Droit international]]> Jurisprudence après 1789]]>
Le Tribunal arbitral au grand complet - 11 hommes sans colère (Salem, 1931)

Le document publié par La Pradelle tente tout de même d'en faire une présentation claire : pas moins de 60 pages qui ne peuvent faire l'économie d'un copieux historique et qu'il faut lire attentivement pour en comprendre l'essentiel. On peut également consulter une source américaine qui propose une remarquable synthèse de l'affaire, si l'on vient à bout de 40 pages d'exposés assez denses (1).

Rappel des faits : en 1862, le père de Georges, persécuté par les Turcs, fuit la Syrie pour s'installer en Égypte avec un passeport persan. Faisant fortune, il fait venir son frère Goubran qui se révèle tellement plus doué que lui pour le commerce qu'il qui va le mener à la ruine. À sa mort, en 1895, Goubran fait venir son neveu, Georges (héros de l'histoire). Après un échec scolaire, Georges part s'installer aux Etats-Unis en 1902 et devient diplômé en agriculture en 1906. Il revient en 1907 en Égypte, persuadé que son père avait laissé une fortune que Goubran (l'oncle) se serait appropriée. Goubran lui démontre le contraire et Georges finit par signer une reconnaissance de dettes. De retour aux Etats-Unis, il obtient la nationalité américaine en 1908 après avoir juré qu'il a résidé sur le territoire depuis 5 ans et qu'il est de nationalité égyptienne. L'année suivante, il revient en Égypte avec sa toute nouvelle nationalité étoilée et la protection qu'elle lui assure. Mais pour la conserver, il lui faut à tout prix être embauché par l'Agence américaine du Caire sous peine de tomber sous la présomption d'expatriation à partir de 1911. La présomption d'expatriation, inscrite dans la loi américaine de naturalisation, et Georges le sait bien, s'applique au bout de deux ans à tout naturalisé qui retourne dans son pays d'origine, et au bout de cinq ans à tout naturalisé qui réside dans un autre pays étranger. Georges multiplie les démarches mais peine perdue, il doit revenir d'urgence aux Etats-Unis en 1911 pour obtenir d'extrême justesse un nouveau passeport américain. De retour en Égypte, il se souvient que son père était enregistré au Caire sous la nationalité persane : il s'empresse de transmettre le document au Département d'État américain qui en accuse réception. Salem pense alors qu'il a droit, en toute sérénité, de séjourner cinq ans en Égypte, ce pays étant considéré comme pays étranger pour lui. Mais deux ans plus tard, en 1913, il est mêlé à une affaire : pour se défendre, il met en avant sa nationalité américaine : l'Égypte en doute et interroge les Etats-Unis qui soulèvent la présomption d'expatriation. Pour la seconde fois, il y retourne précipitamment et parvient une fois de plus à obtenir le passeport US. Il revient aussitôt en Égypte mais le gouvernement égyptien émet de fortes réserves quant à l'origine de sa nationalité : c'est ainsi que démarrent les évènements et l'affaire Salem.

Le certificat de nationalité US remis à l'Égypte (Salem, pièce D, 1927)

Les procédures qui s'ensuivent sont à l'image des faits exposés... L'affaire à laquelle il est mêlé se poursuivant, les Etats-Unis informent l'Égypte en 1915 que Salem n'a plus la nationalité américaine. Il relève donc des tribunaux locaux. Durant toute l'année 1916, Salem tentera de faire tomber la présomption d'expatriation. En 1917, il sera poursuivi comme faussaire ce qui le motivera à engager un procès contre le Gouvernement égyptien devant les tribunaux mixtes aboutissant à une réclamation diplomatique du Gouvernement des États-Unis pour une indemnité s'élevant à 211 724 livres égyptiennes (or), au nom de George J. Salem, né en Égypte et naturalisé aux États-Unis :

"
La demande est fondée :
   1. Sur le traitement subi par Salem de la part du local égyptien et des autorités mixtes, ce qui est considéré comme un déni de ses droits.
   2. Sur la prétendue violation des droits issus de traités des États-Unis."

Les deux États parviendront à un accord arbitral seulement en 1931 (le recours à un arbitrage a alors été très mal perçu par l'opinion publique égyptienne)

L'accord arbitral conclu entre les Etats-Unis et l'Égypte (Affaire Salem, 1931)

A. de La Pradelle conclura en juillet 1931 que la responsabilité du Gouvernement Royal d'Égypte ne pouvait être engagée. Le Tribunal arbitral donnera son verdict :

   "1. Le Gouvernement royal d'Égypte n'est pas responsable, en vertu des principes de droit et d'équité, des dommages-intérêts envers le Gouvernement des États-Unis d'Amérique en raison du traitement accordé au citoyen américain George J. Salem.
   2.
Par conséquent, il n'y a pas de place pour répondre à la deuxième question".

dommage et urgence (Affaire Salem, 1931)

Après ce dédouanement total du Gouvernement égyptien, la sentence définitive sera prononcée le 8 juin 1932, apportant un élément de réflexion juridique sur la responsabilité d'un Etat, sur la tendance américaine à projeter sa législation au niveau international et une lecture plus politique sur la réalité des tribunaux mixtes de l'époque (3).

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1. Salem case  (Egypt, U.S.A.) // Affaire Salem (Égypte-États-Unis) Sentence - 8 juin 1932 - site consulté version anglaise, version française accessible Jusmundi
2. Les pièces reproduites ici (contraste artificiellement accentué) ont été extraites d'un mémoire original dactylographié [1931 ?] : Arbitrage États-Unis-Égypte : Protocole du 20 janvier 1931 : Mémoire des États-Unis d'Amérique dans l'affaire de Georges J. Salem contre le Gouvernement royal d'Égypte / États-Unis - Cote LAP 2118 - consultation sur place
3. P. Arminjon. - Un arbitrage égypto-américain sur les réclamations faites par le gouvernement des États-Unis en raison de la prétendue violation des droits d’un de ses sujets - in Revue de droit international (Clunet), t. 60, p. 786 (1933), Affaire Salem (Etats Unis c/Egypte)




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1937]]> fre]]> eng]]> Egypte. 19..]]> Etats-Unis. 19..]]>
- Feuille Cairo west (a) ; 91/I-I N.E. ; 1912 ; 2nd Edition 1912 ; Survey Department. Surveyed in 1892 ; 1st Edition 1907 ; revised in 1910 ; surveyed in 1911 ; reprint in 1911
- Lien vers la page : http://www.cartomundi.fr/site/E01.aspx?FC=1100]]>
Droit international]]> Jurisprudence après 1789]]> Droit fiscal]]>
Comme la Réserve Fédérale, le Trésor Fédéral Américain n'est pas une administration comme une autre : garante du budget fédéral et de la monnaie nationale, elle jouit de prérogatives importantes en matière fiscale et de pouvoirs de contrainte exorbitants. Dans ce cadre, le contribuable Américain présente une particularité : quel que soit son lieu de résidence dans le monde, tout citoyen de cette nationalité est redevable de l'impôt et doit déclarer ses revenus auprès du fisc américain.

En fait, Henry M. Blackmer, riche pétrolier américain, n'a pas enfreint cette obligation absolue mais il a triché : selon le chef d'accusation du Trésor US, il a rédigé une déclaration inexacte relative à ses revenus de 1920 et de 1921 et, faute (de goût) suprême, il l'a fait sous serment (en pleine période de prohibition, c'est malin !). Pourtant Blackmer n'ignore pas que chez Oncle Sam, cette fraude est très mal perçue mais pire, il l'a commise sous serment, donc coupable de crime de "perjury" (parjure). Il n'en faut pas plus pour que l'administration fiscale demande officiellement son extradition à la France, pays où il réside alors.

Le trésor américain (billet de 10 dollars US)

L'analyse d'A. La Pradelle ne va pas dans ce sens : parmi les motifs énumérés par le traité qui justifient une extradition, le 9ème cas mentionne bien "le faux serment, faux témoignage, subornation de témoin, d'expert ou d'interprète". Sauf que le faux serment, pour être puni selon la loi française, doit avoir été prêté en justice, ce qui n'est pas le cas d'une déclaration de revenus en France. Seul le motif de préjudice ou dommage (injury), qui implique en droit civil une réparation, est retenu contre lui. Où l'affaire se complique c'est qu'un traité d'extradition, aussi réciproque et équilibré soit-il, n'entraîne jamais d'automaticité : il s'agit toujours d'une demande que seul un tribunal et un juge (français dans le cas présent) peuvent ou non accepter selon les termes du traité traduit en français (le juge doit ignorer le texte anglais et s'en tenir strictement à la version dans sa langue natale) ainsi que le droit français en vigueur.

Le chien de garde du Trésor américain - attention,... (Philadelphie, 1880)

Comme souvent en matière d'extradition, l'affaire fait grand bruit outre-Atlantique et la presse s'empare du procès. Un câble spécial du New York Times du 22 nov. 1928 annonce le jour même : "Blackmer devant le tribunal d'extradition de Paris ; Décision anticipée refusant notre demande prévue".

Archives du New York Times, facsimilé de la Une, éd. du 22 novembre 1928 (1)

L'article s'attache à l'aspect très formel de la procédure parce que, par nature, une extradition c'est d'abord une démarche procédurale complexe qui doit interpréter un traité international tout en respectant le droit interne (par ex., depuis la loi Badinter sur l'abolition de la peine de mort et son introduction dans la Constitution, la France refuse toute extradition vers un État où l'extradé risquerait la peine capitale).

PARIS, Nov. 21.--The Blackmer case advanced to its conclusive stage today when Henry M. Blackmer, wealthy oil man whom the American Government is trying to extradite from France, appeared before a magistrate to establish his identity under legal proceedings which were...

PARIS, 21 novembre.--L'affaire Blackmer a atteint sa phase finale aujourd'hui lorsque Henry M. Blackmer, riche pétrolier que le gouvernement américain tente d'extrader de France, a comparu devant un magistrat pour établir son identité dans le cadre d'une procédure judiciaire qui a été...


Au cours de son audience du 27 nov. 1928, la Chambre d'accusation rendra sa décision dans la plus grande sobriété : "La Chambre des mises en accusation a, dans son arrêt rendu à quinzaine, émis un avis défavorable à la demande d'extradition".


1. Edition du 22 nov. 1928. - https://www.loc.gov/resource/acd.2a07198/]]>
1929]]> fre]]> eng]]> Etats-Unis. 19..]]> France. 19..]]>