
sur les prix. » 89
Dans une étude plus récente90, M. Nogaro précise encore ses
critiques : pour lui, la formule de M. Fisher n’a aucun lien logique
avec la théorie quantitative. Il écrit, après avoir reproduit la formule
célèbre :
« A première vue, c’est la formule même de la théorie quantita
tive. A la réflexion, il n’y a, entre cette formule et la théorie quanti-
85 Congrès International des Sciences Economiques.
Paris, Domat-Montchrestien, 1938, T. I, p. 424 et suiv.
Compte rendu.
4 v ol.,
86 Op. cit., p. 425.
S7 et 88 Q p
c j(. ^ p_ 4 2 g
89 Op. cit., p. 427.
90 B. Nogaro : Problèmes contemporains des finances publiques.
tions Domat-Montchrestien, 1940, u. 261.
Paris, Edi
�— 132
tative aucun lien logique. 91 En effet, la théorie quantitative nous
enseigne que si la quantité de monnaie augmente, la quantité de mar
chandises restant constante, les prix monteront (futur), c’est-à-dire
que l’on donne plus de monnaie pour une même quantité de mar
chandises et inversement — sans nous donner d’ailleurs la formule
mathématique de cette hausse ou de cette baisse des prix. La formule
d’Irving Fisher correspond à toute autre hypothèse : elle suppose
l’échange effectué (passé) ; elle considère non plus les quantités de
marchandises et la somme de monnaie présentée sur le marché en
vue de l’échange et dont une partie seulement s’échangera, mais les
quantités déjà échangées ;92 et c’est pourquoi elle nous démontre,
par le raisonnement mathématique le plus élémentaire, que le prix du
marché est égal au rapport entre la quantité de monnaie et la quan
tité de marchandises, mais lés quantités échangées ne sont, de part et
d’autre, que des fractions indéterminées à priori des quantités totales
de monnaie et de marchandises présentées sur le marché. Or, c’est de
ces dernières qu’il s’agissait. 93
« Ain si94 donc, conclut-il, la théorie quantitative ne peut préten
dre à une rigueur que ni le raisonnement déductif, ni une formule
mathématique ne sauraient lui donner. » 95
M. Charles Rist, après une étude sur la vérification de la loi,’ *
aboutit97 à la position doctrinale suivante :
M. Rist semble admettre l’exactitude de la théorie quantitative
jusqu’à la guerre 1914-1918 : « Les grandes périodes de hausse corres
pondent à des époques où l’accroissement de la quantité d’or dans
9l, 92 et 93 En italiques dans le texte.
94 Ibid., p. 268.
95 O n trouvera encore la même position exposée par M. Nogaro dans son récent
ouvrage, Cours d’Economie Politique. 1 vol., Paris, Ed. Domat-Montchrestien, 1943,
p. 369 et suiv., et dans son autre ouvrage, Principes de théorie économique. 1 v o l.,
Paris, 1943, Libr. Générale de Droit et de Jurisprudence, pp. 176-187. Il écrit dans
ce dernier ouvrage : « Sous le bénéfice des observations qui précèdent, il convient
de conclure que la théorie quantitative se vérifie, dans la mesure où l’action exercée
sur la demande des marchandises et suivies par une variation de la quantité de mon
naie disponible, au cours d’une certaine période, dépasse l’action qu’elle peut exercer
sur la production, et partant, sur l’offre au cours de la même période ». Op. cit.
p. 187.
96 Cf. infra p. 137.
97 Ch. Rist : Théorie relative à l’action de l’or et du taux de l’escompte sur le
niveau général des prix. Rev. d’E. P . , 1935, p. 1495.
Ch. Rist : Stabilité des Changes et Parités monétaires. C 06 au Centre poly
technicien d’études économiques. X Crise, oct. n o v., déç. 1935, nos 27-28, p. 5.
Ch. Rist : Histoire des Doctrines relatives au crédit et à la monnaie. 1 vol.,
Paris, Libr. du Rec. Sirey', 1938, p. 80 et suiv.
�le monde a été supérieure à 2,3 % et la période de baisse à une période
où l’accroissement est tombé au-dessous de ce niveau. » 98
Cependant, en 1913-1916, l’accroissement de l’or, moindre de
2,3 %, aurait dû se traduire par une baisse de prix. On constate au
contraire une hausse qui atteint de 50 à 60 %. « Cette divergence
s’explique par des circonstances exceptionnelles et uniques. » 99 II n’y
a aucune raison de croire que cette exception, à moins d’une nou
velle guerre, pourra se reproduire.
Ainsi pour M. Rist, la loi est vraie : chaque fois que la variation
de la quantité de monnaie, mesurée par l’accroissement de la juridic
tion de l’or, dépasse 2,3 %, il y a hausse ; si l’accroissement est moin
dre de 2,3 %, il y a baisse.
Les périodes de guerre constituent un démenti donné par les faits
à l’exactitude de la loi.
Une autre étude 100 du même auteur, pour la période 1850-1930,
souligne la concordance à diverses époques, 1850-1875 et 1895-1910, et
conteste le parallélisme entre l’accroissement de la production de l’or
et la baisse des prix : elle se concilie avec la précédente grâce au jeu
du développement des instruments de crédit et de la vitesse de circu
lation de la monnaie, parallèle à l’augmentation de la production de
l’or. Elle souligne la complexité du problème.
M. Etienne AntoneUi, dans son étude « L ’Economie pure du Capi
talisme,101 donne la formule classique de la théorie quantitative :
« Toute augmentation ou diminution dans la quantité de la mar
chandise monnaie a pour effet une augmentation ou une diminution
sènsiblement proportionnelle dans les prix. » 102
Mais il ajoute plus loin :
« Il importe de remarquer que les économistes qui la contestent —
et qui ont raison, croyons-nous, de la contester — se placent au point
de vue de l'économie appliquée : Les conditions où se place l’économie
pure sont différentes, en ce sens qu’elle néglige, dans sa première
approximation, un certain nombre d’éléments qui doivent être pris
obligatoirement en considération en économie appliquée. » 103
98 X Crise loc. cit. p. 9, voir le graphique publié Ibid.
99 Ibid...
100 Quelques observations sur les relations entre la vitesse d’accroissement de
la production de l’or et les mouvements des prix. Revue d’E. P . , 1938, p. 1314.
101 1 vol., Paris, Rivière, 1939.
102 Op.
cit., p. 211.
�— 134 —
Ainsi, la loi est vraie en économie pure seulement ; elle ne l’est
pas en économie appliquée.
M. Ernest Wagemann, dans un livre récent104 porte le jugement
suivant sur la théorie quantitative qui est pour lui naïve :
« La théorie quantitative de la monnaie paraît fort attrayante au
bon sens ; aussi jouit-elle de la faveur générale. Pourtant, elle est
aussi futile que le sont toutes les généralisations poussées trop loin.
Elle peut nous devenir franchement dangereuse, parce qu’elle con
duit à des conclusions fausses : par exemple, à l’idée qu’il suffit, en cas
de dépression, d’introduire de la monnaie dans l’économie pour élever
les prix et remettre en marche une production qui languissait ; ou
qu’il suffit de la résorber pour que les prix baissent et puissent ainsi
maintenir le commerce sur le marché mondial. »
C ’est le point de vue d'un grand réalisateur en matière de finance
ment des dépenses de guerre. On comprend aisément son jugement.
M. François Perroux, dans une étude récente,105 s’inscrit au nom
bre des adversaires, de la théorie quantitative :106
11 reproche d’abord à la même théorie quantitative ses insuffi
sances théoriques. 107 « La théorie quantitative et ses variantes tou
jours plus spécifiées et relativisées ajustent des quantités globales con
sidérées au sein d’une économie (quantité de monnaie, quantité de
dépôts mobilisables par chèques, quantité de biens échangés) et des
moyennes (vitesse de circulation de la monnaie, vitesse de circulation
des dépôts mobilisables par chèques) » . . . Elle tend à attirer unilaté
ralement l’attention sur certains aspects de la monnaie et les quantitativistes finissent par raisonner comme si quantités et moyennes
avaient une action indépendante des usagers de la monnaie.
C’est là une nouvelle objection qui va très loin. De plus, M. Per
roux invoque l'expérience contre la dite théorie. Il écrit :
« Il est important, certes, de montrer que la théorie quantitative
ne peut rendre compte ni de l’expérience tchécoslovaque de déflation
poursuivie après 1918, ni de l’inflation allemande de 1918 à 1923, ni
de la monnaie française de 1926 à 1939. »
M. Perroux cherche, comme on sait, à la remplacer par une autre
théorie, « projection simplifiée de la réalité ».
104 D ’où vient tout cet argent ? trad. franc. F. Coërs. 1 vol., Paris, Plon, 1941,
p. 138.
105 L ’intégration de la théorie de la valeur de la monnaie à la théorie de la
valeur des biens. Economie contemporaine, sept. 1943, p. 4.
106 Art. cit., p. 7.
107 Art. cit., p. 11.
�— 135 —
III.
EXAM EN C R ITIQ U E
Il faut ici étudier successivement :
a) les conditions de la vérification de la formule ;
b ) les résultats de cette vérification.
a) L es
conditions de la v érificatio n de la formule
La critique moderne lu8 a, avec juste raison, appelé l’attention sur
les imperfections jusqu’alors courantes dans la vérification cherchée.
Il suffira de résumer brièvement cette critique.
L ’idée générale des observations présentées est la suivante :
Dans la nature des statistiques utilisées, il y a de nombreuses
imperfections qui risquent de vicier les résultats obtenus :
Choix exclusif des statistiques concernant les prix de gros ;
Choix arbitraire des périodes considérées ;
Utilisation seulement des statistiques se référant au métal jaune ;
Postulats indûment admis : par exemple, le stock monétaire total
se développe en proportion du stock métallique, etc.
De même, dans le maniement des données statistiques utilisées, il
y a des fautes de méthodes qui sont contraires à la véritable méthode
d’observation :
On ne compare pas les différents facteurs envisagés pour des
périodes égales : ici une année, là une certaine durée.
On néglige un autre facteur qui a son importance : l’accroissement
du stock des marchandises.
On accorde une insuffisante importance à certains décalages qui
ont cependant un effet certain et permettraient de douter de l’action
réelle de tel ou tel facteur.
b) L es
résultats de cette v érificatio n
On ne retiendra ici, pour en présenter un substantiel résumé, que
les trois sources capitales suivantes :
1° Les rapports de la délégation de l’or de la Société des Nations ;
2° Les travaux de M. Nogaro ;
3° Les recherches de M. Ch. Rist.
108
Nogaro : Surtout dans L a Méthode de l’Economie Politique. 1 v o l., Paris,
Libr. Générale de Droit et de Jurisprudence, 1939, p. 171 et suiv.
�— 136 —
1° Les travaux de la Délégation de l’O r 109
D’après le résumé qu’en a donné M. Nogaro,,110 on peut distinguer
pour le xixme et le xx'me siècles les quatre phases suivantes :
a ) De 1800 à 1850, accroissement faible du stock d’or (0,55 par an
en moyenne), tendance après 1820 à la baisse des prix ;
b) De 1850 à 1870, accroissement considérable dans la quantité
d’or produite (la moyenne annuelle, qui était de 200 millions de francs
Germinal de 1841 à 1850, passe à 700 millions de francs pour la décade
1850-1860 et 650 millions de francs pour la décade 1861-1870), hausse
considérable des prix pour la période 1850-1873 ;
c) De 1871 à 1890, diminution de la production de l’or (celle-ci
passe à 600 millions de francs pour la décade 1871-1880 et 550 millions
de francs pour la décade 1881-1890) : baisse des prix dans cette période
qui se prolonge jusqu’en 1876 ;
d) de 1890 à 1915, accroissement du stock d’or mondial (moyennes
annuelles : 850 millions de francs de 1891 à 1895 ; 1.333 millions de
francs de 1896 à 1900 et 2.400 millions de francs pour 1901-1915) et,
en même temps, hausse des prix après 1897. 111
Il y aurait — approximativement — vérification de la loi de la
théorie quantitative.
2° Les travaux de M. Nogaro 112
Voici, d’après une note de l’auteur,113 la position prise par
M. Nogaro sur la vérification de la loi de la théorie quantitative au
xix"'0 siècle :
« En ce qui concerne les faits, nous rappellerons que, pour établir
la concordance entre le mouvement des prix et la progression du
stock d’or, on utilise habituellement la courbe britannique ou la courbe
française et seulement à partir de 1850. Ainsi, on a la sensation
d’une montée' en flèche des prix à partir de 1851. Or, cette montée en
flèche suit une descente non moins rapide, qui s’était produite entre
109 Société des Nations. Rapport provisoire de la délégation de l’or des Comités
financiers, Genève, 1930.
110 Nogaro : Op. cit. Méthode de l’Economie Politique, p. 167.
111 M. Cassel enregistre ces résultats par un graphique reproduit par M. Nogaro
(op. cit. p. 169) et critiqué par ce dernier (op. cit. , p. 170). Délégation de l’o r .. Rap
port provisoire, p. 73.
112 L a monnaie et les phénomènes monétaires contemporains. 2™° édit., 1 v o l.,
Paris, Libr. Générale de Droit et de Jurisprudence, 1935, p. 267.
La Méthode de l’Economie Politique. 1 v o l., Paris, Libr. Générale de Droit et
de Jurisprudence, 1939, p. 171.
113 B. Nogaro : Une interprétation de la chute des, prix depuis 1925. Revue
d’E. P , 1936, p. 1616.
�— 137 —
1848 et 1850, et, en Grande-Bretagne, la hausse ne ramène pas le
niveau des prix au-dessus de celui qu’il avait déjà atteint en 1840. En
France, on peut faire une observation analogue, à cela près que les prix
s’élèvent effectivement en 1857 à un niveau supérieur à celui des déca
des précédentes... Enfin, il convient de noter que la hausse s’est pro
duite en France avant l’arrivée de l’or. Par contre, la hausse posté
rieure à 1850 est presque imperceptible dans la courbe américaine,
alors que l’accroissement principal — et de beaucoup — du stock d’or
a eu lieu aux Etats-Unis. »
En résumé, diverses observations tendant, pour cette période, à
montrer que la loi ne s’applique pas avec une rigueur scientifique
marquée.
Ailleurs, M. Nogaro, poursuivant l’examen critique, relève plu
sieurs cas qui prouvent contre la loi :
Par exemple, le cas de la Russie, « d’un de ces cas bien classiques
mais en fait assez rares, de dépréciation interne essentiellement causée
par la multiplication indéfinie de l’instrument monétaire. » 114
3° Les travaux de M. Ch. R is t115
Dans le chapitre VI, Production de l’or et mouvement des prix,
de sa belle étude, Doctrines relatives à l’action de l’or sur les prix,
l’auteur poursuit par périodes la vérification de la loi de la théorie
quantitative :
Pour la période correspondant à l’afflux de l'or de Californie et
d’Australie, l’auteur, après une analyse des théories, conclut : « La
coïncidence si remarquable de l’afflux d’or, de la prospérité et de la
hausse des prix qui est apparue après 1850 n’a été niée depuis par per
sonne. Elle s’est imposée à la majorité des économistes et l’on n’a
jamais cessé de voir entre le premier phénomène et les deux autres
une relation de cause à effet. » 110
Pour la période 1873-1895, après avoir rappelé les controverses
défavorables à une vue scientifique des choses, M. Rist semble voir
une insuffisance de l’or et une période de baisse des prix.
114 L a Monnaie et les phénomènes monétaires contemporains, p. 159 et p. 171.
Cf. Nogaro : Cours d’Economie Politique. Paris, 1943, Domat-Montchrestien.
p. 379 et suiv.
115 Doctrines relatives à l’Action de l'or sur les Prix. Rev. d’E. P . , 1936, p. 1473.
Ch. Rist : Histoire des Doctrines relatives au Crédit et à la monnaie. 1 vol.,
Libr. du Rec. Sirey, 1939, p. 236 et Suiv.
Ch. Rist : Interprétation de la chûte des prix depuis 1925, extrait des Mélanges
Mahaim, T. I, in-en 8°, Paris, Libr. du Rec. Sirey, 1936.
116 Ibid., Doctrines relatives... p. 242.
,
117 Ibid-, Doctrines..., pp. 243-265.
�Pour les périodes 1895-1914,118 il y a pour lui abondance de l’or et
hausse des prix. 119
Pour la chute dies prix depuis 1925, 120 M. Ch. Rist admet que le
mouvement des prix se renverse suivant que l’accroissement annuel
du stock d’or est supérieur ou inférieur à 2,3 % entre la courbe des
prix et celle de la production de l’or.
La hausse des prix entre 1919 et 1931 s’explique avec un taux
annuel d’accroissement de la production de l’or inférieur à 2,3 %. 121
4° Les travaux de M. Dillard 122 sont consacrés plus spécialement
à l'étude de la monnaie française : il montre comment la théorie
quantitative ne rend pas compte de l’évolution de cette monnaie de
1928 à 1939.
Ainsi et dans l’ensemble, à quelques nuances près, la vérification
critique de la loi de la théorie quantitative semble permettre de con
clure au caractère scientifique de cette loi.
118 Ibid., D octrines..., pp. 265-270.
119 Dans une étude précédente (L a Circulation monétaire française et le mou-vement des prix. Rev. d’E. P . , 1914, p. 276), M. Rist constate un certain parallé
lisme entre le mouvement des prix et les quantités de monnaie en circulation, sur
tout de 1876 à 1910.
120 Rist, op. cit.
,
121 Cf. les observations critiques de M. Nogaro. Rçv. d’E .P ., 1936, p. 1614.
122 Dillard : L ’évolution de la monnaie française. 1 v o l., Paris, Sorlot, 1940.
�C H A P IT R E IX
LA LOI DE LA BAISSE DE LA VALEUR DE LA MONNAIE
On sait, comme point de départ, que la valeur de la monnaie a
été, au cours des siècles, en baisse de façon constante. Peut-on voir
là une véritable loi économique ?
M. René Gonnard l'a pensé et, dans un article récent,1 parle
d une véritable loi et même de deux lois. Il écrit :
« Si l’on envisage de très haut, dans ses grandes lignes, l’évolution
de l'institution monétaire, il apparaît que deux grandes lois historiques
l’ont, jusqu’à nos jours, gouvernée : deux lois dont les effets s’addi
tionnent, de siècle en siècle, depuis que l’homme s’est avisé de choi
sir certains métaux pour servir de moyen d’évaluation et d’échange.
Et l’on pourrait désigner ces deux lois l’une par le nom de ldi de
dévalorisation, l’autre par celui de loi de dévaluation. Deux termes
que le langage courant emploie parfois l’un pour l’autre, mais qui pren
nent dans la terminologie économique deux sens distincts et précis. »
L ’auteur indique ensuite que la monnaie se dévalorise lorsque la
matière dont elle est faite, perd, pour une même quantité, une partie
de sa valeur d’échange ; elle se dévalue ou elle est dévaluée, par le
fait volontaire de l’homme lorsque l’unité monétaire est définie par
un poids moindre ou par le même poids à un titre abaissé.
Ainsi il y aurait baisse de la valeur de la monnaie par deux moyens
qui se juxtaposent : dévalorisation ou dévaluation.
Cette affirmation de M. Gonnard nous oblige à une double
recherche :
Pour le passé, y a-t-il eu des précurseurs pour cette nouvelle
formule de loi économique ?
Du point de vue critique, la constatation est-elle exacte et peuton dire qu’il y ait là une loi économique ?
1
Quelques enseignements de l’histoire monétaire.
industrielle et financière, 22 février 1936.
L'Orientation économique,
�— 140 —
I. L es
précurseurs
A vrai dire, pour autant que mes recherches sur ce point soient
exactes, on trouve chez beaucoup d’auteurs un sentiment confus ou
un pressentiment de la formule plus encore que l’affirmation nette de
ce qui serait une véritable loi.
On ne relève à peu près rien dans les doctrines monétaires de
l’Antiquité au xvii“ e siècle. 2
Au xixme siècle, les libéraux ont, avec des nuances, ce sentiment
de la baisse de la valeur de la monnaie.
Il y a aussi une théorie de la compensation de Lexis citée par
Menger dans son étude de la Revue d’Economie Politique (1892, p.
165). Les causes de baisse et de hausse de la valeur de la monnaie se
compenseraient.
Cette théorie paraît assez à priori sans que les faits semblent
la confirmer.
Pour revenir à la formule de la baisse de la valeur de la monnaie,
Paul Cauivès, dans son Cours d’Economie Politique,3 insiste sur les
difficultés du problème, à son sens insurmontables.
Il cite toutefois des exemples de baisse frappante dans la valeur de
la monnaie, sans conclure à une baisse générale et absolue.
Paul Leroy-Beaulieu affirme, dans son grand Traité, que les divers
métaux (fer, étain, cuivre, argent) se sont remplacés les uns les autres
comme monnaie, que la valeur de la monnaie dépend des forces de
production de chacun des métaux précieux qui vont en baissant. 4
Ses développements relèvent soigneusement la baisse de la valeur de
la monnaie sans l’affirmer continue et générale. 5
Ch. Gide, * dans son Cours d’Economie Politique,7 intitule un
paragraphe : « De la dépréciation de la monnaie au cours des siè
cles » et écrit :
« La dépréciation continue de la monnaie métallique est un fait
démontré par tous les documents historiques, tout au moins depuis
un millier d’années. Cette dépréciation a été énorme, et elle a suivi
une marche parallèle à celle de la production de l’or. » 8
2 Ci. R. Gonnard : Histoire des Doctrines monétaires dans ses rapports avec
l’histoire des monnaies, T. I, Paris, Libr. du Rec. Sirey, 1935.
3 4 v o l., Paris, Larose, 1893, T . II, p .------ .
4 Traité théorique et pratique d’Economie Politique. S™6 é d ., Paris, 4 v ol., Guil
laumin, T. III, p. 169.
5 Ibid., T. III, p. 165.
6 Ch. Gide : 1847-1932.
7 Cours d Economie Politique. 10ms édition, 2 vol., Paris, Libr. du Rec. Sirev,
1930.
8 T . II, p. 415.
�II. Y
A-T-IL LA UNE VERITABLE LOI ÉCONOMIQUE ?
Sans aucun doute, le fait de la dépréciation de la monnaie, sur
tout à partir du Xme siècle et jusqu’au xvi™°, est bien connu et affirmé
par tous les historiens de la monnaie : cette dévalorisation se fait
d’ailleurs à un rythme assez divers, tantôt lente, tantôt rapide :
La valeur de la livre française passe d’un poids de 491 grammes à
l’époque carolingienne comme monnaie de compte à un poids de 5
grammes correspondant à la valeur du franc de Germinal, an XI.
La chute de la livre anglaise est semblable, moins profonde cepen
dant.
Mais si les faits sont incontestables, y a-t-il à proprement parler là
une loi économique.
Il ne le paraît pas.
Deux périodes, l’antiquité et le xixlme siècle, semblent échapper à
la constatation de la baisse générale de la valeur de la monnaie.
De plus, le mouvement de baisse a été, dans les siècles où elle
s’est réalisé, un mouvement irrégulier.
Pour ces deux raisons, la loi de la hausse dans la valeur de la
monnaie ne semble pas devoir être rangée au nombre des lois natu
relles économiques, valables et scientifiquement exactes.
�C H A P IT R E X
LA LOI DES DEPOTS EN BANQUE
A ) E
xposé
M. Mireaux, dans une étude publiée dans le Bulletin quotidien
d’études et d’informations économiques,1 formule une loi sur la for
mation des dépôts en banque :
Le développement des dépôts dans les banques est fonction à la
fois de la circulation des billets et du rapport qui existe entre les paie
ments par chèques et les paiements en espèces.
L ’auteur montre d’abord que dans les divers pays le chiffre des
dépôts bancaires dépend de la manière dont s’effectuent les paie
ments, en espèces ou par chèque.
Le montant des dépôts est d’autant plus considérable que le rap
port des paiements par chèque aux paiements en espèce est plus
élevé.
En prenant comme base la situation d’un pays où le volume
des paiements en numéraire est égal à celui des paiements par chè
ques,2 on peut admettre que le public confiera aux banques la moitié
des billets dont il dispose.
Si le public paye trois fois plus par chèques qu’en billets, la pro
portion des dépôts sera des 3/4.
Si le public enfin paye cinq fois plus par chèques qu’en billets,
il en déposera les 5/6.
1 Mireaux : Les Miracles du Crédit, 1930.
Cf. Jenny : Le fonds anglais de régularisation des changes et le crédit. Temps
financier, 20 janv. 1936.
Jenny : Financement de la guerre et politique du crédit. Temps financier,
22 janv. 1940.
Jenny : Billets de Banque et Chèques. Temps financier, 29 janvier 1940.
A bel Gardey : Rapport au Sénat sur le Budget de 1940. J. O. Doc. Parlera.
Sénat, 1931.
A
2 II s’agit, bien entendu, de chèques barrés permettant les virements bancaires.
�— 143 —
Mais il y a ensuite une accélération continue du montant des
dépôts par suite du mécanisme lui-même complété par l’action des
Banques.
Celles-ci, en effet, vont se servir des billets' ainsi déposés pour
créer du crédit à court terme : elles réservent 10 à 15 % du chiffre des
dépôts pour faire face aux demandes de remboursement, mais les
80 ou 85 % restant sur les dépôts seront automatiquement prêtés.
Le public, devant ce reflux entre ses mains d’une partie considé
rable des billets déposés par lui, va à son tour augmenter la masse
de ses dépôts en banque.
Pour illustrer, par exemple, ce mécanisme, l’auteur suppose trois
pays dont chacun possède une circulation de 100 milliards de francs
de billets.
Si dans le premier de ces pays le volume des paiements par chè
que est de une fois le volume des paiements en billets, le montant
des dépôts sera de l’ordre de 91 milliards.
Si dans le second de ces pays le volume des paiements par chè
que représente trois fois celui des paiements en billets, le montant
des dépôts sera de l’ordre de 230 milliards de francs.
Si enfin dans le troisième, le volume des paiements par chèque
augmente cinq fois celui des paiements en billets, le montant des
dépôts sera de l’ordre de 330 milliards de francs.
On a cru 3 pouvoir chercher une vérification approximative sans
doute de la loi Mireaux dans la situation comparée de la Grande-Breta
gne et de la France fin 1939.
En Grande-Bretagne, le rapport des paiements par chèque au
paiements en billets était de 6 à 1 : on estime par évaluation le total
des dépôts en Grande-Bretagne à 3.100 millions de livres sterling, soit
sensiblement 550 milliards de francs : la circulation (30 nov. 1939) attei
gnait 545 millions de £ : le montant des dépôts est près de six fois
supérieur à la circulation des billets.
En France, l’auteur estime le montant global des dépôts dans
toutes les banques à une somme de 70 à 75 milliards de francs.4 La
circulation des billets était à la même date de 144 milliards de francs.
Elle représente sensiblement le double des dépôts.
La campagne d’opinion récente en France s’est orientée dans le
sens d’un développement aussi intense que possible du paiement par
chèques dans l’espoir, si la loi Mireaux est vraie, d’augmenter consi
dérablement le montant des dépôts.
3 Jenny : Financement de la guerre et politique de crédit. Temps financier,
22 janv. 1940.
4 II l’obtient en doublant les 36 milliards de francs, montant des dépôts dans
les quatre grands établissements de crédit.
�144 —
M. Fr. Jenny, appliquant les propositions et les augmentations
ci-dessus indiquées, écrivait :5
« Quoi qu’il en soit, voici le chiffre de la circulation fiduciaire,
qui dépasse 150 milliards depuis le commencement de cette année
et compte tenu du fait que nos banques conservent actuellement une
encaisse moyenne de 13,5 % de leurs dépôts, il est permis d’affirmer
que si les Français prenaient l’habitude de faire, non plus les six dixiè
mes comme la Grande-Bretagne, mais simplement les deux tiers de
leurs paiements par chèque, le montant des dépôts bancaires excé
derait automatiquement, au bout d’un certain temps, 200 milliards
de francs, alors qu’il est à peine de 75 milliards de francs aujourd’hui.
Et si la part des règlements en billets tombait à un quart de l’ensemble
des paiements, c’est le chiffre de 300 milliards qui finirait par être
atteint et peut-être dépassé. »
B ) A ppréciatio n
critique
Dans cet essai d’appréciation, on fera purement abstraction des
conséquences ci-dessus esquissées sur la campagne à entreprendre
en France pour l’accroissement des dépôts par l’usage intensif du chè
que et sur les très heureuses conséquences surtout pour permettre
de financer la guerre, qu’aurait cet accroissement. Il ne suffit pas de
désirer qu’une loi économique soit vraie pour qu’elle le soit réelle
ment.
Deux preuves de l’exactitude de la loi sont fournies par son auteur,
le raisonnement d’abord, les faits ensuite.
Pour ce qui est du raisonnement, il semble que le développement
présenté, qui repose sur un mouvement psychologique qu’on veut
croire automatique, repose sur ce postulat : plus le particulier fera
usage du chèque barré, plus automatiquement il aura tendance à
laisser s’accroître son compte de dépôts et à rapporter à la banque de
nouveaux billets.
M. Jenny, commentant M. Mireaux, écrit : « Pourquoi ? (pour
quoi la loi jouejt-elle ?) Parce que tout naturellement les personnes
ayant l’habitude de faire plus de règlements par chèques qu’en billets
conservent moins de billets par devers elles et par conséquent en dépo
sent davantage dans les banques que celles dont le billet est le prin
cipal instrument de paiement. »
Le postulat psychologique paraît être plutôt la constatation d’une
habitude présumée d’après la pratique surtout anglaise.
Mais ce postulat psychologique me paraît quelque peu confus, je
veux dire basé sur une pratique plutôt que sur un raisonnement.
5 Temps financier, 22 janv. 1940.
�m
— 145 —
11 y a aussi l’inconvénient tiré du fait que cette habitude pourrait
venir à changer dans un autre milieu et avec d’autres pratiques.
Quant à l’observation des faits, il faut avouer que les exem
ples cités accusent bien une progression des dépôts concomittante à l’emploi de chèques, mais les estimations auxqueles on
doit nécessairement se borner pour exprimer les deux grandeurs
paiement par chèque
(rapport ------------------------------------------- et dépôts) ne justifient peut-être pas
paiement en monnaie
les proportions précises qui ont été avancées.
Comme conclusion, il y aurait donc dans la loi des dépôts mie
part indiscutable de vérité sans y vouloir ajouter des précisions rigou
reusement mathématiques. 6
Elle serait, une fois de plus, une loi contingente.
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8 Cela suffit d ’ailleurs à justifier la campagne en faveur de ['accroissement des
■dépôts dont il a été ci-dessus parlé.
�C H A P IT R E XI
LOIS RELATIVES AU CREDIT
Les lois relatives au crédit sont peu nombreuses, pour ne pas dire
inexistantes.
I. — Loi
du crédit créateur de richesse
On ne peut guère citer comme telle que la formule de Mac Leod,
qui a d’ailleurs soulevé les plus vives et les plus légitimes protesta
tions.
L ’économiste anglais Mac Leod, dans un ouvrage intitulé Theory
of C rédit1 a, en 1889, formulé l’assertion suivante qui peut, dans une
certaine mesure, être considérée comme une loi.
Le crédit serait, dit Mac Leod, par lui-même, créateur du capital
et de la richesse.
La quasi unanimité des auteurs contemporains 2 ont justement
remarqué que c’était là une prétention inadmissible. Le crédit se
réalise en des titres qui font double emploi avec la richesse matérielle
et comme tels ne doivent pas être comptés séparément comme ri
chesses.
M. Pirou est d’avis contraire et admet la formule de Mac
Leod. Il écrit : « L ’opération de crédit va chercher des biens et
des capitaux inutilisables ou peu utilisables entre les mains de ceux
qui en sont propriétaires, et elle les met pendant un temps plus ou
moins long à la disposition de personnes bien placées pour les faire
fructifier. » Elle constitue par là un accroissement de richesses.
1 Theory of Crédit, 1889, chap. I.
2 Ch. Gide : Cours d’E. P ., 4»"» é d ., 1918, T. I, p. 493.
Truchy : Cours d’E. P. , 1919, T. I, p. 325.
Conant : Monnaie et Bancpie. Trad. franç. R. -G. Lévy, 1907, T. II, p. 9.
Landry : Manuel d’Economique, 1908, p. 375.
Nogaro : Traité éléni. d’E. P ., 2™° édit., Paris, 1921, p. 198.
3 G. Pirou : Traité d’Economie Politique, xxxx Le Crédit. 1 vol., Recueil Sirey.
1944, p.
16.
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Malgré cette opinion assez isolée, la loi de Mac Leod sous la forme
que l’auteur lui a donnée semble inadmissible.4
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II. — Loi
de l ’ inflation de crédit
On pourrait encore trouver une loi du crédit dans la loi de l’in
flation de crédit.
Cette formule assez confuse se rencontre chez un certain nom
bre d’économistes contemporains.5
M. Fr. Perroux 6en donne un excellent exposé :
« Au delà des dépôts qui leur sont spontanément confiés par le
public, la banque peut créer des crédits à travers lesquels le public
sera forcé ou induit à effectuer des dépôts auprès de la banque. »
Ainsi « les crédits accordés par les banques au public exercent
une influence décisive sur les crédits accordés par le public à la ban
que. » 7
Cette multiplication ou inflation de crédit serait, toujours d’après
le même auteur, soumise aux 3 conditions suivantes :
1°) <( Il faut que la banque soit disposée à recevoir des crédits
sous forme de dépôts de la part de ses clients alors créanciers. Il faut
encore que la banque veuille accorder des crédits à ses clients alors
débiteurs ;
2°) Il faut que les clients de la banque qui ont reçu d’elle des
prêts (c’est-à-dire des débiteurs) soient disposés à utiliser les sommes
prêtées par la banque... ;
3°) Il faut que les déposants soient disposés à accorder du crédit
à la banque... »
Ainsi les banques de dépôts sont, à certaines conditions, créatri
ces de crédit, telle serait la loi proposée.
Les uns8 admettent que la conséquence serait mécanique et
automatique.
Les autres9 par une conception plus simple affirment qu’il n’v
a là qu’une simple excitation qui ne se réalise pas nécessairement.
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4 Cf. Mireaux : Les Miracles du Crédit. Ed. des Portiques, Paris, 1930.
L. Baudin : Les illusions du Crédit. Ed. Albert Levesque, Montréal, 1936.
5 W agner : Geschichte der Kredittheorien, Vienne, 1937.
K. Wicksell : Vorlesungen uber Nationalekonomie. Zweiter Band, p. 98 et suiv.
A. Gambino : L a Creazione dei crediti bancari. Giornale degli Economisti,
août 1936.
6 F. Perroux : Cours d ’Economie Politique. 4 fasc., 2me édition, Paris. Editions
Domat-Montchrestien, 1939, fasc. II, p. 233.
7 Op. cit., p. 234.
8 Roberston, Keynes, Hahn.
9 Pigou, Hawtrey, J. Schumpeter, Von Hayek’.
�— 148 —
Du point de vue critique et par une très fine analyse, M. Fr. Perroux montre que la première conception rigide et mécanique est
inacceptable, suppose, pour que la liaison se réalise, des conditions
psychologiques chez les intéressés qui ne se rencontrent jamais en
pratique.
La seconde conception souple est au contraire acceptable. Il
montre avec raison toute la complexité d’une action qui s’exerce à
travers une élévation du niveau général des prix, à travers une aug
mentation de la production et de l’épargne réelle, à travers une aug
mentation du degré de mobilisation bancaire des biens économiques.
Ainsi, si la formule peut être acceptée comme loi, elle serait,
comme tant d’autres, une loi contingente.
�C H A P IT R E X II
LES LOIS DU CHANGE
SELON L ’ ECOLE LIBERALE CLASSIQUE
Les lois du change, d’après l’Ecole libérale classique, ont été
l’objet d’une lente élaboration.
Elle se fait en face d’un double problème :
A. L a
B. La
théorie des changes normaux
;
théorie des changes anormaux ou erratiques .
A. L A TH E O R IE DES CHANGES NORM AUX
On peut, pour plus de clarté, distinguer trois lois naturelles du
change :
I.
L ’ action
de la balance des comptes
IL L ’action du
III. L es lim ites
DE
taux de l ’ escompte
;
;
de v a r iat io n des cours du change par les points
l ’o r .
Il faut rechercher chez les principaux représentants de l’Ecole
classique leur apport à ce triple point de vue.
I. L ’ action
de la balance des comptes
On a voulu v o ir 1 en divers publicistes et économistes, Barbier,
Dudley North, Cantillon, Hume, des précurseurs de cette première
formule. Mais il semble bien que tous ces auteurs insistent surtout
sur une répartition naturelle de la monnaie entre les diverses nations
et l’action de la balance des comptes sur le change est plutôt dans
leurs écrits implicitement admise qu’expressément formulée.
1 J. Pallain : Des rapports entre les variations du Change et les Prix. Thèse,
Paris, 1905, p. 18 et suiv.
�— 150 —
De façon traditionnelle, c’est à Ricardo que l’on attribue d’ordi
naire la priorité de la formule de cette première loi.
A vrai dire, ici encore, ladite loi résulte plutôt des thèses Ricardiennes en général, elle est implicitement admise dans ses œuvres
diverses plus qu’expressément dégagée.2
Stuart Milt, dans ses Principes d’Economie politique,3 donne un
exposé complet du mécanisme du change, il conclut : cc II faut obser
ver encore que le cours du change ne dépend pas de la balance des
dettes et des créances d’un pays avec un autre pays déterminé, mais
de la balance des dettes et des créances d’un pays envers tous les pays
étrangers considérés dans leur ensemble. » 4
Stuart Mill admet, lui aussi, la tendance au retour à l’équilibre
par la réaction sur les prix : 5 « les variations du change se servent à
elles-mêmes de régulateur. » 6
Il pressent aussi l’influence des changes dépréciés sur le commerce
extérieur : cc Ainsi ce que l'on appelle change contraire est un encou
ragement à l’exportation et un obstacle à l’importation. » 7
Goschen, dans son ouvrage Théorie des Changes Etrangers,8
adhère en ces termes à la théorie classique :
« La différence première qui existe dans la valeur des effets a
sa source, dans les faits suivants : ou bien le montant des droits à
exercer d’un pays sur un autre excède le montant des engagements
souscrits par ce même pays, ou bien c’est le contraire, le montant des
créances existant au-dessous des engagements. »
La critique de cette première formule est surtout contemporaine.
M. Aftalion, dans ses divers ouvrages,9 formule surtout deux
arguments :
a) Un argument de doctrine qu’il appelle l’indétermination de la
balance des comptes. Il expose comment par cette expression on peut
entendre une notion étroite, la balance des comptes de l’année, com
prenant cc l’ensemble des créances et des dettes nées des échanges de
marchandises et de services dans l’année considérée, ainsi que celles
résultant d’opérations antérieurement effectuées, mais donnant lieu
2 Ibid., Pallain, p. 20.
8 Publiés en 1848. Principes d’Economie Politique. Trad. Dussaud et CourcelleSeneuil. 2 v o l., Paris, Guillaumin, 1873, T. II, p. 150 et suiv.
4 Ibid., T . I I , p. 157.
5 Ibid., T. II, pp. 156 et 157.
6 Ibid., T . I I , p. 156.
1 Ibid.,
T.
I I , p . 156.
8 Publié en 1861. The theory of foreign exchanges. Théorie des changes étran
gers. Trad. Léon Say, Paris, sans date, Guillaumin, p. *51.
9 Monnaie, Prix et Change. Libr. du Rec. Sirey, Paris, 1927. L ’Equilibre dans
les Relations Economiques Internationales, Paris, Ed. Domat-Montchrestien, 1937.
�151 —
à un règlement en intérêts ou en capitaux dans l’année. Les place
ments nouveaux en capitaux n’y figureraient pas. » 10
La balance des règlements soit la balance finale, c’est-à-dire la
précédente plus les placements en capitaux pendant l’année, soit la
balance totale, c’est-à-dire la précédente, plus les opérations tempo
raires de placement liquidées ou annulées pendant l’année.
La première se solderait par un excédent actif ou passif, la deuxiè
me et la troisième apparaissent comme étant toujours en équilibre.
b) Un argument de fait tiré de l’expérience.
A cet égard, l’auteur souligne d’abord l’incertitude dans la déter
mination du montant de la balance des comptes dus à la conversion
en une même monnaie de ses éléments actifs et passifs ; le résultat en
est variable selon les dates très différentes où peuvent avoir lieu les
opérations cambistes effectuées. 11
Il indique plusieurs séries de faits contredisant la formule, notam
ment le cas de la Grande-Bretagne en 1935, celui des Etats-Unis en
1933. Il souligne l’influence dominante des facteurs psychologiques. 12
II.
A
c t io n
du
t a u x
de
l ’e s c o m p t e
C’est Goschen, dans sa Théorie des Changes Etrangers,13 qui met
en lumière l’effet du taux de l’escompte. Il écrit :
« Le cours des changes, pour tous autres effets que les effets à
vue, ne subit dans sa valeur d’influence plus considérable et plus
efficace que le taux de l’intérêt dans le pays sur lequel les effets sont
tirés.
Chez Paul Leroy-Beaulieu, 14 l’action du taux de l’escompte sur
le change est assez peu nettement marquée. Il dit seulement :
« L ’effet direct, soit immédiat, soit peu différé de la hausse du taux
de l’escompte, c’est de réduire la quantité d’effets qui sont présentés
aux banques et de restreindre la spéculation. »
L ’effet complet du taux de l’escompte sur le change en hausse
ou en baisse n’est indiqué nulle part dans son grand traité cependant
classique.
Cette action du taux de l'escompte est acceptée par tous les
auteurs contemporains.
10 Aftalion : Monnaie, Prix et Change, p. 257.
11 Aftalion : Equilibre, p. 126.
12 Cf. infra, p. 160.
13 Publié en 1861. Trad. franç. Léon Say, op. cit., p. 61.
Cf. p. 62 où l’auteur précise en visant les taux de l’escompte.
14 Traité théorique et pratique d’Economie Politique. 4 vyl., 3m0 édition, Paris,
Guillaumin, 1900, T. IV, p. 138.
�Houques-Fourcade11 en donne une bonne analyse en distinguant
suivant le papier court et le papier long16 et leurs fonctions normales,
moyen de remises ou de paiement pour le premier, moyen de place
ment pour le second. Il montre d’ailleurs la complexité du problème.
M. Paul Rebond ' 7l’admet aussi en insistant sur les conséquences
d’un taux de l’escompte élevé pour retenir les capitaux dans les pays
où il est pratiqué.
III.
L
im it e s
de
v a r ia t io n
des c o u r s
du
change
p a r
les
p o in t s
d e l ’o r
Goschen, dans sa Théorie des Changes Etrangers, adhère à la
loi des variations des changes entre les points de l’or :
« Il résulte clairement de tout ce que nous venons de dire que les
changes, pourvu qu’il s’agisse d’effets à vue formulés dans une mon
naie identique, ont des variations contenues dans des limites qui sont
en hausse le pair, plus les frais de transmission du numéraire, et en
baisse le pair, moins ces frais. » 18
Paul Leroy-Beaulieu 18 suppose acquise la loi des points de l’o r
plus qu’il ne l’expose complètement. II cite un cas particulier.
Après avoir indiqué que les frais sont de 3 1/4 cents pour 4 dol
lars 8666 (équivalent d’une livre sterling), il écrit : « Ainsi l’agio du
papier anglais à New-York ne peut pas porter la livre sterling audessus d’une valeur de 4 dollars 90, puisqu’il y aurait avantage à
envoyer de l’or, dans le cas du moins où la monnaie américaine aurait
absolument le poids qu’elle doit avoir. »
Les développements de Ch. Gide sur les points de l’or sont éga
lement très sommaires. Dans le Cours d’Economie Politique, on ne
trouve que ce court passage :
« En temps normal, ces variations sont renfermées dans d’étroites
limites, quelques centièmes, parce que, lorsqu’elles les dépassent, le
pays débiteur, plutôt que de subir cette pression, préfère recourir au
mode de paiement direct, c’est-à-dire envoyer du numéraire. » 20
15 Eléments d’Economie Politique. La Circulation. Commerce. 1 vol., Tou
louse, Soubirou, 1927, p. 327 et suiv.
16 On entend d’ordinaire par papier court celui qui est à échéance de 30 jours au
plus, par papier long celui qui est à échéance plus éloignée, ordinairement à 3 mois.
(Houques-Fourcade, op. cit., p. 311).
17 Op. cit., p. 158.
18 Goschen : La théorie des changes étrangers. Trad. Léon Say, sans date,
Paris, Guillaumin, p. 56.
19 Op. cit., T. IV, p. 134.
20 Cours d’Economie Politique. 10<ne édition, Paris. Libr. du Rec. Sirev, 1931.
T. II, p. 15.
�— 153 —
La théorie classique ainsi constituée, avec les trois lois ci-dessus
étudiées, fut par la suite acceptée par un grand nombre d’économistes.
Cherbuliez, en 1862, dans son Précis de la Science Economique
et de ses principales applications, et Augustin Cournot, dans son Pré
cis de la Théorie des Richesses, en 1863, tendent à la vulgariser.
B astable, en 1887, dans son ouvrage : Les Théories du Commerce
international,21 accepte les théories classiques avec quelques dévelop
pements sur ce qu’il appelle les correctifs du change.
Paul Leroy-Beaulieu, dans son Traité théorique et pratique d’Econornie politique,22 accepte et développe les trois formules.
Maurice Bourguin23 donne un clair et excellent résumé de l’en
semble de la théorie précédemment exposée avec les trois lois fonda
mentales qu’elle comporte.
Ch. Gide, dans son Cours d’Economie Politique,24 donne un
exposé très fidèle de la théorie classique.
P. Rebond, dans son Précis d’Economie Politique,25 fait un
exposé analogue en spécifiant bien que les lois en question s’appliquent
au change entre deux pays à étalon-or.
Une critique, principalement menée par Laughlin, dans ses
Principles of M oney,26 a déclaré cette théorie classique trop simpliste
et incompatible avec le fonctionnement de la vie économique actuelle.
Cette critique prête à la théorie classique cette affirmation que les
mouvements de l’or sont la cause des mouvements initiaux de mar
chandises : elle affirme que ce mouvement de l’or est la résultante
des mouvements des marchandises. 27
O n 28 a fait justement remarquer que la théorie classique ne nie
point que les mouvements de l’or sont les conséquences d’un mouve
ment antérieur des marchandises : elle affirme seulement qu’un trans
port d’espèces réagit s’il y a lieu sur le courant des échanges.
21 Traduction franç. Sauvaire-Jourdan, 1 vol., Paris, Giard, 1900.
22 4 vol., Paris, 3me édition, Guillaumin, 1900, T. IV, p. 129 et suiv.
23 La Mesure de la Valeur et la Monnaie. 1 vol., Paris, Larose, 1896, p. 153.
et suiv.
24 .jQm
e édition, Paris. Libr. du Rec. Sirey, 1930, T. II, p. 517 et suiv.
Cf. Ch. Gide : Principes d’Economie Politique, 25!m édition, Paris, Libr. du
Rec. Sirey, 1926, p. 393 et suiv.
25 gm
e édit., 2 vol., Paris, Dalloz, 1939, T. II, p. 151.
Cf. P. Reboud : Essai sur les Changes Etrangers, Paris, 1900.
26 Principles of Money. New-York, 1903.
27 Laughlin : op. cit., p. 377.
28 J. Pallain : Du Rapport entre les variations du Change et les Prix. Thèse,
Paris, 1905, p. 28.
�— 154 —
B. L A TH E O R IE DES CHANGES AN O R M AU X
L ’élaboration de la théorie des changes anormaux ou erratiques
a été plus lente et plus tardive.
II y a toute une période au xixe siècle où ce désordre des changes
était surtout considéré comme provisoire et temporaire :29
Par exception, Emile de Laveleye30 souligne les conséquences de
la hausse des changes : hausse des prix à l’intérieur du pays ; appro
visionnement en devises nationales ; vente de ces marchandises aux
étrangers.
Stanley Jevons 31 adopte une position analogue.
En général, tous les économistes libéraux soulignent les effets
fâcheux de cette crise des changes : Courcelle-Seneuil33 la dénpmme
le faux monnayage du crédit.et prédit les pires conséquences.
Jean Fabre 33 y aperçoit bien une prime à l’exportation, mais tem
poraire avec des réajustements ultérieurs.
Arnauné34 émet une opinion analogue.
Cependant, et d’une manière progressive, les deux lois aujour
d’hui admises, en ce qui concerne ces changes anormaux, se consti
tuent :
à) La première concerne le change entre deux pays, dont l’un est
au régime d’une monnaie métallique, l’autre au régime du papier
monnaie ;
b) La seconde concerne le change entre deux pays à régime
monétaire différent.
a) les variations des changes entre deux pays dont l’un est au
\égime de la monnaie métallique, l’autre au régime du papier-monnaie.
Stuart M ill admet que le change est alors déterminé par les fluc
tuations de la balance des paiements et aussi par le degré d’apprécia
tion du papier-monnaie.
Bourguin 35 admet la variation sans limites des changes dans cette
hypothèse et la prépondérance, comme facteur, de la valeur du papiermonnaie.
29 René Théry : Rapport des changes avariés et des règlements extérieurs.
Thèse Droit, Paris, 1912, p. 223 et suiv.
30 Etudes historiques et critiques sur les principes et les conséquences de la
liberté du commerce international, Paris, 1857, p. 79.
31 Stanley Jevons : La monnaie et le mécanisme de l’échange, 1876.
32 Dictionnaire d’Economie Politique. V° Papier Monnaie.
33 Les changes dépréciés. 1 vol., Paris, Chevalier, 1906.
34 Arnauné : La Monnaie, le Crédit et le Change. 1 vol., Paris, 1910.
33 La mesure de la Valeur et la Monnaie. Paris. Libf. de la Société du Recueil
Sirey, 1896, p. 177.
�Paul Leroy-Beaulieu 36 conclut : « On se trouve, dans ce cas, en
présence de changes erratiques, au sens le plus complet de l’expres
sion ; ces changes sont impressionnés d’abord par la quantité de bil
lets à cours forcé, officiels ou réels, existants dans le pays, ensuite par
la situation mobile des finances gouvernementales et par toutes les
nuances diverses des finances gouvernementales et par toutes les
nuances diverses de l’opinion relativement à l’avenir du papier-mon
naie ; enfin par le rapport des dettes exigibles et des créances exigibles
entre le pays et tous les autres ; mais ce dernier élément... devient
secondaire dans le cas qui nous occupe. »
Houques-Fourcade, 37 admettant le même point de vue, précise la
limitation temporaire aux variations par la prime de l'or, puis la
suppression même de cette limitation.
b) Les variations du change entre deux pays à régime monétaire
différent.
Paul Leroy-Beaulieu,38 après plusieurs exemples concrets de
change, conclut sur cette hypothèse : « Ainsi entre des pays qui n’ont
pas le même étalon monétaire, il ne peut s’agir, non seulement d’une
fixité des changes, mais d’une limite à leur variabilité. Toute relation
d’affaires entre ces pays se complique du rapport de valeur entre les
deux métaux différents sur lesquels reposent leurs deux systèmes
monétaires, rapport de valeur qui peut énormément varier. »
Raphaël-Georges L é v y 39 souscrit pour l’après-guerre 1914-18 à
la théorie classique.
M. Nogaro, 40 en insistant sur cette hypothèse, écrit : « On ne
saurait d’ailleurs affirmer non plus que, sous un régime de changes
instables, les oscillations de leurs cours concordent régulièrement avec
celles de la balance des comptes. Car le montant des dettes et des
créances sur l’étranger exigibles à chaque moment dépend, pour une
grande part, des anticipations de la spéculation et des mouvements
de capitaux qu’elle provoque. » 41
36 Op. cit., T. IV, p. 158.
37 Op. cit. : La circulation, 1927, p. 355 et suiv.
38 Traité théorique et pratique d’Economie Politique. 3mfi édition, Paris, Guillau
min, 1900, T. IV, p. 153.
39 Le Change, Action Nationale, 1921.
40 B. Nogaro : Le Rôle de la Monnaie dans le commerce international. Paris,
Giard, 1904.
B. Nogaro : La Monnaie et les phénomènes monétaires contemporains. Paris,
Giard, p. 191 et suiv.
Cf. Eléments d’Ec. Politique. Pichon et Delagrave, Parie, 1936, p. 127 et suiv.
41 Nogaro : Elém. d’E. P ., p. 129, note 1.
�11 affirme également : « Dans la plupart des exemples contempo
rains, la crise du change a résulté non d’une difficulté progressive à
se procurer du métal précieux par suite de l’inflation, mais bien d’un
changement radical dans les conditions du marché du change prove
nant de l’impossibilité complète de se procurer de la monnaie expor
table par suite du cours forcé et de l’interdiction d’exporter de l’or. » 42
La seule disparition du gold point, même sans inflation, est de nature
à créer la crise du change et l’inflation ne suffit pas à créer cette crise
tant que le gold point subsiste.
En résumé, des précisions très nettes sur l’importance relative
des divers facteurs dans cette hypothèse et même la négation de la
loi essentielle que le change est ici dominé par la valeur du papiermonnaie, telles sont les deux positions essentielles de M. Nogaro.
42
Nogaro : La Monnaie et les phénomènes monétaires contemporains, p. 19t.
13 Un récent ouvrage de M. Nogaro. Cours d’Economie Politique. II, Paris,
Domat-Montchrestien, 1943, semble confirmer cette appréciation. Cf. op. cit., p. 50
et suiv..., p. 384 et suiv.
�C H A P IT R E X III
LA LOI DES EFFETS D’UN CHANGE DEPRECIE
SUR LE GOMMERCE EXTERIEUR
Les origines historiques de cette loi sont difficiles à discerner.
En dehors des quelques économistes optimistes en face de cet
état de fait cités plus haut41 dans l'historique des lois concernant les
changes anormaux, on peut encore citer comme précurseurs de la
formule :
Jean Favre 45 admet bien comme effet une prime à l’exportation,
mais elle est temporaire : « On a établi indiscutablement qu’elle n’était
que temporaire, car les prix, sous l’influence des échanges internatio
naux finissent par se réajuster à la nouvelle valeur de la monnaie, en
sorte que le pays dont le système monétaire a été ébranlé finit, au
moins théoriquement, par se retrouver dans un état normal, avec cette
seule différence que son unité d’échange a une moindre valeur qu’auparavant. »
Paul Leroy-Beaulieu 46 écrit : « La hausse des changes, dans les
pays à changes erratiques, comme dans ceux à circulation métalli
que, est certainement un encouragement temporaire à l’exportation.
A la longue, si le change finit par se fixer, le prix de toutes les choses,
y compris les valeurs, se réajuste sur lui. »
Ch. Gide 47 affirme : Il est vrai que néanmoins la thèse dépréciationniste, si on lui donne ce nom, contient une part de vérité. Mais
il n’y a pas de quoi en être fier pour le pays qui en profite ! »
M. Bourgiiin 48 donne très nettement la formule et l’apprécie :
« Cette perte au change du papier contre l’or agit-elle, dans le pays
44 Cf. p. 150 notamment St. Mill.
45 Les Changes dépréciés. 1 vol., Paris, Chevalier, 1900, p. 18.
46 Traité théorique et pratique d’Economie Politique. 4 vol., 3™e édition, Paris,
Guillaumin, 1900, T. IV, p. 155. Cf. p. 154.
47 Compte rendu bibliographique de la thèse de J. Pallain : Les Changes étran
gers et les Prix. Rev. d’E. P ., 1907, p. 149.
48 De la mesure de la Valeur et la Monnaie. 1 vol., Paris, Larose, 1896, p. 179.
�qui les subit, comme la perte au change de la monnaie d’argent, dans
un sens favorable aux exportations et défavorable aux importations ?
Les principes sont toujours les mêmes : oui, à la condition que l’unité
monétaire n’ait pas perdu, dans le pays, son pouvoir général d’achat,
dans la proportion où elle a perdu vis-à-vis de l’or. »
La thèse de M. René Théry 49 marque le premier effort sérieux
à notre connaissance pour affirmer cette thèse optimiste et en four
nir la démonstration.
L’auteur la formule en ces termes :
« Ces avantages, nous les connaissons, le pays où l’or fait prime
est hautement stimulé par une protection énergique contre les impor
tations des marchandises étrangères et par un sérieux encourage
ment aux exportations de produits nationaux. » 50
Il invoque, à l’appui de sa thèse, les règlements extérieurs des
Etats-Unis de 1861 à 1879, les règlements extérieurs de l’AutricheHongrie depuis 1885, ceux de l'Italie après 1892, ceux de l’Espagne
après 1891, la situation du Portugal depuis 1890, celle de la Grèce
également depuis 1890, les règlements extérieurs de la République
Argentine depuis 1885, du Brésil depuis 1885, du Japon et des Indes
Anglaises après la même date, enfin l’expérience du Mexique après
1885 et il conclut : 61 la prime de l’or a rendu plus malaisées les impor
tations, facilité les exportations et, par suite, stimulé hautement toute
la production nationale, sans que, d’une façon générale, les prix des
marchandises consommées sur place aient subi de hausse très
marquée. »
Paul Lerov-Beaulieu admet dans son grand Traité d’Economie
Politique théorique et pratique 52 la loi naturelle en question : « La
baisse du change, dit-il, est certainement un encouragement tempo
raire à l’exportation. A la longue, si le change finit par se fixer, le prix
de toutes les choses, y compris les salaires, se réajuste avec lui. »
La plupart des auteurs contemporains53 se rallient à cette solution
transactionnelle : le change déprécié agit comme prime à l’exporta
tion et barrière à l’importation, tant que les prix dans le pays consi
déré n’ont pas varié.
19 René Théry : Rapport des Changes avariés et des Règlements extérieurs.
Thèse Droit, Paris, 1912. Rousseau, éd.
50 Théry : op. cil., p. 232.
51 Théry : op. cit., 220.
52 4 vol., 3me édition, Paris, Guillaumin, 1900, T. IV, p. 174.
5,1 H. Borle : Du lien d’interdépendance entre les changes sur l’étranger et les
manifestations industrielles. Berne, 1926.
�M. Jean Weiller 54 apporte à une date relativement récente son
adhésion de principe à cette « conception très complexe du change
sur le commerce extérieur » qu’il trouve « trop sommaire, trop systé
matique » : elle n’est qu’un point de départ pour une théorie plus com
plète.
Les objections contre cette loi naturelle ne tardèrent pas à être
formulées : l’avantage sur lequel est fondée soit la prime à l’expor
tation, soit la barrière à l’importation n’existe, bien entendu, que
dans la mesure où les prix dans les pays à change déprécié n’ont pas
varié.
Cette réserve fut assez vite admise : on discuta seulement sur le
laps de temps plus ou moins long pendant lequel dure cette immobilité
des prix. 55
On souligna d’autre part que les industries de transformation
voyaient, du chef de l’augmentation du prix des matières premières,
de nouvelles difficultés naître pour elles. Mais on affirma que « la
prime à l’exportation compense, et au delà, les difficultés éprouvées
pour l’achat, au dehors, de leurs matières premières. » 56
54 L'influence du Change sur le Commerce extérieur. Thèse Droit, Paris, 1929,
p. 247.
55 E. Théry : Le Change et les Valeurs mobilières. Rapport au Congrès inter
national des valeurs mobilières. Paris, 1900.
R. Théry : Rapport des Changes avariés et des Règlements extérieurs. Rous
seau. édit. Thèse Droit, Paris, 1912, p. 233.
56 I b i d . , R. Théry, p. 233, note 2.
�C H A P IT R E X IV
LES LOIS PSYCHOLOGIQUES DU CHANGE
A ) L A LO I DE L A P A R IT E DES PO U V O IR S D’A C H A T
-, ■
■■■'■:■v i- :
;■ : : ;
.5 " ?
Les origines de cette formule remontent assez loin dans le passé ;
d’après J. -W. Angell,57 il y aurait deux lointains précurseurs :
Thornton, en 1801, dans son ouvrage : The nature and effects o f
the papers crédit of Great Britain,58
Et Horner dans : An inquiry into the nature and effects of the
paper crédit of Great Britain. 59
Mais ce serait Wheatly, dans un ouvrage : Remarks on currency
and com merce,60 qui en serait le véritable créateur.
Quoi qu’il en soit, c’est l’économiste suédois Cassel61 qui l’a remise
en honneur dans les temps modernes : il la donne comme s’appliquant
aussi bien en régime normal qu’en régime de dépréciation monétaire.
Il faut examiner la théorie de Cassel, puis les discussions aux
quelles elle a donné lieu, la vérification critique.
i. L a
t h é o r ie
Le professeur Cassel l’exposa pour la première fois dans son
premier mémorandum à la Société des Nations en 1920.
« Les véritables motifs de payer un certain prix pour les devises
étrangères doivent se trouver dans ce fait que les devises possèdent
un pouvoir déterminé d’achat des marchandises... Si les lettres de
change sur le pays B sont demandées par le pays A, c’est parce qu’elles
57
The theory of international prices. Chap. II. The Bullion controversy, Cam
bridge, 1926.
38 Londres, 1801.
39 Edimbourg Review, 1802.
60 Londres, 1883, p. 186.
61 Money after 1914.
A
La Monnaie et le Change depuis 1914. Trad. franç. par G. Lachapelle, Paris,
1923. Giard édit.
�—
161
—
représentent un pouvoir d'achat sur le marché du pays B. Ce pouvoir
d ’achat sera évalué d’autant plus haut par A que, d’une part, le niveau
général des prix sera plus bas dans le pays B — ou, en d’autres ter
mes, que la valeur de la monnaie sera plus élevée dans le pays B —?et
que, d’autre part, le niveau des prix sera plus élevé dans le pays A. »
C’est cette idée que l’auteur exprime par les mots parité des pou
voirs d’achat et il affirme déjà que cette parité sera déterminée par
le quotient du pouvoir d’achat des diverses monnaies.
Dans son ouvrage : La monnaie et le change après 1914,62 l’auteur
renvoie à la formule précédente en la reproduisant in terminis. Il
insiste sur les exceptions assez nombreuses : le change ne s’établit pas
toujours à la parité des pouvoirs d’achat des deux monnaies, soit du
fait d’entraves au commerce international, de droits de douanes ou
de difficultés de transport, soit du fait du contrôle des prix, soit enfin
du fait de la spéculation.
ii.
L
es
d is c u s s io n s
M. John Maynard Keynes 83 examine dans ses détails la théorie
de Cassel en cherchant à expliquer par des raisons nouvelles les cas
où elle semble contredite par les faits. Il est un adepte novateur et
critique : il prétend la rénover.
Il apporte d’utiles précisions sur le calcul des frais de transport
dans l’établissement de la parité des pouvoirs d’achat et surtout il
insiste sur la détermination du pouvoir d’achat pour les marchandises
restant en dehors du commerce international.
Après ces modifications, la théorie lui paraît un truisme à peu près
vide : il admet donc qu’une rupture d’équilibre peut se produire entre
la parité du pouvoir d’achat et les prix.
Dès 1926,61 M. Alfred Pose, dans un article important,6S invoque
deux griefs contre la théorie précitée :
1“ Croire que la seule qualité d’une monnaie, même fiduciaire,
est son pouvoir d’achat ;
83 Op. cit., p. 204.
63 La Réforme monétaire, 1924.
84 Des études sur les variations comparées du pouvoir d’achat et des changes
paraissent au lendemain du mémorandum de M. Cassel.
J. Rueff : Le Change phénomène naturel. Rev. générale des Sciences. 3 nov.
1922. Cf. du même auteur. Théorie des phénomènes monétaires. Paris, 1926.
Carpentier-Gonse : La disparité des pouvoirs d’achat. Son influence sur le com
merce extérieur. 1924, Paris.
Pierre Hirsch : Les Changes et les exportations. Paris, 1928.
Toutes relèvent déjà des faits discordants.
85 La théorie de la parité des pouvoirs d’achat et les faits. 'Revue d’E. P ., 1926.
p. 987.
u
�2° Croire que la valeur intérieure d'une monnaie n'est pas déter
minée, tout comme sa valeur extérieure, par des facteurs qualitatifs. 66
Il relève de nombreuses séries de faits qui sont en contradiction
avec elle.
,
C'est M. Aftalion 67 qui a été le principal adversaire de la loi de
Cassel. La position de M. Aftalion est la suivante : la théorie précitée
contient une part de vérité mais aussi une part d’erreur :
La part de vérité, c’est que la parité des pouvoirs d’achat est un
des facteurs déterminants du change et, à l’appui, l’auteur cite les
variations du change en France de 1919 à 1925 et la Russie Soviétique
après 1921. 68
La part d’erreur résulte de ce que, dans l’histoire monétaire con
temporaine, ce sont les exemples contraires qui dominent : 69 « On ne
saurait parler de confirmation que si la concordance et la tendance à
l’égalité sont dues à l’action de la parité sur le change, de la déprécia
tion intérieure de la monnaie sur la dépréciation extérieure. Si le
contraire a lieu, si ce sont les prix intérieurs qui suivent les impulsions
du change, si c’est la dépréciation intérieure qui tend à se mettre au
niveau de la dépréciation extérieure, ce n’est plus la confirmation de
la théorie, c'en est même la réfutation. » 70
« Il faut donc conclure que le pouvoir d’achat demeure un des
facteurs qualitatifs agissant sur le change. Mais il n’est pas le seul et
ne fait pas la loi sur le marché des changes. » 71
On trouvera une position analogue chez M. Truchy : 72 « Ce fac
teur peut avoir dans certains cas une action sur le change : il exprime
la tendance au nivellement des prix dans les pays qui forment la com
munauté commerçante. Mais le nivellement des prix est loin d’être
une réalité. »
M. Paul R ebou d 73 adopte une position analogue.
Il indique les différents points que comporterait un examen com
plet. « Il faut, semble-t-il, distinguer plusieurs problèmes : celui de
l'existence d’une tendance à l’égalité des pouvoirs d’achat de chaque
66 Pose : art. cité, p. 1013.
87 Monnaie, Prix et Change. 1 v o l., Libr. du Rec. Sirey, 1927, p. 271 et suie.
68 Op. cit., pp. 275 et 276.
89 Op. cit., p. 277.
70 Op. cit., p. 278. L ’auteur reproche à M. Casse! de ne pas tenir compte d’au
tres facteurs qualitatifs. Cf. plus loin, p. 163.
71 Op. cit., p. 286.
72 Cours d’Ec. Politique. 3me édition, Paris, Libr. du Rec. Sirev, 1934, T. il,
p. 126.
73 Précis d'Economie Politique. Libr. Dalloz, 6me édition. Paris, 1939, p. 174
�163 —
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monnaie sur le marché national et sur l’autre marché ; celui du méca
nisme par lequel cette égalité tend à se réaliser, si cette tendance
existe ; enfin la question de savoir si, à défaut de cette tendance, il
n’existe pas une grande corrélation directe entre les mouvements
généraux des prix et la variation du change. » 71
Sur le second problème, il affirme : « Reconnaître la possibilité
de son rôle actif, ce n’est pas nier la tendance à la parité des pouvoirs
d’achat. C’est simplement admettre que cette égalité, une fois réalisée,
peut être rompue par une modification de l’un quelconque des trois
facteurs variables dont elle dépend (les prix intérieurs, les prix sur
l’autre marché et le change) et qu’elle peut être rétablie ensuite par
une adaptation de l’un des autres facteurs ou des deux. » 75
11 conclut : « On le voit, la tendance à la parité des pouvoirs
d’achat existe, mais elle est contrariée par des obstacles qui empê
chent que cette parité indique, autrement qu’en gros et d’une manière
très approximative, la position d’équilibre du change normal. » 76
Houques-Fouvcade 77 indique aussi de nombreuses réserves sur
l’ensemble de la loi de Cassel : il admet que, si le change i>eut, jusqu’à
un certain point, constituer l’expression de la parité des pouvoirs
d’achat, cette parité est elle-même très certainement, à son tour, en
fonction du change,78 en raison de l’action exercée par le change sur
les prix intérieurs.
On peut donc conclure que la loi de Cassel, si loi il y a, est en tout
cas une loi des plus contingentes.
~
III.
VÉRIFICATION CRITIQUE DE EA LOI DE CASSEL
La vérification critique de la loi de Cassel a été tentée de deux
manières :
à ) par des discussions interminables dans le domaine de la théorie ;
f i ) par quelques rares essais d’observation dans le domaine des
faits.
a) Les discussions doctrinales
Celles-ci se résument en somme autour de la question suivante
le pouvoir d’achat est-il le seul facteur déterminant du change ?
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:
74 Reboud : op. cit., p. 177.
75 Reboud : op. cit., p. 177.
76 Reboud : op. cit., p. 180.
77 Eléments d’Economie Politique. La Circulation. Commerce. 1 v o l., T ou
louse, Soubirou, 1927, p. 346 et suiv.
78 Houques-Fourcade : op. cit., p. 550.
Cf. A. Pose : L a Monnaie et ses institutions. 2 v o l., P.lris, 1942, T. I, p. 415
et suiv.
�e-
— 164 —
Or, au fond, sur ce point, il y a unanimité pour la réponse négative.
Cassel lui-même,79 on l’a vu, et les partisans de la loi admettent
qu’à côté du pouvoir d’achat il y a d’autres facteurs qui peuvent inter
venir.
Les adversaires de la loi insistent au contraire plus particulière
ment sur ces autres facteurs.
Dans ces conditions, tout demeure une question de proportion et
de mesure entre l’action des divers facteurs sur lesquels partisans et
adversaires sont d’accord. 80
b) Les observations dans le domaine des faits
Une remarque préalable s’impose ici : il est techniquement impos
sible de tenter une vérification directe et dans tous les cas de la for
mule de Cassel. Pareille vérification nécessiterait une connaissance
exacte des pouvoirs d’achat des deux monnaies en cause, les pouvoirs
d’achat ne sauraient être précis iment évalués.
C’est donc seulement par un procédé indirect, à l’aide de la
méthode monographique, que pareille vérification peut être tenté.
On trouvera encore un intéressant essai de l’application de ce
procédé dans une étude de M. Victor Dillard intitulée : « Le budget
île Frank, ouvrier moyen américain ». 81
L ’auteur étudie un budget présenté à l’Exposition de San-Francisco d'Américain moyen et lui oppose un budget d’ouvriers du textile
de Tourcoing, de condition et de situation sensiblement analogues.
Il conclut :
« Pour deux standards de vie à peu près comparables, l’ouvrier
américain dépense 1. 225 dollars, l’ouvrier français 18.152 francs. La
parité est donc de 1 dollar pour 14 fr. 80, totalement différente de la
parité du change... Retenons aussi, par parenthèse, « que la loi Cassel
des parités de pouvoir d’achat n’est actuellement respectée en aucune
façon et que le taux de change monétaire ne représente aucune espèce
de correspondance avec les niveaux d’existence réels. »
CONCLUSION
La loi de la parité des pouvoirs d’achat semble pouvoir être rete
nue comme loi, mais comme loi contingente en Economie Politique.
Les cas où le facteur pouvoir d’achat joue seul sont infiniment
rares.
La condition est donc l’absence de tous autres facteurs perturba
teurs, toutes choses égales d’ailleurs, selon la formule bien connue.
79 Cf. ci-dessus, p. 161.
A
80 Cf. ci-dessus, p. 162, la position de M. Alftalion.
81 Dossiers de l’Action Populaire. 10 janvier 1940, p. 25.
�— 165 —
B ) LES LO IS PSYCH O LO G IQ U E S DU CHANGE
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A côté de la loi de la parité des pouvoirs d’achat qui est déjà
psychologique, la même tendance se trouve affirmée chez d’autres
auteurs modernes dont il est possible de dégager quelques formules.
C’est surtout chez M. Aftalion.
Celui-ci dans son ouvrage : Monnaie, Prix et Change,82 aboutit
à sa théorie nouvelle en se demandant : « Pourquoi acceptons-nous
de payer un prix pour la monnaie étrangère et de quoi dépend le prix
que nous acceptons de payer ? Autrement dit, quel est le fondement
de la valeur de la devise étrangère ? »
Et il répond à la question en dégageant le pouvoir d’achat général
de la monnaie étrangère, le pouvoir spécial d’achat de cette monnaie
relatif à un produit particulier, le règlement à l’étranger des dettes
antérieurement contractées, la hausse relativement à la monnaie don
née en échange, le désir d’échapper aux rigueurs de la législation fis
cale nationale — tous facteurs psychologiques. 83
M. Aftalion souligne que « les courbes de demandes varient avec
les individus selon leurs désirs, leurs besoins, leurs ressources, leurs
prévisions, leur esprit spéculatif, leur prudence et leur témérité. Elles
varient aussi d’un instant à l'autre. Mais pour chaque individu et cha
que marché, son appréciation de la monnaie étrangère dépend de ce
qu’il attend de la dernière unité qu’il acquiert. 3>84
L ’auteur conclut : « Il semble difficile d’arriver à la pleine compré
hension des errements de la valeur de la monnaie et du change sans
les considérations qualitatives, sans les analyses psychologiques. » 86
On voit par cette rapide analyse qu’il n’y a plus, à vrai dire, de lois
du change mais l’affirmation d’un ensemble de facteurs complexes et
variables qui agissent sur le cours du change. 88
C O N C L U S IO N
Pour conclure cet aperçu des lois naturelles du change, il faut
dire que, pour la première hypothèse, pays à m^me régime de monnaie
métallique, les formules de la théorie classique conservent toute leur
valeur. Il est vrai que cette hypothèse ne correspond plus aujourd’hui
82 1 v o l., Libr . du Rec. Sirey, 1927, p. 290 et suiv.
83 L ’auteur admet aussi à côté de ces facteurs qualitatifs, un certain nombre de
facteurs quantitatifs top. cit., p. 293).
84 Op. cit., p. 295.
83 Op. cit., p. 347.
86 Cf. Compte rendu par M. Ch. Rist. Rev. d’E. P . , 1927, p. 1589. Tout à
l’origine de cette nouvelle tendance, on trouverait la formule de la cote des paris
née pendant la guerre 1914-1918.
�à aucune réalité concrète. Ce sont surtout les formules de la
deuxième et de la troisième hypothèses classiques que les théories
psychologiques sont venues à la fois contredire et compléter.
La formule de l’effet des changes dépréciés sur le commerce exté
rieur n’est, on l’a vu, que temporairement exacte.
Enfin, envisagées en elles-mêmes, les formules psychologiques
arrivent à une indétermination fâcheuse, exception faite de la loi de
la parité des pouvoirs d’achat qui est controuvée.
Tel est l’état de la science économique sur ces difficiles problèmes.
CONCLUSION SUR LES LOIS DE LA CIRCULATION
Ainsi les lois de la circulation, dont l’examen est terminé, sont en
grand nombre des lois valables de l’Economie Politique.
Ce grand nombre est la conséquence de l’importance de ces pro
blèmes qui prennent chaque jour de nouveaux et plus vastes aspects.
Le caractère de contingence de la loi économique semble se
confirmer.
�TR O ISIE M E P A R T IE
LES LOIS DE LA REPARTITION
Deux attitudes des divers auteurs sont à souligner en abordant
l'étude des lois de la répartition des richesses.
Les uns insistent sur le caractère nettement scientifique de cette
catégorie de lois économiques. C’est, par exemple, Ricardo 1qui écrit :
« Le produit de la terre, tout ce qui est tiré de la surface du sol par l’ap
plication réunie du travail, des machines et du capital, est divisé entre
trois classes de la collectivité, à savoir : le propriétaire du sol, le pos
sesseur du stock ou capital nécessaire à la culture et les travailleurs
pour l’industrie desquels il est cultivé... Déterminer les lois qui
règlent cette distribution est le problème principal en économie poli
tique. »
Les autres, à l’inverse, et, en première ligne, Stuart M jll,2 attri
buent aux lois de la répartition un caractère humain et, en quelque
sorte, artificiel.
Secrétan affirme que, dans la distribution des biens, il faut sou
mettre les lois naturelles injustes au droit et à la morale.
Entre ces deux attitudes nettement contradictoires, seule l’étude
détaillée des diverses lois envisagées peut permettre de choisir.
On étudiera successivement :
A ) L O IS D E L ’E N S E M B LE :
La
lo i d’ équivalence en u t ilit é sociale
L
a
loi concernant les revenus suivant leur grandeur
L
a
loi de la r épartitio n proportionnelle .
;
:
1 Ricardo : Principes de l’Economie Politique et de l’Impôt, 1817, Prélace p. 1,
Ed. Guillaumin.
Dans une lettre à Malthus du 9 octobre 1820 (citée par Keynes. The general
theory of employement interest and money, p. 4), Ricardo parlait des « lois qui déter
minent la division des produits entre les classes qui concourent à leur création ».
2 St. Mill : Principes d’Economie Politique, 1848, trad. Pussard et CourcelleSeneuil. Ed. Guillaumin, Paris, 1873, T. II, p. 284.
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C H A P IT R E PRE M IE R
LA LOI D’EQUIVALENCE EN UTILITE SOCIALE
a)
E
xposé
La formule est, je crois, de A. Deschamps, professeur à la Faculté
de Droit de Paris.
La loi est cependant plus ancienne : il est facile d’énumérer les
premiers auteurs qui l’ont envisagée :
Bastiat,1 dans ses Harmonies économiques2 et au chapitre de la
valeur, esquisse par deux fois le point de vue de l’équivalence en uti
lité sociale.
Il écrit : « Ce qui est bien vrai, c’est que, par l’effet de la concur
rence, les valeurs tendent à se proportionner aux efforts ou les récom
penses aux mérites. C’est une des belles harmonies de l’ordre social. » *
Et plus loin, à propos des services anciens et des services nou
veaux, il prête cette exigence aux offrants des services nouveaux : « Ce
que nous demandons et ce qu’on ne peut évidemment nous refuser,
c’est que notre travail ancien et le travail nouveau s’échangent pro
portionnellement non à leur durée ou leur intensité, mais à leurs
résultats. » 4
Léon Wah as 5 donne la forme mathématique à la thèse précitée :
« Sous le régime de la libre concurrence, le taux de rémunération
de chaque service est égal à la durée partielle de la période de fabri
cation, soit à la productivité marginale. » 6
ÿ ÿ ? :,V
1 1801-1850.
2 Harmonies économiques. Œuvres complètes de Fr. Bastiat. ÎO”16 édit.,
T. VI, Paris, Guillaumin, 1893.
3 Op. cit. , p. 179.
4 Op. cit., p. 205.
5 1834-1910.
0 Eléments d’Economie Politique Pure. 4,ne édition, 1900, p. 375.
Il
précise : « Le taux de rémunération de chaque service est égal à sa produc
tivité marginale, c’est-à-dire à la valeur produite par la dernière unité de capital, la
dernière unité de travail ou la dernière unité de terre non encore utilisée dans la
production ».
�— 170 —
Marshall,7dans ses Principles of Political Economy,8expose ainsi
la loi de l’équivalence en utilité sociale : 8
« Les limites, ou marges, des emplois de chaque agent de produc
tion, y compris la terre, sont gouvernées par les conditions générales
de la demande par rapport à l’offre, c’est-à-dire d’un côté par l’urgence
de tous les emplois auxquels il peut être affecté en tenant compte des
moyens dont disposent ceux qui en ont besoin, et, d’un autre côté, par
la quantité utilisable dans laquelle il se présente, que cette quantité soit
invariable comme pour le sol ou qu’elle soit susceptible d’accroisse
ment. comme c’est le cas lorsqu’il s’agit du travail. »
11 dit aussi10 avec plus de netteté encore : « Le but de ce livre est
de montrer que la distribution du revenu social est régie par une loi
naturelle qui, fonctionnant sans entraves, donnerait à chaque agent
de la production la quantité de richesse produite par cet agent* »
Deschamlrs, à son cours 11 à la Faculté de Droit de Paris, affirme
que la répartition actuelle des richesses s’opère sur la base de l’équi
valence en utilité sociale. « Chacun dans la masse d’utilités sociales
produites ne prend d’utilité sociale qu’en proportion de celle qu'il y
apporte. »
L ’auteur explique comment le mot utilité est pris ici en un sens
amoral et signifie que l’objet ou le service apporté sert à la satisfac
tion des besoins.
Ce mécanisme est pour lui conforme à la justice, ou tout au moins
tend à la réalisation de la justice. 12
Deschamps insiste enfin sur les divers obstacles ou frottements
qui, en fait et dans son conditionnement pratique, empêchent le méca
nisme de produire tous ses résultats.
Clark, dans son ouvrage célèbre : Distribution of Wealth, donne
son adhésion à la thèse classique ; il écrit :
« La distribution du revenu social est régie par une loi naturelle
qui, fonctionnant sans entrave, donnerait à chaque agent de la pro
duction la quantité de richesse produite par cet agent. »
M. Ch. Rist, dans une intéressante étude : 13 Essais sur quelques
7 1842-1924.
8 Principles of political economy. 3 v o l., Londres, 1890, 1919 et 1923.
’ A. Marshall : Principes d’Economie Politique. Trad. franç. Sauvaire-Jour<lan. 2 v o l., Paris, Giard, 1909, T. II, p. 267.
10 Ibid., préface.
y
11 Notes personnelles manuscrites du cours d ’Histoire des Doctrines Economi
ques (Doctorat) pour l’année scolaire 1899-1900.
12 L ’auteur indique aussi que cette équivalence en utilité tend toujours à se rap
procher de l’équivalence en travail ou plus exactement du 'coût de production..
13 1 vol., Libr. de la Société du Recueil Sirey, 1933.
�— 171 —
problèmes économiques et sociaux,11 se livre à une pertinente cri
tique de la loi de l’équivalence en utilité sociale.
Le mot distribution comporte, d’après M. Ch. Rist, un fâcheux
malentendu ; il a deux sens :
a) La répartition des revenus comme considération des conditions
sociales des riches et des pauvres ;
b) La répartition au sens économique du mot, c’est-à-dire la fixa
tion du prix des divers services.
Les économistes ont cru que cette théorie des prix des services
contenait toute la théorie de la distribution des richesses et ce sont les
économistes classiques qui sont responsables de cette confusion.
Le vrai problème est celui de la distribution individuelle des reve
nus ou répartition proprement dite.
La théorie classique établit un rapport entre les services rendus
et leur prix, non entre les personnes et leurs revenus.
Il faut, pour passer du premier de ces deux points de vue au
second, faire intervenir la quantité de services rendus par un individu.
Ainsi, vue incomplète du problème, telle est la position de
M. Ch. Rist. 15
D’autres auteurs contemporains se rallient plus ou moins expres
sément à la loi de l’équivalence en utilité sociale.
M. Reboud, dans son Précis,16 écrit : « La rémunération de cha
que agent producteur tend à égaler sa production en valeur », adhé
sion pure et simple dans laquelle l’auteur ajoute : « En supposant,
bien entendu, que l’échange s’opère en pleine liberté économique, sans
fraude ni violence. »
Ch. Gide, dans son Cours d’Economie Politique,17 admet lui
aussi que « chacun retire de la masse la valeur équivalente à celle qu’il
a versée ». L ’auteur fait d’ailleurs des réserves nombreuses sur la
14 Op. cit., p. 258.
15 Le même auteur avait jadis, dans un article de la Revue de Métaphysique
et sociale, juillet 1904, intitulé Economie optimiste et Economie scientifique, constaté
la concordance des théories de l’Ecole libérale et de l’Ecole mathématique : il la résu
mait pour la distribution en la formule suivante : « En matière de distribution des
richesses, la libre concurrence tend à faire obtenir à toute unité de capital et de tra
vail une part du produit commun égale à la valeur même créée par chacune d’elles ».
L ’article est reproduit dans le volume : « Essai sur quelques problèmes économiques
et monétaires ». 1 v o l., Paris, Libr. du Rec. Sirey, 1933, p. 231.
10 Précis d’Economie Politique. 6me édit., 2 v o l., Paris, Dalloz, 1939, T. II, p. 347.
17 Cours d’Economie Politique. 2 v o l., 10me édition, Paris", Libr. du Rec. Sirev.
1931, T. II, p. 129.
�justice du régime en raison de l’inégalité des conditions des coparta
geants et notamment du fait de la propriété.
M. Albert Schatz, dans son ouvrage : L ’individualisme écono
mique et social,18 insiste sur le côté sanction de la loi d’équivalence.
« II n’est qu’un principe de justice commutative auquel peuvent sous
crire simultanément le sens moral et le sens de Futilité sociale : c’est
le principe de l’équivalence en utilité. Les richesses s’échangent sur la
base de leur utilité respective, librement appréciée par les seuls juges
compétents, c’est-à-dire par les échangistes libres qui éprouvent euxmêmes le besoin auquel ces richesses répondent. »
B. VÉRIFICATION CRITIQUE
La vérification critique de la loi d’équivalence en utilité sociale ne
paraît pas possible.
Comme on l’a vu, la majeure partie de ceux qui acceptent cette
loi, notamment A. Deschamps, l’envisagent dans un fonctionnement
idéal d’abord, dans un conditionnement pratique ensuite.
Dès lors, toutes les enquêtes et observations que l’on pourrait mul
tiplier sur l’application de la loi dans les faits se heurteraient au
dilemme suivant :
Ou bien la loi se trouverait vérifiée par les faits — mais ce ne
serait alors, bien entendu, que dans un nombre limité de cas et il ne
serait pas permis, de ce fait même, de conclure à son application géné
rale dans tous les cas. On ne saurait pour autant confirmer la loi.
Ou bien la loi se trouverait contredite ou infirmée par les faits,
mais il resterait alors aux partisans de la loi la ressource évidente de
faire appel aux obstacles ou frottements divers qui ont empêché la loi
de jouer complètement. On ne saurait donc, dans ce second cas, décla
rer la loi contredite par les faits. 18
CONCLUSION
Malgré ce défaut de vérification directe, il semble que l’on peut con
clure ici à l’existence d'une loi scientifique contingente, subordonnée à
de nombreuses conditions qui se résument en une seule : l’absence de
frottements et d’obstacles — condition qui, à vrai dire, est bien rare
ment réalisée dans les faits.
18 t vol., Paris, A. Colin, 1907, p. 159.
13 Les mêmes difficultés se retrouveraient pour ceux qui s’attacheraient à véri
fier la justice réalisée par la dite loi : dans tous les cas d’injustices, les partisans de
la loi objecteraient que la valeur, l’utilité sociale des apports est fixée par l’offre et
la demande et que celles-ci n’ont sans doute pas eu lieu en régime de concurrence
parfaite.
�C H A P IT R E II
LOI DE LA REPARTITION DES REVENUS
SUIVANT LEUR GRANDEUR
Une seconde loi générale de la répartition des richesses a été
cherchée dans une autre direction : on s’attache à la grandeur des reve
nus et c’est sur cette grandeur qu’est basée la physionomie générale
de la répartition.
Deux formules sont particulièrement à retenir de ce point de vue :
A)
B)
L
a
pyramide des revenus de
L
a
courbe des revenus de
A)
L
a
J. -B.
S
a y
;
V ilfredo P areto .
pyramide des revenus de
J. -B. S ay
On représente les différentes catégories de revenus par des plans
horizontaux d’une surface proportionnelle au nombre de personnes
comprises dans chaque catégorie ; on superpose ensuite ces surfaces.
On obtient alors une pyramide dont la base représente les classes pau
vres et le sommet les classes riches.
C’est là, semble-t-il, une manière de représentation graphique
bien plus que l’énoncé d’une loi véritable.
Le seul fait que la construction serait d’ailleurs totalement diffé
rente selon les pays montre bien qu’il ne s’agit pas là d’une régularité
constante.
Ch. Gide 1 complique un peu cette représentation graphique :
après avoir rappelé, sans la nommer d’ailleurs, la pyramide de J. -B.
Say, il ajoute :
« L ’image serait plus instructive encore en dressant deux pyra
mides : celle dont nous venons de parler, où chaque assise serait pro
portionnelle au nombre de copartageants de cette catégorie, et, en
1
T.
I I , p.
Cours d’Economie Politique, 10®e édition, Paris, Librairie du Recueil Sirey,
123.
�regard, une autre, où chaque assise serait proportionnelle à la somme
des revenus de cette catégorie. Celle-ci ne serait plus une pyramide
mais un tronc de cône, par la raison que la somme des revenus des
classes riches ou aisées est beaucoup plus forte que celle des classes
pauvres proportionnellement à leur nombre et compense, par consé
quent, dans une certaine mesure, l’exiguïté de ce nombre. »
B) L
a
courbe des revenus de
V ilfredo P areto
Vilfredo Pareto, dans son Cours d’Economie Politique, résume ou
donne de nombreux tableaux de revenus classés d’après leur gran
deur : revenus bruts de l’Income Tax anglais, revenus en Prusse, à
Baie, dans le canton de Vaud, etc., construit les courbes de ces reve
nus, mesure l'inclinaison de ces courbes et ajoute :
« Ces résultats sont très remarquables. Il est absolument impos
sible d’admettre qu’ils sont dus seulement au hasard. Il y a bien cer
tainement une cause qui produit la tendance des revenus à se dispo
ser suivant une certaine courbe. » 2
En négligeant l’appareil mathématique très important de ses déve
loppements, on peut citer le commentaire de vulgarisation : 3
« On parle souvent de la pyramide sociale, dont les pauvres for
ment la base, les riches le sommet. A vrai dire, ce n’est pas d’une
pyramide qu’il s’agit, mais bien plutôt d’un corps ayant la forme de
la pointe d'une flèche, ou, si l’on préfère, de la pointe d’une toupie. » 4
Ch. Gide, dans son Cours d’Economie Politique,5 donne son
assentiment à la courbe des revenus de Vilfrédo Pareto et ajoute :
« Il en résulterait donc que non seulement l’inégalité des richesses
serait une loi universelle, 6 mais encore que les proportions de ces iné
galités ne seraient pas susceptibles de changer sensiblement et que les
cloisons qui séparent les classes ne sont pas si perméables qu’on le
dit. »
Quels que soient les efforts ainsi tentés, il y a là plutôt une repré
sentation commode qu’à vrai dire l’énoncé formel d’une loi véritable.
2 Cours d’Economie Politique, 2me volume, Paris, Rouge édit., 1897, T. II, p. 312..
3 Ibid . , p. 313.
4 Vilfredo Pareto apporte les précisions de la méthode mathématique à la courbe
des revenus.
L a formule la plus simple qu’il propose est la suivante :
Soit x un certain revenu, N le nombre de citoyens ayant un revenu
x
on a :
log. N = log. A — log. x
11 arrive comme représentation de la courbe à une pyramide à bords concaves
en forme de pointe de flèche, plus exactement en forme de toupie.
5 Cours d’Economie Politique, 10m- édition, 2 v o l., Paris, Librairie du Recueil
Sirey, 1931.
* T. II, p. 123, note 1.
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C H A P IT R E III
LOIS DE LA REPARTITION PROPORTIONNELLE
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On s'est encore demandé quelles étaient les parts respectives des
copartageants dans le revenu social. C’est ce que l’on peut appeler le
problème de la répartition proportionnelle.
Il ne s’agit pas ici des quantités des divers revenus envisagées en
elles-mêmes, ni davantage de leurs mouvements respectifs de hausse
ou de baisse, mais seulement de leurs variations par comparaison les
unes avec les autres. 1
Ce problème2 présente un double intérêt :
lin intérêt psychologique d’abord puisque, selon la solution affir
mée, chacun pourra être satisfait de sa part ou jaloux de celle du
voisin.
Un intérêt général ensuite, puisque les résultats de cette nouvelle
recherche peuvent éventuellement permettre de prononcer un juge
ment de valeur sur le système actuellement pratiqué de la répartition
des richesses.
Pour le résoudre, deux méthodes ont été mises en œuvre : les
uns se sont contentés de formuler a priori et ce sont alors les formules
de Ricardo, H. Georges, Rodbertus et Bastiat ; les autres ont pro
noncé des formules a posteriori, c’est-à-dire basées sur l’observation
des faits.
Il faut examiner successivement les unes et les autres.
1 O n a souvent utilisé ici la comparaison exacte d’ailleurs du gâteau à partager
entre les enfants : c’est moins par appréciation directe de la part donnée à chacun
que par comparaison avec la part du voisin, que l’enfant apprécie la valeur et l’équité
du partage.
2 Châtelain : Le problème de la répartiori proportionnelle des revenus. Ques
tions pratiques de législation ouvrière et d’économie sociale, 1907, pp. 17, 75 et 145.
Châtelain : Nouvelle note sur la variation de la part du capital et de celle du
travail. Revue Economique Internationale, janvier, 1911, p 142.
Châtelain : Introduction à l’étude d’un problème de répartition. Rev. d’Ec. Poli
tique, 1911, p. 28.
�— 176 —
§ I.
a
—
)
L
es
fo r m u le s
a
p r io r i
La formule de Ricardo
Ricardo,3le premier, aborde franchement le problème de la répar
tition proportionnelle ; il y voit même le principal problème de l’éco
nomie politique : « Chacune de ces classes (propriétaires fonciers,
propriétaires des fonds ou des capitaux nécessaires pour la culture de
la terre et travailleurs) aura cependant, selon l’état de la civilisation,
une part très différente du produit total de la terre sous le nom de
rente, de profits du capital et des salaires et cette part dépendra, à
chaque époque, de la fertilité des terres, de l’accroissement du capital
et de la population, de l’habileté des cultivateurs, enfin des instruments
employés dans l’agriculture. »
Dans un long développement,1 il examine ce problème en donnant
des exemples.
Il arrive ainsi à la double affirmation suivante :
Il y a hausse croissante de la rente ; 5
Il y a baisse de la somme profit + salaires et, dans cette somme,
l'un des facteurs ne peut augmenter que si l’autre diminue. 6
Cannan, dans son ouvrage : Production and Distribution, s’est
livré à une critique approfondie des affirmations de Ricardo.
Il lui adresse en premier lieu des critiques d’expression : les expres
sions hausse ou baisse des profits, hausse ou baisse des salaires sont
inexactes : il faudrait dire accroissement ou diminution de la part pro
portionnelle des rentes, profits et salaires. 7
Il critique en second lieu les exemples choisis : dans les exem
ples donnés par Ricardo, les changements dans la proportion des pro
duits obtenus par chacun des copartageants coïncide avec les varia-
3 Principes de l’Economie Politique et de l’Impôt. 1876, Paris, Guillaumin. C ol
lection des Grands Economistes, préface p. X L IX . Cf. ci-dessus p . .. (.introduction).
4 Ibid., p. 31.
5 Principes, chap. III, section II, p. 153. Ricardo avait précédemment écrit :
« O n peut poser comme une vérité irréfutable que, toutes les fois qu’une nation
atteint un degré considérable des richesses et une densité considérable de population,
ce qui ne peut avoir lieu sans une grande cherté à la fois des profits du capital et des
salaires du travail, la séparation des rentes, comme en quelque sorte attachées
aux sols d’une certaine qualité, est une loi aussi inviolable que l’action du principe
de gravité ». A n Inquiry into the Nature and Progrès of Rent, and the Principles hy
which it is regulated. 1 v o l., 1815, page 20.
6 « La part de l’un (salaire) ne pourra augmenter que dans la mesure où la
part de 1autre diminuera : le salaire ne peut augmenter qu’aux dépens du profit et
vice versa ».
A cet égard Ricardo admet une hausse des salaires et une baisse des profits.
7 Cannan : A History of the théories of production and distribution in English
political economy from 1776 to 1848, 2me édit., Londres, King and son, 1893, p. 342.
�— 177
:
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lions du montant réel échéant à chacun. En réalité, il peut n’en être
pas ainsi, puisque la valeur du produit total change. 8
Il critique enfin les conclusions de Ricardo parce que celui-ci n’a
pas introduit les notions essentielles de rente par tête, profit par tête et
salaire par tête. 9
Il conclut : 10 « Ricardo croit que sur le produit avec le progrès de
la société, la rente prend une part croissante, tandis que la part glo
bale des profits et des salaires va diminuant et comme il enseigne que
dans cette division les salaires prennent une part croissante et les
profits une part moindre que les deux autres. »
Le premier point : croissance de la rente, ne repose sur aucun
fondement solide et résulte du choix arbitraire des exemples numériques.
Sur le second point, — croissance des salaires — Ricardo se fonde
sur une vieille affirmation erronée que les salaires augmentent avec
le prix des produits et sur sa croyance aux rendements décroissants
de la terre.
Sur tous ces points, on ne possède que des probabilités qui sont à
l’inverse des affirmations de Ricardo. 11
La formule a priori de Ricardo serait donc, pour ces diverses con
sidérations, à écarter.
b)
La formule d’Henry George
Elle se trouve dans l'ouvrage fameux d’Henry Georges : Progrès
et Pauvreté :
« Si avec accroissement de production, le travailleur ne reçoit
pas plus, le capitaliste non plus, il s’en suit nécessairement que le pro
priétaire recueille le gain entier.
« Les faits sont d’accord avec cette déduction. Quoique ni les salai
res, ni l’intérêt ne s’accroissent en aucun lieu avec le progrès maté
riel, cependant l’accroissement invariable, la marque du progrès maté
riel, c’est l’accroissement de la tente, la hausse des valeurs
foncières. » 13
Ainsi donc, pour H. Georges, hausse continue de la rente et dimi
nution du profit et de l’intérêt.
i i i l i s tt
a Cannan : op. cit., p. 343.
9 Cannan : p. 350.
10 Cannan : p. 353.
11 Pour Cannan (op. cit.), ni John Mill, ni Mac Culloch, ni St-moii n'apportent
sur le problème de la Répartition proportionnelle quelque chose de précis.
12 Henry George : Progrès et Pauvreté. Traduction française L. Monnier, Pao-is. Guillaumin, 1897, p. 212.
12
�— 178
On voit la différence avec la formule ci-dessus rapportée de
Ricardo.
H . , Georges la souligne lui-même : « Toute la production
est faite de l’union de deux facteurs, la terre et le travail ; et la rente
(la part du propriétaire foncier) ne peut s’accroître qu’aux dépens des
salaires (la part du travailleur) et de l’intérêt (la part du capital). » 13
Il est superflu de marquer toute l’invraisemblance de pareille
formule a priori qui est en contradiction avec les faits.
c) La formule de Rodbertus 14
En voici les expressions successives :
« Quand la répartition du produit national est abandonnée à ellemême, certaines circonstances liées au développement de la société
font qu’avec l’accroissement de la production du travail national, le
salaire des classes laborieuses constitue une part toujours plus faible
du produit national. » 15
Et plus loin :
« La répartition du produit social, d’après ce que l'on appelle les
lois naturelles de l’échange, a pour effet que la productivité du travail
croissant, le salaire des ouvriers devient une fraction de plus en plus
petite du produit. » 16
Ainsi la part proportionnelle du salaire irait toujours en décrois
sant.
Rodbertus, pour démontrer sa formule, pose deux principes :
La loi d’airain des salaires ; 17
L ’accroissement de la productivité du travail, grâce à l’application
des sciences à l’industrie.
Dès lors, si la masse des objets produits dans le même temps de
travail augmente chaque année et si, d’autre part, la masse du produit
qui revient aux ouvriers reste toujours la même, n’est-il pas évident
que le rapport de cette masse au produit total doit aller en décroissant
constamment.
13 Ibid., p. 213.
14 Rodhertus souscrit aussi à la solution qu’il préconise au problème de la Répar
tition proportionnelle dès 1837 dans les Fordernngen der arbeiterden Klassen (publié
dans les Schriften des D r C ar Rodhertus-Jagetsow, T. III, Berlin, 1899).
Il les publia en 1851 dans ses Lettres Sociales (en annexe à la traduction du
Capital de Rodhertus par E. Châtelain. 1 vol., Paris, Giard, 1914.
15 2me Lettre Sociale. Schriften. T. II, p. 37.
16 Le Capital. Trad. franç. Châtelain. 2me lettre à von Kirchmann, p. 284.
17 « L a part du produit que reçoivent les producteurs se règle en définitive et
en général non pas sur le résultat de leur production, mais sur la quantité de produit
qui sert pour leur donner la force de continuer à travailler et les moyens d’élever
leurs enfants ». Le Capital. Trad. franç. p. 153.
�179 —
M. Charles R ist18 résume ainsi ses critiques à Rodbertus :
« L ’argumentation de Rodbertus est inintelligible si les mots « part
porportionnelle du produit » signifient une part en nature du produit
en nature.
Elle est intelligible mais non démonstrative si les mots « part
proportionnelle du produit » signifient une part estimée en monnaie
du produit estimé en monnaie.
Elle est intelligible et démonstrative seulement si les mots « part
proportionnelle du produit » signifient une part estimée en journées
de travail du produit estimé en journées de travail, c’est-à-dire dans
l’hypothèse non réalisée et toujours irréalisable, où l’équivalence éco
nomique des produits s’établirait d’après l’égalité des efforts qu’ils ont
coûté. » 19
La formule de Rodbertus est donc à écarter comme les précé
dentes.
d ) La formule de Bastiat
La formule de Bastiat, opposée à celle de Rodbertus, est l’affir
mation que la part proportionnelle du salaire dans la répartition des
richesses va sans cesse croissant.
Il la formule dès la préface de ses Harmonies économiques : 20
« Capitalistes et ouvriers, je me crois en mesure d’établir cette
loi : A mesure que les capitaux s’accumulent, le prélèvement absolu
du capital dans le résultat total de la production augmente et son pré
lèvement proportionnel diminue ; le travail voit augmenter sa part
relative et, à plus forte raison, sa part absolue. L ’effet inverse se pro
duit quand les capitaux se dissipent. Si cette loi est établie, il en
résulte clairement l’harmonie des intérêts entre les travailleurs et ceux
qui les emploient. »
Il en donne plus loin la démonstration : 21
En effet, étant admis que tout accroissement de capital est suivi
d’un accroissement nécessaire du bien-être général, j’ai posé comme
inébranlable, quant à la distribution de ce bien-être, l’axiome suivant :
« A mesure que les capitaux s’accroissent, la part absolu des capi
talistes dans les produits totaux augmente et leur part relative dimi
nue. Au contraire, les travailleurs voient augmenter leur part dans les
deux sens. »
18 Deux Sophismes Economiques. Rev. d’E. P . , 1905, p. 223.
19 M. Rist remarque au surplus que cette démonstration implique comme ac
cordée et valable la loi d'airain des salaires. Cf. infra, p. 202.
20 Harmonies économiques, 1848. 1 v o l., Paris, Guillaumin, é d ., 1890. Pré
face p. 17.
21 Harmonies économiques. Ibid., chap. Capital p. 249.
�— 180 —
Et, un peu plus loin, Bastiat poursuit :
« Ce ne sera pas long. »
H constate que le taux de l'intérêt ne cesse de s’abaisser et ajoute :
« Or, quand l’intérêt descend de 20 % à 15 %, puis à 10, à 6, à 5.
à 4, à 3 y2, à 3 %, qu’est-ce que cela veut dire relativement à la ques
tion qui nous occupe ? Cela veut dire que le capital, pour son concours,
dans l’œuvre industrielle, à la réalisation du bien-être, se contente ou,
si l’on veut, est forcé de se contenter d’une part de plus en plus réduite
à mesure qu’il s’accroit. » 32
Les critiques 23 n’ont pas manqué à la formule de Bastiat. M. Ch.
Rist dit formellement :
« Le raisonnement n’est pas long, en effet. Malheureusement, il
ne prouve rien. De ce que le taux de l’intérêt diminue, il ne résulte
pas le moins du monde que la part proportionnelle prélevée par le
capital sur la valeur du produit diminue. Ces deux notions n’ont rien
de commun.
« L ’intérêt est calculé par rapport à 100 francs de capital. La part
proportionnelle du capital est calculée par rapport à la valeur du pro
duit. Pour que l’argumentation de Bastiat fut démonstrative, il fau
drait que la valeur du produit fabriqué avec 100 francs de capital fut
restée la même à chacune des périodes considérées. Le taux de l’inté
rêt aura beau s’abaisser de 20 à 3 % ; si, dans le même temps, la
valeur du produit fabriqué avec 100 francs de capital a passé de 50 à
5 francs, la fraction du produit prélevée par le capital aura grandi de
2/5 à 3/5. Non seulement Bastiat ne démontre pas que la valeur du
produit fabriqué reste invariable, mais encore il serait fort embar
rassé de le faire, car la théorie moderne de l’intérêt prend pour point
de départ cette constatation que le capital, à mesure qu’il s’accumule,
s’applique à des emplois de moins en moins productifs. »
La formule de Bastiat sur l’augmentation proportionnelle des
salaires dans l’ensemble de la répartition ne paraît donc pas soute
nable.
La formule de Bastiat a cependant été reprise, sans plus grand
succès d’ailleurs, par plusieurs économistes libéraux postérieurs.
Paul Leroy-Beaulieu, dans ses divers ouvrages,21 a repris à son
compte l’affirmation de Bastiat :
22 O n retrouve la même démonstration donnée dans la 9™° lettre à Proudhon
dans les mêmes termes.
23 Châtelain : Préface à la traduction du Capital de Rodhertus, op. cit. « La
démonstration de Bastiat est un des plus étonnants exemples de sophisme.
M. Ch. Rist : Deux Sophismes Economiques. Rev. d’E. P . , 1905, p. 224.
24 De la Répartition des richesses et de la tendance à une moindre inégalité des
conditions. 1 v o l., Paris, p. 384.
Précis d’Economie Politique. 1 v o l., Paris, p. 175.
�— 181 —
« La répartition des produits entre le propriétaire, l’entrepreneur
et l’ouvrier ne se fait pas toujours dans les mêmes proportions : cellesci peuvent considérablement varier, si bien que la quote-part relative
du capital, ou de la propriété, ou de l’entreprise, dans le produit auquel
ils ont coopéré devienne moindre et que la quote-part relative du tra
vail s’accroisse en sens contraire. » 25
Paul Beauregard affirme : 26 « La classe ouvrière doit profiter plus
largement que les capitalistes et les entrepreneurs des bénéfices dus
aux inventions de tout genre. Comme le disait déjà Bastiat, à mesure
que les capitaux s’accumulent, le prélèvement absolu du capital dans le
résultat de la production augmente, mais son prélèvement propor
tionnel diminue : le travail, au contraire, voit augmenter sa part rela
tive et, à plus forte raison, sa part absolue. »
Cheysson, dans une conférence populaire donnée en 1885, énon
çait à titre de loi économique formulée par Bastiat : « A mesure que
le capital augmente, sa part proportionnelle diminue au profit de celle
du travail. »
Enfin, Neymark, dans une séance à la Société d’Economie Politi
que, 27 disait sans rencontrer ni observation ni réfutation : « A mesure
que le capital augmente, sa part proportionnelle diminue au profit de
celle du travail. »
Toutes ces déclarations n’étant que la reproduction exacte de.
l’affirmation de Bastiat, n’ont en rien changé l’aspect du problème.
e)
La Form ule de C olson28
Dans son grand ouvrage : Cours d’Economie Politique,22 Colson
écrit :
« Il suit de là que la rémunération du travail et du capital, dans
un état donné de l’art industriel, du chiffre de la population et du mon
tant de l’épargne accumulée, est absolument déterminée. En effet, la
production totale qu’ont à se partager ces deux agents (déduction faite
de la part absorbée par les rentes, dont nous faisons abstraction en ce
moment, et des prélèvements énumérés plus haut) est déterminée par
la quantité existante de chacun d’eux pour l’art avec lequel on sait les
employer ; le rapport des taux auxquels se fixent le salaire pur et l’in
térêt pur est nécessairement celui qui assure l’emploi total du capital
et du travail, dans la proportion où ils sont offerts, chaque entrepre25 Répartition des richesses, p. 384.
26 Eléments d’Economie Politique, pp. 180-181.
27 4 Avril 1903. J. des E con ., avril 1903, p. 92.
28 1853-1939.
29 Cours d’Economie Politique. 7 v o l., Paris, 1915-1924.A Gauthier-Villars et
Alcan. T. I, p. 306.
�neur individuellement les employant dans la proportion où il a inté
rêt à le faire pour réduire son prix de revient au minimum. La rému
nération totale et la proportion dans laquelle le partage se fait étant
bien fixées, la part de chacun en résulte nécessairement. » 30
La formule n'a pas eu grand retentissement et rares31 sont ceux
qui y voient une découverte sensationnelle.
Il est ainsi permis de conclure que la méthode abstraite pour trou
ver la loi de la répartition proportionnelle n'aboutit à aucun résultat
valable.
Aucune des formules ainsi proposées n’est acceptable 32 et ne peut
être retenue comme loi valable de l’Economie politique. 33
§ IL — L es
formules a po sterio ri
C’est plus récemment34 que la méthode a posteriori, c’est-à-dire
l’observation des faits, a été préconisée pour la solution du problème
de la répartition proportionnelle.
On n’en est d’ailleurs encore qu’à la position du problème et à
l’énoncé des multiples éléments nécessaires à sa solution.
M. Châtelain 35 estime que « le problème demeure en l’état, qu'il
faut se prononcer dans un sens ou dans l’autre, que l’on doit s’effor
cer de chercher des preuves en utilisant toutes les ressources de la
statistique et en les étudiant par l’application des lois théoriques les
plus vraisemblables et les mieux établies. »
L ’auteur affirme au surplus que, pour être résolu scientifique
ment, le problème demeure complexe et exigerait de longues études.
Il n’indique pas moins de 14 éléments nécessaires à sa solution. Il
faudrait connaître :
1° la population ouvrière ;
2° la population rentière ;
3° le revenu national (annuel) en argent ;
30 Colson (p. 366, note 1) donne la formule mathématique Je cette répartition.
31 M. Jacques Rueff : Rev. d’E. P . , 1939, p. 814.
32 On a justement fait remarquer (Cannan, op. cit., p. 391) que toutes ces théo
ries s'expliquent par des buts pratiques : il s’agissait surtout de montrer les intérêts
divergeants des populations d’une part, des commerçants et des industriels de l’autre.
33 O n trouvera encore une discussion sur les formules de Rodhertus et de Bastiat, entre Châtelain (Rev. Econ. Intern., 15 juillet 1910) qui approuve Rodhertus et
Yves Guyot (Rev. Econ. Inter., 15 septembre 1910) qui défend la thèse de Bastiat :
elle est plus polémique que vraiment scientifique.
34 Châtelain : Introduction à l’étude d’un problème de répartition. Rev. d’E. P.
1911, p. 28.
Châtelain : Nouvelle note sur la variation de la part du capital et de celle du
travail. Rev. Econ. Intern., janvier 1941, p. 142.
Yves Guyot : Rev. écon. intern., 15 septembre 191(1, p. 154.'
35 Art. précité.
�5° la rente totale annuelle en position du revenu national (gran
deur relative) ;
7° le salaire (revenu du travail) total annuel (somme des salaires
individuels) en argent ;
8° le salaire total annuel en face du revenu national (grandeur
relative) ;
9° le salairemoyen annuel par tête en argent ;
10° le salairemoyen annuel par tête en nature ;
11° le salairemoyen par jour et par tête en argent ;
12° le salairemoyen par jour et par tête en nature :
13° le taux de l’intérêt ;
14° le pouvoir de l’argent.
Le seul énoncé des grandeurs quantitatives à connaître et l’insuffi
sance des statistiques relatives à la plupart d’entre elles incitent à ren
voyer à une date future indéterminée la solution numérique attendue.
Il n’y a donc pas aujourd’hui de formules a posteriori permettant
une solution de la question.
On peut, je crois, rattacher à cette idée de la répartition propor
tionnelle une formule récente proposée par M. Gibrat dans une étude
en vérité mathématique, dans un ouvrage intitulé « Les inégalités éco
nomiques ». 36
Il la présente d’ailleurs comme un cas particulier d’une loi plus
générale, la loi de l’effet proportionnel. 37
Il la formule ainsi : « A une variation du taux moyen du revenu
considéré correspond pour les revenus individuels une variation pro
portionnelle. »
Ce sont donc les augmentations ou les diminutions du revenu
national qui commandent des augmentations ou des diminutions pro
portionnelles des différentes classes de revenus : les écarts relatifs
entre les classes restant approximativement inchangés.
L ’auteur s’efforce de vérifier cette loi par les statistiques.
A considérer le total des revenus, à l’exclusion de ceux du travail,
5,2 % des individus s'en partagent les 50 % ;
1,07 % des individus les plus riches s’en partagent 25 % ;
81,7 % des individus les plus pauvres s’en partagent 25 %.
36 1 vol., Paris, Sirey, 1931.
37 Cf. notre tome II. Les lois générales, p. 65,
A
�— 184
De 1919 à 1927, l’indice des revenus du capital et des profits indus
triels a varié seulement entre 94 et 103.
Il y aurait donc une stabilité dans l’inégalité.
Sans vouloir ni pouvoir discuter la démonstration mathématique,,
il semble que le caractère limité de la période considérée ne permette
pas de conclure à une loi absolument certaine.
A vrai dire, pour faire de l'inégalité des revenus une loi naturelle
qui s'imposerait, il faut être bien sûr de sa démonstration.
Pour l’instant,38 et ce sera notre conclusion, il faut dire et répéter
que le problème de la répartition proportionnelle, depuis si longtemps
ix>sé, n’est pas résolu.
Il faut se garder surtout de diffuser et d’accorder la moindre con
fiance aux formules a priori qui sont, de part et d’autre, tendancieuses.
La répartition proportionnelle demeure aujourd’hui un formidable
point d’interrogation.
38
Des études de détail sur ce problème de la répartition proportionnelle envi
sagé par la méthode d’observation contribuent à sa solution : telle par exemple
l’étude de M. G. de Leener. Parts des profits et des salaires dans l’industrie belge.
1 v o l., Bruxelles. Comité central industriel de Belgique, 1939 : la conclusion en est
la diminution proportionnelle des profits de 1921 à 1937.
�B) L O IS P A R T IC U L IE R E S
C H A P IT R E IV
LES LOIS DE LA RENTE
La découverte des lois de la rente comporte un double mouve
ment qui impose la division de ce chapitre :
a ) La loi de la rente est d’abord formulée à propos de la rente
dans l’agriculture : c’est, la théorie de Ricardo qui est elle-même l’ob
jet d’extensions successives ;
b ) L ’idée de rente est ensuite appliquée à d’autres hypothèses en
dehors de l’agriculture : jl s’agit ici surtout de la rente urbaine et de
la rente des consommateurs.
On étudiera donc :
§
I.
— La
lo i de la rente dans l ’ agriculture chez
ses successeurs
§ IL — L es
S I. — La
R icardo
et
;
autres lois de la rente .
loi de la rente dans l ’ agriculture chez
R icardo
ET SES SUCCESSEURS
On a trouvé à Ricardo quelques précurseurs : 1
James Anderson est le plus important ; dans son ouvrage :
Observations on the means of exciting a spirit of national industry,
chiefly intended to promote agriculture, commerce, manifactures and
fisheries of Scotland,2 on trouve la démonstration rigoureuse de
l’existence de la rente dans quatre catégories de terres envisagées
successivement.
1 Cf. Halévy : Formation du radicalisme philosophique. 3 v o l., Paris, T. II,
p. 236 et suiv.
Cannan : A history of the théories of Production and Distribution in English
Political Economy fron 1776 to 1848, p. 147 et suiv. Londres, 1893. Trad. franc. Barrault et Alfassa, Paris, pp. 205-220, pp. 290-297, pp. 414-423.
<
2 1777, p. 45, note.
�—
186
—
Tu rgot3 et Ad. Smith 4 avaient été indûment comptés au nombre
de ces précurseurs : le premier se contente de relever le fait de la
diminution dans la productivité du sol, le second affirme que l’accrois
sement de la demande des produits agricoles pourrait commander
un prix plus que suffisant pour indemniser le fermier, mais sans indi
quer pourquoi cette demande diffère de celle des autres produits. 5
Malthus, dans un ouvrage publié en 1815,6 est un précurseur plus
sérieux : il voit dans la rente une loi économique : la terre a le privi
lège unique de créer elle-même la demande de ses produits grâce à
l’augmentation de la population, et aperçoit aussi l’inégale fertilité des
terres. Cependant, malgré ces vues fort intéressantes, la théorie est
imparfaitement construite. 7
Ricardo a d’ailleurs reconnu ! formellement cette priorité.
Ricardo est le véritable créateur de la loi de la rente.
Il a exposé pour la première fois sa théorie de la rente en 1815
dans son ouvrage « Essay on the influence of a Law Price of Corn »
(Essai sur l’influence d’un bas prix du blé).
A la même date paraissait une brochure intitulée : Essay on the
application of Capital ta Land... by a fellow of University College
O xford,9 qui était de West. Elle contenait une partie importante
d’une théorie de la Rente semblable à celle de Ricardo.
Dans la préface de ses Principes, Ricardo reconnaît qu’il doit
beaucoup à Malthus et à West.
La théorie est exposée dans les Principes de l’Economie Politique
et de l’Im p ôt10 au chapitre II intitulé de la Rente de la Terre.
Le texte débute par cette définition de la rente : « La rente est
cette portion de la terre que l'on paye au propriétaire pour avoir le
droit d’exploiter les facultés productives et impérissables du sol ».
Viennent ensuite les deux célèbres hypothèses :
à) Mise en exploitation de terres d’une fertilité décroissante ;
b) Apport de capitaux successivement croissants sur une même
terre.
3 Observations sur le mémoire de M. de Saint-Péravy. Cf. Courcelle-Seneuil.
Traité d’Economie Politique, T. I, p. 179.
4 Richesse des Nations. Livre I, chap. XI, trad. Garnier, T. I, p. 189.
5 Cf. Cairnes : Le caractère et la méthode logique de l'Economie Politique.
0 A n inquirv into the nature and progress of rent. Trad. Valran, Giard, 1902,
p. 216.
7 Cf. Gide et Rist : Histoire des Doctrines économiques. 4me édition. Libr. du
Recueil Sirey, 1922, p. 165 et suiv.
8 Préface des Principes. Malthus a présenté au monde « la vraie doctrine de là
rente » (the true doctrine of rent).
9 Londres. Underwood, 1815.
10 1817. Trad. franc, de Constansio et Fonteyraud. ‘Œuvres complètes de D a
vid Ricardo. Paris, Guillaumin, 1882, p. 33 et suiv.
�187 —
a) Mise en exploitation de terres d’une fertilité décroissante
« Lorsque des hommes font un premier établissement dans une
contrée où se trouvent en abondance des terres riches et fertiles dont
il suffit de cultiver une très petite étendue pour nourrir la population
actuelle ou dont la culture n’exige pas plus de capital que n’en pos
sède la population, il n’y a point de rente ; car personne ne voudrait
payer pour l’usage de la terre, alors qu’il y en a une grande quantité
qui n’est pas encore appropriée et est, par conséquent, à la disposition
de quiconque voudrait la cultiver. »
Ricardo suppose ensuite la mise en cülture de terrains nos 1, 2, 3
de fertilité décroissante.
Dès la mise en culture des terrains n° 2, la rente apparaît pour les
terrains n° 1 et est égale à la différence de productivité des terrains. 11
Avec la mise en culture des terrains n° 3, la rente augmente pour
les terrains n° 1 et apparaît pour les terrains n° 2, toujours égale à la
différence de productivité des terrains.
Plus loin,12 l’auteur écrit : « La valeur du blé se règle d’après la
quantité de travail employée à le produire sur cette qualité de terre. »
(celle de la dernière portion obtenue).
b) Apport de capitaux successivement croissants sur une même terre
L ’auteur suppose sur une même terre l’emploi successif de capi
taux : 1.000 £, 2.000 £, 3.000 £.
« Le capital employé le dernier ne donne pas de rente » , 13 mais
à chaque nouvel apport à partir du second, la rente apparaît au profit
du propriétaire du capital précédent.
« La rente est toujours la différence entre les produits obtenus par
l’emploi de deux quantités égales de capital et de travail. » 14
La valeur du blé se règle en ce cas « d’après cette portion du capi
tal qui ne donne pas de rente. » 15
Telles sont les deux hypothèses de rentes dégagées par Ricardo.
II ajoute :
« La hausse de la rente est toujours l’effet de l’accroissement de la
richesse du pays et de la difficulté de se procurer des substances pour
une population accrue. C’est un symptôme, mais ce n’est jamais une
cause de richesse, car la richesse s’accroît souvent le plus rapidement
11 « L e ta u x d e la r e n t e d é p e n d d e la d i ffé r e n c e d a n s l a q u a lit é r e s p e c t iv e d es
d e u x esp èces d e te rre ».
12 R i c a r d o
:
13 R ic a r d o
:
14 R i c a r d o
:
15 R i c a r d o
:
Ib id ., p.
Ibid., p.
Ibid., p.
Ibid., p.
R ic a r d o ,
41.
38.
38.
41.
Ibid.,
p.
36.
�—
188
—
pendant que la rente reste stationnaire, ou même pendant quelle
baisse. La rente hausse d’autant plus rapidement que les terres dispo
nibles diminuent dans leurs facultés productives. » 16
Ainsi existence de la rente et loi de la hausse continue de cette
rente, tels sont les deux points essentiels de la doctrine de Ricardo.
Mais Ricardo, on l’a vu, n’envisageait que la rentfe sur les pro
duits agricoles.
Une première extension de sa théorie se fait chez ses successeurs
en insistant sur les produits agricoles autres que le blé.
H. Georges, 17dans son ouvrage célèbre: Progressand Pauperty 1S
(Progrès et Pauvreté)19 adhère à la loi de la rente de Ricardo et la
formule ainsi : 20
« La rente de la terre est déterminée par l’excès de son produit
sur ce que la même culture produirait dans la moins productive des
terres en usage. »
Paul Leroy-Beaulieu, dans son grand Traité,21 donne lui aussi son
adhésion à la théorie de Ricardo et expose tout au long la loi de la
rente telle22 qu’on la pouvait concevoir alors.
« Les observations de Ricardo sont donc d’une complète exacti
tude. La rente de la terre, telle qu’il l’a décrite, a parfaitement sa rai
son d’être. Les faits peuvent se passer comme il vient d’être dit. « 23
Il envisage pour son compte quatre cas de rente.
Il admet enfin que la loi de la rente peut être « combattue dans
l’enchevêtrement des diverses causes agissant sur le milieu physique
et social, par une ou plusieurs autres lois antagonistes qui souvent
l’atténuent, parfois la neutralisent ou qui même en triomphent complè
tement et font sentir leur influence dans le sens opposé. » 24
La loi de Ricardo pourrait donc n’avoir que des applications assez
restreintes.
§ IL — L es
autres lois de la rente
En dehors de la tradition transmise par Ricardo sur la rente en
agriculture, de nouvelles applications de l’idée de rente ont été faites :
16 R i c a r d o
”
:
Ib id . ,
p. 44.
1836-1897.
18 P r o g r e s s a n d P a u p e r t y , 1879, S a n - F r a n c is c o .
19 P r o g r è s e t P a u v r e t é .
T r a d . fr a n c .
20 P r o g r è s e t P a u v r e t é , p.
21 T r a i t é
L e M o n n ie r , P a r i s , G u illa u m in , 1887.
160.
t h é o r iq u e e t p r a t iq u e d ’E c o n o m i e P o l i t i q u e .
G u illa u m in , 1900, T .
I, p.
701 e t s u iv .
22 Y c o m p r is d e s d é v e lo p p e m e n t s s u r la r e n t e u r b a in e .
23 L e r o y - B e a u lie u
: op.
c it., T .
24 L e r o y - B e a u lie u
: op. c it . , T .
é d it ., 4 v o l. , P a r is ,
,
I , p. 715.
I, P. 732.
C f.
in fr a , p.
189.
�189 —
1° à la renie urbaine, principalement avec H. Georges ;
2° à la rente du consommateur ;
3° à d’autres cas en dehors de l’agriculture.
1° La rente urbaine
Stuart M ill est un des économistes libéraux qui a insisté sur la
rente urbaine.
Dans ses Principes d’Economie Politique,25 il donne un exposé de
la rente de Ricardo en la précisant dans trois hypothèses où il fait
varier l’augmentation de la population, le capital et les progrès agri
coles et admet une tendance de la rente à la hausse.
C’est dans des opuscules postérieurs26 qu’il insiste sur la rente
urbaine et l’accroissement non gagné, unearned incrément of land.
« Le sol seul — en prenant le sol comme le terme général pour
toute la matière terrestre — a le privilège d’augmenter constamment
de valeur par des causes naturelles ; et la raison en est que le sol est
strictement limité en quantité ; l’offre n’en augmente pas pour faire
face à l’accroissement continu de la demande... » 27
H. Georges,28 qui, on l’a vu,29 s’est lui aussi rallié à la théorie de
la rente de Ricardo, insiste sur la généralité de cette loi de la rente. Il
écrit :
« La loi qui, naturellement, s’applique à la terre travaillée dans un
autre but que l'agriculture et à toutes les ressources actuelles, telles
que mines, pêcheries, etc., a été complètement expliquée par tous les
principaux économistes depuis Ricardo. » 10
Il insiste plus particulièrement sur la rente urbaine. 31
Le passage est célèbre : 32
« Prenez maintenant le même homme ou un autre, quelque
homme d’affaire à tête dure, n’ayant pas de théories mais sachant
comment on gagne de l’argent. Et dites-lui : « Voici un petit village :
25 P r in c ip le s
p.
o f P o lit ic a l E c o n o m y .
E d it .
L a u ren ce
L a u g lin ,
N e w - Y o r k , 1865,
130.
26 C it é s
par
p. 486, o p u s c u le
W a lk e r : P o lit ic a l
E con om y.
1 v o l . , L o n d res,
27 O n s a it q u e S t.
28 P r o g r è s e t P a u v r e t é , o p .
s u p ra , p.
33
262 e t s u iv .
Ib id . ,
p. 280.
c i t . , p. 160.
188.
30 H. G e o r g e s : o p .
31 P .
1888,
M ill r é c la m a it u n e t a x a t io n s p é c ia le d e la t e r r e é q u iv a le n t à
des a v a n t a g e s s p é c ia u x .
23 C f.
M a c M illa n ,
: T h e N a t io n a lis a t io n o f L a n d .
c i t . , p.
160.
*
�— 190
« Dans dix ans, ce sera une grande ville ; dans dix ans, le chemin de
« fer aura remplacé la diligence... Qu’est-ce qui aura alors haussé ? »
« — La vente, la valeur de la terre. Achetez vous-même un lot
« de terrain et prenez-en possession. »
2° La rente du consommateur 33
C’est à l’économiste anglais Marshall qu’on attribue d’ordinaire la
loi elle-même et l’appellation de la loi.
Cependant, de l’avis même de Marshall, il avait eu comme précur
seur l’ingénieur français Dupuit.
Dupuit, dès 1844, dans un article publié dans les Annales des
Ponts et Chaussées, pressent la loi sans l’énoncer rigoureusement
nulle part.
C’est Marshall qui, en 1890,34 précisa le nouveau cas de rente et
le dénomma rente des consommateurs.
Après un développement sur les circonstances de l’offre et de la
demande composites,35 Marshall écrit : 39
« Nous pouvons maintenant considérer les effets qu’un change
ment apporté dans les conditions de l’offre peut exercer sur le surplus
ou rente du consommateur. » 37
Il y ajoute des développements mathématiques.
Il entend par là un moins payé par le consommateur : « Lorsqu’il
s’agit de marchandises par rapport auxquelles la loi du rendement
décroissant agit d’une manière tout à fait vigoureuse, ou, en d’autres
termes, pour lesquelles le prix d’offre normal diminue rapidement lors
que la quantité produite augmente, la dépense directe d’une prime
suffisante pour provoquer une grande augmentation d’offre à un prix
beaucoup plus bas, serait bien inférieure à l’augmentation qui en résul
terait pour le surplus des consommateurs. » 38
3° Les autres cas de rente
D’une manière générale, on a eu tendance à dénommer rente tout
excédent de revenus, en quelque domaine que ce sojt.
33 Bêla Amhrovics : Sur la rente des consommateurs. Revue d’E. P . , 1904,
p. 477 et p. 611.
34 Principles of économies. 1 v o l., Londres. Traduction franç. par SauvaireJourdan. Principes d'Economie Politique. 2 vol. , Paris, Giard, 1897, T. I et 1909,
T. II.
35 Livre V, chap. VI, p. 74 et suiv., T. II. Trad. franç.
36 Ibid., t. II, p. 180.
37 C ’est nous qui soulignons.
38 Iibid., T. II, p. 187.
�— 191 —
Telles, par exemple, les primes de rareté ou les résultats d’un
monopole avec un accroissement de la demande en face d’une offre
limitée.
Telles encore certaines tranches supérieures des revenus dus aux
loyers dans les maisons urbaines, lorsque la population augmente.
A. Marshall39 a été plus loin encore en partant des « quasirentes » : il entend par là toute tranche supérieure de revenu due à un
monopole ; elle est temporaire, mais existerait en dehors de la rente
de la terre et de la rente des maisons.
C O N C L U S IO N
Il semble donc que la loi de la rente de Ricardo, avec les exten
sions successives qu’elle a reçues, puisse être inscrite au nombre des
lois valables de l'Economie Politique, mais également et comme bien
d’autres elle est une loi contingente.
A
39 Marshall : op. cit., T. II, p. 126.
�C H A P IT R E V
LES LOIS DE L ’INTERET
Ces lois sont peu nombreuses : on a cherché à les formuler dans
trois directions :
I) Anciennement d’abord, on a cru voir dans la baisse continue
du taux de l’intérêt au cours des siècles une loi économique que nous
pouvons appeler la loi de la hausse du taux de l’intérêt ;
II) Plus récemment, on a cherché une action possible du taux de
l'intérêt sur les prix : on peut appeler cet effort la loi du mécanisme
de I’open market.
III) On a cherché aussi à mettre en formule mathématique la loi
«le variation du taux de l’intérêt.
I) L a
l o i de l a b a is s e du t a u x
de l ’ in t é r ê t
Sans aller jusqu’à prononcer le mot même de loi, Paul LeroyBeaulieu 1 est très formel dans son affirmation : il énumère les causes
qui agissent dans le sens de la baisse, les causes qui poussent à la
hausse et conclut : « Mais le résultat de tous ces mouvements, c’est
la tendance normale à une diminution graduelle du taux de l’intérêt
des capitaux. »
L ’auteur d’ailleurs limite à notre état de civilisation et à l’absence
de grandes guerres ou de bouleversements et de menées socialistes
la réalisation de cette tendance.
Ce serait donc, si loi il y a, une loi contingente et relative. 2
M. Landry 3 écrit à ce sujet :
« Ceux qui ont vu ce taux, dans les 35 ou 40 dernières années,
baisser d’une manière à peu près continue, et descendre jusqu’à la
1 Traité théorique et pratique d’Economie Politique. S®16 édition, 4 vol., Paris,
Guillaumin, 1900, T. II, p. 161.
2 Néanmoins l’auteur s’était appuyé sur cette tendance pour prédire une baisse
de ce taux de l’intérêt pendant une période de 25 ans après 1880 et il affirme que
cette baisse s’est produite. Ib id ., T. II, p. 166.
3 Manuel d’Economique. 1 v o l., Paris, Giard, 1908, p. 655.
�— 193 —
*§sl
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moitié de ce qu’il était, sont portés à croire qu’il ne saurait manquer
-de poursuivre son mouvement de baisse, que ce mouvement manifeste
une loi nécessaire. » Et l’auteur affirme « qu’une telle loi n’existe
pas ». Il appuie cette affirmation à la fois sur l’histoire du passé et sur
la multiplicité des causes agissant sur le taux de l’intérêt pour
l’avenir. 4 »
La vérification critique de cette loi est, bien entendu, impossible
à entreprendre.
De temps en temps, mais en diminuant de fréquence,5 les discus
sions de principe reprennent sur l’affirmation jadis formulée.
Il y a donc doute et il paraît bien difficile, à étudier les variations
du taux de l’intérêt, de conclure à une loi certaine : tout au plus peuton parler d’une tendance dans le passé.
II) La
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l o i d u m é c a n is m e de l ’ o p e n m a r k e t
D’une manière générale, l’affirmation nouvelle,6avec des nuances
particulières à chaque auteur, est la suivante : les achats ou ventes de
titres d’Etat sur le marché 7 permettraient, en augmentant ou dimi
nuant le total des capitaux disponibles, d’exercer une action sur les
prix.
M. Hawtrey8 voudrait combattre la dépression prolongée des
prix par des achats sans limites des titres de rente effectués par les
banques centrales.
4 Dans le même sens négatif.
P. Reboud : Précis d ’Economie Politique. 6me édit., Paris, Dalloz, 4939, T. II,
p. 495 et suiv. L ’auteur indique que « le taux de l’intérêt est entraîné dans des mou
vements de longue durée, ce taux étant en corrélation avec les prix de gros des
marchandises ordinaires. Ibid., p. 497.
Ch. Gide : Cours d’Economie Politique. 40me édit., 2 v o l., Paris, Libr. du Receuil Sirey, 4931, T. II, p. 280.
5 Vahrarn N ubar : A propos de la tendance à la hausse de l’intérêt. 1 br. in-8°,
32 pages, Paris, Librairie du Recueil Sirey, 1936. L ’auteur se déclare partisan de la
formule « dans une société progressive où le jeu de la concurrence serait parfait »,
p. 23 et relève le mouvement de reprise du taux de l’intérêt en temps d’insécurité
monétaire.
M. Jean Lhomme (Rev. d’E. P . , 1938, p. 1644), compte rendu de l’ouvrage
précité, veut limiter cette réserve à certains pays seulement.
6 M. Charles Rist, dans son ouvrage : Histoire des Doctrines relatives au C ré
dit et à la Monnaie depuis John L a w jusqu’à nos jours, 1 v o l., Paris, Libr. du Re
cueil Sirey, 1938, p. 317, a exactement montré comment Cantillon fut un précurseur
perspicace de cette nouvelle politique de l’open market.
7 On sait que par l’expression francisée d’ « open market policy » on entend
l’intervention sur le marché libre des Banques pour l’achat eq bourse des titre de
rente d’Etat.
8 Hawtrey : The A rt of Central Banking, 1932. The Gold Standard, 1933. La
Circulation monétaire et le crédit. 1 vol. Trad. franç. Paris. 1935.
ts
�194 —
L ’action joue par l’intermédiaire du taux de l’intérêt : En ache
tant des titres de rente, les banques augmentent les capitaux disponi
bles des banques de dépôts ; celles-ci, en présence de ces capitaux
disponibles, pour ne pas garder des encaisses improductives, auront
tendance à diminuer le taux de l’escompte, c’est-à-dire le taux de l’in
térêt et par là provoquent de nouvelles de mandes de crédit. D ’où
baisse des prix.
Inversement, la vente des titres sur le ma rené par la banque cen
trale entraîne une reprise vis-à-vis des banques d’une partie de leurs
capitaux disponibles et, par l’élévation du taux de l’intérêt qui s’en
suivra, provoquera une hausse des prix.
On 9 a justement critiqué cette affirmation de l'action de l’open
market sur les prix.
La variation du crédit n’est pas entre les mains des banques, puis
que la variation du taux de l’escompte n’est pas le seul facteur qui
agisse sur la marche des affaires. De plus la théorie néglige l’action
de la spéculation.
M. Charles R is t10 oppose à cette formule le démenti des faits.
M. Keynes11 affirme que la politique de l’open market peut agir
sur le niveau des prix : c’est l'écart entre le taux effectif de l’intérêt à
long terme et le taux naturel de l’intérêt qui a cette action. Le taux
naturel de l’intérêt est « celui où l’épargne et le placement sont exacte
ment en équilibre. » 12
« Les prix montent quand le taux effectif est inférieur au taux
naturel ; ils baissent dans le cas contraire. » 13
Il établit sa loi avec un grand luxe de formules algébriques.
M. Ch. Rist, avec M. Hawtrey, y voit « une théorie invérifiable
scientifiquement et inutilisable pratiquement pour les banquiers qui
voudraient y chercher une directive. 14
III) L a
f o r m u l e m a t h é m a t iq u e de l a l o i de v a r i a t i o n du t a u x de l ’ in t é r ê i
Cette tentative est due à M. le baron Ch. Mourre. 15
9 Petit et de Veyrac : Le Crédit et l’organisation bancaire. 1 v ol., Libr. du
Recueil Sirey, 1938, p. 147.
10 Ch. Rist : op. cit., p. 315.
11 A Treatise on nioney, 2 v o l., 1930.
12 Op. cit, T. II, p. 3G3.
13 Rist : op. cit., p. 313.
14 Rist : op. cit., p. 313.
Cf. Comme critique encore, M. Cannan : Modem currency and the Régulation
oî its value. 1 vol., Londres, 1931, p. 81 et suiv.
<
M. Lionel Rohins. Trad. franç. L a Grande Dépression. 1 vol., Paris.
15 Ch. Mourre : Les causes des variations des taux de l’intérêt. Revue scienti
fique (Revue Rose), 1918, p. 615.
�195
L ’auteur dénomme « capital circulant toute richesse qui est trans
formée par son usage, capital fixe toute richesse qui n’est pas trans
formée par son usage. »
Il admet que le taux de l’intérêt est le rapport de la valeur de capi
tal circulant v à celle du capital fixe Y et pose donc la formule :
v
I =
-
V
Il étudie les variations du rapport et trouve la vérification de la
formule surtout pour la période d’après-guerre.
Du point de vue critique, cet essai de formule .mathématique ne
paraît avoir obtenu ni une grande diffusion, ni un grand succès.
En conclusion, aucune des lois formulées16à propos de l’intérêt ne
paraît devoir être considérée comme définitive et être dès lors affir
mée comme loi scientifiquement acceptable. 17
A ; '■■■' ■
■•■•V.'V'r/? v ;
i i i l i i iS Ê 0§ÿéA '
16 II faut signaler toutefois un autre courant doctrinal de recherches qui, sans
avoir encore pleinement abouti, semble donner de légitimes espérances.
Il s’agit de facteurs de la formation des cours des valeurs mobilières.
O n pourra consulter à ce sujet :
Angas : Placements rationnels et spéculation raisonnée.
1 vol., Paris,
Payot.
O. Donner : L a Science de la Bourse. Les variations de la formation des cours.
1 v o l., Paris, Payot, 1941.
Prion : L a formation des cours sur les Bourses des Valeurs. 1 vol., Paris,
2mo éd., 1929.
O n cherche alors par l’étude des cours des titres en Bourse à dégager les prin
cipaux facteurs qui agissent sur les cours.
A titre d’exemple, voici l’une des formules auxquelles aboutit Donner (op. cit.,
p. 150) : « L a formation des cours sur le marché des actions, en ce qui concerne
ses fluctuations moyennes (par exemple ses variations d’année en année) est donnée
par le principe du rendement, c’est-à-dire par l’influence combinée des facteurs de
rentabilité et des facteurs de capitalisation.
Il ne semble pas toutefois qu’on ait aujourd’hui découvert complètement les
lois de ces variations.
L a méthode de recherché paraît excellente : confronter les données statistiques
avec les hypothèses formulées et expliquer autant que possible les divergences four
nies par ces statistiques.
17 Nous ne consacrerons pas ici de développements à la théorie-du taux natu
rel de l’intérêt formulée en 1898 par l’économiste suédois Wicksel. Geldzins und G u terpreiz, traduction en anglais Interest and Prices, 1936. Il semble bien qu’il y ait
dans cette affirmation nouvelle beaucoup plus une théorie destinée à soutenir telle»
ou telles thèses scientifiques qu’une véritable loi économique portant sur des faits à
expliquer. Cf. Rist : Histoire des doctrines relatives au crédit et à la monnaie depuis
John L a w à nos jours. 1 vol., Paris, Libr. du Rec. Sirey, 1938, pp. 256, 299, 387.
P. Reynaud : Notions du taux naturel de l’intérêt et son utilisation. Revue de
Science et Législation financières, 1937, p. 5.
�C H A P IT R E VI
LES LOIS DU SALAIRE
L ’étude des lois du salaire présente un double intérêt :
Un intérêt théorique d’abord parce qu’elle permet de préciser la
véritable nature de la loi naturelle économique et son degré de contin
gence ;
Un intérêt pratique ensuite, parce que, comme l’établit l’histoire
économique et sociale,1 il s’agit de savoir si l’action des associations
professionnelles, en vue de l’augmentation du salaire, est ou non
possible.
On peut et doit chercher une classification des très nombreuses
lois formulées à l’occasion des salaires. On peut, entre autres, envi
sager la suivante :
Une première série de tentatives a consisté à adapter d’autres lois
économiques à la marchandise travail et au prix de cette marchan
dise qu’est le salaire. Il s’agit de la loi de l’offre et de la demande, de
la loi du salaire nécessaire et de la loi de l’utilité finale. Elles feront
l’objet d’une première section intitulée : les lois du travail
marchandise.
Un deuxième groupe de recherches a envisagé le salaire comme
ayant ses lois propres, je veux dire spécialement et uniquement for
mulées à son sujet. Il s’agit ici de la loi des fonds des salaires, de la loi
de la productivité, de la loi de Thünen, de la loi de Rueff. Une
deuxième section leur sera consacrée sous le titre de Lois propres
au salaire.
Enfin, faisant en réalité partie du groupe précédent, mais à isoler
à cause du point de vue spécial qui en est la base, il existe une troi-
1
C ’est en Angleterre, au début de l’action des Trade Unions, vers 1860, que se
posa ce problème pour la première fois.
�— 197 —
sième catégorie de Lois du Salaire que sont les Lois psychologi
ques (Section III). 2
S ection I
LES LO IS DU T R A V A IL M ARCHANDISE
L ’application au salaire des trois lois à étudier : loi de l’offre et
de la demande, loi du salaire nécessaire, loi de l’utilité finale, impli
que une affirmation préalable : le travail est une marchandise ordi
naire et le salaire n’est que le prix de cette marchandise travail.
Ce postulat fut toujours implicitement ou explicitement admis
par un grand nombre de représentants de l’Ecole classique.
Le schéma général de cette thèse, qu’il est ici superflu d’analyser
en détails,3 est le suivant :
Deux individus, le patron et l’ouvrier, l’employeur èt l’employé,
tous deux libres, tous deux majeurs et conscients de leurs intérêts,
sont en présence : il suffit de les laisser libres de discuter et de con
clure le contrat dans un tête-à-tête strictement individuel, l’un vend
sa force de travail, l’autre l’achète. Les principes ordinaires de l’Eco
nomie Politique s’appliquent à cet achat-vente.
Voici, au surplus, quelques références précises sur l’énoncé d e .
cette proposition chez les économistes libéraux :
Chez Ad. Smith, la conception est implicitement admise. Dans
deux passages de la Richesse des Nations,4 Ad. Smith admet comme
sous-entendue cette thèse du travail marchandise.
2 Bibliographie générale : Carver : The theory of wages adjusted to recent théo
ries of value. Quaterly journal of économies, 1894, p. 377.
H. Ludwell Moore : L a w of wages. A n Essay in statistical économies. N ew York, MacMillan, 1911.
Sur cet ouvrage : March. Journal de la Société de Statistique, août 1912, p. 366.
Aftalion : Compte rendu bibliographique. Revue d'histoires des Doctrines Eco
nomiques, 1912, p. 392.
François Simiand : Compte rendu bibl. Année Sociologique, 1901-1902, p. 785.
Edgeworth : Compte rendu bibl. Economie Journal, 1912, p. 66.
G. Pirou : Les Nouveaux Courants de la théorie économique aux Etats-Unis.
Fasc. I, Paris, Ed. Domat-Montchrestien, 1935, p. 197 et suiv.
J. -L. Guiglielmi : Essai sur le développement de la théorie du salaire. Exem
plaire polycopié. Thèse Droit Aix, 1944.
3 Cf. Cependant Ch. Cornelissen. Traité général des sciences économiques.
T. II. Théorie du Salaire et du Travail Salarié. Paris, Giard, 1933, p. 35 et suiv.
4 Ad. Smith : Wealth of Nations. Ed. Mac Culloch. Londres, Liv. II, chap. I,
p. 224. Trad. franç. Garnier. Paris, Guillaumin, 1881, T. I, p. 331.
« Les talents utiles acquis par les habitants et les membres de la société » sont
du capital fixe.
« La dextérité perfectionnée, dans un ouvrier, peut être considérée sous le même
point de vue qu’une machine ou un instrument d industrie qui facilite et abrège le
travail et qui, bien qu’il occasionne une certaine dépense, restitue cette dépense avec
profit ».
»
�Chez; Ricardo, l'affirmation est beaucoup plus catégorique : le
travailleur est un instrument de production :
« Quel avantage résultera-t-il pour un pays de l'emploi d’une
grande quantité de travail productif si, soit qu’il emploie cette quan
tité, soit une quantité moindre, sa rente foncière nette et ses profits
réunis doivent rester les mêmes ?... » 5
Mac Leod enfin énonce formellement la proposition : Le travail,
par suite, étant simplement une marchandise, il y a pour lui un marché
comme il y a un marché pour toute autre chose II y a un marché du
travail comme jl y a un marché du blé, ou un marché de la viande,
ou un marché de volailles, ou un marché de légumes, ou un marché
de poissons. » 6
Avant l’examen des trois lois proposées, il importe de revenir à
l’examen de la valeur de la théorie de la marchandise travail.
D’un point de vue théorique, la thèse du travail marchandise a été
justement critiquée à la fin du xixme siècle et au début du xx™. On a
exactement remarqué que le contrat de travail n’était nullement assi
milable à l’achat-vente ordinaire. On a pu dire que par la conclusion
du contrat dans l’achat-vente tout était fini et qu’au contraire dans le
contrat de travail tout commence : en effet, c’est dans l’exécution du
contrat que la personne même du travailleur, la personne humaine, est
engagée : elle sera influencée par les conditions physiques, morales
du travail. En un mot, la dignité de la personne humaine s’oppose
à l’assimilation prétendue du travail à une marchandise.
Déjà les conceptions de Ricardo rapportées ci-dessus avaient, à
l’époque, provoqué diverses protestations :
Eugène Buret, dans un ouvrage intitulé : « De la misère des clas
ses laborieuses en Angleterre et en France », 7 avait'écrit :
« Pour M. Ricardo, les hommes ne sont rien, les produits sont
tout » . . . « Les nations ne sont plus que des ateliers de production,
l’homme une machine à consommer et à produire et la vie humaine
un capital. »
C’est surtout8 dans l’œuvre de Lujo Brentano 9 que l’on trouve
5
Ricardo : Principles of political Economy and Taxation. Ed. Mac Culloch,
1888, chap. X X V I, p. 210. Trad. franc. Constancio et Fonteyraud. Ed. Guillaumin,
1882, p. 284.
0 Mac Leod : The principles of Economical Philosophy. 2me édition, Londres,
1875, vol. II, chap. XIII, § 6, p. 107.
7 1 vol., Paris, 1840, T. I. Introduction, p. 6.
5 O n trouverait des critiques analogues chez M gr Ketteler, chez Toniolo, chez
S. et B. W ebh, etc...
5 Traduction française Léon Caubert. La question ouvrière, p. 48.
�une critique à peu près définitive de la théorie du travail mar
chandise.
L ’éminent professeur ne nie pas, si l’on veut en la forme, que le
travail ne soit une marchandise,10 « certes on ne peut pas dire que
le travail n’est pas une marchandise parce qu’en général il est acheté
et vendu, et que, par conséquent, l’ouvrier est vendeur de marchan
dise ». Mais c’est une marchandise spéciale et, à ce titre, elle veut
être traitée différemment. « Mais on ne peut non plus lÿer que le tra
vail considéré comme marchandise et l’ouvrier comme vendeur n’of
frent des particularités telles que le travail doit être distingué de
tout autre marchandise. »
Et pour Brentano, les différences peuvent se ramener à trois prin
cipales qu’il développe longuement et que nous résumons ici :
a) le travail, c’est l’exploitation de la force vive ; c’est l’homme
lui-même appliquant à produire des videurs économiques, son corps,
son intelligence, son cœur ; aussi dans la vente du travail, la chose
dont on vend la mise en valeur est la personne même du vendeur ;
là est assurément une première différence capitale avec les ventes
ordinaires ;
£>) en second lieu, « tandis que le propriétaire qui vend tout autre
espèce de marchandise peut vivre de la mise en valeur et de la vente
d’autres marchandises, Fouvrier, qui, en général, n’a que sa force de
travail, est contraint, pour assurer son existence, de vendre continuel
lement. »
Dès lors, il en résulte une infériorité indéniable pour l'ouvrier au
point de vue de l’offre.
I)e là, sans doute, comme conséquences accessoires les salaires
dérisoires et les conditions du travail déplorables qu’accepte l’ouvrier
dans le contrat du travail individuel.
c)
Enfin, la vente du travail entraîne « une domination de l’ache
teur sur la personne du vendeur de travail » : l’acheteur de travail
acquiert par son achat domination sur la force vive de l’ouvrier et,
par suite, sur l’homme tout entier, sur ses jouissances mêmes, sur
toute son existence, physique, intellectuelle, morale et sociale.
Ainsi marchandise spéciale qui est la personne humaine, mar
chandise vendue continuellement, marchandise entraînant domination
absolue sur la personne même de l’ouvrier, telles sont les trois diffé
rences qui séparent le travail de toutes les autres marchandises et qui.
10
C ’est là une indication de pure forme, car il est une marchandises tellement
spéciale qu’à vrai dire il n’en est plus une au sens ordinaire jtln mot.
�par là même, postulent et exigent que la vente en soit réglée tout autre
ment que les ventes ordinaires. 11
D’un point de vue pratique, et dans le domaine de l’histoire et des
faits, on sait comment cette thèse célèbre du travail marchandise a
reçu, notamment12dans le traité de Versailles, une condamnation for
melle des puissances signataires : dans la déclaration qui sert de pro
gramme à l'Organisation Internationale du Travail, parmi les neuf
principes ainsi proclamés sur lesquels les Hautes Parties contractantes
se sont mis d’accord, le premier point est celui-ci : « Le travail n’est
pas une marchandise. » 13
Il est donc permis de conclure que la thèse du travail marchan
dise n’est plus aujourd’hui acceptable et que par là même les trois lois
dont on a voulu faire application, en vertu de cette thèse du salaire, ne
lui sont pas applicables. 14
Ceci posé, il faut envisager maintenant l’application au salaire
des trois lois économiques :
La loi de l’offre et de la demande ;
La loi du salaire nécessaire ;
La loi de l’utilité finale.
r. — La l o i
de l ’ o f f r e e t de l a dem ande
Nombreux sont les économistes libéraux qui ont souscrit expres
sément ou tacitement à l’application de cette première loi.
Cobden donne de la loi une formule assez connue particulière
ment frappante : « Les salaires haussent toutes les fois que deux
patrons courent après un ouvrier ; ils baissent toutes les fois que deux
ouvriers courent après un patron. »
A l’époque moderne, pour être plus rare, l’affirmation n’en est:
pas moins péremptoire.
Villey, dans un rapport à la Société d’Economie Politique de
11 Cf. Léon X III. Encyclique rerum novarum. Ayant rappelé le caractère de
personnalité et de nécessité du travail, le Pape ajoute : « Que le patron et l’ouvrier
fassent donc tant et de telles conventions qu’il leur plaira, qu'ils tombent d’accord
notamment sur le chiffre du salaire, au-dessus de leur libre volonté, il est une loi
de justice naturelle plus élevée et plus ancienne, à savoir que le salaire ne doit pas
être insuffisant à faire subsister l’ouvrier sobre et honnête ».
12 Cf. Encyclique. Ouadragesimo Anno. Dossiers de l’Action Populaire, 1931,.
p. 1195.
13 Traité de Versailles. Partie X III, art. 427.
14 Cette critique générale du postulat s’ajoute aux critiques spéciales à chaque
loi ci-dessous présentées, p. 201, p. 205 et p. 211.
,
�201
-
Paris,15 se prononce en ce sens ainsi que Fr. Passy qui intervient
dans la discussion.
Du point de vue critique, sans préjudice des critiques plus géné
rales touchant le postulat du travail marchandise,16 on peut, semblet-il, présenter les quelques remarques suivantes :
Elles se résument dans l’idée suivante : l’offre et la demande de
travail présentent certaines particularités qui les distinguent de l’offre
et de la demande dans les transactions ordinaires et, par suite, empê
chent le jeu du mécanisme ordinaire de la loi.
La principale particularité de l’offre de travail est qu’elle n’est pas
une quantité fixe et déterminée, par opposition aux quantités des
divers produits (blé, pain, etc. ) que l’on peut aisément quantifier.
Plus délicate est la particularité de la demande de travail. D’or
dinaire, dans le mécanisme habituel de la loi de l’offre et de la
demande, celle-ci est constituée par les moyens d’acquisition dont
disposent les acheteurs : le produit et les moyens d’acquisition sont
nettement distincts.
Dans le cas de la demande de travail, le produit et les moyens
d’acquisition ne peuvent plus être séparés. 17
Enfin, il est facile de remarquer que la demande, qui n’est donc que
le résultat du produit du travail, est elle-même déterminée par l’offre,
c’est-à-dire par le travail, puisque le travail est en définitive payé sur
le produit.
Ces particularités de l’offre et de la demande de travail entraînent
nécessairement des différences dans le jeu de ces deux facteurs appli
qués au salaire. Il y a longtemps, par exemple, que l’on a noté l’insuffi
sante mobilité de l’élément travail du côté de l’offre ainsi que l’insuffi
sante mobilité de l’élément capital du côté de la demande.
Le problème a été ensuite repris d’un point de vue statistique par
un auteur américain, P.-M. Douglas. 18 II n’aboutit pas à une confir
mation formelle de la loi de l’offre et de la demande.
15
Est-il vrai que le taux des salaires soit essentiellement déterminé par la loi
de l’offre et de la demande ? Rapport suivi de discussion à la séance de la Société
d’Economie Politique du 5 décembre 1894. Journ. des E c ., 1894. Déc. p. 432.
18 Cf. supra, p. 198.
17 O n a même prétendu (Villey, rapport précité) que la demande de travail,
c’était la demande des acheteurs par le produit du travail achevé, c ’est-à-dire le pro
duit même du travail.
De plus l’employé est une personne humaine. Cf. supra, p. 200. Critique du tra
vail marchandise.
18 Douglas : Real W ages in United States. Boston, New-York, Houghton Mifîlin .C 0, 1930.
L a théorie et la politique des salaires. Rev. intern. du travail, mars 1939.
The theory of wages, New-York, MacMillan. 1934. Sur cet auteur Cf. Guiglielmi.
Thèse citée. Livre III, chap. J.
,
�—
202
Pour toutes ces raisons, il est permis de conclure, au sujet de
notre loi, quelle n’est donc pas applicable à la marchandise travail.
ii. —
L
a l o i d u s a l a ir e
n é c e s s a ir e
C’est ici une loi des prix bien connue, savoir que le prix courant,
le prix de marché tend à coïncider avec le prix normal, avec le coût
de production dont on fait l’application à la marchandise travail. On
arrive donc à cette première formule approchée : Le salaire coïnci
dera avec le coût de production de l’ouvrier.
T urgot écrit l’un des premiers dans ses « Réflexions sur la forma
tion et la distribution des richesses : 19 « Le simple ouvrier, qui n’a que
ses bras et son industrie, n’a rien qu’autant qu’il parvient à vendre
à d’autres sa peine. Il la vend plus ou moins cher ; mais ce prix plus
ou moins haut ne dépend pas de lui seul : il résulte de l’accord qu’il
fait avec celui qui paye son travail. Celui-ci le paye le moins cher qu’il
peut : comme il a le choix entre un grand nombre d’ouvriers, il pré
fère celui qui travaille au meilleur marché. Les ouvriers sont donc
obligés de baisser le prix à l'envi les uns des autres. En tout genre de
travail, il doit arriver et il arrive en effet que l’ouvrier se borne à ce
gui lui est nécessaire pour lui procurer sa subsistance. » 20
R ica rd o21 expose avec une parfaite clarté l’application de la loi
du prix naturel : 22
« Le prix naturel du travail est celui qui fournit aux ouvriers d’une
façon générale les moyens de subsister et de perpétuer leur espèce,
sans accroissement ni diminution... Le prix naturel du travail dépend
donc du prix des subsistances et de celui des choses nécessaires ou
utiles à l’entretien de l’ouvrier et de sa famille. »
Suivant le mécanisme bien connu, il y a tendance pour le prix
courant à coïncider avec le prix normal :
« Lorsque, par l’encouragement que des salaires élevés donnent
à l’accroissement de la population, le nombre des travailleurs s’est
13 g VI. Œ uvres de Turgot. Paris, Guillaumin, 1841, T. I, p. 10.
23
C ’est nous qui soulignons ce qu'on peut considérer comme un premier énoncé
de la loi.
21 O n trouve chez Ad. Smith (Richesse des Nations, Trad. franç. Garnier,
T . I, p. 83), l’énoncé de la même formule : « Il y a un certain taux au-dessous du
quel il est impossible de réduire, pour un temps peu considérable, les salaires ordi
naires même de la plus basse espèce de travail. Il faut de toute nécessité qu’un hom
me vive de son travail et que son salaire suffise au moins à sa subsistance ; il faut
même quelque chose de plus dans la plupart des circonstances ; autrement il serait
impossible au travailleur d’élever une famille, et alors la race de ces ouvriers ne
pourrait pas durer au delà de la première génération ».
22 Ricardo : Principes de l’Economie Politique et de l’Impôt, 18lfi„ chap. V,
trad. franç. Ed. Paris, Guillaumin, 1882, p. 59.
*
�accru, les salaires retombent à leur prix naturel et quelquefois même,
par l’effet d’une réaction, plus bas encore.
« Quand le prix courant du travail est au-dessous du prix naturel,
la condition des travailleurs est des plus misérables, car alors la pau
vreté les prive de ce que l’habitude leur a rendu absolument néces
saire. C ’est seulement après que leurs privations auront réduit leur
nombre ou que la demande de bras se sera accrue, que le prix cou
rant du travail remontera de nouveau jusqu’au prix naturel et que
l’ouvrier pourra jouir du modeste bien-être que le taux naturel des
salaires lui permettra de se procurer. »
D’autres auteurs, Sismondi,23 J. -B. Say,24 Bastiat,25 acceptent
sans plus cette démonstration.
Lassalle, dans une Lettre ouverte26en 1863, reprend la thèse classi
que et baptise la loi du salaire nécessaire : loi d’airain :
« La loi d’airain, qui, dans les conditions présentes, sous le signe
de l’offre et de la demande de travail, détermine le salaire, est la sui
vante : L e salaire moyen reste toujours réduit à l’entretien nécessaire,
indispensable, d’après les habitudes d’une nation donnée, pour conser
ver l’existence et la reproduire. 27 C’est là le point central autour
duquel gravite le salaire réel avec les oscillations d’un pendule sans
pouvoir jamais s’élever beaucoup au-dessus, ni descendre beaucoup
au-dessous.
« Il ne peut s’élever, d’une façon durable, au-dessus273 de cette
moyenne : en effet, la situation plus facile, meilleure, faite au travail
leur, susciterait aussitôt une augmentation des mariages ouvriers et de
la procréation ouvrière et accroîtrait ainsi l’offre des bras qui ramè
nerait le salaire à son ancien taux ou même au-dessous.
« Le salaire ne peut non plus s’abaisser d’une manière durable
beaucoup au-dessous271> de cet entretien nécessaire, car on verrait
alors se produire l’émigration, le célibat, l’abstention dans la procréa
tion et enfin une diminution dans le nombre des ouvriers causée par
la misère ; l’offre des bras s’en trouverait restreinte et le salaire remon
terait à son niveau antérieur.
« . . . Limitation régulière aux nécessités indispensables, habituel
les dans une nation donnée pour entretenir l’existence et la repro
duire, elle est, je vous le repète, la loi d’airain, la loi cruelle qui, dans
les conditions actuelles, règle le salaire. »
23 Nouveaux Principes, Livre V III, chap. IX.
24 Traité d’Ec. Politique, p. 370.
25 Harmonies économiques, p. 527.
26 Offencs Antwortschrechen. Trad. franç. dans Discours et Pamphlets de F.
Lassalle. 1 v o l., Giard, 1903, p. 210.
2 7 27a 2 7 b C ’est nous qui soulignons.
*
�— 204
Lassalle d’ailleurs constate l’origine historique de la formule due
à l’Ecole libérale. 28
Il insiste sur la variabilité de ce minimum de subsistance. 29
Enfin il indique que cette loi d’airain est une loi fatale qui ne peut
être supprimée que par la socialisation des moyens de production. 30
Ainsi Lassalle souscrit pleinement à la formule de la loi telle que
l’avaient dégagée les classiques. Son apport personnel consiste en un
mot : « loi d’airain », qui, depuis lors, a toujours été fidèlement retenu
pour désigner cette loi.
Rodbertus donne peu après 31 son plein et complet assentiment à
la formule de Lassalle : « Les forces de production de la force de
travail sont mesurées par la subsistance de l’ouvrier. »
K.
Marx, chose curieuse, prend position très nettement contre la
loi d’airain de Lassalle. 32
C’est à l’occasion du Congrès social d’Erfurt, 1875, que K. Marx
formula contre la loi de Lassalle la virulente critique suivante :
« Ainsi, à l’avenir, le parti ouvrier allemand devra croire à la « loi
d'airain » de Lassalle ! Pour que cette loi ne soit pas ruinée, on com
mit l’inanité de parler d’ « abolir le système salarié... avec la loi d’ai
rain des salaires ». Si j’abolis le travail salarié, j’abolis naturellement
aussi ses lois, qu’elles tiennent de l’airain ou de l’éponge. Mais la lutte
de Lassalle contre le travail salarié gravite presque exclusivement
28 « Cette loi ne peut être contestée par personne. Je pourrais vous rapporter
autant de témoignages qu’il y a de noms célèbres dans la science économique. Je
pourrais emprunter ces preuves à l’école libérale elle-même : c’est précisément elle,
en effet, qui a découvert cette loi et qui l’a établie ». Ibid., trad. franç. p. 211.
29 « Grâce au concours des circonstances que nous avons énumérées, cette
limite extrême peut se modifier à différentes époques. Si l’on compare diverses pé
riodes, on trouvera peut-être que le sort de l’ouvrier s’est un peu amélioré dans ce
dernier siècle ou dans cette dernière génération ». Ibid., trad. franc., p. 213.
20 Ibid., trad. franç., p. 219.
31 Offener Brief an das Centralkomitee der deutschen Arbeitervereines zu Leip
zig, 10 avril 1863, publiée dans Lassalle : Kleine scriften. Moulz W uth, Berlin, 1890.
Cf. sur Rodhertus : Andler. Les origines du Socialisme d’Etat en Allemagne.
1 v o l., Paris, 1897, p. 448.
Lassalle aurait par la suite donné des formules un peu différentes des premiè
res. Arbeiterleschuch. Ed. Hottingen, Zurich, 1887, p. 5 et suiv.
C f sur ce point. Die indirekte Steuer und die Lage der arbeitenden Klassen.
Fred. Lassalle : Reden und Scliriften. Berlin, 1893, T. Il, p. 288.
32 Cette position de K. M arx a été très complètement exposée par Sauvaire Jourdan : le Marxisme et la théorie dite « loi d ’airain » dans Mélanges Truchy. 1 vol.
Libr. de la Société du Rec. Sirey, 1938, p. 495. L ’auteur (p. 497) indique comment
et pourquoi la lumière sur ce point n’a été faite qu’assez tardivement : le document
sur ce point publié en Allemagne en 1891 (New-Zeit, T. IX, fasc. 18, 1891, pp. 561575) n’a été traduit en français dans la collection Les Eléments du communisme qu’en
1933. Karl M arx et Fredric Engels. Critiques du programme de Gotha et d’Erfurt,
Bureau d’édition, Paris 1933.
�205
autour de cette prétendue loi. Pour bien montrer que le texte de
Lassalle a vaincu, il faut que « le système salaire avec la loi d’airain des
salaires », et pas sans elle, soit aboli. » 33
Les arguments de Marx contre la loi d’airain dans cette polé
mique sont les suivants : 3i
a) la théorie ne fournit aucun argument sérieux contre la société
actuelle, car elle est basée sur la théorie de Malthus — si celle-ci était
exacte et elle ne l’est pas pour K. Marx, la loi d’airain s’appliquerait
dans tout système social comme dans la société capitaliste ;
b) la prétendue loi ne reconnaît pas la distinction entre la valeur
du travail et la valeur de la force de travail.
Voici, sur ce point, le texte même de K. Marx : 35
« Cette loi ignore cette vue scientifique selon laquelle le salaire
du travail n’est pas ce qu’il paraît être, à savoir la valeur (ou le prix) du
travail, mais seulement une forme déguisée de la valeur (ou des prix)
de la force de travail. »
K.
Marx affirme qu’elle marque « un recul vraiment révoltant ».
Le programme d’Erfurt était un programme de compromis qui devait
être écarté.
Sauvaire-Jourdan remarque exactement qu’il y a contradiction
de la part de K. Marx à critiquer la loi de Lassalle et à admettre la loi
du salaire naturel : le salaire courant coïncidant avec le salaire natu
rel, « avec quelques particularités spéciales ». 36 II trouve dans le
second argument b ) une simple substitution d’ailleurs heureuse de
mots.
Engels, dans cette affaire,37 avait pris la même attitude que
K. Marx.
Le Congrès d’Erfurt (1891) du Parti Social-Démocrate allemand
devait tardivement donner satisfaction à K. Marx et à Engels : la loi
d’airain disparaît du programme de l’orthodoxie marxiste.
L
es
d is c u s s io n s
p o s t é r ie u r e s
autour
de
la
lo i
d ’ a ir a i n
On peut grouper les critiques adressées à la loi d’airain autour de
ces trois idées directrices :
a) les uns y voient une catégorie historique ;
b) d’autres en contestent le mécanisme ;
c) d’autres, enfin, en discutent la portée.
33 Ibid. Critiques des programmes de Gotha et d’Erfurt, op. cit., p. 29.
34 K. M arx remarque exactement que sauf le nom la théorie ne doit rien à Las
A
salle.
35 Op. cit., p. 30.
36 Sauvaire-Jourdan, art. cit., p. 504, note 1.
37 Sauvaire-Jourdan, p. 498, note 3.
�a) Critiques limitant le jeu de la loi à une certaine période :
Cornelissen,38 par exemple, affirme que la loi était peut-être vraie
à l’époque de Lassalle pour l’Allemagne de son époque qui était en
retard au point de vue économique.
b) Critiques concernant le mécanisme même de la loi :
Certains ont adressé à ce sujet à la loi des critiques que l'on peut
considérer comme inefficaces.
Tel, par exemple, Mac L e o d 30 qui écrit :
« Que faut-il appeler naturel en parlant des subsistances et des
choses nécessaires ou utiles à l’entretien d’un ouvrier ? L ’étalon varie
dans chaque pays. Devons-nous prendre l’étalon de blé de l’Angle
terre ? Ou bien l’étalon d’avoine de l'Ecosse ou l’étalon de pommes
de terre de l’Irlande ? Ou encore l’étalon de pain de seigle noir de la
Pologne ? Lequel, parmi eux, est l’étalon naturel ? »
On a vu 10 comment les auteurs de la loi avaient admis que le
minimum de subsistance était variable selon les temps et les pays.
Plus pertinentes peut-être sont les remarques de K. Marx luimême dans Le Capital. 11 Celui-ci écrit à propos du mécanisme de la
loi : « Avant que la hausse des salaires ait pu effectuer la moindre
augmentation positive de la population réellement capable de travail,
le délai aurait été plusieurs fois dépassé dans lequel le corps d’armée
industriel doit se mettre en campagne, livrer la bataille, et la gagner
ou la perdre.
« L ’armée industrielle de réserve qui, pendant les périodes de
stagnation et de prospérité moyenne, pèse si lourdement sur l’armée
active, sert en outre, pendant la période de surproduction et de
paroxysme, à tenir en bride ses revendications. » 42
c) Critiques limitant la portée de la loi :
On en trouve un bon exemple dans les objections de Ch. A n dler43
qui affirme qu’il n’y a pas uniformité dans le taux des salaires :
« Puis... cette concurrence ouvrière, dont on dit qu’elle dépré
cie uniformément tous les salaires, n’est-elle pas vue de façon sim
pliste ? Elle implique que les ouvriers soient également propres à tou
tes les industries. Comment le salaire de toutes serait-il en baisse si
l’offre de bras n’est excessive que pour quelques-unes ? »
38 Th. tles salaires, p. 149 et suiv. 1 v o l., Paris, Giard, 1908.
39 The principles of Economical philosophy, T. II, cliap. XII, § 26, p. 132.
40 Ci-dessus, p. 202, p. 203
41 Le Capital. Trad. franc., p. 282.
A
42 Sur la position exacte de K. M arx et les remarques relatives à cette position.
Cf. Cornelissen, Th. des salaires, p. 145 et suiv.
43 Socialisme d’Etat en Allemagne. 1 v o l., Paris, p. 453.
�207 —
Bref, i l y a en fait de hauts et de bas salaires. La loi est limitée
dans sa portée pratique : les ouvriers indispensables à la production
courante ne sont pas atteints par la loi d’airain ; quant à l'armée indus
trielle de réserve, « leur misère échappe à toute loi et il n’y a pas pour
eux de salaire proprement dit. »
En face de cette troisième affirmation, Liebnecht44 et l’orthodoxie
collectiviste reprennent cependant l’affirmation traditionnelle dans
toute son ampleur.
L
a
p o s it io n
des a u t e u r s c o n t e m p o r a in s
La quasi unanimité 45 des auteurs contemporains abandonne la
loi d’airain.
Seul Paul Bureau,40 dans son étude sur le contrat de travail (1902),
s’en déclare, avec quelques réserves, partisan.
Il en admet la valeur avec le seul régime du contrat individuel de
travail et affirme que, toutes choses égales d’ailleurs, la loi est une
réalité.
VÉRIFICATION CRITIQUE 47
Des très nombreux essais de vérification critique tentés à l’épo
que contemporaine, on peut retenir les trois séries de faits suivantes
qui constituent une infirmation formelle de notre loi :
A ) On constate d’abord, à une même époque et dans un même
pays et pour un même métier, des variétés très marquées de salaires ;
B ) On constate ensuite de nombreux cas où le salaire est au-dessus
du minimum d’existence ;
C ) On constate enfin des cas assez nombreux où le salaire est
au-dessous du minimum de subsistance : il en est ainsi particulière
ment dans les industries à domicile et, en particulier, dans les indus
tries de la confection et du vêtement, où sévit le sweating System.
CONCLUSION
La loi du salaire nécessaire ou loi d’airain n’est donc pas à retenir
parmi les lois valables de l’économie politique scientifique.
44 Liebnecht. Ein ehernes Lohngesstz existist thatsàchlich nicht. Discours de
1890. Protokoll über die Verband lungen der Partertages zur Halle, Berlin.
45 Guéroult : L a loi d’airain. Théorie et réfutation expérimentale. Thèse Droit.
Rennes, 1899.
49
Paul Bureau : Le Contrat de travail (Le rôle des Syndicats). 1 v o l., Paris,
Alcan, 1902.
47
Dans l’étude de Henry Ludwell Moore, L a w of W ages (Cf. supra, p. 197), l’au
teur, avec quelques nuances, acceptent l’affirmation que le salaire était en corrélation
avec le niveau de vie.
�— 208 —
III.
La
—
lo i de
l
’u
t il it é
f in a l e
a p p l iq u é e
a
la
m a r c h a n d is e
t r a v a il
Une troisième tentative pour trouver une application d’une loi
déjà connue en s’appuyant sur la thèse du travail marchandise est
celle des partisans de la théorie de l’utilité finale qui ont essayé d’ap
pliquer au salaire cette loi de la valeur.
HISTORIQUE
C’est à Boehm Bawerk48 qu’est due l'initiative prem ière49 de
cette méthode.
Boehm Bawerk expose ainsi50 sa théorie :
« La question de savoir si la journée de travail vaudra un florin ou
trois florins dépend de ce que vaut le produit qu’on peut fabriquer
dans une journée de travail ; et il s’agit ici, notons-le bien, du dernier
produit, celui qui est le moins payé, celui pour la fabrication duquel
reste comme disponible, après que satisfaction a été donnée à toutes,
les sphères de besoin réclamant un travail mieux rémunéré, du travail
de qualité correspondante. »
L ’auteur montre comment diverses sphères de besoin ‘ peuvent
être successivement sûrement satisfaites, celles capables de payer 10...
à 2 florins, peut-être même 1 florin, et conclut : « Et ce prix de marché
sera un prix uniforme, la couche de besoins la plus élevée ne paiera
pas un prix de 10 florins et, à côté, la dernière couche au prix de 1 flo
rin, pour la même marchandise ou le même travail, mais le prix de
marché sera le même pour tous les acheteurs. »
48 B œ h m B a w e r k
: C a p it a l u n d C a p it a lis m e s . T . I I , l i v r e I I I , c h a p . I I , s e c tio n I.
49 D a n s u n e n o t e (p .
s o n c a r a c t è r e tr è s g é n é r a l
234 o p .
« L o r s q u e v o n T h u e n e n (C l.
p resqu e
to u t
e n t iè r e
c it. ) l ’a u te u r m o n t r e le s o r ig in e s d e la t h é o r i e e t
:
d é c la r a it
p a r la p r o d u c t iv it é d e la «
in fr a p.
que
le
218) e t a p r è s lu i la d o c t r in e é c o n o m iq u e
ta u x
de
l ’i n t é r ê t
du
c a p it a l
est
d é t e r m in é
d e r n iè r e p a r t ie d e c a p it a l e m p lo y é » , le t a u x d u s a la ir e
p a r le p r o d u it d u t r a v a i l d e 1’ et o u v r i e r e m b a u c h é l e d e r n i e r » , o u b ie n lo r s q u e , à
u n e é p o q u e , à u n e é p o q u e p lu s é lo ig n é e e n c o r e , la q u e s tio n d e s a v o i r le q u e l e n t r e p lu
s ie u r s t a u x d e s fr a is r è g l e le p r i x d e m a r c h é fu t t r a n c h é e en f a v e u r d e s et fr a is d e
p r o d u c t io n
le s
p lu s
é le v é s
m a is
n é c e s s a ir e s
en co re
à
p o u r v o ir
le
m a rch é
»,
c ’e s t -à - d ir e e n f a v e u r d u d e r n ie r v e n d e u r , n o u s r e c o n n a is s o n s f a c ile m e n t u n m ê m e
p r in c ip e , s u iv a n t d e s c a s s p é c ia u x , d e f o r m e s d iffé r e n te s , e t c 'e s t b ie n c e p r in c ip e s u r
le q u e l n o u s a v o n s f o n d é la d o c t r in e d e l ’ u t ilité lim it e e t la t h é o r i e d e l ’é ta b lis s e m e n t
d e s p r ix .
S u r t o u t o n n e s’é t a it p a s r e n d u c o m p t e a lo r s d e la s ig n ific a t io n u n iv e r s e lle
d e c e s e n c h a în e m e n t s d ’id é e s p a r t ic u liè r e s .
On
c r o y a i t a v o i r p o s é s e u le m e n t q u e l
q u e s r è g le s s p é c ia le s d e p o r t é e lim it é e a lo r s q u ’e n r é a lit é o n a v a i t f a it e n t e n d r e l e le it
m o t iv
d o m in a n t,
qui
est
t y p iq u e
pour
le
m é c a n is m e
e n t ie r
de
la
p o u r s u it e
d es
in t é r ê t s é c o n o m iq u e s e t q u i se r e t r o u v e p a r c o n s é q u e n t d a n s to u te s le s s é r ie s d ’é t a
b lis s e m e n ts d e s v a le u r s e t d e s p r ix » .
50 C a p it a l u n d C a p it a lis m u s .
T . I I , l i v r e I I I , sec .
c i-d e s s u s e s t e m p r u n t é à la t r a d u c t io n d e C o r n e lis s e n .
I I I , p.
243 e t s u iv .
L e te x te
�209 Ainsi, pour Boehm Bavverk, le salaire est déterminé par le prix
du produit servant à satisfaire le dernier besoin satisfait.
Marshall51 arrive à une formule différente qui est la suivante :
« Les salaires, pour chaque classe de travail, tendent à être égaux
au produit net dû au travailleur additionnel52 ou travailleur limite de
cette classe. »
J.
-B. Clark, dans son ouvrage « The Distribution of Wealth » , 52
affirme que le taux du salaire dépend de la productivité marginale du
travail.
Carver, dans ses études,54 affirme que le prix du travail égalera
la productivité finale de chaque unité de travail d’une part et le coût
marginal de l’autre : l’unité de travail s’entend de l’heure de travail
d’un seul travailleur avec une dépense donnée d’énergie.
Paul N. Douglas 55 a mis au point sous forme mathématique la
théorie de l’utilité marginale appliquée aux salaires et affirme qu’elle se
trouve vérifiée dans la réalité économique. 56
Des critiques assez vives 57 accueillirent la loi de l’utilité finale
appliquée au salaire :
On affirme que si les calculs sont exacts, c’est le principe qui n’est
pas exact : le produit du dernier ouvrier engagé ne détermine pas le
salaire. Il y a des salaires différents pour des besognes égales. « Si
le concours du dernier ouvrier est nécessaire pour produire ce que
réclame le besoin social, le salaire naturel de chacun n’est pas le pro
duit médiocre qui récompensera l’effort des derniers venus. »
FORM ULES AC TU E LLES
L ’aspect général de l’Economie politique contemporaine au sujet
de cette loi est assez particulier : une partie des économistes contem
porains l’accepte, une autre partie la combat.
51 M a r s h a ll (1842-1924).
1, l i v r e V I, c h a p .
1908, T .
52 P a r
P r in c ip le s o f E c o n o m ie s .
I, p. 558, T .
T rad .
R onny.
2 v o l . , G ia r d ,
II, p . 259.
t r a v a ille u r a d d it io n n e l, c ’e s t le t r a v a ille u r d o n t le t r a v a i l e s t l e
m o in s
e ff ic a c e q u ’i l fa u t e n t e n d r e .
53 C h a p .
11-14.
54 D is t r ib u t io n o f w e a lt h , c h a p .
55 L a
t h é o r ie e t la
IV e t T h e t h e o r y o f w a g e s ___p . 399.
p o lit iq u e d e s s a la ir e s .
R ev.
in te r n .
d u t r a v a il, m a r s 1939.
p. 343.
58 C f.
E.
in te r n .
c o m m e t o u c h a n t s u r c e r t a in s p o in t s à n o t r e t h é o r ie
R o n a ld W a l k e r
:
: L a p o lit iq u e d e s s a la ir e s e t le s c y c le s é c o n o m iq u e s .
R ev.
d u t r a v a il, d é c . 1938, p. 826.
E m il L e d e r e r : L a t h é o r ie d u c y c le é c o n o m iq u e e t l a p o lit iq u e d e s s a la ir e s . R e v .
in te r n .
d u t r a v a il, j a n v ie r 1939, p. 1.
“ 7 F.
L ifsch it/ ..
J o h n H.
-V.
Thu en en
: S o z i a l e A n s ic h t Y a h r b i i c h e r fu r N a t i o
n a l Œ k o n o m ie u n d S ta tis tic k , 1904, p p . 503-514.
Ch.
A n d le r
: S o c ia lis m e d ’ E ta t.
2me é d i t ., p.
441.
�210
S
e c t io n
I.
—
L
—
e s p a r t is a n s
Ch. Gide, dans son ouvrage classique « Cours d’Economie Poli
tique » , 58 après avoir exposé la loi de la productivité marginale du
salaire, conclut :
« Comme on le voit, cette théorie nouvelle de la productivité, à
la différence de la première,59 tient compte de l’abondance ou de la
rareté de la main-d’œuvre puisque c’est précisément du nombre des
ouvriers employés que dépend la productivité finale ; elle se prête donc
mieux à l’explication des faits et notamment à l’effet de dépression
qu’exerce sur le taux des salaires l’introduction de nouveaux ouvriers,
par exemple des femmes ou de l'immigration étrangère indigène. »
M. P. Reboud, dans son Manuel aujourd’hui classique,60 semble
lui aussi souscrire à notre loi par l’affirmation suivante :
« La concurrence ne tend pas à égaliser des salaires qui seraient
calculés sans tenir compte de la productivité personnelle des travail
leurs. Au contraire, elle tend à proportionner les salaires à la produc
tivité personnelle des salariés, dans une même région et pour des tra
vaux d’égale difficulté : les salaires quelle tend à égaliser sont des
salaires de productivité, efficiency wages, de sorte qu’il y ait égale
rémunération pour égale productivité. »
Henry Ludwell Moore 61 doit être inscrit dans la liste des auteurs
qui approuvent la loi de l'utilité finale des salaires, mais avec réserves
de méthode.
L ’objet de son ouvrage est de vérifier par la méthode statistique les
lois découvertes avant lui et aussi de trouver des directives pour la
pratique des affaires économiques et sociales.
Par une série d’études statistiques traduites en courbes et par une
élaboration de ces courbes, il admet que celles-ci confirment la théorie
de la productivité :
a) D’une enquête sur les salaires des ouvrières de 25 à 35 ans, il
dégage les salaires payés à ces ouvrières : ce sont les plus hauts parce
que les aptitudes de ces ouvrières sont les plus développées ;
58 C o u r s d ’ E c o n o m i e P o l i t i q u e ,
c u e il S ir e y , T .
I I , p.
10‘" e é d it io n , 2 v o l . , P a r is , 1931, L i b r .
59 C e l l e d e W a l k e r s u r la p r o d u c t iv it é e n g é n é r a l.
p r é c Js d ’E c o n o m ie
T.
du R e
298.
P o lit iq u e .
C f.
in fr a p. 215.
4lme é d it io n , 2 v o l . , P a r is , L i b r .
D a llo z , 1934,
I I , p. 370.
L a v v s o f w a g e s , 1911.
C f. G . P i r o u : L e s n o u v e a u x c o u r a n t s d e la t h é o r ie é c o n o m iq u e a u x E ta ts -U n is .
Fasc.
I, E d .
M a rd i
1912.
D o m a t - M o n t c h r e s t ie n , P a r i s 1935, p.
200 e t s u iv .
: C o m p t e r e n d u d u l i v r e d e M o o r e . J o u r n a l d e la S o c ié t é d e S t a tis tiq u e ,.
�—
211
—
b) D’après l’enquête française : Salaires et durée de travail,63 il
établit que les salaires sont d’autant plus élevés, à âge égal, que les
établissements sont plus grands.
C'est par la statistique seule que la vérification doit être possible.
Moore confond, il est vrai, la productivité spéciale et la produc
tivité globale. 6,1
On estime d’ordinaire 61 que Moore n’a nullement démontré la
vérité de la théorie du salaire : que celle-ci ne peut être ni infirmée ni
confirmée par la statistique, parce qu’on ne peut dissocier, dans le
résultat global de l’activité de l’entreprise, l'apport propre du travail
ouvrier.
On trouvera un nouvel essai de justification de la théorie de l’uti
lité finale dans l’ouvrage de Paul H. Douglas : The theory of wages : 65
la théorie y est exposée avec l’appareil mathématique et des courbes.
S
e c t io n
ii
.
—
L
es
a d v e r s a ir e s
Simiand, 68 dans son ouvrage : Le salaire, l'évolution sociale et la
monnaie,67 infirme notre loi. Il y voit même une absurdité : l’excé
dent de produit qui reste à l’employeur sera plus grand si le nombre
des ouvriers s’accroît, entraînant la diminution de la productivité mar
ginale et du salaire : alors « le patron sachant utiliser les lois économi
ques pourrait ne payer ses ouvriers... qu’avee un salaire égal à zéro. »
Il oublie d’ailleurs que, dans la théorie en question, le nombre des
ouvriers est supposé donné. L ’observation de Simiand n’est valable
qu’au cas de la multiplication des ouvriers qui ne dépend pas d’ailleurs
du patron.
A. Landry, dans un article intitulé : Réflexions sur les théories
du salaire et le chômage,68 après une longue discussion critique, con
clut : « La théorie qui explique le salaire par la productivité marginale
du travail, si elle était vraie à une époque encore très récente, semble
ne plus correspondre à la réalité, depuis la guerre, tout au moins pour
certains pays. » Il insiste pour le montrer sur la suppression partielle
de la concurrence du côté ouvrier.
62 4 v o l . , 1896.
63 C f.
nus ».
s u r c e p o in t.
R ev.
64 G .
d ’E.
P ir o u
A l t a l i o n : « L e s tr o is n o t io n s rie In p r o d u c t iv it é e t le s r e v e
P . , 1911.
: op.
c i t . , p. 296.
65 N e w - Y o r k th e M a c m illa n C o m p a n y , 1934.
66 1872-1935.
67 3 v o l . , P a r is , T .
I I , p. 550.
“ 8 R e v u e d ’ E c o n o m ie P o lit iq u e , 1935, p.
*
1652.
�—
212
—
EXAM EN C R ITIQ U E
Deux séries de faits importants semblent apporter une infirma
tion à notre loi : 65
C ’est la hausse toute contemporaine des salaires pour l'aprèsguerre ;
C ’est l’adjonction au salaire proprement dit d’avantages divers qui
le complètent et l’augmentent.
I. — Hausse des salaires dans la période de l’après-guerre
On constate, en France et à l’étranger, une hausse marquée des
salaires horaires. 70 Voici quelques chiffres empruntés à M. Landry
dans l’article précité :
S A L A IR E S N O M IN A U X
F
rance
S A L A IR E S R É E L S
: P a r is ........
1914
1930
1934
100
152*
143a
100
129
137
Province ..
1914
1930
19.34
100
100
171
»b
Un tableau analogue pour l’étranger donne des résultats sembla
bles ; voici quelques chiffres :
A
llem ag ne
R
o yau m e
-U
c!’ C f.
S A L A IR E S N O M IN A U X
S A L A IR E S R É E L S
................
1914
1929
1934
100
160
125
100
104
103
...........
1914
1929
1934
100
194
183
100
118
130
ni
c e p e n d a n t u n e a f f ir m a t io n d e l ’ e x a c t it u d e d e l a f o r m u le
: D o u g la s , a r t.
c ité , p. 351).
E t p o u r le s d é t a ils
m a r g in a l P r o d u c t i v i t y
: M a r j o r i c H a n d s a k e r e t P a u l- H .
a s t e s te d
jo u r n a l o f E c o n o m ie s , n o v .
by
D a ta
1937 e t f é v r .
fo r
D o u g la s
M a n u fa c t u r in g in
: T h e th e o ry o f
V ic to r ia .
O u a t e r ly
1938.
70 C ’e s t n a t u r e lle m e n t le s a la ir e h o r a i r e q u 'il
fa u t s e td e n v is a g e r d a n s la p r é
s e n te d is c u s s io n .
a ) L e s in d ic e s d e s a la ir e s n o m in a u x o n t é té d iv is é s p a r 4,92 c o e ffic ie n t d e d é v a
lu a tio n d u fr a n c a p r è s 1928.
b ) L ’a u te u r d u ta b le a u n ’a p a s d o n n é l ’in d ic e , p a r c e q u e le s in d ic e s d u c o û t d e
la v ie e n p r o v in c e n ’in s p ir e n t p as, d it-il, u n e c o n fia n c e s u ffis a n te .
�— 213
S A L A IR E S N O M IN A U X
E
ta ts
S
S
-U
n is
..............
........................
u is s e
.......................
uède
S A L A IR E S R É E L S
1914
1929
1934
100
238
23b
139
172
1914
1929
1934
100
237
223
147
173
1914
1929
1934
100
278
270
100
164
175
100
100
Ainsi, hausse de 52 % pour les salaires nominaux à Paris ; hausse
de 178 % pour un même salaire en Suède ; hausse également des salai
res réels : le salaire aurait ainsi dépassé le niveau correspondant à la
productivité marginale de travail. 71
II. — Adjonction de nombreux suppléments au salaire
Il s’agit ici des cotisations patronales pour les nombreuses assu
rances sociales, des allocations familiales,72 de toutes les œuvres de
patronage, en particulier de logement ouvrier, et, en général, de tout
ce qui, du point de vue patronal, a rendu plus onéreux l’emploi de la
main-d’œuvre ouvrière.
Compte tenu de ces suppléments, le salaire aujourd’hui dépasse
notablement la productivité marginale.
La loi n’est donc pas à retenir au nombre des lois valables de
l’économie politique : elle est démentie par les faits.
S
e c t io n
II
LES LO IS PR O PR E S AU S A L A IR E
D’autres lois concernant le salaire ont été formulées à l’occasion
du seul salaire.
Ce sont :
L
a
lo i
du
fonds
L
a
lo l
de
la
L
a
lo i
de
T
huenen
L
a
lo i
de
R
u e ff
des
s a l a ir e s
p r o d u c t iv it é
;
;
;
.
Il les faut maintenant étudier successivement.
71 O n d is c u te e n s u ite s u r la m a n iè r e d o n t l a c h o s e a é té p o s s ib le e t o n a t e n
d a n c e à a d m e t t r e q u e c ’e s t e n r a is o n d e l ’ o r g a n is a t io n d ’u n e a s s is ta n c e a u x c h ô m e u r s .
73 E n a p p lic a t io n d a n s p r e s q u e to u s le s p a y s .
�I.
—
L
a
lo i
du
fonds
des
s a l a ir e s
L ’étude de la loi du fonds des salaires sera ici très brève, puisque,
de par la négation de son auteur, elle ne doit pas être considérée
comme une loi valable de l’Economie politique.
Voici, à cet égard, les textes essentiels.
Et d’abord l’affirmation.
Elle se trouve 75 chez Stuart Mill : 74
« Ce n’est pas le chiffre absolu de l’accumulation ou de la pro
duction qui importe à la classe laborieuse ; ce n’est pas même le
chiffre des fonds destinés à être distribués entre les travailleurs. C’est
la proportion qui existe entre ces fonds et le nombre des personnes
qui se les partagent. Le sort de la classe laborieuse ne peut être amé
lioré que par un changement à son avantage de cette proportion. »
La négation :
Elle émane de St. Mill lui-même dans un article publié en 1869 : 75
Il y résume l’exposé ci-dessus présenté de la loi des fonds des
salaires ; du point de vue critique ensuite, il conteste l’existence d’un
fonds des salaires. Il montre ensuite comment le taux des salaires
influe sur les sommes destinées à payer les salaires. Il conclut enfin :
cc II n’y a point de loi naturelle rendant absolument impossible
pour les salaires une hausse jusqu’au point d’absorber non seulement
ce qu’il avait l’intention d’employer dans l’affaire, mais aussi tout ce
qu’il s’était alloué pour ses dépenses personnelles, au delà du néces
saire. ..
cc La doctrine jusqu’à présent enseignée par tous ou presque tous
les économistes, y compris moi-même, qui refuse d’envisager la pos
sibilité d’élever le salaire par des combinaisons de métier — ou qui
limite leur action à une réalisation prématurée de la hausse que la
concurrence sur le marché eût produite sans elle — cette doctrine est
dépourvue de base scientifique et doit être rejetée. »
73 O n t r o u v e r a it d ’ a s s e z n o m b r e u x p r é c u r s e u r s
Ad.
chap.
S m it h (R ic h e s s e d e s N a tio n , tr a d .
8, p.
8 3) d o n n e la r e la t io n c o m m e é v id e n t e
u tile s e t p r o d u c t ifs e s t p a r t o u t . . . .
:
G a r n ie r , 1881.
:
cc
In tro d .
p.
3 e t liv r .
I,
L e n o m b r e d e s t r a v a ille u r s
e n p r o p o r t io n d e la q u a n t it é d u c a p it a l e m p lo y é
à le s m e t t r e e n œ u v r e e t d e la m a n i è r e p a r t ic u liè r e d o n t c e c a p it a l e s t e m p l o y é » .
cc
E v id e m m e n t la d e m a n d e d e c e u x q u i v i v e n t d e s a la ir e s n e p e u t a u g m e n t e r q u ’en
p r o p o r t io n d e l ’ a c c r o is s e m e n t d e s fo n d s d e s tin é s à p a y e r le s s a la ir e s » .
S is m o n d i ( N o u v e a u x p r in c ip e s d ’ E c o n o m i e p o lit iq u e , 1819, V I I , 6 ) e ffle u r e n o t r e
lo i en p a r la n t d u r e m p la c e m e n t d e s t r a v a ille u r s p a r la m a c h in e .
74 P r in c ip e s d ’ E c o n o m i e P o lit iq u e .
1861, p. 390, T .
75 F o r t n i g h l y R e v i e w .
d e S t.
M ill.
L i v r e II, c h a p .
X I , § 3. T r a d .
f r a n ç . , E d it.
I.
M a y 1869, r e p r o d u it d a n s A s f d e y .
A p p e n d i c e O , p. 991.
E d it io n
d es Œ u vres
�— 215 —
Cependant, et malgré cet abandon, la loi du fonds des salaires
fut ultérieurement reprise par plusieurs économistes :
Par Cairnes d’abord dans son ouvrage : Some leading principles
of political economy ; 76
Par Taussig ensuite dans un livre intitulé : Wages and Capital,
an examination of the Wages Friend Doctrine ; 77
Encore par un économiste italien, Vincenzo Tangorra : 78 l’auteur
s’y efforce de réfuter les objections classiques et compléter la loi sur
certains points.
Ces tentatives restèrent isolées et ne furent en aucune façon sui
vies de l’adhésion ultérieure d’autres économistes.
En réalité, il y a indépendance entre les trois facteurs envisagés,
le fonds des salaires, la population qui accepte le travail et le montant
des salaires. 79
La loi n’est pas à retenir aujourd’hui comme loi scientifique
valable. 80
II. — L a l o i d e l a p r o d u c t i v i t é 81
Elle a pour origine l’ouvrage d’un économiste américain, Walker.
Celui-ci, dans un ouvrage intitulé : La question des salaires, publié
en 1876, posait une nouvelle formule :
76 1 v o l . , 1874, pp.
186-187.
77 1 v o l . , N e w - Y o r k , 1896, s u r to u t c h a p . I I , im p r im é
e n 1932 p a r le s L o n d o n
S c h o o l o î E c o n o m ie s .
78 Per la t e o r ia d e l fo n d o d e i s a la r ii. R o m e , 1894. L ’a u te u r s’ e f f o r c e s u r t o u t d e
d é m o n t r e r q u ’i l y a u n m in im u m a u -d e s s o u s d u q u e l le fo n d s d e s s a la ir e s n e s a u r a it
d escen dre.
79 P o u r
l ’e n s e m b le d e c e s c r it iq u e s C f.
q u e p u r e , 1900, 40mc le ç o n , § 365, p.
C f.
P ir o u
tie n , 1933, p.
S ix n ia n d
W a lr a s .
E lé m e n t s d ’é c o n o m ie
p o lit i
420.
: L e s t h é o r ie s d e l ’ é q u ilib r e é c o n o m iq u e .
P a r is , D o m a t - M o n t c h r e s -
241.
: Le
S a la ir e , L ’ E v o lu t io n S o c i a l e e t la M o n n a ie .
3
v o l . , P a r is ,
1930-
1933, T. II, pp. 546-548.
N oga ro
: P r in c ip e s d e la t h é o r ie é c o n o m iq u e .
d e D r o i t e t d e J u r is p r u d e n c e , p.
1 v o l . , P a r i s 1943, L i b r .
G é n é r a le
265.
80 O n a u r a u n b o n r é s u m é d e l ’ o p in io n l a p lu s r é p a n d u e d a n s c e t t e c r it iq u e tr è s
p e r t in e n t e d e V i l f r e d o P a r e t o (C o u r s d ’E c o n o m ie .
I I , § 299, p.
76)
2 v o l . , 1897, T .
II, L iv r e II , chap.
: « L a t h é o r ie s u p p o s e q u ’i l e x is t e d a n s c h a q u e p a y s , u n e c e r t a in e
s o m m e d é p e n s é e a n n u e lle m e n t e n s a la ir e s e t q u e se p a r t a g e n t le s o u v r ie r s .
S i l ’o n
a d m e t q u e l a s o m m e c o n s tit u a n t le fo n d s d e s s a la ir e s e s t d é t e r m in é e in d é p e n d a m
m e n t d e s c o n d it io n s d e l ’é q u ilib r e é c o n o m iq u e , la t h é o r ie e s t fa u s s e .
S i, p a r fo n d s
d e s s a la ir e s , o n e n t e n d la s o m m e e ff e c t iv e m e n t p a y é e e n s a la ir e s , la t h é o r ie n e s ig n i
f ie p lu s r ie n d u t o u t
: c a r , a p r è s a v o i r d é fin i u n e c e r t a in e s o m m e c o m m e r e p r é s e n
ta n t la m a s s e d e s s a la ir e s , o n s e b o r n e à r e p o r t e r q u e l a m a s s e d e s s a la ir e s e s t é g a le
à c e tte m ê m e s o m m e ».
81 O n c o m p r e n d p a r fo is c e t t e l o i d e l a p r o d u c t iv it é a v e c la l o i d e l ’u t ilit é fin a le
c i-d e s s u s e x p o s é e e t a p p r o u v é e
: le s d e u x f o r m u le s d iff è r e n t c e p e n d a n t à la fo is p a r
le u r o r ig in e h is t o r iq u e e t p a r le u r te n d a n c e .
�—
216
—
« En achetant du travail, l’employeur prend en considération le
produit du travail, et c'est l’espèce et la quantité de ce produit qui
déterminent le taux des salaires qu’il est à même de payer. Il doit, en
fin de compte, payer un salaire qui soit inférieur à la valeur de ce pro
duit de la somme qui constituera son propre bénéfice. Si ce produit
s’accroît, il lui sera permis de payer davantage ; si ce produit diminue,
il doit, pour sauvegarder son intérêt, payer moins...
« Pour l’employeur, savoir quand il paiera est une question finan
cière ; savoir combien il paiera est la véritable question industrielle
dont nous avons à nous occuper en traitant des salaires. Ceci est
déterminé par l’efficience (efficiency) du travail dans les conditions
qui existent dans un temps et en un lieu donnés. » 82
Walker écrit plus nettement encore : « Le salaire est payé par le
produit du travail de l’ouvrier. Ce produit fournit la mesure de son
salaire. » 83
Trois économistes français adoptent ou reprennent à la même
époque la thèse de Walker.
Ce sont :
Paul Beauregard, dans son Essai sur la théorie des salaires ; "
M. Chevallier, dans son étude : Les salaires au xixlme siècle ; 85
M. Villey, dans : La question des salaires. 86
Cette formule de la productivité soulève87 d’assez vives
critiques. 88
On a fait valoir d’abord que cette productivité accrue n’était
qu’une possibilité d’accroissement des salaires sans la causer néces
sairement. 89
82 The W àges Question, Londres Macmillan, 1876, 2m6 édit. 1891, chap.
pp. 129-137.
83 Ibid., p.
V III,
130.
81 1 v o l., 1887.
85 1 v o l., 1887.
86 1 v o l., 1887.
87 Cependant elle a pour elle l’adhésion de P. Leroy-Beaulieu : Traité théorique
et pratique d’Economie Politique. 4 v o l., Paris, Guillaumin, T. II, p. 276. « En tout
genre de travail, le salaire tend à se régler sur la productivité du travail de l’ouvrier :
par ce mot de productivité, on doit entendre la quantité de jouissances que, d ’après
les besoins et les goûts de la société, produit chaque nature de travail ».
88 Notamment Laughlin, dans son édition des Principles ol Political Econome
bv St. Mill, p. 182.
89 Laughlin (op. cit. ), écrit : « Plus grande est la production totale de richesse,
plus élevé est le taux possible des salaires. Chacun l’admettra, mais il ne semble pas
clair que le génial W alk er nous ait donné une solution de la question réelle en sus
pens. Plus vaste est la maison que vous bâtissez, plus vastes peuvent y être les cham
bres, mais il ne s’en suit pas le moins du monde que les chambres y soient nécessai
rement vastes ».
�On a ensuite constaté que l’expression « productivité » était une
formule vague et ambiguë : de quelle productivité s’agit-il au juste ?
de la productivité matérielle, c’est-à-dire de l’accroissement du nombre
des objets produits ? de la productivité économique, c’est-à-dire de
leur valeur. On ne le sait pas exactement.
Enfin, en se basant sur les faits, on a remarqué que le très nota
ble accroissement de la productivité à l’époque contemporaine
n’avait pas entraîné une augmentation proportionnelle des salaires et.
à l’inverse, on a visé certaines catégories de faits, salaires des domes
tiques, considérablement accrus sans que la productivité de leur tra
vail se soit accrue, salaire féminin en général inférieur au salaire mas
culin pour un égal rendement, qui semblent démentir la formule de
Walker.
Pour toutes ces raisons, la loi de Walker n’est pas à retenir comme
loi des salaires ; l’augmentation de la productivité permet l’accrois
sement des salaires sans l’entraîner nécessairement.
Au point de vue de la vérification de cette loi, un économiste amé
ricain, H. -L. Moore, dans un ouvrage important. 90 y a procédé avecun grand luxe de statistiques : il aboutit à une acceptation à peu près
intégrale de cette loi. Il constate, en effet, que :
a) plus grands sont les établissements, plus élevés sont les salai
res, à tous les âges ;
b) dans tous les établissements, quelle que soit leur importance,
les salaires suivent, en fonction des âges, une courbe analogue ; ils
sont d’abord bas chez les jeunes ouvriers, atteignant un maximum vers
l’âge de 25 à 35 ans pour redescendre ensuite ;
c) dans les petits établissements, les salaires des ouvriers âgés
sont plus élevés que les salaires des jeunes ouvriers ;
cl) la descente des salaires, à partir du maximum, est plus rapide
dans les grands établissements que dans les moyens et petits établis
sements. 91
Ces conclusions furent partiellement contestées par M. Aftalion
dans un article important. 92
On a remarqué aussi93 qu’il y a corrélation entre la productivité
et le salaire sans qu’on puisse savoir exactement lequel est cause de
l’autre. 94
90 L a w of W ages : an essay on Statistical Economies. 1 vol, New-York, Mac
millan, 1911. Cf. la bibliographie sur cet ouvrage, supra p. 197.
91 Cf. Pirou : op. cit., p. 211.
92 Revue d’Economie Politique, 1911, pp. 145 et 345. Les trois notions de la
productivité et les revenus.
93 F. Simiand : Année. Sociologique, 1909-1912, p. 787.
94 Sur tout le problème. Cf. Guiglielmi, op. cit., Livre IIÏ, chap. I.
�— 218 —
La question de la productivité semble avoir rebondi à une date
toute récente avec la formule du salaire proportionnel. 95
Il s’agirait de faire varier le salaire en proportion de la produc
tivité d’une entreprise. Des mécanismes sont prévus pour cette réali
sation.
Mais le seul fait qu’on veuille introduire le salaire proportionnel
dans la pratique 96 est la preuve .indirecte mais certaine qu’il n’existe
pas spontanément et par la force même des choses. On peut donc
voir dans cette campagne pour le salaire, proportionnel une confir
mation a contrario du caractère douteux de la loi de la productivité.
La loi n’est donc pas scientifiquement acceptable.
III. —
L
a l o i de
T
huenen
C ’est en 1850 que Thiinen donne une nouvelle loi du salaire dans
son ouvrage intitulé : Der Isolirte Staat : 97
« On trouvera le salaire naturel en multipliant les besoins indis
pensables de l’ouvrier, évalués en grains ou en monnaie, par le pro
duit de son travail exprimé dans la même unité de mesure et en
extrayant du résultat la racine carrée. » a
Ainsi, soit a les moyens de subsistance nécessaires à une famille
ouvrière qui élève deux enfants jusqu’à l’âge adulte ;
j> le produit du travail d’un ouvrier travaillant avec un capital
donné, on a la formule :
S = y/ a p
Le salaire est ainsi la moyenne proportionnelle entre la consom
mation et la production.
95 Cf. Eugène Schueller : Le Deuxième Salaire, 1938.
E. Schueller : L a Révolution de l’Economie, 1941.
Sachot : Salaire proportionnel et équilibre économique. Revue de l’Economie
Contemporaine, décembre 1942, p. 8.
Goetz-Girey : Le Salaire proportionnel. Droit Social, juillet-août 1943, p. 249.
96 En France il était pratiqué en août 1942 dans 30 entreprises, dans 1.000 en
treprises en août 1943, affirme M. R. Goetz-Girey, art. cité, p. 249. On a créé un
Bureau d’études pour l’application du salaire proportionnel.
97 Heinrich von Thuenen : Isolirte Staat in Beziehung auf Landwirthschaft und
National Œkonomie, oder untersuchungen den Einfluss, den die Getreidepreise der
Reichtum des Bodens und die Abgaben auf den Ackerban ausiihen. Hambourg,
1826, 2:ne édition, Ristock, 1850. Trad. franç. J. Laverrière, Paris, 1851.
Von Thuenen : Der Isolirte Staat. Der Naturgemam Arbeitslohn und dessen
Verhàltniss zum zimflus und zur Landrent. 2 vol. Trad. franç. ’W olkoff, Paris, Guil
laumin, 1857, sous le titre : Le Salaire naturel et son rapport avec le taux de l’in
térêt.
Sur Thuenen. Cf. Andler : Socialisme d’Etat en Allemagne. Thèse Paris, 1897,
2me édit., p. 437.
�Thiinen affirme d’ailleurs que la formule n’est vraie qu’à la limite,
dans les rapports idéaux, existant à la limite de la plaine cultivée dans
l’Etat isolé qu’il suppose.
Dans la réalité, Thünen adopte une autre formule : La valeur du
travail de l’ouvrier embauché le dernier constitue en même temps
son salaire : « Le salaire est égal au surcroît de produit fourni dans
une grande exploitation par l’ouvrier placé en dernier. »
Et avec cette deuxième formule, Thünen affirme le caractère
relatif de ce salaire, car il y a en fait autant de normes qu’il y a d’ouviers derniers embauchés dans les diverses catégories agricoles. 18
La formule 99 de Thünen eut à l’époque peu de succès.
Knies, dans son ouvrage : Der Crédit,100 formule l’objection sui
vante : Aucun calcul du monde ne peut subdiviser rationnellement
la valeur d’un produit entre ceux qui ont contribué à sa production :
il n’y a pas de commune mesure entre la rente, les intérêts, les salai
res et les bénéfices qui sont incommensurables.
On a remarqué aussi101 que la formule suppose que l’ouvrier, si
le patron ne lui offre pas un salaire convenable, peut gagner sa vie en
cultivant le sol disponible.
Enfin, A n dler102 donne cette critique, à mon sens pertinente :
« Mais si l’on a passé ensuite à un travail d’une utilité un peu moindre,
une limite semblable arrêtera ce travail au bout d’un temps. On
descendrait ainsi toute l’échelle des besoins. Un moment viendrait où
le besoin serait si futile et si peu ressenti qu’on ne s’imposerait plus
d’effort pour le satisfaire. Le dernier besoin, qui est encore suffisant à
provoquer le travail, est régulatif de tout le travail. »
Comme conclusion, la formule de Thünen paraît des plus dou
teuses.
IV .
—
L
a
l o i de
R
u eff
C’est une loi spéciale en matière de salaires qui est due à M. J.
Rueff.
On étudiera ici :
a) l’exposé de la loi ;
b) la discussion critique à laquelle elle a donné lieu.
38 Le salaire naturel, op. cit., p. 202.
____
99 II s’agit ici exclusivement de la l re : S = \/a p. Pour la seconde voir ci-dessus p. 208, n. 49.
100 II, p. 129.
101 M. Block : Les progrès de la science économique depuis Adam Smith.
2 vol., Paris, Guillaumin, 1890, T. II, p. 261.
A
102 Op. cit., p. 206.
�220
a) Exposé de la loi
■;
■
En 1925, M. Jacques Rueff publiait un premier article dans la
Revue politique et parlementaire, intitulé : Les variations du chô
mage en Angleterre,103 qui peut être considéré comme le point de
départ de ses travaux.
En même temps, il faisait une communication à la Société d’Economie Politique de Paris. 104
Quelques années après, parut dans la Revue d’Economie Politi
que 105 un article anonyme intitulé : L ’assurance chômage, cause du
chômage permanent », que l’on sut assez vite avoir M. Rueff pour
auteur.
Une nouvelle discussion sur le même objet eut lieu à la Société
d’Economie Politique de Paris. 106
II fut enfin fait une allusion importante à la loi dans une discus
sion au Centre Polytechnique d’Etudes Economiques : 107 M. Baudhuin semble accepter la loi qu’avait repoussée M. S. Butler, Direc
teur du B. I. T.
Les formules données par l’auteur à sa loi sont les suivantes :
« Les variations du chômage pourraient présenter quelque rap
port avec celles de l’écart existant entre le niveau des salaires et celui
des prix, augmentant lorsque augmente cet écart, diminuant dans le
cas contraire. » 108
Ainsi ce sont les variations concomittantes du chômage d’une
salaire
part et de l’autre du rapport---------- qui sont l’objet de la recherche.
prix
Plus tard, l’affirmation est la suivante :
salaire
« Toute variation de valeur dans le rapport
entraîne une
prix
variation concomittante de l’indice du chômage. » 103
L ’auteur, pour établir que c’est bien là une loi, a basé sur l’obser
vation de deux périodes 1919-1925. et 1928-1931. dans lesquelles la rela
tion est vérifiée. 110
103
101
105
106
107
108
109
110
Revue politique et parlementaire, 10 décembre 1925.
Ec. F r., 1925, T. II, p. 770.
Rev. d’Ec. Politique, 1931, p. 211.
Ec. F r . , 1931, T. I, p. 643.
X. Crise n° 39, juin 1937, p. 10.
Ec. F r . , 1925, T. II, p. 776.
Ec. F r., 1931, T. I, p. 643.
Rev. d’E. P . , 1931, p. 215.
�—
221
—
Il y a exception pour les années 1926 et 1927 pendant lesquelles les
variations des salaires n’exercent aucune action sur l’emploi de la
main-d’œuvre.
L ’auteur conclut : Ainsi l’observation des faits confirme la loi.
L ’auteur souligne 111 que sa loi a les deux avantages suivants :
D'abord elle permet l’explication de certains faits : par exemple,
la stabilité des salaires en Angleterre de 1923 à 1931. Elle montre aussi
comment les variations du chômage sont déterminées par les seuls
prix : d’où l’affirmation, l’assurance chômage est cause d’un chômage
permanent.
Ensuite, elle permet de prévoir l’avenir. En ce qui concerne le
chômage en Angleterre, le seul moyen de le ramener au niveau
d’avant-guerre serait une augmentation des prix.
b) Les discussions provoquées par la formule de M. Rueff 112
La loi de Rueff, surtout en raison du corollaire qu’elle explique,
l’assurance chômage est une cause de chômage permanent, a soulevé
de vives discussions.
On résumera ici les principales objections présentées :
M. Roger P ica rd 113 se demande si le lien qu’on établit entre le
salaire
chômage et le rapport------- — est une simple coexistence ou s’il y a
prix
lien causal.
Il trouve discutables les graphiques donnés par l’auteur, incrimine
comme artificielle la base choisie, les chiffres de 1913.
Il montre que le coefficient de chômage a beaucoup varié selon les
industries.
111 Ibid., Rev. d’E. P ., 1931, p. 216.
112 Bibl. : R. Picard : L ’assurance-chômage est-elle la cause du chômage per
manent. Rev. d’E. P . , 1931, p. 1568.
-— L ’Association Française pour le Progrès Social ouvrit une enquête sur la
question :
R. Picard : Réflexions sur l’Enquête de l’Association Française pour le Progrès
Social. Documents du Travail, juillet-septembre 1931, p. 9.
Le sujet fut mis en discussion en séance de l’Association.
Documents du travail, avril-mai, 1932, p. 8.
—- Maurette : L ’assurance-chômage prétendue cause d’un chômage permanent.
Rev. intern. du travail, décembre 1931.
— .1. Denac : Les fluctuations compensées du chômage et des salaires dans
quelques pays de 1919 à 1929.
Bulletin de la Statistique générale de la France, 1930, p. 327.
—- L a loi de Rueff : Bulletin de la Société d’études et d’informations économi
ques n° du 13 janvier 1932.
113 Rev. d’E. P . , 1931, p. 1568.
�—
222
Il indique que la corrélation du chômage et de la courbe des
niveaux des prix était déjà assez anciennement connue et affirme qu’il
y a d’autres explications au chômage que la rigidité des prix.
Il conclut114 que la loi ne vaut que pour un monde économique
schématisé et mécanisé : elle ne vaut pas pour le monde économique
réel qui est le nôtre.
M aurette115 adresse lui aussi d’assez nombreuses objections à
la loi de Ruefï :
Il y a, du point de vue technique, des erreurs dans la construction
des courbes utilisées en raison des échelles choisies.
A côté de l’Angleterre, il ëxiste d’autres pays où la loi ne se trouve
pas vérifiée.
L ’auteur enfin conteste les variations concomittantes de l’indice
des prix de gros et de l’indice du chômage.
M. Noyelle 116 discute dans un important article le point de savoir
si la loi économique est assez contraignante pour mettre obstacle au
droit des chômeurs d’être secourus et conclut par la négative.
M. Adolphe Landry 117 revient sur la loi de Ruelï et affirme qu’elle
n’est vraie que pour l’Angleterre et dans une certaine période seule
ment. 118
Il y eut enfin une confrontation de M. Ruefï et de la plupart de
ses adversaires dans une séance de l’Association Française pour le
Progrès social : 119 l’auteur et ses contradicteurs y maintinrent intégra
lement leurs positions doctrinales. 120
Dans la liste des auteurs qui n’acceptent pas la loi de Ruelï, il faut
encore inscrire :
M. Max Lazard, rapporteur général de la Section d’Economie
Sociale au Congrès International des Sciences Economiques, Paris,
1937, qui, avec réserves, laisse entendre son opinion. 121
M. Laufenburçjer qui écrit : « Nous n’entreprendrons pas ici de
réfuter une fois de plus la thèse de M. Ruefï. Si elle n’était pas con-
111 Ibid., p. 1587.
115 Rev. intern. du travail, déc. 1931, p. 697.
116 Le Droit des chômeurs et la loi économique. Rev. éc. intern., mai 1932.
111 Réflexions sur les théories du salaire et le chômage. Rev. d’Ec. Politique,
1936, p. 312.
118 Cf. en sens contraire valable aussi pour la Belgique. M. Baudhuin,
X Crise, juin 1937, p. 11.
119 Séance du 26 février 1932. Les documents du travail, avril-mai-juin 1933, p. 8.
120 Cf. dans le même sens. H. Fuchs : Quelques aspects économiques de l’as
surance chômage. Rev. écon. intern., novembre 1938, p. 296 : « Une loi Rueff n’a
jamais existé ».
121 Congrès international des Sciences Economiques,1 Paris 1937. 4 v o l.. Paris,
1938, Ed. Domat-Montchrestien, T. V, p. 16.
�testée pour d’autres raisons, elle ne pourrait jouer que si les allocations
de chômage étaient aussi élevées que les salaires, comme cela s’est
produit en Angleterre. » 122
M. Pierre Reynaud, dans un ouvrage intitulé : « La lutte contre
le chômage en Allemagne » , 123 qui affirme qu’il n’y a aucune corréS
lation entre le rapport — et le mouvement du chômage. »
P
Mahaim qui déclare : « La théorie du secours-chômage géné
rateur de chômage n’a plus guère de partisans. » 124
Seul M. Bernard J^avergne, dans son rapport intitulé : Le chô
mage en France et ses causes,125 se livre à une vérification de la loi
de Rueff pour la France 126 et conclut à la haute valeur explicative de
M. Rueff.
Il est permis de conclure que la loi de Rueff n’apparaît pas comme
une loi acceptable de l’Economie politique scientifique.
S e c t io n
III
LES LO IS PSYCH O LO G IQ U E S DU SA LA IR E
C’est surtout au regretté François Simiand que sont dues les
recherches dans cette nouvelle direction. 127
Dans un premier ouvrage : Les salaires des ouvriers des mines de
charbon en France, contribution à la théorie économique du salaire,128
il mit en évidence deux facteurs importants qui, à son sens, influaient
sur le taux des salaires.
C’étaient :
En premier lieu, la coutume, c’est-à-dire le salaire courant tel qu’il
est pratiqué par la coutume dans chaque pays et pour le travail en
question.
En second lieu, l’opinion, c’est-à-dire la prétention patronale et
ouvrière, la convenance du patron, les idées de justice de l’ouvrier.
122 Ibid., T. II, p. 121.
123 1. vol-, Paris, 1936.
124 Travaux du Congrès, T. II, p. 198.
125 Trav. du Congrès, T. II, p. 146.
126 Ibid., p. 162 et suiv.
127 Sur l’évolution des idées de Simiand en matière de lois naturelles de sa
laire. Cf. Max Lazard. François Simiand : l’homme, l’œuvre. Les Documents du
travail, juin-juillet 1935, p. 42 et suiv.
128 1 v o l., Paris 1907.
�— 224
Dans un second ouvrage : Le salaire, l’évolution sociale et la mon
naie, 120 Simiand semble donner une importance prépondérante à un
nouveau facteur, le rythme variable de l’accroissement des moyens
monétaires. Ce facteur agit d’ailleurs sur le terrain psychologique.
Avec de nombreux détails, l’auteur distingue :
a) les phases d’accroissement des moyens monétaires, par exem
ple les périodes 1850-1878 et 1914-1928 pendant lesquelles on constate
une hausse des salaires ;
b) les phases de stagnation ou de diminution des moyens moné
taires, telles que les périodes 1815-1850, 1878 et 1890-95, qui accusent
une baisse des salaires.
M. Max Lazard 130 résume ainsi la position définitive de Simiand :
« En résumé, la théorie expérimentale vers laquelle on se trouve néces
sairement acheminé tend à reconnaître comme facteurs immédiats de
détermination et de variation de la plupart des phénomènes économi
ques, et notamment des phénomènes intéressant le salaire, la psycho
logie sociale d’un homo economicus réellement existant, psychologie
ayant son élément moteur dans la représentation monétaire des biens
et des revenus. »
Du point de vue critique, les statistiques fournies pour la démons
tration de la loi semblent indiscutables. 131
On peut donc considérer les trois lois psychologiques ci-dessus
comme des lois valables de l’économie politique.
Une autre tentative postérieure à celle de Simiand est due à
M. de Menthon. 133 II dégage la notion aujourd’hui admise d’un mini
mum de salaire en rapport avec les besoins, admise par l’opinion publi
que, surtout en France après 1936. C’est donc pour lui cette opinion
publique qui serait un des facteurs déterminatifs du salaire. 133
Du point de vue critique, la difficulté est de préciser comment agit
ce facteur, sans préjudice des autres.
M. Landry avait déjà consacré d’intéressants développements à
l’action de l’opinion publique sur la détermination du salaire. 131
129 Le salaire, révolution sociale et la monnaie. Essai sur la théorie expérimen
tale du salaire. 3 vol., Paris, Alcan, 1932.
130 On trouvera un aperçu d’ensemble des idées de Simiand sur les lois natu
relles des salaires dans son ouvrage, Postface, T. II, p. 543.
131 Cf. cependant Landry : Réflexions sur les théories des salaires et le chô
mage. Rev. d’E. P ., 19.35, p.' 1652.
132 Fr. de Menthon : Le salaire psycho-sociologique dans Mélanges Truchy.
1 v o l., Paris, Libr. du Rec. Sirey, 1938 p. 355.
133 II y voit même le principe d’une nouvelle méthode de recherches en la ma
tière.
A
131 Articles. Rev. d’E. P ., 1935. Réflexions sur les théories du salaire et le
chômage.
�Dans une autre direction enfin, on pourrait trouver un autre mou
vement en faveur des facteurs psychologiques dans l’jnfluence de la
convention collective sur le salaire.
Pour Strigl,135 les modifications dans le taux des salaires sont
l’effet de combats à base de violence, l'effet aussi des conventions
collectives.
CONCLUSION SUR LES LOIS NATURELLES DU SALAIRE
Après cette longue étude, il est nécessaire de dresser un bref bilan
des résultats obtenus.
Aucune des lois du travail marchandise, loi de l’offre et de la
demande, loi du salaire nécessaire, loi de l’utilité finale, ne nous a paru
digne d’être retenue tant en raison de difficultés spéciales à chaque
loi que de l’inadmissibilité de la thèse du travail marchandise.
En ce qui concerne les lois propres aux salaires, ni la loi du
fonds des salaires, ni la loi de la productivité, ni la loi de Thiinen, ni
celle de Rueff, pour des raisons diverses, ne nous ont paru devoir être
retenues.
Seules, par contre, les lois psychologiques ont semblé présenter
une valeur scientifique réelle : elles auraient besoin d’ailleurs d’une
plus ample élaboration. Elles marquent cependant la voie dans
laquelle se devrait de plus en plus engager la recherche scientifique
de demain.
135 Strigl : Die Œkonomischen Kategorien und die Organisation der W irtschaft. Iéna, Fischer, 1923.
Masci : Relation sur la nature et les effets du contrat collectif de travail. Actes
du Congrès corporatif de Ferrare (5-8 mai 1932), vol. I, pp. 107-122.
Cf. Fr. Perroux : Le Néomarginalisme. Paris, Domat-Montehrestien, 1940, p. 99.
15
�C H A P IT R E VII
LES LOIS OU PROFIT
L ’aspect général que présentent les lois du profit est double : d’une
part, ces lois, si lois il y a, sont d’origine relativement récente et ont
été formulées par quelques rares auteurs ; d’autre part, et comme con
séquence d’une élaboration scientifique courte et imparfaite, leur carac
tère scientifique est loin d’être certain.
En cet état de choses, le plus simple sera sans doute, et en sui
vant ici l’ordre chronologique, de retrouver chez les auteurs en ques
tion les principales affirmations concernant les lois dont il s’agit.
On étudiera successivement :
1° L a
formule de
2° L a
formule de
La
formule de
3°
K. Marx ;
M. L andry ;
M. K eynes.
La
formule de
K. M arx
La formule de K. Marx a des antécédents dans l’Ecole classique,
puisque tous ses représentants se prononcèrent dans le sens d’une
baisse continue du profit.
Ad. Sm itli est partisan d’une baisse des profits. 1
Ricardo écrit aussi : « Les profits tendent naturellement à
baisser. » 2
St. M i II ' écrit : « Je dirai que l’accroissement annuel du capital,
si rien ne vient contrarier ses effets, sera suffisant pour réduire le taux
du profit net, dans un petit nombre d’années, à un pour cent. »
D’autres économistes classiques se prononcèrent dans le même
sens. 4
1 Richesse des Nations. Liv. I, chap. IX, p. 204. Cf. Perroux : Le Problèm e
du profit. Thèse Lyon, 1920, p. 67 et suiv.
2 Principes d’Ec. Politique et de l’Impôt, chap. V I, p. 93.
3 Principes d Ec. Politique. Liv. IV, chap. IV, § 3. <
4 Cf. F. Perroux : op. c il., p. 89 et suiv.
�— 227 —
K.
Marx 5 écrit : « La décroissance relative continue du capital
variable, par rapport au capital constant,8 entraîne une composition
organique de plus en plus élevée du capital total ; et la suite immé
diate en est que le degré d'exploitation du travail restant le même ou
augmentant même, le taux de plus-value s’exprime dans un taux de
profit général décroissant. »
Et plus loin :
« Comme la masse du travail vivant employé diminue toujours par
rapport à la masse du travail réalisé mis en mouvement, c’est-à-dire la
masse des moyens de production consommée productivement, il s’en
suit que la partie de ce travail vivant non payée et réalisée en plusvalue, se trouve toujours en décroissance par rapport à l’importance
du capital total employé. Mais ce rapport constitue le taux du profit :
celui-ci doit donc baisser continuellement. Cette loi apparaît donc
comme excessivement simple. » 7
C’est donc la loi du taux moyen des profits décroissants.
Ch. G id e 8 s’en déclare partisan dans les termes suivants :
« Nous avons émis quelques doutes sur cette loi en ce qui con
cerne l’intérêt, mais, pour le profit, elle nous paraît mieux fondée pour
les raisons que voici :
« 10 Au fur et à mesure que les entreprises grandissent, le taux du
profit, qui n’est autre que le rapport entre le capital engagé et le béné
fice, va diminuant puisque l'entrepreneur peut gagner plus avec un
bénéfice moindre par unité ;
« 2° L ’entrepreneur aura à subir de plus en plus le contrôle de
forces antagonistes grandissantes, à savoir : celle des ouvriers, celle
de l’Etat, celle des consommateurs. »
A vrai dire, cette adhésion est une transformation complète du
point de vue de K. Marx : les profits vont décroissant mais pour de
tout autres raisons.
Les critiques faites à la loi de K. Marx se sont multipliées.
5 Le Capital. Trad. J. Molitor, Paris, Costes, 1938, t. X, p. 122.
6 Dans la terminologie marxiste, le capital constant est celui qui n’est pas em
ployé à l’achat de la force de travail ; le capital variable est celui qui est employé à
l’achat de la force de travail. Cf. Perroux : Le Problème du Profit. Thèse Lyon,
1926, p. 284.
7 K. M arx ajoute (Ibid . , p. 123). Et cependant...
qu’ici pu la découvrir.
8 Cours d’Economie Politique.
1931, T . I I , p.
411.
aucun économiste n’a jus
<
10me édit., 2 vol., Paris, Libr.
du Rec. Sirey,
�228 —
D’autres économistes reprirent le problème :
Tugan-Baranowsky, 8dans une démonstration mathématique, éta
blit que le remplacement du pouvoir du travail par le machinisme
entraîne une augmentation du profit.
Natalie Moskhavska 10 reprend dans le même sens ce problème.
Un économiste contemporain, L.-V. B ortkliiew icz11 montre que
le mouvement du profit est dominé par la force productive des capi
taux. Celle-ci entraîne une hausse des profits.
Un économiste japonais, M. Khibata, dans un article important,13
prend le contrepoids de la thèse marxiste en affirmant13 que « l’élé
vation de la composition du capital dans une société capitaliste ne
constitue point, par elle-même, une cause de diminution du taux
moyen du profit, mais qu’elle est une cause de l’élévation du taux
moyen du profit. La cause du déclin du taux moyen du profit doit
être cherchée ailleurs. »
En rappelant quelques critiques précédentes, il cherche à l’établir
par des exemples numériques.
En conclusion, il ne semble pas que la loi de K. Marx soit à
retenir.
L a formule
de
M.
L andry
C’est en 1908, dans son Manuel d’Economique,14 que M. Landry
énonce les lois du profit différentiel : 15
« En somme, écrit M. Landry, il est deux lois qu’on peut établir
au sujet du profit différentiel :
« 1° La première est que, les capitaux d’entreprises étant rangés
en classes d’après leur importance, les capitaux d’une classe déter
minée ne sauraient donner moins de profit que ceux des classes infé
rieures. La vérité de cette loi apparaît a priori, car il est clair que les
capitaux d’une classe déterminée peuvent toujours entrer en concur
rence avec les capitaux des classes inférieures, tandis que l’inverse
n’est pas. »
9 Théorie und Geschichte der Handelskrisen in England. 1901, pp. 212-215.
10 Das Marxsche System. 1929, p. 41 et suiv.
11 Zur Berichtung der Grundlegenden theorischen Konstruktion von Marx in
dritten Band des Kapital. Yahrh f. National œkonomie und Statistik, 1907.
13
On the law of décliné in the rate of profit. Kyoto University Economie Re
view. Jul, 1934, pp. 61-75.
13 Op. cit. , p. 75.
14 Paris, Giard et Brière, 1908, p. 680.
Cette étude a également été publiée dans la Revue d’Economie Politique, 1908,
p. 241.
15 L ’auteur entend par là le profit compte tenu « des inégalités qui se remar
quent dans les capitaux que les différentes entreprises mettent en œuvre ».
�— 229
L ’auteur a précédemment préparé sa conclusion par des raisonne
ments sur des exemples. 16
On peut, du point de vue critique, remarquer qu’une loi établie
seulement a priori et sans vérification par observation des faits ne
saurait être acceptée comme loi vraiment scientifique. 17
« 2° L ’autre loi, c’est que les capitaux d’entreprises donnent d’au
tant plus de profit qu’ils appartiennent à une classe plus élevée. Cette
nouvelle loi peut être tirée directement de l’expérience : elle est ainsi
un résumé des faits particuliers que celle-ci nous montre ; mais on
peut aussi la déduire du rapprochement de deux choses qui nous sont
données dans l’expérience, à savoir, d’une part, la distribution des
capitaux d’entreprise entre les diverses classes et, d’autre part, le rappart des productivités du capital dans les entreprises que les capitaux
des diverses classes peuvent permettre de faire marcher. » 18
Ici encore, l’auteur avait au préalable 19 raisonné pour aboutir à
cette conclusion sur des exemples numériques.
L ’auteur avoue lui-même que cette seconde loi « n’a pas une pré
cision parfaite : il n’est point possible, en effet, ni par l’observation
directe, ni indirectement, de déterminer au juste la courbe, variable
d’ailleurs avec les lieux et les moments, des profits qui correspondent
aux diverses classes de capitaux. » 20
Ainsi une réelle incertitude, parce qu’il y a une inévitable impré
cision, telle est la position de l’auteur lui-même pour cette seconde loi.
La formule
de
M.
K eynes
C ’est dans son ouvrage, A Treatise of M oney,21 que M. Keynes
formule la loi suivante :
« Le profit total réalisé dans une période donnée est déterminé
par la différence entre la valeur des investissements nouveaux et celle
des capitaux épargnés au cours de cette période. Si les investisse18 Cf. Ibid., p. 677.
17 Cependant quelques recherches statistiques de M. Ottolenghi, I Profiti Industriali, 1907, menées par enquêtes et traduites en diagrammes sembleraient en appor
ter une vérification partielle.
Cf. Perroux : Le Problème du Profit. Thèse Lyon, 1926, p. 471 et p. 506,
note 14. M. Ottolenghi parle pour son compte d’une loi de l'habileté moyenne qui
déterminerait le profit à l’état statique. Ibid. Perroux, p. 506, note 14.
18 Ibid., p. 680.
19 Ibid., p. 679.
20 Ibid., p. 680.
21 2 vol. Londres, 1930.
O n en trouvera un utile exposé dans Petit et de Veyrac : Le Crédit et l’orga
nisation bancaire (T. V II du Traité d’Economie Politique publié sous la direction de
M. H. Truchy,) 1 vol., Paris, Libr. du Recueil Sirey, 1938, p. 14S et suiv.
�ments dépassent l’épargne, les profits augmentent. S’ils leur sont infé
rieurs, les profits diminuent et font place à des pertes. » 22
L ’auteur donne de la loi qu’il affirme une démonstration mathé
matique. 23
La loi de M. Keynes a donné lieu à de nombreuses discussions.
A n’en retenir que ce qui concerne la confirmation ou l’infirma
tion de la loi par les faits, on a surtout controversé autour d’un corol
laire de la loi qui est le suivant :
Les investissements plus ou moins abondants sont déterminés par
les fluctuations du taux de l’intérêt : il y a augmentation des investis
sements avec un taux d’intérêt bas, diminution avec un taux d’intérêt
élevé.
A ce sujet, M. R is t24 affirme que ce sont les mouvements de lon
gue durée des prix qui agissent sur les taux de l’escompte et de l'inté
rêt. Un fléchissement des prix amène une diminution des profits alors
qu’une hausse des prix entraîne une augmentation du taux moyen des
profits.
D’autre part, on a constaté25 la diminution des investissements
provoquée par une hausse excessive du taux de l'intérêt : c’est lors
de cette hausse que les émissions de titres sont les plus nombreuses.
Ainsi, soit par l'inexactitude du corollaire de la théorie, soit par
une confrontation directe avec les faits, la loi de M. Keynes a été
démontrée inexacte.
C O N C L U S IO N
Aucune des lois proposées à l’occasion du profit ne serait à rete
nir comme loi véritablement scientifique.
22 Petit et de Veyrac : op. cit. p. 149.
23 Petit et de Veyrac : op. cit., p. 149.
24 Théories relatives à l’action de l’or et du taux de l’escompte sur le niveau des
prix. Revue d’Economie Politique, sept-oct. 1935, p. 1495.
25 Petit et de Veyrac : op. cit., p. 153.
�C H A P IT R E V III
LES LOIS DE L ’ IMPOT
L ’impôt est la part de l’Etat dans la Répartition des'Richesses.
Existe-t-il, de ce point de vue, des lois économiques concernant
l’impôt ?
On en a formulé quelques-unes : 1 la plus importante est la loi
du rendement décroissant de l’impôt.
La
l o i du r e n d e m e n t d é c r o is s a n t de l ’ im p ô t
Paul Leroy-Bmulieu, dans son Traité théorique et pratique d’Economie politique,2 affirme :
« Par ses prohibitions de certaines consommations, l’Etat met en
jeu, quelquefois d’une façon très fâcheuse, la loi de substitution... »
A l’époque contemporaine, relativement rares sont les spécia
listes d’Economie financière qui insistent sur notre loi.
M. L. Trotabas3 écrit avec quelque discrétion :
« II ne faut jamais perdre de vue que la répartition des charges
publiques peut peser lourdement sur telle ou telle branche d’activité ou
soulager et favoriser au contraire une autre activité. C ’est ainsi que
l’on a pu dénoncer les lourdes charges fiscales grevant des exploita
tions industrielles ou commerciales ou les revenus mobiliers, par
opposition au régime beaucoup plus favorable des entreprises agri
coles. »
Par contre, on trouve quelques affirmations formelles sur l'exis
tence d’une véritable loi :
1 On laissera de côté tout ce qui concerne l'aspect technique de l'économie
financière, par exemple les lois, s’il en existe, de l’incidence de l’impôt. O n ne re-tiendra que les seules lois concernant l’Etat comme co-partageant.
2 4 v o l., 3me édition, Paris, Guillaumin, 1900, T. IV, p. 278.
3 Précis de science et de législation financières. 7me édition, Paris, Dalloz, 1942,
p. 155. Cf. p. 171, une affirmation analogue.
�232
M. Richard V. S trigl4 parle d'une loi du rendement décroissant
de l’impôt :
« Une élévation toujours plus forte d’un impôt ne peut conduire
qu’à une diminution du produit de cet impôt, parce que l’élément géné
rateur de l’impôt a tendance à disparaître, c’est-à-dire que les matières
économiques qui sont soumises à cet impôt apparaissent de moins en
moins sur le marché. »
Les exemples tendant à vérifier la loi sont nombreux et divers.
L ’un des plus fréquemment cités est celui de Yimpôt sur les succes
sions.
A llix 5 souligne les mouvements de l’annuité successorale en
France qui croît jusqu’en 1900 et reste stationnaire après 1901, date
de l’introduction d’une progressivité déjà forte dans l’impôt des suc
cessions.
Un autre cas de vérification critique également souvent invoqué
est celui des impôts de consommation, et, en particulier, le cas de
l’impôt sur les tabacs. 6
Quelques relèvements dans le prix des tabacs ont été particu
lièrement étudiés de ce point de vue : 7
Un décret du 23 avril 1910 avait largement relevé le prix des tabacs
de vente courante pour trois qualités seulement : maryland, caporal
supérieur, caporal doux ; le prix du caporal ordinaire était resté
inchangé.
Les augmentations, basées sur les moyennes des plus-values cons
tatées dans les dernières années, devaient donner un produit global
pour 1911 de 20. 870.000 kilos ainsi répartis :
Maryland ......................................
Caporal supérieur ........................
Caporal doux ..............................
Caporal ordinaire.........................
710.000
1.870. 000
140.000
18.150. 000
kilos
kilos
kilos
kilos
Le rapport précité expose :
« Or, en tenant compte des résultats effectifs et de la progression
1
Introduction aux Principes fondamentaux de l’Economie Politique. 1 vol.,
Libr. de Médicis, Paris, 1940, p. 218.
5 Traité élémentaire de science des finances et de législation financières. 1 v o l.,
Paris, Rousseau, 1927, p. 675, notes 2 et 3.
6 On sait que l’impôt sur les tabacs fonctionne dans de nombreux pays, notam
ment en France avec le régime du monopole.
7 Revue de Science et Législation financières. Année, 1911, p. 512. Rapport
Caillaux, exposé des motifs du Décret du 26 juin 1911.
�233 —
accusée depuis la mise en application de la mesure, elle atteindra
vraisemblablement 21.187. 000 kilos mais répartis de la façon suivante :
M arylan d ...............
Caporal supérieur .
Caporal doux .......
Caporal ordinaire .
276. 000
500.000
46.000
20.565.000
kilos
kilos
kilos
kilos
Eu prévision de ces résultats fâcheux, on renonça à l’expérience
de 1910 : « Je crois urgent, dit le rapport, avant que ces nouvelles
habitudes 8 ne se consolident et ne s’étendent, au préjudice toujours
croissant du Trésor, de lui permettre, s’il est temps encore, de revenir
aux anciennes, par le rétablissement pur et simple des tarifs anté
rieurs. » 9
« Il s’agissait, conclut M. Caillaux sur cette expérience en l’es
pèce, d’une forme assez particulière du luxe, dont la force des habi
tudes prises fait une sorte de besoin et l’on était fondé à supposer que
le fumeur consentirait à son plaisir coutumier un sacrifice à peine
inférieur, peut-être égal, au tribut nouveau qu’on exigerait de lui. »
La loi de substitution des besoins a ici déjoué les prévisions du légis
lateur.
Cette expérience confirme la loi étudiée.
On doit donc l’inscrire au nombre des lois valables de l’économie
politique.
8
Ibid., p. 517.
9 Ces nouvelles habitudes, dit le rapport, étaient l’abandon du scaferlati ordi
naire et le passage du paquet de tabac pour de nombreux fumeurs aux paquets de
cigarettes pour lesquels l’élévation avait été moins forte.
�C H A P IT R E IX
LES LOIS DE LA PROPRIETE
Deux lois ont été formulées à propos de la propriété :
l u La
2° L a
l o i de l ’ é v o l u t io n
de l a
p r o p r ié t é
;
lo i de la plus -value foncière .
On les examinera ici successivement :
I. — L a l o i
de l ’ é v o l u t io n de l a p r o p r ié t é
C'est aux environs de 1875 que la formule d’une loi pour l’évolu
tion de la propriété semble pour la première fois ]K)sée.
Un économiste américain, Sum m er Maine, la formule dans un
ouvrage : Communautés de villages de l’Est et de l’Ouest. 1
Laveleye, économiste belge, la reprend dans son ouvrage : De la
Propriété et de ses formes primitives. 2
Pour lui, révolution de la propriété se serait faite de la propriété
commune à la propriété individuelle.
Ainsi donc la loi d’évolution serait la suivante : la propriété com
mune comme forme primitive et évolution vers la propriété indivi
duelle.
Une réaction assez violente contre l’affirmation de la loi com
mença avec les travaux de Baden Powell. 3
Beaucoup d’autres auteurs s’associent à cette réaction :
Fustel de Coulanges, dans son ouvrage : Recherches sur quel
ques problèmes d’histoire ; 1
Guiraud, dans : La Propriété foncière en Grèce ; 5
Henri Sée, dans un de ses principaux ouvrages ; 6
1 Londres, 1876.
2 Paris, 1877.
3 The Indian Village Community. Londres, 1899.
I 1 vol., Paris, 1891.
5 1 vol. , Paris, 1898.
,
II Les classes rurales et le régime domainial en France au Moyen Age.
�— 235
Tou tain, dans son Economie antique. 7
Julian affirme que les Gaulois, dans la période d'indépendance,
ont pratiqué la propriété privée. 8
Ainsi une réfutation de la thèse précédente sans d’ailleurs que se
dégage nettement la thèse contraire ou tout autre thèse.
Paul Leroy-Beaulieu 9 est, lui aussi, très affirmatif :
« De la communauté primitive qui n’a jamais été absolue, mais qui
prévalait, dans une certaine mesure..., on est passé à la propriété col
lective du clan ou du village...
« Un nouvel essor de l’intelligence humaine a peu à peu constitué
la propriété foncière individuelle, au fur et à mesure que la culture
est devenue plus perfectionnée... »
Il n’y a d’ailleurs aucune référence de fait tirée de l'histoire éco
nomique, pour justifier l'affirmation.
Elle semble bien être dictée par des considérations tendancieuses,
voulant justifier l’excellence de la propriété individuelle.
De nos jours, la loi a encore quelques rares partisans.
M. Lacom be,10 dans diverses publications, la reproduit.
Quelques vulgarisateurs y adhèrent avec légèreté ou parti-pris.
Mais l'opinion dominante est incontestablement dans le sens de la
fausseté de cette loi. 11
M. Camille Perreau,12 tout en niant la lo i,13 affirme cependant
dans révolution une tendance à la prédominance de la propriété indi
viduelle sur la propriété collective du groupement social. 14 II ne va
pas cependant jusqu’à formuler une nouvelle loi d évolution : « On
constate la coexistence, à la même époque, de plusieurs types de pro
priété. » 15
7 Economie antique.
8 Histoire de la Gaule, T. Il, p. 7t.
9 Traité théorique et pratique d’Economie Politique. 4 v o l., Paris, Guillaumin,
1900, T. I, p. 534.
10 L ’appropriation du sol, 1912.
L ’appropriation privée du sol. Revue de Synthèse historique, avril 1907.
11 L. Ségal : Principes d’Economie Politique, 1936.
R. Gonnard : La Propriété dans la Doctrine et l’Histoire. 1 vol., Paris, 1943,
Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence.
12 Cours d’Economie Politque. 2 v o l., Librairie Générale de Droit et de Juris
prudence, 1934-1935, T. Il, p. 210, 5™e édition.
13 C e serait une erreur de croire que l'évolution de la propriété a
suivi, chez tous les peuples, une marche identique, passant toujours par une série
d ’étapes, de la propriété collective du groupement social à la propriété complète et
libre de l’industrie ». Ibid., p. 210.
11 Ibid., p. 211.
15
« C ’est bien cependant de la propriété collective du groupement social à la
propriété individuelle libre que semble s’être opérée, dans l’ensemble, l’évolution
historique de la propriété. Ibid., op. cit., p. 211.
�— 236 —
Ch. Gide, dans son Cours d’Economie Politique,16 ne semble
pas accorder grande valeur à notre prétendue loi.
Il écrit en exposant révolution de la propriété foncière : « Il s’agit
ici d’un ordre de succession au point de vue logique et méthodique
plutôt qu’historique. Nous ne voudrions nullement donner à croire
que par tout pays la propriété ait revêtu chacune de ces formes suc
cessives. Ainsi le dormnium ex jure quiritium, forme de propriété
libre et absolue, a précédé historiquement la propriété féodale, quoiqu’il
représente économiquement et logiquement une forme supérieure.
Et inversement, la forme la plus récente, celle des communautés sovié
tiques, nous ramène aux origines. »
M. P. Reboud 17 semble, par Je silence qu’il observe sur le pro
blème, adopter la même opinion.
La vérification critique de la loi poursuivie tout au long de ces
discussions 18 n’a pas abouti à la confirmation de notre loi.
La vérité semble être qu’il y a bien une évolution de la propriété
sans que l’on puisse dégager des faits une formule bien nette ou une
évolution à sens unique.
Pour toutes ces raisons, la loi dévolution de la propriété : la pro
priété a évolué de la forme de propriété commune à la forme de pro
priété privée, ne semble pas pouvoir être retenue au nombre des lois
valables de l’Economie politique.
IL —
L
a l o i de l a p l u s - v a l u e
f o n c iè r e
C’est sans doute Henry Georges19 que l’on doit considérer comme
le précurseur 20 le plus authentique de la formule.
A vrai dire, cette formule n’est explicite dans aucun texte précis :
elle résulte du raisonnement même de l’auteur.
L ’énoncé qu'il donne de la loi de la rente est le suivant :
« La rente de la terre est déterminée par l’excès de son produit
sur ce que la même culture produirait dans la moins productive des
terres en usage. » 21
16 Ch. Gide : Cours d’Economie Politique. 10me édition, Paris, Librairie du
Recueil Sirey, 2 v o l., 1931, T. II, p. 188, n. 2.
17 Précis d’Economie Politique. 8me édition, 2 v o l., Paris, Dalloz, 1939, T. I,
p. 141.
18 Pour les détails, Cf. R. Gonnard : op. cit., pp. 4-32.
19 1839-1897.
20 On pourrait aussi songer à Ricardo, mais pour celui-ci c’est la hausse conti
nue de la rente foncière qui est une de ses idées principales, sans qu’il ait insisté,
semble-t-il, sur la plus-value foncière dans le prix du terrain qui en est une consé
quence.
n H. Georges : Progrès et Pauvreté. Trad. franç. Le Monnier, Paris, Guillau
min, 1887, p. 160.
�— 237 —
La hausse de la valeur de la terre en apparaît comme le corollaire
sans d’ailleurs que cette hausse soit donnée ni comme générale s’ap
pliquant partout, ni comme continue. Dans un passage important
de son œuvre, c’est cette hausse de la valeur de la terre qui est la base
du raisonnement présenté. « C’est sur la part de produit qui est endessous de cette ligne (la ligne de la rente) que sont payés le travail
et le capital. Tout ce qui est au-dessus va aux propriétaires du sol. » 22
A l’époque moderne, c’est Ch. Gide qui a le plus insisté et même
le plus puissamment contribué à donner à la formule admise la forme
d’une loi. 23'
Il la formule ainsi : La thèse, c’est que, quel que soit le revenu de
la terre, et même si elle ne rapporte rien, sa valeur doit croître auto
matiquement comme la résultante de toutes les causes de progrès
social. » 24
Pour l’établir, Ch. Gide aligne des faits : augmentation de la valeur
de la terre en Amérique, aux Etats-Unis et en France. 25
Il complète l’observation par le raisonnement :
« En somme, étant donné ces trois caractères que la terre réunit
exclusivement du moins à un plus haut degré que toute autre richesse :
« 1° de répondre au besoin le plus essentiel du genre humain,
celui de l’alimentation ;
« 2° d’avoir une durée perpétuelle ou en tout cas plus longue que
celle de l’humanité ;
« 3° d’être en quantité limitée : limitée pour chaque catégorie de
culture, limitée pour chaque nation, limitée pour la population du
globe ;
« La hausse progressive et indéfinie de la valeur de la terre appa
raît comme une conséquence inéluctable. » 26
Il est bien difficile de songer à une vérification critique de la loi
ainsi énoncée.
Sans doute, les statistiques sur la valeur de la propriété ont fait
des progrès dans ces dernières années.
Cependant, le prix de la terre est une résultante où agissent de
nombreux facteurs extra-économiques.
Sans parler de considérations psychologiques que l’on peut con
sidérer comme négligeables, il est un facteur très important, l’impôt
22
Ibid. , p.
164.
23 I I intitule un paragraphe de son développement
: «. L a loi de la plus-value
foncière. Gide : Cours d’Ec. Politque. 2 vol., ÎÜ816 édition, Paris, Recueil Sirey, 1931,
T . I I , p. 201.
21
Ib id . ,
p.
202.
25 Cf. infra, p. 238.
28
Ibid. ,
p. 204.
�238 —
foncier, qu'il faut prendre en considération. Il se peut que le dévelop
pement de la fiscalité moderne ne soit venu contrarier une tendance
qui, pour les raisons indiquées, peut être réelle.
Sous ces réserves, voici quelques éléments destinés à cette véri
fication critique :
E n F r a n c e , Ch. Gide donne, d’après l’Annuaire Statistique de la
France de 1917, les chiffres suivants (Valeur locative) :
Propriété non bâtie
V aleur
V aleur
1851-1853
1879-1883 ....
1908-1912 . ...
l o c a t iv e
to tale
V aleu r
61.189 millions de fr.
91.184
»
»
61.759
»
»
par hectare
1. 276 fr.
1.830 »
1.244 »
L ’arrêt de la marche ascendante de la valeur de la terre est dû,
pour lui, à la concurrence des terres nouvelles.
En suivant sur des statistiques plus récentes : 27
Propriété bâtie
V aleur
1909-1910 . . . .
1924-1925 . . . .
Aux
to tale
V aleur
64. 709 millions de fr.
164.350
»
»
p a r p r o p r ié t é
6.740fr.
16.794 »
E t a t s - U n is .
Ch. Gide donne les trois chiffres suivants :
Valeur de la propriété agricole
1850 ..................................
1900 .................................
1919 ....................................
4 milliards de dollars
20
»
»
40 »
»
En conséquence et devant le caractère à la fois incomplet quant
aux observations et incertain quant à quelques résultats, il paraît dif
ficile, en l’état actuel de la question, d’accepter la loi de la plus-value
foncière comme loi certaine de l’Economie politique.
CONCLUSION SUR LES LOIS DE LA REPARTITION
Les lois de la Répartition, dont s’achève ici l étude, nous ont donné,
au point de vue des lois valables, un assez important déchet.
Cependant, pour les lois retenues, s’affirme le même caractère de
contingence dans la loi économique.
27 Annuaire Statistique de la France, 1939, p. 159.
�Q U ATRIEM E P A R T IE
LES LOIS DE LA CONSOMMATION
Deux remarques générales sont ici à présenter :
"1
D’une part, ces lois sont peu nombreuses et encore, à ce jour,
insuffisamment vérifiées.
D’autre part, ces lois sont relativement récentes. Cette particula
rité tient au fait que les questions de consommation en économie poli
tique n'ont été, si l’on peut dire, envisagées comme questions spéciales
qu’à une date récente. 1
On étudiera successivement :
L
es l o is
des b e s o in s
L
es l o is
de l ’ é p a r g n e
L
es
L
es l o is
l o is d ’ E n g e l
;
;
;
de l ’ in f l u e n c e des p r i x s u r l a c o n s o m m a t io n
qui sont :
La loi de substitution ;
La loi de l’élasticité de la consommation :
La loi du meilleur prix.
1
.1. -B. Say, en 1803, intitulait son ouvrage : Traité d ’économie politique ou sim
ple exposition de la manière dont se forment, se distribuent et se consomment les
richesses. L a consommation y était donc mentionnée, mais jusqu’à Charles Gide les
développements sur la consommation furent assez rares.
�C H A P IT R E PR EM IER
LES LOIS DES BESOINS
L ’énoncé par divers auteurs de ces importantes lois a pris succes
sivement trois directions qu’il faut examiner dans l’ordre chronolo
gique.
Les uns, les plus anciens, ont tout d’abord mis l’accent sur le
débit, sur l’intensité de la consommation : § I. Loi DU d é b it .
D’autres, en particulier Gossen, ont examiné surtout les répercus
sions de l’utilité décroissante, en particulier sur la satisfaction des
besoins : § II. Loi de G o sse n .
D’autres, enfin, ont envisagé plus particulièrement le besoin satis
fait et ont formulé ce qu’il est permis d’appeler : § III. L a l o i de s a t ié t é
des b e s o in s .
On 1 a voulu trouver la première formule de la loi de satiabilité
dans un texte de Galiani dont voici l’essentiel :
« Mais, pour l’individu rassasié, est-il une chose plus inutile que le
pain ? On ne peut donc que l’approuver s’il satisfait alors d’autres
passions. » 2
Il faut avouer que l’allusion à la loi de substitution est ici bien
légère et, en réalité, Galiani ne peut être considéré comme l’inventeur
de notre loi.
§ I. — L A L O I DU DEBIT
C ’est d'abord la variation des prix en tant qu’elle influence la con
sommation qui a préoccupé les auteurs s’occupant de ce problème.
On retrouve cette préoccupation dominante chez Coumot (Sec
tion I), Dupuit (Section II), Léon Walras (Section III).
1 A. Dubois : Les théories psychologiques de la valeur au X V IIIme siècle. Rev.
d’Ec. Politique, 1897, p. 854.
2 Délia Moneta libri cinque, 1750. Ti ad. Dubois. Ihicl., Revue d’E. P . , 1897,
p. 921.
�S e c tio n I : C o u r n o t
Augustin Cournot,3 dans ses Recherches sur les principes mathé
matiques de la théorie des richesses4 et dans ses Principes de la théo
rie des richesses,5 affirme que la demande est fonction du prix, c’està-dire que la demande (ou le débit) croît lorsque le prix décroît et
décroît lorsque le prix croît.
Cette fonction, qui exprime « la loi de la demande ou du débit »,
est d’ailleurs une fonction continue en ce sens quelle passe par toutes
les valeurs intermédiaires, sinon pour l’individu, au moins pour l’en
semble des consommateurs.
Il donne pour illustrer sa loi de nombreux exemples, notamment
celui de la vente des bouteilles d’eau minérale supposée très lucra
tive, 6 celui de la consommation du sucre. 7
Section I I :
D
u p u it
Dupuit était un ingénieur français. Il a énoncé ses idées dans deux
mémoires :
De la mesure de l’utilité des travaux publics (1844),8
De l’influence du progrès sur l’utilité des voies de communication
(1849). 9
Section I I I : L éo n W a l r a s
Léon Walras,10dans ses « Eléments d’Economie politique pure » , 11
expose, en termes mathématiques, les variations de la valeur en raison
de la rareté. Pour lui aussi, la courbe de demande d’une marchandise
est fonction de son utilité et montre la loi de décroissance de l’utilité
en fonction des quantités possédées.
§ IL — L A L O I DE GOSSEN
On peut trouver un antécédent valable de la loi de satiété des
besoins dans l’œuvre de Gossen.
3 1801-1877.
4 1838.
3 1863.
“ Pour les détails. Cf. G. Pirou : Les théories de l'équilibre économique.
L. W alras et V. Pareto. Paris, Ed. Domat-Montchrestien, 1934, p. 114 et suiv.
7 Recherches, p. 54.
s et 9 ]_'un e[ l'autre publiés dans les Annales des Ponts et Chaussées, 1844
et 1849.
10 1834-1910.
71 1874-1877. Cf. Abrégé des Eléments d’Economie Poljtique Pure, par Léon
W alras. Edition de M. -G. Leduc. Paris, Pichon et Durand-Auzias, 1938.
�— 242
Celui-ci publia en 1853 un ouvrage intitulé : Entwicklung der
Gesetze des menschlichen Verkers ». On y trouve la formule suivante
comme loi de la consommation : « L ’utilité concrète de chaque unité
n’existant que dans la mesure où il existe un nombre suffisamment
limité d'utilités semblables, tend vers zéro quand la rareté dispa
rait. » 12
A l’époque tout à fait moderne, Schumpeter, dans sa Théorie de
l’Evolution économique,13 donne en ces termes son assentiment à la
loi de Gossen :
« C’est un fait qu’après qu’un certain état de satisfaction est assuré
à un agent économique, la valeur d’autres acquisitions de biens
décline beaucoup à ses yeux. La loi de Gossen explique le fait, et l’expérience quotidienne nous apprend qu’au delà d’une certaine grandeur
de revenus, variable selon les individus, les intensités des besoins qui
restent insatisfaits deviennent extraordinairement petites. »
Et plus loin :
« La loi de Gossen vaut d’abord pour un niveau donné de besoins.
Elle se développe avec l’accroissement des moyens. Aussi l’échelle
des estimations vis-à-vis des quantités croissantes de biens ne décli
nera pas si vite qu’elle le ferait si les besoins restaient les mêmes. »
F. von Wieser 14reprend la loi de Gossen et introduit la considéra
tion d’un besoin divisible. « Pour chaque besoin divisible à l’intérieur
de chaque période de besoin, l’acte de satisfaction entrepris avec la
première unité employée, c’est-à-dire l’emploi de la première unité est
désiré avec la plus haute intensité. Chaque emploi ultérieur d’utilités
de même sorte est désiré avec une intensité décroissante jusqu’à ce que
le point de satiété soit atteint. Au delà, le désir d’emploi se transforme
en répulsion. » 15
C’est donc la considération d’un désir d’emploi d’un bien pour la
satisfaction d’un besoin considéré pour une période déterminée de
besoin.
12 Développement des lois de l’échange humain, l re édition, 1853.
L’ouvrage a été réimprimé en 1889.
Cf. F. Perroux : Cours d’Economie Politique, T. I, Paris, Edit. Domat-Montchrestîen, 1939, p. 227. Cet auteur décompose la formule de Gossen en deux lois dis
tinctes : l re loi « Lin plaisir quelconque qui se poursuit décroit et finit par s’étein
dre ». 2*110 loi « Lorsqu'un même plaisir, une même sensation agréable se répète, il
a une intensité initiale moindre et une durée plus brève que la première fois. De plus
son intensité et sa durée décroissent d’autant plus rapidement que les répétitions se
suivent plus rapidement elles aussi ». M. Perroux admet que la loi vaut pour un
même sujet, en entendant par là un sujet qui ne se transforme pas.
13 Trad. franç. J.-J. Anstett, 1 vol., Paris, Dalloz, 1935, p. 356.
14 1851-1926 : Von Wieser. Der Naturaliche Wert, 1889, Ueber den Ursprung
und die Hauptgesetze des wirthschaftlichen Wertes, 1894. a
13 Cité par Perroux, op. cit., p. 186.
�243 —
*
Enfin, Hans Mayer 16 envisage plusieurs besoins et plusieurs pério
des. M. Perrou x17 résume ainsi l’énoncé de la loi à la période
moderne : « Pour l’ensemble synchronisé des besoins, l’emploi de la
première unité est désiré avec la plus haute intensité. Chaque emploi
ultérieur d’unités de même sorte est désiré avec une intensité au plus
égale ou décroissante jusqu’à ce que le point de satiété soit atteint. »
«fÇ S a B N ï
§ III. — L A L O I DE S A TIE T E DES BESOINS
■ b ■
•
• •
D’autres économistes qui ne sont plus de l’Ecole mathématique
ont plus simplement exposé la loi de satiété des besoins.
On peut l’énoncer : Tout besoin décroît à mesure qu’il se satis
fait.
Il semble que ce soit l’économiste allemand Gossen qui en soit
l’auteur principal.
■
On trouverait cependant des précurseurs à Gossen :
Au xviiime siècle, on a relevé des textes intéressants :
Buffon 18disait déjà : « L ’écu que le pauvre a mis à part pour payer
un impôt de nécessité et l’écu qui complète les sacs d’un financier
n’ont pour l’avare et le mathématicien que la même valeur : celui-ci
les comptera pour deux unités égales ; l’autre se les appropriera avec
un plaisir égal ; au lieu que l’homme sensé comptera l’écu du pauvre
pour un louis et lécu du riche pour un liard. »
•
Condillac (1715-1789) disait : « Elle (la valeur) peut même dans
l’abondance diminuer au point de devenir nulle. Un surabondant, par
exemple, sera sans valeur, toutes les fois qu’on n’en pourra faire aucun
usage, puisqu’alors il sera tout à fait inutile. » 19
Dupait était un ingénieur français.
•
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- v- .: • ..
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Dans deux articles,20 il précisait l’influence de l’augmentation du
prix sur la consommation et aurait naturellement envisagé la satiété
des besoins.
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:
16 Hans Mayer : Untersuchung zu tien Grundgesetz der withchaftlicher Wertrechnung. Zeitschift fur Wolkwirthschaft II, 1922.
17 La Valeur. 1 vol., Paris, Presses Universitaires de. France, 1943, p. 189.
18 Essai d’arithmétique morale, § XXX.
19 Le commerce et le gouvernement considérés relativement l’un à l’autre.
Amsterdam et Paris. Jombert, 1776, l re partie, chap. 2. Collection des principaux
économistes. T. I, p. 249.
20 De la mesure de l’utilité des Travaux Publics. Annales des Ponts et Chaus
sées. 1844, T. XXI, série 2 , Paris, Carillan-Goerey.
De l’influence des péages sur l’utilité des voies de communication. Annales des
Ponts et Chaussées. 1849, T. XXV, série 2, Paris, Carillan-Goerey.
�— 244 —
Gossett, 21 dans son ouvrage sur les lois de leehange,22 faisait
entrer la loi de satiété des besoins dans sa grande construction basée
sur le fait que les individus, isolés en groupes, cherchent à obtenir le
maximum de satisfaction avec le minimum d’effort.
A sa suite, la plupart des économistes de l’Ecole mathématique
et de l’Ecole autrichienne donnent leur adhésion à la loi.
Il suffira de citer ici :
Karl Manger, dans son ouvrage classique,33 est très explicite :
« Le degré plus ou moins complet de satisfaction d’un seul et
même besoin prête donc à une constatation analogue à celle que nous
avons faite précédemment au sujet des différents besoins humains...
Nous voyons maintenant que la satisfaction d’un besoin donné quel
conque comporte un certain degré de plénitude qui est pour nous le
plus élevé que nous puissions atteindre ; à partir de ce degré, toute
satisfaction supplémentaire a une importance constamment décrois
sante, si bien qu’on entre dans u n stade dans lequel toute satisfaction
plus complète encore de ce même besoin commence à devenir indif
férente aux horilmes, jusqu’à ce que, finalement, on entre dans un
autre où chaque acte qui, en apparence, semble tendre à la satisfac
tion de ce besoin, ne présente plus aucune importance pour les hom
mes mais leur devient une gêne et même une souffrance. » 21
IVdiras, dans ses Eléments d’économie politique pure, est d’une
opinion sensiblement analogue.
Paul Leroy-Beaulieu, dans son Traité théorique et pratique d’Economie politique,25 s’exprime ainsi :
« L ’engourdissement de l’humanité, sans l’extensibilité des besoins,
eût été d’autant plus fatal et plus précoce que les premiers besoins,
ceux qu’on appelle parfois primordiaux ou primitifs, ceux dont la satis
faction est essentielle au maintien de la vie physique, n’ont qu’une
étendue restreinte : ils provoquent bientôt la satiété, la limitation. La
satiabilité est la loi des besoins élémentaires. »
Ainsi satiabilité mais surtout, sinon exclusivement, pour les
besoins élémentaires.
La plupart des économistes, contemporains admettent la loi
comme évidente.
21 Gossen, 1810-1858.
22 Entwickelung des Gesetze des Menslichen Werkehrs, 1853.
Cf. Pantaleoni : Economia pura. I, IV 3. Florence, 2’ne édition, 1896.
23 Grundsatze dër Volksrvirthschaftlehre, l re édition. Trad. franç. Becker et
Oualid, chap. V, § 3, p. 122.
24 Cf. Stanley Jevons : Theory of Political Economy. Londres, Macmillan,
1871, chap. III, p. 62. Trad. franç. Barrault et Alfassa, 3me édition, Paris, Giard,
p. 114.
35 Tjmo édition, Paris, Guillaumin, 1900, T. I, p. 110.
�— 245 —
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II
1
Ch. Gide, 26 dans son Cours d’Economie politique, l’admet pour
tous les besoins y compris le besoin de monnaie pour lequel le point
de saturation est reculé à l’infini.
P . Rebpud, dans son Précis d’Economie politique,27 écrit : « La
limitation des besoins en capacité existe à deux points de vue. Elle
signifie d'abord qu’une quantité finie de l’objet désiré suffit à la satis
faire, ensuite que l’intensité de nos besoins diminue au fur et à mesure
qu’ils reçoivent satisfaction. »
Simiand, dans un article important de la Revue de Métaphysique
et de Morale,28 remarque que cette loi est aujourd’hui universellement
admise, puis se livre à une critique très sévère de cette prétendue loi.
II fait à son sujet les cinq objections suivantes :
1° Il est des besoins pour lesquels il n’existe pas de satiété.
C’est une affirmation qui pourrait être discutée.
Le plus sage est peut-être d’admettre que, pour certains besoins
idéaux, le point de saturation est reculé à l’infini, mais il doit exister.
2° Même pour les besoins susceptibles de satiété, existe ce qu’on
pourrait appeler un seuil de satisfaction, et tant que ce seuil n’est pas
atteint, la satisfaction croît avec la quantité employée à la satisfaire.
Malgré tous les efforts d’une compréhension sympathique, il sem
ble bien que l’auteur de l’objection souscrive ici-même à la loi de
satiabilité des besoins.
3° Le besoin devenu une passion a justement pour caractère de
croître indéfiniment, même lorsque augmente la quantité employée
à le satisfaire.
Le problème demeure posé et il peut être résolu par l’affirmative
de savoir si même à l’état de passion, la satisfaction d’un besoin ne
comporte pas un point de saturation.
4° Cette loi n’indique rien touchant les rapports des différents
besoins entre eux : c’est pourtant de ces rapports que souvent en
dépendent beaucoup de phénomènes économiques premiers.
26 Cours (l'Economie Politique. 2 vol., Paris, 8 m
o édition, Libr. Rec. Sirey, 1930,
T. I, p. 51.
Ch. Gide, dans son Cours d’Economie Politique, affirme : « Tout besoin va en
décroissant en intensité au lur et à mesure qu’il se satisfait jusqu’au point où il y a
satiété, c’est-à-dire où le besoin s’éteint et est remplacé par le dégoût ou même la
souffrance ».
Il
souligne que « plus le besoin est naturel plus la limite est nettement mar
quée ». « Plus le besoin est artificiel, je veux dire social, plus la limite devient élas
tique. Il n’y a que l’argent pour lequel il n’y a pas de satiété ou tout au moins la
limite recule à l’infini ».
27 2 vol., Paris, Dalloz, 1939, T. I, p. 27.
28 La méthode primitive en science économique. Revue de'métaphysique et de
morale, Année 1908, p. 898.
�246
Il y a d’autres précisions sur les rapports des différents besoins ;
ils sont, dit Charles Gide, complémentaires, harmoniques... Ces
autres caractères ont eux aussi des conséquences économiques impor
tantes, il semble vain et chimérique de vouloir nier les conséquences
économiques du caractère de satiabilité des besoins.
5° Cette loi est en dehors de ce qu’il s’agit d’expliquer.
Même si elle est pleinement valable, cette loi vaut seulement pour
les choses prises dans un rapport de consommation directe et immé
diate. Elle ne vaut plus, elle n’a peut-être même plus de sens, du point
de vue d une collectivité, pour les choses prises dans un rapport d’uti
lité durable, prises dans leur qualité de choses échangeables.
Cette dernière objection ne paraît, non plus, en aucune façon,
pertinente : il s’agit exclusivement de la satiabilité des besoins et on
ne peut, à cette occasion, sortir du point de vue strictement individuel
de la consommation. ■
En résumé, Simiand a critiqué la loi de satiété des besoins comme
base de l’utilité finale 29 et, de ce point de vue, ses critiques semblent
pertinentes. Elles ne portent pas contre la loi, elle-même, à condition
de reconnaître le caractère contingent de cette loi.
Comme conclusion et sous les réserves ci-dessus indiquées, on
doit, semble-t-il, admettre la loi de satiété des besoins comme loi vala
ble de l’économie politique. La contingence de cette loi prive sans
doute de nombreuses conséquences économiques qu’on avait cru
pouvoir en tirer.
29
Sur ce point, Cf. toutes les études modernes sur le* Marginalisme et en parti
culier les travaux de M. Gaëtan Pirou.
�A vrai dire, quoiqu’elles soient très parentes, la seconde se ratta
chant à la première, on peut, pour plus de clarté, distinguer deux
lois concernant l'épargne.
La première est relative à sa nécessité dans toutes les sociétés.
La seconde touche les effets de l’épargne, c’est-à-dire du capital
ainsi constitué sur la production économique.
L A PREM IERE L O I DE L ’EPAR G NE :
E LLE EST NECESSAIRE DANS TO U TE SOCIETE
Les études sur l’épargne, pour anciennes qu’elles soient, n’ont
abouti qu’à une époque assez récente à la formule d’une véritable loi.
De là découle le plan de nos recherches.
Il faudra ici envisager :
§ I. Les recherches diffuses sur l’épargne ;
§ IL L ’affirmation dfune véritable loi en la matière.
I. — L
es r e c h e r c h e s d if f u s e s s u r l ’é p a r g n e
St. M ill1 affirmait déjà que, faute d’épargne, un pays ne progres
serait plus et tomberait dans l’état stationnaire.
Irving Fisher, dans son ouvrage : L e Capital et le Revenu, et
M. Ad. Landry, dans son étude sur l’Intérêt du Capital,2 admettent
plus ou moins implicitement la nécessité de l’épargne. 3
1 St. Mill : Principes tl’Economie Politique. Paris, 2™e édit. Guillaumin, 1861,
2 vol., T. II, Liv. IV, chap. VI, p. 294.
2 Trad. franç., 1 vol., Paris, Giard.
3 Sur l’état négatif des doctrines économiques concernant l’Epargne, il faut se
reporter à la note de M. Rist. Théorie de l’Epargne dans son e(ssai sur quelques pro
blèmes économiques et monétaires. 1 vol., Paris, Libr. du Rec. Sirey, 1933, p. 178, n. 1.
�- 248 —
On peut encore trouver dans l’œuvre de Paul Leroy-Beaulieu i
l’affirmation obscure de la nécessité d’une loi de l’épargne.
L ’auteur écrit : « La bourgeoisie, à tous ses degrés, haute,
moyenne et basse, dans sa grande masse, pratique l’épargne : c’est là
l’un de ses principaux mérites sociaux et aucune combinaison ne la
pourrait remplacer dans cette œuvre essentielle de progrès. » 5
Laissons de côté le caractère tendancieux de ce texte : il marque,
me semble-t-il, le sentiment chez l’auteur de la nécessité de l’épargne.
Chez Charles Gide aussi6 même notion implicite : « L ’utilité
sociale de l’épargne consiste à former, par la réunion des épargnes pri
vées, une masse de capital disponible où les entreprises nouvelles
pourront venir puiser au fur et à mesure de leurs besoins — utilité qui
est donc la même pour la société que pour les individus : pourvoir
aux besoins futurs. » 7
Enfin, M. Ch. Rist, dans son étude : Théorie de l’Epargne,8 ; de
nombreux passages oii la nécessité de l’épargne pour toute société est
nettement aperçue, en particulier dans l’introduction, avec le sys
tème des eaux sur la terre : les gouttes de pluie ne sont possibles que
grâce à une canalisation invisible souterraine.
§ IL
— L ’ a f f ir m a t io n
d ’ une l o i v é r it a b l e
M. Lescure, dans un récent ouvrage,0 visait formellement la loi
qu’il dénomme loi d’accumulation (épargne, réserves) au nombre des
lois d évolution et de croissance.
Voici la formule qui semble la plus nette dans son court exposé.
« La société économique a les mêmes exigences que la société
familiale, où le père de famille élève ses enfants en prélevant sur
son salaire. Les sociétés modernes obéissent à une loi de crois
sance et d’amortissement. Pour assurer cette croissance, des épar
gnes, des réserves sont indispensables. » 10
1 Traité théorique et pratique d’Economie politique, 3“e édition. 4 vol., Pari";.
Guillaumin, 1900.
5 T. IV, p. 226. Cf. T. IV, pp. 219-227.
0 Cours d’Economie Politique, 10m
e édition, 2 vol , Paris, Libr. du Rec. Sirey,
1931.
7 1. II, p. 512.
8 Rev. de métaphysique et de morale, avril-juin 1922 reproduite dans l'ouvrage.
Essais sur quelques problèmes économiques et monétaires. Libr. du Rec. Sirey,
1933, p. 177. I b i d . , p. 179.
9 Etude sociale comparée des Régimes de liberté et des Régimes autoritaires.
1 vol., Paris. Ed. Domat-Montchrestien, 1940, p. 16.
,
10 J. Lescure : op. cit., p. 16.
�— 249 —
L'auteur montre ensuite les différentes façons dont s'opère cette
épargne. Elle peut être voulue, libre comme épargne privée. Elle
peut s’opérer aussi par l’attribution à l’Etat de tout ou partie des
profits ou même par l’impôt : c’est alors l’épargne collective.
De toutes façons, ce prélèvement s’impose même dans les régi
mes d’autorité comme la Russie bolcheviste.
Du point de vue critique, la double observation suivante
s’impose :
Quant à son origine, il semble bien que la loi de l’épargne, telle
du moins que 13 formule M. Lescure, ne résulte que partiellement
d’une observation des faits ; elle repose surtout sur une déduction
logique, la nécessité pour toute société économique qui veut vivre
et se développer, de constituer d’une manière ou de l’autre des
réserves.
Par voie de conséquence, la vérification, critique que l’on pour
rait songer à entreprendre et qui donnerait vraisemblablement des
résultats dans le sens d'une confirmation de la loi, ne paraît pas
pertinente, puisque la loi c’est surtout, non pas l’existence, mais la
nécessité de l’épargne.
Quant à la valeur de la loi, le raisonnement logique paraît irré
futable : resterait à en trouver confirmation par les cas, sans doute
assez rares, où l’épargne sociale n’a pas été constituée, qui doivent
aboutir à là disparition, de la société à ce point imprudente. 11
Ainsi, et sous les précédentes réserves, on doit inscrire la loi
de l’épargne au nombre des lois valables de l’Economie politique.
L A DEUXIEME L O I DE L ’E PAR G N E :
L ’EPARGNE, SOUS FORM E DE C A P IT A L IN VE STI
L IM IT E L A PR O D U C TIO N ECONOM IQUE
Sous ce second aspect, les recherches et les précisions sont
beaucoup plus anciennes que pour la loi précédente et il est possible
de reprendre ici le cadre habituel.
§ I.
—
H
is t o ir e
pe
la
lo i
T u rg o t,12 dans ses Réflexions sur la formation et la distribution
des richesses, affirme qu’il faut des économies sans quoi les capitaux
ne sauraient se former.
11 De ce point de vue les développements de M. Lescure insistent sur l’épargre en régime bolcheviste. Cf. op. cit. p. 138 et suiv.
12 Edition Daire, pp. 49-53. Paris, Guillaumin, 1844. Cf. Observations sur le
Mémoire de M. de Saint-Péravy. Edit. Daire, T. I, pp. 424-433.
�— 250
Quesnay, dans ses Maximes,13 semble d’une opinion opposée :
« Que les propriétaires et ceux qui exercent des professions lucra
tives ne se livrent pas à des épargnes stériles qui retrancheraient
de la circulation et de la distribution une portion de leurs revenus
ou de leurs gains. » Mais, par ce texte, il combat seulement la thé
saurisation.
Ailleurs et dans le même ouvrage, il admet les avantages de
ces petites économies préliminaires et indispensables. 14
Ad. Smith 15 insiste lui aussi et peut-être plus nettement sur le
rôle du capital limitant l’industrie.
Il écrit : « De même que l’accumulation préalable d’un stock 16
est nécessaire pour provoquer cette grande amélioration dans la
puissance productive du travail, de même cette accumulation con
duit naturellement à cette amélioration. »
Ricardo dit lui aussi : « C’est la quantité du capital qui déter
mine la quantité du commerce et non l’étendue du marché, comme
on l’a cru généralement. » 17
Bentham donne à l’idée la forme qu’on retiendra plus tard :
« L ’industrie est limitée par le capital. » 18
Stuart Mill, 19 enfin, accepte aussi cette idée que cc l’industrie
est limitée par le capital ».
Paul Leroy-Beaulieu 30 voit les choses d’une manière très vague
et écrit au conditionnel : cc II se pourrait que certains intérêts de
l’homme, s’ils venaient à triompher complètement, feront notable
ment ralentir l’allure du progrès économique, sinon même complè
tement l’arrêter... La même détente de ressorts productifs pour
rait s’effectuer du côté des capitaux, beaucoup de gens se fatiguant
à la longue d’épargner, ou du moins de placer leurs épargnes, quand
l’intérêt tombe à un taux très faible... »
13 Maximes générales du gouvernement économique d’un Royaume agricole.
Collection des grands économistes. Les Physiocrates, T. I., p. 81.
14 Sur la conciliation des deux points de vue, Cf. la note de Dupont de Nemours.
Turgot, édition Daire, p. 49.
15 Richesse des Nations. Trad. Garnier, Paris, Guillaumin, T. I, p. 333.
16 Sur la constatation de l’épargne, cause immédiate de la formation du capital.
Cf. Livre II, chap. III, op. cit., T. I, p. 422.
17 Ricardo : Principes, 1817, chap. VII, Du Commerce Extérieur.
18 Théorie des Récompenses, 1811, p. 259.
19 Principes d’économie politique, 1848, Liv. I, chap. V, § 5.
20 Traité théorique et pratique di Economie Politique, 4 vol., 3m
e édit., Paris,
Guillaumin, 1900, T. IV, p. 493.
�— 251 —
§ II.
— F o rm ule s
actuelles
Nombreux 21 sont les auteurs contemporains qui acceptent cette
loi de l’épargne.
Parmi les plus précis dans leurs affirmations, on peut relever :
M. Vigreux, dans un ouvrage intitulé : « De la Monnaie à l’Eco
nomie en France » 23 (1933-1938), affirme : « Aujourd’hui, nous
voyons cette lo i23 jouer dans des conditions toutes nouvelles. »
§ III.
—
V
é r if ic a t io n s c r it iq u e s
On peut, avec M. Vigreux,24 distinguer deux séries de cas :
a) D’une part, les pays neufs, les pays peu favorisés du point de
vue de la richesse naturelle, les pays appauvris par les destructions
de capitaux entraînées par la guerre ;
b) D’autre part, les pays de vieille circulation, disposant d’im
portantes richesses accumulées et d’abondantes épargnes annuelles.
a) Pou r les pays neufs, la loi semble jouer du fait de manque
de capitaux.
Pour les pays peu favorisés au point de vue de la richesse maté
rielle, la loi peut jouer sans difficultés.
Pour les pays appauvris par les destructions de capitaux entraî
nées par la guerre, il est probable que leur cas deva être assimilé
aux deux précédents.
Mais, dans ces trois cas, une condition d’application de la loi
doit être soulignée : le défaut du capital investi et de l’épargne.
b) Parmi les pays riches et de vieille civilisation, il y a les expé
riences de l’Allemagne et de la France.
Pour l’Allemagne, le volume global des investissements est
estimé pour 1933-1937 à 54 milliards de reichmarks,25 mais avant
cette période, au temps où l’Allemagne payait des réparations, il y
a influence très nette constatée par de nombreuses observations de
l’action de la loi.
21 Bibl. : Vigreux : De la Monnaie à l’Economie en France, 1933-1939. 1 vol.,
Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, 1938.
Ch. Rist : Histoire des doctrines relatives au Crédit et à la Monnaie. 1 vol.,
Paris, Libr. du Rec. Sirey, 1938, surtout chap. VIII, § 1, pp. 321-343.
22 Op. cit., p. 160.
23 C’est nous qui soulignons.
24 Op. cit., p. 160.
25 Laufenburger : Rapport au Congrès des économistes {Je langue française du
28 février 1938. 1 vol., Paris, Domat-Montchrestien.
�— 252 —
Pour la France,26 dans la période 1933-1937, on constate une
diminution considérable des émissions privées tombant de 3.600
millions de francs en 1933 à 1.182 millions de francs en 1936 et on
relève de l’autre une diminution marquée de l’activité industrielle.
Ici la cause du jeu de la loi est l’emploi du capital pour couvrir
les dépenses publiques.
C O N C L U S IO N
La deuxième loi de l'épargne paraît donc devoir être inscrite au
nombre des lois naturelles économiques à retenir.
26
II faut pour être complet signaler à cet égard pour la péxiode antérieure à
1914 le problème des Placements à l’étranger : on accusait ceux-ci de priver notre
industrie de capitaux qui lui auraient fourni un équipement plus complet. Cf. Aftalion : Monnaie et Industrie. 1 vol., Paris, Libr. du Rec. Sirey, chap. VII. L’épargne
française et l’industrie nationale.
�C H A P IT R E III
LES LOIS D’ ENGEL
Engel était directeur du Bureau de Statistique de Saxe. Il
publia deux importants ouvrages :
« Die vorherrschenden Gewerbsweige in den Gerichtramtem
mit Beziehung auf die Produktions und K o nsumtions ver ha11nisse
des Konigreichs Saxen » ; 1
« Die Lebenskosteni belgischer Aiber ter-Farrp lien Jriiher und
jetgt ». 3
Il avrnt, en statisticien, étudié divers budgets de famille et for
mulé, à cette occasion, plusieurs propositions qui peuvent être con
sidérées comme des lois.
Celles-ci sont au nombre de quatre : il les faut étudier succes
sivement en appréciant pour chacune la valeur scientifique 5 qu’elle
peut présenter.
Première formule : « Plus le revenu est faible, films grande est la
profiorlion de la défiense totale qui doit être consacrée à la nourri
ture. » 1
Engel, pour justifier cette formule, donnait le tableau suivant :
Quand le revenu annuel
les dépenses de nourriture
d’une famille atteint :
absorbent en % :
72,96
200 m k s .....................................
68,85
500 m k s ..............................
64
1.000 mks . . . . : ............................
60,75
1.500 m k s .....................................
58,65
2. 000 m k s .....................................
57,45
2.500 m k s .....................................
56,90
3.000 m k s .....................................
1 Zeitschrift des statistischen Büros des Konigl. Sachs. Ministerium des Innern
nos 8 et 9, 1857.
2 Bulletin de l’Institut International de Statistique, T. IX, l re livraison, Rome,
1895.
3 L’analyse internationale des récentes enquêtes sur les budgets familiaux pu
bliée dans la Revue Intern. du Travail (nov. 1933, mai 1939) n’est pas faite du point
de vue des lois d’Engel, mais de celui d’une comparaison internationale. On peut
y relever cependant de grandes différences, par exemple pour l’alimentation ^29,5 %
en Nouvelle-Zélande et 63,9 % en Colombie) qui seraient de nature à inspirer des
doutes sur la valeur des lois d’Engel.
4 Engel : Die vorherischenden Gewerbsweige. Bulletin de l’Institut Intern. de
Statistique, 1895, Annexe p. 30.
�254 —
Engel ajoutait5qu’en même temps que la proportion de la dépense
nourriture allait en augmentant, la qualité de cette nourriture devenait
de plus en plus médiocre à mesure qu’on envisageait des revenus de
plus en plus faibles.
Engel, pour justifier cette première formule, avait utilisé les résul
tats d’une enquête de 1853 publiée par Duepétiaux. Une nouvelle
enquête avait été tentée en 1886 d’une rigueur douteuse. 6
Il reprend tout ce travail en 1895 7 avec une élaboration nouvelle
par laquelle il confirme sa proposition de 1852.
Laspeyres, avec les documents fournis par Engel et en y ajoutant
une enquête à but fiscal faite à Hambourg en 1863, donnait, en 1875,
la formule suivante : 8
« Les dépenses de nourriture sont d’autant plus élevées relative
ment au total des dépenses que la famille dispose d'un revenu plus
restreint. »
Frief, en 1876, prétend 3que c’est à partir d’un revenu ayant atteint
un certain niveau que les dépenses de nourriture augmentent d’abord
en chiffres absolus et relatifs, puis après seulement en chiffres relatifs.
Hainpke, en 1888,10 dénie qu’il soit possible de formuler une règle
applicable à toute l’Allemagne : la loi d’Engel n’est vraie que dans
des limites territoriales assez étroites : la correction de Frief concerne
seulemenet les catégories à très faible revenu.
Marcel Porte 11 approuve la première formule d’Engel en ces ter
mes : « Ainsi à un revenu double correspondrait une dépense relati
vement moindre de moitié : le phénomène offrirait ici une régularité
mathématique tout à fait satisfaisante pour les théoriciens. »
Un économiste italien, Del Vecchio,12 a donné la formule mathé
matique de la première formule d’Engel.
Ainsi pour lui la dépense de nourriture croît proportionnellement
au logarithme du revenu total.
5 Das Rechnungsbuch der Hausfrau und seine Bedentung im W irt schaftsleben
der Nation. Woikwirtschaftliche Zeitfragen Helt 24, p. 39, Berlin, 1892.
6 Arm and Julin avait reproduit ces résultats et les précédents dans un article
intitulé : « L ’ouvrier belge en 1853 et en 1886 d’après les Budgets comparés de la
Commission de Statistique et de l’Enquête du Travail. (Réforme sociale, 1891, n os 4
et 5).
7 Art. précité.
8 Concordia, 1875.
9 Die Wirthschaftliche Lage der Fabrikarbeiten in Schlezien.
10 D as Ansgabebudget der Privatwerthschaften, Iéna, 1888.
11 Budgets de famille et consommations privées. 1 v o l., Grenoble, 1913, p. 92.
12 G. del Vecchio : Relazioni fra entrata e consumo. Giornale degli Economisti,
1912, févr. à avril.
�On a contesté 13 la valeur des documents statistiques utilisés par
Del Vecchio pour l’établissement de sa formule.
M. Halbwachs a ensuite 14 tenté de donner une plus grande pré
cision à cette première formule de Engel à l’aide des statistiques.
Il établit que soit à considérer les revenus par ménage,15 soit par
personne-unité-,18 on trouve que les dépenses pour la nourriture et la
boisson représentent, en % de la dépense totale, respectivement 47,9,
47,3, 45,6, 44,5, 41,5 par ménage, selon les catégories ci-dessus indi
quées, et 46,4, 44,8, 41,8, 40 et 36,9 par personne-unité, toujours selon
les catégories ci-dessus indiquées. 17
Il résume ainsi la formule plus précise qu’il entend substituer à
celle de Engel : « Dans la classe ouvrière, à mesure que le revenu aug
mente, la proportion de la dépense pour la nourriture diminue, d’envi
ron 13 % par ménage, d’environ 20 % par personne unité ; des plus bas
aux plus hauts revenus, et la dépense absolue pour la nourriture aug
mente d’environ 97 %, des plus bas aux plus hauts revenus, abstraction
faite de la grandeur de la famille. »
Ainsi, diminution assez faible de la proportion de la dépense pour
nourriture et augmentation considérable de cette dépense en valeur
absolue, telles sont les deux apports de M. Habbswachs sur ce point.
Dans une étude plus récente,18M. Habbwachs donne de nouvelles
précisions sur les dépenses de nourriture aux deux dates de 1907 et
1936-37, celle-ci serait passée de 60 % à la première date à 52 % à la
seconde.
Ch. Gide, dans son Cours d’Economie Politique,19 donne son
assentiment à la première formule de Engel.
Ashley, dans son ouvrage sur le Progrès de la classe ouvrière
allemande dans le dernier quart de siècle,20 rappelle la première for
mule d’Engel et lui oppose la déclaration des statisticiens modernes
13 Porte : op. cit., p. 95.
14 Halbwachs : La classe ouvrière et les niveaux de vie. Thèse, Paris Lettres,
1912, pp. 285-471 et suiv.
Halbwachs : L ’évolution des besoins dans la classe ouvrière. 1 v o l., Paris, A l
can,, 1933, p. 19 et suiv.
15 Les budgets considérés sont moins de 2.500 marks ; de 2.500 à 3.000 marks ;
de 3.600 à 4.300 ; 4.300 et plus.
16 Les budgets considérés par personne unité sont : moins de 800 marks ; de
800 à 1.000 marks ; de 1. 000 à 1.200 ; de 1. 200 à 1.500 ; 1.500 et plus.
17 Evolution des besoins, p. 20.
18 Genre de vie dans « D e la France d’avant-guerre à la France d'aujourd’hui.
Rev. d’E. P . , 1939, p. 439.
19 Cours d’Economie Politique. 2 v o l., 10me édition, Paris, Librairie du Recueil
Sirey, 1931, T. II, p. 439.
20 The progrès of the German working classes in the last quarter of a Century.
Londres, 1904, p. 93.
�— 256
affirmant que « le loyer dépend de la grandeur de la famille ». 11
ajoute : « C’est l’opinion de M. W . -H. Beveridge, de Toynbee Hall,
Whitechapel. »
Deuxème formule : « La proportion de la dépense pour le vête
ment reste proportionnellement la même quel que soit le revenu. »
De l’enquête des budgets d’ouvriers belges de 1853, il déduit une
tendance à une croissance proportionnelle au revenu : le % passe de
11,7 % à 14,03 % entre les deux catégories extrêmes. 31
Laspeyres affirme une tendance inverse : d’après les budgets de
Le Play, il y aurait diminution de la dépense de vêtements à mesure
que le budget s’élève. 32
La formule d’Engel a été contestée aussi par M. Halbwachs.
Cette dépense, pour lui, augmente d’ensemble avec le revenu. Il donne
les chiffres suivants :
Dépenses pour le vêtement et le linge :
Par ménage : 10,4 % ; 11,6 % ; 12,7 % ; 13,4 % ; 14,6 % ;
Par personne unité : 13,6 % ; 13,4 % ; 14 % ; 12,9 % ; 13 %.
Il affirme que l’augmentation par ménage est à la fois très nette
et très régulière : la dépense pour le vêtement et le linge augmente
aussi avec la grandeur de la famille.
Il conclut : « La proportion de la dépense pour le vêtement a plu
tôt tendance à augmenter, avec des arrêts et des retours ; son mon
tant absolu augmente nettement plus que la dépense absolue pour la
nourriture, à mesure que le revenu augmente. » 23
Ch. G id e24 accepte cette position de M. Halbwachs. « La
deuxième proposition d’Engel est démentie par les faits : la proportion
des dépenses de vêtements, de toilette comme on dit, augmentant
beaucoup plus que proportionnellement avec les revenus, surtout dans
la classe riche, mais même dans la classe salariée aisée. »
Troisième formule : « La proportion des dépenses pour le loge
ment, le combustible et l’éclairage reste constante pour toutes les
catégories de revenus. »
Schwabe, en 1865, tenta d’appliquer la formule d’Engel relative
au logement.
Laspeyres estime que, jusqu’à un revenu de 1.500 thalers, la
dépense afférente au logement reste fixe, puis qu’elle s’abaisse pour les
21 L ’enquête américaine de 1901 (Cost of Living in American towns, p. XLI.
confirmait l’affirmation de Engel.
22 Thèse 1912, p. 319 et surtout : Evolution des besoins, 1933, p. 21.
23 Ib id ., Evolution des besoins, p. 22.
„
21 Op. cit., p. 439.
�— 257 —
revenus supérieurs. L ’enquête belge de 1853 lui fournit par les chif
fres la démonstration de l’accroissement des dépenses de logement
plus rapide que l'augmentation du revenu.
Les budgets français de Le Play ne confirment point les affirma
tions de Laspeyres.
Enfin, en 1876, von der Goltz,25 s’appuyant sur les budgets de culti
vateurs allemands, nie toute relation entre l’aisance de la famille et la
répartition des dépenses.
M. Halbwachs affirme, au contraire, en s’en tenant surtout à la
dépense pour logement que cc calculée par ménage ou par personneunité, cette proportion diminue nettement des plus bas aux plus hauts
revenus : de 100 à 74 par ménage ; de 100 à 84 par personne-unité. » 26
Elle est irrégulière. Les résultats ne s’accordent pas avec la troi
sième proposition d’Engel.
Il y a d o n c pour lui augmentation de la proportion et augmenta
tion aussi de la dépense en valeur absolue.
Ch. Gide donne son assentiment : cc Cette proposition (d’Engel)
paraît douteuse car, dans les budgets ouvriers, la part du logement est
la plus sacrifiée et, inversement, elle est plutôt exagérée quand on
s’élève aux très gros revenus. » 27
Quatrième formule : « Plus le revenu est élevée, plus est grande
la proportion des dépenses diverses. »
M. Halbwachs28 donne en faveur de la formule d’Engel les pré
cisions suivantes :
Dépenses diverses (soins du corps, santé, culture, distractions,
voyages et sports, transports, assurances, associations, impôts, charité,
dons, etc. ) :
Par ménage : 22,4 % ; 23,3 % ; 25,8 % ; 25,1 % ; 27 % de la
dépense totale ;
Par personne-unité : 19,7 % ; 21,3 % ; 23,3 % ; 25,4 % ; 27,4 % de
la dépense totale.
« La proportion augmente, calculée par ménage, de 100 à 120, et
calculée par personne-pnité, de 100 à 139, soit de 20 à 40 %. » 29
Il insiste sur l’influence du nombre d’enfants dans cette augmen
tation.
Ch. G ide30 souscrit lui aussi : « Enfin, en ce qui concerne la
dépense de confort et d’agrément, de luxe si l’on veut, il va sans dire
25
26
27
28
29
30
Concordia, 1875.
L ’Evolution des besoins, p. 22.
Op. cit., p. 439.
Evolution des besoins, p. 25.
Ibid.,
p.
25.
Op. cit., p. 439.
17
�— 258 —
que la part qui leur est faite augmente beaucoup plus que propor
tionnellement au chiffre du revenu ; presque nulle pour les petits
salaires, elle prend des proportions démesurées pour les gros
revenus. »
Ainsi quelques-unes des formules d’Engel données en 1852 ont
été vérifiées par les faits. Celui-ci a eu le mérite de formuler le premier
le problème de régularités ayant le caractère de lois économiques dans
le domaine de la consommation.
La statistique moderne et l’étude des budgets familiaux conti
nuent d’apporter de plus grandes précisions31aux formules d’Engel. 32
31 Cependant on trouverait pendant la période de tension précédent la guerre
de 1939 et pendant la guerre des dérogations importantes qui s’expliquent aisément
à la répartition normale des besoins.
Cf. Le Temps : Les conditions d’existence du peuple allemand, 14 août 1939.
32 M. Louis Baudin, dans un ouvrage récent : L a Consommation dirigée en
France en matière d’alimentation. 1 v o l., Paris, 1942, Librairie Générale de Droit et
de Jurisprudence, p. 1, note 1, parle des lois d’Ault et E.-J. Eberling (Principles and
Problems of Economies, New-York. 1936) comme de lois extrêmement générales.
�C H A P IT R E IV
LOI DE L ’INFLUENCE DES PRIX SUR LA CONSOMMATION
Elles comprennent, en les classant ici par ordre chronologique :
L
a
lo i
de s u b s t it u t io n
L
a
lo i
d ’ é l a s t ic it é
L
a
l o i . du m e iil l e u r
;
;
p r ix .
L A LO I DE SU B STITU TIO N
Dubois1a voulu voir dans Galiani un créateur de la loi de substi
tution sous ses deux formes : substitution de besoin à besoin et subs
titution de produit à produit pour un même besoin.
Il fait état de divers textes de l'ouvrage principal de l’auteur Délia
Moneta : 2
« Il lui (à l’individu) est indispensable de se nourrir, mais pas de
tel aliment particulier plutôt que de tel autre. »
« L ’on fait plus volontiers usage, pour la consommation, des cho
ses dont la valeur est moindre et la consommation se règle d’après le
prix, lequel dérive de la santé. »
Il semble qu’il y ait là une anticipation lointaine et non une for
mule expresse de notre loi.
On en trouve une première expression dans l’œuvre de Paul
Leroy-Beaulieu. 3 II envisage une loi de substitution des produits de
produit à produit pour un même besoin et une loi de substitution des
besoins.
a ) L o i de s u b s t it u t io n des p r o d u it s
« La généralité des objets qui peuvent satisfaire un besoin humain
ont ce qu’on appelle des succédanés, c’est-à-dire des objets non pas
1 A. Dubois : Les théories psychologiques de la valeur au X V III™ siècle. Rev.
d’Ec. Polit., 1897, p. 856.
3 Trad. Dubois. Rev. d’E. P, ,1897, p. 921,
3 1843-1916.
�—
260
—
semblables mais un peu analogues et pouvant, dans une mesure sans
doute diverse, pourvoir au même besoin. » 1
Il donne à cet égard de nombreux exemples : les succédanés du
froment, quand celui-ci renchérit, peuvent être le seigle, les pommes
de terre, les légumes, le lard et même le vin. Le succédané du café
est la chicorée ; celui du beurre, la margarine. Pour l’avoine, il y a
comme succédanés possibles : le maïs et les divers fourrages. Pour le
vin, les succédanés sont le cidre, la bière, les boissons alcooliques, etc.
b)
L
o i de s u b s t it u t io n des b e s o in s
Plus loin,5 Paul Leroy-Beaulieu écrit :
« Les divers besoins humains, surtout quand on est parvenu à
satisfaire assez régulièrement les nécessités physiques indispensables,
sont sans cesse en lutte dans le cœur de l’homme pour s’y disputer
la prépondérance et accaparer chacun pour soi la faculté d’acquisition
dont chaque homme dispose. Il y a entre eux des substitutions, sui
vant des circonstances très variables, individuelles ou sociales : l'une
de ces circonstances, ce sont les variations des prix des divers objets
qui peuvent satisfaire à ces besoins si divers et presque toujours en
conflit. »
Il donne comme exemple 6le besoin de voyage et le besoin d’ache
ter un tableau qui, pour lui, sont substituables. 7
4 Traité théorique et pratique d’économie politique. 4 v o l., 3me édit., Paris, Guil
laumin, 1900, T. I, p. 86.
Ailleurs, T. I, p. 662, on trouve cette autre formule : « L a très grande cherté
d’un produit fait recourir à l’emploi de produits différents, pouvant rendre, plus ou
moins complètement, le même service.
5 Ibid ., T .
I , p.
112.
Ailleurs I b i d . , T. I, p. 87, on trouve cette autre formule : « Bien plus, non seu
lement pour la satisfaction d un même besoin, il y a des succédanés, mais des besoins
qui semblent n’avoir entre eux aucune relation sont incessamment en lutte pour se
disputer la prépondérance dans le cœur de l’homme et accaparer chacun pour soi
les facultés d’achat dont chaque homme dispose ».
6 I b i d . , p.
88.
7 Paul Leroy-Beauhier, dans son enthousiasme pour sa découverte (?) de la loi
de substitution, envisagerait même (Ib id ., T. I, p. 663) un troisième cas d’applica
tion de la loi de substitution : « L a loi de substitution s’explique aussi aux personnes
et aux .agencements industriels entre eux. Si les salaires haussent trop par rapport à
l’efficacité du travail, la loi de substitution développe les machines et les installations
à demeure qui évitent du travail. Il en est ainsi de tout ». Il y aurait alors substitu
tion chaque fois qu’une chose vient en remplacer une autre. Le troisième cas ne sau
rait être retenu.
L ’auteur affirme (Ib id ., T. I, p. 664) : « C ’est la loi dont l’action est prédomi
nante dans les relations économiques.
�J. Rambaud, dans son Cours d’Econoinie Politique, “ admet l’une
et l’autre loi de substitution avec le texte suivant :
« Par loi de substitution, l’impossibilité ou la trop grande difficulté
d’obtenir une jouissance que nous désirons, pourvu qu’il ne s’agisse pas
de refouler un besoin physique impérieux, nous rejette vers d’autres
jouissances et d’autres richesses, d’ordres plus ou moins divergents.
Ainsi la chute du blé pourra jeter la demande vers les pommes de
terre, et celle de la viande de boucherie vers la charcuterie. En ce sens,
certaines bases sont appelées complémentaires : le seigle, par exem
ple, à l’égard du froment. Quand ce ne sont pas des exigences de la
nature qui sont en cause, les richesses ou jouissances les plus dispa
rates arrivent à se substituer ainsi les unes aux autres pour la satisfac
tion de nos désirs : par exemple, un piano à un voyage et réciproque
ment. »
Ch. G ide,9 dans son Cours d’Economie Politique,10 souscrit en
ces termes à la seconde loi : « Comme un clou chasse l’autre, dit le
proverbe, ainsi un besoin en chasse un autre. Et voilà la base d’une
loi économique très importante dite loi de substitution. »
Et, d’autre part,11 il accepte la première : « Il importe de distin
guer la substitution d’un besoin à un autre besoin d’avec la substitu
tion d’un objet à un autre (d’un succédané, comme on dit) pour la
satisfaction d’un même besoin. La guerre actuelle en a fourni d’in
nombrables exemples et sur la plus grande échelle : pain de seigle ou
même de pommes de terre substitué au pain de froment, l’ortie au
coton comme textile, la cellulose au coton pour les explosifs, la sac
charine au sucre, etc. » 12
E
x a m e n c r it iq u e
Paul Leroy-Beaulieu avait le premier multiplié les références pour
vérifier la loi de substitution.
Il cite surtout les quatre cas suivants :
a) « Sous le Blocus continental, la chute du sucre de canne fut
8 2 v o l., Paris, Libr. de la Société du Rec. Sirey, 19t0, T. I, p. 54.
3 1847-1932.
10 2 vol., Paris, Libr. du Rec. Sirey, 10me édit., 1930, T. I, p. 52.
11 T. I, p. 52, note 2.
12 Ch. Gide (Ibid. T. I, p. 53) affirme que la loi de substitution permet d’échap
per aux exigences du producteur quand celui-ci est investi dktn monopole. « C ’est
ainsi que la toute puissance des trusts est limitée par la loi de substitution ».
�— 262
pour beaucoup dans le développement de la production du sucre de
betterave. » 13
b) « La grande chute du coton pendant la guerre de Sécession
(1860-1865) non seulement développa la culture du coton aux Indes et
en Egypte, mais encore imprima un grand essor à l’industrie du lin et
des tissus légers de laine. » 14
<') a Quand, sous le phylloxéra, le prix du vin de vendange renché
rit considérablement en France, on inventa le vin de raisins secs, ces
fruits venant de Grèce et de Turquie, où l’on n’avait pas les installa
tions pour faire du bon vin, ni l’expérience de la vinification. » 15
d)
« A l’heure présente (1900), la cherté du gaz dans certaines
villes de France a développé l’emploi du pétrole même pour l’éclairage
public. » 16
Il indique aussi17comment la loi de substitution (de produit à pro
duit) peut être mise en œuvre par les impôts et les prohibitions d’Etat.
L A L O I D’E LA S TIC IT E DE L A DEMANDE
-.3
On s’est, d’une manière générale, posé ici le problème suivant :
De quelle manière la demande est-elle affectée par une hausse ou une
baisse soit générale, soit spéciale des prix ?
C’est le problème de l'élasticité de la demande.
Pantaleoni, 18 dans ses Prjncipii di Economia pura,19 distingue,
pour une même marchandise, une élasticité positive et une élasticité
négative.
Il affirme une élasticité relative des divers besoins les uns par rap
port aux autres.
Marshall,20 dans son œuvre capitale,21 étudie l’élasticité des
besoins22et affirme que « la seule loi générale touchant le désir qu’une
personne a d’une marchandise, c’est que ce désir diminue, toutes cho
ses restant égales, avec toute augmentation de la quantité de cette
marchandise dont elle dispose. » 23
13_ H et 15
16 Ibid,
J b id
'
T
j
p. 662.
T . I, p. 663.
17 Ibid., T. IV, pp. 278-794.
18 Pantaleoni : 1857-1924.
19 Principi di economia pura. Firenze, 1889.
20 Marshall. Principles of économies. Londres, l re édition, T. I. 1890, T. IL
1919, T. 111,1923.
21 Traduction française par Sauvaire-Jourdan. Principes d’Economie Politique.
2 v o l., Paris, Giard, T. I, 1907, T. II, 1909.
22 T. I, p. 234. Cf. note de M. Pigon : Economie Jourhal, 1910, p. 636.
28 Cf. ci-dessus, p ... Loi de subst. des besoins.
�Sur Télasticité de la demande, il constate seulement que cette
diminution peut être lente ou rapide : « Si elle est lente, le prix que
cette personne consent à donner de la marchandise ne baisse pas
beaucoup, alors même que la quantité dont elle dispose augmente
considérablement, et une baisse, même légère, de prix lui fait augmen
ter d’une façon relativement importante ses achats. Si, au contraire,
cette diminution est rapide, une légère baisse de prix ne provoque
qu’une augmentation très faible de ses achats. »
En somme, la demande est élastique, soit au cas de hausse, soit au
cas de baisse des prix.
M. Corado Gini et M. G. Del Vecchio ont formulé une loi à cet
égard : 2i « La consommation d’une marchandise augmente (ou dimi
nue) en raison de la baisse (ou de la hausse) du logarithme des prix. »
Ces auteurs rapprochent leur loi de celle de W eber et Fechner
selon laquelle les impressions sont en raison du logarithme des sti
mulants.
M. Del Vecchio a convenu de bonne grâce du caractère hypothé
tique de cette explication. 23
Les recherches modernes26 ne semblent pas avoir confirmé de
formule générale à cet égard et soulignent la complexité du problème
de la réaction du prix sur la consommation. 27
La loi d’élasticité est à retenir comme loi valable de l’Economie
politique.
L A L O I DU M EILLEU R P R IX
C’est une formule toute contemporaine.
On la trouve dans l’ouvrage de M. l’Intendant Général Chayron. 28 Celui-ci, philosophe de métier et militaire de carrière, expose le
résultat de ses analyses et de ses rcherches.
Il s’agit des achats rationnels, permettant de choisir scientifique
ment, c’est-à-dire avec certitude, le plus avantageux de deux objets
semblables à l’aide du seul raisonnement.
21 Giornale degli Economiste janv.-février 1910.
25 Giornale degli Economisti, février-avril 1912.
26 Budon : L a mesure idéale de la valeur. Revue d’Economie Politique, 1911,
p. 706.
Bulletin de la Statistique Générale de la France, 1912, p. 160 et suiv.
27 Cf. D. Dody : D e 1influence de la variation des Prix sur la Consommation.
Thèse Droit Dijon, 1928, surtout p. 181 et suiv.
28 Achats rationnels. Caractère du plus avantageux de deux objets semblables.
Préfaces de MM. Ch. de Frémonville, Fr. Divisia, Marcel Dias. Librairie du Recueil
Sirey, 1938.
O n en trouvera une bonne analyse dans X. Crise. Centre polytechnicien d’étu
des économiques, juillet 1938, p. 55.
�— 264 —
Un précédent existait à cet égard en France pour le charbon : à
l’aide du rendement en calories, il était possible de choisir le charbon
le plus avantageux.
La formule à laquelle arrive Fauteur est la suivante : « Le plus
avantageux de deux objets semblables correspond au maximum du
c/uotient de l’utilité par le prix. »
L ’auteur donne une assez grande publicité29 à son idée qui semble
avoir rencontré un accueil assez favorable.
La loi a d’ailleurs été diversement acceptée :
M. Marcel D éat30 écrit : « Ainsi nous sommes en présence d’une
loi générale caractérisant chacun des achats les plus avantageux dans
tous les cas possibles, mais loi théorique, inapplicable si nous ne savon
pas mesurer les valeurs subjectives, le cas échéant, m
D’autres, et c’est peut-être l’opinion de Fauteur lui-même,31 y
voient surtout une rationalisation de l’achat, quelque chose qui pour
rait être et qui n’est pas connue, au moins d’une manière générale et
universelle.
Du point de vue critique, deux difficultés, à mon sens, empêchent
d’insérer cette loi au nombre des lois valables de l’Economie poli
tique :
Une difficulté théorique d’abord touchant la mesure de Futilité
pour l’acheteur.
Comment mesurer cette utilité sinon par le prix ?
M. Chayron, à cet égard, semble s’orienter vers la mesure des
utilités subjectives : ce qui est proprement insoluble.
Une difficulté pratique ensuite : il semble bien que, dans le monde
actuel économique, cette loi ne corresponde pas à une généralité suffi
sante des faits aujourd’hui constatés.
Cependant, on trouverait, en cherchant bien, quelques mouve
ments qui, avant ou après l'apparition de la loi ainsi formulée, tentent
de faire l’éducation de l’acheteur.
C ’est ainsi, par exemple,32 qu’un « Konzern » social se serait cons
titué aux Etats-Unis sous l’appellation de « Consumers Research
Inc. ». Il se propose d’accroître le pouvoir d’achat des familles par des
informations sur la qualité et la valeur économique des marchandi
ses. Le Directeur technique de l’institution, estimant à deux milliards
29 ujme Congrès International des Sciences Administratives, 1927, Paris.
IIIme
Congrès International de l’organisation scientifique du travail------------ 1927. Revue
économique internationale, 1937.
30 Préface à l’ouvrage précité de M. Chayron.
31 Celui-ci a écrit un ouvrage sur l’A rt d’acheter.
32 A. Thomas : Rapport du Directeur à la Conférencè internationale du travail,
1930, partie I, p. 94.
�de dollars l’économie réalisée par les consommateurs des Etats-Unis
si de telles informations recevaient une large diffusion.
Il reste à souhaiter qu’avec l’éducation des acheteurs, dans quel
ques décades, la loi résulte de l’expérience et de la leçon des faits, mais
il est permis de douter de la prochaine réalisation d’une telle transfor
mation.
La loi du meilleur prix n’est pas actuellement à retenir comme loi
valable.
CONCLUSION SUR LES LOIS DE LA CONSOMMATION
Les lois de la consommation ont pu en très grand nombre être
retenues comme lois valables de l’Economie politique.
Le caractère contingent de ces lois s’est encore nettement accusé
par rapport aux lois précédemment étudiées.
��CONCLUSION
Comme point de déport pour cette conclusion, il semble néces
saire de résumer d’abord les points acquis par notre recherche.
Des études précédant le présent volume ressortaient, semble-t-il,
les points suivants :
L ’étude de l’idée de loi naturelle1 avait montré comment aujour
d ’hui la loi naturelle apparaît comme explicative et provisoire.
L'étude des lois générales2 avait confirmé ces deux caractères :
elle y a ajouté le caractère de loi contingente et de cette contingence
découlait un retour possible à la loi précepte.
En même temps, sur la liste des lois générales étudiées, quelquesunes avaient dû être biffées comme lois vraiment scientifiques. 2
Les constatations ressortant du présent volume sont, à tout pren
dre, nettement analogues : les mêmes caractères de généralité et de
contingence ont assez nettement apparu à propos de chacune des lois
conservées et ici encore, dans la liste des lois spéciales étudiées, il a
fallu supprimer un certain nombre de lois dont voici l’énumération :
Pou r les lois de la production : La loi de la lutte des classes, la loi
de l’accumulation des capitaux, la loi des proportions définies, la loi
du minimum, la loi de restitution ;
P o u r les lois de la circulation : la loi de l’équilibre automatique
de la balance des comptes ; la loi de la relation entre la balance du
commerce à l’étranger et la balance des comptes ; la loi de concentra
tion des frets ; la loi des échanges dans le commerce international ; la
loi de la baisse de valeur des monnaies ; la loi de la parité des pouvoirs
d ’achat ;
P o u r les lois de la répartition : 1a loi de la répartition des revenus
selon leur grandeur ; la loi de la répartition proportionnelle, la loi de
la baisse du taux de l’intérêt ; toutes les lois du salaire sauf les lois
psychologiques ; les lois du profit ; la loi d’évolution de la propriété ;
la loi de la plus-value foncière de la propriété ;
Pou r les lois de la consommation : la loi du meilleur prix.
T. I, p. 155 et suiv.
T. II, p. 224 et suiv.
�Ce procès-verbal, ce bilan de nos recherches ainsi dressé, il nous
faut, dans cette conclusion, étudier, pour dégager les leçons de l’en
semble, les deux points suivants : 3
A ) Problème théorique :
B ) Problème pratique:
L
N atu re
de l a l o i é c o n o m iq u e
;
e s l o is é c o n o m iq u e s e t l ’ a c t io n h u m a in e .
4
A ) NATU RE DE L A L O I ECONOMIQUE
Pour préciser sur ce point, on peut distinguer les trois aspects sui
vants du problème :
les caractères dominants de la loi économique ;
b ) le contenu de ladite loi, causalité ou autre chose ;
c) la nature de la loi économique, comparée à d’autres lois scienti
fiques.
a)
a)
C aractères
d o m in a n t s de l a l o i é c o n o m iq u e
5
On peut les ramener à trois :
1° La loi est universelle ;
2° La loi est contingente ;
3° La loi a quelque chose de social.
3 II faut pour être objectif et impartial, signaler toutefois une curieuse tendance
contemporaine : par emprise de l’anthropomorphisme et de l’action, il y aurait dans
la plus récente discussion (Science et Loi, 5"ne semaine de synthèse, 1 v o l., Paris,.
Alcan, 1934, passim principalement pp. 4, 7, 218, 226), une légère tendance à dissocier
la notion théorique de loi et le point de vue de l’action. Personnellement cette ten
dance me paraît tout à fait inacceptable en raison de la portée pratique des découver
tes scientifiques, en raison aussi du mouvement contemporain accentué d’économie
dirigée.
4 Compte sera tenu, il va s’en dire, des publications parues au cours de l’édi
tion des trois volumes.
En voici un bref aperçu :
F. Kaufmann : The concept of law in économie science. Review of économie
studies, 1934.
L. Baudin : la loi économique. Çedam Padova, 1939, X VII.
L. Baudin : Compte rendu de Raynaud : La loi naturelle en Ec. Politique,
T. IL Les lois naturelles économiques, les lois générales. Revue d’Economie Poli
tique, 1938, p. 1633. Sauvaire-Jourdan : Compte rendu du Tome IL Annales de la.
Faculté de Droit d ’Aix, 1938, p. 69.
B. Nogaro : L a méthode en Economie Politique. 1 vol., Libr. Générale de
Droit et de Jurisprudence, Paris, 1938.
F. Perroux : Cours d’Economie Politique, 4me fasc., Paris. Edition Domat-Montchestien, 1939.
5 II faut signaler ici une question préalable implicitement posée par Alain. Elé
ments de philosophie. 1 v o l., Paris, Galimard, 2me édition, 1940, p. 137 : « Il ne faut
donc pas demander si nous sommes sûrs que notre loi suppqsée est bien la loi des
choses ; car c’est vouloir que la nature primitive ait un ordre en elle, qu’il y ait d’a u -
�— 269 —
L .J Ï S I
1° La loi économique est universelle
A vrai dire, il faut se garder ici d’une confusion possible que l’his
toire de la loi économique a permis de dissiper. 6
Par universelle, on a entendu, jadis, valable dans tous les temps et
tous les pays. Cette conception a été réfutée. 7
Par universelle, aujourd’hui, on doit entendre, me semble-t-il, que
la loi s’applique à tous les cas qui réunissent les conditions dégagées
par l’économiste pour la formule de la loi.
Les deux acceptions du mot universel sont foncièrement diffé
rentes, on le voit sans peine.
A propos du caractère universel de la loi économique, deux opi
nions doctrinales importantes ont été formulées qu’il importe de rap
peler ici.
Une première opinion déjà ancienne, s’inspirant des données de
l’Ecole historique, affirmait que la loi économique n’était valable et
applicable que pour une période historique déterminée.
Du point de vue critique, on peut observer :
a) que la notion de période historique est difficile à préciser ;
b) que la science économique est, par cette position doctrinale,
rendue inexistante pour le présent et impossible pour l’avenir.
De cette première opinion doit être rapprochée une opinion
moderne qui en est, à d’autres points de vue, l’exagération.
Von Mises8 affirme que l’étude du passé, envisageant seulement
des faits révolus, est impuissante à éclairer le savant sur les faits d’au
jourd’hui et les faits de demain. Seule la méthode abstraite, dégageant
sans considération, ni de temps ni de lieu, le caractère général et per
manent des faits, permettrait d’aboutir à la découverte des lois.
M. B. N ogaro9 a justement répondu en maintenant la concep
tion précédente de la loi applicable à tel type de société, loi n’ayant
par suite qu’une portée relative en raison de circonstances de temps et
de lieu qui sont les conditions du jeu de la loi.
très mouvements derrière les mouvements et d’autres objets derrière les objets ».
L ’auteur- admet que « l’entendement régit l’expérience, que la raison la devance et
que, sous ces conditions seulement, l’expérience éclaire l’une et l’autre ». Je main
tiens ici lexposé du problème théorique de la loi naturelle sous sa forme habituelle :
une recherche philosophique dans le sens indiqué par M. Alain pourrait en modifier
les termes.
6 Cf. T. I, p. 61 et suiv.
7 Cf. T. I, p. 85 et suiv.
8 Grundprobleme der Nationalôkonomie, 1925.
9 L a Méthode en Economie Politique. 1 vol. Libr. Générale de Droit et de Ju
risprudence, Paris, 1938, p. 63.
�270 —
Dans une certaine mesure donc et du point de vue de l’histoire,
certaines lois naturelles peuvent être considérées comme relatives. 10
De toutes façons, c’est l’enchaînement rigoureux des faits consti
tuant la loi qui demeure essentiel à la notion de la loi économique. 11
Une seconde opinion plus récente affirme que les lois économi
ques ne sont valables que /mur un état de droit.
Par exemple, un économiste hindou, M. Renade, affirme que,
pour l'Inde ancienne, en raison du régime des castes, les uniformités
dégagées par la science, en un mot les lois économiques, ne sont pas
valables. 12
Une opinion transactionnelle 13 a été formulée à ce sujet : il y
aurait, de ce chef, deux catégories de lois économiques :
Les unes seraient des uniformités générales que l’on retrouve
partout, par exemple : la loi de l’utilité finale ;
Les autres seraient subordonnées à l’existence de certaines formes
juridiques, par exemple : la loi de l’unité de prix sur un même marché.
« La notion de structure permet à la fois de relativiser la connais
sance économique et d’en préciser le contenu. Seule la considération
de la « structure » dans un système économique autorise à former un
jugement sur le degré de généralité et de variabilité d’une proportion
économique. » 14
Cette dernière opinion paraît de nature à satisfaire à la plupart
des constatations faites au cours des développements précédents.
Mais alors, en adoptant ce point de vue sur l'universalité de la loi
économique, reste à préciser le critérium permettant de classer les lois
économiques en deux catégories :
a) Lois applicables à tout régime économique ;
b) Lois applicables aux régimes économiques variés selon leur
st ructure et leur régime juridique.
On a proposé des critériums a priori, comme le principe hédonistique pour les premières, la loi des grands nombres pour les secondes.
Mais, à vrai dire, seule l'expérience permettra de résoudre le pro
blème.
10 Ils exclurent bien la conception des lois valables pour toutes les sociétés,
mais celles-ci seraient si générales qu’elles ne seraient d’aucune utilité pour la com
préhension du monde économique réel. Ibid . , Nogaro, p: 93.
11 Cf. G. Pirou : Introduction à l’étude de l’Economie Politique, i vol., Libr.
Rec. Sirey, 1939, p. 195, n° 4.
12 Cité par F. Perroux : Cours d’Ec. Politique, 2nie édition, 4“ e fasc., Paris,
Ed. Domat-Montchrestien, 1939, I, p. 425.
13 F. Perroux : op. cit., I, p. 426.
14 F. Perroux : op. cit., II, p. 193.
�— 271
A ce point de vue, il suffira de donner la double indication sui
vante pour le passé : la plupart des lois économiques étudiées ont
été étudiées dans un régime capitaliste et lui sont donc applicables.
Les études scientifiques sur le régime bolcheviste sont rares15 et n’ont
pas permis une conclusion absolue.
Seules les études de l’avenir permettront de dégager le critérium
à choisir.
2° La loi économique est contingente
Je rappellerai16 la définition de Boutroux :
<( Contingence, c’est le caractère de fait pur et simple, lequel, isolé,
reste inexpliqué et semble dès lors avoir pu également se produire ou
ne pas se produire. »
Plus simplement peut-être, c’est le fait qu’il y a des conditions
nécessaires pour que telle ou telle loi joue en fait.
On 17 expose parfois d’une façon confuse ce caractère cependant
assez net : « Aussi bien est-il assez vain de discuter de la valeur des
lois économiques classiques. Ce n’est pas en formulant dans l’abstrait
des lois générales et absolues qu'on acquerra la maîtrise des phénomè
nes monétaires. C'est par l’élaboration actuelle d’une technique. »
Au fond et malgré les apparences, il s’agit bien de « déterminer
avec autant d’exactitude que possible le nombre, la nature et surtout
l’importance relative des divers facteurs dont tout fait monétaire est la
résultante : observer les rapports de causalité entre les phénomènes,
telle est la tâche qui s’impose. » 18
Ainsi la contingence est bien le fait d’un ensemble de conditions
auxquelles est subordonné le fait constaté érigé en loi. « On appelle
« contingent » ce qui pourrait ne pas être nécessaire ou dont le
contraire est impossible » a dit M. J. Chevalier. 19
3° La loi économique a quelque chose de social
On peut revenir20 ici à la formule de Marshall :
13 Cf. la remarquable étude de M. J. Lescure. Etude sociale comparée des ré
gime de liberté et des régimes autoritaires. 1 v o l., Paris, Domat-Montchrestien, 1940.
L a conclusion de l’auteur (op. cit., p. 421) semble assez nettement orientée
vers une application assez générale des lois économiques. « Les lois économiques
ont plié les dictatures », p. 421. Les lois économiques, sans tarder, prennent leur re
vanche. Elles s’imposent à leurs détracteurs et aux nouveaux privilégiés (p. 422).
16 Cf. T. I, p. 138.
17 Cf. E. Bonnet : Les expériences monétaires contemporaines. 1 vol., Paris,
Colin, 1938, p. 210.
18 Bonnet : Ibid., p. 210.
19 Cf. J. Chevalier : Leçons de philosophie. 2 v o l., Paris, 1943. Arthaud, T. I,
p . 3 13 .
20 T. I, p. 15(i. Trad. franc., T. I, p. 130.
*
�« Une loi de science sociale, c’est l’affirmation que les hommes
appartiennent à un groupe social, se conduisent d’une certaine façon
sous certaines conditions. »
M. Baudin,21 en relevant ce point précédemment esquissé à pro
pos d’une évolution future de la loi naturelle, indique qu’à son avis ce
caractère existe dès maintenant. « Le fait social a pris place de nos
jours dans l’explication du mécanisme des prix ; il se manifeste en
pleine lumière dans la préformation des prix. »
Ailleurs,22 le même auteur affirme : « Une psychologie collec
tive se crée dans nos pays d’Europe Occidentale sur laquelle il con
vient d’attirer l’attention de l’économiste, car elle est susceptible d’en
traîner de graves perturbations dans le jeu des lois. » Il esquisse alors
comment avec le développement des masses et la perte des personna
lités, les équilibres sont instables. Il cite cette comparaison éclairante
de M. Daniel Rops : 23 « Avec leur humble pouvoir de simplification,
avec leur soumission animale aux passions, les masses sont dans l’his
toire comme une cargaison mal arrimée sur un navire par gros
temps. »'I1 maintient cependant le rôle des élites : « L ’économie poli
tique est une science destinée à des hommes et non à des trou
peaux. » 24
Quel que soit l’intérêt de ces considérations, un fait reste .indénia
ble : le caractère social de la loi économique.
Ce même caractère social, avec une conséquence importante, on
le verra, a été exactement souligné à une époque récente par
M. Halbwachs.
Celui-ci, dans une communication importante sur la loi en socio
logie, 25 conclut ainsi : « ... Nous considérons comme l’objet propre
de la sociologie les lois ou relations régulières auxquelles obéissent les
consciences collectives. »
La conséquence que je voudrais ici souligner est tirée du mot
« obéissent ». Par là donc, la loi naturelle moderne retrouve quelque
chose de ses origines avec la loi précepte. 26
21 Rev. d’E. P . , 1938, p. 1635.
32 Baudin : La loi économique, p. 24.
23 Pour une nouvelle aristocratie. Revue hebdomadaire, 2 janvier 1937.
21 Baudin : Ibid., p. 31. Il écrit encore : Les lois économiques sont condition
nées par des éléments à notre échelle et à l’égard desquelles par conséquent il n’est
pas a priori impossible que nous puissions jouer le rôle du démon de Maxwel.
(Ibid. , p. 23).
25 H albwach : L a loi en Sociologie dans Science et Loi, 5““ semaine interna
tionale de synthèse. 1 vol., Alcan, 1934, p. 196.
26 Cf. sur ce point, infra, p. 281. Un autre aspect de la même évolution où
avec l’économie dirigée, la loi naturelle transformée par les auteurs de plans reprend
comme un aspect de loi précepte.
�— 273
b
) L
e
c o n t e n u de l a l o i é c o n o m iq u e , c a u s a l it é o u a u t r e c h o s e
27
Le problème a été depuis longtemps posé du contenu de la loi
économique : est-elle toujours une loi de causalité ou son contenu
sera-t-jl autre chose ?
Sans rechercher ici par le détail l’alternance de ces deux solu
tions, il semble que l’évolution à cet égard ait été la suivante :
— du côté des économistes et solution la plus ancienne, une ten
dance à voir surtout dans la loi économique une loi de causalité.
St. M ill paraît le principal représentant de cette position doctri
nale. 28La cause, c’est, philosophiquement parlant, la somme complète
de toutes les conditions positives et négatives prises ensemble, la tota
lité des circonstances de toute sorte, telles que, si elles se produisent,
la conséquence suit invariablement. »
En somme, l’antécédent invariable et inconditionnel, telle est la
cause pour St. Mill.
Sous l’impulsion des philosophes, on arrive à une critique assez
pertinente de la notion de cause.
M. Goblot écrit : « Il n’est pas vrai que la recherche expérimen
tale nous fasse discourir de causes dont nous induisions des lois. Elle
nous fait découvrir des lois, dont nous déduisons les causes... », et
plus loin : « Il n’est pas vrai qu’une loi soit nécessairement un rapport
de causalité. » 28
M. Lalande 30 affirme que les lois scientifiques portent, le plus
souvent, sur autre chose que le rapport de causalité.
Cette solution est acceptée par quelques Economistes contem
porains. 31
Ainsi, de ce second point de vue, la loi naturelle constate des
relations entre les phénomènes.
27 B. Nogaro : Lois et causalité en Economie Politique dans Mélanges Truchy, i v o l., Paris, Libr. du Rec. Sirey, 1938, p. 383.
28 I I mettait d ’ailleurs au point ce domaine de la causabilité et écrivait Logique
I I I . X X V , trad. franç. T. I , p. 530. « Dans les esprits non habitués à penser, il y a
souvent l’idée confuse que les lois générales sont les causes des lois partielles,
que la loi de gravitation universelle, par exemple, est la cause de la chûte des corps
sur la terre. La pesanteur des corps n’est pas un effet de la gravitation en général :
elle est un cas, c’est-à-dire un exemple particulier de son existence ».
29 Traité de logique. Edit. 1925, § 183, pp. 290 et 291.
30 Les Théories de l’induction et de l’expérimentation. 1 v o l., Paris, Boivin,
1920, p. 187.
31 Reboud : Précis d'Ec. Politique. 2 v o l., Paris, Dalloz, 1939, T. I, p. 9.
Ch. Gide : Cours d’Econ. Politique. 10me édit., Paris, Libr. Rec. Sirey, 1930,
T. I, p. 13, note 1.
»
Louis Baudin : La loi économique, art. cit. p. 10.
�— 274 —
A l’époque actuelle, l’opinion des économistes paraît assez peu
souvent exprimée sur le contenu même de la loi naturelle. 22
M. Nogaro prend parti pour la solution précédente des philo
sophes ; il écrit : 32 « Même quand on pense définir une relation de
cause à effet comme étant la conséquence d’une loi constatée, il se
peut que l’on se fasse illusion. »
La recherche des relations de cause à effet restera cependant le
principal souci de l’économiste. 34 cc Quelle que puisse être... la dif
ficulté de sa tâche à cet égard, telle doit être, à notre sens, l’orientation
de sa pensée au cours de ses investigations. »
Plus nettement, l économiste américain, F. Wieser dit : « La loi
économique expose des rapports non entre les choses, mais entre des
forces immatérielles, à travers la réalité extérieure sur lesquelles ces
forces exercent leur action. » 35
Personnellement, j’admettrais volontiers, par une conception nou
velle inspirée par la critique philosophique moderne, que la notion de
cause n’est pas essentielle à la loi économique et même que son
contenu est un contenu anthropomorphique.
Pour défendre cette position,36 je retiendrai que, le plus souvent,
il y a plusieurs facteurs qui interviennent en Economie politique pour
produire un certain effet :
Comme l'a dit exactement M. Henri Wallon : 37 « Du moment
que, entre l’existence ou les changements de deux choses ou de deux
phénomènes, quelle que soit leur nature ou leur qualité, il devient pos
sible d’établir une relation constante, de leur donner une formule
numérique, les exigences de la loi et de la science sont satisfaites. »
Ainsi la notion de cause doit, avec la critique philosophique con
temporaine, rentrer dans le contenu de la loi économique ; elle n’est
plus à considérer qu’en ceci : les faits économiques sont des faits
humains et c’est l’action de l’homme qui les crée. » 28
32 Voyez cependant supra, p. 273, note 28.
33 Nogaro : art. cit., p. 385.
34 Nogaro : art. cit., p. 397.
35 Cité par Roche Angussol : Réflexions sur la pensée économique de F. W ie
ser. Rev. d’Histoire économique et sociale, 1929, p. 85.
36 Cf. Halbwachs : L a loi en sociologie dans Science et Loi, op. cit., p. 191.
37 Science et loi, 5™e sem. intern. de synthèse. 1 v o l., Paris, Alcan, 1934, p. 156.
38 O n trouverait pour cette notion des antécédents très utiles :
Stuart Mill (Système de logique, T. I, p. 371) écrivait déjà : « L a cause réelle
est le concours de tous les antécédents ; et on n’a pas le droit philosophiquement par
lant, de donner le nom de cause à l’un deux à l’exclusion des autres ».
M. Bertrand Nogaro disait (Méthode de l’Economie Politique, p. 94) : L ’écono
miste doit aller droit à la recherche de la cause. S ’il la rencontre sous sa forme la
plus simple, dans une succession de faits dont l’enchaînement est évident, il doit s’en
saisir. Sinon il doit s’efforcer de la dégager de la complexité des faits observés, sans
�275 —
Mais le contenu de la loi économique me paraît devoir être un
certain nombre de conditions dégagées qui entraînent un effet déter
miné : la plupart des lois économiques ci-déssus étudiées correspon
dent à cette notion qui est voisine de la notion mathématique de
fonction.
c ) N
a tu r e
de
la
l o i é c o n o m iq u e
COMPARÉE A D’AUTRES LOIS SCIENTIFIQUES 39
Ce fut, il y. a quelques années, une notion couramment admise ,ft
que l’affirmation d’une différence profonde entre la loi économique et
les autres lois naturelles des autres sciences : dans les sciences physi
ques, il y a impossibilité d’atteindre la réalité tout entière derrière le
phénomène observé.
« Nous obtenons à peu de frais, écrivait M. Truchy,11 que d’autres
sciences ne trouvent qu’avec beaucoup de peine. » La connaissance des
phénomènes correspond en économie politique à l’enchaînement des
actes de l'homme lui-même.
En sens inverse, pour certains auteurs,42 les autres sciences obte
naient des lois absolues, certaines, universelles. L ’Economie politique
n’y arrive que par exception.
Ainsi, divergences profondes entre la loi économique et les autres
lois scientifiques.
Puis une plus récente évolution se dessine et c’est la loi scienti
fique qui tend à se rapprocher de la loi économique.
On connaît les étapes de cette évolution43 vers la contingence.
Les travaux publiés pendant ces toutes dernières années vont plus
négliger, assurément, de faire ressortir, quand cela se peut, des régularités, notam
ment des lois statiques, mais sans jamais oublier que derrière le phénomène, il d o it.
atteindre l’homme ».
Enfin, par une remarque judicieuse, M. Damalas (Essai sur l’évolution du com
merce international, t v o l., Paris, Alcan, 1940, p. 394), affirme avec raison que dans
certains cas, la cause agissant par l’intermédiaire de l’homme, l’effet précède la
cause. « P a r exemple une bonne récolte en perspective provoque une baisse de prix
avant que la marchandise arrive sur le marché ».
■;a L. Baudin : L a loi économique. Rev. d’E. P . , 1924, p. 635.
Science et loi. Cinquième semaine internationale de synthèse. 1 v o l., Paris,
Alcan, 1939.
40 Cf. Nogaro : art. cité, p. 386 et suiv.
41 Truchy : Les Méthodes en Economie Politique dans la Méthode Juridique.
1 vol.. Paris, 1911, p. 95.
12 Spencer : Introduction à la Science Sociale___
Ely : Out Unes of Economie, 3™e édition, New-York, 1918.
13 Raynaud : T. I, p. 137 et suiv. D autres, notamment J. Moret (/L’emploi des
mathématiques en Economie Politique. Thèse Paris, 1915, 1 v o l., Giard, p. 53),
voient dans certaines lois économiques « de véritables cercles vicieux » et dans
d’autres (Ibid . , p. 49, note 2), des créations purement littérair’es. La position géné
rale des économistes de l’école mathématique est loin d’être aussi sceptique.
�— 276
loin encore et ont entraîné une révision de la notion de
déterminisme. 44
Les beaux travaux de M. de Broglie 45 l’ont nettement établi.
Le problème précisément posé46 par M. de Broglie est au fond
celui-ci :
Le problème du continu et du discontinu amène à poser sous un
aspect nouveau la question des lois naturelles. « La liaison de l’antécé
dent au conséquent n’est plus rigoureusement assurée. » En tout cas,
la constatation de cette liaison n’est plus rigoureusement constatée.
Dès lors, les lois ne sont plus à considérer comme infaillibles : on
peut sortir de « la citadelle des lois scientifiques ».
Le déterminisme absolu devient conjectural : la loi naturelle
n’exprime plus que des probabilités.
Cependant, avec une louable prudence, l’auteur détermine soi
gneusement « les marques de l’incertitude ». Il admet que « l’ancienne
loi de causalité est encore le meilleur guide, le seul fil conducteur qui
puisse nous orienter dans le dédale inextricable des événements
naturels. » 47
Ainsi faire, au nom de la physique, une place plus restreinte au
déterminisme complet et, en somme, admettre de plus en plus la con
tingence, telle est, en résumé, la position de M. de Broglie dans notre
problème.
Il semble que cette dernière évolution soit à retenir et que l’on
puisse légitimement conclure à un rapprochement croissant de la loi
économique et des autres lois naturelles scientifiques.
44 Cf. L. Baudin : art. cité, p. 13.
45 De Broglie : Matière et Lumière. Paris, Albin Michel, 1937.
D e Broglie : Continu et discontinu. 1 vol., Paris, 1941, Albin Michel.
Mouren : L a crise des Quanta. Rev. de Paris, 15 avril 1936.
A. Boutarie : Les Conceptions actuelles de la physique, Paris, Flammarion,
1937.
M. Plank : Introduction à la physique. Trad. franç., Paris, 1940.
Régis d’Oléon : L a Connaissance du monde physique. La Revue Universelle,
10 juin 1943, p. 831.
Lecomte du Noüy : L ’homme devant la science. Paris, Flammarion, 1938.
D e Broglie : Sur les notions de lois rigoureuses et de lois statistiques. Revue
d’Economie Contemporaine, mai 1944, p. 1.
46 D e Broglie : Discours à l’Association Française pour l’avancement des Scien
ces. Nancy, juillet 1931.
Cf. Discours de M. Léon Barthou recevant M. de Broglie à l’Académie Fran
çaise. Temps, 1er février 1935.
47 L. Barthou : discours cité.
Cf. Raynaud : L a loi naturelle en Economie Politique» 1 v o l., Paris, 1935. Edi
tions Domat-Montchrestien, p. 144.
�Toutes les discussions de la cinquième Semaine Internationale de
Synthèse18 paraissent accuser très nettement cette tendance à un
rapprochement.
« La Semaine de Synthèse a fait ressortir l'unité de la science dont
l’histoire semble bien-être, l’instrument dialectique, puisque ses progrès
correspondent à des changements de perspective, à l’élargissement
de la vision que l’homme se fait de l’univers. » 45
B) LES LO IS ECONOMIQUES ET L ’A C T IO N HUM AINE 60
Une première question, préalable encore, se pose ici : les lois
naturelles sont-elles justes, je veux dire conformes à la justice ?
Il est clair que cette question primordiale conditionne le problème
de l’action.
Si, en effet, les lois économiques sont contraires à la justice, il les
faudrait combattre, dans la mesure où cette lutte est possible.
Si, par contre, les lois économiques sont conformes à la justice, le
problème de l’action en face de ces lois est débarrassé de toute préoc
cupation préalable de justice.
Cette question est infiniment complexe. 51
Pour la débrouiller, le plus simple est peut-être de suivre révo
lution de cet important problème.
Dans le passé, il y avait, semble-t-il, antinomie complète entre le
jeu et le respect des lois naturelles et les considérations de justice
sociale.
M. Richard V. Strigl,52 professeur à l’Université de Vienne, pose
exactement le dilemme :
18 Science et Loi : op. cit., passini.
: Conclusion, p. 22t.
50 Bibliographie générale :
H. Noyelle : Utopie libérale. Chimère Socialiste. Economie dirigée. 1 v o l., L i
brairie du Recueil Sirey, 1933.
M. Blondel : L ’Action. T. I. Le problème des causes secondes et le pur agir.
1 v o l., Paris, Alcan, 1936.
T. Il, L ’Action humaine et les conditions de son aboutissement. 1 v o l., Paris,
48 Ibid.
Alcan, 1937.
51 Einaudi : Morale et Economique. Revue d’E. P . , 1936, p. 287.
Del Vecchio : Droit et Economie. Revue d’E. P . , 1935, p. 1457.
Vito : Morale et Economie. Revue d’E. P . , 1937, p. 43.
Ch. Rist : Economie optimiste et économie scientifique dans le volume. Essai
sur quelques problèmes économiques et monétaires. 1 v o l., Paris. Libr. du Recueil
Sirey, 1933, p. 233 et suiv.
Boivin et Bouvier Ajain : Vers une économie politique rurale. Paris, Libr. du
Recueil Sirey, 1943.
si Richard V. Strigl : Introduction aux principes fondamentaux de l’Economie
Politique. Paris, Librairie de Médicis, 1939, p. 140.
�— 278 —
« Deux points de vue se sont toujours opposés. D’une part, la con
viction que, précisément, parce qu’il s’agit d’activité humaine, l’éco
nomie dépend de Faction humaine, qu'elle est créée par la volonté
humaine, qui peut être adaptée aux exigences de la justice. D’autre
part, l’idée que l’économie est soumise à des nécessités, qui peuvent
être codifiées dans des lois, dont l’effet est inéluctable et que les hom
mes ne peuvent diriger : l’économie est donc à considérer comme un
domaine où l’on ne peut exiger de justice, exactement comme on ne
peut demander à un tremblement de terre ni égards, ni justice. »
Donc, point de justice en face des lois naturelles.
Mais ce dilemme n’était valable qu’avec les conceptions d’une
invincible et rigoureuse nécessité. 53
L ’évolution ci-dessus retracée de la notion de loi et, plus parti
culièrement, les caractères de relativité et de contingence désormais
acquis, ont fait changer la position du problème.
Si donc nous l’envisageons dans le présent, il y a, en face des lois
naturelles, aujourd'hui possibilité d’agir avec justice.
Deux constatations s’imposent à cet égard :
a) les conditions diverses auxquelles est subordonnée chaque loi
naturelle permettant de prendre en considération la justice, pour per
mettre ou non le jeu de telle ou telle loi.
Il en est quelques-unes dont le résultat par lui-même semble con
forme à la justice : telle la loi des coûts qui détermine le prix à un
niveau où les frais sont couverts sans bénéfices exagérés et sans per
tes. Telle encore la loi d’équivalence en utilité sociale. Telles encore
les lois psychologiques du salaire et encore la loi de Futilité finale
appliquée aux salaires.
Il en est d’autres dont les répercussions sur l’ensemble du méca
nisme économique pourraient paraître mauvais pour cette économie
en général : tel niveau des prix, d’après la loi des coûts, qui, par son
élévation, entraîne des répercussions fâcheuses sur d’autres prix de
revient.
En somme, ici, l’art économique ou la politique d’économie dirigée
sera en mesure de tenir compte de la justice.
b) Mais le règne de la justice par cette méthode n’est qu’un règne
partiel et limité.
En effet, les circonstances économiques peuvent se modifier et,
53
II est curieux de cinstater comment certains libéraux (Paul Leroy-Beaulieu,
op. cit, T. I, p. 78) se contentent d’affirmer que « l’Eçonomie Politique fait
bon ménage avec la morale » et affirme que les qualités économiques sont presque
toutes des vertus... »,
�279 —
surtout, le résultat de l’ensemble des lois économiques appliquées peut
donner lieu à quelques abus que l’on peut et doit songer à corriger. 54
Ce point de vue cadre fort bien avec un point de vue 55 assez
récent formulé sur la science dont je donnais l’expression par cette cita
tion de M. Jacques Chevalier : « La connaissance scientifique est la
connaissance des rapports relativement universels et relativement
nécessaires entre des phénomènes artificiellement simples » 56 ou
encore celle-ci de M. E. Le Roy : « La science vaut comme conquête,
non comme explication du monde. »
Dans l’avenir, l’évolution ci-dessus esquissée devra, me semble-til, s’accélérer et s’achever.
Essayons de préciser quelques points plus particulièrement sen
sibles.
En matière de concurrence d’abord, c’est la concurrence liberté
d’accès des professions seule qui sera à conserver et la lutte pour la
vie qu’il faudra combattre. 57
En matière de salaires, l’adaptation des salaires au coût de la vie
doit être poursuivie avec prudence et sagesse, dans la mesure où elle
ne contrarie pas les possibilités économiques des diverses industries
et l’équilibre de l’économie nationale.
En matière de monnaie, les considérations humaines pourront
être utilisées dans une politique de monnaie dirigée.
En matière de population, les préoccupations d’un optimum de
population basées sur de nombreux facteurs pourront être retenues.
Ainsi, point d’antinomie absolue entre la justice et les lois natu
relles : nécessité d’une politique d’économie dirigée tenant compte
de la justice : telles sont les deux conclusions essentielles auxquelles
conduit l’examen de ce difficile problème.
La question préalable de justice ainsi résolue par une affirmative,
au moins de principe, le problème de l’action doit être envisagé aux
deux points de vue suivants :
à) le domaine de cette action et les conditions de cette action ;
b ) les résultats ou effets de cette action.
54 Je néglige ici la solution paresseuse qui escamote le problème : Bouvier
Ajam, op. cit. p. 99. « Si l’économie politique est naturelle, c’est-à-dire régie ou
influencée par des lois de nature et subordonnée en sa science à la connaissance de
ces lois, elle est, par définition morale pour tous ceux q ui... ont admis qu’en fait
le droit naturel et le droit moral se confondent ». C ’est là, semble-t-il, confondre
deux problèmes nettement distincts, celui de la justice des lois naturelles et celui du
droit naturel.
55 J. Chevalier : Pour une science de l’individuel. 1 v o l., Paris, Alcan, 1929.
H. Poincaré : L a Science et l’Hypothèse. Paris, Flammarion, 1902.
La Valeur de la Science. Paris, Flammarion, 1905.
36 Cf. J. Chevalier : op. cit., T. I, p. 314.
37 Cf. Raynaud, T. II, p. 38.
�a) Le domaine et le)s conditions de l’action
en face des lois naturelles économiques
A y regarder de près, le problème est en réalité posé sur trois
terrains différents avec quelques constatations différentes dans cha
cun de ces domaines, qui conditionnent l’action pour chacun d’eux.
Cette action peut être envisagée sur le plan individuel, sur le plan
national et sur le plan international.
Sur le plan individuel d’abord.
L ’homme isolé rencontre les diverses lois naturelles précédem
ment retenues par nos recherches critiques.
La conception des Physiocrates sur le rôle de l'évidence est depuis
longtemps abandonnée et dépassée.
La conception des libéraux français et anglais du Iaissez-faire,
laissez-passer, est aussi l’objet d’un abandon assez général de la part
de beaucoup d’esprits contemporains.
Quelle sera donc l’attitude qui peut et doit être envisagée de nos
jours ?
Mais, avant d’en juger, deux 'constatations préalables s’imposent :
En premier lieu, l’homme moderne, le Français moyen de la rue,
ignore les lois naturelles en question. 58
Le problème peut et doit être posé de la mesure dans laquelle
l’intérêt individuel comme l’intérêt social imposent une diffusion, par
1’enseignement ou tous autres moyens, de la connaissance des lois
naturelles économiques.
On diffère d’ailleurs assez grandement d’avis sur la diffusion
actuelle des lois économiques.
Quelques esprits59 admettent une diffusion assez superficielle.
D’autres, plus nombreux, croient à une ignorance assez répandue.
58 Ces lois ne sont au programme ni de l’enseignement primaire, ni l’enseigne
ment secondaire, en France tout au moins. La situation dans les autres pays est
sensiblement analogue.
59 Léo Ferrero (Amérique miroir grossissant de l’Europe. 1 v o l., Paris, Rieder,
1939, p. 81) écrit : « Avant la naissance de la nouvelle science, j’imagine que les
hommes, même incompétents, s’efforçaient de raisonner avec leur cerveau et de ré
soudre les problèmes économiques par le bon sens. Ils y ont radicalement renoncé
aujourd’hui. Quand un problème se pose, ils s’efforcent de le résoudre avec une for
mule magique, une loi économique dont ils ont entendu parler au café... Mais com
me les économistes eux-mêmes ne sont jamais d’accord, le pauvre « vulgus profanum » se voit perpétuellement obligé de choisir entre trois^ ou quatre vérités abso
lues qui se contredisent. Et il se sent perdu ».
�—
281
A mon sens, c’est actuellemen l’indifférence à peu près totale de
l’homme moyen vis-à-vis des lois économiques.
En second lieu, le postulat longtemps et exclusivement admis par
de nombreux auteurs que toute cette action individuelle est commanr
dée par l'intérêt personnel seul, est aujourd’hui changé avec la théorie
récente des faits économiques adiallactiques. 60
Ce sont, on le sait, tous les faits économiques qui ne mettent pas
en jeu cet intérêt personnel : prélèvement sans compensation (mécé
nat, vol) ou une compensation présumée ou réelle (impôts),61 par
exemple.
Il y a là un point de vue entièrement nouveau et qui est vraisem
blablement appelé à entraîner les recherches et la découverte d’un
certain nombre de lois économiques nouvelles concernant spécia
lement ces faits. 62
Ainsi un premier terrain où le problème de l’action comporte les
particularités accessoires ci-dessus relevées.
Sur le plan national ensuite.
Ici et depuis quelques années, la question a été longuement discu
tée sous l’appellation de problèmes de l’Economie dirigée. 63
Il suffira d’en rappeler les termes principaux : 64
L e vrai problème pour l’économie dirigée au point de vue natio
nal tourne autour de la loi naturelle économique.
80
H. Bousquet : Les phénomènes économiques adiallactiques. Revue d’E. P . ,
1937, p. 50.
61 Cf. Bousquet : art. cité, p. 55 : Le tableau complet des phénomènes adial
lactiques.
62 II ne faut pas oublier cependant que l'ensemble de ces faits constitue un îlot
de dimensions assez modestes dans l’océan des faits économiques, ni perdre de vue
que cette activité adiallactique est sporadique, je veux dire que ceux qui la suivent
rentre temps reviennent après dans le courant des actes de la vie économique au
guide de l’intérêt personnel dont les lois ont été depuis longtemps étudiées.
83 Bibliographie sommaire :
B. de Jouvencel : L Economie dirigée. Paris, Libr. Valois, 1928.
E. Teilhac : Les fondements nouveaux de l’économie. Paris, Rivière, 1929.
Noyelle : Les divers modes d’économie dirigée dans Mélanges Truchy. 1 vol.,
Paris, Libr. du Recueil Sirey, p. 402.
Economie libérale. Economie dirigée. Compte rendu des travaux du Congrès
des Economistes de langue française. Paris, Ed. Domat-Montchrestien, 1933.
Ch. Bodin : Economie dirigée scientifique. 1 vol., Libr. du Rec. Sirey, 1932.
J. Lescure : Etude sociale comparée des Régimes de liberté et des régimes au
toritaires. 1 v o l., Paris, Ed. Domat-Montchrestien, 1940.
64 Cf. Raynaud : Les lois naturelles et l’Economie dirigée. Communication
du 19 mars 1938 à la Société d’études philosophiques de Marseille. Les Etudes phi
losophiques, juin 1941, p. 9.
*
18
�—
282
—
On peut poser les tois affirmations suivantes :
En premier lieu, ici encore, la connaissance des lois naturelles et
de leurs effets est trop souvent incomplète chez les gouvernants qui
prennent en mains l’application et l’exécution des divers plans d’Economie dirigée.
En second lieu, la loi naturelle est indispensable, d’un point de
vue théoique, pour valider l’action de l’Econom ie dirigée.
« La vie économique, a écrit M. J. Lescure,65 a ses nécessités,,
ses lois, auxquelles on tenterait en vain de se soustraire. »
Cette préoccupation, a été récemment et heureusement traduite
dans l’ouvrage de M. Max Cluseau. 66
On y trouvera, tant dans la préface de M. Laufenburger à cet
ouvrage que dans le texte de l’auteur, les affirmations les plus formelles
sur la nécessité de connaître et de respecter les lois économiques.
La formule de M. laufenburger semble particulièrement heu
reuse : « Entre l’autoritarisme dont nous allons transposer dans l’aprèsguerre quelques institutions et le libéralisme qui s’impose dans la
mesure nécessaire à la manifestation de la personnalité humaine, les
lois réaliseront un salutaire arbitrage qui nous autorise à nous ache
mine sans crainte vers l'économie mixte de demain. » 67
En troisième lieu, la notion de loi naturelle contingente rend pos
sible cette économie dirigéel
Il y a sans doute aujourd’hui encore des tenants de l’ancienne
position libérale de la loi inéluctable : telle paraît être celle de
M. Bartoli. 68
Mais la majorité des auteurs admet au contraire une économie
dirigée rendue possible par les lois naturelles.
Sur le plan international enfin.
Le problème du domaine et des conditions de l’action en face de
la loi naturelle économique se pose enfin sur le plan international.
Le plus simple, pour étudier ce dernier problème, sera peut-être
de l’étudier69 dans le concret.
65 Lescure : op. cit., p. 473.
6B M ax Cluseau : Taxation, Rationnement -et Science économique. 1 vol., P a
ris 1943. Editions politiques, économiques et sociales.
67 Ibid., p.
9.
68 H. Bartoli : Essai d’étude théorique d’autofinancement de la nation. 1 v o l.,.
Lyon 1943. (Cf. pp. 86, 145, 214, 215).
63
II faut toutefois remarquer que l’épisode retracé au texte n’est pas à propre
ment parler tout à fait le seul où le problème ait été posé. O n signalera ici d’une part
un certain nombre de précurseurs de l’économie internationale au X IX 0116 siècle et
d’autre part certains événements (Traité de Versailles, 1919. Conférence pour la trêvedouanière, Genève, 1930) pour lesquels une recherche minutieuse des documents per
mettrait sans doute d’arriver à des conclusions analogues.
�La Conférence économique internationale qui s’est tenue à Genève
en 1927, avec comme programme l’abolition des prohibitions douaniè
res, est un excellent exemple des réactions d’alors — et elles n’ont
guère changé jusqu’en 1939 — devant le problème de l’économie diri
gée internationale. 70
La Conférence se composait de 194 membres assistés de 157
experts appartenant les uns et les autres à 50 pays convoqués à la
Conférence. 71
Le problème est exactement posé et son président, M. Theunis,
affirme qu’elle a examiné les problèmes économiques dans leurs
aspects internationaux et s’est placée à un point de vue international.72
Du seul point de vue économique,73 qui est ici le nôtre, l’ensem
ble de l’œuvre de la Conférence est marquée, c’est le moins qu’on
puisse dire, par les plus expresses réserves et la plus grande timidité. 74
Sur le but commun à atteindre, la Conférence « recommande que
les gouvernements et les peuples portent ensemble et d’une manière
continue leur attention sur cet aspect du problème économique. Elle
envisage l’établissement de principes nouveaux destinés à éliminer
celles des difficultés économiques qui causent des froissements, des
malentendus, dans un monde qui a tout à gagner à un progrès paci
fique et harmonieux. »
Sur les moyens à employer, la Conférence enregistre les lacunes
de la documentation scientifique, luniformisation souhaitable dans
rétablissement des statistiques et le gros effort nécessaire à cet égard :
« L ’ordre et le plein rendement de la production impliquent la
promesse de renseignements globaux, mais précis et à jour, sur les
approvisionnements en matières premières, sur la production, les
stocks, les prix, les salaires, les conditions du marché du travail, etc.
De telles informations facilitent la juste adaptation de l’offre et de
la demande et l'application d'une politique de production atténuant
les effets des fluctuations de l’activité commerciale. »
Enfin, et pour une amélioration à cet égard, la Conférence s’en
remet au B. 1. T. pour apporter certaines statistiques et à l’organisation
70 Conférence économique, Genève, mai 1927, pp. 452-495.
Cf. Roger Francq : L ’Economie rationnelle. Librairie Gallimard, Paris, 1936.
71 La Conférence se subdivisa en trois commissions (Commerce, Industrie et
Agriculture) chargées de préparer les projets de résolutions.
72 Plus loin et dans le même discours, le Président souligne l’importance des
considérations nationales et affirme qu’il y a de nombreuses lacunes dans la rationa
lisation appliquée dans les divers pays.
73 II y a des considérations et des recommandations sur le problème de la paix.
Cf. Roger Francq, op. cit., p. 136.
74 Le rapport ainsi que les résolutions ont été adoptés à l’unanimité des mem
bres de la Conférence à l’exception de l'abstention du représentant de l’U. R. S. S.
�— 284 —
économique de la S. 1). N. pour uniformiser les méthodes statistiques
et obtenir les renseignements nécessaires auprès des gouvernements.
Comme buts immédiats à poursuivre, il y a une égale carence
dans les résultats des travaux soit pour prévoir la réalisation de la
rationalisation de la production, soit pour la conduite à tenir vis-à-vis
des ententes, soit enfin pour la politique agricole. 75
Ainsi, des desiderata et des vœux, tel est le bilan de ce premier
examen sur le plan des faits du problème de l’économie dirigée inter
nationale.
Cette brève analyse suggère a contrario les mesures à prendre
qui, à mon sens, comportent : 76
Une documentation scientifique rigoureuse ;
Un organe directeur doté de la souveraineté économique.
Ainsi, sur le plan international, l’économie- dirigée n’en est encore
qu’à la période tout à fait préparatoire.
Cependant, la guerre actuelle et les prévisions pour l'après-guerre
ont fait naître dans ces dernières années une série de plans de recons
truction et reconstitution pour la période qui suivra la paix. Il est trop
tôt pour les juger puisqu’aucun d’eux n’a été définitivement adopté ni,
a fortiori, commencé à être appliqué. 77 Le plus grand nombre de ces
plans se rattachent de façon évidente à l’économie dirigée.
■
b) Effets ou résultats de cette action
Il est impossible ici de relever par le détail le résultat de l’action
dans le triple domaine précédemment envisagé, individuel, national et
international ; d’une part, beaucoup de ces expériences sont en cours
et on ne peut encore porter un jugement définitif sur leur valeur ;
d’autre part, ce travail a déjà fait l’objet de nombreuses études aux
quelles il sera facile de se reporter. 78
I
75 Cf. Francq : op. cit., p. 145 et suiv.
76 Leur réalisation attendue impliquerait un sentiment plus réel de l’interdépen
dance des économies nationales. La guerre actuelle y contribuera sans aucun doute.
77 Quelques projets cependant sur lesquels il est prématuré de donner de com
plets renseignements ont été préconisés pendant la guerre actuelle. Je mentionnerai
seulement ici les travaux de certains comités — notamment le Comité de Marseille —des conseillers du commerce extérieur. Cf. la revue périodique. Le conseiller du
commerce extérieur, année 1941, et aussi divers Congrès comme celui des juriscon
sultes de Berlin (mars 1941). Ibid., L e conseiller du com. ext., n° d’avril, p. 3.
La Revue Internationale du Travail a analysé les plans importants de ces tra
vaux (1940-1944).
78 O n peut tout spécialement indiquer :
J. Lescure : Etude sociale comparée des régimes de liberté et des régimes auto
ritaires. 1 v o l., Paris, Ed. Domat-Montchrestien, 1940.
«
�285 —
Je voudrais plutôt esquisser ici ce que j’appellerai la leçon de l’éco
nomie dirigée en insistant surtout sur l’influence vraisemblable de ces
expériences sur la notion de loi économique.
Un double travail se réalise à peu près dans toutes les expérien
ces d’économie dirigée :
a) A leur suite, des discussions s’engagent et se poursuivent sur la
bonté des plans et les résultats de cette action ;
b) La mise en application de ces plans tend à modifier aux yeux
de la majorité des habitants d’un pays la notion de loi naturelle.
a ) Discussion sur les plans
Tous les plans d’économie dirigée *— au moins dans les pays de
liberté — ont fait l’objet d’appréciations critiques du double point de
vue de la justice et de l’efficacité. 79
A plusieurs reprises, la vanité du programme poursuivi, l’impos
sibilité de le réaliser parce qu’il était contraire à certaines lois économi
ques, est nettement apparue.
Le cas le plus typique à cet égard se rencontre à propos des diver
ses politiques nationales à l’occasion du pouvoir d’achat.
On trouverait encore d’autres exemples dans l’examen minutieux
des diverses phases d’application de l’expérience Roosevelt,80 dans la
politique de revalorisation des produits agricoles de la France d’avant
1939, dans la politique d’autarcie suivie avant guerre par certains pays,
etc. 81
b) Déformation provisoire ou définitive de la loi naturelle économique
Pour l’application du plan d’économie dirigée, à la donnée de la loi
économique se substitue progressivement une législation positive qui
en tient lieu pour l’opinion publique.
Par exemple, en matière de prix et avec la politique aujourd’hui
si fréquente dans beaucoup de pays des prix taxés, ce n’est plus la for
mule théorique de détermination du prix en régime de liberté ou en
régime de monopole qui apparaît en premier plan — et d’ailleurs bien
souvent l’économie dirigée s’efforce de l’empêcher de jouer — qui est
prévalente mais bien une maxime, un impératif du genre de celui-ci :
on ne doit ni acheter, ni vendre au-dessus où au-dessous du prix taxé. »
79 J. Lescure : Une économie politique sans doctrines. Rev. d ’E. P . , 1937, p. 28.
80 J. Lescure : Les prodromes de l’expérience Roosevelt. Rev. écon. intern.,
décembre 1935.
*
81 Cf. G. Leduc : L a Raison contre l’autarcie. Paris, Libr. Générale de Droit,
1938.
�—
286
En matière de monnaie et de change, ce sont les règles du con
trôle des changes se traduisant pour les particuliers par des obliga
tions de faire ou de ne pas faire qui domineront.
En matière de salaire encore, ce sont les niveaux de salaire établis
par la convention collective ou par la loi qui apparaissent comme des
normes s’imposant à tous. 82
Ainsi la loi économique apparaît comme une loi précepte incarnée
en quelque manière en une prescription légale. 83
Par ce détour, non pas la loi naturelle elle-même, mais la formule
par laquelle elle est rendue sensible à la masse, rejoint le type de la loiprécepte d'antan.
Du point de vue critique et pour apprécier cette orientation nou
velle, il semble qu elle soit dangereuse : l’esprit simplificateur du public
arrivera bien vite à substituer aux lois constatées de l’économie poli
tique des formules de loi-précepte qui en tiendront lieu.
Il semble aussi que les économistes auront à se garder de cette
déformation : le plus sur pour y parvenir sera peut-être d’insister sur
les conditions dominant chaque loi naturelle et de maintenir ainsi le
caractère acquis de la loi-constatation.
« Faites des lois pour empêcher un homme de nuire à un autre,
mais si vous vous avisez de faire des lois pour forcer un homme à
améliorer sa condition, à augmenter sa fortune, à économiser pour
J ’avenir, pourquoi n’en feriez-vous pas pour lui imposer un régime de
santé ou pour lui prescrire telle ou telle branche d’industrie ou de
commerce, etc... » Voilà ce que dit l’honorable professeur de loi (le
professeur Rossi) ; des lois économiques de ce genre sont en opposi
tion avec la loi suprême qui dit à chacun : « Use de ton bien où tu
voudras pourvu que tu ne nuises à personne. » 81
Tel est le très notable propos rapporté par M. W. Rappart. Il
pose très justement, à mon sens, le problème de la loi-précepte, en
maintenant l’idée de loi économique.
Cette nouvelle notion de la loi économique par une heureuse
fusion de la loi-constatation et de la loi-précepte ne sera peut-être pas
inutile à ceux qui, demain, dans tous les pays du monde, auront à
82 L a présentation et même les termes de la loi en France du 1er août 1941 (J. O.
28 avril 1941) sont des plus typiques à cet égard : « Les salaires minima prévus aux
articles suivants s’appliquent à tout travail accompli, même à titre occasionel, dans
les conditions indiquées ci-dessus », art. 1 in jina.
83 Bien entendu si la prescription légale est contraire à une loi naturelle, il sera
impossible de l’appliquer.
81
W . Rappart : U n beau débat de politique économique au Conseil Représen
tatif Genevois en 1820, article publié dans Etudes économiques et sociales. 25™e an
niversaire de la fondation de la Faculté des Sciences économiques et sociales de l’Uni
versité de Genève. 1 v o l., Georg, 1941, p. 26.
�— 287 —
formuler les règles des cités nationales et de la cité internationale et
surtout à les faire comprendre aux millions d’individus que ces règles
concerneront. 85
Ainsi l’examen des résultats et effets de l’action nous conduit à
cette double précision :
Par le jeu même de la politique d’économie dirigée, les discussions
sur la justice du plan et l’efficacité des moyens employés rebondissent
et il y a pour partie une vulgarisation, avec la déformation soulignée,
des lois naturelles économiques ;
Le mécanisme même de l’application de la politique d économie
dirigée doit mettre en garde les économistes contre le danger d’une
loi nouvelle formule qui ne serait qu’un précepte plus ou moins arbi
traire du législateur.
Au surplus, le savant comme l’homme d’action devront se souve
nir que ni les plans ni la science n’épuisent le réel. Comme le disait
excellemment Jean Jaurès : 86 « Quelques explications mécanistes
n’épuisent pas le sens de l’univers et le réseau des formules algébri
ques et des théorèmes abstraits que nous jetons sur le monde laisse
passer la réalité comme les mailles du filet laissent passer le fleuve. »
Ces considérations étaient à présenter au terme de cette longue
étude : elles engagent évidemment l’avenir. 87
On voit, en somme, comment cette notion de loi économique
domine tous les problèmes, à la fois les problèmes de la théorie et les
problèmes de l’action.
Puisse, demain, la théorie diriger l’action et l’action être conforme
à la théorie en conformité avec la célèbre maxime de Bacon qui reste
toujours vraie : « Savoir c’est prévoir, et prévoir c’est pouvoir. »
Aix, 13 Octobre 1941.
85 Sans vouloir taire ici d’actualité, il est curieux de constater comment une
longue recherche scientifique désintéressée entreprise avant la guerre actuelle et pour
suivie pendant cette guerre aboutit à des conclusions qui ne paraissent pas négligea
bles d’un point de vue pratique, notamment en ce qui touche la Reconstruction entre
prise ou à entreprendre dans les divers pays.
86 Discours à la Cham bre des Députés, 12 février 1895.
87 En publiant cet ouvrage au début de 1945, je me permets d’espérer qu’il vient
à son heure en face des nouveaux et immenses problèmes posés par la guerre à la
fois sur le plan national et le plan international et en face dès questions de la paix
pour le monde économique d’après-guerre.
��TABLE ALPHABETIQUE DES NOMS D’AUTEURS GITES
Les chiffres indiquent les pages où sont mentionnés ou cités les auteurs
A
B astiat , 169, 175, 179, 180, 203.
A ftalion , 47, 73 (n. 4), 77, 82, 150, 162.
165, 172 (n. 2), 217, 252 (n. 8).
B audin , 71, 103, 117, 119 (n. 1), 129, 147
A lain , 268 (n . 5).
B eauregard, 181, 216.
A lcan , 65 n. 1).
B eccaria , 25 (n. 2).
(n. 4), 258 (n. 2), 268 (n. 4), 272.
B entham, 250.
A l l ix , 17 in . 29), 232.
A mbeovics, 190 (n. 33).
B ergman , 68 (n.
A nderson , 185.
B ernstein , 10 (n. 1), 12.
1).
B lanchard , 39 (n . 71).
A ndi.e e , 204 (n. 31), 206, 218 (n. 97).
B lanqui (Adolphe), 25 (n.
A ngas , 195 (n . 16).
2).
B londel (Maurice), 277 (n. 50).
A ngell , 73 (n . 5).
B lock , 28 (n. 20), 219 (n . 101).
A nsiaux , 22 (n . 43), 103.
A n to n e l li , 36, 133.
B odin (Charles), 281 (n. 63).
A
B iehm B aw erk , 208.
rcenton, 15 (n. 20).
B oggs, 76 (n. 20).
A eias , 120 (n. 3).
A r isto ph ane , 95.
B o ivin , 217 (n . 61).
A rnaud , 101, 154.
B onnet, 271 (n. 17).
B ontoux , 128 (n . 66).
A ucuy , 17 (n. 29).
A upetit , 105 (n.
(n. 26).
57), 109 (n.
72), 110
B orle , 158 (n. 53).
B ortkhiew icz , 228.
B o uclé , 25 (n. 1), 27, 30 (n. 29).
A uscher , 22 (n. 44).
B ourgin ,. 10 (n.
B
1), 14, 17 (n . 29), 23
(n. 46), 106, 110 (n. 82), 153, 154, 157.
B ahut , 64 (n . 6).
B acon , 287.
B o u t a r ie , 276 (n . 45).
B aden P owell , 234.
B allande, 22 (n .
1).
B ourguin , 10 (n.
44),
B ontroux , 271.
23 (n.
(n . 51).
B arbier , 149.
B arone, 58.
B a r r a u l t , 126.
49),
23
B ouvier A jam, 257 (n. 51).
B q w l e y , 93.
B rentano, 198.
B r id r e y , 96, 97, 119 (n. 2).
B rocard , 28, 29 (n. 73).
B arthou , 276 (n. 47).
B roglie (d e ), 276, 276, (n. 45, 46).
B a r t o l i , 2<82.
B ruck , 23 (n. 45).*
B asthale, 85 (n. 3), 87, 153.
B r o u il iie t , 37, 64 (n. 6).
�I
Y . :•
B ijcher , 29.
D
B uffon , 243.
D ebré, 15 (n. 25).
B ullock , 38, 40 (n. 75).
D enac, 17 (n . 32), 231, (n. 112).
éat
( M a r c e l ) , 264.
B u r e a u , 207.
D enis, 63 (n. 1), 85 (n. 1), 86 (n. 5 ), 82.
B uret , 198.
D eschamps, 169.
BvÉ, 19 (n. 33), 22 (n. 40), 29, 31 .(n. 1),
D e v il l e , 54,. 56.
38 (n. 68), 39, 57 (n. 1), 76.
D illard , 138, 164.
D m o chow ski, 97 (n. 10).
C
D olléans, 24 (n. 52).
C ahen , 50 (n. 3).
C aillau x , 232 (n.
D onner, 195 (n.
7), 233.
16).
C airnes , 37, 186 (n. 5), 214.
D ouglas , 201, 209, 211.
C almette , 38 (n. 68).
D ubois , 119 (n.
C annan, 31, 32 (n . 10), 176, 185 (n. 1).
D ijmond, 57 (n.
C antillon , 122, 147.
C a r p e n t ie r -G onse, 161 (n.
C a r v e r , 34, 60, 197 (n.
C assel, 136 (n.
1 ““), 240 (n.
1), 259.
D umarcs, 64 (n. 6).
14).
D upuis , 241, 243.
64).
D u r k h e im , 27.
2).
111), 160, 162 (n.
70),
D utot , 122 (n.
25).
163.
I
I . ‘ ,J.'.
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'
.• ’f - f l
E
C au h e r t , 198 (n. 9).
C a u w è s , 27.
E dgew orth , 197 (n . 2).
C hapmann, 31 (n. 1), 38.
E ich tal (d ’), 79 (n. 1), 82.
CHATELAIN, 175, 182.
E inaudi, 277 (n. 51).
C hayron , 263.
E ngel, 253.
C h e r b u lie z , 153.
E ngels , 53 (n.
4), 204 (n. 32), 205.
C h e v a lie r (Jacques) 271, 279.
F
C hevalier (Michel), 124, 216.
F abre (Jean), 154.
C heysson, 181.
F aure , 79 (n. 1).
C l a r k , 34, 58, 170.
F a v r e (Jean), 157.
C lar k (J. Bâtes), 35, 209.
F ergusson , 26 (n. 2).
C lapham , 36 (n . 51).
F errero , 280 (n. 59).
C lu seau , 49, 282.
F e tt e r , 34.
C olson, 51, 102, 181.
C onant , 73 (n.
146 (n . 2 ) .
4), 75, 115 (n.
96), 127,
F ischer (Irving), 127, 131, 247.
F oville (de), 42, 101, 108 (n.
(n. 96), 125.
CüNDILLAC, 243.
F'ranck , 283 (n. 73).
C o pe rn ic , 97.
C ornelissen , 197 (n . 3), 206 (n . 42). '
F remonville (de), 263 (n.
C ourcelle -S eneuil, 154.
F rief , 254.
C o u r n o t , 246.
F rom ont , 31 (n .
C ulloch (Mac), 99 (n. 26), 177 (n . 11).
F ustel (de Coulanges), 234.
D
.
28).
F rezouls, 38 (n. 67).
C ossa , 98 (n. 16).
2).
G
D amalas, 85, 87.
G a l l ia n i , 240. a
D avanzati, 120.
G andino , 147 (n. 5).
71), 114
�— 291 —
G ardey , 142 (a. 1).
J enks , 23 (n .
G arnier , 34.
J enny, 77, 142 (n. 1).
7), 115 (n .
37).
G eorges (Henry), 175, 177, 178, 188, 236.
J evons (Stanley), 35, 60 (n. 4), 154, 244.
G e r r y , 15 (n. 26).
J ones, 23 (n. 47), 35.
G ide (C h a rles ), 25, 26 (n. 2), 37, 44, 58,
69 (n. 10), 70, 75, 85 (n . 1), 102, 140,
152, 153, 157, 171, 173, 174, 186 (n. 7),
195 (n . 2), 210, 212, 236, 237, 245, 248,
J ouvencelle (d e ), 281 (n. 63).
J uglar , 185.
J ulien , 236.
K
255, 256, 257, 261.
G if fe n , 95 (n.
K aufmann , 268 (n . 4).
1), 101.
K a u t s k y , 13, 54.
G iny (C o r r a d o ), 236.
G o b lo t , 273.
G onnard, 95 (n. 1), 98 (n. 18), 119 (n. 1),
120
(n.
11),
123
(n.
29),
139,
140
K eynes, 128, 147 (n. 8), 161, 167 (n. 1),
194, 226, 229.
K h ibat a , 228.
K in l e y , 127.
(n. 2).
G oeschen, 150, 152, 241, 244.
K
G o l tz (v o n d er), 257.
K reps , 73 (n. 20).
o iin ,
28.
K y pr io tis , 23 (n. 43).
G r a z ia n i , 28 (n. 22).
G r ég o ire , 61, 63 (n. 3), 64 (n .
7).
L
G resham , 95, 98.
L a b r io l a , 13.
G uernier , 30.
L acombe , 235.
G u é r o u l t , 207 (n .
45).
L alande , 273.
G iu g l ie l m i , 197 (n. 2).
L andry , 38, 61 (n. 1), 146 (n.
211, 221, 222, 224, 228, 247.
G u ir a u d , 234.
G u y o t (Yves), 182 (n.
32 et 34).
2), 192,
L assalle , 203.
L aspe yr e s , 254, 256.
H
H aberler (von), 88.
H albwachs, 33, 255, 256, 257, 272.
L auderdale , 63 (n.
1).
L aufenburger , 222, 282.
H alévy , 125 (n. 1).
L aughlin , 112 (n. 87), 118, 124 (n. 32),
127, 153, 216 (n. 89).
H all , 61 (n . 5), 64 (n. 7).
L aurent (Henri), 35 (n. 1), 37 (n. 7).
H am p k e , 254.
H a r s in , 38 (n.
L aveleye (de), 125, 154, 234.
1).
L avergne (Bernard), 223.
H auser , 120 (n. 10).
H aw trey , 147 (n. 3), 193, 194.
H irsch , 161 (n. 64).
H it ie r , 31 (n. 1), 37.
L azard (Max), 222, 224.
L
e
B ranchu, 119 (n . 1).
L educ , 116.
L eener (de), 74 (n. 10), 87 (n.
(n. 41), 184 (n. 35).
H obson, 36.
H ornes, 160.
18), 88
H ouques-F ourcade, 152, 155, 163.
L emoine, 21 (n. 38).
H ubbard, 48.
L eod (Mac), 36, 38 (n. 19), 39, 146, 197,
206.
H ume, 121, 143.
J
L éon XIII, 200 (n. 11)..
J ames, 16.
L e r o u x , 63.
J a u r è s , 287.
L e R o y , 279.
4
�292
L eroy -B eaulieu (Paul), 27, 35, 42, 70,
73 (n . 4), 80, 101, 126, 140, 151, 152,
155, 158, 181, 182, 192, 231, 236, 244,
248, 250, 259, 261, 273 (n . 33).
L escure (J e a n ), 48, 71, 73 (n.
281 (n . 63), 285 (n. 79).
1), 248,
N
N eissen , 68 (n.
1), 72.
N ewcomb , 127 (n.
65).
N eym arch , 73 (n. 1), 181.
N e w m a r k , 125.
L ev as s e u r , 125.
N ouar o, 37, 60, 72, 78, 85 (n. 4), 104, 106,
L évy (R. -G. ), 155.
117 (n. 105), 127, 130, 132 (n . 95), 135
(n. 108), 136, 146 (n . 2), 165, 215 (n . 79).
L homme, 193 (n. 6).
L iebig, 61, 63.
268 (n. 4), 269, 273 (n. 27).
L iebnecht , 207.
L iefmann , 22 (n.
N orth (Dudley), 143.
44).
L if s c h it z , 209 (n .
L im o u s in , 120 (n .
N oyelle , 222, 277 (n. 50), 281 (n. 58).
57).
N u b a r , 193 (n. 5).
4).
O
L is t , 26, 30.
O léon Çd’), 276 (n. 45).
L ocke, 121, 122.
O resm e , 96, 119.
L o r ia , 34.
O ttolenghi, 229 (n.
M
M a c au la y , 100, 113.
M acdonald (Ramsay), 54, 56 rn. 6),
O ulès , 88.
P
M aha.im , 223.
M aine (Summer), 234.
P a i .i .ain , 149 (n. 1), 153 (n. 28).
M althus , 32, 63, 167 (n. 1), 186, 205.
P an taleo n i , 262.
M a r x (K a r l), 10,11, 12,14, 27, 27 (n. 14).
53, 54, 55, 56, 204, 205, 206.
P areto (Vilfredo), 40 (n. 75), 57, 58, 174.
215 (n. 80).
M arshall , 32 (n. 7), 33, 34, 40 (n. 75),
170, 190, 191, 209, 266, 271.
M asci, 225 (n. 136).
P erreau (Camille), 37, 46, 235.
M a yer H ans , 243.
M eans . 22 (n .
P aris -D uvernay , 112.
P assy , 201.
PÉRAVY‘ (d e Saint), 186 (n. 3).
M aurette , 221 (n. 112), 222.
P e r r o u x , 55 (n . 18), 60 (n. 1), 90 (n . 30),
129 (n. 71), 134, 147, 225 (n . 136), 227
(n . 6), 244 (n . 12), 218 (n. 4), 270
(n . 12).
40).
M enger, 140.
M enthon (d e ), 229.
M e u n ie r , 68 (n . 1).
P ersons , 125.
M iles , 68 (n. 1).
P e tit , 229 (n. 21).
M ill (S tu a rt), 26 (n. 8), 33, 34, 42, 74,
75,
83,
86,
104,
150,
154,
169,
(n . 11), 189 (n. 14), 247, 250, 273.
M ir fa u x , 142, 147 (n. 4).
M ises, 84 (n . 8), 269.
M ongin, 187.
M onroë, 113 (n. 1 bis),
M ontesquieu, 423.
|
17).
O ualid , 23 (n. 49), 36 (n. 43).
177
P etr e n z , 30.
P icard (Roger), 125 (n. 66).
P igou , 10 (n.
(n .
1), 36 (n.
P iR o u , 17 (n. 29), 19 (n. 33), 22 (n . 40),
29, 129 (n . 72), 146, 197 (n. 4), 215
(n. 79) 270 (n . 11).
P lank , 276 (n . 45).
M oore , 194, 197 (n. 2), 210, 217.
P lato n , 26 (n. 2).
M o r e t , 197 (n. 2), 275 (n. 43).
P o lie r , 13 (n.
M o s tkh avska , 228.
M o u r e n , 176 (n. 45).
51), 128, 147
9).
4), 74 (n.
(n. 96).
P orte (Marcel), 254.
8),
76, 115
�P ose, 119 (n.
1), 122, 123 (n.
33), 127,
257, 161.
S chmoller , 25, 29 (n. 27), 102.
S chueller , 218 (n. 95).
PoULLAIN, 95.
S ch u m peter , 147 (n.
P rjon, 195 (n . 16).
9>.
S chwabe , 256.
S ecrétan, 167.
Q
Q üesnav , 250.
S ecrist , 39.
S ée, 234.
R
R affalovich , 125.
SÉLIGMANN, 34, 100.
R ambaud, 68 (n . 1), 97 (n. 8), 261.
S égal, 235 (n. 11).
R appart , 286.
SÉNÉCHAL, 22 (n .
R att (A n d r e w ), 115 (n . 95).
42).
S e n io r , 34.
R azous , 22 (n . 41).
S iegfried (A n d r é ), 15 (n. 25), 92.
R eboud, 16, 29, 37, 44, 52, 75, 103, 152,
S imiand, 28, 39 (n.
153, 162, 171, 193 (n. 2), 210, 236, 245.
211, 215 (n .
74), 130, 197 (n .
79), 224, 226.
2),
R emde, 64 (n. 6).
S ismondi, 10, 203, 214 (n . 72).
R enade, 270.
S mith (A d a m ), 25, 26 (n. 2), 27, 28, 29
41,123, 186 (n . 4), 188, 202, 214 (n. 73).
R eynaud (P ie r r e ), 195 (n . 9), 223.
R jcardo , 33, 35, 73, 76, 85, 86, 89, 124.
129, 150, 167 (n . 1), 175, 176, 185, 188,
198, 250.
R ipert (G e o r g e s ), 91 (n . 3).
R
58, 69 (n . 10), 73 (n . 1). 85 (n . 1),
121, 123 (n . 33), 126 (n . 53), 132, 137.
165 (n . 86), 170, 179 (n . 19), 248, 277.
R obins , 194 (n.
S ombart, 20 (n. 36).
S ouchon, 10 (n. 1), 15 (n. 26).
S pencer , 275 (n.
is t ,
R obertson , 147 (n.
S oetbeer, 107 (n. 67), 109 (n. 77).
S p ie t o f f , 68 (n.
42).
1).
S téfani (d e ), 90 (n. 30).
S trig l , 46, 225, 232, 277 (n. 52).
8), 204.
S ynder, 129.
14).
T
R obinson , 10 (n . 1), 52 (n. 4).
T angorra, 215.
R oche A ugussol, 24 (n. 35).
T aussig , 215.
R odbertus , 175, 177, 178, 179, 204.
T a y l o r , 127 (n. 55).
R ô pk e , 51.
T eilhac , 23 (n .
R o ps , 272.
47), 68 (n .
1), 71, 281
(n . 63).
R oscher, 34.
T heunis, 283,
R ossi , 34.
R o u l l e a u , 65 (n .
T h é r y (R e n é ), 154 (n. 29), 158.
1).
R o u s if.r s (d e ), 14 (n.
(n . 47), 91.
24), 22 (n. 44), 23
R ueff , 44, 45, 77 (n.
26), 161 (n.
64),
182, 213, 219, 222.
S
(n .
T outain , 235.
T
rotabas , 231.
T
ruchy,
(n .
S achot , 218 (n. 95).
S auvaire - J ourdan ,
T hornton , 73, 160.
T huenen (v o n ), 208 (n . 49), 213, 218.
170
(n .
9),
204
32).
36, 45, 129, 146 (n .
21), 275.
T ugan-B ar anowsky , 228.
T u r g o t , 31, 32, 202, 249.
S a v ( J . - B . ) , 26 (n . 8), 68, 69, 70, 71, 72,
173, 203, 239 (n . 1).
V
S ay (L é o n ) , 150 (n . 8 ).
V ale n t ], 36.
S ch atz , 172.
V alois (G e o rg es ),* 53.
2 ), 162, 229
�294 —
V ecchio , 254, 263, 277 (n. 31).
W ebb (B. e t S .), 198 (n.
V e y r a c , 229 (n. 21).
W e il l e r , 73 (n. 4), 159.
V ig r e u x , 251.
W esley , 127.
V il l e (G. ), 63 (n. 5).
W est , 32, 186.
VlLLEY, 200, 216.
W h e a t l y , 160.
W
W ic k s e ll , 147 (n. 5).
W agemann , 93, 134.
W is e r , 34, 242.
W agenfuh r , 23 (n. 45).
W it k o w s k y , 31 (n. 1).
W agner , 147 (n. 1).
W a l k e r , 34, 189 (n.
26), 215, 217.
W a lk e r (Ronald), 209 (n. 56).
X
XÉNOPHON, 119.
W a llo n (Henri), 274.
W a i .ras (Léon), 43, 57, 169, 241, 244.
Z
Z o l l a (D a n ie l), 39.
A
3).
�TABLE DES MATIERES
I ntro duction ..............................................................................................................................
7
P R E M IE R E P A R T IE
L E S L O IS D E L A P R O D U C T IO N
C h a p it r e P r e m ie r . — L a Loi de Concentration ....................................................
Il)
C h a p it r e II. — L a Loi de la division du Travail ........
25
C h a p it r e III. — La Loi du Rendement moins que Proportionnel ......................
3t
C h a p it r e IV. — La Loi de l’Action Régulatrice des Prix sur la Production . . . .
41
C h a p it r e V. — L a Loi de la Production par M a s s e ..............................................
51
C h a p it r e VI. — La Loi de la Lutte des Classes .................................................
53
C h a p it r e V IL — L a Loi de l’Accumulation Capitaliste
.....................................
56
C h a p it r e V III. — L a Loi des Proportions définies ..............................................
57
C h a p it r e IX. — L a Loi des Coûts Constants ........................................................
60
C h a p it r e X. — L a Loi du Minimum .....................................................................
61
C h a p it r e XI. — L a Loi de Restitution .............
63
C h a p it r e X II. — L a Loi Vésulienne en Matière de Forêts ................................
65
DEUXIEME PARTIE
LES LOIS DE LA CIRCULATION
— La Loi des Débouchés ..............................................
68
C hapitre
IL ■
— La Loi de l’Equilibre Automatique de la Balance des Comptes . .
73
C hapitre
III. — La Loi des Balances du Commerce et
des Comptes .
79
C hapitre
IV. — La Loi des Echanges dans le Commerce International .........
85
C
V. — La Loi de Concentration des Frets ..................................
91
C hapitre P
hapitre
remier .
VI. — Loi de l’influence sur les mariages du mouvement commercial
et de la conjoncture ..........................................................................
93
VIL — La Loi de Gresham ................................ f . ....................
95
C hapitre
-Chapitre
�— 296 —
C
h a p it r e
V III.
C
h a p it r e
IX .
C
h a p it r e
X.
C
h a p it r e
X I.
—
.........................................................................
14(i
C
h a p it r e
X II.
— L e s L o i s d u C h a n g e s e lo n l ’E c o le L i b é r a l e C l a s s i q u e ...................
141
C
h a p it r e
h a p it r e
L o i d e la t h é o r ie q u a n t it a t iv e
.............................................................
— L a L o i d e la B a is s e d e la V a l e u r d e la M o n n a ie
...........................
— L a L o i d e s D é p ô t s en B a n q u e .............................................................
X III.
e x t é r ie u r
C
—
L o is R e la tiv e s au C r é d it
—
La
L o i d e s E ffe t s d ’ u n C h a n g e
d é p r é c ié
su r le
139
.
— L e s L o i s P s y c h o lo g iq u e s d u C h a n g e
T R O IS IE M E
142
com m erce
......................................................................................................................................
X IV .
119
................................................
157
160
P A R T IE
L E S L O IS D E L A R E P A R T IT IO N
C
h a p it r e
P
r e m ie r .
C
h a p it r e
IL
C
h a p it r e
III.
— L a L o i d ’E q u iv a lé n c e e n U t ilit é S o c i a l e ....................................
— L o i d e la R é p a r t it io n d e s R e v e n u s s u iv a n t le u r G r a n d e u r
C h a p it r e I V .
C
h a p it r e
V.
C
h a p it r e
V I.
C
h a p it r e
V IL
C
h a p it r e
V III.
C
h a p it r e
169
....
173
— L o is
d e la R é p a r t it io n
P r o p o r t i o n n e l l e ... ...............................
175
— Les
L o i s d e la R e n t e
.....................................................................
185
— L e s L o i s d e l ’I n t é r ê t ............................................
......................................
192
L e s L o i s d u S a la ir e ......................................................................................
196
L e s L o i s d u P r o f i t ............... ......................................................................
226
L e s L o i s d e l ’I m p ô t ..................................................................................
231
I X . — L e s L o i s d e la P r o p r i é t é .............................................................................
234
—
—
—
Q U A T R IE M E
L E S L O IS D E L A
C
h a p it r e
P
r e m ie r .
C
h a p it r e
II.
C
h a p it r e
III.
C
h a p it r e
IV .
—
P A R T IE
C O N S O M M A T IO N
L e s L o i s d e s B e s o in s
.....................................................................
240
.................................................................................
247
— Les
L o i s d ’E n g e l ' ..............................................................................
253
— Loi
d e l ’ I n flu e n c e d e s P r i x s u r la C o n s o m m a t io n
.................
259
.................................................................................
268
•— L e s L o i s d e l ’ E p a r g n e
C O N C L U S IO N
A ) N a tu re de la L o i E c o n o m iq u e
B ) L e s L o is E c o n o m iq u e s e t l'A c t io n
H u m a in e
....................................................
277
�
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Loi (La) naturelle en économie politique. III, Les lois naturelles économiques, les lois spéciales
Subject
The topic of the resource
Economie politique
Description
An account of the resource
Après l'étude de la loi naturelle en économie politique et des lois économiques elles-mêmes, l'auteur analyse les lois spéciales : lois de la production, de la circulation, de la répartition et de la consommation.
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Raynaud, Barthélemy (1876-1948)
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-259187
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Impr. du Petit marseillais (Marseille)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1945
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/064754162
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-9118_Raynaud-Loi-naturelle_V2-vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
296 p.
Gr. in-8° (250 x 165)
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/299
Abstract
A summary of the resource.
Le problème de la loi naturelle en économie politique présente un double intérêt, selon Barthélemy Raynaud, qui lui consacre les trois présents volumes. D’un point de vue théorique, la loi naturelle s’inscrit dans le cadre philosophique plus large du déterminisme, posant la question d’un ordre des choses en matière économique. D’une manière plus immédiate, la réalité possible des lois naturelles dans les faits économiques accuse et nourrit les discussions sur l’interventionnisme et à plus forte raison sur l’économie dirigée : en effet, « quelle que soit la direction, qui que soient les dirigeants, un problème préalable se pose : y a-t-il une direction possible, y a-t-il une action possible et à quelles conditions sur les faits économiques ? » Raynaud, déjà auteur de plusieurs études sur ce point, et appuyé sur une trentaine d’années de recherches, envisage d’abord l’idée de loi naturelle dans son développement historique depuis l’antiquité jusqu’à l’époque contemporaine, puis étudie les lois générales et les lois spéciales qui ont pu être formulées pour en apprécier la validité.
(Luc Bouchinet)
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Droit -- Philosophie
Droit naturel