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b46cdeeebff2c5bfa2194518423a0078
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FACULTÉ DE DROIT D'AIX
1Ô1
LA FEMME.
DANS LA SOCIÉTÉ ET DANS LA FAMILLE
AUX DIVERSES ÉPOQUES
DU DROIT ROMAIN E1' DU DR.OIT FRANÇAIS.
THÈSE POUR LE DOCTORAT
SOUTE NU E
Devant la Faculté de droit d'Aix, le
· mars t877
Par OCTAVE PINOT,,
Do Candé (Maine-et-Loire).
ANGERS
IMPRIMERIE P. L~CHÊSE, BELLEUVRE ET DOLBEAU
13, Chaussée Saint-Pierre, i3·.
1877
�FACULTÉ DE DROIT D'AIX.
MM. CARLES, doyen, professeur de droit civil.
GRELLAUD,
PISON,
JOURDAN, professeur de droit romain.
LAURLN, professeur de droit commercial.
NAQUET, professeur de procédure civile.
GAUTIER, agrégé, chargé d'un cours de droit administratif.
BRY, agrégé, chargé d'un cours de droit romain.
DE PITTI FERRj\_NDI, agrégé, chargé d'un cours cle
législation criminelle.
CARBONEL, secrétaire, agent comptable.
.
�A MON PÈRE·
A MA MÈRE .
•
��0
A M. DOLEE.AU
L '0xcclle 11t a mi de in a
famill0 et l e n'lien,
HOMMAGE D'AFFECTION ET DE RECONNAISSANCE.
�•
'
�INTRODUCTION.
La condition de la femme dans la société, au
double point de vue de g ..Personn.e et de ses
biens, soulève des questions délicates dont la
scilirti"on a, dans tous les temps., préoccupé les
jurisconsultes et les législateurs. On peut dire
que c'est un des problèmes les plus intéressants,
mais aussi un des plus difficiles à résoudre que
présente la vie sociale : nu.l changement ne s'est e.n.
effet accompli dans la condition p_articuliè:r;_e_de_lg.
femmesansréagir-aussitôt-s~r la cons1ituti9.n de
la société toQt entière ~ Individl!,J~miU.ê...9Jl_natLo.ll,
l'homm~J_twj.o.w: SJlhL J'..influenc.e souv..eraine
de la femme et ceJJX_ qaj, comme Lycurgue et
Platon, n'ont pas su discerner ce qu'il y avait de
légitime dans son empire, n'ont pu, malgré leur
génie, aboutir ~ans les réformes législatives qu'ils
1 .
�-2ont proposées ou tentées, qu'à des conceptions
parfois brillantes, mais toujours fausses, d'une
désastreuse application. C'est en effet par l'action
de la femme dans la famille et dans la cité que
les ~7P~s:pù'êilt- ou périssent : s i le patron
peut former un ouvrier, le professeur un savant,
la mère seule peut former un homme, et il est
{vrai de dire que le _degré de civilisation d'un
peuple se mesure au respect qu'il professe pour
' la femme.
En parcourant les diverses législations de l'antiquité, on est étonné de la variété des systèmes
qui se sont produits sur la condition de la femme,
et il n'est guère de théorie, si étran ge et si invraisemblable qu'elle paraisse, qui n'ait été formuléé à cet égard et parfois législativement consacrée. Ici, la femme est traitée en esclave, là,
elle est l'objet du respect de tous. Quelle que
soit la raison, assez difficile à déterminer, de ces
divergences 1 , nous devons dire qu'elles n'ont pas
eu dans la pratique les conséquences qu'on pour' rait logiquement leur attribuer. Libre ou asservie,
la femme a toujours et partout fait sentir son
\ influence. En vain a-t-on essayé de la reléguer
dans l'ombre du foyer domestique, et l1a-t-on
J M. Gide, dans son r emarquable ouvrage sur la Femme et le
sénatus-consulte Velleien, qui nous a été d'un puissant secours dans
nos recherches, parait les attribuer, et il a peut-être raison, à la
violence des passions qui portent les sexes l'un vers l'autre et à la
(!ilîé re n ~e de température des diverses régions.
�-3-
exclue de la vie politique, son _influence s'est )
néanmoins répandue dans la société et l'historien
attentif en découvre aisément la trace dans tous
les grands événements de la vie des peuples. En
général, !es législations ancien~s n'accordent à
la femme qu'un rôle subalterne dans la famille et
dans l'État, ce qui s'explique à la fois par les tendance~ matérialistes d~~ganisme et ar l'org~
Qisation même des sociétés primitives.
Si nous nous reportons par la-Pènsée à l'époque
où les peuples plongés encore dans @ bgrbarie
n'avaient aucune notion des principes d'équité et
de justice, nous voyons que le courage, la force,
les armes sont les seuls moyens dont on dispose
pour faire respecter ses droits. Ceux qui ne peuvent combattre, les enfants, lés vieillards, les
femmes, ont besoin d'un protecteur. Ces dernières le trouvèrent naturellement dans le père
et dans l'époux, mais, comme elles n'avaient
d'autre sauvegarde que le bras d'un. guerrier,
celui-ci eut tout pouvoir sur ~Iles . Obligé de les
défendre comme il défendait sa maison, ses troupeaux et ses biens, il s'habitua à les considérer
comme~ 9hos~ A cet état primitif où l'homme
regardait l'homme comme l'ennemi né de son
semblable, succédèrent bientôt des temps plus
policés : les hommes se réunirent e~j;é_,Jes
sentiments de la famille se développèrent, les
mœurs s'adoucirent, la puissance paternelle et la
•
�-4-
•
puissance maritale perdirent leurs priviléges
exorbitants : la condition de la femme s'améliora.
Le Illariage est une sociét~ de perso.nnes et de
biel};s; il faut un chef, un administrateur. A tous
les âges, dans toutes les législations, nous trouvons écritle principe de la suprématie de l'homme,
principe aussi ancien que la création elle-même,
car nous voyons, dans l~enèseJ Dieu dire à la
femme : cc Tu seras soumise à la puissance de
ton mari et il te dominera. >> Mais cette puissance
s'exerce, suivant les pays et suivant les ép.oques,
cle bien des manières différentes. Dans l'Orient
règnent le despotisme et la polygamie; la femme
y est considérée comme un simple instrument de
reproduction et de plaisir; dans ~ ..ê.gandinavie
et dans la . Germanie l'homme honore· déjà dans
sa compagne la mère de· ses enfqnts. Chez les
peuples de l'ant~quité, la procréation des ~n~nts
est c~nsidérée comme le seul but du mariage :
c< Une épouse, nous dit Démosthènes 1, n'est destinée qu'à veiller à l'intérieur de la _maison et
qu'à perpétuer le nom d'une famille en donnant
des enfants à la République. » La stérilité est,
même chez_ les HéJ:!r.e.u.x., dont la législation était
cependant particulièrement favorable à la femme,
une cause de divorce. Un tel principe devait évi·
'Barthélemy, Voyage du jeune Anachai·sis, ch. xx.
�demrrient altérer le caractère sacré de l'union
conjugale et ravaler la dignité de la femme; ce
n'est qu'.avec le_christia~~~_me que furent reconnues et proclamées les véritables règles qui doivent présider aux rapports des époux.
Si nous jetons rapidement un coup d'œil général sur les .deux législations de l'antiquité qui
nous sont les mieux connues et qui ont laissé le
plus de traces dans le droit moderne, la législation grecque et la législation romaine, nous trouvons sur la condition de la femme, au siècle de
Périclès, deux systèmes bien différents.
~ _Athènes, les lois_proté.gè.r.ent touj.om::sla per- ,,t.,..._
sonne et les biens de_la femme. Le mari n'a pas
le droit de vie et de mort sur son épouse; la fille
pauvre est dotée aux frais de l'État. L'incapacité
de la femme est édictée dans son intérêt, et, si
elle est toujours sous la dépendance de son père
ou de son~ épo'ux, elle trouve dans les institutions
de son pays, notamment dans la monogamie et
dans la dot, les garanties les plus sérieuses. Mais
si les lois étaient douces pour la femme, les
mœurs, bientôt corrompues par une civilisation
trop rapide, étaient dures pour elle. L'Athénien,
spirituel, léger, bavard intarissable, passe la majeure partie de son existence à l'Agora à discuter
sur la politique et les affairei::; pub~iques. Pendant
ce temps, la femme délaissée dans le gynécée
est privée de tous les agréments, de toutes les
_..._
�-6-
distractions qui peuvent faire le charme de la
vie. La jeune fille grecque ne reçoit presq.ue aucune instruction; à peine lui enseigne-t-on la
danse et le chant pour qu'elle puisse prendre
part aux rares fêtes religieuses qui lui sont accessibles . La femme est considérée comme un être
inférieu-;;Fl~o°ii n.ous dit d ans son - Timée que
les hommes lâches et faibles deviendront femmes
dans l'autre vie. Une seule classe de femmes est
libre : c'est celle des hétaïres qui accapare toute
l'influence que doit nécessairement exercer la
femme dans une société policée. Aussi les rares
noms de femmes grecques qui sont parvenus
jusqu'à nous, à travers les âges, appartiennent-ils
à des courtisanes : ce sont des Aspasie, des
Phryné et des Laïs non moins connues par leurs
scandaleuses fortunes que par le charme de leur
esprit et de leur conversation recherchée même
par les philosophes les plus austères de cette
époque.
Bien_diffé.r..ente noui?_ ap~rait à Rome la condition de 1ue1:mru~_;_ livrée _sans limite au ~o
tisme de son père ou de son époux, elle n'y
échappe que pour tomber sous la dépendance de
ses agnats. Mais le rigorisme des lois n'était point
passé dans les mœurs et, si nous faisons abstraction du point de vue juridique, nous voyons la
femme romaine occuper dans la famille une
place plus considérable et dans la société, un
�- 7rang plus honoré que la femme grecque à
Athènes. Elle peut -paraître dans les fêtes publiques, au théâtre, dans les réunions; les hommes,
les magistrats eux-mêmes lui laissent le passage
avec honneur, et, bien que'les lois lui interdisent
l'accès· du forum et s'efforcent de l'exclure de la
vie politique, son influence s'y reconnaît aisément : c'est Véturie, la mère de Coriolan, dont
les larmes, apaisant la colère de son fils, sauvent
Rome menacée par les Volsques; c'.est Lucrèce,
la chaste épouse de Collatin, dont la pudeur outragée amène u~e révolution suivie de l'expulsion
des Tarquins; c'est Cornélie, la mère des Gracques,
si fière de ses enfants, qui prépare, par une éducation virile, des défenseurs à la démocratie opprimée. Toutes ces figures historiques de l'ancienne Rome n'éveillent {Joint , comme les
courtisanes de la Grèce, des idées de volupté,
de plaisir, elles ne doivent leur grandeur qu'à
leur attachement aux· modestes devoirs de leur
sexe : ce sont de graves et austères matrones,
« lani(zcœ >> ayant bien filé la laine, comme disent
les textes. En un mot, autant la femme grecque
est protégée par les lois et abaissée par les
' mœurs, autant la· femme romaine est abaissée
par les lois et relevée par les mœurs.
Nous n'avons pas la prétention d'étudier la condition de la femme chez le~ peuples anciens et
modernes, · d'examiner les modifications succes-
J
�-8-
(
sives qui se sont produites dans · celte partie si
intéressante de la législation et d'en rechercher
les causes et les conséquences. Ce serait une
œuvre au-dessus de nos forces, exigeant une érudition et un talent qui nous font défaut. Nous
nous bornerons à l'étude des législations romaine
et française. De nombreux ouvrages ont déjà été
publiés sur la condition de la femme et, si nous
nous sommes décidé à aborder de nouveau ce sujet,
c'est que nous avons espéré, en donnant à nos
recherches une direction particulière, parvenir à
présenter à nos juges un travail intéressant et utile .
Nous essaierons de déterminer les diverses phases
par lesquelles a passé l'état social de la femme
depuis l'époque presque fabuleuse des premiers
rois de Rome jusqu'à l'époque contemporaine,
d'en apprécier le caractère, les résultats et de
montrer les progrès successifs qui furent apportés
par les mœurs, les lois et la civilisation.
En droit romain, après avoir rapidement expliqué
l'organisation de la famille dans l'antiq~e Rome,·
nous rechercherons quelle était, dans cette société primitive, la condition de la femme comme
fille et comme épouse. Après avoir donné quelques renseignements indispensables sur la tutelle agnatique et la conventio in manum, nous
verrons, en continuant notre étude, les liens de
famille s'affaiblir graduellement, les institutions
et les mœ'urs s'altérer et la, corruption la ~lus
�-9-
profonde succéder à l'antique austérité. Nous assisterons à la chute de la tutelle et à la disparition de la manus qui en furent les conséquences
et, après avoir étudié les impuissants efforts
d' Auguste et de ses successeurs pour ramener
sous le joug la femme trop émancipée, nous terminerons en montrant combi:en une régénération
sociale était nécessaire et comment le christianisme l'opéra.
Poursuivant notre étude en droit français, nous
examinerons quelle était, dans l'antique Gaule,
la condition de la femme sous le droit germanique et sous le droit féodal. Nous verrons ensuite comment les travaux des jurisconsultes, les
ordonnances de nos rois et la jurisprudence des
parlements parvinrent à fondre ensemble les
éléments divers dont se compose notre droit
actuel et à préparer ce magnifique monument de
nos codes que la main puissante du Premier
Consul devait enfin pa:venir à édifier. Arrivant \ f J
au code civil, nous y trouverons la femme con- 1 ~
sidérée comme l'égale de l'homme, partageant
ses honneurs et ses prérogatives. Nous expliquerons comment les nécessités sociales ont cependant fait refuser à la femme mariée une capacité
complète et nous essaierons de déterminer sa
condition juridique et civile soµs les divers régimes matrimoniaux.
J'fous achèverons notre travail en poµs deman-
�iO -
dant si les lois actuelles sont en harmonie complète avec les mœurs du peuple qu'elles régissent,
et quelles modifications pourraient être désirées .
Tel est le cercle, encore bien vaste, que nous
nous sommes tracé, puissions-nous ne pas être
trop inférieur à notre tâche !
•
�DANS LA SOCIÉTÉ ET DANS LA FAMILLE
AUX DIVERSES ÉPOQUES
DU DROIT ROMAIN ET DU DROIT FRANÇAIS.
PREMIÊRE PARTIE.
La Femme
Romain e.
CHAPITRE I.
Organisation de la famille dans l'antique Rome.
Si nous en croyons la tradition, le berceau de Rome
fut un repaire de brigands ; r,'est à une réunion
d'hommes étrangers:-P oui:7'âlnsi dire, à toute~ les lois
divines et humaines, qu'est due la fondation de cette
ville destinée à devenir la maîtresse du monde entier.
Cette origine est, à elle seule, une excellente explication du rigorlsJ.!l~~cessif de la législa_Qol!_ p!imitive
des Romains. Pour ces hommes durs, ·grossiers, barbai::es, ne connaissant guère que le droit du plus fort ,
que la suprématie acquise par la hasta, il fallait des
•
�-
i2 -
, lois sévères sanctionnées par des pénalités terribles,
suffisantes pour en assurer la rigoureuse exécution.
Nous sommes bien loin à cette époque de ces admi~
rables commentaires des lois, monuments éternels de
la science juridique, qui furent l'œuvre des études patientes des jurisconsultes et de la sagesse des Préteurs. Pendant longtemps on ne connaîtra que le
droit strict (strictum jus), la -formule dont les termes
sacramentels lient invinciblement le Magistrat, quelles
que soient d'ailleurs les considérations d'équité -qui
paraissent devoir modifier la sentence.
On a dit souvent, avec raison, que les lois qui ré(; { gissent un peuple sont l'image fidèle de son gouver\ \\ nement et de sa civilisation. Les quelques observations
que nous venons de faire t'n commençant, nous permettent donc déjà d'affirmer que, dans les temps primitifs, le gouvernement de Rome devait nécessairement
être autoritaire et despotique. Telle est d'ailleurs la
forme de gouvernement qui préside généralement à
la naissance et au développement d'une nation, et, en
parcourant l'histoire des peuples, on en trouverait
~ssurément bien peu débutant sur la scène du monde
avec une organisation démocratique. C'est qu'en effet
la force est le premier besoin qui se .fasse sentir à
une société naissante, et c'est par la concentration de
tous les pouvoirs dans les mains d'un seul que l'on
parvient le mieux à lui donner satisfaction. Les fondateurs de Rome avaient parfaitement compris cette
nécessité plus impérieuse pour eux que pour les autres
chefs d'État, vu les hommes qu'ils devaient réunir et
policer. Aussi, non contents d'établir, .avec la forme
monarchique, l'absolutisme du pouvoir, Hs soumirent
�-
'13 -
rorganisatio n de la famille à de Lels principes que le
paterfamilias devint bientôt lui-même un véritable
souverain dans sa maison.
A côté de la famille naturelle fondée sur les liens de
parenté, et qui préexiste à toute organisation sociale,
les législateurs de Rome imaginèrent une famille spéciale, régie par des lois particulières, et qui fut appelée famille civile ou agnatig:ue. Elle comprend tous
ceux qui sont sous la puissance d'un auteur commun
ou qui y seraient si ce chef vivait encore. Le père de
famille exerce la puissance paternelle non-seulem ent
sur ses enfants, maiS encore sur ses petits enfants, à
quelque degré qu'ils soient, pourvu qu'ils descendent
de lui par les mâles. Cette puissance donne à celui
qui en est investi des prérogative s terribles. Il a le
droit de vie et de moTt sur ses enfants, il peut les
vendre, les donner en gage et même les abandonner
en réparation du préjudice qu'ils auraient causé à un
tiers. Le fondement de la famille à Rome ne réside
pas dans le mariage, mais dans la puissance pater•
nelle.
Les Romains étaient très-fiers de cette puissance
paternelle; ils n~ l'accordaient pas aux étrangers. Gai us
nous dit formellement : «Jus potestatis quod in libe1
cc ros habemus, proprium est civium romanoruin • »
En fait, il ne serait pas exact de considérer l'omnipotence du père de famille coinmCUrî eèréation arbitraire ae la'loi romaine, ~·est la base et le rinci e du
régime -eattiarcfil et tout peuple remontant à ses origines en découvrirait aisément le.s traces. Ce qui est
1
Gaius, Corn. r, § 55 .
\
�-U-
• 1
particulier à Rome, ce qui imprime à cette puissance
paternelle un caractère spécial, c'est que cette institution qui ne se rencontre guère que dans les sociétés
primitives, persista pendant de longs siècles et au .milieu d'une civilisation déjà avancée. Hâtons-nous de
dire que cette barbar.ie législative était réprouvée par
les mœurs et que ce serait se faire une idée inexacte
de la famille romaine que de se la représenter sous
une forme oppressive et brutale. Sans doute le paterfamilias absorbe à lui seul la personne et les biens de
ses enfants : ceux-ci ne sont pas néanmoins dans une
situation aussi inférieure qu'on po~rait le croire tout
d'abord; ils sont considérés comme co-propriétaires
des biens patrimoniaux, aussi, à la mort du père de
famille, dit-on dans la langue juridique qu'ils se suc.cèdent à eux-mêmes, chacun est héritier sien (hœ1·es
suus). En laissant de côté cette dureté, plus apparente
que réelle, de la législation, on ne peut s'empêcher
d'admirer cette belle conception de la famille romaine
où le père, à la fois souverain et pontife, nous apparaît revêtu d'i.fne indéniable majesté.
A côté des institutions patriarcales que nous venons
d'esquissêr rapidement, se conservèrent longtemps
des mœurs pures et sévères; aussi, jamais les liens
de famille ne furent plus étroits et plus indissolubles,
jamais' la piété filiaie ne fut plus vive qu'à une époque
où le père pouvait impunément tuer ou vendre ses
enfants, jamais les conventions ne furent plus fidèlement observées que sous dès lois qui permettaient,
ordorinaient même l'absolution du . défendeur· pour
une simple erreur ou omission dans les termes sacramenlels de la formule,
�-
,15 -
Telle était, ~n résumé, l'organisatio n politique qui
devait conduire Rome à un si haut · degré de prospérité et de grandeur. Pour apprécier sainement quelle
était dans cette société primitive la condition de la.
femme et pour exposer avec ordre notre sujet, il importe de considérer trois situa~ions :
0
i La femme peut être dans sa famille paternelle au
rang de filiafamz'lias: elle est alors alienijurz's et sous
la puissance de son père.
2° Elle peut être suiju1·1·s par son émancipatio n, par
la mort de son père ,ou quelqu'une des autres causes
qui mettent fin à la puissance paternelle, comme la
perte de la cité ou de la liberté par le chef de famille. ()
La femme est alors soumise à une tutelle spéciale et •
perpétuelle.
3° Elle peut être mariée.
Étudions successivement chacune d'elles.
CHAPITRE II.
La femme dans la famille paternelle.
La fille de famille est, comme le fils lui-même, soli·
mise à toute l~rigueur de la pui(:lsance p.aternelle.. :
elle peut être tuée, vendue, abandonnée noxalement .
Il paraît même probable, au moins à l'époque de la j
loi des XII Tables, que le père avait droit de la marier
sans son consenteme nt. Ces pouvoirs exorbitants du
chef de famille qui, sans doute, ne furentjamai s exer~
cés dans li;iurs dernières limites, ne tardèrent pas à
subir ae sages restrictions sous la double influence
�·16
-~
des . mceurs ~~ d!l§....institulions prélorlennes. L'abandon noxal tomba d'abord en désuétude et le père
de famille ne put marier, ni même fiancer sa fille
( sans qu'elle y consentît, ainsi que . nous le prouve
ce texte de Julien : « Et sicut nuptiis, ita sponsalibus
cc filiamfamilias oportet consentire 1 • »
C'était là un important adoucissement dans la condition de la filiafamilias, néanmoins le père conserva,
jusqu'à l'époque de l'empereur Antonin, le droit de
dissoudre le mariage de sa fille en envoyant le repudium à son gendre. Le consentement paternel est
r eqcls, à peine de nullité~our Ïa \Ta.1ii:Iffédu mariage
èt le jurisconsulte Paul décide que si une fille de fa.:.
mille s'est mariée à l'insu de son père, l'enfant, même
né après la mort de celui-ci, n'est pas légitime s'il a
été conçu de son vivanti. D'ailleurs, le père ne peut
injustement <:ondamner sa fille à un célibat absolu et
s'il refuse méchamment (i"njuria) son ~onsentement,
le président de la province peut autoriser la fille à
passer outre; de même, si le père de famille ne peut
consentir parce qu'il est en démence, prisonnier chez
l'ennemi, ou absent, des constitutions impériales ont
successivement permis dans tous ces cas à la filiafamilias de contracter mariage.
Au point de vu~~c~al, la fil~~ille est
traitée comme le filiusfamilias; nous ne trouvons pas
à Ïlome cesprlviléges de masculinité et de primogéniture que nous aurons à signaler en étudip.nt en
France le droit féodal. Nous devons toutefois indiquer
• Dig., lih.
1
xxm, tit.
1, LiiL
Div., lib. I, tit. V, 1. H.
�-
17 -
quelques différences qui, toutes, trouvent leur explication dans l'organisation spéciale de la famille romaine. Les Romains voyaient dans leurs enfants
mâles ceux qui devaient perpétuer leur nom et les
traditions de la famille et continuer l'exercice des
sacra. Aussi veillaient-ils avec un soin jaloux à la
transmission de leur patrimoine comme le prouve la
règle célèbre dont on reconnait l'influence · dans
maintes institutions du droit romain : « Nemini in<< vito agnascitur suus hreres. » La fille devait, par
son mariage, aller dans une famille étrangère et les
enfants dont elle serait mère n'auraient aucun lien
d'agnation avec la famille maternelle. C'est là ce qu·
nous explique comment, dans certains cas, la puissance paternelle semble se relâcher en faveur de la
fùle; ainsi, même dans le très-ancien droit, on permettait à la fille du Furiosus de se marier sans le consentemerit paternel, tandis qu'après de longues hésitations,- n'est q~e sous Justinien que le fils obtint
enfin la même faveur 1 • De même , une seule mançipation suffit au père de famille pour épui'Sër son dr~t
de puissance. sur sa fille, tandis que ce n'est qu'après
trois ventes successives que le filiusfamilias se trouve
libéré de la puissance paternelle. C'est encore pour le
même motif que le consentement de l'aïeul était suffisant pour le mariage de la filiàf'amilias, tandis qne le
fils devait obtenir en outre le consentement de son
père, et que l'exhérédation inter cœtei·os, valable pour
les fùles, était i~sante pour les fils. L'omission de
la filiafamilias dans un testament n'en entraînait pas
w
t
L. 25, C, de Nuptiis,
�-
'18 -
la nufüté comme celle d'un filius!'amilias. La sU:ùctioo
étriit ici moins énergique. Les textes qui nous sonl
connus sur cette question sont d'ailleurs fort obscurs
et ont donné lieu à de vives controverses. Voici en
effet ce que dit Gaius 1 : «Valet lestamentum, sed prre« teritre istre personre scriplis heredibus in partem
« adcrescunt : si sui instituti sint in virilem, si extra« nei in dimidiam. » Quelle est l'étendue de cette part
vfrile qui doit revenir aux filles omises ? est-ce une
part virile pour toutes, ou une pour chacune d'elles?
Comment partager la succession, si le testateur a institué à la fois des héritiers siens et des étrangers et à
omis sa fille? Divers systèmes ont été proposés sur
cette question; nous pouvons dire qu'aucun d ' en~
n'est complètement satisfaisant, car il a été impossible de concilier entre eux les textes souvent altérés
qui nous sont parvenus. Ce qui est certain, c'est que
la fille omise avait le jus acci·escendi ; on la considérait
comme fictivement instituée, sans doute en vertu de
celte règle que personne ne peut avoir à la fois des
héritiers testamentaires et des héritiers ab intestat,
et elle participait proportionnellement à sa part au
paiem~nt des legs et des dettes, de la succession.
Le droit prétorien apporta bientôt d'ailleurs aux
filles omises dans le testament paternel un recours
plus efficace que le droit d'accroissement; ce fut la pos·
session de biens contm tabulas testamentz·, par laquelle
les étrangers furent toujours écartés de l'hérédité.
Ainsi, à mesure que la condition personnelle de la
fille de famille s'améliore, le préteur multiplie les
1 Coin. 1r, §
124 .
�-- 19 -
fictions légales pour assurer à la filiafamilias ses
droits successoraux. De là l'invention de la possessien
de biens unde lzbei·i qui appelle à l'hérédité paternelle
même les enfants sortis de la famille par émancipation, la création de la plainte d'inofficiosité, et, bientôt après, de la quarte légitime.
La fille de famille est absolument incapable de tester, par ce motif bien simple que, placée sous la puissa"Ilce de son père, elle ne possède rien en propre. Il
ne peut être question pour elle de l'hérédité maternelle car, ou sa mère est in manu mai·iti, et alors sa
personne et ses biens sont absorbés par l'omnipotence maritale, ou elle est restée dans sa famille paternelle, et alors il n'y a aucun lien d'agnation · entre
elle et sa fille et partant, pas de droits de succession,
ou enfin, la mère est libérée à la fois de la puissance
pl'/.ternelle et de la puissance maritale et alors, dans le
droit strict, elle est caput et finis familùe et sa fille ne
lui succède pas parce qu'il n'existe entre elles qu'une
cognation dont la loi ne tient nul compte .dans les
rapports réels. Ce système, déjà profondément modifié par les sénatus-consultes Tertullien et Orphitien
qui établissent des droits réciproques de succession
entre la mère et ses enfants, disgarut avec Justinien_
qui, dans les Novelles 118 et 127 justement célèbres,
refondit les successions ab intestat en substituant la
parenté naturelle à la parenté civile, achevant ainsi
la révolution commencée par les préteurs.
· Lorsque, dans le dernier chapitre de ce travail, nous
étudierons l'influence du christianisme sur les ainé~
liorations successives de la condition de la femme,
nous donnerons quelques détails plus circonstanciés
}
�-
20 -
sur la chule de !'agnation el sur ces imporlanles modifications qui attribuèrent à la femme, dans l'ordre
de succession, des droits égaux à ceux de l'homme.
En même temps dispa1;ut la prohibition de tester; du
moment qu'elle eut des biens en pleine propriété, la
filiafamilias obtint, par voie de conséquence, la fac1ùté
d'en disposer sous la seule réserve de la légitime due
aux ascendants 1 •
~ La capacité de la fille de famille, au point de vue
des actes civils, a subi les mêmes vicissitudes que sa
confütioiïëiîe-même. Dans les premiers temps où tous
les actes étaient 'solennels et ne pouvaient s'accomplir
que dans les comices, ou suivant les anciennes formalités des Quirites, la femme, exclue du Forum, élait
entièrement incapable. C'est ainsi que la faculté de
tester était refusée aux femmes parce que le testament se faisait calatis comitiis et qu'elles ne pouvaient
être adrogées parce que l'adrogalion exigeait une loi
curiale. Quant aux obligations, nous savons que les
enfants du père de famille n'étaient pour celui-ci que
des instruments d'acquisition, mais déjà, dans le trèsancien droit, on reconnut que le · filiusfamilias était
par ses contrats obligé civilement, c'était même une
des différences caractéristiques qui le distinguaient
de l'esclave. Cependant des difficultés se sont élevées
sur le point de ~oir si la filiafamilias pouvait elle
ê:ussi s'obliger par contrat. Neus n'entrerons pas dans
la discussion de cette question de peur d'être entraîné,
par des développements indispensables, au delà des
limites que nous nous sommes tracées, nous propo1
Nov. Ho, ch. rv,
�- 21
sant de démontrer oralement, en soutenant une de
nos positions, la capacité de la fille de famille.
D'ailleurs, à mesure que les mœurs s'adoucirent , le
rigorisme et le formalisme de l'ancien droit fléchirent
peu à peu ; les préteurs imaginèrent mille moyens 1
d'éluder les prescription s surannées de la loi sur la /
forme des actes, et toutes ces solennités emblêmatiques, exigées jadis sous peine de nullité, tombèrent
en désuétude. La condition de la fille de famille en
ressentit naturelleme nt un contre-coup favorable.
Enfm, quand les terribles prérogatives de la puissance
paternell~ furent abolies une à une, la füiafamilias
conquit plus d'indépendance et, sauf quelques restrictions apportées par des lois spéciales dont nous
aurons à parler ultérieurem ent, elle devint entièrement capable sous les em ~ur~ chrétiens pourvu_
q~1'elle possède_des_biens et ait atteint l'âge de puberté. Sa position est même, dans certains cas, préférable à celle du fùs de famille puisqu'elle peut tester dès l'âge de douze ans et que le droit d'agir sans ,
curateur (venia œtatis) peut lui être octroyé par les J
empereurs dès l'âge de dix-huit ans 1 •
En résumé, les institutions, les mœurs, l'influence
du christianism e améliorèren t succêssivem entla condition de la fille et la rendirent aussi bonne qu'elle
peut et doit être. Aussi, est-elle aujourd'hui encore à
peu près ce qu'elle était à l'époque de Justinien.
1 L.
2, C. lib. II, tit. XL V.
�-
22 -
CHAPITRE III.
La femme sous la tutelle perpétuelle.
Lorsque la femme, libérée de la puissance de ses
ascendants ou du mari sous la manus duquel elle se
trouvait, devenait suijuris, elle n'était guère plus libre
qu'auparavant, .car les lois la soumettaient alors à une
tutelle perpétuelle que l'on peut justement considérer
comme l'une des institutions les plus originrtles et les
plus singulières du droit romain. Les auteurs en
donnent pour motif la fragilité du ~ (fragilitas
sexûs), la légèr~té de l'~.IJrit (levüas animi) et l'ignorance des a!f~res (re1-um forensium ignomntz'a). Gaius
trouve ces motifs plus spécieux qqe réels et déclare
ingénûment que la tutelle perpétuelle des femmes
n'a aucune raison sérieuse d'exister : c< nulla pretiosa
c< ratio suasisse videtur 1 .» Deux explications ont été
proposées : la première voit dans la tutelle perpétuelle une mesure de défiance à l'égard des femmes.
Autant les anciens Romains respectaient l'épouse, la
mère de famille, ~utant ils redoutaient son influence
. dans la société. Ils ont donc voulu la rendre incapable pour l'empêcher de paraître sur la scène sociale
et assurer aux hommes le gouvernement de la cité.
Nous préférons la deuxième qui considère la tutell~
perpétuelle comme une règle dérivant naturellement
de la constitution même de la famille civilé.La femme
' Gaius, Corn. r, § 1.90,
�- 23avait, nous le savons, dans la famille de son père, les
mêmes droits de succession que les mâles, mais elle
ne pouvait rien transmettre , même à ses propres enfants. A sa mort ses biens devaient revenir à la ligne
masculine , aux agnats. Les Romains craignirent
qu'en laissant à la femme une liberté d'agir pleine et
entière, elle n'en abusât pour diminuer le patrimoine
de la famille par des générosités irréfléchies. Celte
idée app~raîtra clairement dans les quelques développements que nous allons donner et nous verrons que
le~table but_dtl_a tJJ.t~lle perpétuelle est bien_ ph~s
la conservation des biens dans la famille agnatique
que la protection due à la prétendue faiblesse de la
femme.
La tutelle à laquelle pouvait être soumise la femme
sui J°ui·is était de di verses espèces. D'abord le père -de
famille avait le droit de nommer à sa fille devenant
libre à sa mort, un tuteur testamegtair e. Le même
droit était accordéâü mari pour son épouse in manu.
Dans ces deux cas le testateur concédait souvent à la
femme le choix du tuteur (optio tutoi·is). L'option était
dite plena lorsque la femme pouvait changer de tuteur à volonté, angttsta lorsque son exercice était limité à un nombre déterminé . Quand il n'y avait pas
eu de tuteur nommé par le père ou par l'époux, la
femme tombait sous la: tutelle de ses agnats, qualifiée
de tutelle légitime_, Cette tutelle poii"Vàlt appartenir
à un impubère, à un sourd ou à un muet t et l'agnat qui
en était revêtu avait le droit de la céder à un tiers qui
prenait le nom de tutor cessicius. Celui-ci n'avait d'ail1
Gaius, Com. r, § 178, 180, - Ulp., tit. XI, § 20, 2i.
�~
24 -
leurs que l'exercice du pouvoir qui continuait de résjder en la personne du cédant. Aussi tout événement
de nature à faire perdre la tutelle au cédant l'enlevait
aussi au cessionnairi;i. Ce droit bizarre de cessibilité distingue profondément la tutelle agnatique de la
tutelle des mineurs. Gaius l'explique par la nécessité
de ne pas imposer indéfinii;rient à un individu une
charge pénible et onéreuse : car la tutelle des femmes
ne finit qu'avec leur mort 1• M. Accarias fait remarquer, avec raison, que si tel était le véritabie motif
de la cessibilité il eût fallu étendre cette faculté à tout
tuteur d'une femme pubère alors qu'elle paraît avoir
été toujours restreinte aux tuteurs légitimes. Aussi
l'expliquerons-nous avec cet éminent auteur en disant
que la tutelle agnatique, établie dans l'intérêt des tuteurs eux-mêmes, était considérée comme un droit de
famiµe, comme une véritable pr.Q1niété.
A défaut d'agnats, la femme était obligée, pour valider ses actes , de demander un tuteur au préteur
urbain.
.- MentionnonSêncore la tutelle fiduciaire à la<illelle est soumise la fille émancipée piir son père on
affranchie par celui sous le manczpium ou la manus duquel elle se trouvait. Nous aurons occasion d'en reparler et de dire le singulier usage que les femmes
en firent dans la suite.
Si nous recherchons quelle. était, sous la tutelle
perpétuelle, la condition de la femme, il faut nécessairement, pour bien saisir le système de la loi romaine, partir de cette idée, déjà plusieurs fois signat Gaius, Com. I, § 168. C'est d'ailleurs le motif qui a fait restreindre d·ans notre droit à dix années la tutelle de l'interdit. Code
civil, art. 508.
�-
25 -
lée, que c~t~i~ une_instililtion_aristocratique
ayant pour but essentiel de maintenir les biens dans
la famille agnatique. De là cette première conséquence
que le tuteur n'a as à gouverner la personne de sa
pupille, ni par suite à surveiller sa conduite et ses
mœurs o à intervenir dans le choix d'un_époux. Jusqu'à l'époque impériale la femme suijuris n'eut besoin
du consentement de personne pour pouvoir se marier.
La femme pubère n'est ni une mineure, ni une insensée, aussi adminisLre-t-~le elle-m_~m~ ses ~iens t.
mais, pour que ses actes soient valables, il lui faut
l'auctoritas de son tuteur dans tin certain nombre de
cas qu'Ul ien nous énumère 1 et qui sont au nombre
de cinq : procès dont la forme est réglée par le droit
civil, obligati2!1, acte civil, autorisation accordée à
une affranchie de vivre dans le contuberniu m d'un
esclave, aliénation de re2....!!!:.ancil!.z'· Au fond, sauf le
droit de disposition qui lui appartenait sur ses biens
nec manâpz", considérés d'ailleurs comme de peu d'importance, la femme n'était guère plus capable que le
pupille sorti de l'z'nfantz'a, car elle ne pouvait faire sa
condition pire, puisqu'il lui fallait pour s'obliger l'autorisation de son tuteur. On a beaucoup discuté sur
le point de savoir quel était le motif qui avait déterminé le législateur romain à interdire à la femme. les
actes que nous venons d'énumérer. Les auteurs qui
considèrent la ·tutelle perpétuelle comme instituée
pour subvenir spécialement à la faiblesse et à l'ignodans le caractère
rance de la femme, croient le trouver ..__
1
___
1
Ulp., fr. XI, § 27.
�-
26 -
solennel de ces actes qui, · généralement accomplis
devant le magistrat ou devant des témoins représentant le peuple romain, ne devaient pas être permis
aux femmes exclues des comices et du forum. Cette
opinfon ne nous paraît pas acceptable, car, non-seulement il est certains actes interdits à la femme qui ne
présentent aucune solennité, mais il en est plusieurs
qui sont solennels et qu'elle peut cependant faire
seule. Il paraît plus exact de dire que les cinq actes
précités ont été interdits à la femme parce qu'ils peuvent renfermer une aliénation et par suite entamer
le patrimoine, et peu importe qu'en fait ils n'en renferment point. La loi a dû s'en tenir à la forme de
l'acte et exiger dans tous les ca.s l'autorisation du tuteur.
En fait cette tutelle ne fut pas longlemps un obstacle sérieux à l'indépendance des femmes. La faculté
d'oplion, le droit de cessibilité, les arguties des jurisconsultes ne tardèrent pas à en faire un pouvoir plutôt nominal qu'effectif. Du reste le tuteur ne pouvait,
par son mauvais vouloir, paralyser l'action de la
femme: s'il refusait son auctoritas, le préteur intervenait pour le contraindre à la donner; nous devons en
conclure que l'autorisation ne fut bientôt qu'une ·
simple condition e 1Ûrme 1 • Nous en avons d'ailleurs
la preuve dans le§ Ides fragments du Vatican. Nous
y voyons que la vente d'une chose mancipi consentie
.---
1 Ce qui prouve surabondamment que cette tutelle dut à toute
époque être assez illusoire, c'est l'absence totale de sanction : la
femme pouvant en effet contraindre judiciairement son tuteur à
donner l'aucto1·itas ne peut avoir contre lui aucune action pour
mauvaise administration. C'est d'ailleurs ce que dit Gaius, Com. 1,
§ 191.
�t
-
27 -
par la femme sans autorisation du tuteur n'est pas
nulle lors même que l'acheteur avait connu l'incapacité de la contractante. Celui-ci possédera d'ores et
déja pi·o emptore et fera les fruits siens parce qu'il les
perçoit du plein gré de la propriétaire, cette dernière
conserve seulement le droit, tant que l'usucapion n'est
pas accomplie, de reprendre sa chose en restituant le
prix.
Il est cependant un acte pour lequel la rigueur du
droit primitif se maintint longtemps : c'est le testament. Jusqu'à: un rescrit de l'empere ur Adrien, la
femm.e en tutelle ne put tester que sous la double
condition de l'autorisation de son tuteur et d'une diminution dé tête préalable. Cette règle s'explique
aisément avec le système que nous avons adopté : le
testament a une importance exceptionnelle, car il permet au testateur de dépouiller sa famille du patrimoine . sur lequel elle comptait légitimement. Le législateur a voulu assurer le retour aux agnats des
biens possédés par la femme, aussi ne lui atcorde-t-il
la facullé de tester que quand elle n'a plus de famille
par suite de la mz"nima capz"tz"s minutio et, sans doute, avec
ce secret espoir qu'elle en usera en faveur de ses anciens agnats.
Contraire au droit nl!turel, la tutelle des femmes )
devaif nécessairement disparaître avec l'esprit aristocratique qui l'avait fait établir. Nous avons déjà fait
connaître les causes multiples qui précipitèrent sa
décadence ; toutefois il en- fut de cette institution
oomme d'un grand nombre d'autres du vieux droit
romain : elle tomba en désuétude longtemps avant
d'être législativern.ent abolie ët disparut peu à _peq
-
�-
28 -
comme toutes les lois qui jurent trop ouvertement
avee les mœurs et les idées publiques. Nous aurons
bientôt occasion de montrer combien elle était inefficace à l'époque de ·Cicéron, et, cependant, ce n'est que
sous le règne de l'empereur Claude- tant était grand
le respect des Romains pour leurs antiques institutions - que nous voyons prononcer l'abolition de la
tulelle agnatique, mais la réaction fut alors poussée
à l'excès puisqu'on alla jusqu'à décider, par interprétation de la lex Claudia, que les femmes ne pourraient
jamais avoir pour tuteurs leur frère ou leur oncle.1 •
Quant à la tutelle des ascendants et à celle des patrons , elle se maintint longtemps encore et on
en cherche vainement l'abrogation dans les textes du
droit romain. Diverses constitutions de Constantin
permettent de penser que ce prince effaça les derniers
vestiges de la tutelle des femmes ; ·ce qui cl.ans tous les
cas paraît certain, c'est qu'elle avait entièreme:i;i.t disparu ll:V!n~! ~stinien. qui n'en :parle pas dans ses immenses compilations et ne s'occupe que de la tutelle
des impubères.
CHAPITRE IV.
La. femme dans le mariage.
L'union des sexes à Rome commence par l'enlèvement des Sabines. On conçoit aisément quesrnune
épûüSe- conqqise ainsi de vive force le Romain doit
1
Gai us, Com. r,. § 1.57.
�-
29 -
avoir les droits les plus éLendus, tous ceux que confèrent les armes au guerrier vicLorieux, eL notamment
le jus vitm et necz's, le droit de vie et de mort. Les législateurs de Rome, redoutant l'influence de la femme
dans une société naissante, non-seulement l'avaient
complétement exclue de la vie politiq.ue, mais encore
l'avaient placéèSôÜs la dépendance absolue de son
époux et de son pèrê ou, à leur défaut, sous la tutelle
de ses agnats. Nous savons déjà que les mœurs
avaient été beaucoup plus favorabl~s que lei? lois à1;femme romaine. Elle régnait en maîtresse au foyer '
domestique, dirigeant les travaux des esclaves et
l'éducation des enfants. Le lieu où _elle résidait, ,
l'atrium, était considéré comme sacré; en un mot, la)
femme était véritablement associée à la vie de son
mari et les paroles sacramentelles que prononçait la
nouvelle épouse, en entrant dans la maison conju-.
gale : Ubi tu gaius ibi ego gaia ; » là où tu seras le
maître, je serai la maîtresse, n'étaient point une vaine
formule. Nous ne trouvons pas, dans l'antique Rome,
ce que nous voyons dans diverses législations primitives, notamment chez les peuples de l'Orient, la
polygamie et l'esclavage de la femme. Celle-ci est
sans doute soumise à la puissance illimitée et terrible
de son mari, mais elle n'est pas pour lui u:g~ esclavfh
Elle lui tient lieu de fille, loco filùe . Ce terme si doux
nous indique la véritabiê nature de la protection dont
l'épol~x entoure la femme et est pour elle un sûr
garant d'indépendance et de bonheur. Les liens du
ma~g~ étaient considérés à Rome comme sacrés,
leur indissolubiliLé était un principe si essentiel que,
-· établirent le mariage inférieu ~
quand les Romains
(<
-----
•
�30 -
r..onnù sous le nom ùe concubù1atus, ils le soumirent à
la loi de la monogamie~-divorce était permis pour
.certains cas spécialement prévus et rigoureusement
limités, et les mœurs étaient si pures que, pendant
cinq siècles, au dire de tous les historiens, jusqu'à
Carvilius Ruga, on n'en vit pas un seul-exemple. Nous
n'hésitons donc nullement à adopter l'opinion dont
M. Gide s'est fait l'éloquent défenseur et qui soutient
qu'avec les deux caractères de monogamie et d'indissolubilité, il est impossible que la puissànce maritale,
la man.us pom.· l'appeler par son nom, ait été à Rome
la plus odieuse et la plus révoltante des tyrannies.
En recherchant quelle était, sous celte union avec
manus qni , pendant plusieurs siècles, fut presque
exclusivement pratiquée à Rome, la condition de la
femme, nous entrerons dans quelques détails sur
cette curieuse institution et essaierons d'en déterminer
le véritable caractère.
SECTION J.
MANUS.
La manus est une institution du droit civil par
laquelle la femme, rompant tous les liens d'agnation
qui l'unissent à la famille paternelle, passe, avec tous
ses biens, sous la pnissance de son mari. Elle a été
évidemment formée sur le modèle de la patria potes~
tas. Disons tout d'abord qu'elle n'est qu'une modalité
du mariage. L'opinion émise pur Pothier que, même
dans le plus ancien droit romain, il pouvait y avoir
Justœ nuptiœ sans conventi'o in manum, a été pleinement
confirmée par la découverte des Institutes de Gains.
�- 31 11 est certain que, même à une époque antérieure à la
loi des XII Tables, le mariage pouvait être légalement
célébré et produisait tous ses effets sans l'addition de
la manus. Ce qui prouve suffisamment en effet i'existence, dès cette époque, de cette espèce dJ!.nlon qualifiée
libre ou non rigoureuse, c'est que les Décemvirs, dans
leurs lois, déclarent que le fait par la femme d'avoir
chaque année découché pendant trois nuits consécu~--d'éviter la manus de · son mari.
tives, lui permettra
C'est ce qu'on a appelé la t1·z'noctii usuipatio. Diverses
interprétations ont été données à cette disposition.
On a prétendu que c'était une innovation des Décemvirs faite dans un esprit aristocratique pour empêcher
que la patricienne, épouse d'un plébéien, ne tombât
sous la puissance de celui-ci. Il est difficile de se prononcer dans une matière où les textes font souvent
défaut et que de longs siècles ont enveloppée d'obscurité : toutefois, si nous remarquons que, dans une loi
postérieure, les Décemvirs prohibèrent complétement
les unions entre patriciens et plébéiens, ce qui n'.e:i;npêcha pas l'usus de subsister comme mode d'acquisition de la manus, nous sommes porté à. croire qu'en
inscrivant dans leurs tables la tn'noctii usu1patio, ils
n'ont fait que consacrer une coutume qu'ils trouvèrent
établie avant eux.
Mariage avec manus, mariage libre, telles sont lès
deux formes d'union reconnues dans l'antique Rome.
Recherchons quelle était, sous chacune d'elles, la
·
condition de la femme.
A notre avis, la différence essentielle, caractérisA
tique, qui distingue le mariage avec manus de l'union
libre, c'est que le premier seul entraîne une diminu•
�-
32
tion de tête (minutio capitis minima) 1 • La femme quitte
la famille paternelle pour entrer dans celle de son
mari : or, après ce que nous avons dit sur l'organisation de la famille agnatique à Rome, on comprend
toute l'importance, toute la gravité d'une semblable
conséquence. Si le paterfamilias vit encore, il perd
toute puissance sur sa fille pa:r; la conventio in manum;
s'il est mort, les agnats qui l'ont remplacé perdent
cette tutelle et ces droits de succession auxquels ils
attachaient un si grand prix. Aussi les tuteurs légitimes qui n'avaient jamais à s'occuper du mariage de
leur pupille, devaient-ils donner leur consentement.à
la conventio in manum <t. Remarquons d'ailleurs que si
la fiancée était filiafamilias, les agnats avaient tout
intérêt à ce mode de mariage, car, par suite du changement de famille qui en était la conséquence naturelle et nécessaire, ï1: équivalait à une renonciation de
successj~m. Ne possédant rien ·en propre-:- la fi.UT
romaine sous la puissance de son père ne pouvait
rien apporter à êOn mari, mais, d'après un ancien
usage attesté par Sulpicius et Varron, le futur époux,
au jour des fiançailles, stipulait du père, dans la forme
solennelle de la sponsio, une somme déterminée qui
devait lui être remise le jour du mariage.
La femme in manu suit la condition de ~on époux.
Si celui-ci est fils de famille, elle sera sous la puissance
de son beau-père qui pourr.a disposer d'elle comme
de ses autres enfants, sous la seule réserve de ne pas
Ulp., Rey. XI, i3.
'Divers auteurs ont même voulu attribuer à• l'opposition des
tuteurs à consentir la conventio in manum, l'introduction du mariage libri::.
1
�-
33 -
la séparer de son époux. Ce dernier est le seigneur et)
maître devant la majesté duquel la femme doit s'incliner, c'est ce qni fait dire à une jeune épouse dans
.
une comédie de Plaute :
..... Pudicitia est, pater,
Eos magnificare qui nos socias sumpserun t sibi.
De nombreu x textes nous font connaître la véritable
situation de la femme in manu : vis-à-vis de son mari,
elle est loco filù.e : de là résultent des conséquences
juridique s importan tes. Le mari ayant sur la femme
un droit analogue à la puissanc e paternell e 'peut lui
donner un tuteur testamen taire. La femme succède à
son mari comme hmres sua et a une part d'enfant : des
liens d'agnatio n naissent entreëll e et la famille de
son conjoint. Eri réalité, la rnanus n'était pas pour la
femme un changem ent d'état. Celle-ci devait ou rester
dans la famille de son père pour être soumise à la
puissanc e de ce dernier, ou passer dans la famille de
son époux pour y occuper une position analogue . Il
était bien plus naturel de prendre ce dernier parti,
autremen t tout ce qu'elle pouvait acquérir, continuait,
bien qu'elle fût mariée, à grossir la fortune de son
père sous la dépendance duquel elle restait et qui
pouvait rompre son mariage et l'éloigne r malgré elle
de son époux. C'est en vain qu'on objectera que la
personna lité de la femme se trouve compléte ment
absorbée par la majestas du mari ; il en est ainsi dans
toutes les législations de l'antiqui té et il faut arriver
à l'époque du christia_:i~me_J>our y trouv'"èfla femrp.e
considérée enfin comme l'égale de l'homme et deve~
nue véritable ment la compagn e de son mari. Nous
~
,,
�-Mvoyons, au contraire, que ~haquc sacrifice fall par la
_...,. femme i·n manu est payé par un droit correspondant.
Si sa fortune personnelle se confond et disparaît dans
la masse unique de l'avoir conjugal, un droit de succession s'ouvre pour elle et compense cette confusion;
si elle doit être soumise comme une fille à son mari,
J celui-ci de son côté ne peut la répudier sans motifs;
enfin, si juridiquement elle est traitée comme une
chose, si elle peut être acquise par cette usucapion si
critiquée qui forme le troisième ,mode d'acquisition
de la manus, il est juste de dire aussi que la monogamie, l'indissolubilité certaine à cette époque des liens
.._ matrimoniaux, rendent égale li!. situation des époux.
Le mariage avec manus fut, pendant de longues
années, presque exclusivement pratiqué par les Romains ; on ne vit que peu d'exemples de mariage
. libre. Les _mœurs répugnaient à la division de la maison conjugale et la logique voulait que la fille, ·une
• fois mariée, fùt libérée de la puissance paternelle et
soumise, quant à sa personne et à ses biens, à la
puissance de son mari. En outre, le mariage avec
manus était une institution du droit civil; aussi les
anciens Romains le considéraient comme plus digne,
plus honorable ; la femme ùi manu avait seule le titre
respectable de matei'familias et une certaine commu~
nauté d'intérêts avec son mari.
C'est donc en vain que nous cherchons dans les
textes l'explication de cette dureLé, de cette barbarie
dont on s'est plu si souvent à revêtir le manus . En
ê~aminant de près, on y trouve plutôt un r! gime matrimonial, une sorte de communauté à tilre universel
- cront la femme ëst copropriétaire au m ême titre que
�ses enfants. C'est le mode d'union le plus conforme
au droit naturel, celui auquel aurait pu vraimen t
s'appliqn er la magnifiq ue définition du mariage donnée par Modestin : c< Conjunctio maris et feminre,
« eonsortiu m omnis vitre, divini et humani juris corn« municati o ; » et Columelle nous dit avec raison en
parlant de ces anciennes unions : « Nihil conspicieba« tur in domo dividuum,' nihil quod aut maritus aut
« femina proprium esse juris sui diceret. » (De re
Rustica, xn.) On objecte que la femme étant la fille de
son mari, celui-ci ~cquiert sur elle la puissanc e paternelle qui compren d , comme nous l'avons dit, les
droits les plus étendus. On s'indigne de voir l'enlèvement de la femme considéré comme un vol et l'outrage falt à sa personne atteindre son mari. Cependant, dans le double intérêt de l'ordre public et de la
dignité de la femme , la pat1'z'a potestas appliquée à
l'épouse Sübit d'import antes modifications. Remarquons d'abord que la plupart des prérogéJ,tives accordées au mari dérivent du mariage lui-mêm e, et non
de la manus, noLamment le jus vz'tœ et necis. Pline
raconte en effet qu'une femme ayant été surprise au
moment où elle ouvrait le sac qui contenai t les clefs
de la cave fut condamn ée par le tribunal domestiq ue
à mourir de faim. Il la désigne par le mot de ma~ spécialem ent réservé à la femme mariée s~
manus. D'ailleurs, outre qu'il ne paraît pas avoir été
fréquem ment exercé, ce droit exorbita nt n 'était autorisé que dans certains cas et sous certaines conditions.
L'adultèr e flagrant de la femme ou des habitude s
d'ivrogn erie paraissen t avoir été les seules causes
autorisan t l'époux à prononc er contre sa femme la
1
�'
-
36 -
peine de mor~, et, encore devait-il obtenir l'assentribunal clomestiqp.e,
timent d'un tribunal spécial, dit .._
composé de sept membres agnats et cognats, et sur
lequel nous n'avons que des renseignements trèsincertains, attendu que créé par les mœurs et non par
les lois, il ne nous· est révélé par aucun texte juridique. « Le .mari assemblait les parents de la femme,
nous dit Montesquieu, et la jugeait devant eux. Cc
tribunal maintenaiL les mœurs clans la République,
mais ces mêmes mœurs maintenaient ce tribunal. Il
devait juger non-seulement de la violation des lois,
mais aussi de la violation des mœurs·. >> Quand il s'agissait de sévir contre la femme mariée sans manus,
c'était ~-père ayant consêrvé l'exercice de la puissance qui réunissait le tribunal domeslique, et le mari
y était appelé.
Faut-il dire que le mari avait, sous la manus, le
droit de v~ impunément sa femme et de l:abandonner noxalement? Assurément il n'eut jamais ces
"""·
priviléges exorbitants sous le mariage libre, car ils ne
peuvent s'expliquer que par un droiL de propriélé
accordé à l'époux sur la personne de son conjoint.
Les auteurs sont extrêmement divisés sur ceLLe question. D'une part Gaius nous dit formellement 1 que le
mari n'a pas sur sa femme in manu une puissance
aussi absolue que le père sur ses enfants, parce qu'il
ne la possède pas, mais ce jurisconsulte nous diL
aussi, dans un autre passage de· ses commentaires 2 ,
que la femme in manu peut être mancipée comme un
filiusfamilias. La difficulté est encore augmentée par
--- -
1
Com.
u, § 90 .
t
Cum.
1,
§ -117, :!18.
�-
37 - .
un passage singulier de Lucain 1 où le poète nous
raco~te, dans ee style élégant mais un peu emphatique qui lui est propre, que Caton le jeune sollicité
par son ami Hortensius, lui céda sa femme Marcia,
quoiqu'il l'aimât et qu'elle fùt enceinte, et qu'après la
mort d'Horten sius auquel elle avait donné des
enfants, elle revint chez Caton qui consenti t à la
reprendr e. Cette cession n'est sans doute point .analogue à une ~nte et à une répudiati on ; était-ce un
fait juridique ment autorisé et habituell ement exercé?
un des droits que conférait la manus? l'\ous en
Est-ce
·
sommes réduit aux hypothès es. Ce qui est certain;
c'est qu'en admettan t què le droit de vente ou d'abandon noxal fùt jamais accordé au mari, il dut disparaître de bonne heure, sans doute, comme dit M. Troplong qui ne_croit pas que le mari ait jamais pu vendre
sa femme, par une raison morale de pudeur publique,
L'honneu r et le respect dont nous voyons les Romains
entourer leurs épouses dès l'époque la plus reçulée,
ne permet guère de supposer un exercice habiluel do
droits si monstru eux. Signalons cependan t, à l'avantage du ~iag~liQ!e, ce fait que, sous cette union,
e pouvait, aussi bien que le mari, user d_e_ la
la fe
répuèliâtion, tandis que, sous le mariage
de
faculté
avec manus, le mari seul pouvait divorcer. D'ailleurs,
des précautio ns multipliées avaient été prises pour
rendre indissoluble l'union conjugal e : une ancienne
loi de Romulus rapporté e par Plutarqu e prononça it
contre le mari qui ;répudiait sa femme sans cause
légitime, confiscation des biens dont la moitié était
1 Pharsale,
u.
1
l ,_
.
'-
�-
38 -
donnée à l'épouse répudiée et l'autre moilié à Cérès.
Plus tard, l'homme qui divorçait était déshonoré par
le blâme du censeur et excommunié par le pontife.
Valère Maxime nous dit même que la déconsidération
qui suivait le mari ayant divorcé était assez grande
pour l'empêcher de parvenir aux fonctions publiques.
<c Censores·L. Antoninum senatu moverunt quod quam
cc virginem in matrimoninm duxerat repudiasset nullo
« amicorum in consilium adhibito . » Si on ajoute que
pendant cinq siècles il n'y eut pas à Rome un seul
divorce, on reconnaîtra que l'avantage accordé à la
femme sous le mariage libre étaiL bien illusoire à
l'époque que nous étudions. ·
7 C'est ùonc bien plutôt ~J.~~ !]!pport.s :t:éels des
~oux que dans leurs rapports personnels qu'il faut
chercher les différences du mariage libre el de la
manits et, à cet égard, la manus nous apparaît comme
bii n supérieure au mariage libre : elle identifie les
intérêts des époux, intéresse la femme à la prospérité
du ménage en lui accordant sur l'avoir commun des
droits de succession égaux à ceux des enfants. Notre
opinion apparaîtra plus plausible encore quand nous
aurons achevé l'étude que nous allons entreprendre
sur le mariage libre et que nous aurons vu les causes
peu honorables qui favorisèrent son développement.
Il est donc impossible de considérer la manus comme
l'oppression et la brutalité 4ans le mariage. Mais, si
nous sommes complélement d'accord sur ce point
avec M. Gide, nous ne saurions aller aussi loin que ce
savant professeur et.prétendre que la manus ne règle
en définitive que les rapports pécuniaires des époux.
Il nous semble que cette union solennelle, consacrée
�-
3!) -
par des formes symboliques et religieuses , mettait
l'homme et la femme dans une situation toute particulière qui ne se retrouve pas dans le mariage libre :
le mari nous apparaît comme le chef de la maison, le
protecteur et le père de sa femme, cl?.argé de tout
diriger avec sagesse et bienveillance en songeant
toujours qu'au point de vue moral, comme au point
de vue puremen t pécuniaire, son épouse est loco
filz'œ. C'est lui en effet qui remplace le père dont les
pouvoirs sont anéantis, c'est Jui qui doit veiller à
l'honneur de sa maison, c'est lui qui convoquera et
présidera, s'il y a lieu, le tribunal domestiqué. Sous
cette union avec manus, la femme eue aussi est entourée d'une considération toute spéciale qu'indique
déjà bien le litre de mate1'famihas et nous la voyons,
assise dans l'atrium, surveillant et dirigeant.son intérieur avec une autorité incontestée et pour ainsi dire
· sans limites. Ces remarqu es, et mille autres qu'il
serait aisé de faire, n'ont, je Je veux, qu'une importance juridique restreinte, mai:'s il importe néanmoins
de les prendre en considération si on veut avçiir une
idée exacte de la condition de la femme aux diverses
époques du droit romain, et quand nous verrons, tout
à l'heure, sous quel aspect le foyer domestique, au moment où fl.eurit le mariage libre, nous est dépeint par
les poètes, les historiens et les auteurs de cette époque,
nous reconnaîtrons mieux encore l'influence morale
de la manus sur ]a vie de famille, influence qu'il nous
paraît impossible d'attribuer à la confusion seule des
intérêts pécuniaires des époux.
�-
40 -
SECTION Il.
MARIAGE LIBRE.
Le mariage libre est une importation de la Grèce :
nous avons déjà dit qu'il était sanctionné iar la loi
des Xll Tables et émis l'opinion qu'il avait dû être
consacré par la coutume avant de l'être par la législation. Ce qui est certain, c'est que pendant les premiers
siècles de Rome, on ne vit guère d'unions conjugales
sans conventio in manum et qu'il fallut l'affaiblissement des liens de famille, suite naturelle de la corruption qu'engendrent toujours les conquêtes, pour
amener le développement du mariage libre. Deux
motifs contribuèrent prineipalement à faire adopter ce
nouveau régime matrimonial. La femme, sous le mariage libre, trouvait le moyen de jouir à son gré, et
hors de la puissance cle son mari, clu patrimoine qui
pouvait lui échoir dans sa famille; en outre, et c'était
un immense avantage à une époque où la dépravation toujoms croissante faisait du mariage une inslitulion passagère, elle avait le.droit cle r~p~~n qui
lui était refusé sous le régime cle la manus; aussi dès
que les divorces se multiplièrent, le mariage libre se
développa rapidement. A l'époque de Cicéron les deux
formes de mariage se partageaient déjà le nombre
. des unions : cc Genus enim est uxor, nous dit ee grand
« orateur , ejus dure formre, una malrumfamilias
cc earum qure in manum convenerant, allera earum qure
cc tantummodo uxores habentur.)) Les progrès du mariage libre furent si rapides que Gaius qui vivait sous
Marc-Aurèle nous parle de la manus comme d'une ins~-
--
;· , . 1
,.
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;,i
.....
··,.,
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.
litution depuis longtemps tombée en désuétude et
Tacite nous raconte que, sous le règne de Tibère, on
cherchait déjà vainement, pour nommer un flamine ,
trois enfants patriciens nés d'un mariage par confari·eatio, de sorte qu'on dut décider, pour ne rien changer aux anciens usélges, que la femme du flamine
serait toujours sous la puissance du mari pour les
choses sacrées, mais que pour le reste, elle suivrait le
droit commun.
Le mariage libre envahit clone la société conjugale;
mais, quand le droit primitif eut été a~nsi modifié,
qnand le divorce arbitraire remplaça la répudiation
pour cause rigoureusement déterminée, les jurisconsulles durent venir en aide à l'épouse dont le mari eùt
conservé le patrimoine en la renvoyant. La séparation éventuelle des biens dut être organisée 'en prévision de la séparation évenLuelle des époux. Telle est
l'origine du ~e dotal. Le mari n'ayant plus aucun
droit sur les biens de sa femme, l'usage se répandit
de lui donner une dot pour l'aider à subvenir aux
charges du mariage. Cet usage devint si impérieux
qu'il paraît probable qu'en dehors du mariage avec
manus, il n'y avait pas justœ nuptiœ sans constitution
de dot. C'était même là, nous dit Pothier, un des criterium auxquels on distinguait le concubinat de l'union légitime : cc Concubina non habet civile uxoris
cc nomen, thori et mensre particeps duntaxat, non
cc etiam titulorum ac dignitatum viri inde est pariter
cc quod talis conjunctio dotem non habeat 1 • » Cette
opinion a été d'ailleurs combattue par M. Troplong
dans la préface de son Tmz'lé du contrat de mai·iar;e,
t
Dig., ad Lit. de Concubinis.
�•
-
1
42 -
mais les textes qu'il cite, empruntés pour la plupart
à Plaute dont l'autorité juridique est restreinte , ne
paraissent pas décisifs, surtout si l'on songe que, chez
les Grecs déjà, la dot était cogsid_~~é_e comme le signe _
clistigetif servant à séparer l'épouse de la C_Qncubine.
- On peut dire que l'invention du r égime dotal porta
le dernier coup à la manus en dénaturant complétement la puissance maritale. La femme restait, en
effet, dans la famille de son père et cèlui-ci demeurait
toujours libre de rompre à son gré l'union contractée.
En outre, quelle autorité pouvait avoir un mari que
sa femme menaçait toujours du divorce et de la restituLion de la dot? Aussi _peut-on dire que l'époux infortuné n'avait qu'à céder à toutes les exigences de la
femme et à s'écrier, comme dans la comédie de Plaute :
Argeutum accepi , dote imperium vendidi.
Caton, dans son discours sur la loi Voconia, dont
nous aurons bientôt à nous occup er, nous montre la
femme dotale prêtant de l'argent à son mari, le fatiguant ensuite de ses exigences, le faisant même poursuivre au besoin par un esclave extra dotal : <c Nobis
«roulier magnam clotem attulit, tum magnam pecu<c niam recipit quam in viri poteslatem non committit.
« Eam pecuniam viro dat mutuam postea, ubi irata
<c facta est, servum receptitium sectari atque flagitare
<c virum jubet. »
Tyrannie insupportable au foyer domestique et que
Juvénal caractérise ainsi clans sa sixième satire ;
Nil uuquam invita donab1~ conjuge : vendes
Hac abstante nihil : nihil hœc si uolet emetur. ·
Hœc dabit affectus : ille excludetur amicus
Jam senior, cujus barbam tua janua vidit.
�-
43 -
Si on ajoute à celte situalion singulière les · avantages considérables que les innovalions du préteur
avaient faits aux femmes pour leur admission au droit
de succéder, on verra combien les prérogatives dont
elles jouissaient éLaient exorbitantes et on ne s'étonnera plus qu'on ait songé à les restreindre. Non-seulement, en effet, les femmes avaient, conformément
au droit primitif, leur part dans la succession paternelle et dans tonl~ les suëëessions qui faisaient retour
ITafamille, mais, de plus, le préteur avait admis par
l~Unde c<}_gnati que, dans le cas où les agnats viendraient à faire défaut, les cognats, c'est-à-dire les parents de la ligne férn,inine, succéderaient jusqu'au
sixième degré à la place des gentiles appelés par la loi
des Douze Tables. Elles pouvaient d'ailleurs recevoir
sans obstacle toutes les institulions testamentaires et
les legs faits à leur profit, même par un étranger.
On comprend que par suite de leur fortune et de la
funeste indépendance que leur donnait le mâriage
libre, l~femmes menaçaient d'acquérir la prépondérance, sinon en droit, du moins en fait, dans la cité
romaine. On objectera que la puissance paternelle et
la Lulelle agnatiqu~ étaient des obstacles suffisants
pour empêcher la femme de franchir des limites que
la nalure et la loi lui refusent également, mais à l'époque où nous sommes arrivé, ces deux institutions
Lombent en décadence.
Fondée sur la nature même, la puissance paternelle
ne pouvait disparaître complétement; nous devons
même reconnaître qu'en ce qui concerne les rapports
des personnes, le pouvoir du père conserva, jusqu'aux
empereurs, prèsque Lout son caraclère de sévéfi.té;
�•
,
-
44 -
mais, en fait, surtout pour la fille mariée habitant avec
son époux hors cle la maison paternelle, ce pouvoir
n'était guère qu'une fiction légale. Au contraire, quant
aux rapports réels, les lois apportèrent de grandes
modifications aux pouvoirs absolus dn chef cle famille .
de disposer de ses biens. Citons cl' abord ~ ~ 9ncia
qùi mettait une borne aux donations, la loi Cor~ia
et la loi Furia qui imposaient une restriction aux cautionnements et aux legs, enfin et surtout les modifications introduites clans les successions testamentaires
par l'institution de la plainte d'inofficiosité et les possessions cle biens prétoriennes. Le droit de disposer de
ses biens qui est la véritable sanction de la puissance
paternelle avait donc reçu d'étroites limites et le pou~
voir du chef de famille en avait été d'autant diminué.
Quant à la tutelle agnatique, elle était, avecle temps,
devenue tout à fait illusoire et c'est ce qui devait nécessairement arriver pour une institution urement
civile "et contraire au droit naturel. Les fem~s
essayèrent d'abord d'éluder la loi, etlesjurisconsu ltes
inventèrent diverses subtilités pour atténuer les effets
de la tutelle. La plus usitée ~tait la coemptio fiduciaire;
les femmes, d'accord avec l'agnat tuteur, se donnaient
in mancijJio à quelqu'un avec qui elles avaient auparavant passé un contrat de fiducie; une fois la formalité
remplie, le coemplionnate ur l'affranchissait par la
vindicte et, dans ce nouvel é,tat, la femme était censée
sous la tutelle clu patron affranchissant, mais, en fait,
sous celle d'un ami complaisant qui abdiquait immédiatement ses pouvoirs et elle échappait ainsi à la tutelle des agnats. Ces derniers ne s'y opposèrent pas,
car ils n'avaient plus aucun intérêt à contrôler les
.
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actes de la femme et la tutelle n'était plus qu'une
charge au lieu d'être un privilége de famille . Aussi,
longtemp s avant d'avoir été législativ ement abolies,
les' dispositions de la loi sur la tutelle agnatiqu e étaient
tombées à l'état de lettre morte et Cicéron déploran t
l'atteinte portée aux vieille's coutume s nous dit ironiquement que les juriscons ultes de son temps ont
trouvé le moyen de placer les tuteurs sous la dépendance des femmes dont la surveillance leur a été confiée. cc Mulieres cnmes propter infirmita tem consilii
cc majores nostri in potestate virorum esse voluerun t,
(( hi inveneru nt genera tutorum qui potestate muliecc rum continer entur. »
Telles furent les causes diverses qui &ngendrèrent
cette ~ancipation exagérée de la femme, cette fortune, ce luxe et, par suite, cetle corruptio n auxquels
il fallut bientôt chercher des remèdes énergiqu es.
Pendant la guerre punique, le tribun Oppius fü passer une loi destinée à réprimerÎè luxe êfeSfemm es,
défendant qu'aucun e d'elles cc ne pût posséder plus
d'un demi-once d'or, ou un vêtemen t de diverses couleurs, ou se faire traîner en voiture dans la ville, sinon
à l'occasion des fêtes religieus es.» Mais peu après, en
l'an 559, ce_tte loi Oppia fut violemm ent attaquée par
la noblesse romaine et surtout par les femmes qui,
réunlëS en foule sur le Forum, rédamai.e nt à grands
cris qu'en présence de la prospéri té de la République, .
on leur permît de revenir à leur luxe antérieu r. C'est
en vain que l'austère Caton·pron,onça à cette occasion
un superbe discours que Tite-Live nous a conservé,
c'est en vain qu'il montra les dangers toujouts crois·
sauts du luxe, vanta la simplicité des anciennes ma:
�~
46
~
trones et pronostiqua les désordres et les vices qui
résulteraient infailliblement de l'émulation des femmes
pour la parure 1 • Caton ne fut pas heureux dans cette
circonstance, les femmes se répandirent dans les rues
et à force d'importunités, .forcèrent les tribuns opposants à lever leur veto. La loi 0 ia fut abrogée,
Rome eut-elle à s'en repentir? Elle était sur une pente
fatale qu'il fallait descendre et ce n'est pas une disposition législative qui pouvait l'arrêter , car que
.._Eeuvent les lois sans les mœurs? Vanœ leges sine mo1·ibus. D'ailleurs l'infatigable Caton ne se découragea
pas, et, en 585, malgré ses 75 ans, n'ayant pu réussir
à réprimer le luxe des femmes, il tenta d'en tarir la
source en faisant présenter la loi Voconia qui liplitait
les dispositions testamentaires permisesen leur faveU:--Cette loi avait pou:n but de rail'ermir l'aristocraÙe patricienne eri empêchant les plus opulentes successions de passer par les femmes dans des familles
( étrangères, et surtout de fortifier le gouvernement
domestique et relever la puissance maritale qu'avaient
presque annihilée les institutions testamentaires et la
grandeur des legs qui se multipliaient en faveur des
~Molière ·ans sa comédie de l'Ecole des ma?'is, s'est heureusement inspiré de la célèbre harangue de Caton dans les vers sui·
vants :
Oh, trois et quatre fois béni soit cet édit
Par qui des vêtements le luxe est interdit!
Les peines des maris ne seront plus si grandes
Et les femmes auront un frein à leurs demandes.
Oh! que je sais au roi bon gré de ces décris
Et que, pour le repos de ces mêmes maris,
Je voudrais bien qu'on fit de la coquetterie
Comme de la guipur!J et de la broderie J
�femmes. La loi Voconia avait deux disposÎLÎons fondamentales : l'une, relalive à l'insliLulion d'héritier, défendait à tous les citoyens inscrits au cens dans ]a
première classe, c'eskà-dire possédant plus de 100,000
as, d'instituer une femill:e comme héritière, même
leur fille ou leur épouse; l'aulre, relative au legs, défendait aussi aux citoyens inscrits dans la première '
classe de léguer à une femme au delà de la portion
légalement déterminée. Cette portion paraît avoir été 1
fixée d'une manière générale au quart des biens, car
Dion Cassius nous apprend qu'Auguste, pour laisser à
Livie le tiers de sa fortune, dut demander au Sénat
l'autorisation de léguer au delà ~e la portion permise
par la loi Voconia.
La prohibition du legs au delà d'une certaine
somme pour les citoyens de la première classe était
moins absolue que celle de l'institution d'héritie r;
elle souffrait exception en faveur de la fille unique
du testateur qui pouvait recevoir par legs la moitié
de la fortune palernelle. Telle est du moins l'opinion
qui nous paraît la mieux fondée, car de vives controverses se sont élevées sur la quotité dont on pouvait
disposer en faveur de la femme et surtout de la fille
unique. Les textes, en effet, présente nt une certaine
obscurité qui tient à deux motifs : d'abord le manus ~
crit de Tite-Live qui a fourni sur cotte question déli~
cate les renseign ements les plus précieux se ,trouve
malheur eusemen t altéré au passage traitant des dis ~
positions de la loi Voconia. En outre, la plupart des
auteurs romains qui nous indiquen t le taux précis que
les libéralités en faveur des femmes ne pouvaient dé·
passer se serven.t d'expressions désignant les diverses
•
•
�•
-18 -
•
rrtonnaîes de l'époque; lanLôt ils parlent de seslerces,
tantôt de deniers d'argent, tantôt d'as et de quadrans
et la valeur comparative des monnaies est fort difficile à établir d'une manière précise à cause des diverses
modifications qu'a ·subies, ~plusieurs reprises, le système monétaire romain.
M. de Savigny a soutenu, dans son commentaire
sur la loi Voconia, que la femme pouvait être instituée
comme héritière chaque fois qu'à défaut de testament
elle eût été appelée à l'hérédité ab intestat. Les textes
que nous possédons sont tout à fait contraires à cette
opinion. Saint Augustin parlant de la loi Voconia dans
la Cùé de Dieu dit textuellement: «Lala est lex Voconia
« ne quis heredem feminam faceret nec unicam fi'' liam. » Gaius n'est pas moins formel dans ses Commentaires : " Mulier ab eo qui census est, dit-il, per
" legem Voconiam institui non potest. » (Il. § 274. )
' Ajoutons d'ailleurs que la loi Vo.conia ne paraît pas
s'être occupée du tout des hérédités ab intes~at qui
étaient exceptionnelles à Rome où tout citoyen pubère
et sui juris s'empressait de faire son testament.
Telle fut, dans celles de ses dispositions qui nous
intéressent spécialement, cette loi Voconia destinée à
diminuer l'influence croissante des femmes, en limi~
tant leur fortune, remède impuissant et inefficace en
présence du mal qu'il s'agissait de guérir. Les femmes
ne tardèrent pas à trouver des moyens indirects d'éluder la loi. On employa le fidéicommis secret dont
l'usage commençait alors à se répandre ; on confia sa
succession à l'honneur d'un ami pour la faire parvenir entiè:re à sa femme ou à sa fille. L'op~nion déclara
infâmes ceux qui abusaient de pareils dépôts et il en
�-
4U -
résulLa que la condition des femmes ne se trouva
guère modifiée ..
En présence des adultères et des divorces de plus
en plus fréquents, en présence des excès du mariage
libre et de la triste. situation faite aux maris, l~ m~
riage étaiL tombé dans un complet discrédit. On trouvait quTI éLait plus avantageux de vivre seul que de
subvenir .aux besoins d'une famille·; en outre, les
célibataires étaient entourés de soins et de prévenances
par les nombreux amis et parents avides de recueillir
leur succession. C'était là un symptôme effrayant de
décadence ; il amenait le dépérissement cl.e la population déjà épuisée par les proscriptions .et les guerres
civiles et étrangères. Le pouvoir s'en inquiéta à juste
titre, et nous allons assister aux _ ~fforls d'Augusle et
de ses successeurs pour ramener dans Rome les vertus domestiques. Mais, avant d'étudier cette partie de
la législation romaine, avec laquelle va s'ouvrir une
ère nouvelle, il importe de dire quelques mots du concubinal.
SECTION III.
DU
CONCUBI NAT.
A côté de ces deux formes de mariages comprises
sous le nom de justœ nuptiœ, les Romains avaient
reconnu plusieurs espèces d'union déclarées licites
par la loi, mais inférieures aux justes noces et produisant, au point de vue juridique, des effets trèscfüférents : ce sont le concubinat, le mariage du droit
des gens et le contuperiüqm.
---
•
�-
t:iO -
Le concubinat est une conséquence naturelle de
l'orgtÏcisa~ociale ùe Rome. Pendant de longues
années, Rome fut une puissante aristocralie : les
patriciens y formaient une classe à laquelle il élail
défel).du de frayer avec les plébéiens : entre les deux
castes n'existait pas cette condition de connubium impérativement exigée pour les justœ niptiœ; mais les
lo~s de la nature et de la raison sont plus fortes et
plus pq.issantes que celles arbitrairement édictées par
les hommes. En fait, les unions ne tardèrent pas à se
multiplier entre patriciens et plébéiens et le législateur fut amené à déclarer qùe, sans procurer à la
femme la dignité de matei·familias, elles produiraient
certains effets juridiques qui les distingueraient des
relations passagères nées de la débauche. Telle fut
évidemment l'origine du concubinat, mais celte institution eût bientôt disparu si elle n'avait eu d'autre
utilité que de légitimer, clans une certaine mesure, les
alliances entre patriciens et plébéiens, car, dès ran
309 de Rome, un plébiscite connu sous le nom de loi
Canuleia vint autoriser le mariage entre les deux
ordres. Elle se maintint en fait par suite des préjugés
aristocratiques qui, pendant de longs siècle~, ne per·
mirent pas aux patriciens d'élever les femmes d'une
classe inférieure, et notamment les affranchies, à la
dignité d'épouses légitimes.
Le concubinat présente absolument l'image des
j'Ustœ nuptiœ; les quelques textes, très-rares, que nous
possédons sur cette matière nous disent qu'il ne s'en
distingue que par l'intention des parties. C'était donc
une question de fait. En règle générale, toute femme
unie à un homme d'une condition supérieure à la
-
•
�- 01 sienne on n'ayant pas apporlé de dot à son époux,
élail répulée n'êlre qu'une c9ncubine, situatioq, au
point de vue social, infiniment moins honorable et
moins considérée que celle de l'épouse. Bien q11e le
concubinat fût, comme le mariage iui-même, soumis
à la condition de la monogam
.__. ie, les enfants issus
et ne
d'une telle union étaient des enfants naturels
..
passaient point.sous la puissance de leur père; toutefois, lorsque furent rendues les lois caducaires dont
nous aurons bientôt à parler, le concubinat fut considéré comme suffisant pour écarter les peines du
célibat. Cette union inférieure, qui paraît avoir été
réglementée plutôt par les mœurs que par les lois,
devint inutile quand Justinien eut aboli tout empêchement de mariage provenan t du rang de la fortune
ou de la condition sociale, aussi fut-elle législativement
abrogée par l'empere ur Léon comme manifestement
contraire aux idées chrétiennes.
Nous trouvons encore à Rome deux catégories de
personnes non autorisées à. contracter le mariage
romain, ce sont les étrang'e rs et les esclaves. Pour les
premiers fut créé le mariage du droit des gens ou
matrimonium non legitimum, certainem ent inférieur aux
justœ nuptiœ, mais supérieu r au concubinat. Le législateur qui imagina cette union comme compensation
aux rigueurs qu'il avait montrées envers les femmes
exclues_du gjron de la cité, ne paraît pas s'être beau·
coup préoccupé des garantie s à accorder à la ,femme
étrangèr e, mais il est probable que là encore les
moours avaient suppléé à l'üîSuffisance de la loi et lui
assuraient la prolection à laquelle elle avait droit.
Remarquons d'ailleurs que la loi avait multiplié le~
-
�-
52 -
moyens cle transformer en y'ustœ nuptiœ le mariage du
droil des gens (causœ jJi•obatio, en·oi·is causœ probatio,
concession du fus civitatis). Cette union perdit presque
toute raison d'être quand l'empereur Caracalla eut
accordé le droit de cité à tous les sujets de l'empire el
elle disparut définitivement avec les réformes de Justinien abolissant les deux classes des latins· juniens et
des déclitices.
Quant au contubei·ni·um, seul mode d'union des
esclaves, il ~itë;;'"nsicléré que comme un simple
rapprochement entre personnes de sexes différents ;
soumis au caprice des maitres, il n'était réglemenlé
par aucune loi. Nous savons seulement que. diverses
dispositions législatives de Claude et de Constanli.n
l'avaient rigoureusement interdit, sous les peines les
plus sévères, aux femmes libres.
CHAPITRE V.
La femme sou's la législation d'Auguste et de ses
successeurs.
Les lois primitives de Rome, rudes et simples, suffisaient à régir un peuple dans l'enfance, mais elles
devaient devenir insuffisantes quand il s'agit d~ maintenir dans l'ordre les maîtres du monde. Pendant plusieurs siècles, la force même des premières instilutions, le rigorisme étroit des pontifes, le respect des
liens de famille préservèrent Rome de la corruplion
qu'entralnent généralement les conquêtes, mais la
puissance romaine s'étendant toujours rencontra la
;
�1
/\
~
53 -
civilisation grecque, brillante et avancée, mais raffinée et corrompue. Les historiens nous signalent tous
la déplorabie influence de la Grèce sur les mŒurs
romaines et Pline appelîë mêînë les Grecs les pères de
tous les vices : « Grœci vitiorum omnium genitores. »
Cette opinion paraît exagérée; Les soldats qu'on
envoyait guerroyer an loin, qu'on laissait pendant
plusieurs campagnes dans les pays conquis, perdaient
peu à peu l'esprit de citoyens ,et ne rapportaient à
Rome que les vices de$ populations trop souvent
dégénérées qu'ils a,vaient eu à dompter, de sorte que
l'on peut dire avec vérité que ce fn! la grandeur même
de l'État qui pèrclit la République. A partir de cett~
epoque lëS goùts de luxe et la soif de l'or apportent
dans les liens de famille, aussi bien que clans les rap.'..
ports politiques, les spéculations· de l'avarice. C'est ce
que nous dit fort bien Montesquieu : cc La grandeur. de
l'État fit la grandeur des fortunes particulières. Mais
comme l'opulence est dans les mœurs et non dans les
richesses, celle des Romains qui ne laissait pas d'avoir
des bornes produisit un luxe et des profusions qui
n'en avaient point. Ceux qui avaient d'abord été corrompus par leurs richesses le furent ensuite par leur
pauvreté. Avec des biens au-dessus d'une condition
privée il fut difficile d' être un bon citoyen; avec les
désirs et les regrets d'une grande fortune ruinée on
fut prêt à tous les attentats, et, comme dit Salluste,
~ on vit une génération de gens qui ne pouvaient avoir
de patrimoine ni souffrir que d'autres en eussent 1• »
Les suffrages populaires achetés clans les comices, les
1
Gr. et déc. des Romains, ch. x.
�.'
-
54 -
is-
pillages organisés dans les provinces par des adrnin
trateurs cupides dont Verrès est demeuré le type inoubliable, tout, jusqu'à la fureur du divorce ·qui désola
Rome à la fin de la République, a l'argent pour mo( bile. C'est par l'appât des dots que les femmes parvienne~t à séduire les maris devenus rares, c'ést par
la crainte d'un divorce entraînant la restitution qu'elles
retiennent sous le joug le malheureux enchaîné. Les
guerres civiles amenées par l'ambition et la rivalit6
des généraux et suivies de sanglantes proscriptions
ajoutent encore à la tristesse de, celte déplorable
époque et achèvent d'expliquer la désag;régation totale
de la société. L'ancienne oligarchie patricienne esl
vaincue avec Pompée à la mémorable bataille de
Pharsale qui prépare la démocratie des Césars, la
Hépublique s'écroule, et, sur les ruines des mœurs et
des insLituLions, Auguste installe le despotisme impérial. L'affranchissement des anciens pouvoirs domestiques fut la conséquence naturelle de la chute des
institutions aristocratiques. La manus et la tutelle
agnatique n'existent plus que de nom et les femmes
n'étant plus retenues par ces divers liens jouirent
d'une très-grande liberté dont, il faut le dire, elles ne
surent pas se montrer dignes. La vaste conjuralion
des Bacchanales, découverte en 568 par les déÙonciations de l'affranchie Hispala Fecennia, conjuration qui
devait anéantir les principes les plus sacrés de la
famille, nous montre suffisamment quelle était déjà,
à cette époque, la dépravation des mœurs chez les
femmes romaines. Quant aux, conséquences de celle
corruption, M. Gide les expose parfaitement dans les
·
.
lignes suiva~
�•
-
5~
-
« Dès que les femmes pour qui les devoirs domes-
tiques composaient la vie tout entière eurent perdu
cc la pudeur, elles devinrent capables de tous les
'' crimes. Le foyer domestique ne fut pas le se1ù
cc théâtre de leurs débordements, elles semèren t dans
(( toute la République l'agitation et le désordre. Grâce
cc à l'indépendance que leur faisaient ' les lois, on les
cc vit répandre le tumulte dans la ville, assiéger de
cc leurs clameurs les tribunau x et les portes du sénat,
cc fomenter les conjurations, dicter les proscriptions,
cc souffler le feu des discordes civiles : en un mot elles
cc furenL aussi puissantes par leurs vices que les
" héroïnes des premiers âges l'avaient été par leurs
(( vertus 1 • >i
Aussi, n'y a-t-il pas lieu de s'étonner que les trois
fléaux dont nous signalions, dans notre précédent
chapitre, l'intensité toujours croissante, l'adultère, le
divorce, le célibat, aient pris à Rome de telles proportions que l'on éprouvât des craintes sérieuses pour
l'existence même de l'Jl;tat. Voyons ce que fit Auguste
pourra mener dans son empire les vertus domestiques,
et quel fut le résultat de ses réformes législatives.
Dès avant Jules César, le pouvoir censorial, chargé
de surveiller les mœurs, avait essayé quelques me- )
sures conLre les célibaLaires. Où avait introduit certaines peines contre eux, notamm ent une amende ou
rétribution qu'on appelait œs uxoi·z·um. En même
temps, on attribuait des récompenses et on réservait
certains honneur s aux pères d'une nombreuse famille.
Jules César alla même jusqu'à partager tout le sol de .
cc
-1
De la femine et en pa1·ticulie1· du sénatus-consulte Velléien, p. 147.
�•
-
56 -
la Campanie entre vingt mille citoyens, Lous pères de
lrois enfants au moins. Ces mesures étaient insuffisantes en présence du mal toujours croissant. Auguste,
devenu empereur, en adopta de plus énergiquës et fit
rendre trois lois connues sous les noms de Julia de
adulteriis, Julia de man'tandz's 01'dinz'bus et Papia Poppœa,
qui modifièrent êonsidérableme.nt les institutions jusqu'alors en vigueur. L'étude complète des lois caducaires exigerait, à elle seule, des développements que
ne comporte pas notre travail : nous ·contentant donc
d'un aperçu général sur les réformes qu'elles introduisirent dans la matière des teslamenls et des legs,
nous insisterons plus particulièrement sur l'influence
qu'elles eurent sur la société romaine et sur la situalion faite à la femme, quant à ses biens, par l'organisation du régime dotal.
Aug,uste connaissait ~ien les hommes de son temps;
sachant qu'ils n'étaient guère sensibles qu'à ce qui
louchait leur intérèt personnel, ce .fut en intéressant
leur cupidité et leur avarice qu'il tenla de remetlre en
honneur le mariage discrédi lé. La loi Julia de adultenïs édicta d'abord des peines très-sévères contre ceux
qui, engagés clans les liens du mariage, commettaient
des adultères, ou mème qui, hors du mariage, entreti'êiïëlfaiëiït'des relations cl e concubinage avec les
femmes, filles ou veuves qui, par leur for lune ou leur
con~ition, pouvaient aspirer au mari.age. Les peines
portées par cette loi n'étaient rien moins que la rélégation dans une île, la perte d'une portion de la fortune et peut-ètre la mort, ainsi qu'il semble résulter
d'un passage des Institutes : « Temeratores alienarum
« nuptiarum gladio ex hac lege puniuntur 1 • >> La
1
Inst. § 4, de Jud. pub.
�-
57
femme adultère, de son côté, devient passible d'un
jugement public, tandis qu'aupara vant elle ne subissait que Io jugement domestique qui, dans ce cas, était
rendu par le mari seul, sans l'assistance du tribunal
Je famille . Ce dernier mode subsiste quand il ~e se
trouve pas d'accusateur publiç.
La loi Julia de marüandis onlinibus et la loi Papia
Poppœa dans laquelle elle fut presque entièreme nt
refondue, décidèrent, dans le but de mettre un tel"me
aux déplorables conséquences d'une liberté illimitée
de répudiation et de détourner les citoyens du célibat,
que les célibataires et les veufs sans enfants seraient \
incapables de recueillir, en tout ou en partie, soit les
legs, soit les hérédités testamentaires qui leur sera~enl 1
dévolus et que leurs parts seraient attribuées aux/
pères de famille inscrits dans le même testament. Il
nous suffira d'énumére r les personnes atteintes par
ces lois pour voir qu'elles sont essentiellement hostiles
au célibat et à la viduité, essentiellement favorables
aux premiers et aux seconds mariages.
Sont frappés de l'incapacité de recueillir l'héréclilé :
1° Les cœlibes, et on entend par célibataires nonseulement ceux qui ne sont pas mariés, mais encore
les personnes veuves ou divorcées qui n'ont point
contracté une seconde union dans les cent jours
depuis l'ouverlur e des tablettes du testament, s'il
s'agit d'un homme, dans les dix-hüit mois du divorce
ou après deux années de viduité, s'il s'agit d'une
femme;
2° Les oi·bi, c'êst-à-dire ceux qui, étant mariés, n'ont
point encore d'enfants. Toutefoi::; la loi, plus indul~
..
�-
..
58 -
gente pour eux que pour les cœlibes, ne leur enlève
que la moitié de la succession à laquelle ils auraient
eu droit;
3° La femme qui n'avait pas obtenu le jus libe1·01·um.
Cette. prérogalive n'était accordée qu'aux femmes
ayant Lrois enfanls s'il s'agissait <l'une ingénue, quatre
s'il s'agissait d'une affranchie, mais le fait d'une triple
ou d'une quadruple parturition suffisait à l'exempter
des peines du célibat et de l'oi·bz"tas et il n'élait pas
nécessaire que les enfants fussent vivants.
Non contentes d'enlever aux 01·bi' et aux cœlzbes le
bénéfice des institutions et des legs faits en leur faveur,
les lois. caducaires attribuent leurs parts aux patres.
Quelques auteurs ont soutenu que les femmes ayant
obtenu le jus libei·oi·um, avaient, comme les patres, le
jus caduca vindicandi; nous n'avons pas cru devoir
adopter cette opinion que nous nous proposons de
combattre oralement en soutenant l'une de nos positions.
D'autres iiriviléges furent accordés aux mères de
famille par les lois caducaires : celles ayant obtenu le
J·us libei·oi·um étaient · libéréf)s de la tutelle de leurs
agnats ou de leurs patrons et recouvraient ainsi la
libre disposition de leur fortune et le droit de tester.
Mentionnons encore l'institution des décimes dont la
théorie nous est exposée par le -jurisconsulte Ulpien
(Reg. xv) et en vertu de laquelle la quotité disponible
entre époux augmente proportionnellement au nombre
des enfants. En principe, le mari et la femme pouvaient, mati·imonii nomine , se faire donation d'un
dixième.' Quand les conjoints ont des enfants, ils
peuvent recevoir un dixième de plus par chaque
•
�-
59 -
enfant, et on compte dans le calcul même les enfants
nés d'une précédente union, pourvu qu'ils soient
encore vivants, tandis que les enfants communs con·tinuent à comp ter, même après leur décès. Il en
résulte quo les époux ont le plus grand intérêt à se
remarier quand le premier mariage vient à se dissoudre et, là encore, l'esprit de la loi apparaît net~
te ment.
Enfin, la plus importante des réformes d'Auguste,
et cello sur laquelle nous insisterons davantage, consiste dans l'organisation du régime dotal (loi Julia çle
adultenïs).
Nous avons vu qu'à une ·époque déjà très-ancienne,
sous le régime même de la manus, une stipulation
spéciale intervenait généralement entre le beau-père
et son futur gendre au sujet des biens que la femme
devait apporter à ce dernier pour l'aider à subvenir
aux charges du mariage. Ces biens qui, dès l'époque
de Cicéron, étaient connus sous le nom générique de
dot, devenaient, en l'absence de conventions spéciales,
la propriété définitive et incommutable du mari. La
nécessité d'une dot devint encore bien plus impérieuse
avec le développement du mariage libre sous lequel
les intérêts des époux restaient absolument distincts.
Il eût été évidemment injuste que le mari supportât
seul toutes les charges de l'union conjugale, de là
découla bientôt la nécessité d'une dot constituée soit
par la femme elle-même si elle était suz'juris, soit par
celui sous la.puissance duquel elle se trouvait si elle
était encore alieni jui is à l'époque du mariage. La
propriété reconnue au mari sur les biens dotaux présenlait ce clouble avantage cle faire parliciper la femmo
0
�-
-
60 -
à l'entretien de la maison conjugale el de faire passer
.
une partie de la fortune
entre les rriains des enfants
cle leur mère qu'ils retrouvaient dans l'hérédité paternelle. Mais quand, à la suite de la démoralisation
générale dont nous venons d'esquisser le tableau, les
adultères et les divorces se muHiplièrent, on trouva
inique que le mari conservât, après la dissolution du
mariage, les biens apportés en dot par son épouse.
Les clauses de restitution de dot devinrent de plus en
plus fréquentes et la cautio rei uxoi·ùB qui fut en fait la
base du régime dotal, devint presque universelle. On
reconnut cl'ab.ord 0au père constituant le .droit de
reprendre, en l'absence de toule convention, les biens ·
qu'il aurait donnés à sa fille inorte pendant le mariage, et Pomponius nous donne de · ce privilége un
motif bien extraordinaire qui nous prouve quelle était
alors l'avarice romaine : « Jure succursum est patri
cc ut, filia amissa, solatii loco cederet si rcdderetur dos
cc ab ipso profecta ne et filire amissre et pecunire clamcc num sentiret. i> (Loi 6. Dig., de Ritu nuptiarum.)
Même dans ce cas, le père devait laisser au mari une
portion de la dot proportionnelle au nombre des
enfants et sur la quotité de ~aquelle les jurisconsultes
sont loin d'être d'accord. Ulpien nous dit en effet que
le droit de rétention du mari sur la dot est d'un cinquième par enfant : cc Quintis in singulos liberos in
cc infinitum relictis 1 » et ces termes n'ont pas un sens
défini et précis.
Le préteur fit bientôt un pas r.le plus : en l'absence
de conventions, il accorde à la femme, pour la resti1 Reg.,
fü, VI, 1. 4.
�-
6'1 -
tulion de sa dot, une action · de bonne foi, dite ?·ei
u.xoriœ, qui, resLreinLe d'abord au cas de divôrce, fut
plus' fard étendue au cas de dissolution du mariage
par la mort du mari. Cette action ne passait pas
d'ailleurs aux héritiers de la femme, à moins que le
mari n'ait été mis en demeure après la dissolution du
mariage. Par une dérogation singulière aux principes
généraux de la puissance paternelle , si la femme était
fi.liafamilz'as, le père ne pouvait intenter l'action rei
uxo1·ùe 1 ni toucher les valeurs dotales, qu;avec le concours de sa fille, dérogation qui. vient évidemme nt de
ce que la dot, aux yeux des Romains, était essentiellement destinée à procurer à la femme un nouvel
établissem ent matrimoni al.
Le droit pour la femme de reprendre ses apports,
venant ainsi s'implante r à côté du droit absolu et irrévocable que la manus conférait au mari, donna naissance tout d'abord à une législation dont on aperçoit
aisément l'incohére nce et les dangers. Nous allons voir à présent l'unité et l'harmoni e s'introduir e peu à
peu. ~e droit §e propriété du mari sur les biens dotaux
sera_ de plus en plus restreint au profit de la fe~me
dQnt les priviléges vont au contraire être augmenté s
chaque jour. Ces résultats contenus en germe dans la
législation d'Augusté se développè rent sous ses successeurs et aboutirent sous Justinien à faire du mari
un simple administr ateur des biens dotaux.
La constitutio n de dot peut être faite par le père çle
famille ou par la fille elle-même quand elle est sui
ju1·is : dans le premier cas 1 elle est dite p1·ofectù:e,
adventice dans le second. Enfin, elle est qualifiée de
receptz'ce, quand le constituan t est un tiers qui s'est
�-
(i".2
-~
réservé le droit de retour ù la dissolution du mariage.
La loi Julia introduisit un principe trè&-important en
statuant que le père de famille pourrait être obligé cle
fownir à sa fille une clot convenable 1 • Celle atteinte
considérable portée à l'omnipotence du père de
famille était nécessaire en présence cles lois caducaires
qui prononçaient des peines contre le célibat, et elle
s'explique par la nécessité qui s'imposait alors au
législateur de favoriser les mariages. La dot, nous clit
Ulpien, pouvait se constituer de trois rqanières différentes : « Dos aut datur, aut dicitur, aut promitti« tur i . » La dation était le seul mocle qui transférât
directement au mari la propriété quiritaire si le tradens était propriétaire et employait une des formes cle
translation reconnues p~r le clroi t civil, et le domaine
bonitaire si le constituant se contentait de faire tradi•
tion cl'une res mancipi. La dictio et la pi·omissio ne donnaient au mari qu'un simple droit de créance. La
constitution de la dot pq,uvait avoir lieu avant le mariage, soit même pendant le mariage 3• Mais, comme
la dol suppose le mariage, le constituant qui aurait
fait tradition des bi\'.}nS dotaux, pourrait, clans le cas
où l'union projetée ne se réaliser it pas, les revendi·
quer par une condictio sine causa.
Le mari était Jlr.opriétai~e absolu des biens dotaux;
Dig ., 1. XIX, de Ritu nuptiai·um.
Reg., tit. VI, § 1. - La dictio dotis sur laquelle nous n'avons
rjue peu de renseignements, était un mode spécial d'en gagemenL
sans recourir aux form alités ordinaires de la stipulation. La femm e,
son débiteur délégué et son ascendanL mûle paternel pouvaient
seuls employer ce rpode de consLitution. - La dotis pronûssio n'est
qu 'un e. stipulation ordinaire .
# ?11ul. 1 lih . ll 1 tit. Xll.
t
ii
�-
63
il était sans doute soumis à une aclion en restitution
qui pouvait s'ouvrit' à tout moment par la dissolution
du mariage, mais, en attendant, il avait le droit d'en
disposer à son gré, de les vendre, les donner, le dissiper et on conçoit combien devait être illusoire, clans
de semblables conditions, la garantie que la femme
LrouvaiL dam son action en restitution . Ajoutons que
la dol adventice restait la propriété du mari si la
femme venait à mourir pendant le mariage. Nous
trouvons clone ici une situation singuhere : le mari
dispose à son gré des biens dotaux et cependant la
femme ou le constituan t a droit à la restitution ; aussi
voyons-nous les jurisconsu ltes romains eux-même s
Re demander quel est le véritable propriétai re de la
dot : « Quamvis in bonis mariti dos sit, dit Tryphoni·
« nus, mulieris tamen est. » Remarquo ns d'ailleurs
que toute controver se cesse et que la propriété du
mari est définitive quand il s'agit de choses fongibles
. ou de corps certains estimés. Il y a d'ailleurs toujours
intérêt à distinguer si les biens dotaux ont été ou non
estimés. Dans le premier cas, le 'mari est acheteur;
s'il n'a reçu que la possessi·o ad usucapiendum (parce que
le tradens n'était pas propriétai re) il usucape pro
empto1·e et non pi·o dote; c'est par conséquen t sur sa
tête que reposent les chances d'augmen tation et de
détériorat ion; en cas d'éviction, il intent~ contre le
constituan t l'action pi•o emptore et enfin ne doit jamais
rendre, à l'époque de la restitution , que le montant
de l'évaluatio n. Si, au contraire, aucune estimation
n 'a été faite, le mari usucapant pi·o dote ne supporte
pas los risques et, s'il vient à aliéner le fonds dotal 1
doit restituer tout le prix qu'il en a retiré. Les lois
�-
(il~ -
·Julia et Papia ont apporlé de très-imporlantes modifications dans le gouvernement de la dot pendant le
mariage et les modes de restitution en cas de dissolution.
La disposition fondamentale"que:nous trouvons dans
la loi Julia est celle qui prohibe l'aliénation des immëubles dotaux s~:ns le consenlement de la femme et,
même avec ce consentement, la constitution d'hypothèque : cc ne maritus fundum italicum dotalem uxore
'
« vel invita alienaret, nec consentiente ea obligaret. »
(Dig. 3, X.XIII, v.) Cette double prohibition a pour fondement l'intérêt de la femme et se rattache toujours à
l'ensemble du système suivi par les lois caducaires
qui veulent favoriser, autant que possible, les ç,hances
d'une seconde union. C'.e st dans ce sens que le jurisconsulte Paul disait : cc Reipublicre interest dotes mucc lierum salvas esse propter quas nubere possint. »
La loi Julia ne dit rien des meubles dotaux, il faut
donc conclure qu'à leur égard les anciennes règles
subsistent et que le mari co.n tinue à en disposer propriétairement 1 • Cette interprélation est d'ailleurs confirm~e par un texte du Digestè qui autorise spécialement le mari à affranchir les esclaves dotaux.
(40, I, 23.)
La nouvelle législation d'Auguste autorise l'aliénation des biens dotaux avec le consentement de la
femme : il en résulte que l'aliénation sera valable
chaque fois qu'elle aura été amenée par des causes
1 Remarquons d'ailleurs que la fortune mobilière était loin d'avoir
ncquis; à Rome, l'importance que nous 'lui voyons aujourd'hui et
qu'on s'en tenait encore à l'ancienne maxime : ?·es mobi.l:is, ?·es ·
vilis.
�-
65 -
indépendantes de la volonté du mari, comme à la
suite d'une demande en partage intentée contre lui ou
d'un envoi en possessicm du voisin pour défaut de
cautio damni infecti.Les aliénations universelles, celles
qui sont faites, par exemple, par voie de succession
ou à la suite d'une adrogation, échappaient encore à
la prohibition de la loi Julia; mais celui à qui est faite
cette transmission universelle recueille le bien dotal
frappé d'inaliénabilité. L'héritier est d'ailleurs tenu de
l'action en restitution dès le moment où son droit s'est
ouvert.
Supposons que le mari eftt illégalement aliéné le
fonds dotal : qui pouvait invoquer la nullité de l'aliénation, et à quelle époque ? La charge de restitution
qui pesait sur le mari ne créait à la femme qu'uff droit
de ·créance, et ne constituait pour celui-ci qu'une
obligatioI). personnelle sanctionnée par une action
purement personnelle. Si l'action ?'ez' uxorù.e s'étant
ouverte dans la personne de la femme, celle-ci venait
à mourir après avoir mis en demeure le mari ou ses
héritiers, les héritiers de la femme .Pouvaient bien
exercer l'action rez' uxoriœ, mais ils ne pouvaient pas
faire tomber l'aliénation que le mari ou ses héritiers
auraient consentie après le décès de la femme. Tel
paraît du moins être le sens qu'il convient de donner
à un texte de Paul qui a été diversement interprété :
« Toties non potest alienari fundus quotiens mulieri
« actio de dote competit, aut omnimodo competitu ra
« est.» (JJzg., lib. III, § 1, JJe fundo dotalz'.)
Le mari qui, sans le consentement de sa femme,
avait aliéné le fonds dotal, pouvait-il attaquer luimême, comme illégal, l'acte qu'il avait consenti? Trois
5
�-
66 -
systèmes se sont produits sur cette question. Le premier s'appuyant sur ce que la loi Julia a édicté l'inaliénabfüté de ila d0t dans l'intérêt de la femme, enseigne que celle-ci seule a le droit d'invoquer la
nullité de l'aliénation faite au mépris de cette loi et
doit rester juge de l'opportunité qu'il peut y avoir à
profiter de la protection qui lui est accordée. Nous repoussons cette opinion, car la prohibition de la loi
Julia n'empêcha pas le mari d'être propriétaire du
fonds dotal, dominus dotis, et nous ne voy0ns pas
comment la femme pourrait revendiquer un immeuble
qui ne lui appartient pas, puisque aucun droit n'est
encore ouvert à son profit.
D'après un second système, toute revendication
serait interdite au mari et à la femme : au mari, parce
qu'il n'est plus propriétaire; à la femme, parce qu'·elle
ne l'est pas encore. Nous repoussons encore cette
opinion comme la précédente : l'aliénation consentie
par le mari n'est pas valable, puisqu'en vertu de la loi
Julia, son droit de propriété était limité par la défense
qui lui était fai~e d'aliéner. Nous adopterons donc le
troisième système qui reconnaît au mari le droit de
revendiqu.er le bien illégalement aliéné, sauf, bien entendu, le cas où il deviendrait propriétaire de la dot
par la mort de la femme dans le mariage, car « quem
cc de evictione tenet actio eumdem agentem repellit
« exceptio." C'est ainsi que s'explique la loi il.7 au Digeste, de Fundo dotali, qui paraît inconciliable avec
l'opinion à laquelle nous nous sommes rallié 1 •
..
1 « Fundum dotalem maritus vendidit et tradidit. Si in matri" monio mulier decesserit, et dos lucro mariti cessit, fundu.s emp""
" tori avelli non potest. ,,
�-
67 -
Nous avons dit tout à l'heure que la loi Julia contenait deux dispositions distinctes : l'une prohibant i'aliénaûi:on du bien dotal sans le consentement de la
femme, l'autre prohib,ant l'hypothèque du même bien,
même avec ce consentement. Il paraît rationnel que
le législateur romain ait songé à protéger plus énergiquement la femme contre les dangers qui ne sont
ni très-apparents, nî immédiats d'une constitution
d'hypothèque, que contre ceux .d'une aliénation directe que discerne aisément l'esprit même le moins
familiari~é avec les arguties juridiques. Il importe cependant de ine:ntionner ici une théorie nouvelle, formulée depuis quelques années seulement, d'après
laqùelle la disposition dont nous venons de parler,
relative à l'hypothèque, n'aurait été édictée que postérieurement à la loi Julia et se rattacherait aux prohibitions prononcées plus tard par le sénatus-consulte
Velléien. Les partisans de cette nouvelle opinion font
remarquer que l'hypothèque n'a été réellement con1me et pratiquée en Italie que plus d'un siècle après
la ~oi Julia et que les textes autres que celui de Justinien, rappôrtant les dispositions de cette loi , ne
parlent que de l'interdiction d'aliéner, d'où cette conclusion que Justinien a . modifié les termes de la loi
Julia pour les mettre en harmonie avec les règles suivies de son temps. Le système adverse invoque un
texte de Paul qui paraît décisif 1 • Quoi qu'il en soit,
même en supposant qu'après la loi Julia, la femme
ait pu consentir à laisser mettre en gage un immeuble
dotal, il est certain que cet état de choses dura peu :
1Dig.,1. 4, de Fundo dotali .
�-
68 -
la combinaison de la loi Julia et du_ sénatus-con.sulte
Velléien met le mâri dans l'impossibilité d'engager le
fonds dotal 'dans son propre intérêt, même avec le
concours de sa femme. .
11 est certain d'ailleurs qu'à partir d'Auguste les
/
garanties accordées aux femmes pour la garantie de
leurs dots iront toujours en augmentant. C'est encore cette préoccupation du législateur romain de
conserver intactes les dots des femmes qui fait interd· aau_m_ari toute restitution avant la dissolution
·du mariage. De fa découle cette double règle que
la femme ne pouvait réclamer la restitution de sa
dot pendant le mariage t, et que le mari, en la restituant indûment, n'était pas valablement libéré. La
défense de restituer fa dot n'était pas toutefois
absolue et elle fléchissait en présence des intérêts
supérieurs de la femme elle-même et de la famille.
Les divers cas autorisant une restitution anticipée
de la dot sont énumérés dans la loi 73, au Digeste,
de Ju1'e dotium et on ne peut qu'approuver ces dérogations fort équitables, à la rigueur des principes.
La dot ne devait donc être restituée qu'à la dissolu( tion du mariage et, suivant les cas, cette restitution
se faisait au père, à la femme elle-même ou au tiers
constituant. Le mari jouissait d'ailleurs toujour·s du
bénéfice de . compétence, c'est-à-dire qu'il ne devait
être poursuivi que dans la mesure de ce qu'il pouvait
payer : « Rei uxoriœ actio 'dotis exactionem polliceba· t Cependant, dans le cas où le désordre du mari compromettait
· gravement la fortune de la femme, le préteur pouvait accorder à
celle-ci une action i·ei uxoriœ (ictice, comme s'il y avait eu divorce .
Ulp. Dig., 1. 24, Soluto matrimonio.
�-
69 -
tut, non in solidum, sed in quantum maritus facere
« potest, si non dolo malo suam deminuerit substan« tiam. >> (L: 1, §vu, C. JJe i·ei uxoriœ actione.) Les corps
certains, meubles ou immeubles, devaient être restituéSimmédiatement, tandis que le mari avait, pour
la restffution des clJ.9ses fongibles, trois termes· d'une
année chacun. Le mari avait, dans certains cas, le
droit d'exercer des retenues sur les biens dotaux. Nous
allons mentionner rapidement ces cas qui sont au
nombre de cinq.
1~ Proptei· liberos. - En cas de divorce provoqué
par la femme ou son. patei·familias, le mari a le droit
d'opérer sur la dot une retenue d'un sixième par enfant sans jamais pouvoir dépasser trois sixièmes. Ce
droit ne pouvait s'exercer gue par voie de rétention
!'Il non par voie d'action et disparaissait totalement si
le divorce était imputable au mari.
2° Pi·optei· m01·es. - L'inconduite de la femme la
prive du droit de réclamer la totalité de sa dot. Le
mari peut faire une retenue d'un sixième en cas d'adultère : cc .ob graviores mores; '' d'un huitième pour
toutes autres fautes : cc ob leviores moret). ''
3° Proptei· impensas. - C'est le droit, fondé sur une
considération d'équi!é, qu'a le mari de retenir en totalité le montant des dépenses nécessaires qu'il a faites
pour l'amélioration ou l'entretien des biens dotaux.
Si les dépenses faites ont été seulement utiles, le mari
n'a droit qu'à la plus-value; enfin, il n'a droit à rien,
si elles sont purement voluptµaires, à moins qu'il n'ait
reçu de la femme mandat p·our les faire exécuter.
4° Pi·opter res donatas. - Les donations entre époux
étant prohibées, le mari a le droit de retenir toutes
«
-
�-
70 -
les choses qu'il aurait, pendant le mariage , données
à son épouse au mépris de cette prohibition.
5° Pi·opte1' i~es amotas. - De mari a le droit de retenir un.e valeur égale à celle que lai femme , en vue du
divorce, aurait pu détourner à son préjudice. Cette
retenue a principalement pour bµt d'éviter au mari
d'intenter contre sa femme une action i·el'um amotai·um.
Telles étaient les règles édictées pour la restitution
de la dot quand le mari était poursuivi par l'action
i·ei uxoTiœ. Mais il arrivait souvent que des convention.s particulières avaient été foq:nées au mome:nt d!3
la constitution de dot et alors la femme agissait contre
son mari par une action beaucoup plus rigoureuse,
de droit strict, ex stzipulatu. Dans ce cas, le mari ne
jolùt plus du bénéfice de compétence, ne peut exercer aucune rétention sur les biens dotaux qu'il doit
restituer immédiatement, sans distinction entre les
choses fongibles et les corps certains. Disons encore
que les héritiers de la femme pouvaient exercer l'action ex stzpulatu , tandis qu'ils ne bénéficiai~nt de l'action i·ei uxoi-z"œ qu'autant que le mari avait été mis en
demeure de restituer par la femme. Enfin celle-ci p0uvait cumuler la disposition de dernière volonté faite
à son profit par son mari avec l'action ex st~pulatu,
tandis qu'elle devait opter entre l'action i·ei uxorùe et
le bénéfice de cette disposition. (Edit. De alte1'Ut1·0, l. I,
§ rn, C. D~ i·ei uxoi·iœ actz"one:)
La restitution des biens d©taux était encore garantie par la prohibition des donations entre époux. Cette
prohibibo:n remonte à une époque qu'oniïëpèüt préciser exactement, mais eerta1:nement antérieure au~
�-
71 -
réformes d'Auguste, si nous en croyons Ulpien qui
l'attribue à un antique usage : « Moribai apud nos
« ueceptum est ne inter virum et uxorem donationes
« valerent. » (L. 1, .Dzg., .Dedon. i·ntei· virum etuxoi·em.)
Elle est,. en tous cas, assurément antérieure à l'année
550 de Rome, puisque la loi Cincia qui ·date de cette
époque s'occupe de réglementer ces donations. Absolue à l'origine, cette règle de l'interdiction des donations entre époux fut gravement modifiée par un sénatus-consulte rendu sous Caracalla ou sous Septimes~~ qui décida que la d~-faite par l'un des
époux à l'autre demeurerait valable si le donateur
mourait sans l'iwoir révoquée. La révocation pouvait
d'ailleurs n'être point expresse : elle résultait suffisamment de certains actes ou de certaines circonstances indiquant clairement l'intention de révoquer.
A côté des donations entre époux et de la constitution de la dot, apparaît à l'époque de Théodose et de
Valentinien la donation ante niptias, que nous nous
contentons d'indiquer ici et dont nous dirons quelques
mots en étudiant les réformes de Justinien ..
Tous les biens àe la femme ne sont pas toujours
dotaux; elle en possède souvent d'autres sur lesquels
elle conserve, même pendant le mariage, · tous ses
droits de propriété : ce sont les ara hernaux. Le
mari n'avait aucun pouvoir sur ces biens, et, sil a
femme lui en avait confié l'administration et la jouissanee, il était responsable vis-à-vis d'elle comme tout
d~positaire ou .t out administrateur et passible des
actions depositi et mandati'. En un mot, nous ne trouvons, à Rome, rien qui soit ana:logueà Pineapacité'
qui frappe, d_àiÏs notre droit français, la femme ma-
�-
72 -
riée, même à l'égard de ses propres, rien qui rappelle
notre-autÔrisation maritale.
En général, la femme qui possédait des paraphernaux, en dressait un inventaire particulier pour éviter
leur confusion avec les autres biens appartenant aux
époux. Si d'ailleurs, à l'époque de la restitution, le
mari élevait quelques difficultés, la femme pouvait le
poursuivre, suivant les cas, par une action ?'e1'um
amotamm, ou simplement . une action ad exhibendum.
, Propriétaire et maîtresse souveraine de ses biens
extra-dotaux, la femme en disposait librement et son
droit ne subissait qu'une seule limitation : l'impossfbilité d'en gratifier son mari par suite de la prohibition des donations entre époux.
Avec la loi Julia; on peut considérer le régime dotal
qui jusqu'alors avait principalement été régi par la
coutume, comme définitivement organisé. Ce que
nous venons de dire de la condition de la femme {lst
loin d'ailleurs d'être le dernier mot du droit romain.
L'idée de la protection à accorder aux femmes pour la
restitution de leurs biens va continuer à se développer sous les empereurs qui restreindront toujours les
JlOUVOirs du mari sur la dot et la capacité de la femme.
Mais, avant de continuer cette étude spéciale, reprenons rapidement, pour mieux l'apprécier dans son
·
ensemble, la législation d'Auguste.
Nous venons de voir que c'est en accordant des
primes aux maris, en donn~nt des garanties pécuniaires 'aux femmes que cet .empereur, réformateùr
des mœurs publiques, tente de remettre le mariage
en honneur dans ses États 1 • Étrange système qui
1 La préoccupation d'Auguste de faire fleurir la vertu dans son
empire ne l'empêchait pas d'ailleurs de veiller soigneusement à ses
�•_ • 73 -
prouve ·surabonda mment à quel degré de décadence
était arrivée la nation romaine ! Les lois caducaires
ne furent jamais populaires chez un peuple dont elles
tentaient d'entraver la dépravatio n et les plaisirs. On
rie tarda pas à chercher des moyens pour les éluder,
et jurisconsu ltes et préteurs s'appliquè rent à en restreindre l'application. On trouva bientôt odieuse la
limitation à la liberté de tester apportée par la loi
Papia et, dès l'origine, on dut se montrer très-large
dans les cas d'application des lois caducaires.
Au point de vue pratique, quel fut le résultat des
réformes d'Auguste ? Tous les historiens' s'accorden t
à le proclamer entièreme nt négatif : Auguste ne put
même empêcher la prostitutio n de souiller son palais
impérial et d'envahir sa propre famille. Il n'en pouvait être autrement , car les lois caducaires, partant
d'un faux principe, donnaient pour base l'égoïsme et
l'avarice à une union gui doit être pure et désintéressée, et rabaissaie nt encore la dignité déjà si amoindrie
du mariage. Mais, si les lois caducaires ne produisirent point, quant à l'épuration des mœurs, les résultats qu'en attendaien t ses auteurs, elles _ne restèrent
pas cependant stériles, et bien gue par leur nature
même et le but qui les avait inspirées, .elles ne
pussent avoir qu'une durée éphémère, on peut dire
qu'il en est sorti un principe d'une haute portée morale, politique et sociale qui, se propagean t lentement ,
mais sûrement, devait ultérieure !fient amener une
réforme presque complète de la législation. Nous
intérêts personnels. Le fisc était appelé par les lois caducaires à
toutes les successions que des cœlibes seuls se présenta;ient ponr
recueillir : " fiscus parens omnium. » Les nouvelles lois· avaient
donc le double avantage d'encourager le mariage et les bonnes
mœurs, et ... de remplir les .coffres impériaux.
�-
..
74 -
voulons parler de la situation nouvelle faite à la mèi·e.
Auguste avait aecordé de nombreuses récompenses à
la maternité ; la femme mère était relevée de presque
toutes les incapacités qui la frappaient à raison de
son sexe. Mère de trois enfants, elle profitait pleinement des dispositions écrites en sa faveur et pouvait
recueillir même une hérédité supérieure à cent
mille as, se trouvant ainsi affranchie de la prohibition
de la loi Voconia. Si le but que poursuivait l'empereur, la réhabilitation du mariage, ne fut pas atteint
par les motifs que nous avons déjà exposés, les
réformes qu'il tenta firent enfin comprendre que,
dans l'intérêt de la société même, il importe que la
mère ait dans la famille une place honorable et y
occupe un rang prépondérant. Sous le régime de la
manus, la mère était complétement absorbée par
l'omnipotence du mari pour qui elle n'était qu'une
fille; sous le mariage libre, le désordre des mœurs,
l'égoïsme et l'avarice avaient rendu presque étrangers les uns aux autres les membres d'une même
famille. Les successeurs d'Auguste, suivan.t en cela
les tendances que les progrès de la civilisation et de
l'esprit philosophique faisaient déjà pénétrer dans les
populations, se préoccupèrent cle donner à la mère,
au point de vue social, une place déterminée près de
son époux et de ses enfants. Nous allons donc trouver
dans le droit romain un nouvel élément empnmté
cette fois au droit naturel. Il peut paraît11e ét:r:ange
que l'on ait côi:iilliencéITenir compte à Rome des
affections naturelles à une époque où leur force et
leu pureté s'étaient singulièrement amoindries, mais
ce fait s'explique par l'écroulement successif des
-
�· -
75 -
anciennes institutions : la famille obligée de se reconstituer sur une base nouvelle, ne pouvait la trouver
qlJ.e dans le droit naturel.
Nous avons déjà vu que sauf le cas où, devenue par
suite de la manus, la fille de son mari, la femme avait
droit à une part d'enfant dans la succession agnatique, elle était, au point de vue successoral, absolument étrangère à son ép.oux et à ses enfants. Le préteur tenta d'adoucir les rigueurs du droit primitif
appelant, à défaut d'agnats, la mère à la succession
de ses enfants au rang des cognats par la bonorum
possessio µnde cognati, remède trop souvent inefficace
et même négatif dans la plupart des ca~. n faut arriver jusqu'aux successeurs d'Augusta, jusqu'à l'époque
où l'importance du rôle de la mère dans la famille et
dans la société commence à être sainement appréciée,
p_our trouver des dispositions législatives plus en harmonie avec les lois de la nature. Le sénatus-consulte
Tertullien rendu sous Adrien, ou, plus probablement,
sous Antonin le Pieux, fait un pas déjà décisif,
quoique encore insuffisant, dans une voie nouvelle.
La femme ingénue, mèr13 de trois enfants, et la femine
affranchie, mère de quatre enfan;ts, sont appelées à la
succession de leurs enfants au rang d'agnates en concours avec les sœurs, elles ne sont primées que par
le père, les enfants et les frères du de cujus. Elles ont
la hono1'U'ln possessio unde legitùni. On a prétendu que le
sénatus-consulte Tertullien n'avait point eu pour but
de relever la mère dans la famille et de suivre le droit
naturel, mais simplement d-'encourager la procréation
de sorte qu'il ne serait guère qu'un complément des
lois caducaires dicté par les mêmes motifs. Nous
en)'
-
-
�-
76 -
repoussons cette opinion : quelques dispositions du
sénatus-consulte nous permettent de distinguer la
véritable pensée de la loi qui est d'honorer la mère.
Po!1r la première fois, la loi appelle la mère, à défaut
du mari, à l'exercice de la puissance paternelle, elle
lui ordonne de veiller sur son enfant pendant l'impuberté, de provoquer dans l'année la nomination d'un
tuteur ou le remplacement de celui exclu ou excusé.
Ce n'est qu'en satisfaisant à ces devoirs que la mère
bénéficie des dispositions successorales édictées en sa
faveur 1 •
Avec le sénatus-consulte Tertullien une grande
réforme avait été accomplie : le premier coup était
porté à la succession . agnatique, à cette hiérarchie
domestique si puissamment organisée et conservée
avec ·un soin jaloux pendant tant de siècles, malgré
les guerres civiles et étrangères, au milieu des proscriptions et des révolutions. Peu de temps après, sous
Marc-Aurèle, une nouvelle disposition législative,
corollaire naturel de celle que nous venons d'étudier,
le sénatus-consulte Orphitien appela les enfants à la
succession de lem mère avant les agnats et parents
consanguins de la défunte.
Ces dispositions étaient sans doute encore · bien
incomplètes ; ainsi, elles exigeaient chez la femme
une triple ou une quadruple parturition et n'étaient
pas applicables aux aïeules et aux petits-enfants, mais
elles indiquent clairement le nouveau courant d'idées
qui commence à se faire jour. Ces idées vont se propager avec rapidité et finiront par amener la chute
1
lnst., lib. VI De S. C. Te1·tulliano .
�-
77 -
totale de ['agnation et la reconnaissance des principes
du droit naturel. La lutte sera longue encore entre
l'ancien régime et le . système nouveau, mais le
triomphe définitif sera assuré par la puissante impulsion d'un nouvel élément qui va apparaître et qui est
destiné à régénérer le monde : le Christianisme.
CHAPITRE VI.
La femme sous les empereurs chrétiens et sous
Justinien.
A l'époque où nous sommes parvenu, la conditüm
de la femme avait déjà passé par diverses phases qui,
en l'améliorant progressivement, avaient peu à peu
préparé l'égalité de l'homme et de la femme dans la
fa!!lil:Tu. Nous sommes loin à présent de cette sujétion
absolue à laquelle la femme était soumise, soit dans
la famille paternelle, soit sous la manus de son mari.
La puissance paternelle n'a en apparence rien perdu
de ses prérogatives, :ip.ais en fait, l'adoucissement
apporté dans les mœurs par la civilisation a singulièrêiiient atténué la rigueur du droit p"i-imitif. L'empereur Trajan force un père à émanciper son fils
cc quem male contra pietatem adficiebat. » Ce fils étant
venu à mourir peu après, le père est privé de sa succession 1• De même, Adrien prononce la peine de la
déportation contre un père qui avait tué à la chasse
son fils, coupable cependant d'adultère avec sa beïlet
Dig., 1. 5, Si a pannte qui manumissus sit.
�.,.
mère 1 • Antonin Caracalla proclame que le père qui
vend ses enfants commet une action illicite, déshonnête 2 • Le terrain est ""clone préparé à la dbctrine qui
bientôt enseignera que ia puissance paternelle est
essentiellement une mission ë tendresse et de dévouement, et que la femme dès lors doit y être associée.
Quant à la femme mariée, si des précautions vigilantes ont été prises pour assurer la conservation du
patrimoine qu'elle apporte .à son époux, elle a conquis, avec le mariage libre et l'institution de la dot,
une indépendance qui n'a pas tardé à être fatale à ses
mœÛrs : le divorce et l'adultè~e ont avili l';nion conjugale : de ce côté une importante réforme est nécessaire et nous venons d'assister aux stériles efforts
tentés par Auguste.
C'est alors que la religion prêchée par le Christ, en
Galilée, commença à se répandre et à se propager en
dépit des persécutions. Elle devait changer la face
du monde et co~tribuer puissamment à relever la
·femme. Les principes « de paix et de vérité » prêchés par le Christ, la douceur que respiraient ses
enseignements ne pouvaient manquer de produire un
grand effet sur les femmes : aussi, est-ce par elles
que la religion nouvelle pénétra dans le monde paï®
et arriva au foyer domestique; ses détracteurs lui
reprochent amèrement de s'appuyer surtout sur les
femmes « muli'en"bus credulis a. n
Le pouvoir législatif est' concentré tout entier dans
les mains du prince : le christianisme cllerche à s'ap1
Dig., 1. 5, De lege Pompeia de pa1·ricidiis.
!C., 1. 1., De liberali causa.
'Troplong, De l'lnfl. du Chr istianisme.
�-
79 -
procher du trône. Le paganisme essaie vainement. de
lutter en appelant Ja barbarie et les supplices à son
aide. Les idées nouvelles se propagent avec une force
irrésistible. Déjà Septime-Sévère confie au chrétien
Procu1us l'éducation de son fùs, Alexandre-Sévère
admire les maximes du christianisme qui enfin, avec
Constantin, arrive à l'empire. A partir de ce moment,
îës réformes vont se succéder avec une étonnante
rapidité. Nous avons déjà _eu occasion de remarquer
que les Romains étaient extrêmement attachés à
Jeurs antiques institutions, et que nombre d'entre
elles avaient été successivement battues en brèche ou
étaient tombées en désuétude sans avoir été législativement abolies, tant était grand le respect professé
pour les lois des ancêtres. Le christianisme n'a pas
de ces ménagements : il s'inquiète peu de la loi des
XII Tables et de la vénération due aux lois édictées
par les quirites : il a immédiatement la prétention de
renouveler la qJ.orale et la législation, de devenir
universel et, dès qu'il se sent en possession du pouvoir, il porte une main hardie et heureuse sur toutes
les prescriptions du droit qui ne sont pas en harmonie
avec ses théories et ses principes. De cette précipitation même résulte dans les réformes une certaine
incohérence et, pour bien comprendre et saisir le
nouvel état de choses, il faudra aller jusqu'à la coordination effectuée par Justinien qui, sur les ruines du
monde ancien, érige un nouvel édifice sur les bases
du droit nouveau.
Le droit de la famille fut naturellement le premier
renouvelé : le christianisme g_hercha tout d'abord à
détruire la famille -civile, création arbitraire du droit
�-
80 -
romain, -pour y substituer la famille naturelle, et il
tourne tous ses efforts vers la réhabilitation du mariage et l'élévation morale et sociale des femmes. De
îa femme vierge et martyre d'abord, il fait, en proscrivant la polygamie et le divorce, l'inséparable compagl).e de l'homme : cc Duo erunt in carne una » et son
influence amena les constitutions de Constantin et
d'Honorius qui limitèrent les causes autorisant désormais le divorce. Théodore et Valentinien semblèrent
revenir aux anciens errements et nous voyons par la
Novelle H 7 que le divorce par consentement mutuel
subsistait encore à l'époque de Justinien qui l'abolit
formellement. C:e prince détermine les motifs qui
pourront autoriser le mari et la femme à demander
le divorce et prononce des peines contre celui des
époux qui, par sa faute, aura amené r.etle séparation.
Une religion qui exaltait avant , tout la continence
et le célibat ne pouvait tolérer une législation qui,
par les récompenses accordées à la maternité, semblait les proscrire comme de véritables désordres
sociaux. Aussi Constantin ne tarda-t-il pas à abolir
toutes les peines prononcées contre les cœli'bes, les 01·bi
et les derniers vestiges des lois caducaires disparurent
avec Honorius et Théodose. Constantin fit passer la
{ mère investie ou non du jus liberorum avant tous les
agnats autres que les oncles et leurs descendants.
Quant à ceux-ci, une transaction fut faite entre le
droit ancien et les idées nouvelles. La mère u non li« beris honorata » leur enleva le tiers de la succession, mais, dans le cas où, par suite du jus liberorum,
la mère avait droit, en vertu des lois caducaires, à
�-
S·l -
toute rhérédité, elle dut leur en céder un tiers. Ces
quotités furent d'ailleurs modifiées par diverses constitutions de Valens et de Valentinien toujours de plus
en plus favorables à la femme; mais toutes ces réformes accomplies sans ensemble, présentant parfois
de choquantes contradictions, n'aboutissent qu'à une
confusion pre,,sque inextricable, qui rend de plus en
plus nécessaire la présence d'un réformateur plus ré·
solu et 'plus radical.
furent)
usqu'alors,
sifavorisésj
. Les seconds mariages,
décida
vus désormais d'un œil défavorable. Théodose
que les veuves qui se remarient avant l'expiration
d'une année ne conserveron t gue l'usufruit des biens
compris dans la donation ante nuptiale dont la. propriété sera désormais réservée aux enfants du premier lit. Les empereurs chrétiens.édictèrent, en outre,
diverses dispositions destinées à protéger les enfants
du premier lit dont les intérêts avaient été jusqu'alors
négligés. C'est ainsi qu'l~ae loi feminœ por.tée par
Théodose (C., 1. 3, de Sec. nup.) décide que la femme
qui convole à de secondes noces doit transmettre intacts aux enfants nés d'une précédente union tous les
biens qu'elle a reçus de son premier mari, à quelque
titre que ce soit. La loi flac edictali' promul.guée par
l'empereur Léon (C., 1. 6, eod. tit.) défend à l'époux
remarié de disposer en faveur de son conjoint d'une
partie de ses biens propres supérieure à _une part
d'enfant du premier lit, et, dans le cas où il y a plusieurs enfants inégalemen t gratifiés, le conjoint ne
peut recevoir plus que la part de l'enfant le moins
prenant, sauf en cas d'exhérédation pour cause .d'ingratitude. La Novelle 22 de Justinien permet de dimi6
�-
82 -
nuer la dot ou la donation p1·opter nuptias, en . cas de
seconde union, quand il existe des enfants du premier
~t. Toutes ces dispositions nous prouvent surabondamment avec quelle défaveur le christianisme voyait
· les seconds mariages : quelques Pères de l'Église
allèrent même plus loin et enseignèœnt qu'une
deuxième union n'était qu'un adultère iléguisé, mais
cette théorie ne prévalut pas et fut justement condamnée.par le concile de Nicée.
L'institution nouvelle de la donation propter nuptias
vint prouver encore la tendance de la législation à
mettre les femmes sur le pied d'égalité avec leurs
maris en faisant prévaloir l'idée que, de même que la
1
femme apporte une dot à son mari, ce dernier devait
faire à son épouse des avantages égaux. Constantin
décida même que la donation ante nuptiale subsistera
si le mariage manque par la faute du donateur, ou si
l'un dr.,c; époUx. meurt avant le mariage, mais après
que la femi;ne a d0;nné le baiser ante nuptial. (C., 1: 15
et 16 de Don. ante nuptias.) L'empereur Justin décida
que la donation faite par le mari à son épouse et qui
avait toujours nécessairement précédé le mariage; à
cause de la prohibition des donations entre époux,
pourrait.à l'avenir, à l'instar de la dot, être constituée
et augment~e pendant le mariage, d'où le nom de donation pi·optei· nuptias donné dè$ lors à cette espèce de
donation. Déjà des constitutions impériales avaient
établi la proportionnalité entre les gains de survie des
époux et décidé que la dot et la donation ante nuptiale devaient être égales; aussi Cujas . définit-il avec
raison la donation pi·optei· nuptias : « contractus quo
cc quis dotem contrariam uxori offert. »
�-
83 -
Relevée dans la famille par la nouvelle religion, la )
femme ne tarde pas à y prendre une place de plus en ·
plus considérable. Tout d'abord la puissance pater- .
nelle ne devant plus, d'après les théories nouvelles,
s'exercer que dans l'intérèt des enfants, il est nçi.turel
d'en dépouiller le père quand il s'en montre indigne,
et de l'attribuer à la mère. Les empereurs Dioclétien
et Maximien avaient déjà décidé que le juge statuerait, en cas de divorce, qui du père ou de la mère devrait conserver la garde des enfants. Justinien va plus
loin, et ordonne, dans la Nov. 1:1.7, qu'en cas de divorce imputable au mari, les enfants soient toujours
confiés à la mère. Enfin, et c'est le plus grand progrès qui ait été réalisé, la femme finit par arriver à la
tutelle jusqu'alors considérée comme un office- viril.
es empereurs Valentinien , Théodose. e~ Arcadius
promulguen t, en 390, une constitution aux termes de
laquelle la mère pourra devenir tutrice de ses enfants
en l'abseace de tuteur Lestamentaire, si elle en fait ia
demande au magistrat, qu'elle ait l'âge voulu (25 ans),
et qu'elle promette de ne pas se remarier. Justinien,
généralisant le droit accordé à la mère, lui confère de
plein droit la tutelle de ses enfants en l'absence de
tuteur testamentai re, il étend même cette prérogative à la mère naturelle et à l'aïeule, mais en prononce la déchéance par .le seul fait d'un second mariage. Il exigea seulement de la mère tntrice une\
renonciation au bénéfice du sénatus-consulte Vel-)
leien.
Dans la matière si importante du mariage de . ses
enfants, la mère fut appelée, à défaut du père, à choi-)
sir, conjointement avec le tuleur et les plus proches'
�-
84-
parents, l'époux de sa fille, par une constitution de
·( Sévère et d'Antonin. Remarquons que l'influence de
l'antique législation romaine sur les successions agnatiques retarda longtemps ençore sur ce point une. réforme complète et, qu'appelée à consentir au mariage
de sa fille, la mère n'était point consultée pour le mariage de son fùs.
L'adoption avait été longtemps prohibée aux femmes
par ce motif qu'une femme ne peut exercer la puissance paternelle. Avec la révolution que. nous venons
de signaler, cette prohibition devait nécessairement
tomber. Dès l'an 291, un rescrit des empereurs Dio/ .létien et Maximien, que Justinien confirma dans ses
lnstitutês, vint permettreauxfemm esd'adopter dans le
cas où elles auraient eu la douleur de perdre leurs
enfants : << Femirn:e ad solatium liberorum amissorum
« adoptare possunt. » L'empereur Léon supprima
cette condition de maternité, que Justinien exigeait
éncore, disant qu'il serait inique de refuser à des
femmes le droit de se donner par l'adoption des soutiens de vieillesse parce qu'elles n'auraient pas eu le
bonheur d'être mères ou auraient voulu conserver
intacte leur virginité.
Nous sommes arrivé à l'époque de Justinien, de ce
prince qui, par son zèle à augmenter les prérogatives
des femmes dans le mariage, a mérité le surnom
d' Uxorius et qui devait mettre en harmonie ce qui
restait encore du droit ancien avec les principes du
droit nouveau.
Au moment où Justinien monte sur le trône, tous
les éléments qui avaient servi de base à l'ancienne
constitution avaient peu à peu disparu" sous l'in-
r
�-
85 -
fluence de la civilisation et du christianisme. Dans
l'État, la prépondérance de certaines familles fondée
sur la distinction des classes, sur l'unité dérivant du
système d'agnation, sur la séparation établie entre
les romains et les pérégrins, avait subi de profondes atteintes. L'ancienne aristocratie avait cessé
d'exister, et avec elle s'étaient évanouies nombre
d'institutions qui n'avaient leur raison d'être que
dans l'organisation de cette société primitive. Il n'y
avait plus depuis longtemps qu'une démocratie despotiquement gouvernée par le souverain. Le système des successions agnatiques, qui avait fait la
force et la puissance de l'arist*rati e, avait été
battu en brèche et, sur les points les plus importants, avait, grâce aux _institutions prétoriennes et
aux divers sénatus-consultes dont nous avons parlé,
fait place au système basé sur les liens du sang et
l'affection présumée du défunt. La position de la)
femme, celle des enfants vis-à-vis le père de famille,
avait énormément grandi et nous nous sommes appliqué à suivre la progression du droit des femmes et
à en reconnaître les causes. La refonte entreprise par
Justinien dans la législation eut pour but de faire définitivement prévaloir cet esprit nouveau qui l'avait
pénétrée et d'élaguer tous les débds des anciennes·
institutions qui n'étaient plus en harmonie avec les
idées régnantes.
La plus considérable et la plus importante des réformes de Justinien est sans contredit celle qu'il
apporta dans la dévolution des hérédités ab intestat.
· Cet empereur fit disparaître et déclara aboli le système des successions agnatiques reposant sur l'idée
�-
86 -
Loute politique dé conserver les biens dans les familles
masculines et établit par les deuxNovelles :1.18 et 127,
un nouveau mode de succession, basé sur les liens du
sang et où toute distinction était effacée entre la ligne
masculine et la ligne féminine. Les descendants d'abord, puis · les ascendants et enfin les collatéraux,
sans distinction de sexe ni de biens, sont appelés à
succéder, et la femme recueille dès lors, sans condition et sans entrave, l'hérédité de ses enfants à l'exclusion des agnats. Et, comme les autres .incapacités
résultant pour la femme, soit de la tutelle agnatique,
soit de la loi Voconia, avaient été déjà anéanties, on
trouve que sur Ct}J,point important de recevoir des
successions et de les transmettre soit par testament,
soit ab intestat, la femme. n'avait plus vis-à-vis de
l'homme aucune infériorité. '
Justinien chercha aussi à relever le mariage, non
pas en faisant appel, comme Auguste, à l'avarice et à
la eupidité des célibataires, mais en s'inspirant des
théories chrétiennes. La règle gui empêchait une
femme dépourvue de dot de contracter le justœ nuptiœ et la plaçait par ce seul fait dans la situation inférieure du concubinat était contraire à la pensée du
' christianisme qui tendait à proclamer la dignité atta'Chée à la personne même de la femme en dehors de
tout avantage pécuniaire. Aussi plusieurs constitutions vinrent déclarer que le mariage pourrait être
légitime sans constitution de dot. Elle ne fut réputée
nécessaire que pour les ûlusti·es. (C., 1. 2, de Rep.)
ous avons parlé précédemment des garanties accordées à la dot par la législation d'Auguste, garanties qu'était venue augmenter encore-la promulgation
�-
87 -
du sénatus-consulte Velleien, défendant à la femme
d'intercéder pour autrui et même pour son , mari,
sauf le cas où elle aurait au contrat un intérêt personnel. Ce sénatus-consulte célèbre était le complément indispensable de l'inaliénabilité dotale qui n'eût
été qu'un vain mot sans l'incapacité de la femme;
aussi, malgré les controverses qui se sont élevées sur
c_e point, croyons-nous plus naturel de rattacher c~tte
disposition législative à l'ensemble des mesures protectrices des Ùbres dotaax édictées par Auguste, que
d'y voir, comme l'ont soutenu plusieurs auteurs, une
loi politique destinée à diminuer l'influence trop
grande des femmes dans la cité r01iaine.
Nous devons à Justinien un grand nombre de dis- ""-positions nouvelles destinées à assurer la conservation e1!la restitution de la dot. Cet empereur continua
à déclarer âconstitutio n -de dot obligatoire pour le
père de famille et mêm,e pour la mère, en cas d'indigence du p~re, ou à titre de peine si elle était hérétique. Il fondit ensuite ensemble les deux actions i·ez'
uxoriœ et ex stipulatu, décidant que la d9t devait être
restituée dans tous les cas quel que fût le mode de
dissolution du mariage, que les rétentions ne seraient
plus autorisées que propter irnpensas et que la nouvelle
action de dote serait une action de bonne foi. Justinien
décida en outre que les immeubles devaient être immédiatemen t restitués et que le mari jouirait pour la
restitution du .mobilier d'un délai d'un an. Enfin,
dans la constitution 30 C. de Jui·e dotz.um, il accorde à
la femme, au lieu du pn:vzïegium zntei· personales actiones qui ne lui permettait de primer que les créanciers
chirographaires, une hypothèque privilégiée sur tous
�-
88 -
les biens dotaux pour pouvoir les revendiquer même·
entre les mains des tiers aéquéreurs. Poussant bientôt
plus loin sa ·sollicitude, quant à la conservation des
biens de la femme mariée, Justinien frappe les biens
du mari d'une hypothèque légale au profit de la
femme ou du constituant et décide même dans la
célèbre constitution Assiduis (1. 12, liv. VIII, tit. XVIII)
que cette hypothèque sera privilégiée et que la femme
sera préférée même aux créanciers hypothécaires an_térieurs au mariage, disposition exorbitante et justement critiquée que nos lois ont repoussée avec rai. son.
Justinien érigea '11- règle que le mari survivànt ne
gagnerait plus la dot adventice, qu'en cas de divorce
il devrait donner à son épouse, même n'ayant pas
apporté de dot, le quart de ses biens. En cas de mauvaise administration du mari et de désordre dans ses
affaires - cc marito ·ver gente, ad inopiam n - la
femme poy~ait, même pendant le mariage, réclamer
la restitu_t10n. Enfin la gestion m ême des biens paraphernaux par le mari, se trouve garantie par la même
hypothèque que les biens dotaux.
On doit encore à Justinien une autre institution qui
témoigne de sa sollicitude pour les droits des femmes
et qui, après avoir eu longtemps sa piace dans notre
législation, a été malheureusement abandonnée par
" les rédacteurs du code civil : c'est l'établissement d'un
droit de succession en faveur de l'épouse que la mort
de son . mari pourrait réduire à l'indigence. Déjà le
préteur avait inventé la bon01'Um possessio unde VÙ' et
uxor, par laquelle, en l'absence de tous parents, il
appelait les époux à se succéder réciproquement.
�-
89 -
Mais ce remède, trop souvent inefficace, fut avantageusement remplacé par la « quarte du conjoint
pauvre ; » la femme misérable succède désormais au
quart en usufruit des biens de son mari, s'il y a des
descendants, et en pleine propriété, en présence de
tous autres parents.
Nous trouvons, dans la plupart de ces dispositions, \
la traçe évidente d'un cb.ristianisme éclairé et il est,.
certain, qu'à aucune époque, les femmes ne furent
aussi puissamment protégées sous le rapport du patrimoine, et les tendances qui se sont manifestées /
depuis ont été de restreindre plutôt :que d'augmenter ,
ces prérogatives.
Nous sommes arrivé au terme de notre étude : les
travaux de Justinien sont en effet les derniers monuments législatifs que nous ayons à étudier. Après lui,
l'l!.:mpire se démembre, les Barbares l'envahissent de
toutes parts, et, de cette grande commotion sociale
où s'engloutissent et disparaissent les derniers débris·
du monde ancien, va sortir une société nouvelle au
. pénible enfantement de laquelle nous allons assister
dans la deuxième partie de notre travail.
Si, avant de terminer, nous-jeton·s un coup ·d'œil
rapide sur cette période de plus de dix siècles, nous
voyons d'immenses progrès accomplis. La puissance )
paternelle est devenue ce qu'elle doit être, u~e~
plutôt u'un droit. Justinien, renouvelant une constitution de l'empereur Constantin, permet bien, il est
vrai , au père de vendre ses enfants nouveau - nés
(sanguinolentos), mais dans le cas seulement où il se
trouve réduit à la plus extrême misère, et il est
évident que l'empereur a eu en vue, en autorisant
-
'
�-
r
9@ -
cette vente, l'intérêt même de l'enfant : « victùs
«causa.» La femme, délivrée de la manus, de la sujétion humiliante de la tutelle des agnats, a commencé
à trouver l'indépendance dans la création de la dot.
La licence des mœurs qu'entraîna bientôt une émancipation trop hâtive, amena l'avilissement,du mariage
et le relâchement des liens de famille . .La société qu'a
vainement essayé de régénérer Augmste reprend,
sous l'influence des idées chrétiennes, une vigueur
nouvelle. Alors sont reconnus et proclamés les principes de droit naturel qui doivent servir de base à
l'organisation de la famille. L'organisation factice de'
l'ancienne Rome s'écroule peu à peu et finit par disparaître entièrement avec Justinien. Des protections
multipliées sont accordées à. la femme dans sa personne et dans ses biens, une capacité complète lui est
reconnue et nous sommes près de, l'époque où l'on
verra des femmes assises sur le trône d'Occident et
étonnant les peuples par la sagesse et la fermeté de
leur gouvernement.
Ne croyons pas toutefois que le dernier pas ait été
fait dans la voie du progrès. Justinien s'est vainement
flatté d'avoir, en réunissant ses immenses compilations, élevé un monument définitif. Le progrès qui
est la condition même de l'hùmanité, ne se peut
accomplir que lentement, et il s'en faut de beaucoup,
à l'époque de Justinien, que le christianisme ait engendré déjà tous les résultats qu'il est appelé à produire. L'observateur attenlif découvre aisément que,
par un revirement singulier, autant les mœurs étaient
autrefois supérieures aux lois, autant aujourd'hui
elles sont en arrière sur celles-ci; le niveau de la mora-
.
�-
91 -
lité est bien inférieur à celui de l'intelligence ; mettre
l'un et l'autre en harmonie sera l:œuvre péniblement
accomplie dans les siècles postérieurs.
APPEND ICE.
Notre étude ne serait pas co"mplète si nous ne
. disions quelques mots de la situation clans laquelle se
trouve la femme à Rome quand elle n'a pas le titre de
citoyenne romaine. Nous trouvons en effet, dans le
droit primitif des Romains, une conception énergique
du jus civile, c'est-à-dire du droit particulière ment
propre et réservé à ceux qui font partie de la cité,
d'où cette expression qui avait à Rome une signification si précise et si nette : Sum civis romanus. Ce
Litre de citoyen romain, dont les premiers Romains
étaient si fiers, avait imprimé à toutes leurs institutions civiles ~t sociales Ùn caractère particulier de
force et de rudesse ne tenant compte ni des liens du
sang, ni même souvent des considérations d'équité.
Les étrangers n'étaient point régis à Rome par le droit
quiritaire, il- n'y avait point d'état, de status. A côté
d'eux, les esclaves et les affranchis sont dans une
situation bien plps inférieure encore. Les nécessités
so.ciale_s engendrées par l'extension progressive de
l'État firent édicter diverses lois pour régler la condition de ces trois catégories de personnes auxquelles
n'était pas concédé le jus civitatz's. L'étude du droit
�-
92 -
spécial qui les régit présenterait aussi un grand intérêt, car c'est par les esclaves, les affranchies et les
étrangères que les principes du droit des gens et du
droit naturel pénétrèrent dans la cité romaine. Mais,
comme il est indispensable de se tracer une limite,
nous indiquerons rapidement la situation faite à chacuné d'elles, nous bornant aux détails indispensables,
car la condition de la femme citoyenne était celle qui
devait attirer plus spécialement notre attention.
I.
L'ESCLAVE.
L'esclavage est l~ produit de la guerre : son origine
se retrouve dans le droit accordé au guerrier victorieux sur la personne du vaincu prisonnier. La femme
devient donc esclave quand, par sùite de la conquête,
elle est emmenée captive et vendue comme telle, ou
quand elle naît d'une mère esclave. La dépravation
des mœurs dans les dernières années de la République
et au commencement de. l'Empire fut telle que
Claude, dans l'espoir de l'arrêter, édicta une troisième
cause de servitude. Le sénatus-consulte Claudien
'décida que toute femme libre qui vivrait dans le con tubernium d'un esclave, malgré la défense .trois fois
répétée du maître de celui-ci, serait réduite en esclavage. Triste loi, et plus triste époque !
La situation de la femme esclave est bien simple à
déterminer. Elle est' la chose de son maître qui peut
la tuer, la prostiluer, la vendre selon son bon plaisir,
et, si son maître préfère la garder, elle sert à la satisfaction de ses passions sans pouvoir .refuser, ni espé-
�-
93 -
rer aucune corp.pensation, car, . tant qu'elle est /
esclave, elle ne peut même pas -devenir sa concubine.
Elle n'a dans la société ni droit civil, ni famille. Elle
ne peut avoir d'époux, car les relations qui peuvent
être tolérées par son maître, dans le seul but de
reproduction, ne constitueront jamais qu'un contubernium. Fille, elle n'a ni père ni mère, car, par un
fait juridique que Justinien compare au droit d'accroissement, elle appartient au maître de ses parents ;
mère, elle n'a pas d'enfants,. car son part assimilé par
une législation brutale au croît des animaux, est la
propriété de son maître. L'ancilla ne peut rien posséder en propre : elle fait partie, comme 1·es mancipi, du
patrimoine de son maître, et tout ce qu'elle gagne
profite à celui-ci. En fait, l'usage fut bientôt introduit
de laisser à l'esclave quelques profits qui, constituant )
ce qu'on appelle un pécule, furent la source de l'adou- /
cissement de sa position ; il est certain que plus la
femme est habile dans l'état qu'elle exerce, plus ce
pécule doit être considérable, car l'intérêt du maître
lui commande de proportionn ~r la rémunératio n au
gain qu'il retire.
Le pouvoir du maître, absolu dans l'origine et souvent exercé avec une invraisemblable cruauté, reçut
bientôt quelques tempéramen ts. L'empereur Claude
décide que tout esclave infirme ou malade abandonné
par son maître, devien~ra libre. Diverses constitutions, sans oser restreindre le pouvoir des in.aîtres,
leur commandent, dans l'intérêt même de l'État, d'en
user avec modération de peur d'exaspérer et de pousser à la révolte les esclaves dont le nombre toujours
croissant pouvait devenir un danger public. Adrien
�-
94 -
condamne à la rélégation dans une île une dame romaine qui maltraite ses esclaves : << Quod ex levissi<< mis causis ancillas atrocissime tractasset. » . Il
ordonna même qu'une peine capitale prononcée par
le maitre contre l'esclave ne pût être exécutée qu'.après la sentence du magistrat. Gaius nous parle
encore de deux constitutions d' Antonin le Pieux, qui
apportèrent de notables adoucissements à la condition
de l'esclave. La première punit le maître qui tue son
esclave sans motifs, de la même peine que celui qui
l'esclave d'autrui (loi Cornelia, de Sican.i"s). La
tue
,
deuxième décide que les magistrats connaltront des
réclamations des esclaves, et que s'il est démontré
que le maitre use de dureté excessive à leur égard,
ils seront vendus de manière à ne jamais retomber
sous la puissance du même maître 1 •
Avec Constantin, l'influence des idées chrétiennes
se fait heureusement sentir dans la condition de l'esclave. Sans aller jusqu'à dire, avec certains auteurs,
qu'à partir de ce prince le droit de vie et- de mort du
maître fut aboli, nous. voyons que de louables efforls
sont faits pour en amener la suppression. Constanlin
décide que celui qui, sans motifs, exerce contre ses
esclaves des sévices tels qu'ils en peuvent mourir,
sera passible de la peine du meurtre etïl.h'autorise
que des châtiments modérés (l'emprisonnement et la
flagellation avec verges ou lanières) i. A cette époque
se rapporte le commencement de la transformation
de l'esclavage : Je servage prend naissance : à côté de
l'asservissement dël'homnïe à l'homme vient se pla1
t
Gaius, G. I, § 53.
G., 1. IX, tit. XIV.
�-
95 -
cer l'asservissement. de l'homme à la terre. Constantin
consacre le premier l'existence de la famille servile
en faveur des esclaves rustiques, , en défendant de
séparer les proches parents, et il prépare ainsi la
transition de l'esclavage à la servitude de la glèbe.
Cette nouvelle catégorie d'esclaves est déjà beaucoup
mieux traitée : le maître intéressé à c ue ses terres ·
soient bien cultivées, en abandonne le ·revenu à l'esclave colon, moyennant une redevance en nature et
•
en argent.
41
Nous venons de voir que, même avant le christianisme, les mœurs plus puissantes que les lois avaient
adouci la condition de l'esclave: les affranchissements
étaient fréquents, si fréquents même qu'Auguste tenta
d'en limiter le nombre par la loi Fusia Caninia. Cette
loi fut abolie par Justinien, qui chercha, au contraire,
à encourager et multiplier les affranchissements et
qui, tout en considérant l'es,clavage comme un mal
so.cial nécessaire qu'il est impossible de faire disparaître, reconnait qu'il est contraire au droit naturel 1•
Cet empereur défend au maître, obligé en vertu de la
sentence cl.u proconsul de vendre son esclave à cause
des mauvais traitements qu'il exerçait sur sa personne, de le vendre à des conditions trop dures, et il
déclare libre toute femme que son maitre aurait prostituée, alors qu'elle aurait .été achetée sous la condition qu'elle ne le ·serait pas. Nous sommes encore loin
de l'abolition de l'esclavage !
, 1
Just., § 2, De Ju?'e pei·sonai·um.
�-
96 -
Il.
L'AF1FRANCHIE.
A côté de l'esclavage les Romains avaient admis le
remède natu 1 de l'affranchissement. Dans les premiers temps de Rome, alors que la conquête n'avait
point encore amené en Italie ce nombre prodigieux
d'esclaves qui constitua à la fin de la Jlépublique un
danger permanent pour l'État, tout affranchi devenait citoyen romain. Cependant la défaveur qui s'attachait nécessairement à l'ancienne situation dans
laquelle il s'était trouvé avait fait refuser à l'affranchi
certains droits et certaines prérogatives. Ainsi, il n'y
/ a pas connubium entre l'affranchi et l'ingénu ; la femme
affranchie peut se marier, mais son union, inférieure
aux justes noces, n'est qu,'un concubinat. Elle est sans
agnats et, comme cognats, elle ne peut avoir que ses
enfants. Toutefois, une faveur spéciale peut la relever
de cette incapacité; ainsi un sénatus-consulte célèbre
vinfpermettre à l'affranchie Hispala Fecennia qui avait
révélé les mystères des ~acchanales d'épouser un ingénu; ces sortes de faveurs se multiplièrent jusqu'à
ce que la loi Julia, de Mari'tandis oi·dinibus, répondant
1
au sentiment public, vînt autoriser le maria13"e entre
les affranchies et les ingénus à l'exception. de ceux
d'entre ces derniers qui appartenaient à la classe des
illustres, dernière· restriction qui devait subsister jusqu'à Justinien. Ce prince qui avait lui-même épousé
une comédienne, la fameuse Théodora, ne pouvai~ se
montrer exigeant en matière d'union conjugale.
�-
97 -
Pour remplacer la famille civile dont les affranchis •
étaient privés, le droit romain imagina de les ratta- }
cher à la famille de leur maî.tre. Le patron qui a
affranchi un de ses esclaves, conserve sur la personne
et sur les biens de celui-ci un droit analogue à la puissance paternelle. Outre le respect et les services qui
sont dus par l'affranchie à son patron - et qui ont
pour sanction la 1·evocatio in se1·vitutem en cas d'ingratitude - elle ne peut refuser de l'épouser si l'affran- \
chissement a eu le mariage pour motif, et, une fois
mariée, elle n'a pas le droit de divorcer. La femme
affranchie restait toute sa vie sous la tutelle de son
patron et ce n'est qu'avec l'autorisation de celui-ci
qu'elle pouvait tester. Si elle mourait intestat, le patron recueillait sa succession, car ses enfants n'étant
point ses agnats n'y pouvaient prétendre. La loi Papia
releva de la tutelle l'affranchie mère de quatre .enfants, lui accordant le droit de tester et de disposer de
ses biens, en réservant seulement une part virile au
patron dans la succession testamentaire. Chose singulière : cette loi n'ayant rien dit des successioQs ab
intestat, l'ancien droit resta en vigueur de ce chef el
le patron recueillit toute la succession jusqu'à ce que
le sénatus-consulte Orphitien fût venu corrige!' cette
étrange omission.
· ~a loi lElia Sentia, sous Auguste, vint créer deux
nouvelles classes d'affranchis, les latins Juniens et
les déditices, inférieures à celle des affranchis citoyens
romains. En fait, ces modifications n'eurent pas une
grande influence sur la condition de la femme affranchie, car elles tendaient principalement à restreindre
les droits politiques des affranchis. Notons seulement
j
0
7
�-
98 -
qüe les femmes affranchies qui se trouvent dans l'une
ou l'autre de ces deux catégories ne peuvent d'a,ucune
manière disposer de leurs biens qui sont toujours à
leur décès acquis au patron «jure peculü ». Le christianisme cherche à niveler toutes ces positions diffé,,..,Fentes. Justinien donne à tous les affranchis la qualité
de citoyens romains, leur succession passe à leur postérité et le patron ne peut plus protester contre son
omission dans le testament de. son affranchi. L'affranchi ne doit plus désormais à son patrbn que les devoirs d'honneur et de respect et encore Justinien en
fait-il remise à l'affranchie qui s'est mariée avec le
consentement de son patron. A l'époque où nous
sommes arrivé le nivellement est à peu près complet
entre l'~ffranchie et la citoyenne.
III.
L'ÉTRANGÈRE.
P!3ndant longtemps la présence des étrangers à
Rome dut être une anomalie. Les Romains primitifs
uniquêment adonnés à la conquête n'avaient aucune
idé~ des relations sociales : pour eux, quiconque n'était pas civis romanus était un barbare, un ennemi
(hostis) et ils ayaiep.t formulé contre l'étra:o.ger cet
anathème politique : << Adv~rsus hostem œtei'na auc« toritas esto . » Les étrangers n'avaient aucun droit
civil; pour eux pas de connubium, pas de pati·ia potestas. Leur nombre cependant s'accroissant incessammEJnt, il fallut songer à établir pour eux une juridiction particulière puisqu'on leur refusait la protection
�-
99 -
des lois romaines. De là l'institution d'un magistrat
spécial chargé de rendre la justice aux étrangers et
appelé prœto1· peregn·nus. On imagina bientôt d'accorder le droit de cité, c'est-à-dire le privilége d'être
traité comme citoyen romain aux villes qui s'en montraient dignes ; cette faveur fut bientôt étendue au
Latium, puis à l'Italie, et à quelques provinces extérieures et enfin Antonin Caracalla l'accorde à tous les \
habitants Ile l'Empire.
L'unification se fait donc peu à peu dans la législation romaine; déjà les distinctions concernant les
femmes affranchies et les femmes étrangères ont à
peu près disparu. L'esclavage a subi, lui-même, d'importantes modifications: il va devenir territorial, pour
ainsi dire, de personnel qu'il a été jusqu'ici : n'oublions pas que cette unilé qui tend à se faire des divers
éléments de la société romaine est due en grande
partie à l'influence des femmes qui, par la fusion du
sang et des intérêts, ont préparé celle des castes et
celle de::: races.
J
..
�DEUXIÊllE PARTIE .
.
La Felllme Franç.aise.
La Gaule, la France future, est le pays privilégié
d'où doit sortir, après de }ongs sièc~es d'élaboration ,
1 l'émancipation de la femme. C'est le droit français
qui, avec les grands principes qui sont aujourd'hui la
base- de la ·société contemporaine, proclamera le premier l'égalité absolue de l'homme et de la femme.
Quelqu'admirables que fussent déjà les conceptions
auxquelles étaient arrivés les jurisconsultes romains,
nous venons de voir qu'il restait encore beaucoup à
faire et que, si le vieux monde s'écroulait de toutes
parts, le nouvel édifice préparé par les empeteurs
chrétiens, continué par Justinien, était loin d'être
achevé. Les grandes invasions se produisent, les
hordes germaniques s'implantent dans la Gaule où
elles vivent çà et là confondues avec les débris gaulois et romains, chacun conservant ses mœurs, ses
institutions et ses coutumes. Les lois, en effet, sont
tout d'abord personnelles, aussi . rencontrons-nous
�~
101
pêle-mêle les institutions romaines, les coutumes germaniques, le droit celtique. Le chaos est encore plus
inextricable quand les lois sont devenues territoriales,
car' outre la 'grande distinction de la fem~~ commune)
en biens au Nord et de la femme dotale au Midi, nous
trouvons dans la France du moyen âge autant de lois
différentes qu'il y a de petits pays ayantCo~quis une
autûnomie propre. Nous rencontrons, en outre, depuis
les premiers siècles de la Gaule jusqu'à la Révolution,
des distinctions de castes qui exercent une très-grande
influence sur la condition de la femme. Suivant, en
effet, qu'elle est noble, roturière ou s,erve, la femme
occupe dans la sociélé et dans lafamille une situation
·
différente.
divers types
ces
de
faire
de
difficile
et
long
Il serait
au
conformer
nous
une étude complète, aussi, pour
but que. nous nous sommes proposé, nous attacherons-nous spécialement, sans approfondir toutes les
institutions du droit germanique, du droit coutumier
et du droit canonique, à montrer l'amélioration prou
gressive qu s'est peu à peu effectuée dans la condition de la femme et à rechercher de quelle manière
s'est opérée la fusion de tant d'institutions diverses et
réalisée l'unification de la législation.
Nous reconnaîtrons dans le droit qui nous régit
aujourd'hui la présence de quatre éléments: l'élément
romain, l'élément germanique, le droit canonique et
.
...--- les 9rdonnances des rois.
L~s longues · et laféodal,
bèîriëùses recher'"chês des savants ne sont pas parvenues à éclaircir le point de savoir quelle part peut être
attribuée au droit celtique dans les réformes successives qui se sont accomplies et quels matériaux il au-
-
----- --
�102 -
rait apportés à l'œuvre commune. Les .seuls renseignements que- nous possédions sur la condition de la
femme dans la Gaule nous sont fournis par ~ules Cé- _
~ , dans ses Commentaires et, quelle que soit la
créance qu'il y ait lieu d'ajouter aux récits du général
historien, nous ne pouvons, avec les quelques faits
isolés qu'il nous raconte sur les mœurs et les habitudes du peuple conquis, reconstituer la législation
celtique. Il semble résulter des Comm'.entaires de César
r que les anciens Gaulois avaient droit de vie et de mort
1
sur leurs femmes et leurs enfants, absolutisme qui
s'expliquerait d'ailleurs suffisamment par la supériorité acquise au guerrier dont le bras toujours armé
est, en l'absence de lois et de civilisation, la seule ressource du faible. La polygamie paraît a oir été per( mise, au moins aux chefs, et le divorce autorisé. Nous
trouvons, dans ce dernier cas, cette règle assez singulière d'après laquelle, tandis que le mari se remariait à so:n gré, la femme devait attendre que son
( mari consentît à la reprendre ou lni désignât un
autre époux. La fidélité conjugale était gê'néralement
observée, et des pénalités rigoureuses prononcées
contre les épouses oublieuses de leurs devoirs. Signalons en passant une coutume bizarre qui prouve l'esprit superstitieux de nos ancêtres. La femme soupçonnée d'avoir introduit dans la famille im enfant
adultérin devait exposer cet enfant sur le fleuve. S'il
restait au fond, la femme était convaincue de culpabilité et mise à mort.
César, dans un passage très-connu de ses Commentaires, qui, depuis longtemps, exerce la sagacité des
inberprétateurs, nou~ dit qu'au moment du .mariage
�-
103 -
le mari doit fournir une somme égale à l'apport de sa )
femme, que les deux apports sont réunis, les fruits
capitalisés et fo tout attrcibué au survivant. Quelle que
soit l'explication que on donne à ce texte, qu'on
veuille y trouver l'origine de la communauté entre
époux, on y voit un simple gain de survie, il en ressort néanmoins que chez les Gaulois, comme chez les
Romains primitifs, la femme n'était poin't une esclave
puisqu'on prenait soin d'assurer son existence après la
dissolution du mariage. Il est même probable que malgré la dureté apparente des institutions, la femme était )
entourée de considération et de respect. Nous savons, /
en effet, que les Gaulois étaient fort attachés à leurs
croyances religieuses et que les femmes remplissaient
dans les sacrifices mystérieux offerts aux divinités un
rôle - importànt, bien différent de celui absolument
passi1 es Vestales de Rome. Tous ces faits sont malheureuseme nt enveloppés d'obscurité, mais les légendes transmises d'âge en âge sur la coupe du gui
sacré, sur les druidesses, sur "Velléda, nous prouvent
suffisamment que les femmes participaient souvent
aux fêtes religieuses, et, parfois, avec un caractère
sacré quî les faisait considérer comme des êtres supé~S.
,..__
--
Telles sont les vagues notions qui nous sont parvenues du droit celtique : sans nous appesantir davantage sur des recherches historiques ql'li nous entraîneraient hors des limites de· notre travail, nous allons
aborder l'étude de cette longue et ténébreuse période
du moyen âge pendant laquelle la condition cl.e la
femme subit tant d'évolutions différentes. Nous dirons
d'abord quelques mots de la condition faite à la femme
�-
104 -
dans la Germanie à l'époque· des grandes invasions,
et expliquerons comment, alors que tout semblait devoir favorisèr l'heureuse éma ipation de la femme,
le progrès fut arrêté par l'esprit de despotisme et de
violénce qui rêgne ~à l'origine de la féodalité. Nous
assisterons à la réaction q.ui s'opère bientôt à l'époque
de la chevalerie et à l'assimilation lente, mais sûre,
du droit romain et des coutumes sous l'influence du
droit canonique, des travaux des jurisconsultes et des
ordonnances royales. Tel est le plan que nous nous
proposons de suivre pour développer avec ordre les
diverses parties de notre sujet.
CHAPITRE PREMIER.
La femme sous le droit germanique.
§ I.
Fül~
de famille.
La famille chez les Germains, comme chez la plupart des peuples encore dans l'enfance, nous présente
une remarquable cohésion. 1'ous les parents mâles
sont étroitement unis pour l'aqression comme .pour
la défense, tous les membres d'une famille se considèrent comme solidaires de l'outrage fait à l'un d'eux
et participent à la vengeance (fœda) qu'on cherchera
à en tirer. Cette étroite union n'a pas seulement pour
but d'assurer la tranquillité de la famille mais encore
de maintenir la discipline domestique. Les hommes se
réunissent en conseil pour la répression · des délits
commis par un• membre de la famille. a fille est sou-
�:105 -
mise au pouvoir du chef de famille, et l'autorité qui \)
appartient à ce dernier en cette qualité porte le nom
de mundium. C'est une puissance d'une espèce toute
particulière et bien différente de la patria potestas des
Romains. Les anciens Gern:iains, chez lesquels ser reconnaît déjà ce penchant à la rêverie et à l'idéal qui
est un des caractères de la race allelfiande, professent,
dès les temps les plus reculés, un profond respect)
pour la femme, pour la vierge surtout, et ont pour
elle une sorte de vénération superstitieuse et mystique. Tacit" nous trace dans son ouvrage : De mo1·ibus
Ge1·manorum un tableau très favorable de la condition de la femme dans la Germanie. Il nous mon- \
tre les hommes écoutant les conseils de la femme
et semblant lui reconnaîlre le don d'inspiration. Peut
être y a-t-il là quelque exagération ; il est indubitable
que la femme, chez les Germains, eut, à cette époque
reculée, une situation plus honorée que celle qui lui
est généralement accordée chez les peuples barbares,
mais elle est néanmoins soumise à la puissance du
chef de famille et frappée d'une incapacité absolue et
là, comme dans la Rome antique, c'est peut-être plutôt dans les mœurs que dans les lois qu'il faut reche;ëher la véritable condition de la femme.
En fait le mundium était principalement une tutelle
de protection et lgs pouvoirs dont était investi le
mundwaldus sur la personne et sur les biens de sa
pupille n'étaient que la juste compensation du devoir
de défense qui lui incombait. La femme, chez un
peuple guerrier, a toujours besoin de protection, quel
que soit son âge, aussi le mundium se perpétue-t-il
p~ elle, alors même qu'elle a atteint sa majorité et,
�-
106 -
si son père est mort, cette tutelle appartient à l'agnat
le plus proche qui devient le chef de la famille. 'L'état
des mœurs nous fait comprendre que cett~ tutelle
était. indispensable, aussi la femme qui n'a aucun parent p'o ur l~ protéger est-elle de droit dans le mundium du roi. Elle ne pourra point être mariée malgré
elle; le roi Cl'Oiiïer9déclare même nulle toute autorisation royale Ûbtènue par surprise pour épouser contre
leur gré des jeunes filles ou des veuves. D'ailleurs, à
mesure que la royauté grandira, sa protection s'étendra davantage sur les filles et sur les femtnes. Charlemagne se déclare hautement le protecteur des
faibles; il ordonne ~ ses envoyés d'examiner avec
soin la manière dont les tuteurs s'acquittent de leurs
fonctions, disant que Dieu lui-même l'a chargé de la
défense des veuves et des orphelins : cc Quia ipse Doce minus imperator post 'Domini et sanctorum ejus vice duarum et orphanorum et protector et defensor esse
cc constitutum èst. » Une procédure spéciale fut même
organisée pour les affaires · intéressant les mineurs,
affaires qui furent appelées et jugées avant toutes les
autres.
Quoique nous ne trouvions pas écrite dans les
textes juridiques la nécessité du consentement du
père au mariage déSa fille, il paraît certain que cette
autorisation était nécessaire : le mundium est, en effet,
une propriété de la famille, un droit héréditaire qui
passe de mâle en mâle et que d'ordinaire le chef de
famille confère à son gendre moyennant une somme
d'argent : celui donc qui détourne une jeune fille de
ses devoirs et l'épouse sans l'assBntiment de ses parents est à la fois coupable de rapt et de vol, et Char-
.
(
-
�-
107 -
lemagne décide qu'il ne sera jamais permis au ravisseur de contracter avec celle qu'il aura enlevée une
union légitime. L'influence de l'Église ne devait pas)
/
tarder à relâcher encore la puissance paternelle en
protégeant les femmes et relevant leur dignité. Remarquons le droit singulier accordé aux parents de
vouer, dès leur conception, leurs enfants à la vie monastique, droit qui a pour corollaire celui de la jeruie \
fùle de se faire religieuse sans l'autorisation de son )
mundwaldus.
Ce qui nous atteste encore la sollicitude que les
Germains avaient pour les femmes, ce sont les .Péna- J
lités multipliées qu'ils prononcent contre ceux qui
leur manquent de respect. Un certain nombre de lois
pénales règlent les compositions qui sont dues en cas
de meurtre, coups et injures, et ces évaluations pécuniaires varient suivant l'importance du fait et aussi
suivant que la femme insultée est fille ou mère. Dans
la loi des Franê s, Ïe meurtre de la femme propre à la \
maternité est puni de la composition la plus élevée,
dans d'autres, celui de la jeune fille est plus sévèrement réprimé que celui de la mère. Nous voyons
donc qu'au. m01~ent où va s'ouvrir la période féodale,
la condition de la fille dans la famille paternelle parait
satisfaisante. Le mundium, tutelle de protection, se
pliera facilement à ·l'impulsion de l'idée chrétienne,
car il n'est point uniquement la consécration de la
force, mais aui;si et surtout l'indemnité de la charge
- souvent bien lourde à cette époque - qui incombe
au chef de protéger les membres les plus faibles de
l'agrégation.
Si nous exa;rninons maintenant quelle étajt la con-
l
�-
~
i08 -
dition de la fille de famille, au point de vue des biens,_
noµs en sommes à peu près réduit aux conjectures.
La législation germaine· admettait-elle les filles au
partage égal de l'hérédité 'paternelle avec les mâles,
ou reconnaissait-elle des priviléges de masculinité ?
Le doute subsiste, mais quelques dispositions dont
nous allons parler tout à l'heure, nous portent à
croire que les Germains, arrivant du premier coup
dans leur barbare simplicité à la loi successorale indiquée pâr la nature et que l'on n'est parvenu à mettre
en vigueur qu'après de' longs siècles d'études et de
/ luttes, partageaient également, en règle générale, les
biens paternels entre tous les descendants J~
tinction de sexe. Ce qui est certain, c'est que les
femmes étàient- exclues, ainsi que leur descendance,
de la succession de la ~erre sal~que - règle commune
à toutes les nations germaniques et que l'on a·élendue
par une interprétation un peu abusive à la transmission de la couronne
.....,._, - . même. Cette règle, uniquement
basée sur les nécessités politiques, ne nous permet
pas de reconstituer à coup sûr le droit successoral
qes Germains. On comprend aisément que la terre
salique, apanage donné par le chef ,conquérant au
compagnon fidèle et résultat de la conquête, ne pouvait point passer entre les mains d'une femme incapable de la défendre. L'incapacité qui frappe ici la
femme n'est donc point une mesure de défaveur prise
contre elle, mais simplement le résultat nécessaire de
l'organisation sociale, et il se~ait tout à fait inexact
de coÎisidérer la loi salique comme un mo~e successoral établi en faveur des mâles. Et en effet, dès qu'il
ne s'agit plus de cette terre salique, héritage propre
�-
i09 -
au guerrier vainqueur, les coutumes germaniques
paraissent adopter le système de l'égalité. Nous trouvons divers textes qui, dans des cas particuliers,
accordent la préférence aux filles sur les mâles. Ainsi,
les. vêtements et bijoux de la mère de famille doivent
à son décès être partagés éntre ses filles, àl'ex.clusion
de ses fils : « Ornamenta et vestimenta matronalia ad
« filias absque ullo patris frafrumque consortio perti« nebunt. » De même, quand une jeune fille venait à
mourir, la portion des bijoux et vêtements gui lui
serait revenue à la mort de sa mère était attribuée à
ses sœurs, à l'exclusion de ses frères : « Quod si nec« dum nupta puella sorores habens de hac luce tran« sierit portio ejus, post ejus mortem, ad sorores
cc suas, remuta, ut dictum est, fratrum communione,
« pertineat. >> (Lerc Bui·g., lib. I, § 3.)
En résumé, les lois germaniques, tout en conservant une certaine rudesse primitive, avaient fait à la
fille de famille, quant à sa personne et ~Jliens, ,
une situation aussi honorable et aussi indépendante
quë le pouvaient permettre l'étatd.e -la~ivilisati~n et
les institutions politiques d'une tribu conquérante. Le
terrain· paraît donc admirablement préparé pour subir
l'impulsion que le christianisme va bientôt donner à
la société, et cependant, un temps d'arrêt se produira : la. _féod2li~ va, pendant de longues années,
en. généralisant la loi salique et l'étendant à tous les
fiefs, en se préoccupant uniquement d'accroître la
puissance de la noblesse et de l'aristocratie foncière,
retarder et paralyser l'heureuse évolution que tout
semblait annoncer dans la condition de la femme.
�-HO-
§II. Femme mari'ée.
Nous n'avons pas de renseignements précis sur la
manière dont les mariages se célébraient chez les anciens Germains. Nous savons que le futur se rendait
chez le père de la jeune fille et la lui· demandait en
mariage. Il devait faire ·des cadeaux à son futur beaupère pour que celui-ci lui transférât I.e mundi"um qui
Juiappartenait sur la personne de sa fill.e, et c'est cet
usage qui a fait dire, avec une certaine raison, qu'en
Germanie l'homme achetait son épouse. Tacite nous
apprend quelle était la nature des cadeaux que le
gendre devait faire à la famille dans laquelle il désirait entrer : c'était des bœufs, un cheval bridé, des
armes de guerre ; dès que les parties étaient d'accord
sur le prix qui devait être fourni en échange du
mundium, il y avait sans aucun doute promesse çl.Jl
mariage, mais il est vraisemblable que le mariage
n'était pas réputé accompli et qu'il fallait en outre la
tradition de la femme et, probablement aussi, certaines cérémonies religieuses. La femme recevait à
son tour une d!)t de son · père ; quelques auteurs,
M. Gide entr'autres, croient même que cette dot était
exigée. D'ailleurs bientôt les cadeaux faits par le mari
·à son futur beau-père, furent remjs à la femme ellemême, et telle. fut vraisemblablement l'origine de cet
avantage fait à la femme par son mari sous le riom
de ~o~e et dont nous aurons à parler en étudiant
le droit féodal. A côté se place la curieuse institution
du moi·gengabe, ou d<im du matin, qui témo~gne à la
fois d'une charnelle sensualité chez les peuples du
�-
Hi -
Nord, et d'un sentiment délicat envers les femmes.
L'époux faisait, le lendemain de ses noces, un cadeau
à son épouse, c'était le p?YI!mium deftoratœ vii'ginitatis,
dont l'existence nous est attestée par un grand nombre
de coutumes, notamment par celle des Lombards qui
en avait fixé la quotité au quart des biens.
Le mari se trouvait, dès l'union c@njugale, investi
du mundi'um qui lui était cédé par le père. Remarquons
toutefois que la femme ne devenait pas pour cela,
comme la romaine, sous le régJme de la manus, étrangère à la famille de son père ; elle continuait à en
faire partie et à y trouver, en tant que besoin, aide et
protection. La femme mariée est sous la dépendance \
de son mari ; elle lui doit obéissance et fidélité ; lui \
seul peut la défendre en justice, jurer et témoigner
pour elle, administrer ses biens, 1poursuivre l'injure
faite à son épouse et toucher le wehrgeld que le meurtrier est condamné à payer. Le respect que les Germains professaient pour l& femme nous donne lieu
de croire que le mundium marital fut plutôt un pouvoir de protection et d'affection qu'une sujé~ion bru-/
tale. Nous voyons cependant avec étonnement dans
Tacite que les nobles peuvent avoir plusieurs épouses
et qu'ils usent de ce droit bien moins par esprit de
libertinage que pour attester l'illustration de leur
nom 1 •
La polygami~ se concilie difficilement avec l'ensemble de la législation que les Germairis paraisi;ent
il
t « Severa illic mntrimonia : nam prope soli ·barbarorum singulis
uxoribus contenti sunt, exceptis admodum paucis, qui non libidine,
sed ob nobilitatem, plurimis nuptiis ambiuntur. " De morib ,
Ge1·m., XVIII.
�-
H2-
avoir édictée sur la condition de la femme et les relations de famille, et il y a lieu de croire qu'elle ne fut
jamais pratiquée que très-~_~_tio!!._nel~.:. Le divorce ne paraît pas avoir été admis dans la légisfâtlon
g;;;rine ; les quelques documents qui semblent le
montrer en usage à l'époque germanique, doivent
être attribués au droit romain.- D'ailleurs le christianisme vient bientôt attaquer cette institution que tous
ses efforts ne sont pas parvenus à faire abolir à Rome
' et un capitulaire de Charlemagne dé°fend aux époux
divorcés de se remarier. C'était en fait abolir le
divorce et établir la séparation de corps. L'exemple
mémorable de Philippe-Auguste répudiant Ingelburge
de Danemark pour épouser Agnès de Méranie, nous
prouve l'importance attachée pa~ l'Église à l'indissolubilité des mariages.
Les seconds mariages en Germanie étaient vus avec
(
défaveur, soit à cause de la haute idée que les Germains avaient de la sainteté du lien conjugal, soit
plus probablement à cause de cette jalousie sensuelle
qui leur rendait insupportable la pensée que leur
épouse pourrait, après leur mort, appartenir à un
autre. Aussi, si les lois ne prohibaient pas formellement les secondes unions des femmes, elles frappaient
de peines sévères, telles que la perte des gains nuptiaux, la veuve qui ne restait pas fidèle à la mémoire
de son premier époux. Clovis impose à la femme qui
convole en secondes noces l'obligation d'abandonner
aux parents de son mari une partie de sa dot avec le
lit nuptial. Chez les Francs, celui qui épousait une
veuve était obligé de composer, avec les parents du
premier mari, et de leur payer le prix du mundium,
t
�-H3
~
prix fixé à trois sous et un denier et qui avait r.eçu le
nom de 1·eipus. La loi salique nous a conservé ·toute
la procédure des seconds mariages, extrêmement
curieuse et où nous voyons le 1·eipus successivement
attribué à divers parents par les femmes, dont on
cherche vainement les titres à un semblable privilége.
Sous le rapport des biens, nous voyons apparaitre
pour la . première fois l'idée d'une association entre
les époux, d'une participation de la femme aux
c l1ârges et aux bénéfices du ménage. Le système ma- )
trimonial est domine par celte idée que c'est le mari
· qui apporte une dot à sa femme . A la dissolution du
mariage, la femme survivante reçoit, · outre sa· dot et
le morgengabe, une certaine portion des acquêts et
des économies réalisées pendant le mariage. La loi
des Ripuaires lui accordait le tiers, la loi bavaroise et
la loi saxonne la moitié. Un principe de société est
donc introduit clans les rapports des époux, on y découvre aisément les premiers linéaments de la communauté ; pour en arriver là, il n'y a plus qu'à
changer le droit de survie en un droit pur ~t simple
et faire des acquêts un partage égal. Nous verrons
bientôt comment le droit coutumier réalisera ces modifications sous l'influence du christianisme.
Le mundium, doJ:1:l le mari se trouve investi,
donne l'administratio n et la jouissance des biens de
la femme et, à ce titre, il peut être justement considéré comme le fon~cmcnt de notre puissance marilale
actuelle.
--
lui)
8
�- H-i-
CHAPITRE II.
La femme sous la pér iode féodale et coutumièr e.
SECTION 1.
§ I. Coup d'œil généml sw· l'époque de la . féodalité.
Les biens conquis par le chef victorieux étaient
partagés par lui entre ses fidèles. Ces concessions qui.
portaient le nom de bénéfices étaient faites sous la
condition du service militaire et à titre viager. Les
bénéficiaires à leur tour démembrèrent les terres qui.
leur élaient ainsi octroyées et, à l'instar du roi, en
concédèrent aux hommes sous leurs ordres une certaine partie sous la même condition du service militaire : de là, la grande division des terres en deux
catégories : les terres libres o~ alleux el les bénéfices.
Les Litulaires de bénéfices ne tardèrent pas à réclarner
le droit de disposer propriétairement, et non plus à
titre viager, des biens qui l!=lur étaient concédés : les
rois résistèrent longtemps et Charlemagne, jaloux
de maintenir la puissante unité qui faisait la force de
son empire, s'y opposa constamment, mais, sous ses
faibles successeurs, dès les dernières années du règne
de Charles le Chauve, nombre de possesseurs de fiefs
étaient parvenus à conquérir le droit de transmettre
héréditairement leurs bénéfices, sous la seule charge
pour le nouveau bénéficiaire d'en faire hommage au
souverain. Les seigneurs devinrent ainsi de pelits
�-115 i-ois, régnant sans contestation sur une étendue de
terre plus ou moins considérable, y commandant, y
lovant des troupes, y rendant la juslice suivant leur
bon plaisir. Ils devinrent de plus en plus oppressifs
pour tous les paysans et cultivateurs, vilains et roturiers, comme ·on les appelait dédaigneusement, qui se
trouvaient établis près de leurs possessions. Aussi les
homrries .libres se senlant trop faibles pour résisler,
offrirent leurs alleux et leurs serfs à un seigneur . de
leur choix dont ils reconnurent la suzeraineté et qu'ils
promirent de suiyre dans les combats ; celui-ci eu
échange leur accordait sa prolection contre quiconque
. viendrait les troubler clans leur personne ou dans
leurs biens, de sorte que toutes les terres devinrent
des fiefs. Alors naquit et se constitua celte puissante
aristocralie foncière qui devait, pendant plusieurs
siècles, sous le nom de féodalité, régner despotiquement en France et 6dicler des lois. Vers le x 0 siècle,
la féodalité ·a déjà absorbé dans le Nord la totalité des
terres; dans le Midi, où l'invasion avait été moins
complèle, un certain nombre de territoires étaient
restés aux mains des précédents possesseurs et continuaient à suivre les lois romaines. Nous ne nous
occuperons actuellement que des pays du Nord, car
l'étude de la législation qui régissait les pays du
Midi serail encore en fait celle du droit romain. .
L'Église dont l'importance grandit de jour en jour à
cette époque, fut entraînée à son tour dans le tourbillon féodal. Les évêques, pour obtenir la protection
dont ils avaient besoin; concédèrent à titre de fiefs
aux seigneurs une partie de la dîme qui leur était
due; la piété alors si vive chez les populations ne
�._ Hti contribua pas peu à augmenter la puissance el la fortune du clergé, car nombre de puissants seigneurs et
de riches vassaux faisaient par dévotion hommage de
leurs fiefs à Dieu et aux saints. On conçoit aisément
que dans celte société si singulièrement constitué~,
où le droit de conquête avait été la basè première de
l'organisation politique, de sanglantes rivalités, deie
luttes intestines désolaient constamment l'intérîeur du
pays. Les seigneurs, les vassaux, les arrière-vassaux,
les églises luttaient les uns contre les autres; les serfs
qui.composaient tout le bas peuple des villes et des campagnes supportaient en définitive tout le poids des
vexations que les seigneurs exerçaient sur leurs vassaux et ceux-ci sur leurs arrière-vassaux. Les souvenirs
conservés des droits, souvent monstrueux, que s'étaient
· arrogés les seigneurs, droits que l'on a encore amplifiés et exagérés, se sont transmis d'âge en.âge, laissant
chez les populations de nos campagnes l'impression
d'une profonde terreur. L'exagération même de cc
/ systè.me aristocratique, où l'on _ne connaissait plus
que la propriété foncière, où l'homme, sans indépen( dance et sans clignilé, est asservi à la terre qui l'a vu
naître, amena sa décadence. L'idée libérale commence
à se faire jour avec l'affranchissement des serfs du
domaine royal par Louis VI le Gros en 1108 et, avec
ce prince, naît et se développe le grand mouvement
communal d'où devait sorlir celte classe nouvelle, intelligente, ennemie de la féodalité et de la noblesse,
et qui s'appelle la bourgeoisie. Les croisades, en entraînant clans l'Orient les seigneurs, les princes el les
barons et en ruinant La plupart d'entre eux, les obligèrent à chercher des ressources clans des Lrafics de
�-
H7 -
Loule espèce. Pour se procurer de l'argent, ils vendirent leurs privilé_g es féodaux: : le droit d'affranchissement aux serfs et celui d'hommage aux vassaux.
Ils en arrivèrent bientôt à vendre le plus_précieux de
tous, celui du service militaire. Le jour où les seigneurs permirent à leurs vassaux de se racheter de
l'obligation où ils étaient de les suivre dans les combats, la féodalilé fut perdue et sa chule devint facile à
prévoir. Après ces quelques renseignement s indispensables sur la féodaliLé, voyons quelle fut, pendant
cette période, la condition de la fe.rpme.
§ Il. Fz'lle de f amz'lle.
Le droit féodal se trouve en réalité renfermé dans
le xv• ou
qui le fixèrent par écrit vers
les coutumes
.
...._
le xv1• siècle et qui s_o nt très-différentes suivant les
régions. Toutefois nous constaterons parfois dans la
rédaction et dans l'esprit des coutumes l'influence des
institutions germaniques.
La conclition de la femme pendant la période féodale est constamment régie par ce principe qu'il importe avant tout de constituer et forLifler l'aristocratie
foncière, et par suite d'assurer le service des fiefs en
les confiant à des guerriers capables de les défendre.
Si donc le vassal ne laisse point d'héritier mâle et n'a
que des filles, le seigneur devra veiller à ce que cellesci fassent des· !1!.ariages convenables, de nature à
assurer la conservation et le service du fief. Voilà
comment il se fait que le mundi·urn, que-la tutelle passa.
peu à peu de la famille à l'État, de l'État aux seigneurs, et devint un attribut de la suzeraineté : c'est
�-
HS-
le point de départ de la législation féodale. Le mineur
· reste, jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans, sous la garde
noble de son seigneur suzerain qui' fait siens îôus fes
fruits du fief. Bientôt les propriétés t;'accroissant incessamment, le seigneur dut déléguer son droit de
garde el il le confia généralement aux · plus proches
parents de l'enfant; mais comme on craignait que
l'intérêt du parent à voïr"son pupille mourir pour hériter du fief ne lui inspirât quclrJue sinistre projet, on
sépara la garde de la personne de celle des biens; c'est
ce que nous dit fort .bien saint Louis dans ses Établissements : « Cilz qui ont le retour de la terre ne doivent pas avoir la garde des enfants, car soupçon est
qu'ils ne voulussent plus la mort des enfants que la
vie pour la terre qui leur eschoiroit. )) A côté de cette
tutelle, qui n'est en fait qu'un privilége seigneurial,
se place la garde bourgeoise, Lutelle plus sérieuse et
plus efficace à laquelle le mineur échappe dès l'âge de
quatorze ans et qui ne donne pas au tuteur le droit de
s'attribuer les revenus des biens. Notons d'ailleurs
que la fille peut être à la fois sous la garde noble pour
les fiefs-dont elle hérite et sous la garde b~~rgeoise
pour les censives ou biens roturiers qui lui appartiennent 1• On comprend aisément que la garde noble
dut être une institution oppressive pour la femme,
car ptès d'elle était placé un homme absolument
étranger à sa famille, ne songeant qu'à la conservation et à l'amélioration du fief dont il était le seigneur
et maître, sacrifiant tout à cette idée, imposant par1
• On appelle censives ou biens i·otul'iers ceux que les seigneurs ·
ou leurs vassaux donnent à bail, moyennant une redevance annuelle, aux serfs q,ffranc)lis.
�-
..
11!) -
fois à sa vassale une union détestée. Et cependant,
par un mystérieux dessein de la Providence, par
un jeu merveilleux des événements, c'est cette institution de la garde noble si contraire à la liberté
et à la dignité de la femme qui devait devenir bientôt
le plus puissant auxiliaire de son émancipation. Vofoi
comment.: La garde noble était née uniquement de la
nécessité pour le suzerain d'empêcher que les fiefs ne
passassent par le mariage clans des mains hostiles et
d'assurer les charges de la vassalité, de là découlait
naturellement l'alternative où se trouvait l'héritière
d'un fief de soumettre ses projels d'union à l'agrément de. son seigneur ou de renoncer purement et
simplement à son fief. Quand les seigneurs ruinés
accordèrent, pour se procurer des ressources, le rachat des droits féodaux, ils rendirent à la vassale le )
droit de choisir librement son époux 1, droit dont
l'importance pour.eux avait bien diminué depuis que
les vassaux pouvaient se racheter du service militaire. La femme n'ayant plus besoin ni de représentant ni de tuteur, la garde noble._ tendit J!. disparaître.
La puissance paternelle, connue sous le ' nom de J
mainboumie, appartenait au père sur ses enfants; la
mère en élait exclue et .n'avait jamais que le droit de
garile ; aussi ne jouissait-elle pas des revenus des
.
1
C'est là sans doute qu'il faut chercher l'origine de ce prétendu
droit du seigneur sur toute vassale fiancée dans ses domaines et
qui ne parnîL pas d'ailleurs avoir été Jégislativement c,onsacré par
le droit féodal. En fait, les seigneurs mettaient souvent un prix
très -élevé à l'autorisation de màriage qui leur était demandée et les
malheureuses filles qui se trouvaient hors d'état de payer étaient
obligées, sous peine de rester célibataires, de satisfaire les caprices
dQ in11îtrc et <le coni,entir au paiement ... en iui.ture qu'il exigeait.
�-
'120 -
biens de ses enfants,· car l'usufruit légal était considéré comme un attrihut de la puissance paternelle.
En fait, ce tt e puissance s'exerçait avec une grande
modération : ce qu'il y avait d'imp.ortant, d'essentiel
dans le droit de l'époque, c'était uniquement les priviléges seigneuriaux et les règles successorales établies par une société éminemment aristocratique .
C'est ce qui a fait dire - par errem d'ailleurs - à
Loysel que « dans les pays coutumiers droit de puissance paternelle n'avait lieu, » Nous savons qu'en
Germanie le père ne pouvait nommer à sa fille un
tuleur testamentaire parce que le miindittm était uno
propriété de famille, un droit héréditaire qui devait
passer nécessairement au parent le plus proche. Telle
est également la règle que nou; trouvons à l'origine
du droit féodal, mais elle fut vivement attaquée par
le clergé et, dès l'année H97, une ordonnance de
Philippe-Auguste accorda aux habitants cle Bourg le
clroil de nommer par testament un tuteur à leurs enfants .
Si nous cherchons maintenant quelle était, au point
de vue des biens, la situation de la fille de famille
clans le droiL féodal, nous la trouvons dominée à l'origine par cette règle qu'une femme ne peut succéder
à la terre salique. De là découlent naturellement les
droits d'aînesse et de masculinité, ainsi que la division des biens en propres et conquêts et le principe
de la fente en ligne collatérale exprimé par ces mols :
patcma patemis, matema maternis. Il {allait, en effet,
que le fief passât entre les mains d'une personne capable de le défendre; le droit d'aînesse assurait la
suprématie de l'aîné clans la famille et sa puissance
�•
-- 12'.l -
territoriale. En faveur du droit de masculinité, la féoclaliLé établit la renonciation des filles à la succession
paternelle par contrat de mariage en échange d'une
dot que son frère devait lui donner. Les fortunes étant
alors presque exclw;;ivement immobilières, cette dot
consistait généralement en terres pour lesquelles la
fille devait hommage à son frère aîné d'abord, puis au
suzerain. Ce fut là une des premières causes qui amenèrent le morcellement des fiefs. Les filles nobles
étaient même, dans certaines coutumes, réputées do
plein droit renonçanles à la succession paternelle par
le seul fait de constitution de dot, tandis que les filles
roturières n'étaient exclues qu'autant qu'elles avaient
. renoncé par contrat de mariage. ·
Avec le temps, ces principes se modifièrent peu à
peu; une révolu Lion complète s'accomplit dans la con-·
diLion de la femme à l'époque du xn° siècle, révolution qui va relever la femme sans mesure et lui faire
accorder des droits que toutes les législations lui
avaient jusqu'alors unanimement refusés. Le point de
départ est, comme nous venons de le dire, la nécessit~où_se trouvèrent les seigneurs d'autoriser à prix
d'argent le rachat de toutes les redevances féodales :
dès que 'le fief ne fut plus considéré comme une propriété exceptionnelle qui, accruise par la conquête,
devait être conservée par la force, dès que la femme
put délivrer son fief de l'obligation du service militaire, il n'y eut plus de raison pour qu'elle n'en conservât pas l'administratio n et la jouissance. Les croisades, en obligeant les seigneurs à confier à leurs
épouses, au moment de leur départ pour la Palestine,
l'exercice de leurs drolL::; féodaux, curent une très-
\
)
•
\
)
.•
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·122 -
grande influence sur l'amélioraLion de lu condilion
des femmes. En même Lemps la fe~me était chantée,
idéalisée par les troubadours et les trouvères, la che.
valeriê se développe et contribue encore à ramener
' tous les esprits au respect et à la délicatesse de senLiment qu'elle doit inspirer. Dès le commencement du
xn• siècle les fiefs ne sont plus attribués exclusivement aux mâles et l'héritage en devient accessible
aux filles. L'exemple célèbre d'Éléonore d'Aqu.ilaine 1
épouse répudiée de Louis VII le-:rëllüé portant en dot
à Henri Plantagenet le Poitou, la Guyenne, la Saintonge, est là pour nous le prouver. Nous voyons, bientôt après, la femme feudataire régnant de la manière
la plus absolue clans son fief et relevée de toutes les
incapacités dont les lois antérieures l'avaient frappée
tantôt pou~ la protéger, tantôt pour l'empêcher de
pénétre~ dans la vie politique. La loi réelle des fiefs
avait tant d'empire sur la condition des possesseurs
qu'elle fit abstraction du sexe pour l'exercice de la
justice dont la femme exerçant la juridiction seigneuriale fut désormais investie. Il semble, d'après cela,
que, par suite de la réaction qui se produisit au moyen
âge, la femme. affranchie de l'incapacité velléienne,
pouvant plaider et même rendre la justice, devait se
trouver clans une situation aussi bonne que possible.
Il n'en est rien : les progrès ne s'accomplissent jamais
qu'avec lenteur et il y a toujours certaines institutions
qui, bien que contraires aux mœurs et aux idées, se
maintienn·ent longtemps dans la législation. On croirait qu'après la chute de la féodalité sous Louis XI, le
fief ne devant plus fournir les services féodaux, les
Mritages seront naturellement vartagés entre tous
�-
'123 -
les enfanls du de clljns sans distinction de biens ou
de sexe. Mais ici, le souvenir et l'influence du droit
féodal se manifesteront pendant plusieurs siècles encore. Si la féodalité est détruite, il n'en subsiste pas
moins une noblesse puissante, jalouse de ses droits et
de ses prérogatives et qui, dans le but d'en assurer la
conservation, tendra de tons ses efforts .à la concentration de toute la fortune entre les mains de l'aîné et à
l'immobilisation des biens dans la famille . C'est ce qui
nous explique comment le droit d'aînesse et la renonciation des filles à l'héritage paternel par contrat de
mariage survécurent au naufrage de la féodalité et
comment la noblesse parvint, par l~ système des substitutions indéfinies, à empêcher le morcellement des
héritages et conserver le prestige et la puissance de
l'aristocratie foncière. Ainsi, malgré les modifications
apportées, à la chute de la féodalité, dans la condition
des femmes, la füle de famille est loin d'être traitée ·
comme son frère et il ne faudra rien moins qu'une révolution pour lui conquérir l'égalité. A côté de la fille
.noble; se trouvent dans la hiérarchie féodale deux
classes de personnes clans une situation inférieure et
dont nous allons dire quelques mots : les serfs et les
roturiers.
§ III. Fille sei·ve. - Fz'lle 1·otu1·z'ère.
L'esclavage romain s'était, dans le droit féodal,
transformé en servage, l'homme n'était plus esclave
de l'homme, mais esdave de la terre; il suivait celleci dans les mains des divers propriétaires qui s'y succédaient. Cette situation était analogue à celle de
l'esclave: le serf n'avait d'autre position que celle qu'il
�plaisait à son seigneur de lui laisser. Bienlôt l'affran~
chissement fnt vendu aux serfs par les seigneurs tou~
jours besoigneux, et tous ces hommes, devenus
libres, formèrent la classe des vilains ou roturiers
auxquels les seigneurs concédèrent des terres à
charge de fruits et de redevances annuelles. La fille
du vilain a un droit reconnu à la succession pater- '
nelle, mais tel est l'empire qu'exercent alors les idées
féodales, qu'elle ne peut en avoir sa part qu'aulant
qu'elle n'est pas sortie de la maison de son père par
mariage, à moins de permission expresse du seigneur.
C'est ce qui donna aux gens de condition servile l'habitude de marier leurs enfants par échange. Toute
personne qui mourait était censée se dessaisir de ses
biens et les remettre au seigneur propriétaire et les
héritiers n'en peuvent prendre possession qu'après
avoir payé la redevance seigneuriale.
Absolument élrangers aux idées aristocratiques
qui avaient inspiré le droit féodal, les serfs et les
vilains étaient régis par une législation qui, tout en
étant moins compliquée et moins savante que celle
dont nous venons de parler, n'en élait que meilleure
et plus conforme au droit naturel. Chez eux, ni droit
d'ainesse, ni privilége de masculinité, la fille vient à
la succession paternelle à raison de son degré de
proximité et sans distinction de sexe ni de primogéniture. C'est ce que nous dit Beaumanoir, c'est d'ailleurs ce que nous voyons dans les texles de la trèsancienne coutume de Bretagne : « 'Les enfants aux
bourgeois et autres gens de basse condition doivent
être aussi grands les uns comme les autres, tant en
weubles qu'en hérilages » (chapitre cv1).
�- 125 ---"
ciest ciohc dans la bourgeoisie, telle qu'elle sortit
du mouvement communal du xn° siècle, qu'il faut
chercher en France les institutions fondées sur les
liens du sang et sur les vrais principes qui doivent
être la base des sociétés. Tandis que la fille noble doit
se conlenter de son apanage, la roturière ou la serve
est admise, moyennant le rapport de sa dot, à concourir avec ses frères et sœurs, à l'hérédité paternelle.
SECTION IL
LA FEMME MARIÉE.
§ 1. Le man·age à l'époque féodale.
Avec la féodalité, l'union conjugale revêt un caractère qu'elle n'avait point eu jusqu'alors. Le catholicisme, qui a tant fait pour la femme, veut que la
religion imprime au mariage un sceau indélébile et
il en fait un sacrement. Dans les diverses législations
que nous avons parcourues jusqu'ici, nous avons vu
la femme mariée occuper dans la famille, suivant les
époques, une place plus ou moins consiçlérée, tantôt
courbée entièrement sous l'omnipotence maritale;
tantôt au contraire tellement indépendante qu'elle
semblait étrangère à la maison conjugale. Après \
l'avoir protégée clans sa personne, les lois l'ont proté·
gée clans ses biens et d'incontestables progrès ont été
succcsr.ivement réalisés, mais les anciens n'ont jamais considéré le mariage comme une nécessité
sociale pour assurer la perpétuité humaine ou pour
créer les biens de famille : ils ne se sontjaniais élevés
, jusqu'à cette idée essentiellement chrétienne que
�126
~
l'union conjugale est une association de l'homme et
de la femme pour supporter ensemble les joies et les
douleurs de la vie et partager une commune destinée.
Le.s jurisconsultes, il est vrai, avaient bien donné du
mariage des définilions magnifiques, Modestin avait
parlé du « consortium omnis vitre, » mais, en fait, la
femme, à Rome comme à Athènes, n'était dans la
maison de son mari qu'une enfant ou une étrangère,
et les protections exagérées qui lui étaient accordées
' pour assurer la conservation de son patrimoine la
rendaient absolument indifférente à la prospérité du
ménage. Ce sera l'éternel honneur du christianisme
d'avoir proclamé et enseigné que la femme était la
compagne, l'associée de son époux et devait participer
comme lui aux gains et bénéfices résultant de leur
commune collaboration.
Nous avons peu de renseignements sur la manière
dont les unions se célébraient clans les premiers Lemps
de la période gallo-romaine ; nous avons signalé chez
les Germains la coutume symbolique de l'aQh~t de la
fiancée et émis l'opinion que chez eux comme chez
les Gaulois, l'union conjugale ne devait pas s'accomplir sans quelque rite religieux. Le catholicisme se
répandit de très-bonne heure dans la Gaule romaine,
les conquérants ne lardèrent pas à embrasser la religion des vaincus. Nous savons qu'à Rome les mariage~
n'étaient entourés d'aucune solennité 1 : l'usus élait
le mode d'union le plus habit~el et l'intention seule
distinguait l'épouse de la concubine. Les évêques
prirent bientôt en Gaule une très-grande influence;
1 Loi 9,
C. de Nuptiis,
�dès les rois de la première race, nous les voyons
jouir &'une haute autorité. Une loi de Théodose confirmée par Justinien autorisait clans toute cause
l'arbitrage des évêques, ce fut là l'origine de la juri/
diction ecclésiastiquè qui devait d'autant plus se développer et grandir qu'elle était à l'époque un puissant
élément de civilisation. Les évêques cherchèrent immédiatement à étendre leur juridiction en élargissant
le cercle de leur compétence. Les trois grands actes
de la vie civile, naissance, mariage, décès, qui sont la
· source de tant de droils cli!férents et autour desquels
se rangent tant de questions compliquées et délicates
du droit civil, attirèrent bientôt leur attention.
Dans les premiers temps,· le culle catholique était
sobre de cérémonies extérieures et il est probable
qu'il intervenaù plulôt officieusement qu'officiellement dans les mariages, se conlentant de régler par
ses canons et decrélales l'union des époux. D'ailleurs
les rois de la première race étaient encore· plutôt des
chefs de bandes que de véritables souverains, et le
grossier liberlinage auquel s'adonnaient la plupart
cl'enlre eux n'aurait pu que difficilement se plier aux
exigences d'un sacrement. Aussi 1\1. Augustin Thierry
nous dit-il avec raison 1 que les évêques, clans la
crainle de s'aliéner l'esprit de leurs barbares néo·
phytes, acceptèrent en grande partie les coutumes
alors en vigueur. Mais avec Charlemagne, l'Église
dont l'influence et la puissance ont grandi sous la
protection de l'empereur, préside au mariage etinler· (
vient activement. Baluze nous rapporte les paroles ~
t
Histoii·e des temps mérovingiens, t. II, 5• récit,
�- ,12S pi-ononcées par les évêques loTs du mariage de
Judith, fille de Charles le Chauve, et nous voyons
qu'il s'agit véritablement.d'une bénédiction nuptiale 1 •
Toutefois le droit canonique p~raît, pendant longtemps encore, avoir recommandé la bénédiction par
l'Église comme acle purement religieux et considéré
néanmoins le mariage comme valable par le seul
consentement des parties.
Dans une société qui se poliçait et s'accroissait de
jour en jour, on ne tarda pas à reconnaître la néces-.
sité de donner au mariage une certaine publicité et
on imagina la publication des bans. L'Église s'unit
clans ce but au pouvoir civil et le concile de Latran,
en 1215, alla jusqu'à déclarer nuls et de nul effet les
mariages clandestins. Cetle rigueur ne fut d'ailleurs
point observée. Une ordonnance d'Henri II, en 1556,
Vint donner aux père et mère la faculté d'exhéréder
leurs enfants mariés clandestinement. Ce fut le concile de Tr.enle, en 1.563, qui éleva le mariage à la
hauteur d'un sacrement et déclara nul tout mariage
célébré hors de la présence du curé de l'un des mariés. Une violente opposilion se manifesta contre celte
décision et divers parlements refusèrent d'en faire
1 "Accipe annulum fidei et dilectionis siguum atque conjugalîs
ClOnjunctionis vinculum, ut non separe t quod conjunxit Deus,
Despondeo te uni vira virginem castam atque pudicam futurarù
conjugem uL sanclœ mulieres fuere viris suis Sara, B.checca, B.achel,
Esther, Judith, Anna, Naemi, favente auctore et sanctificatore
nuptiarU'm Jesu Christo. Deus qui in , mundi crescentis exordio
multiplicandœ proli benedixisti, propitiare supplicationibus nostris, et buic famulo tuo, et huic famulœ tuœ opem tuœ benedic·
tionis infoude; ut in conjugali consortib secundum beneplacilum
tuum affectn compari, mente consimili, sanctitate mutua copulentur . ., T. II, "P· 309.
�- 129 -
l'application. De vives discussions s'élevèrent à cet
égard au sein des· États de Blois, mais les idées fanatiques et la haine du protestantisme qui dominaient
alors· firent rendre, en 1579, l'ordonnance de Blois
qui, introduisânt dans les lois civiles la réaction catholique, déclara non valable le mariage célébré sans
l'assistance du clergé et, complétant l'ordonnance de
Villers-Cotterets qui avait confié au clergé la tenue
clëSregiStresa.ëî'état civil pour les baptêmes, ordonna
que les vicaires et curés en tiendraient de spéciaux
pour les ma:Piages et les apporteraient une fois par an
chez les greffiers en chef pour les faire viser et parapher.
Nous n'avons point à retracer ici les luttes sanglantes des calvinistes et des catholiques. Privés de
leur étal civil. pendant Jes hostilités, les protestants.
recouvraient à chaque suspension d'armes le droirde
se marier civilement devant les notaires, droit qui
leur fut enfin confirmé par les édits de Nantes, en
1598, et de Nîmes, en 1629, et que Louis XIV devait si
malheureusement Jeur enlever. Il ·est tout naturel
que le christianisme, pour pénétrer dans les mœurs,
ait cherché à s'introduire dans la famille en présidant aux grands actes de la vie. Cet empiétement des
lois canoniques sur les lois civiles fut d'ailleurs un
véritable bienfait pour la femme : en donnant au
mar~agc 1~10n ~u Saint ministère, en en
faisant un sacrement, l'Eglise le réhabilita et en
même temps releva la dignité de l'épouse. Le mo- /
nopole du clergé va durer jusqu'à la Révolution ...
trâllçâise et, q~and il r.essera, les mœurs et la civilisation auront assez progressé pour que la femme
9
j
�...__ 130 -
puisse trottver dans le mariage, sans l'interventiort
religieuse, toutes les garanties nécessaires.
Les premiers efforts de l'Église furent dirigés contre
/
l'institution du divorce, elle ne l'autorisa plus qu'en
cas d'adultère et frappa d'excommunication le mari
qui répudiajt sa femme sans motifs. Sous son influence, les capitulaires des rois Francs entrèrent clans
la même voie 1 et, ainsi que nous avons eu déjà occasion de let dire, dès l'époque de Charlemagne, la
s~p_arati~n de corps avait remplacé le divorce que les
coutumes prohibèrent unanimement. A• l'épocrue de
la Révolution française, le divorce fut rétabli et le
Code civil le consacra. Mais son existence ne fut qu'éphémère et une des premières lois de la Restauration
- du 8 mai 1816 - decréta de nouveau son abolition
et, quelque vives et quelqu'exactes même que soient
quelques-unes des attaques dirigées contre cette mesure, on ne peut s'empêcher de reconnaître que l'indissolubilité absolue du lien conjugal est la plus sûre
garantie du respect dû au ma_riage et de la considération due à la femme.
Les seconds mariages vus avec tant de défaveur en
Germaai.e, furent encouragés, parfois mème imposés
à l'époque féodale et-l'Église, qui s'y était montrée. si
hostile, fut obligée de se départir de son ancienne
rigueur. Le motif en est bien simple: il importait aux
seigneurs que la veuve d'un vassal convolât en
secondes noces pour assurer ~e service militaire du
t " Nullus conjugem proprlam, nisi tH sancturri Evangelium
docet, fornicationis causa, relinquat, quod si quisque uxorP,m
propriam expulerit, nulli alteri copuletur, sed aut ita permaneat,
aut propriru reconcilietur conjugi. " Capit. VJ.
�•
fief et augmenter par la procréation des enfants le
nombre des vassaux. Aussi la veuve devait-elle au
bout de l'an et jour déférer à la sommation que lui
faisait son suzerain de se remarier, sous peine de
perdre son fief, à moins qu'elle ne le possédât à titre
de douaire. Mais, quand les raisons exclusivement
féodales que nous venons d'indiquer eurent disparu
avec la féodalité, une réaction s'opéra et nous trouvons dans les coutumes nombre de dispositions qui
nous indiquent que les seconds mariages y étaient
vus avec défaveur. Le conjoint qui se remarie perd
l'usufruit légal sm les biens de ses enfants 1 ; la mère,
dans certains cas, perdait le droit de garde. Pothier
nous dit,que la veuve' remariée ne peut habiter une
des maisons dépendant de la succession de son premier époux, parce que la bienséance s'oppose à ce
qu'elle y ip.troduise son second mari. Cette réaction
amena, en 1560, l'édit des secondes noces de François II qui, rappelant et confirmant les lois romaines
feminœ et hac edictaH, avait pour but de sauvegarder
les inLérêts des enfants du premier lit. Citons enfin un
article de l'ordonnance de Blois qui prononce l'interdiction contre les veuves nobles se remariant follement à des hommes indignes. Cetle défaveur avec )
laguelle étaient vus les secon~s mariages s'est main ·
tenue, sinon dans notre législation, du moins dans
nos mœurs.
§ II. Puissance mm·itale.
Nous avons vu que le mundzum germanique, transféré par le père au mari, donnait à ce dernier sur la
1
CetLe di sposition a passé dans notre Code civil (art. 386).
)
1
J
l\
w~
�-
132
~
personhê el sur lep biens de sa femme tous les, droits
( qui avaient appartenu au chef de famille, droits qui
1 paraissent d'ailleurs avoir été exercés avec une sage
mod_éi.::_atlon. L'esprit de dureté, de grossièreté qui
règne au temps de la féodalité absolue se fit sentir
dans la condition de la femme mariée. Malgré toU:s
les efforts de l'Église qui lutte avec opiniâtreté contre
la répudiation et le divorce, contre le libertinage des
grands et des seigneurs, la dignité personnelle de la
femme s'engloutit et disparut presque dans la brutalité des mœurs de l'époque. Le mari acquérant par
suite de l'union conjugale le droit de porter le fief de
sa femme reçoit l'investiture du seigneur et il devient
le gardien, le bail, ou suivant l'expression ~e Beaumanoir, le bai·on de sa femme. On comprend quelle
doit être l'étendue de ses droits : l'auteur que nous
venons de nommer nous cite en première ligne l~droit
de correction : « Peuvent les hommes être excusés
des griefs qu'ils font à leur femme, ni ne s'en doit la
justice entœmettre car il loiL bien à l'homme à battre
sa femme sans mort et sans mehaing quand elle
meffait, si comme quand elle est en voie de faire folie
de son corp~, ou quand elle clément son mari, ou
quand elle ne veut obéir à ses resnables commandements, que prude femme doit faire. » (Lit. Lvn.) .La
femme doit donc obéissance à son mari et ce ùevoir
�-
133 -
avoir les époux cl Beaumanoir va jusqu'à nous dire
que si la femme intente un procès en séparation
contre son époux pour mauvais traitements, la rupture même d'un membre sera considérée comme peu
de chose si le mari avait des motifs légitimes d'user
de son droit de correction. La personnalité de l'épouse
parait même, dans certains cas, avoir été annihilée
complétemenl par celle de son mari déclaré responsable des actes de sa femme. D'autre part, le mari est
j,_?ge de sa f~mme, il a le droit, quand l'infidélité est
constatée, de la battre de verges devant sa famille et
de la mettre à mort. La coutume de Berry, cilée par
M. Laboulaye, nous apprend même que le père pouvait requérir son fils de l'aider en pareil cas.
Certes, nous ne doutons .point que l'affection du
mari pour son épouse, que la sagesse et la docilité de
celle-ci, n'aient fait de ces dispositions législatives des
droits inutiles et inusités; il imporLait néanmoins de
les citer pour montrer combien étaient ravalées pen~
dant cette ténébreuse et brutale période de la féodalité
la considération et la dignité l?ersonnelle de la femme
Dès que la féodalité entra en décadence, la situation del
la femme s.e modifia complétement. Les mœurs galantes de la chevalerie vinrent enseigner d'abord.aux .
nobles barons un respect pour la femme qui leur était
jusqu'alors inconnu et, après les guerres d'Italie, à la
merveilleuse époque de la Renaissance, nous voyons
la galanterie et la courtoisie françaises qui depuis sont
restées proverbiales, naître et se développer à la cour
élégante et polie des Valois. Les noms si populaires de
de
l\i.arguèrile, la spirituelle sœur de FranÇois l
D_i~ cl~ POTtiers, labelle maîtresse d'Jlenri II, de Marie
0
',
�-
134. -
SLuart la poéliqne et infortunée veuve de François II,
sont là pour nous rappeler quel éLait, dès le commencement du ~v~ siècle, le culLe _qu'on professait en
France pour la femme, culte qui depuis a survécu, eL
promet de survivre à toutes les révoluLions.
§ III. Communauté. ·
Le régime matrimonial reconnu par la plupart des
coutumes est encore, sauf queirrues modifications,
celui que nous suivons aujourd'hui el les pouvoirs
reconnus au mari sur les biens composant l'actif du
ménage sont encore la base de notre puissance maritale actuelle; nous nous trouvons obligé d'entrer
ici clans quelques détails.
Le régime matrimonial emprunte toujours le caractère du mariage-, il est libéral ou égoïsLe suivant
que le mariage l'est lui-même. Dans les sociéLés où le
mari est tout-puissant, le contrat de mariage est uniquement clans son intérêt. Trois grands systèmes se
sont produits : le premier est un système d'absorpLion, le patrimoine de la femme se confond avec celui
du mari qui demeure seul et unique propriétaire,
c'est la ~nus des Romains. Dans le second, système
de séparation, chaque époux conserve les biens qui
lui sont propres, mais la femme remet au mari, pour
acquilter sa parlicipation aux charges du ménage,
certains biens qui conslituenl CE;) qu'on appelle la dot,
dont le mari perçoit les revenµs et qui, à la dissolution du mariage, sont remis à la femme ou à ses héritiers. Les biens ·que la femme retient sont administrés par elle librement et forment ce qu'on a appelé
�~
135 -
les paraphernaux. C'esl le iJe·ime dotal. Enfin, il est
mi. troisième régime qui n'apparaft que longtemps
après les deux autres et qui est un incontestable pro8 rès. Il repose sur un princi e d'association et de
communauté, c'est le pluSëûnforme à l'jclée du manage. La femme ne se contente plus d'effectuer un
apporl, elle forme avec son mari une société de biens,
le capital une fois formé grossit et se partage à la
fin du mariage entre les époux ou leés héritiers.
Quelle fut l'origine de ce troisième· système que nom
trouvons presque universellement adoplé pendant la
période coutumière? Laissant de côté le système par
Lrop hypolhétique qui, s'appuyant uniquement sur
quelques définitions, veut faire remonter au droit romain l'origine de la communauté, nous dirons que
trois opinions sérieuses se sont produites. La première que nous avons déjà eu l'occasion d'indiquer
croit trouver les premiers linéaments de la communauté dans le droit celtique, dans le gain de survie qui
est aecordé à la veuve et que nous rapporte Jules
César dans ses Commentaires. Ce texte unique ne nous
paraît' pas suffisant pour faire prévaloir cette opinion.
Il serait d'ailleurs étrange que le régime de la communauté ait mis plusieurs siècles à se propager en
France s'il avait élé le droit commun de nos ancêtres.
La seconde opinion, qui nous paraît mieux fondée,
trouve l'origine de la communauté dans le droit get:.,
manique uni à l'influence du christianisme. Elle commence par constater crans les lois- germaines le premières notions de la communauté : la loi des Ripuaires
donnait à' la femme le tiers des acquêts résultant de la
collaboration des époux, la loi bavaroise et la loi
....-- -
--
'
-
\
�-
136 -
saxonnè lui accordaient même la moitié. Il y a là
évidemment un principe cle société introduit clans le
rapport des époux. Nous avons vu que le mariauquèl
appartenait le rnundù.im sur la personne cle sa femme,
administrait la fortune cle celle-ci et disposait libre_ment du mobilier. Ces principes se retrouvent dan::;
notre communauté actuelle; c'est l'influence chrétienne qui les a développés et épurés. Le christianisme
enseignait, en effet, que les époux étaient égaux et
que la société int\me des personnes devait entraîner
celle des biens, d'où cette affirmation cle la communauté faite par le droit canonique : « Quœ lucrantur
cc vir et uxor, communiter obviunt eis. » Dès le xn°
siècle, on trouve des chartes où la communauté apparaît complète, au xm• on la constate clans le livre clc
Philippe cle Beaumanoir, au x1v• elle cl.evient le droit
commun des coutumes.
Une troisième opinion plus récente, soutenue par
IvlM. Troplong et Laboulaye, pense que la communauté est sortie des içlées d'association si fréquentes
au moyen âge et dont l'empire se fait partout .sentir :
les membres d'une famille servile se réunissent pour
acquitter la redevance seigneuriale, les moines pour
prier, les communes pour défendre leurs priviléges.
Il suffit que deux proches parents aient vécu ensemble
pendant un an, après la majorité de vingt ans, pour
qu'on suppose entre eux 1'existenc·e d'une communauté tacite. Cette opinion ne no~s paraît pas admissible; dans beaucoup de coutumes la communauté
commençait dès le jour du mariage et le mari administrait avec un pouvoir presque absolu les biens de
la commµnauté tandis que, dans ces sociétés taisibles
�-
137 -
dont parlent les coutumes, les associés avaient des
pouvoirs égaux. Remarquons en outre que, si telle
était l'origine véritable de la communauté, nous la
trouverions dans toutes les classes de la société féodale, car l'isolement des seigneurs dans leurs manoirs
devait leur inspirer l'idée d'association, comme laservitude l'avait inspirée aux serfs, et pendant longtemps
cependant le régime de la communauté ne régit guère
que les vilains et les roturiers. En fait, il est probable
que l'idée de communauté dut être en germe penclan t
longtemps clans les mœurs avant de passer dans la
pratique ; peut-êLre faut-il chercher la véritable cause
de son développement dans l'extel}sion de la fortune
mobilière . . Nous avons expliqué pour quels motifs,
chez les peuples anciens, la fortune immobilière était
si appréciée tandis que les meubles étaient regardés
comme peu de chose : ~< res mobilis, res vilis. >> Nous
avons vu les femmes exclues clans divers c'as de la
succession immobilière, tant dans le droit germanique
qu'à l'époque féodale et cette préférence pour les immeubles qui est le véritable cachet de la législation
féodale a Jaissé des traces dans le code civil lui-même.
La féodalité, qui devint plus tard la noblesse, tenait
essentiellement à assurer la splendeur du nom en
.conservant intactes les grandes propriétés foncières
et en évitant leur morcellement. Une semblàble théorie était évidemment contraire à l'idée de communauté, si contraire qu'aujourd'hui encore, après de ' \
longues et patientes études, le législateur a exclu de \
la communauté les immeubles appartenant à chaque 1
époux au jour·du mariage. Nous comprenons dès lors /
corn.ment il se fait que lil comqrnnauté se 1>oit répan ~
�-
138 -
duc infiniment plus vile chez les vilains et les roLuriers qui n'avaient jamais à partager que quelques
fruils péniblemenL récoltés, que dans les hautes classes
de la société et pourquoi, quand elle fut devenue le
droit commun par suite de l'extension des fortunes
· mobilières, le parlage se borna toujours aux meubles
et aux conquêts.
Nous avons tenu à insister un peu sur les origines
de la communauté parce que l'adoption de ce nouveau
régime matrimonial est inconleslablement le plus
grand progrès qui se soit réalisé pendant le moyen
âge dans la condition de la femme mariée et c'est de
là qu'est sortie, avec le temps, l'égalité absolue des
époux. Conforme, èn éffet,· à l'idée d'élroite et intime
union qui doit présider aux rapports des époux, le
régime de la communauté confond leurs intérêts pécuniaires et inléresse la femme ~ la prospérité du
\...ménage. Elle est véritablement la compagne de
l'homme, associée à ses succès comme à ses reve_rs et
nous ne pouvons qu'applaudir le législateur d'avoir
fait de la communauté le régime national en y soumettant tous ceux qui se marient sans contrat. Combien la communauté est sup6rieure, en eITet, au régime dotal qui, sous le fallacieux prétexte de protéger
la femme dans ses biens en Jait une élrangère dans la
maison conjugale! Que peut imporLer à l'épouse dotée la prospérité ou la ruine du ménage? assurée
contre l'adversiLé, elle retrouvera sa dot inlacte et, en
présence des créanciers 1~uinés d'un époux insolvable,
continuera à vivre dans un luxe ins11llant ! Les limites
de notre travail ne nous permettent pas d'étudier
l'organisation et la composilion de la communauLé.
�-
13() -
Nous · dirons seulement qu'au début les pouvoirs du )
1~ari étaient absolus, il était le seigneur et maître de
la communauté et en disposait à son gré sous la
seule condition d'agir sans fraude. Mais, quand les /
seigneurs, à leur retour de la Palestine, se trouvilrent absolument ruinés ou, lorsque faits prisonniers par l'ennemi, il fallut payer pour leur rançon
des sommes considérables épuisant tout l'actif da
la communauté, on comprit qu'il était indispensable
d'accorder à la femme quelques garanties. Tell'3
fut l'origine du droit de renonciation à la communauté lors de la dissolution du mariage, privilégc ·
qui, exclusivement réservé d'abord aux veuves nobles,
deviut le droit commun lors de la réformation des
coutumes vers le xv• siècle. D'ailleurs, si le mari disposait souverainement des biens de la communauté, ,
il n'avait sur les propres de sa femme qu'un simple
droit d'administration et ne pouvait les aliéner sans
/
le consentement de son épouse. Celle-ci était capable
de contracter au sujet de ces biens pourvu qu'elle y
fût autorisée par son mari. Au lieu de n'exiger, /
comme le droit romain, l'intervention du mari que
clans les affaires qui pouvaient intéresser sa puissance
maritale, les coutumes en firent une obligation absolue pour tous les actes passés par la femme commune
en biens. Édictée clans l'intérèt exclusif du mari, ré-.
•'
du mundium germanique et de la
sullat immédiat
mainbournie féodale, l'autorisation maritale a passé,
sauf quelques modifications, dans notre droit actuel
et nous aurons occasion de reparler bientôt de cette
institution qui, on peut le dire, caractérise aujour- )
d'hui la condition civile de la femme mariée,
-
�-
'140 -
§ IV. Du douaire et des ga1·anti:es accoi·dées
à la femm e mai·iée.
Si les coutumes avaient accordé au mari un droit
absolu sur les biens de la communauté qu'il dirige et
administre, elles avaient placé à côté un contre-poids
nécessaire dans l'institution du douairfl. Le douaire
est une garantie donnée à la femme sur les biens
propres de son mari et qui, en cas de dissipalion ou
de revers de celui-ci, lui assureront à elle et à ses en. fants une existence convenable et indépendante. L'origine du douaire est évidemment germanique : toutefois nous ne pensons pas,' comme certains auteurs,
que cette institution ne soit qu'une sorte de morgen.
gabe dégénéré en doiiation ante nuptiale, car diverses
coutumes nous montrent le don du matin subsistant
à côté du douaire. D'ailleurs son origine et ses motifs
sont tout auLres. Nous verrions plus volontiers clans
le douaire le prix du mundium que remettait jadis le
futur gendre à son beau-père el qui fut altribué plus
tard à la fille elle-même. Quoi qu'il en soit, l'usagè du
douaire était universel, et, bien qu'il fut tout d'abord
livré, quant à sa quotité, à l'arbitraire des familles, il
était presque sans exemple qu'un mariage eût lieu
sans constitution d'un douaire. D'ailleurs, quançl le
droit féodal eut étendu et affermi son empi:ro-,-i1 rendit le douaire obligatoire ; les coutumes le fixèrent
tantôt au tiers, antôl à la moitié des propres du mari
en l'absence de convention. Le douaire qui consistait
en un droit d'usufruit ne pouvait frapper que des
piens ne tombant pas clans la communauLé, et celte
�disposition s'explique aisément. S'il eût été constitué
sur les objets de la communauté, le douaire n'eût présenté à la femme qu'une garantie illusoire puisque le
mari, seigneur et maitre, eût pu en disposer à son
gré, tandis que les propres composant l~ douaire sont
déclarés par la loi inaliénables et imprescriptibles. La
femme peut exercer son droit alors même que les
biens ~onstitués en douaire seraient grevés de substitution entre les mains clu mari. Certaines coutumes
firent du douaire une obligation légale ; quelques-unes
exigeaient qu'il fftt stiPtllé, d'autres -ne l'accordaient
qu'aux femmes nobles, celle de l'Angoumois enfin,
par une logique rigoureuse, ne l'accordait à la femme
qu'en cas de renonciation à la communauté parce
qu'il y a lieu cle présumer clans ce cas que l 'administration clu mari a été mauvaise et cle craindre que la
femme ne se trouve dans l'indigence.
On ne peut s'empêcher . cle remarquer les ressemblances qui existent entre le douaire coutumier et la
donation pTopte?' nuptias du droit romain. L'un·_et
l'autr; constitués sur les biens propres du mari en
faveur de l'épouse rendent inaliénables et imprescriptibles les biens qu'ils frappent. Néanmoins, ce serait
une erreur de faire dériver le douair~ des institutions
romaines, nous le devons au droit germanique et
cette origine se reconnaît aisément à ce caractère que
le douaire, alors même qu'il est imposé par la cou-)
turne, demeure toujours une libéralité du mari, il est
dû même à la femme sans dot et n'est point assujetti
ù une proportionnalité quelconque avec l'apport de
l'épouse.
Lorsque les pouvoirs du mari sur les biens de la
�-
I
-l42 -
communauté eurent été sagement limités à ceux que
comportent l'exercice de la puissance maritale et unE\
large administration, on comprend que la femme
associée à la vie et aux labeurs de son mari, travaillant avec le même zèle que lui pour augmenter l'avoir
commun sur lequel elle avait des droit égaux aux
siens, ne devait plus avoir besoin d'un privilége spécial sur les propres cln mari comme garantie de la
gestion de celui-ci. Avant même que la Révolution
française, en mettant les époux sur un pied absolu
d'égalité, eût rendu inutile l'institution protectrice du
-.douaire, Montesquieu la critiquait déjà dans son
Espn"t des loi"s en disant que les femmes étaient naturellement bien assez portées au mariage sans qu'il fût
besoin de les y exc.iter encore en leur accordant des
priviléges exorbitants; Ies jurisconsultes faisaient
aussi remarquer avec raison le grave préjudice que
causait à la fortune et au crédit du mari l'établissement du douaire. Il en résulte que le jour où la femme
sera considérée comme assez intelligente pour surveiller l'administration des biens communs et s'intéresser à leur conservation et à leur accroissement elle
devra marcher sans privilége et le douaire disparaîtra:
c'est ce qui arrive à l'époque du Code civil.
A côté du douaire, citons encore dans les coutumes
deux institutions destinées aussi à préserver de . la
misère la femme veuve et survivante : les donations
mutuelles de biens à venir au profit du survivant par
contraCcle mariage et le droit de bagues et joyaux.
Cette dernière institution était un gain clé sÛrvie au
profi~ de la femme seule. Il consistait en une certaine
i;;omme d'argent que la femme recevait pour lui tenir
(
�~
·14.3 -
lien de ses bijoux quand elle ne les· reptenait pas en
nature. Dans le Forez, dans le Lyonnais, dans le
Beaujolais, ce droit n'avait pas· besoin d'être stipulé.
Il était d'un dixième de la dot entre gens notables,
d'un vingtième entre gens du commun. En revanche
les donations entre époux pendant le mariage étaient
.
formellement interdites, même par testament; une
seule exception était admise : elle concernait le don
mutuel entre vifs, sous la double condition que la
donation ne con sistât qu'en meubles ou en acquêts et
qu'il n'y eût pas d'enfants, encore les acquêts immobiliers ne pouvaient:-ils être donnés qu'en usufruit. ,
Le droit coutumier se préoccupa en outre d'assurer
la femme dans la succession de son mari une or.lion
représentant sa part dans le produit du travail commun. Si ia veuve noble ne succédait pas aux fiefs et
aux propres de son époux elle avait droit, en cas de
survie, à la moitié des acquêts, ce qui lui assurait un
veavage décent et conforme à la situation qu'elle avait
duranl le mariage occupée clans la société; c'est donc
avec raison que nos anciens jurisconsultes disaient :
« Vidua adhuc coruscat racliis mariti )) . Ainsi, aprè
la chute de la Féodalité, les coutumes s'ingénièrent
à accorder à la femme mariée des priviléges qui
eurent à la fois pour but et pour résultat de rendre f
plus étroits les liens de famille et de relever la dignité /
et la considération de la femme.
----·
à)
�-
144
CHAPITRE III.
La femme dans les pays du Midi. Fusion des divers
éléments du droit français sous l'influence dl.J. droit
canonique et des ordonnances royales.
Le droit coutumier ne fnt pas, avons-nous dit au
début de notre étude, le régime universel de la
France. Le droit romain qui, après la conquête de
la Gaule, avait été importé par les vainqueurs, s'était enraciné chez les peuples vaincus et les pays
dn Midi , où les invasions germaniques avaient
moins profondément pénétré, continuèrent à suivre
ses préceptes. Nous n'aurons donc. que bien peu
de choses à dire de la condition de la femme clans
le Midi, car, en fait, ce serait recommencer l'histoire
du droit romain à l'époque de la législation d,e Justinien. Toutefois, on comprend que la division, trèstranchée au début, des pays coutumiers au Nord, des
pays régis par le droit romain au Midi, dut s'effacer graduellement par le contact quotidien des habitants, par
les mille nécessités qu'engendre la vie sociale; aussi,
( voyons-nous bientôt le droil romain subir d'importantes modifications sous l'empire des coutumes, pendant que ceUes-ci à leur tour admettent des innovations où se reconnaît aisément l'influence des lois
romaines. Les pays de droit écrit conservèrent l'organisation autoritaire de la famille romaine et la fille
dè famille est foujours à peu près annihilée, au point
�•
-
140 -
de vnc juridique, clans sa personne comme danft ses
biew par l'omnipotencepaternelle. Nous savons que
clans les pays coutumiers, la dévolution des hérédités
était le plus souvent réglée par la loi elle -même .tandis
que le droit romain considérait presque comme déshonorant de mourir intestat. Il en résulta que ce fut
dans les dispositions testamentaires que se manifesta
d'abord l'influence du droit coutumier. Quand les
idées aristocratiques et féodales se furent propagées
chez les bourgeoisies puissantes du Midi, celles-ci
sottgèrent naturellement à emprunter au droit coutumier les institutions propres à assurer la conservation
de leur fortune et de leur rang : aussi trouvons-nous
clans divers testaments cités par d'anciens auteurs des
dispositions en faveur des mâles et des ainés et qui
ne peuvent être attribuées qu'à l'influence de la
féodalité.
Le régime .dotal, si savamment organisé par les
jurisconsultes romains et qui avait été universellement adopté dans les pays de droit écrit, subit luimême des modifications importantes dues aux idées
de communauté qui dominaient dans les pays coutumiers. Depuis Justinien, le régime dotal cherchait à
égaliser la condition pécuniaire des époux : la loi exigeait du mari, sous le nom de donation propter nuptias,
un apport égal à èelui de la femme ; un droit proportionnel et identique est établi au profit du survivant
des époux tant sur la dot que sur la donation p1·opte1·
nuptias. Les pays de droit écrit rejetèrent l'institution
de la donation propte1· nuptzas et ils la remplacèrent
par l'augment de dot, sorte de droit analogue établi
en faveur de la femme sur les biens du mari et fixé
10
�•
généralement au tiers ou à la moitié des biens dotaux.
L'augment croissait pendant le mariage dans les
mêmes proportions que la dot elle-même, mais la
femme n'y avait droit qu'autant qu'elle avait apporté
une dot à son époux. Il lui appartenait alors en pleine
propriété si le mariage demeurait stérile, pourvu que,
veuve , elle ne convolât pas en secondes noces. La
propriété de l'augment était attribuée aux enfants
qui pouvaient le cumuler avec leur légitime et y
avaient droit même en cas de renonciation à la succession paternelle. La mère ne pouvait prétendre
alors dans l'augment de dot qu'à ~me part d'enfant.
Les pays de ·droit écrit reconnurent encore à la femme
le .droit de retenir à la dissolution du mariage, les
biens du mari jusqu'à remboursement intégral de la
dot.
A côté de l'augment de dot, qui a des rapports si
frappants avec le douaire coutumier, signalons une
autre institution plus importante encore, modification
heureuse apportée à l'absolutisme primitif du régime
dotal et où se reconnaît l'influence des idées de communauté dominant dans les pays du Nord : nous
voulons parler de la société d'acquêts. La principale
objection dirigée contre le Tégimi;i dotal consistait,
avons-nous dit, à lui reprocher de faire de la femme
une étrangère dans la maison conjugale en lui refusant toute participation aux bénéfices réalisés par
la collaboration des époux et en la rendant, par suite
de la conservation certaine de sa dot, indifférente à
la prospérité ou à la ruine du ménage. Les pays de
droit écrit, tout en conservant avec un soin jaloux les
principes du régime dotal, furent frappés _de cet
�.-.:... 14.1 inconvénient, et ils le comprirent d'autant miel!x que
près d'eux les coutumes faisaient de la femme l'associée de son mari par l'organisation cl~ la communauté.
De là sortit la combinaison particulière connue sous
· Je nom de société d'acquêts et qui devint presque
universelle dans certaines provinces du Midi comme
le Languedoc et la Guienne. Tout en conservant à la \
1
femme la garantie de l'inaliénabilité du fonds dotal,
les pays du Midi imaginèrent d'associer l'épouse à son
mari pour les profits réalisés en commun pendant la
durée de l'union conjugale. Les biens du ménage se
divisent clone en deux parties bien distinctes : les
biens dotaux toujours administrés sous l'empire du
régime dotal romain qui continue à constituer le
droit commun et la société d'acquêts qui s'administre
et se partage de la même manière que la commu- ·/'
nauté et à laquelle la femme peut renoncer à la dissolution du mariage. Il ne pouvait y avoir de société
d'acquêts sans stipulations formelles à cet égard.
C'est ainsi que s'opérait insensiblement la fusion
du droit romain et du droit coutumier par la seule
force des choses et sans modification appréciable des
1-0is ou des coutumes, car il est manifeste que cette
fusion méditée et préparée pendant plusieurs siècles
s'accomplit clans les mœurs longtemps avant de s'accomplir clans les lois. La France tendit de bonne
heure à l'~, sentiment bien naturel chez des populations qui, constamment en butte aux vexations des
nobles, des seigneurs, ne pouvaient · parvenir à se
faire rendre justice au milieu de la confusion et
de l'incohérence des lois et des coutumes. Cette
idée d'unité se retrouve déjà dans l'ordonnance de
�-
11~s
-
Charles VII de 1453 qui prescrit la rédaction des coutlliÜes. On peut dire que l'unificalion de la législation
est due à trois éléments principaux : le droit canonique,. les travaux des jurisconsulles, les ordonnances
royales. Nous n'avons point à insister sur la part qui
revient à chacun d'eux et nous nous bornerons à
quelques observations générales ayant trait au sujet
qui nous ,occupe particulièrement. On' comprend aisément l'influence que l'Église, aussi puissanle au Nord
qu'au Midi, dut exercer par ses canons, ses décrélales
et ses juridiclions ecclésiastiques; jouissant d'une
égale autorité dans les pays coutumiers et dans les
pays de droit écrit elle devait naturellement contribuer à établir entre eux un courant perpétuel d'idées
et d'intérêts. Nous l'avons déjà montrée dirigeant ses
efforts vers l'atlribulion des actes de l'état civil, du
mariage surtout, et, après avoir sanctifié l'union conjugale par une bénédiction religieuse, faisant, sous
prétexte de connexité, rentrer dans la compétence de
ses tribunaux, toutes les questions intéressant la dot,
le douaire et les· conventions matrimoniales. Mais le
clergé qui constituait lui aussi une aristocratie puissante et jalouse de ses prérogatives se garda bien cle
toucher aux priviléges féodaux dont il avait sa part
et, après avoir été pendant plusieurs siècles l'im.trument le plus puissant de la civilisation et du progrès,
il devint un élément réactionnaire. Telle est l'origine
de la longue lutte qui s'.engage alors entre l'Église
et la royauté naissante. Les rois se posent en protecteurs des faibles, en redresseurs des torts et, ce
qui fera leur force et préparera leur puissance, ils
vont être les représentants clu progrès. La lutte poli-
�-
14U -
tique de l'Église et de la royaulé est à l'état aigu dès
l'époque de Philippe le Bel ; les juridictions ecclésiastiques qui donnaient un si grand pouvoir aux
évêques sont les premières attaquées et elles reçoivent
dans l'institution de l'appel comme d' bus au xrv• siècle
un coup terrible ~ dont elles ne parvinrent pas à se
relever.
A cette même époque commençait à refleurir dans
toute la France l'étude du droit romain, et ce droit
éminemment spiritualiste qui, dans toutes ses dispositions, contenait pour ainsi dire une protestation
contre le grossier préjugé des nations du Nord qui
faisait de la force une condition de capacité civile,
enseigné avec éclat à Montpellier, à Paris, à Orléans,
se répandit dans ·toute la France et contribua puissamment à élever les esprits : il est curieux de voir,
dans mainte discussion juridique, le jurisconsulte
argumenter d'une dis,Position du droit romain pour
critiquer un privilége féodal. On ne peut nier qu'une
grande part revienne aux légistes, et surtout à Cujas
et à Dumoulin clans la coordination de tous les matériaux qui constituent aujourd'hui notre droit français.
C'est à cette époque que se rattachent la décadence de
la féodalité et l'abolition des exorbitants priviléges
qui, dans la deuxième période du droH féodal, avaient
été accordés aux femmes feudataires. Remarquons
d'ailleurs que ce n'est pas à l'influence du droit romain qu'il faut rattacher l'égalité des sexes et la
cap'acité civile de la femme ; nous savons de quelles
incapacités il frappait la fille et !"épouse qu'il consi-·
dérait comme trop faibles et trop ignorantes des
affaires pou_r gérer elles-mêmes leurs l:lieJls, L~
�-
'150 -
sénatus-consulte velléien fnt même admis clans les
pays coutumiers, mais, contraire à l'ensemble de la
législation qui régissait la condition de la femme, il
u'y eut qu'une exislence éphémère; il tomba bientôt
en désuétude et fut abrogé législalivoment par un
édit d'Henri IV en 1606. En même temps les pouvoirs
exagérés du mari sur les biens de la communauté
subissaient de sages restrictions, notamment en ce
qui touche les donations à titre gratuit ; le mimdium
germanique d1wenait lui-même une espèce de tutelle
à la romaine laissant à la femme une capacité à peu
près entière sous la seule condition de l'auctoi·itas du
mari.
C'est surtout par les ordonnances royales que la
législalion marcha vers l'unilé. 1\1. Laferrièl'e clans
son intéressante Histoire du droit français les divise,
avec raison, en deux périodes, l'une . s'étendant du
xm• an xvn• siècle, la seconde du xvn• siècle à la
Révolution française. Pendant la première, la royauté
en lutte avec la féodalité et la théocratie, cherche
avant tout à saisir une souveraineté que lui disputent
les seigneurs et les évêques et, pour obtenir l'appui
rle la bourgeoisie, ne manque jamais derapp~er dans
le préambule des ordonnances l'affection du souverain
pour le pauvre peuple. Dans la seconde période, la
royauté devenue puissante marche vers l'absolutisme
et s'efforce de réaliser l'unité clans le royaume en
réglementant, complétant ou modifiant les institutions
antérieures. Malheureusement, à· è.ôté de ces nobles
travaux de la royauté, on retrouve trop souvent dans
les ordonnances les marques de cet esprit de despotisme et surtout d'intolérance religieuse q:ui signala
�-
151 -
les règnes de Louis XIV et de Louis XV, et qui, jetant
dans les familles une déplorable désunion, fut un des
motifs qui amenèrent la grande commotion sociale
de 1789.
Parmi les principales ordonnances royales qui ont
trait à la condition de la femme dans la société ou
qui ont préparé l'unification de nos lois, nol,ls citerons
les grandes ordonnances de Villers-Cotterets et de
Moi;!!ins qui ont introduit des dispositions i:p.téressantes sur la célébration des mariages et Ja tenue des
registres de l'état civil. Mentionnons ensuite le sévère
édit de Henri II qui condamnait à mort toute jeune
fille convaincue d'accouchemen t clandestin, et l'ordonnance de Blois qui prononçait la même peine
contre tout suborneur d'une fille mineure de vingt~
cinq ans, . assimilant ainsi par une confusion aussi
illogique et anti-juridique que peu grammaticale, la
séduction proprement dite et même le sentiment
naturel qui pousse les sexes l'un vers l'autre avec le
rapt accompagné de violence. Citons encore les édits
de 1556 et de 15"9 donnant au père de famille la \
l
-·faculté d'exhéréder ses enfants mariés clandestine- 1
ment (l'e:xJ1érédation fut encourue de plein droit après 1....
l'ordonnance de 1639). L'édit de 1697 permit même \
d'exhéréder les filles majeures de vingt-cinq ans qui
se marieraient sans avoir demandé l'avis ou le conseil
de leurs père et mère-. Peut-être ne faut-il pas voir là,
comme on serait porté de le croire tout d'abord, des
mesures destinées à assurer le respect de l'autorité
paternelle, mais plutôt des tràces de cet esprit aristocratique qui faisait avant tout redouter aux nobles
xvu• siècle
seigneurs la honte d'une mésallianGe.
Au
�152
'
l'esprit. féodal s'évanouit el s'élcin t : à la cour du
grand roi, au milieu des splendeurs de Versailles, le1>
souvenirs du moyen âge s'effacent, les nobles deviennent d'humbles courtisans sacrifiant leur fortune
et leur dignité à un sourire du maître, et, avec
Louis XIV, toute trace de la féodalité disparut clans
l'ordre politique. Le monarque autoritaire annonça
l'intention de codifier les lois, mais, malgré les travaux de Colbert, on ne peut dire que l'unification
législative ait fait de bien grands progrès sous son
règne, elle fut entrevue et désirée mais non réalisée.
Les remarquables ordonnances du chancelier cl'Aguesseau sur les donations, les testaments et les subslitutions nous prouvent que ce savant magistrat ne rêvait
rien tant que l'unification des couLumes et leur fusion
avec le droit romain, mais il nous explique lui-même
comment, forcé de sacrifier aux nécessités de son
temps, il est encore obligé de diviser les dispositions
de ses ordonnances en deux classes : les unes applicables dans les pays du Nord, les autres dans les pays
du Midi. Une ordonnance de '1729 rélablit enfin lo
sénatus-consulte Tertullien · que l'édit de Saint-Maur
par Charles IX, en 1567, avait abrogé, dans~ but, en
empêchant les mères de succéder à leurs enfants,
d'assurer le retour des biens dans la ligne donh ils
.étaient dérivés et leur conservation dans la même
famille.
Pour surmontet tous les obsLacles que présente
encore la constitution de la société, il ne faudra rien
moins qu'une révolution. Les sages réformes qui
auraient pu l'éviter et qui furent proposées par
Turgo t, échouèrent par suite de la faiblèsse de
�-
153 -
Louis XVI et de l'opposition mal entendue du Parlement. En résumé, à l'époque où s'ouvre la période
révolutionnaire, les esprits déjà éclairés réclament
avec insistance l'unification des lois, mais l'attachement de la noblesse à ses priviléges, le désir des rois
de conserver antour de leur trône d'illustres et puissantes familles ont rendu cette unification très-difficile. D'Aguesseau y a renoncé, Louis XVI y échoue.
La Révolution seule osera porter une main assez
hardie sur tous les vieux souvenirs du droit féodal
pour les anéar;i.tir et préparer l'égalité et l'unité dont
le besoin se fait si vivement Sêntir ~ - - -
I
CHAPITRE IV.
•
La femme sous le droit intermédiaire.
L'Assemblée constituante, après avoir aboli dans la
nuit du 4 août les priviléges féodaux, entreprit une
réforme complète des lois et coutumes de la France
pour y introduire l'es ri_L d '~~alité dont _elle était
animée et ordonna la préparation du Code civil. L'ori'anisatio'.n de la famille attira tout d'abord l'attention
des législateurs de 1789, et, le 8 avril 1790 les droits
d'aînesse et de masculinité étaient abrogés. Le système cÏe succession ab inlestat que les coutumes
avaient établi sur le droit de primogéniture , le privilége du sexe, la qualité de la terre, fut entièrement
refondu et remplacé par une égalité complète entre
le fils et la fille et le partage, sans distinction de provenance, de tous los biens composant l'hérédité pater,
/
•
�-
154 -
nelle, système qui est aujourd'hui la base du régime
succcessoral organisé ,par le Code civil.
L'Assemblée constituante rendit au mariage son
caractère véritable en sécularisant les actes de l'état
civil et, clans le but de favoriser les seconds mariages,
elle abolit l'édit des secondes noces, relevant ainsi
des incapacités qui la frappaient la veuve rema~
riée.
Un des premiers actes de l' Asse,mblée législative fut
le rétablissement du divorce qu'elle autorisa, même
pour incompatibilité d'humeur. A côté de cette mesure
évidemment malhemeuse, ·citons celle plus libérale
et plus logique de l'abolition des substitutions qui, en
défendant au père de rendre certains biens intransmissibles p~lr les assurer à la descendance de son
ûls préféré, compléta les réformes de Ja Constituante
et m:s1ua l'égalité des partages dans les familles. La
femme, considérée comme assez forte et assez intelligente pour protéger elle-même ses intérêts, voit
abolir l'institution du douaire. La renonciation des
filles à l'hérédité paternelle par contrat de mariage
fut interdite et toute disposition contraire à l'égalité
des partages considérée comme nulle et de nul effet.
La loi nouvelle autorisa même les donations entre
époux pendant le mariage, pourvu qu'elles n'-excédassent pas la moitié en usufruit des biens du donateur.
Les conventionnels de 1793 édictèrent l'étrange loi
du 17 nivôse an II qui, sons prétexte de suivre la
p.ature et de rendre la femme indépendante et libre,
n'était rien moins que la négation des principes sacrés
sur lesquels reposent la famille et la société. La puis-
�-
15?> -
)
sanre paternelle anéantie par la limitation au dixième
des biens de la quotité disponible, les scandaleuses
facilités du divorce, l'abolition de la séparation de
corps, résultat des passions anti-religieuses, l'assimi- 1
lation des en~ants naturels aux enfants légitimes, telles
sont les principales dispositions de la loi de nivô~e 1 •
La réaction commence avec~Direc~oire qui essaie
quelques réformes par la loi du i8 pluviôse an V et
abolit la rétroactivité qu'avait édictée la Convention
pour sa législation sur les enfants naturels. Enfin le
Premier Consul étant parvenu à fonder un pouvoir
fort et respecté i·eprend le grand projet qu'avaient
conçu, sans le pouvoir exécuter, l'Assemblée constituante et l'Assemblée législative : il chargea une
commission spéciale de préparer la rédaction du Code )
civil. Cet immense travail fut achevé heureusement
en 1804 et il a survécu à toutes nos crises politiques.
Il nous reste à étudier la condition faite à la femme
contemporaine par ceile législation, ce sera l'objet de
notre troisième et dernière partie.
J
1 Et, parmi les enfants naturels, la loi de nivôse plaça les enfants
a<iultérins nés d'une femme séparée de corps !
�TROISIÈHE PARTIE.
La Femme
Contemporaine.
CHAPITRE PREMIER.
La fille de famille.
\
L'égalité des sexes est aujourd'hui la base fondameûtâiëd.ufüoit francais : la fille de famille, considérée commè l'égale de son frère, jouit dans la famille
de la mème situation civile et juridique ; elle a les
mêmes droits et elle est soumise aux mêmes obligations. A- tout âge, elle doit honneur et respéct à ses
père et mère, mais ce principe tout moral édicté par
le Code ne lui enlève en rien son indépendance et sa
personnalité : la puissance paternelle est devenue
~iq_uement un pouvoir Q.e .Protection et les droits
qu'elle confère sur la personne se bornent à présent à
çleux : le droit de garde el le droit de correction. Le
père pel.ll exiger que l'enfant, jusqu'à 5aÏÏiaJorité cl
son émancipation, reste à la maison paternelle et
employer pour l'y contraindre l'assistance de la force
publiq:ue. Ce droit de gard13 13st parfait13mep.l logique
�et il est indiqué à la fois par la nature et la raison. Le
père de famille a le devoir d'élever ses enfants, il en
est responsable devant Dieu et devant la société, et ce
n'est qu'en exerçant sur eux une surveillance constante et en dirigeant vers le bien leur esprit et leur
cœur qu'il s'acquittera de la haule et noble mission
qui lui a été dévolue. Comme corollaire du droit de
garde, nos lois ont institué le droit de correction : le
père qui a de légitimes sujets de plaintes sur la conduite de ses enfants peut les faire détenir dans une
maison de correction pendant un temps qui ne peut
~céder un mois si l'enfant est mineur de seize ans,
et six mois si l'enfant a dépassé cet âge et encore,
doit-il, clans ce dernier cas, agir par voie de réquisi.tion. Quant aux droils monstrueux reconnus au père
de famille sur ses enfants par certaines législations
comme le droit de vente et le droit de vie et de mort,
ils ont disparu sans -laisser cl ans nos lois la moindre
trace et, en dehors de ces légers châtiments manuels
•
que le père le plus indulgent est parfois obligé d'infliger à son enfant pour le maintenir dans l'obéissance
et le respect, toute violence physique est absolument
interdite et sévèrement réprimée par le Code pénal.
A l'âge de vingt et un ans accomplis, ou même, dès
l'âge de quinze ans sï elle a été émancipée ou mariée,
la fille de famille est complétement libérée Q_e la yqis~
sance de ses ascendants; elle peut même, après sa
majorité, . se marier sans leur consentement, après )
avoir demandé leur avis par actes respectueux. /
Remarquons qu'ici la situation de la fille de famille
est plus favorable que celle du fils : ce n'est qu'à
vingt-cmê[ans ï·évolus que celui-ci est au point de
�-
158
~
vue matrimonial affranchi de la tutelle paternelle. Le
( législaleur a pensé avec raison qu'il y avait moins à
craindre de la part dm: jeunes filles, généralement
plus réservées et plus timides que les garÇons, des
mariages extravagants ; il s'esl en outre décidé par
cette raison qu'elles trouvent plus facilement à se
marier quand elles sont dans toute la fleur de la jeunesse.
La seule san~tion que conserve la légitime autorité
que le chef de famille doit exercer sur les siens, consiste dans la faculté de 1:_.etirer à l'enfant ingrat toute
n..art dans la quotité disponible. Le Code qui a su faire
une sage conciliation de la liberté du testateur et des
droits de la famille a abrogé la loi cl u i 7 nivôse de
l'an 11 qui, non conle:o.te de réduire à des quotités dérisoires la part de succession non réservée aux. descendants, avait interdit au père, sous prétexte de
maintenir l'égalité entre les enfants, d'en disposer en
faveur de l'up. d'eux. L'article_!H3 fixe le chiffre de la
quotité disponible proportionnellement au nombre
des enfants, sans qu'elle puisse néanmoins être jamais
inférieure au quart des biens, et l'article 919 permet
au père de famille d'en disposer en favel'irde toute
personne et notamment en faveur de ceux de ses
descendants qui, par leur affection et leur piété
filiale, se· seraient montrés dignes de cette récompense. Celle sanction, toujom"s à sa disposition, contribue puissamment à maintenir dans les familles,
après la majorité des enfants, la discipline domestique.
Le Code civil a refusé à la fille de famille toute
action contre son père pour l'établir et la doter (art.
�-
Hî9 -
204). Nous ne pouvons qu'approuver cette décision
qui s'écarte des précédents du droit romain et du droit
coutumier. Les Romains de la décadence ne considéraient guèré le mariage que comme un moyen de
vivre dans le luxe et l'opulence en jouissant de la dot
de leurs épouses; les filles non dotées ne trouvaient
point à se marier ou du moins elles n'étaient pas traitées par leur mari avec la dignité et la considération
dues à une épouse légitime. C'est donc par une véritable nécessité sociale et dans l'intérêt même de l'État
qu'on imposa aux pères à Rome l'obligation de doter
leurs filles .
Dans le droit féodal nous savons que cette obligation
s'introduisit comme une juste compensation de la
renonciation qu'on imposait aux filles, par contrat de
mariage, à la succession paternelie. Le législateur de
1804 a eu raison de ne pas faire de la constitution de
dot une obligation légale pour le père de famille et
de s'en remettre sur ce point à sa prudence et à son f .
affection : la décision opposée eut en effet été con- /
traire à la liberté individuelle qui exige que chacun
puisse disposer de ses biens suivant son bon plaisir
et les garder ou s'en défaire à son gré; elle eut en
outre porté un coup fatal à l'autorité paternelle. Car,
e!l fait, bien qu'il soit pénible d'être obligé d'avouer
ce ~entiment égoïste et mesquin, le chef de famille
conserve d'autant plus d'autorité qu'il a mieux su
garder la propriété el l'administration du patrimoine;
qu'il évite donc de se dépouiller au profit de descendants trop souvent ingrats ou dont le zèle et les soins
se ralentiront peut-être parce qu'ils n'auront plus rien
à espérer, qu'il se souvienne de celle maximé si sage
•
�•
-
•
160 -
<le l'Ecclésiaste : « Melius est ut filii tuile rogenl quam
« respicere in manus eorum » (xxxm, 22) .
Quant à la situation de ]a fille de fam,ille par rapà ses biens, nous aurons peu de choses à en
port
........
dire : elle est exactement celle du fils lui-même. Dès
que la fille est majeure. elle jouit d'une absolue et
, entière capacité; elle peut acheter, vendre, donner,
transiger, hypothéquer sans l'assistance ni l'autorisa\_ tion de personne. Seule elle a qualité pour recevoir le
· compte de tutelle et en donner décharge, seule, au
moment du mariage, elle peut discuter et régler les
_conventions matrimoniales. En un mot, déclarée
aussi intelligente, aussi capable que l'homme, la fille
a ]a libre disposilion de sa personne et de ses biens,
et nous croyons qu 'au point de vue législatif, sa situation n'appelle aucune modification. Peut-être pourrait-on faire, au point de vue social, des r emarques
bien diITérenles et constater un certain désaccord
entre l'inclépendance absolue édic tée par la loi et la
dépendance évidente ordonnée par les i~s et les
conventions sociales, mais un tel sujet nous éloignerait de notre véritable but, el nous avons hâte d'arfiver à l'exposition de l'incapacité de la femme mariée.
�CHAPITRE II.
La femme mariée.
SECTION 1.
'
SA CO!'jlllTION QUANT A SA PERSONNE.
Nous venons de voir qu'après de longs siècles de
JuLte la femme est enfin devenue dans la société et
dans la famille l'égale de l'homme. Le mariage seul
est resté pour èITëUne cause d'incapaeités particuüèrëSD:iêri.COmpensées d'aiÜeurs par la dignité Jque
lui donne le titre d'épouse. Les quelques aéveloppements qu'exige cette matière intéressante porteront
spécialement sur la condition de la femme quant à sa
perso12_nç et quant à ses biens ; nous essaierons de
caractériser les diverses incapacités qui atteignent la
femme mariée au profit de son mari, ou, pour parler
plus exactement, au profit du mariage et de la famille
et nous nous demanderons, tant au point de vue philosophique qu'a_u point de vue juridique, si elles sont
légitimes. Nous ferons, avant de commencer, cette
observation générale que la femme n'étant point tenue
de se marier accepte de son piefo gré la situation
d'épouse telle que l'a conçue et déterminée la société
e ne peut se plaindre dès lors de l'infériorité relative
dans laquelle elle se trouve. Elle demeure toujours )
en droit l'égale de l'homme et sa capacité complète
reparaît le jour où, par suite de la dissolution du
11
)
?
')
�-
{6~ -
mariage, elle est libérée de la puissance marita1e.
La femme qui se marie contracte, par le seul fait
du mariage, une triple obligation envers son· mari :
elle doit lui obéir, elle doit lui être fidèle, elle doit
il . jugera à
cohabiter ave;J.ui et le suivre partout
propl)S" cle rhicler. (Ârt. 212, 213, 214.) Le Code a dû
suivre ici l'exemple cle toutes les législations qui, par
suite d'une nécessité sociale facile à comprendre, ont
déclaré le :rrla:ri chef cle l'associalion conjugale. Le
devoir d'obéissance n'est plus d'ailleurs ce qu'il était
encore au temps cle Beaumanoir : nulle contrainte
matérielle ne peut s'exercer contre la femme qui
refuse d'exéi:uter les volontés de son mari. Ce devoir
n'a qu'une sanction, et, hàtons-nous d'ajouler qu'elle
est le plus souvent illusoire ou même tourne au profit
de la femme : le mari a le droit cle s'adresser à la justice pour vaincre la résistance de son épouse, or, l'intervenlion cln magistrat qui ne forcera certainement
la femme à céder qn'autant que les exigences clu mari
seront justes et légitimes, est en fait pour elle une
garanlie précieuse. Les tribunaux devront d'ailleurs,
clans des affaires si délicates, agir avec la plus grande
circonspection, leur mission est essenliellement une
~ssion_ .de conciliation ; ils ne devront donc pas
oublier que souvent la mésintelligence survenue entre
les époux.a été provoquée par des intérêts de famille
qu'ils tiennent à ne pas divulguer. 11 est difficile
de délimiler d'une manière préc~se le devoir d'obéissance de la femme : c'est une question d'espèces et de circonstances. Ainsi, bien que ce soit là
une vérilable atteinte portée à la liberté individuelle,
· nous pensons que le mari peut se permellre d'ouvrir
où.
�~
163 -
de sa femme. Nous n'apprécions
cortespondance
la
.
.
...___,
délicatesse de l'acte et le résultat
la
entendu
pas bien
plus ou moins heureux qu'il pourra produire quant à
la bonne harmonie du ménage, nous nous plaçons au .
point de vue juridique et nous reconnaissons ce droit
au mari parce qu'il se rattache au devoir si important
de fidélité de l'épouse. Nous pensons de même que le
mar~ sous l;-régime de la séparation de biens, peut
exiger ë[üëS'On épouse verse entl'e ses mains le tiers
aesés revenus représentant sa part' contributoire aux
chàfges du ménage : la femme conserverait autrement une indépendance contraire à la dignité et à la
puissance du mari; si ce dernier d'ailleurs est un dissipateur, la femme a toujours la ressource de se faire
accorder par la justice ie droit de dépenser elle-même
ses revenus dans l'intérêt commun. La bonne entente
et l'affection mutuelle des époux rendent d'ailleurs
bien facile à accomplir ce devoir d'obéissance qui a
perdu dans nos lois tout caractère irritant et brutal et
qui a uniquement pour but de rappeler à la femme
que son époux est le chef de l'association conjugale,
et à celui-ci, qu'étant le plus fort, il doit aide et protecLion à son épouse. Le législateur aLtache une
grande importance à tous les droits constituant la
puissance maritale et toute convention par laquelle la'
femme chercherait à se soustraire au devoir d'obéissance édicté par la loi serait nulle de droit. (Article
1488.)
.
La femme doit fidélité à son mari. Ce devoir est
réciproque mais la sanction est plus énergique
pour l'épouse par cette raison bien naturelle que la )
pudeur et la chasteté doivent être essentiellement les .
�-
164 -
qualités de la femme et surtout parce que l'oubli clé
ses devoirs aurait pour la famille et pour la société
des conséquences bien plus dangereuses. La législation si sévère de ~'antic.Œ_i~é contre l'adultère n'a point
résisté à l'adoucissement des mœurs : la morL, la tla"gellation, l'emprisonnement perpétuel dont on punissait autrefois la femme coupable sont aujourd'hui
abolis . L'adultère de l'épouse ne peut être dénoncé
que par le mari, mais il autorise ce dernier à demander la sé__paratiQn de.. corps en quelque lieu que la faute
ai.tété commise . L'adultère du mari n'est une cause
de séparation de corpsëjüe clans ic cas où le mari a
tenu sa concubine dans la maison conjugale. (Art. 306.)
L'article 336 du Code pénal prononce contre la femme
adultère "üiiëmprisonnement de trois mois au moins
et de deux ans au plus. Cette faculté concédée au mari
de poursUlvre correctionnellement son épouse n'a
pas, dans notre société actuelle, une bien grande uti·lité, il répugne à nos inœurs de réclamer l'intervention des tribunaux pour réparer le déshonneur du
foyer domestique et, trop souvent, le mari préfère la
justice sommaire de l'art. 324. Nous n'avons point à
entrer clans la discussion des questions brûlantes,
mais trop peu juridiques, que soulève l'adultère: contentons-nous de constater ici l'insuffisance de la loi.
Enfin, la femme contracte en se mariant l'obligaÙon de cohabiter avec son mari et de le suivre partout où il jugera bon de résider. C'est encore là un
droit résultant pour l'époux de la puissance maritale
el auquel il n'est point permis de déroger par contrat
de mariage ou par convention particulière . Le législateur prend en outre soin de nous dire, clans l'arti-
�-
165 -
cle :o~ c,rue la femme mariée ne peut avoir d'autre
domicile que celui de son mari. C'est là sans doute la
plus grave atteinte portée à la liberté personnelle de
la femme, mais elle était nécessaire car la vie commune seule constitue la farnifuiët,rend possible l'éducation des enfants. L'obligation imposée à la femme
de résider avec son mari est même plus étroite aujourd'hui qu'elle ne l'était dans l'ancien droit : la
fomme autrefois n'était pas obligée de suivre son
mari à l'étranger. Cette restriclion fut proposée lors 'î
de la rédaction des articles du Code, mais écartée sur
les observations· du premier Consul qui, imbu d'idées (
autoritaires, voulait constituer un pouvoir domesti- ,
que fort et indiscuté Nous pensons toutefois que la .....J
femme ne pourrait être tenue de suivre son mari hors
de France si une loi interdisait l'émigration et prononçait contre les contrevenants la perte de la qualité de Français ou quelque autre peine.
Au droit du mari d'exiger de son épouse une cohabitation perpétuelle correspond pour lui le devoir d!'l
la recevoir avec honneur clans sa Ifillison et de lui ·
fournir lout ce qui est nécessaire pour les besoins de
la vie selon ses facultés et son état: Nous n'hésitons
donc point à reconnaître à la femme le droit de refuser la cohabitation si son mari ne lui offrait pas un
logement conv<;inable et ·décent et ne la traitait pas
àVec la dignité et la considération qu'une épouse peut
exiger dans la maison conjugale. Même solution si le
mari voulait obliger sa femme à résider sous un climat contraire à sa santé : les magistrats, souverains
appréciateurs de tous ces faits, veilleront à ce que la
puissance maritale ne degénère pas en tyrannie do-
,
�-
'166 -
mestique. Nous pensons également que la femme
peut refuser d'aller habiter avec son mari si celui-ci,
au mépris d'une promesse solennelle, refuse, après
la célébration du mariage, de recevoir avec son épouse
la bénédiction re~igieuse. Quoiqu'en effet la loi ne
considère le mariage que comme un contrat civil,
l'atteinle portée à la liberté cle conscience cle la femme,
à ses croyances les plus intimes , nous paraîl de
nature à justifier le syslème que nous soutenons et
que la jurisprudence, interprète si sage et si prudente des lois, paraît avoir définitivement adopté.
Quelle est la ~anction,.. du devoir de cohabitation
imposé à l'épouse? Dans la discussion clu Code, le
Conseil d'Etat a reconnu avec raison que c'était là une
è[ûëStion cléÎicate dont la solution devait êlre subordonnée aux circonstances et qui ne pouvait être tran. chée par un texte d'une manière générale et absolue.
Le législateur s'en remettant à la prudence des magistrats, a gardé un silence complet sur les modes de
contrainte qui pourraient être employés. Tout le
monde reconnaît aujourd'hui que· le mari, pour
vaincre la résistance de sa femme, pourrait lui refuser
tout secours pécuniaire et même saisir ses revenus 1.
On s'accorde aussi à décider, contrairement à la doctrine suivie clans l'ancien droit, que le refus de cohabitation de la femme ne p·eut entrainer pour elle la
perte de sa dot ni la déchéance des avantages résultant pour elle des conventions matrimoniales el
1 Par saisi?· nous entendons séquestrer C>tr la plupart des a•1teurs enseignent, et cette opinion parait très-raisonnable, que le
mari n'a pas le droit de s'approprier les revenus de sa femme par
·
ce seul fa,it qu'elle refuse de r~sid(lr a,vec lui.
�-167 -
n'est pas une cause suffisante de séparation de corps.
Quelques auteurs enseignent cependant que le refus
de la femme de résider avec son mari constitue une
injure grave envers celui-ci et doit l'autoriser à demander la séparation de corps. Nous repoussons celte
opinion qlli donnerait un moyen trop facile à des
époux peu scrupuleux d'éluder la loi et d'arriver à
une séparation volontaire : d'ailleurs, quand il s'agit
de relâcher les liens sacrés du mariage, on ne peut,
dans une matière si grave, admettre que les causes
limitativement énumérées par le législateur.
Une grande divergence existe sur le pqint de savoir
si le mari peut recourir à la fo:i;:ce publique pour obliger son épouse à réintégrer le domicile conjugal. Les
partisans de la négative font remarquer que la liberté
individuelle est une des plus belles conquêtes de la
Révolution et qu'on ne peut déroger à ce principe
fondamental de notre droit qu'en présence d'un texte
formel. Le Code prend soin de s'en expliquer quand
il veut consacrer un droit de famille par les moyens
coercitifs de l'arrestation et de l'emprisonnem ent
(~;,..;374) ; ici il a gardé le silence et nous retombons
dès lors sous l'empire général de l'aEticle 2063 qui
défend toute contrainte pàr voie personnelle en dehors
d'une disposition spéciale. Cette mesure, ajoute-t-on,
est absolument incompatible avec la dignité de la
mère de famille et les droits généraux reconnus à la .
femme par nos lois. Le _!Ilariag~ est après tout un
contrat synalla&matigue qui, en dehors des dispositions particulières édictées- par le Code, doit suivre les
règles ordinaires des contrats. Or, celle des parties
qui refuse d'exécuter son engagement ne peut jamais
�168
•
y être contrainte par la force cc nemo cogitur ad factum » et l'ob\igation se résout en dommages-intérêts.
Il serait tout aussi inadmissible aujourd'hui de vouloir
vaincre par la force matérielle la résistanGe de la
femme que de vouloir en imposer à la liberté de
conscience par la torLure ou les supplices. Enfin,
outre que l'intervention de la gendarmerie dans l'intérieur du ménage, ne paraît guère de nature à faciliLer une réconciliation entre les époux, elle est évidemment inutile, car la femme une fois réintégrée
par force au domicile conjugal peut s'en échapper de
nouveau, et l'opinion même la plus extrême ne peut
aller jusqu'à reconnaître au mari le droit de retenir
sa femme enfermée et prisonnière. Toute coercition
physique est donc à la fois inefficace et odieuse.
- Malgré la gravité de ces raisons, et quoique, pour
• notre part, nous conseillions plutôt aux maris de se
résigner à une séparation de fait que de recourir à
de tels moyens de persuasion, nous n'hésitons pas, au
point de vue juridique, à nous prononcer pour l'affirmative. Lesjugements qui interviennent en pareille
' matière s'expriment toujours ainsi: «La femme sera
1 tenue, dans les vingt-quatre heures, de réintégrer le
domicile conjugal. » La sentence des magistrats doit
recevoir son exécution. Il n'y a pas lieu d'assimiler
la maLière toute spéciale où nous sommes avec les
obligations ordinaires qui peuvent, à défaut d'exécution, êLre évaluées en argent. Et ici, rnuf le cas exceptionnel où le mari, dans l'intérêt de ses affaires, est
obligé de prendre une domestique ou une femme de
journée pour remplacer sa femme absente, on ne
comprendrait guère qu'il demandât à la justice une
�-
169 -
indemnité pécuniaire pour le préjudice moral que lui
cause la fuite de son épouse. Ce serait là, d'ailleurs,
une source de spéculations honteuses et la jurisprudence refuse avec raison d'entrer dans cette voie. La
coercition employée ne sera peut-être pas toujours
aussi slérile que le soutient le s:ystème opposé : la
femme re~trée au domicile, sous l'influence bienfaisante de la famille, entre son époux et ses enfants,
loin des conseils funestes qui l'avaient èntraîné11 et
égarée se repentira de sa faute et sacrifiera à ses devoirs ses rancunes et ses passions. Nous ne reconnaissons pas d'ailleurs au mari le droit d'employer_ d'e,_
'[!_lano la force publique pour ramener son épouse an
domicile conjugal : nous croyons même qu'une sim:Q,le ordonnance rendue par le président du tribunal
siégeant en référé serait insuffisante. : l'emploi d'un
moyen coercitif ne peut résriller que d'un jugement.
11 faudra donc que le tribunal ait décidé, après examen des faits, que la plainte dn mari était fondée et
que la femme doit être tenue de r~intégrer le domicile conjugal : cette décision sera d'ailleurs suffisante
et il n'y aura pas lieu de statuer d'une manière spéciale sur l'emploi. de la manus rm'litan·s .
Nous disions tout à l'heure qu'au devoir de cohabitation de la femme correspondait pour elle le droit
d'ètre reçue dans la maison du mari et d) être traitée
avec l'honneur et la considération dus à l'épouse.
Nous remarquons que l'obligation du mari ne peut
recevoir une sanction aussi énergique que celle de la
femme : on ne peut le contraindre, en effet, par la
force à reèevoir sa femme dans sa maison, ce serait
porter une trop grave atteinte à sa dignité de chef de
1
�-
170 -
famille. Son obligation se tésout ici en c"!_ommages et
intérêts : les tribunaux le condamnent à servir à son
épouse p.ne pension annuelle et viagère. D'ailleurs, si
le refus du mari de recevoir sa femme dans sa maison
ne nous paraît pas autoriser de plana une demande en
séparation de corps, il constitue néanmoins un fait
d'une extrême gravité qui, joint à d'autres mauvais
procédés qu'il sera sans doute facile de prouver, sera
pris par les juges chargés d'examiner _la demande "en
s~paration de la femme, .e n sérieuse considération.
Ainsi, la femme mariée est aujourd'hui respectée
( ( dans sa personne, elle setùe règne et commande clans
la maison conjugale ; les clroils reconnus au mari ne
sont point, comme ceux que nous avons constatés à
Rome et dans l'ancien droit français, des créations
arbitraires d'un~ législation . oppressive édictée en
faveur des mâles mais simplement la conséquence
naturelle de l'état social qui exige que l'associalion
conjugale reçoive une direction ferme et uniforme
pour assurer sur des bases solides la . constitution de
la famille. La dignité et l'individualité de la femme
n'en sont aucunement atteintes : à chaque droit j.u
mari correspond un devoir pour lui. La femme lui
doit obéissâ.nce, il lui doit à son tour aide et protection. Elle demeure son égale el n'est point soumise à
tous les caprices de ·sa volonté. Nos mœurs ont d'ailleurs assez progres'Sé pour rendre aujourd'hui absolument odieuse l'hypolhèse invraisemblable d'un mari
abusant de sa force physique pour im]).oser ses ordres.
Le progrès nous paraît encore sous ce rapport à peu
près complet, il est certain que notre code a su sagement comlJiner la liberté et la personnali~é de la
�-
·171
femme avec le respect de la puissance maritale.
La femme mariée n'est pas seulement épouse, elle
peut être mère aussi. Sous ce dernier rapport, elle est,
dans notre droit, relevée de presque toutes les incapacités qui la frappent dans l'intérêt de la puissance
maritale, car faible comme femme et comme épouse,
elle ne l'est jamais comme mère. Sa force est égale à
celle de son mari et elle partage avec lui l'exercice de
la puissance paternelle. C'est ainsi que, même en présence du père, elle sait consentir à l'adoption de ses
enfants et ètre consultée quand il s'agit pour eux
d'un ~blissement matrimonial. Pendant le mariage,
la prépondérance du mari et la nécessité de donner
une direction unique à l'éducation des enfants annihilent en grande partie le pouvoir de la mère, mais
celle-ci conserve toujours le droit, si elle trouve que
son mari use de son autorité d'une manière contraire
à l'intérêt de ses enfants, par exemple s'il rie leur
donne pas une éducation en rapport avec la position
sociale qu'il occupe ou s'il les soumet à un genre de
vie capable d'altérer lem: santé, de solliciter l~t~
v~tion des tribunaux. La mission des magistrats
sera ici particulièrement délicate ; ce n'est en effet
qu'en cas de séparation de corps on d'aliénation men- ·
lale 1 du mari qu'ils peuvent ordonner la remise des
enfants à la mère et priver le père de l 'exercice de la
puissance paternelle. Nous croyons cependant qu'une
satisfaction est due à la femme car le mari, en agissant
de la sorte, a violé l'engagement solennel qu'il avait
1 Nous laissons de. côté, bien entendu, le cas où le mari aurait
subi une de ces condamnations infamantes qui entraînent privq.
lion des droits de puissance paternelle,
�-
L72 -
pris, en contractant mariage, de nourrir, élever et
entretenir ses enfants. (Art. 203.) Aux juges à chercher, dans leur sagesse, le moyen de concilier tous
'
les intérêts.
Citons encore le droit très-remarquable concédé·
à la mère par l'article 935 du Code civil d'accepter,
au nom de ses ènfants- mineurs, les donations qui
peuvent leur être faites . Les auteurs et la j urisprudence ont même reconnu à la mère, en présence de
la généralité des termes de l'arlicle, le droit d'accepter
la donation malgré l'opposition du père, sauf le
recours de celui-ci à la justice pour fairo rescinder
une acceptation qu'il considérerait comme immoralo
ou dangereuse .
Mais c'ost surtout après la dissolution du mariage
qu'apparaît, plus évidente et plus nette, la part de
puissance paternelle que le Code a dévolue à la mère.
' Elle a de plein droit la tutelle de ses enfants, et, alors
même qu'elle décline ce droit, elle n'en conserve pas
moins l'exercice de la puissance paternelle. Le père,
qui a le droit de nommer par testament un conseil à
son épouse, pour le cas où elle serait tutrice, ne peut
apporter aucune restrict~on à la puissance de la mère
sur ses enfants dans la garde de leurs personnes.
Toutefois la puissance paternelle accordée à la mère
n'est pas tout à fait aussi large, aussi étendue que
celle reconnue au père : elle subit d'importantes res·trictions quant à l'exercice du droil de correction. La
mère ne peut jamais agir que par voie de réquisition
ot encore ne peut-elle réclamer l'intervention de la
puissance publique pour faire rentrer dans le devoir
le mineur récalcitrant qu'avec le concours des deux:
--
-----
�~
17S -
plus proches parents paternels de l:enfant. La règle
est la niême soit qu'elle exerce après la dissolution
du mariage le droit dont elle est inv'estj~, soit qu'elle
agisse pendant le mariage, au nom de son époux
interdit ou absent. Le législateur a pensé, en effet,
que la mère accessible aux influences étrangères,
souvf)nt prompte à s'inqilléter, était exposée à prendre
des mesures parfois irréfléchies et qu'il était nécessaire de placer à côté de s~n autorité un pouvoir mo~ateur. L'interv!=lntion de deux parents a d'ailleurs
le double avantage de protéger l'enfant en modérant
la mère et de protéger celle-ci contre les reproches
de son enfant en faisant consacrer par la famille la
décision qu'elle a prise. A part cette restriction, la
femme, même non tutrice, conserve les prérogatives
inhérentes à la puissance paternelle; ainsi elle seule.
:eeut consentir au mariage et à l'adoption de ses-enfâirt;- et, quoique quelques controverses se soient
élevées à ce sujet, seule aussi elle peut les ém@ciper
eJ;_ ~nommer un tuteur testamen~aire. Les pouvoirs
de la mère .ne subissent de restrictions que dans le
cas de convol : nous en reparlerons plus tard quand
nous dirons quelques mots de la condition de la femme
engagée dans les lions d'un second mariage.
La femme qui aurait . à se plaindre des mauvais
traitements de son .m ari à son égard peut demander
la _séparation de. corps. Le divorce que l'ancienne
législation avait toujours prohibé et qui, réla~li par
· la Révolution, avait passé dans le Code çivil fut aboli
par la loi du 8 mai 1816 et la sépara.tian de corps est
aujourd'hui le seul mode de dissolution du mariage
inter vi'vos autorisé par la loi. Los principes qui régis- '
----
i'
•
�-
174 -
saient le divorce sont devenus, sauf ceux sur le consentement mutl!-el, applicables à la séparation de
cor~s. Les causes qui peuvent autoriser la demande en
séparation de corps sont au nombre de trois : l'adultère, les excès, sévices, et injures graves et la condamnation de l'un des époux à une peine infamante.
La loi est plus exigeante pour la femme que pour
l'homme en matière d'adultère , elle ne lui accorde,
avons-nous dit, le droit de demander la séparation pom
celte cause qu'au1ant que le mari entretient une concubine dans la maison conjugale . La loi a voulu avec
raison que le domicile conjugal fût respecté par le mari
et que l'épouse y régnât sans partage. Là en effet où
la femme est exposée à coudoyer la maîtresse de son
mari, il ne peut y avoir pour elle une situation conforme à celle qu'elle a le droit d'exiger comme épouse
et il est tout naturel qu'elle reçoive de la loi l'autorisation de quitter une maison où ses droits sonl si
gravement méconnus. Par xc domicile conjugal )) la
jurisprudence entend avec raison non - seulement
l'habilation effectivement occupée par les époux mais
encore toutes les maisons qui, étant la propriété du
mari, pourraient être habitées par eux et où la femme
serait en droit d'exiger à tout instant un logement et
une réceplion convenables. La femme peut encore
demander la séparation pour excès, sévices ou injures
graves. On entend par excès, les coups, ble; st;res et
mauvais traitements qui atteignent un individu dans
sa personne ph_ysique. Les sévices sont ces mille méchancetés qui frappent une personnè dans sa considération et dans son amour-propre et qui, sans corn·
promettre aucunement la vie, la rendent insuppor·
�-
17.i5
~
table. Quant aux injures graves, cè sont les diffamations et il!sinuations calomnieuses de nature à-porter
atteinte à l'h onneur et à la digr:Ïité de la pers<inne
contre laquelle elles sont dirigées. A cet égard, les
tribunaux ont un pouvoir souverain d'appréciation,
leur sagesse et leur modération présenteii.t à la femme
une garantie suffisante et certaine.
L'article 232 reconnaît à la femme le droit de demander la séparation de corps en cas de condamnation de son époux à une peine afflictive et infamante.
Cette décision nous paraît parfaitement logique, car .
on ne pouvait contraindre une femme qui avait cru ·
s'unir à un honnête homme à rester la compagne
d'un forçat. La loi devrait peut-ètre même aller plus
loin .et autoriser la femme à demander Ja séparation
quand elle vient à découvrir que l'homme dont elle )
avait consenti à partag·er la vie parce qu'elle le croyait
honorable, a été, antérieurement au mariage, flétri
par la justice. La jurisprudence qui a toujours repoussé dans ce cas l'annulation du mariage pour ·
erreur da~s la personne paraît incliner vers le système
que nous indiquons et plusieurs arrêts· ont, pour ce
motif, prononcé la séparation de corps en se fondant
sur l'injm'e grave faite à la femme par le silence du
mari sur ses précédentes condamnations.
Par la séparation dé corps les liens du mariage
sont relâchés, mais non disSOl!.S. La femme recouvre
la liberté de résider où bon lui semble mais les devoirs
de fidélité et d'assistance subsistent. C'est ainsi qu'elle
peut être obligée de servir à son mari malheureux
el infirme une pension alimentaire proportionnée à
ses revenus ; quant au devoir de fidélité il est sanc-
�~
-
0
176
~
tionné par l'article 312 (addition de la loi du 6 décembre 1850) qui autorise l'époux à désavouer l'enfant
quiisera né trois cents jours après l'ordonnance du
Président rendue aux termes de l'artirle 878 du Code
de procédure civile et moins de cent quatre-vingts
jours depui~ le rejet définitif de la demande ou depuis
la réconeiliation. La situation engendrée par la séparation de corps est délicate et le laconisme du Code
qui s'était particulièrement attaché à réglementer le
divorce a donné naissance à de nombreuses et vives
. controverses. On est à peu près d'accord aujourd'hui
pour repousser la doctrine qui, par argumentation
rigoureuse des termes de l'article 302, attribue toujours à celui des époux qui a obtenu la séparation de
corps, la garde des enfants. Nous pensons que lEl mariage n'étant point dissous, mais seulement relâché,
le droit commun subsiste et, qu'en l'absence de discussion à ce sujet, les enfants doivent êLre remis au
J!.ère qui seul a, pendant le mariage, l'exercice de la
puissance paternelle. 11 est d'ailleurs bien entendu
que les tribunaux, 'en cas de contestation, statueront,
pour le plus grand avantage des enfants, sur la question de savoir auquel des époux seront confiées leur
garde et leur éducation.
Nous voyons, en résumé, que la condition de la
femme mariée quant à sa personne, est aussi bonne
qu'on peut le désirer : honorée comme épouse,
écoutée comme mère, la femme a, dans la famille,
une situation égale à celle de l'homme lui-même et
bien différente de celle que, même dans le dernier
état du droit, lui avait accordée la législaLiou romaine.
�- 177 SECTION II.
SA CONDITION QUANT AUX BIENS .
La condition de la femme mariée, quant à ses
biens, varie suivant le régime matrimonial qu'elle a
adopté. Avanfêl'entrer clans u.ne étude approfondie
de l'incapacité de la femme mariée, nous allons
esquisser à grands traits les principaux régimes
reconnus par notre législation.
Le Code s'est montré extrêmement libéral en matière
de conventions matrimoniales : il déclare dans l'article 1387 que les époux peuvent faire, comme ils le
jugënt à propos, les conventions régissant l'association conjugale pourvu qu'elles ne soient pas contraires à l'ordre public et aux bonnes mœurs. La
fille doitrégler elle-même ses conventions matrimoniales et elle reçoit clans ce but une capacité excep tionnelle. Dès le jour où elle est reconnue apte au
mari.age, c'est-à-dire dès ·l'âge de quinze ans la foi la
déclare habile à consentir toutes les conventions dont
ce contrât èst susceptible pourvu qu'elle soit assistée
dés personnes dont le consentement est requis pour
la validité du mariage; c'est ce qu'exprimait qéjà
l'ancienne maxime cc habilis ad nuptias habilis ad
pacla nuptialia. »Le Code a reconnu et consacré l'existence des deux grands régimes qui autrefois se partage~ient la France : la communauté et le régime
dotal. La lut~e fut cl'aillèlITS très-vive clans le sein de
laeommission de rédaction et ce n'est qu'après de
longues cliscussiom; et à la suite des protestations
12
--
J
�-178 -
formulées dans le pays de droil écrit que le Conseil
d'État prononça, dans l'arlicle 139·1, le mainlien du
régime dolal et lui consacra, clans le Litre du contrat
de mariage, un chapitre spécial. Le Code, pour manifester d'ailleurs ses préférences pour le régime de
la commuQanté, l'a déclaré le régime de droit commun pour tous ceux qui se marient sans contrat, et
cette décision paraît éxcellente car le régime essentiellement national de la communaulé est le plus
conforme .à l'idée d'intime union enlre les époux
qu'éveille naturellement le mariage. Il eût d'ailleurs
été bizarre de faire du régime dotal qui suppose une
dot, le régime commun des femmes qui n'en ont pas,
car ce sont généralement celles-là qui se marient sans
contrat. Mais, bien que les pouvoirs du mari sur les
biens de la communauté aient su1i quelques limitations raisonnables, ils sont encore assez étendus pour
lui permetlre de les aliéner à tilre onéreu~, sans contrôle. La femme aura sans doute à la dissolulion de
la communauté le droit de renoncer à la part qui lui
revient pour s'en• tenir à ses propres, mais, outre
qu'elle perd alors son apport mobilier, il y a lieu de
craindre qu'elle n'éprouve des perles considérables
par suite de la mauvaise administration du mari.
Reste la ressource d'une demande en séparation d~
biens, moyen qui répugne souvent à la délicatesse de
lalêmme et auquel on ne songe généralement que
lorsqu'il n'y a plus rien à sauvegarder. Aussi,.dans
les familles jouissant d'une certaine fortune, ou
lorsque la position du mari fait craindre que ses biens
ne se trouvent engagés et compromis dans des spéculations hasardeuses préfère-t-on le régime dotal
�-
179 -
qui, à côté des inconvénien ts que nous avons eu
l'occasion de signaler, a du moins l'avantage d'assurer,
par la conservation des biens dotaux l'existence de la
femme et des enfants.
Le Code, en laissant aux époux une libePté absolue
pour leurs conventions matrimonia les a, par le fait
même, ·donné le moyen de corriger les inconvénien ts
que présentent, quand ils sont pris isolément, la
communaut é et le régime dotal. Ainsi les époux
peuvent réduire aux acquêts la communaut é qui
existera entre eux pendant le mariage, et en exclure
par suite leur mobilier présent et futur, combinaison
ingénieuse et plus conforme que la communaut é
elle-même à l'idée de collaboration des époux. - Ce
qui a souvent choqué dans le régime de la communauté lel qu'il est organisé par le Code, c'est l'inégalité
des apports des époux : celui qui a une fortune toute
mobilière la voil tomber entièrement dans la commu-.
n"âüté tandis que l'époux qui ne possède que des
immeubles en conserve la propriété et ne met rien à
la masse commune dont la moitié lui sera un jour
attribuée. Les clau$es de réalisation et d'ameubliss ement permetlent de rétablir l'égalité dans les apports
des époux. Par la première, la femme peut exclure
ccrlains de ses meubles de la communaut é et se les
réserver comme propres ; par la seconde, au contraire,
elle peut y faire entrer certains de ses immeubles.
Citons encore le régime sans communaut é peu avantageux à la femme et peu usité sous lequel chacun
des époux conserve la propriété de tous ses biens
présents et futurs et la charge de ses dettes; le mari
a l'administra tion et la jouissance des biens de la
�~
1.80 -
femme et supporte les charges du ménage . Enfin les
époux peuvent se marier sous le régime de la séparation de bi_e ns : chacun d'eux, comme sous le régime
sans communauté, conserve la propriété de tous ses
biens prés~nts et futurs el la charge de ses dettes,
mais la femme conserve en outre l'administration et
la jouissance de sa fortune personnelle. Ce régime
peu conforme à l'idée d'union intime des époux et à
la dignilé du mari, n'a d'intérêt que lorsqu'un seul
des époux a de la fortune ou lorsqu'6tant l'un et
l'autre d'âge avancé ils désirent conserver des habitudes dès longtemps contractées et se réserver la
direction de leurs affaires personnelles.
Les développements que nous avons à donner sur
celte importante matière se diviseront en six paragraphes:
§ I. Fondement et légitimité de l'incapacité de la
femme mariée ;
§ Il. Étendue de l'incapacité. de la femme mariée ;
§ Ill. Influence de la séparation de biens sur l'incapacité de la femme mariée ;
§ IV. De l'autorisation exigée pour relever la femme
de son incapacité;
§V. Effets de l'incapacité de la femme mariée;
§ VI. Situation particulière de la femme marchande
publique.
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§ l. Fondement et légitimité de l'incapaci'té de la femme
m.a?'iée.
Nou s avons dit que la capacité de la femme subissait
par le fait du mariage dlmporlanles reslriclions. La
�-
"81 -
femme, soumise à la puissance de son mari, perd le
droit de gérer et d'administrer librement ses biens,
elle a besoin, pour tous les actes importants, de son
autorisâLion, tout à fait analogue ici à l'auct01·itas des
Romains et que Pothier nous définit « l'acte"par lequel
le mari habilite sa femme pour quelque acte que la
femme ne peut faire que dépendamment de lui. )) La
puissance maritale sur les biens, telle qu'elle a été
envisagée par les rédacteurs du Code, descend évi- . demment du mundium germanique. A Rome, en
efl'et, où régnait sans partage le régime dotal, le mari
n'avait point à intervenir dans la gestion des paraphernaux à l'égard desquels la femme conservait une
capacité complète. Ces théories avaient passé dans les
_pays de droit écrit et, bien que quelques tentatives
eussent été faites pour restreindre l'indépendance. des
femmes èt que l'ordonnance de 173·1 notamment ait
exig.é pour une donation faite à l'épouse, l'autorisation du mari, il est certain que ce n'est ni à Rome, ni
dans le midi de la France qu'il faut chercher l'oi:igine
de l'incapacité actuelle de la femme mariée. C'est
dans le droit coutumier el avec le régime de la communauté que s'introduisit l'autorisation maritale. Elle
n'est tout d'abord requise que dans le seul intérêt du
mari, on ne songe pas à la faiblesse du sexe qu'invoqueront plus tard les romanistes, ni à l'intérêt de la
famille, ni à celui des enfants : on veut uniquement
assurer le respect de la puissance maritale. C'est ce
que nous dit Pothier en termes excellents et précis
dans son Traité de la puissance i!:u man·, où il cherche à
expliquer par le droit naturel l'incapacité de la femme
mariée : «Le besoin qu'a lét femm!=J d~ cette autorisq.-
•
/
�-
•182 -
tion n'est pas fondé sur la faiblesse de sa raison, mais
sut 14 puissance que le mari a sur la personne de sa
femme, qui ne permet pas à sa femme de rien faire
que dépendamment de lui. »
Les anci'ens auteurs qui ont écrit sur cette question
ont été unanimes dans ce sens et ont reconnu que la
puissance maritale était le seul obstacle qui s'opposât
à la capacité de la femme : « Cette puissance, nous
dit Guy-Coquille, n'est pas empêchement essentiel et
en la même personne de la femme, mais en dehors et
par accident . La femme en soi est habile à contracter
et l'accident qui l'empêche étant ôté, son obligation
qui a pris source de sa volonté en laquelle elle était
libre, reprend sa vigueur qui était abombrée et couverte par la puissance du mari. » De cq que le respect
dû ~ la puissance du mari était considéré comme la
base unique de l'incapacité de la femme, il résultait
naturellement que la mort ou l'interdiction du mari
donnaient à l'acte passé par la femme une validité
absolue et le rendaient inattaquable. Mais bientôt
apparut un nouveau système préconisé et soutenu
par les sectateurs du droit romain qui prétendaient
retrouver dans les t~xtes du Digeste l'origine de l'autorisation rriaritaîé établie d'après eux « propter fra« gilitatem sex~s -et imbecillitatem animi » d'où cette
conséquence que l'incapacité de la femme1 étant édictée dans son intérêt, subsiste m-ê~e après la dissolution du mariage et permet à la femme d'attagge~·
l'acte qu'elle a -consenti lors même que le mari l'a
ultérieurement ratifié.
La question qui s'agite sur le fondement de l'incapacité de la femme mariée n'est donc pas purement
•
�-
183 -
théorique : elle a un intérêt pratique consiçlérable.
L'ancienne co~troverse que nous venons de sie:,naler
subsiste encore aujourd'hui et on se demande quel
est, dans- notre -droit actuel, d'après le système organisé par le Code, le véritable fondement de l'incapacité de la femme mariée. Une première opinion qui,
adoptant les idées romaines, croit le trouver dans la ~o
1
faiblesse du sexe et l'inexpérience habituelle de la
femme, s'appuie sur ëes deux considérations que le
mari mineur n'est point reconnu apte à autoriser son
épouse, parce que la loi doute de la maturité de son
jugement (art. 224) et que la femme conserve, même
après la dissolution du mariage, le droit d'attaquer
pendant dix années les actes qu'elle aura consentis au
mépris de la puissance maritale. Nous repoussons
celle doctrine évidemment contraire aux idées modernes qni reconnaissent à la femme une capacité
aussi complète que celle de l'homme. Les filles et les
veuves majeures sont déclarées assez intelligentes
pour administrer elles-mêmes leurs biens, on cherche
vainement en quoi le mariage aurait pu modifier ou
altérer celle capacité naturelle. Et d'ailleurs, comment
la loi qui reconnaît à la femme les qualités suffisantes
pour administrer en qualité de tutrice les biens de ses \
enfanls et même ceux de son mari interdit, auraitelle déclaré que le mariage la rend, par suite de sa /
faiblesse, inhabile à la gestion de ses propres affaires?
Cette théorie pouvait être exacte dans le droit romain
qui, considérant la femme comme une enfant, s'eiTorçait de la maintenir foujours en tutelle et l'avait
frappée, pour retarder son émancipation, d'incapacités arbitraires. Autre est aujourd'hui l'idée qu'on se'
�-
184 -
fait de l'intelligence et de la capacité de la femme. Le
législateur a prononcé, clans l'article 1431, l'abrogation formelle de l'incapacité velléienne destinée jadis
ilprotéger la femme contre ses propres faiblesses .
L'épouse peut à présent non-seulement cautionner
son mari, mais même contracter avec lui. Si la loi
eût eu spécialement en vue, en établissant l'autoriRation maritale, la faiblesse de la femme, aurait-elle,
clans ce cas, par une remarquable dérogation à la
règle nemo in rem suam auctor· esse potest reconnu au
mari le pouvoir de donner son autorisation?
Une deuxième opinion trouve le fondement de l'incapacité de la femme mariée dans le respect dû à la
puissance maritale. Elle soulève aussi des objections
sérieuses. CÔmmènt expliquer en effet, si le respect
clù à la puissance maritale est la base unique de l'autorisation exigée par la loi que la femme ait le droit
d'attaquer les conventions qu'elle aurait consenLies,
droit qui devrait, clans ce système, être attribué au
mari seul. dont les prérogatives ont été atteintes? Si
elle n'avait entendu protéger la femme elle-même et
sauvegarder sa fortune, clans quel but lui aurait-elle
reconnu le droit de faire annuler les actes faits sans
autorisation? En outre, comprendrait-on, avec ce
système, la disposition du Code qui décide, qu'en cas
de minorité du mari, la femme doit se faire autoriser
par la justice, car le mari, quel que soit son âge, a,
dès le jour du mariage, l'exercice de la puissance
maritale? La jurisprudence des pays coulumters qtÙ
consacrait la doctrine que nou; combattons reconnaissait effectivement au mari, même mineur, le droit
d'autoriser son épouse, mais le législateur de 1804 a
�•
Œ5
suivi un autre système. Enfin, si le mari est frappé
d'une peine afflictive et infamante, il est déchu de la
puissance maritale ; il semble dès lors que la femme
devrait recouvrer sa capacité complète. Il n'en est
rien; la loi ne veut pas, même dans ce cas, qu'elle
puisse agir s.e ule et exige l'autorisation de la justice. )
L'incapacûLé de la femme mariée survit donc à la puissance maritale, c'est dire qu'elle n'a pas dàns cette
. /
.
.
pmssance sa source umque.
Les quelques dispositions que nous venons de ciler
de notre d_roit actuel, nous prouvent que le Code a
repoussé à la fois les deux systèmes absolus qui font
de l'autorisation maritale, l'une une mesure de protection au profil de la fomme Lrop faible pour défendre
elle-même ses inLérêLs, l'autre un instrument d'autorité entre les mains du mari. Aussi, une troisième
opinion qui paraît préférable aux deux autres, sans
être entièrement satisfaisante, enseigne que le législateur a établi un système mixte el s'est préoccupé à
lafois de la faiblesse de la femme et de la nécessité
d'assurer le r~spect dû à la puissance maritale. Les
partisans de ce système font remarquer d'abord que
la femme qui, en se mariant, consent ainsi à aliéner
sa liberté et sa capacité reconnaît par le fait même
qu'elle ne se sent ni assez forte, ni assez expérimentée pour se charger de l'administration de son patrimoine. Cet argument nous touche peu, et nous doutons fort que telle soit effectivement la pensée à
laquelle obéit la jeune fille quand elle prononce à
l'autel le oui sacramentel. Mais il est vrai de dire que
le législateur, en établissant le principe de l'autorisation marilale, a ou pour but de sauvegarder tous les
•
�•
-
186 -
intérêts qui se rattachent à l'association des époux;
il a voulu à la fois sanctionner le devoir d'obéissance
imposé à la femme .e l sauvegarder, tout en garantissant les priviléges du mari, les intérêts de la famille.
Nous verrons bientôt que ce double but n'a pas été
complétement atteint et nous aurons à signaler
quelques incohérences et quelques lacunes dans notre
législation.
Les restrictions apportées par nos lois à l'indépendance de l'épouse sont-elles suffisamment justifiées
pâr les avantages qu'en retirent la société et la famille? Nous n'hésitons pas à répondre âffirmativement .: si nulle autorilé n'élait élablie pour veiller à
tous les intérêts matériels et moraux créés par l'associalion conjugale, on aboulirait à cles discussions
peri~.étuelles, à des querelles domesliques qui rendraient la vie commune impossible et insupportable
el amèneraient ces d_!pl_?rables sé:Q_,a~ations si contraires à la dignité du mariage et à l'intérêt _des
enfant&. L'État, qui ne repose après tout que sur la
réunion des familles, a le droit et le devoir d'assurer
la stabilité des mariages, et nous considérons comme
sagement édictée toute disposition prise dans ce but.
La puissance dévolue au mari conlribuera puissamment à assurer l'ordre, l'unité, l'harmonie du mariage.
Ces motifs justifient suffisamment l'incapacilé de la
femme mariée; il était naturel cle confier à l'homme,
généralement plus capable et plus e xjiérimenlé, la
gestion el la sauvegarde du palrim_pine sur lequel
l'enfant a, dès sa conception, un droit acquis.
Nous allons voir d'ailleurs, qu'en fait, l'incapacité
.de la femme est loip. d'être absolue : elle demeure
�-
187 -
chargée de veiller à la direction intérieure et aux
' soins du ménage : elle est réputée dans ce but avoir
un mandat tacite du mari, elle traite directement avec
les fournisseurs et s'occupe seule de tous les besoins
matériels de la famille.
§ Il. Étendue de l'z"ncapacité de la femme man"ée.
La nécessité de l'autorisation maritale ne s'impose
pas avec la même énergie à la femme sous tous les
régimes matrimoniaux, elle varie suivant la nature
C\l[importance de l'acte don.t il s'agit, mais, dans tous
les cas, l'incapacité civile de la femme résultant du
mariage ne commence qu'à partir de sa célébration et
cesse à sa dissolution. Il n 'en était pas ainsi dans
touLes les coutumes de l'ancien droit, certaines d'entre
elles imposaient à la femme la nécessité de l'autorisaLion maritale dès le jour des fiançailles et cette disposition était justement critiquée par Dumoulin qui
trouvait absurde une semblable exigence à une
époque où il n'était pas certain que le mariage se fit.
Ajoutons que, quelles que soient les conventions ma- )
Lrimoniales des époux, il existe, quant à l'incapacité
civile de la femme mariée, des règles communes à
tous les régimes et auxquelles il n'est pas permis de
déroger par contrat de mariage.
Ces règles sont écrites dans les articles 215 et 217
applicables même au cas de séparation de biens ; le
premier est relatif aux actes judiciaires, le second
aux actes extra-judiciaires ;_ nous allons les étudier
successivement en distinguant ceux que la femme
mariée peul faire sous tous les régimes et.ceux qu'e)lg
�-
188 -
ne peut faire sous aucun, de c:eux qui lui sont permis
sous certains régimes parliculiers.
Actes judiciaires. - L'article 215 s'exprime en ces
termes : «La femme ne peul ester en jugement sans
l'autorisation de son mari, quand même elle serait
marchande publique ou non commune, ou séparée de
biens. » La règle est générale el s'applique sous tous
les régimes matrimoniaux : le Code s'est même montré ici moins libéral que l'ancienne jurisprudence qui
accordait à la femme commerçante ou séparée de
' biens le droit d'ester en justice sans autorisation.
Celte rigueur ne paraît pas très-justifiée, au moins
quant aux femmes séparées : il eût été · tout nalurcl
de voir celles-ci qui ont la libre administration de
leurs biens e'X.ercer sans entraves les actions qui y
sont relatives : la mésintelligence règne souvent entre
//' époux judiciairement séparés : il est pénible à la
'fi.' femme de demander, dans de telles circonstances, à
son mari, une autorisaticn qu'il peut lui refuser méchamment, ce qui l'obligera à intenter contre lui une
1
procédure assez longue et assez coûteuse. (C. pr., 86'1
et 862.)
L'autorisation maritale est requise devant les tribunaux de tous 1es ordres. La femme en a besoin 'pour
paraître ën justice de paix et ~ême en conciliation,
quelle que soit la nature de l'affaire en litige. On s'est
demandé si la femme autorisée à ester en justice
peut, sans autorisation nouvelle, suivre l'instance, à
tous les degrés de juridiction et employer, contre les
décisions rendues, toutes les voi~s de recours indiquées par la loi. Que décider si l'autorisation du mari
est conçue clans des termes tellement vagues qu'il est
!\
i
~
�-
{89 -
impossible de préciser si elle est générale ou limitée
à tel ou tel degré de juridiction?
Trois systèmes sont en présence : le premier, se
fondant sur le principe cle la spécialité~ l'autorisation écrit clans la loi, exige une autorisation spéciale
pour chaque instance reiài"ive à la même action. Le
deuxième fait une distinction : la femme. est-elle intimée en appel? Elle pourra, sans nouvelle autorisation, suivre l'affaire en instance comme défenderesse.
A-t-elle succombé devant le premier degré de juridiction et veut-elle interjeter appel? une nouvelle autorisation lui sera nécessaire. Celle opinion s'appuie
par un raisonnement d'analogie, sur l'article 49 de la
loi du 18 juillet 1837, relative à l'administration municipale qui décide, qu'après tout jugement intervenu,
la commune ne peut se pourvoir devant un autre
degré de juridiction qu'en vertu d'une nouvelle autorisation du conseil de préfecture.~ Nous rejetons ces
deux systèmes : le premier comme étendant sans motifs les restrictions apportées par l'article 215 à
capacité de la femme, restrictions qu'il importe de
renfermer dans les plus étroites limites, le second,
quoique plus rationnel et plus logique, comme introduisant entre les femmes mariées et les personnes
morales une assimilation qui ne paraît pas avoir été
dans la pensée du législateur. Nous croyons préférable de considérer comme suffisante et permettant à
la femme l'accès de Lous les degrés de juridiction, .> "
l'autorisation une fois donnée par le mari pour une
affaire spéciale : celte autorisation indique suffisamment qne le mari considère comme justes et légitimes
les prétentions de sa femme et vent lui conférer la
la
�-HIO-
capacité nécessaire pour les soutenir efficacement.
L'appel et l'opposition ne constituent point d'ailleurs
une instance nouvelle et ne sont que les suites naturelles de la première 1 •
La jurisprudence après avoir sanctionné ces divers
systèmes, paraît s'être définitivement ralliée au premier. Elle exige que l'autorisation donnée par le mari
. à sa femme pour ester en justice soit renouvelée à
chaque degré de juridiction. Celte solution que nous
avons combattue s'explique par la défaveur avec
laquelle sont vus les procès et par la crainte ·de voir
les femmes s'engager à la légère dans une voie où
peuvent se trouver compromis l'honneur et la fortune
de la famill('l.
L'autorisation maritale est ·nécessaire à la femme
aussi bien quand elle agit comme défenderesse que
lorsqu'elle veut intenter elle-même l'action. Le demandeur devra alors meure en cause le mari en
même temps que la femme, lui faisant connaître clans
l'acte introductif d'instance que s'il ne comparaît pas
à l'audience indiquée, son épouse sera tenue pour
dùment autorisée. Si toutefois le ;procès avait été engagé avant le mariage et que l'affaire fût en état .au
moment où commence pour la femme l'incapacité
d'ester en justice sans aulorisation, il ne serait pas
nécessaire de mettre le mari en cause par une assignation nouvelle. Dans le cas même où l'ail'aire ne
serait pas en état, les procédures commencées pourront être valablement continuées sans autorisation
1 Nous exigerions toutefois une nouvelle autorisation s'il s'agis·
sait de voies de recours extraordinaires, comme la requête civile
et la cassation, qui constituent véritablement un litige nouveau.
�-
191 -
tant que le fait nouveau du mariage n 1auta pas été
signifié à l'adversaire de la femme : celui-ci en effet ·
n'est pas tenu de savoir qu'elle a changé d'état. La
généralité des termes de l'article 2Hi prouve.que l'auLorisation est nécessaire à la femme mêrp.e pour agir
contre son mari ou défendre à une action par lui
inLenLée. Dans ce dernier cas, la défense étant de droit
naturel, l'autorisation est toujours présumée, mais il
peut paraître singulier qu,e la femme soit obligée de
demander à son m1').ri l'auLoris:J.Lion de l'actionner
devant les tribunaux. CeLLc règle a son explication
dans le respect dû à la puissance maritale et elle
trouve son Lempérament dans l'autorisation de justice dont nous étudierons ultérieurement la nature et
les eifets. De là est n6e la question de savoir si la
femme, pour provoquer l'interdiction de son mai'i,
aurait ,besoin de l'autorisation de celui-ci . L'affirmaLive a généralement prévalu par ce double motif que
l'article 2·15, dont les termes sont absolus et formels,
n'a fait aucune distinction et que le mari dont la prodigalité ou l'aliénation mentale n'ont pas élé judiciairement reconnues ?onserve toules les prérogHtives
attachées à sa qualité. Telle est l'opinion soutenue
par MM. Demoloml.Je et Delvincourt. Quelle que soit
l'autorité de ces auteurs, nous n'hésitons pas cependant à adopter la négative : il y aurait d'abord quelque chose d'étrange, de choquant à voir un mari
autoriser sa femme à présenter une requête tendant
à le faire interdire et, en outre, quelle pourrait être,
au point de vue juridique, la valeur d'une pareille
autorisation donnée clans un intervalle plus ou moins
lucide el dont la validité par suite, pourra êlre con-
�-
Hl2 -
testée? L'article 490, au tilre spécial de l'interdiclion,
nous 'dit cl' ailleurs que tout époux est recevable à provoquer l'interdiction de son conjoint et il n'établit, à
cel égard, aucune différence enlre le mari et la femme.
Quelques auteurs font encore valoir, à l'appui du
système que nous soutenons, une dernière considération. Si le mari pouvait autoriser sa femme à ponrsui.vre son interdiction,_il provoquerait lui-même en
fait sa propre interdiction et se ~ dessaisirait volonlairemenl de la puissance maritale ce qui serait contraire
aux dispositions édictées par l"arlicle _i388 . Nous nous
eonlenlons de mentionner cet argument, sans le
développ er, parce qu'il repose essenliellcmenl sur
une opinion que nous ne partageons pas et qui refuse
à Loule personne le droit de provoquer elle- même
sa: propre interdiction. Quoi qu'il c~ soit, les divers
arguments que nous avons déjà fail valoir nous
paraissent suffisamment jnslifier le droit que nous reconnaissons à la femme de poursuivre, sans autorisation, l'inlerdiclion de son mari.
La règle posée par l'article 2i5 comporte plusieurs
exceptions : elle ne s'applique pas aux:~c;Aes ur~
menl c~nservatoires des droits de la femme qui sont
d'ailleurs, pour-la plupart, de simples conséquences
de faits"antérieurs pour lesquels elle a dû. être ~o
risée ou qu'elle a consenlis à une époque de pleine
r.apaçilé . C'est ainsi que, clès longtemps, . on a reconnu à la femme mariée le droil de faire, sans autorisation, un protêt ou une sommation, de former une
opposition et prendre inscription de son hypothèque
légale sur les biens de son mari. L'aulorisalion mar itale n 'est pas nécessaire à la femme clans toutes les
�-
·1 9::!-
affaires qui, l'inléressanl personnellement, ne sont
susceptibles d'aucune transaction, comme la sépl'J,ration de corps et la séparation de biens : la femme
l'autorisation de la
doit, dans ces deux cas, demander
.
j_us:ti.ce ; si celle du mari était suffisante, on arriverait
à rendre possibles les séparations volontaires prohibées par la loi.
Enfin l'art. 216 dispense de _l'autorisation maritale
la femme poursuivie en matière criminelle et de po- .1
lice. La raison est facile à trouver : en matière civile /
il peut être avantageux de ne pas s'engager dans un
procès et il est naturel que le mari, gardien légal des
droits de la femme, apprécie l'opportunité qu'il peut
y avoir à plaider : s'il juge que la défense ne serait
qu'un entêtement injuste, il refusera son autorisation
et la femme, réputée défaillante, sera condamnée par
défaut, ce qui vaut mieux en fait qu'une condamnation
contradictoire intervenue après un long temps perdu
et des frais considérables à supporter. Mais, en matière criminelle ou de police, la défense est un droit
S1!;_Cré, et, non-seulement nul accusé n'en peut être
privé, mais, en cas de refus, un défenseur lni est
nommé d'office : il serait donc parfaitement inutile
d'obliger la femme à demander une autorisation qui
ne peut jamais lui être refusée.
Nous venons de dire que la femme n'avait besoin
d'aucune autorisation pour défendre à l'action publique intentée contre elle, mais tout crime et tout délit
donnent ouverture à une action civile : la femme,
pour y défendre, a-t-elle besoin d'être autorisée? La
question doit se résoudre, à notre sens, par une distinction: si la partie civile agit en même temps que le
-
~
13
�-
i94 -
·tninistère public et devant le tribunal criminel, nolis
ne croyons pas que la femme ait besoin d'autorisation:
étant déclarée habile à défendre à l'action principale,
elle doit jouir du même privilége pour l'action acces-·
soire. Ce système est confirmé par l'article 359 du
Code d'instruction criminelle qui reconnaît à la partie
lésée le droit de former sa demande en dommagesintérêts jusqu'au jugement. Ce droit serait paralysé
s'il fallait, au préalable, assigner le mari en validité
de la demande formée conlre sa femme . .
La question est plus délicate si la femme est poursuivie pour délit ou co.ntravention par la parlie lésée
devant le tribunal correctionnel sans l'être par le ministère public. Plusieurs auteurs, parmi lesquels nous
citerons MM. Aubry et Rau, exigent, dans ce cas,
l'autorisation 'maritale, en faisant remarquer que . la
parlie civile a toujours la facullé d'assigner le mari
pour la validité, en argumentant de l'intérêt que peut
avoir ce dernier à éviter tout scandale judiciaire et
en invoquant les principes généraux de la matière.
Ces arguments sont loin d'être décisifs : l'art. 216
relève la femme de son incapacité d'esler en justice
quanù il s'agit d'une action intentée devant un tri·
. bunal de répression et il ne fait aucune distinction.
Le tribunal, avant d'accoi.·der les dommages-intérêts
qui lui sont demandés par la partie lésée doit constater le délit, or, cette constatation donnera au minis·
tère public le droit de conclure immédiatement à
l'application de la peine. Il faut clone accorder à la
femme le droit de se défendre, droit qui serait entravé s'il était subordonné à l'autorisation du mari.
i Lorsque la partie civile agit devant les lribunaux
--
�.__ 195 civils, la femme n'y peut défendre sans l'autorisation
du mari : nous ne sommes plus en effet dans les ter- \
mes de l'exception prévue par l'art. 216 et du moment /
qu'il ne s'agit pas de poursuites criminelles, l'art. 21[!
doit être appliqué.
Si la femme agissait comme demanderesse au criminel, nous pensons que l'autorisation maritale lui )
serait nécessaire car, si la défense esL pour elle d&
droit naturel; il n'est pas sûr qu'elle ait raison dans la
plainte qu'elle veutjudiciairement formuler.
Actes extra judt'ciaii·es. - L'incapacité de la femme
ù'ester en justice est la même sous tous les régimes
maLrimoniaux mais, en matière d'actes extra judiciaires, ell~ varie suivant fo degré de pouvoir conféré
au mari sur les biens de son épouse : il en résulte que
.
sous le régime dotal, et, surtout sous la séparation de
biens, la femme conservant des droits d'administration
pJus ou"Inoins étend.us peut faire, sans autorisation
maritale, tous les actes relatifs à leur exercice.
Etudions d'abord les principes généraux, nous verrons ensuite les exceptions. L'article 217 est ainsi
conçu : « La femme, même non commune ou séparée \
•
de biens, ne peut donner, aliéner, hypothéquer,
acquérir à titre gratuit ou onéreux sans le concours I
du mari dans l'acte, ou son consentement par écrit. ))
1° Incapacité d'aü'éner. -- Cette règle prohibant à la
femme non auLorisée touLe aliénation à titre gratuit
ou à tiLre onéreux ne s'entend que des dispositions
entre vifs mais elle s'étend à toutes les aliénations,
quelle qu'en soit la forme, vente, échange, cession de.
créance, d'usufruit, eLc. Nous verrons bientôt d'ailleurs qu'elle subit de très-importantes restrictions
-
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suivant la nature des conventions matrimoniales et
qu'il s'agit de meubles ou d'immeubles, mais nous
croyons, et nous nous efforcerons de le démontrer,
que l'obligation contractée par la femme, même dans
la limite de sa capacité, n'est pas exécutoire sur ses
immeubles , et ne peut en amener l'aliénation.
L'art. 217 qui énumère les actes que la femme ne
peut faire sans autorisation ne mentionne pas l'obligation. Il est pourlant certain que l'obligation est une
a iénation indirecte; comment expliquer alors le silence de la loi sur ce point? M. Mourlon 1 l'explique
· par ce motif que la femme n'est pas toujours absolument incapable d'aliéner el par sui.te cle s'obliger
(art, 1449). Nous ne pensons pas que le législateur, en
omettant l'obligalion clans l'énumération cle l'art. 227
ait eu en vue les dérogations qu'apporte à l'incapacité
de la femme mariée le régime de la séparation de
biens ; la portée de l'art. 2'17 est parfaitement précisée par les textes qui suivent. L'article 220 nous dit
'°que la femme marchande publique peut, sans l'autorisation de son mari, s'obliger pour ce qui concerne
son négoce ; n'est-ce pas interdire a contra.i'io l'obligation à la femme non marchancle pùblique? L'omission de l'art. 2'17 peut encore s'expliquer historique-_
ment. Le Tribunat ayant fait remarquer , dans ses
observations, qu'il serait bon d'inscrire dans la loi
l'incapacité pour la femme de s'obligeT sans l'autorisation de son mari, on refusa cle fai:re cette addition dans
le texte de l'article dans la crainte qu'elle n'entraînàl
pour la femme l'incapacité de s'oblige~~r ses clélils.
La défense d'hypothéquer, que nous trouvons écrite
-
1
Répétitions éc1·ites, I, page 391.
�-
1ü7 -
J
dans l'arLicle 2_07 est le corollaire naturel de la défense d'aliéner et la loi y attache d'autant plus d'importance que l'hypothèque est une aliénation dont
l'effet est plus redoutable parce qu'il est éventuel.
Aussi rappelle-t-elle encore cette prohibition dans
l'arL. 2124 : cc Les hypothèques conventionnelles ne
peuveùITt.f"e consenties que par ceux qui ont la capa/
cité d'aliéner les immeubles qu'ils y soumettent. »
2° Incapacité d'acquéi'ir. - La femme non autorisée
ne peut acquérir ni à titre onéreux, ni à titre gratuit.
A.._titre onéreux ... parce qu'une semblable acquisition
suppose nécessairement une aliénation ou une obligaLion et que ces actes sont interdits à la femme
mariée. A Litre gratuit... par un double motif. D'abord
le mari est intéressé à connaîtrè la cause des libéralités faiLes à son épouse et à savoir si elles n'ont
point une origine honteuse, ensuite parce qu'une succession ne se compose pas seulement de biens mais /
aussi de deLLes. Cette disposition a été justement critiquée ; on a fait remarquer qu'il serait plus naturel ~
de reconnaître à la femme le droit d'accepter, sans 0
auLorisation, mais sous bénéfice d'inventaire, les suc- '
cessions et legs universels qui peuvent lui échoir :
son patrimoine se trouverait ainsi sauvegardé. Quant
au rriotif tiré de la protection due aux bonnes mœurs,
il a quelque chose de grossier et de choquant vis-àvis des femmes que notre société actuelle a l'habitude
de traiter avec plus de r~spect. L'utilité de cette
prohibition e&t d'ailleurs contestable et on pourrait
sans doute l'effacer sans inconvénient de nos lois.
La femme mariée est encore frappée de l'incapacité
de compromeLtre. Cette dispo~ition résulte de la com~
(
0
�-
198 -
binaison des arll.cles 1.004 et 83 du Code de procédure.
L'article 1004 défend en elfe~ le compromis clans
toutes les affaires communicables au ministère public
et l'article 83, § 6, classe parmi ces dernières les
causes des femmes non autorisées. - Mentionnons
enfin l'incapacité de la femme de faire le commerce
sans l'autorisation de son mari: autorisation dont
nol:ls étudierons les effets spéciaux clans notre sixième
paragraphe .
.La femme mariée conserve toute la capacité qui ne
lui est pas enlevée par la loi. Elle peut donc, sans
autorisation, faire tous les actes cl'aclministralion
purement consër'vatoires de son patrimoine et nous
luïavons reconnu ce:tle capacité même clans le cas où
ces actes auraient le caractère d'actes judiciaires.
Nous pensons donc, bien que quelques controverses
se soient élevées à cet égard, que la femme, même
non autorisée, peut prendre un brevet d'invention,
• car ce n'est qu'une mesure conservatoire des droits de
l'inventeur et acquitter les frais qu'ont pu occasionner
les divers actes destinés à sauvegarder ses droits.
L'article 226 prend soin de nous dire que la femme
peut tester sans l'autorisation de son .mari. Il en
résulte que, librement aussi, elle le peut révoquer.
Cette disposition est fort raisonnable, car Îe droit de
tester est un de ces droits dont l'exercice inséparable
de la jouissance est essentiellement personnel; il ne
peut d'ailleurs porter aucune atteinte à la puissance
maritale puisque ses effets ne se feront sentir qu'après
la dissolution du mariage. Dans l'ancien droit, quelques
coutumes avaient cependant refusé à la femme la
permission de tester sa.us autorisation.
�-
199 -
Enfin, d'une manière générale, la nécessité de l'au- )
torisation ne s'applique pas aux droits que la loi confère directement à la femme par une disposition formelle. Citons, parmi les principaux, le droit de consen- tir au mariage de ses enfants (art. 148 et 149), de.
reconnaître des enfants naturels (art. 337), de requérir
li'trallsëriptiÛn des donations valablement acceptées
(art. 940), de~ révoquer celles faites à son mari pendant
le mariage (art. 1096).
Enfin la femme est tenue, indépendamment de
toute auto~isation, des obligations qui lui sont imposées par la loi, c'es~à-dire qui se forment sans
èfüivention. Ces obligations se divisent naturellemènt
en trois classes :
1° Celles qui prennent leur source dans la vei·sio in
rem, c'est-à-dire dans ce principe d'équité que nul ne
âoi.t s'enrichir aux dépens d'autrui. Chaque fois que
la femme aura augmenté sa fortune de valeurs appartenant à autrui, elle sera responsable dans la mesure
du profit qu'elle aura retiré. Cette dérogation aux
principes généraux, basée sur le droit naturel, ne
nécessite aucune explication.
2° Celles qui naissent de délits et quasi délits. Il n'y
~a pas de raison en effet d'affranchir la femme, plutôt
qu'un mineur, de la réparation du tort causé par son
dol ou sa faute (art. 1310 et 1382). Il serait d'ailleurs
injuste de laisser à la charge des tiers qui n'ont aucune faute à se reprocher un dommage dont ils n'ont
pas pu se garantir. Notons cependant que le dol de
la femme ne résulterait pas de la simple déclaration
qu'elle aurait faite dans l'acte constitutif de l'obliga ..
tion qu'elle n'est pas mariée ; le tiers qui contracte
--- -
�-
200 -
avec une femme doit s'enquérir de sa capacilé civile
et, s'il vient à éprouver un préjudice, il ne pourra
s'en prendre qu'à sa négligence, autrement il serait
trop facile d'éluder la loi.
· 3° Celles qui naissent des quasi contrats. Mais ici la
question e~t plus délicate, des distinctions sont nécessaires et nous sommes obligé d'entrer dans quelques
développements.
La femme mariée peut-elle jouer, sans autorisation,
dans un quasi-contrat de gestion d'affaires, le rôle
actif, c'est-à-dire celui de gérant, et le rôle passif,
r.'est-à-dire celui dont l'affaire a été gérée? en d'autres
termes, faut-il distinguer entre le quasi-contrat émanant du fait personnel de la femme et celui émanant
du fait d'un tiers? Un premier système, se fondant
sur les textes du Code civil qui ne semblent prévoir
que le cas de conventions expresses, enseigne que la
femme est obligée par toutes espèces de quasi-contrats sans qu'il y ait lieu de faire aucune distinction.
Il est d'abord évident, quand le quasi-contrat est le
fait d'un· tiers, que la femme est tenue de rembourser,
à celui qui a utilement géré ses affaires, le montant
des dépenses qui ont été faites dans son intérêt. Son
obligation sera régie ici par les principes généraux
de la matière des quasi-contrats et peu importera que
le profit retiré par elle de la gestion du tiers ait été
ultérieurement détruit par un cas fortuit. On ne voil
pas d'ailleurs pourquoi la femme échapperait, sous
prétexte d'incapacité, à une obligation qui, basée sur
un principe d'équité, est imposée même aux mineurs
et aux interdits.
Quand la femme a géré l'affaire d'autrui, on conçoit
�-
201. -
fort bien qu'elle ne soit point obligée envers les tien;
avec lesquels elle a contracté pour les besoins de sa
gestion, car ceux-ci sont en faute de ne s'être pas
assurés au préalable de la capacité de la partie contractante, mais pourquoi la ~emme ne serait-elle pas
obligée envers le maître dont elle a mal géré les
affaires?n est hors de discussion qu'elle devra rendre
les sommes ou valeurs qu'elle aura reçues pour le
compte du maître, sans quoi elle s'enrichirait injustement aux dépens d'autrui, mais elle devra en outre
indemniser celui-ci de tous les dommages que son
imprudente et mauvaise gestion lui aura causés parce
. qu'elle répond de ses fautes, de ses délits et de ses
quasi-délits (MM. Mondon et Valette).
Un autre systt!me, plus favorable à la femme,, el
auquel Kfitf Demolombe et Toullier prêtent l'appui de
leur autorité, distingue entre les quasi-contrats émanant du fait d'un tiers et ceux résultant du fait de la
fe~me. La capacité de la femme complète quant aux
premiers, n'existerait, quant aux seconds, que dans
la limite de la versio zn i·em, à moins que J'intervention
de la femme se soit produite dans des circonstances
telles qu'elle constitue un véritable délit. Les partisans
de cette opinion, à laquelle nous nOlï"s rallions, font
remarquer d'abord que l'obligation de rendre compte,
imposée à la femme par le premier système, peut
être fort onéreuse pour la famille ~t qu'il est injusle
de faire supporter an mari les conséquences de faits
qu'il n'a point autorisés. Il est plus équitable de les )
faire peser sur le maître dont la négligence a aulorisé,
peut-être même nécessité, la gestion de la femme.
A ces considérations morales , le second système
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202 -
ajoute des arguments tirés des textes mêmes du Code
civil. L'article 217 défend à la femme d'acquérir el
d'aliéner, celte règle doit logiquement s'appliquer à
tout fait entraînant une acquisition ou une aliénation.
Si on reconnaissait à la femme la capacité de s'obliger
envers le maître par ses quasi-contrats, ce serait
Î'auloriser à faire indirectement ce que la loi lui
défend de faire directement et l'exposer aux dangers
que l'autorisation maritale a eu précisément pour but
d'éviter. Enfin les arlicles 1241 et 1990 nous offrent
deux puissants arguments d'analogie contre le premier système. L'article 1241 déclare que le créancier
incapable de recevoir n'est responsable du paiement
qui a été effectué entre ses mains que jusqu'à concurrence du profit qu'il en a retiré; l'article 1990
restreint la responsabilité de la femme qu:i a accepté
un mandat, sans l'autorisation de son mari, conformément aux règles établies dans le titre du contrat
de mariage et des droits respectifs des époux.
En un mot, nous dirons, pour résumer l'opinion
que nous nous sommes formée sur cette question,
que la femme non autorisée est entièrement responsable quand l'acte générateur cle l'obligation est
l'œuvre d'un tiers, mais, que pour les quasi-contrats
' qui dérivent de son fait personnel, elle n'est tenue
que dans les limites de l'action de in i'em vei'so.
La théorie que nous venons d'exposer nous conduit
logiquement à un résultat qui paraît tout d'aborcl
biza.r re dans le quasi-contrat de paiement de l'indû.
Nous supposons -qu'une femme i:eçoit par erreur ~ne
somme d'une personne qui se croyait sa débitrice, il
est certain qu'elle devra rembourser dans la mesure de
�--:- 203
~
son cnrichisse]ll_e ut: « quatenus locupletior fac La est» ,
Mais plaçons-nous dans l'hypothèse où elle a dissipé ce ·
qu'elle a reçu. Il faudra alors distinguer si la femme
était ou non de bonne foi au moment du paiement ;
se cro)rait-elie -véritablement créancière? elle fil)vra
rembours~', car elle a inconsciemment contracté une
obligation dont le fait générateur est l'œuvre d'un tiers
et nous avons démontré que dans ce cas sa capacité
était complète. A-t-elle reçu de Iljauvaise foi? elle ne
sera point LeJ:!ue _a u remboursemen t car -elle a sciem~
ment contracté une obligation que l'autorisation maritale seule pouvait valider. Voilà où nous conduit une
déduction rigoureuse des principes que nous avons posés : est-ce donc à dire que la femme de mauvaise foi se
trouvera plus protégée que cellequi aura été debonne
foi? Nous ne le pensons pas, car, le plus souvent, le
paiement de l'indù aura été amené par des manœuvres
frauduleuses et la femme sera responf?able ex deü'cto.
Telles sont les règles générales tracées par le Code
et qui s'appliquent sous tous les régimes où la femme
ne s'est pas réservé certains droits d'administration.Mais elles subissent d'importantes modifications quand
les conventions matrimoniales ont accordé à la femme
des droits d'administration plus ou moins étendus sur
tout ou partie de sa fortune personnelle : c'est ce qui
arrive sous le régime de c2!11munaut~ conventionnelle et sous le régime exclusif de communauté quand
l~ femme s'est fait réserve de ,biens propres, sous la \
sépara lion do biens judiciaire ou contractuelle et enfin A'
sous le régime dotal quand il y a des paraphernaux
Avant d'aborder l'étude de ces dérogations au principe
de l'incapacité de la femme mariée, nous dirons
---
�-
204 -
quelques mots de la capacité de la femme en ce q_ui con·
cerne ses rapports avec son mari. Les contrats entro
époux ont, de tout temps, appelé l'attention du législa~
~Le droit romain ne les avait prohibés que dans
les cas où ils auraient violé les règles interdisant les '
donations entre époux. Notre ancien droit s'était montré
plus rigoureux et, redoutant les avantages indirects
que pourraient se faire les époux, leur avait interdit
toute convention polilvant amener une translation de
propriété. Le Code a gardé le silence et on se demande
s'il a voulu consacrer les théories du droit romain ou
celles du droit coutumier . . Nous croyons les époux
capables de contracter ensemble toutes les fois qu'une
~osition particulière ne leur a pas enlevé ce droit.
Pour soutenir cette opinion généralement adoptée,
on fait remarquer qu'il est de nombreux cas où il est
très-désirable que les époux puissent contracter ensemble et que les dangers que peuvent présenter ces
contrats ont été en grande partie écartés par le législateur qui a prohibé avec soin ceux d'entr'eux dont
les conséquences, difficiles à prévoir, pourraient ultérieurement causer préjudice à la femme. Ce système
crue les textes et l'esprit de la loi nous conduisent à
adopter nous paraît d'ailleurs très-défectueux. Il est
singulier que les rédacteurs du Code qui ont paru,
dans mainte ~irconstance, se défier avec raison de
l'influence que le mari exerce généralement sur sa
femme, aient reconnu la validité des contrats passés
entre époux : c'est ouvrir la porte à tous les abus. On
a répondu, il est vrai, à celle critique que le Code a
mulliplié les protections accordées aux femmes mariées, que le droit de prélèvèrnent qui leur est acc0rdé
----
-
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205 -
pour leurs reprises et, surtoul, l'hypothèque légale sur
les biens du mari constituent des garanties suffisantes.
Nous ne le pensons pas, car, outre que l'hypothèque légale ne présente dans certains cas qu'une garantie
illusoire, elle peut être cédée par la femme à un tiers
ou transportée par l'effet de la subrogation. Citons
toutefois l'exception qui se présente sous le régime
dotal : Ja ju}'~prudence fait de l'inaliénabilité du
fonds dotal une règle d'incapacité; d'où ces conséquences que l'obligation contractée par la femme,
même avec l'autorisation de son mari, sur les biens
dotau:;, ne peut être exécutée sur ces biens, même
après la dissolution du mariage et la cessation de la
dotalité. M:. Gide fait remarquer ici avec raison que
l'incapacité est le corollaire naturel de l'indisponibilité
et qu'en dépit des rédacteurs du Code qui se plaisent
souvent à proclamer la capacité naturelle de la femme,
~ rincipe du sénatus-consulte Velléien abrogé dans
I'arlicle 1431 s'est glissé furtivement dans nos lois
sous le manteau de !'inaliénabilité dotale.
§ III. lnfiuence de la séparation de biens sui· l'incapacité
de la femme man'ée.
Nous avons déjà indiqué l'influence que les conventions matrimoniales exercent sur l'ip.capacité de la
femme mariée. Ce que nous allons dire de la séparation de biens s'applique à tous les régimes sous
lesquels la femme s'est réservé certains droits d'administration sur sa fortune personnelle et notamment
au régime dotal, en ce qui concerne les paraphernaux.
L'article 1449 s'exprime en ces termes : ((La femme
�- 206 1
sêparée soit de corps et de biens, 'Soit de biens seule/ meut, en repr(3nd la libre administration. Elle peut
disposer de son mobilier et l'aliéner. Elle ne peut aliéner ses immeubles :;ans le consentement du mari ou
sans être autorisée de justice à son refus. »De graves
difficultés se sont élevées .sur l'interprét~tion de ces
dispositions qui paraissent en effet tout d'abord inconciliables avec celles de l'art. 217 qui nous dit formellement qlie la femme, même sépai·ée de biens, ne
peut donner, aliéner, hypothéquer, acquérir à titre
gratuit ou onéreux, sans le concours clu mari clans
l'acte ou son consentement par écrit. Divers auteurs,
et notamment MM. Rodière et Pont, ont cherché à les
expliquer en établissant une distinctiqn entre la
femme séparée de biens judiciairement et la femme
séparée par contrat de mariage : la capacité de la
première serait r églée par l'art 1449, celle cle la
seconde par l'article 217. Après avoir invoqué le sens
littéral des mots employés par le législateur, les partisans de cette opinion font r emarquer qu'il est parfaitement logique d'accorder à la femme séparée
judiciairement une capacité plus étendue qu'à la
femme séparée par contrat. Car, dans le prem1er cas,
jl est certain crue l'administration du mari a été mau·
vaise et il importe de laisser à la femme une liberté
d'action assez grande pour lui permettre de rétablit
sa fortune compromise. La séparal'.ion contractuelle
au contraire n'implique aucune idée défavorable
quant à la manière d'administrer du mari et il im·
porte, dès lors, de conserver les prérogatives de la
puissance maritale. Nous repoussons ce système qui
établit cles distinctions arbitraires que la loi n'a point
�-
207 -
songé à faire et nous croyons trouver la conciliation
des articles 1449 et 2i 7 dans ce principe que la faculté
d'aliénation du mÜbilier accordée à la femme séparée
est' une conséquence du droit d'administration qui lui
est dévolu. L'article 21.7 nous pose une règle. générale: la femme mariée, qui ne s'est point réservé par
contrat de mariage l'administration de ses biens ne
peut aliéner. L'article 1449 nous indique ensuite une
exception : la femme séparée reprend la libre admi-)
nistration de ses biens, elle peut aliéner son mobilier.
La corrélation des deux idées est évidente.
De ce que la femme séparée n'a le droit d'aliéner
son mobilier, et, par suite, de s'obliger, que comme
conséquence du droit d'administrer' il résulte qu'elle
ne peut passer sans autorisation que les actes que
cette administration rend nécessaires. Quelques difficullés se sont cependant élevées sur ce point. Il ei;t
hors de doute que l'aliénation du mobilier permise à
la_femme ne peut être faite à titre gratuit : outre les
raisons de qmvenance qui s'opposent à ce que la
femme puisse faire à l'insu de son mari des libéralités
peut-être honteuses, ou tout au moins déplacées,
nous avons un texte formel, l'article 905, spécial à
la matière des donations, qui nous dit que la femme
ne peut donner entre vifs sans l'autorisation de son
mari qu de justice.
Quant à l'aliénation du mobilier à titre onéreux,
tro~ opinions, successivement consacrées par la jurisprudence, se sont produites dans la doctrine.
L~ première, argumentant des termes généraux
de l'article 1449, soutient que la femme a une capacité
entière c~aliéner son mobilier, et que peu importe
lJ
�•·"
'
-
208 -
le motif de l'aliénation. De là résulterait naturellement pour la femme une capacité complète de s'oblig~r. Quelques arrêts, déjà anciens, ont statué en ce
sens. Ce système ne nous paraît pas .acceptable : il
est d'abord contraire aux précédents : la grande majorité des coutumes, en accordant à la femme séparée
le droit d'aliéner son mobilier, avait limité cette
faculté aux besoins de son administration. Le Code,
qui s'est montré moins libéral que l'ancien droit
quant à la capacité de la femme mariée, n'a assurément pas songé à étendre le droit d'aliénation de la
femme. Pour nous, comme nous le disions tout à
l'heure, l'art. 217 est la règle, et l'art. 1449 n'1;ist
qu'une exception qu'il importe de renfermer dans les
termes où elle est indiquée.
Le second système distingue entre l'aliénation directe et l'aliénation indirecte, autrement dit, entre
la vente et l'obli~ation. La _Rremière serait toujo~s
librement permise à la femme, la seconde ne serait
autorisée que si elle était contractée pour les besoins
de l'administration. On interdirait à la femme l'acquisition d'un usufruit ou d'une •rente viagère parce que
ce sont des contrats aléatoires qui nécessitent des
aliénations de capitaux et qui ne se rattachent pas
directement à l'administration du patrimoine. On
autoriserait au contraire l'acquisition d'un immeuble,
ou même de rentes sur l'Etat, parce que ces opérations peuvent constituer des placements avantageux
et que les conséquences s'en aperçoivent aisément.
Les partisans de celte opinion rappellent qu'au point
de vue juridique l'aliénation indirecte a toujours été
consiclérée comme beaucoup plus dangereuse que
�~
209 -
l'aliénation directe : c'est ainsi qu'à Rome la loi Julia
permettait l'aliénation du fonds dotal avec le consentement de la femme, tandis que l'hypothèque de ce
mêf!le bien était absolument interdite. l)e même la
femme pouvait payer la dett~ d'un tiers, tandis que le
sénatus-consulte velleien interdisait de le cautionner.
Les motifs de ces dispositions subsistent dans foute
leur force. La femme est beaucoup moins portée à \
aliéner, à consentir un acte qui exige un dépouillement actuel et irrévocable qu'une obligation à 1
échéance éloignée sur les suites de laquelle elle se fait /
facilement illusion.
"'
Nous préférons la troisièpie O.Pinion qui, après diverses oscillations, paraît définitivement adoptée par
la jurisprudence et d'après laquelle l'aliénation du
mobilier, faite sans autorisation par la femme séparée
de biens,. ne doit être considérée comme valable que
si elle est nécessitée pàr les besoins de l'administration. Dès lors il n'y aura pas lieu de distinguer entre
l'obligation et l'aliénation ; valables l'une et l'autre
quand elles ne dépassent pas les limites d'une large
administration, elles sont nulles dans le cas contraire.
L'article H24 cite en effet parmi les personnes incapables de contracter les femmes mariées dans les
cas prévus par la loi et l'art. 217 défend à la femme
toute aliénation et par suite toute obligation, car aux
termes de l'art. 2092 « quiconque s'est obligé personnellement est tenu de remplir ses engagements sur
tous ses' biens mobiliers et immobiliers présents et à
venir.» Maintenant l'article 1449 permet par exception à la femme séparée de bfë'Ils d'aliéner son mobilier comme conséquence de la libre administratio
14
�-
2i0 -
qui lui est accordée. Nous pensons donc que les tiers
ne pourront poursuivre l'exécution des obligations
contractées par la femme même séparée de biens, en
dehors des besoins de son administratic?_n, ni sur ses
meubles, ni sur.ses immeubles.
Une question fort controversée est celle de savoir
si, obligée pour les besoins de son administration,
l'obligation ainsi contractée, toujours exécutoire sur
les meubles, l'était aussi sur les immeubles. Plusieurs
auteurs, et notamment M. Demolombë1, se prononcent pour l'affirmative en disanùiüe la loi, en accordant à la femme la libre administration de ses biens,
a dù vouloir la rendre possible, ce qui n'aurait évidemment pas lieu ·si les obligations, pleinement valables, n'étaient exécutoires sur les immeubles. Ils font
remarqùer en outre, qu'en présence' de la généralité
des termes de l'article 2092 il e§t impossible de créer
arbitrairement une catégorie particulière d'obligations n'engageant que les meubles du débiteur. Nous
adopterons le système opposé : le Code .prend soin
de nous dire, à deux ou trois reprises différentes, que
la femme ne peut aliéner ses immeubles sans l'autorisation de son mari; il prenèC soin- de l; :rappeler
spécialement pour la femme séparée de biens dans
l'article H49 ; il serait singulier qu'une persçmne incapable d'aliéner directement certains biens pût les
engager par ses obligatio'ns. L'argument tiré de
1 M. Demolombe n'a pas osé d'ailleurs accepter entièrement les
conséquences rigoureuses de son système : c'est ainsi que bien
qu'il reconnaisse à la femme le pouvoir d'engager ses immeubles
par ses obligations, il lui dénie la faculté de les hypothéquer par
une argumentation plus que subtile de l'article 21'24.
�• - 211
i'art. 2092 nous paraît sans valeur : nous reconnaissons parfaitement qu'en règle générale toute obligation est exécutoire sur les meubles et les immeubles
du débiteur, mais la question est précisément de savoir si la femme peut encontracter une semblable. La
loi quiprotége avec un soinjalouxlafortuneimmobilière, nous paraît refuser énergiquement et dans tous
les cas, quel que soit le régime matrimonial, la faculté
d'aliéner un immeuble à la femme non autorisée.
Nous pensons même que l'incapacité de la femme
d'aliéner ses immeubles sans autorisation s'appliquerait au cas où il s'agirait d!un immeuble acheté par
- ..___
elle avec les économies réalisées sur ses revenus. On
objecte que la femme qui pouvait.dissiper ses revenus
doit avoir le droit de disposer de ses économies et que
le système contraire est un encouragement à la pro:digalité. Nous répondrons que peu importe l'origine
et la nature:de l'immeuble dont il s'agit : une fois
qu'il est acquis, qu'il est entré dans le patrimoine de
la femme, il doit être régi par les mêmes règles que
tous les autres biens immobiliers.
La principale difficulté qui se présente ici est de
déterminer les actes de la femme qui, ne pouvant
être qualifiés actes d'administration, devront être
soumis al'autorisation maritale. Nous pouvons déjà
formuler deux règles certaines : 1° La.femme séparée
de biens ne peut, sans autorisation, aliéner ses immeubles, ni à titre gratuit, ni a titre onéreux ; 2~
ne peut, sans autorisation, aliéner son mobilier à 'titre
gr11tuit. Nouf;l allons maintenant passer rapidement
en revue les questions susceptibles de soulever des
controverses.
---
.
--
�- 212 La femme peut-elle acquérir, à titre onéreux, soit
un meuble, soit un immeuble pour placer un capital disponible ? Certains auteurs se fondant sm· le
silence de l'art. 1449 prétendent qu'il faut s'en référer
exclusivement à l'art. 217 qui interdit toute acquisition à la femme füariée non autorisée. Cette théorie
ne nous paraît pas admissible : l'esprit de la loi a été
de permettre à la femme séparée tous les actes n'e){.cédant pas la limite d'une large adÎninislr.ation. Les
meubles peuvent se détériorer, les capitaux rester
improductifs, ce sera un acte de sage administration
d'aliéner les uns et de disposer des autres pour acheter des rentes ou des créances : pourquoi refuserait-on
à la femme le plar,ement le plus sûr, l'acqlüsilion
d'un immeuble? C'est ce que dit fort bie;-M. Demolombe : c< Quand la femme emploie .ses créances, ses
capitaux disponibles à l'acquisition d'un immeuble,
il y a là deux choses : d'une part un placement, un
emploi, de l'autre une acquisition, mais l'une est
principale, et l'autre seulement accessoire : l'une est
le but même etl'autre le moyen . .L'opération principale, le but enfin, c'est alors l'emploi d'un capital,
c'est-à-dire un acte que la femme séparée de bÎens
( _peut f;lire seule. Or, qui veut la fin, veut les moyens,
donc en ce s.ens et dans cette limite, l'art. 1;i49 déroge à l'art. 217 en ce qui concerne la capacité d'acquérir à titre onéreux. » Traité dit mai·iage et de la
sépamtion de corps , tome II, page 165.
Nous ne reconnaissons d'ailleurs à la femme séparée le droit d'acquérir qu'autant que l'acquisition
aura le caractère d'un acte d'administration. Il résulte de là que nous ne lui permettrons pas facquisi-
�..,-- 213 -
lion d\m usufruil ou d'une rente viagère, car de tels
actes constituent en réalité non plus un placement
mais une aliénation de capital et menacent ie patrimoine de la famille.
Le bail est un acte d'administration ; toutefois,
quàn il exéfde Ia durée de neuf années, la doctrine
universellement admise le considère comme un acte
~e disposition. La femme séparée de biens pou'ITà.":""
t-elle, sans autorisation, consentir des baux excédant cette durée ? Trois solutions ont été proposées.
Le _premier système, qui nous paraît le plus ration- ·
nel et que nous adopterons, refuse à la femme séparée le droit de passer des baux excédant neuf années.
De nombreux articles refusent à des baux d'une plus
longue durée le caractère d'actes d'administration.
L'art. 1429 nous dit que les baux que le mari a faits
des biens de sa femme pour un temps qui excède
neuf ans ne sont, en cas de dissolution de la communauté, obligatoires pour la femme ou ses héritiers
que pour la période de neuf ans qui se trouve commencée. Les articles 481, 595, 1718 relatifs aux baux
passés par les mineurs émancipés, par les usufruitiers, par les tuteurs, reposent tous sur cette idée générale qu'un bail de plus de ·neuf ans est un véritable acte _de dt_sposition. Pourquoi introduire une
dérogation qui n'est éërlte nulle part en faveur de la
femme séparée de biens et qui serait d'autant plus
inutile que la femme, en se faisant autor~ser, peut
consentir des baux d'une plus longue durée?
Le second système combat cette argumentation en
faisant remarquer que les articles que nous venons
de citer et qui considèrent les bau4 de plus de ~euf
�-
2.VJ. -
ans $._omme actes cle disposiLion s'appliquenl Lous à
des ad~inistrateurs de la fortune d'autrui et qu'il
serait injuste de soumeltre · indéfiniment la femme
mariée, l'usufruitier, le mineur aux conséquences des
actes qu'ils n'auraient pas consentis. Quant à la restriction apportée par l'art. 481 à la capacité du mineur émancipé, elle s'explique suffisamment par la
méfiance qu'éprouve le législateur pour tous · les
actes que passe celui-ci sans l'assistance de son curateur. Il n'y a d'ailleurs nullement analogie entre la
capacité du mineur émancipé et celle de la femme
séparée de bl.ens : cetle dernière peut faire seule
nombre d'actes qui sont interdits al!- premier sans
l assistarfée de sûn curateur tels que l'aliénation du
mobilier, un emprunt, le placement d'un capital. Les
partisans de cette opinion ajoutent que dans cetle
matière spéciale de l'incapacité de la femme mariée,
il convient d'user toujours de l'interprétation la plus
large et de ne pas restreindre les droits déjà trop
limités de la femme.
Ces arguments sont puissants, el, quant à nous,
nous serions très-disposé à reconnaître à la $mme
Ie droit de passer des baux à long terme, mais nous
croyons que telle n'a point été la pensée du législateur qui, voulant constituer une autorité domestique
forte et respectée, a restreint, autant qu'il l'a pu;lâ
capacité de la fejllme mariée. Nous nous en tiendrons
donc au premier système, repoussant encore une !!:Qi:
sième upinion qui, dans un but de conciliation entre
les deux systèmes que nous venons d'exposer, propose comme limite à la capacité de la fel}l!lle en
tière de ba~x celle de dix-huit ans au delà de laquelle
ma-
�-
21.i) -
les baux doivent êlre transcrits. Cette opm10n qui
s'applÎie -spécialement sur la loi du 23 mars 1855,
étrangère a la malière que nous étudions en ce moment, n'a trouvé que peu de partisans.
On s'est demandé si le mari, dont la femme s'est
réservé par suite des dispositions de son contrat de
mariage l'administration et la jouissance d'une partie
de sa fortune, ne conserve pas le droit d'intervenir,
en cas de mauvaise gestion, pour arrêter les dilapidations et les prodigalités de son épouse et notamment
s'il pourrait invoquer devant les tribunaux les prérogatives de la puissance maritale pour obliger sa femme
à restreindre ses folles dépenses dans l'intérêt du ménage et des enfants On invoque pour .l'affirmative
l'int,êrêt supérieur de la famille et le respect dû à l'autorité du mari : ce dernier, en acceptant un régime
matrimonialquilaissaità sa femme un~ certaine capacité, a naturellemenl présumé qu'elle en userait d'une
manière convenable, conforme à ce que réclame sa
dignilé d'épouse et de mère de famille : il manquerait
à son deyoir si, par une faiblesse coupable ou une
regrettable indifférence, il ne se préoccupait pas avant
tout de sauver le patrimoine de ses enfants que compromettent les prodigalités de la mère.
De leur côté, les partisans de la négative font
remarquer, non sans raison, qu'accorder un sem
blable droit au mari, c'est rendre illusoire la prétendue capacité laissée à la femme et tromper la légitime
allenle de celle-ci qui n'a sans doute conseati à se
marier qu'avec l'adoption d'un régime matrimonial
réservant son indépendance. La femme est d'ailleurs
propriétaire des revenus qu'elle s'est réservés en
f\
�-
:2H3 -
.propre, elle a donc le droit de disposer librement suivant son bon plaisir et ce droit doit aller jusqu'au jus
éibüt~di. Propriétaire, la femme doit avoir tous les
attributs et toutes les prérogatives de la propriété,
or, que deviendraient-ils s'ils pouvaient être constamment paralysés par le pouvoir rival du mari? Serait-il
admissible d'ailleurs qu'un mari dont l'inconduite ou
les désordres auront souvent amené une séparation de
corps ou une séparation de biens, fût admis à venir
entraver la libre administration de sa femme ? Ces
raisons sont extrêmement sérieuses, et,· bien que l'intérêt de la famille soit ici gravement engagé, nous
inclinons à refuser au mari le droit d'intervenir dans
l'administration des propres de sa femme, sauf, bien
entendu, son recours à la justice dans le cas où les
prodigalités de la femme seraient telles qu'il y aurait
lieu de la faire interdire. Mais, en règle générale ,
nous croyons qu'il n'y a pas lieu de rèstreindre arbitrairement les droits déjà si limités de la femme el
qu'en présence d'un texte obscur ou incertain, il faul
toujours se prononcer pour l'interprétation la plus
large et la plus conforme au droit naturel. Rappelons
d'ailleurs que, quel que soit le régime matrimonial, la
femme, même non autorisée, est toujours obligée envers ceux avec qui elle a contracté jusqu'à concurrence
du bénéfice qu'elle en a retiré, car le principe que nul
ne doit s'enrichir aux dépens d'autrui ne peut subir
aucune restriction.
�-
217 -
§ IV. De l'auton'sation exigée pow· ?·elev~r la femme
de son incapacité.
Sous cette rubrique, nous examinerons successive• ment deux points : 1. 0 Qui peut autoriser?- 2° A quel
moment et dans quelles formes doit se donner l'auto·
risation?
1o
Qui peut auto1·ise1· ?
En principe, l'autorisation doit émaner du mari,
mais le législateur, craignant que celui-ci n'abusât du
pouvoir qui lui était conféré, a donné aux ·.:gw le
pouvoir d'accorder à la femme, en cas de refus injuste
du mari, l'autorisation qui lui serait nécëssaire pop.r
un acte avantageux ou ulile. Dans certains cas particuliers, la justice exerce, au lieu et place du mari, le
droit d'autorisation, dans d'autres, au contraire, elle
ne peut jamais ren;iplacer l'autorisation maritale.
La justice exerce le droit d'autorisation:
1. 0 Q_uand le mari refuse d'autoriser sa femme à
ester en jugement (art. 21.8). Les termes de cet article
sont aussi généraux que possible : nous en conclu.rons que les tribunaux ont ici un pouvoir souverain
d'appréciation. C'est ce que dit très-bien ProuÇ!b.qn :
« Le mari n'est que le délégné de la loi dans l'usage
du pouvoir dont elle l'a revêtu ; la puissance publique
qui absorbe tous les pouvoirs publics peut, à plus
forte raison, les suppléer. »
2° Quand le mari est en état de déclaration, ou
même dë simple présomption d'absence, On a beaucoup , discuté sur le sens du mot « absent >> de l'article 212. On est unanime à reconnaître, en présence
•
)i
/
�-
2i8 -
de l'article 863 du Code de procédure, que la simple
présom__ption_d'absence permet à la femme de recourir
à la justice pour être autorisée, mais des conlroverses
se sont élevées relativement au cas de non présence.
Plusieurs auteurs ont refusé à la femme le droit de
s'adresser dans cette situation aux tribunaux, en •
disant que la non _présence du mari ne constilue
point l'impossibilité d' ob Lenir son autorisa lion.D'autres
au contraire, trouvent inadmissible, s'il y a urgence,
que la femme souffre cle la non présence cle son mari.
Il est certain qu'ici les textes font défaut et peut-être
serait-il sag~ cl'aclopler purement et simplement la
décision acloplée dans l'ancien droit et que Pothier
nous fait connaître en ces termes : cc Comme le mari
pourrait être trop éloigné pour donner l'autorisation
aussi promptement que le cas l'exige, nos coutumes
ont pourvu à cela en permettant en ce cas à l~ femme
de se faire autoriser par le juge. >>
3° Quand le mari est mineur ou interdit; ajoutons:
ou qu'il a été placé dans une maison d'aliénés. Rappelons ici qu'aulrefois le mari, même mineur, élail
habile à autoriser son épouse parce que la nécessité
de l'autorisation avait pour fondement unique le respect deJa puissance maritale; aujourd'hui que ce fondement repose principalmnent dans la confiance du
législateur en l'expérience et l'habileté du mari, il eût
été illogique de donner au mari mineur le pouvoir
d'autoriser sa femme pour des acles qu'il n'aurait pas
la capacité de faire lui-même.
Si le mari est majeur et la femme mineure, il l'assiste comme curateur clans tous les a-ctes où cette
assistance est nécessaire au mineur émancipé. Quant
�-
219 -
.aux actes que le mineur émancipé ne peut faire avec
la seule assistance de son curateur, la femme mineure
ne pourra les passer qu'en suivant les règles édictées en
ce cas par le Code, c'est-à-dire en demandant l'autorisation du conseil de famille et parfois l'homologation
èIUfribunal (art. 476, 482 et suiv.). Si le mari et la
~m.!!le sont mineurs le triJ?unal clési_g_ne un Cl!_r'ateur
à la femme pour l'assister dans les actes qu'elle voudra passer (art.2208), et ce curateur sera toujours
donné ad hoc, c'est-à-dire relativement à l'affaire spéciale pour laquelle il aura été nommé, car l'état de
femme mariée paraît incompatible avec l'établissement d'une curatelle perpétuelle et générale.
Si le mari est interdit ou placé clans un asile d'aliénés, le jug-e peut, en connaissance de cause, autoriser
la femme, soit pour ester en jugement, soit pour contracter (art. 222, loi du 30 juin 1838, art. 31 et suiv.).
Le Code ne prévoit pas le cas où le mari a reçu un
conseil judiciaire soit pour cause de prodigalité, soit .
pour cause de_faiblesse d'esprit. Un pr;mier système
soutient que le mari ne perd pas, clans ce cas, le droit
d~torisation, l'article 222 ne prononçant d'incapacité
que contre l'interdit. Cette opinion nous paraît inà.c~E_table : le demi-interdit est dans une situation
analogue à celle du mineur : il serait singulier de lui
reconnaître le pouvoir d'autoriser des actes qu'il serait
incapable de faire lui-même. Tout le monde est d'accord pour étendre aux individus pourvus d'un conseil
judiciaire les incapacités de l'article 442 concernant le
droit d'être tuteur ou membre d'un conseil de famille,
pourquoi restreindre ici le sens du mot interdit de
l'article 222?
�-
220 -
!I_n deu.xi~me système reconnaît au mari pourvu
d' un conseil judiciaire le droit d'autoriser sa femme
sous la condition de se aire assister de son conseil
dans tous les cas où cette assistance lui est nécessaire.
Il nous suffit de dire que le droit d'autorisation est un
droit es_sentiellement personnel au mari, inhérent à
sa personne, qui ne peut être délégué, pour montrer
que cette opinion est encore ~inad~sible que la
précédente. Nous pensons qtie le mari pourvu d'un
co,nseil judiciaire ne peut autoriser sa femme pour
tous les actes qu'il serai.t incapable de faire pour son
pr,opre compte, et cette décision nous paraît suffisamment justifiée par c~tte considération, que l'incapacité
cl' exde la femme mariée repose sur une présomption
...__
périence et d'habitude des affaires du mari. La femme
devra alors se faire autoriser par la justice.
L'article 507, par une dérogation remarquable à la
grande """i:·ègl; que les femmes sont incapables d'être
tutrices, permet au conseil de famille de nommer la
femme tutrice dé son mari interdit. On s'est demandé
si, dans cette hypothèse, la femme, pour administrer
les biens qui lui sont confiés, aura besoin de l'autorisation de la justice ou si on lui accordera les mêmes
pouvoirs qu'à un tuteur ordinaire. S'il s'agit des biens
personnels du mar~ ou dts biens de la communauté,
la femme, en les administrant, remplit le mandat que
lui a confié le conseil de famille en la nommant
tutrice ; sa capacité et ses pouvoirs ne sont point dès
lors réglés par les principes de l'autorisation maritale, mais par ceux de· la tutelle. Nous en dirons
autant pour tous les biens dont le mari avait l'admi.nistratiÜn et lajo-uissance comme chef de ïa . commu-
�-
22-l -
nauté, et .Q_Ot\r ceux dont la femme s'était réservé
l'administration par contrat de mariage. Il reste donc
àSe demander si la femme peut ester en justice et
fafre les actes qui excèdent la limite de l'administration. Plusieurs auteurs pensent que la femme peut
ester eU- justice , soit comme demanderesse , soit
·comme défenderesse, dans tous les cas où un tuteur
pourrait le faire (art. 464 et 465), c'est-à-dire pour
toutes les actions auxquelles peut donner lieu l'administration qui lui est dévolue; d'où cette conséquence
bizarre que la femme pourra exercer seule les actions
mobilières de la communauté et celles de son mari
interdit parce qu'elle est tutrice et non les siennes
propres, attendu qu'elle est mariée, et, comme telle,
a besoin d'une autorisation. Ce résultat peu logique
nous conduit à appliquer ici l'article 222 qui exige
""-que la femme ait une autorisation spéciale pour être
admise à ester en justice. Quant aux actes qui excèdent
la limite de l'administration, la femme devra se faire \
autoriser par la justice, s'il s'agit de ses biens personnels, par le consëiï de famille de l'interdit s'il s'agit 1
•
-l
des biens du mari ou de ceux de la communauté.
Enfin, la femme_ peut._ être interdite. Son m~ri,
devenu son tuteur (art. 506), la représente dans tous
les actes dela vie civile puisqu'elle a perdu, par le
fait de son intèrdiction, l'exercice de tons ses droits.
Si la tutellè de la femme avait été donnée à un tiers,
parce que lê mari en aurait été exclu, excusé ou destitué, nous pensons que ce tie~ _n'aurait nullement
besoin, pour· agir, de l'autorisation du mari; M. Demolombe fait remarquer avec raison que les règles
établies par la loi sur l'incapacité de la femme ma])iée
�-
f
222
~
ayant pour fondement le respect dû à la.puissance maritale, supposent nécessairement que celle-ci jouit de
ses facultés mentales et agit par elle-même.
4° La 'nstice exerce encore le droit d'autorisation
u lorsque le mari est frappé d'une condamnalion emportant peine afflictive ou infamante, encore qu'elle
n'ait été prononcée que par contumace » (art. 221),
mais seulement pendant la durée de la peine. Les
articles 7 et 8 du Code pénal nous énumèrent les
peines afflictives et infamanles : ce sont la mort, les
travaux forcés à perpétuité, la déportalion, les travaux
forcés à temps, la détention, la réclusion, le bannissement et la dégradation civique. L'arlicle 221 ajoute
que la déchéance du droit d'aulorisation ne frappe le
mari que pendant l.a durée de sa peine ; de là est née
la queslion de savoir si la peine de la dé.gradation civique, principale on accessoire, fait perdre au mari son
droit d'autorisation. L'affirmative a été soulenue en
présence de la g~néralité des termes de l'art. 221. qui déclarent déchu du droit d'autorisation tout mari frappé
d'une peine infamante, or, la dégradation civique est
une peine infamante. Nous nous rangerons, avec la
majorité des auleurs, à l'opinion contraire par les
motifs suivants qÜe nous développerons oralement :
1° La dégradalion civique, principale ou accessoire,
est une p_:ii~erpj_tuelle qui ne peut prendre fin que
par la réhabilitation ; or, les expressions employées
par l'article 221 indiquent clairement que la déchéance
du droit d'autorisation maritale n'a qu'une durée
limitée : ce serait donc violer ce texte de· loi que d'appliqU.ër cette déchéance en cas de condamnation à la
dégradation civique, comme peine principale.
�-
223
2° Les incapacilés et déchéances qui frappent le con· .
damné à la dégradation civique sont limitativement
énumérées dans l'article 34 du Code pénal qui ne mentionne pas le droit d'autorisation maritale.
3° Il serait illogique que le mari condamné à la (
dégradation civique accessoire recouvrât, à l'expiration de sa peine, le droit d'autorisation, tandis qu'il
en serait à jamais déchu en cas de condamnation à la
dégradation civique principale.
L'article 22i n'est pas absolument précis quand il
dit que le contumace demeure déchu du droit d'autorisation cc pendant lad urée de sa peine. » Il eût été plus
exact de dire «tant que la peine n'est pas prescrite. »
L'autorisation exigée pour relever la femme de son
incapacité ne produit pas les mèmes effets, suivant
qu'elle émane du mari lui-mème ou de la justice. L
mari, en autorisant sa femme, ne s'oblige pas luimème cc qui auctor est se non obligat, » mais si les
époux sont mariés sous le régime de la communauté,
le mari se trouvera, en fait, personnellement obligé,
puisqu'il répond de tous les engagements de la communauté et que la femme dùment autorisée a pu. valablement obliger cette dernière. Il en sera de même
chaque fois que le mari auquel le contrat de mariage
aura attribué des droits de jo-qissance sur les biens de
sa femme, autorisera un acte intéressant ces biens,
comme une vente : son usufruit sera perdu. Cette
conséquence ne se produit jamais si l'autorisation
émane de la juslice : les droits conférés aux créanciers
par les obligations de la femme ainsi autorisée ne
pourront j~mais s'exercer que sur les biens personnels de celle-ci et jamais sur ceux du mari et de la ·
�-
224
~
communàuté, et, lorsque par suité des conventions
mâtrimo~iaÎes, le mari aura lajouissanc~ des revenus
de la femme, ils ne pourront poursuivre le remboursement de leur créance que sur la nue propriété des
biens de la femme débitrice. La loi n'a pas voulu que
le mari pût, en aucun cas, avoir à souffrir des obligations résultant de contrats auxquels il est resté étranger ou qu'il a refusé d'autoriser.
Il est même. des cas où, par suite de la gravité des
conséquences qui pourraient en résulter, l'autorisation
de la justice ne peut suppléer celle du mari : la femme
. qui ne pourra obtenir l'a-ssentiment de son mari se
trouvera alors dans l'impossibilité absolue d'agir et
aucun recours ne lui sera ouvert. Ces cas sont au
nombre de quatre :
1° L'autorisation. de justice ne peut suppléer l'autorisation maritale quand il s'agit de l'aliénation des
immeubles dotaux pour l'établissemënt dès enfants
cmnmuns. Le légisiafeur a pensé que, dâns une affaire de cette importance, le mari devait décider souverainement et que nul mieux que lui n'était en état
d'apprécier sainement l'utilité de l'aliénation proposée.
Remarquons d'ailleurs que l'autorisation maritale
n'est exigée que si l'aliénation doit être faite dans
l'intérêt des enfants communs ; s'il s'agissait de l'établissement des enfants nés d'un premier mariage de
la femme, l'autorisation de justice serait suffisa'n.te
pour rendre possible l'aliénation des biens dotaux. Le
législateur a craint ici que l'affection douteuse du
beau-père pour les enfants du premier lit de sa femme
le rendît peu favorable à l'idé.e d'une aliénation faite·
en leur faveur ;
,1
�-
22~
2° ta femme ne peut compromettre qu'avec l'au torisation du mari. Le compromis en effet, acte par
lequel on confie à l'arbitrage d'un tiers la solution
d'un différend, exige beaucoup de réflexion et de maLurilé : la loi a cru devoir le subordonner à l'autorisation du ·mari (Art. 1004 et 83 6° du Code de Procédure);
3° L'autorisation de j nstice ne peut encore suppléer
l'autorisation maritale quand il s'agit pour la femme
d~ccepter les fonctions d'exécutrice tes lamentaire.
(Art. 1029.) La personne qui en est investie a une
mission délicate et pénible, et, sans toucher aucune
rétribulion, elle engage gravement sa responsabilité.
Ces raisons ont paru suffisantes pour exiger dans ce
cas l'autorisation du mari ;
4° L'autorisalion de justice est insuffisante à habiliter la femme à faire le commerce . (C . Co., art. 4.) Cette
dernière exception a été discutée et présente certaines
difficultés que nous développerons en étudiant notre
sixième paragraphe.
'
20 A quel moment, et dans quelles formes doit se donner
l'autoi·isation.
L'autorisation peut être donnée ' avant l'affaire que
la femme se propose de conclure ou au moment même
·où l'affaire se conclut. Peut-elle être donnée a:2:tjs et
produit-elle alors les mêmes effets? Plusieurs auteurs
ont soutenu l'affi;:mative en 'faisant remarquer que
l'acte passé par la femme sans autorisation n'était
point un acte nul, mais simplement un acte incomplet, vicieux, que ce vice disparaît du moment
que le mari autorise et que l'acte réunit dès lors
,15
�-
226 ~
toutes les conditions de la validité. Ce système a été
~q_t!§.§_é avec rais.on par la majQrité des auteurs : le
consentement donné par le mari postérieurement à
l'acte ne sera point sans doute dénué d'effet, mais ce
ne sera qu'une ratification et non une autorisation.
Ce n'est point u~ple question de mots : . la distinction qu'il importe de faire nous ·conduira à des
conséquences très-différentes. L'acte passé par la
femme sans autorisation donne ouverture à deux
actions en nullité : l'une au profit du mari dont la
puissance maritale a été méprisée, l'autre au profit de
la femme qui n'a point été protégée conformément
ai1.vœu de la loi. Nous comprenons très-bien que
l'?-ction en nullité qui compéLe au mari soit éteinte
par une ratification postérieurement intervenue, mai3
nous ne voyons pas pourquoi la femme se trouverait
en même temps dépouillée d'une action qui a été organisée dans son intérêt, qui est née à son profit et
dont seule elle doit pouvoir disposer. Nous savons en
effet que l'incapacité de la femme mariée n 'a pas pour
fondement unique le respect dû à la puissance mari·
t~e mais qu'elle repose ainsi sur son ~nexp~ience
habiluell13 des affaires : cette manière de voir nou8
paralt pleinement confirmée par l'art. 1304 qui accorde à la femme, pour attaquer les aeles qu'elle a
consentis sans autorisation, un délai de dix ans à parti~e la dissolution ~u mariage;-;à'n s distingu; si le
mari en a eu ou non connaiss.ance.
Le système opposé qui prétend que la ratification
postérieure du mari donne à l'acte p~ssé par la femme
une validilé complète, ei·ga omnes, s'app_:g~ d'abord
sur les travaux préparatoires. L'art. 217, dans le pro~
~
'
�- 227 jet du Code, comprenait un d'euxième _alinéa, ainsi
cOïîÇU: « Le consentement du mari, quoique postérieur à l'acte, suffit pour le valider. » L'assemblée
générale ciu Conseil d'Etat avait adopté cette rédac, Lion et si ce deuxième alinéa ne se retrouve point
dans la rédaction nouvelle que proposa la section de
législation, ce n'est pas parce qu'on a voulu abroger
la disposition qui s'y trouvait, mais parce qu'on a
craint qu'une trop large interprétation lui fùt donnée.
- Ce raisonnement nous paraît subtil et hypothétique : n'est-il pas plus naturel de penser que si cet
alinéa fut retranché, c'est que le principe qu'il consacrait ne fut pas admis?
On invoque encore l'article 183 qui déclare éteinte
l'action en nullité de mariage appartenant au fils ou
à la fille qui s'est marié sans le consentement de ses
parents, toutes les fois que le mariage a été approuvé
expressément ou tacitement par ceux dont le consen~
tement était nécessaire. Cet argument nous touche
peu ; l'analogie qu'on veut établir entre les deux cas
n'est qu'apparente : l'art. 183 constitue une règle
exceptionnelle édictée en faveur de la validité des
mariages. De même, c'est en vain que l'on dira que
la femme ayant laissé son mari ratifier l'acte qu'elle
avait consenti a, par le .fait, renoncé à exercer son
action en nullité ; l'art. 1304 que .nous avons déjà
cité, nous paraît répondre suffisamment à cette objection ; nous concluons donc qu'un acte passé par la)
femme sans autorisation ne pourra être ratifié, pendant le mariage, que par les deux époux conjointement ou, tout au moins, par la femme dûment autorisée.
�~
228
-~
On a cependant'proposé, pour les actes que l'autorisation de justice suffit à valider, une exc.e})tion qui
nous parait équitable : même ac.cordée poslérieurement à l'acte, l'autorisation de justice priverait 10
mari du droit d'intenter une action en nullité. Ce systême s'appuie sur le peu d'inlérêl qu'a généralement
le mari à faire annuler un ac.te que les magistrals ont
trouvé raisonnable et sur la situalion bizarre faite à
la femme qui, voulant faire valider l'acle qu'elle a
passé indûment, devrait d'abord le faire annuler pour
le passer de nouveau en se conformant à la loi.
L'arlic.le 223 établit la grande règle de la sR_éc.ialilé
de l'autorisation. La loi a pensé que le mari, appelé à
se prononcer sur chaque fait parlic.ulier po_u rra donner un consentement plus éclair~ et conservera ainsi
tous les droits inhérents à sa qualilé de mari qu'une
.aulorisalion générale aurait anéantis. Le principe de
la spéc.ialité serait violé si le mari aulorisaiL sa femme
à faire une série d'actes délerminés seulement par
leur nature : il faut que l'autorisation soit limitée à
des actes clairement indiqués et à une somme rigoureusement fixée. Deux exceptions existent cependant:
l'une écrite dans l'arlic.le 223 concerne l'administration cles biens de la femme : la loi autorise le mari à
donner à sa femme une autorisation générale d'aclmi~trer ses propres biens et cette dérogation est trèsraisonnable puisque les convenlions matrimoniales
peuvent réserver formellement à la femme le droit
d'administration de sa fortune personnelle 1• La
1 Le légi slateur paraît avoir confondu ici le mandat et l'autorisation. Si le mari autorise, en rlehors des sLipulations du contrat ·
�-
229 -
deuxième exception que nous ne fe~·ons qu'indiquer
ici, parce que nous aurons bientôt à y revenir plus
longuement, concerne la femme commerçante. (C. Co.,
art. 7.)
Quant à la manière dont l'autorisation maritale doit
être donnée, aucune règle spéciale n'a été tracée par
le Code. Tout le formalisme de l'ancien droit qui exigeait une autorisation expresse ëfl'emploi do mols
sacramentels a aujourd'hui disparu : l'autorisation
peul être écrite ou verbale, expresse ou tacite, donnée )
par acte aulhentique comme par acte sous-seing privé.
Cependant la doctrine et la jurisprudence refusent de
s'engager trop avant dans cette voie libérale: elles
ne reconnaissent comme suffisante, en fait d'autoris~9n tacile, riue celle résultant du concours du mari
dans l'acte. Cetle décision est rationnelle : si, en efl'el,
on est d'accord pour reconnaître que l'autorisatiou
maritale pourra, à défaut d'écrilure, être prouvée par
l'aveu el le serment, on cesse de l'êlre sur le point de
savoir si la preuve teslirrtoniale pourra être admise
conformément au droi.t commun (art. 1341 et 1347).
Il esl certain que ce sera imposer à' la. femme un embarras assez inutile que l'obliger à se munir, même
pour les actes d'une importance insignifiante, d'une
autorisation ·écrite, mais les termes précis de l'art.
217 et la cléfave~r connue avec laquelle est vue la
preuve testimoniale, nous portent à croire que le
législaleur a voulu écarter ici l'admission de la preuve
- par témoins.
de mariage, la femme à administrer ses propres biens, c'est en fnit
un manda.t qu'il lui at1ra donné et elle l'obligera sans s'obligel'
elle-même:
�-
230 -
Quant à la mapière dont se donne l'autorisation de
justice, nous en avons déjà dit quelques mots qui
nous dispensent de revenir sur ce sujet : nous nous
contenterons de citer l'art 219 qui ne présente d'ailleurs. aucune difficulté: <<Si le mari refuse d'autoriser
sa femme à passer un acte, la femme peut faire citer
son mari directement devant le tyibunal de premihe
instance de l'arrondissement du domicile commun
qui peut donner ou refuser son autorisation, après
que le mari aura été entendu ou dûment àppelé en la
chambre du conseil. » Si les époux étaient séparés de
corps ou ne demeuraient pas ensembl~, nous croyons
que le tribunal compétent serait celui du domicile de
la fem~e, car il ne s'agit point ici d'un procès à intenter contre le mari et il n'y a pas lieu d'appliquer
la règle actor sequi'tui· forum rei.
§ V. _:_.Des effets de l'i'ncapacité de la femme mai·iée.
L'incapacité de la femme mariée a pour sanclion la
n~U_g_é de l'acte qu'elle a passé sans autorisation. La
loi nous dit d'ailleurs formellement que celte nullité
n'est que relative et que la f~mme, le mari et leurs
héritiers seuls pourront l'invoquer (art. 225). Le Code
aa insi tranché une question demeurée assez obscure,
celle de savoir si, dans l'ancien droit, la nullité frappant l'acte passé par la femme non autorisée, était
absolue ou relative. Beaumanoir semble considérer
celte nullité comme relative puisqu'il déclare l'obligation valable après la dissolution du mariage, si le
mari est décédé sans l'ayoir attaquée. Cette opinion
fut critiquée par Dumoulin qui p1:oclame la nullité
�-
231 -
absolue rle l'acte fait sans autorisation et cette manière de voir fut adoptée par la coutume de Paris :
« Si la femme mariée fait un acte sans autorisation,
c.et acte est nul tant à l'égard du mari qu'à l'égard
d'elle-même. » (Art. 223.) Faut-il décider, en présence
de ce texte, que l'obligation du tiers est elle-même
frappée de nullité et que ce dernier aura qualité
pour l'allaquer ? La question est controversée : la
majorité des auteurs s'appuyant sur plusieurs passages de Pothier où cet auteur nous dit que cc le défaut de capacité rend absolument nuls les actes faits
par la femme »pense, que clans l'ancien rlroit, l'acte
passé par la femme non autorisée était frappé d'une
nullité radicale, d'où cette double conséquence qu'il
n'était susceptible d'p.ucune ratification et que toute
personne intéressée pouvait en demander la nullité 1/
Quoi qu'il en soit, la nullité édictée par le Code n'est
plus que relative : l'acte passé par la femme sans autorisation peut être ratifié soit pendant le mariage par
la femme dùment autorisée, ou par le mari en ce qui
le concerne, soit après le mariage, par la femme devenue libre. La ratification peut même être tacite :
elle résulle du silence gardé pendant dix ans par le
mari depuis le jour où il a eu conna.issance de racle
et par la femme depuis la dissolution du mariage.
L'art. 225 nous dit que l'acte passé par la femme
au mépris des dispositions de la loi sur la puissance
maritale peut être altaqué par la femme, par le mari
ou leurs héritiers.
i 0 Par la femme. - C'est là mie conséquenee de ce
principe, plusieurs fois indiqué déjà, qu~, i'incapacité
de la femme mariée repose sur un~ de protec,
�-
232 -
tioJ.1 : la femme n'a pas eu ici l'autorisation de son
Çari, elle n'a pas été protégée par son expérience et
ses eonseils, elle est clone eu droit do demander à êtro
restituée du dommage que l'acle ainsi passé pourrait
lui causer. La solution serait-elle la même si la femme
s'était présentée au tiers contraclant comme fille ou
comme veuve ? Nous n'hésitons pas à répondre affirmativement, car les tiers doivent s'enquérir cle la
capacité cle la personne avec laquelle ils traitent et ils
ne pourront s'en prendre qu'à leur incurie du préjudice qu'ils éprouveront peut-ê tro nllérieurement cle
l'annulation cle l'acte. Nous mellolis évidemment à
part l'hypothèse où la femme, pour faire croire à su
complète capacité, aurait employé, vis-à-vis des tiers,
des manœuvres frauduleuses, nous savons en effet
que la femme, même mariée, demeure toujours responsable de ses délits. La même question a été posée
et on a discuté longuement - et assez inutilement à
notre avis - pour le cas où la femme qui a contracté
sans autorisation passait, aux yeux de tous, pour une
fille ou pour une veuve. On s'est demandé s'il fallait
appliquer la règle e?·ro1· communis facit jus : c'est uno
question de fait qu'il faut laisser à l'appréciation des
tribunaux : ceux-ci admettront ou rejetteront l'action
en nullité cle la femme suivant que l'erreur des Liers
aura été ou non excusable.
2° Pai· le ma1];'. - Ce droit lui appartient parce que
son autorité a été méconnue et qu'elle ne constituerait cill'un vain mot s'il n'avait aucun moyen de la
faire respecter. C'est clone un droit reposant essentiellement sur des considérations morales: nous en
tirerons cette conclusion qu'il doit"clisparaître quand,
•
�-
233 -
le mariage étant dissous, la puissance maritale a cessé
d'exister. Remarquons d'ailleurs qu'au point de vue
pécuniaire, le mari n'aurait aucun intérêt à l'annulation de l'acte puisque ses droits restent intacts,
même dans. le cas où la femme a obtenu l'autorisation
de la justice, et, a foi·tt"oTi, quand e~e a passé un acte
sans aucune autorisation.
3° Pai· les héritiei·s du mari et de la femme. - L'arLicle 225 après avoir dit que l'action en nullité peul
•
être exercée par la femme ou par le mari ajoute :
« ou par leurs héritiers ». Cette disposition présente
des difficultés : on conçoit fort bien que l'action en
nullité de la femme passe à ses héritiers, car elle
comprend un intérêt pécuniaire et fait dès lors partie
du patrimoine qui leur est éclm; mais quel titre
peuvent invoquer les héritiers du mari pour intenter
une action que leur aulcur n'aurait pu exercer si le mariage s'était dissous par la mort de la femme, action
qui d'ailleurs ne présenle qu'un intérêt moralinhérent
à la ·personne du mari? On a beaucoup cherché pour
arriver à ùonner à ces derniers mots de l'art. 225
une interp1'étation raisonnable. Quelques-uns pensent
que par ces mols « leurs héritiers ii la loi a voulu désigner les enfants communs. Même en les comprenant ainsi, ces expressions seraient inexactes car cc
n'est que comme héritiers de leur mère que les enfants COlnmuns pourraient agir. D'autres ont pensé
que le législateur avait voulu faire allusion aux cas
Lrès-rares où les héritiers du mari auraient un intérêt
pécuniaire à poursuivre la nullité : par exemple si la
femme avait refusé, sans autorisation, une succes~ion
purement mobilière deyari.t toinber clans la commq~
•
�-
234 -
naulé. Peut-être est-il plus simple de dire, avec la
majorité des auteurs, que ces mots «OU leurs héritiers,;
de l'art. 225 ne trouven.t aucune explicationpla11sibli:i
et qu'il y a lieu de les attribuer à une erre_.llr do
r~daction du 16gislateur.
L'énumération de l'article 225 parait limitative, cependant il est divers cas clans lescruels la dQctrine et
1 jurisprudence s'accordent à étendre l'application de
l'action en nullité. Nous pensons, en effet, que les
·réanciers de la femme qui se trouveraietit lésés par
l'acte qu'elle aurait consenti sans autorisation, doivent
être admis à en proposer la nullité. Le droit accordé
à la femme mariée d'attaquer les contrats qu'elle a
passés seule ne nous paraît pas être un droit exclu~ivement attaché à la personne ; il est; avant tout,
pécuniaire et, comme tel, est compris clans la généralité de ceux dont parle l'art. 1166. Au contraire, on
est presque unanime aujour 'nui à refuser à la caution de la femme l'exercice de l'action en nullité et
nous suivrons cette oplnio n qui s'appuie sur des textes
autorisant formellement le cautionnement des obligations naturelles et ne permettant à la caution
d'invoquer que les exceptions inhérentes à la dette
elle-même et non celles personnelles au débiteur principal (art. 20i2 et 2Q36).
~e donateur peut-il demander la nullité d'une donation que la femme a acceptée sans autorisation ?
Deux systèmes, s'appuyant l'un et l'~utre sur des arguments extrêmement sérieux ont été présentés. Les
partisans de l'~ffirmative invoquent d'abord l'article 938 : « La donation, dîiment acceptée, sera parfaite
par le seql consentemcl}t des parties, >i Or, une clona-
.
�-
235
~
tion que la femme accepte, sans s'être fait autoriser,
n'est pas dûment acceptée ; el{e ne lie donc pas le do·
nateur. On fait remarquer ensuite que la question de
forme a, dans la matière spéciale des donations, une
importance exceptionnelle et que la nullité prononcée
par le législateur en cas d'inobservation des règles
prescrites, est toujours ici une nullité absolue. - Nous
préférons le système _ol?_posé q_ui, ~similant le dona·
teur à tout tiers contraetant avec la femme, lui refuse
Texercice de l'action en nullité. En règle générale,
iëS-actes passés par un incapable ne sont frappés que
d'une nullité relative (art. 1125) et rien n'indique que
l'art. 934 ait voulu apporter une dérogation aux principes : ce texte nous renvoie au contraire aux articles
2'17 et 219 ; n'est-ce pas adopter, par suite, les
dispositions de l'art. 225, dispositions qui .constituent
d'ailleurs le droit commun et aux.quelles on ne doit
pouvoir déroger qu'en présence d'un texte formel?
Ne serait-ce pas autrement violer le grand principe
de l'irrévocabilité des donations?
'Notre solution serait la même dans le cas où la \
femme aurait exercé une surenchère, sans autorisa- \
tion, après la vente par autorité de justice d'un immeuble qui aurait été hypothéqué. Nous dénierons à
l'adjudicataire de l'immeuble le droit d'intenter contre
la femme une action en nullité. - Et cette manière
d'interpréter la loi doit, à notre avis, être étendue aux
actes ~uc!_iciaires. Le défaut d'autorisation ne permetlra as au~ tiers de demander la nullité des assignalions que la femme leur aura fait signifier : leur droit
se bornera à mettre le mari en cause ou â faire
déclarer la femme non recevçible tant qu'ene µ'aura
)
-
�-
236
~
pas rapporté l'autorisation de son mari ou de jus·
tice.
L'action en najlité se prescrit par dix ans : nous
avons déjà dit qu'e1le pouvait s'éleindre avant ce laps
de temps par la confirmation, la ratification régulière
et l'exécution volontaire. En tous les cas, le délai de dix
ans ne part, pour la f~mme, qu~ de la dissolution du
~age car, tant qu'eUe est sous la puissance de son
époux, elle est dans l'incapacité morale d'agir, et,
pour le mari, que du jour où il a en connaissance <le
l'acte. On a remarqué-que ces décisions, juridiques et
rationnelles, avaient le tort cle placer les tiers, le
plus souvent coupables : cl'une simple imprudence,
dans une situation bien fâcheuse. M. Valette a cherché un remède à ce mal ét indiqué un nouveau système qui nous paraît excellent. Il consiste à accorder
aux tiers qui, ayant traité avec la femme dans l'ignorance de son incapacité, en sont ultérieurement avertis, le droit de refuser d'exécuter le contrat jusqu'à
ce que la femme ait justifié de l'autorisation du mari
ou de celle de justic:e. Peut-être même faudrait-il, en
s'appuyant sur les termes de l'art H35, reconnaître
aux tiers le droit de sommer la fe~me de se faire
valablement autoriser dans un délai que fixera le
tribunal.
Si la femme intente l'action en nullité qui lui çst
accordée par nos lois, à qui incombera le fardeau de
la preuve ? est-ce à elle à prouver qu'elle n'était pas
autorisée ou au Liers à prouver qu'elle l'était valablement? Nous n'hésitons pas à exiger la J?reuve du
tiers, lWin qu'il soit défendeur : en fait, l'incapacité
f.fëla femme est la règle normale, ,c'e&tà celui qui
�-
23'1
~
prétend qu'il y a été dérogé à fournir du fait qu'il
avance une preuve convaincante. Exiger une pr:euve
de la femme, ce serait l'obliger à prouver un fait
négatif, ce qui est souvent impossible et toujours
difficile : suivons donc la maxime ordinair~ probatio
incumbit ei qui dicit non, ei qui negat.
Dne nullité peut être proposée de deux manières :
ou par voie d'action ou par voi~ d'exception: par voie
d'action si celui au profit duquel existe la nullité
, prend les devants et l'invoque ; par voie d'exc-eption
si celui au profit duquel elle existe, étant actionné en
exécution du contrat, oppose la nullité au demandeur. Le délai qui existe pour l'action en nullité est-il
le même par la voie d'exception ou faut-il observer
ici l'ancienne règle quœ tempomlia simt" ad agendum
peipetua sunt ad excipiendum ? Sous le dr:oit romain on
admettait que l'action était temporaire et l'exception
perpétuelle. L'ordonnance de 1539, dans notre ancien
droit, abrogea la maxime romaine ; si, en droit romain, l'exception de dol par exemple était perpétuelle
et l'action temporaire, cela venait de ce que l'action,
étant infamante, n'était donnée qu'à défaut de tout
autre moyen de protection, ce qui rendait nécessaire la perpétuité de l'exception. Dumoulin critiqua.
vivement les dispositions de l'ordonnance de i039 et
telle était son influence qu'on continua d'appliquer la
maxime romaine. Le Code a gardé le silence à ce
sujet ; que faut-il décider? Un premier système invoquant l'article 1304 qui ne permet pas de demander la
nÙllité après dix ans, la présomption de ratification
inséparable d'un si long silence et enfin l'ordonnance
de 153û, déclare ét~nte mèmc l'exception de nullité 1
�•
.,
à rès un délai de dix ans . Ce système n'a pas triom·
phé dans la pratique ; nous reconnaissons que le
droit.romain, pour adopter l'autre opinion à laquelle
nous nous rallions, pouvait faire valoir des raisons
qu'il nous est impossible d'invoquer, mais l'art. 1304
ne .limit~ à dix ans que l'action et non l'exception de
nullité ; en éteignant l'aétion, l'art 1304 se fonde sur
une présomption de ratification qu'on ne peut admettre chez celui qui, n'ayant jamais exécuté le contrat,
est demeuré dix ans sans l'attaquer. N'est-il pas rationnel de penser que l'action n 'a pas été intentée
parce que l'exécution n 'était pas réclamée ? Pourquoi
forcer un homme, que p.ersonne n'inquiète, à intenter, pour sauvegarder ses droits, un procès scandaleux? Ces molifs ont ·déterminé la .jurisprudence à
considérer comme perpétuelle l'exceplion de nullité.
(Tolùouse, 1•r jq.illet 1850. - Cass., décembre 1~9.)
§ VI.
~
Situation pa1·ticulière de la femme marchande
publique.
Les règles que nous venons d'exposer subissent de
graves modifications quand la femme est marchande
. publique ~ Nous trouvons la première dans l'arti~le 4
r du Code de Commerce : « La femme ne peut être marchande publkPW Sa"n s le consentement de son mari. »
Les termes sont aussi formels et aussi précis que
possible ; ils indiquent nettement la pensée du législateur de .considérer l'autorisation de justice comme
insuffi~te pour habiliter la femme à faire le corn·
merce. Cette décision s'explique : le commerce con·
siste en une série ind6finie de fails dont il est impos~
--
�- 239 sihle de prévoir exactement les conséquences et de
nature à compromettre la fortune et même l'honneur
de la famille. Il faut pour gérer les affaires commerciales de l'expérience, de la maturité, du jugement: le tribunal n'a pas les éléments nécessaires
pour vérifier si la femme possède ces qualités : le
mari seul peut décider en connaissance de cause. Ce
'SYstèÏne qui nous paraît si clairement établi par
l'art. 4 précité du Code de Commerce est encore confirmé par l'art 142~ du Code civil qui décide que lorsque là femme contracte comme marchande publique
et pour le fait de son négoce, eDe oblige la communaulé et par conséquent le mari. Or, nous avons dit
plus haut, que tel n'était jamais l'effet produit par
l'autorisation de justice dont les intérêts du mari ne
devaient en aucun cas avoir à souffrir. On a cependant soutenu que lajuslice pouvait autoriser la femme
à faire le commerce et on a invoqué, en ce sens, la
généralité des termes des articles 219 et 224. Celte
inexacte
théorie nous paraît .
_ _ ; les dangers que présente le commerce, l'injustice qu'il y aurait à laisser
le mari souffrir d'actes qu'il n'aurait point autorisés
nous déterminent à considérer ici l'autorisation de
juslice comme insuffisante ; mais nous serions assez
disposé à accepter un tempérament que d'excellents
auteurs ont proposé et qui nous paraît aussi logiqua
en théorie qu'utile au point de vue pratique. Il con~\
sisle à . accorcl~ir an juge le droit d'autorisation chaque )
fois que le mari, mineur, interdit ou absentj sera in•
capable de la donner . Les partisans de ce système
foul remarquer que l'article 4, en exigeant l'aulorisalion dt1 mari pour les aclcs commerciaux, suppose
�-
240 -
évidemment au mari la capacité de consentir. Il serait
trop rigoureux d'interdire le commerce à une femme
dont le mari serait absent ou interdit alors qu'elle
peut y trouver les ressources qui sont nécessaires à
ses besoins et à ceux de sa famille et telle n'a point
dû être certainement l'intention du législateur. Les
raisons d'équité qui 'µiilitent en faveur de ce système
nous déterminent donc à l'adopter et c'est dans ce
sens qu'a résolu la question un récent arrêt de la Cour
•
de Paris (7 juillet 1~60).
. pei..ü toujours
mari
le
Nous pensons d'ailleurs que
révoquer l'autorisation qu'il a une fois accordée
pourvu que cette révocation soit de bonne foi et non
faite à contre-temps . (Ar l. 1869.)
On s'est demandé SI l'engagement de Ja femme
dans une entreprise dramatique ou la . publication
d'œuvres littéraires cons tituent des actes commerciaux et par suite ne peuvent êlre autorisés que par
le mari seul : nous nous prononçons pour l'affir alive car, outre le caractère évidemment ~~e de
ces actes, ils présentent un intérêt moral qu'il est
j nsle de soumettre à l'approbation souveraine du
mari, saufle cas où celui-ci serait incapable.
Si le Code s'est montré difficile en matière d'autorisation pour la femme marchande publique, en revanche il accorde à celte autorisation une fois donnée
des efîe.ts plus étendus q"!le ceux qu'eJle produit ordinairement. Nos anciennes coutumes avaient déjà formulé pour la femme commerçanle des règles spéciales et lui accordaient, en ce qui concerne les acles
relatifs à son négoce, une capacité très-étendue. << La
femme, dit la Coutume de Paris, se peut obliger sans
�son mari, touchant le fàit et dépendance de la dl.te
marchandise. )) (Art. 235.) Ces principes du droit coutumier quejustifient la faveur accordée au commerce )
et la rapidité nécessaire à la conclusion des affaires
commerciales ont passé dans notre Code. (Art. 220
C. Nap., 5 et 7 C. Co.) Les termes employés par l'art.
220 ne sont pas très-;précis : il est inexact de dire que
la femme commerçante peut s'obliger sans l'autorisation de son mari ; ce qui est vrai, et c'est là qu'est
la dérogation à ia règle générale, c'est que l'autori-\
sation, une fois donnée par le mari, est valable pour I,
tous les actes commerciaux. La capacité de la femme
est alors très-étendue : elle peut s'obliger, engager,
hypothéquer, aliéner ses immeubles, sauf le respect
dû aux principes de !'inaliénabilité du fonds dotal. _,.
S'il y a communauté entre les époux, la femme marchande publique qui s'oblige oblige aussi son mari.
(Art. 1426.) Nous croyons cependant que cette règle
doit être appliquée avec modération: repoussant donc
la doctrine de l'ancien droit qui allait jusqu'à déclarer
le mari contraignable par corps quand l'obligation
souscrite par sa femme était exécutoire par celte voie,
nous pensons que la dette contractée par la femme
se partagera naturellement à la.dissolution de la communauté et que le payement de la moitié pourra seul
être réclamé au mari par les créanciers, car celui-ci
n'est en réalité engagé que comme chef de la
communauté. Ce système n'a pas été universellement ad op té ; quelques auteurs, loin de suivre
cetle opinion, enseignent même que le mari est responsable des engagements commerciaux de sa
femme sous le régime dotal quand il y a des para16
�,
- 242
phernaux : le mari étant usufruitier, di~ent-ils, pl'ofite des bénéfices que rapporte le commerce, il est
juste qu'il supporte les pertes qui en peuvent résulter. - La question revient à. savoir si les bénéfices
du commerce peuvent être considér~s comme des
fruits et ce caractère qu'on leur vent attribùer paraît
très ~ntestabJe. (Art. 1498.)
La femme commerçante n'est . pas relevée, par
l'autorisation générale de son mari, de toutes les incapacités qui la frappent en qualité de femme mariée.
Elle demeure toujours inca1)2-bl~ i;!'~ster en justice
(Art. 2<1.5) et cette décision nous paraît équitable, car
un procès n'est qu'un accident, aussi bien dans la vie
commerciale que dans la vie civile et la nécessité
d'une autorisation particulière dans cette hypothèse
ne semble pas de nature à pouvoir entraver le négoce
de la femme. L'art. 220 noùs dit d'ailleurs formellement .que si la femrrle'Peut s'obliger seule, sans l'assistance de son mari, c'est «pour ce qui concerne
son négoce ; » pour tout le reste, elle retombe sous
l'empire du droit commun. Il suit de là que, quand
op. a_!.!aq)le ~n acte souscrit ar une femme commerçante, il importe d'examiner avant tout si cet acte a
c~é ~on_gégoce La question est souvent fort
délicate : point de difficultés quand le caractère commercial sera indiqué par l'acte lui-même, par exemple,
si c'est une lettre de change, mais que décider si c'est
un acte juridique quelconque qui peut,' suivant les
circonstances, être ou non relatif au commerce·,
comme un emprunt, une hypothèque ou une vente
1
d'immeubles ? Y a-t-il ou non présomption de corn~
mercialité ?. Le fardeau de la preuve incombe·t-il à
l
.
�-
243 -
àù\
celui qui attaque l'acte comme n'étant point relatif
commerce ou à celui qui soutient la validité de cet \
acte en prétendant qu'il était commercial ? Cette question a donné lieu à de vives controverses 1 • Ceux qui
soutiennent la non commercialité de l'acte passé par
la femme font remarquer que la présomptiol;l_ de
commercialité n'a été écrite nulle part da~s nos lois
et qu'on doit d'autant moins l'admettre, en dehors
d'un texte for.mel, que la capacité de la femme marchande publique constitue une exception. L'exception ne se présume pas, c'est à celui qui l'invoque à
la prouver. Admettre la présomption de commercialité conduirait à un résultat absolument opposé à
celui qu'a poursuivi le législateur et qui est de faire
obtenir du crédit aux femmes commerçantes : les
Liers, en e.ITet, ne sachant quel parti la femme prendra ultérieurement qmmt à l'acte qu'elle aura passé
avec eux, et ne se sentant pas en sécurité, ne consentiront que difficilement à lraiter avec elle.
Nous repoussons ce système qui restreindrait singulièrement en pratique les avantages que la loi a
voulu faire à la femme commerçante et nous nous
prononçons pour la~ J?.résompgon de ~ommercialité.
A tous les arguments qu'il est 'fil.cile de déduire des
art. 220 C. Nap., 5 et 7 C. Co ., nous en ajouterons un
aulre tiré de l'art. 638 du Code de commerce. Il est
incont(jstable qu'en l'absence d'une disposition par1 Il importe de mettre en dehors de la discussion tous les actes,
même civils, que la femme aurait expressément déclarés, au moment du contrat, relatifs à son commerce . La femme étant marcl:umde publique, le tiers n'avait point à contrôler l'exactitude de
·
sa déclaration.
\Q
�~
244 -
/ ticulière la femme commerçante cloit être assimilée à
\ tout autre négociant, or, cet article 638 nous dit que
« les billets souscrits par un commerçant sont censés
souscrits pour les besoins de son commeree. » On a
voulu objecter que les présomptions légales sont de
droit étroit et qu'il faut éviter de les étendre, par
analogie,·cl'un cas à un autre. Cet argum.ent ne nous
paraît pas fondé ici , car le texte (le l'art 638, qui est
aussi général que possible, ne fait que consacrer,
dans une hypothèse spéciale, la règle de l'art. 7 du
même Code, en vertu de laquelle la femme mar/ chande publique peut aliéner et hypothéquer ses immeubles et, par suite, contracter valabltiment cles
.__ obligations. On a encore essayé de combattre l'argument que fournit, à l'appui du système de présomption de commercialité, l'article 638 du Code de commerce, en prétendant qÜe cêtarticle n'avait été die lé
que pour résoudre une pure question de compétence
et non une question ~e validité d'obligation. Nous ne
saisissons pas bien la portée de celle réponse : si la
I loi clit que tout acte passé par ;un commerçant sera
soumis, en cas de procès, à la juridiction commer{ ciale , n'est-ce pas dire formellerrl'ent que cet acte est
réputé acte de commerce?
Nous croyons donc que, jusqu'à preuve contraire,
t.Qut acte passé par une femme marchande p~b.!!_9.~
doit être réputé fait dans l'intérêt de son négoce et
nous repoussons également le système mixte proposé
par M. Toullier qui, s'appuyant uniquement sur
l'art. 638, établit une distinclion assez peu justifiée,
à notre avis, enlre les billets el tous les autres actes.
Nous n'hésitons point à dénier à la femme qui a
--
�.-
245 -
recu l'aut011>isation de faire un commerce déterminé,
le droit de se livrer à un autre genre d'affaires ; ce )
serait en effet donner aux dispositions de la loi une
extension qu'elles ne comportent pas. Des difficultés
se sont élevées sur le point de savoir si la femme commerçante pouvait s'associer des étrangers, et surtout
former avec eux ou avec son mari une société en nom
collectif. Nous ne voyons aucun motif raisonnable de
lui refuser cette faculté, pourvu bien entendu que ces
associations ne constituent pas, en réalité, un changemènt de commerce ou des modifications du contrat
de mariage ou une violation des règles édictées dans
les art. '1388 et suivants.
Telles sont les règles que nous avions à exposer sur
la condition civile de la femme mariée ; bien que nous
ayions eu à signaler çà et là, dans notre étude, quelques traces laissées dans nolre législation· par l'ancie1me théorie de la fi·agilitas sexûs, il est certain que
le respect dû à la puissance maritale est aujourd'hui
le fondement principal de l'incapacité de l'épouse. Si
nous voulons résumer cette discussion aéjà longue,
nous dirons que la femme mariée teuj ours incapable
d'aliéner sans autorisation spéciale, hors le cas où
elle est marchande publique, peut recevoir, par suite
des dispositions du contrat de mariage, des pouvoirs
d'administration plus ou moins étendus.
La loi reconnaissant à la femme une certaine capacité naturelle que l'état de mariage ne peut diminuer,
lui a refusé certaines protections que sa prétendue
faiblesse lur avait fait accorder clans certaines coutumes. Nous avons déjà signalé l'a"Qolition du douaire,
mentionnons celle du gain légal de survie :-les con~
�-
246 -
venLions matrimoniales peuventd'ailleurs reconnaître
à la femme le droit de reprendre en cas de renonciation à la communauté, son apport franc et quitte et
même stipuler un préciput en sa faveur. En fait, le
contrat de mariage contient presque toujours des do:
(
nations faites par les ascendants ou par des tiers aux
époux, ou par l'un des époux à l'autre. Le Code a dû
régler aussi cette matière des donations entre époux
par contrat de mariage, ou pendant le mariage, matière qui a subi tant de vicissitudes clans les législations précédentes. Les pays de droit écrit suivirent
le dernier état du droit romain, mais les pays coutumiers prohibèrent les donations entre époux, même
testameiÎtaires, tant ils redoutaient que l'affection mutuelle des époux ne les déterminât à dépouiller leurs
proches d'une partie de la fortune qui devait leur revenir un jour. Us n'autorisèrent que le don mutuel
,en le restreignant aux meubles et aux acquêts et sous
la condition qu'il n'y eût pas d'enfap.ts issus du mariage . La loi du 17 nivôse an li abro.gea l'ancien droit
et fit rentrer dan~ la classe commune des donations
celles faites par contrat de mariage ou pendant le
maria'ge de sorte qu'elles devinrent irrévocables: en
fait, le danger n'était pas bien grand pour la famille
puisque la quotité disponible était réduite au dixième
ou au sixième des bièns. Nous n'avons point à étudier
la législatioÏÎdu Code sur cette matière spéciale des
donations entre époux, nous nous contenterons de
dire que tout en les permettant, il les déclare e,aSfil!:_
tiellement révocables et de citer l'art. 1094 qui leur impose une sage 1imitation : cc L'époux pourra, soit par
contrat de mariage, soit pendant le mariage, et pour
---
�-
247
le cas où il ne lai:;serait point d'enfanls ni de descendants, disposer en faveur de l'autre évoux, en propriété, de tout ce dont tl pourrait disposer en faveur
d'un étranger, et, en outre, de l'usufruit de la ~ota
lité de la portion dont la loi prohibe la disposition au
préjudice des héritiers. - Et, pour le cas où l'époux
donateur laisserait des enfants ou descendants, ·il
pourra donner à 1'.autre époux ou un quart en propriéte et un autre quart en usufruit, ou la moitié de
Lous ses biens en usufruit seulement. »
Rappelons enfin que la femme n'a besoin d'aucune
autorisation pour révoquer les libéralités qu'elle a
faites à son mari pendant le mariage.
Il nous reste, pour terminer notre étude, à dire
quelques mots de la condition dans fa.quelle se trouve
la femme veuve, et des incapacités particulières qui
la frappent quand elle s'engage dans les liens d'un
nouveau mariage.
CHAPITRE III.
La femme veuve. - Incapacités particulières à la
femme remariée.
Le CodeJ avons-nous dit tout à l'heure, s'écartant
des précédents du droit romain et du droit coutu mier, a refusé à la veuve tout gain de survie ~ne
l'a appelée à la succession de son conjoint qu'en l'absence de parents- au degré successible, et ~nts
n~s. (A1~.) A Rome, nous avons Ç-éjà signalé
�-
\
248 -
sous le droit prétorien l'institution de la possession
de biens unde vù· et ·uxoi·, et, sous la législation impé1 riale, celle beaucoup plus efficace de la quarte du
conjoint pauvre. L'ancien droit; français s'était engagé
plus avant dans cette voie libérale : les pays de droit
écrit non contents d'admettre ici la quarte du dr'oit
romain inventèrent au profit du conjoint survivant
1 des gains légaux de survie : l'augment de dot per/ mettait à la veuve de prendre dans Tes biens clu mari
une part proportionnelle à l'imporlance de la dot, le
contre-argument attribuait au mari survivant sur la
dot de sa femme un droit analogue. L'institution de la
communauté et surtout celle du douaire, dans les
pays coutumiers, assuraient à la femme survivante un
veuvage décent. Le Code a aboli tous ces "Qrécéclents
et, à part quelques droits insignifiants de viduité, il
laisse les gains de survie entre époux dans le domaine des conventions et des dispositions testamentaires. Aujourd'hui la veuve, reléguée au dernier
échelon dans l'ordre ~éréditaire, après tous les parents
fegi1in1e$jusqu'àii douzième degré, après les parents
naturels, ne succède à son mari décédé que s'il est impossible de trouver à celui-ci un autre successeur que
le fisc, et ce droit, on le conçoit aisément, est le plus
s0uvent illusoire. Aussi n'est-il pas rare de voir des
femmes qui ont occupé, pendant le mariage, une situation honorée et indépendante dans la société réduites par le veuvage à la gêne et à la misère alors
que l'âge et les infirmités les mettent parfois dans
l'impossibilité de subvenir elles-mêmes à leurs besoins - résultat d'autant plus injuste que la femme
a souvent contribué, par sadili~et son économie,
�-
240 -
à grossir le pâlrimoine du ménage, que vont peul·
être se partager des collatéraux avides ou indifférents. Qu'on ne vienne pas dire que les époux, en
adoptant le régime de lq. communauté, préviendront
suffisamment ces inconvénients, car, outre que le
Code ne peut imposer ce régime matrimonial, on sait
que la renonciation est souvent le seùl droit appréciable qui reste à la femme à la dissolution de la communauté. On objecte e'hcore que le mari peut faire à
son épouse des donations entre vifs ou testamentaires
et suppléer ainsi à l'insuffisance de la ·loi : l'homme
éprouve une répugnance invincible à se dépouiller de
ses biens de son vivant et même à en régler la transmission, tant l'idée de la mort lui est insupportable,
aussi arrivera+il fréquem_m ent que la mort le surprendra avant qu'il ait pris les dispositions que depuis longtemps il avait mûries et arrêtées. D~~pro ··
testalions presque unanimes se sont élevées, depuis
plus d'un demi-siècle, contre la rigueur du législateur de 1804 enyers le conjoint survivant, rigueur
d'ailleurs contraire au principe d'après lequel les hérédités ab intestat sont transmises d'après l'affection
• présumée du défunt 1 • Aussi, dès 1851, un projet de
réforme que les événements politiques empêchèrent
dlaboutir, fut présenté par plusieurs députés à l'Assemblée législative. Le législateur moderne a sais1
avec empressement les occasions qui se sont pré1 Si l'on en croit les procès-verbaux de la discussion des articles du Code, cette extrême rigueur envers la veuve survivante
fut involontaire de la part des rédacteurs qui, par une méprise an
moins singulière, s'imaginèrent l'avoir pourvue d'un usufruit daqs
l'arLicle 754 qui se réfère à une situation toute dill'éreµte,
l
�- 250 sentées cl' entrer dans une voie nouvelle et d'améliorer
la condition de la veuve. C'est ainsi que la loi dù 14
juillet :1.866 sur la propriété artistique .et littéraire - a
'àëcordé au conjoint survivant, (( quel que soit le
régime matrimonial et indépendamment des droits
qui peuvent résulter en faveur de ce conjoint du régime de la communauté )) la jouissance pendant cin~
quante ans des droits dont l'auteun prédécéclé n'a pas
disposé par acte. entre vifs où par testament, sauf,
dans le cas où l'auteur laisse des héritiers à réserve,
réduction de cette jouissance étant alors faite suivant
les proportions et distinctions établies par les art.
913 et 9:1.5 du Code civil. Plus récemment encore, la
loi du 25 ~E :1.873, sur la condition des déportés en
NÜUvelle-Calédonie, a édicté, en faveur de la femme
du déporté, dem~urant avec lui, des dispositions nouvelles. Après avoir établi que les déportés recevront
des concessions provisoires de terres qui, au bout de
cinq ans, seront reconnues définitives, cette loi autorise la veuve, en cas de prédécès du titulaire d'une
concession provisoire, à continuer la possession et à
devenir propriétaire à l'expiration du délai qui restait~ courir. En outre, en l'absence d'enfants légitimes ou autres descendants, la veuve habitant avec
son mari succède à la moitié en propriété tant de la
concession que des autres biens que le déporlé aura
acquis dans la colonie. En cas d'existence d'enfants
légitimes ou autres descendants, le droit de la femme
est d'un tiers en usufruit. (Art. :1.1 et 13.)
( Enfin, à l'Assemblée nationale, M. ~a présenté
( un important projet de J9i tendant à accorder à
l'époux survivant la :moitié des biens laissés par son
�25L -
conjoint s'il 'exisle que des collatéraux au delà clu
sixième degré, et, clans tous les autres cas, un droit
en usufruit seulement dont la quotité varie suivant la
qualité des héritiefs appelés à recueillir la succession
du conjoint décédé 1 • Ce droit s'éteindrait naturellement par la séparalion de corps prononcée contre
l'époux et par le convol. Ce projet favorablement accueilli par la commission d'initialive parlementaire
et par la commission spéciale cfargée du rapport,
sera sans cloute repris et développé par la Chambre
des députés et il y a lieu d'espérer que cette partie incomplète de notre législation recevra bientôt une /
réforme salutaire.
Au point de vue dL1 droit civil, la femme devenue veuve reprend la capacilé complète qu'elle
avait avant son mariage et elle devient libre de ratifier les engagements qu'elle avait contractés durant
l'union conjugale sans l'autorisation de son mari.
Elle est de plein droit tutrice de-ses enfants mineurs,
et l'exercice de la puissance paternelle lui est dévolu.
Mais la situation change complétemenl en cas .de
nouveau mariage de la veuve. Nous ayons eu occa• sion de dire avec quelle défaveur étaient vues les
secondes unions à Rome et dans l'ancien droit. Le
Code civil, cherchant à garder un juste milieu., n'a
voulu ni encourager, ni proscrire les secondes noces,
1 Voici les quotités que M. Delsol, dans son projet, propose
d'altribuer en usufruit à l'époux survivant en pré ence de parents
plus proches que les collatéraux du sixième degré : la J:?Oitié s'il
n'existe pas d'enfant; un quart au moins, un e part d'enfant au plus,
R'il existe des enfants communs; une part d'enfant le moins I!renant, sans pouvoir excéder le quart, s'il exis~e des enfants issus
•
d'un précédent mariage,
�-
252 ..:-
( mais la nécessité où il s'est trouvé de prendre la dé1 fense des enfants du premier lit et de sauvegardet'
leurs intérêts l'a amené à édicter certaines incapacités
particulières dont nous dirons quelques mots. La
~pe peut d'abord se remarier qu'après l'expiration d'un délai de dix mois et cette règle n'a pas
uniquement pour but, comme on l'a prétendu, d'éviter une confusion de 'p art, car quatre mois auraient
suffi pour écartert~ute incertitude puisqu'aux termes
de l'article 312 les gestations les plus longues sont do
trois cents jours et les plus courtes de cent-quatrevingts, elle est encore fondée sur une pens~e de
décence. et de morale. Nous en conclurons que la
veuve qui accouche après le .décès de son mari n'en
est pas moins tenue d'attendre, pour se remarier, le
délai réglementaire de dix mois. La prohibition de la
loi n'est d'ailleurs plus sanctionnée, comme elle l'était
autrefois, par des déchéances pécuniaires et_par la note
d'infamie. Le mariage ainsi contracté résle valable :
l~Îficier de l'état-civil qui a consenti à le célébrer est
senl puni d'une amende de seize francs à trois cents
francs. (Code p~nal, art. 194.) Par l'effet du second mariage, la veuve _perclle droitge réclamer des aliments
à ses gendres et belles-fùles auxquels, à notre avis, elle '
continue néanmoins à en devoir. Si la loi, en effet, a
déclaré la veuve remariée déchue de la pension a1imentaire, c'est qu'elle a craint que cette pension ne fût
absorbée par le second mari, administrateur des biens
de la femme, motif qui n'existe pas pour les gendres
et les belles-filles. 'La femme remariée percl aussi
l'ex.ercice du droit d~correction sur se~ enfants. (Argl.
à contrario de l'article 381.) Le législateur a craint en.-
�-
253 -
cote que, soû!l l'influence du second mari, la femme
ne conservât pas toute son affection et toute son indépendance vis-à-vis des enfants du premier lit. Le même)
motif explique également l'art. 386 qui prive la mère remaTiée de l'usufruit légal sur les biens de ses enfants.
La loi n'a pas voulu que la veuve pùt porter dans
une autre famille les Tevenus des enfants du premier
lit et enrichir son nouvel époux à leurs dépens ; cette
crainte était d'autant plus justifiée que, sous la plupaTt
des régimes matrimoniaux, le mari a l'administration
et la jouissance des revenus de la femme. C'est encore
à cette idée de protection des enfants qu'il faut ratta- '
cher la disposition de l'article 395 qui décide que la )
mère remariée ne pourra conserver la tutelle de ses
enfants mineurs qu'avec l'assentiment du conseil de /
famille:qu'elle devra convoquer à ceteffet.1Sila femme
néglige de remplir celle formalité, elle est déchue de
la tutelle . Le conseil de famille peut retirer la tutelle
à la mère s'il craint que la faiblesse de celle-ci, en
présence de son secon~ mari, ne soit préjudiciaple
aux enfants et, s'il use de cette faculté, la mère se
trouve privée du droit de nommer à ses enfants un
tuteur testamentaire. Remarquons d'ailleurs que,
même au cas où la veuve remariée est maintenue
dans la tutelle, le droit qui lui était accordé comme
mère de nommer un tuteur testamentaire à ses en•
fanLs subit une impol'tanteres~n: la désignation
qu'elle aura faite ne sera valable qu'après avoir été
approuvée par le conseil de famille . Enfin, la loi qui
s'est défiée de l'entraînement irréfléchi qui pourrait
porter la femme à gratifier son nouveau conjoint a
sagement limité, en cas de second mariage, les clona-
-
�-
254 -
tions ent_re époux dans l'ar'ticle ·1098 : « L'homme ou
la femme qui, ayant des· enfants d'un autre lit, contractera un second ou subséquent mariage, ne pourra
donner à son nouvel époux qu'une part d'enfant
légitime le moins prenant et sans que, dans aucun
cas , ces donations puissent excéder le quart des
biens. >>
Toutes ces dispositions nous indiquent la véritable
pensée du législateur : les incapacités particulières
que nous venons de citer n'ont plus, comme autrefois, pour origine une défaveur attachée aux seconds
mariages, mais une idée de protection en faveur des
enfants du premier lit don(les intérêts pourraient
être compromis par la faiblesse d'une mère chez
laquelle l'amour µiaternel ne saurait peut-être pas
tempérer l'amour conjugal. Ce qui nous prouve encore que tel est le véritable motif qui a inspiré le législateur, ç,'est que nous le voyons précisément accorder à la femme remariée clans l'art. 1555, et dans
l'intérêt des enfants du premier lit, ~me capacité
,exceptionnelle : il l'autorise à aliéner, avec la seule
autorisation de justice, ses biens dotaux pour l'établissement des enfants qu'elle a eus d'une précédei;i.te
union. Il était à craindre, en effet, que la résistance
du beau-père à la volonté de sa femme fût le résultat
d'un calcul intéressé, il importait que la justice fût
appelée à donner un avis impartial.
En résumé, le législateur laisse aux femmes, quant
aux seconds mariages, la liberté la plus entière, il s'est
borné à édicter quelques dispositions nécessaires
quant au:s. biens et quii nous croyons avoir suffisam~
ment justifiées, et il a abandonné avec raison au do•
�maine de la c~nscience la question de moralité d 1une
~econde union.
Nous avons essayé, dans cette longue étude, de
recherche!, à t~avers les siècles, les progrès qui se
sont accomplis dans la conditi.on de la femme et qui,
après avoir amené son éma_ncipation matérielle à
Rome, son émancipation morale en France par le
christianisme, ont enfin conduit à reconnaître dans le
droit actuel, l'égalité des sexes. Absolue en ce qui
touche la fille, cette égalité a subi, quant à la femme
mariée, certaines restrictions que nous avons expliquées par le respect dû à la puissance maritale et les
besoip.s de la société . Qu'il nous soit permis, en terminant, d'émettre le vœu de voir quelques réformes
introduites dans la capacité de la femme mariée ; nous
avons signalé, au cours de ce travail, certaines prescriptions de la loi qui ne nous paraissent plus en harmonie complète avec les idées actuelles. Le Code italien, en grande partie copié sur le nôtre, est entré,
sous le rapport de l'autorisation maritale, dans une
voie de réformes heureuses et il se montre en général
moins défiant de la faiblesse de la femme, lui permet·
tant d'agir sans aucune autorisation, en cas d'incapa·
cilé du mari, et même d'aliéner ses immeubles dotaux
avec l'autorisation de la, justice.
Sans oser suivre jusqu'au bout M. Gide dans les
réformes peut-être un peu hardies quql propose, nous
dirons qu'il nous semblerait logique et équitable d'af·
franchir la femme de tonte formalité lorsque le mari
est dans une de ces siluations qui le rendent incapable
d'autoriser et de lui retirer toute aclion en nullité
quand ce dernier a ratifié, soit expressément, soit Laci-
)
�-
256 -
tement, l'acte qu'elle a passé. S'il importe de respecter
le magnifique monument de nos codes demeuré seul
debout au milieu des agitations politiques et de n'y
toucher qu'avec crainte, il ne faut pas oublier non
• plus que, depuis sa création, le monde a toujours été
en progressant et qu'il est impossible de l'arrêter clans
sa marche, car le progrès est la condition même
d'existence de la société.
(
�..
POSITIONS.
DROIT ROMAIN.
1. La filiafamilias est, à Rome, civilement obligéé
par ses contrats.
II. Le mariage nul pour défaut d'âge légal de la
jeune fille équivaut à fiançailles et en produit tous les
effets.
III. Le jus libero1·um ne donnait pas à la femme le
jus caduca vindicandz'.
IV. Ce n'est que sous Justinien que la mère acquit
le droit de succéder sans condition à ses enfants. Cette
opinion permet la conciliation de la loi 3 du Code
Théodosien, dejiwe lz'be1·01>itm, et 2 au Code de Justinien,
eodem atulo, qui paraissent contradictoires.
V. A partir de Justinien, les biens compris dans le
pécule castrens sont, à la mort du fils décédé sans
postérité, attribués au père jui·e successz'oms.
DROIT CIVIL.
l. La ratification par le mari de l'acte que la femme
a passé sans son autorisation n 'enlève pas à celle-ci
son action en nullité.
�-
258 -
II. Le donateur n'a pas qualité pour se prévaloir de
la mùlité de la donation entre vifs acceptée par la
femme sans autorisation.
III. La mère qui a refusé la tutelle légale de ses en~
fants conserve le droit de leur nommer un tuteur testamentaire.
IV. La dissolution du second mariage par la mort
du mari, ou mêmè par une déclaration de nullité, ne
fait pas revivre au profit de la mère l'usufruit légal
perdu par le convol.
V. L'action en réduction de l'art 1098 du Code civil
. he peut être exercée par les enfants communs en cas
d'inaction des enfants du premier lit.
PROCÉDURE ClVILE ET LÉGISLATION CRIMINF.LLE.
I. Celui qui est à la fois créancier et débiteur d'une
même personne peut, pour sûreté de ce qui lui est
dû, former, sur ce qu'il doit lui-même, une saisi~
arrêt entre ses propres mains.
II. L'ordonnance de référé par laquelle le président
du tribunal autorise une saisie-arrêt n'est susceptible
d'aucun ree6urs.
III. L'article 365 du Code d'instruction criminelle
s'applique devant les tribunaux correctionnels.
IV. L'admission de l'excuse légale n'empêche pas le
bénéfice des circonstances atténuanle, mais c'est à la
Cour et non au jury qu'il appartient çle se prononcer
sur leur admission.
V. Le mari condamné à une peine infamante per·
pétuelle conserve le droil d'autorisation maritale.
�-
21'i9 -
t~ .
lJllOlT AUl\llNISTHATll" .
I. Les projets, plans et devis des travaux à effectuer
sur les chemins vicinaux ordinaires doivent être approuvés par le préfet et non par la commission déparLemenlale.
II. C'est au conseil de préfecture qu'il appartient
de fafre cesser les anticipations ou usurpalions commises sur les chemins vicinaux, mais c'est au tribunal
de simple police qu'est réservé le droit de prononcer
l'amende encourue.
III. Le Procureur de la République doit être considéré comme un dépositaire de l'autorité publique rentrant clans la classe de ceux auxquels le décret de ,
1852 a reconnu le droit d'adresser aux journaux des
communiqués.
IV. Les ministres du culte ne peuvent être considérés comme des fonctionnaires publics ; les délits de
diffamation et cl'outrage commis envers eux par la
voie de la presse demeurent justiciables des tribunaux
correctionnels.
Vu:
Aix , le 22 décembre i876.
Le doyen de la Faculté, président de la thèse,
CARLES.
Permis d'imprimer :
Le Recteui· de l'Académie,
Cu. ZÉVORî,
��TABLE DES MATIÈRES.
Pa ges .
INTRODUCTION.
1
PREMIÈRE PARTIE.
La· Femme· Romaine.
Organisation de la famille dans l'antique Rome.
La femme dans la famille paternelle.
La femme sous la tutelle perpétuelle.
La femme dans le mariage.
T. Manus . . .
SECTION
SEC'flON Il. Mariage libre. . . . .
. . . .
SECTION III. Concubinat.
CHAPITB.E V. La femme sous la législation d'Auguste et de
ses successeurs.. . . . . . . . . " .
CHAPITRE VI. La femme so us les emp ereurs chrétiens et
sous Justinien.
APPENDICE I. L'esclave.
II. L'affranchi e.
III. L'étran gère.
CHAPITRE l.
CHAPITRE II.
CHAPITRE III.
CHAPJTRE IV.
H
15
22
28
30
40
4~
52
77
92
96
98
DEUXIÈME PARTIE.
La Femme Française.
CHAPITRE
I. La femme so us le droit germunique.
§ 1. Fille de famille.
§ II. Femme mariée . . . . . .
i04
i04
1i~
�-
262 -
CHAPITRE Il . La femme sous la période féodale et coutumière. . . . . . . . . . . . . .
SECTION I. § I. Coup d'œil général sur l'époque de la
féodalité. . . . . . . .
§ II. Fille de famille . . . . ,
§ III. Fille serve, fille roturière.
SECTION 11. La femme mariée. . . . . .
§ I. Le mariage à l'époque féodale.
§ Il. Puissance maritale: . . . .
. . . . .
§ III .. Communauté.
§ IV. Du douaire et des garanties accordés
. . . . . . .
à la femme mariée.
CHAPITRE m. La femme dans les pays du fllidi. - Fusion
ùes di'lers éléments du droit français sous
l'influence du droit canonicrue et des ordonnances royales. . . . . . . .
CHAPITRE IV, La femme sous le droit intermUdiaire
tH
H'•
H7
·123
125
125
1.31
13'•
HO
141>
153
TROISIÈME PARTIE.
La Femme Contemporaine.
La fille de famille. . . • . .
La femme mariée. . . . . . .
I. Sa condition quant à sa personne.
Il .· Sa condition quant aux biens. · .
§ 1. Fondement et légitimité de l'mcapacité
de la femme mariée. . . . . . . .
§ Il. Etendue de l'incapacité de la femme
mariée.. . . . . . . . . . . . •
§ III. Inlluence ·de la séparation de biens
sur l'incapacité de la femme mariée.
§ lV. De l'autorisation exigée pour relever
la femme de $OU incapacité. . . . . .
§V. Effets de l'incapacité de la femme mariée.
§ VI. Situation particulière de la femme
marchande publique. . . . . . . .
CHAPITRE Ill. La femme veuve. - Incapacités particulières
à la femme remariée.
POSITlONS.
CHAPITRE 1.
CHAPJTRE Il.
SECTlON
SECTlON
ANGERS, H!)P, !'. LACHÈSE , BELLEUVRI! ET DOLBEAU.
Hi6
1.61
161
177
180
187
205
217
230
~38
247
257
��
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A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
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Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
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Title
A name given to the resource
Femme (La) dans la société et dans la famille aux diverses époques du droit romain et du droit français : thèse présentée et soutenue en [mars 1877]
Subject
The topic of the resource
Droit privé
Droit romain
Description
An account of the resource
Du statut d'esclave à la pleine capacité de sa personne et de ses biens, la condition et le rôle des femmes à travers les différents systèmes juridiques depuis l'antiquité
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Pinot, Octave
Faculté de droit (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône ; 1...-1896). Organisme de soutenance
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-AIX-T-101
Publisher
An entity responsible for making the resource available
P. Lachèse, Belleuvre et Dolbeau (Angers)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1877
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/234730307
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-AIX-T-101_Pinot_Femme_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
262 p.
23 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/365
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Abstract
A summary of the resource.
Thèse : Thèse de doctorat : Droit : Aix : 1877
Notes : La thèse porte : Angers (13, Chaussée Saint-Pierre) : P. Lachèse, Belleuvre et Dolbeau, Imprimeurs, 1877
L'auteur suit un plan chronologique pour développer sa conviction : la France est "le pays privilégié" où s'est réalisée, après de longs siècles d'élaboration, l’émancipation de la femme. Désormais, "l'égalité des sexes est la base fondamentale du droit français". Les incapacités de la femme mariée sont justifiés par les avantages qu'en retire la famille et la société, et compensés par la "dignité du titre d'épouse". L'auteur exprime toutefois des réserves à l'égard de l'article 215 du Code civil et déplore que les droits successoraux de la veuve soient moindres que sous l'Ancien Régime.
Provenance
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Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
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